Présentée par :

M me  Valentina Zheludkova (représentée par un conseil, M. Igor Voskoboinikov)

Au nom de :

M. Alexander Zheludkov

État partie :

Ukraine

Date de la communication :

28 mars 1994 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 29 octobre 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  726/1996 présentée au Comité des droits de l’homme au nom de M. Alexander Zheludkov, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M me  Valentina Zheludkova, ressortissante ukrainienne d’origine russe. Elle soumet la communication au nom de son fils, Alexander Zheludkov, ressortissant ukrainien d’origine russe, qui était, quand la communication a été envoyée, détenu dans une prison en Ukraine. Elle affirme que son fils est victime de violations des articles 2, 7, 9, 10 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil .

Rappel des faits présentés par l’auteur

2. L’auteur déclare que son fils a été arrêté le 4 septembre 1992 et inculpé avec deux autres hommes de viol sur mineur, en l’occurrence une fillette de 13 ans, H. K. Le viol aurait eu lieu le 23 août 1992. Le 28 mars 1994, le fils de l’auteur a été reconnu coupable par le tribunal de district d’Ordzhonikidzevsky (Marioupol) et condamné à sept ans d’emprisonnement. L’appel qu’il avait interjeté devant la cour régionale de Donetsk a été rejeté le 6 mai 1994. Le pourvoi qu’il a formé ensuite devant la Cour suprême d’Ukraine a aussi été rejeté, le 28 juin 1995.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que son fils est victime d’une violation des articles 7 et 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques parce que le jour de son arrestation et à d’autres occasions avant son procès il a subi des mauvais traitements graves et en raison des conditions inhumaines dans lesquelles il est détenu. Pour ce qui est du premier motif de la plainte, elle affirme en particulier que le 4 septembre 1992 son fils a été conduit au commissariat de police pour faire une déposition en tant que témoin dans une affaire de vol. Une fois arrivé au commissariat, il aurait été conduit dans une pièce où plusieurs policiers l’auraient sauvagement frappé avec des objets métalliques pendant de nombreuses heures. L’un de ses agresseurs serait M. K., capitaine de la milice et père de la victime du viol présumé. L’auteur affirme que M. K. aurait contraint son fils à avouer par écrit qu’il avait commis le viol. Elle explique que son fils a préféré ne pas se plaindre auprès d’un homme en civil qui était entré dans la salle où se déroulait l’interrogatoire pour lui poser certaines questions, car il craignait d’être de nouveau roué de coups. L’auteur affirme que son fils a subi des graves lésions et qu’il est encore en mauvaise santé. En particulier, il aurait eu des lésions graves à l’œil gauche. L’auteur ne fournit aucun certificat médical parce que son fils n’a pas pu avoir accès à ses dossiers médicaux. Elle joint cependant le rapport d’un médecin de l’établissement dans lequel son fils était détenu, d’où il ressort qu’il s’est plaint de son œil au médecin. En outre, elle joint un grand nombre de pièces du dossier médical personnel de son fils tendant à montrer qu’il était en bonne santé jusqu’en 1992.

3.2 En ce qui concerne en particulier l’état de santé de M. Zheludkov depuis son arrestation et de l’absence de soins médicaux dans l’établissement où il était détenu, l’auteur affirme aussi qu’à une époque son fils a été intoxiqué au méthane, qu’elle a voulu lui faire parvenir des médicaments, mais qu’on l’en a empêchée. En ce qui concerne les conditions de détention en général, elle dit que l’établissement est gravement surpeuplé et qu’il y a une pénurie alarmante de nourriture, de médicaments et d’autres articles «absolument essentiels».

3.3 L’auteur dit aussi que son fils est victime d’une violation du paragraphe 2 de l’article 9 et du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte parce que pendant les 7 premiers jours de détention suivant son arrestation il n’a pas pu communiquer avec un avocat, et qu’il n’a été informé des accusations portées contre lui que 50 jours après son arrestation.

3.4 L’auteur affirme également qu’il y a eu violation du droit à un procès équitable garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte pendant la procédure engagée contre son fils. Elle fait valoir de nouveau que son fils a avoué sous la contrainte, et affirme aussi que les autres éléments de preuve retenus contre lui ont été fabriqués de toutes pièces pour couvrir un délit antérieur − un cambriolage de son domicile par la fille de M. K. (la victime du viol) et par une autre femme. En outre, lors du procès, on aurait refusé à son fils d’interroger un témoin.

3.5 L’auteur affirme que tous les recours internes disponibles ont été épuisés. En ce qui concerne la condamnation pour viol, elle renvoie au procès et aux appels dont son fils a été débouté, mentionnés ci ‑dessus au paragraphe 2. Pour ce qui est des passages à tabac que M. Zheludkov aurait subis, ses représentants disent qu’entre 1992 et 1994 ils ont à plusieurs reprises présenté des requêtes aux tribunaux et aux autorités d’instruction mais que ces dernières ont refusé d’engager des poursuites pénales à l’encontre des agresseurs présumés. Une copie des lettres et des requêtes a été transmise au Comité.

Observations de l’État partie et commentaires de l’auteur

4.1 Dans sa réponse datée du 21 avril 1997, l’État partie s’est contenté d’affirmer que les arguments invoqués par l’auteur − à savoir que son fils n’avait pas participé au crime, qu’il avait été interrogé selon des moyens illicites, que l’accusation qui avait été portée contre lui était mensongère et que les autorités d’instruction ainsi que le tribunal avaient violé la loi − avaient tous été examinés et jugés dénués de fondement, que les actes criminels imputés au fils de l’auteur avaient reçu la qualification appropriée, et que la peine qui lui avait été appliquée avait été déterminée en fonction du danger que les crimes représentaient pour la société et des éléments d’information recueillis concernant sa personnalité.

4.2 Dans sa lettre datée du 15 septembre 1997, l’auteur ne fait aucun commentaire supplémentaire au sujet de sa plainte ni au sujet des observations de l’État partie et prie le Comité de se prononcer sur la recevabilité de la communication.

Décision concernant la recevabilité

5.1 Le 7 mars 1999 le Comité, agissant par l’intermédiaire de son groupe de travail conformément au paragraphe 2 de l’article 87 de son règlement intérieur, a examiné la recevabilité de la communication.

5.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. De même, le Comité a estimé que l’auteur avait épuisé les recours internes aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.3 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle son fils a été roué de coups par des policiers quand il a été arrêté, en septembre 1992, et a avoué sous la contrainte, le Comité a noté que, bien que ces allégations n’aient pas été explicitement démenties par l’État partie, le jugement rendu par le tribunal de première instance montrait qu’il les avait examinées et les avait considérées comme dénuées de fondement. Pour ce qui est du refus des autorités d’instruction d’engager des poursuites pénales à l’encontre des agresseurs présumés, le Comité a noté que les autorités d’instruction avaient examiné la demande présentée par l’auteur et avaient conclu qu’il n’y avait pas lieu d’y donner suite. En l’absence d’éléments indiquant clairement qu’il y avait eu faute ou parti pris du tribunal ou des autorités d’instruction, le Comité n’était pas en mesure de contester la manière dont ces derniers avaient apprécié les éléments de preuve, et il a conclu que cette partie de la communication était irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4 De même, le Comité a estimé que l’allégation de violation de l’article 14 du Pacte au motif que les éléments de preuve retenus contre le fils de l’auteur avaient été fabriqués n’était pas recevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, car l’auteur n’avait pas étayé l’allégation de parti pris ou de faute de la part du tribunal.

5.5 En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 14 au motif que M. Zheludkov n’aurait pas pu interroger un témoin pendant le procès, le Comité a relevé que l’auteur n’avait pas évoqué cette question en appel. Il a donc considéré que cette partie de la communication était irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, parce que l’auteur n’avait pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité.

5.6 Le Comité a noté que l’auteur avait affirmé que son fils n’avait eu connaissance des accusations portées contre lui que 50 jours après son arrestation, et qu’apparemment il n’avait pas été traduit devant une autorité judiciaire compétente pendant tout ce temps. Le Comité a considéré que ce grief pouvait soulever des questions au titre des paragraphes 2 et 3 de l’article 9 du Pacte et a considéré que la communication était recevable en vertu de ces dispositions.

5.7 En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, l’auteur dénonçant les conditions de détention en général et l’absence de soins médicaux en particulier, le Comité a noté que l’auteur avait dit que son fils s’était vu refuser l’accès à son dossier médical et que l’État partie n’avait réfuté aucune de ses allégations à ce sujet. Le Comité a considéré que ces allégations étaient suffisamment étayées pour être examinées quant au fond.

5.8 Le Comité des droits de l’homme a donc décidé, le 7 mars 1999, à sa soixante ‑cinquième session, que la communication était recevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions au regard des paragraphes 2 et 3 de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1 Dans ses observations sur le fond de l’affaire, datées du 26 décembre 1999, l’État partie a informé le Comité qu’à la suite de la décision de recevabilité le parquet général de l’Ukraine avait procédé à une enquête. Il avait été établi que M. Zheludkov avait été arrêté le 4 septembre 1992, et que le 7 septembre 1992 il avait été placé en détention provisoire par décision du parquet. M. Zheludkov avait été inculpé formellement le 14 septembre 1992, c’est ‑à ‑dire dans le délai légal de 10 jours autorisé pour présenter les charges après la détermination de la mesure préventive, énoncé dans l’article 148 du Code de procédure pénale. L’État partie fait valoir que, dans ces conditions, l’allégation mentionnée dans la décision de recevabilité, à savoir que M. Zheludkov n’aurait été informé des accusations portées contre lui que 50 jours après son arrestation, ne correspond pas à la réalité.

6.2 L’État partie affirme que la décision d’engager une procédure pénale contre M. Zheludkov a été vérifiée à plusieurs reprises par le parquet. Pendant l’enquête préliminaire et le procès, M. Zheludkov se trouvait au centre de détention de Marioupol. Il ressort du dossier et de son carnet médical qu’il y a été admis le 14 septembre 1992 et a subi un examen médical. Aux questions des médecins sur son état de santé, il aurait répondu qu’il avait eu la maladie de Botkin (ictère infectieux épidémique) en 1983, et qu’en 1986 il avait subi une intervention chirurgicale pour une perforation abdominale, avec hémorragie dans le côté droit du thorax. D’après l’État partie, il ne s’est pas plaint de son état de santé et n’a pas déposé de plainte pour avoir été roué de coups pendant les interrogatoires. À l’issue de l’examen médical, il a été déclaré en bonne santé. Dès son arrivée au centre, on lui a donné un matelas, un oreiller, une couette et des draps ainsi que des couverts et un bol. On lui a attribué un endroit pour dormir et on lui a donné à manger selon les normes en vigueur. Tout le temps où il était au centre de détention, du 14 septembre 1992 au 27 mai 1994, il ne s’est jamais plaint à l’administration des conditions de détention, pas plus que de la nourriture ou des soins médicaux. Ce n’est que le 2 février 1994 qu’il est allé au service médical pour se plaindre d’une baisse de la vue à l’œil gauche. Le médecin a conclu à une myopie. Les raisons de la baisse de la vue ne figurent pas dans le dossier médical, et M. Zheludkov n’a plus consulté le médecin pour ses yeux.

6.3 L’État partie affirme que, du fait du temps écoulé, il ne lui a pas été possible de déterminer si M. Zheludkov, son conseil ou sa mère avaient saisi l’administration du centre d’une demande de certificat attestant son état de santé ou d’une demande de consultation du dossier médical. Toutefois, dans le cadre d’une procédure engagée par sa mère, on a retrouvé au parquet général une copie d’un certificat médical concernant l’état de santé de M. Zheludkov, établi le 2 mars 1994 à la demande de son conseil et signé par le médecin du centre. Le certificat était rédigé comme suit: En réponse à votre demande du 22 février 1994, je vous informe que M. Zheludkov est inscrit au service médical de l’établissement médical Yu ‑Ya 312/98 depuis le 14 novembre 1992. Il n’a présenté aucune plainte relative à son état de santé. Une hémorragie cutanée interne a été relevée au côté droit du thorax. Dans l’anamnèse, il est noté: maladie de Botkin en 1983 et opération chirurgicale en 1986. Actuellement, l’intéressé se plaint d’une baisse de l’acuité visuelle de l’œil gauche. L’établissement n’est pas équipé pour déterminer son degré de myopie. L’État partie fait valoir que les renseignements portés dans le certificat correspondent entièrement au contenu du carnet médical et permettent de réfuter les arguments de M. Zheludkov, qui affirme n’avoir pas été autorisé à consulter son dossier médical.

6.4 Suite à la demande du conseil actuel de M. Zheludkov concernant l’état de santé de ce dernier, des examens médicaux auraient été prescrits. M. Zheludkov a été envoyé à l’hôpital pénitentiaire interrégional pour confirmation du diagnostic de séquelles d’un empoisonnement au méthane (1986) , avec céphalalgie vasomotrice, bronchite chronique, syndrome asthénique végétatif, et baisse de la vision de l’œil gauche. Il serait resté en observation à l’hôpital du 31 octobre au 14 novembre 1994 et, pendant cette période, aurait reçu les soins requis par son état. Quand il a quitté l’hôpital, le diagnostic était le suivant: séquelles résiduelles d’empoisonnement à l’hydrocarbure, encéphalopathie toxique, syndrome asthénique modéré, et bronchite chronique en phase de rémission. On aurait recommandé la consultation d’un neurologue et d’un thérapeute. M. Zheludkov a été déclaré apte au travail.

6.5 L’État partie ajoute que pendant la période où il était en détention, du 27 mai 1994 au 29 décembre 1998, M. Zheludkov a demandé à plusieurs reprises des soins médicaux pour diverses raisons , et souligne qu’à aucun moment entre son arrestation et sa libération il ne s’est plaint de ne pas avoir été soigné ou d’avoir été mal soigné.

6.6 En conséquence, l’État partie conclut que les informations contenues dans la décision de recevabilité au sujet des mauvaises conditions qui règnent dans le centre de détention provisoire de Marioupol et au sujet de l’absence de soins médicaux dans les lieux où M. Zheludkov est resté détenu pendant l’enquête ainsi qu’en prison, sans avoir accès à son dossier médical, devraient être considérées comme non étayées.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

7.1 Dans ses commentaires datés du 27 janvier 2001, l’auteur dit que l’État partie n’a pas réfuté l’argument selon lequel son fils n’avait pas été présenté à une autorité judiciaire compétente pendant 50 jours après son arrestation. L’article 148 du Code de procédure pénale ne fixe, d’après l’auteur, aucun délai dans lequel les personnes en état d’arrestation doivent être informées des accusations qui pèsent contre elles . L’affirmation de l’État partie qui dit que M. Zheludkov a été inculpé formellement le 14 septembre n’est étayée par aucune preuve documentaire et est en conséquence une invention. L’auteur ajoute que l’article 155 du Code de procédure pénale dispose que toute personne arrêtée ne peut être gardée à vue pendant plus de trois jours et, au bout de ces trois jours, elle doit être transférée dans un centre de détention. Les seules exceptions sont les cas où il n’existe pas de centre de détention ou les cas où le transfert est impossible à cause du mauvais état des routes. Or, le fils de l’auteur était gardé à vue près de Marioupol, où il existe un centre de détention. L’auteur ajoute que les conditions de détention étaient mauvaises car le centre n’était pas conçu pour héberger des détenus pendant plus de 3 jours, et son fils y est resté 10 jours.

7.2 L’auteur dit que le centre de détention n’a pas reçu le même dossier médical que celui qui pouvait être consulté pendant l’enquête préliminaire. Elle affirme donc qu’il manquait des documents. Il y aurait dans le dossier complet les conclusions d’un examen médical que son fils avait subi à sa propre demande, en rapport avec le fait qu’il ait déclaré avoir été roué de coups. Il manquerait également des documents relatifs à son état de santé après l’empoisonnement et d’autres documents. D’après l’auteur, cela aurait eu pour effet d’empêcher son fils d’être correctement soigné pendant cette période.

7.3 L’auteur joint des copies de documents qui montrent que le conseil a demandé plusieurs fois à consulter le dossier médical de M. Zheludkov, mais en vain . De l’avis de l’auteur, l’État partie ne peut pas continuer à affirmer qu’il ne lui est pas possible de déterminer si M. Zheludkov, son conseil ou sa mère avaient saisi l’administration pénitentiaire d’une demande de certificat attestant son état de santé ou d’une demande de consultation du dossier médical.

Délibérations du Comité

8.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2 Le Comité doit déterminer si l’État partie a commis une violation des droits consacrés aux paragraphes 2 et 3 de l’article 9 du Pacte et au paragraphe 1 de l’article 10. Le Comité note que l’auteur se plaint que son fils soit resté plus de 50 jours détenu sans être informé des charges retenues contre lui et n’ait pas été traduit devant une autorité judiciaire compétente pendant tout ce temps et, de plus, que les soins médicaux étaient insuffisants, et que son fils n’ait pas pu avoir accès au dossier médical le concernant.

8.3 Le Comité prend note de la réponse de l’État partie qui affirme que, après son arrestation le 4 septembre 1992 parce qu’il était soupçonné d’avoir participé à un viol, M. Zheludkov a été maintenu en détention avec l’accord du procureur compétent du district de Novoazosk, le 7 septembre 1992, et qu’il a été inculpé le 14 septembre 1992 − dans le délai légal de 10 jours. Il note aussi l’allégation de l’auteur selon laquelle son fils n’a été informé des charges précises retenues contre lui qu’après 50 jours de détention, et qu’il n’a pas été traduit devant un juge ou une autre autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires pendant cette période. L’État partie n’a pas contesté que M. Zheludkov n’a pas été présenté dans le plus court délai à un juge après son arrestation pour une infraction pénale, mais a dit qu’il avait été placé en détention provisoire sur décision du procureur ( prokuror ). L’État partie n’a pas fourni suffisamment d’informations indiquant que le procureur avait l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être considéré comme «une autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Le Comité conclut donc que l’État partie a violé les droits reconnus à M. Zheludkov par le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

8.4 Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 10 qui est en rapport avec le traitement qu’aurait subi M. Zheludkov en détention, notamment sur le plan médical, et l’accès à son dossier médical, le Comité prend note de la réponse de l’État partie selon laquelle M. Zheludkov a reçu des soins médicaux, a subi des examens et a été hospitalisé pendant qu’il était au centre et en prison et qu’un certificat médical fondé sur le dossier médical de M. Zheludkov a été délivré, après qu’une demande eut été formulée le 2 mars 1994. Toutefois, ces déclarations ne permettent pas de réfuter l’argument présenté au nom de la victime présumée selon lequel en dépit de demandes répétées, les autorités de l’État partie n’ont pas autorisé l’accès direct au dossier médical de M. Zheludkov. Le Comité n’est pas en position de déterminer dans quelle mesure le dossier médical en question serait utile pour l’évaluation des conditions dans lesquelles M. Zheludkov avait été détenu, et notamment des soins médicaux qui lui ont été dispensés. L’État partie n’ayant pas expliqué pourquoi l’accès au dossier médical a été refusé, le Comité considère que le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur. En conséquence, dans les circonstances de la présente communication, le Comité conclut que le refus continu et inexpliqué d’autoriser l’accès au dossier médical de M. Zheludkov doit être considéré comme un motif suffisant pour conclure à l’existence d’une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

10. Le Comité est d’avis que M. Zheludkov a droit, en vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, à un recours utile, sous la forme d’une indemnisation. L’État partie doit prendre des mesures efficaces pour veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas, en particulier en faisant immédiatement en sorte que les décisions de prolongation de la garde à vue soient prises par une autorité judiciaire ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être considérée comme «une autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

11. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Nisuke Ando

Je souscris à la décision du Comité qui a établi que l’État partie avait violé les droits reconnus à M. Zheludkov par le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte (8.3). Toutefois, il m’est difficile de le suivre quand il conclut que le refus continu et inexpliqué de l’État partie d’autoriser l’accès au dossier médical constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 10 (8.4).

Premièrement, l’État partie explique bien que, suite à la procédure engagée par la mère de M. Zheludkov et à la demande de son conseil, un certificat médical concernant son état de santé a été établi et signé par le médecin du centre et que les renseignements portés dans le certificat correspondaient entièrement au contenu du dossier médical (6.3). Deuxièmement, le Comité admet qu’il n’est pas en position de déterminer dans quelle mesure le dossier médical en question serait utile pour évaluer les conditions dans lesquelles M. Zheludkov a été détenu, et notamment les soins médicaux qui lui ont été dispensés (8.4).

J’estime certes que l’État partie devrait permettre à M. Zheludkov de consulter son dossier médical; mais je ne peux me convaincre que le refus d’autoriser l’accès au dossier médical constitue en tant que tel une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte par l’État partie dans le cas d’espèce.

( Signé ) Nisuke Ando

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Opinion individuelle de M. P. N. Bhagwati

J’ai lu le texte des constatations adoptées par la majorité des membres du Comité. Si je me rallie à la position de la majorité, qui estime que l’État partie a violé les droits reconnus à M. Zheludkov par le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, je ne peux pas souscrire à l’idée que le refus continu et inexpliqué de l’État partie d’autoriser l’accès au dossier médical de M. Zheludkov constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

L’État partie a affirmé, comme il est indiqué au paragraphe 6.3 de la communication, qu’à la suite d’une procédure engagée par l’auteur, une copie d’un certificat médical concernant l’état de santé de son fils, établi le 2 mars 1994 à la demande de son conseil et signé par le médecin du centre, lui avait été donnée et que les renseignements portés dans le certificat correspondaient entièrement au contenu du carnet médical. Cette affirmation n’a pas été réfutée ni contestée par l’auteur. En l’espèce, il est difficile d’apprécier ou de déterminer quelles informations supplémentaires sur la santé ou l’état physique de son fils l’auteur aurait pu obtenir si elle avait eu accès au dossier médical et en quoi le fait de ne pas y avoir accès l’a empêché d’établir que les droits de son fils en vertu du paragraphe 1 de l’article 10 avaient été violés. J’estime qu’en tout état de cause, le refus d’autoriser l’accès au dossier médical ne pouvait constituer en soi une violation du paragraphe 1 de l’article 10 car la mère voulait consulter le dossier médical uniquement afin d’obtenir des preuves pour établir l’existence d’une violation du paragraphe 1 de l’article 10 et le refus de communiquer de telles preuves ne saurait être considéré comme une violation de cet article.

En conséquence, je ne peux partager l’avis de la majorité qui a conclu que le refus d’autoriser l’accès au dossier médical constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

( Signé ) P. N. Bhagwati

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Opinion individuelle de M me Cecilia Medina Quiroga

J’approuve la décision du Comité dans l’affaire examinée mais je ne partage pas son raisonnement quant à l’existence d’une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, comme il est indiqué au paragraphe 8.4 des constatations.

J’estime que le raisonnement du Comité se fonde sur une interprétation exagérément restrictive du paragraphe 1 de l’article 10, en ce sens qu’il établit un lien entre la violation de cet article et l’importance que l’accès au dossier médical de M. Zheludkov aurait pu avoir eu égard aux soins médicaux qu’il a reçus en prison, afin d’évaluer les conditions dans lesquelles il a été détenu, et notamment les soins médicaux qui lui ont été dispensés.

Aux termes du paragraphe 1 de l’article 10, toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Cela signifie, à mon avis, que les États ont l’obligation de respecter et de protéger tous les droits fondamentaux des individus, dans la mesure où ils reflètent les divers aspects de la dignité humaine protégés par le Pacte, y compris dans le cas des personnes privées de liberté. En conséquence, l’article entraîne une obligation de respect qui s’applique à tous les droits de l’homme reconnus dans le Pacte. Cette obligation ne peut porter atteinte au droit ou aux droits autres que le droit à la liberté individuelle qui sont la conséquence absolument nécessaire de la privation de liberté, chose qu’il appartient à l’État de justifier.

Le droit d’avoir accès à son dossier médical fait partie du droit qu’a chacun d’avoir accès aux informations qui le concernent. L’État partie n’a pas justifié son refus d’autoriser l’accès au dossier et le simple fait de rejeter la demande de la victime constitue donc une violation de l’obligation qui lui incombe de respecter le droit de chacun d’être «traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine», que ce refus ait eu ou non des conséquences pour les soins médicaux de la victime.

( Signé ) Cecilia Medina Quiroga

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Opinion individuelle de M. Rafael Rivas Posada

Je souscris à la conclusion formulée au paragraphe 8.3 de la décision, où le Comité établit que l’État partie a violé les droits reconnus au fils de l’auteur par le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, mais je ne partage pas l’avis exprimé au paragraphe 8.4 de la décision selon lequel le refus d’autoriser l’accès au dossier médical de M. Zheludkov constitue un motif suffisant pour conclure à l’existence d’une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

Premièrement, je ne considère pas que l’auteur ait montré de façon suffisante que les autorités ont agi injustement en refusant de lui communiquer le dossier médical de son fils en dépit de demandes répétées. Il est vrai qu’à deux reprises, le 30 septembre et le 31 octobre 1994, les autorités ont répondu qu’elles ne pouvaient le lui transmettre, la première fois au motif que le détenu avait été transféré en prison et que son dossier avait suivi et la seconde parce que le détenu avait été hospitalisé pour subir des examens et que l’on avait donc besoin de son dossier. La troisième réponse à la demande de l’auteur émanait du Ministère de l’intérieur, qui expliquait que donner cette autorisation était la prérogative des tribunaux. À première vue, aucune de ces réponses ne semblent infondées. De surcroît, les autorités ont établi un certificat médical le 2 mars 1994 qui, d’après elles, comportait tous les renseignements concernant le dossier médical. Cette affirmation de l’État partie n’est pas contestée par l’auteur, qui ne s’est jamais plainte que son fils ait subi un préjudice pour n’avoir pas pu consulter son dossier médical, dont le Comité n’est pas sûr qu’il ait jamais existé.

Deuxièmement, un dossier médical est simplement un outil qui permet de déterminer les soins médicaux à apporter et de faciliter le traitement. Il ne constitue pas une fin en soi mais il est un moyen d’obtenir un résultat, en l’occurrence préserver ou rétablir la santé d’une personne.

En l’espèce, l’État partie soutient que M. Zheludkov a reçu les soins médicaux requis par son état et, au paragraphe 8.4, le Comité ne se réfère pas à l’absence de soins médicaux pour conclure à l’existence d’une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte mais seulement au refus d’autoriser l’accès au dossier médical. Il est à mon avis contradictoire de dire que le refus de communiquer les documents qui devraient être contenus dans le dossier médical, dont on était censé avoir besoin pour assurer au détenu la prise en charge voulue, constitue une violation du Pacte tout en reconnaissant implicitement que les soins étaient satisfaisants, l’auteur n’ayant pas fondé sa plainte sur cette question.

Dernier point mais non le moins important, puisqu’il s’agit de l’argument clef de mon opinion dissidente: même si l’importance de la possession du dossier médical était sans rapport avec les soins médicaux auxquels un détenu a droit, je ne pense pas qu’il faille pousser aussi loin l’interprétation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Conclure que le refus d’autoriser une personne privée de liberté à avoir accès à son dossier médical − à supposer que ce refus soit prouvé − constitue un traitement «inhumain» et est contraire au respect de la dignité inhérente à la personne, dépasse le champ d’application de ce paragraphe et risque de porter atteinte à un principe fondamental qui ne doit faire l’objet d’aucune interprétation fantaisiste.

Pour les raisons exposées ci-dessus, je ne souscris pas à la partie du paragraphe 9 de la décision relative à la communication n o  726/1996 qui établit une violation par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 10.

Le 5 novembre 2002

( Signé ) Rafael Rivas Posada

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

B. Communication n o  757/1997 , Pezoldova c.  République tchèque * (Constata tions adoptées le 25 octobre 2002, soixant e ‑ seizième session)

Présentée par : M me  Alzbeta Pezoldova (représentée par un conseil, Lord Lester of Herne Hill)

Au nom de : L’auteur

État partie : République tchèque

Date de la communication : 30 septembre 1996 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  757/1997 présentée par M me  Alzbeta Pezoldova, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M me  Alzbeta Pezoldova, citoyenne tchèque résidant à Prague (République tchèque). Elle affirme être victime de violations, par la République tchèque, des articles 26, 2 et 14 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil. Le Pacte est entré en vigueur pour la République tchèque en mars 1976 et le Protocole facultatif en juin 1991 .

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 M me  Pezoldova est née le 1 er  octobre 1947 à Vienne et est la fille et l’héritière légitime de Jindrich Schwarzenberg. Elle déclare que le Gouvernement allemand nazi a confisqué, en 1940, tous les biens de sa famille en Autriche, en Allemagne et en Tchécoslovaquie, dont une propriété en Tchécoslovaquie connue sous le nom de «Stekl». Elle affirme que ces biens ont été confisqués parce que son grand ‑père adoptif, Adolph Schwarzenberg, était un opposant à la politique nazie. Ce dernier a quitté la Tchécoslovaquie en septembre 1939 et est décédé en Italie en 1950. Le père de l’auteur, Jindrich Schwarzenberg, a été arrêté par les Allemands en 1943 et déporté à Buchenwald, d’où il a été libéré en 1944. Il s’est exilé aux États ‑Unis et n’est pas rentré en Tchécoslovaquie après la guerre.

2.2 Après la Seconde Guerre mondiale, en 1945, les biens de la famille ont été placés sous administration nationale par le Gouvernement tchécoslovaque. En application du décret n o  12 du 21 juin 1945 et du décret n o  108 du 25 octobre 1945, promulgués par le Président tchécoslovaque Edward Benes, les biens immobiliers et les terres agricoles des personnes d’origine allemande et hongroise ont été confisqués. Ces décrets ont été appliqués à la propriété des Schwarzenberg au motif que Schwarzenberg était d’origine allemande, bien qu’il eût toujours été un loyal citoyen tchèque et défendu les intérêts de la Tchécoslovaquie.

2.3 Le 13 août 1947, une loi sur la confiscation de biens d’application générale, la loi n o  142/1947, a été adoptée. Cette loi autorisait le Gouvernement à nationaliser, en échange d’une indemnisation, les terres agricoles de plus de 50 hectares et les entreprises industrielles employant plus de 200 travailleurs. Toutefois, cette loi n’a pas été appliquée s’agissant de la propriété des Schwarzenberg, car le même jour une loi spéciale, la loi n o  143/1947 (dite «Lex Schwarzenberg») a été promulguée, prévoyant le transfert des biens des Schwarzenberg à l’État sans indemnisation alors que ces biens avaient déjà été confisqués en application des décrets Benes n os  12 et 108 . L’auteur affirme que la loi n o  143/1947 était inconstitutionnelle, discriminatoire et arbitraire, perpétuait et officialisait les persécutions à l’égard de la famille Schwarzenberg commises précédemment par les nazis. Selon l’auteur, la loi n’a pas eu d’effet automatique sur la confiscation opérée au préalable en application des décrets Benes. Toutefois, le 30 janvier 1948, la mesure de confiscation des terres agricoles des Schwarzenberg en application des décrets n os  12 et 108 a été annulée. Le représentant des Schwarzenberg en a été informé par une lettre du 12 février 1948 et les parties ont été autorisées à faire appel dans les 15 jours. L’auteur déclare en conséquence que la mesure d’annulation n’a pris effet qu’après le 27 février 1948 (soit deux jours après la date fixée dans la loi n o  229/1991 comme début de la période prise en considération aux fins de la restitution de biens, c’est ‑à ‑dire le 25 février 1948).

2.4 Selon l’auteur, le transfert des biens ne découlait pas automatiquement de l’entrée en vigueur de la loi n o  143/1947, mais était subordonné à l’inscription au cadastre du transfert des droits de propriété correspondants. À ce propos, l’auteur signale que le régime d’administration nationale (voir par. 2.2) est demeuré en vigueur jusqu’à juin 1948 et que l’enregistrement des biens par les bureaux du cadastre et les tribunaux montre qu’à l’époque la loi n o  143/1947 n’était pas considérée comme ayant pour effet immédiat le transfert de la propriété.

2.5 Après l’effondrement du régime communiste en 1989, plusieurs lois sur la restitution de biens ont été adoptées. S’appuyant sur la loi n o  229/1991 , l’auteur s’est adressée aux autorités foncières régionales pour obtenir restitution, mais ses demandes ont été rejetées par les décisions des 14 février, 20 mai et 19 juillet 1994.

2.6 Le tribunal municipal de Prague, par ses décisions du 27 juin 1994 et du 28 février 1995 , a rejeté le recours de l’auteur et a statué que la propriété des biens avait été licitement et automatiquement transférée à l’État le 13 août 1947 par l’effet de la loi n o  143/1947. Étant donné que, selon la loi n o  229/1991 sur les restitutions, la période pouvant être prise en considération pour l’examen des demandes de restitution avait commencé le 25 février 1948, le tribunal municipal de Prague a jugé que l’auteur ne pouvait prétendre à restitution . Le tribunal municipal a rejeté la demande de l’auteur visant à ce que la procédure soit suspendue afin de demander à la Cour constitutionnelle de statuer sur la question de l’inconstitutionnalité et de la nullité de la loi n o  143/1947.

2.7 Le 9 mars 1995, la requête déposée par l’auteur devant la Cour constitutionnelle concernant la décision du tribunal municipal du 27 juin 1994 a été rejetée. La Cour a confirmé la décision du tribunal municipal selon laquelle les biens avaient été transférés à l’État automatiquement par l’effet de la loi n o  143/1947 et a refusé d’examiner la question de savoir si la loi n o  143/1947 était inconstitutionnelle et nulle. L’auteur n’a pas fait appel devant la Cour constitutionnelle de la décision rendue par le tribunal municipal le 28 février 1995 car son recours aurait été vain, compte tenu du rejet de son premier appel.

2.8 Selon l’auteur, l’interprétation des tribunaux selon laquelle le transfert des biens était opéré automatiquement sans qu’ils soient nécessairement enregistrés au cadastre est en contradiction flagrante avec la pratique de l’époque et avec le texte de la loi elle ‑même, qui montrent que l’enregistrement était une condition nécessaire au transfert de biens, lequel, en l’espèce, a eu lieu après le 25 février 1948.

2.9 La requête présentée par l’auteur à la Commission européenne des droits de l’homme le 24 août 1995 au sujet de sa demande de restitution de la propriété «Stekl» et de la façon dont les tribunaux tchèques avaient traité cette demande a été déclarée irrecevable le 11 avril 1996. L’auteur déclare que la Commission n’a pas examiné sa plainte sur le fond et ajoute que la communication qu’elle présente au Comité des droits de l’homme a une portée plus large que sa plainte devant la Commission européenne des droits de l’homme.

2.10 En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur déclare qu’elle ne dispose pas d’autres recours internes utiles contre le rejet et l’exclusion de sa demande de réparation − sous forme de restitution ou d’indemnisation − pour la confiscation illicite, arbitraire et discriminatoire de ses biens et contre le déni de justice dont elle a été victime à propos de cette demande de réparation.

2.11 Il ressort des informations fournies que l’auteur continue à demander la restitution de différentes parties des biens de sa famille, en application de la loi n o  243/1992 qui prévoit la restitution des biens confisqués en vertu des décrets Benes. Sa demande a été rejetée le 30 avril 1997 par le tribunal municipal de Prague au motif que les biens de la famille de l’auteur n’avaient pas été confisqués en vertu des décrets Benes, mais de la loi n o  143/1947. Selon le conseil, le tribunal n’a donc pas tenu compte du fait que les biens ont été en réalité confisqués par l’État en vertu des décrets Benes en 1945 et qu’ils n’ont jamais été restitués aux propriétaires légitimes, de sorte que la loi n o  143/1947 ne pouvait pas avoir et n’a pas eu pour effet le transfert des biens de la famille Schwarzenberg à l’État. Le tribunal a refusé de saisir la Cour constitutionnelle de la question de la constitutionnalité de la loi n o  143/1947, estimant qu’une telle démarche n’aurait aucune incidence sur l’issue de l’affaire. Le 13 mai 1997, la Cour constitutionnelle n’a pas examiné l’allégation de l’auteur selon laquelle la loi n o  143/1947 était inconstitutionnelle, considérant que l’auteur n’avait pas qualité pour soumettre une proposition visant à annuler ladite loi.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que la persistance des autorités tchèques, y compris de la Cour constitutionnelle tchèque, à refuser de reconnaître et de déclarer que la loi n o  143/1947 est une loi spéciale discriminatoire et qu’elle est en tant que telle nulle et sans effet, constitue une atteinte arbitraire, discriminatoire et inconstitutionnelle persistante au droit de l’auteur de jouir en toute quiétude de son héritage et de ses biens, y compris à son droit à restitution et indemnisation. Par ailleurs, la loi n o  229/1991 sur les restitutions est contraire à l’article 26 du Pacte, puisqu’elle prévoit une discrimination arbitraire et injuste parmi les victimes de précédentes confiscations de biens.

3.2 À ce sujet, l’auteur explique que la loi n o  143/1947, conjuguée à la loi n o  229/1991, a pour effet de la soumettre à une discrimination arbitraire et injuste en l’empêchant de recourir contre la confiscation de biens. Elle dit qu’elle est victime de différences de traitement arbitraires par rapport à d’autres victimes de précédentes confiscations. À cet égard, elle se réfère à l’interprétation pernicieuse de la loi n o  143/1947 par les tribunaux tchèques, selon laquelle cette loi aurait eu pour effet le transfert automatique des biens à l’État tchèque, au refus de la Cour constitutionnelle d’examiner la constitutionnalité de la loi n o  143/1947, à l’interprétation arbitraire et dénuée de cohérence de la loi n o  142/1947 et de la loi n o  143/1947, au choix arbitraire de la date du 25 février 1948 comme début de la période prise en considération et à la confirmation par les tribunaux en place après 1991 de la distinction arbitraire faite entre la loi n o  142/1947 et la loi n o  143/1947 pour ce qui est de la restitution des biens.

3.3 Le conseil renvoie à une décision rendue le 13 mai 1997 par la Cour constitutionnelle concernant la constitutionnalité de la loi n o  229/1991, dans laquelle la Cour a considéré qu’il existait des motifs raisonnables et objectifs d’exclusion de toutes les autres requêtes en restitution de biens du simple fait que la loi était l’expression manifeste de la volonté politique du législateur de soumettre les requêtes en restitution à la condition fondamentale de l’existence de ladite période fixée et que le législateur entendait clairement définir une date limite.

3.4 S’agissant de l’allégation de discrimination arbitraire et injuste entre l’auteur et les victimes de confiscations de biens en vertu de la loi n o  142/1947, le conseil indique que les confiscations opérées en vertu de cette loi ont été annulées conformément au paragraphe 1 de l’article 32 de la loi n o  229/1991, mais que le législateur tchèque n’a pas fait de même pour les confiscations opérées en vertu de la loi n o  143/1947. Elle ajoute que, dans le cas de la loi n o  142/1947, c’est la date d’inscription au cadastre ou de prise de possession effective qui est considérée par la Cour constitutionnelle comme pertinente pour établir le droit à indemnisation, tandis que, dans le cas de la loi n o  143/1947, la date considérée comme pertinente est celle de la promulgation de la loi. L’auteur déclare à ce propos que le comté de Bohême n’a pas pris possession des biens avant mai 1948.

3.5 L’auteur déclare également qu’il existe une discrimination arbitraire et injuste entre elle ‑même et les autres victimes de confiscations de biens effectuées en application des décrets Benes de 1945, car ces victimes peuvent prétendre à restitution au titre desdits décrets et en vertu des lois n os  87/1991 et 229/1991, lues conjointement avec la loi n o  243/1992, en ce qui concerne les biens confisqués tant avant qu’après le 25 février 1948, si elles peuvent faire la preuve de leur loyalisme envers la République tchèque et de leur innocence de tous actes illicites à l’encontre de l’État tchécoslovaque, alors que l’auteur se voit refuser cette possibilité du fait que, selon les jugements rendus après 1991, les expropriations opérées en application des décrets Benes ont été annulées par la promulgation de la loi n o  143/1947.

3.6 L’auteur déclare que le fait de la priver de tout recours utile contre la confiscation arbitraire, illégale, injuste et discriminatoire de ses biens en application des décrets Benes et de la loi n o  143/1947 constitue à son encontre, de la part des autorités publiques − législatives, exécutives et judiciaires − de la République tchèque, un traitement arbitraire, illégal, injuste, discriminatoire et inconstitutionnel, contrevenant aux obligations qui incombent à la République tchèque en vertu des articles 2 et 26 du Pacte. À cet égard, elle déclare que les considérations du Comité des droits de l’homme dans l’affaire Simunek sont directement pertinentes dans son propre cas.

3.7 En ce qui concerne ses allégations au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’auteur déclare avoir été victime d’un déni du droit à l’égalité devant les tribunaux tchèques et du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, y compris du droit d’avoir un accès effectif à un tel tribunal. Elle fait référence à ce propos à la manière dont les tribunaux ont rejeté sa demande de restitution, à la jurisprudence plus favorable de la Cour constitutionnelle dans des affaires comparables et au refus de la Cour constitutionnelle de se prononcer sur la constitutionnalité de la loi n o  143/1947.

3.8 À ce sujet, l’auteur souligne qu’il est intrinsèquement contraire à la logique et au bon sens de la part de la Cour constitutionnelle d’avoir confirmé les effets en droit de la loi n o  143/1947, tout en déclarant simultanément que la question de la validité constitutionnelle de cette loi n’avait pas de rapport avec la détermination des droits de l’auteur. En outre, en prenant sa décision, la Cour s’est écartée de sa propre jurisprudence et de ses fonctions pour ce qui est d’annuler la législation discriminatoire.

Observations de l’État partie

4.1 Dans une lettre datée du 4 décembre 1997, l’État partie affirme que la communication est irrecevable ratione temporis car manifestement mal fondée et également en raison du non ‑épuisement des recours internes. Exposant les origines de la législation relative à la restitution de biens, l’État partie indique que celle ‑ci avait pour but de remédier aux séquelles du régime communiste totalitaire et qu’en toute logique elle ne s’appliquait qu’à partir de la date à laquelle les communistes avaient pris le pouvoir; il s’agissait d’une loi n’entraînant pas d’obligations et dont l’objectif n’avait jamais été l’indemnisation générale.

4.2 Selon l’État partie, la communication est manifestement dénuée de fondement car il ressort clairement du texte de la loi n o  143/1947 que les biens en question d’Adolph Schwarzenberg ont été dévolus à l’État en application de la loi avant le 25 février 1948, date fixée dans la loi n o  229/1991 comme début de la période prise en considération. L’État partie précise que l’enregistrement des biens n’était nécessaire que pour les changements de propriété par voie de transfert (exigeant le consentement de l’ancien propriétaire) et non pas pour les changements de propriété par voie de dévolution (n’exigeant pas le consentement du propriétaire). Dans ce dernier cas, l’enregistrement des biens n’est qu’une formalité visant à garantir la propriété de l’État contre des tierces personnes. De plus, la loi n o  243/1992 ne s’applique pas dans le cas de l’auteur car ses dispositions ne portent explicitement que sur les expropriations opérées en application des décrets Benes.

4.3 L’État partie déclare que le Comité est incompétent ratione temporis pour examiner l’allégation de l’auteur selon laquelle la loi n o  143/1947 était inconstitutionnelle ou discriminatoire. Il reconnaît que le Comité serait compétent ratione temporis pour examiner des cas relevant soit de la loi n o  229/1991, soit de la loi n o  243/1992, y compris des cas qui se seraient produits dans la période précédant la date d’entrée en vigueur du Pacte pour la République tchèque. Toutefois, étant donné qu’aucune de ces deux lois ne s’applique dans le cas de l’auteur, les actes juridiques découlant de la loi n o  143/1947 sont ratione temporis , en dehors du champ d’application du Pacte.

4.4 Enfin, l’État partie fait observer que la communication adressée au Comité a une portée plus large que la requête présentée par l’auteur à la Cour constitutionnelle et qu’elle est en conséquence irrecevable en raison du non ‑épuisement des recours internes. À cet égard, l’État partie rappelle que 27 plaintes déposées par l’auteur sont toujours en instance devant la Cour constitutionnelle.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans ses commentaires concernant les observations de l’État partie, l’auteur ne conteste pas l’argument de l’État partie selon lequel la législation n’a jamais visé à garantir une indemnisation générale, mais fait observer que la plainte dans l’affaire à l’étude concerne la façon dont cette législation a été appliquée dans son cas puisqu’elle a été ainsi exclue de façon discriminatoire de tout recours utile en matière de restitution ou d’indemnisation pour la confiscation illégale des biens de sa famille, en violation de son droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi. La plainte concerne également le déni de son droit à l’égalité devant les tribunaux tchèques et à ce que sa cause soit entendue équitablement.

5.2 Pour ce qui est de l’argument de l’État partie, selon lequel la communication est manifestement dénuée de fondement, le conseil renvoie au régime juridique en matière de restitution et d’indemnisation, qui consiste en différentes lois et manque de transparence. L’auteur conteste la version des faits présentés par l’État partie et maintient que les biens de sa famille ont été illégalement confisqués par l’État en application des décrets Benes n os  12/1945 et 108/1945 et que la loi n o  143/1947 n’avait pas pour effet la confiscation des biens de la famille. Si toutefois − ce que l’auteur conteste − la loi n o  143/1947 avait effectivement pour effet de priver sa famille de ses biens comme le laisse entendre l’État partie, l’auteur s’élève alors contre l’affirmation de l’État partie selon laquelle les biens ont été confisqués avant la date prescrite du 25 février 1948. À cet égard, l’auteur renvoie aux renseignements qu’elle a fournis précédemment et déclare que les tribunaux se sont refusés à reconnaître le caractère arbitraire, injuste et inconstitutionnel de la mesure visant à fixer au 25 février 1948 la date à partir de laquelle les demandes pouvaient être prises en considération.

5.3 L’auteur note que l’État partie n’a pas pris en considération le fait que la Cour constitutionnelle a refusé d’examiner sa requête concernant la constitutionnalité de la loi n o  143/1947, l’ayant déclarée irrecevable.

5.4 À propos de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable ratione temporis , l’auteur fait observer que sa plainte n’est pas que les dispositions de la loi n o  143/1947 sont contraires à celles du Pacte, mais que les actes et les omissions des pouvoirs publics de l’État partie après l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif, qui l’ont privée de façon discriminatoire d’un recours utile en matière de restitution et d’indemnisation, constituent des violations du Pacte.

5.5 Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui affirme que sa communication a une portée plus large que la plainte qu’elle a déposée devant la Cour constitutionnelle et que plusieurs requêtes sont encore en instance devant la Cour constitutionnelle, l’auteur déclare que cette situation est due au fait que les tribunaux se sont refusés à traiter du fond de son affaire et au manque de coopération des autorités, qui ont négligé d’enquêter et de l’aider à éclaircir les questions intervenant en l’espèce.

5.6 Dans une autre lettre datée du 12 janvier 1999, l’auteur informe le Comité des faits nouveaux survenus dans son affaire. Elle cite les décisions prises par la Cour constitutionnelle le 4 septembre 1998, par lesquelles la Cour a déclaré que ses demandes de restitution en vertu de la loi n o  243/1992 n’avaient pas été déposées dans les délais prescrits en la matière dans ladite loi. Elle indique que la date limite de dépôt des requêtes était le 31 décembre 1992 et que, pour les personnes habilitées qui, au 29 mai 1992, ne résidaient pas en République tchèque, cette date limite était le 15 juillet 1996. L’auteur, étant devenue citoyenne et résidente tchèque en 1993, a déposé sa requête le 10 juillet 1996. Toutefois, le tribunal a rejeté sa requête car elle n’était pas citoyenne au 29 mai 1992 et ne faisait donc pas partie des personnes habilitées selon les termes de la loi.

5.7 L’auteur déclare que la condition requise consistant à avoir la citoyenneté tchèque constitue une violation de ses droits en vertu des articles 2 et 26 du Pacte. À cet égard, elle renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire Simunek (communication n o  516/1992).

5.8 Le conseil ajoute que, dans une décision du 26 mai 1998 concernant le palais Salm à Prague, la Cour constitutionnelle a décidé que la demande en restitution de l’auteur était irrecevable en raison du dépassement de la date limite et qu’elle n’était en conséquence pas tenue de décider si l’auteur avait ou non droit à un titre de propriété. Selon l’auteur, en refusant de se prononcer sur sa demande de reconnaissance de droit de propriété, la Cour lui a refusé son droit à la justice, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

Considérations relatives à la recevabilité

6.1 À sa soixante ‑sixième session, en juillet 1999, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

6.2 Le Comité a considéré que les allégations de l’auteur concernant la loi n o  143/1947 ne relevaient pas de sa compétence ratione temporis et qu’elles étaient donc irrecevables en vertu de l’article premier du Protocole facultatif .

6.3 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle elle n’a pas eu droit à ce que sa cause soit entendue équitablement en raison de la façon dont les tribunaux ont interprété les lois à appliquer dans son cas, le Comité a rappelé qu’il appartient essentiellement aux tribunaux et aux autorités de l’État partie concerné d’interpréter la législation interne et déclaré que cette partie de la communication était irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4 Le Comité a également considéré irrecevable l’allégation de l’auteur selon laquelle elle était victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte en raison du fait que les tribunaux avaient refusé de déterminer si elle avait un droit juridique de propriété. Le Comité a considéré que l’auteur n’avait pas étayé son allégation, aux fins de la recevabilité, selon laquelle le refus des tribunaux était arbitraire, ni son allégation selon laquelle le refus du Gouvernement d’examiner la constitutionnalité de la loi n o  143/1947 constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 14.

6.5 À propos de l’objection faite par l’État partie qui affirme que la communication était irrecevable au motif du non ‑épuisement des recours internes, le Comité a noté que toutes les questions soulevées dans la communication à l’étude avaient été portées devant les tribunaux nationaux de l’État partie à l’occasion des diverses demandes déposées par l’auteur et qu’elles ont été examinées par la plus haute autorité judiciaire de l’État partie. Le Comité a considéré en conséquence qu’il n’était pas empêché d’examiner la communication par la condition établie au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.6 Le Comité a noté qu’une plainte analogue déposée par l’auteur avait été déclarée irrecevable par la Commission européenne des droits de l’homme le 11 avril 1996. Toutefois, les dispositions prévues au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif n’empêchaient pas le Comité de déclarer recevable la communication à l’étude car la question n’était plus à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et l’État partie n’avait pas formulé de réserve au titre du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.7 Le 9 juillet 1999, le Comité a décidé en conséquence que les allégations restantes, selon lesquelles l’auteur s’était vu refuser l’accès à une voie de recours de façon discriminatoire, étaient recevables car elles pouvaient soulever des questions au titre des articles 2 et 26 du Pacte.

Observations de l’État partie et de l’auteur quant au fond

7.1 Dans une lettre datée du 23 mars 2002, l’auteur renvoie aux constatations du Comité concernant la communication n o  774/1997 ( Brok c.  République tchèque ) et, dans les limites de la recevabilité des plaintes au titre des articles 2 et 26 du Pacte, affirme en ce qui concerne la question de l’égalité d’accès que le Ministère de l’agriculture et diverses archives d’État ont systématiquement refusé jusqu’en 2001 à elle ‑même et à toutes les autorités foncières, l’accès au dossier complet des procédures de confiscation visant son grand ‑père, Adolph Schwarzenberg, et des recours qu’il avait formés en temps utile (voir par. 5.5 ci ‑dessus). En particulier, il est affirmé que même en 2001 le conseil de l’auteur s’est vu refuser par le Directeur des affaires juridiques du Ministère, M. Jindrich Urfus, l’examen du dossier Schwarzenberg, et ce n’est qu’au moment où l’auteur a trouvé d’autres documents pertinents dans une autre archive que son conseil a été informé par le Ministère, le 11 mai 2001, que le dossier existait effectivement et qu’il était autorisé à l’examiner. L’auteur affirme également que le 5 octobre 1993 la responsable des archives d’État de Krumlov, M me  Anna Kubikova, lui a refusé l’utilisation de l’archive en présence de son assistante, M me  Zaloha, et l’a éconduite dans ces termes: «Tous les citoyens tchèques sont autorisés à utiliser cette archive, mais vous n’êtes pas autorisée à le faire.». L’auteur affirme que ces refus d’accès illustrent l’inégalité de traitement à laquelle les autorités tchèques la soumettent depuis 1992.

7.2 Les documents refusés attestent que la propriété des Schwarzenberg a bien été confisquée en application du décret présidentiel n o  12/1945. Les pouvoirs publics de l’État partie non seulement ont empêché l’auteur de découvrir l’intégralité des faits de son affaire, de les porter à l’attention des autorités foncières et des tribunaux et de respecter les délais fixés pour former des plaintes conformément aux lois n os  87/1991 et 243/1992, mais ont également délibérément induit en erreur toutes les autorités foncières et le Comité des droits de l’homme.

7.3 Le 29 novembre 2001, le tribunal régional de Ceske Budejovice (15 Co 633/2001 ‑115), statuant à charge d’appel, a confirmé que la propriété des Schwarzenberg avait bien été confisquée en application de l’article 1, paragraphe 1 a), du décret n o  12/1945, montrant par là que la loi n o  143/1947 ne s’appliquait pas. Le tribunal n’a toutefois accordé aucune possibilité de recours à l’auteur, du fait, selon elle, qu’aucun recours n’est ouvert aux personnes considérées comme d’origine allemande ou hongroise.

7.4 Le Ministère des affaires foncières a également rejeté les contestations de l’auteur du refus par toutes les autorités foncières de rouvrir diverses procédures de restitution à la lumière des informations capitales qui avaient été dissimulées et que l’auteur est finalement parvenue à se procurer. Elle suppose que les décrets uniformément défavorables pris par plusieurs autorités foncières ont été adoptés sur ordre du Ministère même, ce dernier ayant donné des instructions auxdites autorités à propos d’autres procédures concernant l’auteur.

7.5 L’auteur affirme en outre que, en n’appliquant pas la loi n o  243/92 relative à la restitution de biens, le tribunal municipal de Prague a passé outre aux conclusions que la Cour constitutionnelle tchèque a adoptées sur la question. L’auteur allègue que ce déni de justice constitue une inégalité de traitement fondée sur sa langue, son origine nationale et sociale et sa fortune.

8.1 Par une note verbale datée du 7 juin 2002, l’État partie a formulé les observations suivantes quant au fond. En ce qui concerne la contestation de l’auteur de l’interprétation de la loi n o  143/1947 par les tribunaux tchèques, l’État partie estime que «l’interprétation du droit interne incombe au premier chef aux tribunaux et aux autorités de l’État partie en cause. Il n’est pas du ressort du Comité d’apprécier si les autorités compétentes de l’État partie ont interprété et appliqué correctement le droit interne dans le cas d’espèce, sauf s’il est établi qu’elles ne l’ont pas interprété et appliqué de bonne foi ou s’il y a eu à l’évidence un abus de pouvoir. Les procédures engagées devant les tribunaux de la République tchèque dans l’affaire à l’examen sont décrites en détail dans l’observation que l’État partie a adressée au Comité sur la recevabilité de la communication, laquelle observation atteste la légalité de ces procédures. D’un autre côté, l’auteur n’a pas étayé son allégation d’interprétation pernicieuse de la loi n o  143/1947».

8.2 En ce qui concerne la plainte de l’auteur portant sur une discrimination entre l’interprétation de la loi n o  142/1947 et celle de la loi n o  143/1947, l’État partie renvoie à l’observation qu’il a formulée sur la recevabilité de la communication, dans laquelle il cite les dispositions pertinentes de la loi n o  143/1947 et explique l’interprétation qu’en ont donné les autorités administratives et judiciaires de la République tchèque.

8.3 En ce qui concerne la contestation de l’auteur du choix de la date du 25 février 1948 comme début de la période prise en considération, choix qu’elle considère arbitraire, l’État partie fait observer que «le Comité a examiné à maintes reprises la question de la compatibilité de la date du 25 février 1948 comme début de la période prise en considération dans la loi de la République tchèque sur la restitution des biens, avec les articles 2 et 26 du Pacte. La République tchèque renvoie à ce propos, aux décisions du Comité dans les affaires Ruediger Schlosser c.  République tchèque (communication n o  670/1995) et Gerhard Malik c.  République tchèque (communication n o  669/1995). Dans l’un et l’autre cas le Comité a conclu ainsi: “toutes les différences de traitement ne constituent pas une discrimination au sens des articles 2 et 26. Le Comité considère qu’en l’espèce il ne semble pas à première vue que le simple fait que la législation adoptée après la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie pour indemniser les victimes de ce régime ne prévoit pas l’indemnisation des victimes d’injustices commises avant la période communiste la rende discriminatoire au sens de l’article 26 du Pacte, ainsi que l’auteur le prétend” (…). La législation relative à la restitution visait à réparer des injustices en matière de propriété commises par le régime communiste dans la période 1948 ‑1989. La spécification par le législateur de la date marquant le début de la période prise en considération était objective, étant donné que le coup d’État communiste avait eu lieu le 25 février 1948, et justifiée eu égard aux possibilités économiques de l’État qui passait d’un régime totalitaire à un régime démocratique. Il conviendrait également de prendre en compte à cet égard le fait que le droit à restitution n’est pas reconnu en droit international».

8.4 Pour ce qui est de la contestation de l’auteur de la distinction faite entre la loi n o  142/1947 et la loi n o  143/1947 au regard de la restitution des biens, et de la discrimination arbitraire et injuste que les décrets présidentiels de 1945 établiraient entre l’auteur et d’autres victimes de confiscations de biens, l’État partie fait observer que «la législation relative à la restitution ne s’applique pas aux transferts de propriété effectués avant le 25 février 1948, conformément aux lois mettant en œuvre une nouvelle politique économique et sociale de l’État. Ces lois n’étaient pas des instruments de la persécution communiste. Certes, la loi n o  229/1991 renvoie à la loi n o  142/1947 (par. 1 b) de l’article 6), mais elle prévoit aussi que les transferts de propriété devaient avoir été effectués durant la période prise en considération, à savoir entre le 25 février 1948 et le 1 er  janvier 1990. En imposant cette condition supplémentaire, la loi n o  229/1991 respecte l’objet et l’idée susmentionnés de la législation sur la restitution et énonce les critères objectifs de l’ouverture du droit à la restitution de biens. Les biens du grand ‑père de l’auteur de la communication ont été transférés à l’État avant le 25 février 1948 et ne sont par conséquent pas visés par la procédure de restitution des biens liée au régime communiste. La restitution au titre des injustices commises du fait d’une application inappropriée des décrets présidentiels est prévue par la loi n o  243/1992, qui vise une situation totalement différente de celle du grand ‑père de l’auteur et ne s’applique par conséquent pas dans l’affaire à l’examen».

9.1 Dans ses commentaires datés du 24 juin 2002, l’auteur réaffirme qu’elle se plaint essentiellement de ce que les autorités tchèques ont violé son droit à l’égalité de traitement en la privant arbitrairement de son droit à la restitution au titre de la loi n o  243/1992, laquelle prévoit qu’un citoyen de la République tchèque (comme l’auteur) dont un ascendant (Adolph Schwarzenberg) a été privé de ses biens conformément au décret présidentiel n o  12/1945 ou du décret présidentiel n o  108/1945 peut prétendre à la restitution de ces biens. Pour autant que ces derniers aient été saisis au titre de l’un ou l’autre des décrets Benes, aucune disposition du droit tchèque n’impose qu’ils l’aient été durant la période prise en considération que fixent les lois n os  87/1991 et 229/1991, soit à partir du 25 février 1948.

9.2 L’auteur affirme que les autorités tchèques ont arbitrairement ignoré les éléments de preuve clairs et sans équivoque qu’elle a produits à partir des dossiers officiels de l’époque, selon lesquels les biens ont été confisqués à Adolph Schwarzenberg par l’État tchécoslovaque en vertu du décret n o  12/1945, et que les autorités lui ont refusé toute réparation au motif fallacieux que les biens avaient été confisqués conformément à la loi dite «Lex Schwarzenberg» (loi n o  143/1947) et non pas en vertu du décret Benes n o  12/1945. Dans leurs observations, les autorités tchèques s’attachent uniquement à justifier la date «limite» du 25 février 1948 fixée dans les lois n os  87/1991 et 229/1991 relatives à la restitution de biens. L’État partie élude les arguments essentiels de l’auteur, à savoir que les biens en question ont été confisqués en application des décrets Benes, et que le fait que la confiscation a eu lieu avant le 25 février 1948 est donc sans objet. L’État partie écarte en une seule phrase l’argument de l’auteur selon lequel elle a droit à la restitution en vertu de la loi n o  243/1992, affirmant simplement que «cette loi vise une situation totalement différente de celle du grand ‑père de l’auteur et ne s’applique par conséquent pas dans l’affaire à l’examen». Aucun élément de preuve ou argument ne vient étayer cette simple affirmation, qui est démentie par la décision que le tribunal régional de Ceske Budejovice, statuant à charge d’appel, a rendue le 29 novembre 2001. Dans sa décision, le tribunal régional a estimé que les biens d’Adolph Schwarzenberg étaient devenus propriété de l’État en application du décret n o  12/1945. Il a affirmé «ne pas douter que les biens d’Adolph Schwarzenberg avaient été transférés à l’État avec effet immédiat en pleine conformité avec le décret n o  12/1945. Non seulement l’État partie ne tient aucun compte de la conclusion du tribunal régional dans ses observations, mais il élude également les autres faits et arguments que l’auteur a portés à l’attention du Comité dans sa lettre du 23 mars 2002 (voir plus haut les paragraphes 7.1 à 7.5).

9.3 L’auteur renvoie aux éléments du dossier qu’elle a communiqués au Comité, qui montrent que, jusqu’en 2001, les autorités tchèques l’ont systématiquement privée de l’accès aux documents prouvant que les confiscations ont eu lieu en application du décret Benes n o  12/1945. En dissimulant ces pièces, les autorités l’ont injustement empêchée de découvrir les faits tels qu’ils se sont produits et d’en informer les autorités foncières et les tribunaux.

9.4 L’auteur fait valoir de surcroît que les obiter dicta contenus dans les décisions du Comité relatives à la recevabilité des communications Schlosser c. République tchèque et Malik c.  République tchèque , sur lesquels s’appuie l’État partie, sont sans rapport avec sa propre affaire. L’auteur admet que toutes les différences de traitement ne constituent pas une discrimination mais, dans son cas, les faits de l’espèce diffèrent radicalement de ceux des affaires Schlosser et Malik . L’affaire de l’auteur porte sur un déni arbitraire de l’accès à des informations capitales pour l’exercice de ses droits à restitution, et un déni arbitraire du droit de recours prévu par la loi n o  243/1992, qui a été adoptée pour réparer des injustices commises dans l’application des décrets Benes, comme celles qu’Adolph Schwarzenberg a subies.

10. L’observation de l’auteur a été transmise à l’État partie le 24 juin 2002. Le Comité n’a pas reçu d’autres commentaires.

Examen quant au fond

11.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité procède à l’examen de la communication quant au fond en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties.

11.2 La question qui se pose au Comité est celle de savoir si l’auteur a été privée d’accès à un recours utile de manière discriminatoire. Selon l’article 26 du Pacte, toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi.

11.3 Le Comité note que l’auteur se plaint essentiellement de ce que les autorités tchèques ont violé son droit à l’égalité de traitement pour lui avoir refusé arbitrairement le droit à restitution des biens sur la base des lois n os  229/1991 et 243/1992 en invoquant le fait que les biens de son grand ‑père adoptif ont été confisqués en vertu de la loi n o  143/1947 et non en vertu des décrets Benes n os  12 et 108/1945 et que, par conséquent, les lois sur la restitution de 1991 et de 1992 ne s’appliquaient pas. Le Comité note en outre l’argument invoqué par l’auteur que l’État partie lui a constamment refusé, jusqu’en 2001, l’accès aux archives et aux dossiers pertinents, ce qui fait que c’est seulement alors qu’ont pu être présentés des documents permettant de prouver que la confiscation des biens s’est en fait opérée sur la base des décrets Benes de 1945 et non sur la base de la loi n o  143/1947, la conséquence étant que l’auteur aurait droit à la restitution des biens en vertu des lois de 1991 et de 1992.

11.4 Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’interprétation et l’application du droit interne appartiennent au premier chef aux tribunaux et autorités de l’État partie. Toutefois, la personne qui poursuit une action en vertu du droit interne doit avoir un accès égal aux voies de droit, notamment avoir la possibilité d’établir et de présenter les faits véritables, sans quoi les tribunaux seraient induits en erreur. Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu à l’allégation de l’auteur selon laquelle elle n’a pas eu accès à des documents qui étaient décisifs pour que son affaire soit correctement jugée. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur.

11.5 Dans ce contexte, le Comité note également que, dans sa décision du 29 novembre 2001, le tribunal régional de Ceske Budejovice a reconnu que la propriété des Schwarzenberg avait été confisquée en application du décret Benes n o  12/1945. Le Comité note en outre que, le 30 janvier 1948, la confiscation des terres agricoles des Schwarzenberg en vertu des décrets Benes n os  12 et 108/1945 a été annulée, apparemment afin de permettre l’application de la loi n o  143/1947, d’où il résulte que le moment où l’annulation a pris effet n’a semble ‑t ‑il pas été précisé, car les tribunaux ont pris pour hypothèse que la loi n o  143/1947 était la seule base légale applicable.

11.6 Ce n’est pas au Comité mais aux tribunaux de l’État partie qu’il appartient de trancher des questions de droit tchèque. Le Comité constate néanmoins que l’auteur a été maintes fois victime de discrimination en se voyant refuser l’accès à des documents pertinents qui auraient pu lui permettre de prouver le bien ‑fondé de ses demandes de restitution. Le Comité est donc d’avis que les droits garantis à l’auteur par l’article 26, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte, ont été violés.

12.1 Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2.

12.2 En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, à savoir la possibilité de présenter une nouvelle demande de restitution ou d’indemnisation. L’État partie devrait revoir sa législation et ses pratiques administratives afin de s’assurer que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi.

12.3 Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, la République tchèque a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui ‑ci, elle s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité engage en outre l’État partie à mettre en place des procédures pour veiller à l’application des constatations adoptées en vertu du Protocole facultatif.

12.4 À ce sujet, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans les 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations sur les mesures prises par celui ‑ci pour y donner suite. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle en partie concordante de M. Nisuke Ando, membre du Comité

Pour ce qui est de mon propre point de vue sur les lois concernant la restitution adoptées après 1991, je renvoie à mon opinion individuelle jointe aux constatations du Comité au sujet de la communication n o  774/1997: Brok c.  République tchèque .

S’agissant des constatations du Comité dans la présente affaire, je tiens premièrement à souligner qu’elles sont en contradiction avec sa propre décision concernant la recevabilité. Dans sa décision concernant la recevabilité du 9 juillet 1999, le Comité a clairement affirmé que les allégations de l’auteur relatives à la loi n o  143/1947 ne relevaient pas de sa compétence ratione temporis et qu’elles étaient donc irrecevables en vertu de l’article premier du Protocole facultatif (par. 6.2). Pourtant, dans son examen de la communication quant au fond, le Comité aborde les détails des allégations de l’auteur et déclare que, le 30 janvier 1948, la confiscation des biens en cause en vertu des décrets Benes n os  12 et 108/1945 a été annulée afin de permettre l’application de la loi n o  143/1947 (par. 11.5), que le tribunal régional de Ceske Budejovice a reconnu, le 29 novembre 2001, que la propriété des Schwarzenberg avait été confisquée en application du décret Benes n o  12/1945 (par. 11.5), que l’auteur s’est vu refuser l’accès à des documents qui étaient décisifs pour que son affaire soit correctement jugée (par. 11.4) et que ces documents étaient les seuls de nature à prouver que la confiscation s’était faite non pas en vertu de la loi n o  143/1947 mais en application des décrets Benes de 1945 (par. 11.3).

Deuxièmement , je tiens à souligner que, dans ces déclarations ainsi que dans sa conclusion selon laquelle l’État partie a violé le droit de l’auteur à l’égale protection de la loi reconnu aux articles 26 et 2 du Pacte en lui refusant l’accès aux documents pertinents (par. 11.6), le Comité s’est écarté de sa jurisprudence selon laquelle il ne doit pas agir en tant que tribunal de quatrième instance par rapport aux juridictions nationales. Certes, le Comité rappelle que l’interprétation et l’application du droit interne appartiennent au premier chef aux tribunaux et aux autorités de l’État partie concerné (par. 11.4 et 11.6), mais alors que les tribunaux tchécoslovaques ont statué que les biens en question avaient été transférés à l’État avant le 25 février 1948 et n’étaient donc pas visés par la procédure de restitution des biens en rapport avec le régime communiste (par. 8.4), le Comité conclut que l’auteur s’est vu refuser l’accès aux documents pertinents en violation des articles 26 et 2 du Pacte (par. 11.6) et que l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur la possibilité de présenter une nouvelle demande de restitution en s’appuyant sur les documents pertinents (par. 12.2).

Troisièmement , je tiens à souligner que le 11 mai 2001, le conseil de l’auteur a non seulement été informé par le Ministère tchèque de l’agriculture de l’existence des documents en question mais a aussi été autorisé à les consulter (par. 7.1). À mon avis, il est impossible d’affirmer à partir de cette date que l’État partie a continué de violer les droits garantis à l’auteur aux articles 26 et 2 et lui déniant l’accès aux documents en question.

( Signé ) Nisuke  Ando

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Opinion en partie concordante de M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, membre du Comité

Je souscris à la conclusion du Comité selon laquelle les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 26 et 2 du Pacte. Cela dit, je suis persuadé qu’il y a eu aussi violation du paragraphe 1 de l’article 14 qui stipule que tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice et que toute personne a droit à ce que toute contestation sur ses droits et obligations soit entendue équitablement et publiquement dans le cadre d’une procédure judiciaire. Pour qu’une cause soit équitablement et dûment entendue, une personne doit pouvoir accéder pleinement et sur un pied d’égalité aux sources publiques d’information, y compris aux archives et aux registres fonciers, de façon à obtenir les éléments nécessaires à la défense de cette cause. L’auteur a montré qu’on ne lui a pas permis d’accéder dans des conditions d’égalité à ces archives et registres, et l’État partie n’a ni donné des explications ni réfuté les allégations de l’auteur. En outre, la longue procédure judiciaire qui caractérise cette affaire, qui dure depuis plus de 10 ans, n’est pas encore achevée. Dans le contexte de la présente affaire et compte tenu des affaires de restitution concernant la Tchécoslovaquie sur lesquelles le Comité s’est déjà prononcé, la réticence apparente des autorités et des tribunaux tchèques à traiter équitablement et promptement les demandes de restitution constitue aussi une violation de l’esprit, si ce n’est de la lettre, de l’article 14. Il convient également de se rappeler qu’après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la République tchèque, l’État partie a continué d’appliquer la loi n o  143/1947 (la «loi Schwarzenberg») qui visait exclusivement les biens de la famille de l’auteur. Une législation ad hominem de ce type est incompatible avec le Pacte en tant que déni général du droit à l’égalité. Compte tenu de ce qui précède, j’estime que le recours approprié aurait été la restitution et non pas simplement la possibilité de présenter une nouvelle requête aux tribunaux tchèques.

En 1999, le Comité a déclaré la présente communication recevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions au titre des articles 26 et 2 du Pacte. Je ne pense pas que cela l’empêchait nécessairement de conclure à une violation de l’article 14 puisque l’État partie était au courant de tous les éléments de la communication et aurait pu faire ses observations sur les questions soulevées par l’auteur au titre de cet article. Le Comité aurait pu certainement revoir sa décision concernant la recevabilité de façon à tenir compte des allégations au titre de l’article 14 du Pacte et aurait pu inviter l’État partie à faire des observations à ce sujet. Cela aurait toutefois retardé encore plus la décision dans cette affaire, qui est devant les tribunaux de l’État partie depuis 1992 et devant le Comité depuis 1997.

( Signé ) Prafullachandra  Natwarlal Bhagwati

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

C. Communication n o  778/1997, Coronel et consorts c.  Colombie * (Constatations adoptées le 25 octobre 2002, soixante ‑seizième session)

Présentée par : José Antonio Coronel et consorts (représentés par un conseil, M. Federico Andreu Guzmán)

Au nom de : Gustavo Coronel Navarro, Nahún Elías Sánchez Vega, Ramón Emilio Sánchez, Ramón Emilio Quintero Ropero, Luis Honorio Quintero Ropero, Ramón Villegas Téllez et Ernesto Ascanio Ascanio

État partie : Colombie

Date de la communication : 29 septembre 1996 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 octobre 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 778/1997, présentée en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, par M. José Antonio Coronel, au nom de sept membres de sa famille (Gustavo Coronel Navarro, Nahún Elías Sánchez Vega, Ramón Emilio Sánchez, Ramón Emilio Quintero Ropero, Luis Honorio Quintero Ropero, Ramón Villegas Téllez et Ernesto Ascanio Ascanio),

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. La communication est présentée par six personnes, José Antonio Coronel, José de la Cruz Sánchez, Lucenid Villegas, José del Carmen Sánchez, Jesus Aurelio Quintero et Nidia Linores Ascanio Ascanio, au nom de leurs défunts parents, Gustavo Coronel Navarro, Nahún Elías Sánchez Vega, Ramón Emilio Sánchez, Ramón Emilio Quintero Ropero, Luis Honorio Quintero Ropero, Ramón Villegas Tellez et Luis Ernesto Ascanio Ascanio, tous de nationalité colombienne, décédés en janvier 1993 . Les auteurs de la communication affirment que leurs parents ont été victimes de violations par la Colombie du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6 et des articles 7, 9 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Entre le 12 et le 14 janvier 1993, des éléments du bataillon antiguérilla n o  17 «Motilones», appartenant à la Brigade mobile n o  2 de l’Armée nationale de Colombie, ont mené une opération militaire dans le village autochtone de San José del Tarra (municipalité de Hacari, département de Norte de Santander) et ont lancé une opération de ratissage dans toute la région, investissant plusieurs villages et hameaux avoisinants. Au cours des opérations, des militaires ont fait irruption dans plusieurs maisons et arrêté notamment Ramón Villegas Tellez, Gustavo Coronel Navarro, Nahún Elías Sánchez Vega, Ramón Emilio Sánchez, Ramón Emilio Quintero Ropero et Luis Honorio Quintero Ropero. Toutes les perquisitions et les arrestations ont été réalisées illégalement, puisque contrairement aux dispositions de la loi de procédure pénale colombienne, ces militaires n’étaient pas munis de mandats judiciaires.

2.2 Ramón Villegas Téllez, Gustavo Coronel Navarro, Nahún Elías Sánchez Vega, Ramón Emilio Sánchez, Ramón Emilio Quintero Ropero, Luis Honorio Quintero Ropero et d’autres encore ont été torturés et plusieurs d’entre eux ont été forcés à revêtir une tenue militaire et à patrouiller avec les hommes du Bataillon antiguérilla n o  17 de Motilones. Ils ont tous disparu entre le 13 et le 14 janvier 1993.

2.3 Le 26 janvier 1993, Luis Ernesto Ascanio Ascanio, 16 ans, a été enlevé alors qu’il rentrait chez lui, par des militaires qui quelques jours auparavant avaient violé le domicile de sa famille, maltraitant et insultant tous ses membres de la famille – parmi lesquels se trouvaient six mineurs ainsi qu’un jeune handicapé mental de 22 ans, qu’ils ont menacé de pendre. Les militaires se sont installés dans cette maison jusqu’au 31 janvier, prenant ses habitants en otage. Luis Ernesto Ascanio Ascanio a été vu pour la dernière fois alors qu’il se trouvait à une quinzaine de minutes de marche du domicile familial. Ce même jour, des membres de la famille Ascanio Ascanio ont entendu des cris et des coups de feu provenant de l’extérieur. Le 27 janvier, deux des frères de Luis Ernesto Ascanio Ascanio ont réussi à tromper la vigilance des militaires et à fuir à Ocaña, où ils ont prévenu les autorités locales et déposé plainte auprès des services du procureur de la province. Les recherches engagées après le retrait de la patrouille pour retrouver Luis Ernesto Ascanio Ascanio ont abouti à la découverte de sa machette à environ 300 mètres de son domicile.

2.4 La Brigade mobile n o  2 a signalé plusieurs affrontements armés avec des guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), dont un se serait produit le 13 janvier 1993, le deuxième le 18 janvier 1993 puis deux autres, le 27 janvier 1993. D’après la version avancée par les autorités militaires, les troupes régulières auraient abattu plusieurs guérilleros au cours de ces affrontements. La police judiciaire (SIJIN) d’Ocaña a constaté officiellement le 13 janvier 1993 la mort de trois personnes, dont l’une était Gustavo Coronel Navarro. Le 18 janvier, les militaires ont apporté à l’hôpital les corps sans vie de quatre prétendus guérilleros «tombés au combat». La police judiciaire a procédé aux investigations sur les corps et a établi qu’il s’agissait de Luis Honorio Quintero Ropero, Ramón Emilio Quintero Ropero, Nahún Elías Sánchez Vega et Ramón Emilio Sánchez. Le 29 janvier 1993, la Brigade mobile n o  2 a remis les corps de quatre autres individus tués lors des accrochages présumés du 27 janvier 1993, et de nouveau la police judiciaire a procédé à la constatation des décès. Le 21 mai 1993, les quatre derniers cadavres ont été exhumés du cimetière d’Ocaña et des proches de Luis Ernesto Ascanio Ascanio l’ont identifié. Dans son rapport, le médecin légiste a signalé que l’un des corps déposés à l’hôpital le 18 janvier présentait plusieurs orifices de projectiles d’armes à feu et des traces de poudre. Dans le certificat de constatation du décès en date du 21 mai 1993 les agents de la police judiciaire indiquaient que les cadavres étaient vêtus d’uniformes exclusivement utilisés par la police nationale.

2.5 Les familles des victimes ainsi que les organisations non gouvernementales qui les aident ont porté les faits à la connaissance des autorités judiciaires, pénales, administratives, disciplinaires, locales, provinciales et nationales. Entre le 15 janvier et le 1 er  février 1993, les familles ont signalé la disparition de leurs proches aux services du Procureur de province d’Ocaña. Elles ont également porté plainte pour abus de pouvoir contre la Brigade mobile n o  2 auprès de ces mêmes services, et ont fait plusieurs démarches auprès des services du Procureur de la province d’Ocaña, de la Direction nationale d’examen des plaintes, du Bureau du Défenseur du peuple et de la Fiscalía Regional de Cúcuta . Le maire de Hacari a adressé au Commandant de la Brigade une note officielle lui demandant de procéder à une enquête et d’ordonner la remise en liberté des paysans arrêtés. Le maire de la municipalité de la Playa a de son côté porté plainte auprès des autorités compétentes pour les exactions commises dans son ressort par la Brigade mobile n o  2: violences contre la famille Ascanio Ascanio et disparition de Luis Ernesto Ascanio Ascanio. Les membres des familles Ascanio, Sánchez et Quintero ont été la cible de multiples actes de harcèlement qui les ont poussés à quitter la région pour s’installer dans divers autres endroits de Colombie.

2.6 Le 15 juillet 1993, après avoir reçu les renseignements des familles, le fonctionnaire municipal de Hacari chargé de l’affaire a rendu un rapport dans lequel il concluait qu’il était impossible d’«identifier» les auteurs des enlèvements de Gustavo Coronel Navarro et de Ramón Villegas Téllez mais qu’il pouvait affirmer qu’il s’agissait d’hommes de la Brigade mobile n o  2.

2.7 La famille de Luis Ernesto Ascanio Ascanio a été la seule à déposer une plainte auprès de la juridiction d’instruction d’Ocaña ( Fiscalía Seccional ), en février 1993. Les cas des autres victimes ont été signalés à la Fiscalía par une des organisations non gouvernementales parce que les autres familles n’osaient pas s’adresser directement aux autorités judiciaires d’Ocaña. Les investigations préliminaires ont été consignées dans le dossier n o  4239, transmis à la juridiction militaire, qui était compétente en la matière, en avril 1995. Depuis le 30 août 1995, les familles ont demandé à plusieurs reprises d’obtenir que le Service des droits de l’homme de la Fiscalía General de la Nacíon soit saisi de la procédure pénale et à chaque fois une fin de non ‑recevoir leur a été opposée au motif que l’affaire relevait de la juridiction militaire.

2.8 La juridiction pénale militaire a ouvert plusieurs enquêtes préliminaires visant les faits exposés. La 47 e juridiction d’instruction pénale militaire attachée à la Brigade mobile n o  2 a ouvert les enquêtes préliminaires n os  27, 30 et 28 dont les pièces ont été versées au dossier n o  979, qualifiant sans réserve les faits de «mort au combat».

2.9 Le 3 juillet 1996, alors que la Brigade mobile n o  2 se trouvait dans la ville de Fusagasuga (Cundinamarca), la famille de Luis Ernesto Ascanio Ascanio est parvenue à déposer sa demande de constitution de partie civile; mais au moment où a été rédigée la communication initiale aucune décision judiciaire à ce sujet n’avait encore été notifiée à cette famille .

2.10 Les auteurs indiquent que le Bureau des enquêtes spéciales de la Procurature générale de la Nation a ouvert un dossier (n o  2291 ‑93/DH) concernant cette affaire suite aux plaintes déposées par les familles devant la Procurature provinciale d’Ocaña et a chargé plusieurs fonctionnaires d’enquêter. Le 22 février 1993, dans un rapport préliminaire les fonctionnaires chargés de l’enquête ont signalé l’existence de contradictions entre la version des familles et celle des militaires, soulignant en outre avoir éprouvé des difficultés à s’acquitter de leur mission en raison de l’attitude de la 47 e juridiction d’instruction pénale militaire. Ils ont estimé qu’il y avait lieu de recueillir de nouveaux éléments de preuve et d’engager une procédure disciplinaire contre la 47 e  juridiction d’instruction pénale militaire.

2.11 Le Directeur du Bureau des enquêtes spéciales a ordonné une nouvelle enquête, l’étendant en outre au comportement de la 47 e juridiction d’instruction pénale militaire. Plusieurs rapports ont été rendus au Directeur, dont l’un établissait, s’agissant de Luis Honorio Quintero Ropero, Ramón Emilio Ropero Quintero, Nahún Elías Sánchez Vegas et Ramón Emilio Sánchez, qu’il était matériellement démontré que les faits étaient imputables au commandement de la compagnie antiguérilla C du bataillon 17 «Motilones» de la Brigade mobile n o  2, placée sous les ordres du capitaine Serna Arbelaez Mauricio.

2.12 Le 29 juin 1994, dans leur rapport final, les enquêteurs ont indiqué qu’il était pleinement prouvé que les paysans avaient été appréhendés par des hommes du Bataillon antiguérilla n o  17 «Motilones» de la Brigade mobile n o  2 à l’occasion d’une opération militaire menée en application de l’ordre simplifié n o  10 du commandant de ladite unité militaire; que les paysans avaient été vus pour la dernière fois en vie alors qu’ils se trouvaient entre les mains des militaires avant d’être retrouvés morts ultérieurement, prétendument tués lors d’affrontements avec les militaires. En outre, ils ont établi que le mineur Luis Ernesto Ascanio Ascanio avait été vu vivant pour la dernière fois à quelque 15 minutes de marche de son domicile alors qu’il rentrait chez lui et avait été retrouvé mort après un autre prétendu affrontement avec des militaires. Les enquêteurs ont identifié les commandants, officiers, sous ‑officiers et soldats ayant effectué les patrouilles à l’occasion desquelles les paysans avaient été capturés et ayant occupé le domicile de la famille Ascanio. Dans le rapport, il est indiqué en conclusion «… en se fondant sur les éléments recueillis, il est impossible d’établir la matérialité des combats auxquels les victimes sont censées avoir pris part vu qu’à ce moment elles étaient déjà retenues captives par des militaires de l’Armée nationale, au demeurant de manière irrégulière puisque les corps de plusieurs d’entre elles présentaient des zones de tatouage de poudre, ce qui fait apparaître encore plus clairement qu’elles étaient dans l’incapacité de se défendre...». Dans ce rapport, il était recommandé de transmettre le dossier à la Procurature déléguée aux forces armées.

2.13 Le 25 octobre 1994, la Procurature déléguée aux forces armées a transféré les dossiers pour raison de compétence à la Procurature déléguée aux droits de l’homme. Dans l’ordonnance de transfert, il est indiqué «qu’il avait pu être établi que les victimes se trouvaient dans l’incapacité totale de se défendre, que les balles les ayant tuées avaient été tirées à bout portant et que ces victimes avaient été appréhendées avant leur décès, constatations qui conjuguées à d’autres éléments probants infirment l’existence du combat au cours duquel ces personnes sont censées avoir trouvé la mort».

2.14 Le 28 novembre 1994, la Procurature déléguée aux droits de l’homme a ouvert l’enquête disciplinaire n o  008 ‑153713 et lancé des investigations préliminaires. Le 26 avril 1996, il a été signalé à une des ONG que la procédure en était encore au stade de l’enquête préliminaire.

2.15 Le 13 janvier 1995, les familles des victimes ont intenté auprès de la juridiction administrative des actions contentieuses contre la nation colombienne pour les décès de Luis Honorio Quintero Ropero, Ramón Emilio Quintero Ropero, Ramón Emilio Sánchez, Luis Ernesto Ascanio Ascanio, Nahún Elías Sánchez Vega et Ramón Villegas Tellez; ces actions ont été jugées recevables, entre le 31 janvier et le 24 février 1995.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs affirment que les faits exposés constituent des violations par la Colombie du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que les sept paysans ont été privés arbitrairement de la vie.

3.2 Les auteurs soutiennent qu’il y a eu violation de l’article 7 du Pacte puisque les victimes ont été torturées après avoir été arrêtées arbitrairement et avant d’être assassinées.

3.3 Les auteurs affirment que la détention des victimes par les forces militaires en l’absence de tout mandat d’arrêt constitue une violation de l’article 9 du Pacte.

3.4 Les auteurs font en outre valoir une violation de l’article 17 du Pacte parce que les victimes ayant été appréhendées à leur domicile, leur droit à l’intimité et à la non ‑ingérence dans la vie privée a été violé.

3.5 Enfin, les auteurs estiment qu’il y a violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques étant donné que l’État partie n’a pas garanti de recours utile pour des affaires dans lesquelles il n’a pas honoré son obligation de garantir les droits consacrés par le Pacte.

3.6 Les auteurs font valoir que vu la nature des droits en cause et la gravité des faits, seuls les recours judiciaires, et non les recours disciplinaires, peuvent être considérés comme utiles, citant à l’appui la jurisprudence du Comité sur ce point . Ils estiment aussi que les tribunaux militaires ne peuvent être considérés comme un recours utile au regard des prescriptions du paragraphe 3 de l’article 2, étant donné que dans une juridiction militaire les magistrats sont à la fois juges et parties. À ce propos, ils signalent que le juge de première instance de la juridiction pénale militaire est le commandant de la Brigade mobile n o  2, responsable de l’opération militaire à l’occasion de laquelle se sont produits les faits dénoncés.

Observations présentées par l’État partie concernant la recevabilité

4.1 Dans ses réponses du 11 février et du 9 juin 1998, l’État partie demande au Comité de déclarer la requête irrecevable au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés, contrairement à ce qu’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.2 L’État partie soutient que le fait d’engager des actions et de porter plainte devant les autorités de l’État chargées de l’enquête, du contrôle et du jugement, signalé dans la communication pour affirmer que les voies de recours internes ont été épuisées, constitue l’élément déclenchant l’ouverture des différentes procédures sans signifier en soi l’épuisement desdits recours.

4.3 L’État partie souligne que comme plusieurs procédures sont en cours on peut conclure que les recours devant les juridictions internes ne sont pas épuisés. Les procédures en question sont les suivantes:

− Sur le plan pénal, une affaire est en cours d’instruction devant la 47 e juridiction d’instruction pénale militaire. L’une des étapes les plus importantes de la procédure pénale, à savoir celle de l’instruction, est en cours et à ce titre plusieurs actes d’information ont été effectués, notamment le recueil de dépositions, une reconnaissance photographique, des exhumations, des visites spéciales sur les lieux où se sont produits les faits et aux alentours.

− Le Gouvernement colombien a demandé à la Procurature générale de la Nation d’étudier, à la lumière de l’arrêt C ‑358 de la Cour constitutionnelle, la possibilité de transférer la procédure pénale à une juridiction de droit commun.

− En matière disciplinaire, la Procurature déléguée aux droits de l’homme a ouvert une enquête disciplinaire visant les militaires présumés en cause (procédure disciplinaire n o  008 ‑153713).

− Sur le plan du contentieux administratif (voir plus haut par. 2.15), des actions en réparation directe ont été engagées devant la juridiction contentieuse administrative, en vue d’obtenir de l’État l’indemnisation du préjudice causé à un particulier du fait de l’un de ses agents; la responsabilité institutionnelle de l’État pour les faits allégués est susceptible d’être établie à leur issue.

4.4 L’État partie relève que les auteurs de la communication affirment que «les familles et les ONG se sont adressées à tous les organismes possibles et ont épuisé toutes les voies de recours disponibles» tout en omettant de préciser que les organismes saisis continuent d’exercer leur office. Les auteurs mentionnent eux ‑mêmes le «grand nombre d’éléments recueillis par les autorités chargées de l’enquête», ce qui confirme la position du Gouvernement selon laquelle les services juridictionnels de l’État ont étudié l’affaire et poursuivent leur travail.

4.5 Le Gouvernement ne partage pas l’avis de l’auteur pour qui «l’affaire est révélatrice d’une totale impunité». Les recours ne sauraient être qualifiés d’inefficaces en soi; pareillement, on ne saurait conclure à leur prétendue inefficacité en se fondant sur les difficultés que rencontrent les autorités comme les parents des victimes dans leur mise en œuvre. Ainsi, la sœur de l’une des victimes a présenté à la Direction nationale des juridictions d’instruction une requête en unification de compétences aux fins de transfert du dossier de la juridiction pénale militaire à une juridiction de droit commun. Cette requête a été rejetée tout simplement parce que l’intéressée s’était adressée non pas à une autorité judiciaire mais à une autorité administrative − incompétente pour statuer sur ce type de requête. Il convient de souligner que cela ne revient pas à un déni de justice et que les difficultés et les retards dans l’examen des recours ne sauraient être imputés à un souci d’«impunité» de la part de l’État.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1 Dans leurs commentaires, en date du 30 mars 1998 et du 19 octobre 1998, les auteurs soutiennent que la simple existence formelle d’une voie de recours ne suffit pas pour réparer les atteintes aux droits de l’homme mais que ces recours doivent être suffisamment efficaces pour assurer la protection du droit ou réparer le préjudice subi en cas de violation. Ils ajoutent que, de l’avis même du Comité des droits de l’homme, pour des délits particulièrement graves seuls des recours déposés auprès d’une juridiction pénale de l’ordre interne peuvent être considérés comme des recours utiles au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte . En outre, d’après le Comité, les recours à caractère purement administratif et disciplinaire ne peuvent être considérés comme des recours suffisants et utiles.

5.2 Au sujet de la procédure disciplinaire engagée, les auteurs précisent qu’il s’agit d’un mécanisme d’autocontrôle de la fonction publique ayant pour but d’en assurer le bon fonctionnement.

5.3 D’après les auteurs, la procédure contentieuse administrative ne concerne qu’un aspect du droit à réparation: la perte éprouvée et le manque à gagner que la victime a subis du fait d’une exaction d’un agent de l’État ou d’une faute d’un service public. D’autres aspects du droit à réparation des victimes de violations des droits de l’homme, comme le droit à la protection de la famille de la victime , ne sont pas protégés par les décisions des tribunaux administratifs ou du Conseil d’État. De ce point de vue, la juridiction contentieuse administrative ne garantit pas pleinement le droit à réparation.

5.4 En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel le Gouvernement a demandé à la Procurature générale de la Nation d’étudier, à la lumière de l’arrêt C ‑358 de la Cour constitutionnelle, la possibilité de transférer la procédure pénale à une juridiction de droit commun, les auteurs formulent les observations suivantes:

− La possibilité de transférer à une juridiction de droit commun la procédure pénale ouverte par les autorités militaires n’est pas un fait établi mais une éventualité. Dans des cas semblables, les tribunaux militaires ont refusé de tenir compte de la décision de la Cour constitutionnelle.

− Bien que la Cour constitutionnelle, dans son arrêt 358/97, ait déclaré inconstitutionnels plusieurs articles du Code de justice pénale militaire, le texte constitutionnel qui régit la juridiction militaire demeure en vigueur et, en raison de sa rédaction ambiguë, les violations des droits de l’homme commises par des militaires relèvent de la compétence des tribunaux militaires.

− Se fondant sur l’arrêt 358/97 de la Cour constitutionnelle, la famille Ascanio Ascanio a déposé une requête en transfert à la juridiction de droit commun, mais a reçu une réponse négative de la Fiscalía General de la Nación.

− C’est la Fiscalía General de la Nación elle ‑même qui, sans aucune justification juridiquement valable, a décidé de charger la juridiction militaire des investigations préliminaires concernant cette affaire.

5.5 En ce qui concerne l’argument du Gouvernement selon lequel les organismes auxquels se sont adressés les parents des victimes ont «rempli leur office», le conseil estime que cette affirmation ne correspond pas à la vérité puisque dans les mémoires envoyés sont précisés les différents organismes d’État saisis et l’état d’avancement des procédures.

5.6 La juridiction pénale militaire demeure saisie de la procédure pénale sans que les parents des victimes aient pu se constituer partie civile. Le 27 février 1998, la Procurature déléguée aux droits de l’homme, qui relève de la Procurature générale de la Nation, a décidé de classer définitivement l’enquête disciplinaire engagée contre certaines des personnes mises en cause en se fondant sur le fait que l’une d’entre elles, un officier, était décédée et que l’action disciplinaire engagée contre les autres était prescrite, conformément à l’article 34 de la loi 200 de 1995 fixant à cinq ans la prescription en matière disciplinaire.

5.7 Enfin, les auteurs réaffirment que le seul recours interne efficace est la procédure pénale qui, en l’occurrence, a été engagée devant la juridiction pénale militaire. Selon la doctrine du Comité et d’autres organes internationaux de protection des droits de l’homme, en Colombie les tribunaux militaires ne peuvent être considérés comme des recours utiles pour des violations des droits de l’homme commises par des membres des forces armées. Même si l’on admettait que la procédure pénale militaire offre un recours efficace, plus de cinq ans se sont écoulés depuis que la juridiction pénale militaire a ouvert les procédures pénales et que ces dernières n’ont abouti à aucun résultat depuis. Le Code pénal militaire colombien fixe à un maximum de 30 jours la durée de l’enquête préliminaire (art. 552) et à 60 jours la durée maximale de l’information judiciaire lorsqu’il y a au moins deux délits ou deux inculpés (art. 562). En tenant compte des différents incidents de procédure éventuels, le procès doit se dérouler dans un délai ne pouvant dépasser les deux mois (art. 652 à 681) et, en cas d’atteintes à la vie ou à l’intégrité des personnes (art. 683), il doit être conduit par le Conseil de guerre. Or la procédure engagée devant la juridiction pénale militaire a dépassé ces délais.

Décision concernant la recevabilité

6.1 À sa soixante-dixième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication et a vérifié, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas été soumise à une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

6.2 En ce qui concerne le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a estimé que la longueur de la procédure judiciaire relative aux enquêtes sur les décès et aux accusations portées par les auteurs était injustifiée. Il a rappelé de plus que quand il s’agit d’infractions graves, comme c’est le cas de violations des droits fondamentaux en particulier du droit à la vie, les recours purement administratifs et disciplinaires ne sauraient être considérés comme suffisants et utiles. De même, le Comité a conclu que les procédures d’indemnisation avaient dépassé les délais raisonnables.

6.3 Le 13 octobre 2000, le Comité a déclaré la communication recevable et a considéré que les faits dont il était saisi soulevaient des questions au regard des articles 6, 7, 9 et 17, lus conjointement avec l’article 2, paragraphe 3, du Pacte.

Observations de l’État partie quant au fond

7.1 Dans ses réponses en date du 3 mai et du 20 septembre 2001, l’État partie reprend ses arguments au sujet de la recevabilité et réaffirme que les recours internes n’ont pas été épuisés et que la situation ne peut être considérée comme un déni de justice.

7.2 L’État partie signale que la Fiscalía General a fait savoir que la Fiscalía spécialisée auprès des juridictions pénales spéciales − section des affaires relevant du terrorisme 51 ‑3 avait ouvert une enquête sur le décès de Gustavo Coronel Navarro et des autres victimes, sous le n o  15.282. À ce jour, les résultats sont les suivants:

− La Procurature générale a déclaré le 19 février 1999 que l’enquête devrait être menée par une juridiction de droit commun et a décidé le transfert immédiat du dossier. Le 18 septembre 2000, la Direction nationale des juridictions d’instruction a ordonné que le dossier n o  15.282 soit confié à la section des affaires relevant des droits de l’homme afin que la procédure se poursuive. Cette section a renvoyé le dossier n o  15.282 à la Direction des juridictions d’instruction au motif qu’elle n’était pas compétente. Enfin, par un communiqué du 15 février 2001, la Fiscalía spécialisée a fait savoir qu’elle avait répondu à la demande d’information que lui avait adressée l’ASFADDES .

− Le 22 mars 2001, la Fiscalía spécialisée a ordonné l’audition libre de deux des responsables soupçonnés, le capitaine Mauricio Serna Arbelaez et Francisco Chilito Walteros, et a chargé de l’audition la 47e juridiction d’instruction pénale militaire.

7.3 Pour ce qui est du fond, l’État partie demande au Comité des droits de l’homme de s’abstenir d’examiner la communication parce que les procédures devant aboutir à des décisions de protection des droits de quiconque le demande sont en cours.

7.4 L’État partie réitère que l’enquête pénale en est au stade de l’instruction et que, à aucun moment, les autorités n’ont classé ni suspendu l’affaire. En résumé, on ne peut pas dire que l’État partie ait commis une quelconque violation des instruments internationaux car il a mis en œuvre tous les moyens offerts par le droit interne pour obtenir un résultat.

7.5 Enfin, l’État partie affirme qu’il y a des contradictions dans les arguments présentés par les auteurs et retenus par le Comité dans sa décision de recevabilité.

Commentaires des auteurs concernant le fond

8.1 Dans leurs commentaires, en date du 13 juillet et du 27 novembre 2001, les auteurs répondent aux observations de l’État partie et relèvent que celui ‑ci n’a traité à aucun moment du fond de la communication. En ce qui concerne les sept victimes, dont un mineur, l’État partie n’a pas contesté que six d’entre elles avaient été arrêtées illégalement et torturées, qu’elles avaient disparu et avaient ensuite été exécutées et qu’une autre personne avait disparu et que cette disparition était imputable à des unités du bataillon antiguérilla n o  17 «Motilones» attaché de la Brigade mobile n o  2 de l’armée colombienne. L’État partie ne conteste pas davantage qu’il y ait eu des violations illégales des domiciles des familles des paysans assassinés ni que plusieurs de leurs habitants aient été arrêtés illégalement. L’État partie ne dit rien non plus sur l’assassinat de plusieurs membres de la famille Ascanio par des paramilitaires ni sur le harcèlement permanent dont les familles et les membres des ONG qui avaient dénoncé les faits ont été victimes.

