Présentées par :

M me  S. Strakhova, mère de Maxim Strakhov, et M. Asad Fayzullaev, au nom de son fils Nigmatulla (non représentés)

Au nom de :

Maxim Strakhov et Nigmatulla Fayzullaev (tous deux exécutés)

État partie :

Ouzbékistan

Dates des communications :

29 septembre 2001 et 26 mars 2002, respectivement (dates des lettres initiales)

Objet : Condamnation à mort prononcée à l’issue d’un procès inéquitable; usage de la torture pendant l’enquête préliminaire

Questions de fond : Torture; procès inéquitable; privation arbitraire de la vie

Questions de procédure : Appréciation des faits et des éléments de preuve; fondement des griefs

Articles du Pacte : 6, 7, 10, 14, 15, 16

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen des communications n os  1017/2001 et 1066/2002, présentées au nom de Maxim Strakhov et Nigmatulla Fayzullaev en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs des communications et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 Les auteurs des communications sont M me S. Strakhova, de nationalité russe, résidant actuellement en Ouzbékistan, et M. Asad Fayzullaev, de nationalité ouzbèke. Ils présentent les communications au nom de leurs fils respectifs, Maxim Strakhov (de nationalité russe, né en 1977) et Nigmatulla Fayzullaev (de nationalité ouzbèke, né en 1975), qui ont tous deux été exécutés et qui, selon les dires des auteurs étaient, lorsque les communications ont été présentées, encore en attente d’exécution après avoir été condamnés à mort par le tribunal de Tachkent le 18 avril 2001. Les auteurs affirment que leurs fils sont victimes de violations par l’Ouzbékistan des droits qui leur sont reconnus par les articles 6, 7, 10, 14, 15 et 16 du Pacte. Ils ne sont pas représentés.

1.2 Lorsque les communications ont été enregistrées le 16 octobre 2001 et le 26 mars 2002, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a prié l’État partie de ne pas procéder à l’exécution des victimes tant que leurs affaires seraient en instance devant le Comité. Le 21 octobre 2002, M me Strakhova a informé le Comité que son fils avait été exécuté le 20 mai 2002. Le 2 août 2005, l’État partie a fait savoir au Comité que Maxim Strakhov et Nigmatulla Fayzullaev avaient en fait été exécutés avant l’enregistrement des communications par le Comité et avant la formulation de la demande de mesures provisoires. L’État partie ne fournit pas les dates exactes de l’exécution, alors qu’il a été expressément prié de le faire.

1.3 Le 20 juillet 2007, à la quatre ‑vingt ‑dixième session, le Comité a décidé d’examiner conjointement les deux communications.

Rappel des faits

2.1 Les deux victimes présumées étaient coaccusées dans une affaire de meurtre. Le tribunal de Tachkent les ayant reconnues coupables de vol d’une somme d’argent particulièrement importante, d’acquisition et de vente illégales de devises, de vol avec violence en réunion, de meurtre avec préméditation (commis le 29 septembre 2000) et circonstances aggravantes des membres de la famille Luftiddinov (qui était composée de quatre personnes, dont deux mineurs), avec une violence particulière, à des fins crapuleuses et dans l’intention de dissimuler un autre crime, elles ont été condamnées à mort le 18 avril 2001. En outre, Nigmatulla Fayzullaev a été convaincu du viol de M me Luftiddinova avec menaces de mort. Les condamnations à mort ont été confirmées par la Cour suprême le 13 septembre 2001. Les deux auteurs affirment que les peines prononcées étaient excessivement sévères et infondées.

Cas de Maxim Strakhov

2.2 Le premier auteur, M me Strakhova, affirme que la condamnation de son fils ne concorde pas avec sa personnalité. Un certificat écrit de l’employeur de ce dernier contenant une appréciation positive a été présenté au tribunal à ce sujet. Le tribunal n’a pas tenu compte du fait que son fils avait servi dans les forces armées russes pendant le conflit en Tchétchénie. Après son retour en Ouzbékistan, il a développé ce que l’on a appelé le «syndrome tchétchène» (similaire au «syndrome du Viet Nam») et dans sa tête, il continuait à se battre. Il avait des troubles du sommeil et se réveillait régulièrement en criant. Il ne pouvait pas marcher dans l’herbe car il avait peur des mines terrestres. Il est devenu schizophrène et son comportement s’en est ressenti. L’auteur affirme que, lorsqu’un psychiatre a examiné son fils pour évaluer son état, dans le cadre des poursuites pénales engagées contre lui, l’examen n’a pas eu lieu dans des conditions satisfaisantes, et son fils n’a pas été hospitalisé, ce qui aurait permis d’obtenir un diagnostic convenable de son état. Dans ces conditions, selon l’auteur, le tribunal aurait dû conclure que son fils avait agi dans un état d’affect . La défense a demandé un examen psychiatrique complémentaire afin d’évaluer l’état réel de son fils, mais cette demande a été rejetée par le tribunal.

2.3 Selon l’auteur, afin de dissimuler l’incompétence des enquêteurs, le juge a refusé d’autoriser la mère et l’épouse de Strakhov à témoigner en sa faveur à l’audience.

2.4 L’auteur affirme que son fils a été passé à tabac et torturé après son arrestation et contraint à s’avouer coupable. Il a fait des aveux mais sans pouvoir fournir le motif du meurtre parce que, selon l’auteur, il était dans un état d’affect. C’est ainsi qu’il n’a pas pu décrire l’arme du crime − un couteau − ni la manière dont il avait été lui ‑même poignardé par l’une des victimes, Luftiddinov.

2.5 L’auteur affirme que, selon un arrêt de la Cour suprême d’Ouzbékistan de 1996, les preuves obtenues par des moyens illicites ne sont pas recevables. Ce principe n’a pas été respecté dans le cas de son fils. La cour d’appel n’a pas examiné l’affaire convenablement, mais s’est bornée à confirmer le jugement rendu en première instance, en violation de l’article 463 du Code pénal . En outre, au début du procès, le fils de l’auteur et Fayzullaev ont fait l’objet d’intimidations de la part des familles des victimes. L’un des parents des personnes assassinées, Kurbanov, aurait déclaré publiquement qu’il ferait en sorte que Strakhov soit violé avant la fin du procès. Le président du tribunal n’a pris aucune mesure pour faire cesser ces manœuvres d’intimidation.

2.6 Selon l’auteur, les faits cités plus haut montrent que les conclusions des tribunaux ne concordaient pas avec les circonstances de l’affaire. En outre, les principes selon lesquels il n’incombe pas à l’accusé de prouver son innocence et les doutes non dissipés doivent bénéficier à l’accusé n’ont pas été respectés dans le cas de son fils selon l’auteur. Le jugement s’était fondé sur des éléments recueillis au cours de l’enquête mais non confirmés pendant le procès.

2.7 L’auteur affirme que, conformément à l’article 22 du Code de procédure pénale ouzbek, les éléments de preuve doivent être évalués de façon approfondie, détaillée, objective et exhaustive. Or, dans le cas de son fils, l’enquête et le procès ont été menés d’une manière accusatoire, et l’affaire a été examinée de manière superficielle, incomplète et partiale.

2.8 Le 21 octobre 2002, M me Strakhova a informé le Comité que son fils avait été exécuté secrètement. Elle présente la copie d’un certificat de décès délivré le 28 juin 2002, selon lequel l’exécution a eu lieu le 20 mai 2002. Elle affirme que son fils a été exécuté bien qu’en vertu du Code pénal les condamnations à mort ne puissent être appliquées que lorsque l’administration présidentielle a refusé d’accorder la grâce. Selon l’auteur, dans le cas de son fils, les nombreuses demandes de grâce présidentielle sont restées sans réponse.

Cas de Nigmatulla Fayzullaev

2.9 Asad Fayzullaev affirme que son fils Nigmatulla a été violemment battu après son arrestation afin qu’il avoue sa culpabilité et a subi des pressions morales et psychologiques . Il mentionne l’arrêt rendu en 1996 par la Cour suprême sur l’irrecevabilité des preuves obtenues de manière illégale, et affirme que le tribunal a commis plusieurs infractions à la procédure afin de couvrir les actes illicites commis par les enquêteurs qui ont procédé à l’enquête préliminaire.

2.10 L’auteur, son épouse et celle de son fils n’ont pas été autorisés à témoigner en faveur de Fayzullaev à l’audience. Le tribunal n’a pas procédé à un examen détaillé, complet et objectif de toutes les circonstances entourant l’affaire. Le président du tribunal n’a pas attaché d’importance aux contradictions entre les dépositions des différents témoins .

2.11 En ce qui concerne l’article 463 du Code de procédure pénale (voir note de bas de page 2 ci ‑dessus), l’auteur affirme que ni le tribunal d’instance ni la cour d’appel n’ont dissipé les doutes entourant l’affaire. Ils les ont purement et simplement ignorés.

2.12 Selon l’auteur, les enquêteurs ont violé le principe voulant qu’une personne soit poursuivie seulement pour des faits au sujet desquels sa culpabilité peut être démontrée au ‑delà de tout doute raisonnable, et ont établi un acte d’accusation dans lequel ils ont décrit le fils de l’auteur comme un maniaque et un meurtrier qui, selon un plan élaboré à l’avance avec Strakhov, a violé puis assassiné une personne sans défense, puis volé ce qui se trouvait dans l’appartement. Selon l’auteur, son fils n’avait aucunement l’intention de tuer. En outre, c’est à tort que le tribunal du fond a conclu que son fils avait agi avec une violence particulière, alors qu’en droit ouzbek cette qualification suppose qu’avant le meurtre la victime soit soumise à des tortures ou à un traitement humiliant, ou à des souffrances particulières, ce qui n’avait pas été le cas.

2.13 Selon l’auteur, les enquêteurs et le tribunal ont violé l’article 82 du Code de procédure pénale ouzbek , parce qu’ils n’ont pas établi «l’objet du crime, la nature et l’étendue du préjudice, l’existence d’un lien de causalité entre les circonstances caractérisant la personnalité de l’accusé et la partie lésée».

2.14 L’auteur affirme que son fils a été examiné par un psychiatre dans des conditions qui n’étaient pas satisfaisantes, et qu’il n’a pas été admis dans un hôpital psychiatrique pour subir un examen complet. Il affirme que le crime a eu pour cause un état soudain de profonde émotion provoqué chez son fils par une tentative de chantage et d’extorsion de la part de la victime. Selon l’auteur, les tribunaux auraient dû conclure que son fils était en état d’affect lorsqu’il a commis le meurtre.

2.15 Au début du procès, les accusés ont été en butte à des intimidations et des menaces de la part des proches des victimes, mais le président du tribunal n’est pas intervenu. Ceci démontre, selon l’auteur, que le tribunal a manqué à son devoir d’objectivité et d’impartialité.

2.16 L’auteur affirme qu’à la fin du procès le président a violé l’article 449 du Code pénal, qui réglemente la conduite des phases finales du procès pénal et selon lequel le Procureur prend la parole le premier, suivi par les parties lésées, puis la défense et, en dernier, l’accusé. Toutefois, au procès du fils de l’auteur, après la déclaration du Procureur, les différents accusés ont parlé, suivis par le conseil de la défense, après quoi la parole a été donnée aux parties lésées. Les accusés n’ont pas pu formuler d’objections aux déclarations de ces dernières.

2.17 Selon l’auteur, le tribunal de Tachkent s’est borné à expliquer qu’il n’y avait pas de circonstances atténuantes, ce qui montre l’approche formaliste et partiale du tribunal, qui n’a pas procédé à une évaluation complète de toutes les circonstances atténuantes de l’affaire. L’article 55 du Code pénal cite parmi les circonstances atténuantes les aveux qui contribuent à élucider un crime. Le tribunal a refusé de prendre en compte le jeune âge du fils de l’auteur qui avait à sa charge ses parents âgés, ses deux enfants ainsi que son épouse au chômage.

2.18 L’auteur conclut qu’au vu des faits susmentionnés il est clair que les conclusions du tribunal ne concordent pas avec les circonstances concrètes de l’affaire. Tous les doutes qui n’ont pas été levés auraient dû bénéficier à son fils. Au lieu de quoi la déclaration de culpabilité a été fondée sur des éléments qui n’ont pas été confirmés à l’audience. Aux termes de l’article 22 du Code de procédure pénale, tous les éléments de preuve doivent être évalués de manière approfondie, détaillée, objective et exhaustive. En l’espèce, l’enquête et le procès ont été menés de façon accusatoire, et l’examen du dossier a été superficiel, incomplet et partial; le principe de la présomption d’innocence n’a pas été respecté. Il en est résulté une déclaration de culpabilité et une condamnation à mort non fondées.

Teneur des plaintes

3. Les deux auteurs affirment que leurs fils sont victimes de violations par l’Ouzbékistan des droits qui leur sont reconnus aux articles 6, 7, 10, 14, 15 et 16 du Pacte.

Observations de l’ État partie

4.1 Le 2 août 2005, l’État partie a fait valoir que les condamnations à mort prononcées contre les victimes présumées ont été exécutées avant que le Comité n’enregistre les communications et ne demande des mesures provisoires de protection. C’est pourquoi il n’a pas pu donner suite à cette demande. L’État partie rappelle que les condamnations à la peine capitale sont exécutées seulement après un examen minutieux des dossiers par la Cour suprême, qui est particulièrement attentive à la légalité et à l’équité du jugement, ainsi qu’à toutes les questions de fond et de procédure relatives à l’affaire.

4.2 L’État partie rappelle que Strakhov et Fayzullaev ont été condamnés à mort le 18 avril 2001 par le tribunal régional de Tachkent, pour vol d’une somme d’argent particulièrement importante, acquisition et vente illicites de devises étrangères, pour vol avec violence en réunion, pour meurtre avec préméditation et circonstances aggravantes sur deux personnes ou davantage se trouvant sans défense, avec une violence particulière, à des fins crapuleuses, et dans l’intention de dissimuler un autre crime. En outre, Fayzullaev a été reconnu coupable de viol avec menaces de mort. Les condamnations à la peine capitale ont été confirmées par la Cour suprême le 13 septembre 2001.

4.3 Les deux victimes présumées ont été reconnues coupables d’avoir cambriolé l’appartement du dénommé Luftiddinov, de l’avoir assassiné lui et ses deux fils mineurs (nés en 1989 et en 1991) ainsi que son épouse (qui avait été au préalable violée par Fayzullaev). L’argent et les valeurs volés représentaient environ 3 610 522 soms .

4.4 Selon l’État partie, il n’y a pas eu recours à la torture ou à d’autres moyens d’instruction illicites pendant l’enquête ou pendant le procès. Tous les actes d’instruction et le procès se sont déroulés conformément à la législation en vigueur. Strakhov et Fayzullaev ont été représentés par des avocats dès leur arrestation et tous les interrogatoires et les actes d’instruction ont été effectués en présence des avocats.

4.5 La culpabilité des victimes présumées a été établie par leurs aveux, par les dépositions des témoins et par les éléments du dossier pénal ainsi que par les débats au procès, les conclusions des experts en médecine légale, les preuves balistiques et les examens psychologiques et autres. Le tribunal a déterminé comme il convient la peine infligée aux victimes présumées, en tenant compte des circonstances aggravantes dans lesquelles le crime a été commis.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5. Aucun commentaire n’a été reçu des auteurs, bien que les observations de l’État partie leur aient été adressées afin qu’ils fassent part de leurs commentaires et que des rappels aient été envoyés à cet effet.

Non ‑respect de la demande de mesures provisoires du Comité

6.1 En présentant leurs communications, le 29 septembre 2001 et le 26 mars 2002, respectivement, les deux auteurs ont affirmé que leurs fils étaient en attente d’exécution à Tachkent, que leurs demandes de grâce présidentielle étaient encore à l’examen et que conformément à la législation nationale aucune exécution ne pouvait avoir lieu en l’absence d’une réponse à ces demandes. L’État partie a indiqué en 2005 que les exécutions des victimes avaient eu lieu en fait avant l’enregistrement de leurs communications et la formulation de la demande du Comité au titre de l’article 92 de son règlement intérieur, mais n’a pas précisé les dates exactes des exécutions. Le Comité note que M me Strakhova a présenté une copie d’un certificat de décès attestant que son fils avait été exécuté le 20 mai 2002. L’authenticité du certificat en question n’a pas été contestée par l’État partie. Dans ces circonstances le Comité considère que l’État partie n’a pas communiqué suffisamment d’informations à l’appui de son affirmation selon laquelle les exécutions des victimes présumées avaient eu lieu après la formulation de la demande faite par le Comité en application de l’article 92.

6.2 Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, un État partie reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui affirment être victimes de violations de l’un de leurs droits consacrés par le Pacte (préambule et art. 1 er ). En adhérant au Protocole facultatif, un État partie s’engage implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité afin de lui donner les moyens d’examiner de telles communications et, après examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ces obligations.

6.3 Indépendamment d’une violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, un État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. Dans la présente communication, chacun des deux auteurs affirme que son fils a fait l’objet de violations de ses droits reconnus aux articles 6, 7, 10, 14, 15 et 16 du Pacte. Ces allégations lui ayant été notifiées, l’État partie a contrevenu à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en procédant à l’exécution des victimes présumées avant que le Comité n’ait mené à bonne fin l’examen de la communication et n’ait pu formuler ses constatations et les lui communiquer. Il est particulièrement inexcusable pour l’État partie d’avoir agi de la sorte après que le Comité lui a présenté une demande en application de l’article 92 du Règlement intérieur.

6.4 Le Comité rappelle que l’adoption de mesures provisoires en vertu de l’article 92 de son règlement intérieur conformément à l’article 39 du Pacte est essentielle au rôle confié au Comité en vertu du Protocole facultatif. Le non ‑respect de cet article, en particulier par une action irréparable comme, en l’espèce, l’exécution de Maxim Strakhov et Nigmatulla Fayzullaev, sape la protection des droits consacrée dans le Pacte, assurée par le Protocole facultatif .

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité note que la même affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale, conformément aux conditions énoncées au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, et prend note qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.

7.3 Les deux auteurs affirment qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, en particulier parce que le procès ne répondait pas aux exigences fondamentales d’équité, que le tribunal était partial et que son appréciation des faits était erronée. L’État partie a réfuté ces allégations en affirmant que le procès avait été mené conformément à la législation en vigueur et que les victimes présumées avaient été représentées par leurs avocats dès leur arrestation et que tous les interrogatoires ont été menés en la présence de ces derniers. Le Comité note que les allégations des auteurs portent essentiellement sur l’évaluation des faits et des éléments de preuve par le tribunal. Il rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice . En l’absence d’autres informations pertinentes montrant que cette appréciation des éléments de preuve a été entachée de tels vices en l’espèce, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4 Les auteurs affirment que le droit de leurs fils respectifs à être présumés innocents, conformément au paragraphe 2 de l’article 14, a été violé. Ces griefs n’ont été étayés par aucune autre information pertinente. Même si elles n’ont pas été spécifiquement réfutées par l’État partie, le Comité considère que ces allégations n’ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5 Le Comité considère que les griefs formulés au titre des articles 15 et 16 n’ont pas été étayés aux fins de la recevabilité; cette partie de la communication est par conséquent irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6 Le Comité considère que les autres griefs des auteurs, qui soulèvent des questions au titre de l’article 6, de l’article 7, de l’article 10 et du paragraphe 3 g) de l’article 14, ont été suffisamment étayés et les déclare recevables.

Examen au fond

8.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que les parties lui avaient communiquées, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2 Les deux auteurs affirment que les victimes présumées ont été battues et torturées par des enquêteurs et ont été contraintes de s’avouer coupables. L’État partie a réfuté ce grief, affirmant qu’aucun acte de torture ni méthode d’enquête illicite n’a été employé, que tous les actes d’instruction et le déroulement du procès ont été conformes à la loi en vigueur, et que les deux victimes ont été représentées par des avocats après leur arrestation. Le Comité rappelle que les plaintes faisant état de mauvais traitements contraires à l’article 7 doivent faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales par l’État partie . Le dossier contient des copies des plaintes pour mauvais traitements qui ont été portées à l’attention des autorités de l’État partie, notamment la copie d’une lettre de Maxim Strakhov dans laquelle celui ‑ci informe sa famille des «passages à tabac» qu’il a subis en détention, et des copies d’une description par M. Fayzullaev de l’état dans lequel était son fils lorsqu’il a pu le voir au début de sa détention. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, l’État partie n’a pas apporté de preuve concrète que les autorités avaient convenablement examiné les allégations de torture formulées et étayées par les auteurs, aussi bien dans le contexte de la procédure pénale en Ouzbékistan que dans le contexte de la présente communication. En conséquence, il convient d’accorder tout le poids voulu aux griefs des auteurs. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7, et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

8.3 Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner séparément les plaintes des auteurs au titre de l’article 10 du Pacte.

8.4 Le Comité rappelle qu’une condamnation à la peine capitale prononcée à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. En l’espèce, les condamnations à mort ont été prononcées en violation des garanties énoncées à l’article 7, et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte et partant en violation aussi du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de Maxim Strakhov et Nigmatulla Fayzullaev au titre de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14, lus conjointement avec l’article 6 du Pacte.

10. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs, M me Strakhova et M. Fayzullaev, un recours utile, sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent plus.

11. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est aussi tenu de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

B. Communication n o 1039/2001, Zvozskov et consorts c. Bélarus*( Constatations adoptées le 17 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session )

Présentée par :

Boris Zvozskov et consorts (non représentés par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

12 novembre 2001 (date de la lettre initiale)

Objet : Refus d’enregistrement d’une association de défense des droits de l’homme par les autorités de l’État partie

Questions de fond : Égalité devant la loi; interdiction de la discrimination; droit à la liberté d’association; restrictions autorisées

Questions de procédure : Irrecevabilité ratione personae ; non ‑épuisement des recours internes

Articles du Pacte : 2, 22 (par. 1 et 2), 26

Articles du Protocole facultatif : 1, 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 octobre 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1039/2001, présentée par Boris Zvozskov, en son nom et au nom de 33 autres personnes, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Boris Igorevich Zvozskov, né en 1949, Russe résidant à Minsk, au Bélarus. La communication est présentée en son nom et au nom de 33 autres personnes de nationalité bélarussienne, polonaise, russe, lettonne ou lituanienne, résidant toutes au Bélarus. L’auteur présente des lettres de procuration émanant de 23 des 33 coauteurs. Il affirme que tous sont victimes de violations par le Bélarus du paragraphe 1 de l’article 2, des paragraphes 1 et 2 de l’article 22 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1 Le 12 novembre 2000, 114 personnes, dont l’auteur, ont tenu l’assemblée constitutive de l’association publique non gouvernementale de défense des droits de l’homme Helsinki XXI, créée pour contribuer à la mise en œuvre au Bélarus de la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et de protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus (ci ‑après la Déclaration). Le 11 décembre 2000, ces personnes ont adressé au Ministère de la justice une demande d’enregistrement de l’association. Le 11 janvier 2001, le Ministère de la justice a suspendu la procédure d’enregistrement au motif que le nombre des membres qui avaient assisté à l’assemblée constitutive, le nombre de ceux qui avaient pris part au vote et la liste des fondateurs soumise au Ministère ne correspondaient pas. Les dirigeants de l’association ont été invités à rectifier la demande d’enregistrement et à la représenter dans un délai d’un mois.

2.2 Le 9 février 2001, le Ministère de la justice a été saisi d’une demande d’enregistrement rectifiée. Le 11 juillet 2001, il a rejeté la demande, en invoquant le paragraphe 11 du règlement sur l’enregistrement (réenregistrement) officiel des partis politiques, syndicats et autres associations publiques (ci ‑après le Règlement) qui a été approuvé par un décret présidentiel daté du 26 janvier 1999 (ci ‑après le Décret présidentiel), du fait que: 1) l’une des activités statutaires d’Helsinki XXI consistait à représenter et défendre les droits de tiers, ce qui, de l’avis du Ministère, est contraire à la Déclaration, à la Constitution bélarussienne et à d’autres lois ; 2) il existait des doutes en ce qui concerne la validité de la création de l’association, de l’adoption des statuts et d’autres décisions de l’assemblée constitutive, étant donné qu’il est fait mention de 114 personnes dans le procès ‑verbal de cette dernière mais que le nombre de votants varie de 98 à 109. Sur le premier point, le Ministère renvoyait spécifiquement aux paragraphes suivants des statuts d’Helsinki XXI: 2.2.1 (promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés à l’échelle nationale et internationale), 2.2.2 (offrir à titre gracieux une assistance et des consultations sur les questions relatives à la protection des droits de l’homme), 2.3.3 (fournir une aide juridique gratuite aux membres d’Helsinki XXI et aux autres citoyens et associations qui sollicitent une aide, en assurant la protection de leurs droits et intérêts devant les tribunaux, les organes de l’État et d’autres organisations) et 2.4.5 (représenter et défendre gratuitement les droits et intérêts des membres de l’association et des autres citoyens ayant sollicité une aide face à des institutions ou organisations d’État, commerciales ou publiques).

Le 18 juillet 2001, l’auteur et deux autres fondateurs de l’association ont fait appel devant la Cour suprême de la décision que le Ministère avait rendue le 11 juillet 2001. Ils contestaient la légalité de la décision aux motifs suivants: 1) contrairement à ce qu’affirme le Ministère, la législation bélarussienne n’interdit pas de représenter et de défendre les droits de tiers ; 2) le Règlement ne prévoit pas que l’enregistrement peut être refusé sur la base de «commentaires relatifs à la liste des fondateurs et à d’autres documents présentés». Le 20 août 2001, la Cour suprême n’a pas suivi le Ministère dans ses conclusions concernant la nullité de la création de l’association et les différences relevées dans la liste des fondateurs. Elle a toutefois confirmé la décision du Ministère selon laquelle les activités statutaires d’Helsinki XXI de représentation et de défense des droits de tiers n’étaient pas conformes au paragraphe 2 de l’article 22 de la loi sur les associations publiques, ainsi qu’au paragraphe 3 de la partie 2 de l’article 72, et à l’article 86 du Code de procédure civile. La Cour suprême a renvoyé au paragraphe 11 du règlement régissant le refus d’enregistrement d’une association dans le cas où ses statuts ne satisfont pas aux critères fixés dans la loi. La Cour suprême a également cité l’avis concernant le refus d’enregistrer Helsinki XXI, que la Commission d’enregistrement et de réenregistrement des associations publiques, instituée par le Décret présidentiel, a rendu le 7 juin 2001, et la décision que le Ministère de la justice a rendue sur la même question le 7 juin 2001 également. Le refus de la Cour suprême d’enregistrer Helsinki XXI en tant qu’association publique n’est pas susceptible de pourvoi.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir que le refus d’enregistrer l’association Helsinki XXI qu’il a constituée avec les 33 coauteurs de la communication et le fait que les juridictions internes les aient déboutés constituent une violation de leurs droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte.

3.2 L’auteur soutient que les critères d’enregistrement d’une association publique fixés dans la législation de l’État partie sont des restrictions inadmissibles de son droit à la liberté d’association et du droit correspondant des 33 coauteurs de la communication qui ne satisfont pas au critère de la nécessité de protéger l’intérêt de la sécurité nationale ou de la sûreté publique, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui (par. 2 de l’article 22).

3.3 L’auteur affirme que plusieurs associations publiques s’occupant d’autres questions que les droits de l’homme ont été enregistrées entre 1991 et 1998 (et réenregistrées en 1999) par les autorités de l’État partie, alors même que leurs statuts prévoyaient des activités relatives à la protection des droits, des libertés fondamentales et des intérêts légitimes de tiers. Parallèlement, l’enregistrement de quatre autres associations s’occupant de droits de l’homme a été refusé au même motif. L’auteur estime que le refus d’enregistrement et la confirmation de cette décision par la Cour suprême constituent à son égard et à l’égard des 33 coauteurs de la communication une discrimination de la part de l’État partie, incompatible avec les articles 2 et 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4. Le 6 mars 2002, l’État partie a rappelé que le 20 août 2001 la Cour suprême avait examiné l’appel formé par l’auteur et deux autres personnes contre la décision du Ministère de la justice de refuser l’enregistrement de l’association Helsinki XXI. Il fait observer que la Cour suprême a considéré qu’il n’y avait pas lieu de casser la décision du Ministère étant donné que les «activités statutaires d’Helsinki XXI de représentation et de défense des droits de tiers n’étaient pas conformes au paragraphe 2 de l’article 22 de la loi sur les associations publiques ainsi qu’au paragraphe 3 de la partie 2 de l’article 72 et à l’article 86 du Code de procédure civile». L’État partie invoque l’article 62 de la Constitution bélarussienne qui garantit à chacun «le droit à l’aide judiciaire pour exercer et défendre ses droits et libertés, notamment le droit de faire appel en tout temps à l’assistance d’avocats et d’autres représentants devant les tribunaux, les autres organes de l’État, les autorités locales, les entreprises, les établissements, les organisations et les associations publiques, ainsi que dans les relations avec les fonctionnaires et les agents de l’État et les citoyens». Les articles 44, 46 et 56 du Code de procédure pénale énumèrent les personnes qui peuvent assurer la défense d’autrui dans une procédure pénale et précisent que les associations publiques n’en font pas partie. L’État partie cite des extraits de l’avis relatif au refus d’enregistrer Helsinki XXI que la Commission d’enregistrement et de réenregistrement des associations publiques a rendu le 7 juin 2001 et de la décision que le Ministère de la justice a rendue sur la même question le 7 juin 2001 également. L’État partie conclut que la Cour suprême n’a pas interdit la création d’Helsinki XXI mais a simplement signalé les violations du droit interne dans le processus d’enregistrement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Le 3 mai 2003, l’auteur a contesté l’affirmation selon laquelle la Cour suprême n’aurait pas interdit la création d’Helsinki XXI mais aurait simplement signalé les violations du droit interne dans le processus d’enregistrement. Il renvoie à la partie 6 du paragraphe 3 du décret présidentiel qui interdit aux associations publiques n’ayant pas été enregistrées d’exercer des activités sur le territoire du Bélarus.

5.2 L’auteur conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle le droit interne a été violé dans le processus d’enregistrement. Il renvoie au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, au paragraphe 3 de l’article 5 de la Constitution bélarussienne et à l’article 3 de la loi sur les associations publiques, qui énumèrent les restrictions dont peut être assortie la création d’associations publiques. Il fait valoir qu’aucune de ces restrictions ne s’applique aux activités statutaires d’Helsinki XXI. Selon lui, les «activités statutaires d’Helsinki XXI» d’assistance juridique aux citoyens qui demandent une aide ainsi que de protection de leurs droits et libertés (par. 2.2 ci ‑dessus) ne sont pas contraires aux conditions requises par la loi de l’État partie. En conséquence, les motifs du refus d’enregistrer Helsinki XXI ne sont pas prescrits par la loi et le refus lui ‑même est contraire à la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et de protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et note que l’État partie n’a pas contesté que les recours internes aient été épuisés.

6.3 En ce qui concerne la question de la qualité pour agir, le Comité note que l’auteur a soumis la communication en son nom propre et au nom de 33 autres personnes mais n’a présenté des lettres de procuration que de 23 coauteurs (sur 33) l’autorisant à agir en leur nom devant le Comité. Le Comité note également à ce propos que rien dans les documents dont il est saisi concernant les griefs formulés au nom des 10 autres personnes ne montre qu’elles ont autorisé M. Zvozskov à les représenter. Le Comité considère que l’auteur n’a pas la qualité pour agir au nom de ces 10 personnes exigée par l’article premier du Protocole facultatif mais estime que la communication est néanmoins recevable en ce qui concerne l’auteur lui ‑même et les 23 autres membres de Helsinki XXI.

6.4 Pour ce qui est de l’allégation de violation des articles 2 et 26 du Pacte du fait que le refus des autorités de l’État partie d’enregistrer Helsinki XXI constituerait une discrimination, le Comité considère que ces griefs ne sont pas suffisamment étayés, aux fins de la recevabilité, et sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 Le grief tiré de l’article 22 du Pacte est suffisamment étayé, et le Comité le déclare donc recevable.

Examen au fond

7.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2 La question essentielle que doit déterminer le Comité est de savoir si le refus des autorités bélarussiennes d’enregistrer Helsinki XXI constituait une restriction déraisonnable du droit de l’auteur et des 23 coauteurs à la liberté d’association. Le Comité fait observer que, conformément au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, toute restriction du droit à la liberté d’association doit satisfaire cumulativement aux conditions suivantes: a) elle doit être prévue par la loi; b) elle ne peut viser que l’un des buts énoncés au paragraphe 2; et c) elle doit être «nécessaire dans une société démocratique» pour la réalisation de l’un de ces buts. La référence à une «société démocratique» indique, de l’avis du Comité, que l’existence et le fonctionnement d’associations, y compris d’associations qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas nécessairement accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, constituent l’un des fondements d’une société démocratique.

7.3 En l’espèce, les restrictions frappant le droit des auteurs à la liberté d’association sont constituées de plusieurs conditions liées à l’enregistrement d’une association publique. D’après l’arrêt de la Cour suprême du 20 août 2001, le seul critère auquel n’ont pas satisfait les statuts d’Helsinki XXI et la demande d’enregistrement présentée par les auteurs était la conformité avec le droit interne, qui prévoit que les associations publiques ne sont pas habilitées à représenter et défendre les droits de tiers. Cette restriction doit être appréciée à la lumière des conséquences qui en découlent pour les auteurs et leur association.

7.4 Le Comité note premièrement que l’auteur et l’État partie divergent sur la question de savoir si le droit interne interdit effectivement la défense des droits et libertés de citoyens qui ne sont pas membres de l’association (par. 2.2, 2.3, 4 et 5.2 ci ‑dessus). Deuxièmement, le Comité estime que, même si la législation prévoit effectivement de telles restrictions, l’État partie n’a fourni aucun argument justifiant la nécessité, au sens du paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, de conditionner l’enregistrement d’une association à la limitation du champ de ses activités à la représentation et à la défense des droits de ses membres exclusivement. Compte tenu des conséquences du refus d’enregistrement, qui rend illégal le fonctionnement sur le territoire de l’État partie des associations qui n’ont pas été enregistrées, le Comité conclut que le refus d’enregistrement ne satisfait pas aux conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Les droits des auteurs visés au paragraphe 1 de l’article 22 ont ainsi été violés.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité estime que les auteurs ont droit à un recours approprié, consistant en une indemnisation et un réexamen, à la lumière de l’article 22 du Pacte, de la demande d’enregistrement de leur association. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

C. Communication n o  1041/2002, Tulyaganov c. Ouzbékistan * (Constatations adoptées le 20 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Shevkhie Tulyaganova (non représentée par un conseil)

Au nom de :

Refat Tulyaganov (fils décédé de l’auteur)

État partie :

Ouzbékistan

Date de la communication :

12 décembre 2001 (date de la lettre initiale)

Objet : Condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable avec recours à la torture pendant l’enquête préliminaire

Questions de fond : Torture; procès inéquitable; privation arbitraire de la vie

Questions de procédure : Appréciation des faits et des éléments de preuve; justification des griefs

Articles du Pacte : 6, 7, 9, 14, 15, 16

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1041/2001 présentée au Comité des droits de l’homme au nom de M. Refat Tulyaganov, au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur est M me Shevkhie Tulyaganova, de nationalité ouzbèke, née en 1955. Elle présente la communication au nom de son fils, Refat Tulyaganov (exécuté depuis lors), qui au moment de la présentation de la communication était en attente d’exécution après avoir été condamné à mort par le tribunal municipal de Tachkent le 5 juillet 2001. Elle affirme que son fils a été victime de violations par l’Ouzbékistan des droits qui lui sont garantis aux articles 6, 9, 14, 15 et 16 du Pacte. Elle n’est pas représentée par un conseil.

1.2 Quand il a enregistré la communication, le 24 décembre 2001, et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de surseoir à l’exécution du fils de l’auteur tant que l’examen de l’affaire serait en cours. Le 27 septembre 2002, l’auteur a fait savoir au Comité qu’elle avait été informée que son fils avait été exécuté le 18 janvier 2002, en dépit de la demande du Comité .

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 7 janvier 2001, Refat Tulyaganov a été arrêté à Tachkent avec deux amis, Kim et Urinov, parce qu’il était soupçonné de meurtre. Les trois hommes étaient accusés d’avoir planifié et exécuté en réunion le meurtre d’un certain Temur Salikhov, et d’avoir tenté de tuer deux autres personnes, Ruslan Salikhov et Ruslan Fayzrakhmanov, plus tôt dans la journée. Selon les enquêteurs, leur acte était motivé par le fait que Temur Salikhov (à l’époque camarade de classe de Tulyaganov et de Kim) avait témoigné que le fils de l’auteur et Kim avaient agressé un chauffeur de taxi et lui avaient volé son argent, témoignage sur la foi duquel ils avaient été condamnés à huit et neuf ans d’emprisonnement respectivement. Après avoir exécuté leur peine, ils ont décidé de punir Temur Salikhov .

2.2 Le 6 janvier 2001, tard dans la soirée, les trois hommes se sont rendus dans un bar ‑discothèque de Tachkent où se trouvait Temur Salikhov. L’établissement a fermé le 7 janvier 2001 vers 5 heures. Tulyaganov, Kim et Urinov ont attendu la sortie de Salikhov. Lorsque ce dernier a quitté les lieux, accompagné de son frère et d’une connaissance, Fayzrakhmanov, le fils de l’auteur et Kim lui ont demandé de leur dire pourquoi il avait témoigné contre eux en 1998. À un moment donné, Tulyaganov et Salikhov ont commencé à se battre et le frère de Salikhov a essayé de les séparer. Tulyaganov a alors donné un coup de couteau à ce dernier puis au compagnon des deux frères avant d’assener trois coups de couteau au thorax à Temur Salikhov. Selon l’auteur, son fils a seulement essayé de se protéger parce qu’il était agressé.

2.3 Temur Salikhov a été emmené aux urgences mais n’a pas pu être réanimé. Selon le médecin légiste, une hémorragie était à l’origine du décès. L’auteur affirme que le décès était dû en fait aux soins inadéquats et tardifs qui lui avaient été dispensés à l’hôpital.

2.4 Le 5 juillet 2001, le tribunal municipal de Tachkent a déclaré les trois accusés coupables de meurtre avec préméditation et circonstances aggravantes et de tentatives de meurtre, et a condamné Tulyaganov à la peine de mort et les deux coaccusés à dix ‑huit ans et vingt ans de réclusion respectivement. Le 21 août 2001, la chambre d’appel du tribunal municipal de Tachkent a examiné le recours de Tulyaganov et a confirmé la condamnation à mort. La Cour suprême a ensuite examiné l’affaire selon la procédure de contrôle et la condamnation à mort a été confirmée.

2.5 L’auteur affirme qu’immédiatement après son arrestation, son fils a été battu et torturé pour qu’il avoue sa culpabilité et qu’une pression «morale et psychologique» a été exercée sur lui. Selon un arrêt de la Cour suprême daté du 20 février 1996, l’utilisation de preuves obtenues par des méthodes d’enquête illégales, telles que la contrainte physique ou la pression psychologique n’est pas autorisée. L’auteur affirme également que l’avocat de son fils a déposé une demande auprès du Département de police du district pour que son client soit examiné par un médecin afin de déterminer s’il avait été soumis à des mauvais traitements mais l’enquêteur chargé de l’affaire a rejeté sa demande .

2.6 L’auteur affirme que son fils a été condamné à une peine particulièrement sévère et non justifiée. À l’appui de ses propos, elle présente les arguments suivants:

a) La peine prononcée ne correspond pas à la personnalité de son fils. Après avoir purgé la peine prononcée en 1998, il a commencé à travailler, s’est inscrit à l’université et a mené une vie normale, comme l’ont attesté par écrit les autorités universitaires, son employeur et ses voisins;

b) Les enquêteurs et le tribunal ont violé l’article 82 du Code de procédure pénale , parce qu’ils n’ont pas établi «l’objet du crime, la nature et l’ampleur du préjudice, l’existence d’un lien causal entre les caractéristiques de la personnalité de l’accusé et de la partie lésée». Le tribunal n’a pas tenu compte du fait que le meurtre n’était pas prémédité mais était plutôt la conséquence d’une profonde émotion que son fils a ressentie brusquement en réaction aux blessures et à l’humiliation que lui avait causées Temur Salikhov. L’auteur se réfère à un rapport médical versé au dossier de l’affaire, selon lequel son fils a été sérieusement blessé;

c) En application de l’arrêt de la Cour suprême sur la pratique des tribunaux dans les affaires de meurtre avec préméditation, la qualification prévue au paragraphe 2 a) de l’article 97 du Code pénal renvoie à des situations de meurtre avec préméditation dont deux ou plusieurs personnes sont victimes simultanément, c’est ‑à ‑dire à des circonstances qui diffèrent de celles de la présente affaire. Malgré cela, les tribunaux ont déclaré son fils coupable en application de cette disposition;

d) Son fils a également été reconnu coupable en application du paragraphe 2 c) de l’article 97 du Code pénal applicable au meurtre d’une personne sans défense, bien qu’il n’ait pas été établi que pendant la rixe Temur Salikhov était dans cet état. L’auteur affirme que la condamnation de son fils en application du paragraphe 2 d) de l’article 97 du Code pénal (meurtre avec intention d’empêcher une personne d’accomplir son devoir professionnel ou public) est sans fondement. Les tribunaux n’ont pas établi à quel moment le fils de l’auteur avait décidé de tuer les personnes qui accompagnaient Salikhov;

e) Contrairement à la règle exigeant un examen approfondi des éléments de preuve dans les affaires de meurtre , la préméditation n’a pas été prouvée dans le cas de son fils. Plusieurs témoins ont affirmé que la rencontre entre les personnes concernées, le 7 janvier, était fortuite. La conclusion du tribunal selon laquelle les trois coaccusés avaient tout planifié n’était donc pas justifiée. Le tribunal de première instance a fondé sa conclusion sur 20 éléments de preuve énoncés dans le jugement, mais n’a pas établi que le meurtre avait été prémédité;

f) Les tribunaux ont qualifié les actes de son fils, entre autres dispositions, en application du paragraphe 2 g) de l’article 97 du Code pénal (meurtre commis d’une manière particulièrement violente). Or on ne peut parler de violence particulière que dans les cas où, avant d’être privée de vie, la victime est soumise à des tortures ou à un traitement humiliant et endure une souffrance particulière. Dans le cas d’espèce, le meurtre a eu lieu en présence du frère de la victime et d’une autre personne de leur connaissance. Si le meurtre avait été prémédité, Tulyaganov aurait dû être certain que son plan allait réussir. Selon l’auteur, cette conclusion est réfutée par les éléments de preuve versés au dossier;

g) Au cours des premières phases du procès, le fils de l’auteur a été intimidé et menacé pendant l’audience par les familles des victimes. Le père de Salikhov a déclaré qu’il veillerait à ce qu’avant la fin du procès Tulyaganov soit «violé». Les proches des victimes ont également agressé l’auteur elle ‑même. Le Président du tribunal n’a pas essayé d’interrompre ces incidents parce que, selon l’auteur, le tribunal avait pris le parti des victimes, manquant ainsi à son devoir d’impartialité et d’objectivité. L’auteur affirme que les éléments de preuve versés au dossier n’ont pas été complètement et objectivement examinés parce qu’aussi bien l’enquête que le procès ont été menés de manière accusatoire;

h) Le jugement du tribunal municipal de Tachkent était contraire à la règle de la Cour suprême relative aux jugements des tribunaux, en date du 2 mai 1997. Le tribunal n’a trouvé aucune circonstance atténuante, ce qui confirme le caractère formaliste et biaisé de la motivation du jugement. L’auteur note que le repentir d’un criminel qui aide à élucider un crime constitue une circonstance atténuante en droit ouzbek. Elle rappelle, en ce qui concerne la précédente condamnation pénale de son fils, qu’il avait été libéré pour bonne conduite et qu’il avait bénéficié d’une opinion positive au travail comme par ses voisins;

i) Le crime était aussi imputable aux victimes compte tenu de leur comportement. L’auteur affirme que l’examen médical dont ont fait l’objet son fils et les victimes montre que ce n’est pas ce dernier qui a ouvert les hostilités. Les actes des frères Salikhov et de leur compagnon, Fayzrakhmanov, ont été indûment assimilés à la légitime défense et la procédure pénale ouverte contre eux a été interrompue à tort;

j) Le mobile du meurtre a, selon l’auteur, été créé de toutes pièces par un enquêteur .

Teneur de la plainte

3. L’auteur fait valoir que les faits tels qu’elle les rapporte constituent une violation de l’article 6 du Pacte, de l’article 9, de l’article 14, de l’article 15 et de l’article 16.

Observations de l’État partie

4. Le 23 mai 2002, l’État partie a confirmé que l’auteur avait été condamné à la peine capitale, le 5 juillet 2001, par le tribunal municipal de Tachkent pour avoir commis un meurtre avec préméditation et circonstances aggravantes en frappant de trois coups de couteau dans le cœur un homme âgé de 20 ans, Temur Salikhov, et tenté de tuer Ruslan Salikhov et le dénommé Fayzrakhmanov. Le 21 août 2001, la chambre d’appel du tribunal municipal de Tachkent a confirmé la condamnation à mort. La Cour suprême a à son tour confirmé la décision des deux juridictions inférieures. Selon l’État partie, la culpabilité de Tulyaganov a été établie au moyen des éléments de preuve figurant au dossier. En le déclarant coupable, les tribunaux ont aussi tenu compte du fait qu’il avait déjà été condamné pour des infractions pénales par le passé.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 En date du 27 septembre 2002, l’auteur a présenté de nouvelles informations et formulé ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle joint une copie du certificat de décès qui montre que l’exécution de son fils par peloton a eu lieu le 18 janvier 2002. Elle rappelle que l’État partie n’a donné aucune explication au sujet du non ‑respect de la demande de mesures provisoires du Comité .

5.2 L’auteur note que l’État partie donne délibérément une version erronée des faits de la cause, étant donné que Temur Salikhov est mort des suites d’une hémorragie parce qu’il n’a pas reçu à temps les soins médicaux requis et qu’il n’a pas succombé directement à ses blessures.

5.3 L’auteur note que l’État partie ne mentionne pas les conclusions de l’examen médical subi par son fils pendant l’enquête préliminaire, d’où il ressort qu’il avait subi des blessures graves.

5.4 La réponse de l’État partie n’explique pas pourquoi son fils a été accusé de tentative de meurtre sur la personne de Ruslan Salikhov et de Fayzrakhmanov. À ce propos, l’auteur affirme que selon les conclusions de l’examen médical de ces deux personnes, ils ne souffraient que de blessures sans gravité causées par un couteau, c’est ‑à ‑dire de légères lésions qui ne mettaient pas leur vie en danger.

Inobservation de la demande de mesures provisoires adressée par le Comité

6.1 L’auteur affirme que l’État partie a fait exécuter son fils alors que sa communication avait été enregistrée au titre du Protocole facultatif et qu’une demande de mesures provisoires de protection lui avait été adressée. Le Comité rappelle que tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers affirmant être victimes de violations d’un des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1 er ). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité de façon à lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Pour l’État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations, est incompatible avec ses obligations.

6.2 Indépendamment d’une violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, un État partie contrevient gravement à ses obligations en vertu du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. En l’espèce, l’auteur estime que son fils s’est vu dénier des droits qui lui sont garantis par différents articles du Pacte. Cette communication lui ayant été notifiée, l’État partie a contrevenu à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en procédant à l’exécution de la victime présumée avant que le Comité n’ait mené l’examen à bonne fin et n’ait pu formuler ses constatations et les lui communiquer.

6.3 Le Comité rappelle que l’adoption de mesures provisoires en application de l’article 92 de son règlement intérieur, conformément à l’article 39 du Pacte, est essentielle au rôle qui lui a été confié en vertu du Protocole facultatif. Le non ‑respect de cet article, en particulier par une action irréparable comme, en l’espèce, l’exécution de Refat Tulyaganov, compromet la protection des droits consacrés dans le Pacte, assurée par le Protocole facultatif .

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité note que, comme l’exige le paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif, la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.

7.3 Le Comité a pris note du grief de l’auteur qui affirme que les droits garantis à son fils par l’article 9 du Pacte ont été violés. En l’absence de toute information utile à ce propos, cette partie de la communication est déclarée irrecevable faute d’avoir été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4 Le Comité a noté que les allégations de l’auteur (voir par. 2.6 plus haut) quant à la manière dont les tribunaux ont traité l’affaire de son fils et qualifié ses actes peuvent soulever des questions au regard des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte. Il relève cependant que toutes ces allégations ont trait essentiellement à l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux de l’État partie. Il rappelle que c’est généralement aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice . Certes, déterminer si un procès a été conduit conformément à l’article 14 du Pacte relèverait de sa compétence mais, en l’espèce, le Comité estime que, comme le dossier ne contient pas de copies des pièces judiciaires, des minutes du procès ni des conclusions d’experts qui pourraient lui permettre de vérifier si le procès a effectivement été entaché des vices allégués, l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs de violation de cet article. Dans ces circonstances, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5 Le Comité note également que l’auteur a fait état d’une violation des droits garantis à son fils par les articles 15 et 16 du Pacte sans préciser en quoi ces dispositions avaient été violées. Dans ces circonstances, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, dans la mesure où elle n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

7.6 Le Comité considère que les autres allégations, qui semblent soulever des questions au regard de l’article 6, de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et les déclare donc recevables.

Examen au fond

8.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2 L’auteur affirme que son fils a été battu et torturé par les enquêteurs pour qu’il avoue sa culpabilité. Selon elle, contrairement à l’arrêt de la Cour suprême du 20 février 1996, le tribunal municipal de Tachkent s’est fondé sur les aveux de son fils pour établir sa culpabilité et le condamner. L’auteur affirme également que l’avocat de son fils a adressé au Département de police du district une demande pour que son client soit examiné par un médecin de façon à déterminer s’il avait été soumis à des mauvais traitements par l’enquêteur chargé de l’affaire, mais que le Département a rejeté sa requête. Ces allégations ont également été portées à l’attention de la présidence de la République lorsque le fils de l’auteur a demandé la grâce présidentielle mais il n’y a eu aucune réponse. Le Comité rappelle que lorsqu’une allégation de mauvais traitement, contraire à l’article 7, est formulée, l’État partie est tenu de procéder à une enquête rapide et impartiale . En l’espèce l’État partie n’a pas réfuté les allégations de l’auteur et n’a pas non plus apporté, en l’espèce, la moindre information indiquant qu’une enquête avait été menée à ce propos. Dans ces circonstances, le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur, et le Comité considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits garantis à l’article 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

8.3 Le Comité rappelle qu’une condamnation à mort prononcée à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. En l’espèce, il y a eu condamnation à mort en violation des garanties énoncées à l’article 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, et donc aussi une violation du paragraphe 2 de l’article 6.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits garantis au fils de l’auteur par l’article 7 et le paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte lus conjointement avec l’article 6.

10. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à M me Tulyaganova un recours utile sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité était compétent pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

D. Communication n o 1043/2002, Chikunov c. Ouzbékistan * (Constatations adoptées le 16 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Tamara Chikunova (non représentée par un conseil)

Au nom de :

Dimitryi Chikunov, fils de l’auteur, décédé

État partie :

Ouzbékistan

Date de la communication :

17 juillet 2000 (date de la lettre initiale)

Objet : Exécution d’une condamnation à mort prononcée à l’issue d’un procès inéquitable et en l’absence de représentation en justice; obligation d’enquêter sur des allégations de mauvais traitement; droit de recours en grâce

Questions de fond : Torture; procès inéquitable; droit à la vie

Questions de procédure : Appréciation des faits et des preuves; éléments de preuve à l’appui des griefs

Articles du Pacte : 6, 7, 9, 10, 14, 16

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1043/2002 présentée au nom de Dimitryi Chikunov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur est M me Tamara Chikunova, de nationalité russe, résidant en Ouzbékistan. Elle présente la communication au nom de son fils, Dimitryi Chikunov, né en 1971 et exécuté le 10 juillet 2000 en application d’une condamnation à mort prononcée par le tribunal régional de Tachkent le 11 novembre 1999. Elle fait valoir que son fils est victime de violations par l’Ouzbékistan des droits consacrés aux articles 6, 7, 9, 10, 14 et 16 du Pacte . Elle n’est pas représentée par un conseil.

Exposé des faits

2.1 Le 17 avril 1999, le fils de l’auteur a été arrêté à la suite du double meurtre de ses partenaires commerciaux Em et Tsai, commis dans les environs de Tachkent le 16 avril 1999. Il était accusé de les avoir abattus avec un pistolet automatique parce qu’il ne pouvait rembourser les dettes qu’il avait contractées auprès d’eux. Il était aussi accusé de fraude et d’abus de confiance pour avoir, en 1996, avec un autre individu, S., établi un faux contrat pour un prêt de 2 millions de soms ouzbeks (répartis entre lui et S.), au nom d’un centre de jeunes «Em Matbuotchi», au détriment du fonds d’assurance sociale.

2.2 Dans les premiers jours qui ont suivi son arrestation, le fils de l’auteur aurait été passé à tabac et torturé par les enquêteurs et contraint de s’avouer coupable. L’auteur soumet une copie d’une lettre que son fils lui a adressée à une date non précisée et dans laquelle il décrit les traitements qu’il aurait subis. Il affirme qu’immédiatement après avoir été arrêté et alors qu’il montait dans le véhicule de police, les enquêteurs lui ont violemment pressé la tête contre le châssis de la voiture avec la portière. Dès son arrivée dans les locaux du Département des enquêtes criminelles, il a été frappé par plusieurs enquêteurs à l’aide de tous les objets que ceux ‑ci avaient pu trouver autour d’eux, notamment des bouteilles de soda. Ensuite, comme il refusait d’avouer, il a été traité de pédéraste et menacé de viol; on l’a jeté par terre, on lui a retiré son pantalon et on l’a sauvagement frappé sur les jambes avec une statuette en pierre représentant un phallus; il n’a pas été violé. Plus tard, il a été roué de coups au point de perdre connaissance. Quand il est revenu à lui, les enquêteurs lui avaient placé sur la tête un masque à oxygène dont ils bouchaient l’arrivée d’air pour le faire souffrir. Ils ont aussi menacé de faire venir sa mère et de la violer sous ses yeux. Dans la soirée, il a été conduit sur le lieu du crime et un enquêteur aurait donné au téléphone l’ordre à quelqu’un de «commencer» avec la mère de Chikunov. À ce moment ‑là il a avoué.

2.3 Le 19 avril 1999, les enquêteurs ont demandé à l’auteur d’apporter une tenue de rechange pour son fils. C’est ce qu’elle a fait, et un jeune enquêteur lui a rendu les anciens vêtements, apparemment par erreur. Elle affirme que ces vêtements étaient tachés de sang coagulé et portaient des marques de chaussures évoquant un passage à tabac . Elle affirme que peu après avoir récupéré ces vêtements elle a été appelée par les enquêteurs, qui l’ont priée de les restituer. Un enquêteur s’est rendu à son appartement et les a cherchés mais n’a rien trouvé car l’auteur avait confié les habits à des proches.

2.4 Le 23 avril 1999, l’auteur s’est plainte de l’inculpation de son fils et des tortures qui lui avaient été infligées au Président, au Médiateur parlementaire, au Bureau du Procureur ainsi qu’au Centre national des droits de l’homme. Ses plaintes auraient été transmises à l’enquêteur en chef chargé de l’affaire, M., qui n’était autre que la personne mise en cause . Elle affirme qu’elle a demandé à voir son fils mais qu’on lui a dit qu’elle devait d’abord restituer les vêtements. Elle a aussi demandé à s’entretenir avec M., sans succès.

2.5 Le fils de l’auteur a été interrogé en l’absence d’un avocat les 17, 18, 19 et 28 avril ainsi que le 6 mai 1999, date à laquelle il a confirmé l’emplacement de l’arme du crime et a été conduit sur les lieux pour qu’il donne des détails sur le déroulement des événements. Les enquêteurs ont désigné un avocat d’office, M me Rakhmanmerdieva (R.), le 19 avril 1999 seulement. L’avocate ne s’est entretenue qu’une fois avec son client, le 21 avril 1999, mais il est allégué que ce dernier n’avait pas eu la possibilité de s’entretenir avec elle en privé et était terrifié, l’entretien ayant eu lieu en présence des enquêteurs qui l’avaient torturé.

2.6 L’auteur a appris le 20 avril 1999 qu’un avocat avait été chargé de la défense de son fils, mais les enquêteurs ne lui ont révélé l’identité de l’avocate qu’en mai 1999. L’auteur a donc rencontré R. et lui a posé des questions sur le dossier, ce à quoi elle lui a répondu que son fils était un meurtrier. L’auteur a demandé en vertu de quels articles du Code pénal précisément il était accusé, mais l’avocate ne s’en souvenait pas. Lorsque l’auteur a dit qu’elle craignait que son fils n’ait été torturé, l’avocate a refusé de faire le moindre commentaire. Le 17 juin 1999, l’auteur a engagé un avocat privé, M me S., mais on a empêché cette dernière d’agir jusqu’à la fin de l’enquête, le 13 août 1999. Elle était absente aux audiences préliminaires tenues les 10, 15, 16, 19 et 28 juillet.

2.7 Au tribunal, le fils de l’auteur est revenu sur ses aveux car ils avaient été arrachés sous la torture. Il a affirmé que la nuit du crime ses partenaires commerciaux devaient rencontrer un certain Salikhov, qui vivait en Russie et qui était censé leur remettre une quantité d’héroïne qu’ils avaient l’intention de vendre. Le fils de l’auteur les avait accompagnés et lorsqu’ils étaient arrivés sur le lieu du rendez ‑vous il avait été prié de quitter le véhicule et de les attendre. Peu après, il a entendu des coups de feu et a vu Salikhov quitter les lieux. Chikunov a expliqué qu’il avait pris le pistolet dans la voiture et l’avait caché, parce que c’était lui qui l’avait apporté à l’un de ses partenaires commerciaux le même jour. Il n’avait rien raconté à personne parce qu’il était terrifié.

2.8 Le tribunal a posé des questions au sujet des allégations de mauvais traitement: a) il a interrogé en qualité de témoin la première avocate de Chikunov, R., qui a affirmé qu’il était passé aux aveux librement et spontanément et qu’elle n’avait remarqué aucune marque de coups sur son corps; b) il a entendu plusieurs enquêteurs, dont G. (le chef du Département des enquêtes criminelles) et les enquêteurs I. et B., notamment. Tous ont confirmé que Chikunov était passé aux aveux de son plein gré, sans aucune coercition; il n’avait pas été frappé et avait «exprimé le désir de montrer l’endroit où il avait caché l’arme du crime» . Le tribunal a conclu que les aveux initiaux avaient été spontanés et que l’intéressé donnait une nouvelle version uniquement pour que sa responsabilité pénale ne soit pas engagée.

2.9 L’auteur relève que la première avocate de son fils, R., a été conduite en voiture au tribunal par un des enquêteurs. À une date non précisée, l’auteur s’est plainte au Ministère de la justice des actes de R. Le 28 janvier 2000, le Ministère de la justice l’a informée qu’une enquête interne était en cours et que les allégations de l’auteur avaient été confirmées. En conséquence, le 17 janvier 2000, la Commission des qualifications en droit a examiné le dossier et a retiré l’agrément permettant à R. d’exercer, pour «violation des normes légales en vigueur et manquement à la déontologie».

2.10 Le 18 novembre 1999, l’avocate de Dimitryi Chirunov a formé un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême, contestant le jugement du 11 novembre 1999 et affirmant que les aveux de son client avaient été arrachés sous la torture. Elle invoquait plusieurs violations de la procédure pénale et demandait que l’affaire soit renvoyée pour complément d’enquête. Le 24 janvier 2000, la Cour suprême a examiné l’affaire et a estimé que les protestations d’innocence de Chikunov n’étaient pas fondées, qu’elles étaient inventées et n’étaient pas étayées par le dossier. Elle a fait observer que le tribunal avait examiné toutes les allégations formulées par Chikunov et son avocate et y avait apporté des réponses motivées. La Cour a conclu que le tribunal avait correctement qualifié les actes de Chikunov. Elle a confirmé le jugement prononcé en première instance, par lequel Dimitryi Chirunov avait été condamné à mort.

2.11 Le 4 juillet 2000, l’auteur s’est plainte à la Cour suprême dans le cadre de la procédure de contrôle juridictionnel. Le 21 juillet 2000, elle a été informée du fait que la Cour, après avoir étudié sa plainte et réexaminé le dossier, avait conclu que rien ne justifiait d’infirmer les décisions précédentes.

2.12 L’auteur fait aussi valoir que son fils a été exécuté illégalement, le 10 juillet 2000, parce que la loi applicable interdisait toute exécution avant que le condamné n’ait reçu une réponse à sa demande de grâce. Dans le cas présent, au moment de l’exécution ni elle ni son fils n’avaient été informés de la suite donnée aux demandes de grâce adressées à la présidence de la République le 26 janvier, le 9 février, le 26 mai et le 30 juin 2000. Le fils de l’auteur avait également adressé une demande en grâce à la Cour suprême le 6 mars 2000.

Teneur de la plainte

3. L’auteur affirme que son fils est victime de violations par l’Ouzbékistan de droits consacrés aux articles 6, 7, 9, 10, 14 et 16 du Pacte.

Observations de l’État partie

4.1 L’État partie a fait part de ses observations le 1 er juillet 2005. Il rappelle que le 11 novembre 1999 le tribunal régional de Tachkent a jugé Chikunov coupable d’infractions qualifiées aux articles du Code pénal 168 (par. 4 a)) (escroquerie d’un montant particulièrement important), 228 (par. 2 b)) (falsification de documents, timbres, sceaux, formulaires, vente ou usage délibéré de faux), 248 (par. 3) (falsification de documents, timbres, sceaux, formulaires, vente ou usage de faux), 164 (par. 4 a)) (vol qualifié d’un montant particulièrement important), et 97 (par. 2 a) i)) (meurtre avec préméditation de deux personnes ou plus et avec circonstances aggravantes, à des fins d’intérêt personnel). Pour l’ensemble de ces actes, il a été condamné à mort. Cette décision a été confirmée par la Cour suprême le 24 janvier 2000.

4.2 Selon l’État partie, le fils de l’auteur et ses partenaires commerciaux se sont rendus en voiture à l’extérieur de Tachkent dans la soirée du 16 avril 1999. À un moment donné, les partenaires en question ont menacé Chikunov de demander à un individu de la région bien connu de «lui régler son compte». Chikunov leur a demandé d’arrêter le véhicule, en est sorti et a jeté une grenade à l’intérieur, dans l’intention de les tuer. La grenade n’a pas explosé. Chikunov est retourné dans la voiture, ses partenaires ont continué de le menacer, et ils ont repris la route. De l’arrière du véhicule, Chikunov a abattu les autres hommes d’une balle dans la tête. Il a ensuite fui les lieux et est retourné à Tachkent, où il a caché l’arme du crime.

4.3 L’État partie fait valoir que la culpabilité de Chikunov a été établie sur la base de différents témoignages et des conclusions des expertises scientifiques, notamment l’examen des balles extraites des corps des victimes et de l’habitacle de la voiture qui a permis de confirmer qu’elles avaient été tirées avec le pistolet de Chikunov. Chikunov a par ailleurs été reconnu mentalement responsable par un psychiatre.

4.4 L’État partie relève que les allégations de Chikunov quant au recours à des méthodes d’investigation illégales après son arrestation ont été examinées et réfutées pendant le procès lui ‑même, puisque le tribunal a interrogé les fonctionnaires du Ministère de l’intérieur et que tous ont assuré qu’au cours de l’enquête, notamment lors de la vérification de sa déposition faite sur les lieux du crime, le fils de l’auteur avait, de son plein gré et sans qu’aucune contrainte ne soit exercée sur lui, expliqué les circonstances des meurtres et révélé l’emplacement de l’arme du crime.

4.5 Selon l’État partie, la culpabilité de Chikunov a été établie à la lumière de la multitude d’éléments de preuve objectifs recueillis progressivement au cours de l’enquête. La peine qui lui a été infligée a été déterminée en fonction de la gravité des actes commis et de l’absence de circonstance atténuante.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans des commentaires datés du 13 avril 2006, l’auteur souligne que, même si le Président du tribunal a donné lecture de conclusions d’un expert selon lesquelles la grenade jetée dans la voiture n’était pas de type militaire et qu’on n’avait pas essayé de la modifier, cela n’avait pas été pris en compte pour déterminer la peine prononcée à l’encontre de son fils.

5.2 L’auteur fait valoir que le tribunal a manqué à son devoir d’objectivité. Bien que son fils ait été accusé d’avoir tiré plusieurs coups de feu, on n’avait procédé à aucun examen pour vérifier la présence de traces de poudre sur ses mains. De plus, la banquette arrière et le tapis de sol de la voiture dans laquelle le crime a été commis présentaient un certain nombre de tâches de sang. Selon elle, si son fils avait été le meurtrier, il aurait dû avoir des éclaboussures de sang sur le visage, les cheveux et les mains; or, aucun examen n’a été mené à cet égard. La banquette arrière de la voiture n’a pas non plus été expertisée, alors que cela aurait pu confirmer la position exacte du meurtrier .

5.3 M me Chikunova affirme de nouveau que les vêtements de son fils ne portaient aucune trace visible de sang lorsqu’ils ont été saisis et mis sous scellés par la police en présence de témoins. Ce n’est que deux semaines plus tard, au cours d’un examen en présence de différents témoins, qu’un expert a découvert une minuscule tâche et plusieurs éclaboussures de sang coagulé. Le groupe sanguin correspondait à celui de l’un des partenaires de son fils. L’auteur fait valoir qu’aucun test ADN n’a jamais été fait à cet égard.

5.4 L’auteur rappelle que lorsqu’elle a porté plainte à propos des tortures subies par son fils elle a uniquement été renvoyée vers l’enquêteur qu’elle mettait en cause. Enfin, l’auteur réitère ses allégations quant à la violation du droit à la défense de son fils.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité note que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre procédure international e comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif et qu’il n’est par ailleurs pas contesté que les voies de recours internes ont été épuisées.

6.3 Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que son fils a été victime d’une violation des articles 9 et 16 du Pacte mais constate que ces allégations n’ont en aucune manière été étayées. Cette partie de la communication est donc irrecevable faute d’avoir été suffisamment étayée aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 Le Comité note que l’auteur conteste la manière dont les juges et les enquêteurs ont traité l’affaire. Il fait toutefois observer que ces allégations se rapportent essentiellement à l’appréciation des faits et des preuves par les tribunaux. Il rappelle que c’est en général aux juridictions des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice . En l’absence d’autres informations pertinentes qui montreraient que l’appréciation des éléments a effectivement souffert de tels dysfonctionnements et en l’absence de la moindre copie des minutes du procès, le Comité considère cette partie de la communication comme irrecevable aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 Le Comité considère que les autres griefs de l’auteur, qui semblent soulever des questions au regard de l’article 6, de l’article 7, de l’article 10 et du paragraphe 3 b), d) et g) de l’article 14, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare recevables.

Examen au fond

7.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2 L’auteur affirme que c’est sous la torture que son fils a reconnu sa culpabilité. Elle s’en est plainte aux autorités au cours de l’enquête préliminaire, mais sans résultats. Lorsque son fils s’est rétracté au tribunal au motif que ses aveux avaient été extorqués sous la contrainte, le juge a interrogé plusieurs témoins et enquêteurs, qui ont nié avoir usé de coercition contre lui. L’État partie a seulement indiqué que les tribunaux avaient examiné ces allégations et les avait jugées sans fondement. Le Comité rappelle que lorsqu’une plainte pour mauvais traitements en violation de l’article 7 est déposée cette plainte doit faire l’objet d’une enquête rapide et impartiale de la part de l’État partie . Dans cette affaire, l’auteur a présenté des documents décrivant en détail les tortures dont son fils aurait été victime. Le Comité estime que les documents dont il est saisi indiquent que les autorités de l’État partie n’ont pas réagi promptement ni comme il convient aux plaintes déposées au nom du fils de l’auteur. Aucune information n’a été communiquée par l’État partie pour préciser si un complément d’enquête ou un examen médical avait été réalisé pour vérifier les allégations de torture de Dimitryi Chikunov. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les faits qui lui sont présentés font apparaître une violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

7.3 À la lumière de la conclusion ci ‑dessus, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner le grief tiré de l’article 10 du Pacte.

7.4 L’auteur fait valoir que, contrairement à ce que prévoit la législation nationale, son fils ne s’est vu désigner un avocat qu’en date du 19 avril 1999, soit deux jours après son arrestation. En outre, il n’a pu rencontrer cet avocat qu’une fois, et en présence des enquêteurs. Alors que le fils de l’auteur avait fait appel aux services d’un avocat privé le 17 juin 1999, cet avocat n’a été autorisé à agir qu’après le 13 août 1999, une fois l’enquête préliminaire terminée. L’État partie n’a pas répondu à ces allégations. Dans ces circonstances, le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, en particulier dans les affaires portant sur des crimes emportant la peine de mort, les accusés doivent bénéficier de manière effective de l’assistance d’un conseil à tous les stades de la procédure. Dans les circonstances de l’affaire à l’examen, le Comité conclut qu’il y a eu violation des droits garantis au fils de l’auteur par le paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte.

7.5 Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que la condamnation à la peine de mort au terme d’un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. En l’espèce, la peine de mort a été exécutée en violation des garanties relatives à un procès équitable énoncées au paragraphe 3 b), d) et g) de l’article 14 du Pacte, et donc aussi du paragraphe 2 de l’article 6.

7.6 L’auteur affirme aussi que l’exécution de son fils était illégale, puisqu’en droit ouzbek la peine capitale ne peut pas être exécutée avant que la demande de grâce du condamné ne soit examinée. Or, dans cette affaire, plusieurs demandes de grâce ont été adressées à la présidence de la République mais aucune réponse n’a été reçue. L’État partie n’a pas fait de commentaires sur cette allégation. Dans ces circonstances, le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur. Par conséquent, le Comité considère que les informations dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits consacrés au paragraphe 4 de l’article 6, à l’article 7 et au paragraphe 3 b), d) et g) de l’article 14, lus conjointement avec l’article 6 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile à M me Chikunova, sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

E. Communication n o 1047/2002, Sinitsin c. Bélarus * (Constatations adoptées le 20 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Leonid Sinitsin (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

28 août 2001 (date de la lettre initiale)

Objet : Privation de la possibilité d’être candidat à la présidence du Bélarus; impossibilité de contester les décisions de la Commission électorale centrale

Questions de fond : Droit d’être élu sans restrictions déraisonnables; absence de recours indépendant et impartial

Questions de procédure : Néant

Article du Pacte : 25 b), lu conjointement avec l’article 2

Article du Protocole facultatif : Néant

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 octobre 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1047/2002 présentée par Leonid Sinitsin en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M. Leonid Georgievich Sinitsin, de nationalité bélarussienne, né en 1954, résidant à Minsk, au Bélarus. Il affirme être victime de violations par le Bélarus du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’alinéa b de l’article 25, rapprochés de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur, alors Vice ‑Président de l’association «Technologies sociales», a été désigné candidat à l’élection présidentielle de 2001 au Bélarus. Un groupe d’initiative créé à cette fin a recueilli les signatures de 130 000 personnes soutenant sa nomination et présenté plus de 110 000 signatures aux commissions électorales, alors que l’article 61 du Code électoral du Bélarus n’en exige que 100 000 pour l’inscription officielle d’un candidat. Tous les documents requis pour l’inscription officielle de l’auteur en tant que candidat à l’élection présidentielle ont été soumis dans les délais prescrits par la loi.

2.2 Le 25 juillet 2001, la Commission électorale centrale chargée des élections et de la conduite des référendums républicains (Commission électorale centrale − CEC) a refusé 14 000 signatures qui avaient été recueillies avant la date limite du 20 juillet 2001 mais qui n’avaient pas été présentées aux commissions électorales. La raison avancée pour ce refus était que la CEC n’était pas habilitée à accepter des listes de signatures en faveur d’un candidat. Par la suite, les commissions électorales régionales ont également refusé ces listes, alléguant qu’elles étaient contraires à l’article 81 de la Constitution du Bélarus. Le 7 août 2001, l’auteur s’est plaint de ce qu’environ 24 000 signatures recueillies en sa faveur dans les régions de Mogilev et de Brest avaient «disparu», en conséquence de quoi les listes de signatures présentées par son groupe d’initiative aux commissions électorales correspondantes n’avaient pas été prises en considération dans le décompte total des signatures de soutien au niveau national. L’auteur a également contesté la décision de la commission électorale du district de Volkovys, prise le 27 juillet 2001, de ne pas compter 878 signatures en sa faveur, les considérant comme non valables. Il affirmait que, en violation de l’article 61, section 14, paragraphe 8, du Code électoral, cette commission de district retirait des listes entières de signatures au lieu d’invalider la signature individuelle des électeurs ne résidant pas dans la municipalité. En conséquence, le nombre de signatures retirées était 10 fois supérieur au nombre réel de signatures non valables. À une date non précisée, la décision de la commission électorale du district de Volkovys a fait l’objet d’un recours devant la commission électorale régionale de Grodnen. L’auteur a dénoncé à la CEC un certain nombre d’irrégularités dans la procédure électorale, notamment le refus d’accepter des listes de signatures de la part d’une personne et de certifier leur réception par les commissions électorales de district à la demande de deux autres personnes; il a également dénoncé les manœuvres d’intimidation dont deux membres de son groupe d’initiative avaient été l’objet sur leur lieu de travail.

2.3 Par une décision en date du 8 août 2001, la CEC a déclaré que le nombre total de signatures en faveur de l’auteur était de 80 540 et que la nomination de celui ‑ci n’était donc pas valable. L’auteur affirme que la CEC a outrepassé sa compétence en déclarant sa nomination non valable. Les attributions de la CEC sont définies par l’article 33 du Code électoral et par l’article 4 de la loi du 30 avril 1998 relative à la Commission électorale centrale de la République du Bélarus chargée des élections et de la conduite des référendums républicains. D’après le paragraphe 6 de l’article 33 du Code électoral, la CEC est habilitée à enregistrer les candidats à l’élection présidentielle et, selon le paragraphe 11 de l’article 68, il lui appartient de se prononcer sur l’enregistrement d’un candidat, sa décision devant être motivée en cas de refus . De plus, la décision de la CEC était à la fois illégale et dénuée de fondement, puisque l’auteur avait dénoncé auprès de la Commission la «disparition» d’un grand nombre de signatures de soutien et que le parquet n’avait pas encore terminé son enquête sur cette plainte au moment où la CEC s’est prononcée.

2.4 Le 10 août 2001, l’auteur a contesté devant la Cour suprême la décision du 8 août 2001 par laquelle la CEC avait déclaré sa nomination non valable. Bien que le Code électoral ne prévoie pas la possibilité de saisir un tribunal pour contester une décision de ce genre, l’auteur invoque l’article 341, section 1, du Code de procédure civile et l’article 60, section 1, de la Constitution. Le premier permet un réexamen judiciaire des décisions de la Commission électorale concernant des divergences entre des listes de signatures ou d’autres questions prévues par la loi, et le second garantit le droit de chacun de demander à un tribunal indépendant et compétent de faire protéger ses droits et ses libertés, à condition de respecter le délai prescrit. L’auteur affirme que les limites fixées par le Code de procédure civile, qui ne permet de contester que les décisions des commissions électorales portant sur des questions prévues par la loi, sont contraires aux garanties énoncées à l’article 60, section 1, de la Constitution. L’article 112 de la Constitution dispose que «les tribunaux administrent la justice en se fondant sur la Constitution, les lois et les autres textes applicables qui ont été promulgués conformément à la Constitution. Si, en examinant une affaire donnée, un tribunal conclut qu’un texte applicable est contraire à la Constitution ou à une autre loi, il rend sa décision conformément à la Constitution ou à la loi, et soulève, selon la procédure établie, la question de savoir si le texte applicable en cause devrait être considéré comme anticonstitutionnel.». L’auteur a saisi la Cour suprême parce que le Code électoral lui ‑même établit que cette juridiction est compétente pour réexaminer les décisions de la CEC.

2.5 Le 14 août 2001, la Cour suprême a refusé d’instruire la demande au motif que l’auteur n’avait pas le droit de former un tel recours judiciaire. Elle a invoqué le paragraphe 1 de l’article 245 du Code de procédure civile, qui prévoit qu’un juge doit refuser d’instruire une affaire si le demandeur n’est pas en droit de saisir le tribunal. La Cour a ajouté que ni le Code électoral ni aucune loi ne prévoyaient le réexamen judiciaire d’une décision de la CEC concernant l’invalidation de la nomination d’un candidat. La décision de la Cour suprême est sans appel.

2.6 Le 20 août 2001, l’auteur a déposé une plainte auprès du Président de la Cour suprême, en demandant à celui ‑ci de former un «pourvoi en contrôle» contre la décision rendue le 14 août 2001 par la Cour. Il n’a reçu aucune réponse. À une date non précisée, il a déposé une plainte analogue auprès du Procureur général du Bélarus, mais n’a pas reçu de réponse non plus.

2.7 Conformément à une décision de la Chambre des représentants de l’Assemblée nationale sur l’élection présidentielle, à une décision de la CEC et à l’article 68 du Code électoral, la période pour l’inscription des candidats à l’élection présidentielle a été fixée du 4 au 14 août 2001. Le 14 août 2001, l’auteur a appris par un communiqué de presse de la CEC qu’il ne figurait pas parmi les candidats inscrits. En violation de l’article 68, section 11, du Code électoral, le refus de la CEC d’enregistrer l’auteur comme candidat n’a pas donné lieu à la publication d’une décision motivée. Le 16 août 2001, l’auteur a demandé à la CEC de lui communiquer une copie de sa décision. La CEC lui a répondu le 17 août 2001 que son inscription comme candidat n’était pas fondée en droit. L’auteur a contesté ce refus devant la Cour suprême, conformément à la procédure établie en vertu de l’article 68, section 14, du Code électoral. Le 20 août 2001, la Cour suprême a retourné la plainte de l’auteur sans l’avoir examinée, au motif qu’elle avait déjà refusé d’instruire son recours contre la décision de la CEC en date du 8 août 2001.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que l’État partie, par la décision de la CEC du 8 août 2001 qui déclarait sa nomination non valable, a violé le droit qui lui est reconnu à l’article 25 b) du Pacte d’être élu au cours d’élections périodiques honnêtes, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 ni aucune restriction déraisonnable.

3.2 L’auteur maintient que, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 rapproché de l’article 2 du Pacte, les tribunaux lui ont refusé à tort, à deux reprises, le droit de demander à un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, de se prononcer sur ses droits et obligations, dans le cadre d’une procédure judiciaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4. Dans une note du 1 er avril 2002, l’État partie a fait observer que, le 10 août 2001, l’auteur avait contesté devant la Cour suprême la décision du 8 août 2001 par laquelle la CEC avait invalidé sa nomination. Le 14 août 2001, la Cour suprême avait refusé d’instruire le recours au motif que les tribunaux n’étaient pas compétents pour examiner cette question. L’État partie renvoie à l’article 68 du Code électoral, qui dispose que la CEC doit se prononcer sur l’inscription d’un candidat à l’élection présidentielle une fois que l’intéressé a présenté une série de documents, dont des listes totalisant au moins 100 000 signatures de soutien à sa nomination. Le refus de la CEC d’enregistrer un candidat peut être contesté devant la Cour suprême dans un délai de trois jours. L’État partie affirme que, selon la plainte de l’auteur, la décision de la CEC ne concernait pas un refus de l’enregistrer comme candidat. Dans sa décision du 8 août 2001, la CEC déclarait simplement que l’auteur n’avait recueilli que 80 540 signatures de soutien et que sa nomination n’était donc pas valable. L’État partie renvoie également à l’article 341, section 1, du Code de procédure civile et à l’article 6, section 2, de la loi relative à la Commission électorale centrale de la République du Bélarus chargée des élections et de la conduite des référendums républicains, qui dispose que la Cour suprême peut réexaminer certaines décisions de la CEC prévues par la loi. En revanche, la loi ne prévoit aucune procédure pour le réexamen judiciaire des décisions de la CEC concernant l’invalidité de la nomination d’un candidat. L’État partie conclut qu’il n’y avait pas lieu pour la Cour suprême d’instruire la plainte de l’auteur.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5. Le 3 mai 2003, l’auteur a réitéré ses griefs.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et constate que l’État partie n’a pas contesté que les recours internes étaient épuisés.

6.3 Concernant l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité note qu’elle se rapporte à des questions analogues à celles qui relèvent de l’article 25 b), rapproché de l’article 2, à savoir le droit pour l’auteur de disposer d’un recours utile comprenant une détermination du bien ‑fondé de son allégation selon laquelle son droit d’être élu sans restrictions déraisonnables a été violé. Sans préjudice de la question de savoir si l’affaire de l’auteur devait être examinée dans le cadre d’une procédure judiciaire au sens du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité décide que la communication est recevable en vertu de l’article 25 b) du Pacte, rapproché de l’article 2.

Examen au fond

7.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2 Pour arrêter sa décision, le Comité tient compte du fait, premièrement, que l’État partie a reconnu qu’aucun recours utile n’était ouvert à l’auteur en l’espèce et, deuxièmement, que l’État partie n’a pas répondu au sujet des allégations de l’auteur qui fait état d’irrégularités dans le décompte des signatures de soutien par les commissions électorales, et affirme que la CEC a outrepassé sa compétence en invalidant sa nomination et que l’article 341 du Code de procédure civile est anticonstitutionnel en ce qu’il limite les garanties énoncées à l’article 60 de la Constitution. Dans ces conditions, il convient d’accorder le crédit voulu à ces allégations, puisqu’elles ont été dûment étayées et n’ont pas suscité d’objection de la part de l’État partie.

7.3 Le Comité prend note de l’argument de l’auteur, qui affirme qu’en dépit de nombreuses irrégularités dans le traitement des signatures de soutien par les commissions électorales à tous les échelons, le nombre de signatures présentées à la CEC par son groupe d’initiative était suffisant pour que celle ‑ci puisse décider en toute connaissance de cause d’enregistrer ou non sa candidature. Il relève également que, selon l’auteur, qui n’a pas été démenti, en déclarant sa nomination non valable, la CEC a outrepassé les attributions que lui confèrent le Code électoral et la loi relative à la Commission électorale centrale de la République du Bélarus chargée des élections et de la conduite des référendums républicains. Il fait observer à ce propos que l’exercice du droit de voter et d’être élu ne peut être suspendu ou supprimé que pour des motifs consacrés par la loi et qui soient raisonnables et objectifs . Il rappelle que le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte garantit que toute personne alléguant une violation des droits et libertés consacrés par le Pacte doit disposer d’un recours utile. En l’espèce, l’auteur ne s’est vu ouvrir aucun recours utile lui permettant d’attaquer devant une instance indépendante et impartiale la décision prise par la CEC de déclarer sa nomination non valable, non plus que le refus ultérieur de celle ‑ci de l’inscrire sur la liste des candidats à l’élection présidentielle. Le Comité estime que l’absence de recours indépendant et impartial donnant la possibilité d’attaquer 1) la décision de la CEC de déclarer non valable la nomination de l’auteur et, en l’espèce, 2) le refus de la CEC d’inscrire l’auteur sur la liste des candidats s’est traduite par une violation des droits que confère à celui ‑ci l’article 25 b) du Pacte, rapproché de l’article 2.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 25 b) du Pacte, rapproché de l’article 2.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, à savoir une réparation du préjudice subi pendant la campagne présidentielle de 2001. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle, en partie dissidente, de M. Rafael Rivas Posada, M. Edwin Johnson et M. Hipólito Solari ‑Yrigoyen

Nous souscrivons à l’avis exprimé par le Comité au paragraphe 8 des constatations adoptées le 20 octobre 2006, selon lequel les faits exposés dans la communication susmentionnée «font apparaître une violation par l’État partie de l’article 25 b) du Pacte, rapproché de l’article 2». Nous ne sommes pas d’accord avec lui sur les points suivants:

1. L’auteur affirme dans la communication (par. 3.2 des constatations) que les faits qu’il dénonce constituent une violation des dispositions du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Comité aurait dû répondre expressément à cette plainte de l’auteur et ne pas se contenter d’affirmer, comme il le fait au paragraphe 6.3, que «sans préjudice de la question de savoir si l’affaire de l’auteur devait être examinée dans le cadre d’une procédure judiciaire au sens du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité décide que la communication est recevable en vertu de l’article 25 b) du Pacte, rapproché de l’article 2». La traduction en espagnol de l’expression anglaise « suit at law », qui figure aussi bien dans le Pacte que dans la version anglaise des constatations, n’est pas exacte, étant donné qu’il y a une différence entre ce qui correspond à la « materia contenciosa » et « la determinación de sus derechos y obligaciones de caracter civil » (détermination de ses droits et obligations de caractère civil). Le Comité a décidé que la plainte pour violation du paragraphe 1 de l’article 14 était irrecevable non pas expressément mais implicitement en déclarant seulement la communication recevable en vertu des articles 25 et 2 du Pacte, pour ne pas avoir à déterminer si elle soulevait des questions au titre de l’article 14.

2. À notre avis, la question soulevée dans la communication, à savoir que l’auteur a le droit d’être élu sans restrictions et que ce droit doit être reconnu par une autorité compétente, indépendante et impartiale, relève du paragraphe 1 de l’article 14. Le Comité a admis dans sa jurisprudence que cet article protège également les droits de caractère administratif et civil et les droits du travail en général et pas seulement dans le domaine privé. Il n’est pas possible de ne pas appliquer les garanties d’une procédure régulière énoncées à l’article 14 aux droits consacrés à l’article 25 du Pacte, car cela reviendrait à laisser sans protection des droits expressément consacrés par le Pacte qui revêtent une grande importance dans les systèmes démocratiques. Ces considérations nous amènent à penser que le Comité aurait dû déclarer la communication recevable en relation avec une violation possible du paragraphe 1 de l’article 14, à la lumière des faits dont il était saisi.

3. La communication étant recevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 14, nous pensons qu’il y a bien eu violation de celui ‑ci. La violation de l’article 25, déclarée par le Comité, a été précisément causée par la violation des dispositions de ce paragraphe de l’article 14. L’auteur n’a pu obtenir qu’une autorité compétente, indépendante et impartiale protège le droit qui lui est reconnu par l’article 25 et n’a pu exercer aucun recours à cette fin. Sans violation du paragraphe 1 de l’article 14, il ne peut y avoir violation de l’article 25 dans le cas d’espèce.

4. Compte tenu de ce qui précède, nous croyons qu’il aurait fallu dans le paragraphe 8 des constatations indiquer qu’il y avait eu violation du paragraphe 1 de l’article 14, soit expressément, soit en employant la formule habituelle, à savoir: «les faits dont [le Comité] est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 25 b) du Pacte, rapproché du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 2».

( Signé ) Rafael Rivas Posada

( Signé ) Edwin Johnson

( Signé ) Hipólito Solari ‑Yrigoyen

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood

L’auteur de cette plainte a demandé à être inscrit sur la liste des candidats aux élections présidentielles de 2001 au Bélarus. La «Commission électorale centrale chargée des élections et de la conduite des référendums républicains» de l’État partie a rejeté cette candidature. Par la suite, la Cour suprême du Bélarus a estimé qu’elle n’était pas compétente pour réexaminer la décision de cette Commission quant au fond.

Le Comité des droits de l’homme estime que l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques a été violé parce que l’auteur a été privé de toute faculté effective d’attaquer les irrégularités qui entachaient selon lui la procédure électorale, notamment le rejet par les organismes régionaux et de district des pétitions où étaient rassemblées les signatures des citoyens bélarussiens appuyant sa candidature. Il semble que la loi bélarussienne elle ‑même, convenablement appliquée, aurait exigé que soit ouvert un recours utile. En vertu du Code électoral, toute décision de la Commission électorale centrale rejetant l’enregistrement d’un candidat doit être «motivée», c’est ‑à ‑dire raisonnée (voir le paragraphe 11 de l’article 68 du Code électoral du Bélarus). Or rien n’indique dans le dossier de cette affaire que la Commission électorale centrale du Bélarus ait procédé au moindre réexamen au fond des plaintes de l’auteur.

Cela étant, les États véritablement démocratiques varient dans la façon dont ils procèdent au réexamen judiciaire des résultats d’élections. En présence d’une forme objective, impartiale et transparente de révision administrative, ou d’une procédure législative du même ordre, pour juger de la réalité ou de l’inexistence d’infractions électorales présumées, il n’a pas été estimé que le Pacte exigeait un réexamen judiciaire de toutes les décisions électorales . Un tel réexamen peut être une bonne pratique, une garantie supplémentaire de forme de gouvernement démocratique. Mais les systèmes électoraux sont divers et compliqués et le Comité n’est pas présentement saisi de tout l’éventail de leurs voies de recours.

( Signé ) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

F. Communication n o 1052/2002, N. T. c. Canada * (Constatations adoptées le 20 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

N. T. (non représentée)

Au nom de :

L’auteur et sa fille, J. T.

État partie :

Canada

Date de la communication :

3 février 1998 (date de la lettre initiale)

Objet : Déni à une mère du droit de voir sa fille

Questions de fond : Immixtion arbitraire dans la famille; protection de la famille; protection spéciale due à un enfant en raison de son statut de mineur; droit à un procès équitable; retard excessif dans la procédure

Questions de procédure : Griefs insuffisamment étayés

Articles du Pacte : 14 (par. 1), 17, 23, 24

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1052/2002 présentée par N. T. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est N. T., Canadienne d’origine ukrainienne, née le 28 juillet 1960. Elle soumet la communication également au nom de sa fille, J. T., née au Canada le 20 février 1993, dont la garde lui a été retirée le 2 août 1997 et qui a été par la suite adoptée. Dans un premier temps, l’auteur n’a pas invoqué de dispositions particulières du Pacte mais ensuite elle a déclaré que sa fille et elle ‑même étaient victimes de violation par le Canada des articles 1 er , 2, 3, 5 (par. 2), 7, 9 (par. 1, 3 et 5), 10 (par. 1 et 2 a)), 13, 14 (par. 1, 2, 3 d) et e) et 4), 16, 17, 18 (par. 4), 23, 24, 25 c) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur est née en Ukraine où elle a obtenu un diplôme dans le domaine médical. Elle a émigré au Canada en 1989 et a été naturalisée en 1994. Après la naissance de sa fille le 20 février 1993, elle s’est occupée seule de l’enfant tout en suivant des études à l’université pour obtenir un certificat de qualification professionnelle canadien. Le père n’a jamais eu de contact avec l’enfant.

2.2 Dans la nuit du 1 er au 2 août 1997, l’auteur a appelé la police pour signaler des atteintes sexuelles dont sa fille alors âgée de 4 ans avait été victime. L’auteur avait également giflé sa fille pour l’empêcher d’aller chez les voisins et la gifle lui avait laissé une marque rouge sur le visage . D’après l’auteur, c’était la première et la dernière fois qu’elle avait frappé sa fille et c’était parce qu’elle s’inquiétait pour elle. D’après un rapport de police, l’auteur avait arrêté un automobiliste pour qu’il prenne sa fille et lui avait dit qu’elle ne voulait plus d’elle et que le Canada n’avait qu’à s’en occuper. Toutefois, cela a toujours été démenti par l’auteur qui affirme que sa fille était sur le trottoir à attendre qu’elle ait fini de parler à la police et qu’elle ne l’a jamais abandonnée. La police a conduit l’enfant au poste de police et l’a confiée à la garde de la Children’s Aid Society de la ville de Toronto, qui l’a ensuite placée dans un foyer d’accueil. Bien que l’auteur eût signalé que sa fille avait subi une agression sexuelle, il n’y a pas eu d’enquête et l’enfant n’a pas été examinée par un médecin.

2.3 Quelques jours plus tard (le 5 août), l’auteur a été arrêtée et inculpée d’agression (pour ce qu’elle croyait être l’exercice de l’autorité parentale) contre sa fille . Dans une déclaration sous serment datée du 6 août, l’auteur expliquait les circonstances de l’incident et affirmait qu’elle se croyait capable de s’occuper de sa fille et qu’elle serait heureuse que la Children’s Aid Society se rende chez elle pour voir comment elle s’occupait de l’enfant. Néanmoins, le 7 août, le tribunal provincial de Scarborough a placé l’enfant temporairement (pour trois mois) auprès de la Catholic Children’s Aid Society (CCAS) de Toronto, avec pour la mère un droit de visite sous surveillance. D’après l’auteur, cette décision ne donnait pas autorité pour placer l’enfant définitivement dans un foyer d’accueil ni pour la déclarer adoptable. Elle affirme que jusqu’à ce que le procès pour la protection de l’enfant ait lieu et que le jugement ait été prononcé, le 26 juin 2000 , aucune ordonnance de placement n’avait été rendue en faveur de la CCAS et il n’avait pas été établi que la petite fille avait besoin d’être protégée, comme l’exigeait la législation, c’est ‑à ‑dire les règles de pratique civile, le règlement de procédure du tribunal de la famille et la loi sur les services à l’enfance et à la famille, pour que l’enfant continue d’être placée, de 1997 à 2000. Certes, la petite fille avait dit au début que sa mère l’avait frappée mais elle avait exprimé à maintes reprises le souhait de rentrer chez elle et réagissait mal quand elle était séparée de sa mère à la fin des visites. Toutes les visites étaient strictement surveillées et la mère et la fille ne restaient jamais seules.

2.4 Le 1 er décembre 1997 , l’auteur a ramené sa fille à la maison à la demande de celle ‑ci. Cela lui a valu d’être reconnue coupable d’enlèvement d’enfant et d’être condamnée à un mois d’emprisonnement. En prison, une détenue l’avait violemment frappée et elle avait donc été placée toute seule dans une cellule pendant dix jours sans recevoir de soins médicaux. Le 24 décembre 1997, elle a été libérée sous caution, la condition étant que, avant de pouvoir rendre visite à sa fille, la CCAS lui fasse passer une sorte d’examen et que chaque rencontre avec sa fille se fasse, dès le premier moment, sous la surveillance directe de la CCAS. Les contacts téléphoniques entre la mère et la fille avaient été supprimés parce que l’auteur avait eu des propos vifs avec la mère d’accueil.

2.5 En mars 1998, à la demande de la CCAS, l’auteur a été examinée par le docteur K., psychiatre à l’Institut de psychiatrie Clarke, et l’examen a duré en tout quatre heures. Le médecin a établi un rapport de 14 pages dont le Comité n’a pas reçu copie. Il ressort toutefois du jugement du 26 juin 2000 que le médecin, qui a fait son expertise en se fondant sur deux entretiens et sur des renseignements indirects émanant d’autres psychiatres, a conclu que l’auteur souffrait de troubles délirants, délire érotomaniaque, délire de persécution et délire somatique. D’après le juge, le médecin avait également constaté que, comme l’auteur ne suivait pas de traitement, il y avait lieu de s’interroger sur sa capacité à s’occuper de sa fille.

2.6 Le 29 septembre 1998, le docteur K., répondant à une lettre du conseil de l’auteur, a précisé un certain nombre de points, indiquant notamment qu’il n’avait pas pu déceler de délire érotomaniaque chez l’auteur pendant l’examen mais que cet élément figurait dans les notes du centre des services de santé de l’Université de Toronto qui laissaient entendre qu’elle avait été traitée dans ce service pour des troubles découlant de son délire érotomaniaque. Il ajoutait dans ses conclusions que, même si l’auteur souffrait de délire érotomaniaque, il ne semblait pas que cela ait eu des incidences sur sa capacité de s’occuper de sa fille .

2.7 Le 12 mai 1998, l’auteur a été examinée par un médecin de l’hôpital de Toronto, le docteur G. Dans sa description de l’auteur, ce médecin a indiqué qu’elle ne présentait «aucun symptôme maniaque ou psychotique déclaré», qu’il n’y avait «pas de trouble de la pensée formelle» et que «son discours révélait essentiellement des idées de persécution qui apparaissaient exagérées, mais n’allaient pas jusqu’au délire». Le médecin considérait que la patiente avait probablement «une personnalité paranoïaque, encore qu’il soit difficile de l’affirmer à ce stade, après un seul entretien». Mais il concluait qu’elle n’avait pas besoin de traitement médicamenteux.

2.8 Le 2 juillet 1998, le docteur G., médecin traitant de l’auteur depuis mai 1995, a écrit dans une lettre qu’il n’avait pas l’impression qu’il connaissait bien la patiente et qu’elle était difficile à décrire mais qu’elle ne semblait pas souffrir d’un trouble psychiatrique majeur et n’avait pas suivi de traitement médicamenteux.

2.9 Dans une lettre datée du 6 juillet 1998, le pédiatre qui avait vu l’enfant en consultation de temps en temps depuis août 1993, le docteur T., a dit qu’il n’avait aucune raison de penser que l’auteur n’était pas une mère compétente et que rien ne l’indiquait.

2.10 À cause du rapport du docteur K., qui évoquait un état pathologique, et malgré les réponses d’autres spécialistes qui avaient constaté qu’elle était en bonne santé et n’avait pas besoin de traitement médicamenteux, la CCAS a refusé de rétablir le droit de visite. En juin 1998, la demande initiale d’ordonnance de placement de trois mois déposée par la CCAS a été modifiée et c’est une ordonnance de placement sous tutelle de la Couronne sans droit de visite qui a été demandée, de façon à rendre l’enfant adoptable. L’auteur a fait plusieurs demandes pour recouvrer le droit de visite mais en juillet, en août et en novembre 1998, des ordonnances interdisant les visites ont été rendues.

2.11 Dans un rapport d’expertise visant à évaluer l’adoptabilité de l’enfant, daté du 28 septembre 1998, une assistante sociale de la CCAS chargée des adoptions estimait que «depuis l’admission de Julia dans le foyer, ses compétences sociales se sont beaucoup améliorées». Elle constatait toutefois que «Julia [était] très attachée à sa mère» et qu’«elle [avait] dit qu’elle voulait vivre avec elle». «Dans une conversation avec cette assistante sociale, Julia a dit qu’elle voulait être avec sa mère, encore que ses sentiments à son égard soient toujours un peu ambivalents.» La petite fille avait dit qu’elle aimait sa mère bien qu’elle l’ait battue. «Elle ne [pouvait] pas imaginer pour le moment de vivre dans une autre famille.» L’assistante sociale concluait qu’il faudrait que l’enfant voie un psychologue qui chercherait spécifiquement à analyser les questions liées à l’attachement avant de décider que l’enfant était adoptable.

2.12 Le 12 décembre 1998, la psychologue qui suivait l’enfant, le docteur P., a établi un rapport sur les conséquences possibles que le placement sous la tutelle de l’État sans droit de visite pourrait avoir sur l’enfant. Elle précisait que la petite fille, qui à ce moment ‑là n’avait pas vu sa mère depuis une année, risquait de développer des troubles de l’attachement. Elle ajoutait:

«Julia souffre de l’absence de sa mère, elle dit qu’elle veut la voir, elle est perturbée par l’absence de sa mère. […] Julia est une enfant un peu perdue. […] L’impression que j’ai eue à la suite de conversations avec la mère d’accueil de Julia et en entendant l’enfant elle ‑même est qu’elle s’accroche au souvenir de sa mère, qu’elle est perturbée et ne sait pas ce qu’elle devrait et ce qu’elle peut ressentir pour sa mère. Elle risque de sombrer dans la dépression. […] Julia a besoin de se déterminer à l’égard de sa mère. […] Il serait bien qu’elle ait des contacts avec sa mère pour qu’elle puisse parvenir à cette résolution. […] Je recommande donc que les visites sous surveillance avec [l’auteur] soient rétablies de façon que Julia ait la possibilité de connaître sa mère. […] S’il apparaissait que les visites sont préjudiciables à Julia, il y serait mis fin et on expliquerait pourquoi à Julia.».

2.13 Pour recouvrer la garde de sa fille ou obtenir le droit de visite, l’auteur s’est adressée à plusieurs avocats et a fini par faire en personne des démarches, déposant de nombreuses demandes et différents recours auprès des tribunaux entre 1997 et 2000. Le 11 janvier 1999, à la demande de la CCAS, la Cour de justice de l’Ontario, se fondant sur le rapport du docteur K., a conclu que l’auteur souffrait d’une «incapacité d’ordre mental» et a ordonné qu’elle ne soit plus autorisée à engager elle ‑même de nouvelles actions en justice. Dans ces circonstances, le Bureau du tuteur et curateur public a été commis à l’auteur en tant que tuteur d’instance . L’auteur affirme que le Bureau n’a pas agi en son nom et a essayé de l’induire en erreur. Le tribunal a ordonné en outre que l’audience prévue pour février 1999 soit ajournée étant donné que le Bureau du tuteur et curateur public n’avait pas pu préparer le procès.

2.14 En juin 1999, en application d’une ordonnance rendue le 17 mai 1999, les droits de visite ont été rétablis d’un commun accord, sous certaines conditions, qui étaient notamment:

«1. [L’auteur] pourra rendre des visites à sa fille, sous surveillance, et à la discrétion exclusive et absolue de la CCAS.

2. Les visites se feront toutes les trois semaines et ne dureront pas plus de quatre ‑vingt ‑dix minutes.

4. [L’auteur] restera toujours dans le parloir du bureau de la CCAS avec l’enfant pendant les visites, et des employés de la CCAS surveilleront intégralement les visites. Il y aura en permanence un employé de la CCAS dans la pièce et un employé derrière un miroir sans tain.

10. [L’auteur] ne demandera pas à Julia où elle habite, où elle va à l’école ni son numéro de téléphone.

13. Si [l’auteur] ne respecte pas l’une quelconque de ces conditions, il sera mis immédiatement fin à la visite et la CCAS aura le droit de décider s’il y aura d’autres visites à l’avenir.».

2.15 En août 1999, les visites ont de nouveau été supprimées par la CCAS alors que tout s’était bien passé et que chaque fois l’auteur avait parfaitement respecté toutes les conditions. L’auteur a de nouveau fait une demande de rétablissement du droit de visite et l’ordonnance relative au droit de visite a été modifiée en date du 21 décembre 1999, dans l’intérêt supérieur de l’enfant. En décembre 1999, la petite fille est partie vivre avec de nouveaux parents d’accueil, qui ont fait savoir qu’ils souhaitaient l’adopter.

2.16 Le 8 décembre 1999, l’auteur a déposé une demande de réexamen judiciaire de l’ensemble de la procédure de protection de l’enfant auprès de la Cour supérieure de justice. La CCAS a déposé une contre ‑demande en application de l’article 140 de la loi sur les tribunaux judiciaires, pour interdire à l’auteur de continuer toute procédure qu’elle avait pu engager devant tout tribunal et l’empêcher d’en engager de nouvelles. Le 8 mars 2000, la Cour supérieure de justice a interdit à l’auteur d’engager de nouvelles procédures devant quelque tribunal que ce soit et a ordonné la suspension de toute action déjà engagée devant un tribunal. Le motif était que l’auteur avait engagé de nombreuses actions (demandes, motions et appels), ce qui avait saboté le calendrier des audiences pour le procès relatif à la protection de l’enfant, dont l’intérêt se trouvait ainsi gravement compromis.

2.17 Le 26 juin 2000, dans le procès principal relatif à la protection de l’enfant, la Cour de justice de l’Ontario a rendu une ordonnance de tutelle par l’État (la Couronne) sans droit de visite, aux fins d’adoption. Elle estimait qu’il existait «des preuves écrasantes permettant de conclure que l’enfant avait besoin d’une protection et que son intérêt supérieur ne pouvait être protégé que par une ordonnance de tutelle par la Couronne sans droit de visite». Le tribunal avait la «ferme conviction» que l’auteur était «sérieusement malade» et que si l’enfant était laissée à sa garde, elle subirait non seulement des préjudices physiques mais aussi des dommages affectifs irréparables. Le tribunal fondait sa décision sur le rapport de 1998 du docteur K., sur la conclusion du docteur G., qui indiquait qu’il était «probable que la patiente souffre d’un trouble paranoïaque de la personnalité», et sur la déclaration d’un autre médecin, en date du 12 mai 1998: «Si je n’ai pas de preuves directes confirmant que la patiente souffre de troubles délirants, j’ai tendance à penser que les éléments présentés par le docteur K., et sans doute aussi aux tribunaux, auraient probablement résisté à un examen et résisteraient toujours.». Aucun de ces spécialistes n’est venu témoigner à l’audience.

2.18 L’enfant n’a pas été entendue au procès. Il ressort toutefois du jugement que «la position prise au nom de l’enfant par l’avocat de celle ‑ci était qu’elle souhaitait rester avec ses parents d’accueil actuels mais disait toujours qu’elle voulait recevoir des visites de sa mère». Au procès, la psychologue de l’enfant a affirmé que Julia était fortement attachée à sa mère, qu’elle avait besoin de garder des contacts avec elle et que le maintien de l’interdiction de toute visite serait pour elle source de souffrances.

2.19 En ce qui concerne l’état de l’auteur et son comportement, le tribunal relevait également ce qui suit:

«Il est difficile de déterminer où la maladie [de l’auteur] finit et où commencent ses intentions malveillantes, car les deux choses sont liées. L’appréhension de l’enfant a eu lieu tôt le matin du 2 août 1997 et à partir de ce moment jusqu’à ce que l’affaire soit jugée, en mai et en juin 2000, il y a eu d’interminables procédures juridiques concernant cette appréhension qui ont retardé les audiences sur la question initiale et [l’auteur] avec l’assistance de sept ou huit avocats, a couru dans tous les sens pour attaquer les uns et les autres avec des motions et des appels contre toutes les décisions, jusqu’à ce qu’enfin, cette année, une ordonnance soit prise par la Cour supérieure déclarant que [l’auteur] était un plaignant de mauvaise foi et qu’elle ne devait plus être autorisée à engager des actions en justice sans autorisation préalable de la Cour.».

Enfin, le tribunal considérait que le maintien des visites ne ferait que perpétuer la situation d’insécurité dans laquelle l’enfant se trouvait et qu’il n’y avait pas de circonstances spéciales attestées qui justifieraient le rétablissement du droit de visite. Le 10 octobre 2000, l’auteur a été déboutée de l’appel qu’elle avait tenté de former le 26 juillet 2000, pour des motifs de procédure.

2.20 En novembre 2000, l’auteur a demandé à la CCAS de lui communiquer des renseignements relatifs au placement de Julia aux fins d’adoption. L’organisme a répondu qu’il n’avait «aucune obligation de [lui] notifier si [sa] fille a été placée en vue d’adoption».

2.21 Il ressort d’une déclaration sous serment datée du 22 juin 2001 signée par la mère d’accueil de l’enfant que l’auteur avait essayé plusieurs fois de prendre contact avec sa fille. Elle avait téléphoné en février, en août et en octobre 2000 et s’était rendue deux fois à l’école, en mai et en juin 2001. D’après la mère d’accueil, l’enfant avait pris la fuite en voyant l’auteur et s’était réfugiée auprès d’un enseignant. Julia avait dit à sa mère d’accueil que l’auteur s’était approchée d’elle mais qu’elle «savait qu’il ne fallait pas qu’elle lui parle» et qu’elle avait «toujours peur de sa mère». Une «reconnaissance de placement aux fins d’adoption», datée du 9 août 2001 et signée par les parents d’accueil, indique qu’ils avaient l’intention d’adopter l’enfant.

2.22 L’auteur a déposé de nouvelles motions et de nouveaux recours qui ont tous été rejetés pour des motifs de procédure. Enfin, le 13 septembre 2001, la Cour suprême du Canada a rejeté une demande d’autorisation de faire appel et une motion de sursis à l’adoption déposées par l’auteur. Celle ‑ci s’est également adressée à la Commission des droits de la personne de l’Ontario, au Ministère des services sociaux et communautaires et à «de nombreuses autres autorités», mais en vain.

Teneur de la plainte

3.1 Même si elle n’a pas initialement invoqué de violation d’une disposition précise du Pacte, l’auteur a par la suite, dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, mentionné des violations des articles 1 er , 2, 3, 5 (par. 2), 7, 9 (par. 1, 3 et 5), 10 (par. 1 et 2 a)), 13, 14 (par. 1, 2, 3 d) et e), et 4), 16, 17, 18 (par. 4), 23, 24, 25 c) et 26 du Pacte. Après analyse de la plainte, le Comité a estimé qu’elle soulevait les questions examinées ci ‑après.

3.2 L’auteur invoque, en ce qui la concerne, des violations de l’article 14 du Pacte relativement à ses condamnations et à l’emprisonnement prononcés pour l’agression et l’enlèvement de sa fille, et des articles 9 et 10 relativement au traitement qu’elle a subi en détention.

3.3 L’auteur dit, en invoquant des violations à l’égard de sa fille et d’elle ‑même, que sa fille a été «enlevée» et demande qu’elle lui soit rendue ou qu’elle puisse lui rendre visite. Elle dit que sa famille a été «illégalement détruite» car sa fille a été appréhendée et retenue par la CCAS sans ordre de placement légitime. Ses visites à sa fille ont été illégalement et arbitrairement supprimées par la CCAS, sans la moindre explication, et en dépit d’une ordonnance du tribunal autorisant les visites. Sa fille est restée à la garde de la CCAS bien au ‑delà de la durée maximale réglementaire d’une année . Rien n’a été tenté pour lui rendre l’enfant, ou rechercher une solution moins restrictive, pendant toute la procédure. Ces griefs soulèvent des questions au regard des articles 17, 23 et 24 du Pacte.

3.4 L’auteur dénonce, au nom de sa fille et en son nom propre, les retards pris à examiner l’affaire, en particulier le fait qu’il se soit écoulé près de trois ans entre le début de la procédure de protection, en août 1997, et le procès en juin 2000, ce qui soulève des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.5 L’auteur affirme que le procès concernant l’action en protection de l’enfant a été inéquitable. Elle fait valoir que pendant le procès qui a abouti au jugement du 26 juin 2000, le tribunal n’a pas appelé à la barre les principaux témoins et n’a pas non plus relevé les nombreuses contradictions que présentaient les déclarations des témoins. De plus, l’expertise psychiatrique sur laquelle le tribunal s’est fondé avait été réalisée deux ans avant le procès et comportait des renseignements fondés sur la rumeur qui n’avaient pas été étudiés à l’audience. Le juge avait fondé sa décision exclusivement sur un vieux rapport établi par un psychiatre à la demande de la CCAS et payé par cet organisme. Le psychiatre n’avait pas témoigné au procès. Ces griefs soulèvent également des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.6 L’auteur fait valoir, en ce qui concerne sa fille, que les décisions des tribunaux n’ont pas été prises dans l’intérêt supérieur de l’enfant et que l’iniquité et la durée excessive de la procédure ont été pour elle source de souffrance mentale, ce qui soulève des questions au regard de l’article 7 du Pacte.

3.7 L’auteur n’étaye pas plus avant ses griefs au titre des articles 1 er , 2, 3, 5, 13, 16, 18, 25 et 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Dans une note datée du 15 mai 2002, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il relève que dans sa communication l’auteur décrit ses démêlés avec différentes institutions juridiques et sociales canadiennes, et fait valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable faute d’être étayée, étant donné que les griefs de l’auteur sont formulés de façon très vague et que les dispositions du Pacte qui auraient été violées ne sont pas spécifiées. L’État partie objecte que vu cette imprécision, il ne peut pas répondre aux plaintes de l’auteur.

4.2 L’État partie renvoie à la décision prise par le Comité dans l’affaire J. J. C. c. Canada , dans laquelle le Comité avait estimé que la plainte n’était pas suffisamment étayée en raison du «caractère trop général» des allégations portées contre le système judiciaire canadien et avait conclu à l’irrecevabilité de la communication. Il fait valoir que la communication à l’examen souffre des mêmes carences que cette autre communication et qu’elle devrait également être déclarée irrecevable.

4.3 L’État partie objecte que les allégations de l’auteur ne révèlent pas de violation spécifique de l’une quelconque des dispositions du Pacte et que la communication est donc sans fondement.

4.4 L’État partie indique qu’il se réserve le droit de faire de nouvelles observations concernant la recevabilité et le fond de la communication s’il reçoit de plus amples informations.

Commentaires de l’auteur

5.1 Par une note du 21 septembre 2003, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie, soulignant que la seule chose qu’elle veut c’est avoir la possibilité de voir sa fille unique. Toutes ses démarches et les actions auprès des tribunaux visaient à rétablir le contact avec sa fille, qui a été séparée d’elle contre le gré de l’une et de l’autre.

5.2 En réponse à l’argument de l’État partie qui fait valoir que sa communication ne révèle pas de violations spécifiques des dispositions du Pacte, l’auteur énumère les dispositions qu’elle considère avoir été violées (voir plus haut, par. 1). Elle réaffirme que sa fille lui a été illégalement retirée, étant donné que l’ordonnance provisoire de placement du 7 août 1997 avait expiré au bout de trois mois. Quand elle a décidé de ramener sa fille à la maison après l’expiration de cette ordonnance, elle a été immédiatement arrêtée et placée en détention pendant deux mois sans jugement. Elle affirme que la suppression ultérieure du droit de visite a été arbitrairement décidée par la CCAS malgré un ordre du tribunal octroyant le droit de visite .

5.3 L’auteur répète que sa fille voulait avoir des contacts avec elle, ce dont le juge n’a tenu aucun compte, et elle mentionne l’expertise pour déterminer l’adoptabilité de sa fille et la recommandation de la psychologue qui disait qu’il fallait que l’auteur rende visite à sa fille.

5.4 Enfin, l’auteur dit que sa fille a présenté des symptômes d’anxiété et de dépression graves à la suite de la séparation. Les mesures d’une sévérité injustifiée qui avaient été prises à l’égard de la famille ont provoqué un traumatisme psychologique irréversible chez l’enfant, qui risque d’avoir des troubles du développement. Pour l’auteur, il s’agit là d’une peine cruelle et inusitée infligée à sa fille.

5.5 En ce qui concerne sa qualité pour représenter sa fille, l’auteur a confirmé qu’elle souhaitait présenter la plainte également au nom de sa fille. Le 19 août 2006, elle a informé le Comité que sa fille avait été adoptée et qu’elle n’avait plus aucun contact avec elle. À la suite des incidents de 2001 où elle avait essayé d’entrer en contact avec sa fille, les parents d’accueil de l’époque, devenus parents adoptifs, l’avaient traînée en justice et elle avait été arrêtée. L’auteur indique également qu’elle n’a pas été informée de la date de l’adoption.

5.6 Le 31 octobre 2006, l’auteur a fait savoir qu’elle avait cherché à prendre contact avec sa fille mais que la nouvelle famille l’en avait empêchée et qu’elle n’avait donc pas pu obtenir de sa fille l’autorisation nécessaire pour lui permettre d’agir en son nom dans ses démarches auprès du Comité. En conséquence, elle avait saisi la justice et la procédure était en cours. Le 22 février 2007, elle a confirmé qu’une audience qui devait avoir lieu en décembre 2006 avait été reportée au 9 mars 2007.

Absence d’observations supplémentaires de la part de l’État partie

6. En date du 10 décembre 2003, les commentaires de l’auteur ont été transmis à l’État partie qui n’a pas fait parvenir de nouvelles observations.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si elle est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il relève que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication au motif du non ‑épuisement des recours internes et que la demande d’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême faite par l’auteur a été rejetée en date du 13 septembre 2001. Il considère donc que l’auteur a épuisé les recours internes.

7.3 Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable faute d’être étayée, parce que les allégations de l’auteur étaient formulées de façon imprécise et trop générale, sans mention des dispositions du Pacte. Il relève toutefois que dans sa réponse aux observations de l’État partie, l’auteur, qui n’est pas représentée par un conseil, s’est efforcée d’organiser ses griefs et a fait référence à différents articles du Pacte, encore que d’une façon un peu générale. L’État partie n’a pas répondu à ces griefs alors que la possibilité de le faire lui avait été donnée. Le Comité conclut que les griefs de l’auteur ne sont pas irrecevables pour ce motif.

7.4 Pour ce qui est de la qualité de l’auteur pour représenter sa fille relativement aux griefs de violation des articles 7, 14, 17, 23 et 24, le Comité note que la fille de l’auteur a aujourd’hui 14 ans et a été adoptée. Il note aussi que l’auteur n’a pas fourni d’autorisation de sa fille pour agir au nom de celle ‑ci. Il rappelle toutefois qu’un parent qui n’a pas la garde de son enfant a qualité suffisante pour représenter celui ‑ci devant le Comité . Les liens existants entre une mère et son enfant et les allégations formulées dans la présente affaire sont suffisants pour justifier que la mère représente sa fille. En outre, le Comité note que l’auteur a, maintes fois, essayé, sans succès, d’obtenir une autorisation de sa fille pour la représenter (voir par. 5.6 ci ‑dessus). Dans ces circonstances, le Comité n’est pas empêché d’examiner les griefs formulés au nom de sa fille par l’auteur.

7.5 Le Comité croit comprendre que les griefs de l’auteur au titre de l’article 9, de l’article 10 et du paragraphe 2 de l’article 14 portent sur ses condamnations pour agression et pour enlèvement, et sur l’emprisonnement qui en a résulté. Il note que l’auteur n’a pas donné d’éléments à l’appui de ses griefs et n’a pas non plus décrit les faits d’une façon suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et conclut donc que ces griefs sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6 Le Comité considère que le grief de l’auteur qui affirme que sa fille a été victime de souffrance mentale en violation de l’article 7 du Pacte n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et déclare ce grief irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7 Le Comité considère que les autres griefs soulèvent des questions au regard du Pacte et sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et déclare la communication recevable en ce qui concerne les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, de l’article 17, de l’article 23 et de l’article 24.

Examen au fond

8.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 17 du Pacte, le Comité rappelle que le terme de «famille» doit être entendu dans un sens large et qu’il vise non seulement le foyer familial pendant le mariage ou la cohabitation, mais aussi les relations en général entre parents et enfants . Dans le cas de liens biologiques, il existe une forte présomption qu’une «famille» est constituée et ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que cette relation ne sera pas protégée par l’article 17 du Pacte. Le Comité note que l’auteur et sa fille vivaient ensemble jusqu’à ce que l’enfant ait 4 ans et qu’elle ait été placée en institution, et que l’auteur avait conservé des contacts avec sa fille jusqu’en août 1999. Dans ces circonstances, le Comité ne peut que conclure qu’au moment où les autorités sont intervenues l’auteur et sa fille formaient une famille au sens de l’article 17 du Pacte.

8.3 En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme qu’elle a perdu illégalement la garde de sa fille et le droit de visite et que sa famille a été détruite, le Comité relève que le retrait d’un enfant à la garde de sa mère ou de son père constitue une immixtion dans la vie de famille des parents et de l’enfant. La question se pose donc de savoir si cette immixtion a été arbitraire ou illégale et donc contraire à l’article 17 du Pacte. Le Comité estime que, quand il s’agit de garde d’enfant et de droit de visite, les critères qui doivent être pris en considération pour apprécier si l’ingérence spécifique dans la vie de la famille peut ou non être justifiée par des motifs objectifs doivent être examinés, d’une part, au regard du droit effectif d’un parent ou d’un enfant de maintenir des relations personnelles et des contacts réguliers l’un avec l’autre et, d’autre part, à la lumière de l’intérêt supérieur de l’enfant .

8.4 Le Comité note qu’à l’origine le retrait par les autorités de la fille de l’auteur à la garde de celle ‑ci, le 2 août 1997, confirmé par une ordonnance judiciaire datée du 7 août et la plaçant sous la garde de la CCAS, était fondé sur la conviction des autorités, ultérieurement confirmée par la condamnation de l’auteur, que celle ‑ci avait agressé sa fille. Le Comité note que bien que l’ordonnance ait été provisoire (pour une durée de trois mois), elle ne conférait un droit de visite à l’auteur que dans des circonstances extrêmement difficiles. Il considère que le premier placement de trois mois de la fille de l’auteur sous la garde de la CCAS était excessif.

8.5 En ce qui concerne les griefs de l’auteur portant sur la période qui commence après l’expiration des trois mois visés par l’ordonnance provisoire du 7 août 1997 jusqu’au procès, en mai 2000, le Comité note que l’enfant restait sous la garde de la CCAS. D’après l’ordonnance du 7 août 1997, l’auteur devait pouvoir rendre visite à sa fille, encore que sous des conditions très strictes. Après l’«enlèvement» de sa fille par l’auteur, le 1 er décembre 1997, et sa condamnation en avril 1998, le droit de visite a été retiré. Il n’a été rétabli qu’en juin 1999, également dans des conditions très dures, comme suite à une ordonnance du 17 mai 1999 rétablissant le droit de visite. Par exemple, l’auteur et sa fille ne pouvaient se voir que dans les locaux de la CCAS, toutes les trois semaines pendant quatre ‑vingt ‑dix minutes. Les visites étaient totalement surveillées par le personnel de la CCAS. L’auteur n’avait pas le droit de téléphoner à sa fille. La CCAS a une nouvelle fois ordonné la cessation des visites de sa propre initiative alors que l’ordonnance du 17 mai 1999, prévoyant les visites, était toujours en vigueur. Dans les conditions fixées pour les visites jointes à cette ordonnance, il était indiqué que l’auteur pourrait rendre visite à sa fille, sous surveillance, à la discrétion exclusive et absolue de la CCAS . La question des visites n’a pas été reconsidérée par une autorité judiciaire jusqu’au 21 décembre 1999, quand le juge a décidé de ne pas redonner à l’auteur le droit de visite. Depuis lors, l’auteur n’a jamais plus eu le droit de visite.

8.6 Le Comité relève que l’enfant a exprimé à maintes reprises le désir de rentrer chez elle, qu’elle pleurait à la fin des visites et que sa psychologue avait recommandé le rétablissement des visites. Il considère que les conditions d’accès, qui interdisaient également les appels téléphoniques, étaient très sévères à l’égard d’une enfant de 4 ans et de sa mère. Le fait que l’auteur et sa mère d’accueil se soient querellées au téléphone ne suffit pas à justifier la suppression définitive de ce contact entre l’auteur et sa fille. Le Comité estime que l’exercice unilatéral par la CCAS de son pouvoir de supprimer les visites, comme elle l’a fait en décembre 1997 et en août 1999, sans qu’une autorité judiciaire réexamine la situation et sans que l’auteur ait eu la possibilité de présenter sa défense, a constitué une immixtion arbitraire dans la famille de l’auteur et de sa fille, en violation de l’article 17 du Pacte.

8.7 En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 23 du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions nationales d’apprécier les circonstances des affaires particulières. Néanmoins, la loi devrait établir certains critères de façon à permettre aux tribunaux d’appliquer la totalité des dispositions de l’article 23 du Pacte. «Il apparaît essentiel, sauf circonstance exceptionnelle, qu’au nombre de ces critères figure le maintien des relations personnelles et des contacts directs et réguliers entre l’enfant et ses parents.» En l’absence de circonstances spéciales, le Comité rappelle que la suppression de toute visite d’un parent à son enfant ne peut pas être réputée être dans l’intérêt supérieur de cet enfant .

8.8 Dans la présente affaire, le juge a considéré, en 2000, lors de l’audience en protection d’enfant, qu’il «n’y avait pas de circonstances spéciales attestées qui justifieraient le rétablissement du droit de visite» au lieu de s’interroger sur la question de savoir s’il y avait des circonstances exceptionnelles justifiant la suppression des visites, inversant ainsi la perspective dans laquelle de telles questions devraient être examinées. Eu égard à la nécessité de préserver les liens familiaux, il est essentiel que toute procédure qui a une incidence sur l’unité familiale traite de la question de savoir si les liens familiaux doivent être rompus, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant et des parents. Le Comité n’estime pas que l’incident de la gifle, l’absence de coopération de l’auteur avec la CCAS et le fait, contesté, de son incapacité d’ordre mental constituaient des circonstances exceptionnelles justifiant de couper définitivement tout contact entre l’auteur et sa fille. Il estime que le processus qui a conduit le système judiciaire de l’État partie à décider de refuser complètement toute visite de sa fille à l’auteur, sans examiner la possibilité d’une option moins radicale et restrictive, a abouti à une absence de protection de l’unité de la famille, en violation de l’article 23 du Pacte. Ces faits entraînent de plus une violation de l’article 24 à l’égard de la fille de l’auteur, qui avait droit à une protection spéciale en raison de son état de minorité.

8.9 En ce qui concerne le grief de la longueur de la procédure, en violation du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité rappelle sa jurisprudence et affirme que le droit à un procès équitable garanti par cette disposition suppose que la justice soit rendue avec diligence, sans retard excessif , et que la nature même d’une procédure de garde ou d’une procédure relative au droit de visite d’un parent divorcé exige qu’il soit statué rapidement . Le Comité considère que cette jurisprudence s’applique également à une action en protection d’un enfant qui tend à retirer à un parent l’autorité parentale et les droits de visite à l’égard de son enfant. Pour examiner cette question, le Comité doit tenir compte de l’âge de l’enfant et des conséquences qu’une procédure trop longue peut avoir sur le bien ‑être de l’enfant et sur l’issue de l’affaire.

8.10 En l’espèce, l’enfant avait 4 ans quand elle a été sortie du domicile de sa mère, en août 1997, et 7 ans quand le procès en protection de l’enfant a eu lieu, en juin 2000. La psychologue de l’enfant a mis en garde contre un risque de dépression et de troubles de l’attachement que courait la petite fille en raison de la longueur de la procédure et a souligné qu’elle se trouvait dans un état d’incertitude étant donné qu’elle ne savait plus où était son foyer. De plus, le juge a fondé en partie sa décision sur le fait que l’enfant avait noué des liens très forts avec ses parents d’accueil, qui voulaient l’adopter, et qu’elle souhaitait rester avec eux. Le Comité note qu’au début l’enfant voulait retourner auprès de sa mère et que ce n’est qu’avec le temps que son avis a changé.

8.11 Il ressort du dossier que l’auteur a changé d’avocat plusieurs fois et a déposé un grand nombre de motions judiciaires qui ont retardé la procédure. Elle a également été qualifiée de plaignant de mauvaise foi qui, par ses nombreuses motions et ses nombreux recours, avait saboté le calendrier du procès. Toutefois, il s’agissait dans tous les cas de démarches visant à recouvrer le droit de visite pour son enfant. Le Comité considère que le dépôt d’une motion pour obtenir le droit de visite ne devrait pas avoir comme conséquence nécessaire le report du procès principal. De plus, le retard ne peut pas être attribué uniquement à l’auteur. Le Comité relève par exemple que c’est à la demande de la CCAS que le Bureau du tuteur et curateur public a été désigné pour représenter l’auteur et que cette désignation a entraîné l’ajournement du procès. Le Comité estime qu’étant donné le jeune âge de l’enfant, un laps de temps de près de trois ans entre le placement de l’enfant sous la garde de la CCAS et l’audience sur l’action en protection d’enfant, retard qui ne peut pas être uniquement imputé à l’auteur, était excessif et constituait une violation du droit de l’auteur et de sa fille à être jugées avec diligence, comme le garantit le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

8.12 En ce qui concerne les griefs de violation du droit à un procès équitable garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité relève que le juge a fondé sa conclusion sur sa conviction que la mère était «sérieusement malade». Cette conclusion reposait sur l’expertise établie deux ans auparavant par le docteur K., psychologue, qui avait dit que l’auteur souffrait «d’un trouble délirant» et de «délire érotomaniaque, délire de persécution et délire somatique» et sur d’autres rapports psychiatriques. Il ressort du jugement que le juge a utilisé ces rapports de façon sélective et incorrecte. En particulier, il apparaît qu’il a mal interprété l’appréciation du docteur K. (voir par. 2.5 et 2.6 ci ‑dessus), qui avait précisé que, si l’auteur avait effectivement un délire érotomaniaque, cela ne semblait pas avoir d’incidence sur sa capacité de s’occuper de sa fille. De plus, le juge n’a pas pris en considération l’opinion du docteur G., un autre spécialiste, qui avait établi qu’il n’y avait pas de troubles de la pensée formelle et que les idées de persécution de l’auteur n’allaient pas jusqu’au délire. Le juge n’a pas entendu le docteur K., psychologue, que l’auteur avait appelé à la barre mais qui ne s’est pas présenté, pas plus qu’aucun des autres médecins qui l’avaient examinée.

8.13 Il ressort du dossier que le juge a décidé de retirer l’enfant à sa mère en raison d’un incident d’agression isolé et en fonction de faits, dont la réalité était contestée, qui s’étaient produits trois ans plus tôt. De plus, rien dans le dossier ne montre que le juge avait envisagé d’entendre l’enfant ou que l’enfant ait été appelée à participer à un moment ou à un autre à la procédure. Certes, les souhaits de l’enfant ont été exprimés au procès par son avocat, qui a dit qu’elle souhaitait «rester avec ses parents d’accueil actuels, mais disait toujours qu’elle voulait recevoir des visites de sa mère», mais le juge a conclu que «le maintien des visites ne ferait que perpétuer cet état d’incertitude que le docteur P. considère comme très préjudiciable à l’enfant» et qu’il «faudrait cesser totalement les visites pour que l’enfant puisse aller de l’avant maintenant qu’elle a la possibilité de vivre une nouvelle vie heureuse». Le Comité note toutefois que la psychologue de l’enfant a considéré que la petite fille était dans un état d’incertitude parce qu’elle était «perturbée par l’absence de sa mère». De plus, le juge a souligné qu’il «faut bien voir que l’enfant que nous avons devant nous aujourd’hui n’est pas la même que la petite fille que nous avons appréhendée étant donné que la procédure a pris près de trois ans et que nous avons ici une enfant de 7 ans qui a pu exprimer son désir de ne pas retourner chez elle». Le Comité a noté que le juge avait bien tenu compte des souhaits de l’enfant et avait ordonné le placement sous tutelle de l’État sans visite dans l’intérêt supérieur de l’enfant, mais il ne peut pas approuver l’appréciation du tribunal qui a conclu que la suppression de tout contact entre la mère et l’enfant pourrait servir l’intérêt supérieur de l’enfant en l’espèce. Étant donné ce qui précède, le Comité estime que l’auteur et sa fille n’ont pas bénéficié d’un procès équitable dans l’action en protection d’enfant, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, de l’article 17 lu seul et conjointement avec l’article 2, de l’article 23 et de l’article 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

10. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur et à sa fille un recours utile, consistant à autoriser l’auteur à rendre régulièrement visite à sa fille et à lui accorder une indemnisation appropriée. En outre, il doit prendre des mesures pour faire en sorte que de telles violations ne se reproduisent plus.

11. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

G. Communication n o 1057/2002, Kornetov c. Ouzbékistan * (Constatations adoptées le 20 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

M me Larisa Tarasova (non représentée par un conseil)

Au nom de :

Alexander Kornetov, fils de l’auteur

État partie :

Ouzbékistan

Date de la communication :

5 mars 2002 (date de la lettre initiale)

Objet : Condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable; obligation d’enquêter sur des allégations de mauvais traitement d’un détenu

Questions de fond : Torture; procès inéquitable; droit à la vie

Questions de procédure : Appréciation des faits et des éléments de preuve; fondement des griefs

Articles du Pacte : 6, 7, 10, 14, 15, 16

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 octobre 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1057/2002 présentée au nom de M. Alexander Kornetov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur est M me Larisa Tarasova, Ouzbèke d’origine russe, qui présente la communication au nom de son fils, Alexander Kornetov, lui ‑même Ouzbek d’origine russe, né en 1977, actuellement emprisonné en Ouzbékistan et qui, au moment où la communication a été présentée, était en attente d’exécution après avoir été condamné à mort le 7 août 2001 par le tribunal régional de Tachkent. L’auteur soutient que son fils est victime de violation par l’Ouzbékistan de ses droits au titre des articles 6, 7, 10, 14, 15 et 16 du Pacte . Elle n’est pas représentée par un conseil.

1.2 Le 5 mars 2002, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, a prié l’État partie de ne pas procéder à l’exécution de M. Kornetov tant que la communication était en cours d’examen devant le Comité. Ultérieurement, l’État partie a informé le Comité que, le 19 février 2002, la Cour suprême d’Ouzbékistan avait commué la sentence capitale prononcée contre l’auteur en une peine de vingt ans de prison.

Exposé des faits

2.1 Le 11 janvier 2001, le fils de l’auteur a été arrêté par la police qui le soupçonnait d’avoir vendu illégalement, à deux reprises, un appartement qui ne lui appartenait pas. Bien qu’il ait été officiellement inculpé pour fraude, les enquêteurs ont exercé des «pressions physiques» sur l’auteur et l’ont contraint à avouer le meurtre de la propriétaire de l’appartement − une certaine M me P., dont le corps, selon la police, avait été découvert dans une rivière, le 27 septembre 2000. Un ami du fils de l’auteur (un certain Yemelin) a également été arrêté et contraint de reconnaître sa participation au meurtre.

2.2 Le 7 août 2001, le tribunal régional de Tachkent a reconnu l’auteur coupable de fraude, de vol qualifié et de meurtre, et l’a condamné à mort. Son coaccusé a été condamné à dix ‑neuf ans de prison. Le fils de l’auteur a été reconnu coupable d’avoir assassiné M me P., avec l’aide de Yemelin, dans le but de vendre ses biens et son appartement, et d’avoir volé d’autres appartements. Le 26 décembre 2001, la formation d’appel (collège pénal) du tribunal régional de Tachkent a approuvé le jugement du 7 août 2001 et confirmé la peine de mort. Le 7 janvier 2002, l’avocat de M. Kornetov a adressé un recours au Président de la Cour suprême en vertu d’une procédure de contrôle, dans lequel il demandait la réouverture de l’affaire et un complément d’enquête. Le 19 février 2002, la Cour suprême d’Ouzbékistan a commué la sentence de mort en vingt ans de prison.

2.3 Selon l’auteur, la culpabilité de son fils n’a pas été établie au ‑delà de tout doute raisonnable, et la condamnation du 7 août 2001 était infondée, sévère et reposait sur des éléments de preuve indirects, en l’absence de l’arme du crime. À l’appui de ses allégations, elle précisait que:

a) Les médecins légistes n’avaient pas pu établir, au ‑delà de tout doute raisonnable, que le corps découvert le 27 septembre 2000 (dont les mains et la tête manquaient) était celui de M me P. En outre, les tests ADN pratiqués sur le corps de la mère de M me P., décédée quelques années auparavant, et sur le corps découvert n’ont pas permis de confirmer que ce dernier était effectivement le corps de M me P.;

b) Le dossier de la police concernant la découverte du corps ne faisait pas mention d’un élément de preuve capital: la petite note écrite à la main par M me P., qui avait servi d’élément de preuve pour l’identification du corps, n’avait pas été retrouvée dans les poches du jean que portait la victime au moment de la découverte, mais lors de l’examen médico ‑légal pratiqué ultérieurement. Selon l’auteur, la police avait pu prendre la note dans l’appartement de M me P. puis la cacher dans les vêtements qu’elle portait, de manière à accuser plus facilement son fils;

c) Le passeport de M me P. ainsi que le titre de propriété et les clefs de son appartement avaient été découverts dans l’appartement du fils de l’auteur, où M me P. les avait laissés à titre de garantie, en contrepartie de l’acompte versé par le fils de l’auteur pour démontrer qu’il avait effectivement l’intention d’acheter son appartement. À cet égard, l’auteur affirmait qu’elle avait informé les enquêteurs que M me P. avait l’intention de se rendre en Russie pour obtenir l’accord de son frère (copropriétaire de l’appartement) en vue de procéder à la transaction immobilière, et qu’elle avait deux passeports différents; les enquêteurs avaient ignoré cet élément, et aucune enquête n’avait été effectuée;

d) Son fils avait été arrêté le 11 janvier 2001 car il était suspecté de fraude, mais en fait il avait été contraint d’avouer sa culpabilité dans le meurtre de M me P., et il avait «fait des aveux par écrit» les 16 et 17 janvier;

e) Lorsqu’elle avait appris l’arrestation de son fils − le 15 janvier 2001 −, elle s’était immédiatement rendue au poste de police où il se trouvait; elle l’avait vu dans un bureau en train d’écrire un texte que lui dictait un enquêteur. À un moment donné, celui ‑ci l’avait frappé à la tête. Lorsque l’auteur était intervenue, l’enquêteur lui avait ordonné de partir «si elle voulait revoir son fils vivant». Le 17 janvier, elle avait vu trois autres fonctionnaires de police frapper son fils dans le bureau de l’enquêteur. Elle indiquait qu’elle avait porté plainte. Selon un arrêt de la Cour suprême ( n o 1), du 20 février 1996, les éléments de preuve obtenus par des méthodes illicites, telles que les pressions physiques ou morales, ne sont pas admissibles;

f) L’enquêteur principal chargé de l’affaire, un certain Ch., avait enquêté sur d’autres charges de fraude contre son fils, qui avaient abouti à sa condamnation pour fraude en 1997. L’auteur déclarait qu’en 1997, Ch. lui avait extorqué une importante somme d’argent censée assurer la libération de son fils (qui ne s’était finalement pas produite). Elle avait demandé à ce qu’un autre enquêteur soit chargé du dossier, mais la police n’aurait même pas accepté de recevoir sa demande;

g) Le tribunal n’avait fait citer que des témoins à charge, et avait «simplement ignoré» les témoins à décharge.

2.4 L’auteur soutient que, contrairement aux dispositions de l’article 138 du Code de procédure pénale et du paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte, alors que son fils était en attente d’exécution, les autorités pénitentiaires l’ont informé qu’il devait signer une déclaration par laquelle il renonçait à son droit de solliciter la grâce, ce qu’il a fait. L’auteur a demandé des explications et elle a été informée, par lettre du 22 janvier 2001, que lorsque son fils avait reçu une copie du jugement du tribunal régional de Tachkent, le 26 décembre 2001, il avait été dûment informé de son droit de solliciter la grâce présidentielle et d’être assisté d’un avocat pour établir sa demande. Selon les autorités, son fils avait refusé de déposer une demande de grâce, sans fournir aucune raison. À cet égard, un dossier avait été établi et adressé au cabinet présidentiel.

Teneur de la plainte

3. L’auteur soutient que les droits de son fils en vertu des articles 6, 7, 10, 14, 15 et 16 du Pacte ont été violés.

Observations de l’État partie

4. L’État partie a présenté ses observations le 22 mai 2002. Il rappelle que la culpabilité du fils de l’auteur a été établie et que sa condamnation à mort par le tribunal régional de Tachkent, le 7 août 2001, était justifiée. Le 26 décembre 2001, sa condamnation a été confirmée par la formation d’appel du tribunal régional de Tachkent. L’État partie examine également les faits de l’affaire pénale. Il indique enfin que, le 19 février 2002, la Cour suprême a commué la sentence de mort de M. Kornetov en vingt ans de prison.

Commentaires de l’auteur

5. L’auteur a présenté des commentaires supplémentaires le 2 septembre 2002, le 7 avril 2003 et le 25 février 2005. Elle réaffirme que son fils est innocent et que sa condamnation repose sur des motifs insuffisants. Elle soutient en particulier que son fils a avoué sa culpabilité sous la contrainte au début de l’enquête préliminaire, et que lorsque le procès a commencé, il a informé le tribunal qu’il avait été victime de mauvais traitements et fourni les noms des responsables. Selon l’auteur, les affirmations de son fils à cet égard n’ont pas été consignées dans les minutes du procès, et le tribunal n’a pas vérifié ses affirmations.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité note que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale, et que l’ État partie n’a pas contesté le fait que les recours internes ont été épuisés. Les conditions énoncées au paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont donc remplies.

6.3 L’auteur soutient que le droit de son fils au titre du paragraphe 4 de l’article 6 a été violé; en effet, après que celui ‑ci a été condamné à mort, les autorités pénitentiaires lui ont expliqué qu’il devait signer une déclaration par laquelle il renonçait à son droit de solliciter la grâce, ce qu’il a fait. Nonobstant le paragraphe 2.4 ci ‑dessus, le Comité observe toutefois que l’auteur a adressé, le 8 janvier 2002, une demande de grâce au cabinet du Président. Dans ces circonstances, et en l’absence de tout autre élément d’information à cet égard, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief, aux fins de la recevabilité, et que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 L’auteur soutient que le droit de son fils à un procès équitable, énoncé au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, a été violé, et elle conteste la façon dont les tribunaux ont apprécié les éléments de preuve qui ont conduit à sa condamnation. Le Comité note que les allégations en question concernent essentiellement l’appréciation des faits et des éléments de preuve. Il rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice . En l’absence de tout autre élément d’information pertinent susceptible d’établir que l’appréciation des éléments de preuve a pâti de ces irrégularités dans le cas d’espèce, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 L’auteur a affirmé que, contrairement aux dispositions du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte, le tribunal n’avait cité que des témoins à charge, et ignoré les témoins à décharge. Le Comité observe que l’État partie n’a pas réfuté cette allégation. Toutefois, en l’absence d’information plus précise permettant de corroborer ce grief, le Comité considère que l’auteur ne l’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, et qu’il est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6 L’auteur a affirmé, en termes généraux, que les droits garantis aux articles 15 et 16 du Pacte avaient été violés en ce qui concernait son fils. En l’absence d’information plus précise permettant d’étayer ces affirmations, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7 Le Comité estime que les autres allégations, au titre des articles 6, 7, 10 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, ont été suffisamment étayées, aux fins de la recevabilité, et il les déclare recevables.

Examen au fond

7.1 L’auteur a soutenu que les enquêteurs de la police avaient frappé son fils pour le contraindre à avouer sa culpabilité. Elle affirme qu’elle était présente, à deux reprises, dans les locaux de la police lorsqu’ils l’ont passé à tabac. Elle ajoute que lorsque le procès a commencé, son fils a indiqué au tribunal qu’il avait été brutalisé, que ses aveux avaient été obtenus sous la contrainte, et qu’il avait donné les noms des fonctionnaires responsables, mais que ces plaintes n’ont ni été transcrites dans les minutes du procès ni fait l’objet d’une enquête. Le Comité rappelle que lorsqu’une plainte pour mauvais traitements susceptibles de constituer une violation de l’article 7 est déposée, un État partie a l’obligation d’ordonner une enquête rapide et impartiale . Dans les circonstances de l’espèce, et en l’absence de tout élément d’information pertinent présenté par l’État partie à cet égard, il convient d’accorder l’attention voulue aux allégations de l’auteur. Le Comité décide par conséquent que les faits tels qu’ils sont présentés révèlent une violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

7.2 À la lumière de ce qui précède, le Comité considère que le grief formulé par l’auteur ne soulève pas de question distincte au titre de l’article 10 du Pacte.

7.3 Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’imposition de la peine de mort à l’issue d’un procès ne respectant pas les conditions d’une procédure équitable constitue également une violation de l’article 6 du Pacte . Dans le cas d’espèce, cependant, la peine de mort infligée à la victime présumée le 7 août 2001 et confirmée en appel le 26 décembre 2001 a déjà été commuée par la Cour suprême le 19 février 2002. Le Comité considère que dans les circonstances de l’espèce, la question de la violation du droit à la vie du fils de l’auteur ne se pose plus.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi révèlent une violation des droits du fils de l’auteur au titre de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation de fournir à M. Kornetov un recours utile. La réparation pourrait comprendre la possibilité d’une réduction de la peine et une indemnisation. L’État partie est également tenu d’empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est en outre invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

H. Communication n o 1108/2002, Karimov c. Tadjikistan * Communication n o 1121/2002, Nursatov c. Tadjikistan (Constatations adoptées le 26 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Makhmadim Karimov et Amon Nursatov (non représentés par un conseil)

Au nom de :

Aidamir Karimov (fils de Makhmadim Karimov), Saidabror Askarov, Abdumadzhid Davlatov et Nazar Davlatov (respectivement frère et cousins de Nursatov)

État partie :

Tadjikistan

Date des communications :

16 août et 24 septembre 2002, respectivement (dates des lettres initiales)

Objet: Condamnation à la peine capitale à l’issue d’un procès inéquitable et absence de représentation en justice dans une affaire où les accusés étaient passibles de la peine de mort

Questions de fond : Torture; procès inéquitable; droit à la vie; conditions de détention

Questions de procédure : Appréciation des faits et des éléments de preuve; mesure dans laquelle les plaintes ont été étayées

Articles du Pacte : 6, 7, 9, 10, 14

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 mars 2007,

Ayant achevé l’examen des communications n os 1108/2002 et 1121/2002 présentées au nom de M. Aidamir Karimov, M. Saidabror Askarov, M. Abdumadzhid Davlatov et M. Nazar Davlatov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs des communications et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 Le premier auteur est M. Makhmadim Karimov, de nationalité tadjike, né en 1950, qui présente la communication au nom de son fils, Aidamir Karimov, également de nationalité tadjike, né en 1975. Le second auteur est M. Amon Nursatov, de nationalité tadjike, né en 1958, qui présente la communication au nom de son frère Saidabror Askarov et de ses cousins Abdumadzhid Davlatov et Nazar Davlatov, tous deux de nationalité tadjike et nés en 1975. Au moment de la présentation des communications, les quatre victimes présumées étaient en attente d’exécution après avoir été condamnées à la peine capitale, le 27 mars 2002, par la Chambre militaire de la Cour suprême. Les auteurs font état de violations par le Tadjikistan des droits reconnus aux paragraphes 1 et 2 de l’article 6 du Pacte, à l’article 7, aux paragraphes 1 et 2 de l’article 9, à l’article 10 et aux paragraphes 1 et 3 e) et g) de l’article 14 . Le second auteur invoque en outre des violations du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte en ce qui concerne son frère Askarov; la communication semble soulever des questions similaires en ce qui concerne aussi Aidamir Karimov. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.

1.2 En application de l’article 92 de son règlement intérieur, quand il a enregistré les communications le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, a demandé le 19 août 2002 (Karimov) et le 25 septembre 2002 (Askarov et frères Davlatov) à l’État partie de ne pas exécuter les victimes présumées tant que leur cas serait examiné par le Comité. Ultérieurement, l’État partie a fait savoir que les condamnations à mort de toutes les victimes présumées avaient été commuées en vingt ‑cinq ans d’emprisonnement.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Le 11 avril 2001, vers 8 heures du matin, le Premier Vice ‑Ministre tadjik de l’intérieur, Khabib Sanginov, a été abattu dans sa voiture à proximité de son domicile à Douchanbé. Deux gardes du corps et le chauffeur du Ministre adjoint avaient également été tués dans l’attentat. Sept suspects, y compris les victimes présumées, ont été arrêtés en 2001.

Cas d’Aidamir Karimov

2.2 Au début de juin 2001 (la date exacte n’est pas précisée), Aidamir Karimov a été arrêté à Moscou sur accusation de terrorisme en vertu d’un mandat délivré par le Bureau du Procureur tadjik qui avait été transmis aux autorités russes. Il a été remis aux autorités tadjikes et serait arrivé à Douchanbé le 14 juin 2001, mais ses proches n’en ont été informés que cinq jours plus tard.

2.3 Il est resté détenu pendant deux semaines dans les locaux du Ministère de l’intérieur à Douchanbé. L’auteur affirme que ces locaux ne sont pas adaptés pour une détention prolongée et que la durée maximale autorisée pour une détention dans ces locaux est de trois heures. Le fils de l’auteur n’a été transféré que deux semaines plus tard (la date exacte n’est pas précisée) dans un centre de détention temporaire où il a été gardé pendant deux mois au lieu de la période maximale de dix jours autorisée par la loi. Il a été ensuite transféré au Centre de détention provisoire n o 1 de Douchanbé d’où il a été conduit chaque jour au Ministère de l’intérieur où il a été soumis à de longs interrogatoires qui duraient toute la journée et se prolongeaient souvent la nuit. La nourriture qu’il recevait était insuffisante et les colis envoyés par sa famille ne lui sont jamais parvenus.

2.4 Le 11 septembre 2001, le fils de l’auteur a été officiellement inculpé de meurtre avec préméditation et circonstances aggravantes commis en association, avec une violence particulière au moyen d’explosifs, ainsi que de vol d’armes à feu et d’explosifs, d’acquisition illégale d’armes à feu et d’explosifs et de dégradation délibérée de biens.

2.5 Au cours de l’enquête préliminaire, le fils de l’auteur aurait été torturé pour qu’il avoue sa culpabilité. Il aurait été battu et aurait reçu des coups de pied dans les reins et des coups de matraque. On lui aurait aussi administré des décharges électriques: des fils électriques ont été fixés sur différentes parties du corps (notamment aux dents et aux organes génitaux). Selon l’auteur, un des tortionnaires était le Directeur adjoint du Département des enquêtes criminelles de Douchanbé. On a également menacé le fils de l’auteur d’arrêter ses parents s’il refusait d’avouer. Ce dernier a pris ces menaces au sérieux parce qu’il savait que ses deux frères et son père avaient déjà été arrêtés le 27 avril 2001 et relâchés le 28 mai. Dans ces circonstances, il a avoué et signé une déclaration à cet effet (à une date qui n’a pas été précisée).

2.6 L’auteur affirme qu’aucun proche n’a pu voir son fils pendant ses deux premiers mois de détention. Sa famille n’a pu avoir de contact avec lui qu’une seule fois pendant l’enquête préliminaire en présence des enquêteurs.

2.7 Selon l’auteur, les enquêteurs avaient planifié à l’avance un acte d’enquête − une vérification des aveux de son fils sur les lieux du crime. Deux jours avant la vérification officielle, son fils a été conduit sur la scène du crime où on lui a indiqué l’endroit où il devait se tenir, ce qu’il devait dire; il a été en outre montré à des personnes qui l’ont par la suite reconnu lors d’une séance d’identification. La reconstitution du crime aurait eu lieu en la présence de 24 enquêteurs et son fils a été obligé de répéter ce qu’on lui avait enjoint de dire auparavant.

2.8 L’auteur affirme que son fils s’est vu désigner un avocat par les enquêteurs au début de l’enquête préliminaire mais que cet avocat «s’est montré passif» et était souvent absent. Pour cette raison, deux mois après le début de l’enquête préliminaire, l’auteur a chargé un avocat privé de représenter son fils. Ce dernier serait alors revenu sur ses aveux, affirmant qu’ils lui avaient été arrachés sous la torture. Les enquêteurs auraient refusé d’effectuer un enregistrement vidéo de sa rétractation, se contentant d’insérer une note brève dans le dossier.

2.9 L’enquête préliminaire a pris fin le 15 novembre 2001. L’affaire a été examinée du 8 janvier au 27 mars 2002 par la Chambre militaire de la Cour suprême . Le 27 mars 2002, la peine de mort a été prononcée pour toutes les victimes présumées. L’auteur affirme que son fils n’a pas bénéficié d’un procès équitable et que le tribunal était partial. À l’appui de cette affirmation il fait valoir ce qui suit:

a) Le tribunal a refusé de débarrasser les accusés de leurs menottes, bien que ces derniers aient été placés dans une cage métallique aménagée dans la salle d’audience, les empêchant ainsi de prendre des notes. La règle de la présomption d’innocence a également été violée parce que le Directeur de la sécurité, le général Saidamorov, a déclaré devant le tribunal qu’il était impossible d’enlever leurs menottes aux accusés parce qu’ils étaient de «dangereux criminels» et qu’ils pouvaient s’évader;

b) À la fin de l’enquête préliminaire, l’acte d’accusation établi contre son fils ne contenait que trois charges. Au début du procès, le juge a donné lecture de deux nouveaux chefs d’accusation; cela constitue, selon l’auteur, une violation du droit de son fils d’être promptement informé des charges pesant contre lui;

c) Le fils de l’auteur est revenu sur ses aveux devant le tribunal et a clamé son innocence. Il a affirmé qu’au moment du crime, il n’était pas à Douchanbé. Cela a été confirmé par 15 témoins qui ont déclaré que du 7 au 22 avril, il était dans la région de Panch. Il n’aurait été fait aucun cas de ces témoignages;

d) Plusieurs des personnes qui ont témoigné contre Karimov ont fait des dépositions contradictoires;

e) L’accusation a exercé des pressions sur les témoins, limité la possibilité des avocats de poser des questions et coupé la parole de manière agressive aux avocats et aux témoins;

f) Le tribunal n’a pas examiné objectivement les circonstances du crime − la nature du crime commis ou l’existence d’un rapport de cause à effet entre les actes commis et leurs conséquences;

g) Aucun témoin n’aurait été en mesure d’identifier les coaccusés en tant que participants au crime pendant l’audience;

h) La condamnation elle ‑même n’était pas conforme au principe de proportionnalité entre l’infraction et la peine, dans la mesure où les personnes reconnues coupables d’avoir organisé le meurtre se sont vu infliger des peines plus légères (quinze à vingt ‑cinq ans d’emprisonnement) que les personnes qui ont été déclarées coupables d’avoir été les exécutants; ces dernières ont été condamnées à mort.

2.10 Le 29 avril 2002, la Cour suprême a confirmé en appel le jugement du 27 mars 2002. Le 27 juin 2002, la Cour suprême a refusé de faire droit à une demande de révision judiciaire .

Cas de Saidabror Askarov, et d’Abdumadzhid et Nazar Davlatov

2.11 Le second auteur, M. Nursatov, affirme qu’à la suite de l’assassinat de Sanginov, plusieurs suspects ont été arrêtés, y compris son frère, Saidabror Askarov, et les frères Davlatov ainsi que Karimov.

2.12 L’auteur affirme qu’après son arrestation (à une date non précisée), Askarov a été détenu dans les locaux du Ministère de l’intérieur pendant une semaine. D’après l’auteur, les locaux du Ministère ne sont pas conçus pour une longue détention. Le 4 mai 2001, le frère de l’auteur a été transféré dans un centre de détention temporaire où il a été gardé jusqu’au 24 mai 2001, soit plus longtemps que la période autorisée par la loi; il a été ensuite transféré au Centre de détention provisoire n o 1. Pendant son premier mois de détention, M. Askarov a été interrogé dans les locaux du Ministère de l’intérieur pendant toute la journée et souvent même pendant la nuit. Son arrestation n’aurait été enregistrée officiellement que le 4 mai 2001 et il a été placé en détention en application d’une décision prise le même jour. Abdulmadzhid et Nazar Davlatov ont été envoyés au Centre de détention temporaire le 5 mai 2001 puis transférés au Centre de détention provisoire n o 1 le 24 mai 2001.

2.13 L’auteur affirme que pendant les trois premiers jours de leur détention, Askarov et les frères Davlatov n’ont pas reçu de nourriture mais seulement un peu d’eau. La nourriture fournie aux détenus n’était pas suffisante et les colis que leur a envoyés leur famille par le biais des autorités ne leur sont jamais parvenus.

2.14 Selon l’auteur, son frère Askarov a été battu et torturé pour qu’il fasse des aveux. On lui aurait administré des décharges électriques au moyen d’un instrument spécial à l’aide de fils électriques introduits dans la bouche et dans l’anus ou fixés aux pieds ou aux organes génitaux. Il aurait aussi eu un doigt cassé . En outre, des pressions psychologiques ont été exercées sur lui: son frère Amon (l’auteur de la communication) et son autre frère, Khabib, ont été arrêtés le 27 avril et détenus jusqu’au 29 mai 2001, et son troisième frère, Sulaymon, a également été appréhendé le 27 avril 2001 et libéré deux mois plus tard. Askarov se voyait constamment rappeler l’arrestation de ses frères. En raison de ce traitement, Askarov et les frères Davlatov ont signé des aveux.

2.15 Askarov n’aurait été autorisé à voir ses proches que pendant dix minutes six mois après son arrestation (à une date non précisée), en présence des enquêteurs. Nazar Davlatov n’a pu rencontrer ses proches qu’au début du procès tandis qu’Abdumadzhid Davlatov n’a pu voir sa mère que six mois après son arrestation.

2.16 L’auteur affirme que son frère n’a pas été informé qu’il avait le droit d’être représenté par un avocat dès son arrestation et le droit de bénéficier des services d’un conseil à titre gracieux s’il n’avait pas les moyens d’en engager un. Le 23 juin 2001, les enquêteurs ont désigné un avocat (Aliev) pour le défendre. Un mois plus tard, la famille a engagé un avocat privé, M e Fayzullaev, parce que toutes leurs tentatives pour rencontrer l’avocat désigné par les autorités chargées de l’enquête avaient échoué. Le nouvel avocat aurait été contraint de se retirer par les enquêteurs parce qu’il s’était plaint au Procureur général de l’illégalité des accusations portées contre Askarov. À la suite de cela, la famille a pris un troisième avocat.

2.17 Au tribunal, Askarov et les frères Davlatov sont revenus sur leurs aveux. Ils ont clamé leur innocence et affirmé qu’ils étaient dans la région de Panch du 9 au 14 avril 2001. Leurs dires ont été confirmés par cinq témoins. Le tribunal a conclu que les déclarations faites à l’audience, y compris les allégations de torture, visaient à permettre aux accusés de se soustraire à leur responsabilité pénale.

2.18 L’auteur présente des allégations similaires à celles faites au nom de Karimov (par. 2.9, al. e et h ).

2.19 Le jugement prononcé contre Askarov et les frères Davlatov a été confirmé le 29 avril 2002 par la Chambre pénale de la Cour suprême.

Teneur de la plainte

Cas de Karimov

3.1 L’auteur affirme qu’il y a eu violation de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 parce que son fils a été battu et torturé, qu’il a subi des pressions psychologiques et qu’il a donc été obligé de faire des aveux.

3.2 Les droits du fils de l’auteur reconnus aux paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte ont été violés puisqu’il a été arrêté illégalement et n’a été inculpé que longtemps après son arrestation.

3.3 L’auteur affirme qu’en violation de l’article 10, son fils a été détenu dans des conditions laissant beaucoup à désirer au début de sa détention. La nourriture qu’il recevait était insuffisante et les colis envoyés par sa famille ne lui ont pas été transmis.

3.4 L’auteur affirme aussi que le droit garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte a été violé parce que le tribunal qui l’a jugé était partial. Son fils n’a pas bénéficié du droit à la présomption d’innocence en violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte étant donné qu’un policier de rang élevé a déclaré au tribunal que les accusés étaient de «dangereux criminels». Il ajoute que le paragraphe 3 e) de l’article 14 a été violé dans la mesure où les dépositions des témoins en faveur de son fils ont été rejetées sous prétexte qu’elles étaient fausses.

3.5 Enfin, l’auteur affirme que les droits de Karimov reconnus aux paragraphes 1 et 2 de l’article 6 du Pacte ont été violés dans la mesure où il a été condamné à mort à l’issue d’un procès inéquitable, en violation de l’article 14 du Pacte.

3.6 Même si l’auteur n’invoque pas spécifiquement le paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte, la communication semble soulever des questions au titre de cette disposition en ce qui concerne Karimov.

Cas d’Askarov et des frères Davlatov

3.7 M. Nursatov affirme qu’il y a eu violation de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 parce que son frère Askarov et ses cousins Abdumadzhid et Nazar Davlatov ont été torturés et obligés à faire des aveux.

3.8 Les paragraphes 1 et 2 de l’article 9 ont aussi été violés parce que les victimes présumées ont été détenues pendant une longue période sans avoir été informées au moment de leur arrestation des charges qui pesaient contre elles.

3.9 L’auteur affirme que les droits de son frère et de ses cousins garantis au paragraphe 10 du Pacte ont aussi été violés du fait qu’au début de leur détention, ils n’ont pas reçu de nourriture mais seulement un peu d’eau et que les colis que leur a envoyés leur famille ne leur sont jamais parvenus.

3.10 L’auteur affirme que le tribunal a été partial en violation du paragraphe 1 de l’article 14. Il ajoute que le paragraphe 2 de l’article 14 a aussi été violé dans la mesure où un officier supérieur des services de sécurité a déclaré à l’audience que les accusés étaient de «dangereux criminels».

3.11 Selon l’auteur, le droit de son frère et de ses cousins à la défense, garanti au paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte, a également été violé.

3.12 Askarov et les frères Davlatov auraient aussi été victimes d’une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte, dans la mesure où les dépositions faites en leur faveur par les témoins ont été simplement rejetées comme «fausses».

3.13 Enfin, l’auteur affirme que les droits d’Askarov et des frères Davlatov garantis par les paragraphes 1 et 2 de l’article 6 du Pacte ont été violés parce qu’ils ont été condamnés à mort à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions de l’article 14 n’ont pas été respectées.

Observations de l’État partie

Cas de Karimov

4.1 Le 20 février 2003, l’État partie a informé le Comité qu’en application d’une décision du Presidium de la Cour suprême en date du 3 décembre 2002, la condamnation à mort de Karimov avait été commuée en vingt ‑cinq ans d’emprisonnement.

4.2 Le 3 avril 2006, l’État partie a présenté ses observations sur le fond. Selon lui, la Cour suprême a examiné l’affaire et rappelé que le fils de l’auteur avait été déclaré coupable d’une multitude d’infractions, notamment de meurtre, commises avec ses coaccusés, Revzonzod (Askarov), Nazar et Abdulmadzhid Davlatov, Mirzoev et Yormakhmadov, et a été condamné à mort le 27 mars 2000.

4.3 La victime du meurtre était un dirigeant de l’opposition et un membre de la Commission nationale de réconciliation créée en 1997. Après la reprise des travaux de la Commission en juin 1999, il avait été nommé Premier Vice ‑Ministre de l’intérieur. Dans l’exercice de ses fonctions, il avait pris une série de mesures de démilitarisation des groupes armés de l’opposition. Il était donc devenu la cible de tentatives d’assassinat.

4.4 Le tribunal a déclaré Karimov et les autres coaccusés coupables de meurtre et de vol d’armes à feu et de munitions commis en association, de vol qualifié, de dégradation délibérée de biens, d’acquisition illégale, de stockage et de port d’armes à feu et de munitions. Leur culpabilité a été établie sur la base non seulement des aveux faits au cours de l’enquête préliminaire mais aussi de nombreux témoignages, des résultats de plusieurs séances d’identification, de confrontations directes, des éléments issus de la reconstitution du crime et de la vérification des dépositions sur la scène du crime, de saisies d’armes à feu et de munitions (balles), des conclusions de plusieurs médecins légistes et criminologues, ainsi que d’autres éléments de preuve. Les actes de Karimov ont été correctement qualifiés en vertu de la loi et la peine à laquelle il a été condamné était à la mesure de la gravité et des conséquences des actes qu’il avait commis.

4.5 Selon le tribunal, les allégations de l’auteur qui affirme que son fils n’a pas pris part au meurtre mais a été obligé de faire des aveux pendant l’enquête préliminaire et que la Cour l’a condamné en se fondant sur des éléments de preuve qui étaient faux ou douteux n’ont pas été étayées et ont été infirmées par les pièces du dossier.

4.6 D’après l’État partie, n’ayant pas été corroborées par les circonstances de la cause et les éléments matériels de l’affaire, les allégations de l’auteur selon lesquelles son fils a été battu et détenu illégalement pendant une longue période pour qu’il fasse des aveux ont été rejetées. Il ressort du dossier que Karimov est parti en Fédération de Russie après le crime. Le 4 mai 2001, le Procureur tadjik l’a inculpé en son absence de terrorisme et un mandat d’arrêt a été lancé contre lui. C’est en vertu de ce mandat qu’il a été arrêté à Moscou le 14 juin 2001. Il a été transféré à Douchanbé le 25 juin 2001. L’État partie affirme, sans apporter de preuve, qu’à son arrivée à Douchanbé, Karimov a été examiné par un médecin qui n’a constaté sur son corps aucune lésion due à un mauvais traitement. Le 28 juin 2001, en la présence de son avocat, Karimov a fait un récit détaillé du crime sur les lieux où il avait été commis et, le 30 juin 2001, lors d’une confrontation avec le coaccusé Mirzoev et ici encore en présence de l’avocat de Karimov, les deux coaccusés ont réaffirmé qu’ils avaient participé au crime.

4.7 Le 3 juillet 2001, Karimov s’est vu désigner un nouvel avocat et a expliqué en détail en la présence de ce dernier, au cours d’une reconstitution du crime sur les lieux mêmes, comment il l’avait commis.

4.8 L’État partie affirme, sans davantage apporter de preuve, que le 9 juillet 2001, Karimov a été de nouveau examiné par un médecin; selon les conclusions de cet examen consignées dans le dossier, il n’y avait sur le corps de Karimov aucune marque de violences ni lésion.

Cas d’Askarov et des frères Davlatov

5. Le 27 juillet 2004, l’État partie a informé le Comité que suite à une mesure de grâce présidentielle, les condamnations à mort d’Askarov et des frères Davlatov avaient été commuées en une longue peine d’emprisonnement. Bien qu’il en ait été prié à plusieurs reprises (le 10 mars 2003, le 20 septembre 2004, le 17 novembre 2005 et le 30 novembre 2006) l’État partie n’a pas fait parvenir d’observations supplémentaires.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité note que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale, comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 Les auteurs affirment que les droits garantis aux paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte ont été violés parce qu’ils ont été arrêtés illégalement et détenus pendant une longue période sans avoir été inculpés. En ce qui concerne Karimov, l’État partie fait valoir qu’à la suite de l’ouverture de la procédure pénale pour le meurtre et compte tenu des déclarations des autres codéfendeurs, il a été inculpé de participation à l’assassinat et un mandat de recherche a été lancé contre lui. L’État partie n’a pas fait de commentaires sur ce sujet en ce qui concerne le frère et les cousins de M. Nursatov. Le Comité note toutefois que les informations dont il est saisi ne lui permettent pas d’établir la date exacte de l’arrestation de chacun et qu’il ignore encore si la question a été soulevée au tribunal. Dans ces circonstances, le Comité considère que cette partie de la communication n’a pas été étayée aux fins de la recevabilité et la déclare donc irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4 Les deux auteurs affirment qu’en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, les garanties d’un procès équitable n’ont pas été respectées et que le tribunal a fait preuve de partialité (voir plus haut par. 2.9 et 2.18). L’État partie n’a pas commenté ces allégations. Le Comité note toutefois que toutes ces allégations se rapportent essentiellement à l’appréciation des faits et des éléments de preuve par le tribunal. Il rappelle que c’est généralement aux juridictions des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve d’une affaire particulière, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice . Il est toutefois du ressort du Comité de déterminer si le procès s’est déroulé dans le respect de l’article 14 du Pacte. En l’espèce, le Comité estime que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leur plainte aux fins de cette disposition et considère par conséquent que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 Les auteurs affirment qu’en violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte, le tribunal a entendu les témoignages en faveur des victimes présumées mais n’en a simplement fait aucun cas. L’État partie n’a fait aucune observation à ce propos. Le Comité note cependant que les informations dont il est saisi montrent que le tribunal a bien étudié les témoignages en question et a conclu qu’ils constituaient une stratégie de défense. En outre, ces allégations se rapportent essentiellement à l’appréciation des faits et des preuves par le tribunal. Le Comité rappelle que c’est aux juridictions des États parties qu’il appartient en général d’apprécier les faits et les éléments de preuve, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. En l’absence d’autres informations pertinentes montrant que l’appréciation des preuves par le tribunal a en l’espèce été entachée de telles irrégularités, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6 Le Comité considère que les autres griefs de M. Karimov et de M. Nursatov relatifs aux articles 6 et 7, lus conjointement avec le paragraphe 3 g), au paragraphe 2 de l’article 14, et à l’article 10 en ce qui concerne les quatre victimes présumées et au paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 en ce qui concerne M. Karimov et M. Askarov, sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc recevables.

Examen au fond

7.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2 Les auteurs affirment que les enquêteurs ont frappé et torturé les victimes présumées pour les forcer aux aveux. Ces allégations ont été formulées devant le tribunal et dans le contexte de la communication. L’État partie a répondu qu’en ce qui concernait M. Karimov, ces allégations n’étaient pas corroborées par les pièces du dossier et que la victime présumée avait été examinée deux fois par des médecins, qui n’avaient pas constaté de marques de torture sur son corps. L’État partie n’a fait aucun commentaire au sujet des allégations de torture concernant M. Askarov et les frères Davlatov. En l’absence de toute autre information sur le sujet de la part de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs. Le Comité rappelle que lorsqu’il a été porté plainte pour mauvais traitements, constituant une violation de l’article 7, la plainte doit faire l’objet d’une enquête rapide et impartiale par les autorités compétentes des États parties . En l’espèce, les auteurs ont donné une description suffisamment détaillée des tortures subies par M. Karimov, M. Askarov et les frères Davlatov et ont désigné certains des enquêteurs qui en étaient responsables. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, l’État partie n’a pas apporté la preuve que ses autorités avaient examiné comme il convient les griefs de torture avancés par les auteurs. Dans ces conditions, il conclut que les faits tels qu’ils ont été présentés font apparaître une violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

7.3 Les deux auteurs affirment que les conditions de détention dans les locaux du Ministère de l’intérieur n’étaient pas adéquates pour une longue période. Ils soulignent que les victimes présumées sont restées illégalement détenues pendant des périodes excédant largement les délais autorisés par la loi pour la détention dans les locaux du Ministère de l’intérieur et au Centre de détention temporaire. Au cours de cette période, les colis envoyés par les familles aux victimes présumées ne leur ont pas été transmis et la nourriture n’était pas suffisante. En outre, M. Askarov et les frères Davlatov n’ont rien eu à manger pendant les trois premiers jours de leur détention. L’État partie n’a pas commenté ces allégations. Dans ces conditions, le crédit voulu doit être accordé aux griefs des auteurs. Le Comité considère donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits garantis par l’article 10 du Pacte à M. Karimov, M. Askarov et aux frères Davlatov.

7.4 M. Karimov et M. Nursatov affirment que la règle de la présomption d’innocence a été violée étant donné qu’au tribunal les victimes présumées avaient été placées dans une cage métallique et étaient menottées. Un officier de haut rang avait déclaré en public au début du procès qu’il était impossible de leur enlever les menottes parce qu’ils étaient de dangereux criminels et pouvaient s’évader. L’État partie n’a pas fait parvenir d’observations pour réfuter cette partie de la plainte. Dans ces circonstances il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs. Le Comité estime que les faits tels qu’ils ont été présentés font apparaître une violation des droits garantis au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

7.5 Les deux auteurs dénoncent des violations du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte. Le premier auteur fait état de violation du droit à la défense de M. Karimov étant donné que bien que les autorités aient chargé un avocat de défendre M. Karimov au début de l’enquête préliminaire, cet avocat a participé à l’instruction occasionnellement seulement, au point que l’auteur a dû engager un autre avocat à titre privé pour représenter son fils. M. Nursatov affirme que son frère Askarov n’a pas bénéficié des services d’un avocat au début de l’enquête préliminaire alors qu’il risquait la peine de mort; lorsqu’un avocat lui a été commis d’office, ce dernier s’est montré inefficace; et l’avocat engagé à titre privé par sa famille a été plus tard contraint de se retirer. L’État partie n’a pas réfuté ces allégations. Dans ces circonstances, le Comité conclut que le crédit voulu doit leur être accordé dans la mesure où elles ont été étayées. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que, dans les affaires où les accusés sont passibles de la peine capitale, il est essentiel qu’ils bénéficient de l’assistance d’un avocat à tous les stades de la procédure. En l’espèce, le Comité conclut que les droits garantis à M. Karimov et à M. Askarov en vertu du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 ont été violés.

7.6 Le Comité rappelle que le fait de prononcer une condamnation à mort à l’issue d’un procès qui ne satisfait pas aux conditions d’une procédure équitable constitue une violation de l’article 6 du Pacte. En l’espèce, en ce qui concerne toutes les victimes, les condamnations à mort ont été prononcées en violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, et en violation du paragraphe 2 de l’article 14. En outre, en ce qui concerne M. Karimov et M. Askarov, la condamnation à mort a été prononcée en violation des garanties d’un procès équitable énoncées au paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte. Le Comité conclut donc que les droits garantis au paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte ont aussi été violés.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation dans le cas des frères Davlatov des droits garantis au paragraphe 2 de l’article 6, à l’article 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 lus conjointement, à l’article 10 et au paragraphe 2 de l’article 14, ainsi que, dans le cas de MM. Karimov et Askarov, des droits consacrés au paragraphe 2 de l’article 6, à l’article 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 lus conjointement, à l’article 10 et aux paragraphes 2 et 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à MM. Karimov et Askarov et à MM. Abdumadzhid Davlatov et Nazar Davlatov une réparation utile sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est aussi tenu de faire en sorte que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

I. Communication n o  1071/2002, Agabekov c. Ouzbékistan*(Constatations adoptées le 16 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Nadezhda Agabekova (non représentée par un conseil)

Au nom de :

Valery Agabekov, fils de l’auteur

État partie :

Ouzbékistan

Date de la communication :

11 avril 2002 (date de la lettre initiale)

Objet : Condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable; obligation d’enquêter sur

les allégations de mauvais traitement

Questions de fond : Torture; procès inéquitable; droit à la vie

Questions de procédure : Appréciation des faits et des éléments de preuve; fondement de la plainte

Articles du Pacte : 6, 7, 10, 14, 15, 16

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  1071/2002 présentée au nom de M. Valery Agabekov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur est M me  Nadezhda Agabekova, de nationalité ouzbèke, née en 1953, qui présente la communication au nom de son fils, Valery Agabekov, également de nationalité ouzbèke, né en 1975, lequel, au moment où la communication a été présentée, avait été condamné à mort par le tribunal régional de Tachkent. L’auteur affirme que son fils est victime d’une violation par l’Ouzbékistan des droits qui lui sont reconnus par les articles 6, 7, 10, 14, 15 et 16 du Pacte . Elle n’est pas représentée par un conseil.

1.2 Le 11 avril 2002, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, a prié l’État partie de ne pas procéder à l’exécution de M. Agabekov tant que la communication était en cours d’examen devant le Comité. Le 30 mai 2002, l’État partie a répondu que la peine capitale prononcée contre la victime présumée avait été commuée en une peine de vingt ans de réclusion le 23 avril 2002, et qu’à la suite d’une loi d’amnistie la durée de cette peine de prison avait encore été réduite d’un tiers.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 29 janvier 2001, le fils de l’auteur et son beau ‑frère, Annenkov, ont été arrêtés parce qu’ils étaient soupçonnés du meurtre avec vol qualifié, le 27 janvier 2001, d’une connaissance, M., ainsi que de la personne qui était avec lui, S.

2.2 Durant la phase initiale de l’enquête, les enquêteurs auraient roué de coups et torturé les deux suspects pour les contraindre à avouer leur culpabilité. L’auteur fournit trois lettres non datées émanant de son fils, dans lesquelles il se dit innocent et affirme qu’il a seulement attendu devant la porte de l’appartement des deux personnes assassinées, et que c’était Annenkov qui était entré dans l’appartement et les avait tuées après une dispute sur des questions d’argent, vers 7 heures du matin, le 27 janvier 2001. Ce n’est qu’après le meurtre que son beau ‑frère l’a fait entrer dans l’appartement. Il donne des détails sur les mauvais traitements et les tortures qu’il aurait subis pendant la première semaine de l’enquête: il affirme qu’on l’a battu et que les enquêteurs ont tenté de le violer alors qu’il était attaché par des menottes à un radiateur, et, comme il résistait, ils lui ont tapé la tête sur le radiateur. Il affirme aussi qu’on l’a battu en lui maintenant la tête dans un sac plastique afin d’aggraver ses souffrances en l’empêchant de respirer et que, lorsqu’il a demandé à voir un médecin, les enquêteurs lui ont dit qu’ils pourraient seulement appeler un fossoyeur. Il déclare que son beau ‑frère a également été battu, qu’il a eu des côtes cassées et urinait du sang.

2.3 L’auteur affirme qu’elle a rendu visite à son fils (à une date non précisée) dans le quartier d’isolement du centre de détention temporaire d’Akhangaran, et l’a trouvé en très mauvais état: il avait la tête et les cheveux couverts de sang, le visage tuméfié et déformé, il ne pouvait pas parler et pouvait à peine bouger les lèvres. Il a chuchoté qu’il avait mal partout, qu’il était incapable de marcher et de se tenir debout, qu’il urinait du sang et qu’il ne pouvait pas parler parce qu’il avait la mâchoire disloquée ou brisée. L’auteur a demandé à l’administration pénitentiaire de faire examiner son fils par un médecin, mais on lui a répondu que, lorsqu’il serait en prison, on lui appliquerait sur le visage du «zelionka» (antiseptique vert). On lui aurait dit que ce traitement était généralement réservé aux condamnés à mort.

2.4 L’enquête préliminaire a pris fin le 8 mai 2001. Agabekov et Annenkov ont été inculpés de meurtre, de vol qualifié, ainsi que d’acquisition et de détention illicites de grandes quantités d’héroïne.

2.5 Le 18 septembre 2001, le tribunal régional de Tachkent a déclaré Agabekov et son coaccusé coupables d’agression préméditée, perpétrée en réunion, et de meurtre sur deux personnes à des fins crapuleuses, avec circonstances aggravantes, ainsi que d’acquisition et de détention illicites d’héroïne. Le tribunal les a condamnés à mort, avec confiscation de leurs biens.

2.6 Selon l’auteur, au début du procès, son fils s’est plaint des tortures et des mauvais traitements qu’il avait subis et a demandé une enquête ainsi qu’un examen médical, mais le Président du tribunal a rejeté ses requêtes en affirmant qu’il «était un meurtrier» et qu’il essayait simplement de se soustraire à sa responsabilité pénale.

2.7 Le 12 novembre 2001, la chambre d’appel du tribunal régional de Tachkent a modifié la peine, en excluant la confiscation des biens. Les condamnations à la peine capitale ont toutefois été maintenues.

2.8 L’auteur déclare que, lorsqu’elle a rendu visite à son fils le 11 avril 2002, elle a appris qu’on lui avait fait signer une renonciation à tout droit de solliciter une grâce présidentielle. Lorsqu’elle a demandé des éclaircissements, les autorités de la prison lui ont répondu que lorsqu’une personne ne reconnaissait pas sa culpabilité, elle devait renoncer à tout recours en grâce .

2.9 Le 23 avril 2002, la Cour suprême d’Ouzbékistan a modifié les peines prononcées contre Agabekov et Annenkov et a commué les condamnations à mort en peines de vingt ans de réclusion. La loi d’amnistie du 22 août 2001 leur a également été appliquée, et la durée de la peine leur restant à purger a été réduite d’un tiers.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme qu’en violation de l’article 6 du Pacte, le tribunal régional de Tachkent a condamné son fils à la peine capitale de manière arbitraire, alors que la loi prévoyait une peine de prison comme peine de substitution possible (de quinze à vingt ans de réclusion). Après sa condamnation, on lui aurait fait signer une déclaration dans laquelle il renonçait au droit de solliciter une grâce présidentielle.

3.2 L’auteur affirme que son fils a été torturé et maltraité par les enquêteurs, afin de le forcer à passer aux aveux. Son fils a demandé à la juridiction de jugement d’ordonner une enquête et un examen (médical) sur les suites des coups qu’il avait reçus, mais sa demande a été rejetée. Pendant l’enquête préliminaire, l’auteur et son fils ont demandé, en vain, que celui ‑ci soit soigné par un médecin. Cette partie de la communication semble soulever des questions au titre des articles 7 et 10 du Pacte, même si l’auteur n’invoque pas spécifiquement ces dispositions.

3.3 Selon l’auteur, les garanties d’une procédure régulière n’ont pas été respectées lors du procès de son fils. Elle affirme que: a) le Président du tribunal avait décidé que son fils était coupable avant la fin du procès; b) les éléments de preuve n’ont pas été examinés de manière approfondie ni objective; c) son fils a été déclaré coupable sur la base, essentiellement, du témoignage d’Annenkov, alors que le couteau du crime a été trouvé au domicile d’Annenkov; d) les enquêteurs n’ont pas procédé à une reconstitution du crime, se bornant à interroger Annenkov sur les lieux du crime et ni l’enquête ni le tribunal n’ont pu établir qui exactement avait donné la mort aux victimes; e) le tribunal a admis tous les chefs d’accusation, démontrant ainsi que le procès était entaché de partialité; f) pendant le procès, le Président du tribunal a constamment humilié les deux coaccusés, interrompu Agabekov et fait des commentaires sur ses réponses, manquant ainsi à son devoir d’impartialité.

3.4 L’auteur fait valoir que la condamnation de son fils a été arrêtée sans que soient prises en compte les informations concernant sa personnalité et sa situation financière − c’est ‑à ‑dire qu’il est père d’un jeune enfant et qu’il a une bonne réputation dans sa vie privée et sa vie professionnelle. Le tribunal n’a pas pris en compte le fait qu’avant le meurtre, M. avait aussi commis des actes délictueux.

3.5 La présomption d’innocence aurait été violée dans le cas de M. Agabekov puisqu’il a été obligé de prouver son innocence, et le tribunal a établi sa culpabilité sur la base de preuves indirectes. L’article 463 du Code pénal ouzbek stipule que les condamnations doivent être fondées sur des preuves obtenues après vérification de toutes les circonstances possibles ayant entouré la perpétration du crime. L’auteur déclare que les tribunaux ont simplement écarté les doutes concernant la culpabilité de son fils.

3.6 Selon l’auteur, le tribunal a considéré à tort que le meurtre avait été commis «avec une violence particulière». La «violence particulière» s’applique seulement aux affaires dans lesquelles la victime est soumise à des actes de torture ou d’humiliation. Dans le cas de son fils, selon l’auteur, les victimes n’ont pas fait l’objet de torture mais sont mortes sur le coup.

3.7 Enfin, et sans étayer cette allégation, l’auteur affirme que son fils est également victime de violation des droits qui lui sont reconnus aux articles 15 et 16 du Pacte.

Observations de l’État partie

4.1 L’État partie a présenté ses observations le 30 mai 2002. Il rappelle que, le 18 septembre 2001, M. Annenkov et son coaccusé ont été déclarés coupables et condamnés à mort, avec confiscation de leurs biens, par le tribunal régional de Tachkent, pour meurtre accompagné de vol qualifié sur M. et S., la personne qui était avec lui. Sous prétexte d’emprunter de l’argent à leurs victimes, ils se sont présentés à l’appartement de M. et ont donné plusieurs coups de couteau aux deux personnes, avec une violence toute particulière. Les victimes sont décédées de leurs blessures et d’hémorragie. Après avoir pris 28 000 soms et des interrupteurs électriques d’une valeur de 4 600 soms, ils sont partis. Plus tard dans la journée, ils ont acheté six doses d’héroïne à un certain K. et, après s’en être injecté quatre, ont gardé les deux autres sur eux. Elles ont ensuite été saisies dans l’appartement d’Annenkov.

4.2 Le 12 novembre 2001, le tribunal régional de Tachkent a requalifié les crimes se rattachant aux meurtres , mais il a maintenu les condamnations à mort. Le 23 avril 2002, la Cour suprême a annulé les condamnations à mort et les a commuées en peine de vingt ans de réclusion.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 L’auteur a présenté des commentaires le 30 août 2002. Elle confirme que son fils a quitté le quartier des condamnés à mort le 10 mai 2002. Elle note que l’État partie, dans sa réponse, ne donne pas d’information sur les enquêtes menées au sujet des tortures et des mauvais traitements subis par son fils aux mains des policiers du Département régional du Ministère des affaires intérieures d’Akhangaran. Elle rappelle que son fils a reçu plusieurs blessures pendant l’enquête préliminaire, et que, lorsqu’il s’en est plaint au tribunal et a donné les noms des responsables (le chef du Département des enquêtes judiciaires, R. Kh, ses subordonnés, ainsi qu’un enquêteur du parquet, F.), le tribunal a répondu que ces allégations constituaient une stratégie de défense.

5.2 L’auteur déclare que son fils ne s’est jamais avoué coupable, ni pendant l’enquête ni au procès, qu’il a été un simple témoin sur les lieux du crime et qu’il n’y avait pas de preuve directe de sa participation aux meurtres. Aux termes de l’article 23 du Code pénal ouzbek, un accusé n’a pas à prouver son innocence. Tous les doutes entourant la culpabilité doivent bénéficier à l’accusé. Toutefois, selon l’auteur, le tribunal n’a pas respecté ce principe en jugeant son fils.

5.3 Par des lettres datées du 20 septembre 2004, du 16 juin 2005 et du 18 novembre 2006, l’auteur a été priée de fournir des informations complémentaires. Aucune réponse n’a été reçue. Le 4 décembre 2006, l’auteur a fait savoir au Comité que son fils était toujours emprisonné dans une colonie pénitentiaire à Akhangaran.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité note, comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance international e d’enquête ou de règlement et que l’État partie n’a élevé aucune objection à propos de la question du non ‑épuisement des recours internes.

6.3 L’auteur fait valoir que les droits reconnus à son fils à l’article 6 du Pacte ont été violés puisqu’il a été condamné à mort sans que soit envisagée la possibilité d’une peine de substitution et qu’on lui a fait ensuite signer une déclaration dans laquelle il renonçait à son droit de solliciter une grâce. L’État partie n’a pas fait de commentaire sur ces allégations. Le Comité note que la condamnation à mort du fils de l’auteur a été commuée en une peine de vingt ans de réclusion par la Cour suprême, le 23 avril 2002. De surcroît, et malgré la teneur du paragraphe 2.8 ci ‑dessus, le Comité note que l’auteur, le 12 avril 2002, a effectivement déposé un recours en grâce auprès du Cabinet présidentiel et qu’un autre recours en grâce a été déposé par quatre de ses voisins à une date non précisée. Dans ces conditions, et en l’absence de toute autre information pertinente fournie par les parties à cet égard, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 Le Comité prend note des allégations de l’auteur (au titre de l’article 14) qui sont exposées aux paragraphe s 3.3 à 3.7 ci ‑dessus et qui n’ont pas été réfutées par l’État partie. Il observe toutefois que ces allégations concernent principalement l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux. Il rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice . En l’absence de tout autre élément d’information pertinent susceptible d’établir que l’appréciation des éléments de preuve a pâti de ces irrégularités en l’espèce, ainsi qu’en l’absence de copie des minutes du procès ou de copies des plaintes déposées à ce sujet, ou d’informations sur la réaction des autorités auxdites plaintes, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 Le Comité considère en outre que l’allégation de l’auteur, selon laquelle son fils est victime d’une violation des articles 15 et 16 du Pacte est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif car insuffisamment étayée.

6.6 Le Comité considère que l es autres allégations de l’auteur, qui semblent soulever des questions au titre des articles 7 et 10 (voir les paragraphes 2.2, 2.3, 2.6 et 3.2 ci ‑dessus), ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité.

Examen au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 L’auteur affirme que les enquêteurs ont torturé et maltraité son fils afin de l’obliger à s’avouer coupable, que lorsqu’il a demandé à être soigné par un médecin cela lui a été refusé, et que lorsqu’il s’est plaint à l’audience d’avoir été torturé, le Président du tribunal a refusé d’ordonner une enquête ou de demander un examen médical. Le Comité rappelle que lorsqu’une plainte est déposée pour torture et mauvais traitements contraires à l’article 7 du Pacte, l’État partie est dans l’obligation de procéder à une enquête rapide et impartiale . En l’absence de toute information fournie par l’État partie, en particulier sur toute enquête menée par les autorités dans le cadre du procès pénal concernant le fils de l’auteur ou dans le cadre de la présente communication, et compte tenu de la description détaillée que l’auteur a donnée des mauvais traitements subis par son fils aux mains des enquêteurs, des méthodes de torture utilisées et des noms des responsables, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Vu  les circonstances de l’affaire, le Comité conclut que les faits tels qu’ils sont présentés font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte.

7.3 Compte tenu de la conclusion ci ‑dessus, le Comité n’a pas besoin d’examiner la plainte de l’auteur au titre de l’article 10.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits reconnus au fils de l’auteur par l’article 7 du Pacte.

9. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir un recours utile et sous la forme d’une indemnisation à M. Agabekov. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent plus à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

J. Communication n o  1124/2002, Obodzinsky c. Canada*(Constatations adoptées le 19 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Walter Obodzinsky, décédé, et sa fille Anita Obodzinsky (non représentés)

Au nom de :

Walter Obodzinsky

État partie :

Canada

Date de la communication :

30 septembre 2002 (date de la lettre initiale)

Objet : Procédure de révocation de la citoyenneté contre un homme âgé et en mauvaise santé

Questions de procédure : Plainte non étayée; recevabilité ratione materiae ; non ‑épuisement des voies de recours internes

Questions de fond : Droit à la vie; traitement cruel, inhumain ou dégradant; liberté et sécurité de la personne; procès équitable; protection de la vie privée et de la réputation

Articles du Pacte : 6, 7, 9, 14, 17

Articles du Protocole facultatif : 2, 3, 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  1124/2002 présentée par Walter Obodzinsky (décédé) et sa fille Anita Obodzinsky au nom de Walter Obodzinsky, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication, datée du 30 septembre 2002, est Walter Obodzinsky, de nationalité canadienne. Il est mort le 6 mars 2004. Sa fille, Anita Obodzinsky, a exprimé le souhait de maintenir la communication. Walter Obodzinsky affirmait être victime de violations par le Canada des articles 6, 7, 9, 14 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Sa fille et lui ‑même ne sont pas représentés. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour le Canada le 19 août 1976.

1.2 Le 7 octobre 2002, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a rejeté la demande de mesures provisoires de l’auteur visant à ce que la procédure de révocation de sa nationalité soit suspendue.

Exposé des faits

2.1 L’auteur est né le 7 mai 1919 à Turez, un village polonais passé sous le contrôle de l’ex ‑URSS en 1939. Ce village fait aujourd’hui partie du territoire de la Biélorussie. D’après l’État partie, l’auteur a volontairement rejoint la force policière de la région de Mir en Biélorussie, avec laquelle il a servi de l’été 1941 jusqu’au printemps 1943. L’État partie affirme que cette unité a participé à la commission d’atrocités à l’endroit de la population juive et des personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les partisans et que l’auteur est ensuite devenu le leader d’un peloton dans une unité spécialisée dans la lutte contre les partisans à Baranovichi. Durant l’été 1944, après le retrait des forces militaires allemandes de la Biélorussie, il a été intégré dans une division des Waffen SS et a été envoyé en France, où il a déserté. Il a alors rejoint le II e corps polonais, à l’époque cantonné en Italie et commandé par les Britanniques.

2.2 L’auteur est arrivé au Canada le 24 novembre 1946 dans le cadre d’un décret du Gouvernement canadien proposant d’accueillir au Canada 4 000 ex ‑membres des Forces armées polonaises. Il a obtenu la résidence permanente en avril 1950 et est devenu citoyen canadien le 21 septembre 1955.

2.3 En janvier 1993, le Gouvernement canadien a été informé par la «British War Crimes Unit» du fait que divers témoignages entendus en Angleterre relient l’auteur aux forces nazies et à des actes criminels. L’auteur a été retrouvé au Canada en 1995. Le Programme canadien sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre mène alors une enquête. Au cours de cette enquête, l’auteur a été interrogé et a signalé ses problèmes cardiaques. L’enquête a conclu que l’auteur a obtenu son admission au Canada de façon frauduleuse.

2.4 Le processus de révocation de la citoyenneté de l’auteur a été entamé le 27 juillet 1999, lorsque le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration a notifié celui ‑ci de son intention de faire rapport au Gouverneur en conseil en vertu des articles 10 et 18 de la loi sur la citoyenneté. Lorsque l’auteur a reçu cette notification le 30 juillet 1999, il a eu des malaises cardiaques. Le 19 août 1999, il a fait un infarctus qui a nécessité une hospitalisation de deux semaines. Il souffrait de troubles cardiaques depuis son premier infarctus en 1984. Étant donné la mise en péril de sa vie, l’auteur a fait connaître l’ensemble des informations médicales le concernant dans l’espoir que le Gouvernement canadien abandonnerait la procédure de révocation. Le 24 août 1999, l’auteur a demandé le renvoi de l’affaire devant la Section de première instance de la Cour fédérale afin qu’elle détermine s’il avait acquis sa citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

2.5 Le 4 mai 2000, l’auteur a demandé à la Section de première instance de la Cour fédérale d’ordonner la suspension permanente des procédures de révocation de citoyenneté au motif qu’étant donné son âge avancé et son état de santé précaire, l’introduction et le maintien même de telles procédures contrevenaient à ses droits constitutionnels lui garantissant vie, liberté et sécurité de sa personne. Le 12 octobre 2000, la Cour fédérale a rejeté cette requête. Elle a cependant noté que l’état de santé précaire de l’auteur rendait difficile, voire impossible, pour lui de participer activement aux procédures en cours sans aggraver son état. Elle a également précisé que la suspension demandée aurait été justifiée en raison de l’état de santé de l’auteur s’il s’était agi d’une cause criminelle. Toutefois, l’article 7 de la Charte canadienne garantissant à l’accusé le respect des principes de justice fondamentale, y compris le droit à une défense pleine et entière, ne s’applique qu’aux procédures pénales.

2.6 L’auteur a fait appel de cette décision en ajoutant que la procédure constituait un traitement cruel et inusité. Le 17 mai 2001, à l’issue de l’audience devant la Cour d’appel fédérale, l’auteur a été à nouveau victime d’une défaillance cardiaque qui a nécessité son hospitalisation. Le 23 mai 2001, la Cour d’appel fédérale a rejeté son appel. Le 9 juillet 2001, la même Cour a ordonné la suspension temporaire de la procédure durant la demande d’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême et durant le pourvoi, le cas échéant. Cette décision a été rendue après la présentation de plusieurs attestations sous serment établies par des médecins qui avaient examiné l’auteur. La plupart de ces attestations concluaient que la poursuite de la procédure judiciaire aggraverait la tension nerveuse de l’auteur mais ne concluaient pas que la poursuite de la procédure mettrait sa vie en danger. Deux attestations concluaient que compte tenu de l’âge de l’auteur et des défaillances cardiaques dont il avait été victime auparavant, il n’aurait pas la «capacité cardiovasculaire» de supporter une procédure judiciaire prolongée. Le 14 février 2002, la Cour suprême a refusé d’entendre le pourvoi de l’auteur.

2.7 Le 3 avril 2002, l’auteur a présenté à la Section de première instance de la Cour fédérale une nouvelle requête lui demandant de statuer préalablement au déroulement des auditions sur une question préliminaire, à savoir si les articles 10 et 18 de la loi sur la citoyenneté étaient contraires au droit constitutionnel canadien. Le 13 juin 2002, la Section de première instance a rejeté cette requête. Le 8 septembre 2002, l’auteur a présenté de nouveau sa demande. Le 7 octobre 2002, la Section de première instance l’a de nouveau rejetée et a remis à plus tard sa décision quant à la constitutionnalité des dispositions législatives permettant une telle procédure.

2.8 Les auditions visant à déterminer si l’auteur a obtenu sa citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels ont débuté le 12 novembre 2002 devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Au cours de l’argumentation finale en mars 2003, l’auteur a de nouveau plaidé la question de la constitutionnalité des dispositions législatives relatives à la procédure de révocation de sa citoyenneté.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur estime être victime de violations par le Canada des articles 6, 7, 9, 14 et 17 du Pacte parce que la poursuite des procédures risque de mettre en péril sa santé et sa vie. Il fait valoir qu’il a produit de nombreuses preuves médicales non contestées par l’État partie démontrant que ses capacités sont atteintes ou diminuées au point de ne pas lui permettre de se défendre sans mettre sa vie et santé en danger, qu’il se trouve dans l’impossibilité de collaborer avec son conseil pour la préparation de sa défense, et qu’il ne peut assister à aucune audience ou enquête. Il rappelle que le droit à la vie, à la sécurité et à ne pas être soumis à des traitements cruels et inhumains sont des droits fondamentaux et qu’aucune dérogation aux articles 6, 7 et 9 du Pacte n’est permise. Il insiste que de lui faire subir un procès pourrait aboutir à la perte de tout statut au Canada, à son expulsion et à le faire mourir. En ce qui concerne l’article 17, l’auteur fait valoir que sa réputation peut être gravement atteinte et sa vie privée violée.

3.2 En ce qui concerne l’article 14, l’auteur répète qu’à cause de son état de santé, il est incapable de se défendre. Il précise que, malgré le fait que ce soit le Gouverneur en conseil qui puisse seul révoquer la citoyenneté à la fin de la procédure, la loi ne prévoit aucun droit d’être entendu devant lui. Aucun droit de participation n’est prévu (sauf pour le ministre). Le rapport du ministre n’est pas divulgué pour fins de réponse. L’auteur estime donc que l’État partie viole l’article 14 puisque les citoyens naturalisés qui sont visés par une procédure de révocation de citoyenneté ne peuvent être entendus par le décideur. Il considère que la procédure vise à punir les citoyens canadiens naturalisés tels que l’auteur parce qu’ils sont soupçonnés d’avoir été des collaborateurs durant la Seconde Guerre mondiale.

3.3 L’auteur fait valoir qu’il a épuisé les recours internes disponibles pour obtenir la suspension des procédures puisque la Cour suprême a refusé d’examiner son pourvoi. Il demande que l’État partie retire la procédure contre lui.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Par une note verbale du 23 juillet 2003, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Premièrement, il rappelle que l’auteur n’a pas de droit en tant que tel à la citoyenneté, et que puisque le Pacte ne prévoit pas un tel droit, la communication est irrecevable en vertu de l’article premier et de l’article 3 du Protocole facultatif. Il fait également valoir que la procédure en révocation de la citoyenneté ne constitue ni un procès pénal, ni une procédure comparable ou autrement punitive, puisqu’elle est de nature civile. La présence de l’auteur n’est pas requise lors des procédures et elle a de toute façon été assurée par ses conseillers juridiques. La révocation de la citoyenneté est une étape séparée du renvoi puisque des procédures distinctes devront être entamées en vertu de l’article 44 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et puisque le Ministre conserve néanmoins le pouvoir d’autoriser l’auteur à demeurer au Canada. Cette communication porte en réalité sur la question de savoir si le fait que le Gouvernement canadien introduise et maintienne une procédure judiciaire civile visant à révoquer son statut de citoyen porte atteinte au Pacte.

4.2 En second lieu, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles. Si l’auteur a épuisé les recours internes en ce qui concerne ses allégations que l’existence même des procédures de révocation de citoyenneté menace sa vie, la décision sur le bien ‑fondé de la contestation constitutionnelle des dispositions législatives donnant lieu à ces procédures n’a toujours pas été rendue. Quant à l’allégation de l’auteur que l’existence même des procédures de révocation de citoyenneté constitue une atteinte arbitraire à sa vie privée et sa réputation, au regard de l’article 17 du Pacte, l’État partie soutient que l’auteur n’a aucunement tenté d’obtenir réparation au niveau interne. Aucune action civile en diffamation ou pour atteinte à la réputation n’a été engagée contre l’État partie.

4.3 En troisième lieu, l’État partie estime qu’il y a une absence de preuve de violations prima facie et que la communication est incompatible ratione materiae . En ce qui concerne l’article 6 du Pacte, il considère que la situation soulevée par l’auteur dans sa communication, c’est ‑à ‑dire le caractère fatal de la simple introduction de procédures civiles contre une personne âgée et malade, n’est aucunement visée par l’article 6, étant donné l’interprétation qu’en a adoptée le Comité . C’est l’auteur qui a décidé, suite à la notification reçue du ministre, de plein droit, de renvoyer la question devant les tribunaux, et les procédures en question n’exigent ni sa présence, ni sa participation active. Par conséquent, la communication ne révèle aucune preuve que la simple introduction des procédures de révocation de citoyenneté s’élève au niveau d’une violation prima facie du droit à la vie de l’auteur. De même, il estime que la communication est irrecevable ratione materiae .

4.4 En ce qui concerne l’article 7, l’État partie note que l’auteur n’a pas étayé son argument selon lequel l’introduction d’une procédure de révocation de citoyenneté constitue un traitement cruel et inhumain. L’introduction d’une telle procédure ne constitue pas une «peine» au sens de l’article 7. À la lumière de la jurisprudence du Comité sur l’article 7 , le stress et l’incertitude prétendument causés par l’existence même des procédures n’atteignent pas un niveau d’angoisse suffisant pour enfreindre cette disposition. En conséquence, la communication ne révèle aucune preuve prima facie d’une quelconque peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant et est de toute façon incompatible ratione materiae .

4.5 En ce qui concerne l’article 9, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas étayé l’allégation selon laquelle l’introduction de procédures de révocation de citoyenneté viole cette disposition. L’article 9 est appliqué surtout, bien que pas exclusivement, à la justice pénale, et l’interprétation de cette disposition par le Comité est moins large que le sous ‑entend la plainte de l’auteur . De toute façon, l’auteur n’a été ni détenu ni arrêté. Quant à la sécurité de sa personne, l’État partie considère qu’il n’interfère aucunement avec l’intégrité physique ou psychologique de l’auteur au sens de l’article 9. Par conséquent, l’État partie estime que la présente communication ne révèle aucune preuve d’une quelconque violation prima facie de l’article 9. Subsidiairement, l’auteur interprète erronément le contenu et la portée de l’article 9 et la communication devrait donc être jugée irrecevable ratione materiae .

4.6 En ce qui concerne l’article 14, l’État partie fait valoir que cette disposition ne s’applique que lorsqu’une procédure pénale est enclenchée ou lorsque des droits civils ou patrimoniaux sont en cause, ce qui n’est pas le cas en l’espèce . Il invoque la jurisprudence du Comité qui n’a pas tranché la question de savoir si les procédures en immigration sont de telles «contestations sur des droits et obligations de caractère civil» . Toutefois, il estime que l’article 14, paragraphe 1, ne devrait pas trouver application. Si le Comité est d’avis que cette disposition s’applique en l’espèce, l’État partie soutient que la procédure de révocation de citoyenneté satisfait toutes les garanties contenues dans l’article 14, paragraphe 1, puisque l’auteur a bénéficié d’audiences équitables devant des tribunaux impartiaux et indépendants. D’ailleurs, l’auteur ne prétend pas que les tribunaux canadiens qui ont entendu et rejeté ses arguments ne sont pas établis par la loi ou manquent à l’obligation de compétence, d’indépendance ou d’impartialité. En outre, bien que la loi ne prévoie pas expressément un droit d’être entendu par le Gouverneur en conseil, l’État partie rappelle qu’en pratique, la personne visée par les procédures de révocation de citoyenneté se voit offrir l’occasion de faire des représentations écrites et d’expliquer pourquoi sa citoyenneté ne devrait pas être révoquée. Par conséquent, il estime que la communication ne révèle aucune preuve de violation prima facie de l’article 14, paragraphe 1 et que la communication est irrecevable ratione materiae .

4.7 En ce qui concerne l’article 17, si le Comité rejette son argument que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, l’État partie soutient que les allégations de l’auteur ne démontrent pas d’immixtion étatique de nature à violer cette disposition . S’il y a interférence avec la vie privée de l’auteur, il maintient que cette interférence est autorisée par la loi sur la citoyenneté. L’auteur n’a pas non plus étayé en quoi l’introduction de procédures de révocation de citoyenneté a porté atteinte à sa réputation. De toute façon, l’article 17 ne garantit pas un droit absolu à l’honneur et à une bonne réputation. La communication ne révèle aucune preuve d’une violation prima facie de l’article 17 et est donc irrecevable ratione materiae .

4.8 L’État partie rappelle que le Comité a indiqué à plusieurs reprises qu’il ne constitue pas une «quatrième instance», compétente pour réévaluer les conclusions de faits ou les éléments de preuve ou encore pour réviser l’interprétation et l’application du droit domestique par les tribunaux nationaux . Or, l’auteur cherche essentiellement à faire réviser par le Comité l’interprétation du droit national rendue par les instances canadiennes, puisqu’il lui demande de «corriger les erreurs» d’interprétation et d’application du droit prétendument commises par les tribunaux canadiens. Cependant, il n’a pas démontré que l’interprétation et l’application du droit interne a été manifestement déraisonnable ou empreinte de mauvaise foi.

4.9 Si le Comité estime que la communication est recevable, l’État partie soutient qu’elle est dénuée de fondement pour les raisons invoquées plus haut.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Dans ses commentaires du 17 novembre 2003, l’auteur rappelle que sa plainte ne fait aucune référence au droit à la citoyenneté. Quant aux conséquences potentielles d’un renvoi, s’il est vrai que la détermination judiciaire en cause est une étape techniquement distincte de la révocation de citoyenneté elle ‑même, qui peut être, elle aussi, distincte de la perte de résidence permanente et du renvoi, il est faux de prétendre qu’il serait prématuré de s’attarder aux conséquences potentielles de la détermination en cause. Cette détermination est le seul obstacle judiciaire à toutes les étapes suivantes. Par conséquent, le risque d’agissements contraires au Pacte en ce qui concerne les conséquences potentielles d’un renvoi est suffisamment réel et sérieux.

5.2 En ce qui concerne l’épuisement des voies de recours internes, l’auteur rappelle qu’il a demandé la suspension permanente de la procédure de révocation de citoyenneté jusqu’à la Cour suprême. Il indique également que le 19 septembre 2003, la Section de première instance de la Cour fédérale a refusé d’examiner la question de la constitutionnalité des dispositions de la loi sur la citoyenneté.

5.3 En réponse à l’argument de l’État partie que l’auteur n’a pas fourni la preuve que les procédures de révocation de citoyenneté ont pour conséquence de menacer sa vie, il rappelle qu’il a fourni plusieurs affidavits et rapports d’experts non contestés établissant que la poursuite des procédures menaçait sa vie et qu’il ne pouvait aucunement participer à sa défense. Il insiste que le maintien de la procédure viole notamment les articles 6 ou 9 du Pacte et précise que l’application de l’article 9 n’est pas limitée aux situations de détention . Il précise que s’il a demandé le renvoi devant la Cour fédérale de l’avis de révocation de la citoyenneté qui lui avait été notifié le 30 juillet 1999, cette demande a été faite avant que, suite à son infarctus du 19 août 1999, les médecins établissent le danger que représentait une telle procédure pour son état de santé. En outre, contrairement à ce qu’avance l’État partie, la preuve révèle que la présence et la participation active de l’auteur sont nécessaires pour une défense pleine et entière. Pour l’auteur, le juge de première instance a ignoré l’effet de la continuation des procédures sur sa santé.

5.4 Sur l’article 7, l’auteur précise que c’est l’effet de la procédure dans le contexte particulier de cette affaire qui entraîne une violation de ses droits et pourrait entraîner sa mort. Il insiste que la procédure vise à le punir et soutient que ces procédures sont à certains égards pires qu’une peine d’emprisonnement car elles entraînent une stigmatisation similaire à celle encourue en matière criminelle sans les garanties ou les protections fondamentales en matière criminelle. En outre, il estime que le risque de bannissement du territoire pour motifs de crimes de guerre ou contre l’humanité, à l’issue d’un jugement civil, constitue un traitement cruel et inéquitable. L’État partie préfère donc offrir une justice civile aux citoyens canadiens naturalisés soupçonnés de crimes de guerre, ce qu’il ne fait pas pour les citoyens de naissance.

5.5 Sur l’article 9, l’auteur allègue que la sécurité de la personne couvre la protection tant contre les menaces à la vie et à la liberté de la personne qu’à son intégrité physique et morale. En ce sens, elle couvre aussi sa dignité et la réputation de la personne. L’auteur rappelle qu’il risque de perdre automatiquement tout droit de résidence au Canada par le seul effet du décret de révocation de sa citoyenneté.

5.6 Sur l’article 14, l’auteur estime que cette disposition est applicable à son affaire puisqu’il s’agit d’une contestation portant sur ses droits civils, soit sa qualité de citoyen canadien. Il allègue non seulement qu’il y a violation de l’équité par les circonstances spéciales dans lesquelles il se trouve, mais également que la procédure de révocation ne permet pas d’être entendu équitablement devant le décideur. Il rappelle que cette affaire ne concerne pas l’immigration, mais la citoyenneté, et qu’il s’agit d’un droit qui ne peut être enlevé par l’exercice de la simple prérogative confirmé par la nécessité d’une détermination judiciaire préalable. Le rôle du tribunal ne peut être restreint à l’examen de la fausse déclaration, il doit être beaucoup plus étendu pour assurer le droit fondamental de voir à ce qu’une décision relative aux droits de l’auteur soit prise par un tribunal impartial. L’auteur allègue que la procédure de la loi sur la citoyenneté ne permet pas d’être entendu devant le réel décideur sur la révocation de citoyenneté et que ce dernier n’est pas conforme au Pacte puisque ce n’est pas un tribunal impartial et indépendant.

5.7 Sur l’article 17, l’auteur précise qu’il a invoqué devant les tribunaux nationaux une violation de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui couvre la vie privée et la réputation. Il soutient que l’atteinte à sa dignité et sa réputation est arbitraire dans la mesure où ses circonstances l’empêchent de se défendre.

Observations supplémentaires des parties

6.1 Le 28 octobre 2004, l’État partie a informé le Comité que l’auteur est mort le 6 mars 2004. À la date de son décès, la citoyenneté canadienne ne lui avait pas encore été retirée. Il rappelle que le 19 septembre 2003, la Section de première instance de la Cour fédérale a décidé que l’auteur avait acquis sa citoyenneté canadienne par dissimulation intentionnelle de faits essentiels portant sur ses activités lors de la Seconde Guerre mondiale. Conformément à la procédure interne en révocation de citoyenneté qui est régie par la loi sur la citoyenneté, le processus est ensuite passé de la phase judiciaire à la phase exécutive. En décembre 2003, s’appuyant sur la conclusion de la Section de première instance de la Cour fédérale, le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration a approuvé un rapport dans lequel il recommandait au Gouverneur en conseil de révoquer la citoyenneté canadienne de l’auteur. Avant que ce rapport ne soit transmis au Gouverneur en conseil pour sa décision, l’auteur a eu l’occasion de le commenter. À la mi ‑février 2004, l’épouse de l’auteur a fait parvenir au Ministère de la justice ses commentaires. La réplique du Ministère à ces commentaires a été envoyée à l’épouse de l’auteur à la mi ‑mars 2004, et cette dernière a été informée qu’elle pouvait fournir une réplique avant la fin du mois d’avril 2004. Cette invitation est demeurée sans réponse.

6.2 À cette époque, l’État partie ignorait que l’auteur était mort. Il ne l’a appris que le 27 septembre 2004. Le Gouverneur en conseil n’a jamais pris de décision quant au rapport recommandant la révocation de la citoyenneté canadienne de l’auteur. Après la mort de celui ‑ci, l’État partie a simplement abandonné toutes les procédures entamées à son égard. Étant donné ces circonstances, l’État partie estime que la communication est désormais sans objet et invite le Comité à la déclarer irrecevable.

7. Par courrier en date du 13 septembre 2006, la fille de l’auteur a expressément demandé à poursuivre la procédure en cours.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3 Relativement à l’épuisement des voies de recours internes, le Comité a pris note des arguments de l’État partie soutenant que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne son grief de violation de l’article 17. L’auteur fait valoir qu’il a invoqué devant les tribunaux nationaux l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui dispose que «chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale». Toutefois, le Comité remarque que même si cette disposition couvrait la notion d’atteinte arbitraire à la vie privée et la réputation, ce n’est pas cette interprétation qui a été invoquée par l’auteur devant les tribunaux nationaux (voir par. 2.5). Il conclut que cette partie de la communication concernant l’article 17 doit être déclarée irrecevable pour non ‑épuisement des voies de recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.4 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 6, le Comité prend note des certificats médicaux fournis par l’auteur. Celui ‑ci fait valoir que ces preuves montrent que ses capacités sont atteintes au point de ne pas lui permettre de se défendre sans mettre sa vie et santé en danger. Toutefois, le Comité constate que ni la procédure de suspension du processus de révocation de la citoyenneté ni la procédure de révocation en elle ‑même n’exigeaient sa présence. En outre, l’auteur s’est vu offrir l’occasion de faire des représentations écrites. Le Comité considère que l’auteur n’a pas démontré en quoi l’introduction et le maintien de la procédure de révocation de sa citoyenneté constituaient une menace directe à sa vie, étant donné que les attestations médicales qu’il a obtenues présentaient des conclusions divergentes quant à l’effet de la poursuite de la procédure judiciaire sur sa santé. Par conséquent, il considère que l’auteur a insuffisamment étayé son allégation de violation de l’article 6, aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel l’application de cette disposition n’est pas limitée aux situations de détention. Toutefois, il estime que l’auteur n’a pas démontré comment la procédure entamée par l’État partie contre lui constitue une atteinte à la sécurité de sa personne en violation de l’article 9; la simple introduction de procédures judiciaires à l’encontre d’un individu n’affecte pas directement la sécurité de la personne concernée, et les incidences indirectes sur la santé de cette personne ne peuvent être considérées comme relevant de la notion de «sécurité de la personne». Par conséquent, le Comité considère que l’auteur a insuffisamment étayé ses allégations, aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 14, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel il ne pouvait pas se défendre parce que la loi sur la citoyenneté prévoit seulement le droit d’être entendu dans la procédure devant un tribunal déterminant s’il a acquis la citoyenneté canadienne par fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. L’auteur semble avoir participé à ces audiences ou tout au moins y avoir été représenté, et ne présente aucune demande à cet égard au titre de l’article 14. Il n’est prévu aucun droit d’être entendu par le décideur en dernier ressort pour la révocation de la citoyenneté, c’est ‑à ‑dire le Gouverneur en conseil, qui agit avant tout sur la base des recommandations du Ministre de la citoyenneté et de la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale. Le Comité rappelle que toute personne qui se prétend victime d’une violation d’un droit protégé par le Pacte doit démontrer, soit qu’un État partie a, par action ou par omission, déjà porté atteinte à l’exercice de son droit, soit qu’une telle atteinte est imminente, en se fondant par exemple sur le droit en vigueur ou sur une décision ou une pratique judiciaire ou administrative . Dans le cas présent, il constate que le Gouverneur n’a jamais pris aucune décision concernant l’auteur et qu’après la mort de ce dernier, l’État partie a simplement abandonné les procédures entamées contre lui. Par conséquent, le Comité conclut que dans ces circonstances, l’auteur ne peut pas prétendre être victime d’une violation de l’article 14. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

8.7 Pour ce qui est du grief de violation de l’article 7, le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé ses allégations, aux fins de la recevabilité, et que cette partie de la communication est donc recevable.

Examen au fond

9.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

9.2 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 7, l’auteur fait valoir qu’il avait des problèmes cardiaques graves et que le lancement et la poursuite de la procédure de révocation de la citoyenneté lui avaient causé une tension considérable, équivalant à un traitement cruel et inhumain. Le Comité reconnaît que dans des circonstances exceptionnelles le fait de traduire en justice une personne en mauvaise santé peut constituer un traitement incompatible avec l’article 7, par exemple, dans le cas où l’on fait passer des questions de justice relativement mineures ou une commodité de procédure avant des risques pour la santé relativement sérieux. Le cas d’espèce ne présente pas de telles circonstances exceptionnelles car dans cette affaire la procédure de révocation de la citoyenneté a été engagée à la suite d’allégations sérieuses selon lesquelles l’auteur avait pris part à des crimes particulièrement graves. De plus, en ce qui concerne les faits spécifiques de la cause, le Comité note que la procédure de révocation de la citoyenneté s’est déroulée essentiellement par écrit et que la présence de l’auteur n’était pas requise. En outre l’auteur n’a pas montré en quoi l’ouverture et la poursuite de la procédure constituaient un traitement incompatible avec l’article 7 étant donné que, comme il a déjà été signalé, les conclusions des attestations médicales que l’auteur avait obtenues différaient au sujet des incidences de la procédure sur sa santé. En conséquence l’auteur n’a pas établi que l’État partie était responsable d’une violation de l’article 7 du Pacte.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’article 7 du Pacte.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

K. Communication n o 1140/2002, Khudayberganov c. Ouzbékistan*(Constatations adoptées le 24 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Matlyuba Khudayberganova (non représentée par un conseil)

Au nom de :

Iskandar Khudayberganov (fils de l’auteur)

État partie :

Ouzbékistan

Date de la communication :

28 novembre 2002 (date de la lettre initiale)

Objet : Imposition de la peine de mort à l’issue d’un procès inéquitable et recours à la torture pendant l’enquête préliminaire

Questions de fond : Torture, procès inéquitable, droit à la vie

Questions de procédure : Appréciation des faits et des éléments de preuve, bien ‑fondé des allégations

Articles du Pacte : 2, 3, 5, 6, 7, 10, 11, 14, 16

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1140/2002 présentée au nom d’Iskandar Khudayberganov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication est Matlyuba Khudayberganova, de nationalité ouzbèke. Elle présente la communication au nom de son fils, Iskandar Khudayberganov, lui aussi de nationalité ouzbèke, né en 1974, en attente d’exécution à Tachkent après avoir été condamné à mort par le tribunal municipal de Tachkent le 28 novembre 2002. L’auteur affirme que son fils est victime de violations par l’Ouzbékistan de ses droits au titre des articles 2, 3, 5, 6, 7, 10, 11, 14 et 16 du Pacte. Elle n’est pas représentée par un conseil.

1.2 Le 29 novembre 2002, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’ État partie de ne pas exécuter la sentence de mort prononcée contre M. Khudayberganov pendant que son affaire était en cours d’examen. Le 11 décembre 2003, l’ État partie a répondu que la Cour suprême avait ordonné de suspendre l’exécution en attendant la décision finale du Comité.

Exposé des faits

2.1 Le 16 février 1999, plusieurs explosions ont eu lieu à Tachkent, faisant de nombreux morts et des blessés. Plusieurs personnes ont été soupçonnées d’avoir participé à la préparation des attentats, dont le fils de l’auteur, qui a fait l’objet de poursuites pénales.

2.2 Le 28 novembre 2002, Iskandar Khudayberganov a été condamné à mort pour les délits suivants: formation d’une association criminelle organisée et participation à ses activités et participation à un groupe armé organisé; incitation à la haine nationale, raciale ou religieuse; vol qualifié; assassinat avec circonstances aggravantes, perpétré de manière à mettre la vie d’autrui en danger; terrorisme et autres crimes.

2.3 L’auteur affirme que le châtiment de son fils a été particulièrement sévère. Sa condamnation ne correspond pas à sa personnalité, qui avait fait l’objet d’une évaluation positive par ses voisins, comme l’attestait une déclaration écrite sous serment présentée au tribunal. Il est marié et a deux enfants. En 1996 et 1997, il travaillait comme assistant caméraman à la télévision.

2.4 Khudayberganov a été initialement arrêté au Tadjikistan, le 24 août 2001, parce qu’il aurait été un «espion ouzbek». Il a été interrogé et torturé dans les locaux du Ministère tadjik de l’intérieur. Le 5 février 2002, il a été transféré en Ouzbékistan, où il a été arrêté. Détenu dans les sous ‑sols du Ministère de l’intérieur à Tachkent, il y a été passé à tabac et torturé par des enquêteurs et contraint d’avouer sa culpabilité. L’auteur soumet une copie d’une lettre non datée de son fils, dans laquelle celui ‑ci décrit les tortures qu’il a subies. Selon ses dires, il a été matraqué et on l’a empêché de dormir, sans lui donner la moindre nourriture «pendant des semaines». Il a reçu des coups de pied dans l’aine et sur la tête. Il a été frappé à la tête avec un tube, à la suite de quoi il a commencé à entendre des bruits dans son crâne. Tout cela a été fait sans qu’il ait pu consulter un avocat . Il a été battu par plusieurs hommes d’une trentaine d’années. Il a résisté jusqu’à ce qu’on le menace d’amener ses parents au même endroit et de faire perdre «leur dignité» à sa mère, sa sœur et sa femme devant lui. Le 11 février 2002, il a été incarcéré au centre de détention provisoire du Service de la sûreté nationale, le NSS, et officiellement inculpé en vertu des articles 242, 155, 158, 159 et 161 du Code pénal ouzbek ( formation d’une association criminelle et constitution d’un groupe armé, qu’il a dirigé ou auquel il a participé; terrorisme; tentative d’attenter à la vie du Président; conspiration visant à prendre le pouvoir et à renverser l’ordre constitutionnel; activité subversive).