8.2 D’après les auteurs, les observations de l’État partie montrent que pendant huit ans les enquêtes sont restées au stade préliminaire. Par ailleurs, le transfert du dossier de la juridiction pénale militaire à la juridiction de droit commun a été demandé le 19 février 1998 par la chambre pénale de la Procurature générale de la nation. Le 13 mai 1998, la 47 e  juridiction d’instruction pénale militaire a accédé à cette demande et a ordonné le transfert des premiers actes de l’instruction à la Fiscalía régionale d’Ocaña. Les enquêtes pénales ont été confiées à la troisième sous ‑section des affaires de terrorisme de la Fiscalía déléguée auprès du juge pénal de circuit spécialisé de la Fiscalía General de la Nación et en sont toujours à ce stade.

8.3 Les auteurs soulignent qu’il est paradoxal de décider d’entendre «en audition libre» le capitaine Mauricio Serna Arbelaez alors qu’il est mort en août 1994, comme il est indiqué au paragraphe 5.6 ci ‑dessus. Enfin, d’après les auteurs, il est étrange que les autres militaires impliqués non seulement n’aient pas été inculpés ni même suspendus de leurs fonctions tant que les enquêtes étaient en cours et qu’ils aient au contraire reçu de l’avancement.

8.4 En ce qui concerne la procédure contentieuse administrative engagée par les familles des victimes, le tribunal administratif de Santander a rejeté les demandes d’indemnisation le 29 septembre 2000.

8.5 Enfin, les auteurs réaffirment que le fait que l’État partie soit silencieux au sujet des faits et des violations dénoncés dans la communication ainsi qu’au sujet de l’absence de recours utile pour ces violations graves ne peut qu’être interprété comme une reconnaissance de la réalité des faits.

Délibérations du Comité

9.1 Le Comité a examiné la communication à la lumière de tous les renseignements qui lui avaient été communiqués par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il a noté que l’État partie continuait à affirmer que tous les recours internes n’avaient pas été épuisés et que plusieurs procédures étaient toujours en cours. Le Comité estime toutefois que l’exercice des recours internes dans le cas à l’examen a été indûment prolongé et que, par conséquent, il est en mesure d’examiner la communication en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2 Le Comité note que l’État partie n’a pas donné plus de renseignements sur les faits. En l’absence de réponse de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux plaintes des auteurs, dans la mesure où elles sont étayées.

9.3 En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, le Comité fait remarquer que, d’après les auteurs, le Bureau des enquêtes spéciales de la Procurature générale de la nation a conclu dans son rapport final, en date du 29 juin 1994, à la responsabilité des agents de l’État dans l’arrestation et la disparition des victimes. De même, la Procurature déléguée aux droits de l’homme de la Procurature générale a reconnu, dans sa décision du 27 février 1998 que le Comité a pu lire, que les forces de sécurité de l’État avaient arrêté et abattu les paysans. Compte tenu en outre du fait que l’État partie n’a pas contesté ces faits ni pris les mesures nécessaires contre les responsables de l’assassinat des victimes, le Comité conclut que l’État partie n’a pas garanti le droit à la vie de Gustavo Coronel Navarro, Nahún Elías Sánchez Vega, Ramón Emilio Sánchez, Ramón Emilio Quintero Ropero, Luis Honorio Quintero Ropero, Ramón Villegas Téllez et Luis Ernesto Ascanio Ascanio, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

9.4 En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 9 du Pacte, le Comité note que les auteurs affirment que les arrestations et détentions ont été illégales étant donné qu’elles ont été effectuées sans mandat de détention ni d’arrestation. Étant donné que l’État partie n’a pas démenti cette affirmation et considérant que la plainte est suffisamment étayée avec les documents cités au paragraphe 9.3, le Comité conclut qu’il y a eu violation de l’article 9 du Pacte à l’égard des sept personnes.

9.5 En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 7 du Pacte, le Comité note que dans sa décision du 27 février 1998, mentionnée dans les paragraphes précédents, la Procurature a reconnu que Gustavo Coronel Navarro, Nahún Elías Sánchez Vega, Luis Ernesto Ascanio Ascanio et Luis Honorio Quintero Ropero avaient été soumis à des traitements incompatibles avec l’article 7. Compte tenu des circonstances dans lesquelles les quatre victimes ont disparu et du fait que l’État partie n’a pas démenti que celles-ci aient subi des traitements contraires à l’article 7, le Comité conclut que les quatre victimes ont fait l’objet d’une violation manifeste de l’article 7 du Pacte.

9.6 Toutefois, en ce qui concerne les allégations relatives à Ramón Emilio Sánchez, Ramón Emilio Quintero Ropero et Ramón Villegas Tellez, le Comité considère qu’il ne dispose pas de renseignements suffisants pour déterminer qu’il y a eu violation de l’article 7 du Pacte dans leur cas.

9.7 En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 17, le Comité doit déterminer si les circonstances concrètes dans lesquelles la violation du domicile des victimes et de leurs familles s’est produite constituent une violation de cet article. Il prend note des affirmations des auteurs qui affirment que les perquisitions comme les arrestations se sont déroulées de façon illégale puisque les militaires n’avaient pas de mandat de perquisition ni d’arrestation. Il tient également compte des déclarations concordantes des témoins, recueillies par la Procurature générale qui attestent les actions effectuées illégalement aux domiciles privés où se trouvaient les victimes. De la même manière, il relève que l’État partie n’a pas donné la moindre explication pour justifier les opérations exposées dans la communication. Par conséquent, le Comité conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 17 et que les victimes et leurs familles ont bien été l’objet d’une immixtion illégale dans leur domicile ou dans le domicile où se trouvaient les victimes, y compris le domicile du mineur, Luis Ernesto Ascanio Ascanio, même si celui-ci ne s’y trouvait pas au moment des opérations.

9.8 Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, considère que les faits dont il est saisi font apparaître des violations du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, de l’article 7 en ce qui concerne Gustavo Coronel Navarro, Nahún Elías Sánchez Vega, Luis Ernesto Ascanio Ascanio et Luis Honorio Quintero Ropero, de l’article 9 et de l’article 17.

10. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation de garantir aux familles des victimes un recours utile, y compris une indemnisation. Le Comité prie l’État partie de mener à leur terme sans attendre les enquêtes sur la violation des articles 6 et 7 et de diligenter les poursuites pénales contre les responsables de ces violations devant les tribunaux pénaux ordinaires. L’État partie a l’obligation de veiller à ce que pareilles violations ne se reproduisent pas à l’avenir.

11. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publique la présente décision.

[Adopté en anglais, en espagnol (version originale), et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

D. Communication n o  781/1997 Aliev c. Ukraine * (Constatations adoptées le 7 août 2003, s oixante-dix-huitième session)

Présentée par :

M. Azer Garyverdy ogly Aliev

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Ukraine

Date de la communication :

21 septembre 1997 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 7 août 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  781/1997 présentée par M. Azer Garyverdy ogly Aliev, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations adoptées en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication est M. Azer Garyverdy ogly Aliev, ressortissant azéri, né le 30 août 1971. À la date de présentation de la communication, l’auteur était détenu au centre de détention provisoire (SIZO) de Donetsk (Ukraine), dans l’attente d’être exécuté. Il affirme être victime de violations par l’Ukraine du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’invoque pas de dispositions précises du Pacte, mais la communication semble soulever des questions au titre des articles 6, 7, 10, du paragraphe 1, et des alinéas d , e et  g du paragraphe 3, et du paragraphe 5, de l’article 14, et de l’article 15 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.

1.2 Le 24 novembre 1997, conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie de surseoir à l’exécution de l’auteur tant que sa communication serait à l’examen. Le 30 septembre 2002, l’État partie a informé le Comité que le 26 juin 2000, la peine de mort à l’encontre de l’auteur avait été commuée en emprisonnement à vie.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 8 juin 1996, dans la ville de Makeevka (Ukraine), après avoir consommé une grande quantité d’alcool, l’auteur, M. Kroutovertsev et M. Kot ont eu une altercation dans un appartement, qui a dégénéré en bagarre. Une quatrième personne, M. Goncharenko, a été le témoin de cet incident. Selon l’auteur, M. Kot et M. Kroutovertsev l’ont roué de coups. M. Kroutovertsev l’a également frappé avec une bouteille vide. En se défendant, l’auteur a grièvement blessé, à l’aide d’un couteau, M. Kot et M. Kroutovertsev, avant de s’enfuir.

2.2 L’auteur déclare avoir contacté peu après l’épouse de M. Kroutovertsev, pour l’informer de l’incident et lui demander de prévenir les secours. À l’annonce de ces nouvelles, M me  Kroutovertseva se serait mise à le frapper. L’auteur aurait ensuite tailladé le visage de M me  Kroutovertseva à l’aide d’un couteau et serait retourné dans son appartement où sa femme et quelques voisins lui auraient donné des premiers soins.

2.3 Le 8 juin 1996, l’auteur a expliqué cet incident à un officier de la police judiciaire, M. Volkov. Celui-ci lui a intimé l’ordre d’apporter 15 000 dollars afin de soudoyer la police et le parquet. L’auteur n’a rassemblé que 5 600 dollars. L’auteur a fait une déposition écrite, dans la voiture de M. Volkov. En apprenant que l’une des victimes était morte, le policier lui aurait expliqué que s’il ne trouvait pas la totalité de la somme requise avant 14 heures, il aurait des ennuis.

2.4 Dans l’après ‑midi du 8 juin 1996, l’auteur et son épouse ont quitté la ville pour se cacher dans le village de sa belle-mère, tandis que son père tentait de rassembler la somme demandée. À leur retour, ils ont été arrêtés par la police, le 27 août 1996, et conduits au poste de police où ils ont subi des interrogatoires durant quatre jours. Selon l’auteur, ils n’ont rien eu à manger lors de cette détention. M. Volkov et d’autres fonctionnaires lui auraient fait subir des pressions physiques, consistant notamment à le priver d’oxygène en lui enfilant un masque à gaz dans le but de le contraindre à avouer d’avoir commis un certain nombre de crimes non résolus. L‘épouse de l’auteur, enceinte à cette époque, aurait également été battue et sa tête aurait été enveloppée dans un sac de cellophane, ce qui lui aurait fait perdre conscience. Afin d’obtenir la libération de son épouse, l’auteur a signé toutes les pièces qui lui étaient présentées, sans les lire.

2.5 Les officiers de police ont laissé repartir son épouse après lui avoir fait promettre de ne pas révéler ce qui s’était passé au cours de la détention, faute de quoi son mari serait tué et elle ‑même incarcérée de nouveau. Ayant fait une fausse couche, l’épouse de l’auteur aurait décidé de rassembler des preuves médicales en vue de porter plainte, et c’est alors qu’elle aurait, de nouveau, été menacée par M. Volkov et un autre fonctionnaire. De son côté, l’auteur déclare qu’il s’est plaint auprès d’un procureur le 31 janvier 1997, mais celui-ci lui aurait conseillé de présenter ses allégations lors du procès.

2.6 L’auteur a été détenu pendant cinq mois sans avoir eu accès à un avocat; il déclare qu’il n’a été examiné ni par un psychiatre légiste, malgré ses antécédents médicaux, ni par un médecin. L’auteur n’a pas pu participer à la reconstitution des faits, sauf lorsque M. Kroutovertsev et M. Kot étaient également en cause.

2.7 L’affaire a été jugée par la cour régionale de Donetsk. Selon l’auteur, la cour n’a entendu que des témoins produits par M me  Kroutovertseva, tous voisins et amis de celle ‑ci.

2.8 L’auteur déclare que, bien que le ministère public ait requis une peine de 15 ans de prison à son encontre, le 11 avril 1997 la cour l’a reconnu coupable du meurtre de M. Kroutovertsev et de M. Kot ainsi que d’une tentative de meurtre sur M me  Kroutovertseva et l’a condamné à mort. Le 28 avril 1997, l’auteur a fait appel devant la Cour suprême. Il affirme que cet appel n’a pas été transmis par la cour régionale de Donetsk et a été annulé illégalement. À cet égard, l’auteur observe que le ministère public avait requis l’annulation de l’arrêt et le renvoi de l’affaire pour non-respect de certaines dispositions du Code de procédure pénale, énoncées à l’article 334.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme qu’il a été condamné à mort sans qu’il soit tenu compte du fait qu’en vertu des articles 3 et 28 de la Constitution ukrainienne, la peine de mort avait été légalement abolie, ce qui rendait la sentence anticonstitutionnelle et non applicable, contrairement aux dispositions de l’article 6 du Pacte.

3.2 Les allégations de l’auteur, selon lesquelles son épouse et lui-même ont été torturés et maltraités par la police afin de leur extorquer des aveux lors de leur détention, peuvent constituer une violation des articles 14, paragraphe 3 g), 7 et 10, lus conjointement avec l’article 6 du Pacte.

3.3 L’auteur affirme avoir été privé d’un procès équitable pour les raisons suivantes. Après son arrestation, il a été interrogé durant quatre jours par des policiers du commissariat dont le frère de l’une des personnes décédées était en charge, et les charges retenues contre lui étaient incohérentes, la présentation des faits par la police et le ministère public était partiale, le tribunal n’a appelé que les témoins à charge et les victimes. L’auteur affirme qu’en examinant son dossier, il a découvert que les pages n’étaient ni reliées ni numérotées ou attachées, ce qui permettait d’en soustraire des pièces pour dissimuler des actes illégaux et des erreurs de procédure, et que son appel devant la Cour suprême n’a pas été transmis par la cour régionale. Tout ceci peut être constitutif d’une violation de l’article 14, paragraphes 1, 3 e) et 5, du Pacte.

3.4 L’auteur affirme qu’il n’a pas eu accès à un conseil durant les cinq mois suivant son arrestation, du 27 août 1996 au 18 décembre 1996; le 17 juillet 1997, la Cour suprême aurait pris sa décision en son absence et celle de son conseil, ceci en violation de l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte.

3.5 Selon l’auteur, la Cour suprême a confirmé une décision illégale, étant donné que la peine de mort était incompatible avec la Constitution de l’Ukraine de 1996. Le 29 décembre 1999, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelle la peine de mort; depuis cette date, la sanction prévue à l’article 93 du Code pénal est de 8 à 15 ans de prison. Or, plutôt que de voir sa peine modifiée et diminuée «par une révision prompte» de sa condamnation, l’auteur s’est vu infliger une peine d’emprisonnement à vie, après les modifications apportées au Code pénal du 22 février 2000. À son avis, ceci constitue une violation de son droit de bénéficier d’une peine plus légère, parce que la peine prévue par la «loi provisoire», à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle (de décembre 1999), était de 8 à 15 ans de prison, alors qu’à la suite des réformes de l’an 2000, l’auteur a été emprisonné à vie.

3.6 L’auteur affirme, en outre, qu’en dépit de ses antécédents médicaux, il n’a pas été examiné par un expert psychiatre et les blessures qui lui avaient été causées lors des événements du 8 juin 1996 n’ont pas non plus été examinées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Par notes verbales du 26 mai 1998 et du 20 septembre 2002, l’État partie a présenté ses observations, affirmant que l’affaire ne fait ressortir aucune violation des droits reconnus par le Pacte, puisque l’auteur a bénéficié d’un procès équitable et a été condamné, conformément à la loi.

4.2 Une affaire pénale pour le meurtre de MM. Kroutovertsev et Kot et l’agression de M me  Kroutovertseva a été ouverte le 9 juin 1996 par le parquet de la ville de Makeevka. Le 13 juin 1996, un mandat d’arrêt a été lancé à l’encontre de M. Aliev et son épouse et ces deux personnes ont été arrêtées le 28 août 1996. Le 11 avril 1997, la cour régionale de Donetsk a condamné l’auteur à mort pour homicide volontaire avec circonstances aggravantes et pour vol d’effets personnels aggravé; le 17 juillet 1997, cette décision a été confirmée par la Cour suprême. Suite aux modifications législatives, la cour régionale de Donetsk a commué la peine capitale de M. Aliev à l’emprisonnement à vie le 26 juin 2000.

4.3 Selon l’État partie, l’auteur a été reconnu coupable par le tribunal d’avoir tué délibérément et par vengeance les victimes au moyen d’un couteau au cours d’une altercation. Par la suite, il a tenté d’assassiner l’épouse de M. Kroutovertsev par appât du gain, l’agressant et la blessant grièvement, avant de lui dérober des bijoux. Il est retourné sur le lieu du meurtre le même jour, pour arracher une chaîne en or de la dépouille de M. Kroutovertsev.

4.4 Les preuves concernant le crime auraient été validées par les conclusions de l’enquête préliminaire et de l’expertise judiciaire, et ont été confirmées par plusieurs témoignages, ainsi que par l’inspection des lieux du crime, les indices matériels et les conclusions des experts.

4.5 L’État partie affirme que les tribunaux ont correctement qualifié les actes de l’auteur comme constituant des infractions en vertu des articles pertinents du Code pénal. Il estime que les allégations de l’auteur selon lesquelles celui ‑ci a blessé M. Kroutovertsev et M. Kot en état de légitime défense ont été réfutées par les pièces du dossier et les tribunaux. Eu égard à la dangerosité particulière des crimes, le tribunal a estimé que l’auteur constituait un danger exceptionnel pour la société et lui a infligé une peine exceptionnelle.

4.6 Selon l’État partie, l’allégation selon laquelle l’auteur aurait été soumis à des méthodes d’enquête non autorisées a été examinée par la Cour suprême, qui l’a jugée sans fondement. L’État partie affirme que le dossier ne contient aucun élément qui permettrait de conclure que lors de l’enquête préliminaire, des méthodes illégales d’investigation avaient été utilisées; l’auteur n’a pas présenté de plainte à la cour régionale de Donetsk à ce sujet. Les procès-verbaux d’audience ne font état d’aucune plainte de la part de M. Aliev sur l’usage de méthodes d’investigation illégales, ou autres actes illégaux de la part des enquêteurs. Ce n’est qu’après l’arrêt de la cour régionale que l’auteur, dans sa plainte en cassation, a fait valoir que les enquêteurs avaient obligé son épouse et lui-même à faire des fausses dépositions. L’État partie remarque que même la plainte en cassation de l’avocat de l’auteur ne contenait pas de telles allégations.

4.7 Enfin, l’État partie note qu’il n’existe aucun motif de remettre en cause les décisions judiciaires contre l’auteur, et que l’auteur n’a déposé auprès du Procureur général aucune plainte sur une prétendue illégalité de sa condamnation.

Commentaires de l’auteur

5.1 L’auteur a présenté ses commentaires aux observations de l’État partie le 21 avril 2003. Il réitère les allégations présentées auparavant et conteste la qualification de ses actes par l’accusation et les tribunaux. Il déclare notamment que dans la nuit du 7 au 8 juin 1996, il n’a pas tué mais blessé MM. Kot et Kroutovertsev. Enfin, il met en cause les déclarations des témoins, «jointes au dossier par les policiers» et utilisées par la cour.

5.2 L’auteur réitère que l’investigation et les tribunaux ont été partiaux à son égard du fait qu’au moment du crime le frère de l’une des victimes était le chef du commissariat de police du district de Makeevka, tandis que la sœur de l’autre victime était chef du département des cartes d’identité au commissariat central de la police et, par ailleurs, mariée à un juge. Pour aggraver la peine de l’auteur, les policiers auraient présenté une différente chronologie des événements.

5.3 En ce qui concerne les allégations de mauvais traitements dont il aurait été victime, l’auteur explique qu’une partie de son dossier pénal était recouverte de son sang. Il réitère que les enquêteurs lui auraient enfilé un masque à gaz en obstruant l’accès d’air, afin de l’obliger à témoigner contre lui-même. Son épouse aurait également été battue et étranglée. Il déclare qu’il s’est plaint «à plusieurs autorités» d’avoir subi des violences physiques, mais sans succès. Plusieurs de ses codétenus pourraient attester qu’il avait eu des traces et des hématomes du fait des mauvais traitements.

5.4 L’auteur voit une preuve de la partialité des enquêteurs dans le fait qu’une enquête pénale a été ouverte pour le meurtre de MM. Kot et Kroutovertsev le 9 juin 1996, alors qu’en réalité M. Kot n’avait succombé à ses blessures que le 13 juin 1996.

Délibérations du Comité

Décision concernant la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement aux fins de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif.

6.3 Le Comité note que l’auteur a formé un recours devant la Cour suprême d’Ukraine, laquelle a confirmé la décision de l’instance inférieure, et que l’État partie ne conteste pas que l’auteur a épuisé les recours internes. Le Comité considère donc que l’auteur s’est conformé aux exigences de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.

6.4 Au regard de l’allégation selon laquelle l’auteur et son épouse ont subi des traitements inhumains de la part des policiers lors de leur détention pour les obliger à témoigner contre eux ‑mêmes, le Comité note, en premier lieu, que l’auteur a présenté la communication en son propre nom, sans fournir d’autorisation d’agir au nom de son épouse et sans expliquer si cette dernière est dans l’impossibilité de présenter sa plainte elle-même. En vertu du paragraphe 1 du Protocole facultatif et de l’article 90, alinéa b , de son règlement intérieur, le Comité décide qu’il n’examinera que les griefs relatifs au seul auteur.

6.5 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle le tribunal l’a condamné à mort sans tenir compte du fait que les articles 3 et 28 de la Constitution ukrainienne de 1996 avaient aboli la peine capitale, le Comité note que ce n’est qu’à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle du 29 décembre 1999 et de la modification du Code pénal et du Code de procédure pénale opérée par le Parlement le 22 février 2000 que l’État partie a aboli la peine capitale, c’est ‑à ‑dire après qu’une décision définitive avait été prise dans l’affaire. Le Comité considère donc que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de recevabilité, son allégation selon laquelle l’application de la peine de mort en 1997 était intervenue après l’abolition de la peine de mort pour l’État partie. Cette partie de la communication est donc irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6 Le Comité note que l’auteur déclare, concernant ses allégations de mauvais traitements et de torture, qu’il s’en est plaint à un procureur, le 31 janvier 1997, qui lui aurait conseillé de présenter ses allégations lors du procès. De son côté, l’État partie affirme que cette allégation n’a pas été soulevée devant la cour régionale de Donetsk et que l’auteur ne l’a avancée que lors de son pourvoi en cassation. Le Comité note que dans son arrêt, la Cour suprême l’a examinée et l’a jugée non fondée. Le Comité rappelle que c’est généralement aux tribunaux des États parties au Pacte et non au Comité qu’il appartient d’évaluer les faits et les éléments de preuve dans un cas donné, à moins qu’il n’apparaisse que les décisions des tribunaux sont manifestement arbitraires ou équivalentes à un déni de justice. Or, rien dans les informations portées à la connaissance du Comité à ce sujet ne démontre que les décisions des tribunaux ukrainiens ou le comportement des autorités compétentes ont été arbitraires ou reviennent à un déni de justice. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.7 En ce qui concerne les allégations de déni d’un procès équitable du fait que le frère de l’une des personnes décédées était chef du commissariat de police où l’auteur a subi ses premiers interrogatoires, le Comité note, en premier lieu, que rien dans les documents dont il est saisi ne permet de conclure que ces allégations ont été intentées contre les autorités nationales compétentes. En second lieu, pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle les charges retenues contre lui étaient incohérentes, la présentation des faits par la police et le ministère public était partiale, le tribunal n’ayant fait citer que des témoins à charge, et que les juges étaient manifestement partiaux, le Comité estime que ces allégations n’ont pas été suffisamment étayées, aux fins de recevabilité. En conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8 L’auteur a également allégué que l’état de son dossier prêtait à des manipulations afin de cacher des vices de procédure; le Comité note que l’auteur n’a pas précisé s’il a présenté ces allégations aux autorités nationales compétentes. Il n’a d’ailleurs pas soutenu que son dossier avait été falsifié. Le Comité estime donc que cette allégation n’a pas été étayée aux fins de recevabilité et est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

6.9 S’agissant de l’allégation selon laquelle le pourvoi en cassation de l’auteur avait été illégalement rejeté par la cour régionale, le Comité a noté que la Cour suprême d’Ukraine a examiné son appel et a confirmé la décision de la cour régionale en date du 17 juillet 1997, dont une copie de la décision a été fournie par l’État partie. Ne disposant d’aucune autre information pertinente sur l’examen du pourvoi en cassation de l’auteur, le Comité estime que cette partie de la communication est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

6.10 Le Comité a pris note de l’affirmation selon laquelle l’auteur a été condamné à une peine plus lourde que celle prévue par la loi. L’État partie réfute cette allégation, estimant que les tribunaux ont correctement qualifié les actes de l’auteur au titre du Code pénal et l’ont condamné conformément à la loi. Au vu des copies des décisions judiciaires pertinentes fournies par l’État partie, et en absence de toute information montrant que ces décisions de justice violeraient d’une quelconque manière les droits de l’auteur au regard de l’article 15 du Pacte, le Comité estime que les faits dont il est saisi ne sont pas suffisamment étayés pour répondre aux critères de recevabilité prévus par l’article 2 du Protocole facultatif.

6.11 Quant au grief de l’auteur tiré de l’absence d’accès à un conseil au cours des cinq premiers mois de l’information, et du fait que le 17 juillet 1997, la Cour suprême a statué en son absence et en l’absence de son conseil, le Comité note que l’État partie n’a présenté aucune objection quant à la recevabilité et procède donc à l’examen au fond de cette allégation, qui peut soulever des questions au titre de l’article 14, paragraphes 1 et 3 d), et de l’article 6 du Pacte.

6.12 Le Comité procède donc à l’examen des plaintes qui ont été déclarées recevables au titre de l’article 14, paragraphes 1 et 3 d), et de l’article 6 du Pacte.

Examen quant au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, ainsi que le prévoit l’article 5, paragraphe 1, du Protocole facultatif.

7.2 En premier lieu, l’auteur allègue qu’il n’a pas bénéficié des services d’un conseil durant les cinq premiers mois de détention. Le Comité note le silence de l’État partie sur ce point; il note également que les copies des décisions de justice pertinentes ne traitent pas de l’allégation selon laquelle l’auteur n’a pas été représenté durant cinq mois, alors même que ce dernier avait mentionné cette allégation dans sa plainte auprès de la Cour suprême, datée du 29 avril 1997. Eu égard à la nature de l’affaire et des questions traitées au cours de cette période, notamment l’interrogatoire de l’auteur par des officiers de police et la reconstitution des faits à laquelle l’auteur n’a pas été invité à participer, le Comité estime que l’auteur aurait dû bénéficier de la possibilité de consulter et d’être représenté par un avocat. En conséquence, et en l’absence de toute information pertinente de la part de l’État partie, le Comité estime que les faits dont il est saisi constituent une violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte.

7.3 En second lieu, l’auteur allègue que par la suite, le 17 juillet 1997, la Cour suprême a examiné son affaire en son absence et en l’absence de son conseil. Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté cette allégation et n’a pas donné de raison pour cette absence. Le Comité constate que la décision du 17 juillet 1997 ne mentionne pas comme présents l’auteur ou son conseil, mais mentionne la présence d’un procureur. En outre, il n’est pas contesté que l’auteur n’était pas représenté par un avocat au tout début de la procédure. Compte tenu des faits dont il est saisi, et en l’absence de toute observation pertinente de la part de l’État partie, le Comité estime donc que le crédit voulu doit être donné aux allégations de l’auteur. Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle une aide juridictionnelle doit être disponible à toutes les phases de la procédure pénale, en particulier dans les affaires dans lesquelles l’accusé encourt la peine capitale . En conséquence, le Comité estime que les faits dont il est saisi font ressortir une violation de l’article 14, paragraphe 1, ainsi qu’une violation distincte de l’article 14, paragraphe 3 d), du Pacte.

7.4 Le Comité estime que l’application de la peine de mort à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte s’il n’est plus possible de faire appel du verdict. Dans le cas de l’auteur, la peine de mort a été prononcée à titre définitif alors que les dispositions de l’article 14 du Pacte concernant les conditions d’un procès équitable n’avaient pas été pleinement respectées, ce qui constitue donc une violation de l’article 6. Toutefois, cette violation a été remédiée par la commutation de la peine de mort, par décision de la cour régionale de Donetsk du 26 juin 2000.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 14, paragraphes 1 et 3 d), du Pacte.

9. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile. Le Comité estime que l’auteur n’ayant pas été dûment représenté par un avocat lors des premiers mois suivant son arrestation et pendant une partie de son procès alors même qu’il risquait une condamnation à la peine de mort, il convient d’envisager sa libération anticipée. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à diffuser les constatations du Comité.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

E. Communication n o  796/1998, Reece c. Jamaïque * (Constatations adoptées le 14 juillet 2003, soixante ‑dix-huitième session)

Présentée par :

M. Lloyd Reece (représenté par un conseil, M me Penny Rogers)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Jamaïque

Date de la communication :

16 janvier 1998 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 14 juillet 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  796/1998 présentée par

M. Lloyd Reece, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication, qui est datée du 16 janvier 1998, est Lloyd Reece, citoyen jamaïcain né le 17 octobre 1957. Il est actuellement incarcéré à la prison du district de St. Catherine. Il affirme être victime de violations par la Jamaïque de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et des paragraphes 1, 2, 3 a) à d) et 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

1.2 Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. La Jamaïque a dénoncé le Protocole facultatif le 23 octobre 1997 avec effet au 23 janvier 1998.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur a été arrêté le 13 janvier 1983 et accusé d’un double meurtre qui s’est produit le 11 janvier 1983. À l’audience préliminaire, un avocat commis d’office a été chargé de le défendre. Au cours de son procès devant la Circuit Court de Clarendon (20 ‑27 septembre 1983), l’auteur a plaidé non coupable pour les deux chefs d’accusation mais a reconnu avoir été présent sur la scène des meurtres lorsqu’ils ont eu lieu. Un jury l’a déclaré coupable des deux chefs d’accusation et l’a condamné à mort.

2.2 Dès qu’il a été reconnu coupable et condamné, l’auteur a notifié son intention de faire appel et a demandé que la cour d’appel lui accorde une aide juridictionnelle. Un avocat commis d’office a été désigné mais l’auteur n’a pas été informé de la date de l’audience et n’a pas non plus été autorisé à prendre contact avec ledit avocat pour lui donner des instructions. En outre, il n’était pas présent lors de l’examen de son appel, le 2 octobre 1986, et n’a pas été informé du déroulement de l’audience, ayant seulement appris que son recours avait été rejeté. Le 13 novembre 1986, la cour d’appel l’avait, en effet, débouté.

2.3 Le 4 mai 1988, l’auteur a déposé une déclaration d’intention de saisir la Section judiciaire du Conseil privé. Le 21 novembre 1988, la Section judiciaire a rejeté la requête de l’auteur sans donner de raison et a refusé de lui accorder l’autorisation de former recours.

2.4 Le secteur du quartier des condamnés à mort où était enfermé l’auteur abritait également des prisonniers qui étaient des malades mentaux et qui attaquaient parfois les codétenus. L’auteur mentionne également des rapports faisant état de passages à tabac sans raison et dénonçant la brutalité des gardiens . L’auteur s’est, d’autre part, plaint de conditions insalubres, en particulier de détritus jonchant les lieux et de la présence constante d’odeurs nauséabondes. Il mentionne d’autres rapports faisant état de trous creusés pour y jeter les excréments et d’une puanteur effroyable . Des seaux hygiéniques remplis d’excréments humains et d’eau stagnante n’étaient vidés qu’une seule fois par jour, le matin. L’eau courante était polluée d’insectes et d’excréments et les détenus étaient obligés de partager des ustensiles en plastique souillés. Les périodes de la journée durant lesquelles l’auteur pouvait quitter sa cellule étaient très restreintes, se limitant parfois à moins d’une demi ‑heure. Ces conditions ont gravement nui à sa santé et il souffre de maladies de la peau et de problèmes de vue. Le médecin de la prison l’a autorisé à consulter un ophtalmologue en 1994 mais, au moment de l’envoi de la communication, il n’avait pas encore pu obtenir les soins recommandés. En outre, ayant subi une subi une fêlure au doigt lors d’un accident, il n’a été conduit à l’hôpital que deux jours après; en conséquence son doigt ne s’est pas bien remis et sa capacité d’écrire en a pâti.

2.5 En avril ou mai 1995, la condamnation de l’auteur à la peine de mort a été commuée en peine d’emprisonnement à vie par le Gouverneur général . La commutation de la peine était assortie d’une décision selon laquelle sept ans devaient s’écouler à compter de la date de la commutation avant que la durée de la peine non compressible ne soit examinée. L’auteur n’a été informé de la commutation de sa peine que plus tard et n’a jamais reçu le moindre document officiel sur cette décision. L’auteur n’a, en outre, pas eu la moindre possibilité de donner son point de vue sur la décision de commuer sa peine ou celle concernant la durée non compressible de cette peine. Il continue d’être détenu à la prison du district de St. Catherine.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte parce qu’il n’a pas eu suffisamment de temps et de moyens pour préparer sa défense lors du procès et qu’il n’a pas pu communiquer comme il convenait avec un conseil de son choix. Il déclare que du fait de sa détention jusqu’à la date du procès, il était d’autant plus important qu’il soit en mesure de donner des instructions détaillées au conseil. Or avant l’audience préliminaire, il n’a pu s’entretenir avec l’avocat commis d’office pour sa défense que pendant une demi ‑heure. En outre, il n’a pas pu avoir d’autre entretien avec lui avant ou après le procès. Au cours de sa détention avant jugement, l’avocat commis d’office ne lui a jamais rendu visite et n’a pas du tout examiné avec lui l’affaire pour préparer le procès. En conséquence, aucun témoin de la défense n’a été appelé à la barre. L’auteur n’a pu parler à son avocat que depuis le banc des accusés alors que le procès était en cours et bon nombre de ses instructions ont été simplement ignorées. Qui plus est, il n’a pas pu examiner les réquisitions du procureur avec son avocat, qui a omis de signaler des failles importantes dans les éléments de preuve à charge. L’auteur signale qu’au cours du procès il a informé, à un moment donné, le juge qu’il n’était pas satisfait des services de son avocat, mais il lui a été indiqué que la seule autre possibilité serait d’assurer lui ‑même sa défense.

3.2 L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 puisqu'il n’a pas eu tout le loisir d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d’obtenir la comparution et l’interrogatoire de témoins en sa faveur dans les mêmes conditions que l’avait fait l’accusation pour les témoins à charge. Son avocat n’a même pas essayé de faire droit à sa demande tendant à ce qu’il appelle certains témoins à la barre, en particulier un agent de police qui avait déclaré lors de l’audience préliminaire que des policiers, qui enquêtaient sur les meurtres, avaient placé de faux indices sur le lieu du crime pour compromettre l’auteur . L’auteur affirme que si aucun témoin n’a été contacté ou convoqué, c’était parce que les honoraires payés aux avocats commis d’office étaient si faibles qu’ils n’étaient pas en mesure de procéder aux recherches requises.

3.3 L’auteur allègue qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 dès lors que les instructions données par le juge du fond au jury étaient inappropriées. Tout en reconnaissant que c’est aux tribunaux internes qu’il appartient généralement d’évaluer les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, il affirme que, dans les circonstances de la cause, les instructions du juge étaient tellement «aberrantes» qu’elles représentent un déni de justice. Premièrement, le juge a fait des observations quant à la culpabilité possible d’une autre partie sans mettre en garde le jury contre le danger d’un témoignage de cette personne contre l’auteur. Deuxièmement, en résumant les faits, le juge a, dans ses commentaires, pris parti pour l’accusation, notamment en invitant le jury à tirer des conclusions du fait que le conseil n’avait pas abordé certaines questions. En outre, en ce qui concerne l’affirmation faite par l’auteur au procès, selon laquelle les pages contenant sa déclaration à la police ne donnaient pas toutes une image fidèle des propos réels qu’il avait tenus, le juge a invité le jury à n’accorder aucun crédit à l’auteur puisque toutes les pages de la déclaration étaient de la même couleur, argument qu’aucune des deux parties n’a avancé. Le juge n’a pas non plus orienté comme il convient le jury quant aux déductions à tirer de toute déclaration de l’auteur que les jurés jugeraient inexacte. Le juge a également invité le jury à comparer des échantillons de l’écriture de l’auteur sans demander d’expertise.

3.4 L’auteur fait état d’une violation des paragraphes 3 b) et 5 de l’article 14 dès lors qu’il n’a pas été informé de la date de l’examen de son appel, qu’il n’a pas choisi lui-même son représentant en justice et qu’il n’a pas pu donner ses instructions à l’avocat chargé de le défendre en appel. Il a écrit plusieurs lettres à ce dernier mais n’a reçu aucune réponse. En conséquence, il n’avait aucun moyen de rectifier les inexactitudes qui ont entaché le déroulement de l’audience.

3.5 En outre, l’auteur considère qu’il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du fait des retards constatés à différents stades de la procédure judiciaire. Il appelle l’attention sur le fait que plus de trois années se sont écoulées entre le moment où il a notifié son intention d’interjeter appel (immédiatement après sa condamnation le 27 septembre 1983) et le rejet de son appel le 13 novembre 1986. Il ignore quand les minutes du procès ont été établies mais affirme que son conseil en a reçu une copie peu de temps avant l’examen du recours.

3.6 L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article 14, en ce sens qu’une violation des paragraphes 1 et 3 de ce même article ayant pour effet de priver un accusé des garanties d’un procès équitable, constitue aussi une violation de la présomption d’innocence. Ce disant, il se fonde sur les constatations du Comité dans l’affaire Perdomo et consorts c. Uruguay .

3.7 L’auteur considère aussi qu’il y a eu violation des paragraphes 1 et 3 a), b) et d) de l’article 14 puisqu’il n’a pas été informé du lieu où avait été prise la décision de commuer sa peine ou de la manière dont cette décision avait été prise et que ni lui ni son conseil n’avaient eu la possibilité de contester oralement ou par écrit la décision quant à la durée non compressible de sa peine. Il n’a été informé ni des éléments ou questions pris en considération ni des principes appliqués par le Gouverneur général, et la procédure ne s’est pas déroulée en public. En outre, le refus présumé de prendre en compte le temps passé par l’auteur en prison avant la commutation de sa peine (plus de 12 ans) constitue, selon lui, une violation des droits qui lui sont reconnus au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte en ce sens qu’il a été détenu arbitrairement. L’auteur affirme que la décision de commuer sa condamnation à la peine de mort constituait en fait le prolongement de la condamnation initiale et que la durée de la peine non compressible aurait dû être fixée au moment de la commutation de sa condamnation. Les garanties prévues à l’article 14 du Pacte portent non seulement sur la déclaration de culpabilité mais aussi sur la condamnation, conformément à un principe général selon lequel les «exigences d’une procédure équitable» applicables au stade de la reconnaissance de la culpabilité s’étendent également à la condamnation . L’auteur affirme qu’il n’a bénéficié d’aucune de ces garanties au moment de la commutation de sa peine.

3.8 L’auteur se plaint d’une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du fait des conditions dans lesquelles il a été incarcéré à la prison du district de St. Catherine qui sont décrites au paragraphe 2.4 ci ‑dessus. Il se réfère à la jurisprudence du Comité selon laquelle un emprisonnement «dans des conditions gravement préjudiciables à la santé d’un prisonnier» constitue une violation de ces dispositions .

3.9 L’auteur affirme en outre que l’angoisse et l’anxiété ressenties pendant l’incarcération dans le quartier des condamnés à mort constituaient une autre violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10. Son isolement prolongé pendant 12 ans et l’inactivité à laquelle il a été astreint ont exacerbé ses souffrances mentales au point que ce «syndrome du quartier des condamnés à mort» constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant. L’auteur se fonde à ce propos sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Soering c. Royaume ‑Uni .

3.10 Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir qu’il n’a pas été en mesure d’exercer son droit constitutionnel de contester une décision de justice parce qu’il n’a pas pu recueillir l’argent nécessaire et que l’État partie s’est montré peu disposé à lui allouer des fonds publics à cet effet.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Dans une note datée du 2 octobre 1998, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

4.2 Pour ce qui est de la violation présumée des paragraphes 3 b) et e) de l’article 14 due, selon l’auteur, à la manière dont son avocat commis d’office avait conduit le procès, l’État partie rappelle qu’il a toujours souligné qu’il n’était pas responsable de la façon dont un conseil conduisait un procès. Il affirme que s’il est tenu de désigner un conseil compétent, il a aussi l’obligation de s’abstenir de s’ingérer dans la conduite du procès que ce soit par ses actes ou par omission. Une fois qu’un conseil a été nommé au titre de l’aide juridictionnelle, l’État n’est pas plus responsable de son comportement que de celui d’un conseil privé. Selon l’État partie, les mêmes principes s’appliquent aux allégations de l’auteur selon lesquelles il y a eu violation des paragraphes 3 et 5 de l’article 14 en raison de la manière dont le conseil s’est comporté lors de l’examen de l’appel.

4.3 Pour ce qui est de la violation présumée du paragraphe 1 de l’article 14 résultant selon l’auteur des instructions données par le juge au jury, l’État partie note que l’auteur reconnaît que c’est généralement aux tribunaux de l’État partie qu’il appartient d’évaluer les instructions données par le juge du fond au jury à moins qu’il ne soit démontré que ces instructions aient été arbitraires ou aient constitué un déni de justice. L’État partie fait observer que dans la présente affaire, les instructions du juge ont été évaluées d’une manière détaillée par la cour d’appel puis par le Conseil privé qui n’y ont trouvé rien à redire. L’État partie s’élève contre l’affirmation selon laquelle les instructions du juge étaient telles que le Comité ne devrait faire aucun cas de la décision des juridictions d’appel.

4.4 Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du fait des trois années qui se sont écoulées entre la notification de l’intention d’interjeter appel et le jugement de la cour d’appel, l’État partie fait observer que, même si ce délai est plus long que ce qui était souhaitable, il n’a pas porté indûment préjudice à l’auteur et ne constitue donc pas une violation du Pacte.

4.5 Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation du Pacte parce que la durée de la peine non compressible a été fixée après la commutation de la condamnation de l’auteur, l’État partie estime qu’il n’y a aucune incompatibilité entre cette mesure et le Pacte. Il fait observer que la fixation d’une peine non compressible est prévue par la loi portant modification de la loi sur les atteintes aux personnes et que tous les faits de la cause, y compris les éléments de preuve concernant la santé physique et mentale de l’auteur, ont été soumis au Gouverneur général lors de l’examen du rapport du juge du fond. L’État partie estime que même si ni l’auteur ni son conseil n’ont eu la possibilité d’intervenir, le processus n’est pas pour autant intrinsèquement inéquitable.

Observations ultérieures des parties

5.1 L’auteur a présenté ultérieurement des observations, par une lettre du 18 décembre 1998, et l’État partie a fait de nouveaux commentaires dans une note datée du 25 mai 1999. L’un et l’autre réitéraient leurs précédents arguments.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner des plaintes soumises dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité note qu’au moment de la présentation de la communication, la Jamaïque était partie au Protocole facultatif. En conséquence, la dénonciation de cet instrument par l’État partie le 23 octobre 1997, avec effet au 23 janvier 1998, n’affecte en rien la compétence du Comité pour examiner la communication.

6.3 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie n’a pas fait valoir que certains de ces recours n’auraient pas encore été épuisés par l’auteur. Comme l’État partie n’a pas soulevé d’autres objections quant à la recevabilité de la communication, le Comité est d’avis qu’elle est recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen du fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements qui lui ont été soumis par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 3 b) et e) de l’article 14 du Pacte puisque l’auteur n’a eu ni le temps ni les moyens nécessaires pour préparer sa défense au procès et que le conseil l’a mal défendu, le Comité réitère sa jurisprudence selon laquelle, en pareille situation, l’auteur ou son conseil auraient dû demander l’ajournement au début du procès s’ils estimaient qu’on ne leur avait pas donné les moyens requis pour préparer convenablement la défense. Aucune requête dans ce sens ne figure dans les minutes du procès . Pour ce qui est des questions soulevées par les objections de l’auteur quant à la manière dont le conseil avait conduit le procès, le Comité rappelle qu’un État partie ne peut être tenu responsable du comportement d’un avocat, à moins qu’il n’ait été ou qu’il aurait dû être manifeste aux yeux du juge que le comportement de l’avocat était incompatible avec les intérêts de la justice . Le Comité est d’avis qu’en l’espèce rien n’indique que le comportement du conseil au procès ait été manifestement incompatible avec ses responsabilités professionnelles. En conséquence, le Comité estime qu’il n’y a eu aucune violation du Pacte à cet égard.

7.3 Pour ce qui est de la plainte de l’auteur selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 parce que les instructions que le juge du fond a données au jury au sujet des éléments de preuve étaient inappropriées, le Comité se réfère à sa jurisprudence selon laquelle il ne lui appartient pas de revoir les instructions données par le juge de première instance au jury à moins qu’il puisse être établi que ces instructions étaient manifestement arbitraires ou représentaient un déni de justice. Dans le cas d’espèce, le Comité note que les éléments de preuve ainsi que les instructions données par le juge au jury ont été examinés d’une manière approfondie lors de l’appel et il ne remarque, en la matière, aucun comportement arbitraire ou déni de justice . Le Comité conclut donc qu’il n’y a eu aucune violation à cet égard.

7.4 Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation des paragraphes 3 b) et 5 de l’article 14 en ce qui concerne la préparation et la conduite du procès en appel, le Comité note que l’auteur a signé une demande d’autorisation de faire recours dans laquelle il a énuméré les motifs de son appel et qu’il ne peut par conséquent affirmer n’avoir pas été en mesure de donner des instructions à l’avocat chargé de le défendre en appel. En outre, le Comité rappelle sa jurisprudence (mentionnée au paragraphe 7.2 ci ‑dessus) selon laquelle, généralement, l’État partie ne peut être tenu responsable du comportement d’un avocat au tribunal. En l’espèce, le Comité ne relève aucun élément exceptionnel dans la manière dont l’appel a été conduit qui pourrait l’amener à déroger à ce principe. En conséquence, le Comité conclut qu’il n’y a eu aucune violation du Pacte en ce qui concerne les questions susmentionnées.

7.5 Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du fait de la période de trois ans et un mois qui s’est écoulée entre le moment où l’appel a été déposé et la décision du tribunal, le Comité note les circonstances particulières de la présente affaire, à savoir que l’auteur a notifié son intention de faire appel dès la fin du procès, le jour même de sa condamnation. Notant aussi que l’État partie n’a fourni aucune indication expliquant le retard ni mentionné aucun facteur permettant d’imputer le retard à l’auteur, le Comité considère que les faits révèlent une violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

7.6 Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article 14 du fait du non ‑respect des garanties relatives à un procès équitable prévues aux paragraphes 1 et 3 de l’article 14, à la lumière des constatations faites plus haut au sujet de ces dernières dispositions, le Comité note qu’aucune question distincte ne se pose au titre du paragraphe 2 de l’article 14.

7.7 Pour ce qui est des autres plaintes de l’auteur, selon lesquelles il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 9 et des paragraphes 1 et 3 a), b) et d) de l’article 14, du fait de la commutation de sa condamnation à mort et de la fixation d’une période de sept ans durant laquelle aucune possibilité de libération conditionnelle ne peut être examinée, le Comité se réfère à sa jurisprudence selon laquelle les garanties prévues à l’article 14 ne s’appliquent pas au processus de commutation de peine . Il ne partage pas non plus le point de vue selon lequel le remplacement de la peine capitale par une peine d’emprisonnement à vie, avec une possibilité de libération conditionnelle dans le futur, constitue une «nouvelle condamnation» imposée d’une manière arbitraire. Il s’ensuit que l’auteur continue d’être légitimement détenu en application de la sentence originelle, telle que modifiée par la décision de commutation, et que cette situation ne soulève aucune question de détention contraire à l’article 9. En conséquence, le Comité conclut qu’il n’y a eu aucune violation du Pacte à cet égard.

7.8 Pour ce qui est de la plainte de l’auteur au titre des articles 7 et 10, paragraphe 1, concernant les conditions et la durée de sa détention dans le couloir de la mort, le Comité, n’ayant reçu aucune réponse de l’État partie, doit accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dès lors qu’elles n’ont pas été dûment réfutées. Il considère, comme il l’a fait à maintes reprises au sujet d’allégations similaires qui étaient étayées , que les conditions de détention de l’auteur, telles qu’elles sont décrites, constituent une violation de son droit d’être traité avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à l’être humain, et sont, par conséquent, contraires au paragraphe 1 de l’article 10. Compte tenu de cette conclusion touchant l’article 10, disposition du Pacte qui traite spécifiquement de la situation des personnes privées de leur liberté et qui englobe, s’agissant de ces personnes, les éléments énoncés à l’article 7, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les plaintes relevant de l’article 7.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 10 et du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

9. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile. L’État partie est également tenu d’améliorer les conditions de détention de l’auteur ou de le libérer.

10. En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. La communication ayant été adressée au Comité avant que la dénonciation par la Jamaïque du Protocole facultatif ne prenne effet − 23 janvier 1998 –, conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole facultatif, les dispositions de cet instrument continuent d’être applicables à l’État partie pour ce qui est de la présente affaire. En application de l’article 2 du Pacte, celui ‑ci s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

F. Communication n o 814/1998, Pastukhov c. Bélarus *

(Constatations adoptées le 5 août 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par :

M. Mikhail Ivanovich Pastukhov

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

11 février 1998 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 5 août 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 814/1998 présentée par Mikhail Ivanovich Pastukhov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur est M. Mikhail Ivanovich Pastukhov, citoyen bélarussien, résidant à Minsk (Bélarus). Il affirme être victime d’une violation par le Bélarus de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La communication semble également soulever des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 25 c) du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2 Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour le Bélarus, respectivement, le 23 mars 1976 et le 30 décembre 1992.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 28 avril 1994 l’auteur a été élu par le Parlement du Soviet suprême au poste de juge à la Cour constitutionnelle pour une durée de 11 ans, conformément à la procédure régie par la loi, et en particulier la Constitution du 15 mars 1994.

2.2 Par décret présidentiel en date du 24 janvier 1997, l’auteur a perdu ses fonctions de juge au motif que son mandat était parvenu à expiration, suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution du 25 novembre 1996 .

2.3 Le 11 février 1997, l’auteur a introduit une demande de rétablissement dans ses fonctions de juge auprès du tribunal de district. Le 21 février 1997, le tribunal a refusé d’examiner la requête.

2.4 Le 31 mars 1997, l’auteur a fait appel de cette décision auprès du tribunal municipal de Minsk. Le 10 avril 1997, le tribunal a rejeté l’appel au motif que les tribunaux bélarussiens ne sont pas compétents pour l’examen de litiges relatifs au rétablissement de personnels désignés par le Conseil suprême de la République du Bélarus, dont les juges de la Cour constitutionnelle.

2.5 Le 2 juin 1997, l’auteur a introduit un recours auprès de la Cour suprême, qui l’a rejeté le 13 juin 1997 sur la base des motifs précités.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur considère que le décret présidentiel du 24 janvier 1997 est contraire à la loi.

3.2 L’auteur explique que ce décret fait référence à l’article 146 de la Constitution du 25 novembre 1996 qui dispose que le Président de la République, le Parlement et le Gouvernement doivent, dans les deux mois suivant l’entrée en vigueur de la Constitution, désigner et mettre en place les organes relevant de leur compétence. L’auteur fait valoir que la Constitution, comme toute autre loi, ne peut pas rétroactivement affecter le statut juridique d’un citoyen. Dans le cas d’espèce, l’auteur estime que le remplacement d’un juge ne peut intervenir que lors de la vacance de son poste et qu’en conséquence, écourter son mandat en dehors de cette condition est manifestement arbitraire.

3.3 L’auteur explique en outre que les activités de la Cour constitutionnelle sont régies par une loi spéciale, la loi sur la Cour constitutionnelle de la République du Bélarus. L’article 18 de la loi contient une liste exhaustive des conditions dans lesquelles il peut être mis fin prématurément au mandat d’un juge. Or, la condition retenue par le décret du 24 janvier 1997 ne correspond pas à celles figurant à l’article 18, ce qui, selon l’auteur, rend illégal le décret en question. L’auteur estime enfin que ce décret porte atteinte à l’article 25 de cette même loi stipulant les garanties d’indépendance des magistrats, comme le respect d’une procédure réglementant la suspension et la cessation des fonctions de juge.

3.4 L’auteur affirme qu’il s’est vu refuser, à tort, la protection de la loi par les tribunaux dans le cadre du litige l’opposant au chef de l’État, en violation de l’article 2 du Pacte.

3.5 L’auteur déclare que tous les recours internes ont été épuisés et précise que l’affaire n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Dans ses observations datées du 14 juillet 1998 l’État partie conteste la recevabilité de la communication.

4.2 Il affirme que les décisions des tribunaux concernant l’examen de la plainte de l’auteur étaient conformes à l’article 224 du Code du droit du travail. Cet article dispose que tout litige dans le domaine du travail, portant sur la fin d’emploi d’un personnel désigné par le Président de la République, élu, désigné ou confirmé par le Parlement, ou élu par les conseils locaux des députés doit être examiné selon la procédure prescrite par la loi. Ainsi, d’après l’État partie, pour les catégories de personnes dont relève l’auteur, à savoir élues par le Parlement, le Code du droit du travail prévoit une procédure d’examen des litiges différente de celle habituellement en vigueur. L’État partie conclut que l’auteur n’a pas suivi la procédure prévue par la législation et que dès lors la plainte selon laquelle il n’a pu faire valoir ses droits est dénuée de fondement.

4.3 Dans ses observations datées du 24 janvier 2001, l’État partie rappelle qu’il a été mis fin aux fonctions de juge de l’auteur par décret présidentiel, du fait de l’arrivée à expiration du mandat de magistrat près la Cour constitutionnelle. L’État partie souligne à nouveau que conformément à l’article 224 du Code du travail, le litige ne relevait pas de la compétence des tribunaux.

4.4 L’État partie soutient en outre que le nouveau Code du travail du 1 er  janvier 2000 a rendu caduc le Code du droit du travail précédent (dont l’article 224) et a donné plein effet non seulement aux dispositions de l’article 60 de la Constitution du 25 novembre 1996 garantissant la protection des droits et libertés des personnes par un tribunal compétent, indépendant et impartial dans le cadre des délais prévus par la loi, mais également à l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques portant sur les recours en justice.

4.5 L’État partie indique que désormais, et conformément à l’article 242 du Code du travail, toute personne a le droit d’introduire un recours auprès d’un tribunal afin d’être rétablie dans ses fonctions et ce dans un délai d’un mois.

4.6 L’État partie conclut que ce nouveau Code du travail a levé toutes restrictions sur les possibilités de recours en justice et que l’auteur aurait pu introduire un tel recours auprès des tribunaux dans les délais prévus. L’État partie indique qu’il ne dispose pas d’information sur la situation de l’auteur à ce sujet.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans ses commentaires datés du 20 mars 2002, l’auteur rappelle en premier lieu son argumentation sur l’illégalité du décret présidentiel du 24 janvier 1997. Il précise que le motif retenu par ce décret à savoir «en relation avec l’arrivée à expiration du mandat de juge» repose sur une formulation inexistante dans la législation en vigueur, ce qui signifie que le Président de la République a interféré dans les activités de la Cour constitutionnelle et porté atteinte aux droits civils et au droit au travail de l’auteur.

5.2 En second lieu, l’auteur considère que l’argumentation de l’État partie sur la question de la compétence des tribunaux quant au litige en cause n’est pas convaincante et ne repose pas sur la législation en vigueur à l’époque.

5.3 L’auteur explique que l’article 61 de la Constitution du 15 mars 1994 garantissait la protection des droits et libertés des personnes par un tribunal compétent, indépendant et impartial et qu’un tel principe était d’application directe en l’absence de loi le restreignant à certaines catégories de citoyens. Selon l’auteur, ce principe s’appliquait donc aux juges des juridictions supérieures, dont la Cour constitutionnelle, en cas de violations présumées de leurs droits dans le domaine du travail.

5.4 En outre, d’après l’auteur, l’article 4 du Code de procédure civile consacrait l’obligation des tribunaux d’accepter pour examen toute plainte de citoyens.

5.5 L’auteur réaffirme que le tribunal de district, le tribunal municipal de Minsk et la Cour suprême ont refusé d’examiner sa demande en violation de la législation. Il affirme que les tribunaux ont agi de la sorte en raison de la nature même du litige qui impliquait le chef de l’État, ce dernier pouvant, dès lors, mettre fin aux fonctions des magistrats en question. L’auteur insiste sur le fait que les tribunaux bélarussiens ne sont pas indépendants à l’égard du pouvoir exécutif, en particulier du Président de la République.

5.6 L’auteur ajoute que l’article 224 du Code du droit du travail ne pouvait s’appliquer qu’à la condition que sa demande ait été refusée par les tribunaux à la suite d’un procès. Les tribunaux ayant refusé même d’examiner cette demande, l’invocation de cet article par l’État partie est donc, selon l’auteur, inappropriée.

5.7 En troisième lieu, l’auteur réfute l’argument de l’État partie selon lequel le nouveau Code du travail lui permettait d’introduire un recours devant les tribunaux dans le délai prescrit. L’auteur rappelle en effet qu’il a été relevé de ses fonctions de juge plus de quatre ans avant l’entrée en vigueur de ce Code du travail.

Examen quant à la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Relativement à la question de l’épuisement des recours internes, le Comité a pris note des arguments de l’État partie qui affirmait, dans un premier temps, que le litige de l’auteur ne relevait pas de la compétence des tribunaux, et dans un second temps, qu’en vertu du nouveau Code du travail du 1 er  janvier 2000, un recours pouvait désormais être introduit auprès des tribunaux. Le Comité a également pris en considération l’argumentation de l’auteur qui soutenait, d’une part que conformément à la Constitution, au Code de procédure civile et au Code du droit du travail de l’époque, les tribunaux étaient tenus d’examiner sa plainte, et d’autre part, que l’invocation par l’État partie du nouveau Code du travail n’est pas pertinente dans la mesure où son délai de recours ne peut pas s’appliquer rétroactivement à un litige intervenu en 1997.

6.4 Le Comité rappelle qu’il ressort implicitement de l’article 91 de son règlement intérieur et du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif qu’un État partie au Pacte doit porter à la connaissance du Comité tous les renseignements dont il dispose, ce qui comprend, au stade où celui ‑ci doit décider de la recevabilité d’une communication, des renseignements détaillés sur les recours qui sont ouverts, dans les circonstances propres à leurs cas, aux personnes qui se disent victimes de violations de leurs droits. Le Comité considère que l’État partie, dans un premier temps, n’a donné aucune information sur les recours utiles et disponibles. En outre, dans un second temps, l’État partie met en avant l’existence d’un recours auprès des tribunaux en vertu du nouveau Code du travail lequel, au vu des informations dont le Comité dispose, ne peut être rattaché aux circonstances propres à l’auteur puisqu’un tel recours ne paraît pas disponible pour une plainte de perte d’emploi intervenue plus de trois ans avec son institution. Le Comité estime par conséquent que l’auteur a rempli les conditions prescrites au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5 Compte tenu de ce qui précède, le Comité déclare que la communication est recevable et soulève des questions au regard des articles 14 et 25 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2. Le Comité procède donc à son examen quant au fond, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 En formulant ses constatations, le Comité tient compte du fait que l’État partie, d’une part, ne lui a pas fourni une argumentation suffisamment étayée relative aux recours utiles et disponibles dans le présent litige et, d’autre part, n’a apporté aucune réponse sur les allégations de l’auteur portant sur la cessation de ses fonctions de juge et sur l’indépendance des tribunaux dans le cas d’espèce. Le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, les États parties sont tenus de coopérer en lui soumettant par écrit des explications ou déclarations éclaircissant la question, et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’ils pourraient avoir prises pour remédier à la situation. Cela étant, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées.

7.3 Le Comité prend note des arguments de l’auteur qui fait valoir qu’il ne pouvait être mis fin à ses fonctions de juge dans la mesure où il avait été élu à ce poste le 28 avril 1994 pour une durée de 11 ans, conformément à la législation alors en vigueur. Le Comité note aussi que le fondement du décret présidentiel n o 106, du 24 janvier 1997, n’était pas le remplacement de la Cour constitutionnelle par un nouveau tribunal mais visait l’auteur personnellement et que le seul motif donné dans ce décret pour mettre fin aux fonctions de l’auteur était l’expiration de son mandat de juge de la Cour constitutionnelle, ce qui n’était manifestement pas le cas. De plus, l’auteur n’a pu se prévaloir d’aucun recours utile pour contester la décision du pouvoir exécutif de mettre fin à ses fonctions. Dans ces circonstances, le Comité estime que le fait de mettre fin aux fonctions de juge de la Cour constitutionnelle qu’occupait l’auteur, plusieurs années avant l’expiration du mandat pour lequel il avait été nommé, constitue une atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire et une violation du droit d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. Il y a donc eu une violation de l’article 25 c) du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14, relatif à l’indépendance du pouvoir judiciaire, et avec les dispositions de l’article 2 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les informations devant le Comité font apparaître une violation par l’État partie de l’article 25 c) lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14 relatif à l’indépendance du pouvoir judiciaire, et avec les dispositions de l’article 2.

9. En vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile, y compris à une indemnisation. L’État partie est tenu de veiller à ce que de pareilles violations ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, le Bélarus a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui ‑ci, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite donc recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour leur donner suite. L’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Note

APPENDICE

Opinion individuelle de M me  Ruth Wedgwood et de M. Walter Kälin (concordante)

La décision de mettre fin aux fonctions de juge de la Cour constitutionnelle du juge Mikhail Ivanovich Pastukhov s’inscrit dans le cadre d’une tentative visant à amoindrir l’indépendance du pouvoir judiciaire. Si l’organisation de l’appareil judiciaire d’un pays peut être modifiée par des moyens démocratiques légitimes, ici le changement constituait une mesure visant à consolider le pouvoir dans une branche spécifique du Gouvernement sous prétexte d’un référendum constitutionnel. Cet acte a porté un coup d’arrêt à la progression à peine esquissée dans l’État partie vers l’instauration d’un pouvoir judiciaire indépendant. C’est pourquoi le décret présidentiel mettant fin aux fonctions de juge à la Cour constitutionnelle de M. Pastukhov porte atteinte aux droits consacrés aux articles 14 et 25 du Pacte garantis à l’auteur et à l’ensemble du peuple du Bélarus.

( Signé ) Ruth Wedgwood (S igné ) Walter Kälin

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

G. Communication n o  829/1998, Judge c. Canada * (Constatations adoptées le 5 août 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par :

M. Roger Judge (représenté par un conseil, M. Eric Sutton)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Canada

Date de la communication :

7 août 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 5 août 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  829/1998 présentée par M. Roger Judge en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 7 août 1998, est Roger Judge, citoyen des États ‑Unis d’Amérique, qui quand il a adressé sa communication était détenu à Sainte ‑Anne ‑des ‑Plaines, province du Québec (Canada). Il a été expulsé vers les États ‑Unis le jour où il a soumis sa communication, le 7 août 1998. Il se déclare victime de violations par le Canada des articles 6, 7, 10 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 15 avril 1987, l’auteur de la communication a été reconnu coupable de deux chefs d’accusation, assassinat et possession d’un instrument de crime, par le tribunal de première instance de Philadelphie (État de Pennsylvanie). Le 12 juin 1987, il a été condamné à mort par la chaise électrique, mais il s’est évadé de prison le 14 juin 1987 et s’est enfui au Canada .

2.2 Le 13 juillet 1988, l’auteur a été reconnu coupable de deux vols qualifiés commis à Vancouver (Canada) et a été condamné le 8 août 1988 à 10 ans d’emprisonnement. L’auteur a fait appel de sa condamnation, mais son recours a été rejeté le 1 er  mars 1991.

2.3 Le 15 juin 1993, un arrêté d’expulsion du Canada a été pris contre l’auteur. L’exécution de l’arrêté a été suspendue car l’auteur avait annoncé son intention de demander le statut de réfugié. Le 8 juin 1994, il a retiré sa demande de statut de réfugié en vertu de la Convention sur les réfugiés et l’arrêté d’expulsion a alors pris effet.

2.4 Le 26 janvier 1995, sur recommandation de l’Administration pénitentiaire du Canada, le cas de l’auteur a été examiné par la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui a ordonné son maintien en détention jusqu’à l’extinction de sa peine, soit jusqu’au 8 août 1998 .

2.5 Le 10 novembre 1997, l’auteur a écrit au Ministre de la citoyenneté et de l’immigration pour lui demander d’intervenir afin de suspendre l’exécution de l’arrêté d’expulsion, jusqu’à ce qu’une demande d’extradition de la part des autorités américaines soit éventuellement présentée et reçue à son sujet. Si l’auteur avait été renvoyé en vertu du traité d’extradition, le Canada aurait pu demander aux États ‑Unis l’assurance qu’il ne serait pas exécuté. Dans une lettre datée du 18 février 1998, le Ministre a refusé d’accéder à la demande de l’auteur .

2.6 L’auteur a demandé à la Cour fédérale du Canada l’autorisation d’engager une procédure en vue de demander un contrôle juridictionnel de la décision du Ministre. Dans sa requête, l’auteur demandait un sursis à exécution de l’arrêté d’expulsion jusqu’à ce qu’il soit éventuellement extradé et demandait aussi qu’une déclaration soit faite indiquant que sa détention au Canada et son expulsion aux États ‑Unis constituaient des violations des droits garantis par la Charte canadienne. La demande d’autorisation de l’auteur a été rejetée le 23 juin 1998. Aucun motif n’a été fourni et il n’est pas possible de faire appel de ce refus d’autorisation.

2.7 L’auteur a alors introduit devant la Cour supérieure du Québec, qui a la même compétence que la Cour fédérale du Canada, le même recours que celui qu’il avait formé devant la Cour fédérale. Le 6 août 1998, la Cour supérieure s’est déclarée incompétente du fait que la procédure avait déjà été engagée devant la Cour fédérale, même si elle n’avait pas abouti.

2.8 Le conseil déclare que bien qu’il ait été possible de faire recours contre la décision de la Cour suprême du Québec devant la cour d’appel, il ne pouvait pas s’agir d’un recours utile car la question aurait été limitée à la compétence de la cour et n’aurait pas porté sur le fond de l’affaire.

Teneur de la plainte

3.1 Le conseil déclare que le Canada a infligé à l’auteur des souffrances mentales équivalant à une peine ou un traitement cruel, inhumain et dégradant en le maintenant en détention pendant 10 ans avec la certitude de son exécution à la fin de sa peine, et qu’il s’agit là d’une violation de l’article 7 du Pacte. Il fait valoir que l’auteur a souffert du «syndrome du quartier des condamnés à mort» pendant sa détention au Canada. Ce syndrome se traduit par un état d’angoisse mentale et psychologique et, selon le conseil, peu importait que l’auteur ne soit pas exécuté sur le sol canadien. Le conseil déclare que l’État partie n’avait pas de raison valable d’imposer une peine puisque l’auteur était en tout état de cause condamné à mort, et n’a en conséquence contribué qu’à prolonger l’angoisse de l’auteur pendant sa détention en attente de son expulsion et de son exécution. Il ajoute qu’à cet égard l’auteur n’a pas été traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et qu’il a ainsi été victime d’une violation de l’article 10 du Pacte.

3.2 Le conseil affirme également qu’«en maintenant [l’auteur] en détention pendant 10 ans alors qu’il ne faisait aucun doute qu’il serait exécuté à expiration de sa peine, et en voulant maintenant l’expulser vers les États ‑Unis, le Canada a porté atteinte au droit [de l’auteur] à la vie, en violation de l’article 6 du Pacte».

3.3 Le conseil affirme en outre qu’en raison de son statut de fugitif, l’auteur n’a pas droit en vertu de la loi de Pennsylvanie à toutes les garanties d’une procédure d’appel aux États ‑Unis et qu’en conséquence, en le renvoyant aux États ‑Unis, le Canada a contribué à une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. À ce propos, le conseil déclare que le juge du fond a commis des erreurs dans les instructions qu’il a données au jury, ce qui aurait pu constituer un motif d’appel à la fois contre la déclaration de culpabilité et contre la condamnation.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1 L’État partie objecte que les griefs sont irrecevables car l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, n’a pas soulevé de questions au regard du Pacte, n’a pas étayé ses allégations et a soumis une communication incompatible avec le Pacte.

4.2 Concernant le non ‑épuisement des recours internes pour contester la détention de l’auteur au Canada, l’État partie avance plusieurs arguments. Premièrement, l’auteur n’a pas saisi les tribunaux compétents au Canada au moment opportun. En 1988, tant lors du prononcé du jugement qu’en appel de sa condamnation pour vol qualifié, l’auteur ne s’est pas plaint, comme il l’a prétendu par la suite, du fait qu’une peine de 10 ans d’emprisonnement, compte tenu des déclarations de culpabilité et des condamnations prononcées aux États-Unis à son encontre, constituait une peine ou un traitement cruel, en violation de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ces arguments n’ont été avancés qu’en 1998, lorsque l’expulsion de l’auteur du Canada était imminente.

4.3 Deuxièmement, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas fait recours auprès de la Division des appels de la Commission nationale des libérations conditionnelles du Canada et n’a pas non plus contesté devant les tribunaux la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles de ne pas le libérer avant l’expiration de sa peine et les réexamens annuels de cette décision. Si l’auteur avait obtenu gain de cause à l’issue de ces recours, il aurait pu être libéré avant l’expiration de sa peine. L’absence d’initiative prise pour engager de tels recours est manifestement contraire à la position du conseil selon laquelle le Canada a violé les droits de l’auteur tels qu’ils sont énoncés dans le Pacte en le maintenant en détention au Canada au lieu de l’expulser aux États ‑Unis.

4.4 Troisièmement, l’État partie fait valoir que si l’auteur avait voulu être renvoyé aux États ‑Unis plutôt que de rester en détention au Canada, il aurait pu également demander que le Département de la citoyenneté et de l’immigration intervienne auprès de la Commission nationale des libérations conditionnelles afin qu’elle demande qu’il soit libéré et renvoyé aux États ‑Unis. L’auteur aurait pu également demander à être transféré en Pennsylvanie conformément au traité sur le transfert des délinquants conclu entre le Canada et les États ‑Unis d’Amérique concernant l’exécution des mesures pénales. De l’avis de l’État partie, le fait que l’auteur n’ait pas dûment engagé ces procédures jette un doute sur sa bonne foi quand il dit qu’il voulait être transféré aux États ‑Unis, où il avait été condamné à mort.

4.5 À propos du non ‑épuisement des recours internes concernant la demande de sursis à exécution de l’arrêté d’expulsion vers les États-Unis, l’État partie déclare que l’auteur n’a pas fait recours contre la décision de la Cour supérieure du Québec auprès de la cour d’appel. Il ne partage pas l’opinion du conseil qui considère que ce recours n’aurait pas été utile car il n’aurait porté que sur la question de la compétence de la cour et non pas sur le fond de la cause; il affirme au contraire que la requête de l’auteur a été rejetée pour des raisons à la fois de procédure et de fond et qu’en conséquence la cour d’appel aurait pu examiner la décision quant au fond.

4.6 L’État partie fait valoir également que l’auteur n’a pas montré que sa détention et, ensuite, son renvoi aux États ‑Unis soulevaient des questions au titre des articles 6, 7, 10 ou 14, paragraphe 5, du Pacte. Si le Comité estime que ces articles s’appliquent effectivement en l’espèce, l’État partie fait valoir que le conseil n’a étayé aucune de ces allégations aux fins de la recevabilité.

4.7 Pour ce qui est de l’allégation de violation des articles 7 et 10, l’État partie fait valoir que le conseil n’a cité aucun texte à l’appui de son affirmation selon laquelle le «syndrome du quartier des condamnés à mort» pouvait être ressenti par une personne détenue dans un État abolitionniste pour crimes commis dans cet État, lorsque celle ‑ci a été précédemment condamnée à la peine capitale dans un autre État. L’auteur a été condamné à une peine d’emprisonnement pour des vols qu’il avait commis au Canada et n’était pas dans le quartier des condamnés à mort au Canada. En conséquence, le «syndrome du quartier des condamnés à mort» ne s’applique pas en l’occurrence et l’auteur n’est pas fondé à invoquer les articles 7 et 10.

4.8 Pour ce qui est de l’argument du conseil qui affirme que la condamnation était dénuée d’objectif valable étant donné que l’auteur avait été condamné à mort aux États ‑Unis, l’État partie souligne que le principe de la condamnation, fondé sur le châtiment, l’accusation et la dissuasion suppose nécessairement l’imposition d’une peine au Canada pour des infractions commises dans ce pays.

4.9 Selon l’État partie, si les personnes sous le coup d’une condamnation à mort qui s’enfuient au Canada n’étaient pas poursuivies et condamnées pour les infractions commises sur le territoire canadien, toutes sortes d’abus pourraient être commis. Tout d’abord, il y aurait deux niveaux de justice. Ces fugitifs échapperaient aux poursuites alors que des individus non condamnés à mort seraient poursuivis et condamnés, même si le crime commis au Canada était le même dans les deux cas. De plus, ces fugitifs seraient ainsi incités à ne pas respecter la loi car, au Canada, ils seraient de facto à l’abri des poursuites et des peines d’emprisonnement. En substance, les fugitifs condamnés à mort pour meurtre aux États ‑Unis auraient toute liberté pour commettre d’autres infractions au Canada.

4.10 Si le Comité devait conclure que les faits en l’espèce soulèvent effectivement des questions au titre des articles 7 et 10, l’État partie fait observer que l’auteur n’a pas étayé d’allégation de violation de ces articles aux fins de la recevabilité. Il souligne que le Comité a rappelé à de nombreuses occasions que la détention prolongée dans le quartier des condamnés à mort ne constituait pas une violation des articles 7 et 10 en l’absence d’autres circonstances impérieuses . Il déclare que les faits et les circonstances de chaque cause doivent être examinés et note que, par le passé, le Comité a tenu compte des facteurs particuliers concernant la personne de l’auteur, des conditions spécifiques de détention dans le quartier des condamnés à mort et du fait de savoir si la méthode d’exécution prévue est particulièrement ignominieuse. Aucune circonstance de cet ordre n’existe en l’espèce. En outre, l’État partie déclare que lorsque la durée en attendant l’exécution est le fait de l’accusé, notamment lorsqu’il s’évade de prison, celui ‑ci ne doit pas pouvoir profiter de ce délai. Dans l’affaire à l’examen, la longueur de la détention est due aux propres actes criminels de l’auteur, à son évasion et aux vols qu’il a commis au Canada .

4.11 Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 6, l’État partie déclare que le conseil n’a fourni aucun texte à l’appui de son argument selon lequel la mise en détention d’une personne pour crimes commis dans un État bien que celle ‑ci ait été condamnée à mort dans un autre État soulève un grief au titre de l’article 6. L’auteur a été condamné au Canada pour des vols qu’il avait commis dans ce pays et n’est pas passible de la peine capitale au Canada.

4.12 L’État partie déclare que l’auteur n’a pas suffisamment étayé l’allégation de violation de l’article 6 en raison de son expulsion du Canada. Il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle «si un État partie prend une décision à l’égard d’un individu qui relève de sa juridiction et que la conséquence nécessaire et prévisible de cette décision est que les droits de l’individu, en vertu du Pacte, seront violés dans une autre juridiction, l’État partie lui ‑même peut commettre une violation du Pacte» . L’État partie renvoie également à la décision du Comité dans l’affaire Reid c. Jamaïque , dans laquelle le Comité a établi que la disposition de l’article 6 selon laquelle la peine de mort ne peut être «prononcée que selon la législation en vigueur» impliquait que les garanties d’ordre procédural prescrites dans le Pacte ont été observées . Selon l’État partie, si les garanties de procédure énoncées dans le Pacte ont été respectées, il n’y a pas violation de l’article 6. La seule question relative aux garanties judiciaires soulevée par l’auteur a été celle des moyens restreints de faire appel de la condamnation et de la peine autorisés en vertu de la législation de l’État de Pennsylvanie. À ce sujet, l’État partie considère que l’auteur n’a pas montré qu’il avait été privé de son droit de saisir une juridiction supérieure et il renvoie, mutatis mutandis, à ses observations concernant le paragraphe 5 de l’article 14 exposées ci ‑après.

4.13 Pour ce qui est du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’État partie avance plusieurs arguments pour prouver qu’aucun grief n’existe au regard de cet article. Tout d’abord, il fait valoir que la plainte repose sur la législation de l’État de Pennsylvanie (États ‑Unis) et non pas sur la législation canadienne. En conséquence, l’auteur n’a pas à première vue de grief contre le Canada.

4.14 Deuxièmement, l’État partie souligne que le droit de l’auteur de faire examiner sa cause par une juridiction supérieure devrait être considéré au regard de l’article 6 et non pas séparément au regard de l’article 14. Il fait valoir que compte tenu de l’interprétation du paragraphe 2 de l’article 6 donnée par le Comité, selon laquelle les garanties d’ordre procédural prévues dans le Pacte, y compris le droit de faire appel devant une juridiction supérieure tel qu’il est énoncé au paragraphe 5 de l’article 14, doivent être respectées, dans la mesure où la communication soulève des questions au titre de l’article 6, ce droit d’examen doit être traité au titre de l’article 6 uniquement.

4.15 Troisièmement, l’État partie fait valoir que la détention de l’auteur au Canada et son expulsion ne soulèvent pas de griefs au regard de l’article 14 car l’incarcération de l’auteur pour les vols commis au Canada n’avait pas de conséquence nécessaire et prévisible sur son droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et sa condamnation en Pennsylvanie. Il ajoute que l’expulsion de l’auteur n’avait pas de conséquence nécessaire et prévisible sur ses droits en appel car l’appel de l’auteur avait déjà été examiné en 1991, alors qu’il était emprisonné au Canada.

4.16 L’État partie fait valoir que bien qu’aux États ‑Unis les droits d’un détenu puissent être restreints lorsque celui ‑ci s’évade de prison, l’auteur n’a pas étayé son allégation de violation du droit de faire examiner sa cause par une juridiction supérieure. Il joint le texte de l’arrêt de la Cour suprême de Pennsylvanie concernant l’appel de l’auteur, indiquant que la Cour suprême est mandatée par la loi pour examiner toutes les condamnations à mort et déclarer en particulier si les preuves sont suffisantes pour maintenir une condamnation pour assassinat. Cet examen selon la loi a été effectué dans le cas de l’auteur le 22 octobre 1991, lors d’une audience où l’auteur était représenté par un avocat. La Cour suprême a confirmé à la fois la déclaration de culpabilité et la condamnation. Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle le juge du fond aurait commis des erreurs en donnant ses instructions au jury et ces erreurs n’auraient pas été prises en compte par la Cour suprême, l’État partie objecte qu’à supposer que le juge ait effectivement commis de telles erreurs, après examen réaliste des preuves, le jury, même s’il avait reçu des instructions appropriées, n’aurait pu en arriver à une conclusion autre que celle à laquelle il est parvenu.

4.17 L’État partie ajoute que l’auteur peut encore exercer deux recours supplémentaires. Le premier consiste à déposer une requête auprès du tribunal de première instance en vertu de la loi de Pennsylvanie sur les recours après condamnation (PCRA), qui peut être saisie de questions de constitutionnalité. D’après l’État partie, l’auteur a déjà déposé une requête en vertu de cette loi. Le deuxième recours consiste à déposer une demande d’ordonnance d’ habeas corpus auprès de la Cour de district des États ‑Unis pour le district est de Pennsylvanie. Cette juridiction est habilitée à annuler les décisions des tribunaux du Commonwealth de Pennsylvanie si elle considère que les condamnations ont été prononcées dans le non ‑respect des droits garantis aux accusés en vertu de la loi fédérale. Si l’auteur n’obtient pas gain de cause à l’issue de ces deux recours il peut saisir les juridictions supérieures et, en dernier lieu, la Cour suprême des États ‑Unis.

4.18 En outre, l’État partie fait valoir que l’auteur peut adresser un recours en grâce au Gouverneur de la Pennsylvanie ou demander que sa peine soit commuée en une peine moins lourde. Le fait que l’auteur se soit évadé ne l’empêche pas de faire une telle demande. Selon l’État partie, en raison de tous les recours dont les condamnés à mort peuvent se prévaloir, deux exécutions seulement ont eu lieu en Pennsylvanie dans les 30 dernières années.

4.19 Enfin, pour ce qui est de la recevabilité de la communication dans son ensemble, l’État partie affirme que celle ‑ci est incompatible avec les dispositions du Pacte, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif et du paragraphe 1 de l’article 5 du Pacte. Il fait observer que les dispositions du Pacte ne doivent pas être invoquées comme une protection contre la responsabilité pénale et que l’auteur ne doit pas être autorisé à invoquer sur le Pacte pour soutenir qu’il n’aurait pas dû être poursuivi au Canada pour les crimes qu’il y a commis. En outre, le Pacte ne doit pas être invoqué par des individus qui, en raison de leurs propres actes criminels, se sont eux ‑mêmes privés de certains droits. L’État partie fait valoir que les allégations de l’auteur sont contradictoires. Il affirme, d’une part, que l’expulsion de l’auteur du Canada vers les États ‑Unis constitue une violation de l’article 6 et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et, d’autre part, que sa détention constitue une violation des articles 7 et 10. En conséquence, le Canada aurait commis une violation du Pacte en expulsant l’auteur et en ne l’expulsant pas.

Observations de l’État partie sur le fond

5.1 Pour ce qui est de l’allégation de violation des articles 7 et 10, l’État partie déclare que, contrairement à ce qui ressort des observations de l’auteur, le «syndrome du quartier des condamnés à mort» n’est pas seulement l’angoisse extrême que connaissent les détenus condamnés à mort, mais est dû également à d’autres facteurs, notamment au fait que des dates sont fixées régulièrement puis que des sursis à exécution sont accordés, aux mauvais traitements physiques, à une alimentation insuffisante et à l’isolement.

5.2 En ce qui concerne la demande faite par le conseil de surseoir à l’expulsion de l’auteur jusqu’à ce que le Canada ait reçu une demande d’extradition et l’assurance que la peine capitale ne serait pas appliquée, l’État partie relève que les États ‑Unis n’ont pas l’obligation de demander l’extradition d’un fugitif ou de donner de telles assurances. Le Gouvernement canadien ne peut pas raisonnablement attendre qu’une telle demande soit faite ou que de telles assurances soient données avant d’expulser des fugitifs aux États ‑Unis. Le danger représenté par un fugitif restant impuni, l’absence de base autorisant la détention d’un fugitif dans l’attente d’une demande d’extradition et l’importance de ne pas offrir une protection aux personnes accusées ou reconnues coupables de meurtre justifient qu’une telle obligation ne soit pas imposée. En outre, le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration est également tenu par la loi d’exécuter une mesure d’expulsion dès qu’elle est raisonnablement applicable.

5.3 À propos de l’allégation de violation de l’article 6 et de l’argument de l’auteur qui affirme que des erreurs ont été commises lors de son procès en Pennsylvanie, ce qui aurait donné matière à un recours en appel, l’État partie déclare qu’il n’appartient pas au Comité d’apprécier les faits et les éléments de preuve examinés lors d’un procès à moins qu’il puisse être prouvé qu’il y a eu décision arbitraire ou déni de justice . Selon l’État partie, il serait inapproprié d’imposer au Comité l’obligation d’examiner la procédure devant les tribunaux, d’autant plus qu’elle a eu lieu aux États ‑Unis.

5.4 Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14, l’État partie fait observer qu’il n’est pas spécifié dans cet article quel type d’examen doit être possible et renvoie aux travaux préparatoires, d’où il ressort, d’après lui, qu’il avait été envisagé une disposition de portée étendue établissant le principe du droit au réexamen des décisions mais laissant aux États parties la faculté de déterminer le type de procédure conformément à leur propre système juridique .

5.5 L’État partie souligne à nouveau que la cause de l’auteur a été examinée par la Cour suprême de Pennsylvanie. Il indique qu’à l’origine, en Pennsylvanie, un accusé qui s’évadait de prison était considéré comme déchu de son droit à un recours complet en appel, mais que la Cour suprême de cet État s’est récemment écartée de ce principe en statuant qu’un fugitif devait pouvoir exercer ses droits de recours après le procès comme il l’aurait fait s’il ne s’était pas évadé. L’État partie précise qu’il faut à cette fin que le fugitif revienne à temps pour déposer une requête après jugement ou faire recours en appel. Il note également que des exceptions peuvent être faites pour ce qui est des délais de dépôt des requêtes et que des retards sont autorisés .

Commentaires de l’auteur au sujet des observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1 Pour ce qui est des arguments de l’ é tat partie relatifs au non ‑épuisement des recours internes concernant la détention de l’auteur au Canada, l’auteur objecte que ce n’est qu’en 1993, près de cinq ans après avoir été condamné pour vols, que l’auteur a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion. Il aurait pu bénéficier rapidement d’une libération conditionnelle aux fins de son expulsion aux États ‑Unis et n’aurait alors pas pu savoir, en 1988, que le Canada déciderait de le maintenir en détention pendant toute la durée de sa peine, soit 10 ans. En outre, l’auteur ne pouvait pas savoir en 1988 que bien que les États ‑Unis aient été disposés à demander l’extradition, ils ne le feraient pas car «en définitive l’expulsion de l’auteur aux États ‑Unis semblait moins problématique».

6.2 Pour ce qui est de la question de s’adresser à la Commission nationale des libérations conditionnelles, y compris de faire recours des examens annuels, l’auteur fait valoir que des recours de cette nature auraient été inefficaces car, se fondant sur les éléments de preuve, la Commission ne pouvait qu’estimer que «s’il était libéré», l’auteur causerait probablement, notamment, de graves préjudices à autrui avant l’expiration de la durée de la peine. Toutefois, comme en réalité l’auteur n’aurait pas été libéré à l’achèvement des deux tiers de sa peine, mais aurait été remis au Service de l’immigration pour être expulsé, les autorités pénitentiaires n’auraient pas dû au départ soumettre le cas de l’auteur à la Commission des libérations conditionnelles. Une fois saisie de l’affaire, la Commission n’aurait pas pu refuser de se prononcer sur le risque de préjudices au cas où l’auteur serait libéré.

6.3 Au sujet de la possibilité de demander un transfert aux États ‑Unis en application du traité relatif au transfert des délinquants, l’auteur répond que les deux États parties doivent donner leur accord pour un tel transfert et que le Canada ne l’aurait jamais donné étant donné qu’il refusait d’expulser l’auteur avant que ce dernier n’ait purgé l’intégralité de sa peine d’emprisonnement. En outre, l’auteur affirme que ce n’est pas à lui qu’il devrait incomber d’engager des recours judiciaires, qui auraient tous été inutiles, pour accélérer son retour dans la juridiction où il avait été condamné à mort.

6.4 Pour ce qui est de la possibilité de faire appel de la décision de la Cour supérieure du Québec, l’auteur fait observer que celle ‑ci a été rendue oralement le 6 août 1998 vers 20 heures. Le Gouvernement canadien a procédé à l’expulsion dans les premières heures du 7 août 1998, avant que toute procédure en appel ne puisse être engagée. En conséquence, selon lui, tout recours en appel n’aurait plus eu d’objet et aurait été inutile car le fond même de la cause ne relevait plus de la juridiction canadienne.

6.5 L’auteur rappelle que le juge de la Cour supérieure s’est déclaré incompétent pour surseoir à l’expulsion de l’auteur car la Cour fédérale avait refusé d’intervenir. Il fait valoir que le juge s’est lancé dans l’analyse de l’affaire sur le fond, mais qu’il n’aurait pas dû le faire puisqu’il s’était déclaré incompétent et qu’un recours en appel, s’il n’avait pas été sans objet, aurait porté uniquement sur la question de savoir si le juge aurait dû se déclarer incompétent et non pas sur celle de savoir si le conseil avait prouvé que les droits de l’auteur en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés avaient été violés.

6.6 L’auteur réfute l’argument de l’État partie concernant l’incompatibilité et déclare que la théorie selon laquelle, si les crimes commis par l’auteur au Canada étaient restés impunis, un précédent aurait été créé signifiant que les personnes condamnées à mort dans un État pourraient commettre des crimes en toute impunité dans un autre État, est fondamentalement erronée. Il affirme qu’au contraire, si les condamnés à mort savaient qu’ils seraient poursuivis pour crimes au Canada, ils seraient incités à commettre ces crimes au Canada afin de subir leur peine dans ce pays et de rester en vie, ou même à commettre un meurtre au Canada, l’exécution aux États ‑Unis étant ainsi indéfiniment reportée. Si l’auteur avait été «renvoyé selon une procédure d’expulsion après avoir été arrêté au Canada en 1988, il aurait eu peu d’arguments à avancer».

6.7 L’auteur réfute les arguments de l’État partie sur le fond de l’affaire. Il confirme qu’il n’est pas fondé à affirmer que la détention au Canada pour des crimes commis dans ce pays peut être assimilée à une détention dans le quartier des condamnés à mort car il n’existe pas de cas de ce type. Il déclare que l’angoisse extrême caractérisant la détention dans le quartier des condamnés à mort a commencé lors de l’arrestation de l’auteur au Canada en 1988 et qu’elle «ne cessera qu’avec son exécution aux États ‑Unis».

6.8 Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie qui estime que la décision prise dans l’affaire Pratt et Morgan permet de considérer qu’un détenu ne peut pas se plaindre lorsqu’il est lui ‑même responsable de la longueur de la procédure qui intervient, notamment lorsqu’il s’est «évadé de prison», l’auteur déclare qu’il s’agit d’une interprétation erronée. Il reconnaît que la période au cours de laquelle l’auteur était en liberté n’est pas prise en compte dans le délai intervenu, mais souligne que cette période a commencé à partir de son arrestation par les autorités canadiennes. Il ajoute qu’il n’a pas été placé en détention au Canada en raison de son évasion, mais parce qu’il avait été jugé et condamné pour vol.

6.9 Pour ce qui est de l’évocation par l’État partie des conditions de détention dans l’Unité de traitement spécial, l’auteur souligne qu’il s’agit des seuls locaux de sécurité maximale de ce type existant au Canada et qu’il a été contraint de vivre dans des «conditions effroyables». Il déclare également que la décision prise par la Commission nationale des libérations conditionnelles visant à le maintenir en détention pendant l’intégralité des 10 ans de sa peine et les réexamens annuels qui ont suivi confirmant cette décision ont constitué une sorte de sursis, même temporaire, à son retour aux États ‑Unis où il devait être exécuté. À ce sujet, l’auteur renvoie au débat sur ce point lors de l’examen de l’affaire Pratt and Morgan par le Conseil privé, au cours duquel Lord Griffith a décrit l’angoisse éprouvée par les détenus condamnés qui sont sur le point d’être exécutés, puis bénéficient d’un sursis.

6.10 L’auteur fait valoir que son renvoi dans une juridiction où ses droits d’appel sont restreints constitue une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, ce paragraphe devant être lu conjointement avec l’article 6 du Pacte. Pour ce qui est de la question de l’examen par la Cour suprême de Pennsylvanie de son cas, l’auteur maintient que cette dernière a refusé d’examiner toute allégation d’erreur lors du procès et a donc examiné les éléments de preuve, puis a décidé de maintenir la déclaration de culpabilité et la condamnation. Les questions concernant notamment la justesse des instructions données au jury ne sont pas prises en considération dans ce type d’audience.

6.11 Sans demander au Comité d’examiner les comptes rendus d’audience du procès pour assassinat, l’auteur souligne également les erreurs qui auraient été commises au cours de ce procès, dont l’issue aurait pu être différente. Il mentionne une question posée par les membres du jury qui souhaitaient être éclairés sur la différence entre l’assassinat, le meurtre et l’homicide involontaire. Le jury n’a pas reçu de réponse car l’avocat de l’auteur n’avait pas pu être joint. Lorsque l’avocat s’est présenté, le lendemain, le jury était prêt à rendre son verdict sans avoir obtenu de réponse à ses demandes d’éclaircissement. Un verdict de culpabilité d’assassinat a alors été rendu.

6.12 L’auteur fait valoir que si un mécanisme autorisant un examen restreint des décisions judiciaires peut être considéré comme acceptable dans les cas de crimes n’entraînant pas la peine capitale, il est tout à fait inacceptable, lorsque la vie de l’accusé est en jeu, que celui ‑ci soit dans l’impossibilité de demander qu’une allégation d’erreur lors du procès soit examinée.

6.13 À propos de la possibilité d’invoquer la loi de Pennsylvanie sur les recours après condamnation (PCRA), l’auteur confirme qu’il a effectivement tenté d’exercer ce recours en déposant une requête après son expulsion aux États ‑Unis. Sa requête a été rejetée le 21 juillet 1999 et, compte tenu de l’affaire antérieure Commonwealth v. Kindler , il a été déclaré que la condition de fugitif de l’auteur l’avait déchu du droit d’exercer le recours prévu. L’auteur ajoute que sa demande de recours en vertu de la PCRA ayant été rejetée, il ne peut pas faire de demande en habeas corpus auprès des autorités fédérales, le recours en vertu de la PCRA ayant été rejeté en raison du non ‑respect d’un texte de l’État.

6.14 Quant à la possibilité de demander au Gouverneur de commuer la peine en une peine à perpétuité, l’auteur déclare que le Gouverneur est élu pour occuper des charges politiques et n’est pas habilité à examiner de façon indépendante et neutre des décisions de justice. Il déclare que le Gouverneur n’a aucune fonction qui puisse répondre aux conditions du paragraphe 5 de l’article 14 et de l’article 6 du Pacte.

Examen de la recevabilité

7.1 À sa soixante ‑quinzième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, il s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2 Pour ce qui est du grief concernant les conditions de détention au Canada, le Comité a estimé que l’auteur n’avait pas, aux fins de la recevabilité de sa communication, suffisamment étayé ses allégations.

7.3 En ce qui concerne l’allégation de violation des articles 7 et 10 du Pacte concernant la détention de l’auteur au Canada alors qu’il risquait la peine capitale aux États ‑Unis à l’expiration de sa peine d’emprisonnement au Canada, le Comité a noté que l’auteur n’était pas condamné à mort au Canada, mais qu’il purgeait une peine de 10 ans d’emprisonnement pour vol qualifié. En conséquence, l’auteur n’avait pas soulevé de griefs au titre des articles 7 et 10 du Pacte à cet égard et cette partie de la communication a été déclarée irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif.

7.4 Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 6 en raison de sa détention au Canada pour crimes commis dans ce pays, le Comité a estimé que l’auteur n’avait pas montré aux fins de la recevabilité que le droit à la vie avait été violé du fait de sa détention au Canada pour crimes commis dans ce pays. Cet aspect de la communication a été déclaré irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5 L’État partie avait fait valoir que l’auteur ne pouvait invoquer le Protocole facultatif pour se plaindre de son expulsion aux États ‑Unis, étant donné qu’il n’avait pas fait appel de la décision de ne pas surseoir à l’expulsion de la Cour supérieure du Québec auprès de la cour d’appel et n’avait donc pas épuisé tous les recours internes. Le Comité a noté la réponse de l’auteur sur ce point, à savoir qu’un recours aurait été inutile car il n’aurait porté que sur la question de la compétence et non pas sur le fond de l’affaire, et que l’État partie avait expulsé l’auteur dans les quelques heures qui avaient suivi la décision de la Cour supérieure, rendant ainsi sans objet toute tentative de faire appel de cette décision. Le Comité a noté que l’État partie n’avait pas contesté le fait que l’auteur avait été expulsé très rapidement après que la Cour supérieure eut rendu sa décision et, en conséquence, que l’auteur ait pu ou non faire appel de la décision sur le fond, il a considéré qu’il n’aurait pas été raisonnable d’attendre que l’auteur fasse un recours en appel après son expulsion, considérée en elle ‑même comme une violation du Pacte. C’est pourquoi le Comité n’a pas accepté l’argument de l’État partie selon lequel cette partie de la communication était irrecevable en raison du non ‑épuisement des recours internes.

7.6 En ce qui concerne l’allégation de violation des droits garantis par le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et en conséquence de violation de l’article 6, le Comité a noté que l’auteur avait le droit en vertu de la législation de Pennsylvanie à un recours complet en appel de la déclaration de culpabilité et de la condamnation. De plus, le Comité a noté que, selon les documents fournis par les parties, si les moyens de recours en appel étaient limités du fait que l’auteur était en fuite, la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre lui avaient été examinées par la Cour suprême de Pennsylvanie, qui était tenue d’examiner toutes les affaires de condamnation à mort. Selon ces documents, l’auteur avait été représenté par un conseil et la Cour avait examiné les éléments de preuve et la loi applicable ainsi que les éléments requis pour confirmer une condamnation pour assassinat et l’imposition de la peine capitale. Dans ces circonstances particulières, le Comité a estimé que l’auteur n’avait pas étayé, aux fins de la recevabilité, son allégation selon laquelle le paragraphe 5 de l’article 14 avait été violé et, de ce fait, son expulsion du Canada avait entraîné une violation par le Canada de l’article 6 du Pacte.

7.7 Bien qu’il eût décidé que la plainte au titre du paragraphe 5 de l’article 14 était irrecevable, le Comité a estimé que les faits présentés par l’auteur soulevaient au regard du Pacte deux questions recevables, qui devraient être examinées quant au fond:

1. Étant donné qu’il a aboli la peine de mort, le Canada a ‑t ‑il commis une violation du droit à la vie énoncé à l’article 6 du Pacte, du droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, énoncé à l’article 7, ou du droit de disposer d’un recours utile, énoncé au paragraphe 3 de l’article 2, en expulsant l’auteur vers un État dans lequel il était sous le coup d’une condamnation à mort, sans s’assurer que la peine ne serait pas exécutée?

2. L’État partie a reconnu que l’auteur avait été expulsé vers les États-Unis avant d’avoir pu exercer le droit de faire appel du rejet de sa demande de sursis à l’exécution de l’arrêté d’expulsion devant la Cour d’appel du Québec. Par suite, l’auteur n’a pas pu exercer les autres recours dont il aurait pu disposer. En expulsant l’auteur vers un État où il était sous le coup d’une condamnation à mort avant que celui ‑ci n’ait pu se prévaloir de contester la décision d’expulsion, l’État partie a ‑t ‑il violé les droits garantis par les articles 6, 7 et 2 du Pacte?

Le Comité a conclu qu’étant donné la gravité de ces questions, les parties devraient avoir la possibilité de faire leurs observations à ce sujet avant que lui ‑même ne formule ses constatations sur le fond. En outre, les parties ont été priées de fournir des renseignements sur l’état actuel de la procédure aux États ‑Unis et sur les perspectives d’appel éventuellement offertes à l’auteur. L’État partie a été prié de compléter ses observations sur le fond en répondant aux questions ci ‑dessus et à la demande de renseignements dès que possible et, en tout état de cause, dans les trois mois suivant la date à laquelle la présente décision lui aurait été communiquée. Toutes les déclarations reçues de l’État partie seraient communiquées à l’auteur, qui serait prié de formuler ses observations dans les deux mois.

Réponse de l’État partie sur le fond comme suite à la demande du Comité

8.1 Par une note verbale datée du 15 novembre 2002, l’État partie a répondu aux questions du Comité et a apporté les renseignements supplémentaires qu’il avait demandés.

1. Le Canada a ‑t ‑il commis une violation du Pacte en ne demandant pas l’assurance que la peine de mort ne serait pas appliquée ?

8.2 L’État partie se réfère au paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte qui proclame que le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et garantit que nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. Il fait valoir que le paragraphe 2 de l’article 6 autorise l’application de la peine capitale dans les pays qui ne l’ont pas abolie mais exige qu’elle soit prononcée et appliquée dans des conditions qui respectent les prescriptions de l’article 6.

8.3 L’article 6 ne porte pas explicitement sur les cas où quelqu’un est extradé ou expulsé vers un autre État où il est sous le coup d’une condamnation à mort. Toutefois, l’État partie note que le Comité a considéré que «si un État partie prend une décision concernant une personne sous sa juridiction, dont la conséquence nécessaire et prévisible est que les droits de cette personne en vertu du Pacte seront violés sous une autre juridiction, l’État partie lui ‑même peut violer le Pacte» . Le Comité a donc conclu que l’article 6 s’appliquait à la situation dans laquelle un État partie veut extrader ou expulser un individu vers un État où il risque la peine de mort.

8.4 L’article 6 autorise les États parties à extrader ou expulser un individu vers un État où il risque la peine capitale sous réserve que les conditions relatives à l’imposition de la peine capitale énoncées à l’article 6 soient satisfaites. L’État partie fait valoir que dans le cas d’espèce le Comité ne semble pas douter que l’application de la peine capitale aux États ‑Unis s’effectue dans les conditions prescrites à l’article 6 . Ce que le Comité a demandé, c’est si le Canada avait violé le Pacte en ne demandant pas l’assurance que l’auteur ne serait pas exécuté.

8.5 D’après l’État partie, l’article 6 du Pacte et l’Observation générale n o 14 du Comité sur l’article 6 ne disent rien sur la question de la demande de garanties et aucune autorité légale ne permet d’affirmer que les États abolitionnistes sont tenus d’obtenir des assurances en vertu du droit international. L’État partie objecte que supposer que l’article 6 contient une telle obligation implique de s’écarter considérablement des règles acceptées d’interprétation des traités, notamment du principe qui veut qu’un traité doit être interprété à la lumière de l’intention des États parties, telle qu’elle est reflétée par les termes de l’instrument .

8.6 L’État partie rappelle que le Comité a examiné plusieurs communications portant sur l’extradition ou l’expulsion par le Canada d’individus vers des États où ils risquaient la peine capitale. Dans aucune de ces affaires le Comité n’a exprimé de préoccupation concernant le fait de ne pas demander des assurances. L’État partie fait remarquer aussi que le Comité a dans des décisions précédentes rejeté l’idée qu’un État abolitionniste qui a ratifié le Pacte soit obligatoirement tenu de refuser l’extradition ou de demander l’assurance que la peine de mort ne serait pas appliquée. Dans l’affaire Kindler c. Canada , le Comité des droits de l’homme a demandé si le fait que «le Canada avait aboli la peine capitale…» l’obligeait «à refuser l’extradition ou à demander aux États ‑Unis des assurances … selon lesquelles la peine de mort ne serait pas imposée contre M. Kindler». L’État partie relève que le Comité a déclaré à ce sujet qu’il ne considérait pas «qu’aux termes de l’article 6 du Pacte le Canada soit nécessairement tenu de refuser l’extradition ou de demander des assurances». Le Comité a réitéré cette appréciation dans ses constatations relatives à l’affaire Ng c. Canada et Cox c. Canada .

8.7 En ce qui concerne le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, en vertu duquel les États parties sont tenus de prendre «toutes les mesures voulues pour abolir la peine capitale dans le ressort de leur juridiction», l’État partie renvoie à la conclusion du Comité qui a estimé que pour les États parties au deuxième Protocole facultatif, les dispositions de l’instrument sont considérées comme complémentaires au Pacte, et en particulier à l’article 6 . Il fait valoir que l’instrument ne traite pas de la question de l’extradition ou de l’expulsion dans le cas de quelqu’un qui risque la peine capitale, y compris la question de savoir si des assurances doivent être demandées. L’État partie n’exprime aucun avis sur la question de savoir si l’on peut interpréter l’instrument comme obligeant à demander des assurances mais souligne qu’il n’est pas partie au deuxième Protocole facultatif. Par conséquent, ses actes ne peuvent être examinés qu’au regard des dispositions du Pacte.

8.8 L’État partie fait valoir que quand l’auteur a été expulsé, le 7 août 1998, rien dans la législation interne n’obligeait le Canada à demander aux États ‑Unis l’assurance qu’il ne serait pas exécuté. Si la Cour suprême du Canada ne s’est jamais prononcée sur la question dans le contexte de l’immigration, elle l’a bien traitée dans le contexte de l’extradition, statuant dans l’affaire Kindler v. Canada ( Minister of Justice ) et dans l’affaire Reference Ng Extradition que le fait de laisser au Ministre le pouvoir discrétionnaire de décider s’il devait demander l’assurance que la peine capitale ne serait pas appliquée ne constituait pas une violation de la Constitution du Canada , pas plus que la décision d’extrader Kindler et Ng sans solliciter d’assurances.

8.9 Il fait valoir en outre que la conduite d’un État partie doit être appréciée à la lumière de la loi applicable au moment où la violation de l’instrument est déclarée avoir eu lieu: quand Roger Judge a été expulsé, aucune disposition internationale n’obligeait le Canada à demander l’assurance qu’il ne serait pas exécuté. Cette position est confirmée par l’interprétation du Pacte que le Comité a donnée dans les affaires Kindler, Ng et Cox (supra) . De plus, dans le traité type d’extradition des Nations Unies , l’absence d’assurance que la peine capitale ne sera pas exécutée ne figure pas au nombre des «motifs obligatoires de refus» d’extradition mais est énoncée dans les «motifs facultatifs de refus». Enfin, d’après l’État partie, l’obligation pour les États abolitionnistes de demander des garanties chaque fois qu’ils expulsent un individu dans un pays où il risque la peine capitale relève de la politique intérieure de l’État et n’est pas une obligation légale née du Pacte.

8.10 Sur la question de savoir s’il commet une violation de l’article 7 du Pacte, en renvoyant l’auteur dans un État où il avait été condamné à mort sans demander des assurances, l’État partie fait valoir que le Comité a établi que l’extradition ou l’expulsion dans un pays où l’intéressé encourt la peine capitale, à l’intérieur des paramètres du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte ne constituait pas par elle ‑même une violation de l’article 7 . Il note également la conclusion du Comité qui avait établi qu’il pouvait y avoir des questions relevant de l’article 7 en rapport avec la peine capitale, en fonction des «facteurs personnels» relatifs à l’auteur, des conditions précises de détention dans le quartier des condamnés à mort et de la question de savoir si la méthode d’exécution envisagée est particulièrement horrible» .

8.11 L’État partie fait valoir que dans la présente affaire le Comité a déclaré irrecevables les griefs relatifs aux facteurs personnels de l’auteur, aux conditions de détention dans le quartier des condamnés à mort et à la méthode d’exécution. La seule question qui demeure consiste à déterminer si en ne demandant pas l’assurance que l’intéressé ne sera pas exécuté le Canada commet une violation des droits garantis à l’article 7. D’après l’État partie, si l’imposition de la peine capitale dans le cadre des paramètres énoncés au paragraphe 2 de l’article 6 ne représente pas une violation de l’article 7, le fait de ne pas demander l’assurance que la peine capitale ne sera pas appliquée ne peut pas constituer une violation de ce même article. Une position différente signifierait que prononcer la peine capitale en respectant les paramètres du paragraphe 2 de l’article 6 ne constituerait pas de la part d’un État X une torture ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant mais que l’État qui extraderait vers l’État X sans demander l’assurance que le condamné ne sera pas exécuté serait considéré comme ayant exposé l’intéressé à un risque réel de torture ou de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant. De l’avis de l’État partie, il s’agit là d’une interprétation indéfendable de l’article 7 du Pacte. Pour ces raisons, l’État partie affirme qu’il n’a pas commis de violation de l’article 7 en renvoyant Roger Judge vers les États ‑Unis sans demander de garanties.

8.12 L’État partie relève que le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte oblige les États parties à garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, que les plaintes pour violation des droits soient entendues par les autorités compétentes et que tout recours soit exécutoire. Il rappelle son argumentation relative aux articles 6 et 7 du Pacte et affirme qu’il n’a pas porté atteinte aux droits et libertés garantis par le Pacte à l’auteur. Les obligations découlant du paragraphe 3 a) et c) de l’article 2 du Pacte ne sont pas en jeu en l’espèce.

8.13 Enfin, l’État partie fait valoir que toute personne qui estime que ses droits et libertés ont été violés peut demander aux autorités judiciaires compétentes de statuer et si la plainte est fondée, l’intéressé bénéficiera d’un recours utile. Plus précisément la question de savoir s’il était tenu de demander l’assurance que l’auteur ne serait pas exécuté aurait pu être portée devant les tribunaux internes .

2. Le renvoi de l’auteur vers un État où il est sous le coup d’une condamnation à mort avant d’avoir pu exercer tous les droits pour contester ce renvoi représente ‑t ‑il une violation des droits garantis aux articles 6, 7 et 2 du Pacte ?

8.14 L’État partie reprend, mutatis mutandis , ses arguments en réponse à la première question posée par le Comité. En particulier il réaffirme que l’article 6 et l’Observation générale du Comité à ce sujet ne disent rien sur la question de savoir si l’État est tenu de permettre l’exercice de tous les droits d’appel avant de renvoyer un individu vers un État où il a été condamné à mort. Il n’existe aucun texte autorisant cette proposition et ce serait s’écarter considérablement des règles acceptées d’interprétation des traités que de trouver dans l’article 6 une telle obligation. De l’avis de l’État partie, le paragraphe 4 de l’article 6 et le paragraphe 5 de l’article 14 constituent des garanties importantes à l’égard de l’État partie qui veut prononcer la peine capitale mais ne s’appliquent pas à l’État partie qui expulse ou extrade un individu vers un État où il est condamné à mort.

8.15 L’État partie explique que l’article 48 de la loi sur l’immigration dispose qu’un arrêté d’expulsion doit être exécuté dès qu’il est raisonnablement possible de le faire sous réserve des sursis administratifs ou judiciaires. Ainsi quand il n’y a pas de demande de sursis, l’arrêté d’expulsion est obligatoire et le Ministre est légalement tenu de l’exécuter dès qu’il est raisonnablement possible de le faire, n’ayant que peu de marge de discrétion à ce sujet. Dans le cas d’espèce, l’État partie fait valoir qu’aucun des sursis administratifs prévus aux articles 49 et 50 de la loi sur l’immigration n’était applicable à l’auteur et que ses demandes de sursis judiciaire ont été rejetées par les tribunaux saisis.

8.16 L’État partie fait valoir que la demande d’autorisation de déposer une demande de contrôle juridictionnel pour contester la réponse négative du Ministre, demande qui comportait un mémoire exposant l’argumentation en détail, a été examinée par la Cour fédérale avant d’être rejetée. La Cour supérieure du Québec a également examiné la même demande et l’a rejetée pour des raisons de procédure et des raisons de fond. L’une et l’autre juridiction ont considéré qu’il n’y avait pas de motif suffisant pour ordonner le sursis à exécution de la mesure. Si l’État partie devait accorder des sursis à l’exécution des arrêtés d’expulsion jusqu’à ce que tous les recours possibles aient pu être épuisés, cela signifierait que des personnes comme l’auteur qui ont commis des crimes graves demeureraient sur le territoire canadien pendant des périodes considérablement plus longues, ce qui entraînerait une prolongation excessive de la procédure d’expulsion sans la moindre garantie que de grands criminels, comme l’auteur, puissent être maintenus en détention pendant toute la durée des procédures de recours .

8.17 Sur la question de savoir s’il y a eu violation de l’article 7 à cet égard, l’État partie reprend mutatis mutandis ses arguments en réponse à la première question du Comité. En particulier, si l’imposition de la peine capitale dans la limite des paramètres énoncés au paragraphe 2 de l’article 6 ne constitue pas une violation de l’article 7, le fait que l’État ne permette pas l’exercice de tous les recours judiciaires possibles avant de renvoyer l’intéressé dans l’État où il est condamné à mort ne peut pas constituer une violation de l’article 7. L’État partie fait valoir que la question cruciale est de déterminer si l’État partie qui a prononcé la peine capitale a satisfait aux conditions énoncées à l’article 6 et dans d’autres dispositions du Pacte, et non pas si l’État partie qui renvoie un individu dans l’État où il est condamné à mort a donné à cet individu suffisamment de possibilités d’obtenir la révision judiciaire de la décision de le renvoyer.

8.18 En ce qui concerne le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie objecte qu’il n’a pas commis de violation de l’un quelconque des droits garantis à l’auteur car celui ‑ci a bénéficié d’un contrôle juridictionnel suffisant de l’arrêté d’expulsion, avant d’être renvoyé aux États ‑Unis, et que la question de savoir si son renvoi constituerait une violation de ses droits fondamentaux a également été examinée.

8.19 En ce qui concerne la situation actuelle de l’auteur aux États-Unis, l’État partie indique que les services du Procureur du district de Philadelphie (État de Pennsylvanie) l’ont informé que l’auteur était incarcéré dans une prison d’État et que la date de son exécution n’avait pas été fixée.

8.20 Le 23 mai 2002, la Cour suprême de Pennsylvanie a rejeté la demande de recours après condamnation déposée par l’auteur. Celui ‑ci a récemment formé un recours en habeas corpus auprès de la Cour de district fédérale et si la décision est négative, il peut se pourvoir devant la cour d’appel fédérale pour la troisième circonscription. Ensuite, il peut se pourvoir devant la Cour suprême des États-Unis. S’il est débouté de ses recours au plan fédéral, l’auteur peut déposer une demande de grâce auprès du gouverneur de l’État. De plus, l’État partie réaffirme que, d’après les informations de l’État de Pennsylvanie, il n’y a eu que trois exécutions depuis la réintroduction de la peine capitale, en 1976.

8.21 Sans préjudice de l’un quelconque des arguments exposés plus haut, l’État partie informe le Comité des faits nouveaux survenus depuis les événements à l’origine de l’affaire. Le 15 février 2001, la Cour suprême du Canada a statué, dans l’affaire United States v. Burns que le Gouvernement devait dans tous les cas, sauf circonstances rigoureusement exceptionnelles, demander l’assurance que la peine capitale ne serait pas appliquée avant d’extrader un individu vers un État où il risque la peine de mort. L’État partie ajoute que le Service canadien de la citoyenneté et de l’immigration a entrepris d’étudier les incidences possibles de cette décision sur les expulsions auxquelles il peut procéder.

Réponse de l’auteur sur le fond, comme suite à la demande du Comité

9.1 Par une lettre datée du 24 janvier 2003, l’auteur a répondu à la demande de renseignements qui lui avait été adressée par le Comité et a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il fait valoir qu’en s’appuyant sur la décision du Comité dans l’affaire Kindler c.  Canada pour affirmer que dans des affaires d’extradition ou d’expulsion le Pacte n’est pas nécessairement violé par un État abolitionniste s’il ne demande pas l’assurance que la peine capitale ne sera pas appliquée, l’État partie donne une interprétation erronée non seulement des faits de l’affaire Kindler mais aussi de l’incidence de la décision rendue par le Comité.

9.2 Tout d’abord, l’auteur fait valoir que l’affaire Kindler portait sur une extradition et non pas sur une expulsion. Il rappelle que le Comité avait déclaré qu’il y aurait eu violation du Pacte «si la décision d’extrader sans avoir obtenu des assurances avait été prise arbitrairement ou sommairement». Or, comme le Ministre de la justice avait examiné les arguments de M. Kindler avant d’ordonner son extradition sans demander de garanties, le Comité ne pouvait pas conclure que la décision avait été prise «arbitrairement ou sommairement». L’affaire à l’examen porte sur une expulsion et il n’y a donc pas de procédure permettant à l’expulsé de demander l’assurance que la peine capitale ne sera pas exécutée.

9.3 Ensuite l’auteur réitère qu’il a demandé aux tribunaux canadiens de déclarer que son renvoi aux États ‑Unis par voie d’expulsion constituerait une violation des droits qui lui sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, afin d’obtenir la suspension de l’exécution de l’expulsion et de «contraindre» les États ‑Unis à demander son extradition, ce qui lui aurait permis de demander au Ministre de la justice de solliciter l’assurance qu’il ne serait pas exécuté. Étant donné que le Ministre de la justice n’a pas cette faculté dans le cadre de la procédure d’expulsion, l’État partie a pu exclure l’auteur du bénéfice des garanties accordées par le traité d’extradition et l’opportunité de demander des garanties n’a jamais été examinée. L’auteur affirme que les États-Unis auraient demandé son extradition et joint une lettre en date du 3 février 1994 émanant des services du Procureur du district de Philadelphie (versée au dossier de la procédure d’expulsion au Canada) indiquant qu’il engagerait une procédure d’extradition si nécessaire. L’éventuel refus du Ministre de solliciter des assurances aurait alors pu faire l’objet d’un contrôle par les tribunaux internes. En «esquivant» le processus d’extradition et en renvoyant l’auteur condamné à mort, l’État partie aurait commis une violation des droits consacrés aux articles 6 et 7 du Pacte et au paragraphe 3 de l’article 2 car, contrairement à ce qui s’était passé dans l’affaire Kindler , il n’a pas examiné la question de savoir s’il y avait lieu de demander des assurances.

9.4 Pour ce qui est de la question de savoir si l’État partie a violé les droits de l’auteur en l’expulsant avant qu’il ait pu se prévaloir de toutes les possibilités de contester la décision, l’auteur fait valoir que l’interprétation que donne l’État partie de ses obligations est trop restrictive et que les affaires de condamnation à mort exigent un examen particulier. En l’expulsant dans les quelques heures qui ont suivi l’arrêt de la Cour supérieure du Québec (rendu tard dans la soirée) l’État partie aurait fait en sorte que les questions concernant les droits civils soulevées par l’auteur ne puissent pas faire l’objet d’une nouvelle révision.

9.5 L’auteur fait valoir que cette conception restrictive est contraire au libellé de l’Observation générale relative à l’article 2: «Le Comité estime nécessaire d’appeler l’attention des États parties sur le fait que les obligations que leur impose le Pacte ne se limitent pas au respect des droits de l’homme, et qu’ils se sont également engagés à assurer la jouissance de ces droits à toutes les personnes relevant de leur juridiction.». En expulsant l’auteur dans des conditions telles qu’il était certain qu’il ne pourrait se prévaloir de son droit d’appel, l’État partie n’a pas seulement violé le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte mais aussi l’esprit de cette observation générale.

9.6 L’auteur fait valoir que le Ministre a une certaine latitude en vertu de l’article 48 de la loi sur l’immigration et qu’il n’était pas tenu de l’expulser «immédiatement». De même la jurisprudence canadienne reconnaît que le Ministre a le devoir d’exercer cette faculté au cas par cas. Il renvoie à l’affaire Wang v. The Minister of Citizenship & Immigration où le tribunal a statué que «le pouvoir discrétionnaire s’exerce seulement pour déterminer s’il faut ou non recourir à une autre procédure qui peut priver d’effet ou rendre inexécutoire l’arrêté d’expulsion, l’objet de cette procédure étant de déterminer si l’expulsion exposerait l’intéressé à un risque de mort ou d’une autre peine extrême». L’auteur estime que d’après ce principe il n’aurait pas dû être expulsé tant qu’il n’avait pas eu la possibilité de se prévaloir d’un recours en appel. D’après lui, si l’expulsion n’avait pas empêché l’exercice de ce droit d’appel, le système judiciaire canadien se serait encore trouvé saisi de l’affaire quand la Cour suprême du Canada a statué, dans l’affaire United States of America v. Burns , que sauf circonstances rigoureusement exceptionnelles, dans tous les cas où la peine capitale pourrait autrement être appliquée, il faut demander des assurances; il aurait donc bénéficié de cet arrêt.

9.7 En réponse à l’argument de l’État partie (par. 8.13) qui fait valoir que «la question de savoir s’il était tenu de demander l’assurance que l’auteur ne serait pas exécuté aurait pu être portée devant les tribunaux internes», l’auteur objecte que l’État partie a mal interprété sa situation juridique. Les procédures engagées par l’auteur au Canada visaient à obtenir un sursis à la mesure d’expulsion afin de contraindre les États ‑Unis à demander l’extradition et ce n’est qu’à ce moment ‑là que la question de la demande de garanties aurait pu être soulevée.

9.8 En ce qui concerne sa situation juridique actuelle, l’auteur conteste que la date de l’exécution n’a pas été fixée. Il affirme que le Gouverneur a signé le 22 octobre 2002 un ordre d’exécution et que l’exécution avait été fixée au 10 décembre 2002. Toutefois elle a été reportée en attendant que la Cour de district fédérale se prononce sur l’ habeas corpus .

Délibérations du Comité

10.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Question 1. Étant donné qu’il a aboli la peine de mort, le Canada a ‑t ‑il commis une violation du droit à la vie énoncé à l’article 6 du Pacte, du droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, énoncé à l’article 7, ou du droit de disposer d’un recours utile, énoncé au paragraphe 3 de l’article 2, en expulsant l’auteur vers un État dans lequel il était sous le coup d’une condamnation à mort, sans s’assurer que la peine ne serait pas exécutée?

10.2 Pour examiner les obligations du Canada en tant qu’État partie qui a aboli la peine capitale quand il expulse des personnes dans un autre pays où elles sont sous le coup d’une condamnation à mort, le Comité rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Kindler c.  Canada et réaffirme qu’il ne considère pas que le renvoi d’un individu se trouvant dans un pays qui a aboli la peine capitale vers un pays où il est sous le coup d’une condamnation à mort constitue en tant que tel une violation de l’article 6 du Pacte. Le raisonnement du Comité dans cette décision découlait d’une interprétation du Pacte selon laquelle le paragraphe 1 de l’article 6 était lu conjointement avec le paragraphe 2 de ce même article, qui n’interdit pas l’imposition de la peine capitale pour les crimes les plus graves. Le Comité a considéré que comme le Canada n’avait pas prononcé lui ‑même la peine capitale mais avait extradé l’auteur vers les États ‑Unis où il risquait la peine capitale puisqu’elle n’était pas abolie, l’extradition en soi ne constituerait pas une violation par le Canada à moins qu’il n’y ait un risque réel de violation, aux États ‑Unis, des droits garantis par le Pacte. Sur la question des garanties, le Comité a considéré que le texte de l’article 6 n’obligeait pas nécessairement le Canada à refuser l’extradition ou à demander des assurances mais que cette demande devait à tout le moins être envisagée par l’État qui procédait au renvoi.

10.3 Tout en reconnaissant qu’il doit veiller à la cohérence de sa jurisprudence, le Comité relève qu’il peut y avoir des situations exceptionnelles dans lesquelles un réexamen de la portée de l’application des droits protégés par le Pacte est nécessaire, par exemple le cas où une violation alléguée porte sur le droit le plus fondamental − le droit à la vie − et en particulier s’il y a eu une évolution notable dans les faits et dans le droit et des changements dans l’opinion internationale au sujet de la question. Le Comité souligne que la décision invoquée comme jurisprudence a été rendue il y a plus de 10 ans et que depuis lors il est apparu un consensus international grandissant en faveur de l’abolition de la peine capitale et, dans les États qui ne l’ont pas abolie, un consensus grandissant en faveur de la non ‑exécution de cette peine. Le Comité note un fait important, à savoir que depuis l’affaire Kindler , l’État partie lui ‑même a reconnu la nécessité de modifier sa propre loi interne de façon à garantir la protection des personnes qu’il extrade et qui sont sous le coup d’une condamnation à mort dans l’État requérant, avec la décision dans l’affaire United States v. Burns . Dans cette affaire la Cour suprême du Canada a statué que le Gouvernement était tenu de demander des assurances, dans tous les cas sauf circonstances rigoureusement exceptionnelles, que la peine capitale ne serait pas appliquée, avant d’extrader un individu dans un État où il risque la peine capitale. Il est important de relever que selon les termes de cet arrêt «les autres pays abolitionnistes ne procèdent pas, en général, à l’extradition sans obtenir de garanties ». Le Comité estime que le Pacte devrait être interprété comme un instrument vivant et que les droits qu’il protège devraient être appliqués dans le contexte et à la lumière de la situation d’aujourd’hui.

10.4 Pour étudier la question de l’application de l’article 6, le Comité note que, comme il est prescrit par la Convention de Vienne sur le droit des traités, un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. Le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, qui dispose que «le droit à la vie est inhérent à la personne humaine…» est une règle générale qui vise à protéger la vie. Les États parties qui ont aboli la peine de mort sont tenus en vertu de ce paragraphe de protéger la vie dans toutes les circonstances. Les paragraphes 2 à 6 de l’article 6 ont de toute évidence été inclus afin d’éviter que le premier paragraphe de l’article 6 ne puisse être interprété comme abolissant la peine de mort. Cette interprétation de l’article est confortée par les premiers mots du paragraphe 2 («Dans les pays où la peine de mort n’a pas été abolie…») et par le paragraphe 6 («Aucune disposition du présent article ne peut être invoquée pour retarder ou empêcher l’abolition de la peine capitale par un État partie au présent Pacte.»). En effet, les paragraphes 2 à 6 ont la double fonction de créer une exception au droit à la vie du fait de l’existence de la peine de mort et d’imposer des limites à la portée de cette exception. Ce n’est que quand la peine capitale est prononcée alors qu’un certain nombre d’éléments précis sont réunis que l’exception peut s’appliquer. Au nombre de ces éléments restrictifs figure celui qui est exprimé au début du paragraphe 2, c’est ‑à ‑dire que seuls les États «où la peine de mort n’a pas été abolie» peuvent se prévaloir des exceptions créées aux paragraphes 2 à 6. Les pays qui ont aboli la peine de mort sont tenus de ne pas exposer un individu au risque réel de son application. Ils ne peuvent donc pas renvoyer quelqu’un de leur juridiction, par voie d’expulsion ou d’extradition, s’il peut être raisonnablement prévu que l’intéressé sera condamné à mort, sans obtenir la garantie que la peine capitale ne sera appliquée.

10.5 Le Comité reconnaît qu’avec cette interprétation des paragraphes 1 et 2 de l’article 6, les États parties qui ont aboli la peine de mort et ceux qui la maintiennent sont traités différemment. Il considère toutefois qu’il s’agit là d’une conséquence inévitable du libellé de la disposition elle ‑même qui, comme il ressort clairement des travaux préparatoires, visait à concilier des opinions très divergentes sur la question de la peine de mort, afin d’obtenir un compromis parmi les rédacteurs. Le Comité note qu’il ressort des travaux préparatoires que d’une part certains ont exprimé l’idée que l’un des principes fondamentaux du Pacte devrait être l’abolition mais que d’autre part il avait été souligné que la peine capitale existait dans certains pays, pour lesquels l’abolition créerait des difficultés. De nombreux représentants et organes participant à l’élaboration du Pacte considéraient que la peine capitale était une «anomalie» ou un «mal nécessaire». Il semblerait donc logique d’interpréter la règle énoncée au paragraphe 1 de l’article 6 dans un sens large et d’interpréter le paragraphe 2, qui concerne la peine capitale, dans un sens étroit.

10.6 Pour ces raisons, le Comité considère que le Canada, en tant qu’État partie qui a aboli la peine capitale, indépendamment du fait qu’il n’a pas encore ratifié le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort, a commis une violation du droit à la vie garanti au paragraphe 1 de l’article 6 en expulsant l’auteur vers les États-Unis alors qu’il est sous le coup d’une condamnation à mort, sans demander l’assurance qu’il ne serait pas exécuté. Le Comité reconnaît que le Canada n’a pas prononcé lui ‑même la peine capitale mais estime qu’en renvoyant l’auteur vers un pays où il est condamné à mort, il a établi le lien essentiel de la chaîne de causalité qui rendrait possible l’exécution de l’auteur.

10.7 En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel sa conduite doit être appréciée à la lumière de la loi applicable au moment où la violation présumée de l’instrument a eu lieu, le Comité estime que la protection des droits de l’homme évolue et que les droits consacrés par le Pacte devraient en principe être interprétés dans le contexte du moment de l’examen et non, comme l’affirme l’État partie, en se référant à l’époque où la violation présumée a eu lieu. Le Comité note également qu’avant l’expulsion de l’auteur vers les États-Unis, la position du Comité concernant les États parties qui avaient aboli la peine capitale (et étaient parties au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits de l’homme, qui vise à l’abolition de la peine de mort) était en train d’évoluer, passant de la question de savoir si la peine capitale appliquée après expulsion vers un autre État constituerait une violation du Pacte à celle de savoir s’il existait un risque réel d’application de la peine capitale en tant que telle (communication n o 692/1996, A. R. J c. Australie , constatations adoptées le 28 juillet 1997 et communication n o 706/1996, G. T. c. Australie , constatations adoptées le 4 novembre 1997). En outre, les préoccupations de l’État partie concernant la rétroactivité que pourrait supposer la présente approche n’ont pas d’incidence sur les questions distinctes qui doivent être traitées au titre de la question 2 ci-après.

Question 2. L’État partie a reconnu que l’auteur avait été expulsé vers les États ‑Unis avant d’avoir pu exercer le droit de faire appel du rejet de sa demande de sursis à l’exécution de l’arrêté d’expulsion devant la Cour d’appel du Québec. Par suite, l’auteur n’a pas pu exercer les autres recours dont il aurait pu disposer. En expulsant l’auteur vers un État où il était sous le coup d’une condamnation à mort avant que celui ‑ci n’ait pu se prévaloir de toutes les possibilités de contester la décision d’expulsion, l’État partie a ‑t ‑il violé les droits garantis par les articles 6 et 7 et le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte?

10.8 Pour ce qui est de la question de savoir si l’État partie a commis une violation des droits consacrés à l’article 6 et au paragraphe 3 de l’article 2 en expulsant l’auteur vers les États ‑Unis où il était sous le coup d’une condamnation à mort, avant qu’il n’ait pu exercer le droit de faire appel du rejet de sa demande de sursis à l’exécution de l’arrêté d’expulsion devant la cour d’appel du Québec et parce qu’il n’a donc pas pu exercer les autres recours qui auraient pu lui être ouverts, le Comité relève que l’État partie a expulsé l’auteur de sa juridiction dans les heures qui ont suivi la décision de la Cour supérieure du Québec, cherchant apparemment à l’empêcher d’exercer son droit de recours devant la cour d’appel. Les informations dont dispose le Comité ne permettent pas de déterminer clairement dans quelle mesure la cour d’appel aurait pu examiner l’affaire mais l’État partie reconnaît lui ‑même que, comme la Cour supérieure a rejeté la requête de l’auteur pour des raisons de procédure et de fond (voir plus haut, par. 4.5), la cour d’appel aurait pu réexaminer le jugement sur le fond.

10.9 Le Comité rappelle sa décision dans l’affaire A. R. J. c. Australie , affaire d’expulsion dans laquelle il n’avait pas établi de violation de l’article 6 de la part de l’État qui avait renvoyé l’intéressé parce qu’il n’y avait pas de raison de croire qu’il serait condamné à mort et parce que «les autorités judiciaires … [et] les autorités d’immigration saisies de l’affaire [s’étaient] abondamment renseignées» quant à une violation possible de l’article 6. Dans la présente affaire, le Comité estime que, en empêchant l’auteur d’exercer un recours disponible en vertu du droit interne, l’État partie n’a pas démontré qu’il avait suffisamment pris en considération l’argument de l’auteur selon lequel son expulsion dans un pays où il risquait d’être exécuté constituerait une violation de son droit à la vie. L’État partie dispose d’un système de recours conçu pour protéger les droits de tout requérant, y compris l’auteur, et en particulier le plus fondamental de tous – le droit à la vie. Étant donné que l’État partie a aboli la peine de mort, la décision d’expulser l’auteur vers un État où il est condamné à mort sans lui donner la possibilité de se prévaloir d’une voie de recours disponible a été prise arbitrairement et en violation de l’article 6 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

10.10 Ayant conclu à une violation du paragraphe 1 de l’article 6 pris séparément et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, le Comité ne juge pas nécessaire d’étudier si les mêmes faits constituent une violation de l’article 7 du Pacte.

11. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par le Canada du paragraphe 1 de l’article 6, pris séparément et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

12. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité conclut que l’auteur a droit à un recours utile qui devrait consister à effectuer toutes les démarches possibles auprès de l’État dans lequel il a été renvoyé pour empêcher l’exécution de la peine de mort.

13. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Nisuke Ando, membre du Comité, relative à la décision adoptée le 17 juillet 2002 par le Comité concernant la recevabilité de la communication n o  829/1998 ( Judge c. Canada )

Je regrette de ne pouvoir souscrire à la conclusion du Comité énoncée au paragraphe 7.8 dans laquelle le Comité appelle l’attention tant de l’auteur que de l’État partie sur les deux questions qui y sont mentionnées et qui se rapportent aux articles 6, 7 et 2 du Pacte et les invite à présenter leurs observations à ce propos.

Dans sa décision sur la recevabilité de la communication, le Comité indique clairement que la communication est irrecevable en ce qu’elle se rapporte à des questions au titre des articles 7, et 10 (par. 7.4), de l’article 6 (par. 7.5) et du paragraphe 5 de l’article 14 (par. 7.7), et il conclut cependant que les faits présentés par l’auteur soulèvent les deux questions susmentionnées. Je crois comprendre que, dans la présente communication, tant l’auteur que l’État partie ont présenté leur cause à la lumière de la jurisprudence antérieure du Comité relative à l’affaire n° 470/1991 ( J. Kindler c. Canada ) parce que, dans les deux communications, les faits pertinents sont très semblables, voire presque identiques. C’est aussi ce que suggère l’argumentation du Comité dans la présente communication. Dans ces conditions, je considère qu’il est illogique que le Comité conclue, d’une part, que la communication est irrecevable pour ce qui est des questions soulevées au titre des articles 7, 10, 6 et du paragraphe 5 de l’article 14, mais que, d’autre part, cette communication soulève des questions au titre des articles 6, 7 et 2, à moins qu’il ne précise comment ces contradictions apparentes peuvent être levées. La simple référence à «la gravité de ces questions» (par. 7.8) ne suffit pas. D’où la présente opinion individuelle!

( Signé ) Nisuke Ando

Opinion individuelle de M me Christine Chanet, membre du Comité, relative à la décision adoptée le 17 juillet 2002 par le Comité concernant la recevabilité de la communication n o  829/1998 ( Judge c. Canada )

Contrairement à sa position adoptée dans l’affaire Kindler c. Canada , le Comité dans la présente espèce aborde de front la question essentielle: «étant donné qu’il a aboli la peine de mort, le Canada a ‑t ‑il violé le droit de l’auteur à la vie énoncé à l’article 6 du Pacte en l’expulsant vers un État dans lequel il était sous le coup d’une condamnation à mort sans s’assurer que la peine ne serait pas exécutée».

Je ne peux que souscrire à cette approche que j’avais évoquée pour la souhaiter dans le cas Kindler; tel était le point de départ de mon opinion individuelle dans ce dernier cas.

De mon point de vue, une telle interrogation excluait une réponse telle que celle qui est apportée par le Comité dans la présente affaire au regard de la violation par le Canada du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

En effet, la position adoptée par le Comité sur ce point implique que ce dernier se reconnaît compétent pour examiner l’argumentation de l’auteur relative à une éventuelle violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte résultant du caractère irrégulier de la procédure suivie à l’égard de l’auteur aux États ‑Unis; cette approche est identique à celle adoptée dans l’affaire Kindler (art. 14, par. 3).

À mon sens, si le Comité peut se déclarer compétent pour évaluer un risque tenant à la vie (peine de mort) ou à l’intégrité physique (torture), il lui est plus difficile de fonder une constatation de violation dans un État partie au Pacte sur le non ‑respect par un État tiers d’une disposition du Pacte.

Adopter une approche contraire revient à exiger d’un État partie qui met en cause le respect des droits de l’homme dans ses relations avec un État tiers qu’il se porte garant du respect par l’État tiers de tous les droits garantis par le Pacte à l’égard de la personne concernée.

Pourquoi pas? La garantie des droits de l’homme y trouverait certainement son compte, mais des problèmes juridiques et pratiques sont aussitôt posés:

Qu’est ‑ce qu’un État tiers? Qu’en est ‑il d’un État non partie au Pacte? Qu’en est ‑il d’un État partie au Pacte mais étranger à la procédure? L’obligation de l’État partie au Pacte dans ses relations avec les États tiers couvre ‑t ‑elle tous les droits du Pacte ou seulement certains d’entre eux; un État adhérant au Pacte pourrait ‑il faire une réserve pour écarter l’application du Pacte dans ses relations bilatérales avec un État?

Outre la complexité des réponses à ces questions, l’application pratique de la solution «maximaliste» est encore plus délicate.

En effet, le Comité peut s’assurer que l’État partie n’a pas pris de risques inconsidérés; il peut se prononcer éventuellement sur les assurances prises par l’État partie à cette fin mais il ne pourra pas être en mesure d’apprécier réellement si l’État tiers a violé les droits garantis par le Pacte dès lors que cet État n’est pas partie à la procédure.

Aussi le Comité aurait dû, à mon sens, dans le cas présent, éviter de se prononcer, en l’état sur le paragraphe 5 de l’article 14, et attendre la réponse de l’État partie sur la question fondamentale de l’expulsion par un État abolitionniste vers un pays où la personne expulsée risque l’exécution capitale, la question du paragraphe 5 de l’article 14 ne se posant pas dans les mêmes termes suivant que la réponse à la première question est positive ou négative.

Si un État abolitionniste ne peut pas expulser ou extrader une personne vers un État où elle peut être exécutée, cette interdiction rend superfétatoire la question de savoir si la procédure suivie dans cet État est régulière.

En revanche, si le Comité maintient sa jurisprudence Kindler, il conviendra d’analyser de manière approfondie la question des obligations au regard du Pacte d’un État partie dans ses relations avec un État tiers.

( Signé ) Christine Chanet

Opinion individuelle de M. Hipólito Solari Yrigoyen, membre du Comité, relative à la décision adoptée le 17 juillet 2002 par le Comité concernant la recevabilité de la communication n o  829/1998 ( Judge c. Canada ) (dissidente)

Mon opinion individuelle concerne les paragraphes suivants de la décision qui, à mon sens, devraient être libellés comme suit:

Le Comité considère que le conseil de l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, l’allégation selon laquelle le droit à la vie consacré à l’article 6 du Pacte et le droit consacré au paragraphe 5 de l’article 14 ont été violés par l’État partie quand il a expulsé l’auteur vers les États ‑Unis où il est condamné à mort, et estime que sa plainte est compatible avec le Pacte. En conséquence le Comité déclare que cette partie de la communication est recevable et qu’elle doit être examinée au fond.

Examen de la communication quant au fond

En ce qui concerne l’allégation de violation par le Canada de l’article 6 du Pacte, constituée par l’expulsion de l’auteur vers les États ‑Unis, où il est condamné à mort, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que, quand un État qui a aboli la peine de mort, expulse un individu vers un pays où, étant sous le coup d’un arrêt de mort, il peut être exécuté, l’État qui procède à l’extradition doit s’assurer qu’il n’y a pas de risque réel de violation des droits consacrés à l’article 6 du Pacte 1 .

Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que l’auteur pouvait encore exercer des recours supplémentaires en révision: déposer une requête auprès de la juridiction des recours ordinaires en vertu de la loi de Pennsylvanie sur les recours après condamnation, déposer une demande d’ordonnance d’ habeas corpus auprès de la Cour de district des États ‑Unis pour le district est de Pennsylvanie, déposer une requête en grâce auprès du Gouverneur de Pennsylvanie et former un recours auprès de la Cour suprême de Pennsylvanie. Le Comité relève que la révision automatique de la condamnation par la Cour suprême de Pennsylvanie a eu lieu en l’absence de l’auteur puisque celui ‑ci se trouvait incarcéré au Canada. Certes il était représenté par un conseil mais ce tribunal suprême n’a pas procédé à une révision complète de l’affaire; il n’a pas examiné la question de savoir si les preuves avaient été suffisantes ni les possibles erreurs judiciaires ni la question de l’adéquation de la peine. Ce genre de révision ne satisfait pas aux garanties prévues au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte qui exige une évaluation complète des preuves et de tous les incidents d’instance. Le Comité estime que de telles insuffisances dans une affaire de condamnation à mort équivalant à une violation du droit à un procès équitable en infraction au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte; il estime en outre que le fait que l’auteur se soit enfui des États ‑Unis pour éviter la peine de mort n’exonère pas le Canada des obligations qu’il a contractées en vertu du Pacte. Pour ces raisons, le Comité considère que l’État partie a commis une violation de l’article 6 du Pacte en conséquence de la violation du paragraphe 5 de l’article 14.

Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui fait valoir qu’il ne pouvait s’appuyer sur aucune loi pour maintenir l’auteur en détention, à expiration de sa condamnation et qu’il était donc obligé de l’expulser. Le Comité estime que cette réponse n’est pas satisfaisante pour trois raisons: 1) l’État partie a expulsé l’auteur en sachant que celui ‑ci n’aurait pas la possibilité de former recours contre le jugement dans une affaire de peine capitale; 2) il a expulsé l’auteur si rapidement que celui ‑ci n’a pas pu former recours contre l’arrêté d’expulsion; 3) en l’espèce le Canada a agi unilatéralement et ne peut pas invoquer les obligations découlant du traité d’extradition signé avec les États ‑Unis étant donné que ce pays n’a à aucun moment demandé l’extradition de l’auteur.

Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que le Canada a violé l’obligation qui lui est faite à l’article 2 du Pacte de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte car, quand il a expulsé l’auteur vers les États ‑Unis il n’a pas pris les précautions nécessaires pour s’assurer que les États ‑Unis respecteraient entièrement les droits consacrés à l’article 6 et au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Le Comité des droits de l’homme demande à l’État partie de faire d’urgence tout ce qui est en son pouvoir pour éviter que la peine de mort ne soit appliquée ou pour permettre la révision complète de la déclaration de culpabilité et de la condamnation. L’État partie est tenu de veiller à ‑ce que de telles violations ne se reproduisent pas à l’avenir.

Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à leur assurer un recours utile et exécutoire en cas de violation, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente décision. L’État partie est également prié de rendre publique la présente décision.

( Signé ) Hipólito  Solari Yrigoyen

Opinion individuelle de M. Rajsoomer Lallah, membre du Comité (concordante)

J’approuve entièrement la révision par le Comité de l’approche qu’il avait adoptée dans le cadre de l’affaire Kindler c. Canada en ce qui concerne l’interprétation correcte à donner au «droit inhérent à la vie» garanti par le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte. Cette interprétation révisée est fort bien expliquée aux paragraphes 10.4 et 10.5 des présentes constatations du Comité. Je souhaite néanmoins formuler trois observations.

Premièrement, s’il est encourageant de noter, comme le fait le Comité au paragraphe 10.3 des présentes constatations, qu’il y a un consensus international grandissant en faveur de l’abolition de la peine capitale, il convient de rappeler que, même à l’époque où le Comité élaborait ses constatations concernant l’affaire Kindler . il y a une dizaine d’années, il était très divisé sur la question des obligations incombant à un État partie en vertu du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte lorsqu’il est confronté à la décision d’expulser ou non un individu vers un autre État où il a été condamné à mort. Pas moins de cinq membres du Comité avaient formulé des opinions dissidentes, précisément sur la nature, l’application et l’interprétation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte. Les raisons qui avaient conduit ces cinq membres à se désolidariser des constatations du Comité sont exposées dans des opinions individuelles figurant en annexe à la présente opinion et portant les lettres A, B, C, D et E. Dans le cas de l’opinion E, seuls les arguments les plus pertinents sont reproduits (par. 19 à 25) .

Ma deuxième remarque est que d’autres dispositions du Pacte, en particulier les articles 5 (par. 2) et 26, peuvent être pris en compte pour interpréter le paragraphe 1 de l’article 6, comme l’ont fait remarquer certains membres du Comité dans leurs opinions individuelles.

Enfin, il est également encourageant de constater que la Cour suprême du Canada a statué que dans des affaires analogues, le Gouvernement devait, sauf circonstances exceptionnelles, obtenir, comme l’a noté le Comité, des garanties. Je me demande dans quelle mesure ces circonstances exceptionnelles peuvent être envisagées étant donné l’autonomie du paragraphe 1 de l’article 6 et le possible impact du paragraphe 2 de l’article 5, ainsi que de l’article 26, qui régit le comportement législatif, exécutif et judiciaire des États parties. C’est là une question sur laquelle le Comité aura à se prononcer le moment venu, dans le cadre d’une autre affaire.

( Signé ) Rajsoomer  Lallah

H. Communication n o  836/1998, Gelazauskas c. Lituanie *

(Constatations adoptées le 17 mars 2003, soixante ‑dix-septième session)

Présentée par : Kestutis Gelazauskas (représenté par M. K. Stungys, conseil)

Au nom de : L’auteur

État partie : Lituanie

Date de la communication : 14 avril 1997

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 mars 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  836/1998 présentée au nom de l’auteur en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 14 avril 1997, est M. Kestutis Gelazauskas, citoyen lituanien purgeant actuellement une peine de prison de 13 ans à la maison centrale n o  2 de Pravieniskes (République de Lituanie). Il affirme être victime d’une violation par la Lituanie des paragraphes 1, 3 g) et 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 4 mai 1994, l’auteur a été condamné, ainsi que son coaccusé, à 13 ans de prison pour le meurtre de M. Michailas Litvinenka, commis le 20 mars 1993. Selon le jugement, la victime a été assassinée à son domicile par les deux accusés après avoir bu ensemble. La victime a été retrouvée dissimulée dans son sofa et, selon les médecins légistes, le décès était dû à des coups assénés sur le corps et à des coups de couteau portés aux yeux, au cœur et aux poumons. Le corps de la victime portait 27 blessures et des traces de tentative de lui scier une jambe. Plusieurs témoins ont affirmé que les accusés leur avaient dit avoir tué la victime tous les deux. Les deux accusés ont été reconnus coupables des faits reprochés et condamnés à la même peine d’emprisonnement.

2.2 Des demandes de pourvoi en cassation ont été soumises à quatre reprises au nom de l’auteur, mais le réexamen de son affaire a toujours été refusé. Le 28 septembre 1995, la mère de l’auteur a présenté une demande de pourvoi en cassation . Le même jour, le conseil de l’auteur a également présenté une demande de pourvoi en cassation, qui a été rejetée par le Président de la Chambre criminelle de la Cour suprême le 8 décembre 1995. Le 2 avril 1996, le conseil de l’auteur a présenté une autre demande de pourvoi en cassation, qui a été rejetée également par le Président de la Cour suprême. Enfin, le 15 avril 1996, le conseil de l’auteur a présenté une dernière demande de pourvoi qui a été rejetée le 12 juin 1996.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur allègue tout d’abord une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte au motif qu’il n’a eu aucune possibilité de faire appel du jugement du 4 mai 1994. Le tribunal de première instance a été en l’espèce la Cour suprême, dont les jugements ne sont pas, en vertu du droit lituanien, susceptibles d’appel. Pour un réexamen d’un tel jugement, il faut présenter une demande de pourvoi en cassation devant la Cour suprême, la décision de réexamen étant à l’entière discrétion du Président de la Cour suprême ou de celui de la Chambre criminelle de la Cour suprême. Toutes les tentatives pour faire aboutir pareille demande ont échoué.

3.2 L’auteur invoque également une violation du paragraphe 1 de l’article 14, parce que l’accusation n’a pas, à ses dires, prouvé qu’il avait l’intention de commettre le délit ni qu’il avait un motif pour le faire et que la Cour n’aurait pas mentionné cet aspect du crime dans le texte du jugement. L’auteur estime donc avoir été reconnu coupable de meurtre avec préméditation de manière illégale . L’auteur affirme également que l’accusation n’a pas prouvé l’existence d’un lien de causalité entre les coups qui auraient été portés par l’auteur et le décès de la victime. Selon l’auteur, la Cour n’a pas établi la cause réelle de la mort. La déclaration de culpabilité et le déroulement du procès n’auraient dès lors pas été équitables.

3.3 Enfin, l’auteur allègue une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte car on l’aurait forcé à reconnaître, pendant l’enquête préliminaire, qu’il avait frappé deux fois la victime. Dans une déposition ultérieure, l’auteur a déclaré qu’il n’avait pas frappé la victime, que c’était son coaccusé qui l’avait poignardée et qu’il avait aidé le coaccusé à se débarrasser du corps. L’auteur prétend avoir avoué parce qu’il a été menacé, battu et induit en erreur par le responsable de l’enquête, M. Degsnys, et que sa mère, qui avait une relation intime avec ce dernier, a été utilisée pour lui extorquer des aveux. D’après l’auteur, l’enquêteur a induit en erreur sa mère en la convainquant d’écrire à l’auteur pour l’inciter à reconnaître qu’il avait frappé la victime afin d’échapper à la peine de mort.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Dans sa réponse du 21 décembre 1998, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

Violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte

4.2 Au sujet de l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’État partie expose les possibilités d’appel dans la procédure lituanienne car le système a fait l’objet d’une réforme quelques mois après la condamnation de l’auteur.

4.3 Au moment de la condamnation, le système judiciaire en vigueur était à deux degrés, avec les tribunaux locaux et la Cour suprême. Les deux degrés de juridiction pouvaient fonctionner en tant que juridiction de première instance et, conformément au Code de procédure pénale en vigueur à l’époque, deux types de recours étaient possibles:

Les décisions judiciaires n’ayant pas encore force exécutoire pouvaient faire l’objet d’un pourvoi en cassation formé devant la Cour suprême dans les sept jours suivant le prononcé du jugement. Les arrêts de la Cour suprême rendus en première instance étaient toutefois des jugements définitifs non susceptibles d’un pourvoi en cassation;

Les jugements rendus par les tribunaux locaux et la Cour suprême, dès qu’ils avaient force exécutoire, pouvaient être contestés par un pourvoi en contrôle ( supervisory protest ) dans un délai d’un an. Seuls le Président de la Cour suprême, le Procureur général et leurs adjoints avaient le droit de former un tel recours. La personne condamnée ou son conseil avait seulement le droit de leur soumettre une demande à cet effet. Si un tel pourvoi était présenté, le «Présidium» de la Cour suprême examinait l’affaire et statuait (rejet du pourvoi en contrôle, classement de l’affaire et acquittement, renvoi de l’affaire en première instance ou autre décision).

4.4 Cette procédure a été applicable jusqu’au 1 er  janvier 1995. Mais, dans l’affaire à l’examen, ni l’auteur ni son conseil n’ont demandé la présentation d’un pourvoi en contrôle une fois la condamnation devenue exécutoire à l’égard de l’auteur.

4.5 Le 1 er  janvier 1995, plusieurs nouveaux textes législatifs portant réforme de la procédure lituanienne sont entrés en vigueur:

La loi du 31 mai 1994 («nouvelle loi d’organisation judiciaire»), entrée en vigueur le 1 er  juillet 1994, a remplacé le système judiciaire à deux degrés par un système à quatre degrés (tribunaux de district, tribunaux d’arrondissement, cour d’appel, Cour suprême);

La loi du 15 juin 1994, entrée en vigueur le 1 er  juillet 1994, a porté entrée en vigueur de la «nouvelle loi d’organisation judiciaire» et fixé les compétences des tribunaux lituaniens durant la période de transition;

La loi du 17 novembre 1994 prévoyait de nouvelles modalités d’appel des décisions n’ayant pas encore force exécutoire et de pourvoi en cassation pour les décisions devenues exécutoires.

4.6 Selon la loi du 15 juin 1994, la Cour suprême, à compter du 1 er  janvier 1995, a compétence pour examiner les pourvois en cassation formés contre toutes les décisions prises par la Cour suprême en première instance. La personne condamnée ou son conseil a le droit de soumettre au Président de la Cour suprême, aux présidents des tribunaux d’arrondissement ou aux présidents des chambres criminelles des juridictions supérieures une demande de pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Selon l’article 419 du Code de procédure pénale, le délai fixé pour la soumission d’une telle demande est d’un an.

4.7 Dans l’affaire à l’examen, l’auteur aurait pu présenter une demande de pourvoi en cassation jusqu’au 4 mai 1995, c’est ‑à ‑dire un an après que sa condamnation fut devenue exécutoire, mais il ne l’a pas fait.

4.8 Le conseil de l’auteur a déposé une demande de pourvoi en cassation le 28 septembre 1995, alors que le délai d’un an avait expiré. Le Président de la Chambre criminelle de la Cour suprême a décidé en conséquence, le 8 décembre 1995, que, conformément au paragraphe 6 de l’article 3 de la loi du 15 juin 1994, la demande de pourvoi en cassation n’était pas recevable. Le même raisonnement vaut pour la demande soumise par le conseil le 2 avril 1996.

4.9 L’État partie souligne également que l’auteur avait le droit de demander un «renouvellement du délai pour le pourvoi en cassation» mais ne s’en est pas prévalu.

4.10 En conclusion, lorsque la condamnation a été prononcée le 4 mai 1994, le Code de procédure pénale alors en vigueur ne laissait aucune possibilité de se pourvoir en cassation. Toutefois, entre le moment où la condamnation est devenue exécutoire et le 1 er  janvier 1995, l’auteur et son conseil avaient le droit de demander au Président de la Cour suprême, au Procureur général ou à leurs adjoints de présenter un pourvoi en contrôle. En outre, entre le 1 er  juillet 1994, date d’entrée en vigueur de la loi du 15 juin 1994, et le 4 mai 1995, l’auteur et son conseil avaient le droit de demander au Président de la Cour suprême, aux présidents des tribunaux d’arrondissement ou aux présidents des chambres criminelles des juridictions supérieures de former un pourvoi en cassation. L’auteur ne s’est prévalu d’aucune de ces possibilités. Les demandes soumises par le conseil de l’auteur le 28 septembre 1995 et le 2 avril 1996 en vue de la formation d’un pourvoi en cassation l’ont été après expiration du délai d’un an.

4.11 En ce qui concerne le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’État partie note que la Cour suprême était l’instance judiciaire la plus élevée de l’État partie à l’époque du jugement rendu dans l’affaire en question, mais que le droit qu’avait l’auteur de demander la présentation d’un pourvoi en contrôle, entre le 4 mai 1994 et le 1 er  janvier 1995, et de demander la présentation d’un pourvoi en cassation entre le 1 er  juillet 1994 et le 4 mai 1995 devrait être considéré comme correspondant à l’exercice du droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation au sens de cette disposition du Pacte.

4.12 Par conséquent, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes et cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Violation présumée du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte

4.13 L’État partie a mentionné plusieurs dispositions de la Constitution et du Code de procédure pénale en soulignant tout d’abord que, durant le déroulement de la procédure à l’encontre de l’auteur, les principes de l’indépendance de la magistrature, de l’égalité devant la loi, du droit à un conseil ou du caractère public du procès, ont été respectés conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

4.14 S’agissant des autres éléments de fait dans l’affaire à l’examen, l’État partie se déclare dans l’impossibilité d’apprécier les preuves et d’en mesurer la force probante étant donné la complexité des pièces et témoignages contenus dans le dossier, ce pouvoir d’appréciation appartenant aux tribunaux.

4.15 L’État partie est par conséquent d’avis que les allégations concernant une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte sont incompatibles avec cette disposition du Pacte et que cette partie de la communication devrait par conséquent être déclarée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

Violation présumée du paragraphe 3 g) de l’article 14

4.16 L’État partie appelle l’attention du Comité sur les dispositions de son Code de procédure pénale en vertu desquelles il est interdit de chercher à obtenir le témoignage des accusés ou d’autres personnes intervenant dans un procès pénal en utilisant la violence, les menaces ou d’autres méthodes illégales.

4.17 L’État partie note que l’auteur a allégué le recours à de telles pratiques illégales sans pour autant avoir exercé le droit que lui reconnaît l’article 52 du Code de procédure pénale de faire appel des mesures et décisions prises par les responsables des interrogatoires, de l’enquête, par le procureur ou le tribunal. L’auteur aurait en outre pu signaler ces éléments au procureur, lequel aurait alors été tenu d’enquêter officiellement à ce sujet.

4.18 L’État partie note également qu’après avoir déposé à l’audience l’auteur n’a pas saisi la Cour d’une plainte en vertu de l’article 267 du Code de procédure pénale. La Cour n’a par conséquent pas pris de décision à ce sujet. En outre, toutes les déclarations faites par l’accusé durant le procès constituent des éléments de preuve et sont examinées par le tribunal lorsqu’il prend sa décision.

4.19 L’État partie estime donc que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes à cet égard et que cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans une lettre du 30 juin 1999, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2 En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14, l’auteur considère que le droit de soumettre au Président de la Cour suprême, au Procureur général ou à leurs adjoints une demande en vue de la présentation d’un pourvoi en contrôle ou d’un pourvoi en cassation ne correspond pas au droit de faire examiner la condamnation ou la déclaration de culpabilité au sens du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte mais constitue bien un recours extraordinaire dont l’exercice est soumis à la seule discrétion desdites autorités, qui n’ont aucune obligation de donner suite.

5.3 La possibilité de présenter un pourvoi en cassation au sens des prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte n’existe que depuis le 1 er  janvier 1995.

5.4 En ce qui concerne le délai d’un an à respecter pour se pourvoir en cassation, qui aurait été dépassé en l’espèce, l’auteur affirme que cette limite fixée par l’article 419 du Code de procédure pénale n’était applicable qu’aux pourvois en cassation tendant à aggraver la situation d’un condamné. Aux termes de cette disposition, « un pourvoi en cassation peut être formé contre une condamnation en vue de l’application d’une loi visant des crimes plus graves […] ou à d’autres fins, tendant à aggraver la situation de la personne condamnée […] » . Or les demandes de présentation d’un pourvoi en cassation soumises les 28 septembre 1995 et 2 avril 1996 l’ont été en vue de faire acquitter l’auteur, et donc d’améliorer sa situation. Ces demandes étaient donc régulières et en l’occurrence le délai d’un an n’était pas applicable.

5.5 L’auteur, signalant une contradiction manifeste entre l’argumentation de l’État partie et la teneur des lettres rejetant les demandes de pourvoi en cassation, explique en outre que la décision du 8 décembre 1995 rejetant sa demande de pourvoi en cassation n’avait pas pour fondement la prescription du délai d’un an mais le fait que « les motifs invoqués dans votre pourvoi en cassation … sont démentis par les éléments de preuve qui ont été examinés par la Cour et pris en considération dans le prononcé du jugement ».

5.6 Lors de la deuxième demande de présentation d’un pourvoi en cassation, présentée le 2 avril 1996, le Président de la Cour suprême a indiqué par écrit le 5 avril 1996 qu’aux termes de la loi, la Cour suprême n’est pas une instance de cassation pour les jugements qu’elle a elle-même prononcés. Il a ajouté que les jugements rendus par la Cour suprême étaient définitifs et non susceptibles d’appel, d’où l’impossibilité d’un nouveau procès. Le Président de la Cour suprême n’a pas mentionné le délai d’un an. La plainte formulée au titre du paragraphe 5 de l’article 4 est donc suffisamment étayée.

5.7 En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14, l’auteur réaffirme que les principes régissant la procédure pénale n’ont pas été respectés et que les conclusions de la Cour ne s’appuient pas sur les faits de la cause.

5.8 En ce qui concerne la violation du paragraphe 3 g) de l’article 14, l’auteur réaffirme qu’il avait avoué pendant l’enquête préliminaire parce qu’il avait été induit en erreur par l’enquêteur et avait subi des violences pendant l’enquête. À l’appui de sa plainte, l’auteur mentionne une lettre écrite par son coaccusé aux parents de l’auteur, les dépositions de M. Saulius Peldzius, qui était en détention avec l’auteur, ainsi que des enregistrements de conversation entre l’auteur et le responsable de l’enquête. De plus, l’auteur déclare avoir porté plainte les 15 et 30 mai 1996 contre le responsable de l’enquête auprès du Procureur général de Lituanie, lequel a décidé, le 12 juin 1996, de ne pas donner suite à sa plainte.

5.9. L’État partie n’a pas formulé d’observations supplémentaires concernant les derniers commentaires de l’auteur.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 En ce qui concerne l’allégation de violation des paragraphes 1 et 3 g) de l’article 14, le Comité note que l’auteur affirme que l’arrêt rendu par la Cour suprême le 4 mai 1994 ne reprend pas les faits de la cause et que, pendant l’enquête, on l’a forcé à avouer avoir commis le meurtre pour lequel il a été condamné par la suite. À cet égard, le Comité a pris note de la déclaration non datée faite par le coaccusé de l’auteur ainsi que du témoignage donné le 15 juin 1995 par un compagnon de cellule, Saulius Peldzius.

6.4 Rappelant qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties, et non au Comité, d’apprécier les faits dans un cas d’espèce, le Comité note que les allégations en question ont été formulées pendant le procès et examinées par la Cour suprême. En outre, les éléments d’information portés à la connaissance du Comité et les arguments avancés par l’auteur ne montrent pas que l’appréciation des faits par les tribunaux ait été manifestement arbitraire ou qu’elle ait représenté un déni de justice. En conséquence, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son allégation de violation des paragraphes 1 et 3 g) de l’article 14 du Pacte et que cette plainte est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, le Comité note l’affirmation de l’État partie selon laquelle cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable pour un non ‑épuisement des recours internes. Le Comité note également que l’auteur a tenté à quatre reprises d’obtenir la présentation d’un pourvoi en cassation visant la décision de la Cour suprême, mais que ses demandes ont été rejetées ou sont restées sans réponse. Considérant que les parties reconnaissent qu’aucun recours interne n’est plus disponible et que la plainte de l’auteur est fondée sur l’absence présumée d’une possibilité de réexamen du jugement du 4 mai 1994, le Comité estime que la plainte doit être examinée simultanément quant à la recevabilité et quant au fond.

Examen quant au fond

7.1 Au sujet de la demande de présentation d’un «pourvoi en contrôle », le Comité note l’affirmation de l’État partie selon laquelle, entre le 4 mai 1994 et le 1 er  janvier 1995, l’auteur avait le «droit de soumettre au Président de la Cour suprême de Lituanie, au Procureur général et à leurs adjoints une demande en vue de la présentation d’un pourvoi en contrôle», que cette possibilité correspond à un droit de réexamen au sens du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et que l’auteur ne s’en est pas prévalu. Le Comité note aussi l’affirmation de l’auteur selon laquelle la décision de présenter un «pourvoi en contrôle» est un droit extraordinaire dont l’exercice est laissé à la seule discrétion de l’autorité à laquelle est soumise la demande et ne constitue par conséquent pas une obligation de réexaminer une affaire jugée en première instance par la Cour suprême.

7.2 En l’espèce, le Comité note qu’aux termes de la dernière phrase du jugement du 4 mai 1994, «ce jugement est définitif et n’est pas susceptible d’appel ou de pourvoi en cassation». Il note également que l’État partie ne conteste pas que la présentation d’un «pourvoi en contrôle» constitue un recours extraordinaire dont l’exercice est laissé à l’entière discrétion du Président de la Cour suprême, du Procureur général ou de ses adjoints. Le Comité estime donc, en l’espèce, que pareille possibilité ne constitue pas un recours à épuiser en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Pacte. Renvoyant en outre à ses constatations concernant la communication n o  701/1996 , le Comité fait observer que le paragraphe 5 de l’article 14 implique le droit à un réexamen complet des points de droit et des faits par une juridiction supérieure. Le Comité considère que la soumission d’une demande en vue de la présentation d’un pourvoi en contrôle ne constitue pas un droit à réexamen par une juridiction supérieure de la déclaration de culpabilité et de la condamnation au sens du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

7.3 Au sujet de la demande de présentation d’un pourvoi en cassation, le Comité note l’affirmation de l’État partie selon laquelle, entre le 1 er  juillet 1994 et le 4 mai 1995, il était possible au Président de la Cour suprême, aux présidents des tribunaux d’arrondissement ou aux présidents des chambres criminelles des juridictions supérieures d’admettre une demande de l’auteur en vue de la présentation d’un pourvoi en cassation, et que cette possibilité constitue un droit au réexamen, au sens du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, et que l’auteur ne s’est pas prévalu de ce droit dans le délai d’un an fixé à compter de la date où le jugement est devenu exécutoire, c’est-à-dire avant le 4 mai 1995, conformément à l’article 419 du Code de procédure pénale de l’État partie. Le Comité note également par ailleurs que l’auteur affirme que la présentation d’un pourvoi en cassation, de même que d’un «pourvoi en contrôle», est un recours extraordinaire dont l’exercice est à la discrétion de l’autorité à laquelle est soumise la demande et ne constitue donc pas une obligation de réexaminer une affaire jugée en première instance par la Cour suprême. Le Comité note en outre l’affirmation de l’auteur selon laquelle le délai d’un an mentionné par l’État partie ne s’applique qu’aux pourvois en cassation ayant pour but d’aggraver la situation de l’accusé.

7.4 Le Comité note que l’État partie n’a communiqué aucune observation sur les arguments de l’auteur concernant les prérogatives du Président de la Cour suprême, des présidents des tribunaux d’arrondissement ou des présidents des chambres criminelles des juridictions supérieures en matière de présentation d’un pourvoi en cassation et le délai fixé pour soumettre une demande en vue de la présentation d’un pourvoi en cassation. Sur ce point, le Comité renvoie aux deux lettres, transmises par l’auteur, en date du 28 décembre 1998 (émanant du Président de la Chambre criminelle de la Cour suprême) et du 5 avril 1996 (émanant du Président de la Cour suprême), rejetant toutes deux une demande en vue de la présentation d’un pourvoi en cassation parce que, respectivement, «les motifs invoqués dans le pourvoi en cassation … sont démentis par les éléments de preuve qui ont été examinés par le tribunal et pris en considération dans le prononcé du jugement» et «la Cour suprême n’est pas une instance de cassation pour les jugements qu’elle a elle ‑même prononcés. Les jugements rendus par la Cour suprême sont définitifs et non susceptibles d’appel». Le Comité note que dans ces lettres, il n’est pas fait référence à un délai.

7.5 Le Comité, prenant en considération les observations de l’auteur relatives au caractère extraordinaire et à la nature discrétionnaire de la présentation d’un pourvoi en cassation, l’absence de réponse de l’État partie sur ces points et la forme et la teneur des lettres rejetant les demandes en vue de la présentation d’un pourvoi en cassation, estime que les éléments dont il est saisi démontrent suffisamment que, dans l’affaire à l’examen, les demandes soumises par l’auteur en vue de la présentation d’un pourvoi en cassation, même si elles auraient dû l’être avant le 4 mai 1995 comme le signale l’État partie, ne constituent pas un recours à épuiser aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Pacte.

7.6 Renvoyant au raisonnement qu’il a développé plus haut au paragraphe 7.2, le Comité estime en outre que ce recours ne correspond pas à un droit de réexamen au sens du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte parce que le pourvoi en cassation ne peut pas être formé devant une juridiction supérieure, contrairement à ce que requiert ladite disposition.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, comportant notamment la possibilité de former un nouveau recours, ou si cela n’est plus possible, d’envisager de le remettre en liberté. L’État partie est tenu de veiller aussi à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

I. Communication n o  838/1998, Hendricks c. Guyana * (Constatations adoptées le 28 octobre 2002, soixante-seizième session)

Présentée par : Oral Hendricks

Au nom de : L’auteur

État partie : Guyana

Date de la communication : 5 juin 1998 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  838/1998 présentée par M. Oral Hendricks en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication est M. Oral Hendricks, de nationalité guyanienne, qui se trouvait à la date de présentation de la communication en détention à la prison de Georgetown (Guyana). Il affirme être victime de violations des droits de l’homme par le Guyana . L’auteur n’invoque aucune disposition particulière du Pacte, mais la communication semble soulever des questions relevant des articles 9 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

1.2 Conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, le Comité s’est adressé à l’État partie le 28 septembre 1998 pour lui demander de ne pas exécuter l’auteur tant que sa communication serait à l’examen .

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur, qui était soupçonné d’avoir tué, le 12 décembre 1992, ses trois beaux ‑enfants âgés de 2, 4 et 7 ans, a été arrêté le 13 décembre 1992 à West Bank Demerara (Guyana).

2.2 Le 5 février 1996, l’auteur a été condamné à mort par pendaison par un tribunal du Comté de West Demerara. Le 4 juillet 1997, la cour d’appel a confirmé sa condamnation.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur se plaint d’une violation de ses droits en vertu du Pacte parce qu’il a été privé du droit de consulter un avocat au moment de l’interrogatoire qu’il a subi après son arrestation.

3.2 L’auteur affirme également que, son avocat étant absent lors d’une des audiences du tribunal de première instance, il n’a pas été autorisé à faire interroger un témoin au cours du procès.

3.3. L’auteur prétend que certaines des dépositions des témoins n’ont pas été communiquées à son conseil et que le juge s’est contenté à ce sujet de dire à l’accusation que cela aurait dû être fait.

3.4 L’auteur affirme qu’il a été contraint de signer des aveux car, lorsqu’il a demandé quelque chose à manger et de l’eau, on lui a dit qu’il n’en aurait que s’il signait des aveux.

3.5. L’auteur dit qu’il a épuisé les recours internes et que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4. L’État partie n’a présenté aucune observation sur la recevabilité ou le fond de la communication en dépit de la demande que le Comité lui avait adressée à cet effet par note verbale en date du 28 septembre 1998 et des rappels du secrétariat datés des 7 février 2000, 14 décembre 2000 et 5 octobre 2001.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Le Comité s’est assuré que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.3 Le Comité s’est aussi assuré, en s’appuyant sur les pièces dont il était saisi, que l’auteur avait épuisé les recours internes aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et l’État partie n’a soulevé aucune objection à cet égard.

5.4 Étant d’avis que la communication soulève des questions au regard des articles 6, 9, paragraphe 3, et 14, paragraphe 3 c), d), e) et g) du Pacte, le Comité la déclare recevable.

Examen quant au fond

6.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. De plus, l’État partie n’ayant pas coopéré avec le Comité au sujet de la question dont il est saisi, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur dans la mesure où elles ont été étayées. Le Comité rappelle à cet égard que l’État partie est tenu, en vertu du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, de coopérer avec le Comité et de lui soumettre par écrit des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation.

6.2 En ce qui concerne les allégations relatives à la question de savoir si l’auteur a ou non été informé de son droit d’être assisté par un avocat lorsqu’il a été interrogé après son arrestation et à la question des aveux qu’il aurait été contraint de signer, qui soulèvent peut-être des questions relevant des paragraphes 3 d) et g) de l’article 14 du Pacte, le Comité note qu’il ressort du compte rendu d’audience que le conseil de l’auteur en a traité de façon exhaustive devant le tribunal de première instance dans le but de rendre ses aveux irrecevables en tant que moyen de preuve et que celui ‑ci a dûment pris ces questions en considération. Le Comité renvoie à ce sujet à sa jurisprudence et réaffirme que c’est aux tribunaux des États parties au Pacte et non au Comité qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce. Il appartient aux juridictions d’appel des États parties au Pacte et non au Comité d’examiner la conduite du procès et les instructions données au jury par le juge du fond, sauf s’il peut être établi que la manière dont les éléments de preuve ont été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice, ou que le juge du fond a manifestement violé son obligation d’impartialité. Le compte rendu d’audience n’a pas montré que le procès de l’auteur avait été entaché de telles irrégularités. En conséquence, cette partie de la communication ne fait pas apparaître de violation des paragraphes 3 d) et g) de l’article 14 du Pacte.

6.3 Pour ce qui est des questions soulevées au titre des articles 9, paragraphe 3, et 14, paragraphe 3 c), du Pacte, le Comité note que l’auteur a été jugé plus de trois ans après son arrestation. Rappelant son Observation générale n o  8 dans laquelle il fait observer que «[la] détention [avant jugement] doit être exceptionnelle et aussi brève que possible», et notant que l’État partie n’a avancé aucune explication pour justifier cette longue période, le Comité considère que la durée de la détention avant jugement constitue, en l’espèce, un délai déraisonnable. Le Comité conclut donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 9, paragraphe 3, du Pacte. En outre, rappelant que l’État partie est tenu de faire en sorte qu’une personne accusée soit jugée sans retard excessif, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font également apparaître une violation de l’article 14, paragraphe 3 c), du Pacte.

6.4 Quant aux allégations selon lesquelles, du fait de l’absence de son avocat lors d’une audience du tribunal, l’auteur n’a pas pu exercer le droit de faire interroger un témoin, le Comité note qu’il ressort des informations qui lui ont été communiquées que l’auteur se réfère en fait à l’audience préliminaire à un moment de laquelle son conseil était absent, ce que l’État partie n’a pas contesté. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle dans les affaires de condamnation à mort il va de soi que l’assistance d’un défenseur doit être assurée à toutes les étapes de la procédure pénale . Il rappelle aussi la décision qu’il a adoptée le 23 mars 1999 concernant la communication n o  775/1997 ( Brown c.  Jamaïque ), dans laquelle il a déclaré qu’un magistrat ne devrait pas appeler les témoins à faire de déposition à l’audience préliminaire sans donner à l’auteur l’occasion de se faire assister de son conseil. En conséquence, le Comité estime que les faits portés à son attention montrent qu’il y a eu violation des paragraphes 3 d) et e) de l’article 14 et donc de l’article 6 du Pacte.

6.5 En ce qui concerne la plainte relative à la non-communication au conseil de l’auteur de certaines des dépositions des témoins, ce qui pourrait soulever une question au regard du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte, le Comité note que le compte rendu d’audience ne contient aucune indication à ce sujet et estime donc que l’auteur n’a pas étayé l’allégation de violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

7. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 9, paragraphe 3, ainsi que des paragraphes 3 c), d) et e) de l’article 14, et, par conséquent, de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

8. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur de la communication un recours utile, sous la forme d’une commutation de peine. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié à rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Hipólito Solari Yrigoyen (dissidente)

Mon opinion individuelle concerne le paragraphe 8 de la décision qui, à mon sens, devrait être libellé comme suit:

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur de la communication un recours utile, sous la forme d’une commutation de peine et d’une indemnisation adéquate ou de la possibilité d’une libération anticipée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

( Signé ) M. Hipólito Solari Yrigoyen

J. Communication n o  852/1999, Borisenco c. Hongrie * (Constatations adoptées le 14 octobre 2002, soixante ‑seizième session)

Présentée par :

M. Rostislav Borisenko

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Hongrie

Date de la communication :

2 août 1997 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 14 octobre 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  852/1999 présentée par M. Rostislav Borisenko en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M. Rostislav Borisenko, citoyen ukrainien, résidant actuellement en Ukraine. Il affirme être victime de violations par la République de Hongrie du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La communication semble soulever des questions au titre de l’article 7 du Pacte, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9, de l’article 13, des paragraphes 2 et 3 c), e) et g) de l’article 14 et de l’article 17. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 29 avril 1996, l’auteur et un de ses amis, M. Kuspish, sont arrivés à Budapest. Ils venaient à l’époque de Belgrade où, en tant que membres de l’Équipe nationale ukrainienne de sambo, ils avaient participé à une compétition de lutte, et rentraient en Ukraine. S’étant égarés, ils ont demandé à une personne travaillant dans une agence de voyages où se trouvait la station de métro. Comme ils étaient en retard pour leur train, ils ont couru vers la station de métro. C’est alors qu’ils ont été arrêtés par trois agents de police en civil qui les soupçonnaient d’être des voleurs à la tire. Les policiers ont brutalisé l’auteur et son ami, «[leur] passant des menottes et [leur] cognant la tête contre des cabines métalliques lorsqu’[ils ont] essayé de parler». Les deux hommes ont ensuite subi un interrogatoire de trois heures au poste de police.

2.2 Le 30 avril 1996, l’auteur et son ami ont été inculpés de vol. L’accusation portée en hongrois n’a pas été traduite mais ils ont bénéficié des services d’un interprète. M. Kuspish a signé le rapport d’enquête mais l’auteur a refusé de le faire en l’absence d’un avocat et tant que sa version des faits n’aurait pas été ajoutée au document. L’auteur et son ami ont porté plainte contre leur arrestation et l’interrogatoire qu’ils ont subi. Le 1 er  mai 1996, après avoir examiné la légalité de l’arrestation et de la détention, le Procureur public a rejeté leur plainte dans une décision écrite.

2.3 Le 2 mai 1996, l’auteur et son ami ont été présentés au tribunal central du district de Pescht pour qu’une décision soit prise quant à leur éventuel placement en détention provisoire. Le tribunal a décidé de les maintenir en détention par crainte qu’ils ne s’enfuient. Durant l’interrogatoire, au cours de l’audience consacrée à l’examen de leur détention et pendant leur détention elle ‑même, l’auteur et son ami n’ont pas été autorisés à contacter leur ambassade, leur famille, leur organisation sportive ou un avocat. Le 7 mai 1996, les services de police ont achevé l’enquête et ont transmis le dossier au bureau du Procureur public.

2.4 Le 15 mai 1996, à la demande de l’ambassade d’Ukraine, le Procureur public a mis fin à la détention de l’auteur et de son ami. À la même date, les services d’immigration ont ordonné leur expulsion de Hongrie en leur interdisant d’y revenir et d’y séjourner pendant cinq ans. Lorsque l’auteur et son ami ont demandé à des fonctionnaires de police s’ils étaient habilités à contester l’arrêté d’expulsion, ils ont été informés, par le biais d’un interprète envoyé par l’ambassade d’Ukraine, qu’ils ne pouvaient pas le faire. Dans le même temps, ils ont, sans le savoir, signé une déclaration indiquant qu’ils renonçaient à leur droit de faire recours . Aucune traduction de l’arrêté d’expulsion n’avait été fournie. C’est seulement lorsque l’auteur et son ami sont rentrés en Ukraine et qu’ils ont pris connaissance d’une traduction en anglais de ce document qu’ils se sont rendu compte qu’il leur aurait été possible de faire recours contre l’arrêté d’expulsion et qu’ils y avaient renoncé sans le savoir. L’ambassade d’Ukraine ayant donné l’assurance que les deux hommes se conformeraient à l’ordre de quitter la Hongrie, ils n’ont pas été expulsés. Ils ont quitté le pays le 16 mai 1996.

2.5 Le 3 juillet 1996, après avoir réprimandé l’auteur et son ami comme le prévoyait l’article 71 du Code de procédure pénale hongrois, le Procureur public a mis fin à l’enquête conformément à l’article 139 du Code du fait que «[leur] comportement [avait] cessé d’être passible de sanctions» .

2.6 Le 17 novembre 1996, l’auteur et son ami ont porté plainte contre cette décision demandant la reconnaissance de leur innocence et affirmant qu’ils avaient été brutalisés par les policiers qui avaient mené l’enquête. Le 12 juin 1997, se fondant sur la plainte déposée par l’auteur et son ami, le parquet municipal a annulé la décision du 3 juillet 1996 et a enjoint au bureau du Procureur public du district de poursuivre la procédure.

2.7 Le 28 mai 1998, le dossier a été envoyé aux autorités ukrainiennes pour que la procédure se déroule en Ukraine. Le 13 novembre 1998, l’auteur a été informé par le Ministère ukrainien des affaires étrangères que, compte tenu des informations dont elles disposaient, les autorités ukrainiennes n’avaient pas l’intention d’entamer une procédure pénale contre lui ‑même et son ami.

2.8 Les autorités hongroises ont enquêté sur les plaintes déposées contre la police par l’auteur et son ami et par une décision datée du 30 octobre 1998, elles ont mis fin à l’enquête. Bien que l’auteur ait contesté cette décision, il n’a reçu aucune réponse des autorités.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que ses droits ont été violés puisqu’il a été arrêté et inculpé sans la moindre preuve de son implication dans une activité criminelle et qu’il a été brutalisé par la police au moment de son arrestation. Il affirme qu’il n’a pas compris de quoi il était accusé et que l’accusation portée contre lui ne lui a pas été traduite. Il affirme en outre qu’il y a eu violation du Pacte puisqu’il est resté en détention plus de deux semaines sans avoir été jugé.

3.2 L’auteur affirme que l’État partie a violé le Pacte en l’expulsant illégalement et en le privant de la possibilité de contester cette décision. Il fait valoir que la loi sur l’expulsion stipule qu’un(e) étranger/étrangère peut se voir interdire l’entrée dans le pays s’il/si elle a commis un crime prémédité pour lequel il/elle a été condamné(e) à plus de cinq ans d’emprisonnement. En l’espèce, l’auteur n’a été inculpé que d’une infraction pour laquelle la peine maximale est de deux ans d’emprisonnement. En outre, l’auteur affirme que la police l’a trompé en lui faisant croire qu’il n’avait pas le droit de faire recours lorsqu’elle lui a notifié l’arrêté d’expulsion.

3.3 L’auteur affirme d’autre part qu’il y a eu violation du Pacte parce qu’il n’a pas été jugé «sans retard excessif», et qu’un important témoin de l’incident n’a pas été appelé à la barre lors de l’audience consacrée à l’examen de la détention.

3.4 L’auteur se plaint en outre d’une violation du Pacte parce que, bien qu’il l’ait demandé à maintes reprises, il n’a pas bénéficié des services d’un avocat et on lui a refusé tout contact avec ses amis et son ambassade entre le jour de son arrestation et la date de sa libération.

3.5 Enfin, l’auteur dénonce une violation du Pacte puisque, à cause de sa détention, il n’a pu participer ni au Championnat européen de judo ni aux Jeux olympiques. En outre, étant directeur dans un cabinet d’avocats, sa réputation a été ternie et il a perdu des clients. De surcroît, il a été «disqualifié» par sa Fédération et a baissé dans l’estime des membres du Club ukrainien de Sambo, de sa famille et de ses amis.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Dans une lettre datée du 19 avril 1999, l’État partie a formulé des observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il conteste la version donnée par l’auteur des événements qui ont conduit à son arrestation et les présente comme suit. Le 29 avril 1996, à Budapest, trois policiers en civil ont assisté à la scène suivante dans un tram: pendant qu’un homme posait une question à une femme, un deuxième a ouvert la fermeture éclair de son sac et y a plongé la main. Lorsque les deux policiers ont alerté la femme, les deux hommes ont brusquement quitté le tram. La femme a indiqué à la police qu’il n’y avait que des papiers dans la partie du sac fouillée par l’homme et que son porte-monnaie était dans une autre partie. À l’arrêt suivant, les deux policiers sont descendus du tram, ont rattrapé les deux hommes, leur ont passé les menottes en usant de la force et les ont conduits au poste de police. Par le biais d’un interprète, ils ont notifié l’ordre d’arrestation aux deux hommes. Ces derniers l’ont contesté.

4.2 Le 30 avril 1996, l’auteur et son ami ont été inculpés de tentative de vol. Les autorités chargées de l’enquête ont désigné un avocat pour chacun des deux hommes. Les avocats n’ont assisté ni à l’interrogatoire ni à l’audience consacrée à l’examen de la détention. Ils n’ont assisté qu’à la présentation du dossier alors que l’enquête de police était déjà terminée et que le dossier avait été transmis au bureau du Procureur.

4.3 En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie fait observer que l’allégation de violation de l’article 13 est irrecevable puisque les recours internes n’ont pas été épuisés. Lorsque l’arrêté d’expulsion lui a été notifié, par le biais d’un interprète, l’auteur a été informé que la décision pouvait faire l’objet d’un recours mais que ledit recours n’avait pas d’effet suspensif. N’ayant pas exercé son droit de recours, l’auteur n’a pas donné aux autorités la possibilité d’enquêter pleinement sur son cas et de remédier à toute violation présumée. L’État partie affirme en outre que si le recours n’avait pas abouti, l’auteur aurait pu demander un examen judiciaire de la décision. S’agissant de la plainte de l’auteur selon laquelle il avait été trompé quant à la possibilité de faire recours contre l’arrêté d’expulsion, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a jamais porté cette question à l’attention des autorités et que, compte tenu de la présence d’un représentant de l’ambassade d’Ukraine pendant l’incident, une telle plainte aurait été facile à étayer.

4.4 Quant à l’allégation de l’auteur qui affirme que depuis son arrestation jusqu’à sa libération, les autorités hongroises l’ont empêché de prendre contact avec un avocat, ses amis ou son ambassade, l’État partie est d’avis qu’elle est également irrecevable puisque les recours internes n’ont pas été épuisés. Selon l’État partie, l’auteur aurait pu porter plainte comme il l’avait fait à propos de son arrestation et de son interrogatoire.

4.5 En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 14, l’État partie estime qu’elles sont irrecevables ratione materiae puisque l’auteur n’a pas été mis en accusation par les autorités hongroises et que la seule question examinée par le tribunal était l’ordre de détention provisoire.

4.6 Sur le fond, l’État partie conteste qu’il y ait eu violation de l’article 9 du Pacte. Il fait valoir que dès son arrestation l’auteur a été informé, par le biais de son interprète, des raisons de sa détention et a été présenté à un tribunal dans les trois jours. Au cours de l’audience consacrée à l’examen de la détention, le tribunal s’est penché, dans le cadre d’une procédure prévue par la loi, sur la question de savoir s’il était possible de «présumer raisonnablement» qu’une infraction avait été commise par l’auteur. Sur la base des éléments de preuve présentés, il est arrivé à la conclusion qu’une telle présomption existait. Selon l’État partie, l’auteur a été détenu parce qu’il n’avait pas de lieu de résidence en Hongrie et que le tribunal craignait qu’il ne s’enfuie. En outre, le tribunal a estimé qu’en raison de la nature de l’infraction dont l’auteur était accusé il y avait des risques de récidive. L’État partie fait en outre valoir que la durée de détention n’a pas été excessive.

4.7 L’État partie ajoute que la plainte de l’auteur au sujet des mauvais traitements que lui aurait infligés la police, qui est liée à la question de la légalité de l’arrestation, a fait l’objet d’une enquête menée par le bureau du Procureur public. Il fait valoir qu’il ressortait de la déclaration de M. Kuspish que les allégations étaient infondées et qu’à l’exception du fait que les suspects ont été menottés aucune violence n’est à signaler. Selon l’État partie, les autorités hongroises n’ont pas pu examiner la déclaration de l’auteur car il ne pouvait être contacté, les autorités ukrainiennes elles ‑mêmes ignorant son lieu de résidence. En somme, tous les droits protégés en vertu de l’article 9 ont été respectés.

4.8 Au cas où le Comité déciderait que l’allégation de violation de l’article 13 est recevable, l’État partie fait observer qu’il n’y a pas eu de violation de cet article puisque le paragraphe 2 de l’article 23 de la loi sur les étrangers dispose qu’une interdiction d’entrer et de séjourner dans le pays peut être imposée aux étrangers dont l’entrée et le séjour risquent de porter atteinte à la sécurité publique ou de la compromettre. Il a été estimé que l’auteur ayant été accusé de vol à la tire, son séjour en République de Hongrie serait illégal parce qu’il mettrait en danger la sécurité publique.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans une lettre datée du 1 er  juillet 1999, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. En ce qui concerne l’arrêté d’expulsion, il affirme qu’avant de quitter la Hongrie, il a bien déposé auprès du «Procureur général», par l’intermédiaire de la section consulaire de l’ambassade d’Ukraine, une plainte contre la police pour avoir été trompé quant à la possibilité de faire recours.

5.2 Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel M. Borisenko n’a pas épuisé les recours internes en ne déposant pas de plainte au sujet du refus des autorités de lui permettre de contacter un avocat, son ambassade ou ses amis, l’auteur affirme qu’il n’a pas eu la possibilité de déposer une telle plainte.

5.3 En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur n’a pas fait de déclaration additionnelle sur les mauvais traitements qui lui auraient été infligés par la police, l’auteur objecte qu’il a bel et bien fourni des renseignements après avoir reçu les documents envoyés par le bureau du Procureur général de la République de Hongrie, le 10 mars 1998, par le biais du Procureur général de l’Ukraine. Il a, en effet, répondu aux questions posées par les autorités hongroises et leur a exposé sa version quant au traitement qu’il avait subi.

5.4 En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel le séjour de M. Borisenko en Hongrie compromettrait la sécurité publique, l’auteur se demande comment l’État partie est arrivé à une telle conclusion puisqu’il n’a fait l’objet d’aucune condamnation.

5.5 L’auteur confirme qu’un avocat l’a représenté au moment de la présentation du dossier alors que l’enquête était terminée mais précise qu’un seul avocat avait été assigné pour son ami et lui ‑même et qu’aucun n’a eu la possibilité de lui parler.

5.6 L’auteur formule les nouvelles allégations suivantes: premièrement, l’État partie a violé le paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte puisque l’expulsion de Hongrie pour une infraction dont il n’a pas été reconnu coupable constituait une violation de la présomption d’innocence. Deuxièmement, l’État partie a violé le paragraphe 3 g) de l’article 14 car, selon l’auteur, on a exercé des pressions sur lui pour qu’il témoigne contre lui ‑même en ne l’autorisant pas à aller aux toilettes pendant qu’il était détenu, et on lui a dit que s’il déposait une plainte il faudrait un mois pour qu’elle soit examinée et qu’il resterait en détention pendant toute cette période.

5.7 L’État partie n’a fait aucune autre observation sur la recevabilité ou sur le fond.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 L’auteur ayant fait valoir que les autorités hongroises ne lui ont pas assuré les services d’un avocat, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur aurait pu déposer plainte comme il l’avait fait lorsqu’il avait contesté la légalité de son arrestation et de l’interrogatoire qu’il avait subi. Il constate que l’État partie ne fournit aucun détail sur la manière dont l’auteur aurait pu déposer une telle plainte et quelle en aurait été l’issue. L’État partie n’a pas non plus indiqué si l’auteur avait été informé de cette possibilité lorsqu’il avait demandé à être représenté par un conseil et à voir un représentant de son ambassade. Sachant que l’auteur était un citoyen ukrainien détenu dans une prison à l’étranger et qu’il ne connaissait pas suffisamment la langue du pays pour se renseigner sur la manière dont il pouvait déposer une telle plainte, le Comité conclut que l’État partie n’a pas fourni suffisamment d’informations pour prouver qu’un tel recours aurait été utile. Le Comité considère donc que cette partie de la communication est recevable (voir par. 3.4).

6.4 En ce qui concerne l’expulsion, le Comité note que l’auteur a affirmé qu’il ne s’était pas pourvu contre cette mesure parce qu’il avait été informé par l’agent de police qui lui avait notifié l’arrêté d’expulsion qu’il ne pouvait pas faire recours contre la décision, et qu’on l’avait amené abusivement à signer une renonciation à son droit de recours. L’État partie affirme au contraire que l’auteur a été informé, par le biais d’un interprète envoyé par l’ambassade d’Ukraine, qu’il pouvait faire recours mais que cela n’aurait pas d’effet suspensif. Le Comité constate que l’auteur était accompagné d’un interprète de l’ambassade d’Ukraine qui aurait été en mesure de traduire l’arrêté d’expulsion, dans lequel, comme le reconnaît l’auteur, il était expliqué qu’il avait le droit de faire recours. En conséquence, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif pour non-épuisement des recours internes (voir par. 3.2 et 5.6).

6.5 Pour ce qui est des griefs au titre des paragraphes 2 (violation de la présomption d’innocence), et 3 g) (pressions exercées sur l’auteur pour l’obliger à témoigner contre lui ‑même) de l’article 14 et de ses plaintes selon lesquelles il n’a pas été jugé sans retard excessif et un témoin n’a pas été convoqué lors de l’audience consacrée à l’examen de la détention de l’auteur, le Comité est d’avis que, n’ayant pas été étayées aux fins de la recevabilité, ces allégations sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif (voir par. 3.3 et 5.6).

6.6 De même, en ce qui concerne une éventuelle violation du Pacte au motif que la détention de l’auteur aurait porté atteinte à sa réputation tant personnelle que professionnelle, le Comité est d’avis que l’auteur n’a pas étayé aux fins de la recevabilité cette allégation. Il estime aussi que l’allégation de mauvais traitements par la police, qui soulève une question au regard de l’article 7 du Pacte, n’est pas davantage étayée. Le Comité considère par conséquent que ces allégations sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif (voir par. 3.5, 3.1).

6.7 Le Comité note que l’État partie n’a élevé aucune objection à la recevabilité des allégations de l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte, concernant son arrestation et sa détention et le fait qu’il n’a pas bénéficié d’une représentation en justice. Cette dernière plainte soulève aussi une question relevant du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte. En conséquence, le Comité déclare ces parties de la communication recevables (voir par. 3.1).

6.8 Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que les parties de la communication concernant l’arrestation et la détention de l’auteur et le fait qu’il n’a pas bénéficié d’une représentation en justice sont recevables.

Examen de la communication au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, le Comité rappelle qu’aux termes de cette disposition «nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraires». L’État partie fait valoir que l’auteur a été arrêté parce qu’il était soupçonné d’avoir commis une infraction, ce que l’auteur n’a pas contesté. Dans ces circonstances, le Comité ne peut pas conclure à une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte (voir par. 3.1).

7.3 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui affirme que l’État partie a violé le paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte parce que M. Borisenko ne comprenait pas les raisons de son arrestation ni les accusations portées contre lui, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur a bénéficié des services d’un interprète et conclut que dans ces circonstances il ne peut pas établir de violation du Pacte à cet égard (voir par. 3.1).

7.4 Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 9, le Comité note que l’auteur a été détenu trois jours avant d’être présenté à un magistrat. En l’absence de la moindre explication de la part de l’État partie justifiant la nécessité de maintenir l’auteur en détention pendant cette période, le Comité conclut à une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

7.5 En ce qui concerne le grief de l’auteur qui dit ne pas avoir bénéficié d’une représentation en justice entre son arrestation et sa libération, y compris durant une audience consacrée à l’examen de sa détention pendant laquelle il a dû assurer lui ‑même sa défense, le Comité note que l’État partie a confirmé qu’il avoir assigné un avocat mais que celui ‑ci ne s’était pas présenté à l’interrogatoire ni à l’audience. Dans des décisions antérieures, le Comité a établi clairement que les États parties doivent veiller à ce que la représentation en justice assurée par eux soit effective. Il rappelle, conformément à sa jurisprudence, que l’assistance judiciaire doit être assurée à tous les stades d’une procédure pénale. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme d’une indemnisation. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Nisuke Ando

J’approuve la conclusion du Comité qui a établi une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte au motif que l’État partie n’a pas assuré à l’auteur une représentation en justice effective (par. 7.5). En revanche, je ne peux souscrire à la conclusion de violation du paragraphe 3 de l’article 9 au motif que l’auteur est resté en détention pendant trois jours avant d’être traduit devant une autorité judiciaire et que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi il était nécessaire de le maintenir en détention pendant cette période (par. 7.4).

En fait, l’auteur et son ami, soupçonnés de vol à la tire, ont été arrêtés le 29 avril 1996 (par. 2.1 et 4.1). Le 30 avril 1996 ils ont été inculpés de vol et le 1 er mai 1996 le Procureur a rejeté, par une décision écrite, la plainte qu’ils avaient élevée contre leur arrestation et leur interrogatoire (par. 2.2 et 4.2). Le 2 mai 1996, l’auteur et son ami ont été déférés au tribunal central de district de Pescht pour qu’une décision soit prise sur leur éventuel placement en détention provisoire et le tribunal a décidé de les maintenir en détention pour qu’ils ne s’enfuient pas (par. 2.3).

Cette chronologie montre clairement ce qui s’est passé pendant les trois jours (29 avril ‑2 mai 1996) et l’auteur et l’État partie concordent sur ce point. De plus, l’auteur se plaint d’une violation du Pacte pour être resté en détention sans jugement pendant plus de deux semaines (par. 3.1 et 3.3) mais il ne fait pas valoir spécifiquement que la détention pendant ces trois jours ‑là constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. C’est le Comité lui-même qui a choisi de se référer à cette période de détention de trois jours et, en se fondant sur l’absence d’explication de la part de l’État partie, il conclut que cette détention constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 9.

Dans ces circonstances je ne pense pas qu’il puisse être reproché à l’État partie de ne pas avoir expliqué pourquoi le maintien en détention était nécessaire. De plus, autant que je me souvienne, le Comité n’a jamais établi qu’une détention de trois jours constituait en tant que telle une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Pour ces raisons je ne peux pas souscrire aux constatations du Comité sur ce point.

( Signé ) Nisuke Ando

Opinion individuelle de M. P. N. Bhagwati

J’approuve la constatation de violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte; mais il m’est impossible de considérer que les dispositions du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte ont été violées au motif que l’auteur est resté en détention pendant deux jours avant d’être traduit devant une autorité judiciaire.

La raison principale pour laquelle je ne peux pas souscrire à la constatation de violation du paragraphe 3 de l’article 9 est que l’auteur lui-même n’a pas formulé ce grief, se plaignant uniquement, en rapport avec l’article 9, d’être resté en détention pendant deux semaines avant d’être jugé; dans ces conditions il ne serait pas juste de considérer que, parce que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi il s’était écoulé trois jours avant que l’auteur soit déféré devant une autorité judiciaire, cette durée constitue une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Étant donné que l’auteur n’a pas expressément formulé ce grief dans sa communication, comment l’État partie pouvait-il donner une réponse et une explication à ce sujet? On ne peut donc rien conclure du fait que l’État partie n’a pas justifié cette durée de trois jours. Si ce grief précis avait été exposé on aurait attendu de l’État partie qu’il s’explique et, s’il n’avait pas donné d’explication acceptable, le Comité aurait été fondé à conclure à une atteinte au paragraphe 3 de l’article 9. Mais ce n’est pas possible dans le cas présent, puisque l’auteur ne s’est pas plaint spécifiquement de la détention de trois jours. De plus, je ne peux pas considérer que les dispositions du paragraphe 3 de l’article 9 prévoient de façon rigide et inflexible que toute personne en état d’arrestation doit être traduite devant une autorité judiciaire dans les 48 heures. Pour déterminer si les dispositions du paragraphe 3 de l’article 9 ont été respectées ou violées il faut en fin de compte apprécier les faits au cas par cas.

Par conséquent, je suis d’avis que dans la présente affaire, il ne serait pas juste de conclure à une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

( Signé ) P. N. Bhagwati

Opinion individuelle de M. Hipólito Solari Yrigoyen (dissidente)

Mon opinion individuelle concerne le paragraphe 9 de la décision qui, à mon sens, devrait être libellé comme suit:

Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur de la communication un recours utile, sous la forme d’une commutation de peine et d’une indemnisation adéquate ou de la possibilité d’une libération anticipée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

( Signé ) Hipólito Solari Yrigoyen

K. Communication n o 856/1999, Chambala c. Zambie *

(Constatations adoptées le 15 juillet 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par : Alex Soteli Chambala

Au nom de : L’auteur

État partie : Zambie

Date de la communication : 18 avril et 30 juillet 1997 (lettres initiales)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 15 juillet 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  856/1999 présentée par M. Alex Soteli Chambala, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Alex Soteli Chambala, citoyen zambien, né en 1948. Il affirme être victime d’une violation par la Zambie des paragraphes 3 et 5 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur a été arrêté et détenu sans chef d’accusation le 7 février 1987. Le 12 février 1987, il s’est vu délivrer une ordonnance de garde à vue en application du paragraphe 6 de l’article 33 de la loi sur le maintien de la sécurité publique. Le 24 février 1987, cette ordonnance a été annulée, mais le même jour l’auteur a fait l’objet d’une ordonnance de détention présidentielle en application du paragraphe 1 de l’article 33 de la loi sur le maintien de la sécurité publique. Les motifs de la détention ont été exposés à l’auteur le 5 mars 1987; selon ces motifs, l’auteur était détenu a) pour avoir accueilli et gardé chez lui un prisonnier évadé, Henry Kalenga, b) dont il savait qu’il était détenu pour des infractions à la loi sur le maintien de la sécurité publique, c) pour avoir aidé M. Kalenga dans sa tentative pour s’enfuir vers un pays hostile à la Zambie et d) pour n’avoir jamais signalé la présence de M. Kalenga aux forces de sécurité.