2.5 L’auteur a été informé de la détention de son fils le 18 mars 2002, lorsqu’une avocate lui a appris qu’elle représentait celui ‑ci. Toutes les plaintes concernant les mauvais traitements infligés à son fils qu’elle a adressées à différentes institutions (Bureau du Procureur général, Administration présidentielle et Cour constitutionnelle) sont restées sans réponse et ont été simplement transmises aux instances contre lesquelles elle avait porté plainte. Selon un arrêt rendu par la Cour suprême le 20 novembre 1996, les éléments de preuve obtenus par des méthodes illicites sont irrecevables. Pourtant, les aveux extorqués à son fils ont servi de base à sa condamnation. Cette condamnation a également été fondée sur les témoignages d’un certain Akhmedov qui était un malade mental et d’un certain Abdusamatov, dont le témoignage était erroné, ce que le tribunal n’ignorait pas.

2.6 Au début du procès, Khudayberganov s’est rétracté. Le tribunal a conclu que c’était là une stratégie de défense.

2.7 Aucune des accusations contre le fils de l’auteur n’aurait été corroborée lors du procès et seules des preuves indirectes auraient été retenues contre lui. Les accusations de terrorisme portées contre lui n’étaient pas davantage fondées. Aucune information concernant le moment précis, le lieu ou la nature d’actes terroristes commis par Khudayberganov n’a été présentée lors de l’instruction ou du procès.

2.8 L’auteur considère que l’accusation de formation d’une association criminelle proférée contre son fils n’est pas fondée. Quant aux accusations selon lesquelles son fils avait participé à deux vols qualifiés, l’auteur affirme que, lors du procès, aucune victime ne l’a identifié comme ayant participé à ces délits. L’accusation selon laquelle son fils aurait participé au meurtre de deux policiers après le deuxième vol, le 6 août 1999, est également dénuée de fondement car il se trouvait à l’étranger à ce moment ‑là.

2.9 Les enquêteurs avaient saisi plusieurs kilos de nitrate d’ammonium et de poudre d’aluminium au domicile d’un certain Karimov (chez qui Khudayberganov s’était caché pendant plusieurs mois) et avaient conclu que ces substances servaient à la fabrication d’explosifs. L’auteur affirme que cette conclusion est sans fondement.

2.10 L’auteur affirme que les droits de son fils à la présomption d’innocence et au bénéfice du doute ont été violés. Tant l’instruction que le procès auraient été conduits avec la volonté de l’accuser.

Teneur de la plainte

3. L’auteur affirme que les droits que confèrent à son fils les articles 2, 3, 5, 6, 7, 10, 11, 14 et 16 du Pacte ont été violés.

Observations de l’État partie

4.1 Le 23 décembre 2003, l’État partie a affirmé que, selon les informations du bureau du Procureur général de l’ Ouzbékistan, Khudayberganov avait été arrêté au Tadjikistan le 31 janvier 2001 et transféré le 5 février 2002 en Ouzbékistan, où il était détenu. D’après les éléments de preuve, il avait rejoint les rangs de l’organisation religieuse extrémiste «Mouvement islamique de l’Ouzbékistan» (IMU) en 1998 et suivi un entraînement militaire en Tchétchénie. Après son retour en 1998, il avait créé la cellule de Tachkent de l’IMU avec d’autres individus, dans le but d’instaurer un État islamique. Pour financer leurs activités, les membres du groupe avaient commis plusieurs meurtres et vols à main armée.

4.2 Le 16 février 1999, plusieurs bombes ont explosé à Tachkent. Le 4 mars 1999, le fils de l’auteur ainsi que d’autres membres du groupe ont dévalisé le domicile d’un homme d’affaires à Tachkent, s’emparant d’une grosse somme d’argent et d’une voiture. Le 6 août 1999, ils ont agressé un autre chef d’entreprise qui est mort de ses blessures; deux policiers ont également été tués à la suite de cet incident. En août 1999, la victime alléguée s’est rendue dans un camp militaire au Tadjikistan.

4.3 En juin 2000, l’intéressé a suivi une formation spéciale aux explosifs dans un camp de l’IMU au Tadjikistan. En juillet 2000, il est arrivé à Tachkent avec l’ordre de faire exploser une bombe à la gare ferroviaire ou dans un autre lieu important. L’attentat à la bombe n’a pas eu lieu, les autorités ayant arrêté ses complices alors qu’ils s’efforçaient d’apporter des détonateurs et des câbles depuis le Tadjikistan.

4.4 D’après les éléments de preuve à charge, la culpabilité de Khudayberganov et de ses coaccusés a été établie en partie par leurs aveux ainsi que par les résultats de la vérification de l’exactitude de leurs affirmations effectuée sur les lieux des délits, la déposition de plusieurs témoins et les informations recueillies lors de la confrontation des coaccusés avec les victimes, et enfin par les analyses médico ‑légales et balistiques.

Réponses complémentaires de l’auteur

5.1 L’auteur a fourni des informations complémentaires en 2003. Elle note que l’État partie n’indique pas que la moindre enquête ait été ouverte concernant les allégations de torture subie par son fils et fait observer que ce dernier porte encore une cicatrice à la tête par suite du coup qui lui a été asséné avec un tube en métal. Après son transfert au Centre de détention du NSS, il a été torturé, on lui a administré des substances psychotropes et on l’a menacé de violer ses parentes devant lui. Il s’est plaint de ces agissements lors du procès et a donné les noms des responsables mais le tribunal a rejeté ses allégations.

5.2 L’auteur rappelle que son fils a affirmé lors du procès qu’il était innocent parce qu’il se trouvait à l’étranger quand les meurtres ont été commis et qu’aucun élément de preuve n’a corroboré sa participation à ces crimes. Son fils a prouvé son innocence à l’audience. Il n’a pas suivi d’entraînement en Tchétchénie en 1998 mais étudiait à Tachkent. Il a nié être un membre de l’IMU. Le 16 février 1999, pendant les attentats à la bombe, il se trouvait au domicile de sa belle ‑mère. Après les attentats, les autorités ont procédé à plusieurs arrestations et le 21 février 1999, il s’est enfui au Tadjikistan. Plusieurs témoins déjà détenus pour différents délits et qui avaient incriminé le fils de l’auteur se sont rétractés lors du procès, affirmant que leurs témoignages étaient faux et avaient été obtenus sous la contrainte.

5.3 Selon l’auteur, les substances chimiques trouvées au domicile de Karimov ont été saisies en l’absence de tout témoin. Aucun élément ne confirmait que son fils possédât la moindre arme à feu et aucune arme ni aucune cartouche n’ont été trouvées lors des perquisitions. L’inculpation et la condamnation de son fils pour ce chef d’accusation reposaient uniquement sur des preuves indirectes.

5.4 L’auteur affirme qu’elle n’a appris la détention de son fils que quarante et un jours après son arrestation, alors qu’en vertu du Code pénal ouzbek les autorités sont tenues d’informer les parents de la personne arrêtée dans un délai de vingt ‑quatre heures.

5.5 L’auteur réaffirme que le tribunal n’a pas été impartial. Lorsque l’allégation de torture a été formulée devant le tribunal, le juge a répondu que les accusés devaient répéter leurs aveux tels que passés lors de l’enquête préliminaire et ne devraient pas «dramatiser». Le juge a purement et simplement ignoré leurs déclarations. À diverses reprises, le Procureur n’a pas assisté aux débats et, en son absence, ses fonctions auraient été exercées par le juge.

5.6 Enfin, l’auteur affirme que son fils a été passé à tabac alors qu’il était dans le quartier des condamnés à mort et qu’à diverses reprises on l’a amené dans un local spécial, où on l’a attaché sur une chaise et on lui a rasé la tête.

5.7 Le 10 mars 2005, l’auteur a présenté de nouveaux commentaires, réitérant ceux qu’elle avait formulés précédemment.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1 Le 25 mai 2004, l’État partie a réitéré ses observations antérieures. Il rappelle que le 28 novembre 2002, l’intéressé a été condamné à mort par le tribunal municipal de Tachkent. Il a été reconnu coupable parce que, après avoir rejoint les rangs de l’IMU en février 1998 avec d’autres individus, il avait suivi un entraînement dans des camps militaires en Tchétchénie et au Tadjikistan. Après son retour en Ouzbékistan, il avait commis plusieurs délits, dont des meurtres et des vols qualifiés. Le 28 janvier 2003, la chambre d’appel du tribunal municipal de Tachkent avait confirmé la sentence de mort.

6.2 Le 29 juin 2005, l’État partie a présenté de nouvelles observations. S’agissant des allégations de torture, en particulier de l’absence d’enquête à ce sujet, il affirme que ni les fonctionnaires du Ministère de l’intérieur ni ceux du NSS n’ont employé la torture ni aucune autre méthode illicite d’enquête à l’encontre du fils de l’auteur. Selon l’État partie, les allégations de torture formulées par l’auteur sont une tentative pour induire le Comité en erreur et donner une image négative des autorités chargées de faire respecter la loi en Ouzbékistan.

6.3 L’État partie affirme que Khudayberganov a été représenté par un avocat dès le premier interrogatoire. Le dossier montre qu’il a passé des aveux de son plein gré. Les pièces du procès et les comptes rendus d’audience ne contiennent aucune mention de ses affirmations concernant des tortures, des passages à tabac ou une utilisation de la violence contre lui. Les allégations de torture sont dénuées de fondement, ce que corrobore également le fait qu’elles n’ont jamais fait l’objet d’une plainte devant les autorités responsables de l’application des lois.

6.4 L’État partie soutient que, d’après le dossier, Khudayberganov a avoué qu’il avait participé aux activités de l’IMU et qu’il s’était rendu dans des camps d’entraînement de terroristes en Tchétchénie et au Tadjikistan. Il est retourné à Tachkent en 1998 afin d’y recruter des volontaires pour les camps. L’État partie réitère la chronologie des événements et affirme catégoriquement que la culpabilité de Khudayberganov a été établie de manière indubitable conformément à la procédure pénale applicable. L’action en justice a été conduite dans le strict respect du Code de procédure pénale alors en vigueur et le procès s’est déroulé en présence de deux magistrats du parquet ainsi que des deux avocats du fils de l’auteur.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité note que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale, comme il est tenu de s’en assurer en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, et il prend note de ce que nul ne conteste que les recours internes ont été épuisés.

7.3 Le Comité note tout d’abord que l’auteur affirme que les droits conférés à son fils par les articles 3, 5, 11 et 16 ont été violés. Ces griefs n’ont été étayés par aucune autre information pertinente; ils sont donc irrecevables au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4 Le Comité relève que les griefs de l’auteur qui soulèvent des questions au titre de l’article 14 tendent à démontrer que le procès de son fils n’a pas satisfait au critère d’équité, que le tribunal n’était ni impartial ni objectif et que son président a exercé les fonctions du procureur lorsque ce dernier était absent. L’État partie a réfuté ces allégations, en termes généraux, en affirmant que la conduite du procès avait été conforme à la loi et aux procédures alors en vigueur, et en faisant valoir plus particulièrement que les débats s’étaient toujours déroulés en présence des avocats et des procureurs. En l’absence de toute autre information pertinente, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable faute d’avoir été suffisamment étayée, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5 Le Comité considère que les autres griefs de l’auteur tirés des articles 2, 6, 7, 10 et 14 sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc recevables.

Examen au fond

8.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2 L’auteur affirme que son fils a été battu et torturé par les enquêteurs et qu’il a été ainsi forcé d’avouer sa culpabilité. Il s’est rétracté lors du procès, affirmant que ses aveux avaient été obtenus sous la contrainte et identifiant nommément les responsables des mauvais traitements qui lui avaient été infligés. L’État partie a rejeté la plainte en la faisant passer pour une stratégie de défense et a affirmé que ni la torture ni d’autres méthodes illicites d’enquête n’avaient été utilisées contre Khudayberganov, et que l’ensemble de l’enquête et toute la procédure judiciaire s’étaient déroulées conformément aux lois en vigueur. L’auteur a également affirmé que son fils avait subi des mauvais traitements dans le quartier des condamnés à mort, ce que l’État partie n’a pas contesté. Le Comité rappelle qu’une fois qu’une plainte pour mauvais traitements contraires à l’article 7 a été déposée, elle doit faire l’objet d’une enquête rapide et impartiale de la part de l’État partie . Il note que le dossier contient des copies des plaintes concernant les mauvais traitements infligés au fils de l’auteur qui ont été portées à l’attention des autorités de l’État partie, notamment des copies des lettres de la sœur de la victime, des avocats, d’ONG, ainsi qu’une lettre de Khudayberganov lui ‑même, détaillant les méthodes de torture utilisées contre lui. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, l’État partie n’a pas démontré que ses représentants ont répondu de manière adéquate aux allégations de torture que l’auteur a formulées, tant dans le cadre de la procédure pénale devant la juridiction nationale que dans la présente communication. En conséquence, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Dans ces conditions, le Comité conclut que les faits tels que présentés font apparaître une violation des droits du fils de l’auteur visés à l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

8.3 Compte tenu de la conclusion ci ‑dessus concernant l’article 7 du Pacte, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner séparément le grief de l’auteur tiré de l’article 10.

8.4 Le Comité rappelle que l’imposition d’une sentence de mort à l’issue d’une procédure dans laquelle les dispositions du Pacte ont été violées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. En l’occurrence, la peine de mort a été infligée à la victime en violation de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que les droits de la victime au titre du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte ont également été violés.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de M. Khudayberganov visés au paragraphe 2 de l’article 6, à l’article 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, ces deux derniers étant lus conjointement.

10. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie doit accorder à M. Khudayberganov un recours utile, notamment sous la forme d’une commutation de peine et d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

L. Communication n o 1143/2002, Dernawi c. Jamahiriya arabe libyenne*(Constatations adoptées le 20 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Farag El Dernawi (représenté par l ’ Organisation mondiale contre la torture)

Au nom de :

L ’ auteur, sa femme, Salwa Faris, et leurs six enfants, Abdelmenem, Abdelrahman, Abdallah, Abdoalmalek, Salma et Gahlia

État partie :

Jamahiriya arabe libyenne

Date de la communication :

15 août 2002 (date de la lettre initiale)

Objet : Confiscation de passeport; impossibilité pour la famille de quitter le pays et d ’ être réunie

Questions de fond : Liberté de circulation; immixtion dans la vie familiale; protection de la cellule familiale; protection des droits des enfants

Questions de procédure : Épuisement des recours internes; absence de coopération de la part de l ’ État partie

Articles du Pacte : 12, 17, 23, 24

Article du Protocole facultatif : 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 2007,

Ayant achevé l ’ examen de la communication n o 1143/2002 présentée au nom de Farag El Dernawi, de sa femme, Salwa Faris, et de leurs six enfants, Abdelmenem, Abdelrahman, Abdallah, Abdoalmalek, Salma et Gahlia au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l ’ auteur de la communication et l ’ État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif

1. L ’ auteur de la communication est Farag El Dernawi, de nationalité libyenne, né le 1 er juin 1952 et résidant actuellement à Olten (Suisse). Il soumet la communication en son nom et au nom de sa femme Salwa Faris, née le 1 er avril 1966, et de leurs six enfants, Abdelmenem, né le 26 juillet 1983, Abdelrahman, né le 21 août 1985, Abdallah, né le 27 juillet 1987, Abdoalmalek, né le 4 octobre 1990, Salma, née le 22 janvier 1993, et Gahlia, née le 18 août 1995. Il affirme que sa famille et lui ‑même sont victimes de violations par la Jamahiriya arabe libyenne des articles 12, 17, 23 et 24 du Pacte. Il est représenté par l ’ Organisation mondiale contre la torture.

Rappel des faits présentés par l ’ auteur

2.1 L ’ auteur, membre de l ’ Organisation des Frères musulmans, a été persécuté en Libye en raison de ses convictions politiques. En 1998, alors qu ’ il accompagnait son frère, qui emmenait son fils malade en Égypte pour le faire soigner, il a appris que des membres des services de sécurité étaient venus chez lui, apparemment pour l ’ arrêter. Il a décidé de ne pas rentrer en Libye où il a laissé sa femme et ses six enfants.

2.2 En août 1998, l ’ auteur est arrivé en Suisse et a demandé l ’ asile. En mars 2000, les autorités fédérales suisses ont fait droit à sa demande et ont approuvé le regroupement de la famille. Le 26 septembre 2000, son épouse et ses trois enfants les plus jeunes ont tenté de quitter la Libye pour le rejoindre en Suisse. Ils ont été bloqués à la frontière tuniso ‑libyenne et le passeport de l ’ épouse, qui était aussi le titre de voyage des trois enfants, a été confisqué. À son retour chez elle à Benghazi, elle a reçu l ’ ordre de se présenter aux services de sécurité, qui l ’ ont informée qu ’ elle ne pouvait pas quitter le pays parce que le nom de son mari figurait sur une liste de personnes recherchées par la sûreté intérieure en rapport avec une affaire politique.

2.3 La femme de l ’ auteur a tenté plusieurs fois, en vain, de récupérer son passeport, par l ’ entremise d ’ amis et de proches influents au Gouvernement. Des avocats ont refusé de la défendre en raison des activités politiques de son époux. Comme elle n ’ a pas de revenu, ses conditions de vie et celles de ses enfants sont très précaires. Outre qu ’ elle vit dans la peur et la tension, elle est tombée récemment malade et a besoin de soins. Ses trois enfants les plus âgés ont un passeport et peuvent théoriquement quitter le pays pour rejoindre leur père, mais ils ne veulent pas abandonner leur mère dans la situation où elle se trouve.

Teneur de la plainte

3.1 L ’ auteur invoque des violations des articles 12, 17, 23 et 24 du Pacte. Il fait valoir que la confiscation du passeport de son épouse et le refus de l ’ État partie de l ’ autoriser à partir avec ses trois plus jeunes enfants constituent une violation persistante de l ’ article 12 du Pacte. Les critères de nécessité et de proportionnalité qui fondent une restriction légitime au droit à la liberté de circulation ne sont manifestement pas réunis en l ’ espèce dans la mesure où les agents de l ’ État partie ne considèrent même pas que la femme et les enfants de l ’ auteur représentent un danger pour la sécurité nationale. Au contraire, ils ont explicitement reconnu qu ’ ils n ’ étaient empêchés de quitter le pays que parce que l ’ auteur était accusé d ’ un délit politique.

3.2 L ’ auteur fait valoir que le refus de l ’ État partie de laisser sa femme et ses trois plus jeunes enfants le rejoindre en Suisse n ’ est fondé sur aucun grief légitime à l ’ égard des personnes concernées mais est motivé par la volonté de le punir. L ’ immixtion dans la vie de la famille est en conséquence arbitraire et constitue une violation des articles 17 et 23 du Pacte. En outre, par son action l ’ État partie a en fait empêché les six enfants de jouir pleinement du droit à une vie de famille dans la mesure où même les enfants les plus âgés, qui ont leur propre passeport et qui pourraient théoriquement quitter le pays, ne veulent pas abandonner leur mère et leurs jeunes frère et sœurs.

3.3 L ’ auteur affirme qu ’ en n ’ autorisant pas le regroupement de la famille l ’ État partie a contraint les enfants à vivre dans des conditions économiques très précaires, puisqu ’ ils sont privés de leur unique soutien. Certes, ils ont pu survivre, grâce à l ’ aide de proches, mais les conditions qui leur ont été imposées sont de plus en plus difficiles. Par sa conduite arbitraire et illégale et en ne tenant pas dûment compte des incidences de cette conduite sur le bien ‑être des enfants de l ’ auteur âgés de moins de 18 ans, l ’ État partie a violé l ’ article 24 du Pacte.

3.4 Pour ce qui est de l ’ épuisement des recours internes, l ’ auteur affirme que sa femme n ’ a pas pu obtenir que les instances officielles interviennent en sa faveur, en raison de sa situation à lui, malgré ses tentatives pour utiliser tous les moyens à sa disposition, comme il a été dit. Se référant à des documents émanant de diverses organisations non gouvernementales internationales, l ’ auteur fait valoir qu ’ en tout état de cause il n ’ existe pas de recours utile en Libye contre des violations des droits de l ’ homme à motivation politique. À l ’ appui de cette affirmation, l ’ auteur cite les observations finales formulées par le Comité des droits de l ’ homme en 1998, dans lesquelles ce dernier mettait sérieusement en doute l ’ indépendance de l ’ appareil judiciaire et la liberté d ’ action des avocats en Libye ; il affirme que la situation n ’ a pas beaucoup changé depuis lors. Des cas d ’ arrestation et de procès pour des raisons politiques ainsi que de harcèlement de membres de la famille des victimes sont encore régulièrement signalés, et, dans les cas de persécutions politiques, les autorités judiciaires n ’ iront jamais à l ’ encontre des décisions du pouvoir exécutif.

Absence de coopération de la part de l ’ État partie

4. Par des notes verbales datées du 16 décembre 2002, du 26 janvier 2006 et du 23 avril 2007, l ’ État partie a été invité à présenter au Comité ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note qu ’ à ce jour aucune réponse ne lui est parvenue. Il regrette l ’ absence de toute information de la part de l ’ État partie au sujet des allégations de l ’ auteur et rappelle que le Protocole facultatif fait implicitement obligation aux États parties de fournir au Comité toutes les informations dont ils disposent . En l ’ absence de toute réponse de l ’ État partie, le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l ’ auteur dans la mesure où elles sont suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1 Avant d ’ examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l ’ homme doit, conformément à l ’ article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Le Comité s ’ est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l ’ article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n ’ était pas en cours d ’ examen devant une autre instance internationale d ’ enquête ou de règlement.

5.3 Pour ce qui est de l ’ épuisement des recours internes, le Comité note que l ’ État partie n ’ a avancé aucun argument pour réfuter l ’ affirmation de l ’ auteur selon laquelle toutes les démarches faites par sa femme auprès des autorités ont été vaines et qu ’ en l ’ espèce aucun recours utile n ’ est disponible. En conséquence, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l ’ article 5 du Protocole facultatif ne l ’ empêchent pas d ’ examiner la communication.

5.4 Le Comité considère que les griefs de violation des articles 12, 17, 23 et 24 du Pacte sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et procède par conséquent à leur examen quant au fond, conformément au paragraphe 2 de l ’ article 5 du Protocole facultatif.

Examen au fond

6.1 Conformément au paragraphe 1 de l ’ article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l ’ homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les parties.

6.2 En ce qui concerne le grief tiré de l ’ article 12 du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu ’ un passeport constitue pour le ressortissant d ’ un pays le moyen effectif d ’ exercer son droit à la liberté de circulation, y compris le droit de quitter son propre pays qui lui est conféré par cet article . La confiscation du passeport de l ’ épouse de l ’ auteur, qui sert aussi de titre de voyage pour ses trois enfants les plus jeunes, ainsi que le refus de rendre ce document à l ’ intéressée constituent par conséquent une restriction du droit à la liberté de circulation, qui doit être justifiée au regard des limites permissibles prévues au paragraphe 3 de l ’ article 12 concernant la sécurité nationale, l ’ ordre public, la santé ou la morale publiques, ou les droits et libertés d ’ autrui. L ’ État partie n ’ a avancé aucune justification de ce type et le Comité n ’ en voit aucune dans les éléments dont il est saisi. Le Comité estime par conséquent que la femme de l ’ auteur et ses trois enfants les plus jeunes, qui figurent sur le passeport de leur mère, ont été victimes d ’ une violation du paragraphe 2 de l ’ article 12.

6.3 Pour ce qui est des griefs tirés des articles 17, 23 et 24 du Pacte, le Comité note que la mesure prise par l ’ État partie constitue un obstacle définitif à la réunion de la famille en Suisse, et que c ’ est le seul obstacle. Il note également que l’on ne peut raisonnablement attendre de l’auteur, qui a obtenu le statut de réfugié au titre de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, qu’il retourne dans son pays d’origine. En l ’ absence de justification de la part de l ’ État partie, le Comité conclut que, conformément à l ’ article 17 du Pacte, il y a eu immixtion arbitraire dans la vie de la famille à l ’ égard de l ’ auteur, de sa femme et des six enfants et que l ’ État partie ne s ’ est pas acquitté de l ’ obligation de respecter l ’ unité de la cellule familiale qui lui incombe vis ‑à ‑vis de chacun des membres de la famille en vertu de l ’ article 23 du Pacte. Dans ces conditions, sachant que le développement d ’ un enfant nécessite qu ’ il vive avec ses deux parents et vu l ’ absence d ’ arguments convaincants à ce propos de la part de l ’ État partie, le Comité conclut que, par son action, l ’ État partie n ’ a pas assuré la protection spéciale due aux enfants et qu ’ il y a donc eu une violation des droits des enfants âgés de moins de 18 ans garantis à l ’ article 24 du Pacte.

7. Le Comité des droits de l ’ homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d ’ avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 2 de l ’ article 12 du Pacte à l ’ égard de l ’ auteur, de sa femme et de ses trois enfants les plus jeunes, des articles 17 et 23 à l ’ égard de l ’ auteur, de sa femme et de tous ses enfants, et de l ’ article 24 à l ’ égard des enfants qui étaient âgés de moins de 18 ans en septembre 2000.

8. Conformément au paragraphe 3 de l ’ article 2 du Pacte, l ’ État partie est tenu d ’ assurer à l ’ auteur, à son épouse et à ses enfants un recours utile sous la forme d ’ une indemnisation et de la restitution immédiate du passeport de l ’ épouse, pour permettre à celle ‑ci et aux enfants qui figurent sur son passeport de quitter l ’ État partie aux fins du regroupement familial. L ’ État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l ’ avenir.

9. Le Comité rappelle qu ’ en adhérant au Protocole facultatif la Jamahiriya arabe libyenne a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s ’ il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l ’ article 2 du Pacte, elle s ’ est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu ’ une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l ’ État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L ’ État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

M. Communication n o 1172/2003, Madani c. Algérie*(Constatations adoptées le 28 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Salim Abbassi (représenté par M. Rachid Mesli)

Au nom de :

Abbassi Madani (son père)

État partie :

Algérie

Date de la communication :

31 mars 2003 (date de la lettre initiale)

Objet : Détention arbitraire; assignation à résidence; procès équitable; liberté d’expression

Question de procédure : Procuration

Questions de fond : Droit à la liberté et à la sécurité de la personne; arrestation et détention arbitraires; droit de circuler librement; droit à un procès équitable; tribunal compétent, indépendant et impartial; droit à la liberté d’expression

Articles du Pacte : 9, 12, 14, 19

Article du Protocole facultatif : Néant

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte i n ternational relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1172/2003, présentée par Salim Abbassi au nom de Abbassi Madani (son père) en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été commun i quées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 31 mars 2003, est Salim Abbassi, né le 23 avril 1967 à Alger, qui présente la communication au nom de son père, M. Abbassi Madani, né le 28 février 1931 à Sidi Okba (Biskra), de nationalité algérienne. L’auteur indique que son père est victime de violations par l’Algérie des articles 9, 12, 14, 19, 20 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il est représenté par M. Rachid Mesli. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Abbassi Madani est un des membres fondateurs et, à la date de présentation de la communication, le Président du Front islamique du salut (FIS) , parti politique algérien agréé par l’État partie depuis le 12 septembre 1989, après l’instauration du pluralisme politique. Dans la perspective de la prochaine échéance électorale et suite aux victoires du FIS aux élections communales de 1990, le Gouvernement algérien devait faire adopter une nouvelle loi électorale qui a suscité la condamnation unanime de tous les partis d’opposition algériens. En protestation contre cette loi le FIS a organisé une grève générale accompagnée de sit ‑in pacifiques sur les places publiques. Après quelques jours de grèves et de marches pacifiques, les parties ont convenu de mettre un terme à ce mouvement de protestation en échange d’une révision prochaine de la loi électorale. Cependant, le 3 juin 1991, le chef du Gouvernement a été prié de démissionner et les places publiques étaient prises d’assaut par l’armée algérienne.

2.2 Le 30 juin 1991 Abbassi Madani a été arrêté au siège de son parti par la sécurité militaire et présenté le 2 juillet 1991 devant le magistrat instructeur auprès du tribunal militaire pour être inculpé «d’atteinte à la sûreté de l’État» et «au bon fonctionnement de l’économie nationale». Il lui a été notamment reproché d’avoir organisé une grève, que le parquet du tribunal avait qualifiée d’insurrectionnelle car elle aurait causé un grave préjudice économique à la nation. Les avocats constitués pour défendre Abbassi Madani ont contesté le bien ‑fondé des poursuites dont il faisait l’objet devant la juridiction militaire, ainsi que la régularité de l’instruction assurée par un magistrat militaire subordonné au parquet. D’après la défense, la juridiction avait été instituée pour éliminer de la scène politique les dirigeants du principal parti d’opposition, et elle était incompétente en l’espèce, ne pouvant connaître que des infractions à la loi pénale et au Code de justice militaire commises par des militaires dans l’exercice de leurs fonctions. La compétence du tribunal militaire en matière d’infractions à caractère politique prévues par une loi de 1963 avait été supprimée de fait par l’instauration d’une Cour de sûreté de l’État spécialement instituée en 1971. Cette juridiction elle ‑même avait été dissoute après l’instauration du pluralisme politique en 1989, la règle générale de compétence devant donc s’appliquer.

2.3 Le premier tour des élections législatives du 26 décembre 1991 a été remporté par le FIS, et dès le lendemain des résultats officiels, le procureur militaire devait faire part aux avocats de la défense de son intention de mettre fin aux poursuites engagées contre Abbassi Madani. Cependant, le 12 janvier 1992 le Président de la République «démissionnait», l’état d’urgence était proclamé, les élections législatives annulées, et des camps «d’internement administratif» ouverts dans le sud de l’Algérie. Le 15 juillet 1992 le tribunal militaire de Blida, en l’absence du requérant, a condamné Abbassi Madani à douze années de réclusion criminelle. Le pourvoi en cassation introduit contre cette décision a été rejeté par la Cour suprême le 15 février 1993, rendant ainsi définitive la condamnation pénale.

2.4 Pendant sa détention à la prison militaire de Blida, Abbassi Madani a été, selon l’auteur, de nombreuses fois l’objet de mauvais traitements, en particulier pour avoir revendiqué le statut de détenu politique et un traitement égal aux autres prisonniers. Il a fait l’objet de mesures particulièrement sévères, en dépit de son état de santé préoccupant, ayant été soumis pendant une très longue période à un isolement total et une interdiction de recevoir la visite de ses avocats et de sa famille.

2.5 Suite à des négociations avec les autorités militaires en juin 1995, il a été transféré dans une résidence habituellement réservée aux hauts dignitaires en visite en Algérie. Il a été de nouveau transféré à la prison militaire de Blida pour avoir refusé de répondre aux demandes des représentants de l’armée, en particulier leur demande de renoncer à ses droits politiques. Il a été alors détenu dans des conditions particulièrement sévères pendant les deux années suivantes, jusqu’à sa libération le 15 juillet 1997, intervenue à la seule condition «qu’il se soumette aux lois en vigueur dans le cas où il aurait souhaité quitter le territoire national». À sa libération, il n’a pas repris d’activité politique en qualité de Président du FIS, ce parti ayant fait l’objet d’une mesure d’interdiction en 1992.

2.6 Les autorités ont tenté dans un premier temps de restreindre la liberté de circulation de Abbassi Madani, considérant toute manifestation pacifique de soutien à son égard comme une menace à l’ordre public. Dans une seconde phase, une «procédure» visant à l’assigner à résidence a été initiée par le Ministre de l’intérieur à la suite d’une interview accordée à un journaliste étranger et à l’envoi d’une correspondance au Secrétaire général de l’ONU , dans laquelle il exprimait sa disponibilité à contribuer à la recherche d’une solution pacifique à la crise algérienne. Le 1 er septembre 1997, des éléments des services de la sécurité militaire lui ont notifié verbalement son assignation à résidence avec interdiction absolue de quitter son appartement à Alger. Il lui était également notifié une interdiction absolue de s’exprimer ou d’exprimer une quelconque opinion «sous peine de retourner au cachot». De même, il lui a été interdit de disposer de moyens de communication avec l’extérieur: son immeuble était gardé en permanence par les services de sécurité militaire, interdisant à toute personne sauf à la famille proche de Abbassi Madani de lui rendre visite. Il n’a pas été autorisé à rentrer en contact avec un avocat ou à effectuer un quelconque recours judiciaire contre cette décision d’assignation à résidence, qui n’a jamais été transmise par écrit.

2.7 Le 16 janvier 2001, une communication a été présentée au Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire au nom de M. Madani. Le 3 décembre 2001, le Groupe de travail a rendu un avis selon lequel sa privation de liberté était arbitraire et contraire aux articles 9 et 14 du Pacte. Le Groupe de travail a prié l’État partie «de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation et la mettre en conformité avec les normes et principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte» . Aucune mesure n’a été prise par l’État partie.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir que les faits tels que présentés par lui ‑même font apparaître des violations des articles 9, 12, 14, et 19 du Pacte en ce qui concerne son père Abbassi Madani.

3.2 S’agissant des allégations relatives aux articles 9 et 19 du Pacte, Abbassi Madani a été arrêté arbitrairement pour des motifs politiques. Son inculpation pour atteinte à la sûreté de l’État a un caractère politique: aucun fait précis pouvant recevoir une qualification pénale n’a, en effet, pu être établi par l’accusation. Il lui a été reproché d’avoir initié une grève politique que les autorités militaires, et non les autorités civiles légales, avaient qualifiée d’insurrectionnelle. Cette grève avait été réprimée dans le sang par l’armée algérienne malgré son caractère pacifique et les garanties données par le chef du Gouvernement. Or, et à supposer qu’un mouvement de protestation politique puisse recevoir une qualification pénale, ce qui n’est pas le cas dans la législation interne, ce mouvement de protestation avait pris fin à la suite d’un accord intervenu entre le chef du Gouvernement et le parti présidé par Abbassi Madani. Son arrestation par les services de la sécurité militaire et son inculpation devant une juridiction militaire avaient de toute évidence pour seul but d’éliminer de la scène politique algérienne le Président du principal parti d’opposition, en violation des articles 9 et 19 du Pacte.

3.3 Quant aux allégations relatives à l’article 14, les règles minima en matière d’équité n’ont pas été respectées. Abbassi Madani a été condamné par un tribunal incompétent, manifestement partial et inéquitable. Cette juridiction relève en effet du Ministère de la défense et non du Ministère de la justice et elle est composée d’officiers dépendant hiérarchiquement de ce Ministère (juge d’instruction, magistrats et président de la juridiction de jugement nommés par le Ministre de la défense). C’est le Ministre de la défense qui prend l’initiative des poursuites et il a la faculté d’interpréter la loi relative à la compétence du tribunal militaire. Les poursuites et la condamnation par une telle juridiction ainsi que la privation de liberté constituent une violation de l’article 14.

3.4 Pour ce qui est de l’article 9 et l’assignation à résidence de Abbassi Madani, cette mesure n’a pas de justification légale. Le Gouvernement algérien a justifié cette décision d’assignation par «l’existence de cette mesure dans la législation algérienne à travers plusieurs textes», notamment l’article 6, alinéa 4, du décret présidentiel 99 ‑44 du 9 février 1992 portant l’instauration de l’état d’urgence, toujours en vigueur à la date de la communication. D’après le Gouvernement, ce décret aurait été pris en conformité avec l’article 4 du Pacte. Cependant, le Gouvernement ne s’est jamais conformé aux dispositions de l’alinéa 3 de cet article qui lui fait obligation «de signaler aussitôt, par l’entremise du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies les dispositions auxquelles il aurait dérogé ainsi que les motifs qui ont provoqué cette dérogation». L’article 9 du Code pénal, qui prévoit l’assignation à résidence comme peine complémentaire , s’applique avec l’article 11 qui oblige un condamné à demeurer dans une circonscription territoriale déterminée par un jugement . L’assignation à résidence ne peut donc être prononcée comme peine supplémentaire que par le même jugement de condamnation à la peine principale. Dans le cas de Abbassi Madani, la décision d’assignation à résidence n’est pas mentionnée dans le jugement de condamnation du tribunal militaire de Blida. En tout état de cause, l’article 11 de la loi précitée fixe la durée maximum de cette mesure à cinq années à compter du jour de la libération du condamné. L’assignation à résidence de Abbassi Madani ayant, à la date de présentation de la communication, largement dépassé les cinq ans constitue une violation de la loi même dont le Gouvernement algérien entend se prévaloir pour tenter de la justifier.

3.5 Les raisons de l’assignation à résidence de Abbassi Madani sont les mêmes que celles ayant motivé son arrestation et sa condamnation par le tribunal militaire, à savoir le libre exercice de ses droits politiques contenus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte. Cette mesure constitue donc une violation des articles 9, 12 et 19 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Le 27 juin 2003, l’État partie indique qu’il ne résulte pas de la communication que Abbassi Madani ait donné pouvoir à qui que ce soit pour agir en ses lieux et place, comme le prévoient les règles convenues dans le cadre de la saisine du Comité. M. Salim Abbassi qui prétend agir au nom de son père n’a présenté aucune justification de son pouvoir d’agir au nom de ce dernier. La procuration donnée par Salim Abbassi à Rachid Mesli n’est pas authentifiée et ne saurait en conséquence être prise en considération. De plus, Rachid Mesli a introduit la requête en se prévalant du titre d’avocat, or il n’est plus avocat en Algérie depuis qu’il a été radié du barreau par décision du Conseil de discipline de l’ordre des avocats de la région de Tizi ‑Ouzou le 3 octobre 2002. Il n’est par ailleurs pas inscrit à l’ordre des avocats du canton de Genève, d’où il a présenté la communication. Il ne peut en conséquence se prévaloir de cette qualité. En se prévalant du titre d’avocat, Rachid Mesli a fait usage d’une fausse qualité et usurpé une profession qu’il n’exerce pas. L’État partie indique enfin que Rachid Mesli fait l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé par le juge d’instruction du tribunal de Sidi M’hamed sous le n o 17/02 pour son implication dans des activités présumées terroristes menées par le Groupe salafiste de prédication et de combat, organisation qui figure sur la liste des organisations terroristes établie par l’ONU.

4.2 Le 12 novembre 2003, l’État partie rappelle que Abbassi Madani a été arrêté en juin 1991 consécutivement à un appel à la violence généralisée qui a été lancé en partie par Abbassi Madani à travers une directive signée de sa main. Cet appel fait suite à l’échec d’une tentative d’insurrection qu’il a préparée en partie et organisée dans le but d’instaurer par la violence un État théocratique. C’est dans le cadre de cette situation exceptionnelle, et pour garantir une bonne administration de la justice qu’il a été traduit devant un tribunal militaire qui contrairement aux allégations de la source est compétent en vertu de la loi algérienne pour connaître des faits qui lui sont reprochés. Ni l’article 14 du Pacte, ni l’Observation générale du Comité sur cet article, ni les autres normes internationales ne considèrent qu’en soi, un procès devant des juridictions autres que les tribunaux ordinaires constitue nécessairement une violation du droit à un procès équitable. Le Comité a eu l’occasion de le rappeler dans le cadre d’examen des communications à propos des tribunaux d’exception et des tribunaux militaires.

4.3 L’État partie signale par ailleurs que Abbassi Madani n’est plus détenu puisqu’il a été libéré le 2 juillet 2003. Il n’est plus astreint à aucune restriction concernant sa liberté de circulation et n’est pas assigné à résidence comme le prétend la source. Il a pu librement se déplacer à l’étranger.

4.4 Abbassi Madani a été poursuivi et jugé par un tribunal militaire dont l’organisation et la compétence sont prévues par l’ordonnance n o 71 ‑28 du 22 avril 1971 portant Code de justice militaire. Contrairement aux allégations, le tribunal militaire est composé de trois magistrats désignés par arrêté conjoint du Ministre de la justice, Garde des sceaux, et du Ministre de la défense nationale. Il est présidé par un magistrat professionnel de l’ordre judiciaire de droit commun, soumis statutairement à la loi portant statut de la magistrature et dont le déroulement de la carrière et la discipline relèvent du Conseil supérieur de la magistrature, organe constitutionnel présidé par le chef de l’État. Les décisions du tribunal militaire peuvent être attaquées par voie de pourvoi devant la Cour suprême pour les causes et dans les conditions prévues par les articles 495 et suivants du Code de procédure pénale. S’agissant de leur compétence, les tribunaux militaires peuvent connaître, en plus des infractions spéciales d’ordre militaire, des infractions contre la sûreté de l’État telles que définies par le Code pénal, lorsque la peine encourue est supérieure à cinq années d’emprisonnement. Dans ce cas, les tribunaux militaires peuvent juger quiconque commettrait une infraction de cette nature, quelle que soit sa qualité de militaire ou de non ‑militaire. C’est en conformité et sur la base de cette législation que Abbassi Madani a été poursuivi et jugé par le tribunal militaire de Blida, dont la compétence se fonde sur l’article 25 de l’ordonnance précitée. L’État partie relève que la question de l’incompétence de la juridiction militaire n’a pas été soulevée par Abbassi Madani devant les juges de fond. Elle a été évoquée pour la première fois devant la Cour suprême qui l’a rejetée.

4.5 Abbassi Madani a bénéficié de toutes les garanties que lui reconnaissent la loi et les instruments internationaux. Dès son arrestation, le juge d’instruction lui a notifié les accusations portées contre lui. Il s’est fait assister, au cours de l’information judiciaire et au cours de son procès de 19 avocats, et devant la Cour suprême par huit avocats. Il a utilisé les voies de recours offertes par la loi, puisqu’il a introduit un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Cette dernière a rejeté le recours.

4.6 Concernant l’allégation que le procès n’aurait pas été public, elle est inexacte et tend à faire croire la thèse selon laquelle il n’a pas été autorisé à assister au déroulement de son procès, ni à se défendre contre les accusations portées à son encontre. En réalité, et dès l’ouverture du procès, il a refusé de comparaître devant le tribunal militaire, alors même qu’il avait été cité régulièrement, en même temps que ses avocats avaient été convoqués. Constatant son absence à l’audience, le Président du tribunal lui a adressé une sommation à comparaître, notifiée conformément à l’article 294 du Code de procédure pénale et 142 du Code de justice militaire. Devant son refus de comparaître, un procès verbal de constat a été dressé, avant que le Président du tribunal ne décide de passer outre aux débats, conformément aux dispositions susmentionnées. Néanmoins, tous les actes de procédure concernant le déroulement des débats ont été régulièrement notifiés à l’accusé et des procès verbaux en ont été dressés. Que l’on juge un accusé en son absence n’est contraire ni à la législation nationale ni aux dispositions du Pacte: si l’article 14 stipule que toute personne accusée d’une infraction a le droit d’être présente à son procès, il ne dit pas que la justice ne peut être rendue lorsque le prévenu refuse délibérément, et de son seul chef, de comparaître aux audiences du tribunal. Le Code de procédure pénale et le Code de justice militaire permettent au tribunal de passer outre aux débats lorsqu’un prévenu persiste dans son refus de comparaître devant lui. Cette forme légale de procéder trouve sa justification dans le fait que la justice doit être rendue en toutes circonstances et que le comportement négatif d’un accusé ne saurait en entraver indéfiniment le cours.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Le 28 mars 2004, le conseil fournit une procuration au nom de Abbassi Madani, en date du 8 mars 2004, et informe qu’il a fait l’objet d’une levée de la mesure d’assignation à résidence le 2 juillet 2003, et qu’il se trouve actuellement à Doha (Qatar).

5.2 Sur la recevabilité de la communication, le conseil précise que l’article 96 b) du Règlement intérieur du Comité autorise la présentation d’une communication par le particulier lui ‑même ou son représentant. Au moment de la présentation de la communication, Abbassi Madani était toujours illégalement assigné à résidence et empêché de communiquer avec toute autre personne à l’exception de certains membres de sa proche famille. La mesure d’assignation a été levée le 2 juillet 2003 et Abbassi Madani a établi une procuration spéciale autorisant le conseil à le représenter devant le Comité. Quant aux attaques personnelles faites par l’État partie contre le conseil, il y répond et demande au Comité de les rejeter.

5.3 Sur le fond, Abbassi Madani a fait l’objet d’une levée de la mesure d’assignation à résidence à l’expiration de la durée légale de sa peine d’emprisonnement à douze années de réclusion criminelle, c’est ‑à ‑dire le 2 juillet 2003. À sa libération, il a fait l’objet d’autres violations de ses droits civils et politiques. La demande initiale d’enjoindre à l’État partie d’avoir à se conformer à ses engagements internationaux en levant la mesure prise à l’encontre du requérant devient sans objet. La détention de Abbassi Madani dans les conditions décrites dans la communication initiale constitue une violation du Pacte.

Observations supplémentaires de l’État partie

6. Le 18 juin 2004, l’État partie relève que le mandataire de Abbassi Madani, tout en reconnaissant qu’il n’est plus avocat, signe néanmoins en cette qualité les commentaires soumis au Comité. Il relève également que le mandataire, au lieu de répondre aux observations de fond transmises par l’État partie, choisit d’exposer des détails de son cas personnel, oubliant qu’il agit pour le compte d’un tiers. Il note que le mandataire reconnaît que Abbassi Madani n’est plus soumis à aucune mesure de restriction, affirmant de ce fait que sa demande adressée au Comité devient sans objet. Il rappelle que la communication doit être considérée comme étant infondée et irrecevable.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité note que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.3 Sur la question de la validité de la procuration présentée par le conseil, le Comité rappelle que «normalement, la communication doit être présentée par le particulier lui ‑même ou par son représentant; une communication présentée au nom d’une prétendue victime peut toutefois être acceptée lorsqu’il appert que celle ‑ci est dans l’incapacité de présenter elle ‑même la communication» . Dans le cas présent, le représentant a indiqué que Abbassi Madani était assigné à résidence à la date de la présentation de la communication initiale, et qu’il ne pouvait communiquer qu’avec les membres proches de sa famille. Le Comité considère donc que la procuration présentée par le conseil au nom du fils de Abbassi Madani suffisait aux fins de l’enregistrement de la communication . De plus, le représentant a depuis fourni une procuration signée par Abbassi Madani, qui l’autorise expressément et de manière certaine en l’espèce à le représenter devant le Comité. Il conclut donc que la communication a été valablement soumise au Comité.

7.4 En ce qui concerne la question des plaintes portées au titre des articles 9, 12, 14 et 19 du Pacte, le Comité considère en l’espèce que les éléments présentés par l’auteur sont suffisants pour étayer les plaintes, aux fins de la recevabilité. Le Comité conclut donc que la communication est recevable au titre des dispositions précitées.

7.5 S’agissant de la condamnation de Abassi Madani en son absence à douze ans de réclusion criminelle, le Comité, relevant que l’auteur n’a invoqué cette question qu’au niveau de l’exposé des faits sans la reprendre au niveau de la teneur de la plainte et sans réagir aux explications détaillées fournies par l’État partie, considère que cet aspect de la requête ne constitue pas une prétention de violation de l’un quelconque des droits énoncés par le Pacte, au sens de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6 Le Comité prend note de la demande de reformulation faite par le représentant et soutenant que sa demande initiale, introduite à un moment où le père de l’auteur était en résidence surveillée et avant la levée de la mesure de mise en résidence surveillée, et qu’à partir de la levée de la mise en résidence, la demande, tout en devenant sans objet, ne laisse pas moins intacte la violation du Pacte au titre de la détention arbitraire. Le Comité prend note également de la demande de l’État partie tendant à conclure que la communication était devenue sans objet du fait de l’aveu même du représentant de l’auteur, reconnaissant que ce dernier n’était plus soumis à aucune mesure de restriction, et appelant à ce que la communication soit considérée comme infondée et irrecevable. Le Comité estime que la levée de la mesure d’assignation à résidence ne conduit pas à considérer que l’examen de la détention arbitraire devient pour autant automatiquement sans objet, et en conséquence déclare ce grief recevable.

Examen au fond

8.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2 Le Comité note que Abbassi Madani a été arrêté en 1991 et jugé par un tribunal militaire en 1992, pour atteinte à la sûreté de l’État et au bon fonctionnement de l’économie nationale. Il a ensuite quitté la prison militaire de Blida le 15 juillet 1997. D’après l’auteur, il a ensuite été assigné à résidence le 1 er septembre 1997, sans qu’il n’ait été informé des raisons de cette assignation par écrit.

8.3 Le Comité rappelle que le paragraphe 1 de l’article 9 garantit à tout individu le droit à la liberté de la personne, et indique que nul ne peut être privé de sa liberté si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. Il rappelle également que l’assignation à résidence peut engendrer des violations de l’article 9 qui garantit à tout individu le droit à la liberté et le droit de ne pas subir de détention arbitraire. L’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur sauf pour préciser que Abbassi Madani n’est plus détenu et qu’il n’est pas assigné à résidence. L’État partie ne s’étant pas prévalu d’un régime particulier d’exécution d’une peine d’emprisonnement ou d’un titre juridique autorisant l’assignation à résidence, le Comité conclut qu’un déni de liberté a été commis entre le 1 er septembre 1997 et le 1 er juillet 2003. La détention revêt ainsi un caractère arbitraire et constitue donc une violation du paragraphe 1 de l’article 9.

8.4 Le paragraphe 3 de l’article 9 prévoit que tout individu détenu doit être traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et doit être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle la détention ne doit pas se poursuivre au ‑delà de la période pour laquelle l’État partie peut apporter une justification appropriée pour ne pas être qualifiée d’arbitraire . Dans le cas présent, le père de l’auteur a été libéré de son assignation à résidence le 2 juillet 2003, soit après un délai de près de six ans. L’État partie n’a avancé aucune justification pour la durée de la détention. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9.

8.5 Le Comité relève l’allégation de l’auteur selon laquelle tout au long de la période d’assignation à résidence le père de l’auteur a été privé d’accès à un défenseur, et qu’il n’a pas eu la possibilité de contester la légalité de sa détention. L’État partie n’a pas répondu à ces allégations. Le Comité rappelle que conformément au paragraphe 4 de l’article 9, un contrôle judiciaire de la légalité de la détention doit inclure la possibilité d’ordonner la libération du détenu si la détention est déclarée incompatible avec les dispositions du Pacte, en particulier celles du paragraphe 1 de l’article 9. Dans le cas d’espèce, le père de l’auteur a été assigné à résidence pendant près de six ans sans justification spécifique liée au dossier et sans possibilité d’examen judiciaire quant au fond de la question de savoir si la détention était compatible avec le Pacte. En conséquence, et en l’absence d’explications suffisantes de l’État partie, le Comité conclut à une violation du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.

8.6 À la lumière des conclusions ci ‑dessus, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner le grief fondé sur l’article 12 du Pacte.

8.7 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 14 du Pacte, le Comité rappelle son Observation générale n o 13 selon laquelle bien que le Pacte n’interdise pas le jugement de civils par des tribunaux militaires, de tels procès doivent être exceptionnels et doivent se dérouler dans des conditions garantissant véritablement les pleines garanties prévues à l’article 14. Il incombe à l’État partie poursuivant des civils devant des tribunaux militaires de justifier une telle pratique. Le Comité estime que l’État partie doit démontrer, relativement à la catégorie spécifique des personnes en question, que les tribunaux civils ordinaires ne sont pas en mesure d’entreprendre ces procès, que d’autres formes alternatives de tribunaux civils spéciaux ou de haute sécurité ne sont pas adaptées à cette tâche et que le recours à des tribunaux militaires garantit la pleine protection des droits de l’accusé, conformément à l’article 14. L’État partie doit par ailleurs démontrer comment les tribunaux militaires garantissent la pleine protection des droits de l’accusé, conformément à l’article 14. Dans le cas présent, l’État partie n’a pas démontré les raisons pour lesquelles le recours à un tribunal militaire était nécessaire. Dans ses commentaires sur la gravité des accusations à l’encontre de M. Abbassi Madani, l’État partie n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles les tribunaux civils ordinaires ou d’autres formes alternatives de tribunaux civils n’étaient pas adéquats pour le juger. De même, la simple invocation des dispositions juridiques internes pour le procès par les tribunaux militaires de certaines catégories de délits graves ne peut justifier, aux termes du Pacte, le recours à de tels tribunaux. L’échec de l’État partie à démontrer le besoin d’avoir recours à un tribunal militaire dans le cas présent signifie que le Comité n’a pas besoin d’examiner si le tribunal militaire a, dans les faits, apporté toutes les garanties au titre de l’article 14. Le Comité conclut que le procès et la condamnation de Abbassi Madani par un tribunal militaire révèlent une violation de l’article 14 du Pacte.

8.8 Quant à l’allégation de violation de l’article 19, le Comité rappelle que la liberté d’information et la liberté d’expression sont les pierres angulaires de toute société libre et démocratique. De telles sociétés, par essence, autorisent les citoyens à s’informer sur les solutions de remplacement éventuelles au système ou aux partis politiques au pouvoir, et à critiquer ou évaluer ouvertement et publiquement leur gouvernement sans crainte d’intervention ou de répression de sa part, dans les limites fixées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. En ce qui concerne les allégations que Abbassi Madani a été arrêté et inculpé à des fins politiques, le Comité note qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour conclure à une violation de l’article 19 quant à l’arrestation et l’inculpation en 1991. De même, bien que l’État partie ait indiqué que l’auteur bénéficie de tous ses droits et réside depuis lors à l’étranger et en dépit d’allégations de l’auteur à cet égard, le Comité note qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour conclure à une violation de l’article 19, quant à l’allégation d’interdiction imposée à Abbassi Madani de s’exprimer ou d’exprimer une quelconque opinion lors de son assignation à résidence.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 9 et 14 du Pacte.

10. Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile à Abbassi Madani. L’État partie est tenu de prendre des mesures appropriées pour faire en sorte que l’auteur obtienne une réparation appropriée y compris sous forme d’indemnisation. L’État partie est d’autre part tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

11. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en français (version originale), en espagnol et en anglais. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion dissidente de M. Abdelfattah Amor

Dans cette affaire, le Comité, après avoir souligné, dans un style et dans des termes qu’il n’a pas l’habitude d’employer, que:

« L’échec de l’État partie à démontrer le besoin d’avoir recours à un tribunal militaire dans le cas présent signifie que le Comité n’a pas besoin d’examiner si le tribunal militaire a, dans les faits, apporté toutes les garanties au titre de l’article 14. »,

conclut que:

«Le procès et la condamnation de Abbassi Madani par un tribunal militaire révèlent une violation de l’article 14.».

Je ne peux adhérer à la démarche et à la conclusion que véhicule ce paragraphe 8.7 des constatations du Comité. J’estime qu’elles vont au ‑delà du sens de l’article 14 et s’écartent de l’Observation générale dont il fait l’objet.

L’article 14 traite, à titre fondamental, des garanties et procédures pour une administration équitable, indépendante et impartiale de la justice . C’est sous cet angle, seulement, qu’est évoqué, au seul paragraphe premier de cet article, l’organe appelé à rendre la justice: «Tous sont égaux devant les tribunaux et cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent, indépendant et impartial…».

L’article 14 ne se préoccupe pas de la nature des tribunaux. Il ne comporte aucune interdiction ou préférence pour une quelconque catégorie de tribunaux. Les tribunaux qui ne semblent pas avoir leur place dans le champ de l’article 14 sont ceux qui ne donnent pas effet aux garanties et procédures qu’il prévoit. Aucune catégorie de tribunaux n’est condamnable en elle ‑même et par principe.

Pour préciser le sens et la portée de l’article 14, le Comité a établi, en 1984, lors de sa vingt et unième session, l’Observation générale n o 13. Celle ‑ci n’a pas fait l’objet, jusque ‑là, c’est ‑à ‑dire jusqu’à la fin de la quatre ‑vingt ‑neuvième session au cours de laquelle les présentes constatations ont été adoptées, de révision de modification ou d’actualisation. Le paragraphe 4 de cette Observation générale concerne, notamment, les tribunaux militaires. L’économie générale de ce paragraphe permet de relever que:

La constitution des tribunaux militaires n’est pas interdite par le Pacte;

Le jugement de civils par des tribunaux militaires devrait être très exceptionnel et se dérouler dans des conditions qui respectent véritablement toutes les garanties stipulées par l’article 14;

Les dérogations aux procédures normales prévues à l’article 14 en cas de danger public, tel qu’envisagé à l’article 4 du Pacte, ne doivent pas aller au ‑delà de celles qui sont rigoureusement requises par les exigences de la situation réelle.

En d’autres termes, et compte dûment tenu de l’article 14, l’appréciation du Comité devrait porter fondamentalement sur les garanties d’une administration équitable, impartiale et indépendante de la justice. C’est dans cette perspective, et dans cette perspective seulement, que la question de l’organe juridictionnel − du tribunal − peut être perçue ou saisie.

Le tribunal militaire qui a jugé Abbassi Madani est institué par la loi algérienne. Sa compétence de principe s’étend aux infractions militaires, comme cela est le cas dans tous les pays disposant de forces militaires. En général, cette compétence s’étend, également, aux non ‑militaires coaccusés ou complices s’agissant de commission d’infractions militaires. Dans certains États, elle intègre toutes les affaires dans lesquelles des militaires sont impliqués.

En Algérie, outre leur compétence de principe, les tribunaux militaires disposent d’une compétence d’attribution, explicitement établie par la loi. En effet l’Ordonnance n o 71 ‑28 du 22 avril 1971 donne aux tribunaux militaires la possibilité de connaître des infractions contre la sûreté de l’État commises par des civils lorsque la peine encourue est supérieure à cinq ans d’emprisonnement. C’est dire qu’il s’agit là d’une faculté débordant la compétence ordinaire des tribunaux militaires. C’est là une exception à la règle générale de compétence des tribunaux militaires.

Le Comité a toujours estimé que s’il est vrai que le pacte n’interdit pas la constitution de tribunaux militaires, le jugement des civils par ces tribunaux devrait rester très exceptionnel et se dérouler dans les conditions qui respectent véritablement toutes les garanties stipulées à l’article 14 . Faudrait ‑il aller au ‑delà et poser d’autres conditions en demandant à l’État partie de démontrer (relativement à la poursuite de civils devant les tribunaux militaires) que «les tribunaux civils ordinaires ne sont pas en mesure d’entreprendre ces procès, que d’autres formes alternatives de tribunaux civils spéciaux ou de haute sécurité ne sont pas adaptés à cette tâche» ?

Cette nouvelle condition posée par le Comité ne va pas sans poser des difficultés juridiques sérieuses. Elle ne s’inscrit pas, de manière certaine, dans le champ de l’article 14 et l’Observation générale n o 13 ne la prévoit pas. Soumettre l’État à des conditions non prévues au départ ne constitue pas une application appropriée des normes définies par le Pacte ou qui lui sont imputées. Cette condition est, de l’autre côté, contestable. Elle l’est en ce sens qu’à moins d’appréciation franchement arbitraire ou d’erreur manifeste, le Comité ne peut pas se substituer à l’État pour juger du bien ‑fondé des alternatives aux tribunaux militaires . Selon quels éléments est ‑il possible au Comité de juger l’option de l’État pour des tribunaux civils spéciaux, des tribunaux de haute sécurité ou des tribunaux militaires? En vertu de quels critères est ‑il possible au Comité d’apprécier si des tribunaux civils spéciaux ou de haute sécurité sont adaptés ou non au jugement de civils poursuivis pour infractions à la sûreté de l’État? Les seules références possibles pour le Comité, quelles que soient les juridictions concernées, sont et demeurent les garanties et procédures prévues à l’article 14 . Ce n’est qu’à ce niveau que le Comité est en terrain sûr, à l’abri des sables mouvants et des retours de manivelle.

Ce n’est pas, non plus, au niveau de l’appréciation du caractère exceptionnel des circonstances ou de la qualification du danger public que le Comité peut se situer. Le Comité n’est pas l’instance appropriée pour porter des jugements sur des situations factuelles dont il ne peut, par ailleurs, maîtriser ni l’ampleur ni la portée. Il ne peut exercer à cet égard qu’un contrôle minimum tenant à l’appréciation arbitraire et à l’erreur manifeste. Lorsqu’il est fait recours à l’état d’urgence sur la base de l’article 4 du Pacte, le Comité doit s’assurer de la régularité de la proclamation de l’état d’urgence et veiller à ce que les dérogations aux dispositions de l’article 14 n’aillent pas au ‑delà de celles qui sont rigoureusement requises par les exigences de la situation réelle et qu’elles respectent les autres conditions prévues au même article. L’analyse du Comité a évacué l’ensemble de ces aspects, ce qui est fort regrettable. En procédant comme il l’a fait, le Comité s’est engagé dans une voie aux issues incertaines .

Ce qui demeure fondamental, au ‑delà de la question de la nature de l’organe de jugement, tient au respect des garanties et procédures édictées par l’article 14 et précisées par l’Observation générale n o 13. Lorsque, à titre exceptionnel, des civils sont jugés par des tribunaux militaires, l’essentiel est que le procès se déroule dans des conditions permettant une administration équitable, impartiale et indépendante de la justice. C’est là la question clef que le Comité a esquivée, alors qu’elle aurait dû constituer l’axe de son appréciation et la finalité de sa démarche . À cet égard une multitude de questions sont restées sans réponse.

Évoquant la question de la composition du tribunal militaire, l’auteur a affirmé qu’il est constitué d’officiers militaires dépendant hiérarchiquement du Ministère de la défense, que «le juge d’instruction et les magistrats composant la juridiction de jugement sont des officiers nommés par le Ministre de la défense» et que le Président de la juridiction de jugement, bien qu’ayant la qualité de civil, est également nommé par le Ministre de la défense nationale. Le Gouvernement algérien, dont la réponse n’a pas fait l’objet de commentaires de l’auteur, a indiqué quant à lui que «le tribunal militaire est composé de trois magistrats désignés par arrêté conjoint du Ministre de la justice, Garde des sceaux, et du Ministre de la défense nationale. Il est présidé par un magistrat professionnel de l’ordre judiciaire de droit commun, soumis statutairement à la loi portant statut de la magistrature et dont le déroulement de la carrière et la discipline relèvent du Conseil supérieur de la magistrature».

Sur un autre plan, l’auteur affirme que «c’est le Ministre de la défense qui prend l’initiative des poursuites, même, comme c’est le cas en l’espèce, contre la volonté du chef du Gouvernement» et précise que ce Ministre «a également la faculté d’interpréter la loi relative à la compétence du tribunal militaire». L’État partie, sans commenter ces allégations, évoque de manière générale l’application du Code pénal, du Code de procédure pénale et du Code de justice militaire.

Le Comité aurait dû accorder l’attention voulue à ces différentes questions, tout comme il aurait pu s’arrêter sur de nombreux autres points tels les motifs de l’arrestation de M. Madani qui sont perçus de manière diamétralement opposée par l’auteur et par l’État partie − sans données ou documents pertinents à l’appui − et procéder à un examen plus rigoureux de l’ensemble des éléments du dossier à cet égard.

Sur un autre plan, l’auteur indique que «les règles minima en matière d’équité n’ont pas été respectées par l’État algérien en ce qui concerne M. Abbassi Madani. Celui ‑ci a en effet été condamné par un tribunal incompétent, manifestement partial et inéquitable». L’État partie fournit des indications en sens contraire sans susciter de nouveaux commentaires de l’auteur. Il indique que le tribunal militaire est créé par la loi, que la question de son incompétence n’a pas été soulevée devant le juge du fond, mais plutôt et pour la première fois devant la Cour suprême qui l’a rejetée. L’État indique également que les accusations portées contre M. Madani lui avaient été notifiées dès son arrestation, que des avocats l’ont assisté au cours de l’information judiciaire et au cours du procès, qu’il a utilisé les voies de recours offertes par la loi, que le procès, contrairement aux allégations de l’auteur, a été public, que le refus de M. Madani de comparaître a été traité dans le respect des procédures prévues par la loi et que tous les actes de procédure concernant le déroulement des débats lui ont été régulièrement notifiés et qu’à cet égard, procès verbaux en ont été dressés.

Toutes ces questions auraient dû également retenir l’attention du Comité et la décision consistant à les écarter au motif que l’État n’a pas démontré en quoi des solutions alternatives au recours au tribunal militaire n’étaient pas adaptées, n’était pas la décision la mieux fondée sur le plan du droit.

On rappellera, par ailleurs, que s’agissant de la question de l’impartialité de la justice, il revient généralement aux cours d’appel des États parties au Pacte d’apprécier les faits de la cause et les preuves dans une affaire particulière et qu’il n’appartient pas, en principe, au Comité de sanctionner la conduite des audiences par le juge sauf s’il peut être établi qu’elle équivaut à un déni de justice ou que le juge a manifestement violé son obligation d’impartialité (voir décision du Comité dans l’affaire n o 541/1993 Errol Simms c. Jamaïque , avril 1995, par. 6.2).

Le paragraphe 8.7 des constatations du Comité a laissé les questions essentielles en suspens. Je ne peux m’empêcher de constater que le Comité a d’un côté fait ce qu’il n’avait pas à faire en exigeant une démonstration de l’État quant à la pertinence de ses choix entre les différentes alternatives de juridictions qui auraient pu s’offrir à lui, et n’a pas fait, de l’autre côté, ce qu’il aurait dû faire et qui s’imposait à lui relativement au respect ou non des garanties entourant la pleine protection des droits de l’accusé.

( Signé ) Abdelfattah Amor

[Fait en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Opinion individuelle de M. Ahmed T. Khalil

Comme je l’ai indiqué à la séance plénière du Comité tenue à New York le 28 mars 2007, je ne peux souscrire aux constatations figurant au paragraphe 8.7 de la communication n o 1172/2003 ( Abbassi Madani c. Algérie ), dans laquelle il est conclu à une violation de l’article 14 du Pacte par l’État partie. Ma position est fondée sur les considérations exposées ci ‑après.

Il est tout à fait clair que le Pacte n’interdit pas la création de tribunaux militaires. En outre, tout en affirmant clairement que le jugement de civils par de tels tribunaux devrait être très exceptionnel, le paragraphe 4 de l’Observation générale n o 13 du Comité sur l’article 14 souligne, ce qui est à mon avis encore plus important, que le jugement de civils par de tels tribunaux devrait se dérouler dans des conditions qui respectent véritablement toutes les garanties stipulées à l’article 14.

En conséquence, la question dont est saisi le Comité en l’espèce est celle de savoir si ces garanties ont été dûment et pleinement respectées. En d’autres termes, la tâche du Comité consistait, à mon sens, à vérifier si le procès de M. Abbassi Madani a offert les garanties fondamentales d’une administration de la justice équitable, impartiale et indépendante.

L’auteur fait valoir que les règles minima en matière d’équité n’ont pas été respectées et que M. Abbassi a été condamné par un tribunal incompétent manifestement partial et inéquitable.

Pour sa part, l’État partie déclare que M. Abbassi Madani a été poursuivi et jugé par un tribunal militaire, dont l’organisation et la compétence sont prévues par l’ordonnance n o 71 du 28 avril 1971 et que, contrairement aux allégations de l’auteur, un tribunal militaire est compétent pour connaître des infractions dont M. Abbassi Madani était accusé. L’État partie fait observer également que M. Abbassi Madani n’a pas contesté devant les juges du fond la compétence du tribunal militaire. Cette question a été soulevée pour la première fois devant la Cour suprême qui a rejeté l’argument de l’auteur.

En outre, l’État partie a, entre autres, indiqué que dès son arrestation M. Abbassi Madani avait été informé par le juge d’instruction des accusations portées contre lui, qu’il s’était fait assister au cours de l’information judiciaire, pendant le procès et devant la Cour suprême par de nombreux avocats et que M. Abbassi Madani s’était prévalu des moyens de recours internes offerts par la loi, etc. Il convient de noter que les observations de l’État partie citées plus haut n’ont suscité aucun commentaire de la part de l’auteur.

Il semble tout à fait clair que toutes ces questions soulevées par l’auteur et l’État partie auraient dû retenir toute l’attention du Comité dans ses efforts pour formuler ses constatations concernant l’article 14, compte tenu des garanties qui y sont énoncées.

Malheureusement, ainsi qu’il ressort du paragraphe 8.7 de la communication, au lieu d’examiner minutieusement ces questions fondamentales, le Comité a choisi d’affirmer que, lorsqu’ils jugent des civils devant des tribunaux militaires, les États parties doivent démontrer que les tribunaux civils ordinaires ne sont pas en mesure d’entreprendre ces procès, posant ainsi une condition qui, à mon avis, ne fait pas partie des garanties énoncées à l’article 14. Le Comité a conclu que, dans le cas d’espèce, le fait que l’État partie n’ait pas rempli cette condition est suffisant en lui ‑même pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 14.

En outre, ainsi qu’il ressort du libellé du paragraphe 8.7, le Comité est parvenu à la conclusion que, l’État partie n’ayant pas prouvé qu’il était nécessaire d’avoir recours à un tribunal militaire en l’espèce, le Comité n’a pas besoin de déterminer si le tribunal militaire a, dans les faits, respecté toutes les garanties prévues par l’article 14. À mon avis, cette dernière conclusion du Comité pourrait être interprétée comme signifiant que l’on ne peut exclure totalement l’hypothèse que si le Comité avait choisi, comme il aurait dû le faire, d’examiner la question des garanties, il serait peut ‑être arrivé à la conclusion que dans le procès militaire en cause les garanties énoncées à l’article 14 du Pacte ont été en fait respectées.

Pour toutes ces raisons, il m’est impossible de souscrire aux constatations formulées par le Comité au paragraphe 8.7 de la communication.

( Signé ) Ahmed T. Khalil

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

N. Communication n o 1173/2003, Benhadj c. Algérie * (Constatations adoptées le 20 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Abdelhamid Benhadj (représenté par M. Rachid Mesli)

Au nom de :

Ali Benhadj (son frère)

État partie :

Algérie

Date de la communication :

31 mars 2003 (date de la lettre initiale)

Objet : Détention arbitraire

Question de procédure : Procuration

Questions de fond : Droit à la liberté et à la sécurité de la personne; arrestation et détention arbitraires; droit à être traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine; droit à un procès équitable; tribunal compétent, indépendant et impartial; droit à la liberté d’expression

Articles du Pacte : 7, 9, 10, 12, 14, 19

Article du Protocole facultatif : Néant

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte i n ternational relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1173/2003, présentée par Abdelhamid Benhadj au nom de Ali Benhadj (son frère) en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été commun i quées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 31 mars 2003, est Abdelhamid Benhadj, qui présente la communication au nom de son frère, Ali Benhadj, né le 16 décembre 1956 à Tunis. L’auteur indique que son frère est victime de violations par l’Algérie des articles 7, 9, 10, 12, 14 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il est représenté par M. Rachid Mesli. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Ali Benhadj est un des membres fondateurs et, à la date de présentation de la communication, le Vice ‑Président du Front islamique du salut (FIS), parti politique algérien agréé par l’État partie depuis le 12 septembre 1989, après l’instauration du pluralisme politique. Dans la perspective de la prochaine échéance électorale et suite aux victoires du FIS aux élections communales de 1990, le Gouvernement algérien devait faire adopter une nouvelle loi électorale qui a suscité la condamnation unanime de tous les partis d’opposition algériens. En protestation contre cette loi le FIS a organisé une grève générale accompagnée de sit ‑in pacifiques sur les places publiques. Après quelques jours de grèves et de marches pacifiques, les parties ont convenu de mettre un terme à ce mouvement de protestation en échange d’une révision prochaine de la loi électorale. Cependant, le 3 juin 1991, le chef du Gouvernement a été prié de démissionner et les places publiques étaient prises d’assaut par l’armée algérienne.

2.2 Le 29 juin 1991 Ali Benhadj a été arrêté par la sécurité militaire au siège de la télévision d’État où il s’était rendu pour exprimer la position de son parti. Il a été présenté le 2 juillet 1991 devant le Procureur militaire de Blida pour être inculpé de «crime contre la sûreté de l’État» et «d’atteinte au bon fonctionnement de l’économie nationale». Il lui a été notamment reproché d’avoir organisé une grève, que le parquet du tribunal avait qualifiée d’insurrectionnelle car elle aurait causé un grave préjudice économique à la nation. Les avocats constitués pour défendre Ali Benhadj ont contesté le bien ‑fondé des poursuites dont il faisait l’objet devant la juridiction militaire, ainsi que la régularité de l’instruction assurée par un magistrat militaire subordonné au parquet. D’après la défense , la juridiction avait été instituée pour éliminer de la scène politique les dirigeants du principal parti d’opposition, et elle était incompétente en l’espèce, ne pouvant connaître que des infractions à la loi pénale et au Code de justice militaire commises par des militaires dans l’exercice de leurs fonctions, ou des crimes commis par des civils lorsque ceux ‑ci agissent comme complice d’une infraction dont l’auteur principal est un militaire. La compétence du tribunal militaire en matière d’infractions à caractère politique prévue par une loi de 1963 avait été supprimée de fait par l’instauration d’une Cour de sûreté de l’État spécialement instituée pour connaître ce type d’infractions en 1971. Cette juridiction elle ‑même avait été dissoute après l’instauration du pluralisme politique en 1989, la règle générale de compétence devant donc s’appliquer.

2.3 Le premier tour des élections législatives du 26 décembre 1991 a été remporté par le FIS, et dès le lendemain des résultats officiels, le procureur militaire devait faire part aux avocats de la défense de son intention de mettre fin aux poursuites engagées contre Ali Benhadj. Cependant, le 12 janvier 1992 le Président de la République «démissionnait», l’état d’urgence était proclamé, les élections législatives annulées, et des camps «d’internement administratif» ouverts dans le sud de l’Algérie. Le 15 juillet 1992 le tribunal militaire de Blida a rendu, en l’absence du requérant, un jugement le condamnant à douze années de réclusion criminelle. Le pourvoi en cassation introduit contre cette décision a été rejeté par la Cour suprême le 15 février 1993, rendant ainsi définitive la condamnation pénale.

2.4 Lors de la présentation de la communication, M. Benhadj était toujours en prison. Tous ses coaccusés ont été libérés après avoir purgé une partie de leur peine. Durant sa détention, il a été soumis à diverses formes de détention et traité d’une manière différente selon qu’il ait été considéré par les autorités militaires comme un interlocuteur politique ou non. Ainsi, il a été détenu de juillet 1991 à avril 1993 à la prison militaire de Blida où il a fait l’objet de brutalités physiques, notamment pour avoir demandé à être traité conformément à la loi et au règlement carcéral, et également pour avoir refusé certaines sollicitations politiques des autorités militaires. Il a été ensuite transféré à la prison civile de Tizi ‑Ouzou où il a été soumis à l’isolement total dans le quartier des condamnés à mort pendant plusieurs mois. Il a été de nouveau transféré à la prison militaire de Blida, jusqu’à ce que des négociations politiques n’échouent et qu’il soit transféré le 1 er février 1995 dans une caserne militaire de l’extrême sud de l’Algérie. Il y a été détenu au secret pendant quatre mois et six jours et soumis au régime du cachot dans une cellule exiguë, sans aération ni possibilité d’hygiène. Suite à cette détention, il a été transféré dans une résidence d’État habituellement réservée aux hauts dignitaires en visite en Algérie, de nouvelles négociations s’étaient ouvertes entre une «commission nationale» présidée par le général Liamine Zeroual et les dirigeants du FIS.

2.5 Le jour de l’échec de ces négociations, que le général Zeroual a attribué à M. Benhadj, il a été transféré de nouveau dans l’extrême sud de l’Algérie dans un lieu de détention secret, probablement une caserne de sécurité militaire. Il y a été enfermé dans un cachot exigu , ne disposant d’aucune ouverture sur l’extérieur sinon une trappe s’ouvrant dans le plafond, dans un isolement complet, où il a perdu la notion du temps. Il y a été enfermé pendant deux ans. On l’a autorisé à écrire à toutes les autorités officielles (Président, chef du Gouvernement, Ministre de la justice, autorités militaires), et on l’a assuré que ses lettres parviendraient aux destinataires. Il a engagé de nombreuses grèves de la faim, qui ont été violemment réprimées par les agents qui assuraient sa garde. Il ne pouvait recevoir ni la visite de sa famille ni a fortiori celle de ses avocats.

2.6 En automne 1997 il a été de nouveau transféré à la prison militaire de Blida où il a été gardé au secret, et maltraité pendant près de deux ans. Sa famille a donc ignoré son lieu de détention et s’il était encore en vie quatre ans durant. Ce n’est qu’en mars 1999 qu’elle a été avisée de son lieu de détention et autorisée à lui rendre visite. En janvier 2001, sa famille a remarqué que ses conditions de détention s’étaient de nouveau détériorées à la suite de lettres envoyées par Ali Benhadj au Président de la République. Le 16 janvier 2001, M. Mesli a saisi le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire du cas de M. Benhadj. Le 3 décembre 2001, le Groupe de travail a rendu un avis selon lequel sa privation de liberté était arbitraire et contraire aux articles 9 et 14 du Pacte. Le Groupe de travail a prié l’État partie «de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation et la mettre en conformité avec les normes et principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte» . Aucune mesure n’a été prise par l’État partie.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir que les faits tels que présentés par lui ‑même font apparaître des violations des articles 7, 9, 10, 12, 14, et 19 du Pacte en ce qui concerne son frère Ali Benhadj.

3.2 S’agissant des allégations relatives aux articles 9, 12 et 19 du Pacte, l’inculpation d’Ali Benhadj pour atteinte à la sûreté de l’État a un caractère politique: aucun fait précis pouvant recevoir une qualification pénale n’a, en effet, pu être établi par l’accusation. Il lui a été reproché d’avoir initié une grève politique que les autorités militaires, et non les autorités civiles légales, avaient qualifiée d’insurrectionnelle. Cette grève avait été réprimée dans le sang par l’armée algérienne malgré son caractère pacifique et les garanties données par le chef du Gouvernement. Or, et à supposer qu’une action de protestation politique puisse recevoir une qualification pénale, ce qui n’est pas le cas dans la législation interne, ce mouvement de protestation avait pris fin à la suite d’un accord intervenu entre le chef du Gouvernement et le parti coprésidé par Ali Benhadj. Son arrestation par les services de sécurité militaire au siège de la télévision d’État où il s’était rendu pour s’exprimer, et son inculpation devant une juridiction militaire, avaient de toute évidence pour seul but d’éliminer de la scène politique algérienne l’un des principaux dirigeants d’un parti d’opposition.

3.3 Quant aux allégations relatives à l’article 14, les règles minima en matière d’équité n’ont pas été respectées. Ali Benhadj a été condamné par un tribunal incompétent, partial et inéquitable pour des motifs strictement politiques. Le procès du requérant n’a pas été public. La défense a demandé à l’ouverture du procès que celui ‑ci se tienne publiquement et que l’audience soit ouverte à tous. Cette demande a été rejetée sans que le tribunal n’avance de justifications légales et sans que le huis clos ne soit prononcé. Certains avocats constitués ont été empêchés d’accéder au tribunal par des militaires postés en barrage sur toutes les routes d’accès . Ali Benhadj a été empêché de s’exprimer dès l’ouverture du procès par le procureur militaire qui assurait, en violation de la loi, la police de l’audience, et qui imposait ses décisions au Président du tribunal lui ‑même. Le procès d’Ali Benhadj s’est déroulé en son absence, ayant été expulsé manu militari de la salle d’audience sur ordre du procureur militaire pour avoir protesté contre les conditions dans lesquelles il se tenait.

3.4 Enfin, la juridiction militaire, incompétente, ne pouvait être ni équitable ni impartiale. Cette juridiction relève en effet du Ministère de la défense et non du Ministère de la justice et elle est composée d’officiers dépendant hiérarchiquement de ce Ministère (juge d’instruction, magistrats et Président de la juridiction de jugement nommés par le Ministre de la défense). C’est le Ministre de la défense qui prend l’initiative des poursuites et il a la faculté d’interpréter la loi relative à la compétence du tribunal militaire. Les poursuites et la condamnation par une telle juridiction ainsi que la privation de liberté constituent une violation de l’article 14.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Le 12 novembre 2003, l’État partie rappelle qu’Ali Benhadj a été arrêté en juin 1991 consécutivement à un appel à la violence généralisée qui a été lancé en partie par Ali Benhadj à travers une directive signée de sa main. Cet appel fait suite à l’échec d’une tentative d’insurrection qu’il a préparée en partie et organisée dans le but d’instaurer par la violence un état théocratique. C’est dans le cadre de cette situation exceptionnelle, et pour garantir une bonne administration de la justice, qu’il a été traduit devant un tribunal militaire qui contrairement aux allégations de la source est compétent en vertu de la loi algérienne pour connaître des faits qui lui sont reprochés. Ni l’article 14 du Pacte, ni l’Observation générale du Comité sur cet article, ni les autres normes internationales ne considèrent qu’en soi, un procès devant des juridictions autres que les tribunaux ordinaires constitue nécessairement une violation du droit à un procès équitable. Le Comité a eu l’occasion de le rappeler dans le cadre d’examen des communications à propos des tribunaux d’exception et des tribunaux militaires.

4.2 L’État partie signale qu’Ali Benhadj n’est plus détenu puisqu’il a été libéré le 2 juillet 2003. Il n’est plus astreint à aucune restriction concernant sa liberté de circulation et n’est pas assigné à résidence comme le prétend l’auteur.

4.3 Ali Benhadj a été poursuivi et jugé par un tribunal militaire dont l’organisation et la compétence sont prévues par l’ordonnance n o 71 ‑28 du 22 avril 1971 portant Code de justice militaire. Contrairement aux allégations, le tribunal militaire est composé de trois magistrats désignés par arrêté conjoint du Ministre de la justice, Garde des sceaux, et du Ministre de la défense nationale. Il est présidé par un magistrat professionnel de l’ordre judiciaire de droit commun, soumis statutairement à la loi portant statut de la magistrature et dont le déroulement de la carrière et la discipline relèvent du Conseil supérieur de la magistrature, organe constitutionnel présidé par le chef de l’État. Les décisions du tribunal militaire peuvent être attaquées par voie de pourvoi devant la Cour suprême pour les causes et dans les conditions prévues par les articles 495 et suivants du Code de procédure pénale. S’agissant de leur compétence, les tribunaux militaires peuvent connaître, en plus des infractions spéciales d’ordre militaire, des infractions contre la sûreté de l’État telles que définies par le Code pénal, lorsque la peine encourue est supérieure à cinq années d’emprisonnement. Dans ce cas, les tribunaux militaires peuvent juger quiconque commettrait une infraction de cette nature, quelle que soit sa qualité de militaire ou de non ‑militaire. C’est en conformité et sur la base de cette législation qu’Ali Benhadj a été poursuivi et jugé par le tribunal militaire de Blida, dont la compétence se fonde sur l’article 25 de l’ordonnance précitée. L’État partie relève que la question de l’incompétence de la juridiction militaire n’a pas été soulevée devant les juges du fond. Elle a été évoquée pour la première fois devant la Cour suprême qui l’a rejetée.

4.4 Ali Benhadj a bénéficié de toutes les garanties que lui reconnaissent la loi et les instruments internationaux. Dès son arrestation, le juge d’instruction lui a notifié les accusations portées contre lui. Il s’est fait assister, au cours de l’information judiciaire et au cours de son procès, de 19 avocats, et devant la Cour suprême par huit avocats. Il a utilisé les voies de recours offertes par la loi, puisqu’il a introduit un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Cette dernière a rejeté le recours.

4.5 Concernant l’allégation que le procès n’aurait pas été public, elle est inexacte et tend à faire croire la thèse selon laquelle il n’a pas été autorisé à assister au déroulement de son procès, ni à se défendre contre les accusations portées à son encontre. En réalité, et dès l’ouverture du procès, il a refusé de comparaître devant le tribunal militaire, alors même qu’il avait été cité régulièrement, en même temps que ses avocats avaient été convoqués. Constatant son absence à l’audience, le Président du tribunal lui a adressé une sommation à comparaître, notifiée conformément aux articles 294 du Code de procédure pénale et 142 du Code de justice militaire. Devant son refus de comparaître, un procès verbal de constat a été dressé, avant que le Président du tribunal ne décide de passer outre aux débats, conformément aux dispositions susmentionnées. Néanmoins, tous les actes de procédure concernant le déroulement des débats ont été régulièrement notifiés à l’accusé et des procès verbaux en ont été dressés. Que l’on juge un accusé en son absence n’est contraire ni à la législation nationale ni aux dispositions du Pacte: si l’article 14 stipule que toute personne accusée d’une infraction a le droit d’être présente à son procès, il ne dit pas que la justice ne peut être rendue lorsque le prévenu refuse délibérément, et de son seul chef, de comparaître aux audiences du tribunal. Le Code de procédure pénale et le Code de justice militaire permettent au tribunal de passer outre aux débats lorsqu’un prévenu persiste dans son refus de comparaître devant lui. Cette forme légale de procéder trouve sa justification dans le fait que la justice doit être rendue en toutes circonstances et que le comportement négatif d’un accusé ne saurait en entraver indéfiniment le cours.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Le 19 mai 2004, M. Mesli fournit une procuration au nom d’Ali Benhadj en date du 13 mars 2004. Sur la recevabilité de la communication, il relève qu’aucune objection n’a été formulée par l’État partie.

5.2 Ali Benhadj a été libéré le 2 juillet 2003. À la veille de sa libération il lui a été demandé de renoncer à toute activité de quelque nature qu’elle soit. Il a refusé de signer un document en ce sens, tendant à lui faire accepter de renoncer à ses droits civils et politiques. Au lendemain de sa libération, un communiqué officiel conjoint des autorités militaires et du Ministère de l’intérieur lui notifiait par voie de presse l’interdiction d’exercer ses droits les plus élémentaires sous le prétexte que de telles interdictions étaient accessoires à sa peine principale de réclusion. Ali Benhadj a fait l’objet de plusieurs interpellations, toujours dans le but de lui interdire toute activité. Il continue de faire l’objet de nombreuses menaces et mesures de harcèlement.

5.3 L’État partie se contente de réaffirmer le caractère conforme à la légalité interne du procès du requérant devant le tribunal militaire, qui serait compétent pour connaître des infractions à caractère politique. Il prétend également que la question de l’incompétence du tribunal militaire n’a pas été soulevée par les prévenus devant la juridiction du jugement. M. Mesli indique que la question de la compétence a fait l’objet d’une requête tendant à voir déclarer l’incompétence de la juridiction militaire devant la chambre d’accusation présidée par le Président du tribunal militaire. Cette demande a été rejetée, et réitérée in limine litis par dépôt de conclusions écrites à l’ouverture du procès. La demande n’a pas été examinée par le Président du tribunal militaire, qui a déclaré l’adjoindre au fond pour statuer. Suite aux exactions physiques subies par Ali Benhadj, en présence de ses avocats, la défense s’est retirée en signe de protestation. Sur la composition du tribunal militaire, si cette juridiction est bien présidée par un magistrat professionnel de l’ordre judiciaire, celui ‑ci est nommé par arrêté conjoint du Ministre de la défense et du Ministre de la justice. Cette juridiction comprend en outre deux assesseurs militaires, n’ayant ni la qualité ni les compétences en matière de magistrature et désignés par le seul Ministre de la défense nationale auquel ils sont subordonnés. Ces deux assesseurs disposent d’une voix chacun lors des délibérations prises à la majorité des voix. Lors de l’audience du jugement, le tribunal militaire de Blida était donc composé du Président ainsi que de deux membres des forces armées en service actif, tous deux obéissant aux ordres de leur hiérarchie, le Ministre de la défense nationale. Il paraît évident pour le conseil que le tribunal militaire de Blida, au lendemain d’un coup d’État militaire et dans un contexte d’état d’urgence décrété le 12 février 1992, ne pouvait être ni indépendant ni impartial.

5.4 Si le Comité ne considère pas qu’en soi un procès devant des juridictions militaires constitue nécessairement une violation du droit à un procès équitable, cela s’entend dans un cadre d’indépendance de la justice reposant sur une séparation effective des pouvoirs inhérente à une société démocratique. Sur la question des procès des civils devant des tribunaux militaires, le Comité a fait observer dans son Observation générale n o 13 (par. 4) que «dans certains pays, ces tribunaux militaires et d’exception n’offrent pas les strictes garanties d’une bonne administration de la justice conformément aux prescriptions de l’article 14, qui sont indispensables à la protection effective des droits de l’homme». Le Comité a également considéré que le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial était tellement fondamental qu’il s’agissait d’un droit absolu ne pouvant souffrir aucune exception . Sur le caractère public du procès, le conseil verse aux débats un communiqué des 19 avocats de la défense du 18 juillet 1992 à l’issue du procès et qui énumère un certain nombre de violations.

5.5 M. Mesli relève que l’État partie ne formule aucune observation sur les mauvais traitements d’Ali Benhadj pendant sa détention, sur sa détention au secret pendant quatre ans, ni sur sa détention dans une caserne militaire du Département des renseignements et de la sécurité pendant au moins deux années . Le traitement dont a fait objet Ali Benhadj constitue une violation des articles 7 et 10 du Pacte.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1 Le 27 septembre 2004, l’État partie relève que la procuration donnée par Ali Benhadj à M. Mesli n’est pas authentifiée et qu’elle ne peut donc être prise en considération. Le Comité a défini les conditions de recevabilité des communications qui doivent être présentées soit par la victime elle ‑même, soit en cas d’incapacité par une tierce personne, qui doit alors justifier de son pouvoir d’agir au nom de la victime. Cette condition n’est pas remplie dans le cas d’espèce, puisqu’en l’absence d’authentification de la procuration versée au dossier par M. Mesli, rien ne prouve qu’un pouvoir ait été donné par Ali Benhadj à ce dernier pour agir en son nom. En conséquence, le Comité doit constater l’absence d’authentification de la procuration et rejeter en la forme la requête.

6.2 Sur le fond et en ce qui concerne le déroulement du procès, l’État partie considère avoir présenté suffisamment d’éléments d’information lui permettant de se faire une conviction. Il sollicite du Comité de lui adjuger le bénéfice de ses précédentes écritures. En ce qui concerne les «nouvelles violations» dont fait l’objet Ali Benhadj, il a été condamné à une peine de réclusion criminelle et s’est vu notifier un certain nombre d’interdictions qui sont en fait des peines dites accessoires à la peine principale et qui sont prévues par l’article 4, alinéa 3, et l’article 6 du Code pénal. Ces peines accessoires n’ont pas à être prononcées et s’appliquent de plein droit au condamné, et ne sont donc pas une violation des droits fondamentaux d’Ali Benhadj. En ce qui concerne les allégations de mauvais traitements dont aurait fait l’objet Ali Benhadj au cours de sa détention, celles ‑ci ne sont pas étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité note que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.3 Sur la question de la validité de la procuration présentée par M. Mesli, le Comité rappelle que «normalement, la communication doit être présentée par le particulier lui ‑même ou par son représentant; une communication présentée au nom d’une prétendue victime peut toutefois être acceptée lorsqu’il appert que celle ‑ci est dans l’incapacité de présenter elle ‑même la communication» . Dans le cas présent, M. Mesli a indiqué qu’Ali Benhadj était en détention à la date de la présentation de la communication initiale. Le Comité considère donc que la procuration présentée par M. Mesli au nom du frère d’Ali Benhadj suffisait aux fins de l’enregistrement de la communication . De plus, M. Mesli a depuis fourni une procuration signée par Ali Benhadj, qui l’autorise expressément et de manière certaine en l’espèce à le représenter devant le Comité. Il conclut donc que la communication a été valablement soumise au Comité.

7.4 En ce qui concerne la question de la plainte portée au titre de l’article 12 du Pacte, le Comité considère en l’espèce que les éléments présentés par l’auteur ne démontrent pas en quoi ils portent atteinte au droit de circuler librement sur le territoire de l’État partie, et décide que les éléments présentés ne sont pas suffisants pour étayer la plainte, aux fins de la recevabilité. En ce qui concerne la question des plaintes portées au titre des articles 7, 9, 10, 14 et 19 du Pacte, le Comité considère en l’espèce que les éléments présentés par l’auteur sont suffisants pour étayer les plaintes, aux fins de la recevabilité. Le Comité conclut donc que la communication est recevable au titre des dispositions précitées.

Examen au fond

8.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2 Le Comité note qu’Ali Benhadj a été arrêté en 1991 et condamné par un tribunal militaire le 15 juillet 1992 à douze années de réclusion criminelle, pour atteinte à la sûreté de l’État et au bon fonctionnement de l’économie nationale. Il a été relâché le 2 juillet 2003. Le Comité rappelle l’allégation qu’Ali Benhadj a été détenu dans un lieu secret du 1 er février 1995 pendant quatre mois et six jours, ainsi que pendant quatre années supplémentaires et ce jusqu’en mars 1999. Pendant ces périodes, sa famille a ignoré son lieu de détention et s’il était encore en vie. Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur sur la détention au secret d’Ali Benhadj.

8.3 Le Comité rappelle que la charge de la preuve n’incombe pas uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où l’auteur a communiqué au Comité des allégations précises et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes.

8.4 Le Comité relève l’allégation de l’auteur selon laquelle pendant plusieurs années de détention au secret Ali Benhadj a été privé d’accès à un défenseur, et qu’il n’a pas eu la possibilité de contester la légalité de sa détention. L’État partie n’a pas répondu à ces allégations. Le Comité rappelle que conformément au paragraphe 4 de l’article 9, un contrôle judiciaire de la légalité de la détention doit inclure la possibilité d’ordonner la libération du détenu si la détention est déclarée incompatible avec les dispositions du Pacte, en particulier celles du paragraphe 1 de l’article 9. Dans le cas d’espèce, Ali Benhadj a été détenu dans plusieurs prisons et dans des lieux de détention secrets à trois reprises et pendant plus de quatre ans, sans possibilité d’examen judiciaire quant au fond de la question de savoir si cette détention était compatible avec le Pacte. En conséquence, et en l’absence d’explications suffisantes de l’État partie, le Comité conclut à une violation du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.

8.5 En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 10 du Pacte, le Comité relève que d’après l’auteur Ali Benhadj a fait l’objet de brutalités physiques à plusieurs reprises pendant sa détention et qu’il a été détenu plusieurs mois dans le quartier des condamnés à mort. De plus, d’après l’auteur, lors de la première détention au secret il a été soumis au régime du cachot dans une cellule exiguë sans aération ni condition d’hygiène, et ensuite il a été enfermé dans un cachot dont les dimensions ne lui permettaient pas ni de se tenir debout, ni de s’allonger. Le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privation ou de contrainte autre que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté et doivent être traitées dans le respect de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus notamment . En l’absence de renseignements concrets de la part de l’État partie sur les conditions de détention d’Ali Benhadj, le Comité conclut que les droits consacrés au paragraphe 1 de l’article 10 ont été violés. Compte tenu de cette conclusion concernant l’article 10, disposition du Pacte traitant spécifiquement de la situation des personnes privées de liberté et consacrant pour cette catégorie de personnes les éléments visés plus généralement à l’article 7, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les plaintes relatives à l’article 7. Le Comité considère également qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les autres plaintes relatives à l’article 9 du Pacte.

8.6 En ce qui concerne le grief de violations de l’article 14 du Pacte, l’auteur a indiqué que la composition du tribunal elle ‑même viole les règles en matière d’équité, que le procès d’Ali Benhadj n’a pas été public sans que le tribunal n’avance de justifications légales, et sans que le huis clos ne soit prononcé, et enfin que certains de ses avocats n’ont pas été autorisés à comparaître devant le tribunal.

8.7 Sur la compétence du tribunal militaire à juger l’affaire, l’État partie indique que les tribunaux militaires peuvent connaître des infractions contre la sûreté de l’État lorsque la peine encourue est supérieure à cinq années d’emprisonnement, sur la base de l’article 25 de l’Ordonnance n o 71 ‑28 du 22 avril 1971. Le Comité relève qu’Ali Benhadj a été représenté devant le tribunal militaire, et qu’il s’est pourvu en cassation devant la Cour suprême, qui a confirmé la décision du tribunal. Sur le fait que le procès n’a pas été public, le Comité relève que l’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur, sauf pour indiquer que l’allégation est «parfaitement inexacte». Enfin, sur l’allégation que certains des avocats n’ont pas pu comparaître devant le tribunal, l’État partie a indiqué qu’Ali Benhadj et ses coaccusés se sont fait assister, au cours de l’information judiciaire et au cours du procès de 19 avocats, et devant la Cour suprême par huit avocats.

8.8 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 14 du Pacte, le Comité rappelle son Observation générale n o 13 selon laquelle bien que le Pacte n’interdise pas le jugement de civils par des tribunaux militaires, de tels procès doivent être exceptionnels et doivent se dérouler dans des conditions garantissant véritablement les pleines garanties prévues à l’article 14. Il incombe à l’État partie poursuivant des civils devant des tribunaux militaires de justifier une telle pratique. Le Comité estime que l’État partie doit démontrer, relativement à la catégorie spécifique des personnes en question, que les tribunaux civils ordinaires ne sont pas en mesure d’entreprendre ces procès, que d’autres formes alternatives de tribunaux civils spéciaux ou de haute sécurité ne sont pas adaptées à cette tâche et que le recours à des tribunaux militaires garantit la pleine protection des droits de l’accusé, conformément à l’article 14. L’État partie doit par ailleurs démontrer comment les tribunaux militaires garantissent la pleine protection des droits de l’accusé, conformément à l’article 14. Dans le cas présent, l’État partie n’a pas démontré les raisons pour lesquelles le recours à un tribunal militaire était nécessaire. Dans ses commentaires sur la gravité des accusations à l’encontre de M. Benhadj, l’État partie n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles les tribunaux civils ordinaires ou d’autres formes alternatives de tribunaux civils n’étaient pas adéquats pour le juger. De même, la simple invocation des dispositions juridiques internes pour le procès par les tribunaux militaires de certaines catégories de délits graves ne peut justifier, aux termes du Pacte, le recours à de tels tribunaux. L’État partie n’a pas démontré en l’espèce le besoin d’avoir recours à un tribunal militaire, ce qui signifie que le Comité n’a pas besoin d’examiner si le tribunal militaire a, dans les faits, apporté toutes les garanties au titre de l’article 14. Le Comité conclut que le procès et la condamnation de M. Benhadj par un tribunal militaire révèlent une violation de l’article 14 du Pacte.

8.9 Quant au fait qu’Ali Benhadj a été condamné en son absence à douze années de réclusion criminelle, au cours d’une procédure du déroulement de laquelle il a refusé de comparaître, le Comité rappelle que les garanties énoncées à l’article 14 ne peuvent être interprétées comme excluant forcément les jugements rendus en l’absence de l’accusé, quelles que soient les raisons de l’absence de l’accusé. En effet, les jugements rendus en l’absence de l’accusé sont dans certaines circonstances (par exemple, lorsque l’accusé, qui a été informé de l’audience suffisamment à l’avance, refuse d’être présent) acceptables, dans l’intérêt de la justice . Dans le cas présent, le Comité relève que d’après l’État partie, Ali Benhadj et ses avocats ont été cités régulièrement et que le tribunal a adressé à Ali Benhadj une sommation à comparaître, et que c’est à ce stade que le Président du tribunal a décidé de passer outre aux débats. Le Comité relève que l’auteur n’a pas répondu à ces explications de l’État partie, et conclut que le jugement en l’absence d’Ali Benhadj ne fait pas apparaître une violation de l’article 14 du Pacte.

8.10 Quant à l’allégation de violation de l’article 19, le Comité rappelle que la liberté d’information et la liberté d’expression sont les pierres angulaires de toute société libre et démocratique. De telles sociétés, par essence, autorisent les citoyens à s’informer sur les solutions de remplacement éventuelles au système ou aux partis politiques au pouvoir, et à critiquer ou évaluer ouvertement et publiquement leur gouvernement sans crainte d’intervention ou de répression de sa part, dans les limites fixées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. En ce qui concerne les allégations qu’Ali Benhadj a été arrêté et inculpé à des fins politiques, et que les interdictions dont il fait objet depuis sa libération ne sont pas prévues par la loi, le Comité note qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour conclure à une violation de l’article 19.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 9, 10 et 14 du Pacte.

10. Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile à Ali Benhadj. L’État partie est tenu de prendre des mesures appropriées pour faire en sorte que l’auteur obtienne une réparation appropriée, y compris sous forme d’indemnisation pour l’angoisse que sa famille et lui ‑même ont subie. L’État partie est d’autre part tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

11. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en français (version originale), en espagnol et en anglais. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion dissidente de M. Abdelfattah Amor

Dans le paragraphe 8.7 des présentes constatations le Comité, après avoir affirmé que:

«L’État partie n’a pas démontré en l’espèce le besoin d’avoir recours à un tribunal militaire, ce qui signifie que le Comité n’a pas besoin d’examiner si le tribunal militaire a, dans les faits, apporté toutes les garanties au titre de l’article 14»,

conclut que:

«Le procès et la condamnation de M. Benhadj par un tribunal militaire révèlent une violation de l’article 14 du Pacte.».

Le Comité reprend ainsi, mais dans un style plus habituel, la position qu’il a prise sur la même question, dans l’affaire Madani et que j’estime juridiquement mal fondée (communication n o 1172/2003 avec mon opinion dissidente et celle de M. Ahmed Tawfik Khalil).

Je souhaiterais renvoyer à mon opinion dissidente sur l’affaire Madani , dont je confirme les termes et le contenu parfaitement applicables à la présente espèce, et y ajouter les éléments suivants:

1. Comme dans l’affaire Madani , le Comité a mis en application avant son adoption la nouvelle Observation générale n o 32 sur l’article 14, venue remplacer l’Observation générale n o 13, étant précisé que les constatations sur l’affaire Benhadj ont été adoptées le 20 juillet 2007, avant l’adoption de la nouvelle Observation générale le 25 juillet 2007, ce qui rend la position du Comité fort contestable. Outre les questions de principe tenant à la rétroactivité, on notera plus concrètement que l’État n’étant pas averti à l’avance de la «règle» applicable, n’a pas été mis en mesure de développer son argumentaire à cet égard.

2. En réalité, le Comité n’a pas fait simplement œuvre d’interprétation, comme il a le droit de le faire en vertu de ses compétences implicites, mais il a plutôt fait œuvre de création, en posant une «règle» nouvelle qui ne peut être justifiée au regard du Pacte. C’est là une question fondamentale qui interpelle les limites de la compétence du Comité à déterminer sa propre compétence compte tenu des obligations et engagements souscrits par les États parties au Pacte.

3. Même si l’on devait s’inscrire dans la logique arrêtée par le Comité, force est de constater que le Comité n’a pas pris sur lui d’en tenir compte lui ‑même. «L’État partie n’a pas démontré en l’espèce le besoin d’avoir recours à un tribunal militaire» estime le Comité. L’État a bien, pourtant, indiqué qu’il y avait une «situation exceptionnelle», faisant suite à une «tentative d’insurrection», et que M. Benhadj a été traduit devant un tribunal militaire pour garantir une bonne administration de la justice et que ce tribunal est établi par la loi pour connaître, outre des infractions militaires, des atteintes à la sûreté de l’État lorsque la peine encourue est supérieure à cinq ans d’emprisonnement et cela dans le respect des garanties reconnues par la loi et les instruments internationaux. Le Comité aurait pu, ou plutôt aurait dû, examiner les arguments de l’État partie tendant à démonter le bien ‑fondé du recours à un tribunal militaire et les rejeter au cas où il les jugerait insuffisamment pertinents. Il ne l’a pas fait coupant ainsi la branche sur laquelle il a voulu s’installer. Il n’a pas estimé nécessaire d’examiner non plus si les garanties et procédures prévues à l’article 14 étaient ou non respectées, ce qui était pourtant l’essentiel.

Au total, les appréhensions à l’égard des tribunaux militaires et des tribunaux d’exception, que je partage pleinement avec de nombreux membres du Comité, n’autorisent pas ce dernier à se démarquer de la rigueur juridique qui a fait sa réputation et consolidé sa crédibilité. Elles ne l’autorisent pas, non plus, à aller au ‑delà des compétences qui sont les siennes ni à tirer argument de la nature de la juridiction saisie pour ne pas vérifier si toutes les garanties et procédures prévues à l’article 14 du Pacte sont ou non respectées. La flexibilité du droit n’est source de richesse et de progrès que dans la mesure où elle ne réduit pas le droit au métadroit.

( Signé ) Abdelfattah Amor

[Fait en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Opinion individuelle (dissidente) de M. Ahmed T. Khalil

Je tiens à ce qu’il soit consigné que je ne saurais souscrire au point de vue exprimé au paragraphe 8.8 des constatations sur la communication n o 1173/2003, Benhadj c. Algérie , dans lequel le Comité constate une violation par l’État partie de l’article 14 du Pacte.

Ma position est fondée sur les mêmes considérations que celles exposées en détail dans mon opinion dissidente sur les constatations sur la communication n o 1172/2003, Abbassi Madani c. Algérie .

( Signé ) Ahmed T. Khalil

[ Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

O. Communication n o 1181/2003, Amador c. Espagne * (Constatations adoptées le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Francisco Amador Amador et Ramón Amador Amador (représentés par un conseil, Emilio Ginés Santidrián)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Espagne

Date de la communication :

20 septembre 2002 (date de la lettre initiale)

Objet : Étendue de l’examen des décisions pénales effectué en cassation

Questions de procédure : Néant

Questions de fond : Droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation

Article du Pacte : 14 (par. 5)

Article du Protocole facultatif : Néant

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1181/2003 présentée au nom de MM. Francisco Amador Amador et Ramón Amador Amador en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. Les auteurs de la communication, datée du 20 septembre 2002, sont Francisco Amador Amador et Ramón Amador Amador, de nationalité espagnole, qui affirment être victimes d’une violation par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par Emilio Ginés Santidrián. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985.

Exposé des faits

2.1 Par un jugement du 12 décembre 2000, l’ Audiencia Provincial d’Almería a condamné les auteurs pour délit contre la santé publique (trafic de stupéfiants), avec circonstance aggravante de récidive, et a infligé à chacun d’eux une peine de dix ans de prison et une amende de 20 millions de pesetas (120 200 euros), assortie d’une peine accessoire d’interdiction d’exercer une fonction ou charge publique pendant la durée de la peine.

2.2 Les auteurs ont formé un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême en alléguant: 1) la violation du droit à la présomption d’innocence, pour insuffisance de preuve administrée en première instance; 2) la violation de leur droit à un procès présentant toutes les garanties, du fait que le greffier de la juridiction d’instruction a été remplacé par un fonctionnaire commis par ledit tribunal lors de la perquisition du domicile où la drogue a été saisie; et 3) la violation du droit à la présomption d’innocence en raison du refus d’une expertise proposée par la défense.

2.3 Dans son jugement du 2 janvier 2002, le Tribunal suprême a analysé ces motifs de cassation. En ce qui concerne le remplacement du greffier du Tribunal par un fonctionnaire commis à cet effet lors de la perquisition, le Tribunal a affirmé que son remplacement n’était pas illégal étant donné que la possibilité de remplacer le greffier par un fonctionnaire habilité était prévue par la loi. Le Tribunal a rejeté également l’allégation des auteurs concernant une prétendue violation de leur droit à la présomption d’innocence parce que les preuves administrées étaient insuffisantes pour établir leur culpabilité. Le Tribunal a indiqué que le jugement rendu en première instance a fondé la culpabilité des auteurs sur l’inculpation d’une autre personne ayant participé aux faits, ainsi que sur la présence des auteurs dans la maison où se trouvait la cocaïne et sur le fait que les auteurs étaient sortis de cette maison avec les autres accusés à l’arrivée de la police. Le Tribunal a conclu qu’il existait une preuve à charge rapportée dans le respect des formes, examinée lors de la procédure orale avec toutes les garanties et appréciée de manière rationnelle par le tribunal de première instance, lequel avait, en outre, expliqué les raisons sur lesquelles était fondée sa conviction, assurant ainsi le respect du droit des accusés à la présomption d’innocence. Toutefois, le Tribunal suprême a admis en partie la troisième allégation, selon laquelle le refus de l’expertise proposée pour préciser la quantité exacte de cocaïne ayant fait l’objet d’un trafic avait représenté une violation du droit des auteurs à la présomption d’innocence. Le Tribunal suprême a considéré que, étant donné l’incertitude entourant la quantité exacte de drogue ayant fait l’objet d’un trafic, en raison de divergences entre les différents actes d’information, il était nécessaire d’administrer la preuve proposée par les auteurs pour déterminer ce point. En conséquence, le Tribunal a accueilli en partie le recours et réduit la peine à sept ans de prison, sans infliger d’amende et en maintenant les autres éléments contenus dans le jugement attaqué.

2.4 Les auteurs ont formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, en alléguant la violation du droit à la présomption d’innocence pour nullité de la perquisition du domicile et l’absence de preuve touchant le caractère de stupéfiant de la substance objet du trafic. Le recours a été rejeté le 1 er juillet 2002 pour absence manifeste de fondement constitutionnel. Le Tribunal a considéré que, dès lors qu’un mandat judiciaire avait été obtenu, la forme sous laquelle s’effectuait la perquisition entrait dans le champ de la légalité. En ce qui concerne le deuxième motif d’ amparo , le Tribunal a considéré que la saisie de la substance ainsi que les expertises et preuves testimoniales réalisées étaient des éléments suffisants pour affirmer l’existence de preuves à charge touchant la nature de cette substance.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs allèguent une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, en faisant valoir que, dans le système judiciaire espagnol, le droit effectif de faire appel dans les affaires relatives à des délits graves n’existe pas, étant donné que les jugements rendus par les Audiencias Provinciales ne peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême que pour des motifs juridiques très restreints. Ce type de recours ne permet pas d’évaluer les preuves examinées, toute appréciation des faits réalisée par la juridiction inférieure étant définitive. Lorsque le grief porté devant le Tribunal suprême concerne une erreur de fait dans l’appréciation de la preuve, ce dernier s’en remet à l’appréciation de la preuve effectuée en première instance, ce qui met en évidence les carences de la procédure judiciaire espagnole. Le Tribunal suprême, n’ayant pas le statut de deuxième instance est, de ce fait, empêché d’analyser les preuves de sorte que, n’en ayant pas la connaissance directe, il ne peut déterminer quelle est la conviction qui doit résulter de la preuve administrée.

3.2 Lorsqu’un recours devant le Tribunal suprême conteste une erreur de fait dans l’appréciation de la preuve, ce qui exigerait l’application des garanties énoncées dans le Pacte en deuxième instance, le Tribunal suprême s’en remet à l’appréciation de la preuve administrée en première instance, faisant ainsi apparaître les carences du système de procédure judiciaire espagnol et, par voie de conséquence, la violation de leurs droits subie par les auteurs.

3.3 Les auteurs rappellent la jurisprudence constante du Comité selon laquelle le paragraphe 5 de l’article 14 exige une évaluation complète des preuves et des faits dans un cas d’espèce. Ils affirment que le véritable sens du paragraphe 5 de l’article 14 concerne l’existence d’un double degré de juridiction complet, qui doit être accessible pour attaquer les jugements de condamnations, non en tant que mécanisme d’élimination des infractions commises en première instance, mais en tant qu’expression du droit de l’accusé à être condamné sur la base d’une double conviction: celle du juge de première instance, d’une part, et celle de l’organe collégial qui constitue la juridiction de deuxième instance, d’autre part.

3.4 Les auteurs citent une décision de la Chambre pénale du Tribunal suprême du 25 juillet 2002 dans laquelle ce dernier affirme que, sur la base des décisions du Comité des droits de l’homme, sa jurisprudence a élargi, en ce qui concerne les limites traditionnelles de la cassation, la définition des questions de droit pouvant faire l’objet du recours en cassation. Parallèlement sa jurisprudence a réduit les questions de fait qui sont exclues de ce pourvoi, à savoir uniquement celles qui exigeraient une deuxième administration de la preuve afin de procéder à une nouvelle évaluation.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1 Dans des observations du 4 août 2003, l’État partie affirme que la communication doit être déclarée irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes et, par voie de conséquence, pour absence totale de fondement. À son avis, les auteurs se limitent dans leur plainte à exposer l’idée selon laquelle le pourvoi en cassation ne répond pas aux exigences du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Or ce pourvoi a fait l’objet d’une décision qui accorde partiellement satisfaction aux auteurs et modifie l’appréciation des faits qui avaient été déclarés démontrés dans le jugement de première instance. Il ressort de la décision du Tribunal constitutionnel que les auteurs n’ont invoqué à aucun moment la violation du droit au réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation en première instance, ni du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

4.2 Par ailleurs, la lecture de l’arrêt rendu par le Tribunal suprême sur le pourvoi en cassation montre qu’il a procédé à un examen détaillé des faits et des preuves, et qu’il a conclu en faveur des auteurs en modifiant les faits déclarés prouvés. Dans ces conditions, il est paradoxal d’invoquer une prétendue limitation du pourvoi en cassation en ce qui concerne l’examen des faits lorsque l’arrêt rendu en cassation témoigne d’un examen minutieux des faits. L’État partie affirme, par conséquent, que le Comité devrait rejeter la communication pour défaut de fondement.

Commentaires des auteurs

5.1 Dans leurs commentaires du 22 janvier 2004, les auteurs affirment qu’en Espagne le recours en amparo est limitatif en ce qui concerne les motifs pouvant y être invoqués. N’en fait pas partie le droit au double degré de juridiction, étant donné que la législation espagnole, dans les affaires pénales pour lesquelles ont compétence les Audiencias Provinciales ou l’ Audiencia Nacional , ne le prévoit pas. Par conséquent, il est impossible d’invoquer comme motif de recours le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, que ce soit dans un pourvoi en cassation ou un recours en amparo . Néanmoins, les magistrats du Tribunal suprême qui ont eu à connaître du pourvoi en cassation formé par les auteurs, ainsi que d’autres qui ont été soumis au Comité, ont eux ‑mêmes déclaré que la cassation espagnole souffre d’une série de lacunes. L’État partie s’est engagé en diverses occasions, devant le Comité, à procéder aux réformes législatives nécessaires pour introduire le double degré de juridiction dans toutes les procédures pénales, en réformant le pourvoi en cassation en matière pénale devant le Tribunal suprême. À ce jour, il n’y a pas eu de réforme législative.

5.2 Selon les auteurs, leur présomption d’innocence n’a pu tomber en première instance puisque des preuves telles que l’analyse quantitative et qualitative de la substance saisie n’ont pas été administrées. C’est pour cette raison, entre autres, que le Tribunal suprême a dû casser en partie le jugement en rendant un arrêt digne de Salomon. Comme il ne pouvait refaire le procès, il a dû donner satisfaction aux auteurs en réduisant leur peine. La logique aurait voulu que les auteurs aient un second procès au cours duquel auraient été administrées les preuves permettant d’établir leur innocence.

Décision du Comité concernant la recevabilité

6.1 À sa quatre ‑vingt ‑quatrième session, le 4 juillet 2005, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

6.2 En ce qui concerne l’argument de l’État partie faisant valoir que les recours internes n’avaient pas été épuisés parce que les auteurs n’ont pas invoqué dans leur recours en amparo la violation de leur droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation, le Comité a observé, en se fondant sur le dossier et sur ses décisions antérieures, que le recours en amparo n’était pas un mécanisme adéquat pour traiter des allégations touchant le double degré de juridiction dans le système pénal espagnol. Il a conclu, en conséquence, que les recours internes avaient été épuisés.

6.3 Le Comité a conclu que la plainte des auteurs soulevait des questions au titre du paragraphe 5 de l’article 14 et a considéré que celles ‑ci devaient être examinées quant au fond.

Observations de l’État partie sur le fond

7.1 Le 25 janvier 2006, l’État partie rappelle que le Comité s’est prononcé sur des communications antérieures relatives au paragraphe 5 de l’article 14 en examinant la compatibilité de chaque affaire concrète avec le Pacte et sans procéder à un réexamen dans l’abstrait de l’ordre juridique espagnol. Il cite les décisions du Comité concernant les communications n os 1356/2005 ( Parra Corral c . Espagne ), 1059/2002 ( Carvallo Villar c . Espagne ), 1389/2005 ( Bertelli Gálvez c. Espagne ) et 1399/2005 ( Cuartero Casado c. Espagne ), dans lesquelles le Comité a considéré que le pourvoi en cassation en matière pénale répondait aux exigences du Pacte, et a déclaré les communications irrecevables. Il cite également le jugement du Tribunal constitutionnel du 3 avril 2002 (STC 70/02), dans lequel celui ‑ci déclare qu’il existe une «assimilation fonctionnelle entre le pourvoi en cassation et le droit à l’examen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation énoncée au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, à condition de faire une interprétation large des possibilités d’examen au stade de la cassation (…). Il est inexact d’affirmer que notre régime de cassation se limite à l’analyse de questions de droit et de forme et ne permette pas d’examiner les preuves (…). Actuellement, en vertu de l’article 852 (de la loi sur la procédure pénale) le pourvoi en cassation peut être formé dans tous les cas en invoquant la violation d’un précepte constitutionnel. Et, aux termes de l’article 24.2 (de la Constitution) (garanties de procédure et présomption d’innocence), il est possible que le Tribunal suprême contrôle à la fois la licéité de la preuve administrée sur laquelle est fondé le jugement et le point de savoir si cette preuve est suffisante pour faire tomber la présomption d’innocence et le caractère raisonnable des conclusions formulées. De ce fait, (l’auteur) dispose d’une voie de recours qui permet un examen complet, c’est ‑à ‑dire une possibilité de faire examiner non seulement les questions de droit, mais aussi les questions de fait sur lesquelles est fondée la déclaration de culpabilité, au moyen du contrôle de l’application des règles de procédure et d’appréciation de la preuve.».

7.2 L’État partie fait observer que, dans l’affaire à l’examen, l’arrêt rendu en cassation montre qu’il y a eu un examen très important du jugement rendu en première instance, puisque les arguments liés à la présomption d’innocence ont été examinés, à savoir la preuve à charge ou l’erreur commise dans l’appréciation de la preuve. Les deux voies sont donc adéquates pour obtenir un examen des faits. En l’espèce, de plus, les faits déclarés prouvés lors du procès ont été réexaminés dans un sens favorable aux auteurs; il est donc paradoxal, selon l’État partie, que ceux ‑ci avancent l’argument de l’absence d’examen du jugement et de la peine.

Commentaires des auteurs

8.1 Le 3 mars 2006, les auteurs présentent leurs observations sur le fond. Ils indiquent qu’à la suite des constatations dans lesquelles le Comité déclare que le droit au double degré de juridiction est violé dans le pourvoi en cassation espagnol, plus de 10 ouvrages juridiques émanant d’auteurs prestigieux ont été publiés qui confirment la position du Comité.

8.2 Les auteurs ajoutent que le rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur l’Espagne mettrait en lumière le fait que le Gouvernement espagnol ne donne pas suite aux constatations du Comité touchant le double degré de juridiction dans la cassation espagnole et inviterait l’État partie à se conformer aux exigences du Comité en la matière.

Délibérations du Comité

9.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2 Le Comité prend dûment note de l’argument de l’État partie selon lequel, en l’espèce, l’arrêt rendu en cassation l’a été après un examen fouillé des faits et des preuves. En effet, le Tribunal suprême a analysé de manière détaillée et approfondie chacun des motifs de cassation, fondés essentiellement sur l’appréciation des preuves examinées par la juridiction de jugement, et c’est précisément en se fondant sur cette nouvelle évaluation des preuves qu’il a conclu que le droit à la présomption d’innocence des auteurs avait été violé par le refus de l’expertise visant à déterminer la quantité exacte de cocaïne objet du trafic. Il en est résulté l’admission partielle du pourvoi en cassation et la réduction de la peine imposée en première instance. À la lumière des circonstances de l’espèce, le Comité conclut qu’il y a eu un véritable examen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées en première instance.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

P. Communication n o 1255/2004, Shams c. Australie *

Communication n o 1256/2004, Atvan c. Australie

Communication n o 1259/2004, Shahrooei c. Australie

Communication n o 1260/2004, Saadat c. Australie

Communication n o 1266/2004, Ramezani c. Australie

Communication n o 1268/2004, Boostani c. Australie

Communication n o 1270/2004, Behrooz c. Australie

Communication n o 1288/2004, Sefed c. Australie

(Constatations adoptées le 20 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentées par :

Saed Shams (1255/2004), Kooresh Atvan (1256/2004), Shahin Shahrooei (1259/2004), Payam Saadat (1260/2004), Behrouz Ramezani (1266/2004), Behzad Boostani (1268/2004), Meharn Behrooz (1270/2004), Amin Houvedar Sefed (1288/2004) (tous représentés par Refugee Advocacy Service of South Australia )

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Australie

Date des communications :

9 février 2004 (1255/2004), 9 février 2004 (1256/2004), 15 février 2004 (1259/2004), 9 février 2004 (1260/2004), 12 mars 2004 (1266/2004), 9 février 2004 (1268/2004), 9 février 2004 (1270/2004) et 25 mai 2004 (1288/2004) (dates des lettres initiales)

Objet : Détention arbitraire/obligatoire et absence de contrôle de la licéité de la détention; traitement inhumain et dégradant en détention

Questions de procédure : Irrecevabilité pour non ‑épuisement et absence de fondement

Questions de fond : Détention arbitraire, détention obligatoire de demandeur d’asile, absence d’examen de la licéité de la détention, traitement inhumain et dégradant

Articles du Pacte : 9 (par. 1 et 4), 7, 10 (par. 1)

Articles du Protocole facultatif : 2, 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen des communications n o s 1255, 1256, 1259, 1260, 1266, 1268, 1270, 1288/2004, présentées au nom de Saed Shams, Kooresh Atvan, Shahin Shahrooei, Payam Saadat, Behrouz Ramezani, Behzad Boostani, Meharn Behrooz, Amin Houvedar Sefed, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 Les auteurs de la communication sont MM. Saed Shams, Kooresh Atvan, Shahin Shahrooei, Payam Saadat, Behrouz Ramezani, Behzad Boostani, Meharn Behrooz et Amin Houvedar Sefed, tous ressortissants iraniens et résidant actuellement en Australie. Ils se disent victimes de violations par l’Australie de l’article 7, des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques . Tous sont représentés par le Refugee Advocacy Service of South Australia Inc.

1.2 Entre les 5 et 18 mars 2004, en réponse aux demandes soumises par les auteurs en vue de l’adoption de mesures provisoires au titre de l’article 86 du Règlement intérieur, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a prié l’État partie de faire savoir au Comité si les auteurs étaient susceptibles d’être expulsés avant le dernier jour de la session suivante du Comité (le 2 avril 2004). Le 5 avril 2004, n’ayant reçu aucune réponse à sa requête, le Rapporteur spécial a décidé de ne pas formuler de demandes en vertu de l’article 86 au titre de ces affaires et de les laisser en suspens en attendant de recevoir un complément d’information de la part de l’État partie et des auteurs. Aucune information supplémentaire n’a été communiquée par les parties.

1.3 Le 20 juillet 2007, à sa quatre ‑vingt ‑dixième session, le Comité des droits de l’homme a décidé d’examiner conjointement ces huit communications.

Rappel des faits

2.1 Les auteurs sont arrivés par bateau en Australie en provenance d’Iran entre octobre 2000 et avril 2001. En tant que «non ‑ressortissants en situation irrégulière», en application du paragraphe 1 de l’article 189 de la loi de 1958 sur les migrations , ils ont tous été placés en détention provisoire, jusqu’à l’obtention d’un visa les autorisant à demeurer en Australie. À leur arrivée, chacun des auteurs a adressé une demande de visa de protection au Département de l’immigration et des affaires multiculturelles et autochtones. Par la suite, ils ont tous saisi le Tribunal d’examen du statut de réfugié pour contester le refus de leur délivrer un visa de protection, mais ils ont été déboutés. Ils ont alors fait appel de cette décision auprès de la Cour fédérale qui a également rejeté leur demande, avant de saisir la Chambre plénière de la Cour fédérale. Certains des auteurs ont en outre sollicité l’autorisation spéciale d’attaquer devant la Haute Cour la décision de la Chambre plénière de la Cour fédérale. Au bout de trois ans de détention, voire dans certains cas plus de quatre, tous les auteurs ont obtenu un visa de protection humanitaire ou un visa temporaire de protection. Ils ont fourni des informations récapitulées ci ‑après sur leurs conditions de détention et le traitement dont ils ont fait l’objet durant cette détention.

2.2 M. Saed Shams est arrivé en Australie le 3 novembre 2000. Il a séjourné dans plusieurs centres de détention pour immigrants avant d’obtenir un visa temporaire de protection, le 7 juin 2005. Durant son séjour au centre de détention de Curtin, il a participé à une manifestation de détenus contre les conditions régnant dans ledit centre. M. Saed Shams a été de ce fait inculpé de dommages aux biens. Il a passé quatorze mois au pénitencier de Perth avant d’être acquitté par un juge. Au cours de son séjour au centre de détention pour immigrants de Baxter, M. Saed Shams a été mis à l’isolement pendant une semaine après s’être plaint de l’état de sa douche et de sa salle d’eau, ses protestations ayant déclenché une altercation avec deux gardes au cours de laquelle ces derniers lui auraient cogné la tête contre un miroir et infligé ainsi des coupures et des contusions. Il est affirmé que la santé mentale de M. Saed Shams s’est gravement dégradée durant sa détention, qu’il a sombré dans la dépression et qu’il lui a fallu prendre régulièrement des médicaments. M. Saed Shams a vu un médecin à plusieurs reprises, auquel il a dit qu’il s’est souvent infligé lui ‑même des blessures et qu’il se sentait incapable de maîtriser ses pulsions . On lui a refusé à plusieurs reprises de recevoir des visites, de bénéficier de moments réguliers d’exercice et de loisirs, ainsi que toute intimité durant son placement «à l’isolement».

2.3 M. Kooresh Atvan est arrivé en Australie le 20 décembre 2000. Il a séjourné dans plusieurs centres de détention pour immigrants avant d’obtenir un visa temporaire de protection, le 18 août 2005. Il affirme ne pas avoir eu immédiatement accès à un avocat et avoir été détenu «au secret». M. Shahin Shahrooei est arrivé en Australie le 20 avril 2001. Il a été détenu dans plusieurs centres de détention pour immigrants avant d’obtenir un visa humanitaire permanent, le 1 er septembre 2005. Il affirme avoir été détenu «au secret». Au cours de sa détention il a éprouvé des problèmes psychologiques et une profonde détresse. M. Shahin Shahrooei a fait l’objet d’une évaluation psychologique le 2 novembre 2001 après avoir déclaré souffrir d’une dépression grave et avoir tenté de se mutiler. Il affirme que sa demande tendant à bénéficier des services d’un autre interprète que celui qui officiait a été refusée. Il fait valoir qu’on n’a pas accordé crédit à son témoignage et que ses déclarations ont été mal interprétées au cours de son entretien à cause du parti pris défavorable de l’interprète à son égard.

2.4 M. Payam Saadat est arrivé en Australie le 22 décembre 2000. Il a été détenu dans plusieurs centres de détention pour immigrants avant d’obtenir un visa temporaire de protection, le 27 avril 2005. L’essentiel des documents relatifs à son affaire aurait été détruit lors d’un incendie au centre de détention de Woomera, fin 2002 ‑début 2003. Il affirme avoir été détenu «au secret», sans accès à un avocat. M. Behrouz Ramezani est arrivé en Australie le 23 décembre 2000. Il a été détenu dans plusieurs centres de détention pour immigrants avant d’obtenir un visa temporaire de protection, le 14 avril 2005. Il affirme avoir été détenu «au secret» et s’être vu refuser l’accès immédiat à un avocat.

2.5 M. Behzad Boostani est arrivé en Australie en novembre 2000. Il a été détenu dans plusieurs centres de détention pour immigrants avant d’obtenir un visa temporaire de protection, le 20 juillet 2005. Il affirme s’être vu refuser des visites, des médicaments, des appels téléphoniques, la possibilité de faire de l’exercice physique et d’obtenir des conseils juridiques et avoir été détenu «à l’isolement» à plusieurs reprises − périodes pendant lesquelles il aurait tenté plusieurs fois de se suicider. Au centre de détention de Curtin, il a été traité par un psychologue pour dépression. Il affirme en outre avoir été détenu «au secret» sans accès à un avocat.

2.6 M. Meharn Behrooz est arrivé en Australie en janvier 2001. Il a été détenu dans plusieurs centres de détention pour immigrants avant d’obtenir un visa temporaire de protection, le 6 décembre 2004. Il affirme avoir été placé «à l’isolement» et s’être vu à plusieurs reprises refuser un avocat, des visites, des communications téléphoniques, des douches chaudes, de l’intimité, la possibilité de faire régulièrement de l’exercice et tout loisir. Il affirme également avoir été détenu «au secret» et avoir été aspergé avec du gaz poivre, menotté et battu, ce traitement lui ayant occasionné troubles psychologiques et détresse. Le 12 octobre 2000, M. Houvedar Sefed est arrivé en Australie et a été placé en détention pour infraction à la législation sur l’immigration jusqu’à l’obtention d’un visa humanitaire permanent, le 9 septembre 2005.

Teneur des plaintes

3.1 Les sept plaignants ci ‑après affirment que le caractère obligatoire de leur détention équivaut à de la torture ou à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, ce en violation de l’article 7: MM. Atvan, Behrooz, Boostani, Ramezani, Saadat, Shahrooei et Shams.

3.2 Les six plaignants ci ‑après affirment que leur «traitement global» au cours de leur détention constitue une violation de l’article 7: MM. Atvan, Behrooz, Boostani, Ramezani, Saadat et Shams . Parmi eux, les suivants dénoncent certains mauvais traitements spécifiques constituant des violations de l’article 7: a) détention à l’isolement (MM. Behrooz, Boostani et Shams); b) refus d’autoriser la venue de visiteurs (MM. Behrooz, Boostani et Shams); c) refus de moments réguliers d’exercice et de détente (MM. Behrooz et Shams); d) privation de toute intimité pendant la détention à l’isolement (MM. Behrooz et Shams); e) refus de l’accès à un conseil juridique (M. Boostani); f) refus de médicaments (M. Boostani).

3.3 Les quatre plaignants ci ‑après formulent des allégations supplémentaires concernant leur traitement global en détention sans pour autant se prévaloir d’articles précis du Pacte: MM. Behrooz, Boostani, Shahrooei et Shams. M. Behrooz se dit victime d’une violation des droits qui sont les siens en vertu du Pacte du fait qu’il a été aspergé avec du gaz poivre, menotté, frappé et agressé physiquement durant son séjour en centre de détention pour immigrants. MM. Berhooz, Boostani, Shahrooei et Shams se disent tous victimes de violations de leurs droits en raison des problèmes psychologiques et de la détresse qu’ils ont éprouvés durant leur détention, qui ont chez certains d’entre eux abouti à une dépression et à des tentatives de suicide.

3.4 Les sept plaignants suivants affirment que de manière générale leur traitement durant leur détention pour infraction à la législation sur l’immigration en Australie constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 10: MM. Atvan, Behrooz, Boostani, Ramezani, Saadat, Shahrooei et Shams .

3.5 Les sept plaignants suivants affirment que leur détention «au secret» constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 10: MM. Atvan, Behrooz, Boostani, Ramezani, Saadat, Shahrooei et Shams. Certains affirment que le refus d’un accès immédiat à un avocat ou de l’accès à un interprète de remplacement durant la détention au secret constitue également une violation du paragraphe 1 de l’article 10.

3.6 Tous les plaignants affirment que leur détention était arbitraire et constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 9. En vertu du paragraphe 1 de l’article 189 de la loi de 1958 sur les migrations, les détenus ne peuvent en aucune circonstance être remis en liberté. Les plaignants se prévalent des constatations du Comité dans les affaires A . c. Australie et C . c. Australie .

3.7 Tous les plaignants affirment que la légalité de leur détention n’était pas susceptible de réexamen, ce qui constitue une violation du paragraphe 4 de l’article 9. Ils affirment qu’aucune disposition administrative ou judiciaire n’autorisait leur mise en liberté et que leur détention prolongée était dépourvue de justification. Il n’a été procédé à aucune évaluation visant à déterminer s’il existait des facteurs de risque − liés à la santé ou à la sécurité publique par exemple − qui auraient pu faire pencher en faveur de leur détention prolongée, ou si les intéressés risquaient de se soustraire aux autorités.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Le 4 janvier 2006, l’État partie a transmis sa réponse concernant la recevabilité et le fond de toutes ces communications. Au sujet des faits, l’État partie a indiqué dans un souci de mise à jour que deux des auteurs (MM. Houvedar Sefed et Shahrooei) avaient obtenu un visa humanitaire permanent de la Ministre, agissant dans l’exercice des pouvoirs dont elle est investie en vertu de l’article 417. Après avoir obtenu de la Ministre l’autorisation de déposer de nouvelles demandes de visa en vertu de l’article 48 B, les six autres plaignants ont tous bénéficié d’un visa temporaire de protection (VTP). L’État partie fait observer qu’un VTP autorise habituellement à résider pendant trois ans en Australie à titre temporaire un non ‑ressortissant entré illégalement dans l’État partie dont on estime qu’il a droit à une protection au regard des critères énoncés dans la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés et son Protocole de 1967, ainsi que des dispositions législatives pertinentes. Les titulaires d’un VTP qui souhaitent une prolongation de leur protection en Australie peuvent déposer une deuxième demande de protection à tout moment avant l’expiration de leur VTP.

4.2 Pour ce qui est de la recevabilité, l’État partie réfute l’affirmation des auteurs selon laquelle leur détention était obligatoire et contraire à l’article 7, qu’il considère irrecevable pour absence de fondement ou, à titre subsidiaire, pour incompatibilité avec le Pacte. Les plaignants n’ont pas étayé l’affirmation selon laquelle le caractère obligatoire de leur détention en lui ‑même, indépendamment de la manière dont ils ont été effectivement traités pendant leur détention ou des conditions de cette détention, leur a occasionné une humiliation ou une souffrance physique ou mentale présentant un degré tel qu’elle constitue un manquement à l’article 7 ou va au ‑delà des éléments découlant de la seule détention en elle ‑même. L’État partie fait valoir que l’article 7 ne saurait être interprété comme donnant le droit de ne pas être soumis à une détention obligatoire dans le cadre d’une procédure de demande d’asile.

4.3 L’État partie fait observer que les griefs concernant le traitement global des auteurs en détention sont irrecevables en raison du non ‑épuisement des recours internes et/ou du manque de fondement de ce grief. L’État partie donne une liste détaillée assortie d’explications des recours internes disponibles, à savoir la possibilité de se plaindre auprès: du prestataire de services de détention pour infraction à la législation sur l’immigration; du Département de l’immigration et des affaires multiculturelles et autochtones (DIMIA); du Médiateur du Commonwealth; de la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances, en application de la loi de 1986 (Cth) relative à ladite Commission; du juge civil ou pénal. Selon l’État partie, la plupart des plaignants n’ont pas utilisé tout ou partie de ces recours. M. Shams a soumis une plainte contre le recours à la force à son égard par des agents des services de détention à l’Australasian Correctional Management (ACM), qui l’a transmise à la police fédérale australienne. Cette dernière a par la suite refusé d’enquêter sur cette affaire pour insuffisance d’éléments de preuve. L’auteur a en outre porté plainte auprès du Médiateur. M. Boostani a porté plainte auprès du DIMIA mais n’a pris aucune autre disposition en vue d’épuiser les recours internes pour ses autres plaintes . L’ État partie estime que toutes ces communications, sauf celle de M. Shams, devraient être déclarées irrecevables pour non ‑épuisement des recours internes.

4.4 L’ État partie fait en outre valoir que la plupart des allégations formulées par les auteurs le sont en termes généraux, sans autres renseignements susceptibles de les étayer. Par exemple, MM. Behrooz, Boostani et Shams affirment tous les trois que leur traitement en détention a été contraire aux dispositions de l’article 7 car ils auraient été soumis à toutes les mesures suivantes ou à certaines d’entre elles: détention à l’isolement et privation de toute intimité, refus d’accorder des visites et des moments réguliers d’exercice et de loisirs. Ils ne fournissent toutefois pas de renseignements plus précis, par exemple en ce qui concerne la date et la durée de leur placement à l’isolement, les circonstances entourant le recours à ce type de détention ou les conditions de leur détention au secret, qui permettraient d’établir en quoi cette pratique constituait une violation de l’article 7. M. Behrooz ne fournit pas la moindre information à l’appui de l’allégation générale selon laquelle il aurait été menotté et frappé. Il n’a fourni aucune explication sur les circonstances entourant les faits mentionnés dans ces allégations. MM. Behrooz, Boostani, Shahrooei et Shams n’ont pas fourni de renseignements à l’appui de leurs affirmations générales selon lesquelles ils auraient souffert de troubles psychologiques et de détresse durant leur détention dans des centres pour immigrants. L’ État partie avance les mêmes arguments pour les griefs au titre du paragraphe 1 de l’article 10 concernant leur traitement en détention et leur prétendue détention au secret.

4.5 Sur le fond et le traitement global en détention, l’ État partie présente les règles applicables à la détention des immigrants en Australie, que le DIMIA a élaborées en consultation avec le Bureau du Médiateur du Commonwealth et la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances. Le paragraphe 1 de l’article 5 de la loi sur les migrations habilite les agents de l’immigration à prendre toute mesure nécessaire et à recourir à la force dans la mesure du raisonnable en vue de placer un immigrant en détention ou de l’y maintenir. L’ État partie dément que des personnes détenues dans des centres de détention pour immigrants sont placées à l’isolement ou au cachot. Des salles d’observation, appelées unités de soutien à la gestion (MSU) sont utilisées pour surveiller les détenus susceptibles de constituer une menace immédiate pour eux ‑mêmes, pour autrui, pour les installations elles ‑mêmes ou pour la sécurité des installations. Les détenus sont observés à intervalles réguliers, déterminés en fonction des circonstances de chaque affaire, notamment au moyen de caméras de télévision en circuit fermé. Les placements en unité de soutien à la gestion font l’objet d’une évaluation et d’un examen réguliers par des professionnels. Un détenu placé en unité de soutien à la gestion peut se voir privé d’accès au téléphone, à des visiteurs, à la télévision et à ses objets personnels à titre temporaire, en fonction d’un certain nombre de facteurs, dont le risque d’automutilation, l’état de santé mentale, le bien ‑être et l’ordre et la sécurité dans les installations. Ces détenus ont accès à une cabine de douche équipée d’eau chaude et d’eau froide, à un sanitaire et à un lavabo. Les salles sont pourvues d’un lit avec un matelas, un oreiller, une taie d’oreiller, des draps et une alèse. Ces détenus ont en outre accès à la salle de loisirs de l’unité de soutien à la gestion et à une cour extérieure pour y faire de l’exercice ou y fumer. En fonction de son plan de gestion individuel, l’intéressé peut avoir des échanges dans la cour extérieure avec les autres détenus placés dans l’unité de soutien à la gestion.

4.6 Le Département de l’immigration et des affaires multiculturelles et autochtones (DIMIA) collabore étroitement avec des professionnels confirmés de la santé, en particulier de la santé mentale, afin de répondre de manière appropriée aux besoins en soins mentaux de tous les détenus. Les besoins en soins de santé mentale de chaque détenu sont déterminés par du personnel médical qualifié dès que possible après son placement en détention. Des soins médicaux sont disponibles (sept jours sur sept − vingt ‑quatre heures sur vingt ‑quatre) grâce à un accès rapide à des médecins et à des infirmiers qualifiés. Les détenus ont accès à des services psychologiques/psychiatriques, ainsi qu’à des consultations post ‑traumatiques et à des services de soins dentaires. Les détenus sont aiguillés si nécessaire vers des services extérieurs de conseil et/ou de traitement. L’article 256 de la loi sur les migrations fait obligation au DIMIA de faciliter à toute personne placée en détention pour infraction à la législation sur l’immigration l’obtention de conseils juridiques ou la possibilité d’engager une procédure légale en rapport avec sa détention pour infraction à la législation sur les migrations. Les personnes ainsi détenues ont la possibilité de communiquer à tout moment, même durant un séjour en unité de soutien à la gestion, avec leurs représentants légaux, le Médiateur et la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances. Lorsqu’un détenu lui adresse une demande d’accès, le DIMIA ne ménage aucun effort pour faciliter la visite d’un conseil. Cette consultation peut se faire en présence du conseiller ou par téléphone. Le DIMIA assure un accès raisonnable aux salles d’entretien et aux installations de vidéoconférence, sous réserve de disponibilité.

4.7 Au sujet des griefs de MM. Atvan, Ramezani et Saadat selon lesquels la manière dont ils ont été traités en détention constituerait une violation de l’article 7, l’État partie fait valoir que les auteurs n’ont apporté aucune précision à ce sujet et qu’une consultation poussée des archives du Département n’a permis de recueillir aucun élément attestant de mauvais traitements à leur arrivée ou durant leur détention. M. Shahrooei ne fournit aucun élément de preuve établissant qu’il aurait, selon ses dires, éprouvé des difficultés psychologiques ou que ces difficultés étaient imputables à des mauvais traitements constituant une violation de l’article 7. Les éléments de preuve recueillis montrent que MM. Behrooz, Boostani et Shams ont été placés en unité de soutien à la gestion à plusieurs reprises. Ils n’y ont été placés qu’à titre temporaire dans le souci d’assurer leur propre sécurité et la sécurité du centre de détention ainsi que la sécurité des détenus et des agents du centre. Ces mesures ne visaient nullement à infliger la moindre souffrance physique ou mentale à ces personnes. Aucun élément ne donne à penser que cette mesure, ou les prétendues privations (absence d’intimité, refus d’autoriser des visites et d’accorder un moment régulier pour pratiquer des exercices physiques ou se détendre) endurées par MM. Behrooz et Shams de ce fait constituait une «torture» ou des «peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants». Aucun élément n’a davantage été fourni pour étayer l’affirmation de M. Behrooz selon laquelle il aurait été aspergé de gaz poivre et frappé. Aucun élément n’a été fourni pour corroborer que M. Boostani a été privé d’accès à un conseil juridique, ou que M. Shams a souffert de troubles psychologiques et de détresse d’une gravité telle qu’il serait justifié de conclure qu’il y a eu violation de l’article 7.

4.8 L’État partie conteste l’affirmation selon laquelle certains des auteurs ont été détenus «au secret», expression qu’il entend au sens de «isolement complet du monde extérieur au point que même les membres les plus proches de la famille ne savent pas où la personne se trouve» . À leur arrivée en Australie, les non ‑ressortissants en situation irrégulière sont placés séparément en détention pour assurer l’intégrité du processus d’évaluation de leurs demandes de visa. Sous réserve de l’approbation du DIMIA, les personnes placées en détention séparée peuvent communiquer (par lettre ou télécopie) avec l’étranger pour indiquer qu’ils sont bien arrivés en Australie. À moins d’y être autorisés par le DIMIA, ces détenus ne peuvent: avoir de contacts avec des personnes qui ne sont pas placées en détention séparée; recevoir de visite personnelle; avoir accès à un téléphone ou à un télécopieur pour communiquer avec des membres de la communauté; recevoir du courrier. Sont toutefois possibles − dans le respect des règles applicables aux autres détenus − les contacts et les communications entre les individus placés en détention séparée et des agents du DIMIA, des membres du Groupe consultatif sur la détention pour infraction à la législation sur l’immigration (IDAG), le Médiateur du Commonwealth, des fonctionnaires du Haut ‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de la Croix ‑Rouge australienne, des agents consulaires ou des membres de la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances. Ces visiteurs ont accès à l’ensemble des installations et services de l’établissement de détention, en particulier de restauration, de santé, d’action sociale et de loisirs.

4.9 Une personne ne peut être maintenue en détention séparée plus de ving ‑huit jours, sauf circonstances exceptionnelles. Une fois qu’il a été procédé à l’évaluation initiale et que l’on a déterminé que les obligations incombant à l’État partie en vertu de la Convention relative au statut des réfugiés s’appliquent à une personne en détention séparée, cette personne est placée en détention commune avec d’autres détenus dont les demandes ont déjà été évaluées. Les règles relatives à la détention des immigrants disposent que les personnes placées en détention commune ont accès à un téléphone, à un télécopieur et au courrier afin qu’elles puissent entretenir un degré raisonnable de contacts avec leurs proches, leurs amis et les représentants diplomatiques ou consulaires du pays dont ils sont originaires, ainsi qu’avec leurs représentants légaux. Ces détenus peuvent recevoir des visites de personnes entrant dans ces catégories. Les visites du Médiateur du Commonwealth, des représentants de la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances, de la Croix ‑Rouge australienne ou d’autres organisations ou groupes agréés par le DIMIA sont également facilitées à la demande du détenu ou de l’organisme concerné. En ce qui concerne les difficultés que l’intéressé aurait rencontrées avec son interprète et l’affirmation selon laquelle on lui aurait refusé la possibilité de faire appel à un autre interprète, l’État partit fait valoir qu’aucun élément de preuve ne figure dans la communication soumise par M. Shahrooei et qu’aucune indication en ce sens n’a pu être localisée dans les archives officielles.

4.10 S’agissant des plaintes pour détention illégale, en violation du paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie estime que le terme «loi» tel qu’il est employé dans l’article en question renvoie à la loi dans l’ordre juridique interne et que la détention des plaignants était donc légale car conforme aux procédures instituées par la loi sur les migrations. Les plaignants sont entrés en Australie sans disposer d’un visa valide et leur placement en détention a été la conséquence directe de leur statut de non ‑ressortissant en situation irrégulière visé à l’article 189 de la loi sur les migrations. Les non ‑ressortissants qui arrivent illégalement en Australie sont placés en détention mais ils ont la possibilité de demander un visa d’un type ou d’un autre. Si un visa leur est accordé, ils sont remis en liberté, comme cela a été le cas pour tous les plaignants. L’État partie nie que leur détention ait été arbitraire. Il renvoie à la jurisprudence du Comité, qui a estimé que la détention des personnes arrivées clandestinement, y compris les demandeurs d’asile, n’était pas arbitraire en soi, et que le critère déterminant était de savoir si les motifs de la détention étaient raisonnables, nécessaires, proportionnels, appropriés et justifiables en l’espèce . En outre, rien dans la jurisprudence du Comité n’indique que la détention pour une certaine durée puisse être considérée en soi arbitraire. Le critère déterminant n’est pas la durée de la détention mais la question de savoir si les motifs de cette détention la justifient.

4.11 L’État partie réaffirme que le placement obligatoire en détention des immigrants en situation irrégulière constitue une mesure exceptionnelle applicable aux seules personnes qui arrivent en Australie dépourvues d’autorisation. La détention de ces personnes est nécessaire pour s’assurer que les non ‑ressortissants entrant en Australie sont habilités à le faire, tout en préservant l’intégrité du système australien de migration, et qu’ils sont accessibles pour donner suite à toute demande de protection ou, le cas échéant, pour procéder à leur expulsion s’il a été établi qu’aucune raison ne justifie qu’elles demeurent légalement en Australie. L’État partie n’étant pas doté d’un système de carte d’identité ni d’un dispositif national d’identification ou d’enregistrement aux fins d’accéder au marché du travail, à l’éducation, à la sécurité sociale, aux services financiers et autres, il est difficile pour le Gouvernement de détecter, de surveiller ou d’appréhender les immigrants illégaux dans la communauté. Au fil des années, la Haute Cour a examiné diverses versions successives des dispositions nationales relatives à la détention des immigrants en situation irrégulière, notamment dans le cadre de l’affaire Chu Kheng Lim c. Ministre de l’immigration et des affaires ethniques , dans laquelle la Cour s’est prononcée sur la constitutionalité de l’article 88 et de la division 4B de la partie II de la loi sur les migrations alors en vigueur. La Cour a estimé que les dispositions relatives à la détention obligatoire étaient constitutionnellement valides pour autant qu’elles limitent la détention à: «… ce qui est raisonnablement susceptible d’être considéré nécessaire aux fins de l’expulsion ou du dépôt d’une demande de permis d’entrée et de son examen.» .

4.12 L’État partie indique que la loi a institué des mécanismes permettant dans certaines circonstances de libérer des détenus − grâce à l’attribution d’un visa intérimaire, en application de l’article 73 de la loi sur les migrations, ou sur la base de considérations humanitaires, en application de l’article 417 de cette même loi. Les circonstances entourant la détention de chacun des plaignants indiquent que cette détention était justifiable et appropriée et n’était pas arbitraire ni en rien contraire au paragraphe 1 de l’article 9: ils sont arrivés en Australie sans être pourvus d’un visa valide et les agents de l’immigration étaient donc tenus de les placer en détention en application du paragraphe 1 de l’article 189 de la loi sur les migrations; les plaignants ont été détenus pendant que leur demande d’asile était évaluée car, dans l’intervalle, ils demeuraient des non ‑ressortissants en situation irrégulière; plusieurs des détenus ont tenté de s’évader des centres de détention et représentaient donc un risque pour eux ‑mêmes et éventuellement pour la communauté; ils ont été libérés dès qu’ils ont obtenu un visa. La loi et la réglementation relative aux migrations ont été amendées depuis la détention des plaignants et elles donnent désormais au Ministre le pouvoir non délégable et non obligatoire de prendre une des mesures suivantes: accorder un visa à toute personne placée en détention pour infraction à la législation sur l’immigration − que l’intéressé l’ait ou non sollicité; ordonner la détention d’un non ‑ressortissant en situation irrégulière sous la forme d’une détention au sein de la communauté, qualifiée d’«assignation de résidence»; inviter un détenu non susceptible d’être expulsé à brève échéance à solliciter un visa intérimaire d’une nouvelle catégorie dite «visa intérimaire en instance d’expulsion». Ces pouvoirs sont exercés à titre personnel par le Ministre au cas par cas eu égard à la situation de chaque détenu.

4.13 Au sujet de l’affaire A. c. Australie , dont se prévalent les plaignants, l’État partie souligne que le Gouvernement australien n’a pas accepté la constatation du Comité selon laquelle la détention de l’auteur de cette communication était arbitraire en l’espèce. Concernant l’affirmation selon laquelle une violation au paragraphe 4 de l’article 9 aurait été commise parce qu’il n’existait aucune possibilité de réexaminer la légalité de la détention, l’État partie fait valoir que pareil réexamen ne signifie pas que le tribunal doive avoir la compétence d’ordonner la remise en liberté d’un détenu, même si sa détention est légale. Un tribunal doit avoir la possibilité d’examiner la détention et le pouvoir réel et effectif d’ordonner la libération du détenu si la détention est illégale − au regard du droit interne, de l’avis de l’État partie. Une personne placée en détention pour infraction à la législation sur l’immigration peut engager une procédure devant la Haute Cour en vertu de l’article 75 de la loi de 1901 sur la Constitution du Commonwealth d’Australie afin d’obtenir une ordonnance de mandamus ou toute autre décision corrective appropriée. Cette juridiction peut également être invoquée devant la Cour fédérale. Le recours d’ habeas corpus demeure à la disposition de toute personne placée en détention. Le fait que le paragraphe 1 de l’article 189 de la loi sur les migrations prévoie la détention de personnes, telles que les plaignants, n’exclut pas qu’un tribunal en ordonne la libération s’il estime qu’elles ne sont pas détenues légalement. L’État partie fait observer que les affaires à l’examen se distinguent des circonstances de l’affaire A. c. Australie en ce que les auteurs des présentes communications ont eu accès à un mécanisme d’examen judiciaire, et en ce que dans l’affaire A. c. Australie la demande de l’auteur a été évaluée au regard de la loi sur les migrations, qui a depuis fait l’objet d’amendements.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1 Dans une lettre reçue le 11 juillet 2006, les auteurs confirment avoir été autorisés à demeurer dans l’État partie et retirent en conséquence leurs plaintes contre un risque d’expulsion vers l’Iran, mais maintiennent leurs autres plaintes. Ils réaffirment que la détention des demandeurs d’asile est obligatoire, qu’aucune autorité n’est investie du pouvoir discrétionnaire de déterminer si la détention est raisonnable dans les différentes affaires individuelles, que les demandeurs d’asile sont exclus de toute possibilité de recours judiciaire, y compris du recours ultime sous la forme d’une demande d’ordonnance d’ habeas corpus . Ils indiquent que la jurisprudence interne va dans le sens de leur analyse . Les plaignants font valoir que le caractère prolongé et indéterminé de la détention sans procédure appropriée de réexamen constitue une violation du Pacte. Dans le cas de chacun des auteurs la détention a dépassé trois ans et dans certains même quatre ans, sans la moindre perspective de remise en liberté à une échéance déterminée. L’angoisse infligée aux plaignants du fait de la nature de leur détention s’est traduite par un sentiment d’humiliation et des souffrances physiques et mentales. Maintenant qu’il est établi que les auteurs sont admissibles au bénéfice du statut de réfugié, l’angoisse provoquée par cette détention est manifeste.

5.2 Concernant l’interprétation que donne l’État partie du concept de «détention légale» au sens du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte (voir le paragraphe 4.10), les auteurs estiment que, si ces dispositions ne renvoyaient qu’au droit interne, le Comité n’aurait jamais à se prononcer sur sa légalité et que les lois même les plus iniques des États ne pourraient être contestées. De l’avis des auteurs, la durée de leur détention n’était ni proportionnée ni appropriée et les méthodes employées par l’État partie pour déterminer le statut de réfugié sont manifestement biaisées, ce qui a occasionné une grande angoisse aux auteurs.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2 Le Comité note que, des visas temporaires de protection ou des visas humanitaires leur ayant été accordés depuis l’enregistrement de leur communication, tous les auteurs ont retiré leur grief quant à la crainte d’être torturés en cas de renvoi en Iran. Toutes les autres plaintes sont maintenues. Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle le caractère obligatoire de la détention des auteurs constitue en lui ‑même une violation de l’article 7, le Comité constate que les auteurs n’ont pas fourni d’éléments permettant d’étayer le grief selon lequel la détention en soi, et non le traitement qui leur a été réservé durant cette détention, équivaut à une torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 7. Cette plainte est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3 Le Comité note les plaintes formulées par les auteurs au titre de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte concernant des traitements inhumains et dégradants en détention, y compris le refus de médicaments, des agressions et la détention au secret, qui auraient, dans certains cas, induit des troubles psychiques. Pour le Comité, la détention au secret revient à refuser au détenu tout contact avec le monde extérieur. Il ne saurait partager l’avis de l’État partie qui estime nécessaire en outre que le monde extérieur soit dans l’ignorance de l’endroit où se trouve le détenu (par. 4.8). Le Comité a pris note de l’argumentation de l’État partie selon laquelle aucun des auteurs, à l’exception de M. Shams, n’a épuisé les recours internes. Il relève que les auteurs n’ont pas contesté cet argument et conclut que, dans le cas de M. Shams excepté, les plaintes relatives à leur traitement global en détention sont irrecevables pour non ‑épuisement des recours internes, en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En ce qui concerne M. Shams, le Comité note que cet auteur n’a pas réfuté l’argumentation ni les informations très détaillées fournies par l’État partie au sujet de ses griefs quant au fond et n’a pas davantage essayé ultérieurement de corroborer ses plaintes initiales. Pour ces raisons, le Comité constate que les plaintes de M. Shams concernant son traitement en détention sont irrecevables parce qu’insuffisamment étayées, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la plainte relative au caractère prétendument arbitraire de la détention des auteurs, tombant sous le coup du paragraphe 1 de l’article 9, et déclare donc cette plainte recevable.

6.5 Le Comité note que, même s’il n’a pas expressément contesté la recevabilité de la plainte relative au droit des auteurs de voir la légalité de leur détention réexaminée (art. 9, par. 4), il mentionne la possibilité pour les auteurs d’obtenir un réexamen judiciaire de la légalité de leur détention par la voie d’une demande d’ordonnance d’ habeas corpus devant la Haute Cour, sans indiquer si un ou plusieurs des auteurs ont déposé une demande à cet effet. En tout état de cause, le Comité note que la législation en vertu de laquelle les auteurs ont été arrêtés prévoit leur détention obligatoire jusqu’à ce qu’ils obtiennent un permis ou soient expulsés. Comme les tribunaux l’ont confirmé, en Australie aucune autorité n’a un pouvoir discrétionnaire de mise en liberté. Le Comité observe que les tribunaux sont seulement habilités à déterminer officiellement si un individu en cause est bien un «non ‑citoyen illégal» auquel la disposition s’applique, ce qui n’est contesté pour aucun des intéressés en l’espèce, et non à apprécier quant au fond si des raisons justifient sa détention dans les circonstances considérées. L’application directe de la loi écarte ainsi tout examen judiciaire au fond susceptible de constituer un recours. Le Comité note aussi que la Haute Cour a confirmé la constitutionnalité des régimes de détention obligatoire au vu des facteurs de politique générale avancés par l’État partie . Le Comité réaffirme sa jurisprudence et constate que l’État partie n’a pas fait la preuve de l’existence de recours internes que les auteurs auraient pu épuiser en qui concerne les plaintes relatives à la détention des auteurs et que ces plaintes sont donc recevables.

Examen au fond

7.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2 S’agissant de la plainte des auteurs selon laquelle ils auraient été détenus arbitrairement en violation du paragraphe 1 de l’article 9, le Comité rappelle que selon sa jurisprudence pour ne pas être qualifiée d’arbitraire une détention ne doit pas se prolonger au ‑delà de la durée pour laquelle l’État peut apporter une justification appropriée . Dans la présente affaire, la détention des auteurs en tant que non ‑ressortissants en situation irrégulière s’est poursuivie, à titre obligatoire, jusqu’à ce qu’il leur soit délivré un visa. Le Comité note qu’un visa humanitaire ou un visa temporaire de protection a été accordé à chacun des auteurs au bout d’au moins trois ans de détention et parfois au bout de plus de quatre. Le Comité constate que l’État partie n’a, hormis l’indication selon laquelle certains auteurs (sans préciser lesquels) ont tenté de s’évader, avancé que des raisons d’ordre général pour justifier la détention des auteurs et non pas des raisons particulières aux cas des auteurs qui auraient justifié la prolongation de leur détention pour une aussi longue durée. En particulier, l’État partie n’a pas démontré que, eu égard aux circonstances propres à chaque affaire, il n’existait pas de moyen moins radical de parvenir aux mêmes fins. Tout en accueillant avec satisfaction les modifications concernant la procédure de détention apportées à la loi et à la réglementation sur les migrations, signalées par l’État partie et récapitulées plus haut, le Comité note qu’elles ne sont entrées en vigueur qu’après la détention des auteurs et que ces derniers ne pouvaient pas en bénéficier du temps de leur détention. Le Comité estime pour ces raisons que la détention des auteurs pour une période comprise entre trois ans et plus de quatre ans sans aucune possibilité de réexamen judiciaire au fond était arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9.

7.3 Au sujet des plaintes des auteurs relatives à la violation du paragraphe 4 de l’article 9, le Comité constate que le mécanisme de réexamen judiciaire à la disposition des plaignants se résumait à une appréciation de pure forme tendant à déterminer s’ils étaient ou non des «non ‑ressortissants» en situation irrégulière dépourvus de permis d’entrée. Le Comité constate qu’aucun tribunal n’avait le pouvoir discrétionnaire de réexaminer leur détention au fond en vue d’en justifier la poursuite. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle tout examen judiciaire de la légalité d’une détention au sens du paragraphe 4 de l’article 9, qui doit être assorti de la possibilité d’ordonner la remise en liberté, ne se borne pas à déterminer la conformité de la détention avec les seules dispositions juridiques internes. Les différents ordres juridiques internes sont certes susceptibles de fixer des modalités qui leur sont propres pour assurer l’examen judiciaire d’une détention administrative, mais ce qui est déterminant aux fins du paragraphe 4 de l’article 9 est que cet examen soit, dans son effet, réel et non pas simplement de pure forme. En disposant que le tribunal doit être investi du pouvoir d’ordonner la libération «si la détention est illégale», le paragraphe 4 de l’article 9 requiert que le tribunal soit habilité à ordonner la remise en liberté si la détention est incompatible avec les prescriptions du paragraphe 1 de l’article 9 ou toute autre disposition applicable du Pacte. Dans le cas des auteurs, le Comité considère que l’impossibilité de contester devant la justice une détention qui était, ou était devenue, contraire au paragraphe 1 de l’article 9 constitue une violation du paragraphe 4 de l’article 9.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation. De l’avis du Comité, cette réparation doit prendre la forme d’une indemnisation pour la durée de la détention imposée aux auteurs.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood

Les États sont en droit d’appliquer leurs lois sur l’immigration d’une manière efficace et proportionnée. Chacun des auteurs, en l’espèce, est entré en Australie sans visa. Chacun d’entre eux s’est vu refuser l’octroi d’un visa de protection à l’issue d’un examen initial de son cas effectué par le Département de l’immigration. Chacun a fait appel auprès de trois ou quatre instances de recours administratif ou judiciaire et a fini par obtenir un visa permanent à titre humanitaire ou un visa temporaire de protection. La législation de l’État partie (en vigueur lorsque ces cas s’étaient posés) exigeait la détention des demandeurs de visa déboutés pendant la procédure de recours au motif que, sans cela, il aurait été difficile d’obtenir leur comparution volontaire au cours de la procédure de détermination de leur statut qui pourraient déboucher sur leur expulsion.

À ce propos, je tiens à affirmer que je ne puis souscrire à l’avis du Comité concernant l’application de l’article 9 du Pacte, et plus précisément à sa conclusion selon laquelle la détention des auteurs était en soi «arbitraire» et «illégale» au sens des paragraphes 1 et 4 de l’article 9. Chaque requérant a eu accès aux tribunaux pour contester les motifs à la base de sa détention, en particulier la conclusion selon laquelle sa présence dans le pays était illégale. L’État partie a fait valoir que sa législature avait estimé qu’il était particulièrement difficile d’appliquer les lois sur l’immigration aux requérants déboutés dans une société qui avait choisi de ne pas exiger de cartes d’identité nationale ou un enregistrement officiel pour avoir accès aux services sociaux et à l’emploi. Depuis que ces cas se sont posés, l’Australie a modifié sa loi de façon à autoriser le Ministre de l’immigration à opter pour une certaine forme de «détention au sein de la communauté», qui est moins onéreuse.

Cela dit, l’État partie doit savoir que ce n’est pas une bonne chose que des personnes, qui ont en définitive obtenu la protection de l’État contre un renvoi forcé en Iran, aient dû attendre trois à quatre ans dans un centre de détention avant que cette protection ne leur soit accordée.

[ Signé ] Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Q. Communication n o 1274/2004, Korneendo et consorts c. Bélarus * (Constatations adoptées le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Viktor Korneenko et consorts (non représentés par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

6 novembre 2003 (date de la lettre initiale)

Objet : Dissolution d’une association de défense des droits de l’homme par décision judiciaire des autorités de l’État partie

Questions de fond : Égalité devant la loi; discrimination interdite; droit à la liberté d’association; restrictions autorisées; droit à la détermination de ses droits et obligations de caractère civil par un tribunal compétent, indépendant et impartial

Questions de procédure : Irrecevabilité ratione personae ; non ‑épuisement des recours internes

Articles du Pacte : 14 (par. 1), 22 (par. 1 et 2), 26

Articles du Protocole facultatif : 1, 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1274/2004 présentée par Viktor Korneenko en son nom propre et au nom de 105 autres personnes en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Viktor Korneenko, ressortissant bélarussien né en 1957 et résidant à Gomel (Bélarus). Il présente la communication en son nom propre et au nom de 105 autres personnes du Bélarus et d’autres pays, qui résident toutes au Bélarus. Il affirme que les 105 autres coauteurs l’ont autorisé préalablement à agir en leur nom, et indique pour chacun d’entre eux le nom complet, la nationalité, la profession, la date et le lieu de naissance ainsi que l’adresse actuelle. Il ne fournit pas, cependant, de lettre l’autorisant à agir en leur nom. L’auteur affirme que lui ‑même et les coauteurs sont victimes de violations par le Bélarus du paragraphe 1 de l’article 14, des paragraphes 1 et 2 de l’article 22, et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1 L’auteur est président de l’association régionale de Gomel «Initiatives civiles», enregistrée par la Division de la justice du Comité exécutif régional de Gomel (la Division de la justice) le 30 décembre 1996 et réenregistrée le 29 septembre 1999. Le 13 mai 2002, la Division de la justice a adressé au conseil d’administration d’«Initiatives civiles» un avertissement écrit au sujet d’une violation du droit interne. «Initiatives civiles» était accusée d’avoir utilisé du matériel provenant de dons étrangers à des fins autres que celles prévues, à savoir pour produire du matériel de propagande et organiser des activités de propagande, contrairement à la partie 3 du paragraphe 4 du décret présidentiel n o 8 relatif à certaines mesures destinées à améliorer la procédure régissant la réception et l’utilisation de l’aide étrangère gratuite, en date du 12 mars 2001 (décret présidentiel n o 8). En vertu des dispositions du décret, l’aide étrangère gratuite ne peut pas être utilisée pour organiser des rassemblements, des réunions, des défilés de rue, des manifestations, des piquets de grève ou des grèves, ni pour élaborer et diffuser de la propagande ou organiser des séminaires ou autres formes d’activités de propagande. Selon l’auteur, les éléments de preuve sur lesquels cet avertissement était fondé avaient été obtenus illégalement par la Division de la sécurité de l’État du Comité exécutif de l’oblast (région) de Gomel (DSSC). À une date non précisée, l’auteur a formé un recours contre cet avertissement devant le tribunal régional de Gomel. Le 2 août 2002, le tribunal a refusé d’engager la procédure au motif que le requérant n’avait pas le droit d’intenter une telle action devant un tribunal de juridiction générale. À une date non précisée, cette décision a été contestée devant la Cour suprême et, le 26 août 2002, la Cour suprême l’a cassée et a renvoyé l’affaire au tribunal régional de Gomel, lui ordonnant d’engager la procédure. La procédure a été engagée le 3 septembre 2002, et l’affaire a été inscrite à l’audience. Le 16 septembre 2002, le tribunal régional de Gomel a suspendu la procédure au motif que la Cour suprême examinait au même moment un recours formé par l’auteur dans une affaire administrative. À une date non précisée, l’auteur a contesté cette décision devant la Cour suprême qui l’a de nouveau annulée le 10 octobre 2002, renvoyant l’affaire au tribunal de Gomel. Le 4 novembre 2002, le tribunal de Gomel a examiné le cas de l’auteur quant au fond et a maintenu l’avertissement adressé par la Division de la justice le 13 mai 2002. Cette dernière décision a été confirmée par la Cour suprême le 23 décembre 2002. Le recours en contrôle juridictionnel formé par l’auteur le 4 novembre 2002 auprès du Président de la Cour suprême a été rejeté le 12 février 2003. En conséquence, l’avertissement émis par la Division de la justice est resté inscrit au dossier d’«Initiatives civiles».

2.2 Du 1 er au 30 avril 2003, la Division de la justice a inspecté les activités d’«Initiatives civiles» et, le 30 avril 2003, elle a intenté une action auprès du tribunal régional de Gomel pour demander la dissolution de l’association. Le paragraphe 2 de l’article 29 de la loi sur les associations publiques dispose qu’une association peut être dissoute par décision de justice si elle entreprend de nouveau, dans un délai d’un an, des activités au sujet desquelles elle a déjà reçu un avertissement écrit. Le paragraphe 2.2 de l’article 57 du Code de procédure civile prévoit en outre une procédure de dissolution des personnes morales. Cette fois, «Initiatives civiles» a été accusée d’avoir: 1) utilisé du matériel provenant de dons privés à des fins autres que celles prévues, à savoir pour produire du matériel de propagande et organiser des activités de propagande; 2) publié un bulletin d’information dans des quantités dépassant la demande interne de l’association; 3) ouvert un certain nombre d’antennes de district sans satisfaire à l’obligation de les enregistrer auprès de l’État, contrairement au paragraphe 4.1 des statuts de l’association; 4) falsifié des documents et utilisé un en ‑tête non conforme aux prescriptions légales; 5) créé un certain nombre de structures indépendantes en tant que «centres d’information» visant à fournir un appui à la société civile. L’auteur affirme qu’une fois que l’action en justice intentée pour demander la dissolution d’«Initiatives civiles» a été engagée, la procédure a été ajournée sur demande du Ministre de la justice en raison de la visite à Gomel du chef du Groupe de travail de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, le 26 mai 2003.

2.3 À l’audience du 17 juin 2003, l’auteur a expliqué que la Division de la justice avait effectué l’inspection d’avril 2003 en l’absence de tout représentant d’«Initiatives civiles» et uniquement sur la base de documents écrits présentés par l’association. Il a contesté en outre l’allégation d’utilisation, par l’association, de matériel provenant de dons étrangers contraire au décret présidentiel n o 8, et a fourni des arguments à l’appui de sa plainte. Il a mis en cause l’authenticité des copies du bulletin d’information dont la Cour était saisie et a demandé une expertise. Il s’est référé au paragraphe 4.2 des statuts de l’association selon lequel l’enregistrement des antennes de district auprès de l’État n’était pas requis lorsqu’il n’était pas prévu qu’elles aient une capacité juridique distincte. Il a nié que l’en ‑tête de l’association ne soit pas conforme aux prescriptions légales et a affirmé que les centres d’information visés dans l’action intentée par la Division de la justice étaient en fait consacrés aux activités de l’association et n’étaient pas des structures indépendantes. Le même jour, le tribunal régional de Gomel a ordonné la dissolution d’«Initiatives civiles» pour les motifs 1, 4 et 5 avancés par la Division de la justice (voir le paragraphe 2.2 ci ‑dessus).

2.4 Cette décision a été confirmée par la Cour suprême le 14 août 2003 et, par la suite, elle est devenue exécutoire. La demande de contrôle juridictionnel de la décision de dissolution déposée par l’auteur auprès du parquet a été rejetée le 3 octobre 2003, bien que le procureur qui avait participé à l’audience devant la Cour suprême du 14 août 2003 ait affirmé que la culpabilité d’«Initiatives civiles» n’avait pas été établie. Le recours en contrôle juridictionnel formé par l’auteur le 6 novembre 2003 auprès du Président de la Cour suprême contre cette décision a été rejeté le 21 novembre 2003.

2.5 L’auteur a formé une demande reconventionnelle le 16 mai 2003, demandant au tribunal d’ouvrir une procédure pour protéger l’image publique d’«Initiatives civiles», compte tenu des «informations manifestement fausses» communiquées dans le cadre de l’action intentée par la Division de la justice auprès du tribunal régional de Gomel. Le 21 mai 2003, le tribunal a refusé d’engager la procédure, au motif que le demandeur n’avait pas le droit d’intenter une telle action devant un tribunal de juridiction générale. Cette décision a été confirmée par la Cour suprême le 30 juin 2003. Le droit interne interdit le fonctionnement d’associations non enregistrées au Bélarus.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que la décision de dissoudre «Initiatives civiles» prise par le tribunal régional de Gomel constitue une violation de son droit et de celui des coauteurs au titre du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte. Il fait valoir que, contrairement au paragraphe 2 de l’article 22, les restrictions imposées par l’État partie à l’exercice de ce droit ne répondent pas au critère de nécessité visant à protéger la sécurité nationale, la sûreté publique, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui.

3.2 L’auteur affirme que lui ‑même et les coauteurs ont été privés du droit à l’égalité devant les tribunaux et à la détermination de leurs droits et obligations de caractère civil (par. 1 de l’article 14 du Pacte).

3.3 L’auteur affirme que les autorités de l’État partie ont violé son droit et celui des coauteurs à une égale protection de la loi contre la discrimination (art. 26 du Pacte) en raison des opinions politiques des intéressés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4. Le 29 septembre 2004, l’État partie rappelle la chronologie de l’affaire telle qu’elle figure aux paragraphes 2.1 à 2.4 ci ‑dessus. Il précise que l’inspection des activités d’«Initiatives civiles» pendant la période allant de novembre 2001 à mars 2003, effectuée par le Ministère de la justice, a révélé que l’association continuait à utiliser du matériel provenant de dons étrangers pour produire du matériel de propagande et organiser d’autres formes d’activités de propagande. Il affirme que l’appel qu’«Initiatives civiles» a publié dans son bulletin d’information du 16 février 2003 et adressé à d’autres associations publiques, aux médias, au bureau de l’OSCE au Bélarus et à des ambassades est perçu comme invitant à la diffusion d’une propagande contre le gouvernement au pouvoir et expose le rôle de l’association dans ce domaine. L’État partie déclare qu’il existait des motifs supplémentaires de dissoudre «Initiatives civiles», à savoir d’autres violations de la législation interne, telles que des irrégularités dans les documents officiels de l’association. Le parquet a procédé au contrôle juridictionnel des décisions du tribunal régional du 17 juin 2003 et de la décision de la Cour suprême du 14 août 2003, respectivement. Il n’a découvert aucun motif qui puisse justifier une nouvelle procédure.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Dans des commentaires datés du 17 janvier 2005, l’auteur conteste que la Division de la justice ait découvert elle ‑même les preuves attestant l’utilisation de matériel par «Initiatives civiles» à des fins autres que celles prévues, sur lesquelles elle a fondé le premier avertissement écrit du 13 mai 2002. Il fournit une copie de la note écrite à l’origine de l’avertissement en question, datée du 25 avril 2002 et adressée à la Division de la justice par l’inspectrice du Ministère des douanes du district de Zheleznodorozhniy de Gomel (MTD). Il en ressort que l’inspection des activités d’«Initiatives civiles» par le MTD a été déclenchée par la lettre du DSSC datée du 3 août 2001. Le MTD a été informé de l’utilisation de matériel par «Initiatives civiles» à des fins autres que celles prévues dans une lettre du DSSC datée du 17 août 2001. Ainsi, ni la Division de la justice ni le MTD n’ont découvert de preuve d’utilisation de matériel à des fins autres que celles prévues. Leurs conclusions à ce sujet découlent exclusivement des informations reçues du DSSC.

5.2 L’auteur conteste l’affirmation de l’État partie qui soutient qu’«Initiatives civiles» utilisait le matériel provenant de dons étrangers pour produire du matériel de propagande et organiser d’autres formes d’activités de propagande, et que l’appel qu’elle a lancé le 16 février 2003 invitait à la diffusion de propagande contre le gouvernement en place et souligne le rôle de l’association dans ce domaine. Il fournit une copie d’une note de la Division de la justice sur les résultats de l’inspection, datée du 30 avril 2003, qui mentionne pour la première fois que l’appel publié dans le bulletin d’information du 16 février 2003 enfreint l’interdiction énoncée au paragraphe 4 du décret présidentiel n o 8 (voir le paragraphe 4.1 ci ‑dessus). Ni la Division de la justice ni les tribunaux n’ont pu prouver que le bulletin en question avait été produit grâce au matériel provenant de dons étrangers. L’auteur fait valoir en outre que l’État partie n’a pas indiqué quelle partie exactement du bulletin en question il percevait comme «un appel à la diffusion de propagande contre le gouvernement», ni comment cet appel pouvait constituer un motif légitime de restreindre son droit à la liberté d’association au sens de l’article 22 du Pacte.

5.3 L’auteur conteste l’allégation de l’État partie, qui affirme qu’il y avait des irrégularités dans les documents officiels de l’association contrairement à l’article 50 du Code de procédure civile. Il réaffirme que l’État partie n’a avancé aucun argument expliquant pourquoi les centres d’information d’«Initiatives civiles» visés dans l’action intentée par la Division de la justice étaient considérés comme des structures indépendantes. Il renvoie à la copie du bulletin d’information du 16 février 2003, qui montre que l’association respecte les prescriptions de l’article 50 du Code de procédure civile.

5.4 Quant à l’argument selon lequel la décision de dissolution de l’association a fait l’objet d’un contrôle juridictionnel par le parquet, l’auteur affirme que celui ‑ci était partial. Il cite la lettre que le parquet lui a adressée le 29 novembre 2002, en réponse à sa plainte relative à l’irrecevabilité devant les tribunaux d’éléments de preuve obtenus illégalement par le DSSC . Il ressort de cette lettre que les agents du DSSC n’ont pu apposer de scellés sur le matériel saisi dans les locaux d’«Initiatives civiles» en raison de ses dimensions. L’auteur fait observer que le droit interne ne prévoit aucune exception à l’obligation d’apposer des scellés sur un objet saisi, quelles que soient ses dimensions. Il conclut que l’État partie n’a pas expliqué quelles activités illégales d’«Initiatives civiles» avaient motivé la dissolution de l’association par décision de justice.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et note que l’État partie n’a pas contesté que les recours internes avaient été épuisés.

6.3 En ce qui concerne la question de la qualité pour agir, le Comité note que l’auteur a présenté la communication en son nom propre et au nom de 105 autres personnes dont le nom est cité. Néanmoins, il n’a fourni au Comité aucune preuve attestant qu’il avait obtenu le consentement de ces personnes en leur demandant de signer la plainte initiale ou de lui délivrer une lettre d’autorisation. Le Comité considère que l’auteur n’a pas qualité pour représenter ces 105 personnes devant le Comité au sens de l’article premier du Protocole facultatif, mais considère que la communication est néanmoins recevable en ce qui concerne l’auteur lui ‑même.

6.4 En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte, du fait que l’auteur aurait été privé du droit à l’égalité devant les tribunaux, à la détermination de ses droits par un tribunal compétent, indépendant et impartial et à une égale protection de la loi contre la discrimination, le Comité considère que ces plaintes ne sont pas suffisamment étayées aux fins de la recevabilité, et qu’elles sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 Le Comité considère que la plainte de l’auteur au titre de l’article 22 est suffisamment étayée et, en conséquence, la déclare recevable.

Examen au fond

7.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2 Le Comité doit déterminer principalement si la dissolution d’«Initiatives civiles» constitue une atteinte au droit de l’auteur à la liberté d’association, et si une telle atteinte était justifiée. Le Comité note que, selon les informations communiquées par l’auteur, qui ne sont pas contestées, «Initiatives civiles» a été enregistrée par la Division de la justice le 30 décembre 1996, réenregistrée le 29 septembre 1999 et dissoute sur ordre du tribunal régional de Gomel le 17 juin 2003. Il note que le droit interne interdit le fonctionnement d’associations non enregistrées sur le territoire du Bélarus. À cet égard, il fait observer que le droit à la liberté d’association ne comprend pas uniquement le droit de créer une association, mais garantit aussi le droit de cette association d’accomplir librement les activités pour lesquelles elle a été créée. La protection conférée par l’article 22 s’étend à toutes les activités d’une association, et la dissolution d’une association doit satisfaire aux critères énoncés au paragraphe 2 dudit article. Compte tenu des sérieuses conséquences qui en découlent en l’espèce pour l’auteur et son association, le Comité considère que la dissolution d’«Initiatives civiles» constitue une atteinte au droit de l’auteur à la liberté d’association.

7.3 Le Comité fait observer que, conformément au paragraphe 2 de l’article 22, toute restriction à la liberté d’association, pour être valable, doit satisfaire cumulativement aux conditions suivantes: a) elle doit être prévue par la loi; b) elle ne peut viser que l’un des buts énoncés au paragraphe 2; et c) elle doit être «nécessaire dans une société démocratique» pour la réalisation de l’un de ces buts. La référence à une «société démocratique» dans le contexte de l’article 22 indique, de l’avis du Comité, que l’existence et le fonctionnement d’associations, y compris celles qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas nécessairement accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, font partie des fondements d’une société démocratique.

7.4 En l’espèce, la décision de justice tendant à dissoudre «Initiatives civiles» est fondée sur deux types de violations présumées des lois de l’État partie: 1) utilisation de matériel provenant de dons privés à des fins autres que celles prévues, à savoir pour la production de matériel de propagande et l’organisation d’activités de propagande; et 2) irrégularités dans les documents officiels de l’association. Ces deux catégories de prescriptions légales constituent des restrictions de facto et doivent être évaluées à la lumière des conséquences qui en découlent pour l’auteur et «Initiatives civiles».

7.5 Concernant le premier point, le Comité note que l’auteur et l’État partie divergent quant à la question de savoir si «Initiatives civiles» a véritablement utilisé son matériel aux fins citées. Il considère que même si «Initiatives civiles» a utilisé ce matériel, l’État partie n’a pas fourni d’argument expliquant pourquoi il serait nécessaire , au sens du paragraphe 2 de l’article 22, d’interdire l’utilisation de ce matériel «pour la préparation de rassemblements, de réunions, de défilés, de manifestations, de piquets de grève, de grèves, pour la production et la diffusion de matériel de propagande, ainsi que pour l’organisation de séminaires et autres formes d’activités de propagande».

7.6 Concernant le deuxième point, le Comité note que les parties divergent à propos de l’interprétation du droit interne et que l’État partie n’a pas fourni d’argument expliquant laquelle des trois irrégularités dans les documents officiels de l’association motivait l’imposition des restrictions prévues au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Même si les documents d’«Initiatives civiles» n’étaient pas entièrement conformes aux prescriptions de la législation nationale, les autorités de l’État partie ont eu une réaction disproportionnée en prononçant la dissolution de l’association.

7.7 Compte tenu des lourdes conséquences de la dissolution d’«Initiatives civiles» pour l’exercice du droit de l’auteur à la liberté d’association, ainsi que du caractère illégal du fonctionnement des associations non enregistrées au Bélarus, le Comité conclut que la dissolution d’«Initiatives civiles» est disproportionnée et ne satisfait pas aux conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 22. Il y a donc eu violation des droits de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 22.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’auteur a droit à une réparation appropriée, sous la forme du rétablissement d’«Initiatives civiles» et d’une indemnisation. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

R. Communication n o 1291/2004, Dranichnikov c. Australie * (Constatations adoptées le 20 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

M me Olga Dranichnikov (non représentée par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

1 er juin 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Indépendance du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, discrimination fondée sur le sexe et la situation matrimoniale

Questions de procédure : Actio popularis , griefs devenus sans objet, épuisement des recours internes

Articles du Pacte : 6, 7, 9, 14 (par. 1), 23, 26

Articles du Protocole facultatif : 1, 2, 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 octobre 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1291/2004 présentée par M me Olga Dranichnikov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 1 er juin 2004, est Olga Dranichnikov, de nationalité russe née le 8 janvier 1963. Elle affirme être victime de violations par l’Australie des articles 2, 6, 7, 9, 14, 23 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Australie le 25 décembre 1991.

Exposé des faits

2.1 L’auteur est arrivée en Australie en janvier 1997 avec son mari et leur fille, avec un visa de touriste. Le 2 avril 1997, son mari a déposé auprès du Département de l’immigration et des affaires multiculturelles (DIMA) une demande de visa de protection au nom de la famille. La demande était fondée sur des menaces reçues par l’auteur et son mari à Vladivostok (Russie) en raison de leur participation active à la défense des droits de l’homme en Russie.

2.2 Le 20 mai 1997, le DIMA a rejeté la demande, après qu’une demande de renseignements supplémentaires adressée au mari de l’auteur eut été retournée parce qu’elle avait été envoyée à l’ancienne adresse de l’auteur. Celle ‑ci n’a pas été interrogée.

2.3 Le 19 juin 1997, le mari de l’auteur a adressé au Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés une demande de réexamen de la décision du DIMA. Le 11 août 1998, le Tribunal a rejeté la demande.

2.4 Le 9 septembre 1998, le mari de l’auteur a déposé une deuxième demande de réexamen. Le 19 septembre 1998, l’auteur a demandé au Tribunal d’examiner sa demande séparément de celle de son mari. Le 21 janvier 1999, ils ont appris que la deuxième demande de réexamen n’était pas valide. Le 15 février 1999, le mari de l’auteur a formé un recours auprès de la Cour fédérale contre le rejet de sa demande par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Son recours a été rejeté le 7 février 2000. Le recours supplémentaire qu’il avait formé auprès de la chambre plénière de la Cour fédérale a été rejeté le 14 décembre 2000. Le 24 décembre 2000, il s’est pourvu devant la Cour suprême, qui a fait droit à son recours et a renvoyé la demande au Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés le 8 mai 2003.

2.5 Le 29 janvier 1999, l’auteur et son mari se sont rendus au bureau du DIMA, où ils ont été informés qu’ils se trouvaient en Australie illégalement depuis que le Tribunal avait rejeté leur demande et où on leur a fait signer une lettre au Ministre en vue d’obtenir un visa d’attente. Le visa d’attente ne permettait à aucun des conjoints de travailler.

2.6 Le 11 août 2000, l’auteur a voulu déposer une demande de visa de protection en son nom propre, mais le DIMA a refusé de l’enregistrer, la jugeant non valide au motif que la demande du statut de réfugié déposée précédemment par l’auteur avait fait l’objet d’une décision définitive. Le 5 septembre 2000, l’auteur a déposé une demande de réexamen de la décision du DIMA auprès de la Cour fédérale d’Australie, qui l’a déboutée le 29 janvier 2001. À l’examen de sa demande d’autorisation de faire appel, la chambre plénière de la Cour fédérale, le 22 juin 2001, s’est prononcée en faveur de l’auteur, estimant qu’elle devait être autorisée à déposer sa propre demande de visa de protection. Le 13 août 2001, le Ministre a demandé à la Cour suprême l’autorisation de faire appel du jugement mais a retiré sa demande le 30 novembre 2001, à la suite d’amendements qui avaient été apportés à la loi sur les migrations en vue d’empêcher le renouvellement de demandes dans des cas tels que celui de l’auteur.

2.7 Parallèlement à la procédure décrite ci ‑dessus, l’auteur avait déposé, le 27 septembre 2000, une plainte devant la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances. En mars 2001, le Président de la Commission a rejeté la plainte de l’auteur et celle ‑ci a formé un recours auprès du tribunal fédéral de première instance. Le 18 février 2002, son recours a été rejeté et, le 8 mars 2002, l’auteur a déposé un autre recours devant la Cour fédérale, qui l’a rejeté le 5 décembre 2002. L’auteur a alors demandé une autorisation spéciale de recours qui a été refusée par la Cour suprême le 25 juin 2003.

2.8 Le 14 novembre 2002, le DIMA a informé l’auteur qu’aucune suite ne serait donnée à sa demande de visa de protection car elle n’avait pas acquitté les droits correspondants, dont le montant s’élevait à 30 dollars. Il ressort de la lettre qu’à la suite de la décision de la Cour fédérale la concernant, l’auteur avait été informée quatre fois depuis février 2002 que sa demande serait considérée comme valide à compter du 22 juin 2001 si elle versait les 30 dollars de droits. Toute nouvelle demande qu’elle souhaiterait déposer serait traitée conformément à la loi sur les migrations telle qu’elle avait été révisée.

2.9 Le 6 décembre 2002, l’auteur a demandé à la Cour suprême de rendre une ordonnance provisoire, ce que la Cour a refusé le 25 juin 2003.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme être victime de violations par l’Australie des articles 2, 23 et 26 du Pacte: a) parce qu’elle n’a pas été autorisée à déposer une demande du statut de réfugié en son nom propre; b) parce qu’elle n’a pas été interrogée en tant que femme faisant partie de la cellule familiale de son mari; c) pour application d’amendements à la loi sur les migrations jugés discriminatoires. L’auteur affirme qu’elle a été victime de discrimination fondée sur le sexe et la situation matrimoniale.

3.2 L’auteur affirme en outre qu’elle n’a pas eu droit à une procédure équitable, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Elle déclare que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’est pas indépendant, puisqu’il est financé par le Gouvernement et que ses membres sont nommés par le Gouverneur général sur recommandation du Ministre de l’immigration. Elle affirme que le Ministre de l’immigration influence lourdement les décisions du Tribunal, et cite à ce propos des articles de journaux selon lesquels, à la suite d’une décision controversée rendue par le Tribunal, le Ministre aurait indiqué qu’il était peu probable qu’il renouvelle les contrats à durée déterminée des membres du Tribunal qui prenaient des décisions s’écartant du droit international relatif aux réfugiés. Dans le cas de la demande de visa de protection déposée par son mari, l’auteur affirme que le Tribunal enfreint les règles de la justice naturelle en ne se prononçant pas sur sa demande du statut de réfugié alors que la Cour suprême a décidé, le 8 mai 2003, de renvoyer l’affaire au Tribunal pour examen.

3.3 Enfin, l’auteur affirme qu’elle serait victime de violations par l’Australie des articles 6, 7 et 9 du Pacte si elle était renvoyée en Russie.

3.4 L’auteur réclame des dommages et intérêts d’un montant de 420 000 dollars des États ‑Unis pour préjudice moral, plus le coût intégral d’un regroupement familial avec sa mère et ses beaux ‑parents.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Dans une réponse du 16 août 2005, l’État partie présente ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il déclare que l’auteur, son mari et leur fille se sont vu délivrer un visa de protection permanent le 10 février 2005 après que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés eut réexaminé la demande déposée par le mari de l’auteur au nom de la famille le 19 août 2004.

4.2 Quant aux faits, l’État partie explique que, lorsque le mari de l’auteur a déposé une demande de visa de protection au nom de la famille en avril 1997, l’auteur n’a pas rempli la partie du formulaire qui lui aurait permis d’être considérée comme requérante en son nom propre, raison pour laquelle elle a été considérée en tant que membre de la cellule familiale.

4.3 L’État partie conteste la recevabilité des allégations de l’auteur en vertu des articles 6, 7 et 9 du Pacte au motif que l’auteur n’a pas étayé ses allégations, qu’elle n’avait pas épuisé les recours internes disponibles au moment où elle a présenté sa communication au Comité, et qu’elle a par la suite obtenu satisfaction en recevant un visa de protection.

4.4 L’État partie conteste en outre la recevabilité de la plainte formulée par l’auteur au titre de l’article 23 du Pacte au motif qu’elle est incompatible avec les dispositions du Pacte.

4.5 En ce qui concerne le bien ‑fondé de la plainte au titre des articles 2 et 26 du Pacte, l’État partie nie qu’il y ait eu violation et affirme que la demande initiale de l’auteur a été traitée correctement en fonction de la forme sous laquelle elle avait été soumise. L’auteur a rempli la section du formulaire réservée aux membres de la famille ne présentant pas de demande distincte au lieu de celle réservée aux membres de la famille souhaitant déposer une demande en leur nom propre. C’est pourquoi elle a été considérée en tant que membre de la cellule familiale sur la base de la demande déposée par son mari. Compte tenu de ces faits, l’État partie soutient que rien ne laisse penser que la demande initiale a fait l’objet d’un traitement discriminatoire.

4.6 L’État partie nie en outre qu’il était dans l’obligation d’interroger séparément l’auteur dans le cadre de la demande d’asile déposée par son mari et affirme que, même s’il l’avait été, le fait de ne pas l’interroger n’aurait pas constitué une discrimination. Dans ce contexte, l’État partie explique que les directives pour la parité entre les sexes que le DIMA a publiées en 1996 aident ceux qui prennent les décisions à gérer au mieux les plaintes pour persécution subie en raison du sexe et les conseillent sur l’opportunité d’interroger séparément une femme incluse dans la demande comme membre de la famille au cas où des attitudes sexistes sont dénoncées ou soupçonnées ou si l’intéressée demande un entretien distinct. L’État partie affirme que dans la demande de la famille la question d’une persécution dirigée contre la femme n’apparaissait pas et que l’auteur n’a pas demandé à être interrogée séparément. En conséquence, il n’y avait pas obligation d’organiser un entretien avec l’auteur, et ne pas l’avoir fait ne constitue pas une discrimination.

4.7 Quant à la demande déposée par l’auteur le 11 août 2000, le DIMA en a rejeté la validité en s’appuyant sur son interprétation de l’article 48A(1) de la loi sur les migrations, qui interdit aux non ‑ressortissants de déposer plus d’une demande de visa de protection . Le 22 juin 2001, la chambre plénière de la Cour fédérale a rejeté l’interprétation que le DIMA avait faite de la loi sur les migrations et a considéré que l’article 48A(1) n’empêchait pas un membre de la famille qui n’avait pas déposé de demande en son nom propre de déposer une nouvelle demande de visa de protection. Du fait de ce jugement, il était loisible à l’auteur de déposer une demande de visa de protection en son nom propre. Elle y a été invitée, et elle a été informée que si elle versait les 30 dollars de droits sa demande antérieure serait considérée comme valide à la date du jugement rendu par la Cour fédérale, c’est ‑à ‑dire au 22 juin 2001. Or, l’auteur n’a jamais acquitté ces droits d’un montant modique et, par conséquent, aucune demande valide n’a été déposée.

4.8 Enfin, l’État partie nie que les amendements apportés en septembre 2001 à la loi sur les migrations constituent une discrimination fondée sur le sexe ou la situation matrimoniale. Il explique que ces amendements empêchent le dépôt d’une nouvelle demande lorsque l’intéressé a, sans succès, demandé le statut de personne protégée en faisant valoir qu’il est marié à une personne ou à la charge d’une personne qui a droit à une protection en vertu de la Convention relative aux réfugiés. Selon l’État partie, l’amendement avait pour objectif d’empêcher les demandes de visa de protection abusives de la part de groupes familiaux cherchant à prolonger leur séjour en Australie, chaque membre de la famille se relayant pour déposer une demande de protection en son nom propre tandis que les autres se présentent comme des membres de la famille. L’État partie souligne toutefois que l’amendement n’empêche pas un conjoint ou une personne à charge de déposer sa propre demande de protection, indépendamment du demandeur principal, en première instance. Il en conclut que l’amendement ne constitue pas une discrimination fondée sur le sexe ou la situation matrimoniale ni sur tout autre motif.

4.9 Quant à l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie affirme qu’elle est dénuée de fondement et que des mesures législatives et administratives appropriées assurent l’indépendance et l’impartialité du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés et de ses membres. Le Tribunal est régi par les dispositions de la loi sur les migrations, ses membres sont nommés par le Gouverneur général et leur mandat est limité à cinq ans. Un membre qui a un conflit d’intérêts dans une affaire ne doit pas participer à la procédure. Les membres du Tribunal sont des fonctionnaires publics qui conservent leur indépendance vis ‑à ‑vis du Ministre de l’immigration.

4.10 En ce qui concerne le retard accumulé dans l’examen du cas du mari, l’État partie reconnaît que la durée dépassait les limites fixées par le Tribunal dans sa charte des services aux clients, raison pour laquelle le Tribunal, le 25 mars 2004, a écrit une lettre d’excuse. L’État partie rejette l’idée que le Tribunal ait délibérément cherché à retarder la procédure. Il fait valoir en outre que le retard ne peut pas être considéré comme excessif au sens du droit international. Il explique que le Tribunal a pris sa première décision concernant la demande de la famille dans un délai de quatorze mois, et la seconde après le renvoi de l’affaire par la Cour suprême, dans un délai de quinze mois. Il dit que ce délai était dû à la complexité de l’affaire, dans laquelle le Tribunal a dû publier une décision de 199 pages expliquant ses motifs.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans ses observations concernant la réponse de l’État partie datées du 26 octobre 2005, l’auteur déclare que la demande d’autorisation de faire appel de la décision de la Cour fédérale la concernant déposée par le Ministre de l’immigration l’a empêchée de présenter sa propre demande de visa de protection avant la modification de la loi sur les migrations.

5.2 Quant à ses allégations au titre des articles 2 et 26 du Pacte, l’auteur affirme qu’elle cherche à obtenir qu’il soit donné effet aux droits reconnus dans le Pacte, c’est ‑à ‑dire que l’amendement à l’article 48A de la loi sur les migrations soit annulé au motif qu’il est discriminatoire, que l’examen des demandes du statut de réfugié ne soit plus confié au Ministre de l’immigration, que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés soit véritablement un organe compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, et qu’elle ‑même soit indemnisée pour les pertes et préjudices subis.

5.3 L’auteur réaffirme être victime d’une discrimination fondée sur le sexe et la situation matrimoniale parce qu’elle n’a pas pu exercer le droit de demander l’asile en son nom propre depuis qu’en 1997 elle a été intégrée dans la demande de son mari. Dans ce contexte, elle affirme ne pas avoir eu accès à une représentation légale ni à des conseils juridiques pour établir sa demande de statut de réfugié, qu’elle n’a pas bénéficié des services d’un interprète qualifié, qu’elle n’a pas disposé de suffisamment de temps pour fournir des renseignements supplémentaires et qu’elle n’a pas été interrogée séparément. Elle avance que la présentation du formulaire de demande de visa de protection et la politique du DIMA en matière d’entretiens supposent implicitement que les demandeurs d’asile sont des hommes politiquement actifs et que les femmes doivent être considérées comme des personnes à charge, ce qui a pour effet de perpétuer la discrimination et les disparités entre les sexes. Elle affirme que, bien qu’ils semblent s’appliquer indifféremment aux deux sexes, les amendements apportés à l’article 48 de la loi sur les migrations constituent en fait une discrimination à l’égard des femmes qui demandent l’asile. Dans le cas de l’auteur, si la demande de son mari n’avait pas abouti elle aurait été expulsée en Russie sans avoir eu la possibilité de déposer sa propre demande de statut de réfugié.

5.4 Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a été invitée à valider sa demande de visa de protection à la suite de la décision de la Cour fédérale en date du 22 juin 2001, il ressort des documents accompagnant la réponse de l’auteur qu’elle a refusé d’acquitter les droits parce qu’elle avait préféré attendre qu’il soit statué définitivement sur la demande de son mari. Elle a toutefois déclaré qu’elle solliciterait l’asile en son nom propre au cas où la demande de son mari serait rejetée.

5.5 En ce qui concerne sa plainte au titre de l’article 14 du Pacte, l’auteur déclare que les affirmations de l’État partie selon lesquelles le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés serait indépendant sont dénuées de fondement car elle a été informée que le Tribunal relevait de la responsabilité du Ministre de l’immigration. Elle affirme également que le principal membre du Tribunal a délibérément reporté le réexamen de la demande du statut de réfugié déposée par son mari. Elle ajoute que le fonctionnaire chargé d’examiner le dossier de son mari s’est montré sarcastique et arrogant vis ‑à ‑vis de la famille et a refusé de se dessaisir de l’affaire. En conséquence, l’auteur et son mari ont demandé à la Cour suprême de rendre une ordonnance pour atteinte à l’autorité de la justice contre le membre principal du Tribunal et le fonctionnaire en question. L’auteur réaffirme que, dans la pratique, les nominations des membres du Tribunal, leur rémunération et la durée de leur mandat dépendent largement du Ministre de l’immigration.

5.6 En ce qui concerne ses griefs de violation des articles 6, 7 et 9 du Pacte, l’auteur réaffirme que si la demande de son mari n’avait pas abouti elle aurait été expulsée vers la Russie. Elle affirme également qu’elle a été soumise à un traitement inhumain et dégradant, puisque de janvier 1999 à février 2000 elle a été privée du droit de travailler en tant que personne à charge de son mari, lorsque le permis de travail de celui ‑ci lui a été retiré. La pauvreté et les soucis qui en ont découlé lui ont valu d’être hospitalisée, en 2000. Elle affirme en outre que par sa politique discriminatoire l’État partie encourage l’éclatement des familles, puisque c’est à ce moment ‑là seulement que les membres de la famille peuvent présenter une demande de statut de réfugié en leur nom propre.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Concernant les plaintes formulées par l’auteur au titre des articles 6, 7 et 9 du Pacte pour le cas où elle serait renvoyée en Fédération de Russie, le Comité note qu’elles sont devenues sans objet puisque l’auteur a obtenu un visa de protection en Australie. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

6.4 Quant au grief de l’auteur selon lequel la politique de l’État partie encourage l’éclatement des familles, en violation de l’article 23 du Pacte, le Comité note que les faits qu’elle a présentés ne montrent pas en quoi l’auteur est une victime à cet égard. Le Comité considère par conséquent que cette partie de la communication constitue une actio popularis et qu’elle est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

6.5 Le Comité note que l’auteur affirme être victime de discrimination en violation de l’article 26 du Pacte parce qu’elle n’a pas été autorisée à déposer une demande de visa de protection en son nom propre. Il considère que ce grief est irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif étant donné qu’après que la Cour suprême eut rendu une décision en sa faveur et que le Département de l’immigration l’eut invitée à déposer une demande, l’auteur n’a pas fait usage de la voie de recours qui lui était offerte.

6.6 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 26 au motif que les amendements apportés à la loi sur les migrations auraient annulé l’effet de la décision rendue par la Cour suprême dans le cas de l’auteur, le Comité relève que la loi modifiée n’a pas été appliquée à l’auteur et que celle ‑ci ne peut donc prétendre être victime d’une violation du Pacte à cet égard . Le Comité considère que cette partie de la communication constitue une actio popularis et qu’elle est irrecevable conformément à l’article premier du Protocole facultatif.

6.7 Quant à la plainte formulée au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité note que l’État partie n’a soulevé aucune objection concernant sa recevabilité. Le Comité estime toutefois que les griefs de l’auteur au sujet du manque d’indépendance du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, parce qu’il serait sous la dépendance du Ministère de l’immigration et parce qu’elle aurait perçu une certaine arrogance de la part d’un membre du Tribunal, ne sont pas étayés aux fins de la recevabilité et sont donc irrecevables conformément à l’alinéa a de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8 Le Comité note que l’État partie a reconnu que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés était un tribunal au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte . Le Comité ne voit aucun obstacle à la recevabilité du grief de l’auteur qui considère que le retard mis à examiner la demande de son mari était délibéré et montrait l’absence d’indépendance et d’objectivité du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. En conséquence, il déclare la communication recevable en ce qui concerne la plainte invoquant le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et procède immédiatement à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2 L’auteur s’est déclarée victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte au motif que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’était pas indépendant ni objectif et avait délibérément retardé le réexamen du cas de son mari. L’État partie a rejeté cette allégation et a expliqué les mesures qui avaient été prises pour garantir l’indépendance du Tribunal. Le Comité relève que le retard pris dans l’examen de la demande de statut de réfugié déposée par le mari de l’auteur est effectivement important, mais il note que ce retard était dû à l’ensemble des procédures − y compris devant la Cour fédérale (vingt ‑deux mois) et la Cour suprême (vingt ‑sept mois) − et qu’il n’était pas uniquement le fait du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés (quatorze mois pour le premier examen et quinze mois pour le second). Le Comité conclut que les informations dont il dispose ne montrent pas que l’auteur a été victime d’un manque d’indépendance du Tribunal à cet égard.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

S. Communication n o 1295/2004, Mohammed El Alwani, Ibrahim c. Jamahiriya arabe libyenne * (Constatations adoptées le 11 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Farag Mohammed El Alwani (représenté par un conseil, Boris Wijkström)

Au nom de :

L’auteur et son frère (Ibrahim Mohammed El Alwani)

État partie :

Jamahiriya arabe libyenne

Date de la communication :

26 mai 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Disparition; détention au secret; décès en détention

Questions de procédure : Néant

Questions de fond : Droit à la vie; interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; droit à la liberté et à la sécurité de sa personne; arrestation et détention arbitraires; respect de la dignité inhérente à la personne humaine; droit à la reconnaissance juridique de sa personnalité

Articles du Pacte : 6, 7, 9 (par. 1 à 5), 16, 2 (par. 3)

Articles du Protocole facultatif : 5, 2 b)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 11 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1295/2004 présentée au nom de M. Farag Mohammed El Alwani en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Farag Mohammed El Alwani, de nationalité libyenne, résidant actuellement en Suisse, qui agit en son nom propre et au nom de son frère décédé, Ibrahim Mohammed El Alwani, également de nationalité libyenne. L’auteur affirme que son frère a été victime de violations par la Jamahiriya arabe libyenne des droits garantis aux articles 6, 7, 9 (par. 1 à 4) et 10 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et que lui ‑même a été victime de violations par la Jamahiriya arabe libyenne de l’article 7 du Pacte. Il est représenté par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976 et le 16 août 1989, respectivement.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur a assisté à l’arrestation de son frère, le 27 juillet 1995 vers 3 heures du matin, par un groupe de cinq à sept agents en civil de la section de la Sûreté intérieure d’Al Bida. Ces hommes n’ont pas produit de mandat ni précisé les motifs de l’arrestation. L’auteur a protesté contre l’arrestation de son frère, ce qui lui a valu d’être lui ‑même arrêté et détenu pendant trois jours.

2.2 Le frère de l’auteur a été emmené au centre de la Sûreté intérieure de Benghazi, d’où il aurait ensuite été transféré à Tripoli, probablement à la prison d’Ain ‑Zara puis plus tard à celle d’Abu Salim, conformément à la procédure habituellement appliquée aux opposants politiques. Ses proches n’ont pas été informés du lieu de sa détention ni des charges retenues contre lui ou d’une quelconque procédure judiciaire engagée contre lui. À plusieurs reprises, ils se sont vu refuser l’accès à la prison par les autorités pénitentiaires, lesquelles n’ont ni confirmé ni démenti l’arrestation du frère de l’auteur et se sont contentées de leur dire de partir.

2.3 En juin 1996, les proches de l’auteur ont entendu des rumeurs selon lesquelles une mutinerie avait éclaté à la prison d’Abu Salim, où, d’après un ancien prisonnier, le frère de l’auteur était détenu pour appartenance à un groupe islamique interdit. La mutinerie aurait été réprimée par une intervention violente qui s’est soldée par la mort de centaines de prisonniers.

2.4 En juillet 2002, la police a informé les proches de l’auteur du décès d’Ibrahim Mohammed El Alwani, sans en préciser les causes. En 2003, la famille a reçu un certificat de décès qui confirmait que le frère de l’auteur était mort dans une prison de Tripoli, sans indiquer la cause du décès. Le corps du défunt n’a jamais été rendu à la famille, qui n’a jamais été informée non plus de l’endroit où il était enterré.

Teneur de la plainte

3.1 Au sujet de la recevabilité, l’auteur indique que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, il fait valoir qu’il n’existe pas en Libye de recours utile contre des violations présumées des droits de l’homme visant des opposants politiques. Il rappelle que le Comité, dans ses observations finales adoptées à l’issue de l’examen du rapport de la Libye le 6 novembre 1998 , et Amnesty International se sont l’un et l’autre déclarés préoccupés par le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État partie. Enfin, l’auteur explique que sa famille craignait des représailles de la part de la police et n’a pas osé exercer les recours officiels, se limitant aux recours officieux qui n’ont donné aucun résultat.

3.2 L’auteur affirme qu’en ne prenant pas des mesures appropriées pour assurer la protection de la vie de son frère en détention et pour enquêter sur sa mort, les autorités ont contrevenu à l’article 6 du Pacte .

3.3 Il fait valoir que la durée présumée de la détention au secret de son frère, depuis son arrestation le 27 juillet 1995 jusqu’à la mutinerie à la prison d’Abu Salim en juin 1996, constitue une violation de l’article 7 du Pacte et du paragraphe 1 de l’article 10 .

3.4 L’auteur affirme que le fait que son frère ait été arrêté sans mandat, qu’il n’ait pas été informé par la police des charges pesant sur lui et n’ait pas été déféré sans délai devant un juge, et qu’il n’ait pas non plus eu la possibilité de contester la légalité de sa détention, constitue une violation des paragraphes 1 à 4 de l’article 9.

3.5 Faisant référence à la jurisprudence du Comité , l’auteur fait valoir que les autorités, en refusant de lui dire où son frère était détenu, en s’abstenant pendant plusieurs années de l’informer de son décès, en ne lui révélant pas les causes de la mort et en ne lui rendant pas le corps aux fins de sépulture, ont commis à son propre égard des violations de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

3.6 L’auteur affirme en outre que l’absence de recours utile permettant de contester la légalité de la détention de son frère et le fait que l’État partie n’ait pas indemnisé sa famille, ne lui ait pas rendu le corps de son frère ni indiqué où il était enterré, constituent également une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

Défaut de coopération de l’État partie

4. Sous couvert de notes verbales datées du 26 mai 2004, des 16 février et 18 novembre 2005 et du 28 juillet 2006, l’État partie a été prié de faire parvenir au Comité des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité constate qu’il n’a pas reçu les informations demandées. Il regrette que l’État partie n’ait apporté aucune information au sujet de la recevabilité ou du fond des plaintes de l’auteur. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que les États parties soumettent par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’ils pourraient avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence d’une réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles sont suffisamment étayées .

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité rappelle avec préoccupation que, malgré les trois rappels qui lui ont été envoyés, l’État partie ne lui a fait parvenir aucune information ou observation sur la recevabilité ou le fond de la communication. Le Comité en conclut que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En l’absence d’autre obstacle à la recevabilité de la communication, il procède donc à son examen au fond.

Examen au fond

6.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2 Le Comité relève la définition de l’expression «disparition forcée» donnée au paragraphe 2 i) de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale: «Par “disparitions forcées”, on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée.». Tout acte conduisant à une disparition de ce type constitue une violation d’un grand nombre de droits consacrés dans le Pacte, notamment le droit de tout individu à la liberté et à la sécurité de sa personne (art. 9), le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 7) et le droit de toute personne privée de sa liberté d’être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine (art. 10). Il viole en outre le droit à la vie ou le met gravement en danger (art. 6) . Dans la présente affaire, l’auteur invoque les articles 7, 9 et 10 (par. 1).

6.3 Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur. Il réaffirme que la charge de la preuve ne peut pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violation du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où les allégations contenues dans une communication sont corroborées par des éléments crédibles présentés par l’auteur et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes. Dans la présente affaire, le conseil a informé le Comité qu’un ancien prisonnier qui avait été incarcéré dans la prison dans laquelle, selon les informations disponibles, le frère de l’auteur avait été détenu avait confirmé la détention de ce dernier et avait précisé qu’il était détenu pour appartenance à un groupe islamique interdit.

6.4 Pour apprécier le grief de violation de l’article 9 du Pacte, en l’absence d’informations de la part de l’État partie sur la recevabilité ou le fond de la communication, le Comité se fonde sur les faits suivants, qui n’ont pas été contestés: le frère de l’auteur a été arbitrairement arrêté et détenu le 27 juillet 1995; il n’a pas été informé des charges retenues contre lui; il n’a pas été présenté devant un juge dans les meilleurs délais; il n’a pas eu la possibilité de contester la légalité de sa détention. Le Comité rappelle que la détention au secret, en soi, peut constituer une violation de l’article 9 du Pacte et relève que l’auteur affirme que son frère est resté détenu au secret de juillet 1995 à juin 1996. Pour ces motifs, le Comité est d’avis que le frère de l’auteur a fait l’objet d’une arrestation et d’une détention arbitraires, en violation de l’article 9 du Pacte.

6.5 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 7 du Pacte, le Comité reconnaît la souffrance causée par une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéterminée. Il rappelle à ce sujet son Observation générale n o 20 relative à l’article 7, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Dès lors, le Comité conclut que la disparition d’Ibrahim Mohammed El Alwani, qui a eu pour effet de priver celui ‑ci de tout contact avec sa famille ou avec le monde extérieur, constitue une violation de l’article 7 du Pacte . De plus, les circonstances entourant la disparition du frère de l’auteur et les propos des témoins qui affirment que ce frère a été torturé donnent fortement à penser qu’il a effectivement été soumis à un tel traitement. Le Comité n’a reçu de l’État partie aucun élément permettant de lever cette présomption ou de la contredire. Il conclut que le traitement auquel le frère de l’auteur a été soumis constitue une violation de l’article 7 du Pacte .

6.6 Le Comité relève aussi l’angoisse et la détresse que l’auteur a éprouvées à cause de la disparition et plus tard de la mort de son frère. En conséquence, il est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteur lui ‑même .

6.7 À propos du grief de violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, le Comité rappelle son Observation générale n o 6 relative à l’article 6, dans laquelle il déclare notamment que «La protection contre la privation arbitraire de la vie, qui est expressément requise dans la troisième phrase du paragraphe 1 de l’article 6, est d’une importance capitale. Le Comité considère que les États parties doivent prendre des mesures, non seulement pour prévenir et réprimer les actes criminels qui entraînent la privation de la vie, mais également pour empêcher que leurs propres forces de sécurité ne tuent des individus de façon arbitraire. La privation de la vie par les autorités de l’État est une question extrêmement grave. La législation doit donc réglementer et limiter strictement les cas dans lesquels une personne peut être privée de la vie par ces autorités.».

6.8 Le Comité relève qu’en 2003 l’auteur a reçu le certificat de décès de son frère, sans aucune précision sur la date exacte, la cause ou les circonstances de sa mort ni aucune information sur une éventuelle enquête conduite par l’État partie. En outre, l’État partie n’a pas nié que la disparition et la mort du frère de l’auteur étaient imputables à des membres des forces de sécurité du Gouvernement. Le Comité conclut par conséquent que le droit à la vie consacré à l’article 6 du Pacte n’a pas été protégé efficacement par l’État partie.

6.9 L’auteur a invoqué le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte qui fait aux États parties obligation de garantir à toute personne des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits garantis dans le Pacte. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes pour violation de droits dans leur ordre juridique interne. Il rappelle son Observation générale n o 31 , dans laquelle il indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, les renseignements donnés au Comité montrent que l’auteur n’a pas eu accès à un recours utile, ce qui conduit le Comité à conclure que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec les articles 6, 7 et 9 en ce qui concerne le frère de l’auteur, et une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, en ce qui concerne l’auteur lui ‑même.

7. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 6, 7, et 9 du Pacte, ainsi que du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 6, l’article 7 et l’article 9 à l’égard du frère de l’auteur, et de l’article 7, ainsi que du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7, à l’égard de l’auteur lui ‑même.

8. Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, consistant notamment à mener une enquête approfondie et diligente sur la disparition et la mort de son frère, à l’informer comme il convient des résultats de ces enquêtes, et à l’indemniser de façon appropriée pour les violations qu’il a subies. L’État partie a également l’obligation d’engager des poursuites contre les personnes tenues pour responsables de ces violations, de les juger et de les punir. Il est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

9. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

T. Communication n o 1296/2004, Belyatsky et consorts c. Bélarus * (Constatations adoptées le 24 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Aleksander Belyatsky et consorts (non représentés par un conseil)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

8 avril 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Dissolution d’une association de défense des droits de l’homme sur décision des autorités judiciaires de l’État partie

Questions de fond : Égalité devant la loi; interdiction de la discrimination; droit à la liberté d’association; restrictions légitimes; droit à ce que les contestations portant sur les droits et obligations de caractère civil soient tranchées par un tribunal compétent, indépendant et impartial

Questions de procédure : Griefs non étayés

Articles du Pacte : 14 (par. 1), 22 (par. 1 et 2), 26

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1296/2004 présentée par Aleksander Belyatsky en son nom propre et au nom de 10 autres particuliers en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Aleksander Belyatsky, de nationalité bélarussienne, né en 1962 et habitant à Minsk (Bélarus). La communication est présentée en son nom propre et au nom de 10 autres Bélarussiens, tous membres d’une association publique non gouvernementale appelée «Centre pour les droits de l’homme “Viasna”» (ci ‑après «Viasna») et habitant au Bélarus. L’auteur joint une procuration signée des 10 coauteurs. L’auteur affirme qu’ils sont victimes de violations par le Bélarus du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, des paragraphes 1 et 2 de l’article 22 et de l’article 26. Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1 L’auteur est le Président du Conseil d’administration de «Viasna», association non gouvernementale enregistrée auprès du Ministère de la justice le 15 juin 1999. Au mois d’octobre 2003, elle comptait plus de 150 membres au Bélarus, 4 antennes régionales et 2 antennes municipales enregistrées. Ses activités consistaient notamment à suivre la situation des droits de l’homme au Bélarus et à établir des rapports indépendants sur les droits de l’homme au Bélarus, qui ont été utilisés et cités par les organes conventionnels des Nations Unies . «Viasna» a surveillé les élections présidentielles de 2001 en chargeant environ 2 000 observateurs de surveiller le déroulement du scrutin, ainsi que les élections municipales de 2003. Elle a également organisé des manifestations et des marches de protestation sur plusieurs questions relatives aux droits de l’homme. «Viasna» a souvent été la cible de persécutions de la part des autorités, qui se sont traduites notamment par la détention administrative de ses membres et par des fouilles, prévues et inopinées, des locaux de l’association et un contrôle de ses activités par le Ministère de la justice et l’administration fiscale.

2.2 En 2003, le Ministère de la justice a ordonné une enquête sur les activités statutaires des antennes de «Viasna» et, le 2 septembre 2003, il a engagé une action auprès de la Cour suprême du Bélarus demandant la dissolution de l’association au motif de plusieurs infractions que celle ‑ci aurait commises. L’action a été engagée sur le fondement de l’article 29 de la loi relative aux associations publiques et du paragraphe 2 ‑2 de l’article 57 du Code de procédure civile . Le Centre «Viasna» était accusé: d’avoir présenté des documents portant de fausses signatures de membres pour accompagner sa demande d’enregistrement, en 1999; d’avoir ouvert l’antenne de Mogilev avec 8 membres seulement au lieu des 10 membres fondateurs requis pour l’enregistrement; de ne pas avoir acquitté les cotisations de membres prévues par ses statuts et de ne pas avoir établi d’antenne à Minsk; d’avoir agi devant la Cour suprême en tant que défenseur public des droits et libertés de citoyens qui ne sont pas membres de «Viasna», en infraction à l’article 72 du Code de procédure civile , à l’article 22 de la loi sur les associations publiques et à ses propres statuts; d’avoir enfreint les lois électorales pendant la surveillance des élections présidentielles de 2001 .

2.3 Le 10 septembre 2003, la Cour suprême a ouvert une instruction civile contre «Viasna» suite à l’action engagée par le Ministère de la justice. Le 28 octobre 2003, en audience publique, un juge de la Cour suprême a confirmé le chef de violation des lois électorales mais a rejeté tous les autres chefs et a ordonné la dissolution de «Viasna». En ce qui concerne les violations de la loi électorale, la Cour suprême a conclu que «Viasna» n’avait pas respecté la procédure consistant à envoyer ses observateurs aux réunions de la commission électorale et dans les bureaux de vote. Les paragraphes pertinents de l’arrêt de la Cour suprême en date du 28 octobre 2003 se lisent comme suit:

«Ainsi, l’association envoyait des formulaires vierges tirés des minutes des réunions de la Commission ( Rada ) tenues le 18 juin, le 1 er et le 22 juillet et le 5 août 2001 aux régions de Mogilev et de Brest. Ensuite, ces formulaires étaient remplis arbitrairement avec les noms de citoyens à l’égard desquels aucune décision de les envoyer observer les élections n’avait été prise, et qui n’étaient pas membres de l’association.

Dans le district de Postav, un des membres de l’association avait offert de rétribuer les citoyens, qui n’étaient pas membres de “Viasna” ni d’une autre association publique, pour faire office d’observateurs dans les bureaux de vote, et avait rempli en leur présence les formulaires tirés des minutes des réunions de la Commission.

Des violations de la loi analogues s’étaient produites pour l’envoi d’observateurs de l’association dans les bureaux de vote n os 30 et 46 du district de Novogrudok.».

La Cour a conclu que les violations des lois électorales étaient suffisamment «flagrantes» pour justifier l’application du paragraphe 2 de l’article 57 du Code de procédure civile . Cette conclusion était corroborée par un avertissement écrit adressé par le Ministère de la justice au Conseil d’administration de «Viasna», en date du 28 août 2001, et sur une décision de la Commission électorale centrale sur les élections et la conduite des référendums républicains (ci ‑après Commission électorale) rendue le 8 septembre 2001. La décision de la Commission électorale avait fait suite aux contrôles effectués par le Ministère de la justice et le parquet du Bélarus.

2.4 La décision de la Cour suprême est devenue exécutoire dès qu’elle a été prise. En droit bélarussien, les décisions de la Cour suprême sont définitives et ne sont pas susceptibles de recours. Elles ne peuvent être révisées que par une procédure de contrôle juridictionnel et ne peuvent être annulées que par le Président de la Cour suprême ou le Procureur général du Bélarus. Les représentants de «Viasna» ont déposé auprès du Président de la Cour suprême une demande de contrôle juridictionnel de la décision de la Cour suprême du 28 octobre 2003, demande qui a été rejetée en date du 24 décembre 2003. Il n’existe pas d’autre recours interne ouvert pour contester la décision de dissoudre «Viasna»; la législation bélarussienne interdit les activités des associations qui ne sont pas enregistrées au Bélarus.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir que la décision de dissoudre «Viasna» constitue une violation du droit consacré au paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte. Il affirme que les restrictions imposées à l’exercice de ce droit par l’État partie ne répondent pas aux critères énoncés au paragraphe 2 de l’article 22, qui prévoit une restriction nécessaire pour protéger la sécurité nationale, la sûreté publique, l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui.

3.2 L’auteur fait valoir que les coauteurs et lui ‑même ont subi une violation du droit à l’égalité devant les tribunaux et du droit à ce que des contestations de caractère civil soient examinées par un tribunal (par. 1 de l’article 14 du Pacte).

3.3 L’auteur fait valoir que les autorités de l’État partie ont violé le droit à une égale protection de la loi contre la discrimination (art. 26) au motif de l’opinion politique.