2.2 Après avoir été détenu pendant plus d’une année sans être présenté à un tribunal ou à un fonctionnaire judiciaire, l’auteur a demandé sa libération. Le 22 septembre 1988, la Haute Cour zambienne a décidé qu’il n’y avait aucune raison de le garder en détention. Néanmoins, l’auteur n’a été libéré qu’en décembre 1988, lorsque le Président a mis fin à sa détention. Selon l’auteur, l’infraction qui lui était reprochée était passible d’une peine maximale de six mois d’emprisonnement.

2.3 L’auteur affirme qu’en vertu de la législation zambienne une personne ne peut demander réparation pour détention illégale. En outre, lorsqu’il a interrogé des avocats sur les possibilités de déposer une requête, il lui a été signifié qu’en vertu des lois zambiennes sa plainte était prescrite. Il est affirmé en conséquence qu’aucun recours interne n’est disponible. Cela étant, lorsque l’auteur a appris que Peter Chico Bwalya et Henry Kalenga avaient obtenu réparation en application de décisions adoptées par le Comité des droits de l’homme , il a écrit au Bureau du Procureur général pour demander réparation. Bien que ces lettres aient été enregistrées au Bureau du Procureur général, il n’a reçu aucune réponse.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir qu’en le gardant arbitrairement en détention pendant près de deux ans sans le présenter à un juge ou à un autre fonctionnaire autorisé par la loi à exercer des pouvoirs judiciaires, l’État partie a violé les droits qui lui sont reconnus aux paragraphes 3 et 5 de l’article 9 du Pacte. Ces allégations semblent également soulever d’autres questions au titre de l’article 9 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4. Par une note verbale datée du 26 mars 2001, l’État partie a reconnu les faits décrits dans la communication et indiqué qu’il prendrait contact avec le plaignant en vue de le dédommager de la période de détention en cause.

Communications ultérieures avec les parties

5.1 Dans des lettres datées du 20 juin et du 9 novembre 2001 ainsi que du 30 janvier 2002, l’auteur a informé le Comité qu’il n’avait reçu aucun dédommagement de l’État partie. Dans la dernière des lettres susmentionnées, il a indiqué qu’il avait adressé, le 9 novembre 2001, une réclamation au Bureau du Procureur général qui était chargé du paiement des indemnisations.

5.2 Par une note verbale datée du 7 mars 2002, le secrétariat a rappelé à l’État partie de tenir l’engagement qu’il a pris d’accorder réparation à l’auteur sans retard et lui a demandé de l’informer des mesures prises dans ce sens. Aucune réponse n’a été reçue de l’État partie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, en application de l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Le Comité note avec préoccupation que bien qu’ayant reconnu la véracité des faits allégués dans la communication et s’étant engagé à indemniser l’auteur pour la période de détention en cause, et en dépit d’un rappel du secrétariat à cet effet, l’État partie ne s’est pas acquitté de son engagement.

6.4 Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication. Compte tenu des renseignements dont il dispose, le Comité conclut en conséquence que l’auteur a satisfait aux exigences du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et qu’il n’existe pas d’autres obstacles à la recevabilité de ses allégations concernant d’éventuelles violations des dispositions de l’article 9.

Examen quant au fond

7.1 Le Comité a examiné la communication en tenant compte de tous les renseignements fournis par les parties. Il note avec préoccupation le manque d’informations de la part de l’État partie et rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif qu’un État partie est tenu d’examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre lui et de fournir au Comité tous les renseignements dont il dispose. L’État partie n’a communiqué aucune information pertinente au Comité à l’exception de la note qu’il lui a adressée le 26 mars 2001. Dans ces circonstances, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur dans la mesure où elles ont été étayées.

7.2 En ce qui concerne les allégations de l’auteur selon lesquelles il a été victime d’une détention arbitraire, le Comité note que l’auteur a été détenu pendant 22 mois, à partir du 7 février 1987, allégation que l’État partie n’a pas contestée. Qui plus est, l’État partie n’a pas cherché à justifier devant le Comité cette longue détention. En conséquence, le Comité considère que cette détention était arbitraire et contraire au paragraphe 1 de l’article 9, lu en liaison avec le paragraphe 3 de l’article 2.

7.3 Le Comité note en outre que la détention de l’auteur pendant deux mois après que la Haute Cour zambienne eut décidé qu’il n’y avait aucune raison de le garder en détention était non seulement arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9, mais également contraire au droit interne zambien, ce qui entraîne une violation du droit à réparation prévu au paragraphe 5 de l’article 9.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, lu en liaison avec le paragraphe 3 de l’article 2, ainsi que du paragraphe 5 de l’article 9 du Pacte.

9. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer à l’auteur un recours utile. Étant donné que l’État partie s’est engagé lui ‑même à verser des dédommagements, le Comité l’invite instamment à accorder dans les meilleurs délais un dédommagement à l’auteur pour la période pendant laquelle il a été arbitrairement détenu, qui va du 7 février 1987 à décembre 1988. L’État partie est tenu de prendre des mesures pour que de telles violations ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité était compétent pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. Aux termes de l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie par le Comité. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

L. Communication n o  864/1999 Ruiz Agudo c.  Espagne *

(Constatations adoptées le 31 octobre 2002, soixante ‑seizième session

Présentée par : M. Alfonso Ruiz Agudo (représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de : L’ auteur

État partie : Espagne

Date de la décision

concernant la recevabilité : 15 mars 2001

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte internati o nal relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  864/1999 présentée par M. Alfonso Ruiz Agudo en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est Alfonso Ruiz Agudo, de nationalité esp a gnole. Dans une première communication en date du 12 mars 1998, il affirme être vi c time d’une violation par l’Espagne de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans la deuxième communication en date du 27 août 1999, il affirme également être victime d’une violation de l’article 7 et du paragr a phe 3 de l’article 10. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Alfonso Ruiz Agudo était le Directeur de la succursale de la Caja Rural Pr o vincial de la ville de Cehegín (province de Murcie) de 1971 à 1983 et il était chargé de la clientèle. De 1981 à 1983, la succursale de Cehegín a traité 75 dossiers de prêt fictifs, qui n’étaient rien d’autre que la duplication de 75 dossiers de prêt réels. Ai n si, des clients de la banque avaient signé des formulaires de contrat de prêt en blanc et les formulaires avaient été ensuite remplis en double.

2.2 La Caja Rural Provincial a été absorbée par la Caja de Ahorros de Murcie et les deux établissements se sont portés partie civile dans la procédure pénale engagée contre Alfonso Ruiz Agudo et des coïnculpés. Le défenseur d’Alfonso Ruiz Agudo avait demandé immédiatement que soient versés au dossier du procès les originaux des bordereaux afférents aux comptes que l’auteur détenait à la succursale de Ceh e gín et sur lesquels, d’après l’accusation, avaient été virés les fonds dégagés au titre des prêts fictifs. D’après l’auteur de la communication, ces bordereaux auraient permis de montrer que les fonds avaient été crédités non pas à lui ‑même mais à d’autres personnes. L’établissement bancaire avait présenté des documents reconstitués à partir de fichiers informatiques.

2.3 Le conseil de l’auteur affirme que le jugement n’a été rendu qu’en 1994 alors que la procédure a été ouverte en 1983. Le verdict a été rendu par le juge de la première juridiction pénale de Murcie, qui a condamné l’auteur à un emprisonn e ment correctionnel mineur de deux ans, quatre mois et un jour assorti d’une amende pour délit d’escroquerie, et à une autre peine identique pour délit de faux en écrit u res.

2.4 L’auteur a fait appel de ce jugement en faisant valoir qu’il y avait eu une e r reur grave dans l’appréciation des preuves et qu’il avait été condamné pour des a c tes commis en réalité par une autre personne. Il dénonçait également l’utilisation d’une preuve à charge dépourvue de garantie (la reconstitution à partir de fichiers inform a tiques des documents afférents à ses comptes).

2.5 La troisième chambre de la cour d’appel ( Audiencia Provincial ) de Murcie a p pelée à statuer sur le recours a rendu son arrêt le 7 mai 1996. D’après le conseil, l’arrêt contient des arguments incompatibles avec le droit à la présomption d’innocence, qui implique que la charge de la preuve incombe toujours à celui qui accuse; la cour d’appel indique ce qui suit:

«(...) ayant été établi que l’inculpé M. Alfonso Ruiz Agudo a disposé des mo n tants obtenus frauduleusement en les virant à son propre compte ou à d’autres comptes en son nom, sans que puisse être opposé le fait que des données informatiques afférentes aux comptes de la Caja de Ahorros aient été pr o duites pour apporter cette preuve, étant donné que cette méthode a été qual i fiée de normale par les experts de la défense eux-mêmes, et même s’il eût été ass u rément préférable de disposer des originaux des bordereaux relatifs à ses comptes. En leur absence, il eût été nécessaire que des données ou des faits perme t tant de contester l’authenticité des relevés i n formatiques cités soient apportés».

2.6 Le conseil de l’auteur explique que la dernière phrase de l’attendu montre que la cour d’appel se place dans une perspective incompatible avec le droit à la présomption d’innocence puisqu’elle présume la culpabilité de l’inculpé tant que celui-ci n’a pas démontré son innocence ou qu’elle considère qu’une preuve dépourvue de toute garantie est suffisante pour ôter à son client le droit d’être présumé innocent et à ce que les preuves à charge offrent toutes les garanties voulues.

2.7 L’auteur a attaqué l’arrêt de la cour d’appel ( Audiencia Provincial ) de Murcie en formant un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, lequel l’a d é bouté en date du 18 septembre 1996. Le conseil affirme que tous les recours internes se trouvent ainsi épuisés.

2.8 Le conseil affirme que son client a été victime d’une machination montée par la Caja Rural − plus tard absorbée par la Caja de Ahorros de Murcie − pour lui imputer des faits délictueux qu’il n’a pas commis, et dont il a essayé de prouver qu’il était innocent avec les originaux des bordereaux bancaires. En outre, d’après l’auteur, la Caja de Ahorros a produit un faux document dans lequel Alfonso Ruiz Agudo était accusé d’avoir obtenu un prêt d’un montant de 90 millions de pesetas qu’il n’avait pas demandé, la banque ayant utilisé un formulaire en blanc signé de sa main.

2.9 Dans une deuxième communication, en date du 27 août 1999, le conseil de l’auteur a fait savoir que la première juridiction pénale de Murcie, par une ordo n nance du 25 septembre 1998, avait transmis à l’auteur la décision du Conseil des ministres de rejeter sa demande de grâce, ce qui signifiait qu’il devait aller en pr i son. Un recours contre cette décision a été formé devant le juge puis devant la cour d’appel ( Audiencia Provincial ) au motif que, étant donné le laps de temps consid é rable qui s’était écoulé depuis le début du procès − 16 ans −, la peine constituait une violation du droit de ne pas être soumis à une peine cruelle ou dégradante et du principe qui veut que l’objectif de la peine est la resocialisation. Le juge et la cour d’appel ont rejeté les prétentions de l’auteur.

2.10 Le 21 octobre 1998, l’auteur a déposé un nouveau recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, après avoir pris connaissance de la décision de la jur i diction pénale ordonnant son incarcération. Par un acte en date du 19 décembre 1998, il a demandé au Tribunal constitutionnel d’ordonner la suspension du recours en amparo parce qu’il s’était pourvu devant la juridiction pénale et devant la cour d’appel. Le Tribunal constitutionnel n’a pas répondu. Par un acte enregistré le 17 février 1999, l’auteur a développé son recours en amparo après avoir appris le r e jet de son pourvoi devant le tribunal pénal et la cour d’appel. Huit jours plus tard, la déc i sion de rejet du recours en amparo lui était notifiée.

2.11 Au bout de deux mois d’incarcération, la direction de l’établissement pénite n tiaire a décidé de placer Alfonso Ruiz Agudo en régime de semi-liberté en vertu d u quel il passe la nuit en cellule pendant la semaine, et quand il est dehors sa liberté de mouvement est limitée.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir que l’Espagne a commis une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte pour les motifs suivants: la juridiction pénale autant que la j u ridiction d’appel ont fait reposer une condamnation à une peine privative de liberté sur des preuves écrites à charge découlant de la volonté arbitraire de l’accusation; les arguments avancés dans le deuxième attendu de l’arrêt de la cour d’appel ( A u diencia Provincial ) rendu contre l’auteur sont incompatibles avec le principe qui veut que la charge de la preuve incombe à l’accusation, principe inhérent au droit à la pr é somption d’innocence.

3.2 L’auteur affirme également qu’il y a eu violation du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte car le procès pénal engagé contre lui a duré plus de 15 ans.

3.3 L’auteur signale en outre qu’il n’a pas été dressé de procès-verbal in extenso des déclarations des témoins, experts, parties au procès et défenseurs, mais qu’il n’y a eu qu’un rés u mé établi par le secrétaire-greffier ce qui, de l’avis de l’auteur, fait que les g a ranties élémentaires n’ont pas été observées. De même, au procès, la partie civile a été d’après lui nettement favorisée. Le conseil cite l’article 790, paragraphe 1, de la loi de procédure criminelle et affirme que les modalités d’application de la proc é dure abrégée enfreignent le principe essentiel de l’égalité des moyens entre les pa r ties.

3.4 Le conseil affirme en outre dans la deuxième communication, en date du 27 août 1999, qu’il y a eu violation de l’article 7 du Pacte parce qu’une peine dev e nue exécutoire alors qu’il s’est écoulé 16 ans entre les faits et l’exécution constitue une peine cruelle, inhumaine ou dégradante. D’après le conseil, l’exécution de la peine aussi longtemps après les faits est inhumaine et contraire à l’article 7 du Pacte.

3.5 L’auteur invoque aussi une violation du paragraphe 3 de l’article 10 du Pacte qui garantit le principe selon lequel le régime pénitentiaire doit viser essentiellement la réinsertion sociale et la réadaptation du condamné. Il fait valoir qu’il menait une vie exemplaire comme le montre un rapport de la Garde civile de la ville où il h a bite. La peine visait davantage à briser son esprit civique et à le discréditer, ce qui est contraire au paragraphe 3 de l’article 10 du Pacte.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1 Dans sa réponse en date du 18 juin 1999, l’État partie demande que la comm u nication soit déclarée irrecevable en ce qu’elle concerne le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte car l’auteur n’a dénoncé à aucun moment devant les organes judiciaires internes ni devant le Tribunal constitutionnel la violation des droits g a rantis au paragraphe 1 de l’article 14. Il ne s’est pas plaint non plus de ne pas avoir bénéficié de l’égalité devant les tribunaux ni d’un procès public mené par un trib u nal compétent, indépendant et impartial.

4.2 En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte, l’État partie répond que le droit d’être jugé sans retard excessif est une g a rantie fondamentale en droit espagnol. Il explique qu’une violation de ce droit qui serait constituée par la durée excessive d’un procès peut faire l’objet d’une répar a tion sous forme de cessation de l’atteinte au droit ou sous forme d’une indemnis a tion. Dans le cas du droit à un jugement dans des délais raisonnables, une fois que la pr o cédure est terminée, réclamer la cessation de l’atteinte n’est pas possible.

4.3 L’État partie explique que l’indemnisation peut être réclamée en engageant l’action prévue aux articles 292 et suivants de la loi organique du pouvoir judiciaire; il s’agit d’une réclamation pour fonctionnement anormal de la justice qui est faite auprès du Ministère de la justice et, en cas de rejet de la réclamation, la révision j u diciaire est ouverte.

4.4 À ce sujet, l’État partie renvoie à une décision du Tribunal constitutionnel en date du 29 octobre 1990 selon laquelle «les retards excessifs dans la procédure n’ouvrent droit, du point de vue constitutionnel, qu’à une seule forme de réparation: la cessation de ces retards. Les dénoncer par la voie ordinaire et former le recours en amparo alors que les retards ont cessé revient à former un recours dépourvu d’objet ... Pour faire reconnaître que de tels retards se sont produits..., à toute autre fin que la cessation du retard, il faut qu’une demande soit déposée par la voie admini s trative et judiciaire appropriée» (affaire Prieto Rodríguez ).

4.5 L’État partie affirme qu’il assume la responsabilité d’assurer l’administration de la justice dans des délais raisonnables, que la personne qui considère qu’il y a eu un retard ait protesté ou non. Il ajoute que les critères retenus en droit espagnol pour déterminer dans quels cas la durée d’un procès est déraisonnable sont ceux de la Cour européenne des droits de l’homme, dont la jurisprudence est directement a p plicable en Espagne, comme le prévoit le paragraphe 2 de l’article 10 de la Constit u tion.

4.6 L’État partie indique que quand la Commission européenne des droits de l’homme à Strasbourg est saisie d’une plainte pour durée du procès déraisonnable alors que le procès est terminé, c’est-à-dire quand il n’est plus possible de demander la cessation de l’atteinte au droit mais que seule la réparation par indemnisation peut être sollic i tée, depuis sa décision du 6 juillet 1993, elle a, dans tous les cas sans exception, d é claré de telles plaintes irrecevables au motif du non-épuisement des recours inte r nes, en faisant valoir que les plaignants n’avaient pas utilisé la procédure prévue dans la loi organique du pouvoir judiciaire.

4.7 Dans l’affaire à l’examen, l’auteur fait valoir qu’il y a eu des retards indus mai n tenant que le procès est terminé et donc que la cessation de l’atteinte ne peut plus être demandée et que seule reste l’indemnisation. D’après l’État partie, Alfonso Ruiz Agudo n’a pas réclamé cette forme de réparation pour avoir subi un procès d é raisonn a blement long, se limitant à demander l’inexécution de la procédure pénale.

4.8 En ce qui concerne l’absence de procès ‑verbal in extenso des audiences rel e vée par l’avocat, l’État partie objecte qu’aucune disposition du Pacte n’oblige à ce qu’il soit établi un procès ‑verbal in extenso et qu’il n’est pas précisé en quoi cela a pu porter préjudice à Alfonso Ruiz Agudo. À aucun moment cet argument n’a été ava n cé devant les juridictions internes, et il n’est donc pas sérieux de se plaindre de ce que le procès-verbal était résumé pour la première fois cinq ans après que le jug e ment a été rendu.

4.9 L’auteur fait valoir que les modalités d’application de la procédure abrégée r e présentent une violation du principe essentiel dans tout procès de l’égalité des moyens de défense. D’après l’État partie, il n’est pas sérieux de se plaindre d’une «disposition légale» sans montrer quels droits concrets garantis par le Pacte pe u vent être atteints et sans que l’auteur ait dénoncé ce fait devant les juridictions inte r nes.

4.10 En ce qui concerne l’allégation de violation de la présomption d’innocence, l’État partie affirme que les documents fournis contiennent eux-mêmes toutes les preuves à charge suffisantes pour fonder sa condamnation.

Réponse de l’auteur aux observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1 Dans sa communication en date du 27 août 1999, le conseil fait valoir que, quoique l’État partie affirme que l’auteur ne s’est pas plaint d’une violation des droits garantis au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte devant les juridictions internes, le recours en amparo formé par l’auteur devant le Tribunal constitutionnel mo n tre bien qu’il y a eu plainte pour violation des droits garantis par l’article 24 de la Constitution espagnole, qui reconnaît le droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence. L’argument de l’État partie est donc dénué de fondement.

5.2 En ce qui concerne l’argument du non-épuisement des recours internes avancé par l’État partie, l’auteur réaffirme que pour demander la reconnaissance de son droit à être jugé sans retard excessif, il s’est pourvu devant le Tribunal constitutio n nel, lequel a établi, dans sa décision du 18 septembre 1996, que «dès le début, la j u risprudence constitutionnelle a exigé pour faire valoir la reconnaissance du droit d’être jugé dans des délais raisonnables, la nécessité d’avoir préalablement protesté contre les retards ou la longueur de la procédure, en citant expressément la règle constitutionnelle, et que le procès soit en cours devant l’organe judiciaire (...), ce qui n’a pas été fait. De plus, une fois le jugement définitif rendu, il faut préalabl e ment réclamer réparation par la voie appropriée». D’après le conseil, l’objet de la requête devant le Tribunal constitutionnel n’était pas de réclamer une indemnisation pour la violation du droit d’être jugé dans des délais raisonnables mais de constater l’existence de la violation et, par conséquent, d’avertir l’État partie qu’il a violé un droit fondamental. La prescription selon laquelle il faut engager une nouvelle proc é dure judiciaire pour réclamer «la réparation» ne correspond pas à ce que l’auteur a demandé au Tribunal constitutionnel. De plus, conformément au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, la règle de l’épuisement des recours internes n’est pas applic a ble si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables.

5.3 En ce qui concerne la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’homme relative à la recevabilité des affaires dénonçant des retards déraisonn a bles dans des procédures judiciaires, le conseil considère que cette jurisprudence ne lie en rien le Comité. L’auteur a épuisé les voies de recours offertes dans son pays en se pourvoyant devant le Tribunal constitutionnel, lequel a refusé de le reconnaître comme victime d’une violation de ses droits en faisant valoir qu’il aurait dû inv o quer la violation du droit d’être jugé dans des délais raisonnables dès qu’il l’avait r e levée. Le conseil souligne que dans son quatrième rapport périodique au Comité, l’Espagne a indiqué «qu’en droit espagnol il n’est pas nécessaire que la partie proteste contre la durée excessive du procès au cours du procès lui-même. Par conséquent, qu’elle l’ait fait ou non, l’État a le devoir d’administrer la justice dans un délai raisonnable. Du fait de ce devoir et de cette responsabilité, l’État est tenu d’indemniser l’intéressé pour le préjudice moral qu’entraîne toujours le manquement de l’État à une de ses obligations et, le cas échéant, du dommage matériel qui en résulte. Si aucune instance judiciaire ou constitutionnelle n’a déclaré un retard excessif dans la procédure, le Conseil supérieur de la magistrature informe que le procès a été d’une durée excessive et l’administration fixe l’indemnisation à verser à la victime».

5.4 En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui conteste la recevabilité de la plainte portant sur l’absence de procès-verbal in extenso , le conseil indique que le droit d’appel est vidé de sa substance s’il n’existe pas de procès-verbal in extenso des déclarations des témoins ou des experts puisque la deuxième juridiction ne peut pas réellement procéder à une révision valable de la décision de la juridiction du premier degré si elle ne dispose pas d’un document complet. Dans sa déclaration d’appel, l’auteur avait demandé la révision de l’appréciation des preuves qu’il considérait comme entachée d’erreur. L’absence de document textuel a fait que des détails i m portants des déclarations des témoins et des experts avaient été omis.

5.5 D’après le conseil, l’auteur n’a pas bénéficié de toutes les possibilités de se défendre du fait de la violation du droit à l’égalité des moyens, à cause de la loi qui prévoit la procédure pénale engagée contre lui et favorise le Procureur et l’accusation. Le conseil indique que l’accusé n’a pas pu se prévaloir des possibilités énoncées au paragraphe 1 de l’article 790 de la loi de procédure criminelle et n’a pas pu proposer de modes de preuve complémentaires, par exemple en exigeant de nouveau la production des originaux des bordereaux bancaires, ce qui aurait permis d’établir qu’il n’avait pas gardé les montants qu’il lui était reproché de s’être appropriés.

5.6 Pour ce qui est de la réponse de l’État partie relativement à la violation de la présomption d’innocence, le conseil indique que l’auteur a été privé d’une preuve d é cisive pour démontrer son innocence, les originaux des bordereaux afférents aux comptes qu’il détenait à la Caja Rural Provincial, pièces qui se trouvaient en la po s session de la partie civile. Une des règles inhérentes au principe de la présomption d’innocence est que la charge de la preuve incombe à l’accusation et que le doute profite à l’inculpé. Dans son arrêt, la cour d’appel ( Audiencia Provincial ) reconnaît que la charge de prouver son innocence a été imposée à l’inculpé quand elle affirme «... même s’il eût été assurément préférable de disposer des originaux des bord e reaux relatifs à ses comptes mais, en leur absence, il eût été nécessaire que des do n nées ou des faits permettant de contester l’authenticité des relevés informatiques c i tés soient apportés». Or l’inculpé ne pouvait administrer la preuve de son innocence qu’avec les bordereaux originaux.

Décision concernant la recevabilité

6.1 À sa soixante et onzième session, en mars et avril 2001, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication et a vérifié, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2 En ce qui concerne la question des délais excessifs, le Comité a pris note de la réponse de l’État partie qui opposait le non ‑épuisement des recours internes. L’État partie a indiqué que depuis juillet 1993, dans les cas où les recours internes prévus aux articles 292 et suivants de la loi organique du pouvoir judiciaire n’avaient pas été exercés, la Cour européenne des droits de l’homme avait déclaré irrecevables les plaintes faisant état d’une violation du droit d’être jugé dans des délais raisonnables au motif du non ‑épuisement des recours internes. Toutefois, le Comité a noté que dans l’affaire à l’examen, la procédure avait été engagée en 1983 et qu’aucune décision n’avait été rendue avant 1994, sans que l’État partie n’eût donné dans sa réponse de motif justifiant un tel délai. Le Comité a conclu qu’en l’espèce les procédures de recours internes avaient excédé des délais raisonnables au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et que par conséquent il n’était pas empêché d’examiner la communication au fond.

6.3 Concernant les arguments présentés par l’auteur de la communication, qui affirmait qu’il y avait eu violation de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 10 du Pacte, le Comité a estimé que ces allégations n’étaient pas suffisamment étayées aux fins de la recevabilité.

6.4 En conséquence, en date du 15 mars 2001, le Comité des droits de l’homme a déclaré la communication recevable en ce qu’elle pouvait soulever des questions au regard de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie concernant le fond de la communication

7.1 Dans ses observations datées du 12 novembre 2001, l’État partie relève que la procédure engagée contre Alfonso Ruiz Agudo a été d’une durée «excessive» ce qui a été dûment constaté par la juridiction pénale ou dans son jugement du 21 décembre 1994. Il considère donc que si le Comité devait conclure dans ses constatations que le droit d’être jugé dans des délais raisonnables a été violé, il ne ferait que répéter ce que les juridictions internes ont constaté.

7.2 Pour ce qui est des conséquences de ces délais excessifs, l’auteur a demandé que lui soit infligée la peine minimale (le minimum du quantum minimal de la peine). D’après l’État partie, la juridiction pénale lui a donné satisfaction puisqu’elle a atténué la peine en le condamnant au minimum du quantum intermédiaire.

7.3 Par ailleurs, l’État partie signale que l’auteur ne s’est pas pourvu devant le Tribunal constitutionnel pour faire reconnaître la violation du droit d’être jugé sans retard excessif, comme le prétend son conseil, mais pour demander à ne pas exécuter la peine fixée dans le jugement définitif. L’État partie fait valoir que cette requête n’a pas de fondement juridique étant donné qu’aucune disposition de la législation espagnole ni du Pacte ne prévoit que les peines ne doivent pas être exécutées quand le condamné a été jugé dans des délais excessifs.

7.4 L’État partie réaffirme qu’en pareil cas la seule chose qu’il convient d’accorder est une indemnité financière. Toutefois, l’indemnisation n’a jamais été demandée, et l’État partie ne comprend pas que le Comité affirme que les procédures de recours interne ont excédé des délais raisonnables aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’État partie considère en effet que si, en 1996, l’auteur avait demandé une indemnité financière par la voie appropriée que le Tribunal constitutionnel lui avait indiquée, il l’aurait déjà obtenue.

7.5 Pour ce qui est de l’allégation de violation du principe de présomption d’innocence, l’État partie avance trois arguments pour la réfuter.

7.6 En premier lieu, l’État partie fait remarquer qu’Alfonso Ruiz Agudo n’a pas été condamné exclusivement sur la base des documents reconstitués à partir des fichiers informatiques comme il ressort clairement du jugement de la juridiction pénale.

7.7 En deuxième lieu, l’État partie considère que la ligne de défense adoptée par Alfonso Ruiz Agudo, qui imputait les opérations constitutives du délit à un employé de bureau du nom d’Alfonso de Gea Robles et qui, au lieu de demander l’acquittement, demandait que la peine appliquée soit minimale, représente une reconnaissance de la part de l’auteur de sa responsabilité dans le délit.

7.8 En troisième lieu, en ce qui concerne le fichier informatique, l’État partie explique que les opérations bancaires sont consignées dans des fichiers informatiques qui correspondent à tous les relevés journaliers de la position des comptes et à tous les relevés du service de caisse, et que ces relevés ont été produits au procès pour être examinés. À ce sujet l’État partie souligne que les experts de la défense eux ‑mêmes ont déclaré à l’audience qu’ils ne doutaient pas de l’authenticité de la transcription informatique des relevés de comptes.

7.9 Au vu de tous ces éléments, l’État partie rappelle que le jugement de la cour d’appel ( Audiencia Provincial ) n’inverse pas la charge de la preuve. Cela revient à dire que si l’auteur rejette une preuve licite qui n’a pas été contestée quand il le fallait, il aurait dû contrer cette preuve en apportant lui ‑même une preuve à décharge.

7.10 Pour ce qui est du jugement, l’État partie réaffirme qu’aucun article du Pacte n’exige que l’acte d’un jugement soit littéral. Il affirme en outre que l’auteur a signé cet acte, de même que son avocat, en toute légalité, et qu’il n’y a jamais eu aucune plainte déposée auprès des juridictions internes.

7.11 En outre, en ce qui concerne la régularité de la procédure abrégée et l’égalité de moyens, l’État partie affirme qu’il n’y a jamais eu non plus de plaintes au plan interne. Au demeurant, le Pacte n’admet pas de révisions abstraites de la loi.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond de la communication

8.1 Dans ses commentaires datés du 21 janvier 2002, le conseil de l’auteur affirme que tous les États parties au Pacte ont l’obligation de garantir le droit d’être jugé sans retard excessif et que pour être effectif ce droit ne doit pas être subordonné à une demande de l’inculpé. Il considère donc que la décision du Tribunal constitutionnel, qui a refusé explicitement de reconnaître une violation sous prétexte que l’auteur n’avait pas dénoncé la chose auprès des autorités judiciaires compétentes, dénote un esprit bureaucratique.

8.2 Le conseil fait valoir que le discours de l’État partie au sujet du double système de réparation en cas de retard excessif ne signifie rien dans la pratique. La réparation et la constatation de la violation constituée par le retard, du fait de sa nature, doivent être faites pendant la procédure elle ‑même et non en engageant une nouvelle procédure de la juridiction administrative, qui peut prendre jusqu’à neuf ans: deux ans devant la juridiction du premier degré et sept ans en cassation. À la lumière de ce qui précède, le conseil de l’auteur affirme qu’il faudrait qu’il existe une «législation antiretards excessifs» qui permette, au minimum, que le juge soit habilité dans la même procédure à fixer, en fonction de la durée du procès, un ensemble de mesures de réparation. Ces mesures pourraient être une réduction de peine, une exemption de peine, la suspension de l’incarcération ou une indemnité financière dont le montant serait fixé directement, sans renvoi devant un autre organe.

8.3 Le conseil fait valoir que le Gouvernement a refusé de gracier Alfonso Ruiz Agudo malgré la requête expresse de celui ‑ci et malgré la faculté donnée au paragraphe 4 de l’article 4 du Code pénal. Il fait valoir en outre que le Tribunal constitutionnel aurait dû reconnaître qu’un droit fondamental avait été violé et par conséquent aurait dû suggérer au Gouvernement qu’il y avait lieu d’accorder la grâce à titre de réparation.

8.4 En ce qui concerne la réduction de la peine consentie par la juridiction pénale, le conseil explique que l’auteur n’avait pas de casier judiciaire et que le juge aurait pu prononcer la peine minimale (le minimum du quantum minimal). Or il a infligé le quantum intermédiaire et dans cette catégorie le minimum, ce qui fait que la réduction de la peine a été tout à fait symbolique.

8.5 En ce qui concerne le principe de la présomption d’innocence, le conseil réaffirme que la preuve déterminante n’était pas un document original mais une reconstitution arbitraire faite par l’accusation elle ‑même. Cette preuve a été par la suite contestée par l’auteur qui a demandé les pièces originales, lesquelles n’ont pas été produites par la banque. Il signale en outre qu’en 1983 la Caja Rural de Cehegín n’était pas informatisée et que toutes les opérations − entrées et sorties d’argent – étaient enregistrées manuellement.

8.6 Pour ce qui est des témoignages cités par l’État partie au nombre des autres modes de preuve, le conseil affirme qu’ils portaient sur d’autres éléments de l’accusation, éléments qui n’étaient pas déterminants, comme l’existence de multiples prêts, qui ne prouvaient en rien la culpabilité de l’auteur.

8.7 Le conseil fait valoir que dans le jugement il est indiqué que Alfonso Ruiz Agudo n’a jamais reconnu être l’auteur des faits et que les experts ont reconnu ne pas pouvoir donner plus de renseignements parce qu’il leur manquait certains éléments, comme les comptes de M. Ruiz Agudo.

8.8 Pour ce qui est de la question de l’égalité des moyens, le conseil relève que l’État partie a souligné que l’auteur ne s’était pas plaint de cette inégalité devant les organes compétents internes, mais qu’il a caché l’existence de l’arrêt du Tribunal constitutionnel, en date du 15 novembre 1990, qui a rejeté l’objection d’inconstitutionnalité de cette question.

8.9 Pour ce qui est du texte du jugement, le conseil de l’auteur considère que le droit de faire appel exige, à titre de garantie minimale, que l’instance supérieure dispose d’un procès ‑verbal in extenso des audiences qui donne les détails du résultat du procès du jugement et des preuves administrées. Si le jugement n’est qu’un résumé des audiences, il ne permet pas de véritable recours sur des questions de fait.

8.10 Le conseil de l’auteur a joint à ses commentaires datés du 3 juillet 2002 un jugement de la chambre pénale du tribunal, en date du 26 décembre 2000, dans lequel on peut lire que «d’après la jurisprudence de la chambre, l’appréciation de la crédibilité des déclarations qui ont été faites lors du procès est une question étrangère au recours en cassation étant donné que seul pourrait faire cette appréciation un tribunal qui aurait pris connaissance de ces déclarations directement, − c’est ‑à ‑dire avec ses sens − et immédiatement». Le conseil dit que le Tribunal reconnaît de cette façon que sans un procès ‑verbal in extenso qui rende compte de l’intégralité des déclarations, il ne peut y avoir de révision valable par la juridiction supérieure.

Examen quant au fond

9.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité relève que l’État partie a expressément reconnu que la procédure menée contre Alfonso Ruiz Agudo avait été excessivement longue et que cela a été établi par les organes judiciaires internes, mais qu’il n’a donné aucun motif qui puisse justifier de tels délais. Il rappelle sa position, reflétée dans son observation générale relative à l’article 14 dans laquelle il a souligné que toutes les étapes du jugement doivent se dérouler sans retard excessif et que pour que ce droit soit effectif, il doit exister une procédure qui garantisse qu’il en soit bien ainsi à tous les stades. Il considère qu’en l’espèce 11 années pour mener à bien le procès en première instance et 13 autres avant le rejet du recours en appel constituent une durée incompatible avec le droit d’être jugé sans retard excessif, garanti au paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte . Il estime aussi que la simple possibilité d’obtenir une indemnisation après un procès qui a été d’une durée excessive, et indépendamment du procès, ne constitue pas un recours utile.

9.2 Le Comité a pris note des arguments avancés par les deux parties au sujet de l’évaluation des preuves écrites à charge. Il rappelle sa jurisprudence et réaffirme que, si l’article 14 garantit le droit à un jugement équitable, ce n’est pas au Comité mais aux juridictions nationales qu’il appartient d’apprécier les faits et les preuves dans chaque cas, à moins qu’il ne puisse être établi que l’appréciation des preuves a été manifestement partiale ou arbitraire ou a représenté un déni de justice . En l’espèce, les documents dont le Comité est saisi ne montrent pas que le procès ait été entaché de ces vices. De la même manière, le Comité prend note des observations de l’État partie qui fait valoir que l’auteur n’a jamais objecté devant les juridictions nationales que la preuve constituée par la reconstitution des pièces bancaires à partir des fichiers informatiques était illégale et relève que d’après le jugement de la juridiction pénale plusieurs modes de preuve ont été pris en compte pour déterminer les faits. Par conséquent, le Comité conclut qu’il n’y a pas eu de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9.3 Pour ce qui est de l’absence de procès ‑verbal in extenso des audiences, le Comité estime que l’auteur n’a pas montré en quoi l’absence de ce document lui avait causé un préjudice. Il considère donc qu’il n’y a pas eu de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ni du droit d’appel garanti au paragraphe 5 de l’article 14.

9.4 Enfin, le Comité prend note des allégations de l’auteur qui considère que la procédure abrégée, en particulier l’application de l’article 790 de la loi de procédure pénale, porte atteinte au principe de l’égalité de moyens. Le Comité estime que les informations et les documents que l’auteur a soumis n’ont pas étayé l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14 pour le motif invoqué.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu des dispositions du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’Espagne du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

11. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile à l’auteur, sous la forme d’une indemnisation, pour la durée excessive de son procès. De même, l’État partie doit, en prenant des mesures efficaces, éviter que les procès ne se prolongent de façon excessive et que les individus ne se voient obligés d’engager une nouvelle action en justice pour obtenir une indemnisation.

12. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité à rendre publique la présente décision.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

M. Communication n o  875/1999, Filipovich c. Lituanie * (Constatations adoptées le 4 août 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par :

M. Jan Filipovich (représenté par un conseil, K. Stungio Kontora du cabinet Lietuvos Respublikos Advokatûra)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Lituanie

Date de la communication :

25 janvier 1997 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 4 août 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  875/1999 présentée par M. Jan Filipovich, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 25 janvier 1997, est Jan Filipovich, citoyen lituanien, reconnu coupable de meurtre avec préméditation. Il affirme être victime de violations par la Lituanie des paragraphes 1 et 3 c) de l’article 14 et du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. Il est représenté par un conseil. Le Pacte et le Protocole sont entrés en vigueur pour la Lituanie le 20 février 1992.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 3 septembre 1991, à la suite d’une bagarre entre l’auteur et M. N. Zhuk, M. Zhuk est resté sans connaissance et a été transporté à l’hôpital. Il n’a été opéré que le 5 septembre et est décédé ce même jour. D’après l’auteur, le décès était dû à un traumatisme abdominal et à une péritonite qui s’était développée en raison du caractère tardif de l’opération.

2.2 L’enquête préliminaire a été ouverte en septembre 1991. L’auteur a été reconnu coupable de meurtre avec préméditation le 16 janvier 1996 par le tribunal de district de Vilnius . Il a fait appel de cette décision devant le même tribunal, appel qui a été rejeté le 13 mars 1996. Le 2 mai de la même année, la Chambre criminelle de la Cour suprême lituanienne a rejeté le pourvoi en cassation formé par l’auteur. Le 1 er  juillet 1996, le Vice ‑Président de la Cour suprême et le Procureur général ont refusé de solliciter un pourvoi en cassation.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur dit être victime d’une violation du droit à un procès équitable visé au paragraphe 1 de l’article 14, parce que ni l’enquête préliminaire ni la phase orale du procès n’ont été impartiales puisqu’il n’a pas été accordé d’importance au résultat de l’enquête effectuée par une commission chargée d’établir la raison de l’opération chirurgicale tardive et de l’erreur de diagnostic. Si la version des faits résultant de cette enquête apparaît exacte, l’auteur estime que le seul délit dont il aurait pu être accusé était un délit de coups et blessures et non de meurtre avec préméditation.

3.2 L’auteur déclare être victime d’une violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte du fait que, alors que l’enquête avait été ouverte en septembre 1991, la condamnation a été prononcée le 16 janvier 1996 et le jugement définitif n’a été rendu que le 2 mai de cette année ‑là, soit quatre ans et huit mois après l’ouverture du procès, ce qui d’après lui constitue un retard indu.

3.3 L’auteur dénonce une violation du paragraphe 1 de l’article 15 puisque la peine qui lui a été infligée était plus lourde que celle qu’on aurait dû lui infliger au moment où le délit a été commis. Selon lui, la peine fixée par l’article 104 du Code pénal lituanien (meurtre avec préméditation) en 1991 était une peine de trois à 12 ans de privation de liberté. Or il a été condamné en vertu de la nouvelle version de l’article 104 du Code pénal − qui prévoit une privation de liberté de cinq à 12 ans − à une peine de six ans de privation de liberté. Par ailleurs, l’auteur fait valoir que le tribunal n’a jamais précisé ni dans son jugement ni dans des décisions ultérieures que la peine était fondée sur la version de l’article 104 du Code pénal en vigueur jusqu’au 10 juin 1993 .

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

a) Violation présumée du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte

4.1 En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité, à savoir les constatations du 28 septembre 1999 concernant la communication n o  710/1996 ( Hankle  c.  Jamaïque ) et les constatations du 9 avril 1981 concernant la communication n o  58/1979 ( Maroufidou c. Suède ), dans lesquelles il a considéré qu’il appartient de façon générale aux juridictions internes d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été manifestement partiale ou arbitraire ou a représenté un déni de justice.

4.2 L’État partie fait valoir que les tribunaux lituaniens, que ce soit le tribunal de première instance, le tribunal saisi en appel ou la Cour suprême, se sont référés expressément aux conclusions de la commission d’enquête. La Cour suprême a soutenu en particulier que le tribunal de première instance avait procédé à une enquête exhaustive sur toutes les circonstances de l’espèce et qu’il avait apprécié dûment les éléments de preuve, suivant les prescriptions des articles 18 et 76 du Code de procédure pénale . La Cour suprême a également réexaminé la qualification du fait incriminé au regard du droit lituanien et a déterminé que le fait avait été correctement qualifié de meurtre avec préméditation au sens de l’article 104 du Code pénal lituanien.

4.3 Il découle de ce qui précède que cette affaire ne fait apparaître aucune irrégularité permettant de dire qu’il y a eu appréciation erronée des preuves ou déni de justice pendant le procès. En conséquence, cette partie de la communication doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, car elle est incompatible avec les dispositions du Pacte.

b) Violation présumée du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte

4.4 Selon l’État partie, les allégations de l’auteur sont uniquement fondées sur la durée du procès et il n’invoque aucun autre argument à l’appui de sa plainte. La seule durée du procès ne peut pas constituer une violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 puisque le Pacte consacre expressément le droit d’être jugé sans retard indu. Par ailleurs, outre qu’il présente des arguments à l’appui de sa plainte, il doit non seulement indiquer la durée réelle du procès mais invoquer les retards imputables à l’État partie et avancer des faits concrets.

4.5 En outre, l’État partie soutient que les calculs de l’auteur concernant la durée de la procédure ne sont pas exacts. En fait, en ce qui concerne le début de la période pertinente, ce n’est pas septembre 1991 qui compte mais le 20 février 1992, date de l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour la Lituanie.

4.6 L’auteur n’ayant pas fourni de renseignements sur le retard indu de la procédure pénale, l’État partie considère qu’il n’a pas présenté d’argument à l’appui de sa plainte, et que cette partie de la communication doit donc être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

c) Violation présumée du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte

4.7 L’État conteste l’affirmation de l’auteur selon laquelle le fait que la version pertinente de l’article 104 du Code pénal n’est pas expressément mentionnée dans le jugement du tribunal de première instance constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. Il rappelle que la légalité du jugement a été portée devant la Cour suprême qui a écarté les arguments de l’auteur selon lesquels le tribunal de première instance avait imposé une peine erronée, puisque la peine avait été imposée conformément à l’article 39 du Code pénal . En outre, cet article est conforme au principe selon lequel la loi prévoyant des peines plus graves n’a pas d’effet rétroactif. C’est pourquoi la Cour suprême, ayant reconnu la légalité de la peine imposée conformément à l’article 39, a confirmé en même temps que cette peine était conforme au principe de non ‑rétroactivité prévu à l’article 7 du Code pénal.

4.8 L’État partie précise que la Cour suprême s’est assurée en outre qu’il n’existait pas d’autres raisons de considérer que la peine infligée était plus lourde que celle qui aurait pu légitimement l’être pour ce genre de fait délictueux dans les circonstances de l’espèce. Dans le cas de l’auteur, il existait des circonstances aggravantes dues à l’état d’ébriété dans lequel il se trouvait, et il n’existait pas de circonstances atténuantes. La version de l’article 104 du Code pénal en vigueur au moment où le délit a été commis prévoyait une privation de liberté de trois à 12 ans. L’auteur a été condamné à une peine de six ans, qui se situe donc dans les limites fixées dans cet article.

4.9 Sachant que la Cour suprême a considéré que la peine infligée à l’auteur était conforme à l’article 39 du Code pénal lituanien et rappelant la jurisprudence du Comité selon laquelle il appartient généralement aux juridictions nationales d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, l’État partie considère que la peine appliquée est conforme à l’interdiction d’infliger une peine plus grave que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise, comme il est dit au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité et sur le fond

5.1 Dans ses commentaires du 20 août 2000, l’auteur fait valoir que tout au long du procès son droit à la défense et son droit à ce que sa cause soit entendue ont été de pure forme, comme en témoigne clairement la décision du tribunal.

5.2 La condamnation prononcée le 16 janvier 1996 par le tribunal de district de Vilnius était fondée sur le fait que la seule cause de la mort de M. Zhuk venait des coups de poing à la tête et à l’estomac que l’auteur lui avait assénés, à la suite desquels il était décédé. Selon l’auteur, le tribunal a adopté ces conclusions sans preuve sérieuse et sans avoir examiné la preuve principale , puisqu’il était dit dans le rapport du médecin légiste que la cause de la mort de M. Zhuk était un coup reçu à l’estomac qui avait entraîné une péritonite. Le même rapport précisait en outre que M. Zhuk avait été opéré trop tard, que les blessures qui avaient entraîné la mort n’avaient été diagnostiquées que 30 heures après l’arrivée à l’hôpital et que le médecin qui avait suspecté des lésions à l’estomac n’avait pas pris les mesures nécessaires pour pouvoir poser le diagnostic définitif qui aurait permis de procéder immédiatement à l’opération.

5.3 En ce qui concerne le paragraphe 3 c) de l’article 14, l’auteur reconnaît avec l’État partie que le moment à partir duquel la durée du procès commence à courir est la date d’entrée en vigueur du Pacte, c’est-à-dire le 20 février 1992; mais de toute manière cette durée a été excessivement longue puisque quatre ans et deux mois se sont écoulés entre la date d’entrée en vigueur du Pacte et le 2 mai 1996.

5.4 Sachant que les preuves ont été recueillies au cours de la phase initiale de l’enquête et que le rapport médico ‑légal a été fait le 6 septembre 1991, puis le 1 er  décembre 1992, l’unique raison pour laquelle le procès a autant duré est le retard injustifié mis par les magistrats pour saisir le tribunal.

5.5 Enfin, l’auteur invoque le paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte et réaffirme qu’il aurait dû être jugé conformément aux lois en vigueur à l’époque où le délit a été commis. Il n’en a rien été, et les faits pour lesquels il a été jugé n’ont pas été qualifiés conformément à la loi en vigueur au moment où ils avaient été commis. Le tribunal de district de Vilnius qui a statué sur cette affaire a estimé que la qualification du délit figurait dans l’article 104 du Code pénal (meurtre avec préméditation) et n’a pas tenu compte de l’existence à l’époque du paragraphe 2 de l’article 111 prévoyant le délit de coups et blessures ayant entraîné la mort. Par ailleurs, l’auteur soutient que la peine applicable à ce genre de délit était plus grave que celle qui était applicable au moment où il avait été commis. Il conteste l’observation de l’État partie selon laquelle la Cour suprême, dans sa décision du 2 mai 1996, a confirmé que la peine a été appliquée conformément à la loi en vigueur au moment où le délit avait été commis.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’avait pas été soumise à une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement. Il a vérifié également que les recours internes avaient été épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité note également que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication en vertu du paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 En ce qui concerne les allégations de l’auteur concernant la violation du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité rappelle que c’est en général aux tribunaux des États parties, et non au Comité, qu’il incombe d’apprécier les faits dans une affaire déterminée. Il prend note des allégations de l’État partie qui affirme que la Cour suprême a examiné tous les éléments de preuve. En outre, les renseignements dont le Comité dispose et les arguments avancés par l’auteur ne permettent pas de dire que l’appréciation des faits par les tribunaux a été manifestement arbitraire et a représenté un déni de justice. En conséquence, le Comité estime que la plainte est irrecevable faute d’avoir été suffisamment étayée en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 S’agissant des allégations de l’auteur relatives au paragraphe 3 c) de l’article 14 et au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, le Comité considère qu’elles sont suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. En conséquence, il procède à l’examen quant au fond de cette partie de la communication, à la lumière des informations portées à son attention par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

7.1 En ce qui concerne les allégations de l’auteur selon lesquelles la durée du procès a été excessive, l’enquête ayant été ouverte en septembre 1991 et le jugement du tribunal de première instance ayant été rendu le 1 er  janvier 1996, le Comité prend note des arguments de l’État partie qui précise que la durée du procès doit être comptée à partir de la date d’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole pour la Lituanie, soit le 20 février 1992. Le Comité relève toutefois que, même si l’enquête a été ouverte avant l’entrée en vigueur de ces textes, le procès a duré sans interruption jusqu’en 1996. Le Comité note par ailleurs que l’État partie n’a donné aucune explication permettant de justifier que quatre ans et quatre mois se soient écoulés entre l’ouverture de l’enquête et le jugement en première instance. Sachant que l’enquête a été close, selon les informations dont il dispose, après la présentation du rapport de la commission médico ‑légale et que l’affaire n’était pas d’une complexité qui justifie un retard de quatre ans et quatre mois, ou trois ans et deux mois après l’établissement du rapport médico ‑légal, le Comité considère qu’il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l’article 14.

7.2 Pour ce qui touche aux allégations de l’auteur qui estime avoir été condamné à une peine plus grave que celle qui aurait dû lui être infligée au moment où le délit a été commis, le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles il n’est dit dans aucun des jugements rendus contre lui quelle est la version de l’article 104 du Code pénal qui a été appliquée pour prononcer la peine de privation de liberté de six ans. Toutefois, le Comité note également que cette peine se situe très largement dans les limites fixées par la loi précédente (3 à 12 ans) et que l’État partie a mentionné l’existence de circonstances aggravantes. En l’espèce, le Comité ne peut, sur la base des documents dont il est saisi, conclure que la peine à laquelle l’auteur a été condamné n’était pas conforme à la loi en vigueur au moment où le délit a été commis. Par conséquent, il n’y pas a eu violation de l’article 15, paragraphe 1, du Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

9. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie doit accorder à l’auteur un recours utile, notamment sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

N. Communication n o  878/1999, Kang  c.  République de Corée * (Constatations adoptées le 15 juillet 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par : M. Yong ‑Joo Kang (représenté par un conseil, M. Yong ‑Whan Cho)

Au nom de : L’auteur

État partie : République de Corée

Date de la communication : 27 mai 1998

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 15 juillet 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  878/1999 présentée par M. Yong ‑Joo Kang, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, qui est datée du 27 mai 1998, est M. Yong ‑Joo Kang, citoyen coréen, qui était en prison au moment de la présentation de la communication. Il a été libéré par la suite. Il affirme être victime d’une violation par la République de Corée des paragraphes 1 et 3 de l’article 10, des paragraphes 1 et 2 de l’article 18, des paragraphes 1 et 2 de l’article 19 et de l’article 26 du Pacte. Il est représenté par un Conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 10 juillet 1990.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur, avec d’autres personnes de sa connaissance, était un opposant au régime militaire de l’État partie dans les années 80. En 1984, il a distribué des tracts critiquant le régime et le recours aux forces de sécurité pour le harceler, lui et d’autres personnes. Il a également effectué pendant la même période une visite non autorisée (et considérée par conséquent comme criminelle) en Corée du Nord. En janvier, en mars et en mai 1985, il a distribué des publications dissidentes portant sur de nombreuses questions politiques, historiques, économiques et sociales.

2.2 L’auteur a été arrêté sans mandat le 1 er  juillet 1985 par l’Agence pour la planification de la sécurité nationale (ANSP). Il a été détenu au secret et interrogé dans les locaux de l’ANSP, et a subi «des actes de torture et d’autres mauvais traitements» pendant 36 jours. Sous la torture, il a avoué être membre du Parti du travail nord ‑coréen et avoir reçu des instructions de la Corée du Nord, pour se livrer à des actes d’espionnage. C’est seulement le 5 août 1985 qu’un mandat judiciaire a été délivré pour son arrestation. Maintenu en détention, il a été officiellement inculpé le 4 septembre 1985 de violations de la loi sur la sécurité nationale du 31 décembre 1980 . Il lui était reproché d’avoir rencontré un membre d’un réseau d’espionnage, de s’être livré à des «activités profitables à l’ennemi» (la Corée du Nord), d’avoir recueilli et divulgué des secrets d’État ou militaires (espionnage) et d’avoir participé à un complot.

2.3 En janvier 1986, l’auteur a été jugé par la 10 e  chambre du tribunal pénal de district de Séoul pour violation de la loi sur la sécurité nationale dans le cadre d’une affaire d’espionnage dans laquelle 15 personnes ont été déclarées coupables en 1985 et 1986 . Au procès, l’auteur a déclaré qu’il avait avoué sous la torture. Le 20 janvier 1986, s’appuyant sur les aveux de l’auteur, le tribunal l’a déclaré coupable et l’a condamné à la réclusion à perpétuité. Le tribunal était arrivé à la conclusion que l’auteur était «devenu membre d’une organisation subversive» et que le fait de dialoguer et de tenir des réunions avec d’autres opposants au régime était constitutif de «l’infraction consistant à faire l’éloge d’une organisation subversive, à l’encourager ou à prendre parti pour elle» et «à l’infraction consistant à rencontrer un membre d’une organisation subversive». Le tribunal a estimé que la distribution de publications représentait «un acte d’espionnage».

2.4 Les recours de l’auteur ont été successivement rejetés par la 4 e  chambre pénale de la Haute Cour de Séoul le 31 mai 1986 et par la 1 re  chambre de la Cour suprême le 23 septembre 1986 . L’auteur ayant été déclaré coupable en 1986, il n’avait à l’époque aucune possibilité de soulever des questions constitutionnelles puisque le Tribunal constitutionnel n’a été mis en place qu’en vertu de la Constitution de 1987.

2.5 Après sa condamnation, l’auteur a été placé en isolement cellulaire. Il a été classé en tant que «criminel invétéré» communiste en vertu du «système de conversion idéologique», système dont les bases juridiques ont été fixées par la loi sur l’administration pénale de 1980 et qui vise à changer les opinions politiques d’un prisonnier en échange d’avantages et d’un traitement favorable en prison. Compte tenu de cette classification, l’auteur ne pouvait prétendre à un meilleur traitement. Le 14 mars 1991, le régime de détention de l’auteur a été reclassifié par le règlement sur la classification et le traitement des condamnés («règlement de 1991») qui est applicable «à ceux qui ne montrent pas de signes de repentir après avoir commis des infractions visant à détruire l’ordre libre et démocratique en place». Qui plus est, ayant été condamné en vertu de la loi sur la sécurité nationale, l’auteur était soumis à des règles de libération conditionnelle particulièrement strictes .

2.6 Le 17 février 1992, l’auteur et 41 autres prisonniers politiques condamnés à des peines de longue durée en vertu de la loi sur la sécurité nationale ont déposé une requête auprès du Tribunal constitutionnel, lui demandant de déclarer inconstitutionnel le «système de conversion idéologique» et de l’abroger. Le 25 mai 1992, le Tribunal a statué que la plainte était prescrite. Tout en reconnaissant que les violations présumées avaient un effet continu, le Tribunal a estimé que la plainte aurait dû être déposée dans les 180 jours qui avaient suivi l’entrée en vigueur du règlement de 1991 le 14 mars 1991.

2.7 En 1993, par décret présidentiel, la condamnation de l’auteur à la prison à vie a été commuée en peine de 20 ans de réclusion. Le 7 juillet 1994, l’auteur a déposé une plainte au pénal contre huit fonctionnaires de l’Agence pour la planification de la sécurité nationale concernant son «arrestation illégale» et les mauvais traitements qu’il avait subis en juillet et en août 1985. Le Procureur a décidé de ne pas inculper les fonctionnaires de l’Agence soupçonnés d’avoir commis ces actes parce qu’il y avait déjà prescription. Cette décision a été par la suite confirmée par le Bureau du Haut Procureur. Le 9 janvier 1995, le Tribunal constitutionnel a confirmé en appel la décision du Haut Procureur, estimant que le délai de prescription de sept ans fixé par le Code de procédure pénale était applicable.

2.8 À la suite de l’avènement d’un nouveau gouvernement en 1998, l’auteur a été libéré, le 25 février 1999 (après la présentation de la communication), dans le cadre d’une amnistie générale .

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme qu’il est victime d’une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte du fait de sa condamnation en vertu de la loi sur la sécurité nationale pour avoir recueilli et divulgué des «secrets d’État ou militaires» (espionnage). Sa condamnation était le résultat d’aveux arrachés sous la torture pendant sa détention illégale et les informations déclarées «secrètes» étaient connues du public. Compte tenu de l’interprétation par la Cour suprême de la notion de «secret» (voir la note 3), l’accusation n’a pas jugé nécessaire d’établir que la divulgation des informations en question mettait en danger la sécurité nationale. La protection de la sécurité nationale ne saurait nécessiter que soient censurées des idées connues du public et, par conséquent, la condamnation de l’auteur et son emprisonnement étaient sans rapport avec les restrictions légitimes prévues au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.

3.2 L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 10, des paragraphes 1 et 2 de l’article 18, du paragraphe 1 de l’article 19, et de l’article 26 du fait du «système de conversion idéologique». L’auteur a été considéré comme un «communiste», ce qu’il rejette. Il a donc été astreint à l’isolement cellulaire pendant 13 ans pour avoir refusé de se «convertir». La contrainte exercée sur lui, à la suite de sa classification, pour qu’il modifie sa pensée et sa conscience, ainsi que le fait de l’avoir privé de certains avantages et de lui avoir refusé toute possibilité de libération conditionnelle à moins qu’il ne se «convertisse» constituent des violations de son droit d’avoir les convictions de son choix à l’abri de toute ingérence. Il a donc été soumis à une discrimination systématique du fait de ses opinions politiques et à un traitement carcéral qui n’était pas compatible avec sa dignité en tant qu’être humain et qui ne visait pas non plus à son amendement et à sa réinsertion sociale.

3.3 À l’appui de son affirmation selon laquelle le «système de conversion idéologique» est contraire au Pacte, l’auteur renvoie aux observations finales adoptées par le Comité à l’issue de l’examen du rapport initial de la République de Corée dans lesquelles on peut lire ce qui suit:

«… La principale préoccupation du Comité porte sur le maintien en vigueur de la loi sur la sécurité nationale. … De plus, certaines questions traitées dans la loi sur la sécurité nationale sont définies en termes assez vagues, ce qui permet une interprétation très large qui pourrait avoir pour effet de sanctionner des actes qui ne semblent peut ‑être pas véritablement dangereux pour la sécurité de l’État et d’encourager l’adoption de mesures non autorisées par le Pacte. … Le Comité estime également que les conditions dans lesquelles les prisonniers sont rééduqués ne constituent pas une réinsertion au sens normal du terme et que les mesures de coercition utilisées dans le cadre de ce processus pourraient constituer une violation des dispositions du Pacte touchant la liberté de conscience. …» .

3.4 Le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression s’est fait l’écho de ces préoccupations. Dans son rapport, l’État partie est «vivement encouragé» «à abroger la loi sur la sécurité nationale et à envisager d’autres moyens … de protéger la sécurité nationale». Le Rapporteur spécial y suggère en outre à l’État partie de «s’abstenir de demander aux prisonniers dont les opinions politiques répugnent ou déplaisaient au pouvoir d’y renoncer», et recommande que «tous les prisonniers détenus pour avoir exercé leur droit à la liberté d’opinion et d’expression» soient «libérés sans condition» et que le «cas des prisonniers qui ont été jugés sous d’anciens gouvernements» soit «réexaminé» .

3.5 L’auteur affirme également (sans se référer spécifiquement à l’article 2) que le rejet par le Tribunal constitutionnel de sa requête concernant le «système de conversion idéologique» l’a privé d’un «recours utile» contre ce que le Tribunal lui ‑même avait considéré comme une violation continue de ses droits.

3.6 L’auteur demande a) que l’on déclare que sa condamnation pour «espionnage» et sa soumission au «système de conversion idéologique» constituent une violation des dispositions applicables du Pacte, b) sa libération immédiate sans condition , c) l’abolition du «système de conversion idéologique», d) un nouveau procès, e) une indemnisation équitable et f) la publication officielle des constatations du Comité.

3.7 Pour ce qui est de la recevabilité de la communication, l’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et qu’il ne dispose d’aucun autre moyen de droit dont il peut se prévaloir dans le cadre du système juridique de son pays pour obtenir réparation de la violation présumée de ses droits. Pour ce qui est de l’applicabilité de la prescription, en ce qui a trait à la fois à la requête qu’il a adressée au Tribunal constitutionnel et à la procédure pénale engagée, l’auteur déclare que, dans les deux cas, il était impossible sous le régime militaire anticonstitutionnel en place à l’époque d’engager des poursuites contre les tortionnaires de dissidents politiques dans les délais prescrits. Selon les autorités juridiques coréennes elles ‑mêmes, l’ordre constitutionnel a été interrompu jusqu’en février 1993 , et par conséquent, c’est à partir de cette date que le délai de prescription aurait dû commencer dans son cas.

3.8 Pour ce qui est de la recevabilité ratione temporis de la communication, l’auteur déclare qu’il a souffert des effets continus de sa condamnation initiale en violation du Pacte, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, du fait de la durée de son emprisonnement. De même, les violations du Pacte dues au «système de conversion idéologique» revêtent selon lui un caractère continu et se sont prolongées jusqu’à sa libération.

3.9 L’auteur confirme que la question n’a pas été soumise pour examen à une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1 Dans des lettres datées du 30 décembre 1999 et du 22 juin 2000, l’État partie conteste respectivement la recevabilité et le fond de la communication.

4.2 L’État partie considère que la communication est irrecevable à trois égards. Premièrement, l’auteur a été libéré le 25 février 1999 en application d’une amnistie générale. Deuxièmement, le «système de conversion idéologique» a été aboli en juin 1998 et remplacé par un «système de serment d’obéissance à la loi». Ce nouveau système ne fonctionne pas par la contrainte mais requiert des prisonniers qu’ils s’engagent à se conformer à la loi. La prestation de serment n’est pas une condition préalable à la remise en liberté, comme en témoigne le fait que 49 personnes condamnées pour avoir violé la loi sur la sécurité nationale ont été libérées en application de l’amnistie générale du 15 août 1999, sans avoir eu à prêter serment. Troisièmement, les «délits d’espionnage et d’activités terroristes» pour lesquels l’auteur a été condamné «ne peuvent en aucun cas être justifiés par le droit à la liberté d’expression». L’État partie affirme que l’auteur, qui est un agent nord ‑coréen, a voulu renverser le Gouvernement, a communiqué des secrets d’État à la Corée du Nord, s’est livré à des «activités terroristes subversives très dangereuses sur ordre de la Corée du Nord» et a comploté en vue de détruire le centre culturel américain de Kwang ‑ju «afin de susciter des sentiments antiaméricains au sein de la population coréenne».

4.3 En ce qui concerne le fond, l’État partie considère que la communication est infondée pour des raisons similaires. Premièrement, il fait valoir que c’est dans le cadre de procès équitables et ouverts, que l’auteur a été condamné pour s’être livré à l’espionnage et à des activités terroristes sur ordre de la Corée du Nord. Deuxièmement, l’État partie affirme, en se référant au paragraphe 3 b) de l’article 19 du Pacte, que la liberté d’expression ne saurait justifier de tels crimes. Troisièmement, il n’a pas été prouvé que l’auteur avait subi des actes de coercition ou de cruauté durant son interrogatoire puisqu’il a lui ‑même reconnu au procès que c’était volontairement et en toute liberté qu’il avait avoué ses crimes . Quatrièmement, le système en vertu duquel les prisonniers doivent faire serment d’obéir à la loi, qui a été mis en place après l’abolition du «système de conversion idéologique» exige simplement que l’on s’engage à respecter la loi et ne restreint en rien les droits à la liberté d’opinion et de conscience. Cinquièmement, l’État partie signale de nouveau que le serment n’est pas une condition préalable à la libération et que la remise en liberté de l’auteur le 25 février 1999 entrait dans le cadre d’une amnistie générale «visant à faciliter la réconciliation nationale». Enfin, comme dans l’affaire de l’auteur, la procédure a été conforme au Pacte, rien ne justifie un nouveau procès ou un dédommagement.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans des lettres datées du 11 février et du 8 septembre 2000, l’auteur rejette les observations de l’État partie à la fois sur la recevabilité et le fond de la communication.

5.2 L’auteur souligne que du point de vue juridique, l’«amnistie» qui lui avait été accordée n’était qu’un «sursis à l’exécution de la peine» comme le prévoit l’article 471 du Code de procédure pénale. En conséquence, l’auteur n’a fait l’objet que d’une libération conditionnelle et peut être renvoyé en prison à tout moment, en particulier si les circonstances politiques changent. L’auteur met cette situation en contraste avec les amnisties inconditionnelles accordées aux anciens présidents impliqués dans le coup d’État militaire de 1980 et libérés le même jour que lui, qui ne courent pas, eux, le risque d’une détention future.

5.3 L’auteur rejette l’affirmation de l’État partie selon laquelle le «système de conversion idéologique» a été totalement aboli, vu que le «système de serment d’obéissance à la loi» revêt le même caractère. Il cite les observations finales adoptées par le Comité à l’issue de l’examen du deuxième rapport périodique de la République de Corée, selon lesquelles «l’obligation de serment s’applique, d’une façon discriminatoire, en particulier dans le cas des personnes condamnées en vertu de la loi sur la sécurité nationale et qu’en fait, elle astreint les personnes visées à faire le serment d’obéir à une loi qui est incompatible avec le Pacte» .

5.4 L’auteur invite l’État partie à étayer ses allégations selon lesquelles il serait un agent nord ‑coréen, qu’il aurait communiqué des secrets d’État à la Corée du Nord et qu’il se serait livré à «des activités subversives très dangereuses». Il rejette comme calomnieuse l’allégation de l’État partie selon laquelle il aurait été impliqué dans un «complot visant à détruire le centre culturel américain de Kwang ‑ju». Il note que les questions relatives à sa condamnation pour «activités terroristes» ne faisaient pas partie de sa communication initiale dès lors qu’il s’y était limité à la condamnation pour «espionnage». Il rejette les arguments contenus dans les lettres de l’État partie selon lesquels sa condamnation pour espionnage était justifiée, et serait disposé à démontrer qu’il a été victime de tortures et que l’Agence pour la planification de la sécurité nationale et les procureurs lui ont arraché des aveux par la force en ce qui concerne l’accusation de terrorisme, si l’État partie venait à présenter des éléments de preuve pour établir qu’il est coupable de ce délit. L’auteur demande pourquoi l’État partie n’a pas enquêté sérieusement sur sa détention prolongée au secret, qui constituait un crime grave en vertu du droit national ainsi que sur sa détention ultérieure avant jugement après que le mandat d’arrêt eut été délivré.

5.5 Pour ce qui est des abus commis avant le procès, l’auteur fait observer qu’étrangement, les procureurs et les juges n’ont pas enquêté sur la période prolongée de détention illégale et sur ce qui a pu se produire au cours de cette période. Pour ce qui est du caractère volontaire de ses aveux et de leur utilisation au cours du procès, l’auteur déclare que lorsqu’il a soulevé ces questions, on lui a simplement demandé s’il voulait retourner à l’Agence pour la planification de la sécurité nationale .

5.6 L’auteur reconnaît qu’il va de soi que le droit à la liberté d’expression ne saurait justifier l’espionnage mais affirme que cela pose la question de son comportement en l’espèce. Comme il l’a souligné dans la communication, les «secrets d’État ou militaires» pour la divulgation desquels il a été condamné étaient connus du public et ne constituaient en rien une menace à l’existence ou à la sécurité de l’État partie. En conséquence, leur divulgation était protégée par l’article 19. Il incombe donc à l’État partie de démontrer en quoi les informations pour la collecte et la divulgation desquelles il a été condamné constituaient une menace, ce qu’il n’a pas encore fait. L’auteur fait remarquer qu’en vertu de la loi sur la sécurité nationale, c’est à l’individu plutôt qu’à l’État qu’il incombe de prouver qu’il ne met pas en danger la sécurité de l’État.

5.7 Enfin, l’auteur note que sa libération était conditionnelle et qu’il continue d’être une victime puisqu’il risque d’être renvoyé en prison sur la base de la même condamnation. En outre, le «système de conversion idéologique» a continué d’être appliqué après sa libération. Il est demandé au Comité de déterminer si la situation de l’auteur avant et après sa libération est compatible avec le Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’est pas déjà à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie n’a pas fait valoir qu’il existait des recours internes que l’auteur n’aurait pas épuisé.

6.3 En ce qui concerne la recevabilité ratione temporis de l’allégation de l’auteur concernant sa condamnation pour espionnage et les circonstances des actes de torture dont il aurait été victime et de sa détention illégale présumée avant jugement, le Comité note que ces faits sont antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle, dans de telles circonstances, en l’absence de facteurs additionnels, une peine d’emprisonnement ne constitue pas un «effet continu» − en violation du Pacte − suffisant pour que les circonstances qui ont conduit à l’emprisonnement de l’auteur soient de la compétence ratione temporis du Comité .

6.4 Pour ce qui est des autres allégations, l’État partie fait valoir que la communication est sans objet puisque l’auteur a été libéré. Le Comité note qu’une communication ne peut être considérée comme sans objet et irrecevable que si l’État a pleinement assuré un recours utile pour les allégations soumises au Comité. En l’espèce, rien n’indique que l’auteur a été dûment indemnisé des violations du Pacte dont il fait état. En conséquence, le Comité considère qu’il ne peut être répondu à la question de savoir si l’auteur a bénéficié d’un recours utile qu’en examinant l’affaire quant au fond.

6.5 Pour ce qui est des autres objections de l’État partie, le Comité considère qu’il s’agit d’arguments portant sur le fond qu’il convient d’aborder au stade correspondant de l’examen de la communication.

Examen quant au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle le «système de conversion idéologique» constitue une violation des droits qui lui sont reconnus par les articles 18, 19 et 26 du Pacte, le Comité note le caractère contraignant d’un tel système, qui est maintenu par le biais du «système de serment d’obéissance à la loi» et qui est appliqué d’une manière discriminatoire en vue de modifier les opinions politiques d’un prisonnier en lui offrant des incitations sous la forme d’un traitement préférentiel et de meilleures chances d’obtenir une libération conditionnelle . Le Comité considère qu’un tel système, dont l’État partie n’a pas pu justifier la nécessité au regard de l’un quelconque des buts limitatifs énumérés aux articles 18 et 19, restreint la liberté d’expression et de manifestation de la conviction en fonction du critère discriminatoire qu’est l’opinion politique et viole par conséquent le paragraphe 1 de l’article 18 et le paragraphe 1 de l’article 19 lus conjointement avec l’article 26.

7.3 Pour ce qui est des autres allégations de l’auteur au titre de l’article 10, le Comité considère que son isolement cellulaire pendant 13 ans, dont plus de huit après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, est une mesure d’une telle gravité et d’un impact si profond sur l’intéressé qu’elle appelle la justification la plus sérieuse et la plus détaillée. Le Comité estime qu’un isolement d’une aussi longue durée, apparemment fondé uniquement sur l’opinion politique présumée de l’auteur, est difficilement justifiable et constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 10 qui protège la dignité de l’auteur en tant qu’être humain et du paragraphe 3 de cet article qui exige que la détention ait pour but essentiel l’amendement et la réinsertion sociale.

7.4 Au vu de ces conclusions, le Comité n’a pas besoin d’examiner plus avant l’allégation de l’auteur au titre de l’article 2 selon laquelle les tribunaux nationaux ne lui ont pas assuré un recours utile pour les violations en question.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître des violations des paragraphes 1 et 3 de l’article 10, ainsi que du paragraphe 1 de l’article 18 et du paragraphe 1 de l’article 19 lus en conjonction avec l’article 26 du Pacte.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile. Le Comité note que, bien que l’auteur ait été libéré, l’État partie a l’obligation de lui accorder une indemnisation à la mesure de la gravité des violations en question. L’État partie a l’obligation d’éviter des violations similaires à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité était compétent pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est aussi invité à publier les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

O. Communication n o  886/1999, Bondarenko c. Bélarus * (Constatations adoptées le 3 avril 2003, soixante ‑dix ‑septième session)

Présentée par : Natalia Schedko (représentée par un conseil, M me  Tatiana Protko)

Au nom de : L’auteur et son fils Anton Bondarenko (décédé)

État partie : Bélarus

Date de la communication : 11 janvier 1999

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 3 avril 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  886/1999 présentée au nom de M me  Natalia Schedko et M. Anton Bondarenko en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication est M me  Natalia Schedko, de nationalité bélarussienne. Elle agit en son nom et au nom de son fils décédé, Anton Bondarenko, également de nationalité bélarussienne, qui, au moment où la communication a été présentée, le 11 janvier 1999, se trouvait en détention dans le quartier des condamnés à mort, après avoir été reconnu coupable de meurtre et condamné à la peine capitale. Elle affirme que son fils décédé est victime de la part de la République du Bélarus de violations des articles 6 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il ressort de ses lettres que la communication soulève également des questions au titre de l’article 7 du Pacte. L’auteur est représentée par un conseil.

1.2 Le 28 octobre 1999, conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, le Comité des droits de l’homme, par l’entremise de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l’État partie de ne pas exécuter la peine capitale prononcée contre M. Bondarenko jusqu’à ce que le Comité se prononce sur son cas. Comme il ressortait de la réponse de l’État partie datée du 12 janvier 2000 que la peine capitale avait été exécutée à une date antérieure non spécifiée, le Comité a adressé des questions précises à la fois à l’auteur de la communication et à l’État partie . D’après les réponses reçues, M. Bondarenko a été exécuté en juillet 1999 , c’est ‑à ‑dire avant la date d’enregistrement de la communication par le Comité.

1.3. Le Comité note avec regret qu’avant même qu’il n’ait été en mesure de présenter sa demande au titre de l’article 86, la peine capitale avait été exécutée. Le Comité entend, et fera en sorte, que les affaires susceptibles de relever de l’article 86 soient traitées avec la diligence voulue pour que l’on se conforme à ses demandes.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 M. Bondarenko, qui était accusé de meurtre et de plusieurs autres crimes, a été reconnu coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamné le 22 juin 1998 par la Cour régionale de Minsk à être fusillé par un peloton d’exécution. La décision a été confirmée par la Cour suprême le 21 août 1998. Selon l’appréciation des faits par les tribunaux, M. Bondarenko a pénétré par effraction chez des particuliers le 25 juillet 1997, en compagnie d’un mineur dénommé Voskoboynikov, et, sous la menace d’un couteau, a contraint les propriétaires à ouvrir leur coffre ‑fort. Après avoir pris les objets de valeur qui s’y trouvaient, M. Voskoboynikov a prévenu M. Bondarenko que l’un des occupants, M. Kourilenkov, les dénoncerait et a suggéré à M. Bondarenko de le tuer. M. Bondarenko a poignardé deux fois M. Kourilenkov au cou avec un couteau de poche et s’est arrêté là. M. Voskoboynikov a continué à donner des coups de couteau à M. Kourilenkov au cou et sur le corps avec son propre couteau. La grand ‑mère de M. Kourilenkov, M me  Martinenko, a également été tuée lorsqu’elle a ouvert la porte d’entrée; M. Voskoboynikov l’a poussée dans l’escalier jusqu’à la cave puis lui a donné plusieurs coups de couteau.

2.2 D’après l’auteur, le rapport du médecin légiste a conclu que M. Kourilenkov était mort de multiples blessures reçues au cou et sur le corps, avec lésions à la veine jugulaire gauche et au larynx, aggravées par une abondante effusion de sang et un traumatisme violent. Selon l’auteur, le procès a prouvé que M. Bondarenko n’avait porté que deux coups de couteau à M. Kourilenkov, ce qui, à son avis, ne saurait avoir causé sa mort. En ce qui concerne l’homicide commis sur M me  Martinenko, l’auteur considère qu’il existe des preuves irréfutables que M. Bondarenko n’est pas le coupable. M. Voskoboynikov aurait avoué, le 24 août 1998, avoir menti pendant l’enquête et au tribunal, en accusant à tort M. Bondarenko. Il avait auparavant refusé de révéler l’endroit où se trouvait l’arme du meurtre − son couteau, qu’il avait utilisé pour les deux meurtres − mais a alors indiqué l’endroit où il était caché de sorte que l’affaire pouvait être rouverte et faire l’objet d’une nouvelle enquête.

2.3 L’auteur déclare que le Président de la Cour suprême a même refusé d’ajouter le couteau aux pièces du dossier, au motif qu’il ne constituait pas un élément de preuve suffisant pour étayer la thèse selon laquelle M. Bondarenko n’avait pas participé aux meurtres. Elle affirme que la Cour aurait refusé d’ajouter au dossier des pièces à conviction favorables à son fils qui auraient permis d’atténuer la gravité de sa faute et de prouver qu’il n’avait pas participé activement aux meurtres.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur prétend que les tribunaux nationaux ne disposaient pas d’éléments clairs et sans ambiguïté permettant de prouver que son fils était coupable des meurtres. À son avis, le Président de la Cour suprême n’a pas tenu compte du témoignage du coaccusé de son fils (témoignage donné après le procès) et a refusé d’inclure dans le dossier des pièces à conviction qui auraient atténué la culpabilité de son fils. Selon elle, cela montre bien que le tribunal avait une position préconçue à l’égard de son fils, et un tel tribunal ne saurait être considéré comme indépendant et impartial. À ses yeux, cela constitue une violation des articles 6 et 14 du Pacte.

3.2 Il ressort aussi du dossier, encore que l’auteur n’ait pas directement invoqué ces dispositions, que la communication peut soulever des questions au titre de l’article 7 du Pacte, concernant le refus d’informer l’auteur de la date de l’exécution de son fils et du lieu où il a été enterré.

3.3 Enfin, la communication semble soulever des questions concernant le respect par l’État partie des obligations découlant du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, l’auteur alléguant que l’État partie a exécuté son fils avant l’enregistrement de la communication par le Comité, mais après qu’elle eut informé l’avocat, l’administration pénitentiaire et la Cour suprême qu’elle présentait sa communication.

Observations de l’État partie

4.1 Dans une note du 12 janvier 2000, l’État partie a présenté ses observations, en rappelant que M. Bondarenko avait été jugé par la Cour régionale de Minsk qui, le 22 juin 1998, l’avait reconnu coupable de tous les crimes spécifiés aux articles 89, 90, 96 et 100 du Code pénal de la République du Bélarus . Il a été condamné à mort et à la confiscation de ses biens. Dans la même décision de jugement, M. Voskoboynikov a été condamné, pour les mêmes chefs d’accusation, à 10 ans de prison et à la confiscation de ses biens .

4.2 Pour l’État partie, les pièces à conviction fournies au procès démontraient clairement que M. Bondarenko et M. Voskoboynikov étaient coupables d’agression armée et d’homicide aggravé sur les personnes de M me  Martinenko et de M. Kourilenkov.

4.3 Selon l’État partie, bien que M. Voskoboynikov ait nié toute participation aux meurtres, les pièces à conviction prouvaient sa culpabilité. L’enquête démontrait, et les tribunaux ont été convaincus, que M. Bondarenko et M. Voskoboynikov avaient perpétré ensemble les meurtres dont avaient été victimes M me  Martinenko et M. Kourilenkov, et que l’un et l’autre avaient porté les coups de couteau. Par conséquent, la déclaration dans laquelle M. Voskoboynikov prétend avoir menti pendant l’enquête et le procès et avoir porté de fausses accusations contre M. Bondarenko est sans fondement.

4.4 L’État partie affirme que l’appréciation par les tribunaux des actes commis par M. Bondarenko et M. Voskoboynikov était correcte. Ayant examiné la nature des crimes commis par M. Bondarenko, le grand danger qu’ils représentaient pour le public ainsi que les motivations et les méthodes de ce dernier, et de même que les renseignements recueillis précédemment d’où se dégageait une image négative de la personnalité de l’accusé, le tribunal est arrivé à la conclusion que M. Bondarenko représentait une menace particulière pour la société et a prononcé la peine de mort.

4.5 Selon l’État partie, tous les aspects de l’affaire ont été examinés de manière approfondie pendant l’enquête préliminaire et le procès. Par conséquent, il n’existe pas de motifs pour attaquer les jugements rendus.

4.6 L’État partie termine sa communication en indiquant que la condamnation de M. Bondarenko a été exécutée, mais ne fournit pas de date.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans ses commentaires du 29 janvier 2001, le conseil mentionne l’affirmation par l’État partie que les tribunaux avaient correctement qualifié les actes de M. Bondarenko et de M. Voskoboynikov et que l’enquête ainsi que les tribunaux avaient établi qu’ils avaient assassiné ensemble M me  Martinenko et M. Kourilenkov. Le conseil fait toutefois observer que, selon le rapport du médecin légiste, M. Kourilenkov était décédé de blessures multiples reçues au cou et sur le corps, à la joue gauche et au larynx, aggravées par une forte hémorragie et un traumatisme aigu. Les tribunaux avaient conclu que M. Bondarenko avait poignardé deux fois M. Kourilenkov, ce qui, de l’avis du conseil, n’avait pas été et ne pouvait pas être la cause de la mort.

5.2 Le conseil rappelle que M. Voskoboynikov avait reconnu avoir agi seul pour tuer M me  Martinenko. Le couteau utilisé pour commettre les meurtres ne figurait pas dans les pièces à conviction.

5.3 Le conseil conclut par conséquent que la peine de mort imposée à M. Bondarenko était une violation de l’article 6 du Pacte. Quoi qu’il en soit, la condamnation a été exécutée.

Observations additionnelles de l’auteur et de l’État partie

6.1 À la suite de la lettre envoyée le 11 juillet 2002 par le Comité aux parties leur demandant de donner des précisions sur l’exécution de la condamnation à mort , le conseil a envoyé le 24 juillet 2002 les observations ci ‑après. Elle indique que l’auteur affirme avoir obtenu un certificat de décès daté du 26 juillet 1999, indiquant que son fils a été exécuté le 24 juillet 1999 . Le conseil précise en outre que les exécutions capitales se déroulent en secret au Bélarus. Ni le condamné ni sa famille ne sont informés de la date de l’exécution . Toutes les personnes condamnées à la peine capitale sont transférées au centre de détention n o  1 de Minsk (SIZO − 1), où elles sont placées dans des «cellules de la mort» séparées et reçoivent des vêtements (rayés) différents de ceux des autres détenus.

6.2 Le conseil note que les exécutions sont effectuées dans une zone spéciale par des soldats choisis parmi les membres du «Comité de l’exécution des condamnations». L’exécuteur procède à l’exécution en utilisant un pistolet, qui lui est remis par le chef du centre de détention. Après l’exécution, un médecin constate le décès et établit un certificat, en présence d’un procureur et d’un représentant de l’administration pénitentiaire.

6.3 Le conseil ajoute que le corps du prisonnier exécuté est transporté de nuit dans l’un des cimetières de Minsk puis enterré par des soldats de manière à ne laisser aucun signe permettant de reconnaître le nom du prisonnier ou l’endroit exact où il est enseveli.

6.4 Le conseil déclare que, dès que le tribunal ayant prononcé la condamnation à mort est informé de l’exécution, il en informe à son tour un membre de la famille du prisonnier exécuté. La famille se voit ensuite délivrer par le service municipal de l’état civil un certificat de décès indiquant que le décès a pour cause une décision judiciaire.

6.5 Le conseil affirme, sans autre précision, que M me  Schedko avait annoncé à l’avocat de son fils, à la Cour suprême et aux autorités pénitentiaires qu’elle avait présenté une communication au Comité des droits de l’homme avant l’exécution de son fils.

7.1 Le 12 septembre 2002, l’État partie a répondu à la question posée par le Comité concernant la date de l’exécution du fils de l’auteur et le moment exact à partir duquel l’État partie a connu l’existence de la communication. Il affirme que M. Bondarenko a été exécuté le 16 juillet 1999, en application de la décision de la Cour régionale de Minsk du 22 juin 1998. Il souligne que la note du Haut ‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme concernant l’enregistrement de la communication était datée du 28 octobre 1999, c’est ‑à ‑dire que l’exécution a eu lieu trois mois avant que l’État partie ne soit informé de l’enregistrement de la communication en vertu du Protocole facultatif.

7.2 L’État partie n’a fait aucune autre observation concernant les allégations de l’auteur.

Délibérations du Comité

Violation présumée du Protocole facultatif

8.1 L’auteur a prétendu que l’État partie avait violé les obligations contractées en vertu du Protocole facultatif en faisant exécuter son fils alors qu’une communication avait été adressée au Comité et que l’auteur avait informé l’avocat de son fils, les autorités pénitentiaires et la Cour suprême de son initiative, avant l’exécution de son fils et avant l’enregistrement officiel de sa communication en vertu du Protocole facultatif. Cette allégation n’a pas été étayée ni corroborée par des pièces écrites. L’État partie ne réfute pas explicitement la prétention de l’auteur, se bornant à déclarer qu’il a été informé de l’enregistrement de la communication de l’auteur au titre du Protocole facultatif par une note verbale du 28 octobre 1999, soit trois mois après l’exécution. Dans sa jurisprudence, le Comité s’est penché sur la question de savoir si un État partie agissait en violation des obligations contractées en vertu du Protocole facultatif lorsqu’il exécutait une personne qui avait présenté une communication au Comité, et a cherché à y répondre non seulement en se demandant si le Comité avait explicitement sollicité des mesures provisoires de protection mais aussi en se fondant sur le caractère irréversible de la peine capitale. Toutefois, dans les circonstances propres à la présente communication, et compte tenu de ce que la première affaire dans laquelle le Comité a établi l’existence d’une violation du Protocole facultatif du fait de l’exécution d’une personne dont le cas était en instance d’examen par le Comité a été tranchée et rendue publique après l’exécution de M. Bondarenko, le Comité ne peut tenir l’État partie pour responsable d’une violation du Protocole facultatif en raison de l’exécution de M. Bondarenko après la soumission de la communication, mais avant son enregistrement .

Détermination de la recevabilité

9.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2 Le Comité note que la même affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale et que les recours internes ont été épuisés. Les conditions énoncées au paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont donc réunies.

9.3 Le Comité a pris note des allégations de l’auteur qui prétend que les tribunaux n’ont pas disposé de preuves claires, convaincantes et sans équivoque, démontrant que son fils était coupable des meurtres, et que le Président de la Cour suprême n’a pas pris en compte le témoignage que le coaccusé de son fils a donné après le procès et a refusé de prendre en considération des éléments de preuve qui auraient pu atténuer la culpabilité de son fils. Pour l’auteur, cela montre de manière décisive que le tribunal avait un préjugé concernant la culpabilité de son fils et met en lumière l’absence d’indépendance et d’impartialité des tribunaux, ce qui est une violation des articles 6 et 14 du Pacte. Ces allégations vont par conséquent à l’encontre de l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux de l’État partie. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions d’appel des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve a été manifestement arbitraire et a représenté un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que les décisions prises par la Cour régionale de Minsk et la Cour suprême aient été entachées de telles irrégularités, même aux fins de la recevabilité. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

9.4 Le Comité considère que la dernière allégation de l’auteur, selon laquelle le fait que les autorités n’aient pas informé la famille, par l’entremise du prisonnier condamné ou directement, de la date de l’exécution et que les autorités ne l’aient pas informée du lieu exact où son fils a été enseveli, constitue une violation du Pacte, est recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au regard de l’article 7 du Pacte.

9.5 En conséquence, le Comité déclare que la communication est recevable dans les limites indiquées au paragraphe 9.4 ci ‑dessus et procède immédiatement à l’examen de cette partie de la communication quant au fond.

Examen quant au fond

10.1 Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui ont été soumises par les parties.

10.2 Le Comité relève que l’auteur se plaint que sa famille n’a été informée ni de la date, ni de l’heure, ni du lieu de l’exécution de son fils, pas plus que du lieu exact où celui ‑ci a ensuite été enterré, et que cette affirmation n’a pas été contestée. Étant donné que l’État partie ne s’est pas inscrit en faux contre cette plainte, et n’a fourni aucune autre information pertinente sur la manière dont se déroulent les exécutions de peines capitales, il convient d’accorder le crédit voulu à l’allégation de l’auteur. Le Comité comprend l’angoisse et la pression psychologique dont l’auteur, mère d’un prisonnier condamné à mort, a souffert et souffre encore parce qu’elle ne connaît toujours pas les circonstances ayant entouré l’exécution de son fils, ni l’emplacement de sa tombe. Le Comité considère que le secret total entourant la date d’exécution et le lieu de la sépulture, ainsi que le refus de remettre la dépouille mortelle aux fins d’enterrement, ont pour effet d’intimider ou de punir les familles en les laissant délibérément dans un état d’incertitude et de souffrance psychologique. Le Comité considère que le fait que les autorités aient tout d’abord omis de notifier à l’auteur la date prévue pour l’exécution de son fils, puis aient persisté à ne pas lui indiquer l’emplacement de la tombe de son fils, constitue un traitement inhumain à l’égard de l’auteur, contraire à l’article 7 du Pacte.

11. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

12. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur une réparation, consistant notamment à l’informer du lieu où son fils a été enterré, et à l’indemniser pour l’angoisse dans laquelle elle a vécu. L’État partie est également tenu d’empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir.

13. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non-violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de publier les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe, aux fins du présent rapport.]

Notes

P. Communication n o  887/1999, Lyashkevich c.  Bélarus * (Constatations adoptées le 3 avril 2003, soixante ‑dix ‑septième session)

Présentée par :

Mariya Staselovich (représentée par un conseil, M me  Tatiana Protko)

Au nom de :

L’auteur et son fils Igor Lyashkevich (décédé)

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

26 novembre 1998

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 3 avril 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  887/1999 présentée au nom de M me  Mariya Staselovich et M. Igor Lyashkevich en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication est M me  Mariya Staselovich, citoyenne bélarussienne. Elle agit en son nom et au nom de son fils, M. Igor Lyashkevich, également de nationalité bélarussienne, qui, au moment de la présentation de la communication, le 26 novembre 1998, était détenu dans le quartier des condamnés à mort après avoir été reconnu coupable de meurtre et condamné à la peine capitale. Elle affirme que son fils est victime d’une violation par la République du Bélarus de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques . Il ressort de ses lettres que la communication soulève également des questions au titre des articles 7 et 14 du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2 Le 28 octobre 1999, le Comité des droits de l’homme, agissant conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, avait, par l’intermédiaire du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, demandé à l’État partie de ne pas exécuter la sentence en attendant que le Comité se prononce sur le cas de M. Lyashkevich. Comme il ressort de la lettre de l’État partie datée du 12 janvier 2000 que M. Lyashkevich avait été exécuté à une date non spécifiée, le Comité a posé des questions précises à l’auteur et à l’État partie . D’après les réponses reçues, M. Lyashkevich a été exécuté le 15 mars 1999, c’est ‑à ‑dire avant la date de l’enregistrement de la communication par le Comité.

1.3 Le Comité note avec regret qu’avant même qu’il n’ait été en mesure de présenter sa demande conformément à l’article 86, la peine capitale avait été exécutée. Le Comité entend et fera en sorte que les affaires susceptibles de relever des demandes au titre de l’article 86 soient traitées avec la célérité voulue pour qu’il puisse être donné suite à ses demandes.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur indique que M. Lyashkevich a été condamné à être passé par les armes le 15 juillet 1997 par le Tribunal municipal de Minsk. Il avait été déclaré, avec quatre autres codéfendeurs, coupable d’avoir privé illégalement de sa liberté le dénommé A. Vassiliev, de lui avoir causé des souffrances physiques et de l’avoir par la suite tué le 25 juin 1996. La Cour suprême a confirmé le jugement le 15 novembre 1997 .

2.2 Le Tribunal municipal de Minsk a conclu qu’un des codéfendeurs de M. Lyashkevich, M. Alchevskyi, avait décidé de se venger de M. Vassiliev et, alors que ce dernier était passé à tabac, un autre coaccusé, M. Dudkevich, l’a aspergé d’essence et M. Lyashkevich a mis le feu. L’auteur affirme que M. Lyashkevich lui a dit qu’il n’avait aucune raison d’agir ainsi, qu’il n’avait ni poignardé ni brûlé vif M. Vassiliev et que ses actes n’auraient pas pu causer le décès de la victime. L’auteur considère qu’il n’y a aucune preuve attestant que son fils avait poignardé M. Vassiliev au cou ou l’avait étranglé. Selon elle, il ressort clairement du dossier de l’affaire que son fils n’était pas directement impliqué dans le meurtre.

2.3 L’auteur se réfère ensuite aux déclarations faites par les autres codéfendeurs et réitère qu’il n’y a aucune preuve attestant que son fils a directement participé au meurtre. Elle affirme qu’il n’a pas et n’aurait pas pu organiser le crime, sentiment partagé par les habitants de son village qui ont envoyé, en vain, une lettre à cet effet au Président de la République. Elle déclare que son fils n’a jamais reconnu sa culpabilité et qu’il a espéré jusqu’au bout que l’erreur judiciaire commise serait corrigée bien que tous les moyens de droit aient été épuisés.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que son fils a été condamné à mort sur de simples présomptions. Le Tribunal ne disposait d’aucune preuve claire et nette attestant de la culpabilité de son fils. Selon elle, cela constitue une violation de l’article 6 du Pacte, mais il ressort du contexte de sa communication que cette allégation doit aussi être rapprochée de l’article 14 du Pacte.

3.2 Il ressort également du dossier que même si l’auteur n’en a pas directement invoqué les dispositions, la communication soulève des questions au titre de l’article 7 du Pacte, l’auteur n’ayant pas été informé de la date de l’exécution de son fils, ni du lieu où il est enterré.

3.3 Enfin, la communication semble soulever des questions concernant le respect par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif, puisque l’auteur affirme que l’État partie a fait exécuter M. Lyashkevich avant l’enregistrement de la communication par le Comité mais après qu’elle eut informé l’avocat, l’administration pénitentiaire et la Cour suprême de la présentation de cette communication.

Observations de l’État partie

4.1 Sous couvert d’une note datée du 12 janvier 2000, l’État partie a présenté ses observations, déclarant que M. Lyashkevich avait été jugé et déclaré coupable par le Tribunal municipal de Minsk le 15 juillet 1997 de toutes les infractions visées aux articles 124 et 100 du Code pénal de la République du Bélarus et condamné à mort. Le Tribunal a déclaré les quatre codéfendeurs coupables et a condamné trois d’entre eux à 15 ans de réclusion criminelle .

4.2 Récapitulant les faits, l’État partie indique qu’à la suite d’une bagarre qui avait eu lieu vers minuit le 25 juin 1996, M. Lyashkevich et quatre autres personnes ont enlevé M. Vassiliev, ancien responsable de la milice, et l’ont emmené dans un endroit situé près des lacs de Braslav pour le tuer, agissant à l’occasion avec une extrême violence. La culpabilité de M. Lyashkevich a été prouvée: il a reconnu avec les autres accusés avoir battu M. Vassiliev. Il l’avait empoigné par le cou et, après que l’on eut aspergé d’essence les vêtements de M. Vassiliev et que l’on y eut mis le feu, il avait alimenté les flammes en ajoutant du bois.

4.3 L’État partie se réfère aux éléments de preuve présentés au procès par les coaccusés en ce qui concerne la chronologie des faits intervenus la nuit du crime: ils avaient battu M. Vassiliev et l’avaient ensuite emmené au lac pour l’y jeter et, comme cela s’était avéré impossible, ils s’étaient remis à le frapper avant de le brûler vif.

4.4 L’État partie ajoute que la culpabilité de M. Lyashkevich a été prouvée par les conclusions auxquelles étaient parvenus les médecins légistes au vu des multiples blessures et lésions internes et externes constatées sur le corps de M. Vassiliev.

4.5 Selon l’État partie, le Tribunal a examiné tous les aspects de l’affaire et les a évalués objectivement. La conclusion selon laquelle M. Lyashkevich était coupable était justifiée et ses actes ont été correctement qualifiés conformément aux articles pertinents du Code pénal. La peine qui lui a été infligée a été fixée en fonction des actes qu’il avait commis et des informations négatives concernant sa personnalité, ainsi que des circonstances aggravantes dans lesquelles le crime avait été commis. La Cour suprême de la République du Bélarus a confirmé le 14 novembre 1997 le jugement du Tribunal municipal de Minsk. Pour l’État partie, il n’y a aucune raison de remettre en question ces deux jugements.

Commentaires de l’auteur

5.1 Bien que les observations de l’État partie lui aient été dûment transmises et que plusieurs rappels lui aient été adressés par la suite, l’auteur n’a pas fait de commentaires sur ces observations. Après qu’une autre demande d’informations sur l’exécution du fils de l’auteur eut été envoyée le 11 juillet 2002, le conseil de l’auteur a fait le 24 juillet 2002 les observations suivantes. Il indique que le fils de l’auteur a été, selon le certificat de décès que l’auteur a obtenu le 5 mai 1999, exécuté le 15 mars 1999. Le conseil ajoute qu’au Bélarus les condamnations à la peine de mort sont exécutées secrètement. Ni le condamné ni la famille ne sont informés de la date de l’exécution . Toutes les personnes condamnées à la peine de mort sont transférées au centre de détention n o  1 de Minsk (SIZO − 1) où elles sont incarcérées dans des cellules spéciales séparées et reçoivent des vêtements (rayés) différents de ceux des autres prisonniers.

5.2 Le conseil note que les exécutions ont lieu dans un endroit spécial et sont effectuées par des soldats choisis par le «comité de l’exécution des sentences». Le condamné à mort est exécuté au moyen d’un pistolet. Le pistolet est remis à la personne qui procède à l’exécution par le chef du centre. Après l’exécution, un médecin établit un rapport certifiant le décès, en présence d’un procureur et d’un représentant d’administration de la prison.

5.3 Le conseil note en outre que le corps du prisonnier exécuté est transféré de nuit dans un des cimetières de Minsk et enterré par des soldats sans que soit laissée la moindre indication du nom du prisonnier ni du lieu exact où il a été inhumé.

5.4 Le conseil indique qu’une fois que le Tribunal qui a prononcé la peine de mort est informé de l’exécution, il avise un membre de la famille de la personne exécutée. La famille se voit ensuite délivrer par le bureau de l’état civil un certificat de décès dans lequel la décision de la Cour est mentionnée en tant que cause du décès.

5.5 Le conseil affirme sans donner de détail que M me  Staselovich avait informé l’avocat de son fils, la Cour suprême et les autorités de la prison qu’elle avait présenté une communication au Comité des droits de l’homme avant l’exécution de son fils.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1 Le 12 septembre 2002, l’État partie a répondu à la demande d’informations du Comité concernant la date de l’exécution du fils de l’auteur et le moment où il avait appris l’existence de la communication. Il rappelle que M. Lyashkevich a été exécuté le 15 mars 1999 en application de la décision du Tribunal municipal de Minsk en date du 15 juillet 1997. Il souligne que la note du Haut ‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme relative à l’enregistrement de la communication était datée du 28 octobre 1999, ce qui signifie que l’exécution avait eu lieu plusieurs mois avant que l’État partie ne soit informé de l’enregistrement de la communication au titre du Protocole facultatif.

6.2 L’État partie ne fait aucune autre observation sur les allégations de l’auteur.

Délibérations du Comité

Violation présumée du Protocole facultatif

7.1 L’auteur affirme que l’État partie a violé les obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif, en exécutant son fils en dépit du fait qu’une communication ait été envoyée au Comité et que l’auteur en ait informé l’avocat de son fils, les autorités pénitentiaires et la Cour suprême avant l’exécution de M. Lyashkevich et l’enregistrement officiel de la communication au titre du Protocole facultatif. L’État partie ne nie pas explicitement l’affirmation de l’auteur, se contentant de déclarer qu’il a été informé de l’enregistrement de la plainte de l’auteur au titre du Protocole facultatif par une note verbale datée du 28 octobre 1999, c’est ‑à ‑dire sept mois après l’exécution. Dans le cadre d’affaires dont il s’était occupé par le passé, le Comité avait abordé le cas d’un État partie exécutant, en violation des obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif, une personne ayant présenté une communication au Comité, et ce non seulement du point de vue de la question de savoir si le Comité a explicitement demandé des mesures provisoires de protection mais aussi en raison du caractère irréversible de la peine capitale. Toutefois, dans les circonstances de la présente communication, et compte tenu de ce que la décision concernant la première affaire dans laquelle le Comité a établi l’existence d’une violation du Protocole facultatif du fait de l’exécution d’une personne dont le cas était en instance d’examen devant le Comité a été prise et publiée après l’exécution de M. Lyashkevich, le Comité ne peut tenir l’État partie responsable d’une violation du Protocole facultatif du fait que M. Lyashkevich a été exécuté après la présentation de la communication, mais avant son enregistrement.

Examen de la recevabilité

8.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité note que la même affaire n’est en cours d’examen dans aucune autre instance internationale et que les recours internes ont été épuisés. Les conditions fixées aux alinéas  a et  b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif sont donc remplies.

8.3 Le Comité note l’allégation de l’auteur selon laquelle le fait que la culpabilité de son fils et sa condamnation à mort ont été prononcées uniquement sur la base de présomptions et que le Tribunal n’a pas établi d’une manière claire que son fils était coupable de meurtre constitue une violation de l’article 14 du Pacte rapproché de l’article 6. Cette allégation met en cause l’évaluation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux de l’État partie. Le Comité rappelle que c’est aux juridictions des États parties au Pacte qu’il appartient en général d’examiner les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit prouvé que cette évaluation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice, ou que la Cour a manqué de quelque autre manière à son devoir d’indépendance et d’impartialité. Les informations dont dispose le Comité ne permettent pas de conclure que les décisions du Tribunal municipal de Minsk et de la Cour suprême étaient entachées de telles irrégularités, même aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable en application de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.4 Le Comité considère que la dernière allégation de l’auteur − selon laquelle le fait que les autorités n’ont pas informé la famille, que ce soit par l’intermédiaire de M. Lyashkevich ou indirectement, de la date de l’exécution et qu’elles n’ont pas non plus informé l’auteur du lieu exact où a été inhumé son fils, constitue une violation du Pacte − est recevable dès lors qu’elle semble soulever une question au titre de l’article 7 du Pacte.

8.5 Le Comité déclare donc la communication recevable pour ce qui est de l’allégation dont il est question au paragraphe 8.4 ci ‑dessus et procède à l’examen de cette allégation quant au fond.

Examen quant au fond

9.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2 Le Comité note que l’allégation de l’auteur selon laquelle sa famille n’a été informée ni de la date, ni de l’heure, ni du lieu d’exécution de son fils, ni de l’endroit exact où il a été inhumé n’a pas été réfutée. En l’absence de contestation de cette allégation par l’État partie et de toute autre information pertinente émanant de ce dernier quant aux modalités d’exécution de la peine capitale, tout le crédit voulu doit être accordé à l’affirmation de l’auteur. Le Comité comprend la douleur et l’angoisse causées à l’auteur, en tant que mère du prisonnier condamné, par les incertitudes persistantes quant aux circonstances de son exécution ainsi qu’au lieu de sa sépulture. Le Comité considère que le secret absolu entourant la date d’exécution et l’emplacement de la tombe ainsi que le refus de remettre le corps aux fins d’enterrement ont pour effet d’intimider ou de punir les familles en les laissant délibérément dans un état d’incertitude ou d’angoisse. Le Comité considère que le fait que les autorités n’ont pas informé l’auteur de la date de l’exécution de son fils et leur refus persistant ultérieur de lui révéler l’endroit où il a été enterré constituent un traitement inhumain contraire à l’article 7 du Pacte.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

11. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur de la communication un recours utile, en l’informant du lieu où son fils est inhumé et en l’indemnisant de l’angoisse qu’elle a vécue. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

12. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

Q. Communication n o  893/1999, Sahid c. Nouvelle ‑Zélande * (Constatations adoptées le 28 mars 2003, soixante ‑dix ‑septième session)

Présentée par : Mohammed Sahid (représenté par un conseil, M. John Petris)

Au nom de : L’auteur, sa fille et son petit ‑fils

État partie : Nouvelle ‑Zélande

Date de la communication : 28 août 1998 (communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  893/1999 présentée par M. Mohammed Sahid, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 28 août 1998, est Mohammed Sahid, de nationalité fidjienne, né le 24 octobre 1945. Il soumet la communication en son nom propre et au nom de sa fille Jamila, de nationalité fidjienne, habitant en Nouvelle ‑Zélande, et de son petit ‑fils Robert, né en Nouvelle ‑Zélande le 14 février 1989 . Il affirme être victime de violations par la Nouvelle ‑Zélande du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques s’il est renvoyé à Fidji. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Nouvelle ‑Zélande le 26 août 1989.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 En juillet 1988, l’auteur est arrivé en Nouvelle ‑Zélande avec un visa temporaire de visiteur pour voir sa fille − adulte − Jamila et son mari. Sa femme et leurs quatre autres enfants étaient restés à Fidji. En février 1989, Jamila a eu un fils, Robert, et en mars 1989 l’auteur a demandé un permis de séjour en Nouvelle ‑Zélande pour lui ‑même, sa femme et leurs quatre autres enfants restés à Fidji. En juin 1989, une décision négative a été rendue. De prorogation en prorogation, le permis temporaire de l’auteur est arrivé à expiration le 7 juin 1991; à partir de cette date il se trouvait en Nouvelle ‑Zélande illégalement. En mai 1992, sa fille et son mari ont divorcé. Le 30 novembre 1992, l’auteur a reçu un arrêté d’expulsion en application de la loi sur l’immigration. Le 24 décembre 1992, il a formé un recours contre l’arrêté d’expulsion auprès de l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion («l’Autorité»). La fille de l’auteur s’est remariée en 1995, elle a divorcé et s’est remariée de nouveau.

2.2 Le 31 mai 1996, après plusieurs échanges avec le représentant de l’auteur, l’Autorité a rejeté le recours que l’auteur avait formé. Le 14 avril 1997, la Haute Cour, saisie d’un nouveau recours, a renvoyé l’affaire à l’Autorité pour réexamen. Le 6 mai 1997, le premier mari de Jamila est mort. Le 18 septembre 1997, l’Autorité a de nouveau rejeté le recours de l’auteur contre l’arrêté d’expulsion. Le 29 avril 1998, la Haute Cour a débouté l’auteur de l’appel qu’il avait formé contre la deuxième décision de l’Autorité. Le 22 juillet 1998, la Haute Cour a refusé l’autorisation de former recours auprès de la cour d’appel. Pendant que toutes ces procédures étaient en cours, le Ministre de l’immigration a rejeté plusieurs demandes d’intervention spéciale, en faisant valoir que l’affaire était pendante.

2.3 Le 27 juillet 1998, le représentant de l’auteur s’est adressé au Ministre de l’immigration pour lui demander qu’il donne des instructions spéciales de façon à autoriser l’auteur, à titre exceptionnel, à rester en Nouvelle ‑Zélande. Le 28 août 1998, l’auteur a adressé sa requête au Comité des droits de l’homme. Le 9 septembre 1998, le Ministre de l’immigration a refusé de donner les instructions spéciales parce qu’il n’y avait pas de motif. Le 9 juin 1999, l’auteur a été arrêté en vue de son expulsion. Le 10 juin 1999, la Haute Cour, saisie d’une demande de mesure interlocutoire de sursis à l’expulsion, a ordonné la libération de l’auteur sous caution pendant que des entretiens auraient lieu. Le 16 juin 1999, après une évaluation du dossier sous l’angle humanitaire, les autorités ont décidé de procéder à l’expulsion. Le 1 er  juillet 1999, la Haute Cour a rejeté la demande de mesure interlocutoire, et le 2 juillet 1999 l’auteur a été renvoyé à Fidji.

2.4 Le 3 juillet 2000, le Ministre de l’immigration a annulé l’arrêté d’expulsion, ce qui permettrait à l’auteur de demander normalement un visa temporaire ou un permis de séjour sans avoir à attendre cinq ans après l’expulsion, comme le prévoit la procédure ordinaire.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur dit que son renvoi à Fidji constituerait une violation du droit à la protection de la famille garanti au paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte. Il affirme que sa fille, son petit ‑fils et lui ‑même constituaient une «famille» au sens de l’article 23: ils vivaient sous le même toit depuis de nombreuses années et la famille élargie a pour lui une grande importance culturelle. Il fait valoir que la protection des droits de son petit ‑fils suppose que lui ‑même reste avec lui en Nouvelle ‑Zélande car le droit international relatif aux droits de l’homme vise à préserver la cellule familiale et à donner la priorité absolue aux droits de l’enfant. Il mentionne pour étayer ses arguments une décision de recevabilité rendue par la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi qu’un rapport de la Commission australienne des droits de l’homme .

3.2 L’auteur fait valoir qu’il n’a jamais cherché à se soustraire aux autorités et que quand il était en Nouvelle ‑Zélande il a exercé les recours qui lui étaient ouverts en vertu de la loi néo ‑zélandaise relative à l’immigration. Il dit que sa fille Jamila souffre de «plusieurs troubles physiques et émotionnels» et a avec son père un lien affectif très fort. De plus, depuis quelques années, l’auteur serait malade du cœur, ce qui nécessiterait de temps en temps une hospitalisation.

3.3 En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 24, l’auteur fait valoir que son petit ‑fils, qui a la nationalité néo ‑zélandaise puisqu’il est né en Nouvelle ‑Zélande, a droit aux mêmes mesures de protection que tout autre enfant néo ‑zélandais. Expulser l’auteur, qui est la première personne à s’occuper de l’enfant, parce qu’il n’a pas la nationalité néo ‑zélandaise, représente une discrimination à l’encontre du petit ‑fils, dont le droit d’être traité sans discrimination tenant à la race, à l’origine nationale ou sociale ou à la naissance serait violé. À l’appui de cet argument, l’auteur a joint le rapport d’une thérapeute familiale qui le décrit comme exerçant une influence parentale importante sur son petit ‑fils depuis la mort du père de celui ‑ci, et conclut qu’il faudrait revenir sur la décision d’expulsion «pour des motifs humanitaires et économiques» .

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1 Dans une réponse datée du 10 novembre 2000, l’État partie conteste à la fois la recevabilité et le fond de la communication.

4.2 En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie affirme que des recours sont encore ouverts à l’auteur, que celui ‑ci invoque dans sa communication un droit qui n’est pas visé par le Pacte et que la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

4.3 Pour ce qui est des recours internes, l’État partie relève que l’auteur a eu l’autorisation de demander un permis de visiteur et un permis de séjour (depuis Fidji) et qu’il a demandé le premier permis. S’il n’obtenait pas le permis de séjour, il pourrait faire recours et demander la révision de la décision.

4.4 Ensuite, l’État partie souligne que le grief essentiel de l’auteur est qu’il aurait dû se voir accorder un permis de séjour en Nouvelle ‑Zélande «parce que l’un de ses cinq enfants adultes et un petit ‑fils vivent en Nouvelle ‑Zélande. Autrement dit, l’auteur essaie de trouver dans le Pacte un droit connexe conféré aux non ‑nationaux d’obtenir un permis de séjour permanent dans un pays étranger où des membres de leur famille vivent ou dont ils ont la nationalité». L’État partie objecte que la jurisprudence du Comité pas plus que le raisonnement analogue suivi par la Cour européenne des droits de l’homme ne donnent une interprétation aussi large du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24. En conséquence, comme le droit invoqué n’existe pas dans le Pacte, la communication devrait être déclarée irrecevable ratione materiae .

4.5 Enfin, l’État partie relève que l’auteur «revendique son droit à une vie de famille et un droit de son petit ‑fils à ses soins» et ne montre pas en quoi il y a violation de l’un ou de l’autre droit. Il «affirme» que le paragraphe 1 de l’article 23 est violé, sans apporter le moindre élément montrant que l’État partie n’assure pas la protection des droits de la famille ou de l’enfant, en général ou dans le cas précis. De l’avis de l’État partie, les allégations ne sont donc pas suffisamment étayées.

4.6 Sur le fond, l’État partie rejette l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24.

4.7 L’État partie note que l’obligation découlant du paragraphe 1 de l’article 23 est une «garantie institutionnelle» qui oblige l’État en lui accordant un pouvoir discrétionnaire étendu à prendre des mesures positives pour protéger la cellule familiale. L’État partie énumère de nombreux domaines de sa législation où la famille est institutionnellement reconnue et protégée. Il note que s’il n’existe pas de définition unique de la «famille» en droit néo ‑zélandais, la plus grande protection est accordée à la famille «nucléaire» ou à la «famille immédiate» comprenant un ou plusieurs adultes, et tout enfant à charge. L’État partie note que c’est ce type de groupe familial qui était en cause dans le rapport Yeung et non pas le groupe constitué par l’auteur et son petit ‑fils.

4.8 Dans le contexte de l’immigration, l’État partie souligne que la législation et la politique néo ‑zélandaises assurent une reconnaissance et une protection étendues des groupes familiaux: i) il existe pour les demandes de permis de séjour une catégorie «famille» spécifique visant les membres étrangers d’une famille, ii) les membres étrangers d’une famille peuvent obtenir un permis de visiteur, iii) en ce qui concerne la résidence, il existe une catégorie «humanitaire» applicable aux membres d’une famille, iv) les considérations d’ordre familial sont prises en compte pour la délivrance de permis exceptionnels, v) des éléments d’ordre familial et social sont appréciés dans l’examen des recours formés contre les décisions d’expulsion et avant l’exécution d’un arrêté d’expulsion.

4.9 L’État partie souligne que les différentes formes de relations familiales sont protégées à des degrés différents de sorte que, par exemple, les couples adultes avec enfants à charge bénéficient d’une plus grande protection que les groupes familiaux composés d’enfants adultes et de leurs parents ou composés de frères et sœurs adultes. Ces différences reflètent une appréciation objective du degré d’interdépendance constaté dans les différents types de relations familiales. Ainsi, par exemple, comme des parents âgés sont généralement davantage dépendants à l’égard de leurs enfants adultes, il est plus facile pour un père ou une mère que pour un frère ou une sœur adulte de rejoindre un enfant adulte en Nouvelle ‑Zélande. Ces distinctions de politique sont compatibles avec les prescriptions larges de l’article 23, justifiées par des critères objectifs et conformes avec le pouvoir discrétionnaire qu’a l’État partie de déterminer le meilleur moyen de protéger et de promouvoir la cellule familiale.

4.10 L’État partie note que la demande de permis de séjour de l’auteur ainsi que le recours qu’il a formé contre la décision d’expulsion ont été examinés dans le strict respect de la loi et de la politique en la matière. Sa situation familiale, notamment les intérêts de sa fille et de son petit ‑fils, ainsi que les intérêts de sa femme et de ses quatre autres enfants habitant à Fidji, ont reçu de façon répétée une grande attention .

4.11 L’État partie fait valoir que l’obligation d’assurer une protection institutionnelle n’entraîne pas une obligation absolue de protéger toutes les «familles», quelle qu’en soit la définition, dans toutes les circonstances. L’obligation doit être vue en regard d’autres considérations, notamment, dans le cas d’espèce, les autres liens familiaux de l’auteur. La situation est donc similaire à celle que le Comité a examinée dans l’affaire Stewart c. Canada , où le Comité a établi:

… l’immixtion dans les relations familiales de M. Stewart qui résultera inévitablement de son expulsion ne peut être considérée ni comme illégale ni comme arbitraire, dès lors que l’arrêté d’expulsion a été pris en vertu de la loi et conformément à l’intérêt légitime de l’État, et que toute l’attention voulue a été portée au cours de la procédure aux liens familiaux de l’intéressé. En conséquence, il n’y a pas eu violation des articles 17 et 23 du Pacte .

4.12 L’auteur de la communication ne montre donc pas en quoi la loi néo ‑zélandaise ne permet pas d’honorer l’obligation générale faite au paragraphe 1 de l’article 23 de protéger et de promouvoir la cellule familiale dans la société néo ‑zélandaise.

4.13 L’État partie ajoute qu’il ne saisit pas pourquoi le conseil de l’auteur n’a pas invoqué expressément le paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte. Si toutefois le Comité devait considérer que l’article 17 est applicable dans les circonstances, l’État partie fait valoir que cet article interdit les immixtions «arbitraires» ou «illégales» dans la famille et, par conséquent, n’interdit pas dans l’absolu toutes les immixtions mais impose en revanche qu’elles soient conformes à la loi, raisonnables, conformes aux principes de proportionnalité et au Pacte . Dans le contexte de l’immigration, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité, qui a établi qu’il ne pouvait y avoir d’obligation générale imposée à un État partie de respecter le choix fait par une famille d’un pays de résidence particulier . La jurisprudence de la Cour européenne a également confirmé de façon constante qu’il n’existait pas d’obligation générale de respecter le choix, par des couples mariés, du pays où le couple allait résider et que les États avaient le droit de considérer les intérêts familiaux au regard de leurs intérêts légitimes quand ils exercent un contrôle aux frontières .

4.14 Cette notion d’équilibre des intérêts a été reconnue par les tribunaux de l’État partie qui ont mis en relief la nécessité de porter l’attention voulue aux intérêts des familles et des enfants conformément aux dispositions du Pacte . La politique de l’État partie en matière de séjour, en vertu de laquelle l’auteur a fait sa demande, prévoit un grand nombre de circonstances diverses dans lesquelles des liens familiaux importants en Nouvelle ‑Zélande ouvrent droit à un permis de séjour. La loi et la politique néo ‑zélandaises reconnaissent toutefois la nécessité, respectée en droit international, de fixer certaines limites à l’entrée et au séjour sur le territoire national. L’État partie relève qu’en arrêtant cette politique, il a le droit de faire des distinctions entre différentes relations familiales qu’il considère comme les plus importantes, en fonction de facteurs objectifs.

4.15 Pour ce qui est de l’affaire à l’étude, au regard de l’article 17 l’État partie relève tout d’abord que l’auteur est un élément de plusieurs groupes familiaux, au nombre desquels le groupe constitué par sa relation avec sa fille Jamila et son petit ‑fils. Il estime que sa véritable cellule familiale se compose de lui ‑même et de sa femme, son fils et ses trois filles demeurés à Fidji. L’auteur a, à n’en pas douter, une relation importante avec sa fille, mais il faut bien voir que c’est une femme adulte, qui a quitté Fidji pour faire sa vie en Nouvelle ‑Zélande, s’y est mariée, a eu un enfant et est maintenant remariée. Son mariage est aussi un élément majeur à prendre en considération quand il s’agit de la relation de l’auteur avec elle et avec son fils. Comme on l’a vu plus haut, l’État partie fait valoir qu’il est libre d’accorder à la relation de l’auteur avec sa fille, son mari et son petit ‑fils une importance plus limitée que n’a la relation avec sa femme et ses quatre autres enfants.

4.16 Ensuite, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas montré en quoi l’action des pouvoirs publics a constitué une immixtion dans sa vie de famille. Si les membres de sa famille sont aujourd’hui dispersés entre Fidji et la Nouvelle ‑Zélande, cela tient à la décision de sa fille de s’établir en Nouvelle ‑Zélande. Certes, l’auteur s’est rapproché de sa fille et de son petit ‑fils en Nouvelle ‑Zélande, mais il ne faut pas oublier qu’à l’origine il était venu pour une brève visite à sa fille et que s’il est resté par la suite si longtemps sur le territoire, c’est en grande partie pour pouvoir exercer ses droits de recours. Pendant tout ce temps, tous les autres membres de sa famille immédiate − sauf une fille − étaient restés à Fidji et on doit considérer que c’est là que se trouve sa véritable cellule familiale. De plus, il est toujours possible pour lui d’avoir régulièrement des contacts avec sa famille en Nouvelle ‑Zélande. Outre qu’il peut obtenir un permis de visite et qu’il peut écrire et téléphoner, sa fille et son petit ‑fils peuvent très bien retourner à Fidji ou y aller en visite. Ces relations seraient sans doute plus intermittentes que l’auteur ne le souhaiterait mais il n’est pas dans les obligations de l’État partie de reconstruire des liens familiaux brisés par la décision de la fille de l’auteur de quitter Fidji.

4.17 Si le Comité devait considérer qu’il y a eu immixtion dans la vie de famille au sens de l’article 17, l’État partie fait valoir qu’il s’agissait d’une immixtion justifiée, légale et raisonnable. Il ne fait aucun doute que les décisions de rejeter la demande de permis de séjour et les recours contre l’expulsion ont été prises conformément à la loi et à la politique applicables en la matière. Dans le cadre de ces procédures, les circonstances d’ordre familial et humanitaire ont été longuement examinées.

4.18 La première demande de permis de séjour qu’avait présentée l’auteur a été examinée au titre de la catégorie des demandes pour motif familial et humanitaire. Le rejet a été confirmé deux fois par le Ministre, qui a invité l’auteur à exposer oralement de nouveaux éléments. Après expiration des permis temporaires, l’Autorité a cherché à déterminer s’il y avait des «circonstances exceptionnelles d’ordre humanitaire» qui justifiaient l’annulation de l’arrêté d’expulsion.

4.19 En ce qui concerne l’état de santé de sa fille Jamila, l’Autorité a établi qu’il existait en Nouvelle ‑Zélande comme à Fidji des services assurant un bon traitement, et que, si elle retournait à Fidji, elle bénéficierait d’un «plus grand soutien familial». Certes, la séparation ne se ferait pas sans difficultés du point de vue affectif, mais il n’y avait aucun risque de dommages physiques sérieux. Quant à la menace de se suicider si son père était expulsé, il fallait y voir la preuve de sa fragilité psychique et de son besoin d’aide, et on l’avait vivement engagée à se faire suivre. Vu qu’elle avait la possibilité d’aller à Fidji avec son mari, toutefois, ce facteur ne pouvait pas suffire à justifier que l’auteur reste en Nouvelle ‑Zélande.

4.20 En ce qui concerne les allégations de l’auteur qui se plaint d’avoir attendu longtemps avant que les décisions soient rendues sur ses demandes de permis et sur ses recours, l’Autorité a établi que la responsabilité en incombait principalement à l’auteur qui avait exercé tous les recours possibles. Par ailleurs, dans le contexte d’une certaine marginalisation politique et économique des Indiens à Fidji, huit ans auparavant l’auteur avait eu une vitre cassée chez lui et Jamila avait été victime d’un vol. Ces faits étaient certes fort regrettables mais il n’y avait pas lieu de croire que l’auteur risquait d’être personnellement victime de préjudices physiques, de discrimination ou de marginalisation s’il était expulsé . Enfin, s’il est vrai que le soutien de la famille est un élément important pour déterminer quel est l’intérêt supérieur de l’enfant et ce qui est bon pour son développement, la responsabilité première en incombe aux parents. En l’occurrence, il ne s’agissait pas d’un enfant séparé de ses parents contre leur gré.

4.21 Dans son recours auprès de la Haute Cour, l’auteur a contesté toutes ces conclusions de l’Autorité et le fait que celle ‑ci n’ait pas tenu compte de la lettre exposant en détail son état de santé qu’elle avait reçue deux jours avant de rendre la décision. La Cour a considéré que l’Autorité avait correctement interprété les faits et la loi et que, même si elle n’avait pas pu étudier la lettre, elle avait bien tenu compte de l’état de santé de l’auteur. Elle a ajouté que l’auteur ne pouvait pas prendre grief de ce que l’Autorité n’avait pas examiné cette lettre puisqu’il avait disposé de plusieurs mois pour soumettre l’information qu’elle contenait à l’examen de l’Autorité. Ensuite, saisie d’une demande de révision judiciaire de la décision d’expulsion prise par le Service de l’immigration, la Haute Cour a confirmé que le Service avait entièrement et correctement apprécié tous les aspects d’ordre humanitaire de l’affaire.

4.22 L’État partie relève que la décision d’expulsion a été prise en totale conformité avec les buts et objectifs du Pacte. Ceux qui ont pris les décisions, à tous les niveaux, c’est ‑à ‑dire le Service de l’immigration, l’Autorité, la Haute Cour et le Ministre, ont chacun tenu compte des instruments internationaux applicables, les tribunaux ayant statué qu’il devait en être ainsi . Selon l’État partie, comme le Comité l’a reconnu, il faut mettre dans la balance les principes ayant trait aux droits de l’homme avec le droit des États, reconnu en droit international, d’empêcher des étrangers de résider sur leur territoire, de les admettre sous certaines conditions ou de les expulser . Dans la mesure où l’auteur conteste l’application de la loi et la pratique en matière d’immigration, l’État partie invite le Comité à suivre sa jurisprudence et à conclure qu’il n’a pas à examiner la législation nationale à moins qu’il n’y ait des raisons de croire qu’il y a eu mauvaise foi ou abus de pouvoir, ce qui n’a pas été soutenu en l’espèce .

4.23 En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 24, l’État partie note que ces dispositions imposent une obligation générale de garantir des mesures de protection spéciale pour les enfants sous sa juridiction, en laissant une grande marge d’appréciation à l’État pour ce qui est des moyens de mettre en œuvre cette obligation. L’État partie évoque la protection étendue due aux enfants en général, et dans le contexte de l’immigration, où les intérêts des enfants sont pris en compte à tous les stades de la procédure.

4.24 En ce qui concerne la discrimination dont le petit ‑fils de l’auteur serait victime, l’État partie note que le grief semble être que le grand ‑père et non pas son petit ‑fils a subi une différence de traitement du fait de l’origine nationale ou sociale. Quoi qu’il en soit, l’arrêté d’expulsion a été délivré suite à l’application des critères d’immigration ordinaires, applicables à toute personne dans la même situation que l’auteur, indépendamment de la nationalité.

4.25 De plus, si c’était le petit ‑fils qui l’avait subie, la discrimination interdite par l’article 24 devrait concerner une différence de traitement fondée sur les caractéristiques propres de l’enfant. Ayant la nationalité néo-zélandaise, Robert a droit à la protection de la loi indépendamment de son origine nationale ou sociale. Il n’a pas fait l’objet d’une discrimination par rapport à d’autres enfants dont les grands ‑parents, qui ne sont pas résidents en Nouvelle ‑Zélande, n’ont pas été expulsés. Dans ces cas ‑là, des facteurs exceptionnels militant contre l’expulsion étaient réunis, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En particulier, dans l’affaire  Yeung , citée par l’auteur, les circonstances étaient nettement différentes . La relation entre un enfant en bas âge et ses parents est totalement différente de la relation entre un enfant et un grand ‑père. En tout état de cause, les questions soulevées par la Commission dans l’affaire Yeung ont bien été prises en considération dans la présente affaire. Enfin, toute différence de traitement que le Comité pourrait constater serait justifiée par des motifs objectifs, raisonnables et proportionnels − comme il a déjà été expliqué, le refus d’octroyer un permis de séjour à l’auteur reflétait un examen pondéré de toutes les circonstances familiales.

Commentaires de l’auteur

5.1 Par une lettre datée du 7 décembre 2000, l’auteur rejette un certain nombre des arguments de l’État partie concernant la recevabilité et le fond. Il souligne qu’au moment où il a adressé sa communication, il avait épuisé tous les recours internes et a effectivement été expulsé peu de temps après. Pour ce qui est de la suite des événements, l’auteur a bien eu l’autorisation de demander un permis de visiteur, qui lui a été refusé. Il n’a plus aucun recours pour attaquer le refus du permis de visiteur. Pour ce qui est de la recevabilité ratione materiae , l’auteur fait valoir que sa plainte porte spécifiquement sur les articles 23 et 24 du Pacte. Il affirme que ses allégations sont suffisamment étayées.

5.2 Pour ce qui est du fond, l’auteur fait valoir une violation du paragraphe 1 de l’article 23, car l’immixtion n’était pas raisonnable ni proportionnée vu que la loi et la pratique de la Nouvelle ‑Zélande en matière d’immigration ne lui permettaient pas d’émigrer en Nouvelle ‑Zélande même s’il avait une fille et un petit ‑fils dans ce pays. En conséquence, cette loi ne reconnaît guère, voire pas du tout, les relations des membres d’une famille élargie, courante dans les cultures comme la sienne, ce qui «soulève la question préalable de savoir si ces politiques établissent une discrimination tenant à la race ou à l’origine ethnique». L’auteur estime qu’il est «simpliste» de ramener sa situation à une relation père ‑fille ‑petit ‑fils, car c’est ne faire aucun cas de l’«isolement» de Jamila en Nouvelle ‑Zélande ni des droits des nationaux néo ‑zélandais. L’auteur ajoute qu’il n’est pas «réaliste» d’envisager le retour définitif de sa fille à Fidji.

5.3 L’auteur fait valoir que, quand il a été expulsé, «des liens familiaux très forts ont été coupés, ce qui a eu des conséquences très graves pour Robert». Il joint deux rapports d’une thérapeute familiale, en date du 29 juin 2000 et du 1 er  septembre 2000, qui font état de problèmes de comportement causés, de l’avis de la thérapeute, par les décisions frappant l’auteur .

5.4 Pour ce qui est des procédures devant les tribunaux internes, l’auteur fait valoir que le recours qu’il avait formé visait à faire déterminer s’il existait des circonstances exceptionnelles d’ordre humanitaire. D’après lui, les tribunaux ont toujours soutenu que des liens familiaux normaux ne pouvaient pas être considérés comme des circonstances exceptionnelles. Il avance que si la notion d’équilibre des intérêts a été reconnue par la justice, il n’existe pas de doctrine de la proportionnalité en droit néo ‑zélandais. L’auteur accepte l’argument de l’État partie qui affirme que les procédures d’immigration tiennent désormais obligatoirement compte des instruments internationaux, mais il conteste la décision de l’Autorité en ce qui le concerne, la tenant pour déraisonnable. Il fait valoir de plus que les juridictions supérieures n’examinent pas un recours pour motif humanitaire sur le fond mais se limitent à apprécier la loi, ajoutant que ce sont des recours «quasiment illusoires» [sic].

5.5 Pour ce qui est du paragraphe 1 de l’article 24, l’auteur fait valoir que son rôle de soutien principal de l’enfant était de peu de poids en tant qu’élément d’ordre familial et humanitaire aux fins de la politique de l’État partie en matière de séjour, puisque sa demande a été rejetée. Pour ce qui est de la discrimination, il estime que, s’il a reçu un traitement différent, c’est en raison de l’origine nationale ou sociale.

Observations supplémentaires adressées par les parties

6.1 Dans une réponse datée du 16 juillet 2001, l’État partie a donné des renseignements complémentaires. La demande de visa de visiteur avait été refusée parce qu’il y avait de grandes probabilités que l’auteur ne se conforme pas aux conditions attachées au visa. Toutefois, il n’a pas encore demandé de visa de résidence alors qu’il a été invité à le faire. La femme de l’auteur a obtenu un visa temporaire de huit semaines pour lui permettre de venir aider sa fille à suivre un traitement médical.

6.2 Pour ce qui est du grief de l’auteur, qui avance dans ses commentaires concernant la réponse de l’État partie que les politiques d’immigration peuvent être discriminatoires, l’État partie estime «tout à fait déplacé» de faire une telle allégation alors qu’elle ne figurait pas dans la communication. Néanmoins, le fait que l’auteur n’ait pas obtenu le permis de séjour traduit l’application de la politique en matière de séjour à son cas et non une quelconque défaillance de cette politique. De plus, la politique en matière d’immigration prévoit bien la catégorie de la famille élargie et, dans la mesure où des différences de traitement entre diverses formes de relations familiales existent, il s’agit d’une distinction compatible avec le Pacte.

6.3 L’État partie réfute l’allégation de l’auteur qui affirme que les juridictions supérieures ne considèrent que les questions de droit et ne procurent donc que des recours «quasiment illusoires». Il relève que le dossier de l’auteur a été examiné plusieurs fois conformément à la loi et à la pratique, en tenant compte des obligations internationales qui ont été respectées. D’une façon générale, les tribunaux évitent de revenir sur les constatations de fait dans des décisions de cette nature mais, en réexaminant une décision, ils vérifient attentivement la conformité avec la loi et la pratique, y compris avec les obligations internationales.

6.4 L’État partie relève que la question de la santé psychique du petit ‑fils et des rapports du psychologue apparaît pour la première fois dans les commentaires de l’auteur sur la première réponse de l’État partie et n’a été portée devant aucune autorité néo ‑zélandaise. L’auteur aurait toute latitude de demander l’entrée en Nouvelle ‑Zélande pour raison humanitaire en invoquant la santé mentale de son petit ‑fils.

6.5 L’État partie relève que les autorités nationales n’ont pas accepté comme un fait l’affirmation selon laquelle c’était l’auteur qui élevait son petit ‑fils. L’auteur a évoqué cette question et d’autres questions de fait dans le but d’obtenir le réexamen d’éléments de fait que les autorités nationales ont déjà étudiés.

6.6 Enfin, pour ce qui est de l’argument de l’auteur qui affirme qu’il n’existe pas de disposition obligeant à tenir compte de l’importance de la famille ou du Pacte, l’État partie objecte que c’est ignorer les règles obligatoires établies par la politique en matière d’immigration ainsi que par la jurisprudence, qui imposent aux agents de l’État, aux tribunaux et aux cours de tenir compte des circonstances et des obligations internationales en matière de droits de l’homme.

6.7 Par une lettre du 15 août 2001, l’auteur a déclaré n’avoir aucun autre commentaire à faire. Le 20 décembre 2001, il a fait parvenir une lettre de la thérapeute recommandant l’octroi d’un visa temporaire pour permettre à un membre de la famille en mesure de faire une brève visite en Nouvelle ‑Zélande de venir s’occuper de Robert .

Délibérations du Comité

Examen concernant la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Pour ce qui est de la recevabilité de la plainte présentée par l’auteur au nom de sa fille adulte et de son petit-fils, le Comité renvoie à sa jurisprudence constante et rappelle que la personne qui présente une communication au nom d’autrui, en l’absence de mandat, doit montrer qu’il existe des motifs impérieux pour ce faire . Le Comité relève que l’auteur n’a pas joint de mandat de sa fille adulte ni montré de quelque manière que ce soit pour quelle raison il faut que ce soit lui qui agisse en son nom. Il s’ensuit que l’auteur n’est pas habilité, au sens de l’article 1 du Protocole facultatif, à présenter un grief au regard du paragraphe 1 de l’article 23 au nom de sa fille adulte Jamila. En ce qui concerne la plainte au nom de son petit ‑fils Robert au titre du paragraphe 1 de l’article 24, le Comité considère qu’en l’absence de circonstances particulières non démontrées en l’espèce, il est inapproprié pour l’auteur de présenter une plainte au nom de son petit ‑fils sans y avoir été expressément autorisé par sa mère, qui en a la garde . Il estime donc que l’auteur n’est pas habilité, au sens de l’article premier du Protocole facultatif, à présenter des plaintes au nom de sa fille et de son petit ‑fils, et que ces plaintes sont irrecevables.

7.3 En ce qui concerne la propre plainte de l’auteur, le Comité note que, d’après les arguments de l’État partie sur l’épuisement des recours internes, l’auteur a eu après son expulsion une nouvelle possibilité de demander un permis de séjour qui lui permettrait de retourner en Nouvelle ‑Zélande et qu’il ne l’a pas encore fait. Il relève que cette possibilité n’a été donnée qu’à la suite de la décision (purement discrétionnaire) du Ministre d’annuler l’arrêté d’expulsion, après l’exécution de la mesure d’expulsion, et en outre que le permis de visiteur que l’auteur a pu solliciter également du fait de la décision du Ministre lui a été refusé. Dans ces circonstances, le Comité ne considère pas que le recours dont fait état l’État partie soit réellement utile et entre dans la catégorie des recours visés au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, qui doivent avoir été exercés avant que le Comité puisse examiner la communication.

7.4 En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui objecte que la communication n’est pas suffisamment étayée et qu’elle n’entre pas dans le champ d’application du Pacte, le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que l’expulsion d’individus vers une autre juridiction, dans le contexte de l’immigration, peut soulever des questions au regard des articles invoqués par l’auteur. Le Comité estime qu’il est saisi de renseignements suffisants pour qu’une plainte au regard du paragraphe 1 de l’article 23 soit constituée en ce qui concerne l’auteur.

7.5 Le Comité constate qu’il n’y a pas d’autre obstacle à la recevabilité de la communication et considère qu’elle est recevable en ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte à l’égard de l’auteur.

Examen quant au fond

8.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2 En ce qui concerne le grief recevable relatif au paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte, le Comité rappelle sa décision dans l’affaire Winata c.  Australie , où il a conclu que dans des circonstances exceptionnelles les États parties doivent présenter des éléments autres que la simple mise en œuvre de la loi relative à l’immigration pour justifier l’expulsion de quelqu’un, afin d’éviter que l’expulsion ne soit qualifiée d’arbitraire. Dans l’affaire Winata , la circonstance extraordinaire était l’intention de l’État partie d’expulser les parents d’un mineur né dans l’État partie, qui était devenu un national naturalisé à l’issue de 10 années de résidence requises dans ce pays. En l’espèce, le petit ‑fils de l’auteur est resté avec sa mère et le mari de celle ‑ci en Nouvelle ‑Zélande après l’expulsion de l’auteur. En conséquence, en l’absence de facteurs exceptionnels comme ceux qui avaient été relevés dans l’affaire Winata , le Comité estime qu’en expulsant l’auteur, l’État partie n’a pas violé les droits de celui ‑ci tels qu’ils sont garantis au paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’un quelconque des articles du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe, aux fins du présent rapport.]

Notes

R. Communication n o  900/1999 , C c.  Australie * (Constatations adoptées le 28 octobre 2002, soixante ‑seizième session)

Présentée par :

M. C. [nom non divulgué] (représenté par un conseil, M. Nicholas Poynder)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

23 novembre 1999 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  900/1999, présentée au nom de M. C. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, lettre initiale datée du 23 novembre 1999, est M. C. , citoyen iranien, né le 15 janvier 1960, actuellement détenu à la prison de Port Phillip, à Melbourne. Il se dit victime de violations par l’Australie des articles 7 et 9 , lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. Il est représenté par un conseil.

1.2 Après la présentation de la communication au Comité des droits de l’homme le 23 novembre 1999, une demande d’adoption de mesures provisoires en application de l’article 86 du Règlement intérieur a été communiquée à l’État partie le 2 décembre 1999, lui demandant de surseoir à l’expulsion de l’auteur en attendant que le Comité examine son cas.

Rappel des faits

2.1 L’auteur, qui a des liens de famille étroits en Australie mais aucun en Iran, a séjourné légalement en Australie du 2 février 1990 au 8 août 1990, puis a quitté le pays. Le 22 juillet 1992, l’auteur est revenu en Australie avec un visa de touriste, mais sans billet de retour, et il a été arrêté, en tant que «non ‑citoyen» sans visa d’entrée, et placé en détention (rétention) en vertu de l’article 89 de la loi de 1958 sur les migrations ( Migration Act ) (alors en vigueur) en attendant son expulsion («la première détention»).

a) Première demande du statut de réfugié et procédure d’examen

2.2 Le 23 juillet 1992, l’auteur a présenté une demande d’octroi du statut de réfugié, en raison d’une crainte justifiée d’être victime d’une persécution religieuse en Iran en tant que chrétien assyrien. Le 8 septembre 1992, la demande a été rejetée par le représentant du Ministre de l’immigration et des affaires multiculturelles. Le 26 mai 1993, le Comité d’examen du statut de réfugié a confirmé le refus et l’auteur a fait appel devant la Cour fédérale .

b) Demande de mise en liberté provisoire adressée au Ministre et procédure d’examen

2.3 En juin 1993, l’auteur a demandé au Ministre de l’immigration de le mettre en liberté provisoire en attendant que la Cour fédérale statue sur sa demande d’octroi du statut de réfugié. Le 23 août 1993, le représentant du Ministre a rejeté la demande, en faisant observer que l’article 89 de la loi sur les migrations ne permettait pas de libérer une personne, sauf si elle était expulsée d’Australie ou se voyait accorder un visa d’entrée. Le 10 novembre 1993, la Cour fédérale a rejeté la requête de l’auteur demandant le réexamen de la décision du Ministre par un organe juridictionnel, en confirmant que l’article 89 de la loi sur les migrations ne conférait, expressément ou implicitement, aucun pouvoir discrétionnaire/résiduel permettant de libérer une personne détenue en vertu de cette loi. Le 15 juin 1994, la Chambre plénière de la Cour fédérale a rejeté un nouvel appel de l’auteur. Elle a notamment rejeté l’argument selon lequel le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte allait dans le sens d’une interprétation de l’article 89 comme autorisant seulement une période minimale de détention et impliquant, en cas de besoin, un pouvoir de remise en liberté en attendant qu’il soit statué sur une demande d’octroi du statut de réfugié.

c) Mise en liberté pour troubles mentaux et deuxième demande du statut de réfugié

2.4 Le 18 août 1993, l’auteur a fait l’objet d’une expertise psychologique , suite à des «préoccupations concernant son état de santé physique et mental après une longue incarcération». L’auteur, qui a tenté de se suicider par électrocution, a refait une tentative et présentait des symptômes se situant «aux extrêmes sur toutes les échelles d’évaluation de la dépression». Des tranquillisants lui avaient été prescrits en août 1992 et de mars à juin 1993. La psychologue, observant chez lui un «tremblement ralenti», a estimé que sa paranoïa n’était «pas surprenante». Elle a relevé «de nombreux signes des souffrances vécues pendant les 12 mois d’emprisonnement», a constaté qu’il était «activement suicidaire» et «représentait un grave danger pour lui ‑même». Il ne pouvait supporter les visites de sa famille, car il avait acquis «un sentiment de persécution au centre et croyait que les autres parlaient fort pour le gêner». Selon elle, «s’il était libre, il pourrait retrouver un équilibre mental».

2.5 Le 15 février 1994, l’auteur a de nouveau fait l’objet d’une expertise psychiatrique en raison de l’aggravation de son état . L’expert a recommandé une «nouvelle expertise et un nouveau traitement psychiatriques d’urgence», qui aurait peu de chance d’être efficace si l’auteur restait en détention. L’auteur «avait besoin d’urgence d’échapper à ces conditions [de détention]», et il fallait «explorer d’urgence» d’autres dispositions appropriées à l’extérieur du centre afin d’éviter «le risque d’autoagressivité ou de troubles du comportement si des mesures n’étaient pas prises d’urgence». Le 18 juin 1994, à la demande du personnel du centre de rétention, le même expert a réexaminé l’auteur . L’expert a constaté une aggravation significative de l’état de l’auteur, qui manifestait le sentiment accru d’être surveillé et persécuté et des «délires caractérisés». Comme précédemment, la dépression était importante, et l’expert considérait que l’auteur était maintenant en proie «à des troubles délirants caractérisés conjugués à des symptômes dépressifs». Son état nécessitait à l’évidence des médicaments antipsychotiques et probablement des antidépresseurs par la suite. Comme l’état de l’auteur était «dû essentiellement au stress prolongé du maintien en détention», l’expert a recommandé la libération et un traitement externe. Il a toutefois averti que «rien ne garantissait que les symptômes disparaîtraient rapidement même si l’intéressé était libéré et [qu’]un traitement psychiatrique spécialisé serait nécessaire après la libération pour suivre le processus de guérison».

2.6 Le 10 août 1994, conformément à l’article 11 de la loi sur les migrations, l’auteur a été libéré et confié à la garde de sa famille en raison de ses besoins spéciaux en matière de santé (mentale). À ce moment ‑là, l’auteur avait un comportement délirant et suivait un traitement psychiatrique. Le 29 août 1994, l’auteur a de nouveau demandé le statut de réfugié, qui lui a été accordé le 8 février 1995 compte tenu de ce qu’il avait vécu en Iran en tant que chrétien assyrien, et de l’aggravation de la situation de cette minorité religieuse en Iran. A été prise en compte aussi «l’aggravation sensible de son état psychiatrique pendant la période prolongée de sa détention ainsi que le diagnostic de troubles délirants, de psychose paranoïde et de dépression nécessitant un traitement pharmaceutique et psychothérapeutique», état qui accentuerait la réaction hostile des autorités iraniennes ainsi que le caractère excessif de la réaction de l’auteur. Le 16 mars 1995, l’auteur a obtenu le visa de protection lui reconnaissant le statut de réfugié.

d) Actes délictueux et procédures pénales

2.7 Le 20 mai 1995, en proie au délire et armé de couteaux, l’auteur s’est introduit de force au domicile d’une amie et parente par alliance, M me  A., et s’est caché dans un placard. Le 17 août 1995, jugé pour présence illicite dans des locaux et dégâts causés intentionnellement à des biens, il a plaidé coupable et a fait l’objet d’une mesure non privative de liberté à accomplir en milieu ouvert et accompagnée d’un traitement psychiatrique. Le 1 er  novembre 1995, l’auteur est retourné chez M me  A., a causé des dégradations matérielles et menacé de la tuer, puis a été arrêté. Le 18 janvier 1996, l’auteur a menacé par téléphone M me  A. de la tuer, a été de nouveau arrêté et placé en garde à vue. À la suite des deux derniers incidents, le 10 mai 1996, l’auteur a été reconnu coupable par le County Court de Victoria de cambriolage à main armée et de menaces de mort, et a été condamné à une peine cumulative de trois ans et demi d’emprisonnement (avec 18 mois de période de sûreté). L’auteur n’a pas fait appel de la condamnation.

e) Arrêté d’expulsion et procédures d’examen

2.8 Le 16 décembre 1996, l’auteur a été interrogé par un représentant du Ministre en vue d’une éventuelle expulsion en tant que non ‑citoyen séjournant en Australie depuis moins de 10 ans qui avait commis un crime et avait été condamné à un an de prison au moins. Le 21 octobre 1996, l’auteur a fait l’objet d’une expertise psychiatrique à la demande du représentant du Ministre . Selon cette expertise, aucune maladie ne s’était manifestée auparavant chez l’auteur et ses croyances de persécution d’origine morbide se sont développées en détention, il n’y avait donc «guère de doute qu’un lien de causalité directe existait entre le délit pour lequel il est actuellement incarcéré et les croyances de persécution dues à de sa maladie [schizophrénie paranoïde]». Selon l’expertise, à la suite du traitement reçu, l’auteur présentait un risque moindre de commettre d’autres actes déclenchés par sa maladie, mais continuait à nécessiter un suivi psychiatrique sérieux. Le 24 janvier 1997, l’auteur a fait l’objet d’une nouvelle expertise psychiatrique qui a abouti aux mêmes conclusions . Le 8 avril 1997, le Ministre a ordonné l’expulsion de l’auteur sur la base de ces expertises.

2.9 Le 24 avril 1997, l’auteur a fait appel de l’arrêté d’expulsion devant le Tribunal des recours administratifs (AAT). Le 28 juillet 1997 et le 1 er  août 1997 , l’auteur a fait l’objet d’autres expertises psychiatriques. Le 26 septembre 1997, le Tribunal des recours administratifs a rejeté le recours de l’auteur tout en semblant accepter que la maladie mentale de l’auteur était causée par sa détention prolongée dans le centre de rétention . Le 11 novembre 1997, le psychiatre qui suivait l’auteur pendant l’accomplissement de sa peine est intervenu motu proprio auprès du Ministre en faveur de l’auteur . Le 29 juillet 1998, l’auteur a gagné son appel devant la Cour fédérale d’Australie, au motif que ses troubles mentaux et sa situation personnelle n’avaient pas suffisamment été pris en compte pour apprécier si les menaces de mort étaient un «crime ou délit particulièrement grave» qui, en vertu de l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 («la Convention»), pourrait justifier le refoulement. L’affaire a donc été renvoyée devant le Tribunal des recours administratifs. En mars 1998, l’auteur a commencé un nouveau traitement (Clorazil) qui a été suivi d’améliorations spectaculaires de son état de santé.

2.10 Le 26 octobre 1998, le Tribunal des recours administratifs, siégeant dans une composition différente, a de nouveau confirmé la décision d’expulsion après réexamen de l’affaire. Il a conclu que, même si l’auteur pouvait connaître une récidive de comportement délirant en Iran, ce qui, vu son appartenance ethnique et religieuse, risquait d’entraîner une privation de liberté, cela ne serait pas «en raison de» sa race ou de sa religion. Par conséquent, le cas de l’auteur ne relevait pas des dispositions de la Convention. Le Tribunal a également constaté que, si l’auteur pouvait se maîtriser lorsqu’il prenait les médicaments appropriés , il ne se considérait toutefois pas comme malade et risquait vraiment de cesser de prendre ses médicaments. Tout en constatant qu’il «n’était pas certain» que l’auteur puisse se procurer du Clorazil en Iran, le Tribunal ne s’est pas prononcé sur le niveau des soins de santé en Iran. Néanmoins, il a considéré qu’il existait un risque sérieux que l’auteur ne se mette pas en quête d’un traitement approprié, et en particulier de Clorazil, sans lequel ses délires psychotiques reviendraient. Le Tribunal a considéré que rien ne prouvait que l’auteur trouverait un traitement de soutien en Iran au cas où il ne prendrait pas son médicament et que la probabilité d’une récidive de la maladie était plus grande en Iran qu’en Australie. Le Tribunal n’a formulé aucune conclusion sur la cause de la maladie mentale de l’auteur.

2.11 Le 23 novembre 1998, l’auteur a de nouveau fait appel de la décision du Tribunal des recours administratifs devant la Cour fédérale. Le 4 décembre 1998, l’auteur a obtenu une libération conditionnelle (condamnation pénale) assortie de conditions rigoureuses , mais il est resté détenu au centre de rétention en attendant que son appel de la décision du Tribunal des recours administratifs soit examiné. Le 15 janvier 1999, la Cour fédérale, en procédure accélérée, a de nouveau admis l’appel formé par l’auteur contre la décision du Tribunal des recours administratifs. Elle a conclu que ce dernier avait mal interprété la protection conférée par l’article 33 de la Convention (relative au statut des réfugiés) et qu’en outre, il n’avait pas pris convenablement en considération les circonstances atténuantes liées à l’état mental de l’auteur au moment où il a commis les délits. La Cour a renvoyé l’affaire au Tribunal des recours administratifs pour qu’il l’examine d’urgence et a par conséquent rejeté la requête de l’auteur demandant une mise en liberté provisoire. Le 5 février 1999, le Ministre a fait appel de la décision de la Cour fédérale devant la Chambre plénière de la Cour fédérale («The Full Court»). Le 20 juillet 1999, la Chambre plénière a admis l’appel du Ministre de la décision du 15 février 1999, estimant que les conclusions du Tribunal des recours administratifs dans «un cas extrêmement difficile», tout en étant «discutables», n’étaient pas contredites par les éléments de preuve dont il était saisi et reflétaient un équilibre entre les différents facteurs . La Cour a noté que «si [sa] maladie peut être contrôlée par des médicaments disponibles en Australie [Clorazil], ce médicament n’est probablement pas disponible en Iran». En conséquence, la décision a eu pour effet de maintenir l’arrêté d’expulsion. Le 5 août 1999, l’auteur a présenté à la Haute Cour ( High Court ) une demande d’autorisation spéciale de faire appel de la décision de la Chambre plénière. Le 11 février 2000, cette demande a été rejetée.

f) Demandes adressées au Ministre et procédure d’examen

2.12 Le 19 janvier 1999, à la suite de la deuxième décision de la Cour fédérale rendue en faveur de l’auteur contre le Tribunal des recours administratifs, puis en février et mars, l’auteur s’est adressé au Ministre pour demander la révocation de l’arrêté d’expulsion et sa mise en liberté (il était retenu en vertu de la loi sur l’immigration), en fournissant un abondant dossier médical à l’appui.

2.13 Les 11 et 18 mars 1999, le Ministre a décidé qu’il n’ordonnerait pas la libération de l’auteur et que ce dernier resterait en détention (rétention). Le 29 mars 1999, l’auteur a demandé à la Cour fédérale que la décision du Ministre soit examinée par un organe juridictionnel. Le 8 avril 1999, l’auteur a présenté une demande en référé en attendant la décision de la Cour fédérale sur la demande principale du 29 mars. Le 20 avril 1999, la Cour fédérale a rejeté la demande de réexamen de la décision du Ministre de ne pas le libérer. La Cour a considéré que, si l’on pouvait se poser sérieusement la question de savoir si le Ministre avait pris en compte une considération sans objet en prenant sa décision, tout bien pesé, la balance penchait en faveur du rejet vu l’imminence de l’examen de l’appel formé devant la Chambre plénière concernant la décision du Tribunal des recours administratifs. Le 19 mai 1999, le Ministre a indiqué les raisons pour lesquelles il avait refusé la mise en liberté de l’auteur. S’appuyant en partie sur les décisions du Tribunal des recours administratifs qui avaient été révoquées en appel, il a estimé que la possibilité d’une récidive de la part de l’auteur était assez élevée et a conclu que ce dernier constituait un danger persistant pour la communauté et pour sa victime. Le 15 octobre 1999, le Ministre a répondu aux requêtes des 6 et 22 septembre 1999, et du 15 octobre 1999, demandant la révocation de l’arrêté d’expulsion et/ou la mise en liberté provisoire en attendant qu’il soit statué définitivement sur cette affaire. Il a rejeté la demande de mise en liberté provisoire et a déclaré qu’il continuait à examiner la demande de révocation de l’arrêté d’expulsion. En décembre 2000, à la suite de nouvelles demandes d’intervention, le Ministre a refusé de libérer l’auteur .

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme être victime d’une violation des droits que lui reconnaît l’article 7 à un double titre. Premièrement, les circonstances et la durée de sa détention (depuis son arrivée le 22 juillet 1992 jusqu’au 10 août 1994) ont déclenché chez lui une maladie mentale dont il ne souffrait pas auparavant. Les experts médicaux sont unanimes à conclure que cette maladie psychiatrique sévère est due à son incarcération prolongée , et cette conclusion a été acceptée par le Tribunal des recours administratifs et les tribunaux. L’auteur affirme qu’il a été emprisonné à l’origine sans aucune preuve qu’il présente un risque ou un autre danger pour la communauté. Il aurait pu être remis en liberté en milieu ouvert sous caution ou sous d’autres conditions telles que l’assignation à résidence ou l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités. L’auteur affirme également que son maintien actuel en détention est contraire à l’article 7 .

3.2 Deuxièmement, l’auteur estime qu’il y a violation de l’article 7 par l’Australie en ce sens que, s’il était expulsé vers l’Iran, il courrait un risque réel d’être victime d’une violation par l’Iran des droits que lui reconnaît le Pacte, au moins de l’article 7 et éventuellement aussi de l’article 9. À ce sujet, il mentionne la jurisprudence du Comité selon laquelle il peut y avoir violation du Pacte lorsqu’un État partie expulse une personne relevant de sa juridiction dans des circonstances telles que la conséquence nécessaire et prévisible sera une violation des droits de cette personne protégés par le Pacte dans un autre État . Il considère que la représentant e du Ministre a constaté que l’auteur avait des craintes justifiées d’être persécuté en Iran en raison de sa religion et parce que son état psychologique pouvait appeler sur lui l’attention des autorités et aboutir à une mesure de privation de liberté dans des conditions constituant une persécution. Loin d’être infirmé dans les procédures ultérieures, cette position a été confirmée par le Tribunal des recours administratifs. En outre, l’auteur fait valoir que l’attitude de l’Iran vient étayer la conclusion selon laquelle, dans l’hypothèse d’une expulsion, l’auteur sera exposé à une violation de ses droits protégés par le Pacte .

3.3 L’auteur affirme en outre que sa détention prolongée en Australie dès son arrivée est contraire aux paragraphes 1 et 4 de l’article 9 du Pacte car il a été arrêté et détenu dès son arrivée en vertu des dispositions impératives (non discrétionnaires) de l’article 89 de la loi sur les migrations (en vigueur à l’époque). Ces dispositions ne prévoient aucun réexamen de la mesure de détention, que ce soit par un organe judiciaire ou administratif. L’auteur considère que son cas relève des principes énoncés par le Comité dans ses constatations concernant A . c. Australie , dans lesquelles le Comité a estimé que la détention, même celle d’un immigrant en situation illégale, qui n’a ni été réexaminée périodiquement ni autrement justifiée, constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 9 et que l’absence d’examen par un organe judiciaire ayant la possibilité d’ordonner une mise en liberté était une violation du paragraphe 4 de l’article 9. L’auteur a souligné que, comme dans le cas de A, rien ne justifiait sa détention prolongée et que la législation actuelle avait le même effet, à savoir le priver de la possibilité de demander qu’un organe judiciaire réexamine sa détention. Pour ces violations de l’article 9, l’auteur demande une réparation adéquate pour sa détention ‑rétention en invoquant le paragraphe 3 de l’article 2. L’auteur affirme aussi que la détention dont il fait actuellement l’objet est une violation de l’article 9 .

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

4.1 Dans des observations du 1 er  mars 2001, l’État partie a répondu à la fois sur la recevabilité des plaintes de l’auteur et sur le fond.

4.2 Pour ce qui est de la recevabilité des plaintes formulées au titre de l’article 7, l’État partie fait valoir que la plupart d’entre elles sont irrecevables. En ce qui concerne la première plainte, à savoir que la détention prolongée est une violation de l’article 7, l’État partie considère que cette allégation n’est pas fondée, qu’elle n’entre pas dans le champ d’application de l’article 7 et que les recours internes n’ont pas été épuisés. L’auteur n’a produit aucune preuve démontrant que des actes ou des pratiques imputables à l’État partie, allant au ‑delà du simple fait de la détention, auraient pu rendre sa détention particulièrement pénible ou répréhensible. Le seul élément de preuve présenté par l’auteur est qu’il a développé une schizophrénie paranoïde pendant sa détention, mais il n’a pas démontré que sa maladie mentale ait été causée par d’éventuels mauvais traitements du type de ceux qu’interdit l’article 7. Deuxièmement, comme la plainte est en réalité une attaque contre la détention de l’auteur proprement dite plutôt que contre un traitement ou un aspect répréhensible liés à cette détention, elle ne relève pas de l’article 7 comme l’a déjà déterminé le Comité. Troisièmement, l’État partie considère que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Il pouvait déposer plainte auprès de la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances, qui fait rapport au Parlement, ou auprès de l’Ombudsman du Commonwealth, qui peut recommander une réparation, notamment une indemnisation.

4.3 En ce qui concerne la deuxième partie de la plainte présentée au titre de l’article 7, qui met en cause la responsabilité de l’État pour une violation ultérieure en Iran des droits reconnus à l’auteur par l’article 9, l’État partie fait valoir que cela n’entre pas dans le champ d’application de l’article 7. L’État partie affirme que l’interdiction du refoulement en vertu de l’article 7 est limitée aux risques de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette interdiction ne s’applique pas aux violations de l’article 9, la détention en soi n’étant pas une violation de l’article 7 . En outre, le Comité n’a jamais déclaré que l’article 9 comportait une obligation de non ‑refoulement comparable. Selon l’interprétation de l’État partie, les constatations du Comité dans l’affaire ARJ c. Australie signifient que les garanties d’une procédure régulière n’entrent pas dans le champ d’application de l’interdiction du non ‑refoulement et l’État partie fait valoir que, par analogie, il en va de même des violations potentielles de l’article 9.

4.4 Quant aux plaintes formulées au titre de l’article 9, l’État partie ne conteste pas la recevabilité de l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 9, mais considère que la plainte formulée au titre du paragraphe 4 de l’article 9 est irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes et absence d’éléments de preuve à l’appui. L’État partie affirme que la première période de détention de l’auteur a été examinée et déclarée légale par un juge unique et, en appel, par la C hambre plénière de la Cour fédérale. À aucun stade de la première ou de la deuxième détention ‑rétention l’auteur n’a formé de recours en habeas corpus ni invoqué la compétence de la Haute Cour ( High Court ) pour demander une ordonnance de mandamus ou une autre mesure. L’État partie rappelle que de simples doutes sur l’utilité des recours ne dispensent pas le plaignant de l’obligation de les utiliser . L’État partie fait également valoir que l’auteur se plaint en fait qu’il n’y avait aucun moyen pour lui de demander à être remis en liberté, soit par la voie administrative soit par la voie judiciaire. Il n’a produit aucun élément de preuve pour montrer en quoi le paragraphe 4 de l’article 9 avait été violé et, comme on l’a déjà indiqué, il a effectivement contesté la légalité de sa détention à plusieurs reprises. Par conséquent, sa plainte n’est pas suffisamment étayée.

4.5 En ce qui concerne le bien ‑fondé des allégations, l’État partie considère que toutes sont sans fondement.

4.6 Au sujet de la première partie de la plainte formulée au titre de l’article 7 (concernant la détention ‑rétention de l’auteur), l’État partie note que le Comité n’a pas établi de distinctions nettes entre les éléments de l’article 7, mais qu’il a défini de grandes catégories. Il observe que la torture s’entend d’un traitement délibéré visant à infliger une souffrance particulièrement intense et cruelle pour atteindre un certain objectif . Les peines ou traitements inhumains ou dégradants sont des actes (infligés principalement en détention) qui doivent atteindre un seuil minimal de gravité, mais qui ne constituent pas des actes de torture . Les peines ou traitements «dégradants» sont le niveau le «plus faible» de violation de l’article 7, où la gravité des souffrances est moins importante que le degré d’humiliation ou d’avilissement infligés à la victime .

4.7 Par conséquent, il est clair que si des conditions de détention particulièrement pénibles peuvent constituer une violation de l’article 7 (que les souffrances soient physiques ou morales), la détention en soi n’est pas une violation de l’article 7. Dans l’affaire Vuolanne c. Finlande , le Comité a considéré «qu’une peine n’est dégradante que si l’humiliation ou l’abaissement qui en résulte dépasse un certain seuil et, en tout état de cause, s’il comporte des éléments qui dépassent le simple fait d’être privé de liberté» . De même, le Comité a toujours considéré que même des détentions prolongées dans «un quartier de condamnés à mort» ne constituent pas une violation de l’article 7 . Pour qu’une détention constitue une violation de l’article 7, il faut que le traitement des détenus comporte un élément répréhensible.

4.8 Évaluant les conditions générales de la rétention en vertu de la loi sur l’immigration à la lumière des normes susmentionnées, l’État partie souligne que, pour assurer le bien ‑être de toutes les personnes détenues à ce titre, il a établi les normes de rétention (Immigration Detention Standards) qui régissent les conditions de vie des détenus dans les centres de rétention et précisent la nature particulière des services qui doivent être disponibles pour les personnes retenues. Ces normes concernent la protection de la vie privée; les soins de santé et la sécurité; les activités spirituelles, sociales, éducatives et récréatives; la présence d’interprètes ainsi que la formation du personnel à la diversité et aux valeurs culturelles. L’État partie est d’avis que les conditions régnant dans le centre de rétention de Melbourne (MIDC) sont humaines et assurent le confort des résidents qui attendent qu’il soit statué sur leur demande de visa.

4.9 En ce qui concerne la situation particulière de l’auteur, il n’a à aucun moment adressé une plainte au Département de l’immigration et des affaires multiculturelles (DIMA), à l’Ombudsman du Commonwealth, à la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances ou au Haut ‑Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, possibilités qui faisaient l’objet d’une large diffusion. L’auteur a toujours été traité avec humanité au centre de rétention de Melbourne (MIDC), où le personnel lui a porté une attention prioritaire et a veillé à son intégrité et à son bien ‑être physiques et mentaux en lui prodiguant des soins allant au ‑delà du régime ordinaire. Par exemple, à la suite de ses plaintes sur le niveau sonore, le personnel du centre de rétention de Melbourne a diminué le volume sonore du système d’annonces et réduit le nombre des annonces faites pendant la journée. En outre, lorsqu’il s’est plaint de ne pas pouvoir dormir à cause du bruit dans la zone des dortoirs, on lui a proposé de dormir ailleurs. De même, avant qu’il ne soit mis en liberté et confié à la garde de sa famille, le personnel du centre de Melbourne avait pris des dispositions pour qu’il aille dans sa famille une fois tous les 15 jours pour prendre un repas en famille et échapper à la routine du centre. Enfin, le 10 août  1994, l’auteur a été mis en liberté et confié à sa famille, lorsqu’il est apparu que son état psychologique justifiait cette mesure. De plus, il a toujours reçu des soins médicaux adéquats dispensés par des professionnels.

4.10 En ce qui concerne la schizophrénie paranoïde développée par l’auteur, l’État partie affirme qu’une abondante bibliographie indique de manière convaincante qu’il existe une prédisposition génétique à la schizophrénie . Par conséquent, il est très regrettable que les symptômes de sa schizophrénie se soient développés chez l’auteur pendant sa détention, mais il était probablement prédisposé à cette maladie et son apparition n’est pas nécessairement la conséquence des conditions dans lesquelles il était détenu. S’il est indéniable que toute privation de liberté peut causer un certain stress psychologique, ce stress ne constitue pas un traitement cruel, inhumain ou dégradant (et certainement pas une peine). En tout état de cause, il est médicalement avéré que le développement de la schizophrénie n’est pas lié au fait d’être soumis à un «agent stressant caractérisé».

4.11 Quant à la deuxième partie des plaintes formulées au titre de l’article 7 (concernant des violations futures des droits de l’auteur en Iran en cas d’expulsion), l’État partie admet qu’il est soumis à une obligation limitée de ne pas exposer l’auteur à des violations des droits que lui reconnaît le Pacte en le renvoyant en Iran . Il estime toutefois que cette obligation ne s’étend pas à tous les droits énoncés dans le Pacte, mais qu’elle est limitée aux droits les plus fondamentaux seulement, qui concernent l’intégrité physique et mentale de la personne . L’État partie croit comprendre, d’après la jurisprudence du Comité, que cette obligation n’a été prise en compte qu’en cas de menace d’exécution (art. 6) et de torture (art. 7) au retour et estime par conséquent que cette obligation se limite aux deux droits énoncés à l’article 6 et à l’article 7. Concernant l’article 7, l’interdiction doit à l’évidence se rapporter à la substance de cet article, et ne peut donc porter que sur le risque de torture et, éventuellement, de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Selon l’État partie, le Comité a lui ‑même déclaré que les actes prohibés par l’article 7 n’englobent pas, par exemple, les garanties d’une procédure régulière protégées à l’article 14 . En outre, il est bien établi que le risque d’une violation de l’article 7 doit être réel au sens où ce risque doit être une conséquence nécessaire et prévisible du retour de la personne .

4.12 Dans le cas à l’examen, l’État partie réfute l’affirmation de l’auteur selon laquelle son retour en Iran aura pour conséquence nécessaire et prévisible qu’il sera soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et avance trois raisons pour cela.

4.13 Premièrement, le statut de réfugié a été accordé à l’auteur en fonction de nombreuses considérations autres que le risque d’une violation de l’article 7. L’État partie affirme que le statut de réfugié a été octroyé à l’auteur parce que ce dernier risquait d’être victime de «persécutions» s’il rentrait en Iran. Selon l’État partie, par «persécutions», on peut entendre un harcèlement persistant pratiqué ou toléré par les autorités . Au sens étroit du terme, la «persécution» signifie la privation de la vie ou de la liberté physique, mais elle comprend aussi les formes de harcèlement que sont le refus d’accès à l’emploi, aux professions libérales ou à l’enseignement, et la restriction des libertés traditionnellement reconnues dans une société démocratique, telle que la liberté d’expression, de réunion, de culte ou la liberté de mouvement . Des facteurs comme la discrimination dans l’emploi, l’éducation et le logement, les difficultés éprouvées pour pratiquer sa religion et l’aggravation de la situation des droits de l’homme en Iran à l’époque ont été pris en compte pour accorder le statut de réfugié à l’auteur. Par conséquent, la persécution est une notion beaucoup plus large que celle visée par l’article 7 du Pacte et l’octroi du statut de réfugié ne doit pas amener le Comité à conclure que le retour de l’auteur en Iran aurait pour conséquence nécessaire et prévisible des violations de l’article 7 à son égard.

4.14 Deuxièmement, l’État partie affirme que les rapports du D octeur  C. Rubinstein sur la situation des droits de l’homme en Iran , sur lesquels l’auteur s’appuie, déforment la réalité. L’État partie fait valoir que cette situation s’est beaucoup améliorée en Iran ces dernières années, après l’élection d’un président et d’un gouvernement réformistes et renvoie à ce sujet à la déclaration faite par la Haut ‑Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme en avril 2000, lorsqu’elle a salué le rapport du Représentant spécial de la Commission des droits de l’homme sur l’amélioration de la situation des droits de l’homme en Iran . Il y a des signes qui indiquent que les relations entre le Gouvernement iranien et les chrétiens assyriens s’améliorent sensiblement .

4.15 Selon l’État partie, il semble que les immixtions officielles dans les activités religieuses des chrétiens concernent seulement les chrétiens qui font du prosélytisme et les musulmans qui se convertissent au christianisme; il affirme que les chrétiens assyriens ne cherchent pas à faire des convertis et qu’en réalité ils découragent les musulmans de se convertir. Selon des renseignements émanant de la Mission de l’État partie en Iran, cela signifie qu’ils sont beaucoup moins surveillés et persécutés que les membres d’autres confessions chrétiennes et d’autres confessions minoritaires. À la connaissance du Gouvernement australien, les arrestations, les agressions et les homicides visant les chrétiens dont il est question dans les rapports de M. Rubenstein sont des incidents isolés et ne concernent pas les chrétiens assyriens, mais les chrétiens évangélistes et les apostats.

4.16 La Mission australienne en Iran a également fait savoir que les chrétiens assyriens, s’ils respectent les lois du pays, peuvent mener une vie normale sans être inquiétés. Cela fait un certain temps qu’ils ne sont pas en butte à la discrimination du Gouvernement iranien. En outre, les informations dont dispose l’État partie montrent bien que les chrétiens assyriens n’ont jamais été victimes du même degré de harcèlement que les autres religions minoritaires. Ils ont, dans l’ensemble, été autorisés à mener leurs activités religieuses sans ingérence des autorités. Beaucoup de signes montrent aussi que récemment la situation politique des chrétiens assyriens s’est renforcée. Le Président Khatami a rencontré le représentant des chrétiens assyriens au Majlis (Parlement), M. Shamshoon Maqsudpour, qui a également réussi à obtenir des modifications de la loi iranienne afin d’en éliminer toute discrimination dans l’emploi à l’égard des chrétiens.

4.17 L’État partie croit comprendre aussi qu’en 1999 la Commission islamique des droits de l’homme, qui dépend du système judiciaire iranien, a commencé à travailler à l’amélioration des droits des minorités religieuses en Iran. Cet effort doit être vu à la lumière de l’engagement pris récemment par le Gouvernement iranien de promouvoir le respect de la légalité, notamment d’éliminer les arrestations et détentions arbitraires, et de mettre le système pénitentiaire, législatif et judiciaire en conformité avec les normes internationales .

4.18 L’État partie reconnaît toutefois que l’auteur et sa famille ont fait l’objet d’un harcèlement de la part des «pasda h s» (jeunes miliciens) en Iran. L’auteur a été arrêté et détenu par les pasdars, qui l’ont questionné à propos du contenu de certaines cassettes trouvées dans sa voiture, et l’ont relâché au bout de 48 heures après lui avoir porté plusieurs coups au visage. Une autre fois, sa famille a été arrêtée et détenue pendant environ 24 heures par des pasdars pour avoir servi de l’alcool à une réception. La famille a été relâchée sans avoir subi de violence physique. L’État partie fait valoir que ces événements se sont produits il y a quelques années et que rien n’indique que les pasdars aient voulu s’en prendre spécialement à l’auteur ou à sa famille. Ces deux incidents ne représentent pas une persécution personnelle de l’auteur, qui n’est pas une personnalité en vue chez les chrétiens assyriens.

4.19 Le Gouvernement australien est d’avis qu’en réalité la situation d’un chrétien assyrien en Iran est beaucoup moins dure que celle décrite par M. Rubenstein. Dans la plupart des cas, les chrétiens assyriens peuvent pratiquer leur religion et mener une vie normale sans faire l’objet de brimades de la part des autorités iraniennes. Ils sont peut ‑être encore en butte à une certaine discrimination dans le domaine du logement, de l’éducation et de l’emploi certes, mais il y a des signes manifestes d’une volonté croissante de la part du Gouvernement iranien de résoudre les différends avec les chrétiens assyriens en particulier, et d’améliorer la situation des droits de l’homme en Iran en général.

4.20 Troisièmement, pour ce qui est des effets potentiels de la maladie psychiatrique de l’auteur, l’État partie croit comprendre, d’après les informations fournies par sa Mission en Iran, que les autorités médicales iraniennes connaissent bien les maladies mentales, que les personnes souffrant de maladie mentale (notamment de schizophrénie paranoïde) peuvent recevoir tous les soins appropriés en Iran, aussi bien à domicile qu’à l’hôpital. Il n’y a pas d’obligation non plus de déclarer sa religion lors de l’admission à l’hôpital et rien ne prouve que les chrétiens assyriens auraient un accès limité aux hôpitaux psychiatriques. À la connaissance de l’État partie, il serait sans précédent que des personnes soient détenues arbitrairement ou victimes de violations de l’article 7 pour la simple raison qu’elles souffrent d’une maladie mentale.

4.21 L’État partie estime avoir pris toutes les mesures possibles pour bien informer l’auteur de la nature de sa maladie, afin que celui-ci continue à suivre son traitement, et il lui fournira tous les documents médicaux nécessaires pour qu’il continue à se faire soigner à son retour en Iran. Affirmer que l’auteur ne poursuivra pas son traitement médical à son retour en Iran est une pure conjecture, vu que l’auteur a toujours fait preuve de coopération à cet égard en Australie. On ne peut pas affirmer avec certitude que son retour en Iran aura pour conséquence nécessaire la cessation du traitement. Même si l’auteur décidait effectivement d’interrompre la prise des médicaments, le fait d’agir de manière à s’exposer à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ne serait pas une conséquence nécessaire de son retour en Iran. Dans la schizophrénie paranoïde, tout comportement violent ou étrange est lié directement aux délires du malade. Par conséquent, ceux-ci n’ont pas des comportements globalement et constamment agressifs ou extraordinaires. Ce type de comportement est seulement lié à l’objet de leurs pensées délirantes. Dans le cas de l’auteur, ce comportement n’a visé que des personnes très précises, et son dossier ne fait pas apparaître d’antécédents d’un comportement généralement agressif ou hystérique à l’égard des fonctionnaires ou dans les structures ou contextes officiels ou administratifs. Par conséquent, l’État partie n’est pas d’avis que le retour de l’auteur en Iran aura pour conséquence nécessaire une réaction hostile de sa part vis ‑à ‑vis des autorités iraniennes.

4.22 Pour ce qui est des plaintes de l’auteur au titre de l’article 9, l’État partie les considère aussi comme dénuées de tout fondement. Il précise d’emblée que, d’un point de vue juridique, il faut entendre par «détention initiale» la période qui court du jour où, à son arrivée, l’auteur a été placé en état d’arrestation au jour où un visa de protection lui a été délivré en mars 1995, même si, en fait, il a été libéré à titre exceptionnel et remis aux soins de sa famille en août 1994, car la loi veut qu’une personne demeure détenue jusqu’à son expulsion ou l’octroi d’un permis de séjour en Australie. S’agissant de la «détention actuelle» dans l’attente de l’exécution d’un arrêté d’expulsion, la détention n’est pas obligatoire et une personne peut être relâchée pour autant que le ministre le juge bon.

4.23 En ce qui concerne la plainte au titre du paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie fait valoir que l’interdiction de la privation de liberté n’est pas absolue . S’il va de soi qu’une détention doit être légale au regard de l’ordre juridique interne, il affirme que pour déterminer la dimension arbitraire de la détention dans un cas particulier, il est capital de savoir si les conditions dans lesquelles une personne est détenue sont «raisonnables» et «nécessaires» quelles que soient les circonstances, ou arbitraires dans la mesure où la détention est inappropriée, injuste ou difficilement prévisible. Il souligne que la jurisprudence du Comité ne donne pas à penser que la rétention de personnes arrivées clandestinement ou la détention pendant un laps de temps donné puisse être considérée arbitraire en soi ; le facteur déterminant ne résiderait pas dans la durée de la détention, mais plutôt dans la question de savoir si les motifs de la détention sont raisonnables, nécessaires, proportionnels, appropriés et justifiables dans le cas considéré.

4.24 Dans le cas présent, l’État partie fait valoir que la détention (rétention) de l’auteur était et est légale, ainsi que raisonnable et nécessaire dans toutes les circonstances, ce en quoi, selon l’État partie, elle se distingue également clairement des faits en jeu dans l’affaire A. c. Australie .

4.25 Pour ce qui est de la détention initiale, l’auteur a été placé en détention conformément à la loi, en l’occurrence l’article 89 de la loi de 1958 sur les migrations. Cette détention a été par deux fois confirmée par la justice. Pour ce qui est de son caractère arbitraire, tant les dispositions de la loi sur les migrations en vertu de laquelle l’auteur a été détenu que les circonstances propres à son cas justifiaient sa détention, nécessaire et raisonnable.

4.26 L’État partie souligne que la rétention d’office est une mesure exceptionnelle réservée au premier chef aux personnes qui arrivent en Australie sans autorisation . Elle est nécessaire pour s’assurer que les personnes qui pénètrent en Australie en ont bien le droit et que toute la procédure applicable en matière de migration est bien respectée. La rétention de personnes arrivées clandestinement sert à les empêcher d’entrer en Australie avant que les autorités n’aient dûment évalué leur requête et jugé qu’elle justifiait leur entrée dans le pays. Elle donne aussi aux autorités un accès effectif à ces personnes de façon à enquêter et traiter leur requête sans retard et si ces requêtes ne sont pas fondées, à les expulser au plus tôt. L’État partie fait valoir que la rétention de personnes qui arrivent clandestinement est compatible avec les droits fondamentaux de la souveraineté, y compris le droit des États de contrôler les entrées sur leur territoire. En l’absence de système de cartes d’identité ou de dispositif semblable pour autoriser l’accès aux services sociaux, il est plus difficile à l’État partie qu’à d’autres pays dotés d’un tel système de repérer, suivre et appréhender les immigrants illégaux dans la population .

4.27 L’État partie sait par expérience que, sauf à contrôler strictement les personnes placées en rétention, il y a de fortes chances qu’elles prennent la fuite et disparaissent dans la population. Il est arrivé que des personnes arrivées clandestinement, tenues de se présenter aux autorités, qui avaient été hébergées dans des foyers pour migrants non clos, s’échappent. De plus, il avait été difficile d’obtenir la coopération des communautés ethniques locales pour les retrouver . Les autorités avaient donc de bonnes raisons de soupçonner que si les intéressés n’étaient pas placés en rétention, et au contraire laissés en liberté au sein de la population dans l’attente d’une décision, ils seraient fortement incités à ne pas respecter leurs conditions de mise en liberté et à se fondre dans la population. L’État partie rappelle que les demandes d’entrée ou de séjour sont toutes examinées scrupuleusement, cas par cas, et que par conséquent sa politique de rétention des personnes arrivées clandestinement est raisonnable , proportionnelle et nécessaire quelles que soient les circonstances. De ce fait, les dispositions en vertu desquelles l’auteur était retenu, tout en exigeant une détention d’office, n’étaient pas arbitraires, puisqu’elles se justifiaient et étaient proportionnelles au vu des motifs décrits plus haut.

4.28 Qui plus est, les facteurs individuels à prendre en compte dans la rétention de l’auteur illustrent aussi l’absence d’arbitraire. L’auteur est arrivé avec un visa de touriste, mais sans billet d’avion de retour, et quand on l’a interrogé à l’aéroport, on a constaté qu’il avait fait un certain nombre de fausses déclarations en remplissant le formulaire de demande de visa. Il avait notamment déclaré que son père et sa mère vivaient en Iran alors que son père était décédé et que sa mère vivait en Australie où elle avait demandé le statut de réfugié. Il a aussi déclaré disposer de 5 000 dollars pour son séjour, mais était arrivé sans un sou et a menti à ce sujet lors de l’entretien. Il avait aussi acheté un billet de retour pour obtenir son visa, mais se l’était fait rembourser une fois son visa en poche. On pouvait donc raisonnablement craindre que si on l’autorisait à pénétrer en Australie, il y demeurerait illégalement. La rétention s’avérait donc nécessaire pour l’empêcher de disparaître, elle n’était pas disproportionnée par rapport au but recherché et n’était pas difficile à prévoir, attendu que les dispositions relatives à la rétention étaient en vigueur depuis un certain temps et avaient été publiées.

4.29 L’État partie estime aussi qu’il y avait d’autres raisons pour maintenir l’auteur en rétention en attendant que l’on ait statué sur sa demande du statut de réfugié. Comme le traitement de sa demande ne devait pas traîner indûment en longueur, il n’était pas justifié de le remettre en liberté. Le traitement de la demande et la procédure de recours se sont déroulés rapidement au niveau tant de l’organe qui avait à se prononcer en premier que de l’organe de recours, l’auteur étant resté en rétention à peine plus de deux ans. La demande initiale a été traitée en moins de deux mois et le premier réexamen de la décision a pris environ six semaines. En tout, entre le dépôt de la première demande, le 23 juillet 1992, et l’aboutissement de l’examen en première instance et de plusieurs réexamens administratifs de la première demande du statut de réfugié, il s’est écoulé moins d’un an.

4.30 L’État partie fait valoir que, une fois que les autorités se sont aperçues que la prolongation de la rétention ne facilitait pas le traitement de la maladie mentale de l’auteur, il a été libéré et confié aux soins de sa famille. De ce fait, si la rétention était obligatoire, elle n’était pas arbitraire, la politique à l’origine des dispositions relatives à la rétention étant suffisamment souple pour prévoir une mise en liberté dans des circonstances exceptionnelles. Aussi ne peut-on prétendre qu’il n’y avait pas de motifs à faire valoir pour demander une mise en liberté, que ce soit par la voie administrative ou par la voie judiciaire.

4.31 L’État partie, tout en ne partageant pas les constatations du Comité dans l’affaire A.  c.  Australie , relève d’importantes différences factuelles avec ce dernier cas. Premièrement, la durée de la rétention était sensiblement inférieure (quelque 26 mois au lieu de 4 ans). Deuxièmement, le temps mis à traiter la demande initiale a été sensiblement plus court (moins de 6 semaines contre 77 semaines). Troisièmement, dans le cas présent, rien ne donne à penser que la durée et les conditions de détention aient empêché l’auteur d’avoir accès à une représentation juridique ni à des visites de ses proches. Enfin, l’auteur a effectivement quitté les lieux de rétention habituels et a été remis aux soins et à la garde de ses proches, l’exécutif ayant exercé son pouvoir discrétionnaire à cet effet.

4.32 Pour ce qui est de sa détention actuelle, l’auteur a été légalement placé en rétention, conformément aux articles 253 et 254 de la loi de 1958 sur les migrations, car il avait bénéficié d’une libération conditionnelle suite à sa condamnation à une peine de prison le 4 décembre 1998. Loin d’être arbitraire, cette mesure est nécessaire et raisonnable quelles que soient les circonstances et proportionnée au but recherché, qui est de s’assurer que l’auteur ne disparaîtra pas en attendant d’être expulsé et de protéger la population australienne. Après l’épuisement des recours, l’État partie a suspendu la procédure d’expulsion comme il y était invité par le Comité conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, en attendant que l’affaire soit complètement réglée. L’État partie estime par ailleurs qu’il est raisonnable de craindre que l’auteur n’enfreigne ses conditions de mise en liberté et ne disparaisse s’il était libéré.

4.33 L’État partie note que son ministre de l’immigration s’est penché personnellement à plusieurs reprises sur les raisons justifiant la prolongation de la rétention et la Cour fédérale, qui a examiné sa décision du 11 mars 1999 de ne pas libérer l’auteur, l’a jugée justifiée. Les raisons motivant la décision du ministre montrent bien qu’elle n’était pas arbitraire. Les autorités ont passé en revue tous les facteurs pertinents en l’espèce pour décider de ne pas mettre l’auteur en liberté, se fondant sur le risque assez élevé que l’auteur récidive et sur le fait qu’il continuait de représenter un danger pour la collectivité et en particulier pour sa victime, M me A.

4.34 Pour ce qui est de la plainte au titre du paragraphe 4 de l’article 9, l’État partie note que cette disposition exige qu’une personne puisse apprécier la légalité de la détention. Il rejette l’idée émise par le Comité dans A. c. Australie que, dans cette disposition, la «légalité» ne se limitait pas au respect du droit interne et devait être compatible avec le paragraphe 1 de l’article 9 et d’autres dispositions du Pacte. À son avis, rien dans les termes ni la structure du Pacte ni dans les travaux préparatoires ni dans les Observations générales du Comité n’étaye une telle interprétation.

4.35 L’État partie recense les différents mécanismes qui existent dans sa législation pour éprouver la légalité de la détention , et déclare qu’il était à tout moment loisible à l’auteur de poursuivre ces mécanismes. Il répète que, pour ce qui est de la première rétention, l’auteur ne l’a jamais contestée directement devant les tribunaux, mais a demandé sa mise en liberté provisoire au ministre en attendant l’issue de son recours contre le rejet de sa demande de statut de réfugié. Par deux fois, les tribunaux ont confirmé la décision du ministre de rejeter sa demande. Pour ce qui est de sa détention actuelle, s’il est vrai que l’auteur a demandé à être mis provisoirement en liberté, à aucun moment par contre, il n’a contesté directement la légalité de sa détention. L’État partie note à ce sujet que l’auteur a demandé en vain à plusieurs reprises sa mise en liberté au ministre et à la cour fédérale. Le fait que les tribunaux n’aient pas statué en sa faveur ne prouve aucunement la violation du paragraphe 4 de l’article 9. En tout état de cause, il n’a pas cherché à exercer les voies de recours qui lui étaient ouvertes pour contester directement sa détention. L’État partie renvoie à l’affaire Stephens c. Jamaïque dont il ressort que le fait de ne pas tirer parti d’une voie de recours existante telle, par exemple, que l’ habeas corpus , ne prouve nullement que le paragraphe 4 de l’article 9 a été violé.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Par un courrier du 16 mai 2001, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie.

5.2 Pour ce qui est des observations de l’État partie sur les recours internes disponibles, l’auteur se réfère à la jurisprudence du Comité selon laquelle de tels recours peuvent s’entendre de recours juridictionnels, surtout dans les cas de violations graves des droits de l’homme , telles qu’une détention arbitraire et prolongée. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas d’obligation de poursuivre des recours inopérants et inutiles et une plainte auprès de la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances ou de l’Ombudsman ne débouche pas sur une décision opposable à l’État . Quant à poursuivre une requête d’ habeas corpus devant la Haute Cour, une telle démarche serait inutile puisque la Haute Cour a confirmé la validité des lois sur la rétention d’office .

5.3 En réponse à l’affirmation de l’État partie que rien ne prouve qu’un manquement à l’article 7 ait causé la maladie mentale de l’auteur, l’auteur renvoie à la série d’examens qu’il a subis aux mains d’experts sur une longue période et dont les rapports sont joints à la communication, en même temps qu’à une nouvelle expertise dont il ressort sans conteste qu’il existe un lien spécifique de cause à effet entre sa détention et ses troubles psychiatriques . L’auteur critique le fait que l’État partie s’appuie sur des articles de psychiatrie générale pour prouver au contraire que les troubles mentaux dont il était atteint s’expliquaient par une prédisposition plutôt que par une détention prolongée et invite le Comité à s’en tenir aux bilans spécifiques qu’on lui a fait passer. Selon l’auteur, les observations de l’État partie sur les conditions de vie au MIDC sont hors de propos, car sa plainte pour manquement à l’article 7 vise la durée de sa détention, alors que l’État partie savait qu’elle lui causait un grave traumatisme psychologique. À partir du 19 août 1993, les autorités de l’État partie étaient au courant de ce traumatisme et son maintien en détention en connaissance de cause représente l’«élément répréhensible» visé à l’article 7.

5.4 Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle l’article 7 serait violé s’il retournait en Iran, l’auteur note que, de toute évidence, le type de persécution que la représentante du ministre avait à l’esprit le 8 février 1995 lorsqu’elle a approuvé la demande de statut de réfugié s’étendait à la violation des droits protégés par l’article 7 . Elle a estimé qu’il y avait de fortes chances que l’auteur soit privé de liberté «dans des conditions telles qu’elles constituent des persécutions au sens de la Convention [relative au statut des réfugiés]» ce qui, d’après l’auteur, va évidemment bien au-delà de la détention proprement dite. L’auteur rejette aussi la supposition de l’État partie que la situation en Iran s’est améliorée au point que l’on ne puisse pas prévoir de risque de violation de ses droits. Le rapport du Représentant spécial évoqué par l’État partie est loin d’être concluant sur une «amélioration» de la situation des droits de l’homme, notant qu’«il reste beaucoup à faire en matière de droits de l’homme en Iran» et que «des efforts plus soutenus sont nécessaires». Qui plus est, dans son rapport suivant, le Représentant spécial estimait que le statut des minorités restait un domaine «négligé» et qu’on était «encore loin d’une démarche qui prenne davantage en compte les préoccupations des minorités, ethniques et religieuses» . L’auteur soutient par ailleurs que les rapports d’examen psychologique contredisent l’affirmation de l’État partie qu’il n’interromprait pas son traitement en cas de retour ou, s’il le faisait, n’aurait pas de réaction d’hostilité face aux autorités iraniennes. L’auteur note que l’on ignore s’il pourrait se procurer ce traitement en Iran.

5.5 Pour ce qui est de la réclamation au titre de l’article 9, l’auteur soutient que l’affaire A. c. Australie a établi une fois pour toutes que la politique de rétention d’office était contraire aux paragraphes 1 et 4 de l’article 9 et que ce précédent, dont le cas présent ne se distinguait pas du point de vue des faits, méritait d’être suivi. L’auteur est manifestement arrivé pour demander l’asile et l’a d’ailleurs fait dans les 24 heures qui suivaient. Il est illusoire de suggérer que sa détention initiale de deux ans était justifiée par de fausses déclarations sur l’endroit où se trouvaient ses parents et sur ses ressources. Au cours de cette période, sa rétention n’a pas fait l’objet de réexamen de la part des autorités administratives et ses efforts en vue d’un réexamen judiciaire n’ont pas abouti parce que personne n’était habilité à le mettre en liberté. Sa libération, le 10 août 1994, motivée par la détérioration de son état de santé mentale est intervenue au bout de deux ans pendant lesquels sa détention ne pouvait être remise en cause, comme l’a prouvé l’inutilité de requêtes adressées antérieurement à la cour fédérale pour qu’elle revoie la décision de rétention. Pour ce qui est de la prolongation de sa détention, elle n’était nullement justifiée, car trois rapports différents de psychiatres de mars 2000 (soumis au ministre) indiquaient que sa mise en liberté ne poserait aucun «risque prévisible», qu’«il fallait le considérer comme ne présentant plus aucun risque majeur pour qui que ce soit» et qu’il ne présentait «aucun risque que ce soit pour son ancienne victime ou la population australienne» . L’auteur transmet aussi un rapport psychiatrique daté du 7 mai 2001 aux termes duquel il avait complètement récupéré depuis plusieurs années et ne constituait pas une menace pour la collectivité, que ce soit pour une personne en particulier ou de façon générale .

Observations supplémentaires de l’État partie et de l’auteur

6.1 Par un courrier du 16 août 2001, l’État partie rappelle plusieurs courriers antérieurs et avance de nouveaux arguments. Pour ce qui est de la recevabilité, il rejette l’interprétation donnée de RT c. France par l’auteur, à savoir que seuls les recours juridictionnels doivent être épuisés, car la décision renvoie «au premier chef» aux recours juridictionnels. D’autres recours, administratifs, peuvent être envisagés , aussi la disposition exigeant l’épuisement des recours internes n’exclut-elle pas une plainte à la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances par exemple. De même, d’après l’État partie, la jurisprudence, Vincente c. Colombie , n’exclut à ce titre que les recours administratifs qui sont inefficaces. Dans le même ordre d’idées, l’État partie fait valoir que le Comité n’a pas jugé indispensable l’exercice de la voie de recours dont il était question dans Ellis  c. Jamaïque (recours en grâce dans une affaire où la peine de mort avait été prononcée), qu’il considérait comme inefficace plutôt que comme «inopérant» comme le prétend l’auteur. Dans le cas présent au contraire, l’État partie affirme que ses recours administratifs sont utiles, qu’ils n’ont pas été poursuivis par l’auteur et que les exigences du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne sont donc pas remplies.

6.2 En réponse à l’assertion de l’auteur que son maintien en détention, alors que les autorités savaient que la prolongation de sa détention lui causait un préjudice psychologique, constituait «un élément répréhensible de plus» visé à l’article 7, l’État partie remarque qu’en fait le ministre, qui a jugé que la santé mentale de l’auteur gagnerait à ce qu’il soit soigné par sa famille, a ordonné sa mise en liberté.

6.3 L’État partie a aussi compris la plainte initiale au titre de l’article 7 comme portant uniquement sur la détention initiale de l’auteur, mais croit comprendre à la lecture de ses commentaires ultérieurs (et de la référence au rapport psychiatrique du 7 mai 2001 évaluant l’état de santé actuel de l’auteur) que l’auteur formule une allégation nouvelle, portant sur sa détention actuelle . Or, rien ne permet de penser que sa détention actuelle est particulièrement pénible ou répréhensible au point de constituer une violation de l’article 7. L’État partie fait observer que selon le rapport du 7 mai 2001, l’auteur jouit d’un bon état de santé mentale et que ce rapport n’apportait la preuve d’aucun acte ou pratique donnant à penser que la détention actuelle en elle-même où du fait des conditions dans lesquelles elle se déroulait, soulevait des questions au titre de l’article 7. Toute suggestion selon laquelle la détention actuelle causerait un préjudice psychologique à l’auteur et violerait par conséquent l’article 7 est difficilement tenable et devrait être rejetée pour être dénuée de tout fondement ou irrecevable ratione materiæ.

6.4 Enfin, pour ce qui est de la réclamation touchant l’article 9 en rapport avec la rétention initiale, l’État partie rejette parce qu’il est incorrect le jugement par l’auteur que l’affaire A.  c.  Australie «a établi une fois pour toutes que la politique australienne de rétention d’office était contraire aux paragraphes 1 et 4 de l’article 9». Au lieu de commenter cette politique d’un point de vue théorique, il jugeait que le «caractère arbitraire» devait être apprécié au vu des justifications appropriées de la prolongation de la rétention dans les circonstances particulières de cette affaire. Effectivement, il a déclaré qu’il n ’était pas arbitraire en soi de placer des requérants d’asile en rétention.

6.5 Par un courrier du 21 septembre 2001, l’auteur a répondu aux observations supplémentaires de l’État partie, en précisant aussi que les plaintes qu’il formule au titre des articles 7 et 9 ont trait à sa détention actuelle comme à sa détention initiale. Pour ce qui est de la recevabilité, il maintient que les recours administratifs évoqués par l’État partie sont «inutiles et inopérants». Comme toute décision des pouvoirs publics de donner suite à la recommandation de l’un ou l’autre organe relève de leur pouvoir exécutif et discrétionnaire, il ne faudrait pas en exiger l’épuisement .

6.6 Pour ce qui est du fond, l’auteur rejette l’argument de l’État partie pour qui, comme le rapport du 7 mai 2001 montre que l’auteur est en bonne santé, on ne saurait prétendre que la prolongation de sa détention lui a causé un préjudice psychologique. L’auteur observe que le rapport visait à déterminer si c’était sa maladie qui l’avait incité à commettre les actes délictueux pour lesquels il doit être expulsé et s’il représente actuellement une menace quelconque à qui que ce soit. Il a été répondu par l’affirmative à la première question et par la négative à la seconde. En tout état de cause, attendu que l’État partie reconnaît que l’auteur est actuellement en bonne santé, il n’y a aucune raison pour qu’il soit maintenu en détention ou expulsé.

6.7 L’auteur poursuit en avançant que le fait qu’il ignore si et quand il sera mis en liberté ou si et quand il sera expulsé représente en soi une violation de l’article 7. Il s’agit là d’une peine ou d’un traitement particulièrement cruel car il a exécuté la peine de prison dont ses crimes l’avaient rendu passible et parce qu’il a souffert de troubles psychiatriques lors de sa rétention dans des conditions où il ignorait si ou quand il serait libéré ou expulsé.

6.8 L’auteur conclut, en ce qui concerne la jurisprudence internationale, que la rétention d’office de non-citoyens aux fins d’expulsion, en l’absence de justification individuelle, est presque toujours considérée comme contraire au droit de ne pas être soumis à une détention arbitraire et illégale .

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’est pas déjà à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3 Pour ce qui est de la question de l’épuisement des recours internes, le Comité prend acte de l’argument de l’État partie pour qui l’auteur n’a pas poursuivi certains recours administratifs (Ombudsman du Commonwealth et Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances). Le Comité fait observer que toute décision de ces mécanismes, même si elle avait été en faveur de l’auteur, n’aurait eu qu’un effet de recommandation à l’exclusion d’un effet exécutoire, de sorte que l’exécutif aurait eu toute liberté pour ne pas en tenir compte. Ces recours ne sauraient donc être qualifiés d’utiles, aux termes du Protocole facultatif.