3.4 L’auteur conteste en outre l’application qui a été faite du paragraphe 2 de l’article 57 du Code de procédure civile (voir par. 2.3) pour dissoudre «Viasna». En vertu du paragraphe 3 de l’article 117 du Code, le régime applicable aux associations publiques en ce qui concerne leur participation à des relations civiles est soumis à une lex specialis . Par conséquent, ce qu’il faut entendre par «perpétration répétée de violations flagrantes de la loi», qui est le motif pour lequel une association peut être dissoute sur ordre de la justice prévu à l’article 57 du Code de procédure civile, doit être défini en fonction de cette lex specialis . En vertu de la loi sur les associations publiques, une association peut être dissoute par décision de justice si elle entreprend de nouveau, dans un délai d’un an, des activités pour lesquelles elle a déjà reçu un avertissement écrit. En vertu de cette loi et d’autres textes particuliers, la liste des violations flagrantes de la loi perpétrées de façon répétée est la suivante: 1) activités visant à renverser ou à changer par la force l’ordre constitutionnel; atteinte à l’intégrité ou à la sécurité de l’État; propagande en faveur de la guerre, violence; incitation à la haine nationale, religieuse ou raciale et activités pouvant porter atteinte à la santé et à la morale publiques; 2) une seule violation de la loi sur les manifestations dans les cas expressément définis par la loi; 3) violation des prescriptions du paragraphe 4 ‑1, 2 et 3 du décret présidentiel relatif à «la réception et l’utilisation de l’aide gratuite» daté du 28 novembre 2003. D’après l’auteur, les activités de «Viasna» n’entrent dans aucune de ces catégories. De plus, en s’appuyant sur l’avertissement écrit du 28 août 2001 et sur la décision de la Commission électorale centrale du 8 septembre 2001 pour ordonner, dans sa décision du 28 octobre 2003, la dissolution de «Viasna», la Cour suprême a en fait pénalisé l’association deux fois pour des actes identiques: la première fois avec l’avertissement du Ministère de la justice et la deuxième fois avec la dissolution prononcée par la Cour suprême. L’auteur conclut que la dissolution de «Viasna» est une décision illégale, prise pour des motifs politiques.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Dans une note datée du 5 janvier 2005, l’État partie rappelle la chronologie des faits de l’affaire. Il souligne que la décision de dissoudre «Viasna» a été prise sur le fondement du paragraphe 2 de l’article 57 du Code de procédure civile. Il réfute l’argument de l’auteur qui affirme que l’association a été pénalisée deux fois pour les mêmes actes, signalant que le Ministre de la justice a envoyé l’avertissement écrit du 28 août 2001 à cause d’une violation par «Viasna» des règles de tenue des livres et non à cause de la violation des lois électorales. Pour l’État partie, la falsification des signatures et la violation des statuts de l’association ont été découvertes à l’occasion de la réinscription de l’association.

4.2 L’État partie ajoute que le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte n’est pas étayé par le dossier de l’affaire civile. L’affaire a été examinée en audience publique qui, à la demande du représentant de «Viasna», s’est déroulée en bélarussien; un enregistrement audio et vidéo a été réalisé. L’audience s’est déroulée dans le strict respect du principe de l’égalité de moyens garanti par l’article 19 du Code de procédure civile, comme le montre le fait que la Cour suprême n’ait pas confirmé tous les chefs d’accusation avancés dans son action par le Ministère de la justice. Pour l’État partie, la dissolution de «Viasna» a été ordonnée sur la base d’une analyse approfondie et complète des preuves produites par les deux parties et la décision était conforme à la procédure légale en vigueur au Bélarus à cette époque.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Dans une note du 19 janvier 2005, l’auteur fait valoir que la référence par la Cour suprême et par l’État partie au paragraphe 2 de l’article 57 du Code de procédure civile est contraire aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 117 du même Code (voir plus haut par. 3.4). En l’absence d’une définition de ce que l’on entend par la «perpétration répétée de violations flagrantes de la loi», expression utilisée à l’article 57 du Code de procédure civile, les tribunaux ont toute latitude pour se prononcer sur cette question en fonction des circonstances de l’espèce. Dans l’affaire «Viasna», la Cour suprême a conclu que la violation des lois électorales qui se serait produite dans le cadre de l’observation des élections présidentielles de 2001 était suffisamment «flagrante» pour justifier la dissolution de «Viasna» deux ans plus tard. L’auteur réaffirme que cette décision a été dictée par des motifs politiques et qu’elle est directement liée aux activités publiques et en faveur des droits de l’homme de «Viasna» .

5.2 L’auteur réfute l’argument de l’État partie qui avance que l’avertissement écrit a été adressé par le Ministère de la justice en raison d’une violation par «Viasna» des règles de tenue des livres et non à cause d’une violation des lois électorales. Il rappelle la décision de la Commission électorale centrale, en date du 8 septembre 2001, qui a déclaré explicitement que les fonctionnaires du Ministère de la justice et du parquet du Bélarus avaient contrôlé la façon dont «Viasna» avait respecté la loi quand elle avait envoyé des observateurs. L’avertissement écrit du Ministère de la justice a par la suite été utilisé pour servir de fondement à la décision du 8 septembre 2001 de la Commission électorale centrale. La dissolution ordonnée par la Cour suprême le 28 octobre 2003 a été décidée sur la base des faits pour lesquels le Ministère de la justice avait adressé l’avertissement écrit.

5.3 L’auteur réfute l’argument de l’État partie qui affirme que la falsification des signatures des membres a été découverte à l’occasion de la réinscription de l’association. En tant qu’association publique enregistrée le 15 juin 1999, «Viasna» n’a pas eu à se réenregistrer. Dans sa décision du 28 octobre 2003, la Cour suprême a explicitement indiqué qu’elle n’avait été saisie d’aucun élément prouvant que la demande d’enregistrement de «Viasna» faite en 1999 comportait de fausses signatures de membres. L’auteur ajoute que la Cour suprême n’a confirmé aucun des autres chefs avancés dans l’action civile engagée par le Ministère de la justice, à l’exception de celui qui concernait la violation du paragraphe 2 de l’article 57 du Code de procédure civile.

5.4 Dans une note du 5 octobre 2006, l’auteur ajoute que, depuis la dissolution de «Viasna», l’État partie a introduit de nouvelles dispositions législatives qui portent atteinte à l’exercice du droit à la liberté d’expression et du droit de réunion et d’association pacifiques et qui représentent un risque très grave pour l’existence d’une société civile indépendante au Bélarus. Il s’agit notamment de modifications au Code pénal, signées par le Président le 13 décembre 2005 et en vigueur depuis le 20 décembre 2005, qui prévoient des sanctions pénales en cas d’activités menées par une association ou une fondation suspendue ou dissoute. Le nouvel article 193, paragraphe 1, du Code pénal dispose que quiconque organise des activités dans le cadre d’une association suspendue, dissoute ou non enregistrée encourt une amende, une détention pouvant aller jusqu’à six mois ou une peine «restrictive de liberté» pouvant aller jusqu’à deux ans. En 2006, quatre membres d’une association non gouvernementale, «Partenariat», ont ainsi été condamnés à diverses peines d’emprisonnement en application du paragraphe 1 de l’article 193. L’auteur demande au Comité d’examiner sa plainte au regard du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte, compte tenu de cette nouvelle législation qui criminalise les activités d’associations non enregistrées au Bélarus.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement et il note que l’État partie n’a pas contesté que les recours internes aient été épuisés.

6.3 En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte, l’auteur n’ayant pas pu exercer le droit à l’égalité devant les tribunaux, le droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent, indépendant et impartial et le droit à l’égale protection de la loi contre la discrimination, le Comité estime que ces griefs n’ont pas été suffisamment étayés, aux fins de la recevabilité. Ils sont donc irrecevables, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 Le Comité estime que l’autre grief de l’auteur, au titre de l’article 22 du Pacte, est suffisamment étayé et le déclare donc recevable.

Examen au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Le Comité doit déterminer si la dissolution de «Viasna» constitue une violation du droit à la liberté d’association de l’auteur et des coauteurs. Il relève que, d’après les renseignements donnés par l’auteur, que l’État partie n’a pas contestés, «Viasna» a été enregistrée par le Ministère de la justice le 15 juin 1999 et a été dissoute sur ordre de la Cour suprême du Bélarus le 28 octobre 2003. Il rappelle que la loi bélarussienne interdit les activités d’associations non enregistrées au Bélarus et érige en infraction pénale l’activité de membres de ces associations à titre individuel. À ce propos, le Comité fait observer que le droit à la liberté d’association ne comprend pas uniquement le droit de créer une association mais garantit aussi le droit de cette association d’accomplir librement les activités pour lesquelles elle a été créée. La protection conférée par l’article 22 du Pacte s’étend à toutes les activités d’une association et la dissolution d’une association doit satisfaire aux critères énoncés au paragraphe 2 de l’article . Compte tenu des conséquences graves qui en découlent en l’espèce pour l’auteur, les coauteurs et leur association, le Comité conclut que la dissolution de «Viasna» constitue une atteinte à la liberté d’association.

7.3 Le Comité relève que conformément au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, pour être justifiée, toute restriction à la liberté d’association doit satisfaire cumulativement aux conditions suivantes: a) elle doit être prévue par la loi; b) elle ne peut viser que l’un des buts énoncés au paragraphe 2; c) elle doit être «nécessaire dans une société démocratique» pour la réalisation de l’un de ces buts. La référence à une «société démocratique» indique, de l’avis du Comité, que l’existence et le fonctionnement d’associations, y compris celles qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas nécessairement accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, sont un des piliers d’une société démocratique . Le simple fait qu’il existe des justifications raisonnables et objectives pour limiter le droit à la liberté d’association ne suffit pas. L’État partie doit montrer de plus que l’interdiction d’une association est nécessaire pour écarter un danger réel, et non un danger seulement hypothétique, pour la sécurité ou l’ordre démocratique, et que des mesures moins draconiennes seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif .

7.4 En l’espèce, la décision judiciaire tendant à dissoudre «Viasna» est fondée sur des violations supposées de la loi électorale de l’État partie commises quand l’association surveillait les élections présidentielles de 2001. Cette restriction de fait à la liberté d’association doit être appréciée à la lumière des conséquences qui en découlent pour l’auteur, les coauteurs et l’association.

7.5 Le Comité note que l’auteur et l’État partie n’ont pas la même interprétation du paragraphe 2 de l’article 57 du Code de procédure civile et de sa compatibilité avec la lex specialis portant sur le régime applicable aux associations publiques au Bélarus. Il considère que même si les violations de la loi électorale présumées commises par «Viasna» entraient dans la catégorie de la «perpétration répétée de violations flagrantes de la loi», l’État partie n’a pas fait valoir d’argument plausible pour montrer que les motifs qui ont justifié la dissolution de l’association étaient compatibles avec l’un quelconque des critères énoncés au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Comme l’a déclaré la Cour suprême, les violations des lois électorales avaient été constituées par le non ‑respect par «Viasna» de la procédure établie d’envoi d’observateurs aux réunions de la commission électorale et dans les bureaux de vote, et l’offre d’une rétribution à des tierces personnes non membres de «Viasna» pour leurs services en tant qu’observateurs (voir plus haut par. 2.3). Étant donné les conséquences graves de la dissolution de «Viasna» pour l’exercice du droit à la liberté d’association de l’auteur et de ses coauteurs, et étant donné que le fonctionnement d’associations non enregistrées est interdit au Bélarus, le Comité conclut que la dissolution de l’association est une mesure disproportionnée et ne satisfait pas aux conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 22. Il y a donc eu violation des droits de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte.

9. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur et ses coauteurs ont droit à un recours utile, qui doit être le réenregistrement de «Viasna» et une indemnisation. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est en outre invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

U. Communication n o 1320/2004, Pimentel et consorts c. Philippines * (Constatations adoptées le 19 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Mariano Pimentel et consorts (représentés par un conseil, M. Robert Swift)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Philippines

Date de la communication :

11 octobre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Exécution d’un jugement étranger sur le territoire de l’État partie

Questions de procédure : Néant

Questions de fond : Notion de «procédure civile»; délai raisonnable

Articles du Pacte : 2 (par. 3 a)), 14 (par. 1)

Article du Protocole facultatif : 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1320/2004 présentée au nom de M. Mariano Pimentel et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Réuni le 19 mars 2007,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. Les auteurs de la communication sont M. Mariano Pimentel, M. Ruben Resus et M me Hilda Narcisco, tous de nationalité philippine. Le premier auteur réside à Honolulu (Hawaii), et les autres aux Philippines. Ils affirment être victimes de violations par la République des Philippines des droits que leur confère le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La communication semble également soulever des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour les Philippines le 23 janvier 1987 et le 22 novembre 1989, respectivement. Les auteurs sont représentés par un conseil, M. Robert Swift, de Philadelphie (Pennsylvanie).

Exposé des faits

2.1 Les auteurs affirment faire partie d’un groupe de 9 539 Philippins qui ont obtenu un jugement définitif rendu aux États ‑Unis vis ‑à ‑vis de la succession de feu Ferdinand E. Marcos («les avoirs Marcos») leur accordant réparation pour les tortures subies pendant le régime du Président Marcos . Ferdinand E. Marcos résidait à Hawaii à cette époque.

2.2 En septembre 1972, le premier auteur a été arrêté sur ordre du Président Marcos deux semaines après la proclamation de la loi martiale aux Philippines. Au cours des six années qui ont suivi, il a été détenu pendant quatre ans au total dans plusieurs centres de détention, sans aucun chef d’inculpation. Alors qu’il rentrait chez lui après sa dernière période de détention, il a été enlevé par des soldats, qui l’ont battu à coups de fusil, lui ont cassé les dents, fracturé un bras et une jambe, et disloqué les côtes. Il a été enterré jusqu’au cou dans un champ de canne à sucre isolé et abandonné, mais il a été ensuite secouru.

2.3 En 1974, le fils du deuxième auteur, A. S., a été arrêté sur ordre du Président Marcos et détenu par les autorités militaires. Il a été torturé pendant son interrogatoire et maintenu en détention sans aucun chef d’accusation. Il a disparu en 1977. En mars 1983, le troisième auteur (une femme) a également été arrêté sur ordre du Président Marcos. Elle a été torturée et victime d’un viol collectif pendant son interrogatoire. Elle n’a jamais fait l’objet d’aucun chef d’inculpation ni été reconnue coupable d’une infraction.

2.4 En avril 1986, les auteurs ont engagé une action collective avec d’autres personnes contre la succession de Marcos. Le 3 février 1995, le jury du tribunal de district des États ‑Unis à Hawaii a accordé un montant total de 1 964 005 859,90 dollars des États ‑Unis aux 9 539 victimes de torture, d’exécution sommaire et de disparition (ou à leurs héritiers). Les jurés ont conclu à l’existence de violations constantes et systématiques des droits de l’homme aux Philippines pendant le régime du Président Marcos, de 1972 à 1986. Lorsque des noms ont été choisis au hasard, une partie de la somme allouée est répartie entre les plaignants. Les personnes dont le nom n’a pas été choisi au hasard mais qui sont intégrées dans l’action collective, y compris les auteurs, reçoivent une partie des dommages ‑intérêts accordés à trois sous ‑groupes . Cependant, les sommes n’ont pas été réparties entre plaignants, et c’est seulement lorsque le montant adjugé aura été collecté (en totalité ou en partie) que le tribunal de district des États ‑Unis à Hawaii attribuera un montant à chaque plaignant. Le 17 décembre 1996, la cour d’appel du neuvième circuit ( Court of Appeal for the Ninth Circuit ) des États ‑Unis a confirmé le jugement .

2.5 Le 20 mai 1997, cinq membres du groupe, dont le troisième auteur faisait partie, ont déposé une plainte contre la succession de Marcos auprès du tribunal régional de première instance de Makati City (Philippines), afin d’obtenir l’exécution du jugement rendu aux États ‑Unis. Les défendeurs ont répondu en déposant une motion de rejet, en affirmant que la somme de 400 pesos philippins (7,20 dollars des États ‑Unis) versée par chaque plaignant à titre de droits d’enregistrement était insuffisante. Le 9 septembre 1998, le tribunal régional de première instance a rejeté la plainte, au motif que les plaignants n’avaient pas versé le droit d’enregistrement de 472 millions de pesos philippins (8,4 millions de dollars des États ‑Unis) calculé sur la base du montant total de la demande (2,2 milliards de dollars des États ‑Unis). Le 10 novembre 1998, les auteurs ont déposé une requête en réexamen devant le même tribunal, qui l’a rejetée le 28 juillet 1999.

2.6 Le 4 août 1999, les cinq membres de l’action collective ont déposé, devant la Cour suprême des Philippines, en leur nom propre et au nom du groupe, une requête pour demander à la Cour de déterminer que le droit d’enregistrement était de 400 pesos philippins au lieu de 472 millions de pesos philippins. À la date où la communication a été soumise au Comité (11 octobre 2004), la Cour suprême n’avait pas statué sur cette requête, en dépit d’une demande de règlement rapide déposée par les requérants le 8 décembre 2003 (voir mise à jour au paragraphe 4 ci ‑dessous.).

2.7 Selon les auteurs, depuis que les cinq membres de l’action collective ont déposé leur requête devant la Cour suprême des Philippines, cette dernière a rendu un jugement en faveur de l’État partie contre la succession de Marcos dans une procédure en confiscation et a ordonné l’exécution de ce jugement pour un montant supérieur à 650 millions de dollars des États ‑Unis alors que ce recours a été déposé plus de deux ans après la requête des auteurs.

Teneur de la plainte

3. Les auteurs affirment que la procédure qu’ils ont engagée aux Philippines pour demander l’exécution du jugement rendu aux États ‑Unis a dépassé un délai raisonnable et que le droit d’enregistrement exorbitant représente une négation de facto de leur droit à un recours utile pour obtenir réparation découlant de l’article 2 du Pacte. Ils font valoir qu’ils ne sont pas tenus d’épuiser les recours internes, étant donné que la procédure devant les tribunaux philippins a excédé des délais raisonnables. La communication semble soulever en outre des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4. Le 12 mai 2005, l’État partie a estimé que la communication était irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes. Selon lui, le 14 avril 2005, la Cour suprême a rendu sa décision dans l’affaire Mijares et al. c. Hon. Ranada et al. , confirmant que les auteurs devaient payer un droit d’enregistrement de 410 pesos philippins au lieu de 472 millions de pesos philippins au titre de leur requête pour obtenir l’exécution du jugement rendu par le tribunal de district des États ‑Unis à Hawaii. L’État partie conteste que les auteurs aient été privés d’un recours utile.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1 Le 12 janvier 2006, les auteurs déclarent qu’il n’a pas été fait droit à leurs griefs. Ils confirment que, le 14 avril 2005, la Cour suprême a tranché en leur faveur en ce qui concerne le droit d’enregistrement. En revanche, alors que la Cour suprême a estimé que leur requête demandant l’exécution du jugement devait être tranchée rapidement par le tribunal de première instance, ce tribunal ne s’est pas encore prononcé sur le caractère exécutoire de la décision rendue par le tribunal de district des États ‑Unis à Hawaii.

5.2 En outre, font valoir les auteurs, un appel formé dans une affaire parallèle un an avant celui des auteurs est en instance depuis plus de sept ans devant la Cour suprême des Philippines .

Commentaires supplémentaires des parties

6. Le 1 er juin 2006, l’État partie a déclaré qu’à la suite de l’arrêt de la Cour suprême sur le droit d’enregistrement, l’affaire avait été rétablie devant le tribunal de première instance. Il ajoute que les auteurs de la communication n’ont pas de lien avec l’affaire qu’ils mentionnent au paragraphe 5.2.

7.1 Le 15 juin et le 4 juillet 2006, en réponse à une demande d’éclaircissements émanant du secrétariat sur la qualité des auteurs en tant que «victime[s]» aux fins de l’article premier du Protocole facultatif, les auteurs ont indiqué qu’une action collective pouvait être engagée aux États ‑Unis par n’importe quel membre du groupe concerné agissant au nom d’un nombre bien défini d’entre eux, en l’occurrence 9 539 victimes de torture, exécution sommaire et disparition. Tous les membres du groupe ont qualité pour agir dans une procédure d’action collective dès que cette procédure est agréée par un tribunal et ils ont tous droit à une part du montant fixé dans la décision finale. Le tribunal est libre de désigner certains membres du groupe ayant engagé une action collective comme «représentants» aux fins de l’action en justice, mais le «représentant» n’a pas un statut supérieur à celui des autres membres du groupe. Le fait que l’on ait choisi des «représentants» différents de ce même groupe pour la procédure d’action collective engagée aux États ‑Unis et celle engagée aux Philippines n’a pas d’incidence sur la qualité pour agir des auteurs. La règle en matière d’action collective aux Philippines est fondée sur celle des États ‑Unis.

7.2 Selon les auteurs, il est inhabituel dans une action de groupe engagée aux États ‑Unis de déposer une liste de tous les membres du groupe engageant l’action collective. Dans le cas à l’examen, où le dossier public pouvait être examiné par le Ministère philippin, ce qui pouvait entraîner des représailles contre les victimes de torture encore en vie, une certaine prudence a été exercée. Les auteurs fournissent des éléments pour prouver qu’ils sont membres du groupe ayant engagé l’action collective aux États ‑Unis: un extrait du témoignage de M me Narcisco lors du procès en responsabilité qui s’est tenu aux États ‑Unis; un extrait de la déposition faite par M. Pimentel en 2002 aux États ‑Unis ainsi qu’un jugement rendu aux États ‑Unis dans lequel ce dernier a été authentifié en tant que représentant du groupe dans une affaire ultérieure; enfin, une formule de dépôt de plainte requise par le tribunal en ce qui concerne M. Resus. Les auteurs confirment également qu’aucune mesure n’a été prise en vue de l’exécution du jugement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité note que la plainte relative à l’exécution du jugement rendu par le tribunal de district des États ‑Unis à Hawaii est actuellement en instance devant le tribunal régional de première instance ( Regional Trial Court ) de l’État partie. Depuis la dernière audience consacrée à la question du droit d’enregistrement, le 15 avril 2005, à laquelle la Cour suprême a statué en faveur des auteurs, la question de l’exécution du jugement a été rétablie devant le tribunal régional de première instance. Pour cette raison, et compte tenu du fait que la plainte concerne une action civile en dommages ‑intérêts pour actes de torture, le Comité ne peut conclure que la procédure a excédé les délais raisonnables au point d’exonérer les auteurs de l’obligation d’épuiser les recours internes. Par conséquent, le Comité est d’avis que cette plainte est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.3 Le Comité constate que, depuis que les auteurs ont engagé leur action devant le tribunal régional de première instance ( Regional Trial Court ) en 1997, le tribunal lui ‑même et la Cour suprême ont examiné la question du droit d’enregistrement découlant de leur réclamation à trois reprises (le 9 septembre 1998, le 28 juillet 1999 et le 15 avril 2005), et sur une période de huit ans, avant de se prononcer en faveur des auteurs. Le Comité considère que le temps qu’il leur a fallu pour régler ce point soulève une question au titre du paragraphe 1 de l’article 14, ainsi que du paragraphe 3 de l’article 2, qui doit être examinée quant au fond.

Examen au fond

9.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2 En ce qui concerne la durée de la procédure relative au droit d’enregistrement, le Comité rappelle que le droit à l’égalité devant les tribunaux, au sens du paragraphe 1 de l’article 14, comporte un certain nombre de conditions, y compris la condition que la procédure devant les tribunaux soit conduite avec la célérité suffisante pour ne pas compromettre le principe d’équité . Il note que le tribunal régional de première instance ( Regional Trial Court ) et la Cour suprême ont mis huit ans pour examiner cette question subsidiaire et qu’ils lui ont consacré trois audiences, et que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi il avait fallu tant de temps pour régler une question qui n’était pas d’une grande complexité. Pour cette raison, le Comité considère que la durée de la procédure en question a excédé un délai raisonnable, ce qui constitue une violation des droits conférés aux auteurs par le paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en ce qui concerne la procédure relative au montant du droit d’enregistrement.

11. Le Comité estime que les auteurs ont droit à un recours utile en vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte. L’État partie est tenu d’offrir aux auteurs une réparation appropriée sous la forme, notamment, d’une indemnisation et d’un règlement rapide de l’action qu’ils ont engagée pour demander l’exécution dans l’État partie du jugement rendu aux États ‑Unis. L’État partie est tenu en outre de prendre les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

12. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

V. Communication n o 1321/2004, Yoon c. République de Corée * Communication n o 1322/2004, Choi c. République de Corée (Constatations adoptées le 3 novembre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentées par :

Yeo ‑Bum Yoon et Myung ‑Jin Choi (représentés par un conseil, M. Suk ‑Tae Lee)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

République de Corée

Date des communications :

18 octobre 2004 (date des lettres initiales)

Objet : Objection de conscience à l’incorporation au service militaire obligatoire fondée sur des convictions religieuses sincères

Questions de procédure : Examen conjoint de communications

Questions de fond : Liberté de manifester sa religion ou sa conviction; restrictions autorisées à cette liberté

Article du Pacte : 18 (par. 1 et 3)

Article du Protocole facultatif : Néant

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 3 novembre 2006,

Ayant achevé l’examen des communications n os 1321/2004 et 1322/2004 présentées au nom de M. Yeo ‑Bum Yoon et M. Myung ‑Jin Choi en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs des communications et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 Les auteurs des communications, toutes deux initialement datées du 18 octobre 2004, sont Myung ‑Jin Choi et Yeo ‑Bum Yoon, ressortissants de la République de Corée, nés, respectivement, le 27 mai 1981 et le 3 mai 1980. Ils affirment être victimes d’une violation, par la République de Corée, du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil, M. Suk ‑Tae Lee.

1.2 En application du paragraphe 2 de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité examine conjointement les deux communications compte tenu des fortes similarités qu’elles présentent sur le plan des faits et du droit.

Rappel des faits présentés par les auteurs

Affaire de M. Yoon

2.1 M. Yoon est un Témoin de Jéhovah. Le 11 février 2001, l’Administration militaire de l’ État partie lui a adressé un avis de conscription. Pour des raisons de conviction religieuse et de conscience, M. Yoon a refusé d’être incorporé dans le délai prescrit, à la suite de quoi il a été arrêté et inculpé en vertu de l’article 88 (par. 1) de la loi sur le service militaire . En février 2002, M. Yoon a été libéré sous caution.

2.2 Le 13 février 2004, le tribunal de district de Séoul ‑Est a reconnu M. Yoon coupable des chefs d’accusation portés contre lui et l’a condamné à un an et demi d’emprisonnement. Le 28 avril 2004, la première chambre des appels correctionnels du tribunal de district de Séoul ‑Est a confirmé la condamnation et la peine, entre autres pour les motifs suivants:

«… on ne peut pas affirmer que l’obligation intérieure d’une personne d’agir conformément à sa conscience du fait d’une conviction personnelle a davantage de valeur que l’obligation de défense nationale, qui est essentielle à la protection de l’indépendance politique de la nation et de ses territoires, de la vie, du corps, de la liberté et des biens des gens. En outre, étant donné que la question de savoir si l’on peut escompter que l’intéressé satisfera à cette obligation doit être déterminée non pas au cas par cas mais en considération d’un individu moyen, ce que l’on appelle une “décision de conscience”, par laquelle une personne objecte à l’obligation d’accomplir un service militaire prévue par la loi pour des raisons de croyance religieuse, ne peut justifier des actes d’objection au service militaire en violation de la loi en vigueur. ».

2.3 Le 22 juillet 2004, la Cour suprême a confirmé elle aussi, à la majorité, la condamnation et la peine, entre autres pour les motifs suivants:

«s i la liberté de conscience [de M. Yoon] était frappée de restrictions nécessaires à la protection de la sécurité nationale, au maintien de l’ordre ou à la santé publique, il s’agirait d’une restriction autorisée par la Constitution … L’article 18 [du Pacte] paraît prévoir essentiellement les mêmes règles et la même protection que l’article 19 (liberté de conscience) et l’article 20 (liberté de religion) de la Constitution coréenne. Ainsi, un droit d’être exempté de la disposition pertinente de la loi sur le service militaire ne découle pas de l’article 18 [du Pacte]. ».

2.4 L’opinion dissidente, qui se fondait sur les résolutions de la Commission des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies appelant à la mise en place de mesures de substitution au service militaire ainsi qu’à une diversification des pratiques des États, aurait été qu’une objection de conscience sincère constituait des «raisons valables», au sens du paragraphe 1 de l’article 88 de la loi sur le service militaire, autorisant l’exemption du service militaire.

Affaire de M. Choi

2.5 M. Choi est lui aussi un Témoin de Jéhovah. Le 15 novembre 2001, l’Administration militaire de l’ État partie a adressé à M. Choi un avis de conscription. Pour des raisons de conviction religieuse et de conscience, M. Choi a refusé d’être incorporé dans le délai prescrit, à la suite de quoi il a été arrêté et inculpé en vertu de l’article 88 (par. 1) de la loi sur le service militaire .

2.6 Le 13 février 2002, le tribunal de district de Séoul ‑Est a reconnu M. Choi coupable des chefs d’accusation portés contre lui et l’a condamné à un an et demi d’emprisonnement. Le 28 février 2002, M. Yoon a été libéré sous caution. La première chambre des appels correctionnels du tribunal de district de Séoul ‑Est et la Cour suprême ont confirmé la condamnation et la peine le 28 avril 2004 et le 15 juillet 2004, respectivement, pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment au sujet de M. Yoon.

Faits ultérieurs

2.7 Le 26 août 2004, dans une affaire sans rapport avec celles de M. Yoon et de M. Choi, le Tribunal constitutionnel a rejeté à la majorité de ses membres une requête tendant à contester la constitutionnalité de l’article 88 de la loi sur le service militaire au motif qu’il serait incompatible avec la protection de la liberté de conscience garantie par la Constitution coréenne. Le tribunal a motivé sa décision, entre autres arguments, comme suit:

« La liberté de conscience telle qu’elle est énoncée à l’article 19 de la Constitution ne confère pas aux individus le droit de refuser le service militaire. La liberté de conscience est simplement un droit de demander à l’État de prendre en considération et de protéger, si possible, la conscience de l’individu, et n’est par conséquent pas un droit qui autorise le refus d’accomplir ses obligations militaires pour des raisons de conscience, pas plus qu’il n’autorise un individu à exiger de pouvoir effectuer un service de remplacement qui se substituerait à l’accomplissement d’une obligation légale. En conséquence, on ne peut pas inférer de la liberté de conscience le droit de demander à effectuer un service de remplacement. La Constitution n’énonce aucun principe conférant à la liberté d’expression un rang de supériorité absolue par rapport à l’obligation du service militaire. L’objection de conscience à l’accomplissement du service militaire ne peut être reconnue en tant que droit légitime qu’à la condition que la Constitution elle ‑même prévoie expressément ce droit. ».

2.8 Si elle a confirmé en conséquence la constitutionalité des dispositions qui avaient été mises en cause, la majorité du Tribunal constitutionnel a cependant demandé au législateur d’examiner les moyens qui permettraient d’atténuer le conflit entre la liberté de conscience et l’intérêt général de sécurité nationale. L’opinion dissidente, qui se fondait sur l’Observation générale n o 22 du Comité, l’absence de réserve de l’État partie à l’égard de l’article 18 du Pacte, les résolutions de la Commission des droits de l’homme de l’ONU et la pratique des États, aurait considéré que les dispositions pertinentes de la loi sur le service militaire étaient inconstitutionnelles, en l’absence de mesures prises par le législateur pour prendre dûment en compte l’objection de conscience.

2.9 Les auteurs affirment qu’à la suite de la décision quelque 300 objecteurs de conscience dont les procès étaient en suspens ont été jugés rapidement. En conséquence, on prévoyait que plus de 1 100 objecteurs de conscience seraient en prison d’ici à la fin de 2004.

Teneur de la plainte

3. Les auteurs affirment que l’absence dans l’État partie de service de remplacement au service militaire obligatoire, dont le non ‑accomplissement entraîne des poursuites pénales et une peine d’emprisonnement, viole leurs droits consacrés au paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Par une lettre datée du 2 avril 2005, l’État partie conteste le bien ‑fondé des deux communications. Il fait observer que l’article 18 prévoit des restrictions précises, lorsque c’est nécessaire, du droit de manifester sa conscience. Bien que l’article 19 de la Constitution de l’État partie protège la liberté de conscience, le paragraphe 2 de l’article 37 dispose ce qui suit: «La loi ne peut restreindre les libertés et les droits des citoyens que dans la mesure où cela est nécessaire pour des raisons de sécurité nationale, d’ordre public ou d’intérêt public … Même lorsque de telles restrictions sont imposées, elles ne doivent porter atteinte à aucun aspect essentiel des droits et des libertés en question.». En conséquence, le Tribunal constitutionnel a estimé que «la liberté de conscience prévue à l’article 19 de la Constitution ne confér[ait] pas aux individus le droit de refuser d’accomplir leurs obligations militaires» en s’appuyant sur les restrictions de principe qui imposent que tous les droits fondamentaux doivent être exercés dans des limites permettant d’honorer l’engagement civique et de garder intact l’«ordre public» de la nation. Par voie de conséquence, la loi peut imposer des restrictions à la liberté de manifester sa conscience lorsque cette liberté nuit à la sécurité et à l’ordre publics dans l’accomplissement de l’engagement civique ou lorsqu’elle menace l’«ordre public» de la nation.

4.2 L’État partie fait valoir que, compte tenu de sa situation spécifique, il est nécessaire de restreindre l’objection de conscience au service militaire car elle peut porter préjudice à la sécurité nationale. À la différence de la liberté de former ou de déterminer la conscience intime, la liberté d’objecter à l’accomplissement des obligations militaires pour des motifs religieux peut être frappée de restrictions, comme le prévoit l’article 18 du Pacte, pour des raisons de caractère public dans la mesure où elle exprime ou concrétise la conscience d’un individu par l’inexécution passive d’une obligation.

4.3 Dans le contexte de sécurité particulier de l’État partie qui fait face à une République populaire démocratique de Corée hostile, l’État partie, seule nation du monde a être scindée, a adopté le système de conscription universelle, qui prévoit l’obligation du service militaire pour tous les citoyens. Ainsi, le principe de l’égalité concernant les obligations et responsabilités au titre du service militaire a plus de sens dans l’État partie que dans tout autre pays. Compte tenu de l’exigence et des attentes fortes de la société au regard de l’égalité dans l’accomplissement des obligations militaires, le fait d’autoriser des exemptions du service militaire pourrait empêcher l’unification de la société et nuire gravement à la sécurité nationale en sapant les fondements du système qui prévoit un service militaire national − le système de conscription universelle − compte tenu en particulier de la tendance qu’ont les individus à vouloir se soustraire par tous les moyens à leurs obligations militaires.

4.4 L’État partie fait valoir que le système de service militaire d’une nation est directement lié aux enjeux de la sécurité nationale et qu’il s’agit d’une question laissée à l’appréciation du législateur, lequel est chargé de prévoir une armée nationale dotée des capacités maximales pour assurer la défense nationale compte tenu de la situation géopolitique de la nation, des conditions de la sécurité intérieure et extérieure, de la situation économique et sociale et du sentiment national ainsi que de plusieurs autres éléments.

4.5 L’État partie fait valoir que, au vu des considérations de sécurité, de l’exigence d’égalité en matière de service militaire et de divers éléments concourant tous à la nécessité d’imposer des restrictions au moment d’adopter un système de service de remplacement, on ne peut guère prétendre que les conditions de sécurité se soient améliorées au point de permettre des limitations du service militaire, pas plus que la formation d’un consensus national sur la question.

4.6 L’État partie conclut que l’interdiction de l’objection de conscience au service militaire est justifiée par la situation en matière de sécurité et sur le plan social, et qu’il est donc difficile de considérer que la décision constitue une violation de l’essence de la liberté de conscience consacrée au paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. Étant donné la situation de l’État partie eu égard à la sécurité, l’exigence d’égalité en matière d’obligations militaires et l’absence de consensus national sur la question, entre autres considérations, il est peu probable qu’un service de remplacement, quel qu’il soit, soit mis en place.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1 Dans une lettre datée du 8 août 2005, les auteurs ont répondu aux observations de l’ État partie. Ils relèvent que l’État partie ne précise pas à quelle restriction autorisée en vertu du paragraphe 3 de l’article 18 il fait référence, mais ils reconnaissent que le propos porte essentiellement sur «la sécurité ou l’ordre publics». Sur ce point toutefois, l’État partie n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles on peut considérer que les objecteurs de conscience nuisent à la sécurité ou à l’ordre publics. À strictement parler, l’objection de conscience n’ayant jamais été autorisée, l’État partie ne peut pas déterminer si un tel danger existe réellement ou non.

5.2 Les auteurs notent une vague crainte de la part de l’ État partie qu’en autorisant l’objection de conscience il mette en péril le système de conscription universelle. Mais cette crainte ne saurait justifier les sanctions sévères infligées à des milliers d’objecteurs en vertu de la loi sur le service militaire, pas plus que la discrimination dont ils sont victimes une fois sortis de prison. En tout état de cause, les auteurs s’interrogent sur la valeur réelle de la conscience si cette dernière doit être confinée à l’intimité de chacun et ne peut pas être exprimée. Les auteurs font observer que l’objection de conscience a une longue histoire, qui remonte à la République de Rome, et que les objecteurs rejettent la violence par des voies pacifiques. Renvoyant à l’Observation générale n o 22 du Comité, les auteurs font valoir que, loin de menacer la sécurité ou l’ordre publics ou les droits d’autrui, les objecteurs de conscience les renforcent en réalité, l’objection de conscience étant une valeur noble fondée sur une réflexion morale profonde.

5.3 En ce qui concerne la menace posée par la République populaire démocratique de Corée, les auteurs notent que l’État partie a une population près de deux fois plus importante, une économie 30 fois plus forte et des dépenses militaires annuelles pour la dernière décennie près de 10 fois supérieures à celles de son voisin du Nord. La République populaire démocratique de Corée est sous surveillance constante par satellite et est frappée par une crise humanitaire. L’État partie en revanche déploie près de 700 000 soldats et chaque année 350 000 jeunes accomplissent un service militaire. Le nombre d’objecteurs placés en détention − 1 053 à la date du 11 juillet 2005 − est dérisoire et ne saurait compromettre une telle puissance militaire. Dans ce contexte, il est excessif de prétendre que la menace représentée par la République populaire démocratique de Corée est une raison suffisante pour punir les objecteurs de conscience.

5.4 Sur la question de l’équité, les auteurs font valoir que ce principe serait préservé par la mise en place de mesures prévoyant un service de remplacement, au besoin en allongeant la durée d’un tel service. Ils relèvent le bilan positif de la mise en place récente d’un service de remplacement à Taiwan, dont l’existence est au moins autant menacée de l’extérieur que celle de l’État partie, et en Allemagne. La création d’un service de remplacement contribuerait à l’intégration sociale et au développement de la société et au respect des droits de l’homme. La tendance à fuir le service militaire que l’on constate dans la société n’a, quant à elle, aucun rapport avec la question de l’objection et découle des conditions peu satisfaisantes offertes aux soldats. Si ces conditions étaient meilleures, la tendance à vouloir échapper au service militaire régresserait.

5.5 Les auteurs réfutent l’argument selon lequel l’introduction d’un service de remplacement est laissée à l’appréciation du pouvoir législatif, liberté d’appréciation qui, soulignent ‑ils, ne saurait justifier une violation du Pacte et font observer que, en tout état de cause, rien ou presque n’a été fait pour mettre en place un tel service. De surcroît, l’État partie ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui est faite en sa qualité de membre de la Commission des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies et, délibérément ou non, n’a pas communiqué de renseignements sur la situation des objecteurs de conscience dans les rapports périodiques qu’il présente au Comité.

Observations complémentaires de l’ État partie

6.1 Dans une lettre datée du 6 septembre 2006, l’État partie a répondu aux commentaires des auteurs en faisant des observations complémentaires sur le fond des communications. Il note que, conformément à l’article 5 de sa Constitution, les forces armées nationales sont investies de la mission sacrée d’assurer la sécurité nationale et la défense du territoire; de même, en vertu de l’article 39, l’exigence du service militaire est un moyen important, voire essentiel, de garantir la sécurité nationale, qui à la fois résulte de l’application de la loi et en assure la protection. L’État partie note que la sécurité nationale est indispensable à la survie de la nation, à la préservation de son intégrité territoriale et à la protection de la vie et de la sécurité des citoyens, et conditionne dans le même temps l’exercice de la liberté par les citoyens.

6.2 L’État partie note que la liberté d’objection au service militaire obligatoire est expressément soumise aux restrictions prévues au paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. Autoriser des dérogations au service militaire obligatoire, qui est l’une des principales obligations imposées à tous les citoyens au prix de certains droits fondamentaux, en vue de protéger leur vie et les biens publics, risque de saper les fondements du service militaire national, principal moyen d’assurer la défense du pays, d’exacerber les conflits sociaux, de mettre en péril la sécurité publique et la sécurité nationale, et partant, de porter atteinte aux libertés et aux droits fondamentaux des citoyens. En conséquence, une restriction fondée sur le souci d’éviter toute atteinte à la sécurité et à l’ordre publics ou toute menace à l’ordre juridique de la nation est légitime lorsqu’elle est imposée dans le contexte d’une communauté.

6.3 L’État partie fait valoir que s’il est vrai que la situation de la péninsule coréenne a évolué depuis l’émergence d’une nouvelle conception de la défense nationale et de méthodes de guerre modernes et que l’écart en matière de puissance militaire entre le Nord et le Sud s’est creusé du fait des disparités économiques, la force militaire demeure le principal moyen de défense. La perspective d’une pénurie de personnel due à la forte baisse de la natalité doit également être prise en compte. Le fait de punir les objecteurs de conscience, bien qu’ils soient peu nombreux, dissuade les citoyens qui voudraient se soustraire au service militaire. Le système actuel peut facilement s’effondrer si des systèmes de service de remplacement sont adoptés. Compte tenu des irrégularités relevées dans le passé et de la tendance qu’ont les personnes à vouloir échapper au service militaire, il est peu probable que des solutions de remplacement permettent d’empêcher les tentatives de s’y soustraire. En outre, l’acceptation de l’objection de conscience alors que la force militaire demeure le principal moyen de défense nationale pourrait amener certains à s’en servir comme expédient juridique pour échapper au service militaire et porter ainsi gravement atteinte à la sécurité nationale, en portant un coup fatal au système fondé sur la conscription.

6.4 Pour ce qui est des arguments des auteurs concernant l’égalité, l’État partie fait valoir qu’exempter les objecteurs de conscience ou leur imposer des obligations moins astreignantes risque de porter atteinte au principe de l’égalité énoncé à l’article 11 de la Constitution, de contrevenir à l’obligation générale de contribuer à la défense nationale imposée par son article 39 et reviendrait à distinguer ou privilégier un groupe particulier. Étant donné les fortes exigences et grandes attentes de la société quant au respect de l’égalité devant le service militaire, accorder des dérogations, synonymes d’inégalités, pourrait causer une fissure dans le tissu social et saper gravement les capacités nationales. Si un système de remplacement est adopté, il faudra, par souci d’équité, permettre à chacun de choisir entre le service militaire et le service de remplacement, ce qui aura inévitablement pour conséquence de mettre en péril la sécurité et l’ordre publics et la protection des droits et des libertés fondamentaux. L’État partie reconnaît que les problèmes relatifs aux droits de l’homme figurent parmi les principaux facteurs qui font que l’on cherche à se soustraire au service militaire et il a pris des mesures pour améliorer substantiellement les conditions dans les baraquements de l’armée. Toutefois, le fait que le service soit de deux ans − une durée beaucoup plus longue que dans les autres pays − demeure une raison de vouloir se soustraire au service militaire et il est peu probable que cette situation change avec l’amélioration des conditions et l’adoption d’un service de remplacement.

6.5 Pour ce qui est des arguments des auteurs relatifs à la pratique internationale, l’État partie note que l’Allemagne, la Suisse et Taiwan acceptent l’objection de conscience et proposent des services de remplacement. Il a contacté les administrateurs du système dans chacun de ces pays et a recueilli des informations sur leurs pratiques par le biais de travaux de recherche et de séminaires, tout en restant en permanence informé des progrès accomplis et en étudiant la possibilité d’adopter lui ‑même un tel service. L’État partie note toutefois que la mise en place d’un service de remplacement dans ces pays s’est faite dans un contexte qui leur est spécifique. En Europe par exemple, le service de remplacement a été institué dans le cadre d’une réorientation générale opérée au lendemain de la guerre froide, qui a amené certains pays à remplacer le service militaire obligatoire par un service facultatif quand la menace directe et grave qui pesait sur leur sécurité s’est estompée. Taiwan a également approuvé l’objection de conscience en 2000 lorsque le sureffectif de conscrits est devenu un problème, avec l’application en 1997 d’une politique de réduction du personnel. L’État partie souligne également qu’en janvier 2006 sa Commission nationale des droits de l’homme a conçu un plan d’action national pour l’objection de conscience et que le Gouvernement a l’intention de prendre des mesures en la matière.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 En l’absence d’objections de l’État partie concernant la recevabilité de la communication, ainsi que de raisons qui donneraient à penser que le Comité devrait déclarer d’office les communications irrecevables en tout ou en partie, le Comité déclare le grief de violation de l’article 18 du Pacte recevable.

Examen au fond

8.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné les présentes communications en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2 Le Comité note le grief des auteurs qui estiment que l’article 18 du Pacte, en tant qu’il garantit le droit à la liberté de conscience et le droit de manifester sa religion ou sa conviction, implique la reconnaissance de leur croyance religieuse, qui est sincère, et que leur imposer le service militaire obligatoire est moralement et éthiquement inacceptable. Le Comité note également que le paragraphe 3 de l’article 8 du Pacte ne considère pas comme «un travail forcé ou obligatoire», lequel est proscrit, «tout service de caractère militaire et, dans les pays où l’objection de conscience est admise, tout service national exigé des objecteurs de conscience en vertu de la loi». Il s’ensuit que l’article 8 du Pacte lui ‑même ne reconnaît pas un droit à l’objection de conscience, pas plus qu’il ne l’exclut. Ainsi, le grief en question doit être apprécié à la seule lumière de l’article 18 du Pacte, dont l’interprétation évolue, avec le temps, comme pour toute autre disposition du Pacte, que ce soit dans les formes ou sur le fond.

8.3 Le Comité rappelle sa jurisprudence issue de l’examen d’un grief d’objection de conscience au service militaire en tant que forme protégée de manifestation de la croyance religieuse entrant dans le champ du paragraphe 1 de l’article 18 . Il fait observer que, si le droit de manifester sa religion ou sa conviction en tant que tel ne peut s’interpréter comme donnant le droit de refuser de s’acquitter de toutes les obligations imposées par la loi, il offre, conformément au paragraphe 3 de l’article 18, une protection contre l’obligation d’agir à l’encontre d’une conviction religieuse sincère. Le Comité rappelle également le point de vue général qu’il a exprimé dans son Observation générale n o 22 , selon lequel le fait d’obliger une personne à employer la force au prix de vies humaines, alors que cet emploi de la force serait gravement en conflit avec sa conscience ou ses convictions religieuses, relève de l’article 18. Le Comité note, en l’espèce, que le refus des auteurs d’être enrôlés aux fins du service obligatoire constituait une expression directe de leurs convictions religieuses, dont il n’est pas contesté qu’elles étaient professées sincèrement. En conséquence, la condamnation et la peine infligées aux auteurs constituent une restriction de leur capacité de manifester leur religion ou leur conviction. Une telle restriction doit être justifiée par les limitations autorisées qui sont énoncées au paragraphe 3 de l’article 18, en vertu duquel toute restriction doit être prévue par la loi et être nécessaire à la protection de la sécurité, de l’ordre, de la santé ou de la moralité publics ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. Toutefois, une telle restriction ne doit pas porter atteinte à l’essence même du droit en question.

8.4 Le Comité note que la législation de l’État partie ne prévoit pas de procédure qui permette de reconnaître l’objection de conscience au service militaire. L’État partie fait valoir que cette restriction est nécessaire pour assurer la sécurité publique et vise à préserver ses capacités de défense nationales et sa cohésion sociale. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie relatif au contexte particulier de sa sécurité nationale, ainsi que de son intention de prendre des mesures en rapport avec le plan d’action national pour l’objection de conscience qu’a conçu la Commission nationale des droits de l’homme (voir plus haut par. 6.5) Le Comité fait observer aussi, que, si l’on regarde la pratique des États dans ce domaine, on constate qu’un nombre croissant d’États parties au Pacte, qui maintiennent le service militaire obligatoire, ont mis en place un dispositif de substitution à ce service et considère que l’État partie n’a pas montré quels désavantages particuliers découleraient pour lui du plein respect des droits que l’article 18 reconnaît aux auteurs. En ce qui concerne la question de la cohésion et de l’équité, le Comité estime que le respect par l’État partie des convictions de conscience et de leur manifestation est en lui ‑même un facteur important pour assurer la cohésion et un pluralisme stable dans la société. Il relève aussi qu’il est possible en principe, et courant dans la pratique, de concevoir des mesures de substitution au service militaire obligatoire qui ne portent pas atteinte au principe de la conscription universelle, tout en étant utiles à la société et en imposant des obligations équivalentes aux individus, ce qui permet d’éviter les inégalités arbitraires entre ceux qui accomplissent le service militaire obligatoire et ceux qui effectuent un service de remplacement. Le Comité considère que l’État partie n’a pas apporté la preuve qu’en l’espèce la restriction en question était nécessaire au sens du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, conclut que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par la République de Corée du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte à l’égard de chacun des deux auteurs.

10. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs une réparation utile sous la forme d’une indemnisation. Il est également tenu de faire en sorte que des violations similaires du Pacte ne se reproduisent pas.

11. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion dissidente de M. Hipólito Solari ‑Yrigoyen

Si je souscris à la décision de la majorité exprimée au paragraphe 9, qui conclut que les faits dont le Comité est saisi font apparaître des violations par la République de Corée du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte, je suis en désaccord concernant les raisons avancées. L’argumentation aurait dû à mon avis être la suivante:

Examen au fond

8.2 Le Comité note le grief des auteurs qui estiment que l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte en les poursuivant et en les condamnant pour avoir refusé de faire leur service militaire obligatoire en raison de leurs croyances religieuses, car ils sont Témoins de Jéhovah.

Il prend également note que l’État partie fait valoir que l’article 19 de sa Constitution ne confère pas aux individus le droit de refuser le service militaire obligatoire. Il fait valoir qu’il est possible de «restreindre» l’objection de conscience au service militaire car elle peut nuire à la sécurité nationale et conclut que l’interdiction de l’objection de conscience au service militaire est justifiée et qu’elle ne viole pas les dispositions du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. Le Tribunal constitutionnel (par. 2.7) réduit le droit à l’objection de conscience à un simple droit de demander à l’État de prendre en considération et de protéger, «si possible», le droit de l’objecteur de conscience.

Sachant que l’objection de conscience est le droit fondamental reconnu à toute personne de ne pas faire son service militaire, lorsque celui ‑ci est obligatoire, si sa religion ou ses convictions ne le permettent pas, droit auquel il ne peut pas être porté atteinte par des mesures coercitives, et sachant que l’État partie ne reconnaît pas ce droit, la communication doit être examinée au regard du paragraphe 1 et non du paragraphe 3 de l’article 18.

8.3 La liberté de pensée, de conscience et de religion qui sous ‑tend l’objection de conscience au service militaire obligatoire est un des droits auxquels il ne peut pas être dérogé, même dans les situations exceptionnelles menaçant l’existence de la nation et autorisant la proclamation de l’état d’urgence, conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte. Lorsque l’objection de conscience est reconnue, l’État peut s’il le souhaite imposer à l’objecteur de conscience l’obligation supplémentaire de faire un service civil de substitution, en dehors du domaine militaire et du contrôle des autorités militaires. Ce service ne pas peut être de nature punitive, il doit être utile à la communauté et s’inscrire dans le respect des droits de l’homme.

Dans son Observation générale n o 22, le Comité reconnaît ce droit «dans la mesure où l’obligation d’employer la force au prix de vies humaines peut être gravement en conflit avec la liberté de conscience et le droit de manifester sa religion ou ses convictions». Dans la même observation, il affirme que le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion «a une large portée» et que «la liberté de pensée et la liberté de conscience sont protégées à égalité avec la liberté de religion et de conviction».

Du fait de leurs convictions religieuses, les auteurs se sont prévalus de ce droit, fondé sur le premier paragraphe de l’article 18, pour ne pas faire le service militaire obligatoire. Les poursuites judiciaires, la condamnation et la peine de prison ont constitué des violations directes de ce droit.

Le troisième paragraphe de l’article 18 fait référence aux manifestations de la religion ou des convictions, au sens de la liberté de manifester sa religion ou ses convictions de manière publique et non de la reconnaissance du droit consacré par le premier paragraphe. C’est pourquoi, même à supposer, ce qui serait faux, que ce n’est pas la reconnaissance du droit de l’objecteur de conscience qui est en jeu dans la présente communication mais ses manifestations extérieures, qui ne peuvent faire l’objet que «des seules restrictions prévues par la loi», cela n’implique aucunement que l’existence même de ce droit est laissée à la discrétion des États parties.

Il n’est pas possible, comme le fait le Comité au paragraphe 8.4, de prendre note de l’intention de l’État partie d’adopter des mesures en rapport avec un plan d’action national pour l’objection de conscience qu’aurait conçu la Commission nationale des droits de l’homme (par. 6.5) sans envisager cette intention en parallèle avec le paragraphe 4.6, qui affirme qu’il est peu probable qu’un service de remplacement du service militaire obligatoire soit mis en place. Une intention ne suffit pas sans preuve et la simple intention de «prendre des mesures en la matière» ne dit pas si ces mesures conduiront, dans un avenir incertain, à l’acceptation ou au rejet du droit à l’objection de conscience.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, conclut que la République de Corée a violé, dans chaque cas, le droit consacré par le paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte.

( Signé ) Hipólito Solari ‑Yrigoyen

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood

Je pense comme le Comité qu’un État partie soucieux d’appliquer les principes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans un esprit généreux doit respecter les revendications des individus qui objectent au service militaire pour des motifs de conviction religieuse ou d’autres motifs de conscience cohérents. Le caractère sacré des convictions religieuses, y compris des préceptes concernant l’obligation de non ‑violence, est une chose qu’un État démocratique et libéral devrait avoir à cœur de protéger.

En revanche, je suis au regret de ne pas pouvoir conclure que le droit de ne pas accomplir un service militaire obligatoire est strictement inclus, en tant que droit, dans les termes du Pacte. Le paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte dispose: «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement.».

L’article 18 protège donc quelque chose de très important, qui est le droit de pratiquer son culte en public et en privé, de se rassembler avec d’autres pour pratiquer le culte, d’organiser des établissements scolaires confessionnels et d’arborer les symboles extérieurs de sa religion. La disposition du paragraphe 3 de l’article 18 − «La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui» − ne peut pas être utilisée par un État partie comme un moyen détourné de restreindre la pratique religieuse. Le Comité des droits de l’homme a, à juste titre, rejeté toute tentative de limiter les garanties de l’article 18 aux seules religions «traditionnelles» ou d’utiliser ou de dénier l’application concrète du droit de culte.

Cela étant, l’article 18 ne contient rien qui laisse à penser que la conviction religieuse donne à quelqu’un un droit, protégé par le Pacte, de se soustraire à des obligations par ailleurs légitimes de la société dans laquelle il vit. Par exemple, il n’est pas question de ne pas payer ses impôts, même pour quelqu’un qui a une objection de conscience aux activités menées par l’État. Dans l’interprétation de l’article 18 qu’il fait dans la présente communication, en faisant apparemment une différence entre le service militaire et les autres obligations à l’égard de l’État, le Comité ne cite aucun élément tiré des travaux préparatoires au Pacte qui permettrait de penser que cela avait été envisagé. La pratique des États parties au moment de l’achèvement du Pacte et même aujourd’hui peut aussi être intéressante. Mais nous n’avons aucun élément écrit pour affirmer cela, particulièrement au regard du nombre d’États parties au Pacte qui conservent le système de la conscription sans avoir prévu le droit à l’objection de conscience dans leur législation.

Assurément, dans les «observations finales» qu’il établit à l’issue de l’examen des rapports des États parties, le Comité des droits de l’homme a souvent encouragé les États à reconnaître le droit à l’objection de conscience au service militaire. Mais les observations finales peuvent très bien proposer des «bonnes pratiques» et ne modifient pas les termes du Pacte. Il est vrai également qu’en 1993 le Comité a indiqué dans son Observation générale n o 22 (par. 11) que le droit de refuser le service militaire (objection de conscience) «découle» de l’article 18. Mais dans les dix ans et plus qui se sont écoulés depuis la rédaction de cette observation générale, le Comité n’a jamais établi dans ses constatations au titre du Protocole facultatif qu’une telle conséquence était prescrite par le Pacte . Le libellé du paragraphe 3 c) ii) de l’article 8 du Pacte pose également une difficulté pour la conclusion du Comité.

Toutes ces considérations ne changent rien au fait que dans le cas d’espèce, la pratique de l’État partie a été particulièrement dure. Les condamnations pénales successives pour objection de conscience, à la suite de la délivrance répétée de plusieurs avis de conscription, peuvent avoir des résultats draconiens. L’interdiction d’occuper un emploi dans un organisme public pour quelqu’un qui a refusé d’effectuer le service militaire est une conséquence tout aussi sévère.

Dans une décision récente de la Cour constitutionnelle de Corée, le Ministre de la défense a dit que «les conditions de vie actuelles pour un conscrit dans l’armée [sont] mauvaises» et donc que «le nombre d’objecteurs au service militaire ne manquera pas d’augmenter rapidement» si «un service de remplacement est mis en place dans un pays comme le nôtre» . Cela tend à montrer qu’il serait sage de chercher à améliorer les conditions matérielles des membres de l’armée. Quoi qu’il en soit, de nombreux autres États ont estimé qu’ils étaient en mesure de reconnaître une demande d’objection de conscience fondée sur une religion ou une conviction morale de bonne foi, sans qu’il y ait atteinte au fonctionnement du système de service national. Ainsi, un parlement démocratique souhaiterait certainement examiner la question de savoir si la conviction religieuse d’une minorité de citoyens ne peut pas être prise en considération sans que sa capacité d’organiser une défense nationale soit compromise.

( Signé ) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

W. Communication n o 1324/2004, Shafiq c. Australie * (Constatations adoptées le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Danyal Shafiq (représenté par un conseil, le Refugee Advocacy Service of South Australia Inc.)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

5 novembre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Détention de non ‑ressortissants en situation irrégulière; expulsion; risque de torture au retour dans le pays d’origine

Question de procédure : Non ‑épuisement des recours internes

Questions de fond : Détention arbitraire; examen de la légalité de la détention

Articles du Pacte : 7, 9 (par. 1 et 4), 10 (par. 1)

Article du Protocole facultatif : 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1324/2004, présentée au nom de Danyal Shafiq en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication est Danyal Shafiq, de nationalité bangladaise, né en 1972, qui est actuellement détenu au Glenside Campus du Royal Adelaide Hospital, en attendant son expulsion d’Australie vers le Bangladesh. Il se dit victime de violations par l’Australie de l’article 7, de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, le Refugee Advocacy Service of South Australia Inc.

1.2 Le 8 novembre 2004, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur avant d’avoir informé le Comité de ses intentions concernant l’expulsion présumée de l’auteur, plus précisément de lui faire savoir si l’auteur pouvait être expulsé dans un avenir proche et, dans l’affirmative, si l’État partie envisageait de l’expulser vers le Bangladesh et quelles mesures il allait prendre pour s’assurer que l’auteur ne risquait pas de subir un préjudice irréparable s’il était expulsé vers le Bangladesh.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 En janvier 1987, à l’âge de 15 ans, l’auteur, qui a été élevé dans un orphelinat au Bangladesh, a cherché du travail et a été engagé à son insu par une organisation politique illégale, le parti Sharbahara. On lui a demandé de livrer des documents à des militants du parti dans tout le Bangladesh. Il ignorait le caractère violent et subversif des activités de ce parti et pensait remettre des informations sur les activités sociales de ce dernier. Il a ensuite compris qu’il livrait des informations concernant des opérations d’extorsion et des personnes que devaient tuer des militants du Sharbahara. En 1992, il a commencé à travailler à la frontière indienne et a compris plus tard que son travail impliquait la contrebande d’armes et de drogues. Lorsqu’il a fait part de ses inquiétudes à son recruteur, ce dernier lui a répondu que la seule façon de quitter le parti pour lui était la mort. On lui a également dit, ce qu’il a cru, que s’il s’adressait à la police il serait tué, soit sous la torture que lui infligerait la police pour lui arracher des informations, soit par les militants du Sharbahara.

2.2 En 1995, le parti s’est scindé en deux. En 1996, l’auteur, qui ne voulait plus prendre part aux activités du parti, a décidé de quitter le Bangladesh. Il est arrivé en Australie par bateau en septembre 1999 et, depuis lors, il est détenu en tant que «non ‑ressortissant en situation irrégulière». Il est effectivement apatride, puisqu’il ne peut prouver sa nationalité par aucun document délivré par le Bangladesh concernant sa naissance ou sa nationalité. La Mission du Bangladesh en Australie a déclaré qu’il n’était pas citoyen du Bangladesh, puisqu’il n’existe aucun registre mentionnant sa naissance ou sa nationalité.

2.3 Le 28 février 2000, l’auteur a déposé une demande de visa de protection (statut de réfugié), qui a été rejetée le 21 juin 2000. La demande d’examen au fond qu’il a adressée au Tribunal des recours administratifs (AAT) a été rejetée le 1 er juin 2001, car il y avait «des raisons sérieuses de penser que le requérant avait commis un crime grave de droit commun en dehors de l’Australie avant d’y être admis, au sens et aux fins du paragraphe b) de l’article 1F de la Convention relative au statut des réfugiés» . Le Tribunal a conclu que les dispositions de la Convention ne s’appliquaient pas à l’auteur et qu’il ne s’agissait pas d’une personne à l’égard de laquelle l’Australie avait des obligations de protection en vertu de la Convention. L’auteur a présenté un recours en examen de la légalité de la décision devant la Cour fédérale, qui a rejeté son appel le 19 juin 2002. Le 31 mars 2004, l’auteur a demandé à être considéré comme un cas humanitaire. En vertu de l’article 417 de la loi sur les migrations de 1958, le ou la Ministre de l’immigration, du multiculturalisme et des affaires indigènes peut exercer son pouvoir discrétionnaire et accorder un visa de protection pour motifs humanitaires. Le 14 mai 2004, la Ministre a refusé d’exercer ce pouvoir discrétionnaire.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme être victime d’une violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 parce qu’il fait l’objet d’une détention obligatoire, arbitraire et d’une durée indéfinie depuis son arrivée en Australie, en septembre 1999. Il cite l’affaire A. c. Australie , et affirme que sa détention est arbitraire parce qu’elle n’a aucun lien avec les circonstances de l’espèce. L’auteur est en détention pour une durée indéfinie, et cette détention durera tant qu’il sera en Australie ou jusqu’à ce qu’une décision favorable soit prise concernant son statut de réfugié. Il ne dispose d’aucun recours devant les tribunaux pour qu’ils se prononcent sur son statut de réfugié. Les tribunaux australiens peuvent seulement renvoyer toute décision administrative sur les demandes d’asile à l’auteur de la décision en invoquant une erreur de droit. Si un tribunal peut se prononcer sur la régularité de sa détention, en revanche, le tribunal ne peut examiner les motifs de la détention (statut de réfugié). De surcroît, en tant qu’apatride, l’auteur est détenu pour une durée indéterminée jusqu’à ce qu’une décision favorable lui accorde l’asile ou un visa à titre humanitaire, et à cette condition seulement.

3.2 S’il est expulsé vers le Bangladesh, l’auteur risque d’être emprisonné, torturé et soumis à des traitements cruels et inhumains par la police ou par des membres du parti Sharbahara, en violation de l’article 7 du Pacte. Les autorités bangladaises chercheraient à connaître les raisons de son retour forcé. Selon Amnesty International, les membres du parti Sharbahara, plus que d’autres, qui se rendent à la police ou sont capturés ou arrêtés risquent de longues peines de prison, risquent d’être tués et/ou torturés. L’auteur craint d’être éliminé par des agents du Sharbahara au sein de la police. Il présente plusieurs éléments d’information s’échelonnant de 1999 à 2004, qui corroborent ses déclarations selon lesquelles la torture est répandue au Bangladesh. Outre qu’il a peur de la police, l’auteur craint des représailles de la part des membres du Sharbahara. La menace de mort qu’il a reçue des membres de ce parti se matérialiserait.

3.3 L’auteur affirme qu’il sera victime d’une violation de l’article 10 du Pacte s’il est renvoyé au Bangladesh. Il mentionne l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et craint d’être emprisonné dans des conditions inhumaines en raison du mauvais état des prisons bangladaises.

3.4 L’auteur a reconnu qu’au moment où il a présenté sa communication il n’avait pas épuisé les recours internes. Après que la Cour fédérale a refusé d’examiner la décision de ne pas lui accorder l’asile, il aurait pu demander un prolongement du délai afin de présenter une demande d’autorisation de faire appel de la décision de la Cour fédérale devant la Cour fédérale en formation plénière. Les demandes d’autorisation de faire appel et de prolongement du délai ne sont pas des recours assurés d’aboutir, car il faut pouvoir avancer des raisons très valables pour obtenir le prolongement du délai, avancer de bonnes raisons pour expliquer le non ‑respect du délai pour faire appel et il faut que l’appel ait de bonnes chances d’aboutir. L’auteur affirme qu’il s’agit d’une voie de recours laissée à la liberté de décision et que son expulsion vers le Bangladesh n’est pas nécessairement entravée par l’exercice de ce recours.

Observations de l’État partie

4.1 Le 21 octobre 2005, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il cite la jurisprudence du Comité selon laquelle de simples doutes quant à l’efficacité des recours internes ou la perspective d’encourir des frais financiers ne dispensent pas un requérant d’exercer de tels recours . Il rappelle en outre que le fait d’ignorer l’existence d’un recours ou les conditions à remplir pour s’en prévaloir ne sont pas une excuse pour ne pas épuiser les recours internes.

4.2 En ce qui concerne le grief soulevé au titre de l’article 7, l’État partie considère que cette partie de la communication est irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes. Il indique que les recours en question ne sont peut ‑être plus disponibles pour l’auteur en raison des délais de prescription. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité dans l’affaire N . S. c . Canada , dans laquelle il a considéré que le fait de ne pas exercer un recours dans les délais signifie que les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés.

4.3 La Cour fédérale a examiné la décision du Tribunal des recours administratifs (AAT) confirmant la décision du premier délégué ( primary delegate ) selon laquelle l’auteur était visé par la clause d’exclusion de la Convention relative au statut des réfugiés et n’a relevé aucune erreur de droit. L’auteur a alors fait appel de la décision rendue par la Cour fédérale devant la Cour fédérale en formation plénière. Toutefois, il s’est désisté avant que son appel soit examiné par la Cour. Il aurait pu maintenir son appel devant la Chambre plénière de la Cour fédérale. Si la Cour fédérale en formation plénière avait statué en sa faveur, elle aurait renvoyé l’affaire devant le Tribunal des recours administratifs pour réexamen. Si l’auteur avait maintenu son appel et si la Cour fédérale plénière n’avait pas conclu en sa faveur, il aurait pu alors demander une autorisation spéciale de faire appel de cette décision devant la High Court (Cour suprême). Il n’a pas exercé les recours disponibles devant la Cour fédérale plénière et devant la High Court . Il n’a pas non plus présenté de commencement de preuve pour démontrer que ces recours sont inefficaces ou que la demande de réexamen serait inévitablement rejetée, par exemple, à partir d’un précédent juridique clair. L’État partie déclare que les recours disponibles pourraient réparer la violation potentielle alléguée de l’article 7.

4.4 À l’inverse, l’État partie considère que la communication fournit des preuves insuffisantes à l’appui des allégations de l’auteur concernant une violation potentielle de l’article 7. Aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif, une «prétention» n’est donc pas simplement une allégation, mais une allégation étayée par certains éléments de preuve . Il n’est pas établi dans la communication que l’auteur serait soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à son retour au Bangladesh. Les rapports qu’il cite donnent des informations générales sur la situation au Bangladesh sans établir que l’auteur serait personnellement en danger. Pour l’État partie, dans les affaires de refoulement, il incombe à l’auteur tout particulièrement d’étayer ses allégations et d’apporter un commencement de preuve convaincant. Les éléments de preuve sont plus importants dans les affaires de refoulement qui, par leur nature même, concernent des événements qui échappent à la connaissance et au contrôle immédiats de l’État partie. L’État partie considère que la communication n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, l’allégation selon laquelle l’Australie violerait l’article 7 si l’auteur était expulsé vers le Bangladesh.

4.5 L’État partie considère que les allégations relatives à l’article 7 sont dénuées de fondement. Il cite la jurisprudence du Comité selon laquelle, si un État partie prend, à l’égard d’une personne sous sa juridiction, une décision devant nécessairement avoir pour conséquence prévisible une violation, dans une autre juridiction, des droits reconnus à cette personne en vertu du Pacte, cet État partie peut, de ce fait, violer lui ‑même le Pacte , et la jurisprudence selon laquelle le Comité a assimilé une conséquence «nécessaire et prévisible» à «un risque réel» . Aucune preuve n’est rapportée à l’appui de la conclusion selon laquelle l’expulsion de l’auteur aurait pour conséquence nécessaire et prévisible de l’exposer à un risque réel de violation des droits que lui reconnaît l’article 7.

4.6 L’État partie rappelle que le Tribunal des recours administratifs n’a pas accepté comme preuve la déclaration de l’auteur selon laquelle les membres du parti Sharbahara lui ont dit qu’il serait tué s’il contestait leurs activités illégales ou s’il cessait d’y participer , et a considéré qu’il aurait pu quitter le pays s’il l’avait voulu. Le délégué du Ministre est parvenu à une conclusion analogue lorsqu’il a statué sur la demande d’asile de l’auteur en 2000. Il a estimé que, l’auteur ayant quitté le Bangladesh quatre ans auparavant, le risque potentiel qu’il courait était réduit . Étant donné que près de neuf ans se sont écoulés depuis, on ne saurait accepter l’affirmation selon laquelle il est hautement probable que l’auteur soit tué par des membres du parti Sharbahara à son retour au Bangladesh .

4.7 Au sujet des allégations analogues de l’auteur touchant le risque de mauvais traitements que lui infligerait la police, l’État partie considère que les rapports cités à l’appui de cette allégation de mauvais traitements potentiels entre les mains de la police bangladaise n’étayent pas suffisamment cette allégation. On lit dans les rapports en question, entre autres, qu’au Bangladesh, la police emploie la torture lors des arrestations et des interrogatoires, et qu’elle continue à la pratiquer pendant la garde à vue et lors des exécutions extrajudiciaires. Il ressort de ces rapports que les membres du Sharbahara risquent peut ‑être d’être emprisonnés et maltraités par la police, surtout s’ils se rendent. Mais ces rapports ne contiennent que des informations d’ordre général sur la police et le traitement des prisonniers par cette dernière au Bangladesh et ne concernent pas assez directement le cas personnel de l’auteur pour établir que celui ‑ci courrait un risque réel de subir un préjudice s’il était expulsé vers le Bangladesh. La probabilité que l’auteur soit identifié par la police comme membre du parti Sharbahara doit donc être considérablement réduite.

4.8 En ce qui concerne le grief formulé au titre du paragraphe 1 de l’article 9, à savoir que l’auteur fait l’objet d’une détention obligatoire et arbitraire, pour une période indéfinie, depuis son arrivée en Australie, l’État partie considère que l’auteur ne l’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations consistant en une simple affirmation générale. L’auteur ne fournit aucun complément d’information, et ne précise pas les dates et la durée du séjour en détention, les moyens par lesquels il a tenté de contester sa détention ou en quoi cette détention est arbitraire et constituerait une violation du paragraphe 1 de l’article 9. L’auteur affirme en outre que la «libération n’est pas prise en considération». Une telle affirmation est purement et simplement fausse. Les étrangers en situation irrégulière qui arrivent en Australie sont placés en détention, mais peuvent demander l’un des nombreux visas. Si un visa leur est accordé, ils sont relâchés. La détention peut aussi prendre fin pour d’autres raisons. Depuis la mise en détention de l’auteur, la loi et les règlements relatifs aux migrations ont été modifiés pour conférer au Ministre le pouvoir, non délégable et qu’il n’est pas tenu d’exercer, de prendre les dispositions suivantes:

Accorder un visa à toute personne détenue en vertu de la législation sur l’immigration, qu’elle en ait fait la demande ou non;

Placer un étranger en situation irrégulière en régime de détention sans incarcération, dit «assignation à résidence»;

Inviter une personne en détention qui ne peut être expulsée dans un avenir prévisible à demander le nouveau Bridging Visa (visa d’attente), dénommé «Removal Pending Bridging Visa» (RPBV) qui est un visa d’attente avant expulsion.

Le Ministre exerce les pouvoirs ainsi conférés personnellement, au cas par cas, en tenant compte de la situation de chaque détenu considéré individuellement. En outre, l’auteur peut coopérer à tout moment pour faciliter son retour au Bangladesh. Il existe par conséquent plusieurs moyens qui pourraient lui permettre de ne plus être en détention et sa détention ne saurait être qualifiée d’«arbitraire».

4.9 Accessoirement, l’État partie conteste le bien ‑fondé de l’allégation au motif que la détention de l’auteur n’a été à aucun moment illicite ou arbitraire. Au contraire, cette détention était raisonnable et nécessaire dans les circonstances et ne saurait être qualifiée d’inappropriée, injuste ou non prévisible. La détention de l’auteur s’est faite conformément aux procédures établies par la loi sur les migrations et elle est légale. L’auteur est entré en Australie par bateau dans le cadre d’une arrivée non autorisée. Il a été placé en détention à cause de son statut d’étranger en situation irrégulière, en vertu de l’article 189 de la loi sur les migrations et y resterait aussi longtemps qu’il contesterait la décision selon laquelle il n’était pas une personne à l’égard de laquelle l’Australie avait une obligation de protection.

4.10 L’État partie affirme que la détention de l’auteur n’était pas arbitraire et que l’élément décisif à prendre en compte pour déterminer le caractère arbitraire d’une détention est le point de savoir si les circonstances dans lesquelles une personne est détenue sont «raisonnables» et «nécessaires» à tous égards . De surcroît, une détention n’est pas arbitraire s’il est démontré qu’elle est proportionnelle au but recherché. Dans l’affaire A. c. Australie , le Comité a déclaré que la détention des demandeurs d’asile n’était pas arbitraire en soi. Le principal critère permettant de déterminer si la détention à des fins de contrôle de l’immigration est arbitraire est le point de savoir si cette détention est raisonnable, nécessaire, proportionnée, appropriée et justifiable à tous égards. L’État partie fait valoir que le facteur décisif n’est pas la longueur de la détention mais la question de savoir si les motifs de la détention sont justifiables. À tous égards, la détention de l’auteur était nécessaire et raisonnable pour que soient atteints les objectifs de la politique d’immigration de l’Australie et de sa loi sur les migrations.

4.11 L’État partie a constaté que, si les personnes non autorisées ne sont pas détenues, il y a de fortes probabilités qu’elles prennent la fuite et disparaissent dans la clandestinité . On peut raisonnablement penser que, si des personnes sont relâchées dans la société en attendant qu’il soit statué sur leur demande au lieu d’être maintenues en détention, elles seront fortement tentées de ne pas respecter les conditions de leur mise en liberté et de disparaître dans la société pour rester en Australie dans la clandestinité.

4.12 Selon l’État partie, les facteurs liés à la détention de l’auteur montrent que celle ‑ci était justifiable et appropriée et n’était pas arbitraire. L’auteur est arrivé en Australie sans visa valable. Les fonctionnaires de l’immigration étaient tenus de le mettre en détention conformément à l’article 189 (1) de la loi sur les migrations, puisqu’il s’agissait d’un non ‑ressortissant en situation irrégulière. Il a été placé en détention en attendant que sa demande d’asile soit évaluée, étant donné qu’il demeurait un étranger en situation irrégulière. Il est resté en détention pendant qu’il exerçait les voies de recours en vue de faire examiner par d’autres organes et de contester la décision de ne pas lui accorder un visa de protection. L’auteur est libre de quitter l’Australie à tout moment, ce qui lui permettrait d’être remis en liberté.

4.13 L’État partie conclut que la détention de l’auteur est proportionnée aux buts recherchés, à savoir permettre que sa demande de visa de protection et les recours qu’il a formés soient convenablement examinés. Sa détention est également nécessaire dans le cadre de la politique plus large visant à assurer l’intégrité du droit qu’a l’Australie de contrôler les admissions sur son territoire.

4.14 En ce qui concerne le grief formulé par l’auteur au titre du paragraphe 4 de l’article 9, l’État partie considère que, si le motif de sa détention, à savoir le fait qu’il n’ait pas obtenu le statut de réfugié, ne peut faire l’objet d’un examen et d’une décision par un tribunal australien quel qu’il soit, la légalité de cette détention peut être examinée, d’où il résulte que la communication est irrecevable rationae materiae car elle ne contient aucune preuve d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte, ni d’éléments étayant ce grief. L’État partie affirme en outre que, si le paragraphe 4 de l’article 9 garantit aux personnes privées de liberté le droit de demander à un tribunal de statuer sur la légalité de sa détention, l’auteur ne nie pas qu’il pouvait contester la légalité de sa détention, mais il a contesté plutôt la méthode d’examen de la décision défavorable prise au sujet de sa demande de visa de protection. Ce grief n’entre donc pas dans le champ du paragraphe 4 de l’article 9.

4.15 L’auteur a été placé en détention conformément à la loi sur les migrations en tant qu’étranger en situation irrégulière. Le refus d’accorder un visa à l’auteur pourrait être examiné à la fois par des organes administratifs et par des organes judiciaires. Les tribunaux d’examen des recours administratifs en Australie fonctionnent selon une procédure inquisitoire et non contentieuse pour examiner le bien ‑fondé des prétentions d’une personne. Les procédures devant ces tribunaux sont plus rapides, plus efficaces, moins onéreuses et plus informelles que les procédures judiciaires. Un tribunal d’examen des recours examine de nouveau la demande de visa de protection, en prenant en considération tous les éléments dont disposait le premier décideur ainsi que tout élément nouveau ou additionnel. Un tribunal d’examen des recours peut être d’un avis différent et parvenir à des conclusions différentes quant à la crédibilité d’un requérant.

4.16 Lorsqu’un requérant a épuisé le recours administratif, il dispose d’une voie de recours judiciaire pour faire examiner la légalité de la décision de refus du visa ou d’annulation du visa. L’organe judiciaire d’examen du recours n’examine pas le bien ‑fondé de la décision, mais le point de savoir si elle a été prise conformément à la loi. La juridiction judiciaire peut prendre en considération plusieurs points, notamment celui de savoir s’il y a eu un procès équitable, si l’auteur de la décision a correctement interprété et appliqué la loi pertinente et si l’auteur de la décision était impartial. Si l’organe judiciaire constate une erreur de droit de ce type, il renvoie l’affaire à l’auteur de la décision pour qu’il la reconsidère.

4.17 L’État partie note que la décision de ne pas accorder de visa de protection à l’auteur a été abondamment examinée devant le Tribunal des recours administratifs, la Cour fédérale ainsi que devant le Ministre. Comme on l’a noté plus haut, il aurait pu faire appel devant la chambre plénière de la Cour fédérale et devant la High Court . Pour ce qui est du bien ‑fondé de ce grief, l’État partie affirme que la communication ne contient aucune preuve montrant en quoi le système judiciaire n’offre à l’auteur aucun recours.

4.18 Pour ce qui est du grief formulé au titre de l’article 10, l’État partie affirme qu’il doit être déclaré irrecevable car incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte. S’il reconnaît être tenu par une obligation limitée de ne pas exposer l’auteur à une violation de ses droits fondamentaux découlant du Pacte en le renvoyant au Bangladesh, il affirme que l’obligation de non ‑refoulement est limitée aux droits les plus fondamentaux seulement qui touchent l’intégrité physique et mentale de la personne et sont énoncés aux articles 6 et 7 du Pacte. Ayant examiné la jurisprudence du Comité, l’État partie croit comprendre que ce dernier a considéré que cette obligation s’appliquait seulement à la menace d’exécution, en vertu de l’article 6 , et à la menace de tortures et de traitements cruels, inhumains ou dégradants, en vertu de l’article 7, lors du retour. Le Comité n’a pas constaté, semble ‑t ‑il, d’obligation de non ‑refoulement découlant d’articles autres que les articles 6 et 7. L’État partie considère par conséquent que les allégations formulées par l’auteur au titre de l’article 10 devraient être rejetées au motif d’incompatibilité avec les dispositions du Pacte.

Commentaires de l’auteur

5.1 Le 1 er février 2006, l’auteur a envoyé ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il explique qu’il a retiré son appel devant la Cour fédérale en formation plénière parce que son conseil lui a dit qu’un tel appel serait inutile et retarderait l’examen par le Ministre de sa demande de visa pour motif humanitaire au titre de l’article 501J de la loi sur les migrations. Son conseil lui a indiqué qu’il était notoire que la Ministre de l’immigration refusait généralement d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder des visas à titre humanitaire lorsqu’une procédure judiciaire était en cours. Il considère que les initiatives qu’il a prises pour ne plus encourir de frais de justice et accélérer une décision en faisant appel à la seule autorité susceptible de faire cesser sa détention au titre de la législation sur l’immigration étaient bonnes. Il affirme que ces circonstances peuvent être assimilées à des circonstances spéciales qui le dispensent d’épuiser les recours internes disponibles. Il ajoute qu’il aurait fallu demander l’autorisation de renouveler son appel, étant donné que le délai avait expiré, et que son conseil n’avait pu relever une quelconque erreur de droit susceptible de faire aboutir l’appel.

5.2 En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui fait valoir que les griefs invoqués au titre de l’article 7 ne sont pas étayés, l’auteur présente un rapport établi par Amnesty International qui concerne les anciens membres du Sharbahara, et souligne le risque actuel et réel de torture encouru par les anciens membres du Sharbahara, dans le système pénitentiaire bangladais. Enfin, dans son rapport, Amnesty International «se déclare inquiète pour la sécurité des anciens membres du Sharbahara qui sont renvoyés au Bangladesh. Ils pourraient risquer d’être victimes de violations des droits de l’homme de la part de différents acteurs: anciens membres du parti, forces de sécurité, groupes islamiques armés, autres éléments de la communauté.».

5.3 Le conseil fournit des exemplaires des lettres adressées à la Ministre en juillet, octobre et novembre 2005, pour présenter une nouvelle demande d’intervention humanitaire, en vertu de l’article 501J de la loi sur les migrations, en citant le nouveau rapport d’Amnesty International. Elle affirme que l’auteur est en très mauvaise santé sur le plan physique et mental et que, s’il est renvoyé au Bangladesh, il va mourir faute de pouvoir se procurer de l’insuline, car il est diabétique et en a besoin deux fois par jour.

5.4 L’auteur affirme qu’il sera probablement emprisonné s’il est renvoyé au Bangladesh, en tant que demandeur d’asile débouté. Il sera facilement repéré par les fonctionnaires bangladais, argument renforcé par le fait que l’État partie est entré en contact avec le Bangladesh lorsqu’il a cherché à l’expulser en novembre 2004, et par le fait qu’il est un ancien membre du Sharbahara.

5.5 À l’inverse, s’il réussissait à échapper à l’emprisonnement au Bangladesh, outre le danger qui le menacerait s’il était découvert par un membre du Sharbahara, il aurait des difficultés à se procurer les médicaments qui lui sont absolument indispensables en tant que diabétique parce qu’il lui faudrait rester discret afin d’éviter de rencontrer des membres du Sharbahara et parce qu’on ne trouve pas de médicaments à un prix abordable.

5.6 En ce qui concerne les commentaires de l’État partie sur le paragraphe 1 de l’article 9, le conseil note que l’auteur a passé six ans et quatre mois en détention, depuis le début de sa détention en septembre 1999. L’auteur a été atteint de troubles mentaux à cause de sa détention prolongée au titre de la législation sur l’immigration, ce qui fait qu’il a été placé dans un établissement pour malades mentaux à Adélaïde . En janvier 2006, la commission de tutelle ( Guardianship Board ) d’Australie méridionale a confié au défenseur de l’intérêt général ( Public Advocate ) d’Australie méridionale le pouvoir de décider du mode d’hébergement de l’auteur pendant trois ans, du fait qu’en raison de sa maladie mentale, sa santé ou sa sécurité seraient en danger s’il conservait le pouvoir de décider lui ‑même de son degré d’autonomie. Les experts psychiatres ont conclu que la détention prolongée de l’auteur en application de la législation sur l’immigration était à l’origine de ses troubles psychiatriques et ont recommandé qu’il soit autorisé à vivre dans la société pour que sa santé mentale s’améliore.

5.7 L’auteur réaffirme qu’il n’est pas en mesure de faire une demande de visa pour qu’il soit mis un terme à sa détention au titre de la législation sur l’immigration. Le visa d’attente avant l’expulsion (Removal Pending Bridging Visa − RPBV) qui a été introduit récemment nécessite une invitation à présenter une demande émanant du Ministère de l’immigration. La santé mentale de l’auteur s’est aggravée en juin 2005, lorsqu’il a été l’une des très rares personnes en détention de longue durée à ne pas être invitée à faire une telle demande.

5.8 Sur la question du caractère arbitraire de la détention, l’auteur mentionne l’affaire A. c. Australie , dans laquelle le Comité a noté qu’il ne fallait pas donner au mot «arbitraire» le sens de «contraire à la loi» mais qu’il fallait l’interpréter plus largement pour viser notamment ce qui est inapproprié et injuste. Dans le cas cité, le Comité avait conclu que la détention de l’auteur pendant une période de plus de quatre ans était arbitraire.

5.9 L’auteur affirme que l’État partie n’a pas fourni de justification adéquate de sa détention prolongée, notamment pour ce qui est de l’allégation de risque élevé de fuite. L’auteur est à Glenside Campus, à Adélaïde, depuis juillet 2005; il n’y a pas de clôture et les patients pourraient facilement sortir. Malgré la facilité avec laquelle l’auteur aurait pu prendre la fuite, il ne l’a pas fait. Il n’y pas de risques que l’auteur prenne la fuite, parce qu’il veut avoir le droit de rester en Australie. Il affirme que son traitement est particulièrement cruel étant donné que la plupart des autres personnes qui sont restées en détention prolongée ont été mises en liberté, et que l’État partie n’a avancé aucun élément exceptionnel dans son cas pour justifier une détention aussi prolongée.

5.10 En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’article 9, l’auteur mentionne l’affaire Bakhtiyari c. Australi e , et affirme que le contrôle de sa détention par un organe judiciaire se limiterait à une analyse de pure forme de la question de savoir s’il s’agissait bien d’un «non ‑ressortissant» sans visa d’entrée. Il n’existe pas de mécanisme judiciaire pour examiner la justification de la détention de l’auteur quant au fond.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

6.2 En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 9, le Comité note que l’État partie affirme que l’auteur n’a pas étayé son allégation. Le Comité considère que l’auteur, qui a fourni d’abondants détails sur la longueur de sa détention obligatoire en vertu de la législation sur l’immigration et l’effet qu’elle a eu sur sa santé mentale, a suffisamment étayé cette allégation aux fins de la recevabilité.

6.3 L’État partie affirme que le grief de violation du paragraphe 4 de l’article 9 est incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte. Le Comité note que la détention de l’auteur est fondée sur le motif légal qu’il est un étranger (non ‑ressortissant) en situation irrégulière. Il note également que l’auteur a été placé en détention obligatoire en application de la législation sur l’immigration conformément à l’article 189 de la loi sur les migrations, et que sa détention était une conséquence automatique de son statut de non ‑ressortissant en situation irrégulière. Le seul moyen efficace de contester sa détention serait de contester son statut de non ‑ressortissant, c’est ‑à ‑dire le motif pour lequel il était détenu, par opposition à une contestation de la légalité de sa détention. Le Comité conclut que l’allégation de l’auteur entre dans le champ d’application du paragraphe 4 de l’article 9 et la déclare recevable.

6.4 Le Comité a noté que l’État partie conteste la recevabilité du grief au regard de l’article 7 pour non ‑épuisement des recours internes, parce que l’auteur a retiré l’appel formé devant la Cour fédérale en formation plénière, et a noté l’affirmation de l’auteur selon laquelle il ne s’agissait pas d’un recours utile. Le Comité note que dans le cas de l’auteur le recours devant la Cour fédérale en formation plénière n’aurait porté que sur l’octroi d’un visa de protection en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Or ni le Tribunal des recours administratifs ni la Cour fédérale n’a examiné le cas de l’auteur à la lumière des obligations de l’État partie au regard du Pacte et du risque de torture encouru au Bangladesh. En appel, la Cour fédérale en formation plénière aurait examiné l’affaire dans la même perspective, c’est ‑à ‑dire au regard de la Convention de 1951. Le Comité ne considère pas que cet appel aurait constitué un recours utile pour l’auteur relativement à ses griefs au titre de l’article 7.

6.5 Toutefois, le Comité relève également que l’auteur a déposé une demande de visa pour motifs humanitaires, en vertu de l’article 501J de la loi sur les migrations. D’après les renseignements dont le Comité dispose, les «instructions relatives à l’exercice des pouvoirs ministériels en vertu des articles (…) 501J de la loi sur les migrations» énoncent les circonstances dans lesquelles le Ministre peut exercer ses pouvoirs discrétionnaires et remplacer une décision prise par un tribunal d’examen des recours, y compris le Tribunal des recours administratifs, par une décision plus favorable au demandeur du visa. Les facteurs qui doivent être pris en considération sont notamment:

«Les circonstances qui peuvent mettre en jeu les obligations contractées par l’Australie en tant que signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Par exemple:

L’obligation de non ‑refoulement s’impose si la conséquence nécessaire et prévisible de l’expulsion ou de l’éloignement d’Australie est que l’intéressé court un risque réel de subir une violation des droits garantis à l’article 6 (droit à la vie) ou de l’article 7 (droit de ne pas être soumis à la torture et à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) du Pacte, ou d’être exposé à la peine de mort (…);

L’affaire soulève des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte (…).».

À ce jour, la demande de visa pour motifs humanitaires soumise par l’auteur en vertu de l’article 501J de la loi sur les migrations est toujours pendante. Le Comité note que certes le pouvoir du Ministre est discrétionnaire, mais dans les circonstances particulières de l’auteur, qui relèvent de la clause d’exclusion du paragraphe f) de l’article premier de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, on ne peut pas exclure que l’exercice de cette prérogative puisse en principe constituer pour l’auteur un recours utile. Le Comité conclut qu’au stade actuel ce grief est irrecevable. Il considère de plus que le grief de violation de l’article 10, relativement aux conditions de détention de l’auteur au Bangladesh, est lié au grief de violation de l’article 7 et le déclare donc irrecevable en l’état actuel des choses.

6.6 Le Comité décide en conséquence que la communication est recevable dans la mesure où elle soulève des questions au titre des paragraphes 1 et 4 de l’article 9.

Examen au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements qui lui ont été soumis par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 En ce qui concerne le grief formulé par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 9, selon lequel il a été placé en détention arbitraire pour une durée indéfinie, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il ne fallait pas donner au terme «arbitraire» le sens de «contraire à la loi», mais qu’il fallait l’interpréter plus largement pour viser notamment ce qui est inapproprié et injuste. À cet égard, le Comité rappelle que l’importante garantie énoncée à l’article 9 est applicable à tous les cas de privation de liberté, qu’il s’agisse d’infractions pénales ou d’autre cas tels que, par exemple, les maladies mentales, la toxicomanie, les mesures éducatives, le contrôle de l’immigration, etc. . Par conséquent, la détention provisoire doit être considérée comme arbitraire si elle n’est pas nécessaire à tous égards dans les circonstances de l’espèce et proportionnée au but recherché, par exemple, éviter que l’intéressé ne prenne la fuite ou soustraie des preuves . Le Comité rappelle que toute décision de placer une personne en détention doit faire l’objet d’un examen périodique, afin de réévaluer la nécessité de la détention et que la détention ne doit pas se prolonger au ‑delà de la période pour laquelle l’État partie est en mesure d’apporter une justification valable .

7.3 Dans le cas à l’examen, l’État partie a donné comme justification de la détention de l’auteur le fait qu’en pratique les demandeurs d’asile prennent généralement la fuite s’ils ne sont pas maintenus en détention. Le Comité note que l’auteur a été placé dans une institution à cause de ses troubles mentaux, dont il a été constaté qu’ils étaient la conséquence de sa détention prolongée qui, à l’époque, avait duré à peu près six ans. Entre le moment où il a été placé dans un établissement ouvert en juillet 2005 et l’époque actuelle, l’auteur n’a pas tenté de prendre la fuite. L’État partie n’a fourni aucun autre élément, concernant le cas particulier de l’auteur, propre à justifier son maintien en détention pendant une période de plus de sept ans à ce jour. Le fait supplémentaire que l’auteur a été atteint de troubles mentaux pendant cette période aurait dû être un motif suffisant pour que sa détention fasse rapidement l’objet d’un examen au fond. Le Comité conclut par conséquent que la détention obligatoire de l’auteur en vertu de la législation sur l’immigration, pendant une période de plus de sept ans, était arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9.

7.4 En ce qui concerne l’allégation formulée au titre du paragraphe 4 de l’article 9, le Comité note l’affirmation de l’État partie selon laquelle la législation et la pratique ont changé depuis l’examen de l’affaire A. c. Australie , et que le Ministre est maintenant investi d’un pouvoir non délégable et qu’il n’est pas tenu d’exercer concernant de nouveaux motifs de libération. Le Comité accueille avec satisfaction cet amendement, mais regrette que l’auteur n’ait pas fait partie des détenus qui ont été «invités» à faire une demande de visa provisoire avant expulsion (RPBV). Il note en outre que cet amendement ne prévoit pas l’examen par un organe judiciaire des motifs et des circonstances de la détention. Le Comité a pris note de ce que l’État partie n’a pas accepté ses constatations dans l’affaire A. c. Australie . Il considère toutefois que les principes appliqués dans l’affaire en question demeurent applicables au cas à l’examen. En fait, le contrôle exercé par les tribunaux australiens et leur compétence pour ce qui est d’ordonner la libération d’une personne se limitent à déterminer de manière purement formelle si cette personne est un étranger en situation irrégulière, au sens étroit de la loi sur les migrations. Si la personne remplit les critères pour être classée dans cette catégorie, les tribunaux ne sont pas habilités à examiner les raisons de fond de son maintien en détention et à ordonner sa libération. Le Comité rappelle que l’examen par les tribunaux de la légalité de la détention, en application du paragraphe 4 de l’article 9, qui doit impliquer la possibilité d’ordonner la libération de l’intéressé et ne doit pas se limiter à déterminer si la détention est conforme au droit australien pertinent . Le Comité conclut que le droit de faire examiner la légalité de sa détention par un tribunal, conféré à l’auteur par le paragraphe 4 de l’article 9, a été violé.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une réparation sous la forme notamment d’une libération et d’une indemnisation appropriée.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

X. Communication n o 1325/2004, Conde c. Espagne * (Constatations adoptées le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Mario Conde Conde (représenté par un conseil, José Luis Mazón Costa)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

7 janvier 2003 (date de la lettre initiale)

Objet : Aggravation de la condamnation par le tribunal de deuxième instance; étendue de la révision dans un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême espagnol

Questions de procédure : Allégations insuffisamment étayées

Questions de fond : Droit de faire réexaminer par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation

Article du Pacte : 14 (par. 5)

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1325/2004 présentée au nom de M. Mario Conde Conde en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 7 janvier 2003, est Mario Conde Conde, de nationalité espagnole, né en 1948, actuellement incarcéré à la prison d’Alcala ‑Meco de Madrid. Il se déclare victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, José Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1 L’auteur était le Président de la banque Banco Español de Crédito, SA (BANESTO) à l’époque des faits. Au début de l’année 1989, dans l’exercice des pouvoirs conférés par sa charge et sans y avoir été autorisé par le Conseil d’administration de la banque, il a disposé unilatéralement d’un montant de 300 millions de pesetas (1 803 339 euros) à des fins étrangères à la gestion de l’entreprise. Cet incident a été suivi de plusieurs opérations et d’artifices comptables de la part d’entreprises du groupe BANESTO.

2.2 Le 14 novembre 1994, le parquet de l’ Audiencia Nacional a engagé une action pénale contre 10 personnes, dont l’auteur, poursuivi sous huit chefs d’accusation liés à neuf opérations: quatre délits d’appropriation indue, trois délits de détournement de fonds et un délit de faux en écritures de commerce. Aux poursuites déclenchées par le parquet se sont ajoutées 14 actions civiles engagées par des personnes physiques et morales. Le procès a duré deux années au cours desquelles 470 personnes ont comparu en qualité de témoins ou d’experts. Le dossier contenait 53 volumes d’actes d’instruction préliminaires et 121 volumes d’autres pièces.

2.3 Dans un jugement daté du 31 mars 2000, l’ Audiencia Nacional a:

1) Condamné l’auteur, pour appropriation indue dans le cadre de l’opération «Cementeras», à quatre ans et deux mois de prison et au paiement solidaire d’une indemnisation de 1 milliard 556 millions de pesetas (9 353 322 euros) à BANESTO;

2) Condamné l’auteur pour détournement de fonds constituant un délit continu, dans le cadre des opérations «Centro Comercial Concha Espina y Oil Dor SA», à six ans de prison et au paiement solidaire d’une indemnisation de 1 880 016 900 pesetas (11 301 030 euros) à BANESTO;

3) Déclaré l’auteur non coupable du délit d’appropriation indue, dans le cadre de l’opération «Carburos Metálicos»;

4) Déclaré l’auteur non coupable du délit d’appropriation indue pour le retrait de fonds de la caisse de BANESTO (opération appelée «retrait de caisse de 300 millions»). L’ Audiencia a considéré qu’il y avait aussi délit d’appropriation indue, mais qu’il avait été qualifié de délit unique et que, par conséquent, les faits étaient prescrits puisque les cinq ans prévus par la loi pour cette prescription étaient écoulés. En conséquence, la responsabilité pénale de l’intéressé ne pouvait pas être engagée;

5) Déclaré l’auteur non coupable du délit d’appropriation indue et du délit de détournement de fonds dans le cadre de l’opération «Isolux»;

6) Déclaré l’auteur non coupable du délit d’appropriation indue et du délit de détournement de fonds dans le cadre de l’opération «Promociones Hoteleras»;

7) Déclaré l’auteur non coupable du délit de faux documentaire dans le cadre de l’opération «artifices comptables».

2.4 L’auteur s’est pourvu en cassation en soumettant 39 motifs, dont la majorité concernait l’appréciation erronée des preuves administrées et la violation du principe de la présomption d’innocence, l’auteur affirmant qu’il avait été condamné en l’absence de preuves à charge suffisantes. Le ministère public, plusieurs parties civiles (trois personnes morales et six personnes physiques) ont aussi formé de leur côté des recours en cassation.

2.5 En date du 29 juillet 2002, le Tribunal suprême a débouté l’auteur de son recours et a fait partiellement droit au recours du parquet et aux recours des personnes morales et de deux des personnes physiques qui s’étaient portées partie civile. Le Tribunal suprême a confirmé le jugement rendu par l’ Audiencia Nacional , à l’exception des quatrième et septième motifs:

En ce qui concerne le quatrième motif, le Tribunal a requalifié le délit d’appropriation indue pour l’opération de «retrait de caisse de 300 millions» en délit continu, ce qui excluait à son avis la prescription. En conséquence, le Tribunal a condamné l’auteur sous ce chef d’accusation à six ans et un jour (de prison) et au paiement d’une indemnisation de 300 millions de pesetas (1 803 339 euros).

Quant au septième motif, le Tribunal a jugé qu’il y avait délit de faux en écritures de commerce, dans le cadre de l’opération «artifices comptables» et a condamné l’auteur à quatre ans de prison et au paiement d’une amende d’un million de pesetas (6 011 euros).

Le Tribunal a infirmé partiellement la condamnation prononcée contre l’auteur par l’ Audiencia Nacional et a augmenté la peine imposée en première instance, ayant requalifié le délit d’appropriation indue pour l’opération appelée «retrait de caisse de 300 millions» en délit continu, ce qui a supprimé la prescription, et ayant considéré qu’il y avait eu délit de faux en écritures de commerce en relation avec l’opération appelée «artifices comptables».

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur invoque une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, en faisant valoir qu’il n’a pas obtenu une véritable révision de la condamnation prononcée par l’ Audiencia Nacional étant donné que la juridiction supérieure ne peut examiner que des points de droit. Il fait valoir qu’il a été condamné sur le fondement d’une appréciation d’un grand nombre de preuves qui n’ont pas pu être réexaminées devant le Tribunal suprême.

3.2 L’auteur invoque une deuxième violation du paragraphe 5 de l’article 14 du fait qu’il n’a plus aucune possibilité d’obtenir la révision de la déclaration de culpabilité et de l’aggravation de la peine prononcée par le Tribunal suprême. Il fait valoir que, à la différence d’autres États parties, l’Espagne n’a pas émis de réserve à l’égard du paragraphe 5 de l’article 14 tendant à ce que ses dispositions ne soient pas applicables à une condamnation prononcée en premier ressort par une juridiction de deuxième degré. Il ajoute que le Tribunal constitutionnel espagnol a jugé à plusieurs reprises qu’il n’existait aucun droit de recours si la condamnation était prononcée en cassation, ce qui rendrait inutile tout recours en amparo dans la présente affaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Dans une note verbale datée du 3 janvier 2005, l’État partie affirme que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Pacte parce que les recours internes n’ont pas été épuisés. Le recours en cassation formé par l’auteur ne contenait aucune mention du droit de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et n’invoquait pas le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte ni des dispositions de la législation nationale ou d’instruments internationaux équivalents. L’État partie ajoute que l’auteur n’a pas formé de recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel pour invoquer une violation de son droit de faire réexaminer sa condamnation.

4.2 L’État partie fait remarquer que, par rapport à ce qui se passait auparavant, la jurisprudence et la doctrine du Tribunal constitutionnel ont évolué au point que le recours en cassation s’est extraordinairement développé et permet désormais un examen approfondi des faits et des preuves. Il fait remarquer que cette évolution est illustrée précisément par l’arrêt de cassation rendu dans le cas de l’auteur, où sont tranchés un nombre considérable de points de fait soulevés par les recourants qui invoquaient la présomption d’innocence et l’erreur de fait dans l’appréciation des preuves. Il cite un extrait de l’arrêt, dans lequel le Tribunal suprême relève que «(…) les nombreuses parties au procès ont eu la possibilité de présenter plus de 170 motifs de cassation, parmi lesquels figurent fréquemment l’erreur de fait dans l’appréciation de la preuve et par conséquent la nécessité de réexaminer les faits prouvés. Ils invoquent également le principe de la présomption d’innocence pour contester l’appréciation des éléments de preuve, dans sa rationalité et dans son argumentation logique. Il s’ensuit que le recours dépasse les limites rigides et formalistes de la cassation classique et satisfait donc au principe du double degré de juridiction (…)».

4.3 En ce qui concerne la condamnation et l’aggravation de la peine, l’État partie signale que, selon la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, «l’exercice du droit de recours n’est pas compromis même si [le jugement] a été rendu précisément par le Tribunal qui a jugé l’affaire en deuxième instance». Il ajoute que le paragraphe 5 de l’article 14 ne peut pas être interprété comme empêchant l’accusation de faire recours. D’après l’État partie, le fait que plusieurs États parties aient formulé des déclarations au sujet du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte afin d’exclure son application dans les cas d’aggravation de la peine ne signifie pas que la disposition en question fasse obstacle à l’aggravation.

4.4 L’État partie ajoute que l’auteur s’est limité à invoquer une violation du paragraphe 5 de l’article 14 alors que, s’ils étaient confirmés, les faits tels qu’il les décrit comporteraient une violation de nombreux autres articles du Pacte, ce qui conduit à s’interroger sur le véritable objectif de la communication.

4.5 Dans une note verbale datée du 10 janvier 2006, l’État partie réaffirme qu’en cassation l’auteur n’a pas soulevé le grief de violation du droit de recours et qu’il n’a pas non plus formé de recours en amparo , qui lui aurait permis d’avancer ce grief.

4.6 L’État partie insiste également sur le fait qu’en Espagne l’interprétation du recours en cassation par le Tribunal constitutionnel a évolué et le recours a été étendu au point qu’aujourd’hui il peut consister en une révision approfondie des faits et des preuves.

4.7 L’État partie réaffirme que la plainte de l’auteur est limitée à un grief de violation du paragraphe 5 de l’article 14 mais que les allégations portées dans la communication supposeraient la violation d’un nombre considérable d’articles du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond de la communication

5.1 En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur rappelle la décision du Comité dans l’affaire Pérez Escolar c. Espagne (communication n o 1156/2003) portant sur le même procès que le sien; le Comité avait déclaré la communication recevable du fait que le recours en amparo n’était pas considéré comme un recours utile ou effectif.

5.2 L’auteur réaffirme que les limites du recours en cassation en Espagne ont empêché l’étude de la question de la crédibilité des témoignages et le réexamen des preuves documentaires qui, d’après lui, étaient contradictoires et sur le fondement desquelles il a été condamné.

5.3 L’auteur affirme que pour les opérations appelées «artifices comptables» et «retrait de caisse de 300 millions» il avait été acquitté en première instance et s’est retrouvé condamné en deuxième instance à un emprisonnement de quatre ans et de six ans et au versement d’une somme de 300 millions de pesetas respectivement. Il affirme qu’il n’y a eu aucune possibilité de recours contre l’aggravation de la condamnation prononcée en deuxième instance. Il rappelle que dans sa décision relative à l’affaire Gomariz c. Espagne (communication n o 1095/2002) le Comité avait considéré que l’absence de recours pour faire réexaminer une condamnation prononcée pour la première fois en appel, sans possibilité de révision, était contraire au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance international e d’enquête ou de règlement.

6.3 Le Comité prend note des objections de l’État partie qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés parce que les questions soulevées devant le Comité n’ont jamais été soumises aux juridictions nationales. Toutefois, le Comité rappelle sa jurisprudence constante et réaffirme qu’il l’y a lieu d’épuiser uniquement les recours qui ont une chance raisonnable d’aboutir . Le recours en amparo n’avait aucune chance d’aboutir relativement aux griefs de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et le Comité considère en conséquence que les recours internes ont bien été épuisés.

6.4 L’auteur invoque une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte étant donné que les preuves qui ont été déterminantes pour sa condamnation n’ont pas été réexaminées par une juridiction supérieure, en raison de la portée limitée du recours en cassation en Espagne. Toutefois, le Comité relève qu’il ressort du jugement du Tribunal suprême que celui ‑ci a examiné de façon approfondie et minutieuse l’appréciation des preuves telle qu’elle avait été effectuée par le tribunal de première instance relativement aux faits qui étaient reprochés à l’auteur et que précisément il a eu un avis différent en partie de l’appréciation de l’ Audiencia Nacional en ce qui concerne deux des chefs d’inculpation. De l’avis du Comité, le grief de violation du paragraphe 5 de l’article 14 pour ce motif n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 Le Comité estime que le grief de l’auteur concernant la déclaration de culpabilité et l’aggravation de la peine en deuxième instance, sans possibilité de réexamen par une juridiction supérieure, soulève des questions au regard du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et déclare cette partie de la communication recevable.

Examen au fond

7.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2 Le Comité prend note des griefs de l’auteur qui affirme que le fait d’avoir été déclaré coupable en cassation de deux chefs d’accusation pour lesquels il avait été acquitté en première instance, et l’aggravation de sa peine qui en est résultée n’ont pas pu être réexaminés par une juridiction supérieure. Il rappelle que l’absence de possibilité de faire réexaminer par une juridiction supérieure la condamnation prononcée par une juridiction d’appel, alors que l’intéressé a été acquitté par une juridiction inférieure, constitue une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte . Le Comité relève que dans la présente affaire le Tribunal suprême a condamné l’auteur pour un délit de faux en écritures de commerce, chef dont il avait été acquitté en première instance, et a requalifié le délit d’appropriation indue en délit continu, ce qui fait qu’il n’y avait plus prescription. Sur le fondement de ces considérations, le Tribunal a partiellement cassé le jugement rendu en première instance et a alourdi la peine sans possibilité pour l’auteur de faire réexaminer le verdict de condamnation et la peine par une juridiction supérieure, conformément à la loi. Le Comité considère que les faits dont il est saisi constituent une violation du paragraphe 5 de l’article 14.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

9. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur un recours utile sous la forme du réexamen du verdict de condamnation et de la peine par une juridiction supérieure. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

Y. Communication n o 1327/2004, Grioua c. Algérie * (Constatations adoptées le 10 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Messaouda Grioua, née Atamna (représentée par un conseil, Nassera Dutour)

Au nom de :

Mohamed Grioua (fils de l’auteur) et Messaouda Atamna, épouse Grioua

État partie :

Algérie

Date de la communication :

7 octobre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Disparition; détention au secret

Questions de procédure : Néant

Questions de fond : Interdiction de la torture et des traitements et peines cruels, inhumains et dégradants; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; arrestation et détention arbitraires; respect de la dignité inhérente à la personne humaine; droit à la reconnaissance juridique de sa personnalité

Articles du Pacte : 2 (par. 3), 7, 9, 16

Article du Protocole facultatif : 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte i n ternational relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 10 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1327/2004, présentée au nom de Mohamed Grioua (fils de l’auteur) et Messaouda Atamna, épouse Grioua (l’auteur) en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été commun i quées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication, datée du 7 octobre 2004, est M me Messaouda Atamna, épouse Grioua, agissant en son nom et au nom de son fils Mohamed Grioua, né le 17 octobre 1966, de nationalité algérienne. L’auteur indique que son fils est victime de violations par l’Algérie des articles 2, paragraphe 3, 7, 9 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte), et qu’elle est elle ‑même victime de violations par l’Algérie des articles 2, paragraphe 3, et 7 du Pacte. Elle est représentée par un conseil, Nassera Dutour, porte ‑parole du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989.

1.2 Le 11 juillet et le 23 août 2005, le conseil a demandé des mesures provisoires de protection dans le contexte de l’élaboration par l’État partie du projet de Charte pour la paix et la réconciliation nationale , qui a été soumis à référendum le 29 septembre 2005. De l’avis du conseil, en effet, le projet de loi risquait de causer un préjudice irréparable pour les victimes de disparition, mettant en danger les personnes qui sont toujours disparues; il risquait aussi de compromettre l’application pour les victimes d’un recours utile et de rendre sans effet les constatations du Comité des droits de l’homme. Le conseil a donc demandé que le Comité invite l’État partie à suspendre le référendum jusqu’à ce que le Comité ait rendu ses constatations dans trois affaires (dont l’affaire Grioua ). La demande de mesures provisoires de protection a été transmise à l’État partie le 27 juillet 2005 pour observations; aucune réponse n’a été reçue.

1.3 Le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a prié l’État partie, en date du 23 septembre 2005, de ne pas invoquer contre des personnes qui ont soumis, ou qui soumettraient, des communications au Comité les dispositions de la loi affirmant «que nul, en Algérie ou à l’étranger, n’est habilité à utiliser ou à instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de tous ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international» et rejetant «toute allégation visant à faire endosser par l’État la responsabilité d’un phénomène délibéré de disparition. Il considère que les actes répréhensibles d’agents de l’État qui ont été sanctionnés par la justice chaque fois qu’ils ont été établis, ne sauraient servir de prétexte pour jeter le discrédit sur l’ensemble des forces de l’ordre qui ont accompli leur devoir, avec l’appui des citoyens et au service de la patrie.».

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur indique que le 16 mai 1996, de 5 h 30 à 14 heures, les «forces combinées» (police, gendarmerie, armée) ont encerclé avec des hommes en uniforme et des véhicules officiels le grand quartier de «El Merdja» (situé à Baraki, banlieue Est d’Alger) et ont procédé à une vaste opération de ratissage au terme de laquelle une dizaine de personnes ont été arrêtées. À 8 heures, des militaires de l’Armée nationale populaire, vêtus de l’uniforme des parachutistes, se présentent à la porte du domicile de la famille Grioua. Ils entrent et procèdent à une fouille complète et sans mandat de la maison. Ne trouvant rien, les militaires arrêtent le fils de l’auteur en présence de la famille et déclarent à ses parents, dont l’auteur, que son fils est arrêté pour les besoins d’une enquête, sans présenter un mandat légal d’amener ou d’arrestation.

2.2 L’auteur indique qu’elle s’est lancée à la poursuite des militaires qui ont emmené son fils, et les a suivis alors qu’ils se dirigeaient vers le domicile de ses voisins, la famille Chihoub. Elle y a assisté à l’arrestation par les militaires de Djamel Chihoub, à son tour emmené avec son fils par les militaires. Toujours devant l’auteur, les militaires se sont dirigés vers le domicile de la famille Boufertella et y ont arrêté leur fils Fouad Boufertella. Enfin, les militaires (et leurs trois prisonniers) ont pénétré au domicile de la famille Kimouche, et une nouvelle fois ont arrêté le fils de la famille, Mourad Kimouche. L’auteur fournit des témoignages de plusieurs personnes qui ont formellement reconnu avoir assisté aux événements du 16 mai 1996, à l’arrestation du fils de l’auteur par des militaires, à son domicile, et avoir vu le fils de l’auteur être emmené par ceux ‑ci dans des véhicules de l’armée. D’après l’auteur, ces témoignages confirment les circonstances de l’arrestation de son fils.

2.3 Les militaires ont menotté les prisonniers deux par deux, et à 11 heures les ont emmenés en véhicule de fonction vers le Collège d’enseignement moyen («CEM») Ibn Taymia, situé à l’entrée du quartier de Baraki et qui avait été réquisitionné comme centre de commandement. L’ensemble des personnes arrêtées ce jour ‑là ont été amenées au CEM Ibn Taymia où les forces combinées ont procédé à des vérifications d’identité. Certaines personnes ont été relâchées immédiatement, d’autres amenées à la gendarmerie de Baraki, à la caserne militaire de Baraki ou au commissariat de police des Eucalyptus, dans un quartier proche de Baraki.

2.4 L’auteur indique que, dès 10 heures ce jour ‑là, elle a entamé les recherches et s’est rendue à la gendarmerie de Baraki. Les gendarmes lui ont affirmé que les personnes arrêtées en sa présence et qu’elle a elle ‑même identifiées n’ont pas été ramenées au poste de gendarmerie. Ils lui ont conseillé d’essayer le commissariat de police de Baraki, où les policiers lui ont déclaré qu’ils n’ont arrêté personne mais qu’elle devait aller à la caserne de Baraki où ils ont affirmé que son fils se trouvait. À la caserne militaire de Baraki, les militaires lui ont conseillé de plutôt aller le chercher au commissariat de police. De retour au commissariat, les policiers lui ont répété que son fils se trouve bien à la caserne et que les militaires lui ont menti. L’auteur ne cessera ses recherches que le soir venu.

2.5 Le lendemain, 17 mai 1996, l’auteur a repris ses recherches, et de nouveau les gendarmes, policiers et militaires n’ont cessé de la renvoyer d’un lieu à un autre. Depuis ce jour, l’auteur n’a jamais cessé d’effectuer des démarches pour retrouver son fils. Elle s’est rendue plusieurs fois à la caserne, et à chaque visite les militaires l’ont accueillie avec les mêmes réponses vagues. L’auteur continue de se heurter au mutisme constant des autorités qui refusent de donner des informations sur la détention de son fils.

2.6 Le jour même du ratissage, Fouad Boufertella a été relâché vers 19 heures, blessé à l’œil et au pied. Il a témoigné à l’auteur qu’il avait été libéré de la caserne de Baraki et a affirmé que le fils de l’auteur ainsi que les autres personnes arrêtées avec lui (Mourad Kimouche et Djamel Chihoub), étaient détenus avec lui. Il a témoigné que ces prisonniers, ainsi que lui ‑même, ont été torturés tour à tour, pendant dix minutes. Il a raconté avoir vu Djamel Chihoub torturé à l’électricité, et a entendu leurs tortionnaires déclarer qu’ils réservaient les tortures au fils de l’auteur pour la nuit.

2.7 L’auteur indique qu’elle a déposé plusieurs plaintes, dont la première un mois à peine après la disparition de son fils, auprès de différents tribunaux . La plupart sont restées sans suite . Le dossier fut rejeté par le tribunal d’El Harrach pour incompétence le 29 octobre 1996, et le Procureur général près la Cour d’Alger répondit le 21 janvier 1997 que «j’ai le regret de vous informer que les recherches menées pour le retrouver n’ont abouti à aucun résultat, et que dans le cas où nous le retrouverions, nous vous tiendrons au courant immédiatement». Une ordonnance de non ‑lieu a été rendue le 23 novembre 1997 par le juge d’instruction du tribunal d’El Harrach dans les affaires Grioua n os 586/97 et 245/97 . Le dossier n o 836/98 a été transféré à la Cour d’Alger le 4 avril 1998, et une ordonnance de non ‑lieu a finalement été rendue le 28 juin 1999 par le juge d’instruction près le tribunal d’El Harrach dans l’affaire n o 854/99, dont l’auteur a interjeté appel le 18 juillet 1999 devant la cour d’appel d’Alger. La chambre d’accusation de la Cour d’Alger saisie de l’appel a débouté l’auteur de sa requête pour vice de forme par décision du 17 août 1999. Le 4 septembre 1999, un pourvoi en cassation a été formé dans le délai légal par l’auteur, toujours dans l’affaire n o 854/99, mais il n’a été transmis au département des cassations de la Cour d’Alger que le 20 juillet 2002, et à la Cour suprême d’Alger le 4 août 2002. À ce jour, la Cour suprême n’a toujours pas rendu une décision.

2.8 Sur les recours internes, l’auteur rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle seuls les recours efficaces, utiles et disponibles doivent être épuisés et que, dans le cas d’espèce, du fait de la violation des droits fondamentaux du fils de l’auteur, seuls les recours judiciaires sont à épuiser . Elle souligne le délai anormalement long qui s’est écoulé entre la date du pourvoi formé par l’auteur et sa transmission à la Cour suprême d’Alger (presque trois ans). Dans ce laps de temps, l’auteur a envoyé un télégramme le 21 mai 2000 à la Cour suprême, s’enquérant de l’avancement de la procédure. Le pourvoi est toujours devant la Cour suprême, le délai de transfert ayant considérablement retardé l’étude de la requête en renvoyant la décision à une date incertaine. En conséquence, d’après le conseil, le retard pris dans la procédure judiciaire excède le délai «raisonnable» au sens de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif et la condition d’épuisement des recours internes ne s’applique plus pour l’examen du dossier du fils de l’auteur par le Comité. De plus, toutes les procédures entamées par l’auteur depuis huit ans se sont révélées vaines. Les instances judiciaires algériennes, malgré les nombreux éléments présents dans le dossier sur la disparition du fils de l’auteur et l’existence de plusieurs témoignages concordants, n’ont pas fait preuve de la diligence nécessaire pour faire la lumière sur le sort du fils de l’auteur ou d’identifier, d’arrêter et de juger les responsables de cet enlèvement. Dans ces conditions, les recours internes disponibles sur le plan judiciaire doivent être considérés comme ayant été épuisés.

2.9 Sur la question des recours administratifs, l’exposé des démarches permet de démontrer l’absence de volonté de l’État partie d’aider les familles dans leurs recherches, ainsi que les nombreuses incohérences qui se révèlent souvent dans le traitement du dossier des disparus par les différentes autorités émanant de l’État. L’auteur a adressé des plaintes par lettres recommandées avec accusé de réception aux plus hautes instances étatiques : le Président de la République, le Premier Ministre, le Ministre de la justice, le Ministre de l’intérieur, le Ministre de la défense nationale, le Médiateur de la République, le Président de l’Observatoire national des droits de l’homme, puis au Président de la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l’homme qui a remplacé l’Observatoire en 2001. Trois réponses ont été adressées à l’auteur par l’Observatoire. Le 17 septembre 1997, l’Observatoire indique qu’«après les démarches entreprises par l’Observatoire et selon les informations que nous avons reçues de la Direction générale de la sûreté nationale DGSN, le concerné est sujet à des poursuites suite à un mandat de dépôt n o 996/96 adressé par le juge d’instruction». Le 27 janvier 1999, il indique qu’il «a pris contact à son tour avec les services de sécurité concernés. L’Observatoire vous promet de vous transmettre tous les nouveaux éléments de l’enquête qui nous parviendront.». Enfin, le 5 juin 1999, il confirme qu’«après les démarches entreprises par l’Observatoire et sur la base des informations qui nous sont parvenues des services de sécurité, nous vous affirmons que le concerné est recherché par ces services et fait l’objet d’un mandat d’arrêt n o 996/96 délivré par le tribunal d’El Harrach territorialement compétent». Cependant, les seules autorités militaires et judiciaires en mesure de communiquer de telles informations à l’Observatoire n’ont jamais reconnu que le fils de l’auteur faisait l’objet d’une poursuite judiciaire. Enfin, le dossier de disparition a été enregistré auprès du Bureau d’accueil des familles le 11 novembre 1998.

2.10 L’auteur signale que l’affaire a été soumise au Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires le 19 octobre 1998. Cependant, le conseil se réfère à la jurisprudence du Comité qui considère que «les procédures ou mécanismes extraconventionnels mis en place par la Commission des droits de l’homme ou le Conseil économique et social des Nations Unies et dont les mandats consistent à examiner et à faire rapport publiquement sur la situation des droits de l’homme dans tel ou tel pays ou territoire ou sur des phénomènes de grande ampleur de violations des droits de l’homme dans le monde, ne relevaient pas, comme l’État partie devrait le savoir, d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif» . Enfin, le conseil souligne que le cas du fils de l’auteur n’est pas unique en Algérie. Plus de 7 000 familles sont à la recherche de parents disparus pour la plupart dans les locaux de la police, la gendarmerie et l’armée algérienne. Aucune enquête sérieuse n’a été menée pour condamner les auteurs de ces disparitions. À ce jour, la plupart des auteurs connus et reconnus par des témoins ou des familles jouissent de l’impunité totale, et tous les recours administratifs et judiciaires ont été vains.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir que les faits tels que présentés font apparaître des violations de l’article 2, paragraphe 3, et de l’article 7 pour l’auteur et le fils de l’auteur, et des articles 2, paragraphe 3, 9 et 16 du Pacte pour le fils de l’auteur.

3.2 Quant aux allégations relatives à l’article 7, s’agissant du fils de l’auteur, les circonstances entourant sa disparition et le secret total sur sa très probable détention sont des éléments reconnus par la Commission des droits de l’homme comme constituant par eux ‑mêmes une forme de traitement inhumain ou dégradant. Le Comité a également reconnu que le fait d’être victime d’une disparition forcée peut être qualifié de traitement inhumain ou dégradant à l’égard de la victime . S’agissant de l’auteur, tous les jours et malgré son âge (65 ans) et ses difficultés pour se déplacer, elle poursuit ses recherches. Le doute permanent qui pèse sur le sort de son fils l’a plongée dans la douleur. L’incertitude et le refus des autorités de communiquer des informations est une source de souffrance profonde et continue. Le Comité a reconnu que la disparition d’un proche constitue pour la famille une violation de l’article 7 du Pacte .

3.3 Quant à l’article 9, le fils de l’auteur a été arrêté le 16 mai 1996 et n’a plus été revu par sa famille. Son arrestation n’a pas été légalement motivée et sa détention n’a pas été mentionnée dans les registres de garde à vue. Il n’existe aucune trace officielle de sa localisation ou de son sort. Le fait que la détention du fils de l’auteur n’ait pas été reconnue, que celle ‑ci ait été totalement dépourvue des garanties prescrites par l’article 9, que les enquêtes aient manqué du caractère effectif et efficace requis en ces circonstances, et que les autorités officielles persistent à dissimuler le sort qui lui est réservé, signifie que celui ‑ci a été arbitrairement privé de sa liberté, ainsi que de la protection qu’offrent les garanties énoncées à l’article 9. La jurisprudence du Comité retient que toute détention non reconnue d’un individu constitue une violation de l’article 9 du Pacte . Dans les circonstances, la violation de l’article 9 est suffisamment grave et caractérisée pour que les autorités aient à en répondre.

3.4 Quant à l’article 16, il consacre le droit de toute personne à être reconnue comme le titulaire de droits et d’obligations. La disparition forcée est par essence une négation de ce droit dans la mesure où le refus de la part des auteurs de la disparition de révéler le sort réservé au disparu, ou l’endroit où il se trouve, ou encore d’admettre qu’il soit privé de liberté le soustrait à la protection de la loi . De plus, dans ses observations finales sur le deuxième rapport périodique de l’État partie, le Comité a reconnu que les disparitions forcées pouvaient mettre en cause le droit garanti à l’article 16 du Pacte .

3.5 Quant à l’article 2, paragraphe 3, du Pacte, la détention du fils de l’auteur n’a pas été reconnue et il a de ce fait été privé de son droit légitime d’exercer un recours utile à sa détention arbitraire. L’auteur a exercé quant à elle tous les recours dont elle disposait. Cependant, elle s’est constamment heurtée à la non ‑reconnaissance, par les autorités, de l’arrestation et de la détention de son fils. L’État partie avait l’obligation de garantir les droits du fils de l’auteur, et la négation de l’implication des services de sécurité dans la disparition forcée ne saurait être une réponse acceptable et suffisante pour le règlement du cas de disparition forcée du fils de l’auteur. De plus, selon l’Observation générale n o 31 (80) du Comité, les États parties ne pourront pleinement s’acquitter de leurs obligations positives, visées au paragraphe 3, que si les individus sont protégés par l’État non seulement contre les violations de ces droits par ses agents, mais aussi contre des actes commis par des personnes privées, physiques ou morales, qui entraveraient l’exercice des droits énoncés dans le Pacte. Dans ces circonstances, il peut arriver qu’un manquement à l’obligation énoncée à l’article 2 se traduise par une violation si l’État partie tolère de tels actes ou s’abstient de prendre des mesures appropriées ou d’exercer la diligence nécessaire pour prévenir et punir de tels actes commis par des personnes privées.

3.6 L’auteur demande au Comité de constater que l’État partie a violé les articles 2, paragraphe 3, 7, 9 et 16, de prier l’État partie d’ordonner des enquêtes indépendantes en urgence en vue de retrouver le fils de l’auteur, et de déférer les auteurs de la disparition forcée devant les autorités civiles compétentes pour faire l’objet de poursuites, et d’offrir une réparation adéquate.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Le 28 août 2005, l’État partie informe que les recherches effectuées par le greffe près la Cour suprême n’ont pas permis de localiser le dossier Grioua. En conséquence, l’État partie demande de plus amples indications, notamment le numéro de l’accusé de réception du dépôt du dossier au niveau de la Cour suprême. Compte tenu du nombre important des cas en instance, des précisions aideraient à faire la lumière sur le cas transmis.

4.2 Par note verbale du 9 janvier 2006, l’État partie indique que l’affaire Grioua a été portée à la connaissance des services de police à l’occasion d’une plainte déposée par son frère Grioua Saad du chef d’enlèvement, commis le 16 mai 1996, selon ses dires, «par des personnes inconnues». Sur réquisitoire introductif du Procureur de la République d’El Harrach (Alger), le juge d’instruction de la troisième chambre a été saisi du chef d’enlèvement, fait prévu et réprimé par l’article 291 du Code pénal. Après plusieurs mois d’investigations et n’ayant pas abouti à l’identification de l’auteur de l’enlèvement présumé, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non ‑lieu le 23 novembre 1997. Sur appel devant la chambre d’accusation de la Cour d’Alger, celle ‑ci a rendu un arrêt le 17 août 1999 rejetant en la forme cet appel, comme violant les dispositions du Code de procédure pénale, relatives à l’appel des ordonnances du juge d’instruction. Sur pourvoi en cassation, la Cour suprême a rendu un arrêt par lequel elle rejette ce pourvoi.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5. Le 24 février 2006, le conseil relève que l’État partie ne fait que retracer la procédure judiciaire, et ne répond pas sur le fond, que ce soit pour dénier ou pour reconnaître sa responsabilité dans la disparition forcée du fils de l’auteur. La jurisprudence du Comité fait peser sur l’État partie la charge de fournir des éléments afin de contredire les allégations de l’auteur d’une communication: le déni explicite ou implicite ne saurait profiter à l’État partie . Sur le plan procédural, le conseil rappelle que tous les recours effectifs en l’espèce ont été épuisés, ainsi que le délai entre la date du pourvoi formé par l’auteur et sa transmission à la Cour suprême.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité note que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 Sur la question de l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie ne fait pas de commentaires sur la recevabilité de la communication. Il relève que l’auteur affirme avoir déposé de nombreuses plaintes depuis 1996, qui ont abouti à une ordonnance de non ‑lieu, confirmée en appel, et ce d’après l’auteur malgré les nombreux éléments présents dans le dossier sur la disparition de son fils et l’existence de plusieurs témoignages concordants. Le Comité considère également que l’application des recours internes a été excessivement longue pour les autres plaintes présentées à répétition et avec insistance par l’auteur depuis 1996. Il estime donc que l’auteur a satisfait aux exigences du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4 En ce qui concerne la question des plaintes portées au titre des articles 7 et 9 du Pacte, le Comité relève que l’auteur a présenté des allégations précises sur la disparition de son fils et sur les mauvais traitements qu’il aurait subis. L’État partie n’a pas répondu à ces allégations. Le Comité considère en l’espèce que les éléments présentés par l’auteur sont suffisants pour étayer les plaintes portées en vertu des articles 7 et 9, aux fins de la recevabilité. Pour ce qui est du grief de violation de l’article 2, paragraphe 3, le Comité considère que cette allégation est également suffisamment fondée aux fins de la recevabilité.

6.5 Concernant les griefs au titre de l’article 16, le Comité considère que la question de savoir si et dans quelles circonstances une disparition forcée peut revenir au refus de reconnaissance de la personnalité juridique de la victime de tels actes, est étroitement liée aux faits de ce cas. Par conséquent, il conclut que de tels griefs sont traités de manière plus appropriée au stade de l’examen sur le fond des communications.

6.6 Le Comité conclut que la communication est recevable au titre du paragraphe 3 de l’article 2, et des articles 7, 9 et 16 du Pacte, et procède à leur examen sur le fond.

Examen au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Le Comité rappelle la définition des «disparitions forcées» figurant au paragraphe 2 i) de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale: par «disparitions forcées», on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée. Tout acte conduisant à une disparition de ce type constitue une violation d’un grand nombre de droits consacrés dans le Pacte, notamment le droit à la liberté et à la sécurité de la personne (art. 9), le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 7) et le droit de toute personne privée de liberté d’être traitée avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne (art. 10). Il viole également le droit à la vie ou représente une grave menace pour ce droit (art. 6) . Dans le cas présent, l’auteur a invoqué l’article 7, l’article 9 et l’article 16.

7.3 En ce qui concerne le grief de disparition avancé par l’auteur, le Comité relève que l’auteur et l’État partie ont donné des versions différentes des faits. L’auteur affirme que son fils a été arrêté le 16 mai 1996 par des agents de l’État et a disparu depuis cette date, et d’après l’Observatoire national des droits de l’homme, le fils de l’auteur est recherché et fait l’objet d’un mandat d’arrêt n o 996/96 délivré par le tribunal d’El Harrach. Il note que l’État partie indique que le juge d’instruction a été saisi du chef d’enlèvement et, après investigations, n’ayant pas abouti à l’identification de l’auteur de l’enlèvement présumé, il a rendu une ordonnance de non ‑lieu.

7.4 Le Comité réaffirme que la charge de la preuve ne peut pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où l’auteur a communiqué à l’État partie des allégations corroborées par des témoignages sérieux et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité estime ces allégations suffisamment fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes. Dans la présente affaire, le Comité a reçu des témoignages d’individus qui ont assisté à l’arrestation du fils de l’auteur par des agents de l’État partie. Le conseil a informé le Comité qu’une des personnes arrêtées en même temps que le fils de l’auteur, en détention avec lui puis remis en liberté, a témoigné au sujet de leur détention et du traitement qu’ils ont subi.

7.5 Pour ce qui est du grief de violation de l’article 9, les informations dont le Comité est saisi montrent que le fils de l’auteur a été emmené par des agents de l’État venus le chercher chez lui. L’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur qui affirme que l’arrestation et la détention de son fils ont été arbitraires ou illégales et qu’il n’est pas réapparu depuis le 16 mai 1996. Dans ces circonstances, il convient d’accorder toute l’attention qu’elles méritent aux informations fournies par l’auteur. Le Comité rappelle que la détention au secret en soi peut constituer une violation de l’article 9 et prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que son fils a été arrêté et détenu au secret à partir du 16 mai 1996, sans avoir la possibilité de voir un avocat ni de contester la légalité de sa détention. En l’absence d’explications suffisantes de l’État partie sur ce point, le Comité conclut à une violation de l’article 9.

7.6 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 7 du Pacte, le Comité reconnaît la souffrance que représente une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéterminée. Il rappelle son Observation générale n o 20 [44] relative à l’article 7 dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions interdisant la détention au secret. Dans ces circonstances, le Comité conclut que la disparition du fils de l’auteur, l’empêchant de communiquer avec sa famille et avec le monde extérieur, constitue une violation de l’article 7 du Pacte . De plus, les circonstances entourant la disparition du fils de l’auteur et le témoignage attestant qu’il a été torturé, donnent fortement à penser qu’il a été soumis à un tel traitement. Le Comité n’a reçu de l’État partie aucun élément permettant de lever cette présomption ou de la contredire. Le Comité conclut que le traitement auquel a été soumis le fils de l’auteur constitue une violation de l’article 7 .

7.7 Le Comité relève aussi l’angoisse et la détresse que la disparition de son fils a causées à l’auteur ainsi que l’incertitude dans laquelle elle continue d’être au sujet de son sort. Il est donc d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteur elle ‑même .

7.8 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 16, la question se pose si, et dans quelles circonstances, une disparition forcée peut revenir à refuser de reconnaître la personnalité juridique de la victime. Le Comité observe que l’enlèvement intentionnel d’une personne de la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance d’une personne devant la loi si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition et, en même temps, si les efforts de ses proches d’avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les cours de justice (par. 3 de l’article 2 du Pacte) sont systématiquement empêchés. Dans de telles situations, les personnes disparues sont, dans les faits, privées de leur capacité d’exercer leurs droits garantis par la loi, notamment tous leurs autres droits garantis par le Pacte, et d’accéder à un quelconque recours possible en conséquence directe du comportement de l’État qui doit être interprété comme le refus de la reconnaissance de la personnalité juridique de telles victimes. Le Comité prend note que, selon l’article premier, alinéa 2, de la Déclaration sur la protection de toutes personnes contre les disparitions forcées , la disparition forcée constitue une violation des règles du droit international, notamment celles qui garantissent à chacun le droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique. De plus, il rappelle que le paragraphe 2 i) de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale reconnaît que «l’intention de soustraire [les personnes] à la protection de la loi pendant une période prolongée» est un élément essentiel de la définition des disparitions forcées. Enfin, l’article 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées mentionne que la disparition forcée soustrait la personne concernée à la protection de la loi.

7.9 Dans le cas présent, l’auteur indique que son fils a été arrêté en compagnie d’autres personnes par des membres de l’Armée nationale populaire le 16 mai 1996. Après un contrôle d’identité, il aurait été emmené à la caserne militaire de Baraki. Aucune nouvelle n’a été reçue de lui depuis ce jour. Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté ces faits, ni mené une enquête sur le sort du fils de l’auteur, ni fourni un quelconque recours utile à l’auteur. Il considère que, quand une personne est arrêtée par les autorités, qu’aucune nouvelle n’est ensuite reçue sur son sort et qu’aucune enquête n’est menée, ce manquement de la part des autorités revient à soustraire la personne disparue à la protection de la loi. Par conséquent, le Comité conclut que les faits dont il est saisi dans la présente communication font apparaître une violation de l’article 16 du Pacte.

7.10 L’auteur a invoqué le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte qui fait aux États parties obligation de garantir à tous les individus des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir ces droits. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits en droit interne. Il rappelle son Observation générale n o 31 (80) , qui indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, les renseignements dont le Comité dispose montrent que ni l’auteur ni son fils n’ont eu accès à un recours utile et le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7, l’article 9 et l’article 16 pour le fils de l’auteur; et une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte pour l’auteur elle ‑même.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie de l’article 7, l’article 9 et l’article 16 du Pacte, et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 7, 9 et 16 à l’égard du fils de l’auteur, et de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7, à l’égard de l’auteur elle ‑même.

9. Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, consistant notamment à mener une enquête approfondie et diligente sur la disparition et le sort de son fils, à remettre celui ‑ci immédiatement en liberté s’il est encore en vie, à informer comme il convient sur les résultats de ses enquêtes et d’assurer que l’auteur et sa famille obtiennent une réparation appropriée, y compris sous forme d’indemnisation. Bien que le Pacte ne prévoit pas le droit pour un particulier de demander qu’un État poursuive pénalement une autre personne , le Comité estime néanmoins que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme, en particulier lorsqu’il s’agit de disparitions forcées et d’atteintes au droit à la vie, mais aussi d’engager des poursuites pénales contre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder au jugement et de prononcer une peine. L’État partie est donc également tenu d’engager des poursuites pénales contre les personnes tenues responsables de ces violations, de les juger et de les punir. L’État partie est d’autre part tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir. Le Comité rappelle en outre la demande du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, en date du 23 septembre 2005 (voir par. 1.3) et réitère que l’État partie ne devrait pas invoquer les dispositions de la loi de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, contre des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou ont soumis, ou qui soumettraient, des communications au Comité.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en français (version originale), en espagnol et en anglais. Le texte est traduit aussi en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

Z. Communication n o 1328/2004, Kimouche c. Algérie * (Constatations adoptées le 10 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Messaouda Kimouche, née Cheraitia, et Mokhtar Kimouche (représentés par un conseil, Nassera Dutour)

Au nom de :

Mourad Kimouche (fils des auteurs), Messaouda Cheraitia, épouse Kimouche, et Mokhtar Kimouche

État partie :

Algérie

Date de la communication :

7 octobre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Disparition; détention au secret

Questions de procédure : Néant

Questions de fond : Interdiction de la torture et des traitements et peines cruels, inhumains et dégradants; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; arrestation et détention arbitraires; respect de la dignité inhérente à la personne humaine; droit à la reconnaissance juridique de sa personnalité

Articles du Pacte : 2 (par. 3), 7, 9, 16

Article du Protocole facultatif : 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte i n ternational relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 10 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1328/2004, présentée au nom de Mourad Kimouche (fils des auteurs), Messaouda Cheraitia, épouse Kimouche et Mokhtar Kimouche (les auteurs) en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été commun i quées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 Les auteurs de la communication, datée du 7 octobre 2004, sont Messaouda Cheraitia, épouse Kimouche et Mokhtar Kimouche, agissant en leurs noms et au nom de leur fils Mourad Kimouche, né le 21 décembre 1973, de nationalité algérienne. Les auteurs indiquent que leur fils est victime de violations par l’Algérie des articles 2, paragraphe 3, 7, 9 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte), et qu’ils sont eux ‑mêmes victimes de violations par l’Algérie des articles 2 (par. 3) et 7 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil, Nassera Dutour, porte ‑parole du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989.

1.2 Le 11 juillet et le 23 août 2005, le conseil a demandé des mesures provisoires de protection dans le contexte de l’élaboration par l’État partie du projet de Charte pour la paix et la réconciliation nationale , qui a été soumis à référendum le 29 septembre 2005. De l’avis du conseil, en effet, le projet de loi risquait de causer un préjudice irréparable pour les victimes de disparition, mettant en danger les personnes qui sont toujours disparues; il risquait aussi de compromettre l’application pour les victimes d’un recours utile et de rendre sans effet les constatations du Comité des droits de l’homme. Le conseil a donc demandé que le Comité invite l’État partie à suspendre le référendum jusqu’à ce que le Comité ait rendu ses constatations dans trois affaires (dont l’affaire Kimouche ). La demande de mesures provisoires de protection a été transmise à l’État partie le 27 juillet 2005 pour observations; aucune réponse n’a été reçue.

1.3 Le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a prié l’État partie, en date du 23 septembre 2005, de ne pas invoquer contre des personnes qui ont soumis, ou qui soumettraient, des communications au Comité les dispositions de la loi affirmant «que nul, en Algérie ou à l’étranger, n’est habilité à utiliser ou à instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de tous ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international» et rejetant «toute allégation visant à faire endosser par l’État la responsabilité d’un phénomène délibéré de disparition. Il considère que les actes répréhensibles d’agents de l’État qui ont été sanctionnés par la justice chaque fois qu’ils ont été établis, ne sauraient servir de prétexte pour jeter le discrédit sur l’ensemble des forces de l’ordre qui ont accompli leur devoir, avec l’appui des citoyens et au service de la patrie.».

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Les auteurs indiquent que le 16 mai 1996, de 5 h 30 à 14 heures, les «forces combinées» (police, gendarmerie, armée) ont encerclé avec des hommes en uniforme et des véhicules officiels le grand quartier de «El Merdja» (situé à Baraki, banlieue Est d’Alger) et ont procédé à une vaste opération de ratissage au terme de laquelle une dizaine de personnes ont été arrêtées. Vers 8 heures, des militaires de l’Armée nationale populaire, vêtus de l’uniforme des parachutistes, se sont présentés au domicile de la famille Kimouche. Ils ont arrêté Mourad Kimouche sans procéder à une perquisition, en précisant qu’il était arrêté pour les besoins d’une enquête. Les militaires ont emmené Mourad Kimouche avec trois jeunes arrêtés auparavant: Mohamed Grioua, Djamel Chihoub et Fouad Boufertella.

2.2 Les militaires ont menotté les prisonniers deux par deux, et à 11 heures les ont emmenés en véhicule de fonction vers le Collège d’enseignement moyen («CEM») Ibn Taymia, situé à l’entrée du quartier de Baraki et qui avait été réquisitionné comme centre de commandement. L’ensemble des personnes arrêtées ce jour ‑là ont été amenées au CEM Ibn Taymia où les forces combinées ont procédé à des vérifications d’identité. Certaines personnes ont été relâchées immédiatement, d’autres amenées à la gendarmerie de Baraki, à la caserne militaire de Baraki ou au commissariat de police des Eucalyptus, dans un quartier proche de Baraki.

2.3 Dès 11 heures ce jour ‑là, les auteurs ont entamé des recherches. M me Kimouche avait reconnu le commandant Betka de la caserne militaire de Baraki comme faisant partie des gradés dirigeant l’opération. Les auteurs se sont rendus ainsi à la caserne de Baraki, et ont été reçus dans un bureau où se trouvaient des papiers d’identité correspondant à des personnes arrêtées le matin même. Les militaires leur ont affirmé que leur fils n’était pas dans la caserne. Lors de leur deuxième visite à la caserne à 14 heures, un militaire leur a affirmé, après avoir reçu une description complète de la tenue vestimentaire de son fils, qu’il faisait bien partie des personnes amenées le matin même, et qu’il avait été transféré avec d’autres personnes à la prison de Châteauneuf.

2.4 Le jour même, Fouad Boufertella a été relâché vers 19 heures, blessé à l’œil et au pied. Il a témoigné qu’il avait été libéré de la caserne de Baraki et a affirmé que le fils des auteurs ainsi que les autres personnes arrêtées avec lui (Mohamed Grioua et Djamel Chihoub), étaient détenus avec lui. Il a témoigné que ces prisonniers, ainsi que lui ‑même, ont été torturés tour à tour, pendant dix minutes. Il a raconté avoir vu Djamel Chihoub torturé à l’électricité, et a entendu leurs tortionnaires déclarer qu’ils réservaient les tortures à Mohamed Grioua pour la nuit.

2.5 Environ quinze jours après l’enlèvement de son fils, M me Kimouche a appris par des policiers que son fils était emprisonné à Châteauneuf, fait non démenti par le commandant Betka devant les questions des auteurs. M me Kimouche a essayé de voir son fils à Châteauneuf, sans succès. D’après les informations recueillies, Mourad aurait été détenu dans la prison de Châteauneuf pendant environ vingt ‑deux jours. Deux mois et demi après l’enlèvement, l’oncle de M me Kimouche, Amar Mezanar, a affirmé avoir aperçu le fils des auteurs au tribunal d’El Harrach où il aurait été présenté au juge, fait démenti le lendemain par un juge d’instruction devant les questions de M. Kimouche. Ce même juge d’instruction a demandé à M. Kimouche de lui adresser un courrier avec les détails de la disparition de son fils. Ce courrier a ensuite été adressé à la cour d’appel d’Alger, où le juge d’instruction a fait savoir que, selon les informations reçues du commissariat central, Mourad Kimouche n’était ni recherché, ni accusé de terrorisme.

2.6 Trois mois plus tard, les auteurs ont appris par l’un de leurs parents que Mourad Kimouche avait été transféré à la prison d’El Harrach, prison où ce parent l’avait vu. Six mois plus tard, M. Merabet, un voisin des auteurs, a reconnu Mourad Kimouche et Djamel Chihoub dans la prison de Ben Aknoun (appartenant à la sûreté militaire), alors qu’il recherchait son propre fils disparu six mois après Mourad Kimouche. Selon de nouvelles informations de source confidentielle, Mourad aurait de nouveau été transféré de la prison de Ben Aknoun au centre de détention de Benni Messous (appartenant à la sûreté militaire). Quelques années plus tard, un colonel de l’armée dont l’identité n’est pas dévoilée aurait identifié Mourad Kimouche d’après sa photo d’identité et affirmé aux auteurs qu’il était détenu à Reggane depuis deux ou trois ans.

2.7 Depuis le 16 mai 1996, les auteurs ne cessent d’entreprendre des démarches pour retrouver leur fils. Ils ont déposé plusieurs plaintes, dont la première le 18 juin 1996, adressée au Procureur du tribunal d’El Harrach, et ils ont été convoqués à plusieurs reprises par les autorités. Le 23 juin 1996, M. Kimouche a écrit au Procureur du tribunal de Bir Mourad Rais, et a déposé une autre plainte le 24 août 1997 auprès du tribunal militaire de Blida, transmise au tribunal d’El Harrach compétent. Le juge d’instruction du tribunal d’El Harrach, saisi du dossier, a rendu une ordonnance de non ‑lieu le 30 mai 1999 (affaires 166/99 et 60/99), qui a fait l’objet d’une procédure en appel le 30 juin 1999 engagée par le Procureur d’El Harrach vers le Procureur général près la Cour d’Alger, au motif que l’instruction du juge d’instruction était insuffisante. La cour d’appel d’Alger s’est prononcée le 13 juillet 1999 et a confirmé l’ordonnance de non ‑lieu rendue par le juge d’instruction d’El Harrach (affaires 687/99 et 732/99), malgré les réquisitions du parquet général d’Alger en faveur du bien ‑fondé de l’appel. M. Kimouche a ensuite formé un pourvoi en cassation le 8 août 1999 (pourvoi 1305, affaire 687/99). Malgré un rapport du Procureur général près la Cour d’Alger en faveur du bien ‑fondé du pourvoi, le 25 juillet 2000 la chambre correctionnelle de la Cour suprême d’Alger (arrêt 247023) a confirmé la décision des juges du fond et entériné l’ordonnance de non ‑lieu. Enfin, une nouvelle ordonnance de non ‑lieu a été rendue le 3 août 2004 par le juge d’instruction près le tribunal d’El Harrach, (affaires 103/00 et 43/00).

2.8 Sur la disponibilité des recours internes, les auteurs rappellent la jurisprudence du Comité selon laquelle seuls les recours efficaces, utiles et disponibles doivent être épuisés et que, dans le cas d’espèce, du fait de la violation des droits fondamentaux du fils des auteurs, seuls les recours judiciaires sont à épuiser. En l’espèce, les auteurs ont exercé de multiples recours judiciaires, jusqu’à la Cour suprême, qui ont abouti à des décisions de non ‑lieu alors même que les circonstances de la disparition de Mourad Kimouche sont attestées par plusieurs témoins, qui n’ont jamais été entendus. Les plaintes étaient de plus déposées contre des personnes identifiées (comme le capitaine Betka), mais transformées par les magistrats en plainte contre X. Le conseil rappelle que le Comité a estimé qu’un État partie a le «devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme, en particulier lorsqu’il s’agit de disparitions forcées et d’atteintes au droit à la vie, et d’engager des poursuites pénales contre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder au jugement et de prononcer une peine. Cette obligation s’applique a fortiori dans les cas où les auteurs de violations ont été identifiés.» .

2.9 Sur la question des recours administratifs, l’exposé des démarches démontre l’absence de volonté de l’État partie d’aider les familles dans leurs recherches, ainsi que les incohérences qui se révèlent souvent dans le traitement du dossier des disparus par les différentes autorités émanant de l’État. Plusieurs lettres (10 août 1996, 23 octobre 1996, et 4 juin 2000) ont été adressées à l’Observatoire national des droits de l’homme. Ce dernier a répondu à chaque courrier mais sans apporter de réponses quant au lieu de détention ou au sort de Mourad Kimouche, indiquant seulement qu’il n’était pas recherché par les services de sécurité, ni suspecté dans aucune affaire en cours, et ne faisait pas l’objet d’un mandat d’arrêt.

2.10 Les auteurs signalent que l’affaire a été soumise au Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires. Enfin, le conseil souligne que le cas du fils des auteurs n’est pas unique en Algérie. Plus de 7 000 familles sont à la recherche de parents disparus pour la plupart dans les locaux de la police, la gendarmerie et l’armée algérienne. Aucune enquête sérieuse n’a été menée pour condamner les auteurs de ces disparitions. À ce jour, la plupart des auteurs connus et reconnus par des témoins ou des familles jouissent de l’impunité totale, et tous les recours administratifs et judiciaires ont été vains.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs font valoir que les faits tels que présentés font apparaître des violations de l’article 2, paragraphe 3, et de l’article 7 pour les auteurs et le fils des auteurs, et des articles 2, paragraphe 3, 9 et 16 du Pacte pour le fils des auteurs.

3.2 Quant aux allégations relatives à l’article 7, s’agissant de Mourad Kimouche, le fait d’être soumis à une disparition forcée peut être qualifié de traitement inhumain ou dégradant à l’égard de la victime. S’agissant des auteurs, la disparition de leur fils constitue une épreuve paralysante et douloureuse, dans la mesure où ils ignorent tout du sort de leur fils sans que les autorités n’aient cherché à soulager cette souffrance en menant des enquêtes effectives. Le Comité a reconnu que la disparition d’un proche constitue pour la famille une violation de l’article 7 du Pacte.

3.3 Quant à l’article 9, le fils des auteurs a été arrêté le 16 mai 1996 et a été transféré à la caserne de Baraki, puis à la prison, mais aucune autorité n’a reconnu sa détention. Il n’existe aucune trace officielle de sa localisation ou de son sort, et il est donc détenu arbitrairement au mépris de la protection et des garanties énoncées à l’article 9. La jurisprudence du Comité retient que toute détention non reconnue d’un individu constitue une violation de l’article 9 du Pacte. Dans les circonstances, la violation de l’article 9 est suffisamment grave et caractérisée pour que les autorités aient à en répondre.

3.4 Quant à l’article 16, il consacre le droit de toute personne à être reconnue comme le titulaire de droits et d’obligations. La disparition forcée est par essence une négation de ce droit dans la mesure où le refus de la part des auteurs de la disparition de révéler le sort réservé au disparu, ou l’endroit où il se trouve, ou encore d’admettre qu’il soit privé de liberté le soustrait à la protection de la loi. De plus, dans ses observations finales sur le deuxième rapport périodique de l’État partie, le Comité a reconnu que les disparitions forcées pouvaient mettre en cause le droit garanti à l’article 16 du Pacte . Depuis le 16 mai 1996 Mourad Kimouche est victime d’une détention non reconnue au mépris de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique et de sa condition d’individu titulaire de droits protégés.

3.5 Quant à l’article 2, paragraphe 3, du Pacte, Mourad Kimouche est victime d’une disparition forcée, et de ce fait privé du droit d’exercer un recours utile contre sa détention arbitraire. Les auteurs ont effectué tous les recours disponibles pour retrouver leur fils. Le Comité a estimé qu’un État partie a le «devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme, en particulier lorsqu’il s’agit de disparitions forcées et d’atteintes au droit à la vie, et d’engager des poursuites pénales contre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder au jugement et de prononcer une peine. Cette obligation s’applique a fortiori dans les cas où les auteurs de violations ont été identifiés.». Aucune de ces mesures n’a été adoptée par les autorités, en violation de l’article 2, paragraphe 3, du Pacte.

3.6 Les auteurs demandent au Comité de constater que l’État partie a violé les articles 2, paragraphe 3, 7, 9 et 16, de prier l’État partie d’ordonner des enquêtes indépendantes en urgence en vue de retrouver le fils des auteurs, et de déférer les auteurs de la disparition forcée devant les autorités civiles compétentes pour faire l’objet de poursuites, et d’offrir une réparation adéquate.

Observations de l’État partie

4.1 Le 28 août 2005, l’État partie informe que les recherches effectuées par le greffe près la Cour suprême n’ont pas permis de localiser le dossier Kimouche. En conséquence, l’État partie demande de plus amples indications, notamment le numéro de l’accusé de réception du dépôt du dossier au niveau de la Cour suprême. Compte tenu du nombre important des cas en instance, des précisions aideraient à faire la lumière sur le cas transmis.

4.2 Le 9 janvier 2006, l’État partie indique que l’affaire relative à la disparition de Mourad Kimouche a débuté par une plainte déposée en avril 1999 par M. Kimouche, pour enlèvement de son fils perpétré, selon ses déclarations, en mai 1996. La brigade de gendarmerie, saisie de cette plainte, a entendu M. Kimouche sur procès ‑verbal, adressé au Procureur de la République d’El Harrach. Ce dernier a requis l’ouverture d’une information judiciaire contre X, par réquisitoire introductif du 12 avril 1999, du chef d’enlèvement, fait prévu et réprimé par l’article 291 du Code pénal. Un juge d’instruction du tribunal d’El Harrach a été saisi de l’affaire. Après plusieurs mois d’investigations qui sont demeurées infructueuses, le juge d’instruction a ordonné un non ‑lieu en l’état, ce qui signifie que l’information judiciaire peut être rouverte à tout moment dès l’apparition d’un quelconque élément nouveau. Cette ordonnance a été frappée d’appel devant la chambre d’accusation de la Cour d’Alger qui a confirmé la décision du juge d’instruction. L’arrêt rendu par la chambre d’accusation a fait l’objet d’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême qui a rejeté ce pourvoi. Cette affaire n’est pas définitivement close dans la mesure où l’ordonnance du juge d’instruction concerne un non ‑lieu en l’état, avec les conséquences juridiques citées.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5. Le 24 février 2006, le conseil relève que l’État partie ne fait que retracer la procédure judiciaire, et ne répond pas sur le fond, que ce soit pour dénier ou pour reconnaître sa responsabilité dans la disparition forcée du fils des auteurs. La jurisprudence du Comité fait peser sur l’État partie la charge de fournir des éléments afin de contredire les allégations de l’auteur d’une communication: le déni explicite ou implicite ne saurait profiter à l’État partie . Sur le plan procédural, l’État partie semble suggérer que la procédure serait toujours en cours, mais le conseil soutient que tous les recours effectifs en l’espèce ont été épuisés: les auteurs ont été jusqu’au pourvoi en cassation, alors même que ces recours se sont avérés inefficaces et inutiles. Le fait qu’une possibilité de réouverture existe, «dès l’apparition d’un fait nouveau», ne change rien au fait que la condition posée par l’article 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif ait été respectée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité note que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 Sur la question de l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie indique que l’affaire n’est pas définitivement close dans la mesure où l’information judiciaire peut être rouverte à tout moment dès l’apparition d’un quelconque élément nouveau. Sur ce point, le Comité relève que les auteurs affirment que l’ordonnance de non ‑lieu a été confirmée par la Cour suprême d’Alger le 25 juillet 2000, et que depuis cette date une autre ordonnance de non ‑lieu a été rendue. Il considère également que l’application des recours internes a été excessivement longue pour les autres plaintes présentées à répétition et avec insistance par les auteurs depuis 1996. Il estime donc que les auteurs ont satisfait aux exigences du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4 En ce qui concerne la question des plaintes portées au titre des articles 7 et 9 du Pacte, le Comité relève que les auteurs ont présenté des allégations précises sur la disparition de leur fils et sur les mauvais traitements qu’il aurait subis. L’État partie n’a pas répondu à ces allégations. Le Comité considère en l’espèce que les éléments présentés par les auteurs sont suffisants pour étayer les plaintes portées en vertu des articles 7 et 9, aux fins de la recevabilité. Pour ce qui est du grief de violation de l’article 2, paragraphe 3, le Comité considère que cette allégation est également suffisamment fondée aux fins de la recevabilité.

6.5 Concernant les griefs au titre de l’article 16, le Comité considère que la question de savoir si et dans quelles circonstances une disparition forcée peut revenir au refus de reconnaissance de la personnalité juridique de la victime de tels actes est étroitement liée aux faits de ce cas. Par conséquent, il conclut que de tels griefs sont traités de manière plus appropriée au stade de l’examen sur le fond des communications.

6.6 Le Comité conclut que la communication est recevable au titre du paragraphe 3 de l’article 2, et des articles 7, 9 et 16 du Pacte, et procède à leur examen sur le fond.

Examen au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Le Comité rappelle la définition des «disparitions forcées» figurant au paragraphe 2 i) de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale: par «disparitions forcées», on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée. Tout acte conduisant à une disparition de ce type constitue une violation d’un grand nombre de droits consacrés dans le Pacte, notamment le droit à la liberté et à la sécurité de la personne (art. 9), le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 7) et le droit de toute personne privée de liberté d’être traitée avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne (art. 10). Il viole également le droit à la vie ou représente une grave menace pour ce droit (art. 6) . Dans le cas présent, les auteurs ont invoqué les articles 7, 9 et 16.

7.3 En ce qui concerne le grief de disparition avancé par les auteurs, le Comité relève que les auteurs et l’État partie ont donné des versions différentes des faits. Les auteurs affirment que leur fils a été arrêté le 16 mai 1996 par des agents de l’État, selon ces agents pour les besoins d’une enquête, et qu’il a disparu depuis cette date. D’après l’Observatoire national des droits de l’homme, le fils des auteurs n’est pas recherché par les services de sécurité, ni l’objet d’un mandat d’arrêt. Il note que l’État partie indique que le juge d’instruction a été saisi du chef d’enlèvement et, après investigations, n’ayant pas abouti à l’identification de l’auteur de l’enlèvement présumé, il a rendu une ordonnance de non ‑lieu, confirmée sur pourvoi.

7.4 Le Comité réaffirme que la charge de la preuve ne peut pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où l’auteur a communiqué à l’État partie des allégations corroborées par des témoignages sérieux et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité estime ces allégations suffisamment fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes. Dans la présente affaire, le Comité a reçu des témoignages d’individus qui ont assisté à l’arrestation du fils des auteurs par des agents de l’État partie. Le conseil a informé le Comité qu’une des personnes arrêtées en même temps que le fils des auteurs, en détention avec lui puis remis en liberté, a témoigné au sujet de leur détention et du traitement qu’ils ont subi.

7.5 Pour ce qui est du grief de violation de l’article 9, les informations disponibles montrent que le fils des auteurs a été emmené par des agents de l’État venus le chercher chez lui. L’État partie n’a pas répondu aux allégations des auteurs qui affirment que l’arrestation et la détention de leur fils ont été arbitraires ou illégales et qu’il n’est pas réapparu depuis le 16 mai 1996. Dans ces circonstances, il convient d’accorder toute l’attention qu’elles méritent aux informations fournies par les auteurs. Le Comité rappelle que la détention au secret en soi peut constituer une violation de l’article 9 et prend note de l’allégation des auteurs qui affirment que leur fils a été arrêté et détenu au secret à partir du 16 mai 1996, sans avoir la possibilité de voir un avocat ni de contester la légalité de sa détention. En l’absence d’explications suffisantes de l’État partie sur ce point, le Comité conclut à une violation de l’article 9.

7.6 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 7, le Comité reconnaît la souffrance que représente une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéterminée. Il rappelle son Observation générale n o 20 (44) relative à l’article 7 dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions interdisant la détention au secret. Dans ces circonstances, le Comité conclut que la disparition de Mourad Kimouche, l’empêchant de communiquer avec sa famille et avec le monde extérieur, constitue une violation de l’article 7 . De plus, les circonstances entourant la disparition du fils des auteurs et le témoignage attestant qu’il a été torturé, donnent fortement à penser qu’il a été soumis à un tel traitement. Le Comité n’a reçu de l’État partie aucun élément permettant de lever cette présomption ou de la contredire. Le Comité conclut que le traitement auquel a été soumis le fils des auteurs constitue une violation de l’article 7 .

7.7 Le Comité relève aussi l’angoisse et la détresse que la disparition de leur fils a causées aux auteurs ainsi que l’incertitude dans laquelle ils continuent d’être au sujet de son sort. Il est donc d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard des auteurs eux ‑mêmes .

7.8 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 16, la question se pose si, et dans quelles circonstances, une disparition forcée peut revenir à refuser de reconnaître la personnalité juridique de la victime. Le Comité observe que l’enlèvement intentionnel d’une personne de la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance d’une personne devant la loi si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition et, en même temps, si les efforts de ses proches d’avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les cours de justice (par. 3 de l’article 2 du Pacte) sont systématiquement empêchés. Dans de telles situations, les personnes disparues sont, dans les faits, privées de leur capacité d’exercer leurs droits garantis par la loi, notamment tous leurs autres droits garantis par le Pacte, et d’accéder à un quelconque recours possible en conséquence directe du comportement de l’État qui doit être interprété comme le refus de la reconnaissance de la personnalité juridique de telles victimes. Le Comité prend note que, selon l’article premier, alinéa 2, de la Déclaration sur la protection de toutes personnes contre les disparitions forcées , la disparition forcée constitue une violation des règles du droit international, notamment celles qui garantissent à chacun le droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique. De plus, il rappelle que le paragraphe 2 i) de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale reconnaît que «l’intention de soustraire [les personnes] à la protection de la loi pendant une période prolongée» est un élément essentiel de la définition des disparitions forcées. Enfin, l’article 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées mentionne que la disparition forcée soustrait la personne concernée à la protection de la loi.

7.9 Dans le cas présent, les auteurs indiquent que leur fils a été arrêté en compagnie d’autres personnes par des membres de l’Armée nationale populaire le 16 mai 1996. Après un contrôle d’identité, il aurait été emmené à la caserne militaire de Baraki. Aucune nouvelle n’a été reçue de lui depuis ce jour. Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté ces faits, ni mené une enquête sur le sort de l’auteur. Il considère que, quand une personne est arrêtée par les autorités, qu’aucune nouvelle n’est ensuite reçue sur son sort et qu’aucune enquête n’est menée, ce manquement de la part des autorités revient à soustraire la personne disparue à la protection de la loi. Par conséquent, le Comité conclut que les faits dont il est saisi dans la présente communication font apparaître une violation de l’article 16 du Pacte.

7.10 Les auteurs ont invoqué le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte qui fait aux États parties obligation de garantir à tous les individus des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir ces droits. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits en droit interne. Il rappelle son Observation générale n o 31 (80) , qui indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, les renseignements dont le Comité dispose montrent que ni les auteurs ni leur fils n’ont eu accès à un recours utile et le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7, l’article 9 et l’article 16 pour le fils des auteurs; et une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte pour les auteurs eux ‑mêmes.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie de l’article 7, l’article 9 et l’article 16 du Pacte, et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 7, 9 et 16 à l’égard du fils des auteurs, et de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7, à l’égard des auteurs eux ‑mêmes.

9. Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, consistant notamment à mener une enquête approfondie et diligente sur la disparition et le sort de leur fils, à remettre celui ‑ci immédiatement en liberté s’il est encore en vie, à informer comme il convient sur les résultats de ses enquêtes et d’assurer que les auteurs et la famille obtiennent une réparation appropriée, y compris sous forme d’indemnisation. Bien que le Pacte ne prévoit pas le droit pour un particulier de demander qu’un État poursuive pénalement une autre personne , le Comité estime néanmoins que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme, en particulier lorsqu’il s’agit de disparitions forcées et d’atteintes au droit à la vie, mais aussi d’engager des poursuites pénales contre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder au jugement et de prononcer une peine. L’État partie est donc également tenu d’engager des poursuites pénales contre les personnes tenues responsables de ces violations, de les juger et de les punir. L’État partie est d’autre part tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir. Le Comité rappelle en outre la demande du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, en date du 23 septembre 2005 (voir par. 1.3) et réitère que l’État partie ne devrait pas invoquer les dispositions de la loi de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale , contre des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou ont soumis, ou qui soumettraient, des communications au Comité.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en français (version originale), en espagnol et en anglais. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

AA. Communication n o 1332/2004, García Sánchez et consorts c. Espagne * (Constatations adoptées le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Juan García Sánchez et Bienvenida González Clares (représentés par un conseil, M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Espagne

Date de la communication :

4 novembre 2002 (date de la lettre initiale)

Objet : Condamnation en seconde instance, annulant l’acquittement prononcé en première instance, sans possibilité de réexamen

Questions de procédure : Épuisement des recours internes

Questions de fond : Droit à ce que la déclaration de culpabilité et la peine soient soumises à une juridiction supérieure conformément à la loi

Article du Pacte : 14 (par. 5)

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1332/2004 présentée au nom de Juan García Sánchez et Bienvenida González Clares en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. Les auteurs de la communication, datée du 4 novembre 2002, sont Juan García Sánchez, né en 1938, et Bienvenida González Clares, née en 1935. Ils prétendent être victimes d’une violation par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. Les auteurs sont représentés par un conseil, M. José Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1 En février 1996, Juan García Sánchez, qui se consacrait à la vente de tissus, a été condamné à verser une indemnisation de plus de 8 millions de pesetas (48 080,97 euros) à José González Amoros. Les autres dettes de l’auteur s’élevaient déjà à 5 millions de pesetas (30 050,61 euros). En décembre 1996, Juan García Sánchez a décidé de dissoudre la société qu’il avait créée avec son épouse, Bienvenida González, et qui consistait en un bien unique, à savoir le logement familial. L’immeuble a atteint la valeur de 10 millions de pesetas (860 101,21 euros), chacun des auteurs ayant droit à la moitié de cette somme. Au début de 1997, Bienvenida González a acheté la part de l’auteur pour 5 millions de pesetas, somme que celui ‑ci a utilisée pour solder diverses dettes, à l’exception de celle qui le liait à M. González Amoros.

2.2 Une procédure pénale a été engagée contre les auteurs pour banqueroute frauduleuse. Ceux ‑ci étaient accusés d’avoir soustrait des biens à leur patrimoine en fraude des créanciers. Dans ses conclusions, le ministère public a demandé que le délit soit qualifié d’insolvabilité punissable ou, à titre subsidiaire, de banqueroute frauduleuse. Par une décision datée du 30 novembre 2000, le tribunal pénal de Murcie a acquitté les auteurs. Le plaignant et le ministère public ont fait appel de cette décision. Par jugement du 5 septembre 2001, l’ Audiencia Provincial de Murcie a annulé la décision rendue en première instance et condamné les auteurs pour insolvabilité punissable à une peine d’un an de prison assortie d’une amende. L’ Audiencia a estimé que Juan García avait réalisé avec l’accord de son épouse, Bienvenida González, des actes de disposition de biens en vue de diminuer son patrimoine, jusqu’à ce qu’il se trouve en situation d’insolvabilité, et ce afin de frauder son créancier, M. González Amoros.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs soutiennent que l’État partie a violé le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, dans la mesure où ils ont été condamnés par une juridiction de second degré sans que leur condamnation et les peines infligées puissent être examinées par une juridiction supérieure. Ils affirment également que les jugements des Audiencias Provinciales , statuant en appel, ne peuvent donner lieu à un recours en cassation devant le Tribunal suprême, comme le prévoit expressément l’article 847 du Code de procédure pénale.

3.2 Les auteurs reconnaissent qu’ils n’ont pas saisi le Tribunal constitutionnel d’un recours en amparo. Selon eux ce recours est inefficace puisque le Tribunal constitutionnel a précédemment déclaré que le fait qu’un accusé acquitté en première instance soit ensuite condamné en seconde instance, sans possibilité de recours, ne constitue pas une violation du droit de faire réexaminer la condamnation, droit visé au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Tribunal constitutionnel justifie le refus du droit à un examen devant une juridiction supérieure en se fondant sur la présomption selon laquelle une juridiction de second degré rend une décision empreinte d’une plus grande sagesse, compétence et profondeur qu’une juridiction de premier degré.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Par note verbale du 16 février 2005, l’État partie conteste la recevabilité et le fond de la communication, faisant valoir que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes puisqu’ils n’ont pas saisi le Tribunal constitutionnel d’un recours en amparo .

4.2 Selon l’État partie, le recours en amparo constitue actuellement un recours utile s’agissant de questions semblables à celles évoquées dans la communication, étant donné en particulier que celle ‑ci est postérieure à la décision Gómez Vásquez c. Espagne . Il fait valoir que dans son arrêt du 3 avril 2002 (STC 70/02, première chambre), le Tribunal constitutionnel, se référant à ladite décision du Comité, n’a pas invoqué l’irrecevabilité, mais au contraire a statué sur le fond. L’État partie se réfère par ailleurs à l’arrêt du Tribunal constitutionnel du 9 février 2004 ( n o 10/2004) relatif à une décision d’acquittement en première instance remplacée par une condamnation en appel, dans lequel le Tribunal a indiqué que la preuve doit être administrée en seconde instance lorsque la condamnation dépend d’éléments de preuve soumis au principe d’immédiateté.

4.3 L’État partie soutient que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte n’impose pas l’obligation de limiter le droit de recours des plaignants, ni n’exige la mise en place d’une chaîne illimitée de recours. Le point essentiel est que les questions soulevées au cours de la procédure pénale puissent être réexaminées, ce qui ne signifie pas que la juridiction supérieure ne puisse pas tenir compte des recours introduits par la partie plaignante.

4.4 L’État partie indique que, bien que dans le cas d’espèce la condamnation prononcée par l’ Audiencia se fonde exclusivement sur des preuves documentaires, le Tribunal constitutionnel n’a pas eu l’occasion de statuer sur l’affaire, n’ayant pas été saisi d’un recours en amparo . Il réaffirme également qu’en Espagne la partie plaignante et la défense jouissent du droit de recours sur un pied d’égalité. Dans le cas où la juridiction supérieure ne pourrait pas examiner le recours présenté par le plaignant, comme elle l’a fait dans le cas d’espèce, le principe de l’égalité des parties en matière de recours serait violé.

Observations des auteurs

5.1 Le 15 septembre 2005, les auteurs ont contesté les arguments de l’État partie. Selon eux, le Tribunal constitutionnel a affirmé que le fait d’être condamné pour la première fois en seconde instance ne violait pas le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte depuis 1985. Les auteurs font allusion à la décision du Tribunal constitutionnel du 28 juin 1999, et ils réaffirment que la jurisprudence du Tribunal en ce sens n’a pas été établie par cet arrêt, mais qu’elle existait depuis 1985.

5.2 Selon les auteurs, l’arrêt du 9 février 2004 auquel se réfère l’État partie ne concerne pas la reconnaissance du droit à la double instance, mais plutôt le droit à un procès public en seconde instance, ce qui est une question différente de l’objet de la présente communication.

5.3 Les auteurs soutiennent que la question de l’inutilité du recours en amparo en matière de double degré de juridiction a déjà été examinée par le Comité à plusieurs reprises, notamment dans l’affaire Gomaríz Valera , du 22 juillet 2005, dans laquelle l’Espagne a été condamnée.

5.4 Ils affirment également que le Tribunal constitutionnel refuse expressément la jurisprudence du Comité, selon laquelle la condamnation doit donner lieu à un réexamen complet de ses éléments tant juridiques que factuels.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément à l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles les recours internes n’auraient pas été épuisés, puisque la violation alléguée dont est saisi le Comité n’a pas été soumise au Tribunal constitutionnel, lequel aurait effectué un revirement de jurisprudence dans des décisions en 2002 et 2004. Le Comité observe que lorsque la condamnation a été prononcée, le 5 septembre 2001, la jurisprudence du Tribunal constitutionnel sur la question était bien établie . Il note également que la jurisprudence du Tribunal constitutionnel qui lui a été présentée concerne la nécessité d’administrer à nouveau en seconde instance les preuves qui, de par leur nature et de l’avis de ce tribunal, sont soumises au principe d’immédiateté, en particulier la preuve testimoniale et les déclarations d’experts. Dans le cas d’espèce, la condamnation était fondée exclusivement sur des preuves documentaires . À ce sujet, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il n’y a lieu d’épuiser que les recours qui ont une chance raisonnable d’aboutir, et réaffirme que, lorsque la jurisprudence de la plus haute juridiction d’un État sur la question objet du litige est telle que toute possibilité de succès d’un recours devant les juridictions internes est exclue, les auteurs ne sont pas tenus d’épuiser les recours internes aux fins du Protocole facultatif . En l’espèce, le Comité estime que le recours en amparo ne pouvait aboutir relativement à la violation alléguée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il considère par conséquent que les recours internes ont été épuisés et que la communication est recevable en vertu de la disposition susmentionnée.

Examen au fond

7.1 En ce qui concerne le fond de la communication, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la condamnation en appel est compatible avec le Pacte. Il observe que les auteurs ont été condamnés par l’ Audiencia Provincial de Murcie après avoir été acquittés par le tribunal pénal de Murcie, sans que leur condamnation puisse être entièrement réexaminée.

7.2 Le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte consacre le droit de toute personne déclarée coupable d’une infraction de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi. Le Comité rappelle que l’expression «conformément à la loi» ne doit pas s’entendre comme laissant l’existence même du droit de révision à la discrétion des États parties . Au contraire, l’expression «conformément à la loi» vise les modalités selon lesquelles le réexamen par une juridiction supérieure doit être effectué. Le paragraphe 5 de l’article 14 garantit non seulement que la décision doit être soumise à une juridiction supérieure, comme cela s’est produit dans le cas des auteurs, mais aussi que la déclaration de culpabilité doit elle aussi être soumise à une juridiction de second degré, ce qui ne s’est pas produit dans le cas des auteurs. Le fait qu’une personne acquittée en première instance soit condamnée en appel par la juridiction du second degré ne saurait à lui seul compromettre l’exercice du droit de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la peine par une juridiction supérieure . En conséquence, le Comité conclut que les faits exposés dans la communication font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

9. Conformément aux dispositions du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie doit assurer un recours utile à l’auteur, qui permette le réexamen de sa peine par une juridiction supérieure. L’État partie est tenu de prendre les dispositions voulues pour éviter que des violations similaires ne se reproduisent à l’avenir.

10. En adhérant au Protocole facultatif, l’Espagne a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. Conformément à l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à leur assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. Il est demandé à l’État partie de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

BB. Communication n o 1342/2005, Gavrilin c. Bélarus * (Constatations adoptées le 28 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Maksim Gavrilin (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

28 octobre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Application rétroactive d’une loi pénale établissant une peine plus légère

Questions de fond : Emprisonnement pour incapacité à honorer une obligation contractuelle; égalité devant la loi; discrimination illicite; arrestation arbitraire; droit d’engager une action en justice; procès équitable; disposition ultérieure prévoyant une peine plus légère

Questions de procédure : Incompatibilité ratione materiae ; griefs non étayés

Articles du Pacte : 2 (par. 1 et 2), 9 (par. 1 et 4), 11, 14, 15 (par. 1), 26

Articles du Protocole facultatif : 2, 3

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1342/2005 présentée au nom de Maksim Gavrilin en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Maksim Gavrilin, de nationalité bélarussienne, né en 1976, actuellement emprisonné au Bélarus. Il se déclare victime de violations par le Bélarus des droits garantis aux paragraphes 1 et 2 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, aux paragraphes 1 et 4 de l’article 9, à l’article 11, à l’article 14, au paragraphe 1 de l’article 15 et à l’article 26. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 De janvier 1996 à avril 1997, l’auteur a illégalement acquis des biens immobiliers, se présentant comme agent immobilier et encaissant des arrhes pour de futures transactions. Le 25 août 1997, le tribunal de district de Frunzensky de Minsk l’a reconnu coupable de fraude et l’a condamné à sept ans d’emprisonnement avec confiscation des biens (ci ‑après, «premier jugement» ou «première condamnation») en vertu du paragraphe 3 de l’article 90 du Code pénal du Bélarus de 1960 (ci ‑après «l’ancien Code») en vigueur au moment du délit. Le régime de peine appliqué à ce délit prévoyait un emprisonnement de cinq à dix ans. L’auteur a fait appel de ce premier jugement auprès du Collège judiciaire du tribunal de la ville de Minsk, lui demandant de prendre en compte sa situation personnelle et de réduire sa peine, au motif que s’il ne s’était pas acquitté de son obligation de restituer les arrhes c’était parce qu’il n’avait pas les ressources nécessaires, puisqu’il avait tout dépensé, et non de manière intentionnelle. Le 24 octobre 1997, le Collège judiciaire du tribunal de la ville de Minsk a confirmé le premier jugement.

2.2 En 1999, un nouveau Code pénal (ci ‑après «le nouveau Code») est entré en vigueur. Des modifications supplémentaires ont été apportées à ce code par la loi du 4 janvier 2003 modifiant et complétant certaines lois de la République du Bélarus (ci ‑après «loi du 4 janvier 2003»). Cette loi établissait un nouveau régime de peine, allant de trois à dix ans d’emprisonnement.

2.3 Le 3 juin 2002, l’auteur a été condamné par le tribunal de district de Rechitsky de la région de Gomel en vertu du paragraphe 1 de l’article 413 du nouveau Code pour s’être évadé le 1 er décembre 2000 d’une colonie pénitentiaire de la région de Gomel (ci ‑après «deuxième jugement» ou «deuxième condamnation») où il exécutait la peine à laquelle il avait été condamné lors du premier jugement. Le tribunal de district de Rechitsky l’a condamné à un emprisonnement d’un an pour évasion, il a ajouté la peine non exécutée de deux ans, quatre mois et vingt jours du premier jugement et l’a condamné au total à deux ans et demi d’emprisonnement. La condamnation finale a été prononcée sur la base de l’ancien Code, car il fixait un système de calcul des peines cumulées, plus favorable à l’auteur.

2.4 À une date non précisée, l’auteur a fait appel de la deuxième condamnation auprès du Collège judiciaire du tribunal régional de Gomel, lui demandant de changer la qualification légale des faits, qui relèveraient non plus du paragraphe 1 de l’article 413 du nouveau Code mais du paragraphe 1 de l’article 184 de l’ancien Code, et de réduire sa peine, qu’il jugeait excessive. Le Procureur de Rechitsky a formulé des objections concernant la deuxième condamnation, au motif que la peine prononcée était trop légère étant donné les circonstances de l’évasion de l’auteur et la durée de sa fuite. Par une décision rendue le 5 juillet 2002, le Collège judiciaire du tribunal régional de Gomel a modifié la qualification légale des faits pour passer à celle du paragraphe 1 de l’article 184 de l’ancien Code, parce qu’au moment de l’évasion, le 1 er décembre 2000, le nouveau Code n’était pas encore entré en vigueur et que les deux codes prévoyaient la même peine allant jusqu’à trois ans de prison. Le tribunal n’a pas suivi les réquisitions du Procureur et a maintenu la peine de deux ans et demi d’emprisonnement prononcée précédemment.

2.5 Le 17 mars 2003, l’auteur a été condamné par le tribunal de district de Sovietsky de Minsk en application du paragraphe 3 de l’article 209 et du paragraphe 1 de l’article 216 du nouveau Code pour de nombreuses fraudes et des préjudices pécuniaires commis sous son nom et sous un faux nom entre novembre 2000 et janvier 2001 (ci ‑après «troisième jugement» ou «troisième condamnation»). Le tribunal de district de Sovietsky de Minsk a appliqué le principe de «récidive dangereuse» et l’a condamné à sept ans d’emprisonnement avec confiscation de biens pour fraude et à un an et six mois d’emprisonnement pour dommages pécuniaires. Il a appliqué le paragraphe 3 de l’article 72 du nouveau Code et condamné l’auteur à une peine cumulée de sept ans et trois mois de prison. Enfin, le tribunal de district de Sovietsky de Minsk a ajouté le solde de la peine prononcée lors de la deuxième condamnation sur la base de l’ancien Code (qui était plus favorable à l’auteur) et a prononcé une condamnation finale de sept ans et six mois d’emprisonnement.

2.6 L’un des chefs d’accusation du troisième jugement concernait une fraude qui avait eu lieu à Minsk le 30 novembre 2000, c’est ‑à ‑dire la veille de l’évasion de l’auteur d’après le deuxième jugement. Au tribunal, l’auteur a déclaré qu’à la fin de septembre 2000 il avait quitté sans autorisation la colonie pénitentiaire où il exécutait la peine prononcée pour la première condamnation, s’était rendu à Minsk et avait repris ses activités d’agent immobilier. Il aurait été de facto employé comme gérant par l’agence immobilière «Tisan», bien qu’il n’ait pas signé de contrat. À une date non précisée, un certain Zagolko s’est adressé à cette agence pour des services et l’auteur lui a par la suite rendu visite et signé un contrat avec lui sur du papier à l’en ‑tête d’une autre agence. L’auteur avait conservé ces en ‑têtes depuis l’époque à laquelle il envisageait de déclarer sa propre agence immobilière sous ce nom. Le 30 novembre 2000, l’auteur et Zagolko ont loué ensemble un casier dans un centre de dépôt et déposé 1 400 dollars des États ‑Unis à titre de garantie mutuelle pour que la transaction ait bien lieu. L’auteur a déclaré au tribunal qu’il n’avait retiré que 100 dollars mais, lorsque le casier a été ouvert par le personnel du centre de dépôt, à une date non précisée, il était vide. D’après l’auteur il n’avait pas l’intention de commettre une fraude. L’employé du centre de dépôt a témoigné devant le tribunal que, le 30 novembre 2000, il avait enregistré le casier sous le nom de Zagolko en présence de Gavrilin et qu’ensuite il avait vu ce dernier entrer dans le centre seul à plusieurs reprises, notamment le 30 novembre 2000. Dans une lettre adressée au Comité et datée du 14 mars 2005, l’auteur déclare avoir reconnu devant le tribunal de première instance être entré dans le centre de dépôt ce jour ‑là, espérant que les juridictions d’appel et de cassation prendraient note de la contradiction entre les dates dans le deuxième et le troisième jugements et annuleraient le troisième.

2.7 À une date non précisée, l’auteur a fait appel du troisième jugement auprès du Collège judiciaire du tribunal de la ville de Minsk, lui demandant de réduire la peine prononcée et d’exclure le chef de présomption de fraude pour les faits commis le 30 novembre 2000 à Minsk, puisqu’il était en train d’exécuter sa peine à la colonie pénitentiaire. De plus, il n’aurait pas dû être condamné pour fraude en vertu du paragraphe 3 de l’article 209 du nouveau Code parce qu’il n’avait pas eu l’intention de commettre une fraude et les jugements précédents auraient dû être réexaminés en raison de la modification de la loi applicable. Le 29 avril 2003, le Collège judiciaire du tribunal de la ville de Minsk a confirmé le troisième jugement déclarant notamment que rien ne justifiait la révision des jugements précédents en vertu de la procédure de contrôle, car les condamnations s’inscrivaient dans la fourchette prévue par le nouveau Code, tel que modifié par la loi du 4 janvier 2003.

2.8 À une date non précisée, l’auteur a saisi le Président du tribunal de la ville de Minsk, lui demandant de changer la qualification légale des faits qui lui étaient reprochés, en passant de celle du paragraphe 3 de l’article 90 de l’ancien Code à celle du paragraphe 3 de l’article 209 du nouveau Code, et de réviser rétroactivement le premier jugement et la décision du 2 octobre 1997 conformément à la loi du 4 janvier 2003. Le 3 mai 2003, le Président du tribunal de la ville de Minsk a déclaré que la plainte de l’auteur n’était pas fondée. La peine prévue par le paragraphe 3 de l’article 209 du nouveau Code était la même que celle prévue par le paragraphe 3 de l’article 90 de l’ancien Code (soit cinq à dix ans d’emprisonnement) et la condamnation de l’auteur à sept ans d’emprisonnement était comprise dans la fourchette autorisée par le nouveau Code, tel que modifié par la loi du 4 janvier 2003 (soit de trois à dix ans de prison). Par conséquent, la première condamnation n’était pas soumise à examen obligatoire en vertu de la procédure de contrôle.

2.9 À une date non précisée, le Président du tribunal de la ville de Minsk a fait objection concernant le troisième jugement et a prié le Présidium du tribunal de la ville de Minsk de le revoir, compte tenu de l’adoption en date du 22 juillet 2003 d’une autre loi modifiant et complétant le Code pénal et le Code de procédure pénale (ci ‑après «loi du 22 juillet 2003»). Cette loi prévoyait une nouvelle peine pour le délit de fraude, allant de deux à sept ans d’emprisonnement. Le 24 septembre 2003, le Présidium du tribunal de la ville de Minsk a réduit la peine prononcée à l’encontre de l’auteur au titre du troisième jugement pour fraude (par. 3 de l’article 209 du nouveau Code) à six ans et neuf mois d’emprisonnement. Il a appliqué le paragraphe 2 de l’article 72 du nouveau Code et a condamné l’auteur à une peine cumulée de sept ans en vertu du paragraphe 3 de l’article 209 et du paragraphe 1 de l’article 216 du nouveau Code. Enfin, le Présidium du tribunal de la ville de Minsk a ajouté le solde de la peine prononcée en vertu de la deuxième condamnation, soit trois mois, et prononcé une condamnation finale de sept ans d’emprisonnement. Il a indiqué que le nouveau Code, tel que modifié par la deuxième loi, classait le délit en vertu du paragraphe 3 de l’article 209 comme «grave» et en vertu du paragraphe 1 de l’article 216 comme «moins grave». Sur cette base, le tribunal a appliqué le paragraphe 2 de l’article 72 du même code , qui impose de n’appliquer au titre du cumul de peines qu’une seule condamnation, c’est ‑à ‑dire la condamnation la plus lourde de celles qui ont été prononcées en vertu de différents articles. Le Présidium du tribunal de la ville de Minsk a remplacé le principe de «récidive dangereuse» invoqué par le tribunal du district de Sovietsky de Minsk dans l’affaire de l’auteur par le principe de «récidive simple», ce qui supprimait l’obligation de le condamner à au moins les deux tiers de la durée maximale de la peine la plus lourde encourue au titre du paragraphe 3 de l’article 209 du nouveau Code. Il a tenu compte du fait que la peine cumulée à laquelle l’auteur avait été condamné dans le deuxième jugement avait été décidée sur la base de l’ancien Code, plus favorable à l’auteur.

2.10 À une date non précisée, l’auteur a demandé à la Cour suprême de revoir le premier et le troisième jugement. Le 15 décembre 2003, le Vice ‑Président de la Cour suprême a déclaré que le premier jugement n’était pas soumis à la procédure d’examen obligatoire car la peine prononcée s’inscrivait dans la fourchette autorisée par le nouveau Code.

2.11 Sur décision du Présidium du tribunal de la ville de Minsk en date du 2 juin 2004, la qualification légale des faits reprochés à l’auteur en vertu du premier jugement a été modifiée, l’infraction nouvellement qualifiée relevant non plus du paragraphe 3 de l’article 90 de l’ancien Code mais du paragraphe 3 de l’article 209 du nouveau Code, tel que modifié par la loi du 22 juillet 2003. Le tribunal a pris en compte le danger public que représentaient les faits commis par l’auteur ainsi que ses caractéristiques personnelles et a décidé de le condamner à la peine d’emprisonnement maximale, soit sept ans, parce qu’il avait commis les infractions dans un intérêt personnel.

2.12 Le 23 juin 2004, l’auteur a écrit à l’administration présidentielle pour demander notamment au Président de lancer une nouvelle procédure de révision de la loi du 22 juillet 2003 par la Cour constitutionnelle . Le 16 juillet 2004, il a demandé à la Cour suprême de revoir le deuxième et le troisième jugements compte tenu de la décision du Présidium en date du 2 juin 2004. Le 4 mars 2005, le Vice ‑Président de la Cour suprême l’a informé qu’il n’y avait pas matière à engager une procédure de révision d’aucun des jugements rendus le concernant en vertu de la procédure de contrôle.

2.13 Le 15 mars 2005, l’auteur a prié la Cour suprême de revoir le troisième jugement notamment à la lumière du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. Il a contesté les conclusions du tribunal de district de Sovietsky de Minsk, selon lesquelles il s’était rendu coupable de fraude à Minsk le 30 novembre 2000, puisque ce jour ‑là il était encore en prison dans la région de Gomel. Sa demande a été rejetée le 6 mai 2005. Le texte de la décision précisait qu’il se trouvait en cellule disciplinaire du 27 octobre au 11 novembre 2000. Dans la lettre en date du 14 mars 2005 qu’il a adressée au Comité, l’auteur explique qu’il a été autorisé à quitter la colonie pénitentiaire pour rendre visite à sa famille les 22 et 23 novembre 2000, mais il n’est pas rentré et a été ramené le 25 novembre 2000 et placé en cellule disciplinaire.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur se déclare victime de violations par le Bélarus des droits garantis par le paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. Il fait valoir que les dispositions du nouveau Code, tel que modifié par les lois du 4 janvier et du 22 juillet 2003, établissant une peine plus légère pour la fraude, auraient dû être appliquées rétroactivement à son cas. En vertu du nouveau Code, un emprisonnement de sept ans est la peine maximale, réservée aux cas les plus graves, alors que la condamnation prononcée à son encontre en vertu de l’ancien Code était parmi les plus légères. Par conséquent, il aurait dû bénéficier d’une réduction de peine en vertu du nouveau Code. Il renvoie aux décisions de la Cour constitutionnelle du Bélarus en date du 9 juillet 1997 et du 21 octobre 2003. S’appuyant sur l’article 104 de la Constitution du Bélarus et sur le paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, la Cour constitutionnelle a estimé que le principe de l’application rétroactive d’une loi pénale établissant une peine plus légère devait s’appliquer, entre autres, aux cas où l’écart entre la peine maximale et la peine minimale se trouvait réduit par une loi adoptée ultérieurement, même si la condamnation prononcée en vertu de la loi précédente s’inscrivait dans la nouvelle fourchette ainsi définie. En outre, une loi établissant une peine plus légère a été définie par la Cour suprême du Bélarus comme une loi réduisant la peine maximale ou la peine maximale de la fourchette de peine.

3.2 L’auteur fait valoir en outre une violation du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte parce que des personnes ayant commis la même infraction dans les mêmes circonstances, mais qui ont été jugées en vertu du nouveau Code, ont reçu un traitement plus favorable.

3.3 Le paragraphe 2 de l’article 2 aurait aussi été violé parce que l’État partie n’a pas adopté de mesures pour garantir une interprétation claire et uniforme du principe de l’application rétroactive du droit pénal, garanti par l’article 104 de la Constitution du Bélarus.

3.4 Le paragraphe 4 de l’article 9 aurait été violé parce que les organes gouvernementaux et judiciaires qui sont autorisés à examiner les condamnations de l’auteur en vertu de la procédure de contrôle ne l’ont pas fait.

3.5 L’auteur formule des griefs concernant sa troisième condamnation. D’abord, il estime qu’elle est incompatible avec la deuxième condamnation − pour évasion − parce que celle ‑ci reconnaît qu’il ne s’est évadé que le 1 er décembre 2000. Il fait valoir qu’il n’aurait pas dû être condamné pour une fraude commise le 30 novembre 2000 et dit que le droit à un procès équitable, consacré à l’article 14 du Pacte, a été violé.

3.6 Enfin, l’auteur affirme que l’article 11 du Pacte a été violé, parce qu’il a été condamné à la privation de liberté pour une dette qu’il n’a pas remboursée uniquement parce qu’il n’avait pas les ressources nécessaires et non intentionnellement. Il fait valoir que la qualification applicable aurait dû être celle de l’article 151 de l’ancien Code pénal, c’est ‑à ‑dire la conduite d’activités en violation de l’obligation d’enregistrement, punie de trois ans de prison au maximum. Il conclut, sans étayer davantage ses propos, que les droits garantis au paragraphe 1 de l’article 9 ont aussi été violés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4. Dans une lettre datée du 20 juillet 2005, l’État partie rappelle les faits et ajoute que l’argument de l’auteur qui affirme qu’il était en détention le 30 novembre 2000 et n’aurait donc pas pu commettre le délit de fraude ce même jour à Minsk, est dénué de fondement et non corroboré par le dossier de l’affaire. L’auteur n’a pas contesté ce point en première instance. L’État partie fait valoir que sa culpabilité a été prouvée de manière indubitable par les éléments de preuve présentés au tribunal, que les tribunaux ont correctement qualifié les faits en vertu de la législation alors en vigueur et qu’ils ont prononcé les condamnations qui s’imposaient compte tenu des actes de l’auteur et de sa situation personnelle.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5. Dans des lettres datées des 22 et 30 septembre 2005 et du 22 février 2006, l’auteur commente les observations de l’État partie. Il renouvelle les griefs exposés précédemment et conteste les déclarations de l’État partie pour qui la qualification des faits en vertu de la loi alors en vigueur est correcte. Il fait valoir que, bien qu’un nouveau Code pénal soit entré en vigueur le 1 er janvier 2001, les faits décrits dans certains chefs d’accusation retenus dans le troisième jugement se sont produits en 2000, tandis que les dommages causés par les faits qui ont eu lieu en 2001 ne sont pas «importants». Par conséquent, ses actes auraient dû être qualifiés comme une infraction «moins grave», ce qui excluait l’application du principe de «récidive dangereuse» .

Autres observations de l’État partie et commentaires de l’auteur

6. Les deux parties ont présenté des observations complémentaires dans lesquelles elles renouvellent les arguments présentés précédemment.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Concernant l’épuisement des recours internes, le Comité a noté que, selon les informations présentées par l’auteur, tous les recours internes disponibles, jusqu’à la Cour suprême, ont été épuisés. En l’absence d’objection de la part de l’État partie, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

7.3 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 11 du Pacte, le Comité note que l’interdiction de la détention pour dette ne s’applique pas aux infractions pénales liées à des dettes civiles. En cas de fraude, de banqueroute simple ou frauduleuse, etc., l’intéressé est passible d’une peine d’emprisonnement même s’il n’est plus à même de rembourser ses dettes. Par conséquent, le Comité estime que ce grief est incompatible ratione materiae avec l’article 11 du Pacte et par conséquent n’est pas recevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif. L’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 9 étant liée à l’allégation de violation de l’article 11, le Comité estime qu’elle est également irrecevable pour les mêmes raisons.

7.4 En ce qui concerne les allégations de l’auteur qui affirme que les organes gouvernementaux et judiciaires habilités à lancer la procédure d’examen des condamnations en vertu de la procédure de contrôle ne l’ont pas fait, en violation du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte, le Comité relève que le principe d’ habeas corpus consacré par cette disposition ne s’applique pas à la procédure de contrôle en vigueur en vertu des lois de l’État partie. Cette dernière porte sur l’examen d’une décision finale, lorsque la légalité de la détention est a priori examinée et confirmée par les autorités judiciaires précédentes. Par conséquent, le Comité estime que cette partie de la communication est incompatible ratione materiae avec le paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte et est donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.5 Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme que sa condamnation par le tribunal de district de Sovietsky de Minsk pour, entre autres choses, avoir commis une fraude à Minsk le 30 novembre 2000, constitue une violation des droits consacrés à l’article 14 du Pacte. Le Comité relève que le grief tiré de l’article 14 porte essentiellement sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve et sur l’interprétation de la législation interne. Il rappelle, conformément à sa jurisprudence, que c’est en principe aux juridictions des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve et d’interpréter la législation interne, à moins que l’appréciation des faits et des éléments de preuve ait été manifestement arbitraire et ait représenté un déni de justice . L’auteur n’ayant pas apporté d’élément montrant que les décisions des tribunaux de l’État partie ont été entachées de telles irrégularités, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole.

7.6 Le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, son grief de violation des articles 2 et 26 du Pacte. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7 Le Comité considère que les autres griefs de l’auteur ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc recevables, du fait qu’ils soulèvent des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.

Examen au fond

8.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2 Le Comité note que, en ce qui concerne l’application rétroactive du nouveau Code, tel que modifié par la loi du 22 juillet 2003, aux première et troisième condamnations de l’auteur par le Présidium du tribunal de la ville de Minsk le 2 juin 2004 et le 24 septembre 2003, respectivement, le principal point soulevé dans la communication n’est pas de savoir si les dispositions du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte relatives à l’application rétroactive d’une «peine plus légère» s’appliquent en l’espèce, mais plutôt de déterminer si, dans un cas où la peine infligée dans le cadre d’une condamnation prononcée en vertu d’une loi précédente s’inscrit dans la fourchette de peine prévue par une loi ultérieure, les dispositions du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte imposent à l’État partie de réduire en proportion la peine prononcée à l’origine, afin que l’accusé puisse bénéficier d’une peine plus légère en vertu de la loi adoptée ultérieurement.

8.3 À ce sujet, le Comité renvoie à sa décision dans l’affaire Filipovich c. Lituanie . Il avait conclu qu’il n’y avait pas violation du paragraphe 1 de l’article 15 parce que la peine à laquelle l’auteur avait été condamné se situait très largement dans les limites fixées par la loi précédente et que l’État partie avait mentionné l’existence de circonstances aggravantes. Le Comité note que, en l’espèce, la peine prononcée dans la première condamnation s’inscrit largement dans les limites prévues par l’ancien Code comme par le nouveau Code, tel que modifié par la loi du 22 juillet 2003, et que, pour déterminer la durée de la peine, le tribunal a tenu compte du danger public que représentaient les actes de l’auteur et sa situation personnelle. Le Comité relève en outre que, lorsqu’il a examiné la peine prononcée dans la troisième condamnation, le Présidium du tribunal de la ville de Minsk a réduit la peine pour fraude à six ans et neuf mois d’emprisonnement. En appliquant mutatis mutandis le raisonnement suivi dans l’affaire Filipovich c. Lituanie à la présente affaire, le Comité ne peut pas, sur la base des informations qui lui ont été fournies, conclure que la peine infligée à l’auteur est incompatible avec le paragraphe 2 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

CC. Communication n o 1347/2005, Dudko c. Australie * (Constatations adoptées le 23 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Lucy Dudko (représentée par un conseil, M. Akhmed Glashev)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

1 er juin 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Procès pénal et appel accompagnés d’une large publicité; non ‑participation à l’audience, absence d’aide juridictionnelle et défaut de représentation en justice devant la juridiction de dernier ressort

Questions de procédure : Non ‑épuisement des recours internes

Questions de fond : Procès et appel équitables; lenteur de la procédure; fourniture d’une aide juridictionnelle; égalité devant les tribunaux

Articles du Pacte : 7, 9, 10, 14, 17

Articles du Protocole facultatif : 2, 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1347/2005, présentée au Comité des droits de l’homme au nom de M me Lucy Dudko en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 1 er juin 2004, est M me Lucy Dudko, de nationalité australienne, actuellement incarcérée au Centre de détention et de formation de Silverwater, en Nouvelle ‑Galles du Sud (Australie). Elle affirme être victime de violations par l’Australie des articles 7, 9, 10, 14 et 17 du Pacte. Elle est représentée par un conseil, M. Akhmed Glashev.

Exposé des faits

2.1 En mars 1999, un hélicoptère a été détourné lors d’un vol de tourisme au ‑dessus de Sydney. L’auteur du détournement a ordonné au pilote d’atterrir à la prison de Silverwater, où était détenu un certain M. Killick, condamné pour attaque de banque à main armée. L’auteur du détournement et M. Killick se sont échappés de la prison à bord de l’hélicoptère et ont disparu. Entre le 25 et le 31 mars 1999, ont été publiés une quarantaine d’articles de presse où l’auteur était décrite comme étant la pirate de l’air, complice de criminels, et représentant une menace pour la société. Treize articles similaires ont été publiés en avril 1999 et 19 autres en mai 1999, avant que la couverture médiatique ne s’atténue. Le 8 mai 1999, l’auteur a été arrêtée; elle était soupçonnée de détournement d’aéronef et d’assistance illégale à l’évasion d’un détenu particulièrement dangereux. M. Killick a également été arrêté. Tout au long de l’année 2000, les médias ont publié de nombreux récits qui, selon l’auteur, la qualifiaient de criminelle particulièrement dangereuse pour la société. Dans certains d’entre eux, il aurait été affirmé qu’il fallait absolument freiner l’afflux d’immigrés russes qui constituaient une menace pour la société. En décembre 2000, M. Killick a été condamné après avoir plaidé coupable de diverses infractions associées à son évasion. Lors du prononcé du jugement, le juge M. a déclaré: «Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette évasion était rocambolesque. Elle était digne d’un film hollywoodien. L’accusée et le coaccusé … ont appris et répété leurs rôles respectifs, sans négliger le moindre détail de la synchronisation.» .

2.2 En mars 2001, le procès de l’auteur a commencé. M. Killick n’y a pas été cité comme témoin et n’y a pas assisté. Bien qu’elle ait affirmé ne pas être l’auteur du détournement, l’auteur a été déclarée coupable, par un jury du tribunal de district de Nouvelle ‑Galles du Sud, de complicité d’évasion par la force d’une personne placée en détention légale, de voies de fait contre un membre de l’équipage d’un aéronef, de détention à des fins personnelles et de deux chefs de détention illégale d’arme à feu (pistolet). L’auteur affirme qu’avant que le verdict ne soit rendu, le juge M., qui ne participait pas à son procès, a déclaré dans une interview au Daily Telegraph que l’auteur avait bien commis l’infraction. Le tribunal de district a infligé à l’auteur une peine de dix années d’emprisonnement pour les infractions les plus graves, assortie de peines confondues plus légères pour les autres infractions.

2.3 Le 20 août 2002, la cour d’appel de la Nouvelle ‑Galles du Sud a rejeté l’appel interjeté par l’auteur. Le 2 avril 2003, la demande d’aide juridictionnelle déposée par l’auteur pour solliciter l’autorisation de faire appel devant la Cour suprême d’Australie ( High Court ) a été rejetée au motif qu’il n’y avait pas de chance raisonnable que l’autorisation soit accordée; en conséquence, l’auteur a préparé sa propre demande. Le 16 mars 2004, la Cour suprême d’Australie (juges Gummow, Kirby et Heydon) a rejeté sa demande d’autorisation de faire appel, faisant valoir que «l’unique question qui serait examinée en appel par [la Cour suprême ] concernerait [la publicité négative]; or, même s’il était établi qu’il y [avait] eu préjudice à cet égard, les autres preuves relatives à l’identité... [étaient] tellement accablantes qu’il ne saurait en être déduit que ce préjudice [avait] entraîné une erreur judiciaire». Bien qu’elle en ait exprimé le souhait, l’auteur n’a pu participer à l’audience devant la Cour suprême et n’a pas eu la possibilité de présenter ses propres arguments. Il ressort des minutes de l’audience que l’un des juges, M. Kirby, a demandé au fonctionnaire représentant le Directeur des services du ministère public s’il était possible d’établir une communication avec la prison où l’auteur était détenue, de sorte que cette dernière puisse avoir le droit de comparaître comme n’importe quel autre citoyen. Le juge a fait observer que du moment que les requérants étaient autorisés à s’adresser à la Cour, il ne voyait pas pourquoi ceux qui se trouvaient en détention ne seraient pas entendus comme les autres. Il a déclaré qu’il jugeait inéquitable que, contrairement à ce qui se passait dans les autres États fédérés de l’État partie où les requérants détenus étaient présents à l’audience et pouvaient s’adresser à la Cour, en Nouvelle ‑Galles du Sud ils ne pouvaient pas le faire ce qui, selon lui, pourrait faciliter le travail de la Cour. Le fonctionnaire a répondu qu’il ne s’expliquait pas cette pratique et qu’il n’était pas en mesure de donner son avis sur la question. Enfin, l’auteur affirme qu’elle a été accusée d’avoir enfreint le règlement de la prison et transférée dans un autre établissement, la prison de Berrima, qui appliquait un régime plus strict.

Teneur de la plainte

3. L’auteur affirme, sans donner plus de détails, que l’État partie a violé les articles 7, 9, 10 et 17 du Pacte. Elle soutient en outre que l’État partie a violé les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 du Pacte à plusieurs égards. Premièrement, l’État partie n’aurait pas veillé à ce qu’elle ait un procès équitable, elle n’aurait pas été jugée par un tribunal impartial, et elle n’aurait pas bénéficié de la présomption d’innocence. L’auteur affirme que l’«interview» qu’aurait donnée le juge M. l’a fait apparaître, compte tenu du statut professionnel de celui ‑ci, comme coupable et a influencé l’issue de l’affaire et l’opinion des jurés. De manière générale, l’image de l’auteur que les médias ont largement véhiculée aurait eu un effet dévastateur et lui aurait porté préjudice, et en conséquence, les jurés se seraient forgé une opinion définitive quant à sa culpabilité et auraient été influencés par un parti pris en sa défaveur. L’auteur se plaint en outre d’un retard excessif dans la procédure ainsi que du fait qu’elle n’a pas été autorisée à être présente lorsque la Cour suprême a examiné sa demande d’autorisation de faire appel, et qu’elle n’a pas bénéficié d’une aide juridictionnelle pour sa demande d’autorisation spéciale de faire appel devant la Cour suprême .

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Dans une note verbale du 31 août 2005, l’État partie a contesté la recevabilité et le fond de la communication. S’agissant des plaintes à l’appui desquelles l’auteur n’a fourni aucun argument, il affirme qu’elles doivent être rejetées parce qu’elles ne sont pas suffisamment étayées. Quoi qu’il en soit, ces plaintes seraient selon lui sans fondement. À propos de l’article 7, l’État partie déclare que la détention, en elle ‑même, ne constitue pas une violation dudit article, et qu’il n’y a ni preuves ni allégations de torture ou de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant. Pour ce qui est de l’article 9, l’État partie fait valoir que la détention de l’auteur n’a été, à aucun moment, illégale ni arbitraire, mais qu’elle reposait au contraire sur des motifs raisonnables et qu’elle était conforme aux procédures établies par la loi. L’auteur a été incarcérée après son arrestation, et elle a été jugée et déclarée coupable par un jury et condamnée conformément à la loi. Elle a bénéficié d’un contrôle judiciaire de la décision, comme l’atteste l’appel qu’elle a interjeté auprès de la chambre criminelle de la cour d’appel de la Nouvelle ‑Galles du Sud. Quant à l’article 10, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas précisé en quoi les conditions de sa détention avaient constitué une violation dudit article.

4.2 À propos du paragraphe 1 de l’article 14, qui dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue «équitablement» dans une affaire pénale, l’État partie relève que la plainte de l’auteur ne porte pas sur l’égalité des personnes devant les tribunaux australiens, l’accès aux tribunaux, la question de l’établissement des tribunaux conformément à la loi, l’équité de la procédure ou le caractère public des procès pénaux. L’État partie affirme que le système judiciaire australien est indépendant et impartial, principes garantis par la Constitution et respectés dans la pratique. Le système juridique prévoit de nombreuses garanties visant à protéger le droit de l’accusé à un procès équitable, notamment la présomption d’innocence, les règles de procédure et de preuve, le jugement par un jury et le caractère public des procès, et que rien ne prouve que l’auteur n’a pas bénéficié de ces garanties. S’agissant de l’exigence spécifique énoncée au paragraphe 1 de l’article 14 concernant le droit d’être jugé par un tribunal compétent et impartial, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas fourni de preuve suffisante établissant que le tribunal de première instance avait manqué d’impartialité. Il n’est pas affirmé que le juge était partie à l’affaire ou qu’il y avait un intérêt qui aurait exigé son dessaisissement, et il n’est fourni aucune preuve de l’existence de circonstances pouvant amener un observateur raisonnable et éclairé à conclure à l’existence d’un parti pris. L’allégation de partialité semble reposer entièrement sur une observation que le juge du fond aurait adressée à M. Killick après que celui ‑ci a plaidé coupable et a été condamné lors d’un procès distinct. Il est affirmé que le comportement présumé du juge ne suffit pas à suggérer un parti pris envers l’auteur, puisqu’il concerne un accusé différent et la condamnation de ce dernier. L’État partie soutient que lorsqu’un juge a été nommé selon les règles, qu’il a satisfait aux critères de nomination, qu’il a prêté serment d’impartialité et que le bien ‑fondé de sa participation à l’affaire n’a pas été contesté devant les tribunaux nationaux, il incombe à quiconque dénonce un manque d’impartialité de fournir des preuves sérieuses et tangibles.

4.3 Eu égard au grief tiré du paragraphe 2 de l’article 14, l’État partie note que le juge du fond qui s’adressait à M. Killick n’était en aucune manière lié au cas de l’auteur et en conclut que l’auteur n’est pas fondée à avancer ce grief. L’État partie affirme en outre qu’aucune preuve établissant que le juge M. avait fait de telles déclarations n’a été fournie. Quant à l’argument selon lequel la large publicité qui a entouré l’affaire dans les médias a porté atteinte à la présomption d’innocence, l’État partie note que la présomption d’innocence est un principe fondamental dans le système de justice pénale australien, et que le système juridique national prévoit de nombreuses garanties visant à protéger le droit de l’accusé à un procès équitable. Le grief de publicité préjudiciable était soumis dans les recours formés par l’auteur auprès de la chambre criminelle de la cour d’appel et de la Cour suprême , et ces juridictions ont toutes deux examiné et rejeté l’allégation. Les griefs et les documents dont le Comité est saisi ne font apparaître aucun comportement arbitraire ou partial de la part du juge du fond. En outre, les instructions du juge au jury et la conduite du procès ont été examinées par deux juridictions d’appel nationales, qui les ont jugées conformes au droit interne. Dans sa communication, l’auteur ne démontre pas que la publicité donnée dans les médias à l’affaire la concernant a suscité un parti pris chez les jurés ou entravé d’une quelconque manière la conduite équitable de son procès. L’auteur n’a pas établi que cette large publicité avait été donnée peu de temps avant le procès, ou que les instructions du juge au jury concernant la présomption d’innocence étaient insuffisantes ou constituaient un déni de justice. En conséquence, la plainte de l’auteur n’est pas suffisamment étayée.

4.4 En ce qui concerne le fond, l’État partie note en outre que l’auteur a demandé au juge du fond un arrêt définitif de la procédure pour cause de publicité avant procès . Le juge a conclu que si le jury recevait des instructions appropriées, l’auteur bénéficierait d’un procès équitable, et il a rejeté la demande. Lorsqu’il a fait le point sur la question de la publicité avant procès, le juge a clairement indiqué aux jurés qu’ils devaient examiner la question sans vues ou idées préconçues pouvant découler de ce qu’ils se rappelaient peut ‑être avoir vu ou entendu entre mars et mai 1999, ou même plus tard … concernant cette affaire précise, y compris dans les médias . La chambre criminelle de la cour d’appel a examiné l’allégation de l’auteur, selon laquelle la publicité avant procès avait «suscité un parti pris chez certains jurés au moins, ce qui [avait] entraîné une erreur judiciaire» . La Cour a estimé que les déclarations relatives à la culpabilité de l’auteur parues dans les médias

… étaient particulièrement répandues juste après l’évasion mais sont devenues moins nombreuses et moins frappantes au fil du temps. La plus grande partie de cette publicité a été donnée presque deux ans avant le procès lui ‑même… Il existe désormais un nombre important d’avis d’autorités judiciaires montrant que les jurés assument leur responsabilité en distinguant entre les éléments de preuve et ce qu’ils ont entendu avant le procès … Votre Honneur a donné au jury des instructions claires et fermes à cet égard .

La chambre criminelle de la cour d’appel a souligné que la plus grande partie de la publicité en question avait été donnée en 1999 et en 2000, tandis que le procès n’avait pas commencé avant mars 2001. Le juge du fond avait donné au jury des instructions claires et appropriées sur la question de la publicité avant procès.

4.5 Quant aux allégations relatives à la lenteur de la procédure, au refus d’octroi d’une aide juridictionnelle en appel et à l’impossibilité d’être présente à son propre procès, l’État partie déclare que ces plaintes sont irrecevables parce que les recours internes n’ont pas été épuisés et que les allégations ne sont pas suffisamment étayées. S’agissant de l’aide juridictionnelle, l’État partie fait observer que l’octroi d’une aide juridictionnelle en Nouvelle ‑Galles du Sud est régie par la loi relative à la Commission d’aide juridictionnelle de 1979. La demande d’aide juridictionnelle déposée par l’auteur pour son appel devant la Cour suprême a été refusée par la Commission d’aide juridictionnelle de la Nouvelle ‑Galles du Sud. L’auteur a été informée de son droit de recours en vertu de l’article 56 de la loi relative à la Commission d’aide juridictionnelle, selon lequel le rejet d’une demande d’aide juridictionnelle peut être contesté devant le Comité d’examen de l’aide juridictionnelle. Or, l’auteur n’a pas formé de recours contre la décision lui refusant l’aide juridictionnelle.

4.6 L’État partie soutient en outre que l’auteur n’a pas fourni de preuve suffisante établissant qu’il a, par son comportement, enfreint le droit de l’auteur d’être présente à son propre procès. L’auteur était présente tout au long de son procès ainsi que devant la chambre criminelle de la cour d’appel, et elle n’a pas montré que l’examen in absentia de sa demande par la Cour suprême d’Australie avait entraîné un quelconque manque d’équité contraire aux dispositions de l’article 14. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité dans Mbenge c. Zaïre selon laquelle: «on ne saurait considérer que cette disposition et d’autres garanties d’une procédure régulière prévues à l’article 14 interdisent immanquablement les procès par contumace, quelles que soient les raisons qui expliquent l’absence de l’accusé» . Enfin, il n’est pas suffisamment établi dans la communication que le refus d’octroyer une aide juridictionnelle à l’auteur a abouti à une violation du paragraphe 3 de l’article 14. L’auteur ne formule aucune plainte contre la décision de la Commission d’aide juridictionnelle, qui a estimé que l’appel pour lequel une aide juridictionnelle était demandée n’avait aucune chance raisonnable d’aboutir.

4.7 S’agissant de la question du retard, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a fourni aucune preuve à l’appui de son allégation, à savoir que la procédure judiciaire la concernant a été indûment retardée. La communication ne donne que trois dates, celle de l’arrestation, celle du prononcé de la décision de la chambre criminelle de la cour d’appel et celle du prononcé de la décision de la Cour suprême d’Australie. Elle ne contient aucune information concernant les dates du procès, la longueur du procès, les dates auxquelles les appels ont été interjetés et les dates auxquelles ils ont été entendus. L’auteur ne dit pas qu’elle ‑même ou son conseil se soient plaints de ce retard auprès des autorités de l’État partie. L’État partie rappelle que la qualification de «retard excessif» dépend des circonstances et de la complexité de l’affaire.

4.8 L’État partie note que dans l’écrasante majorité des cas où le Comité a constaté une violation du paragraphe 3 c) de l’article 14, le retard subi par le défendeur était supérieur à deux ans. Chaque degré de juridiction a des délais standard dûment appliqués pour la conduite des affaires pénales. L’auteur a été arrêtée le 9 mai 1999, et déférée au tribunal local de Parramatta le jour même, accusée d’avoir commis 14 infractions. Elle a bénéficié d’une représentation en justice à cette occasion ainsi qu’à toutes les autres audiences devant le tribunal local, et n’a jamais demandé sa libération sous caution. L’affaire la concernant a été inscrite au rôle du tribunal local chaque mois jusqu’en avril 2000, date à laquelle il a été décidé d’entendre les arguments de la défense en juillet 2000 dans le cadre de l’instruction préparatoire. L’audience préliminaire s’est achevée le 25 août 2000, date à laquelle l’affaire a été renvoyée devant le tribunal de district de Sydney.

4.9 L’auteur a comparu au tribunal de district le 1 er septembre 2000 et a été mise en accusation le 20 octobre. Le même jour, la date du procès a été fixée au 19 février 2001. Les requêtes préliminaires ont été entendues les 19 et 20 février 2001, et le procès s’est ouvert le 21 février. La phase d’administration des preuves s’est terminée le 7 mars 2001 et le 9 mars le jury a rendu un verdict de culpabilité pour chaque chef d’accusation. L’affaire a été renvoyée au 8 juin 2001, date à laquelle ont été entendus la plaidoirie et le réquisitoire. La sentence a été prononcée le 20 juillet 2001. L’État partie a signalé que pour les tribunaux de district il est exigé que 90 % des procès commencent dans les quatre mois qui suivent l’audience préliminaire et que 100 % des procès commencent dans les douze mois; le procès de l’auteur s’est ouvert dans les six mois.

4.10 L’auteur a interjeté appel auprès de la chambre criminelle de la cour d’appel de la Nouvelle ‑Galles du Sud le 30 juillet 2001. L’audience a été inscrite pour le 10 septembre 2001, puis a été renvoyée à octobre et décembre 2001 et à février et avril 2002. À chacune de ces dates, la requête de l’auteur n’était pas en l’état car elle (ou ses conseillers juridiques) n’avait pas déposé de motif de recours ni de mémoire à l’appui de sa requête. Elle n’a présenté ses motifs que le 19 avril 2002 et ses conclusions le 23 mai 2002. La chambre criminelle de la cour d’appel a entendu la cause le 21 juin 2002 et a réservé sa décision. L’auteur a demandé un délai additionnel pour présenter de nouvelles conclusions en juillet et en août 2002. Le 20 août 2002, la cour a rejeté l’appel. En ce qui concerne la Cour suprême d’Australie, la plaignante n’a pas déposé d’avis de demande d’autorisation d’appel devant la Cour avant le 15 avril 2003. À la suite de l’échange de mémoires, la demande d’autorisation d’appel a été examinée par la Cour suprême, qui l’a rejetée le 16 mars 2004.

4.11 L’État partie rappelle que l’affaire de l’auteur était complexe, qu’elle comprenait 14 chefs d’accusation et un coaccusé, qui avait fait l’objet d’un procès distinct. La plaignante avait été déférée devant la justice au plus vite, le jour de son arrestation, et son affaire était suivie régulièrement au tribunal pour assurer son bon déroulement. Le temps qui avait été nécessaire pour organiser la mise en accusation, le procès et les recours, était conforme aux normes fixées par les tribunaux pour les affaires pénales. En outre, il était incontestable que des retards non négligeables avaient été causés par l’inaction ou l’impréparation de l’auteur ou de ses conseils juridiques, particulièrement pour le recours devant la chambre criminelle de la cour d’appel et la Cour suprême. Étant donné tous les faits de la cause, on ne peut pas dire qu’il y ait eu un retard.

4.12 Concernant le droit d’assister à son propre procès, l’État partie reconnaît que l’obligation qui lui incombe de conduire un procès pénal en présence de l’accusé peut être étendue aux affaires en appel lorsque les intérêts de la justice l’exigent . La décision doit être prise sur la base de l’examen du procès dans son ensemble, et non sur la base d’un élément isolé . L’État partie fait valoir que la comparution de l’accusée en personne ne revêt pas la même importance décisive en appel qu’au premier degré . En conséquence, la procédure de demande d’autorisation d’appel et les procédures ne faisant intervenir que des questions de droit, par opposition à des questions de fait, peuvent être conformes aux conditions d’un procès équitable même si l’appelant n’a pas eu la possibilité de comparaître en personne . À ce sujet, l’ État partie rappelle la décision rendue par le Comité dans l’affaire R. M. c. Finlande selon laquelle l’absence de procédures orales en appel ne soulève aucune question en vertu de l’article 14 du Pacte .