7.4 Pour ce qui est des plaintes concernant la première période de détention, le Comité note que la législation conformément à laquelle l’auteur a été retenu prévoit la rétention d’office jusqu’à ce qu’un permis soit délivré ou l’intéressé expulsé. Comme les tribunaux l’ont confirmé, aucune autorité n’a ici un pouvoir discrétionnaire de mise en liberté. Le Comité observe que les tribunaux sont seulement habilités, à titre de réexamen, à déterminer officiellement si l’intéressé est bien un «non-citoyen illégal» auquel la disposition s’applique, ce qui est incontesté en l’espèce, et non à apprécier quant au fond si des raisons justifient la rétention dans les circonstances considérées. Ainsi, l’application directe de la loi supprime tout contrôle juridictionnel de la décision quant au fond qui pourrait constituer un recours. Les exceptions prévues à l’article 11 de la loi qui propose d’autres formules possibles de contrainte et de garde (c’est ainsi que l’auteur a été confié à sa famille), tout en maintenant l’intéressé officiellement en rétention, ne modifient en rien cette conclusion. Le Comité note aussi que la Haute Cour a confirmé la constitutionnalité de régimes de rétention d’office au vu des facteurs de politique générale avancés par l’État partie . Il s’ensuit que l’État partie n’a pas fait la preuve de l’existence de recours internes que l’auteur aurait pu épuiser s’agissant des réclamations portant sur la période initiale de détention et que ces réclamations sont donc recevables.

7.5 Pour ce qui est des réclamations concernant l’expulsion envisagée de l’auteur vers l’Iran, le Comité note que la Haute Cour lui ayant refusé l’autorisation de faire recours, l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles en l’espèce et que ces réclamations sont donc recevables.

7.6 Pour ce qui est des autres arguments de l’État partie selon lesquels les réclamations touchant la première période de détention et l’expulsion envisagée de l’auteur sont sans fondement, le Comité est d’avis, au vu des informations dont il est saisi, que l’auteur a suffisamment montré, aux fins de la recevabilité, que ces faits soulèvent des questions dont il y a lieu de débattre aux termes du Pacte.

7.7 Pour ce qui est des réclamations touchant la deuxième période de détention (rétention dans l’attente de l’expulsion), le Comité note que, contrairement à la rétention d’office à la frontière, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la détention d’une personne qui a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion. Le Comité relève qu’une telle décision, ainsi que tout rejet ultérieur par le ministre d’une demande de mise en liberté peuvent être contestés devant les tribunaux. Ce contrôle juridictionnel peut annuler une décision de rétention (ou de prolongation de la rétention) si elle est manifestement déraisonnable, si des facteurs pertinents n’ont pas été pris en considération, si des facteurs non pertinents ont été pris en considération ou si la décision était illégale pour toute autre raison. Le Comité note que la cour fédérale a considéré, dans son arrêt du 20 avril 1999 sur la demande en référé de l’auteur lui demandant d’urgence de prendre des mesures en attendant qu’il soit statué sur son recours du 29 mars 1999 contre la décision du ministre de ne pas le mettre en liberté, que si l’on pouvait se poser sérieusement la question de savoir si le ministre avait pris en compte une considération sans objet, tout bien pesé, la balance penchait en défaveur de la mise en liberté vu l’imminence de l’examen de l’appel formé devant la chambre plénière concernant la procédure d’expulsion.

7.8 Le Comité note que l’auteur n’a pas précisé s’il avait (et, sinon, pourquoi il n’avait pas) poursuivi sa demande de réexamen du 29 mars 1999 contre la décision du ministre ou accepté l’invitation de la cour à demander à nouveau qu’il lui soit fait justice une fois que la chambre plénière avait statué sur son recours. L’auteur n’a pas expliqué non plus pourquoi il avait apparemment renoncé à faire recours contre les décisions rendues ultérieurement par le ministre, le 15 octobre 1999, puis en décembre 2000, de ne pas le remettre en liberté. Dans ces conditions, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles pour les questions que pouvait soulever la deuxième période de détention, et ses plaintes, au titre des articles 7 et 9 concernant cette période, sont irrecevables en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

8.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2 Pour ce qui est des allégations concernant la première période de détention, au regard du paragraphe 1 de l’article 9, le Comité rappelle sa jurisprudence, à savoir que, pour éviter une qualification de détention «arbitraire», la détention ne devrait pas se poursuivre au-delà de la période pour laquelle l’État partie peut fournir une justification appropriée . Dans le cas présent, la détention de l’auteur en tant que non-citoyen sans autorisation d’entrée s’est poursuivie d’office jusqu’à ce qu’il soit expulsé ou reçoive un permis. Bien que l’État partie avance des raisons particulières pour justifier la détention de l’auteur (par. 4.28 et suiv.), le Comité note que celui ‑ci n’a pas prouvé que ces raisons justifiaient le maintien en détention de l’auteur compte tenu du temps écoulé et des faits intervenus. En particulier, l’État partie n’a pas prouvé que, compte tenu des circonstances particulières de l’auteur, il n’existait pas de moyens moins contraignants de réaliser les mêmes objectifs, c’est ‑à ‑dire le respect de la politique d’immigration de l’État partie, en lui imposant par exemple l’obligation de se présenter aux autorités, le dépôt d’une caution ou d’autres conditions, qui tiendraient compte de la détérioration de l’état de l’auteur. Dans ces circonstances, quelles qu’aient été les raisons de la détention initiale, la prolongation de la rétention aux fins d’immigration pendant plus de deux ans sans justification individuelle et sans aucune possibilité de réexamen judiciaire était, de l’avis du Comité, arbitraire et constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 9.

8.3 Pour ce qui est de la plainte de l’auteur dénonçant également la violation du paragraphe 4 de l’article 9 à propos de cette période de détention, le Comité renvoie à l’examen de la recevabilité ci-dessus et observe que le recours juridictionnel disponible à l’auteur était limité à une simple évaluation de pure forme de la question de savoir si l’intéressé était un «non ‑citoyen» sans visa d’entrée. Le Comité observe qu’aucun tribunal n’était libre, comme la chambre plénière elle-même l’avait reconnu dans son arrêt du 15 juin 1994, de réexaminer la rétention de l’auteur quant au fond pour savoir si sa prolongation était justifiée. Le Comité estime que l’impossibilité de contester en justice une détention qui était contraire au paragraphe 1 de l’article 9, ou l’était devenue, constitue une violation du paragraphe 4 de l’article 9.

8.4 Pour ce qui est des allégations de l’auteur pour qui sa première période de détention violait l’article 7, le Comité note que les rapports d’expertises psychiatriques pratiquées sur la personne de l’auteur sur une longue période, acceptés par les tribunaux de l’État partie, étaient dans l’ensemble unanimes à indiquer que les troubles psychiatriques de l’auteur étaient dus à la période prolongée de détention aux fins d’immigration. Le Comité note que l’État partie savait, au moins à partir d’août 1992, lorsqu’on lui a prescrit des tranquillisants, que l’auteur avait des difficultés d’ordre psychiatrique. De fait, en août 1993, il était évident que la prolongation de sa détention était incompatible avec sa santé mentale. Malgré des bilans de plus en plus inquiétants de l’état de l’auteur en février et juin 1994 (et une tentative de suicide), ce n’était qu’en août 1994 que le ministre avait exercé sa faculté, à titre exceptionnel, de lever la mesure de détention aux fins d’immigration pour raisons médicales (alors que légalement il demeurait en détention). Comme la suite des événements l’a montré, à ce moment-là, la maladie de l’auteur s’était tellement aggravée que des conséquences irréversibles devaient suivre. De l’avis du Comité, le maintien en détention de l’auteur, alors que l’État partie connaissait son état de santé mentale et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour éviter la détérioration de son état, a constitué une violation du droit de l’auteur en vertu de l’article 7 du Pacte.

8.5 Pour ce qui est des arguments avancés par l’auteur pour qui son expulsion violerait l’article 7, le Comité attache une importance au fait que l’auteur s’était vu dans un premier temps accorder le statut de réfugié sur la base d’une crainte fondée de persécution en sa qualité de chrétien assyrien, conjuguée aux conséquences que ne manquerait pas d’avoir son retour sur son état de santé. De l’avis du Comité, l’État partie n’a pas démontré que les circonstances existant dans l’État d’accueil sont telles que l’octroi du statut de réfugié n’a plus de validité. Le Comité observe par ailleurs que le Tribunal des recours administratifs, dont la décision a été confirmée en appel, a convenu qu’il était peu probable que l’auteur puisse se procurer en Iran le seul médicament efficace (Clorazil) et le traitement de soutien, et qu’il a jugé que l’«on ne pouvait pas reprocher à l’auteur sa maladie» qui «s’est déclarée pour la première fois en Australie». Alors que l’État partie a reconnu qu’il avait une obligation de protection à l’égard de l’auteur, le Comité considère que l’expulsion de l’auteur vers un pays où il est peu probable qu’il puisse obtenir le traitement nécessaire pour soigner la maladie provoquée, en tout ou en partie, par la violation des droits de l’auteur de la part de l’État partie, constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 et des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 du Pacte.

10. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile. Pour ce qui est des violations des articles 7 et 9 dont l’auteur a été victime au cours de la première période de détention, l’État partie devrait indemniser l’auteur convenablement. S’agissant de l’expulsion envisagée de l’auteur, l’État partie devrait s’abstenir d’expulser l’auteur vers l’Iran. L’État partie a l’obligation d’éviter des violations similaires à l’avenir.

11. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité était compétent pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est aussi invité à publier les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle de Sir Nigel Rodley, membre du Comité

Je m’associe aux conclusions du Comité concernant les violations du paragraphe 1 de l’article 9 et du paragraphe 7. Toutefois, le Comité, ayant conclu à une violation du paragraphe 1 de l’article 9, a également conclu inutilement qu’il y avait eu violation du paragraphe 4 de l’article 9, employant des termes tendant à interpréter une violation du paragraphe 1 de l’article 9 comme signifiant ipso jure une «illégalité» au sens du paragraphe 4 de l’article 9. Le Comité a en ceci suivi la voie qu’il avait tracée dans l’affaire A.  c.  Australie (560/1993).

À mon avis, cette voie offrait une trop grande marge et n’était pas non plus justifiée par le texte du Pacte. La notion de caractère «arbitraire» évoquée au paragraphe 1 de l’article 9 englobe certes la notion d’illégalité. Ce fait ressort à l’évidence du concept même de l’arbitraire et des travaux préparatoires. Je ne vois pas toutefois comment l’inverse serait également vrai. Rien dans les travaux préparatoires ne le justifie non plus. Telle est pourtant l’approche suivie dans l’affaire  A.  c.  Australie , réaffirmée apparemment par le Comité dans l’affaire à l’examen.

Cette difficulté à l’égard de l’approche du Comité ne signifie pas nécessairement que les dispositions du paragraphe 4 de l’article 9 ne peuvent jamais être invoquées s’agissant d’une personne détenue par un État partie tant que les formes légales sont respectées. Je peux concevoir, par exemple, que la torture d’un détenu pourrait justifier la nécessité d’appliquer un recours entraînant la mise en question du caractère toujours légal de la détention.

Mon avis en l’espèce est simplement que la question ne devait pas être traitée dans la communication à l’étude, compte tenu en particulier du fait que l’absence de possibilité de contestation de la détention devant la justice fait partie des arguments avancés par le Comité pour conclure à une violation du paragraphe 1 de l’article 9.

( Signé ) Nigel Rodley

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe, aux fins du présent rapport.]

Opinion individuelle de M. David Kretzmer, membre du Comité

Le Comité a estimé que l’absence de possibilité de réexamen judiciaire de fond était l’un des facteurs qui devait être pris en considération pour conclure que le maintien en détention de l’auteur était arbitraire, en violation des droits de l’auteur en vertu du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Comme mon collègue, Nigel Rodley, j’estime qu’il n’était pas nécessaire, dans les circonstances, d’examiner la question de savoir si cette absence d’examen signifiait également qu’une violation du paragraphe 4 de l’article 9 avait été commise.

( Signé ) David Kretzmer

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe, aux fins du présent rapport.]

Opinion individuelle (en partie dissidente) de MM. Nisuke Ando, Eckart Klein et Maxwell Yalden, membres du Comité

Nous partageons l’avis du Comité qui a conclu à une violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9, mais nous ne sommes pas convaincus par la conclusion selon laquelle l’État partie a également violé l’article 7 du Pacte.

Le Comité a conclu à des violations de l’article 7 pour deux raisons. La première, énoncée au paragraphe 8.4 des constatations du Comité, repose sur l’évaluation de la détention prolongée de l’auteur, alors qu’il était devenu évident que «la prolongation de sa détention était incompatible avec sa santé mentale». Il nous paraît difficile de suivre ce raisonnement. S’il est vrai que la santé mentale de l’auteur s’est détériorée jusqu’à ce qu’il soit libéré et remis aux soins de sa famille le 10 août 1994, nous ne pouvons conclure à une violation de l’article 7 car une telle conclusion signifierait une interprétation excessive de la portée de cet article, en considérant que le conflit entre la prolongation de la détention de l’auteur et sa santé mentale ne pouvait être résolu que par la libération de l’auteur − et qu’en l’absence d’une telle solution, l’État partie a violé les dispositions en question. Les circonstances de l’affaire prouvent que l’auteur a subi des examens psychologiques et a été sous observation permanente. Le fait que l’État partie n’ait pas ordonné immédiatement la libération de l’auteur, mais n’ait pris sa décision qu’en se fondant sur un rapport d’expertise psychiatrique daté de juin 1994 recommandant sans équivoque la libération et un traitement externe (voir le paragraphe 2.5), ne peut pas, à notre avis, être assimilé à une violation de l’article 7 du Pacte.

Nous estimons de même que le deuxième motif sur lequel le Comité a fondé sa constatation concluant à une violation de l’article 7 (par. 8.5) n’est pas valable. L’évaluation du Comité repose sur plusieurs arguments, dont aucun n’est convaincant, que ceux ‑ci soient considérés individuellement ou dans leur ensemble. Nous n’estimons pas que l’État partie n’a pas étayé sa conclusion selon laquelle l’auteur, un chrétien assyrien, ne serait pas victime de persécution s’il était expulsé vers l’Iran. Nous nous référons à cet égard aux paragraphes 4.13 à 4.19 des constatations du Comité. Pour ce qui est de l’argument selon lequel l’auteur ne bénéficierait pas d’un traitement médical efficace en Iran, nous renvoyons aux observations de l’État partie telles qu’elles sont exposées aux paragraphes 4.20 et 4.21 des constatations du Comité. Nous ne nous expliquons pas que ces arguments détaillés aient pu être aussi légèrement écartés pour conclure à une violation de l’article 7, comme l’a fait la majorité.

( Signé ) M. Nisuke Ando M. Eckart Klein M. Maxwell Yalden

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe, aux fins du présent rapport.]

S. Communication n o  908/2000 , Evans c.  Trinité ‑et ‑Tobago * (Constatations adoptées le 21 mars 2003, soixante ‑dix ‑septième session)

Présentée par :

M. Xavier Evans (représenté par un conseil, M. Saul Lehrfreund)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Trinité ‑et ‑Tobago

Date de la communication :

16 novembre 1999 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 21 mars 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  908/2000, présentée au nom de M. Xavier Evans en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M. Xavier Evans, ressortissant de la Trinité ‑et ‑Tobago, qui purge actuellement une peine de réclusion à perpétuité dans la prison d’Arouca. Il affirme être victime de violations par la Trinité ‑et ‑Tobago du paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 7, du paragraphe 3 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et des paragraphes 1, 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 17 mars 1986, l’auteur a été arrêté pour un meurtre qui aurait été commis le 28 février 1986 et a ensuite été inculpé de meurtre. À la suite d’une enquête préliminaire menée devant un tribunal de première instance, le procès a eu lieu devant la Haute Cour de justice de San Fernando du 22 juin au 4 juillet 1988 et à l’issue du procès l’auteur a été reconnu coupable de meurtre et condamné à mort. Le 4 janvier 1994, la peine de mort prononcée contre l’auteur a été commuée en une peine d’emprisonnement pour le reste de sa «vie naturelle».

2.2 Le 26 avril 1994, la Cour d’appel de la République de Trinité ‑et ‑Tobago a rejeté le recours formé par l’auteur de la condamnation et de la peine. L’auteur a été représenté lors du procès et de l’examen du recours en appel par un conseil désigné par le tribunal. Le 21 mars 1997, l’auteur a déposé une demande d’autorisation spéciale de former recours devant la section judiciaire du Conseil privé à Londres. L’autorisation a été accordée. L’appel a été examiné mais a été rejeté le 17 décembre 1998.

2.3 Au cours des cinq ans et six mois qu’il a passés dans le quartier des condamnés à mort, l’auteur a été maintenu dans une cellule d’isolement d’à peine trois mètres sur deux, équipée d’un sommier en fer, d’une table et d’un banc. Il n’y avait pas d’installations sanitaires et l’auteur ne disposait en guise de toilettes que d’un seau en plastique qu’il était autorisé à vider deux fois par jour. Il n’y avait pas de lumière naturelle. Le seul éclairage était assuré par un néon allumé 24 heures sur 24, situé à l’extérieur au ‑dessus de la porte de la cellule. L’auteur était autorisé à sortir de sa cellule en moyenne une ou deux fois par semaine pour prendre de l’exercice et était menotté pendant la durée de sa sortie. La nourriture était inappropriée et presque immangeable. Aucune mesure n’a été prise pour tenir compte de ses besoins alimentaires particuliers. De l’eau fraîche lui était apportée deux fois par jour, lorsqu’il y en avait. Les visites du médecin ou du dentiste étaient rarement autorisées. À l’appui de ces allégations, l’auteur cite un article paru dans un journal national, daté du 5 mars 1995, dans lequel le Secrétaire général de l’Association des membres du personnel pénitentiaire était cité comme déclarant, notamment, que «les conditions sont extrêmement déplorables, elles sont inacceptables et représentent un risque sanitaire». L’auteur affirme que, dans le même article, le Secrétaire général déclare que l’insuffisance des ressources et la propagation de maladies transmissibles telles que la variole, la tuberculose et la gale, rendent le travail du personnel pénitentiaire encore plus pénible . L’auteur déclare également que le médecin n’a pas tenu compte des plaintes formulées et n’a pas non plus pris de mesures pour remédier aux conditions sanitaires intolérables qui régnaient dans la prison.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur déclare que 26 mois se sont écoulés entre la date du meurtre et son procès, alors que les questions intervenant dans l’affaire n’étaient pas complexes. Selon lui, ce délai a été excessif. Il a ainsi été privé de son droit d’être jugé dans un délai raisonnable, en violation du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte . Pour ce qui est de la question de savoir si le délai est raisonnable, l’auteur déclare qu’il convient de prendre en compte l’effet du retard sur l’équité du procès. Il déclare que sa défense était fondée sur l’alibi et que les preuves ayant servi à l’identification ont été suggérées ou étaient fausses.

3.2 L’auteur se plaint aussi de la période de cinq ans et neuf mois qui s’est écoulée entre sa condamnation et l’examen de son recours en appel. Il affirme en conséquence que son droit de faire appel, tel qu’il est garanti aux paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14, a été violé . À cet égard, l’auteur déclare qu’il convient de tenir compte du fait qu’il était pendant toute cette période sous le coup d’une condamnation à mort et de prendre en considération les conditions de sa détention dans le quartier des condamnés à mort.

3.3 L’auteur déclare que les conditions inacceptables de sa détention au cours des cinq années qu’il a passées dans le quartier des condamnés à mort constituent un traitement cruel, inhumain et dégradant, en violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Il affirme que des organisations internationales de défense des droits de l’homme ont à maintes reprises condamné de telles conditions, qui sont contraires aux normes internationalement reconnues de protection minimale. L’auteur ajoute que les conditions auxquelles il a été soumis constituent également une violation de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus de l’ONU.

3.4 L’auteur déclare que ses droits garantis à l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, ont été violés. Il se plaint d’avoir été privé de son droit d’accès à la justice car la loi ne prévoyait pas de possibilité de contester l’imposition d’une peine capitale obligatoire.

3.5 L’auteur prétend aussi que les droits que lui garantit l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, ont été violés, du fait que, lorsque la peine de mort, à laquelle il avait été condamné, a été commuée en peine d’emprisonnement à perpétuité, il n’a pas eu la possibilité de faire d’observations préalables à la décision.

3.6 Enfin, l’auteur allègue une violation de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, du fait qu’il n’a pas pu ensuite déposer de requête constitutionnelle auprès de la Haute Cour concernant la durée de la peine imposée car l’aide juridictionnelle n’est pas accordée pour la présentation de telles requêtes et les frais impliqués dépassent ses moyens. L’auteur déclare qu’une requête en vertu du paragraphe 1 de l’article 14 de la Constitution aurait pu être déposée au motif que sa condamnation à l’emprisonnement pour le reste de sa «vie naturelle» est arbitraire et cruelle. Toutefois, l’auteur déclare qu’étant donné que l’aide juridictionnelle n’est pas accordée pour la présentation de requêtes constitutionnelles, il est concrètement empêché d’exercer son droit constitutionnel de demander réparation pour violation de ses droits. Il cite la décision du Comité des droits de l’homme dans l’affaire Currie  c.  Jamaïque , selon laquelle les recours devant la Cour constitutionnelle devraient être disponibles et utiles et, lorsqu’il s’agit de faire examiner des irrégularités survenues lors d’un procès au pénal, l’aide juridictionnelle devrait être accordée aux personnes qui n’ont pas les moyens d’engager une telle action. L’auteur cite également la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle le droit effectif d’accès à la justice peut supposer la fourniture d’une aide juridictionnelle aux demandeurs indigents.

3.7 Pour ce qui est de la recevabilité de la communication, l’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes utiles et disponibles. Il déclare, en ce qui concerne les allégations relatives à la durée écoulée avant le procès ou la tenue du procès dans un délai raisonnable, que ces griefs n’auraient pas pu être portés devant les tribunaux nationaux de l’État partie. L’auteur renvoie à deux affaires internes dans lesquelles il a été décidé que le retard intervenu avant le procès ne constitue pas un motif valable d’appel lorsqu’il ne peut pas être prouvé qu’il y a eu atteinte à l’équité du procès, et que la Constitution de la Trinité ‑et ‑Tobago ne prévoit pas le droit d’être jugé rapidement ou dans un délai raisonnable. En outre, l’auteur déclare qu’on ne peut pas attendre de lui qu’il dépose une requête devant la Cour constitutionnelle de la République de Trinité ‑et ‑Tobago, considérant qu’il ne dispose pas de moyens personnels et qu’il ne peut pas obtenir d’aide juridictionnelle .

Réponse de l’État partie au sujet de la recevabilité et du fond

4.1 La communication, ainsi que les documents l’accompagnant, ont été transmis à l’État partie le 19 janvier 2000. L’État partie n’a pas donné suite à la demande que le Comité lui a adressée en vertu de l’article 91 du Règlement intérieur, le priant de soumettre des informations et ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication, malgré les rappels qui lui ont été envoyés les 26 février et 11 octobre 2001.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie doit examiner en toute bonne foi les allégations portées contre lui et qu’il doit fournir au Comité toutes les informations dont il dispose. Étant donné que l’État partie n’a pas coopéré avec le Comité dans l’affaire à l’examen, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été étayées.

5.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie n’a pas fait savoir que certains de ces recours n’avaient pas encore été épuisés par l’auteur; le Comité estime par conséquent que l’auteur a épuisé les recours internes.

5.3 Pour ce qui est de savoir si l’auteur a satisfait aux autres critères de recevabilité, se référant à l’allégation de l’auteur selon laquelle le caractère obligatoire de la peine capitale constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte au motif que la loi ne prévoit aucune possibilité de demander un allègement de la peine (par. 3.4), le Comité renvoie aux constatations qu’il a adoptées dans les affaires Thompson c.  Saint ‑Vincent ‑et ‑les Grenadines et Kennedy c.  Trinité ‑et ‑Tobago dans lesquelles il a établi qu’une condamnation obligatoire à la peine de mort pour certaines catégories de crimes peut constituer une violation du paragraphe 1 de l’article 6. Toutefois, contrairement à la situation qui caractérisait les deux communications susmentionnées, la condamnation à mort de l’auteur de la présente communication a été commuée en 1994, c’est ‑à ‑dire plusieurs années avant que l’auteur ne présente sa communication au Comité. Dans ces conditions, le Comité considère que l’application de la règle de la condamnation obligatoire à la peine de mort n’autorise pas l’auteur à présenter une plainte au titre du Protocole facultatif. Par conséquent, le Comité estime que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4 En ce qui concerne les autres allégations formulées par l’auteur aux paragraphes 3.1, 3.2, 3.3, 3.5 et 3.6, se fondant sur les éléments d’information dont il est saisi, le Comité estime que ces parties de la communication sont recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen quant au fond

6.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication compte tenu de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2 Pour ce qui est de la durée excessive de la période écoulée avant le procès, le Comité fait observer que les dates à retenir pour déterminer, dans le cas à l’examen, la longueur du retard intervenu sont les dates auxquelles ont eu lieu l’arrestation de l’auteur et son procès et non pas les dates données par l’auteur, à savoir la date du crime présumé, soit la date du meurtre, et la date du début du procès. À cet égard, le Comité note que si les explications fournies par le conseil de l’auteur quant à la date de l’arrestation de ce dernier semblent quelque peu confuses, il ressort très clairement des minutes du procès que l’auteur a été arrêté le 17 mars 1986 et non pas le 17 mars 1988 (voir par. 2.1 et note de bas de page 1). En conséquence, le Comité estime que la période de deux ans et trois mois intervenue entre l’arrestation de l’auteur et son procès, période à propos de laquelle l’État partie n’a toujours pas fourni d’explications, constitue une violation du droit de l’auteur en vertu du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte d’être jugé dans un délai raisonnable ou libéré, sous réserve néanmoins de certaines conditions, ainsi que du droit de l’auteur en vertu du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte d’être jugé sans retard excessif.

6.3 Pour ce qui est de la plainte de l’auteur concernant la période de cinq ans et neuf mois qui s’est écoulée entre sa condamnation et le rejet de son appel par la Cour d’appel de la République de Trinité ‑et ‑Tobago, au sujet duquel l’État partie n’a pas non plus fourni d’explication, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les droits énoncés aux paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14, lus conjointement, supposent le droit de faire examiner une décision de justice sans retard . Dans l’affaire Johnson c.  Jamaïque , le Comité a estimé qu’en l’absence de circonstances exceptionnelles, une période de quatre ans et trois mois était excessive. En conséquence, le Comité conclut à une violation des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte.

6.4 S’agissant de l’allégation selon laquelle les conditions auxquelles l’auteur a été soumis durant sa détention dans le quartier des condamnés à mort ont constitué une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, le Comité note qu’en l’absence d’explications de la part de l’État partie, il doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Le Comité note que l’auteur a été placé en régime cellulaire dans le quartier des condamnés à mort pendant cinq ans dans une cellule d’à peine trois mètres sur deux, sans installations sanitaires à l’exception d’un seau de toilette et sans lumière naturelle, qu’il n’était autorisé à sortir de sa cellule qu’une ou deux fois par semaine, en étant menotté lors de ses sorties, et qu’il a reçu une alimentation entièrement inappropriée ne tenant pas compte de ses besoins alimentaires particuliers. Le Comité considère que ces conditions de détention − qui n’ont pas été contestées − constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Compte tenu de cette conclusion concernant l’article 10, disposition du Pacte qui porte spécifiquement sur la situation des personnes privées de liberté, y compris les éléments énoncés en termes généraux à l’article 7, il n’y a pas lieu d’examiner séparément les plaintes présentées au titre de l’article 7 du Pacte.

6.5 En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’accès aux tribunaux lui a été refusé du fait qu’il n’a pas été autorisé à formuler des observations lorsque la peine de mort a été commuée en peine d’emprisonnement pour le reste de sa «vie naturelle», le Comité rappelle sa décision dans l’affaire Kennedy c. Trinité ‑et ‑Tobago dans laquelle il a considéré que les États parties gardaient un pouvoir discrétionnaire pour ce qui était de fixer les modalités de l’exercice du droit de solliciter la commutation de la peine de mort (par. 4 de l’article 6) et que l’exercice de ce droit n’était pas soumis aux garanties de procédure définies à l’article 14 du Pacte. Le Comité estime en conséquence que l’auteur n’a pas démontré que le fait qu’il n’ait pas pu formuler d’observations concernant la commutation de sa peine est de nature à violer l’un quelconque de ses droits garantis en vertu du Pacte.

6.6 S’agissant de l’affirmation de l’auteur, qui déclare n’avoir pas eu accès aux tribunaux car l’aide juridictionnelle ne lui a pas été accordée afin de lui permettre de déposer une requête constitutionnelle relative à la durée de la peine imposée à la suite de la commutation, le Comité rappelle sa jurisprudence , selon laquelle le Pacte ne contient pas de disposition expresse obligeant un État partie à fournir une aide juridictionnelle dans tous les cas et le Pacte n’impose une telle obligation que lorsqu’il s’agit de déterminer le bien-fondé d’une accusation pénale dans l’intérêt de la justice. Le Comité considère en conséquence que l’État partie n’est pas expressément tenu de fournir une aide juridictionnelle en dehors du cadre d’un procès pénal. Étant donné que la plainte de l’auteur concerne la commutation de sa peine et non pas l’équité du procès lui ‑même, le Comité ne peut pas considérer qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte à cet égard.

7. Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, considère que les faits qui lui sont soumis font apparaître des violations, du paragraphe 3 de l’article 9, des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

8. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris la possibilité d’une libération anticipée. Aussi longtemps qu’il restera en prison, l’auteur devra être traité avec humanité et ne devra pas être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9. En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. La communication a été adressée au Comité avant que la dénonciation par l’État partie du Protocole facultatif ne prenne effet, le 27 juin 2000; conformément au paragraphe 2 de l’article 12 du Protocole facultatif, les dispositions de cet instrument continuent d’être applicables. Conformément à l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est prié de publier les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood, membre du Comité (en partie concordante, en partie dissidente)

Conformément à l’opinion parallèle de MM. Nisuke Ando, Eckart Klein et David Kretzmer dans l’affaire Kennedy c . Trinité-et-Tobago , communication n o  845/1998, je respecterais en l’espèce la réserve que l’État partie a émise le 26 mai 1998, lorsqu’il a adhéré de nouveau au Protocole facultatif. Le texte de cette réserve est comme suit:

«... Le Gouvernement de la Trinité ‑et ‑Tobago accède de nouveau au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en formulant une réserve à l’article 1 selon laquelle le Comité des droits de l’homme n’est pas compétent pour recevoir et examiner les communications relatives à un détenu condamné à mort et concernant de quelque manière que ce soit les poursuites engagées contre lui, sa détention, son procès, sa condamnation, la peine prononcée contre lui ou l’exécution de la peine de mort prononcée à son encontre et toute question connexe.»

La communication adressée par l’auteur au Comité dans l’affaire à l’examen est datée du 16 novembre 1999, et est donc ultérieure à l’entrée en vigueur de la réserve de l’État partie. La commutation de la peine de mort dans cette affaire, en 1994, ne modifie évidemment pas l’effet de la réserve.

À mon avis, il importe que le Comité respecte les réserves émises par les États parties, qui sont des conditions de leur consentement à être liés par le Protocole facultatif. Même si l’on estime que le Comité doit juger d’une manière indépendante la compatibilité d’une réserve avec l’objet et le but du Protocole facultatif, et que l’on conclut que celle émise par la Trinité ‑et ‑Tobago n’est pas compatible, il n’en demeure pas moins que les États parties sont habilités, en vertu du droit international général et du droit des traités, à subordonner leur consentement à être liés par un instrument, y compris par le Protocole facultatif, à l’acceptation de leur réserve. C’est pourquoi je ne suis pas d’accord avec l’opinion exprimée précédemment par le Comité dans son Observation générale n o  24 (1994). Si l’État partie n’a pas coopéré avec le Comité dans l’examen quant au fond de cette affaire, ni de l’affaire Kennedy c . Trinité ‑et ‑Tobago , c’est peut ‑être parce que sa réserve n’avait pas été prise en considération. (De fait, c’est peut-être le même problème qui a incité l’État partie à dénoncer le Protocole facultatif et à s’en retirer, avec effet au 23 juillet 2000, mesure que les États parties sont autorisés à prendre en vertu de l’article 12 du Protocole facultatif. Formellement, cette dénonciation n’est pas applicable en l’espèce.)

Puisque le Comité a jugé que cette communication était recevable, j’approuverai son opinion quant au fond selon laquelle les conditions de détention dans le quartier des condamnés à mort, telles que l’auteur les décrit, semblent avoir été sérieusement déficientes. Dans l’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus de l’ONU , il est noté que certains pays se heurtent à des problèmes de budget et de ressources. Cependant, ces règles représentent «les conditions minima qui sont admises par l’Organisation des Nations Unies». Les conditions dans lesquelles l’auteur a été détenu pendant les années qu’il a passées dans le quartier des condamnés à mort ne remplissaient pas les critères requis notamment aux paragraphes 11 a), 20(1) et 21(1) de l’Ensemble de règles minima. Ces normes justifient l’interprétation que le Comité a faite du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

(Signé) Ruth Wedgwood

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe, aux fins du présent rapport.]

T. Communication n ° 933/2000, Adrien Mundyo Busyo, Thomas Osthudi Wongodi , René Sibu Matubuka et consorts c. République démocratique du Congo * (Constatations adoptées le 31 juillet 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par :

Adrien Mundyo Busyo, Thomas Osthudi Wongodi, René Sibu Matubuka et autres

Au nom de :

Adrien Mundyo Busyo, Thomas Osthudi Wongodi, René Sibu Matubuka et autres

État partie :

République démocratique du Congo

Date de la communication :

17 décembre 1999

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 juillet 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  933/2000 présentée par Adrien Mundyo Busyo, Thomas Osthudi Wongodi, René Sibu Matubuka et autres vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. Les auteurs sont Adrien Mundyo Busyo, Thomas Osthudi Wongodi et René Sibu Matubuka, citoyens de la République démocratique du Congo, intervenant en leur propre capacité ainsi qu’au nom de magistrats ayant fait l’objet d’une mesure de révocation. Ils se déclarent victimes de la part de la République démocratique du Congo de violations des articles 9, 14, 19, 20 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La communication semble également soulever des questions au regard de l’article 25, alinéa c du Pacte.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Par décret présidentiel n o 144 du 6 novembre 1998, 315 magistrats du siège et du parquet, dont les présents auteurs, ont été révoqués dans les termes suivants:

«Le Président de la République;

Vu le décret-loi constitutionnel n ° 003 du 27 mai 1997 relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir en République démocratique du Congo tel que modifié et complété à ce jour;

Vu l’ordonnance-loi n ° 88-056 du 29 septembre 1988 portant statut des magistrats en ses articles 37, 41 et 42;

Attendu qu’il ressort des rapports des différentes commissions constituées par le Ministre de la justice qui ont parcouru tout le pays que les magistrats ci-dessous sont, soit d’une moralité douteuse, soit corrompus, soit déserteurs ou affichent une incompétence notoire, comportements contraires aux devoirs de leur état, à l’honneur et à la dignité de leurs fonctions;

Considérant que les comportements incriminés ont discrédité la magistrature, terni l’image de la justice et paralysé le fonctionnement de celle-ci;

Vu l’urgence; la nécessité et l’opportunité;

Sur propositions du Ministre de la justice et garde des Sceaux;

Décrète:

Article 1 er :

Sont révoqués de leurs fonctions les magistrats dont les noms suivent...».

2.2 Contestant la légalité de ces révocations, les auteurs ont chacun introduit, après notification et dans un délai de trois mois fixé par la loi, un recours auprès du Président de la République afin d’obtenir le retrait du décret en cause. N’ayant obtenu aucune réponse, conformément à l’ordonnance n ° 82/017 du 31 mars 1982 relative à la procédure devant la Cour suprême de la justice, les magistrats ont, chacun, saisi au cours de la période d’avril à décembre 1999, cette juridiction de leur requête. Sur la base des informations fournies par les auteurs, il ressort que le Procureur général de la République appelé à donner son avis dans un délai d’un mois, n’a transmis délibérément le rapport du ministère public que le 19 septembre 2000 afin de bloquer les recours. D’autre part, la Cour suprême, par arrêt du 26 septembre 2001, a estimé que le décret présidentiel n° 144 constituait un acte de Gouvernement dans la mesure où il rentrait dans le cadre de la politique du Gouvernement visant l’assainissement des mœurs au sein de la magistrature et le meilleur fonctionnement de l’un des trois pouvoirs de l’État. La Cour suprême a, dès lors, estimé que les actes d’exécution de la politique de la nation pris par le Président de la République, en qualité d’autorité politique, échappaient au contrôle du juge administratif, et a donc déclaré les requêtes des auteurs irrecevables.

2.3 Les auteurs, s’étant par ailleurs structurés sous l’appellation «Groupe des 315 magistrats illégalement révoqués» connu sous le sigle G.315, ont également soumis, les 27 et 29 janvier 1999, leur requête auprès du Ministre des droits humains, mais sans résultat.

2.4 Les auteurs font finalement état de diverses mesures de pression de la part des autorités afin de mettre un terme à leurs revendications. Ils mentionnent deux mandats d’amener à l’encontre des magistrats René Sibu Matubuka et Ntumba Katshinga . Ils précisent que suite à une réunion le 23 novembre 1998 entre le G.315 et le Ministre de la justice portant sur le décret en litige, le Ministre a retiré les deux mandats précités. Les auteurs ajoutent que suite à leur lettre de rappel au Ministre de la justice quant à l’absence de suite donnée à leur entrevue relativement au décret de révocation, les juges René Sibu Matubuka et Benoît Malu Malu ont été interpellés et détenus du 18 au 22 décembre 1998 dans un centre de détention illégal, dans l’immeuble GLM (Groupe Lito Moboti), du Groupe spécial de sécurité présidentielle. Leur audition a, en outre, été conduite par des personnes non assermentées, ni habilitées par le Procureur de la République, tel que prévu par la loi.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs se déclarent victimes, en premier lieu, de mesures de révocation dont l’illégalité est, selon eux, manifeste.

3.2 Ils soutiennent que le décret présidentiel n ° 144 est contraire au décret-loi constitutionnel n °  003 du 27 mai 1997 relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir en République démocratique du Congo ainsi qu’à l’ordonnance-loi n °  88-056 du 29 septembre 1988 portant sur le statut des magistrats.

3.3 D’après les auteurs, alors que la législation ci-dessus mentionnée dispose que le Président de la République ne peut révoquer un magistrat civil que sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) , les présentes révocations ont été décidées sur proposition du Ministre de la justice, membre de l’exécutif, qui s’est ainsi substitué au seul organe habilité en ce domaine, à savoir le CSM. La législation ne confère, en outre, pas, selon les auteurs, un pouvoir discrétionnaire malgré les circonstances invoquées par le décret présidentiel n °  144 − l’urgence, la nécessité et l’opportunité − celles-ci ne pouvant pas constituer des motifs de révocation.

3.4 De même, d’après les auteurs, l’obligation pour les autorités de respecter en matière disciplinaire, en tout temps, le principe du contradictoire et ses corollaires (dont la présomption d’innocence) a été bafouée. En effet, aucun reproche ou notification de la part d’une autorité, d’un organe ou d’une commission n’ont été transmis aux auteurs, lesquels au demeurant n’ont, à aucun moment, été entendus tant devant le magistrat enquêteur que le CSM, comme le prévoie la loi.

3.5 Finalement, les auteurs soutiennent qu’en violation de l’obligation de motiver toute décision de révocation d’un agent de l’État, le décret présidentiel n °  144 n’invoque que des motifs vagues, imprécis et impersonnels − à savoir une moralité douteuse, la désertion et une incompétence notoire − ce qui, selon eux, équivaut en droit congolais à une absence de motif. Relativement aux griefs de moralité douteuse et d’incompétence notoire, les auteurs déclarent que leurs dossiers personnels auprès du secrétariat du CSM démontrent le contraire. Eu égard au grief de désertion, les auteurs font valoir que leur départ de leur lieu d’affectation résultait de l’insécurité liée à la guerre et que leur enregistrement auprès du secrétariat du CSM de Kinshasa, ville de refuge, attestait leur mise à disposition en tant que juge. Ils précisent que le secrétariat du CSM leur a, en outre, octroyé un traitement comme déplacés de guerre.

3.6 Les auteurs citent les rapports auprès de la Commission des droits de l’homme du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans la République démocratique du Congo et du Rapporteur spécial sur l’indépendance du judiciaire faisant part de leurs préoccupations quant au décret présidentiel n °  144 portant révocation des 315 magistrats et étant une manifestation de la mise sous tutelle du pouvoir judiciaire par le pouvoir exécutif. Ils mentionnent, en outre, une allocution du Directeur du Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en République démocratique du Congo appelant à la réhabilitation des magistrats révoqués.

3.7 Les auteurs estiment, en second lieu, subir une répression du pouvoir à travers les arrestations, les détentions et interrogatoires illégaux de trois membres de leur collectif (voir par. 2.4).

3.8 Finalement, les auteurs considèrent avoir épuisé les voies de recours internes. Rappelant le non-aboutissement de leurs recours auprès du Président de la République, du Ministre des droits humains, du Ministre de la justice, et l’arrêt de la Cour suprême de justice du 26 septembre 2001, ils font valoir que l’indépendance des magistrats appelés à statuer sur le cas n’était pas garantie dans la mesure où le premier Président de la Cour suprême et le Procureur général de la République et d’autres hauts magistrats ont été désignés par le nouveau pouvoir en place, au mépris de la loi disposant que de telles nominations interviennent après propositions du Conseil supérieur de la justice. Ils ajoutent qu’à l’occasion de l’investiture de ces magistrats par le Président de la République, le premier Président de la Cour suprême, sortant de son devoir de réserve, s’est prononcé sur la légitimité du décret de révocation. En outre, les auteurs estiment que la Cour suprême, par son arrêt du 26 septembre 2001, a décidé à tort l’irrecevabilité de leurs plaintes et les a privés ainsi de tout recours .

3.9 Malgré la demande et les rappels adressés (notes verbales du 7 décembre 2000, du 12 juillet 2001 et du 15 mai 2003) par le Comité à l’État partie afin de répondre aux allégations des auteurs, le Comité n’a pas reçu de réponse.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

4.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2 Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.3 Le Comité estime que la plainte des auteurs selon laquelle les faits tels qu’ils les ont décrits constituent une violation des articles 19, 20 et 21 n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.4 Le Comité considère que, en l’absence de toute information soumise par l’État partie, la plainte soumise relativement au décret présidentiel n °  144 portant révocation de 315 magistrats, dont les présents auteurs, ainsi qu’aux arrestations et détentions des juges René Sibu Matubuka et Benoît Malu Malu peuvent soulever des questions au regard de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 14, et de l’alinéa c) de l’article 25 du Pacte qui méritent d’être examinées quant au fond.

Examen quant au fond

5.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il constate que l’État partie, en dépit de rappels qui lui ont été adressés, ne lui a fourni aucune réponse tant sur la recevabilité que sur le fond de la communication. Le Comité rappelle qu’aux termes du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, un État partie est tenu de coopérer en lui soumettant par écrit des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. Comme l’État partie ne s’est pas montré coopératif en la matière, force est de donner tout leur poids aux allégations des auteurs dans la mesure où elles ont été étayées.

5.2 Le Comité constate que les auteurs ont formulé des allégations précises et détaillées relatives à leur révocation en dehors des procédures et garanties légales prévues à cet effet. Le Comité note, à ce sujet, que le Ministre de la justice, dans son rapport de juin 1999 (voir par. 3.8) et le Procureur général de la République, dans le rapport du ministère public du 19 septembre 2000 (voir note de bas de page 1) reconnaissent que les procédures et les garanties prévues en matière de révocation n’ont pas été respectées. Par ailleurs, le Comité estime que les circonstances invoquées par le décret présidentiel n °  144 ne sauraient, dans le cas d’espèce, être retenues par le Comité comme des motifs permettant de justifier la conformité des mesures de révocation au regard du droit, et en particulier de l’article 4 du Pacte. En effet, le décret présidentiel comporte une simple référence à des circonstances particulières sans pour autant préciser la nature et l’ampleur des dérogations au regard des droits consacrés par la législation nationale et le Pacte, ni démontrer la stricte nécessité de ces dérogations et de leur durée. De plus, le Comité constate l’absence de notification internationale de la part de la République démocratique du Congo relative à l’utilisation du droit de dérogation, tel que prévu au paragraphe 3 de l’article 4 du Pacte. Conformément à sa jurisprudence , le Comité rappelle, par ailleurs, que le principe d’accès à la fonction publique dans des conditions d’égalité implique pour l’État le devoir de veiller à ce qu’il ne s’exerce aucune discrimination. Ce principe vaut à fortiori pour les personnes en poste dans la fonction publique et, qui plus est, à l’endroit de celles ayant fait l’objet d’une révocation. En ce qui concerne l’article 14, paragraphe 1, le Comité constate l’absence de réponse de l’État partie et relève, d’une part, que les auteurs n’ont pas bénéficié des garanties attachées à leurs fonctions de magistrats en vertu desquels ils auraient dû être traduits devant le Conseil supérieur de la magistrature conformément à la loi, et que d’autre part, le Président de la Cour suprême a publiquement, avant le procès, apporté son soutien aux révocations intervenues (voir par. 3.8) portant ainsi atteinte au caractère équitable de celui ‑ci. Aussi, le Comité considère que ces révocations constituent une atteinte à l’indépendance du judiciaire protégée par l’article 14, paragraphe 1 du Pacte. Les mesures de révocation à l’endroit des auteurs ont été prises en se fondant sur des motifs ne pouvant pas être retenus par le Comité afin de justifier le non-respect des procédures et garanties prévues dont tout citoyen doit pouvoir bénéficier dans des conditions générales d’égalité. En l’absence de réponse de l’État partie, et dans la mesure où la Cour suprême, par son arrêt du 26 septembre 2001, a privé les auteurs de tout recours après avoir déclaré irrecevables leurs requêtes au motif que le décret présidentiel n° 144 constituait un acte de Gouvernement, le Comité estime que les faits, dans le cas d’espèce, montrent qu’il y a eu violation de l’alinéa c) de l’article 25 du Pacte lu conjointement avec l’article 14, paragraphe 1 sur l’indépendance du judiciaire et l’article 2, paragraphe 1 du Pacte.

5.3 Eu égard au grief de violation de l’article 9 du Pacte, le Comité note que les juges René Sibu Matubuka et Benoît Malu Malu ont fait l’objet d’une arrestation et d’une détention arbitraires du 18 au 22 décembre 1998 dans un centre de détention illégal du Groupe spécial de sécurité présidentielle. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité constate une violation arbitraire du droit à la liberté de la personne au titre de l’article 9 du Pacte.

6.1 Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que l’État partie a commis une violation de l’article 9 et des articles 14, paragraphe 1, et 25 c) lus conjointement avec l’article 2, paragraphe 1 du Pacte.

6.2 En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que les auteurs ont droit à un recours utile qui doit prendre la forme inter alia : a) en l’absence de procédure disciplinaire proprement constituée contre les auteurs, d’une réintégration effective dans la fonction publique, à leur poste avec toutes les conséquences que cela implique, ou le cas échéant à un poste similaire ; et b) d’une indemnisation calculée sur la base d’une somme équivalente à la rémunération qu’ils auraient perçue à compter de la date de leur révocation . L’État partie est finalement tenu de veiller à ce que de pareilles violations ne se reproduisent pas à l’avenir et en particulier que toute mesure de révocation ne puisse être mise en œuvre que dans le cadre du respect des dispositions du Pacte.

6.3 Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, la République démocratique du Congo a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, elle s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Aussi, le Comité souhaite-t-il recevoir de l’État partie, dans les 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour leur donner suite. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe, aux fins du présent rapport.]

Notes

U. Communication n o 941/2000, Young c. Australie * ( Constatations adoptées le 6 août 2003, soixante-dix-huitième session)

Présentée par :

M. Edward Young (représenté par des conseils, M me  Michelle Hannon et M me  Monique Hitter)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

29 juin 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 6 août 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  941/2000, présentée au nom de M. Edward Young en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M. Edward Young, de nationalité australienne, né le 7 mai 1935 et résidant actuellement dans l’État de la Nouvelle ‑Galles du Sud. Il se déclare victime d’une violation par l’Australie de l’article 26 du Pacte. Il est représenté par des conseils.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur a eu pendant 38 ans une relation homosexuelle avec M. C., ancien combattant dont il s’est occupé pendant les dernières années de sa vie et qui est décédé à l’âge de 73 ans, le 20 décembre 1998. Le 1 er  mars 1999, l’auteur a demandé une pension en application de l’article 13 de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants, en tant que personne à la charge d’un ancien combattant. Le 12 mars 1999, la Repatriation Commission a rejeté sa demande au motif qu’il n’était pas une personne à charge au sens de la loi. Dans sa décision, la Commission renvoie à la législation pertinente comme suit:

L’article 11 de la loi dispose:

«On entend par personne à la charge d’un ancien combattant (y compris d’un ancien combattant décédé)

a) le partenaire…».

L’article 5E de la loi définit le partenaire comme «l’un des deux “membres d’un couple”, à l’égard de l’autre membre».

La notion de couple est définie au paragraphe 2 de l’article 5E comme suit:

«Aux fins de la présente loi, est considérée comme “membre d’un couple”:

a) La personne légalement mariée à une autre, dont elle ne vit pas séparée de façon permanente; ou

b) La personne qui réunit toutes les conditions ci ‑après:

i) Vivre avec une personne du sexe opposé (appelée le partenaire dans le présent paragraphe);

ii) Ne pas être légalement mariée à son partenaire;

iii) Avoir avec son partenaire une relation qui de l’avis de la Commission (…) est assimilable au mariage;

iv) Ne pas avoir avec son partenaire une relation interdite au sens de l’article 23B de la loi de 1961 sur le mariage.».

Le texte de la décision est libellé comme suit: «Tel qu’il est rédigé, l’article 5E 2) b) i) − que j’ai mis en relief − ne laisse aucune place à l’ambiguïté. J’ai par conséquent le regret de constater que je n’ai aucune marge d’appréciation en la matière. Autrement dit, vous n’êtes pas considéré, en droit, comme une personne à la charge d’un ancien combattant décédé. De ce fait, vous n’êtes pas fondé par la loi à prétendre à une pension».

L’allocation de décès demandée en application de cette même loi a également été refusée à l’auteur parce qu’il n’était pas considéré comme «membre d’un couple» .

2.2 Le 16 mars 1999, l’auteur a formé recours contre la décision de la Commission auprès de l’organe de recours des anciens combattants, qui a confirmé la décision de la Commission le 27 octobre 1999, statuant que l’auteur ne pouvait être considéré comme une personne à charge au sens de la loi. Dans sa décision, l’organe renvoie à la législation susmentionnée, estimant qu’il «n’a aucune marge d’appréciation en ce qui concerne l’application de la loi et, en l’espèce, est contraint de prendre en considération l’article 11 de la loi. Par conséquent, au titre de la législation en vigueur, l’organe est tenu de confirmer la décision à l’examen en ce qui concerne le statut du requérant».

2.3 Le 23 décembre 1999, la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances a rejeté la plainte que l’auteur lui avait adressée, en se déclarant incompétente pour intervenir, l’auteur ayant été soumis à l’application automatique et non discrétionnaire de la loi.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que le refus de l’État partie de lui verser une pension parce que son partenaire était du même sexe que lui, c’est ‑à ‑dire en raison de son orientation sexuelle, constitue une violation du droit à l’égalité de traitement devant la loi, qui est consacré à l’article 26. Tout en reconnaissant que l’article 26 ne fait pas obligation aux États parties d’adopter des dispositions législatives spéciales, il fait valoir que, quand ils le font, les dispositions qu’ils promulguent doivent être en conformité avec l’article 26. Il rappelle que dans les affaires Broeks c.  Pays ‑Bas , Zwaan de Vries c.  Pays ‑Bas et Danning c.  Pays ‑Bas , le Comité avait estimé que, d’une manière générale, la législation relative à la sécurité sociale relevait de l’article 26. Il rappelle également que, dans l’affaire Toonen c.  Australie , le Comité a reconnu que l’orientation sexuelle constituait un motif de discrimination interdit par l’article 26.

3.2 L’auteur affirme que s’il avait formé un recours devant le Tribunal des recours administratifs, comme il aurait pu le faire, il n’avait aucune chance d’obtenir satisfaction dans la mesure où les dispositions de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants auraient également prévalu.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond de la communication

4.1 Dans une note verbale datée du 1 er  mai 2001, l’État partie fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il examine la portée des droits consacrés à l’article 26 et souligne la différence entre l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi. Selon lui, l’égalité devant la loi ne vise pas la législation, mais plutôt exclusivement sa mise en œuvre: elle signifie que les magistrats et les agents de l’administration ne doivent pas agir arbitrairement dans l’application de la loi . L’égale protection de la loi, en revanche, renvoie aussi bien à la teneur des textes qu’à leur application . L’auteur invoque l’égalité devant la loi dans sa communication, mais l’État partie objecte qu’il ne voit pas en quoi ses allégations concernent cet aspect précis de l’article 26. Il croit comprendre que l’auteur ne dénonce pas des actes arbitraires qui auraient été commis par des magistrats ou des agents de l’État, mais affirme que la loi elle ‑même est discriminatoire et soulève donc la question de l’égale protection de la loi en vertu de l’article 26.

4.2 L’État partie conteste la recevabilité de la communication pour trois motifs. Premièrement , il affirme que l’auteur n’est pas une victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif, aux fins duquel le Comité a établi que l’auteur d’une communication doit fournir la preuve qu’il subit personnellement les conséquences d’un acte ou d’une omission de l’État partie. Bien qu’il approuve la décision des autorités internes de refuser la pension à l’auteur, l’État partie ne les suit pas dans les arguments avancés pour justifier ces décisions. Il fait valoir qu’un examen approfondi des faits au regard des dispositions de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants fait apparaître qu’un partenaire de M. C., qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel, ne pouvait pas avoir droit à une pension au titre de cette loi. En conséquence, il affirme que l’orientation sexuelle de l’auteur pas plus que celle de M. C. n’ont en l’occurrence un caractère déterminant.

4.3 L’État partie note que les conditions d’octroi de la pension demandée par l’auteur sont énoncées à la section 2 de la partie II de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants. L’article 13 définit les critères d’octroi des pensions. Pour prouver qu’il a été victime de discrimination illégale, l’auteur devrait d’abord démontrer qu’il répond à ces critères.

4.4 L’État partie précise que l’article 13 énumère cinq conditions à remplir pour avoir droit à une pension. Le paragraphe 1, en particulier, dispose qu’une personne à la charge d’un ancien combattant, y compris son partenaire, peut demander une pension à la mort de celui ‑ci, si le décès découle de faits de guerre. L’État partie fait observer que les archives du Ministère des anciens combattants ne contiennent aucun élément montrant que le décès de M. C. découle de faits de guerre et que l’auteur lui ‑même ne dit pas qu’il s’agit d’un décès par fait de guerre. Il en déduit que le partenaire de M. C., hétérosexuel ou homosexuel, ne pouvait pas être admis à recevoir une pension en vertu des dispositions du paragraphe 1. L’État partie s’emploie ensuite à déterminer si les faits de l’affaire entrent dans le champ d’application des autres paragraphes de l’article 13 afin de démontrer que l’auteur ne pouvait pas prétendre à une pension, quelle que soit sa relation avec M. C., dans la mesure où ce dernier ne remplissait pas les conditions énoncées. Il en déduit que l’auteur n’a pas établi qu’il avait droit à une pension et ne peut donc pas être considéré comme une victime aux fins de l’article premier du Protocole facultatif.

4.5 Deuxièmement , l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité et affirme que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son dossier aux fins de la recevabilité. Pour pouvoir être fondé à soumettre une plainte, l’auteur doit montrer que la prestation qui lui a été refusée aurait pu être légalement accordée à un partenaire hétérosexuel de M. C. et l’État partie renvoie à ses arguments, tels qu’ils sont énoncés aux paragraphes 4.2 à 4.4 ci ‑dessus. Il fait valoir que l’auteur n’a pas évalué correctement tous les faits de l’affaire ni vérifié s’ils entraient dans le champ d’application de l’article 13 et qu’il ne peut donc pas montrer que la pension demandée au titre de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants lui a été refusée en raison de son orientation sexuelle, en violation des dispositions de l’article 26.

4.6 Troisièmement , l’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles, aux fins de la recevabilité. Renvoyant à la jurisprudence du Comité , il fait observer qu’il ressort globalement des constatations du Comité qu’un recours doit n’avoir aucune chance d’aboutir pour qu’un auteur puisse être fondé à affirmer que ce recours n’a pas à être épuisé avant que sa communication puisse être déclarée recevable.

4.7 L’État partie affirme que l’auteur aurait pu recourir contre la décision de refus de la pension auprès du Tribunal des recours administratifs et apporte les précisions suivantes concernant cet organe. Le Tribunal des recours administratifs a été créé par une loi fédérale et a le pouvoir d’entériner ou d’annuler une décision, de renvoyer une affaire devant l’instance initialement saisie afin qu’elle rende une nouvelle décision, de modifier une décision ou d’en prendre une nouvelle. Son rôle est de déterminer quelle est la décision «correcte ou préférable» dans une affaire donnée. Il procède d’office à un examen approfondi de tous les faits. Il n’est pas tenu d’utiliser uniquement les pièces dont disposait l’instance initialement saisie de l’affaire et peut prendre en compte des éléments qui n’étaient pas connus quand la décision initiale a été rendue. Les parties à une affaire sur laquelle s’est prononcé le Tribunal des recours administratifs peuvent demander le contrôle juridictionnel de la décision par la Cour fédérale.

4.8 L’État partie affirme que le Tribunal des recours administratifs aurait selon toute vraisemblance conclu que l’auteur, comme tout partenaire hétérosexuel ou homosexuel de M. C., n’avait pas droit à une pension au titre de l’article 13 de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants. Cette décision aurait été fondée sur l’un des éléments suivants: i) M. C. ne répondait pas aux critères énoncés à l’article 13 de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants, notamment à la condition exigeant que l’invalidité grave ou le décès donnant lieu à la demande de pension résulte de faits de guerre (comme il est indiqué aux paragraphes 4.2 à 4.4); ii) l’auteur n’a pas fourni d’éléments suffisants pour prouver sa relation de facto avec M. C. (l’État partie développe cet argument dans son examen quant au fond). L’État partie considère qu’une décision du Tribunal des recours administratifs reposant sur un de ces motifs ou sur les deux n’impliquerait pas une différence de traitement permettant de conclure à une violation de l’article 26 et que l’affaire n’aurait pas été portée devant le Comité si une telle décision avait été rendue.

4.9 Pour ce qui est du fond, l’État partie affirme qu’indépendamment des motifs invoqués par les organes concernés, l’orientation sexuelle de M. C. et de l’auteur ne déterminait aucunement les prestations auxquelles l’auteur pouvait prétendre et que les allégations de ce dernier sont sans fondement aux fins de l’examen de la communication par le Comité. L’État partie étaye cette affirmation par deux arguments. Tout d’abord, un partenaire de M. C., hétérosexuel ou homosexuel, ne pouvait pas avoir droit à une pension au titre de l’article 13 de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants. Ensuite, de toute façon l’auteur n’a pas apporté d’éléments suffisants pour prouver qu’il était le partenaire de M. C. En conséquence, et indépendamment du fait que l’auteur ne remplit pas les conditions requises pour avoir droit à une pension en vertu de cette loi, l’État partie estime que les organes décisionnels ne pouvaient pas avoir la conviction que celui ‑ci répondait aux critères minimaux permettant de conclure à l’existence d’une relation de facto.

4.10 L’État partie affirme que les éléments de preuve apportés par l’auteur ne sont pas suffisants pour démontrer qu’il était le partenaire de facto de M. C. Il ressort donc du strict examen des faits présentés par l’auteur à la lumière des dispositions législatives applicables qu’aucune différence de traitement reposant sur des critères qui ne soient pas raisonnables et objectifs n’a été faite. L’État partie souligne la nécessité de veiller à ce que les fonds publics soient alloués à qui en a le plus besoin. Il est donc d’usage d’imposer des critères aux fins des prestations de sécurité sociale, et d’ailleurs le Comité a reconnu que les États avaient le droit de subordonner le versement de prestations de sécurité sociale à certaines conditions .

4.11 L’État partie explique que l’obligation de prouver l’existence d’une relation de facto constitue l’un des critères à remplir pour pouvoir prétendre à une pension au titre de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants, en tant que personne à charge. Selon l’État partie, M. C. n’a jamais indiqué dans sa correspondance avec le Ministère qu’il vivait avec quelqu’un . Le Ministère exige la preuve qu’il existe un lien entre deux personnes pour établir les droits à pension. Ainsi, le formulaire de demande pour la pension de veuve de guerre spécifie: «Veuillez joindre une copie de votre certificat de mariage ou la preuve de votre lien avec l’ancien combattant décédé, sauf si vous avez déjà remis un tel document au Ministère.».

4.12 En dehors de la demande de pension, la seule pièce fournie par l’auteur est le certificat de décès de M. C., où son nom figure en tant que partenaire. D’après l’État partie, les renseignements portés sur les certificats de décès établis en Nouvelle ‑Galles du Sud, y compris ceux qui concernent les conjoints, ne sont pas nécessairement fiables. À eux seuls, ces renseignements ne suffiraient pas à prouver que l’auteur était le partenaire de M. C. aux fins de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants. Le Ministère aurait également tenu compte par exemple des dépenses communes, des preuves de cohabitation ou du partage d’expériences importantes, de la correspondance, de dispositions testamentaires et de déclarations des proches ou de connaissances communes.

4.13 La procédure visant à déterminer si l’auteur était réellement le partenaire de M. C. aurait été exactement la même pour toute personne hétérosexuelle ou homosexuelle affirmant être le/la partenaire d’un ancien combattant. Faute de preuves supplémentaires, le Ministère ne pouvait pas avoir la conviction que l’auteur était le partenaire de M. C. L’État partie affirme que cette procédure permet d’éviter toute contestation liée au principe de l’égale protection de la loi. Il fait par ailleurs observer qu’aucun élément ne permet de conclure que les fonctionnaires du Ministère aient agi arbitrairement, ce qui constituerait une violation du droit à l’égalité devant la loi (voir le paragraphe 4.1 ci ‑dessus).

4.14 En conclusion, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas fourni d’éléments suffisants pour prouver qu’il était le partenaire de facto de M. C., ce qui aurait sans doute constitué une raison supplémentaire de ne pas lui accorder la pension. Ce refus, selon lui, n’entraîne pas une violation des droits consacrés à l’article 26 du Pacte.

Commentaires de l’auteur

5.1 Par un courrier daté du 17 août 2001, l’auteur réaffirme qu’il est victime d’une violation des dispositions de l’article premier du Protocole facultatif puisqu’il a subi personnellement les conséquences de la décision de lui refuser une pension, en raison de son orientation sexuelle. Il rappelle que la Repatriation Commission et l’organe de recours des anciens combattants ont tous deux indiqué clairement que sa demande avait été rejetée parce que son partenaire n’était pas du sexe opposé, c’est ‑à ‑dire en raison de son orientation sexuelle.

5.2 L’auteur note que si l’État partie déclare qu’il ne confirme pas les raisons pour lesquelles la Repatriation Commission et l’organe de recours des anciens combattants ont rejeté sa demande, il ne conteste pas que la sexualité fait partie des critères pris en compte pour l’octroi des pensions en vertu de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants et que l’auteur ne répondait pas aux conditions requises en la matière. Il fait valoir en outre que l’État partie ne dit pas que tout autre organe national saisi de sa demande aurait abouti à une conclusion différente concernant ses droits à une pension.

5.3 Concernant l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur ne peut pas être considéré comme une victime puisque la pension demandée pouvait lui être refusée pour plusieurs autres raisons sans rapport avec sa sexualité, l’auteur fait valoir que ces autres critères n’ont aucune incidence sur sa qualité de victime; en effet, même s’il remplissait les conditions énoncées à l’article 13 de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants, il n’aurait de toute façon pas droit à une pension étant donné qu’il n’entre pas dans la catégorie des personnes à charge. De l’avis de l’auteur, il importe de faire la différence entre les affaires telles que Hoofdman c.  Pays ‑Bas , dans lesquelles il est évident qu’un particulier ne pouvait pas prétendre à une prestation sociale donnée pour des raisons autres que les motifs de discrimination visés dans le Pacte, et les affaires dans lesquelles l’octroi d’une prestation est envisageable et les critères à remplir doivent être examinés de façon régulière et équitable par un organe administratif compétent.

5.4 L’auteur affirme qu’il n’a pas eu la possibilité de montrer s’il satisfaisait ou non aux critères énoncés dans la loi. Il reconnaît qu’il ne pouvait pas répondre aux critères visés à certains paragraphes de l’article 13 qui lui ouvriraient droit à une pension, mais il soutient ne pas avoir eu la possibilité de démontrer qu’il répondait aux critères visés à d’autres paragraphes de ce même article qui lui ouvriraient aussi ce droit. Il fait valoir que l’État partie, bien qu’il ait émis des hypothèses en relation avec ces divers critères dans sa note verbale, a confié à des organes internes – parmi lesquels l’organe de recours des anciens combattants – la responsabilité de déterminer si les critères en question étaient remplis.

5.5 L’auteur affirme qu’en formulant à ce stade des hypothèses sur son aptitude à satisfaire à ces critères, l’État partie exerce de nouveau une discrimination à son égard puisque les personnes ayant une relation hétérosexuelle avec un ancien combattant et demandant une pension au titre des paragraphes susmentionnés de l’article 13 seraient en mesure de satisfaire aux critères pris en compte par la Repatriation Commission , l’organe de recours des anciens combattants et les autres organes décisionnels. Ces organes passent en revue tous les éléments du dossier. L’auteur affirme que l’État partie n’a pas encore eu connaissance des éléments qu’il serait en mesure d’apporter en sa faveur ni entendu les arguments tendant à montrer en quoi il pourrait satisfaire à ces critères. En outre, il considère qu’il est également discriminatoire d’exiger qu’il engage une nouvelle procédure alors que l’issue en serait de toute évidence la même. Il affirme que le simple fait d’être écarté en raison de sa sexualité constitue un traitement inégal devant la loi, même s’il n’est pas en mesure de montrer qu’il remplit les autres conditions requises pour obtenir une pension.

5.6 Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir que comme l’organe de recours des anciens combattants a clairement indiqué qu’il n’avait pas d’autre choix que de conclure à l’impossibilité pour l’auteur de prétendre à une pension du fait qu’il n’entrait pas dans la catégorie des personnes à charge, le Tribunal des recours administratifs ou la Cour fédérale ne pourraient pas rendre une décision différente. Selon l’auteur, en droit australien, lorsque la signification d’une disposition est clairement exposée dans le même texte d’une loi, les organes décisionnels n’ont pas la faculté d’interpréter cette disposition autrement. Le paragraphe 5E dispose expressément qu’une personne affirmant être membre d’un couple ne peut être considérée comme un partenaire et donc comme une personne à charge en vertu de la loi que si la relation est hétérosexuelle.

5.7 Cette disposition ne laisse aux organes décisionnels aucune latitude pour inclure dans la définition des personnes à charge les partenaires du même sexe, même s’ils estiment que ce serait juste et raisonnable. L’auteur fait observer que la jurisprudence en ce qui concerne l’interprétation des termes tels que «partenaire», «conjoint» et «couple» n’a jamais pris en compte les relations homosexuelles, même lorsqu’il aurait été possible de le faire, parce que ces termes n’ont jamais été définis de façon plus précise. Il relève que l’État partie n’affirme pas que le Tribunal des recours administratifs ou la Cour fédérale aurait pu parvenir à une interprétation différente sur ce point; tout au plus fait ‑il observer que le Tribunal des recours administratifs aurait pu s’appuyer sur d’autres motifs que celui présenté comme «discriminatoire» pour justifier le refus d’octroyer une pension à l’auteur.

5.8 L’auteur fait valoir que d’après la jurisprudence du Comité il est tenu uniquement de montrer que toute procédure tendant à faire réexaminer les motifs de rejet de sa demande de pension lui a été refusée serait vaine. Il n’est pas obligé d’explorer d’autres voies de recours internes parce que d’autres organes pourraient conclure qu’il ne pouvait pas prétendre à une pension pour des motifs différents de ceux mis en avant par les organes qui ont effectivement examiné sa demande. L’auteur estime qu’il ne devrait pas être tenu de demander le réexamen de la décision afin d’épuiser les recours internes, si ce n’est en ce qui concerne l’aspect de la décision qui selon lui constitue une violation du Pacte.

5.9 L’auteur réaffirme qu’il a voulu saisir la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances afin qu’elle étudie si, comme il l’affirmait, le fait de limiter le versement des prestations de retraite aux partenaires hétérosexuel(le)s des anciens combattants en vertu de la loi était contraire aux dispositions de l’article 26 du Pacte. La Commission lui aurait répondu que ses ressources ne lui permettaient pas de procéder à un examen des droits des couples homosexuels en vertu de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants et qu’elle n’était pas en mesure d’examiner l’affaire selon d’autres critères puisqu’en l’occurrence l’organe décisionnel n’était pas libre de déterminer si l’auteur entrait ou non dans la catégorie des personnes à charge, telle qu’elle est définie dans la loi en question.

5.10 L’auteur réfute l’argument de l’État partie qui affirme que le Tribunal des recours administratifs aurait sans aucun doute rejeté sa demande pour des motifs autres que sa sexualité. Il considère également que l’État partie a tort d’affirmer qu’il n’aurait pas eu droit à une pension en vertu de l’article 13 de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants et fait valoir qu’aucun des deux organes chargés d’examiner sa demande n’a émis de doutes concernant son aptitude à satisfaire aux critères énoncés dans les différents paragraphes de l’article 13. Il dit que M. C. ne fumait pas avant d’entrer dans l’armée et que le tabagisme a contribué à son décès. Les juridictions australiennes ont rendu des décisions par lesquelles elles assimilaient l’usage du tabac, à l’origine d’une affection ayant causé le décès d’un ancien combattant, à une blessure de guerre relevant de l’article 13, lorsque la raison pour laquelle la personne décédée fumait était liée à son enrôlement dans l’armée. Selon l’auteur, des demandes de pension présentées par des personnes à la charge d’anciens combattants blessés ou décédés par fait de guerre en vertu de la loi sur les allocations aux anciens combattants ont été acceptées même lorsque le lien entre le décès et une blessure de guerre n’a été établi que de façon posthume.

5.11 Enfin, en ce qui concerne l’obligation d’épuiser les recours internes, l’auteur fait observer qu’il ne dispose d’aucunes ressources en dehors d’une pension de sécurité sociale et n’a donc pas les moyens financiers d’agir en justice.

5.12 En ce qui concerne le fond, l’auteur revient sur la question des éléments justifiant de sa relation avec M. C. Il fait valoir que l’argument selon lequel la pension lui aurait été refusée parce qu’il n’avait pas apporté suffisamment de preuves de sa relation avec M. C. ne concorde pas avec les décisions écrites de la Repatriation Commission et de l’organe de recours des anciens combattants, qui ont admis l’existence de sa relation avec M. C. Il affirme être en mesure de prouver sa relation devant d’autres organes , et souligne qu’il ressort des deux décisions rendues que sa demande a été rejetée parce qu’il n’entrait pas dans la catégorie des personnes à charge, c’est ‑à ‑dire en raison de son orientation sexuelle. L’organe de recours des anciens combattants a expressément reconnu l’existence de la relation de l’auteur avec M. C. .

5.13 L’auteur fait observer qu’il n’est pas étonnant que M. C. ait répondu comme il l’a fait aux questions posées dans les documents mentionnés par l’État partie (voir par. 4.11) étant donné l’attitude des autorités australiennes, et plus particulièrement du Ministère de la défense et des anciens combattants, vis ‑à ‑vis des homosexuels, attitude que révèle le refus du Ministère de reconnaître la validité de ces relations . Rien dans ces documents ne permet de mettre en doute les liens de l’auteur avec M. C. ni ne prouve que ces liens n’existaient pas. Rien non plus ne donnait à M. C. la possibilité d’y désigner sa relation avec l’auteur, puisque le terme «partenaire» n’y apparaît pas.

Observations supplémentaires des parties

6.1 Le 7 février 2002, l’État partie a fait savoir au Comité que ce n’est pas parce qu’il n’a pas répondu à toutes les affirmations et allégations du conseil qu’il reconnaissait leur véracité. Il dément que le Gouvernement australien fasse de nouveau preuve de discrimination à l’encontre de l’auteur en formulant des hypothèses concernant sa capacité de satisfaire aux autres critères énoncés dans la loi sur les allocations dues aux anciens combattants. Il explique qu’il a soumis les éléments factuels de la situation de l’auteur à une analyse en fonction des critères applicables à tout demandeur, qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel, non pas pour exercer une discrimination contre l’auteur, mais pour répondre aux allégations de ce dernier de la façon la plus complète possible. Selon lui, cette analyse était nécessaire pour répondre aux allégations de l’auteur, et aurait été menée quels que soient le sexe ou l’orientation sexuelle de ce dernier.

6.2 Pour ce qui est de l’argument de l’auteur qui fait valoir que l’obligation d’exercer d’autres recours alors que l’on ne peut pas attendre un résultat différent est aussi discriminatoire, l’État partie objecte que le simple fait d’informer le Comité des différentes possibilités qui s’offraient à l’auteur n’a rien de discriminatoire. Il nie que les décisions des organes nationaux aient été en soi discriminatoires et affirme que la demande de l’auteur a été traitée de la même manière que celle de toute autre personne.

6.3 Répondant à l’allégation de l’auteur concernant l’impossibilité dans laquelle il se serait trouvé de montrer s’il satisfaisait ou non aux critères énoncés à l’article 13 de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants, l’État partie réaffirme que l’auteur était libre de contester la décision rendue par l’organe de recours des anciens combattants devant le Tribunal des recours administratifs. Ce dernier étant chargé de procéder à un réexamen complet de la décision attaquée, l’auteur aurait eu la possibilité de montrer s’il répondait ou non aux critères énoncés à l’article 13 .

6.4 Sans se prononcer sur la véracité des éléments supplémentaires produits par l’auteur pour justifier de sa relation avec M. C., l’État partie fait valoir que ceux ‑ci auraient dû être présentés au Tribunal des recours administratifs. Il rappelle qu’il n’entre pas dans les attributions du Comité d’apprécier des preuves comme le ferait un tribunal.

7.1 Le 2 avril 2002, l’auteur a apporté de nouveaux commentaires à la réponse de l’État partie. Il reprend pour une large part les arguments avancés dans ses communications précédentes. En ce qui concerne la discrimination dont il aurait été victime du fait qu’il n’a pas eu la possibilité de faire évaluer sa capacité de répondre aux critères établis à l’article 13 par la  Repatriation Commission ou l’organe de recours des anciens combattants, il souligne que c’est précisément parce que sa demande a été rejetée en raison de sa sexualité qu’aucun organe de recours n’a été amené à déterminer s’il répondait aux autres critères énoncés dans la loi. Un demandeur hétérosexuel aurait obtenu que ces critères soient appréciés, et l’État partie n’aurait donc pas eu la possibilité de procéder à cette évaluation à ce stade, c’est ‑à ‑dire dans ses échanges avec le Comité.

7.2 En outre, l’auteur fait observer qu’il n’a pas nié qu’il avait en principe droit à un réexamen de sa situation mais affirme qu’il est discriminatoire d’exiger d’une personne qu’elle engage une procédure complexe, longue et coûteuse dont l’issue viendrait finalement confirmer la décision initiale. L’auteur soutient que les décisions de la Repatriation Commission et de l’organe de recours des anciens combattants sont discriminatoires.

7.3 Pour ce qui est des renseignements qu’il a fournis concernant les politiques de l’armée australienne, l’auteur maintient qu’ils révèlent l’attitude de l’armée à l’égard des homosexuels en général. Il renvoie le Comité au site Web de l’armée australienne, dont il ressort clairement, selon lui, que diverses prestations sont prévues pour les familles du personnel militaire mais ne peuvent être accordées qu’aux couples «mariés» et aux familles «de facto». De telles dispositions excluent les partenaires du même sexe.

8.1 Le 16 mai 2002, l’État partie a rappelé que s’il n’avait pas l’intention de commenter plus avant les arguments de l’auteur, il n’en acceptait pas pour autant ses affirmations ou allégations comme vraies ou correctes.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2 Le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.3 Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’est pas une victime puisque, indépendamment des décisions des organes nationaux, il n’a pas établi qu’il était fondé à prétendre à une pension, en conséquence de quoi son orientation sexuelle n’apparaît pas comme un facteur déterminant. Le Comité rappelle que l’auteur d’une communication est considéré comme une victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif lorsqu’il/elle subit personnellement les conséquences négatives d’un acte ou d’une omission de l’État partie. Il relève que les organes nationaux ont refusé une pension à l’auteur parce qu’il n’était pas considéré comme «membre d’un couple» du fait qu’il n’avait pas vécu avec une «personne du sexe opposé». De l’avis du Comité, il est évident que les organes saisis de l’affaire ont fondé leur décision sur l’orientation sexuelle de l’auteur. À cet égard, l’auteur a établi qu’il était victime d’une violation présumée du Pacte aux fins du Protocole facultatif.

9.4 Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles dans la mesure où il n’a pas saisi le Tribunal des recours administratifs, qui aurait probablement conclu que l’auteur n’avait pas droit à une pension pour des motifs différents de l’orientation sexuelle − ou s’ajoutant à ce motif −, ne reposant sur aucune distinction susceptible de constituer une violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité constate que l’État partie n’affirme pas que le Tribunal des recours administratifs serait parvenu (ou même aurait pu parvenir) à une conclusion différente de celle de l’organe de recours des anciens combattants, mais qu’il pouvait simplement appliquer un raisonnement différent pour rejeter sa requête. L’État partie n’affirme pas non plus que le tribunal aurait pu s’appuyer sur une interprétation différente des articles contestés de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants (art. 5E, 5E 2 et 11), sur la base desquels la demande de l’auteur a été rejetée. De plus, il ne désigne aucun autre organe (au niveau fédéral ou au niveau de l’État) auprès duquel l’auteur aurait pu introduire un recours pour contester la législation elle-même. Le Comité note également qu’il ressort clairement de la législation que l’auteur n’aurait pu en aucun cas obtenir une pension, même s’il répondait à tous les autres critères applicables, car il ne vivait pas avec une personne du sexe opposé. Le Comité rappelle qu’il n’est pas nécessaire d’épuiser les recours internes s’ils n’ont objectivement aucune chance d’aboutir: tel est le cas lorsque, en vertu de la législation interne applicable, la plainte serait immanquablement rejetée ou lorsque la jurisprudence des juridictions nationales supérieures exclut que le plaignant puisse avoir gain de cause . Compte tenu de la rédaction des articles pertinents de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants et vu que l’État partie lui-même a reconnu qu’une action devant le Tribunal des recours administratifs n’aurait pas abouti, le Comité conclut que l’auteur ne disposait plus d’aucun recours utile. Ne trouvant aucune autre raison de considérer la communication irrecevable, il procède à son examen quant au fond.

Examen quant au fond

10.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.2 L’auteur affirme que le refus de l’État partie de lui accorder une pension au motif qu’il n’entre pas dans la catégorie des «personnes à charge» parce que sa relation avec M. C. était homosexuelle constitue une violation des droits énoncés à l’article 26 du Pacte, fondée sur son orientation sexuelle. Le Comité relève que l’État partie fait valoir que les organes nationaux saisis de l’affaire auraient pu, en tenant compte de tous les faits, rejeter la demande de l’auteur pour d’autres motifs reposant sur des critères applicables à tous les demandeurs, quelle que soit leur orientation sexuelle. Il relève également que l’auteur conteste l’idée qu’il n’était pas fondé à prétendre à une pension. En ce qui concerne les arguments avancés, il fait observer que rien n’indique clairement si l’auteur aurait en fait satisfait aux autres critères énoncés dans la loi et il rappelle qu’il ne lui appartient pas d’examiner les faits et les preuves dans une affaire. Il note cependant que le seul motif invoqué par les organes nationaux pour rejeter la demande de l’auteur reposait sur la constatation que celui ‑ci ne remplissait pas la condition «vivre avec une personne du sexe opposé». C’est uniquement sur cette disposition de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants, sur laquelle se fonde la plainte, que le Comité doit se prononcer.

10.3 Le Comité constate que l’État partie ne fait pas spécifiquement référence aux articles contestés de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants (art. 5E, 5E 2 et 11), sur la base desquels l’auteur s’est vu refuser une pension parce qu’il ne pouvait pas être considéré comme «membre d’un couple» parce qu’il ne vivait pas avec une personne du sexe opposé. Il relève que l’État partie ne nie pas que le refus d’une pension pour ce motif soit une interprétation correcte de la loi mais renvoie simplement à d’autres motifs, visés dans cette loi, pour lesquels la demande de l’auteur aurait pu être rejetée. Le Comité considère que la simple lecture de la définition du «membre d’un couple» figurant dans cette loi donne à penser que l’auteur n’aurait pu en aucun cas obtenir une pension, même s’il répondait à tous les autres critères applicables, car il ne vivait pas avec une personne du sexe opposé. L’État partie ne le conteste pas. En conséquence, il reste au Comité à décider si l’État partie a commis une violation de l’article 26 du Pacte en refusant à l’auteur une pension au titre de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants, au motif qu’il était du même sexe que feu M. C.

10.4 Le Comité rappelle sa jurisprudence, en vertu de laquelle l’interdiction de toute discrimination énoncée à l’article 26 du Pacte concerne également la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle . Dans des affaires antérieures, il a conclu que les différences entre les prestations versées aux couples mariés et celles versées aux couples hétérosexuels non mariés étaient raisonnables et objectives, dans la mesure où ces derniers pouvaient choisir de se marier ou non, avec toutes les conséquences que cela supposait . Il ressort des articles contestés de la loi sur les allocations dues aux anciens combattants que les personnes faisant partie d’un couple marié ou d’un couple hétérosexuel vivant en concubinage (pouvant prouver leur vie commune) sont celles qui sont considérées comme «membres d’un couple», et donc comme «personnes à charge», aux fins des prestations de retraite. Dans le cas d’espèce, toute possibilité de contracter mariage était exclue pour l’auteur, puisqu’il était du même sexe que son partenaire. Le fait qu’il vive avec M. C. n’a pas non plus été reconnu aux fins des prestations de retraite, en raison de son sexe ou de son orientation sexuelle. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante, en vertu de laquelle toute distinction n’est pas nécessairement discriminatoire dès lors qu’elle repose sur des critères raisonnables et objectifs. L’État partie n’explique pas en quoi la différence de traitement entre les partenaires homosexuels, auxquels la loi n’accorde aucune prestation de retraite, et les partenaires hétérosexuels non mariés, qui peuvent prétendre à de telles prestations, est raisonnable et objective et aucun élément tendant à prouver l’existence de facteurs justifiant cette distinction n’a été avancé. À cet égard, le Comité conclut que l’État partie a commis une violation des dispositions de l’article 26 du Pacte en refusant à l’auteur le versement d’une pension pour des motifs fondés sur le sexe ou l’orientation sexuelle.

11. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’Australie de l’article 26 du Pacte.

12. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité conclut que l’auteur, en tant que victime d’une violation de l’article 26, a droit à une réparation, et notamment au réexamen de sa demande de pension sans discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle moyennant, au besoin, une réforme de la loi. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

13. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe, aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle (concordante) de M me  Ruth Wedgwood et M. Franco Depasquale, membres du Comité

De nombreux pays reconnaissent à tous les citoyens, quelle que soit leur orientation sexuelle le droit au respect de la vie privée dans leurs relations intimes. En 1994, le Comité a fondé l’existence d’un droit analogue sur l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, relevant, dans ses constatations en l’affaire Toonen c.  Australie 1 , que les lois pénales de Tasmanie qui visaient à criminaliser les «relations sexuelles contre nature» représentaient une «immixtion arbitraire ou illégale dans … la vie privée». Dans l’affaire Toonen , le Gouvernement fédéral australien a expliqué au Comité que les dispositions du Code pénal de Tasmanie pouvaient effectivement être considérées comme autorisant une «immixtion arbitraire dans la vie privée [de M. Toonen]», et «ne pouvaient se justifier» pour des raisons politiques 2 . Les lois réprimant les relations homosexuelles avaient déjà été abrogées dans tous les États d’Australie à l’exception de la Tasmanie, et la décision du Comité semble avoir permis à l’Australie de surmonter les obstacles du fédéralisme.

Dans l’affaire Toonen , l’auteur s’était plaint de ce que, dans le Code pénal de Tasmanie, il [n’était] pas fait de distinction entre le comportement sexuel en privé et en public et [que] la vie privée [devenait] du ressort public » 3 (rien en italique dans l’original). La décision du Comité était fondée sur le droit de toute personne à voir son intimité préservée lorsque l’État partie ne peut invoquer aucun motif raisonnable lié à la sécurité, à l’ordre public, à la santé ou à la moralité pour justifier une immixtion dans sa vie privée.

La présente affaire opposant M. Edward Young à l’Australie pose, quant à elle, une question plus large, sur laquelle divers États parties peuvent avoir des opinions arrêtées, celle de savoir si un État est tenu par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques d’accorder aux relations homosexuelles durables le même traitement que celui qu’il réserve aux mariages officiels et aux unions hétérosexuelles «quasi maritales» − en l’occurrence, aux fins de la réversion de prestations de retraite aux ayants droit de militaires décédés. Dans cette perspective plus large, l’affaire soulève la question générale des droits positifs à un traitement égal, c’est ‑à ‑dire celle de savoir si un État doit placer les relations homosexuelles sur le même pied que les formes d’union civile traditionnelles.

En ce qui concerne les faits et les circonstances particulières de cette affaire, le Comité a conclu que la distinction établie par l’Australie entre partenaires civils homosexuels et partenaires civils hétérosexuels ne tenait pas, face au recours de M. Young. La violation ne porte pas sur le droit au respect de la vie privée reconnu à l’article 17 du Pacte, mais sur le droit revendiqué à l’égalité devant la loi, consacré par l’article 26.

Cela étant, il convient de formuler deux observations à propos des limites de la décision prise par le Comité en l’espèce, pertinentes pour sa pratique future.

Premièrement, d’une manière générale, les plaignants devraient être tenus d’avoir épuisé tous les recours internes, y compris toutes les possibilités d’appel sur le plan local, avant que le Comité n’examine leur communication sur le fond. Rien ne nous permet de supposer que les tribunaux australiens seraient inaptes ou peu enclins à interpréter la législation australienne à la lumière des règles conventionnelles volontairement adoptées par l’Australie. Quand bien même un système juridique n’aurait pas formellement intégré les dispositions du Pacte dans son ordre interne, le Pacte peut servir de référence doctrinale à l’heure d’interpréter l’intention du législateur. Le Comité ne devrait pas présumer que le droit international ne déploie ses effets sur les régimes juridiques nationaux que de l’extérieur, pas plus qu’il ne saurait exiger que des droits soient transposés par renvoi exprès aux dispositions du Pacte. C’est le fond, et non la forme, qui compte, et certains systèmes judiciaires nationaux préféreront peut ‑être expliquer leurs choix en s’appuyant sur des règles constitutionnelles, ou des principes de la common law ou du droit romain, même s’ils respectent la substance des droits reconnus dans le Pacte. Si le volume des communications individuelles présentées au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte continue de croître, le Comité devra certainement faire preuve d’une plus grande discipline en laissant aux tribunaux nationaux les décisions qui sont de leur ressort.

En l’espèce, M. Young a demandé à obtenir une pension de réversion en tant que personne à la charge de M. C., un ancien combattant, revendiquant le statut de survivant ayant droit de ce dernier. L’ Australian Repatriation Commission a estimé que M. Young ne pouvait être considéré en droit australien comme une personne légalement à charge, en dépit de la relation intime durable que celui-ci avait décrite 4 . Dans un premier recours, l’organe de recours des anciens combattants a confirmé que M. Young n’avait droit à aucune prestation. Toutefois, le plaignant n’a pas usé des autres voies de recours dont il disposait auprès de la Cour d’appel administrative du Commonwealth ou de la Cour fédérale d’Australie, alors que rien dans le dossier ne nous permet de penser que de telles démarches se seraient révélées vaines.

Deuxièmement, l’état des choses dans la présente affaire limite la portée de notre décision. L’Australie n’a contesté la recevabilité de la communication que sur des points exclusivement factuels, à savoir 1) le fait que M. C, n’étant apparemment pas décédé des suites de faits de guerre, n’aurait de toute façon pas été en mesure de faire bénéficier quelque personne à charge que ce soit de ses droits à pension, et 2) le fait que l’existence d’une relation durable entre M. Young et M. C n’était pas suffisamment étayée.

Dans une affaire de cette importance, il peut être surprenant de voir que l’Australie n’a pas choisi d’entrer en matière pour confirmer ou infirmer sur le fond l’allégation faite au titre de l’article 26 du Pacte. L’Australie n’a pas fait d’observations sur l’argument de M. Young selon lequel la distinction établie en droit entre partenaires civils homosexuels et partenaires civils hétérosexuels était infondée, et le Comité a, au fond, rendu un jugement par défaut. Selon la jurisprudence relative au Pacte, un État partie doit appliquer des «critères raisonnables et objectifs» pour établir une distinction fondée sur le sexe, ou (selon les «orientations» que nous donnons à l’État partie au paragraphe 8.7 des constatations adoptées dans l’affaire Toonen ) fondée sur les préférences sexuelles. Néanmoins, ainsi que le Comité le relève au paragraphe 10.4 des constatations adoptées dans la présente affaire, «l’État partie n’explique pas en quoi la différence de traitement entre les partenaires homosexuels, auxquels la loi n’accorde aucune prestation de retraite, et les partenaires hétérosexuels non mariés, qui peuvent prétendre à de telles prestations, est raisonnable et objective, et aucun élément tendant à prouver l’existence de facteurs justifiant cette distinction n’a été avancé». Dans tous les sens du terme, il ne s’agit pas ici d’une instance contradictoire.

Nombreux sont les gouvernements et les individus de bonne volonté désireux de trouver une réponse éthique et juridique appropriée aux questions et controverses que suscite le traitement égalitaire des couples homosexuels et des couples hétérosexuels en ce qui concerne diverses prestations de l’État, notamment à l’affirmation litigieuse selon laquelle il existerait un droit «transjuridictionnel» à la reconnaissance des mariages homosexuels. De même, dans de nombreuses démocraties, se pose la question de savoir si le service militaire devrait continuer d’être réservé aux seules personnes hétérosexuelles.

Dans le cas d’espèce, le Comité n’a pas cherché à recenser l’ensemble des arguments «raisonnables et objectifs» que d’autres États et d’autres plaignants pourront avancer à l’avenir sur ces questions, dans un contexte analogue à celui de la présente affaire, ou dans un autre contexte. En examinant les communications individuelles présentées au titre du Protocole facultatif, le Comité ne devra jamais perdre de vue la portée des décisions qu’il aura prises, ou renoncé à prendre, dans chaque cas.

( Signé ) Ruth Wedgwood ( Signé ) Franco Depasquale

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est traduit aussi en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

V. Communication n o  950/2000, Sarma c. Sri Lanka * (Constatations adoptées le 16 juillet 2003, soixante-dix-huitième session)

Présentée par :

M. S. Jegatheeswara Sarma

Au nom de :

L’auteur, sa famille et son fils, M. Thevaraja Sarma

État partie :

Sri Lanka

Date de la communication :

25 octobre 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 juillet 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  950/2000 présentée au nom de M. S. Jegatheeswara Sarma en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication, datée du 25 octobre 1999, est M. S. Jegatheeswara Sarma, un ressortissant sri ‑lankais qui affirme que son fils est victime de violations, par l’État partie, des articles 6, 7, 9 et 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques («le Pacte») et que lui ‑même et sa famille sont victimes d’une violation, par l’État partie, de l’article 7 du même instrument. Il n’est pas représenté par un conseil.

1.2 Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur à l’égard de l’État partie le 11 juin 1980 et le 3 octobre 1997, respectivement. Sri Lanka a fait la déclaration suivante:

«Conformément à l’article premier du Protocole facultatif, le Gouvernement de la République socialiste démocratique de Sri Lanka reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner les communications émanant de particuliers relevant de la juridiction de la République socialiste démocratique de Sri Lanka qui prétendent être victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte, résultant soit d’actes, omissions, faits ou événements postérieurs à la date d’entrée en vigueur à son égard du présent Protocole, soit d’une décision portant sur les actes, omissions, faits ou événements postérieurs à cette même date. Le Gouvernement de la République socialiste démocratique de Sri Lanka considère par ailleurs que le Comité ne devra examiner aucune communication émanant de particuliers sans s’être assuré que la même question n’est pas déjà en cours d’examen ou n’a pas déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.».

1.3 Le 23 mars 2001, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a décidé d’examiner à part la question de la recevabilité de la communication et le fond de celle ‑ci.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur affirme que le 23 juin 1990, à 8 h 30 environ, son fils, lui ‑même et trois autres personnes ont été enlevés par des soldats de leur maison familiale d’Anpuvalipuram au cours d’une opération militaire, en présence de la femme de l’auteur et d’autres personnes. Les quatre intéressés ont été remis à d’autres militaires, dont un certain caporal Sarath, dans un autre lieu (camp militaire d’Ananda Stores). Apparemment, le fils de l’auteur était soupçonné d’être membre des Liberation Tigers of Tamil Eelam (Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul), ou LTTE, et il a été battu et torturé. Après avoir transité par un certain nombre d’autres lieux, il a été mis en détention militaire à l’école de Kalaimagal. Il y aurait été torturé, encagoulé et forcé à identifier d’autres suspects.

2.2 Dans l’entretemps, l’auteur et d’autres personnes arrêtées étaient amenés à l’école de Kalaimagal, où ils ont été forcés de défiler devant le fils encagoulé de l’auteur. Plus tard dans la journée, vers 12 h 45, le fils de l’auteur a été amené au camp militaire de Plaintain Point, où l’auteur et les autres personnes ont été libérés. L’auteur a informé de ces événements la police, le Comité international de la Croix ‑Rouge (CICR) et les associations de défense des droits de l’homme.

2.3 Plus tard, des arrangements ont été pris pour que les parents des disparus puissent rencontrer par groupes de 50 le général Pieris et être informés de la situation des personnes en question. Au cours de l’une de ces rencontres, en mai 1991, la femme de l’auteur a appris que son fils était mort.

2.4 L’auteur affirme cependant que le 9 octobre 1991, entre 13 h 30 et 14 heures, alors qu’il travaillait à la «City Medicals Pharmacy», une fourgonnette militaire jaune, portant les plaques d’immatriculation n o  35 Sri 1919, s’est arrêtée devant la pharmacie. Un officier est entré dans l’établissement et a demandé à faire des photocopies. À ce moment précis, l’auteur a vu dans la fourgonnette son fils qui le regardait. Alors qu’il essayait de lui parler, son fils lui a fait un signe de la tête pour l’empêcher d’approcher.

2.5 Le même officier étant revenu plusieurs fois à la pharmacie, l’auteur a pu l’identifier: il s’agissait du lieutenant Amarasekara. En janvier 1993, alors que se tenait à Trincomalee le «Presidential Mobile Service», l’auteur a rencontré le Premier Ministre d’alors, M. D. B. Wijetunghe, à qui il s’est plaint de la disparition de son fils. Le Premier Ministre a ordonné la libération du fils de l’auteur, où qu’il se trouvât. En mars 1993, l’armée a informé l’auteur que son fils n’avait jamais été placé en détention.

2.6 En juillet 1995, l’auteur a témoigné devant la Commission présidentielle d’enquête sur les enlèvements et les disparitions involontaires dans les provinces du Nord et de l’Est («la Commission présidentielle»), mais en vain. En juillet 1998, il a de nouveau écrit au Président; il a été informé en février 1999 par l’armée qu’aucune personne répondant à ses indications n’avait été mise en détention militaire. Le 30 mars 1999, l’auteur a adressé une requête au Président, réclamant une enquête approfondie et la libération de son fils.

Teneur de la plainte

3. L’auteur soutient que les faits mentionnés ci ‑dessus constituent des violations des articles 6, 7, 9 et 10 du Pacte par l’État partie.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

4.1 Dans une lettre datée du 26 février 2001, l’État partie soutient que le Protocole facultatif ne s’applique pas ratione temporis en l’espèce. Il considère que l’incident au cours duquel le fils de l’auteur aurait été enlevé contre son gré aurait eu lieu le 23 juin 1990 et la disparition de l’intéressé plus tard, en mai 1991: l’un et l’autre événements se seraient produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à son égard.

4.2 L’État partie déclare que l’auteur n’a pas établi qu’il avait épuisé les recours internes. Il affirme que l’auteur s’est abstenu d’exercer les recours suivants:

Une requête en habeas corpus auprès de la Cour d’appel aurait donné à celle ‑ci la possibilité d’obliger les autorités de détention à lui présenter la victime présumée;

La police refusant ou s’abstenant de faire enquête, l’article 140 de la Constitution de l’État partie offre la possibilité de demander à la cour d’appel une ordonnance de  mandamus visant les autorités publiques qui refusent ou s’abstiennent d’accomplir une obligation légale;

La police ne faisant pas enquête ou le plaignant ne voulant pas prêter foi à ses conclusions, le plaignant a le droit, en vertu de l’alinéa  a du paragraphe 1 de l’article 136 du Code de procédure pénale, d’engager directement une procédure pénale devant la Magistrate’s Court .

4.3 L’État partie soutient que l’auteur n’a pas établi que ces voies de recours ne sont pas ou n’auraient pas été utiles ou auraient pris un temps excessivement long.

4.4 Par conséquent, l’État partie considère que la communication est irrecevable.

Commentaires de l’auteur

5.1 Le 25 mai 2001, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie.

5.2 Pour ce qui est de la compétence ratione temporis du Comité, l’auteur considère que lui ‑même et sa famille sont victimes d’une violation continue de l’article 7 puisqu’ils ignorent toujours où se trouverait la personne en question. L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité dans les affaires Quinteros c.  Uruguay 1 et El Megreisi c.  Jamahiriya arabe libyenne 2 , et soutient que cette torture psychologique est aggravée par les réponses contradictoires que donnent les autorités.

5.3 Pour montrer l’assiduité de ses efforts, l’auteur énumère les 39 lettres et requêtes diverses qu’il a adressées au sujet de la disparition de son fils. Ces courriers ont été adressés à diverses autorités sri ‑lankaises, dont la police, l’armée, la Commission nationale des droits de l’homme, divers ministères, le Président de la République et la Commission présidentielle. Malgré toutes ces démarches, il n’a eu aucune nouvelle de son fils. De plus, après qu’il eut présenté au Comité la communication dont il est question ici, le Département des enquêtes criminelles a reçu l’ordre d’enregistrer à Sinhala les dépositions de l’auteur et de neuf autres témoins que l’auteur avait cités dans ses plaintes antérieures, sans qu’il en soit résulté jusqu’à présent quoi que ce soit de concret.

5.4 L’auteur souligne que cette passivité est d’autant plus injustifiable qu’il a fourni aux autorités le nom des responsables de la disparition et celui d’autres témoins. Il a donné les détails qui suivent aux autorités de l’État partie:

«1. Le 23 juin 1990, mon fils a été enlevé en ma présence à Anpuvalipuram par le caporal Sarath, de l’armée de terre. Celui ‑ci est originaire de Girithala (Polanaruwa). Il est marié à une sage ‑femme et vit à Kantale, Mile 93. Sa femme travaille à l’hôpital de Kantala.

2. Le 9 octobre 1991, M. Amerasekera (portant l’insigne à l’étoile), de l’armée de terre, a amené mon fils à la City Medicals Pharmacy dans une fourgonnette immatriculée 35 Sri 1919.

3. Le 23 juin 1990, les militaires suivants étaient en service au moment du ratissage d’Anpuvalipuram:

a) Le major Patrick;

b) Le lieutenant Suresh Cassim;

c) Jayasekara […];

d) Ramesh (Abeypura).

4. Outre les personnes mentionnées au paragraphe 3, les militaires suivants étaient au même moment en service au camp militaire de Plantain Point:

a) Sunil Tennakoon (muté depuis);

b) Tikiri Banda (travaillant actuellement au camp);

c) Le capitaine Gunawardena;

d) Kundas (Européen).

5. Témoins:

a) Ma femme;

b) M. S. Alagiah, 330, Anpuvalipuram, Trincomalee;

c) M. P. Markandu, 442, Kanniya Veethi, Barathipuram, Trincomalee;

d) M. P. Nemithasan, 314, Anpuvalipuram, Trincomalee;

e) M. S. Mathavan (magasin Maniam), Anpuvalipuram, Trincomalee;

f) Janab. A. L. Majeed, City Medical, Dockyard Road, Trincomalee;

g) M me  Malkanthi Yatawara, 80A, Walpolla, Rukkuwila, Nittambuwa;

h) M. P. S. Ramiah, Pillaiyar Kovilady, Selvanayagapuram, Trincomalee.».

5.5 L’auteur a également déposé le 29 juillet 1995 devant la Commission présidentielle. Il cite la déclaration qu’il y a faite en ces termes:

«En ce qui concerne […] les preuves disponibles pour établir la réalité des enlèvements et des disparitions présumées, […] il y a eu les abondants témoignages concordants des parents, des voisins et d’autres êtres humains [ sic ], car la plupart des arrestations ont été effectuées au vu de tout le monde, souvent à partir des camps de réfugiés et pendant des opérations de bouclage et de ratissage, au cours desquelles de très nombreuses personnes ont pu être témoins des incidents.

En ce qui concerne […] le sort actuel des personnes dont il est allégué qu’elles ont été enlevées ou qu’elles ont disparu, l’enquête de la Commission s’est heurtée à un mur. D’ailleurs, le personnel des services de sécurité a nié avoir participé aux arrestations, et ce malgré l’abondance des preuves de sa culpabilité. […]».

5.6 L’auteur affirme que ces événements font apparaître une violation des articles 6, 7, 9 et 10 du Pacte.

5.7 L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes utiles disponibles sans délais excessifs. Citant les rapports des organismes internationaux de protection des droits de l’homme, il affirme que le recours en habeas corpus est sans effet à Sri Lanka et que la procédure en est indûment lente. Il cite également le rapport du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires du 28 décembre 1998, qui confirme que les enquêtes ne sont pas entreprises, même si elles sont ordonnées par un tribunal.

5.8 L’auteur affirme que, pendant la période 1989 ‑1990, Trincomalee était un lieu de non ‑droit, que les tribunaux ne fonctionnaient pas, que l’on tirait à vue sur des civils et que les arrestations étaient nombreuses. Les postes de police des provinces du Nord et du Sud étaient dirigés par des Cinghalais qui arrêtaient ou faisaient disparaître des centaines de Tamouls. C’est pourquoi l’auteur n’a pu signaler à la police la disparition de son fils, car il craignait de faire l’objet de représailles ou d’être soupçonné de terrorisme.

Décision concernant la recevabilité

6.1 À sa soixante ‑quatorzième session, le Comité a examiné la communication du point de vue de sa recevabilité. Après s’être assuré que la même question n’avait pas été examinée et n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, il a examiné les faits qui lui étaient présentés et il a estimé que la communication soulevait des questions relatives à l’article 7 du Pacte en ce qui concernait l’auteur et les membres de sa famille, et au paragraphe 1 de l’article 6, à l’article 7, au paragraphe 1 de l’article 9 et à l’article 10 du même instrument en ce qui concernait le fils de l’auteur.

6.2 Pour ce qui est de l’applicabilité ratione temporis du Protocole facultatif, le Comité a noté qu’en adhérant audit Protocole l’État partie avait fait une déclaration limitant la compétence du Comité aux événements postérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole. Cependant, le Comité a considéré que même si l’enlèvement puis la disparition présumés du fils de l’auteur avaient eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie, les violations du Pacte, si leur réalité était confirmée par l’examen au fond, avaient pu avoir lieu ou se poursuivre après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif.

6.3 Le Comité a également examiné la question de l’épuisement des recours internes; il a jugé que, dans les circonstances de l’affaire, l’auteur s’était prévalu des recours qui étaient raisonnablement utiles et disponibles à Sri Lanka. Le Comité a noté que l’auteur avait engagé une procédure en 1995 auprès d’un organe ad hoc (la Commission présidentielle d’enquête sur les enlèvements et les disparitions involontaires dans les provinces du Nord et de l’Est) spécialement institué pour régler ce genre d’affaire. Notant qu’après sept années la Commission présidentielle n’était pas parvenue à une conclusion définitive sur la disparition du fils de l’auteur, le Comité a jugé que cette voie de recours présentait des lenteurs excessives. En conséquence, il a déclaré la communication recevable le 14 mars 2002.

Observations de l’État partie sur le fond

7.1 Le 22 avril 2002, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de la communication.

7.2 À propos des circonstances de l’affaire et des mesures prises après la disparition présumée du fils de l’auteur, l’État partie affirme que le 24 juillet et le 30 octobre 2000 le Procureur général de Sri Lanka a reçu deux lettres de l’auteur demandant «la recherche de son fils et sa mise en liberté» par les autorités militaires. À la suite de quoi, le Bureau du Procureur général a demandé à l’armée sri ‑lankaise si le fils de l’auteur avait été arrêté et s’il était encore en détention. Les enquêtes ont révélé que ni la marine sri ‑lankaise, ni l’armée de l’air sri ‑lankaise, ni la police sri ‑lankaise n’avaient arrêté ou détenu la personne en question. Les requêtes de l’auteur ont été transmises à la Commission des personnes disparues du Bureau du Procureur général. Le 12 décembre 2000, le Coordonnateur de ladite Commission a informé l’auteur que les mesures nécessaires seraient prises et il a demandé à l’Inspecteur général de la police de procéder à une enquête criminelle sur la disparition présumée.

7.3 Le 24 janvier 2001, les inspecteurs du Groupe de recherche sur les disparitions ont rencontré un certain nombre de personnes, dont l’auteur et sa femme, se sont entretenus avec elles et ont enregistré leurs déclarations. Le 25 janvier 2001, le Groupe s’est rendu au camp militaire de Plaintain Point. Ce même jour, puis entre les 8 et 27 février 2001, il a interrogé un certain nombre d’autres témoins. Entre le 3 avril et le 26 juin 2001, le Groupe a interrogé 10 membres des forces armées, dont l’officier qui commandait les forces de sécurité de la division de Trincomalee en 1990 ‑1991. Il a achevé son enquête le 26 juin 2001 et adressé son rapport à la Commission des personnes disparues qui, le 22 août 2001, a demandé un complément de recherches sur certains points. Les conclusions des recherches complémentaires ont été communiquées à la Commission le 24 octobre 2001.

7.4 L’État partie déclare que l’enquête criminelle a montré que le 23 juin 1990 le caporal Ratnamala Mudiyanselage Sarath Jayasinghe Perera («le caporal Sarath») de l’armée sri ‑lankaise et deux autres personnes non identifiées avaient «involontairement enlevé (retiré)» le fils de l’auteur. Cet enlèvement n’avait rien à voir avec l’«opération de bouclage et de ratissage» lancée par l’armée sri-lankaise dans le village d’Anpuwalipuram, dans le district de Trincomalee, pour retrouver et arrêter des personnes soupçonnées de terrorisme. Pendant l’opération en question, il y a bien eu des arrestations et des mises en détention aux fins de l’enquête, selon les dispositions de la loi, mais les officiers qui la dirigeaient n’étaient pas au courant de la conduite du caporal Sarath ni de l’enlèvement du fils de l’auteur. L’enquête n’a pas permis d’établir que celui ‑ci avait été détenu au camp militaire de Plaintain Point ni en aucun autre lieu de détention, et il a été impossible de le localiser.

7.5 Le caporal Sarath a nié avoir participé à l’incident et n’a donné aucun renseignement sur le fils de l’auteur ni expliqué de manière plausible pourquoi les témoins l’auraient impliqué à tort. La Commission des personnes disparues a alors décidé de partir de l’hypothèse que le caporal et deux autres personnes non identifiées étaient responsables de l’«enlèvement contre son gré» du fils de l’auteur.

7.6 En ce qui concerne les événements du 9 octobre 1991, date à laquelle l’auteur aurait vu son fils en compagnie du lieutenant Amarasekera, l’enquête a révélé qu’il n’y avait pas d’officier de ce nom dans le district de Trincomalee pendant la période dont il s’agit. L’officier de service dans le secteur en question en 1990 ‑1991 était un certain Amarasinghe, tué peu après dans une attaque terroriste.

7.7 Le 18 février 2002, l’auteur a écrit de nouveau au Procureur général, déclarant que son fils avait été «enlevé» par le caporal Sarath et demandant que la question soit réglée rapidement et que son fils lui soit rendu sans retard. Le 28 février 2002, le Procureur général a informé l’auteur que son fils avait disparu après son enlèvement le 23 juin 1990 et qu’on ignorait ce qu’il était devenu.

7.8 Le 5 mars 2002, le caporal Sarath a été inculpé de l’«enlèvement» du fils de l’auteur le 23 juin 1990 avec deux complices inconnus, infraction tombant sous le coup de l’article 365 du Code pénal sri-lankais. L’inculpation a été transmise à la Haute Cour de Trincomalee, ce dont l’auteur a été avisé le 6 mars 2002. L’État partie déclare que le caporal Sarath a été accusé d’«enlèvement» parce que le droit interne sri-lankais ne connaît pas la figure pénale du «retrait involontaire». De plus, les conclusions de l’enquête ne permettaient pas de présumer que le caporal Sarath était responsable du meurtre de la victime, puisque celle ‑ci avait été vue vivante le 9 octobre 1991. Le procès du caporal Sarath commencera vers la fin de 2002.

7.9 L’État partie déclare qu’il n’est pas à l’origine de la disparition du fils de l’auteur, ni directement ni par l’intermédiaire de ses militaires commandant sur le terrain. Jusqu’à l’achèvement de l’enquête dont il a été question ci ‑dessus, le comportement du caporal Sarath était resté ignoré de l’État partie; il s’agissait d’un comportement illégal et interdit, comme l’attestait la récente inculpation de l’intéressé. En l’espèce, l’État partie considère que la «disparition» ou la privation de liberté du fils de l’auteur ne peut être considérée comme une violation des droits de l’homme de la victime.

7.10 L’État partie répète que le «retrait involontaire» ou la «privation de liberté» dont le fils de l’auteur aurait été victime le 23 juin 1990 puis sa disparition présumée le 9 octobre 1991 ou aux alentours de cette date ont eu lieu avant la ratification par Sri Lanka du Protocole facultatif, et que rien dans la communication ne démontre qu’il s’agit d’une «violation continue».

7.11 L’État partie en conclut que la communication est sans fondement et qu’elle doit de toute manière être considérée comme irrecevable pour les motifs exposés au paragraphe 7.10.

Commentaires de l’auteur

8.1 Le 2 août 2002, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie sur le fond de la communication.

8.2 L’auteur soutient que la disparition de son fils a eu lieu dans un contexte où les disparitions étaient systématiques. Il cite le rapport final de la Commission d’enquête sur les enlèvements et les disparitions involontaires dans les provinces du Nord et de l’Est de 1997, selon lequel:

«Les jeunes ont disparu en grand nombre dans le Nord et dans l’Est vers la fin de 1989 et vers la fin de 1990. Ces disparitions massives sont liées aux opérations militaires lancées contre le Front populaire de libération (People’s Liberation Front, JVP) à la fin de 1989 et contre les Tigres libérateurs de l’Eleam tamoul pendant la deuxième guerre de l’Eleam, commencée en juin 1990 […]. Il était évident qu’une section de l’armée agissait sur ordre de ses supérieurs politiques, avec un zèle digne d’une meilleure cause. De larges pouvoirs étaient conférés à l’armée par les Mesures d’exception, dont celui de faire disparaître les corps sans autopsie ni examen, ce qui a encouragé une partie de l’armée à franchir la ligne invisible qui sépare une opération de sécurité légitime d’une campagne sauvage d’arrestations et de tueries.».

8.3 L’auteur souligne que l’un des aspects des disparitions à Sri Lanka est l’impunité absolue dont jouissent les officiers et autres agents de l’État, comme l’a indiqué le rapport rendu par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires après sa troisième mission dans l’île en 1999 3 . L’auteur soutient que son fils a disparu du fait de certains agents de l’État, dans le cadre d’une pratique et d’une politique systématiques de la disparition forcée dans lesquelles sont impliqués tous les niveaux de l’appareil d’État.

8.4 L’auteur souligne que l’État partie ne conteste pas le fait de la disparition de son fils, même s’il prétend ne pas en être responsable; que cela confirme que la victime a été enlevée le 23 juin 1990 par le caporal Sarath et deux autres officiers non identifiés, même si cela s’est fait de façon «tout à fait à part et indépendamment» de l’opération de bouclage et de ratissage menée par l’armée au même moment au même endroit; et que l’État partie déclare que les officiers de son armée ignoraient la conduite du caporal Sarath et l’enlèvement du fils de l’auteur.

8.5 L’auteur soutient que les disparitions forcées sont une violation manifeste de plusieurs dispositions du Pacte, dont l’article 7 4 , et, soulignant que l’une des questions principales soulevées en l’espèce est celle de l’attribution de responsabilité, considère qu’il ne fait guère de doute que la disparition de son fils est imputable à l’État partie puisque l’armée sri ‑lankaise est indéniablement un organe de cet État 5 . Quand les droits consacrés par le Pacte sont violés par un soldat ou quelque autre agent de l’État qui use de son autorité officielle pour commettre un acte répréhensible, cet acte est imputable à l’État 6 même si l’intéressé outrepasse les pouvoirs qui lui sont conférés. L’auteur, s’appuyant sur l’arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme en l’affaire Velásquez Rodríguez 7 et sur le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme, conclut que même si un officier agit ultra vires , l’État voit sa responsabilité engagée s’il a fourni les moyens d’accomplir l’acte dont il s’agit ou l’a facilité. Même dans le cas où les responsables ont agi en contradiction directe avec les ordres qui leur ont été donnés − ce que l’on ignore en l’espèce −, l’État peut être encore tenu responsable 8 .

8.6 L’auteur soutient que son fils a été arrêté et détenu par des membres de l’armée, dont le caporal Sarath et d’autres personnes non identifiées, au cours d’une opération militaire de ratissage, et que ces actes ont eu pour résultat la disparition de son fils. Si l’on considère les preuves accablantes dont est saisie la Commission présidentielle, qui montrent que beaucoup des habitants de Trincomalee arrêtés et amenés au camp militaire de Plaintain Point n’ont jamais reparu, il est difficile de croire à l’affirmation selon laquelle la disparition du fils de l’auteur serait un acte isolé commis par le seul caporal Sarath, à l’insu et sans la complicité d’autres personnes de la hiérarchie militaire.

8.7 L’auteur soutient que l’État partie est responsable des actes du caporal Sarath même si, comme l’État partie le laisse entendre, les actes de cette personne ne s’inscrivaient pas dans une opération militaire plus large, parce qu’il n’est pas contestable que les actes en question ont été commis par du personnel militaire. Le caporal Sarath était en tenue au moment des faits et il n’est pas contesté qu’il agissait sous les ordres d’un officier pour procéder à une opération de recherche dans le secteur pendant la période considérée. L’État partie a donc fourni les moyens et les facilités permettant d’accomplir l’acte présumé. Le fait que le caporal Sarath était un officier subalterne ayant une grande marge de manœuvre et agissant sans ordre supérieur n’exonère pas l’État partie de sa responsabilité.

8.8 L’auteur ajoute que même si les faits ne sont pas directement imputables à l’État partie, la responsabilité de celui ‑ci peut être engagée du fait qu’il n’a pas accompli positivement les obligations qui lui incombent de prévenir et de réprimer certaines violations graves, comme les violations arbitraires du droit à la vie. Cette obligation vaut, que les actes considérés soient ou non commis par un agent de l’État.

8.9 L’auteur fait valoir à cet égard que les circonstances de l’espèce créent nécessairement au moins une présomption de responsabilité, présomption que l’État partie n’a pas réfutée. En l’espèce, et selon la jurisprudence du Comité 9 , c’est assurément l’État partie et non l’auteur qui est à même de se procurer les renseignements nécessaires, et c’est donc à lui qu’il doit incomber de réfuter cette présomption de responsabilité. L’État partie s’est abstenu d’ouvrir une enquête approfondie sur les allégations de l’auteur dans des régions où lui seul pouvait avoir accès aux informations utiles, et il n’a pas non plus fourni au Comité de renseignements pertinents.

8.10 L’auteur soutient que selon la jurisprudence du Comité 10 et celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, l’État partie était tenu de mener effectivement une enquête approfondie sur la disparition de son fils, de traduire en justice les responsables et d’accorder réparation aux familles des victimes 11 .

8.11 En l’espèce, l’État partie n’a pas fait de recherches effectives sur sa propre responsabilité ni sur la responsabilité personnelle des personnes soupçonnées d’avoir directement commis les infractions, et n’a pas expliqué pourquoi l’enquête n’avait été entreprise qu’une dizaine d’années après que la disparition eut été pour la première fois portée à l’attention des autorités compétentes. L’enquête n’a pas permis d’obtenir des renseignements sur les ordres qui pourraient avoir été donnés au caporal Sarath et à d’autres personnes en ce qui concerne leur rôle dans les opérations de recherche; elle ne s’est pas non plus intéressée à la voie hiérarchique. Elle n’a pas fourni d’information sur les dispositifs de l’appareil militaire concernant les ordres, la formation, l’acheminement des rapports ou les autres procédures censées contrôler l’activité des soldats, qui aurait pu corroborer ou démentir l’allégation selon laquelle les supérieurs dudit caporal n’avaient pas ordonné et avaient ignoré les activités de celui ‑ci. Elle n’a pas fourni la preuve que le caporal Sarath ou ses collègues agissaient à titre personnel à l’insu des autres officiers.

8.12 Il y a aussi des lacunes frappantes dans les preuves rassemblées par l’État partie. Les archives des opérations militaires lancées dans la région en 1990 n’ont été en fait ni consultées ni produites, et les registres de détention et les dossiers de l’opération de bouclage et de ratissage n’ont pas été réunis. Il ne semble pas non plus que l’État partie ait recherché le véhicule immatriculé sous le numéro 35 Sri 1919, véhicule dans lequel le fils de l’auteur a été vu pour la dernière fois. Le Procureur général qui a formulé l’inculpation du caporal Sarath n’a pas retenu certains témoins à charge clefs, alors qu’ils avaient déjà déposé devant les autorités et auraient pu apporter des témoignages déterminants pour l’issue de l’affaire. Parmi eux, on compte Poopalapillai Neminathan, arrêté en même temps que le fils de l’auteur et détenu avec lui au camp militaire de Plaintain Point; Santhiya Croose, arrêté avec le fils de l’auteur mais libéré sur la route du camp militaire de Plaintain Point; S. P. Ramiah, témoin de l’arrestation du fils de l’auteur; Shammugam Algiah, dans la maison duquel le fils de l’auteur a été arrêté. De surcroît, rien n’indique que la moindre preuve ait été recueillie pour définir le rôle joué par les responsables militaires, les officiers eux ‑mêmes pouvant être pénalement responsables, soit directement pour avoir donné des ordres ou des encouragements, soit indirectement pour avoir négligé d’empêcher leurs subordonnés d’agir ou de les punir.

8.13 Pour ce qui est de la recevabilité de la communication, l’auteur rappelle que le Comité a déjà déclaré l’affaire recevable le 14 mars 2002; il soutient que les événements faisant l’objet de la plainte se sont poursuivis après la ratification du Protocole facultatif par l’État partie, et ce jusqu’à la date de sa communication initiale. Il cite l’article 17 de la Déclaration des Nations Unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées 12 .

8.14 L’auteur demande au Comité de tenir l’État partie responsable de la disparition de son fils et déclare que cet État a violé les articles 2, 6, 7, 9, 10 et 17 du Pacte. Il demande également que l’État partie entreprenne effectivement une enquête approfondie, dans le sens indiqué ci ‑dessus, lui communique les conclusions appropriées de cette enquête, libère son fils et verse une indemnisation adéquate.

Examen quant au fond

9.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2 En ce qui concerne la plainte de l’auteur concernant la disparition de son fils, le Comité constate que l’État partie n’a pas nié que le fils de l’auteur avait été enlevé par un officier de l’armée sri ‑lankaise le 23 juin 1990 et qu’il est depuis resté introuvable. Le Comité considère que, du point de vue de la responsabilité de l’État, le fait que l’officier à qui la disparition est imputée ait agi ultra vires n’est pas pertinent en l’espèce, non plus que le fait que ses supérieurs aient ignoré ses agissements 13 . Le Comité en conclut que l’État partie est en l’occurrence responsable de la disparition du fils de l’auteur.

9.3 Le Comité relève la définition de l’expression «disparitions forcées» figurant à l’alinéa  i du paragraphe 2 de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale 14 : Par «disparitions forcées», on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée. Tout acte conduisant à une disparition de ce type constitue une violation d’un grand nombre de droits consacrés dans le Pacte, notamment le droit de tout individu à la liberté et à la sécurité de sa personne (art. 9), le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 7), et le droit de toute personne privée de sa liberté d’être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine (art. 10). Il viole en outre le droit à la vie ou le met gravement en danger (art. 6) 15 .

9.4 En l’espèce, les faits montrent clairement que l’article 9 du Pacte concernant le droit de tout individu à la liberté et à la sécurité de sa personne s’applique. L’État partie a lui ‑même reconnu que l’arrestation du fils de l’auteur était illégale et relevait d’un comportement interdit. Il n’y avait aucun fondement juridique non seulement à son arrestation, mais aussi, manifestement, à sa détention continue. Une violation aussi flagrante de l’article 9 ne saurait en aucun cas être justifiée. Le Comité estime qu’en l’espèce les faits dont il est saisi font apparaître à l’évidence une violation de l’article 9 dans son intégralité.

9.5 En ce qui concerne une violation de l’article 7, le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’entraîne le fait d’être détenu indéfiniment, privé de tout contact avec le monde extérieur 16 et relève que, en l’espèce, l’auteur semble avoir fortuitement aperçu son fils quelque 15 mois après sa mise en détention. Il doit donc être considéré comme victime d’une violation de l’article 7. En outre, considérant l’anxiété et la détresse dans lesquelles se trouve la famille de l’auteur à cause de la disparition du fils de celui ‑ci et de l’incertitude qui continue de peser sur son sort et le lieu où il se trouve 17 , le Comité juge que l’auteur et sa femme sont également victimes d’une violation de l’article 7 du Pacte. Le Comité conclut donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte en ce qui concerne le fils de l’auteur et en ce qui concerne la famille de l’auteur.

9.6 Quant à la violation possible de l’article 6 du Pacte, le Comité note que l’auteur ne lui a pas demandé de conclure au décès de son fils. En outre, tout en invoquant l’article 6, l’auteur demande aussi la libération de son fils, indiquant qu’il n’a pas abandonné l’espoir de le voir réapparaître. Le Comité considère qu’en de telles circonstances il ne lui appartient pas de sembler présumer le décès du fils de l’auteur. Dans la mesure où les obligations incombant à l’État partie en vertu du paragraphe 11 ci ‑après seraient les mêmes qu’une telle constatation soit faite ou non, le Comité juge approprié en l’espèce de ne formuler aucune constatation au titre de l’article 6.

9.7 Compte tenu des constatations ci ‑dessus, le Comité ne juge pas utile d’examiner les plaintes de l’auteur au titre des articles 10 et 17 du Pacte.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, juge que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 7 et 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en ce qui concerne le fils de l’auteur et de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en ce qui concerne l’auteur et sa femme.

11. Selon l’alinéa  a du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de garantir à l’auteur et à sa famille qu’ils disposeront d’un recours utile, y compris sous forme d’une enquête approfondie et efficace sur la disparition et le sort du fils de l’auteur, sa libération immédiate s’il est encore en vie, de donner des renseignements appropriés à l’issue de cette enquête et d’indemniser le fils de l’auteur, l’auteur et sa famille de façon appropriée pour les violations subies. Le Comité considère que l’État partie est également tenu de diligenter la procédure pénale et de faire en sorte que tous les responsables de l’enlèvement du fils de l’auteur soient promptement jugés en application de l’article 356 du Code pénal sri-lankais et de traduire en justice toute autre personne impliquée dans cette disparition. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

12. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif un État partie reconnaît la compétence du Comité pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui ‑ci, il s’engage à garantir à toute personne se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

W. Communication n o  960/2000, Baumgarten c. Allemagne * (Constatations adoptées le 31 juillet 2003, soixante-dix-huitième session)

Présentée par : Klaus Dieter Baumgarten

Au nom de : L’auteur

État partie : Allemagne

Date de la communication : 30 septembre 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 juillet 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  960/2000 présentée par M. Klaus Dieter Baumgarten, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M. Klaus Dieter Baumgarten, de nationalité allemande, qui, au moment où il a envoyé sa lettre initiale, était incarcéré à la prison de Düppel, à Berlin (Allemagne) . Il affirme être victime de violations par l’Allemagne des articles 15 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits

2.1 De 1979 à février 1990, date de son départ à la retraite, l’auteur était vice ‑ministre de la défense et directeur du corps des gardes frontière ( Chef der Grenztruppen ) de l’ancienne République démocratique allemande (RDA).

2.2 Le 10 septembre 1996, le tribunal régional de Berlin ( Landgericht Berlin ) a reconnu l’auteur coupable d’homicide et de tentative d’homicide dans le cadre de plusieurs incidents survenus entre 1980 et 1989, et l’a condamné à une peine d’emprisonnement de six ans et demi. Il a constaté que l’auteur était responsable d’homicide ou de tentative d’homicide sur des personnes qui, cherchant à franchir la frontière entre l’ancienne RDA et la République fédérale d’Allemagne (RFA), y compris Berlin ‑Ouest, avaient été la cible de coups de feu tirés par des gardes frontière ou avaient sauté sur des mines. Le 30 avril 1997, la Cour fédérale de justice ( Bundesgerichtshof ) a rejeté le recours formé par l’auteur. La Cour constitutionnelle fédérale ( Bundesverfassungsgericht ) a rejeté son recours constitutionnel ( Verfassungsbeschwerde ) le 21 juillet 1997, considérant que les décisions judiciaires antérieures ne constituaient pas une violation du droit constitutionnel.

2.3 L’auteur déclara devant le tribunal régional de Berlin que depuis 1960, la plus haute autorité militaire de l’ancienne RDA, à savoir le Conseil de la défense nationale ( Nationaler Verteidigungsrat ) édictait les grands principes de la politique générale applicable à la protection et à la défense de la frontière, que le Ministre de la défense ( Minister für Nationale Verteidigung ) se devait d’appliquer. Les gardes frontière ( Grenztruppen ) relevaient directement du Ministre de la défense; le Directeur du corps des gardes frontière était, en même temps, un des vice ‑ministres.

2.4 Par sa directive annuelle n o  101, fondée sur les grands principes de la politique générale définie par le Conseil de la défense nationale, le Ministre de la défense émit à l’intention du Directeur du corps des gardes frontière des instructions générales sur la protection de la frontière énonçant les mesures à appliquer en matière de défense et de sécurité en des termes plus concrets que ceux utilisés dans la directive annuelle n o  80. La directive n o  101 fut réinterprétée et affinée dans sa teneur tout au long de son passage à travers les différents échelons de la hiérarchie du corps des gardes frontière, avant de parvenir finalement aux exécutants sur le terrain.

2.5 En sa qualité de Directeur du corps des gardes frontière et sous sa seule responsabilité, l’auteur émit les directives suivantes: directives n o  80/79 du 6 octobre 1979, n o  80/80 du 10 octobre 1980, n o  80/81 du 6 octobre 1981, n o  80/83 du 10 octobre 1983, n o  80/84 du 9 octobre 1984, n o  80/85 du 18 octobre 1985, n o  80/86 du 15 octobre 1986 et n o  80/88 du 26 septembre 1988. Des extraits de ces directives sont cités dans le jugement rendu par le tribunal régional de Berlin:

«Les gardes frontière doivent de façon fiable et en permanence protéger le long des secteurs auxquels ils sont affectés l’inviolabilité de la frontière étatique de la République démocratique allemande, appréhender toute personne cherchant à violer la frontière et n’autoriser ni les violations de la frontière ni l’extension au territoire national de la RDA des provocations créées à la frontière. […] Il conviendrait de renforcer davantage l’efficacité de la sécurité aux frontières.

Au cours de leur formation, les gardes frontière apprendront à agir d’une manière qui soit politiquement clairvoyante et résolue et à faire preuve d’initiative. Ils apprendront en particulier à appréhender ceux qui cherchent à violer la frontière ou les provocateurs sans avoir à recourir à une arme à feu. À l’entraînement au tir, les soldats apprendront à manier leurs armes à feu personnelles avec précision et à viser avec précision également les cibles qui apparaissent et qui bougent, de jour comme de nuit, en utilisant le moins de munitions possible .»

«Il faudra encore améliorer la préparation des gardes frontière et leur aptitude à prévenir toute attaque contre la frontière étatique en procédant de façon politiquement correcte et tactiquement intelligente, concluante, active, astucieuse et ingénieuse […]. Le personnel affecté à la sécurité de la frontière sera formé à l’utilisation rigoureuse d’armes à feu dans l’exécution d’un ordre d’attaque une fois épuisés tous les autres moyens, conformément au règlement touchant l’utilisation des armes à feu. [...]

Il faudra veiller tout particulièrement et en permanence à ce que les installations à la frontière fonctionnent et soient pleinement efficaces. Il y aura 39,2 km de clôture le long de la frontière I, 10 installations équipées de mines à fragmentation. […] Les travaux de transformation et de réparation essentiels seront exécutés dans les installations équipées de mines à fragmentation, dans 6 installations, sur 104 km de clôture à la frontière I. […] Dans le cadre du développement des services du génie et des transmissions dans le ressort du commandement sud, deux unités du génie seraient déployées à titre exceptionnel du 24 juin 1982 au 15 octobre 1982. […] Le personnel chargé de la maintenance des installations aux frontières équipées de mines à fragmentation ne serait pas déployé par équipe de 24 heures. Il serait prévu et déployé pour au moins 15 jours ouvrables de travaux de maintenance par mois. […]

Il faudra s’employer à apprendre aux gardes frontière à faire preuve, dans leur mission, de clairvoyance politique et d’esprit d’initiative et de détermination pour toucher leur cible, que celle ‑ci apparaisse ou bouge, de jour comme de nuit .».

«La formation des gardes frontière doit être conçue comme un tout et doit répondre à la nécessité de protéger en toute fiabilité la frontière étatique, jour et nuit. Les soldats doivent apprendre à tirer avec précision sur les cibles, dans toutes les situations, et doivent être à même d’utiliser avec discernement et détermination leur arme à feu personnelle conformément à la législation et au règlement militaire. Pour appréhender ceux qui violent la frontière et les provocateurs qui font usage de la force physique, les gardes frontière recevront un entraînement au combat rapproché adapté à la situation propre aux frontières .».

«L’emploi coordonné et bien réparti des effectifs et des moyens devrait permettre de reconnaître à temps les tentatives de violation de la frontière étatique et d’autres attaques contre elle et de les prévenir avec crédibilité et par une action déterminée .».

«Il conviendrait de faire porter les efforts sur la reconnaissance rapide et précise des signes de préparatifs et de violation de la frontière et de provocation, sur la conduite à la frontière d’opérations politiquement clairvoyantes, offensives et maîtrisées en toutes circonstances, sur les opérations rapides et ciblées destinées à arrêter les contrevenants sans recourir à des armes à feu, […] sur la prévention des percées et la défense contre les provocations […]. À l’entraînement au tir, les gardes frontière apprendront à toucher la cible du premier coup dans un temps qui ne dépasse pas le tiers du temps de combat disponible […]. L’accent sera mis sur les petites cibles situées à distance de tir sur lesquelles il sera tiré avec l’arme à feu personnelle ou des armes doubles .».

«Un entraînement au combat et un entraînement spécial devraient permettre aux unités, services, équipes et gardes frontière de reconnaître à temps tout signe de préparatifs et de violation de la frontière, d’agir de façon décisive et en faisant preuve d’initiative pour s’opposer à toute violation de la frontière, d’empêcher avec succès les provocations à la frontière et les attaques armées contre le territoire de la RDA […]. Des mesures efficaces seront prises pour améliorer l’entraînement au tir. […] Les gardes frontière devront apprendre à utiliser leurs armes avec précision, à toucher leur cible en toutes circonstances et, […] du premier coup .».

Contexte national et législation nationale applicable

3.1 Entre 1949 et 1961, deux millions et demi d’Allemands environ ont fui la République démocratique allemande pour la République fédérale d’Allemagne, y compris Berlin ‑Ouest. Pour mettre un terme à cette hémorragie, la RDA entreprit la construction du mur de Berlin le 13 août 1961 et renforça les installations de sécurité le long de la frontière intérieure allemande, en particulier en installant des mines terrestres, remplacées plus tard par des mines à fragmentation SM ‑70. Des centaines de personnes ont trouvé la mort en essayant de franchir la frontière, soit parce qu’elles ont sauté sur des mines, soit parce qu’elles sont tombées sous les tirs de gardes frontière de l’Allemagne de l’Est.

3.2 Suite à la réunification de l’Allemagne, le ministère public entreprit d’ouvrir des enquêtes sur ces incidents qui avaient entraîné la mort de personnes le long de l’ancienne frontière intérieure allemande, en se fondant sur le Traité du 31 août 1990 relatif à l’établissement de l’unité allemande ( Einigungsvertrag ). Le Traité, lu en liaison avec la loi y afférente du 23 septembre 1990, stipule, dans ses dispositions transitoires relatives au Code pénal (art. 315 à 315 c) de la loi introductive au Code pénal), que, en principe, la loi en vigueur au lieu où l’infraction a été commise demeure applicable aux faits survenus avant que l’unification ait pris effet. S’agissant des infractions commises dans l’ancienne RDA, le Code pénal de l’ancienne RDA demeure applicable. En application du paragraphe 3 de l’article 2 du Code pénal (RFA), la législation de la RFA ne s’applique que si elle est plus clémente que celle de la RDA.

3.3 Le chapitre premier de la section spéciale ( Besonderer Teil ) du Code pénal (RDA), intitulé «Crimes contre la souveraineté nationale de la République démocratique allemande, la paix, l’humanité et les droits de l’homme», renfermait l’introduction suivante:

«Le châtiment impitoyable des crimes contre la souveraineté nationale de la République démocratique allemande, la paix, l’humanité et les droits de l’homme et des crimes de guerre est une condition préalable indispensable à la stabilité de la paix dans le monde, au rétablissement de la foi dans les droits de l’homme fondamentaux et la dignité et la valeur des êtres humains et à la préservation des droits de chacun.».

L’article 95 du Code pénal (RDA) se lisait comme suit:

«Une personne dont le comportement constitue une violation des droits de l’homme ou des droits fondamentaux, des obligations internationales ou de la souveraineté nationale de la République démocratique allemande ne peut invoquer à titre de justification la loi, un ordre ou une instruction; elle est tenue pour pénalement responsable.».

Les articles 112 et 113 du Code pénal (RDA) punissaient des peines suivantes le meurtre et l’homicide:

Article 112

Meurtre

«1) Le fait de donner volontairement la mort à autrui est puni d’une peine d’emprisonnement de 10 ans au moins ou d’une peine d’emprisonnement à perpétuité.

3) La préparation et la tentative de l’infraction sont passibles de sanctions.».

Article 113

Homicide

«1) Le fait de donner volontairement la mort à autrui est puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 10 ans:

1. Si l’auteur de l’acte, sans avoir commis de tort, a été mis dans un état d’excitation extrême suite à un mauvais traitement, une menace grave ou une insulte grave porté par la victime contre lui ‑même ou des membres de sa famille, et s’il a été ainsi contraint ou amené à commettre cet acte;

2. Si une mère tue son enfant pendant la naissance ou immédiatement après;

3. S’il existe des circonstances particulières liées à l’infraction, qui réduisent la responsabilité pénale.

2) La tentative d’infraction est passible de sanctions.».

L’article 258 du Code pénal (RDA) était conçu comme suit:

«1) Les membres des forces armées ne sont pas pénalement responsables des actes commis à l’occasion de l’exécution d’un ordre émanant d’un supérieur, sauf dans les cas où l’exécution de cet ordre viole de façon manifeste les règles reconnues du droit international public ou une loi pénale.

2) Lorsque l’exécution par un subordonné d’un ordre viole de façon manifeste les règles reconnues du droit international public ou une loi pénale, le supérieur qui a émis l’ordre est pénalement responsable.

3) Le fait de refuser d’obéir à un ordre dont l’exécution violerait les règles du droit international public ou une loi pénale ou de ne pas l’exécuter n’entraîne pas de responsabilité pénale.».

3.4 Aux termes du paragraphe 2 de l’article 17 de la loi sur la police du peuple ( Volkspolizeigesetz ) du 11 juin 1968, l’utilisation des armes à feu était justifiée dans les circonstances suivantes:

«a) Pour prévenir la commission imminente ou la continuation d’une infraction ( Straftat ) qui semble dans les circonstances considérées constituer:

Un crime grave ( Verbrechen ) contre la souveraineté de la République démocratique allemande, la paix, l’humanité ou les droits de l’homme;

Un crime grave contre la République démocratique allemande;

Une atteinte grave à la personne humaine;

Un crime grave contre la sécurité publique ou l’ordre public;

Tout autre crime grave, en particulier un crime commis à l’aide d’une arme à feu ou d’explosifs;

b) Pour empêcher l’évasion d’une personne ou procéder de nouveau à l’arrestation d’une personne:

Qui est fortement soupçonnée d’avoir commis un crime grave ou qui a été arrêtée ou incarcérée pour avoir commis un crime grave;

Qui est fortement soupçonnée d’avoir commis une infraction de moindre gravité ( Vergehen ), ou qui a été arrêtée, placée en détention provisoire ou condamnée à une peine de prison pour avoir commis une infraction, lorsqu’il est avéré qu’elle a l’intention d’utiliser une arme à feu ou des explosifs, ou de s’évader en recourant à d’autres moyens violents ou en agressant les personnes chargées de son arrestation, de son incarcération, de sa mise en détention provisoire ou de sa surveillance, ou de s’évader conjointement avec d’autres;

Qui a été condamnée à une peine privative de liberté et incarcérée dans un établissement pénitentiaire de haute sécurité ou dans un centre de détention ordinaire;

c) Lorsqu’une personne tente, par des moyens violents, de libérer ou d’aider à s’évader une personne arrêtée, placée en détention provisoire ou condamnée à une peine de prison pour avoir commis un crime grave ou une infraction de moindre gravité.

3) L’utilisation des armes à feu doit être précédée d’une sommation claire ou d’un tir de semonce, à moins que seule l’utilisation ciblée d’une arme à feu ne permette d’éviter ou de déjouer un danger imminent.

4) Lorsqu’une arme à feu est utilisée, la vie humaine doit être préservée chaque fois que cela est possible. Les blessés doivent être secourus, sous réserve des mesures de sécurité qui s’imposent, dès que l’intervention de la police le permet.

5) Les armes à feu ne doivent pas être utilisées contre des personnes qui semblent, par leur apparence, être des enfants ou lorsque des tiers peuvent être mis en danger. Si possible, les armes à feu ne devraient pas être utilisées contre des jeunes ou des personnes de sexe féminin.

6) L’utilisation des armes à feu sera réglementée dans le détail par le Ministre de l’intérieur et Directeur de la police du peuple…».

Aux termes du paragraphe 3 de l’article 20 de la loi sur la police du peuple, ces dispositions s’appliquaient aussi aux membres de l’Armée nationale du peuple ( Nationale Volksarmee ).

3.5 Le 1 er  mai 1982, entra en vigueur la loi sur la frontière étatique ( Grenzgesetz ) de la RDA, qui remplaçait le paragraphe 2 de l’article 17 de la loi sur la police du peuple s’agissant de l’utilisation par les gardes frontière des armes à feu. Son article 27 était libellé comme suit:

«1) L’utilisation des armes à feu est l’ultime mesure comportant l’emploi de la force contre une personne. Les armes à feu ne peuvent être utilisées que lorsque le recours à la force physique, à l’aide ou sans l’aide de moyens mécaniques, a échoué ou n’offre aucune chance de succès. L’utilisation des armes à feu contre les personnes n’est autorisée que lorsque des tirs sur des objets ou des animaux n’ont pas produit le résultat souhaité.

2) L’utilisation des armes à feu est justifiée pour prévenir la commission imminente ou la continuation d’une infraction ( Straftat ) qui semble dans les circonstances considérées constituer un crime grave ( Verbrechen ). Elle est justifiée également lorsqu’il s’agit d’arrêter une personne fortement soupçonnée d’avoir commis un crime grave.

3) L’utilisation des armes à feu doit en principe être précédée d’une sommation claire ou d’un tir de semonce, à moins que seule l’utilisation ciblée d’une arme à feu ne permette d’éviter ou de déjouer un danger imminent.

4) Les armes à feu ne doivent pas être utilisées dans les cas où:

a) La vie ou la santé de tiers peuvent être mises en danger;

b) Les personnes semblent, par leur apparence, être des enfants; ou

c) Les tirs constitueraient une violation de la souveraineté territoriale d’un État voisin.

Si possible, les armes à feu ne devraient pas être utilisées contre des jeunes ou des personnes de sexe féminin.

5) Lorsqu’une arme à feu est utilisée, la vie humaine doit être préservée chaque fois que cela est possible. Les blessés doivent être secourus, sous réserve des mesures de sécurité qui s’imposent.».

3.6 Contrairement à l’utilisation des armes à feu, l’installation de mines n’était pas régie par la loi; elle l’était par une série d’instructions de service et de directives énonçant les mesures à prendre pour garantir la sécurité des installations à la frontière à l’aide de mines et du recours aux armes à feu .

3.7 L’expression «crime grave» ( Verbrechen ) employée au paragraphe 2 a) de l’article 17 de la loi sur la police du peuple et au paragraphe 2 de l’article 27 de la loi sur la frontière de l’État était définie au paragraphe 3 de l’article premier du Code pénal comme suit:

«Sont réputés constituer des crimes graves les atteintes représentant un danger pour la société ( gesellschaftsgefährliche Angriffe ), les atteintes portées à la souveraineté de la République démocratique allemande, à la paix, à l’humanité ou aux droits de l’homme, les crimes de guerre, les atteintes contre la République démocratique allemande et les actes criminels mettant la vie en danger commis délibérément ( vorsätzlich begangene Straftaten gegen das Leben ). De même, sont réputées constituer des crimes graves les autres infractions représentant un danger pour la société qui sont commises délibérément contre les droits et les intérêts des citoyens, les biens socialistes et contre d’autres droits et intérêts de la société et constituent des violations graves de la légalité socialiste et qui, à ce titre, sont passibles d’une peine d’emprisonnement de deux ans au moins ou à propos desquelles, dans les limites des peines applicables, une peine d’emprisonnement supérieure à deux ans a été prononcée.».

3.8 En principe, la RDA refusait à ses citoyens le droit de se rendre dans un pays occidental, y compris la RFA et Berlin (Ouest). Une autorisation était nécessaire. Compte tenu des dispositions légales applicables en RDA à la délivrance des passeports et des visas, il était toutefois impossible aux personnes qui ne jouissaient d’aucun privilège politique, n’avaient pas atteint l’âge de la retraite ou ne bénéficiaient pas d’une dispense motivée par des raisons d’ordre familial urgentes de quitter la RDA légalement pour se rendre dans un pays occidental. Franchir la frontière sans autorisation constituait une infraction pénale au regard de l’article 213 («Franchissement illégal de la frontière») du Code pénal (RDA), qui était libellé comme suit:

«1) Quiconque franchit illégalement la frontière de la République démocratique allemande ou contrevient aux dispositions régissant l’autorisation de résidence temporaire en République démocratique allemande et le passage en transit par la République démocratique allemande est puni d’une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à deux ans, d’une condamnation avec sursis et mise à l’épreuve, d’une peine d’emprisonnement ou d’une amende.

2) …

3) Les infractions graves sont punies d’un emprisonnement de un à huit ans. Est réputée grave en particulier:

1. L’infraction qui met en danger la vie ou la santé de la personne humaine;

2. L’infraction qui est commise à l’aide d’une arme à feu ou par des moyens ou des méthodes dangereux;

3. L’infraction qui est commise avec une intensité particulière;

4. L’infraction qui est commise par usage de faux en écriture, ou par l’utilisation de documents contrefaits, ou par l’utilisation frauduleuse de documents, ou par l’utilisation d’une cachette;

5. L’infraction qui est commise en réunion; ou

6. L’infraction qui est commise par une personne déjà condamnée pour franchissement illégal de la frontière.

4) La préparation et la tentative de l’infraction constituent des infractions pénales.».

3.9 Les infractions graves de franchissement illégal de la frontière, telles que définies au paragraphe 3 de l’article 213 du Code pénal, englobaient le fait d’utiliser une échelle pour passer au ‑dessus des clôtures, fait qui était considéré comme la commission d’une infraction par des moyens dangereux (art. 213, par. 3.2) , et le franchissement de la frontière avec des efforts physiques considérables (art. 213, par. 3.3: «intensité particulière») . Selon l’intensité avec laquelle l’infraction était commise, ces actes constituaient soit des délits ( Vergehen ) soit des crimes graves ( Verbrechen ) . Les infractions graves de franchissement illégal de la frontière étaient fréquemment réputées constituer des crimes graves , soit parce qu’elles étaient frappées d’une peine d’emprisonnement supérieure à deux ans , soit parce qu’elles étaient considérées comme constituant des «atteintes représentant un danger pour la société» ou des «violations graves de la légalité socialiste» , au sens du paragraphe 3 de l’article premier du Code pénal (RDA).

3.10 Aucun garde frontière n’a jamais été poursuivi en RDA pour avoir ordonné l’utilisation d’une arme à feu ou pour avoir exécuté un ordre dans ce sens.

3.11 Le Pacte est entré en vigueur à l’égard de la République démocratique allemande le 23 mars 1976. Mais le Parlement ( Volkskammer ) ne l’a jamais incorporé dans l’ordre juridique interne de la RDA, comme l’exigeait l’article 51 de la Constitution de la RDA .

Procédure devant les juridictions internes

4.1 Dans son jugement du 10 septembre 1996, le tribunal régional de Berlin a dit que, compte tenu des dispositions du Code pénal de la RDA relatives à l’homicide, l’auteur était responsable de la mort de personnes qui tentaient de franchir la frontière intérieure allemande ou le Mur de Berlin ou des blessures qui leur avaient été infligées, en raison des directives qu’il édictait chaque année, directives qui entraînaient la promulgation en chaîne d’autres directives et, par là même, avaient incité des gardes frontière à commettre les actes en cause. Le tribunal, tout en reconnaissant qu’il n’était pas directement dans l’intention de l’auteur de causer la mort de personnes qui violaient la frontière, a fait valoir que celui ‑ci était pleinement conscient du fait, qu’il acceptait, que l’application de ces directives pouvait avoir pour conséquence directe de coûter la vie aux personnes qui essayaient de franchir la frontière. Le tribunal a rejeté l’argument de l’auteur selon lequel il avait mal apprécié l’illicéité de ses directives, en faisant valoir que cette erreur était évitable étant donné le rang élevé qu’il occupait dans la hiérarchie militaire et ses attributions et vu que ses directives constituaient manifestement une violation du droit à la vie, contrevenant ainsi à la législation pénale de la RDA. Le tribunal a soutenu que les actes commis par l’auteur n’étaient justifiés ni par les instructions de service pertinentes promulguées par le Ministre de la défense nationale, ni au regard du paragraphe 2 de l’article 27 de la loi sur la frontière de l’État, arguant du fait que ces justifications légales étaient nulles parce qu’elles constituaient manifestement une violation des principes de droit fondamentaux et des droits de l’homme internationalement protégés, tels qu’ils sont consacrés dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.2 Le tribunal a estimé qu’en donnant la priorité à l’inviolabilité des frontières de la RDA sur le droit à la vie de fugitifs non armés qui tentaient de franchir la frontière intérieure allemande, ces faits justificatifs constituaient une violation des principes de droit reposant sur la valeur et la dignité inhérentes à la personne humaine et reconnus par l’ensemble des nations. Le tribunal a conclu que, dans ce cas, au droit positif devaient se substituer les considérations de justice. Cette conclusion ne constituait pas une violation du principe de non ‑rétroactivité consacré au paragraphe 2 de l’article 103 de la Loi fondamentale allemande ( Grundgesetz ), car il n’y avait pas lieu de protéger juridiquement l’attente que la loi, telle qu’appliquée dans la pratique de la RDA, continuerait d’être appliquée de manière à conférer quelque justification légale contraire aux droits de l’homme. Le Tribunal a rejeté l’excuse légale tirée de la directive n o  101, faisant valoir que le paragraphe 1 de l’article 258 du Code pénal (RDA) n’excluait pas la responsabilité pénale dans les cas où l’exécution d’un ordre violait de façon manifeste les règles reconnues du droit international public ou une loi pénale. En examinant la sanction à prononcer, le Tribunal a pris en considération les éléments suivants: 1) le caractère totalitaire de la RDA, qui ne laissait à l’auteur qu’une marge de manœuvre limitée; 2) l’âge avancé de l’auteur et les regrets qu’il avait exprimés à l’endroit des victimes; 3) le grand nombre d’années qui s’étaient écoulées depuis la commission des actes; 4) l’appréciation erronée (encore qu’évitable) par l’auteur de l’illicéité de ses actes (ce qui plaidait en sa faveur); et 5) la participation de l’auteur, à un niveau élevé de la hiérarchie, à l’application, s’agissant du système de contrôle des frontières, d’une politique mettant en jeu des moyens de plus en plus perfectionnés (ce qui plaidait en sa défaveur). S’appuyant sur les dispositions pertinentes du Code pénal de la RFA, plus clémentes que les normes correspondantes du Code pénal de la RDA, la Cour a décidé de prononcer une peine réduite.

4.3 Par la décision qu’elle a rendue le 21 juillet 1997, la Cour constitutionnelle fédérale a rejeté le recours constitutionnel formé par l’auteur qui prétendait que les décisions du tribunal régional de Berlin et de la Cour fédérale de justice violaient le principe de non ‑rétroactivité inscrit au paragraphe 2 de l’article 103 de la Loi fondamentale en ce qu’elles déclaraient rétroactivement infractions passibles de sanctions des actes qui, en vertu du droit de la RDA, étaient licites. Elle a indiqué qu’elle n’était pas en mesure de se prononcer sur l’interprétation et l’application du droit pénal de l’ancienne RDA car son examen se limitait à la question de savoir si les décisions des juridictions inférieures constituaient une violation du droit constitutionnel. La Cour n’a constaté aucune violation du paragraphe 2 de l’article 103 de la Loi fondamentale, car il n’y avait pas lieu d’étendre la protection constitutionnelle à l’attente nourrie par l’auteur que ses actes soient justifiés au regard de la pratique de la RDA. Se référant à sa décision antérieure sur des tirs à la frontière , la Cour a réaffirmé que l’élément de bonne foi sous ‑jacent au paragraphe 2 de l’article 103 de la Loi fondamentale manquait lorsqu’un État codifiait des normes qui cautionnaient les infractions pénales les plus graves, comme l’homicide volontaire, tout en prévoyant des justifications légales qui excluaient la responsabilité pénale, et encourageaient par là la commission de ces infractions au mépris des droits de l’homme universels reconnus par l’ensemble des nations. La stricte protection, en vertu du paragraphe 2 de l’article 103 de la Loi fondamentale, de la certitude légitime de la légalité de ses actes ne s’appliquait pas en l’espèce, notamment parce que le caractère injuste du système de contrôle des frontières de la RDA ne pouvait subsister qu’aussi longtemps que l’État existerait.

Teneur de la plainte

5.1 L’auteur déclare être victime de violations des articles 15 et 26 du Pacte, pour avoir été reconnu coupable d’actes commis dans l’exercice de fonctions qui ne constituaient pas une infraction pénale au regard de la législation de la RDA ou du droit international.

5.2 Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 15 du Pacte, l’auteur prétend qu’en jugeant ses actes, les tribunaux de l’État partie ont vidé de son sens initial la législation pertinente de la RDA, en lui substituant leur propre notion de la justice. Il fait valoir que le raisonnement suivi par des tribunaux revient à affirmer contre toute logique que le Parlement de l’Allemagne de l’Est plaçait les membres des forces armées en porte ‑à ‑faux en promulguant des lois pénales qui leur imposaient l’obligation de s’acquitter de leurs fonctions tout en incriminant l’exercice de ces mêmes fonctions, pour finalement empêcher des poursuites par des justifications légales. Il fait observer que l’exercice de fonctions professionnelles n’a jamais constitué une infraction pénale au regard du droit de la RDA, puisqu’il n’était pas contraire aux intérêts de la société au sens du paragraphe 1 de l’article premier du Code pénal de la RDA. Au contraire, l’inexécution des instructions de service ou des directives régissant la protection des frontières de l’État engageait en soi la responsabilité pénale, la seule exception admise étant les cas où la directive constituait manifestement une violation des règles reconnues du droit international public ou d’une loi pénale (art. 258 du Code pénal de la RDA).

5.3 L’auteur soutient que le droit international n’interdisait pas l’installation de mines le long de la frontière entre deux États souverains qui, en outre, marquait la ligne de démarcation entre les deux plus grandes alliances militaires de l’histoire de l’humanité et avait été ordonnée par le commandant en chef du Pacte de Varsovie. Il note que les mines n’étaient installées que dans les zones d’exclusion militaire, qu’elles étaient clairement signalées par des panneaux et que de hautes clôtures en interdisaient l’accès étourdiment. Il prétend en outre qu’en examinant le deuxième rapport périodique de la RDA en 1983, le Comité avait considéré que le système de contrôle des frontières de l’Allemagne de l’Est était conforme au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

5.4 En outre, l’auteur avance que l’intention criminelle supposait qu’il ne soit pas tenu compte, visiblement et sciemment, de certaines normes sociales fondamentales, ce qui n’était à l’évidence pas le cas dans le cadre de l’exercice de fonctions professionnelles.

5.5 Selon l’auteur, au moment de l’entrée en vigueur, le 3 octobre 1990, du Traité relatif à l’unité allemande, il n’existait aucun fondement permettant de le poursuivre pour ses actes. Le système juridique en vigueur en RDA ne prévoyait pas l’engagement de la responsabilité pénale sur la seule invocation de notions tirées du droit naturel, lesquelles n’avaient aucun fondement dans le droit positif de la RDA. Lorsque la RFA est convenue d’inclure dans le Traité relatif à l’unité allemande l’interdiction de l’application rétroactive de sa législation pénale, elle l’a fait compte tenu de la chance historique exceptionnelle qui existait d’unifier les deux États allemands, en acceptant que ses propres notions en matière de justice ne puissent s’appliquer à des actes commis dans l’ancienne RDA. L’auteur conclut que sa condamnation n’avait donc aucun fondement légal au regard du Traité relatif à l’unité allemande.

5.6 S’agissant de la mention au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte de l’expression «droit international» et de la clause de réserve énoncée au paragraphe 2 du même article, l’auteur déclare qu’au moment des faits, ses actes n’étaient pas des actes criminels au regard du droit international, pas plus qu’au regard des principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations.

5.7 Quant à la violation présumée de l’article 26 du Pacte, l’auteur prétend avoir été victime de discrimination en tant qu’ancien citoyen de la RDA, parce que les tribunaux allemands ont négligé d’appliquer à son cas les dispositions réglementaires de la RFA relatives à l’utilisation des armes à feu, qui stipulent qu’avoir connaissance du danger que ces armes comportent n’implique pas une intention de tuer, et qu’ils ont au contraire présumé qu’il avait accepté que la mort de personnes qui violaient la frontière fût une conséquence de ses directives touchant l’utilisation des armes à feu.

5.8 L’auteur déclare avoir épuisé tous les recours internes disponibles et que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

6.1 Par une note verbale datée du 5 septembre 2001, l’État partie a fait parvenir ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il confirme les faits de la cause tels que présentés par l’auteur. Il conteste en revanche l’allégation selon laquelle la condamnation de l’auteur constituait une violation des articles 15 et 26 du Pacte.

6.2 À propos de la violation présumée de l’article 15 du Pacte, l’État partie rappelle que le tribunal régional de Berlin a constaté que les actes de l’auteur étaient passibles de sanctions en vertu du droit de la RDA au moment où ils ont été perpétrés. Il cite longuement une décision historique de la Cour fédérale de justice , qui est également citée dans le jugement rendu par le tribunal régional de Berlin . Selon cette décision, la justification légale visée au paragraphe 2 de l’article 27 de la loi sur la frontière, telle qu’appliquée dans la pratique étatique de la RDA, devait être écartée dans le cadre de l’application de la loi parce qu’elle violait les notions fondamentales de justice et d’humanité d’une manière à ce point intolérable que le droit positif devait céder devant la justice (( formule de Radbruch )). En appréciant le conflit avec le droit objectif, la Cour se réfère au Pacte, en particulier ses articles 6 et 12, en tant qu’ils sont des «critères plus précis» à cet effet, et conclut que la politique restrictive de délivrance des visas suivie par la RDA était contraire à la clause de réserve prévue au paragraphe 3 de l’article 12 du Pacte parce qu’elle faisait de l’exception à l’exercice de la liberté de quitter son pays la règle générale, ignorant par là les liens étroits existant entre les Allemands des deux États qui appartenaient à une seule et même nation. De même, la Cour a constaté que l’utilisation d’armes à feu contre ceux qui violaient la frontière, portée à un niveau de subtilité inégalé, était contraire à l’article 6, pour être disproportionnée par rapport au but en lui ‑même illégitime consistant à dissuader des tiers de franchir la frontière sans autorisation. À partir de ces prémisses, la Cour a maintenu que l’excuse tirée du paragraphe 2 de l’article 27 de la loi sur la frontière devait être écartée parce que la RDA elle ‑même aurait dû interpréter cette disposition d’une manière restrictive compte tenu de ses obligations internationales, des dispositions de sa Constitution et du principe de proportionnalité énoncé au paragraphe 2 de l’article 30 de la Constitution de la RDA et au paragraphe 2 de l’article 27 de la loi sur la frontière. De l’avis de la Cour, la première phrase du paragraphe 2 de l’article 27 de la loi devait être interprétée comme suit: «Les gardes frontière étaient autorisés à faire usage d’une arme à feu pour empêcher une évasion dans les cas visés dans la loi; mais le fait justificatif avait ses limites lorsque, avec l’intention conditionnelle ou non conditionnelle de tuer, des coups de feu étaient tirés sur un réfugié qui, dans les circonstances considérées, n’était pas armé et qui par ailleurs ne représentait pas un danger pour la vie et l’intégrité d’autrui.».

6.3 L’État partie invoque un autre jugement , dans lequel la Cour fédérale de justice rappelait que la RDA avait toujours déclaré qu’elle faisait siens les principes des Nations Unies et que l’article 91 de la Constitution de la RDA stipulait que les règles généralement reconnues du droit international relatives au châtiment des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre constituaient le droit directement applicable. L’État partie conclut des deux jugements susmentionnés que la Cour fédérale de justice ne se fondait donc pas sur le droit international mais qu’elle avait déduit du droit interne de la RDA que les actes de l’auteur étaient passibles de sanctions. Le fait que ces infractions ne donnaient pas lieu à poursuites en RDA ne signifie pas qu’elles ne constituaient pas des infractions pénales.

6.4 L’État partie se réfère à la décision historique de la Cour constitutionnelle fédérale en la matière, qui soulignait qu’en l’absence d’une attente légitime de ne pas être puni, l’interdiction de l’application rétroactive de la législation pénale consacrée au paragraphe 2 de l’article 103 de la Loi fondamentale ne s’appliquait pas aux cas dans lesquels l’autre État (la RDA) érigeait en infractions pénales les infractions les plus graves tout en excluant la responsabilité pénale sur la base de faits justificatifs qui allaient au ‑delà des normes écrites, étaient à l’origine de ces infractions et constituaient une violation des droits de l’homme reconnus par l’ensemble des nations. L’application rigoureuse du paragraphe 2 de l’article 103 doit céder le pas dans l’intérêt de la justice objective − faute de quoi l’administration de la justice pénale dans la République fédérale irait à l’encontre des prémisses de la légalité qu’elle s’est fixée. Bien que le libellé des dispositions de la RDA régissant l’utilisation des armes à feu à la frontière intérieure allemande correspondît à celui des dispositions de la RFA relatives à l’emploi de la force, le droit écrit de la RDA était en fait éclipsé par les impératifs de la nécessité politique, qui subordonnaient le droit de l’individu à la vie à l’intérêt qu’avait l’État d’empêcher le passage non autorisé de ses frontières. En l’absence de toute justification recevable de la mort donnée à la frontière, la définition de l’homicide figurant aux articles 112 et 113 du Code pénal s’appliquait aux actes de l’auteur.

6.5 L’État partie rappelle que, conformément à la jurisprudence du Comité, il appartient au premier chef aux tribunaux et aux autorités de l’État partie d’interpréter et d’appliquer le droit interne. Le Comité ne peut intervenir que si cette interprétation ou application est arbitraire. Or les décisions rendues par les tribunaux allemands à l’endroit de l’auteur n’étaient pas arbitraires.

6.6 L’État partie fait valoir que l’article 15 du Pacte ne s’applique que dans les cas où l’intéressé ne peut raisonnablement inférer du libellé de la loi que ses actes sont passibles de sanctions et où il ne peut prévoir qu’il pourrait être tenu pour pénalement responsable de ses actes. Étant donné qu’il était un scientifique chevronné et qu’il occupait un rang élevé dans la hiérarchie militaire, l’auteur aurait dû à l’évidence se rendre compte que ses directives étaient contraires aux articles 6 et 12 du Pacte et qu’il pouvait être poursuivi pour les actes qu’il avait commis en cas de changement de circonstances politiques en RDA.

6.7 L’État partie rejette l’argument de l’auteur selon lequel le Comité n’a jamais constaté que le système de contrôle des frontières de la RDA constituait une violation du Pacte, et il rappelle qu’avant 1992 le Comité n’adoptait pas d’observations finales sur la situation des droits de l’homme dans les États parties dont il avait examiné le rapport. Il se trouve que, lorsque l’ancienne RDA a présenté au Comité son rapport initial et son deuxième rapport périodique, en 1978 et 1984, respectivement, plusieurs membres du Comité ont formulé des critiques non équivoques contre le système de contrôle des frontières. L’auteur aurait dû aussi avoir noté dans la pratique des organisations internationales la désapprobation que soulevait ce système, en particulier l’incorporation de 1981 à 1983 de l’ancienne RDA dans la liste des pays relevant de la «procédure 1503» établie par la Commission des droits de l’homme, précisément en raison des morts survenues à la frontière et des violations de l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

6.8 L’État partie conclut que, conformément à l’Observation générale n o  6 du Comité et à sa jurisprudence constante , il est légalement tenu, en vertu du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, de poursuivre et punir ceux qui ont arbitrairement privé de la vie des citoyens de l’ancienne RDA. Subsidiairement, il fait valoir que la condamnation de l’auteur pourrait s’inscrire dans le cadre du paragraphe 2 de l’article 15 du Pacte si, au moment où ils ont été commis, ses actes étaient tenus pour criminels, d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations. À cet égard, l’État partie souligne le lien étroit existant entre les principes de Nuremberg et la formule de Radbruch et soutient que le système de contrôle des frontières a donné lieu à de graves violations des droits de l’homme.

6.9 S’agissant de la violation présumée de l’article 26 du Pacte, l’État partie dit que l’auteur n’a été poursuivi que sur la base de sa participation personnelle au système de contrôle des frontières et que l’interdiction de la discrimination ne signifie pas que des personnes ne peuvent être tenues pour pénalement responsables. Quiconque soumis au droit pénal de la RDA a commis une infraction au regard du droit de la RDA pourrait encourir une responsabilité pénale, quelle que soit sa citoyenneté.

Commentaires de l’auteur

7.1 Par lettre du 14 novembre 2001, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. Il reprend les arguments énoncés dans sa lettre initiale et ajoute que l’article 15 du Pacte imposait aux tribunaux allemands l’obligation d’appliquer, pour établir sa responsabilité pénale, les règles de procédure pénale de la RDA et, en particulier, celles relatives à la charge de la preuve. En vertu du droit pénal de la RDA, l’intention d’une personne de tuer ne pouvait être présumée en partant du fait qu’elle avait connaissance des conséquences éventuellement meurtrières de l’utilisation des armes à feu. Au contraire, l’idée qu’une personne violant la frontière ne pouvait qu’être blessée ou qu’elle s’abstiendrait de passer au ‑dessus de mines excluait l’existence d’une pareille intention. L’adoption volontaire d’un comportement dangereux a toujours perturbé la reconstitution de la chaîne de causalité à opérer pour établir la responsabilité pénale.

7.2 L’auteur rejette l’affirmation de l’État partie selon laquelle les normes écrites de la RDA étaient éclipsées par des directives qui ne laissaient aucune marge permettant d’apprécier l’utilisation des armes à feu au regard du principe de proportionnalité, et fait valoir que toutes les directives militaires et instructions de service faisaient aux soldats obligation de sauver chaque fois que cela était possible la vie de ceux qui violaient la frontière.

7.3 De plus, il soutient que, même dans l’hypothèse où l’accomplissement par les militaires de leur devoir constituait une infraction pénale au regard du droit de la RDA, le Traité relatif à l’unité allemande empêchait les tribunaux allemands d’ignorer les justifications légales existantes au seul motif qu’elles ne permettaient pas de poursuivre au pénal les auteurs de tels actes. Le fait que les tribunaux allemands ont systématiquement violé le Traité relatif à l’unité allemande ne justifie pas pour autant davantage la position de l’État partie.

7.4 L’auteur admet que la RDA était tenue par les obligations juridiques qu’elle avait assumées en vertu du Pacte. Mais comme, contrairement à la RDA, il n’est pas un sujet du droit international, le Pacte ne pouvait lui imposer des droits ou des devoirs, et encore moins établir sa responsabilité pénale étant donné que le Pacte n’était pas incorporé dans le droit interne de la RDA. L’auteur indique que, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le fait de priver une personne de la vie ne constitue pas une violation du droit à la vie dans les cas où il résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue.

7.5 L’auteur soutient que l’installation de mines le long de la frontière intérieure allemande était une mesure militaire de prévention contre une attaque éventuelle des forces de l’OTAN. Il conteste que les mines aient été installées dans l’intention de tuer des personnes. Bien au contraire, le fait qu’elles étaient entourées de clôtures et signalées par des panneaux clairement visibles devait dissuader ceux qui souhaitaient violer la frontière de pénétrer dans les zones minées. Nul ne forçait ceux qui violaient la frontière à traverser les champs de mines, dont ils connaissaient le danger. L’auteur rappelle que les gardes frontière n’avaient jamais été tenus de faire un usage excessif de leurs armes à feu. Ceux qui violaient la frontière étaient toujours prévenus de ne pas le faire par des sommations et au moins par un tir de semonce. Ils pouvaient toujours mettre fin à leur tentative de franchir la frontière pour éviter d’essuyer des coups de feu; ils étaient toujours visés aux jambes. Selon l’auteur, la mort de personnes essayant de traverser la frontière était plutôt l’exception que la règle générale.

7.6 L’auteur soutient qu’en raison de la complexité de la chaîne de commandement, un membre de haut rang des forces armées ne peut jamais contrôler directement l’utilisation des armes à feu dans chaque cas; il se borne à définir les conditions de cette utilisation, que chaque soldat se doit de respecter. Bien que l’utilisation d’une arme à feu comporte fréquemment un risque pour la vie, ordonner son utilisation ne saurait être assimilé au fait de donner volontairement la mort. En outre, l’auteur prétend qu’il ne saurait être tenu pour responsable de la politique des visas de la RDA.

7.7 L’auteur prétend que le Parlement de l’État partie ( Bundestag ) a promulgué en 1993 une loi portant suspension, avec effet rétroactif, de l’application des délais de prescription visés aux articles 82 et 83 du Code pénal (RDA) et applicable à la période durant laquelle des infractions commises en liaison avec le système de contrôle des frontières n’avaient pas fait l’objet de poursuites en RDA pour des raisons politiques. Il soutient que l’État partie a ignoré l’adoption par le Conseil d’État ( Staatsrat ) de la RDA, adopté le 17 juillet 1987, d’une amnistie générale qui s’appliquait également aux actes d’homicide commis avant le 7 octobre 1987.

Délibérations du Comité

Examen de la question de la recevabilité

8.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu de l’alinéa  a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3 Le Comité note par ailleurs que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication. Il considère donc qu’il n’a pas été soulevé d’obstacle à la recevabilité de la communication et, en conséquence, décide que la communication est recevable pour ce qui est des questions soulevées au titre des articles 15 et 26 du Pacte.

Examen de la communication quant au fond

9.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2 En ce qui concerne les griefs présentés par l’auteur au titre de l’article 15, le Comité est appelé à déterminer si la condamnation de l’auteur par les tribunaux allemands pour homicide et tentative d’homicide équivaut à une violation de cet article.

9.3 Parallèlement, le Comité note que, vu le caractère spécifique de toute violation quelle qu’elle soit du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, il est tenu d’examiner la question de savoir si, au premier abord, l’interprétation et l’application du droit pénal pertinent par les juridictions nationales dans une affaire donnée font apparaître, semble-t-il, une violation de l’interdiction des sanctions rétroactives ou de manière générale des sanctions non fondées sur le droit. Ce faisant, le Comité se bornera à examiner la question de savoir si les actes de l’auteur, au moment où ils ont été commis, constituaient des infractions pénales suffisamment bien définies d’après le droit pénal de la RDA ou le droit international.

9.4 Les homicides sont intervenus dans le contexte d’un système qui déniait effectivement à la population de la RDA le droit de quitter librement son pays. Les autorités et les individus chargés de faire respecter ce système étaient prêts à recourir à la force meurtrière pour empêcher des personnes d’exercer sans violence leur droit de quitter leur propre pays. Le Comité rappelle que le recours à la force meurtrière, même en dernier ressort, n’est admissible, eu égard à l’article 6 du Pacte, que s’il est proportionné à la menace encourue. Le Comité rappelle en outre que les États parties sont tenus d’empêcher que leurs propres forces de sécurité ne tuent des individus de façon arbitraire . Enfin, il note que l’emploi disproportionné de la force meurtrière constituait, déjà à l’époque où l’auteur a commis les actes qui lui sont reprochés, un acte délictueux d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations.

9.5 L’État partie soutient à juste titre que le fait d’avoir donné la mort constituait une violation des obligations de la RDA découlant du droit international relatif aux droits de l’homme, en particulier l’article 6 du Pacte. Il fait valoir en outre qu’en vertu de ces mêmes obligations, les individus soupçonnés d’être responsables des morts devaient faire l’objet de poursuites. Les tribunaux de l’État partie ont conclu que les actes commis constituaient une violation des dispositions du Code pénal de la RDA relatives à l’homicide. Ces dispositions demandaient à être interprétées et appliquées à la lumière des textes pertinents, tels que l’article 95 du Code pénal excluant que l’on puisse invoquer la loi à titre de justification dans les cas de violation des droits de l’homme (voir par. 3.3) et la loi sur la frontière étatique régissant l’emploi de la force à la frontière (voir par. 3.5). Les tribunaux de l’État partie ont interprété les dispositions de la loi sur la frontière relatives à l’emploi de la force comme n’excluant pas de la définition du crime d’homicide l’emploi disproportionné de la force meurtrière ou potentiellement meurtrière en violation de ces obligations relatives aux droits de l’homme. En conséquence, les dispositions de la loi sur la frontière n’ont pas empêché les tribunaux de considérer que les actes commis constituaient une violation des dispositions du Code pénal relatives à l’homicide. Le Comité ne peut conclure qu’une telle interprétation de la loi et la condamnation de l’auteur qui en découle sont incompatibles avec l’article 15 du Pacte.

10. Quant à l’allégation de l’auteur concernant une violation de l’article 26 du Pacte, le Comité note que le Traité relatif à l’unité allemande prévoit que le droit pénal de l’ancienne RDA est applicable à tous les actes commis sur le territoire de l’ancienne RDA avant que l’unification ait pris effet. Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle certaines dispositions du droit de l’État partie qui auraient été appliquées à l’utilisation des armes à feu par des agents de l’État de la RFA ne l’ont pas été dans son cas. Le Comité note toutefois que l’auteur n’a pas démontré que des personnes se trouvant dans une situation analogue à la sienne dans l’ancienne RDA ou en RFA ont effectivement reçu un traitement différent. En conséquence, le Comité conclut qu’il n’a pas étayé sa prétention et considère qu’il n’y a pas eu violation de l’article 26 à cet égard.

11. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des articles 15 et 26 du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

X. Communication n o  981/2001, Gomez Casafranca c.  Pérou * (Constatations adoptées le 22 juillet 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par :

M me  Teófila Casafranca de Gómez

Au nom de :

Son fils, Ricardo Ernesto Gómez Casafranca

État partie :

Pérou

Date de la communication :

26 octobre 1999 (date de la communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 juillet 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  981/2001 présentée au nom de son fils par M me  Teófila Gómez de Casafranca en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 26 octobre 1999, est M me  Teófila Casafranca de Gómez, qui soumet la communication au nom de son fils Ricardo Ernesto Gómez Casafranca, de nationalité péruvienne; il a été condamné à 25 ans d’emprisonnement pour délit de terrorisme et se trouve actuellement en détention. L’auteur n’invoque pas de disposition précise du Pacte mais sa communication pourrait soulever des questions au regard des articles suivants du Pacte international relatif aux droits civils et politiques: 7; 9, paragraphes 1 et 3; 14, paragraphes 1, 2 et 3 c); et 15. Le Pacte est entré en vigueur pour le Pérou le 28 avril 1978 et le Protocole facultatif le 2 octobre 1980. L’auteur est représentée par un conseil.

Rappel des faits exposés par l’auteur

2.1 Ricardo Ernesto Gómez Casafranca était étudiant à la faculté de dentisterie de l’Université Inca Garcilaso de la Vega, tout en travaillant dans le restaurant que tenait sa famille. Le 3 octobre 1986, alors qu’il rentrait chez lui pour se changer, il a été arrêté devant un immeuble près de son domicile par un groupe de policiers qui avaient braqué leur arme sur lui. Cette arrestation a eu lieu sans qu’un mandat d’arrêt ait été délivré et l’intéressé n’avait pas été surpris en flagrant délit; il a été conduit dans les bureaux de la DIRCOTE où il a été placé en cellule pour être interrogé.

2.2 L’auteur affirme que dans les locaux de la DIRCOTE son fils a été sauvagement torturé, subissant des mauvais traitements physiques, psychiques et moraux cruels. Dans les pièces du deuxième procès (procédure orale) tenu en 1998 − qui ont été envoyées au secrétariat − le prévenu, M. Gómez Casafranca, dit expressément qu’on l’a torturé pour obtenir certaines déclarations. Concrètement, il raconte que les policiers lui tordaient la main et les bras, le soulevaient brutalement, lui mettaient une arme dans la bouche; un jour, ils l’avaient conduit à la plage et avaient tenté de le noyer et une autre fois ils avaient voulu le violer en lui introduisant une bougie dans l’anus. Le 7 septembre 2001, M. Gómez Casafranca s’est adressé à la Direction des droits de l’homme de la police nationale pour se plaindre des tortures qu’il avait subies le 3 octobre 1986 dans les locaux de la DIRCOTE. La Direction des droits de l’homme a répondu le 17 septembre 2001 que M. Gómez Casafranca avait bénéficié de l’assistance de son avocat et qu’à l’époque des faits il n’avait pas dénoncé les mauvais traitements subis. M. G ó mez Casafranca avait été accus é du délit d’homicide, de blessures et d’actes terroristes. L’auteur affirme que son fils a toujours clamé son innocence et ne connaissait même pas ses coïnculpés qui l’avaient compromis en disant qu’il avait participé au délit, peut-être parce qu’ils avaient eux ‑mêmes été torturés.

2.3 D’après l’auteur, la police, agissant de façon totalement arbitraire, a établi les charges qui allaient être portées contre son fils dans un procès ‑verbal (n o  91 ‑D4 ‑DIRCOTE), daté du 22 octobre 1986, en lui imputant des actes qu’il n’avait jamais commis ni en tant qu’auteur ni en tant que complice. D’après le procès ‑verbal de la DIRCOTE, Ricardo Ernesto Gómez Casafranca, alias «Tomás», était le chef d’une cellule terroriste armée du Sentier lumineux, opérant dans le centre du pays, secteur Ñaña Chosica. Cette cellule était chargée de recruter de nouveaux militants, d’organiser des «écoles populaires», de commettre des attentats à la dynamite et à la bombe incendiaire et d’annihiler des effectifs de police. Toujours d’après le rapport de police, Ricardo Ernesto Gómez Casafranca était responsable du délit de terrorisme parce qu’il était impliqué dans l’attentat contre une usine de la société «La Papelera Peruana SA» commis le 31 juillet 1986 à l’aide de bombes incendiaires de fabrication artisanale. Il était également accusé d’autres infractions comme des délits d’atteinte à la vie, à l’intégrité physique et à la santé, ainsi que d’atteinte aux biens. D’après le rapport de police, Ricardo Ernesto Gómez Casafranca avait été fouillé au corps mais on n’avait trouvé aucune arme, pas plus que des explosifs ni de la propagande subversive. La perquisition à son domicile n’avait rien donné non plus. Néanmoins, après une expertise graphologique, il avait été établi que divers textes politiques de caractère subversif étaient écrits d’une écriture qui correspondait à celle de Ricardo Ernesto Gómez Casafranca. De plus, d’autres personnes placées en détention − Sandro Galdo Arrieta, Francisco Reyna García, Ignacio Guizado Talaverano et Rosa Luz Tineo Suasnabar − l’avaient accusé de faire partie du Sentier lumineux.

2.4 Le détenu a été déféré devant le juge de la trente-neuvième juridiction d’instruction de la Cour supérieure de Lima, qui a ouvert une information et délivré un mandat de détention le 23 octobre 1986. D’après l’auteur, le procureur n’a apporté aucune preuve qui puisse confirmer les accusations portées contre son fils. Dans le rapport des services du procureur daté du 22 juillet 1987, on peut lire que, selon les constatations consignées au procès ‑verbal, M. Gómez Casafranca et d’autres personnes appartiennent à la cellule terroriste du Sentier lumineux de la zone Centre, secteur Ñaña Chosica. Ce rapport fait également état de diverses déclarations d’autres inculpés qui ont dit qu’ils ne confirmaient pas la déclaration qu’ils avaient faite à la police parce qu’elle avait été obtenue sous la torture .

2.5 Au cours des débats contradictoires, les juges se sont contentés d’interroger le suspect en partant des arguments de la police et sans tenir compte des actes d’instruction. Le 22 décembre 1988, le tribunal correctionnel n o  7 de Lima a rendu un verdict d’acquittement, déclarant M. Gómez Casafranca innocent des charges portées contre lui.

2.6 Le Procureur général de la nation a introduit un recours en nullité contre ce verdict, qui a été annulé par la Cour suprême «sans visage», le 11 avril 1997. La Cour a fait valoir que les faits n’avaient pas été appréciés comme il convenait et que les preuves n’avaient pas été dûment vérifiées.

2.7 Le 11 septembre 1997, la police a arrêté M. Ricarco Ernesto Gómez Casafranca pour qu’il passe de nouveau en jugement pour les mêmes faits; à l’issue d’un procès oral, la Chambre pénale spéciale pour les affaires de terrorisme l’a condamné à 25 ans d’emprisonnement le 30 janvier 1998, condamnation confirmée par la Cour suprême le 18 septembre 1998.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que son fils est victime d’une violation du droit à l’intégrité personnelle, physique, psychique et morale et du droit de ne pas être soumis à des tortures pendant la détention. Le droit à la liberté et à la sécurité de la personne aurait également été violé.

3.2 L’auteur affirme en outre qu’en appliquant sa politique de lutte contre l’insurrection, l’État partie a violé les garanties d’une procédure régulière et le droit à la protection de la justice. Elle affirme que les droits de bénéficier de la protection de la justice, d’être entendu avec toutes les garanties voulues et le principe de la présomption d’innocence ont également été violés. En outre d’après elle son fils a été condamné sur la seule base de la transcription du rapport de police et, dans le jugement, la décision n’est pas motivée et la responsabilité pénale n’est pas individualisée.

3.3 Enfin, l’auteur dit qu’il y a eu violation du principe de légalité, du principe de non ‑rétroactivité et du principe de l’égalité devant la loi.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1 Dans sa réponse datée du 20 décembre 2001, l’État partie reconnaît que les conditions de recevabilité sont remplies car tous les recours internes ont été épuisés et que la même affaire n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.2 Pour ce qui est du fond, l’État partie affirme que M. Gómez Casafranca a été arrêté en application de la loi régissant les enquêtes pour délit de terrorisme et dans le cadre de la Constitution de 1979, les deux dispositions étant applicables à l’époque. Le décret législatif n o  46, pris le 10 mars 1981 c’est ‑à ‑dire avant la date de l’arrestation, disposait en son article 9 que les forces de police pouvaient procéder à l’arrestation et à la détention préventive des auteurs ou des complices présumés de terrorisme, pour une durée maximale de 15 jours, à condition d’en informer immédiatement et par écrit le ministère public et le juge d’instruction dans un délai de 24 heures. La police a donc agi conformément à cette loi.

4.3 L’État partie relève que l’auteur de la communication ne conteste pas la compatibilité légale du décret législatif n o  46 avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ni sa validité pour les juridictions nationales. Il objecte que les juges péruviens auraient pu prononcer l’inconstitutionnalité de ce texte s’ils avaient été saisis d’une plainte faisant valoir que le décret n’était pas applicable au fils de l’auteur. Ce dernier n’a pas non plus engagé la moindre action en protection, habeas corpus ou amparo , au moment de son arrestation, pendant la détention préventive ni lors de son procès pour terrorisme. La détention a donc eu lieu dans le respect des dispositions du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

4.4 En ce qui concerne les allégations de l’auteur qui affirme que son fils a été soumis à des tortures cruelles, l’État partie répond que le dossier de la demande de grâce contient une transcription de certificats médicaux attestant que l’intéressé n’a pas subi de mauvais traitements physiques.

4.5 L’État partie relève en outre que dans la communication il est simplement fait état de l’application de tortures sans que soient précisées la date ni les formes de torture qui auraient été infligées. Par conséquent, il n’est pas établi qu’il y a eu une violation de l’article 7 du Pacte.

4.6 L’État partie considère que les garanties d’un procès équitable énoncées à l’article 14 du Pacte ont été respectées. D’après lui, l’auteur n’est pas fondé à affirmer qu’il y a eu violation du droit à une procédure régulière, à la protection de la justice et des autorités judiciaires et du droit de chacun à ce que sa cause soit entendue avec toutes les garanties voulues, de la présomption d’innocence, ni de la règle qui veut que le jugement doit être motivé en fait et en droit.

4.7 D’après l’État partie, M. Gómez Casafranca a été jugé dans des conditions d’égalité par les tribunaux péruviens. Les deux fois où il a comparu devant un tribunal, les audiences étaient publiques et il s’agissait de magistrats professionnels, spécialisés en matière criminelle; il a eu la possibilité d’être entendu et d’exercer son droit à la défense lui ‑même ou en se faisant assister par l’avocat de son choix. Selon l’État partie, les tribunaux qui l’ont jugé étaient déjà constitués avant sa comparution, conformément à la législation en vigueur à l’époque: le Code de procédure pénale adopté par la loi n o  9024 du 23 novembre 1939 et le décret ‑loi n o  25475, cette dernière loi fut modifiée par la loi n o  26248 et par la loi n o  26671 , qui a aboli les «tribunaux sans visage». Il n’a donc pas été jugé par un quelconque tribunal «sans visage» en audience privée mais au contraire, les deux fois, il a été entendu en audience publique par des magistrats composant un tribunal compétent (établi par la loi préalablement à sa comparution), indépendant (constitué dans le respect des garanties énoncées dans la Constitution et dans la loi) et impartial.

4.8 L’État partie maintient que le jugement était suffisamment motivé malgré le fait que la chambre pénale de la Cour suprême, ayant annulé le verdict d’acquittement du M. Gómez Casafranca le 11 avril 1997, était une chambre «sans visage».

4.9 En ce qui concerne le principe de la présomption d’innocence consacré au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, il a été respecté autant pendant l’instruction que pendant le jugement. Ayant apprécié les preuves administrées au cours d’un procès juste, les magistrats ont conclu que les dépositions des témoins et les autres modes de preuve avaient permis de lever la présomption d’innocence. La Cour suprême avait suivi le même raisonnement pour confirmer la condamnation.

4.10 L’État partie soutient que les décisions de justice ont été fondées sur tous les éléments de fait et de droit. S’il ne s’agit pas d’un droit prévu expressément dans le Pacte, cet élément entre néanmoins dans le cadre des garanties judiciaires.

4.11 En ce qui concerne une éventuelle violation des principes de légalité, de non ‑rétroactivité et d’égalité devant la loi, l’État partie affirme que les tribunaux ont mené les investigations voulues et ont condamné l’intéressé pour délit de terrorisme en appliquant les dispositions pénales spéciales régissant l’enquête et la sanction dans le cas de ce délit, c’est ‑à ‑dire le décret législatif n o  46 du 10 mars 1981, la loi n o  24651 du 6 mars 1987 et le décret ‑loi n o  25475 du 5 mai 1992 pour ce qui est du jugement de 1998.

4.12 En ce qui concerne le verdict d’acquittement rendu le 22 décembre 1988, l’État partie répond que le tribunal correctionnel n o  7 a appliqué la disposition pénale contenue dans le décret législatif n o  46, en vigueur à l’époque des faits imputés à M. Gómez Casafranca, et qui étaient l’homicide d’un policier, Román Rojas Saavedra, le 22 juin 1986, la tentative d’incendie de l’usine de «La Papelera Peruana SA», le 31 juillet 1986, l’attentat à l’explosif contre des lignes à haute tension, le 27 juillet 1986, l’homicide d’un policier, le brigadier Aurelio da Cruz del Águila, le 11 août 1986, l’homicide d’un autre policier, Rolando Marín Paucar, le 2 septembre 1986 et le complot d’assassinat contre Enrique Thomas Ojeda, candidat du parti péruvien Aprista à Chaclacayo.

4.13 Le décret législatif n o  46 a été abrogé par l’article 6 de la loi n o  24651 du 6 mars 1987. C’est cette disposition pénale qui a été appliquée pour condamner M. Gómez Casafranca le 30 janvier 1998. La chambre pénale collégiale spéciale pour les affaires de terrorisme de la Cour supérieure de justice de Lima a appliqué dans ce cas une disposition pénale postérieure aux faits qu’elle a jugés illicites (loi n o  24651). Cette décision a été confirmée par la Cour suprême le 18 septembre 1998. Toutefois, le décret législatif n o  46 aussi bien que la loi n o  24651 définissaient déjà les faits punissables qui constituaient le délit de terrorisme et prévoyaient des peines analogues. Donc l’auteur n’a pas montré en quoi cet élément pouvait être incompatible avec l’article 15 du Pacte.

4.14 Enfin, l’État partie considère que les actes pour lesquels les tribunaux ont condamné M. Gómez Casafranca étaient des délits en droit péruvien et donc que la disposition qui était en vigueur temporairement pouvait ne pas être appliquée pour que la qualification des faits soit correcte. Cette situation pourrait être réglée par une nouvelle décision judiciaire mais non par un acte du pouvoir exécutif.

4.15 En conclusion, l’État partie réaffirme qu’il n’a aucune observation à faire sur la recevabilité de la communication et, pour ce qui est du fond, que les garanties d’une procédure régulière ont été respectées et qu’aucune atteinte n’a été portée au droit à la liberté et à l’intégrité de la personne.

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité et sur le fond

5.1 Dans ses commentaires, l’auteur affirme que tout ce que l’État partie a répondu est faux, ses observations visant uniquement à occulter la violation des articles 9 et 14 du Pacte qui a été commise. D’après elle, l’État partie n’a pas répondu à ses griefs précis concernant son fils, qui se trouve emprisonné après avoir été jugé par un tribunal «sans visage», qui l’a condamné sans preuve, sans individualiser la responsabilité matérielle et de surcroît en appliquant des textes qui n’étaient pas en vigueur au moment des faits, ce qui est le cas du jugement condamnatoire du 30 janvier 1998.

5.2 Pour ce qui est de l’arrestation de son fils, l’auteur affirme qu’elle a été effectuée sans mandat judiciaire et hors situation de flagrant délit. En ce qui concerne la période de détention préventive, la durée maximale autorisée par la loi dans les locaux de la police était de 15 jours; or, son fils est resté détenu pendant 22 jours et il n’est fait mention de cet élément dans aucun jugement. De plus, l’État partie n’a apporté aucune réponse au sujet des tortures dont son fils a été victime.

5.3 L’auteur affirme que le jugement du 30 janvier 1998 représente le prolongement des méthodes appliquées par les tribunaux «sans visage». Le droit à une procédure régulière, le principe de la présomption d’innocence, les règles relatives à la charge de la preuve ainsi que le principe de légalité ont été violés. Elle souligne que ce jugement reproduit littéralement le rapport de police, ce qui est une atteinte au principe de légalité et au principe d’égalité devant la loi. De plus, son fils a été condamné en application d’une loi qui n’était pas en vigueur au moment des faits, lesquels ont été commis de juin à septembre 1986 alors que la sentence a été rendue en application de la loi n o  24651, qui avait été promulguée le 6 mars 1987.

5.4 L’auteur affirme que le jugement du 18 septembre 1998 constitue une violation des principes de liberté et de sécurité de la personne, du principe de l’égalité devant la loi et de la non ‑rétroactivité, du droit à une procédure équitable et à la protection effective de la justice.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’avait pas été soumise à une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement. Il a vérifié également que les recours internes avaient été épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 Le Comité note également que l’État partie n’a pas contesté que le paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif était applicable en l’espèce et n’a donc pas contesté que la communication était recevable. Par conséquent, et compte tenu des allégations de l’auteur, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond sur la base des informations données par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen de la communication sur le fond

7.1 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui affirme que son fils a subi des mauvais traitements pendant sa détention dans les locaux de la police, le Comité note que si l’auteur ne donne pas de précisions à ce sujet elle a joint des copies des pièces du procès tenu le 30 janvier 1998 qui montrent que devant le juge son fils a décrit en détail les actes de torture qu’il avait subis. Étant donné que l’État partie n’a pas donné de renseignement à ce sujet et qu’il n’a pas non plus diligenté d’office une enquête sur les faits relatés, le Comité considère qu’il y a eu violation de l’article 7 du Pacte.

7.2 En ce qui concerne les allégations de violation du droit à la liberté et à la sécurité de la personne et le fait que le fils de l’auteur a été arrêté sans mandat, le Comité regrette que l’État partie n’ait pas répondu explicitement et qu’il se soit contenté d’affirmer, en termes généraux, que l’arrestation de M. Gómez Casafranca avait été effectuée conformément à la législation péruvienne. Le Comité prend également note de l’allégation de l’auteur qui a affirmé que son fils avait été maintenu en détention dans les locaux de la police pendant 22 jours, alors que la loi fixe un maximum de 15 jours. Étant donné que l’État partie n’a pas répondu à ces allégations, le Comité estime qu’il doit accorder le crédit voulu à ces affirmations. Par conséquent, le Comité estime qu’il y a eu violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 9 du Pacte.

7.3 En ce qui concerne les plaintes de l’auteur au titre de l’article 14, le Comité relève que M. Gómez Casafranca a été, après son acquittement en 1988 appelé á être rejugé par «une chambre sans visage» de la Cour suprême. Ce seul fait soulève des questions au titre des paragraphes 1 et 2 de l’article 14. Prenant en compte le fait que M. Gómez Casafranca fut condamné suite à un nouveau procès en 1998, le Comité estime que, en dépit de toute mesure prise pour la Chambre pénale spéciale contre le terrorisme afin de garantir la présomption d’innocence de M. Gómez Casafranca, le délai de presque 12 ans par rapport à la date où les faits ont eu lieu, et de 10 ans par rapport au premier procès, constitue une violation du droit de la victime à être jugée sans retard excessif prévu à l’article 14.3 c). Dans les circonstances du présent cas, le Comité conclu qu’il y a eu une violation de l’article 14 du Pacte, relatif au droit à un procès équitable, pris dans son ensemble.

7.4 En ce qui concerne l’allégation de violation du principe de la non ‑rétroactivité et du principe de l’égalité devant la loi, violation qui serait constituée par l’application de la loi n o  24651 du 6 mars 1987, postérieure aux faits incriminés, le Comité relève que l’État partie reconnaît qu’il en a bien été ainsi. S’il est vrai, comme le dit l’État partie lui ‑même, que les actes de terrorisme étaient déjà au moment des faits qualifiés d’infractions par les dispositions du décret législatif n o  46 de mars 1981, il n’en est pas moins vrai que la loi n o  24651 de 1987 modifie les peines, et prévoit une peine minimale plus lourde, c’est ‑à ‑dire aggrave la situation des condamnés . Bien que M. Gómez Casafranca fut condamné à la peine minimale de 25 ans, en vertu de la nouvelle loi, cette peine représente plus que le double de la peine minimal établie par la précédente loi, et le tribunal n’a donné aucune explication sur ce qu’aurait été la condamnation au titre de l’ancienne loi si cette dernière était encore en vigueur. Pour cette raison, le Comité conclut qu’il y a eu violation de l’article 15 du Pacte.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7, des paragraphes 1 et 3 de l’article 9, de l’article 14 et de l’article 15 du Pacte.

9. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie doit remettre M. Gómez Casafranca en liberté et lui assurer une indemnisation appropriée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

Y. Communication n o  983/2001, Love et consorts c. Australie * (Constatations adoptées le 25 mars 2003, soixante-dix-septième session)

Présentée par : M. John K. Love, William L. Bone, William J. Craig et Peter B. Ivanoff (représentés par un conseil, Kathryn Fawcett)

Au nom de : Les auteurs

État partie : Australie

Date de la communication : 1 er août 1997 (communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 mars 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n° 983/2001 présentée par MM. John K. Love, William L. Bone, William J. Craig et Peter B. Ivanoff, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. Les auteurs de la communication sont William L. Bone, William J. Craig, Peter B. Ivanoff et John K. Love, tous de nationalité australienne, qui affirment être victimes d’une violation par l’Australie des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs sont représentés par un conseil. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur pour l’Australie le 25 décembre 1991.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Le 27 octobre 1989, le 24 novembre 1989, le 10 janvier 1990 et le 24 mars 1990 respectivement, MM. Ivanoff, Love, Bone et Graig, qui sont tous des pilotes expérimentés, ont commencé à travailler sous contrat en qualité de pilotes à bord d’appareils des lignes intérieures de la compagnie Australian Airlines, rachetée ultérieurement par Qantas Airlines Limited. L’État détenait alors 100 % du capital d’Australian Airlines, dont la direction était nommée par les pouvoirs publics. La compagnie a mis fin aux contrats des auteurs lorsqu’ils ont atteint l’âge de 60 ans, suivant en cela sa politique de départ obligatoire à la retraite à partir d’un certain âge. Les dates respectives de départ d’office à la retraite tombaient la veille du jour de leurs 60 ans, soit pour M. Craig le 29 août 1990, M. Ivanoff le 18 septembre 1990, M. Bone le 12 octobre 1991 et M. Love le 17 mai 1992. Leurs contrats de travail ne contenaient pas de clause indiquant expressément qu’ils auraient à partir à la retraite à cet âge ni à aucun autre. Chacun des auteurs était en possession d’une licence de pilotage en cours de validité, ainsi que de certificats médicaux, au moment où il a été mis fin à leur contrat. Après son licenciement, M. Ivanoff a été engagé par une autre compagnie aérienne comme commandant de bord d’un B727 et, en 1997, il exerçait les fonctions d’instructeur sur un simulateur de vol de B737 .

2.2 Dès le 25 décembre 1991, la compagnie aérienne a rejeté les demandes de négociation de réembauche des auteurs. Le 12 juin 1992, les quatre auteurs ont déposé une plainte auprès de la Commission australienne des droits de l’homme et de l’égalité des chances (HREOC) en faisant valoir qu’ils avaient été victimes de discrimination en raison de leur âge. L’instruction des plaintes a traîné en longueur, la compagnie refusant, au dire des auteurs, de prendre part à des négociations ou à une procédure de conciliation et, peut-être aussi, à cause de rapports médicaux litigieux. Après la reprise, en 1993, d’Australian Airlines par la compagnie nationale Qantas, celle-ci a été entièrement privatisée le 31 juillet 1995.

2.3 Le 30 mars 1994, la loi fédérale sur les relations professionnelles de 1988 a été modifiée: elle interdit désormais tout licenciement motivé par l’âge. Alors que cet amendement avait été adopté, un certain M. Allman, lui aussi pilote chez Australian Airlines, a perdu son emploi lorsqu’il a atteint l’âge de 60 ans. Il a poursuivi la compagnie en justice et, le 18 mars 1995, le tribunal des relations professionnelles s’est prononcé en sa faveur. M. Allman a alors été réembauché. À compter de cette date, Qantas (qui avait racheté Australian Airlines) a cessé d’imposer un âge de départ à la retraite aux pilotes de ses lignes intérieures.