4.13 L’État partie indique que la défense n’était pas représentée par un avocat devant la Cour suprême d’Australie, parce que l’assistance juridictionnelle avait été refusée à l’auteur pour la demande d’autorisation d’appel. L’auteur elle ‑même n’était pas présente à l’audience, parce qu’elle était incarcérée et que, selon l’usage de la Nouvelle ‑Galles du Sud, les personnes incarcérées ne comparaissent pas devant la Cour suprême. Néanmoins, l’absence de l’auteur lors de l’examen de sa demande n’a nullement nui à l’équité de la procédure ni affecté en quoi que ce soit cette équité. L’auteur avait assisté à tout son procès et à l’audience en appel à la chambre criminelle de la cour d’appel de la Nouvelle ‑Galles du Sud. Elle avait connaissance de la procédure devant la Cour suprême d’Australie, puisqu’elle l’avait engagée elle ‑même, et elle avait pu présenter son mémoire qui avait été examiné par la Cour . Le fait qu’elle n’ait pas assisté à l’audience d’examen de sa demande d’autorisation d’appel n’était pas source d’iniquité ni ne violait de quelque autre façon l’article 14 du Pacte.

4.14 Quant à l’assistance juridictionnelle, pour y avoir droit, aussi bien en première instance qu’en appel, il faut que l’accusé n’ait pas les moyens de payer les services d’un avocat et que ceux ‑ci soient exigés dans «l’intérêt de la justice». Un État partie a la faculté d’affecter un certain montant au titre de l’aide juridictionnelle aux causes méritoires, compte tenu de la nature de la procédure, des pouvoirs de la cour d’appel, de la possibilité pour un appelant non représenté de faire valoir une argumentation juridique, et de l’importance de l’enjeu au regard de la gravité de la peine prononcée. En l’occurrence, les «intérêts de la justice» n’exigeaient pas la prestation d’une aide pour la demande d’autorisation spéciale faite par l’auteur auprès de la Cour suprême. Une aide lui avait été accordée pour lui assurer une représentation juridique au tribunal local, au tribunal de district et à la chambre criminelle de la cour d’appel, afin de financer les frais de la procédure préliminaire, de la procédure en première instance et de la procédure en appel.

4.15 La Commission d’aide juridictionnelle de la Nouvelle ‑Galles du Sud a décidé qu’en matière pénale, les recours devant la Cour suprême d’Australie sont soumis à la fois à des conditions de ressources et à des conditions de bien ‑fondé. Au titre du bien ‑fondé, on examine si l’octroi d’une aide est raisonnable en l’espèce, notamment du point de vue de la nature et à l’étendue de tout avantage dont le requérant pourrait bénéficier grâce à l’obtention de cette aide, de la nature et de l’étendue de tout préjudice qu’il pourrait subir en cas de refus de cette aide, et de la question de savoir si le requérant a des chances raisonnables de succès dans la procédure. Concernant la demande de l’auteur, un avis a été demandé à l’avocat de l’État sur les perspectives de succès du recours envisagé, conformément à la procédure normale suivie par la Commission. L’avocat a indiqué que l’appel n’était pas fondé et l’aide a donc été refusée. L’État partie fait valoir que la décision de ne pas accorder d’aide juridictionnelle pour la demande d’autorisation spéciale d’appel n’était pas contraire aux intérêts de la justice car elle a été prise après examen minutieux des facteurs pertinents et qu’aucune particularité de la procédure ne nécessitait l’octroi d’une aide juridictionnelle aux frais de l’État étant donné l’absence de motifs raisonnables de recours. L’auteur avait déjà bénéficié d’un recours devant la chambre criminelle de la cour d’appel.

4.16 Quant à l’argument selon lequel l’article 17 du Pacte a été violé, l’État partie fait valoir que l’auteur n’indique pas quel aspect de l’article a été violé, et qu’elle n’avance à l’appui de son allégation aucun élément révélant qu’elle aurait fait l’objet d’un traitement particulier. Faute de ces indications, la communication est considérée comme insuffisamment étayée. Par ailleurs, il existe des recours accessibles et effectifs prévus par la loi et la common law que l’auteur aurait pu invoquer pour demander réparation des attaques qui auraient été portées contre son honneur, sa vie privée et sa réputation.

4.17 L’État partie affirme aussi que la publicité dont l’affaire a fait l’objet avant le procès ne pouvait pas étayer la plainte formulée par l’auteur pour violation de l’article 17, laquelle impliquerait qu’une attaque contraire à la loi ait été portée à son honneur et à sa réputation. Le mot «attaque» sous ‑entend un acte hostile d’une certaine intensité. Or les articles de presse constituaient de simples comptes rendus de nouvelles et d’événements entrant dans le cadre d’un travail normal de journaliste.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Le 6 novembre 2005, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie en faisant valoir que les recours internes avaient été épuisés pour toutes les plaintes sur lesquelles la Cour suprême n’avait pas statué et que le refus d’une «assistance juridictionnelle appropriée» qui avait été opposé à l’auteur l’a empêché de faire valoir ses griefs étant donné leur complexité. Quant aux articles 7, 9 et 10, l’auteur affirme que sa plainte est suffisamment étayée, que l’État partie a créé une «atmosphère spéciale» autour de l’auteur et qu’il s’est livré avant le jugement à des commentaires «inacceptables» dans les médias, et qu’elle avait été obligée de comparaître en tunique orange de prisonnier qui montrait qu’elle était une «grande criminelle».

5.2 Concernant l’article 14, l’auteur fait valoir que l’État partie ne lui a pas donné la possibilité de se défendre convenablement et que les propos du juge du fond concernant son coaccusé permettent de supposer à bon droit que sa cause n’a pas fait l’objet d’un procès équitable. Le juge M. n’était certes pas le juge du fond, mais c’était un juriste connu et respecté dont l’opinion exprimée avant la conclusion définitive d’une affaire avait le pouvoir d’influencer à la fois les jurés et le public. L’argument de l’État partie selon lequel le droit interne a été respecté n’est pas en soi une réponse aux griefs formulés en vertu du Pacte. Concernant la lenteur du procès et de la procédure d’appel, l’auteur conteste le fait qu’elle était justifiée par la complexité de l’affaire et elle affirme en revanche qu’aucun retard ne lui était imputable. Enfin, l’auteur relève l’importance de l’assistance juridictionnelle pour l’accusée. Dans la procédure engagée devant la Cour suprême, elle n’avait pas bénéficié de cette assistance et n’avait pas pu participer à la procédure en personne, alors que le Procureur y avait participé activement et en personne. Si l’affaire était suffisamment complexe pour justifier les longueurs de la procédure, cette même complexité pouvait justifier aussi l’octroi d’une assistance juridictionnelle en appel.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Les plaintes formulées en vertu des articles 7, 9, 10 et 17 du Pacte sont irrecevables faute d’être suffisamment étayées, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Concernant le refus d’aide juridictionnelle devant la Cour suprême, le Comité relève que l’article 56 de la loi relative à la Commission d’aide juridictionnelle prévoit la possibilité de faire appel devant le Comité d’examen de l’aide juridictionnelle d’une décision de refus. L’auteur, bien qu’ayant été informée de cette possibilité, a renoncé à s’en prévaloir et n’a pas donné d’explication à ce sujet. Quant à la plainte selon laquelle la présomption d’innocence a été bafouée et que le procès de l’auteur a été influencé par les commentaires de la justice lors du prononcé de la peine de son coaccusé, qui avait plaidé coupable, le Comité note que cette question n’a pas été soulevée en appel. En conséquence, les deux plaintes sont irrecevables pour non ‑épuisement des recours internes, en vertu de l’article 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif.

6.3 Concernant la plainte relative à l’iniquité du procès pour cause de publicité avant le procès, en vertu du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité relève que le jury avait reçu clairement pour instruction de ne tenir compte que des preuves présentées au procès. L’incidence de la publicité est essentiellement une question de fait et elle a été examinée par le tribunal jugeant au fond et la cour d’appel. Leur décision ne paraît pas être arbitraire ou constituer un déni de justice; en conséquence, la plainte de l’auteur n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité. Quant à la plainte concernant la lenteur déraisonnable de la procédure judiciaire, formulée au titre du paragraphe 3 c) de l’article 14, le Comité relève avec une certaine préoccupation qu’un laps de temps de quinze mois s’est écoulé entre l’arrestation de l’auteur et la procédure d’inculpation, puis six mois encore avant le début du procès. Toutefois, l’auteur n’a pas présenté d’éléments d’information suffisants permettant de conclure que ce délai était excessif, compte tenu des arguments de l’État partie concernant la complexité de l’affaire et les difficultés dues à la conduite en parallèle du procès du coaccusé. Il s’ensuit que les deux plaintes sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 Quant à la question de l’impossibilité pour l’auteur de participer en personne à la procédure orale devant la Cour suprême, le Comité estime que cette plainte est suffisamment étayée, aux fins de la recevabilité, dans la mesure où elle concerne le droit à l’égalité devant les tribunaux, protégé par le paragraphe 1 de l’article 14 (première phrase) du Pacte.

Examen au fond

7.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2 Concernant le droit d’être présent à la procédure devant la Cour suprême, invoqué par l’auteur, le Comité rappelle sa jurisprudence, à savoir que la décision statuant sur un pourvoi n’exige pas nécessairement la tenue d’une audience. Le Comité relève aussi que l’accusée avait la possibilité de présenter un mémoire à la Cour, agissant pro se , et qu’elle n’a pas fait appel du refus d’aide juridictionnelle devant le Comité d’examen de l’aide juridictionnelle.

7.3 Cependant, la Cour suprême a décidé de tenir une audience pour examiner la demande d’autorisation d’appel présentée par l’auteur. Un fonctionnaire représentant le Directeur des services du ministère public était présent et a exposé ses arguments à l’audience. Une question de fait a été posée par la Cour au fonctionnaire à l’intention du Directeur, et l’auteur n’a pas eu la possibilité de faire des commentaires, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, sur cette question. Un membre de la Cour suprême a observé qu’il n’y avait apparemment pas de raison pour laquelle une personne incarcérée ne pouvait pas au minimum être autorisée à participer à l’audience au moyen d’une liaison de télécommunication, du moins lorsqu’elle n’était pas représentée de quelque autre façon. Le même juge a noté que le droit d’assister aux audiences en appel était déjà une pratique dans plusieurs juridictions de l’État partie. L’État partie n’a pas donné d’explication autre que le fait que cette pratique n’était pas en vigueur dans la Nouvelle ‑Galles du Sud.

7.4 Le Comité fait observer que dès lors qu’un accusé n’a pas la même possibilité que l’État partie de participer à l’audience relative à la décision sur le bien ‑fondé d’une accusation pénale, les principes d’équité et d’égalité sont mis en échec. Il incombe à l’État partie de démontrer que toute inégalité dans la procédure était fondée sur des bases raisonnables et objectives et n’entraînait pas pour l’auteur un désavantage ou une autre inégalité. Dans la présente affaire, l’État partie n’a avancé aucune raison (et il n’y a dans le dossier aucun argument plausible) pour expliquer pourquoi il pourrait bénéficier des services d’un conseil participant à l’audience en l’absence de l’accusé non représenté ou pourquoi un accusé non représenté incarcéré devrait être traité moins favorablement qu’un accusé en liberté, qui lui peut participer à l’audience. En conséquence, le Comité conclut qu’en l’espèce il y a eu violation de la garantie d’égalité devant les tribunaux garantie à l’article 14, paragraphe 1.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

DD. Communication n o 1348/2005, Ashurov c. Tadjikistan * (Constatations adoptées le 20 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Rozik Ashurov (représenté par un conseil, M. Solidzhon Dzhuraev)

Au nom de :

Olimzhon Ashurov (fils de l’auteur)

État partie :

Tadjikistan

Date de la communication :

7 juin 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Condamnation à une longue peine d’emprisonnement après une détention arbitraire; procès inique; torture

Questions de procédure : Plainte non étayée

Questions de fond : Torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant; détention arbitraire; droit d’être déféré dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires; droit à un procès équitable; droit d’être jugé par un tribunal impartial; droit à la présomption d’innocence; droit d’être informé dans le plus court délai des chefs d’accusation; droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense; droit d’interroger des témoins; droit de ne pas être forcé de témoigner contre soi ‑même ou de s’avouer coupable; droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure

Articles du Pacte : 7, 9 (par. 1, 2 et 3), 14 (par. 1, 2, 3 a), b), e), g) et 5)

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1348/2005, présentée au nom de M. Olimzhon Ashurov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M. Rozik Ashurov, de nationalité tadjike et d’origine ouzbèke, né en 1934, qui présente la communication au nom de son fils, M. Olimzhon Ashurov, également de nationalité tadjike et d’origine ouzbèke, né en 1969, qui exécute actuellement une peine d’emprisonnement de vingt ans au Tadjikistan. L’auteur affirme que son fils est victime de violations, par le Tadjikistan, des droits consacrés aux articles 7, 9 (par. 1, 2 et 3) et 14 (par. 1, 2, 3 a), b), e), g) et 5) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques . Il est représenté par un conseil, M. Solidzhon Dzhuraev.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 3 mai 2002 vers 5 heures du matin, le fils de l’auteur a été arrêté au domicile familial, à Douchanbé, par des agents du Département des enquêtes criminelles du Ministère tadjik de l’intérieur qui le soupçonnaient d’avoir participé à un vol à main armée commis dans la nuit du 5 au 6 mai 1999 dans l’appartement d’un certain Sulaymonov. Une procédure pénale a été ouverte le 6 mai 1999 à ce propos. Le 6 juillet 1999, l’enquête a été suspendue à défaut de pouvoir ident i fier un suspect susceptible d’être traduit en justice.

2.2 Lorsqu’il a été arrêté, le fils de l’auteur n’a pas été informé des motifs de l’arrestation et sa famille n’a pas su non plus où il était emmené. En fait, il a été conduit au Ministère de l’intérieur, où on l’a torturé pendant les trois jours suivants pour l’obliger à avouer avoir commis le vol à main armée. On l’a privé de nourriture et de sommeil, on l’a systématiquement battu, on lui a mis des menottes qui ont été branchées à une batterie et on lui a administré des décharges électriques sur les organes génitaux et les doigts. L’auteur affirme que son fils, incapable de supporter la torture, a fini par faire de faux aveux le 5 mai 2002. Tout en étant menotté, et sans être assisté d’un avocat, il a été contraint de signer le procès ‑verbal d’interrogatoire, puis d’écrire, sous la dictée de l’inspecteur de la Section des affaires intérieures du district de Zheleznodorozhny (Douchanbé), une déclaration dans laquelle il se mettait lui ‑même en cause et incriminait également deux de ses amis, MM. Shoymardonov et Mirzogulomov. Le même jour, il a également été contraint de signer le procès ‑verbal de la confrontation avec M. Sulaymonov, ainsi que le procès ‑verbal de la vérification de ses dires sur les lieux du crime. Cette procédure de vérification a été filmée en vidéo; sur l’enregistrement du 5 mai 2002, des traces de torture sont visibles sur le visage du fils de l’auteur.

2.3 L’inspecteur a établi le procès ‑verbal de détention le 5 mai 2002 à 23 h 30. À aucun moment, le fils de l’auteur n’a été informé de ses droits. En particulier, il n’a pas été informé de son droit d’être assisté d’un conseil dès l’arrestation. Par la suite, il n’a pas été autorisé à choisir un conseil. C’est l’ancien assistant de l’inspecteur qui a été chargé, à la demande de celui ‑ci, de le représenter pendant l’instruction. Le 6 mai 2002, l’inspecteur a demandé à un expert, M. Toirov, de falsifier les éléments de preuve en certifiant que les empreintes digitales prétendument relevées dans l’appartement de M. Sulaymonov étaient celles d’Olimzhon Ashurov. Par la suite, M. Toirov lui ‑même a confirmé cela dans ses explications écrites au Ministère de l’intérieur, qui l’a reconnu à son tour dans des lettres adressées le 10 février et le 11 mars 2004 au fils de l’auteur et à son conseil. À une date non précisée, le Procureur a avalisé l’arrestation du fils de l’auteur au vu des éléments de preuve produits par l’inspecteur.

2.4 Le procès (ci ‑après le «premier procès») a eu lieu devant le tribunal municipal de Douchanbé entre octobre 2002 et avril 2003. Le fils de l’auteur s’est plaint à cette occasion d’avoir été torturé par des fonctionnaires du Ministère de l’intérieur. Le 4 avril 2003, le tribunal a renvoyé l’affaire au Procureur municipal de Douchanbé pour complément d’information, en lui demandant d’examiner les allégations de torture de M. Ashurov et de tirer au clair les lacunes et les incohérences de l’enquête. L’accusé a été maintenu en détention sur ordre du tribunal. Il ressort de la décision du tribunal que celui ‑ci a constaté des contradictions manifestes entre les circonstances du vol à main armée telles que décrites dans l’acte de mise en accusation de M. Ashurov et la déposition faite par M. Sulaymonov à l’audience. Le tribunal a relevé que l’enquête n’avait pas permis d’établir l’identité du coupable présumé: l’avocat de M. Ashurov a produit un certificat qui atteste que du 7 décembre 1996 au 15 juillet 1999 son client était en train d’exécuter une peine d’emprisonnement au Kirghizistan. Une enquête conduite par la chambre judiciaire tadjike a confirmé que M. Ashurov avait bien été incarcéré dans ce pays pour exécuter une condamnation prononcée par le tribunal régional d’Osh le 26 mars 1997.

2.5 Contrairement à ce qu’avait demandé le tribunal dans sa décision du 4 avril 2003, la poursuite de l’enquête a été confiée au même inspecteur qui avait assisté aux brutalités infligées à M. Ashurov par des fonctionnaires du Ministère de l’intérieur et qui était soupçonné d’avoir falsifié les éléments de preuve au début de l’affaire. L’auteur affirme que cet inspecteur a de nouveau manipulé les preuves, détruisant certains documents essentiels du dossier de l’affaire. L’un de ces documents était un certificat établi par le Directeur de la colonie pénitentiaire n o 64/48 en Ouzbékistan qui confirmait que, du 5 mai 1997 au 5 août 1999, le complice présumé de M. Ashurov, M. Shoymardonov, exécutait dans les prisons ouzbèkes n os 64/48 et 64/1 une peine prononcée par le tribunal régional de Surkhandarya.

2.6 L’auteur affirme que la détention préventive de son fils devait prendre fin le 12 août 2003, que M. Ashurov et son conseil ont achevé l’examen du dossier le 31 août 2003 et que l’affaire a été renvoyée devant le tribunal le 23 septembre 2003. Cependant, en réalité, l’inspecteur a prolongé illégalement la détention de M. Ashurov et a continué d’antidater les actes de l’enquête, sans rouvrir celle ‑ci officiellement.

2.7 Lorsque le procès a repris en octobre 2003 (ci ‑après «le second procès»), conduit par le Président adjoint du tribunal municipal de Douchanbé, le fils de l’auteur et son conseil ont présenté deux requêtes au sujet des actes de torture et de la manipulation des preuves par l’inspecteur. Ils ont demandé au tribunal de les informer des motifs légaux justifiant le maintien en détention de M. Ashurov du 31 août au 23 septembre 2003, de les autoriser à étudier la totalité du dossier de l’affaire et d’ordonner aux autorités chargées de l’enquête de traduire en russe l’acte de mise en accusation, l’accusé et l’un de ses deux conseils ne maîtrisant pas le Tadjik. Ces deux requêtes sont restées sans réponse.

2.8 Du 13 au 15 octobre 2003, les audiences ont eu lieu en l’absence du premier conseil de M. Ashurov qui parlait tadjik, et sans interprète non plus. En l’absence du conseil parlant tadjik, le juge a modifié les comptes rendus d’audience pour dire que le 13 octobre 2003, l’accusé et son autre conseil, qui ne parlaient pas tadjik, avaient eu la possibilité d’étudier tous les documents du dossier, dont la plupart étaient en tadjik. M. Ashurov et ses deux conseils ont demandé à plusieurs reprises au tribunal de leur permettre d’étudier la totalité du dossier de l’affaire avec l’aide d’un interprète. Toutes leurs demandes ont été rejetées. Pour des raisons inexpliquées, le juge a ensuite voulu empêcher le conseil qui parlait tadjik de continuer à participer à la procédure; il aurait dit qu’il importait peu que M. Ashurov soit représenté par l’un ou l’autre des deux conseils puisqu’il «serait déclaré coupable de toute façon». Le juge a agi en accusateur, remplaçant dans la pratique le Procureur qui était passif et dépassé. Il a suivi mot pour mot l’acte de mise en accusation et a rejeté tous les principaux arguments de la défense, ainsi que toutes ses requêtes. Il a posé des questions orientées aux témoins à charge, corrigeant et complétant leurs réponses, et a ordonné au greffier de ne consigner que les témoignages qui établissaient la culpabilité de M. Ashurov. À trois reprises, M. Ashurov et ses deux conseils ont demandé la récusation du tribunal, mais leurs requêtes ont été rejetées.

2.9 À l’audience, des témoins qui, avant et pendant le premier procès, avaient toujours affirmé qu’ils ne connaissaient pas M. Ashurov ou ne pouvaient pas l’identifier comme étant le coupable, se sont rétractés et l’ont incriminé. Bien que les avocats de la défense n’aient pas pu participer à l’audience finale et que la culpabilité de l’accusé n’ait pas été démontrée devant le tribunal, le 11 novembre 2003 M. Ashurov a été déclaré coupable de vol à main armée et condamné à une peine de réclusion de vingt ans.

2.10 Au second procès, le tribunal s’est également montré partial et tendancieux dans l’appréciation des faits et des éléments de preuve. Contrairement à ce qui est dit dans le jugement du 11 novembre 2003, ni M. Ashurov ni MM. Shoymardonov et Sulaymonov ne se trouvaient à Douchanbé le jour du crime. À l’époque, tous trois étaient en train d’exécuter une peine d’emprisonnement dans d’autres pays. Les avocats de la défense ont produit des preuves supplémentaires qui attestent que M. Ashurov a été libéré de prison au Kirghizistan le 17 juillet 1999, soit plus de deux mois après le vol à main armée commis au Tadjikistan. Ils ont demandé au tribunal d’interroger deux témoins qui pouvaient confirmer que M. Ashurov avait été incarcéré en permanence dans la prison kirghize du 5 août 1998 au 17 juillet 1999. Leur demande a été rejetée par le tribunal, qui affirmait qu’en réalité M. Ashurov n’avait pas exécuté sa peine au Kirghizistan, qu’il avait réussi à obtenir un passeport au Tadjikistan le 30 décembre 1998 et qu’il avait quitté Douchanbé pour Khudzhand entre janvier et mars 1999.

2.11 La défense a également sollicité un nouvel interrogatoire de l’inspecteur et des fonctionnaires du Ministère qui avaient torturé M. Ashurov, ainsi qu’une projection de l’enregistrement vidéo du 5 mai 2002, mais le tribunal a refusé. Il n’a pas tenu compte des preuves écrites produites par la défense, ni des dépositions des témoins à décharge, et a fondé sa décision sur les aveux de M. Ashurov, qui avaient été obtenus sous la contrainte.

2.12 Les pourvois introduits par M. Ashurov devant la chambre judiciaire de la Cour suprême le 20 novembre 2003 et le 29 janvier 2004 ont été rejetés le 10 février 2004.

2.13 À une date non précisée, en réponse à un recours en appel présenté par le conseil de M. Ashurov, le Procureur général adjoint a engagé une procédure de réexamen devant le Présidium de la Cour suprême, en vue d’obtenir l’annulation de la condamnation de M. Ashurov. Le conseil a demandé au Présidium de la Cour suprême de l’autoriser à assister à l’examen de l’affaire, afin de présenter les preuves matérielles qui avaient disparu du dossier. Il n’a pas reçu de réponse. Le 12 septembre 2004, le Présidium de la Cour suprême a rejeté la demande du Procureur général adjoint.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que son fils est victime d’une violation des droits consacrés à l’article 7 du Pacte, du fait que, pendant les trois premiers jours suivant son arrestation, il a été torturé par des fonctionnaires du Ministère de l’intérieur, qui cherchaient ainsi à le faire avouer, en violation du paragraphe 3 g) de l’article 14. Toutes les demandes présentées à l’audience par son fils et son conseil pour contester le caractère spontané des aveux ont été rejetées.

3.2 L’auteur invoque également une violation des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9, du fait que son fils a été arrêté le 3 mai 2002 sans avoir été informé des motifs de l’arrestation et que le procès ‑verbal de détention n’a été établi que le 5 mai 2002. La détention préventive de son fils a été avalisée par le Procureur, qui l’a renouvelée plusieurs fois par la suite, à l’exception de la période du 31 août au 23 septembre 2003, pendant laquelle cette détention n’était fondée sur aucune base légale.

3.3 L’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 14, au motif que le Président du tribunal au second procès a conduit les audiences de manière partiale, posant des questions orientées aux témoins, ordonnant au greffier de modifier les comptes rendus d’audience au mépris de la vérité et n’examinant que partiellement les faits et les éléments de preuve.

3.4 M. Ashurov a été privé du droit à la présomption d’innocence, tel que protégé par le paragraphe 2 de l’article 14, parce qu’au cours du second procès, le 13 octobre 2003, le Président du tribunal a déclaré qu’il «serait déclaré coupable de toute façon». Les autorités de l’État partie ont elles ‑mêmes reconnu, en février 2004, que la principale preuve de l’accusation − la concordance entre les empreintes digitales relevées sur les lieux du crime et celles du fils de l’auteur − avait été fabriquée par l’expert à la demande pressante de l’inspecteur. En outre, au moment où le vol à main armée a été commis, M. Ashurov exécutait une peine d’emprisonnement au Kirghizistan, et son complice présumé, M. Shoymardonov, se trouvait dans la même situation en Ouzbékistan.

3.5 L’auteur affirme en outre que son fils est victime d’une violation du paragraphe 3 a) de l’article 14. Sa langue maternelle étant l’ouzbek, il ne pouvait pas comprendre l’acte de mise en accusation établi pendant la phase d’instruction, parce que celui ‑ci n’était disponible qu’en tadjik. De plus, pendant les trois premiers jours, les audiences du second procès se sont déroulées en tadjik, sans interprétation, alors que M. Ashurov et l’un de ses deux avocats ne maîtrisaient pas le tadjik.

3.6 L’auteur invoque une violation du paragraphe 3 b) de l’article 14, au motif que son fils a été privé du droit d’avoir un représentant légal dès le moment de l’arrestation. Ensuite, il a été privé en pratique de ce droit pendant l’instruction. Au second procès, M. Ashurov et son conseil n’ont disposé que d’une heure ou deux pour étudier les pièces du dossier en tadjik, tandis que le Président du tribunal a cherché à empêcher le conseil qui parlait tadjik de continuer à participer à la procédure.

3.7 Pendant le procès, les demandes du fils de l’auteur et de son conseil visant à faire interroger des témoins à décharge ont été rejetées par le tribunal sans justification, en violation de la garantie énoncée au paragraphe 3 e) de l’article 14.

3.8 Enfin, l’auteur fait valoir que la chambre judiciaire de la Cour suprême a refusé d’examiner les preuves écrites produites par la défense et n’a donc pas procédé à un véritable réexamen de la déclaration de culpabilité de la condamnation de son fils, au sens du paragraphe 5 de l’article 14.

Non ‑coopération de l’État partie

4. Sous couvert de notes verbales datées du 20 janvier 2005, du 15 février 2006 et du 19 septembre 2006, l’État partie a été prié de communiquer au Comité ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité constate qu’il n’a pas reçu les informations demandées. Il regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information quant à la recevabilité ou au fond des plaintes de l’auteur. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que les États parties communiquent au Comité toutes les informations dont ils disposent . En l’absence d’observations de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1 Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Eu égard à la règle de l’épuisement des voies de recours internes, le Comité a noté que, selon les informations fournies par l’auteur, celui ‑ci a exercé tous les recours internes qui lui étaient ouverts, y compris devant la Cour suprême. En l’absence d’objection de la part de l’État partie, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

5.3 En ce qui concerne le grief invoqué par l’auteur au titre du paragraphe 5 de l’article 14, à savoir que son fils a été privé du droit de faire examiner sa condamnation par une juridiction supérieure conformément à la loi, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé ce grief aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4 Le Comité estime que les autres griefs de l’auteur ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc recevables.

Examen au fond

6.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2 Le Comité a pris note des griefs de l’auteur, qui affirme que son fils a été battu et torturé par des inspecteurs du Ministère de l’intérieur et que des traces de torture étaient visibles sur l’enregistrement vidéo du 5 mai 2002. En outre, c’est en vain que l’auteur, à maintes reprises, a porté ces allégations de torture à l’attention des autorités. En l’absence d’informations de la part de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Au vu des informations détaillées, et non contestées par l’État partie, que lui a communiquées l’auteur, le Comité conclut que le traitement auquel Olimzhon Ashurov a été soumis était contraire à l’article 7 du Pacte.

6.3 Étant donné que les actes susmentionnés ont été infligés à Olimzhon Ashurov avec l’intention de lui faire avouer un crime pour lequel il a ensuite été condamné, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font également apparaître une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

6.4 L’auteur a affirmé que son fils avait été arrêté le 3 mai 2002 sans avoir été informé des motifs de l’arrestation et que le procès ‑verbal de la détention n’avait été établi que le 5 mai 2002. Sa détention provisoire a été prolongée à plusieurs reprises par le Procureur, à l’exception de la période du 31 août au 23 septembre 2003 pendant laquelle elle n’était fondée sur aucune base légale. Le Comité relève que cette question a été portée à l’attention des autorités judiciaires, qui l’ont rejetée sans explications. L’État partie n’a pas fourni d’explications sur ce point. Par conséquent, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits reconnus au fils de l’auteur en vertu des paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte.

6.5 Le Comité note que la détention préventive du fils de l’auteur a été approuvée par le Procureur en mai 2002 et que par la suite la légalité de cette détention n’a pas été réexaminée par une autorité judiciaire jusqu’en avril 2003 . Le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 9, tout individu détenu du chef d’une infraction pénale a droit au contrôle judiciaire de sa détention. Il est inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire que ce contrôle soit assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions à traiter . En l’espèce, le Comité n’est pas convaincu que le Procureur puisse être considéré comme ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être qualifié d’«autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires» au sens du par a graphe 3 de l’article 9. Le Comité conclut donc qu’il y a eu violation de cette disp o sition du Pacte.

6.6 Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle son fils n’a pas bénéficié d’un procès équitable parce que le tribunal n’était pas impartial et parce que le Président du tribunal au second procès a conduit les audiences de manière partiale, a posé des questions orientées aux témoins, a fait modifier les comptes rendus d’audience au mépris de la vérité et a cherché à empêcher le conseil de l’auteur qui parlait tadjik de continuer à participer à la procédure. Le Comité relève que, selon l’auteur, le conseil de M. Ashurov a demandé au tribunal, entre autres, d’accorder l’attention voulue aux allégations de torture, de laisser à la défense suffisamment de temps pour étudier le dossier de l’affaire avec l’aide d’un interprète, d’ordonner aux autorités chargées de l’enquête de traduire l’acte de mise en accusation, et d’entendre les témoins à décharge. Le juge a opposé un refus à toutes ces demandes, sans donner de raisons. En appel, la Cour suprême n’a pas non plus examiné ces griefs. En l’espèce, les faits présentés par l’auteur, qui n’ont pas été contestés par l’État partie, montrent que les tribunaux de l’État partie ont traité les griefs susmentionnés de manière partiale et arbitraire et n’ont pas accordé à M. Ashurov les garanties minimales prévues aux alinéas a , b et e du paragraphe 3 de l’article 14. Par conséquent, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 et des alinéas a , b et e du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte.

6.7 En ce qui concerne le grief invoqué par l’auteur au motif que son fils n’a pas été présumé innocent jusqu’à ce qu’il soit reconnu coupable, l’auteur a fait des observations détaillées au sujet desquelles l’État partie n’a pas répondu. Dans ces conditions, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. L’auteur évoque de nombreuses circonstances qui, selon lui, démontrent que son fils n’a pas bénéficié de la présomption d’innocence . Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que c’est aux juridictions des États parties, et non à lui ‑même, qu’il appartient généralement d’examiner ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve, ou de revoir l’interprétation du droit interne par les tribunaux nationaux, sauf s’il peut être établi que la conduite du procès ou l’appréciation des faits et des éléments de preuve ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice . Le Comité rappelle également son Observation générale n o 13, dans laquelle il a réaffirmé que du fait du principe de la présomption d’innocence, la charge de la preuve incombe à l’accusation quel que soit le chef d’accusation, et l’accusé a le bénéfice du doute. L’accusé ne peut pas être présumé coupable tant que le bien ‑fondé des accusations dont il fait l’objet n’a pas été démontré au ‑delà de tout doute raisonnable. Il ressort des informations fournies au Comité, qui n’ont pas été contestées par l’État partie, que les charges et les preuves retenues contre le fils de l’auteur laissaient place à un doute considérable, alors que la manière dont elles ont été appréciées par les juridictions de l’État partie était elle ‑même contraire aux garanties d’un procès équitable prévues au paragraphe 3 de l’article 14. Le Comité ne dispose d’aucune information donnant à penser que ces questions, soulevées par M. Ashurov et ses conseils, aient été prises en considération au cours du second procès ou par la Cour suprême. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, ces préoccupations ne peuvent qu’amener à douter du bien ‑fondé de la condamnation du fils de l’auteur. Au vu des documents qui lui ont été fournis, le Comité considère que M. Ashurov n’a pas eu le bénéfice de ce doute dans la procédure pénale engagée contre lui. Par conséquent, le Comité conclut que son procès n’a pas été mené dans le respect du principe de la présomption d’innocence, en violation du paragraphe 2 de l’article 14.

7. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits reconnus au fils de l’auteur en vertu des articles 7, 9 (par. 1, 2 et 3) et 14 (par. 1, 2, 3 a), b), e) et g)) du Pacte.

8. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme d’une libération immédiate, du versement d’un dédommagement approprié, ou, le cas échéant, d’une révision du procès assortie de toutes les garanties consacrées par le Pacte ainsi que d’une réparation. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent plus.

9. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, le Tadjikistan a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

EE. Communication n o 1353/2005, Afuson c. Cameroun * (Constatations adoptées le 19 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Philip Afuson Njaru (représenté par un conseil, M. Boris Wijström)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Cameroun

Date de la communication :

24 janvier 2005 (date de la lettre initiale)

Objet : Arrestation illégale; mauvais traitements et torture; menaces de la part d’agents publics; refus d’enquêter

Questions de procédure : Néant

Questions de fond : Détention illégale et arbitraire; torture, ou peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; liberté et sécurité de la personne; liberté d’expression

Articles du Pacte : 7, 9 (par. 1 et 2), 10, 19 (par. 2), 2 (par. 3)

Article du Protocole facultatif : 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1353/2005 présentée au nom de Philip Afuson Njaru en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M. Philip Afuson Njaru, de nationalité camerounaise. Il affirme être victime de violations par le Cameroun de l’article 7, des paragraphes 1 et 2 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, et du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, rapprochés du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Il est représenté par un conseil, M. Boris Wijkström, de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT). Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 27 septembre 1984.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur, journaliste, est un défenseur bien connu des droits de l’homme au Cameroun. Depuis 1997, il est victime de persécutions systématiques de la part de divers agents de l’État. Il fait ci ‑après le récit de ces incidents. Le 1 er mai 1997, M. H. N., chef de poste à la police de l’immigration à Ekondo ‑Titi (département de Ndia), a averti l’auteur, en présence de l’agent de police P. N. E., qu’il «aurait affaire à lui» s’il continuait de publier des articles «antipatriotiques» accusant les policiers de corruption et affirmant que l’agent P. N. E. avait violé une femme enceinte de nationalité nigériane.

2.2 Le 18 mai 1997, M. H. N. s’est entretenu avec l’auteur dans les locaux de l’administration locale de l’arrondissement d’Ekondo ‑Titi et lui a demandé pourquoi il ne s’était pas rendu aux convocations de la police. L’auteur ayant répondu qu’il n’avait jamais reçu la moindre convocation officielle, M. H. N. l’a prié de se présenter à son bureau le 28 mai 1997, en l’avertissant que c’était la toute dernière fois qu’il lui faisait une telle demande et que, s’il se dérobait, il serait arrêté et soumis à la torture.

2.3 Le 2 juin 1997, M. H. N. et l’agent de police P. N. E. ont de nouveau pris contact avec l’auteur et lui ont demandé s’il avait reçu la convocation. L’auteur ayant répondu par la négative, M. H. N. lui a dit qu’il allait «s’occuper sérieusement de lui».

2.4 Le 12 octobre 1997, alors que l’auteur se trouvait dans la rue, à Ekondo ‑Titi, un véhicule de police ayant à son bord M. H. N. et M. B. N., chef de poste à la brigade mixte mobile, s’est arrêté à sa hauteur. M. H. N. a demandé à l’auteur pourquoi il ne s’était jamais rendu au poste de police malgré plusieurs convocations et lui a une nouvelle fois reproché d’avoir rédigé des articles de presse dénonçant la corruption de la police du district. L’auteur ayant répondu qu’il n’avait reçu que des convocations verbales, qui n’avaient aucune valeur juridique, M. H. N. a de nouveau menacé de l’arrêter et de le soumettre à la torture, puis il l’a agressé, le frappant et le rouant de coups de pied jusqu’à ce qu’il perde connaissance, lui a confisqué sa carte de presse et est parti.

2.5 Un certificat médical daté du 15 octobre 1997, établi par l’hôpital de district d’Ekondo ‑Titi (Ndia), indique ce qui suit: «Patient en état d’angoisse extrême présentant des douleurs à la palpation dans la zone de l’articulation temporo ‑mandibulo maxillaire et dans la région thoraco ‑abdominale ainsi que des muscles des jambes tuméfiés et douloureux à la palpation. Diagnostic: polytraumatisme». Comme il continuait d’avoir mal à la tête et à la mâchoire et qu’il souffrait d’une perte auditive à l’oreille gauche, l’auteur a consulté, le 17 décembre 1998, un chirurgien ‑dentiste de l’hôpital des plantations Pamol, à Lobé. Celui ‑ci, dans une lettre datée du 4 avril 1999, a confirmé que l’auteur souffrait d’une fracture et d’un déboîtement partiel de la mâchoire et qu’il avait le tympan de l’oreille gauche perforé. Il lui a prescrit une intervention chirurgicale assortie d’un traitement aux antibiotiques et aux anti ‑inflammatoires. Dans un autre certificat médical, établi par l’hôpital de district à la date du 29 août 2000, il est dit que l’auteur souffre de pertes de mémoire, de stress, de dépression et d’une déformation du massif facial, et que ses symptômes ne se sont pas cliniquement améliorés depuis le 12 octobre 1997, date où il a été torturé.

2.6 L’auteur s’est plaint des faits survenus le 12 octobre 1997 auprès du Procureur du département de Ndia, dans la province du sud ‑ouest (lettres envoyées en octobre 1997 et le 5 janvier 1998), auprès du Délégué général à la sûreté nationale (lettre datée du 2 février 1998), auprès du Procureur de la République de Buéa, dans la province du sud ‑ouest (lettre datée du 9 septembre 1998), et auprès du Ministère de la justice, à Yaoundé (lettres datées des 19 et 28 novembre 2001). À ce jour, aucune de ces autorités n’a ouvert d’enquête. Le Procureur de Buéa a informé l’auteur que sa plainte avait disparu du greffe.

2.7 Le 20 février 1998, l’agent de police P. N. E. et deux autres fonctionnaires armés en civil du service de l’immigration ont localisé l’auteur à l’hôpital de district d’Ekondo ‑Titi et l’ont informé que M. H. N. voulait le voir d’urgence à son bureau, sans toutefois lui remettre de convocation à son nom. Peu après, M. H. N. s’est rendu à l’hôpital, a arrêté et menotté l’auteur, et l’a emmené au poste de police où il lui a demandé de révéler qu’elles avaient été ses sources pour plusieurs articles dénonçant des pots ‑de ‑vin versés à la police par des ressortissants nigérians et des tortures commises lors de contrôles de permis de résidence. L’auteur ayant refusé d’obtempérer, M. H. N. l’a frappé au visage à plusieurs reprises et a menacé de le placer en détention pour une durée indéterminée, de le promener nu devant des femmes et des jeunes filles, puis de l’exécuter. Après cet incident, l’auteur a été régulièrement convoqué au poste de police, mais ne s’y est jamais présenté, craignant pour sa vie. Le 20 avril 1998, il a adressé une plainte au sujet de cet incident au Délégué général à la sûreté nationale et, le 19 novembre 2001, au Ministre de la justice. Il n’a pas été ouvert d’enquête.

2.8 Le 22 mai 1998, l’agent de police P. N. E. s’est rendu à Bekora Barombi, où l’auteur se cachait. L’auteur a refusé de l’accompagner pour se faire signifier une convocation par les services d’immigration, faisant valoir que c’était à la police judiciaire qu’il incombait de délivrer les convocations. Le 28 mai 1998, l’auteur est retourné à Ekondo ‑Titi. Le jour même, M. H. N. a arrêté sa voiture devant lui, puis a redémarré. Deux minutes plus tard, deux policiers armés en civil accostaient l’auteur et lui remettaient la convocation, qui était estampillée «urgent» et dont la date avait été modifiée trois fois (22 mai, 28 mai et 8 juin 1998), chacune des prorogations étant signée de M. H. N. L’auteur est ensuite retourné dans la clandestinité. Le 8 mai 1999, un commissaire de la police de l’immigration, J. A., l’a arrêté après qu’il eut publié un article accusant ce fonctionnaire de corruption.

2.9 En mai 1999 ou aux alentours de cette date, l’auteur a été menacé et harcelé par des soldats du 11 e bataillon de marine d’Ekondo ‑Titi, après avoir publié dans un journal un article dans lequel il dénonçait les mauvais traitements que des membres de ce bataillon auraient fait subir à des femmes et des jeunes filles au cours d’opérations de recouvrement de l’impôt à Ekondo ‑Titi. Le 22 mai 1999, le capitaine L. D., commandant du bataillon, a demandé à l’auteur de cesser d’écrire de tels articles et de révéler ses sources. L’auteur s’y étant refusé, des soldats lui ont dit qu’ils l’abattraient pour avoir porté de telles accusations. Le 27 mai 1999, des soldats en armes ont pris position autour de la maison de l’auteur. Celui ‑ci a réussi à s’échapper et s’est réfugié à Kumba. Il s’est plaint des incidents du 22 mai 1999 dans une lettre datée du 27 novembre 2000 adressée à la Commission nationale des droits de l’homme. Plus récemment, l’auteur a fait l’objet de menaces de la part de M. L. D. à propos d’autres articles, dont l’un portait sur des violences infligées à la population civile d’Ekondo ‑Titi par des soldats d’un bataillon basé à Buéa.

2.10 Le 8 juin 2001, alors que l’auteur prenait un verre avec un ami, M. I. M., dans un bar de Kumba, des policiers en armes ont enjoint les deux hommes de quitter les lieux. L’agent de police J. T. a agrippé l’auteur, l’a plaqué au sol et l’a roué de coups de poing et de pied. Lorsque M. I. M. a voulu s’interposer, les policiers l’ont agressé lui aussi. L’auteur a été emmené au poste de police de Kumba sans aucune explication. Au cours du trajet, un policier stagiaire l’a frappé, lui a porté des coups de pied à la tête et aux jambes, lui a donné des coups de crosse, et l’a menacé de «lui régler son compte». À son arrivée au poste, le commissaire de police de Kumba, M. J. M. M., lui a dit de rentrer chez lui. Lorsque l’auteur a demandé des explications écrites quant aux motifs de son arrestation et des mauvais traitements qui lui avaient été infligés, il a été mis dehors et n’a plus été autorisé à rentrer dans les locaux du commissariat.

2.11 Un certificat médico ‑légal délivré par le Ministère de la santé publique le 9 juin 2001 indique que l’auteur «présente […] des douleurs à l’oreille gauche, à la poitrine, dans la région de la taille et du dos, aux hanches et aux jambes, qui sont toutes dues à son violent passage à tabac par la police». Le 9 juin 2001, l’auteur s’est plaint de ces faits auprès du Service des affaires juridiques (Kumba), qui a transmis sa lettre à la police judiciaire de Buéa et, le 19 novembre 2001, au Ministre de la justice. Le 6 novembre 2001, la police judiciaire a informé l’auteur que sa plainte n’avait pas été reçue et que, par conséquent, aucune procédure judiciaire n’avait été engagée.

2.12Le 7 octobre 2003, six policiers armés et un inspecteur de police ont fait face à l’auteur dans une boutique de menuiserie. L’inspecteur a refusé de décliner son identité ou d’indiquer la raison pour laquelle il recherchait l’auteur, et a menacé celui‑ci avec une matraque. Dehors, l’auteur a été menacé et mis au sol par deux policiers. Il a signalé l’incident au commandant de la police judiciaire de Kumba, au chef provincial de la police judiciaire et au Groupement mobile d’intervention (GMI) de Buéa; il a également adressé une plainte au Service des affaires juridiques de Kumba.

2.13 Le 18 novembre 2003, M. A. Y., commissaire de police judiciaire, a convoqué l’auteur par téléphone à son bureau de Buéa. Le 19 décembre 2003, l’auteur s’est présenté devant M. A. Y., qui a exprimé sa colère parce que l’auteur avait tardé à répondre à sa convocation, l’a soumis à un interrogatoire long et intimidant et l’a mis en demeure de ne plus écrire d’articles dénonçant le comportement de la police.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que le passage à tabac dont il a été victime le 12 octobre 1997, qui lui a valu une fracture de la mâchoire et une lésion auditive, était d’une telle violence qu’il représente une torture au sens de l’article 7. Les menaces de mort répétées proférées contre lui par la police, souvent accompagnées de brutalités, lui ont causé de graves souffrances psychologiques, ce qui constituerait en soi une violation de l’article 7. L’auteur fait valoir qu’eu égard à la pratique systématique de la torture et des exécutions arbitraires au Cameroun , il était pleinement fondé à craindre que ces menaces ne soient mises à exécution. Conformément aux constatations de divers organes internationaux, ces menaces, ainsi que l’absence de mesures de la part de l’État partie en vue d’y mettre fin, étaient incompatibles avec l’interdiction de la torture et des autres formes de mauvais traitements .

3.2 L’auteur fait valoir que les coups de poing et de pied qu’il a reçus pendant qu’on l’emmenait au commissariat de police de Kumba, le 8 juin 2001, qui lui ont causé de violentes douleurs à la tête, à la poitrine, aux oreilles et aux jambes, lui ont été infligés alors qu’il était en détention, ce qui constitue par conséquent une violation de l’article 10 du Pacte, en sus d’un manquement à l’article 7.

3.3 L’auteur affirme que les arrestations dont il a fait l’objet les 20 février 1998, 8 mai 1999 et 8 juin 2001, sans un mandat ou une explication quant à leurs motifs, étaient illégales et arbitraires, en violation de l’article 9.

3.4 Aux dires de l’auteur, les actes susmentionnés étaient destinés à le punir pour avoir publié des articles dénonçant la corruption et la violence des forces de sécurité, ainsi qu’à l’empêcher d’exercer librement sa profession de journaliste. Ces mesures n’étaient pas prévues par la loi, mais constituaient au contraire des violations de garanties constitutionnelles telles que l’interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants , et ne visaient aucun des buts légitimes cités au paragraphe 3 de l’article 19.

3.5 Pour ce qui est de la recevabilité, l’auteur indique que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’il n’a pas accès à des voies de recours internes étant donné qu’il n’a pas été ouvert d’enquête sur ses allégations de brutalités policières, malgré les plaintes répétées qu’il a adressées à différentes autorités judiciaires. Il affirme en outre que les recours sont inopérants au Cameroun, comme plusieurs organes de l’Organisation des Nations Unies l’ont confirmé .

3.6 Pour l’auteur, l’absence de recours utiles constitue en soi une violation du Pacte. À titre de réparation, il réclame une indemnisation proportionnelle à la gravité des manquements aux droits garantis par le Pacte, sa pleine réhabilitation, l’ouverture d’une enquête sur les circonstances des tortures qu’il a subies, et des sanctions pénales contre les responsables.

Absence de coopération de la part de l’État partie

4. Dans des notes verbales datées du 1 er février 2005, du 19 mai 2006 et du 20 décembre 2006, l’État partie a été invité à présenter au Comité des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité constate que ces informations ne lui sont pas parvenues. Il regrette que l’État partie n’ait fourni aucun éclaircissement sur la recevabilité ou le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle que, conformément au Protocole facultatif, l’État partie concerné est tenu de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux griefs formulés par l’auteur, pour autant que ceux ‑ci aient été suffisamment étayés .

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si celle ‑ci est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.2 En ce qui concerne l’obligation d’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie n’a contesté la recevabilité d’aucun des griefs présentés. Il prend note en outre des informations et des pièces fournies par l’auteur au sujet des plaintes qu’il a adressées à plusieurs organes, dont aucune n’aurait apparemment donné lieu à une enquête. Le Comité estime par conséquent que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication. Ne voyant aucune autre raison de considérer les allégations formulées par l’auteur comme irrecevables, il passe à l’examen quant au fond des griefs présentés par l’auteur au titre de l’article 7, des paragraphes 1 et 2 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, du paragraphe 2 de l’article 19, et du paragraphe 3 de l’article 2. Il note également qu’une question se pose au regard du paragraphe 1 de l’article 9 concernant les menaces de mort dont l’auteur a fait l’objet de la part des forces de sécurité.

Examen au fond

6.1 En ce qui concerne le grief tiré des articles 7 et 10 du Pacte eu égard aux tortures physiques et mentales que les forces de sécurité auraient infligées à l’auteur, le Comité note que celui ‑ci a présenté des informations et des pièces détaillées, y compris plusieurs certificats médicaux, à l’appui de ses affirmations. Il a cité nommément la plupart des personnes qui auraient été impliquées dans tous les incidents au cours desquels il aurait été harcelé, agressé, torturé et arrêté depuis 1997. Il a aussi fourni copie de nombreuses plaintes adressées à différents organes, dont aucune n’aurait apparemment donné lieu à une enquête. Dans ces conditions, et en l’absence de la moindre explication de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Le Comité estime que le traitement infligé à l’auteur par les forces de sécurité, tel qu’il a été décrit plus haut, constituait une violation de l’article 7 du Pacte, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

6.2 Pour ce qui est du grief de violation de l’article 9 portant sur les circonstances des arrestations de l’auteur, le Comité relève que l’État partie n’a pas contesté le fait que l’auteur avait été arrêté à trois reprises (20 février 1998, 8 mai 1999 et 8 juin 2001) sans qu’un mandat n’ait été décerné et sans qu’on lui ait notifié les raisons de son arrestation ni aucune charge pesant contre lui. Il note également que l’auteur a porté plainte devant plusieurs organes, apparemment sans aucune suite. Pour ces motifs, le Comité conclut qu’il y a eu violation par l’État partie des paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte, lus séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

6.3 Le Comité note que l’auteur affirme qu’il a fait l’objet de menaces de mort de la part de fonctionnaires de police en de nombreuses occasions et que l’État partie n’a pris aucune mesure pour le protéger et continuer d’assurer sa protection contre de telles menaces. Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité rappelle que le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte garantit le droit à la sécurité de la personne même lorsqu’il n’y a pas privation formelle de liberté . En l’espèce, il semble que l’auteur ait été prié à plusieurs reprises d’aller témoigner seul dans un poste de police et qu’il ait été harcelé et menacé de mort avant et pendant ses arrestations. Dès lors, et en l’absence de toute explication de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité conclut qu’il y a eu violation du droit de l’auteur à la sécurité de sa personne, au regard du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, rapproché du paragraphe 3 de l’article 2.

6.4 Quant au grief de violation du droit à la liberté d’expression et d’opinion, au motif que l’auteur a été persécuté pour avoir publié des articles dénonçant la corruption et la violence des forces de sécurité, le Comité note qu’en vertu de l’article 19 toute personne a droit à la liberté d’expression. La liberté d’expression ne peut faire l’objet de restrictions conformément au paragraphe 3 de l’article 19 que si les conditions ci ‑après sont réunies: la restriction doit être prévue par la loi, elle doit répondre à l’un des objectifs énoncés aux alinéas a et b du paragraphe 3 de l’article 19, et elle doit être nécessaire pour atteindre un objectif légitime. Le Comité estime qu’il ne peut y avoir de restriction légitime au titre du paragraphe 3 de l’article 19 qui justifierait l’arrestation arbitraire, la torture et les menaces de mort dont l’auteur a fait l’objet et que, par conséquent, la question de savoir quelles mesures peuvent répondre aux critères de la «nécessité» dans de telles situations ne se pose pas . Au vu des particularités de l’affaire, le Comité estime que l’auteur a démontré l’existence d’un lien entre le traitement qu’il a subi et ses activités de journaliste, et conclut donc qu’il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, rapproché du paragraphe 3 de l’article 2.

7. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte, des paragraphes 1 et 2 de l’article 9, et du paragraphe 2 de l’article 19, rapproché du paragraphe 3 de l’article 2.

8. Le Comité considère que l’auteur a droit, conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, à un recours utile. L’État partie est tenu de prendre des mesures appropriées pour faire en sorte: a) qu’une action pénale soit engagée en vue de poursuivre et condamner promptement les personnes responsables de l’arrestation de l’auteur et des mauvais traitements qu’il a subis; b) que l’auteur soit protégé contre des menaces et/ou mesures d’intimidation de la part des membres des forces de sécurité; et c) qu’il obtienne réparation, y compris une indemnisation intégrale et sa pleine réhabilitation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

FF. Communication n o 1361/2005, X c. Colombie * (Constatations adoptées le 30 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

X (représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Colombie

Date de la communication :

13 janvier 2001 (date de la lettre initiale)

Objet : Discrimination dans l’octroi de la pension de réversion dans le cas de couples homosexuels

Questions de procédure : Absence de fondement suffisant des violations présumées

Questions de fond : Égalité devant les tribunaux et cours de justice; immixtions arbitraires ou illégales dans la vie privée; égalité devant la loi et droit à l’égale protection de la loi sans discrimination

Articles du Pacte : 2 (par. 1), 3, 5,14 (par. 1), 17, 26

Articles du Protocole facultatif : 2, 3

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1361/2005 présentée par X en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 13 janvier 2001, est de nationalité colombienne. Il affirme être victime de violations par la Colombie du paragraphe 1 de l’article 2, de l’article 3, des paragraphes 1 et 2 de l’article 5, du paragraphe 1 de l’article 14, de l’article 17 et de l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Colombie le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1 Le 27 juillet 1993, après vingt ‑deux ans de relations et sept ans de vie commune, M. Y., compagnon permanent de l’auteur, est décédé. Le 16 septembre 1994, l’auteur, qui était économiquement dépendant de son compagnon décédé, a présenté une demande de pension de réversion à la Caisse de prévoyance sociale du Congrès de la République ( Fondo de Previsión Social del Congreso de la República ), Division des prestations (la Caisse).

2.2 Le 19 avril 1995, la Caisse a rejeté la demande de l’auteur, en faisant valoir que la loi n’autorisait pas la réversion des pensions entre personnes du même sexe.

2.3 L’auteur indique que le décret réglementaire 1160 de 1989 établit: «Aux fins de la réversion des pensions, la qualité de compagnon ou de compagne permanent(e) sera reconnue à toute personne ayant vécu maritalement avec le défunt pendant l’année précédant immédiatement le décès de ce dernier ou pendant la durée requise par les régimes spéciaux», sans poser comme condition préalable à la réversion de la pension que les personnes doivent être de sexe différent. L’auteur ajoute que la loi 113 de 1985 a attribué au compagnon ou à la compagne permanent(e) le droit à la réversion de la pension à la suite du décès du travailleur ayant acquis des droits à la retraite, mettant fin à la discrimination dont faisaient l’objet en matière de prestations les personnes vivant en union de fait.

2.4 L’auteur a engagé une requête en protection devant le tribunal pénal municipal 65 ( Juzgado 65 Penal Municipal ) de Bogota pour obtenir une réponse de la Caisse de prestations retraite du Congrès de la République. Le 14 avril 1995, le tribunal pénal municipal a rendu un jugement ordonnant la clôture du dossier de la requête en protection, parce qu’il n’y avait pas d’atteinte aux droits fondamentaux. L’auteur a fait appel de cette décision devant le tribunal pénal 50 ( Juzgado 50 Penal del Circuito ) du circuit de Bogota. Le 12 mai 1995, ce tribunal a ordonné que le jugement antérieur soit modifié et que le Bureau du Procureur général ( Procuraduría General de la Nación ) procède à une enquête sur les fautes commises par les fonctionnaires de la Caisse.

2.5 Suite au refus de la Caisse de lui verser la pension, l’auteur a engagé une action en protection devant le tribunal pénal 18 du circuit de Bogota. Ce tribunal a rejeté le recours le 15 septembre 1995, considérant qu’il n’y avait pas motif à protéger les droits invoqués. L’auteur a fait appel de cette décision devant le Tribunal supérieur de Bogota qui, le 27 octobre 1995, a confirmé le jugement rendu en première instance.

2.6 L’auteur indique que toutes les requêtes en protection, en Colombie, sont renvoyées à la Cour constitutionnelle pour examen éventuel, mais sa demande n’a pas été retenue pour faire l’objet d’un réexamen. Vu que, conformément au décret 2591, le Défenseur du peuple peut demander que l’affaire soit réexaminée, l’auteur a demandé au service du Défenseur du peuple de solliciter l’examen de l’affaire devant la Cour constitutionnelle. Le 26 février 1996, le service du Défenseur du peuple a répondu que, dans le silence de la loi, les homosexuels ne pouvaient prétendre exercer les droits reconnus aux hétérosexuels, comme par exemple contracter mariage ou réclamer une pension de réversion pour le compagnon survivant.

2.7L’auteur a présenté une demande au Tribunal administratif de Cundinamarca, lequel l’a rejetée le 12 juin 2000, en se fondant sur l’absence de reconnaissance dans la Constitution ou la loi des unions homosexuelles en tant que cellule constitutive de la famille. L’auteur a interjeté appel, et le Conseil d’État a statué le 19 juillet 2000, confirmant la décision du Tribunal administratif, en faisant valoir que, selon la Constitution, «la famille se constitue à partir des liens naturels ou juridiques […] existant entre un homme et une femme». Cet arrêt, qui a été notifié uniquement par un acte du 17 octobre 2000, est devenu exécutoire le 24 octobre de la même année.

2.8 L’auteur considère qu’il a épuisé les recours internes. Il souligne que toutes les actions en protection en Colombie sont renvoyées à la Cour constitutionnelle pour examen éventuel mais que la sienne n’a pas été retenue pour faire l’objet d’un réexamen.

2.9 L’auteur demande que la confidentialité de ses données personnelles et de celles de son partenaire soit respectée.

Teneur de la plainte

3.1 En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, l’auteur affirme qu’il a fait l’objet d’une discrimination en raison de son orientation sexuelle et de son sexe. Il affirme que l’État colombien n’a pas respecté son engagement de garantir à toutes les personnes se trouvant sur son territoire des pratiques non discriminatoires.

3.2 L’auteur allègue une violation de l’article 3 du Pacte parce que les droits conférés aux partenaires de sexe différent sont refusés aux partenaires du même sexe, sans aucune justification. Il affirme avoir rempli toutes les conditions requises par la loi pour obtenir le versement de la pension à laquelle il a droit, ce qui lui a été refusé sur la base d’arguments d’exclusion pour préférence sexuelle. Il observe que, si la demande de pension avait été présentée par une femme après le décès de son compagnon de sexe masculin, cette pension lui aurait été accordée, et que cette situation est par conséquent discriminatoire. L’auteur considère que refuser aux partenaires du même sexe les droits qui sont reconnus aux partenaires de sexe différent est une violation de l’article 3.

3.3 L’auteur invoque également une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 5 du Pacte, parce que les mesures prises par l’État partie ne respectent pas les principes d’égalité et de non ‑discrimination. Selon l’auteur, l’État partie n’a pas tenu compte des décisions dans lesquelles le Comité souligne l’interdiction de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle , et la loi colombienne a été appliquée de manière restrictive, ce qui a empêché l’auteur d’obtenir la réversion de la pension de son partenaire et mis en péril ses moyens de subsistance et sa qualité de vie.

3.4 Au sujet du grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14, l’auteur affirme que son droit à l’égalité devant les tribunaux n’a pas été respecté, parce que les organes judiciaires colombiens ont rejeté à plusieurs reprises sa demande au motif de son sexe. Il mentionne la réserve formulée en l’affaire par la juge Olaya Forero, de la chambre du contentieux administratif, qui a affirmé que le jugement rendu introduisait une inégalité de traitement à l’égard des homosexuels.

3.5 L’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 17 parce qu’il considère que l’État partie a fait une immixtion négative dans sa vie privée en disqualifiant sa préférence sexuelle afin de motiver le refus du droit fondamental à une pension qui assurerait sa subsistance. En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 2 de l’article 17, l’auteur affirme que, dans les décisions rendues par les autorités judiciaires, sa vie privée a eu davantage de poids que les conditions posées par la loi pour obtenir une pension. Les juges ont refusé de faire droit à ses recours en protection ou en amparo au seul motif de son homosexualité.

3.6Au sujet de la violation de l’article 26, l’auteur affirme que l’État partie, par le biais de la décision de la Caisse de prestations et, ultérieurement, des multiples procédures judiciaires, a eu la possibilité d’éviter qu’il y ait discrimination fondée sur le sexe et l’orientation sexuelle, mais ne l’a pas fait. L’auteur fait valoir que l’État a le devoir de redresser les situations qui désavantagent les citoyens mais que, dans son cas, c’est le contraire qui s’est produit puisque l’État a aggravé sa situation en le rendant plus vulnérable face aux difficultés d’ordre social que connaît la Colombie.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

4.1 Par une note verbale du 25 novembre 2005, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

4.2 En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie procède à un examen détaillé des recours utilisés par l’auteur et conclut que ces recours ont été épuisés, à l’exception des recours extraordinaires en révision et en appel qu’il n’a pas utilisés au moment voulu. L’État partie affirme qu’il n’appartient pas au Comité d’examiner les appréciations des juridictions nationales sur les points de fait ou de droit, ni d’annuler les décisions judiciaires comme le ferait une juridiction d’appel. L’État partie considère que l’auteur cherche à utiliser le Comité comme une quatrième instance.

4.3 En ce qui concerne les recours internes, l’État partie note que la Caisse a appliqué l’article premier de la loi 54 de 1990, qui établit que «… à toutes les fins civiles, sont considérés comme compagnon permanent ou compagne permanente l’homme et la femme qui constituent une union de fait». Il conclut que la législation colombienne n’a pas conféré d’effets civils aux unions entre personnes du même sexe. Il observe également que le Tribunal administratif de Cundinamarca a considéré que l’application systématique et concordante de la Constitution de 1991 et des autres normes pertinentes ne permettait pas à l’administration d’accéder à la demande de l’auteur. L’État partie signale qu’il existe, en matière de contentieux administratif, des recours de caractère extraordinaire comme le recours en révision et en appel, que l’auteur aurait pu former, mais qui n’ont pas été utilisés au moment opportun, avant l’expiration des délais établis par la loi.

4.4 En ce qui concerne les actions en protection engagées par l’auteur, l’État partie considère que l’action engagée devant le tribunal pénal municipal 65 n’avait pas pour objet la protection du droit à la pension de réversion mais la protection d’un droit de requête. Il considère par conséquent que ce recours ne doit pas être compté parmi ceux qui ont permis à l’État d’être saisi de la violation alléguée. La deuxième action en protection avait bien pour objet de protéger certains des droits prétendument violés et elle a été rejetée, le juge ayant estimé que l’auteur n’était pas exposé à un danger imminent et qu’il disposait d’un autre moyen de défense en justice.

4.5 Pour ce qui est de la question du réexamen par la Cour constitutionnelle des requêtes en protection, l’État partie confirme que celle de l’auteur a été soumise à la Cour mais n’a pas été retenue pour examen. Il confirme que l’examen réalisé par la Cour constitutionnelle n’est pas obligatoire car il ne s’agit pas d’une troisième instance dans la procédure de protection. L’État partie transmet également les observations du Défenseur du peuple, qui n’est pas intervenu pour demander que la Cour constitutionnelle examine les décisions. L’État partie renvoie à l’arrêt que la Cour constitutionnelle a rendu sur le recours en inconstitutionnalité visant l’article premier et l’alinéa a de l’article 2 de la loi 54 de 1990 «qui définit les unions de fait et le régime patrimonial entre compagnons permanents», en joignant un extrait de l’arrêt .

4.6 L’État partie conclut que l’auteur a épuisé les recours internes et que, insatisfait des décisions rendues, il s’est adressé au Comité comme s’il s’agissait d’une quatrième instance. L’État partie propose de démontrer que les décisions rendues par les juridictions internes ont été conformes au droit et que les garanties judiciaires consacrées dans le Pacte ont été respectées.

4.7 En ce qui concerne le fond, l’État partie a fait les observations suivantes. Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, il affirme que le Comité n’a pas compétence pour faire des observations sur la violation de cet article car celui ‑ci énonce un engagement de caractère général de respecter et de garantir à tous les individus les droits reconnus dans le Pacte. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité concernant la communication n o 268/1987, M. B. G. et S. P. c. Trinité ‑et ‑Tobago , et conclut que l’auteur ne peut pas invoquer une violation de cet article isolément, en l’absence de violation du paragraphe 1 de l’article 14.

4.8 Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 3, l’État partie indique qu’à ses yeux cet article n’a pas la portée que prétend l’auteur, car cette disposition vise à garantir l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, compte tenu des formes historiques de discrimination dont ces dernières ont fait l’objet. L’État partie mentionne l’arrêt de la Cour constitutionnelle rendu à ce sujet et fait siennes les observations de la Cour, les suivantes en particulier. Les unions de fait hétérosexuelles, dès lors qu’elles constituent une famille, sont prises en compte par la loi afin de garantir leur «protection complète» et, spécialement, de garantir que «la femme et l’homme» aient des droits et des devoirs égaux (art. 42 et 43 de la Constitution). Les facteurs d’ordre social et juridique que le législateur a pris en considération sont nombreux et vont au ‑delà de la simple existence de la vie commune entre les membres du couple, d’autant plus que cette vie commune peut exister entre des partenaires et au sein de groupes sociaux très divers, composés de plusieurs membres, unis ou non par des liens sexuels ou affectifs, sans que le législateur ait pour autant l’obligation de leur reconnaître un régime patrimonial analogue à celui qu’établit la loi 54 de 1990. La définition que donne la loi de l’union de fait a pour objet d’affirmer les droits d’un groupe autrefois victime de discrimination et de le protéger, mais elle ne crée pas un privilège qui serait d’ailleurs contestable au regard de la Constitution. L’État partie mentionne aussi les considérations du Défenseur du peuple allant dans le même sens et conclut à l’absence de violation de l’article 3 du Pacte.

4.9 Pour ce qui est du grief de violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 5, l’État partie affirme qu’il n’est pas clairement étayé, étant donné que l’auteur n’a pas précisé de quelle manière a été conféré à un État, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans le Pacte.

4.10 L’État partie réaffirme l’avis exprimé par le juge constitutionnel, à savoir que les normes applicables à ce régime ont pour seul but de protéger les unions hétérosexuelles sans porter préjudice aux autres ni s’exercer à leur détriment ou les affaiblir, puisque les normes régissant l’union libre n’ont nullement pour objet de léser les homosexuels. En ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 5, l’État partie signale qu’aucune loi de la République ne limite ou ne met en question les droits reconnus dans le Pacte. Au contraire, il existe des dispositions qui, comme la loi 54 de 1990, étendent aux compagnons permanents vivant en union de fait des droits aux prestations sociales et des droits patrimoniaux, ce qui n’est pas prévu à l’article 23 du Pacte, qui énonce les droits du couple uni par le mariage.

4.11 Quant à la violation présumée du paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie indique que les ordonnances judiciaires prises au cours d’une procédure ou d’une action en protection produisent leurs effets seulement inter partes . Il considère que ces griefs ne sont pas fondés étant donné que toutes les décisions judiciaires qui ont été prises à la suite des procédures engagées par l’auteur montrent qu’il y a eu égalité non seulement devant la loi mais aussi devant les organes judiciaires. L’auteur a eu, sans aucune restriction, la possibilité de s’adresser à la justice et d’employer tous les mécanismes à sa disposition pour demander la protection des droits qu’il estimait violés. Les violations alléguées ne sont pas dues à un caprice du magistrat chargé de juger mais sont le produit de l’exercice scrupuleux de ses fonctions juridictionnelles, dans le respect de la loi qui régit la sécurité sociale, avec un devoir de protection à l’égard de la famille au sens de celle que forme un couple hétérosexuel, telle que la conçoit le Pacte lui ‑même en son article 23.

4.12Au sujet de la violation alléguée de l’article 17, l’État partie affirme que l’auteur n’explique pas les raisons pour lesquelles il estime que cet article a été violé et n’apporte aucune preuve montrant qu’il a été victime d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée. Par conséquent, l’État partie considère que l’auteur n’a pas motivé cette partie de la communication.

4.13 Au sujet du grief de violation de l’article 26, l’État partie indique qu’il a déjà présenté ses arguments dans son analyse des allégations relatives aux articles 3 et 14, étant entendu qu’il s’agit des mêmes présupposés de fait et de droit. L’État partie conclut qu’il ne s’est produit aucune violation du Pacte et demande que la communication soit déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.14 L’État partie n’est pas opposé à la demande de l’auteur qui ne souhaite pas la divulgation de son identité et de celle de son compagnon décédé, bien qu’il ne partage pas l’avis de l’auteur sur la nécessité de cette confidentialité.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans ses commentaires du 26 janvier 2006, l’auteur indique qu’il ressort de la réponse de l’État partie que la législation colombienne ne reconnaît pas à la personne qui a partagé la vie d’une autre personne du même sexe le droit aux prestations sociales. Il renvoie aux décisions du Tribunal administratif et du Conseil d’État. Au sujet de l’observation de l’État partie selon laquelle l’auteur aurait dû présenter les recours en révision et en appel, l’auteur objecte que ces recours sont formés devant le Conseil d’État, lequel avait déjà examiné la question et conclu de manière claire et nette qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à la demande conformément à la législation colombienne. Néanmoins, les recours juridictionnels relatifs aux droits fondamentaux ou aux droits de l’homme ont été épuisés également au moyen du mécanisme de l’action en protection. L’auteur observe que le service du Défenseur du peuple a refusé de demander à la Cour constitutionnelle de réexaminer le recours en protection car il le considérait irrecevable. L’auteur affirme qu’il ressort de la réponse de l’État partie qu’il n’existe aucune possibilité de protection en l’espèce dans le cadre de la Constitution, de la loi, de la réglementation ou de la procédure colombiennes.

5.2 L’auteur indique que l’article 93 de la Constitution reconnaît que les principes et décisions émanant des organismes internationaux de défense des droits de l’homme constituent des critères d’interprétation contraignants pour le juge constitutionnel. Il affirme qu’en vertu de ce principe, l’État partie aurait dû prendre en compte en particulier les constatations que le Comité des droits de l’homme, en sa qualité d’organe international de ce type, a adoptées concernant les communications n os 488/1992, Toonen c. Australie , et 941/2000, Young c. Australie .

5.3 L’auteur conclut qu’il a épuisé les recours internes et qu’il n’existe pas dans la législation colombienne de recours pour protéger les droits des couples homosexuels et mettre un terme à la violation de leurs droits fondamentaux.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Le Comité relève que l’État partie considère que l’auteur a épuisé les recours internes.

6.2 En ce qui concerne les allégations formulées au titre de l’article 3, le Comité prend note des arguments de l’auteur, qui fait valoir qu’un couple du même sexe se voit refuser les droits accordés aux couples de sexe différent et que, si la demande de pension avait été présentée par une femme après le décès de son compagnon de sexe masculin, cette pension lui aurait été accordée, ce qui crée une situation discriminatoire. Néanmoins, le Comité observe que l’auteur ne fait pas valoir l’existence d’une discrimination dans le cas du traitement accordé aux femmes homosexuelles dans des situations analogues à la sienne. Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3 Pour ce qui est des griefs de violation de l’article 5 du Pacte, le Comité considère qu’aucun droit individuel spécifique ne peut être tiré de cette disposition . Par conséquent, ce grief est incompatible avec le Pacte et irrecevable en vertu des dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4 En ce qui concerne la plainte se rapportant à l’article 14, le Comité considère qu’elle n’a pas été suffisamment étayée aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif, et qu’elle doit par conséquent être déclarée irrecevable en vertu des dispositions de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 Le Comité considère que le reste de la communication de l’auteur soulève des questions pertinentes au regard du paragraphe 1 de l’article 2, de l’article 17 et de l’article 26 du Pacte, la déclare recevable et procède à son examen au fond.

Examen de la communication au fond

7.1 L’auteur affirme que le fait que les tribunaux colombiens refusent de lui accorder une pension pour des motifs fondés sur son orientation sexuelle viole les droits qui lui sont reconnus à l’article 26 du Pacte. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que les divers facteurs d’ordre social et juridique sont pris en compte par le législateur, et pas simplement la communauté de vie entre les membres du couple, et que le législateur n’est pas tenu de reconnaître un régime patrimonial analogue à celui établi par la loi 54 de 1990 à tous les couples et tous les groupes sociaux divers qui existent, unis ou non par des liens sexuels ou affectifs. Il prend note également de l’affirmation de l’État partie faisant valoir que les normes applicables à ce régime ont pour seule fin de protéger les unions hétérosexuelles sans porter préjudice aux autres et sans que ces dernières subissent un préjudice ou une atteinte quelconque.

7.2 Le Comité constate que l’auteur n’a pas été reconnu comme le compagnon permanent de M. Y. pour ce qui est de recevoir les prestations de pension au motif que, dans leurs décisions fondées sur la loi 54 de 1990, les tribunaux ont estimé que seules les personnes engagées dans une union maritale de fait hétérosexuelle avaient le droit de recevoir les prestations de pension. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’interdiction de la discrimination énoncée à l’article 26 du Pacte concerne également la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle . Il rappelle également que, dans des décisions antérieures, il a conclu que les différences entre les prestations versées aux couples mariés et celles versées aux couples non mariés, hétérosexuels, étaient raisonnables et objectives dans la mesure où ces derniers pouvaient choisir de se marier ou non, avec toutes les conséquences que cela supposait . Le Comité note également que, alors que l’auteur n’avait pas la possibilité de contracter mariage avec son compagnon permanent du même sexe, la loi en question n’établit pas de distinction entre couples mariés et non mariés, mais entre couples homosexuels et hétérosexuels. Il relève que l’État partie n’avance aucun argument convaincant pour démontrer que cette distinction entre compagnons du même sexe, qui n’ont pas le droit de recevoir des prestations de pension, et compagnons hétérosexuels non mariés, qui peuvent bénéficier de ces prestations, est raisonnable et objective. De même, l’État partie n’avance aucun élément démontrant l’existence de facteurs susceptibles de justifier cette distinction. Dans ces conditions, le Comité conclut que l’État partie a commis une violation de l’article 26 du Pacte en refusant à l’auteur le droit à la pension de son compagnon permanent pour des motifs fondés sur son orientation sexuelle.

7.3 Au vu de ces conclusions, le Comité estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 17 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par la Colombie de l’article 26 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité conclut que l’auteur, en tant que victime d’une violation de l’article 26, a droit à un recours utile, et notamment au réexamen de sa demande de pension sans discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle. L’État partie est tenu de prendre des mesures afin que des violations analogues du Pacte ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle dissidente de M. Abdelfattah Amor et de M. Ahmed Tawfik Khalil

L’auteur, X, a perdu son compagnon − de même sexe que lui − après vingt ‑deux ans de relations et sept ans de vie commune. Il estime avoir droit − tout comme les survivants de couples hétérosexuels mariés ou de fait − à une pension de réversion, ce que la législation de l’État partie ne consacre pas.

Le Comité a fait droit à la prétention de l’auteur qu’il a considéré comme victime d’une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte, discrimination pour des motifs fondés sur le sexe ou l’orientation sexuelle, en ce sens que l’État partie n’a pas expliqué «en quoi la différence de traitement entre les partenaires homosexuels et les partenaires hétérosexuels non mariés, est raisonnable et objective», tout comme il n’a avancé «aucun élément tendant à prouver l’existence de facteurs justifiant cette distinction».

Aux termes de cette conclusion du Comité, il n’y aurait pas de distinction ou de différenciation entre d’une part les couples de même sexe et d’autre part les couples de sexe différent non mariés, relativement à la question des pensions de réversion. Le contraire, à moins que l’État fournisse des explications et des preuves justificatives, constituerait une violation de l’article 26 consistant en une discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle. On ne s’étonnera pas, dès lors, de voir le Comité appeler l’État partie, notamment, à réexaminer la demande de pension de l’auteur «sans discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle». L’État partie est, en outre, tenu − selon la formule consacrée − «de prendre des mesures afin que des violations analogues du Pacte, ne se reproduisent pas».

La décision du Comité reprend, en fait, la solution retenue, en 2003, dans l’affaire Young c. Australie (communication n o 941/2000). Elle s’inscrit, manifestement, dans une perspective d’établissement et de consolidation d’une jurisprudence constante en la matière, obligeant l’ensemble des États parties au Pacte.

Nous ne pouvons souscrire ni à la démarche, ni à la conclusion du Comité, et ce, pour plusieurs raisons juridiques.

On soulignera, d’abord, que l’article 26 du Pacte n’envisage pas, explicitement, la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Ce type de discrimination ne pourrait être, éventuellement, envisagé qu’au titre de la notion de «toute autre situation» figurant à l’article 26 in fine . C’est dire que les questions d’orientation sexuelle ne peuvent être traitées en vertu du Pacte qu’au titre de l’interprétation. Il est, évidemment, entendu que l’interprétation dans la limite du raisonnable et dans la mesure où elle ne dénature pas le texte ou lui impute l’expression d’une volonté qui n’est pas celle de ses auteurs, est imputable au texte lui ‑même. Il est à craindre, comme on le verra plus loin, que le Comité ne soit allé au ‑delà de la simple interprétation .

On notera, ensuite, toujours au titre des observations préliminaires, que l’interprétation, même si elle peut être sous ‑tendue par des expériences juridiques nationales, ne peut faire abstraction de l’état du droit international positif qui ne reconnaît pas un droit de l’homme à l’orientation sexuelle. C’est dire que le rôle «créateur» et «normatif» du Comité devrait trouver ses limites dans cette réalité juridique.

Ce qui reste essentiel, par ailleurs, est que l’interprétation à laquelle l’article 26 peut être soumis, concerne la non ‑discrimination et non l’émergence de nouveaux droits dont l’implication par le Pacte est loin d’être évidente pour ne pas dire exclue compte tenu du contexte dans lequel ce dernier a vu le jour.

Dans son effort d’interprétation de la notion de non ‑discrimination, le Comité a toujours fait preuve d’une grande rigueur. C’est ainsi qu’il a considéré que «toute différence de traitement fondée sur des motifs énumérés à l’article 26 du Pacte ne constitue pas une discrimination pour autant qu’elle soit fondée sur des motifs raisonnables et objectifs» ( G. J. Jongenburger ‑Veerman c. Pays ‑Bas, communication n o 1238/2004). Dans l’affaire Michael O’Neil et John Quinn c. Irlande (communication n o 1314/2004), le Comité, reprenant encore une fois sa jurisprudence constante (voir communication n o 218/1986, Vos c. Pays ‑Bas ; communication n o 425/1990, A. M. M. Doesburg Lannooij Neefs c. Pays ‑Bas ; communication n o 651/1995, J. Snijders c. Pays ‑Bas ; communication n o 1164/2003 Abal ‑Castell ‑Ruiz et consorts c. Espagne ) rappelle qu’ «une distinction ne constitue pas systématiquement une discrimination en violation de l’article 26, mais que des distinctions doivent être justifiées par des motifs raisonnables et objectifs dans la poursuite d’un but légitime au regard du Pacte» .

Le caractère raisonnable et objectif des motifs de distinction ou de différenciation, autant que la légitimité du but au regard du Pacte, est souvent d’appréciation difficile, étant par ailleurs entendu que les difficultés sont de degrés variables. Dans ce domaine, la subjectivité guette l’interprète surtout quand il s’enferme, consciemment ou non, dans des méthodes téléologiques. Les enjeux peuvent se situer, alors, en marge du Pacte et parfois même à ses dépens. L’espace juridique peut, en conséquence, céder la place à d’autres catégories d’espace dont la légitimité se situerait dans des domaines autres que juridiques ou tout au plus aux confins des espaces juridiques. C’est dire que l’établissement de similitudes, d’analogies ou d’équivalences entre la situation des couples hétérosexuels mariés ou de fait et des couples homosexuels peut, par ailleurs, forcer tant l’observation des faits que leur interprétation et ne peut servir donc à des constructions juridiques raisonnables et objectives.

L’interprétation des dispositions du Pacte ne peut faire abstraction des unes ou des autres surtout lorsque les dispositions ont un rapport de connexion qu’on ne peut raisonnablement taire et encore moins évacuer. C’est dire que la question de «la discrimination au titre du sexe ou de l’orientation sexuelle» ne peut être évoquée au regard de l’article 26 dans une perspective de prestations positives, abstraction faite de l’article 23 du Pacte qui considère que «la famille est l’élément naturel et fondamental de la société» et que «le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l’homme et à la femme à partir de l’âge nubile». Cela veut dire qu’un couple de même sexe ne constitue pas une famille au sens du Pacte et ne peut pas prétendre à des prestations positives fondées sur la notion de famille, laquelle est constituée de personnes de sexes différents.

Quelles explications supplémentaires l’État doit ‑il fournir? Quels autres éléments de preuve justificatifs doit ‑il avancer pour montrer le caractère raisonnable et objectif d’une différenciation entre un couple de personnes de même sexe et un couple de personnes de sexe différent? Cette logique dans laquelle le Comité a inscrit son raisonnement est, en l’espèce, fort discutable. Elle part de l’a priori selon lequel les couples, indépendamment des sexes qui les composent, sont identiques et ont droit à la même protection s’agissant des prestations positives. La conséquence qui en découle est qu’il incombe à l’État, et non à l’auteur, d’expliquer, de justifier, d’avancer les éléments de preuve comme s’il s’agissait d’une règle établie et indiscutée, ce qui est loin d’être le cas. Nous pensons qu’en l’espèce, et relativement à des prestations positives, la régularité des situations générales est présumée, à moins d’appréciation arbitraire ou de qualification manifestement erronée, et que celle des situations qui y dérogent doit être démontrée par ceux qui les invoquent.

D’un autre côté, et s’agissant toujours des interprétations des dispositions du Pacte les unes par rapport aux autres, on soulignera que l’article 3 du Pacte relatif à l’égalité entre les hommes et les femmes se conjugue dans son interprétation avec l’article 26 du Pacte, mais ne peut être transposé à l’égalité entre couples hétérosexuels et couples homosexuels.

Par contre, l’article 17 qui interdit l’immixtion dans la vie privée est certainement violé en cas de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Le Comité a, à juste titre et à plusieurs reprises, tant au niveau de ses observations finales sur les rapports des États qu’au niveau de ses constatations sur les communications individuelles, considéré que la protection contre les immixtions arbitraires ou illégales dans la vie privée, n’autorise pas les poursuites ou les sanctions quand il y a des rapports homosexuels entre adultes consentants. L’article 26, en connexion avec l’article 17, joue ici pleinement parce que précisément il s’agit ici de lutter contre les discriminations et non de créer de nouveaux droits. L’article 26 ne peut pas, par contre, normalement, produire effet lorsqu’il s’agit de prestations positives telles que le droit à une pension de réversion au profit d’une personne ayant perdu son compagnon de même sexe. La situation d’un couple homosexuel en matière de pension de réversion, à moins de percevoir le problème sous l’angle des cultures – et les cultures sont diverses et sur certaines questions de sociétés opposées –, n’est ni identique ni similaire à celle d’un couple hétérosexuel.

Au total, la flexibilité du droit est une grande source de richesses, mais peut conduire parfois à des excès qui vident la norme de sa substance pour lui donner un contenu autre que le sien, autre que celui voulu par son auteur ou que celui que déterminent sa lettre et son esprit. Les choix, en matière d’interprétation, ne peuvent être retenus que dans le cadre et les limites de la règle interprétée. Il demeure, évidemment, entendu que les États sont en droit et en mesure de déterminer de nouveaux droits au profit des personnes relevant de leur juridiction. Il n’appartient pas au Comité, dans ce domaine, de se substituer aux États et d’opérer des choix qu’il ne lui appartient pas d’opérer.

( Signé ) Abdelfattah Amor

( Signé ) Ahmed Tawfik Khalil

[Fait en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

GG. Communication n o  1368/2005, E. B . c. Nouvelle ‑Zélande * (Constatations adoptées le 16 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

E. B. (représenté par un conseil, M. Tony Ellis)

Au nom de :

L’auteur, ses filles, S. et C., ainsi que son fils, E.

État partie :

Nouvelle ‑Zélande

Date de la communication :

24 décembre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Déni du droit de visite à l’égard d’enfants au terme d’une longue procédure relative au droit de visite

Questions de procédure : Épuisement des recours internes; qualité pour agir du parent; éléments étayant les griefs, aux fins de la recevabilité

Questions de fond : Droit à un procès équitable; immixtion arbitraire dans la famille; protection de la cellule familiale; droits de l’enfant; égalité devant la loi et non ‑discrimination

Articles du Pacte : 2, 14 (par. 1), 17, 23, 24, 26

Articles du Protocole facultatif : 1, 2, 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1368/2005, présentée par E. B. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 24 décembre 2004, est E. B. , de nationalité néo ‑zélandaise. L’auteur présente la communication en son nom et au nom de ses deux filles, S., [] et C., [] ainsi que de son fils, E.[] . Il affirme être victime de violations, par la Nouvelle ‑Zélande, de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 14, et des articles 17, 23, 24 et 26 du Pacte. Il allègue aussi des violations des articles 17, 23 et 24 du Pacte au nom de ses enfants. L’auteur est représenté par un conseil, M. Tony Ellis.

Exposé des faits

2.1 En 2000, l’auteur et son épouse, avec qui il a eu deux filles (nées respectivement en 1990 et 1994) et un fils (né en 1997), se sont séparés. À partir du 4 novembre 2000, l’épouse de l’auteur lui a refusé le droit de voir les enfants. Le 30 novembre 2000, l’auteur a saisi le juge aux affaires familiales pour obtenir un droit de visite à l’égard de ses enfants.

2.2 En mai 2001, l’épouse de l’auteur a fait une première déclaration à la police, dans laquelle elle accusait l’auteur d’avoir infligé des violences sexuelles à leurs deux filles. En juin 2001, elle a commencé à faire une nouvelle déposition à la police, déposition qu’elle a fini par achever en octobre 2001 après plusieurs interrogatoires. La police a enquêté sur ces accusations de juin 2001 à octobre 2002. Quatre interrogatoires des deux filles, avec enregistrement vidéo ayant valeur probante, ont eu lieu respectivement les 27 juin 2001 (pour C.), 21 août 2001 (pour S.), 1 er juillet 2002 (pour S.) et 24 octobre 2002 (pour C.). En juin 2002 et une nouvelle fois en mars 2003, un psychologue clinicien a établi un rapport demandé au titre de l’article 29A de la loi sur les tutelles . Le 30 janvier 2003, la police a renoncé à poursuivre l’auteur.

2.3 Du 24 au 28 mars 2003, le juge aux affaires familiales a statué sur la requête initiale qui avait été introduite en novembre 2000. Avant que l’auteur, son épouse et le psychologue clinicien ne fassent des dépositions orales, les enregistrements vidéo ayant valeur probante ont été diffusés, ainsi que les enregistrements vidéo des interrogatoires de l’auteur par la police, en présence des parties et du conseil.

2.4 Le 24 juin 2003, le juge aux affaires familiales a rejeté la requête relative au droit de visite en vertu de l’article 16B de la loi sur les tutelles de1968 . Le juge n’avait pas acquis la conviction, sur la base de l’hypothèse la plus probable, que l’auteur avait réellement infligé des violences sexuelles aux enfants. Il a considéré toutefois que l’auteur présentait «un risque inacceptable» pour la sécurité des enfants. Il a estimé que «ce qui s’était passé dans les faits, quoi que ce fût», entre l’auteur et les enfants «avait des répercussions durables et marquées sur ces derniers». Les enfants avaient exprimé le souhait de ne pas avoir de contacts avec leur père. En l’espèce, le juge a conclu qu’une décision accordant le droit de visite à l’auteur ne serait pas dans l’intérêt des enfants. Il a également noté que la procédure s’était malheureusement prolongée, et que «tout au long de la procédure, on s’était préoccupé des retards dans la mise en état de l’affaire». Le juge a relevé les difficultés auxquelles on se heurtait dans le règlement des questions de droit de visite lorsque des accusations de violences sexuelles imposaient une enquête de police.

2.5 Pour prendre sa décision, le juge a évalué et pesé soigneusement tous les éléments de la cause. Après avoir vu et entendu les déclarations des parties, il a décidé de faire confiance à la femme de l’auteur, qui était disposée à reconnaître ses défaillances et sa responsabilité dans ce qui s’était produit pendant le mariage alors que, selon le juge, l’auteur n’était quant à lui pas disposé à concéder qu’il avait dépassé les limites des convenances dans ses contacts avec ses enfants, en dépit des éléments indiquant que ces limites avaient été franchies. En outre, le jugement a relevé les incidents survenus plusieurs fois lors de rencontres surveillées entre le père et ses filles au printemps 2001, qui ont donné lieu à inculpation pour trois infractions présumées à l’ordonnance de protection (chaque inculpation ayant toutefois été suivie d’un non ‑lieu).

2.6 L’auteur a interjeté appel devant la Haute Cour en invoquant, entre autres, le fait que les dispositions du Pacte et celles de la Convention européenne des droits de l’homme, telles qu’interprétées dans l’affaire Sahin c. Allemagne , faisaient apparaître un droit parental fondamental de visite à l’égard des enfants qui n’avait pas été suffisamment pris en compte. Le 7 novembre 2003, la Haute Cour a confirmé la décision du juge aux affaires familiales concernant le droit de visite à l’égard des deux filles, mais a estimé que le juge devait revoir sa décision concernant le droit de visite à l’égard du fils, compte tenu en particulier de ce qu’il n’avait pas été fait état de violences à son égard. À la date de présentation de la communication, plus d’un an plus tard, la situation du fils n’avait toujours pas été réexaminée, au motif de «retards systémiques dans les procédures judiciaires».

2.7 L’auteur a demandé à la cour d’appel l’autorisation de former recours contre la décision de la Haute Cour concernant ses filles, aux fins que la juridiction d’appel déclare les dispositions pertinentes de la loi sur les tutelles incompatibles avec le Pacte. L’appelant renvoyait dans sa demande aux constatations du Comité dans l’affaire Hendriks c. Pays ‑Bas , dans lesquelles le Comité a estimé: «… nécessaire que certains critères soient fixés par la loi afin de permettre aux tribunaux de parvenir à une application complète des dispositions de l’article 23 du Pacte. Parmi ces critères, le maintien de relations personnelles et de contacts directs réguliers de l’enfant avec ses deux parents paraît essentiel, sauf circonstances exceptionnelles».

2.8 Le 6 avril 2004, la cour d’appel a rejeté la demande d’autorisation de former recours, considérant que seule la loi de déclaration des droits pouvait faire l’objet d’une déclaration d’incompatibilité. En tout état de cause, la cour a estimé que ni la décision du juge aux affaires familiales ni la procédure dont elle constituait l’aboutissement n’étaient incompatibles avec l’article 23 du Pacte. Elle a considéré que les constatations du Comité dans l’affaire Hendriks ne s’appliquaient pas au cas d’espèce, étant donné qu’elles «… ne stipulent pas expressément qu’un juge examinant la question du droit de visite devrait se prononcer sur toutes les formes d’exercice indirect de ce droit [comme l’exercice par téléphone et par écrit] avant de refuser complètement le droit de visite».

2.9 Le 21 avril 2004, le fils, E., a formulé des accusations de violences sexuelles contre l’auteur. La police a rouvert l’enquête visant ce dernier et a procédé à un interrogatoire. En mai 2004, le juge aux affaires familiales a ajourné l’examen de la requête relative au droit de visite à l’égard du fils que lui avait renvoyée la Haute Cour, au motif de l’enquête de police. En septembre 2004, la police a renoncé à poursuivre l’auteur.

2.10 Par la suite, en novembre 2004, le conseil de l’épouse de l’auteur a souhaité que le juge aux affaires familiales fasse établir un rapport psychologique actualisé concernant le fils. En mai 2005, le juge a approuvé la note demandant l’intervention d’un psychologue, note dont le projet avait été rédigé par le conseil de E. En juin, un psychologue a été désigné pour établir le rapport actualisé conformément à l’article 29A de la loi sur les tutelles. En septembre 2005, le juge a reçu le rapport actualisé et l’a communiqué au conseil. En mars 2006, le conseil de l’auteur a fait savoir au greffier qu’il demanderait une critique indépendante de ce rapport. En avril 2006, l’avocat de E. a été désigné «avocat de l’enfant» chargé de seconder le juge dans la procédure de critique indépendante. En juin 2006, le conseil de l’auteur a fait valoir qu’il était inapproprié qu’il se voie confier cette tâche, étant donné les différents rôles et responsabilités attachés à chaque fonction. Dans un procès ‑verbal daté du 19 juin 2006, le juge s’est rangé aux arguments du conseil.

2.11 Le 6 juillet 2006, le juge aux affaires familiales, par procès ‑verbal adressé à tous les conseils, s’est alarmé du temps que prenait cette affaire pour parvenir au stade des débats. Il a invité tous les conseils à se concentrer sur la nécessité de mener à terme toutes les démarches, de produire tous éléments de preuve pertinents et d’entendre la cause. Au 30 août 2006, le tribunal attendait toujours que soit achevé l’examen critique du rapport actualisé, lequel avait été retardé de sept semaines par un séjour à l’étranger du médecin expert qui devait s’en charger.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur allègue des violations de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 14, et des articles 17, 23, 24 et 26 du Pacte, à son égard, et des articles 17, 23 et 24 à l’égard de ses enfants.

3.2 L’auteur se plaint d’une double violation du droit à un procès équitable qui est garanti par l’article 14. Premièrement, étant donné la nature des intérêts du parent et des enfants qui sont en jeu, la longueur de la procédure viole le droit à ce que sa cause soit jugée avec toute la diligence voulue. Le retard était en grande partie dû au fait que la police avait tardé à enquêter sur les deux accusations de violences, l’une et l’autre s’étant d’ailleurs finalement révélées infondées. S’appuyant sur les constatations du Comité dans l’affaire Fei c. Colombie , l’auteur soutient que le fait qu’il se soit écoulé deux ans avant que la justice ne statue sur la requête concernant le droit de visite à l’égard des filles, et plus de trois ans depuis l’introduction de la requête visant le fils − et la procédure est toujours en cours −, constitue une violation du droit d’être jugé rapidement.

3.3 Deuxièmement, l’auteur considère qu’il y a eu une violation distincte de l’article 14 du fait que le recours qu’il avait formé n’a pas été examiné par un juge compétent puisque le juge de la Haute Cour en question n’avait pas été désigné d’une façon conforme à la loi. L’auteur fait valoir que le juge continuait d’exercer ses fonctions cinq ans après l’âge officiel de la retraite, fixé à 68 ans, alors que la législation applicable n’autorisait que deux ans d’activité supplémentaires.

3.4 L’auteur allègue une violation de l’article 17, au motif que l’État partie n’a rien fait pour prévenir une immixtion arbitraire dans la famille ayant eu pour effet d’éloigner un parent de ses enfants. S’appuyant sur la jurisprudence européenne , il fait valoir qu’aucune circonstance exceptionnelle n’exigeait de supprimer complètement les droits parentaux en matière de visite. La destruction de la cellule familiale qui en a découlé viole ses droits et les droits de ses enfants protégés par la disposition en question. Selon le même raisonnement, l’auteur soutient qu’il y a violation de l’article 23 pour non ‑respect de la famille en tant que groupe fondamental. De la même façon, il fait valoir une violation de l’article 24 au motif que les enfants ne peuvent pas voir leurs deux parents.

3.5 L’auteur soutient également qu’il y a violation de l’article 26 du fait que l’interprétation de la loi sur les tutelles par la cour d’appel crée une distinction injustifiée, puisque les personnes dont il est établi qu’elles n’ont pas commis de violences sexuelles sont moins protégées par la loi que les personnes reconnues coupables de telles violences. En effet, selon la cour d’appel, la loi prévoit qu’un juge, lorsqu’il se prononce sur une requête relative au droit de visite, est tenu d’examiner une série d’aspects spécifiques dans le cas où des violences familiales ou des mauvais traitements ont été commis , mais que dans les autres cas le traitement de la question relève du pouvoir discrétionnaire résiduel du juge conformément au paragraphe 6 de l’article 16B de la loi sur les tutelles.

3.6 L’auteur invoque une violation de l’article 2 rapprochée des articles de fond mentionnés précédemment, pour trois motifs distincts. Premièrement, il prétend que l’État partie n’a pas accordé un recours utile pour les violations de droits substantiels dont il est fait état dans cette affaire. Deuxièmement, la cour d’appel a estimé qu’elle n’avait pas compétence pour produire une déclaration de non ‑conformité de la législation néo ‑zélandaise avec le Pacte, pas plus qu’elle ne pouvait accorder de recours utile à ce motif. Troisièmement, l’État partie n’a pas pris de mesures pour assurer que les garanties énoncées dans le Pacte soient expressément incorporées dans sa législation, ou que l’interprétation de celle ‑ci respecte les droits de l’auteur et de ses enfants protégés par le Pacte et leur donne effet.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Dans des lettres datées du 22 avril 2005 et du 22 août 2005, l’État partie a contesté la recevabilité de la plupart des aspects de la communication et l’a contestée dans son ensemble sur le fond.

4.2 L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes concernant le grief tiré du paragraphe 1 de l’article 14, selon lequel l’appel introduit par l’auteur devant la Haute Cour n’aurait pas été examiné par un tribunal compétent, indépendant et impartial. Il aurait été possible de demander au juge Neazor de se récuser en invoquant qu’il n’était pas compétent pour connaître de l’appel. Le point aurait pu, et aurait dû, être soulevé également dans la demande d’autorisation de former recours qui a été adressée à la cour d’appel. L’auteur a également toujours la possibilité d’introduire une requête tendant à obtenir de la Haute Cour un arrêt déclaratoire qui permettrait aux juridictions internes de se saisir de la question. En tout état de cause, l’État partie conteste que le juge Neazor n’était pas habilité à siéger à la Haute Cour, et fournit copie de la décision, datée du 7 mai 2003, par laquelle il avait été nommé pour un an, ce qui couvrait la période durant laquelle l’affaire a été examinée.

4.3 L’État partie prétend aussi que des recours internes restent ouverts eu égard à tous les moyens exercés au nom du plus jeune des enfants, E. En novembre 2003, la Haute Cour a renvoyé au juge aux affaires familiales la question du droit de visite de l’auteur à l’égard de E. L’État partie indique que l’affaire n’a pas encore été réentendue, et fait valoir la nécessité d’attendre la suite donnée à la demande de l’auteur de former recours concernant les autres enfants, et de mener à bien l’enquête de police sur les nouvelles accusations de violences. Malgré l’ajournement, les juges aux affaires familiales et les services du greffe ont suivi l’affaire de près et font régulièrement le point sur le dossier. L’État partie a fait observer que, à la date de la présentation de ses observations, un rapport d’un psychologue était attendu pour septembre 2005 et une audience devrait se tenir dans les mois qui suivraient.

4.4 L’État partie soutient que les griefs tirés des articles 2, 17, 23 et 24 ont un caractère vague et général, sont fondés sur des assertions et ne s’appuient pas sur des éléments de preuve suffisants pour être recevables au titre du Protocole facultatif.

4.5 L’État partie affirme également que le grief de violation de l’article 26 du Pacte concernant l’article 16B de la loi sur les tutelles n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité. Il relève que l’article 16B de la loi vise, dans la perspective de promouvoir le bien ‑être de l’enfant, aussi bien les cas de violences sexuelles effectives que les cas, comme celui de l’auteur, où il n’y a pas eu de violences mais où un risque réel demeure. On ignore quel tort l’auteur a subi du fait d’avoir acquis le «statut» d’une personne dont le juge aux affaires familiales n’a pas établi la culpabilité quant aux accusations de violences à l’égard de ses enfants portées contre lui. L’État partie fait encore valoir que, dans la mesure où l’affaire soulève une question au titre de l’article 26, le fait que le droit d’appel soit plus restreint dans les affaires portées devant la juridiction chargée des affaires familiales que dans celles relevant du droit civil ou pénal général montre qu’il s’agit d’une juridiction spécialisée, mais aussi que les juridictions rendent des décisions de nature différente. L’État partie relève qu’une différence importante réside dans le fait que, étant donné que la situation des parties peut se modifier dans les affaires relevant du droit de la famille, il est possible d’engager plusieurs actions successives concernant les mêmes questions, de sorte que, par exemple, une partie déboutée peut en tout temps introduire une nouvelle requête tendant à obtenir un droit de visite à l’égard d’un enfant.

4.6 Enfin, l’État partie, «sans nécessairement contester la qualité de l’auteur, en tant que parent n’ayant pas la garde des enfants, pour agir au nom des trois enfants», estime que la communication doit être traitée en conformité avec la décision du Comité dans l’affaire Rogl c. Allemagne , dans laquelle le Comité s’est fondé en partie sur le fait que l’enfant en question, âgé de 15 ans, n’avait indiqué en aucune manière qu’il considérait qu’il y avait eu violation de ses droits pour déclarer irrecevable une allégation de l’un des parents.

4.7 Quant au fond du grief de retard excessif tiré du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie affirme que le temps pris pour se prononcer sur la requête de l’auteur relative au droit de visite, puis sur son appel et sa demande de former recours, n’était pas excessif en l’espèce. Premièrement, l’État partie fait valoir que le temps pris par le juge aux affaires familiales pour se prononcer en première instance sur la requête de l’auteur était en grande partie imposé par les besoins de l’enquête de police, et que la bonne administration de la justice imposait de surseoir à l’audience tant que l’enquête n’était pas achevée. Deuxièmement, l’État partie indique que la requête de l’auteur était complexe, du point de vue des faits et du droit, et que son examen constituait une procédure assez lourde, nécessitant cinq jours d’audience en première instance, la production ultérieure de conclusions écrites et le rendu d’un long jugement. Troisièmement, l’État partie fait observer que cette partie de la procédure a duré le temps qu’il convenait compte tenu de la complexité de l’instance et des nécessités liées à l’exercice approprié des voies de recours.

4.8 En ce qui concerne le plus jeune des enfants, E., à l’égard duquel la procédure a été renvoyée, l’État partie indique que la réouverture des débats a été différée dans l’attente de la décision relative au recours formé par l’auteur devant la cour d’appel, étant donné que les questions pouvaient se recouper. Les nouvelles accusations de violences sexuelles portées en avril 2004 avaient aussi nécessité une enquête qui avait duré jusqu’en septembre 2004 et toutes les parties avaient convenu d’ajourner la procédure dans l’intervalle. L’État partie indique que, depuis lors, l’affaire est suivie de très près et que, compte tenu des accusations graves de violences, il faut veiller à trouver un juste équilibre pour assurer à la fois la sécurité et le bien ‑être des enfants et l’administration de la justice.

4.9 En ce qui concerne d’une façon générale les griefs tirés des articles 17, 23 et 24, l’État partie a relevé que le juge avait estimé, de fait, que même si les accusations de violences sexuelles n’avaient pas été démontrées, l’auteur présentait un risque inacceptable pour le bien ‑être des enfants, et qu’il lui avait refusé en conséquence le droit de visite. L’État partie invite le Comité à se ranger à cette appréciation des preuves, en l’absence d’éléments prouvant la mauvaise foi ou une autre forme de partialité manifeste.

4.10 En ce qui concerne le grief spécifique tiré de l’article 17, l’État partie relève que les mesures prises étaient légales et conformes à la législation applicable. Il concède également que le rejet de la requête relative au droit de visite pourrait constituer une «immixtion» au sens de l’article 17, mais il fait valoir que cette immixtion était dans l’intérêt supérieur de l’enfant. L’article 16B de la loi sur les tutelles vise à assurer que les enfants bénéficient d’une sécurité maximale dans les situations de violences familiales ou de violences présumées. La décision de refus du droit de visite n’était pas arbitraire, le juge aux affaires familiales l’ayant estimée nécessaire pour protéger les enfants, et elle était proportionnée au risque réel que l’auteur présentait pour ses enfants.

4.11 Pour ce qui est des griefs de violation des articles 23 et 24, l’État partie fait valoir en outre que le régime institué en vertu de l’article 16B de la loi sur les tutelles, qui confère au juge un pouvoir résiduel d’apprécier le risque réel même si les accusations de violences n’ont pas été démontrées, diffère sensiblement du vaste pouvoir discrétionnaire que le Comité avait critiqué dans ses constatations concernant l’affaire Hendriks . L’État partie invoque également l’article 9 de la Convention relative aux droits de l’enfant pour montrer que le droit d’un parent d’entretenir des contacts avec ses enfants n’a jamais un caractère absolu, et que la protection d’un enfant contre un risque inacceptable constitue une circonstance exceptionnelle justifiant de déroger à l’interprétation habituelle de l’article 23 selon laquelle les enfants doivent entretenir des contacts directs et réguliers avec leurs parents. L’ État partie indique encore que, si l’auteur estimait que les circonstances avaient changé, il pouvait introduire une nouvelle requête devant le juge aux affaires familiales.

4.12 En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 2, l’État partie estime que, en l’absence d’une violation des droits substantiels du Pacte, la violation de l’article 2 n’est pas établie. Sa législation est conforme au Pacte, puisqu’il existe des recours pour tous les cas de non ‑respect des droits protégés par l’instrument. Le droit à un procès équitable et à la non ‑discrimination fait l’objet de dispositions expresses dans la législation. Les juges se conforment également aux obligations internationales qui n’ont pas été incorporées dans le droit interne lorsqu’ils exercent des pouvoirs officiels, par exemple lorsqu’ils se prononcent sur une requête relative à un droit de visite. Les arguments concernant la protection de la famille et de l’enfant prévue par le Pacte ont été soulevés devant les deux juridictions d’appel, qui les ont l’une et l’autre examinés. De l’avis de l’État partie, l’impossibilité de produire une déclaration d’incompatibilité avec le Pacte est sans incidence sur la possibilité d’exercer un recours approprié tel que prescrit par l’article 2 − l’impossibilité d’exercer un certain type de recours n’autorise pas à conclure nécessairement que les deux éléments sont liés, puisque le Pacte ne donne aucune indication quant à la façon dont un État partie doit s’acquitter de ses obligations. La cour d’appel a également laissé ouverte la possibilité d’obtenir une déclaration d’incompatibilité avec la loi néo ‑zélandaise de déclaration des droits (qui donne effet à un certain nombre de droits protégés par le Pacte), mais, étant donné que les faits ne font pas apparaître de violation de la déclaration des droits, il n’y a pas lieu de trancher la question de façon définitive.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Dans une lettre datée du 17 novembre 2005, l’auteur a contesté les observations de l’État partie sur la question des lenteurs de la procédure et a rejeté l’argument selon lequel le temps requis pour les deux enquêtes de police était justifié. Alors que les questions en jeu, même si elles étaient délicates, n’offraient aucune complexité ni sur le plan des faits ni sur celui du droit, la première enquête a duré dix ‑huit mois et la seconde six mois. L’auteur fait observer l’absence de témoins indépendants qui auraient pu faire durer l’enquête. Il souligne l’importance qui s’attache à rendre la justice rapidement quand les droits d’enfants sont en jeu et fait valoir que, au contraire, une enquête nécessitant un ou plusieurs interrogatoires ayant valeur probante d’un enfant et un interrogatoire de chacun des deux parents peut durer dix ‑huit mois en raison de l’insuffisance des ressources policières et d’une mauvaise définition des priorités. L’auteur souligne les difficultés du système en cause en s’appuyant sur différents articles de presse consacrés aux graves pénuries de personnel dans la police et aux mesures gouvernementales visant à augmenter considérablement ces effectifs. L’auteur constate que, dans ses observations, l’État partie n’a fourni aucun renseignement sur la procédure et les mécanismes des enquêtes de police concernant l’auteur qui expliquerait les retards et il note que le juge aux affaires familiales lui ‑même s’est dit préoccupé par les lenteurs de la procédure dans cette affaire.

La Haute Cour était elle aussi préoccupée par les lenteurs de la procédure; le juge avait expressément indiqué qu’il regrettait que les parties aient dû attendre la décision et avait attribué cela à des faits non spécifiés et indépendants de sa volonté survenus pendant la préparation du jugement.

5.2 Renvoyant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Zawadka c. Pologne , l’auteur fait valoir que les lenteurs de la procédure ont eu un effet décisoire ou, à tout le moins, lui ont été fortement préjudiciables puisqu’il n’a pas vu son fils pendant la moitié de la vie de ce dernier. L’État partie n’a pas pris de mesures raisonnables pour faciliter les contacts et est au contraire responsable des lenteurs importantes. Ainsi, la violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte persiste, et la possibilité de contester la décision du juge aux affaires familiales, lorsque l’affaire sera réexaminée, ne peut que prolonger encore la procédure.

5.3 Au stade de l’appel, l’auteur relève que l’audience que doit tenir le juge aux affaires familiales n’a toujours pas eu lieu, bien que deux ans se soient écoulés, ce qui est à l’évidence déjà long. De l’avis de l’auteur, l’État partie n’a pas accordé un degré de priorité suffisant aux requêtes portant sur le droit de visite à l’égard d’enfants. L’explication fournie par l’État partie − selon laquelle l’intervention d’un psychologue a été demandée en mai 2005, l’entretien aurait lieu en septembre 2005 et l’audience dans les mois qui suivraient − montre soit qu’il y a une pénurie de psychologues, soit que la procédure est extraordinairement longue, et dans les deux cas la responsabilité en incombe à l’État partie. L’auteur fait observer que la Haute Cour comme la cour d’appel ont rendu un jugement dans un délai d’un mois, ce qui bat en brèche l’argument selon lequel les affaires étaient complexes sur le plan des faits et du droit.

5.4 Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes concernant E., l’auteur fait valoir que l’État partie ne peut pas être responsable des lenteurs de la procédure judiciaire et prétendre ensuite que l’auteur n’a pas épuisé les recours. Il n’existe pas de recours utiles contre les retards déjà pris et, en tout état de cause, aucun recours au sens du Pacte ne peut être exercé dans l’État partie pour des violations du Pacte. Les recours concernant des droits protégés par le Pacte ne devraient pas dépendre d’une violation préalable de la loi de déclaration des droits, puisque cette loi ne reflète pas toutes les dispositions du Pacte et s’accompagne quoi qu’il en soit de lois incompatibles avec le Pacte.

5.5 Sur la question de la légalité de la désignation du juge de la Haute Cour, l’auteur note que la question a été soumise à la Haute Cour et à la cour d’appel, qui n’ont pas encore rendu leurs conclusions.

5.6 Quant au fait que les griefs tirés des articles 17, 23 et 24 se recouperaient, l’auteur note que le tribunal l’a privé intégralement du droit de visite à ses enfants et n’a pas envisagé de mesures plus légères, comme l’obligation de suivre une formation parentale, un droit de visite indirect ou le refus du droit de visite pour une durée limitée. La privation intégrale du droit de visite n’a pas été motivée et est tout à fait disproportionnée et arbitraire en l’espèce. L’auteur réfute l’argument de l’État partie selon lequel le «risque inacceptable» qu’il présentait de l’avis du juge constitue ce que l’État partie considère être une circonstance exceptionnelle justifiant de déroger à l’interprétation habituelle de l’article 23, argument qu’il estime spécieux, vague et peu concluant. Il fait observer qu’il a été privé de tout contact, direct ou indirect, avec ses enfants essentiellement sur la base d’un rapport qu’un psychologue a établi sans avoir vu ensemble l’auteur et ses enfants, auquel s’ajoute une préoccupation subsidiaire vague et non déterminée du juge aux affaires familiales qui n’a pourtant pas conclu à l’existence de violences.

5.7 Sur la question des différences entre les possibilités de recours dont l’auteur dispose devant le juge aux affaires familiales et celles qui s’exercent devant les juridictions de droit civil et pénal général, l’auteur fait valoir que rien ne justifie ces différences, qui ne sont pas fondées sur des motifs objectifs et raisonnables et ne tendent pas vers un but légitime au sens du Pacte. De surcroît, la possibilité de présenter des requêtes successives que l’État partie a mentionnée s’applique de la même façon dans de multiples procédures devant les tribunaux ordinaires, par exemple, celles relatives à la mise en liberté sous caution ou à la libération conditionnelle ou dans le cas d’une requête en ordonnance. L’auteur relève qu’aucune autre juridiction du Commonwealth n’applique un mécanisme d’appel tronqué de la sorte dans les affaires familiales.

5.8 En ce qui concerne la question de l’application au cas d’espèce de l’article 16B de la loi sur les tutelles, l’auteur note qu’il aurait mieux valu pour lui qu’il ait été reconnu coupable d’avoir abusé de ses filles, car à ce moment ‑là le juge aurait été tenu d’examiner la série de questions spécifiques énumérées dans l’article 16B de la loi avant de se prononcer sur le droit de visite. N’ayant pas été reconnu coupable de violences, l’auteur ne pouvait prétendre de plein droit à l’examen de ces questions par le juge, qui ne les a d’ailleurs pas examinées avant de lui refuser le droit de visite. De l’avis de l’auteur, l’effet produit est à la fois arbitraire et discriminatoire.

5.9 En ce qui concerne l’article 2 du Pacte, l’auteur souligne que la loi néo ‑zélandaise de déclaration des droits ne reflète que partiellement le Pacte, puisqu’elle ne traite pas des droits visés aux articles 17 et 26. Les tribunaux de l’État partie n’ont pas examiné la portée autonome des dispositions du Pacte.

Réponses complémentaires des parties

6. Le 25 novembre 2005, l’auteur a apporté des réponses complémentaires dans lesquelles il étaye davantage l’argument des lenteurs systémiques des procédures devant les juridictions internes, dont il estime être victime. L’auteur communique copie du projet de loi portant modification de l’organisation judiciaire qui a été présenté au Parlement en mai 2005 et dont l’objectif déclaré est d’alléger la charge de la cour d’appel et d’améliorer les possibilités de saisine de cette juridiction, afin d’éviter «une dégradation de l’accès à la justice». Le projet de loi supprime également les restrictions frappant les recours devant la Cour suprême, en vertu desquelles les droits de recours étaient plus restreints dans les affaires familiales qu’en matière de commerce, distinction que l’auteur rejette comme étant discriminatoire.

7. Le 28 avril 2006, l’État partie a indiqué que la réponse complémentaire de l’auteur soulevait des questions nouvelles qui n’avaient pas été soulevées dans la communication initiale, et a demandé que, conformément au point de vue que le Comité a adopté dans l’affaire Jazairi c . Canada , ces aspects de la communication soient déclarés irrecevables du fait que, n’ayant pas été soulevés à un stade antérieur, ils constituent un abus de procédure. L’État partie fait valoir en outre que l’auteur soulève un certain nombre de points qui ne sont pas directement liés à sa propre situation ni aux questions en jeu dans sa communication, notamment le point de savoir comment interpréter correctement les dispositions relatives à la nomination des juges qui ont été appliquées dans un autre litige sans rapport avec l’affaire de l’auteur. La question des ordonnances habilitant les juges suppléants a été soulevée devant les tribunaux internes depuis la présentation de la communication, et les juges n’ont pas encore rendu leurs conclusions. Les 26 septembre et 20 octobre 2006, l’État partie a informé le Comité des faits nouveaux intervenus jusqu’au 1 er septembre 2006.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 En ce qui concerne la nomination du juge de la Haute Cour qui a connu du recours formé par l’auteur devant cette juridiction, le Comité note, d’après les informations dont il dispose, que la question de la légalité de ce type de nomination n’a pas été portée devant les tribunaux nationaux dans le cadre des procédures dont il est saisi. Il s’ensuit que le grief tiré du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte est irrecevable, les recours internes n’ayant pas été épuisés comme il est requis par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.3 L’auteur a invoqué les droits de ses enfants protégés par les articles 17, 23 et 24 du Pacte. Le Comité note à ce sujet que si, en principe, un parent qui n’a pas la garde de son ou ses enfants a qualité pour introduire des griefs à ce titre , il convient de rappeler qu’au moment où la communication a été présentée les enfants de l’auteur étaient âgés, respectivement, de 14, 10 et 7 ans. Rien dans le dossier n’indique que l’auteur ait demandé à ses enfants de l’autoriser à agir en leur nom, alors qu’il ressort des éléments d’information dont le Comité est saisi (voir par. 2.4) que les enfants ont exprimé le souhait de ne pas avoir de contacts avec leur père. En l’espèce, le Comité considérera que, vu l’absence de cette autorisation, l’auteur n’a pas qualité pour introduire des griefs au titre des articles 17, 23 et 24 au nom des enfants.

8.4 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 26, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé l’argument selon lequel il serait victime de discrimination en l’espèce et considère qu’il serait plus approprié d’examiner les allégations énoncées sous cette rubrique dans le cadre des griefs au titre des articles 17 et 23 du Pacte. Il juge de même insuffisamment étayé le grief de violation de l’article 2 du Pacte. En conséquence, ces griefs sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5 En ce qui concerne les objections portant sur le fait que les autres griefs ne seraient pas suffisamment étayés, le Comité estime, à la lumière de sa jurisprudence sur les questions de relations familiales, que les griefs ont été suffisamment étayés pour être examinés au fond. Le Comité fait également observer, eu égard à l’objection générale de l’État partie relative à l’appréciation des faits et des éléments de preuve, qu’il ne lui appartient pas d’apprécier les faits qui ont été établis par les tribunaux nationaux, mais qu’il lui revient de déterminer si les faits ainsi établis et les décisions auxquelles ils ont donné lieu sont compatibles avec les dispositions du Pacte. En conséquence, le Comité entreprend l’examen au fond des griefs recevables tirés des articles 14, 17 et 23 du Pacte.

Examen au fond

9.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2 En ce qui concerne le grief de retard excessif dans la procédure tiré du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle le droit à un procès équitable garanti par ces dispositions implique que la justice soit rendue promptement, sans retard excessif . Le Comité rappelle que la question des retards doit être appréciée à la lumière de toutes les circonstances de l’espèce, en considération notamment de la complexité des faits et du droit en cause. Le Comité note à cet égard que, s’agissant des deux enfants les plus âgés, S. et C., il s’est écoulé trois ans et quatre mois entre le moment où l’auteur a introduit la requête concernant le droit de visite, en novembre 2000, et la date du rejet de la demande d’autorisation de former recours par la cour d’appel, en avril 2004. Durant cette période, les accusations de violences portées contre l’auteur ont été traitées par les services de police de mai 2001, date à laquelle l’épouse de l’auteur a fait une déclaration à la police, à janvier 2003, date de l’abandon des poursuites par la police, soit pendant un an et huit mois. Le Comité note en ce qui concerne le plus jeune des enfants, E., que, à tout le moins en septembre 2006 (date des renseignements les plus récents dont dispose le Comité), la justice ne s’était toujours pas prononcée sur la requête relative au droit de visite qui avait, elle aussi, été introduite en novembre 2000. À cet égard, l’enquête de police concernant la deuxième série de plaintes pour violences qui avaient été déposées après que l’auteur eut obtenu gain de cause devant la Haute Cour s’est déroulée d’avril à septembre 2004, soit pendant six mois.

9.3 Le Comité renvoie à sa jurisprudence constante selon laquelle «la nature même des procédures concernant la garde des enfants ou le droit de visite permettant à un parent divorcé de voir ses enfants exige que les décisions soient rendues rapidement» . Le fait de ne pas satisfaire à cette obligation peut facilement constituer en soi une façon de réfuter le fond de la requête, surtout quand les enfants sont jeunes, ce qui est le cas en l’espèce, et porter un préjudice irréparable aux intérêts du parent qui n’a pas la garde. Ainsi, c’est à l’État partie qu’il incombe de veiller à ce que tous les agents de l’État impliqués dans le règlement de ces questions − tribunaux, forces de police, services de protection de l’enfance ou autres − bénéficient de ressources et de structures suffisantes et fixent un ordre de priorité de manière à assurer que les procédures soient menées à terme avec la diligence nécessaire et à garantir les droits protégés par le Pacte des parties en cause.

9.4 En l’espèce, l’État partie n’a pas apporté au Comité la preuve que les retards dans les procédures relatives aux deux séries de requêtes étaient justifiés. En particulier, l’État partie n’a pas démontré que la durée des enquêtes de police était justifiée par les accusations qui, si elles étaient assurément graves, ne présentaient pas de difficultés du point de vue du droit et qui, sur le plan des faits, impliquaient l’appréciation des dépositions orales d’un très petit nombre de personnes. Il a fallu également un temps particulièrement long pour obtenir les rapports des psychologues destinés à aider les juges. Le Comité note en outre les préoccupations exprimées par les tribunaux nationaux concernant la durée des procédures. En conséquence, étant donné la priorité qu’il convient d’accorder au règlement de ce type de questions et à la lumière de sa jurisprudence dans des affaires comparables (voir Fei ), le Comité conclut que le droit de l’auteur d’être jugé rapidement conformément au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte a été violé pour ce qui est de la requête introduite à l’égard de S. et de C., et continue d’être violé pour ce qui est de celle concernant E. du fait qu’aucune décision n’a encore été rendue (à la date de septembre 2006).

9.5 En ce qui concerne les griefs de violation des articles 17 et 23 du Pacte, le Comité relève que le juge aux affaires familiales a estimé qu’il n’était pas démontré que l’auteur avait infligé des violences sexuelles à ses enfants. Le juge a néanmoins décidé, en se fondant sur tous les éléments de preuve dont il a été saisi et qu’il a examinés (voir les paragraphes 2.4 et 2.5 ci ‑dessus), que le fait de rétablir les contacts entre l’auteur et ses enfants présenterait un «risque inacceptable pour le bien ‑être des enfants». Le Comité note que le juge aux affaires familiales a procédé à une évaluation complète et équilibrée de la situation, sur la base des dispositions des parties et de l’avis des experts, et que, tout en reconnaissant la gravité de la décision de rejeter la requête présentée par l’auteur pour obtenir un droit de visite, le juge a décidé que ce refus était dans l’intérêt des enfants. En l’espèce, le Comité ne peut conclure que la décision du juge constituait une violation des droits reconnus à l’auteur au paragraphe 1 de l’article 17 et au paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

11. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, notamment un règlement rapide des poursuites relatives aux visites auprès de E. L’État partie est également tenu d’assurer que de telles violations ne se reproduisent pas.

12. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle (dissidente) de M me Ruth Wedgwood

La présente affaire concerne une procédure devant le juge aux affaires familiales et une enquête pénale faisant suite à des allégations selon lesquelles un père présentait un risque sérieux pour le bien ‑être de ses jeunes enfants. Le Comité a conclu qu’au regard du Pacte le juge aux affaires familiales était autorisé à refuser le droit de visite au père. Le Comité a rejeté le grief formulé par le père, auteur de la communication, alléguant que les décisions du juge constituaient une violation des articles 17 et 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

La demande d’un parent qui veut rester en contact avec un enfant mérite de recevoir tout le poids voulu au regard des normes établies dans les articles 17 et 23 du Pacte. Néanmoins, le Comité a, comme il convient, refusé de substituer sa propre décision à celle du juge aux affaires familiales. Le juge a procédé à une enquête détaillée sur les allégations de comportement sexuel inconvenant du père à l’égard des enfants, et a déterminé si le maintien des contacts avec ce parent mettrait en danger le bien ‑être des enfants concernés.

Alors que le juge a agi dans le cadre de sa compétence en rejetant la requête du père qui demandait le droit de visite, le Comité déclare qu’il y a eu violation de l’article 14 du Pacte parce que l’on prétend que le juge aux affaires familiales de Wanganui (Nouvelle ‑Zélande) a tardé trop longtemps avant de rendre ses conclusions et parce que la décision définitive de l’État partie concernant le fils de l’auteur n’était toujours pas rendue.

Les tristes réalités de cette affaire ne sont pas pleinement expliquées dans les constatations du Comité. En particulier, la gravité du préjudice que risque de subir un enfant a certainement une influence sur les méthodes d’enquête et d’évaluation qu’il convient d’adopter ainsi que sur le recours ou la réparation accordés.

Premièrement, il faut noter que la requête adressée par l’auteur au juge aux affaires familiales demandant un droit de visite auprès de ses enfants n’était pas la première démarche dans cette affaire (voir constatations du Comité, par. 2.1). En mai 2000, en effet, la conjointe avait demandé au juge une ordonnance de protection contre l’auteur, après qu’il aurait menacé de la tuer elle et les enfants avec une arme à feu, et de mettre «les enfants dans la voiture et de s’asphyxier avec eux» . L’auteur avait été reconnu coupable, antérieurement, d’avoir tiré des coups de feu sur une autre personne sans justification. L’auteur a refusé de participer à la procédure judiciaire de quatre mois relative à l’ordonnance de protection. Une ordonnance définitive de protection a été rendue en faveur de la conjointe et des enfants en août 2000. C’est seulement après que l’auteur a présenté une requête demandant un droit de visite, malgré l’ordonnance définitive de protection.

Lorsqu’il a examiné la requête de l’auteur concernant le droit de visite auprès de ses enfants, le juge aux affaires familiales a été saisi de plusieurs allégations inquiétantes. La fille âgée de 8 ans (désignée par la lettre « C» dans la décision du juge et dans les constatations du Comité) a déclaré lors de deux entretiens, en juin 2001 et en octobre 2002, que son père avait eu un contact génital et des relations sexuelles avec elle à plusieurs reprises. La fille âgée de 11 ans (désignée par l’initiale «S») a également déclaré que son père l’avait touchée sur les parties sexuelles à plusieurs reprises.

Dans un rapport du 26 juin 2002, un psychologue clinicien a informé le juge que la plus âgée des filles «a déclaré avoir très peur de E. R. Elle ne voulait avoir aucun contact avec lui» . Selon un autre rapport d’expertise daté du 19 mars 2003, cette dernière «demeurait opposée à tout contact avec E. R.» .

La plus jeune des filles («C») a déclaré en mars 2003 «qu’elle ne voulait avoir aucun contact parce qu’elle n’avait pas confiance et ne se sentait pas en sécurité avec lui.» . Le frère plus jeune («E»), qui aurait assisté au massage par le père, sur la table de la cuisine, de la plus jeune des filles «a fait savoir qu’il ne voulait pas voir son père» .

En juin 2003, le juge aux affaires familiales de Nouvelle ‑Zélande a rendu un jugement détaillé de 57 pages, dans lequel il analysait les entretiens avec les enfants et leurs bilans psychologiques. L’évaluation à laquelle a procédé le juge comprenait également un bilan psychologique des deux parents, les dépositions des deux parents ainsi que des déclarations sous serment de quatre autres personnes. Le juge a pris note de la norme énoncée par le droit néo ‑zélandais concernant la force probante, selon laquelle «plus l’allégation est grave … plus les éléments de preuve doivent avoir de force probante pour que le juge puisse conclure que l’allégation est établie selon la prépondérance des probabilités» . En l’absence de preuves médicales corroborant les allégations d’abus, le juge a finalement décidé qu’il ne pouvait conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le père avait abusé sexuellement de ses enfants.

En revanche, le juge a bien conclu que les actes que le père a reconnu avoir commis et «le fait qu’il n’ait pas mesuré à quel point les enfants en ont été affectés» justifiaient le refus d’un droit de visite auprès des enfants. Le juge a noté qu’il a formulé ses conclusions «sur les éléments de preuve selon lesquels E. R. savait que F. R. [son ex ‑femme] était préoccupée par le fait qu’il ne respectait aucune limite avec les enfants, par exemple en se mettant au lit nu avec eux et en les asseyant sur ses genoux lorsqu’il était sur le siège des toilettes, mais il a continué à ignorer ces craintes». Le juge a en outre noté la conclusion du psychologue, selon laquelle «on ne pouvait déterminer si E. R. pourrait un jour accepter comme légitimes les craintes de ses enfants» et selon laquelle «tous les enfants semblaient refuser le contact avec E. R.» .

Le juge a examiné des témoignages indiquant qu’en cas d’activité sexuelle inconvenante, même des modalités de visite surveillée pourraient être préjudiciables aux enfants . En outre, le juge a noté que E. R. avait été «reconnu coupable deux fois d’infraction à l’ordonnance de protection» et «fait l’objet trois autres fois d’un non ‑lieu» , ce qui pourrait rendre difficile la réalisation de visites véritablement surveillées.

Chacun des facteurs énumérés à l’article 16B 5) de la loi néo ‑zélandaise sur les tutelles de 1968, applicables aux comportements violents, a en fait été examiné par le juge dans la mesure où ces facteurs s’appliquent aussi aux cas avoués de comportement inconvenant du père.

Le Comité constate aujourd’hui que ce processus d’évaluation a été excessivement long mais, ce faisant, il ne prend pas suffisamment en compte les problèmes réels qui se posent en cas de procédures civiles et pénales parallèles. Une procédure pénale comporte des garanties fondamentales pour le défendeur. Dans une procédure civile, le droit de ne pas témoigner contre soi ‑même peut être sérieusement compromis par les actes de procédure obligatoires. Par conséquent, il est approprié d’attendre la fin d’une enquête pénale avant d’engager la procédure civile, même devant le juge aux affaires familiales. Une fois que l’enquête faisant suite à la plainte déposée contre le père a été close par la police, en janvier 2003, le juge aux affaires familiales a tenu une audience de cinq jours en mars 2003 sur la requête concernant le droit de visite, puis a reçu les communications écrites le 11 avril 2003 et a rendu sa décision le 24 juin 2003 concernant les deux filles et le fils. Il n’y pas de retard excessif.

Le Comité fait des remontrances à l’État partie à propos de la durée de l’enquête de police. Mais l’allégation de violence sexuelle exercée par un adulte sur de jeunes enfants justifie que l’on procède à une enquête minutieuse et circonspecte. Les conséquences de semblables allégations pour le défendeur, d’une part, et le préjudice que peuvent subir les enfants si des mesures de précaution ne sont pas prises, d’autre part, sont si graves qu’une enquête hâtive est à éviter.

Dans l’enquête de police, une première déposition écrite faite par la mère des enfants a été suivie de plusieurs interrogatoires par la police, ainsi que d’une déposition écrite de 52 pages . Les enfants ont été interrogés lors de cinq entretiens séparés qui ont fait l’objet d’un enregistrement vidéo, et des dépositions sous serment ont été reçues de personnes proches de la mère. Une enquête de police doit généralement être confiée à des policiers formés à travailler avec des enfants. Affirmer que cette affaire pouvait être traitée rapidement parce qu’elle impliquait «l’appréciation des dépositions orales d’un très petit nombre de personnes», comme il est dit au paragraphe 9.4 des constatations du Comité, ne tient pas compte de la difficulté qu’il y a à évaluer des faits délicats qui se sont produits dans l’intimité d’une famille, et le traumatisme que peut causer aux enfants la procédure même de l’enquête.

Le Comité a également conclu qu’il y avait eu retard excessif dans la procédure ultérieure devant le juge aux affaires familiales concernant le fils. Cette procédure a débuté après l’annulation par la Haute Cour du refus d’accorder au père un droit de visite auprès de son fils, et après que le fils de l’auteur (alors âgé de 6 ans) se fut plaint d’abus sexuel de la part de son père, le 21 avril 2004.

Selon l’État partie, «toutes les parties avaient convenu d’ajourner la procédure» pendant cinq mois, afin qu’une nouvelle enquête de police soit menée sur l’allégation du fils . La conjointe de l’auteur a alors demandé un rapport psychologique actualisé, lequel a été reçu en septembre 2005. C’est seulement en mars 2006 que le conseil de l’auteur a demandé une «critique» indépendante de ce rapport, puis affirmé en juin 2006 que l’avocat du fils ne pouvait pas seconder le juge pour cet examen critique. Il semblerait donc que les retards éventuels dont aurait souffert la procédure relative à cette dernière allégation ne soient pas entièrement imputables à l’État partie. On ne saurait conclure à une violation de l’article 14 simplement parce qu’une affaire aurait pu être jugée plus rapidement.

Je rejoins mes collègues pour conclure qu’il existe effectivement de sérieux doutes quant à la qualité du père pour invoquer les droits de ses enfants dans la présente communication, car rien n’indique dans le dossier que les enfants aient souhaité s’associer à la plainte. Au moment où la présente communication a été présentée, le 24 décembre 2004, les enfants avaient 14, 10 et 7 ans, et étaient suffisamment capables d’exprimer un avis pour être interrogés par un psychologue. Étant donné qu’ils ont déclaré ne plus vouloir avoir affaire à leur père, il semble peu plausible qu’ils souhaiteraient le voir agir en leur nom en présentant une communication au Comité.

Le Pacte protège la famille comme «l’élément naturel et fondamental de la société». L’article 17 du Pacte interdit les «immixtions arbitraires ou illégales dans … [la] famille», et l’article 23 dispose que la famille «a droit à la protection de la société et de l’État».

Mais ces articles permettent aussi, et peuvent même exiger, la protection des enfants contre la violence et la maltraitance, ainsi que d’autres risques importants pour leur bien ‑être. De nombreux États signataires du Pacte prennent en considération «l’intérêt supérieur de l’enfant» lorsqu’il s’agit de trouver une solution dans les affaires d’allégations de comportement abusif grave d’un ou des parents .

Il ne s’agit pas en l’espèce d’un simple conflit relatif à la garde des enfants, mais plutôt d’une affaire dans laquelle une décision erronée aurait pu menacer la santé et le bien ‑être d’un enfant. Il n’appartient pas au Comité de dénigrer l’effort consciencieux fait par l’État partie pour parvenir à un règlement juste de cette affaire.

( Signé ) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

HH. Communication n o 1381/2005, Hachuel c. Espagne * (Constatations adoptées le 25 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Jacques Hachuel Moreno (représenté par José Luis Mazón Costa)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

14 novembre 2003 (date de la lettre initiale)

Objet : Condamnation en premier ressort par une juridiction d’appel, sans possibilité de révision ultérieure

Question de procédure : Épuisement des recours internes

Question de fond : Droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi, lorsque la condamnation prononcée en deuxième instance annule un acquittement en première instance

Article du Pacte : 14 (par. 5)

Article du Protocole facultatif : 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1381/2005 présentée au nom de M. Jacques Hachuel Moreno en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication est Jacques Hachuel Moreno, de nationalité argentine, né en 1929 à Tanger. Il se déclare victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa.

1.2 Le 16 août 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a décidé que la recevabilité de la communication serait examinée en même temps que le fond.

Exposé des faits

2.1 L’auteur affirme qu’il s’est trouvé impliqué dans l’affaire qui a secoué Banesto, Banco Español de Crédito, qui s’est achevée avec l’intervention de la Banque centrale en décembre 1993. En novembre 1994, le parquet de l’Audiencia Nacional a engagé une action pénale contre le Président de la Banque, M. Mario Conde, et neuf autres personnes, pour appropriation indue. Selon l’auteur, cette procédure n’était pas dirigée contre lui. L’auteur a comparu en qualité de témoin dans ce procès en janvier, en septembre et en novembre de 1995. En décembre 1995 et en mai 1996, le juge d’instruction avait rejeté des demandes tendant à ce que des poursuites soient engagées contre lui. Cependant, le 18 juin 1996, l’ Audiencia Nacional a décidé que l’auteur devait être poursuivi en liaison avec l’opération «Carburos Metálicos» dans laquelle plusieurs personnes se seraient appropriées des fonds de Banesto dans le cadre d’opérations commerciales avec des sociétés ayant des liens avec les accusés.

2.2 Le procès des accusés a été très complexe. Au cours de la procédure orale, qui a duré deux ans, 470 personnes ont comparu. Les éléments de preuve consistaient dans l’interprétation de diverses écritures de commerce, de lettres, et des déclarations des accusés, des témoins et des experts. L’appréciation des preuves a été au centre du procès. Dans un jugement du 31 mars 2000 l’ Audiencia Nacional a prononcé l’acquittement de l’auteur pour prescription du délit d’appropriation indue, dans le cadre de l’opération «Carburos Metálicos». L’ Audiencia a considéré qu’entre la date de survenance du fait (6 avril 1990) et la première comparution de l’auteur en qualité d’inculpé (30 novembre 1995) le délai de prescription de cinq ans fixé par la loi pour le délit dont il était accusé, s’était échu.

2.3 Le parquet a fait appel de ce jugement. Le 29 juillet 2002, la chambre pénale du Tribunal suprême a annulé l’acquittement de l’auteur, qui a été condamné pour appropriation indue à quatre ans de prison et au paiement d’une indemnisation de 1,344 milliard de pesetas à Banesto, somme qu’il avait restituée de son propre gré à Banesto après son acquittement. Le Tribunal suprême a estimé que la prescription avait été interrompue au détriment de l’auteur du fait des poursuites engagées par le parquet en novembre 1994 et du fait qu’en décembre de la même année l’un des autres accusés avait cité l’auteur. L’auteur a été remis en liberté le 20 septembre 2002 en raison de son grand âge (73 ans) et du fait qu’il souffrait d’une maladie coronaire très grave.

2.4 Le 29 juillet 2002, l’auteur a formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel avançant, parmi d’autres motifs, que son droit au double degré de juridiction avait été violé puisqu’il avait été condamné en premier ressort par la juridiction qui avait statué sur l’appel du jugement prononcé en première instance. Bien que ce recours ait été en instance à la date à laquelle l’auteur a saisi le Comité, l’auteur estime qu’il n’a pas à être épuisé étant donné la jurisprudence constante du Tribunal constitutionnel, qui refuse de reconnaître le droit au réexamen des condamnations imposées par le Tribunal suprême en premier ressort.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur invoque une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, puisque son droit de faire examiner par une juridiction supérieure sa condamnation, imposée en premier ressort par le Tribunal suprême en appel, n’a pas été respecté. Selon lui, l’Espagne n’a pas émis de réserve en vue d’exclure du champ d’application du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte les cas de condamnations imposées en premier ressort par un tribunal en appel, à la suite d’un acquittement en première instance. L’auteur ajoute que le droit interne de l’État partie prévoit que les arrêts rendus par une chambre du Tribunal suprême peuvent être soumis à un collège de juges de ce même Tribunal suprême. Il évoque les décisions concernant les communications n os 986/2001 et 1007/2001 dans lesquelles le Comité a estimé que le Tribunal suprême n’avait pas effectué une révision complète.

3.2 En ce qui concerne l’épuisement des recours, l’auteur estime que le recours en amparo formé devant le Tribunal constitutionnel ne peut aboutir, la jurisprudence constante de cette instance étant de ne pas reconnaître le droit au double degré de juridiction en cas de condamnation par le tribunal d’appel après acquittement par le tribunal de première instance.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Dans une note du 27 juin 2005, l’État partie affirme que la communication était irrecevable parce que l’auteur n’avait pas joint l’arrêt du Tribunal constitutionnel à son recours en amparo et qu’il n’était pas dit qu’il avait épuisé les recours internes, et qu’il n’avait pas, dans son recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, avancé le grief qu’il invoque devant le Comité.

4.2 Dans une note du 1 er février 2006, l’État partie a indiqué que, dans son arrêt du 19 avril 2004, le Tribunal constitutionnel avait rejeté le recours en amparo formé par l’auteur. Selon le Tribunal constitutionnel, le fait que quelques États parties aient émis des réserves eu égard au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte n’était pas déterminant pour son interprétation, étant donné que les autres États parties n’avaient pas élevé d’objection à ces réserves et que le Comité des droits de l’homme ne les avait pas contestées. Selon l’État partie, cette disposition n’impose pas de procéder à un double examen de la matière du procès quand il y a acquittement en première instance, pas plus qu’elle ne l’interdit, même si la révision peut aboutir à une condamnation. Selon l’État partie, les «réserves» eu égard au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte émises par certains États sont des déclarations d’interprétation visant à se réserver la possibilité que la révision puisse aboutir à une condamnation en deuxième instance, et ont pour objet non d’exclure l’application de cette disposition, mais de mieux préciser les dispositions du Pacte. Il apparaît inconcevable que les États signataires du Protocole n o 7 de la Convention européenne des droits de l’homme se réservent la possibilité de faire une chose − condamner en premier ressort en deuxième instance − qui serait directement interdite par le Pacte. Ces États n’interprètent pas le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte dans le même sens que l’auteur. L’État partie invoque l’opinion individuelle émise par un membre du Comité à propos de la communication n o 1095/2002, selon laquelle le Comité devrait tenir compte de la pratique des États parties au Protocole n o 7 de la Convention européenne car il est difficile d’imaginer que les États parties, quand ils ont ratifié le Protocole, avaient l’intention d’agir en s’écartant des obligations fixées au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte .

4.3 L’État partie a également indiqué que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte ne saurait être considéré comme une interdiction d’introduire un recours pour les parties défenderesses. Soit on reconnaît le droit des parties défenderesses de faire recours et, partant, la possibilité d’obtenir une condamnation de la part de l’instance supérieure, soit on les prive de ce droit, en les empêchant de contester la décision de condamnation, soit on institue une succession infinie et interminable de recours. Le droit reconnu au paragraphe 5 de l’article 14 vise à éviter le manque de défense, et dans l’affaire concernant l’auteur il n’y a pas manque de défense puisque ses prétentions ont été examinées et tranchées par deux instances judiciaires distinctes.

4.4 L’État partie relève que dans l’affaire concernant l’auteur il n’y a pas manque de défense, qui est le cas de figure que le paragraphe 5 de l’article 14 vise à exclure, puisque la condamnation n’introduit pas de nouveaux faits ou de nouveaux éléments de preuve. Si la condamnation introduisait de nouveaux faits ou de nouveaux éléments de preuve, dans ce cas il y aurait manque de défense. À cet égard, l’État partie précise que l’auteur a obtenu du Tribunal constitutionnel le 22 mars 2004 l’annulation d’une autre condamnation qui lui avait été imposée en premier ressort par l’ Audiencia Provincial de Madrid, par suite d’une nouvelle interprétation des éléments de preuve.

4.5 L’État partie indique que le système de révision de la condamnation par voie de recours est pleinement respecté, ce que la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu comme le montre sa décision du 30 novembre 2004 concernant les requêtes n o s 74182, 74186 et 74191 de 2001 dans laquelle il est dit, à propos des affaires sur lesquelles le Tribunal suprême a statué en premier ressort, que: «d’ailleurs, … contre l’arrêt de la chambre pénale du Tribunal suprême, les requérants ont pu former un recours d’ amparo devant le Tribunal constitutionnel, bénéficiant ainsi d’un recours devant l’instance nationale la plus élevée».

4.6 Selon l’État partie, la seule différence entre la décision d’acquittement en première instance et la décision de condamnation prononcée par le Tribunal suprême touchait à la question de savoir si la prescription était applicable dans le cas de l’auteur, et c’était précisément l’objet du recours en amparo formé devant le Tribunal constitutionnel. Le tribunal de première instance, l’ Audiencia Nacional , a estimé que les faits et la responsabilité de l’auteur pour un délit d’appropriation indue aggravé étaient prouvés, mais elle a considéré que le délit était prescrit. Le Tribunal suprême n’a pas modifié les faits prouvés, mais il a estimé que l’on ne pouvait pas considérer que le délit était prescrit puisqu’en cas de délits commis par une entreprise ou une personne morale les poursuites pénales à l’encontre de la personne morale en question touchent tous ceux qui ont un lien direct avec elle. L’interprétation concernant la prescription était l’unique objet du recours en amparo , et le Tribunal constitutionnel a procédé sur ce point à une ample révision de l’arrêt du Tribunal suprême. L’État partie cite expressément les paragraphes de l’arrêt du Tribunal constitutionnel concernant le réexamen de la question de la prescription et il conclut que, même si l’on considérait qu’il n’est pas possible de prononcer une condamnation en premier ressort dans le cadre du pourvoi en cassation, la dernière révision du Tribunal constitutionnel était suffisante et complète eu égard au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Commentaires de l’auteur

5.1 L’auteur soutient qu’il a épuisé les recours internes, puisqu’il a formé un recours en amparo qui a été rejeté par le Tribunal constitutionnel. Il ajoute que l’arrêt du Tribunal constitutionnel est accompagné de l’opinion individuelle de l’un des magistrats qui a considéré que le fait que les réserves formulées par quelques États parties au sujet du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte n’avaient pas soulevé d’objection de la part des autres États parties ni été contestées par le Comité, et le fait que le Protocole n o 7 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoyait une exception pour les cas où le coupable était jugé en première instance par la plus haute juridiction n’étaient pas déterminants, puisque l’Espagne n’avait pas émis de réserve au sujet du Pacte et qu’elle n’était pas partie au Protocole n o 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.

5.2 L’auteur a indiqué que le Comité s’était déjà prononcé sur l’incompatibilité avec le Pacte de la condamnation imposée en premier ressort par la juridiction d’appel. Il a cité à cet effet les constatations du Comité au sujet des communications Gomaríz c. Espagne et Terrón c. Espagne .

5.3 L’auteur signale que l’État partie n’aurait pas de difficulté à reconnaître le droit de faire recours contre les condamnations prononcées en premier ressort par le Tribunal suprême, puisque des solutions sont prévues dans la législation interne pour des cas analogues, comme pour les décisions prononcées en premier et dernier ressort par la chambre du contentieux administratif du Tribunal suprême, dont il peut être fait appel devant une chambre spéciale de ce même tribunal.

5.4 Selon l’auteur, contrairement à ce que soutient l’État partie, le recours en amparo ne peut pas être considéré comme un recours permettant de réexaminer les points de fait et de droit de la condamnation prononcée à son encontre. Selon la loi organique du Tribunal constitutionnel, cette instance ne peut jamais réexaminer les faits sur lesquels est fondée la décision contestée. Il ne peut pas non plus réexaminer les éléments juridiques du délit pour lequel l’intéressé a été condamné. Le recours en amparo a pour seul objet d’examiner si les droits fondamentaux reconnus par la Constitution de l’État partie ont été violés.

5.5 L’auteur insiste sur le fait que l’État partie n’a pas émis la moindre réserve au sujet du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

6.2 Le Comité s’est assuré que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément à l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés. Il constate qu’à la date de présentation de la communication, le 14 novembre 2003, un recours en amparo était en instance devant le Tribunal constitutionnel et que ce recours a été rejeté le 19 avril 2004. Le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle, pour considérer que les recours internes ont été épuisés, la date déterminante est, sauf circonstances exceptionnelles, la date à laquelle la communication est examinée par le Comité Il rappelle également sa jurisprudence selon laquelle il y a lieu d’épuiser uniquement les recours qui ont une chance raisonnable d’aboutir et que, pour des griefs analogues à ceux avancés par l’auteur, le Comité a estimé que le recours en amparo n’avait pas de chances d’aboutir relativement à la violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte En conséquence, le Comité estime que l’auteur a épuisé les recours internes et que la communication est recevable.

Examen au fond

7.1 Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations apportées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Le Comité prend note des arguments de l’État partie pour lequel la condamnation prononcée après cassation est compatible avec le Pacte et la condamnation du Tribunal suprême a été effectivement réexaminée par le Tribunal constitutionnel par la voie du recours en amparo . Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’absence de possibilité de faire réexaminer par une juridiction supérieure la condamnation prononcée par une juridiction d’appel, alors que l’intéressé a été acquitté par une juridiction inférieure, constitue une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte . Dans la présente affaire, le Tribunal suprême a déclaré l’auteur coupable du délit d’appropriation indue, considérant qu’il ne pouvait pas bénéficier de la prescription, et il a annulé la décision prise en premier ressort par l’ Audiencia Nacional qui avait acquitté l’auteur, en considérant que le délit était prescrit. Le Comité constate que le Tribunal constitutionnel a procédé à l’examen des faits de l’espèce dans le cadre d’un réexamen des questions d’ordre constitutionnel soulevées. Le Comité ne peut néanmoins conclure que cet examen a été aussi poussé que le requiert le paragraphe 5 de l’article 14 pour constituer un réexamen de la condamnation.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

9. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile sous la forme du réexamen du verdict de condamnation et de la peine par une juridiction supérieure. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’Espagne a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, elle s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droit reconnus dans le Pacte et à leur assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

II. Communication n o 1416/2005, Alzery c. Suède * (Constatations adoptées le 25 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Mohammed Alzery (représenté par un conseil, M me Anna Wigenmark)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Suède

Date de la communication :

29 juillet 2005 (date de la lettre initiale)

Décision concernant la recevabilité :

8 mars 2006

Objet : Expulsion d’un citoyen égyptien de Suède vers l’Égypte ordonnée pour des motifs de sécurité nationale, effectuée immédiatement après l’adoption d’une décision non susceptible de recours, et mauvais traitements par le personnel de «sécurité», avec la participation d’agents étrangers

Questions de fond : Torture ou traitement ou peine cruel, inhumain ou dégradant; risque réel d’être soumis à la torture ou à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant et à un procès manifestement inéquitable dans un pays tiers; non ‑respect des garanties d’une procédure régulière dans l’expulsion d’un étranger; absence de recours interne utile contre les violations alléguées; déni du droit de plainte

Questions de procédure : Qualité pour agir du conseil; examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; applicabilité de la réserve d’ordre procédural de l’État partie; abus du droit de plainte; retard injustifié dans la soumission de la communication; éléments étayant les griefs, aux fins de la recevabilité

Articles du Pacte : 2, 7, 13, 14

Articles du Protocole facultatif : 1, 2, 3, 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1416/2005, présentée au nom de M. Mohammed Alzery en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 29 juillet 2005, est M. Mohammed Alzery, de nationalité égyptienne, né le 23 septembre 1968. Il se déclare victime de violations par la Suède des articles 2, 7, 13 et 14 du Pacte ainsi que de l’article premier du premier Protocole facultatif. Il est représenté par un conseil (voir toutefois plus loin les paragraphes 4.1 et 5.1 et suiv.).

Décisions interlocutoires

2.1 Le 24 octobre 2005, le Comité, agissant par l’entremise de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a décidé d’examiner la question de la recevabilité séparément de la question du fond. Pour disposer de tous les éléments lui permettant de se prononcer sur la recevabilité, il a également demandé au conseil de démontrer, compte tenu des arguments de l’État partie exposés au paragraphe 4.1 ci ‑après, que la procuration datée du 29 janvier 2004, complétée par la procuration datée du 7 avril 2004, était toujours valable et autorisait l’examen de la communication par le Comité.

2.2 Le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a également décidé de demander au conseil, conformément aux pouvoirs conférés par l’article 102, paragraphe 3, du règlement intérieur du Comité, de respecter le caractère confidentiel d’une partie des observations de l’État partie, jusqu’à nouvelle décision du Rapporteur spécial, du Groupe de travail du Comité ou du Comité plénier lui ‑même.

2.3 Le 16 janvier 2006, par l’intermédiaire du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, compte tenu des commentaires du conseil sur les observations de l’État partie (voir par. 5.1 et suiv.) et des documents dont il était saisi en ce qui concernait la situation de l’auteur, le Comité a demandé à l’État partie, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, de prendre les mesures nécessaires pour éviter que l’auteur ne soit exposé à un risque prévisible de préjudice grave suite à une action de l’État partie.

Exposé des faits

3.1 L’auteur, professeur de physique ‑chimie, a fait ses études à l’Université du Caire. Pendant ses études il était membre actif d’une organisation d’opposition islamiste; entre autres actions, il distribuait des tracts, participait à des réunions et des conférences et lisait le Coran aux enfants de son village. L’auteur reconnaît qu’il était opposé au Gouvernement mais nie avoir préconisé la violence. En 1991, il a terminé ses études et a décidé la même année de quitter le pays, ayant été harcelé et arrêté à plusieurs reprises par les services de sécurité égyptiens en raison de ses activités dans cette organisation. Il indique qu’une fois il a été appréhendé et torturé (on l’a suspendu la tête en bas par les chevilles, roué de coups et «plongé» dans l’eau la tête la première). Il ajoute qu’avant d’être relâché il a été contraint de signer une déclaration dans laquelle il renonçait définitivement à son action dans l’organisation en question , faute de quoi la prochaine arrestation serait «pour toujours».

3.2 L’auteur dit qu’il a quitté l’Égypte pour ne pas être arrêté et soumis à la torture. Avec son propre passeport mais porteur d’un faux visa, il est entré en Arabie saoudite où il est resté jusqu’en 1994, année où il est parti pour la Syrie. En 1999, il a senti qu’il lui fallait quitter la Syrie parce que plusieurs Égyptiens avaient été extradés vers l’Égypte. Il a obtenu un faux passeport danois et est parti pour la Suède, où il est arrivé le 4 août 1999. Il a immédiatement demandé l’asile sous sa véritable identité et a reconnu avoir utilisé un faux passeport pour pouvoir entrer dans le pays. Pour motiver la demande d’asile, l’auteur a dit qu’il avait été agressé physiquement et torturé en Égypte; qu’il s’était senti surveillé et que son domicile avait été fouillé; qu’après avoir quitté l’Égypte (pour l’Arabie saoudite puis la Syrie) il avait été recherché au domicile de ses parents; qu’il craignait, s’il était renvoyé en Égypte, d’être traduit devant un tribunal militaire pour appartenance à une organisation illégale ; enfin, qu’il craignait d’être arrêté et soumis à la torture. Il a été placé en détention du 4 au 18 août 1999 parce que son identité n’était pas établie avec certitude. Décidant de ne pas prolonger la détention, le Conseil des migrations de l’époque a alors estimé que, bien qu’il existât une incertitude quant à l’identité de l’auteur et que celui ‑ci ait utilisé un faux passeport, ce qui favorisait le risque de fuite, la détention pouvait être remplacée par le placement sous surveillance.

3.3 Pour prouver son identité, l’auteur dit qu’il a pris indirectement contact avec un avocat égyptien qui s’est procuré un rapport de son collège et l’a envoyé par télécopie aux autorités suédoises; à cette occasion, l’avocat a envoyé aussi une déclaration sous serment indiquant que l’auteur était l’un des inculpés dans une procédure judiciaire engagée en 1996 pour appartenance à une organisation interdite, et que l’affaire serait très probablement jugée par un tribunal militaire. Un article du journal al ‑Sharq al ‑Awsat décrivait cette affaire et nommait l’auteur, précisant qu’il avait été inculpé en son absence. Le journaliste ajoutait que l’organisation en question prônait une lutte armée permanente contre le Gouvernement égyptien et que les membres du mouvement seraient jugés par un tribunal militaire, ce qui fait qu’ils n’auraient pas droit à un procès équitable, du fait notamment que les condamnations prononcées par une juridiction militaire n’étaient pas susceptibles d’appel. L’auteur nie avoir le moindre lien avec cette organisation mais affirme qu’il craint néanmoins d’être arrêté sur de fausses accusations s’il était renvoyé en Égypte. Il ajoute que l’ambassade de Suède au Caire n’a pas pu confirmer que l’affaire rapportée dans le journal était réelle ni que M. Alzery figurait parmi les suspects.

3.4 Le Conseil suédois des migrations a examiné en première instance la demande d’asile et de permis de séjour permanent de l’auteur. Le 31 janvier 2001, il a été demandé à la police de sécurité suédoise de donner un avis car elle est chargée, entre autres attributions, d’apprécier si une demande d’asile, de par sa nature, exige que l’intérêt de la sécurité nationale soit pris en considération avant qu’un permis de séjour ne soit accordé. La police de sécurité nationale a commencé une enquête en avril 2001 et, en juin 2001, a interrogé l’auteur. Celui ‑ci a affirmé qu’il n’avait jamais eu de liens avec le mouvement auquel il était accusé d’appartenir et qu’il était fermement opposé à l’usage de la violence pour atteindre un objectif politique. Il avait la conviction toutefois qu’il serait arrêté et torturé s’il était renvoyé en Égypte à cause de ces accusations fausses. L’auteur a pu lire le procès ‑verbal de l’entretien en septembre 2001, mais il n’a pas été informé des conclusions qui en avaient été tirées.

3.5 Le 30 octobre 2001, la police de sécurité nationale a soumis son rapport, dans lequel elle recommandait le refus du permis de séjour permanent «pour des raisons de sécurité». Le 12 novembre 2001, le Conseil des migrations, tout en estimant que l’on pouvait considérer que l’auteur avait besoin de protection, a transmis l’affaire au Gouvernement pour que celui ‑ci prenne une décision conformément à la loi sur les étrangers, eu égard aux questions de sécurité en jeu. Saisie du dossier du Conseil des migrations, dont elle partageait l’avis sur le fond, la Commission de recours des étrangers a elle aussi estimé que la décision appartenait au Gouvernement.

3.6 Le 12 décembre 2001, un haut ‑fonctionnaire du Ministère suédois des affaires étrangères a rencontré un représentant du Gouvernement égyptien dans le but de déterminer s’il était possible pour la Suède de renvoyer l’auteur en Égypte sans manquer à ses obligations internationales, notamment au regard du Pacte. Ayant étudié la possibilité de demander aux autorités égyptiennes des assurances concernant le traitement qui serait réservé à l’auteur dans le pays, le Gouvernement avait conclu qu’il était à la fois possible et judicieux de demander s’il pouvait obtenir des garanties que l’auteur serait traité dans le respect du droit international quand il rentrerait en Égypte. À défaut de telles garanties, l’expulsion ne serait pas envisagée. Le secrétaire d’État du Ministère suédois des affaires étrangères a présenté un mémoire ainsi rédigé:

«Le Gouvernement du Royaume de Suède comprend que [l’auteur et une autre personne] bénéficieront d’un procès équitable dans la République arabe d’Égypte. Le Gouvernement du Royaume de Suède comprend également qu’aucune autorité de la République arabe d’Égypte ne soumettra ces personnes à une peine ou un traitement inhumain, et que ces personnes ne seront pas condamnées à mort ou que, si la peine capitale a été prononcée, aucune autorité compétente de la République arabe d’Égypte ne la mettra à exécution. Enfin, le Gouvernement du Royaume de Suède comprend que la femme et les enfants [de l’autre personne] ne subiront en aucune manière de persécutions ou de harcèlement de la part des autorités de la République arabe d’Égypte.».

3.7 Le Gouvernement égyptien a répondu par écrit: «Nous affirmons par la présente que nous partageons intégralement vos vues sur tous les points de votre mémoire au sujet du traitement qui sera réservé aux intéressés une fois qu’ils seront rapatriés par votre Gouvernement, en respectant sans restrictions leurs droits individuels et fondamentaux. Cela se fera conformément aux dispositions de la Constitution et de la loi égyptiennes.». Lors d’entretiens avec des représentants du Gouvernement égyptien, le Gouvernement suédois a également demandé que l’ambassade soit autorisée à assister au procès. D’après l’auteur, on ne sait pas très bien quelles autres modalités de surveillance ont été étudiées et arrêtées avant son expulsion. Le Gouvernement suédois a fait savoir depuis que les discussions avaient porté sur le droit de rendre visite à l’auteur en prison mais cela n’est pas confirmé.

3.8 Le 18 décembre 2001, le Gouvernement a décidé qu’un permis de séjour, en Suède, ne devait pas être accordé à l’auteur pour des raisons de sécurité. Il a pris note de la teneur des garanties données par un haut représentant du Gouvernement égyptien. Bien que, compte tenu des circonstances et des déclarations de l’auteur au sujet de son passé, sa crainte d’être persécuté soit jugée fondée, ce qui lui donnait droit à une protection en Suède, le Gouvernement considérait justifié de ne pas lui accorder le statut de réfugié. Dans sa décision, le Gouvernement a conclu sur la base de renseignements émanant des services du renseignement que l’auteur occupait des fonctions importantes et jouait un rôle moteur dans une organisation impliquée dans des actes de terrorisme et qu’une protection devait lui être refusée.

3.9 Le Gouvernement a examiné séparément la question de savoir si l’auteur risquait d’être persécuté, condamné à mort, torturé ou victime de mauvais traitements graves s’il était expulsé vers son pays, circonstances qui constituent un empêchement absolu au renvoi. Le Gouvernement était d’avis à ce sujet que les assurances données étaient suffisantes pour que la Suède ne commette pas un manquement à son obligation de non ‑refoulement. Le Gouvernement a donc ordonné l’expulsion immédiate de l’auteur.

3.10 Dans l’après ‑midi du 18 décembre 2001, quelques heures après que la décision d’expulsion eut été prise, l’auteur a été arrêté par la police de sécurité suédoise. D’après l’État partie, il n’a pas été fait usage de la force. L’auteur a été informé que sa demande d’asile avait été rejetée et a été conduit dans un centre de détention provisoire de Stockholm. Quand il a été arrêté, l’auteur était au téléphone avec son conseil (de l’époque) mais la communication a été brusquement interrompue. Dans le centre de détention, il aurait demandé l’autorisation d’appeler son avocat, ce qui lui aurait été refusé Après quelques heures de détention, il a été transféré en voiture à l’aéroport de Bromma. Il a été conduit sous escorte au poste de police de l’aéroport où il a été remis à une dizaine d’agents étrangers portant des vêtements civils et des cagoules. Les investigations menées par la suite par l’Ombudsman parlementaire suédois ont révélé que les individus cagoulés étaient des agents des services de sécurité des États ‑Unis et de l’Égypte.

3.11 L’auteur dit que les agents cagoulés l’ont poussé dans un petit vestiaire où ils ont procédé à ce qu’ils appelaient une «fouille de sécurité» alors que la police suédoise avait déjà procédé à une fouille moins approfondie. Les agents cagoulés ont découpé ses vêtements avec des ciseaux et ont examiné chaque morceau de tissu avant de le mettre dans un sac en plastique. Un autre agent lui a inspecté les cheveux, la bouche et les lèvres pendant qu’un troisième prenait des photographies, d’après les policiers suédois qui assistaient à la fouille. Après lui avoir enlevé ses vêtements, les agents lui ont mis les menottes en les attachant à ses chevilles par une chaîne. Ils lui ont administré un tranquillisant quelconque par voie rectale et mis une couche, puis ils lui ont fait enfiler une sorte de combinaison, avant de l’escorter jusqu’à l’avion, les yeux bandés, cagoulé et pieds nus. Deux représentants de l’ambassade des États ‑Unis d’Amérique avaient également assisté à l’arrestation de l’auteur et vu de quelle manière il était traité Dans l’avion, immatriculé à l’étranger, l’auteur est resté par terre dans une position pénible et douloureuse, les chaînes l’empêchant de bouger. Il a gardé le bandeau et la cagoule pendant tout le voyage et les avait encore quand il a été remis au personnel de la sécurité militaire égyptienne à l’aéroport du Caire, environ cinq heures plus tard. D’après son conseil suédois (de l’époque), il est resté les yeux bandés jusqu’au 20 février 2002 sauf quelques jours, à l’occasion de la visite de l’Ambassadeur de Suède, le 23 janvier 2002, et lors d’un entretien avec un journaliste suédois en février 2002.

3.12 Quand le conseil de l’auteur (de l’époque) a rencontré la Secrétaire d’État Gun ‑Britt Andersson en janvier 2002, après la visite de l’Ambassadeur, elle lui a donné l’assurance que les deux hommes ne s’étaient pas plaints de mauvais traitements. Pendant une audience devant la Commission permanente suédoise sur la Constitution en avril 2002, la Ministre des affaires étrangères de l’époque avait déclaré: «Je continue à penser que nous pouvons faire confiance aux autorités égyptiennes. Si (il apparaît que) l’on ne peut pas avoir confiance, il faudra revenir sur la question. Mais tout ce que nous avons vu jusqu’ici indique que nous pouvons leur faire confiance.». Dans son rapport au Comité des droits de l’homme sur la suite donnée à ses constatations, daté du 6 mai 2003, le Gouvernement suédois a également dit: «Le Gouvernement suédois est d’avis que les assurances obtenues de l’État dans lequel les intéressés ont été renvoyés sont satisfaisantes et irrévocables et qu’elles sont et seront intégralement respectées. Le Gouvernement n’a reçu aucun renseignement qui puisse jeter le doute sur cette conclusion.» .

3.13 La visite de l’Ambassadeur à l’auteur à la prison de Tora ne s’est pas déroulée en privé, pas plus qu’aucune des visites qu’il lui a faites ultérieurement quand celui ‑ci était dans cette prison. L’auteur s’est plaint de son traitement en présence non seulement de l’Ambassadeur mais aussi du gardien et de cinq autres Égyptiens. Ceux ‑ci prenaient des notes afin, pense l’Ambassadeur, de vérifier l’interprétation de l’arabe en anglais. Les choses se passaient toujours ainsi et c’était une pratique acceptée par les visiteurs de l’ambassade: les gardiens ou le personnel de sécurité de la prison étaient présents et intervenaient même dans les discussions avec l’auteur. Très souvent les représentants suédois posaient des questions directement au personnel égyptien présent ou commentaient spontanément les propos de l’auteur.

3.14 Peu de temps après la première visite, l’Ambassadeur a demandé à rencontrer les services de sécurité égyptiens pour parler des mauvais traitements dont l’auteur s’était plaint. Son interlocuteur a rejeté les accusations en disant que c’était ce qu’il fallait attendre de la part de «terroristes». Les autorités suédoises se sont contentées de cette explication et n’ont rien fait de plus. Il s’est écoulé cinq semaines avant la visite suivante. Dans un rapport diplomatique daté du 2 février 2002 adressé à son Ministère des affaires étrangères, l’Ambassadeur de Suède indiquait: «Nous avons arrêté les modalités suivantes pour les visites de l’ambassade: les visites auront lieu une fois par mois au jour et à l’heure choisis par nous. Nous informerons [ édité ] quelques jours à l’avance que nous voulons faire cette visite afin que ses services puissent organiser les détails techniques. [ Édité ] a dit à ce sujet que si les rumeurs de torture, etc., continuaient, il nous faudrait examiner ensemble les moyens de les réfuter». Dans la lettre, l’Ambassadeur révélait également que le Rapporteur spécial sur la question de la torture de la Commission des droits de l’homme avait adressé une lettre au Gouvernement suédois lui demandant des renseignements sur le système de surveillance qui avait été mis en place pour garantir le respect des droits de l’auteur et d’une autre personne.

3.15 Après la visite de janvier, l’auteur a été transféré dans un autre quartier de la prison de Tora contrôlé par les services de sécurité égyptiens (et non plus le Service du renseignement). Il raconte qu’il a été interrogé pendant cinq autres semaines et que cette fois il a subi des sévices graves, notamment des décharges électriques sur les parties génitales, le bout des seins et les oreilles. Des médecins assistaient aux séances de torture et à la fin lui appliquaient une pommade pour qu’il n’y ait pas de marques. L’auteur a été contraint d’avouer des crimes qu’il n’avait pas commis et il a été interrogé au sujet d’activités l’organisation de réunions pour l’organisation interdite dans laquelle il militait et l’opposition au «système». Malgré les représailles, l’auteur a continué à essayer de dénoncer les traitements qu’il avait subis, comme l’indique l’Ambassadeur dans le rapport sur sa deuxième visite le 7 mars 2002:

«Pendant la visite suivante aucun des deux hommes n’a parlé de torture. Ils ont quand même laissé voir que quelque chose n’allait pas: je leur ai donc demandé s’ils avaient été torturés ou maltraités depuis ma dernière visite. [L’autre détenu] a répondu évasivement que ce serait bien si je pouvais venir le plus souvent possible. Je lui ai demandé d’enlever sa chemise et son maillot de corps et de se retourner. Il n’y avait pas de marque visible de mauvais traitements. [L’autre homme] a expliqué qu’il n’y avait pas de marque sur son corps. L’un des responsables égyptiens a dit par la suite que [l’autre homme] cherchait de toute évidence avec ses insinuations à faire comprendre qu’il avait été maltraité, mais ne le disait pas directement … Pendant la conversation, les deux hommes ont donné d’autres renseignements dont il faut retenir ceci: … L’un et l’autre ont évité de me répondre quand je leur ai demandé comment se passaient leurs journées. Avant de partir j’ai demandé s’ils avaient quelque chose de particulier à me signaler. Ils ont répondu qu’ils espéraient que je reviendrais bientôt en ajoutant que “c’est dur d’être en prison”. En résumé, il n’est rien apparu de nouveau qui puisse changer l’impression que j’ai eue à l’issue de ma première visite, c’est ‑ à ‑ dire que [l’auteur et l’autre détenu] allaient relativement bien vu les circonstances. Je n’ai rien constaté qui puisse laisser penser qu’ils étaient torturés ou maltraités.».

3.16 L’auteur dit que, pendant longtemps, l’autre détenu et lui ‑ même n’ont pas été autorisés à voir les autres prisonniers et qu’ils étaient placés à l’isolement dans des cellules constamment maintenues dans l’obscurité. Le 20 février 2002, l’auteur a été transféré dans un autre centre de détention où il a été placé à l’isolement dans une petite cellule de 1,5 m x 1,5 m jusqu’à la deuxième semaine de décembre 2002. Trois ou quatre fois en 2002 il a été conduit devant un procureur qui devait statuer sur son maintien en détention. À la première audition, en mars 2002, l’auteur s’est plaint d’avoir subi des tortures et des mauvais traitements. Il n’a pas eu connaissance du compte rendu de l’audition. À cette époque il était représenté par un avocat mais celui ‑ ci n’ayant pas réagi quand il a fait sa déclaration, il n’a eu d’autre choix que de parler lui ‑ même aux auditions suivantes. D’après le dossier de l’ambassade, entre octobre 2002 et mai ‑ juin 2003, l’auteur a comparu devant le procureur tous les quinze jours et par la suite tous les quarante ‑cinq jours. Le maintien en détention était toujours confirmé par le procureur, qui invoquait la législation d’exception mais sans jamais l’inculper.

3.17 Le 16 juin 2002, le conseil suédois de l’auteur (celui de l’époque) a fait savoir à la Cour européenne des droits de l’homme qu’il avait l’intention de déposer une requête au nom de l’auteur. Le 9 septembre 2002, l’Ambassadeur de Suède a demandé aux autorités pénitentiaires pendant une visite à l’auteur, de permettre à celui ‑ ci de signer une procuration que son conseil suédois avait adressée à l’ambassade en vue de la requête à la Cour européenne des droits de l’homme. Le 26 septembre 2002, l’Ambassadeur a adressé une télécopie au conseil l’informant que l’auteur, du fait qu’il se trouvait en détention, n’avait pas le droit de signer la procuration. Le conseil a sollicité l’intervention de l’ambassade d’Égypte mais celle ‑ ci n’a pas répondu. À la fin de 2002, l’auteur a été informé partiellement du motif de sa détention. Il était accusé d’être l’un des 250 membres d’une organisation interdite contre laquelle des poursuites pénales avaient été engagées en 1993. L’auteur affirme qu’un grand nombre des coïnculpés étaient restés en détention pendant des années sans avoir été jugés, que plusieurs avaient été condamnés à mort et exécutés et que d’autres n’avaient pas été remis en liberté même après avoir été acquittés. Il craignait de subir le même sort. De décembre 2002 à octobre 2003, le Ministère de l’intérieur a ordonné son maintien en détention.

3.18 Le 27 octobre 2003, l’auteur a été libéré sans avoir été inculpé. D’après l’ambassade de Suède, un tribunal égyptien a ordonné sa remise en liberté mais l’auteur n’était pas présent et ne peut pas le confirmer. Depuis qu’il est libre, l’auteur se porte physiquement mieux, il a achevé les études universitaires complémentaires de pédagogie qu’il avait commencées en prison et il s’est marié . Il a décidé de créer sa propre entreprise et a construit une petite exploitation d’élevage.

3.19 Au début de 2004, le conseil suédois de l’auteur (de l’époque) a fait savoir au Ministère suédois des affaires étrangères que l’auteur affirmait avoir été soumis notamment à la torture, en Égypte, avant et après la première visite de l’Ambassadeur le 23 janvier 2002. Il n’y avait pas eu d’actes de torture ou d’autres traitements cruels après le 20 février 2002. De plus, au début de 2004, l’auteur a dit la même chose au personnel de l’ambassade venu lui rendre visite. D’après le rapport de l’ambassade sur cette visite, les actes de torture avaient été commis après la première visite de l’Ambassadeur, quand l’auteur était en détention. L’auteur n’avait alors rien dit du traitement qu’il avait subi avant cette visite. Le 19 mars 2004, le conseil suédois (de l’époque) a déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, dans laquelle il faisait valoir qu’à la suite de son expulsion l’auteur avait été torturé et maltraité et qu’il risquait d’être condamné à mort ou de mourir sous la torture. Il ajoutait que l’auteur ne pouvait pas s’adresser à un tribunal et ne disposait pas de recours utile pour se défendre des accusations de terrorisme portées contre lui et que l’arrêté d’expulsion n’avait pas fait l’objet d’un réexamen judiciaire. Le 26 octobre 2004, une chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré à la majorité des membres la requête irrecevable du fait qu’elle avait été présentée hors délai . Le conseil n’ayant pas donné d’explication satisfaisante pour justifier ce retard, la Cour a considéré que le 19 mars 2004 était la date de l’introduction de la requête, qu’elle a donc déclarée irrecevable.

3.20 En ce qui concerne ce qui s’est passé en Suède après l’expulsion de l’auteur, le Ministère de la justice a mené le 12 avril 2002 une appréciation judiciaire de la façon dont la police de sécurité avait agi et a approuvé sur le principe les procédures suivies. Une plainte déposée le 25 mai 2004 a donné lieu à l’ouverture par le procureur de district de Stockholm d’une enquête visant à déterminer si les représentants du Gouvernement suédois avaient commis une infraction pénale en relation avec la décision d’expulsion du 18 décembre 2001 concernant M. Alzery, entre autres personnes, et si une infraction avait été commise dans le déroulement de l’expulsion. Étant donné que la plainte visait des représentants ministériels du Gouvernement, elle a été renvoyée devant la Commission constitutionnelle permanente du Parlement, qui est compétente pour engager une action pénale devant la Cour suprême du chef, par exemple, de négligence grave dans l’exercice des fonctions ministérielles. Le 17 février 2005, la Commission a décidé que la partie de la plainte qui lui avait été renvoyée par le procureur de district de Stockholm n’appelait aucune action.

3.21 Pour les autres questions, le procureur de district de Stockholm a décidé le 18 juin 2004 de ne pas ouvrir d’enquête préliminaire pour déterminer si une infraction pénale avait été commise dans l’exécution de la mesure d’expulsion. La raison avancée était qu’il n’y avait pas matière à supposer qu’une infraction pénale avait été commise par un membre de la police suédoise pendant l’expulsion. Le procureur de district a renvoyé l’affaire au Procureur général de Stockholm pour que celui ‑ ci décide d’engager ou non une enquête préliminaire sur les faits qui s’étaient déroulés dans l’avion immatriculé à l’étranger.

3.22 Le 3 novembre 2004, le Procureur général a refusé de prendre d’autres mesures. Il a relevé que la police de sécurité avait été chargée de procéder à l’expulsion et en était responsable. C’était donc à la police de sécurité qu’il appartenait de vérifier que les mesures de sécurité prises par ses agents ou par ceux qui l’avaient aidée étaient conformes à la législation suédoise. Il s’agissait donc de déterminer si des membres de la police de sécurité avaient failli dans l’exercice de l’autorité publique, ce qui équivalait à un réexamen de la décision du procureur de district. Rappelant la mission antiterroriste de la police de sécurité, le Procureur général a considéré que pour s’acquitter de cette mission, elle était parfois obligée d’employer des méthodes différentes de celles qui étaient utilisées pour les missions de police ordinaires. L’expulsion avait été décidée par le Gouvernement, qui avait considéré que les personnes frappées par la mesure représentaient un risque pour la sécurité du Royaume. Étant donné que, tout particulièrement à cette époque, il y avait des consignes très strictes concernant la sécurité et les mesures de protection, on ne pouvait considérer que ce qui s’était passé constituait un manquement aux principes généraux applicables aux interventions de police. Le Procureur général partageait donc l’avis du procureur de district qui avait estimé qu’il n’y avait pas lieu de supposer que les policiers suédois avaient commis une infraction pénale nécessitant la mise en mouvement de l’action publique. La décision portait également sur les mesures prises par les agents étrangers puisqu’ils n’avaient pas agi indépendamment de la police suédoise.

3.23 Concernant ce qui s’était passé dans l’avion immatriculé à l’étranger, le Procureur général a considéré que, conformément à la loi sur le trafic aérien, le pilote d’un avion immatriculé à l’étranger était tenu de vérifier que l’avion pouvait opérer en territoire suédois. Ce contrôle comportait le droit de prendre des mesures pour des motifs de sécurité. Il n’y avait pas de raison de supposer qu’une infraction pénale donnant matière à poursuites avait été commise par le pilote de l’avion étranger.

3.24 Dans le souci de faire la lumière sur les faits survenus après le renvoi de l’auteur, l’État partie indique que le 18 mai 2004 il a soulevé la question des allégations de mauvais traitements auprès des autorités égyptiennes au plus haut niveau. Un envoyé a fait part des préoccupations de la Suède au sujet des mauvais traitements qui auraient été subis dans les premières semaines suivant le renvoi et demandé une enquête, y compris une expertise médicale internationale. Le Gouvernement égyptien a rejeté les allégations mais a accepté d’ouvrir une enquête. En juin 2004, la Ministre suédoise des affaires étrangères alors en poste a écrit aux autorités égyptiennes suggérant qu’une enquête soit menée avec ou par une autorité indépendante, en faisant appel à des experts judiciaires et médicaux et, de préférence, à des experts internationaux en matière d’enquêtes sur les cas de torture. Elle a également proposé l’assistance et les services d’experts de la Suède. En juillet 2004, les autorités égyptiennes ont rejeté les allégations de mauvais traitements et se sont référées à l’enquête en cours en Égypte. En décembre 2004, il a été envisagé de demander une enquête internationale sous les auspices du Haut ‑ Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. Le 11 mai 2005, la Ministre suédoise des affaires étrangères a adressé une lettre à la Haut ‑ Commissaire, dans laquelle elle expliquait notamment que la Suède avait vainement tenté d’obtenir qu’une enquête soit conduite en Égypte pour établir les faits de façon indépendante, au vu des allégations de torture et de mauvais traitements qui auraient été subis par les deux Égyptiens renvoyés dans leur pays. La Ministre demandait à la Haut ‑ Commissaire de faire procéder à une enquête sur la question afin d’évaluer ensuite l’utilité et le respect des assurances diplomatiques données par l’Égypte. La Ministre déclarait que le Gouvernement suédois était disposé à apporter tout son appui à l’enquête ainsi que des ressources financières si nécessaire. La Haut ‑ Commissaire a répondu par une lettre datée du 26 mai 2005. Se référant à la décision du Comité contre la torture dans l’affaire Agiza c. Suède elle indiquait notamment qu’à son avis il n’y avait aucune raison de penser que le Haut ‑ Commissariat puisse apporter quelque chose de plus à l’appréciation du Comité et à ses constatations. En conclusion, la Haut ‑ Commissaire n’était pas disposée à donner suite à la demande. L’État partie énumère plusieurs contacts que la Ministre et d’autres hauts fonctionnaires ont eus par la suite avec leurs homologues égyptiens afin d’essayer d’obtenir une enquête indépendante et impartiale sur les faits.

3.25 Le 21 mars 2005, l’Ombudsman parlementaire a fait rapport sur une enquête menée de sa propre initiative sur les événements ayant précédé l’expulsion de l’auteur; cette enquête a révélé de graves dysfonctionnements dans l’action de la police de sécurité, à l’égard de laquelle l’Ombudsman se montrait extrêmement critique . L’auteur lui ‑ même n’avait pas participé à cette enquête mais l’Ombudsman avait interrogé son ancien conseil suédois. L’Ombudsman avait pour mandat de déterminer si la police de sécurité avait commis une infraction ou agi illégalement pendant qu’elle procédait à l’expulsion. Très vite, l’Ombudsman avait décidé de ne pas engager une enquête pénale. L’Ombudsman n’indique pas les raisons de cette décision mais l’État partie suggère qu’elles semblent liées au fait que la direction de l’opération de Bromma n’avait été confiée à aucun haut responsable de la police de sécurité, que les policiers présents étaient de rangs relativement subordonnés, qu’aucun d’entre eux n’avait le sentiment de porter la responsabilité directe de l’opération et qu’ils s’étaient peut ‑être sentis sous pression compte tenu de l’ordre du Cabinet d’exécuter la décision sans délai le jour où elle avait été prise. Le conseil conteste cette version, et cite des commentaires que l’Ombudsman a faits dans les médias, expliquant que la décision du Procureur de ne pas poursuivre avait joué un rôle important dans sa propre décision. Quelle qu’en soit la raison, ayant choisi de ne pas engager une enquête pénale, l’Ombudsman avait donc pu obtenir, à des fins d’information, la déposition des policiers qui, autrement, auraient pu ne pas témoigner, au nom du droit de ne pas déclarer contre soi ‑ même.

3.26 Dans ses conclusions, l’Ombudsman reprochait à la police de sécurité d’avoir perdu le contrôle de la situation à l’aéroport de Bromma en laissant des agents étrangers exercer librement l’autorité publique sur le sol suédois. Cet abandon de l’autorité publique était contraire à la loi. L’expulsion avait été effectuée de manière inhumaine et inacceptable. Le traitement était à certains égards illégal et dans son ensemble il ne pouvait être qualifié que de dégradant. On pouvait se demander s’il n’y avait pas eu aussi violation de l’article 3 de la Convention européenne. En tout état de cause, la police de sécurité aurait dû intervenir pour empêcher ce traitement inhumain. De l’avis de l’Ombudsman, la police de sécurité avait fait preuve d’une totale passivité tout au long de cette affaire, depuis l’acceptation de la proposition d’utiliser un avion américain jusqu’à la fin de l’opération. Par exemple, les agents n’avaient pas demandé en quoi allait consister la fouille de sécurité exigée par les Américains. L’Ombudsman critiquait également une organisation défaillante, constatant qu’aucun des agents présents à l’aéroport de Bromma n’avait été désigné pour diriger l’opération. Les policiers de sécurité présents n’avaient pas des grades très élevés. Ils avaient manifesté une remarquable déférence à l’égard des responsables américains. En ce qui concernait les agents étrangers, l’Ombudsman estimait qu’il n’était pas légalement compétent pour engager une action.

3.27 Le 4 avril 2005, à la suite d’une plainte du Comité d’Helsinki pour les droits de l’homme (section suédoise), le Procureur général suédois a décidé de ne pas rouvrir l’enquête préliminaire. Compte tenu notamment du pouvoir de l’Ombudsman parlementaire d’engager des poursuites, de l’obligation des tribunaux, des autorités administratives et des responsables aux niveaux central et municipal de donner aux ombudsmans tous les renseignements requis, et de la faculté du Procureur général de revoir les décisions d’un procureur de district, le Procureur général concluait qu’il n’était pas possible de réexaminer la décision de l’Ombudsman parlementaire de ne pas faire usage de sa faculté de poursuite. On pouvait également se demander si le Procureur général pouvait vraiment réexaminer l’opportunité d’ouvrir ou de reprendre une enquête pénale préliminaire alors que la question avait déjà été tranchée par l’Ombudsman parlementaire. Telle était la situation, d’autant plus qu’aucune circonstance nouvelle n’était apparue. Le Procureur général ajoutait que, quoi qu’il en soit, plusieurs des personnes qui auraient à faire des déclarations dans le cadre d’une enquête pénale préliminaire, si elle était reprise, avaient déjà été interrogées par l’Ombudsman parlementaire et avaient donné des informations sous serment, conformément à la loi suédoise régissant ces procédures. Par conséquent, il n’était plus possible de mener une enquête préliminaire en vertu du Code de procédure pénale.

3.28 Le 21 septembre 2005, la Commission constitutionnelle du Parlement a rendu compte d’une enquête ouverte en mai 2004 à la demande de cinq membres du Parlement qui souhaitaient que soit examinée l’action du Gouvernement dans l’affaire ayant abouti à l’expulsion vers l’Égypte de M. Alzery, entre autres personnes. En ce qui concerne les assurances données, la Commission concluait que les modalités détaillées d’un dispositif de surveillance n’avaient pas été arrêtées avec les autorités égyptiennes et qu’il semblait ne pas y en avoir eu du tout avant la décision d’expulser M. Alzery. Cette faille se manifestait dans la surveillance pratique du respect des garanties, qui n’était pas conforme aux recommandations faites plus tard par le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la question de la torture, ni à la pratique établie par la Croix ‑ Rouge. La principale faille était évidemment que la première visite n’ait pas eu lieu plus tôt. Toutefois, de l’avis de la Commission constitutionnelle, les insuffisances de la surveillance sur place étaient principalement dues à l’absence de planification. Pour assurer une surveillance efficace il aurait fallu en prévoir les modalités et les arrêter en accord avec les autorités égyptiennes, avant l’expulsion des deux hommes. Il aurait fallu anticiper raisonnablement les difficultés qui se poseraient dans la surveillance avant de décider d’accepter les garanties et d’expulser les deux hommes vers leur pays d’origine. La Commission a relevé qu’un des éléments essentiels qui avaient conduit le Gouvernement suédois à conclure qu’il pouvait accepter les garanties était qu’il avait confiance dans la volonté de l’Égypte de démontrer qu’elle était un participant sérieux de la communauté internationale en respectant les obligations auxquelles elle avait souscrit, y compris celles découlant de la résolution 1373 adoptée par le Conseil de sécurité plusieurs semaines avant l’expulsion. La Commission ajoutait qu’elle n’était pas en mesure de savoir si les hommes avaient été soumis à la torture ou à d’autres traitements en violation des conventions. Néanmoins il y avait beaucoup d’éléments donnant à penser qu’il en avait été ainsi. Elle concluait qu’en tout état de cause il n’aurait pas fallu accepter les assurances.

3.29 En ce qui concernait l’exécution immédiate de la mesure d’expulsion, la Commission a noté que cette procédure était bien prévue par la loi mais elle se demandait si la décision n’avait pas été influencée par la crainte que les deux hommes ne demandent à un organe international l’application de mesures provisoires de protection avant que les expulsions n’aient pu être exécutées. Il était évidemment inacceptable qu’une telle crainte puisse entrer en ligne de compte. La Commission a relevé que les décisions avaient été notifiées aux intéressés par l’autorité exécutive tandis que les conseils avaient été avisés par lettre recommandée. La procédure était jugée correcte pour autant que le conseil ait été avisé par un moyen plus rapide.

3.30 En ce qui concernait les faits survenus à l’aéroport de Bromma, la Commission constitutionnelle n’avait pas compétence pour enquêter sur les actes de la police de sécurité, mais elle s’était concentrée sur la question de savoir si la Ministre des affaires étrangères alors en poste, Anna Lindh, n’avait pas exercé une influence indue sur la police de sécurité en indiquant quelle ligne d’action elle préférait. La Commission a relevé que, quand l’affaire avait été exposée au Ministère des affaires étrangères, le 17 décembre 2001, la Ministre avait été informée de la possibilité de renvoyer les deux hommes à bord d’un avion américain, et que la police de sécurité, lorsqu’elle avait décidé du mode de transport, avait également tenu compte de ce qu’elle pensait être la position de la Ministre à ce sujet. La Commission n’a pas pu déterminer avec certitude si la Ministre disposait de cette information le 17 décembre 2001 ou si d’autres services gouvernementaux en avaient connaissance à ce moment ‑ là. La police de sécurité tenait un journal de ses réunions avec les ministres, mais il n’existait pas de document équivalent pour les autres services du Gouvernement.

3.31 La Commission constitutionnelle regrettait que les procédures de préparation des affaires gouvernementales soient telles qu’elles ne permettaient pas de savoir avec certitude ce qui s’était passé; mais il en était ainsi et il était donc beaucoup plus difficile de procéder à un contrôle ultérieur. Néanmoins, il ne semblait pas contestable que la possibilité d’une assistance étrangère, ne serait ‑ ce que sous la forme de l’octroi de créneaux horaires, avait été évoquée pendant la présentation de l’affaire à la Ministre des affaires étrangères, ce qui soulevait la question de l’indépendance des autorités administratives. En droit suédois, aucune autorité (pas même le Parlement) ne peut déterminer la façon dont un organe administratif doit décider d’une affaire particulière s’agissant de l’exercice de l’autorité publique contre un individu. Parallèlement, la loi suédoise exige que le Ministre des affaires étrangères soit tenu informé quand une question importante pour les relations avec un État tiers ou avec une organisation intergouvernementale se pose à une autre autorité de l’État.

3.32 Concernant la décision du Gouvernement de procéder immédiatement aux expulsions, la Commission constitutionnelle a relevé qu’on s’était demandé si la Ministre des affaires étrangères, en exprimant pendant la présentation préalable à la réunion du cabinet sa préférence pour une expulsion le jour même, avait enfreint la règle de l’indépendance des organes administratifs. Pour la Commission, la principale question était de savoir ce que la Ministre avait entendu et dit, ce qu’elle voulait dire et comment cela devait être perçu. La Ministre ne pouvant être interrogée à ce sujet puisqu’elle était décédée, la Commission a conclu qu’elle n’était pas en mesure de se prononcer. Elle soulignait que la police de sécurité était responsable de la façon dont les expulsions avaient été menées.

3.33 Concernant l’épuisement des recours internes, l’auteur indique que la loi ne lui offrait aucune autre possibilité de recours contre la décision d’expulsion du 18 décembre 2001. Pour ce qui est de la procédure devant la Cour européenne, l’auteur fait valoir que, compte tenu en particulier de l’importance générale de l’affaire, le dépôt tardif de la requête par son avocat et la décision d’irrecevabilité rendue par la Cour européenne ne devraient pas conduire le Comité des droits de l’homme à rejeter sa communication. Si elle était rejetée, l’affaire ne pourrait être examinée par aucun organe international de défense des droits de l’homme. Quoi qu’il en soit, la présentation tardive de sa demande était justifiée par de très bonnes raisons. À son retour en Égypte, l’auteur a immédiatement été emprisonné, interrogé et torturé, d’abord par le Service égyptien du renseignement puis par les services de sécurité de l’État. Quand la requête a été déposée devant la Cour européenne, en 2002, son conseil de l’époque pensait qu’il avait besoin d’une procuration écrite, comme il était indiqué sur la formule de demande, mais de plus il voulait être certain que l’auteur approuvait sa démarche. Il y avait d’importantes considérations de sécurité en jeu, étant donné qu’une plainte devant un organe international risquait d’exposer M. Alzery à de nouveaux mauvais traitements et tortures en Égypte. Le conseil ne pouvait pas communiquer avec l’auteur et ne voulait pas non plus placer sa famille, d’un milieu modeste, dans une situation vulnérable et potentiellement dangereuse. Le conseil a eu une entrevue avec l’auteur après sa remise en liberté et a alors cherché à obtenir pour son client l’autorisation de retourner en Suède, vu qu’aucune charge n’avait été retenue contre lui et qu’il n’avait guère de perspectives de mener une vie normale en Égypte. Les négociations infructueuses qu’il avait menées à cette fin avaient encore retardé le dépôt de la requête devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Teneur de la plainte

4.1 L’auteur se dit victime de violations des articles 2, 7, 13 et 14 du Pacte et de l’article premier du Protocole facultatif.

4.2 L’auteur expose deux griefs principaux en vertu de l’article 7 du Pacte. Premièrement, il estime que son expulsion constitue une violation de l’article 7 au motif que la Suède savait ou aurait dû savoir qu’il courait réellement le risque d’être soumis à la torture, dans les circonstances de l’espèce, en dépit des assurances fournies. Deuxièmement, il fait valoir que le traitement qu’il a subi en Suède constitue une violation de cet article et que, compte tenu de l’inefficacité des enquêtes menées par la suite, la Suède ne s’est pas acquittée des obligations de procédure imposées par cet article.

Violation de l’interdiction de refoulement (art. 7 du Pacte)

4.3 L’auteur fait valoir que, dans le cas d’espèce, la Suède a violé l’obligation qui lui est faite, en vertu de l’article 7, de ne pas exposer un individu à un risque réel de torture par un tiers. Il fait observer que l’existence d’un tel risque est établie au moment de l’expulsion et qu’il n’est pas nécessaire de prouver que des actes de torture ont effectivement été commis ultérieurement, même si des renseignements sur la suite des événements sont utiles pour l’évaluation du risque initial. Dans le cas d’espèce, l’auteur affirme que les éléments concernant la façon dont il a été traité par la suite prouvent clairement qu’il existait au départ un risque réel de torture. Il estime que les assurances fournies, associées à des mécanismes de surveillance insuffisants pour le protéger contre des mauvais traitements, ou même pour détecter des mauvais traitements, constituaient une protection insuffisante contre le risque de préjudice. Il fait valoir que l’interdiction de refoulement est absolue et ne saurait être soumise à des considérations relatives à la sécurité nationale ou à la nature des actes dont est soupçonnée la personne concernée. À l’appui de ces conclusions, l’auteur renvoie à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Chahal c. Royaume ‑Uni et à la décision du Comité contre la torture dans l’affaire Agiza c. Suède .

4.4 En ce qui concerne les informations dont disposait ou était censée disposer la Suède au moment de l’expulsion, l’auteur fait valoir que la Suède connaissait bien la situation des droits de l’homme en Égypte. Dans ses rapports annuels à ce sujet, le Gouvernement suédois se déclare préoccupé par les actes de torture auxquels sont soumis les terroristes présumés, en particulier par les services de sécurité. Il critique également le recours aux tribunaux militaires pour juger des civils. D’autres sources dignes de foi affirment que la police et les services de sécurité torturent les détenus dans une impunité quasi totale et que les terroristes présumés courent un risque particulièrement grand d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels ou inhumains. L’auteur renvoie aux observations finales du Comité des droits de l’homme et du Comité contre la torture sur des questions connexes en Égypte portant sur un certain nombre d’années ainsi qu’à des rapports critiques d’organisations nationales de défense des droits de l’homme et des sources internationales. Le Gouvernement savait aussi que le Président égyptien avait déclaré, et constamment renouvelé, l’état d’urgence depuis 1981 et que de nombreuses lois protégeant les droits de l’homme étaient de fait suspendues, ce qui permettait notamment de faire juger des civils par des tribunaux militaires. Le Gouvernement savait en outre que l’Égypte n’avait reconnu la compétence d’aucun organe conventionnel pour traiter les plaintes de particuliers et n’avait pas répondu à l’invitation d’organes internationaux de surveillance, notamment à celle du Rapporteur spécial sur la question de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

4.5 Dans son rapport de janvier 2001 à la Commission des droits de l’homme , le Rapporteur spécial a cité 32 cas de décès en détention survenus entre 1997 et 1999 et manifestement dus à des actes de torture. Les aveux arrachés sous la torture étaient fréquemment utilisés comme éléments de preuve dans les procès politiques et fondaient les condamnations. Les victimes de torture n’avaient aucun recours effectif et peu de possibilités d’obtenir réparation: la plupart demandaient des indemnités financières auprès des tribunaux civils et obtenaient gain de cause, ce qui signifiait en pratique que les autorités reconnaissaient que des actes de torture avaient été commis. Mais rares étaient les victimes qui parvenaient à convaincre les autorités d’engager des poursuites pénales contre leurs bourreaux. Les quelques affaires portées devant les tribunaux les années précédentes avaient presque toutes débouché sur des acquittements ou des peines dérisoires. Enfin, d’après le Rapporteur spécial, si les signalements faisant état d’actes de torture commis sur des prisonniers politiques étaient depuis peu moins nombreux, la torture des délinquants de droit commun dans les postes de police restait monnaie courante.

4.6 L’auteur fait valoir que la Suède savait non seulement qu’il existait un risque général de torture, de mauvais traitements et de procès non équitable, mais aussi que lui ‑même courait personnellement ce risque. Les informations disponibles montrent clairement que le Gouvernement suédois savait qu’il contreviendrait à son obligation de non ‑refoulement s’il expulsait simplement l’auteur. C’est précisément pour cette raison qu’il avait décidé de négocier avec des représentants du Gouvernement égyptien et avait décidé, après avoir reçu les assurances requises de l’Égypte, de rejeter la demande d’asile et d’exécuter immédiatement l’arrêté d’expulsion. D’après l’auteur, les assurances fournies n’étaient pas suffisantes, même pour le protéger en théorie contre la torture ou des mauvais traitements. Outre que le Gouvernement suédois connaissait la situation des droits de l’homme en Égypte, il a expulsé l’auteur au motif qu’il présentait un risque pour la sécurité et qu’il était accusé d’actes terroristes en Égypte, ce qui l’exposait clairement au risque d’être torturé et d’être détenu au secret. L’auteur fait valoir que la Suède savait aussi que l’Égypte avait rejeté les demandes d’autres États visant à obtenir des assurances analogues et à instaurer des mécanismes de suivi effectifs dans les cas d’expulsion, conformément aux principes énoncés dans la décision rendue dans l’affaire Chahal .

4.7 En outre, la décision d’expulser l’auteur a été prise non seulement après des négociations avec les autorités égyptiennes sur la teneur des assurances mais aussi après obtention de l’avis des ambassades du Royaume ‑Uni, des États ‑Unis et d’Allemagne au Caire. La Suède n’a pas non plus cherché à proposer des modifications au projet d’assurances des Égyptiens après la réunion tenue en décembre. La Suède aurait dû savoir également qu’un certain nombre de personnes d’origine égyptienne avaient été placées en détention après avoir été renvoyées en Égypte. En octobre 2001, par exemple, deux habitants de Bosnie possédant la double nationalité bosniaque et égyptienne avaient été déchus de leur citoyenneté et expulsés vers l’Égypte où ils avaient été condamnés à de longues peines d’emprisonnement et auraient été soumis à la torture. L’auteur fait valoir qu’on ne peut donc pas savoir quelle valeur pouvait réellement accorder le Gouvernement à ces assurances étant donné que celles ‑ci ne lui garantissaient pas un traitement particulier et positif par rapport à d’autres terroristes présumés. Au contraire, il a été traité comme toute personne soupçonnée d’être une menace pour la sécurité nationale. Toutes les lois en vigueur, y compris les lois relatives à la sécurité de l’État, lui étaient donc intégralement applicables.

4.8 L’auteur affirme que les assurances fournies présentaient plusieurs lacunes précises. Elles ne prévoyaient pas qu’un conseil soit nommé immédiatement après le retour de l’auteur, que ce conseil soit présent pendant les interrogatoires, que l’auteur puisse avoir fréquemment des entretiens privés et indépendants, sans surveillance, ou qu’il puisse être examiné par un médecin indépendant. Au contraire, à son retour en Égypte, l’auteur a été remis au Service égyptien du renseignement et a attendu cinq semaines avant de recevoir une première visite. La date des visites de l’ambassade était fixée à l’avance en concertation avec le directeur de la prison. Les visites étaient moins fréquentes pendant les mois d’été et la période de Noël, où elles avaient lieu tous les deux mois. Aucune des visites en prison n’a eu lieu en privé. L’auteur était conduit au bureau du directeur, où se trouvaient jusqu’à 10 responsables. Souvent, des responsables ont été invités à participer à la conversation avec les détenus, et à d’autres occasions ils sont intervenus spontanément pour faire part de leurs commentaires. L’ambassade n’a pas insisté pour que l’auteur soit examiné par un médecin, a fortiori un médecin ayant l’expérience des victimes de la torture. Elle n’a pas non plus demandé l’autorisation de faire venir à la prison un médecin pour examiner l’auteur. L’auteur était obligé de parler avec le personnel de l’ambassade par le truchement d’un interprète alors qu’il parle presque couramment le suédois. Le personnel de l’ambassade n’a pas été autorisé à lui rendre visite dans sa cellule. L’auteur affirme aussi qu’il ressort clairement des rapports de l’ambassade que les fonctionnaires manquaient d’expérience et de connaissances concernant la façon de parler et de se comporter des victimes de torture, les questions à leur poser et, de manière générale, les moyens de se faire une idée aussi exacte que possible de la situation. L’auteur affirme qu’il était inconsidéré de la part des autorités suédoises de s’adresser aux autorités égyptiennes pour évaluer la véracité des allégations de mauvais traitements. Hormis les visites de l’ambassade, l’auteur n’a reçu qu’une seule visite d’un avocat, en rapport avec sa première comparution devant un procureur.

4.9 L’auteur affirme que l’autre détenu et lui ‑même, après la première visite de l’Ambassadeur de Suède à qui tous deux se sont plaints de leur traitement, ont été soumis à des traitements cruels et inhumains dès que l’Ambassadeur eut quitté la prison. Par conséquent, ils n’ont plus parlé des mauvais traitements avant mars 2003. Au cours de l’hiver 2002/03, le Ministère suédois des affaires étrangères a nommé un envoyé spécial chargé de suivre les deux affaires. Lorsque l’envoyé spécial a rendu visite à l’auteur et au deuxième détenu en mars 2003, l’autre détenu a renouvelé ses allégations de mauvais traitements. L’auteur, interrogé ensuite séparément, n’a rien dit; d’après le rapport de l’ambassade, il a seulement demandé s’il devait répondre aux questions qui lui étaient posées et déclaré qu’il avait déjà dit tout ce qu’il avait à dire.

4.10 L’auteur fait donc valoir qu’aucune véritable procédure de surveillance n’a été mise en place au moment de l’expulsion et qu’aucun mécanisme approprié n’a été établi par la suite pour le protéger des mauvais traitements. De l’avis de l’auteur, la Suède n’a en fait même pas cherché à surveiller effectivement la mise en œuvre de l’accord. La seule chose qui ait fait l’objet d’un accord entre la Suède et l’Égypte était le droit pour les représentants suédois d’être présents à tout procès qui pourrait se tenir par la suite. Aucune disposition de l’accord ne porte sur le droit d’effectuer des visites en prison, ni sur la régularité de ces visites, la manière dont elles devaient être organisées ou les mesures qui seraient prises et les mécanismes qui seraient mis en place si une violation de l’accord était suspectée. De l’avis de l’auteur, l’État partie n’avait ni les compétences ni la volonté nécessaires pour surveiller comme il convenait sa situation, malgré les préoccupations exprimées par différents organes nationaux et internationaux. Au lieu de remédier à la situation, le Gouvernement suédois a affirmé que le mécanisme de surveillance fonctionnait et que rien ne permettait de penser que l’Égypte contrevenait à l’accord.

4.11 L’auteur suggère que l’absence de mécanisme de surveillance est due au fait que la Suède pensait pouvoir compter simplement sur la bonne foi du Gouvernement égyptien pour éviter qu’on lui reproche de violer ses obligations internationales. Au cours de l’audition devant la Commission constitutionnelle, le Secrétaire d’État suédois a expressément déclaré que la Suède, après l’expulsion, ne pouvait s’immiscer dans ce qu’elle considérait comme une question interne d’un État, l’auteur étant un ressortissant égyptien détenu en Égypte. L’Ambassadeur avait expliqué précédemment que s’il avait attendu cinq semaines avant de demander à voir les deux détenus, après leur renvoi en Égypte, c’était parce que le faire plus tôt aurait été perçu comme un manque de confiance dans la volonté de l’Égypte de respecter l’accord. L’auteur affirme que, parce qu’elle avait conclu un accord avec l’Égypte, non seulement la Suède voulait croire que cet accord serait respecté, mais elle a aussi agi de telle sorte que les lacunes de l’accord ne soient pas dévoilées. Ce comportement montre les faiblesses inhérentes aux accords diplomatiques relatifs à la protection des droits fondamentaux des particuliers. La diplomatie ne peut pas protéger efficacement les personnes contre des mauvais traitements illicites. Comme on l’a vu plus haut, les deux États risquent d’être accusés d’avoir violé l’interdiction absolue de torture, et rien n’incitait à révéler des signes de mauvais traitements ou des informations à ce sujet. En mai 2004, lorsque la Suède a demandé en vain une enquête, les autorités égyptiennes se sont montrées peu favorables à la proposition visant à autoriser un individu ou un organe indépendant étranger à enquêter sur les allégations de mauvais traitements. Les autorités suédoises, tout en exprimant leur déception, n’ont rien pu faire d’autre. L’auteur note à cet égard que les assurances n’ont aucune valeur légale en Égypte et qu’il ne peut les faire appliquer ou les utiliser en tant que document juridique.

4.12 L’auteur met en cause le fait que le Gouvernement suédois ait agi de bonne foi en l’expulsant. Il relève que le Gouvernement suédois non seulement a fait exécuter immédiatement l’arrêté d’expulsion, ce qui a empêché l’auteur de saisir des organes internationaux, peu après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, mais en outre il n’a guère hésité à autoriser une opération clandestine de la Central Intelligence Agency (CIA) sur son territoire. La police de sécurité suédoise a été informée que les hommes seraient soumis à un contrôle de sécurité, mais n’a pas demandé en quoi ce contrôle consisterait. Elle a aussi été informée que les agents de la CIA porteraient des masques et des cagoules et l’a accepté. Il n’y avait aucun haut responsable suédois à l’aéroport de Bromma et les agents chargés de l’expulsion ont cédé l’autorité et le contrôle aux agents étrangers. L’auteur estime comme l’Ombudsman parlementaire que le traitement qu’il a subi sur le territoire suédois aurait pu être prévu en raison de la situation mondiale qui régnait à l’époque. Il souligne aussi que l’opération dont il a fait l’objet était menée conjointement par l’Égypte et les États ‑Unis, des agents égyptiens et américains étant présents à l’aéroport de Bromma comme à bord de l’avion. L’auteur affirme que le risque de mauvais traitements était donc bien clair et s’est effectivement concrétisé sur le territoire suédois et qu’il était donc vital de mettre en place un système de surveillance rapide et efficace dès son arrivée en Égypte.

Traitements subis à l’aéroport de Bromma (art. 7 du Pacte)

4.13 L’auteur affirme que les traitements qu’il a subis à l’aéroport de Bromma, tels qu’ils sont décrits plus haut au paragraphe 3.11, sont imputables à la Suède puisque les autorités suédoises n’ont rien fait pour les empêcher alors qu’elles en avaient le pouvoir, et qu’ils constituent une autre violation des droits consacrés à l’article 7 du Pacte. En outre, les déficiences et l’inefficacité de l’enquête menée à ce sujet constituent une violation du même article sur le plan de la procédure. Concernant la question de savoir si les traitements sont imputables à la Suède, l’auteur note que les autorités suédoises ont permis qu’ils aient lieu, sans chercher à les empêcher ou à les faire cesser.

Insuffisance de l’enquête menée sur les allégations de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 7 du Pacte)

4.14 En ce qui concerne l’enquête, l’auteur affirme que les traitements qu’il a subis n’ont pas fait l’objet d’une enquête rapide et indépendante et qu’aucune responsabilité n’a été attribuée à qui que ce soit, ne serait ‑ce que sous forme de blâme. Les actes illicites commis par les agents étrangers n’ont fait l’objet d’aucune enquête pénale, malgré les plaintes déposées auprès des autorités compétentes. Il n’entrait pas dans le mandat de l’Ombudsman d’ouvrir une enquête ou de faire engager des poursuites pour les actes illicites commis par des étrangers sur le territoire suédois. L’auteur note que la plainte pénale déposée en 2004 couvrait tous les actes criminels susceptibles d’avoir eu lieu à l’aéroport de Bromma, y compris ceux commis par des agents étrangers et, indirectement, par le Gouvernement suédois. Le Procureur a toutefois mis rapidement un terme à l’enquête. L’enquête entreprise auparavant par le Ministère de la justice, en avril 2002, avait elle aussi débouché sur la conclusion qu’aucun délit n’avait été commis à l’aéroport de Bromma. En dépit des conclusions présentées par l’Ombudsman au terme de son enquête, en mars 2005, le ministère public s’en est tenu à sa première appréciation et a refusé de rouvrir l’enquête, arguant qu’il ne pouvait pas annuler la décision de l’Ombudsman de ne pas engager de poursuites contre des agents de la force publique. Or la principale raison pour laquelle l’Ombudsman n’avait pas engagé de poursuites était que, comme le Procureur avait précédemment décidé de ne pas intenter de poursuites, il avait mené une enquête ouverte et non une enquête pénale, et n’avait donc pas informé les policiers qui avaient été entendus que leurs déclarations pouvaient être retenues contre eux par un tribunal. En outre, comme il l’a indiqué lui ‑même, l’Ombudsman considérait que la police de sécurité avait tiré des enseignements de l’expérience et n’a pas souhaité passer d’une enquête purement informative à une procédure pénale.

4.15 L’auteur observe que, dans son enquête, l’Ombudsman n’a pas examiné la question des responsabilités de commandement des hauts responsables. Il n’a pas non plus interrogé les agents étrangers, car il n’y était pas habilité. De l’avis de l’auteur, les critiques de l’Ombudsman quant au caractère illicite de certains faits − plus particulièrement des opérations menées par des agents étrangers sur le territoire suédois sans autorisation officielle et le traitement infligé à l’auteur, qui constitue pour le moins un traitement dégradant au regard du droit international − auraient dû suffire à amener le Procureur général à rouvrir l’enquête pénale.

Exposition au risque de procès manifestement inéquitable (art. 14 du Pacte)

4.16 L’auteur fait valoir que son expulsion constitue une violation de l’article 14 du Pacte car, dans les circonstances de l’espèce, il a été exposé au risque de procès inéquitable. Il rappelle qu’il avait quitté l’Égypte en 1991 en raison des persécutions dont faisaient l’objet les personnes appartenant à des organisations d’opposition islamistes et du traitement dont il avait déjà été victime. Il craignait d’être placé en détention en vertu de la législation d’exception en vigueur et d’être interrogé sous la torture, comme l’avaient été de nombreuses personnes dans la même situation que lui. L’auteur affirme que le Gouvernement suédois lui a refusé la protection due aux réfugiés en raison de son association présumée avec des groupes islamistes en Égypte, alors qu’il ne pouvait pas prouver une telle association.

4.17 L’auteur fait valoir que, au moment de son expulsion, le Gouvernement suédois n’était pas au courant de sa situation en Égypte et pensait, pour des raisons que l’auteur ignore, qu’il avait été condamné à sept ans de prison. Ce n’est qu’en mars 2003 que l’ambassade a signalé au Gouvernement qu’elle pensait avoir reçu des informations sur la véritable situation de l’auteur, à savoir que depuis 1993 il était soupçonné, avec 250 autres personnes, d’appartenir à une organisation interdite qui se livrait à des activités terroristes. L’auteur rappelle que lui ‑même n’a été informé de cette affaire qu’à la fin de 2002 et qu’il n’a jamais été poursuivi ou jugé pour des activités criminelles ou des atteintes à la sécurité.

4.18 L’auteur fait valoir que, malgré ce qui précède, le Gouvernement suédois a toujours maintenu, lors des auditions publiques comme des auditions privées, qu’il était exact que l’auteur entretenait des liens avec des terroristes et qu’il avait une responsabilité dans des crimes graves, ce qui soulève également des questions en lien avec la présomption d’innocence. Devant la Commission constitutionnelle du Parlement, il a été suggéré que l’auteur était l’un des dirigeants d’une organisation terroriste en Égypte et qu’il était impliqué dans des crimes graves. L’auteur affirme avoir été pris dans une vague générale d’hystérie antiterroriste, relevant qu’il n’a jamais vu l’intégralité de l’évaluation faite par la police de son cas. Il estime que sa libération sans inculpation, malgré les interrogatoires et les actes de torture auxquels il a été soumis à son retour en Égypte, confirme qu’il était innocent des faits qui lui étaient reprochés, c’est ‑à ‑dire ses relations avec une organisation terroriste.

4.19 L’auteur note que, dans ses négociations avec l’Égypte, le Gouvernement suédois n’a jamais exigé que l’auteur soit jugé par un tribunal civil, se contentant de demander qu’il ait droit à un procès équitable. Il pense que cela s’explique par des précédents dans lesquels l’Égypte avait rejeté les demandes d’autres États qui souhaitaient obtenir l’assurance d’un procès civil . Les moyens de garantir un procès équitable n’ont pas été examinés, la Suède ayant simplement demandé à assister à tout nouveau procès. L’auteur note que la personne qui a été expulsée en même temps que lui en bénéficiant des mêmes assurances a par la suite été jugée par un tribunal militaire dans des conditions manifestement inéquitables et que la Suède n’a pas été autorisée à surveiller le procès. De même, aucun représentant suédois n’était présent lorsque l’auteur comparaissait devant le Procureur. De l’avis de l’auteur, la Suède savait parfaitement que s’il passait en jugement ce ne pourrait être que devant un tribunal militaire ou une juridiction d’exception, avec un risque inhérent réel de procès inéquitable. Ces procès, courants depuis 1992 dans les affaires liées au terrorisme, sont parfois des procès collectifs et, très souvent, ne répondent pas aux normes internationales relatives à un procès équitable, même lorsque les accusés risquent la peine de mort Les éléments de preuve, notamment les aveux, obtenus sous la contrainte, la menace ou la torture, sont admis et les personnes détenues en vertu de la législation d’exception qui ne sont pas jugées ne sont libérées qu’après avoir fait des aveux ou fourni les renseignements demandés, souvent les noms d’autres personnes qui seront à leur tour arrêtées et interrogées. L’auteur fait valoir que la déclaration faite en 2005 par la Ministre suédoise des affaires étrangères, selon laquelle la personne expulsée en même temps que lui aurait dû être jugée par un tribunal civil, la procédure militaire n’ayant pas été équitable, montre que la Suède avait au départ admis que les procédures des tribunaux militaires égyptiens pouvaient être équitables et que l’auteur serait jugé par un tel tribunal.

4.20 L’auteur reconnaît qu’à ce jour la jurisprudence du Comité n’a pas étendu la protection contre le refoulement aux cas de procès inéquitable mais il invite le Comité à suivre l’approche de la Cour européenne des droits de l’homme à cet égard . Il souligne qu’il y a un lien étroit entre le droit à un procès équitable et le droit de ne pas être soumis à la torture car il est reconnu que la détention prolongée avant le procès, souvent au secret, favorise le risque de torture. C’est particulièrement vrai dans les cas où, comme en l’espèce, les éléments de preuve obtenus sous la torture sont systématiquement utilisés dans la procédure qui suit. L’auteur rappelle que les visites que lui ont faites des représentants suédois alors qu’il était détenu n’ont pas supprimé le risque de torture ni empêché qu’il soit effectivement torturé au cours des deux premiers mois.

4.21 Compte tenu de ce qui précède, l’auteur fait valoir que la Suède, en l’expulsant sur la base d’allégations d’activités terroristes non fondées, dont il n’a pas été informé et qu’il n’a donc pas pu contester, et en ne veillant pas à ce qu’il bénéficie d’un procès équitable devant un tribunal non militaire, a violé les droits consacrés par l’article 14 du Pacte. En conclusion, il note que son cas aurait pu être facilement traité comme une affaire d’extradition, ce qui aurait permis un réexamen de la décision par les tribunaux suédois. Il fait valoir en outre que, compte tenu de la gravité des crimes présumés, il aurait également pu être poursuivi devant les tribunaux de la Suède en vertu de sa compétence nationale et de la compétence universelle pour de tels crimes.

Déficiences de la procédure d’expulsion d’un étranger et insuffisance et inefficacité des recours (art. 2 et 13 du Pacte)

4.22 L’auteur fait valoir que la procédure suivie pour son expulsion constitue une violation des articles 13 et 2 du Pacte. Il note qu’en vertu de la loi sur les étrangers, dans sa rédaction de l’époque, une question relative à l’asile peut être portée à l’attention du Gouvernement si l’on estime qu’il en va de la sécurité publique ou nationale ou si la question est susceptible d’affecter les relations de l’État avec une puissance étrangère ou une organisation intergouvernementale. Ces dispositions donnent au Gouvernement toute latitude de confronter les considérations relatives à la sécurité nationale et le droit de protection de la personne concernée. Aucun tribunal ou autre organe indépendant ne peut statuer sur des questions de sécurité nationale avant que le Gouvernement ait rendu sa décision. Le Gouvernement décide en premier et dernier ressort, sa décision ne pouvant faire l’objet de recours. Les questions traitées en vertu de cette procédure étant classées secrètes, les informations sur lesquelles se fonde la décision (l’appréciation de la police de sécurité) ne sont normalement pas communiquées au demandeur d’asile, ni à son conseil ou au public. Même si certains renseignements peuvent être fournis au demandeur d’asile et à son conseil, aux strictes conditions d’une ordonnance de non ‑divulgation, les motifs sur lesquels se fonde l’évaluation sont souvent décrits uniquement en termes généraux et ne sont pas suffisamment précisés pour que l’intéressé puisse les contester. Dans le cas de l’auteur, la seule partie de l’évaluation de la police de sécurité qui ait été communiquée, en vertu d’une ordonnance de non ‑divulgation, portait sur les informations que l’auteur avait lui ‑même fournies lorsqu’il avait été interrogé. De manière générale, l’intéressé n’a pas non plus le droit de présenter son cas aux ministres ou aux responsables gouvernementaux qui prennent la décision, ce qui réduit encore ses chances de faire valoir des arguments contre l’expulsion. L’auteur a expressément sollicité un entretien privé pour exposer son cas au Gouvernement, mais sa demande a été rejetée.

4.23 Rappelant que le Comité, à l’occasion de l’examen du quatrième rapport périodique de l’État partie, avait critiqué cette impossibilité pour les intéressés de faire entendre leur cause , l’auteur affirme que la procédure ne satisfait pas aux exigences de l’article 13 du Pacte. Tout en reconnaissant que l’article 13 permet aux États parties d’expulser un demandeur d’asile sans lui donner la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire réexaminer son cas si «des raisons impérieuses de sécurité nationale» s’y opposent, l’auteur affirme que cette exception doit être interprétée de manière restreinte de façon à respecter l’objet et l’esprit du Pacte. La disposition doit aussi être lue à la lumière des principes établis en ce qui concerne les droits procéduraux des demandeurs d’asile, tels qu’ils découlent de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et de ses protocoles. Dans son manuel et dans les directives publiées récemment sur les règles relatives à l’expulsion qui sont énoncées dans la Convention, le Haut ‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) définit les garanties procédurales minimales dont devraient bénéficier les demandeurs d’asile, même ceux qui sont soupçonnés des crimes les plus graves. Les directives disposent que, compte tenu du caractère exceptionnel d’une exclusion et de ses graves conséquences pour l’intéressé, il est essentiel que des garanties procédurales strictes soient incluses à ce sujet dans la procédure de détermination du statut de réfugié. Il convient de prendre comme référence les garanties procédurales considérées comme nécessaires dans la détermination du statut de réfugié en général: examen de chaque cas; possibilité donnée au requérant d’examiner et de commenter les preuves sur lesquelles se fonde l’exclusion envisagée; assistance juridique; mise à disposition d’un interprète compétent si nécessaire; communication par écrit des motifs de l’exclusion; droit de recours contre la décision d’exclusion auprès d’un organe indépendant; sursis à l’expulsion jusqu’à épuisement de toutes les voies de recours contre la décision d’exclusion.

4.24 L’auteur fait valoir que ces conditions n’ont pas été remplies dans son cas et que les informations sur lesquelles le Gouvernement a fondé son évaluation des risques pour la sécurité devaient être fausses. Il ajoute que l’appartenance à une organisation criminelle − qu’il réfute − n’est pas en soi une condition suffisante pour imputer les actes de cette organisation à un individu, et pour refuser à celui ‑ci la protection due aux réfugiés. L’auteur note qu’avant d’être arrêté et expulsé, le 18 décembre 2001, il n’avait pas été détenu, ni soumis à des contrôles particuliers de sécurité ou traité comme s’il présentait un risque réel pour la sécurité: il résidait légalement en Suède, avait l’autorisation de travailler et pouvait en principe mener une vie normale d’homme libre dans ce pays. Le Conseil des migrations a porté sa demande d’asile à l’attention du Gouvernement après que la police de sécurité eut jugé qu’il présentait un risque pour la sécurité. Cela étant, la majeure partie des informations relatives à sa dangerosité présumée n’a pas été communiquée à l’auteur ni à son conseil. N’ayant pas eu accès à l’ensemble de l’évaluation de la police de sécurité, l’auteur suppose que la seule raison pour laquelle il a été expulsé est qu’il figurait sur une liste de personnes «recherchées» en Égypte et, sans doute, aux États ‑Unis. Comme la nature des accusations n’a jamais été révélée et qu’on ne sait pas quelles informations la police de sécurité suédoise a jugées crédibles, il était très difficile pour l’auteur de réfuter les accusations et de faire part de sa crainte que les informations fournies ne soient faussées, par exemple parce qu’elles avaient été obtenues sous la torture. Soulignant que même après une longue période de détention en Égypte il n’a jamais été inculpé, l’auteur suggère que le Gouvernement suédois s’est appuyé trop volontiers sur les informations fournies par ses services de sécurité, qui eux ‑mêmes s’étaient fondés sur les renseignements communiqués par les services de renseignements étrangers, sans faire preuve de la diligence nécessaire. Aujourd’hui encore comme au jour de son expulsion, l’auteur ignore pourquoi les autorités ont considéré qu’il présentait un risque pour la sécurité de la Suède.

4.25 L’auteur qualifie d’«unilatérale» la compétence générale du Gouvernement dans les questions de sécurité nationale en rapport avec une demande d’asile, même lorsque l’individu risque d’être soumis à la torture ou à un autre traitement cruel ou inhumain, à la peine de mort ou à d’autres formes de persécution. Lors de la rédaction de la loi actuelle sur les étrangers, comme dans le rapport de la Commission gouvernementale de 1999 proposant une modification des dispositions relatives à la compétence et au règlement concernant les questions d’asile, les commentateurs ont formulé une mise en garde: «Si … une personne peut prétendre de manière plausible qu’il y a eu violation des droits consacrés par le Pacte et si le Gouvernement a pris une décision en premier et dernier ressort, cette personne a été privée du droit à un recours effectif consacré à l’article 13 (de la Convention européenne).» .

4.26 Invitant le Comité à adopter une approche analogue, l’auteur se réfère à la recommandation 98 (13) du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, qui décrit l’article 13 (droit à un recours effectif), dans le contexte de l’article 3 (interdiction de la torture), comme suit:

«1. Tout demandeur d’asile s’étant vu refuser le statut de réfugié et faisant l’objet d’une expulsion vers un pays concernant lequel il fait valoir un grief défendable prétendant qu’il serait soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants doit pouvoir exercer un recours effectif devant une instance nationale.

2. Dans le cadre de l’application du paragraphe 1 de la présente recommandation, tout recours devant une instance nationale est considéré effectif lorsque:

2.1 L’instance est juridictionnelle; ou, si elle est quasi juridictionnelle ou administrative, lorsqu’elle est clairement identifiée et composée de membres impartiaux jouissant de garanties d’indépendance;

2.2 L’instance est compétente tant pour décider de l’existence des conditions prévues par l’article 3 de la Convention que pour accorder un redressement approprié;

2.3 Le recours est accessible au demandeur d’asile débouté; et

2.4 L’exécution de l’ordre d’expulsion est suspendue jusqu’à ce qu’une décision soit rendue en vertu du paragraphe 2.2.».

4.27 L’auteur recommande au Comité l’approche adoptée sur cette question par le Comité contre la torture dans l’affaire analogue Agiza c. Suède , à propos de laquelle le Comité contre la torture a déclaré (par. 13.8):

«Le Comité fait observer qu’en temps normal l’État partie assure avec son Conseil des migrations et sa Commission de recours des étrangers un mécanisme d’examen des décisions d’expulsion satisfaisant aux prescriptions de l’article 3 prévoyant l’examen effectif, indépendant et impartial d’une décision d’expulsion. En l’espèce cependant, du fait de préoccupations tenant à la sécurité nationale, ces tribunaux ont abandonné l’affaire du requérant au Gouvernement, qui a pris la décision initiale et en même temps finale, de l’expulser. Le Comité souligne qu’il n’y a eu aucune possibilité d’examen, d’aucune sorte, de cette décision. Il rappelle que les protections prévues par la Convention sont absolues, même en cas de préoccupation touchant la sécurité nationale, et que de telles considérations font ressortir l’importance de mécanismes d’examen appropriés. Si des préoccupations en matière de sécurité nationale peuvent justifier que des ajustements soient apportés à la procédure particulière d’examen, le mécanisme choisi doit continuer de répondre aux prescriptions de l’article 3 prévoyant un examen effectif, indépendant et impartial. Par conséquent, en l’espèce, au vu des renseignements dont il dispose, le Comité conclut que l’absence de toute possibilité d’examen judiciaire ou administratif indépendant de la décision du Gouvernement d’expulser le requérant constitue un manquement à l’obligation de procédure d’assurer l’examen effectif, indépendant et impartial requis par l’article 3 de la Convention [contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants].».

4.28 L’auteur fait valoir que, outre que le Gouvernement n’a pas satisfait aux conditions énoncées à l’article 13, sa compétence en tant que premier et dernier organe décisionnel, alors même que des questions de torture étaient en jeu, constitue une violation de l’article 2 du Pacte, tel qu’interprété dans les Observations générales n os 20 et 31, qui impose un recours utile. L’exclusion des possibilités de réexamen contrevient à l’obligation d’offrir un recours utile et exécutoire en cas de violation d’un droit consacré par le Pacte.

Violation du droit de présenter une plainte individuelle effective (premier Protocole facultatif, art. 1)

4.29 L’auteur fait valoir que l’exécution de la décision du Gouvernement dans un délai de quelques heures, et sans que lui ‑même ni son conseil n’en soient avertis, l’a empêché d’exercer le droit de plainte, y compris de demander des mesures provisoires de protection, garanti à l’article premier du Protocole facultatif. Par conséquent, il a subi un préjudice irréparable. L’auteur souligne que, le 14 décembre 2001, son conseil suédois (de l’époque) avait informé le Gouvernement de son intention d’engager un recours devant des organes internationaux en cas de décision défavorable. Il affirme que la précipitation avec laquelle il a été expulsé avait pour but de prévenir une telle éventualité. Il ajoute que dans les jours précédant l’expulsion son conseil n’a pas reçu la totalité des rapports de sécurité et n’a pas davantage été informé des négociations avec l’Égypte ni du calendrier d’exécution de la décision du Gouvernement. De fait, les responsables ont expressément refusé d’accéder aux demandes du conseil qui souhaitait se voir communiquer les rapports pertinents. Lorsque la conversation téléphonique entre le conseil et l’auteur a été interrompue, le 18 décembre 2001, le conseil a contacté le Ministère des affaires étrangères et s’est entendu dire qu’aucune décision n’avait été prise. Il n’a appris la décision qu’après l’expulsion, par lettre recommandée.

4.30 La police de sécurité de son côté avait aussi prévu d’exécuter dans les meilleurs délais l’arrêté d’expulsion. Elle a informé le Ministère des affaires étrangères qu’un avion était disponible pour expulser l’auteur vers l’Égypte le 19 décembre 2001, mais le Gouvernement a estimé que cela n’était pas assez rapide. La police de sécurité a alors présenté au Gouvernement une proposition qu’elle avait reçue des États ‑Unis, visant à mettre à la disposition de la Suède un avion de la CIA qui avait l’autorisation d’atterrir au Caire le 18 décembre. L’auteur fait valoir qu’il apparaît donc clairement que la police de sécurité savait que la décision d’expulsion allait être prise ce jour ‑là et qu’elle se tenait prête à agir immédiatement. Compte tenu de ces faits ainsi que de la décision rendue dans l’affaire Agiza c. Suède , selon laquelle des faits équivalents constituaient une violation du droit de plainte en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l’auteur fait valoir qu’il est victime d’une violation similaire de l’article premier du Protocole facultatif.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1 Par une note verbale datée du 10 octobre 2005, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication pour trois motifs. Premièrement, il doutait que la communication ait véritablement été soumise au nom de M. Alzery, pensant que celui ‑ci pourrait n’avoir appris que récemment qu’une communication avait été déposée en son nom. On ne savait pas très bien si l’avocate qui représentait actuellement l’auteur avait été autorisée par son client à porter l’affaire devant le Comité (voir plus loin par. 7).

5.2 Deuxièmement, l’État partie faisait valoir que la communication était irrecevable du fait de la réserve qu’il avait émise dans le cas des communications quand la même question était en cours d’examen ou avait été examinée en vertu d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement. L’État partie notait que l’auteur avait présenté à la Cour européenne des droits de l’homme des plaintes pour torture, mauvais traitements et risque de mort, ainsi que pour absence d’accès aux tribunaux et à un recours effectif, qui avaient été déclarées irrecevables pour dépassement du délai. L’État partie faisait valoir que les deux plaintes portaient sur la même question, découlaient des mêmes faits et reposaient sur les mêmes arguments de droit. La réserve visait en outre à éviter de «faire appel» d’une décision de la Cour européenne auprès du Comité. De l’avis de l’État partie, on pouvait se demander si une décision du Comité des droits de l’homme de ne pas déclarer irrecevable la communication pour ce motif ne risquait pas de jeter le discrédit sur la Cour et sur la décision qu’elle avait prise. Contrairement à ce qui s’était passé dans l’affaire O. F. c. Norvège , dans laquelle le Comité avait établi qu’une réserve d’ordre procédural ne l’empêchait pas d’examiner une communication dans le cas où le secrétariat de la Commission européenne avait avisé que des problèmes de recevabilité étaient probables, ici la Cour avait expliqué longuement les motifs pour lesquels elle avait déclaré l’affaire irrecevable.

5.3 Troisièmement, l’État partie soulevait la question du temps écoulé avant le dépôt de la communication qui d’après lui représentait un abus du droit de plainte. Il notait que si le retard ne constituait pas en soi un abus, le Comité en attendait une justification raisonnable . L’État partie appelait l’attention sur le fait que l’auteur semblait avoir attendu que le Comité contre la torture ait rendu sa décision dans l’affaire parallèle ( Agiza c. Suède ), le 20 mai 2005, avant de soumettre sa communication. À son avis, le temps écoulé entre le 18 décembre 2001, date de l’expulsion, et le 29 juillet 2005, date de la communication, était excessif et n’avait pas de justification acceptable. Cela était d’autant plus vrai pour la période séparant la remise en liberté de l’auteur − en octobre 2003 − et la date de la communication − en juillet 2005 − et encore plus pour la période écoulée entre octobre 2004, date de la décision de la Cour européenne, et juillet 2005. L’État partie ne voyait pas de raison qui pouvait empêcher l’auteur de s’adresser au Comité le plus tôt possible après la décision de la Cour européenne − les faits de la cause avaient déjà été présentés et les arguments de droit avaient été développés devant la Cour et pouvaient donc être utilisés devant le Comité.

5.4 L’État partie rappelait également l’argumentation détaillée de la Cour européenne, qui avait analysé le temps écoulé avant le dépôt de la requête, estimant que cette argumentation était importante dans le contexte de la communication soumise au Comité. Dans ce contexte et compte tenu de la jurisprudence du Comité, qui avait accepté qu’une communication pouvait être rejetée faute d’avoir été soumise dans un délai raisonnable, l’État partie faisait valoir que déclarer la communication recevable risquait de jeter le discrédit sur la Cour européenne et ses décisions. Dans l’intérêt de la sécurité juridique, l’État partie avançait donc que la présente affaire faisait apparaître un abus du droit de plainte.

5.5 En outre, en ce qui concernait ce qui s’est passé à l’aéroport de Bromma et le fait que les mesures nécessaires n’auraient pas été prises (art. 7) et en ce qui concernait les dispositions de la législation suédoise relatives à la torture (art. 7), l’État partie objectait que les griefs de l’auteur n’étaient pas suffisamment étayés. Pour ce qui était du grief de violation de l’article 14, l’État partie ne comprenait pas pourquoi le droit à un procès équitable serait invoqué étant donné qu’il n’y avait pas eu de procès, ni en Égypte ni en Suède. Le grief était donc hypothétique et l’auteur n’avait pas de motif suffisant pour se déclarer victime. De plus, comme il n’y avait pas eu de chef d’inculpation qui pouvait entraîner l’application de l’article 14, la communication était irrecevable ratione materiae .

Commentaires du conseil concernant les observations de l’État partie sur la recevabilité

6.1 Le conseil de l’auteur a répondu par une lettre datée du 10 janvier 2006 et a contesté les observations de l’État partie. Pour ce qui est de la question de sa qualité pour agir, elle faisait valoir qu’elle avait plein pouvoir pour soumettre la communication au nom de M. Alzery. La procuration de janvier 2004 faite au précédent conseil suédois donnait à ce dernier le droit d’agir dans toute procédure au nom de M. Alzery et de désigner toute autre personne pour le représenter. Si l’on voulait contester la validité de la procuration actuelle, on devait aussi invalider la procuration précédente faite en janvier 2004. Le conseil faisait valoir toutefois qu’un principe général de droit voulait qu’une procuration soit valable tant qu’elle n’avait pas été retirée, chose qui devait être prouvée par des éléments suffisants et objectifs, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Elle ajoutait que le fardeau de la preuve incombait à l’État partie qui devait démontrer que les circonstances avaient changé. Quoi qu’il en soit, elle joignait une attestation écrite du premier conseil de M. Alzery qui confirmait qu’elle avait toujours qualité pour agir.

6.2 Le conseil contestait ensuite l’opportunité de la démarche de l’État partie qui avait pris contact avec un plaignant dans une affaire en cours pour poser des questions sensibles au sujet des griefs formulés, au lieu de s’adresser au représentant légal du plaignant. D’après le conseil, cette démarche avait placé M. Alzery dans une situation «de grand péril» et l’État partie avait ainsi cherché à faire pression sur M. Alzery et à déterminer s’il était toujours en contact avec son avocat et, dans l’affirmative, de quelle façon. Les circonstances dans lesquelles M. Alzery avait été remis en liberté étaient telles qu’il n’était pas possible d’apporter une preuve définitive des intentions de M. Alzery sans risque de lui porter préjudice, en particulier eu égard aux faits révélés quand le conseil suédois lui avait rendu visite (voir plus haut par. 3.19). Étant donné les circonstances, la volonté et la capacité du conseil de rencontrer son client étaient également très limitées. Le conseil contestait en outre que l’ambassade de Suède ait été régulièrement en contact avec M. Alzery.

6.3 Le conseil indiquait qu’une fois que le Ministère des affaires étrangères avait informé l’ancien conseil de M. Alzery des contacts qu’il avait eus avec ce dernier au sujet de la communication (voir par. 4.1), un haut fonctionnaire du Ministère avait déclaré qu’il estimait probable que le téléphone de M. Alzery était sur écoute mais que l’ambassade avait affirmé qu’il pouvait très bien parler de ces questions au téléphone sans mettre M. Alzery en danger. En octobre 2005, l’ancien conseil avait eu avec M. Alzery une communication dont le conseil actuel pensait qu’elle n’avait pas été interceptée, au cours de laquelle il l’avait interrogé sur l’appel téléphonique de l’ambassade, lui demandant notamment s’il était vrai qu’il avait déclaré ne pas avoir connaissance du projet de saisir le Comité des droits de l’homme et être opposé à cette démarche. M. Alzery avait d’abord donné l’assurance qu’il voulait bien que sa plainte soit examinée par le Comité des droits de l’homme puis avait indiqué que la personne qui l’avait appelé était l’interprète employé par l’ambassade. Les deux hommes avaient donc parlé en arabe mais, d’après M. Alzery, l’interprète ne traduisait pas leur conversation en suédois, langue que M. Alzery connaît bien. Il n’entendait personne, derrière, parler ou poser des questions. D’après M. Alzery, l’interprète s’était mis à parler de la décision du Comité contre la torture dans l’affaire Agiza , et lui aurait dit que cette décision était «une bonne chose» pour lui aussi. L’interprète avait ensuite continué sur le même sujet en demandant à M. Alzery s’il avait l’intention de se prévaloir de la décision du Comité contre la torture, ce à quoi M. Alzery avait répondu que son avocat en Suède s’occupait de toutes les questions d’ordre juridique.

6.4 Pour ce qui était de l’argument selon lequel le Comité était empêché d’examiner la communication à cause de la réserve émise par l’État partie, le conseil renvoyait à la jurisprudence du Comité qui avait établi que le rejet d’une affaire pour des motifs d’ordre purement procédural, comme la règle des six mois appliquée en l’espèce par la Cour européenne, n’équivalait pas à un «examen» de l’affaire au sens de la réserve. Quoi qu’il en soit, la communication soumise au Comité contenait des griefs de violation des articles 13 et 7 du Pacte (relativement au traitement subi à l’aéroport de Bromma et à l’absence d’enquête rapide et indépendante sur les violations de la part de l’État partie) qui n’avaient pas été soulevés devant la Cour européenne. Les griefs de violation des articles 2, 14 et 7 du Pacte (relativement au principe du non ‑refoulement) étaient en outre beaucoup plus développés qu’il n’était possible de le faire devant la Cour européenne. Le conseil niait que M. Alzery ait jamais cherché à utiliser ou ait l’intention d’utiliser les mécanismes internationaux de plainte de façon incompatible avec l’objet et le but des traités, ou qu’une décision du Comité jetterait d’une quelconque manière le discrédit sur la Cour européenne.

6.5 En ce qui concernait l’argument du retard injustifié mis à soumettre la communication, le conseil répondait que dans les circonstances il n’était pas possible de la soumettre avant. Il soulignait que M. Alzery avait été expulsé sans préavis et n’avait donc pas eu la possibilité de s’adresser à un organe national ou international pour contester le bien ‑fondé de la mesure ou pour obtenir un sursis à son exécution. Par l’intermédiaire de son avocat de l’époque, M. Alzery avait clairement signifié au Gouvernement suédois que si l’expulsion était ordonnée il s’adresserait à un organe international comme la Cour européenne. La possibilité que le Gouvernement décide d’exécuter immédiatement l’arrêté d’expulsion, sans en informer le conseil, était à cette époque si peu conforme à la pratique qu’elle était totalement imprévisible. Il était tout aussi atypique de décider de demander des assurances diplomatiques et de les accepter. Le conseil affirmait que si M. Alzery ou son avocat avait appris que des assurances diplomatiques avaient été demandées avant qu’il ne soit expulsé, il aurait immédiatement saisi une instance internationale pour demander des mesures provisoires de protection.

6.6 Le conseil faisait valoir que, depuis la décision du 18 décembre 2001, tout ce qui concernait cette affaire avait un caractère exceptionnel et était entouré de secret, les différentes enquêtes internationales et nationales menées depuis lors n’ayant pu permettre de saisir entièrement toutes les dimensions de l’affaire. De plus, M. Alzery n’avait jamais été accepté comme plaignant ou comme partie à une enquête. Certaines de ces enquêtes n’avaient pas été régulières à cause d’une désinformation ou de l’absence de volonté de la part du Gouvernement suédois de donner des informations, ce qui avait créé pour M. Alzery une situation juridique incertaine. Le conseil soulignait que la libération de M. Alzery n’avait eu lieu qu’en octobre 2003, et encore avait ‑t ‑elle été assortie de restrictions rigoureuses qui rendaient toute communication avec le conseil risquée, difficile et rare. De plus, le conseil avait cherché des moyens autres qu’une plainte nationale ou internationale, qui seraient moins compromettants ou dangereux pour M. Alzery, par exemple une enquête par le Haut ‑Commissariat aux droits de l’homme et la négociation de son retour en Suède. Il avait donc fallu réfléchir avant de décider de saisir le Comité, afin de préserver les intérêts de M. Alzery, à la lumière des investigations achevées après la décision de la Cour européenne prise en octobre 2004.

Observations supplémentaires des parties sur la recevabilité de la communication

7. Par une note verbale datée du 10 février 2006, l’État partie a fait savoir que, compte tenu des commentaires de l’avocate en réponse à ses observations sur la recevabilité de la communication, il n’avait plus de raison de douter que le conseil avait effectivement été autorisée par son client à présenter la communication. Il retirait donc l’objection qu’il avait émise.

Décision concernant la recevabilité

8.1 À sa quatre ‑vingt ‑sixième session, le 8 mars 2006, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Premièrement, en ce qui concernait l’argument de l’État partie qui affirme que la compétence du Comité pour examiner l’affaire était exclue du fait de sa réserve, le Comité rappelait sa jurisprudence constante selon laquelle, quand une plainte adressée à un autre organe international, comme la Cour européenne des droits de l’homme, était rejetée pour des motifs de procédure sans avoir été examinée au fond, il ne considérait pas qu’elle avait été «examinée», ce qui exclurait sa compétence . En l’espèce, la Cour européenne avait rejeté la requête pour un motif de procédure qui était le non ‑respect de la règle des six mois pour déposer une requête; le Comité n’était donc pas empêché d’examiner la communication. Le Comité faisait remarquer en outre que, contrairement à ce que disait l’État partie, il n’y avait aucun risque de discrédit à l’égard de la Cour européenne, étant donné qu’au nombre des critères de recevabilité du Comité celui qui avait motivé la décision de la Cour européenne ne figurait pas. Il s’ensuivait que la communication n’était pas irrecevable pour ce motif.

8.2 Deuxièmement, en ce qui concernait l’argument de l’État partie qui estimait que la communication devait être déclarée irrecevable pour abus du droit de plainte au motif qu’il s’était écoulé trop de temps avant qu’elle ne soit soumise, le Comité relevait que le conseil de l’auteur (de l’époque) avait commencé à échanger une correspondance avec la Cour européenne des droits de l’homme, organe qui était judicieusement choisi et qui lui était ouvert, moins de six mois après l’expulsion. Étant donné la complexité de l’affaire et le manque d’informations détaillées sur le traitement subi par l’auteur, sa situation générale et sa volonté de voir la requête déposée, le temps écoulé ne pouvait pas être qualifié d’excessif. Entre la décision d’irrecevabilité rendue par la Cour européenne des droits de l’homme, en octobre 2004, et la présentation de la communication au Comité, en juillet 2005, il s’était écoulé huit mois de plus. Dans les circonstances et compte tenu de la pratique qu’il avait toujours suivie en ce qui concernait la question du temps, le Comité ne pouvait pas considérer que le temps écoulé était excessif ou répondait à des circonstances extraordinaires (comme les élections tenues entre ‑temps dans l’affaire Gobin c. Maurice ) de sorte qu’il constitue un abus de procédure. La communication n’était donc pas irrecevable pour ce motif.

8.3 Troisièmement, l’État partie soulevait la question de savoir si la communication était bien soumise au nom de M. Alzery. Le Comité notait que l’État partie avait retiré son objection à cet aspect de la recevabilité de la communication. Il faisait remarquer de plus, concernant les termes de la procuration, que sa pratique n’était pas d’interpréter les procurations de façon stricte ou formaliste. Il s’efforçait plutôt de donner effet à l’autorité de facto que le plaignant voulait conférer au conseil. Si l’on retenait cette approche, il n’était pas douteux que l’autorité conférée par M. Alzery pour agir en son nom était suffisamment étendue, à l’époque où elle avait été donnée, pour viser également une communication au Comité. Parallèlement, une procuration pouvait être révoquée explicitement ou implicitement par des faits ultérieurs qui allaient à l’encontre de la délégation initiale d’autorité.

8.4 Pour déterminer si, dans la présente affaire, il y avait eu révocation de l’autorisation, le Comité notait que l’argument de l’État partie reposait sur ce que M. Alzery aurait confié à un membre du personnel de l’ambassade de Suède parlant arabe, qui lui avait téléphoné pour la première fois après un laps de temps considérable. Étant donné les conditions rigoureuses qui avaient assorti sa remise en liberté et en particulier les faits qui avaient suivi la surveillance apparente des communications téléphoniques précédentes de M. Alzery avec une organisation nationale de défense des droits de l’homme (voir plus haut par. 3.19), les propos de M. Alzery au sujet de son intention réelle devaient être pris avec beaucoup de circonspection. Compte tenu de la gravité des violations alléguées autant que de l’importance pour un examen par un organe international du fond de l’affaire, si les enquêtes nationales entreprises se révélaient avoir été, sur le fond, insuffisantes ou inutiles, le Comité considérait que l’État partie n’avait pas démontré, comme il lui incombait de le faire, que la procuration initiale avait cessé d’être valable. Il s’ensuivait que même si l’État partie n’avait pas retiré cette objection à la recevabilité, le Comité n’aurait pas déclaré la communication irrecevable au motif que le conseil n’avait pas été dûment autorisé par M. Alzery à la soumettre.

8.5 Le Comité était en outre d’avis que l’auteur avait étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il avait formulés concernant: la violation de l’interdiction de refoulement, le traitement qu’il avait enduré à l’aéroport de Bromma et le fait que ses allégations de torture ou autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant n’avaient pas fait l’objet d’enquêtes suffisantes (art. 7 du Pacte); l’exposition au risque d’avoir un procès manifestement inéquitable (art. 14 du Pacte); le caractère abusif de la procédure suivie pour l’expulsion d’un étranger, et l’insuffisance et l’inutilité du recours (art. 2 et 13 du Pacte); et la violation du droit de présenter une plainte individuelle effective (art. 1 du premier Protocole facultatif). Le 8 mars 2006, il a donc déclaré la communication recevable.

Observations de l’État partie sur le fond

9.1 Dans des lettres du 10 octobre 2005 et du 5 mai 2006, l’État partie a présenté des observations sur le fond de la communication. En ce qui concerne le grief de violation de l’article 7 au motif du refoulement de l’auteur vers l’Égypte et de son exposition à un risque réel d’être soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements, l’État partie mentionne la décision du Comité contre la torture dans l’affaire parallèle Agiza c. Suède , selon laquelle ce Comité a conclu à une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture. L’État partie accepte cette conclusion et ne voit aucune raison de contester le grief correspondant formulé au titre du Pacte, sans toutefois concéder que l’auteur a été en fait torturé ou maltraité. S’il y a eu mauvais traitements, la responsabilité en incombait au premier chef aux autorités égyptiennes et cela constituait une violation de leurs engagements bilatéraux. L’État partie, qui se dit désireux d’élucider ce qui s’est réellement produit, invoque les efforts qu’il a déployés en vain aux plus hauts niveaux pour obtenir qu’une enquête impartiale et indépendante soit menée, avec des experts internationaux, sur l’enchaînement des événements qui se sont produits en Égypte à la suite de l’expulsion (voir plus haut par. 3.24). L’État partie observe qu’il n’est pas satisfait des réponses fournies par le Gouvernement égyptien mais que, pour pouvoir examiner minutieusement les autres mesures qu’il pourrait prendre, il est pour lui de la plus haute importance d’avoir confirmation du fait que de telles mesures sont conformes aux propres vœux de l’auteur. À ce jour, les informations reçues par l’État partie sur ce que souhaite l’auteur sont contradictoires. Il va de soi que les nouvelles mesures ne doivent pas risquer d’affecter ou de menacer en aucune manière la sécurité ou le bien ‑être de l’auteur, et il est nécessaire, dans les circonstances, que le Gouvernement égyptien coopère et souscrive à toute enquête supplémentaire. En outre, l’État partie mentionne les conclusions de sa Commission constitutionnelle du Parlement et sur les travaux de cette dernière visant à élaborer, dans le cadre du Conseil de l’Europe, un instrument sur l’utilisation appropriée des assurances diplomatiques. L’organe compétent du Conseil de l’Europe ayant décidé de ne pas poursuivre les travaux dans ce domaine, l’État partie n’a aucune intention d’étudier plus avant, sur le plan international, la question d’un instrument officiel concernant les assurances diplomatiques. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie s’en remet au Comité pour déterminer s’il y a eu violation de l’article 7 à cet égard.

9.2 En ce qui concerne les griefs formulés au titre de l’article 7 touchant les allégations de mauvais traitements subis à l’aéroport de Bromma, l’État partie renvoie aux conclusions de l’Ombudsman parlementaire (voir plus haut par. 3.23 et suiv.) qui a formulé de très graves critiques à l’égard de la police de sécurité et souligné de sérieuses déficiences dans la manière dont l’opération a été menée. Il note toutefois que l’Ombudsman parlementaire a qualifié les faits de traitement dégradant mais pas d’actes de torture, ses critiques restant néanmoins valables. L’État partie rejette également l’allégation selon laquelle les faits rapportés constituaient des actes de torture au sens de la définition de l’article premier de la Convention contre la torture . L’État partie note qu’après la publication des conclusions de l’Ombudsman parlementaire, un «comité d’exécution des mesures» indépendant a conclu qu’il fallait des directives claires pour l’exécution des arrêtés d’expulsion d’étrangers. Ses conclusions ont été suivies, en octobre 2004, d’une circulaire de la Direction de la police nationale qui, en février 2005, a été incorporée au règlement de la Direction de la police avec effet immédiat. Selon ce règlement, un policier chargé d’exécuter l’arrêté d’expulsion doit intervenir immédiatement si un étranger est traité par des autorités étrangères d’une manière contraire aux conceptions suédoises de la justice. La police suédoise est explicitement tenue pour responsable de l’exécution de l’arrêté d’expulsion lorsqu’elle est assistée d’une autorité étrangère, et les contrôles de sécurité se déroulant en territoire suédois doivent être effectués par la police suédoise. En outre, l’État partie décrit en détail la formation et la réorganisation de la police de sécurité, tendant à renforcer les effectifs de spécialistes des expulsions et à préciser les responsabilités et liens hiérarchiques. L’État partie n’est pas en mesure de présenter des informations ou des observations sur les raisons pour lesquelles les représentants étrangers ont agi comme ils l’ont fait, mais il convient que certaines mesures prises à l’aéroport de Bromma étaient excessives au regard des risques réels encourus. Sur cette base, l’État partie laisse au Comité le soin de trancher cette question soulevée au titre de l’article 7.

9.3 En ce qui concerne le grief de violation du même article 7, que constituerait le fait de ne pas avoir enquêté convenablement et de manière indépendante sur le traitement infligé à l’auteur à l’aéroport de Bromma, de n’avoir attribué aucune responsabilité à qui que ce soit et de n’avoir pas enquêté sur les actes commis par des agents étrangers, l’État partie observe que ces événements ont été examinés par les mécanismes ordinaires mis en action dans les poursuites pénales, et mentionne les trois séries de décisions motivées rendues par le procureur de district de Stockholm, le Procureur directeur des poursuites et le Procureur général. Des mesures spéciales d’enquête par des organes compétents en matière de poursuites pénales ont également été prises par l’Ombudsman parlementaire, qui a décidé de ne pas ouvrir d’enquête pénale préliminaire, et par la Commission permanente du Parlement pour les poursuites, qui a décidé de ne pas prendre d’autres mesures sur les plaintes pénales visant les ministres concernés. Conformément au droit suédois, ces procédures ont été engagées rapidement et de manière indépendante après le dépôt des plaintes, et il n’y a en conséquence pas de violations de l’article 7 à cet égard.

9.4 En ce qui concerne le grief selon lequel la torture et d’autres mauvais traitements sont insuffisamment proscrits par le droit suédois, l’État partie rappelle que le Pacte n’exige pas l’incorporation dans le droit interne de définitions spécifiques à ce sujet. Après une analyse minutieuse du droit pénal suédois, l’État partie a conclu que la Convention contre la torture n’appelait pas de modifications de la législation pénale suédoise. Tous les actes (ainsi que les tentatives et les actes de complicité) de torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont des infractions en droit suédois, punies par des peines d’une gravité appropriée, conformément à l’article 7 du Pacte. En ce qui concerne l’allégation d’absence de procès équitable, l’État partie note qu’après son retour l’auteur n’a fait l’objet d’aucune inculpation et n’a pas non plus été traduit en justice. Il n’y a donc pas eu violation de ses droits au titre de l’article 14.

9.5 En ce qui concerne l’absence de recours utile contre la décision prise par le Gouvernement touchant la demande d’asile présentée par l’auteur, l’État partie accepte la conclusion du Comité contre la torture dans l’affaire Agiza , à savoir que cela constituait une violation de l’obligation procédurale énoncée à l’article 3 de la Convention contre la torture et ne conteste donc pas le grief correspondant formulé au titre du Pacte. L’État partie note, toutefois, qu’à compter du 31 mars 2006 un nouveau système d’examen judiciaire des demandes d’asile a été mis en place sous la forme de tribunaux de l’immigration et d’une Cour suprême de l’immigration. En vertu de ce système, la Cour suprême de l’immigration peut déterminer, lors d’une procédure orale, l’existence d’un obstacle à l’exécution de la mesure d’expulsion, tel que l’existence d’un risque de torture, qui aurait un caractère contraignant pour le Gouvernement. La nouvelle législation prévoit également la délivrance automatique d’un permis de séjour, sauf circonstances exceptionnelles, à un étranger lorsqu’un organisme international statuant sur une requête individuelle conclut que cette personne ne peut être expulsée. En ce qui concerne le grief selon lequel l’expulsion de l’auteur était incompatible avec l’article 13 car il n’a pas été autorisé à présenter son dossier aux ministres et/ou aux fonctionnaires ayant pris la décision, l’État partie note que l’arrêté d’expulsion a été pris conformément à la loi, et que l’article 13 comporte une exception pour les considérations liées à la sécurité nationale, lesquelles existaient dans le cas à l’examen. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 13 du Pacte.

9.6 En ce qui concerne l’absence alléguée de possibilité de saisir le Comité de cette affaire, en violation de l’article premier du Protocole facultatif, l’État partie accepte la conclusion du Comité contre la torture dans l’affaire Agiza , selon laquelle l’exécution immédiate de l’arrêté d’expulsion a empêché l’exercice du droit effectif de présenter une communication et ne voit par conséquent aucune raison de contester le grief correspondant porté devant le Comité des droits de l’homme. Il note les conclusions formulées par la Commission permanente dans son rapport du 21 septembre 2005 à ce sujet, selon lesquelles la crainte qu’une personne demande à un organisme international l’application de mesures provisoires ne pouvait entrer en ligne de compte et selon lesquelles le fait que les décisions d’expulsion soient notifiées aux intéressés par l’autorité exécutive, le conseil étant avisé par lettre, était acceptable sous réserve que le conseil soit avisé par un moyen plus rapide.

Commentaires du conseil concernant les observations de l’État partie sur le fond

10.1 En date du 16 juin 2006, le conseil a répondu aux observations de l’État partie sur le fond. En ce qui concerne l’insuffisance des enquêtes menées pour faire la lumière sur le traitement subi par l’auteur à l’aéroport de Bromma, le conseil note que le Gouvernement suédois savait très tôt ce qui s’était passé à l’aéroport et du reste le Ministre de la justice avait fait un rapport sur la question. Toutefois, l’État partie a gardé le dossier confidentiel et ne l’a pas porté à la connaissance du public ni du Parlement avant plusieurs années. Ce n’est qu’après la diffusion, en 2004, d’une émission de télévision donnant des détails sur cette affaire qu’une plainte pénale avait été déposée et qu’une véritable enquête pénale avait commencé. Il est donc erroné de parler d’enquêtes menées sans délai. De plus, le conseil fait valoir que même si l’on accepte les motifs avancés par l’État partie pour justifier la décision de l’Ombudsman de ne pas engager d’enquête pénale (voir plus haut par. 3.27), cela dénote un manque systémique de contrôle dont la police de sécurité suédoise est responsable du point de vue organisationnel. La décision de l’Ombudsman de mener une enquête aux fins d’information, consistant à recueillir les témoignages de policiers, signifiait aussi que non seulement l’Ombudsman mais aussi les autorités de poursuite n’étaient pas en mesure de poursuivre les agents responsables, en vertu du principe selon lequel nul ne doit déclarer contre soi ‑même.

10.2 En ce qui concerne la circonspection à laquelle l’État partie engage en ce qui concerne les nouvelles mesures qui pourraient être prises à l’égard des autorités égyptiennes (voir plus haut par. 9.1), le conseil affirme que l’auteur a déjà fait savoir au Gouvernement suédois qu’il était disposé à participer à une enquête complète et exhaustive si celle ‑ci était menée en toute indépendance et était de nature à garantir sa sécurité. Il maintient cette position, même s’il a toujours refusé, pour ne pas mettre en danger sa sécurité personnelle, une enquête qui serait menée par la police égyptienne, surtout si l’objet de l’enquête est de punir des membres de la police. Il craint que des négociations bilatérales entre la Suède et l’Égypte, qui seraient de toute façon engagées tard, ne soient pas dans son intérêt et qu’une enquête bilatérale ne l’expose à un grand danger, puisque l’État a de par la loi la faculté de le placer en détention arbitrairement, en invoquant des motifs de sécurité.

10.3 Pour ce qui est de l’argument concernant l’article 14, le conseil fait valoir que le fait que l’auteur n’ait pas été jugé ne répond pas à ses griefs. Il a subi des interrogatoires et des mauvais traitements en détention, ne rencontrant qu’un procureur qui ordonnait à chaque fois son maintien en détention. Le représentant de l’ambassade n’assistait pas à ces auditions et ne surveillait pas, et l’ambassade n’a pas non plus pris contact avec un groupe national de défense des droits de l’homme qui avait entrepris de suivre toute la procédure, alors qu’elle en avait été informée. L’auteur a bénéficié de l’assistance d’un avocat pour la première audition mais n’a pas été autorisé à le rencontrer au préalable. L’avocat qui avait été engagé à titre privé n’a pas pu lui rendre visite en prison. Selon la loi égyptienne, un conseil commis d’office ne peut intervenir qu’après une inculpation. On n’a jamais présenté à l’auteur des éléments de preuve pour qu’il en prenne connaissance et on ne l’a pas informé en détail des accusations portées contre lui. Le conseil affirme que l’État partie savait très bien qu’il y avait un risque sérieux que les droits de l’auteur en tant qu’accusé ne soient pas respectés et qu’aucun mécanisme de surveillance n’était en place pour exercer ne serait ‑ce qu’un contrôle minimal sur la procédure après le renvoi de l’auteur.

10.4 Pour ce qui est de l’argument au regard de l’article 13 et des considérations de sécurité nationale invoquées par l’État partie, le conseil objecte que l’exception prévue dans l’article ne s’appliquait pas en l’espèce. Mentionnant les visas octroyés récemment par le Gouvernement suédois à des membres du Hamas, le fait qu’à l’époque le Gouvernement croyait (plus haut par. 4.17) que M. Alzery était sous le coup d’une condamnation à une peine, relativement légère, de sept ans d’emprisonnement en vertu de la loi égyptienne, pour l’infraction dont il était soupçonné et qu’il n’y avait jamais eu de preuves suffisantes pour l’inculper et encore moins le condamner, le conseil affirme qu’il n’était pas possible de trouver des motifs justifiant l’exception de sécurité prévue à l’article 13. Quoi qu’il en soit, les autorités n’ont pas fait preuve de diligence pour chercher à enquêter et se sont fondées sur des renseignements de services secrets étrangers pour décider l’expulsion, ce qui ne satisfait pas aux prescriptions minimales d’une procédure équitable garanties par l’article 13.

10.5 Enfin, le conseil affirme que ce sont des tortures, et non pas une forme moins grave de mauvais traitements, que l’auteur a subies à chaque étape de son renvoi forcé (le traitement à l’aéroport de Bromma, sur lequel la police suédoise a fermé les yeux, le traitement pendant le vol et le traitement en Égypte à l’arrivée). En tout état de cause le conseil relève qu’il appartient au Comité, et non pas aux autorités nationales, d’apprécier de façon indépendante le degré de gravité des traitements et que le Comité s’est toujours gardé de faire une distinction stricte entre différentes catégories de mauvais traitements.

Examen au fond

11.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

11.2 Le Comité relève tout d’abord que pour un certain nombre de griefs l’État partie reconnaît qu’il y a eu des violations du Pacte ou du Protocole facultatif, en suivant les constatations faites par le Comité contre la torture dans l’affaire parallèle Agiza c. Suède à l’égard de dispositions de la Convention contre la torture analogues sur le fond. Cette reconnaissance est certes pertinente pour la décision du Comité mais celui ‑ci est néanmoins tenu de procéder à une appréciation indépendante pour déterminer si dans les circonstances de l’affaire des violations des dispositions du Pacte ou du Protocole facultatif ont été commises.

11.3 Le Comité doit déterminer tout d’abord si l’expulsion de la Suède vers l’Égypte a exposé l’auteur à un risque réel de torture ou de mauvais traitement dans l’État de renvoi, en violation de l’interdiction du refoulement faite à l’article 7 du Pacte. Pour déterminer le risque encouru en l’espèce, le Comité doit examiner tous les éléments pertinents, notamment la situation générale des droits de l’homme dans un État. L’existence d’assurances diplomatiques, leur contenu et la mise en place et le fonctionnement de mécanismes permettant de faire respecter ces assurances sont autant d’éléments de fait utiles pour déterminer s’il existait bien pour l’auteur un risque réel de subir des mauvais traitements prohibés.

11.4 Le Comité note que dans la présente affaire l’État partie a lui ‑même admis qu’il y avait un risque de mauvais traitements qui − si rien d’autre n’était fait − aurait constitué un empêchement à l’expulsion de l’auteur, comme l’imposent les obligations internationales souscrites par l’État partie (voir plus haut par. 3.6). C’est en fait sur la seule foi des assurances diplomatiques que l’État partie s’est convaincu que le risque de mauvais traitements prohibés était suffisamment réduit pour qu’il ne commette pas un manquement à la règle interdisant le refoulement.

11.5 Le Comité relève que les assurances données ne prévoyaient aucune modalité permettant de vérifier qu’elles étaient bien respectées. Aucune disposition n’avait été prise, en dehors de la lettre des assurances, pour garantir une application effective de l’accord. Les visites de l’Ambassadeur et du personnel de l’ambassade n’ont commencé que cinq semaines après le retour de l’auteur, c’est ‑à ‑dire que rigoureusement aucune surveillance n’a été assurée pendant la période où le risque de préjudice était maximal. De plus la façon dont les visites se déroulaient n’était pas conforme, à bien des égards, à la bonne pratique internationale puisque les visiteurs n’ont jamais insisté pour rencontrer en privé le détenu et qu’aucun examen médical ou médico ‑légal approprié n’a été effectué, même après que des allégations sérieuses de mauvais traitements eurent été faites. À la lumière de ces éléments, l’État partie n’a pas montré que les assurances diplomatiques qui lui ont été données étaient en effet suffisantes dans le cas d’espèce pour supprimer le risque de mauvais traitements au point que les prescriptions de l’article 7 du Pacte puissent être satisfaites. L’expulsion de l’auteur a donc constitué une violation de l’article 7 du Pacte.

11.6 En ce qui concerne la question du traitement subi par l’auteur à l’aéroport de Bromma, le Comité doit tout d’abord déterminer si le traitement infligé par des agents étrangers peut à bon droit être imputé à l’État partie, en vertu des dispositions du Pacte et des règles de la responsabilité de l’État applicables. Le Comité relève que, à tout le moins, les États parties sont responsables des actes d’agents étrangers qui exécutent des actes de puissance politique sur leur territoire si de tels actes sont accomplis avec leur consentement ou leur aval (voir également l’article premier de la Convention contre la torture). Il s’ensuit que les actes dénoncés, qui se sont produits pendant l’exercice de fonctions officielles en présence d’agents de l’État partie et dans la juridiction de l’État partie, sont correctement imputables à l’État partie lui ‑même, comme ils le sont à l’État pour lequel les agents travaillaient. Dans la mesure où l’État partie accepte la conclusion de son Ombudsman parlementaire selon laquelle le traitement subi était disproportionné par rapport au but légitime d’assurer le maintien de l’ordre, il est évident que le recours à la force était excessif et constituait une violation de l’article 7 du Pacte. Il s’ensuit que l’État partie a commis une violation de l’article 7 du Pacte du fait du traitement subi par l’auteur à l’aéroport de Bromma.

11.7 Pour ce qui est du grief de violation de l’article 7 relativement à l’efficacité des enquêtes menées par l’État partie sur ce qui s’était passé à l’aéroport de Bromma, le Comité note que les autorités de l’État partie savaient que l’auteur avait été maltraité, dès le jour même des faits, puisque ses agents avaient assisté à la scène. Au lieu de saisir les autorités compétentes des actes dont le caractère illicite pouvait à l’évidence être dénoncé, l’État partie a attendu plus de deux ans pour engager une action sur plainte pénale d’un particulier. De l’avis du Comité, une telle durée suffit à elle seule pour considérer que l’État partie a manqué à l’obligation de mener sans délai une enquête indépendante et impartiale sur les faits. Le Comité note de plus qu’à la suite des enquêtes conjointes de l’Ombudsman parlementaire et des autorités de poursuite aucun agent suédois ni étranger n’a fait l’objet d’une enquête pénale approfondie et encore moins d’une inculpation en vertu de la loi suédoise, dont les dispositions permettaient largement aux juridictions d’examiner ces infractions. En particulier, le Comité note que l’Ombudsman parlementaire a décidé de procéder à une enquête aux fins d’information, consistant à recueillir des témoignages sur le fond de l’affaire. S’il n’est pas douteux que l’enquête à cette fin ait été approfondie, la nature même de cette enquête a eu pour conséquence de compromettre gravement la possibilité de mener un jour une enquête pénale effective aux niveaux du commandement et des opérations de la police de sécurité nationale. De l’avis du Comité, l’État partie est tenu de garantir que l’organisation de son appareil d’investigation soit telle qu’elle préserve la capacité d’enquêter, autant que possible, sur la responsabilité pénale de tous les agents en cause, nationaux et étrangers, pour les actes attentatoires à l’article 7 commis dans sa juridiction et pour procéder aux inculpations voulues. En l’espèce, l’État partie n’a pas préservé cette capacité, ce qui constitue une violation de ses obligations découlant de l’article 7, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte.

11.8 Pour ce qui est de l’absence d’examen indépendant de la décision du Gouvernement de procéder à l’expulsion, compte tenu de l’existence d’un risque réel de torture, le Comité note que l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7, oblige à assurer un recours utile en cas de violation de l’article 7. Par définition, pour que le réexamen d’une décision d’expulsion alors qu’il existe un risque réel de torture soit effectif, il doit pouvoir avoir lieu avant l’expulsion afin d’éviter un préjudice irréparable à l’individu, faute de quoi il est inutile et vide de sens. En ne donnant pas la possibilité de faire réexaminer de façon effective et indépendante la décision d’expulsion dans le cas de l’auteur, l’État partie a donc commis une violation de l’article 7, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte.

11.9 S’agissant du grief présenté au titre de l’article 14 concernant l’exposition au risque de procès manifestement inéquitable, le Comité note que l’État partie s’est fondé simplement sur le fait que le pays d’accueil s’était engagé, dans les assurances diplomatiques qu’il avait données, à ce que l’auteur bénéficie d’un procès équitable. Considérant, d’une part, que le procès ne s’est en fait pas tenu et compte tenu, d’autre part, des conclusions du Comité ci ‑dessus mentionnées selon lesquelles l’État partie a exposé l’auteur lors de l’expulsion à de graves violations du Pacte, le Comité considère qu’il n’est pas nécessaire de prendre une décision séparément sur cette question.

11.10 Concernant le grief présenté au titre de l’article 13, le Comité reconnaît que la décision d’expulser l’auteur a été prise conformément à la législation de l’État partie en vigueur à l’époque et, partant, «en exécution d’une décision prise conformément à la loi» au sens de l’article 13 du Pacte. Le Comité observe que l’État partie dispose d’un pouvoir discrétionnaire très étendu pour déterminer si une affaire soulève des questions de sécurité nationale susceptibles de faire jouer l’exception prévue à l’article 13 . Dans le cas d’espèce, le Comité ne doute pas que l’État partie avait au moins des motifs plausibles pour considérer, à l’époque, que l’affaire en question soulevait des questions de sécurité nationale. Par conséquent, le Comité considère que l’article 13 du Pacte n’a pas été violé lorsque l’auteur n’a pas été autorisé à présenter des arguments contre son expulsion et à faire examiner son affaire par une autorité compétente.

11.11 En ce qui concerne le grief de violation par l’État partie des obligations qui lui incombent au titre du Protocole facultatif, le Comité renvoie à sa jurisprudence constante selon laquelle, dès lors qu’il adhère au Protocole facultatif, un État partie est tenu de permettre l’exercice de bonne foi du droit de présenter une plainte au Comité conféré par le Protocole facultatif, et de s’abstenir de prendre des mesures propres à rendre la décision sur la communication sans valeur et de nul effet . En l’espèce, le Comité note que le conseil (de l’époque) de l’auteur avait expressément informé l’État partie, avant la décision du Gouvernement, de son intention d’engager un recours devant des organes internationaux en cas de décision défavorable (voir plus haut par. 4.29). À tort il a été dit au conseil après la décision que rien n’avait été décidé, et l’État partie a procédé à l’expulsion de l’auteur en sachant pertinemment que le conseil serait informé de cette décision après qu’elle aurait été exécutée. Pour le Comité, ces faits font apparaître une violation manifeste par l’État partie des obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif .

12. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits constatés font apparaître des violations par la Suède de l’article 7, lu séparément et conjointement avec l’article 2 du Pacte. Il réitère sa conclusion selon laquelle l’État partie a également violé ses obligations au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

13. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris une indemnisation. L’État partie est également tenu d’éviter que des violations analogues ne soient commises à l’avenir. À cet égard, le Comité se félicite de la création de tribunaux indépendants spécialisés dans les questions de migration, compétents pour connaître des décisions d’expulsion, comme celle évoquée dans le cas d’espèce.

14. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

JJ. Communication n o 1439/2005, Aber c. Algérie * (Constatations adoptées le 13 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Sid Ahmed Aber (représenté par un conseil, Nassera Dutour)

Au nom de :

L’auteur, son père Abdelkader Aber et sa sœur Zina Aber

État partie :

Algérie

Date de la communication :

24 mai 2005 (date de la lettre initiale)

Objet : Disparition forcée; détention au secret; torture et traitements cruels, inhumains et dégradants; conditions de détention inhumaines

Question de procédure : Néant

Questions de fond : Interdiction de la torture et des traitements et peines cruels, inhumains et dégradants; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; arrestation et détention arbitraires; respect de la dignité inhérente à la personne humaine; droit à la reconnaissance juridique de sa personnalité

Articles du Pacte : 7, 9, 10, 16, 2 (par. 3)

Article du Protocole facultatif : 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 13 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1439/2005 présentée par Sid Ahmed Aber (représenté par un conseil, Nassera Dutour) en son nom et ceux de son père Abdelkader Aber et sa sœur Zina Aber, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication, reçue le 24 mai 2005, est Sid Ahmed Aber, de nationalité algérienne, né en 1962 en Algérie, actuellement résidant en France. Il affirme que son père Abdelkader Aber, décédé en 1999, sa sœur Zina Aber, résidant en Algérie, ainsi que lui ‑même sont victimes de violations par l’Algérie de l’article 7, l’article 9, l’article 10, l’article 16, et de l’article 2, paragraphe 3 du Pacte. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’Algérie le 12 décembre 1989. L’auteur est représenté par un conseil, Nassera Dutour.

1.2 Sur la base des informations reçues par le Comité, le 23 novembre 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a attiré l’attention de l’État partie sur le droit de présenter des communications individuelles au Comité, au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, et a rappelé qu’un individu et ses proches ne sauraient être intimidés en raison de la présentation d’une communication au Comité.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Dans la nuit du 9 février 1992, l’auteur, ancien Secrétaire général de la mairie de Bir el Djir à Oran, est arrêté à son domicile par des agents de la sécurité militaire en civil. Choqué par cette arrestation violente dont il est témoin, Abelkader Aber, le père de l’auteur, fait un malaise cardiaque. L’auteur est amené au commissariat d’Oran où il est frappé et torturé pendant plusieurs heures pour lui faire admettre son appartenance à des groupes armés. Il finit par céder et faire de faux aveux. Il signe le procès ‑verbal de sa déposition sans même prendre connaissance de son contenu. Il est ensuite détenu dans une cellule du commissariat pendant trois jours sans aucune base légale.

2.2 Le 12 février 1992, l’auteur est transféré au camp de détention de Reggane dans le sud de l’Algérie. Dans ce camp, il est détenu dans une tente de 8 m 2 avec plus d’une dizaine de prisonniers, dans des conditions dégradantes et inhumaines. Les installations sanitaires y étaient inexistantes. Le 27 juin 1992, l’auteur est transféré au camp d’Oued Namous situé dans le sud ‑ouest du pays, où les conditions de détention étaient également très difficiles. En octobre 1993, les autorisations de visite accordées par les préfets aux familles des détenus du camp sont suspendues.

2.3 En février 1994, l’auteur est transféré en secret au camp de Tamanrasset à Aïn M’Guel. Le transfert est opéré dans des conditions inhumaines, puisque les prisonniers sont transportés ligotés et menottés par avion militaire. De nouveau, les conditions de détention dans ce camp étaient dégradantes. Sa détention dans ce camp fut cachée par les autorités militaires à sa famille. Ce n’est que grâce à un appel téléphonique d’un parent d’un détenu, résidant à Alger et qui avait des permis de visite, que la famille de l’auteur a appris sa détention dans ce camp.

2.4 Le 23 novembre 1995, après l’annonce d’un décret d’amnistie du Président Zerroual, l’auteur est libéré après trois ans et neuf mois de détention sans jugement ou décision émanant d’une autorité judiciaire. Il a gardé de lourdes séquelles physiques de cette détention (douleurs dorsales intenses, déviation de la cloison nasale et problèmes de vue). Après sa libération, il est placé sous contrôle judiciaire, privé de ses droits civiques et soumis à des harcèlements réguliers de la part des agents de police du commissariat d’Oran.

2.5 Le 11 octobre 1997, l’auteur est enlevé à Oran par trois agents de la sécurité militaire. Il est amené au centre de Magenta, centre de détention appartenant à la Direction de la sécurité militaire, connu pour être un lieu de torture. Il est interrogé par le colonel Hamou et le commandant Boudia au sujet d’un attentat terroriste qui avait eu lieu le 1 er octobre 1997. Durant cet interrogatoire, il est jeté au sol, reçoit des coups de pied et est insulté. Le lendemain matin, il est de nouveau interrogé et frappé pendant plusieurs heures avec des fils de fer, des tuyaux en plastique, des gourdins et fils électriques. Il est également électrocuté. À la fin de cette première journée de torture, l’auteur n’est plus capable de parler, ni de bouger. Le lendemain, il est de nouveau soumis à une séance de torture. Ses tortionnaires menacent de le violer, lui plongent la tête dans une baignoire d’eau sale, l’étranglent avec une corde et l’électrocutent sur les testicules. Durant environ trois mois, l’auteur est soumis à un régime de tortures similaires. Durant les deux derniers mois, les douleurs sont devenues si intenses qu’il est incapable de dormir plus de dix minutes sans être réveillé par celles ‑ci.

2.6 À l’issue de ses trois premiers mois de détention au centre de Magenta, il est transféré dans une «chambre noire» en guise de punition pour avoir tenté de communiquer avec les autres détenus. Il a passé trois mois dans cette cellule dans le noir complet, isolé, entouré de rats et envahi par les poux. Durant ces trois mois, il n’a eu pour seul repas qu’un bout de pain ou une louche de soupe un jour sur deux. Après ces trois mois d’isolement, l’auteur est de nouveau interrogé et torturé. Il est forcé de boire plusieurs litres de mélanges à base d’eau de javel. Il est également battu et suspendu au plafond par le poignet. Les conditions de détention étaient dégradantes et insalubres. Il a subi également des privations de nourriture allant jusqu’à une semaine.

2.7 Ce n’est que treize jours après l’enlèvement de l’auteur que sa famille a appris où il était détenu grâce au témoignage d’un autre détenu au centre de Magenta qui est libéré le 24 octobre 1997. La famille de l’auteur est victime d’intimidations de la part des autorités: Abdelkader Aber, son père, est convoqué à deux reprises au commissariat d’Oran les 16 et 25 décembre 1997. Zina Aber, la sœur de l’auteur, a entrepris plusieurs démarches pour retrouver son frère. Le 22 décembre 1997, elle a déposé une requête auprès du général de la 2 e région militaire d’Oran et une autre auprès du Président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme. Le 3 janvier 1998, elle a également déposé une requête auprès du Procureur général de la Cour suprême d’Alger et une lettre au Ministère de la justice. Toutes ces démarches sont restées vaines, les autorités niant la détention de l’auteur au centre de Magenta et faisant valoir qu’il a pris la fuite et que «les services de l’État ne sont pas responsables».

2.8 Le 23 mars 1998, l’auteur est libéré du centre de Magenta par les autorités à condition de «ne pas parler à la presse, ne pas déposer plainte et ne pas communiquer avec les gens», sous peine de mort. On lui présente un papier qu’il signe sans même prendre le temps d’en lire le contenu. À sa libération, il est hébergé par sa sœur, Zina Aber. Lorsqu’il revoit ses parents, son père est tellement choqué par l’état physique de l’auteur qu’il fait une seconde crise cardiaque. À la suite de cette crise cardiaque, il est resté paralysé et mourut quelques mois plus tard le 9 mars 1999.

2.9 Le 25 mars 1998, l’auteur, ainsi que sa sœur qui l’hébergeait, sont convoqués au commissariat. L’officier de police qui les reçoit lui a proposé, pour ne plus être inquiété, de signer un procès ‑verbal dans lequel il reconnaît avoir été détenu au centre de Magenta, mais dans de bonnes conditions et ne pas avoir subi de tortures. L’auteur a signé ce procès ‑verbal.

2.10 La famille de l’auteur est convoquée les 31 mars 1998, 1 er décembre 1998 et 22 décembre 1998 au commissariat de police et à la gendarmerie d’Oran. Craignant pour sa vie, la seule démarche entamée par l’auteur fut d’envoyer une lettre au Procureur général du parquet d’Oran le 15 avril 1998, demandant «une protection de l’État et un terme à l’acharnement des services de sûreté». En réponse, il reçut le 23 juin 1998 un procès ‑verbal de notification émanant du Procureur général du parquet d’Oran l’invitant à adresser sa requête à la Direction générale de la sûreté nationale à Alger. En décembre 1998, l’auteur s’est rendu à une convocation avec un avocat. Les gendarmes l’ont interrogé sur sa détention du centre de Magenta. Il a alors parlé des tortures subies et a signé un procès ‑verbal. Cependant, aucune suite n’est donnée à l’affaire.

2.11 En mai 2002, après avoir enfin obtenu un passeport, l’auteur part pour la France où il obtient l’asile politique le 28 avril 2003.

Teneur de la plainte

3.1 En ce qui concerne l’article 7, l’auteur fait valoir que les conditions de détention dans les camps de Reggane et d’Oued Namous entre 1992 et 1994 qui étaient particulièrement sévères (voir par. 2.2 ci ‑dessus) étaient «à la frontière entre les traitements cruels, inhumains ou dégradants et la torture». Il fait également valoir que sa détention au secret dans le camp de Tamanrasset de 1994 à 1995, puis sa disparition forcée et détention au secret au centre de Magenta en 1997 constituent une violation de l’article 7. Il rappelle que le Comité a reconnu que le fait d’être victime d’une disparition forcée peut être qualifié de traitement inhumain ou dégradant . Il souligne qu’il a été la victime au centre de Magenta d’actes de torture graves infligés par des agents agissant sous l’autorité de l’État et qu’il souffre aujourd’hui de nombreuses séquelles physiques et psychiques: il a dû subir une opération au nez et il s’est fait faire une prothèse dentaire ainsi que des lunettes. Finalement, il estime que les menaces de mort et les manœuvres d’intimidation sur sa personne reçues avant et après sa libération du centre de Magenta par des agents de l’État doivent être considérées comme une violation de l’article 7.

3.2 S’agissant de la famille de l’auteur, il fait valoir que son père, Abdelkader Aber, a particulièrement souffert de l’enlèvement de son fils, de ses longues années de détention, de ses tortures, ainsi que des menaces et intimidations. Il a eu deux malaises cardiaques, tous liés à ces événements. Zina Aber, la sœur de l’auteur, a effectué la plupart des démarches pour retrouver son frère et c’est par conséquent elle qui a subi le plus les manœuvres d’intimidation des militaires et de la police. Sous cette pression, elle a eu de nombreux problèmes de santé, un avortement spontané et une dépression nerveuse. L’auteur rappelle que le Comité a reconnu que la disparition d’un proche pouvait constituer pour la famille une violation de l’article 7 .

3.3 En ce qui concerne l’article 9, paragraphe 3, l’auteur rappelle qu’entre son arrestation le 9 février 1992 et sa libération le 23 novembre 1995, il n’a jamais été traduit devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Son enlèvement, puis sa détention au secret au centre de Magenta de 1997 à 1998 se sont également accomplis en l’absence de jugement, au mépris des garanties prescrites par l’article 9. Il invoque la jurisprudence du Comité selon laquelle toute détention non reconnue d’un individu constitue une négation totale du droit à la liberté et à la sécurité garanti par l’article 9 .

3.4 En ce qui concerne l’article 10, l’auteur considère que les conditions de détention (insalubrité, absence d’installations sanitaires, absence de nourriture et surpeuplement des cellules) dans les différents centres où il a séjourné constituent une violation de cette disposition.

3.5 En ce qui concerne l’article 16, l’auteur estime que sa disparition forcée est par essence une négation du droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique. Il invoque la déclaration du 18 décembre 1992 sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées .

3.6 En ce qui concerne l’article 2, paragraphe 3, l’auteur rappelle qu’il a été dénié de ses droits sous les menaces d’agents dépositaires de l’autorité étatique. Pour être libéré du centre de Magenta, il a dû signer un document qui l’obligeait à reconnaître qu’il avait été bien traité durant sa détention. En outre, le caractère secret de sa détention aux camps de Oued Namous et de Magenta ne permettait ni à l’auteur, ni à sa famille de disposer d’une voie de recours utile.

3.7 En ce qui concerne l’épuisement des voies de recours internes, l’auteur rappelle que, selon une jurisprudence constante du Comité, seuls les recours efficaces, utiles et disponibles au sens de l’article 2, paragraphe 3, doivent être épuisés . Dans le cas présent, les conditions entourant les différentes détentions de l’auteur font apparaître qu’il était dans l’impossibilité d’effectuer des recours au niveau judiciaire sans faire peser de graves menaces sur sa vie ainsi que sur la sécurité de sa famille. L’auteur considère qu’il n’existait pas, au moment de sa libération du centre de Magenta, des voies de recours «disponibles» au sens de l’article 2, paragraphe 3, du Pacte, de l’article 5 du Protocole facultatif, et de la jurisprudence du Comité.

3.8 L’auteur demande au Comité de prier l’État partie d’ordonner des enquêtes indépendantes en vue de déférer les auteurs des crimes devant les autorités judiciaires compétentes, conformément à l’article 2, paragraphe 3 du Pacte. Il demande également une réparation adéquate pour lui et sa famille.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Dans sa note verbale du 19 avril 2006, l’État partie note que l’auteur a été poursuivi par le parquet de la République d’Oran pour avoir provoqué en février 1992 un attroupement avec d’autres personnes et attaqué des voitures de police avec des pierres. Avec ses coïnculpés, l’auteur a été traduit devant le tribunal correctionnel d’Oran qui a rendu, le 4 février 1992, un jugement de relaxe à l’encontre de tous les inculpés. Sur appel du ministère public, la Cour d’Oran a confirmé la décision en appel.

4.2 S’agissant de la référence au séjour de l’auteur dans les centres de détention administrative, l’État partie souligne que la lutte contre le terrorisme a nécessité la prise de mesures spéciales pour faire face à la situation insurrectionnelle et subversive apparue en 1992. C’est ainsi que l’article 5 du décret portant instauration de l’état d’urgence stipulait que le Ministre de l’intérieur pouvait prononcer «le placement au centre de sûreté, dans un lieu déterminé, de toute personne majeure dont l’activité s’avère dangereuse pour l’ordre public, la sécurité publique, ou le bon fonctionnement des services publics». Toutes les personnes touchées par cette mesure exceptionnelle, provisoire et qui s’est appliquée dans le respect des dispositions de la loi algérienne ont été libérées, après examen de situation. Les familles ont été régulièrement informées des lieux et conditions de détention de leurs proches. Le 29 octobre 1995, tous les centres de détention administrative ont été fermés.

4.3 L’État partie fait valoir que les textes d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale adoptée par référendum le 29 septembre 2005, visent la prise en charge de toutes les victimes de la tragédie nationale et d’assurer à leurs ayants droit la protection sociale de l’État. Comme exemple, il précise la procédure permettant la réintégration ou indemnisation des personnes ayant fait l’objet de mesures administratives de licenciement pour des faits liés à la tragédie nationale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Dans ses commentaires du 16 juin 2006, l’auteur note que l’État partie a invoqué l’article 5 du décret 92 ‑44 portant instauration de l’état d’urgence en Algérie, mais n’explique pas en quoi l’auteur représentait une menace qui ait pu justifier sa détention pendant presque quatre ans. Il rappelle qu’il a été innocenté par le tribunal correctionnel d’Oran le 4 février 1992 et n’a bénéficié que de quelques jours de liberté avant d’être transféré sans raison au camp de détention de Reggane le 12 février 1992. Ainsi, la confirmation de la décision de relaxe rendue par la Cour d’Oran en mars 1992 est intervenue alors même que l’auteur a déjà été transféré dans un «centre de sûreté». L’auteur conteste l’argument de l’État partie selon lequel sa détention s’est déroulée «dans le respect des dispositions de la loi algérienne». Il note que l’État partie ne fournit pas d’éléments pour soutenir son affirmation selon laquelle «les familles étaient régulièrement informées des lieux et conditions de détention de leurs proches». La famille de l’auteur peut témoigner qu’elle n’a jamais su que l’auteur avait été transféré en février 1994 au camp de Tamanrasset où il fut détenu au secret jusqu’au 23 novembre 1995, et non jusqu’au 29 octobre 1995, date à laquelle l’État partie prétend que tous les centres de sûreté ont été fermés.

5.2 S’agissant des accusations graves relatives à la disparition forcée de l’auteur et aux multiples actes de torture qu’il a subis au centre de Magenta, l’auteur note que l’État partie ne fournit aucune explication à ce sujet. Il rappelle que la jurisprudence du Comité fait peser sur l’État partie la charge de fournir des éléments afin de contredire les allégations de l’auteur. En tout état de cause, le déni explicite ou implicite ne saurait profiter à l’État partie .

5.3 S’agissant des éléments de réponse de l’État partie rappelant le détail des mesures de réhabilitation mises en place dans le cadre des textes d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale adoptée par référendum le 29 septembre 2005, l’auteur note que ces éléments n’éclaircissent en rien les accusations portées contre l’État partie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 En ce qui concerne la famille de l’auteur, le Comité reconnaît l’angoisse et la détresse que les détentions au secret et les mauvais traitements subis par l’auteur auraient pu causer à sa famille. Néanmoins, il considère qu’un lien direct de causalité entre ces souffrances et les mauvais traitements subis par l’auteur n’a pas été suffisamment établi. Dans ces circonstances, le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, l’allégation selon laquelle les faits dont il est saisi font apparaître pour sa famille une violation de l’article 7. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 Le Comité note que l’État partie n’a soulevé aucune objection à la recevabilité du reste de la communication. Sur la base des informations dont il dispose, il conclut qu’il n’y a aucun obstacle à la recevabilité de la communication et la déclare donc recevable.

Examen au fond

7.1 Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Le Comité rappelle que la charge de la preuve n’incombe pas uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires . Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où l’auteur a communiqué à l’État partie des allégations corroborées par des témoignages sérieux et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes.

7.3 En ce qui concerne le grief de détention au secret, le Comité sait quelle souffrance représente une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéterminée. Il rappelle à ce sujet son Observation générale n o 20 (44) relative à l’article 7 dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions interdisant la détention au secret. Il note que l’auteur affirme qu’il a été transféré en février 1994 au camp de Tamanrasset où il a été détenu au secret jusqu’au 23 novembre 1995. L’auteur affirme également qu’il a été enlevé le 11 octobre 1997 et a été détenu au secret jusqu’au 23 mars 1998. Le Comité note que l’État partie a simplement invoqué l’article 5 du décret portant instauration de l’état d’urgence autorisant «le placement au centre de sûreté, dans un lieu déterminé, de toute personne majeure dont l’activité s’avère dangereuse pour l’ordre public, la sécurité publique, ou le bon fonctionnement des services publics» et affirmé que les familles des détenus étaient informées des lieux et conditions de détention de leurs proches. Le Comité estime que l’État partie n’a pas répondu aux allégations suffisamment détaillées de l’auteur. Dans ces circonstances, le Comité conclut que le maintien en captivité de l’auteur, l’empêchant de communiquer avec sa famille et avec le monde extérieur, constitue une violation de l’article 7 du Pacte .

7.4 En ce qui concerne les allégations de torture au centre de Magenta, le Comité note que l’État partie n’a pas répondu à ces allégations. Il considère qu’en l’absence de réponse de l’État partie, les circonstances entourant la détention de l’auteur et ses allégations selon lesquelles il a été torturé à plusieurs reprises au centre de Magenta donnent fortement à penser qu’il a été soumis à de mauvais traitements. Le Comité n’a reçu de l’État partie aucun élément permettant de contredire ces allégations. Le Comité conclut que les traitements auxquels l’auteur a été soumis au centre de Magenta constituent une violation de l’article 7.

7.5 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9, il ressort des informations devant le Comité que l’auteur a été arrêté le 11 octobre 1997 à Oran par des agents de l’État partie. En l’absence d’explications suffisantes de l’État partie sur les allégations de l’auteur qui affirme que sa détention au secret jusqu’au 23 mars 1998 a été arbitraire ou illégale, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l’article 9 .

7.6 En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 3 de l’article 9, le Comité rappelle que le droit d’être traduit «dans le plus court délai» devant une autorité judiciaire implique que le délai ne doit pas dépasser quelques jours, et que la détention au secret en elle ‑même peut constituer une violation du paragraphe 3 de l’article 9 . Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a été traduit devant le tribunal correctionnel d’Oran qui a rendu, le 4 février 1992, un jugement de relaxe à son égard. Selon l’État partie, ce jugement a été confirmé en appel par la Cour d’Oran en mars 1992. Cependant, le Comité note que l’auteur a été entre ‑temps arrêté le 9 février 1992 malgré sa relaxe et a été maintenu en détention jusqu’au 23 novembre 1995. Le Comité note également que l’auteur n’a jamais été traduit devant un juge lors de sa deuxième période de détention du 11 octobre 1997 au 23 mars 1998. Le Comité estime que ces deux périodes de détention, respectivement de trois ans et huit mois et de cinq mois, constituent, dans le cas de l’auteur et en l’absence d’explications satisfaisantes de l’État partie ou de tout autre fait justificatif ressortant du dossier, une violation du droit énoncé au paragraphe 3 de l’article 9.

7.7 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 10, le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles les conditions de détention dans les différents centres où il fut détenu étaient inhumaines. Dans le camp de détention de Reggane où l’auteur fut détenu entre février et juin 1992, il se trouvait dans une tente de 8 m 2 avec plus d’une dizaine de prisonniers, dans des conditions dégradantes et inhumaines. Les installations sanitaires y étaient inexistantes. Entre juin 1992 et février 1994, l’auteur fut détenu au camp d’Oued Namous où les conditions de détention étaient également très difficiles. En octobre 1993, les autorisations de visite furent suspendues. En février 1994, l’auteur fut transféré au camp de Tamanrasset dans des conditions inhumaines, puisque les prisonniers étaient transportés ligotés et menottés par avion militaire. Lors de sa seconde période de détention au centre de Magenta entre octobre 1997 et mars 1998, il passa trois mois dans une cellule dans le noir complet, isolé, entouré de rats et envahi par les poux. Durant ces trois mois, il n’a eu pour seul repas qu’un bout de pain ou une louche de soupe un jour sur deux. Le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privations ou de contrainte autres que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté et doivent être traitées avec humanité et respect pour leur dignité . En l’absence de renseignements de la part de l’État partie sur les conditions de détention de l’auteur dans les différents centres où il fut détenu, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l’article 10 .

7.8 Les auteurs ont invoqué le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte qui impose aux États parties l’obligation de garantir à tous les individus des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir ces droits. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits en droit interne. Il rappelle son Observation générale n o 31 (80) qui indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte . En l’espèce, les renseignements dont le Comité dispose montrent que l’auteur n’a pas eu accès à un recours utile et le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7 et l’article 9.

7.9 À la lumière des conclusions ci ‑dessus, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner le grief fondé sur l’article 16 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation de l’article 7 et des paragraphes 1 et 3 de l’article 9, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et du paragraphe 1 de l’article 10.

9. Le Comité considère que l’auteur a droit, conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, à un recours utile. L’État partie est tenu de prendre des mesures appropriées pour faire en sorte que a) compte tenu des donnés de l’espèce, une action pénale soit engagée afin que les personnes responsables des mauvais traitements que l’auteur a subis soient promptement poursuivies et condamnées et b) qu’il obtienne une réparation appropriée y compris sous forme d’indemnisation. L’État partie est, en outre, tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui ‑ci, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, l e Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité, en outre, à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

KK. Communication n o 1445/2006, Polacek c. République tchèque * (Constatations adoptées le 24 juillet 2007, quatre ‑ving ‑dixième session)

Présentée par :

M me Libuse Polacková et M. Joseph Polacek (non représentés par un conseil)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

République tchèque

Date de la communication :

20 décembre 2005 (date de la lettre initiale)

Objet : Discrimination fondée sur la nationalité, eu égard à la restitution de biens

Questions de procédure : Autre instance internationale d’enquête; abus du droit de présenter une communication

Questions de fond : Égalité devant la loi et égale protection de la loi

Article du Pacte : 26

Articles du Protocole facultatif : 3, 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1445/2006 présentée par M me Libuse Polacková et M. Joseph Polacek en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. Les auteurs de la communication sont M me Libuse Polacková et M. Joseph Polacek, tous deux ressortissants américains d’origine tchèque, nés en 1925. Ils prétendent être victimes de violations par la République tchèque des droits consacrés à l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques . Ils ne sont pas représentés par un conseil.

Exposé des faits

2.1 En août 1968, les auteurs ont fui la Tchécoslovaquie. Ils ont vécu en France avant d’émigrer aux États ‑Unis en 1970, où ils ont acquis la nationalité américaine et perdu par voie de conséquence leur nationalité tchèque, conformément à un traité bilatéral, le Traité relatif à la naturalisation de 1928. Entre ‑temps, en Tchécoslovaquie, les auteurs ont été condamnés in absentia à une peine de prison pour avoir fui le pays, et leurs biens (un chalet et un lopin de terre) ont été confisqués par l’État. En 1975, ces biens ont été vendus à un membre important du Parti communiste.

2.2 Le 23 avril 1990, la République fédérative tchèque et slovaque a adopté la loi n o 119/1990 Coll., sur la réhabilitation judiciaire, qui a annulé toutes les condamnations prononcées par des tribunaux communistes pour des raisons politiques. En vertu de l’article 23 2) de cette loi, les personnes dont les biens avaient été confisqués pouvaient prétendre les recouvrer, sous réserve de remplir les conditions qui seraient indiquées dans une loi distincte relative à la restitution. Le 1 er février 1991, la loi n o 87/1991 sur la réhabilitation extrajudiciaire a été adoptée.

2.3 En vertu de ladite loi, toute personne demandant une restitution de biens devait: être de nationalité tchèque ou slovaque; résider à titre permanent en République tchèque; et prouver que le propriétaire du bien en question l’avait acquis de manière illicite. Les intéressés devaient satisfaire aux deux premières conditions pendant la période au cours de laquelle les demandes de restitution pouvaient être présentées, à savoir entre le 1 er avril et le 1 er octobre 1991.

2.4 Le 12 juillet 1994, un arrêt de la Cour constitutionnelle (n o 164/1994) a annulé la condition relative à la résidence permanente et fixé un nouveau délai de six mois, commençant à courir le 1 er novembre 1994, pour la présentation de demandes de restitution. La Cour suprême et la Cour constitutionnelle ont validé une interprétation de cet arrêt selon laquelle les personnes nouvellement autorisées à faire des réclamations étaient celles qui, au cours de la période initialement fixée (du 1 er avril au 1 er octobre 1991) remplissaient toutes les autres conditions, y compris celle relative à la nationalité, à l’exception de la condition concernant la résidence permanente.

2.5 Les auteurs ont demandé qu’en application de cette nouvelle loi leurs anciens biens leur soient restitués. En 1991 et en 1995, ils ont prié le propriétaire de leur maison de la leur rendre volontairement. Face au refus de celui ‑ci, ils ont engagé une action judiciaire contre lui, et saisi le tribunal de district, un tribunal régional et la Cour constitutionnelle. Le 23 mai 1996, le 19 septembre 1996 et le 10 septembre 1997, respectivement, les trois juridictions ont rejeté les demandes des auteurs au motif qu’ils n’étaient pas habilités en vertu de la loi, étant donné qu’ils n’étaient pas ressortissants de la République tchèque avant, ou au plus tard, le 1 er octobre 1991, comme l’exigeait la loi n o 87/1991.

2.6 Aux alentours de 1997, les auteurs ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le 10 juillet 2002, la CEDH a rejeté leur requête au motif que les faits de la cause ne relevaient pas du champ d’application de l’article premier du Protocole n o 1 à la Convention européenne des droits de l’homme, et que l’article 14 de la Convention n’était pas une disposition autonome. La Cour concluait que la requête était irrecevable ratione materiae .

2.7 Les auteurs soutiennent que des milliers de Tchèques qui ont obtenu la restitution de leurs biens avaient conservé leur nationalité tchèque après avoir émigré vers des pays qui n’appliquaient pas, contrairement aux États ‑Unis, de règle en matière de double nationalité. Ils renvoient à la jurisprudence du Comité concernant la République tchèque et rappellent que le Comité a régulièrement conclu à des violations du Pacte dans des situations similaires à la leur.

Teneur de la plainte

3. Les auteurs soutiennent que le refus de restituer leurs biens au motif qu’ils n’étaient pas citoyens tchèques en 1991 constitue une violation de l’article 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1 Le 8 juillet 2003, l’État partie a fait des observations sur la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne les faits, il fait valoir que, malgré le Traité de naturalisation, les personnes qui souhaitaient acquérir la nationalité tchèque (aux fins de la restitution de leurs biens) avaient la possibilité de le faire entre 1990 et la date limite fixée pour présenter une demande de restitution (le 1 er octobre 1991). En fait, toutes les demandes en vue d’obtenir la nationalité présentées entre 1990 et 1992 ont été approuvées par le Ministre de l’intérieur. Rien n’indique que les auteurs aient présenté une telle demande.

4.2 S’agissant de la recevabilité, l’État partie soutient que la communication est irrecevable pour abus du droit de présenter des requêtes, vu que ce n’est que huit ans et trois mois après la décision de la Cour constitutionnelle du 10 septembre 1997 que les auteurs ont soumis leur affaire au Comité. Même en tenant compte de la saisine de la CEDH, les auteurs ont tout de même attendu trois ans et cinq mois après la décision de cette juridiction, datée du 10 juillet 2002. Tout en reconnaissant qu’il n’y a pas expressément de durée maximale pour présenter des communications au Comité, l’État partie évoque le délai prévu par d’autres instances internationales, notamment le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale − six mois après l’épuisement des recours internes − pour démontrer que les auteurs avaient laissé passer un délai déraisonnable en l’espèce.

4.3 Sur le fond, l’État partie renvoie aux observations qu’il a faites précédemment dans des affaires similaires examinées par le Comité , dans lesquelles il a souligné les circonstances politiques et les conditions juridiques qui avaient prévalu à l’élaboration et à l’adoption de la loi de restitution. Cette loi avait deux buts: atténuer, dans la mesure du possible, les injustices commises par l’ancien régime communiste et faciliter une réforme économique approfondie en vue d’introduire une économie de marché efficace. Les lois de restitution s’inscrivaient dans le cadre de la législation visant à transformer la société dans son ensemble. L’exigence de nationalité était destinée à garantir que les personnes concernées prendraient soin des biens restitués.

4.4. L’État partie invoque les arrêts de la Cour constitutionnelle, qui a confirmé la constitutionnalité de la loi de restitution, en particulier la condition préalable en matière de nationalité. Il soutient que c’est aux auteurs eux ‑mêmes qu’incombe la responsabilité de la non ‑restitution de leurs biens, puisqu’ils n’ont pas fait de demande de nationalité dans les délais impartis (voir le paragraphe 3.1). Par ailleurs, même si les auteurs avaient satisfait à la condition de nationalité, il n’est pas certain que leurs biens leur auraient été restitués, étant donné que le tribunal de district a rejeté leur requête au motif qu’ils n’étaient pas des personnes habilitées en vertu des lois de restitution. Sur la base de cette conclusion, le tribunal n’a pas examiné la question de savoir s’ils remplissaient les autres conditions de la loi de restitution .

Observations des auteurs

5.1 Le 2 octobre 2006, les auteurs ont commenté les observations de l’État partie. Ils nient qu’ils avaient le droit d’acquérir la nationalité tchèque entre 1990 et 1991 aux fins de la restitution de leurs biens. En effet, l’article II, paragraphe 3 b) de la loi n o 88/1990 du 28 mars 1990 dispose:

«La nationalité de l’État ne saurait être accordée dans les cas où cela serait en contradiction avec les obligations internationales souscrites par la Tchécoslovaquie.».

Selon les auteurs, il s’agit là d’une référence au traité de naturalisation entre les États ‑Unis et l’ancienne Tchécoslovaquie.

5.2 Les auteurs nient que le fait de présenter leur communication trois ans après la décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) constitue un abus du droit de soumettre de telles communications. Ils font valoir qu’ils ont engagé leur action avec diligence devant les juridictions internes, et que ce sont eux qui ont dû subir la lenteur de la procédure avant de pouvoir saisir la CEDH. Enfin, ils soulignent que la restitution de petites propriétés personnelles n’a rien à voir avec la réforme économique, et qu’aucun des biens en question n’a été acquis légalement et de bonne foi.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2 Le Comité observe que le 10 juillet 2002, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré irrecevable une requête similaire déposée par les auteurs. Toutefois, le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la présente communication dans la mesure où la question n’est plus à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et où la République tchèque n’a pas émis de réserve au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel la saisine du Comité constitue un abus du droit de soumettre une requête, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif, le Comité observe que les auteurs ont poursuivi leur action devant les juridictions internes avec diligence jusqu’à la décision de la Cour constitutionnelle en 1997, après quoi ils ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Le Comité constate que celle ‑ci a adopté sa décision le 10 juillet 2002 et que les auteurs ont présenté leur communication au Comité le 20 décembre 2005. Une période de trois ans et cinq mois s’est donc écoulée avant que les auteurs ne saisissent le Comité. Le Comité observe que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai pour soumettre des communications et qu’un simple retard dans la présentation ne saurait constituer en soi, hormis dans des circonstances exceptionnelles, un abus du droit de présenter une communication . Selon le Comité, ce retard ne saurait être considéré comme déraisonnable au point de constituer un abus du droit de présenter une requête, et la communication est donc recevable.

Examen au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Le Comité doit déterminer si l’application de la loi n o 87/1991 aux auteurs a constitué une violation de leur droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi, qui serait contraire à l’article 26 du Pacte.

7.3 Le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle les différences de traitement ne sauraient toutes être considérées comme discriminatoires au regard de l’article 26. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26 . Le critère de la nationalité étant un critère objectif, le Comité doit donc déterminer s’il a été appliqué de manière raisonnable aux auteurs eu égard aux circonstances de l’espèce.

7.4 Le Comité rappelle les constatations qu’il a adoptées dans les affaires Simunek , Adam , Blazek et Des Fours Walderode , à savoir que l’article 26 du Pacte avait été violé: «les auteurs dans ce cas, comme bien d’autres personnes se trouvant dans une situation analogue, avaient quitté la Tchécoslovaquie à cause de leurs opinions politiques et cherché à échapper aux persécutions politiques dans d’autres pays, où ils avaient fini par s’installer définitivement et dont ils avaient obtenu la nationalité. Compte tenu du fait que l’État partie lui ‑même est responsable [de leur] départ …, il serait incompatible avec le Pacte d’exiger [d’eux] … qu’ils obtiennent la nationalité tchèque pour pouvoir ensuite demander la restitution de [leurs] biens ou, à défaut, le versement d’une indemnité appropriée.» . Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence selon laquelle la condition de nationalité est déraisonnable eu égard aux circonstances.

7.5 Le Comité considère que le précédent établi dans les cas susmentionnés s’applique également aux auteurs de la présente communication. Il observe que l’État partie a confirmé que le seul critère pris en considération par les juridictions internes pour rejeter la demande de restitution des auteurs a été qu’ils ne remplissaient pas le critère de nationalité. Le Comité en conclut que l’application aux auteurs de la loi n o 87/1991, qui prévoit une condition de nationalité pour que des biens confisqués soient restitués, viole leurs droits au titre de l’article 26 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, qui devrait être la restitution des biens ou, à défaut, une indemnisation. Le Comité engage à nouveau l’État partie à revoir sa législation de façon à garantir que toutes les personnes bénéficient à la fois de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

LL. Communication n o 1454/2006, Lederbauer c. Autriche * (Constatations adoptées le 13 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Wolfgang Lederbauer (représenté par un conseil, Alexander H. E. Morawa)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Autriche

Date de la communication :

27 septembre 2005 (date de la lettre initiale)

Objet : Révocation disciplinaire d’un fonctionnaire pour avoir dirigé une société privée

Questions de fond : Droit de chacun à ce que sa cause soit entendu équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial; durée de la procédure; droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi

Questions de procédure : Recevabilité ratione personae et ratione materiae ; griefs insuffisamment étayés; réserve de l’État partie à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif; épuisement des recours internes

Articles du Pacte : 14 (par. 1), 26

Articles du Protocole facultatif : 1, 2, 3, 5 (par. 2 a) et 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 13 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1454/2006 présentée au nom de M. Wolfgang Lederbauer en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Wolfgang Lederbauer, de nationalité autrichienne. Il se déclare victime de violations par l’Autriche du paragraphe 1 de l’article 14, lu séparément ou conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il est représenté par un conseil, Alexander H. E. Morawa.

Exposé des faits

2.1 En 1981, l’auteur est devenu membre de la Cour des comptes ( Rechnungshof ) autrichienne. Il a été affecté à la vérification des comptes des hôpitaux publics. En 1985, il a inventé un nouveau type de mur antibruit, écologique, protégeant des nuisances sonores venant des autoroutes et des voies de chemin de fer, qu’il a appelé «Ecowall». Il a informé la Cour des comptes de son invention et a désigné sa femme comme dépositaire des brevets.

2.2 En 1989, l’auteur a créé la société à responsabilité limitée Econtract, avec sa femme comme seul associé. Lorsqu’ils ont divorcé, la propriété de la société et des brevets a été transférée à l’auteur, lequel a nommé M. E. L. Directeur général et a informé la Cour des comptes de ce changement de situation.

2.3 En 1993, lorsque la Cour des comptes a mené des investigations sur sa participation à la commercialisation des licences des dispositifs «Ecowall», l’auteur a adressé une lettre à son président dans laquelle il dénonçait le fait que l’exploitation des nouveaux produits d’isolation phonique pour les couloirs de transport était entravée par la prédominance d’un petit nombre de grandes entreprises. Par la suite, la société Econtract a répondu à plusieurs appels d’offres concernant des projets en Autriche, en particulier la construction d’un mur antibruit le long d’une voie de chemin de fer gérée par la Société des chemins de fer fédéraux.

2.4 En 1994, l’auteur et E. L. ont l’un et l’autre pris contact avec le Président de la Commission d’enquête parlementaire constituée pour enquêter sur d’éventuelles irrégularités liées à la construction d’une autoroute publique, M. W., afin de lui présenter le mur écologique «Ecowall» comme substitut possible au système standard d’isolation phonique proposé par d’autres entreprises. À l’insu de E. L., un journaliste du magazine Profil a surpris la conversation de celui ‑ci avec M. W. Bien que l’auteur ait certifié avoir pleinement informé la Cour des comptes et son Président du fait qu’il était propriétaire des brevets de l’«Ecowall» et de la société Econtract, le magazine Profil et d’autres journaux ont ensuite publié des articles sur l’incompatibilité présumée de cet état de fait avec sa position de haut fonctionnaire à la Cour des comptes.

2.5 Le 30 août 1994, le Président de la Cour des comptes a suspendu l’auteur de ses fonctions à titre provisoire, car il existait des motifs suffisants pour soupçonner que ses activités commerciales privées, en particulier sa participation à la commercialisation du projet «Ecowall», étaient incompatibles avec son statut de fonctionnaire et violaient l’article 126 de la Loi constitutionnelle fédérale, selon lequel les membres de la Cour des comptes ne doivent pas participer à la direction d’entreprises à but lucratif , ainsi que les paragraphes 1 et 2 de l’article 43 de la loi fédérale sur la fonction publique.

2.6 Le 1 er septembre 1994, sans avoir entendu l’auteur, le Président de la Cour des comptes a pris un arrêt («premier arrêt») interdisant à l’auteur de participer à la gestion et à l’administration d’Econtract et de prendre part à la commercialisation de l’«Ecowall». Le 20 septembre 1994, l’auteur a fait recours contre cet arrêt. La Cour des comptes n’ayant rendu sa décision que le 2 juin 2000, l’auteur a alors introduit un recours en carence devant la Cour administrative supérieure, laquelle a ordonné à la Cour des comptes de se prononcer dans les trois mois. Le 18 septembre 2000, la Cour des comptes a pris un nouvel arrêt («deuxième arrêt») qui reprenait simplement le premier. Le 18 octobre 2000, l’auteur a déposé un recours devant la Cour administrative supérieure, alléguant que la Cour des comptes ne lui avait pas donné la possibilité d’être entendu et n’avait pas examiné la teneur des informations dont elle avait pourtant été saisie sur sa participation aux activités de la société Econtract. Le 31 octobre 2000, il a complété son recours en demandant à la Cour de tenir une audience. Par une lettre datée du 30 juin 2005, le Président de la troisième Chambre de la Cour administrative supérieure a demandé à l’auteur s’il voulait toujours obtenir une décision concernant son recours contre l’arrêt, qui ne pourrait modifier la décision finale prise en matière disciplinaire. Le 14 juillet 2005, l’auteur a confirmé qu’il voulait obtenir une décision de la Cour, laquelle a annulé l’arrêt le 27 septembre 2005.

2.7 Le 10 octobre 1994, le Président de la Cour des comptes a déposé une plainte disciplinaire contre l’auteur sur le fondement de l’article 126 de la Loi constitutionnelle fédérale et des articles 43, paragraphes 1 et 2, et suivants de la loi fédérale sur la fonction publique, pour les motifs suivants: participation à la direction de la société Econtract; congés de maladie non justifiés par un certificat médical et absence pendant les heures normales de travail certains jours; enfin non ‑respect d’instructions reçues de ses supérieurs. Le 11 novembre 1994, la Commission disciplinaire a engagé des poursuites disciplinaires contre l’auteur. Le 23 décembre 1994, celui ‑ci a porté plainte devant la Cour constitutionnelle alléguant une violation de ses droits à un traitement égal devant la loi et à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent. Le 6 mars 1995, la Cour constitutionnelle a décidé de ne pas statuer sur la plainte. Le 31 mai 1995, le Président de la Cour des comptes a ajouté d’autres griefs à la plainte disciplinaire visant l’auteur.

2.8 Le 13 octobre 1994, la Commission disciplinaire a prononcé la suspension définitive de l’auteur en se fondant sur l’article 126 de la Loi constitutionnelle fédérale et a réduit son salaire d’un tiers. Le 19 décembre 1994, la Commission des recours en matière disciplinaire a rejeté le recours de l’auteur. Le 6 février 1995, l’auteur a fait appel de cette décision devant la Cour administrative supérieure, demandant la tenue d’une audience contradictoire et faisant valoir que la Cour des comptes avait été informée de sa participation dans Econtract et n’avait pris de mesure qu’après que la presse eut critiqué ses activités et sans l’entendre en tant que partie. Le 29 novembre 2002, la Cour a rejeté l’appel. Parallèlement, elle a considéré que la question d’une audience contradictoire ne se posait pas puisque l’affaire n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

2.9 Le 21 décembre 1995 et le 6 mars 1996, l’auteur a demandé la levée de la mesure de suspension en faisant valoir qu’elle devenait progressivement une peine de facto . La Commission des recours en matière disciplinaire a rejeté ses demandes le 25 janvier et le 10 avril 1996, respectivement. Le 7 juin 1996, l’auteur a saisi la Cour administrative supérieure, qui l’a débouté le 19 décembre 2002.

2.10 Le 20 mai 1997, après que l’auteur eut demandé au Président du Conseil national (la chambre basse du Parlement) et aux responsables des quatre partis politiques représentés au Parlement d’ouvrir une enquête sur son affaire, la Commission disciplinaire a, «en toute hâte», décidé de tenir une audience disciplinaire. La Commission était présidée par M. P. S., qui, à la Cour des comptes, était le chef du département chargé de la vérification des comptes des Chemins de fer fédéraux et de la société publique des trains à grande vitesse.

2.11 Le 30 mai 1997, l’auteur a récusé le Président de la Commission disciplinaire, P. S., pour partialité, au motif que P. S. vérifiait précisément les comptes des sociétés qui avaient l’habitude d’utiliser les techniques d’insonorisation classiques que l’auteur critiquait et que son invention visait à améliorer. Le 3 juillet 1997, il a déposé une plainte devant la Cour constitutionnelle contestant la décision de la Commission disciplinaire de prévoir une audience disciplinaire, alléguant une violation de son droit à l’égalité de traitement et de son droit à être jugé de manière impartiale par un tribunal compétent et récusant une nouvelle fois P. S. La Cour constitutionnelle a refusé d’examiner la plainte, laquelle a été renvoyée à la Cour administrative supérieure, qui l’a rejetée le 27 juin 2001.

2.12 Le 6 octobre 1997, l’auteur a demandé à pouvoir consulter le dossier de l’affaire auprès de la Commission disciplinaire en faisant valoir une «suspicion légitime» de ce que certains documents avaient été détruits ou négligés. Le 14 octobre 1997, la Commission a rejeté cette demande au motif que ses membres avaient «le droit de ne pas révéler leur analyse personnelle et leur vote […] aux parties à la procédure disciplinaire. Cela [était] a fortiori nécessaire lorsque […] les membres de la Commission disciplinaire et les parties [appartenaient] au personnel du même organisme gouvernemental et [étaient] donc vraisemblablement en contact régulier les uns avec les autres. Leurs relations professionnelles pourraient être altérées si les parties avaient connaissance de leur analyse et de leur vote […], ce qui porterait atteinte à l’intérêt légitime de tout membre de la Commission disciplinaire d’éviter des tensions dans le milieu de travail. […] Les incohérences présumées du dossier disciplinaire ou d’autres irrégularités [pouvaient] faire l’objet d’un recours.». La décision de la Commission disciplinaire n’a pas été contestée.

2.13 Après la parution des articles de presse sur les activités de l’auteur et l’ouverture de poursuites disciplinaires contre lui, la société Econtract n’a plus reçu de commandes pour le système «Ecowall». Une société de fret a engagé une action pénale contre l’auteur et E. L. pour défaut de paiement d’une facture. Le 18 novembre 1998, le tribunal pénal régional de Vienne a déclaré l’auteur responsable de l’insolvabilité d’une société par négligence et l’a condamné à une peine de cinq mois d’emprisonnement avec sursis. Le 6 juillet 1999, la cour d’appel de Vienne a rejeté son appel.

2.14 Après avoir reçu un avis du tribunal pénal régional de Vienne l’informant que des poursuites pénales avaient été engagées contre l’auteur, le Président de la Cour des comptes a déposé une autre plainte disciplinaire contre l’auteur le 9 novembre 1998, lui reprochant d’avoir par négligence provoqué l’insolvabilité d’une société et porté préjudice à ses créanciers.

2.15 Entre ‑temps, on avait découvert qu’un mémorandum rédigé par un fonctionnaire de la Cour des comptes et daté du 18 février 1993, relatif à la compatibilité des activités commerciales privées de l’auteur avec l’exercice de ses fonctions officielles, avait été soustrait au dossier, de même que d’autres documents connexes. Parmi ces documents figuraient une déclaration de l’auteur, reçue par la Cour des comptes le 16 juillet 1993, dans laquelle celui ‑ci expliquait quelle était l’étendue de sa participation à la gestion de la société Econtract et, en particulier, un projet de décision concluant que les activités commerciales de l’auteur étaient incompatibles avec l’article 126 de la Loi constitutionnelle fédérale.

2.16 Le 27 janvier 1999, l’auteur a demandé à la Commission disciplinaire de rouvrir la première procédure disciplinaire en vue de suspendre les poursuites, alléguant que les documents récemment découverts prouvaient que la Cour des comptes avait été pleinement informée dès 1993 de sa participation à la gestion d’Econtract, qu’il s’était acquitté de son obligation d’information, et qu’il pouvait raisonnablement penser que l’absence de décision lui ordonnant de cesser ses activités signifiait que la Cour des comptes ne considérait pas que ces activités étaient répréhensibles.

2.17 Le 23 février 1999, la Commission disciplinaire a engagé une deuxième procédure disciplinaire contre l’auteur. L’appel interjeté par celui ‑ci de cette décision a été rejeté par la Commission des recours en matière disciplinaire le 13 juin 1999. Le 24 août 1999, la Commission disciplinaire a informé l’auteur qu’elle ne tiendrait pas d’autres audiences contradictoires et qu’elle rendrait une décision écrite. Le 26 août 1999, l’auteur a demandé à être entendu au cours d’une procédure orale et a de nouveau récusé le Président, P. S., qui a alors été remplacé par un autre président.

2.18 Le 13 décembre 1999, la Commission disciplinaire a déclaré l ’ auteur coupable de fautes disciplinaires et a prononcé sa révocation de la fonction publique. Elle a noté qu ’ elle «était obligée de se conformer aux conclusions juridiquement contraignantes de la juridiction pénale quant aux faits» et qu ’ elle n ’ avait fondé sa décision que sur les griefs pour lesquels l ’ auteur avait été jugé coupable par les juridictions pénales. Elle a ajouté que la déposition orale de l ’ auteur n ’ aurait pas permis de faire apparaître de faits nouveaux susceptibles d ’ influer sur sa décision.

2.19 L ’ auteur a fait appel de cette décision les 1 er et 14 janvier 2000, invoquant le respect de son droit à une procédure régulière, et a demandé la tenue d ’ une procédure orale devant la Commission des recours en matière disciplinaire, qui avait rejeté son appel le 13 juin 2000 sans l ’ avoir entendu, considérant que l ’ article 6 de la Convention européenne des droits de l ’ homme ne s ’ appliquait pas en matière disciplinaire. Le 21 juillet 2000, l ’ auteur a déposé une plainte devant la Cour constitutionnelle, alléguant des violations de son droit à l ’ égalité de traitement et à être jugé par un tribunal impartial et attaquant pour inconstitutionnalité l ’ obligation de la Commission disciplinaire de faire siennes les conclusions de la juridiction pénale. Le 25 septembre 2001, la Cour constitutionnelle l ’ a débouté de sa plainte, aux motifs qu ’ elle n ’ avait aucune chance de prospérer et qu ’ elle ne soulevait pas de question au regard du droit constitutionnel.

2.20 Parallèlement à la procédure devant la Cour constitutionnelle, le 21 juillet 2000, l ’ auteur a saisi la Cour administrative supérieure, arguant que la décision confirmant sa révocation de la fonction publique avait été prise sans qu ’ il ait été entendu équitablement et publiquement, dans le cadre d ’ une procédure orale, comme l ’ exigeait l ’ article 6 de la Convention européenne. Il a soutenu que la révocation de la fonction publique était une sanction disciplinaire d ’ une telle gravité qu ’ elle relevait du champ d ’ application de l ’ article 6 de la Convention européenne et justifiait le droit d ’ être entendu en personne. L ’ auteur a demandé à la Cour de tenir une audience contradictoire en faisant valoir que, à défaut d ’ une telle audience, il serait privé de la possibilité de présenter sa défense.

2.21 Le 31 janvier 2001, la Cour administrative supérieure a rejeté l ’ appel. Partant du principe que les fonctions de l ’ auteur à la Cour des comptes s ’ étendaient à la vérification des comptes des «programmes de construction sur l ’ emprise des routes et des chemins de fer», il a conclu que ses activités commerciales privées étaient étroitement liées à ses fonctions officielles de vérificateur aux comptes. Se référant à l ’ arrêt de la Cour européenne des droits de l ’ homme dans l ’ affaire Pellegrin c. France , la Cour administrative supérieure a rejeté sa demande visant à ce que sa cause soit entendue dans une procédure orale, considérant que l ’ article 6 de la Convention européenne ne s ’ appliquait pas car l ’ auteur était un agent public dont les fonctions l ’ amenaient à participer à l ’ exercice de la puissance publique. Le 5 juin 2001, l ’ auteur a demandé à la Cour administrative supérieure de revoir sa décision et a récusé les membres de la chambre qui s ’ était prononcée dans son affaire. Le 22 janvier 2002, la Cour dans une composition différente a rejeté la récusation.

2.22 Le 31 décembre 2002, l ’ auteur a demandé à la Cour administrative supérieure de rouvrir la procédure qui avait abouti à sa suspension et à sa révocation, alléguant des irrégularités de procédure et une violation de son droit à bénéficier d ’ une procédure orale. Le 27 février 2003, la Cour a rejeté la demande de réouverture de la procédure relative à sa suspension, en soutenant que l ’ auteur avait eu suffisamment de possibilités pour présenter ses arguments par écrit et que rien n ’ obligeait à ce qu ’ il soit entendu comme partie ou à ce que d ’ autres observations écrites lui soient demandées. Le 27 mars 2003, elle a rejeté la demande de réouverture de la procédure relative à la révocation, pour les mêmes raisons.

2.23 Les 1 er janvier 2000 , 12 décembre 2000 et 13 mars 2001 , et 4 mars 2002 , l ’ auteur a présenté des requêtes à la Cour européenne des droits de l ’ homme dans lesquelles il faisait valoir des violations de ses droits au titre de l ’ article 6 de la Convention européenne des droits de l ’ homme, en particulier du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement dans un délai raisonnable. La Cour a joint plusieurs de ces requêtes et les a déclarées irrecevables ratione materiae , en renvoyant à l ’ affaire Pellegrin c. France .

Teneur de la plainte

3.1 L ’ auteur allègue que la composition et le manque d ’ indépendance de la Commission disciplinaire, le rejet de ses demandes répétées à être entendu par la Commission disciplinaire, la Commission des recours en matière disciplinaire et la Cour administrative supérieure, l ’ absence de publicité des débats devant la Commission disciplinaire et la Commission des recours en matière disciplinaire, la longueur de la procédure devant la Cour administrative supérieure ainsi qu ’ entre le dépôt de la plainte disciplinaire et l ’ engagement de la procédure disciplinaire ont violé ses droits au titre du paragraphe 1 de l ’ article 14, lu séparément ou conjointement avec le paragraphe 1 de l ’ article 2 et l ’ article 26 du Pacte.

3.2 L ’ auteur fait valoir que les membres de la Commission disciplinaire qui ont examiné son affaire n ’ étaient ni indépendants ni impartiaux. En vertu du paragraphe 2 de l ’ article 98 de la loi fédérale sur la fonction publique, les membres des commissions disciplinaires appartiennent au même service administratif que le défendeur. Même si le paragraphe 2 de l ’ article 102 de la loi prévoit que les membres de la Commission sont «indépendants, dans l ’ exercice de leurs fonctions», l ’ auteur considère que cette présomption n ’ est qu ’ une fiction, puisque: a) les membres de la Commission disciplinaire désignés pour l ’ examen de son affaire n ’ ont pas cessé d ’ exercer leurs attributions en qualité de fonctionnaires sous l ’ autorité du Président de la Cour des comptes et continuaient d ’ être soumis à ses instructions, sauf sur les questions se rapportant à la procédure disciplinaire; b) il s ’ agissait de collègues qui avaient suivi le même parcours professionnel que l ’ auteur, avaient été en concurrence avec lui pour les promotions et avaient entretenu des relations professionnelles étroites avec lui; c) ces personnes étaient exposées aux manœuvres internes au sein de la Cour des comptes ainsi qu ’ aux pressions de ceux ‑là mêmes qui avaient engagé la procédure disciplinaire contre lui.

3.3 L ’ auteur fait valoir que le Président de la Commission disciplinaire manquait d ’ objectivité à son égard, en tant que chef de la section de la Cour des comptes chargée du contrôle des sociétés de chemins de fer publics, du fait que l ’ auteur avait critiqué les achats de murs antibruit excessivement coûteux au détriment d ’ autres options comme le système qu ’ il avait inventé. Un des projets pour lesquels la société Econtract avait soumis une offre concernait l ’ isolation acoustique d ’ une voie de chemin de fer appartenant à la société publique de chemins de fer dont P. S. avait vérifié les comptes. L ’ auteur conteste le fait que, alors qu ’ il avait récusé P. S. «au tout début des audiences» et dans le recours initial qu ’ il avait déposé devant la Commission disciplinaire et la Cour constitutionnelle contre la décision rendue le 20 mai 1997 par la Commission disciplinaire, qui prévoyait la tenue d ’ une audience disciplinaire, P. S. n ’ a été remplacé que tout à la fin de la procédure, après la dernière audience formelle.

3.4 L ’ auteur affirme que le fait que les organes d ’ appel n ’ aient pas remplacé P. S. à un stade antérieur de la procédure constitue une violation du droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial, protégé par le paragraphe 1 de l ’ article 14 du Pacte. Le fait que, à la différence des autres travailleurs, les fonctionnaires n ’ ont pas le droit de faire examiner leurs plaintes par les tribunaux ordinaires constitue une violation de l ’ article 26.

3.5 De l ’ avis de l ’ auteur, le rejet de ses demandes répétées d ’ une procédure orale par la Commission disciplinaire, la Commission des recours en matière disciplinaire et la Cour administrative supérieure au motif que l ’ article 6 de la Convention européenne des droits de l ’ homme est inapplicable en matière disciplinaire a violé son droit à ce que sa cause soit entendue au titre du paragraphe 1 de l ’ article 14 . En l ’ espèce, ni la Commission des recours en matière disciplinaire ni la Cour administrative supérieure ne pouvaient pas être considérées et n ’ ont pas agi comme des tribunaux au sens de l ’ article 14. La Commission des recours en matière disciplinaire a rejeté le recours sans avoir entendu l ’ auteur, tandis que l ’ examen de la Cour administrative supérieure n ’ a porté que sur des points de droit.

3.6 L ’ auteur rappelle que le paragraphe 1 de l ’ article 14 énonce un certain nombre de conditions, dont la rapidité de la procédure , et que des retards excessifs dans la procédure représentent une violation de cette disposition . Il rappelle également que la Cour administrative supérieure a pris plus de sept ans pour se prononcer sur son recours contre la décision de suspension de ses fonctions, ce qui est un délai excessif. La Cour n ’ a rendu aucune décision entre le 6 février 1995, date du recours, et le 17 juillet 2002, date à laquelle elle a tenu sa première session. Aucun recours en carence de la Cour n ’ était disponible.

3.7 L ’ auteur affirme que les six ans et demi qui se sont écoulés avant que la Cour administrative supérieure ne se prononce sur son recours contre la décision rendue par la Commission des recours en matière disciplinaire le 10 avril 1996 rejetant sa demande de lever la mesure de suspension constitue également un délai excessif. La Cour n’a rendu aucune décision entre le 7 juin 1996, date à laquelle l’auteur a déposé plainte, et le 19 décembre 2002, date à laquelle le jugement a été rendu.

3.8 De l’avis de l’auteur, le délai de deux ans et sept mois qui s’est écoulé entre l’ouverture de la procédure disciplinaire (le 10 octobre 1994) et la décision de la Commission disciplinaire de prévoir une première audience (le 20 mai 1997) est également excessif. En tant que défendeur, l’auteur n’était pas tenu d’accélérer la procédure engagée contre lui. Toutefois, ce n’est qu’après qu’il eut pris contact avec des députés que la Commission disciplinaire a fixé la date de l’audience. Aucune explication de ce retard n’a été donnée. Il était entièrement imputable à l’État partie.

3.9 En ce qui concerne son recours contre le premier arrêt pris par le Président de la Cour des comptes, l’auteur rappelle que cet arrêt n’a été renouvelé que parce que, le 2 juin 2000, il avait déposé un recours en carence auprès de la Cour administrative supérieure. Celle ‑ci n’a fait aucun acte de procédure entre le 18 octobre 2000, date à laquelle l’auteur a fait recours contre le deuxième arrêt, et le 27 septembre 2005, date à laquelle la Cour l’a annulé.

3.10 L’auteur fait valoir que la durée totale de la procédure disciplinaire (près de onze ans) est excessive, étant donné qu’il n’a rien ménagé pour accélérer l’examen de ses recours .

3.11 Vu que la procédure devant la Commission disciplinaire et la Commission des recours en matière disciplinaire s’est déroulée à huis clos, en vertu de l’article 128, paragraphe 1, de la loi fédérale sur la fonction publique, et à la lumière de l’Observation générale n o 13 , l’auteur affirme qu’il n’existait aucunes circonstances exceptionnelles justifiant d’exclure le public ou de n’autoriser la présence aux audiences que d’une catégorie particulière de personnes, étant donné que les accusations portées contre lui avaient été publiées dans les journaux et concernaient ses actes privés et non l’exercice de ses fonctions officielles sur des sujets délicats et confidentiels. La restriction imposée à la publicité de la procédure disciplinaire, jointe à l’absence de toute audience devant la Cour administrative supérieure et la Cour constitutionnelle, a privé l’auteur de la possibilité de se défendre en faisant connaître sa position, violant ainsi son droit à ce que sa cause soit entendue publiquement en vertu du paragraphe 1 de l’article 14.

3.12 En ce qui concerne la recevabilité, l’auteur affirme que la même question n’est pas en cours d’examen et n’a pas été examinée devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. La Cour européenne des droits de l’homme a déclaré ses requêtes irrecevables ratione materiae en renvoyant à l’affaire Pellegrin c. France , et donc sans procéder à l’examen de ses griefs au fond .

3.13 L’auteur affirme que tous les recours internes ont été épuisés. Aucune voie de recours ne permettait de contester la composition de la Commission disciplinaire; il aurait été vain de contester la constitutionnalité de l’article 98, paragraphe 2, de la loi fédérale sur la fonction publique, relative à la composition des commissions disciplinaires, eu égard à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle concernant la constitutionnalité de la création et de la composition des instances disciplinaires aux niveaux fédéral, provincial et municipal. En ce qui concerne la longueur de la procédure devant la Cour administrative supérieure, aucun recours en carence de la Cour n’était disponible.

3.14 En ce qui concerne l’applicabilité du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte aux procédures disciplinaires, l’auteur rappelle que la notion de contestations sur les droits et obligations «de caractère civil» repose sur la nature du droit et des obligations en question plutôt que sur le statut des parties . Ainsi, le Comité a appliqué le paragraphe 1 de l’article 14 à des procédures qui mettaient en cause des fonctionnaires ou des agents de l’État, que ces procédures soient liées ou non à leur statut . L’auteur rappelle également la position du Comité qui a déclaré dans l’affaire Perterer c. Autriche que dès lors qu’«un organe judiciaire est chargé de se prononcer sur l’application de mesures disciplinaires, cet organe doit respecter le droit à l’égalité de tous devant les cours et tribunaux, garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, ainsi que les principes d’impartialité, d’équité et d’égalité des moyens implicites dans cette disposition» .

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1 Dans une note du 13 avril 2006, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, affirmant que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes, que la communication était irrecevable ratione materiae et que la même question avait été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. La réserve formulée par l’Autriche à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif empêchait que le Comité examine la plainte de l’auteur.

4.2 L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne le grief tiré de la durée prétendument excessive de la procédure. En vertu du paragraphe 1 de l’article 73 du Code de procédure administrative générale, les autorités, y compris la Commission disciplinaire, ont l’obligation de statuer sur les requêtes et les appels dans un délai de six mois, faute de quoi l’intéressé peut présenter une demande de dévolution de compétence à une autorité supérieure, en vertu du paragraphe 2 de l’article 73. Or l’auteur n’a jamais présenté une telle demande, alors qu’il était représenté par un conseil. Selon l’État partie, l’article 132 de la Loi constitutionnelle fédérale prévoit la possibilité d’introduire un recours pour dénoncer l’inaction des autorités administratives devant la Cour administrative supérieure (un «recours en carence»). L’auteur n’a présenté qu’un seul recours à ce titre, pour dénoncer l’absence de décision de la Cour des comptes sur le recours qu’il avait formé contre l’arrêt daté du 1 er septembre 1994. L’État partie rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que les possibilités d’accélérer les procédures mentionnées plus haut constituent des recours utiles .

4.3 Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme , l’État partie fait valoir que la procédure disciplinaire engagée contre l’auteur sort du champ d’application de l’article 14 du Pacte puisqu’il s’agit d’un litige entre une autorité administrative et un agent de la fonction publique dont l’emploi implique une participation directe à l’exercice de la puissance publique. Les litiges portant sur le recrutement, la carrière et la cessation de service des fonctionnaires ne portent sur une détermination des «droits et obligations de caractère civil» au sens du paragraphe 1 de l’article 14 que s’ils concernent un «droit purement économique», tel que le paiement d’honoraires, ou un «droit essentiellement économique». Il découle du texte français du paragraphe 1 de l’article 14 que les droits et obligations qu’il faut établir doivent être de caractère civil. Les actions intentées contre l’auteur n’étaient pas «civiles» du seul fait qu’elles soulevaient aussi une question d’ordre économique , c’est ‑à ‑dire les conséquences financières de sa révocation. Les poursuites disciplinaires n’ont pas non plus constitué une accusation en matière pénale dirigée contre l’auteur, faute d’une sanction suffisamment sévère qui justifierait de qualifier la mesure disciplinaire d’accusation pénale. Enfin, l’auteur se contredit lorsqu’il affirme que les autorités disciplinaires et la Cour administrative supérieure ne sont pas des tribunaux au sens de l’article 14 et en même temps invoque l’affaire Perterer c. Autriche . L’État partie conclut que les griefs de l’auteur au titre de l’article 14 du Pacte, lu séparément ou conjointement avec les articles 2 et 26, sont irrecevables ratione materiae .

4.4 L’État partie invoque sa réserve au sujet du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, en faisant valoir que la même question a été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. Que la Cour ait jugé les requêtes de l’auteur incompatibles avec les dispositions de la Convention européenne est la preuve qu’elle a rejeté ses prétentions pour des raisons de fond et non purement de forme, après au moins un examen rapide de l’affaire sur le fond. Elle a fondé sa décision sur le paragraphe 3 de l’article 35 de la Convention européenne, qui concerne les motifs quant au fond, et non sur les paragraphes 1 et 2 de l’article 35, qui énoncent les critères formels d’irrecevabilité. Les griefs de l’auteur sont donc irrecevables au titre des articles 3 et 5 du Protocole facultatif, rapprochés de la réserve formulée par l’Autriche.

5.1 Dans une note du 16 août 2006, l’État partie a présenté ses observations sur le fond et a une nouvelle fois contesté la recevabilité de la communication en invoquant le non ‑épuisement des recours internes, le défaut de qualité de victime et l’inapplicabilité de l’article 14 du Pacte. Il fait valoir que l’auteur n’a pas saisi les juridictions internes des griefs concernant l’absence d’audience contradictoire dans la procédure concernant sa suspension, la composition proprement dite de la Commission disciplinaire, et la longueur et le défaut de publicité de la procédure. Son argument selon lequel il aurait été vain, compte tenu de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, de contester la constitutionnalité de la composition des commissions disciplinaires n’est pas fondé, car les décisions qu’il cite datent de 1956 et portent seulement sur les conditions formelles d’établissement des commissions disciplinaires. L’auteur n’a jamais contesté devant les organes internes la composition proprement dite de la Commission disciplinaire ou de la Commission des recours, et a seulement critiqué la participation du Président de la Commission disciplinaire, P. S., au premier et au deuxième ensembles de procédures disciplinaires. Au lieu de contester l’absence de publicité de la procédure disciplinaire, dans les recours qu’il a déposés le 21 juillet 2000 devant la Cour constitutionnelle et la Cour administrative supérieure, l’auteur a expressément reconnu que «Restreindre la participation du public à trois fonctionnaires en qualité de personnes de confiance (art. 124, par. 3) de la loi fédérale sur la fonction publique) répond encore aux exigences en matière de publicité et peut se comprendre, compte tenu de la possibilité d’exclure le public de la salle d’audience prévue au paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme […]. La sécurité nationale n’étant pratiquement jamais en jeu en matière disciplinaire, il n’est pas admissible d’exclure complètement tout public. Dans une moindre mesure toutefois, les intérêts de l’État sont en cause, ce qui justifie une restriction […]».

5.2 En vertu du paragraphe 2 de l’article 118 de la loi fédérale sur la fonction publique, le premier ensemble de procédures disciplinaires contre l’auteur a été suspendu ex lege du fait qu’il a été débouté dans le deuxième ensemble de procédures, ce qui a eu le même effet qu’une décision de relaxe. Donc, les griefs de l’auteur relatifs au premier ensemble de procédures sont devenus sans objet. De même, le grief tiré de l’absence d’audience contradictoire lors de la procédure concernant l’arrêt interdisant à l’auteur de se livrer à des activités liées à la société Econtract n’avait plus lieu d’être, après que la Cour administrative supérieure eut annulé le deuxième arrêt, le 27 septembre 2005. Dès lors, l’auteur n’a pas la qualité de victime pour ce qui est des griefs susmentionnés.

5.3 L’État partie affirme que l’auteur n’a pas étayé les allégations suivantes, aux fins de la recevabilité ou, subsidiairement, sur le fond:

a) Il n’a pas montré que la Cour administrative supérieure n’avait pas les caractéristiques d’un tribunal au sens de l’article 14 du Pacte. La Cour est un organe indépendant qui s’est prononcé non seulement sur les points de droit, mais aussi sur les points de fait;

b) L’auteur n’a pas avancé d’éléments suffisants pour montrer que les membres de la Commission disciplinaire et de la Commission des recours n’étaient pas indépendants ni impartiaux. Ces prescriptions sont prévues par la loi fédérale sur la fonction publique, qui a rang constitutionnel et fixe d’importantes garanties en ce qui concerne la composition (participation de représentants du personnel, désignation des membres pour cinq ans) et les méthodes de travail (attribution des tâches une année à l’avance, confidentialité des débats et des votes) des commissions disciplinaires. Que les membres de ces commissions appartiennent à la même administration que l’intéressé leur permettait de prendre les décisions en connaissance de cause et faisait qu’ils étaient mieux placés que des personnes extérieures pour peser les accusations. La confidentialité des débats et du vote s’appliquait également à l’égard des supérieurs et des collègues, ce qui renforçait encore l’indépendance et l’impartialité des membres;

c) Lorsqu’il a été récusé par l’auteur, P. S. a été immédiatement remplacé par un autre président. Le rapport de connexité entre son poste à la Cour des comptes et l’invention de l’auteur ne justifiait pas de mettre en doute son impartialité car la question dont la Commission disciplinaire était saisie ne concernait pas l’invention de l’auteur proprement dite, mais la compatibilité des activités de l’auteur avec l’article 126 de la Loi constitutionnelle fédérale;

d) Comme il ressort du procès ‑verbal intégral de 1 200 pages, dans le cadre du premier ensemble de procédures disciplinaires, une procédure orale a été tenue pendant vingt ‑six jours, avec un nouveau président et en présence de l’auteur, de son avocat et de deux personnes de confiance désignées par lui;

e) Il n’était pas nécessaire de tenir une audience contradictoire lors du deuxième ensemble de procédures disciplinaires car les autorités disciplinaires étaient liées par les faits établis par la cour pénale régionale de Vienne dans son arrêt définitif. On pouvait donc examiner l’affaire à partir du dossier seulement, sans porter atteinte aux principes d’un jugement équitable. La tenue d’une autre audience contradictoire n’aurait fait que ralentir la procédure. Du reste, si, comme l’affirme l’auteur, la Commission des recours en matière disciplinaire et la Cour administrative supérieure n’étaient pas des tribunaux au sens de l’article 14, elles n’avaient alors aucune obligation de tenir une procédure orale;

f) La longueur des procédures, multiples et imbriquées, est due à leur complexité, comme en témoigne l’arrêt de 38 pages par lequel, en date du 29 novembre 2002, la Cour administrative supérieure a rejeté le recours formé par l’auteur contre sa suspension définitive. L’auteur a présenté de nombreux recours contre chaque acte de procédure des autorités disciplinaires. La procédure concernant sa suspension a bien duré du mois de février 1995 au mois de novembre 2002, mais elle a cessé de produire des effets à l’égard de l’auteur à partir du 31 janvier 2001, date à laquelle la Cour administrative supérieure a confirmé sa révocation. La durée totale de la procédure (onze ans) a eu pour conséquence qu’au bout du compte l’auteur a considérablement amélioré ses droits à pension;

g) Il était dans l’intérêt du secret professionnel et conforme au paragraphe 1 de l’article 14 d’exclure le public de la procédure disciplinaire. Le paragraphe 3 de l’article 20 de la Loi constitutionnelle fédérale impose aux fonctionnaires de garder le secret «de tous les faits venus à leur connaissance uniquement dans l’exercice de leurs fonctions». L’exclusion du public visait également à protéger l’auteur d’une publicité gênante quant aux actes socialement contestables qu’il avait pu commettre. En vertu du paragraphe 3 de l’article 124 de la loi fédérale sur la fonction publique, l’auteur avait le droit de désigner trois fonctionnaires au plus pour assister aux débats en qualité de personnes de confiance. Le fait qu’il se soit prévalu de cette possibilité montre qu’il n’avait pas d’objection à ce que la procédure disciplinaire fût menée exclusivement par des fonctionnaires.

5.4 L’État partie conclut que le Comité n’est pas une «quatrième instance» et que l’auteur n’a pas montré que les irrégularités ayant selon lui entaché la procédure disciplinaire étaient manifestement arbitraires ou constituaient un déni de justice.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

6.1 Dans une réponse du 15 décembre 2006, l’auteur a fait valoir que l’État partie méconnaissait le fait que, en ce qui concerne ses allégations sur la longueur excessive de la procédure devant le tribunal administratif, aucune des voies de recours susceptibles d’accélérer la procédure n’était applicable. Pour ce qui est des procédures relatives au premier arrêt pris par le Président de la Cour des comptes, l’auteur a bien déposé un recours en carence. Pour ce qui est du délai de trente et un mois qui s’est écoulé entre le dépôt de la plainte disciplinaire et l’ouverture des poursuites disciplinaires, on ne pouvait raisonnablement attendre de l’auteur qu’il participe activement à la conduite de l’action disciplinaire dirigée contre lui. Rien ne l’obligeait à accélérer une procédure qui revenait à s’incriminer lui ‑même face à l’inertie de l’autorité «de poursuite».

6.2 L’auteur dit que le paragraphe 3 de l’article 124 de la loi fédérale sur la fonction publique autorise la récusation d’un seul membre du collège de la Commission disciplinaire chargée de l’affaire. Bien que formellement il n’ait eu le droit de récuser qu’une seule personne, qui fut P. S., il a également mis en doute l’indépendance et l’impartialité des autres membres de la Commission disciplinaire, comme il ressort de plusieurs transcriptions d’audiences tenues à huis clos par la Commission. Il a donc tout fait pour faire savoir qu’il récusait l’ensemble de la Commission disciplinaire.

6.3 L’auteur nie qu’il a accepté l’absence d’une audience publique dans ses observations du 21 juillet 2000 à la Cour constitutionnelle et à la Cour administrative supérieure (voir par. 5.2). Le passage cité par l’État partie ne faisait que reproduire la doctrine dominante en droit interne; il ne saurait être interprété comme un renoncement de l’auteur à son droit d’être entendu publiquement.

6.4 En ce qui concerne la recevabilité ratione materiae , l’auteur affirme que le fait que l’État partie tienne à faire une lecture restrictive du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, à la lumière de la pratique suivie au titre de la Convention européenne des droits de l’homme, est contraire à l’objet et au but du Pacte et ne tient pas compte de ce que la Cour européenne des droits de l’homme a bien compris le caractère temporaire et imparfait des critères dégagés dans l’affaire Pellegrin , qu’elle considérait comme susceptibles d’évoluer vers une notion de protection plus étendue.

6.5 L’auteur fait valoir que la réserve concernant le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne s’applique pas parce que la Cour européenne des droits de l’homme a seulement examiné les éléments nécessaires pour le qualifier de «fonctionnaire» selon le critère Pellegrin et ne s’est pas prononcée sur le bien ‑fondé de sa plainte.

6.6 Sur le fond, l’auteur affirme que les garanties constitutionnelles selon lesquelles les fonctionnaires subalternes sont indépendants pendant la durée de leur mandat de membre de la Commission disciplinaire sont purement fictives, parce qu’il n’existe pas de véritable «culture de l’indépendance». La nomination pour cinq ans des membres de la Commission disciplinaire ne permet pas d’assurer les garanties judiciaires qui existent pour les juges puisque les membres de la Commission continuent de relever entièrement de l’administration qui a engagé les poursuites disciplinaires, qu’ils réintègrent dès la fin de leur mandat. La participation de représentants du personnel à la Commission disciplinaire ne garantit pas que la Commission dans son ensemble réponde aux exigences minimales en matière d’indépendance, puisque leur statut ne leur confère aucune garantie supplémentaire d’indépendance. Le fait que les membres des commissions disciplinaires délibèrent à huis clos n’a rien à voir avec leur indépendance et leur impartialité.

6.7 L’auteur se plaint de ce que l’État partie joue sur les mots lorsqu’il considère que son allégation de partialité de la part du Président, P. S., ne concerne que le premier «ensemble» de procédures disciplinaires, qui a été finalement suspendu, mais ne concerne pas le deuxième «ensemble» de procédures. Il n’y a eu qu’un seul ensemble de procédures disciplinaires, au cours duquel une nouvelle accusation a été introduite, et qui s’est donc déroulé en deux phases ou parties. L’auteur a récusé le Président aux deux phases de la procédure interne et son grief au titre du paragraphe 1 de l’article 14 concerne le manque d’indépendance et d’impartialité du Président et de la Commission au cours de ces deux phases.

6.8 L’auteur rejette l’argument de l’État partie selon lequel il n’était pas nécessaire de tenir une audience contradictoire parce que les autorités disciplinaires étaient liées par les faits établis par la juridiction pénale. Le point de droit tenant à sa condamnation pénale, c’est ‑à ‑dire concernant le fait de savoir si l’auteur avait par négligence provoqué l’insolvabilité de sa société, était différent de la question soulevée dans la procédure disciplinaire, qui était de savoir si l’auteur avait dirigé une société en infraction à l’article 126 de la Loi constitutionnelle fédérale. L’article 126 n’empêche pas le personnel de la Cour des comptes d’occuper des postes de direction dans des entreprises privées travaillant dans des domaines qui n’ont aucun lien avec ses attributions de vérificateur aux comptes. Que la juridiction pénale ait seulement constaté que l’auteur dirigeait «une» société ne suffit donc pas à déterminer s’il dirigeait une société au sens de l’article 126. Le fait que seuls des débats sur la forme aient eu lieu pendant la première partie de la procédure disciplinaire, et qu’aucune délibération n’ait été tenue pendant la deuxième partie de cette procédure, a empêché d’évaluer la gravité de l’infraction, le niveau de sanction requis et le degré de culpabilité, comme l’exige le paragraphe 1 de l’article 93 de la loi fédérale sur la fonction publique. De même, l’absence de procédure orale a privé l’auteur de la possibilité de faire valoir des circonstances atténuantes, conformément au paragraphe 2 de l’article 32 du Code pénal. Même en admettant que la Commission disciplinaire était tenue par les faits établis par la juridiction pénale, la détermination de la culpabilité et d’une sanction adéquate continuait de relever de sa compétence, ce qui exigeait que l’auteur soit entendu.

6.9 En ce qui concerne la longueur de la procédure, l’auteur fait valoir que l’affaire n’était pas particulièrement complexe et n’exigeait pas d’investigations approfondies car elle portait seulement sur le point de savoir si promouvoir son invention en étant propriétaire et directeur présumé d’une société était incompatible avec son poste de fonctionnaire à la Cour des comptes. Certes l’affaire était complexe et emmêlée mais il appartenait à l’État partie de la régler en veillant à ce que ses organes judiciaires et administratifs travaillent avec diligence et efficacité. L’auteur s’est simplement défendu contre les accusations de manquement aux règles en usant des procédures en vigueur et a exercé son droit de faire appel des décisions qui lui étaient défavorables.

6.10 L’auteur rejette l’argument de l’État partie qui affirme qu’il aurait tiré avantage de la longueur de la procédure en ce qui concerne ses droits à une pension de retraite. Outre qu’il a vécu dans l’angoisse pendant onze ans à cause de l’incertitude sur sa situation professionnelle, il a perdu tout droit à une pension de retraite du fait de sa révocation de la fonction publique.

6.11 En ce qui concerne le droit à ce que sa cause soit entendue publiquement, l’auteur fait valoir que le public ne peut ipso facto être exclu de tous les procès disciplinaires contre tous les fonctionnaires en vertu d’une interdiction générale de publicité dans «l’intérêt du secret professionnel». Que l’exclusion du public ait été ou non contraire à ses intérêts n’est pas pertinent, vu que la publicité est un droit absolu qu’un défendeur n’a pas besoin de revendiquer en invoquant des «intérêts» particuliers. Au contraire, la publicité doit être assurée à moins qu’il puisse être prouvé que le huis clos est justifié au regard du paragraphe 1 de l’article 14. L’État partie n’a apporté aucune justification en l’espèce.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, décider si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 En ce qui concerne l’objection ratione materiae soulevée par l’État partie, le Comité rappelle que la notion de «droits et obligations de caractère civil» au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte est fondée sur la nature du droit en cause et non sur le statut de l’une des parties . L’imposition de mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ne constitue pas nécessairement en soi une décision concernant les droits et obligations de caractère civil et ne constitue pas non plus, sauf dans le cas de sanctions qui, indépendamment de leurs qualifications en droit interne, ont un caractère pénal, une décision sur le bien ‑fondé d’une accusation pénale au sens de la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte . Dans l’affaire Perterer c. Autriche , qui concernait également la révocation d’un fonctionnaire par une commission disciplinaire, tout en observant que la décision relative à la révocation disciplinaire ne doit pas obligatoirement être rendue par un tribunal, le Comité a considéré que, dès lors qu’un organe judiciaire est chargé de se prononcer sur l’application de mesures disciplinaires, il doit respecter le droit à l’égalité de tous devant les cours et les tribunaux, garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, ainsi que les principes d’impartialité, d’équité et d’égalité des moyens implicites dans cette disposition . En l’espèce, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur lui ‑même a fait valoir que ni la Commission des recours en matière disciplinaire ni la Cour administrative supérieure ne pouvaient être considérées et n’ont agi comme des tribunaux au sens du paragraphe 1 de l’article 14. Toutefois, le Comité ne voit pas dans la déclaration de l’auteur un déni général du caractère judiciaire de la Commission des recours en matière disciplinaire et de la Cour administrative supérieure, mais considère qu’il affirme qu’aucun de ces organes ne satisfaisait en l’espèce aux prescriptions du paragraphe 1 de l’article 14. En outre, le Comité note que l’État partie lui ‑même a souligné que la Cour administrative supérieure était un tribunal au sens du paragraphe 1 de l’article 14. En conséquence, le Comité déclare la communication recevable ratione materiae pour ce qui est des griefs de violation des droits garantis au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte avancés par l’auteur.

7.3 L’État partie invoque la réserve qu’il a formulée sur le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il appartient au Comité d’examiner si «la même question» a déjà été «examinée» par la Cour européenne des droits de l’homme. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle «la même question» au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 doit s’entendre comme concernant le même auteur, les mêmes faits et les mêmes droits substantiels . En ce qui concerne la longueur de la procédure, l’auteur peut seulement invoquer les retards survenus avant le 4 mars 2002, date de l’introduction de sa dernière requête ( n o 13874/02) à la Cour européenne des droits de l’homme. Tous les retards après cette date ne sont donc pas ab initio couverts par la réserve de l’État partie. Pour autant que les griefs au titre du paragraphe 1 de l’article 14 portent sur des faits datant d’avant le 4 mars 2002, il faut déterminer si la présente communication concerne les mêmes droits substantiels que les requêtes que l’auteur a présentées devant la Cour européenne. Dans ses décisions du 26 février et du 14 juin 2002, la Cour européenne a déclaré que les requêtes de l’auteur en date du 13 mars 2001 ( n o 73230/01) et du 4 mars 2002 ( n o 13874/02) étaient incompatibles ratione materiae avec l’article 6 de la Convention européenne. Le Comité note que, malgré une forte convergence entre l’article 6 de la Convention et le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le champ d’application de ces deux articles, tel qu’il a été défini par la jurisprudence de la Cour et du Comité , diffère en ce qui concerne les procédures devant les organes judiciaires chargés de se prononcer sur l’application de mesures disciplinaires. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle si les droits invoqués devant la Cour européenne des droits de l’homme diffèrent sur le fond des droits consacrés dans le Pacte, une affaire qui a été déclarée irrecevable ratione materiae par la Cour européenne n’a pas, au sens des réserves respectives émises au sujet du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, été «examinée» d’une façon qui empêche le Comité de l’examiner à son tour . Il s’ensuit que la réserve émise par l’Autriche n’empêche pas le Comité d’examiner le grief présenté par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14.

7.4 En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que l’absence d’audience contradictoire dans le premier ensemble de procédures concernant sa suspension et sa révocation a violé le droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de l’article 14, le Comité note que, d’après l’auteur, seules des audiences «formelles» ont été tenues pendant le premier ensemble de procédures et que, durant le deuxième ensemble de procédures, les autorités disciplinaires n’étaient pas liées par les faits établis par la tribunal pénal régional de Vienne car les questions de droit soulevées étaient différentes dans la procédure pénale et les procédures disciplinaires. En tout état de cause, l’auteur avait la possibilité d’y faire valoir des circonstances atténuantes et sa position en ce qui concerne sa culpabilité et la sanction encourue. Le Comité prend note de la référence de l’État partie à la procédure orale de vingt ‑six jours qui s’est déroulée en présence de l’auteur et de son avocat pendant le premier ensemble de procédures et de son avis quant au caractère contraignant du verdict de la juridiction pénale. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve, ou l’application faite de la législation nationale, dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation a été manifestement arbitraire ou avait représenté une erreur manifeste ou un déni de justice . L’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que les décisions de la Cour administrative supérieure du 31 janvier 2001, du 29 novembre 2002 et des 27 février et 27 mars 2003 étaient entachées de telles irrégularités. Le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5 En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que l’absence d’audience contradictoire dans la procédure de recours contre le deuxième arrêt du Président de la Cour des comptes constitue également une violation de son droit à un procès équitable en vertu du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité rappelle que la Cour administrative supérieure a annulé cet arrêt le 27 septembre 2005. Ce grief est donc privé d’objet, et cette partie de la communication est irrecevable ratione personae en vertu de l’article 1 du Protocole facultatif.

7.6 En ce qui concerne le huis clos des audiences de la Commission disciplinaire et de la Commission des recours en matière disciplinaire le Comité note que l’auteur, tout en faisant valoir son droit à une procédure orale, n’allègue pas de violations du droit à ce que sa cause soit entendue publiquement dans les observations qu’il a présentées à la Cour administrative supérieure le 6 février 1995 (nouveau recours contre la mesure de suspension), le 21 juillet 2000 (nouveau recours contre la mesure de révocation), le 18 octobre 2000 (recours contre le deuxième arrêt du Président de la Cour des comptes), le 31 octobre 2000 (demande d’une audience contradictoire dans la procédure concernant le deuxième arrêt) et le 31 décembre 2002 (demande de réouverture des procédures de révocation et de suspension devant la Cour administrative supérieure). Il n’a pas non plus allégué de telles violations devant la Cour constitutionnelle. Dans le recours qu’il a déposé le 21 juillet 2000, l’auteur, tout en faisant valoir que l’article 6 de la Convention européenne établit le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue publiquement, a déclaré que limiter la présence du public à l’audience à trois fonctionnaires jouant le rôle de personnes de confiance de l’inculpé satisfaisait encore aux prescriptions du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne. S’il est possible que cette déclaration reflète la doctrine dominante en droit autrichien, sans constituer un renoncement de l’auteur à son droit à être entendu en audience publique, il est également vrai que cette déclaration ne peut pas être interprétée comme contestant l’absence d’audience publique. Par conséquent, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne l’absence alléguée d’audience publique. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.7 En ce qui concerne le grief concernant le Président du troisième collège de la Commission disciplinaire, P. S., qui n’a pas été remplacé avant la fin du premier ensemble de procédures disciplinaires, alors qu’il avait d’emblée été récusé, le Comité prend acte de plusieurs documents qui semblent prouver le contraire. Ainsi, dans un mémorandum daté du 3 juin 1997, signé par P. S. et son successeur en tant que Président du troisième collège de la Commission disciplinaire, H. A., il est dit que l’auteur a récusé P. S. par une lettre du 30 mai 1997, dans le délai prescrit; conformément à la répartition des affaires au sein de la Commission disciplinaire de la Cour des comptes, le Président du premier collège, H. A., devait remplacer le Président du troisième collège, P. S. Dans une note datée du 3 juin 1997, H. A. confirme qu’il a pris contact avec l’auteur et son avocat pour leur indiquer que, vu qu’il devait remplacer l’ancien Président P. S., l’audience prévue pour le 12 juin 1997 devait être reportée. Le troisième collège de la Commission disciplinaire s’est réuni le 12 juin 1997 pour examiner des questions de procédure. Le procès ‑verbal de cette réunion montre que H. A. exerçait la fonction de président. De même, le procès ‑verbal de l’audience contradictoire tenue le 20 octobre 1997 montre que H. A. présidait l’audience. Le Comité relève également qu’il n’est pas contesté que, dans le deuxième ensemble de procédures, P. S. a été remplacé après sa récusation par l’auteur le 26 août 1999. Par conséquent, l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi la partialité supposée de P. S. aurait compromis son droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial en vertu du paragraphe 1 de l’article 14, et conclut que ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.8 En ce qui concerne l’allégation relative au manque d’indépendance et d’impartialité d’autres membres du troisième collège de la Commission disciplinaire, le Comité prend note des arguments formulés par l’auteur, qui fait valoir que le paragraphe 3 de l’article 124 de la loi fédérale sur la fonction publique l’autorisait à récuser un seul membre du collège, qu’il s’est efforcé de faire connaître sa récusation aux autres membres et qu’il aurait été vain de contester la constitutionalité du paragraphe 2 de l’article 98 de la loi fédérale sur la fonction publique. Il prend note également de l’argument de l’État partie qui affirme que les décisions de la Cour constitutionnelle invoquées par l’auteur pour affirmer que sa requête n’avait aucune chance d’aboutir ne sont pas pertinentes, étant donné qu’elles remontent à l’année 1956 et ne portent pas sur la question de savoir si des fonctionnaires appartenant à la même administration que l’inculpé peuvent être considérés comme des membres indépendants et impartiaux de la Commission. À ce sujet, le Comité rappelle que, outre les recours judiciaires et administratifs ordinaires, les auteurs doivent aussi faire usage de tous les autres recours judiciaires, y compris les plaintes constitutionnelles, pour satisfaire à la prescription de l’épuisement des recours internes . Il considère que l’auteur n’a pas démontré que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle qu’il invoque aurait ab initio empêché toute chance de succès d’une plainte contestant la constitutionalité du paragraphe 2 de l’article 98 et d’autres dispositions pertinentes de la loi fédérale sur la fonction publique. Par conséquent, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes lui permettant de contester l’indépendance et l’impartialité de la Commission disciplinaire elle ‑même. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.9 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui fait valoir que le fait qu’il n’ait eu aucune possibilité de faire examiner sa cause par les tribunaux ordinaires en raison de son statut de fonctionnaire constitue une violation de l’article 26 du Pacte, le Comité note que dans de nombreuses juridictions de droit civil, les fonctionnaires ne sont pas admis à faire examiner leur cause par les tribunaux ordinaires et doivent saisir d’autres organes judiciaires de recours. Cela ne saurait être considéré comme l’application injustifiée d’un traitement différent, et le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé cette allégation aux fins de la recevabilité. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.10 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle le délai écoulé entre le dépôt de la plainte disciplinaire (10 octobre 1994) et la décision de la Commission disciplinaire (prise le 20 mai 1997) de fixer la première audience disciplinaire était contraire au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité prend note de l’argument avancé par l’État partie qui objecte que l’auteur aurait dû porter plainte sur le fondement de l’article 132 de la Loi constitutionnelle fédérale quant au fait que la Commission disciplinaire n’avait pas fixé la date d’une telle audience. Il prend note également de la réponse de l’auteur dans laquelle celui ‑ci indique qu’il n’était pas tenu de participer activement à l’ouverture d’une procédure disciplinaire dirigée contre lui. Toutefois, le Comité rappelle que la procédure disciplinaire contre l’auteur a été engagée le 11 novembre 1994. À partir de cette date, l’auteur aurait pu former un recours en carence devant la Cour administrative supérieure sans participer activement à l’ouverture de la procédure disciplinaire contre lui. Si l’auteur veut dire que l’on ne pouvait raisonnablement attendre de lui qu’il accélère sa propre «incrimination» en introduisant un recours en carence, le Comité considère pour sa part que cela ne suffit pas à l’exonérer de l’obligation relative à l’épuisement de tous les recours disponibles, étant donné que la procédure disciplinaire avait déjà été engagée et que l’adoption de la décision sur la tenue devant le Comité d’une première audience était une formalité. Pour invoquer à présent des lenteurs de procédure, l’auteur aurait dû commencer par donner aux juridictions de l’État partie la possibilité de réparer la violation alléguée. Le Comité conclut que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.11 Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur qui fait valoir que la durée de la procédure devant la Cour administrative supérieure concernant le deuxième arrêt du Président de la Cour des comptes était excessive, en violation du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité observe que cette procédure avait cessé de produire tout effet à son égard à partir du 31 janvier 2001, date à laquelle la Cour administrative supérieure a confirmé sa révocation. De même, les décisions définitives rendues par la Cour administrative supérieure le 31 janvier 2001 et le 29 novembre 2002, qui confirmaient sa révocation et sa suspension sur le fondement de l’article 126 de la Loi constitutionnelle fédérale, ont dissipé toute incertitude juridique quant à la compatibilité des activités commerciales privées de l’auteur avec sa fonction de membre de la Cour des comptes. Le Comité considère que l’auteur n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que la longueur de la procédure d’annulation du deuxième arrêt devant la Cour administrative supérieure, qui a abouti le 27 septembre 2005, avait eu sur sa situation juridique des effets préjudiciables constituant une violation du paragraphe 1 de l’article 14. Par conséquent, ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.12 En ce qui concerne les lenteurs de la procédure devant la Cour administrative supérieure relative à la suspension de l’auteur et à sa demande de levée de cette suspension, le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui objecte que cette procédure a cessé de produire des effets à l’égard de l’auteur à partir du 31 janvier 2001, date à laquelle sa révocation est devenue définitive. Il considère néanmoins que, même si l’on ne tient pas compte de la durée de la procédure après cette date, l’auteur a suffisamment montré, aux fins de la recevabilité, que sa durée était excessive. Il rappelle également que l’auteur a fait valoir qu’aucun recours ne lui était ouvert pour contester l’inaction de la Cour administrative supérieure. Cela semble correct, étant donné que l’article 132 de la Loi constitutionnelle fédérale invoqué par l’État partie ne s’applique pas à la Cour administrative supérieure. Le Comité conclut que la communication est recevable en ce qui concerne le grief qui affirme que la durée de la procédure devant la Cour administrative supérieure concernant sa suspension et sa demande de levée de sa suspension ainsi que la durée totale de la procédure soulèvent des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 14.

Examen au fond

8.1 Le Comité rappelle que le droit à un procès équitable reconnu au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte comporte un certain nombre de conditions, notamment la condition que la procédure devant les tribunaux internes soit conduite avec célérité . Cette garantie s’applique à tous les stades de la procédure, et inclut le temps écoulé jusqu’à la décision définitive en appel. Afin de déterminer si une durée est excessive, il convient de l’évaluer à la lumière des circonstances propres à chaque affaire, en tenant compte notamment de la complexité de l’affaire, du comportement des parties, de la manière dont l’affaire a été traitée par les autorités administratives et judiciaires, et éventuellement des effets préjudiciables que les lenteurs de la procédure auraient pu avoir sur la situation juridique du plaignant .

8.2 Pour déterminer le caractère excessif ou non du délai écoulé entre le 6 février 1995, date à laquelle l’auteur a fait appel de sa mesure de suspension devant la Cour administrative supérieure, et le 29 novembre 2002, date à laquelle cette juridiction a confirmé la suspension, le Comité prend en considération l’argument, qui n’a pas été contesté, avancé par l’auteur selon lequel la Cour administrative supérieure n’a pris strictement aucune mesure de procédure pendant toute la période en question, durant laquelle son traitement était réduit d’un tiers. Même en supposant que la minutie du jugement de la Cour administrative supérieure du 29 novembre 2002 illustre la complexité de l’affaire, le Comité ne considère pas que cette circonstance justifie que la décision ait été prise au bout de plus de sept ans et demi, délai pendant lequel, jusqu’à la date de sa révocation le 31 janvier 2001, l’auteur a subi une réduction de salaire et s’est trouvé placé dans une situation d’incertitude juridique au plan professionnel. Le Comité conclut que la durée de la procédure devant la Cour administrative supérieure relative à la suspension de l’auteur était excessive et contraire au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

8.3 Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’a pas à examiner si la durée de la procédure devant la Cour administrative supérieure relativement à la demande de levée de la mesure de suspension présentée par l’auteur, ainsi que la longueur totale de la procédure, font apparaître des violations du paragraphe 1 de l’article 14.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

10. Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme d’une indemnisation appropriée. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre ‑vingt ‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle (dissidente) de M me Ruth Wedgwood

Opinion dissidente de Ruth Wedgwood dans l’affaire Lederbauer c. Autriche (communication n o 1454/2006)

1.1 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a été le résultat des travaux des États parties mais également de plusieurs personnalités éminentes, au nombre desquelles M me Eleanor Roosevelt, veuve du Président de la période de guerre, célébrée en tant que réformatrice sociale. Son idéal consistait à soutenir la démocratie et les droits civils mais elle avait également le sens pratique de ce qui pouvait être accompli au plan international dans la promotion des droits de l’homme.

1.2 Dans la lecture qu’il propose de l’article 14 du Pacte, le Comité des droits de l’homme ne devrait pas ignorer les mises en garde de M me Roosevelt. Du reste, sur le plan du droit, les propos de M me Roosevelt constituent un élément essentiel de l’histoire de la négociation de l’instrument et ont une valeur juridique. À une époque où les organes administratifs commençaient déjà à assumer des fonctions étendues de gouvernement, Eleanor Roosevelt a recommandé de veiller à ce que le Pacte et le Comité qui serait chargé de surveiller son application ne soient pas utilisés pour exercer un contrôle sur chaque organe de réglementation et chaque décision administrative. L’article 14 a été rédigé par elle dans ce sens; le Comité ne peut pas ne pas tenir compte de l’histoire de cette négociation sans mettre en péril sa vocation plus large qui est de s’occuper des violations graves.

1.3 Dans l’affaire à l’examen, un fonctionnaire autrichien du nom de Wolfgang Lederbauer a adressé au Comité des droits de l’homme une communication pour se plaindre de la procédure à l’issue de laquelle il avait été suspendu et démis de ses fonctions à la Cour des comptes de son pays. La suspension était motivée par le conflit d’intérêts assez évident entre ses fonctions publiques de vérificateur aux comptes au sein de l’autorité qui contrôlait l’administration nationale des chemins de fer et ses activités économiques privées consistant à vouloir vendre un procédé particulier d’isolation sonore pour les autoroutes et les chemins de fer. Malgré ses fonctions publiques de vérificateur aux comptes, M. Lederbauer est allé jusqu’à pressentir un dirigeant parlementaire pour qu’il fasse la promotion de son produit plutôt que d’autres systèmes d’isolation pour les autoroutes. Il a entrepris cette démarche alors que l’article 126 de la Loi constitutionnelle autrichienne interdit expressément aux membres de la Cour des comptes de «participer à la direction d’entreprises à but lucratif».

1.4 M. Lederbauer a été suspendu de ses fonctions de vérificateur aux comptes pour cette infraction à l’article 126. Il a ensuite été condamné par un tribunal pénal autrichien qui l’a déclaré «responsable de l’insolvabilité d’une société par négligence» et a été condamné à un emprisonnement de cinq mois avec sursis. L’appel qu’il avait formé contre la décision du tribunal pénal ayant été rejeté, la Commission disciplinaire de la fonction publique autrichienne l’a officiellement révoqué en faisant valoir qu’elle «était obligée de se conformer aux conclusions juridiquement contraignantes de la juridiction pénale quant aux faits».

1.5 M. Lederbauer s’est depuis adressé au Comité des droits de l’homme pour se plaindre d’une multitude de questions de procédure relatives à sa suspension et à sa révocation. Le Comité a élaboré une constatation compliquée de 22 pages qui passe en revue tous les coups et les parades de ce litige avec la fonction publique autrichienne, en se fondant sur des motifs de pure procédure.

1.6 Le Comité rejette tous les griefs de l’auteur sauf: il constate qu’il s’est écoulé un temps excessif avant que les cinq recours formés par l’auteur devant la Cour administrative supérieure aient été tranchés. L’auteur a fait appel de la décision de le suspendre de ses fonctions le 6 février 1995 et la décision finale de la Cour administrative supérieure n’a été rendue que le 29 novembre 2002. La décision de suspension est évidemment devenue sans objet quand l’auteur a été formellement révoqué et sa révocation a été confirmée par la Cour administrative supérieure, le 31 janvier 2001. Le Comité conclut que cette durée était «déraisonnable» et que l’auteur doit bénéficier d’un recours utile «sous la forme d’une indemnisation appropriée». Voir les constatations du Comité, paragraphes 8.1, 8.2 et 10.

1.7 Certes, la Cour administrative supérieure a laissé l’affaire en souffrance pendant longtemps mais affirmer qu’il y a un retard susceptible d’engager la responsabilité de l’administration est une conclusion contestable dans un contexte où l’auteur n’a cessé de faire des démarches visant de toute évidence à empêcher l’application de toute décision prise concernant sa suspension et sa révocation et à obtenir qu’elle soit revue. À différents moments, l’auteur a déposé cinq recours distincts auprès de la Cour administrative supérieure, trois recours auprès de la Cour constitutionnelle et cinq recours auprès de la Commission des recours en matière disciplinaire. Tous ces recours s’ajoutaient à plusieurs actions engagées devant la Commission disciplinaire de la fonction publique. S’il faut conclure quelque chose, c’est peut ‑être que tout le temps consacré aux procédures et la confusion due à leur enchevêtrement montrent les risques qu’il y a à permettre de présenter un recours interlocutoire pour chaque décision intérimaire. Avant de s’adresser au Comité des droits de l’homme, l’auteur et son conseil ont également déposé quatre requêtes distinctes à la Cour européenne des droits de l’homme qui les a rejetées l’une après l’autre parce qu’elles n’entraient pas dans le champ d’application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

1.8 Pendant le laps de temps précis qui constituerait une violation du Pacte, correspondant à la procédure d’appel devant la Cour administrative supérieure, entre le 6 février 1995 et le 29 novembre 2002, ou plus exactement le 31 janvier 2001, il est également à noter qu’une partie du temps a été consacrée à la procédure pénale engagée contre M. Lederbauer. Il est légitime qu’une cour d’appel veuille attendre l’achèvement d’une procédure pénale avant d’agir sur l’affaire civile.

1.9 Pour se prononcer sur cette durée, il faut aussi tenir compte d’un autre aspect. Malgré une façon d’agir dynamique, voire téméraire, M. Lederbauer et son conseil n’ont jamais demandé que la Cour administrative supérieure accélère la procédure ni même adressé une lettre pour s’enquérir de l’état de l’affaire. L’État partie a informé le Comité que l’article 132 de la Loi constitutionnelle fédérale aurait pu servir de fondement pour exiger de la Cour administrative supérieure qu’elle accélère sa décision. Le Comité balaie cet argument de l’État partie sans se référer à un texte du droit administratif autrichien. Mais, indépendamment de l’applicabilité de l’article 132, il n’y a aucun motif convaincant pour conclure qu’il y a eu un retard «excessif» au sens du Pacte, alors que ni l’auteur ni son conseil n’ont jamais pris la plume pour écrire au greffe de la Cour administrative supérieure et demander qu’une décision soit rapidement prise . Il est légitime de demander aux plaignants, en particulier dans la situation confuse créée par leurs nombreuses actions, de faire quelque chose pour contribuer à démêler l’écheveau.

2. Cela dit, la communication soulève un ensemble de questions beaucoup plus importantes auxquelles le Comité des droits de l’homme doit réfléchir posément, si ce n’est dans la présente affaire en tout cas à une autre occasion. Il s’agit notamment de la portée du Pacte telle que les rédacteurs l’avaient envisagée, et de son application problématique aux autorités administratives et aux procédures administratives quand une affaire n’a pas été portée devant un tribunal. Il y a de plus la question incontournable de l’affectation des ressources matérielles limitées du Comité, face à des situations graves de violation des droits de l’homme dans le monde. Il est douteux que les rédacteurs du Pacte aient voulu que le Comité siège pour examiner les milliers voire les centaines de milliers de décisions administratives courantes prises chaque année dans le monde, surtout sachant que les heures de réunion du Comité lui permettent d’examiner peut ‑être une centaine de communications par an. Le Comité ne s’est pas encore interrogé sur la façon dont il pourrait adapter ses méthodes de travail afin de pouvoir traiter une avalanche d’affaires relevant du droit administratif, sans détourner des ressources extrêmement limitées de son travail le plus important. Au minimum, il serait nécessaire de concevoir un moyen de se prononcer sur les communications d’une façon qui tienne compte de l’importance relative de la question en jeu. Le Comité n’a pas encore été saisi d’une pléthore de plaintes relevant du droit administratif mais, dans des affaires isolées, il s’est engagé sur un chemin qui risque de conduire à ce résultat, peut ‑être sans tenir pleinement compte des problèmes inhérents à sa jurisprudence et même des difficultés qui tiennent au texte du Pacte et qui ressortent aussi de l’histoire de sa négociation.

3.1 Comme point de départ, il faut revenir au texte du Pacte. Le libellé du Pacte diffère selon la version de l’instrument et chaque texte fait également foi, ce qui pose un problème particulier. Les variations dénotent non seulement les problèmes de traduction mais les différences dans la façon dont les systèmes juridiques conçoivent les droits civils et privés. Dans le texte anglais du Pacte, la première phrase du paragraphe 1 de l’article 14 est ainsi conçue: «All persons shall be equal before the courts and tribunals». La deuxième phrase indique «In the détermination of any criminal charge against him, or of his rights and obligations in a suit at law , everyone shall be entitled to a fair and public hearing by a competent, independent and impartial tribunal established by law» (non souligné dans le texte) (en français: «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien ‑fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil.»). Il y a une différence évidente et importante entre les dispositions du texte appliquées dans l’article 14 aux accusations en matière pénale et aux suits at law . Ce n’est qu’en ce qui concerne les premières que le texte régit explicitement la question du droit à être jugé sans retard. Le paragraphe 3 c) de l’article 14 garantit directement le droit de toute personne accusée d’une infraction pénale «à être jugée sans retard excessif». Déduire qu’une règle analogue s’applique dans les affaires civiles impose d’établir que l’idée de procès «équitable» ou de tribunal «compétent» comporte implicitement des limites temporelles. Cette différence dans le texte peut avoir des conséquences, certainement pour ce qui est de l’ampleur du retard qui doit être accumulé pour que la question relève de l’article 14.

3.2 Il faut également poser la question de savoir ce qui constitue une «suit at law». Cette expression n’apparaît pas dans le texte français qui parle de «contestations sur ses droits et obligations de caractère civil» . Le texte français comme le texte espagnol semblent s’articuler plus directement autour de la nature du droit plutôt que de l’organe qui se prononce; toutefois, il ne faut pas oublier que les formes d’action dans la common law anglaise ne sont pas variables à l’infini. Il faut relever que l’expression «contestations sur ses droits et obligations de caractère civil» a également été retenue dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dans ce contexte, la Cour européenne des droits de l’homme a statué dans la célèbre affaire Pellegrin c. France que l’expression «caractère civil» ne visait pas les questions de droit du travail relativement aux agents de la fonction publique, qui détiennent une partie de la souveraineté de l’État, comme la police par exemple. Voir Pellegrin c. France , Cour européenne des droits de l’homme, 8 décembre 1999, Recueil 1999 ‑VIII, n o 28541/95.

3.3 Si le Comité des droits de l’homme n’a pas fait référence à l’affaire Pellegrin dans ses décisions récentes, il faut relever que la décision majeure rendue le 8 avril 1986 dans l’affaire Y. L. c. Canada (communication n o 112/1981) a suivi une ligne identique. Dans cette affaire, il a donné à entendre que l’application du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte dans des affaires non pénales dépendrait soit de la nature du droit soit de l’organe particulier saisi. On peut dire que la portée du paragraphe 1 de l’article 14 dans des affaires autres que pénales était limitée aux questions de droit civil − à l’exclusion du droit public − et aux questions soumises devant une «cour de justice» ou un «tribunal» . Le Comité reprend souvent les questions qui ont été posées dans l’affaire Y. L. c. Canada , mais de façon plus succincte, notant que c’est la nature du droit en question et non le statut de l’une des parties qui importe. Mais il est bon de se souvenir que la nature du droit n’a pas été considérée comme une question futile dans la formulation originale. Au contraire, selon le texte de la décision Y. L . c. Canada, il peut y avoir des décisions du Gouvernement qui ne sont pas susceptibles d’examen au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, en raison de la portée limitée de cet article .

4.1 Pour ce qui est des questions de droit administratif qui ne seraient pas susceptibles d’être examinées par le Comité des droits de l’homme, l’histoire de la négociation de l’article 14 est particulièrement éclairante . Le texte initialement proposé à la Commission des droits de l’homme en 1947, dans un projet établi par le Secrétariat, aurait garanti aux individus, dans des affaires non pénales, l’accès «à des tribunaux indépendants et impartiaux qui diront quels sont [leurs] droits et [leurs] devoirs au regard de la loi» et un droit «de consulter un conseil et d’être représentés par lui». Voir E/CN.4/21, annexe A (projet du Secrétariat), article 27.

4.2 La représentante des États ‑Unis avait dans un premier temps fait une proposition analogue − tendant à garantir que «tout individu a droit à ce qu’un tribunal compétent et impartial statue sans délais indus sur tous droits ou obligations de caractère civil; chacun a la faculté de se faire entendre dans des conditions équitables par un tribunal, ainsi que de consulter un conseil et d’être représenté par lui». Voir E/CN.4/21, annexe C, article 10, et E/CN.4/AC.1/8 (correspondant à l’article 27 du texte établi par le Secrétariat).

4.3 À sa deuxième session, le groupe de rédaction de la Commission des droits de l’homme a examiné un troisième texte, qui prévoyait un droit d’accès à un tribunal pour obtenir le règlement de questions de droit civil. Le texte était le suivant: «En ce qui concerne la détermination de ses droits et obligations, tout individu a le droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial et d’être assisté d’un défenseur.». Voir E/CN.4/37 (États ‑Unis), art. 10.

4.4 Toutefois, le 1 er juin 1949, la représentante des États ‑Unis, M me Eleanor Roosevelt, a mis en garde contre le danger de donner une portée trop étendue au droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial, si la garantie s’appliquait à tous «les droits et obligations». Eleanor Roosevelt a remanié le texte de façon qu’il vise seulement les «civil suits», et non les «droits et obligations». Voir E/CN.4/253. Elle a expliqué la raison de ce changement en termes très clairs:

«La raison en est que beaucoup de droits et d’obligations civils comme, par exemple, ceux qui se rapportent au service militaire et aux impositions, sont généralement déterminés par des fonctionnaires de l’administration plutôt que par des tribunaux; d’autre part, le texte initial semble suggérer que tous les droits et toutes les obligations de ce genre doivent nécessairement être déterminés par un tribunal indépendant et impartial. L’amendement des États ‑Unis préviendrait une telle interprétation.» (E/CN.4/SR.107, p. 3).

La modification de M me Roosevelt visait apparemment à préserver le rôle des procédures administratives dans lesquelles l’autorité compétente pourrait appartenir au pouvoir exécutif et ne pas satisfaire aux conditions strictes d’indépendance et d’impartialité.

4.5 Le représentant de la France, l’éminent homme d’État René Cassin, a répondu en proposant de supprimer le mot «civils» dans le membre de phrase «droits et obligations civils» − (en faisant valoir que la portée de la garantie serait élargie ) étant donné que le mot «civils» n’englobait pas «les questions d’ordre fiscal, administratif et militaire, pour lesquelles il est possible, en dernier ressort, d’exercer un recours en justice» (E/CN.4/SR.107, p. 6).

4.6 Le représentant de l’Égypte, M. Omar Loutfi, a considéré que le mot «civils» avait «un sens étroit qui exclut les affaires ayant trait, par exemple, aux impôts ou au service militaire» (E/CN.4/SR.107, p. 8). M. Karim Azkoul, représentant du Liban, était du même avis (voir E/CN.4/SR.107, p. 8 et 9).

4.7 Ultérieurement, le 2 juin 1949, le représentant du Danemark, M. Max Sorensen, a déclaré craindre que la proposition tendant à donner à toute personne le droit à ce que le tribunal décide de ses droits et obligations n’ait «une portée beaucoup trop vaste; elle tendait à soumettre à une décision judiciaire toute mesure prise par des organes administratifs qui exercent un pouvoir discrétionnaire qui leur est conféré par la loi. Il reconnaissait qu’il conviendrait d’assurer la protection de l’individu contre tout abus de pouvoir de la part des organes administratifs, mais la question était extrêmement délicate et il était douteux que la Commission soit en mesure de la résoudre maintenant» (voir E/CN.4/SR.109, p. 3 et 4).

4.8 Le représentant du Guatemala, M. Carlos García Bauer, s’était fait l’écho de l’inquiétude exprimée par la France, l’Égypte et le Liban, qui craignaient que «l’action civile ne s’étende pas à tous les cas envisagés, aux questions commerciales et de travail par exemple» (voir E/CN.4/SR.109, p. 7).

4.9 M me Roosevelt, revenue dans le débat, ne s’est pas opposée à la suppression de l’adjectif «civils». Apparemment en réponse à l’objection selon laquelle toutes les actions administratives seraient automatiquement régies par les dispositions restrictives du Pacte, ou que le pouvoir discrétionnaire de l’administration serait perdu, elle a proposé d’introduire les mots «dans une action en justice» («in a suit at law») afin de mettre en évidence «le fait que le recours à un tribunal a un caractère judiciaire» (voir E/CN.4/SR.109, p. 8). Autrement dit, c’était le recours à un tribunal et non pas la matière qui faisait l’objet du recours, qui constituait une «a suit at law». L’application du Pacte était limitée aux affaires dans lesquelles un droit ou une obligation était jugé ou réexaminé par une cour de justice ou un tribunal.

4.10 Enfin, le 2 juin 1949, le représentant de la France, René Cassin, a proposé une modification qui partait de la rédaction de M me Roosevelt:

«Le représentant du Danemark l’a convaincu qu’il est très difficile de régler, dans cet article, toutes les questions de l’exercice de la justice dans les rapports entre les particuliers et les gouvernements. Il est disposé, par conséquent, à accepter que l’expression “soit de ses droits et obligations”, dans la première phrase de l’amendement de la France et de l’Égypte, soit remplacée par “soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil”.» (voir E/CN.4/SR.109, p. 9).

4.11 Ainsi l’adjectif « civil » a été abandonné dans la version anglaise et la portée du paragraphe 1 de l’article 14 pour les questions administratives a, semble ‑t ‑il, été limitée au dernier stade du recours à une juridiction. Cette idée a été incorporée dans le texte proposé et approuvé le 2 juin 1949 (voir E/CN.4/286 et E/CN.4/SR.110, p. 5).

4.12 Le représentant de la Yougoslavie, M. Jeremovic, a ensuite réaffirmé l’idée qu’il ne fallait pas donner à entendre que toutes les affaires civiles devaient être jugées par un tribunal indépendant. Des questions telles que «des infractions aux règlements régissant le trafic routier» étaient «habituellement considérées comme étant du ressort des organes de la police ou d’organes semblables et traitées par voie administrative» (voir E/CN.4/SR.155, partie II, p. 6 et 7). Une proposition soumise ensuite par les Philippines tendant à supprimer l’expression « suit at law » («de caractère civil») avait été rejetée par 11 voix contre 1, avec une abstention (voir E/CN.4/SR.155, partie II, p. 11).

4.13 Cette étude préliminaire d’une histoire de négociation complexe est présentée dans l’idée que le Comité, quand il interprète l’article 14, devrait se référer non seulement à sa propre opinion de la pratique souhaitable mais aussi à ce que les États parties de l’époque voulaient élaborer comme instrument. Il ne s’agit pas de nier la possibilité d’une «évolution progressive» du droit et pas davantage d’une manifestation simpliste du «syndrome du fondateur». Mais il s’agit de souligner que le Comité voudra peut ‑être s’intéresser à l’histoire de la négociation d’un texte compliqué, comme point de départ important pour l’interprétation du Pacte. Les attentes des États parties qui ont ratifié l’instrument méritent assurément une certaine considération.

4.14 Dans le contexte de la présente affaire, l’histoire de la négociation du Pacte n’offre guère d’arguments pour étayer l’idée que l’ensemble d’une procédure administrative doit se dérouler dans des délais stricts ou que toute phase autre que le recours à un tribunal entre dans le champ d’application du paragraphe 1 de l’article 14 . Il faut supposer que quand il invoque des motifs concrets de fait pour rejeter divers griefs avancés par M. Lederbauer, le Comité n’entend pas modifier cette importante distinction . De plus, il ne conviendrait pas de conclure que chaque fois qu’un État partie cherche à garantir l’indépendance et l’impartialité d’un organe administratif, cet organe devient automatiquement, de ce fait, une cour de justice ou un tribunal au sens du Pacte .

5.1 Enfin, il peut être utile de passer en revue plusieurs nuances présentes dans les décisions du Comité au titre de l’article 14, dans un contexte de droit administratif. Même cette série non continue d’affaires montre qu’il faut se garder de penser de façon simpliste que le Comité peut constituer un organe de quatrième instance pour réexaminer d’innombrables questions de procédure administrative.

5.2 La première grande affaire, Y. L. c. Canada (communication n o 112/1981, adressée le 7 décembre 1981, décision rendue le 8 avril 1986) portait sur la radiation de l’armée d’un soldat canadien pour troubles mentaux. Le recours déposé par l’intéressé avait été examiné et rejeté successivement par la Commission canadienne des pensions, par un conseil chargé de déterminer les conditions à remplir pour bénéficier d’une pension («Entitlement Board») et par le Conseil de révision des pensions. Le plaignant faisait valoir que le Conseil de révision n’était pas un organe indépendant et impartial et qu’il n’avait pas bénéficié d’une procédure équitable. L’ État partie avait contesté le grief en faisant valoir que la procédure engagée devant le Conseil de révision des pensions ne constituait pas un procès («suit at law») au sens de l’article 14 du Pacte et que, en tout état de cause, le militaire aurait pu contester la décision de ce conseil en s’adressant à la Cour d’appel fédérale.

5.3 Comme on l’a vu plus haut, quand il a examiné la question de la recevabilité de la communication, le Groupe de travail du Comité des droits de l’homme a conclu qu’il fallait déterminer si les droits et obligations d’un membre des forces armées étaient réputés être «des droits et obligations civils» ou au contraire «des droits et obligations relevant du droit public». Voir la décision du Comité, Y. L . c. Canada , communication n o 112/1981, paragraphe 5. C’est la distinction que, plus tard, la Cour européenne des droits de l’homme a considérée comme essentielle au regard l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales quand elle a examiné l’affaire Pellegrin . Dans l’affaire Y. L . c. Canada , la majorité des membres du Comité des droits de l’homme a relevé de plus qu’il était «exact que» les garanties énoncées dans la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte « valent seulement pour les affaires pénales et pour toute “suit at law ”». Décision du Comité, paragraphe 9.1 (non souligné dans le texte).

5.4 La majorité des membres du Comité a fini par rejeter les griefs de l’auteur en relevant que celui ‑ci disposait d’un autre recours, devant la Cour d’appel fédérale. Quand il a décrit la portée du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité a arrêté un double critère, fondé sur les différentes versions du Pacte qui font également foi. Il ne faut pas oublier le deuxième élément du critère.

5.5 Le Comité a indiqué ce qui suit:

«De l’avis du Comité, la notion de suit at law ou ses équivalents dans les autres langues du Pacte est fondamentalement liée à la nature du droit en question et non au statut de l’une des parties (entité gouvernementale ou paraétatique ou entité officielle autonome), non plus qu’à l’organisme devant lequel les différents systèmes juridiques peuvent prévoir qu’il sera statué sur le droit en question, tout particulièrement dans les systèmes relevant de la common law , où il n’y a pas de différence intrinsèque entre le droit public et le droit privé et où les tribunaux exercent normalement leur juridiction sur le déroulement des affaires soit en première instance, soit à la suite d’un appel expressément prévu par la loi, soit encore par le moyen d’une révision judiciaire.».

Voir décision du Comité dans l’affaire Y. L. c. Canada (communication n o 112/1981), paragraphe 9.2 (non souligné dans le texte).

5.6 Le premier élément semble renvoyer à la distinction entre droits privés et droits publics. Le deuxième semble autoriser (autant que limiter) une extension du Pacte, pour le faire porter sur les décisions d’organes judiciaires dans les cas où le système juridique d’un pays particulier autorise l’examen d’un ensemble plus large de droits. La majorité a fini par conclure que le fait que l’auteur ne se soit pas pourvu devant la Cour d’appel fédérale empêchait de constater une violation.

5.7 Trois membres du Comité des droits de l’homme sont allés plus loin et ont déclaré dans l’affaire Y. L . c. Canada que le Pacte ne s’appliquait pas au litige du soldat, pour deux raisons: la nature du droit et l’organe qui avait pris la décision. Premièrement, au Canada «la relation entre un militaire, qu’il soit en service actif ou à la retraite, et la Couronne a de nombreux aspects spécifiques qui en font tout autre chose qu’un contrat de travail régi par le droit canadien». Opinion individuelle signée de Bernhard Graefrath, Fausto Pocar et Christian Tomuschat jointe à la décision concernant la recevabilité de la communication n o 112/1981 ( Y. L . c. Canada ) paragraphe 3. Deuxièmement, d’après les membres qui avaient joint l’opinion individuelle, «le Pension Review Board est un organe administratif relevant du pouvoir exécutif et n’ayant pas qualité de tribunal. Ainsi, aucun des deux critères qui permettent de déterminer ensemble si les garanties prévues au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ont été respectées n’est satisfait».

5.8 Dans une autre grande affaire, Casanovas c. France (communication n o 441/1990, décision du 7 juillet 1993), la plainte émanait d’un ex ‑sapeur pompier de la ville de Nancy (France) qui avait été démis de ses fonctions pour incompétence. Le tribunal administratif avait fait droit au recours déposé par le sapeur pompier et avait réintégré celui ‑ci dans ses fonctions. Or une deuxième action engagée contre le sapeur pompier avait de nouveau abouti à sa révocation. Cette fois le tribunal administratif avait ordonné la clôture de l’instruction préliminaire et avait refusé d’inscrire l’affaire au rôle du tribunal à une date aussi rapprochée que possible, faisant valoir que d’autres affaires étaient en souffrance depuis quatre ans. La Commission européenne des droits de l’homme avait entre ‑temps déclaré sa communication irrecevable au motif que la Convention européenne des droits de l’homme ne s’appliquait pas aux procédures de révocation des fonctionnaires. Voir constatations du Comité Casanovas c. France , paragraphe 2.5.

5.9 Dans ses observations concernant la communication soumise au Comité des droits de l’homme, l’État français a relevé que la Commission européenne avait fondé sa décision sur un texte de la Convention européenne qui était identique à celui de l’article 14 du Pacte et a fait valoir que le Comité devait interpréter la catégorie des droits «de caractère civil» d’une façon parallèle. L’État français faisait aussi valoir que le paragraphe 1 de l’article 14 ne contenait pas de disposition qui imposait qu’une décision judiciaire soit rendue dans un certain délai dans des affaires autres que pénales.

5.10 Curieusement, le Comité n’a examiné que le premier élément des critères dégagés dans l’affaire Y. L. c. Canada , estimant qu’il fallait se fonder «sur la nature du droit en question plutôt que sur le statut de l’une des parties». Constatations du Comité, Casanovas c. France (communication n o 441/1990, décision du 7 juillet 1993), paragraphe 5.2. Dans son argumentation sur la recevabilité, le Comité n’a donné aucun motif pour expliquer pourquoi il concluait que la relation de travail entre un sapeur pompier français et la municipalité devait être interprétée différemment de la relation entre un soldat canadien et son gouvernement . Le Comité a conclu plus tard, dans une décision distincte sur le fond, que le retard mis par le tribunal administratif français pour statuer sur l’affaire, qui était de deux ans et neuf mois, ne constituait pas une violation du paragraphe 1 de l’article 14, en partie parce que le tribunal avait bien examiné la question de savoir si l’affaire «méritait un traitement prioritaire». Constatations du Comité Casanovas c. France (communication n o 441/1990) adoptées le 19 juillet 1994, paragraphe 7.4.

5.11 Le Comité a eu de nouveau à examiner l’application de l’article 14 dans l’affaire Nicolov c. Bulgarie (communication n o 824/1998) présentée le 14 janvier 1997, la décision ayant été prise le 24 mars 2000. Le Comité a déclaré que le grief de violation du Pacte avancé par un procureur qui avait été démis de ses fonctions n’était pas étayé. Le Conseil de la magistrature bulgare avait démis ce magistrat de ses fonctions et la révocation avait été confirmée par la Cour suprême. Le Comité des droits de l’homme a considéré que le Conseil supérieur de la magistrature était un simple «organe administratif», voir décision, paragraphe 2.1, note de bas de page 1, et que le grief de l’auteur qui affirmait que les membres du Conseil étaient prévenus contre lui était irrecevable faute d’être étayé, sans expliquer si un organe administratif en tant que tel pouvait être tenu de se conformer aux prescriptions du paragraphe 1 de l’article 14. La révocation contestée en invoquant le fait aurait pu être que la procédure de révision de la décision par la Cour suprême pouvait elle ‑même être examinée par le Comité, étant donné que cette juridiction était incontestablement un organe judiciaire, entrant dans le champ d’application de l’article 14.

5.12 Il faut évoquer aussi une quatrième affaire, l’affaire Franz et Maria Deisl c. Autriche (communication n o 1060/2002 présentée le 17 septembre 2001, décision rendue le 27 juillet 2004). Représentés par un conseil, Alexander H. E. Morawa, les auteurs de la communication avaient présenté toute une série de faits extrêmement compliqués se rapportant à la loi sur le zonage dans une commune située près de Salzbourg, notamment la transformation d’une grange en maison de campagne et un recours formé contre la décision de démolition d’une autre grange qui devait être transformée en remise. Les auteurs se plaignaient de ce que la procédure administrative avait duré «plus de trente ans» et s’était terminée par des décisions du tribunal administratif et de la Cour constitutionnelle rendues au bout de deux ans et neuf mois. Voir constatations du Comité, Deisl c. Autriche , paragraphe 3.4. L’État autrichien avait invoqué sa réserve à l’article 14 du Pacte, tendant à maintenir «la structure administrative autrichienne sous le contrôle judiciaire du tribunal administratif et de la Cour constitutionnelle». Voir constatations du Comité, idem, paragraphe 6.4. En ce qui concernait la durée de la procédure devant ces deux juridictions, l’État autrichien avait souligné que la Cour constitutionnelle avait été saisie d’environ 5 000 affaires relevant du droit des étrangers, comme suite à la crise dans les Balkans, et de 11 000 plaintes concernant l’imposition des entreprises.

5.13 Les auteurs affirmaient que la gamme de droits visés par l’article 14 du Pacte était plus étendue que celle des droits couverts par le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne, en particulier parce que le mot «civil» n’apparaissait pas dans le Pacte. Se fondant sur l’argumentation relative à «la nature du droit» avancée dans l’affaire Y. L . c. Canada , malgré un contexte bien différent, le Comité a considéré que «les procédures relatives à la demande de dérogation au règlement de zonage introduite par les auteurs, et aux ordres de démolition, concernent la détermination de leurs droits et obligations dans une action civile». Voir constatations du Comité, Deisl c. Autriche , paragraphe 11.1 (non souligné dans le texte de la décision). Cette formulation plus large pourrait laisser entendre que les décisions administratives préliminaires sont également couvertes par le Pacte.

5.14 Quand il a examiné la recevabilité et le fond dans l’affaire Deisl , le Comité a noté que le paragraphe 1 de l’article 14 n’imposait pas «… de veiller à ce que les décisions prises soient rendues par des tribunaux à tous les stades de la procédure». Voir constatations du Comité, paragraphe 10.7. Mais le Comité a ensuite, semble ‑t ‑il, étudié des critères pour établir ce qui constitue une durée excessive en rapport avec des autorités administratives municipales et provinciales qui n’étaient pas des «cours de justice» ou des «tribunaux» au sens de l’article 14, même s’il existe en Autriche des tribunaux de recours qui en dernier ressort réexamineraient ces procédures. Le Comité avait également évoqué les «retards constatés dans l’ensemble de la procédure», sans se limiter aux deux tribunaux judiciaires particuliers. Voir constatations du Comité, paragraphe 10.11.

5.15 À l’époque je me suis ralliée à la majorité mais ces critères, s’ils étaient largement appliqués, impliqueraient que le Comité des droits de l’homme, siégeant à Genève, pourrait devenir un arbitre pour les retards de tous les organes administratifs des 160 États parties. Il est très peu probable que ce soit ce que le Comité voulait dans l’affaire Y. L . c. Canada , et encore moins ce que les rédacteurs souhaitaient en 1949. Le Comité n’a constaté aucune violation dans les faits de l’affaire Deisl c. Autriche mais le texte de la décision pourrait bien ouvrir la boîte de Pandore. Cela n’a pas été entièrement appréhendé au moment de l’adoption de la décision mais celle ‑ci pourrait entraîner la soumission au Comité de milliers d’affaires par an. On peut remarquer que la décision dans cette affaire précise a demandé une argumentation d’une vingtaine de pages et énormément de temps alors que l’affaire est loin d’avoir l’importance morale ou juridique d’un grand nombre d’autres communications soumises au Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif .

5.16 Il y a eu ensuite l’affaire Perterer c. Autriche (communication n o 1015/2001, présentée le 31 juillet 2001, décision rendue le 20 juillet 2004). L’auteur de la communication était un employé municipal, énergiquement représenté par un conseil, Alexander H. E. Morawa. Comme dans l’affaire Lederbauer , l’auteur de cette communication était accusé d’avoir détourné des fonds publics à des fins personnelles et de ne pas avoir assisté à certaines auditions qui faisaient partie de son travail, sur des projets immobiliers. Il avait été suspendu de ses fonctions par la Commission disciplinaire autrichienne et, comme dans l’affaire Lederbauer , il avait récusé le Président de la Chambre de la Commission disciplinaire, et avait même voulu engager une action pénale contre lui. Il avait opposé toute une série d’objections qui avaient ralenti la procédure. Il avait fait valoir qu’il n’était pas en état de passer en jugement, pour des raisons médicales. Un nouveau président avait été désigné mais l’auteur avait de nouveau récusé deux membres ordinaires nommés par la municipalité, affirmant qu’eux aussi manquaient d’indépendance. Une décision avait été rendue par une instance supérieure confirmant son droit de récuser ces deux membres et il avait une nouvelle fois récusé le nouveau Président. Le premier Président était donc revenu pour conduire la procédure et avait de nouveau été récusé; le deuxième Président était revenu pour diriger les débats. La Commission de recours avait finalement rejeté la plainte de Perterer qui avançait que le fait que le deuxième Président ait occupé brièvement la fonction lui avait porté préjudice. Et ce n’est pas tout: Perterer avait également contesté la composition de la Commission de recours disciplinaire, en cherchant à récuser son président et deux membres. La Cour administrative autrichienne a rejeté les objections élevées au sujet de la composition et de la décision de la Commission d’appel. Perterer a adressé une requête à la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a aussi rejetée au motif que la Convention européenne ne visait pas la question de la révocation d’employés de la fonction publique; il s’est alors adressé au Comité des droits de l’homme affirmant, apparemment sans ironie, que la procédure avait duré trop longtemps. L’État partie a objecté que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne s’appliquait pas aux litiges qui opposent des autorités administratives et des membres de la fonction publique participant directement à l’exercice de la puissance publique. En reprenant le raisonnement suivi dans l’affaire Y. L . c. Canada , l’État partie a également noté que les décisions de la Commission disciplinaire étaient susceptibles d’appel devant la Commission de recours de la fonction publique ainsi que devant la Cour administrative et que l’indépendance et l’impartialité incontestées de la Cour administrative répondaient entièrement aux prescriptions de l’article 14 .

5.17 Le Comité des droits de l’homme a conclu que l’État partie avait «reconnu que le collège de la Commission disciplinaire était un tribunal au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte» (voir constatations du Comité dans l’affaire Perterer c. Autriche , par. 9.2), mais on peut très bien concevoir que l’État partie voulait dire simplement que la Commission était un organe indépendant et impartial, même si elle ne constituait pas un tribunal. Le Comité a également conclu que le fait que le Président ait de nouveau présidé le collège jetait «un doute» sur l’impartialité du collège, alors même que le tribunal administratif avait rejeté ce grief, considérant qu’il était dénué de fondement. Le Comité a considéré que le tribunal administratif avait «examiné la question» mais a ajouté qu’il ne l’avait «fait que de manière sommaire» (voir constatations du Comité dans l’affaire Perterer c. Autriche , par. 10.4). Enfin, le Comité des droits de l’homme a conclu que les cinquante ‑sept mois qui avaient été nécessaires pour statuer dans la procédure administrative avaient représenté une durée excessive parce qu’une partie de ce temps avait été consacré à l’appel de décisions ensuite annulées (voir constatations du Comité dans l’affaire Perterer c. Autriche , par. 10.7). Ces constatations du Comité n’ont été assorties d’aucune opinion dissidente mais on peut se demander maintenant, avec le recul et avec une vision plus large de la jurisprudence, si ce genre de réprobation détaillée du droit administratif d’un État particulier peut vraiment être le type de violation que les rédacteurs de l’article 14 voulaient viser. Il est certain que la durée considérable de la procédure − cinquante ‑sept mois − apparaît déjà moins étonnante quand l’on sait que le plaignant a fait des démarches pour récuser chacune des personnes appelées à se prononcer sur son cas. Il serait également étonnant de conclure, d’une façon générale, que l’annulation d’une décision entachée d’erreurs commises de bonne foi par un organe inférieur signifie nécessairement que la durée de la procédure a été excessive. En fixant des normes sur ce qui constitue une durée acceptable, le Comité des droits de l’homme doit tenir compte des difficultés rencontrées par les organes de recours des États, eu égard à leur calendrier chargé. On voudra peut ‑être aussi se rappeler les retards inévitables et importants que même le Comité des droits de l’homme a accumulés parfois dans son travail.

6.1 Ce genre d’affaire mériterait donc une réflexion sur l’histoire de la rédaction et les travaux préparatoires du Pacte − ne serait ‑ce que pour vérifier si cette déviation du paragraphe 1 de l’article 14, l’utilisation qui en résulte du temps limité du Comité, qui doit analyser en détail les procédures administratives nationales complexes, est vraiment conforme à la vocation profonde, essentielle, du Pacte.

6.2 Le Comité des droits de l’homme protège, à juste titre, sa juridiction. Mais ce nouvel exemple d’un genre d’affaires administratives, routinier et portant sur des faits précis, oblige à se demander si nous avons fait justice à la réserve émise par de nombreux États européens quand ils ont ratifié le Protocole facultatif. L’Autriche a émis une réserve qui empêche le Comité d’examiner une communication qui porte sur la même question qu’une requête déjà examinée par la Cour européenne des droits de l’homme en vertu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales . Le texte français du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte est une réplique presque mot pour mot du texte français du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention dans sa référence aux «contestations sur ses droits et obligations de caractère civil» . Il est assurément audacieux d’affirmer qu’une «question» n’est pas visée par la réserve simplement parce que le Comité préfère adopter sur le fond une perspective différente de celle de la Cour européenne. Il faut également rappeler que l’expression «droits et obligations de caractère civil» utilisée délibérément dans le Pacte international était manifestement plus étroite que la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’Assemblée générale en 1948, où il est question en général de «droits et obligations» . L’adhésion des États parties au Protocole facultatif se rapportant au Pacte n’est pas irréversible et l’utilisation d’une certaine prudence dans l’exercice de notre compétence est peut ‑être plus fidèle au but de la réserve.

6.3 Cette circonspection dans l’interprétation se justifie aussi par la nécessité de préserver la capacité du Comité de rendre des décisions efficacement et rapidement dans les cas graves, dans le système des droits de l’homme des Nations Unies où de multiples besoins sont en concurrence. Dans l’affaire Pellegrin c. France , le juge Ferrari Bravo, a joint une opinion concordante dans laquelle il s’est inquiété de ce que la Cour européenne des droits de l’homme recevait «une avalanche de recours en matière de traitement économique des agents de la fonction publique». M. Manfred Nowak a soulevé la problématique des garanties procédurales détaillées dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme» . Les 180 000 affaires en souffrance à la Cour européenne sont là pour alerter tout système international qui aspire à s’occuper des crises graves des droits de l’homme qui surgissent dans les pays du monde entier.

( Signé ) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

ANNEXE VIII

DÉCISIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME DÉCLARANT IRRECEVABLES DES COMMUNICATIONS PRÉSENTÉES EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

A. Communication n o 982/2001, Singh Bhullar c. Canada * (Décision adoptée le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Jagjit Singh Bhullar (représenté par un conseil, M. Stewart Istvanffy)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Canada

Date de la communication :

3 juin 2001 (date de la lettre initiale)

Objet : Expulsion d’un sikh du Canada vers l’Inde

Questions de procédure : Épuisement des recours internes

Questions de fond : Non ‑refoulement; procès équitable; protection de l’unité familiale et des droits de l’enfant

Articles du Pacte : 2, 6, 7, 14, 23, 24

Article du Protocole facultatif : 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication, datée du 3 juin 2001, est Jagjit Singh Bhullar, de nationalité indienne, né le 10 octobre 1960 en Inde. Il déclare qu’il serait victime de violations par le Canada des articles 2, 6, 7, 14, 23 et 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques s’il était renvoyé en Inde. Il est représenté par un conseil, M. Stewart Istvanffy.

1.2 Le 16 août 2001, l’État partie a déclaré qu’il se conformerait à la demande de mesures provisoires de protection formulée par le Comité en application de l’article 86 (devenu depuis l’article 92) de son règlement intérieur, et n’expulserait pas l’auteur du Canada tant que le Comité n’aurait pas achevé l’examen de sa communication.

Exposé des faits

2.1 L’auteur était un sympathisant et un partisan des principaux groupes politiques sikhs d’Inde, notamment l’un des grands partis sikhs du Pendjab: la Fédération indienne des étudiants sikhs et l’Akali Dal (Mann). Il dit que depuis 1995, il avait souvent été victime de passages à tabac et de tortures parce qu’il était soupçonné de prêter assistance à ces groupes. Il avait pris la fuite et à partir de ce moment sa famille avait subi les harcèlements de la police et son père, personnage important de la communauté, avait été menacé de mort par des membres de la police du Pendjab. L’auteur affirme en outre que sa femme aurait été violée en garde à vue alors qu’il était recherché par la police.

2.2 En 1997, l’auteur a décidé de quitter l’Inde. Sa femme est arrivée au Canada en septembre 1997, et l’auteur l’a rejointe en janvier 1998. À la fin de l’année 1997 ou au début de l’année 1998, ils ont eu un enfant au Canada. Le 11 août 1998, deux membres de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ont entendu l’auteur et sa femme afin de déterminer s’ils pouvaient prétendre au statut de réfugié. L’auteur et sa femme étaient représentés par un conseil à cette audience.

2.3 La demande de l’auteur a été rejetée en date du 8 septembre 1998. Les commissaires ont jugé après examen de l’ensemble des éléments qui leur avaient été soumis que les éléments présentés par l’auteur et sa femme n’étaient pas crédibles, notamment en raison d’incohérences importantes qui n’avaient pas été expliquées de façon satisfaisante. Il n’avait donc pas été démontré qu’il existait une «possibilité sérieuse» de persécution s’ils retournaient en Inde.

2.4 Le 26 octobre 1998, l’auteur a demandé à être inscrit dans la catégorie des «demandeurs non reconnus du statut de réfugié» («DNRSRC»). Les demandeurs à qui le statut de réfugié est refusé peuvent demander à demeurer sur le territoire canadien en étant inscrits dans cette catégorie, qui permet de demander un permis de séjour permanent aux personnes qui ne peuvent pas prétendre au statut de réfugié au sens de la Convention de 1951 mais courent un risque objectivement identifiable d’être tuées ou de subir une sanction extrême ou un traitement inhumain si elles étaient renvoyées dans leur pays d’origine. Cette procédure permet aussi d’évaluer tout changement de situation éventuel avant l’expulsion. La demande de l’auteur a été rejetée parce qu’il ne l’avait pas présentée dans les délais.

2.5 Le 19 janvier 1999, un second enfant est né. Le 14 novembre 2000, l’auteur a présenté une demande de dérogation ministérielle pour des raisons d’ordre humanitaire, en application de l’article 114 de la loi sur l’immigration. Il a avancé à l’appui de cette demande la grossesse difficile de sa femme, la naissance prématurée de leur fils en janvier 1999, le travail de couturière à temps partiel de sa femme et son intention de travailler avec elle, ainsi que le danger qu’il courrait en Inde du fait de son appartenance à un groupe sikh et de ses «activités politiques passées».

2.6 Le 19 janvier 2001, la demande de dérogation ministérielle pour raisons humanitaires a été rejetée par une décision écrite motivée. Pour ce qui était du risque encouru en cas de renvoi en Inde, les éléments avancés étaient les mêmes que ceux qui avaient été présentés à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et aucune des incohérences qui avaient conduit la Commission à conclure que la demande était peu crédible n’était expliquée. Sur les questions familiales, la famille était au Canada depuis deux ans seulement et n’avait pas réussi à s’établir. Si les enfants retournaient en Inde, ils bénéficieraient de la présence de la famille élargie des deux parents et de structures éducatives adaptées, et conserveraient le droit de revenir au Canada.

2.7 Le 20 février 2001, l’auteur a présenté deux demandes de réexamen judiciaire. La première portait sur la décision initiale de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Comme il s’était écoulé plus de deux ans depuis la date limite fixée pour le dépôt des demandes de réexamen, l’auteur a demandé une extension du délai, ce qui a été refusé par la Cour fédérale en date du 11 juin 2001 au motif que la demande ne soulevait pas de question grave devant être jugée. La seconde demande de réexamen concernait la décision du 19 janvier 2001 portant sur la demande de dérogation pour des raisons d’ordre humanitaire. Le 17 août 2001, la Cour fédérale a rejeté cette demande au motif qu’elle avait été présentée après les délais prescrits et que l’auteur n’avait pas avancé d’éléments montrant qu’il y avait matière à contester la décision ou qu’il restait à statuer sur une question grave.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir qu’il ferait l’objet d’une exécution extrajudiciaire et de torture s’il était renvoyé vers l’Inde, en violation des articles 6 et 7 du Pacte. Selon lui, il n’y a pas d’interdiction obligatoire de renvoyer des personnes dans un pays où elles risquent la mort ou la torture. De plus, la décision de l’expulser ne tient pas suffisamment compte du caractère intangible des articles 23 et 24 relatifs à la protection de la famille et de ses enfants, canadiens de naissance.

3.2 L’auteur affirme en outre que, en violation des articles 2 et 14 du Pacte, il ne dispose pas de recours légal utile, étant donné que les agents de l’immigration de l’État partie ne sont pas suffisamment impartiaux et n’ont pas l’indépendance et la compétence nécessaires pour procéder aux évaluations des risques requises. Ces agents subissent des pressions pour statuer en faveur de l’expulsion, et partent du principe que les demandeurs mentent ou abusent du système.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1 Dans une note du 2 novembre 2001, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés en ce qui concernait le grief au titre de l’article 7 et qu’aucune présomption sérieuse de violation du Pacte n’apparaissait pour aucun des griefs.

4.2 Au sujet des voies de recours internes, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas fait preuve de la diligence voulue pour se prévaloir des recours disponibles et utiles. Il n’a pas démontré que les recours qui pouvaient lui être ouverts n’étaient pas utiles ou disponibles dans un délai raisonnable. L’État partie fait valoir que sa demande d’inscription dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié a été présentée hors délais et a donc été rejetée. Sa demande de réexamen judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a elle aussi été soumise après l’expiration des délais et rejetée par la Cour fédérale, qui a considéré qu’elle ne soulevait pas de question grave devant être jugée. Sa demande de révision du rejet de sa demande pour des raisons d’ordre humanitaire a elle aussi été soumise après la date limite et rejetée par la Cour fédérale.

4.3 L’État partie ajoute qu’aucune présomption sérieuse de violation du Pacte n’apparaît et que la communication est irrecevable faute d’être suffisamment étayée. En ce qui concerne l’article 7, tout en reconnaissant que les violences policières sont toujours réelles au Pendjab, l’État partie fait valoir que le parti politique Akali Dal (Mann), auquel l’auteur s’est affilié en 1993, a formé un gouvernement de coalition avec le premier parti du Pendjab, le Bharatiya Janata. Il semble peu probable que l’auteur courrait un risque en Inde dans la mesure où il est membre de l’un des partis de la coalition actuellement au pouvoir.

4.4 Dans une réponse datée du 3 juillet 2002, l’État partie a fait ses observations sur le fond de la communication. Il fait valoir que, après examen d’un certain nombre de problèmes de crédibilité relevés dans les exposés fait par l’auteur aux autorités d’immigration canadiennes, et même à supposer que son histoire soit véridique, l’auteur n’a pas montré que sa femme et lui ‑même courraient personnellement un risque prévisible et imminent d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés en Inde. Cette conclusion repose sur deux principaux éléments: a) la situation de l’auteur lui ‑même en tant qu’ancien membre ordinaire de l’Akali Dal (Mann) qui n’a eu à aucun moment des activités politiques le mettant en avant et qui ne risquerait donc pas d’être recherché par les autorités s’il retournait en Inde, et b) l’amélioration de la situation politique au Pendjab, attestée par les rapports de plusieurs organisations non gouvernementales et par la Direction de la recherche de la Commission canadienne de l’immigration et du statut de réfugié. L’État partie ajoute que les griefs subsidiaires de l’auteur, au titre des articles 2, 14, 23 et 24, n’ont pas été suffisamment étayés pour montrer ne serait ‑ce qu’une présomption de violation de ces dispositions.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Par une lettre du 10 octobre 2003, l’auteur a répondu aux observations de l’ État partie . Concernant la question des recours internes, il affirme que le réexamen par la Cour fédérale n’est pas un appel complet sur le fond, mais plutôt «un examen très limité qui vise à rechercher des erreurs de droit grossières», pour lequel il faut obtenir une autorisation de recours. Dans le contexte des expulsions, la demande elle ‑même n’a pas d’effet suspensif et doit être accompagnée d’une demande de sursis à exécution.

5.2 L’auteur dit que le système canadien d’évaluation des risques est «une farce» et que l’examen de l’affaire avant l’expulsion n’est pas équitable ni indépendant. Il prétend que la disponibilité de recours judiciaires au Canada a été critiquée dans une affaire portée devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Il affirme qu’il a présenté, conformément aux procédures en vigueur, une demande de réexamen judiciaire suite au refus d’évaluation des risques avant expulsion, accompagnée d’une demande de sursis à l’exécution de l’expulsion. Les demandes de sursis et de réexamen judiciaire ont toutes deux été rejetées.

5.3 Enfin, l’auteur affirme qu’il s’est pleinement exprimé sur le rejet du statut de réfugié à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, l’autorisation de demander le réexamen judiciaire ayant été refusée par la Cour fédérale. À propos des demandes d’inscription dans la catégorie «DNRSRC» qui n’ont pas été faites à temps, l’auteur déclare qu’il n’avait pas reçu de notification de la décision par courrier et qu’il n’est donc pas responsable du dépassement des délais. L’auteur fait en outre des observations sur le fond de l’affaire .

Réponses complémentaires de l’État partie

6. Par une lettre du 12 février 2004, l’ État partie a répondu aux observations de l’auteur sur le fond de l’affaire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Concernant la question de l’épuisement des recours internes, le Comité relève que l’État partie cite trois voies de recours internes distinctes qui étaient ouvertes à l’auteur. Tout d’abord, la demande de réexamen judiciaire du refus du statut de réfugié par la Commission a été déposée après les délais et rejetée par la Cour fédérale. Ensuite, après le rejet de sa demande de statut de réfugié, il a eu la possibilité de demander à être inscrit dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada («DNRSRC»), ce qui aurait permis d’examiner les questions liées à l’expulsion. Or l’auteur n’a pas déposé cette demande dans les délais prescrits. Enfin, la demande de réexamen judiciaire du rejet de la demande pour des motifs d’ordre humanitaire a elle aussi été déposée hors délais et a été partiellement rejetée par la Cour fédérale.

7.3 Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les auteurs de communication sont tenus de respecter les règles de procédure, notamment les délais applicables à l’épuisement des voies de recours internes, sous réserve que les restrictions soient raisonnables . Indépendamment du fait que l’auteur n’a pas soumis dans les délais la demande d’inscription dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada («DNRSRC») (voir par. 5.3, supra ), le Comité note que les deux demandes de réexamen ont été déposées après les délais et n’ont donc pas eu de suite. L’auteur n’a pas justifié ses retards ni avancé d’argument montrant que ces délais seraient injustes ou déraisonnables. Il s’ensuit que l’auteur n’a pas fait usage des voies de recours internes avec la «diligence voulue» , et que la communication doit être déclarée irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes, en application du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

B. Communication n o 996/2001, Stolyar c. Fédération de Russie * (Décision adoptée le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par:

M. Vadim Stolyar (représenté par M me Karina Moskalenko, du Centre d’assistance à la protection internationale à Moscou)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

16 février 1999 (date de la lettre initiale)

Objet : Droit d’être représenté par un conseil à tous les stades de la procédure pénale

Questions de fond : Mauvais traitements; habeas corpus ; procès inéquitable

Questions de procédure : Éléments de preuve à l’appui des allégations

Articles du Pacte : 7, 9, 14

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est M. Vadim Stolyar, citoyen russe d’origine ukrainienne, né en 1977. Il affirme être victime de violations, par la Fédération de Russie, des droits qui lui sont reconnus aux articles 7 et 9 ainsi qu’aux paragraphes 1 et 3 d), e) et g) de l’article 14 du Pacte . Il est représenté par un conseil, M me Karina Moskalenko, du Centre d’assistance à la protection internationale à Moscou.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Dans la nuit du 11 février 1995, l’auteur marchait avec un ami, R., près d’un entrepôt dans un quartier isolé de la ville de Mitichtchinsk (Russie). Ils ont croisé deux piétons, M. et M me B., tous les deux à la retraite, et leur ont demandé des cigarettes. M. B., ayant sorti un couteau de son sac, a blessé R. dans la région de la rate et déchiré le dos de la veste de l’auteur. R. s’en est allé. Pour se protéger, l’auteur a frappé M. B. à la main avec une barre de métal qu’il avait trouvée dans la neige. M. B. est tombé par terre et sa femme l’a aidé à se relever et à s’en aller. L’auteur est alors rentré à son domicile. R. s’y trouvait déjà; sa compagne et la femme de l’auteur soignaient sa blessure.

2.2 Le 12 février, M me B. est allée déclarer l’agression à la police. Elle a expliqué qu’elle avait perdu connaissance après avoir été frappée avec une barre de métal et que, lorsqu’elle était revenue à elle, son mari n’était plus à ses côtés. L’auteur affirme que M. B. a été retrouvé tôt ce matin ‑là près d’un foyer d’hébergement situé non loin du lieu du crime. Il a été emmené à l’hôpital où il est mort aux alentours de 9 heures, faute, semble ‑t ‑il, de soins médicaux appropriés.

2.3 Dans la nuit du 13 au 14 février 1995, aux alentours de 1 heure, cinq policiers en civil se sont présentés à l’appartement de l’auteur. Son épouse leur a ouvert la porte et ils sont entrés. Ils ont réveillé l’auteur, lui ont passé les menottes et l’ont emmené dans un commissariat de police, sans l’informer des raisons de son arrestation. Ils lui ont imputé une infraction administrative pour résistance aux forces de l’ordre au moment de son arrestation. Le 14 février 1995, l’auteur a été déféré devant le tribunal municipal de Mitichtchinsk qui a ordonné sa mise en détention administrative pendant sept jours. L’auteur affirme qu’il n’a opposé aucune résistance aux policiers au moment de son arrestation.

2.4 Pendant sa détention administrative, l’auteur a été interrogé en tant que témoin en relation avec le meurtre de M. B.; il aurait alors été violemment frappé à deux reprises par les enquêteurs cherchant à le contraindre à passer aux aveux. Pendant sa détention, il a également participé à la reconstitution du crime sur les lieux du crime. Le 17 février, il aurait été attaché sans raison à un radiateur dans un couloir du commissariat de police. Il affirme que, même après avoir reconnu sa culpabilité, son statut au regard de la procédure n’a pas changé avant le 20 février 1995.

2.5 Le 6 mars 1995, sa femme s’est adressée au Procureur de Mitichtchinsk, affirmant que l’arrestation de son mari était illégale. Le 5 avril 1995, le Bureau du Procureur a répondu que l’arrestation était légale, car son mari était soupçonné d’avoir commis un crime. À une date non précisée, le conseil de l’auteur a déposé une motion de protestation au Bureau du Procureur qui l’a transmise au Président du tribunal de Mitichtchinsk. L’auteur affirme que le fait que le Procureur ait transmis la motion de protestation prouve que son arrestation administrative était illégale .

2.6 Le 31 octobre 1996, le tribunal de Mitichtchinsk a condamné l’auteur à 10 ans d’emprisonnement. Il a été reconnu coupable de meurtre, de vol qualifié et d’houliganisme en vertu du paragraphe 2 de l’article 108, du paragraphe 2 de l’article 206, et du paragraphe 2 a) de l’article 146 du Code pénal. Le 17 décembre 1996, la section pénale du Tribunal régional de Moscou a confirmé le jugement, qui a ensuite été également examiné par la Cour suprême, dans le cadre d’une procédure de contrôle, et de nouveau confirmé.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que, pendant sa détention administrative, en violation de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, les enquêteurs l’ont frappé pour le contraindre à passer aux aveux.

3.2 Par ailleurs, le fait qu’il ait été illégalement placé en détention administrative alors qu’en réalité il était détenu pour meurtre et qu’il a été interrogé à ce titre constitue une violation de son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne énoncé à l’article 9 du Pacte.

3.3 L’auteur affirme que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte a été violé, le tribunal ayant agi avec partialité. Il affirme que lors de l’appréciation des éléments de preuve, le tribunal a violé le principe de l’égalité des armes, toutes les dépositions de la partie lésée ayant été pleinement prises en compte bien qu’elles aient été souvent contradictoires et plusieurs fois modifiées durant l’enquête préliminaire. Par contre, selon l’auteur, tous les éléments de preuve présentés en son nom ont été rejetés par le tribunal.

3.4 L’auteur affirme qu’en violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte son conseil n’a été autorisé à le voir que sept jours après son arrestation, le 20 février 1996, alors que sa mère s’était assurée, à titre privé, les services dudit conseil le 14 février. Les enquêteurs auraient aussi maltraité son coaccusé R., qui a confirmé ce fait au tribunal. Le fait que l’auteur ait été détenu dans les locaux de la police pendant sept jours, sans être transféré dans un centre de détention provisoire et sans pouvoir communiquer avec un conseil, devait être considéré comme une preuve indirecte des violences qu’il avait subies. À l’appui de cette thèse, il a fourni une copie du compte rendu d’audience, daté du 29 octobre 1996, dans lequel on peut lire qu’il a informé le tribunal «qu’il avait été battu au commissariat de police lorsqu’il y avait été emmené». Il affirme que le tribunal n’a pas tenu compte de sa déclaration.

3.5 Selon l’auteur, le paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte a été violé, le tribunal ayant refusé de convoquer tous les témoins potentiels, en particulier S., K. et G., dont la version des faits aurait contredit celle de l’accusation. Il affirme que leurs témoignages figuraient dans le dossier et que, en dépit du fait que «le tribunal était tenu de convoquer les témoins, de les interroger et d’apprécier leur déposition», il ne l’avait pas fait.

Observations de l’État partie

4.1 Dans ses observations datées du 11 juillet 2002, l’État partie a affirmé que la Cour suprême et le Bureau du Procureur général, après avoir examiné la communication de l’auteur, ont conclu que ses allégations de violation du Pacte et du Code de procédure pénale durant l’enquête préliminaire et le procès étaient sans fondement.

4.2 D’après l’État partie, le tribunal du fond a examiné de manière approfondie tous les éléments de preuve disponibles, les a appréciés dans leur totalité et a conclu que l’auteur et son coaccusé R. avaient effectivement agressé un couple de retraités (M. et M me B.), les avaient volés et s’étaient enfuis. Peu après, sans aucune raison, l’auteur était retourné sur les lieux du crime et avait frappé M. B. à plusieurs reprises avec une barre métallique. M. B. était décédé des suites de ses blessures.

4.3 L’auteur a été arrêté en tant que suspect le 20 février 1995 et, le 22 février, en présence de son conseil, il a été inculpé de meurtre et de vol qualifié. Le 23 février, il a été placé en détention préventive. Durant l’enquête préliminaire, la détention et le procès, il a été informé de ses droits en matière de procédure en tant que suspect, y compris le droit d’être représenté par un conseil et le droit de ne pas témoigner contre soi ‑même (art. 51 de la Constitution russe).

4.4 D’après l’État partie, le tribunal a constaté que l’auteur était coupable d’avoir commis un vol prémédité en réunion, de concert frauduleux, d’houliganisme et d’avoir intentionnellement infligé plusieurs lésions corporelles ayant entraîné la mort. Un spécialiste de police scientifique a déclaré que M. B. avait subi un traumatisme ayant provoqué un hématome intracrânien («sous ‑dural»), et qu’il avait eu des côtes cassées et des lésions pleurales et pulmonaires qui constituaient aussi des lésions corporelles graves. L’expert a conclu que le décès était consécutif à un traumatisme intracrânien. Toutes les lésions avaient été infligées avec un objet solide et contondant; il n’était pas exclu que le traumatisme ait été provoqué par des coups portés avec une barre métallique, des traces de métal ayant été découvertes sur la peau de la victime.

4.5 L’État partie affirme que le tribunal n’a trouvé aucun motif de ne pas croire M me B., son témoignage étant cohérent et ayant été confirmé par les conclusions des experts ainsi que d’autres éléments de preuve, y compris les dépositions de trois témoins lui étant totalement étrangers.

4.6 Les pièces du dossier pénal révèlent que, pendant le procès, des témoins à décharge ont également été entendus. Selon l’État partie, le tribunal a apprécié tous les éléments de preuve examinés durant les délibérations, y compris leurs dépositions. Les noms de S., K., et G. ne figurent pas sur la liste des témoins à convoquer contenue dans le dossier pénal et, pendant le procès, ni l’auteur ni son conseil n’ont demandé que ces personnes soient convoquées.

4.7 Le Bureau du Procureur de Mitichtchinsk a mené des enquêtes concernant l’allégation de l’auteur et de son coaccusé selon laquelle les enquêteurs avaient exercé sur eux des pressions morales et physiques pour les contraindre à reconnaître leur culpabilité. Le Bureau du Procureur a conclu que ces allégations n’étaient pas fondées.

4.8 L’État partie rejette comme étant sans fondement l’affirmation de l’auteur selon laquelle le fait que la motion de protestation (contre la décision prise le 14 février 1995 de le placer en détention administrative) avait été transmise au tribunal de Mitichtchinsk prouvait qu’il avait été arrêté de manière illégale, pour des raisons administratives «inventées». En effet, la motion a été rejetée, le 24 avril 1995, par le tribunal de Mitichtchinsk.

4.9 Pendant sa détention administrative, l’auteur a été interrogé par un enquêteur, en tant que témoin dans une affaire pénale. D’après l’État partie, le tribunal n’a pas retenu ses dépositions comme éléments prouvant sa culpabilité au moment de rendre sa décision. Sa culpabilité a été établie sur la base des dépositions de la victime et des témoins et des conclusions des experts. Les allégations de l’auteur, qui affirme que M. B. les avait d’abord agressés, lui et son coaccusé R., avec un couteau, blessant ce dernier, ont été examinées puis rejetées par le tribunal.

Commentaires de l’auteur

5. L’auteur a présenté ses commentaires le 16 mai 2006. Il a répété, de manière détaillée, les allégations qu’il avait faites antérieurement et rejeté les observations de l’État partie en les qualifiant de superficielles. Il a affirmé que l’État partie s’était contenté de confirmer les motifs pour lesquels il avait été condamné sur une inculpation de meurtre et souligné que l’État partie n’avait pas produit de pièces justificatives à l’appui de ses observations.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1 L’État partie a présenté des observations supplémentaires le 16 août 2006. Il y rappelle que les allégations de l’auteur, selon lesquelles celui ‑ci aurait été condamné sur la base de motifs insuffisants et l’enquête préliminaire aurait manqué d’objectivité, ont été examinées et appréciées comme étant infondées par le Bureau du Procureur général. La Cour suprême a également examiné le dossier pénal de l’auteur (dans le cadre d’une procédure de supervision) en avril 2002 et a confirmé le jugement.

6.2 L’affirmation de l’auteur selon laquelle il n’a pas été informé de son droit de ne pas témoigner contre lui ‑même avant son interrogatoire en tant que témoin ne correspond pas à la réalité. Le compte rendu de l’interrogatoire contient une annotation manuscrite de l’auteur signifiant qu’il avait été informé de ce droit, et il a été informé de ses droits, en particulier de son droit de ne pas témoigner contre lui ‑même. De plus, les dépositions faites en qualité de témoin n’ont pas été prises en considération par le tribunal.

6.3 L’État partie rejette l’allégation de l’auteur selon laquelle son droit d’être représenté par un conseil aurait été violé. D’après le dossier pénal, l’auteur a été informé des dispositions pertinentes du Code de procédure pénale le 17 février 1995, mais a refusé les services d’un avocat.

6.4 La confrontation aux fins d’identification lors de laquelle l’auteur a été reconnu par M me B. s’est déroulée en présence d’un avocat et de témoins, a été conduite de manière strictement conforme aux conditions de procédure, et a justement été acceptée comme preuve admissible par le tribunal. Le tribunal n’avait aucune raison de ne pas croire M me B., puisque sa déposition concordait avec les autres éléments de preuve. Le principe de l’égalité des armes a également été respecté, et tant la défense que l’accusation ont joui de droits égaux devant le tribunal.

6.5 L’État partie rejette aussi comme étant sans fondement les allégations de l’auteur concernant la partialité du tribunal et indique que toutes les demandes formulées par les parties au procès ont été examinées de manière adéquate.

Commentaires de l’auteur

7.1 L’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie le 31 août 2006. Il note que l’État partie n’a toujours pas produit d’éléments de preuve à l’appui de ses arguments, mais qu’il s’est limité à confirmer en des termes généraux les motifs de sa condamnation.

7.2 L’auteur confirme qu’après son arrestation il a été informé de son droit de ne pas témoigner contre lui ‑même, mais il affirme que, lorsqu’il a été interrogé en qualité de témoin, il a été prévenu que sa responsabilité pénale pourrait être engagée en cas de faux témoignage.

7.3 Enfin, il rappelle ses allégations au titre du paragraphe 3 e) de l’article 14, selon lesquelles le tribunal aurait manqué, bien qu’il eût l’obligation de le faire, de convoquer et d’interroger trois témoins (S., K. et G.) parce que leurs dépositions durant l’enquête préliminaire contredisaient la version de l’accusation.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité note que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que l’État partie ne conteste pas que les recours internes ont été épuisés. Les conditions énoncées au paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif ont donc été remplies.

8.3 L’auteur a affirmé qu’en violation de l’article 7 du Pacte on l’avait frappé au début de sa détention pour le contraindre à passer aux aveux et que lorsqu’il s’en était plaint au tribunal, sa plainte n’avait pas été prise en compte. L’État partie a objecté que le Bureau du Procureur de Mitichtchinsk avait enquêté sur les allégations correspondantes de l’auteur et conclu qu’elles étaient dénuées de tout fondement. En l’absence de toute autre information utile, en particulier d’une description détaillée des mauvais traitements que l’auteur aurait subis, et en l’absence également de rapports médicaux ou de renseignements montrant que l’auteur ou son conseil se seraient plaints de mauvais traitements infligés à l’auteur pendant l’enquête, le Comité considère que l’auteur n’a pas fourni d’éléments suffisants pour étayer sa plainte aux fins de la recevabilité. Dans ces conditions, cette plainte est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.4 L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 9, du fait qu’il aurait été illégalement détenu pendant sept jours, du 14 au 20 février 1995, les enquêteurs l’ayant accusé à tort d’avoir opposé de la résistance aux forces de l’ordre au moment de son arrestation, sanction que le tribunal a confirmée. Le Comité note que le conseil de l’auteur a formé un recours, à une date non précisée, contre la mesure administrative auprès du Bureau du Procureur qui a présenté une motion de protestation au tribunal, lequel l’a rejetée. En l’absence d’autres informations pertinentes à cet égard, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son allégation aux fins de la recevabilité. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5 L’auteur affirme avoir été victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article14 du Pacte car il n’a pas été jugé équitablement, le tribunal ayant fait preuve de partialité en ne retenant que la description du crime faite par la victime et en rejetant sa propre version. L’État partie fait valoir que la Cour suprême et le Bureau du Procureur général de Mitichtchinsk ont examiné la communication de l’auteur et ont conclu que ses allégations faisant état de violations du Pacte durant l’enquête préliminaire et le procès étaient sans fondement. Il a ajouté que le tribunal avait établi la culpabilité de l’auteur après avoir pleinement apprécié tous les éléments de preuve disponibles pendant le procès. En substance, ces allégations portent sur l’appréciation des faits et éléments de preuve et le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice . En l’absence d’autres informations pertinentes qui prouveraient que tel est le cas dans l’affaire à l’examen, le Comité considère que cette partie de la communication est également irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6 L’auteur a invoqué une violation de son droit à la défense, protégé par les dispositions du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, du fait qu’après avoir été placé en détention administrative, sur décision judiciaire, du 14 au 20 février 1995, son avocat, dont il s’était assuré les services à titre privé, n’a pas été autorisé à le rencontrer avant le 20 février. L’État partie affirme que l’auteur a été arrêté en tant que suspect le 20 février 1995, et accusé de meurtre le 22 février, et que, le 17 février, il a refusé par écrit d’être représenté légalement, L’auteur n’a pas réfuté ces affirmations. Dans ces conditions, et en l’absence d’autres informations pertinentes à cet égard, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7. L’auteur dénonce une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte, trois personnes appelées à témoigner en sa faveur, S., K. et G., dont la version des faits aurait contredit celle du Procureur, n’ayant pas été convoquées par le tribunal. L’État partie objecte que la liste des témoins à convoquer figurant dans le dossier ne mentionne pas les noms de S., K. et G., et qu’au tribunal ni l’auteur ni son conseil n’ont demandé à ce que ces personnes soient convoquées en qualité de témoins, ce que n’a pas contesté l’auteur. Dès lors, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son allégation aux fins de la recevabilité et qu’elle est donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8 L’auteur a également affirmé que, contrairement à ce qui est prévu au paragraphe 3 g) de l’article 14, il a été forcé par les enquêteurs d’avouer sa culpabilité. L’État partie a répondu qu’aussi bien pendant l’enquête préliminaire qu’au tribunal, l’auteur a été informé de ses droits procéduraux en tant que suspect, et en particulier de son droit de ne pas témoigner contre lui ‑même. Le Bureau du Procureur de Mitichtchinsk a enquêté sur les allégations de l’auteur et de son coaccusé selon lesquelles les enquêteurs auraient exercé sur eux des pressions morales et physiques pour les contraindre à reconnaître leur culpabilité, et a considéré que ces allégations n’étaient pas fondées. Le Comité note que l’auteur n’a pas réfuté les affirmations de l’État partie: il reconnaît qu’il a été informé de son droit de ne pas témoigner contre lui ‑même, mais affirme qu’en même temps il a été informé que sa responsabilité pénale pourrait être engagée en cas de faux témoignage. Dans ces conditions, et en l’absence d’autres informations pertinentes à cet égard, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations, aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

9. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

C. Communication n o 1098/2002, Guardiola Martínez c. Espagne * (Décision adoptée le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par:

Fernando Guardiola Martínez (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

8 mars 2001 (date de la lettre initiale)

Objet : Garanties judiciaires dans un procès pénal

Questions de forme : Épuisement des recours internes; griefs de violation non étayés

Questions de fond : Droit à un procès équitable; droit d’être jugé par un tribunal impartial; droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation conformément à la loi

Article du Pacte : 14 (par. 1, 2, 3 et 5)

Articles du Protocole facultatif : 2, 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 8 mars 2001, est Fernando Guardiola Martínez, avocat espagnol né le 1 er décembre 1960. Il affirme être victime de violations par l’Espagne des paragraphes 1, 2, 3 et 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1 Le 12 avril 1994, l’auteur et son frère, Juan Guardiola Martínez, tous deux avocats, ont accompagné un client chez un notaire où a été remise une lettre de paiement au bénéfice d’une entreprise privée à l’occasion d’une vente. Le montant reçu par le client a été conservé dans une mallette appartenant aux frères. Plus tard le même jour, ceux ‑ci ont porté plainte dans un poste de police pour vol de la mallette et de son contenu par le client. La mallette et son contenu ont été récupérés aussitôt et le 13 avril 1996, le tribunal d’instruction n o 2 de Liria a donné en dépôt à l’auteur et à son frère le contenu en question, entre autres choses des chèques au porteur et des lettres de change.

2.2 Le 21 mai 1998, la section IV de l’ Audiencia Provincial de Valence a reconnu l’auteur et son frère coupables de malversation pour n’avoir pas rendu l’argent et les effets de commerce reçus en dépôt du tribunal d’instruction. La peine a été fixée à trois ans d’emprisonnement et à six ans d’interdiction absolue.

2.3 Pendant le procès, l’auteur a introduit devant la section IV de l’ Audiencia Provincial de Valence plusieurs recours attaquant divers actes de procédure. Selon lui, l’ Audiencia Provincial aurait abandonné son impartialité et son objectivité dans l’examen des appels successifs mettant en cause le tribunal d’instruction.

2.4 Selon l’auteur, l’ Audiencia Provincial a refusé l’administration de la preuve à charge essentielle: la décision judiciaire constituant le dépôt judiciaire. Il affirme de plus qu’il a été condamné indûment pour malversation, par analogie, alors qu’il n’était pas agent de l’État et que les fonds en question n’étaient pas des fonds publics.

2.5 Le 9 mars 1999, l’auteur s’est pourvu en cassation devant le Tribunal suprême, qui l’a débouté en date du 24 janvier 2000. Le recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel a été jugé irrecevable le 2 juin 2000 car présenté hors délai. L’auteur considère qu’il a épuisé les recours internes.

2.6 Le 10 mars 2001, après avoir présenté sa communication au Comité des droits de l’homme, l’auteur a de nouveau introduit un recours pour erreur judiciaire devant le Tribunal suprême, en demandant la suspension de sa peine d’emprisonnement.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur se déclare victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte parce que l’ Audiencia Provincial de Valence a, selon lui, abandonné son impartialité et son objectivité lors de l’examen de ses multiples recours successifs contre le tribunal d’instruction.

3.2 L’auteur affirme que le paragraphe 2 de l’article 14, qui garantit la présomption d’innocence, et le paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte ont également été violés par le refus d’administration de la preuve à charge, c’est ‑à ‑dire la décision judiciaire constituant le dépôt judiciaire.

3.3 L’auteur affirme également qu’il a été jugé en premier et dernier ressort puisque le pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême ne constitue pas une deuxième instance, ce qui soulève des questions au regard du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

4.1 Dans des réponses datées des 13 et 31 mai 2003, l’État partie conteste la recevabilité de la communication qui à son avis représentait un abus du droit de plainte et était sans fondement. Il affirme également que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes.

4.2 Pour l’État partie, l’auteur reste délibérément dans le vague en invoquant en termes généraux les droits qui auraient été violés. L’État partie affirme que la communication serait en outre émaillée d’omissions délibérées et de suggestions malveillantes démenties par l’examen des faits et du dossier judiciaire.

4.3 L’ État partie dit que l’auteur procède par affirmations générales sans préciser les faits dont il se plaint. Lorsqu’il affirme qu’on lui a refusé l’administration de la preuve à charge essentielle, il ne précise pas de quoi il s’agit ni quel préjudice cela a porté à sa défense. L’ État partie se réfère à la décision du Tribunal suprême, d’où il ressort que les éléments de preuve reçus et analysés en l’espèce ont été très nombreux. À ce propos, le Tribunal suprême a relevé que la nécessité d’établir la décision judiciaire antérieure du dépôt avait été satisfaite par la présentation de documents attestant la procédure de remise.

4.4 L’État partie indique que, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, le paragraphe 3 de l’article 435 du Code pénal espagnol, qui définit le délit de malversation, prévoit que peuvent s’en rendre coupables, outre les fonctionnaires de l’État, «les administrateurs ou dépositaires d’argent ou de biens confisqués, mis sous séquestre ou déposés par l’autorité publique, même s’ils appartiennent à des particuliers».

4.5 Selon l’État partie, l’affirmation générale de l’auteur selon laquelle son affaire a été jugée en premier et dernier ressort est démentie par le nombre des questions qu’a soulevées et résolues en cassation le Tribunal suprême, notamment à propos d’erreurs de fait présumées, d’appréciation des éléments de preuve ou de vice de forme entachant le jugement en première instance. Pour l’État partie, l’auteur a eu maintes fois accès à la justice et il a obtenu des décisions judiciaires pleinement motivées dans lesquelles des organes juridictionnels compétents répondaient en détail à ses allégations. Les plaintes étant sans fondement, il conclut que la communication n’est qu’un prétexte pour demander la non ‑exécution de la condamnation de l’auteur et qu’elle constitue un abus de droit.

4.6 Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas soulevé sur le plan interne les questions qu’il soumet au Comité, bien qu’il ait fondé ses multiples recours sur de nombreux motifs. En particulier, l’auteur n’a mis en cause l’impartialité de l’ Audiencia Provincial de Valence dans aucun de ses nombreux recours.

4.7 Sur le fond, l’État partie indique que l’examen du Tribunal suprême s’étend à l’administration de la preuve tant sous les aspects formels que par rapport aux faits sur lesquels se fonde la condamnation et qu’il mentionne concrètement les éléments qui ont déterminé la condamnation de l’auteur. Dans un jugement rendu le même jour, qui précise le jugement antérieur et que cite l’auteur lui ‑même, il corrige une erreur de fait intervenue en modifiant des éléments de preuve par le biais du pourvoi en cassation concernant le coïnculpé, ce qui est une preuve concrète que les faits ont bien été examinés.

Commentaires de l’auteur

5. Malgré trois rappels, l’auteur n’a pas communiqué ses commentaires sur les observations de l’État partie.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte relatif aux droits civils et politiques.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance international e d’enquête ou de règlement.

6.3 En ce qui concerne les allégations selon lesquelles l’ Audiencia Provincial de Valence aurait agi de façon arbitraire, partiale et non indépendante, en violation du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité constate que l’auteur n’a introduit devant le Tribunal suprême aucun recours faisant état de cette circonstance; conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, la communication doit être jugée irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes.

6.4 En outre, le Comité prend note des allégations relatives au manque d’objectivité et d’impartialité dans l’appréciation des faits et des éléments de preuve à laquelle a procédé l’ Audiencia Provincial de Valence. À ce propos, le Comité rappelle sa jurisprudence constante et affirme que c’est en principe aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf s’il est établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice . Le Comité considère que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que la conduite de la procédure par les tribunaux de l’ État partie était en l’espèce arbitraire ou constituait un déni de justice; par conséquent, cette partie de la communication doit aussi être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 En ce qui concerne le grief au titre du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, le Comité constate que dans son jugement le Tribunal suprême a examiné avec attention les allégations de l’auteur concernant des erreurs présumées dans l’examen des éléments de preuve. Il considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, sa plainte au titre du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte et il conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6 En ce qui concerne la plainte pour violation du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, le Comité constate que l’auteur n’explique pas comment cette disposition a été violée et que les faits rapportés ne semblent pas révéler de violation. Par conséquent, le Comité considère que ces allégations ne sont pas suffisamment étayées aux fins de la recevabilité, et déclare donc cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7 L’auteur allègue de surcroît que les faits pour lesquels il a été condamné en première instance n’ont pas été réexaminés par une juridiction supérieure, considérant qu’en Espagne le recours en cassation n’est pas une procédure d’appel et qu’il n’est possible que pour certains motifs, dont est expressément exclu l’examen des faits. Selon l’auteur, cela constituerait une violation du paragraphe 5 de l’article 14.

6.8 Or il ressort du jugement du Tribunal suprême que celui ‑ci a examiné attentivement l’appréciation des éléments de preuve à laquelle avait procédé le tribunal de jugement, pour conclure que d’abondants éléments de preuve, documentaires notamment, avaient été jugés recevables et examinés. Le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles l’auteur n’indique pas concrètement quelle procédure touchant la preuve lui a été refusée ni quel préjudice cela a causé à sa défense. Pour le Comité, la plainte relative au paragraphe 5 de l’article 14 n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité; il conclut qu’elle est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Note

D. Communication n o 1151/2003, González Cruz c. Espagne * (Décision adoptée le 1 er novembre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Estela Josefina González Cruz (représentée par un conseil, José Luis Mazón Costa)

Au nom de :

L ’ auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

25 mai 2001 (date de la lettre initiale)

Objet : Reconnaissance d’un titre universitaire étranger en vertu d’un traité international

Questions de procédure : Défaut de fondement des allégations

Questions de fond : Néant

Articles du Pacte : 14 (par. 1), 26

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1 er novembre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 25 mai 2001, est Estela Josefina González Cruz, Dominicaine née en 1966. Elle affirme être victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 ainsi que de l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représentée par José Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1 L’auteur a établi sa résidence en Espagne après avoir terminé ses études d’odontologie en République dominicaine. Une fois arrivée en Espagne, le 15 janvier 1991, elle a demandé l’homologation automatique de son diplôme de «docteur en odontologie», obtenu à l’Université de la République dominicaine, avec le diplôme espagnol de «licencié en odontologie», invoquant l’Accord de coopération culturelle conclu entre l’Espagne et la République dominicaine le 27 janvier 1953. Selon l’article 3 dudit accord, «les nationaux des deux pays qui ont obtenu des titres ou diplômes délivrés par les autorités nationales compétentes de l’un quelconque des pays signataires, les autorisant à exercer des professions libérales dans ce pays, sont considérés comme étant habilités à exercer les professions en question sur le territoire des autres pays signataires dans le respect des règles et des réglementations en vigueur dans ces pays».

2.2 Le 23 mars 1995, le Secrétaire général technique du Ministère de l’éducation et de la science a rendu une décision subordonnant l’homologation demandée à la réussite d’un «examen global portant sur les connaissances de base acquises au cours de la formation dispensée en Espagne et nécessaires à l’obtention du titre de licencié en odontologie».

2.3 Invoquant une nouvelle fois l’Accord de coopération de 1953, l’auteur a contesté la décision du Secrétaire général technique devant la chambre du contentieux administratif de l’ Audiencia Nacional , exigeant l’homologation automatique de son diplôme avec l’équivalent espagnol, sans aucune condition.

2.4 Dans sa décision du 11 novembre 1996, la chambre administrative a fait observer que l’homologation de titres étrangers de l’enseignement supérieur était régie par le décret royal 86/1987 du 16 janvier, qui établissait comme «premières sources applicables en la matière les traités internationaux (…) conclus par l’Espagne et, en l’espèce, les recommandations ou décisions adoptées par les organismes intergouvernementaux dont l’Espagne faisait partie, et les tableaux d’homologation de plans d’études et de titres approuvés par le Ministère de l’éducation et de la science sur avis de la Commission académique du Conseil des universités». La chambre a noté qu’en l’occurrence l’Espagne avait conclu avec la République dominicaine l’Accord de 1953 cité par l’auteur, qui avait été remplacé ensuite par l’Accord de coopération culturelle signé le 27 janvier 1988. Cependant, les dispositions transitoires de l’Accord de 1988 prévoyaient qu’«en application du principe de la non ‑rétroactivité des lois, les demandes de reconnaissance de titres ou diplômes obtenus par les citoyens de l’un quelconque des deux pays à l’issue d’études universitaires entreprises dans ce pays avant la signature du présent accord [continueraient] à être évaluées, dans chaque cas, conformément à la réglementation spécifique de chaque pays, sur la base du cadre établi par l’Accord de 1953». L’auteur ayant commencé ses études en 1987, comme l’atteste le certificat envoyé par l’Université dominicaine, la chambre a conclu que l’Accord de 1953 était applicable.

2.5 La chambre a considéré que selon la jurisprudence constante du Tribunal suprême l’article 3 de l’Accord de 1953 devait être interprété comme supposant l’homologation «automatique» des titres de sorte que, comme le Tribunal lui ‑même l’avait précisé, le titre qui devait être considéré comme équivalent était l’ancien diplôme espagnol d’odontologie, supprimé en 1948. Ce titre en était venu à être admis du fait qu’il y avait encore en Espagne des odontologues en exercice qui le détenaient, et il autorisait un exercice de la profession limité à certaines activités correspondant à la formation reçue, étant donné que celle ‑ci n’incluait pas la licence de médecine et de chirurgie. La chambre a fait observer «l’impossibilité d’établir une équivalence avec le titre actuel de licence en odontologie créé par la loi n o 10/1986, du 17 mars, lequel exige des études plus longues et d’un niveau supérieur par rapport à celles effectuées par [l’auteur]» .

2.6 Compte tenu de tous ces éléments, l’ Audiencia Nacional a conclu que le recours devait être accueilli, étant entendu que le titre espagnol à homologuer devait être celui qui avait été supprimé en 1948, tout en ménageant la possibilité d’homologuer le nouveau diplôme d’odontologie sous condition de réussite à un examen global.

2.7 Le 13 mai 1997, l’avocat de l’État s’est pourvu en cassation devant le Tribunal constitutionnel contre la décision rendue par l’ Audiencia Nacional , affirmant qu’il y avait eu violation de l’article 3 de l’Accord de 1953, à lire conjointement avec le Règlement 86/1987, les Directives communautaires 78/686/CEE, 78/687/CEE, 78/688/CEE et 81/1057/CEE, en matière d’odontologie, et avec la loi n o 10/86. Le pourvoi était fondé sur la doctrine récente du Tribunal suprême relative à la question de l’homologation du titre dominicain de docteur en odontologie avec le titre espagnol de licencié en odontologie, selon laquelle:

a) À l’heure actuelle, pour exercer la profession d’odontologue en Espagne, il fallait détenir le nouveau titre universitaire de licence régi par la loi n o 10/86;

b) Selon une jurisprudence constante, la profession d’odontologue correspondant à l’ancien titre supprimé en 1948 présentait des différences importantes avec les connaissances acquises par les titulaires des nouveaux diplômes;

c) Les directives communautaires citées, en matière d’odontologie, visaient à faire en sorte que, dans tous les États membres, les personnes exerçant la profession d’odontologue remplissent le critère relatif à une formation qualifiée et sanctionnée par l’autorité académique compétente de chaque État membre. Qu’à cette fin, la loi n o 10/1986 avait établi le titre de licencié en odontologie, qui différait du diplôme obtenu par l’auteur et était d’un niveau supérieur;

d) Les dispositions transitoires de l’Accord de 1988 régissaient des relations juridiques et des droits qui allaient être renforcés lorsque le changement de réglementation aurait lieu. Le droit transitoire en question visait à pallier le vide créé par la disparition de l’ancien titre;

e) Il ne convenait pas d’homologuer le titre dominicain avec le titre espagnol qui était en vigueur jusqu’en 1948 et qui n’existait plus au moment où la demande d’homologation avait été déposée;

f) Le titre dominicain ne devait être homologué qu’avec le nouveau titre espagnol, sous condition de réussite à un examen global conformément au décret royal 86/1987.

2.8 Par sa décision du 25 mai 1998, le Tribunal suprême a admis le motif de cassation, après l’avoir examiné sur la base des considérations ci ‑après:

a) L’enseignement correspondant à l’ancien titre avait cessé d’être dispensé en 1948, raison pour laquelle ce titre n’existait plus en Espagne;

b) L’application correcte de l’Accord de 1988 exigeait de tenir compte de la réglementation nationale, conformément aux directives communautaires citées, étant donné que l’homologation demandée nécessitait que l’administration procède à un contrôle de l’équivalence du titre étranger avec le titre espagnol;

c) En conséquence, le titre d’odontologie obtenu par l’auteur n’était pas équivalent au nouveau titre espagnol d’odontologie, étant donné que les études qui y conduisaient et qui permettaient d’exercer la profession étaient d’un niveau supérieur à celles qui conduisaient au titre dominicain.

2.9 Le 9 juillet 1998, l’auteur a formé un recours en amparo , invoquant une violation de ses droits à l’égalité et à la protection effective de la justice. Dans sa décision du 28 septembre 1998, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours, considérant que «la décision contestée s’[inscrivait] dans un ensemble de décisions, antérieures et postérieures, qui [avaient] représenté un véritable changement de critère jurisprudentiel en matière d’interprétation et d’application de la réglementation relative à l’homologation en Espagne des titres d’odontologie obtenus dans des universités hispano ‑américaines et, en l’occurrence, dominicaines, ce qui [excluait] de considérer la décision contestée comme une décision ad casum ou irréfléchie».

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que le refus d’accorder l’homologation automatique de son titre, prévue dans l’Accord de 1953 et approuvée par la décision de l’ Audiencia Nacional , constitue un déni de justice contraire au paragraphe 1 de l’article 14. Elle dit que les arguments avancés dans la décision du Tribunal suprême en vue de modifier la jurisprudence existante en matière d’effet direct des titres sont inexacts et fallacieux. Elle ajoute que l’argument du Tribunal suprême fondé sur le droit communautaire est arbitraire, irréel et contraire à la jurisprudence du Tribunal, vu qu’il consiste à dire que le titre avec lequel le titre étranger doit être homologué est le titre d’odontologie établi par la loi n o 10/1986 alors que dans des décisions antérieures, le Tribunal avait déclaré que ce devait être l’ancien titre disparu en 1948.

3.2 L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation du droit à l’égalité devant la loi et les tribunaux, reconnu à l’article 26 et au paragraphe 1 de l’article 14, étant donné que le Tribunal suprême, sur la base d’arguments prétendument fallacieux et contraires à sa propre jurisprudence, lui a octroyé un traitement différent de celui qu’il avait accordé dans un grand nombre d’affaires antérieures, dans lesquelles il se serait prononcé en faveur de l’homologation automatique. Citant la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, elle ajoute qu’un changement de jurisprudence qui a pour conséquence de priver d’effets des titres universitaires obtenus à l’étranger par des nationaux d’autres États exige la transparence afin de préserver les valeurs inscrites dans la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Le 2 février 2006, l’État partie a affirmé que la communication devait être déclarée irrecevable ou, à défaut, que le Comité devait déclarer qu’il n’y avait pas eu violation. Il indique que la question soulevée a trait à l’interprétation de la législation nationale, qui appartient, en principe, aux juridictions nationales, comme le Comité l’a rappelé à plusieurs reprises. Il fait observer qu’à la suite d’un changement d’interprétation dans la jurisprudence du Tribunal suprême, l’homologation qui était, pendant un certain temps, accordée automatiquement est à présent subordonnée à la réussite d’un examen global des connaissances. Du fait de ce changement, toutes les décisions qui lui sont postérieures vont dans le même sens.

4.2 L’État partie rappelle que la doctrine du Tribunal constitutionnel se contente d’exiger que les changements de critères interprétatifs soient suffisamment et spécifiquement motivés en tant que tels. Dans ses décisions les plus récentes, en date du 17 et du 23 novembre 2005 − dont copie est jointe aux observations de l’État partie −, le Tribunal suprême fait référence au changement d’interprétation en matière d’homologation des titres d’odontologie dominicains avec les titres espagnols, le justifiant expressément, en détail et de manière raisonnée, et citant une «doctrine jurisprudentielle réaffirmée maintes et maintes fois, contenue dans des décisions comme celles du 4 juillet 2001 et du 4 octobre 2000, du 16 octobre et du 20 novembre 2001 et du 4 juin 2002, qui renvoient elles ‑mêmes à des décisions antérieures» . Dans lesdites décisions, le Tribunal se prononçait dans le même sens, considérant que le titre d’odontologie délivré en République dominicaine ne pouvait être homologué avec le titre espagnol actuel et que, par ailleurs, l’enseignement correspondant à l’ancien titre ayant cessé d’être dispensé en 1948, il ne pouvait pas non plus être homologué avec ce dernier.

Commentaires de l’auteur

5.1 L’auteur insiste sur le fait que le texte de l’Accord de 1953 prévoit clairement l’homologation automatique des titres et que toutes les décisions rendues par le Tribunal suprême entre 1953 et 1995 sont allées dans le sens de cette interprétation. Elle soutient que le changement d’interprétation constitue un manquement arbitraire à un traité bilatéral conclu par l’Espagne, et qu’il n’est pas fondé sur des critères raisonnables et objectifs.

5.2 L’auteur ajoute que ledit changement est dû au fait que le Tribunal a cédé à la pression exercée par le Conseil général des collèges d’odontologues et de stomatologues, qu’elle qualifie de «xénophobie odontologique». Celle ‑ci consiste, selon l’auteur, en une discrimination arbitraire à l’égard des odontologues hispano ‑américains qui immigrent en Espagne, que l’on prive du droit à la reconnaissance de leurs titres afin qu’ils renoncent à vivre et à travailler dans ce pays.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 L’auteur fait valoir que le changement de jurisprudence du Tribunal suprême en ce qui concerne l’homologation des titres d’odontologie étrangers constitue un déni de justice contraire au paragraphe 1 de l’article 14 car il n’est pas fondé, selon elle, sur des critères raisonnables et objectifs. Le Comité relève l’argument de l’État partie selon lequel la question soulevée a trait à l’interprétation de la législation nationale, qui appartient, selon la jurisprudence constante du Comité, aux autorités et aux tribunaux nationaux, sauf si elle a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice . Le Comité considère que les faits dont il est saisi et les arguments avancés par l’auteur ne font pas apparaître que l’interprétation de la législation applicable que le Tribunal suprême a faite en cassation était arbitraire ou a constitué un déni de justice. Il s’agissait, au contraire, d’une décision conforme à la jurisprudence constante du Tribunal suprême lui ‑même au cours des années précédentes, qui répondait à un changement de jurisprudence motivé par la disparition de l’ancien titre espagnol, dont la validité avait été maintenue provisoirement de manière à englober les professionnels détenant l’ancien titre qui continuaient à exercer en Espagne. Par ailleurs, le fait qu’à compter de 1995 ‑1996 le Tribunal ait décidé de ne plus homologuer des titres étrangers avec un titre disparu depuis plus de 40 ans, compte tenu de la création du nouveau titre, d’un niveau supérieur, en 1986, ne peut être qualifié à première vue d’arbitraire. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé cette partie de la communication, aux fins de la recevabilité, et la déclare irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 Pour ce qui est des allégations en lien avec l’article 26 et le paragraphe 1 de l’article 14, le Comité considère que l’auteur n’a pas démontré qu’elle avait fait l’objet d’un traitement distinct fondé sur l’un quelconque des motifs prévus à l’article 26. À cet égard, elle n’a fourni aucun exemple de demande contemporaine de la sienne et pouvant lui être comparée qui aurait été tranchée de manière distincte par les autorités espagnoles, se contentant de se référer à des cas antérieurs à 1995, c’est ‑à ‑dire au changement d’interprétation de la jurisprudence du Tribunal suprême en la matière. En tout état de cause, le Comité rappelle que toute différenciation ne constitue pas une discrimination si elle est fondée sur des critères raisonnables et objectifs et si le but visé est légitime au regard du Pacte . Le Comité conclut que cette partie de la communication n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, et la déclare irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion dissidente de M. Solari ‑Yrigoyen

Je n’approuve pas l’opinion de la majorité des membres du Comité en ce qui concerne les éléments exposés ci ‑après:

Examen de la recevabilité

L’auteur fait valoir que le changement de jurisprudence du Tribunal suprême en ce qui concerne l’homologation des titres étrangers d’odontologie constitue un déni de justice contraire au paragraphe 1 de l’article 14 et qu’elle a été victime d’une discrimination en violation de l’article 26 par rapport à d’autres cas identiques, à la suite de ce changement de jurisprudence fondé sur des critères qui ne sont ni raisonnables ni objectifs. L’État partie affirme que la communication est irrecevable parce que la question soulevée a trait, en principe, à l’interprétation de la législation nationale qui appartient aux juridictions nationales. Néanmoins, le Comité doit prêter attention au fait que la possibilité d’une contradiction entre l’application d’un traité international et la législation nationale soulève des questions au titre des deux articles mentionnés du Pacte, ce qui oblige à déclarer la communication recevable au regard de ces deux articles.

Examen au fond

L’État partie et la République dominicaine, lorsqu’ils ont remplacé le 27 janvier 1988 l’Accord de coopération culturelle de 1953, sont convenus d’un commun accord que l’homologation des titres obtenus dans chacun des deux pays à l’issue d’études entreprises avant la signature du nouvel accord serait régie par l’ancien Accord de 1953. Ce fut le cas du titre de «docteur en odontologie» que souhaite faire homologuer l’auteur et qu’elle avait obtenu à l’Université de la République dominicaine, à l’issue d’études commencées en 1987.

L’auteur remarque que, en application de cet accord, l’homologation a été faite automatiquement dans des cas semblables en vertu de décisions rendues par le Tribunal suprême entre 1953 et 1995, c’est ‑à ‑dire pendant quarante ‑deux ans. Il ne fait par conséquent aucun doute que, pendant cette période, l’interprétation de chacun des deux États était que l’homologation devait être automatique.

Selon l’État partie, le Tribunal suprême a changé sa jurisprudence, à partir de 1995 ‑1996, à la suite de la création par l’Espagne, en 1986, d’un nouveau titre de licencié en odontologie, d’un niveau supérieur, régi par la loi n o 10/1986. L’État partie, toutefois, n’a fourni aucune raison pour expliquer pourquoi, entre la création du titre supérieur en 1986 et 1995, c’est ‑à ‑dire durant neuf ans, il a continué à homologuer automatiquement le titre de docteur en odontologie obtenu par l’auteur en République dominicaine.

L’État partie n’a pas non plus expliqué pourquoi, deux ans après avoir institué en 1986 le diplôme supérieur, lorsqu’il a signé le nouvel Accord de coopération culturelle en 1988, il a été expressément établi que les cas comme celui de l’auteur continueraient d’être régis par l’Accord de 1953. L’État partie ne peut modifier un traité international qui reste en vigueur parce qu’il n’a pas été dénoncé par les parties signataires ni par une loi interne, ni par une réglementation d’application de ladite loi, ni par un changement de jurisprudence.

Conformément au principe pacta sunt servanda , tout traité en vigueur oblige les parties et doit être appliqué par ces dernières de bonne foi. La Convention de Vienne sur le droit des traités, en vigueur depuis le 27 janvier 1980, établit qu’une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non ‑exécution d’un traité (art. 27).

L’information que les parties ont fournie au Comité met en évidence que l’application de la législation nationale par le Tribunal suprême implique le non ‑respect des normes énoncées dans un traité international, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

Par suite du changement de jurisprudence, l’État partie a réservé à l’auteur un traitement différent de celui qu’il accorde à d’autres, qui ont obtenu l’homologation automatique du même titre de docteur en odontologie que celui de l’auteur; il n’y a pas lieu d’exiger de cette dernière qu’elle fournisse des exemples de cas contemporains du sien, comme le demande la décision adoptée par la majorité, puisqu’il est évident que la jurisprudence a été modifiée afin d’éviter l’application de l’accord international régissant l’homologation des titres entre la République dominicaine et l’État partie.

Pour ces motifs, je considère que les droits reconnus à l’auteur en vertu de l’article 26 du Pacte ont été violés.

Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte.

( Signé ) Hipólito Solari ‑Yrigoyen

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du rapport.]

E. Communication n o 1154/2003, Katsuno et consorts c. Australie * (Décision adoptée le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Katsuno, Masaharu et consorts (représentés par un conseil, M. Tobin)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Australie

Date de la communication :

21 janvier 2002 (date de la lettre initiale)

Objet : Allégation de procès inéquitable du fait d’une mauvaise traduction

Questions de procédure : Néant

Questions de fond : Procès inéquitable; défaut d’information concernant l’arrestation et les raisons de l’arrestation; inadéquation des moyens pour communiquer avec un conseil; déni du droit d’être présent au procès; obligation de témoigner contre soi ‑même; non ‑participation des témoins à décharge aux mêmes conditions que les témoins à charge; assistance inadéquate de l’interprète

Articles du Pacte : 2, 9 (par. 2), 14 (par. 1, 2 et 3 a), b), d), e), f) et g)), 26

Articles du Protocole facultatif : 2, 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. Les auteurs de la communication sont Masaharu Katsuno, Mitsuo Katsuno, Yoshio Katsuno, Chika Honda et Kiichiro Asami, tous ressortissants japonais, qui au moment de la présentation de la communication étaient détenus dans divers établissements pénitentiaires en Australie. Tous ont depuis été libérés. Ils affirment tous avoir été victimes de violations de l’article 2; du paragraphe 2 de l’article 9; des paragraphes 1, 2 et 3 a), b), d), e), f) et g) de l’article 14; et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil, M. James Tobin.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Le 17 juin 1992, les auteurs ont été arrêtés à l’aéroport de Melbourne, à leur arrivée de Kuala Lumpur, et inculpés d’importation d’héroïne à des fins commerciales. Au cours de l’interrogatoire conduit par un agent des douanes à l’aéroport, puis de l’interrogatoire mené par un agent de la police fédérale, les services d’interprétation fournis auraient laissé à désirer. C’est pour cette raison que les auteurs ne se sont pas rendus compte qu’ils étaient en état d’arrestation et que leurs déclarations pourraient être ultérieurement utilisées contre eux. Chika Honda et Mitso Katsuno déclarent qu’ils n’étaient pas assistés d’un conseil lors des interrogatoires car la prestation de l’interprète ne leur a pas permis de comprendre qu’ils y avaient droit.

2.2 Entre le 9 novembre et le 7 décembre 1992, la Magistrates Court de Melbourne a mis les auteurs en accusation. De mars à mai 1994, les auteurs ont été jugés ensemble par un jury à la County Court à Melbourne. Le 28 mai 1994, ils ont été reconnus coupables des charges retenues contre eux. Yoshio Katsuno a été condamné à vingt ‑cinq ans d’emprisonnement et les autres auteurs à quinze ans d’emprisonnement chacun.

2.3 Lors du procès, seul le ministère public a pu examiner une liste de «jurés à écarter» c’est ‑à ‑dire des jurés qui répondent aux conditions de sélection, mais qui ont des antécédents judiciaires ou sont réputés «hostiles à la police». Le procès a fait l’objet d’une couverture médiatique nationale, et chacun des auteurs a été désigné du terme méprisant de «yakuza», normalement utilisé pour parler des membres de groupes mafieux japonais.

2.4 Deux femmes japonaises, qui avaient été arrêtées avec les auteurs à l’aéroport, ont été autorisées à retourner au Japon. La police aurait menacé de les arrêter et d’engager des poursuites contre elles si elles revenaient en Australie, ce qui a eu pour conséquence qu’elles n’ont pu témoigner au procès des auteurs.

2.5 Les auteurs ont formé un recours devant la cour d’appel de la Cour suprême de Victoria. Le 15 décembre 1995, seul le recours formé par Yoshio Katsuno a été autorisé. Sa condamnation a été annulée et un nouveau procès a été ordonné. Le 12 novembre 1996, ce nouveau procès a eu lieu devant la County Court de Melbourne, qui a rendu un verdict de culpabilité. Le 23 décembre 1997, une demande d’autorisation de faire appel auprès de la cour d’appel de la Cour suprême de Victoria a été rejetée. En septembre 1999, une demande d’autorisation d’introduire un recours devant la Haute Cour d’Australie a été rejetée.

2.6 Les auteurs allèguent que, tout au long de la procédure judiciaire, les interprètes qui les ont assistés étaient incompétents et non qualifiés. Ils présentent des informations sur les prétendues insuffisances de l’interprétation au cours de la procédure, et notamment un rapport, établi par des experts en matière d’interprétation, qui met en évidence les défauts suivants: interprétation erronée ou largement inexacte des questions de l’enquêteur et des réponses de l’auteur; absence d’interprétation des questions posées par l’enquêteur; questions adressées arbitrairement aux auteurs directement par l’interprète; formulation de réponses jamais données par les auteurs; présentation à l’enquêteur d’explications erronées à propos de la signification sociale de termes japonais; traduction de réponses dans un anglais grammaticalement et syntaxiquement très mauvais, et dans certains cas incompréhensible; longs échanges en japonais avec les auteurs, sans la participation de l’enquêteur, suivis d’un simple résumé, souvent inexact, de ce qui avait été dit; incapacité à traduire les termes juridiques essentiels. Selon les auteurs, toutes ces fautes contreviennent aux principes largement reconnus de la déontologie des interprètes.

2.7 Les auteurs n’ont été assistés que d’un seul interprète au cours du procès et ils soutiennent qu’il n’y a pas eu de coordination entre l’interprète principal et les deux interprètes qui l’ont secondé. Il y a donc eu un manque de cohérence dans la traduction des termes difficiles. Les auteurs et leurs avocats ont eu du mal à se consulter avant et après le procès parce que les interprètes quittaient la salle du tribunal chaque jour dès la fin des audiences, et que l’aide juridictionnelle était insuffisante pour couvrir de telles réunions.

2.8 Les auteurs allèguent que rien ne permettait de résoudre les problèmes de nature culturelle. Les différences culturelles faisaient qu’il ne leur était pas facile de se plaindre du caractère inéquitable de la procédure avant et pendant le procès, et expliquent peut ‑être qu’ils n’aient pas clamé avec force leur innocence, ce qui ne se fait pas au Japon, mais qui est considéré comme un signe de culpabilité dans l’État partie.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs déclarent qu’ils ont épuisé les recours internes. S’agissant de la mauvaise qualité de l’interprétation, ils admettent que c’est à tort que le conseil a déclaré au procès que l’interprétation était correcte et n’a pas soulevé cette question en appel, mais soutiennent que «cela tient au fait que le Gouvernement australien n’a pas mis en place un système adéquat permettant d’assurer un bon service d’interprétation». Ils ne se sont pas rendus compte des lacunes de l’interprétation avant l’année 2001, date à laquelle des experts ont examiné les comptes rendus. À leur avis, les problèmes liés à l’interprétation ne sont pas aisément perceptibles par des avocats, étant donné qu’il faut avoir une connaissance spécialisée des langues en cause pour les déceler et les évaluer. Même si le conseil avait été en mesure de percevoir la gravité du problème, les auteurs n’auraient pas eu les moyens d’engager des professionnels compétents.

3.2 Les auteurs soutiennent que la mauvaise qualité des services d’interprétation fournis lors des interrogatoires pendant l’instruction et l’utilisation des comptes rendus de ces interrogatoires comme éléments de preuve au procès ont injustement nui à leur crédibilité, ce qui a constitué une atteinte à l’égalité devant les tribunaux et au droit à ce que leur cause soit entendue équitablement et publiquement, en vertu du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.3 Les auteurs affirment que, étant donné qu’ils ne savaient pas qu’ils étaient en état d’arrestation et que leurs déclarations pouvaient être utilisées ultérieurement contre eux, ils ont été privés du droit d’être informés de la nature et des motifs de l’accusation portée contre eux, énoncé au paragraphe 2 de l’article 9 et au paragraphe 3 a) de l’article 14.

3.4 Chika Honda et Mitsuo Katsuno affirment que leurs droits au titre du paragraphe 3 d) et du paragraphe 1 de l’article 14 ont été violés, parce qu’ils n’ont pas été assistés d’un conseil lorsqu’ils ont été interrogés par la police. Ils ajoutent que l’absence d’un conseil pouvant amener un suspect à témoigner contre lui ‑même, le fait qu’ils n’aient pas été informés de leur droit à se faire assister d’un avocat pendant l’interrogatoire constitue également une violation du droit à ne pas être forcé de témoigner contre soi ‑même, énoncé au paragraphe 3 g) de l’article 14.

3.5 Selon les auteurs, la mauvaise qualité du service d’interprétation fourni pour le procès, découlant d’une pénurie de personnel, d’une mauvaise gestion et d’un manque de professionnalisme, a constitué une négation de leur droit à se faire assister gratuitement d’un interprète au sens du paragraphe 3 f) de l’article 14. Ils indiquent que, parce qu’il n’y avait qu’un seul interprète pour eux tous pendant le procès, ils ne pouvaient pas s’entretenir avec leur conseil en violation du paragraphe 3 b) de l’article 14.

3.6 Les auteurs soutiennent que leurs droits découlant du paragraphe 3 d) de l’article 14 ont été violés car la simple présence physique dans la salle d’audience ne peut être assimilée à la «présence linguistique». Cette dernière, soutiennent ‑ils, implique la possibilité de confronter les témoins, de s’entretenir avec un conseil et de l’assister dans leur défense.

3.7 Les auteurs affirment que les deux témoins japonais potentiels auraient eu trop peur de revenir dans l’État partie compte tenu des menaces proférées à leur encontre. Cet état de choses constituerait une violation du droit des auteurs découlant du paragraphe 3 e) de l’article 14 de faire comparaître des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge.

3.8 Ils prétendent que, étant donné que rien n’existait pour résoudre les problèmes liés aux différences culturelles, ils ont été victimes de discrimination fondée sur la langue, en violation des articles 2 et 26.

3.9 Ils soutiennent que le faible montant de l’aide juridictionnelle allouée par l’État partie les a empêchés d’avoir accès à de bons services d’interprétation et de s’entretenir avec leur avocat, en violation de leur droit à l’égalité devant les tribunaux et de leur droit à ce que leur cause soit entendue équitablement et publiquement, en vertu du paragraphe 1 de l’article 14, et de leur droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi en vertu de l’article 26.

3.10 Étant donné qu’ils ont été jugés ensemble, les auteurs n’ont pas pu véritablement défendre leurs intérêts personnels au procès, en violation du paragraphe 1 de l’article 14. Ils affirment que, alors que les problèmes d’interprétation se sont constamment posés mais étaient mal compris, la tenue d’un procès unique pour tous les auteurs a compliqué la capacité de chacun de s’entretenir avec son conseil et de comprendre ce qui se passait à l’audience.

3.11 Selon les auteurs, la procédure de sélection du jury a contribué à rendre le procès inéquitable dans la mesure où seul le ministère public a eu la possibilité d’examiner la liste des «jurés à écarter», violant ainsi le principe de l’égalité des armes, prévu au paragraphe 1 de l’article 14.

3.12 Enfin, les auteurs affirment que la forte couverture médiatique de leur affaire a contribué au caractère inéquitable de leur procès, violant ainsi le paragraphe 1 de l’article 14.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

4.1 Le 15 avril 2003, l’État partie a informé le Comité que Masaharu Katsuno, Mitsuo Katsuno et Kiichiro Asami avaient bénéficié d’une libération conditionnelle le 6 novembre 2002 et Chika Honda d’une mesure analogue le 17 novembre 2002. Yoshio Katsuno a également été libéré. Leur libération a été autorisée par l’Attorney général et ils ont été immédiatement renvoyés au Japon.

4.2 Le 28 juillet 2004, l’État partie a contesté la recevabilité et le fond de la communication. Il soutient que la communication est irrecevable du fait du non ‑épuisement des recours internes et note que les auteurs n’ont soulevé les questions de la soi ‑disant inexactitude des comptes rendus d’interrogatoires et de la mauvaise qualité des services d’interprétation ni pendant le procès ni en appel. Réfutant l’argument selon lequel il ne disposerait pas d’un système efficace permettant d’assurer des services d’interprétation de qualité, il note qu’il existe une instance de réglementation qui assure la disponibilité d’interprètes et la compétence de ces derniers, la National Accreditation Authority for Translators and Interpreters Ltd (NAATI). Pour être agréés par cet organisme, les traducteurs ou interprètes doivent satisfaire certains critères en matière de pratique professionnelle. Les interprètes recrutés pour les procès des auteurs avaient le niveau voulu en traduction et interprétation, à savoir le «niveau 3».

4.3 L’État partie soutient que le droit de l’accusé dans un procès pénal à bénéficier des services d’un interprète est un principe profondément ancré dans son système judiciaire. Les tribunaux peuvent suspendre l’instance s’il apparaît qu’un abus de procédure nuirait à l’équité du procès. De même, quiconque estime que ses droits sont bafoués peut faire appel de sa condamnation pour ces motifs. Cette voie de recours était offerte aux auteurs. Bien qu’ils aient fait appel de leur condamnation en invoquant plusieurs autres motifs, mis à part Yoshio Katsuno, aucun d’entre eux n’a fait valoir l’inexactitude des comptes rendus d’interrogatoires ou la mauvaise qualité des services d’interprétation dans l’appel interjeté en 1995. Le conseil des auteurs aurait pu envisager la possibilité de soulever ces moyens en appel puisque ceux ‑ci ont été invoqués par Yoshio Katsuno.

4.4 L’État partie déclare que les auteurs et leur conseil semblent avoir eu conscience des questions soulevées dans la communication pendant le procès, car l’exactitude des comptes rendus d’interrogatoires initiaux a été mise en cause lors de l’audience de renvoi en jugement tenue à la Magistrate’s Court de Melbourne. Pour cette raison, plusieurs comptes rendus qui avaient été présentés comme éléments de preuve lors du procès ont été corrigés par des interprètes indépendants et compétents. Des services d’interprétation ont été mis à la disposition des auteurs pendant la durée du procès. Le point de savoir si Mitsuo Katsuno et Kiichiro Asami avaient été dûment informés de leurs droits découlant de la partie 1C du Crimes Act de 1914 (Cth), analogues à ceux énoncés au paragraphe 3 d) de l’article 14, a également été soulevé lors de l’audience de renvoi en jugement.

4.5 Au procès, le conseil des auteurs aurait pu contester l’admissibilité des procès ‑verbaux d’interrogatoires établis par la Police fédérale australienne (AFP). Cela n’ayant pas été fait, les enregistrements vidéo de chacun des interrogatoires ont été intégralement montrés au jury pendant le procès et les comptes rendus d’interrogatoires ont été donnés aux jurés pour les aider. Le fait que le conseil des auteurs n’ait pas contesté l’admissibilité de ces comptes rendus laisse à penser qu’il tenait à ce qu’ils soient admis en preuve. Vu que les auteurs n’ont pas témoigné au procès, le jury n’a eu connaissance de leur propre version des faits qu’à travers les comptes rendus d’interrogatoires.

4.6 S’agissant de la prétendue mauvaise qualité des services d’interprétation, l’État partie soutient que les auteurs étaient libres à tout moment d’indiquer au juge ou à leur conseil qu’ils ne comprenaient pas le déroulement de la procédure; or ils ne l’ont fait à aucun moment. À cet égard, les auteurs auraient pu également déposer une plainte auprès du Commonwealth Ombudsman (médiateur) à propos du comportement des policiers de l’AFP chargés de l’enquête. En vertu de l’article 31 du Complaints (AFP) Act de 1981 (Cth), l’Ombudsman peut instruire une plainte relative aux actes d’un membre de l’AFP déposée par un particulier. L’Ombudsman aurait pu ordonner des mesures pour régler le problème rencontré par les auteurs s’il était apparu que le comportement des policiers de l’AFP était «déraisonnable, injuste, abusif ou indûment discriminatoire».

4.7 Si le Comité considère que la communication n’est pas irrecevable dans son ensemble, l’État partie prie le Comité de déclarer irrecevables les griefs relatifs à l’impartialité du tribunal et au caractère insuffisant de l’aide juridictionnelle, au titre du paragraphe 1 de l’article 14, ainsi que ceux au titre de l’article 2, du paragraphe 2 de l’article 9, des paragraphes 3 a), b), e) et g) de l’article 14, et de l’article 26, au motif que les auteurs n’ont pas étayé leurs allégations. Il ajoute que les allégations au titre des paragraphes 3 a), b), e) et g) de l’article 14 n’entrent pas dans le champ d’application du Pacte et sont donc irrecevables ratione materiae .

4.8 Sur le fond, s’agissant du grief selon lequel les services d’interprétation fournis durant l’enquête préliminaire n’étaient pas satisfaisants, l’État partie affirme que tous les interrogatoires des auteurs se sont déroulés avec la participation d’interprètes compétents. Lorsque la traduction de ces interrogatoires a été critiquée pendant l’audience de renvoi en jugement, des erreurs ont été corrigées, et l’exactitude des comptes rendus modifiés a été constatée par le conseil des auteurs. Selon l’État partie, la qualité de l’interprétation exigée par les auteurs est irréaliste lorsque l’on sait les variations de sens qui surviennent inévitablement dans la traduction d’une langue à l’autre. Le service d’interprétation assuré aux auteurs satisfaisait aux critères énoncés par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Kamasinski c. Autriche . Les policiers de l’AFP, le ministère public, le juge et le jury n’ignoraient pas que la version anglaise des comptes rendus ne reflétait pas exactement les déclarations des auteurs. Dès lors, les erreurs de grammaire contenues dans le texte anglais n’ont pu influencer le jury comme le prétendent les auteurs.

4.9 L’État partie indique que le système utilisé pour le procès des auteurs a consisté à ce qu’un seul interprète traduise simultanément les interventions en parlant dans un micro. Chaque accusé était équipé d’un casque qui lui permettait d’entendre la traduction des débats par l’interprète. Par conséquent, étant donné que l’interprétation au procès était assurée par un interprète unique, chaque accusé a pu suivre tout ce qui se disait dans la salle d’audience. Ce système a été utilisé après que le conseil d’un des auteurs eut indiqué au ministère public qu’il préférait qu’un seul interprète, et toujours le même, intervienne lors de l’audience de renvoi en jugement et au procès. Le ministère public s’est également conformé à la demande des auteurs visant à faire appel aux services d’un interprète particulier pour le nouveau procès d’Yoshio Katsuno. Au cours du procès, les auteurs et leur conseil ont dit qu’ils étaient satisfaits du système d’interprétation et que la prestation de l’interprète au tribunal était acceptable. L’interprète est resté sur place chaque jour à la fin de l’audience et aucune critique n’a été formulée par l’auteur ou le conseil. En fait, les auteurs et leur conseil ont félicité l’interprète de sa prestation.

4.10 L’État partie conteste les griefs selon lesquels la couverture médiatique du procès et les dispositions du droit interne relatives à la constitution du jury ont conduit à violer l’obligation d’impartialité. Aucune preuve concernant l’effet de la publicité donnée à l’affaire n’a été présentée au procès.

4.11 Pour l’État partie, la procédure de constitution du jury est un mécanisme équitable visant à assurer l’impartialité du tribunal dans un procès pénal. L’Australie rappelle la jurisprudence du Comité, selon laquelle il appartient à l’État partie d’examiner la façon dont est appliqué le droit interne, à moins qu’il ne soit clair que cette application était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice . Le Comité a également déclaré que c’est aux juridictions d’appel des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les preuves dans une affaire particulière, sauf s’il peut être établi que les instructions données au jury étaient incontestablement tendancieuses ou équivalaient à un déni de justice, ou encore que le juge a manifestement violé son obligation d’impartialité . En tout état de cause, la pratique dont se plaignent les auteurs n’a pas eu d’effet sur leur procès étant donné que la liste des jurés récusables communiquée à l’accusation n’a pas dans les faits été utilisée par le ministère public au procès . L’État partie note que, conformément à l’article 39 du Juries Act de 1967 (Vic), chacun des auteurs avait le droit de récuser librement quatre jurés potentiels.

4.12 S’agissant de l’allégation au titre des articles 26 et 2, selon laquelle les différences culturelles n’auraient pas été prises en considération lors du procès et l’assistance juridictionnelle accordée aurait été insuffisante, l’État partie déclare que les auteurs ont été soumis aux mêmes lois et traités de la même manière que tout autre accusé dans des circonstances similaires. Il a assuré la présence d’interprètes à tous les stades de la procédure et la représentation individuelle pendant le procès de manière à compenser les différences culturelles et linguistiques des accusés et leur offrir des possibilités égales de se défendre. Ceux ‑ci n’ont pas démontré en quoi l’insuffisance de l’aide juridictionnelle allouée pour couvrir les frais d’interprétation a contribué à constituer une discrimination à cet égard.

4.13 L’État partie soutient que Kiichiro Asami a été dûment informé des raisons de son arrestation conformément au paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte. Cette allégation ne relève pas du paragraphe 3 a) de l’article 14, et aucune preuve n’a été fournie pour appuyer une allégation au titre de cette disposition. L’État partie rejette l’allégation selon laquelle ni Chika Honda ni Mitsuo Katsuno n’ont été informés de leur droit à être assistés d’un défenseur. La traduction de ce droit par l’interprète leur permettait de comprendre la signification de ce droit. Les deux auteurs ont été représentés par un conseil en première instance et en appel, ce qui donne à penser qu’ils connaissaient leur droit à être représentés par un avocat, et en étaient donc informés. L’État partie conteste que les mêmes auteurs ont été privés de leurs droits au titre du paragraphe 3 g) de l’article 14. Outre que cette allégation repose sur une pure hypothèse, vu que les auteurs n’ont dans les faits jamais avoué, la jurisprudence relative à cet article suggère qu’une certaine forme de contrainte est nécessaire pour qu’une violation soit constituée.

4.14 S’agissant de l’allégation selon laquelle les auteurs auraient été privés de leur droit d’interroger les témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge, l’État partie considère que cette allégation est irrecevable car elle porte uniquement sur la possibilité que les droits des auteurs aient été violés, non sur une violation effective. En tout état de cause, le paragraphe 3 e) de l’article 14 n’a pas été violé puisque les auteurs avaient la même possibilité que la défense de citer à comparaître les témoins en question, mais ont choisi de ne pas le faire. La cour d’appel a examiné ce point et constaté qu’il n’y avait pas de déni de justice.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1 Le 24 décembre 2005, les auteurs ont réitéré leurs plaintes antérieures et ajouté les éléments suivants concernant la recevabilité. D’après eux, le point essentiel est que les erreurs d’interprétation ont gravement dénaturé les interrogatoires préliminaires effectués par la police, ce qui a injustement porté atteinte à leur crédibilité. Leur conseil n’a pas contesté les procès ‑verbaux des interrogatoires parce que, à ce moment ‑là, ils ne mesuraient pas la gravité des problèmes d’interprétation. Alors que le conseil s’était rendu compte que la communication entre les auteurs et la police n’était pas facile, il n’avait aucun moyen de savoir que cette difficulté était due à la mauvaise qualité de l’interprétation.

5.2 Les auteurs contestent que Yoshio Katsuno ait formellement invoqué la médiocrité de l’interprétation comme motif d’appel, mais affirment que cette question a été soulevée pendant la procédure d’appel en relation avec une réclamation concernant le caractère volontaire des déclarations qu’il avait faites lorsqu’il était interrogé par l’AFP. S’agissant de la possibilité de saisir l’Ombudsman, les auteurs soutiennent qu’une telle procédure ne peut être considérée comme un recours utile. Les auteurs n’ont pas pu dire au juge ou à leur conseil qu’ils ne comprenaient pas ce qui se passait pendant le procès à cause des barrières culturelles et linguistiques, de la mauvaise qualité de l’interprétation et d’une mauvaise connaissance du système juridique.

5.3 En ce qui concerne les arguments de l’État partie sur le fond, ils expliquent en détail en quoi le cas d’espèce diffère de l’affaire Kamasinski c. Autriche (par. 4.8), et soulignent notamment qu’en l’espèce il était possible de constater que les accusés ne comprenaient pas les questions qui leur étaient adressées. Pendant l’audience de renvoi en jugement, l’un des policiers a reconnu qu’à certains moments M. Asami ne semblait pas comprendre ce qu’on lui disait.

5.4 Les auteurs déclarent que, pendant le procès, ils ont prié l’un des interprètes suppléants de demander que l’interprète principale soit remplacée, au motif qu’elle avait l’habitude de résumer au lieu de traduire ce qui était dit, qu’elle refusait de rester à l’issue de l’audience, et que son amitié avec le procureur aurait fait naître un conflit d’intérêts. Les auteurs réfutent l’argument de l’État partie selon lequel les erreurs d’interprétation étaient seulement mineures et renvoient à l’analyse détaillée présentée par eux dans trois rapports. Ils contestent que de telles erreurs auraient pu être «corrigées» après l’audience de renvoi en jugement. Tout en reconnaissant que le conseil avait effectivement dit qu’il préférait que l’interprétation soit assurée par un seul interprète pendant le procès, d’après les auteurs, les meilleures pratiques internationales recommandent la participation de plus d’un interprète dans les procès où plusieurs accusés sont jugés en même temps. S’agissant du fait que les deux témoins se trouvant au Japon n’ont pas été cités à comparaître, les auteurs réaffirment que, lors de l’audience préliminaire, le procureur avait indiqué que si ces personnes revenaient dans l’État partie, il les ferait arrêter, ce qui les aurait empêchées de témoigner.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 En ce qui concerne l’obligation relative à l’épuisement des recours internes, le Comité note que la plupart des griefs reposent sur l’allégation selon laquelle, de l’arrestation des auteurs jusqu’à leur condamnation, les services d’interprétation assurés par l’État partie laissaient tellement à désirer qu’ils ont été à l’origine de nombreuses violations des droits des auteurs au titre des articles 9 et 14. Le Comité observe que, mis à part les griefs liés à la convocation des témoins (par. 3 e) de l’article 14) et à la constitution du jury (par. 1 de l’article 14), aucun de ces griefs n’a été soulevé en appel. Il prend note de l’argument selon lequel ni les auteurs ni leur conseil n’auraient pu se rendre compte des graves lacunes de l’interprétation à ce moment ‑là, et que ce n’est qu’en 2001 (soit sept ans après la condamnation) qu’ils ont pris conscience de la gravité du problème. Le Comité observe toutefois, et cela n’a pas été contesté, que les auteurs avaient déjà exprimé des craintes sur la qualité de l’interprétation au cours de l’audience de renvoi en jugement (par. 5.3) ainsi que pendant le procès (par. 5.4). Il s’ensuit que l’argument des auteurs selon lequel ils n’ont pas eu conscience du problème avant 2001 n’est pas corroboré. En tout état de cause, s’agissant de la question de l’épuisement des recours internes, le Comité considère qu’il incombait aux auteurs et à leurs représentants de veiller à disposer de tous les faits et arguments pertinents aux fins de la procédure d’appel. Le fait qu’ils n’aient pas obtenu l’avis d’experts avant leur appel, mais seulement sept ans après le procès, n’exonère pas les auteurs de l’obligation d’épuiser les recours internes disponibles. Le Comité estime par conséquent que ce grief est irrecevable, au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 En ce qui concerne le grief lié à la constitution du jury, laquelle serait contraire au paragraphe 1 de l’article 14, le Comité note que ce point a été soulevé en appel et que la cour d’appel l’a examiné en détail. Il note également que, comme l’a soutenu l’État partie et comme il ressort de la procédure d’appel, la liste des jurés susceptibles d’être récusés qui avait été communiquée au parquet n’a en fait pas été utilisée par le ministère public lors du procès des auteurs. Le Comité estime par conséquent que les auteurs n’ont pas étayé cette plainte aux fins de la recevabilité au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 Le Comité note enfin le grief des auteurs au titre du paragraphe 3 e) de l’article 14 selon lequel, si certains témoins avaient été priés de revenir en Australie pour témoigner au procès, ils auraient refusé par peur d’être arrêtés vu que la police australienne les avait menacés d’arrestation avant qu’ils retournent au Japon. Toutefois, ayant examiné la procédure, le Comité note que la question de ces témoins a été examinée de manière approfondie par la cour d’appel, à laquelle il avait été demandé, au nom des défendeurs et des requérants, de partir de l’hypothèse que les témoins avaient bel et bien le désir de se présenter. Il note également que l’argument soulevé en appel alléguait un déni de justice découlant de la non ‑convocation de ces témoins par le ministère public, et non le fait que ces témoins n’étaient pas revenus pour témoigner à l’audience par crainte des menaces de la police. La cour avait estimé que, étant donné que l’accusation avait légitimement conclu que les témoins en cause étaient liés à la même association de malfaiteurs que les accusés, la décision de l’accusation de laisser à la défense le soin de convoquer les témoins (en payant les frais de leur retour), mais de ne pas les convoquer elle ‑même, ne constituait pas un déni de justice. D’ailleurs, les auteurs n’ont pas contesté qu’ils auraient pu eux ‑mêmes citer à comparaître les témoins en cause. Pour ces motifs, le Comité considère que les auteurs n’ont pas étayé leur grief aux fins de la recevabilité. Il estime donc que ce grief est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 S’agissant des griefs au titre de l’article 26, selon lesquels les auteurs auraient été victimes de discrimination parce qu’il n’existait aucun dispositif permettant de régler les problèmes liés aux différences culturelles, et selon lesquels leur droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi aurait été violé en raison de l’insuffisance de l’aide juridictionnelle qui leur a été accordée, le Comité observe que les auteurs n’ont pas étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. Il estime donc que ces griefs sont irrecevables au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide que:

a) La communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) La présente décision sera communiquée aux auteurs et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Le texte est aussi traduit en arabe et en chinois aux fins du présent rapport.]

Notes

F. Communication n o 1187/2002, Verlinden c. Pays ‑Bas * (Décision adoptée le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Frans Verlinden (représenté par un conseil, M. B. W. M. Zegers)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Pays ‑Bas

Date de la communication :

12 juin 2002 (date de la lettre initiale)

Objet : Partialité des juges en raison de leurs liens professionnels avec des collègues de l’avocat d’une des parties à la procédure; droit à un jugement motivé

Questions de fond : Droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial

Questions de procédure : Recevabilité ratione personae ; mesure dans laquelle la plainte a été étayée; épuisement des recours internes

Article du Pacte : 14 (par. 1)

Articles du Protocole facultatif : 1, 2, 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication est Frans Verlinden, de nationalité néerlandaise. Il affirme être victime d’une violation par les Pays ‑Bas des droits garantis à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. B. W. M. Zegers.

1.2 À la suite d’une demande formulée par l’État partie dans ses observations concernant la recevabilité, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, agissant au nom du Comité, a décidé que la recevabilité de la communication devrait être examinée séparément du fond.

Exposé des faits

2.1 L’auteur est propriétaire d’une société immobilière. En juin 1990, il a déposé une plainte auprès du tribunal régional de La Haye contre une société du bâtiment, la NBM Amsteland N.V (NBM), et contre le Président de son Conseil d’administration, V. d. B., concernant le contrat de vente d’un bien immobilier. Le 1 er juillet 1992, le tribunal régional de La Haye a prononcé un jugement interlocutoire sur une question de procédure en faveur de l’auteur.

2.2 L’autre partie a formé un recours contre cette décision devant la cour d’appel de La Haye qui, le 9 septembre 1993, a annulé le jugement et renvoyé l’affaire au tribunal régional de La Haye. L’auteur a interjeté appel contre cette décision devant la Cour suprême qui, en date du 6 janvier 1995, l’a débouté en se fondant sur l’article 101a de la loi sur l’organisation du pouvoir judiciaire .

2.3 Après avoir réexaminé l’affaire, le tribunal régional de La Haye a rejeté la plainte de l’auteur le 29 novembre 1995. Le 4 décembre 1997, la cour d’appel de La Haye a débouté l’auteur de son appel et, le 5 novembre 1999, la Cour suprême a rejeté l’appel interjeté par l’auteur contre cette décision.

2.4 Tout au long de la procédure, NBM et V. d. B. étaient représentés par R. M. S., avocat du cabinet De Brauw Blackstone Westbroek Linklaters & Alliance (DBB) de La Haye. Plusieurs collègues de R. M. S. au cabinet d’avocats DBB sont aussi juges suppléants au tribunal régional de La Haye ou à la cour d’appel de La Haye. Un autre avocat du cabinet DBB est professeur à l’Université libre d’Amsterdam; trois autres professeurs de l’Université sont aussi des juges suppléants à la cour régionale de La Haye. Un ancien avocat du cabinet DBB est devenu juge de carrière à la cour d’appel de La Haye; un autre ancien avocat du cabinet DBB est actuellement juge à la Cour suprême et a des liens de parenté avec le Président coordonnateur de la cour d’appel de La Haye.

2.5 Les tribunaux de La Haye qui ont examiné l’affaire étaient composés de juges à plein temps. Aucun juge suppléant n’a entendu la cause de l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que le système néerlandais de juges suppléants est incompatible avec l’article 14 du Pacte dans la mesure où il ne garantit pas l’impartialité des juges. Les liens étroits existant entre le cabinet d’avocats DBB, en particulier les collègues de R. M. S travaillant dans ce cabinet et exerçant également les fonctions de juge suppléant au tribunal régional et à la cour d’appel de La Haye, d’une part, et les juges de carrière siégeant dans ces tribunaux, d’autre part, portent atteinte à l’indépendance et à l’impartialité de ces tribunaux, ce qui constitue une violation du droit de l’auteur à un procès équitable garanti à l’article 14 du Pacte.

3.2 L’auteur note que les articles 3 et 4 de la loi sur la composition des tribunaux civils autorisent les juges qui siègent dans un tribunal régional d’exercer également les fonctions de juge suppléant dans un autre tribunal régional. Le fait que la cour d’appel de La Haye n’a pas renvoyé l’affaire devant un autre tribunal régional ou n’a pas nommé en tant que juges suppléants dans les tribunaux de La Haye des juges siégeant dans d’autres tribunaux montre ou tout au moins donne à penser que la cour avait un intérêt à prononcer un jugement dans cette affaire.

3.3 L’auteur affirme que, contrairement aux juges professionnels exerçant à plein temps qui ne sont pas autorisés à assumer les fonctions d’avocat ou de notaire ou à donner des conseils juridiques professionnels et qui sont tenus, conformément à l’article 44 de la loi sur le statut juridique des fonctionnaires judiciaires, de déclarer dans un registre public toute fonction additionnelle qu’ils viendraient à exercer, les juges suppléants n’ont pas la même obligation. En outre, selon un rapport publié en 2000 par le Centre de recherche scientifique et de documentation du Ministère de la justice, de nombreux juges à plein temps refusaient de déclarer leurs autres fonctions. Ce manque de transparence a empêché le requérant de savoir si les juges avaient des liens avec l’autre partie et a altéré la confiance dans l’intégrité de l’appareil judiciaire.

3.4 Bien que l’article 34 du Code de conduite des hommes de loi (1992) interdise aux avocats de plaider dans les procédures devant une juridiction au sein de laquelle siègent une ou plusieurs personnes appartenant au cabinet d’avocats où ils travaillent, il n’est pas exclu, selon l’auteur, que des affaires dans lesquelles une des parties est représentée par un avocat qui travaille dans un même cabinet qu’un juge suppléant fasse l’objet de discussions entre les juges siégeant dans un tribunal.

3.5 Se référant à l’article 12 de la loi sur l’organisation judiciaire qui interdit tout contact en dehors de la salle d’audience entre un juge et les parties ou leurs avocats au sujet d’affaires en instance ou futures, l’auteur affirme que les juges des tribunaux de La Haye ne peuvent être considérés comme impartiaux en l’espèce, eu égard aux liens qui les unissent à des personnes qui travaillent dans le même cabinet que l’avocat de l’autre partie.

3.6 L’auteur signale que le juge H. de la cour d’appel de La Haye est également un conseiller juridique du Ministère de la justice, ce qu’il considère comme incompatible avec le principe de la séparation des pouvoirs. Il conclut qu’il y a des raisons légitimes de craindre que les juges du tribunal régional et de la cour d’appel de La Haye n’aient pas été impartiaux dans son cas, ce qui est en soi suffisant pour entacher l’image d’indépendance ou d’impartialité de ces tribunaux.

3.7 En outre, l’auteur affirme que son droit à un jugement motivé, garanti par l’article 14 du Pacte, a été violé dans la mesure où la Cour suprême a rejeté son appel en 1995 en application de l’article 101a (l’actuel article 81) de la loi sur l’organisation judiciaire en mentionnant uniquement que la requête ne pouvait pas déboucher sur la cassation de l’arrêt initial et n’appelait pas de réponse sur des points de droit dans l’intérêt de l’uniformité ou du développement du droit.

3.8 L’auteur déclare avoir épuisé les recours internes disponibles. Il fait valoir qu’il n’était pas au courant au moment de la procédure des liens existant entre les juges des tribunaux de La Haye et des personnes travaillant dans le même cabinet d’avocats que R. M. S., en l’occurrence l’avocat de la NBM et V. d. B. Même s’il avait demandé que les juges chargés de son affaire soient récusés, ces derniers auraient été simplement remplacés par d’autres magistrats du même tribunal, qui auraient eu des liens similaires avec les avocats du cabinet DBB exerçant les fonctions de juge suppléant.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1 Dans une réponse du 18 août 2003, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication faisant valoir que l’auteur ne remplit pas les conditions requises à l’article premier du Protocole facultatif pour être considéré comme une victime, que la même affaire est en cours d’examen devant la Cour européenne des droits de l’homme (par. 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif); et que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles (par. 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif).

4.2 L’État partie fait observer qu’aucun des juges chargés de l’affaire n’était lié au cabinet d’avocats DBB à La Haye. Le juge H., qui a entendu la cause de l’auteur en 1993 et en 1997 à la cour d’appel de La Haye, est un juge à plein temps à la cour d’appel depuis 1984, date à laquelle il avait cessé de travailler pour le Ministère de la justice. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle le Protocole facultatif n’autorise pas les particuliers à contester dans l’abstrait le droit ou la pratique juridique d’un État partie au moyen d’une actio popularis , et conclut que l’auteur n’a pas qualité pour agir au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

4.3 L’État partie affirme que le Greffe de la Cour européenne des droits de l’homme l’a informé que l’auteur avait aussi porté la question devant la Cour, et que sa requête (n o 66496/01) était encore en instance devant cette juridiction. En conséquence, le Comité devrait déclarer la présente communication irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.4 L’État partie fait valoir que l’auteur aurait pu contester l’impartialité de l’un quelconque des juges qui ont entendu sa cause conformément à l’article 29 (l’actuel article 36) du Code de procédure pénale dès qu’il aurait eu connaissance des faits ou des circonstances qui auraient pu entacher son impartialité comme l’exige le paragraphe 1 de l’article 30 (l’actuel article 37). Ces objections auraient alors été examinées par la Cour siégeant en formation plénière en l’absence du juge contesté (conformément au paragraphe 1 de l’ancien article 32 du Code de procédure pénale (l’actuel article 39)). Au cas où il aurait eu gain de cause, l’affaire aurait été examinée par un tribunal dans lequel le juge contesté n’aurait pas siégé.

4.5 Pour l’État partie, l’argument de l’auteur qui affirme qu’il n’était pas à l’époque au courant des «liens étroits» existant entre la profession juridique et l’appareil judiciaire n’est guère convaincant. Dans la mesure où l’exercice en parallèle de fonctions de juge était souvent déclaré depuis 1989, conformément à une recommandation de l’Association néerlandaise pour l’administration de la justice et, depuis 1997, en application de l’article 44 de la loi sur le statut juridique des fonctionnaires judiciaires, et où la question des juges suppléants avait reçu une attention considérable dans les écrits de la profession, il était «extrêmement improbable» que l’auteur n’ait pas su avant la fin de son procès que la justice néerlandaise employait parfois en tant que juges suppléants des personnes appartenant à la profession juridique.

4.6 Toute demande de récusation d’un juge doit être fondée sur des éléments concrets mettant en cause son impartialité de juge ou faisant douter de celle ‑ci. L’État partie rejette l’argument de l’auteur selon lequel il aurait été vain de mettre en cause l’impartialité des juges. Se référant à la jurisprudence du Comité dans l’affaire Perera c. Australie , l’État partie conclut qu’afin d’épuiser tous les recours internes disponibles, l’auteur aurait dû demander que soient récusés les juges qui selon lui n’étaient pas impartiaux et que, ne l’ayant pas fait, sa communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Par une note du 5 décembre 2003, l’auteur a formulé ses commentaires, faisant valoir que les liens existant entre, d’une part, le tribunal régional et la cour d’appel de La Haye et, d’autre part, le cabinet d’avocats DBB sont assez étroits pour jeter un doute sur l’indépendance et l’impartialité de ces juridictions, que sa requête n’était plus à l’examen à la Cour européenne des droits de l’homme qui l’avait déclarée irrecevable le 7 novembre 2003, et que même s’il avait été au courant des liens existant entre les tribunaux de La Haye et le cabinet d’avocats DBB au cours du procès, il ne lui aurait servi à rien de demander que les juges soient récusés.

5.2 L’auteur affirme qu’il y a confusion entre les pouvoirs judiciaire et exécutif dans la mesure où les observations de l’État partie concernant la recevabilité de sa communication ont été signées (pour R. B., agent du Gouvernement des Pays ‑Bas) par H. I. J., qui est à la fois fonctionnaire au Ministère des affaires étrangères et juge suppléant au tribunal régional de La Haye. Il réaffirme qu’il a personnellement souffert du manque d’indépendance et d’impartialité des tribunaux de La Haye et qu’il est par conséquent «victime» d’une violation de l’article 14.

5.3 L’auteur joint une lettre dans laquelle le Greffe de la Cour européenne des droits de l’homme l’informe que sa requête ( n o 66496/01) a été déclarée irrecevable, le 7 novembre 2003, en application des articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme, au motif qu’elle était «pratiquement la même que celle soumise par le même requérant à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’elle ne contenait aucune nouvelle information». Il affirme que l’argument d’irrecevabilité de l’État partie tiré du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif est donc désormais sans objet.

5.4 Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’auteur rappelle que pendant la procédure qui s’est déroulée devant les tribunaux nationaux de 1990 à 1999, il n’était pas au courant des liens étroits existant entre les tribunaux de La Haye et le cabinet DBB; c’est seulement à l’issue de la procédure interne que ce grief a été soumis au Comité par son nouvel avocat, M. Zegers. L’institution des juges suppléants est encore dans une large mesure méconnue du public. On ne peut donc pas affirmer qu’il est «extrêmement improbable» qu’il n’ait appris que récemment que la justice néerlandaise employait parfois des membres de la profession juridique en tant que juges suppléants. Même si un requérant avait été au courant de ce fait, il lui aurait été difficile de savoir si des personnes étaient à la fois avocats ou fonctionnaires et juges suppléants en l’absence de toute règle faisant obligation aux juges suppléants de déclarer leurs fonctions additionnelles.

5.5 L’auteur réaffirme qu’il aurait été vain de demander que les juges des tribunaux de La Haye soient récusés dans la mesure où la décision de les remplacer par des magistrats appartenant à un autre tribunal ne pouvait être prise que par lesdits juges eux ‑mêmes. Le dilemme auquel font face les requérants, dont l’affaire est confiée à d’autres juges d’un même tribunal auxquels s’appliquent les mêmes objections que celles soulevées à l’égard des juges remplacés, a été reconnu par le Procureur général dans un avis consultatif donné le 22 avril 2000 dans une affaire similaire ( Verlinden c. Caisse des pensions ). Le Procureur général était arrivé à la conclusion que lorsque le droit national ne prévoyait pas la possibilité de faire entendre sa cause par un autre tribunal, une demande pouvait être faite à cet effet sur la base de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ainsi, dans l’affaire Solleveld c . Pays ‑Bas , le tribunal régional de La Haye s’est dessaisi au profit du tribunal régional d’Utrecht après que les juges eurent été récusés en raison de liens présumés existant entre le tribunal et le cabinet d’avocats DBB. La demande de renvoi à une autre juridiction a été acceptée en application de l’article 6 de la Convention européenne.

5.6 En outre, l’auteur fait valoir que dans l’affaire Verlinden c. Caisse des pensions , M. Zegers, qui était devenu l’avocat du requérant en fin de procédure, avait dénoncé les liens existant entre le cabinet d’avocats DBB et la cour d’appel de La Haye devant cette même juridiction et devant la Cour suprême. Le 30 juin 2000, la Cour suprême avait rejeté sa plainte et statué qu’il y avait des garanties suffisantes quant à l’indépendance et l’impartialité des avocats siégeant au tribunal en tant que juges suppléants et que les liens existant entre les tribunaux de La Haye et le cabinet d’avocats DBB n’étaient pas un motif suffisant pour avoir des doutes objectifs au sujet de l’indépendance et l’impartialité de ces tribunaux. Le même jour, la Cour suprême est arrivée à la même conclusion dans l’affaire Sanders c. ANWB . L’auteur estime donc que, dans la mesure où sa requête aurait eu peu de chances d’aboutir, il n’était pas tenu d’épuiser les recours internes en demandant que soient récusés les juges du tribunal régional de La Haye et de la cour d’appel de La Haye qui devaient entendre sa cause.

Observations supplémentaires de l’auteur

6.1 Le 28 mai 2004, l’auteur a présenté une lettre datée du 8 octobre 1990, adressée par son ancien avocat au Bâtonnier de l’ordre des avocats de Haarlem, dans laquelle le conseil se plaignait du comportement de R. M. S. qui s’était apparemment targué des bonnes relations que le cabinet d’avocats DBB avait avec le Président du tribunal régional d’Almelo quelques jours avant la tenue d’une audience devant ce tribunal où chacun des avocats représentait une partie. À cette audience, le Président s’était immédiatement déclaré incompétent, ce qui était, selon l’auteur, révélateur des relations sur lesquelles s’appuyait le cabinet d’avocats DBB pour obtenir «gain de cause».

6.2 L’auteur signale que le juge H., qui a siégé à la cour d’appel de La Haye, lors de l’examen de son recours devant cette juridiction, était un collègue de R. M. S au cabinet d’avocats DBB et un collègue de la femme de R. M. S au Ministère de la justice. Tout au long de la procédure devant les tribunaux, dans laquelle R. M. S était le conseil de la partie adverse, H. faisait partie des juges. Le fait que le juge T. K. de la cour d’appel d’Amsterdam était membre du Conseil des commissaires de NBM a aussi créé un conflit d’intérêts.

Délibérations du Comité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette plainte est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité note que la même affaire a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a déclarée irrecevable le 7 novembre 2003. Il rappelle toutefois sa jurisprudence selon laquelle c’est seulement lorsque la même question est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête et de règlement que le Comité n’est pas compétent pour examiner une communication en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En outre l’État partie n’a pas émis de réserve au sujet du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, les dispositions de ce paragraphe n’empêchent pas le Comité d’examiner la présente communication.

7.3 Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur aurait pu soulever la question de l’impartialité de l’un des juges qui ont entendu sa cause, mais il prend note également du grief de l’auteur, qui n’a pas été contesté, selon lequel la Cour suprême avait rejeté une demande dans le même sens faite par lui ‑même dans une autre affaire, au motif que les liens existant entre les tribunaux de La Haye et le cabinet d’avocats DBB n’étaient pas une raison suffisante pour avoir des doutes objectifs au sujet de l’indépendance et de l’impartialité du tribunal. Il rappelle que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif n’obligent pas les auteurs de communications à épuiser des recours qui n’ont objectivement aucune chance d’aboutir et estime que l’auteur a suffisamment montré qu’il aurait été vain de demander la récusation des juges ayant entendu sa cause.

7.4 Pour ce qui est de la plainte de l’auteur selon laquelle le système néerlandais des juges suppléants est généralement incompatible avec l’article 14 du Pacte dans la mesure où il ne garantit pas l’impartialité des juges, le Comité note que cette plainte constitue une actio popularis et n’est donc pas recevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

7.5 Le Comité a pris note du grief de l’auteur qui affirme qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable en raison des liens étroits existant entre le tribunal régional de La Haye et la cour d’appel de La Haye, d’une part, et le cabinet d’avocats DBB, de l’autre, et que l’article 14 du Pacte a par conséquent été violé. Le Comité note que les tribunaux de La Haye qui ont entendu la cause de l’auteur étaient composés de juges professionnels exerçant à plein temps qui n’avaient aucun lien avec le cabinet d’avocats en question et que l’auteur n’a invoqué aucune circonstance particulière permettant de mettre en cause l’impartialité et l’indépendance de ces juges. En conséquence, le Comité considère que ce grief n’est pas fondé. Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle le fait que la cour d’appel de La Haye n’a pas renvoyé l’affaire devant un autre tribunal régional ou ne l’a pas confiée à des juges appartenant à un autre tribunal montre qu’elle avait en l’espèce des intérêts particuliers, le Comité considère que l’auteur ne lui a fourni aucune précision à l’appui de son allégation. Enfin, le Comité note l’affirmation de l’auteur selon laquelle plusieurs liens spéciaux unissent les tribunaux de La Haye et le cabinet d’avocats DBB (voir par. 2.4, 3.6, 5.7 et 5.8 ci ‑dessus), d’où l’existence de conflits d’intérêts. Il estime toutefois que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, que ces liens ont eu, de par leur nature ou leur durée, une incidence telle sur son procès qu’ils soulèvent des questions au titre de l’article 14.

7.6 Le Comité conclut par conséquent que l’allégation de l’auteur selon laquelle les juges qui ont entendu sa cause au tribunal régional de La Haye et à la cour d’appel de La Haye n’étaient pas indépendants et impartiaux est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7 Pour ce qui est du grief de l’auteur qui affirme qu’en se contentant de mentionner l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire dans son appel du 6 janvier 1995 portant rejet de son appel, la Cour suprême a violé le droit à un jugement motivé, le Comité note que si le paragraphe 1 de l’article 14 peut être interprété comme faisant obligation aux tribunaux d’exposer les motifs à la base de leurs décisions , il ne peut être interprété comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument avancé par un plaignant . Ainsi, le besoin d’assurer un fonctionnement efficace de la justice peut amener les tribunaux, en particulier les plus hautes juridictions des États parties, à se contenter, en rejetant un appel, de faire leurs les motifs à la base de la décision de la juridiction inférieure, de façon à pouvoir faire face à leur charge de travail . Le Comité rappelle que la Cour suprême a rejeté l’appel de l’auteur, estimant qu’il n’avait présenté aucun argument pour que la décision de la cour d’appel de La Haye du 9 septembre 1993 puisse être cassée. Elle a donc approuvé, au moins implicitement, le raisonnement de la cour d’appel. En outre, la Cour suprême a estimé que l’appel de l’auteur ne soulevait aucune question fondamentale de droit, contrairement à ce qu’exige l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, son affirmation selon laquelle la décision de la Cour suprême n’était pas suffisamment motivée. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1 er et 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

G. Communication n o 1201/2003, Ekanayake c. Sri Lanka * (Décision adoptée le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Hiran Ekanayake (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Sri Lanka

Date de la communication :

10 avril 2003 (date de la lettre initiale)

Objet : Licenciement abusif de la magistrature

Questions de procédure : Néant

Questions de fond : Inégalité

Article du Pacte : 26

Articles du Protocole facultatif : 2, 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est M. Hiran Ekanayake, ressortissant sri ‑lankais, né le 24 juillet 1965. Il se déclare victime de violations par l’État partie de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 1 er juillet 1998, l’auteur a intégré le corps de la magistrature. Le 1 er janvier 1999, il a été nommé magistrat permanent et juge de district supplémentaire à Thambuttegama. Un an après sa nomination, il a été muté à Colombo en qualité de magistrat supplémentaire. Selon lui, sa mutation s’explique par son refus de faire exécuter un ordre de la Commission des services judiciaires (JSC) enjoignant à la police d’enlever les haut ‑parleurs destinés à assurer la sonorisation d’une réunion à laquelle participait le chef de l’opposition de l’époque. L’auteur soutient que les membres de la JSC appartenaient au même parti politique que le Président.

2.2 En avril 2000, le Président de la Cour suprême a demandé à l’auteur de classer sans suite une certaine affaire criminelle alors que, de l’avis de l’auteur, il existait suffisamment d’éléments de preuve pour que l’affaire soit jugée. L’auteur soutient que l’accusé était un ami du Président de la Cour suprême, et il a refusé d’obtempérer.

2.3 Lorsqu’il est arrivé à Colombo, l’auteur n’a reçu ni logement de fonction ni allocation ‑logement, alors que d’autres magistrats bénéficiaient de ces privilèges. Il soutient qu’en refusant de les lui accorder, l’objectif de la JSC était de le harceler. Faute de logement de fonction, l’auteur a dû louer un logement bon marché à Ratmalana, une ville située à 12 miles de Colombo. En raison de la distance, des contrôles de sécurité et des embouteillages, l’auteur devait quitter sa maison à 5 h 30 du matin pour se rendre au tribunal à Colombo, le trajet pouvant prendre jusqu’à trois heures trente.

2.4 Le 11 mai 2000, considérant que son bien ‑être physique et mental se ressentait du temps qu’il mettait pour se rendre au travail, l’auteur a demandé à être muté hors de Colombo. Le vendredi 2 juin 2000, il a été convoqué par la JSC et interrogé par le Président de la Cour suprême au sujet de sa demande. Il a été qualifié d’«épave mentale» et déclaré incapable de continuer à exercer dans la magistrature. Il a été prié de présenter sa démission le jour même, mais il a refusé.

2.5 Le lundi 5 juin 2000, se sentant mal en raison, selon lui, de la réunion avec la JSC, l’auteur a décidé de ne pas se rendre au travail. Il s’est entendu avec le juge surnuméraire afin que celui ‑ci le remplace. Le même jour, il a vu un médecin qui a diagnostiqué des «troubles nerveux», et lui a accordé deux semaines d’arrêt maladie, du 5 au 19 juin 2000. L’auteur a repris le travail le 17 juin 2000.

2.6 Le 28 juin 2000, la JSC a mis fin à l’engagement de l’auteur pour les raisons suivantes: à partir du 5 juin 2000, il ne s’était pas présenté au travail sans avoir obtenu d’autorisation préalable; il souffrait de «troubles nerveux inattendus»; il avait fait l’objet de plaintes antérieures; et il était inapte à l’exercice de la magistrature. Après qu’il eut été mis fin à ses fonctions, ce dont la presse se fit l’écho, l’auteur reçut des menaces de mort, et un groupe de personnes non identifiées sont venues à deux reprises «à sa recherche», la nuit, dans sa résidence. Par crainte, il a dû vivre caché pendant près d’un an et demi. Il n’a pas porté plainte auprès de la police considérant que «cela aggraverait la situation»: l’administration d’alors «n’aurait pas hésité à le réduire au silence».

2.7 Le 10 juillet 2000, l’auteur a saisi la JSC, mais il n’a reçu aucune réponse. Il s’est également adressé à la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka et au Président de Sri Lanka. Il n’a pas reçu de réponse du Cabinet du Président.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur soutient qu’il n’a pas bénéficié d’une égale protection de la loi, et qu’il a été victime de discrimination, contrairement aux dispositions de l’article 26 du Pacte.

3.2 Il soutient que tous les recours internes utiles disponibles ont été épuisés. Il affirme que la magistrature sri ‑lankaise n’est pas indépendante, et que son inefficacité, tout comme celle des autres organismes d’application de la loi, gangrenés par l’influence politique et la crainte, l’empêche de porter plainte devant un tribunal sri ‑lankais de première instance.

3.3 L’auteur soutient que la JSC est hautement politisée; elle est présidée par le Président de la Cour suprême et par deux juges de cette juridiction. L’auteur affirme que le Président de la Commission des droits de l’homme est un fervent partisan du Président de la Cour suprême et du Président de Sri Lanka. Le Président de la Cour suprême exerce un contrôle absolu sur la cour d’appel, dans la mesure où les juges de la Cour sont nommés et promus par le Président de Sri Lanka sur sa recommandation. Selon l’auteur, aucun juge de la cour d’appel ne risquerait son avenir en s’opposant aux attentes du Président de la Cour suprême. Dans l’éventualité où l’auteur saisirait la cour d’appel, le Président de la Cour suprême et la JSC devraient figurer parmi les défendeurs, et toute ordonnance rendue en sa faveur aurait une incidence néfaste sur la carrière des juges. Même si la cour d’appel statuait en faveur de l’auteur, le Président de la Cour suprême pourrait influencer le parquet pour qu’il fasse appel de la décision devant la Cour suprême. Les juges de la Cour suprême étant également désignés par le Président de cette juridiction, ce recours ne saurait être considéré comme utile.

3.4 Selon l’auteur, l’avis de la JSC concernant son état de santé est inacceptable dans la mesure où son cas n’a pas été examiné par une commission médicale composée de trois spécialistes, comme l’exige le droit interne. Il affirme que les raisons avancées par la JSC pour justifier son licenciement ne sont pas fondées et qu’elles ont été fabriquées avec malveillance afin qu’il soit démis de ses fonctions. La véritable raison de son licenciement est son refus d’obtempérer aux directives de la JSC, comme mentionné aux paragraphes 2.1 et 2.2 ci ‑dessus.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Dans ses observations du 15 mars 2004, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés. Il souligne que l’auteur n’a présenté aucune plainte devant les juridictions sri ‑lankaises. Il cite les articles 107 à 117 de la Constitution sri ‑lankaise, qui garantissent l’indépendance de la magistrature, et il conteste tout rôle de l’exécutif dans les questions de discipline touchant la magistrature ou au sein de la JSC. Un tel rôle pourrait être interprété comme une ingérence, au sens de l’article 115 de la Constitution, et pourrait entraîner une peine de prison assortie d’une amende s’il était établi.

4.2 Quant au fond, l’État partie conteste les allégations de l’auteur selon lesquelles le Président de la Commission des droits de l’homme était un allié politique du Président et le Président de la Cour suprême exerce un contrôle sur tous les juges de la cour d’appel. Ces allégations ne sont qu’un prétexte avancé par l’auteur pour ne pas épuiser les recours internes. En outre, il convient de noter que toutes les décisions attaquées dans la communication sont des décisions de la JSC et non une décision unique du Président de la Cour suprême.

4.3 L’État partie indique que l’auteur a intégré la magistrature le 1 er juillet 1998 et qu’il était en période probatoire lorsqu’il a été licencié. Jusqu’à ce qu’il soit licencié, de nombreuses plaintes avaient été déposées contre lui, parmi lesquelles l’État partie rappelle les suivantes: abus de pouvoir dans le but de pouvoir construire sur un terrain lui appartenant, en violation des règlements; ouverture de poursuites pénales devant son propre for contre un individu avec lequel l’auteur avait des conflits personnels, ce qu’il a ultérieurement reconnu; et retard d’une année dans l’examen d’une affaire d’aliments dus à un enfant. L’État partie fait valoir que deux de ces incidents se sont produits avant la nomination de l’actuel Président de la Cour suprême.

4.4 Il précise également que l’auteur a demandé sa mutation quatre mois seulement après avoir pris son poste à Colombo, en raison des soi ‑disant difficultés liées à ses déplacements quotidiens à Colombo, difficultés qui, selon lui, aggravaient son état nerveux. L’État partie réfute l’affirmation selon laquelle il fallait trois heures et demie pour se rendre de Ratmalana à Colombo. Même aux heures de pointe, ce trajet ne prenait pas plus d’une heure. L’auteur a également indiqué qu’il avait dû louer une autre maison à Kandy pour y entreposer les meubles qu’il ne pouvait mettre dans la résidence qu’il occupait hors de Colombo. Selon l’État partie, la demande de mutation de l’auteur peu après que celui ‑ci eut pris ses nouvelles fonctions visait à rendre caduc l’objet du transfert, c’est ‑à ‑dire à contrecarrer le contrôle immédiat que la JSC devait exercer sur son comportement et son activité professionnelle; en outre, elle était en contradiction avec la déclaration que l’auteur avait faite lors de sa nomination, selon laquelle il acceptait d’être nommé n’importe où à Sri Lanka.

4.5 L’État partie considère que la décision de la JSC de mettre fin aux fonctions de l’auteur était juste, raisonnable et justifiée. Lors de l’entretien que l’auteur a eu avec les membres de la JSC, ceux ‑ci ont remarqué qu’il souffrait d’instabilité chronique et estimé par conséquent qu’il était incapable de s’acquitter de ses fonctions. Le 5 juin 2000, l’auteur ne s’est pas rendu au travail et il s’est contenté d’envoyer par télécopie un certificat médical à la JSC le lendemain, indiquant qu’il souffrait de «troubles nerveux». Compte tenu de cette situation, ainsi que du comportement antérieur de l’auteur, notamment de son absence du bureau sans autorisation préalable et aussi du fait qu’il se trouvait en période probatoire, la JSC a mis fin à ses fonctions judiciaires. À cet égard, l’État partie se réfère à l’article 13 du Règlement de la JSC, qui prévoit que «la Commission peut, à tout moment, mettre un terme aux fonctions d’un fonctionnaire qui est en période probatoire sans fournir de motif».

4.6 L’État partie confirme que l’auteur s’est vu refuser une allocation ‑logement en application des circulaires adoptées par la JSC, selon lesquelles, pour en bénéficier, un magistrat doit résider dans les limites urbaines de Colombo, ou dans le ressort de la Magistrates Court de Colombo. Cette condition n’étant pas remplie dans le cas de l’auteur, celui ‑ci ne pouvait prétendre à aucune allocation ‑logement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Le 21 mai 2004, l’auteur a réitéré ses griefs antérieurs. Il soutient que l’existence de dispositions constitutionnelles sur l’indépendance de la magistrature ne signifie pas nécessairement que cette indépendance existe dans les faits. Selon lui, dans la pratique, les magistrats ne sont pas indépendants et ces dispositions constitutionnelles ne sont pas appliquées. Par ailleurs, il rejette l’allégation selon laquelle une plainte aurait été déposée contre lui pour abus de pouvoir dans une affaire de terrain.

5.2 L’auteur conteste que sa mutation à Colombo ait été décidée à des fins de contrôle, tout comme il conteste que le lieu où un juge exerce ait une quelconque importance à cet égard. S’agissant de la question de l’allocation ‑logement, il fait valoir que la JSC peut l’accorder à certaines personnes, en fonction de leur situation. Il prétend connaître des magistrats qui vivent hors des limites susmentionnées (par. 4.6) et qui reçoivent cette allocation. L’auteur fournit des informations sur le caractère illicite de son licenciement et la procédure qui aurait dû être suivie dans ce cas, compte tenu en particulier de son état mental. Il affirme qu’il craint pour sa vie, qu’il a vécu ces quatre dernières années dans un village reculé, loin de l’attention du public, et qu’il est menacé par téléphone d’être assassiné s’il ne retire pas la communication qu’il a transmise au Comité. Il a écrit au Ministre de l’intérieur, au Premier Ministre et à l’Inspecteur général de la police pour demander que sa sécurité soit assurée, mais il n’a jamais reçu de réponse.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 En ce qui concerne l’obligation d’épuiser les recours internes, le Comité note que l’auteur n’a saisi aucune des juridictions de l’État partie lorsqu’il a été licencié de la magistrature ce qui, selon lui, constitue une violation de l’article 26 du Pacte. L’auteur confirme qu’il aurait pu saisir la cour d’appel mais a choisi de ne pas le faire, affirmant que la magistrature n’est pas indépendante. Le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé l’affirmation généralisatrice selon laquelle aucun des juges de la cour d’appel ou de la Cour suprême ne pouvait examiner son cas de façon impartiale, étant donné qu’ils sont tous influencés par le Président de la Cour suprême. Le Comité conclut que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes ni établi qu’ils auraient été inefficaces dans les circonstances de l’espèce. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 De même, le Comité considère que le grief formulé par l’auteur au titre de l’article 26, selon lequel il aurait subi un traitement inéquitable en ce qui concerne l’allocation ‑logement, est insuffisamment étayé aux fins de la recevabilité, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7. Le Comité des droits de l’homme décide par conséquent:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et de l’article 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif;

b) Que sa décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Note

H. Communication n o 1213/2003, Sastre c. Espagne * (Décision adoptée le 28 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Diego Sastre Rodríguez et Juan Diego Sastre Sánchez (représentés par un conseil, Miguel Ángel Pouget Bastida)

Au nom de :

Les auteurs et M me Encarnación Sanchez Linares

État partie :

Espagne

Date de la communication :

15 mai 2002 (date de la lettre initiale)

Objet : Procédure administrative relative à l’expulsion d’un logement ayant auparavant fait l’objet d’une expropriation

Questions de procédure : Épuisement des recours internes

Questions de fond : Droit à un recours utile; droit à un procès public devant un tribunal compétent; immixtion arbitraire et illégale dans le domicile

Articles du Pacte : 2 (par. 3), 14 (par. 1), 17

Articles du Protocole facultatif : 2, 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2007,

Adopte ce qui suit:

D écision concernant la recevabilité

1. Les auteurs de la communication, datée du 15 mai 2002, sont Diego Sastre Rodríguez, de nationalité espagnole, né le 21 juillet 1931, et Juan Diego Sastre Sánchez, de nationalité espagnole, né le 3 janvier 1972. Ils affirment être victimes de violations par l’Espagne des articles 2 (par. 3), 14 (par. 1) et 17 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. Les auteurs sont représentés par un conseil, Miguel Ángel Pouget Bastida.

Exposé des faits

2.1 Le 13 avril 1989, la mairie de Carthagène a approuvé un plan d’urbanisme qui prévoyait la démolition de plusieurs logements situés dans le secteur où Encarnación Sánchez Linares, décédée le 17 novembre 2001, résidait avec son époux, Diego Sastre Rodríguez, et son fils, Juan Diego Sastre Sánchez. Ce plan avait comme objet la construction de 1 692 logements. Le 27 mai 1991, Encarnación Sánchez Linares, en tant que propriétaire, a reçu une indemnisation et s’est engagée à libérer son logement dans un délai de quatre mois à compter de la date de notification de l’ordre d’expulsion émanant de la mairie.

2.2 Or, le 19 novembre 1991, la chambre administrative du tribunal supérieur de justice de Murcie a déclaré la nullité du plan d’urbanisme, dont l’exécution a été abandonnée en 1992. Par conséquent, les auteurs n’ont pas quitté leur logement.

2.3 Le 20 septembre 1993, Encarnación Sánchez Linares a demandé à la mairie de déclarer nulles les actions qui avaient été engagées en exécution du plan d’urbanisme susmentionné. Néanmoins, l’administration a affirmé que la décision rendue par la chambre administrative du tribunal supérieur de justice de Murcie, qui annulait le plan d’urbanisme, n’était pas encore exécutoire. Le 27 décembre 1993, la mairie de Carthagène a approuvé la révision du plan, en vue de corriger les défauts qui avaient entraîné la déclaration de nullité.

2.4 Le 18 mai 2000, Encarnación Sánchez Linares a été priée de libérer son logement dans un délai de quatre mois. Le 19 juin de la même année, elle a formé un recours devant l’administration locale, demandant que ces actes soient déclarés nuls afin qu’elle puisse conserver son logement.

2.5 Le 4 octobre 2000, le conseiller municipal chargé de l’urbanisme a adopté un décret demandant l’expulsion du logement dans les dix jours, en invoquant la nécessité urgente de disposer des terrains pour la construction d’un palais des sports. Les auteurs ont été notifiés de l’adoption de ce décret le 5 octobre. Le 17 octobre 2000, Encarnación Sánchez Linares a contesté le décret ainsi que divers actes et la norme de planification que l’on prétendait appliquer, devant la chambre administrative du tribunal supérieur de justice de Murcie. Elle a également demandé, à titre de mesure de protection, que la procédure d’expulsion soit suspendue jusqu’à ce que la chambre ait rendu sa décision. Le même jour, elle a présenté des requêtes au tribunal administratif et à la mairie de Carthagène, les informant du recours qu’elle avait introduit afin que le tribunal n’autorise pas l’administration à pénétrer dans le domicile et à procéder à l’expulsion.

2.6 Le 18 octobre 2000, le tribunal administratif n o 1 de Murcie a rejeté la requête d’Encarnación Sánchez.

2.7 Le 2 novembre 2000, sur requête de la mairie de Carthagène, le tribunal administratif n o 1 de Murcie, sans entendre les auteurs ni les informer, a rendu une ordonnance autorisant, dans un délai de dix jours, l’entrée dans le domicile aux fins d’expulsion, sous réserve du rejet de la demande de suspension de la procédure. Cette ordonnance n’a été notifiée ni par le tribunal ni par la mairie à la famille concernée, qui en a eu connaissance par la radio.

2.8 Le 10 novembre 2000, des agents de police se sont présentés au domicile familial et ont informé les auteurs que l’expulsion aurait lieu le 16 novembre. En conséquence, Encarnación Sánchez Linares a sollicité des mesures de protection auprès du tribunal administratif et de la chambre administrative du tribunal supérieur. Ce dernier a ordonné la suspension provisoire de l’expulsion le 16 novembre 2000, au moment même où l’expulsion commençait.

2.9 Trois jours auparavant, le 13 novembre, Encarnación Sánchez Linares avait contesté devant le tribunal administratif l’ordonnance du 2 novembre qui autorisait l’exécution de la procédure, au motif qu’elle avait été rendue sans que les intéressés ne soient entendus. Ce recours a été rejeté le 14 novembre 2000 par le tribunal administratif. Le 23 novembre 2000, un recours a été formé devant la chambre administrative du tribunal de justice contre la même ordonnance en date du 2 novembre 2000. Ce recours s’appuyait sur l’absence d’audience, l’inutilité du recours et le caractère non exécutoire de l’acte administratif. Le 31 janvier 2001, il a également été rejeté. Le recours en amparo formé contre le Tribunal constitutionnel a été déclaré irrecevable le 26 novembre 2001.

2.10 Le 17 novembre 2000, Encarnación Sánchez Linares a contesté devant le tribunal administratif la décision du 18 octobre 2000 qui rejetait sa demande de suspension. Le tribunal l’a déboutée le 21 décembre 2000. L’auteur a alors formé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, qui l’a déclaré irrecevable le 16 juillet 2001, ayant conclu à l’absence de violation des règles de procédure.

2.11 Le 23 novembre 2000, la chambre administrative du tribunal supérieur de justice de Murcie a levé la suspension provisoire de l’expulsion prononcée le 16 novembre et rejeté la demande de suspension de l’ordonnance d’expulsion. Le 13 décembre 2000, M me Sánchez a contesté en cassation la décision de lever la mesure provisoire, devant la chambre administrative du Tribunal suprême, en lui demandant de se prononcer sur la question de savoir si le décret du 4 octobre 2000 pouvait être exécuté. Le 15 janvier 2003, la chambre administrative du Tribunal suprême a rejeté le recours en cassation.

2.12 Le 14 décembre 2000, la mairie de Carthagène a demandé une autre autorisation d’entrée au tribunal administratif, qui la lui a accordée le 26 décembre 2000. Cette décision a fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif lui ‑même, où il était rappelé que le recours formé contre l’autorisation d’entrée du 2 novembre 2000 n’avait toujours pas été tranché par la chambre du tribunal supérieur de justice et où était dénoncée une nouvelle fois, entre autres motifs, l’absence d’audience. Le 22 janvier 2001, le tribunal administratif a rejeté le recours, déclarant que «[…] pour prendre la décision contestée, il n’était pas nécessaire d’en notifier l’intéressée, car même si celle ‑ci avait comparu, la loi juridictionnelle ne prévoit pas une telle notification, l’autorisation d’entrée ne donnant pas lieu à une procédure judiciaire contradictoire […]» et que «le recours formé contre la décision autorisant l’entrée (2/11/2000) n’affecte en rien l’exécution de ladite décision, ce recours n’étant admis qu’avec un seul effet, conformément à l’article 80.1 d) de la loi juridictionnelle».

2.13 L’expulsion a eu lieu le 29 janvier 2001, et des scellés ont été apposés sur le logement qui a été démoli le lendemain. Encarnación Sánchez Linares, qui souffrait d’un cancer en phase terminale, est décédée le 17 novembre 2001.

2.14 Le 26 novembre 2001, le Tribunal constitutionnel a déclaré irrecevables les deux derniers recours en amparo qui avaient été formés.

2.15 La mairie de Carthagène ayant exécuté en urgence le décret du 4 octobre 2000, cette voie d’exécution matérielle a également été contestée devant la chambre administrative du tribunal supérieur de justice de Murcie, le 20 février 2001, dans le recours 398/2001, qui est également en instance devant ce tribunal.

2.16 Au 16 mars 2006, date de la dernière lettre adressée au Comité par les auteurs, le plan d’urbanisme n’avait toujours pas été mis en œuvre.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs dénoncent exclusivement la procédure suivie par le tribunal administratif n o 1 de Murcie lorsqu’il s’est prononcé sur l’autorisation d’entrée accordée par l’administration locale de Carthagène. Ils affirment que cette procédure a été contestée devant les tribunaux espagnols et qu’ils ont à cet égard épuisé tous les recours internes, y compris le recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel.

3.2 Selon les auteurs, la procédure suivie par le tribunal administratif n o 1 de Murcie constitue une violation:

Du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, en ce que le recours contre les décisions des tribunaux administratifs n’a pas d’effet suspensif;

Du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, en ce que les actes administratifs qui ordonnent l’expulsion d’un domicile familial ne respectent pas les droits d’audience et de défense des intéressés. Selon les auteurs, le tribunal aurait dû procéder à la pondération des intérêts en jeu avant d’autoriser l’entrée;

De l’article 17 du Pacte, en ce que les auteurs ont subi, sans audience préalable ni possibilité de recours effectif, l’exécution forcée et urgente de l’expulsion et la démolition immédiate du logement où était établi le domicile familial, le tout pour mettre en œuvre un plan d’urbanisme qui avait été abandonné et annulé. Les auteurs soutiennent que s’ils ont été indemnisés pour le logement, cette indemnisation répondait à la nécessité d’occuper les terrains pour mettre en œuvre le plan d’urbanisme. Ils estiment donc que la décision du tribunal a permis une immixtion arbitraire et illégale dans leur domicile.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Le 15 février 2006, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne la recevabilité, il affirme que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il soutient en outre que la communication constitue un abus du droit de présenter des communications au sens de l’article 3 du Protocole. En ce qui concerne le fond, il maintient que les faits exposés ne font pas apparaître de violation des dispositions du Pacte.

4.2 Selon l’État partie, la communication est fondée sur la contestation du caractère exécutoire des actes administratifs, c’est ‑à ‑dire que les auteurs considèrent que le fait de conférer à l’administration le pouvoir d’exécuter elle ‑même ses décisions, sans confirmation judiciaire préalable, constitue une violation du Pacte. Dans cette perspective, les auteurs estiment que les recours formés devant les tribunaux administratifs doivent avoir en principe un effet suspensif des actes administratifs contestés.

4.3 L’État partie indique que la situation en Espagne est la même que dans l’immense majorité des systèmes juridiques. Il soutient en outre que l’ordre juridique espagnol est particulièrement protecteur puisque, outre le fait que les tribunaux de justice peuvent prononcer, à titre de mesure de protection, la suspension d’un acte qui fait l’objet d’un recours judiciaire, l’autorisation du juge est exigée chaque fois que l’exécution d’actes administratifs nécessite l’entrée dans un domicile privé. Cette autorisation est indépendante du processus de révision de l’acte, ou des mesures de protection qui peuvent être adoptées. L’autorisation du juge permet seulement d’assurer que l’entrée dans le domicile ne constitue pas une voie de fait et qu’elle est bien exécutée dans le cadre d’une procédure à première vue régulière. L’État partie se réfère à la décision de la chambre administrative du tribunal supérieur de justice de Murcie ainsi qu’à la décision postérieure du Tribunal suprême en l’espèce.

4.4 L’État partie fait observer que les auteurs ont été indemnisés pour leur logement et qu’ils s’étaient engagés à le libérer dès avant 1991, c’est ‑à ‑dire dix ans avant l’expulsion. Il indique également que les auteurs ont contesté sans succès le plan d’urbanisme à l’origine de l’expulsion ainsi que le décret de la mairie de Carthagène en date du 4 octobre 2000, de sorte que la question de l’expulsion a été examinée par trois organes juridictionnels distincts, le tribunal administratif de Murcie, la chambre administrative de Murcie et le Tribunal suprême, sans qu’aucun d’eux ne trouve de raisons de suspendre l’effet exécutoire de l’acte administratif correspondant. L’affaire a ensuite été portée devant le Tribunal constitutionnel qui, à trois reprises, a confirmé la justesse de la mesure face à des recours qui n’invoquaient pas l’inviolabilité du domicile, mais uniquement la violation du droit à la «protection effective de la justice» du fait de l’absence d’audience et de motivation, entre autres.

4.5 En outre, l’exécution matérielle de l’expulsion a également été contestée devant la chambre administrative du tribunal supérieur de justice de Murcie, mesure qui ne peut être comprise que comme un réexamen judiciaire de la régularité et de la pertinence de l’expulsion. Ce recours formé par les auteurs doit donc être considéré comme une mesure de correction de la violation qu’ils dénoncent devant le Comité avant même que les tribunaux nationaux n’aient achevé son examen et pris une décision.

4.6 En conséquence, l’État partie considère qu’il n’a pas été satisfait aux exigences du paragraphe 2 b) de l’article 5 puisque les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes en vue de faire réparer la violation présumée.

4.7 En ce qui concerne le fond, l’État partie soutient qu’en l’espèce, les auteurs ont pu bénéficier de l’accès à la justice dans toute la mesure raisonnablement possible. Ils ont contesté chaque acte de procédure, les actes d’exécution et jusqu’à «l’exécution matérielle». Le réexamen des actes contestés a donc été effectué à leur demande et avec leur intervention constante. Dans de telles conditions, il semble difficile d’affirmer qu’il y a eu violation du Pacte car dans l’intervention à titre de protection du tribunal administratif, qui n’est pas exigée par le Pacte et qui ne constitue pas une révision mais une simple précaution ne limitant aucunement le contrôle juridictionnel de l’acte administratif par les voies adéquates, l’intervention de l’intéressé n’est pas prévue comme dans les véritables procédures de révision.

4.8 Selon l’État partie, le Pacte n’exige pas de procédure préalable à l’exécution des actes administratifs, sans préjudice du contrôle juridictionnel dont ceux ‑ci peuvent faire l’objet ni, le cas échéant, de la réparation des dommages que l’exécution aurait pu causer. Il n’exige pas davantage que tout recours contre une décision judiciaire ait un effet suspensif. En l’espèce, l’autorisation judiciaire n’a pas privé les auteurs de leur droit à la défense et ne leur a causé aucun préjudice car il s’agit d’une garantie supplémentaire qui ne se substitue pas au contrôle juridictionnel. Ce contrôle juridictionnel a eu lieu, et continue d’avoir lieu, avec une certaine ampleur car la décision de ne pas suspendre la mesure autorisée, qui a également été prise avant l’exécution et indépendamment de l’autorisation, a amplement justifié la non ‑suspension. L’État partie a signalé en outre le caractère réparable du préjudice allégué pour le cas où les recours en instance seraient acceptés.

Commentaires des auteurs

5.1 Dans leurs commentaires du 16 mars 2006, les auteurs rappellent que plus de cinq années se sont écoulées depuis la démolition de leur logement, qui a eu lieu à la suite de l’expulsion d’une famille ayant de graves problèmes de santé, de manière forcée et urgente, avant que les tribunaux ne se prononcent sur le recours formé contre l’autorisation accordée. Ils ajoutent que, cinq années plus tard, le terrain sur lequel était construit le logement n’est toujours pas occupé.

5.2 Les auteurs réfutent l’affirmation de l’État partie, qui estime que l’ordre juridique espagnol est particulièrement protecteur en ce sens qu’outre la suspension à titre de mesure de protection, que peut accorder le tribunal qui examine le recours formé contre un acte administratif, l’autorisation du tribunal administratif est nécessaire pour l’entrée dans le domicile. Selon les auteurs, ce type d’autorisation est prévu pour les cas dans lesquels il n’existe pas de recours administratif contre l’acte qu’il est prévu d’exécuter et que celui ‑ci suppose de porter atteinte à l’inviolabilité du domicile.

5.3 Les auteurs réaffirment que le tribunal administratif n o 1 de Murcie a empiété sur la compétence de la chambre administrative du tribunal supérieur de justice de Murcie en autorisant l’entrée dans le domicile en vue de la démolition de celui ‑ci, sans les entendre. Ils réaffirment également que la requête de la mairie ne leur a pas été communiquée et qu’ils n’ont pas eu la possibilité de formuler des allégations. L’autorisation accordée ne leur a pas été notifiée non plus.

5.4 Les auteurs indiquent également que l’indemnisation qu’ils ont reçue en 1991 concernait les plantations et ouvrages supposés entraver l’exécution d’un plan qui n’a jamais été mis en œuvre. En conséquence, il n’y avait aucun motif de disposer en urgence de la parcelle. Selon les auteurs, ils ont été privés pendant cinq ans du terrain où était situé le logement démoli, et la somme qu’ils ont perçue à titre d’indemnisation était insuffisante.

5.5 Les auteurs indiquent enfin que le 21 octobre 2005, la chambre administrative du tribunal supérieur de justice de Murcie a déclaré irrecevable le recours formé contre le décret du 4 octobre 2000 (voir par. 2.5). Le 9 janvier 2006, l’une des filles d’Encarnación Sánchez Linares a formé un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, qui ne s’est pas encore prononcé.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il peut donc procéder à son examen.

6.3 Le Comité prend note de l’argument général de l’État partie, qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés en l’espèce puisqu’une série de recours sont encore en instance devant les tribunaux nationaux, et que ces recours seraient appropriés pour réparer les violations alléguées. En ce qui concerne les allégations des auteurs en lien avec l’article 17 du Pacte, le Comité observe qu’en effet, ni la violation présumée dudit article, ni l’existence d’une immixtion arbitraire et illégale dans leur domicile, n’ont jamais été dénoncés devant les tribunaux nationaux, et en conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4 Quant aux allégations des auteurs en lien avec le paragraphe 1 de l’article 14, le Comité constate que les recours invoquant l’absence d’audience et le manque d’effet suspensif des recours formés devant le tribunal administratif ont été rejetés en trois occasions distinctes par le Tribunal constitutionnel. Dans ces circonstances, le Comité considère que les auteurs ont accompli tous les efforts qui peuvent être raisonnablement exigés aux fins d’épuiser les recours internes pour ce qui concerne le grief tiré du paragraphe 1 de l’article 14.

6.5 Le Comité fait toutefois observer que, en lui ‑même, le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte n’oblige pas les États parties à offrir des recours judiciaires s’agissant de droits et obligations de caractère civil. Cependant, il considère que, si un État partie offre ce type de recours judiciaires, les procédures doivent respecter les garanties d’un procès équitable implicitement contenues dans ladite disposition . Le Comité considère que la conformité des procédures en question aux exigences du Pacte doit être examinée en totalité, à la lumière des circonstances particulières de l’affaire . Le Comité prend note de la plainte des auteurs concernant le fait que les actes administratifs qui ordonnent l’expulsion d’un domicile ne respectent pas le droit à l’audience et le droit de défense des intéressés et que le recours prévu contre les actes des tribunaux administratifs n’a pas d’effet suspensif. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie, qui fait valoir que l’autorisation du tribunal administratif dans les cas où l’exécution d’actes administratifs nécessite l’entrée dans un domicile est une procédure limitée qui n’affecte pas le contrôle juridictionnel de ces actes. Les auteurs ne s’écartent pas de cette constatation, mais ils considèrent qu’une telle situation constitue une violation des droits et garanties énoncés dans le Pacte. Le Comité note également que, comme l’a indiqué la Cour constitutionnelle , les auteurs ont eu en l’espèce la possibilité de participer activement à divers aspects des procédures qu’ils ont engagées contre l’expulsion et qu’ils ont même obtenu des mesures de protection qui ont suspendu durant un certain temps l’exécution de l’ordre d’expulsion. En conséquence, le Comité considère que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs allégations aux fins de la recevabilité, et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6 Par ailleurs, en ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 3 de l’article 2, le Comité rappelle que l’article 2 ne peut être invoqué par les personnes qu’en relation avec d’autres articles du Pacte. Il note que le paragraphe 3 a) de l’article 2 stipule que chaque État partie s’engage à «garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus [dans le Pacte] auront été violés disposera d’un recours utile» . Toutefois, le paragraphe 3 b) de l’article 2 oblige l’État partie à faire en sorte qu’une autorité judiciaire, administrative ou législative compétente se prononce sur le droit à un tel recours, garantie qui serait caduque si elle n’est pas disponible avant que l’existence d’une violation n’ait été établie. Certes, il ne peut être raisonnablement exigé d’un État partie, en application du paragraphe 3 b) de l’article 2, de faire en sorte que de telles procédures soient disponibles même pour les plaintes les moins fondées, mais le paragraphe 3 de l’article 2 assure une protection aux victimes présumées si leurs plaintes sont suffisamment bien fondées pour être défendables en vertu du Pacte . Considérant que les auteurs n’ont pas étayé leurs plaintes aux fins de recevabilité au titre du paragraphe 1 de l’article 14, leur allégation de violation de l’article 2 du Pacte est aussi irrecevable, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide que:

a) La communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) La présente décision sera communiquée aux auteurs et à l’État partie.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

I. Communication n o 1219/2003, Roasavljevic c. Bosnie ‑Herzégovine * (Décision adoptée le 30 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Vladimir Raosavljevic (non représenté)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Bosnie ‑Herzégovine

Date de la communication :

3 juillet 2003 (date de la lettre initiale)

Objet : Non ‑renouvellement de la nomination d’un juge à la Cour suprême en raison de la participation à des jugements controversés; absence d’un recours utile pour contester la décision du Conseil supérieur de la magistrature

Questions de fond : Droit d’accéder dans des conditions d’égalité aux fonctions publiques; droit à un recours utile

Questions de procédure : Recevabilité ratione materiae ; justification des griefs; épuisement des recours internes

Articles du Pacte : 2 (par. 1 et 3), 17, 25 c)

Articles du Protocole facultatif : 2, 3, 5 (par. 2 a) et b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication est Vladimir Raosavljevic, ressortissant de Bosnie ‑Herzégovine, né le 28 juillet 1939. Il se déclare victime de violations par la Bosnie ‑Herzégovine de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lu seul et conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2 ainsi que, indirectement, de l’article 17. Il n’est pas représenté.

1.2 Dans une lettre datée du 19 janvier 2004, l’État partie a demandé au Comité d’examiner la question de la recevabilité de la communication séparément du fond, conformément au paragraphe 3 de l’article 97 du Règlement intérieur. Le 11 février 2004, par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, le Comité a décidé d’examiner la recevabilité en même temps que le fond.

Exposé des faits

2.1 De 1965 à 2003, l’auteur a occupé les fonctions de juge au tribunal municipal de Prnjavor (cinq ans), au tribunal de district (vingt ‑trois ans) et de 1993 à 2003 à la Cour suprême de la Republika Srpska dont il présidait la chambre pénale.

2.2 En 2002, le Haut Représentant pour la Bosnie ‑Herzégovine a mis en place des conseils supérieurs de la magistrature au niveau de la Fédération et dans chacune des deux entités. Tous les postes de l’administration judiciaire existants ont été déclarés vacants et leurs titulaires ont dû poser de nouveau leur candidature. Le Conseil supérieur de la magistrature de la Republika Srpska a dirigé le processus de sélection et de nomination dans la Republika Srpska (RS) en appliquant les critères énoncés à l’article 41 de la loi de la RS sur le Conseil supérieur de la magistrature.

2.3 Le 4 novembre 2002, à l’issue d’une audience extraordinaire, une chambre de la Cour suprême de la Republika Srpska présidée par l’auteur avait annulé un jugement définitif de deux tribunaux de première instance de Bijeljina (le tribunal municipal et le tribunal de district) qui avaient reconnu les accusés coupables d’enlèvement et d’avortement forcé et les avaient condamnés à des emprisonnements allant de quatre ans et six mois à six ans et six mois. La Cour avait renvoyé l’affaire au tribunal de première instance. Dans une autre affaire, une chambre présidée également par l’auteur et siégeant en tant que juridiction de deuxième degré, avait confirmé une condamnation pour meurtre, alors que, selon les informations, les preuves étaient insuffisantes, et sans avoir procédé à un réexamen réel du verdict. Dans les deux affaires, des plaintes avaient été portées contre l’auteur, par le Bureau du Haut ‑Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme dans la première affaire et par le père du condamné pour meurtre dans la deuxième.

2.4 Selon l’auteur, au début de 2003, le bureau local du Conseil supérieur de la magistrature à Banja Luka a examiné la candidature de l’auteur qui souhaitait être nommé de nouveau à la Cour suprême de la Republika Srpska. Ayant enquêté sur les deux plaintes, le Conseil a conclu que les jugements rendus avaient été irréguliers et faisaient douter de l’aptitude de l’auteur à occuper la charge de juge. Le 12 mars 2003, le Conseil supérieur de la magistrature a décidé de ne pas nommer de nouveau l’auteur juge à la Cour suprême. Le fait qu’il n’ait pas été retenu cette fois ne l’empêcherait pas d’être nommé ultérieurement juge ou procureur. La décision était fondée sur un système complexe de notation (voir aussi le paragraphe 5.2 ci ‑dessous).

2.5 Par une lettre datée du 17 mars 2003, l’auteur et un autre juge de la Cour suprême, dont la nomination avait été refusée parce qu’il avait participé au jugement qui avait abouti aux verdicts cités plus haut, ont contesté la décision du Conseil supérieur de la magistrature en faisant valoir que, dans le procès pour enlèvement et avortement forcé, les juridictions inférieures auraient dû ordonner qu’il soit procédé à une expertise pour évaluer la capacité mentale du principal accusé au moment des faits; leur appréciation des preuves médicales avait été dépourvue d’objectivité.

2.6 Le 20 mars 2003, l’auteur a demandé au Conseil supérieur de la magistrature de reconsidérer sa décision de mettre fin à sa charge de juge, en soulignant son professionnalisme, l’efficacité de la chambre pénale de la Cour suprême de la Republika Srpska qu’il avait présidée et le respect dont il jouissait parmi ses collègues. Le 2 avril 2003, le Conseil a rejeté la demande et a déclaré que la décision n’était pas susceptible d’appel.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que le non ‑renouvellement de sa nomination motivé par l’application de la loi qu’il avait faite dans les deux affaires pénales mentionnées était discriminatoire, qu’il a représenté un déni du droit d’accès dans des conditions d’égalité à des fonctions publiques, a constitué une atteinte à son indépendance en tant que juge et a porté préjudice à son honneur et à sa réputation, en violation du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, de l’article 17 et de l’alinéa c de l’article 25, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 (en l’absence d’un recours utile pour contester la décision du Conseil supérieur de la magistrature).

3.2 L’auteur réaffirme que la chambre pénale de la Cour suprême de la Republika Srpska dont il était président était la plus efficace de toute la Bosnie ‑Herzégovine à telle enseigne qu’au 12 février 2003 il n’y avait que trois affaires en souffrance. Il avait participé à plusieurs équipes d’experts chargés de réviser la législation et d’élaborer des textes de loi dans la Republika Srpska et dans le district de Brcko. Alors que la notation de l’auteur était supérieure à celle de tous les candidats qui ont été nommés à la Cour suprême, le Conseil a décidé de mettre fin à sa nomination avant qu’il n’atteigne 70 ans, âge de la retraite, uniquement sur le fondement de deux jugements controversés. Le Conseil supérieur de la magistrature n’a pris en considération aucun des critères suivants: l’efficacité de la chambre dont il avait été le Président, son professionnalisme et son expérience professionnelle, l’absence d’irrégularités dans les affaires qu’il avait jugées et l’absence de toute action disciplinaire contre lui.

3.3 Se référant à l’article 258 du Code de procédure pénale, l’auteur fait valoir que la décision rendue le 4 novembre 2002 d’annuler les condamnations prononcées dans l’affaire d’enlèvement et d’avortement forcé était tout à fait légale car elle était fondée sur l’avis de plusieurs experts psychiatriques qui estimaient que l’accusé souffrait d’une maladie mentale au moment des faits.

3.4 L’auteur fait valoir que, outre qu’il a porté atteinte à son indépendance de magistrat, le Conseil supérieur de la magistrature n’était pas composé comme il aurait dû l’être quand il s’est prononcé sur sa candidature, étant donné que l’un des membres du Conseil qui avait été désigné était issu de la catégorie professionnelle la moins élevée alors qu’il aurait fallu que ce soit le Bureau de l’avocat général qui le désigne.

3.5 L’auteur affirme qu’il n’a pas pu faire appel de la décision du Conseil supérieur de la magistrature auprès d’une autre autorité juridictionnelle et qu’il n’a pas eu accès aux dossiers quand le processus d’évaluation a été terminé.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4. Par une note datée du 19 janvier 2004, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication en faisant valoir que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes parce qu’il n’avait pas déposé de demande de réexamen de la décision du Conseil supérieur de la magistrature auprès de la Cour suprême de la Republika Srpska et ne s’était pas non plus pourvu devant la Cour constitutionnelle ou devant la Chambre des droits de l’homme de Bosnie ‑Herzégovine instituée en vertu de l’annexe V de l’Accord de Dayton. L’État partie demande au Comité de vérifier que la même question n’est pas en cours d’examen devant la Cour européenne des droits de l’homme.

5.1 Dans une note du 30 avril 2004, l’État partie a réitéré les arguments avancés pour contester la recevabilité de la communication et a fait des observations sur le fond, faisant valoir que les faits présentés ne soulèvent aucune question au regard de l’article 17 ni des alinéas a et b de l’article 25 du Pacte.

5.2 Pour ce qui est du grief de violation de l’alinéa c de l’article 25, l’État partie fait valoir que la candidature de l’auteur s’inscrivait dans le processus de nomination de 16 juges à la Cour suprême de la Republika Srpska. Sur les 98 candidats qui s’étaient présentés aux 16 postes, 91 ont été entendus. Tous remplissaient les conditions de nomination à la Cour suprême fixées par la loi. Le Conseil supérieur de la magistrature avait compétence pour sélectionner les candidats qu’il estimait le plus qualifiés, en fonction des critères énoncés à l’article 41 de la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature. En vertu de la Constitution de l’État et de la Constitution de la Republika Srpska, la composition ethnique de la Cour suprême doit refléter la composition ethnique de la population de la Republika Srpska telle qu’elle ressortait des résultats du recensement mené en 1991 dans l’ancienne République socialiste de Yougoslavie. Ainsi, sur les 13 magistrats proposés par la Commission des nominations, il y avait 8 Serbes, 2 Bosniaques, 2 Croates et 1 «autre». L’auteur a été très bien noté par la Commission mais n’atteignait pas le seuil fixé pour les huit juges d’origine serbe. Le processus de sélection reposait sur des critères objectifs et non pas sur l’opinion ou l’appartenance politique et était de nature à donner à l’auteur une «bonne chance» d’obtenir un poste de juge, conformément à la législation interne et à l’alinéa c de l’article 25 du Pacte.

5.3 L’État partie fait valoir que pendant le processus de sélection, le Conseil supérieur de la magistrature était composé selon les prescriptions de l’article 5 et de l’article 76 de la loi de la RS sur le Conseil supérieur de la magistrature. Si l’article 5 définissait dans les grandes lignes les modalités de composition du Conseil, l’article 76 donnait au Haut Représentant une certaine latitude lui permettant de s’écarter de cette disposition pour la nomination des membres du Conseil pendant la période de transition.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

6.1 Dans une réponse du 22 mai 2004, l’auteur a déclaré qu’il n’avait jamais pressenti la Cour européenne des droits de l’homme et que l’État partie n’avait pas cité une seule disposition de la législation interne qui lui aurait permis de contester la décision du Conseil supérieur de la magistrature devant un autre organe. L’auteur s’est prévalu du seul recours qui lui était ouvert en déposant une demande de réexamen en vertu du paragraphe 3 de l’article 79 de la loi de la Republika Srpska sur le Conseil supérieur de la magistrature. Dans la décision de rejet, il était expressément indiqué qu’elle n’était pas susceptible d’appel. En outre, l’article 86 de la même loi définit la loi comme étant une « lex specialis », ce qui interdit l’exercice de tout recours prévu dans d’autres lois. La disposition relative à la protection des juridictions, ajoutée récemment dans le nouveau projet de loi fédérale sur le Conseil supérieur de la magistrature, ne visait que les procédures disciplinaires et n’avait pas d’effet rétroactif. La chambre des droits de l’homme avait cessé de recevoir des plaintes quand il avait voulu contester la décision du Conseil supérieur de la magistrature. Ce n’était pas un recours interne. Il avait donc épuisé tous les recours internes disponibles.

6.2 L’auteur mentionne des rapports statistiques qui montrent qu’il avait dépassé le quota de travail de 217,4 % en 2000 et de 161,5 % en 2001 et il réaffirme qu’il a été mis fin à son mandat bien qu’il eût obtenu les notes les plus élevées de tous les candidats, selon les critères établis à l’article 41 de la loi de la Republika Srpska sur le Conseil supérieur de la magistrature. Conformément à l’article 17 du Règlement intérieur du Conseil, les dossiers d’évaluation sont confidentiels et ne sont pas portés à la connaissance des candidats. L’État partie n’a pas porté ces dossiers à la connaissance du Comité parce qu’il voulait cacher les notes que l’auteur avait obtenues et celles des autres candidats.

6.3 L’auteur ne conteste pas la sélection des juges selon un quota ethnique mais il fait valoir que la question de l’origine ethnique ne se posait pas dans son cas puisque les huit juges désignés pour siéger à la chambre pénale de la Cour suprême de la Republika Srpska étaient tous serbes. Quatre d’entre eux venaient de juridictions inférieures; l’un d’eux n’avait jamais eu dans toute sa carrière à statuer en appel.

6.4 L’auteur souligne que la seule raison pour laquelle il n’a pas été renommé à la Cour suprême de la Republika Srpska tient à l’appréciation qu’il avait faite de la loi dans les deux verdicts, en fonction de laquelle le Conseil supérieur de la magistrature avait écarté sa candidature alors qu’il avait nommé à la Cour suprême de la Republika Srpska ou à la Cour constitutionnelle de Bosnie ‑Herzégovine d’autres candidats qui avaient pourtant participé aux mêmes jugements. Non seulement le Conseil supérieur de la magistrature l’a empêché d’exercer son droit d’accéder dans des conditions d’égalité à des fonctions à la Cour suprême de la Republika Srpska mais il a en outre recommandé le rejet de sa candidature pour toute autre charge judiciaire.

6.5 Pour l’auteur, le fait que le Conseil supérieur de la magistrature ait déclaré les jugements irréguliers après avoir reçu des plaintes de parties mécontentes représente une atteinte grave à son indépendance de magistrat ainsi qu’une usurpation par un organe du pouvoir exécutif de facultés judiciaires qui ne peuvent être exercées que par un tribunal supérieur. Quand il étudiait ces dossiers, il a subi des pressions considérables de la part des enquêteurs du Conseil supérieur de la magistrature qui manifestaient un très vif intérêt pour les deux affaires. Ces enquêteurs n’étaient pas compétents pour exercer une autorité judiciaire mais ils n’en ont pas moins étudié à fond les verdicts, qui étaient le résultat d’années de travail, en quelques jours, et ont résumé leur analyse de ces affaires complexes en quelques phrases. Leur appréciation des deux verdicts a été arbitraire, incomplète et imprécise.

6.6 L’auteur fait valoir que la composition du Conseil supérieur de la magistrature est régie en détail dans la loi de la Republika Srpska sur le Conseil supérieur de la magistrature afin de garantir l’impartialité et la transparence de la procédure de nomination. La procédure a été à son égard entachée d’irrégularités puisque l’un des membres du Conseil, S. M., substitut du procureur d’un tribunal de première instance, n’avait pas été élu par l’Association des juges et procureurs de la Republika Srpska comme l’exige l’article 5 de la loi. S. M. ne figurait pas sur la liste des candidats élus communiquée pour approbation au Haut Représentant. Il aurait de plus été possible de nommer un procureur du parquet de la Republika Srpska conformément à l’article 5. La clause de souplesse de l’article 76, qui oblige le Haut Représentant à nommer des membres selon les critères de l’article 5 seulement «dans la mesure du possible» pendant la période de transition, ne pouvait pas être invoquée pour justifier l’irrégularité dans la composition du Conseil supérieur de la magistrature commise quand il a été mis fin aux fonctions de l’auteur. L’État partie aurait dû divulguer les éléments pertinents s’il voulait montrer que la composition du Conseil était régulière.

6.7 L’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas mis en place de recours utile pour permettre le réexamen des décisions concernant les nominations des juges, en violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. La décision par laquelle le Conseil a rejeté sa demande de réexamen était une décision stéréotypée destinée à la communication de masse et qui ne traitait pas une seule des questions qu’il avait soulevées. La possibilité de déposer une telle requête ne pouvait pas être considérée comme un recours utile puisqu’elle n’aboutissait pas à un réexamen par une autre juridiction. Le pouvoir discrétionnaire conféré au Conseil supérieur de la magistrature pour nommer les juges ne peut pas être illimité: il doit être exercé dans le respect des normes internes et internationales applicables.

6.8 L’auteur fait valoir qu’il n’a pas eu la possibilité de présenter ses arguments et de défendre ses droits. Toute accusation portée contre lui aurait dû être traitée dans le cadre d’une procédure disciplinaire en application de l’article 49 de la loi de la Republika Srpska sur le Conseil supérieur de la magistrature. C’est seulement après que l’État partie eut reçu la communication qu’il a eu accès aux dossiers du Conseil supérieur de la magistrature. Il demande une indemnisation pour le préjudice moral et matériel subi, notamment l’atteinte à son honneur et à sa réputation après trente ‑huit ans au service de la justice.

Délibérations du Comité

7.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3 En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur n’a pas déposé de demande de réexamen de la décision du Conseil supérieur de la magistrature datée du 12 mars 2003 auprès de la Cour suprême de la Republika Srpska et ne s’est pas non plus pourvu auprès de la Cour constitutionnelle ni auprès de la Chambre des droits de l’homme de Bosnie ‑Herzégovine. Il prend aussi note de l’objection de l’auteur, qui affirme que sa demande de réexamen en vertu du paragraphe 3 de l’article 79 de la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature, était la seule possibilité de recours qui lui était offerte.

7.4 Le Comité rappelle qu’il ressort implicitement de l’article 97 de son règlement intérieur et du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que les États parties au Pacte doivent porter à la connaissance du Comité tous les renseignements dont ils disposent, ce qui, au stade de la recevabilité d’une communication, comprend des renseignements détaillés sur les recours qui sont ouverts, dans les circonstances propres à leur cas, aux personnes qui se disent victimes de violations de leurs droits. Il considère que l’État partie s’est certes référé en termes généraux aux recours devant la Cour suprême, la Cour constitutionnelle et la Chambre des droits de l’homme de Bosnie ‑Herzégovine mais n’a pas donné de détails sur la possibilité d’exercer ces recours et leur utilité dans le cas de l’auteur. Le Comité estime par conséquent que l’auteur a bien épuisé les recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, quand il a déposé une demande de réexamen auprès du Conseil supérieur de la magistrature.

7.5 En ce qui concerne les griefs de violation des droits consacrés aux alinéas a et b de l’article 25 du Pacte, le Comité relève que ces griefs sont irrecevables ratione materiae au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.6 En ce qui concerne le grief au regard de l’alinéa c de l’article 25 parce que la décision du Conseil supérieur de la magistrature de ne pas renommer l’auteur juge à la Cour suprême a constitué une violation du droit d’accéder dans des conditions d’égalité aux fonctions publiques, le Comité note que l’alinéa c de l’article 25 garantit non seulement l’accès à la fonction publique mais aussi le droit d’y être maintenu dans des conditions générales d’égalité. Par conséquent, en principe, le grief de l’auteur entre dans le champ d’application de cette disposition. Le principe de l’accès à la fonction publique dans des conditions générales d’égalité suppose pour l’État partie l’obligation de ne pas exercer de discrimination à l’encontre de quiconque, pour l’un quelconque des motifs exposés au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. L’auteur prétend que la seule raison pour laquelle il n’a pas été renommé tenait à l’appréciation juridique qu’il avait faite dans deux jugements et que d’autres juges, qui avaient pris part aux mêmes verdicts, ont été désignés juges à la Cour suprême de la Republika Srpska ou à la Cour constitutionnelle de Bosnie ‑Herzégovine. Le Comité note, toutefois, que le système de notation utilisé pour sélectionner les candidats considérés comme qualifiés et aptes à occuper les fonctions de juge était complexe et fondé sur des critères objectifs (voir le paragraphe 5.2), et que l’auteur a certes été bien noté par la Commission, mais n’a pas atteint le seuil fixé pour les juges d’origine serbe. Compte tenu des éléments d’information dont il dispose, le Comité est d’avis que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, l’allégation selon laquelle son élimination de la liste des nominations était due exclusivement aux deux jugements controversés qu’il avait rendus, et non à d’autres critères objectifs inclus dans le système de classement. En conséquence, ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui affirme que la composition du Conseil supérieur de la magistrature n’était pas régulière, que le Conseil avait nui à son indépendance de magistrat et porté atteinte à son honneur et à sa réputation, le Comité note que l’auteur n’invoque pas explicitement une disposition particulière du Pacte en rapport avec ce grief. Il considère qu’il n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi la nomination d’un substitut du procureur issu du parquet d’un tribunal de première instance, qui n’avait pas été élu par l’Association des juges et des procureurs de la Republika Srpska, ne devait pas être visée par la clause de souplesse prévue à l’article 76 et constituait donc une violation de l’article 5 de la loi. De même, l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que l’évaluation de son aptitude à siéger à la Cour suprême faite par le Conseil supérieur de la magistrature, qui s’était notamment fondé sur deux jugements, lesquels avaient donné lieu à des plaintes mettant en cause son intégrité et son impartialité, avait porté atteinte à son indépendance de magistrat ou à son honneur et à sa réputation. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.8 L’auteur a invoqué l’article 2 du Pacte lu conjointement avec l’article 17 et l’article 25 c). Cela soulève la question de savoir si le fait que l’auteur n’a pas eu la possibilité de contester la décision du Conseil supérieur de la magistrature devant un autre organe a constitué une violation du droit à un recours utile tel qu’il est garanti par les paragraphes 3 a) et b) de l’article 2 du Pacte. Le Comité rappelle que l’article 2 ne peut être invoqué que conjointement avec un article du Pacte qui protège un droit précis . Étant donné que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs de violation des articles 17 et 25 c), l’allégation de violation de l’article 2 du Pacte est par conséquent irrecevable également en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

J. Communication n o 1224/2003, Litvina c. Lettonie * (Décision adoptée le 26 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Lyudmila Litvina (non représentée par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Lettonie

Date de la communication :

4 octobre 2003 (date de la lettre initiale)

Objet : Refus de protection de la loi dans le cadre d’une action judiciaire visant à contester des actions et des décisions d’organes administratifs

Questions de fond : Droit d’accès aux tribunaux

Questions de procédure : Non ‑épuisement des recours internes

Article du Pacte : 14 (par. 1)

Article du Protocole facultatif : 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, Lyudmila Litvina, qui se dit apatride, est née le 9 juin 1953 en Lettonie, où elle réside actuellement. Elle affirme être victime de violations par la Lettonie de ses droits consacrés au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques . Elle n’est pas représentée par un conseil.

Exposé des faits

2.1 Le 14 septembre 1999, l’auteur a obtenu un certificat d’aptitude linguistique en letton, qui lui a été délivré par la Commission nationale des examens de Latgales, dans la banlieue de Riga, et sur lequel était apposé le sceau de l’État. Le 4 juin 2001, elle a passé un examen écrit d’aptitude au letton, au bureau de Liepâja du Conseil des naturalisations, en vue d’obtenir la nationalité lettonne par naturalisation. Le même jour, la Commission des examens du bureau régional du Conseil des naturalisations (ci ‑après la Commission des examens) compétente pour évaluer lesdits examens, a décidé que l’auteur avait échoué à l’examen.

2.2 Le 5 juin 2001, l’auteur a contesté cette décision auprès du chef du Conseil des naturalisations. Son recours a été reçu le 13 juin 2001; deux jours plus tard, le chef du Conseil des naturalisations a demandé à la Commission de recours de l’examiner, laquelle a informé l’auteur, le 26 juin 2001, que son recours avait été examiné à sa session du 21 juin 2001. Le Conseil a rejeté la demande de l’auteur, et estimé que la Commission avait évalué la qualité de l’examen écrit et conclu que l’évaluation de la Commission des examens était objective. Il n’y avait donc aucune raison de la rejeter. Par la même lettre, l’auteur était informée qu’elle avait la possibilité d’attaquer cette décision soit devant le Ministre de la justice soit en saisissant une juridiction, dans le délai d’un mois.

2.3 Le 4 juillet 2001, l’auteur a demandé à la Commission des examens de lui fournir des copies certifiées de tous les documents en rapport avec l’examen de naturalisation, en vertu de la loi relative à l’accès à l’information (ci ‑après, la loi). Selon l’État partie, le Conseil des naturalisations a répondu à la requête de l’auteur le 16 juillet 2001, en précisant que ledit Conseil ne pouvait satisfaire sa demande, dans la mesure où celle ‑ci n’était pas motivée et où l’auteur n’avait pas indiqué quel usage elle entendait faire de l’information sollicitée. Le Conseil s’est référé à l’article 5, paragraphe 2, alinéa 5, et à l’article 10, paragraphe 2, de la loi, ainsi qu’aux articles 17, 20 et 21.4 du Règlement du Conseil des ministres n o 275 relatif aux procédures applicables à la communication d’informations, dont disposent les autorités de l’État et les collectivités locales, du 3 août 1999 (ci ‑après, le Règlement n o 275). Le Conseil des naturalisations a ajouté que cette demande devait être adressée au chef du Conseil, en précisant l’information sollicitée et l’usage qui allait en être fait. Un exemplaire du formulaire à remplir pour déposer une telle demande était joint à la lettre du Comité. L’auteur soutient qu’elle n’a jamais reçu de réponse à sa requête du 4 juillet 2001.

2.4 Le 23 juillet 2001, l’auteur a saisi le tribunal de Liepâja, lui demandant notamment de dire que le refus du Conseil des naturalisations de lui communiquer une copie de son examen écrit était illégal, et d’ordonner au Conseil de lui en fournir une. Le 11 septembre 2001, le tribunal a examiné la demande de l’auteur. Durant l’audience, le juge a demandé à l’auteur si elle pouvait soumettre au chef du Conseil la demande en question, en indiquant l’usage qu’elle comptait faire des documents relatifs à son examen de naturalisation. L’auteur a promis qu’elle enverrait une telle demande. Le tribunal a donc ajourné l’audience au 27 septembre 2001, donnant ainsi le temps à l’auteur de parvenir à un règlement amiable.

2.5 Le 17 septembre 2001, le chef du bureau régional de Liepâja du Conseil des naturalisations a écrit à l’auteur, pour l’informer qu’en vertu des paragraphes 1 et 3 du Règlement n o 351 du Conseil des ministres relatif aux statuts du Département des naturalisations, du 21 novembre 1995 (ci ‑après, le Règlement n o 351), le Conseil des naturalisations était une personne morale, mais que ses bureaux n’avaient pas ce statut. Ceux ‑ci ne pouvaient donc pas lui fournir les copies des documents en rapport avec son examen de naturalisation. En vertu de l’article 5, paragraphe 2, alinéa 5, et de l’article 10, paragraphe 2, de la loi, ainsi que de l’article 16 du Règlement n o 275, les documents en question sont confidentiels. L’auteur n’avait pas adressé de demande au chef du Conseil des naturalisations pour motiver sa requête et indiquer quel usage elle entendait faire de l’information sollicitée. L’auteur était donc de nouveau invitée à présenter une telle requête.

2.6 Le 21 septembre 2001, l’auteur a adressé une lettre au tribunal de Liepâja, lui demandant d’enjoindre au Conseil des naturalisations de lui fournir une copie de son examen écrit, afin qu’elle puisse «contester les résultats». Le 27 septembre 2001, le tribunal de Liepâja a rejeté la requête de l’auteur. Au cours de l’audience, un représentant du bureau régional de Liepâja du Conseil des naturalisations a expliqué que les documents en rapport avec l’examen de naturalisation sont confidentiels, dans la mesure où leur communication serait susceptible d’aider des candidats n’ayant pas les connaissances suffisantes à réussir l’examen, ou d’abaisser le niveau de connaissance du letton exigé pour les candidats à la naturalisation. Dans cette éventualité, les organes chargés de la naturalisation auraient plus de mal à s’acquitter de leurs responsabilités. Le tribunal a conclu que l’article 16 du Règlement n o 275 et l’ordonnance n o 369 du Conseil des naturalisations du 22 octobre 1999 (ci ‑après, l’ordonnance n o 369) s’appliquaient complètement aux documents en rapport avec l’examen de letton que doivent passer les candidats à la nationalité lettonne. Quiconque sollicite une telle information doit indiquer par écrit quel usage il a l’intention d’en faire. Le tribunal s’est assuré, moyennant des dépositions de témoins et des documents figurant au dossier, que l’auteur avait été informée à plusieurs reprises, tant oralement que par écrit, que les documents relatifs à l’examen de langue devaient être sollicités par le biais du chef du Conseil des naturalisations, à qui il fallait adresser une demande formelle. L’auteur n’avait pas formulé une telle demande.

2.7 Le 26 octobre 2001, l’auteur a contesté cette décision devant la chambre civile du tribunal régional de Kurzemes, lequel a estimé, le 5 décembre 2001, que la requête de l’auteur était fondée et ordonné au Conseil des naturalisations de transmettre à l’auteur des copies de son examen écrit. Le tribunal régional a souligné que:

«[…] on ne saurait présumer que les documents relatifs à l’examen écrit d’aptitude linguistique passé par l’auteur doivent être considérés comme confidentiels. L’article 2 de l’ordonnance n o 369 prévoit que, hormis dans le cas où les renseignements concernent la personne qui les demande, les informations confidentielles ne peuvent être communiquées à une personne physique ou morale qu’avec le consentement écrit du chef du Conseil des naturalisations ou de son adjoint. L’auteur a sollicité des informations qui la concernent; partant, en vertu de l’ordonnance susmentionnée, il n’y a aucune raison de considérer que celles ‑ci sont confidentielles. […]».

2.8 La décision du tribunal régional de Kurzemes a été contestée par le Conseil des naturalisations et par le procureur, le 11 janvier 2002 et le 20 décembre 2001, respectivement. Tous deux ont souligné que le tribunal régional n’avait pas appliqué la disposition qui s’imposait en l’espèce, à savoir l’article 5, paragraphe 2, alinéa 5, de la loi, selon lequel l’information relative à l’évaluation de l’examen doit être considérée comme confidentielle.

2.9 Le 27 février 2002, le collège de la Cour suprême a rejeté la décision du tribunal régional, et lui a renvoyé l’affaire pour réexamen.

2.10 Après avoir réexaminé l’affaire, le tribunal régional de Kurzemes, par sa décision du 23 avril 2002, a refusé de faire droit à la demande de l’auteur, invoquant les arguments mentionnés dans la décision du collège de la Cour suprême. Le 3 mai 2002, le représentant de l’auteur, un certain Zaytsev, a demandé au Conseil des naturalisations de lui communiquer les documents relatifs à l’examen linguistique de l’auteur. Le 17 mai 2002, le chef du Conseil des naturalisations a refusé de faire droit à la requête, faisant valoir que la communication et la fourniture de ce type d’informations étaient soumises à la même condition juridique, à savoir l’indication de l’usage qui allait en être fait. Le 11 septembre 2002, le collège de la Cour suprême a rejeté le pourvoi en cassation de l’auteur du 30 mai 2002.

2.11 Par ordonnance du Conseil des naturalisations datée du 30 décembre 2003, il a été mis un terme à l’examen de la demande de naturalisation de l’auteur, conformément à l’article 31.5 du Règlement n o 34 du Conseil des ministres, relatif aux procédures applicables à la réception et à l’examen des demandes de naturalisation du 2 février 1999. L’auteur n’a pas contesté cette décision du Conseil des naturalisations.

2.12 Le 22 janvier 2004, l’auteur a proposé au Conseil des naturalisations de considérer qu’elle avait réussi son examen d’aptitude linguistique, en indiquant que celui ‑ci avait pris son ordonnance peu après qu’elle eut présenté sa communication au Comité. Le 6 février 2004, le Conseil des naturalisations a rejeté sa proposition. Depuis lors, l’auteur n’a pas repassé l’examen d’aptitude linguistique.

Teneur de la plainte

3. L’auteur soutient que les juridictions lettonnes lui ont refusé la protection de la loi dans sa tentative de contester les actions et les décisions du Conseil des naturalisations, notamment afin d’obtenir des copies de son examen écrit d’aptitude linguistique, contrairement aux dispositions de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte. En particulier, en refusant d’enjoindre au Conseil des naturalisations de lui fournir ces documents, le collège de la Cour suprême l’a privée de la possibilité d’engager une action en justice contre ledit Conseil dans le but de contester les résultats de son examen d’aptitude linguistique.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Le 26 mai 2004, l’État partie a contesté tant la recevabilité que le fond de la communication. En ce qui concerne la recevabilité, il affirme que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, dans la mesure où les recours internes n’ont pas été épuisés. S’agissant du fond, il soutient que la législation lettonne prévoit un accès effectif aux tribunaux en vue de contester toute décision du Conseil des naturalisations, y compris dans le cas d’espèce.

4.2 L’État partie fait observer que l’auteur n’a pas épuisé la procédure appliquée à la communication d’informations confidentielles dans des cas similaires à celui de l’auteur, qui est établie dans le Règlement n o 275. En vue d’assurer l’application de la loi et du règlement susmentionné, le chef du Conseil des naturalisations a adopté l’ordonnance n o 369. L’annexe 1 de cette ordonnance énumère une liste d’informations confidentielles, parmi lesquelles figurent notamment les documents relatifs à l’examen d’aptitude linguistique en letton. En outre, l’ordonnance reprend les dispositions énoncées dans le Règlement n o 275, en vertu desquelles des informations confidentielles ne peuvent être communiquées qu’avec le consentement écrit du chef du Conseil des naturalisations ou de son adjoint. L’annexe 2 de l’ordonnance est constituée par le formulaire à remplir pour présenter une telle requête.

4.3 L’État partie rappelle que, bien qu’elle ait été informée à plusieurs reprises de la procédure à suivre , l’auteur n’a jamais soumis de requête écrite au chef du Conseil des naturalisations, conformément à la procédure établie. En rejetant sa demande, les juridictions locales se sont référées à la procédure susmentionnée. Si l’auteur avait soumis sa demande par écrit au Conseil des naturalisations, en utilisant le formulaire destiné à cette fin, le Conseil aurait examiné sa demande et lui aurait répondu, sous réserve que son intérêt à recevoir l’information eût prévalu sur l’intérêt public à ne pas la communiquer. L’allégation de l’auteur selon laquelle, en refusant de lui transmettre une copie de son examen d’aptitude linguistique, le Conseil des naturalisations l’aurait privée de la possibilité de saisir la justice est donc irrecevable.

4.4 À titre subsidiaire, l’État partie fait valoir que, lorsque son affaire a été examinée, la législation lettonne permettait à l’auteur d’introduire un recours utile visant à contester en justice la décision du Conseil des naturalisations du 26 juin 2001. En vertu de l’article 239 2) du Code de procédure civile (ci ‑après le CPC), il lui était loisible d’engager une action contre tout acte (décision) d’une autorité publique. En vertu de l’article 239 3) dudit code, un tribunal doit être saisi d’une demande dans un délai d’un mois à compter de la date de la notification de la plainte antérieure à l’autorité administrative compétente, ou à compter de la date de l’acte contesté. Si le tribunal considère que l’acte attaqué viole les droits de l’individu, il ordonne à l’autorité compétente de remédier à la violation .

4.5 Selon l’État partie, rien n’empêchait l’auteur d’invoquer la procédure susmentionnée. E n ce qui concerne le grief selon lequel la non ‑communication des documents relatifs à l’examen d’aptitude linguistique l’aurait empêchée d’engager une action en justice contre le Conseil des naturalisations et, partant, d’avoir un accès effectif à la justice, l’État partie note qu’il n’est pas nécessaire qu’une personne qui entend contester l’évaluation de son examen d’aptitude, soit devant une autorité administrative soit devant un tribunal, reçoive un exemplaire de sa copie. En vertu de l’article 239 5) du CPC, un tribunal examine le dossier établi par les autorités ou les fonctionnaires qui ont pris la décision contestée. Si l’auteur avait attaqué la décision du Conseil des naturalisations devant un tribunal, celui ‑ci aurait demandé que lui soit communiquée l’évaluation de l’examen écrit établie par la Commission des examens, et par la Commission de recours du Conseil des naturalisations. Sur la base de ces éléments de preuve, le tribunal aurait examiné de manière effective l’allégation de l’auteur.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Le 20 juillet 2004, l’auteur a commenté les observations de l’État partie. Elle réitère ses griefs et conteste l’argument de l’État partie selon lequel elle aurait pu attaquer en justice la décision du Conseil des naturalisations du 26 juin 2001, dans la mesure où elle était dans l’impossibilité de fournir au tribunal une copie des documents contestés relatifs à son examen d’aptitude linguistique.

5.2 L’auteur conteste également l’affirmation de l’État partie selon laquelle elle n’aurait pas épuisé tous les recours internes disponibles, faisant valoir qu’elle a saisi les autorités judiciaires et celles chargées des poursuites à tous les niveaux en Lettonie. Elle soutient que les juges et le ministère public, dans les décisions et les mesures qu’ils ont prises sur son affaire, ont violé plusieurs dispositions du Code de procédure pénale letton, la loi sur l’autorité judiciaire et la loi sur le ministère public.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Le Comité a pris note des objections de l’État partie quant à la recevabilité de la communication, au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés, ainsi que les commentaires de l’auteur à cet égard. Il prend acte du grief de l’auteur selon lequel en n’obligeant pas le Conseil des naturalisations à lui fournir les documents relatifs à l’examen d’aptitude linguistique, les tribunaux l’ont privée de la possibilité d’engager une action en justice contre ledit conseil afin d’en contester les résultats. Le Comité observe que, d’après les documents dont il est saisi, ni l’auteur ni son représentant n’ont soumis de requête au chef du Conseil des naturalisations, conformément à la procédure prévue par la législation lettonne, en indiquant l’usage que l’auteur comptait faire des documents portant sur son examen de naturalisation.

6.4 Même si l’auteur, comme elle le soutient, n’a pas reçu la réponse du Conseil des naturalisations, du 16 juillet 2001, indiquant la marche à suivre, elle était présente à l’audience du 11 septembre 2001, au cours de laquelle la procédure lui a été expliquée par le juge. Celui ‑ci a ajourné l’affaire afin de permettre à l’auteur d’engager la procédure en question. Étant donné que l’auteur n’a pas adressé de requête en bonne et due forme au chef du Conseil des naturalisations, le Comité considère que le grief selon lequel les juridictions de l’État partie lui auraient refusé la possibilité d’engager une action judiciaire contre ledit conseil et de contester les résultats de son examen d’aptitude linguistique est prématuré et hypothétique. L’auteur n’ayant pas réfuté, de manière convaincante, l’argument de l’État partie selon lequel elle aurait eu la possibilité de contester en justice l’évaluation de l’examen d’aptitude linguistique sans avoir à produire une copie des résultats contestés, le Comité conclut que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles, et que la communication est irrecevable au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

K. Communication n o 1234/2003, P. K. c. Canada * (Décision adoptée le 20 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

M me P. K. (représentée par un conseil, M. Stewart Istvanffy)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Canada

Date de la communication :

5 décembre 2003 (date de la lettre initiale)

Objet : Expulsion de l’auteur vers le Pakistan

Questions de procédure : Irrecevabilité ratione materiae ; non ‑réévaluation des faits et des preuves; caractère accessoire de l’article 2

Questions de fond : Notion de «droits et obligations de caractère civil»

Articles du Pacte : 2, 6, 7, 14

Articles du Protocole facultatif : 2, 3

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 mars 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication est M me P. K., une Pakistanaise née en 1953 à Karachi, qui se cache actuellement au Pakistan, suite à son expulsion du Canada. Elle se déclare victime de violations par le Canada de l’article 2, de l’article 6, de l’article 7 et de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil, Stewart Istvanffy.

1.2 Le 5 décembre 2003, suite à l’allégation du conseil selon laquelle la victime présumée encourait un risque d’expulsion imminent, l’État partie a été prié de faire savoir au Comité le plus rapidement possible si la victime présumée risquait d’être expulsée de force du Canada avant que l’État partie ait présenté ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication.

1.3 Le 9 janvier 2004, au vu de la réponse de l’État partie datée du 8 janvier 2004, et compte tenu du fait que l’auteur se cachait, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a rejeté la demande de mesures provisoires soumise par l’auteur afin d’empêcher son expulsion du Canada vers le Pakistan. Cette décision était sans préjudice de toute demande de mesures provisoires pouvant être présentée ultérieurement s’il devenait probable que l’auteur soit appréhendée par les autorités.

Exposé des faits

2.1 Jusqu’au mois de novembre 1998, l’auteur vivait à Karachi avec son mari et ses six enfants. Elle est un ancien membre du Mouvement Mohajir Quami (MQM) à Karachi (Pakistan), où elle a participé aux activités organisées par ce mouvement à l’intention des femmes. En 1998, suite au viol de l’une de ses parentes par M. S., l’un des principaux dirigeants du MQM, l’auteur a quitté ledit parti, s’est inscrite au Pakistan Peoples Party (PPP) et a publiquement critiqué le comportement abusif de M. S., lequel était soutenu par des gangs armés du MQM. Au mois d’août 1998, elle aurait été victime d’une tentative d’agression sexuelle et de meurtre de la part de M. S., qui n’a cessé depuis de les menacer, elle et sa famille, et de la persécuter avec l’aide de membres du MQM et de policiers. La police n’a pas donné suite à la plainte déposée par l’auteur contre M. S. Sa vie étant menacée, elle a fui au Canada, où elle est arrivée le 3 novembre 1998.

2.2 Le 6 janvier 1999, elle a fait une demande d’asile, que la Section des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a rejetée le 25 novembre 1999, au motif que l’auteur n’était pas crédible, son témoignage concernant les événements qui s’étaient produits dans son pays étant «souvent évasif, hésitant, confus et rempli de contradictions, d’incohérences et d’invraisemblances». Sa demande d’autorisation de soumettre la décision de la Commission à un contrôle juridictionnel a été rejetée par la Cour fédérale le 15 mai 2000. En 2001, l’auteur a commis trois tentatives de suicide.

2.3 Le 24 avril 2003, l’auteur a demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR), à l’issue duquel un avis négatif a été rendu le 9 octobre 2003. L’agent d’examen des risques avant renvoi a estimé que l’auteur ne risquait pas de faire l’objet de persécutions, de tortures, d’attentats à la vie, de peines ou traitements cruels et inusités si elle était renvoyée au Pakistan. L’agent a noté que les motifs pour lesquels l’auteur avait quitté le Pakistan n’étaient pas politiques, mais plutôt consécutifs à une infraction de droit commun commise par un particulier. En outre, l’auteur n’avait pas établi de lien entre sa situation et la situation générale des femmes au Pakistan qu’elle avait décrite et sur laquelle elle s’appuyait pour motiver sa demande. Enfin, certaines des pièces justificatives présentées par l’auteur comportaient des incohérences, et aucune d’entre elles ne permettait de conclure qu’elle serait en danger au Pakistan.

2.4 L’auteur a sollicité le statut de résident permanent au Canada pour des motifs humanitaires et personnels, en invoquant le fait qu’elle courait personnellement un risque au Pakistan. Sa demande a été rejetée le 9 octobre 2003, au motif que l’on ne pouvait pas conclure que la protection offerte à l’auteur par l’État était insuffisante au Pakistan, et que, serait ‑elle persécutée par l’individu par qui elle se disait menacée, cela constituerait une infraction de droit commun motivée par une rancune personnelle envers l’auteur en tant que personne.

2.5 Le 15 novembre 2003, l’auteur a sollicité un contrôle juridictionnel de cette décision et a demandé un sursis à l’exécution de l’arrêté d’expulsion devant la Cour fédérale − un recours sans effet suspensif. Le 2 décembre 2003, la demande de sursis à l’exécution de l’arrêté d’expulsion a été rejetée. Le 6 décembre, jour prévu de son renvoi, l’auteur ne s’est pas présentée, et un mandat d’arrêt a été lancé.

2.6 Le 1 er mars 2004, l’auteur s’est rendue aux autorités canadiennes responsables de l’immigration. Elle a été relâchée sous condition de se présenter pour son expulsion le 5 mars 2004, date à laquelle elle a été expulsée sans escorte.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur a tout d’abord invoqué le fait que son expulsion vers le Pakistan constituerait, et a constitué par la suite, une violation de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte, étant donné qu’elle était très exposée au risque d’être maltraitée et torturée dans son pays, où militaires et policiers persécutent régulièrement les activistes politiques. Elle courrait en outre le risque d’être arrêtée, détenue, battue, torturée, voire exécutée, par la police pakistanaise en raison de son origine religieuse et de ses opinions politiques, réelles ou supposées.

3.2 L’auteur demande au Comité d’étudier la quantité et la qualité des preuves fournies à l’appui de sa requête. Elle maintient que la procédure interne qui a abouti à la décision de renvoi était contraire à l’article 2 et à l’article 14 du Pacte, étant donné qu’il n’y a pas eu d’examen équitable et indépendant du dossier avant que l’expulsion ne soit ordonnée et que l’arrêté d’expulsion repose sur la présomption que tous les candidats au statut de réfugié mentent ou abusent du système. Elle affirme que l’actuelle procédure d’examen des risques avant renvoi et les procédures d’examen des considérations humanitaires ne respectent pas le droit de recours .

Observations de l’État partie

4.1 Le 27 mai 2004, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne la recevabilité, il a rappelé que si un plaignant n’a pas besoin de prouver ses allégations il doit cependant présenter des preuves suffisantes pour les étayer et faire présumer le bien ‑fondé de l’affaire. Il fait valoir que l’auteur n’a pas présenté un commencement de preuve suffisant pour établir le bien ‑fondé de ses allégations au titre des articles 6 et 7. S’agissant des griefs de violation de ces articles, l’État partie affirme que le véritable motif de la communication de l’auteur est sa peur de M. S. C’est à cause des actes de M. S. qu’elle aurait quitté le MQM et rejoint le PPP.

4.2 L’État partie fait valoir que les allégations de l’auteur ne sont pas crédibles et renvoie à la décision rendue dans ce sens par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La Commission avait des doutes sur les faits relatifs à M. S. et sur le fait que l’auteur était une militante du PPP. Il n’appartient pas au Comité de revenir, dans le cadre de l’examen auquel il procède, sur des conclusions concernant la crédibilité auxquelles sont parvenues des juridictions nationales compétentes. L’État partie invoque la jurisprudence constante du Comité selon laquelle il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve, sauf si celle ‑ci a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. L’auteur n’a présenté aucune allégation dans ce sens et les éléments présentés ne portent pas à conclure que la décision de la Commission a été entachée de telles irrégularités. En outre, il a été établi tant par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié que par un agent d’examen des risques avant renvoi spécialement formé qu’il n’y avait pas de risque sérieux que l’auteur soit persécutée en cas de renvoi au Pakistan.

4.3 Pour ce qui est des documents décrivant la situation des droits de l’homme au Pakistan soumis par l’auteur, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas démontré qu’elle courrait «personnellement un risque» au Pakistan. Elle a invoqué non pas la peur d’être violée par M. S., mais le fait que «cet homme et son parti politique cherchaient à la mettre en détention ou à la tuer». L’État partie estime qu’elle n’a pas établi que le Pakistan ne protégeait pas ses citoyens contre de tels actes commis par des personnes autres que des agents de l’État. Quant à la crainte exprimée par l’auteur de subir des représailles de la part de membres du MQM en raison de son appartenance supposée à un parti rival, l’État partie fait valoir qu’elle n’a pas établi que l’État ne voulait ou ne pouvait pas la protéger contre le MQM.

4.4 S’agissant du grief formulé au titre de l’article 6 concernant la violation de son droit à la vie, l’État partie estime que l’auteur n’a pas étayé ses allégations, ne serait ‑ce que par un commencement de preuve, selon lesquelles «la conséquence inévitable et prévisible de l’expulsion » serait qu’elle serait tuée si elle retournait au Pakistan ou que l’État ne pourrait pas la protéger. Il en conclut que le grief de violation de l’article 6 devrait être déclaré irrecevable.

4.5 Au sujet des griefs de violation de l’article 7, l’État partie affirme que les allégations de l’auteur n’établissent pas de risque dépassant la simple «théorie ou suspicion», ni de risque réel et personnel d’être torturé. Il ne suffit pas de montrer qu’au Pakistan les femmes souffrent de discrimination et de mauvais traitements, encore faut ‑il présenter des éléments suffisants pour faire présumer que l’auteur elle ‑même court un risque sérieux de subir des actes répondant à la définition de la torture ou équivalant à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

4.6 L’État partie renvoie à la définition du terme «torture» à l’article premier de la Convention contre la torture, qui requiert une douleur ou des souffrances aiguës ainsi que la participation ou le consentement de l’État. Il fait valoir que, lorsque l’article 7 du Pacte s’applique à des situations telles que celle de l’auteur, où le persécuteur présumé n’est pas un agent de l’État, le niveau de preuve doit être plus élevé, et il renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière .

4.7 L’État partie souligne le fait que l’auteur n’a pas établi qu’elle ne pourrait pas disposer de la protection de l’État, ou que celle ‑ci serait inefficace. La Commission a estimé que les éléments prouvant qu’elle avait porté plainte contre M. S. à la police étaient «très vagues». La Commission a ajouté qu’il était peu probable que la police refuse de la protéger contre un membre d’un parti d’opposition. L’État partie conclut que l’auteur n’a pas prouvé, même par de simples présomptions, l’existence d’un risque réel que les droits qui lui sont garantis par l’article 7 seraient violés en cas de renvoi au Pakistan. Même s’il était vrai qu’elle craint d’être maltraitée par quelqu’un, elle n’est pas parvenue à établir que le Pakistan ne voulait pas ou ne pouvait pas la protéger.

4.8 Pour ce qui est des griefs tirés de l’article 2, l’État partie fait valoir que les plaintes de l’auteur sont incompatibles avec les dispositions du Pacte, étant donné que l’article 2 ne reconnaît pas de droit de recours existant isolément. Il renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle, conformément à l’article 2, seule une violation établie d’un droit énoncé dans le Pacte ouvre droit à un recours, et fait valoir que, par conséquent, cette plainte est irrecevable.

4.9 En ce qui concerne l’article 14, l’État partie fait valoir que les procédures de décision sur les demandes de protection ou du statut de réfugié n’entrent pas dans la catégorie des procédures visant à statuer sur des accusations en matière pénale ou des contestations de caractère civil visées à l’article 14 du Pacte. Les premières relèvent du droit public, et leur équité est garantie par l’article 13. Étant donné que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 14 du Pacte sont équivalents, le droit jurisprudentiel de la Cour européenne peut être pris en compte. La Cour européenne a considéré que la décision d’autoriser ou non un étranger à rester dans un pays dont il n’est pas ressortissant n’impliquait aucune décision sur ses droits et obligations de caractère civil ni sur le bien ‑fondé d’une accusation pénale dirigée contre lui, au sens du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention . L’État partie en conclut donc que cette plainte est irrecevable ratione materiae conformément au Pacte.

4.10 À défaut, l’État partie fait valoir que la procédure d’immigration respecte les garanties de l’article 14. L’auteur a pu faire entendre sa cause par un tribunal indépendant, elle a été représentée par un conseil, elle a pu bénéficier de la procédure de contrôle juridictionnel du refus de sa demande du statut de réfugié, a pu obtenir l’examen des risques avant renvoi et l’examen pour motifs humanitaires, ainsi que le réexamen juridictionnel de ces décisions.

4.11 Quant aux critiques générales de l’auteur visant la procédure appliquée pour l’octroi du statut de réfugié et la portée du réexamen par un organe juridictionnel, l’État partie note qu’il n’appartient pas au Comité d’évaluer le système canadien de détermination du statut de réfugié en général, mais seulement d’examiner si, en l’espèce, le Canada s’est acquitté de ses obligations en vertu du Pacte.

4.12 Enfin, l’État partie fait valoir que le Comité ne devrait pas substituer ses propres conclusions à celles de l’État sur le point de savoir s’il existait un risque raisonnable que l’auteur subisse un traitement contraire aux dispositions du Pacte lors de son retour au Pakistan, étant donné que l’on n’a relevé aucune erreur manifeste ou abus dans les procédures nationales, celles ‑ci n’ayant été entachées ni d’abus de procédure, ni de partialité, ni d’irrégularités graves. C’est aux juridictions nationales des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce. Le Comité ne devrait pas devenir une «quatrième instance», un tribunal qui aurait compétence pour réévaluer les conclusions sur les faits ou contrôler l’application de la législation nationale.

Commentaires de l’auteur

5.1 Le 12 novembre 2004, le conseil a indiqué que l’auteur, en raison de son état de choc post ‑traumatique, d’une dépression profonde et de sa situation irrégulière, avait demandé à être expulsée et qu’elle était rentrée au Pakistan au début du mois de mars 2004 pour voir sa famille. Le conseil a appris par l’intermédiaire de son mari qu’à son retour au Pakistan l’auteur avait reçu des menaces de mort et qu’elle se cachait. Sa famille a déclaré vouloir poursuivre la procédure devant le Comité.

5.2 Le 23 mars 2006, le conseil a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il indique avoir reçu des courriers électroniques de la famille proche de l’auteur, et déclare que la vie de l’auteur demeure gravement menacée. Il fait valoir que l’agent de persécution est un membre de rang élevé du parti dirigeant à Karachi, et non pas un simple particulier. Dans la jurisprudence relative aux droits des réfugiés, ce type de situation a toujours été interprété comme étant une persécution par l’État.

5.3 Le conseil affirme que l’auteur est menacée par des hommes politiques puissants à Karachi, dans un pays où les femmes, dans les situations de ce genre, ne bénéficient d’aucune protection des autorités. Il renvoie à certains rapports d’organisations internationales pour les droits de l’homme qui soulignent l’incapacité du Pakistan à prévenir les atteintes portées aux droits fondamentaux des femmes par des agents de l’État et des particuliers, enquêter à ce sujet et punir les responsables.

5.4 En ce qui concerne le risque personnellement encouru par l’auteur, le conseil renvoie aux éléments de preuve présentés lors de la procédure d’examen des risques avant renvoi, qui comprenaient la lettre d’un avocat de Karachi confirmant les principaux faits, la déclaration écrite sous serment de la cousine de l’auteur violée par M. S., une lettre de l’aile féminine du PPP et deux lettres du mari de l’auteur. Le conseil a également présenté des éléments de preuve relatifs au danger encouru par les femmes qui se trouvent dans des situations telles que celle de l’auteur, ainsi que des extraits du dossier médical et du dossier psychologique de l’auteur après ses tentatives de suicide. Le conseil affirme que renvoyer l’auteur au Pakistan, où les droits fondamentaux des femmes sont violés en toute impunité, équivaut à une condamnation à mort.

5.5 Le conseil estime que le processus d’examen des risques avant renvoi ne respecte ni les garanties offertes par la Charte canadienne des droits et libertés, ni les obligations internationales du Canada. Il réaffirme qu’il n’existe pas de recours utile, que ce soit devant la Cour fédérale ou dans le cadre de la procédure d’examen des risques avant renvoi, pour garantir l’application de l’interdiction internationale de renvoyer une personne dans un pays où elle sera torturée.

5.6 Pour ce qui est du réexamen juridictionnel par la Cour fédérale, le conseil fait valoir que le rôle de la Cour s’est généralement limité à contrôler les procédures, et non pas la teneur des obligations internationales du Canada en matière de droits de l’homme.

Réponses complémentaires de l’État partie

6.1 Le 31 août 2006, l’État partie a présenté ses commentaires concernant les observations du conseil. Il estime que le retour volontaire de l’auteur au Pakistan indique que celle ‑ci ne craint pas de subir des persécutions ou d’être tuée au Pakistan. Il invoque la définition du terme de «réfugié» au sens de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, selon laquelle est réfugiée la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée, refuse de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité. Conformément à l’article 1C de la Convention, la protection d’une personne réfugiée cesse lorsque celle ‑ci s’est volontairement réclamée à nouveau de la protection de son pays ou si elle est retournée volontairement s’établir dans son pays.

6.2 L’État partie estime que ce principe du retour volontaire s’applique également aux allégations formulées par l’auteur au titre des articles 6 et 7 du Pacte selon lesquelles son renvoi au Pakistan l’exposait à un risque de mort, de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Si elle avait réellement eu peur de retourner au Pakistan, même si elle ne souhaitait pas rester cachée, elle aurait pu se rendre aux autorités tout en renouvelant sa demande de mesures provisoires au Comité.

6.3 L’État partie approuve les conclusions des autorités qui estiment que l’auteur n’encourt pas de risques au Pakistan. Par ailleurs, le fait qu’elle ait pu se mettre à l’abri prouve de façon concluante l’existence pour l’auteur d’une «possibilité de trouver refuge dans son pays», au Pakistan. Le fait qu’elle ne soit peut ‑être pas en mesure de retourner dans sa maison familiale n’équivaut pas à une violation de l’article 7 du Pacte.

6.4 Au sujet des courriers électroniques de la famille de l’auteur, l’État partie estime que ces éléments de preuve n’établissent pas que l’auteur est réellement en danger au Pakistan. Ces messages électroniques donnent à penser notamment qu’il se pourrait que l’auteur vive séparée de sa famille en raison de problèmes conjugaux, et non pas en raison de la peur présumée d’un tiers. Les filles de l’auteur ont écrit au conseil que leur père était fâché contre leur mère.

6.5 L’État partie souligne que le conseil n’a donné aucune information sur ce qui s’était passé après que les filles de l’auteur eurent insisté pour qu’il leur donne son numéro de téléphone afin que l’auteur puisse l’appeler avec son téléphone portable, en mars 2005. Il met en doute le fait que, bien que l’auteur ait eu accès à un téléphone portable et que l’on puisse facilement avoir accès à Internet à Karachi, le conseil n’ait pu avoir aucun contact avec elle. La présentation sélective des éléments de preuve faite par le conseil et, en particulier, l’absence totale d’informations concernant l’auteur depuis mars 2005, indique qu’il n’existe en fait pas de preuve permettant de conclure que le renvoi de l’auteur au Pakistan ait violé un seul de ses droits reconnus dans le Pacte.

6.6 Quant aux critiques du conseil concernant différents aspects du système canadien de détermination du statut de réfugié, l’État partie réaffirme que l’évaluation du système canadien en général n’entre pas dans le cadre de l’examen effectué par le Comité.

Délibérations du Comité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si elle est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication dans son ensemble. En ce qui concerne les violations des articles 6 et 7 invoquées par l’auteur, le Comité rappelle que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, expulser ou refouler une personne vers un pays où elle court un risque réel d’être tuée, torturée ou soumise à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant . Il note aussi que la Section des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, à l’issue d’un examen approfondi, a rejeté la demande d’asile de l’auteur au motif que celle ‑ci manquait de crédibilité. La Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation de faire appel présentée par l’auteur. L’agent d’examen des risques avant renvoi a établi qu’il n’y avait pas de raison sérieuse de penser que sa vie serait en danger ou qu’elle serait victime de peines ou de traitements cruels et inusités. Enfin, la demande de statut de résident permanent déposée par l’auteur dans l’État partie pour motifs d’ordre humanitaire a été rejetée, car rien ne permettait de dire que la protection offerte à l’auteur par l’État était inadéquate au Pakistan.

7.3 Le Comité rappelle sa jurisprudence, à savoir qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’évaluer les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’évaluation est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice . Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que la procédure devant les autorités de l’État partie ait été entachée de telles irrégularités. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas, aux fins de la recevabilité de sa communication, suffisamment étayé ses allégations au titre des articles 6 et 7 et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4 En ce qui concerne le grief tiré de l’article 14 selon lequel l’auteur n’a pas disposé d’un recours utile, le Comité a noté l’argument de l’État partie selon lequel une procédure d’expulsion n’implique pas de décision sur «le bien ‑fondé de toute accusation en matière pénale» ou sur des «droits et obligations de caractère civil». Le Comité observe que l’auteur n’a été ni accusée ni condamnée pour une infraction pénale dans l’État partie et que son expulsion ne constitue pas une sanction prononcée à l’issue d’une procédure pénale. Par conséquent, le Comité conclut que la procédure visant à déterminer si le statut de réfugié doit être reconnu à l’auteur ne constitue pas une décision sur «le bien ‑fondé de toute accusation en matière pénale» au sens de l’article 14.

7.5 Le Comité rappelle que la notion de «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, repose sur la nature du droit en question et non sur le statut de l’une des parties . En l’espèce, la procédure porte sur le droit de l’auteur à être protégée sur le territoire de l’État partie. Le Comité considère que la procédure relative à l’expulsion d’un étranger, assortie de garanties régies par l’article 13 du Pacte, n’entre pas dans le champ de la détermination des «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14. Il conclut que la procédure d’expulsion de l’auteur ne relève pas du paragraphe 1 de l’article 14 et que le grief soulevé à ce titre est irrecevable ratione materiae , en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.6 Pour ce qui est des griefs tirés de l’article 2 du Pacte, le Comité rappelle que les dispositions dudit article, qui énoncent des obligations générales à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément et par elles ‑mêmes dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Le Comité estime que les prétentions de l’auteur à cet égard sont indéfendables et qu’elles sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication, par l’intermédiaire de son conseil.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

L. Communication n o 1285/2004, Klečkovski c. Lituanie * (Décision adoptée le 24 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Michal Klečkovski (représenté par un conseil, M. Henrikas Mickevičius)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Lituanie

Date de la communication :

4 mai 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Transcription du nom de l’auteur selon l’orthographe polonaise dans les pièces d’identité

Question de procédure : Non ‑épuisement des recours internes

Questions de fond : Immixtion arbitraire et illégale dans la vie privée; interdiction de la discrimination; protection des minorités

Articles du Pacte : 17 (lu séparément et conjointement avec l’article 2), 26, 27

Articles du Protocole facultatif : 2, 3, 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 4 mai 2004, est M. Michal Klečkovski, Lituanien d’origine polonaise, résidant actuellement en Lituanie. Il affirme être victime de violations, par la Lituanie, de l’article 17, lu séparément et conjointement avec l’article 2, de l’article 26 et de l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, Henrikas Mickevičius. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour la Lituanie le 20 février 1992.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur, qui est d’origine polonaise, est né le 7 décembre 1969 en Lituanie. À sa naissance on lui a donné le prénom de Michał et il a acquis le nom de famille de Kleczkowski . Ses nom et prénom pouvaient être transcrits en cyrillique dans les documents officiels. De fait, jusqu’à la fin du pouvoir soviétique en 1991, le nom de l’auteur était officiellement enregistré en lituanien («Michal Klečkovski») et en russe. Depuis 1991, il ne peut plus utiliser que la transcription lituanienne de son nom, la prononciation restant la même.

2.2 L’auteur a tenté en vain d’obtenir que son nom soit officiellement transcrit sur son passeport lituanien selon l’orthographe polonaise, qui est «Michał Kleczkowski», au lieu de l’orthographe lituanienne. Le 18 décembre 2003, l’auteur s’est adressé à l’administration compétente, c’est ‑à ‑dire la police, pour que son nom soit transcrit sur son passeport selon l’orthographe polonaise. Cette demande a été rejetée le 24 décembre 2003 au motif que, conformément à la résolution du Conseil suprême du 31 janvier 1991 relative à la transcription des prénoms et des noms de famille sur les passeports des citoyens de la République de Lituanie, les noms des citoyens nés en Lituanie doivent être transcrits selon l’orthographe lituanienne. En revanche, les noms des Lituaniens naturalisés peuvent continuer d’être transcrits selon l’orthographe de leur langue maternelle.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que l’obligation qui lui est faite en vertu de la loi d’accepter la transcription lituanienne de son nom dans les documents officiels fait peu de cas d’un élément essentiel de son identité et constitue une violation des droits qui sont lui conférés par l’article 17, lu séparément et conjointement avec l’article 2, l’article 26 et l’article 27 du Pacte.

3.2 Pour ce qui est de l’article 17, l’auteur affirme que son droit à ce que son nom soit transcrit selon l’orthographe polonaise correcte fait partie intégrante de son droit de ne pas faire l’objet d’immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie privée. Il rappelle que le Comité considère que le nom d’une personne constitue un élément important de son identité et que la protection contre les immixtions arbitraires ou illégales dans la vie privée d’une personne inclut la protection contre les immixtions arbitraires ou illégales dans l’exercice du droit de choisir son nom et de changer de nom . En l’espèce, l’auteur estime qu’il a été obligé à modifier son nom pour se conformer à l’orthographe lituanienne.

3.3 L’auteur estime que cette immixtion dans sa vie privée est arbitraire, et explique que tel qu’il est orthographié en lituanien, son nom «a une apparence et une consonance bizarres», ne correspondant ni à un nom lituanien ni à un nom polonais. Cette situation est à l’origine de retards dans la distribution de son courrier, de moqueries et de difficultés à prouver ses liens avec d’autres membres de sa famille à l’étranger. Il affirme que dans plusieurs pays européens il est possible de reconnaître le nom des personnes appartenant à des minorités sans imposer un fardeau indu à l’État. En fait, l’orthographe «Kleczkowski» est reconnue dans plusieurs pays tels que l’Autriche, la France et les É tats ‑Unis.

3.4 L’auteur affirme que l’obligation d’utiliser l’orthographe lituanienne pour la transcription officielle de son nom est déraisonnable et qu’il existe d’autres options moins restrictives. Par exemple, il pourrait se voir offrir la possibilité de transcrire son nom conformément à la fois à la langue officielle du pays et à la langue de son pays d’origine. Comme les seules lettres de l’alphabet polonais figurant dans le nom de l’auteur qui ne font pas partie de l’alphabet lituanien sont le «ł» et le «w» (encore que ces lettres soient largement utilisées dans la langue de tous les jours en Lituanie), une transcription moins restrictive (consistant à retenir l’orthographe Michal Kleczkovski par exemple) pourrait constituer une solution de compromis.

3.5 S’agissant de l’article 17, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, l’auteur affirme qu’il est victime d’une discrimination parce que les citoyens lituaniens de souche lituanienne peuvent utiliser l’orthographe autochtone de leur nom. Qui plus est, les Lituaniens naturalisés peuvent garder l’orthographe de la langue de l’État dont ils avaient précédemment la nationalité. À propos de l’article 26, l’auteur ajoute qu’il est victime d’une discrimination en comparaison des Lituaniens naturalisés.

3.6 En ce qui concerne l’article 27, l’auteur affirme qu’un nom personnel, y compris la manière dont il est orthographié, constitue un élément essentiel de la culture de toute communauté ethnique, religieuse ou linguistique. Selon le Comité, toute restriction imposée à la jouissance par une personne de sa propre culture et à l’utilisation de sa propre langue doit être conforme avec d’autres dispositions du Pacte, prises ensemble, et raisonnablement et objectivement justifiées . L’auteur estime que les restrictions imposées quant à l’orthographe de son nom ne satisfont pas à ces critères. Qui plus est, il considère cette attitude comme une forme d’assimilation forcée de la minorité polonaise.

3.7 L’auteur estime qu’il ne dispose d’aucun recours interne utile dans la mesure où, le 21 octobre 1999, la Cour constitutionnelle a confirmé la constitutionnalité de la résolution du Conseil suprême en date du 31 janvier 1991 relative à la transcription des prénoms et des noms de famille sur les passeports des citoyens de la République de Lituanie . Cette décision portait sur une requête présentée par l’oncle de l’auteur, Tadeuš Klečkovski.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1 Le 9 juillet 2004, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il fait valoir tout d’abord que la plainte au titre de l’article 17 devrait être déclarée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif parce qu’elle est incompatible ratione materiae . L’article 17 est sans rapport avec la question de l’orthographe des noms dans les pièces d’identité et n’établit aucune règle ou principe précis à cet effet. La réglementation des noms est une question qui relève de l’ordre public et des restrictions en la matière sont par conséquent autorisées .

4.2 Pour ce qui est de l’article 17, lu conjointement avec l’article 2, l’État partie rappelle que l’article 2 n’est pas autonome et que cette partie de la communication est aussi irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.3 L’État partie considère que le grief tiré de l’article 26 n’a pas été étayé puisque la résolution du Conseil suprême en date du 31 janvier 1991 relative à la transcription des prénoms et des noms de famille sur les passeports des citoyens de la République de Lituanie dispose clairement que, sur les passeports de tous les citoyens lituaniens sans exception, le prénom et le nom de famille doivent être orthographiés selon l’alphabet lituanien.

4.4 Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 27, l’État partie fait valoir que ce grief est manifestement infondé au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. Il estime que le fait que les informations figurant dans les pièces d’identité sont données dans la langue de l’État ne porte aucunement atteinte au droit des membres des minorités nationales de jouir de leur propre culture ou d’utiliser leur propre langue, y compris le droit d’utiliser pour transcrire leur prénom et leur nom de famille l’alphabet qu’ils souhaitent, à condition que cela se fasse en dehors des situations dans lesquelles la langue de l’État est utilisée en tant que langue officielle, qui sont clairement réglementées par la loi de 1995 sur la langue de l’État.

4.5 L’État partie affirme que la communication est manifestement infondée parce que l’oncle de l’auteur, Tadeuš Klečkovski, a déjà soumis la même plainte à la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a déclarée irrecevable le 31 mai 2001 parce que manifestement infondée et ne faisant apparaître à première vue aucune violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit à la vie privée), lu séparément ou conjointement avec l’article 14 (principe de la non ‑discrimination dans l’exercice des droits consacrés par la Convention). Même si l’examen de la même question par une autre instance internationale n’empêche pas automatiquement le Comité de l’examiner, l’État partie estime que, dans la mesure où le libellé et le contenu des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et du Pacte ainsi que les approches respectives des deux organes chargés de surveiller leur application sont similaires, la communication ne révèle à première vue aucune violation du Pacte.

4.6 Pour l’État partie, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, dans la mesure où il n’a pas saisi les tribunaux administratifs nationaux. Il aurait pu adresser au tribunal administratif régional une plainte au sujet de la légalité de la décision prise par le Service de l’immigration du commissariat de la police territoriale, le 24 décembre 2003. La Cour constitutionnelle a certes confirmé le 21 octobre 1999 la constitutionnalité de la résolution du Conseil suprême en date du 31 janvier 1991 relative à la transcription des prénoms et des noms de famille sur les passeports des citoyens de la République de Lituanie, mais l’État partie considère que cette décision n’empêchait pas l’auteur de se prévaloir des recours internes utiles qui lui étaient ouverts.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1 Le 29 octobre 2004, l’auteur a réaffirmé que la protection contre les immixtions arbitraires ou illégales dans l’exercice du droit de choisir son nom ou de changer de nom est garantie par l’article 17 du Pacte. Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel sa plainte au titre de l’article 26 n’a pas été étayée, il fait valoir que les personnes dont la langue maternelle est la langue officielle du pays ne sont pas touchées par la résolution de 1991. Cela soulève la question de savoir si l’auteur, à qui on refuse la possibilité d’écrire son nom selon l’orthographe de sa langue d’origine, est traité de manière discriminatoire par rapport à d’autres personnes qui ont cette possibilité.

5.2 Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel le grief tiré de l’article 27 est manifestement infondé, l’auteur affirme que le fait de ne pas l’autoriser à écrire son nom selon l’alphabet de sa langue maternelle porte atteinte à son identité, puisque, tel qu’il est orthographié, son nom ne reflète plus son origine ethnique.

5.3 Pour ce qui est du non ‑épuisement des recours internes, l’auteur rappelle que la décision de la Cour constitutionnelle du 21 octobre 1999 est obligatoire pour toutes les juridictions inférieures: tout recours contre la décision administrative prise à son encontre serait vain.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1 Le 11 novembre 2004, l’État partie a affirmé qu’il n’y avait eu aucune violation de l’article 17, lu séparément ou conjointement avec l’article 2. Le droit individuel relatif à l’utilisation des noms n’est pas un droit absolu et l’immixtion présumée dans l’exercice du droit de l’auteur au respect de sa vie privée ne constitue pas une violation de l’article 17 s’il est démontré qu’elle est légale et non arbitraire. Les autorités compétentes ont agi conformément à la législation applicable en la matière, c’est ‑à ‑dire les lois relatives aux passeports et aux cartes d’identité, ainsi qu’à la résolution de 1991. En outre, le refus d’autoriser l’utilisation de l’alphabet polonais pour transcrire le prénom et le nom de famille de l’auteur dans un document officiel était une mesure raisonnable. Rien n’empêche l’auteur d’écrire son prénom et son nom de famille en utilisant l’alphabet polonais dans toutes ses transactions privées ou lorsqu’il signe des documents. Si certains caractères polonais n’existent pas dans l’alphabet lituanien, il en va de même pour des caractères allemands, anglais, chinois et autres. L’emploi de la langue de l’État pour établir les passeports est raisonnablement prévisible et justifié. L’État partie fait valoir que l’article 2 n’est pas autonome et que le grief de violation de l’article 17, lu conjointement avec l’article 2, est infondé.

6.2 Pour ce qui est de l’article 26, l’État partie affirme qu’il n’a pas été démontré que la différenciation entre les citoyens nés dans le pays et les citoyens naturalisés constituait une pratique discriminatoire. La résolution de 1991 ne contient pas de base juridique pour la transcription des prénoms ou des noms de famille dans un autre alphabet que l’alphabet lituanien. Les informations figurant sur la carte d’identité et le passeport de tous les citoyens sont donc transcrites au moyen de l’alphabet lituanien. L’auteur n’a pas étayé son affirmation selon laquelle la disposition législative relative à la transcription des prénoms et des noms de famille des citoyens naturalisés est discriminatoire à l’égard des autres citoyens qui ne sont pas de souche lituanienne.

6.3 Pour ce qui est de l’article 27, l’État partie se réfère à l’Observation générale n o 23 (1994) du Comité des droits de l’homme, dans laquelle le Comité a évoqué «le droit des personnes appartenant à une minorité linguistique d’employer leur propre langue entre elles, en privé ou en public». En l’espèce, l’auteur n’a pas été empêché d’utiliser sa langue avec d’autres membres de la minorité à laquelle il appartient. Il est raisonnable d’affirmer que l’emploi des noms par les autorités et devant elles doit être distingué de l’emploi des noms entre les membres des minorités. L’ État partie se réfère à la note explicative relative aux recommandations d’Oslo de 1998 sur les droits linguistiques des minorités nationales, selon laquelle «les autorités publiques seraient justifiées à utiliser l’écriture de la ou des langues officielles de l’État pour enregistrer dans leur forme phonétique les noms des personnes appartenant à des minorités nationales». En transcrivant le nom de l’auteur en lituanien, les autorités n’ont fait qu’utiliser l’alphabet de la langue officielle pour enregistrer dans sa forme phonétique le nom d’une personne appartenant à une minorité nationale, les sons «sz», «cz» et «w» en polonais correspondant aux sons «š», «č» et «v» en lituanien. En conséquence, la loi et la pratique internes relatives à l’enregistrement des noms des personnes appartenant à des minorités linguistiques sont conformes à l’article 27 du Pacte.

Commentaires de l’auteur concernant les observations de l’ État partie sur le fond

7.1 Le 11 décembre 2006, l’auteur a réaffirmé que la restriction qui lui était imposée quant à l’orthographe de son nom était incompatible avec l’article 17, et que le nom d’une personne, y compris la manière dont il était orthographié, était un élément essentiel de son identité. Le nom personnel de l’auteur indique qu’il appartient à une minorité nationale. Tout en reconnaissant qu’il peut orthographier son nom en utilisant l’alphabet de sa langue d’origine dans ses relations privées, il conteste le refus de l’État partie d’autoriser l’utilisation de cette orthographe dans les documents officiels.

7.2 L’auteur souligne que sa requête se limite à l’utilisation de sa langue maternelle, le polonais. Le polonais et le lituanien sont des langues similaires. Plusieurs États européens autorisent l’utilisation de langues autres que la langue officielle dans la vie publique, y compris pour l’enregistrement des noms personnels dans les documents officiels, établi au moyen de l’alphabet latin.

7.3 L’auteur note qu’un projet de loi «sur l’écriture des prénoms et des noms de famille dans les documents» a été présenté en 2005. Il n’a pas été adopté par le Parlement, mais la législation proposée prévoyait que les noms personnels non lituaniens transcrits dans l’alphabet latin seraient utilisés sous leur forme originelle, sauf dans le cas des caractères qui n’existaient pas dans l’alphabet lituanien. Conformément à cette solution, le nom de l’auteur serait orthographié Michal Kleczkowski , ce qui indiquerait clairement son identité ethnique.

Délibérations du Comité

8.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité note que l’oncle de l’auteur a soumis une plainte similaire à la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a déclarée irrecevable le 31 mai 2001 (voir plus haut, par. 4.5). Le Comité rappelle que l’expression «la même question» au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif doit être comprise comme désignant notamment une même demande concernant la même personne portée devant une autre instance internationale . La présente communication a été soumise par la même personne. Même si la même question a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité relève que l’État partie n’a pas émis de réserve au paragraphe 2 a) de l’article 5 qui l’empêcherait de l’examiner. Par conséquent, il s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance international e d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif .

8.3 En ce qui concerne la plainte de l’auteur qui affirme que son nom devrait être orthographié selon l’alphabet polonais, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé à ce sujet une quelconque violation du Pacte. Il conclut par conséquent que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.4 En ce qui concerne la plainte de l’auteur qui affirme que la transcription de son nom devrait être modifiée de façon à refléter son origine polonaise, même si c’est uniquement avec des lettres de l’alphabet lituanien (voir plus haut, par. 3.4), le Comité note que l’auteur n’a jamais soulevé ce point devant les autorités nationales. Il en conclut que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif l’empêchent d’examiner cette partie de la communication.

9. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable, en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

M. Communication n o 1305/2004, Villamón c. Espagne * Décision adoptée le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Víctor Villamón Ventura (représenté par un conseil, José Luis Mazón Costa)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

26 septembre 2001 (date de la lettre initiale)

Objet : Condamnation de l ’ auteur sur la base de preuves insuffisantes

Questions de procédure : Plainte non étayée

Questions de fond : Absence de réexamen des faits en deuxième instance

Article du Pacte : 14 (par. 5)

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 26 septembre 2001, est Víctor Villamón Ventura, de nationalité espagnole, retraité, né en 1930. Il affirme être victime de violation, par l’Espagne, du paragraphe 5 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, José Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1 Le 21 septembre 1993, l’auteur s’est plaint à la police d’avoir été menacé par un ancien voisin qui l’accusait d’abus sexuel sur sa fille, alors âgée de 10 ans. À la suite de cette plainte, une enquête de police a été ouverte et a débouché sur une procédure pénale pour agressions sexuelles contre trois mineures: S. S. V., née le 3 octobre 1983, A. S. V., née le 22 février 1985, et M. T. G. P., née le 5 mai 1983. Les trois mineures, amies de la fille de l’auteur, affirmaient que celui ‑ci, à plusieurs reprises entre 1991 et 1993, les avait touchées de façon lascive et avait montré ses organes génitaux.

2.2 Le 16 décembre 1994, la troisième chambre de l’ Audiencia provincial de Murcia a déclaré l’auteur coupable de trois chefs d’agressions sexuelles et l’a condamné à une peine d’emprisonnement de 18 mois par chef d’accusation, assortie de l’obligation de verser 1 million de pesetas à chacune des mineures au titre de la responsabilité civile.

2.3 L’auteur avance que les seules preuves à charge examinées étaient les déclarations des mineures, qui contenaient un grand nombre de contradictions et d’affirmations totalement invraisemblables. Il assure avoir été victime d’un complot de la part des fillettes. Il cite de nombreux points qui lui semblent absurdes dans leurs déclarations, en particulier dans celle du 23 septembre 1993 de M. T. G. P., qui contient selon lui des affirmations contradictoires ou absurdes. L’auteur estime que l’ Audiencia provincial a considéré comme prouvés des faits très généraux ou imprécis.

2.4 Le 24 février 1995, l’auteur s’est pourvu en cassation devant le Tribunal suprême, qui l’a débouté le 31 mai 1995. Dans son pourvoi, l’auteur affirmait, entre autres, avoir été privé du droit à la présomption d’innocence, étant donné qu’il n’y avait pas de preuve à charge et que d’après les déclarations de ses proches il était impossible que les faits se soient produits de la manière décrite dans la décision du Tribunal qui les a considérés comme prouvés. Dans sa décision rejetant le pourvoi, le Tribunal suprême a estimé que l’appréciation de la crédibilité des preuves faite par le tribunal de première instance, pour autant qu’elle respectât les règles de la logique et les principes de l’expérience, ne pouvait être réexaminée en cassation.

2.5 L’auteur estime que le pourvoi en cassation, soumis aux limites imposées par le système espagnol qui ne permet pas la révision d’erreurs commises dans l’appréciation des preuves, ne lui a pas donné la possibilité de faire réexaminer intégralement la crédibilité des déclarations faites par les mineures, et que, vu l’invraisemblance du témoignage des fillettes, il aurait été acquitté s’il avait bénéficié d’un véritable procès en deuxième instance.

2.6 L’auteur considère qu’avec la décision du Tribunal suprême il a épuisé les recours internes utiles qui lui étaient ouverts. Il reconnaît qu’il n’a pas formé de recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. À son avis, ce recours aurait été inutile compte tenu de la jurisprudence constante du Tribunal constitutionnel, qui a conclu dans des affaires analogues que le pourvoi en cassation satisfaisait au droit de révision visé au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Teneur de la plainte

3. L’auteur affirme qu’il a été privé du droit à un véritable réexamen de sa condamnation ainsi que du droit de bénéficier sans discrimination d’un recours, en violation du paragraphe 5 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Dans sa communication initiale, l’auteur invoquait également des violations des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte, mais il a retiré ces allégations le 10 juin 2004.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Dans des notes verbales du 30 septembre 2004 et du 31 mai 2005, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. L’État partie affirme que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif parce que les recours internes n’ont pas été épuisés, l’auteur ayant omis de former un recours en amparo . Il affirme en outre que la communication est irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications au motif, entre autres, qu’elle a été présentée tardivement et est manifestement dénuée de fondement.

4.2 L’État partie considère que les recours internes n’ont pas été épuisés étant donné que le Tribunal constitutionnel n’a pas eu la possibilité de se prononcer, par la voie de l’ amparo , sur l’étendue du réexamen effectué en cassation dans le cas de l’auteur. Selon l’État partie, le fait que l’auteur ait invoqué dans sa communication initiale les droits «au bénéfice du doute» et à l’égalité des armes, un prétendu droit à «un compte rendu littéral des délibérations au titre des garanties d’une procédure régulière», le droit à un procès public et transparent, et le droit de bénéficier sans discrimination d’un recours, rend d’autant plus flagrant le défaut de recours en amparo . L’État partie affirme que l’efficacité de cette voie de recours est démontrée et que le Tribunal constitutionnel a même analysé les différences entre l’affaire Gómez Vázquez et d’autres affaires dans lesquelles le pourvoi en cassation avait permis de résoudre amplement les questions de fait soulevées. L’État partie souligne en outre que la jurisprudence du Tribunal suprême a évolué et qu’il n’y a pas de doute qu’aujourd’hui cette juridiction réexamine dans le cadre du pourvoi en cassation l’administration de la preuve en première instance.

4.3 Pour l’État partie, la communication constitue aussi un abus de droit manifeste en raison de la date à laquelle elle est présentée et du fait qu’une partie des plaintes initialement formulées ont été retirées. Il relève que la communication a été soumise le 26 septembre 2001, soit plus de six ans après que le Tribunal suprême eut rendu la décision dont découleraient les violations alléguées, et que le 15 juin 2004 la quasi ‑totalité des plaintes sur lesquelles elle se fondait ont été retirées.

4.4 Sur le fond, l’État partie relève, au sujet de la décision du Tribunal suprême, que, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, le Tribunal a évalué l’administration de la preuve par le tribunal de première instance et a estimé que l’appréciation de celui ‑ci était conforme à la logique et à l’expérience, sans qu’il soit possible d’accorder plus de poids aux preuves indiciaires produites par la famille de l’auteur, comme le soutient celui ‑ci. Les raisons avancées par l’auteur à l’appui des violations dont il se dit victime sont génériques et ne s’appliquent pas en l’espèce.

4.5 L’État partie est d’avis que le Tribunal suprême, dans son arrêt, a répondu exactement aux demandes formulées par l’auteur dans son recours, en se fondant sur le compte rendu des audiences et en passant en revue les déclarations des témoins. L’État partie affirme que le Tribunal suprême a bel et bien évalué les preuves administrées en première instance. Il fait observer que l’auteur, dans son pourvoi, avait fait valoir que la décision rendue en première instance devait être infirmée au seul motif que les membres de sa famille avaient témoigné en sa faveur au sujet de données circonstancielles, ce qui suffisait, selon lui, à mettre en doute les déclarations concordantes des trois mineures, qui avaient été entendues séparément et sans pouvoir communiquer entre elles, conformément aux prescriptions légales en matière d’audition de témoins. L’État partie croit savoir qu’en l’espèce le Tribunal suprême n’était pas tenu de recueillir de nouveau les déclarations des fillettes, dont la présentation, réalisée dans les conditions légales et assortie de toutes les garanties, n’a été, à aucun moment, contestée par l’auteur. Il en conclut que l’auteur ne saurait prétendre que l’appréciation des preuves faite de manière logique et raisonnée par les organes judiciaires soit remplacée par la sienne propre.

Commentaires de l’auteur

5.1 Le 27 juillet 2005, l’auteur a réaffirmé, à propos de l’épuisement des recours internes, que le Tribunal constitutionnel rejette systématiquement tout recours en amparo fondé sur l’absence d’un double degré de juridiction. L’auteur renvoie aux décisions du Comité concernant les communications n o 1156/2003 ( Pérez Escolar c. Espagne , constatations du 28 mars 2006) et n o 986/2001 ( Semey c. Espagne , constatations du 30 juillet 2003). Selon l’auteur, il ressort de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel que, pour celui ‑ci, les limites du pourvoi en cassation sont compatibles avec le droit à un double degré de juridiction qui est visé au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. L’auteur affirme en outre que le Tribunal suprême a rejeté sommairement son pourvoi en cassation le 31 mai 1995, et que, selon la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, à l’époque comme à l’heure actuelle, les limites du pourvoi en cassation ne vont pas à l’encontre du droit à un double degré de juridiction prévu au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

5.2 En ce qui concerne l’absence de réexamen véritable ou intégral de la condamnation, l’auteur indique que le manque de crédibilité des déclarations à charge, qui ont été à la base de la condamnation, n’a pu être véritablement apprécié par la juridiction supérieure, qui s’est contentée de procéder à un examen superficiel au titre de la «présomption d’innocence». L’auteur réaffirme que les déclarations des fillettes contenaient un grand nombre de contradictions et d’invraisemblances.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il peut donc procéder à son examen.

6.3 Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés parce que les violations présumées soumises au Comité n’ont jamais été invoquées devant le Tribunal constitutionnel. Cependant, le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle seuls doivent être épuisés les recours internes ayant une chance raisonnable d’aboutir . Le recours en amparo n’avait aucune chance d’aboutir dans le cas de la violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte qui est alléguée. Par conséquent, le Comité considère que les recours internes ont été épuisés.

6.4 L’État partie invoque un abus du droit de présenter des communications au motif que plus de six ans et demi se sont écoulés entre la date de l’arrêt du Tribunal suprême et celle de la présentation de la communication au Comité. Le Comité relève que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai pour la présentation des communications et que le temps écoulé avant d’en soumettre une ne constitue pas en soi, hormis dans des cas exceptionnels, un abus du droit de les présenter .

6.5 L’auteur invoque une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, au motif que les preuves testimoniales à charge qui ont été décisives pour sa condamnation en première instance n’ont pas été réexaminées par une juridiction supérieure, étant donné que le pourvoi en cassation espagnol n’est pas une procédure d’appel, n’est ouvert que pour des motifs déterminés et exclut expressément un réexamen des faits.

6.6 Le Comité prend note de l’argument de l’auteur, qui affirme que la décision du Tribunal suprême ne lui a pas permis de faire réexaminer les preuves, le Tribunal s’étant borné à examiner l’appréciation faite par le tribunal de première instance. Le Comité relève par ailleurs qu’il ressort de l’arrêt du Tribunal suprême que celui ‑ci a examiné avec attention chacun des arguments de l’auteur, en particulier sa thèse selon laquelle les déclarations de ses proches prouvaient qu’il était impossible que les faits se soient produits de la manière décrite dans la décision du tribunal de première instance. À ce sujet, le Tribunal suprême a considéré que l’argument de la défense ne tenait pas compte de la distinction qui existe entre les critères de crédibilité des témoins et la preuve indiciaire, et a conclu qu’en l’espèce les règles de logique et d’expérience avaient été respectées en ce sens. Le Comité estime par conséquent que cette partie de la communication n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, et conclut qu’elle est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7 En ce qui concerne la violation de l’article 26 alléguée par l’auteur parce qu’il aurait été l’objet de discrimination dans l’accès à un recours, le Comité considère que l’auteur n’a pas indiqué en quoi la façon dont il avait été traité par les juridictions nationales était discriminatoire à la lumière de l’article en question. Le Comité estime donc que cette allégation n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

N. Communication n o 1341/2005, Zundel c. Canada*(Décision adoptée le 20 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Ernst Zundel (représenté par un conseil, Barbara Kulaszka)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Canada

Date de la communication :

4 janvier 2005 (date de la lettre initiale)

Objet : Négation de l’Holocauste; expulsion de personnes représentant une menace pour la sécurité nationale

Questions de procédure : Épuisement des recours internes; abus du droit de présenter des communications; irrecevabilité ratione materiae

Questions de fond : Détention arbitraire; conditions de détention; procès équitable mené par un tribunal compétent et impartial; présomption d’innocence; droit d’être jugé sans retard excessif; liberté d’opinion et d’expression; discrimination; notion de «droits et obligations de caractère civil»

Articles du Pacte : 7, 9 (par. 1 et 3), 10, 14 (par. 1, 2 et 3), 18, 19, 26

Articles du Protocole facultatif : 3, 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 mars 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication est Ernst Zundel, un Allemand né en 1939, actuellement incarcéré en Allemagne après avoir été expulsé du Canada vers l’Allemagne. Il se déclare victime de violations par le Canada de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et des paragraphes 1 et 3 de l’article 9, de l’article 10, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14, de l’article 18, de l’article 19 et de l’article 26. Il est représenté par un conseil, Barbara Kulaszka.

1.2 Le 10 janvier et le 1 er mars 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a rejeté les demandes de mesures provisoires visant à empêcher que l’auteur ne soit expulsé du Canada vers l’Allemagne.

1.3 Le 11 mars 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications a décidé d’examiner la question de la recevabilité séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur a vécu au Canada pendant quarante ‑deux ans, de 1958 à 2000, au bénéfice d’un permis de résident. En 1959, il a épousé une Canadienne et il a deux fils et plusieurs petits ‑enfants qui vivent au Canada. Vers la fin des années 60, l’auteur a demandé la nationalité canadienne mais le Ministre de l’immigration a refusé, sans lui donner de motif. Il a écrit et publié dans sa propre maison d’édition des textes sur ce qu’il appelle la propagande antiallemande. Dans les années 80, il a publié une brochure intitulée «Did six million really die?» («Est ‑il vrai que six millions de personnes sont mortes?»), analysant la question historique du traitement par l’Allemagne des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et dans laquelle il émet des doutes sur les six millions de Juifs tués par les nazis. Il mettait également en doute l’existence des chambres à gaz dans les camps de concentration comme Auschwitz et Birkenau. En 1984, la Présidente de l’Association canadienne pour la mémoire de l’Holocauste, Sabina Citron, a déposé plainte au pénal pour propagation de fausses nouvelles en raison de cette publication. Il a été donné suite à la plainte pénale et la Couronne a engagé des poursuites.

2.2 D’après l’auteur, en 1984, peu de temps avant l’ouverture du procès, une bombe a explosé devant chez lui et a endommagé son garage. Il n’y a eu aucune inculpation. Alors qu’il se rendait aux convocations du juge, il a été frappé sur les marches du tribunal par, d’après lui, des membres d’un groupe juif violent. Personne n’a été condamné pour cette agression.

2.3 L’auteur a été reconnu coupable des chefs d’inculpation retenus contre lui et condamné à un emprisonnement de quinze mois ferme et trois ans assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve, la condition étant qu’il «ne publie pas d’écrit ni prenne la parole en public, directement ou indirectement sous son nom ou sous tout autre nom, en tant que personne morale ou personne privée, sur le sujet de l’Holocauste ou sur tout autre sujet directement ou indirectement lié à l’Holocauste». L’auteur a fait appel de la déclaration de culpabilité et a obtenu d’être rejugé. En mai 1988, il a été reconnu coupable du chef de propagation de fausses nouvelles à raison de la brochure susmentionnée et a été condamné à un emprisonnement de neuf mois. Il a fait appel auprès de la Cour d’appel de l’Ontario qui l’a débouté en date du 5 février 1990. En revanche, la Cour suprême du Canada, devant laquelle il s’était pourvu, a acquitté l’auteur en 1992, au motif que l’application à l’auteur des dispositions relatives aux «fausses nouvelles» constituait une violation du droit à la liberté d’expression.

2.4 En 1993, l’auteur a de nouveau demandé la nationalité canadienne. La presse a révélé cette information et sont alors parus divers articles et éditoriaux de journaux exigeant que la nationalité soit refusée à cause des idées révisionnistes de l’auteur. D’après celui ‑ci, au printemps de 1994, plusieurs groupes de rue marxistes ont essayé de lui faire quitter le quartier. Ils ont distribué des pamphlets dans lesquels il était accusé de fomenter la haine et de promouvoir le «pouvoir blanc». Des affiches ont été apposées dans tout Toronto montrant sa photo dans un viseur de fusil et donnant son adresse personnelle et des instructions pour fabriquer des cocktails molotov. L’auteur a déposé plainte auprès de la police mais aucune enquête n’a été ouverte. Le 14 avril 1995, il a reçu par courrier une lame de rasoir accrochée à un piège à souris, que lui envoyait un groupe appelé «Anti ‑Fascist Militia» («Milices antifascistes»). Il était prévenu que la prochaine fois ce serait une bombe. Il n’y a eu aucune inculpation.

2.5 À la fin du mois de mai 1995, une bombe artisanale («bombe tuyau») a été envoyée par la poste. L’auteur s’est méfié et a apporté le paquet à la police sans l’ouvrir. La police de Toronto a déclaré que la bombe aurait tué la personne qui aurait ouvert le paquet et quiconque se trouvait dans un rayon de 90 mètres. L’auteur laisse entendre que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) connaissait l’existence de la bombe. Deux hommes ont bien été inculpés en mars 1998, mais n’ont pas été inculpés de tentative de meurtre sur la personne de l’auteur. En 2000, toutes les poursuites contre les deux hommes ont été abandonnées.

2.6 En août 1995, l’auteur a été avisé que la procédure concernant sa demande de nationalité avait été suspendue parce que le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration estimait qu’il existait des motifs suffisants de croire qu’il représentait une menace pour la sécurité nationale du Canada. En octobre 1995, l’auteur a reçu une déclaration exposant les raisons pour lesquelles il était considéré comme une menace pour la sécurité. Si lui ‑même n’avait commis aucun acte de violence, le fait qu’il soit «de droite» signifiait qu’il pouvait inciter d’autres personnes à la violence. En décembre 2000, l’auteur a retiré sa demande de naturalisation.

2.7 En 2000, l’auteur a quitté le Canada pour aller vivre avec sa femme aux États ‑Unis. Le 19 février 2003, il a été expulsé des États ‑Unis vers le Canada en raison d’irrégularités dans la procédure d’immigration. Il a demandé le statut de réfugié et dans un premier temps a été placé en rétention en application de l’article 55 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la loi). Le 24 février 2003, la Section de la protection des réfugiés a été avisée par le Service de la citoyenneté et de l’immigration qu’en application de l’article 103, paragraphe 1, de la loi, elle devait surseoir à l’examen de la demande de statut de réfugié parce que le cas de l’auteur avait été renvoyé à la Section de l’immigration qui devait rendre un avis d’irrecevabilité pour des raisons de sécurité nationale.

2.8 L’auteur a été entendu plusieurs fois dans le cadre de la procédure de réexamen de la détention conformément à l’article 58 de la loi. À chaque fois, on lui confirmait que le Ministre faisait le nécessaire pour déterminer s’il existait des motifs suffisants de considérer que l’auteur représentait une menace pour la sécurité nationale.

2.9 Le 1 er mai 2003, le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration et le Solliciteur général (Ministre de la sécurité publique et de la protection civile) (les Ministres) ont délivré un certificat attestant que l’auteur était interdit de territoire pour des raisons de sécurité, conformément à l’article 77 de la loi . Il a fait l’objet d’un mandat d’arrestation en vertu de l’article 82 de la loi alors qu’il était au centre de détention de Niagara. L’affaire a été renvoyée à la Cour fédérale du Canada pour qu’elle vérifie le bien ‑fondé du certificat de sécurité et détermine s’il était nécessaire de maintenir l’auteur en détention en attendant qu’il soit statué sur le bien ‑fondé du certificat. Conformément à l’article 77 de la loi, la Cour a examiné les renseignements présentés par les Ministres à huis clos et a conclu que certains renseignements ne devaient pas être divulgués pour ne pas mettre en danger la sécurité nationale. Le 5 mai 2003, la Cour fédérale a ordonné que soit communiqué à l’auteur un «exposé résumant les éléments d’information et de preuve» (le résumé) dans lequel était exposés la place tenue par l’auteur dans le mouvement du «pouvoir blanc» et ses contacts avec les membres de ce mouvement et d’autres mouvements d’extrême droite. En plus du résumé, les Ministres ont communiqué à l’auteur un index renvoyant à plus de 1 600 pages de documents non considérés comme secrets, qui appuient les informations données dans le résumé.

2.10 Le 6 mai 2003, l’auteur a déposé un avis de question constitutionnelle auprès de la Cour fédérale du Canada. Il indiquait qu’il avait l’intention de contester la constitutionnalité du système des certificats de sécurité, qu’il considérait comme incompatible avec la Charte canadienne des droits et des libertés (la Charte canadienne). En 2003, il a également contesté la validité de sa détention devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario en déposant un bref d’ habeas corpus , tout en contestant la constitutionnalité de la loi. Le 14 octobre 2003, il a retiré son avis de question constitutionnelle, empêchant l’examen par la Cour fédérale de son action en inconstitutionnalité. Le 25 novembre 2003, la Cour supérieure a refusé d’examiner la requête au motif qu’elle visait à court ‑circuiter le régime statutaire général et à usurper une procédure qui était déjà en cours et que les arguments d’ordre constitutionnel avaient déjà été avancés devant la Cour fédérale. Cette décision a été confirmée en appel par la Cour d’appel de l’Ontario le 10 mai 2004 puis par la Cour suprême le 21 octobre 2004.

2.11 En ce qui concerne le réexamen de la procédure de délivrance du certificat, l’auteur affirme que des éléments de preuve «secrets» avaient été présentés contre lui et que ni lui ni son avocat n’avaient pu les consulter. Aucun témoin à charge n’avait été appelé pendant l’audience et les seuls éléments à charge consistaient en cinq volumes principalement d’articles de journaux, d’autres articles d’information, de pages Web, d’extraits de livres et d’autres écrits de même nature émanant de personnes que les Ministres n’avaient pas appelées à la barre. L’auteur a soulevé des incidents, en vain, pour obtenir que le Président de la Cour fédérale (le Président) se dessaisisse de l’affaire en raison de sa partialité, étant donné qu’il avait été le Ministre de tutelle du Service canadien du renseignement de sécurité, organe qui avait produit toutes les preuves à charge pendant la période en question. Au sujet de l’un de ces incidents, la Cour d’appel fédérale a déclaré le 23 novembre 2004 que l’auteur n’avait pas réussi à atteindre le niveau voulu, qui est élevé, pour établir de façon suffisante qu’il pouvait y avoir partialité de la part du Président. Au moment où l’auteur et l’État partie rédigeaient leurs observations, l’auteur attendait toujours de la Cour suprême une décision sur la question de savoir si elle autoriserait un appel contre cette décision (voir plus loin par. 4.18 au sujet de la décision de la Cour suprême).

2.12 Le 21 janvier 2004, le juge qui présidait l’audience consacrée à l’examen du bien ‑fondé de la détention et du certificat de sécurité a ordonné le maintien en détention de l’auteur, ayant considéré qu’il présentait un danger pour la sécurité nationale. Le tribunal a établi que l’auteur était directement impliqué dans le «mouvement raciste et extrémiste violent» et avait consulté un certain nombre d’individus appartenant à ce mouvement. L’auteur avait objecté que la seule chose qu’il avait en commun avec ces mouvements était un intérêt général pour leurs idées, mais le tribunal a conclu que l’auteur avait eu partie liée avec ces individus et dans certains cas avait financé leurs activités. Il a établi que les Ministres avaient correctement appliqué tous les critères requis pour établir qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’auteur constituait un danger pour la sécurité nationale, ce qui justifiait son maintien en détention. Le Président a refusé d’accorder la libération sous caution alors que l’auteur n’était pas violent. L’auteur affirme que la loi ne lui permet pas de faire recours contre le refus d’accorder la libération sous caution.

2.13 Le 24 novembre 2004, l’auteur a déposé une déclaration de plainte auprès de la Cour fédérale, faisant valoir que les dispositions de la loi en vertu desquelles il était en détention étaient contraires aux articles 7, 9 et 10 c) de la Charte canadienne et que son placement au secret pendant que la Cour fédérale examinait le bien ‑fondé du certificat de sécurité était contraire à la loi et à la Constitution.

2.14 La procédure concernant le bien ‑fondé du certificat de sécurité a été achevée le 4 novembre 2004. La Cour fédérale a confirmé le bien ‑fondé du certificat dans un exposé des motifs rendu le 24 février 2005. Elle a conclu que les éléments sur le fondement desquels le certificat avait été délivré montraient de façon indéniable que l’auteur représentait un danger pour la sécurité du Canada. L’auteur n’a pas fait de nouvelles démarches pour empêcher l’expulsion que la décision de la Cour fédérale rendait désormais possible, et a été expulsé vers l’Allemagne le 1 er mars 2005; il a rapidement été arrêté pour négation publique de l’Holocauste. Le 14 février 2007, la Cour régionale de Mannheim a reconnu l’auteur coupable d’incitation à la haine raciale et de négation de la Shoah, et l’a condamné à cinq ans d’emprisonnement.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur invoque une violation des articles 7 et 10 du fait de son maintien en détention de février 2003 à mars 2005 et de ses conditions de détention. Il se plaint de souffrir d’une dépression causée par sa détention prolongée à l’isolement. Il a également d’autres revendications: il n’a pas le droit d’avoir une chaise dans sa cellule; il n’a pas le droit de porter des chaussures; la lumière est allumée vingt ‑quatre heures par jour dans sa cellule et l’intensité n’est que légèrement baissée la nuit; il ne peut pas utiliser de stylo et n’a le droit qu’à un bout de crayon; il n’a pas le droit de prendre ses médicaments phytothérapeutiques pour son arthrite et sa pression artérielle élevée; il a demandé à voir un dentiste mais n’a pas obtenu de consultation pendant un an; il n’a droit qu’à dix minutes de promenade par jour et n’a pas accès au gymnase ni à d’autres installations pour marcher ou faire de l’exercice; en hiver la cellule est froide au point qu’il est obligé de s’envelopper dans les draps et les couvertures; la nourriture, de mauvaise qualité, arrive toujours froide; le courrier est souvent retenu pendant des semaines; il subit de nombreuses fouilles corporelles qui ne sont pas justifiées; il a une «boule» dans la poitrine qui est «peut ‑être ou n’est peut ‑être pas» cancéreuse. Les autorités le savent depuis plus d’un an mais refusent de lui accorder la libération sous caution.

3.2 L’auteur se déclare victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9 parce que l’État partie n’a pas garanti la sécurité de sa personne, en particulier en ne faisant rien pour enquêter sur les nombreuses menaces et agressions dont lui ‑même et ses biens ont fait l’objet et pour poursuivre les responsables.

3.3 L’auteur invoque une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du fait de sa détention, qu’il qualifie d’arbitraire et de prolongée et parce qu’on lui refuse la libération sous caution. Il sait qu’il a été arrêté en vertu de la loi sur la sécurité nationale mais il n’a jamais été informé de ce qui lui est «réellement» reproché. Selon le conseil de l’auteur, le Gouvernement a reconnu que le dossier ne prouvait pas qu’il était une menace pour la sécurité nationale. Donc ce sont les pièces de procédure secrète qui constituent le véritable dossier, celui qui a été renvoyé au juge sans que l’auteur soit informé de son contenu et ait la possibilité de le contester. La procédure pour examiner la légalité de sa détention a été d’une durée excessive et il a fallu huit mois avant que la décision de lui refuser la libération sous caution ne soit prise. Cela lui a été refusé alors qu’il n’a jamais usé de violence, qu’il n’a pas de casier judiciaire au Canada et que pendant une procédure pénale en cours de 1985 à 1992 il avait rempli toutes les conditions pour obtenir la libération sous caution. Le refus de libération sous caution n’est pas susceptible d’appel.

3.4 L’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 14 parce qu’il n’a pas été jugé sans retard excessif et équitablement par un tribunal compétent et impartial. Il dit qu’il y a également eu violation du paragraphe 2 de l’article 14 parce qu’il n’a pas été présumé innocent. Les actions engagées contre lui ne sont pas des actions pénales mais relèvent de la loi sur la sécurité nationale. Il n’est inculpé d’aucune infraction mais est considéré comme «se livrant au terrorisme», «représentant un danger pour la sécurité du Canada», «se livrant à des actes de violence qui mettraient ou pourraient mettre en danger la vie ou la sécurité des personnes au Canada» et «appartenant à une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre, s’est livrée ou se livrera» aux actes susmentionnés. Il risque d’être expulsé vers l’Allemagne, où il sera poursuivi aussi, mais pour des infractions qui ne s’appliquent pas au Canada. Il fait valoir qu’il devrait bénéficier du principe de la présomption d’innocence et des garanties judiciaires et que le Gouvernement devrait être tenu de prouver tout ce qu’il avance et non pas se limiter à conclure qu’il existe des motifs raisonnables de le croire. Enfin, l’auteur invoque une violation du paragraphe 3 de l’article 14 parce qu’il s’est écoulé une durée excessive avant qu’il ne soit jugé, ainsi qu’une violation de tous les éléments permettant de garantir une procédure régulière et un procès équitable car il a des motifs de supposer que le Président de la Cour fédérale a des préventions contre lui parce qu’il était Ministre de la sécurité publique du Canada et à ce titre avait la responsabilité directe du Service du renseignement et de sécurité en 1989, c’est ‑à ‑dire pendant la période durant laquelle l’auteur serait devenu une menace pour la sécurité.

3.5 L’auteur invoque une violation des articles 18 et 19 du Pacte parce qu’à son avis il a été placé en détention pour ses opinions sur certaines questions de l’histoire mondiale et pour avoir exprimé ces opinions. Il est considéré comme une menace pour la sécurité nationale en raison de ce qu’il pourrait dire à l’avenir et de ce que d’autres pourraient faire après l’avoir écouté, ou lu ses écrits. Il n’a jamais fait usage de violence. Même si l’État partie n’aime pas sa vision de l’histoire, il n’a jamais été inculpé d’incitation à la haine contre les Juifs ou contre toute autre communauté au Canada malgré les efforts déployés par de nombreux groupes pour obtenir qu’il soit inculpé. Il dit qu’il a été placé en détention en vertu de la législation sur la sécurité nationale uniquement à cause de sa conviction qu’il existe de nombreux aspects de l’historiographie établie sur le sort des Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale, qui devraient faire l’objet de recherches plus poussées et être révisés, et qu’il travaille à faire connaître aux autres cette idée. Il fait valoir que c’est précisément ce genre d’activités que les articles 18 et 19 du Pacte visent à protéger et que les accusations au titre de la sécurité nationale portées contre lui ont des motifs politiques et sont arbitraires, en violation de ces deux articles.

3.6 Enfin, l’auteur invoque une violation de l’article 26 du Pacte parce que depuis longtemps les autorités canadiennes ne le traitent pas sur un pied d’égalité avec les autres et qu’il a été l’objet de discrimination, que la nationalité lui a été refusée en raison de ses idées sur l’histoire et de ses opinions politiques. Les publications, notamment «Did six million really die?» ont donné lieu à de nombreuses plaintes et poursuites pénales, engagées en vertu de différents textes portant sur le courrier, les infractions pénales, les droits de l’homme et la sécurité nationale, mais toutes avaient pour but de persécuter l’auteur en raison de ses opinions, licites, au sujet de la Deuxième Guerre mondiale. L’État partie aurait prétendu qu’il représentait une menace pour la sécurité du Canada afin de lui refuser la naturalisation, appliquant donc de façon discriminatoire les dispositions relatives à la sécurité nationale.

3.7 Sur la question de l’épuisement des recours internes, l’auteur dit qu’il pourrait s’écouler jusqu’à cinq ans avant que la Cour fédérale ne statue sur l’action qu’il a engagée pour contester sa détention et la constitutionnalité de la loi et fait valoir que les recours internes dureraient trop longtemps. Il ajoute que sa détention est illimitée parce que, à supposer que le certificat de sécurité soit annulé par la Cour si celle ‑ci l’estimait non fondé, la Couronne peut en délivrer un autre et toute la procédure recommencerait depuis le début.

3.8 L’auteur affirme qu’il n’a pas soumis sa plainte à une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie

4.1 Dans une note datée du 9 mars 2005, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication pour les motifs suivants: non ‑épuisement des recours internes, irrecevabilité ratione materiae en ce qui concerne les griefs au regard des articles 9 et 14 et abus du droit de plainte en ce qui concerne les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 9.

4.2 L’État partie indique que l’auteur est un dirigeant notoire du pouvoir blanc, connu depuis longtemps au Canada. Il s’est associé avec des individus et des organisations influents et violents au sein de ce mouvement, au Canada et dans le monde entier, qui ont propagé des messages de violence et de haine et prôné la destruction de gouvernements et de sociétés multiculturelles, et il exerce un ascendant sur eux. La place qu’il occupe dans le mouvement du pouvoir blanc est telle que les adhérents sont incités à traduire en actes son idéologie. L’État partie est convaincu que l’auteur est impliqué dans la propagation de violence politique grave au même titre que ceux qui passent à l’acte. C’est pourquoi il affirme que l’auteur représente effectivement un danger pour la sécurité nationale et une menace pour la communauté internationale, ce qui justifie son expulsion.

4.3 L’État partie fait remarquer que l’examen des preuves pour déterminer le bien ‑fondé de la délivrance du certificat de sécurité et la nécessité de maintenir l’auteur en détention a eu lieu à plusieurs dates en 2003 et 2004. En 2003 en particulier, il a fallu reporter l’examen parce que le conseil de l’auteur était indisponible de façon répétée. La procédure a également été interrompue plusieurs fois par les incidents soulevés à la dernière minute par l’auteur, notamment pour obtenir que le Président du tribunal se récuse, en raison d’un prétendu parti pris à son encontre, tentatives qui ont toutes échoué.

4.4 En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas montré que s’il utilisait tous les recours internes offerts, la procédure serait d’une durée excessive. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité qui a toujours affirmé qu’une procédure engagée pour des violations des droits et libertés comme ceux qui sont garantis par la Charte canadienne ainsi que d’autres recours prévus par la loi, en passant par la voie judiciaire normale, ne serait pas d’une durée excessive au sens de l’article 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif . Il ajoute que l’auteur n’a pas épuisé les recours disponibles et l’a lui ‑même implicitement reconnu.

4.5 En ce qui concerne les griefs de violation des articles 7 et 10 du Pacte, l’État partie indique que la Charte canadienne garantit que les conditions de détention respectent la dignité des détenus. L’auteur aurait pu se plaindre de ses conditions de détention en invoquant l’article 2 ou les articles 7, 8, 10 et 12 de la Charte. De surcroît, d’autres dispositions plus précises régissent la détention et l’auteur aurait pu les faire appliquer par un tribunal par la voie du réexamen judiciaire, ce qui aurait constitué un recours approprié pour le genre de grief avancé .

4.6 Au sujet des griefs de violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 9, relativement à sa détention, l’État partie rappelle que l’auteur a engagé une procédure en invoquant la Charte canadienne, essentiellement pour réitérer les mêmes plaintes que celles qu’il soulève dans la communication au titre de l’article 9 du Pacte. Le motif de l’action constitutionnelle qu’il a engagée auprès de la Cour fédérale du Canada est que la procédure de délivrance des certificats de sécurité, telle qu’elle a été appliquée dans son cas, constitue une violation des articles 7, 9 et 10 c) de la Charte. Comme dans la communication adressée au Comité, l’auteur avance des violations de la Charte fondées sur la non ‑divulgation de toutes les preuves à charge, la durée de sa détention et le fait qu’il n’a pas été jugé sans délai et de façon équitable. Étant donné les différents recours formés par l’auteur et qui sont en cours, l’État partie affirme que cette partie de la communication est irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes.

4.7 En ce qui concerne le grief au titre du paragraphe 1 de l’article 9, relativement à des violations qui seraient dues à des incidents survenus entre 1984 et 1995, l’État partie objecte que l’auteur n’a pas montré qu’il ait jamais tenté de se prévaloir des recours internes existants pour redresser un tort prouvé, imputable à des policiers ou des procureurs de la Couronne. Plusieurs recours judiciaires étaient et sont toujours potentiellement ouverts à l’auteur, notamment le réexamen judiciaire pour mauvaise foi, partialité, irrégularité manifeste, abus d’autorité, etc., et d’autres actions fondées sur la Charte canadienne. De plus, des procédures de plainte administrative auraient pu utilement être exploitées, mais l’auteur n’a pas non plus utilisé ces voies de recours. L’auteur ne prétend pas avoir engagé des recours pour contester les actes des autorités chargées de faire appliquer la loi. Toujours en ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie ajoute que l’auteur n’a pas fait preuve de la diligence voulue pour introduire ses plaintes à l’effet que l’État se serait abstenu de protéger sa sécurité en ne procédant pas à des enquêtes sur les agressions prétendument commises contre lui ‑même et ses biens entre 1984 et 1995 et en ne poursuivant pas les éventuels responsables. Pour l’État partie, le fait d’avoir attendu entre dix et vingt ans sans justification raisonnable pour porter plainte rend ce grief irrecevable et en fait un abus du droit de plainte .

4.8 En ce qui concerne les griefs de violation des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 du Pacte, l’État partie indique que l’auteur a engagé des procédures devant la Cour fédérale du Canada pour essentiellement les mêmes motifs que les plaintes soumises dans la communication au regard de l’article 14 . Une des actions concerne la prétendue partialité du Président du tribunal appelé à statuer sur le bien ‑fondé du certificat de sécurité délivré et sur le maintien en détention de l’auteur , et l’autre action porte sur la constitutionnalité de la procédure de délivrance des certificats de sécurité en ce qu’elle s’applique à l’auteur. Dans l’action constitutionnelle, l’auteur avance des griefs au regard des articles 7, 9 et 10 c) de la Charte canadienne, relativement à la rapidité et à l’équité de la procédure de jugement, notamment des questions liées à la charge de la preuve, à la divulgation de certains éléments et à des droits de procédure, et relativement à la durée et à la légalité de sa détention. Étant donné les recours internes disponibles, dont l’auteur s’est prévalu et qui sont toujours pendants, l’État partie estime que cette partie de la communication est irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes.

4.9 Pour ce qui est des griefs au titre des articles 18 et 19 du Pacte, l’État partie fait valoir que l’article 2 de la Charte canadienne garantit la liberté d’opinion, de pensée, de conscience et d’expression, limitée de façon compatible avec les termes des articles 18 et 19 du Pacte dans les cas où les besoins d’une société libre et démocratique l’exigent. L’auteur n’a pas utilisé ce recours potentiel, et cette partie de sa communication est donc également irrecevable.

4.10 En ce qui concerne le grief de discrimination au titre de l’article 26, l’État partie signale que l’article 15 de la Charte canadienne garantit le droit de chacun à l’égalité sans discrimination. Il renvoie à la décision précédente du Comité relative à une communication soumise par l’auteur , et rappelle que le fait de ne pas avoir saisi une juridiction nationale d’une action fondée sur l’article 15 pour une discrimination particulière rend la plainte devant le Comité irrecevable.

4.11 L’État partie objecte que l’auteur n’a pas étayé ses griefs. En ce qui concerne le grief au titre de l’article 9, il relève qu’il a trait à sa détention du fait qu’il représente une menace pour la sécurité nationale et renvoie à la jurisprudence du Comité qui a établi que le placement en détention d’un étranger sur la foi d’un certificat de sécurité dont la délivrance est prévue par la loi ne constitue pas ipso facto une détention arbitraire. Pour l’État partie, la communication fait clairement apparaître que l’auteur sait pourquoi il a été placé en détention conformément à la loi et connaît les textes en vertu desquels il a été placé en détention et ensuite expulsé. Il a eu toute latitude pour faire valoir ses arguments devant différentes juridictions et juges au sujet de la légalité de son maintien en détention et d’avancer des arguments pour contester la conclusion des Ministres qui estimaient qu’il représentait une menace pour la sécurité nationale. La loi dispose expressément qu’en tant que résident permanent du Canada, l’auteur avait le droit de faire réexaminer la légalité de sa détention au moins tous les six mois . Dans le cas de l’auteur, les réexamens n’ont pas abouti à sa libération parce qu’à chaque fois, les juges ont considéré qu’il constituait un danger pour la sécurité nationale. Toutefois, ces réexamens sont sérieux et peuvent permettre d’obtenir la libération. L’État partie objecte donc que ce grief est incompatible ratione materiae avec le Pacte.

4.12 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 14, l’État partie signale que la procédure d’expulsion ne comporte pas de décision sur une accusation pénale ou sur des contestations sur des droits et obligations de caractère civil mais relève de l’administration publique. Pour ce qui est de l’aspect pénal de l’article 14 («toute accusation en matière pénale»), il fait valoir que la procédure d’expulsion a encore moins de rapport avec une décision sur une accusation pénale que la procédure d’extradition, que le Comité a considérée comme n’entrant pas dans le champ d’application de l’article 14 . En conséquence, l’État partie fait valoir que les griefs de l’auteur qui se rapportent spécifiquement aux paragraphes 2 et 3 de l’article 14 sont irrecevables pour incompatibilité ratione materiae avec le Pacte.

4.13 Pour ce qui est de l’aspect «civil» de l’article 14 («contestations sur ses droits et obligations de caractère civil»), l’État partie réitère les arguments qu’il avait avancés dans l’affaire V. R. M. B . c. Canada et rappelle que les procédures d’expulsion ne portent pas sur une décision relative à une accusation pénale ni à des contestations sur des «droits et obligations de caractère civil». Les procédures d’expulsion sont du domaine du droit public et relèvent de la faculté de l’État de réglementer les questions de nationalité et d’immigration. Le Comité s’est abstenu de donner son avis sur la question de savoir si une procédure d’expulsion porte sur une «contestation des droits et obligations de caractère civil» dans cette affaire ainsi que dans l’affaire Ahani c. Canada , qui concernait également l’expulsion d’une personne représentant une menace pour la sécurité nationale .

4.14 L’État partie fait valoir que, comme l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 14 du Pacte sont équivalents, la jurisprudence de la Cour européenne peut être invoquée et elle montre bien que les procédures d’expulsion contestées par l’auteur n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 14 du Pacte. À ce sujet, il renvoie à l’affaire Maaouia c. France , dans laquelle la Cour européenne a estimé que la décision d’autoriser ou de ne pas autoriser un étranger à rester dans un pays dont il n’est pas ressortissant n’entraîne pas de décision sur des droits ou obligations de caractère civil ni sur une accusation pénale portée contre lui, au sens du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne .

4.15 À titre subsidiaire, l’État partie objecte que l’auteur n’a pas montré que les réexamens du bien ‑fondé du certificat de sécurité et de sa détention aient été menés d’une façon qui ne soit pas parfaitement conforme à l’article 14 du Pacte. L’expulsion de l’auteur, fondée sur le fait que les autorités canadiennes avaient des raisons sérieuses de croire qu’il représentait une menace pour la sécurité nationale, a été décidée en application de la loi canadienne, de façon équitable et impartiale, l’auteur ayant bénéficié de l’assistance d’un conseil et de la possibilité de contester les éléments de preuve, y compris en faisant interroger un représentant du SCRS. Si l’auteur n’a pas pu contester toutes les preuves à charge, c’est pour des raisons de sécurité nationale , conformément à la loi canadienne que le Comité a qualifiée à une autre occasion de satisfaisante , et qui est compatible avec le Pacte (art. 13).

4.16 L’État partie conteste qu’il y ait eu partialité dans la procédure d’expulsion de l’auteur. Les tribunaux nationaux ont correctement évalué les faits et les principes de droit applicables quand ils ont rejeté les allégations de partialité. L’État partie invoque la jurisprudence du Comité à ce sujet . L’auteur n’est pas fondé à prétendre que l’appréciation des preuves a été entachée d’arbitraire et de partialité et n’a même pas un commencement de preuve. L’État partie affirme que tout grief au titre de l’article 14 fondé sur des allégations de partialité est irrecevable conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

4.17 Par une note du 16 septembre 2005, l’État partie a informé le Comité que le 25 août 2005, la Cour suprême du Canada avait refusé à l’auteur l’autorisation de former recours contre la décision de la Cour d’appel fédérale du 23 novembre 2004. L’État partie précise que cette décision ne remet pas en cause sa position et qu’il continue de considérer la communication comme irrecevable, en particulier en ce qui concerne l’allégation de partialité du juge qui avait présidé l’audience de réexamen du bien ‑fondé du certificat de sécurité.

Commentaires de l’auteur

5. Par une note du 3 novembre 2005, l’auteur a fait savoir qu’il souhaitait maintenir sa communication mais n’a pas commenté les observations de l’État partie.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité note que l’État partie conteste l’intégralité de la communication. En ce qui concerne les griefs de l’auteur au regard des articles 7 et 10 concernant ses conditions de détention et la durée de la détention, l’État partie objecte que l’auteur aurait pu se prévaloir de recours pour violations de la Charte canadienne, en particulier en vertu de l’article 12 qui garantit «le droit à la protection contre tous les traitements ou peines cruels et inusités». De plus, l’auteur pouvait se plaindre de ses conditions de détention en vertu de la loi sur les services correctionnels, en particulier l’article 28 du Règlement qui concerne les plaintes des détenus et l’article 34 relatif à l’isolement. En l’absence de commentaires ou d’objections de la part de l’auteur, qui a déposé une action constitutionnelle en vertu d’autres articles de la Charte, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif pour non ‑épuisement des recours internes.

6.3 En ce qui concerne les griefs de l’auteur au regard des paragraphes 1 et 3 de l’article 9, du fait de la détention qu’il qualifie d’arbitraire et de prolongée et à cause du refus de libération sous caution, le Comité note que l’auteur a introduit une action constitutionnelle devant la Cour fédérale du Canada, au motif que la procédure de délivrance du certificat de sécurité qui lui avait été appliquée était contraire aux articles 7, 9 et 10 c) de la Charte canadienne des droits et libertés. Le Comité note en outre que ces articles, qui traitent de la liberté, de la détention arbitraire et du réexamen de la validité de la détention, correspondent aux griefs de l’auteur qui se plaint d’une détention arbitraire et prolongée et du refus de la libération sous caution en invoquant l’article 9 du Pacte. Ces procédures sont toujours pendantes. Le Comité a pris note de l’argument de l’auteur qui affirme que se prévaloir de cette voie de recours durerait trop longtemps. Il remarque que l’auteur a déposé cette action le 24 novembre 2004. Au moment de l’examen de la communication il s’est écoulé un peu plus de deux ans depuis le dépôt de la première action. L’auteur n’a pas montré pourquoi il est convaincu qu’il faudrait jusqu’à cinq ans pour que l’action constitutionnelle soit examinée. Dans les circonstances, le Comité ne considère pas qu’une durée de deux ans pour examiner une action constitutionnelle est excessive. Étant donné que la procédure constitutionnelle est en cours, le Comité conclut que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes pour ses griefs. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4 Le grief au titre du même article constitué par le fait que l’auteur n’a pas été informé du «véritable dossier» contre lui parce que certaines audiences se sont déroulées à huis clos, semble se rapporter aux griefs au regard de l’article 14 et sera traité avec les autres allégations de violation de cet article.

6.5 En ce qui concerne le grief au regard du paragraphe 1 de l’article 9, du fait que l’État partie n’aurait pas assuré la sécurité de l’auteur, l’État partie considère que cette partie de la communication constitue un abus du droit de plainte. Le Comité rappelle qu’il n’existe pas de date limite précise pour la soumission de communications en vertu du Protocole facultatif et que le fait d’avoir attendu longtemps avant d’adresser la communication ne constitue pas en soi un abus du droit de plainte . Néanmoins, dans certaines circonstances, le Comité attend une explication raisonnable pour justifier le retard. Les agressions dont l’auteur se plaint ont eu lieu entre 1984 et 1995, c’est ‑à ‑dire il y a entre douze et vingt ‑trois ans. Le Comité relève que l’auteur a déjà utilisé deux fois la procédure de soumission de communications prévue par le Protocole facultatif et n’a pas saisi l’occasion pour dénoncer ces agressions dans les précédentes communications. En l’absence d’une explication raisonnable pour justifier un aussi long retard, le Comité considère que soumettre ce grief au bout de tant de temps devrait être considéré comme un abus du droit de plainte. Il conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.6 En ce qui concerne les griefs de l’auteur au titre de l’article 14, le Comité a noté l’argument de l’État partie qui fait valoir qu’une action constitutionnelle sur le fondement des articles 7, 9 et 10 c) de la Charte canadienne était toujours pendante devant la Cour fédérale. Toutefois, comme il a été noté plus haut, ces articles de la Charte portent sur la détention et non pas sur des questions d’équité et d’impartialité des audiences qui sont visées par l’article 14 du Pacte. Le Comité relève que, dans sa demande d’action constitutionnelle, l’auteur contestait non seulement sa détention mais aussi l’intégralité de la procédure qui avait été suivie pour déterminer le bien ‑fondé du certificat de sécurité. Toutefois, le Comité estime que les garanties prévues à l’article 14 du Pacte diffèrent fondamentalement de celles qui sont protégées par l’article 9, lesquelles donnent une protection analogue à celle qui est assurée par les articles 7, 9 et 10 c) de la Charte canadienne. Il conclut qu’une action constitutionnelle en cours sur le fondement des articles 7, 9 et 10 c) de la Charte ne l’empêche pas d’examiner des griefs au regard de l’article 14 du Pacte. De plus, la procédure relative à la partialité alléguée du Président du tribunal s’est achevée le 25 août 2005, avec le refus de la Cour suprême d’autoriser l’auteur à former recours contre la décision de la Cour d’appel fédérale. L’État partie n’a pas cité d’autre recours qui aurait pu être ouvert à l’auteur pour ses griefs au titre de l’article 14. Le Comité conclut que l’auteur a épuisé les recours internes en ce qui concerne les griefs de violation de l’article 14 et que la communication n’est pas irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.7 Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui affirme qu’une procédure d’expulsion n’a pas trait à une décision sur une accusation pénale ni sur des «droits et obligations de caractère civil». Il relève que l’auteur n’a pas été inculpé ni condamné pour une infraction pénale dans l’État partie et que son expulsion n’est pas une sanction prononcée à l’issue d’une procédure pénale. Le Comité conclut que la procédure qui vise à déterminer si un individu constitue une menace pour la sécurité nationale et l’expulsion à laquelle cette procédure peut aboutir ne se rapporte pas à la détermination du bien ‑fondé d’une accusation en matière pénale au sens de l’article 14 du Pacte.

6.8 Le Comité rappelle de plus que la notion de «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, repose sur la nature du droit en question et non pas sur le statut de l’une des parties . Dans la présente affaire, la procédure porte sur le droit de l’auteur, qui est un résident permanent en toute légalité, de continuer à résider sur le territoire de l’État partie. Le Comité estime que la procédure relative à l’expulsion d’un étranger, qui doit être entourée des garanties prévues à l’article 13 du Pacte, n’entre pas dans le champ d’application de la détermination des «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14. Il conclut que la procédure d’expulsion de l’auteur, dont il a été établi qu’il représentait une menace pour la sécurité nationale, ne relève pas du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte et que ce grief est irrecevable ratione materiae , en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.9 Pour ce qui est du grief de violation des articles 18 et 19 du Pacte, le Comité relève que l’auteur ne s’est pas prévalu du recours que la Charte canadienne lui offrait en vertu de l’article 2 qui dispose que «chacun a les libertés fondamentales suivantes: a) liberté de conscience et de religion; b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication; c) liberté de réunion pacifique; et d) liberté d’association». Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5, pour non ‑épuisement des recours internes.

6.10 Le Comité parvient à la même conclusion pour ce qui est du grief de violation de l’article 26, étant donné que l’auteur n’a pas formé de recours sur le fondement de l’article 15 de la Charte canadienne, qui dispose: «La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.» Même si l’opinion politique ou toute autre opinion, expressément mentionnée à l’article 26 du Pacte, ne figure pas au nombre des motifs de discrimination interdits par l’article 15 de la Charte , cette énumération est précédée et qualifiée par le mot «notamment» qui donne à penser que la liste des motifs n’est pas exhaustive. L’auteur aurait donc pu se prévaloir de cette voie de recours et ici encore il n’a pas satisfait à la condition prescrite au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur, par l’intermédiaire de son conseil.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

O. Communication n o 1355/2005, X c. Serbie * (Décision adoptée le 26 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Humanitarian Law Center

Au nom de :

X

État partie :

Serbie

Date de la communication :

23 décembre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Atteintes sexuelles sur la personne d’un mineur

Questions de procédure: Qualité pour représenter la victime

Questions de fond: Traitement cruel, inhumain ou dégradant; immixtion arbitraire ou illégale dans la vie privée; droits de l’enfant

Articles du Pacte: 7, 17, 24 (par. 1), considérés séparément et lus conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2

Article du Protocole facultatif: 1

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication, datée du 23 décembre 2004, est le Humanitarian Law Center, organisation non gouvernementale qui surveille les violations des droits de l’homme en Serbie et enquête à leur sujet. Il soumet la plainte au nom de X, mineur né en 1992, de nationalité serbe. L’auteur dénonce des violations par la Serbie des articles 7, 17 et 24, paragraphe 1, considérés chacun séparément et lus conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Serbie le 6 décembre 2001.

1.2 Le 31 janvier 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a rejeté les demandes de mesures provisoires, exhortant l’État partie à assurer une protection aux témoins cités dans la communication, l’encourageant à empêcher tout nouveau contact entre les auteurs des abus sexuels et la victime et l’invitant instamment à mettre à la disposition de la victime des services de conseils appropriés et de surveillance permanente, selon que de besoin.

1.3 Le 27 septembre 2005, l’État partie a demandé que la question de la recevabilité de la communication soit examinée séparément de la question du fond. Le 27 septembre 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications a, au nom du Comité, décidé que la recevabilité et le fond de l’affaire devraient être examinés conjointement.

Exposé des faits

2.1 Le 15 novembre 2002, X, un jeune Rom âgé de 10 ans est entré dans un bar du village de A, où il a rencontré Vladimir Petrašković et Miodrag Radović. Petrašković l’a invité à boire une bière, ce qui l’a rendu ivre. Les deux hommes l’ont alors obligé à leur faire une fellation. Peu après, trois autres hommes, Aleksandar Janković, Maksim Petrović et Vojislav Brajković, se sont joints à eux et l’enfant a été contraint de faire une fellation aux cinq hommes. Ils ont ensuite tous quitté le bar et se sont rendus dans une discothèque où Radović a uriné sur la tête de l’enfant. Puis les hommes ont emmené l’enfant dans un autre bar où ils l’ont obligé de nouveau à leur faire à tous une fellation et lui ont uriné dans la bouche. Ils l’ont menacé pour qu’il ne dise rien à personne.

2.2 W, infirmière de santé publique travaillant à A, a appris ce qui s’était passé deux jours après. Elle a rencontré X qui a relaté les événements décrits ci ‑dessus. Elle a remarqué que la bouche de l’enfant était enflée. Le lendemain, elle a persuadé X de rapporter les faits à la police. Au début de décembre 2002, Miroslav Lukic, Président du tribunal municipal de A, a signalé l’affaire au procureur qui n’avait pas encore été contacté par la police.

2.3 Le 27 décembre 2002, la victime a porté plainte contre les cinq hommes à la police, à la suite de quoi, le 9 janvier 2003, le bureau du procureur du district de Požarevac a chargé le tribunal de district de Požarevac d’enquêter sur l’affaire. À partir du 13 janvier 2003, le Humanitarian Law Center (ci ‑après dénommé le HLC) a été le conseil de X. Le 14 janvier 2003, le tribunal de district a décidé d’enquêter sur Vladimir Petrašković et Miodrag Radović. Les deux hommes avaient alors déjà quitté le pays. Miodrag Radović a été arrêté en Autriche et extradé vers la Serbie. Le 24 janvier 2003, le tribunal de district a entendu 13 témoins parmi lesquels seuls les parents de X ont confirmé son histoire. Après que la victime eut modifié sa déposition le 5 février 2003, le procureur de district a classé l’affaire le 5 mars 2003 et le tribunal de district a mis fin à son enquête le 10 mars 2003.

2.4 Selon l’État partie, l’affaire a été classée en raison de l’insuffisance de preuves: la victime était complètement revenue sur sa déposition initiale à la police disant au magistrat instructeur que les accusés n’avaient en fait commis aucun délit. En outre, les témoins avaient soit raconté ce qu’ils avaient entendu dire par des habitants du village dont ils ne connaissaient pas le nom soit démenti complètement les allégations formulées. Enfin, aucun témoin, y compris W, n’avait déposé de demande de protection auprès du bureau du procureur. D’après l’auteur, W a témoigné devant le juge d’instruction le 5 février 2003. Elle a également dit au HLC que lors de la même audition, X avait d’abord confirmé devant le juge qu’il avait fait l’objet d’abus sexuels, puis, après une pause, était revenu sur ses accusations. Seules ses rétractations figuraient dans les dossiers du tribunal. Quelques semaines plus tard, X avait contacté W et lui avait dit que ses parents l’avaient obligé à modifier sa déposition.

2.5 L’histoire de X a été largement rapportée dans les médias. Entre janvier 2003 et juin 2004, de nombreux articles ont été publiés dans la presse nationale; ils étaient axés entre autres sur l’indignation suscitée par cette affaire dans l’opinion publique, l’abandon des poursuites pénales, l’intimidation des témoins et les soupçons de collusion entre les auteurs présumés et des fonctionnaires.

2.6 Selon l’auteur, à partir de novembre 2002, des témoins oculaires et d’autres habitants de A ont été menacés et se sont vu offrir de l’argent en échange de leur silence sur les abus sexuels dont X avait été victime par un groupe de délinquants locaux. En décembre 2002, le père de X a reçu un appel téléphonique de Miodrag Radović qui lui a offert de l’argent si l’enfant se rétractait. W, l’infirmière qui a témoigné à deux occasions, a reçu de nombreuses menaces. Le 28 octobre 2004, l’auteur a déposé une demande de protection policière en faveur de W auprès du chef du service de la sécurité publique au Ministère des affaires intérieures. Cette demande est restée sans réponse et les menaces ont continué. W a alors demandé une protection au chef de la police de Požarevac, une ville voisine, mais sa demande a été rejetée.

2.7 À l’issue d’une procédure judiciaire séparée, les parents de X ont été reconnus coupables d’avoir fait preuve de négligences graves dans l’exercice de leurs responsabilités parentales le 27 mars 2002, et ils ont été déchus de leurs droits parentaux par le tribunal municipal de A le 28 janvier 2003. X et ses cinq frères et sœurs mineurs ont été placés dans une institution le 3 février 2003 et Vera Miscevic, travailleuse sociale au centre de travail social de A, a été désignée tuteur légal des enfants.

2.8 Après le classement de l’affaire par le bureau du procureur le 10 mars 2003, la victime s’est vue accorder huit jours pour engager des poursuites privées, ce que l’auteur a fait, en son nom, le 18 mars 2003. Lors d’une audition devant le juge d’instruction le 1 er avril 2003, quatre nouveaux témoins ont été entendus. Trois d’entre eux ont confirmé que X avait subi des abus sexuels. Le 9 avril 2003, les parents de X ont essayé de retirer au HLC le mandat qui lui avait été donné et d’abandonner les poursuites privées. Mais à ce moment ‑là ils avaient perdu leurs droits parentaux sur X. Le HLC pense qu’ils ont reçu de l’argent pour convaincre leur enfant de ne pas intenter d’action pénale contre ses abuseurs: le père de l’enfant a dit publiquement qu’on lui avait offert quelque chose si l’enfant abandonnait ses accusations. Peu après, de nouveaux meubles que les parents n’avaient apparemment pas les moyens d’acquérir sont apparus dans la maison familiale.

2.9 Le 7 mai 2003, le bureau du procureur a rejeté la demande du HLC tendant à ce qu’une enquête soit ouverte sur Aleksandar Janković, Maksim Petrović et Vojislav Brajković, soit les trois autres hommes qui avaient participé aux abus sexuels. Il a également informé Vera Miscevic, la tutrice de l’enfant, qu’elle pouvait reprendre les poursuites pénales dans un délai de huit jours. Le 16 mai 2003, Vera Miscevic a accordé un mandat en ce sens au HLC qui a déposé une nouvelle demande d’enquête plus approfondie sur les cinq hommes. Le 10 juin 2003, elle a révoqué ce mandat. La demande du HLC a donc été rejetée le 18 juin 2003 au motif qu’il n’était pas habilité à la présenter. L’auteur a interjeté appel devant la chambre d’appel du tribunal de district de Požarevac qui a annulé le 27 juin 2003 la décision de mettre fin à l’enquête et ordonné qu’elle soit étendue aux trois autres hommes. Le 29 juillet 2003, Vera Miscevic a accordé à nouveau un mandat au HLC. Le 12 août 2003, elle l’a encore une fois révoqué, et ce, pour la dernière fois. Dès lors, le HLC a été exclu de la procédure judiciaire et l’accès au dossier lui a été refusé. Le 19 novembre 2003, le tribunal de district a suspendu l’enquête, le centre de travail social, invoquant l’état de santé de la victime, ayant décidé de se désister.

2.10 Le HLC a continué à suivre la situation de X après août 2003 mais il n’a pas su à quelle date ou dans quelles conditions, le cas échéant, l’autorité parentale a été restituée aux parents ou si le centre de travail social de A ou Požarevac a continué d’exercer des fonctions de surveillance à l’égard de l’enfant. D’après l’État partie, le tribunal municipal de A a restitué l’autorité parentale aux parents le 17 septembre 2004.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur dénonce une violation de l’article 7, considéré séparément et lu conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2 du Pacte. Il fait valoir que le viol et d’autres formes d’agression sexuelle constituent des traitements infligés en violation de l’article 7 . En l’espèce, le traitement subi par la victime constitue manifestement un traitement cruel, inhumain et dégradant compte tenu en particulier de sa situation personnelle, à savoir son âge, son appartenance au groupe des Roms, sa capacité mentale diminuée et son instabilité émotionnelle. L’État partie aurait dû mener une enquête immédiate et impartiale sur ce qui s’était passé et identifier et poursuivre les auteurs.

3.2 En outre, ou à titre subsidiaire, l’auteur fait état d’une violation du droit de la victime à la vie privée protégé par l’article 17, considéré séparément et lu conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2. Il rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, la notion d’atteinte à la «vie privée» comprend les atteintes à la dignité et recouvre les relations d’un individu avec d’autres personnes , y compris les rapports sexuels librement consentis ou non . Il considère que le traitement subi par la victime constitue une immixtion arbitraire et illégale dans sa vie privée.

3.3 L’auteur allègue une violation du paragraphe 1 de l’article 24, considéré séparément et lu conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2. Il affirme que les États parties sont tenus d’adopter les mesures de protection requises par la condition de mineur de chaque enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale dans l’évaluation et la satisfaction des besoins des enfants. L’auteur fait observer que, par ses actes et ses omissions, l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 24 puisque ce n’est manifestement pas l’intérêt supérieur de l’enfant qui a guidé les autorités nationales dans les décisions le concernant qu’elles ont prises.

3.4 L’auteur affirme que les abus sexuels dont l’enfant a été victime s’inscrivaient dans le cadre d’une discrimination généralisée à l’encontre des membres de la communauté rom. Ce facteur a contribué au fait même qu’ils se soient produits et qu’ils aient eu lieu dans un contexte public.

3.5 En ce qui concerne l’absence d’autorisation expresse pour représenter la victime, l’auteur rappelle que le Comité admet qu’une communication soit soumise au nom d’une victime lorsque celle ‑ci n’est pas en mesure de le faire elle ‑même, en particulier dans les affaires concernant des enfants. Dans ses décisions antérieures, le Comité a été guidé non seulement par les règles de procédure interne concernant la qualité pour agir et la représentation mais aussi par «l’intérêt supérieur de l’enfant» . L’auteur se réfère également au critère appliqué par la Commission européenne des droits de l’homme. Lorsqu’elle a dû déterminer si le solicitor qui avait représenté des enfants mineurs dans des procédures internes concernant la garde d’enfants avait qualité pour agir, la Commission a examiné: 1) si l’enfant disposait ou pouvait disposer d’un autre représentant ou d’un représentant plus approprié; 2) quelle était la nature des liens entre l’auteur et l’enfant; 3) quels étaient l’objet et la portée de la requête présentée au nom de la victime; et 4) s’il existait des conflits éventuels d’intérêt . L’auteur fait valoir que la victime ne dispose pas d’un autre représentant en justice en l’espèce puisque ni les parents ni la tutrice n’ont voulu engager de poursuites privées. Il rappelle qu’il a été précédemment le conseil de l’enfant dans la procédure interne. Pour ce qui est de l’objet et de la portée de la requête, il relève que la présente communication porte uniquement sur le fait que l’enquête pénale interne n’était pas conforme aux normes consacrées dans le Pacte. Enfin, il ne peut y avoir de conflit d’intérêts entre l’auteur et la victime en l’espèce puisque la communication traite de questions pour lesquelles l’auteur a été dûment autorisé à représenter la victime sur le plan interne.

3.6 L’auteur affirme que tous les recours internes efficaces et appropriés ont été épuisés et que l’État partie n’a pas mis à la disposition de la victime un recours juridique ou autre pour obtenir réparation des violations subies. Le HLC affirme que les autorités avaient suffisamment d’informations sur les actes commis pour enquêter sur les auteurs et les poursuivre mais qu’elles ne l’ont pas fait. Les autorités locales et les services du procureur n’ont fait preuve d’aucune volonté d’enquêter comme il convient sur cette affaire et les témoins ont été menacés par les auteurs présumés des abus en toute impunité. Le centre de travail social de A a donné un mandat à l’auteur et le lui a retiré à plusieurs reprises en l’espace de trois mois, compromettant ainsi ses efforts pour faire avancer la procédure; quant au juge d’instruction, il n’a fait droit à la demande de l’auteur tendant à élargir l’enquête qu’à la suite de l’appel (après l’avoir rejetée à deux reprises auparavant) et a suspendu l’enquête à trois reprises avant d’y mettre définitivement fin en novembre 2003.

3.7 L’auteur prie le Comité d’inviter instamment l’État partie à rouvrir l’enquête pénale, à interroger les témoins de manière confidentielle, à assurer leur protection, à punir ceux qui ont abusé de l’enfant et à offrir un soutien psychologique approprié à celui ‑ci. Il demande également qu’une indemnisation suffisante soit versée à la victime.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Par une note verbale du 8 août 2005, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’a pas qualité pour agir devant le Comité et que la communication n’est pas suffisamment étayée. Il affirme que l’auteur n’indique pas clairement s’il prétend également qu’il y a eu violation de l’article 2 du Pacte considéré séparément ou lu conjointement avec les articles 7, 17 et 24.

4.2 Se référant à l’ancien article 90 b) du Règlement intérieur du Comité, et à la jurisprudence du Comité , l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif parce que l’auteur n’a pas apporté la preuve qu’il était habilité à présenter la plainte au nom de la victime. Il distingue les décisions invoquées par l’auteur de la présente affaire. Les deux décisions du Comité et deux des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme ont trait à la qualité des parents pour présenter des plaintes au nom de leurs enfants lorsqu’ils n’ont pas été reconnus comme étant leurs représentants légaux . En l’espèce, le lien spécial qui unit un parent et son enfant n’existe pas entre l’auteur et la victime. Dans les deux autres décisions de la Cour européenne des droits de l’homme citées par l’auteur , les enfants étaient représentés par leur ancien conseil. Mais celui ‑ci les avait représentés jusqu’à la fin de la procédure interne. En outre, tous les actes effectués par le conseil au nom des enfants avaient été précédemment ou ultérieurement approuvés par les parents biologiques ou nourriciers des enfants. Dans la présente affaire, le mandat donné à l’auteur a été révoqué avant la fin de la procédure, tant par les parents de la victime que par son tuteur légal. La communication de l’auteur au Comité n’a jamais été approuvée par les parents ou le tuteur légal de la victime. L’auteur n’a jamais tenté d’obtenir leur approbation. Enfin, toutes les décisions invoquées par l’auteur avaient trait à des procédures relatives à la garde ou la prise en charge d’enfants, ce qui justifiait une interprétation plus large des critères de représentation, et ce, d’autant plus qu’il existait des conflits d’intérêts entre les représentants légaux et les enfants eux ‑mêmes.

4.3 En tout état de cause, pour l’État partie, les critères établis par la Cour européenne des droits de l’homme ne sont pas remplis en l’espèce . Premièrement, en ce qui concerne la question de savoir si l’enfant dispose ou peut disposer d’un autre représentant ou si un représentant plus approprié est disponible, il soutient que l’auteur ne s’est occupé de cette affaire qu’ après en avoir été alerté par un journaliste en janvier 2003, c’est ‑à ‑dire quand l’enquête de police initiale était presque achevée. Le mandat donné à l’auteur a été révoqué pour la dernière fois le 12 août 2003 alors que l’enquête s’est poursuivie pendant encore trois mois avant qu’il y soit définitivement mis fin le 19 novembre 2003 lorsque la victime est revenue pour la deuxième fois sur ses déclarations. L’enfant pouvait donc être représenté de façon appropriée autrement que par l’auteur au niveau interne. En ce qui concerne la question de la représentation devant le Comité, l’État partie fait valoir que la victime peut être représentée de façon plus appropriée par ses parents ou «tout avocat ou toute ONG de Serbie ou de tout autre pays» dûment autorisés à agir en son nom.

4.4 Deuxièmement, pour les raisons données ci ‑dessus, s’agissant de la nature des liens unissant l’auteur et la victime, l’État partie estime que même si l’auteur a été le conseil de la victime pendant sept mois (sans interruption), le lien ainsi établi ne l’autorise pas à continuer à représenter la victime devant le Comité. Il ajoute que le fait que l’auteur ne connaisse pas la situation actuelle de la victime prouve que les liens quels qu’ils soient qui ont pu exister entre lui et l’enfant n’existent plus. Troisièmement, l’État partie relève que, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, l’objet et la portée de la communication ne sont pas limités à des plaintes concernant l’absence de conformité de l’enquête pénale interne avec les normes énoncées dans le Pacte et sont en réalité beaucoup plus vastes.

4.5 Enfin, s’agissant de l’existence d’éventuels conflits d’intérêts, l’État partie affirme que même s’il croit agir dans l’intérêt supérieur de la victime, l’auteur n’est pas nécessairement le seul à être dans ce cas ni le mieux placé pour le faire. Il prétend qu’il n’y avait aucun conflit d’intérêts entre l’enfant et le centre de protection sociale qui a été le tuteur légal de la victime à partir du 28 janvier 2003 jusqu’à ce que ses parents recouvrent leurs droits. Le centre a en réalité agi dans l’intérêt supérieur de la victime en révoquant le mandat donné à l’auteur parce que la participation de l’enfant à la procédure risquait de perturber son état actuel.

4.6 Par une note verbale du 4 juillet 2006, l’État partie a réitéré ses arguments concernant la recevabilité de la communication et fait des observations sur le fond. Il rappelle que, selon le paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie; et que le tribunal de district de Požaverac a estimé que les preuves disponibles étaient insuffisantes pour poursuivre l’enquête pénale menée contre les cinq auteurs présumés des faits. Il réfute l’allégation de l’auteur selon laquelle les autorités compétentes ont agi de façon discriminatoire à l’égard de la victime présumée en raison de son origine ethnique rom ou de sa situation sociale.

4.7 L’État partie reconnaît que, durant l’enquête, les parents de la victime avaient d’abord donné un mandat à un avocat du HLC mais ils le lui avaient ensuite retiré, étaient revenus sur leurs déclarations, avaient essayé de soutirer de l’argent aux suspects en échange de déclarations qui leur seraient favorables et influencé la victime présumée de diverses façons, ce qui avait porté atteinte à la crédibilité de leur témoignage et prolongé la procédure. C’est pourquoi les autorités sont rapidement intervenues pour soustraire la victime présumée et ses cinq frères et sœurs à cet «environnement familial malsain». Des mesures ont été prises pour assurer leur réadaptation et leur réinsertion sociale. À cette fin, une aide financière et matérielle a été accordée aux parents à plusieurs reprises en 2003 et 2004. En conséquence, l’État partie estime qu’il n’y a pas eu violation de l’un quelconque des droits énoncés aux articles 7, 17, 24, paragraphe 1, lus séparément ou conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2 du Pacte.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans une lettre datée du 11 septembre 2006, l’auteur affirme qu’il devrait être autorisé à représenter la victime devant le Comité. Il rappelle que les circonstances de l’affaire démontrent clairement que la victime n’est pas en mesure de présenter la communication elle ‑même, situation qui est prévue à l’article 96 du Règlement intérieur du Comité. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel les liens unissant l’auteur et la victime ne sont pas assez étroits pour que le premier soit habilité à agir au nom du second, l’auteur fait observer que, même s’il n’existe pas de lien biologique entre lui ‑même et la victime, il a été le conseil de la victime et a démontré de façon soutenue qu’il était prêt à demander réparation en son nom et en mesure de le faire. Ni les parents ni le tuteur légal n’ont agi dans l’intérêt supérieur de la victime.

5.2 Quant à l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’est ni la seule autorité ni l’autorité la plus compétente pour agir dans l’intérêt supérieur de la victime, l’auteur rappelle qu’il a déjà présenté de nombreuses communications à plusieurs organes de suivi des traités relatifs aux droits de l’homme et que cette expérience ne peut se comparer avec celle d’aucune autre organisation de Serbie. Il est de ce fait qualifié pour évaluer les raisons d’engager une procédure du point de vue d’une victime quelle qu’elle soit. En l’espèce, l’intérêt de l’enfant victime est que ceux qui ont abusé sexuellement de lui doivent être punis.

5.3 Pour ce qui est des observations de l’État partie sur le fond de la communication, l’auteur réitère ses arguments précédents. Il a noté que W est la seule personne qui ait accepté de témoigner sur toutes les circonstances de l’incident et qu’en conséquence, elle a reçu de nombreuses menaces. Le 13 mars 2006, elle a même été reconnue coupable par le deuxième tribunal municipal de Belgrade de diffamation contre Miodrag Deimbacher (précédemment dénommé Radović) qu’elle avait accusé à la télévision d’avoir abusé sexuellement de l’enfant. Par lettre datée du 19 décembre 2006, l’auteur a informé le Comité que cette décision avait été confirmée par le tribunal de district de Belgrade le 7 juillet 2006.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 S’agissant de la qualité de l’auteur pour représenter la victime, le Comité rappelle que, selon l’article 96 b) de son règlement intérieur, une communication doit normalement être présentée par le particulier lui ‑même ou par son représentant mais une communication présentée au nom d’une prétendue victime peut toutefois être acceptée lorsqu’il appert que celle ‑ci est dans l’incapacité de présenter elle ‑même la communication. Lorsque la victime est dans l’impossibilité d’autoriser la présentation de la communication, par exemple lorsqu’elle a été tuée, lorsqu’elle a disparu ou lorsqu’elle est détenue au secret, le Comité a estimé qu’un lien de parenté étroit était suffisant pour que l’auteur de la communication soit fondé à agir au nom d’une victime présumée . Toutefois, il a estimé qu’un particulier n’avait pas qualité pour agir au nom d’un ami personnel ou d’un employé lorsque la victime n’avait pas donné son autorisation . À cet égard, le Comité rappelle qu’il a:

«toujours interprété largement le droit des victimes présumées de se faire représenter par un conseil pour présenter des communications en vertu du Protocole facultatif. Cela étant, il faut que le conseil qui agit au nom de la personne qui affirme être victime de violation montre qu’il a une véritable autorisation de l’intéressé (ou de ses proches parents) pour agir en son nom, que certaines circonstances ont empêché le conseil de recevoir l’autorisation, que les relations étroites que le conseil avait avec l’intéressé dans le passé permettent de supposer que celui ‑ci a effectivement mandaté le conseil pour qu’il soumette une communication au Comité.» .

6.4 Le Comité rappelle que les enfants doivent généralement s’en remettre à d’autres personnes pour présenter leurs griefs et représenter leurs intérêts et n’ont parfois pas l’âge ou la capacité voulus pour autoriser d’autres personnes à faire des démarches en leur nom. Il faudrait donc éviter toute approche restrictive. En effet, le Comité a pour pratique constante de considérer qu’un parent a qualité pour agir au nom de ses enfants sans que ceux ‑ci lui en aient donné l’autorisation expresse . Un parent est la personne la plus appropriée pour agir au nom d’un enfant mais le Comité n’exclut pas que le conseil qui a représenté l’enfant dans la procédure interne puisse continuer à présenter les griefs de l’enfant au Comité. Néanmoins, le Comité doit examiner, comme indiqué plus haut, si le conseil a une autorisation de l’enfant (ou de sa famille immédiate) pour agir en son nom, si certaines circonstances ont empêché le conseil de recevoir cette autorisation ou si les relations étroites qui existaient dans le passé entre le conseil et l’enfant permettent de supposer que celui ‑ci a effectivement mandaté le conseil pour qu’il soumette une communication au Comité.

6.5 En l’espèce, le Comité doit déterminer si l’auteur, qui a été le conseil de l’enfant durant une partie de la procédure interne, a qualité pour soumettre une communication au Comité en son nom, indépendamment du fait qu’il n’a pas reçu d’autorisation en ce sens de l’enfant, de son tuteur légal ou de ses parents. Le Comité note que l’auteur a reconnu qu’il n’était pas autorisé à agir par l’enfant, par son tuteur légal ou ses parents (voir plus haut le paragraphe 3.5). Effectivement, l’auteur n’a pas discuté avec l’enfant, avec son tuteur légal ou avec ses parents de la possibilité de soumettre une communication au Comité en son nom. Rien n’indique non plus que l’enfant, qui avait 12 ans au moment où la communication a été présentée en 2004 et était donc susceptible de pouvoir donner son consentement au dépôt d’une plainte, le tuteur légal ou les parents aient à un moment quelconque consenti à ce que l’auteur agisse au nom de l’enfant.

6.6 Le Comité note par ailleurs l’argument de l’auteur selon lequel il ne pouvait obtenir le consentement de l’enfant, de son tuteur légal ou de ses parents parce qu’ils étaient tous sous l’influence des auteurs présumés des abus sexuels. Néanmoins, le Comité relève également qu’après avoir reçu la lettre initiale, il avait demandé à l’auteur de lui présenter un mandat écrit signé de la mère si celle ‑ci avait recouvré l’autorité parentale ou, si l’enfant était toujours sous la garde d’un tuteur, d’indiquer au moins qu’il consentait à ce que l’affaire soit examinée. Le 14 janvier 2005, l’auteur a expliqué qu’il n’était pas en mesure de soumettre ce document ni de fournir la preuve du consentement pour les raisons déjà données plus haut. Rien n’indique que l’auteur ait cherché à obtenir le consentement informel de l’enfant avec lequel il n’était plus en contact.

6.7 En l’absence d’autorisation expresse, l’auteur devrait apporter la preuve d’une relation suffisamment étroite avec l’enfant pour justifier qu’il agisse sans cette autorisation. Le Comité note que l’auteur a été le conseil de l’enfant dans la procédure interne entre janvier et août 2003 par intermittence. Depuis que l’auteur a cessé de représenter l’enfant dans la procédure interne en août 2003, il n’a plus été en contact avec ce dernier ni avec son tuteur légal ou ses parents. Dans ces circonstances, le Comité ne peut même pas supposer que l’enfant n’a pas d’objection, pour ne pas dire consent, à ce que l’auteur soumette une communication au Comité. En conséquence, nonobstant le fait que le Comité est profondément troublé par les éléments de preuve liés à cette affaire, les dispositions du Protocole facultatif s’opposent à ce qu’il examine la question, étant donné que l’auteur n’a pas démontré qu’il est autorisé à agir au nom de la victime en présentant cette communication.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

P. Communication n o 1359/2005, Esposito c. Espagne * (Décision adoptée le 20 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Mario Esposito (représenté par un conseil, M. Emilio Ginés Santidrián)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

8 juillet 2003 (date de la lettre initiale)

Objet : Extradition d’Espagne vers l’Italie d’un membre présumé d’une association mafieuse

Questions de procédure : Non ‑épuisement des recours internes; plainte insuffisamment étayée; abus du droit de présenter des communications; incompatibilité ratione materiae

Questions de fond : Interdiction de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants; conditions carcérales; violation des droits de la défense

Articles du Pacte : 7, 10 (par. 1), 14 (par. 3 d))

Articles du Protocole facultatif : 1, 2, 3, 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 mars 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 8 juillet 2003, est M. Mario Esposito, de nationalité italienne, né en 1959, qui exécute actuellement une peine de réclusion à perpétuité en Italie. Il affirme être victime de violations, par l’Espagne, des articles 7, 10 (par. 1) et 14 (par. 3 d)) du Pacte. Il est représenté par un conseil, M. Emilio Ginés Santidrián. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985.

Exposé des faits

2.1 Le 30 juin 1994, Interpol a communiqué au Tribunal central d’instruction n o 5, alors de permanence, le placement en détention provisoire de l’auteur dans un centre pénitentiaire de Barcelone, pour appartenance présumée, en qualité d’organisateur et de dirigeant, à une «association mafieuse» armée, connue sous le nom de «Clan des Muzzolini». Cette association, dont les activités relevaient de la «Camorra», sévissait dans la région de Sessa Aurunca, Carinola et Cellole, et cherchait à contrôler les entreprises et les commerces locaux en soumettant leurs propriétaires à des manœuvres d’intimidation et d’extorsion. L’association a été démantelée en juillet 1993.

Procédures en Espagne

2.2 Dans une note verbale du 1 er juillet 1994, les autorités italiennes ont demandé l’extradition de l’auteur afin qu’il réponde en Italie d’un délit d’«association mafieuse» et de deux délits d’extorsion au titre de la législation italienne (correspondant, respectivement, au délit d’association de malfaiteurs et au délit de menaces dans la législation espagnole). Par une ordonnance datée du même jour, le juge d’instruction chargé de l’affaire a confirmé le placement de l’auteur en détention provisoire tandis qu’une procédure d’extradition était engagée devant la chambre pénale de l’ Audiencia Nacional .

2.3 Par une ordonnance du 10 juillet 1995, l’ Audiencia Nacional a accédé partiellement à la demande de l’Italie, acceptant d’extrader l’auteur afin qu’il soit jugé pour un délit d’«association mafieuse» et pour un délit d’extorsion au titre de la législation italienne. L’ Audiencia Nacional a rejeté le deuxième chef d’extorsion, qui concernait à son sens un délit prescrit.

2.4 Dans une note verbale du 17 mars 1995, les autorités italiennes avaient sollicité une extension de la demande d’extradition afin que l’auteur soit jugé en Italie pour un délit de détention illicite d’armes et pour un nouveau délit d’extorsion (correspondant, respectivement, au délit de détention, vente ou fabrication d’armes de guerre et au délit de menaces dans la législation espagnole). Par une ordonnance du 9 octobre 1995, l’ Audiencia Nacional a accordé l’extension de la demande d’extradition.

2.5 Dans une nouvelle note verbale du 30 octobre 1995, les autorités italiennes ont sollicité une deuxième extension de la demande d’extradition afin que l’auteur réponde en Italie d’un nouveau chef d’assassinat et d’un délit de détention illicite d’armes.

2.6 Le 22 janvier 1996, conformément à l’article 12 de la loi espagnole sur l’extradition passive , l’auteur a comparu devant le Tribunal central d’instruction n o 5 et s’est opposé à l’extradition. Par une ordonnance du 30 janvier 1996, le juge d’instruction a renvoyé l’affaire à la chambre pénale de l’ Audiencia Nacional . Le conseil de l’auteur s’est opposé à deux reprises à la tenue de l’audience devant l’ Audiencia Nacional , au motif qu’il était nécessaire de disposer des documents du Tribunal de cassation italien. L’audience a finalement eu lieu le 14 janvier 1997, en l’absence de l’auteur car celui ‑ci avait déjà été extradé vers l’Italie le 11 juillet 1996. À l’audience, le conseil de l’auteur a contesté de nouveau l’extradition, faisant observer qu’il n’était «pas normal ni fréquent» que l’État requérant renforce sa première demande d’extradition par plusieurs demandes postérieures. L’ Audiencia Nacional a cependant estimé que c’était une pratique relativement courante dans les procédures d’extradition et qu’elle était autorisée par la Convention européenne d’extradition ratifiée par les États membres du Conseil de l’Europe, dont l’Espagne et l’Italie.

2.7 Par une ordonnance du 16 janvier 1997, l’ Audiencia Nacional a accordé la deuxième extension de la demande d’extradition visant l’auteur.

2.8 L’auteur fait observer qu’il n’a pas présenté de recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel parce que ce tribunal, conformément à sa jurisprudence, aurait considéré la réclusion à perpétuité comme une peine compatible avec la Constitution espagnole, ce qui signifie que le recours, en l’espèce, aurait été vain.

Procédures en Italie

2.9 Le 9 février 2000, l’auteur a été condamné par la Corte di Assise de Santa Maria C.V., en Italie, aux peines suivantes:

a) Pour les chefs d’association mafieuse, menaces et détention d’armes, à neuf ans d’emprisonnement;

b) Pour le chef d’assassinat, à la réclusion à perpétuité avec isolement diurne pendant neuf mois.

2.10 L’auteur affirme qu’il n’était pas présent au procès devant la Corte di Assise de Santa Maria C.V. et qu’aucune des trois procédures d’extradition ouvertes contre lui en Espagne n’a été mentionnée dans la décision, alors qu’il ne pouvait être jugé que pour les chefs d’accusation indiqués dans les trois ordonnances de l’ Audiencia Nacional .

2.11 L’auteur a interjeté appel de l’arrêt de la Corte di Assise de Santa Maria C.V., mais la Corte di Assise di Apelo (cour d’appel) de Naples a rejeté son recours le 29 avril 2002. À titre de question préliminaire, l’auteur avait demandé à la cour d’appel d’annuler la décision rendue en première instance au motif que la juridiction n’était pas compétente. Il faisait valoir également dans son recours que l’Espagne avait accordé la deuxième extension de la demande d’extradition − visant à le juger pour homicide − sous certaines conditions, notamment que la peine éventuellement infligée ne soit pas supérieure à trente ans d’emprisonnement.

2.12 Le 13 mars 2003, le Tribunal suprême italien a rejeté le pourvoi en cassation de l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 7, parce qu’une condamnation à la réclusion à perpétuité constitue selon lui un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Il fait observer que, même si la Convention européenne d’extradition et la loi espagnole sur l’extradition passive ne mentionnent pas la réclusion à perpétuité, ces deux textes interdisent que les condamnés soient soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il ajoute que l’ Audiencia Nacional , organe compétent pour traiter les demandes d’extradition en Espagne, a coutume, lorsque l’extradition est demandée pour juger un crime puni par la réclusion à perpétuité dans l’État requérant, d’exiger de celui ‑ci la garantie que la peine d’emprisonnement infligée ne dépassera pas trente ans, durée maximale permise par le Code pénal espagnol. D’après l’auteur, cette démarche est conforme à la Constitution espagnole, qui interdit les peines inhumaines ou dégradantes, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. En outre, dans de récents traités d’extradition bilatéraux, l’Espagne considère la réclusion à perpétuité comme un motif excluant l’extradition en termes absolus, à moins que l’État requérant ne garantisse que cette peine sera remplacée par une autre peine privative de liberté d’une durée limitée.

3.2 L’auteur affirme que la peine infligée par la Corte di Assise de Santa Maria C.V. constitue une violation continue du paragraphe 1 de l’article 10, lu conjointement avec le paragraphe 4 de l’article 7, en raison non seulement de sa durée mais également des conditions dans lesquelles elle est exécutée. Selon lui, l’Italie ne respecte pas les normes de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus.

3.3 L’auteur invoque également une violation de l’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14, au motif qu’il a été privé du droit d’être présent à l’audience tenue le 14 janvier 1997 par la chambre pénale de l’ Audiencia Nacional pour examiner la deuxième demande d’extension de la demande d’extradition, laquelle était fondée sur les chefs d’assassinat et de détention d’armes. L’absence de l’auteur était due au fait qu’il avait déjà été extradé vers l’Italie le 11 juillet 1996, en application de l’ordonnance de l’ Audiencia Nacional relative à la première extension de la demande d’extradition. L’auteur n’a pas non plus assisté à son procès en Italie, malgré la gravité des accusations retenues contre lui. Il rappelle que le droit d’être présent à son propre procès entraîne l’obligation, pour les autorités, de notifier à l’accusé et à son avocat la date et le lieu du procès, suffisamment à l’avance, et de citer l’accusé à comparaître, ce qui n’a pas été le cas. L’auteur fait observer que si la procédure d’extradition ne comporte pas un examen de la culpabilité elle n’en reste pas moins une procédure judiciaire au cours de laquelle le tribunal doit garantir les droits fondamentaux de la personne réclamée, en particulier lorsque la demande d’extradition concerne une infraction punissable de la réclusion à perpétuité.

3.4 L’auteur ajoute que l’Espagne, en accordant son extradition, n’a pas subordonné celle ‑ci à la condition que la peine infligée ne soit pas supérieure à trente ans d’emprisonnement ni exécutée dans des conditions susceptibles de la convertir en peine inhumaine et dégradante, conformément à la résolution sur le traitement des détenus en détention de longue durée adoptée le 17 février 1976 par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Il affirme que les autorités espagnoles, en procédant à son extradition, avaient l’obligation d’éviter tout risque de violation de ses droits fondamentaux par les autorités italiennes.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Dans ses observations en date du 12 avril 2005, l’État partie relève que les faits exposés remontent à près de dix ans, puisque l’auteur a été extradé en 1996. Tout en reconnaissant que le Pacte ne fixe pas de délai pour la présentation de communications au titre du Protocole facultatif, l’État partie estime que la présente communication doit être déclarée irrecevable pour abus du droit de plainte, compte tenu de la longue période qui s’est écoulée depuis les faits.

4.2 L’État partie fait également observer que les violations présumées qui sont invoquées par l’auteur auraient pour la plupart eu lieu en Italie, et que l’Espagne ne saurait répondre de prétendues violations des droits de l’homme commises par d’autres pays.

4.3 L’État partie relève que l’auteur semble ignorer qu’une procédure d’extradition ne consiste pas à juger l’intéressé mais simplement à coopérer avec un autre État pour permettre la poursuite d’une procédure pénale assortie de toutes les garanties exigibles. Par conséquent, la communication serait incompatible ratione materiae avec le Pacte.

4.4 Au sujet du seul grief qui le concernerait à son sens, à savoir la décision de l’ Audiencia Nacional d’accorder la deuxième extension de la demande d’extradition, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes qui lui étaient ouverts. Il indique à ce propos qu’il était possible de former un recours en révision contre l’ordonnance du 16 janvier 1997 par laquelle l’ Audiencia Nacional a statué sur la deuxième demande d’extension de la demande d’extradition, et que la décision rendue au sujet de ce recours en révision aurait pu à son tour être contestée par les voies de recours ordinaires. L’auteur n’a pas non plus formé de recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel.

4.5 L’État partie considère comme manifestement dénués de fondement les arguments de l’auteur concernant son absence à l’audience du 14 janvier 1997 devant l’ Audiencia Nacional . Il indique que la présence de l’intéressé n’est pas une condition exigée par la loi espagnole sur l’extradition passive, dont l’article 12 prévoit uniquement la comparution de la personne réclamée devant le juge d’instruction pour qu’elle manifeste son accord ou son opposition à l’extradition; dans le cas de l’auteur, cette comparution a eu lieu le 22 janvier 1996. L’État partie ajoute que l’absence de l’auteur à l’audience au cours de laquelle a été examinée la deuxième demande d’extension de la demande d’extradition était due au fait que l’auteur était en train d’exécuter en Italie une peine d’emprisonnement qui lui avait été infligée dans ce pays. En tout état de cause, son conseil, lui, a assisté à l’audience.

Observations supplémentaires de l’État partie

5. Dans ses observations en date du 2 août 2005, l’État partie réaffirme ses arguments concernant l’irrecevabilité de la communication pour abus du droit de présenter des communications, pour incompatibilité ratione materiae avec le Pacte, pour absence de fondement de la plainte et pour non ‑épuisement des recours internes.

Commentaires de l’auteur

6.1 Dans ses commentaires en date du 3 mars 2006, l’auteur indique au Comité que son incarcération en Italie demeure soumise aux dispositions de la législation d’exception relative au régime pénitentiaire réglementé par l’article 41 bis et suivants de la loi n o 354 du 26 juillet 1975, ce qui signifie qu’il est placé en permanence à l’isolement et privé de visites et de tout contact avec sa famille, en violation de l’article 10 du Pacte et des principes de base énoncés dans les normes sur le traitement des détenus du Conseil de l’Europe et de l’Organisation des Nations Unies.

6.2 L’auteur souligne que, s’il se trouve dans la situation qui est la sienne aujourd’hui, c’est parce que l’Espagne a accordé son extradition à l’Italie sans demander des garanties de réciprocité, comme le prévoit la Convention européenne d’extradition, ni exiger que la peine infligée soit conforme à la législation espagnole, laquelle n’envisage pas la réclusion à perpétuité ni le placement à l’isolement ni des restrictions comme celles qui sont imposées aux prisonniers en Italie. Il rappelle qu’après son extradition vers l’Italie une nouvelle extension a été demandée sur la base de faits nouveaux et a été accordée sans qu’il ait lui ‑même été présent pour se défendre et sans qu’il ait été informé de cette nouvelle procédure.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

7.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3 L’État partie affirme que la présentation de la communication près de dix ans après l’extradition de l’auteur vers l’Italie constitue un abus du droit de plainte. Le Comité relève que l’auteur a été extradé en juillet 1996 et qu’il a soumis sa plainte en juillet 2003. Si, dans d’autres circonstances, le Comité pourrait attendre de l’auteur qu’il fournisse des explications convaincantes pour justifier cet important retard dans la présentation de sa communication, en l’espèce, et compte tenu en particulier du régime d’isolement quasi total auquel l’auteur serait soumis depuis son incarcération, le Comité considère que le simple fait que sept ans se soient écoulés depuis son expulsion ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure à un abus du droit de présenter des communications.

7.4 En ce qui concerne l’obligation d’avoir épuisé les recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui affirme que l’auteur n’a pas exercé des recours qui lui étaient ouverts dans le droit interne. Le Comité constate cependant que, une fois l’auteur extradé, les recours en question n’auraient pas permis à celui ‑ci d’obtenir gain de cause au sujet des irrégularités qui entachaient selon lui la procédure devant l’ Audiencia Nacional , laquelle a abouti à l’ordonnance du 16 janvier 1997 accordant la deuxième extension de l’extradition de l’auteur aux fins de jugement pour assassinat et détention d’armes . Par conséquent, le Comité considère que l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 5 ne fait pas obstacle à ce qu’il examine la communication.

7.5 Le Comité prend note en revanche de l’argument de l’État partie, qui affirme que les violations dénoncées par l’auteur seraient imputables principalement à l’Italie et non à l’Espagne. Le Comité constate que le grief de violation des articles 7 et 10, invoqué par l’auteur au motif que la peine infligée par la Corte di Assise de Santa Maria C.V. constituerait un traitement cruel, inhumain et dégradant en raison de sa durée et des conditions dans lesquelles elle est exécutée, porte sur des faits qui se sont produits en dehors de la juridiction de l’État partie. Il rappelle que l’article 2 du Pacte exige des États parties qu’ils garantissent les droits des personnes relevant de leur compétence. Si un État partie a extradé une personne légalement, il ne sera généralement pas responsable, au regard du Pacte, des violations dont cette personne pourrait être victime dans l’autre juridiction, un État partie ne pouvant en aucun cas être tenu de garantir les droits des personnes relevant de la compétence d’un autre État. En revanche, si un État partie prend une décision concernant une personne qui relève de sa compétence, et que la conséquence nécessaire et prévisible de cette décision est que les droits reconnus à cette personne par le Pacte seront bafoués dans une autre juridiction, l’État partie lui ‑même pourrait commettre une violation du Pacte . En l’espèce, on ne peut pas affirmer que l’extradition de l’auteur vers l’Italie ait eu comme conséquence nécessaire et prévisible de valoir à celui ‑ci un traitement incompatible avec le Pacte. Par conséquent, le Comité considère que la communication est irrecevable en ce qui concerne les griefs de violation des articles 7 et 10, conformément à l’article premier du Protocole facultatif.

7.6 En ce qui concerne le grief de violation de l’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14, l’auteur dénonce certaines irrégularités commises par les autorités espagnoles en ce qui concerne l’ajournement de l’audience devant la chambre pénale de l’ Audiencia Nacional , ce qui aurait eu pour conséquence que l’auteur a été extradé avant qu’elle n’ait lieu. Le Comité relève que l’auteur n’a été ni accusé, ni déclaré coupable d’aucun délit dans l’État partie, et que son extradition n’a pas été décidée en tant que sanction résultant d’une procédure pénale. En conséquence, le Comité conclut que la procédure d’extradition de l’auteur n’établit pas que celui ‑ci est accusé d’une infraction pénale au sens de l’article 14 du Pacte, et que le grief de violation de l’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14 est irrecevable ratione materiae , conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

8. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1 et 3 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

Q. Communication n o 1365/2005, Camara c. Canada * (Décision adoptée le 24 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Souleymane Camara (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Canada

Date de la communication :

25 mai 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Mauvais traitements infligés à un détenu

Questions de procédure : Recevabilité

Questions de fond : Torture ou peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Articles du Pacte : 2, 7, 9, 10, 14, 16, 17

Articles du Protocole facultatif : 2, 5 (par. 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est M. Souleymane Camara, ressortissant du Mali où il réside actuellement. Il se dit victime de violations par le Canada des articles 2, 7, 9, 10, 14, 16 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 10 juin 2002 ou vers cette date, l’auteur a été arrêté et emmené au poste de police de la division sud d’Edmonton, où on lui a demandé de signer un document, faute de quoi il serait placé en garde à vue. Il soutient ne pas avoir été informé des raisons de son arrestation ni de la nature de ce document. Comme il refusait de signer, on l’a placé dans une cellule et on lui demandait sans cesse s’il avait changé d’avis. Quand il a demandé aux policiers d’arrêter de le harceler, plusieurs d’entre eux l’ont «agressé» physiquement, le plaquant au sol, si bien qu’il s’est blessé à la tête et au genou. On l’a alors emmené au poste de police de la division centrale d’Edmonton où on lui a refusé à maintes reprises des soins médicaux et des comprimés contre son mal de tête. Le lendemain, il a été déféré devant un juge qui a fixé la date de l’audience . Il disposait des services d’un interprète. Le jour suivant, le juge de paix a prononcé la relaxe.

2.2 Le 12 juin 2002 ou vers cette date, l’auteur a été, pour la seconde fois, arrêté et placé en garde à vue au poste de police de la division sud d’Edmonton. On ne l’aurait pas informé des raisons de son arrestation. L’un des policiers, qui croyait qu’il venait du Rwanda ou du Congo, aurait dit que ses compatriotes étaient tous des «tueurs paranoïaques». On lui a demandé en français de se dévêtir. Comme il corrigeait le français du policier, celui ‑ci s’est mis en colère et l’a déshabillé, pendant qu’on filmait la scène. L’auteur a été libéré au bout de trois jours, après avoir déposé une caution. Le 24 septembre 2002, on l’a de nouveau arrêté avant de le mettre en liberté quelques heures plus tard Le 24 décembre 2002, il s’est plaint à la police d’Edmonton du traitement qui lui avait été réservé les 10 et 12 juin 2002. Il déclare que le bureau de la Couronne aurait offert d’abandonner les poursuites engagées contre lui s’il acceptait de retirer sa plainte contre les agents du Service de police d’Edmonton. Il aurait rejeté ce marchandage.

2.3 Le 21 août 2003, le chef de la police par intérim a informé l’auteur que, après enquête, les allégations de mauvais traitements qu’il avait portées contre les policiers avaient toutes été rejetées «faute de preuves». Les 4 et 25 septembre 2003, l’auteur a été informé que les autres plaintes qu’il avait formulées avaient été rejetées faute de preuves ou parce qu’il les avait retirées.

2.4 L’auteur a été arrêté de nouveau le 23 avril 2003 et placé en détention au centre de détention provisoire d’Edmonton jusqu’au 9 septembre 2003. Lorsqu’il s’est plaint de la mauvaise qualité et de l’insuffisance de la nourriture au centre, les médecins de l’établissement ont recommandé de prévoir un régime alimentaire spécial pour lui. Du 20 mai au 6 juin 2003, on lui aurait refusé de l’eau et de la nourriture [en quantité suffisante]. L’auteur a fini par bénéficier d’un régime alimentaire spécial à partir du 7 juin 2003.

2.5 Le 24 mai 2003, deux des gardiens ont contraint l’auteur à se déshabiller sous le regard de trois détenues et cinq gardiennes. Les 9, 14 et 19 juillet 2003, des gardiens l’auraient «aspergé de gaz poivre», enfermé dans une cellule obscure et froide, menotté, lui auraient bandé les yeux et l’auraient contraint à marcher à reculons alors qu’il avait les chevilles entravées par des chaînes. Lors du dernier incident, deux gardiens l’ont forcé à se coucher à terre, se sont mis debout sur son dos, lui ont tiré les oreilles et plié les poignets jusqu’à ce qu’ils saignent. L’auteur se plaint que son courrier était ouvert et qu’à trois occasions durant sa détention, des codétenus déjà condamnés l’ont attaqué, le blessant à deux reprises .

2.6 L’auteur a ultérieurement saisi l’ombudsman. Les 2 et 14 juillet 2003, il a été informé qu’une enquête serait ouverte sur l’allégation selon laquelle on lui aurait refusé de l’eau et de la nourriture en quantité suffisante, mais que l’agression qu’il aurait subie de la part des gardiens ne relevait pas de la compétence du bureau de l’ombudsman étant donné qu’il s’agissait d’une infraction pénale. Le 29 juillet 2003, l’auteur a été informé que l’enquête serait étendue à l’allégation selon laquelle le directeur du centre de détention provisoire ne l’aurait pas autorisé à se plaindre à la police. Le 17 septembre 2003, l’ombudsman a classé l’affaire après avoir conclu que l’auteur n’avait pas été privé d’une alimentation suffisante, mais qu’il avait refusé de manger parce qu’il voulait un régime alimentaire spécial, ce qu’on a fini par lui accorder. Il a aussi conclu que l’auteur avait été autorisé à se plaindre à la police.

2.7 Le 9 septembre 2003, l’auteur a été expulsé du Canada vers le Mali . Après son expulsion, il a contesté les résultats de l’enquête menée par le Service de police d’Edmonton (par. 2.3) auprès du Law Enforcement Review Board (Commission chargée des plaintes contre la police) de l’Alberta. Par lettre du 13 novembre 2003, la Commission lui a fait savoir que les requérants, au même titre que les policiers mis en cause, étaient tenus de se présenter devant elle pour déposer sous serment. Elle statuerait par écrit sur la base de cette déposition. Le 26 mai 2004, elle a rappelé à l’auteur que les règles de procédure voulaient qu’il assistât à l’audience. Se fondant sur un échange de correspondance électronique avec l’auteur, la Commission a supposé que celui ‑ci était à ce moment ‑là dans l’incapacité de se présenter devant elle et conclu ne pas être en mesure d’examiner l’affaire. Le 7 juillet 2004, l’auteur a répondu que si on l’avait expulsé c’était précisément pour entraver le processus judiciaire en l’empêchant d’attaquer les policiers en justice. Il a prié la Commission d’examiner son affaire en se fondant sur les pièces disponibles auprès des autorités judiciaires et policières canadiennes. La Commission n’a pas donné suite à sa demande et a refusé d’examiner sa plainte à partir d’un dossier qu’il lui avait adressé depuis le Mali.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que les mauvais traitements que lui ont infligés les policiers des postes de police des divisions sud et centrale d’Edmonton et du centre de détention provisoire (par. 2.1, 2.2, 2.4 et 2.5), y compris le refus de lui donner de l’eau et de la nourriture [en quantité suffisante], constituent une violation de l’article 7 du Pacte. En outre, il soutient que le Service de police d’Edmonton n’a pas fait preuve d’impartialité et d’indépendance lorsqu’il a enquêté sur ses plaintes.

3.2 L’auteur affirme par ailleurs que ses arrestations répétées, sans qu’il soit informé des motifs de celles ‑ci, étaient arbitraires et contraires à l’article 9 du Pacte, et que l’ouverture de son courrier, l’outrage que le personnel féminin lui a fait subir alors qu’il était nu, violaient l’article 17 du Pacte.

3.3 L’auteur ajoute que son expulsion, le 9 septembre 2003, soit une semaine avant la date à laquelle il devait comparaître devant le tribunal, fixée au 18 septembre 2003, était programmée en vue de le priver de son droit d’accès aux tribunaux dans des conditions d’égalité, où il aurait pu faire valoir ses accusations à l’encontre des policiers.

3.4 En ce qui concerne les voies de recours internes, l’auteur affirme qu’à son retour au Mali, le 17 septembre 2003, il a rencontré le consul du Canada qui lui a fait savoir qu’il n’avait pas le droit de retourner au Canada et ne pourrait donc pas assister à quelque audience que ce soit.

Observations de l’État partie quant à la recevabilité et au fond de la communication et commentaires de l’auteur

4.1 Le 19 août 2005, l’État partie a contesté la communication tant en ce qui concerne la recevabilité que le fond et les faits en cause. Il a communiqué les informations détaillées qu’il avait adressées, le 24 février 2004, au Rapporteur spécial sur la torture en réponse à des allégations du même ordre dont ce dernier avait été saisi. En ce qui concerne les faits, l’État partie fait valoir que l’auteur, ressortissant du Mali, est arrivé au Canada le 11 octobre 1997 muni d’un visa d’étudiant qui l’autorisait à y demeurer jusqu’au 31 août 2000. Le 5 décembre 2000, les autorités se sont aperçues que la date d’expiration de son visa était dépassée et que l’auteur se trouvait donc au Canada sans permis. Le 12 décembre 2000, son visa d’étudiant a été renouvelé et il a été autorisé à demeurer au Canada jusqu’au 30 avril 2002.

4.2 Le 10 juin 2002, l’auteur a été arrêté parce qu’il aurait agressé, la veille, son camarade de chambre. Il a été emmené au poste de police de la division sud d’Edmonton où il a été accusé de voies de fait. Après son transfert au poste de la division centrale, il a été libéré sous caution le lendemain par un juge de paix, à plusieurs conditions, dont celle d’éviter tout contact avec le plaignant. L’auteur a ensuite violé son engagement à trois reprises, d’où ses arrestations les 12 juin et 2 décembre 2002, à l’issue desquelles il a été remis en liberté. Dans l’intervalle, le 18 septembre 2002, on lui a refusé la prorogation de son visa d’étudiant, parce qu’il ne s’était pas rendu à la convocation le jour dit.

4.3 Le 2 avril 2003, l’audience à laquelle l’auteur comparaissait pour agression s’est déroulée en français, à sa demande, et le jugement a été mis en délibéré. Le 23 avril 2003, l’auteur a été arrêté sur la base de quatre nouveaux chefs d’inculpation: deux touchant des dégradations commises sur une mosquée et deux pour violation des conditions de sa libération sous caution, parce qu’il aurait pris contact avec la victime de l’agression. Il est demeuré en détention faute de pouvoir acquitter la caution. Le 25 avril 2003, les autorités d’immigration l’ont arrêté et placé en détention en application d’une ordonnance de détention car on estimait peu probable qu’il comparût aux audiences à venir. Le 27 juin 2003, l’auteur a été jugé coupable d’agression et condamné à une peine de douze mois de mise à l’épreuve avec sursis.

4.4 Le 30 juillet 2003, comme l’auteur avait été condamné et que, de toute évidence, il n’était pas de nationalité canadienne, une ordonnance d’expulsion a été prise contre lui. Il n’a pas sollicité le contrôle juridictionnel de cette décision mais a demandé à ce qu’il soit procédé à un examen des risques avant renvoi sans expliquer pourquoi il pourrait avoir besoin d’être protégé s’il rentrait au Mali. Le 15 août 2003, il a été établi qu’il n’avait pas besoin d’être protégé. Cette fois non plus, il n’a pas demandé l’autorisation de faire procéder au contrôle juridictionnel de cette décision. Selon l’État partie, lorsque des ressortissants étrangers sont sur le point d’être expulsés mais qu’ils font l’objet de poursuites pénales, les services de l’immigration examinent la nature des faits qui leur sont reprochés. Si ceux ‑ci ne sont pas graves, le bureau du procureur de la Couronne peut mettre fin aux poursuites afin de permettre l’expulsion. Vu le peu de gravité des chefs d’inculpation qui continuaient de peser sur l’auteur, celui ‑ci a été expulsé le 9 septembre 2003, et, le 18 septembre 2003, le tribunal a mis fin aux poursuites encore engagées contre lui. L’État partie nie que le procureur chargé de l’affaire ait offert d’abandonner les derniers chefs d’inculpation retenus contre l’auteur si celui ‑ci acceptait de retirer ses plaintes contre des agents du Service de police d’Edmonton.

4.5 En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas étayé suffisamment ses allégations de violations de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Ses allégations ne sont pas corroborées et sont même contredites par des éléments de preuve documentaires. Le 10 juin 2002, après avoir été emmené au poste de police de la division sud, il s’est tout d’abord montré coopératif. Le policier qui l’a arrêté a tenté de le remettre en liberté moyennant une citation à comparaître − qui permet à un inculpé d’être libéré. Bien qu’on lui ait expliqué la teneur de cette note en anglais comme en français, l’auteur a refusé de la signer et de se présenter à l’audience le jour fixé.

4.6 Comme l’auteur ne voulait absolument pas se présenter à l’audience, le policier qui l’avait arrêté a décidé de le déférer devant un juge de paix et demandé qu’il bénéficie d’une libération conditionnelle. C’est pourquoi il a fallu le transférer au poste de la division centrale, où il a été placé dans une cellule en attendant un moyen de transport. Alors que le policier qui avait procédé à l’arrestation fermait la porte de la cellule, l’auteur a tenté de s’enfuir. Le policier a alors estimé qu’il fallait le fouiller et a demandé à quatre collègues de l’aider. Bien qu’on lui ait demandé à plusieurs reprises de coopérer, l’auteur a refusé d’obtempérer. Deux policiers l’ont alors menotté, les mains dans le dos, puis ils l’ont mis sur le ventre et fouillé. Ils n’ont pas employé plus de force que nécessaire pour maîtriser l’auteur. Un brigadier a observé la fouille et estimé qu’elle s’était déroulée dans les règles. Il ressort de l’enquête qui a suivi que l’auteur s’était légèrement écorché le genou, mais qu’il n’avait pas besoin de soins médicaux. S’agissant de son prétendu mal de tête, il est à noter que le Service de police d’Edmonton ne peut fournir que des médicaments prescrits par un médecin aux personnes détenues dans des centres de détention temporaire. On a jugé que le mal de tête de l’auteur ne relevait pas de l’urgence médicale.

4.7 La plainte de l’auteur a donné lieu à une enquête de la section des affaires internes du Service de police d’Edmonton, qui a précisé que celle ‑ci concernait un policier en particulier, qui avait contribué à maîtriser et à fouiller l’auteur. Il est ressorti de l’enquête que, faute de preuves déterminantes pour étayer ou réfuter l’allégation, la plainte «n’était pas fondée». L’État partie soutient qu’en l’espèce les mesures prises par les policiers étaient raisonnables, proportionnées et ne constituaient pas un recours excessif à la force. L’auteur ne s’est pas plaint d’avoir été frappé ou maltraité, et il ne portait pas non plus de traces de blessures qui auraient pu être attribuées à des mauvais traitements. L’État partie ajoute qu’il a enquêté sur les allégations de l’auteur aussi rapidement et aussi sérieusement que possible.

4.8 Pour ce qui est de la plainte selon laquelle, du 19 mai au 9 juin 2003, on lui aurait refusé de l’eau et de la nourriture en quantité suffisante, l’État partie déclare que, le 23 avril 2003, l’auteur a été examiné par un médecin après son admission au centre de détention provisoire. L’auteur a demandé un régime sans porc pour des raisons d’ordre religieux, régime qui a été approuvé. Le 20 mai 2003, aux questions que lui posait un agent du service pénitentiaire afin de savoir pourquoi l’auteur refusait de manger − il avait sauté trois repas de suite selon la feuille de service −, ce dernier a répondu qu’il n’avait pas faim. Comme cela se fait habituellement, il a été conduit à l’infirmerie où l’on a contrôlé sa consommation d’aliments et de liquides sur vingt ‑quatre heures. L’auteur a précisé qu’il mangerait les types d’aliments suivants: baguette au petit déjeuner, pas de pain pour le déjeuner et le dîner, mais du riz, du poulet, du poisson, du bœuf, des légumes, des pommes de terre et des fruits. L’État partie explique que c’est un(e) diététicien(ne) qui conçoit les menus du centre de détention provisoire d’Edmonton sur la base de directives nutritionnelles établies. Le même menu est servi à tous les détenus, sauf exception d’ordre médical ou religieux. L’auteur a continué de refuser de manger, disant qu’il ne mangerait que ce qu’il avait demandé expressément. Les feuilles de service indiquent qu’on lui a offert de la nourriture et des boissons à chaque repas. À compter du 29 mai, il a pu bénéficier d’un régime alimentaire spécial, mais pendant cette période, il s’est contenté de boire un supplément nutritionnel liquide et de manger de temps à autre. Comme il se plaignait des quantités servies, à partir du 4 juin, on a doublé ses rations pour l’encourager à manger. L’État partie avance qu’à aucun moment au cours de la période considérée l’auteur ne s’est plaint d’être «privé d’eau et de nourriture». S’il est exact qu’il n’a pas pris beaucoup de repas, il est tout aussi évident que c’était là son choix. Comme il refusait de manger, de gros efforts ont été faits pour contrôler son état de santé physique et mental et l’encourager à manger.

4.9 Quant à la plainte faisant état d’«agressions» de la part des gardiens les 9, 14 et 19 juin 2003, l’État partie soutient qu’elle n’est pas fondée, l’auteur ayant refusé de fournir les précisions qu’on lui demandait. Cependant, il fait valoir que, d’après le dossier, les choses se sont déroulées de la façon suivante. Le 10 juin 2003, l’auteur a été admis en observation à l’infirmerie parce qu’il avait sauté trois repas de suite. Rien n’indique que l’auteur ait été impliqué dans un autre incident ce jour ‑là, ni le 14 juin. Mais l’auteur a pu se tromper de date car, le 15 juin 2003, le dossier indique qu’il a fallu user de moyens de contrainte après qu’il eut craché sur la caméra de surveillance et menacé le personnel. Il a réussi à se dégager des entraves de contention et, alors que le personnel essayait de les récupérer, il les faisait tournoyer autour de lui et refusait de se plier aux ordres. On l’a averti qu’on ferait usage de l’aérosol à gaz poivre ( oleoresin capsicum ) s’il n’obéissait pas aux consignes. Comme il refusait d’obtempérer, le personnel a utilisé l’aérosol et l’a menotté. L’auteur a été immédiatement décontaminé et examiné par l’infirmière de service, qui a noté qu’il ne présentait aucune lésion. L’État partie fait valoir que l’utilisation de capsicum oléorésineux (produit biologique, non chimique, plus communément connu sous le nom de «gaz poivre») était mesurée, proportionnelle et raisonnable vu le comportement de l’auteur et respectait tout à fait les consignes et les limites imposées en la matière par les documents directifs . Après avoir enquêté sur cet incident, la police a estimé qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’ouverture de poursuites contre l’un quelconque des agents du centre de détention provisoire.

4.10 L’État partie évoque un autre incident dont il a été pris acte, survenu le 9 juin 2003. À 10 heures du matin, l’auteur, qui exigeait son petit déjeuner, a nui à la tranquillité en cognant sur la porte de sa cellule et en lui donnant des coups de pied. Bien qu’on lui ait dit que, le week ‑end, le petit déjeuner était servi à 11 heures, il a continué à s’agiter. L’équipe d’intervention d’urgence est alors arrivée pour l’emmener ailleurs. On lui a demandé de se mettre à genoux sur sa couchette pour qu’on puisse le menotter. Comme il refusait, on l’a averti à trois reprises que s’il n’obtempérait pas on recourrait au gaz poivre, ce qui fut fait. Après que le gaz eut agi, l’auteur a été menotté et examiné par une infirmière. Selon l’État partie, l’auteur s’est plaint de cet incident à la police, laquelle, après enquête, a conclu à l’insuffisance des éléments de preuve pour engager des poursuites pénales. L’utilisation de l’aérosol était justifiée et raisonnable et elle n’a été ni arbitraire, ni excessive.

4.11 Quant à l’allégation selon laquelle, le 24 mai 2003, l’auteur aurait été vu, alors qu’il était déshabillé, par du personnel féminin, l’État partie relève que l’on n’a pas trouvé trace d’une quelconque plainte adressée au directeur du centre de détention provisoire au sujet de cet incident, alors que l’ombudsman avait informé l’auteur que c’était la procédure à suivre avant de le saisir. L’État partie soutient que cette plainte est irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes ou, à titre subsidiaire, qu’elle n’est pas étayée aux fins de la recevabilité. Il ressort du dossier que c’est l’auteur qui a créé les conditions dans lesquelles il s’est retrouvé nu, étant donné qu’il a lui ‑même ôté les vêtements de sécurité qu’on lui avait demandé de revêtir alors qu’il était hébergé dans le service 2D (unité de santé mentale). À la place, il s’est enveloppé dans une couverture de sécurité. Dans la nuit du 23 au 24 mai, il a recouvert l’objectif de la caméra du service, après quoi on l’a transféré temporairement dans une autre unité. De retour dans sa cellule, il s’est mis à déchirer sa couverture pour masquer la caméra. La couverture lui a été retirée. Le 25 mai, il a ôté l’alèse de son matelas et s’est mis à «la porter». Plus tard dans la journée, on lui a redonné sa couverture, mais il a continué de refuser de porter les vêtements de sécurité. Il est possible que l’auteur ait été vu par du personnel féminin ou des détenues alors qu’il était dévêtu, mais cela est de son propre fait et non parce que les gardiens auraient cherché délibérément à le ridiculiser ou à l’humilier.

4.12 Quant aux plaintes de l’auteur selon lesquelles il aurait été arrêté arbitrairement, l’État partie indique que la section des affaires internes du Service de police d’Edmonton a enquêté sur ces deux plaintes et estimé que, pour ce qui était de la première arrestation, l’allégation était sans fondement car l’auteur avait été informé des raisons de son arrestation en anglais et en français. Pour ce qui était de la seconde, après avoir parlé avec le policier chargé de l’enquête, l’auteur avait décidé de ne pas porter plainte. De plus, il ne s’est jamais plaint dans le cadre d’une procédure interne de ne pas avoir été informé des raisons de son arrestation. L’État partie est donc d’avis que ces plaintes sont irrecevables parce qu’elles ne sont pas fondées et que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées.

4.13 S’agissant des griefs au titre de l’article 14, à savoir que l’expulsion de l’auteur avait été «programmée» pour l’empêcher de déposer contre des agents du Service de police, l’État partie considère que les plaintes de l’auteur contre la police et le personnel du centre de détention provisoire sont d’ordre administratif et ne relèvent donc pas à proprement parler d’une action en justice, c’est ‑à ‑dire d’une «cause» au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. À titre subsidiaire, il estime cette plainte insuffisamment fondée. Lorsque l’auteur a été expulsé, ses plaintes avaient déjà fait l’objet d’une enquête dont les conclusions concernant deux de ses allégations lui avaient été transmises. Sa communication donne à entendre qu’il se proposait de déposer en justice au sujet des sévices qu’il aurait subis aux mains de policiers, mais il aurait pu le faire plus tôt, au moment où il a été jugé pour agression, le 2 avril 2003. Les juridictions pénales sont par nature habilitées à écarter ou rejeter des charges lorsque le comportement de la police est mis en cause. Dans le cas où la plainte de l’auteur serait fondée sur son incapacité apparente à présenter son recours devant la Commission chargée des plaintes contre la police, l’État partie soutient que l’auteur avait été informé par celle ‑ci, dans sa lettre du 13 novembre 2003, qu’il était tenu de se présenter en personne à l’audience pour déposer sous serment. Il aurait pu demander à la Commission de prendre d’autres dispositions compte tenu des circonstances de l’affaire pour que son recours soit malgré tout examiné quand bien même il était dans l’incapacité de se présenter en personne, ou bien il aurait pu demander le contrôle juridictionnel de la décision de la Commission de classer son recours sans suite.

4.14 Quant aux plaintes au titre du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 16 du Pacte, l’État partie estime que l’auteur n’ayant pas indiqué en quoi ces droits avaient été violés, elles sont irrecevables car non étayées. Pour ce qui est de celle, au titre de l’article 17, selon laquelle son courrier était ouvert, l’État partie affirme qu’en l’absence de dossier donnant à penser que l’auteur se serait plaint auprès du directeur du centre de détention provisoire, elle est irrecevable faute d’épuisement des recours. À titre subsidiaire, il soutient que l’ouverture du courrier des détenus est autorisée et strictement limitée par la législation de la province et est soumise à des contrôles minutieux en bonne et due forme S’agissant de la plainte faisant état de la violation du même article au motif que l’auteur aurait été vu déshabillé par du personnel féminin et des détenues, l’État partie renvoie aux faits décrits plus haut. Se référant à la plainte au titre de l’article 2 du Pacte, il soutient que le paragraphe 3 de l’article 2 ne reconnaît pas de droit indépendant à un recours et que cette plainte est donc incompatible avec les dispositions du Pacte.

5. Dans ses commentaires du 21 juillet 2006 sur les observations de l’État partie, l’auteur conteste la présentation des faits par l’État partie et réitère ses plaintes initiales.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Le Comité note que l’État partie, qui a fourni de nombreux éléments d’information pour expliquer chacun des incidents qui auraient violé les droits de l’auteur, conteste chacune des plaintes formulées par celui ‑ci. L’auteur se contente de rejeter la version de tous les événements avancée par l’État partie, mais sans corroborer les mauvais traitements qu’il aurait subis aux mains des autorités de police de l’État partie ni produire de preuves, médicales ou autres, à l’appui de ses plaintes. Le Comité observe par ailleurs que la majorité de ces plaintes, en particulier celles concernant les mauvais traitements et le refus d’eau et de nourriture en quantité suffisante, ont fait l’objet d’enquêtes de la part, soit de l’ombudsman, soit du Service de police d’Edmonton, lesquels ont conclu qu’aucune d’elles n’était étayée. L’auteur fait valoir que ces organes n’étaient ni impartiaux, ni indépendants, mais n’explique pas sur quoi il fonde ses reproches. Le fait qu’une enquête débouche sur des conclusions défavorables à l’auteur ne traduit pas en soi un manque d’indépendance de la part de l’organe qui a mené l’enquête. Selon l’État partie, si des plaintes n’ont pas fait l’objet d’enquêtes, c’est soit parce qu’elles n’ont été portées devant aucune autorité interne, soit parce qu’elles n’ont pas été portées devant l’autorité compétente (arrestation arbitraire, nudité, ouverture de la correspondance). L’auteur ne le conteste pas. Quant à la plainte formulée par l’auteur selon laquelle on l’aurait expulsé pour l’empêcher de déposer devant un tribunal, le Comité note que l’auteur n’a pas précisé quelle procédure orale était prévue au moment de son expulsion, ni quelle était la juridiction concernée. Cette plainte est donc irrecevable faute d’avoir été étayée.

6.2 Pour tous ces motifs, le Comité estime que l’auteur n’a étayé aucune de ses plaintes aux fins de la recevabilité et qu’en outre il n’a pas épuisé les voies de recours internes s’agissant de ses plaintes pour arrestations arbitraires, déshabillage forcé et ouverture de courrier. La communication est donc irrecevable au titre de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

R. Communication n o 1367/2005, Anderson c. Australie * (Décision adoptée le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Tim Anderson (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

26 juillet 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Droit d’être indemnisé après l’annulation d’une condamnation

Questions de procédure : Recevabilité ratione temporis ; recevabilité ratione materiae , réserve

Questions de fond : Annulation d’une condamnation après une décision «définitive»

Articles du Pacte : 2 (par. 3), 14 (par. 6)

Articles du Protocole facultatif : 1, 2, 3

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication datée du 26 juillet 2004 est Tim Anderson, né le 30 avril 1953, de nationalité australienne. Il se déclare victime de violations par l’Australie du paragraphe 3 de l’article 2 et du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Australie le 25 décembre 1991. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1 En 1978, l’auteur était membre d’une organisation appelée Ananda Marga, un mouvement religieux ayant son siège en Inde, qui faisait l’objet d’une enquête ouverte dans le cadre d’un attentat perpétré contre l’hôtel Hilton de Sydney, au cours duquel trois personnes avaient trouvé la mort. La même année, il a été arrêté et accusé d’entente en vue d’assassiner un homme politique au moyen d’explosifs, affaire sans rapport avec l’attentat contre l’hôtel. Le 8 août 1979, il a été condamné par la Cour suprême de la Nouvelle ‑Galles du Sud d’entente en vue de commettre un meurtre et condamné à 16 années d’emprisonnement. Les recours qu’il a ensuite engagés ont été rejetés. Le 15 mai 1985, suite à la découverte de nouveaux éléments de preuve et après une enquête judiciaire, l’auteur a été gracié par le Gouvernement de l’État de Nouvelle ‑Galles du Sud. Il a été libéré après avoir passé sept ans en prison. L’enquête menée à cette occasion a révélé le comportement délictueux de la police, mais aucune action disciplinaire n’a été engagée contre les policiers concernés. En mars 1987, l’auteur a adressé une demande d’indemnisation au Gouvernement de l’État qui a accordé 100 000 dollars à titre de «réhabilitation»; il s’agit d’une indemnisation octroyée à titre gracieux dans le cadre d’un système administré par l’exécutif de l’État de Nouvelle ‑Galles du Sud, lequel examine les demandes de réparation au cas par cas.

2.2 En 1989, l’auteur a été arrêté et accusé du meurtre des trois personnes tuées dans l’attentat contre l’hôtel Hilton en 1978. Le 25 octobre 1990, il a été reconnu coupable de trois chefs de meurtre par la Cour suprême de Nouvelle ‑Galles du Sud, et condamné à une peine d’emprisonnement d’une durée non précisée. Il a interjeté appel de cette décision auprès de la chambre criminelle de la cour d’appel, qui a annulé sa condamnation le 6 juin 1991 et ordonné qu’il soit acquitté des trois chefs d’accusation retenus contre lui. L’auteur a alors été remis en liberté. Une enquête a été ouverte pour déterminer le rôle du procureur, notamment le fait qu’il ait refusé apparemment de manière délibérée d’entendre un témoin clef sur des questions importantes. Le 17 septembre 1991, l’auteur a adressé une nouvelle demande d’indemnisation au Gouvernement de l’État, qui a refusé de l’examiner tant que les conclusions de l’enquête concernant le procureur ne seraient pas connues. Commencée en 1991, celle ‑ci s’est achevée en 2003, lorsque le tribunal administratif a finalement rejeté la dernière accusation de faute retenue contre le procureur, le 30 avril 2003. Le 10 mai 2004, le Procureur général de la Nouvelle ‑Galles du Sud a informé l’auteur que sa demande d’indemnisation avait été rejetée vu la décision du tribunal administratif.

Teneur de la plainte

3. L’auteur affirme que le paragraphe 3 de l’article 2, et le paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte ont été violés. Selon lui, bien qu’il ait été acquitté en 1991 et libéré de prison, il n’a pas été indemnisé «conformément à la loi», comme le prévoit le paragraphe 6 de l’article 14. Il déclare qu’il n’a pas bénéficié d’un recours utile après que ses droits eurent été violés, contrairement aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 2. Il rappelle que l’indemnisation qui lui a été versée en 1987 représentait une somme arbitraire accordée à titre gracieux, ne relevant d’aucune procédure légale. Il fait valoir que, bien qu’il ait été acquitté en 1991 en raison des irrégularités commises lors du procès, et non de la révélation de nouveaux éléments de preuve, cette seconde affaire était liée à la première. Il affirme l’inexistence de mécanismes de contrôle du fait de l’absence d’une procédure d’indemnisation légale adéquate à l’époque où il a été poursuivi pour la première fois et a contribué à sa seconde mise en accusation.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1 Par note verbale du 17 octobre 2005, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il rappelle que les violations qui se seraient produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif sont irrecevables ratione temporis . Il admet que cette règle connaît des exceptions, lorsque les effets de l’événement en question perdurent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif ou lorsque les violations alléguées continuent de produire des effets qui constituent en eux ‑mêmes une violation du Pacte après l’entrée en vigueur de celui ‑ci. Dans de tels cas, la poursuite de la violation doit être une affirmation, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, par un acte clair ou par implication manifeste, de la violation précédente équivalant à une violation nouvelle et distincte, indépendante de la violation initiale L’État partie rappelle également que le Comité a précédemment déclaré que le fait de ne pas indemniser un auteur après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif ne constitue pas de ce fait l’affirmation d’une violation antérieure par l’État partie . En outre, le Comité a estimé que le fait de ne pas prendre d’autres mesures de réparation ne constitue pas, en soi, une violation nouvelle ou distincte . L’État partie invoque également la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme au sujet de l’article 3 du Protocole n o 7, qui équivaut au paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte, selon laquelle ni une condamnation ni l’annulation d’une condamnation survenant avant l’entrée en vigueur d’une obligation ne saurait être considérée comme une violation continue. L’État partie rappelle qu’en l’espèce tous les événements, à l’exception du rejet de la demande d’indemnisation de l’auteur, se sont produits avant que le Protocole facultatif n’entre en vigueur pour l’Australie. Il fait donc valoir que la communication est irrecevable ratione temporis dans la mesure où elle se rapporte aux circonstances des deux condamnations et aux demandes d’indemnisation correspondantes. S’agissant de la question de savoir si le refus d’accorder une indemnisation constitue une violation continue, il déclare que le refus d’indemniser ou de prendre d’autres mesures à titre de réparation ne constitue pas, en l’espèce, une violation continue.

4.2 Selon l’État partie, le grief invoqué au titre du paragraphe 6 de l’article 14 est irrecevable ratione materiae pour trois raisons différentes. Premièrement, l’auteur fait valoir que la procédure de paiement à titre gracieux a un caractère administratif et non légal, mais l’État partie rappelle qu’il a émis une réserve au sujet du paragraphe 6 de l’article 14, dans laquelle il a expressément indiqué que «l’indemnisation prévue en cas d’erreur judiciaire dans les circonstances visées au paragraphe 6 de l’article 14 [peut] être effectuée selon une procédure administrative plutôt que conformément à une disposition législative spécifique». Il rappelle que le Comité a précédemment indiqué que cette réserve particulière était valable . L’État partie observe que la réserve a un champ d’application clair et restreint, et qu’elle n’est donc pas contraire à l’objet et au but du Pacte. L’obligation qui lui incombe de mettre en place des mécanismes d’indemnisation peut par conséquent se traduire par l’adoption de procédures à caractère administratif.

4.3 Deuxièmement, l’État partie affirme que lorsque la seconde procédure a été engagée en 1989, l’auteur n’a pas fait l’objet d’une «condamnation pénale définitive». Il rappelle que, selon le Comité, il faut entendre par «condamnation pénale définitive» une condamnation qui, pour une raison ou pour une autre, ne peut donner lieu à un nouveau recours . Le Comité a donc affirmé qu’une condamnation en première instance qui est annulée en appel ne constitue pas une décision définitive . L’État partie rappelle que les travaux préparatoires du Pacte confirment que le paragraphe 6 de l’article 14 n’avait pas vocation à s’appliquer à des personnes condamnées pour une infraction pénale dont il pouvait encore être fait appel. La proposition tendant à supprimer le terme «définitive» a été rejetée. L’État partie fait également valoir que cette interprétation est conforme aux paragraphes 5 et 7 de l’article 14. En l’espèce, il déclare que la décision définitive est celle que la chambre criminelle de la cour d’appel a adoptée le 6 juin 1991, et qu’il s’agissait d’une décision d’acquittement et non de condamnation.

4.4 Troisièmement, l’État partie fait valoir que la condamnation n’a pas été «annulée» en raison d’un «fait nouveau ou nouvellement révélé». Il rappelle que le Comité a précédemment affirmé qu’une condamnation annulée dans le cadre de la procédure ordinaire d’appel ne constitue pas une annulation sur la base d’un «fait nouveau ou nouvellement révélé» . En l’espèce, la condamnation de l’auteur a été annulée dans le cadre de la procédure ordinaire de recours. Deux motifs d’appel ont été avancés, à savoir les irrégularités commises au cours du procès et le fait que le juge ait mal instruit le jury. Aucun motif d’appel ne reposait donc sur l’apparition de faits nouveaux inconnus du tribunal en première instance.

4.5 S’agissant du grief au titre du paragraphe 3 de l’article 2, l’État partie le considère irrecevable dans la mesure où il ne peut être invoqué isolément . Les griefs relatifs au paragraphe 6 de l’article 14 étant irrecevables, l’auteur ne peut invoquer l’article 2 du Pacte.

4.6 Si le Comité devait estimer que la communication est recevable, l’État partie affirme que celle ‑ci ne met en évidence aucune violation du paragraphe 6 de l’article 14, et ce, pour trois raisons différentes. Premièrement, il indique que sa réserve permet expressément qu’une indemnisation soit accordée par le biais de procédures administratives. Deuxièmement, la condamnation de l’auteur ne constituait pas une décision définitive. Troisièmement, la condamnation n’a pas été «annulée» en raison d’un «fait nouveau ou nouvellement révélé». En ce qui concerne le grief au titre du paragraphe 3 de l’article 2, l’État partie affirme qu’il n’est pas établi puisque les griefs formulés au titre du paragraphe 6 de l’article 14 ne le sont pas.

Commentaires de l’auteur

5.1 Par lettre datée du 10 décembre 2005, l’auteur affirme que les événements auxquels il se réfère s’étendent sur une très longue période, allant de 1978 à 2004. Selon lui, l’absence de recours utile face à la violation de ses droits au cours de cette période le rend vulnérable à une autre attaque, en particulier à un moment où l’État partie élabore et dispose d’ores et déjà de nouveaux mécanismes d’arrestation et de détention arbitraires dans le cadre de la lutte «antiterroriste». Il soutient que l’État partie continue de violer ses droits au titre du paragraphe 3 de l’article 2 et du paragraphe 6 de l’article 14.

5.2 En ce qui concerne la réserve de l’État partie au sujet du paragraphe 6 de l’article 14, l’auteur rappelle que la raison avancée par l’État partie dans son troisième rapport périodique au Comité n’était pas valable: ce qui est contesté c’est simplement le fait que des procédures législatives n’existent pas actuellement. Il affirme que la réserve va à l’encontre de l’objet et du but du traité.

5.3 S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel il n’y pas eu de «condamnation pénale définitive», l’auteur affirme qu’une décision définitive a été prise dans la première affaire, mais pas dans la seconde. Toutefois, comme il s’agit dans les deux cas d’une tentative unique de l’impliquer dans le même crime, il les a traités comme une action pénale unique, en deux étapes.

5.4 Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel la condamnation n’a pas été annulée en raison d’un «fait nouveau ou nouvellement révélé», l’auteur rappelle que la première condamnation a été annulée en raison d’un «fait nouveau ou nouvellement révélé», tandis que la seconde a été annulée pour des raisons juridiques. Toutefois, il fait de nouveau valoir qu’il a traité les deux affaires comme une action pénale unique, en deux étapes.

5.5S’agissant du paragraphe 3 de l’article 2, l’auteur rappelle que l’État partie n’a pas fourni de recours utile pour des erreurs judiciaires en général, notamment dans les cas qui relèvent des dispositions du paragraphe 6 de l’article 14. Il fait valoir que l’octroi d’une indemnisation en règle générale, y compris au titre du paragraphe 6 de l’article 14, constitue un recours utile. En outre, l’État partie n’a pas répondu à la plainte selon laquelle il n’a pas exigé de la police et des procureurs qu’ils rendent compte de leurs fautes.

Observations complémentaires de l’État partie

6. Par note verbale du 8 mars 2006, l’État partie déclare que le fait de ne pas sanctionner certains policiers et procureurs après l’entrée en vigueur du Pacte pour des fautes qui auraient été commises avant celle ‑ci ne saurait suffire pour constituer une affirmation, par un acte ou implication manifeste, dont on pourrait dire qu’elle équivaut à une nouvelle violation distincte et indépendante. Il rappelle que le paragraphe 6 de l’article 14 n’exige pas d’un État qu’il suive une procédure donnée pour accorder une indemnisation à une personne dans certains cas d’erreur judiciaire. En l’absence de toute exigence, un État peut s’acquitter de son obligation de la manière qu’il considère appropriée étant donné ses systèmes internes. En réponse à l’argument de l’auteur selon lequel le recours à des procédures administratives est contraire à l’objet et au but du Pacte, l’État rappelle que le fait que sa réserve au sujet du paragraphe 6 de l’article 14 n’ait pas été contestée démontre amplement qu’il n’en est rien.

Délibérations du Comité

7.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité s’est assuré que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.3 Le Comité prend note de l’objection de l’État partie selon laquelle la communication est irrecevable ratione temporis , dans la mesure où elle se rapporte à des événements qui se sont produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Australie, le 25 décembre 1991. Il rappelle qu’il ne peut examiner des violations alléguées du Pacte qui se seraient produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, sauf si ces violations perdurent après cette date ou continuent de produire des effets qui, en soi, constituent une violation du Pacte . Il observe que la première condamnation de l’auteur le 8 août 1979, la décision de le gracier le 15 mai 1985 et la décision de lui accorder une indemnisation en mai 1987 sont toutes antérieures à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Le Comité ne considère pas que cette violation alléguée a continué de produire des effets après mai 1987, effets qui auraient pu constituer, en soi, une violation des droits de l’auteur en vertu du Pacte. Cette partie de la communication est donc irrecevable ratione temporis , en vertu de l’article premier du Protocole facultatif, dans la mesure où elle porte sur la première condamnation, la grâce et le paiement d’une indemnisation.

7.4 En ce qui concerne la partie de la communication relative à la deuxième condamnation de l’auteur le 25 octobre 1990, son acquittement le 6 juin 1991, la demande d’indemnisation du 17 septembre 1991 et le refus de celle ‑ci en date du 10 mai 2004, le Comité rappelle que le paragraphe 6 de l’article 14 prévoit qu’une personne sera indemnisée, conformément à la loi, lorsqu’une condamnation pénale définitive a été prononcée et qu’elle a subi une peine en raison de cette condamnation, si celle ‑ci a été annulée ou qu’une grâce a été accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire .

7.5 Le Comité observe que la condamnation de l’auteur par la Cour suprême de la Nouvelle ‑Galles du Sud, le 25 octobre 1990, a été annulée par la chambre criminelle de la cour d’appel le 6 juin 1991. Il pouvait être interjeté appel de la décision de la Cour suprême de la Nouvelle ‑Galles du Sud et celle ‑ci ne constituait donc pas une «condamnation pénale définitive» au sens du paragraphe 6 de l’article 14. La décision définitive était l’arrêt par lequel la chambre criminelle de la cour d’appel a acquitté l’auteur. Le Comité considère donc que le paragraphe 6 de l’article 14 ne s’applique pas en l’espèce, et que ce grief est irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif .

7.6 Le Comité rappelle que l’article 2 du Pacte ne peut être invoqué par les personnes que conjointement avec d’autres articles du Pacte, et il observe que le paragraphe 3 a) de l’article 2 prévoit que chaque État partie s’engage à «garantir que toute personne dont les droits et libertés […] auront été violés disposera d’un recours utile». Le paragraphe 3 b) de l’article 2 assure une protection aux victimes alléguées si leurs plaintes sont suffisamment bien fondées pour être défendables en vertu du Pacte. Un État partie ne saurait être raisonnablement tenu, en application du paragraphe 3 b) de l’article 2, de faire en sorte que ces procédures soient accessibles même pour les plaintes les moins fondées . Considérant que les griefs formulés par l’auteur en l’espèce ont été déclarés irrecevables ratione temporis et ratione materiae , la violation de l’article 2 du Pacte par lui alléguée est également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1, 2 et 3 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

S. Communication n o 1370/2005, González et Muñoz c. Espagne * (Décision adoptée le 24 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

José Antonio González Roche et Rosa Muñoz Hernández (représentés par un conseil, José Luis Mazón Costa)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Espagne

Date de la communication :

1 er septembre 2002 (date de la lettre initiale)

Objet : Appréciation des preuves et réexamen complet de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par une juridiction supérieure; retard excessif dans la procédure; absence de procès ‑verbal in extenso ; présomption d’innocence

Questions de procédure : Non ‑épuisement des recours internes; défaut de fondement des violations alléguées

Questions de fond : Droit à ce que les preuves, la déclaration de culpabilité et la condamnation soient réexaminées par une juridiction supérieure conformément à la loi

Article du Pacte : 14 (par. 1 et 5)

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. Les auteurs de la communication, datée du 1 er septembre 2002, sont José Antonio González Roche et Rosa Muñoz Hernández, nés respectivement en 1967 et en 1959. Ils affirment être victimes de violations par l’Espagne des paragraphes 1, 2, 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. Les auteurs sont représentés par un conseil, José Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1 Les auteurs indiquent que le 14 février 1996, ils se sont rendus à l’île Margarita (Venezuela) pour fêter la Saint ‑Valentin. Un individu nommé Pedro López García, originaire du même village que Rosa Muñoz Hernández, voyageait dans le même avion qu’eux, à des fins personnelles. À son retour en Espagne, le 21 février 1996, Pedro López García a été arrêté à l’aéroport pour possession de cocaïne. En septembre 1996, la police a arrêté les auteurs, les accusant d’avoir introduit de la cocaïne en Espagne en revenant de leur voyage à l’île Margarita, en février 1996. Les auteurs étaient inculpés sur la base de la déclaration de Pedro López García les accusant.

2.2 Le 8 mars 1999, l’ Audiencia Provincial de Madrid a condamné chacun des auteurs à un emprisonnement de huit ans et un jour et à une amende de 110 millions de pesetas, pour trafic de cocaïne. Les auteurs ont formé devant la deuxième chambre du Tribunal suprême un pourvoi en cassation qui a été rejeté le 21 novembre 2001. Ils ont ensuite formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, qui l’a également rejeté en date du 1 er juillet 2002.

2.3 Les auteurs ont adressé une demande de grâce au Ministère de la justice, en faisant valoir la violation de droits protégés par le Pacte. Ils ont demandé à l’ Audiencia Provincial de surseoir à l’exécution de la peine, ce qui leur a été accordé.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs affirment qu’ils ont été privés de leur droit à un réexamen complet, par une juridiction supérieure, de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées à leur encontre, conformément au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, en ce qu’ils n’ont pu obtenir que le Tribunal suprême apprécie la crédibilité de la déclaration de Pedro López García, preuve déterminante sur laquelle était fondée leur condamnation. Ils soutiennent que ce dernier les a impliqués parce qu’il avait conclu un arrangement avec le procureur pour obtenir une diminution de sa peine, laquelle a été effectivement ramenée à trois ans de prison. Ils ajoutent que le Tribunal suprême a écarté la possibilité d’examiner la crédibilité des témoignages, déclarant que cet examen «ne [pouvait] être effectué que par un tribunal qui [aurait] pris connaissance directement, c’est ‑à ‑dire avec sa capacité de discernement, et immédiatement de ces déclarations», et ils rappellent la jurisprudence du Comité dans l’affaire Gómez Vásquez .

3.2 Les auteurs affirment que l’absence de procès ‑verbal in extenso de l’audience publique constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, car sans procès ‑verbal consignant tout ce qui s’est passé à l’audience, il ne saurait y avoir de procès équitable. Ils considèrent en outre que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte a été violé dans la mesure où il ne peut y avoir de recours utile sans procès ‑verbal in extenso . Ils affirment que le recours en amparo serait inutile et que le Tribunal constitutionnel a nié en outre que l’absence de procès ‑verbal in extenso constituait un vice de procédure.

3.3 Rosa Muñoz Hernández affirme que son droit à la présomption d’innocence a été violé étant donné que le Tribunal suprême a établi sa culpabilité sur la base de simples conjectures et suppositions et non d’une preuve irréfutable. Elle déclare qu’en se fondant sur la déclaration de Pedro López García, le Tribunal a supposé que Rosa Muñoz Hernández, parce qu’elle était la compagne de José Antonio González Roche, devait connaître les activités liées au trafic de drogues, et qu’il était improbable qu’une employée de maison puisse s’offrir un voyage de 1 000 euros et obtenir l’autorisation de s’absenter de son travail pendant une semaine. Elle ajoute qu’elle n’a pas eu le bénéfice du doute.

3.4 Les auteurs affirment que cinq ans et trois mois se sont écoulés entre la date de leur arrestation, en septembre 1996, et le rejet du recours en amparo , en juillet 2002, ce qui constitue une violation du droit d’être jugés sans retard excessif, prévu au paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte. Ils soutiennent que ce retard est injustifié.

3.5 Les auteurs déclarent qu’en omettant de se prononcer sur le grief de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, le Tribunal constitutionnel a violé cette disposition ainsi que le paragraphe 1 du même article. Ils font valoir qu’un organe juridictionnel qui ne se prononce pas sur une requête porte atteinte aux garanties judiciaires.

Observations de l’État partie

4.1 Dans ses écritures du 30 avril et du 4 août 2005, l’État partie affirme que la communication doit être déclarée irrecevable, en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif, pour non ‑épuisement des recours internes, absence manifeste de fondement et abus du droit de présenter des communications. Il ajoute que dans les recours qu’ils ont eux ‑mêmes formés, les auteurs font allusion aux éléments de preuve qui ont été examinés par les juridictions internes, bien qu’ils en contestent les conclusions, et qu’il ressort clairement de la décision du Tribunal suprême que les éléments de preuve ont bien été réexaminés.

4.2 Selon l’État partie, il n’apparaît pas qu’il y ait eu une limitation quelconque de la preuve ou de son réexamen. En l’espèce, le Tribunal suprême a apprécié et réexaminé les éléments de fait et de preuve, et il n’y a donc pas lieu d’établir une comparaison avec l’affaire Gómez Vásquez . L’État partie rappelle que conformément à la jurisprudence du Comité , lorsque le pourvoi en cassation au pénal a donné lieu à un réexamen approfondi de la déclaration de culpabilité et de la peine, il ne saurait y avoir violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

4.3 L’État partie affirme qu’il n’y a pas eu de retard excessif dans la procédure, car il s’agissait d’une affaire complexe, portant sur une infraction commise par une organisation criminelle et dans laquelle 10 personnes étaient jugées simultanément; de plus, ce grief n’a pas été soulevé devant les juridictions internes.

4.4 L’État partie soutient qu’il n’existe pas de droit reconnu à un procès ‑verbal in extenso et que, par ailleurs, le procès ‑verbal a été signé par les avocats des auteurs, qui auraient pu formuler leurs allégations à ce moment ‑là. Il ajoute que le déroulement de la procédure orale est consigné dans un procès ‑verbal authentifié par le greffier et qu’il ne s’agit pas d’un résumé comme le prétendent les auteurs, mais du compte rendu de ce qui s’est véritablement passé. Selon l’État partie, la question centrale que soulève la communication porte sur les faits déclarés prouvés par le jugement. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle c’est généralement aux juridictions des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits.

4.5 L’État partie affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, puisque les plaintes des auteurs relatives à de supposées limitations du réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation n’ont pas été formulées devant le Tribunal suprême et que, dans le cas de M me Muñoz Hernández, la question n’a même pas été soulevée dans le recours en amparo . Les auteurs ne se sont pas davantage plaints d’un retard excessif dans la procédure, ni devant le tribunal de première instance ni devant le Tribunal suprême.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1 Dans leur lettre du 31 octobre 2005, les auteurs affirment que le pourvoi en cassation ne donne pas lieu au réexamen complet de la condamnation, comme le prévoit le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, puisqu’il ne permet d’examiner ni la crédibilité des déclarations des témoins ni l’appréciation des éléments de preuve par le tribunal de première instance, sauf dans le cas extrême d’une erreur commise dans l’examen d’un document incontestable ou faisant foi et non contredit par d’autres preuves, ce qui est rare. Ils ajoutent qu’ils ont été condamnés sur la base de témoignages à charge qui n’ont pas pu être réexaminés par une juridiction supérieure.

5.2 Les auteurs affirment que l’erreur dans l’appréciation de la preuve ne peut pas être invoquée dans le pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, alors qu’elle peut l’être dans les recours formés contre d’autres décisions en matière pénale. L’unique allégation qu’ils pouvaient formuler était celle de violation du droit à la présomption d’innocence, ce qu’ils ont fait. Les auteurs font valoir que depuis la décision du Comité dans l’affaire Gómez Vásquez , l’État partie tente d’adapter son langage aux exigences du Comité, mais qu’en réalité il continue à n’effectuer qu’un examen limité des condamnations et non un réexamen intégral ou authentique. Ils déclarent que le Tribunal suprême se contente d’examiner la «rationalité de l’appréciation de la preuve», et non l’appréciation elle ‑même.

5.3Les auteurs soutiennent que dans un arrêt du 26 décembre 2000, le Tribunal suprême a fait une déclaration de caractère général, indiquant qu’un pourvoi en cassation ne permettait en aucun cas de demander l’examen de la crédibilité des déclarations faites lors du procès, et affirmant qu’un tel examen «ne [pouvait] être effectué que par un tribunal qui [aurait] pris connaissance directement, c’est‑à‑dire avec sa capacité de discernement, et immédiatement de ces déclarations». Ils font valoir que le pourvoi en cassation ne peut porter que sur des points de droit et sur une interprétation du droit à la présomption d’innocence qui suppose que les preuves soient obtenues légalement, ainsi que du droit de ne pas être condamné en l’absence de preuve à charge.

5.4 Les auteurs affirment que la procédure pénale a été d’une longueur excessive, puisqu’elle a duré cinq ans et trois mois sans qu’aucune circonstance ne justifie un tel retard. Ils soutiennent que dans ses constatations concernant la communication n o 526/1993, Hill c. Espagne , le Comité a estimé que la longueur de la procédure, qui avait duré trois ans, avait été excessive, alors même que l’État partie avait précisé que ce retard était dû à la complexité de l’affaire.

5.5 Les auteurs affirment qu’à la différence de la procédure civile, la procédure pénale espagnole ne donne pas lieu à la rédaction d’un procès ‑verbal in extenso , raison pour laquelle il est impossible de faire réexaminer les preuves. Ils déclarent que l’absence d’examen effectif ou complet de la condamnation et le retard excessif ont bien été invoqués dans le recours en amparo et qu’en outre les États parties ont impérativement l’obligation de garantir une procédure pénale d’une durée raisonnable. Ils ajoutent que dans sa décision d’irrecevabilité, le Tribunal constitutionnel ne s’est pas référé à la plainte portant sur l’absence de double degré de juridiction.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Le Comité prend note de l’allégation des auteurs selon laquelle l’absence de procès ‑verbal in extenso de l’audience publique a constitué une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte dans la mesure où, faute de compte rendu reflétant l’intégralité des débats, il a été impossible de conduire un procès équitable. Cependant, le Comité constate que, comme l’indique l’État partie, les auteurs n’ont pas soulevé ce grief devant les tribunaux espagnols. En conséquence, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les recours internes n’ayant pas été épuisés.

6.4 En ce qui concerne le grief tiré du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte, le Comité relève que, comme l’affirme l’ État partie , la plainte portant sur la durée excessive de la procédure n’a pas été présentée devant les juridictions nationales. Le Comité considère par conséquent que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les recours internes n’ayant pas été épuisés.

6.5 Le Comité prend note des arguments des auteurs qui affirment avoir été privés de leur droit à un réexamen complet de la déclaration de culpabilité et de leur condamnation par une juridiction supérieure, garanti au paragraphe 5 de l’article 14, étant donné que le Tribunal suprême n’a pas examiné la crédibilité de la déclaration de Pedro López García, et que dans le cas de Rosa Muñoz Hernández, il y a eu violation du droit à la présomption d’innocence, le Tribunal suprême ayant établi sa culpabilité sur la base de simples conjectures. Les auteurs font en outre valoir que le fait que le Tribunal constitutionnel ne se soit pas prononcé sur la violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte constitue une violation de cette disposition ainsi que du paragraphe 1 du même article. L’État partie objecte que dans le cas des auteurs, le Tribunal suprême a procédé à une appréciation et un réexamen approfondis des éléments de fait et de preuve, et il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle c’est généralement aux juridictions des États parties qu’il appartient d’apprécier les éléments de fait et de preuve, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice.

6.6 Le Comité constate qu’il est indiqué dans la copie de la décision de la chambre pénale du Tribunal suprême en date du 20 novembre 2001, concernant José Antonio González Roche, que le Tribunal a tenu compte des déclarations d’autres coïnculpés, des documents liés à l’achat des billets, des indices tirés de l’examen de son compte bancaire et de sa situation de chômeur et, dans le cas de Rosa Muñoz Hernández, que le Tribunal a également pris en considération la preuve indirecte que constituaient l’activité professionnelle et les moyens financiers de l’intéressée par rapport au coût du voyage en question, pour parvenir à la conclusion que les preuves, bien que fondées sur des indices, suffisaient à justifier la condamnation. En conséquence, le Comité considère que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs allégations au titre du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte aux fins de la recevabilité, et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication et à leur conseil.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

T. Communication n o 1384/2005, Petit c. France * (Décision adoptée le 24 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Robert et Marie ‑Françoise Petit (représentés par un conseil, Alain Garay)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

France

Date de la communication :

1 er novembre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet: Contestation du montant d’une indemnisation pour l’arrachage de pieds de vigne

Questions de procédure: Examen précédent par la Cour européenne des droits de l’homme

Question de fond: Droit à un procès équitable

Articles du Pacte: 14, 15

Article du Protocole facultatif : 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision sur la recevabilité

1. Les auteurs de la communication, datée du 1 er novembre 2004, sont Robert et Marie ‑Françoise Petit, de nationalité française. Ils affirment être victimes de violations par la France des articles 14 et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil, Alain Garay. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour la France respectivement les 4 février 1981 et 17 mai 1984.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 M. Petit a conclu un bail emphytéotique en 1965 concernant des parcelles de terre en Corse avec M me Corteggiani, la propriétaire de ces parcelles. L’auteur, qui y avait planté des vignes, a décidé de procéder à l’arrachage de ces vignes, ce qui lui donnait droit au bénéfice d’une aide de la Communauté européenne sous la forme d’une prime d’arrachage distribuée par l’Office national interprofessionnel des vins (ONIVINS). L’arrachage des vignes nécessitait, selon l’ONIVINS, l’accord de la propriétaire. Celle ‑ci conditionna son accord au versement d’une partie de la prime à son compte («somme de 300 000 francs à valoir sur 50 % de la prime»), concluant avec l’auteur un contrat à cet effet le 15 mai 1991. Le Domaine d’Albaretto dont l’auteur est le fondateur et associé unique bénéficia de la prime d’arrachage sur la base de son rendement. La prime d’arrachage fut versée le 30 décembre 1992 sur le compte de M me Petit, mais rien ne fut versé à la propriétaire qui porta plainte contre les auteurs.

2.2 Le 8 avril 1998, la juge d’instruction chargé de l’affaire, M lle Spazzola, ordonna son renvoi devant le tribunal correctionnel. Le 1 er décembre 1998, le tribunal de grande instance de Bastia, statuant en tant que tribunal correctionnel, déclara M. Petit coupable d’abus de confiance et d’escroquerie et M me Petit coupable de recel d’objet obtenu par abus de confiance. L’un des juges du tribunal de grande instance était M lle Spazzola qui avait agi en tant que juge d’instruction dans la même affaire, ce qui est contraire au droit interne.

2.3 Par arrêt du 15 décembre 1999, la Cour d’appel de Bastia confirma la culpabilité des auteurs, mais requalifia les faits d’escroquerie en abus de confiance. Il ressort de l’arrêt que deux magistrats conjoints ont siégé en la cause, l’un en tant que représentant du Ministère public (M. Mesclet, avocat général) et l’autre en tant que conseiller, juge du siège (M me Mesclet), ce qui est contraire au droit interne. Par arrêt du 18 octobre 2000, la Cour criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi des auteurs, déclarant que le moyen tiré du fait que les deux époux Mesclet avaient siégé en la cause reposait sur une erreur purement matérielle dans les mentions de l’arrêt.

2.4 Les auteurs ont porté une première affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme (enregistrée sous le n o 27582/02). Le 21 septembre 2004, la Cour déclara leur requête irrecevable au motif que «la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention et ses protocoles».

2.5 Dans une procédure distincte, le Domaine d’Albaretto réclama une prime plus importante sur la base d’une erreur concernant le rendement. Le 23 juin 1993, l’ONIVINS rejeta cette demande. Le 11 août 1993, le Domaine d’Albaretto demanda l’annulation de cette décision devant le tribunal administratif de Paris. Le dossier fut d’abord transféré au Conseil d’État, puis au tribunal administratif de Bastia qui rejeta la demande d’annulation le 22 octobre 1998. Le 11 avril 2002, la cour administrative d’appel de Marseille confirma la décision du tribunal administratif de Bastia. Le 19 mars 2003, le Conseil d’État rejeta le pourvoi formé par le Domaine d’Albaretto, au motif qu’aucun de ses moyens n’était de nature à permettre l’admission de la requête.

2.6 Le 23 août 2002, M. Petit a formulé une seconde requête devant la Cour européenne des droits de l’homme au nom du Domaine d’Albaretto (enregistrée sous le n o 41247/02). Dans cette requête, il se plaignait de la durée excessive de la procédure devant les juridictions administratives. Cette requête a fait l’objet d’un règlement amiable, acté par décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 1 er juin 2004 mettant ainsi fin à la procédure contentieuse. Cette décision reprend les termes du règlement amiable au terme duquel l’auteur a déclaré:

«Je note que le Gouvernement français est prêt à me verser la somme de 7 000 (sept mille) euros en vue d’un règlement amiable de l’affaire ayant pour origine la requête susmentionnée pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme.

J’accepte cette proposition et renonce par ailleurs à toute autre prétention à l’encontre de la France à propos des faits à l’origine de ladite requête. Je déclare l’affaire définitivement réglée.

La présente déclaration s’inscrit dans le cadre du règlement amiable auquel le Gouvernement et moi ‑même sommes parvenus.».

2.7 Parallèlement, M. Petit a formé une troisième requête devant la Cour européenne des droits de l’homme en son nom et au nom du Domaine d’Albaretto (enregistrée sous le n o 36883/03). Dans cette requête, il alléguait une violation de l’article 6 de la Convention mettant en cause l’absence de motivation de l’arrêt du Conseil d’État du 19 mars 2003 et l’équité de la procédure d’admission des pourvois. Il alléguait également une violation de l’article 13 de la Convention car il n’aurait pas bénéficié d’un recours effectif. Enfin, il alléguait une violation de l’article premier du Protocole n o 1 de la Convention car la prime d’arrachage était d’un niveau trop faible. Par décision du 25 janvier 2005, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré cette requête irrecevable au motif que «la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention et ses protocoles».

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs estiment être victimes d’une violation de l’article 14 du Pacte. Ils déclarent que la composition irrégulière du tribunal de grande instance de Bastia et de la Cour d’appel de Bastia est contraire aux principes d’impartialité et de procès équitable protégés par l’article 14.

3.2 Les auteurs estiment être victimes d’une violation de l’article 15 du Pacte pour avoir été condamnés pour abus de confiance en application de l’article 408 de l’ancien Code pénal, au lieu de l’article 314 ‑1 du nouveau Code pénal.

3.3 En ce qui concerne la procédure engagée pour contester le montant de la prime d’arrachage, les auteurs dénoncent la durée excessive de la procédure juridictionnelle suivie devant les juridictions administratives suite au litige avec l’ONIVINS, puisque l’affaire a été renvoyée au tribunal administratif de Bastia en février 1994 et la décision finale n’a été prise par le Conseil d’État qu’en mars 2003. Ils font valoir le caractère inéquitable et obscur de la procédure d’admission du pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, ce qui constituerait une violation de leur droit à un recours effectif au sens de l’article 14 du Pacte. Ils estiment que l’ONIVINS n’a pas pris en compte leurs observations. Enfin, ils estiment que le faible montant de la prime d’arrachage qu’ils ont reçue constitue une atteinte au respect de leurs biens.

3.4 Les auteurs déclarent avoir épuisé toutes les voies de recours internes. En outre, ils estiment que la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas «examiné» leur affaire au sens de l’article 5, paragraphe 2 (a), du Protocole facultatif et de la réserve de l’État partie.

3.5 Les auteurs demandent le versement de dommages ‑intérêts compensateurs du préjudice subi.

Commentaires de l’État partie sur la recevabilité

4.1 Le 15 juin 2005, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. En premier lieu, il rappelle qu’il a formulé une réserve à l’article 5, paragraphe 2 (a), du Protocole facultatif et invoque la jurisprudence du Comité sur ce type de réserve . Il note qu’il s’agit des mêmes individus que devant la Cour européenne des droits de l’homme et qu’ils invoquent les mêmes droits substantiels devant le Comité. Les auteurs n’avancent aucun fait nouveau dans la communication par rapport à ceux déjà présentés dans la requête devant la Cour et se limitent à reproduire la même plainte devant une autre instance internationale. La réserve de l’État partie s’applique donc en l’espèce.

4.2 L’État partie estime que les plaintes concernant les articles 14 et 15 ont déjà été examinées par la Cour européenne des droits de l’homme qui n’a «relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles» dans sa décision du 21 septembre 2004 (requête n o 27582/02).

4.3 Par note verbale du 16 janvier 2007, l’État partie fait valoir que la partie du grief concernant la durée excessive de la procédure a été réglée au terme d’une procédure amiable (avec l’assistance de la Cour européenne, requête n o 41247/02). Il conclut donc à l’irrecevabilité de cette partie de la communication.

4.4 En ce qui concerne les autres griefs liés à la procédure engagée pour contester le montant de la prime d’arrachage, l’État partie souligne qu’ils ont déjà été examinés par la Cour européenne des droits de l’homme qui n’a «relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles» dans son arrêt du 25 janvier 2005 (requête n o 36883/03).

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5. Dans ses commentaires du 20 janvier 2007, les auteurs insistent sur le fait que la réserve de l’État partie ne s’applique pas car la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas «examiné» leurs griefs sur le fond.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a constaté que deux plaintes similaires déposées par les auteurs ont été déclarées irrecevables par la Cour européenne des droits de l’homme les 21 septembre 2004 (requête n o 27582/02) et 25 janvier 2005 (requête n o 36883/03). Dans ces deux décisions, la Cour «n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention et ses protocoles». Le Comité rappelle qu’au moment de son adhésion au Protocole facultatif, l’État partie a formulé une réserve à propos du paragraphe 2 a) de l’article 5 à l’effet d’indiquer que le Comité «n’a pas compétence pour examiner une communication d’un particulier si la même question est examinée ou a déjà été examinée par d’autres instances internationales d’enquête ou de règlement». Le Comité constate que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà «examiné» l’affaire au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 dans la mesure où ses décisions des 21 septembre 2004 et 25 janvier 2005 ne portaient pas uniquement sur des questions de procédure .

6.3 Le Comité note que le seul grief qui n’a pas été examiné par la Cour européenne des droits de l’homme et relatif à la durée excessive de la procédure (requête n o 41247/02) a fait l’objet d’un règlement amiable dont la Cour a pris acte par décision du 1 er juin 2004. Cette plainte auprès de la Cour avait été formulée au nom du Domaine d’Albaretto. Par contre, le Comité relève que M. Petit a signé la déclaration de règlement amiable (voir par. 2.6 ci ‑dessus). Dans ces circonstances, le Comité considère que, bien que M. Petit ait signé la déclaration en tant que représentant du Domaine d’Albaretto, il apparaît que, par son utilisation de la première personne, il s’est aussi engagé à titre personnel à respecter le règlement amiable. Le Comité conclut que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà suffisamment «examiné» ce grief au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 et que la réserve de l’État partie s’applique en l’espèce.

7. En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

U. Communication n o 1386/2005, Roussev c. Espagne * (Décision adoptée le 24 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Tchanko Roussev Gueorguiev (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

5 avril 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Garanties d’une procédure régulière et absence d’un réexamen complet, en cassation, du jugement de condamnation et de la peine

Questions de procédure : Non ‑épuisement des recours internes; litispendance internationale; plainte non étayée

Questions de fond : Droit aux garanties minimales d’une procédure régulière; droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation conformément à la loi

Article du Pacte : 14 (par. 3 b), 3 e), 5

Articles du Protocole facultatif : 2, 5 (par. 2 a) et 2 b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 5 avril 2004, est Tchanko Roussev Gueorguiev, de nationalité bulgare, né en 1969. Il se déclare victime de violations par l’Espagne du paragraphe 3 b) et e) et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1 Le 20 juin 2000, l’ Audiencia Provincial de Burgos a condamné l’auteur pour un délit d’agression sexuelle commis avec la circonstance atténuante d’état d’ivresse, à six ans d’emprisonnement assorti d’une interdiction spéciale d’exercer le droit de vote, et au paiement des dépens; elle l’a également condamné à un emprisonnement de trois fins de semaine pour un délit mineur de lésion.

2.2 Dans le jugement de l’ Audiencia Provincial les faits déclarés prouvés sont exposés comme suit:

i) Le 29 août 1999, tôt le matin, l’auteur a ramené chez lui V. P., serveuse dans un établissement de Burgos appelé «Pub Varadero» après la fermeture; chez lui, il l’a obligée à avoir des relations sexuelles en faisant usage de violence. Il avait employé deux préservatifs, dont l’un s’est déchiré pendant l’acte sexuel;

ii) Ce même jour, V. P. a déposé une plainte contre l’auteur au commissariat de police de Burgos, qui a ordonné son admission immédiate à l’hôpital pour subir des examens physiques et gynécologiques. Le médecin légiste qui a procédé à l’examen physique a constaté que V. P. présentait plusieurs hématomes et des inflammations au nez, à la lèvre, au cou, à la clavicule et à l’intérieur des cuisses. Le rapport du gynécologue constatait une vulvite et la présence de sperme;

iii) Ce même jour une brigade de police s’est présentée au domicile de l’auteur et l’a arrêté; il dormait dans sa chambre et par terre il y avait deux préservatifs avec du sperme, dont l’un était déchiré.

2.3 L’auteur dit qu’au procès qui s’est tenu devant l’ Audiencia Provincial de Burgos, il a reconnu avoir eu des relations sexuelles avec la prétendue victime la nuit des faits mais qu’elle était consentante et qu’il niait l’avoir frappée ou violée. Il affirme qu’il a été condamné sur la base d’«accusations abstraites de la part du Procureur et du médecin légiste». Il ajoute que l’ Audiencia Provincial a rejeté la demande de son avocat qui souhaitait un ajournement du procès pour pouvoir citer à la barre le psychiatre qui suivait la victime, laquelle souffrait de boulimie et d’un trouble limite de la personnalité. La défense avait également demandé que l’Institut de toxicologie fasse un rapport complémentaire au rapport déjà produit, et avait envoyé des échantillons de sang de l’accusé, afin que l’Institut détermine si le sperme contenu dans les préservatifs était celui de l’auteur.

2.4 L’auteur affirme en outre que l’avocat qui avait assuré sa défense pendant l’audience préliminaire a cessé de le représenter au début de septembre 2000 et que, en janvier 2001, il a reçu une lettre lui annonçant la désignation d’un avocat pour le représenter en cassation. Il fait valoir que cet avocat n’a jamais eu accès au dossier. Il ajoute qu’il a appris, fin mai 2001, que cet avocat aurait formé le 7 décembre 2000 un recours en cassation sans avoir à aucun moment pris contact avec l’auteur. Les fondements du pourvoi en cassation étaient les suivants: i) vice de forme, pour refus d’avoir accordé la suspension du procès et la comparution comme témoin du psychiatre; ii) illégalité du fait d’une erreur dans l’appréciation de la preuve constituée par le rapport psychiatrique; et iii) illégalité pour la violation du paragraphe 2 de l’article 24 de la Constitution de l’Espagne qui reconnaît le droit fondamental à utiliser différents modes de preuve, en raison du refus de faire procéder à un test ADN.

2.5 Le 16 juillet 2001, le Tribunal suprême a rejeté le pourvoi en cassation et a confirmé le jugement de l’ Audiencia Provincial de Burgos. En ce qui concerne la demande de comparution du psychiatre comme témoin, le Tribunal a considéré que cette preuve était inutile étant donné que la maladie de V. P. et le fait qu’elle suivait un traitement étaient consignés dans le dossier et que la défense avait procédé pendant l’audience à un long interrogatoire contradictoire des médecins légistes qui avaient examiné la plaignante. En ce qui concerne le rapport psychiatrique, le Tribunal a considéré que l’ Audiencia Provincial avait fait une appréciation correcte du rapport. Enfin, pour ce qui est du test ADN, le grief a été rejeté principalement parce que l’accusé avait déjà reconnu qu’il avait eu des relations sexuelles avec la victime la nuit des faits.

2.6 L’auteur indique qu’il a essayé de former un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Le 25 septembre 2001, l’ Audiencia Provincial de Burgos a notifié à l’avouée qui le représente l’ordonnance confirmant la condamnation et la rendant définitive. Il indique qu’il a reçu cette décision par courrier ordinaire et qu’il était précisé qu’il disposait d’un délai de vingt jours pour introduire un recours en amparo , mais qu’il ignorait comment s’y prendre et à quelle juridiction s’adresser. Il fait observer que, comme il n’avait pas d’avocat pour le conseiller, il a déposé à l’ Audiencia Provincial de Burgos, le 14 octobre 2001, une demande de désignation d’office d’un avocat et d’un avoué pour pouvoir introduire le recours en amparo . Quand l’avocat et l’avoué lui ont été commis, le recours en amparo a été formé auprès du Tribunal constitutionnel le 4 mars 2002; les motifs invoqués étaient une violation du principe du double degré de juridiction et une violation des droits de la défense constituée par le refus de l’ Audiencia Provincial de faire citer le médecin psychiatre et de faire procéder à un test ADN. Le recours a été rejeté en date du 14 mars 2002 pour dépassement du délai d’appel, qui avait commencé à courir à la date de la notification de la décision du Tribunal suprême. L’auteur signale que de toute façon le recours en amparo n’aurait pas abouti étant donné que le Tribunal constitutionnel ne fait pas droit aux recours en amparo fondés sur une violation du droit au double degré de juridiction consacré au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

2.7 Le 18 juillet 2002, l’auteur a présenté une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a déclarée irrecevable en date du 13 novembre 2003 pour non ‑épuisement des recours internes, concrètement parce que le recours en amparo avait été soumis au Tribunal constitutionnel passé le délai d’appel. L’auteur affirme que sa plainte n’a pas fait l’objet d’un examen par la Cour européenne puisqu’elle a été rejetée pour un motif de forme, et que le Tribunal n’a pas examiné l’affaire au fond. Il ajoute que, quoi qu’il en soit, la Cour européenne n’a pas compétence à l’égard de l’Espagne en ce qui concerne le droit au double degré de juridiction étant donné que l’Espagne n’a pas ratifié le Protocole n o 7 à la Convention européenne des droits de l’homme.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur invoque une violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte parce que le test ADN a été refusé. Il estime que ce refus a compromis l’exercice du droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Il ajoute que cette preuve était nécessaire pour démontrer que le sperme présent sur le corps et les vêtements de V. P. n’était pas le sien. Il souligne qu’il s’était écoulé un certain temps entre l’heure à laquelle, selon sa première déclaration, la victime avait fermé le pub où elle travaillait et l’heure à laquelle elle était arrivée au domicile de l’auteur, et qu’elle aurait très bien pu être agressée par un tiers pendant le trajet. Il insiste sur le fait que le refus du tribunal de première instance de faire procéder à un test ADN a été arbitraire et injustifié.

3.2 L’auteur affirme que le refus d’ajourner l’audience et de citer comme témoin le psychiatre qui avait soigné V. P. a constitué une violation du droit de faire interroger les témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge, garanti au paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte. D’après l’auteur, il a demandé l’administration de cette preuve dans les temps et les formes voulus, et elle était pertinente pour déterminer si les pathologies dont V. P. souffrait (boulimie et trouble limite de la personnalité) la conduisaient à affabuler seulement de temps en temps sur ses comportements alimentaires ou au contraire si cette tendance à l’affabulation pouvait porter sur d’autres aspects de sa vie. Il ajoute qu’il n’est pas constant que les médecins légistes qui ont fait une déclaration à l’audience étaient spécialisés en psychiatrie, raison pour laquelle il n’est pas démontré qu’ils pouvaient donner en toute connaissance de cause un avis technique sur le diagnostic concernant V. P. et qu’il «pourrait bien y avoir des doutes quant à la neutralité de l’experte légiste». L’auteur ajoute que la seule preuve contre lui était les propos de la victime présumée.

3.3 L’auteur ajoute enfin que la loi de procédure criminelle espagnole empêche de former effectivement recours contre le jugement de condamnation et contre la peine prononcée auprès d’une juridiction supérieure qui réexamine les preuves et peut émettre un avis différent de celui du tribunal de première instance, ce qui constituerait une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte . Il affirme que le Tribunal suprême s’est limité à confirmer le jugement du tribunal de première instance sans examiner à aucun moment les preuves administrées pour fonder le verdict de condamnation et la peine.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1 Par une note du 20 juin 2005, l’État partie a présenté ses observations concernant la recevabilité de la communication. Il fait valoir que la communication est irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes. Il relève que l’auteur lui ‑même reconnaît qu’il n’a pas épuisé les recours internes puisqu’il a formé hors délai le recours en amparo , le motif qu’il prétend avancer étant des oublis de la part des avocats ou des représentants, pour lesquels la responsabilité ne peut en aucun cas être attribuée à l’État partie. Celui ‑ci ajoute que l’argument qui veut que le recours en amparo soit inutile est tout aussi irrecevable puisqu’il est clairement établi au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte que la seule exception à la règle de l’épuisement des recours internes est le cas où les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. Il fait remarquer qu’il ne faut pas confondre utilité d’un recours avec le fait de faire droit aux prétentions du recourant. Il signale que toute interprétation trop étendue du Protocole facultatif se traduirait par la possibilité de dispenser de l’obligation d’utiliser les recours internes dans le cas où il existerait une jurisprudence établie par les juridictions internes, ce qui serait de toute évidence contraire à l’esprit et à la lettre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.2 L’État partie affirme que la communication est également irrecevable parce que la même question a été soumise à une autre instance internationale, la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déclaré la requête irrecevable en date du 13 novembre 2003. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité et rappelle qu’en ce qui concerne le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif il interprète la déclaration formulée par l’Espagne au moment de la ratification du Protocole facultatif comme s’il s’agissait d’une réserve visant à étendre l’application du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Pacte aux communications dont l’examen a été achevé dans le cadre d’une autre procédure internationale .

4.3 L’État partie fait valoir également que la plainte représente un abus du droit de présenter des communications étant donné que l’auteur entend utiliser le Pacte pour revenir sur une situation établie, alors que trois ans se sont écoulés depuis l’adoption de la décision définitive qui a créé cette situation.

4.4 L’État partie affirme en outre que la communication est manifestement dénuée de fondement puisqu’elle consiste simplement en une discussion des faits considérés comme prouvés par les juridictions internes, dont les décisions ne peuvent pas être qualifiées d’arbitraires.

4.5 Enfin, l’État partie souligne que le Tribunal suprême a procédé à un examen de toutes les questions de fait qui lui avaient été soumises par l’auteur de la communication.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans des commentaires datés du 8 septembre 2006, l’auteur réaffirme que le recours en amparo ne lui était pas ouvert puisqu’il n’avait pas été notifié du jugement définitif du Tribunal suprême, ce qui l’avait empêché de se pourvoir contre cette décision. Il souligne que de plus dans l’arrêt du Tribunal suprême le recours qu’il convient de former n’est pas précisé, ce qui donne à penser que la décision n’est pas susceptible de recours. Il indique que, même s’il avait introduit le recours en amparo dans les délais et la forme voulus, le recours n’aurait jamais abouti en ce qui concerne le grief d’absence de double degré de juridiction. Il rappelle à ce sujet que le Comité a conclu pour d’autres communications que le non ‑épuisement d’un recours en amparo ne faisait pas obstacle à l’examen par le Comité de plaintes mettant en cause l’Espagne au sujet du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte . Il ajoute que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif n’exige pas l’épuisement des recours internes quand la procédure excéderait des délais raisonnables.

5.2 L’auteur affirme que l’argument de l’État partie qui estime que la responsabilité des oublis des avocats ou représentants de l’auteur d’une communication «ne peut en aucun cas être attribuée à l’État partie» ne peut être valable que si l’auteur a choisi et désigné lui ‑même son avocat et son avoué. Or dans son cas, l’avocat et l’avoué qui ont introduit le recours en cassation étaient commis d’office; l’État partie avait donc bien l’obligation d’agir de façon à garantir à l’auteur de la communication l’exercice effectif du droit d’être défendu et représenté en justice gratuitement.

5.3 L’auteur insiste sur le fait qu’il a essayé de former un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme mais que cet organe a déclaré sa requête irrecevable pour non ‑épuisement du recours en amparo , sans examiner l’affaire au fond. Il insiste également sur le fait qu’en tout état de cause la Cour européenne n’est pas compétente à l’égard de l’Espagne en ce qui concerne les affaires de double degré de juridiction parce que l’Espagne n’a pas ratifié le Protocole n o 7 qui reconnaît ce droit.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que la même affaire a été soumise à une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, la Cour européenne des droits de l’homme, et donc que la réserve formulée par l’Espagne à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif est applicable. Le Comité relève toutefois qu’en l’espèce la Cour n’a pas examiné les questions soumises par l’auteur étant donné qu’elle a fondé sa décision uniquement sur une question strictement de forme − le non ‑épuisement des recours internes − sans examiner l’affaire au fond. En conséquence, le Comité estime qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, avec la réserve de l’État partie .

6.3 Le Comité prend note également des arguments de l’État partie qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés étant donné que le recours en amparo n’a pas été formé dans le délai légal. Il prend note aussi des objections de l’auteur relativement aux irrégularités qu’il y aurait eu dans la désignation d’office de son avocat et de son avoué et dans la notification de l’arrêt du Tribunal suprême qui ont fait, d’après l’auteur, que le recours a été formé hors délai. De plus, l’auteur affirme que de toute façon ce recours n’aurait pas abouti parce que le Tribunal constitutionnel rejette systématiquement les recours fondés sur le droit au double degré de juridiction en matière pénale. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante et réaffirme que l’obligation d’épuiser les recours internes ne vaut que pour les recours qui ont une chance raisonnable d’aboutir . Le recours en amparo n’avait aucune chance d’aboutir en ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte; par conséquent le Comité estime que les recours internes ont été épuisés en ce qui concerne cette partie de la communication. Pour ce qui est des griefs tirés du paragraphe 3 b) et e) de l’article 14, le Comité relève que l’État partie n’a pas contesté les irrégularités alléguées dans la désignation des représentants commis à l’auteur et dans la notification de l’arrêt en cassation, éléments qui, d’après l’auteur, ont conduit à ce que le recours en amparo soit formé hors délai. L’État partie s’est limité à relever que la responsabilité de ces facteurs ne pouvait en aucun cas lui être attribuée. Le Comité estime que l’État partie est tenu de garantir à toute personne accusée d’une infraction pénale l’exercice du droit à la défense et au recours et regrette que l’État partie n’ait pas donné d’explication satisfaisante pour les irrégularités de procédure qui ont été décrites. En conséquence, le Comité considère que les recours internes ont bien été épuisés pour cette partie de la communication également.

6.4 Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable car elle représente un abus du droit de plainte étant donné qu’il s’est écoulé trois ans depuis que le jugement définitif a été rendu en cassation. Au vu des circonstances de l’affaire, en particulier des irrégularités de procédure invoquées par l’auteur − et compte tenu de la pratique du Comité concernant le délai pour adresser des communications −, le Comité n’est pas convaincu que le seul fait qu’il se soit écoulé trois ans depuis le prononcé du jugement condamnatoire définitif soit suffisant pour constituer un abus du droit de présenter des communications .

6.5 En ce qui concerne les griefs de violation du paragraphe 3 b) et e) de l’article 14 du Pacte parce que le tribunal de première instance a refusé l’administration de preuves qui, de l’avis de l’auteur, étaient essentielles pour prouver sa culpabilité, le Comité relève que ces griefs portent sur l’appréciation des preuves administrées pendant un procès, question qui appartient en principe aux juridictions nationales comme le Comité l’a affirmé de façon réitérée dans ses décisions, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice . En l’espèce, le Comité considère que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que la façon dont les tribunaux de l’État partie ont agi a été arbitraire ou a constitué un déni de justice. Il déclare par conséquent irrecevables les allégations de l’auteur conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6 En ce qui concerne le grief tiré du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, le Comité relève que, dans les circonstances de l’affaire, le Tribunal suprême a examiné attentivement chacun des motifs de cassation, qui portaient tous sur l’appréciation des faits et des preuves par l’ Audiencia Provincial de Burgos, et qu’il a écarté les trois motifs par un raisonnement justifié. Par conséquent, le Comité considère que cette partie de la communication n’a pas été étayée aux fins de la recevabilité et la déclare irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en espagnol (version originale) en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

V. Communication n o 1391/2005, Rodrigo c. Espagne * (Décision adoptée le 24 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Benito Javier Rodrigo Alonso (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

29 août 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Défaut de réexamen complet en cassation du jugement rendu en première instance

Questions de procédure : Non ‑épuisement des recours internes, absence de fondement suffisant des violations alléguées

Questions de fond : Droit à ce que le jugement et la peine soient soumis à une juridiction supérieure conformément à la loi

Articles du Pacte : 14 (par. 1, 2 et 5), 15 (par. 1), 26

Articles du Protocole facultatif : 2, 5 (par. 2 a) et b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 29 août 2004, est Benito Javier Alonso, de nationalité espagnole, né en 1959. Il affirme être victime de violations par l’Espagne des paragraphes 1, 2 et 5 de l’article 14, du paragraphe 1 de l’article 15, et de l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 6 février 1998, à l’aéroport de Francfort ‑sur ‑le ‑Main en Allemagne, des fonctionnaires des douanes ont ouvert un paquet venant de Bolivie, adressé à Javier Rodrigo Alonso, qui contenait 200 grammes de cocaïne. Le même jour, les autorités allemandes ont envoyé le paquet aux autorités espagnoles. Le 17 février, l’auteur a été arrêté par un agent espagnol du service des douanes, alors qu’il s’apprêtait à retirer le paquet dans un bureau de poste d’Ibiza. Il a été conduit dans les bureaux du service des douanes où le paquet a été ouvert en présence d’une greffière. L’auteur soutient que le paquet avait été manipulé puisqu’une des boîtes qu’il contenait était ouverte.

2.2 Le 1 er décembre 1998, l’ Audiencia Provincial de Palma de Majorque a condamné l’auteur à dix ans de prison et à une amende de 30 480 000 pesetas (environ 183 000 euros). Au cours du procès, l’auteur a affirmé que l’envoi postal avait été ouvert en violation du droit au secret des communications, ce qui ôtait toute valeur aux preuves ainsi obtenues. L’auteur estime en outre que le jugement de l’ Audiencia Provincial faisait mention d’un fait qui n’avait pas été prouvé pendant le procès. D’après ce jugement, une étiquette verte C ‑1 était collée sur le paquet. Or d’après l’auteur, le paquet n’était pas muni d’une telle étiquette et ne pouvait donc pas être ouvert par les autorités allemandes .

2.3 L’auteur s’est pourvu en cassation contre le jugement de l’ Audiencia Provincial , en invoquant les moyens ci ‑après: i) erreur de fait dans le fondement factuel du jugement, en ce qui concerne la valeur de la drogue; ii) introduction d’un fait non prouvé, à savoir l’existence de l’étiquette verte de type C ‑1; iii) violation du secret des correspondances, puisque le paquet avait été ouvert à Francfort sans l’intervention ou l’autorisation des services judiciaires; iv) violation du secret des correspondances, puisque le paquet avait été ouvert en Espagne hors de la présence d’un juge; et v) violation du droit à la présomption d’innocence. Le 10 avril 2000, le Tribunal suprême a rendu son arrêt, dans lequel il rejette tous les moyens invoqués, à l’exception du premier. Concluant qu’il y avait eu erreur de fait quant à la valeur de la drogue, il a admis le moyen en question et a réduit le montant total de l’amende infligée en première instance. Selon l’auteur, le Tribunal suprême s’est limité à se prononcer sur les moyens du pourvoi, et n’a à aucun moment examiné les preuves sur lesquelles était fondée la condamnation de l’ Audiencia Provincial . En mars 2004, l’auteur a introduit devant le Tribunal suprême un recours extraordinaire en révision qui a été rejeté d’office le 9 mars 2004.

2.4 L’auteur affirme qu’il a épuisé les recours internes. Selon lui, il était inutile de former un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel en invoquant la violation du droit au double degré de juridiction, ce tribunal ayant pour jurisprudence constante de rejeter ce genre de recours. En outre, ce recours n’aurait pas été efficace en ce qui concerne la violation de son droit à la présomption d’innocence, puisque le Tribunal constitutionnel ne peut pas revenir sur les faits établis au procès et que les éléments de preuve ne peuvent pas être appréciés par une juridiction supérieure.

2.5 Le 14 février 2001, l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Le 31 mai 2002, la Cour a déclaré la communication irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes, l’auteur n’ayant pas formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. L’auteur allègue que la Cour européenne n’a pas compétence à l’égard de l’Espagne pour ce qui touche au double degré de juridiction, puisque l’Espagne n’a pas ratifié le Protocole n o 7 à la Convention européenne, qui reconnaît le droit au double degré de juridiction.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur dénonce une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il fait valoir qu’il n’a pas obtenu un réexamen complet du jugement par un tribunal supérieur étant donné que le pourvoi en cassation est limité à des points de droit ou des questions de forme, et qu’il n’est pas possible de contester les éléments de preuve puisque le Tribunal suprême ne peut pas les réexaminer . L’auteur fait valoir que dans l’affaire le concernant, l’ Audiencia Provincial a introduit un fait qui n’avait pas été prouvé au cours du procès, à savoir que le paquet était muni d’une étiquette verte C ‑1. Le tribunal a rejeté ce moyen dans l’arrêt de cassation, considérant qu’il n’avait pas été invoqué au procès, ce qui portait atteinte au principe d’égalité entre les parties . Selon l’auteur, ce moyen était étayé de preuves documentaires comme la photocopie de l’emballage de l’envoi dépourvu de toute étiquette, le procès ‑verbal de l’ouverture de l’envoi, qui ne faisait pas mention de l’étiquette verte, ou l’accusé de réception de l’envoi, qui contenait une description des caractéristiques extérieures du paquet dans laquelle n’était mentionnée aucune étiquette.

3.2 L’auteur dénonce également une violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte, étant donné que: i) la réouverture du paquet en Espagne n’a pas été faite en présence d’un juge; ii) la preuve à charge obtenue en violation de la loi ne pouvait pas être retenue contre lui; iii) le fait que le paquet était muni d’une étiquette verte C ‑1 a été introduit arbitrairement dans la déclaration de culpabilité, si bien qu’il n’a pas pu contester cet élément de preuve au procès. Il affirme que l’appréciation de la preuve par l’ Audiencia Provincial de Majorque a été totalement arbitraire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

4.1 Dans une note verbale du 30 janvier 2006, l’État partie présente ses observations sur la recevabilité de la communication. L’État partie affirme que la communication est irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes, l’auteur n’ayant pas formé un recours en amparo . Il ajoute que la communication est irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications, qu’elle est manifestement dénuée de fondement et qu’elle a déjà été examinée par une autre instance internationale de règlement, la Cour européenne des droits de l’homme.

4.2 Selon l’État partie, les recours internes n’ont pas été épuisés puisque le Tribunal constitutionnel n’a pas eu la possibilité de se prononcer par la voie de l’ amparo sur l’étendue du réexamen effectué en cassation dans le cas d’espèce. L’État partie cite l’arrêt du Tribunal constitutionnel du 3 avril 2002 (STC 70/02, première chambre), lequel a estimé que:

«…il existe une assimilation fonctionnelle entre le pourvoi en cassation et le droit à l’examen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation énoncé au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, à condition de faire une interprétation large des possibilités d’examen au stade de la cassation, et de ne pas interpréter le droit reconnu dans le Pacte comme étant le droit à un nouveau procès en deuxième instance, mais le droit à un réexamen par une juridiction supérieure de la conformité avec la loi du jugement rendu en première instance… (…). Il est faux d’affirmer que notre régime de cassation se limite à l’analyse de questions de droit et de forme et ne permet pas de réexaminer les preuves (…). Actuellement, en vertu de l’article 852 (de la loi de procédure pénale), le pourvoi en cassation peut être formé dans tous les cas en invoquant la violation d’un principe constitutionnel. Et, en vertu de l’article 24, paragraphe 2 (de la Constitution) (garanties de procédure et présomption d’innocence), le Tribunal suprême peut contrôler tant la licéité de la preuve administrée sur laquelle est fondé le jugement que le point de savoir si cette preuve est suffisante pour faire tomber la présomption d’innocence et le caractère raisonnable des conclusions formulées. De ce fait, (l’auteur) dispose d’une voie de recours qui permet un réexamen complet, c’est ‑à ‑dire la possibilité de faire examiner non seulement les points de droit, mais aussi les points de fait sur lesquels est fondée la déclaration de culpabilité, au moyen du contrôle de l’application des règles de procédure et d’appréciation de la preuve.».

4.3 L’État partie invoque aussi les conclusions du Comité dans les affaires Parra Corral et Carvallo Villar , dans lesquelles le Comité a estimé que le réexamen du jugement en cassation et en amparo était suffisant aux fins du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il cite également les décisions concernant les communications Bertelli Gálvez et Cuartero Casado , dans lesquelles le Comité a estimé que le pourvoi en cassation était suffisant pour répondre aux exigences du Pacte.

4.4 L’État partie relève que l’auteur reconnaît qu’il n’a pas épuisé les recours internes et prétend justifier le fait qu’il n’a pas formé un recours en amparo par une prétendue inefficacité de cette procédure. Or, à la suite des constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vázquez , le recours en amparo est désormais un recours utile puisqu’il est démontré que, dans des affaires dans lesquelles il était jusqu’alors rejeté, le Tribunal constitutionnel rend aujourd’hui une décision sur le fond. Cela n’empêche pas qu’après avoir analysé précisément l’étendue du réexamen effectué dans une affaire donnée il puisse considérer que ce réexamen a été suffisant, non seulement en ce qui concerne les points de droit mais également les points de fait. Les recours doivent exister et être disponibles, mais l’on ne saurait les qualifier d’inefficaces pour la simple raison qu’ils n’ont pas permis à l’auteur d’obtenir gain de cause. L’État partie ajoute que toute interprétation trop large du Protocole facultatif se traduirait par la possibilité de dispenser de l’obligation d’utiliser les recours internes dans le cas où il existerait une jurisprudence établie par les juridictions internes, ce qui serait de toute évidence contraire à l’esprit et à la lettre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.5 En outre, l’État partie affirme que la communication est manifestement dénuée de fondement étant donné que la décision du Tribunal suprême règle amplement les questions soulevées dans le pourvoi en cassation, en particulier celles qui portent sur la preuve à charge qui fait tomber la présomption d’innocence. La lecture de l’arrêt du Tribunal suprême montre qu’il y a eu révision complète de la déclaration de culpabilité et de la peine. Le pourvoi en cassation portait presque exclusivement sur des faits et des preuves, et le Tribunal est même allé jusqu’à admettre le moyen relatif à la valeur de la drogue saisie, et a modifié la peine en conséquence.

4.6 Enfin, l’État partie rappelle que «la même question» a été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui a rejeté la requête pour non ‑épuisement des recours internes. L’État partie renvoie à la décision du Comité dans l’affaire Ferragut Pallach c. Espagne , dans laquelle le Comité a considéré que la version espagnole du Protocole facultatif mentionnait aussi les situations dans lesquelles l’examen d’une question était achevé, et que l’État espagnol avait clairement l’intention de préserver le sens du texte espagnol du Protocole facultatif, et il a conclu que cette déclaration correspondait donc à une réserve visant à étendre le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole aux communications déjà examinées par d’autres instances internationales. En conséquence, l’État partie demande que la communication soit déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.7 L’État partie propose également que la communication soit déclarée irrecevable tant pour non ‑épuisement des recours internes, conformément aux dispositions de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, que parce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications comme prévu aux articles 2 et 3 et au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans ses commentaires du 15 mai 2006, l’auteur réaffirme que le jugement de l’ Audiencia Provincial de Palma de Majorque ne pouvait faire l’objet que d’un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, qui s’est limité à statuer sur les moyens de cassation. Le Tribunal suprême n’a réexaminé à aucun moment les éléments de preuve sur lesquels l’ Audiencia Provincial avait fondé la condamnation.

5.2 L’article 847 de la loi de procédure pénale prévoit que les jugements rendus par les A udiencias en procédure orale ne peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation que pour infraction à la loi et vice de forme. Le caractère extraordinaire de cette voie de recours empêche de contester les éléments de preuve utilisés par la juridiction de jugement et limite le réexamen de la décision aux éléments de forme et de droit. Ainsi, toute décision de la juridiction inférieure concernant les faits tenus pour établis dans le jugement est définitive, et il n’existe aucune possibilité que le tribunal de cassation procède à une nouvelle appréciation des preuves.

5.3 L’auteur explique que, se fondant sur la jurisprudence du Comité, il a formé un recours extraordinaire en révision devant le Tribunal suprême et apporté de nouveaux éléments de preuve qui démontraient l’erreur de la juridiction de jugement. Ce recours a été classé d’office, le tribunal ayant considéré que l’auteur prétendait faire réexaminer l’administration de la preuve dans sa totalité.

5.4 Selon l’auteur, l’ Audiencia Provincial de Palma de Majorque a procédé à une appréciation des faits manifestement arbitraire, ce qui constitue un déni de justice, et en cassation le Tribunal suprême s’est limité à confirmer la condamnation, en corrigeant la valeur de la drogue de manière tout aussi arbitraire. L’auteur affirme que, lors d’un pourvoi en cassation, le Tribunal suprême procède à un examen limité de la question de savoir si les conclusions de l’ Audiencia sont ou non arbitraires ou constituent un déni de justice, ce qui n’est pas conforme au paragraphe 4 ( sic ) de l’article 14 du Pacte.

5.5 Quant à l’argument de l’État partie qui affirme que les recours internes n’auraient pas été épuisés, l’auteur explique que, même s’il avait formé un recours en amparo celui ‑ci n’aurait pas abouti, et que le Tribunal constitutionnel ne peut pas revenir sur les faits tenus pour établis par la juridiction de jugement. Il soutient également que le Tribunal constitutionnel rejette les recours en amparo qui visent le réexamen d’une condamnation. Enfin il relève que, selon des données publiées dans la presse espagnole, en 2003 le Tribunal constitutionnel a rejeté 97 % des recours en amparo dont il avait été saisi. Il conclut que le recours n’avait aucune chance d’aboutir et il renvoie à la jurisprudence du Comité dans les affaires Gómez Vázquez et Joseph Semey .

5.6 Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui fait valoir que la communication a déjà été examinée par la Cour européenne, l’auteur rappelle que la Cour a déclaré sa communication irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes, au motif qu’il n’avait pas formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. Il réaffirme que l’affaire n’a donc pas été étudiée par la Cour européenne, qui n’a examiné aucune question de fond. Selon la jurisprudence du Comité, la question doit avoir été examinée par une autre instance internationale de règlement pour que ce critère d’irrecevabilité soit applicable. De plus, la Cour européenne n’aurait pas compétence à l’égard de l’Espagne pour la question du double degré de juridiction pénale puisque l’Espagne n’a pas ratifié le Protocole n o 7, qui reconnaît en son article 2 le droit à un double degré de juridiction en matière pénale.

5.7 Enfin, l’auteur dénonce une atteinte aux droits garantis au paragraphe 1 de l’article 15 et à l’article 26 du Pacte du fait que, par suite de la décision du Tribunal suprême qui a porté à 750 grammes de cocaïne la quantité de drogue constituant une circonstance aggravante, les tribunaux prononcent une peine de trois ans à six ans d’emprisonnement pour atteinte à la santé publique quand la quantité de cocaïne saisie est inférieure à 750 grammes. L’auteur allègue que, pour une quantité d’environ 400 grammes de cocaïne, il exécute actuellement une peine de dix ans, bien qu’il ait demandé une réduction de peine par les voies légales. Il conclut que l’État partie a violé les principes d’égalité et de non ‑discrimination.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité prend note des griefs tirés des paragraphes 1 et 2 de l’article 14, relatifs à l’ouverture prétendument illégale du paquet en Espagne et à la mention arbitraire dans le jugement en première instance de l’existence d’une étiquette verte C ‑1. Le Comité considère que ces griefs se rapportent pour l’essentiel à l’appréciation des éléments de fait et de preuve effectuée par les tribunaux espagnols. Il rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il appartient en principe aux juridictions des États parties d’apprécier les faits et les preuves, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice . Le Comité considère que l’auteur n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que la décision des tribunaux de l’État partie était entachée d’arbitraire ou constituait un déni de justice, et cette partie de la communication doit donc être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3 En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 15 et de l’article 26, formulé par l’auteur au motif qu’il exécute une peine supérieure à celle qui serait appliquée aujourd’hui par les tribunaux pour la quantité de drogue saisie, le Comité note que l’auteur n’a pas apporté de renseignements sur les recours qu’il aurait tenté de former devant les juridictions internes à cet égard. Le Comité estime donc que cette partie de la communication est elle aussi irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4 Quant à l’argument de l’État partie qui objecte que la communication est irrecevable parce que la même question a été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité note que la Cour n’a pas examiné l’affaire au sens de l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, puisque sa décision était fondée uniquement sur des questions de forme et qu’elle n’a pas examiné le fond . En conséquence, le Comité estime qu’il n’existe aucun obstacle au regard de l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, tel que modifié par la réserve de l’État partie.

6.5 Le Comité prend note des allégations de l’État partie, qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés puisque les griefs soumis au Comité n’ont jamais été présentés devant le Tribunal constitutionnel, et qu’à la suite de la décision rendue dans l’affaire Gómez Vázquez le recours en amparo est désormais un recours utile. Le Comité constate que l’arrêt du Tribunal suprême dans l’affaire concernant l’auteur est antérieure à sa propre décision dans l’affaire Gómez Vázquez . Il rappelle également sa jurisprudence constante selon laquelle seuls doivent être épuisés les recours internes ayant une chance raisonnable d’aboutir . Le recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel n’avait aucune chance d’aboutir relativement au grief de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte; en conséquence, le Comité considère que les recours internes ont été épuisés.

6.6 Le Comité prend note des griefs de l’auteur, qui invoque une violation du paragraphe 5 de l’article 14 au motif que le Tribunal suprême n’aurait pas procédé à un réexamen complet de la décision de l’ Audiencia Provincial et se serait limité à statuer sur les moyens du pourvoi en cassation sans réexaminer les preuves sur lesquelles était fondée la condamnation , rejetant en particulier le moyen relatif à la mention d’un fait non prouvé dans le jugement de l’ Audiencia , à savoir l’existence de l’étiquette verte C ‑1, au motif que cette question était soulevée pour la première fois en cassation. Cependant, le Comité constate que le Tribunal suprême a procédé à un réexamen de la décision rendue par l’ Audiencia Provincial et que ce réexamen portait essentiellement sur les éléments de fait et de preuve. Il observe que, comme le souligne l’État partie, le Tribunal a même apprécié le moyen fondé sur l’erreur de fait relative à l’évaluation de la drogue saisie, et qu’il a rectifié cette évaluation et réduit considérablement l’amende infligée en première instance. Quant au moyen relatif à l’existence d’une étiquette verte C ‑1, le Comité fait observer que le Tribunal a estimé que la question avait été soulevée tardivement et qu’il existait en tout état de cause une preuve documentaire suffisante, le document signé par deux fonctionnaires du service des douanes confirmant l’existence de cette étiquette. Le Comité conclut qu’il ressort de l’arrêt du Tribunal suprême que ce dernier a accordé l’attention voulue aux arguments avancés par l’auteur, examinant dans le détail les éléments de fait et de preuve invoqués dans le pourvoi, et qu’il a procédé à un réexamen complet du jugement de l’ Audiencia Provincial . Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que la plainte de l’auteur au titre du paragraphe 5 de l’article 14 n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, et il conclut qu’elle est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

W. Communication n o 1419/2005, Lorenzo c. Italie * (Décision adoptée le 24 juillet 2007, quatre ‑ving ‑dixième session)

Présentée par :

Francesco de Lorenzo (représenté par un conseil, Andrea Saccucci)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Italie

Date de la communication :

1 er février 2005 (date de la lettre initiale)

Objet : Procès d’un ancien ministre pour des faits de corruption

Questions de procédure : Examen antérieur de l’affaire par la Cour européenne des droits de l’homme

Questions de fond : Jugement par un tribunal indépendant et impartial

Articles du Pacte : 2 (par. 1), 14 (par. 1, 3 d) et 5), 26

Article du Protocole facultatif : 5 (par. 2 a))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 1 er février 2005, est Francesco de Lorenzo. Il affirme être victime de violations par l’Italie du paragraphe 1 de l’article 2, des paragraphes 1, 3 d) et 5 de l’article 14, et de l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Italie le 15 décembre 1978. L’auteur est représenté par un conseil, M. Andrea Saccucci.

Exposé des faits

2.1 L’auteur a été Ministre de la santé de l’Italie de 1989 à 1992. En 1993, les parquets de Naples et de Milan ont ouvert une enquête sur le financement illégal de partis politiques, à l’issue de laquelle plusieurs accusations ont été portées contre l’auteur. Le 12 mai 1994, le juge chargé de l’enquête préliminaire de Naples a ordonné le placement de l’auteur en détention provisoire. L’auteur s’est pourvu en cassation contre cette décision et a demandé que l’affaire soit transmise au Collège pour les infractions ministérielles (ci ‑après le «Collège») au motif que les chefs d’inculpation retenus contre lui concernaient certaines activités qu’il aurait menées dans l’exercice de ses fonctions ministérielles. Le 20 juillet 1994, la Cour de cassation a fait droit à sa demande et renvoyé l’affaire devant le Collège institué près le tribunal de Naples. Le 6 août 1994, le Collège a placé l’auteur en détention provisoire. Alléguant le manque d’impartialité et d’indépendance du Collège, l’auteur a protesté contre sa détention et demandé sa libération. Le 5 septembre 1994, le Collège a rejeté cette demande, affirmant qu’il était un organe judiciaire indépendant.

2.2 Le 29 octobre 1994, le Collège a séparé la procédure concernant l’auteur de celle qui visait les autres coïnculpés. L’auteur a été renvoyé en jugement devant le tribunal de Naples pour répondre de 97 chefs d’accusation, notamment de corruption, de violations de la loi sur le financement des partis politiques et d’association de malfaiteurs, aggravée par la participation à l’entente de plus de 10 personnes.

2.3 Le procès a duré de novembre 1994 à mars 1997. Le 16 décembre 1994, l’auteur a contesté la constitutionnalité de la loi n o 219 de 1989, invoquant une violation du droit de toute personne d’être entendue par un tribunal indépendant et impartial, garanti par la Constitution de l’Italie, car cette loi habilitait le Collège à cumuler les fonctions de procureur et celles de juge de l’audience préliminaire. L’auteur a en outre excipé de la nullité de l’ordonnance du 29 octobre 1994 le renvoyant en jugement au motif que le Collège n’avait pas compétence pour la rendre et il a demandé que la procédure dirigée contre lui soit jointe à celle des autres personnes inculpées. Le 27 décembre 1994, le tribunal de Naples a rejeté toutes les exceptions et requêtes de l’auteur. Le 12 janvier 1995, l’auteur a été remis en liberté pour raison de santé. Le 11 octobre 1995, il a présenté une demande de suspension des débats motivée par le traitement anticancéreux qu’il suivait, demande que le tribunal a rejetée.

2.4 Au cours du procès, 86 des coïnculpés de l’auteur qui avaient été convoqués comme témoins ont choisi de garder le silence. Conformément à l’article 513 du Code de procédure pénale italien, le tribunal de Naples a autorisé la lecture des déclarations à charge faites par ces témoins au parquet au cours de l’enquête préliminaire.

2.5 Le 8 mars 1997, le tribunal de Naples a reconnu l’auteur coupable de nombreux chefs de corruption et de violations de la loi sur le financement des partis politiques, de même que de la constitution d’une association de malfaiteurs, et l’a condamné à une peine de prison de huit ans et quatre mois ainsi qu’à une amende.

2.6 L’auteur et le parquet ont interjeté appel devant la cour d’appel de Naples. L’auteur a demandé, notamment, que la procédure de première instance soit déclarée nulle et non avenue parce que son renvoi en jugement avait été décidé par le Collège qui, selon lui, manquait d’indépendance et d’impartialité, et que la décision de séparer les procédures avait été prononcée par un organe incompétent.

2.7 La cour d’appel a rouvert l’affaire et cité à comparaître la plupart des coïnculpés. La majorité d’entre eux se sont à nouveau prévalus de leur droit de garder le silence, de sorte que les déclarations qu’ils avaient faites au cours de l’enquête préliminaire ont une nouvelle fois été utilisées. Le 7 juillet 2000, la cour d’appel a reconnu l’auteur coupable de plusieurs chefs de corruption et de violations de la loi sur le financement des partis politiques. Donnant suite à l’appel du parquet, elle a conclu que le défendeur avait appartenu à une association de malfaiteurs comprenant au moins 10 autres personnes. Elle a rejeté les exceptions de l’auteur tirées de l’incompétence du Collège pour se prononcer sur son renvoi en jugement et sur la séparation des procédures. Elle a réduit la peine de l’auteur à sept ans, cinq mois et vingt jours d’emprisonnement. L’auteur s’est pourvu en cassation contre la décision de la cour d’appel.

2.8 Le 14 juin 2001, la Cour de cassation a relaxé l’auteur de certains des chefs d’inculpation retenus contre lui et a réduit sa peine à quatre ans, dix mois et dix jours d’emprisonnement. Elle n’a pas renvoyé l’affaire devant la cour d’appel, mais a néanmoins écarté la circonstance aggravante qui avait été retenue pour le chef d’association de malfaiteurs.

2.9 Le 14 février 2002, l’auteur a introduit devant la Cour de cassation un recours pour rectification d’erreur, alléguant que la Cour aurait dû renvoyer son affaire devant la cour d’appel pour ce qui concernait le chef d’appartenance à une association de malfaiteurs. Le 27 mars 2002, la Cour de cassation a déclaré ce recours irrecevable.

2.10 Le 21 juillet 2000, le tribunal de Naples avait déjà relaxé certains des coïnculpés de l’auteur. Le 7 mai 2004, la cour d’appel de Naples a débouté l’auteur de sa demande de réouverture du procès fondée sur l’existence d’une contradiction entre sa condamnation et la relaxe des autres inculpés dans le cadre de procédures séparées.

2.11 Dans le cadre d’une autre procédure pénale en instance contre l’auteur, le Collège avait sollicité, le 24 mai 2001, l’avis de la Cour constitutionnelle quant à la constitutionalité de la loi n o 219 de 1989 l’autorisant à exercer simultanément les fonctions de procureur et celles de juge de l’audience préliminaire. Par son arrêt n o 134 du 11 avril 2002, la Cour constitutionnelle a considéré que le Collège aurait dû transmettre le dossier au parquet, qui aurait dû ensuite demander le renvoi en jugement devant le juge normalement compétent. Elle a admis que la loi n o 81 de 1987 de même que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme prescrivaient la séparation des fonctions d’enquête et de jugement.

2.12 Le 7 avril 2003, le Ministre de la justice de l’époque a déclaré que l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle était la seule qui soit compatible avec les principes constitutionnels de l’égalité, de la présomption d’innocence et de l’équité du procès, mais il a noté par ailleurs que l’arrêt de la Cour ne pouvait s’appliquer rétroactivement à des procédures déjà achevées, notamment à celle qui visait l’auteur.

2.13 Le 31 janvier 2001, l’auteur a introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, alléguant ce qui suit:

Sa condamnation sur la base de déclarations de témoins qu’il n’avait pas eu la possibilité d’interroger constituait une violation des articles 6 1) et 6 3) d) de la Convention européenne des droits de l’homme ;

Le refus d’ajournement des débats pendant qu’il suivait un traitement anticancéreux constituait une violation des articles 6 1) et 6 3) c) de la Convention ;

La lecture par le représentant du parquet devant le tribunal de Naples de plusieurs déclarations faites par les coïnculpés au cours de l’enquête préliminaire constituait une violation de l’article 6 1) de la Convention;

Le caractère imprécis des accusations portées contre lui et la modification de la qualification juridique de l’une d’elles au cours de la procédure constituaient une violation des articles 6 1) et 6 3) a) et b) de la Convention ;

Le manque d’impartialité et d’indépendance du «Collège pour les infractions ministérielles» constituait une violation de l’article 6 1) de la Convention;

La différence de traitement entre l’auteur et les autres inculpés, en particulier pour ce qui est de l’application de nouvelles règles concernant la recevabilité des éléments de preuve recueillis au cours de l’enquête, constituait une violation de l’article 14, lu conjointement avec l’article 6 de la Convention ;

Le fait que l’auteur avait été contraint de comparaître à son propre procès malgré ses problèmes de santé constituait une violation des articles 3 et 8 de la Convention ;

Le fait que sa condamnation du chef de constitution d’une association de malfaiteurs n’avait pas été examinée au fond par une juridiction supérieure constituait une violation de l’article 2 du Protocole n o 7 à la Convention .

2.14 Le 12 février 2004, la Cour européenne a déclaré la majorité de ces griefs manifestement mal fondés. Le grief concernant le manque d’impartialité du Collège a été déclaré incompatible ratione materiae avec l’article 6 de la Convention car les garanties prévues par cet article s’appliquent uniquement aux juridictions appelées à décider d’une accusation en matière pénale . En conséquence, le grief similaire tiré de l’article 14, lu conjointement avec l’article 6, a également été déclaré irrecevable comme étant incompatible ratione materiae avec la Convention.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur dénonce une violation du paragraphe 1 de l’article 14 en raison du manque d’impartialité du Collège, ainsi que du paragraphe 1 de l’article 2, et de l’article 26, en raison du caractère discriminatoire de la procédure spéciale visant les infractions ministérielles.

3.2 L’auteur allègue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 au motif que le représentant du parquet a donné lecture, à la première audience, de déclarations faites au cours de l’enquête préliminaire.

3.3 L’auteur invoque une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du fait que le refus du tribunal d’ajourner les débats l’a privé du droit de participer activement et efficacement au procès.

3.4 L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 5 de l’article 14 au motif qu’il s’est vu refuser le droit à un réexamen de sa condamnation et de sa peine pour appartenance à une association de malfaiteurs, la Cour de cassation n’ayant pas renvoyé l’affaire devant la juridiction de jugement aux fins du réexamen de sa condamnation.

3.5 L’auteur dénonce une violation du paragraphe 1 de l’article 2, de l’article 26 et des paragraphes 1 et 3 de l’article 14 en raison de l’application discriminatoire des nouvelles règles en matière de preuve adoptées après l’achèvement de son procès. Selon lui, la différence dans l’application de ces règles a entraîné une différence de traitement entre lui ‑même et les autres inculpés, en violation du principe de l’égalité devant la loi.

3.6 L’auteur affirme qu’il a épuisé les recours internes et que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance international e d’enquête ou de règlement. Pour ce qui est de la réserve émise par l’ État partie à propos du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, il fait valoir que la requête qu’il avait introduite auprès de la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas été «examinée» par la Cour étant donné que certains des griefs qui y étaient formulés ont été déclarés incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et que d’autres ont été déclarés manifestement mal fondés et donc irrecevables. Si les faits dénoncés au regard du Pacte sont les mêmes que ceux qui ont été soumis précédemment à la Cour européenne, l’auteur affirme que les droits violés et les arguments de droit sont sensiblement différents de ceux qui ont été invoqués dans le cadre de la procédure devant la Cour européenne ou n’ont pas été «examinés» par cette dernière.

Observations de l’ État partie sur la recevabilité

4.1 Par une note verbale datée du 18 juillet 2006, l’ État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif qu’il avait émis une réserve au sujet du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il relève que les griefs formulés par l’auteur au titre du Pacte et ceux qu’il avait soumis précédemment au titre de la Convention européenne des droits de l’homme se recoupent en grande partie et sont tirés des mêmes droits. La «même question» a donc clairement été soumise à la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a «examinée» avec attention.

4.2 L’État partie observe que l’auteur lui ‑même admet que la même question a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme, même s’il prétend que ses arguments de droit sont « sensiblement différents de ceux qui ont été invoqués dans le cadre de la procédure devant la Cour européenne ». L’État partie rappelle que, selon la jurisprudence constante du Comité, une question est réputée avoir été examinée lorsque les parties, les griefs énoncés et les faits invoqués pour les justifier sont les mêmes. Le Comité n’a jamais considéré que «les mêmes arguments de droit» étaient l’un des éléments caractérisant la notion de «même question» . En tout état de cause, il est difficile de discerner le moindre argument de droit véritablement nouveau dans la mesure où les griefs formulés et l’argumentation juridique de l’auteur, ainsi que les faits invoqués pour les justifier, sont strictement identiques à ceux qui figurent dans sa requête auprès de la Cour européenne. L’État partie note en outre que ce sont les mêmes droits qui sont invoqués devant le Comité.

4.3 En ce qui concerne les deux griefs qui ont été déclarés irrecevables car incompatibles ratione materiae avec la Convention, l’ État partie relève que la Cour européenne les a en fait examinés en détail et qu’elle a abouti à la conclusion que les arguments présentés par l’auteur pour attester le manque d’indépendance et d’impartialité des juridictions nationales avaient trait non pas de manière directe au comportement de la juridiction de jugement, mais à celui du parquet ou du Collège ayant déterminé si l’ancien ministre pouvait être renvoyé en jugement. Eu égard à cet examen détaillé, les deux griefs considérés ne peuvent faire l’objet d’un nouvel examen par le Comité. En tout état de cause, l’ État partie affirme que ces griefs sont également incompatibles ratione materiae avec les dispositions du Pacte au sens de l’article 3 du Protocole facultatif. Le Pacte ne vise en effet que les situations où il s’agit de décider des contestations sur des droits et obligations de caractère civil et ses dispositions ne s’appliqueraient pas à l’appréciation abstraite de l’indépendance et de l’impartialité d’un organe tel que le Collège. Celui ‑ci s’est uniquement prononcé sur le point de savoir si l’auteur pouvait passer en jugement, le procès ordinaire ayant été mené par des juridictions régulières dont la conduite a été examinée par la Cour européenne.

4.4 Enfin, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles puisqu’il n’a pas contesté la composition du Collège.

Commentaires de l’auteur

5.1 Par une lettre datée du 30 décembre 2006, l’auteur réitère que la «question» dont le Comité est saisi n’est pas «la même» que celle que la Cour européenne a déjà «examinée». Il insiste sur le fait que la Cour n’a pas «examiné» les griefs qu’elle a déclarés incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention européenne. En tout état de cause, il rappelle que certains de ses griefs concernent des droits et libertés qui ne sont pas expressément consacrés par la Convention ou qui sont protégés d’une manière clairement restrictive par rapport aux droits et libertés correspondants garantis par le Pacte.

5.2 En ce qui concerne l’allégation de non ‑épuisement des voies de recours internes, l’auteur réaffirme qu’il s’est prévalu de tous les recours utiles dont il disposait.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a vérifié qu’une plainte similaire déposée par l’auteur avait été déclarée irrecevable par la Cour européenne des droits de l’homme le 12 février 2004 (requête n o 69264/01). La plupart des griefs formulés ont été déclarés irrecevables au motif qu’ils étaient manifestement mal fondés, et d’autres ont été déclarés irrecevables parce qu’ils étaient incompatibles ratione materiae avec la Convention européenne des droits de l’homme. Le Comité rappelle en outre qu’au moment de son adhésion au Protocole facultatif, l’État partie a formulé une réserve à propos du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif à l’effet d’indiquer que le Comité «n’a pas compétence pour examiner une communication d’un particulier si la même question est examinée ou a déjà été examinée par d’autres instances internationales d’enquête ou de règlement».

6.3 Dans le cas d’espèce, le Comité est saisi de la «même question» que la Cour européenne. Quant au point de savoir si la Cour a «examiné» la même question, le Comité relève que la Cour a conclu à l’irrecevabilité de la plupart des griefs formulés par l’auteur au motif qu’ils étaient manifestement mal fondés (voir par. 2.14 ci ‑dessus), ce dont elle s’est amplement expliquée. Le Comité conclut à ce propos que la Cour a effectivement «examiné» la plupart des allégations de l’auteur et que la réserve émise par l’État partie au sujet du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif s’applique . Pour ce qui est du grief restant de l’auteur concernant le Collège, déclaré irrecevable par la Cour européenne au motif qu’il était incompatible ratione materiae avec la Convention, le Comité considère que la Cour n’a pas examiné ce grief au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 .

6.4 Le Comité prend note de l’argument de l’État partie concernant le non ‑épuisement des recours internes, mais il considère que l’auteur a épuisé ces recours étant donné qu’il a soulevé la question de l’indépendance et de l’impartialité du Collège devant le Collège lui ‑même, devant la cour d’appel de Naples et devant la Cour constitutionnelle. Néanmoins, le Comité relève que, selon la Cour européenne des droits de l’homme, le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme a pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un tribunal compétent pour «décider» du bien ‑fondé de l’accusation et que les garanties d’indépendance et d’impartialité propres au procès équitable concernent uniquement les juridictions appelées à décider de l’innocence ou de la culpabilité d’un prévenu . De même, le Comité estime que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte s’applique principalement aux «tribunaux et cours de justice» qui rendent des jugements en matière pénale. Dans la présente affaire, le Collège pour les infractions ministérielles pouvait uniquement se prononcer sur le renvoi de l’auteur en jugement, et non sur sa culpabilité au regard des faits qui lui étaient reprochés. C’est une juridiction particulière qui a exercé les fonctions de procureur et celles de juge de l’audience préliminaire, et l’auteur avait demandé lui ‑même que l’affaire soit transmise au Collège. Dans ces circonstances, le Comité estime que cette partie de la communication est irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5 Pour ce qui est du grief connexe formulé par l’auteur au titre de l’article 26 à propos du caractère discriminatoire de la procédure spéciale visant les infractions ministérielles, le Comité relève que c’est l’auteur lui ‑même qui a demandé que l’affaire soit transmise au Collège (voir de nouveau par. 2.1 ci ‑dessus). L’auteur est censé avoir fait cette demande en pleine connaissance des compétences attribuées au Collège par la loi n o 219 de 1989. Le Comité considère que l’auteur n’a pas établi en quoi le transfert de l’affaire au Collège constituait une discrimination. Il estime par conséquent que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief de violation de l’article 26 aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 et du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

X. Communication n o 1424/2005, Anton c. Algérie * (Décision adoptée le 1 er novembre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Armand Anton (représenté par un conseil, Alain Garay)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Algérie

Date de la communication :

24 novembre 2004 (date de la lettre initiale)

Objet : Dépossession de biens suite à la déclaration d’indépendance de l’État partie

Questions de procédure : Irrecevabilité ratione temporis ; irrecevabilité ratione materiae

Questions de fond : Droit des peuples de disposer librement de leurs richesses et ressources naturelles; droit de choisir librement sa résidence; immixtion arbitraire ou illégale, combinée à une atteinte à l’honneur et la réputation; violation du droit des minorités; discrimination dans le cadre de la dépossession et le droit à la propriété

Articles du Pacte: 1, 12, 17, 27, 2 (par. 1) et 26, pris isolément ou conjointement, 26 et 17 conjointement, 5

Articles du Protocole facultatif : 1, 3

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1 er novembre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 24 novembre 2004, et complétée par des commentaires du 10 janvier 2005 et du 1 er septembre 2005, est Armand Anton . M. Anton est né le 18 novembre 1909 à Oran en Algérie, de nationalité française. Il se déclare victime de violations par l’Algérie des articles 1, 12, 17, 27, ainsi que du paragraphe 1 de l’article 2 et l’article 26, pris isolément ou en combinaison, et des articles combinés 26 et 17, et de l’article 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, Alain Garay. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989. Le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications du Comité a décidé que la question de la recevabilité serait examinée séparément de celle du fond.

Exposé des faits

2.1 Armand Anton est né et a vécu en Algérie comme citoyen français. Il y créa les «Établissements Bastos ‑Anton» et «Établissements Armand Anton», se consacrant au négoce de pièces et accessoires pour automobiles et tracteurs, de fournitures industrielles, d’articles pour caves et caoutchouc manufacturé. Il devint agent immobilier en 1956, et créa une société civile dans le but de procéder à la construction et à la mise en vente de deux immeubles à Oran. La société a, par la suite, acquis de nombreux lots à Oran. L’auteur quitta l’Algérie pour la France le 14 juillet 1962, après la déclaration d’indépendance de l’Algérie le 3 juillet 1962.

2.2 La France mit en place un dispositif légal d’indemnisation des biens spoliés pour les Français qui ont quitté l’État partie, suite aux «Accords d’Évian» signés le 18 mars 1962 entre trois ministres français et les représentants algériens. Il a bénéficié de la loi du 26 décembre 1961 relative à l’accueil et à la réinstallation des Français d’outre ‑mer , et a formulé le 21 décembre 1962 une demande de protection de ses biens en Algérie auprès de l’Agence de défense des biens et intérêts des rapatriés . Aux termes de l’ordonnance du 12 septembre 1962 , il souscrit à deux mandats avec les autorités françaises, donnant mandat à l’Agence d’accomplir toute mesure conservatoire nécessaire. Le premier en date du 4 mars 1965 sous le n o 159232 visait tous les matériels d’entreprise et de bureau lui appartenant. Le deuxième en date du 3 juin 1965 sous le n o 172273/IM portait sur 12 appartements et 10 locaux commerciaux. Le conseil indique que les autorités françaises ne prirent finalement aucune mesure conservatoire de nature à en garantir la propriété à l’auteur.

2.3 L’auteur a également bénéficié de la loi du 15 juillet 1970 instituant la contribution nationale à l’indemnisation des Français dépossédés de leurs biens. L’auteur s’est vu attribuer un numéro de dossier 34F008811 par l’Agence nationale d’indemnisation des Français d’outre ‑mer (ANIFOM), administration d’État française, portant sur les biens qu’il possédait en Algérie. Par décision n o 148099 du 17 juin 1977, l’ANIFOM a donné lieu au versement d’une indemnité à titre d’avance très inférieure à leur valeur réelle. Ces mesures françaises ressortent des articles 2 et 12 de la loi n o 70 ‑632 du 15 juillet 1970. L’auteur a par la suite reçu des compléments d’indemnités en raison des lois du 2 janvier 1978 et 16 juillet 1987 .

2.4 L’intervention par la France n’a pas permis à l’auteur d’obtenir une indemnisation équitable correspondant à la valeur en 1962 des biens spoliés, alors que l’État partie était souverain et indépendant depuis 1962. Il relate l’histoire de l’indépendance de l’État partie, et indique que l’État partie n’a pas pu ou voulu assumer après le 18 mars 1962, date des «Accords d’Évian», ses responsabilités dont la sécurité et la protection des intérêts moraux et matériels au bénéfice des populations domiciliées en Algérie. En particulier, les Accords d’Évian et leurs garanties ne furent pas suivis, alors que le chef de la délégation algérienne déclarait que «la délégation algérienne, mandatée par le Conseil national de la révolution algérienne et au nom du Gouvernement algérien, s’engage à respecter ces accords politiques et militaires et à veiller à leur application». Le conseil se réfère, entre autres, au texte de la question soumise au référendum le 1 er juillet 1962 et à un ouvrage de 1964 (la Consultation ) pour conclure que les déclarations d’Évian se sont transformées en un acte conventionnel du droit international par l’effet de ce référendum.

2.5 Quant aux dispositions mises en place par l’État partie pour les biens des personnes ayant quitté son territoire, le conseil distingue plusieurs périodes en se reposant sur l’analyse dans la Consultation . Pendant la première, de juillet à septembre 1962, les dépossessions ne résultent d’aucun texte. Elles sont le fait d’individus isolés, de groupes d’individus, voire d’autorités locales sans mandat, mais dont les initiatives ne provoquent aucune réaction caractérisée de l’État partie. Ensuite, l’ordonnance du 24 août 1962 règle le sort des biens vacants (dont l’usage, l’occupation et la jouissance ne sont plus exercés depuis plus de deux mois par le titulaire légal) et les place sous l’administration des préfets. Elle a pour objet de conserver les biens et réserver les droits des propriétaires. Dans la plupart des cas, elle aboutit à donner un support légal à l’état de fait qui s’était créé et à le perpétuer, ainsi qu’à de nouvelles dépossessions, décisions à l’appréciation des préfets qui ne sont assujetties à aucune garantie ou formalité préalable, et sans voie de recours effective. Cependant, la Consultation indique que quelques restitutions furent ordonnées et effectivement réalisées. Ensuite, le décret du 23 octobre 1962 interdit et annule tous les contrats de vente de biens vacants, y compris les ventes et locations conclues à l’étranger depuis le 1 er juillet 1962. Les biens ayant fait l’objet d’une annulation retombent dans le cadre des biens vacants au sens de l’ordonnance du 24 août 1962. Le décret du 18 mars 1963 apporte des conditions et garanties pour la déclaration de vacance, et prévoit une voie de recours . Ces recours n’étaient pas efficaces car les magistrats qui en furent saisis s’accordèrent de longs délais avant de se prononcer, et des dispositions nouvelles ont fait pratiquement disparaître toute garantie juridictionnelle. En effet, le décret du 9 mai 1963 a écarté toute possibilité de recours, à part une procédure devant une commission départementale , et ajoute à la notion de vacance celle très vaste d’ordre public et de paix sociale, conférant aux autorités un pouvoir d’appréciation quasi souverain. Du point de vue procédural, les présidents des tribunaux saisis en référé en vertu du décret du 18 mars 1963 se sont déclarés incompétents, puisque désormais la gestion des biens était assurée d’après un texte nouveau qui ne prévoyait pas la possibilité de saisir le juge des référés. Enfin, les commissions de recours gracieux prévues par le texte ne furent jamais mises en place.

2.6 L’auteur cite la Consultation , qui estime qu’en l’absence de limite de temps assignée aux mesures de ces textes, il fut état, en réalité, d’une expropriation déguisée, même si en droit strict les titulaires de biens n’ont pas perdu le droit de propriété. La Consultation indique également que le texte sur la nationalisation des exploitations agricoles (décret du 1 er octobre 1963 ) est muet sur la question de l’indemnisation, et que toutes les propriétés appartenant à des étrangers sont transférées à l’État , contrairement aux exigences des Accords d’Évian qui interdisaient toute discrimination et demandaient une indemnisation préalable et équitable à toute expropriation. Enfin, le conseil estime que l’avis n o 16 Z.F., relatif au transfert du produit de la réalisation des récoltes des biens appartenant antérieurement à des agriculteurs français et nationalisés par le décret du 1 er octobre 1963 , est l’unique mesure officielle d’indemnisation consentie aux Français spoliés. L’avis verse à titre de dédommagement social 10 millions d’anciens francs à répartir aux maraîchers et cultivateurs. Cependant, pour les biens vacants les négociations n’ont pas abouti . L’auteur a contacté la Direction du Centre d’orientation et de reclassement des rapatriés le 21 décembre 1962 à Alger pour obtenir des informations sur les mesures à prendre pour défendre ses biens.

Teneur de la plainte

3.1 Les violations en cause sont de six ordres: a) la privation des biens et des moyens de subsistance de la minorité française spoliée (art. 1 du Pacte); b) l’anéantissement du droit de choisir librement sa résidence en Algérie (art. 12); c) l’immixtion illégale dans le domicile des requérants en Algérie, combinée à une atteinte à leur honneur et à leur réputation (art. 17); d) violation des droits des requérants en considération de leurs situations minoritaire et culturelle (art. 27); e) mesures discriminatoires fondées sur l’atteinte à des droits relevant d’un traitement étatique différencié et non justifié dans le cadre de la dépossession des biens (art. 2, par. 1, et 26 isolément ou en combinaison, art. 17 et 26 combinés); et f) atteinte discriminatoire au droit de propriété de l’auteur (art. 5). L’auteur estime que les droits des particuliers acquis sous l’État prédécesseur doivent être sauvegardés par l’État successeur, que ce principe fait partie du droit international commun , et que la méconnaissance du principe des droits acquis est de nature à engager la responsabilité internationale d’un État . En pratique, les droits de propriété des ressortissants français rapatriés d’Algérie devaient être maintenus et sauvegardés par l’État partie, ce qui n’a pas été le cas.

3.2 Concernant l’épuisement des voies de recours internes, l’auteur estime que ces voies sont vouées à l’échec. Premièrement, l’absence d’installation de la Cour des garanties prévue par les Accords d’Évian a résulté en une impasse procédurale, alors qu’elle devait ordonner des enquêtes, prononcer l’annulation de textes contraires à la Déclaration des garanties , et se prononcer sur toute mesure d’indemnisation. Deuxièmement, en fonction de la disposition d’ordre réglementaire qui autorise la dépossession, certaines voies de recours sont ouvertes, mais d’autres décrets les ont fermées (voir ci ‑dessus par. 2.5). Référence est faite à une note de M. le Secrétaire général du Gouvernement de l’État partie du 11 mars 1964, qui indique qu’en adoptant le décret du 9 mai 1963, «le Gouvernement était animé du souci de mettre un terme à la saisine des tribunaux». Il relève que, de ce fait, les commissions départementales se sont bornées à instruire l’affaire et à émettre un avis, la décision finale revenant à la commission nationale présidée par le Ministre de l’intérieur. Cependant cette commission n’a jamais été instituée. Il estime également que même si des voies de recours existent (par exemple les tribunaux administratifs pour les exploitations agricoles), ils ne peuvent prospérer sur le fond.

3.3 La Consultation indique que les recours suivants pouvaient être théoriquement exercés par les propriétaires lésés. Premièrement, devant la Cour suprême : 1) recours en annulation contre les décrets ayant institué le régime des biens vacants, contre le décret du 9 mai 1963 et contre celui du 1 er octobre 1963; 2) recours contre les décisions de la commission nationale statuant sur les recours formés contre les mesures d’application du décret du 9 mai 1963; 3) recours contre les arrêtés préfectoraux pris en application du décret du 1 er octobre 1963; 4) recours contre les arrêtés de déclaration de vacance; 5) pourvoi en cassation contre les arrêts de cour d’appel ayant statué dans le cadre de la procédure instituée par l’article 7 du décret du 18 mars 1963; et 6) recours pour excès de pouvoir lorsque l’appréhension des biens est la conséquence d’un acte administratif. Deuxièmement, devant le juge des référés, un recours était possible contre les arrêtés de déclaration de vacance qui pourraient être pris dans l’avenir. Enfin, devant les commissions instituées par le décret du 9 mai 1963, un recours administratif contre les arrêtés plaçant les biens sous protection de l’État et contre les déclarations de vacance était possible. Trois procédures furent engagées devant le président du tribunal de grande instance d’Alger en vertu du décret du 18 mars 1963 , et gagnées dans le sens où soit les arrêtés furent annulés, ou le tribunal ordonna une expertise qui a conclu un défaut de vacance. Encouragés par ces trois ordonnances, de nombreuses autres procédures furent engagées, mais les décisions favorables ne purent être exécutées. Les recours introduits en vertu du décret du 9 mai 1963 n’ont jamais abouti, car les commissions n’ont jamais été constituées. Deux arrêts ont été rendus en mai 1964, infirmant l’ordonnance du président du tribunal d’Alger et considérant que le juge des référés demeurait compétent pour les litiges relevant du décret du 18 mars 1963. La cour de Constantine a été également saisie de deux appels, mais les arrêts n’ont pas encore été rendus.

3.4 Ainsi, d’après la Consultation , toutes les procédures pouvant être valablement engagées l’ont été. Soit la juridiction algérienne s’est déclarée incompétente (carence par refus de juger). Soit la juridiction algérienne renvoyait devant la commission administrative prévue par le décret du 9 mai 1963, qui n’a jamais été constituée (autre carence par refus de juger). Soit la juridiction algérienne a fait droit à la demande, mais sa décision est demeurée lettre morte (carence dans l’exécution). Quant aux recours devant la Cour suprême, la Consultation conclut qu’il y a des possibilités, mais en pratique aucune chance de voir les recours pour excès de pouvoir aboutir . Le conseil estime que du fait qu’aucun Français exilé d’Algérie n’ait pu obtenir satisfaction de la dépossession subie, il revient à l’État partie de prouver le contraire . L’auteur a démontré que les recours internes n’ont aucune chance d’aboutir .

3.5 En raison des impossibilités procédurales dans l’État partie, certains Français exilés d’Algérie se sont tournés vers la France: 74 pourvois ont été rejetés par le Conseil d’État les 25 novembre 1988, 17 février 1999 et 7 avril 1999 (affaires Teytaud et autres ). Ils se sont ensuite tournés vers la Cour européenne des droits de l’homme , qui a conclu que «les requérants ont été dépossédés de leurs biens par l’État algérien, qui n’est pas partie à la Convention».

3.6 Sur la recevabilité de la communication, l’auteur argumente qu’elle émane d’un particulier relevant, au début de la violation du Pacte, de la juridiction de l’État partie , qu’il reste effectivement et personnellement victime des violations qui se poursuivent depuis 1962 et que la question soulevée n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Sur la compétence ratione temporis du Comité, le conseil estime que les effets des faits présumés contraires aux droits garantis du Pacte sont continus et permanents. Si le Comité n’a en principe pas compétence ratione temporis pour un État partie dont les actes se sont produits avant la date à laquelle le Protocole a été ratifié par cet État partie, le Comité devient compétent si lesdits actes continuent de produire des effets après l’entrée en vigueur du Protocole et continuent de violer le Pacte ou ont des effets qui constituent une violation du Pacte . Cette notion a d’ailleurs été consacrée par la Commission du droit international .

3.7 Sur le fait que l’auteur a été contraint d’attendre jusqu’en 2004 pour saisir le Comité, le conseil note que l’article 3 du Protocole déclare irrecevable «toute communication qu’il considère être un abus de droit de présenter de telles communications». D’après le conseil, le Pacte et le Protocole n’édictant aucun délai de présentation, et suite à la jurisprudence du Comité , vu que l’auteur présente des explications pour expliquer le délai, le dépôt en 2004 des communications ne constitue nullement un abus de droit de plainte. Premièrement, les recours exercés en Algérie dès 1962 devant les juridictions nationales ont échoué. Deuxièmement, l’Algérie a attendu 1989 pour ratifier le Pacte et son Protocole. Troisièmement, dès lors l’auteur et les Français exilés d’Algérie se sont naturellement, en tant que ressortissants français et pour des raisons nationales et culturelles, tournés vers les autorités nationales «naturelles», la France, à défaut de mettre en cause un État, pour lui, étranger. Quatrièmement, le recours aux procédures française et européenne (de 1970 à 2001) explique le délai qui s’est écoulé entre 1962 et 2004. Cinquièmement, en août 2001, les Français exilés d’Algérie ont été informés que tous les recours avaient été épuisés , ce qui explique le délai entre septembre 2001 et janvier 2004, date à laquelle le conseil a été sollicité pour étudier l’affaire et la présenter au Comité. Sixièmement, le 5 décembre 2002, le Président français a annoncé l’adoption d’un quatrième dispositif légal de contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui a entretenu l’illusion d’une solution définitive et complète. Or, le projet de loi n o 1499 du 10 mars 2004 ne comportait pas un dispositif de réparation relatif à l’indemnisation des biens spoliés. Enfin, le conseil se réfère à la jurisprudence du Comité sur la prescription des affaires contentieuses: «En outre, si l’existence d’une date limite peut constituer dans l’abstrait un critère objectif, voire raisonnable, le Comité ne saurait accepter qu’une telle date limite pour la présentation des demandes de restitution s’applique dans le cas des auteurs puisque, aux termes de la loi, ils étaient d’emblée expressément exclus du dispositif de restitution.» . L’exercice impossible d’une voie de recours est pour le Comité une condition suffisante pour admettre dans le temps la régularité de la procédure.

3.8 Sur l’allégation de violation de l’article premier, paragraphe 2, du Pacte, l’auteur se prévaut à titre individuel d’une série d’atteintes graves à l’exercice d’un droit collectif, celui des Français exilés d’Algérie. C’est exclusivement en raison de son appartenance à cette communauté qu’il a subi de graves atteintes à l’exercice individuel des droits collectifs, notamment ne pas pouvoir disposer librement de ses richesses et de ses ressources naturelles dont les droits immobiliers et les droits du travail.

3.9 Sur l’allégation de violation de l’article 12, le conseil estime que les conditions de la fuite d’Algérie s’assimilent à un exil . L’auteur, du fait de la législation algérienne des biens vacants et des confiscations, n’a pu fixer sa résidence en Algérie ni y demeurer. Il n’a pu librement choisir son domicile sans qu’aucune restriction conforme au paragraphe 3 de l’article 12 ne lui soit valablement notifiée. La privation du libre choix de résidence de l’auteur était incompatible avec les droits reconnus par le Pacte.

3.10 Sur l’allégation de violation de l’article 17, l’auteur fait valoir que les mesures de dépossession n’ont jamais revêtu les formes légales . Le dispositif étatique algérien dérogeait au respect du principe de légalité au sens de l’article 17. L’immixtion dans la vie privée, la famille et le domicile du requérant n’était pas autorisée par la loi algérienne. L’État n’avait aucune habilitation légale à agir comme il le fit uniquement par voie réglementaire et aucune mesure de protection légale ne fut mise en œuvre pour éviter sa fuite, son exode et son exil .

3.11 Sur l’allégation de violation de l’article 27, l’auteur revendique la qualité de minoritaire dont les droits à exercer sa propre vie culturelle, en commun avec les autres membres de son groupe, ont été anéantis en 1962. L’Observation générale n o 23 indique que «la culture peut revêtir de nombreuses formes et s’exprimer notamment par un certain mode de vie associé à l’utilisation des ressources naturelles» (par. 7), et que «la protection de ces droits vise à assurer la survie et le développement permanent de l’identité culturelle, religieuse et sociale des minorités concernées, contribuant ainsi à enrichir l’édifice social dans son ensemble» (par. 9). La question du traitement juridique du minoritaire français en Algérie avant et après le 19 mars 1962 n’a jamais été résolue dans la pratique quant à l’exercice de ses droits culturels. L’auteur a été privé de ses droits en raison de l’absence d’effectivité des garanties de la minorité française: en étant contraint à l’exil il a été empêché, au sens de Lovelace , d’exercer le droit de vivre en Algérie dans son milieu culturel et linguistique.

3.12 Sur l’allégation de violation des articles 2, paragraphe 1, et 26, pris isolément ou en combinaison, et des articles 26 et 17 combinés, le conseil rappelle que le Comité a établi une corrélation directe entre les articles 26 et 2. L’exercice de droits reconnus dans le Pacte doit rester à l’abri de discrimination entendue telle une absence de distinction fondée sur divers états ou situations. La protection de l’article 26 a un caractère autonome, et «toute différenciation ne constitue pas une discrimination, si elle est fondée sur des critères raisonnables et objectifs et si le but visé est légitime au regard du Pacte» . L’auteur est victime dans le cas d’espèce d’une confiscation continue de ses biens fondée sur une législation discriminatoire qui a frappé l’exercice de son droit de propriété sans justification objective et raisonnable. Le Comité a estimé que «la confiscation d’un bien privé ou l’absence d’indemnisation pour sa perte par un État partie au Pacte pourrait encore entraîner une violation du Pacte si l’action ou l’omission en question était fondée sur des motifs discriminatoires interdits par l’article 26» . La loi algérienne du 26 juillet 1963 relative aux biens spoliés a institué le principe général de déclaration de biens d’État, de façon sélective et discriminatoire, pour les biens ayant appartenu aux «agents de la colonisation». Les biens nationalisés, sous certaines conditions, furent ensuite restitués au seul profit des «personnes physiques de nationalité algérienne» dont les terres avaient été nationalisées, contrairement aux garanties du Pacte et la jurisprudence du Comité .

3.13 De plus, la mesure d’indemnisation du 17 mars 1964 au profit exclusif d’une catégorie spécifique de la population (les agriculteurs) constitue une discrimination dont est victime l’auteur. Elle a établi une distinction de traitement, arbitraire, que rien ne justifiait au seul profit des agriculteurs: l’obligation d’indemniser, sans traitement discriminatoire, est le corollaire du droit de nationaliser . Le Comité a décidé que «ce ne sont pas les confiscations proprement dites qui sont en cause mais le refus d’accorder réparation aux auteurs alors que d’autres plaignants ont récupéré leurs biens ou ont été indemnisés» , et que la «législation ne doit pas faire de discrimination entre les victimes des confiscations effectuées dans le passé, étant donné que toutes les victimes ont droit à réparation, sans aucune distinction arbitraire» . Il y a donc eu violation des articles 2, paragraphe 1, et 26, pris isolément ou en combinaison, et des articles combinés 26 et 17 du Pacte.

3.14 L’allégation de violation de l’article 5 du Pacte découle de la destruction des droits et libertés de l’auteur en 1962. D’après le conseil, le dispositif de l’article 5, paragraphe 2, permet aussi de soulever la mise en œuvre de l’article 17 de la Déclaration universelle. Compte tenu des allégations de violations mentionnées ci ‑dessus, il y a eu aussi violation de l’article 5.

3.15 Sur le préjudice moral et psychologique subi par le requérant, le conseil estime que la transplantation de l’auteur est constitutive d’un très grave dommage moral fondé sur une souffrance morale et une douleur affective continue, ensemble un traumatisme de la «spoliation». Ceci appelle une reconnaissance officielle par l’État partie de sa part de responsabilité dans la violation des droits fondamentaux de l’auteur. Le conseil demande expressément au Comité de constater que l’État partie, en contravention avec ses obligations résultant du Pacte et de sa propre législation nationale, est tenu de remédier à la série de violations. L’auteur estime d’abord que la satisfaction constituerait ici un mode approprié de réparation du dommage moral. Il y aurait un élément de satisfaction dans la reconnaissance du bien ‑fondé de la communication. Il ne perd cependant pas de vue l’exigence d’une réparation sous forme d’une indemnisation financière, juste et équitable , de ses biens spoliés en Algérie.

Observations de l’État partie

4. Le 17 octobre 2005, l’État partie estime que la communication doit être déclarée irrecevable. Les faits invoqués concernent une période spécifique de l’histoire de l’Algérie et sont antérieurs à la date d’adoption du Pacte (décembre 1966) et à celle de son entrée en vigueur (mars 1976). De plus, l’État partie n’est devenu partie à cet instrument en procédant à sa ratification que le 12 décembre 1989. Par ailleurs, au titre des procédures en vigueur la saisine du Comité ne peut intervenir qu’après épuisement des recours internes, ce qui ne semble pas avoir été le cas pour l’auteur, qui, en sa qualité de ressortissant français, doit, en conséquence et au préalable, s’adresser aux autorités compétentes de son pays.

Commentaires additionnels des parties

5.1 Par lettre du 10 janvier 2006, le conseil se réfère à ses explications antérieures sur le délai de présentation de la communication. En raison de la mise en place de mesures d’indemnisation par la France, l’auteur a cru que l’État partie n’était pas juridiquement responsable de la spoliation. Le principe selon lequel certaines situations matérielles suspendent l’action en prescription de l’action en indemnisation est admis en droit international. Quant à l’argument de l’État partie sur la «période spécifique de l’histoire d’Algérie», le conseil ignore en quoi cette référence à l’histoire explique l’irrecevabilité de la communication. Il demande à l’État partie d’expliquer sa référence, afin qu’il puisse y répondre. Il continue à affirmer − sans être contredit par l’État partie − l’effet continu des violations invoquées après l’entrée en vigueur du Pacte dès lors que l’État partie, contrairement aux Accords d’Évian et au droit national, n’a pas établi la Cour des garanties.

5.2 Concernant l’épuisement des recours internes, l’auteur réitère qu’il n’a jamais disposé de voies internes disponibles, adéquates et effectives en Algérie. Il rappelle la position connue − et hautement revendiquée dès la dépossession − des autorités algériennes, qui ou bien anéantissent les recours, ou bien n’en tirent pas réellement les conséquences pour mettre fin aux violations subies. L’auteur ne se doit pas d’exercer les voies de recours alors qu’aucun Français d’Algérie n’a pu obtenir satisfaction de la dépossession subie . Dans sa réponse, l’État partie n’apporte aucun moyen et conclusion au regard des éléments techniques et juridiques soulevés par l’auteur. Quant à l’argument de l’État partie qui fait valoir que l’auteur doit se tourner vers son pays (la France), s’agissant d’un contentieux relatif à des mesures publiques algériennes, le conseil questionne pour quelles raisons l’auteur se devrait de mettre en cause la France. Le conseil se réfère à son échange de correspondance avec diverses administrations françaises en 2005, qui indique que les plus hautes autorités publiques françaises opposent une fin de non ‑recevoir. L’auteur demande expressément à l’État partie de lui indiquer les voies de recours algériennes susceptibles d’être exercées afin de satisfaire à la prétendue obligation d’avoir à les épuiser.

6.1 Le 3 avril 2006, l’État partie considère que la communication constitue une grave violation du droit international en remettant en cause le principe de la décolonisation. Elle est motivée par la perte définitive du domicile et des biens ayant appartenu en Algérie à l’auteur, pourtant garantis et protégés par les dispositions dudit Pacte. Alors que l’auteur soutient que les voies de recours internes «sont vouées à l’échec et partant indisponibles», le Pacte n’est entré en vigueur que le 23 mars 1976 et n’a été ratifié par l’État partie que le 12 décembre 1989, soit vingt ‑sept ans après le départ volontaire des Français d’Algérie. Par conséquent, il ne saurait recevoir une application rétroactive, étant donné que les faits ayant motivé la présente communication remontent au mois de juillet 1962. Le principe de non ‑rétroactivité est un principe général applicable à tous les actes juridiques internationaux et leur mise en œuvre ne peut porter que sur des faits postérieurs à son entrée en vigueur. Par ailleurs, l’article 28 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 codifie la pratique internationale en ce sens: «À moins qu’une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie, les dispositions d’un traité ne lient pas une partie en ce qui concerne un acte ou fait antérieur à la date d’entrée en vigueur de ce traité au regard de cette partie ou une situation qui avait cessé d’exister à cette date.».

6.2 Subsidiairement, il ressort clairement de la communication que l’auteur n’a pas essayé d’utiliser, et encore moins épuisé, les voies de recours disponibles, non seulement au niveau des mécanismes institués par les Accords d’Évian (art. 12 et 13), mais également au niveau des administrations et des juridictions algériennes. L’auteur a quitté l’Algérie par sa volonté sur la base de son appréciation de la situation, que les événements ont contredite. Beaucoup d’autres Français ont fait le choix de rester sans qu’aucune mesure n’ait été prise à leur encontre par les pouvoirs publics algériens et ont continué à jouir en toute quiétude de leur propriété. En abandonnant leurs biens, ces derniers sont restés sans maître; cette situation portait atteinte à l’ordre public. Devant cette situation les autorités algériennes étaient dans l’obligation de trouver des solutions. De plus, l’auteur n’a versé aucun document ni aucune pièce justifiant l’exercice des voies de recours ouvertes en Algérie depuis 1962. Il se doit de «prouver qu’il a utilisé tous les recours internes disponibles pour que sa requête soit examinée», et ce conformément à l’article 76 du Règlement intérieur du Comité, et non se contenter d’affirmer qu’elles sont par avance vouées à l’échec, inefficaces et inutiles, une information qui constitue au demeurant un préjugé injustifié vis ‑à ‑vis de la justice algérienne. L’État partie n’a, à aucun moment, contesté à l’auteur le droit de faire entendre sa cause devant ses tribunaux. Le droit algérien lui reconnaît cette possibilité en même temps qu’il consacre constitutionnellement le principe de l’indépendance de la justice et a dans bon nombre de cas condamné l’État algérien à indemniser ou annuler ses actes lorsqu’ils étaient jugés contraires aux conventions internationales ou à l’ordre juridique interne. Pour ces motifs, la communication est irrecevable.

7. Par lettre du 15 juin 2006, le conseil estime que l’État partie n’a pas répondu de façon argumentée à ses commentaires. Lors de ses premières observations, l’État partie considérait que l’auteur devait se tourner vers les autorités de son pays, alors qu’il indique désormais que l’auteur pouvait saisir les tribunaux algériens, sans indiquer les tribunaux, les droits applicables ou la jurisprudence pertinente. Sur les allégations du départ considéré comme «volontaire» de l’auteur d’Algérie, et que des Français sont restés en Algérie en continuant à jouir en toute quiétude de leur propriété, le conseil note que l’État partie n’apporte aucune preuve pour soutenir son appréciation des faits. Enfin, le conseil relève que l’État partie n’a pas répondu de manière détaillée à ses arguments quant à l’épuisement des recours internes ou la violation continue du Pacte. Sur la violation continue, la distinction entre «fait illicite instantané à effets continus» et «fait illicite continu» nécessite une analyse subtile des faits et du droit. La juridiction est compétente dès que l’opposition entre les parties (prétention et contestation) s’est réalisée après l’entrée en vigueur, même si les «faits» litigieux ou la «situation» qui a provoqué le litige sont antérieurs. Si toutefois la «cause» de la réclamation (ou la «source» du litige) est un ensemble de faits postérieurs à la date critique, la juridiction sera compétente même si leur caractère illicite tient à la modification, ou au non ‑respect, d’une situation créée antérieurement. L’effet des conditions temporelles nécessite donc une étude très attentive des faits et du droit, et l’on doit alors joindre leur examen au fond.

Délibérations du Comité

8.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si elle est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité note la plainte de l’auteur concernant la condition des biens de sa famille en 1962 et constate qu’indépendamment du fait que ces événements se sont produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, le droit à la propriété n’est pas garanti par le Pacte. Toute allégation de violation du droit de l’auteur à la propriété est donc, en elle ‑même, irrecevable ratione materiae , au titre de l’article 3 du Protocole facultatif .

8.3 L’auteur soutient que les violations des droits que lui confèrent l’article premier; l’article 12; l’article 17; l’article 27; l’article 2, paragraphe 1, et l’article 26, pris isolément ou en combinaison; les articles 26 et 17 en combinaison; et l’article 5 ont persisté après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, le 12 décembre 1989. L’État partie a fait valoir que toutes les allégations de l’auteur étaient irrecevables ratione temporis . Le Comité estime qu’il ne peut connaître de violations des dispositions du Pacte qui se sont produites avant l’entrée en vigueur du Protocole pour l’État partie, à moins que lesdites violations ne persistent après l’entrée en vigueur du Protocole . Une violation persistante s’entend de la prolongation, par des actes ou de manière implicite, de violations commises antérieurement par l’État partie. Les mesures prises par l’État partie avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie doivent continuer à produire des effets qui, en eux ‑mêmes, constitueraient une violation de l’un quelconque des droits consacrés dans les articles invoqués après l’entrée en vigueur du Protocole . En l’espèce, le Comité note que l’État partie a adopté certaines lois depuis l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole, sur la restitution de certains biens aux personnes de nationalité algérienne. Cependant, l’auteur n’a pas démontré que ces lois s’appliquent à lui, puisqu’elles ne concernent que les personnes «dont les terres ont été nationalisées ou qui ont fait don de leurs terres dans le cadre de l’ordonnance n o 71 ‑73 du 8 novembre 1971» (voir par. 2.2) . La seule question restante qui pourrait se poser au titre de l’article 17 est celle de savoir si le fait que l’État partie n’a pas indemnisé l’auteur pour la confiscation de ses biens continue de produire des effets. Le Comité rappelle que le seul fait que l’auteur n’a toujours pas reçu de réparation après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif n’équivaut pas à la persistance d’une violation antérieure . Les allégations sont par conséquent irrecevables ratione temporis , en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

9. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif et du paragraphe 3 de l’article 93 de son règlement intérieur;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur, pour information.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

APPENDICE

Opinion individuelle de M me Elisabeth Palm, Sir Nigel Rodley et M. Nisuke Ando

Bien que nous soyions d’accord avec les conclusions qui figurent aux paragraphes 8.2 et 8.3, nous sommes d’avis que la communication aurait dû être déclarée irrecevable pour abus du droit de présenter des communications et que les deux paragraphes en question auraient dû être remplacés par un nouveau paragraphe 8.2 libellé comme suit:

8.2 Le Comité note que dans cette affaire un délai de quinze ans s’est écoulé entre la ratification du Protocole facultatif par l’État partie en 1989 et la présentation de la communication en 2004. Il observe qu’il n’existe pas d’échéance précise pour la présentation de communications en vertu du Protocole facultatif. Cela étant, dans certaines circonstances, le Comité est en droit d’attendre une explication raisonnable pour justifier un tel délai. Dans le cas d’espèce, le Comité prend note des divers arguments avancés par le conseil, lesquels expliquent, selon ce dernier, pourquoi l’auteur a été contraint d’attendre jusqu’à 2004 pour soumettre la communication au Comité (voir par. 3.7). En ce qui concerne le deuxième argument, le fait que l’État partie n’a ratifié le Pacte et le Protocole facultatif qu’en 1989 n’explique pas pourquoi l’auteur n’a pas engagé de procédure dans l’État partie à ce moment ‑là. Le Comité note que le conseil de l’auteur se réfère aux actions intentées par d’autres personnes en France et devant la Cour européenne des droits de l’homme, requêtes qui ont été déclarées irrecevables par la Cour européenne en 2001. Or rien n’indique que l’auteur ait engagé lui ‑même une procédure en France ou devant la Cour européenne. Le Comité relève également que l’auteur a bénéficié de mesures d’indemnisation de la part de la France en 1977, 1980 et 1988 et que c’est seulement après avoir découvert que le projet de loi français n o 1499 du 10 mars 2004 ne comportait pas de dispositif de réparation relatif à l’indemnisation des biens spoliés en Algérie qu’il a décidé d’introduire un recours contre l’État partie, non pas devant les tribunaux et les organes administratifs internes de ce dernier mais directement devant le Comité. Le Comité est d’avis que l’auteur aurait pu introduire un recours contre l’État partie après l’adhésion de celui ‑ci au Pacte et au Protocole facultatif et que les actions intentées en France ne l’empêchaient pas d’engager une procédure contre l’Algérie devant le Comité. Aucune explication convaincante n’a été donnée par l’auteur pour justifier sa décision d’attendre jusqu’à 2004 pour soumettre sa communication au Comité. En l’absence d’explication, le Comité considère que la présentation de la communication après un délai aussi long équivaut à un abus du droit de plainte, et il conclut à l’irrecevabilité de la communication en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif .

Enfin, nous aimerions souligner que la présente communication peut être considérée comme une «affaire pilote» étant donné que le Comité a reçu plus de 600 communications analogues. La détermination du motif pour lequel la communication devrait être déclarée irrecevable revêt donc un intérêt particulier.

( Signé ) M me Elisabeth Palm

( Signé ) Sir Nigel Rodley

( Signé ) M. Nisuke Ando

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood

L’auteur énonce un certain nombre de griefs concernant des biens dont il aurait été spolié lorsqu’il a quitté l’Algérie. Dans des décisions antérieures, le Comité des droits de l’homme a conclu que le droit à la propriété et le droit à une indemnisation rapide, suffisante et effective en cas d’expropriation de biens, ne sont pas protégés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques . Néanmoins, conformément à la jurisprudence du Comité, une discrimination injustifiée dans le régime de saisie de biens ou d’indemnisation pour perte de biens peut entraîner une violation de l’article 26 du Pacte . Le Comité des droits de l’homme a estimé dans une série notable d’affaires qu’un État «responsable du départ de ses citoyens» ne peut ensuite invoquer le fait qu’un requérant ne remplisse pas le critère de la résidence permanente ou de la citoyenneté comme raison suffisante pour l’exclure du dispositif de restitution .

Dans le cas d’espèce, le 25 septembre 1995, l’État partie a adopté une loi sur la restitution de leurs biens aux personnes «dont les terres ont été nationalisées» à condition qu’elles soient de nationalité algérienne. Voir les constatations du Comité, paragraphe 8.3. L’auteur a déclaré qu’il avait été dépossédé de 12 appartements et 10 locaux commerciaux après avoir quitté l’Algérie. Il semblerait que ces appartements aient été construits sur des terres lui appartenant. L’auteur affirme également qu’il possédait aussi «de nombreux lots» à Oran. Voir les constatations du Comité, paragraphes 2.1 et 2.2. L’État partie n’a pas contesté ces allégations. Il n’a pas non plus expliqué en quoi le fait de déclarer des biens «vacants» (tout en rejetant les demandes de restitution) afin de faciliter leur revente est différent du point de vue des effets ou de l’intention d’une nationalisation.

Il semblerait donc qu’il soit possible d’invoquer une discrimination en relation avec le dispositif légal de restitution que l’État partie a adopté après avoir adhéré au Pacte et au Protocole facultatif. En outre, dans au moins une affaire, le Comité a estimé qu’une loi en vertu de laquelle une personne se voyait dans l’impossibilité de résider de nouveau dans un lieu protégé continuait de produire des effets après la date de son adoption .

Il est certainement vrai que dans les périodes de transition historique de réelles difficultés peuvent entraver la recherche de solutions à des plaintes individuelles pour violation d’un droit. L’État partie a aussi dû faire face à une situation alarmante entre ‑temps. Mais nous devrions nous attaquer de front à ces problèmes au lieu de battre en retraite derrière une décision d’irrecevabilité ratione temporis qui ne concorde pas très bien avec notre jurisprudence.

( Signé ) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

Y. Communication n o 1438/2005, Taghi Khadje c. Pays ‑Bas * (Décision adoptée le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

Hamid Reza Taghi Khadje (représenté par un conseil, M. Pieter Bogaers)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Pays ‑Bas

Date de la communication :

14 octobre 2005 (date de la lettre initiale)

Objet : Asile

Questions de procédure : Griefs non étayés

Questions de fond : Interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants; interdiction de l’arrestation ou de la détention arbitraires; décision inéquitable portant sur des droits et obligations de caractère civil; droit de réunion pacifique; droit d’adhérer à un syndicat

Articles du Pacte : 7, 9, 14, 21, 22

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication, datée du 14 octobre 2005, est Hamid Reza Taghi Khadje, de nationalité iranienne, né le 1 er avril 1976, résidant actuellement aux Pays ‑Bas. Il se déclare victime de violations par les Pays ‑Bas des articles 7, 9, 14, 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour les Pays ‑Bas le 11 mars 1979. L’auteur est représenté par un conseil, Pieter Bogaers.

1.2 Le 15 mars 2006, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, agissant au nom du Comité, a décidé que la recevabilité de la communication devait être examinée séparément du fond.

Exposé des faits

2.1 L’auteur a commencé ses activités politiques en Iran après son service militaire en 1998. En mai 1999, il a obtenu un poste au département électricité de la raffinerie de pétrole d’Abadan, où il a rencontré M. Farid Marefioun, membre du syndicat ouvrier. Il a commencé à assister aux réunions du syndicat, dont l’objectif était de défendre les travailleurs et de les informer de leurs droits, et a rencontré ses dirigeants. Le syndicat était opposé à la privatisation de la raffinerie. L’auteur explique que le syndicat n’était pas illégal en soi mais qu’il devait suivre la ligne du parti sous peine de conséquences juridiques. Lorsque l’auteur a porté certaines questions à l’attention de la direction au nom des employés de la raffinerie, il a reçu l’ordre de cesser ces activités.

2.2 Le 1 er juin 2000, deux dirigeants du syndicat ont été arrêtés après une grève générale à Abadan. L’auteur a participé à un sit ‑in organisé ce jour ‑là à la raffinerie pour demander leur libération. Les services d’ordre sont intervenus pour disperser les grévistes et l’auteur a frappé certains de leurs membres. Dans la confusion qui a suivi, il a réussi à échapper aux arrestations et s’est enfui de la ville. À ce moment ‑là, il a appris que les autorités le recherchaient et que son frère Mohammad avait été arrêté. Il a quitté l’Iran pour les Pays ‑Bas le 21 juin 2000. Sa sœur Mahnaz s’est également enfuie pour les Pays ‑Bas avec son mari. Son frère aurait été détenu pendant six mois à un an. Quand il était en détention, sa mère a été harcelée par des agents iraniens qui ont fouillé son domicile. Il a été relâché entre juillet 2002 et janvier 2003. Depuis, il a dû se présenter au poste de police une fois par mois et donner des renseignements sur les lieux où se trouvait l’auteur.

2.3 L’auteur a déposé une première demande d’asile le 31 juillet 2000. Celle ‑ci a été rejetée par le Ministère de la justice le 1 er juin 2001. Il a été débouté de son appel auprès du tribunal de district de La Haye le 18 septembre 2002. Un autre recours formé devant la Division administrative du Conseil d’État (Raad van State) a été rejeté le 1 er novembre 2002. L’auteur a présenté une deuxième demande d’asile le 1 er mai 2003, qui a été rejetée le 2 mai 2003. Il a fait appel mais la décision a été confirmée par le tribunal de district de La Haye le 28 mai 2003. Un nouveau recours devant la Division administrative du Conseil d’État a été rejeté le 27 juin 2003, en l’absence de nouveaux faits ou circonstances.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur invoque une violation de l’article 7 du Pacte, faisant valoir qu’il est toujours recherché par les autorités iraniennes et que, s’il est renvoyé, il risque d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il invoque également une violation de l’article 9, au motif qu’il ferait l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraires. Il affirme en outre être victime de violations des articles 21 et 22 parce que l’exercice du droit de réunion pacifique et du droit d’adhérer à un syndicat lui serait refusé.

3.2 En ce qui concerne l’article 14, l’auteur affirme qu’il ressort des décisions rendues par les autorités judiciaires nationales que l’État partie ne s’est pas acquitté de son obligation de procéder à une enquête approfondie sur les faits. Il rappelle que, dans la décision concernant sa première demande d’asile, l’élément retenu contre lui était qu’il n’avait pas prouvé son identité. Bien qu’il ait fourni des documents d’identité à l’appui de sa deuxième demande d’asile, l’évaluation de sa crédibilité est restée la même. Il affirme en outre que l’État partie a mis en place un dispositif visant à expulser les Iraniens qui ont épuisé tous les recours disponibles et que lui ‑même risque d’être expulsé de force vers l’Iran à tout moment, même si aucun arrêté d’expulsion n’a en fait été pris.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

4.1 Par une note verbale en date du 5 janvier 2006, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, faisant valoir que l’auteur n’avait pas formulé de griefs de violation des articles 9, 21 et 22 devant les juridictions nationales et n’avait donc pas laissé à celles ‑ci la possibilité de se prononcer sur ces points. Il considère que l’auteur n’a donc pas épuisé les recours internes disponibles, comme il est exigé au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.2 Par une note verbale en date du 8 mars 2006, l’État partie a également contesté la recevabilité des griefs au titre des articles 7 et 14. Premièrement, il souligne que l’auteur a eu toute possibilité de plaider sa cause devant les tribunaux nationaux et rappelle que la décision de rejet de sa première demande d’asile a été rendue sur le fond par le tribunal de district de La Haye le 18 septembre 2002. Le tribunal a conclu que l’argument selon lequel il courait un risque réel d’être soumis à des mauvais traitements s’il retournait en Iran était sans fondement. L’auteur a été débouté de l’appel qu’il avait formé contre cette décision par le Conseil d’État. De même, son appel du rejet de sa deuxième demande d’asile a été déclaré sans fondement par le tribunal de district de La Haye. Cette décision a également été confirmée en appel par le Conseil d’État. L’État partie considère donc que les autorités nationales ont procédé à une enquête approfondie sur les faits. Deuxièmement, l’État partie rappelle que le droit de saisir le Comité ne peut pas donner lieu à l’examen in abstracto de plaintes se rapportant à la législation et à la pratique nationales . Il considère que l’auteur n’a formulé aucun grief spécifique concernant la procédure d’asile et n’a aucunement étayé ses allégations.

Commentaires de l’auteur

5. Dans une lettre datée du 1 er mai 2006, l’auteur réaffirme qu’il n’a pas omis de porter les violations alléguées des articles 9, 21 et 22 devant les juridictions nationales. Il rappelle qu’il a expliqué pendant la procédure d’asile les circonstances dans lesquelles il avait coopéré avec le syndicat, il avait été contraint de signer une déclaration par laquelle il mettait fin à ses activités syndicales et il avait échappé à une arrestation arbitraire. Il réitère ses observations générales concernant les procédures d’asile aux Pays ‑Bas.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur qui affirme que l’État partie violerait les articles 7, 9, 21 et 22 s’il le renvoyait en Iran en sachant qu’il risque d’être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants ou d’être détenu arbitrairement à son arrivée et qu’il ne pourrait pas exercer le droit de réunion pacifique et le droit d’adhérer à un syndicat, le Comité constate qu’aucune décision ordonnant le retour forcé de l’auteur en Iran n’a en fait été rendue. Le rejet d’une demande d’asile n’est pas inévitablement suivi d’un ordre d’expulsion . Dans ces circonstances, le Comité n’a pas à déterminer si la procédure relative à la demande d’asile de l’auteur relève du champ d’application de l’article 14 (en tant que décision portant sur les droits et obligations de caractère civil) . Il considère donc que ces allégations sont irrecevables aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’être suffisamment étayées.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

Z. Communication n o 1446/2006, Wdowiak c. Pologne * (Décision adoptée le 31 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

M me Barbara Wdowiak (non représentée par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Pologne

Date de la communication :

8 décembre 2005 (date de la lettre initiale)

Objet : Accès à la justice, obligation de faire établir le recours par un conseil

Questions de procédure : Même question examinée par une autre instance internationale; réserve de l’État partie; épuisement des recours internes

Article du Pacte : 14 (par. 1)

Article du Protocole facultatif : 5 (par. 2 a) et b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication est M me Barbara Wdowiak, ressortissante polonaise née en 1946. Elle se déclare victime de violations par la Pologne du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

1.2 Le 25 mars 2006, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a décidé que la recevabilité de la communication devait être examinée séparément du fond.

1.3 Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 février 1992.

Exposé des faits

2.1 En 1995, l’auteur a déposé une requête auprès du tribunal de district de Kozhienicach dans laquelle elle demandait la restitution d’une partie d’une petite propriété à laquelle elle prétendait avoir droit. Le 28 juin 1995, le tribunal a rejeté sa requête pour insuffisance des éléments de preuve. En mars 1998, des faits nouveaux ayant été découverts, l’auteur a déposé un appel en cassation auprès du tribunal régional de Radom le 9 août 1999, demandant la réouverture de l’affaire en vertu des dispositions pertinentes du Code civil .

2.2 Le 13 août 1999, le tribunal régional de Radom a rejeté son appel au motif qu’il ne remplissait pas les conditions prévues à l’article 393 1) du Code civil, selon lequel seul un avocat qualifié ou un consultant juridique est habilité à établir et à déposer un appel. Le tribunal n’a pas examiné l’appel au fond.

2.3 L’auteur a déposé un recours contre la décision du tribunal régional de Radom devant la Cour suprême qui, le 20 janvier 2000, l’a rejeté au motif qu’il n’avait pas été établi par un avocat qualifié.

2.4 L’auteur indique qu’elle n’était pas représentée par un avocat parce qu’un conseil commis d’office lui avait été refusé et que ses moyens financiers ne lui permettaient pas d’en engager un elle ‑même. Elle précise qu’elle a fourni à la Cour suprême des documents attestant de sa situation financière précaire.

2.5 Le 26 avril 2000, l’auteur a présenté une demande à la Cour européenne des droits de l’homme, dans laquelle elle faisait état des faits susmentionnés. Le 11 octobre 2001, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré la requête irrecevable, au motif que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes.

Teneur de la plainte

3. L’auteur soutient qu’elle a été privée du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, simplement parce qu’elle n’avait pas les moyens d’engager un avocat pour la représenter.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1 Dans ses observations, en date du 23 mars 2006, l’État partie conteste la recevabilité de la communication.

4.2 Il fait valoir que la question soulevée par l’auteur a été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme qui a rejeté sa demande, au motif que le recours engagé ne respectait pas les formalités pertinentes, et que les recours internes n’avaient donc pas été épuisés .

4.3 Deuxièmement, l’État partie affirme que c’est à juste titre que la Cour européenne a estimé que les recours internes n’avaient pas été épuisés. Dans sa décision, la Cour suprême a fait observer que l’incapacité d’assumer le coût d’une assistance juridique ne constituait pas une exception à l’obligation selon laquelle les recours doivent être déposés par des avocats qualifiés. Toutefois, la Cour suprême a également indiqué qu’une personne se trouvant dans une telle situation peut prétendre à une assistance juridictionnelle gratuite. Selon l’État partie, il ressort du dossier que l’auteur n’a pas demandé au tribunal régional de désigner un avocat commis d’office.

4.4 En outre, sur le fond, l’État partie fait valoir que le fait d’exiger qu’un appel en cassation soit déposé par un avocat qualifié vise à garantir la haute qualité des recours, et à éviter que la Cour suprême ne soit assaillie de recours abusifs. Cela ne constitue pas une restriction à l’accès à la justice, dans la mesure où une personne peut bénéficier de l’assistance juridictionnelle gratuite, comme le prévoit l’article 117 du Code civil.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5. Dans ses commentaires datés du 17 mai 2006, l’auteur souligne qu’elle a expliqué sa situation au tribunal dans son mémoire d’appel et précisé que ses moyens financiers ne lui permettaient pas d’engager un avocat à titre privé. La Cour suprême a compris quelle était sa situation mais n’a pas désigné d’avocat pour l’assister; elle ne lui a pas non plus expliqué comment elle devait procéder pour que sa question soit concrètement examinée par le tribunal.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la question est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité doit s’assurer que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il observe que, le 26 avril 2001, l’auteur a présenté une plainte similaire à la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a déclarée irrecevable le 11 octobre 2001 pour non ‑épuisement des recours internes. Le Comité rappelle que, lorsqu’il a décidé d’adhérer au Protocole facultatif, l’État partie a formulé une réserve qui «exclut la procédure prévue en son article 5, paragraphe 2 a), si la question a déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement» (non souligné dans le texte). Bien que l’État partie n’ait pas expressément invoqué cette réserve, le fait qu’il se soit appuyé sur la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a rejeté la plainte précédente de l’auteur, peut être interprété comme une référence à cette réserve. Le Comité doit donc déterminer si la décision de la Cour européenne constitue un «examen» de «la même question» que celle dont il est saisi. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle une décision d’irrecevabilité qui a donné lieu, ne serait ‑ce qu’implicitement, à l’examen de la plainte au fond équivaut à un «examen» aux fins du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Par ailleurs, le Comité a également précédemment indiqué qu’une décision d’irrecevabilité fondée sur des motifs purement procéduraux, qui n’a pas donné lieu à un examen au fond de l’affaire, ne constitue pas un «examen» aux fins de la recevabilité . En l’espèce, la décision de la Cour européenne était de nature procédurale, puisqu’elle concluait que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes. Par conséquent, le Comité considère qu’en l’espèce la même question n’a pas été «examinée» par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, le Comité prend note du fait, non contesté, que l’auteur n’a pas respecté les exigences formelles pour le dépôt des recours, à savoir le fait que l’appel doit être établi et déposé par un avocat qualifié ou un consultant juridique. En l’espèce, la question fondamentale que le Comité est invité à examiner par l’auteur est inextricablement liée à ces exigences formelles. Selon l’auteur, ces exigences formelles équivalent à un refus d’accès à la justice; cet argument a pour corollaire qu’il n’y a pas de recours «disponibles» ou «utiles» pour une personne se trouvant dans sa situation financière. Toutefois, le Comité relève l’observation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas saisi le tribunal régional d’une requête aux fins d’exemption de frais de justice et de commission d’un avocat d’office. Si l’auteur a présenté à la Cour suprême des pièces attestant que sa situation financière ne lui permettait pas d’engager un avocat, elle n’a pas démontré qu’elle était dans l’incapacité d’adresser une telle requête au tribunal régional sans l’assistance d’un conseil. En l’absence d’un tel élément d’information, le Comité ne saurait conclure que l’auteur a épuisé les voies de recours internes disponibles, et il déclare la communication irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication, pour information.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

AA. Communication n o 1451/2006, Gangadin c. Pays ‑Bas * (Décision adoptée le 26 mars 2007, quatre ‑vingt ‑neuvième session)

Présentée par :

Rabindranath Gangadin (représenté par un conseil, M. E. Hummels)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Pays ‑Bas

Date de la communication :

12 janvier 1998 (date de la lettre initiale)

Objet : Procédure pénale et traitement des demandes reconventionnelles inéquitables; enquête insuffisante de la police sur les plaintes

Questions de procédure : Griefs suffisamment étayés aux fins de la recevabilité

Questions de fond : Droit à un procès équitable; égalité devant les tribunaux et la loi

Articles du Pacte : 14, 26

Article du Protocole facultatif : 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, soumise le 12 janvier 1998, est M. Rabindranath Gangadin, qui réside actuellement aux Pays ‑Bas. Sa nationalité et sa date de naissance ne sont pas précisées. Il affirme être victime de violations par les Pays ‑Bas des articles 14 et 26 du Pacte. Il est représenté par un conseil, M. E. Hummels.

Exposé des faits

2.1 L’auteur relate deux séries de faits. La première concerne des dommages qui auraient été causés à sa voiture par un de ses voisins, le 19 février puis de nouveau le 19 novembre 1990. À la suite de ces incidents, l’auteur a engagé des poursuites contre son voisin. Le 19 février 1991, il a produit le témoignage d’un certain M. G., qui affirmait avoir vu le voisin en train de causer les dommages en question. Ce témoin aurait été soudoyé par le voisin et, le 24 février 1992, il aurait fait une fausse déposition devant le juge. La procédure a pris fin et l’auteur n’a pas obtenu d’indemnisation pour les dommages causés à son véhicule.

2.2 En septembre 1992, l’auteur aurait obtenu de M. G. une déclaration par laquelle celui ‑ci reconnaissait avoir donné de fausses informations au juge. Par la suite, M. G. a nié avoir fait une telle déclaration et c’est l’auteur qui a été poursuivi pour faux témoignage. Le 20 septembre 1995, le tribunal de première instance d’Utrecht a déclaré l’auteur coupable et l’a condamné à une amende de 2 000 florins et à une peine de deux mois d’emprisonnement avec sursis. Le 27 septembre 1995, l’auteur a saisi la cour d’appel en lui demandant d’ordonner l’ouverture d’une procédure contre le voisin et M. G. La cour d’appel a rejeté sa demande le 18 décembre 1996. Le 7 juillet 1998, elle a réduit sa condamnation à une peine de deux mois d’emprisonnement. Le 14 septembre 1999, l’auteur a été débouté du recours qu’il avait formé devant la Cour suprême.

2.3 La deuxième série de faits concerne un emprunt de 5 000 florins que le même M. G. aurait fait auprès de l’auteur en juin 1991, en lui signant une reconnaissance de dette. En juin 1994, M. G. a engagé une procédure pénale contre l’auteur, affirmant qu’il ne lui avait jamais emprunté de l’argent et que la reconnaissance de dette n’était pas valable. L’auteur, à son tour, a porté plainte contre M. G. pour conduite malhonnête auprès de la police. Le ministère public a cependant refusé de donner suite à sa plainte et, le 18 décembre 1996, la cour d’appel a également rejeté la requête par laquelle l’auteur lui demandait d’ordonner au procureur d’engager des poursuites contre M. G. À l’issue d’une procédure engagée parallèlement au civil au motif du prêt, l’auteur a obtenu gain de cause, mais cette décision a été infirmée en appel.

2.4 Le 8 décembre 1997, un comité constitué de trois membres de ce qui était alors la Commission européenne des droits de l’homme a conclu à l’unanimité que, à la lumière des informations dont il disposait et pour autant que les griefs invoqués par l’auteur relèvent de sa compétence, il n’apparaissait aucune violation des droits et libertés énoncés dans la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou dans les protocoles y relatifs.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir que la cour d’appel a rejeté dans les deux cas les requêtes par lesquelles il lui demandait d’engager des poursuites contre la partie adverse, alors que lui ‑même faisait l’objet d’une procédure. Il affirme qu’il a été par conséquent victime de violations des principes de l’équité et de l’égalité devant les tribunaux et la loi, qui sont protégés par les articles 14 et 26 du Pacte.

3.2 L’auteur affirme également que la police a fait preuve de partialité à son égard et n’a pas enquêté suffisamment sur le fond de ses plaintes, parce que le voisin impliqué dans la première série de faits avait pour beau ‑père un policier qui agissait en son nom. L’auteur affirme avoir été victime de diverses agressions criminelles, notamment d’un incendie volontaire en 1996, d’une «tentative d’homicide» en 1997 et de dommages infligés à sa voiture à plusieurs reprises, et que la police a refusé d’enquêter sur ses plaintes parce qu’elle avait des «renseignements négatifs» à son sujet. Ces renseignements auraient suivi l’auteur de ville en ville lorsqu’il déménageait.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

4.1 Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si elle est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2 Le Comité fait observer, au sujet du grief d’inégalité devant les tribunaux et la loi soulevé par l’auteur, que le Pacte n’exige pas que les parties à une procédure soient placées dans une position formelle identique, mais que s’il y a une différence de traitement, celle ‑ci doit être fondée sur des motifs raisonnables et objectifs . L’auteur n’a pas démontré que lorsque la cour d’appel a décidé de ne pas faire droit à ses requêtes visant à faire engager des poursuites contre les autres parties aux procédures en question, elle se soit fondée sur autre chose que l’appréciation des faits, ni que la différence de traitement entre l’auteur − qui a été condamné − et les autres parties n’ait pas été fondée sur des motifs raisonnables et objectifs, conformément aux prescriptions du Pacte. Le Comité conclut par conséquent que les griefs de violation des articles 14 et 26 du Pacte n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et qu’ils sont donc irrecevables conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

4.3 En ce qui concerne les autres plaintes, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment démontré en quoi elles relevaient du Pacte. Il conclut donc qu’elles sont également irrecevables au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

5. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et, pour information, à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Note

BB. Communication n o 1452/2006, Chytil c. République tchèque * (Décision adoptée le 24 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Renatus J. Chytil (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

République tchèque

Date de la communication :

16 janvier 2006 (date de la lettre initiale)

Objet : Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure : Abus du droit de présenter une communication; non ‑épuisement des recours internes

Questions de fond : Égalité devant la loi; égale protection de la loi

Article du Pacte : 26

Article du Protocole facultatif : 3

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est M. Renatus J. Chytil, né en 1925 dans l’ex ‑Tchécoslovaquie. Il affirme être victime de violations, par la République tchèque, de droits qui lui sont reconnus à l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques . Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1 Le 13 juin 1948, l’auteur a fui la Tchécoslovaquie. Il a obtenu le statut de réfugié en Allemagne avant d’immigrer aux États ‑Unis d’Amérique , pays dont il est devenu citoyen en 1957, perdant ainsi sa nationalité tchèque en application d’un accord bilatéral, le Traité de 1928 sur la naturalisation . En 1948, les autorités tchèques ont confisqué les certificats et les diplômes de droit qui permettaient à l’auteur d’exercer sa profession de juriste. Selon ce dernier, les biens énumérés ci ‑après appartenant à sa famille ont été confisqués au fil des ans par les autorités tchèques:

L’usine textile Vonmiller à Zamberk, en Bohème orientale (confisquée en 1945 et privatisée en 1995);

Environ 1 500 kg de pièces et de lingots d’or (l’auteur affirme que cet or, qui avait été confisqué par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, a été récupéré en Allemagne et transféré et stocké aux É tats ‑Unis). L’auteur affirme également que cet or a été ajouté aux 18,4 tonnes d’or tchèque, qualifié d’«or monétaire à restituer», qui ont été envoyés par le Gouvernement des États ‑Unis au régime de Prague en février 1982. L’auteur n’a pas été indemnisé par le Gouvernement des États ‑Unis;

La villa de la famille Chytil, confisquée en 1983, pendant que la mère et la sœur de l’auteur lui rendaient visite en Californie (elles ont toutes deux obtenu par la suite l’asile politique aux États ‑Unis);

L’entreprise du bâtiment LITAS, confisquée et nationalisée en 1948; et

D’autres terrains, bâtiments et avoirs.

2.2 En 1990, en application de la loi n o 119/1990, le doctorat de droit de l’auteur et le certificat lui permettant d’exercer la profession de juriste lui ont été restitués. Il a fait une déclaration le 19 janvier 1994 devant le Comité constitutionnel du Parlement tchèque. Il a également demandé la restitution des biens et de l’or qui appartenaient à sa famille en saisissant la Cour constitutionnelle tchèque d’une plainte pour violation des droits de l’homme et d’autres questions le 10 juin 1994. Le 26 novembre 1995, la Cour constitutionnelle a, selon l’auteur, refusé d’entendre sa plainte au motif qu’il n’était pas un ayant droit au regard de la législation, selon les termes de l’article 3 de la loi n o 87/1991, dans la mesure où il ne satisfaisait pas au critère de détention continue de la nationalité. L’auteur affirme que cette décision est définitive et qu’aucun recours n’est possible. Il a essayé de poursuivre son action mais un juge assistant de la Cour constitutionnelle tchèque s’y est opposé le 4 mars 1996.

Teneur de la plainte

3. Se référant à des décisions antérieures du Comité concernant la République tchèque ( communication n o 516/1992, Simunek et consorts c. République tchèque , constatations adoptées le 19 juillet 1995) , l’auteur rappelle que le Comité a constaté des violations du Pacte dans des situations similaires à la sienne. Il affirme que le refus du Gouvernement tchèque de lui restituer ses biens constitue une violation de l’article 26 du Pacte.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

4.1 Le 11 août 2006, l’État partie a formulé ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication. S’agissant des faits, il explique que l’auteur n’a apparemment pas recouvré la citoyenneté tchèque et que le 18 avril 1994 [on notera que les dates ne concordent pas], il a déposé auprès de la Cour constitutionnelle une requête présentée comme «une action contre une violation des droits de l’homme et une demande de modification de la législation». Dans sa requête, il a réclamé l’abrogation et la modification de certaines dispositions de la loi n o 87/1991 sur les réhabilitations extrajudiciaires, la restitution de ses biens et une indemnisation au titre de ses droits réels et de ses droits successoraux d’un montant de plus de 50 millions de dollars des États ‑Unis. Le 29 novembre 1995, la Cour constitutionnelle a rejeté sa requête; le 4 mars 1996, elle l’a débouté de son recours contre la décision du 29 novembre 1995.

4.2 L’État partie rappelle que l’article premier de la loi n o 87/1991 vise à réparer certaines injustices touchant la propriété et d’autres injustices, commises durant la période allant du 25 février 1948 au 1 er janvier 1990. La loi fixe les conditions devant être remplies pour pouvoir réclamer des biens confisqués, ainsi que les règles régissant l’indemnisation, et la portée des réclamations. En vertu de l’article 2, le bien confisqué doit être restitué; faute de cela, une indemnisation doit être versée à son propriétaire. En application du paragraphe 1 de l’article 3, l’expression «ayant droit» s’entend de toute personne qui a été réhabilitée en application de la loi n o 119/1990 et dont les biens étaient devenus la propriété de l’État dans les circonstances spécifiées, à condition que cette personne soit de nationalité tchèque ou slovaque. La personne tenue de restituer le bien, telle que définie par l’article 4, doit le faire sur présentation d’une demande écrite par l’ayant droit, une fois que ce dernier a apporté la preuve que le bien en question lui appartient et qu’il a précisé comment l’État se l’est approprié. S’il s’agit d’un bien meuble, l’ayant droit doit également indiquer le lieu où il se trouve. Le paragraphe 2 de l’article 5 de la loi stipule que l’ayant droit doit demander, dans un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi, à la personne tenue de restituer le bien de le lui rendre. En outre, l’article 8 dispose que si le bien n’est pas restitué à l’ayant droit celui ‑ci doit être indemnisé. Une demande écrite d’indemnisation doit être déposée dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la loi ou de la date de la décision judiciaire par laquelle la demande de restitution a été rejetée.

4.3 Pour ce qui est de la recevabilité, l’État partie rappelle que l’auteur n’a en aucune façon prouvé, tant au niveau national que devant le Comité, qu’il avait présenté sa demande de restitution à la partie tenue de rendre le bien ou, le cas échéant, aux tribunaux ordinaires de la République tchèque et qu’il n’a pas non plus démontré qu’il avait présenté sa demande dans les délais spécifiés à l’article 5 de la loi n o 87/1991. En conséquence, l’auteur n’a manifestement pas épuisé les recours internes.

4.4 Pour ce qui est de la procédure devant la Cour constitutionnelle, l’auteur s’est privé de la possibilité de voir sa requête examinée et tranchée par cette juridiction. Sa requête, datée du 18 avril 1994, était entachée de vices de procédure qui ont empêché la Cour de l’examiner . En outre, l’auteur n’a pas soumis une copie du texte de la décision prise au sujet du dernier recours offert par la loi pour la protection de ses droits et a omis de se faire représenter par un avocat (ce qui est obligatoire devant la Cour constitutionnelle). La Cour constitutionnelle lui a donc demandé, le 22 juin 1994, de remédier à ces lacunes. Dans sa réponse, il s’est contenté de faire des réflexions additionnelles de lege ferenda au sujet de la législation tchèque relative à la restitution et n’a pas remédié aux vices dont était entachée sa requête. De ce fait, le 29 novembre 1995, la Cour constitutionnelle a rejeté celle ‑ci .

4.5 En outre, l’auteur ne s’est pas d’abord adressé à la personne tenue de restituer les biens ou, le cas échéant, n’a pas saisi les tribunaux ordinaires d’une demande de restitution (voir art. 4 et 5 de la loi n o 87/1991). Comme la Cour constitutionnelle ne peut se substituer aux autorités compétentes dans l’exercice de leur pouvoir de décision au sujet des demandes de restitution, elle a dû rejeter cette partie de la requête de l’auteur conformément au paragraphe 1 e) de l’article 43 de la loi . Pour la même raison, elle a rejeté la requête de l’auteur tendant à ce que la loi n o 87/1991 soit modifiée, étant donné que seul le Parlement a le pouvoir de le faire. En conséquence, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes et la communication est irrecevable conformément à l’article 2 et au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.6 Deuxièmement, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas étayé ses allégations selon lesquelles il a été victime d’un traitement discriminatoire dans le cadre du processus de prise de décisions au sujet de sa demande de restitution. Il ne fait que fournir une liste des biens dont il réclame la restitution. Or, en vertu de l’article 5 de la loi n o 87/1991, il devrait apporter la preuve de son droit à restitution, étayer sa demande de restitution ou apporter des preuves quant à la manière dont ses biens ont été confisqués par l’État et, dans le cas des biens meubles, indiquer le lieu où ils se trouvent. Sa communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.7 Troisièmement, l’État partie considère que la communication est irrecevable parce qu’il y a eu abus du droit de présenter une communication (art. 3 du Protocole facultatif). Même si le Protocole facultatif ne fixe pas de date limite pour le dépôt d’une communication et que le simple fait de ne pas avoir soumis rapidement une communication ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter une communication, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle celui ‑ci s’attend à recevoir une explication raisonnable et objectivement compréhensible en cas de retard . En l’espèce, l’auteur a présenté sa communication au Comité le 16 janvier 2006 alors que la dernière décision d’une juridiction interne sur la question, à savoir celle de la Cour constitutionnelle, avait été prise le 4 mars 1996. L’auteur n’apporte aucune explication pour justifier ce retard de dix ans, et la communication est donc irrecevable pour abus du droit de présenter des communications au sens de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.8 Sur le fond l’État partie affirme que la communication ne contient aucun élément indiquant que l’auteur a été victime d’une discrimination. L’auteur n’a relevé dans aucune des décisions par lesquelles les autorités nationales ont rejeté sa demande de restitution un élément qui irait à l’encontre des dispositions de l’article 26, et l’État partie n’a connaissance d’aucun élément de ce type. Selon les renseignements dont il dispose, la requête de l’auteur a fait l’objet de deux décisions seulement, à savoir celles de la Cour constitutionnelle en date du 29 novembre 1995 et du 4 mars 1996. Aucune présomption de discrimination ne pèse sur ces décisions. Au cas où l’auteur invoquerait le fait que la législation tchèque relative à la restitution exige, entre autres, pour qu’une demande de restitution soit valide, que son auteur soit citoyen de la République tchèque, l’État partie tient à dire qu’il ne conteste pas ce fait. Toutefois, l’existence de cette condition préalable n’est pas en soi discriminatoire à l’égard de l’auteur. Il pourrait y avoir discrimination si les autorités nationales avaient rejeté sa demande de restitution au motif qu’il n’aurait pas rempli cette condition préalable . En l’espèce, aucune décision de ce type n’a été adoptée. La Cour constitutionnelle a débouté l’auteur uniquement pour des raisons procédurales et non parce qu’il ne remplissait pas la condition préalable relative à la citoyenneté. En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 26 du Pacte.

Commentaires de l’auteur

5. Dans ses commentaires du 28 février 2007, à propos des affirmations de l’État partie selon lesquelles il n’a présenté aucune pièce attestant la propriété des biens qu’il affirme posséder, l’auteur se réfère à sa communication initiale et à la liste des biens confisqués qu’il a fournie. Il renvoie à la décision dans l’affaire Simunek à l’appui de son affirmation selon laquelle l’argument de la citoyenneté est discriminatoire et incompatible avec les dispositions de l’article 26 du Pacte. Pour ce qui est de l’argument selon lequel il n’aurait pas épuisé les recours internes disponibles, il fait valoir que même s’il avait recouvré la nationalité tchèque , il serait allé à l’encontre de la règle de la détention continue de la nationalité fixée par l’État partie. Seuls les citoyens tchécoslovaques jouissent d’un droit à restitution en vertu de la loi n o 87/1991 et il ne constitue pas un «ayant droit» en vertu de l’article 3 de cette loi. Bien que la règle de la résidence ait été abrogée par l’État partie en 1993, les dispositions discriminatoires relatives à la citoyenneté sont encore en vigueur. Dans ces conditions l’auteur, en tant que citoyen des États ‑Unis et non ‑détenteur de manière continue de la nationalité tchèque, n’est pas habilité à intenter une action en la matière devant les tribunaux tchèques et ne peut par conséquent pas épuiser les recours internes. Au vu de la définition de l’«ayant droit», il ne dispose d’aucun recours. Selon lui, l’État partie se sert de règles de procédure pour faire obstacle à la restitution et va par conséquent à l’encontre de la jurisprudence du Comité dans l’affaire Simunek et de l’article 26 . Il conclut donc que sa communication devrait être déclarée recevable.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la communication n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2 Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel la soumission de la communication au Comité constitue, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, un abus du droit de présenter des communications, le Comité note que la dernière décision figurant au dossier est celle prise par la Cour constitutionnelle le 4 mars 1996, par laquelle la Cour a rejeté le recours de l’auteur contre sa précédente décision en date du 29 novembre 1995. Une période de près de dix ans s’est donc écoulée avant que l’auteur ne soumette sa plainte au Comité, le 16 janvier 2006. Le Comité rappelle qu’aucun délai n’est fixé pour la présentation de communications au titre du Protocole facultatif et qu’un simple retard, en la matière, ne constitue pas, sauf circonstances exceptionnelles, un abus du droit de présenter une communication . En l’espèce, bien que l’État partie ait soulevé la question du retard qui, d’après lui, constitue un abus du droit de présenter une communication, l’auteur n’a pas expliqué ni justifié pourquoi il avait attendu près de dix ans avant de soumettre sa plainte au Comité. Sachant que la décision dans l’affaire Simunek a été rendue en 1995, et qu’il ressort du dossier que l’auteur avait appris l’existence de cette décision peu de temps après , le Comité considère ce retard comme déraisonnable et excessif au point de constituer un abus du droit de présenter une communication et déclare par conséquent la communication irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

CC. Communication n o 1453/2006, Brun c. France * (Décision adoptée le 18 octobre 2006, quatre ‑vingt ‑huitième session)

Présentée par :

André Brun (représenté par un conseil, François Roux)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

France

Date de la communication :

15 novembre 2005 (date de la lettre initiale)

Objet : Condamnation pénale pour destruction de champs de maïs transgénique

Questions de procédure : N otion de «victime»

Questions de fond : Droit de vivre dans un environnement sain, droit de prendre part à la direction des affaires publiques

Articles du Pacte : 2, (par. 3 a) et b)), 6, 17, 25 a)

Articles du Protocole facultatif : 1, 2

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 octobre 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision sur la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication, datée du 15 novembre 2005, est André Brun, de nationalité française. L’auteur affirme être victime de violations par la France des paragraphes 3 a) et b) de l’article 2, et des articles 6, 17 et 25 a) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, François Roux. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour la France respectivement les 4 février 1981 et 17 mai 1984.

1.2 Le 3 mai 2006, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, agissant au nom du Comité, a décidé que la question de la recevabilité devait être examinée séparément du fond.

Exposé des faits

2.1 Le 28 avril 2000, le Ministre de l’agriculture autorisait par arrêté et, après avis de la commission d’étude de la dissémination des produits issus du génie biomoléculaire, la société Biogemma à procéder à un essai en plein champ d’organismes génétiquement modifiés (OGM). Des groupements auxquels l’auteur appartient avaient mis en demeure le Ministre de l’agriculture de faire cesser les disséminations d’OGM, opérées par la société Biogemma, sous peine de destruction des essais.

2.2 Le 26 août 2001, 200 personnes, dont l’auteur, se sont réunies à Cléon d’Andran (France) pour manifester contre la culture des OGM. La manifestation avait pour objectif de détruire une parcelle de maïs transgénique, de déposer les plants arrachés devant la Préfecture et d’être reçus en délégation par le Préfet. Les manifestants ont détruit la parcelle de maïs transgénique.

2.3 À la suite de ces événements, la société Biogemma, responsable des cultures de plants de maïs transgéniques détruits, a fait délivrer une citation directe à l’encontre de 10 des personnes ayant participé à cette action, d’avoir à comparaître devant le Tribunal correctionnel de Valence pour destruction du bien d’autrui commise en réunion.

2.4 Le 8 février 2002, le Tribunal correctionnel de Valence a condamné les 10 personnes à des amendes et peines d’emprisonnement. L’auteur a été condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 2 000 euros. Le 14 mars 2003, la Cour d’appel de Grenoble a confirmé le jugement de première instance quant à la condamnation de l’auteur, mais a réformé sa peine à deux mois d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 300 euros. Par arrêt du 28 avril 2004, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur estime être la victime de violations par la France des articles 2, paragraphes 3 a) et b), 17 et 25 a) du Pacte. En ce qui concerne l’article 17, l’auteur considère que, dans le contexte d’incertitude entourant les essais d’OGM en plein champ, les juridictions nationales auraient dû reconnaître la légitimité de l’action de fauchage des essais en champ des plants de maïs transgéniques et dire qu’ils avaient agi en état de nécessité pour protéger l’environnement et la santé. Il fait valoir que l’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher la violation de l’article 17 pris au sens large. L’auteur expose longuement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant des affaires de pollution. Il estime que «le Comité devra procéder par analogie en se reportant à la jurisprudence développée par la Cour européenne des droits de l’homme et faire une interprétation extensive de l’article 17», selon laquelle la notion de vie privée et familiale englobe le droit de vivre dans un environnement sain. Si le Comité adopte une telle interprétation de cette disposition, l’auteur fait valoir que le Comité constatera une violation de l’article 17.

3.2 L’auteur invoque le «principe de précaution» et estime que les risques à moyen et long terme des OGM sur la santé et l’environnement doivent être pris en compte. Il fait valoir qu’à l’heure actuelle, en l’état des connaissances sur l’utilisation des OGM, aucune réponse précise et cohérente n’a été apportée concernant les risques à long terme sur l’environnement et la santé. Par conséquent, le principe de précaution devrait être appliqué. En l’absence d’intervention de l’État, l’auteur considère qu’à travers la destruction du champ de maïs transgénique, les personnes condamnées au plan interne, dont l’auteur, ont agi en amont pour prévenir tout risque pour la santé publique et l’environnement concernant des expérimentations qui ne souffrent d’aucun contrôle a priori.

3.3 L’auteur considère que les cultures de plants transgéniques en plein champ ont pour effet la contamination inéluctable des cultures traditionnelles par les cultures d’OGM. Il estime que les distances actuelles minimales prévues pour séparer un champ d’essais d’OGM d’un champ non OGM sont inefficaces. Ainsi, la destruction des plants de maïs transgéniques s’inscrit dans une logique de préservation des biens des agriculteurs traditionnels et biologiques.

3.4 L’auteur fait valoir qu’il n’existe aucun système d’indemnisation prévu pour les agriculteurs conventionnels et biologiques dont la production viendrait à contenir des OGM sans qu’ils en soient à l’origine. De plus, il est difficile d’identifier un responsable, en raison de la complexité du montage juridique utilisé par les sociétés pour mettre en œuvre les expérimentations en plein champ d’OGM.

3.5 L’auteur estime avoir agi par état de nécessité dans lequel il se trouvait de protéger son environnement. Il rappelle qu’en droit français, ce qui caractérise l’état ou l’effet de nécessité, c’est la situation dans laquelle se trouve une personne qui, pour sauvegarder un intérêt supérieur, n’a d’autre ressource que d’accomplir un acte défendu.

3.6 Relativement à l’article 25, l’auteur estime qu’en 2001, date de l’action à laquelle il a participé, aucun débat public n’avait été instauré pour permettre au simple citoyen de prendre part activement aux décisions des pouvoirs publics liées à l’environnement. C’est pourquoi des actions de fauchage ont été mises en œuvre par des groupes de paysans et citoyens pour qu’un débat public s’engage avec l’État et que des commissions soient mises en place pour réfléchir sur la question de l’utilisation des cultures OGM et sur les risques pour la santé et l’environnement. L’auteur prétend qu’une majorité de français (agriculteurs et consommateurs) s’opposent aux cultures d’OGM, mais que l’État a une position très restrictive qui consiste à continuer à autoriser les essais en champ de ce type de cultures d’OGM sans procéder à une consultation populaire au préalable. Il estime donc que l’État partie n’a pas respecté les dispositions de l’article 25 a) et a outrepassé ses pouvoirs en matière de politique environnementale.

3.7 Concernant l’article 2, paragraphe 3 a) et b), l’auteur considère que les citoyens n’ont aucun moyen légalement reconnu pour faire valoir leurs arguments et orienter les décisions des pouvoirs publics en matière d’OGM. Il fait valoir que le dispositif législatif français ne lui permet pas d’avoir un accès effectif à la justice préalablement à la mise en place des essais en champ d’OGM et qu’il ne peut donc contester des décisions le touchant directement dans sa vie privée et familiale.

3.8 En ce qui concerne l’épuisement des voies de recours internes, l’auteur fait valoir qu’il a invoqué en substance l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le respect de la vie privée et familiale à l’instar de l’article 17 du Pacte. L’auteur estime donc avoir épuisé les voies de recours internes.

3.9 L’auteur indique que la même affaire n’a pas été soumise à la Cour européenne des droits de l’homme. En revanche, elle a été soumise par d’autres plaignants qui figuraient parmi ceux également condamnés par le Tribunal correctionnel de Valence.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1 Par note verbale du 20 avril 2006, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. En premier lieu, il estime que la communication est irrecevable pour défaut de qualité de victime. Il rappelle que les plaignants doivent avoir un intérêt personnel à agir et que le Protocole facultatif ne saurait ouvrir une actio popularis ou permettre l’examen in abstracto des législations nationales . Pour que l’auteur puisse se considérer victime, il lui faut établir que le texte contesté a été appliqué à son détriment, lui portant de ce fait un préjudice direct, personnel et certain. En l’espèce, l’auteur prétend avoir été victime d’une violation de son droit au respect de sa vie privée garanti par l’article 17 du Pacte du fait de sa condamnation pénale. L’État partie souligne que l’auteur a été condamné par les juridictions pénales pour des faits de destruction ou dégradation volontaire du bien d’autrui commis en réunion, faits qui sont réprimés par l’article 322 ‑1 et suivants du Code pénal. Cette condamnation est sans rapport, direct ou indirect, avec la réglementation relative aux OGM. L’État partie constate, par ailleurs, que l’auteur ne se plaint d’aucune atteinte personnelle à sa santé ou à son environnement. En conséquence, il conclut que l’invocation d’un simple risque non défini avec certitude ne saurait être considéré comme un élément déterminant pour conférer à l’auteur la qualité de victime au regard des dispositions du Pacte.

4.2 En deuxième lieu, l’État partie estime que la communication est irrecevable pour incompatibilité ratione materiae à la fois au regard du grief tiré de l’article 17 que de celui tiré de l’article 25. Il fait valoir que le droit à une alimentation et à un environnement sains ne saurait découler ni du texte de l’article 17 du Pacte, ni de son interprétation par le Comité tel qu’elle ressort de l’Observation générale n o 16 portant sur cet article. Au contraire, la notion de vie privée et familiale est à définir par opposition à la sphère publique. L’État partie estime donc que la communication est incompatible ratione materiae avec l’article 17. En ce qui concerne l’article 25, l’auteur fait valoir que «les citoyens ayant participé à l’action du 26 août 2001 ont agi car ils ne disposaient pas de moyens légaux effectifs permettant à la société civile de se reconnaître dans les lois adoptées». L’État partie considère qu’une telle interprétation du droit de prendre part à la direction des affaires publiques ne découle pas de l’article 25, ni de l’Observation générale n o 25 du Comité. La communication est donc incompatible ratione materiae avec l’article 25.

4.3 En troisième lieu, l’État partie considère que la communication est irrecevable pour non ‑épuisement des voies de recours internes utiles. Il rappelle que le fait générateur de la contestation présentée par l’auteur est constitué par l’arrêté du Ministre de l’agriculture du 28 avril 2000 ayant autorisé la société Biogemma à procéder à une dissémination volontaire d’OGM. Il rappelle également qu’il existe en droit français la possibilité de demander l’annulation d’un arrêté ministériel en exerçant un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État. L’effet d’un tel recours, lorsque le juge administratif constate l’illégalité de l’acte, est d’annuler ce dernier de façon rétroactive. Dans le cas d’espèce, au lieu d’exercer ce recours légal ouvert à toute personne à laquelle une décision administrative fait grief, l’auteur a préféré mettre en demeure le Ministre de l’agriculture de faire cesser les disséminations d’OGM et détruire les biens appartenant à autrui. Il n’a donc pas exercé les recours utiles à sa disposition.

4.4 En dernier lieu, l’État partie considère que la communication est irrecevable au motif qu’elle constitue un abus de droit. En l’espèce, l’objectif de la communication présentée par l’auteur consiste à lancer un débat public sur la culture d’OGM en France. Par conséquent, elle constitue à la fois un détournement de procédure et un abus de droit.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Dans ses commentaires du 5 juillet 2006, l’auteur fait valoir qu’il s’estime personnellement visé en qualité de victime. Il rappelle que les faits pour lesquels il a été condamné sont directement liés au manque de réglementation relative aux OGM puisque son argumentation d’origine dans ce dossier consistait à dire qu’il agissait en état de nécessité pour prévenir un danger imminent lié à la dissémination de plants de maïs transgéniques en plein champ. Il estime donc être une victime directe d’un cas concret d’application d’une législation qui porte atteinte à l’exercice de ses droits garantis par le Pacte. Il invoque la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui se serait livré à un contrôle abstrait de la conventionnalité de la loi dans certains de ses arrêts. Il distingue la situation des auteurs de la communication Bordes et Temeharo c. France de la sienne puisqu’il estime être une victime directe potentielle des menaces liées aux disséminations d’OGM dans l’environnement lors d’essais en plein champ qui constituent un danger imminent et réel pour la jouissance de sa vie privée et familiale et sa qualité de vie .

5.2 Sur la compétence ratione materiae du Comité concernant l’article 17, l’auteur insiste qu’il existe un lien entre la préservation de l’environnement et la protection effective de certains droits et libertés fondamentaux consacrés par les articles 17 et 6 du Pacte. Il invoque plusieurs instruments internationaux pertinents, et rappelle que l’Observation générale n o 16 du Comité précise que les ingérences autorisées par les États doivent être prévues par la loi qui doit elle ‑même se conformer aux dispositions, buts et objectifs du Pacte. Le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile impose à l’État de prendre toutes mesures visant à protéger les particuliers contre toute ingérence des pouvoirs publics ou de personnes privées à l’encontre du droit garanti. D’après l’auteur, l’ingérence doit être justifiée et proportionnée par rapport aux dispositions, buts et objectifs du Pacte. En l’espèce, l’ingérence des pouvoirs publics réside dans leur inaction à prendre des mesures nécessaires à prévenir les dangers liés aux disséminations d’OGM en plein champ sur la santé et l’environnement de l’auteur. L’État partie a même violé une deuxième fois les droits de l’auteur en le poursuivant pour avoir voulu faire cesser la violation dont il était victime et en obtenant condamnation contre lui.

5.3 Sur la compétence ratione materiae du Comité concernant l’article 25, l’auteur insiste que les citoyens ne disposaient pas d’un recours effectif et efficace pour prévenir les risques causés par les essais d’OGM en plein champ sur l’environnement et la santé publique. Il fait valoir que l’article 25 a) comporte une obligation procédurale inhérente au droit garanti d’assurer une participation au processus décisionnel, et que cet aspect procédural implique le droit à l’information, à la participation et à des voies de recours appropriées. Il rappelle, qu’au moment des faits, il ne disposait pas de moyens pour réunir les informations utiles et pertinentes lui permettant de participer au processus décisionnel des autorités publiques visant à autoriser les disséminations des cultures OGM en plein champ. C’est en ce sens que l’article 25 a été violé, les autorités publiques n’ayant pas permis à l’auteur de participer au processus décisionnel environnemental. L’auteur fait valoir que les autorités publiques n’ont pas effectué les études d’évaluation préalables requises et n’a pas informé la population des dangers possibles liés à la dissémination des OGM en plein champ. Ainsi, le Conseil d’État a récemment annulé la décision du Ministre de l’agriculture autorisant la dissémination volontaire de maïs transgénique au motif que le dosser technique, qui doit contenir tous les éléments permettant d’évaluer l’impact des essais sur la santé publique et l’environnement, était irrégulier . Il estime donc qu’il est parfaitement fondé à invoquer l’article 25 a) en le combinant avec l’article 2, paragraphe 3 a) et b).

5.4 Sur l’épuisement des voies de recours, l’auteur considère qu’il a épuisé toutes les voies de recours internes puisque la Cour de cassation a rejeté son pourvoi le 28 avril 2004. En ce qui concerne la saisine des juridictions administratives, l’auteur précise que l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif ne vise pas l’épuisement de toutes les voies de recours internes disponibles existant au plan constitutionnel, administratif, civil et pénal. Il n’est pas obligatoire, pour rendre la communication recevable, d’épuiser toutes les voies de droit concevables . Il rappelle qu’il ne pouvait saisir la juridiction administrative dans la mesure où aucune décision administrative n’a été prise à son encontre et que, de ce fait, aucun recours administratif ne lui était immédiatement disponible. En tout état de cause, à ce stade de la procédure, un recours administratif n’est plus disponible à l’auteur. Bien que l’État partie ait reproché aux auteurs de plusieurs communications précédentes de ne pas avoir saisi les juridictions administratives, l’auteur rappelle que le Comité avait néanmoins conclu qu’il pouvait examiner ces communications .

5.5 L’auteur fait valoir que vu le danger posé par la contamination des cultures conventionnelles et biologiques par les cultures OGM, il ne pouvait différer son intervention ou attendre l’issue judiciaire d’une demande d’annulation d’autorisation de disséminer des OGM. Une décision du tribunal administratif serait de toute façon intervenue postérieurement à la semence des cultures OGM et n’aurait pas permis d’empêcher la dissémination et la contamination des autres cultures par les essais d’OGM en plein champ. L’auteur rappelle que dans des cas similaires, les actions en justice portées devant les juridictions administratives en annulation des autorisations de dissémination d’OGM en milieu ouvert n’ont abouti que deux ans après les autorisations laissant tout le temps nécessaire aux essais OGM en plein champ de contaminer les cultures avoisinantes conventionnelles et biologiques.

5.6 En dernier lieu, l’auteur ajoute qu’il y a également violation de l’article 6 et fait valoir que la promotion d’un environnement sain contribue à la protection du droit à la vie. Il invoque une décision du Comité concernant les déchets radioactifs et dans laquelle le Comité avait observé que la communication soulevait de sérieuses questions quant à l’obligation des États parties de protéger la vie humaine au regard de l’article 6, paragraphe 1, sans toutefois retenir une violation de cette disposition .

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Concernant les allégations de l’auteur au titre des articles 6 et 17 du Pacte, le Comité rappelle qu’aucun individu ne peut, dans l’abstrait et par voie d’ actio popularis, contester une loi ou une pratique, d’après lui, contraire au Pacte . Toute personne qui se prétend victime d’une violation d’un droit protégé par le Pacte doit démontrer soit qu’un État partie a, par action ou par omission, déjà porté atteinte à l’exercice de son droit, soit qu’une telle atteinte est imminente, en se fondant par exemple sur le droit en vigueur ou sur une décision ou une pratique judiciaire ou administrative . En l’espèce, le Comité note que les arguments de l’auteur (voir par. 3.2 à 3.5) se réfèrent aux dangers généraux qui proviendraient de l’utilisation des cultures OGM et constate que les faits de la cause ne montrent pas que la position de l’État partie concernant des cultures de plants transgéniques en plein champ représente pour l’auteur une violation effective ou une menace imminente de violation de son droit à la vie et au respect de la vie privée et familiale, et du domicile. Après un examen des arguments invoqués et des éléments d’information dont il est saisi, le Comité conclut donc que l’auteur ne peut pas prétendre être une «victime» d’une violation des articles 6 et 17 du Pacte au sens de l’article premier du Protocole facultatif.

6.4 Le Comité note la plainte de l’auteur au titre de l’article 25 a) du Pacte, selon laquelle l’État partie l’a privé du droit et de la possibilité de participer à la direction des affaires publiques, s’agissant des cultures de plants transgéniques en plein champ. Le Comité rappelle que les citoyens prennent aussi part à la direction des affaires publiques en exerçant leur influence à travers le débat et le dialogue publics avec leurs représentants élus et par le biais de leur aptitude à s’organiser. En l’espèce, l’auteur a participé au débat public en France sur la question des cultures de plants transgéniques en plein champ; il l’a fait par l’intermédiaire de ses représentants élus et à travers l’action d’une association. Dans ces circonstances, le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, l’allégation selon laquelle son droit de prendre part à la conduite des affaires publiques a été violé. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif .

6.5 Le Comité rappelle que l’article 2 du Pacte ne peut être invoqué par les particuliers qu’en relation avec d’autres dispositions du Pacte, et note que le paragraphe 3 a) de l’article 2 stipule que chaque État partie s’engage à «garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus [dans le Pacte] auront été violés disposera d’un recours utile». Le paragraphe 3 b) de l’article 2 assure une protection aux victimes présumées si leurs plaintes sont suffisamment fondées pour être défendables en vertu du Pacte. Il ne peut être raisonnablement exigé d’un État partie, en application du paragraphe 3 b) de l’article 2, de faire en sorte que de telles procédures soient disponibles même pour les plaintes les moins fondées . Considérant que l’auteur de la présente communication n’a pas étayé sa plainte aux fins de la recevabilité au titre de l’article 25, son allégation de violation de l’article 2 du Pacte est aussi irrecevable, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1 et 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion partiellement dissidente de M. Hipólito Solari ‑Yrigoyen

Je suis partiellement en désaccord avec l’opinion de la majorité. J’approuve la déclaration d’irrecevabilité de la communication, mais je la fonderais certes sur l’article 2 du Protocole facultatif, mais aussi sur son article 3, dans la mesure où je partage l’avis de l’État partie (par. 4.4), selon lequel l’auteur a commis un abus de droit en présentant la communication sans étayer ni prouver sa condition alléguée de victime.

( Signé ) Hipólito Solari ‑Yrigoyen

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

DD. Communication n o 1468/2006, Winkler c. Autriche * (Décision adoptée le 24 juillet 2007, quatre ‑vingt ‑dixième session)

Présentée par :

Hermann Winkler (représenté par un conseil, M. Alexander H. E. Morawa)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Autriche

Date de la communication :

31 janvier 2006 (date de la lettre initiale)

Objet : Traitement discriminatoire d’adoptés adultes

Questions de procédure : «Même question» examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; non ‑épuisement des recours internes; appréciation des faits et des éléments de preuve

Questions de fond : Égalité devant les tribunaux; immixtion arbitraire dans la vie de famille; discrimination

Articles du Pacte : 2 (par. 1), 14 (par. 1), 17, 26

Articles du Protocole facultatif : 2, 5 (par. 2 a) et b))

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est Hermann Winkler, citoyen autrichien né le 23 novembre 1957. Il affirme être victime de violation par l’Autriche du paragraphe 1 de l’article 14, de l’article 17, lu seul ou conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. Alexander Morawa. L’Autriche est devenue partie au Protocole facultatif le 10 décembre 1987.

Exposé des faits

2.1 Après avoir perdu ses parents (en 1968 et 1974, respectivement) l’auteur a rencontré au milieu des années 80 un couple âgé sans enfant, Alfred et Rosa Laubmaier. Rosa Laubmaier possédait un appartement à Salzbourg mais, la plupart du temps, elle vivait avec son mari dans un autre appartement ainsi que dans une résidence située au bord d’un lac en Haute ‑Autriche. M me Laubmaier avait pour seuls parents une nièce, M me Schwaighofer, et ses descendants, dont Johannes Krauss.

2.2 L’auteur devint bientôt très proche du couple, qui commença même, dès 1985, à envisager la possibilité de l’adopter. Les Laubmaier souhaitaient avant tout trouver quelqu’un pour s’occuper d’eux lorsqu’ils en auraient besoin. L’auteur n’était pas intéressé au début mais, plusieurs années après, lorsqu’il a commencé à songer aux études secondaires de ses enfants, il a étudié sérieusement la proposition. Les Laubmaier et l’auteur ont conclu un contrat d’adoption par écrit et l’ont signé les 4 et 12 juillet 1990, respectivement. En vertu de la loi autrichienne, l’adoption confère aux parents adoptifs et aux enfants adoptés des droits égaux à ceux que donne la naissance biologique. L’adoption de mineurs comme de personnes adultes s’effectue par voie de contrat entre le(s) parent(s) adoptif(s) et l’adopté, mais la loi impose certaines limites et certains préalables à l’adoption d’adultes. En ce qui concerne les droits de succession, les enfants adoptés jouissent du même statut au regard de la loi que les enfants biologiques légitimes. Le contrat d’adoption doit être soumis à l’approbation d’un tribunal compétent par les futurs parents adoptifs et l’enfant adopté, le contrat étant homologué si les conditions spécifiées par la loi sont satisfaites. Dans le cas de l’auteur, le contrat d’adoption n’a pas été soumis à l’homologation du tribunal, comme le veut la loi.

2.3 L’auteur s’est marié en 1988 et a eu deux enfants (nés en 1985 et 1989, respectivement). La famille ayant des problèmes de logement, la femme de l’auteur et ses enfants allèrent vivre avec les parents de celle ‑ci dans la province de Styrie tandis que l’auteur, qui était policier, demeurait à Salzbourg pendant la semaine faute d’avoir pu obtenir sa mutation dans la police locale en Styrie. Les Laubmaier souhaitaient que l’auteur et les membres de sa famille emménagent dans leur appartement à Salzbourg mais ces derniers ayant pris l’habitude de vivre à la campagne, il se révéla difficile pour l’auteur de les faire revenir à Salzbourg. Les Laubmaier avaient à l’égard de l’auteur des exigences qui étaient incompatibles avec son horaire de travail au sein des forces de police. En conséquence, les Laubmaier et l’auteur convinrent d’annuler le contrat d’adoption et signèrent à cet effet le 14 novembre 1990 un document qu’ils firent légaliser. Ils n’en restèrent pas moins très proches. Le 7 février 1991, les Laubmaier indiquèrent par écrit à l’auteur qu’ils voulaient garder le contrat d’adoption de juillet 1990 bien qu’il eût été annulé par l’officier public, rétablissant ainsi l’adoption tel que stipulé dans ledit contrat. Là encore, la décision ne fut pas soumise à l’approbation d’un tribunal. En octobre 1992, les Laubmaier auraient rédigé une lettre déclarant qu’ils voulaient annuler l’adoption, sans toutefois conférer d’effet juridique à cette lettre, et la relation parents ‑enfant se poursuivit jusqu’au décès des Laubmaier en 1994.

2.4 Le 3 novembre 1988, M me Laubmaier écrivit son testament dans lequel elle spécifiait que son mari hériterait de la propriété au bord du lac, qui, en cas de décès de l’intéressé, reviendrait à la nièce de M me Laubmaier, M me Schwaighofer. Elle spécifiait également que Johannes Krauss hériterait de l’appartement de Salzbourg. Le 13 février 1991, M me Laubmaier modifia son testament de 1988 en spécifiant qu’à la mort de son mari, la propriété au bord du lac reviendrait non plus à sa nièce, M me Schwaighofer, mais à l’auteur. Elle supprima également de son testament le paragraphe qui léguait à son arrière petit ‑neveu, Johannes Krauss, son appartement de Salzbourg, laissant ainsi ouverte la question de savoir à qui reviendrait cet appartement.

2.5 Au début du printemps de 1994, M me Schwaighofer prit contact avec les Laubmaier et leur offrit son assistance. Les Laubmaier mirent à sa disposition l’appartement de Salzbourg et lui confièrent un compte d’épargne qu’elle pouvait utiliser pour ses propres besoins.

2.6 M. et M me Laubmaier décédèrent le 14 avril et le 6 juin 1994, respectivement. On découvrit que M me Laubmaier avait modifié son testament le 26 mai 1994, léguant à sa nièce la totalité de ses biens à l’exception de son appartement. Le testament ainsi modifié ne réglait pas la question de savoir à qui revenait l’appartement de Salzbourg. Étant donné que M me Schwaighofer n’acceptait pas l’héritage et refusait de signer une déclaration d’acceptation, l’auteur déclara qu’il accepterait l’héritage compte tenu de son statut de fils adoptif.

2.7 Le 1 er juillet 1994, l’auteur adressa une requête au tribunal de district d’Oberndorf près de Salzbourg pour lui demander d’homologuer le contrat d’adoption de juillet 1990 mais omit de faire le nécessaire pour modifier son nom et prendre le patronyme de Laubmaier, ce qui était l’une des conditions spécifiées dans le contrat d’adoption. Le tribunal de district rejeta sa requête, de même que le tribunal régional et la Cour suprême. Ces derniers indiquèrent toutefois que l’homologation aurait dû en principe être accordée si l’auteur s’était conformé à l’exigence du changement de patronyme. Au terme d’une série de procédures, le tribunal régional de Salzbourg autorisa le 25 juin 1997 le contrat d’adoption. Suite à cette décision, le tribunal de district de Salzbourg transféra, par ordonnance du 7 juillet 1999, la totalité de l’héritage à l’auteur.

2.8 Suite à ce transfert de la succession Laubmaier, l’arrière petit ‑neveu de la mère adoptive de l’auteur, Johannes Krauss, engagea des poursuites contre l’auteur, contestant son droit à la succession en ce qui concernait l’appartement de Salzbourg appartenant aux défunts. Il affirmait que l’intention de M me Laubmaier de lui léguer l’appartement n’était pas remise en cause par les modifications successives de son testament ni par l’adoption de l’auteur. Le 5 janvier 2001, le tribunal régional de Salzbourg a donné raison à M. Krauss et ordonné à l’auteur de consentir à ce que l’appartement soit transféré au neveu. Le jugement contient le paragraphe suivant:

«En résumé, le tribunal a le sentiment que le défendeur [l’auteur] a agi de manière assez calculatrice. Ayant le contrat d’adoption “dans la poche”, il a conduit les Laubmaier à penser que le reste n’importait plus, et a évité ainsi d’avoir à être proche d’eux, ce qui était sans aucun doute épuisant. Le fait qu’il se soit approprié les deux biens immobiliers lors de la procédure de succession, alors qu’on lui aurait simplement promis l’appartement, donne de lui une mauvaise image. Et il ne s’est pas soucié de la volonté des défunts de préserver leur patronyme, ce qui renforce cette image.».

L’auteur a fait appel du jugement et a été débouté le 14 mai 2001 par la cour d’appel de Linz, qui l’a toutefois autorisé à se pourvoir devant la Cour suprême. Le 6 septembre 2001, celle ‑ci a rejeté l’appel comme irrecevable.

2.9 Le 8 novembre 2001, l’auteur a reçu une lettre anonyme affirmant que M me Laubmaier avait l’intention de léguer son appartement non pas à M. Krauss mais bien à lui ‑même en tant que fils adoptif. À cette lettre était jointe une note écrite à la main par M me Laubmaier le 23 octobre 1989 et modifiée le 7 janvier 1993. En conséquence, le 15 novembre 2001, l’auteur a engagé une action pour demander la réouverture de l’instance devant le tribunal régional de Salzbourg. Le 30 août 2002, le tribunal a rejeté sa demande. L’auteur a introduit un recours devant la cour d’appel de Linz, qui l’a débouté le 19 février 2003 au motif que les nouveaux éléments de preuve produits n’étaient pas recevables. L’auteur s’est pourvu devant la Cour suprême, se plaignant en particulier de l’absence d’équité dans la procédure et de n’avoir pu être entendu sur les éléments que la cour d’appel avait pris en considération pour rendre sa décision. La Cour suprême a rejeté le pourvoi le 12 juin 2003 mais cet arrêt n’a été communiqué à l’auteur que le 29 juillet 2003.

2.10 Le 19 août 2003, l’auteur a porté plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme, invoquant des violations de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article premier du premier Protocole. Sa requête a été déclarée irrecevable le 24 octobre 2003, au motif qu’elle ne faisait apparaître aucune violation des droits garantis par la Convention ou ses Protocoles.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que du fait du caractère manifestement arbitraire des décisions de justice à l’égard des adultes adoptés, l’État partie a violé son droit à l’égalité devant les tribunaux en vertu de l’article 14, paragraphe 1, ainsi que son droit à l’égalité en vertu de l’article 26 du Pacte. Il soutient que la loi impose certaines restrictions à l’adoption de personnes adultes. Les adoptés adultes et leurs parents adoptifs doivent prouver l’existence d’une relation parents ‑enfant alors que dans le cas des mineurs, la simple intention d’établir une telle relation est jugée suffisante. En outre, les personnes qui sollicitent l’approbation d’un contrat d’adoption concernant un adulte doivent démontrer qu’il existe des circonstances particulières justifiant l’adoption. En considérant les adoptions d’adultes comme «faibles», la justice autrichienne leur confère une certaine connotation négative, ce qui a des conséquences très concrètes sur la façon dont les adultes adoptés sont perçus et traités dans les affaires portées devant les tribunaux (en particulier les affaires de succession). De fait, l’auteur affirme que le juge et la cour d’appel ont eu tendance de façon perceptible à favoriser activement les membres de la famille biologique éloignés au détriment de l’auteur.

3.2 À l’appui de ses affirmations concernant le manque d’objectivité et l’arbitraire manifestés à son endroit, l’auteur renvoie au jugement rendu en première instance par le tribunal régional de Salzbourg le 5 janvier 2001 , dans lequel il est précisé qu’il était un individu «calculateur», ayant trompé ses parents adoptifs et œuvré sans relâche pour obtenir d’eux autant de possessions matérielles que possible, alors que l’auteur affirme que son dossier n’étaye pas de telles conclusions. Il se plaint également que le tribunal de première instance ait inclus des jugements de valeur dans le «récapitulatif des faits» pour discréditer l’auteur, sans justifier ses affirmations. À son avis, en procédant ainsi, le but du tribunal était de créer l’impression que l’auteur avait été poussé par des motifs pécuniaires lorsqu’il avait accepté l’adoption. L’auteur déclare en outre que le parti pris des juges à son encontre se répète dans le choix du vocabulaire utilisé pour traduire leur scepticisme. Enfin, les tribunaux auraient utilisé des éléments de preuve «de manière sélective» et au détriment de l’auteur.

3.3 L’auteur demande au Comité d’examiner comment les éléments de preuve ont été appréciés et comment les juges se sont comportés lorsqu’ils ont rendu leur jugement. Selon lui, cet examen fera apparaître un parti pris solidement ancré des juges à son encontre parce qu’il est un adopté adulte. Il affirme que le Comité est également compétent pour examiner l’interprétation d’une disposition testamentaire dans la mesure où cette interprétation a un caractère arbitraire .

3.4 L’auteur affirme en outre être victime d’une violation de l’article 17, lu seul et conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, car l’État partie s’est immiscé dans sa vie familiale. Il soutient que la relation entre parents et enfants adoptifs relève de l’article 17. Il estime que le droit de léguer ses biens, spécialement en cas de décès, à un descendant ou à un autre membre de la famille, est englobé dans le droit à la vie familiale.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1 Le 3 juillet 2006, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il déclare que le grief de l’auteur porte simplement sur l’action en matière de succession engagée par lui à propos de l’appartement de Salzbourg et il s’inscrit en faux contre l’évaluation qui est faite, dans la communication, de la conduite de cette procédure et de l’appréciation des éléments de preuve par le tribunal de Salzbourg, ainsi que du jugement rendu par celui ‑ci le 5 janvier 2001.

4.2 L’État partie conteste la recevabilité de la communication pour trois motifs. Il soutient que la question dont est saisi le Comité est «la même» que celle qui a été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. Il invoque l’article 5, paragraphe 2 a) du Protocole facultatif et la réserve qu’il a émise et rappelle que l’auteur a déposé une requête le 19 août 2003 devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a déclarée irrecevable le 4 novembre 2003 . Les faits sur lesquels repose la plainte déposée par l’auteur auprès de la Commission européenne des droits de l’homme et du Comité sont les mêmes. Dans sa communication à la Cour européenne des droits de l’homme, l’auteur a allégué une violation de son droit à un procès équitable et impartial (art. 6 de la Convention européenne) et une violation du droit de propriété.

4.3 L’État partie rappelle que, dans la communication qu’il a adressée au Comité, l’auteur allègue des violations de l’article 2, paragraphe 1; de l’article 14, paragraphe 1; et des articles 17 et 26 du Pacte. Selon l’État partie, les articles 14 et 6 de la Convention européenne sont similaires, respectivement, à l’article 2, paragraphe 1, et à l’article 14, du Pacte. Il concède que la Convention ne contient pas de disposition équivalente à celle de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte, mais considère que la plainte porte, en substance, sur les vices de procédure qui auraient entaché les débats du tribunal et qui constituent aussi l’objet de la plainte déposée devant la Commission européenne des droits de l’homme. L’État partie admet que le Comité aura peut ‑être à examiner la plainte au titre de l’article 17. Il fait cependant valoir qu’en ce qui concerne cet article, l’auteur conteste exclusivement l’appréciation des faits et des éléments de preuve et que les vices de procédure allégués sont essentiellement les mêmes que ceux dont il s’est plaint devant la Cour européenne des droits de l’homme. L’État partie conclut que la communication a bien été «examinée» par la Cour européenne et qu’elle est donc irrecevable.

4.4 L’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. L’auteur se plaint que le juge qui a présidé les débats au tribunal régional de Salzbourg n’était pas impartial. Le système judiciaire autrichien prévoit un recours approprié et utile en pareil cas: une demande en récusation du juge peut être déposée conformément à la section 19, paragraphe 2, de la loi sur la compétence des juges. Si la requête est acceptée, le juge est dessaisi de l’affaire et les mesures qu’il a prises au cours de la procédure sont déclarées nulles et non avenues. Ne s’étant pas prévalu de cette possibilité, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes.

4.5 En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle la loi ne traite pas de façon égale les enfants adoptés et les adultes adoptés, l’État partie note que l’intéressé aurait dû soulever ces questions au cours de la procédure judiciaire d’approbation de la demande d’adoption, conformément à l’article 7, paragraphe 1, de la Constitution fédérale. Le tribunal aurait alors été dans l’obligation, en vertu de l’article 140, paragraphe 1, de la Constitution, d’introduire une requête dûment motivée auprès de la Cour constitutionnelle pour qu’elle réexamine les lois applicables dans de telles procédures. En vertu de cette disposition, l’auteur aurait pu déposer lui ‑même une telle requête. Ne l’ayant pas fait, il n’a donc pas épuisé les recours internes.

4.6 L’État partie soutient que l’auteur cherche essentiellement à obtenir un réexamen de la décision sur le fond prise par les autorités judiciaires nationales, en particulier s’agissant des conclusions relatives aux éléments de fait et de preuve. Il affirme que le but de la communication est clairement de faire jouer au Comité le rôle d’une quatrième instance, qui réexaminerait l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme.

4.7 Selon l’État partie, la communication peut être interprétée comme contestant le système juridique autrichien relatif à l’adoption des adultes. Il fait valoir que l’auteur a bénéficié de l’adoption et ne peut donc pas s’estimer lésé. Il note qu’un examen in abstracto des dispositions juridiques n’est pas recevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité

5.1 Dans une lettre datée du 5 septembre 2006, l’auteur estime qu’il n’y pas de raison de déclarer la communication irrecevable au regard de l’article 17. Il explique en outre que, bien que les faits sur lesquels reposent les plaintes qu’il a déposées devant la Cour européenne des droits de l’homme et devant le Comité soient les mêmes, ses griefs sont différents. Sa communication au Comité renvoie au libellé même de l’article 14, paragraphe 1, qui est unique en son genre et garantit un droit supplémentaire qui n’est pas énoncé dans la norme parallèle de la Convention européenne: le droit à l’égalité devant les tribunaux et son corollaire, l’interdiction d’une pratique discriminatoire par les tribunaux. L’auteur allègue une pratique discriminatoire par les tribunaux, en se référant à l’article 2, paragraphe 1, à l’article 14, paragraphe 1, et à l’article 26 lus conjointement. Cet aspect va au ‑delà d’une adhésion formelle aux règles de procédure et déborde donc le champ de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne.

5.2 En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir que la récusation des juges, bien qu’elle soit formellement possible en droit autrichien, n’offre pas un recours utile pour remédier à la partialité d’un juge étant donné que les règles pour l’administration des preuves sont extrêmement contraignantes. Il évoque les principes généraux et la pratique en Autriche concernant la récusation des juges. Il se réfère à la jurisprudence de la Cour suprême et indique que dans les affaires civiles, à la différence des affaires pénales, les juges peuvent également être récusés après qu’ils se sont prononcés sur le fond, si les raisons justifiant la récusation ne sont apparues que lorsque ou après que la juridiction inférieure a rendu son jugement.

5.3 L’auteur soutient en outre que la partialité du juge n’est devenue manifeste que dans son jugement écrit du 5 janvier 2001, dans lequel il s’est montré arbitraire en exprimant un ressentiment injustifié à l’égard de l’auteur. Étant donné que la partialité du juge ne s’était pas manifestée avant le prononcé du jugement, l’auteur n’a pas été en mesure de le récuser avant qu’il ne rende sa décision. C’est pourquoi il a soulevé la question en appel, affirmant que plusieurs déclarations du juge n’étaient pas fondées et trahissaient son parti pris.

5.4 L’auteur affirme qu’il n’a pas demandé un examen in abstracto de la législation interne mais qu’au contraire il a fourni des informations sur le cadre réglementaire et la façon dont il a été appliqué dans son cas. L es violations de ses droits ne découlent pas de ce que les tribunaux ont décidé mais bien de la façon dont ils sont parvenus à leur conclusion. Il soutient donc que sa communication est recevable.

Délibérations du Comité

6.1 A vant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 L’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que la «même question» a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier en ce qui concerne la plainte de l’auteur au titre de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte. Il note également que l’auteur soutient que la requête qu’il a adressée à la Cour européenne des droits de l’homme diffère de celle qu’il a adressée au Comité. La plainte qu’il a soumise à la Cour européenne au titre de l’article 6 de la Convention européenne était fondée sur une violation alléguée de son droit à un jugement équitable et impartial, alors que sa plainte devant le Comité est fondée sur une violation alléguée de son droit à l’égalité devant les tribunaux.

6.3 Le Comité rappelle que, en dépit de certaines différences dans l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne et de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte par les organes compétents, tant la teneur que la portée de ces dispositions sont largement convergentes . Compte tenu des analogies entre ces deux textes et de la réserve émise par l’État partie, le Comité doit déterminer si la décision de la Cour européenne constitue un «examen» de la «même question» que celle dont il est saisi. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle une décision d’irrecevabilité qui supposait l’examen, au moins implicite, d’une plainte quant au fond équivaut à un «examen», aux fins de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif. Il rappelle qu’il faut considérer que la Cour européenne ne s’est pas contentée d’examiner des critères de recevabilité purement formels lorsqu’elle a déclaré la communication irrecevable au motif qu’elle ne faisait «apparaître aucune violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou ses Protocoles». Le Comité estime que l’affirmation de l’auteur selon laquelle le jugement rendu par le tribunal régional de Salzbourg le 5 janvier 2001, évaluant en termes négatifs la conduite de l’auteur, démontre le parti pris du tribunal et équivaut à un traitement inéquitable, est foncièrement identique à l’affirmation contenue dans la requête qu’il a adressée à la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle le principe d’une procédure équitable a été violé. Le Comité considère donc qu’il lui est impossible de réexaminer la décision prise par la Cour européenne concernant la requête de l’auteur au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne. Il conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif.

6.4 Pour ce qui est de la plainte de l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte, selon laquelle les adoptés adultes et les adoptés mineurs ne sont pas égaux au regard de la loi, en particulier s’agissant de l’obligation qui incombe aux adoptés adultes de prouver l’existence préalable d’une relation parents ‑enfant, le Comité note que l’État partie a indiqué qu’un recours est disponible en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la Constitution fédérale. Il note en outre que l’auteur n’a contesté ni l’existence ni l’efficacité potentielle de ce recours, dont il aurait pu se prévaloir s’il avait souhaité contester l’inégalité alléguée de la loi devant les tribunaux internes. En conséquence, il conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.

6.5 En ce qui concerne la plainte de l’auteur au titre de l’article 17, selon laquelle l’État partie s’est immiscé de façon arbitraire dans sa vie familiale en se prononçant d’une façon discriminatoire sur les questions de succession, le Comité considère que cette requête équivaut à demander le réexamen de l’appréciation des éléments de preuve par les tribunaux internes. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle c’est en principe aux tribunaux des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les éléments de fait et de preuve, ou d’examiner l’interprétation de la législation nationale par les tribunaux nationaux, sauf s’il est établi que cette appréciation ou cette interprétation ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice . Compte tenu des éléments dont dispose le Comité, l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, son grief touchant l’arbitraire manifesté à son égard. Le Comité considère donc que la plainte de l’auteur au titre de l’article 17 est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et de l’article 5, paragraphe 2 a) et b), du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur, par l’intermédiaire de son conseil.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Le texte est aussi traduit en arabe et en chinois aux fins du présent rapport.]

Notes

IX. SUIVI DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME CONCERNANT DES COMMUNICATIONS INDIVIDUELLES SOUMISES AU TITRE DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

On trouvera récapitulés ici tous les renseignements communiqués par les États parties et les auteurs ou leur conseil depuis la publication du dernier rapport annuel (A/61/40).

État partie

ALGÉRIE

Affaire

Medjnoune Malik, 1297/2004

Constatations adoptées le

14 juin 2006

Questions soulevées et violations constatées

Arrestation et détention arbitraires et illégales, détention au secret, durée excessive de la détention sans jugement, absence d’information sur les accusations portées contre l’auteur − Article 7, article 9, paragraphes 1, 2 et 3 et article 14, paragraphes 3 a) et c)

Réparation recommandée

Déférer immédiatement l’auteur à la justice pour répondre des chefs d’accusation portés contre lui ou le remettre en liberté, mener une enquête approfondie et diligente sur la détention au secret et les traitements subis par l’auteur depuis le 28 septembre 1999 et engager des poursuites pénales contre les personnes qui seraient responsables de ces violations, en particulier des mauvais traitements, … verser une indemnisation appropriée.

Réponse de l’État partie attendue le

27 octobre 2006

Date de la réponse

Néant

Réponse de l’État partie

Néant

Réponse de l’auteur

Le 9 avril 2007, l’auteur a informé le Comité que l’État partie n’avait pas donné suite à ses constatations. Depuis la date de l’adoption des constatations, l’affaire a été portée devant la Cour de Tizi ‑Ouzou à deux reprises, mais elle n’a pas été jugée. De plus, un habitant de Tizi ‑Ouzou déclare que la police judiciaire l’a soumis à des menaces pour qu’il fasse une fausse déposition à charge contre l’auteur. Cet habitant et un autre habitant (son fils) disent avoir été torturés précédemment, en février et en mars 2002, pour avoir refusé de témoigner à charge contre l’auteur, c’est ‑à ‑dire de déclarer qu’ils l’ont vu dans le quartier où les coups de feu ont été tirés sur la victime. Le premier a été condamné ultérieurement, le 21 mars 2004, à trois ans d’emprisonnement pour appartenance à un groupe terroriste, et le second acquitté, à la suite de quoi il s’est enfui en France où le statut de réfugié lui a été accordé.

Affaire

Boucherf, 1196/2003

Constatations adoptées le

30 mars 2006

Questions soulevées et violations constatées

Disparition, arrestation arbitraire et illégale − Articles 7 et 9 (en ce qui concerne le fils de l’auteur), et article 7 (en ce qui concerne l’auteur, en liaison avec une violation du paragraphe 3 de l’article 2)

Réparation recommandée

Recours utile, consistant notamment à mener une enquête approfondie et diligente sur la disparition et le sort du fils de l’auteur; remise en liberté immédiate du fils de l’auteur s’il est encore en vie; communication d’informations appropriées sur les résultats de l’enquête; indemnisation appropriée de l’auteur et de sa famille pour les violations subies par le fils de l’auteur; … engager des poursuites pénales contre les personnes tenues pour responsables de ces violations, les juger et les punir … adoption de mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir. Le Comité s’associe à la demande du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires en date du 23 décembre 2005 (voir par. 1.2) et affirme de nouveau que l’État partie ne devrait pas invoquer les dispositions du projet de loi d’amnistie (projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale) contre des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou qui ont soumis, ou qui soumettraient, des communications au Comité.

Réponse de l’État partie attendue le

6 juillet 2006

Date de la réponse

Néant

Réponse de l’État partie

Néant

Réponse de l’auteur

Le 30 mars 2006, la mère de l’auteur a informé le Comité qu’un an après l’adoption de ses constatations l’État partie n’avait toujours rien fait pour y donner suite: il n’y a pas eu d’enquête, il n’a pas été engagé de poursuites pénales. L’État partie a communiqué des informations contradictoires à la mère de l’auteur. Premièrement, il lui a dit que l’auteur n’avait pas disparu; puis, le 14 juillet 2004, elle a été officiellement informée que celui ‑ci avait disparu, sans autre explication. Comme aucune enquête n’a été conduite et qu’elle ‑même avait été informée par un témoin que son fils était mort en prison des suites de tortures, elle ne se satisfait pas des explications de l’État partie disant qu’il a disparu. Elle peut demander une indemnisation en invoquant la notification officielle de la disparition. Il reste que cette indemnisation est subordonnée à son silence à l’avenir sur les questions relevant de la loi d’amnistie (Charte pour la paix et la réconciliation nationale). Elle conteste cette loi, notamment parce qu’elle se traduit par une impunité et entraîne un grand désarroi pour la famille de la personne disparue et parce que, dans certains cas, l’indemnisation n’est même pas accordée au motif que le conjoint ou la conjointe dispose d’un revenu. Pareille indemnisation assujettie à une telle condition ne saurait être considérée comme «appropriée» au sens du droit international.

État partie

AUSTRALIE

Affaire

C., 900/1999

Constatations adoptées le

28 octobre 2002

Questions soulevées et violations constatées

Détention en vertu de la loi sur l’immigration d’un demandeur du statut de réfugié présentant des troubles psychiatriques − Article 7 et article 9, paragraphes 1 et 4

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’ État partie est tenu d’assurer un recours utile aux auteurs. Pour ce qui est des violations des articles 7 et 9, dont l’auteur a été victime au cours de sa première période de détention, l’ État partie devrait verser à l’auteur une indemnisation appropriée. S’agissant de l’expulsion envisagée de l’auteur, l’ État partie devrait s’abstenir de renvoyer l’auteur en Iran. Il a l’obligation de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

6 février 2003

Date de la réponse

16 mars 2007 (l’ État partie avait précédemment répondu le 10 février 2003, le 28 septembre 2004 et le 16 août 2006)

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que, comme il est indiqué dans les rapports annuels A/58/40 et A/60/40, l’ État partie lui avait précédemment fait savoir que l’auteur avait quitté le centre de rétention des services de l’immigration de Maribyrnong pour être placé en résidence surveillée. L’auteur se trouvait dans une résidence privée à Melbourne et était libre de se déplacer dans la communauté australienne à condition d’être accompagné de l’un de ses parents désignés.

Le 16 août 2006, l’ État partie a confirmé que l’auteur n’était pas actuellement placé en rétention par les services de l’immigration. Il a contesté avoir violé l’un quelconque des droits de l’auteur, réitéré les arguments qu’il avait déjà avancés avant l’examen de la communication et fourni de nouvelles informations. En ce qui concerne la violation de l’article 7 constituée par la mise en détention, l’État partie s’est référé à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), à savoir que la détention pour infraction pénale d’une personne souffrant de maladie mentale ne constitue pas une violation de l’article 3 (qui est l’équivalent de l’article 7 du Pacte). Il a affirmé qu’en considérant qu’une telle violation a été commise, le Comité oblige les États à libérer les détenus qui souffrent de maladie mentale per se afin de se conformer à l’article 7, sans tenir compte des circonstances et des conditions de la détention de chaque plaignant. Le Comité n’indique pas de quelle manière le plaignant a subi des traitements cruels, inhumains ou dégradants, ni ne précise à quel stade le traitement du plaignant est devenu cruel, inhumain ou dégradant.

S’agissant de la violation de l’article 7 que constituerait l’expulsion du plaignant, l’État partie a affirmé que la situation des chrétiens assyriens en Iran s’était considérablement améliorée au cours des dernières années si bien qu’il n’existait plus de «risque réel» que l’auteur soit victime d’une violation des droits que lui reconnaît le Pacte. Il s’est référé à une affaire portée devant la CEDH dans laquelle la Cour a donné raison au plaignant, mais seulement parce qu’il n’existait pas d’installations médicales appropriées à Saint ‑Kitts et parce que le plaignant se trouvait à un stade avancé de sa maladie et que toute expulsion aurait précipité sa mort. Il a affirmé aussi que si le médicament Clozaril n’est toujours pas facilement disponible en Iran, on peut s’y procurer un médicament équivalent, la «Clozapine». Il n’y aurait donc pas violation de l’article 7 si l’auteur était expulsé. L’ État partie a ajouté qu’il n’était actuellement pas prévu d’expulser l’auteur mais qu’il informerait le Comité de toute évolution de la situation.

P our ce qui est du grief au titre du paragraphe 1 de l’article 9, l’ État partie a nié que la détention de l’auteur ait constitué une violation de cette disposition, mais il a indiqué qu’en juin 2005, le Gouvernement avait annoncé un certain nombre de modifications tant à la loi qu’au traitement des questions concernant les personnes placées dans un centre de rétention par les services de l’immigration, notamment les suivantes: des arrangements se substituant à la détention traditionnelle seraient appliqués aux familles de ressortissants étrangers qui se trouvent illégalement dans le pays; toutes les décisions concernant les visas de protection primaire seraient prises dans les trois mois; le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés se prononcerait dans un délai de trois mois et ferait régulièrement rapport au Parlement sur toute affaire qu’il n’a pas réglée dans ce délai; la situation des personnes détenues depuis deux ans ou plus sera portée à la connaissance du Médiateur tous les six mois pour évaluation; le Ministre de l’immigration et des affaires multiculturelles dispose en outre du pouvoir discrétionnaire d’octroyer un visa à une personne placée en détention et de décider de modalités autres que la détention ainsi que des conditions à remplir pour en bénéficier; enfin, en vertu de la réglementation de 1994 sur l’immigration, un nouveau visa d’attente permet la remise en liberté des personnes se trouvant dans un centre de rétention des services de l’immigration lorsque leur expulsion d’Australie n’est pas réalisable dans des conditions raisonnables à ce moment ‑là. Toutefois, l’État partie maintenait que les dispositions en vertu desquelles l’auteur avait été détenu avaient été jugées légales par la Haute Cour dans plusieurs décisions, y compris des décisions récentes.

L’État partie a affirmé que l’auteur pouvait faire vérifier la légalité de sa détention par un tribunal à tout moment, comme il est requis au paragraphe 4 de l’article 9. À son avis, cette disposition n’exige pas que le tribunal se prononce sur le fond de la question de la détention. L’État partie a suivi l’opinion individuelle de Sir Nigel Rodley. En conclusion, pour les raisons invoquées ci ‑dessus, l’État partie a considéré qu’il n’avait pas à indemniser le plaignant.

Le 16 mars 2007, en réponse à une question du Rapporteur sur le statut de la détention de l’auteur, l’État partie a précisé que celui ‑ci avait obtenu un visa permanent de protection de la classe 866 le 15 mars 1995 et que son assignation à résidence avait été levée le 10 mai 2005.

Réponse de l’auteur

Le 19 octobre 2004, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie de septembre 2004 et confirmé qu’il était «assigné à résidence» mais que sa liberté de mouvement était restreinte, comme l’avait indiqué l’ État partie . Il a ajouté que l’ordre d’expulsion n’avait pas été annulé, qu’il se trouvait toujours sous cette menace et qu’aucune indemnisation ne lui avait été versée pour sa détention illégale.

Décision du Comité

Tout en se félicitant de la levée de l’assignation à résidence de l’auteur, le Comité regrette que l’ État partie refuse d’accepter ses constatations et considère que le dialogue se poursuit.

Affaire

Winata, 930/2000

Constatations adoptées le

26 juillet 2001

Questions soulevées et violations constatées

Expulsion d’Australie des parents indonésiens d’un enfant né en Australie − Article 17, article 23, paragraphe 1, et article 24, paragraphe 1

Réparation recommandée

S’abstenir d’expulser les auteurs d’Australie tant que leur demande de visa parental n’aura pas été examinée compte dûment tenu de la nécessité d’offrir à l’enfant la protection qu’exige sa condition de mineur.

Réponse de l’État partie attendue le

12 novembre 2001

Date de la réponse

28 juillet 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie conteste avoir violé l’un quelconque des articles du Pacte dans cette affaire et renvoie aux opinions individuelles s’y rapportant. Il réitère ses arguments sur le fond. Pour ce qui est de la violation de l’article 17, il n’admet pas devoir s’abstenir d’appliquer ses lois en matière d’immigration dans les cas où des non ‑citoyens installés illégalement sur son territoire y auraient établi une vie de famille. Il se réfère à d’autres constatations du Comité dans lesquelles ce dernier n’établissait pas de violations de l’article 17 dans des affaires d’expulsion lorsque les auteurs avaient une famille dans l’État concerné. Il cite la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui a conclu, notamment, que l’article 8 (qui est l’équivalent de l’article 17) ne garantit pas à chacun le droit de choisir le meilleur endroit pour avoir une vie de famille, ni celui de choisir le lieu de résidence de la famille simplement en demeurant illégalement dans le pays dans lequel l’intéressé souhaite élever ses enfants.

Quant à la violation de l’article 23, l’État partie soutient que les dispositions de cet article ne précisent pas dans le détail la manière dont la famille doit être protégée. Il faut les lire dans le contexte du droit reconnu à l’Australie, en droit international, de contrôler l’entrée, la résidence et l’expulsion des étrangers. Si M. Winata et M me Li sont obligés de quitter l’Australie, le Gouvernement n’empêchera pas leur fils de partir avec eux, ni de se rendre en Indonésie pour leur rendre visite.

Bien que Barry Winata ne soit plus mineur, puisqu’il a 18 ans depuis le 2 juin 2006, l’État partie soutient qu’avant d’atteindre l’âge de 18 ans, il a bénéficié des mêmes mesures de protection que les autres enfants en Australie. Rien n’indique qu’il ne finirait pas par s’adapter aux changements qu’impliquerait tout départ pour l’Indonésie. L’État partie informe le Comité que M. Winata et M me Li vivent actuellement illégalement en Australie. Une demande a été adressée au Ministre de l’immigration au titre de l’article 417 de la loi sur l’immigration de 1958 pour qu’il use de ses pouvoirs discrétionnaires afin de les autoriser à rester dans le pays. Toutefois, cette demande ne sera pas examinée tant que les auteurs n’auront pas été localisés. En attendant, il n’est pas prévu de les expulser d’Australie, et l’État partie informera le Comité de toute évolution de la situation.

Affaire

Coleman, 1157/2003

Constatations adoptées le

17 juillet 2006

Questions soulevées et violations constatées

Liberté d’expression − Article 19, paragraphe 2

Réparation recommandée

Recours utile, couvrant l’annulation de la déclaration de culpabilité de l’auteur, le remboursement de toute amende acquittée par l’auteur par suite de sa condamnation ainsi que le remboursement des frais de justice qu’il a acquittés, et indemnisation pour la détention dont il a fait l’objet en violation du droit qui lui est reconnu par le Pacte.

Réponse de l’État partie attendue le

2 novembre 2006

Date de la réponse

5 février 2007

Réponse de l’État partie

L’État partie conteste la constatation du Comité selon laquelle sa réaction face au comportement de l’auteur constituait une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Il maintient que le paragraphe 2 e) de l’article 8 de l’arrêté n o 39 du conseil municipal de Townsville («l’arrêté») constitue une restriction à la liberté d’expression prévue par la loi et nécessaire aux fins du maintien de l’ordre public et, de ce fait, autorisée au sens du paragraphe 3 b) de l’article 19 du Pacte. Il estime, comme M. Nisuke Ando, M. Michael O’Flaherty et M. Walter Kälin, membres du Comité, l’ont dit dans leur opinion individuelle, qu’instituer un régime d’autorisation visant à assurer un équilibre approprié entre la liberté d’expression et des intérêts distincts est pleinement conforme au Pacte.

Pareil régime d’autorisation est destiné à établir un équilibre entre le droit des individus à la liberté d’expression et les intérêts distincts légitimes de la collectivité en général, et en particulier des autres usagers de la galerie piétonne, notamment le droit du public d’évoluer dans une galerie marchande dans le calme et sans entrave indue, celui des vendeurs et des commerçants de faire en sorte que leurs clients potentiels puissent avoir accès à leurs boutiques et que la galerie offre un environnement agréable, celui d’autres individus ou groupes qui souhaiteraient légitimement utiliser l’espace public pour d’autres activités, ou encore le droit d’autres individus qui pourraient eux aussi souhaiter exercer leur liberté d’expression.

L’État partie reconnaît que la simple existence de certains régimes d’autorisation dont le champ d’application est extrêmement large peut constituer une restriction inacceptable à la liberté d’expression. Or, l’arrêté n’exige une autorisation que dans le cas de l’utilisation d’un espace public relativement réduit, d’autres espaces dans la ville pouvant être utilisés pour tenir des discours en public. L’arrêté permet aussi de prononcer dans la galerie piétonne et sans autorisation un discours politique tel que celui prononcé par l’auteur, à condition de le faire à partir d’une tribune dressée à des fins politiques. L’État partie se réfère à la jurisprudence du Comité pour indiquer que l’exercice du droit à la liberté d’expression ne garantit pas l’exercice d’un droit illimité d’utiliser des lieux ou des enceintes donnésa. La question importante qui se pose est celle de savoir si l’application du régime d’autorisation par les autorités aux circonstances particulières de l’espèce était autorisée au sens du paragraphe 3 de l’article 19. L’auteur a refusé de solliciter une autorisation et, en conséquence, il n’a pas laissé aux autorités la possibilité de lui accorder ou non une autorisation. De fait, aussi bien lors du procès devant la District Court du Queensland, au cours duquel le tribunal a débouté l’auteur de l’appel qu’il avait formé contre sa condamnation en vertu de l’arrêté, que dans la correspondance sur la condamnation échangée avec plusieurs autorités, l’auteur a maintenu qu’il n’avait pas besoin d’autorisation et qu’il n’avait pas à en obtenir une. L’auteur s’était dans le passé livré à des activités dans la galerie, dans le cadre de sa campagne en faveur de la «liberté d’expression», dont le conseil municipal (et, semble ‑t ‑il, des passants) avait considéré qu’elles étaient source de perturbation et qu’elles entravaient l’usage de la galerie par le public, en particulier les jours de pleine activité commerciale comme ceux où le «Cotters Market» se tient. En réponse à la campagne de M. Coleman, le conseil municipal était convenu d’affecter un endroit à l’édification d’une tribune à partir de laquelle des discours peuvent être prononcés.

Le discours à l’origine de la plainte de l’auteur a été prononcé le 20 décembre 1998, jour de «Cotters Market» dans la galerie piétonne. Le conseil municipal a indiqué que «M. Coleman obtiendrait probablement l’autorisation de s’adresser au public s’il en sollicitait une pour le faire un autre jour que le jour de “Cotters Market”, et le conseil municipal pourrait prendre des disposition pour que M. Coleman puisse prononcer un discours en public ailleurs que dans la galerie piétonne Flinders s’il tient à le faire un jour de “Cotters Market”.».

L’État partie fait observer par ailleurs que si l’auteur a été placé en détention suite à l’infraction, ce n’était pas simplement parce qu’il avait prononcé un discours en public sans autorisation, mais parce qu’il avait refusé de payer l’amende à laquelle la Magistrate’s Court du Queensland l’avait condamné. Lors du procès de l’auteur devant la Magistrate’s Court du Queensland, le ministère public a requis une amende pour outrage à magistrat. Nonobstant, le juge a envisagé la possibilité de prononcer d’autres sanctions autorisées par la législation du Queensland, par exemple le sursis probatoire ou un travail d’intérêt général. L’auteur a refusé ces peines de substitution, étant donné qu’il était apparemment convaincu qu’il devrait avoir le droit de s’adresser au public dans la galerie sans autorisation. L’auteur avait par ailleurs refusé les offres que d’autres personnes lui avaient faites de payer l’amende à sa place. C’est son refus de payer l’amende qui a conduit à son arrestation, à laquelle il a opposé une résistance, ce qui lui a valu une inculpation pour refus d’obtempérer à un agent de police. La décision d’incarcérer l’auteur semble avoir été influencée par ses violations réitérées de l’arrêté, avant et après l’affaire en question, et par son refus persistant d’accepter la légitimité de quelque sanction que ce soit pour infraction à l’arrêté.

L’État partie pense qu’il faudrait prendre en considération l’ensemble des circonstances de l’affaire. Et c’est compte tenu de ces circonstances que le Gouvernement australien croit que le traitement dont l’auteur a fait l’objet n’était pas disproportionné et qu’il n’accepte pas la conclusion que l’auteur a droit à une quelconque réparation.

Décision du Comité

Le Comité regrette que l’État partie refuse d’accepter ses constatations et considère que le dialogue reste ouvert.

Affaire

Brough, 1184/2003

Constatations adoptées le

17 mars 2006

Questions soulevées et violations constatées

Détention d’un mineur aborigène − Article 10 et article 24, paragraphe 1

Réparation recommandée

Recours utile, sous la forme d’une indemnisation adéquate

Réponse de l’État partie attendue le

6 juillet 2006

Date de la réponse

15 février 2007

Réponse de l’État partie

L’État partie maintient que la communication est irrecevable et n’accepte pas la constatation du Comité selon laquelle il a violé quelque droit que ce soit de l’auteur. Il considère que le Comité n’a pas attaché suffisamment d’importance au fait que l’auteur avait participé à un grave incident au centre de détention pour mineurs de Kariong, ce qui laissait présager des risques considérables pour la sécurité de l’auteur lui ‑même et les autres détenus pendant sa détention au centre pénitentiaire de Parklea. Le Comité n’a pas tenu compte du fait que l’auteur n’avait pas été transféré directement du centre de détention pour mineurs de Kariong à Parklea. Comme l’État partie l’a indiqué dans sa réponse au Comité, l’auteur a passé dix jours au Metropolitan Remand and Reception Centre (MRRC) (maison d’arrêt) avant son transfèrement à Parklea. Il avait été placé dans cet établissement parce que son comportement ne permettait pas de le maintenir dans un centre de détention pour mineurs. Pendant ces dix jours, il a fait l’objet d’expertises et le personnel de la maison d’arrêt a établi un rapport de prise en charge, identifiant les risques et les besoins et la manière d’y répondre. Son comportement au centre de Parklea ne saurait être appréhendé isolément de celui qu’il avait eu avant d’y être placé. Son comportement autodestructeur s’était déjà manifesté auparavant et devrait être perçu comme l’expression de sa personnalité complexe et difficile plutôt que comme une résultante de son traitement. Son comportement en détention s’inscrivait dans le prolongement d’une tendance ancienne, apparue en 1994 alors qu’il avait 12 ans et que le personnel du centre de Parklea a essayé de prendre en charge. Le Comité n’a pas mis en avant le fait que l’auteur avait vu à plusieurs reprises un psychologue alors qu’il était dans une cellule de protection. D’autres détails concernant son traitement n’ont pas pu être communiqués, l’auteur ayant refusé de consentir à la divulgation de son dossier médical.

L’État partie expose un certain nombre de modifications apportées depuis 1999 et destinées à améliorer la prise en charge des délinquants ayant des besoins complexes. Les protocoles d’intervention en cas de risques ont été révisés pour permettre de mieux prendre en charge les détenus dont il a été établi qu’ils risquent de s’automutiler ou de se suicider. C’est ainsi qu’un bureau d’évaluation reçoit les détenus à leur arrivée en prison pour déterminer ceux qui présentent des risques et définir les mesures nécessaires à prendre pour leur sécurité. Un service de santé mentale a été ouvert début 2006 à la principale prison pour adultes du sexe masculin de Silverwater. Il fait partie du deuxième volet d’un système intégré qui permet d’identifier les nouveaux arrivants dans un établissement de détention qui sont atteints d’une maladie mentale et de les prendre en charge. Un service analogue pour les femmes est sur le point d’ouvrir au centre pénitentiaire de Maulawa.

Des améliorations ont été apportées à l’intérieur du centre pénitentiaire de Parklea, où les détenus peuvent consulter des spécialistes de la santé mentale qui travaillent en collaboration étroite avec le personnel du département de l’administration pénitentiaire du MRRC et de la prison de Silverwater. Elles permettent de prendre dûment en charge les personnes atteintes d’une maladie mentale. Des améliorations ont été apportées également à la gamme des psychotropes qui peuvent être administrés aux malades mentaux.

Le département de l’administration pénitentiaire est désormais chargé du centre de détention pour mineurs de Kariong, si bien que les mineurs qui y sont détenus bénéficient désormais du même système de prise en charge que celui qui est appliqué dans les centres de détention pour adultes. Cela signifie qu’il y aura moins de raisons de transférer un délinquant âgé de moins de 18 ans dans une prison pour adultes pour y être pris en charge.

Le Gouvernement de Nouvelle ‑Galles du Sud a mis au point un plan destiné à répondre aux besoins du peuple aborigène, notamment en matière de justice, d’éducation et de santé. Des programmes seront réalisés dans ce cadre, portant sur la prévention et la lutte contre le cycle de la violence au foyer, de manière à réduire la surreprésentation des aborigènes dans le système de justice pénale.

Réponse de l’auteur

Le 30 avril 2007, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. Il regrette la réponse de l’État partie, notant qu’elle ne touche pas au fond de la communication qu’il a soumise. Elle est centrée sur les programmes le concernant mis en place depuis 2005 mais non sur les problèmes de fond soulevés dans la communication.

De même, elle ne dit rien du transfèrement de l’auteur dans un établissement pénitentiaire pour adultes ni du traitement subi alors qu’il se trouvait dans un établissement de détention pour adultes en violation des articles 10 et 24.

(Ces informations ont été ajoutées à l’issue de l’examen du rapport, aux fins d’inclusion dans le rapport annuel.)

Affaire

Shafiq, 1324/2004

Constatations adoptées le

31 octobre 2006

Questions soulevées et violations constatées

Détention obligatoire au titre de la législation sur l’immigration et absence de droit de recours − Article 9, paragraphes 1 et 4

Réparations recommandées

Recours utile, réparation sous la forme notamment d’une libération et d’une indemnisation appropriée

Réponse de l’État partie attendue le

6 février 2007

Date de la réponse

25 mai 2007

Réponse de l’État partie

L’État partie déclare que le 21 mars 2007, le Ministre de l’immigration et de la citoyenneté a accordé à l’auteur un visa d’attente avant expulsion (Removal Pending Bridging Visa − RPBV) et que l’intéressé a été remis en liberté. Le visa RPBV a été institué par le Gouvernement australien en mai 2005 et prévoit la remise en liberté, dans l’attente de leur expulsion d’Australie, des personnes placées en rétention en vertu de la législation sur l’immigration qui ne peuvent raisonnablement pas faire l’objet d’une expulsion à ce moment ‑là. Il peut être accordé par le Ministre de l’immigration en vertu du pouvoir non délégable qui lui est conféré d’accorder un visa à une personne détenue en vertu de la législation sur l’immigration s’il estime qu’il est dans l’intérêt public de le faire. Ce pouvoir est inscrit à l’article 195 A de la loi sur l’immigration de 1958.

En tant que détenteur d’un visa RPBV, l’auteur a droit à toute une gamme de prestations sociales: droit de travailler et droit au placement, à travers Centrelink; droit à certaines prestations du Centrelink, comme l’allocation spéciale et l’indemnité de logement; accès à l’assurance maladie Medicare; accès aux services de prévention et de prise en charge en matière de santé; accès aux services de consultation en cas de torture et de traumatisme. Depuis qu’il a obtenu le visa RPBV, M. Shafiq n’est plus soumis à aucune forme de détention en vertu de la loi sur l’immigration. Il réside de son plein gré à Glenside, banlieue d’Adélaïde, et consulte le Royal Adelaide Hospital Psychiatric Campus de cette localité où il est traité pour maladie mentale.

L’État partie conteste qu’il y ait eu violation du paragraphe 4 de l’article 9 car, à son avis, l’obligation incombant aux États parties consiste à garantir l’examen de la légalité d’une détention. Il ne peut faire aucun doute que le mot «légalité» renvoie au système juridique interne de l’Australie. Rien dans le libellé du Pacte n’indique que le mot «légal» est censé signifier «légal en droit international» ou «non arbitraire». En tant que personne détenue en Australie en vertu de la loi sur l’immigration, l’auteur avait la possibilité de saisir la Haute Cour d’Australie pour qu’elle statue sur la légalité de la décision de le placer en détention en vertu de cette loi. Il aurait pu chercher à invoquer la compétence originelle de la Haute Cour établie par l’article 75 de la Constitution australienne pour obtenir une ordonnance de mandamus ou toute autre réparation appropriée pour pouvoir être remis en liberté. Il aurait pu aussi demander réparation à la Magistrate’s Court fédérale, conformément à l’article 476 de la loi sur l’immigration. Enfin, il aurait pu également saisir la Haute Cour ou la Cour fédérale d’une demande d’ habeas corpus .

Compte tenu de ce qui précède, l’État partie n’admet pas que l’auteur a droit au versement d’une indemnisation en vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2.

Décision du Comité

Le Comité accueille avec satisfaction la remise en liberté de l’auteur, mais il regrette que l’État partie refuse d’accepter ses constatations, note qu’aucune indemnisation n’a été versée et considère que le dialogue se poursuit.

État partie

BÉLARUS

Affaires

Bondarenko et Lyashkevich, 886/1999 et 887/1999

Constatations adoptées le

3 avril 2003

Questions soulevées et violations constatées

Secret entourant la date d’exécution d’un membre de la famille et du lieu de sépulture − Article 7

Réparation recommandée

Recours utile, consistant notamment à informer du lieu où les personnes visées sont inhumées et à indemniser la famille pour l’angoisse subie.

Réponse de l’État partie attendue le

23 juillet 2003

Date de la réponse

1 er novembre 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie renvoie à la notion de torture telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et note qu’elle n’inclut ni la douleur ni l’angoisse résultant de l’exécution de sanctions légales qui sont indissociables de celles ‑ci ou qui ont été causées fortuitement du fait de leur application. Ni la Convention ni aucun autre instrument juridique international ne définissent ce qu’il faut entendre par traitement ou peine cruel, inhumain ou dégradant ou humiliant pour la dignité humaine.

L’État partie déclare que le Code pénal, aux paragraphes 2 et 3 de son article 128 et à l’article 394, érige la torture ou autres actes cruels en délit pénal. Il indique que la peine de mort n’est appliquée au Bélarus que dans le cas d’un nombre limité de crimes particulièrement cruels accompagnés de la privation préméditée de la vie dans des circonstances aggravantes, et qu’elle ne peut être appliquée aux personnes âgées de moins de 18 ans ou aux femmes ou aux hommes âgés de plus de 65 ans au moment de la commission du crime. Une peine de mort peut être commuée en peine d’emprisonnement à vie.

Conformément à l’article 175 du Code d’exécution des peines, une peine de mort devenue exécutoire ne peut être exécutée qu’après réception de la confirmation officielle que tous les recours ont été rejetés et que l’intéressé n’a pas été gracié. La personne condamnée à mort est fusillée par un peloton d’exécution, à huis clos. L’exécution de plusieurs personnes se fait séparément, en l’absence des autres condamnés. Toutes les exécutions se font en présence d’un procureur, d’un représentant de l’établissement pénitentiaire où l’exécution a lieu et d’un médecin. Exceptionnellement, le procureur peut autoriser d’autres personnes à y assister.

Conformément au paragraphe 5 de l’article 175 du Code d’exécution des peines, l’administration pénitentiaire de l’établissement où l’exécution a eu lieu est tenue d’informer le tribunal qui a prononcé la peine que celle ‑ci a été exécutée. Le tribunal en informe à son tour les membres de la famille du supplicié. Les proches ne peuvent se faire remettre le corps pour l’enterrer, et le lieu de sépulture n’est pas divulgué. L’État partie conclut que la peine de mort au Bélarus est prévue par la législation du pays et qu’elle constitue une sanction légitime appliquée à des individus qui ont perpétré des crimes spécifiques particulièrement graves. Le refus d’informer les membres de la famille d’un condamné à mort de la date de l’exécution et du lieu de sépulture est prévu lui aussi par la loi (Code d’exécution des peines).

Vu ce qui précède, l’État partie affirme que dans les cas d’espèce, l’angoisse morale et les tensions des mères des condamnés à mort ne sauraient être considérées comme la conséquence d’actes ayant pour objet de menacer ou de punir les familles des condamnés, mais plutôt comme une angoisse qui résulte de l’application par les organes officiels de l’État partie d’une sanction légitime et qui n’est pas dissociable de celle ‑ci, au sens de l’article premier de la Convention contre la torture.

En ce qui concerne le refus des autorités de remettre aux proches le corps des suppliciés pour l’enterrer et de divulguer le lieu de sépulture, l’État partie ajoute qu’il est prévu par la loi non pas dans le but de punir ou de menacer les proches, en les laissant dans l’incertitude et l’angoisse morale, mais parce que, comme le montre la pratique d’autres États où la peine de mort s’applique, les lieux où des criminels condamnés à mort sont inhumés représentent pour des personnes mentalement fragiles autant de lieux de «pèlerinage».

À propos du cas de M. Lyashkevich, l’État partie ajoute que les allégations de l’auteur se rapportent essentiellement à la condamnation présumée de son fils à partir d’éléments de preuve indirects, en violation de l’article 6 du Pacte. Sur ce point, l’État partie fait observer que la constatation par le Comité d’une violation des droits de M me Staselovich’s (mère de la victime et auteur de la communication) au titre de l’article 7 du Pacte, au motif qu’elle n’a pas été informée de la date de l’exécution de son fils et que les autorités refusent de divulguer le lieu de sépulture de son fils, ne correspond pas à l’objet de la communication. En outre, ni l’auteur ni son conseil n’ont jamais mentionné que l’absence d’informations sur la date de l’exécution ou le lieu de sépulture avait entraîné une quelconque tension psychologique chez l’auteur; ils ne se sont pas adressés à ce propos aux autorités compétentes de l’État partie.

L’État partie note par ailleurs que l’auteur n’a pas formulé de commentaires sur les observations de l’État partie quant au fond, bien que plusieurs rappels lui aient été adressés à ce sujet. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie indique qu’il ne peut souscrire aux conclusions du Comité concernant les deux communications selon lesquelles l’article 7 du Pacte a été violé.

Enfin, l’État partie informe le Comité que le Parlement bélarussien a prié la Cour constitutionnelle d’examiner la question de la compatibilité des dispositions du Code pénal relatives à la peine de mort avec la Constitution et les obligations internationales de l’État partie.

Mesures complémentaires prises ou requises

Le 30 octobre 2006, des consultations ont été tenues entre M. Lazarev, Premier Secrétaire de la Mission du Bélarus, M. Shearer, Rapporteur spécial chargé du suivi des constatations et le secrétariat.

Le Rapporteur spécial a expliqué la procédure de suivi et son nouveau rôle de rapporteur. Il a fait valoir auprès de M. Lazarev que l’État partie n’avait répondu aux constatations du Comité que pour trois des dix communications à propos desquelles le Comité avait conclu à une violation du Pacte (Svetik, 927/2000, Malakhovsky, 1207/2003, et Bandazhewsky, 1100/2002). La réponse reçue sur ce dernier cas, dans laquelle il est indiqué que l’auteur a bénéficié d’une libération anticipée, a été transmise à l’auteur, pour observations.

Concernant la réponse de l’État partie au sujet de l’affaire Malakhovsky, dans laquelle il conteste les constatations du Comité, M. Lazarev, réitérant ce qu’il avait dit à l’occasion d’une précédente réunion, a indiqué qu’il s’agissait d’une affaire très célèbre au Bélarus et que la question de la liberté religieuse était extrêmement sensible. Il a précisé qu’une législation stricte concernant les groupes religieux avait été adoptée par l’État partie suite à plusieurs suicides de membres de sectes. Ainsi, le Comité devrait tenir compte du contexte social et du contexte purement juridique. Le Rapporteur a noté qu’il était improbable que l’État partie change d’avis sur la décision et a informé M. Lazarev que dans les cas où un État partie avance des arguments puissants contestant les constatations du Comité, ce dernier, tout en regrettant cette position et considérant que le dialogue reste ouvert, demeure saisi de la question mais avec moins de vigueur.

On a insisté auprès de M. Lazarev sur la nécessité d’apporter une réponse au sujet des sept autres communications à propos desquelles le Comité avait estimé que des violations avaient été commises, et en particulier sur la nécessité d’offrir des réparations aux victimes de ces violations. M. Lazarev s’est dit satisfait de sa rencontre avec le Rapporteur et lui a donné l’assurance qu’il transmettrait ses préoccupations à son gouvernement.

Décision du Comité

Le Comité regrette que l’État partie refuse d’accepter ses constatations et considère que le dialogue se poursuit.

Affaire

Bandajevsky, 1100/2002

Constatations adoptées le

28 mars 2006

Questions soulevées et violations constatées

Arrestation arbitraire, détention illégale, conditions de détention inhumaines, tribunal non établi par la loi, absence de droit de recours − Article 9, paragraphes 3 et 4; article 10, paragraphe 1; et article 14, paragraphes 1 et 5

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à M. Bandajevsky un recours utile, sous la forme notamment d’une réparation appropriée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

6 juillet 2006

Date de la réponse

Le 29 août 2005, l’État partie a répondu au Groupe de travail sur la détention arbitraire. Cette information n’a été communiquée au Comité que le 24 juillet 2006.

Réponse de l’État partie

L’État partie indique que, conformément à la décision prise le 5 août 2005 par le tribunal du district de Diatlov, région de Grodno, l’auteur a bénéficié d’une remise de la peine qui lui avait été infligée le 18 juin 2001.

Réponse de l’auteur

Le 22 août 2006, l’auteur confirme qu’il a été libéré, mais il informe le Comité qu’il n’a pas été indemnisé.

Affaire

Svetik, 927/2000

Constatations adoptées le

8 juillet 2004

Questions soulevées et violations constatées

La restriction de la liberté d’expression ne servait pas légitimement un des motifs énumérés au paragraphe 3 de l’article 19. Par conséquent, les droits garantis à l’auteur par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont été violés.

Réparation recommandée

Un recours utile sous la forme notamment d’une indemnisation d’un montant au moins égal à la valeur actuelle de l’amende et de tous les frais de justice acquittés par l’auteur.

Réponse de l’État partie attendue le

18 novembre 2004

Date de la réponse

12 juillet 2005

Réponse de l’État partie

Comme il était indiqué dans le rapport intérimaire de la quatre ‑vingt ‑quatrième session, l’État partie a répondu le 12 juillet 2005. Il a confirmé que la Cour suprême avait étudié les constatations du Comité et considéré qu’il n’y avait pas lieu de rouvrir l’affaire. L’auteur avait été condamné non pas pour avoir exprimé ses opinions politiques mais pour avoir publiquement appelé au boycottage des élections locales. En conséquence, l’État partie a conclu qu’il ne pouvait pas souscrire aux constatations du Comité qui avait conclu que l’auteur était victime d’une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

Réponse de l’auteur

Le 19 février 2006, l’auteur a confirmé la conclusion de la Cour suprême le concernant. La Cour a conclu que sa requête ne contenait pas de nouveaux motifs justifiant l’annulation des décisions de justice précédentes, «nonobstant la réforme de la loi et l’examen de l’affaire par le Comité des droits de l’homme». L’auteur indique qu’il a également formé un recours devant la Cour constitutionnelle (sans en préciser la date) pour demander l’annulation de l’arrêt de la Cour suprême. Par lettre datée du 2 décembre 2004, la Cour constitutionnelle l’a informé qu’elle n’était pas habilitée à s’immiscer dans les travaux des juridictions ordinaires. L’auteur ajoute que l’État partie n’a pas rendu publiques les constatations du Comité.

Mesures complémentaires prises ou requises

Voir les informations ci ‑dessus sur une réunion de suivi qui s’est tenue en octobre 2006.

Décision du Comité

Le Comité regrette que l’État partie refuse d’accepter ses constatations et considère que le dialogue se poursuit.

Affaire

Viktor Korneenko, 1274/2004

Constatations adoptées le

31 octobre 2006

Questions soulevées et violations constatées

Liberté d’association − Article 22, paragraphe 1

Réparation recommandée

Un recours utile, sous la forme notamment du rétablissement d’«Initiatives civiles» et d’une indemnisation

Réponse de l’État partie attendue le

5 février 2007

Date de la réponse

27 février 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie fait observer que si le Comité lui avait demandé des éclaircissements complémentaires sur certaines questions (qui font l’objet des paragraphes 7.5 et 7.6 de ses constatations) avant d’examiner la communication, il aurait pu faire en sorte de l’aider à procéder à un examen approprié de celle ‑ci et à prendre une décision plus équilibrée.

L’État partie considère que l’Association régionale de Gomel «Initiatives civiles» a été dissoute conformément à la Constitution et au droit bélarussiens. Le paragraphe 2 de l’article 29 de la loi sur les associations publiques, du 4 octobre 1994, dispose qu’une association peut être dissoute par décision de justice si elle entreprend de nouveau, dans un délai d’un an, des activités au sujet desquelles elle a déjà reçu un avertissement écrit. La dissolution d’une association publique par décision de justice est conforme à la pratique internationale établie sur la dissolution des personnes morales. Au fil de ses activités, «Initiatives civiles» a violé à plusieurs reprises le droit interne.

Le 13 mai 2002, la Division de la justice a adressé à «Initiatives civiles» un avertissement écrit pour avoir utilisé irrégulièrement du matériel provenant de dons étrangers. La partie 3 du paragraphe 4, clause 5.1, partie 3, du décret présidentiel n o 8 relatif à certaines mesures destinées à améliorer la procédure régissant la réception et l’utilisation de dons étrangers, daté du 12 mars 1901, interdit d’utiliser de tels dons notamment pour organiser des rassemblements, des réunions, des défilés de rue, des manifestations, des piquets de grève ou des grèves, pour élaborer et diffuser du matériel de propagande ou organiser des séminaires ou autres formes d’activités publiques de propagande. Si les syndicats et d’autres associations publiques violent les dispositions du décret et si des partis politiques ou leurs organes reçoivent des dons étrangers, ils risquent d’être dissous aux termes de la procédure applicable qui aura été engagée, même après une violation unique. La légalité du premier avertissement écrit a été confirmée par le tribunal régional de Gomel le 4 novembre 2002 et par la Cour suprême le 23 décembre 2002.

Nonobstant le premier avertissement, «Initiatives civiles» a violé de nouveau le droit interne. Entre novembre 2001 et mars 2003, la Division de la justice a procédé à une inspection des activités statutaires d’«Initiatives civiles» et constaté que l’association utilisait du matériel provenant de dons étrangers pour produire du matériel de propagande et organiser d’autres formes d’activités publiques de propagande. L’État partie soumet une liste de matériels qui, à son avis, sont des matériels de propagande. Les arguments des représentants d’«Initiatives civiles» selon lesquels ces matériels ont été produits à l’aide d’un matériel autre qu’un matériel provenant de dons étrangers ne sont pas étayés par des éléments de preuve suffisants et dignes de foi.

En violation de l’article 50 du Code civil bélarussien, l’association «Initiatives civiles» a ouvert des antennes de district sans les enregistrer et créé un certain nombre de structures indépendantes en tant que «centres d’information» qui ne sont pas envisagées dans ses statuts; elle a ignoré son statut juridique d’association publique; elle a falsifié sa désignation dans les bulletins d’information; elle a violé ses statuts et le Code électoral bélarussien; elle a utilisé un en ‑tête non conforme aux prescriptions légales. L’État partie expose brièvement les faits qui illustrent chacune des violations susmentionnées du droit relatif à la procédure et aux obligations applicables à la documentation des personnes morales. Le paragraphe 2.2 de l’article 57 du Code civil bélarussien prévoit une procédure de dissolution des personnes morales par décision de justice lorsqu’elles mènent des activités sans autorisation ou lorsque leurs activités sont interdites par la loi; ou lorsqu’elles commettent des violations réitérées graves du droit; ou lorsqu’elles conduisent systématiquement des activités qui sont contraires à leurs statuts.

Étant donné les violations susmentionnées, la Division de la justice a engagé des poursuites par l’intermédiaire du tribunal régional de Gomel, demandant la dissolution d’«Initiatives civiles». L’association a été dissoute par décision de justice le 17 juin 2003. Cette décision a été confirmée par la Cour suprême le 14 août 2003, laquelle a conclu que le tribunal régional de Gomel avait procédé à un examen approfondi de tous les faits et de tous les éléments de preuve pertinents et qu’il avait appliqué correctement le droit matériel et procédural. La légalité et la pertinence de la décision de dissolution ont été examinées par la Cour suprême en cassation, dans le cadre d’une procédure de réexamen, de même que par le parquet, dans le cadre également d’une procédure de réexamen. L’État partie considère qu’il n’y a pas lieu de réexaminer les décisions de justice susmentionnées.

Mesures complémentaires prises ou requises

Voir les informations ci ‑dessus sur la réunion qui s’est tenue en octobre 2006.

Décision du Comité

Le Comité regrette le refus de l’État partie d’accepter ses constatations et considère que le dialogue se poursuit.

État partie

BURKINA FASO

Affaire

Sankara et consorts, 1159/2003

Constatations adoptées le

28 mars 2006

Questions soulevées et violations constatées

Traitement inhumain et égalité devant les tribunaux − Article 7 et article 14, paragraphe 1

Réparation recommandée

L’État partie est tenu d’assurer un recours utile et exécutoire à M me Sankara et à ses fils, consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara et en une indemnisation pour l’angoisse que la famille a subie. L’État partie est également tenu d’empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

4 juillet 2006

Date de la réponse de l’État partie

30 juin 2006

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que l’État partie a communiqué sa réponse sur le suivi de l’affaire le 30 juin 2006. L’État partie s’est dit prêt à reconnaître officiellement la tombe de M. Sankara à Dagnoin, 29 Ouagadougou, à la demande de sa famille et réaffirme ce qu’il avait déclaré avant la décision, à savoir que M. Sankara a été proclamé héros national et qu’un monument est en train d’être érigé en son honneur.

Il a indiqué que le 7 mars 2006, le tribunal de Baskuy, commune de Ouagadougou, avait ordonné l’établissement d’un certificat de décès au nom de M. Sankara, décédé le 15 octobre 1987 (la cause du décès n’est pas mentionnée).

La pension militaire de M. Sankara a été liquidée en faveur de sa famille.

Bien que l’État ait offert à la famille Sankara une indemnisation au titre d’un fonds créé le 30 mars 2001 par le Gouvernement pour les victimes de la violence en politique, la veuve et les enfants de M. Sankara n’ont jamais voulu recevoir d’indemnité à ce titre. Le 29 juin 2006, conformément aux constatations dans lesquelles le Comité demandait à l’État partie d’offrir une indemnisation, le Gouvernement a évalué le montant de l’indemnité due à M me Sankara et à ses enfants à 434 450 000 francs CFA (environ 843 326,95 dollars des États ‑Unis) et en a ordonné la liquidation. La famille devait prendre contact avec le fonds pour s’informer du mode de paiement de l’indemnité si elle souhaitait la percevoir.

L’État partie a déclaré que les constatations pouvaient être consultées sur divers sites Web du Gouvernement et que le texte en avait été distribué aux médias.

Enfin, l’État partie a fait valoir que les événements qui font l’objet des constatations en question s’étaient produits quinze ans auparavant, à une période d’instabilité politique chronique. Depuis lors, l’État partie a beaucoup progressé sur la voie de la protection des droits de l’homme, comme en témoignent, entre autres, la Constitution, avec l’instauration d’un poste de ministre chargé de la protection des droits de l’homme, et nombre d’organisations non gouvernementales.

Observations des auteurs

Le 29 septembre 2006, les auteurs ont formulé les observations suivantes à propos de la réponse de l’État partie. Ils contestent l’adéquation de l’ensemble des recours énoncés par l’État partie dans sa réponse. Ils soulignent que l’État partie n’a pas engagé de procédure d’enquête pour déterminer les circonstances de la mort de M. Sankara. Cette demande avait été réitérée par les auteurs le 17 mai 2006, après l’adoption par le Comité de ses constatations. Nonobstant, le 21 juin 2006, le procureur a refusé de renvoyer la question au Ministère de la défense aux fins de l’ouverture d’une enquête judiciaire, arguant du fait (comme cela avait été le cas précédemment) qu’il y avait prescription. De l’avis des auteurs, seule une enquête judiciaire impartiale sur les causes du décès constituerait un recours utile. Le Comité lui ‑même, au paragraphe 12.6, avait déjà rejeté la thèse de la prescription avancée par l’État partie. Les auteurs déclarent que la «décision» du 7 mars 2006 de modifier unilatéralement le certificat de décès falsifié de M. Sankara daté du 17 janvier 1988 a été prise ex parte lors de discussions tenues secrètes, et qu’ils n’en ont eu connaissance qu’à la faveur de la réponse de l’État partie sur le suivi de l’affaire. Ils considèrent que cela constitue une violation de plus et indépendante du paragraphe 1 de l’article 14 à leur égard. Quant à la reconnaissance du lieu de sépulture, les auteurs déclarent qu’aucun acte, aucun témoignage direct, aucun certificat d’inhumation, aucune analyse ADN, aucun rapport d’autopsie ou rapport d’expertise ne sont produits qui constitueraient un «acte officiel» concernant le lieu de sépulture de M. Sankara. La vraie «reconnaissance officielle» du lieu de sépulture ne peut intervenir qu’à l’issue d’une enquête judiciaire qui établirait les circonstances du décès et déterminerait le lieu de sépulture, à travers des témoignages directs, un certificat d’inhumation, une analyse ADN, un rapport d’autopsie ou un rapport d’expertise. S’agissant de leur droit de percevoir une pension militaire, les auteurs déclarent qu’il n’a rien à voir avec une réparation pour les violations constatées. En ce qui concerne le versement d’une indemnité au titre du Fonds d’indemnisation des victimes de la violence en politique, ils considèrent que, comme le Comité lui ‑même l’a constaté lors de l’examen de la recevabilité de la communication, une demande d’indemnisation au Fonds d’indemnisation des victimes de la violence en politique ne saurait constituer un recours utile et exécutoire au sens du Pacte, vu le contexte dans lequel ont été commises les graves violations des droits visés dans son article 7. L’État partie ne peut maintenant prétendre à nouveau qu’une indemnité ex post facto à travers un recours non contentieux au titre du Fonds d’indemnisation des victimes de la violence en politique constitue un «recours utile» au sens du Pacte. En outre, pareille demande obligerait la famille Sankara à renoncer à ses droits à voir les circonstances du décès de M. Sankara établies par une enquête judiciaire et à renoncer également à tous les droits de demander réparation devant les tribunaux.

Le 19 juin 2007, les auteurs ont réaffirmé que les efforts déployés par l’État partie pour assurer une réparation sont inadéquats. Ils déclarent qu’ils ne connaissent toujours pas le lieu de sépulture exact de M. Sankara, qui ne pourrait être établi qu’à l’issue d’une enquête approfondie sur les circonstances de son décès − enquête qui n’a toujours pas été conduite. Ils considèrent que le montant de l’indemnité proposée est dérisoire vu que les violations constatées se poursuivent depuis 1987.

État partie

CANADA

Affaire

Ominayak, 167/1984

Constatations adoptées le

26 mars 1990

Questions soulevées et violations constatées

Droits des minorités − Article 27

Réparation recommandée

Les inégalités historiques, auxquelles l’État partie se réfère, et certains faits nouveaux plus récents menacent le mode de vie et la culture de la bande du Lac ‑Lubicon et constituent une violation de l’article 27 tant qu’il n’y aura pas été mis fin . L’État partie propose de remédier à la situation en offrant une réparation que le Comité juge appropriée au sens de l’article 2 du Pacte.

Réponse de l’État partie attendue le

Aucune trace de cette information

Date de la réponse

6 septembre 2006 (l’État partie avait précédemment répondu le 25 novembre 1995)

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que, dans sa réponse du 25 novembre 1995, l’État partie a indiqué que la réparation devait consister en un ensemble d’indemnités et de programmes d’une valeur de 45 millions de dollars, et en une réserve de 95 mètres carrés. À l’époque, les négociations se poursuivaient sur la question de savoir si la bande devait recevoir une indemnisation supplémentaire.

Le 6 septembre 2006 (comme il était indiqué dans le rapport intérimaire de suivi de la quatre ‑vingt ‑huitième session), répondant à une demande de précisions sur les négociations, l’État partie a fait le point de la situation en apportant des informations importantes. Il a fait valoir que le Comité, au paragraphe 33 de ses constatations (voir la rubrique réparation recommandée ci ‑dessus), avait indiqué que la proposition faite par l’État partie pour remédier à la situation (l’offre de règlement de 1989) était une réparation appropriée au sens de l’article 2 du Pacte. L’État partie a affirmé que les Cris du Lac ‑Lubicon n’avaient toujours pas accepté cette proposition.

Selon l’État partie, il ne semble pas qu’il y ait eu, depuis l’adoption par le Comité de ses constatations, d’importantes opérations d’exploitation forestière dans la zone que la bande du Lac ‑Lubicon revendique comme territoire à usage traditionnel. Depuis l’adoption des constatations, l’exploitation du pétrole et du gaz s’y poursuit. En octobre 2005, deux partenaires ont signé un accord avec la bande lui donnant un droit de regard sur les opérations de forage pétrolier sur les terres qu’elle revendique. Ces sociétés ont indiqué qu’elles consulteront la bande à propos des plans de forage à venir avant de solliciter auprès de la province d’Alberta de nouveaux permis de forage.

Tout au long des années 90 et jusqu’à aujourd’hui, le Gouvernement canadien s’est véritablement employé à parvenir à un règlement négocié avec la bande du Lac ‑Lubicon. Au cours de la dernière série de négociations, qui s’est achevée en 2003, chaque élément de l’offre de l’État partie à la bande a été amélioré par rapport aux offres précédentes, y compris celle que le Comité des droits de l’homme avait jugée appropriée pour la dédommager des menaces aux droits que lui reconnaît l’article 27 du Pacte.

Les dirigeants des Cris du Lac ‑Lubicon et leurs négociateurs ont toujours insisté sur un règlement total de tous les aspects de leur revendication. Même lorsqu’il y a eu accord sur l’essentiel entre toutes les parties aux négociations concernant de nombreux aspects de cette revendication, il n’a pas été possible de parvenir à un règlement. Les négociateurs des Cris du Lac ‑Lubicon ont indiqué que ces derniers n’étaient disposés à négocier l’aspect autonomie de leur revendication qu’à leurs conditions et qu’ils ne voulaient donc pas continuer de négocier en vue du règlement des aspects de leur revendication qui concernent la communication et au sujet desquels il y a accord sur l’essentiel, dont la question de la superficie et de l’emplacement des terres et celle de la construction d’une nouvelle communauté.

Selon l’État partie, les négociateurs des Cris du Lac ‑Lubicon refusent depuis 2003 la réouverture des négociations. En 2005, ils ont décliné une offre de l’État partie concernant un règlement partiel, qui était faite sans préjudice des aspects restants, non résolus, de leur revendication.

L’État partie a affirmé son attachement à un règlement de la revendication des Cris du Lac ‑Lubicon qui soit juste pour toutes les parties. Il a aussi à cœur de trouver une solution aux aspects de la revendication de la bande qui permettrait de concrétiser la réparation proposée, que le Comité des droits de l’homme a, dans ses constatations, jugée appropriée. L’État partie est disposé à reprendre les négociations à tout moment si la bande accepte de retourner à la table des négociations.

Réponse de l’auteur

En janvier et février 2006, un grand nombre de pétitions ont été reçues de diverses personnes en France (dont on ignore la relation avec les auteurs), qui demandaient au Comité de donner suite à cette affaire et qualifiaient d’«intolérable» la situation actuelle de la bande du Lac ‑Lubicon.

La réponse de l’État partie a été envoyée aux auteurs le 22 septembre 2006, pour observations d’ici au 22 novembre 2006. Le 8 avril 2007, les auteurs ont fait parvenir une longue réponse détaillée de 126 pages aux observations de l’État partie. Le 5 mai 2007, un résumé de 36 pages a été fourni.

S’agissant de la question de l’exploitation forestière, les auteurs déclarent que depuis l’adoption par le Comité de ses constatations et après des années d’absence de consultations, de protestations, d’accords rompus, etc., les relations entre la bande du Lac ‑Lubicon et les compagnies forestières sont «au point mort», ce qui rend la situation précaire, instable. Et tant les compagnies forestières que les pouvoirs publics, au niveau central et au niveau de la province, n’ont de cesse de la retourner à leur profit. Quant à l’exploitation du pétrole et du gaz, les auteurs considèrent que le processus d’accord mentionné par l’État partie n’a pas été aussi aisé que ce dernier l’a dit, mais il a fini par déboucher, le 14 octobre 2005, sur la signature d’un accord écrit avec les sociétés concernées.

Les auteurs confirment qu’il n’y a eu aucune négociation depuis novembre 2003 et, qualifiant l’offre de 1989 d’offre «à prendre ou à laisser», considèrent que le Comité devra examiner la question de savoir si elle constitue une réparation appropriée. À leur avis, la recommandation faite par le Comité dans ses constatations visait à engager les deux parties à poursuivre les négociations de bonne foi, ce qui est conforme aux observations finales qu’il a formulées en 2005. Les auteurs contestent le fait que les offres ultérieures de l’État partie constituent une «amélioration» par rapport à l’offre de 1989 et considèrent qu’en réalité, la réactualisation en 1992 de l’offre de 1989, avec la prise en compte de l’inflation, est de fait moins avantageuse que celle de 1989. Ils nient avoir refusé de négocier, mais estiment que les négociateurs du Gouvernement s’en tenaient à des positions sur lesquelles eux ‑mêmes refusaient de négocier, disant qu’ils n’avaient pas de mandat pour le faire. Les auteurs ajoutent que, pour que les négociations se poursuivent, il suffit que les négociateurs du Gouvernement se présentent avec un mandat pour négocier de bonne foi un règlement des problèmes qui se posent de longue date, dont l’indemnisation financière et la reconnaissance du droit à l’autonomie dans le cadre d’un règlement des droits fonciers de la bande du Lac ‑Lubicon. Ils font observer que l’État partie a ignoré un certain nombre d’offres écrites qu’ils ont présentées pour retourner à la table des négociations à ces conditions. Ils déclarent que l’offre de règlement partiel de 2005 mentionnée par l’État partie n’englobait pas des questions clefs: développement économique, indemnisation financière ou autonomie. Pour les auteurs, aucun règlement ne sera possible tant que l’État partie ne sera pas prêt à négocier de bonne foi tous les problèmes en suspens, dont l’indemnisation financière et l’autonomie, dans le cadre d’un accord sur les droits fonciers de la bande du Lac ‑Lubicon. C’est pourquoi ils estiment que le Comité doit clarifier sa position sur l’offre de 1989 telle qu’il l’a définie dans ses constatations, position sur laquelle la position du Canada lui ‑même s’appuie.

Observations finales du Comité

Après avoir examiné le rapport de l’État partie à sa quatre ‑vingt ‑cinquième session, le Comité a adopté l’observation finale suivante au sujet de cette affaire:

«Le Comité est préoccupé par le fait que les négociations sur les revendications territoriales entre le Gouvernement canadien et la bande du Lac ‑Lubicon sont actuellement dans l’impasse. Il est également préoccupé par des informations selon lesquelles le territoire de cette bande continue d’être menacé par l’exploitation forestière ainsi que par l’extraction de gaz et de pétrole à grande échelle, et il regrette que l’État partie n’ait pas donné de renseignements sur cette question précise (art. 1 et 27).

Le Comité a estimé que “l’État partie devrait n’épargner aucun effort pour reprendre les négociations avec la bande du Lac ‑Lubicon en vue de parvenir à une solution qui respecte les droits de la bande en vertu du Pacte, comme le Comité l’a déjà établi. Il devrait engager des consultations avec la bande avant d’accorder des concessions pour l’exploitation économique du territoire contesté, et faire en sorte qu’en aucun cas cette exploitation ne menace les droits reconnus dans le Pacte.” (CCPR/C/CAN/CO/5)».

[Les membres du Comité voudront peut ‑être prendre note de l’observation finale ci ‑dessous que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a formulée sur la question lors de la session qu’il a tenue du 1 er au 19 mai 2006:

«38. Le Comité recommande fermement à l’État partie de reprendre les négociations avec la bande du Lac ‑Lubicon en vue de trouver une solution aux réclamations de la bande qui garantisse l’exercice de ses droits découlant du Pacte. Il lui recommande en outre fermement de mener des consultations effectives avec la bande avant d’octroyer des licences d’exploitation économique des terres en litige et de veiller à ce que ces activités ne remettent pas en cause les droits reconnus dans le Pacte.».]

Décision du Comité

Le Comité prend note de la complexité des questions soulevées par les deux parties, observe qu’il n’y a toujours pas d’accord sur une réparation appropriée et prie instamment les deux parties de poursuivre leurs efforts en vue de trouver aux revendications des auteurs une solution conforme au Pacte.

État partie

COLOMBIE

Affaire

Becerra Barney, 1298/2004

Constatations adoptées le

11 juillet 2006

Questions soulevées et violations constatées

Droit à un procès équitable, jugement par des juges sans visage − Article 14

Réparation recommandée

Recours utile et réparation appropriée

Réponse de l’État partie attendue le

26 octobre 2006

Date de la réponse

31 janvier 2007

Réponse de l’État partie

Le 31 janvier 2007, l’État partie a communiqué les informations ci ‑après. Il rappelle que la loi 288 de 1996 établit les instruments visant à accorder réparation aux victimes de violations de droits de l’homme. Cette loi a été adoptée essentiellement pour accélérer le processus de réparation lorsqu’un organe international adopte une décision à propos de communications présentées par des particuliers contre l’État colombien. L’article 2 de la loi prévoit que les décisions adoptées en l’occurrence par des organismes internationaux de défense des droits de l’homme sont soumises à un comité des ministres composé des Ministres de l’intérieur, de la justice, des affaires étrangères et de la défense nationale. Le comité peut adopter une recommandation favorable s’il est tenu compte de certains points de fait et de droit et de la Constitution. Le comité peut adopter une recommandation négative s’il n’en est pas tenu compte. Telle a été la conclusion à laquelle il est parvenu en l’espèce. Dans sa décision, qui s’appuie sur des principes constitutionnels, le comité a conclu que l’État colombien avait accordé à l’auteur l’exercice de tous ses droits fondamentaux prévus dans la Constitution, notamment le droit à une procédure régulière, qui étaient alors applicables. S’agissant de la Ley de Orden Público o Justicia Regional (loi sur les juridictions d’ordre public ou les juridictions régionales), le comité des ministres a tenu compte du fait que la Cour constitutionnelle de Colombie l’avait jugée à l’époque conforme à la Constitution.

L’État partie considère que la violation du droit de l’auteur de faire entendre sa cause publiquement qui est attribuée à l’État colombien n’en est pas une en soi, car il était au moment des faits indispensable de suivre une procédure non publique pour préserver les intérêts de la justice. Ce cas est d’ailleurs prévu dans d’autres instruments relatifs aux droits de l’homme auxquels la Colombie est partie, par exemple au paragraphe 5 de l’article 8 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme. L’État partie rappelle qu’au moment où la procédure contre M. Becerra Barney a été engagée en vertu de la loi sur les juridictions régionales, le pays était aux prises avec de graves problèmes de sécurité publique, en raison en particulier des attaques multiples portées contre des membres de la magistrature par les cartels de la drogue. L’État partie rappelle aussi qu’une fois la situation assainie, cette loi, qui avait été jugée conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle du pays, a été abrogée, comme divers organes internationaux de défense des droits de l’homme l’avaient recommandé.

Commentaires de l’auteur

Le 2 mai 2007, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. Il note que non seulement son droit de faire entendre sa cause publiquement a été violé, mais que son droit à être présent au procès l’a été également. Il ajoute que le paragraphe 5 de l’article 8 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, qui prévoit la préservation des «intérêts de la justice» en tant qu’exception à la règle du procès public, ne permet pas la condamnation par défaut. Il relève que l’État partie interprète d’une façon erronée la loi 288 de 1996, qui a été adoptée tout spécialement pour donner effet aux constatations du Comité. Son article 2 dispose que la décision du comité des ministres doit être favorable lorsqu’une décision a été adoptée précédemment par le Comité des droits de l’homme et la Commission interaméricaine. L’auteur insiste sur l’obligation qu’a l’État partie de lui assurer un recours utile et une réparation appropriée.

Décision du Comité

Le Comité regrette que l’État partie refuse d’accepter ses constatations et considère que le dialogue se poursuit.

État partie

RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

Affaires

Des constatations défavorables à la République tchèque ont été adoptées dans les 11 affaires suivantes: Simunek et consorts (516/1992) (restitution de biens), Adam (586/1994) (restitution de biens), Blazek (857/1999) (restitution de biens), Marik (945/2000) (restitution de biens), Kříž (1054/2000) (restitution de biens), Des Fours Walderode (747/1997) (restitution de biens), Brok (774/1997) (restitution de biens), Fabryova (765/1997) (restitution de biens), Pezoldova (757/1997) (refus d’accès à des documents destinés à étayer une demande de restitution de biens), Czernin (823/1998) (conservation de la nationalité), L. P. (946/2000) (droit d’accès à un enfant).

Réponse de l’État partie

Le 26 mars 2007, l’État partie a transmis une réponse écrite concernant les affaires suivantes:

Au sujet des affaires Simunek et consorts (516/1992), Adam (586/1994), Blazek (857/1999), Marik (945/2000) et Kříž (1054/2000) , l’État partie a indiqué au Comité que l’amendement législatif tendant à supprimer la condition de nationalité ne serait pas soutenu par le Parlement parce que pareil amendement devrait être rétroactif et rouvrirait ainsi l’ensemble du processus de restitution.

Au sujet de l’affaire Des Fours Walderode (747/1997) , le 14 mars 2002 la Cour constitutionnelle a estimé que la condition de nationalité ne s’appliquait pas rétroactivement à l’auteur. Ce dernier a par la suite introduit devant les tribunaux de Liberec et Semily de nombreuses actions (quelque 21) concernant différents biens et dirigées contre différentes personnes. En janvier 2007, 4 procédures ont été closes pour désistement, 2 ont été rejetées au motif que l’auteur ne remplissait pas les autres conditions prévues par la loi sur la restitution et 11 autres demeurent pendantes. L’État partie admet que la procédure a été longue et risque de durer encore tout en faisant valoir que ce long retard découle de nombreux facteurs, notamment la complexité de la loi sur la restitution, le nombre de biens en cause et l’insuffisance des renseignements fournis. L’État partie fait aussi valoir que l’épouse de l’auteur est partie à une affaire dont est saisie la Cour européenne des droits de l’homme portant sur la question du retard excessif dans l’examen des demandes de restitution. Une décision défavorable à l’État partie aboutirait sans doute au versement d’une indemnité.

Brok (774/1997) : Une indemnité de 2 236 870 couronnes tchèques (environ 79 000 euros) a été versée à la famille dans le cadre d’un programme public en faveur des victimes de l’Holocauste. La famille de l’auteur a accepté l’indemnité proposée.

Fabryova (765/1997) : Une indemnité de 1 542 839 couronnes tchèques (environ 54 500 euros) a été proposée à la famille dans le cadre d’un programme public en faveur des victimes de l’Holocauste. La famille de M me Fabryova n’est pas encore satisfaite de l’indemnité proposée. Une nouvelle demande de restitution a été déposée et un appel formé contre une décision négative est en cours d’examen.

Pezoldova (757/1997) (refus d’accès à des documents destinés à fonder une demande de restitution): L’État partie renvoie à sa réponse de juillet 2005, dans laquelle il a fait savoir au Comité qu’un versement à titre gracieux serait effectué en faveur de l’auteur.

Le 1 er février 2006, en réponse au mémoire de l’État partie, l’auteur a indiqué, entre autres, qu’aucune proposition d’indemnité à titre gracieux ne lui avait été adressée.

Czernin (823/1998) : L’État partie fait valoir que la question soulevée par la demande de l’auteur concernant le maintien de sa nationalité tchèque est en cours d’examen et que l’appel formé devant la Cour administrative suprême est pendant. Il admet que l’affaire dure depuis 1995 et que son règlement a donc excessivement tardé sans que ce soit la faute de l’auteur. Il est envisagé de proposer à l’auteur une indemnité à titre gracieux, en raison principalement du retard mis à statuer sur sa demande. Cette affaire est toutefois d’une énorme complexité quant au fond et en droit.

L. P. (946/2000) : Cette affaire porte sur un refus de contacts entre l’auteur et son fils. L’État partie admet que les autorités nationales n’ont pas traité efficacement ce problème. Toutefois, les tribunaux doivent avant tout prendre en considération l’intérêt supérieur du mineur et c’est précisément les actes d’obstruction de l’auteur qui ont empêché le tribunal de district de rendre un jugement au fond sur la garde du mineur. L’État partie fait valoir que depuis l’adoption des constatations l’épouse de l’auteur a été inculpée et condamnée à plusieurs reprises pour avoir empêché les contacts entre son fils et son père. Le 11 septembre 2003, elle a été condamnée à une amende de 30 800 couronnes tchèques pour ne pas s’être conformée au jugement en date du 2 octobre 1995 (autorisant le père à avoir accès à son enfant à titre provisoire). En ce qui concerne l’action civile et les retards enregistrés en 2001 et 2002, l’État partie fait observer que ces retards ont été imputables à des facteurs objectifs. Depuis l’adoption des constatations par le Comité, le Président du tribunal de district doit soumettre chaque mois un rapport sur l’avancement de l’affaire au Ministre. À l’issue de plusieurs audiences sur la question de l’accès au père tenues depuis l’adoption des constatations, la cour d’appel a confirmé le 28 juillet 2006 la décision des tribunaux de district d’annuler le jugement du 2 octobre 1995 sur la base d’un rapport d’expertise psychologique. Entre 2003 et 2005 la question a été examinée par un médiateur qui a conclu que l’autorité de la protection de l’enfance ne pouvait plus garantir les contacts entre l’auteur et son fils car l’opinion du mineur ne pouvait plus être ignorée eu égard à son âge (il est né en 1989) et au fait qu’il ne cessait d’exprimer son souhait de ne pas avoir le moindre contact avec son père, refusant d’aller avec lui.

L’auteur a déposé une requête devant la Cour européenne, qui l’a estimée partiellement recevable le 10 janvier 2006 quant au retard dans la procédure relative à la garde et au droit de l’auteur au respect de sa vie familiale après le 25 juillet 2002, date où le Comité a formulé ses constatations. Si cette requête aboutit, la Commission européenne des droits de l’homme peut proposer une mesure de réparation.

Mesures complémentaires prises ou requises

Le Comité se souviendra que le 18 octobre 2005, le Rapporteur spécial chargé du suivi des constatations s’est entretenu avec l’Ambassadeur de la République tchèque et un autre représentant de la Mission permanente, au sujet de la suite donnée aux constatations adoptées par le Comité dans des affaires intéressant la République tchèque.

L’Ambassadeur a informé M. Ando que certains services gouvernementaux étaient prêts à mettre en œuvre, au cas par cas, au moins certaines des recommandations portant sur les affaires relatives au droit de propriété. La Mission avait demandé à la commission gouvernementale chargée de traiter les communications individuelles soumises à des instances internationales de communiquer au Comité des informations écrites sur les faits nouveaux intervenus en la matière. L’Ambassadeur a également indiqué que, pour certaines des affaires, il n’existait pas d’autres voies de recours. Il faudrait que le Parlement modifie la législation sur la restitution des biens pour que les victimes présumées puissent déposer de nouvelles plaintes. L’information fournie au sujet de chaque affaire durant cet entretien est exposée dans le document A/61/40.

État partie

GUINÉE ÉQUATORIALE

Affaires

Primo Essono (414/1990) (torture, mauvaises conditions de détention, arrestation et détention arbitraires, atteinte à la liberté d’opinion), Olό Bahamonde, Ndong et consorts (468/199) (arrestation et détention arbitraires, atteinte à la liberté d’opinion procès inéquitable) et Mic Abogo (1152 et 1190/2003) (torture, procès inéquitable, arrestation et détention arbitraires)

Mesures complémentaires prises ou requises

Le Comité se souviendra que l’État partie n’a pas fait parvenir de réponse concernant les constatations adoptées par le Comité concluant à des violations dans plusieurs affaires.

Le 30 octobre 2006, une réunion a rassemblé M. E. Mbana, Chargé d’affaires de la Mission permanente de la Guinée équatoriale, le Rapporteur spécial chargé du suivi des constatations, le Rapporteur spécial chargé du suivi des observations finales et le secrétariat, au Palais Wilson.

L’information ci ‑après ne porte que sur le suivi des communications individuelles. Il a été demandé à l’État partie de fournir des renseignements sur la suite donnée aux communications suivantes: Primo Essono, 414/1990, Olό Bahamonde, Ndong et consorts, 468/1991 et Micó Abogo, 1152 et 1190/2003. Le Rapporteur spécial s’est référé aux renseignements fournis par le représentant de l’État partie lors de la dernière réunion de suivi, à savoir: que l’auteur de la communication 414/1990 s’était installé en Espagne dans les années 90 et était décédé depuis; que l’auteur de la communication 468/1991 avait quitté le pays mais remplissait certaines fonctions officielles pour le Gouvernement. Il a en outre fait état d’informations publiées dans des articles de presse, indiquant que l’un des auteurs de la communication 1152/1190/2003, M. Plácido Micó Abogo, avait été libéré le 2 août 2003. Il a demandé que le Gouvernement soumette ces renseignements par écrit aux fins d’une éventuelle clôture de ces affaires.

Le représentant de l’État partie a indiqué sur un plan plus général qu’un changement de gouvernement était intervenu voilà près de deux mois et que de nouvelles personnes s’occupaient à présent des droits de l’homme. Il y avait un nouveau Vice ‑Ministre des droits de l’homme et le Premier Ministre en exercice était le précédent Ministre des droits de l’homme. Il a expliqué que la Mission était installée depuis peu de temps à Genève (depuis janvier) et que ses membres s’occupaient encore principalement des questions d’ordre logistique. Le Rapporteur spécial a demandé qu’un point de contact soit désigné au Bureau des droits de l’homme à Malabo afin d’instaurer un flux efficace d’informations entre le secrétariat et l’État partie. Toutes les informations relatives à des communications individuelles pourraient ainsi être adressées directement au ministère concerné ainsi que par l’intermédiaire de la Mission permanente à Genève. Le représentant de l’État partie a indiqué qu’il serait procédé de la sorte.

Au sujet des communications individuelles, le représentant de l’État partie a indiqué qu’à sa connaissance M. Ndong vivait actuellement en Espagne et qu’il avait un site Internet dont il se servait pour critiquer le Gouvernement. Il a ajouté que M. Plácido Micó Abogo était à présent député au Parlement; il croyait savoir que les auteurs de la communication 1152/1190/2003 figuraient parmi les 43 prisonniers d’opinion dont le Président avait décidé la remise en liberté le 5 juin 2006. Il a dit qu’il transmettrait la liste de ces noms pour confirmation. Le Rapporteur spécial lui a demandé de donner au secrétariat confirmation par écrit, même par voie de courrier électronique, de tous les renseignements concernant la suite de ces affaires, dans un souci de facilité et de rapidité.

Le 30 octobre 2006, dans le prolongement de la réunion, le représentant de l’État partie a transmis par télécopie la liste des noms des prisonniers libérés parmi lesquels il pensait que figuraient les auteurs susmentionnés. Aucun d’eux ne figurait sur cette liste.

État partie

GUYANA

Affaires

Yasseen et Thomas, 676/1996

Constatations adoptées le

30 mars 1998

Questions soulevées et violations constatées

Condamnation à mort − Procès inéquitable, durée excessive de la détention avant jugement, mauvaises conditions de détention, mauvais traitements, droit à la vie − Article 6; article 10, paragraphe 1; et article 14, paragraphe 3 b), c) et e), en ce qui concerne les deux auteurs; article 14, paragraphe 3 b) et d), en ce qui concerne M. Abdool Yasseen

Réparation recommandée

Droit à un recours utile …, ce recours doit prendre la forme d’une remise en liberté.

Réponse de l’État partie attendue le

3 septembre 1998

Date de la réponse

Néant

Réponse de l’État partie

Néant

Réponse de l’auteur

Le 30 mai 2007, les avocats des auteurs (Interights) ont appelé le HCDH pour lui indiquer qu’ils demandaient de nouveau qu’il soit donné effet aux constatations dans cette affaire, s’agissant en particulier du cas de M. Thomas car il restait sous le coup d’une condamnation à mort et se trouvait dans le quartier des condamnés à mort depuis 1988. M. Yasseen était apparemment décédé de causes naturelles en prison en 2002.

Mesures complémentaires prises ou requises

À la quatre ‑vingt ‑troisième session (29 mars 2005), le Rapporteur spécial a rencontré le Représentant permanent adjoint du Guyana auprès de l’ONU. Il lui a expliqué quel était son mandat et lui a remis copie des constatations adoptées par le Comité concernant les communications 676/1996 (Yasseen et Thomas), 728/1996 (Sahadeo), 838/1998 (Hendriks), 811/1998 (Mulai) et 867/1999 (Smartt). Ces constatations ont en outre été envoyées à la Mission permanente du Guyana par courrier électronique afin d’en faciliter la transmission aux instances nationales. Le Rapporteur spécial a noté avec inquiétude que l’État partie n’avait pas communiqué de renseignements sur la mise en œuvre des recommandations du Comité concernant ces affaires. Le Représentant lui a donné l’assurance qu’il relaierait ces préoccupations à son gouvernement.

Le Comité souhaitera peut ‑être organiser une nouvelle réunion avec l’État partie pour examiner toutes les affaires dans lesquelles des violations avaient été constatées et au sujet desquelles l’État partie n’a jamais répondu.

État partie

JAMAHIRIYA ARABE LIBYENNE

Affaire

El Ghar, 1107/2002

Constatations adoptées le

29 mars 2004

Questions soulevées et violations constatées

Refus par l’État partie de délivrer un passeport à l’auteur − Article 12, paragraphe 2

Réparation recommandée

L’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile donnant lieu à une indemnisation. Le Comité prie instamment l’État partie de délivrer un passeport à l’auteur sans plus tarder.

Réponse de l’État partie attendue le

4 février 2005

Date de la réponse

23 août 2006

Réponse de l’État partie

En réponse à une demande adressée par le secrétariat au nom du Rapporteur spécial concernant l’indemnisation de l’auteur, l’État partie a fourni les informations ci ‑après. Il conteste les conclusions du Comité et réaffirme, comme il l’avait indiqué avant que le Comité n’examine l’affaire, qu’il n’a jamais été refusé de passeport à l’auteur et qu’il lui suffisait de remplir un formulaire au consulat à Casablanca. Tout en reconnaissant que l’auteur s’est bien rendu au consulat à plusieurs occasions, l’État partie affirme qu’elle n’a jamais rempli les formulaires requis et ne pouvait donc obtenir son passeport. À son sens, la plainte semble essentiellement viser à obtenir une indemnisation, que l’auteur ne saurait obtenir puisqu’il ne lui a pas été refusé de passeport.

Réponse de l’auteur

Le Comité se souviendra, comme indiqué dans son rapport sur les travaux de sa quatre ‑vingt ‑quatrième session, que l’auteur a signalé, par une lettre du 23 juin 2005, que l’État partie ne s’était pas conformé aux constatations du Comité.

Le 21 février 2006, l’auteur a informé le Comité qu’après plusieurs rencontres avec le consul de la Jamahiriya arabe libyenne au Maroc, au cours desquelles elle avait été accusée, entre autres, d’avoir trahi l’État partie en portant l’affaire devant le Comité, il semblait toujours aussi improbable qu’un passeport lui soit délivré.

L’auteur avait signalé au secrétariat en octobre 2005 que le consulat de la Jamahiriya arabe libyenne à Casablanca refusait toujours de lui délivrer un passeport. En juin 2006, elle a informé le secrétariat par téléphone qu’on lui avait promis un passeport. Le 7 juillet 2006, elle a fait savoir au secrétariat qu’un passeport lui avait été délivré mais qu’elle n’avait pas été indemnisée.

Le 24 novembre 2006, l’auteur a répondu au mémoire de l’État partie, réfutant l’affirmation selon laquelle on ne lui aurait jamais refusé un passeport. Elle affirme avoir rempli à plusieurs reprises les formulaires requis, s’être rendue au consulat une ou deux fois tous les deux mois et avoir été des années durant renvoyée du consulat de Rabat à celui de Casablanca et vice ‑versa, tout ayant été fait pour l’empêcher d’obtenir son passeport. Elle souligne que le refus de lui délivrer un passeport pendant aussi longtemps lui a occasionné un préjudice moral, financier et professionnel et que même si elle a maintenant obtenu son passeport, il n’est valide que pour deux ans au lieu des cinq habituels.

État partie

PÉROU

Affaire

Avellanal, 202/1986

Constatations adoptées le

28 octobre 1998

Questions soulevées et violations constatées

Non ‑représentation de l’épouse dans une procédure judiciaire concernant des biens matrimoniaux − Article 3, article 14, paragraphe 1, et article 26

Réparation recommandée

En conséquence, le Comité est d’avis que, en vertu des dispositions de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de prendre des mesures effectives pour remédier aux violations dont l’intéressée a été victime. Il se félicite à ce sujet de la volonté de l’État partie, telle qu’elle est exprimée dans les articles 39 et 40 de la loi n o 23506, de coopérer avec le Comité des droits de l’homme et de donner suite à ses recommandations.

Réponse de l’État partie attendue le

12 juin 1991

Date de la réponse

Néant

Réponse de l’État partie

Non disponible

Réponse de l’auteur

Le 31 août 2006, l’auteur a de nouveau informé le Comité que l’État partie n’avait pas donné effet à la décision.

Affaire

Carranza Alegre, Marlem, 1126/2002

Constatations adoptées le

28 octobre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Détention arbitraire, torture et traitement inhumain et dégradant, juges sans visage − Article 2, paragraphe 1, articles 7, 9, 10 et 14

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une indemnisation appropriée. Étant donné que l’auteur est en détention depuis longtemps et vu la nature des actes qui lui sont reprochés, l’État partie devrait envisager sérieusement de mettre fin à sa privation de liberté en attendant l’issue de la procédure en cours. Cette procédure doit respecter toutes les garanties requises par le Pacte.

Réponse de l’État partie attendue le

6 février 2006

Date de la réponse de l’État partie

25 mai 2006

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que la réponse de l’État partie figurait dans le rapport intérimaire de suivi de la quatre ‑vingt ‑septième session. L’État partie a informé le Comité que l’auteur avait été acquitté par décision de la Cour suprême en date du 17 novembre 2005 et libéré. Il a relevé que le «Consejo Nacional de Derechos Humanos» (Conseil national des droits de l’homme) examinait la question de l’indemnisation. Par des lettres du 23 août et du 15 septembre 2006, l’État partie a informé le Comité que le montant de l’indemnité était toujours à l’examen.

Réponse de l’auteur

Par des lettres datées du 13 février et du 8 mai 2006, l’auteur a confirmé que la Cour suprême avait prononcé son acquittement le 17 novembre 2005, et qu’elle avait été libérée. L’auteur entend se mettre en rapport avec le Ministère de la justice à propos de la recommandation du Comité tendant à ce qu’elle soit indemnisée.

Dans une lettre datée du 30 juin 2006, l’auteur note que six mois se sont écoulés depuis la publication du rapport du Consejo Nacional de Derechos Humanos et que l’État partie n’a toujours pas donné pleinement effet aux constatations du Comité. Elle relève qu’elle n’a pas eu le droit de reprendre son travail et n’a pas été indemnisée. Le Consejo Nacional de Derechos Humanos n’a même pas examiné sa demande.

Affaire

K. N. L. H., 1153/2003

Constatations adoptées le

24 octobre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Avortement, droit à réparation, traitement inhumain et dégradant et immixtion arbitraire dans la vie privée, protection d’un mineur − Articles 2, 7, 17 et 24

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous forme de réparation. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

9 février 2006

Date de la réponse

7 mars 2006

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra, comme il est consigné dans son rapport annuel A/61/40, que l’État partie lui a signalé que le Conseil national des droits de l’homme (Consejo Nacional de Derechos Humanos) avait publié un rapport reposant sur l’affaire K. N. L. H., dans lequel il était proposé de modifier les articles 119 et 120 du Code pénal péruvien ou d’adopter une loi spéciale régissant l’avortement thérapeutique. Le Conseil national des droits de l’homme a demandé au Ministère de la santé de lui indiquer si l’auteur avait obtenu réparation et si un recours utile lui avait été assuré. Les lettres adressées en réponse par le Ministère de la santé au Conseil national des droits de l’homme sont muettes sur ces points.

Le Comité se souviendra également que lors des consultations avec l’État partie, le 3 mai 2006, M. José Burneo, Secrétaire exécutif du Conseil péruvien des droits de l’homme, a dit que l’absence de réponse était délibérée car l’avortement était une question extrêmement sensible dans le pays. Son bureau envisageait néanmoins d’élaborer un projet de loi autorisant l’interruption de grossesse dans les cas où le fœtus présente une anencéphalie.

Réponse de l’auteur

Dans une lettre en date du 16 juin 2006, le Centre pour les droits en matière de procréation a estimé qu’en n’offrant pas à la requérante un recours utile, notamment une indemnisation, l’État partie n’avait pas donné suite à la décision du Comité.

Le 6 mars 2007, l’auteur a signalé au Comité que le nouveau gouvernement persistait à contester les constatations du Comité. Le 1 er décembre 2006, l’auteur a rencontré des représentants du Conseil national des droits de l’homme (Consejo Nacional de Derechos Humanos), qui s’exprimait aussi au nom du Ministère de la justice. À cette réunion, ces représentants ont indiqué que l’État partie était disposé à se conformer aux constatations du Comité. L’auteur a toutefois jugé insuffisantes les mesures proposées par l’État, à savoir lui verser 10 000 dollars à titre d’indemnisation et déposer un projet d’amendement législatif tendant à dépénaliser l’avortement en cas de fœtus présentant une anencéphalie. L’auteur a indiqué qu’elle ne saurait se satisfaire du fait que l’indemnité proposée n’est destinée qu’à remédier à la violation de l’article 24 du Pacte, les représentants de l’État partie ayant, d’après elle, indiqué que pour eux il n’y avait pas eu violation d’autres articles du Pacte. L’auteur se réfère à des déclarations des représentants de l’État partie contestant, selon elle, l’existence de violations des articles 2, 7 et 17 du Pacte. En outre, l’auteur affirme que le projet d’amendement législatif présuppose une analyse erronée du Comité. L’auteur souligne qu’en fait un tel amendement législatif est inutile, puisque l’avortement thérapeutique existe déjà au Pérou mais devrait s’interpréter conformément aux normes internationales et donc s’appliquer au cas des fœtus présentant une anencéphalie.

L’auteur rappelle que le Tribunal constitutionnel du Pérou ( Tribunal Constitucional Peruano ) a estimé que les constatations du Comité constituaient des décisions judiciaires internationales définitives devant être respectées et mises en œuvre conformément à l’article 40 de la loi n o 23506 et de l’article 101 de la Constitutionb.

L’auteur prie le Comité de demander à l’État partie de reconnaître expressément l’existence de violations des articles 2, 7 et 17 du Pacte. L’auteur demande en outre que s’engage un débat sur le concept de recours utile et joint à cet effet en annexe une proposition détaillée prévoyant des réparations d’un montant total de 96 000 dollars (850 dollars pour le règlement des dépenses afférentes à la naissance et aux obsèques du bébé; 10 400 dollars au titre de la réadaptation psychologique; 10 000 dollars au titre des conséquences du diagnostic et du traitement des conséquences physiques; 50 000 dollars pour dommage moral; 25 000 dollars au titre de son «projet de vie» (perte de possibilités). Enfin, l’auteur demande l’organisation d’une réunion entre des représentants de l’État partie et des organisations la soutenant en vue de l’adoption de mesures propres à éviter que la violation dénoncée ne se reproduise. L’État partie devrait retirer la proposition prévoyant que les femmes qui souhaitent solliciter un avortement thérapeutique soient tenues d’obtenir une autorisation de la justice.

État partie

PHILIPPINES

Affaire

Wilson, 868/1999

Constatations adoptées le

30 octobre 2003

Questions soulevées et violations constatées

Peine de mort obligatoire pour viol prononcée à l’issue d’un procès inéquitable − crime «d’une gravité extrême». Indemnisation après acquittement − Article 7, article 9, paragraphes 1, 2 et 3, et article 10, paragraphes 1 et 2

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. En ce qui concerne les violations de l’article 9, l’État partie devrait indemniser l’auteur. Pour ce qui est des violations des articles 7 et 10 que l’auteur a subies en détention, y compris après sa condamnation à mort, le Comité fait observer que l’indemnisation prévue par l’État partie en vertu de son droit interne ne visait pas ces violations et que l’indemnisation due à l’auteur devrait tenir dûment compte à la fois de la gravité des violations et du préjudice qui lui a été causé. Le Comité rappelle à ce propos que l’État partie a le devoir de procéder à une enquête approfondie et impartiale sur les incidents survenus pendant la détention de l’auteur et de prendre les mesures pénales et disciplinaires qui s’imposent à l’encontre des personnes qui en seront jugées responsables. S’agissant de l’imposition de taxes d’immigration et de l’interdiction de visa, le Comité est d’avis que, pour remédier aux violations du Pacte, l’État partie devrait rembourser à l’auteur les sommes perçues. Toute indemnisation ainsi due à l’auteur par l’État partie devrait lui être versée au lieu de son choix, que ce soit sur le territoire de l’État partie ou à l’étranger.

Réponse de l’État partie attendue le

10 février 2004

Date de la réponse

17 juillet 2006 (l’État partie avait précédemment répondu le 12 mai 2005 et le 27 janvier 2006)

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que, comme il est indiqué dans le rapport sur sa quatre ‑vingt ‑quatrième session, l’État partie a déclaré, le 12 mai 2005, qu’il était «peu enclin» à accepter les conclusions du Comité concernant les faits, et plus précisément son appréciation des preuves. Il a déclaré que les conclusions reposaient sur une appréciation incorrecte des faits et contesté la conclusion selon laquelle l’indemnisation accordée était insuffisante. Il a déclaré que l’auteur n’avait pas assumé la charge de la preuve; les déclarations ex parte du plaignant ne sont pas considérées comme des éléments de preuve et ne constituent pas des preuves suffisantes des faits allégués. Une enquête menée par le Directeur de la prison de Valenzuela, où l’auteur était détenu, a infirmé toutes les allégations de l’auteur. L’auteur n’a pas précisé à quels actes de harcèlement il aurait été soumis durant sa détention, ni identifié les gardiens de prison qui lui auraient extorqué de l’argent. Comme il s’était déjà réfugié dans son pays au moment où la communication était en instance devant le Comité, il ne pouvait craindre pour sa sécurité en désignant ceux qui l’avaient prétendument maltraité. L’État partie a affirmé de nouveau que l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes. Enfin, il a considéré que l’indemnisation accordée était suffisante, précisé que l’auteur n’avait pas encore envoyé de mandataire pour retirer les chèques et déclaré qu’en insistant pour que l’État partie verse à l’auteur toute l’indemnisation qui lui était due, «le Comité avait peut ‑être outrepassé sa compétence et fait preuve d’une grande injustice à l’égard de l’État partie».

Le 27 janvier 2006, l’État partie a indiqué que les constatations du Comité avaient été transmises le 10 août 2005 au Ministère de la justice et au Ministère de l’intérieur et des administrations locales afin qu’ils y donnent la suite voulue. Le Ministère de la justice chapeaute le Bureau de l’immigration et le Ministère de l’intérieur, les prisons. Une enquête a été entreprise en 2005 par le Directeur de la prison de Valenzuela où M. Wilson a été détenu. Elle a fait apparaître ce qui suit: 1) la prison de Valenzuela ne dispose pas de «cages» dans lesquelles l’auteur aurait pu être enfermé après son arrestation; et 2) il n’a été enregistré pendant la détention de l’auteur aucun incident grave au cours duquel des coups de feu auraient été tirés sur un détenu et qui auraient pu traumatiser l’auteur. L’enquête rapporte un seul incident, non mortel, survenu le 17 juin 1996 lorsqu’un gardien a tiré sur un détenu qui tentait de s’évader. Enfin, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas précisé à quels actes de harcèlement il aurait été soumis durant sa détention, ni identifié les gardiens et responsables pénitentiaires qui l’auraient harcelé et lui auraient extorqué de l’argent.

Le 17 juillet 2006, à la suite d’une demande du Comité transmise par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé du suivi des constatations, l’État partie a répondu aux observations du conseil en date du 3 mai 2006. Il affirme que l’enquête a été menée impartialement et qu’aucun élément probant établissant le contraire n’a été soumis. L’allégation de partialité repose simplement sur le fait que le Directeur de la prison, en tant qu’agent de l’État, exerce un contrôle administratif sur ses subordonnés et que le Ministère de l’intérieur n’est pas un mécanisme de contrôle externe. L’État partie souligne que les sanctions prévues en droit péruvien auraient dissuadé et le Directeur de la prison et le Ministère de ne pas agir impartialement. L’État partie conteste qu’un retard déraisonnable dans le déroulement de l’enquête ait été établi. L’auteur n’a pas souhaité prendre part à cette enquête, être informé de son avancement, ni aider à réprimer les tortionnaires présumés. L’État partie indique que l’auteur est tenu de fournir des preuves claires et convaincantes concernant les coups de feu qui auraient été tirés et l’existence de la cage. Tant que ne sont pas présentées des preuves indépendantes et corroborantes, les autorités ne sont pas tenues de tenir compte de ces griefs. L’État partie conclut que son enquête satisfait aux critères d’impartialité, de rapidité et d’exhaustivité prévus dans le Pacte.

Réponse de l’auteur

Le 9 février 2006, l’auteur a indiqué que la procédure en cours était une procédure de suivi et qu’il n’y avait donc pas lieu de présenter de nouveau des arguments sur le fond. Il a demandé à être informé de la suite donnée à son dossier.

Le 3 mai 2006, le conseil de l’auteur a donné suite à la réponse de l’État partie du 27 janvier 2006. Il affirme que la réponse de l’État partie n’est pas appropriée du fait que 1) elle se limite à l’ouverture d’une simple enquête et que 2) l’enquête n’a pas été effectuée de manière rapide, complète et/ou impartiale. Ni le Directeur de la prison, qui a procédé à l’enquête, ni le Ministère de l’intérieur sous l’égide duquel l’enquête a été menée ne peuvent être considérés comme un mécanisme extérieur et donc impartial. En outre, il n’est pas possible d’apprécier la rapidité et l’efficacité de l’enquête puisque les autorités n’ont jamais rien indiqué au plaignant à ce sujet, pas même le moment où l’enquête débuterait ni la raison pour laquelle il y était mis fin. Le Conseil rappelle la jurisprudence des organes conventionnels et celle de la Commission européenne des droits de l’homme, qui est que le requérant doit être invité à participer à ce genre d’enquête et être tenu au courant de son évolution et de ses résultats. Quant à la conduite de l’enquête, le conseil estime manifeste qu’il n’a pas été tenu compte des plaintes de l’auteur. L’allégation selon laquelle l’auteur n’a pas précisé à quels actes de harcèlement il avait été soumis, ni identifié les auteurs de tels actes est une manière pour l’État partie d’éluder l’obligation qui lui incombe de procéder à une enquête approfondie − or les enquêtes de ce type ont précisément pour but d’établir de tels faits. Quoi qu’il en soit, les allégations de l’État partie sont dénuées de fondement et le conseil renvoie à la communication dans laquelle l’auteur énonce ses griefs en détail.

Le conseil souligne que l’État partie n’a pas fourni de renseignements sur la réparation accordée en ce qui concerne les violations des articles 7, 9 et 10, ni sur le remboursement des sommes réclamées à l’auteur au titre des taxes d’immigration, et qu’il n’a pas donné de garantie de non ‑répétition. Il souligne en outre que l’auteur est soucieux de voir l’État partie prendre des mesures pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

Décision du Comité

Le Comité considère que la réponse de l’ État partie n’est pas satisfaisante et que le dialogue se poursuit.

État partie

POLOGNE

Affaire

Fijalkowska, 1061/2002

Constatations adoptées le

26 juillet 2005

Questions soulevées et violations constatées

Article 9, paragraphes 1 et 4

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris sous la forme d’une indemnisation, et de procéder aux modifications de la loi nécessaires pour éviter des violations analogues à l’avenir. L’ État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

27 octobre 2005

Date de la réponse

26 octobre 2006

Réponse de l’État partie

Dans sa réponse en date du 31 août 2006, l’État partie indique que l’auteur avait été informé par une lettre datée du 13 juillet 2006 de la décision du Ministère des affaires étrangères de lui proposer une indemnisation d’un montant de 15 000 zlotys (5 022 dollars). L’auteur a répondu par une lettre du 17 juillet 2006, dans laquelle elle demandait une indemnisation de 500 000 zlotys. Bien que le Ministère ait par la suite offert une indemnisation de 20 000 zlotys (6 696 dollars), l’auteur a réitéré sa demande de 500 000 zlotys (167 408 dollars). L’ État partie affirme que le refus de l’auteur d’accepter l’indemnisation proposée le met dans l’impossibilité de donner effet aux constatations à ce stade.

Le 26 octobre 2006, l’État partie a transmis la copie d’une lettre de l’auteur en date du 22 août 2006 par laquelle elle acceptait la somme de 20 000 zlotys (6 696 dollars) comme réparation en l’espèce.

Décision du Comité

Le Comité estime la réparation satisfaisante et n’entend pas poursuivre l’examen de cette affaire au titre de la procédure de suivi .

État partie

PORTUGAL

Affaire

Correia de Matos, 1123/2002

Constatations adoptées le

28 mars 2006

Questions soulevées et violations constatées

Droit d’assurer sa propre défense − Article 14, paragraphe 3 d)

Réparation recommandée

Le Comité considère que l’auteur a droit à un recours utile en vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte. L’ État partie devrait modifier ses lois pour en assurer la conformité avec le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

Réponse de l’État partie attendue le

4 juillet 2006

Date de la réponse

12 juillet 2006

Réponse de l’État partie

L’ État partie indique que le droit portugais accorde une grande importance aux garanties d’un procès équitable, en particulier dans les procédures pénales. Il expose en détail sa législation, son évolution historique et les garanties procédurales existantes, et se réfère aux dispositions pertinentes de la Constitution et du Code de procédure pénale selon lesquelles seul un avocat membre du barreau à part entière peut assister les accusés dans les procédures pénales.

L’État partie précise qu’en droit portugais, l’auteur ayant été suspendu du barreau et ayant refusé de constituer avocat, le juge n’avait d’autre choix que de commettre un avocat d’office. Dans le cas contraire, la procédure aurait été frappée de nullité. L’État partie souligne qu’en droit portugais l’accusé a le droit, tout au long de la procédure pénale et indépendamment des arguments présentés par son conseil, de s’exprimer et d’être entendu, ce qu’il ne faut pas confondre avec le droit d’assurer sa propre défense.

L’État partie affirme en outre que le texte du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte contient le mot «ou», ce qui semblerait indiquer l’existence de deux possibilités, le droit d’assurer sa propre défense ou le droit d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix. Il renvoie en outre à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la question.

L’État partie conclut que sa législation est déjà en conformité avec le paragraphe 3 d) de l’article 14 et qu’il est donc inutile de la modifier. Il conclut également qu’il n’est pas nécessaire d’assurer de nouveaux droits à l’auteur, outre ceux qu’il a déjà exercés, ni de l’autoriser à faire appel d’une décision qui a déjà fait l’objet d’un recours devant les tribunaux nationaux. Il n’y aurait pas de sens de prendre une telle mesure, qui n’a aucun rapport avec le fond de l’affaire, pour établir si M. Carlos Matos a insulté un juge.

Réponse de l’auteur

Le 23 novembre 2006, l’auteur a fait observer qu’en refusant de donner suite aux constatations du Comité, l’État partie manifestait: 1) un manque de respect à l’égard du PIDCP et du PF, en particulier du paragraphe 2 de l’article 2 du premier; 2) un manque de respect à l’égard des droits civils de l’auteur et le refus de se conformer au paragraphe 3 de l’article 2 du PIDCP. L’auteur estime qu’il devrait bénéficier, entre autres, d’une indemnité d’au moins 500 000 euros ainsi que de la reconnaissance de son droit de se défendre lui ‑même à tout stade de la procédure pénale.

Décision du Comité

Le Comité regrette le refus de l’État partie d’accepter les constatations du Comité et considère que le dialogue se poursuit.

État partie

RÉPUBLIQUE DE CORÉE

Affaire

Hak ‑Cheol Shin, 926/2000

Constatations adoptées le

16 mars 2004

Questions soulevées et violations constatées

Liberté d’expression − Article 19, paragraphe 2

Réparation recommandée

En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, y compris une indemnisation pour sa condamnation, l’annulation du jugement rendu et la prise en charge des frais de justice. En outre, l’État partie n’a pas apporté la preuve que l’atteinte à la liberté d’expression de l’auteur, incarnée par le tableau, était justifiée, et il doit donc lui restituer le tableau dans son état originel en prenant à sa charge toutes les dépenses qui pourraient en découler. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

21 juin 2004

Date de la réponse

16 août 2006 (l’État partie avait précédemment répondu le 19 novembre 2004)

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que le 19 novembre 2004 l’État partie avait indiqué que l’auteur avait bénéficié d’une amnistie spéciale accordée par le Gouvernement le 15 août 2000 (voir rapport annuel, A/60/40, vol. II). Vu que l’auteur avait été reconnu coupable à l’issue d’une procédure judiciaire, il ne pouvait prétendre à une indemnisation en vertu de la loi d’indemnisation pour actes de l’État. La toile peinte par l’auteur ne pouvait pas lui être restituée parce qu’elle avait été confisquée légalement sur décision de la Cour suprême. Face aux contraintes légales entravant l’application des constatations du Comité, le Ministère de la justice étudie actuellement les procédures et les pratiques suivies par d’autres pays pour donner effet aux constatations du Comité, en vue de mettre en place un mécanisme d’application efficace pour l’avenir.

Le Ministère de la justice a transmis le texte original des constatations du Comité et sa traduction en coréen au Bureau du Procureur suprême et a demandé que les juges et les procureurs en tiennent compte dans l’exercice de leurs fonctions. Pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent, le Gouvernement s’emploie à obtenir l’abrogation ou la révision de la loi sur la sécurité nationale. En attendant, il assure le Comité qu’il continuera à n’épargner aucun effort pour limiter au minimum le risque d’interprétation et d’application arbitraires de cette loi par les autorités judiciaires. Le Ministère a publié les constatations du Comité, en coréen, dans le Journal officiel électronique.

Le 16 août 2006, l’État partie a indiqué qu’après examen de la manière dont d’autres pays appliquaient les constatations du Comité, le Ministère de la justice avait publié en mars 2005 un manuel de référence fondé sur une étude et un examen des solutions possibles au problème. Il concluait que le problème tenait en l’espèce à l’application de la décision prise alors que l’affaire ne pouvait être réglée uniquement par une décision administrative. Il fallait une réforme institutionnelle, qui devait être menée en consultation avec le pouvoir judiciaire, la Commission nationale des droits de l’homme ou des spécialistes de la société civile.

Réponse de l’auteur

Le 6 septembre 2006, une demande de réponse a été envoyée à l’auteur, qui était prié d’envoyer ses observations avant le 6 novembre 2006.

Affaire

Keun ‑Tae Kim, 574/1999

Constatations adoptées le

3 novembre 1998

Questions soulevées et violations constatées

Liberté d’expression − Article 19

Réparation recommandée

En application du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer un recours utile à l’auteur.

Réponse de l’État partie attendue le

30 mars 1999

Date de la réponse

16 août 2006 (l’État partie avait répondu précédemment le 16 février 2005)

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que le 16 février 2005 l’État partie a fait valoir que l’auteur, ayant été reconnu coupable d’une atteinte à la loi sur la sécurité nationale, ne pouvait prétendre à une indemnisation de l’État en vertu de la loi d’indemnisation pénale sauf s’il était acquitté des chefs d’inculpation retenus contre lui à l’issue d’un nouveau procès. Il ajoutait que, comme l’enquête et le procès s’étaient déroulés conformément à la loi et qu’aucun élément de preuve ne montrait que les agents de l’État avaient causé un préjudice intentionnellement ou par négligence, l’auteur ne pouvait pas demander de dommages et intérêts au titre de la loi d’indemnisation pour actes de l’État. L’auteur n’a pas déposé de demande de réparation en vertu de la loi sur la réhabilitation des personnes ayant participé au mouvement de démocratisation et les réparations en leur faveur, laquelle prévoit une réparation dans le cas des personnes tuées ou blessées pendant le processus de démocratisation. L’État partie estimait cependant que l’auteur avait été dûment réhabilité et reconnu comme ayant participé au mouvement de démocratisation. Il ajoutait que l’auteur avait bénéficié d’une amnistie le 15 août 1995 et pouvait donc maintenant présenter sa candidature aux élections.

Pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent, le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont engagé un débat en vue de modifier ou d’abroger certaines dispositions de la loi sur la sécurité nationale pour tenir compte du récent processus de réconciliation entre les deux Corée et empêcher des violations éventuelles des droits de l’homme. Les organismes d’enquête et le pouvoir judiciaire ont rigoureusement limité l’application de la loi sur la sécurité nationale aux situations dans lesquelles elle est absolument nécessaire pour maintenir la sécurité de l’État et protéger la vie et la liberté des nationaux. Le Gouvernement a rendu publique une traduction en coréen des constatations du Comité par l’intermédiaire des médias et en a aussi adressé copie à la Cour suprême.

Le 16 août 2006, l’État partie a indiqué que l’Assemblée nationale était en train d’examiner les propositions visant soit à modifier la loi sur la sécurité nationale, soit à l’abroger. Deux projets de loi en faveur de l’abrogation de la loi ont été déposés les 20 et 21 octobre 2004, tandis que le projet de loi tendant à la modifier a été présenté le 14 avril 2005 et est en cours d’examen par la Commission judiciaire et des lois de l’Assemblée nationale.

Réponse de l’auteur

Le 6 septembre 2006, une demande de réponse a été adressée à l’auteur, qui était prié de présenter ses observations avant le 6 novembre 2006.

Affaire

Jong ‑Kyu Sohn, 518/1992

Constatations adoptées le

19 juillet 1995

Questions soulevées et violations constatées

Liberté d’expression − Article 19, paragraphe 2

Réparation recommandée

Le Comité est d’avis que M. Sohn a droit, en application du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, à un recours utile, y compris une indemnisation appropriée, pour avoir été condamné pour l’exercice du droit à la liberté d’expression. Il invite en outre l’État partie à réexaminer le paragraphe 2 de l’article 13 de la loi sur le règlement des conflits du travail. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

15 novembre 1995

Date de la réponse

16 août 2006 (16 février 2005)

Réponse de l’État partie

Le Comité se souviendra que le 16 février 2005, l’État partie a indiqué que, comme l’auteur avait été reconnu coupable d’une infraction à la loi sur le règlement des conflits du travail, il ne pouvait prétendre à une indemnisation de l’État telle que prévue par la loi sur l’indemnisation pénale, sauf s’il était acquitté des chefs d’inculpation retenus contre lui à l’issue d’un nouveau procès. Il ajoutait que la Cour suprême avait établi, le 26 mars 1999, que l’État n’était pas tenu d’indemniser l’auteur en vertu de la loi d’indemnisation pour actes de l’État en ce qui concernait l’action que l’auteur, se fondant sur les constatations du Comité, avait engagée contre le Gouvernement, puisque les recommandations du Comité n’étaient pas contraignantes et qu’il n’y avait aucun élément de preuve montrant que les agents de l’État avaient causé un préjudice à l’auteur intentionnellement ou par négligence pendant l’enquête ou le procès. La loi sur la réhabilitation des personnes ayant participé au mouvement de démocratisation et les réparations en leur faveur, qui prévoit une réparation dans le cas des personnes tuées ou blessées durant le processus de démocratisation, ne s’appliquait pas à l’auteur car il n’avait pas été blessé. En revanche, il a été réhabilité et reconnu comme ayant participé au mouvement de démocratisation. L’État partie indique que l’auteur a bénéficié d’une grâce spéciale le 6 mars 1993.

Pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent, la loi sur les relations du travail et les syndicats, promulguée en mars 1997, a abrogé les dispositions de l’ancienne loi sur le règlement des conflits du travail interdisant à un tiers d’intervenir dans un conflit du travail. Désormais, en vertu de l’article 40 de la nouvelle loi, pendant des négociations collectives ou une action professionnelle, un syndicat peut bénéficier de l’appui d’un tiers, par exemple une confédération professionnelle dont le syndicat est membre ou une personne désignée par lui.

Le 16 août 2006, l’État partie a indiqué que le paragraphe 2 de l’article 13 de la loi sur le règlement des conflits du travail (interdisant à un tiers d’intervenir dans un conflit du travail), qui était le point contesté en 1991, avait été abrogé à la suite de l’adoption de la loi sur les relations du travail et les syndicats le 31 décembre 1996. Désormais, l’article 40 de la nouvelle loi autorise l’intervention de tiers, à condition que les autorités administratives en soient informées. L’article 40 (soutien) de la loi sur les relations du travail et les syndicats, telle qu’en vigueur, dispose ce qui suit:

1. Un syndicat et un employeur peuvent être soutenus par les personnes ou organisations visées dans les alinéas suivants pour ce qui est des négociations collectives (modifié le 20 février 1998):

a) Fédérations professionnelles ou confédération nationale dont le syndicat est membre;

b) Association d’employeurs dont l’employeur est membre;

c) Toute personne dont les autorités administratives ont été informées que le syndicat ou l’employeur sollicitait son soutien; ou

d) Toute personne qui est habilitée à fournir son soutien en vertu d’autres lois ou règlements pertinents.

2. Exception faite des personnes visées au paragraphe 1, nul ne peut intervenir dans une négociation collective ou une action professionnelle, la manipuler ou la susciter.

Réponse de l’auteur

La réponse de l’État partie a été adressée à l’auteur le 6 septembre 2006, pour observations d’ici au 6 novembre 2006.

Affaire

Yeo ‑Bum Yoon et Myung ‑Jin Choi, 1321/2004 et 1322/2004

Constatations adoptées le

3 novembre 2006

Questions soulevées et violations constatées

Objection de conscience à l’incorporation au service militaire obligatoire − Article 18, paragraphe 1

Réparation recommandée

Réparation utile, notamment sous la forme d’une indemnisation

Réponse de l’État partie attendue le

16 avril 2007

Date de la réponse

Mars 2007 (jour non indiqué)

Réponse de l’État partie

L’État partie signale au Comité que le 8 janvier 2007 un aperçu des constatations a été publié dans les principaux journaux coréens et diffusé sur les principales chaînes de radio et télévision. Le texte intégral a été traduit et publié au Journal officiel du Gouvernement coréen. En avril 2006 (avant l’examen par le Comité), le Ministère de la défense nationale s’est doté d’un organe consultatif conjoint sur les politiques, le «Comité de recherche sur un système de service de remplacement», qui compte des représentants des milieux juridique, religieux, sportif et artistique, des représentants désignés par les administrations publiques concernées. Ce comité, qui a pour mandat d’examiner les questions liées à l’objection de conscience au service militaire et à un système de service de remplacement, s’est réuni à plusieurs reprises entre avril 2006 et décembre 2006. À la fin mars 2007, cette instance publiera ses conclusions, sur lesquelles l’État partie se fondera pour poursuivre son action visant à régler cette affaire.

Au sujet des mesures de réparation en faveur des auteurs de la communication, l’État partie informe le Comité de la mise en place d’une équipe spéciale chargée du suivi des communications individuelles, laquelle a estimé qu’un nouveau texte législatif devait être adopté par l’Assemblée nationale aux fins d’obtenir une annulation des jugements définitifs prononcés à l’égard des auteurs. L’adoption d’un tel texte législatif est en cours d’examen mais elle soulève des difficultés. L’État partie souligne qu’il s’attache, sur la base d’une analyse comparative des avantages des différents types de mesures de réparation et de l’étude d’affaires survenues à l’étranger, à déterminer la réparation appropriée pour donner suite aux constatations.

État partie

FÉDÉRATION DE RUSSIE

Affaire

Zheikov, 889/1999

Constatations adoptées le

17 mars 2006

Questions soulevées et violations constatées

Torture, traitement inhumain et dégradant − Article 7, lu conjointement avec l’article 2

Réparation recommandée

Droit à un recours utile, notamment à ce que l’enquête sur le traitement qui a été infligé à l’auteur soit menée à bien, si elle est encore en souffrance, ainsi qu’à une indemnisation.

Réponse de l’État partie attendue le

3 juillet 2006

Date de la réponse

26 juillet 2006

Réponse de l’État partie

L’État partie indique que les documents versés au dossier de l’action pénale ouverte par le Bureau du Procureur de la région de Tula le 18 novembre 1996 en vertu de l’article 171 du Code de procédure pénale font apparaître que cette affaire a donné lieu à une enquête approfondie et impartiale. Les investigations menées au titre de l’enquête préliminaire n’ont permis de dégager aucun élément de preuve corroborant l’affirmation de l’auteur selon laquelle il aurait été victime de mauvais traitements. Le Procureur a estimé que le fonctionnaire de garde qui avait procédé à l’arrestation avait agi en se conformant aux articles 12 et 13 de la loi régissant la police, qui autorisent les fonctionnaires de police à user de la force physique pour arrêter des personnes qui ont commis une infraction administrative. L’État partie fait valoir que l’auteur, en état d’ébriété avancé, a été arrêté au moment où il commettait une infraction administrative et après avoir tenté de faire usage de la force à l’encontre du fonctionnaire de garde. L’article 23 de la loi précitée exonère la responsabilité des fonctionnaires de police en cas d’usage de la force physique pourvu qu’il soit proportionné aux circonstances.

Le 11 décembre 2001, le Bureau du Procureur général de Tula a décidé d’abandonner les poursuites visant les fonctionnaires du Bureau des affaires intérieures de l’arrondissement Proletarskiy de Tula faute d’avoir établi le caractère délictuel de leurs actes (art. 171 du Code de procédure pénale). Le 16 mai 2006, un substitut du Bureau du Procureur général a rouvert l’enquête. Comme les poursuites pénales visant les fonctionnaires de police avaient été abandonnées, les actes de personnes non identifiées ont été considérés comme entrant dans le champ des actes délictueux visés par le paragraphe 1 de l’article 109 du Code de procédure pénale (homicide par négligence). Le 18 mai 2006, l’affaire criminelle n o 052 ‑0172 ‑96 a été classée pour prescription sur la base du paragraphe 3 de la partie 1 de l’article 24 du Code de procédure pénale, au motif que l’enquête n’avait pas permis d’identifier les personnes présumées avoir torturé l’auteur.

Concernant les constatations du Comité relatives aux articles 2, 7 et 10 du Pacte, l’État partie estime qu’aucun de ces articles n’a été violé dans l’affaire Zheikov . L’enquête pénale a été ouverte à sa demande, le déroulement de l’enquête a été surveillé par le Bureau du Procureur général, l’affaire criminelle a été rouverte à plusieurs reprises à sa demande et toutes ses plaintes et appels ont été examinés en tant voulu. L’État partie considère que, conformément à l’article 2 du Pacte, il a assuré un recours utile à Zheikov. L’État partie explique qu’il a été impossible d’identifier la moindre personne contre laquelle engager une procédure parce que Zheikov avait fourni des indications contradictoires concernant les blessures qui lui avaient été infligées et l’identité des coupables.

L’État partie indique en outre que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes. (Cette information n’avait pas été fournie par l’État partie dans son mémoire concernant la recevabilité et le fond.) Il est fait référence à plusieurs articles du Code de procédure pénale dont l’auteur aurait pu se prévaloir.

Réponse de l’auteur

Le 29 mai 2007, l’auteur a renouvelé la plainte formulée dans sa communication et contesté la réponse de suivi envoyée par l’État partie. Il a en outre signalé qu’il avait porté plainte auprès du Centre pour la protection internationale et du Bureau du Procureur de l’arrondissement de Proletarskiy de Tula avant de s’adresser au Comité.

Décision du Comité

Le Comité regrette le refus de l’État partie d’accepter les constatations du Comité et considère que le dialogue se poursuit.

État partie

SUÈDE

Affaire

Alzery, 1416/2005

Constatations adoptées le

25 octobre 2006

Questions soulevées et violations constatées

Manquement à l’obligation d’enquêter sur la responsabilité pénale de tous les agents publics en cause, nationaux et étrangers, du fait d’actes constituant une violation de l’article 7 et d’engager les poursuites pertinentes − Article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2 et manquement aux obligations découlant de l’article premier du Protocole facultatif

Réparation recommandée

Assurer à l’auteur un recours utile, y compris une indemnisation … le Comité se félicite de la création de tribunaux indépendants spécialisés dans les questions de migration, compétents pour connaître des décisions d’expulsion, comme celle évoquée dans le cas d’espèce.

Réponse de l’État partie attendue le

6 février 2007

Date de la réponse

14 mars 2007

Réponse de l’État partie

L’État partie a informé le Comité que le Gouvernement avait, le 1 er mars 2007, annulé sa décision du 18 décembre 2001 et transmis la demande de permis de résidence en Suède de M. Alzery au Conseil suédois des migrations pour examen sur la base de la nouvelle loi sur les étrangers de 2005. Le Gouvernement a de plus décidé de transmettre la demande d’indemnisation de M. Alzery au Bureau du Chancelier de justice et donné instruction au Chancelier de traiter cette demande en vue de parvenir à un accord avec M. Alzery. Le Chancelier est autorisé à aller au ‑delà de ce que prévoit la loi en matière de dommages et intérêts.

Réponse de l’auteur

Dans sa réponse en date du 15 mai 2007, l’auteur a indiqué qu’il accueillait avec satisfaction l’essentiel de la décision du Gouvernement, mais qu’il restait encore à déterminer quand et comment allait être exercé son droit à réparation. La demande d’assistance diplomatique de la part du Gouvernement suédois déposée par l’auteur en vue de lui permettre de quitter l’Égypte a été rejetée par le Gouvernement. Le 9 mai 2007, le Conseil des migrations a rejeté la demande de permis de résidence déposée par l’auteur et rejeté la requête adressée par son avocat en vue d’obtenir une déposition orale. Le Conseil a fondé sa décision sur une déclaration de la police selon laquelle l’évaluation qu’elle avait effectuée concernant les liens présumés de l’auteur avec des terroristes demeurait inchangée par rapport à 2001. Le Conseil n’a pas tenu compte des événements ultérieurs à son expulsion du 18 décembre 2001. L’auteur entend contester cette décision auprès du Gouvernement. L’affaire sera en outre examinée par la Cour suprême de l’immigration. L’auteur demande au Comité de ne prendre aucune décision sur la base des mémoires reçus relatifs à cette affaire avant que les procédures internes ne soient arrivées à leur terme. En outre, il souligne que l’État partie n’a pas formulé de commentaire concernant l’absence d’enquête visant des agents étrangers ou le fait que l’enquête effectuée par le Médiateur a abouti dans la pratique à garantir l’immunité des fonctionnaires de police suédois impliqués dans la remise de l’auteur. Selon l’auteur, aucune enquête n’a été entreprise par l’État partie.

État partie

TADJIKISTAN

Affaire

Kurbanov, 1208/2003

Constatations adoptées le

16 mars 2006

Questions soulevées et violations constatées

Torture, aveux extorqués, procès inéquitable, arrestation et détention arbitraires, absence de notification du chef d’accusation dans le plus court délai − Article 7, article 9, paragraphes 1 et 2, et article 14, paragraphes 1 et 3 g)

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’ État partie est tenu d’assurer à M. Kurbanov un recours utile, y compris un nouveau procès avec les garanties énoncées dans le Pacte ou la libération immédiate de l’auteur, ainsi qu’une réparation appropriée. L’ État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

9 juillet 2006

Date de la réponse

11 juillet 2006

Réponse de l’État partie

L’ État partie affirme que son Ministère des affaires étrangères n’a pas reçu deux notes verbales du Haut ‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (22 octobre 2003 et 22 novembre 2005), qu’il ne savait donc rien de l’enregistrement de l’affaire et n’avait aucune possibilité de répondre.

L’ État partie présente deux lettres, l’une émanant de la Cour suprême et l’autre du Bureau de Procureur général, et informe le Comité que ces deux instances ont examiné ses constatations et donné leur avis à la Commission gouvernement ale chargée de suivre le respect par l’ État partie de ses obligations internationales en matière de droits de l’homme.

a) «Conclusions» du Président de la Cour suprême du Tadjikistan à propos de l’affaire

Le 29 juin 2006, le Président de la Cour suprême a rappelé les faits et la procédure et affirmé que la culpabilité de l’auteur était établie sur la base de preuves concordantes et qu’il avait donc été condamné en conséquence. L’arrestation de l’auteur, le 28 octobre 2001, et tous les actes de procédure pénale qui ont suivi étaient légaux. Ni l’enquête préliminaire, ni le procès n’ont été entachés de violations majeures de la procédure. Le Président de la Cour suprême conclut que les constatations du Comité ne sont donc pas confirmées. Il reconnaît que Kurbanov a été arrêté illégalement le 6 janvier 2001, mais ajoute que les personnes responsables de cette arrestation ont fait l’objet de mesures disciplinaires. Il soutient que l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’arrestation ultérieure de son fils était due à ces sanctions est dénuée de tout fondement. Le fils de l’auteur a été arrêté dans le cadre d’une procédure pénale qui a été ouverte le 28 octobre 2001, et entérinée par le Premier Procureur général adjoint.

b) Lettre du Procureur général datée du 30 juin 2006

Le Bureau du Procureur rappelle longuement les faits et confirme la culpabilité de l’auteur. Il reconnaît que l’auteur a été détenu illégalement au début de 2006, mais ajoute que les responsables ont fait l’objet de mesures disciplinaires (il donne les noms de cinq responsables). Une procédure pénale a été ouverte contre eux le 9 novembre 2001, et une enquête menée sur les allégations de l’auteur selon lesquelles il a été torturé et contraint à avouer pendant sa détention illégale et sa famille persécutée pour la forcer à retirer sa plainte. L’enquête a conclu que ces allégations étaient dénuées de fondement. En particulier, au sujet des actes de torture qui auraient été commis, l’examen médical effectué n’a pas fait apparaître de marques de torture sur le corps de l’auteur. Cette enquête a donc été close le 30 novembre 2002.

Le 28 novembre 2001, Kurbanov a été arrêté parce que suspecté d’un vol et a été interrogé le même jour, en présence de son avocat. Il a été placé en garde à vue le 29 novembre 2001 (cette décision a été entérinée par le Premier Procureur général adjoint). Tous les actes de procédure consécutifs se sont déroulés en présence de l’avocat de Kurbanov et c’est en sa présence que Kurbanov a avoué. Pendant sa détention, il ne s’est pas plaint du recours à des méthodes illégales d’enquête. Au tribunal, Kurbanov s’est rétracté. La nouvelle version des faits qu’il présentait a été examinée et évaluée, et sa culpabilité a été confirmée par des preuves concordantes. Le tribunal a conclu à une stratégie de défense qui visait à limiter la responsabilité de l’auteur.

Réponse de l’auteur

La réponse de l’ État partie a été transmise à l’auteur le 26 septembre 2006, pour observations d’ici au 26 novembre 2006.

Mesures complémentaires prises ou requises

Le 28 mars 2007, une réunion de suivi a rassemblé le Rapporteur spécial , des représentants de l’État partie (l’Ambassadeur Aslov et le Premier Secrétaire Isomatov) et le secrétariat.

Au sujet de l’exécution des requérants après l’enregistrement des communications et l’envoi d’une demande de mesures provisoires, l’Ambassadeur a répondu que les affaires en question concernaient des situations préexistantes à l’adoption d’un moratoire sur les exécutions. Il n’y avait pas eu d’exécution depuis l’entrée en vigueur du moratoire sur les exécutions, qui s’appliquait à tous les condamnés à mort (la date exacte de l’annonce et de l’entrée en vigueur du moratoire seront communiquées au Rapporteur aussitôt que possible). Il y avait eu de nombreux cas de commutation de la peine de mort ces deux dernières années et, selon l’Ambassadeur, le processus d’élaboration d’un texte législatif abolissant la peine capitale était en cours.

En ce qui concerne la divulgation du lieu de la sépulture des condamnés exécutés, l’Ambassadeur a indiqué que les travaux en vue de l’amendement des textes législatifs pertinents se poursuivaient. Le Rapporteur a souligné qu’il importait que le Gouvernement fournissent des réponses complètes sur toutes les affaires enregistrées et a noté que des réponses insuffisantes pousseraient à conclure à la véracité des allégations des plaignants. La délégation a répondu que cette préoccupation serait transmise à Douchanbé et au Comité interministériel en charge de la mise en œuvre des obligations internationales contractées par le Tadjikistan , y compris la coopération avec les organismes s’occupant des droits de l’homme. Le Rapporteur a proposé d’envoyer une réponse modèle complète d’États parties au Chef du Comité interministériel. La délégation a répondu que le Gouvernement coopérait déjà avec la composante des droits de l’homme du Bureau des Nations Unies pour l’aide à la consolidation de la paix au Tadjikistan et entendait coopérer avec tout autre organisme des Nations Unies désigné comme interlocuteur pour les questions relatives aux droits de l’homme après la fermeture du Bureau. Le Gouvernement serait en outre intéressé par la tenue de sessions de formation sur les procédures de plainte.

L’Ambassadeur a promis de demander à sa capitale des renseignements plus détaillés sur la suite donnée à chacune des huit constatations défavorables au Tadjikistan ayant conclu à des violations du Pacte. À cet égard, disposer plus rapidement de la traduction en russe des constatations constituerait un avantage. L’Ambassadeur s’est engagé à coopérer avec le Comité et le Rapporteur chargé du suivi et a indiqué que son gouvernement serait disposé à accueillir une visite de suivi du Rapporteur.

Décision du Comité

Le Comité considère que la réponse de l’ État partie n’est pas satisfaisante et que le dialogue se poursuit.

Affaire

Boymurodov, 1042/2001

Constatations adoptées le

20 octobre 2005

Questions soulevées et violations constatées

Torture, aveux extorqués, détention au secret, droit de bénéficier des services d’un conseil − Article 7, article 9, paragraphe 3, et article 14, paragraphe 3 b) et g)

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que le fils de l’auteur a droit à un recours utile, notamment sous la forme d’une indemnisation appropriée.

Réponse de l’État partie attendue le

1 er février 2006

Date de la réponse

14 avril 2006

Réponse de l’État partie

L’ État partie présente deux lettres, l’une émanant de la Cour suprême et l’autre du Bureau du Procureur général, et informe le Comité que ces deux instances ont examiné ses constatations et donné leur avis, à la demande de la Commission gouvernement ale chargée de suivre le respect par l’ État partie de ses obligations international es en matière de droits de l’homme.

L’ État partie fournit le texte de la décision de la Cour suprême qui a examiné les constatation s. La Cour a étudié les pièces du dossier et établi que pendant l’enquête préliminaire et le procès il ne s’était produit aucune violation flagrante du droit pénal ou de la procédure pénale du Tadjikistan concernant les faits de la détention illégale de l’auteur et la violation du droit à la défense, mentionnés à l’article 9 et au paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte. L’ État partie affirme que dans une déclaration du 10 octobre 2000 l’auteur a indiqué ne pas avoir besoin des services d’un avocat à ce stade. À partir du 9 novembre 2000, une avocate de la défense, Yatimova K. a participé à l’enquête préliminaire et au procès et défendu Boymurodov au tribunal.

En ce qui concerne les violations alléguées de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14, la Cour suprême a conclu ce qui suit: les faits sont ceux énoncés dans la réponse de l’ État partie aux constatation s; le dossier contient une procuration, datée du 9 novembre 2000, portant le nom de l’avocate de l’auteur, qui a représenté ce dernier pendant l’enquête et le procès. Pour ce qui est de l’allégation de torture, une procédure pénale a été ouverte par la Cour suprême le 31 juillet 2001 et adressée au Bureau du Procureur général. Cette procédure a été close le 5 novembre 2001. La Cour suprême a conclu que la condamnation de l’auteur était légale et fondée et que la condamnation et la peine étaient justes.

Dans sa lettre, le Procureur général a avancé des arguments analogues à ceux de la Cour suprême. Il a toutefois ajouté que la procédure pénale relative à l’allégation de torture susmentionnée avait été rouverte (sans doute depuis l’adoption des constatation s).

Réponse de l’auteur

La réponse de l’ État partie a été envoyée à l’auteur le 26 septembre 2006 pour observations d’ici au 26 novembre 2006.

Mesures complémentaires prises ou requises

Voir plus haut pour des informations sur la réunion qui a eu lieu en mars 2007.

Affaire

Dovud et Sherali Nazriev, 1044/2002

Constatations adoptées le

17 mars 2006

Questions soulevées et violations constatées

Torture, aveux extorqués, détention illégale, pas de représentation légale au stade initial de l’enquête, pas de notification de l’exécution ou du lieu de la sépulture − Article 6, article 7, article 9, paragraphe 1, article 14, paragraphes 1, 3 b), d) et g), et violation du Protocole facultatif

Réparation recommandée

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’ État partie est tenu d’assurer à M me Shukurova un recours utile, y compris une indemnisation appropriée, et de l’informer du lieu de la sépulture de son mari et du frère de son mari. L’ État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

Réponse de l’État partie attendue le

2 juillet 2006

Date de la réponse

13 juillet 2006

Réponse de l’État partie

L’ État partie présente deux lettres, une émanant de la Cour suprême et l’autre du Bureau du Procureur général, et informe le Comité que ces deux instances ont examiné ses constatations et donné leur avis, à la demande de la Commission gouvernementale chargée de suivre le respect par l’État partie de ses obligations internationales en matière de droits de l’homme.

a) Lettre du Président de la Cour suprême du Tadjikistan

Le Président de la Cour suprême rappelle in extenso les faits et la procédure. Il présente les informations fournies par l’État partie avant l’examen de l’affaire, y compris le fait que les demandes de grâce présidentielle des deux intéressés ont été rejetées en mars 2002 et que la peine de mort a été exécutée le 23 juin 2002 (N. B.: l’affaire a été enregistrée en janvier 2002). Les exécutions ont donc eu lieu lorsque le jugement est devenu exécutoire et après épuisement de tous les recours internes.

L’examen du dossier pénal a montré que la culpabilité des Nazriev était établie par un grand nombre de preuves concordantes (une longue liste de ces éléments de preuve est fournie, par exemple des dépositions de témoins, des preuves matérielles et les conclusions de plusieurs experts qui ont été examinées et évaluées par le tribunal). Selon le Président de la Cour suprême, les allégations de l’auteur concernant le recours à la torture par les enquêteurs pour contraindre les frères à avouer sont dénuées de tout fondement et contradictoires avec le contenu du dossier et le reste des éléments de preuve. Le dossier ne contient aucune trace d’une demande ou d’une plainte concernant les avocats commis d’office, d’une demande tendant à ce que ces avocats soient remplacés, ni d’une plainte ou demande émanant des avocats des Nazriev quant à l’impossibilité de rencontrer leurs clients.

Le Président de la Cour suprême rejette comme étant dénuées de fondement les allégations de l’auteur selon lesquelles les deux frères ont été torturés pendant l’enquête préliminaire et le tribunal n’a pas tenu compte de leurs déclarations à ce propos. Il note que, selon le dossier, les frères ou leurs représentants ne se sont plaints d’avoir été torturés ni pendant l’enquête préliminaire, ni pendant le procès (il est noté que le procès était public et tenu en présence des accusés, de leurs représentants, des membres de leur famille et autres personnes). En outre, les frères «n’ont pas avoué ni pendant l’enquête préliminaire ni au tribunal et leurs aveux» n’ont pas été utilisés comme preuves pour établir leur culpabilité. Néanmoins, le tribunal a prié le Centre de détention du Ministère de la sécurité (où les frères étaient détenus) de fournir leurs dossiers médicaux et, selon une réponse du 18 avril 2001, il est apparu que les deux frères avaient demandé différents soins médicaux pendant leur détention, pour hypertonie, «infection virale respiratoire aiguë», grippe, caries dentaires, syndrome dépressif. Les frères ont été examinés par des médecins à plusieurs reprises et ont reçu les soins médicaux appropriés. Les examens des médecins n’ont fait apparaître aucune marque de torture ou de mauvais traitements et les intéressés ne se sont pas plaints à ce sujet au cours de l’examen médical.

Enfin, pour ce qui est de l’allégation de l’auteur, selon laquelle elle n’a été informée ni de la date de l’exécution ni du lieu de sépulture de son mari et du frère de celui ‑ci, le Président renvoie le Comité à sa loi sur l’exécution des sanctions pénales. Il indique que la Cour suprême a fait savoir à la famille que les frères avaient été exécutés lorsqu’elle a été informée de cette exécution.

b) Lettre datée du 14 juin 2006, signée par le Procureur général adjoint

La lettre contient des informations très semblables à celles fournies par la Cour suprême, résumées ci ‑dessus, et les conclusions sont identiques.

Réponse de l’auteur

La réponse de l’ État partie a été adressée à l’auteur le 26 septembre 2006 pour observations d’ici au 26 novembre 2006.

Mesures complémentaires prises ou requises

Voir plus haut pour des informations sur la réunion qui a eu lieu en mars 2007.

Décision du Comité

Le Comité considère que la réponse de l’État partie n’est pas satisfaisante et que le dialogue se poursuit.

État partie

OUZBÉKISTAN

Affaire

Bazarov, 959/2000

Constatations adoptées le

14 juillet 2006

Questions soulevées et violations constatées

Concernant le fils des auteurs, article 9, paragraphe 3; article 14, paragraphe 1 lu conjointement avec l’article 6; concernant ses parents, M. et M me Bazarov, article 7

Réparation recommandée

Assurer aux auteurs de la communication un recours utile, y compris les informer du lieu de la sépulture de leur fils et leur accorder une réparation effective pour l’angoisse subie.

Réponse de l’État partie attendue le

7 décembre 2006

Date de la réponse

29 janvier 2007

Réponse de l’État partie

L’État partie indique qu’à la lumière des constatation s du Comité la Cour suprême a réexaminé à plusieurs reprises les éléments de preuve retenus contre l’auteur mais n’a constaté aucune violation du Code de procédure pénale.

L’État partie indique que, conformément aux articles 475, 497 ‑2, 498 et 516 du Code de procédure pénale de l’Ouzbékistan, les décisions de justice ne peuvent être communiquées qu’aux parties à la procédure, à savoir la personne condamnée, la victime, la partie civile, le garant civil, l’avocat de la défense et le procureur. Il serait donc contraire à la législation interne en vigueur de fournir au Comité des droits de l’homme le texte du jugement rendu par la chambre criminelle de la Cour suprême le 24 décembre 1999 dans l’affaire Bazarov.

Mesures complémentaires prises ou requises

Le 30 octobre 2006, une réunion a rassemblé, au Palais Wilson, M. Obidov (Mission permanente de l’Ouzbékistan), le Rapporteur spécial chargé du suivi des constatations et le secrétariat.

Le Rapporteur spécial a souligné qu’à ce jour le Comité avait adopté des constatations défavorables à l’État partie dans sept affaires et attendait toujours une réponse de suivi concernant deux de ces affaires (Sultanova, communication n o 915/2000 et Bazarov, communication n o 959/2000). La réponse relative à la seconde d’entre elles n’est pas attendue avant le 7 décembre 2006. Le représentant de l’État partie a indiqué qu’il allait demander à son gouvernement des informations sur la suite donnée dans l’affaire Sultanova.

Pour ce qui est des réponses de l’État partie concernant les affaires Nazarov (911/2000), Arutyunyan (917/2000) et Hudoyberganova (931/2000), le représentant de l’État partie a dit qu’il avait lu avec étonnement et mécontentement dans le rapport annuel qu’elles avaient été jugées non satisfaisantes et il a demandé au Comité de bien vouloir lui préciser au regard de quels critères elles l’avaient été, soulignant à quel point il importait de maintenir le dialogue ouvert entre le Comité et les États parties − alors que ce type de commentaires risquait de l’entraver. Le Rapporteur a répondu que le Comité était en train de réexaminer le jugement porté sur ces réponses et a demandé à l’État partie de patienter jusqu’à la fin de ce réexamen. Il a estimé que des réponses telles que celles fournies dans les deux affaires en question, pour lesquelles l’État partie avait apporté une réponse réfléchie ne devraient pas être jugées non satisfaisante dans le souci de maintenir ouvert le dialogue entre le Comité et l’État partie.

Décision du Comité

Le Comité regrette le refus de l’État partie d’accepter les constatations du Comité et considère que le dialogue se poursuit.

Affaire

Alexander Kornetov, 1057/2002

Constatations adoptées le

20 octobre 2006

Questions soulevées et violations constatées

Torture, condamnation à mort et procès inéquitable − Article 7, et article 14, paragraphe 3 g)

Réparation recommandée

Possibilité d’une réduction de la peine et indemnisation

Réponse de l’État partie attendue le

30 janvier 2006

Date de la réponse

16 février 2007

Réponse de l’État partie

Dans ses observations sur les constatations du Comité, l’État partie rappelle les faits de l’affaire, y compris la commutation, le 19 février 2002, par la Cour suprême de la peine de mort prononcée contre l’auteur en une peine de vingt ans d’emprisonnement. L’État partie souligne que les affirmations de l’auteur selon lesquelles les enquêteurs auraient mené une enquête illégale sur son compte ont été examinées par la Cour, qui les a jugées dénuées de fondement. Les charges retenues contre l’auteur avaient été correctement appréciées en vertu de la législation nationale et sa peine était proportionnée à la gravité des crimes commis. Dans le cadre d’une procédure de surveillance, il n’y a aucune raison de contester les décisions de la juridiction de jugement ou de réduire la durée de la peine d’emprisonnement imposée à l’auteur.

L’État partie fournit ensuite une série d’extraits de ses textes législatifs relatifs à l’indemnisation des préjudices et indique que l’auteur peut saisir la justice d’une demande de réparation pour les préjudices dont il aurait été victime durant l’enquête préliminaire et le procès.

Mesures complémentaires prises ou requises

Voir plus haut pour des informations sur la réunion qui a eu lieu en octobre 2007.

Décision du Comité

Le Comité regrette le refus de l’État partie d’accepter les constatations du Comité et considère que le dialogue se poursuit.

08-46058 (8) 180808 190808

0846058