2.4 Le 14 août 1995, le Commissaire aux droits de l’homme (de l’époque) qui a pour fonction d’enquêter, dans le cadre de la HREOC, sur tout acte ou pratique susceptible d’être discriminatoire, s’est penché sur les constatations de ses prédécesseurs qui avaient conclu au caractère discriminatoire du départ obligatoire à la retraite, et il est parvenu à la même conclusion. Le 9 novembre 1995, il a diligenté une enquête sur le licenciement des auteurs, sur la base de communications de Qantas (en qualité de défendeur) et des auteurs. Le 12 avril 1996, le Commissaire a jugé que l’obligation faite aux auteurs de partir à la retraite au moment où ils atteignaient l’âge de 60 ans constituait une discrimination par l’âge en matière d’emploi. Il a rejeté l’argument selon lequel la limite d’âge de 60 ans était requise en elle-même pour garantir la sécurité des transports aériens. Il a recommandé à Qantas: i) de renoncer à la pratique consistant à mettre obligatoirement ses employés à la retraite du seul fait qu’ils atteignaient l’âge de 60 ans; ii) d’indemniser les auteurs de la perte de salaire que cette pratique discriminatoire leur avait fait subir; iii) de faire le nécessaire pour que M. Ivanoff puisse passer le bilan de santé pour les «plus de 60 ans» et, dans l’hypothèse où M. Ivanoff satisferait à ces exigences et à d’autres critères de l’Office de l’aviation civile, le réembaucher et, si nécessaire, le recycler pour qu’il puisse voler sur des appareils équivalents ou pratiquement équivalents à ceux sur lesquels il volait avant d’être mis d’office à la retraite. De façon plus générale, il a recommandé au Gouvernement fédéral de proscrire purement et simplement la discrimination par l’âge au plan national et, notamment, de supprimer les clauses sur le départ obligatoire à la retraite de la loi sur le service public de 1922 et d’autres textes de loi fédéraux.

2.5 La compagnie Qantas, désormais privatisée, a refusé d’avaliser les conclusions du Commissaire et rejeté la recommandation qui lui avait été faite d’indemniser les requérants. Le 10 mai 1996, ses conseillers juridiques ont répondu à la HREOC que, d’une manière générale, la compagnie ne mettait plus d’office son personnel à la retraite lorsqu’il atteignait l’âge de 60 ans, tout en estimant qu’il n’y avait pas lieu d’accepter les recommandations de réembauche ou d’indemnisation formulées par la HREOC en l’espèce. La compagnie a fait observer que sa politique, qui s’inspirait essentiellement d’un souci de sécurité aérienne, était légitime et que la législation habilitant la HREOC à formuler des recommandations ne la remettait pas en cause. Elle a rappelé qu’elle avait bien précisé, pendant les auditions tenues par la HREOC, qu’elle ne serait pas disposée à accepter des recommandations de réembauche ou d’indemnisation.

Teneur de la plainte

3. Les auteurs se plaignent de ce que l’Australie a violé leur droit à la non-discrimination par l’âge consacré à l’article 26, en ne les protégeant pas d’un licenciement motivé par un critère pourtant interdit. Ils se plaignent aussi de ce que ce même article 26, qui protège d’une discrimination par l’âge, a été violé par le refus d’Australian Airlines d’engager des négociations de réembauche au sujet de M. Ivanoff et par le fait que, depuis le 25 décembre 1991, l’État n’a rien fait pour faciliter de telles négociations. De plus, ils soutiennent que, quand il s’est produit des violations, l’État partie est tenu de respecter les recommandations de réparation formulées par sa propre Commission des droits de l’homme. En réponse aux commentaires de l’État partie, les auteurs ajoutent que l’article 2 a été violé puisque l’État partie ne leur a pas garanti de recours utile alors qu’un droit reconnu par le Pacte avait été violé .

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Par des observations datées du 3 janvier 2002, l’État partie a répondu en contestant et la recevabilité et le fond de la communication.

4.2 En ce qui concerne la plainte de principe que l’État partie n’a pas donné suite aux recommandations de la HREOC, l’État partie considère que la plainte tout entière se situe ratione materiae hors du champ d’application du Pacte, car l’article 26 du Pacte n’exige rien de tel.

4.3 Abordant les recommandations spécifiques de la HREOC tendant i) à ce qu’il abroge les dispositions relatives au départ obligatoire à la retraite de la loi sur le service public de 1922 et d’autres textes de loi fédéraux et ii) à ce qu’il interdise complètement à l’échelon national la discrimination par l’âge, l’État partie ajoute que l’allégation est irrecevable ratione personae car les intéressés ne sont pas victimes de ce que l’État partie n’aurait rien fait dans un cas ni dans l’autre. En effet, pour ce qui est du point i), les auteurs n’étaient pas employés en vertu de la loi sur le service public de 1922, aussi aucune modification ou absence de modification de cette loi ne les aurait touchés. Pour ce qui est du point ii), les auteurs n’ont pas expliqué en quoi ils étaient touchés par l’absence d’une interdiction générale de la discrimination par l’âge. Rien n’indique qu’un tel dispositif législatif aurait pesé sur les décisions de licenciement. Les auteurs n’apportent pas non plus la preuve qu’ils ont fait l’objet d’une discrimination après leur licenciement ni n’expliquent comment un tel dispositif l’aurait, le cas échéant, empêchée.

4.4 Se référant à ces allégations quant au fond, l’État partie déclare pour ce qui est du point i), que la loi sur le service public de 1999 a supprimé l’âge de départ obligatoire à la retraite pour les fonctionnaires du Commonwealth (de la Fédération). Pour ce qui est du point ii), l’État partie note que la nouvelle législation, qui vise à changer d’anciennes traditions sociales, ne peut se traduire dans les faits du jour au lendemain . Il est bon que les États, lorsqu’ils modifient des dispositifs législatifs, jouissent du temps nécessaire pour appliquer les modifications adoptées dans le respect des procédures démocratiques et constitutionnelles. L’État partie a ainsi décidé de mettre en œuvre l’une des principales recommandations du rapport de 2000 de la HREOC sur les «questions d’âge» en mettant au point une loi fédérale proscrivant la discrimination par l’âge, en consultation avec les milieux d’affaires et des groupes communautaires. La rédaction de ce texte est en cours. L’État partie a aussi aboli le départ obligatoire à la retraite dans plusieurs secteurs du ressort du Commonwealth (loi sur le service public de 1999 et loi portant abolition du départ obligatoire à la retraite (fonctionnaires) de 2001) et se propose d’abolir les clauses de cette nature applicables aux dirigeants d’entreprises publiques. En 1996, la loi relative aux relations sur les lieux de travail de 1996, qui remplace la loi sur les relations professionnelles, a interdit les licenciements en raison de l’âge. Dans les États et territoires, la discrimination est interdite en ce qui concerne l’emploi, l’éducation et la formation, le logement, les biens et services et les clubs. L’État partie fait donc valoir qu’il prend en fait des mesures progressives tendant à éliminer ce type de discrimination.

4.5 Quant à la plainte selon laquelle i) les licenciements d’Australian Airlines violaient l’article 26, tout comme ii) le fait que l’État n’en aurait pas protégé les auteurs, l’État partie soutient qu’elle est irrecevable ratione temporis pour ce qui est de MM. Bone, Craig et Ivanoff. Ces trois auteurs ont en effet été licenciés avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Ils n’ont pas affirmé non plus qu’ils continuaient de subir des effets de cette mesure qui, en soi, constitueraient une violation du Pacte. Pour l’État partie, la conséquence des licenciements − le fait de ne plus être employé − ne constituait pas en soi une violation du Pacte car les licenciements étaient des événements uniques dans le temps. Toute démonstration faisant valoir des effets persistants en raison du refus de réembaucher les auteurs pourrait établir éventuellement, pour autant qu’elle fût bien argumentée, un nouvel acte, distinct, de discrimination.

4.6 Par ailleurs, l’État partie fait valoir pour ce qui est du point i) que, comme les licenciements étaient le fait d’une société commerciale plutôt que des pouvoirs publics, la plainte ne concerne pas un État partie, comme le veut l’article premier du Protocole facultatif. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle les communications visant des entités autres que les États sont irrecevables . L’État partie fait valoir que sa responsabilité pour les actes d’une société commerciale est fonction des liens qu’il entretient avec elle. Les actes d’une entité qui ne fait pas formellement partie de la structure de l’État peuvent constituer malgré tout des actes de l’État si le droit interne habilite ladite entité à exercer des éléments de la puissance publique . En l’occurrence, s’il est vrai que l’État partie détenait l’ensemble du capital d’Australian Airlines, entreprise publique du Commonwealth ( Commonwealth Government Business Entreprise ou CGBE), il est tout aussi vrai qu’à l’époque des licenciements les pouvoirs publics n’intervenaient pas dans la gestion de ses affaires courantes.

4.7 L’État partie explique que ses relations avec la compagnie aérienne obéissaient à un ensemble de textes législatifs, conjuguant dispositions générales d’administration et politique de l’État envers les entreprises publiques (CGBE). En 1988, la politique a changé, au profit de l’autonomie et d’une marge de manœuvre accrue de la compagnie aérienne, assorties d’un contrôle restreint des pouvoirs publics. Suite à l’adoption en 1988 de la loi sur Australian Airlines (transformation en entreprise publique), le service public a été déchargé des contrôles courants et davantage d’opérations sont devenues sujettes à des décisions de gestion commerciale dépendant d’un conseil d’administration aux responsabilités accrues. En tant que telles, les questions de personnel relevaient de la gestion de la compagnie, sous la direction de son conseil d’administration et suivant des directives de caractère général des pouvoirs publics. Société commerciale, la compagnie était libre de ses actes et n’exerçait aucun attribut de la puissance publique. En conséquence, s’il y a eu discrimination (ce que l’État partie conteste), Australian Airlines en est responsable et non l’État partie.

4.8 Quant au fond de la plainte, l’État partie affirme que les licenciements étaient fondés sur des critères raisonnables et objectifs et ne violaient pas l’article 26 et, en conséquence, que les auteurs n’avaient pas besoin d’être protégés contre une telle mesure. Il renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle des distinctions fondées sur des motifs raisonnables et objectifs et visant un but légitime ne sont pas discriminatoires. Il soutient que, dans un souci de logique et d’équité, il convient de se prononcer au vu des informations disponibles au moment où la décision incriminée a été prise. Ainsi, l’apparition ultérieure d’une pratique contraire ne permet pas de tirer un trait sur une distinction qui était raisonnable et objective eu égard aux informations d’ordre médical dont la compagnie aérienne disposait à l’époque.

4.9 L’État partie fait observer que le critère du Comité diffère de celui appliqué par la HREOC et les tribunaux australiens, à savoir le critère des «exigences propres» de l’emploi qui justifie une distinction par l’âge . C’est pourquoi les décisions de ces instances locales qui refusent l’idée qu’un âge particulier constitue une exigence médicale propre ne règlent pas la question plus vaste de savoir si les licenciements étaient objectivement et raisonnablement justifiés.

4.10 S’agissant du cas d’espèce, l’État partie fait valoir que les licenciements étaient justifiés, dans la mesure où ils découlaient d’une norme internationalement admise, fondée sur des études et des rapports médicaux, adoptée pour assurer le maximum de sécurité possible aux passagers et aux autres personnes intéressées par les voyages aériens (but légitime au regard du Pacte). Devant la HREOC, Qantas a fait valoir que le départ d’office à la retraite était nécessaire si l’on voulait réduire au minimum le risque pour la sécurité des passagers, de l’équipage et de la population en général; s’il était vrai que toute limite d’âge était arbitraire, puisque certains pilotes en pleine possession de leurs moyens seraient contraints de partir, la limite des 60 ans ménageait un assez bon équilibre entre l’intérêt des pilotes qui souhaitaient prolonger leur carrière et la sécurité publique. De même, la décision du responsable des pilotes d’Australian Airlines d’imposer un départ d’office à la retraite était fondée sur une coutume établie de longue date et universellement admise des transports aériens australiens et sur les exigences propres de l’emploi.

4.11 L’État partie soutient que la décision a été prise à la lumière d’études et de rapports médicaux dont différents articles scientifiques publiés sur la question faisaient état . Dans l’affaire Christie dont les tribunaux avaient été saisis, les experts avaient aussi jugé la limite d’âge «prudente et nécessaire» et justifiée par les données médicales et opérationnelles. Bien que la HREOC ait admis la conclusion du tribunal dans l’affaire Christie selon laquelle «aucune des études citées n’étaye un lien quelconque de cause à effet entre [départ obligatoire à la retraite] et sécurité aérienne», l’État partie est d’avis que cette conclusion ne règle pas la question plus vaste des critères raisonnables et objectifs. Au contraire, les études et les données médicales disponibles à l’époque des licenciements étaient suffisantes pour donner à penser que le départ obligatoire à la retraite s’imposait pour des raisons de sécurité et que les licenciements étaient objectifs et raisonnables.

4.12 De plus, la politique du départ obligatoire à la retraite a été instituée eu égard aux normes de sécurité internationales établies par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qui sont censées être d’application obligatoire et que de nombreux États suivent parce qu’elles s’inscrivent parmi les meilleures pratiques. On attend des États qu’ils se conforment aux «normes» et s’emploient à se conformer aux «pratiques recommandées». La Convention relative à l’aviation civile internationale contient une norme qui fixe à 60 ans l’âge limite des commandants de bord sur les vols internationaux et recommande de fixer la même limite d’âge pour les copilotes. Cent soixante-deux États sur 186 n ’ont pas notifié l’OACI qu’ils ne respectaient pas cette norme. L’État partie en déduit qu’il existe une norme de sécurité internationale largement admise qui plaide en faveur du caractère raisonnable et objectif de ces licenciements.

4.13 En 1992, l’État partie a modifié ses règlements de l’aviation civile, permettant aux pilotes d’avions de ligne de 60 à 65 ans et même au-delà de voler s’ils avaient passé entre autres un contrôle d’aptitude à voler/examen de vol respectivement dans les 12 ou 6 mois précédant le vol. Le 3 mars 2000, il a notifié l’OACI qu’il s’écartait de la norme et de la pratique recommandée. Ainsi, il permet à des pilotes de plus de 60 ans de voler, tout en reconnaissant qu’un souci de sécurité exige l’adoption de mesures de précaution. S’il n’accepte plus que le départ d’office à la retraite à 60 ans soit indispensable en soi pour assurer la sécurité, à l’époque des licenciements, il était raisonnable et objectif que le départ d’office à la retraite repose sur cette considération, car à ce moment-là, il ressortait des rapports médicaux que les risques apparaissaient uniquement après 60 ans. Une telle distinction n’était donc pas contraire à l’article 26 et l’État partie n’était donc pas tenu de protéger les auteurs de son application.

4.14 Quant à l’allégation selon laquelle le refus d’engager des négociations de réembauche constituait une discrimination fondée sur l’âge, l’État partie fait valoir là encore que tout refus de cette nature provenait d’Australian Airlines, dont il n’était pas responsable. Qui plus est, cette allégation n’a pas été étayée car les auteurs n’ont fourni aucune information sur ces prétendus refus et n’ont pas expliqué non plus en quoi ceux ‑ci étaient assimilables à une discrimination par l’âge. La communication est donc irrecevable également au titre de ces deux motifs.

Commentaires des auteurs

5.1 Par un courrier daté du 14 mars 2002, les auteurs rejettent les observations de l’État partie.

5.2 Ils précisent d’emblée qu’ils ne formulent aucune allégation au sujet de la loi sur le service public de 1922.

5.3 Pour ce qui est de la première allégation, à savoir que l’État partie n’a pas légiféré pour interdire purement et simplement la discrimination par l’âge, comme la recommandation de la HREOC l’y invitait, les auteurs développent leur argumentation. Ils font valoir qu’en ne réagissant pas, l’État partie viole le Pacte. De plus, comme la HREOC est chargée au premier chef par ses statuts de protéger les droits consacrés par le Pacte, l’État partie, en ne donnant pas effet à ses recommandations, lorsqu’elle constate que ces droits ont été violés, manque aux obligations qui lui sont faites aux paragraphes 2 et 3 de l’article 2 et à l’article 26 du Pacte. À défaut et au minimum, il faudrait considérer le fait de ne pas donner suite aux recommandations de la HREOC comme une preuve de la violation du Pacte.

5.4 Pour ce qui est de la recevabilité de la première allégation, les auteurs citent le critère des droits auxquels «il est effectivement porté atteinte» retenu dans l’affaire des Mauriciennes , soutenant qu’ils ne formulent pas d’allégations abstraites, mais au contraire satisfont à cette condition pour les raisons suivantes: i) au moment de leur licenciement, il n’existait pas de loi rendant cette politique illégale et/ou ii) lorsque des actions ont été engagées le 12 juin 1992, il n’existait pas de loi leur permettant de contester utilement leur licenciement, et/ou iii) au moment où la HREOC a publié ses recommandations, il n’existait pas de loi permettant de les mettre en œuvre et/ou iv), dans le cas de M. Ivanoff, il n’existait pas de disposition lui permettant d’obtenir réparation pour non ‑réembauche à ce moment-là.

5.5 Pour ce qui est de la première allégation quant au fond, les auteurs invitent le Comité à rejeter les observations de l’État partie faisant état d’une application progressive dans le temps des recommandations de la HREOC. Ils font valoir que si le Gouvernement a bien reçu des recommandations tendant à interdire purement et simplement la discrimination par l’âge au fil des ans, il n’a donné aucune précision sur l’état d’avancement de la rédaction d’un «projet portant interdiction de la discrimination par l’âge» ni sur sa teneur ni sur la question de savoir si et quand il entrera éventuellement en vigueur. C’est ce qui fait, au dire des auteurs, que leur cas se distingue de l’affaire Pauger c. Autriche , où des informations sur le calendrier et la mise en œuvre des textes de loi nécessaires avaient été fournies. Si le Comité admet que l’État partie prend les mesures appropriées, les auteurs notent que dans l’affaire Pauger , le Comité avait considéré que l’État partie reconnaissait implicitement que la plainte était fondée. De même ici, selon les auteurs, l’État partie n’avait pas nié que le fait de ne pas interdire purement et simplement la discrimination par l’âge violait le Pacte. Au contraire, en décrivant les mesures prises pour remédier à ce manquement, il reconnaît qu’il y a bien eu manquement. De surcroît, dans l’affaire Pauger , le Comité était d’avis que l’État partie devait offrir à la victime une voie de recours appropriée en dépit des mesures prises; les auteurs invitent ici le Comité à faire de même.

5.6 Pour ce qui est de la deuxième allégation (à savoir que l’État partie a permis le renvoi des auteurs par Australian Airlines pour des raisons discriminatoires en violation des obligations qui lui étaient faites à l’article 26), i) les auteurs rejettent les arguments de l’État partie sur la recevabilité. Quant aux arguments d’irrecevabilité ratione temporis avancés dans le cas des trois auteurs licenciés avant la date de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif le 25 décembre 1991 («la date pertinente»), ils font valoir que ces actes de discrimination se sont poursuivis ou ont eu des effets persistants au-delà de cette date, sur plusieurs plans. En effet, postérieurement à la date pertinente, a) ils ont été empêchés de travailler pour leur ancien employeur, en raison de la politique de départ obligatoire à la retraite; b) ils ont déposé des plaintes auprès de la HREOC; c) la HREOC s’est prononcée en leur faveur, et d) leur ancien employeur n’a pas donné suite aux conclusions de la HREOC et, dans le cas de M. Ivanoff, ne l’a pas réembauché.

5.7 Les auteurs rejettent aussi l’argument d’irrecevabilité ratione personae par lequel l’État partie affirmait que, comme Australian Airlines était une société commerciale et une entreprise publique du Commonwealth (CGBE) à l’époque des licenciements, assujettie aux «dispositions normales applicables au contrôle, au fonctionnement, aux responsabilités et à l’exécution des activités de l’entreprise», il n’avait commis aucune violation. Selon eux, même si des mesures avaient été prises pour donner une certaine indépendance à la compagnie, sa constitution en société commerciale avait eu lieu conformément à la loi et le Gouvernement de l’État partie détenait l’ensemble de son capital. Ils affirment que le Gouvernement était en dernier ressort responsable des décisions de gestion en sa qualité de seul et unique actionnaire et était donc directement responsable des licenciements discriminatoires. De plus, l’État partie était responsable des licenciements, ainsi que des effets qu’ils avaient eus par la suite faute d’avoir adopté des dispositions législatives empêchant la discrimination par l’âge.

5.8 Pour ce qui est de la deuxième allégation quant au fond, les auteurs déclarent que les licenciements n’étaient pas fondés sur des motifs raisonnables et objectifs et qu’ils violaient par conséquent l’article 26. Ils affirment que le critère valable est de savoir si, à l’époque des licenciements, la distinction fondée sur l’âge était objective, raisonnable et légitime au regard d’un but consacré par le Pacte. Ils soutiennent que ce critère n’est pas foncièrement différent de celui appliqué par la HREOC et les tribunaux australiens qui s’étaient penchés sur la question de savoir si les exigences propres des fonctions de pilote faisaient qu’il fallait avoir moins de 60 ans pour occuper un tel emploi, et avaient estimé que tel n’était pas le cas. Les auteurs soutiennent que la HREOC, en rejetant les observations avancées par Australian Airlines, avait estimé implicitement que la distinction fondée sur l’âge n’était ni raisonnable ni objective et que, par conséquent, le Comité n’a pas besoin de réexaminer cette question depuis le début.

5.9 Les auteurs soulignent qu’un certain nombre des considérations maintenant avancées par l’État partie en faveur du caractère objectif et raisonnable de la distinction fondée sur l’âge ont été passées en revue par la HREOC dans ses conclusions. Elles touchaient notamment à l’idée a) que le principe du départ obligatoire à la retraite à un certain âge était fondé sur une norme internationalement admise, b) que des rapports médicaux étayaient cette politique, c) que cette politique assurait la meilleure sécurité aérienne possible pour les passagers, d) que la direction des pilotes d’Australian Airlines imposait un âge de départ obligatoire à la retraite à cause d’une pratique durablement établie dans cette branche d’activité. Les auteurs relèvent que l’État partie n’a pas appliqué les normes internationales sur lesquelles il cherche à se fonder pour justifier sa politique de départ d’office à la retraite. De fait, l’État partie concède qu’il ne reconnaît plus l’âge de 60 ans fixé pour le départ d’office à la retraite comme étant en soi nécessaire pour assurer la sécurité. Les auteurs ajoutent que, d’un point de vue objectif et raisonnable, pareille mesure n’a d’ailleurs jamais été nécessaire.

5.10 Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel le critère pertinent devrait être la conviction d’Australian Airlines qui, à l’époque avait jugé les licenciements raisonnables, les auteurs notent que ce type de critère «subjectif» a été rejeté par la HREOC. Ils estiment que le critère permettant de justifier la distinction doit être objectif, faute de quoi un État partie pourrait se contenter d’affirmer sa conviction que telle ou telle différenciation était raisonnable pour éviter d’être considéré comme étant en infraction par rapport au Pacte. Ils ajoutent que l’État partie n’a pas montré en quoi la distinction visait en l’espèce à réaliser «un but légitime au regard du Pacte», cet élément constituant un élément supplémentaire du critère «objectif et raisonnable» à satisfaire.

5.11 En tout état de cause, les auteurs tiennent que la décision de la HREOC était conforme à l’interprétation internationale donnée de la Convention n o 111 concernant la discrimination en matière d’emploi et de profession de l’Organisation internationale du Travail (OIT) . La Commission d’experts de l’OIT a fait des observations selon lesquelles les «qualifications exigées», en l’occurrence une distinction fondée sur l’âge pour un emploi déterminé, devaient être proportionnelles au but poursuivi et nécessaires en raison de la nature même de l’emploi considéré. Pour les auteurs, il faudrait prendre les constatations de la Commission d’experts en considération pour apprécier le «caractère objectif et raisonnable» de la mesure à la lumière de l’article 26.

5.12 En bref, les auteurs invitent le Comité à conclure que la distinction n’était pas fondée sur des motifs objectifs et raisonnables, à accepter les conclusions de la HREOC ou, s’il souhaitait reconsidérer tous les éléments de preuve en la matière, à inviter les auteurs à lui fournir de nouveaux éléments.

5.13 Pour ce qui est de la troisième allégation, à savoir que l’État partie, en violation du Pacte, n’a pas facilité la tentative faite par M. Ivanoff de se faire réembaucher, les auteurs rejettent les arguments d’irrecevabilité de l’État partie. Pour ce qui est des arguments avancés, ils estiment que la lettre du conseil de la compagnie aérienne à la HREOC, datée du 10 mai 1996, appuie leur allégation car elle montre bien que Qantas, dont la politique reposait sur la sécurité aérienne et n’était pas illégale, ne réembaucherait pas M. Ivanoff. Pour ce qui est de l’argument que l’État partie n’avait commis aucune violation, les auteurs réitèrent leurs arguments ci-dessus à ce sujet .

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1 Par un nouveau courrier du 13 mai 2002, l’État partie a répondu aux commentaires des auteurs, rappelant ses précédents courriers et formulant de nouvelles observations.

6.2 S’agissant de l’allégation selon laquelle le fait de ne pas interdire complètement la discrimination par l’âge violerait l’article 26 (qui vient s’ajouter à l’allégation de non-respect des recommandations de la HREOC), l’État partie affirme que, comme les licenciements des auteurs étaient justifiés par des motifs raisonnables et objectifs et n’étaient donc pas discriminatoires, la loi n’avait rien à interdire. En conséquence, le fait de ne pas interdire purement et simplement la discrimination par l’âge ne violait pas en l’espèce l’article 26.

6.3 L’État partie rejette l’argument du conseil selon lequel il aurait implicitement admis, en décrivant les mesures prises pour remédier à la situation, que son refus présumé d’adopter des mesures législatives avait violé l’article 26. Il réaffirme que les auteurs ne peuvent prétendre que l’absence de législation les a touchés in abstract dans la mesure où aucun acte de discrimination que ce soit n’a été commis à leur encontre.

6.4 L’État partie récuse l’idée que l’adoption de la législation tendant à interdire la discrimination par l’âge qu’il a dite en cours de rédaction répond aux conclusions faites par la HREOC en l’espèce. C’est bien plutôt en réponse aux recommandations formulées tout à fait à part dans le rapport de la HREOC de juin 2000 sur les «questions d’âge» que le Gouvernement met incidemment en œuvre la recommandation d’interdire complètement la discrimination par l’âge. L’État partie souligne qu’il n’adopte pas une loi portant interdiction générale de la discrimination par l’âge parce qu’il se considère comme étant en violation avec le Pacte, mais bien plutôt pour assurer un équilibre entre le besoin d’en finir avec une discrimination inéquitable fondée sur l’âge et le besoin de se ménager une marge de manœuvre suffisante pour tenir compte des cas où les conditions d’âge revêtent une importance particulière.

6.5 Répondant à l’interprétation donnée par le conseil dans l’affaire Pauger c. Autriche , l’État partie fait valoir que comme il n’y a pas eu violation du Pacte, il n’y a aucune raison pour que les auteurs aient droit à réparation. En réponse à l’observation du conseil selon laquelle (contrairement à l’affaire Pauger ), l’État partie n’a pas fourni suffisamment d’informations sur l’état d’avancement du projet de loi portant interdiction de la discrimination par l’âge, l’État partie déclare qu’il n’était pas nécessaire d’en donner davantage, puisqu’il n’y a pas eu de violation du Pacte. Néanmoins, pour aider le Comité, il indique que le Gouvernement a engagé le processus d’élaboration d’un texte de loi sur la discrimination par l’âge. Le Gouvernement consulte les milieux d’affaires et les associations communautaires représentant les personnes âgées, les enfants et les jeunes avant de prendre, en connaissance de cause, des décisions équilibrées sur la teneur spécifique du projet. Les autorités compétentes ont procédé aux travaux préliminaires pour identifier les principaux problèmes en jeu et les questions qui se posent à propos de la teneur d’un tel texte et il est probable que le projet de loi couvrira la discrimination par l’âge dans toutes sortes de domaines de la vie publique, comme l’emploi, l’éducation et l’accès aux biens, aux services et aux équipements. Le projet de loi sera présenté pendant le mandat de l’actuel Gouvernement.

6.6 Pour ce qui est de l’assertion selon laquelle le non-respect des recommandations de la HREOC violerait l’article 2 (outre l’article 26), l’État partie note qu’il s’agit-là d’une nouvelle allégation formulée tardivement dans le processus de communication et demande au Comité d’examiner s’il y a lieu d’accepter des allégations dont il n’était pas question dans la communication initiale. Le Comité est invité en particulier à constater que cette nouvelle allégation est sans rapport avec de nouveaux événements ou éléments de preuve et que par conséquent rien n’empêchait les auteurs de la formuler dans leur communication initiale. En tout état de cause, selon la jurisprudence constante du Comité, l’article 2 consacre un droit accessoire qui ne saurait être invoqué indépendamment d’un autre droit. Comme l’article 26 n’a pas été violé en l’occurrence, il ne saurait y avoir de violation de l’article 2.

6.7 Pour ce qui est de l’aspect temporel des prétendues violations, l’État partie rejette l’idée qu’elles aient le moindre effet persistant (pour Craig, Ivanoff et Bone), qui puisse constituer en soi une violation du Pacte . De façon plus précise, s’agissant des effets qui continueraient de se faire sentir au dire des auteurs, l’État partie note que le licenciement des auteurs a été un événement qui s’est produit une seule et unique fois dans le temps. Dans l’hypothèse où il y aurait eu violation du Pacte, cette violation se serait produite au moment du licenciement. Le fait que les auteurs n’aient pas pu travailler pour leur ancien employeur au-delà de la date de licenciement n’est pas en soi une violation du Pacte. Qui plus est, avoir le droit de porter plainte (devant la HREOC) et exercer ce droit n’est pas en soi une [preuve de la] violation du Pacte, de même que l’adoption (par la HREOC) de constatations en faveur des auteurs n’est pas en soi une [preuve de la] violation du Pacte. Enfin, comme le refus de mettre en œuvre les recommandations d’un organe interne de défense des droits de l’homme n’est pas une violation du Pacte, ce refus ne saurait constituer un effet persistant car il ne peut être en soi une violation du Pacte.

6.8 L’État partie fait valoir qu’il n’y a aucune preuve pour étayer l’assertion du conseil que la HREOC a formé la conclusion implicite que la distinction faite par Australian Airlines n’était ni objective ni raisonnable. Il poursuit en déclarant que, même en présence de telles preuves, «le Comité doit se prononcer lui-même sur la question de savoir si les licenciements des auteurs étaient objectifs et raisonnables. Le Comité [non la HREOC] est l’organe habilité par le Pacte à “recevoir et examiner des communications”. Il serait malvenu que le Comité subordonne son pouvoir de décision à un organe national alors que les États parties ont consenti à ce qu’il exerce son pouvoir de décision indépendamment des décisions prises par les organes nationaux».

6.9 Quant aux commentaires du conseil sur le caractère subjectif/objectif du critère à appliquer, l’État partie déclare qu’en se référant à la «conviction» dans ses observations, il ne voulait pas donner à penser que le Comité devrait examiner la question de savoir si les licenciements étaient raisonnables et objectifs au regard de la conviction du décideur. Au contraire, il voulait demander au Comité d’examiner si les licenciements étaient justifiés par des critères raisonnables et objectifs. Il ajoute que pour déterminer si les critères étaient raisonnables et objectifs il faut se reporter aux informations dont le décideur disposait à l’époque des faits.

6.10 L’État partie fait valoir qu’Australian Airlines a fondé sa décision de licencier les auteurs sur les critères objectifs et raisonnables dont la compagnie disposait alors, à la lumière de normes internationalement acceptées, d’études et de rapports médicaux et du souci de la sécurité des passagers. Relevant l’observation du conseil selon laquelle l’État n’avait pas montré en quoi la distinction faite dans le cas des auteurs visait à réaliser un «but légitime au regard du Pacte», l’État partie renvoie à ses observations selon lesquelles une mesure adoptée pour assurer les meilleures conditions de sécurité possibles aux passagers et aux autres personnes touchées par les voyages aériens représentait un but légitime au regard du Pacte. Tout simplement, un tel objectif relève de l’article 6 et n’est pas contraire au Pacte.

6.11 Quant à l’argument du conseil selon lequel la philosophie de la HREOC allait dans le sens de l’interprétation de la Convention n o 111 de l’OIT et devrait être respectée par le Comité, l’État partie fait valoir que l’interprétation de la Convention n o 111 de l’OIT n’a rien à voir avec l’affaire dont le Comité est saisi en vertu du Pacte et ne saurait contribuer à son règlement.

6.12 En réponse aux commentaires des auteurs pour qui le critère des «exigences propres», appliqué entre autres par la Commission d’experts de l’OIT, était grosso modo analogue au critère du «caractère objectif et raisonnable», l’État partie fait valoir qu’il existe des différences sensibles, car demander si une exigence est ou non nécessaire ne revient pas au même que demander si une exigence est ou non objective et raisonnable. Une exigence peut ne pas être nécessaire dans l’absolu, mais peut néanmoins être objective et raisonnable à la lumière des probabilités en jeu. L’État partie prie le Comité de suivre sa jurisprudence et d’appliquer le critère du caractère objectif et raisonnable plutôt que le critère des exigences propres/de la nécessité.

6.13 En réponse aux commentaires des auteurs selon lesquels l’État partie n’a pas appliqué les normes internationales qu’il fait valoir pour justifier sa politique de départ obligatoire à la retraite à un âge donné, l’État partie note que si la législation australienne ne reprend pas directement la norme de l’OACI citée, elle n’en respecte pas moins la norme dans le cas des appareils australiens qui pénètrent dans l’espace d’un pays qui suit cette norme − ou en sortent.

6.14 En réponse à la demande adressée par les auteurs au Comité l’invitant à demander des informations complémentaires s’il décide de revoir tous les éléments de preuve en l’espèce pour se prononcer conformément au critère du caractère objectif et raisonnable, l’État partie prie le Comité de noter que les auteurs avaient bien conscience que le Comité pouvait se prononcer en se fondant sur le critère du caractère objectif et raisonnable. Il demande en conséquence pourquoi les auteurs n’ont pas déjà soumis les preuves disponibles à l’appui de leurs assertions et retardent l’examen de la communication en la démontant pièce par pièce. L’État partie est convaincu que la question est prête à être examinée, mais demande qu’il lui soit donné la possibilité de répondre si le Comité invite les auteurs à lui soumettre un complément d’information.

6.15 Pour ce qui est de l’allégation portant sur le refus d’engager des négociations de réembauche, l’État partie maintient qu’aucun élément de preuve n’a été présenté indiquant que les décisions de ne pas engager de négociations de réembauche ou de ne pas réembaucher M. Ivanoff ont été prises sur une base autre que celle de considérations d’ordre juridique. En conséquence cette allégation n’est pas fondée et donc irrecevable.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité s’est assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité note aussi que l’État partie n’a pas fait savoir qu’il demeurait des recours internes à épuiser, aussi n’est-il pas empêché d’examiner la communication par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.3 Pour ce qui est des arguments de l’État partie selon lesquels les réclamations de trois des quatre auteurs (MM. Bone, Craig et Ivanoff) sont irrecevables ratione temporis , le Comité estime que les actes de discrimination présumée proprement dits se sont produits, une fois pour toutes, au moment des licenciements. Le Comité ne considère pas que les effets persistants de ces actes peuvent constituer en soi des violations du Pacte, ni que l’on puisse voir dans les refus ultérieurs d’engager des négociations de réembauche de nouveaux actes de discrimination indépendants des licenciements eux ‑mêmes. Par conséquent, les réclamations des trois auteurs susmentionnés sont irrecevables ratione temporis . Cependant, la réclamation de M. Love, étant fondée sur son licenciement après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, n’est pas irrecevable de ce chef.

7.4 Le Comité note les arguments supplémentaires de l’État partie sur la recevabilité selon lesquels le licenciement de M. Love était, en vérité, un acte à mettre au compte de la seule Australian Airlines et n’était pas, selon les règles d’attribution de la responsabilité des États, imputables à l’État partie, et que de surcroît M. Love ne saurait être considéré comme étant victime, aux termes du Protocole facultatif de l’ absence d’une interdiction de la discrimination fondée sur l’âge. Le Comité considère que, vu la nécessité d’examiner scrupuleusement et d’apprécier les faits particuliers en cause et le droit pertinent en la matière, il convient de se pencher sur ces arguments au stade de l’examen de la communication quant au fond, car ils sont intimement liés à l’évaluation de la portée de l’obligation de respecter et d’assurer l’égale protection de la loi face à un licenciement discriminatoire, obligation qui incombe à l’État partie en vertu de l’article 26 du Pacte.

7.5 Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle l’État partie serait directement tenu par le Pacte d’appliquer les conclusions d’organes internes de défense des droits de l’homme, comme la HREOC, qui ne sont pas exécutoires au regard du droit interne, le Comité estime que, s’il prêtera dûment attention aux constatations de ces organes, fondées totalement ou en partie sur les dispositions du Pacte, en dernière analyse, c’est à lui qu’il appartiendrait d’interpréter le Pacte de la manière qu’il estime correcte et appropriée. Le Comité partage l’avis de l’État partie que les États parties ont ratifié le Protocole facultatif étant entendu que c’est au Comité qu’il appartiendrait d’exercer son pouvoir de décision en matière d’interprétation du Pacte, indépendamment des décisions d’organes internes quels qu’ils soient. Par conséquent, l’idée d’une obligation qui serait faite aux États parties par le Pacte d’appliquer des constatations non exécutoires d’organes non judiciaires est incompatible ratione materiae avec le Pacte et cette réclamation particulière est irrecevable aux termes de l’article 3 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

8.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2 La question sur laquelle le Comité doit statuer quant au fond est de savoir si [l’] [les] auteur[s] [a] [ont] été victime[s] de discrimination, en violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une distinction n’entraîne pas systématiquement une discrimination, en violation de l’article 26, mais que des distinctions peuvent être justifiées par des motifs raisonnables et objectifs, dans la poursuite d’un but légitime au regard du Pacte. Bien que l’âge ne soit pas mentionné en tant que tel comme l’un des motifs de discrimination énumérés dans la deuxième phrase de l’article 26, le Comité est d’avis qu’une distinction relative à l’âge qui ne repose pas sur des critères raisonnables et objectifs peut constituer une discrimination fondée sur «une autre situation» au titre de la disposition en question ou un déni de l’égale protection de la loi au sens de la première phrase de l’article 26. Cependant, il est loin d’être évident que l’obligation de partir à la retraite à un certain âge constitue, dans tous les cas, une discrimination par l’âge. Le Comité prend acte du fait que des régimes de départ obligatoire à la retraite peuvent être notamment motivés par le souci de protéger les travailleurs en limitant le temps consacré au travail dans leur vie, surtout lorsqu’il existe des régimes de sécurité sociale de grande envergure qui garantissent la subsistance des personnes qui ont atteint cet âge. Des raisons liées à la politique de l’emploi peuvent aussi infléchir la législation ou la politique en la matière. Le Comité note que si l’Organisation internationale du Travail a mis au point un régime de protection élaboré contre la discrimination dans l’emploi, en revanche, aucune des Conventions de l’OIT ne semble interdire les dispositions prévoyant le départ obligatoire à la retraite à un certain âge. Ces considérations n’exempteront naturellement pas le Comité de la nécessité de s’interroger, à la lumière de l’article 26 du Pacte, sur le caractère éventuellement discriminatoire de tel ou tel arrangement particulier prescrivant le départ obligatoire à la retraite à un âge donné.

8.3 Dans le cas présent, comme le note l’État partie, le but qui est de garantir les meilleures conditions de sécurité possibles aux passagers, à l’équipage et aux autres personnes touchées par les transports aériens était un but légitime au regard du Pacte. Pour ce qui est du caractère raisonnable et objectif de la distinction faite en fonction de l’âge, le Comité prend en compte la pratique nationale et internationale, répandue au moment des licenciements, consistant à imposer un âge de départ obligatoire à la retraite fixé à 60 ans. Pour justifier la pratique des licenciements suivie à l’époque, l’État partie s’est référé au régime de l’OACI qui visait et était compris comme visant à garantir le maximum de sécurité en vol. Dans ces conditions, le Comité ne saurait conclure que la distinction faite n’était pas, au moment du licenciement de M. Love, fondée sur des considérations raisonnables. En conséquence, le Comité ne peut conclure à l’existence d’une violation de l’article 26.

8.4 À la lumière de la conclusion ci-dessus, selon laquelle, M. Love n’a pas subi de discrimination en violation de l’article 26, il est inutile de trancher la question de savoir si le licenciement était directement imputable à l’État partie ou si la responsabilité de l’État partie serait engagée du fait qu’il n’a pas empêché une discrimination par une tierce partie.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation de l’article 26 du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Nisuke Ando, membre du Comité (opinion concordante)

Je partage la conclusion figurant dans les constatations de la majorité selon laquelle le fait d’imposer un départ obligatoire à la retraite à l’âge de 60 ans ne constitue pas une violation de l’article 26. Cela dit, pour les raisons ci ‑après, je ne peux souscrire à l’affirmation contenue dans les constatations selon laquelle «une distinction liée à l’âge … peut constituer une discrimination fondée sur une “autre situation” en application de la disposition en question, ou un déni de l’égale protection de la loi au sens de la première phrase de l’article 26» (par. 8.2):

Premièrement , je considère que l’expression «toute autre situation» ne s’applique pas à l’«âge» parce que ce critère revêt un caractère distinct qui le différencie de tous les motifs énumérés à l’article 26. Ces différents motifs ne sont applicables qu’à un segment déterminé de l’espèce humaine, aussi large qu’il puisse être. En revanche, l’âge concerne tous les êtres humains, et en raison de cette spécificité, il constitue un motif pour traiter différemment une catégorie de personnes sous tous les aspects du régime du Pacte. Par exemple, en application du paragraphe 5 de l’article 6, il est interdit d’imposer une sentence de mort à des personnes de moins de 18 ans et le paragraphe 2 de l’article 23 mentionne «l’homme et la femme à partir de l’âge nubile». En outre, des expressions telles que «tout enfant» (art. 24) et «tout citoyen» (art. 25) présupposent qu’un certain âge constitue un motif légitime de distinction entre les personnes. Selon moi, l’expression «toute autre situation» qui figure à l’article 26 devrait être interprétée comme se rapportant à la caractéristique qui est commune à tous les motifs énumérés dans cet article, ce qui exclut l’âge. Il va de soi que cela n’empêche pas qu’une distinction fondée sur l’«âge» puisse soulever des questions au titre de l’article 26, mais il découle de l’expression «notamment de» qui précède l’énumération qu’il n’est pas nécessaire d’inclure l’«âge» dans «toute autre situation».

Deuxièmement , je doute qu’il soit question dans la présente affaire «d’un déni de l’égale protection de la loi au sens de la première phrase de l’article 26». En substance, les auteurs dans la présente affaire affirment que les «qualifications professionnelles» requises pour être pilote doivent être jugées en fonction des capacités (aptitudes) physiques et autres de chaque individu, qu’imposer un âge obligatoire de départ à la retraite c’est ne faire aucun cas de ce principe et qu’une telle mesure constitue une discrimination fondée sur l’âge interdite par l’article 26. Cela revient à dire que le fait de traiter différemment des personnes du même âge n’ayant pas les mêmes capacités constitue une violation du principe de l’égale protection de la loi. Or, pour pouvoir exercer une profession, il est généralement nécessaire d’avoir un certain âge, même si une personne qui n’a pas encore atteint l’âge en question peut fort bien avoir les aptitudes requises pour exercer ladite profession. En d’autres termes, il y a généralement un âge minimum et un âge maximum pour l’exercice d’une profession et ces exigences sont sans rapport avec le principe de l’égale protection de la loi.

Troisièmement , selon moi, il est question dans la présente affaire du «droit au travail» et des «restrictions légitimes» dont il peut faire l’objet en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (par. 1 de l’article 6 et art. 4, respectivement). Ce qui est donc en cause, c’est le juste équilibre entre un droit économique ou social et les limitations qui s’y rapportent. Bien sûr, l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques interdit la discrimination de jure ou de facto dans tout domaine réglementé et protégé par les pouvoirs publics, et il s’applique par conséquent aussi aux droits économiques ou sociaux. Néanmoins, comme c’est le cas dans la présente affaire, les limitations à l’exercice de certains droits économiques ou sociaux, en particulier le droit au travail ou à une pension ou à la sécurité sociale, nécessitent un examen minutieux de différents facteurs économiques et sociaux pour lesquels l’État partie concerné est généralement le mieux placé pour procéder à une évaluation objective et raisonnable et opérer les ajustements nécessaires. Cela signifie que le Comité des droits de l’homme devrait respecter les restrictions à ces droits fixées par l’État partie concerné à moins qu’elles ne soient manifestement entachées d’irrégularités de procédure injustes ou qu’elles n’entraînent manifestement des résultats inéquitables.

( Signé ) Nisuke Ando

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Opinion individuelle de M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati (opinion concordante)

La question qui se pose est de savoir si le fait d’imposer un départ obligatoire à la retraite à l’âge de 60 ans pour les pilotes de ligne peut être considéré comme une violation de l’article 26 du Pacte. L’article 26 n’interdit pas explicitement la discrimination en fonction de l’âge, lequel ne figure pas parmi les motifs prohibés de discrimination qui y sont énoncés. L’article 26 n’est donc pas applicable en l’espèce: voilà l’un des arguments qui pourrait être avancé.

Cet argument, aussi plausible qu’il puisse paraître, n’est à mon avis pas acceptable. Il y a à cela deux très bonnes raisons.

Tout d’abord, l’article 26 consacre la garantie de l’égalité devant la loi et de la non ‑discrimination. Il s’agit là d’une garantie contre tout arbitraire dans l’action de l’État. L’égalité est l’antithèse de l’arbitraire. L’article 26 vise donc à lutter contre d’éventuelles mesures arbitraires d’un État. Cela étant, on ne peut pas qualifier d’arbitraire le fait de fixer l’âge de départ à la retraite à 60 ans pour les pilotes de ligne. L’on n’est pas dans le cas où un âge aurait été arbitrairement choisi par l’État partie. Il n’est pas singulier que l’âge de départ en retraite des pilotes de ligne soit fixé à 60 ans dans un grand nombre de pays, dans la mesure où il n’est pas déraisonnable de penser que c’est l’âge à partir duquel le temps peut faire sentir ses effets sur les pilotes de ligne, en particulier si l’on tient compte du fait que le pilotage des avions dont ils ont la responsabilité demande énormément d’énergie, de vigilance, de concentration et de présence d’esprit. Je ne pense pas que le fait de choisir l’âge de 60 ans comme âge obligatoire de départ en retraite pour des pilotes de ligne puisse être qualifié d’arbitraire ou de déraisonnable au point de constituer une violation de l’article 26.

Ensuite, le terme «notamment» précédant les motifs de discrimination énoncés au paragraphe 26 indique clairement qu’il s’agit d’une énumération non exhaustive d’exemples. L’âge n’est donc pas exclu des motifs de discrimination prohibés. Par ailleurs, le mot «situation» peut être interprété comme comprenant l’âge. On est donc fondé à dire que, s’il y avait discrimination en raison de l’âge, l’article 26 serait applicable. Reste qu’il faut qu’il y ait discrimination. Or, toute différenciation n’est pas nécessairement synonyme de discrimination. Une différenciation qui serait fondée sur un critère objectif et raisonnable ayant un rapport logique avec l’objectif recherché ne relèverait pas de l’article 26. En l’espèce et pour les raisons exposées au paragraphe ci ‑dessus, imposer l’âge de 60 ans comme âge de départ obligatoire à la retraite pour les pilotes de ligne ne pouvait pas être considéré comme arbitraire ou déraisonnable, compte tenu de la nécessité d’assurer une sécurité maximale, et ne saurait par conséquent constituer une violation de l’article 26.

( Signé ) Prafullachandra Natwarlal Bhagwati

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Z. Communication n o  986/2001, Semey c. Espagne * (Constatations adoptées le 30 juillet 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par : M. Joseph Semey

Au nom de : L’auteur

État partie : Espagne

Date de la communication : 18 décembre 1999 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 juillet 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  986/2001 présentée par M. Joseph Semey, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication est M. Joseph Semey , citoyen canadien et camerounais, actuellement détenu au Centre pénitentiaire de Ségovie (Espagne) . Il se dit victime de violations par l’Espagne du paragraphe 1, du paragraphe 2, du paragraphe 3 d) et e) et du paragraphe 5 de l’article 14 ainsi que de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans une deuxième lettre, il se dit également victime de violation par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un avocat.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 29 octobre 1991, une femme dénommée Isabel Pernas est arrivée à Lanzarote (îles Canaries) par un vol en provenance de Madrid. À son arrivée à Lanzarote, la police l’a arrêtée pour un contrôle. À ce moment ‑là, un passager de race noire portant une casquette et des lunettes a quitté rapidement la salle de retrait des bagages sans récupérer un sac de voyage censé lui appartenir. Ce sac était enregistré au nom de Remi Roger. La femme, qui transportait de la drogue à même le corps, a déclaré que la drogue lui avait été remise à Madrid par un certain Johnson.

2.2 L’auteur de la communication, Joseph Semey, déclare avoir été arrêté et détenu à Madrid le 7 février 1992 et condamné à 12 ans de prison, bien qu’innocent, par la juridiction provinciale ( Audiencia Provincial ) de Las Palmas en mars 1995 pour un prétendu délit contre la santé publique qu’il n’a jamais commis. D’après l’auteur, il n’a été impliqué dans les faits en question que sur la base des déclarations de M me  Isabel Pernas, motivées selon l’auteur par l’inimitié existant entre lui ‑même et la famille du fiancé de M me  Isabel Pernas, dénommé Demetrio. À ce sujet, l’auteur informe le Comité qu’il a été emprisonné, auparavant, pour avoir été impliqué directement dans un délit d’homicide sur la personne du cousin de Demetrio et qu’il venait de sortir de prison lorsqu’il s’est trouvé mis en cause à tort dans cette histoire.

2.3 Selon l’auteur, M me  Isabel Pernas a déclaré à la police qu’elle avait fait sa connaissance à Madrid, dans une discothèque, la veille du jour où elle a été arrêtée avec la drogue et que c’est lors de cette rencontre que l’auteur se serait mis d’accord avec elle sur le transport de la drogue de Madrid à Lanzarote. D’après l’auteur, c’est faux, étant donné que le 28 octobre 1991 était le jour de fermeture de la discothèque en question ( Discoteca Los Sueños ) (l’auteur joint à l’appui de son affirmation un document signé par le directeur de la discothèque).

2.4 L’auteur explique que l’affirmation de M me  Isabel Pernas selon laquelle il l’accompagnait lors du voyage à Lanzarote et s’est servi du nom de Remi Roger est une invention. D’après lui, Remi Roger était un ami intime d’Isabel Pernas et de son fiancé Demetrio. L’auteur indique que Remi Roger, un autre jeune de race noire et lui ‑même partageaient un appartement à Madrid et que Doña Angela Peñalo Ortiz, fiancée de l’auteur, a confirmé au cours de la procédure orale que Remi Roger existait bien, qu’il était aussi de race noire et possédait des caractéristiques semblables à celles de l’auteur. L’auteur ajoute qu’il n’a jamais pu être démontré que les objets trouvés dans le sac de voyage resté sur la bande transporteuse à l’aéroport de Lanzarote lui appartenaient.

2.5 D’après l’auteur, le juge d’instruction a commis une irrégularité en autorisant l’un des gardes civils chargés d’enquêter sur l’affaire (Don Francisco Falero) à l’identifier lors d’une séance d’identification et à témoigner à charge, un an après les faits. Selon l’auteur, ce policier connaissait tous les détails de l’affaire et disposait de photographies de l’auteur dans le dossier de la police.

2.6 L’auteur affirme aussi que le tribunal l’a jugé uniquement en se fondant sur les déclarations faites par M me  Isabel Pernas pendant l’instruction préliminaire et que les preuves et témoins à décharge présentés par l’auteur n’ont pas été pris en compte par le tribunal. À ce sujet, l’auteur affirme que le jour des faits, dans la matinée, il est allé à la prison de Herrera de la Mancha pour rendre visite à son compatriote Nong Simon, ce qui n’a pas été possible parce que l’horaire des visites avait changé et que, dans l’après ‑midi, après sa visite à la prison de Herrera de la Mancha, il s’est rendu à Estepona en compagnie du couple Bell. C’est ce qu’a déclaré M. Bell devant notaire. D’après l’auteur, les déclarations d’Isabel Pernas ne sauraient avoir plus de valeur que les déclarations d’autres témoins et il réaffirme qu’il n’existe aucune preuve qu’il soit allé à Lanzarote.

2.7 L’auteur a formé un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, mais ce dernier s’est borné à statuer sur les motifs de cassation, confirmant la décision du tribunal de jugement, et n’a pas réexaminé les preuves sur lesquelles la juridiction provinciale ( Audiencia Provincial ) a dit s’être fondée pour condamner l’auteur. L’auteur a également formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, recours déclaré irrecevable parce qu’il n’a pas été présenté après l’arrêt du Tribunal suprême.

2.8 L’auteur a déposé devant la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg, une requête qui a été déclarée irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes (recours en amparo présenté en dehors des délais).

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme être victime d’une violation par l’État espagnol des articles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques indiqués ci ‑après:

a) Article 26 et article 14.1

3.2 L’auteur considère qu’il a été condamné parce qu’il est noir et déclare qu’en Espagne on pense que les Noirs et les Sud ‑Américains se livrent au trafic de drogue. Selon lui, conjugué au racisme ambiant, cet état d’esprit fait que la déclaration d’un Espagnol a beaucoup plus de valeur que celle d’un Noir. L’auteur affirme, que s’il avait été espagnol, il n’aurait pas été envoyé en prison sur la foi des déclarations faites contre lui. À cet égard, il affirme que le principe d’égalité consacré à l’article 26 du Pacte a été violé.

3.3 Il allègue aussi une violation du paragraphe 1 de l’article 14 parce qu’il n’a pas bénéficié de l’égalité devant les tribunaux ni de leur impartialité. En effet, Isabel Pernas a été condamnée à trois (3) ans de prison et lui à douze (12). Selon l’auteur, le tribunal de jugement a contrevenu aux garanties de procédure en le jugeant sur la base des déclarations recueillies pendant l’instruction préliminaire. Il affirme avoir fait l’objet d’une ordonnance de mise en détention provisoire en tant que responsable du délit sur les simples déclarations d’Isabel Pernas, sans avoir été entendu. En outre, le juge a convoqué les gardes civils qui ont mené toute l’enquête contre lui afin que l’un d’entre eux témoigne à sa charge et l’identifie lors d’une séance d’identification un an après les faits (témoin à charge Don Francisco Falero). M. Francisco Falero avait participé plusieurs fois au transfert de l’auteur du centre pénitentiaire au bureau du juge d’instruction pendant la procédure, et le connaissait donc déjà. L’auteur explique également que l’ordonnance de renvoi devant une juridiction de jugement était fondée sur les déclarations d’Isabel Pernas sans que soit pris en compte tout ce qui était en faveur de l’auteur. Il affirme qu’il ne lui appartient pas de prouver qu’il ne se trouvait pas à Lanzarote le jour en question, mais que c’est à l’accusation de démontrer qu’il s’y trouvait. Il affirme que l’on n’a pas réussi à démontrer qu’il utilisait le nom de Remi Roger ni qu’il était le propriétaire du sac de voyage abandonné à l’aéroport. Il réaffirme qu’une simple accusation ne peut être considérée comme une preuve décisive permettant de déclarer qu’une personne est l’auteur de certains faits.

b) Article 14.2

3.4 D’après les explications de l’auteur, M me Isabel Pernas a été arrêtée et détenue aux îles Canaries et c’est sur la base de ses déclarations que l’auteur a été arrêté à Madrid. Avant d’être transféré aux Canaries pour pouvoir comparaître devant l’autorité judiciaire qui a ordonné sa mise en détention, l’auteur a fait l’objet d’une ordonnance de mise en détention provisoire en tant que responsable d’un délit contre la santé publique. Selon lui, face à une simple accusation verbale, l’ordonnance de mise en détention provisoire aurait dû être décernée contre lui tout au plus en tant que participant présumé à un délit et non en tant qu’auteur d’un délit. La présomption d’innocence ne saurait être vidée de son sens par les déclarations de M me  Isabel Pernas. L’auteur affirme que toute personne inculpée doit être entendue par l’autorité judiciaire compétente avant de faire d’objet d’une ordonnance de mise en détention provisoire. La responsabilité pénale d’une personne ne peut être prouvée que dans le cadre d’une procédure de jugement et ne peut être déclarée que par un jugement exécutoire et non par une ordonnance de mise en détention provisoire.

c) Article 14.3 d)

3.5 Selon l’auteur, le juge d’instruction (juridiction d’instruction n o  2 d’Arrecife) l’a obligé à faire ses premières déclarations sans l’assistance de son avocat. L’avocat commis d’office aurait normalement dû être M e Carmen Dolores Fajardo, mais celle ‑ci était absente, et le juge a recueilli la déclaration de l’auteur en la seule présence de M e  Africa Zabala Fernández, l’avocate de la prévenue. L’auteur affirme que le Tribunal suprême indique à tort que la personne l’ayant impliqué dans cette affaire et lui ‑même avaient désigné la même avocate pour les défendre, M e  Africa Zabala, ce qui est entièrement faux. Selon l’auteur, aucun document ne montre qu’il ait désigné cette personne pour le défendre.

d) Article 14.3 e)

3.6 L’auteur affirme que son avocat a demandé à plusieurs reprises (28 septembre, 22 octobre et 6 novembre 1992) une confrontation entre M me Isabel Pernas et l’auteur mais que cela fut refusé par le juge d’instruction. En outre, M me Isabel Pernas a été jugée avant l’auteur et n’a pu être interrogée ni par le tribunal ni par l’avocat de l’auteur. Selon l’auteur, l’avocate d’Isabel Pernas et le procureur se sont entendus pour que celle ‑ci soit jugée et condamnée à trois ans de prison.

e) Article 14.5

3.7 L’auteur allègue que le Tribunal suprême n’a pas réexaminé les circonstances ayant amené la juridiction provinciale ( Audiencia Provincial ) à le condamner à 12 ans d’emprisonnement, sans que l’accusation formulée verbalement par la partie adverse ait été confirmée pendant la procédure de jugement. Il ajoute que la violation du droit à un recours utile devant le Tribunal suprême est générale dans tous les pourvois en cassation, comme l’a constaté le Comité des droits de l’homme.

f) Article 9.1

3.8 Dans une deuxième lettre, l’auteur affirme que lui faire accomplir intégralement la peine de 12 ans de prison porte atteinte à l’article 9.1 du Pacte, parce que l’article 98 du Code pénal espagnol prévoit la libération conditionnelle lorsque les trois quarts de la peine ont été accomplis. Selon lui, il devrait avoir obtenu la libération conditionnelle mais, en raison des plaintes qu’il a formées contre la justice espagnole, on l’oblige à accomplir intégralement sa peine.

3.9 L’auteur ajoute, sans mentionner l’article du Pacte qui aurait été enfreint, que les garanties de procédure ont été violées parce que la même affaire a fait l’objet de deux procès. Le 26 novembre 1993, la Sección Primera de la Audiencia Provincial de Las Palmas (Grande ‑Canarie) a jugé Isabel Pernas, qui a été condamnée à trois ans d’emprisonnement correctionnel. Deux ans après, la Sección Quinta de la même juridiction ( Audiencia Provincial ) a jugé Joseph Semey, dans le cadre d’un nouveau procès auquel n’a pas comparu Isabel Pernas. Selon l’auteur, le tribunal dit dans son jugement que les déclarations d’Isabel Pernas pouvaient être prises en considération bien qu’elle n’ait pas comparu lors de la procédure de jugement contre l’auteur, ce qui est en contradiction avec les dispositions du Code de procédure pénale, à savoir que l’instruction préliminaire est une simple préparation de la procédure de jugement et que cette dernière n’est jamais une simple formalité entérinant les résultats de l’instruction. Les policiers ayant mené l’enquête contre l’auteur n’ont pas non plus comparu lors du procès.

Informations et observations de l’État partie quant à la recevabilité

4.1 Dans ses observations du 17 septembre 2001, l’État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable. Il explique que, selon l’article 2 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, l’auteur doit avoir épuisé tous les recours internes disponibles, c’est ‑à ‑dire les avoir utilisés correctement, en d’autres termes les avoir présentés dans la limite des délais établis par la loi. Si un particulier présente tardivement un recours interne disponible, l’organe qui l’examine doit le rejeter en raison de son caractère tardif. L’État partie affirme que l’auteur de la communication n’a pas épuisé les recours internes disponibles dans la mesure où il ne les a pas épuisés «correctement».

4.2 En l’espèce, le Tribunal suprême a rendu son arrêt le 16 mai 1996, et ce dernier a été notifié au représentant de M. Joseph Semey le 13 juin 1996. Le délai pour présenter un recours en  amparo devant le Tribunal constitutionnel est de «20 jours à compter de la notification de la décision judiciaire», en vertu de l’article 43.2 de la loi organique du Tribunal constitutionnel n o  2/1979 du 3 octobre 1979. M. Joseph Semey a présenté son recours en  amparo le 11 novembre 1998, soit deux ans après la notification de l’arrêt. Par conséquent, en application de la loi, le Tribunal constitutionnel a déclaré irrecevable le recours en amparo en raison de son caractère tardif. La requête présentée par M. Semey devant la Cour européenne des droits de l’homme a été rejetée pour non ‑épuisement des recours internes en raison du caractère tardif du recours en amparo .

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité de la communication

5.1 Dans une lettre du 14 novembre 2001, l’auteur explique que l’argument du non ‑épuisement du recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel qu’invoque l’État espagnol pour demander que la communication soit déclarée irrecevable a déjà été rejeté par le Comité des droits de l’homme à propos de communications antérieures, et plus précisément dans le cas de Cesáreo Gómez Vásquez, où, selon l’auteur, l’avocat s’est adressé directement au Comité après l’arrêt du Tribunal suprême sans utiliser le recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. Sur la base de l’affaire Cesáreo Gómez Vásquez c.  Espagne , le motif invoqué par l’État partie devrait aussi être rejeté dans le cas à l’examen.

5.2 Selon l’auteur, même si le recours en amparo avait été formé dans le délai indiqué, il n’aurait pas été déclaré recevable. Le Tribunal constitutionnel a rejeté à diverses reprises des recours fondamentaux, en violation manifeste du droit à la présomption d’innocence. En outre, selon l’auteur, le Tribunal dit qu’il ne peut revenir sur les faits déjà démontrés parce que, en Espagne, les preuves présentées au procès ne peuvent faire l’objet d’une nouvelle appréciation par un tribunal supérieur.

5.3 En ce qui concerne les dispositions de l’article 2 du Protocole, l’auteur de la communication affirme qu’en vertu de l’article 5.2 b) dudit Protocole, lorsque les procédures de recours excèdent des délais raisonnables, la règle de l’épuisement de tous les recours internes ne s’applique pas; par conséquent, on peut parfaitement s’adresser au Comité sans avoir épuisé le recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. Enfin, il faut considérer que les droits des personnes ne se réduisent pas à une simple formalité administrative et il ne faudrait pas que toutes les violations dont l’auteur a été victime restent impunies parce que ce dernier n’aurait pas épuisé le recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel.

5.4 L’auteur allègue que son recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel n’a pas été présenté en dehors du délai prescrit. Selon la législation espagnole, le délai pour interjeter tout appel judiciaire court à partir du jour suivant la dernière notification de la décision ou ordonnance judiciaire attaquée dans le recours et, dans le cas à l’examen, la dernière notification judiciaire a été celle du jugement définitif rendu par le tribunal de jugement. Selon l’auteur, la dernière copie authentique d’un jugement définitif portant le sceau et la signature du greffier est datée du 25 septembre 1998 et, dans le délai légal de 20 jours à compter de cette date, il a interjeté l’appel d’ amparo devant le Tribunal constitutionnel. L’auteur allègue que, dans son arrêt 29/1981 du 24 juillet 1981, le Tribunal constitutionnel reconnaît à un requérant le droit de faire recours lorsqu’il est en possession de la copie authentique d’un jugement.

5.5 L’auteur explique que le Tribunal constitutionnel a déclaré irrecevable le recours en amparo en raison de son caractère tardif parce que, selon le Tribunal, il aurait dû être formé en 1996 et dans un délai de 20 jours à compter de la notification de l’arrêt du Tribunal suprême. L’auteur note que personne ne lui a notifié cette décision. Étant celui qui est affecté par la décision et qui a été condamné, il considère que cet arrêt aurait dû lui être notifié personnellement.

5.6 L’auteur déclare que, comme l’indiquent les pièces du dossier, le Tribunal suprême a notifié son arrêt à M. Vásquez Guillén, ( procurador ), l’avoué qui a présenté le pourvoi en cassation devant cette juridiction. L’auteur allègue qu’une notification faite en son nom n’a aucune valeur légale, étant donné qu’il n’a jamais donné procuration à qui que ce soit pour recevoir une notification en son nom. Selon lui, pour désigner un représentant légal, il faut signer un pouvoir devant notaire, conformément au Code de procédure pénale espagnol. Il ajoute qu’au moment de présenter un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, en tant qu’étranger, il ne connaissait pas le rôle du procurador (avoué). Il indique que M. Guillén et lui ne se sont jamais parlé et ne se connaissent pas. L’auteur précise que, pour ce recours, il a choisi comme avocat M. Caballero.

Observations additionnelles de l’État partie sur la recevabilité et le fond

6.1 Dans ses observations du 16 janvier 2002, l’État partie mentionne de nouveau la question de la recevabilité. Il observe que l’auteur de la communication reconnaît expressément qu’il n’y a pas eu épuisement des recours internes en raison de la présentation tardive du recours en amparo et cherche à se justifier en invoquant trois arguments:

a) Jour à compter duquel se calcule le délai de 20 jours pour faire recours devant le Tribunal constitutionnel contre l’arrêt du Tribunal suprême . Selon l’auteur, ce délai ne commence pas à partir de la notification de l’arrêt, mais à partir du dernier avis s’y rapportant. Selon l’État partie, la thèse de l’auteur est erronée et confondre la notification d’une décision aux fins de contestation avec la réception d’un acte authentique du jugement définitif rendu par la juridiction de jugement aux fins de l’exécution de la peine est contraire à toutes les règles de procédure. De même, l’auteur de la communication fait valoir que l’acte authentique lui a été notifié le 25 septembre 1998 et qu’il a formé le recours en amparo dans un délai de 20 jours, le 11 novembre 1998, c’est ‑à ‑dire en réalité 47 jours plus tard;

b) L’auteur de la communication dit qu’il n’a pas désigné M. Vásquez Guillén pour le représenter devant le Tribunal suprême . L’État partie présente une copie du pourvoi en cassation présenté devant le Tribunal suprême, dans lequel on peut lire que «pour le représenter devant cette chambre du Tribunal suprême, il désigne Don Argimiro Vásquez Guillén, avoué ( procurador ), sa défense étant toujours assurée par Don Felipe Callero González, avocat à Lanzarote»;

c) Selon l’auteur, le Comité doit prendre à son égard la même décision que dans l’affaire Cesáreo Gómez Vásquez . Selon l’État partie, il n’y a aucune similitude entre l’affaire Joseph Semey et l’objet de la décision sur la recevabilité prise concernant la communication 701/1996. Dans le cas de Joseph Semey, un recours en amparo a été formé, tardivement, mais il a été formé. Dans la communication 701/1996, l’auteur a allégué que le recours en amparo n’était pas nécessaire parce que le Tribunal constitutionnel avait considéré à plusieurs reprises le pourvoi en cassation comme une application de l’article 14.5 du Pacte.

6.2 En conclusion, l’auteur reconnaît en réalité qu’il n’y a pas eu véritablement épuisement des recours internes, ce qui fait que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3 Quant au fond, l’État partie signale que l’auteur de la communication se déclare en désaccord avec l’appréciation des preuves faite par les juridictions internes. L’organe international pour sa part ne procède pas à l’appréciation des preuves, qui relève de la compétence des juridictions internes. La mission du Comité est d’apprécier si l’évaluation des preuves dans un procès pénal, vu dans son ensemble, a été raisonnable ou, au contraire, arbitraire. L’État partie ajoute que l’auteur a été condamné au pénal sur décision motivée et argumentée, confirmée ultérieurement par le Tribunal suprême après réappréciation de la force probante des éléments de preuve.

6.4 L’État partie déclare que la stratégie de défense de M. Semey a consisté à nier avoir remis la drogue à la femme, lui avoir acheté la robe, le billet d’avion et l’avoir accompagnée pendant le voyage, en abandonnant un grand sac de voyage sur la bande transporteuse de bagages. L’État partie cite le jugement rendu par la juridiction provinciale ( Audiencia provincial ) qui déclare ce qui suit concernant cette allégation:

«L’accusé a toujours nié avoir un lien quelconque avec la conduite délictueuse d’Isabel Pernas San Román, prétendant que cette dernière l’accusait directement de lui avoir fourni la drogue (…) parce qu’elle était la fiancée de Demetrio, dont le cousin a été tué par l’accusé. Par ailleurs, la défense a déploré qu’Isabel n’ait pas été citée à comparaître à l’audience pour être interrogée en procédure contradictoire, vu que cela n’avait pu se faire lors du premier procès.

Le Tribunal considère (…) que la déposition d’Isabel peut être prise en considération malgré son absence à ce procès parce que, premièrement, les déclarations qu’elle a faites au cours de l’instruction préliminaire, toujours en présence d’un avocat, ont été versées au dossier de la présente procédure, et reproduites avec l’assentiment des parties, ainsi que les déclarations faites par Isabel au cours de la procédure de jugement précédente à laquelle a été expressément convoqué le représentant de l’accusé, lequel a assisté seulement aux déclarations faites lors de la phase d’instruction, et notamment à la déclaration faite devant le magistrat instructeur lors de laquelle, en présence de l’avocat défenseur de Joseph Semey, accusé, et en réponse à ses questions, elle (Isabel) a fait l’objet d’une procédure contradictoire et a déclaré ignorer que Joseph Semey avait été condamné pour avoir tué un cousin de Demetrio; deuxièmement, la version d’Isabel est étayée de manière décisive par le témoignage du garde civil D. Francisco Falero Guerra (…)».

6.5 Deuxièmement, l’auteur fait valoir qu’il n’était pas à Lanzarote le 29 octobre 1991, car ce jour ‑là, il est allé rendre visite à un ami prisonnier dans la prison de Herrera, puis s’est rendu en compagnie d’un couple anglais à Estepona, sur la Costa del Sol. Il n’y a toutefois aucune trace de sa visite à la prison, et les fonctionnaires de cet établissement ont démenti qu’elle ait pu avoir lieu étant donné qu’il ne s’agissait pas d’un jour de visite. Quant au voyage de Herrera à Madrid et de Madrid à Estepona que l’auteur aurait fait avec un couple d’Anglais, le tribunal affirme que ce second alibi «s’est révélé totalement artificieux et peu fiable parce que, d’une part, dans sa première déclaration devant le juge d’instruction (en présence de deux avocats), l’accusé a mentionné seulement sa visite à Herrera et a évité toute référence à son voyage à Estepona (…) et d’autre part, parce que la déclaration faite devant notaire par le couple Bell a lieu précisément huit jours avant la déclaration faite par Joseph Bell et à la suite d’un appel téléphonique dans ce sens émanant de l’avocat de la défense, ce qui ôte toute spontanéité à ce qu’ont déclaré les époux britanniques».

6.6 L’État partie explique que l’on peut partager ou non l’appréciation de l’alibi par le tribunal, mais que cette appréciation ne saurait être qualifiée d’arbitraire.

6.7 L’État partie mentionne également la conclusion du Tribunal suprême:

«Compte tenu de ce qui précède, il faut reconnaître que le tribunal ayant rendu la décision objet du recours a disposé, pendant la procédure de jugement, d’une preuve testimoniale des faits et a reçu en outre suffisamment d’éléments issus de l’instruction pour apprécier la crédibilité de cette preuve, ce qui exclut toute atteinte au droit à la présomption d’innocence.

Par ailleurs, il faut reconnaître que le tribunal de première instance a motivé convenablement son jugement et que l’accusé a été défendu comme il convient par l’avocat qu’il a désigné, et a obtenu une réponse motivée rendue par un tribunal compétent.».

6.8 En ce qui concerne la confrontation entre l’auteur et Isabel Pernas, le premier déplore qu’elle n’ait pas eu lieu. L’avocat de Semey a demandé à cette femme, lors de la déclaration de l’inculpée devant le magistrat instructeur, tout ce qu’il a jugé bon de demander, conformément au principe du contradictoire. On observe que, dans son mémoire de qualification relatif aux faits délictueux, aux déclarations de l’inculpé et aux preuves proposées et à l’ouverture de la procédure de jugement, M. Semey n’a proposé aucune confrontation entre lui et la femme. L’État partie joint une copie des minutes du procès, ce qui permet de constater que le principe du contradictoire a été respecté et que l’auteur de la communication et son avocat ne formulent aucune plainte pour violation des droits du premier. Si la défense de M. Semey voulait interroger M me Pernas et avoir une confrontation entre elle et son client dans la procédure orale, il était absolument indispensable qu’elle propose ce mode de preuve dans le mémoire de qualification relatif aux faits délictueux, aux déclarations de l’inculpé et aux preuves proposées. En outre, dans une lettre du 24 janvier 2002, l’État partie confirme que, dans le mémoire de qualification, M. Semey ne demande à aucun moment la comparution de M me Pernas à l’audience.

6.9 Quant à la différence entre les condamnations prononcées contre l’auteur et M me  Pernas, l’explication est évidente. La femme a été jugée en tant qu’auteur d’un délit contre la santé publique (simple passeur) et a bénéficié d’une atténuation de peine grâce à son repentir spontané, d’où sa condamnation à trois ans de prison. Joseph Semey a été jugé en tant que trafiquant de drogues, avec aggravation de peine pour récidive (condamnation du 13 juillet 1987 pour délit d’homicide), et il a été condamné à 12 ans de prison.

6.10 Quant à l’absence d’avocat au moment de la première déclaration de l’auteur devant le juge, l’État partie signale qu’aucune allégation n’a été faite à ce sujet ni pendant la procédure de jugement ni dans le pourvoi en cassation. En outre, dans sa lettre du 24 janvier 2002, l’État partie fait savoir que, le 7 février 1992, après son arrestation et sa mise en détention à Madrid, Joseph Semey déclare qu’il désigne comme avocat «l’avocat commis d’office». Le même jour, il fait également une déclaration devant le juge, à Madrid, affirmant que son véritable nom est Joseph Semey et non Spencer, en présence de M e  Carmen Martínez González, avocate. Puis à Lanzarote, le 14 mai 1992, il fait une déclaration devant le juge avec l’assistance de l’avocate commise d’office, M e  Carmen Dolores Fajardo.

6.11 Quant à la non ‑application du principe in dubio, pro reo (le doute s’analyse toujours en faveur de l’accusé), l’État partie déclare que ce principe est appliqué par le tribunal de jugement lorsque la responsabilité pénale de l’accusé n’est pas clairement établie, auquel cas le tribunal doit trancher en faveur de l’accusé. Dans le cas à l’examen, la juridiction du jugement «a condamné le requérant sans avoir aucun doute», selon les termes mêmes du Tribunal suprême.

6.12 L’État partie conclut en disant qu’aucune violation des garanties énoncées à l’article 14 du Pacte n’est constatée et estime que la communication devrait être déclarée irrecevable ou, le cas échéant, sans fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

7.1 Dans une lettre du 11 février 2002, l’auteur signale que le document fourni par l’État partie pour prouver que l’avoué Vásquez Guillén a été désigné pour représenter l’auteur est dénué de valeur légale. L’auteur affirme que, selon l’article 874 du Code de procédure pénale, pour former un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, le requérant désigne un avoué ( procurador ) en vertu d’un acte passé devant notaire que et, pour que cette représentation ait valeur légale, l’acte notarial doit porter, outre la signature du requérant et celle du notaire, celle de l’avoué ( procurador ) désigné. L’auteur précise que le document fourni par l’État partie comporte seulement sa propre signature et il indique aussi n’avoir jamais eu aucun contact avec l’avoué ( procurador ) en question. Selon l’auteur de la communication, toutes les notifications que le Tribunal suprême a adressées à M. Vásquez au nom de l’auteur sont sans valeur.

7.2 Au sujet du non-épuisement du recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, l’auteur mentionne de nouveau la communication 701/1996 et réaffirme que l’article 5.2 b) du Protocole facultatif n’exige pas l’épuisement de tous les recours internes si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. En ce qui concerne l’avis exprimé par l’État partie selon lequel il n’y a pas de similitude entre les deux affaires, l’auteur de la communication pense au contraire que ne pas avoir formé de recours et avoir formé un recours en dehors du délai établi à cet effet revient au même. Dans les deux cas, on considère qu’il n’y a pas eu épuisement du recours en question et le Comité devrait appliquer à l’auteur la même décision que celle prise concernant la communication 701/1996.

7.3 Quant à l’allégation de l’État partie qui fait valoir que la Cour européenne a déclaré l’affaire irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes, l’auteur signale que le Comité ne suit pas nécessairement la même doctrine que la Cour européenne à cet égard, compte tenu en particulier du fait que l’article 5.2 b) du Protocole facultatif n’exige pas que tous les recours internes soient épuisés si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables.

7.4 En ce qui concerne le fond, l’auteur de la communication réaffirme ce qu’il a déclaré dans des lettres antérieures, à savoir qu’une accusation formulée oralement ne peut constituer une preuve décisive, et il réaffirme la même chose à propos des déclarations du garde civil D. Francisco Falero.

7.5 À propos de la visite qu’il a faite à la prison de Herrera de la Mancha, l’auteur réaffirme qu’il s’y est bien rendu. Il avait reçu l’autorisation de voir son ami Nong Simon qui se trouvait dans le quartier fermé (module 2). Cette autorisation a été donnée quatre jours avant les faits. L’auteur explique que le module en question avait droit aux visites les lundis et jeudis, et que, le lundi 29 octobre 1991, lorsqu’il est allé rendre visite à son ami, on l’a informé que celui ‑ci avait changé de module trois jours auparavant et que l’auteur ne pouvait pas le voir parce que les jours de visite du nouveau module de son ami étaient les mercredis et vendredis. L’auteur n’ayant pu voir son ami, il est donc logique que la visite n’ait pas été enregistrée officiellement. Pendant qu’il était à la prison, il s’est entretenu avec un éducateur, D. Juanjo, lequel a déclaré se souvenir d’avoir parlé avec l’auteur à la fin du mois d’octobre, mais sans pouvoir préciser la date.

7.6 Pour ce qui est du voyage à Estepona, le fait que l’auteur n’ait pas mentionné cet alibi dans sa première déclaration devant le juge d’instruction ne veut pas dire que cela ne soit pas vrai. L’auteur explique qu’il n’en a pas parlé parce qu’il avait peur de porter préjudice à ses amis en les citant comme témoins dans une affaire liée au trafic de drogues. Il en a discuté avec son avocat, qui lui a dit que ce témoignage était important et a décidé d’appeler les deux témoins par téléphone.

7.7 Selon la loi, toute personne accusée d’un délit est innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée et il n’est dit nulle part dans la loi qu’une personne est coupable jusqu’à ce que son innocence soit démontrée. L’auteur réaffirme qu’il n’existe aucune preuve matérielle l’impliquant dans les faits en question, parce qu’il a été arrêté, détenu, jugé et condamné sur la seule base des déclarations d’Isabel Pernas.

7.8 Quant au fait qu’il a été condamné à 12 ans de prison en raison de l’aggravation de peine pour récidive, l’auteur précise que, selon l’article 22.8 du Code pénal espagnol, il y a récidive lorsque le coupable a déjà été condamné définitivement pour un délit de même nature et que c’était la première fois qu’il était détenu et condamné pour un délit lié au trafic de drogues.

7.9 À propos des déclarations qu’il a faites sans la présence d’un avocat, l’auteur confirme que, lorsqu’il a été transféré sur l’île pour être interrogé par le juge d’instruction, l’avocate désignée d’office était M e  Carmen Dolores Fajardo. Lorsqu’il a été conduit devant le juge pour faire une première déclaration, fin avril 1992, l’avocate était absente pour des raisons de santé et la seule avocate présente était celle d’Isabel Pernas, c’est ‑à ‑dire de l’accusation, M e  Africa Zabala Fernández. L’auteur déclare avoir cru ce jour ‑là que l’avocate présente était la sienne étant donné qu’il ne la connaissait pas encore. C’est seulement lors de la deuxième déclaration, le 14 mai 1992, à laquelle assistait M e  Carmen Dolores, que l’auteur a compris qu’il avait fait sa déclaration précédente sans la présence de son avocate. Il ajoute que son avocat privé a protesté d’une manière légale dans le mémoire de recours en révision formé contre l’ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement et il l’a fait également dans le mémoire de recours en cassation.

7.10 Le plaignant précise que la déclaration qu’il a faite devant le juge d’instruction n o  6 de Madrid en présence de M e  Carmen Martínez, l’avocate, n’a rien à voir avec l’affaire de Lanzarote qui fait l’objet de la communication présentée au Comité. La déclaration en question (que mentionne l’État partie) concernait le faux passeport anglais qu’il avait lors de son arrestation; le juge d’instruction de Madrid ne pouvait recueillir les déclarations de l’auteur concernant l’affaire de Lanzarote et la question du trafic de drogues parce qu’il n’avait reçu aucune commission rogatoire de la juridiction d’Arrecife lui demandant de le faire.

7.11 L’auteur réaffirme avoir été victime de violation du droit à ce que sa cause soit entendue, du droit à un procès équitable et à un recours juridictionnel effectif. Il mentionne de nouveau le fait qu’Isabel Pernas a fait de fausses déclarations et que des irrégularités ont entaché les déclarations et l’identification faites par le garde civil.

Délibérations du Comité

8.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 S’agissant de l’épuisement des recours internes , le Comité note l’argument de l’État partie qui veut que la communication soit irrecevable faute pour l’auteur d’avoir épuisé les recours internes. Néanmoins, le Comité réaffirme sa position, à savoir que pour que l’on considère qu’il y a eu épuisement des recours, il faut que les recours disponibles aient quelque chance d’aboutir. Le Comité constate, comme dans l’affaire Cesáreo Gómez Vázquez c. Espagne (communication 701/1996), qu’il existe une ample jurisprudence récente du Tribunal constitutionnel espagnol déniant le recours en amparo s’agissant de la révision de sentences, ce dont s’autorise le Comité pour estimer que rien ne s’oppose à ce que la communication soit déclarée recevable.

8.3 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 5.2 a) du Protocole facultatif, s’assurer que la même question n’est pas déjà en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement . Le Comité sait qu’il existe entre le texte de la version espagnole de l’article 5.2 a) et les versions française et anglaise une divergence qui n’est pas une simple erreur de traduction mais met en évidence des différences sensibles quant au fond. Cette divergence a été examinée par les membres du Comité lors de sa quatrième session à New York, le 19 juillet 1978 (CCPR/C/SR.88 du 24 juillet 1978) . Ainsi, compte tenu de la décision prise à ce sujet en 1978, le Comité réaffirme que le terme «sometido» dans la version espagnole doit s’interpréter à la lumière des autres versions linguistiques, ce qui signifie que le Comité doit s’assurer que la même question n’est pas déjà en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Sur la base de cette interprétation, le Comité estime que le cas de Joseph Semey n’est pas en cours d’examen par la Cour européenne. En outre, le Comité note que l’État partie n’a pas invoqué la réserve qu’il a formulée au sujet du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Par conséquent, rien ne s’oppose sur ce point à ce que la communication soit déclarée recevable.

8.4 En ce qui concerne la partie de la plainte de l’auteur relative à la violation de l’article 26 du Pacte, du fait qu’il aurait été condamné parce qu’il est noir, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité de sa communication en vertu des dispositions de l’article 2 du Protocole facultatif. Pareillement, le Comité estime que l’allégation de l’auteur relative à une violation de l’article 9.1 du Pacte, du fait qu’il aurait été obligé de purger l’intégralité de sa peine, n’a pas été suffisamment étayée pour être jugée recevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5 En ce qui concerne la partie de la plainte portant sur le fait qu’Isabel Pernas et l’auteur ont été jugés à des moments distincts , le Comité estime que l’auteur n’est pas parvenu à établir le lien avec les droits protégés par le Pacte et que cette affirmation est également infondée en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.6 Le Comité note que l’allégation de violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte porte principalement sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve. Comme le Comité l’a estimé en d’autres occasions (934/2000 G.V. Canada), c’est aux juridictions des États parties et non au Comité qu’il revient d’apprécier les faits dans une affaire déterminée. Le Comité n’a pas compétence pour réexaminer les faits et dépositions ayant fait l’objet d’une appréciation par les tribunaux internes à moins que ces appréciations aient à l’évidence été arbitraires ou qu’il y ait eu manifestement une erreur judiciaire. Les informations dont dispose le Comité ne font pas apparaître que l’appréciation des faits par les tribunaux espagnols ait été manifestement arbitraire ou que l’on puisse conclure au déni de justice. Par conséquent, cette allégation n’a pas été étayée aux fins de la recevabilité en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7 S’agissant de l’allégation relative à la violation de l’article 14.3 e) du Pacte , du fait de la non ‑prise en considération des preuves à décharge, les éléments dont dispose le Comité indiquent que les parties ont bénéficié du principe du contradictoire et que l’avocat défendant l’auteur a eu la possibilité d’interroger M me  Isabel Pernas. Pareillement, il ressort des éléments à la disposition du Comité que l’auteur a saisi de cette question les tribunaux internes avant de la porter devant le Comité. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable en vertu des dispositions de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8 En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 3 d) de l’article 14 , du fait que l’avocat commis d’office n’aurait pas été présent lors de la déposition de son client devant le magistrat instructeur à Arrecife, le Comité note que selon l’État partie aucune allégation portant sur ce point n’a été formulée à l’audience ni dans le mémoire de pourvoi en cassation. Le Comité note également que selon l’auteur ce fait a été signalé tant dans le mémoire de recours en appel que dans le mémoire de pourvoi en cassation. Après avoir analysé le texte du recours en appel, le Comité conclut qu’il ne s’y trouve aucune mention de ce fait. Pareillement, lorsqu’il a voulu consulter le mémoire de pourvoi en cassation, le Comité a trouvé dans la documentation une note manuscrite de l’auteur indiquant «je n’ai pas trouvé le mémoire de pourvoi en cassation». Par conséquent, sur la base des informations présentées par l’auteur, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu des dispositions de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.9 En ce qui concerne la partie de la plainte portant sur la violation du paragraphe 5 de l’article 14, le Comité considère que l’auteur a fourni des arguments convaincants à l’appui de son allégation selon laquelle il était victime d’une violation et passe à l’examen de cette plainte quant au fond.

Examen quant au fond

9.1 Le Comité prend note des arguments avancés par l’auteur faisant état d’une possible violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte , tenant au fait que le Tribunal suprême n’a pas apprécié les circonstances qui ont conduit la juridiction provinciale à le condamner. Le Comité note également que selon l’État partie le Tribunal suprême a réexaminé les preuves sur lesquelles la juridiction provinciale s’est fondée pour condamner l’auteur. Malgré l’affirmation de l’État partie selon laquelle les preuves ont été réexaminées en cassation et eu égard aux informations et aux documents dont il dispose, le Comité réitère les constatations établies en l’affaire Cesáreo Gómez Vázquez et estime que le réexamen n’a pas été opéré en se conformant aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte à l’encontre de Joseph Semey.

9.2 Conformément à l’alinéa  a du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’auteur a le droit à un recours utile. L’auteur doit avoir le droit à un réexamen de sa condamnation conformément aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.3 Sachant qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de ce dernier, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques lesdites constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

AA. Communication n o  998/2001, Althammer et consorts c. Autriche * (Constatations adoptées le 8 août 2003, soixante-dix-huitième session)

Présentée par :

M. Rupert Althammer et consorts (représentés par un conseil, M. Alexander H. E. Morawa)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Autriche

Date de la communication :

22 avril 1998 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 8 août 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  998/2001 présentée au nom de M. Rupert Althammer et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. Les auteurs de la communication sont M. Rupert Althammer et 11 autres citoyens autrichiens résidant en Autriche. Ils se déclarent victimes d’une violation par l’Autriche de l’article 26 du Pacte. Les auteurs sont représentés par un conseil . Le Protocole facultatif est entré en vigueur à l’égard de l’Autriche le 10 mars 1988.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Les auteurs sont des employés en retraite de la Caisse de prévoyance de Salzbourg ( Salzburger Gebietskrankenkasse ). Le conseil indique qu’ils perçoivent une pension calculée selon les barèmes applicables du Règlement A régissant les conditions d’emploi des salariés de la Caisse de prévoyance ( Dienstordnung A für die Angestellten bei den Sozialversicherungsträgern ).

2.2 Parmi diverses prestations mensuelles, le Règlement prévoyait une allocation de foyer de 220 schillings par mois et en ce qui concerne les pensionnés ayant des enfants de moins de 27 ans, une prestation pour enfant de 260 schillings par enfant. Avec effet au 1 er  janvier 1996, le Règlement a été modifié de telle sorte que l’allocation de foyer mensuelle a été supprimée et la prestation pour enfant portée à 380 schillings par enfant.

2.3 Le 8 février 1996, les auteurs ont engagé une action devant le tribunal de district de Salzbourg pour demander un jugement déclaratoire établissant que la Caisse de prévoyance régionale de Salzbourg était tenue de continuer de leur verser l’allocation de foyer en tant que partie intégrante de leur pension de retraite. Le tribunal de district les a déboutés le 11 juin 1996. Le tribunal a souligné que les prestations de retraite ne sont pas des droits protégés contre d’éventuelles modifications ultérieures du cadre juridique ( wohlerworbene Rechte ) à condition que celles ‑ci soient fondées sur des motifs objectifs et qu’elles respectent le principe de proportionnalité. Il a conclu que la suppression de l’allocation de foyer concernait non pas des aspects essentiels de la pension de retraite, mais une prestation supplémentaire, qu’elle était d’une ampleur modérée (0,4 à 0,8 % du montant de la pension), et qu’elle était justifiée par le fait qu’en période de restrictions financières, la décision d’utiliser les moyens financiers limités pour augmenter la prestation pour enfant reposait sur des motifs légitimes de politique sociale. Le recours introduit par les auteurs a été rejeté par la cour d’appel de Linz ( Oberlandesgericht Linz ) le 22 avril 1997, dans un arrêt confirmant ce raisonnement. La Cour suprême ( Oberster Gerichtshof ) a rejeté un nouveau recours en révision le 7 janvier 1998. Tous les recours internes seraient donc épuisés.

2.4 Le conseil explique que les caisses régionales de prévoyance sont des institutions de droit public et que le Règlement y relatif est un décret-loi ( Verordnung ) qui régit la quasi ‑totalité des questions relatives à l’emploi dans les caisses, notamment le montant des prestations de retraite et leur mode de calcul, augmentations ou ajustements périodiques compris. Il existe de nombreuses similitudes entre les régimes de pension ( Betriebsrenten ) proposés par les employeurs privés et celui qui se fonde sur le Règlement. Le Règlement a toutefois la particularité de pouvoir être modifié unilatéralement par l’État partie, au moyen d’un décret ‑loi.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs affirment que la modification du Règlement constitue une violation de l’article 26 du Pacte. Bien qu’elle semble objective à première vue, cette modification est discriminatoire en fait si l’on considère que la plupart des retraités sont des chefs de famille ayant à charge un conjoint mais plus d’enfants de moins de 27 ans. Les incidences de cette modification sont donc plus graves pour les retraités que pour les salariés en activité car elle revient en fait à supprimer entièrement le supplément pour personnes à charge que percevaient les retraités. Les auteurs allèguent que ce résultat préjudiciable était prévisible et délibérément recherché.

3.2 Les auteurs rappellent que cette modification est la troisième d’une série de modifications visant à réduire le revenu des employés en retraite (en ce qui concerne les modifications antérieures, voir les affaires n os 608/1995 et 803/1998 ). De par l’effet cumulatif de ces réductions, la présente affaire serait un cas d’arbitraire manifeste, contraire au principe de l’égalité devant la loi. Il est déclaré en outre que le fait que les tribunaux n’ont pas pris en considération l’effet cumulatif de ces modifications parce qu’ils s’étaient limités à l’examen d’une seule modification dans chaque affaire a eu pour conséquence de ne pas garantir aux auteurs une protection égale et effective contre la discrimination au sens de l’article 26 du Pacte.

3.3 Le conseil fait savoir que les mêmes faits font également l’objet d’une requête que les auteurs ont présentée à la Commission européenne des droits de l’homme, arguant d’une violation du droit à la protection de la propriété (art. premier du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme). Il affirme que ceci n’a pas d’incidence sur la recevabilité de la communication car le Pacte ne contient pas de disposition relative au droit à la protection de la propriété et la Convention européenne ne contient pas de disposition qui corresponde à celle de l’article 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

4.1 Dans les observations qu’il a déposées le 25 septembre 2001, l’État partie conteste que la communication soit recevable. Il note que la présente communication lui a déjà été transmise dans le cadre de la communication n o 803/1998. Il affirme donc que la communication est irrecevable en raison d’une violation du principe ne bis in idem .

4.2 L’État partie note en outre que les requêtes déposées par les auteurs devant la Commission européenne sur la base des mêmes faits que ceux dont est saisi le Comité ont été transférées à la Cour européenne des droits de l’homme conformément à l’article 5 (par. 2) du Protocole n o  11 et que la Cour les a déclarées irrecevables le 12 janvier 2001 parce qu’elles ne faisaient pas apparaître de violation des droits et libertés consacrés dans la Convention ou dans les protocoles s’y rapportant.

4.3 L’État partie rappelle la réserve qu’il a faite relativement à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif , aux termes de laquelle il ne reconnaît pas la compétence du Comité pour examiner toute communication émanant d’un particulier lorsque la même question a été examinée par la Commission européenne des droits de l’homme. L’État partie explique que l’objet de cette réserve était précisément d’empêcher l’examen successif des mêmes faits par les organes de Strasbourg et par le Comité. À cet égard, il fait valoir que l’article 14 de la Convention européenne contient une disposition interdisant la discrimination qui fait partie intégrante de tous les autres droits et libertés consacrés par la Convention. Même si les auteurs n’ont pas invoqué la violation de l’article 14 rapproché de l’article premier du premier Protocole, l’État partie affirme que, le cas échéant, la Cour examine d’office d’autres dispositions de la Convention. À cet égard, l’État partie se réfère à la constatation de la Cour européenne selon laquelle la requête des auteurs ne faisait apparaître aucune violation des droits et libertés consacrés dans la Convention. Il conclut donc que les auteurs présentent essentiellement la même question.

4.4 En outre, l’État partie affirme que la Cour européenne a examiné cette même question au sens de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif puisque sa décision d’irrecevabilité était fondée non sur des raisons de forme mais sur des raisons de fond. À cet égard, l’État partie renvoie à la jurisprudence antérieure du Comité .

4.5 S’agissant de la mention, dans sa réserve, de la Commission européenne des droits de l’homme, l’État partie rappelle qu’au moment où il a formulé cette réserve en 1987, la Commission européenne était la seule instance internationale d’enquête ou de règlement créée en vertu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que pouvait saisir un particulier. Comme suite à la restructuration des organes de Strasbourg opérée par le Protocole n o 11, la Cour européenne assume désormais les tâches auparavant confiées à la Commission et devrait être considérée comme le successeur de celle ‑ci en ce qui concerne les requêtes de particuliers. L’État partie conclut que sa réserve vaut donc également pour les requêtes dont est désormais saisie la Cour européenne.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1 Par une lettre datée du 15 octobre 2001, les auteurs répondent aux observations de l’État partie en faisant valoir que la présente communication n’est pas identique à la communication n o  803/1998, même si elle a été initialement examinée conjointement avec cette dernière. Le conseil affirme que les auteurs des communications ne sont pas identiques et que les deux communications concernent deux allégations distinctes de violation des droits que confère le Pacte aux auteurs.

5.2 En ce qui concerne l’objection formulée par l’État partie conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif et la réserve qu’il a faite à cet égard, le conseil affirme que lors de l’application ou de l’interprétation d’une réserve, il convient tout d’abord de s’assurer que les termes qui y sont employés sont suffisamment clairs et dépourvus d’ambiguïté, et que c’est seulement si tel est le cas que l’on peut examiner le contexte, l’objet et le but de la réserve. La réserve invoquée par l’État partie est sans ambiguïté en ce sens qu’elle exclut les communications examinées par la Commission européenne des droits de l’homme. Le conseil fait donc valoir que cette réserve a perdu son champ d’application dès lors qu’est entré en vigueur le Protocole n o  11 à la Convention européenne et que rien ne s’oppose donc, en vertu de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, à ce que la présente communication soit jugée recevable.

5.3 En ce qui concerne les arguments de l’État partie sur l’interprétation de la réserve, le conseil affirme que même au moment où l’État partie l’a émise, c’est la Cour européenne des droits de l’homme ou le Comité des ministres qui prenait les décisions définitives et contraignantes, que le particulier était pour beaucoup une partie à la procédure devant la Cour et que la Commission était essentiellement chargée de l’établissement des faits et de l’examen sélectif des requêtes.

5.4 En réponse à la déclaration de l’État partie sur la portée de sa réserve, le conseil affirme que la Convention de Vienne sur le droit des traités interdit le recours à des moyens complémentaires d’interprétation lorsque le sens ordinaire, le contexte, l’objet et le but de l’instrument sont clairs et soutient que ce que l’État partie avait l’intention de dire ne peut être substitué à ce qu’il a dit effectivement.

5.5 Le conseil affirme aussi que les traités de sauvegarde des droits de l’homme, et plus encore les réserves, doivent être interprétés dans un sens favorable aux particuliers et que toute tentative pour élargir le champ d’application d’une réserve doit être catégoriquement rejetée.

5.6 En ce qui concerne la question de savoir si la Cour européenne a ou non examiné la même question, le conseil renvoie à la jurisprudence du Comité à cet égard et conclut que «la même question» est une requête qui concerne les mêmes particuliers, faits et allégations de violation des droits et libertés fondamentaux. Le conseil note que la présente affaire concerne les mêmes faits et personnes que la requête déposée auprès de la Cour européenne des droits de l’homme mais qu’elle soulève des griefs entièrement différents, puisque la communication présentée au Comité concerne des droits qui sont protégés exclusivement par le Pacte (le droit à l’égalité) et que la requête déposée en vertu de la Convention européenne concerne le droit à la protection de la propriété qui est protégé uniquement par cette Convention et non par le Pacte. À cet égard, le conseil affirme que la disposition de l’article 14 de la Convention européenne ne prévoit pas un droit principal à l’égalité matérielle, mais un droit accessoire qui n’offre pas la même protection que l’article 26 du Pacte. Le conseil réfute l’argument de l’État partie selon lequel la Cour européenne examine d’office d’autres dispositions lorsque les auteurs mentionnent des dispositions précises de la Convention. À cet égard, le conseil cite le texte d’une lettre reçue du Greffe de la Cour faisant valoir des objections à la recevabilité de la requête sur la base de l’article premier du premier Protocole additionnel mais sans toutefois mentionner l’article 14 de la Convention. Il affirme en outre qu’il ressort de cette lettre que la Cour a déclaré irrecevable cette requête ratione materiae parce que les prestations dues en vertu de régimes de pension ne sont pas assimilables à des droits de propriété, et n’a donc pas analysé l’effet des modifications du Règlement.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1 Dans les observations supplémentaires qu’il a déposées le 25 janvier 2002, l’État partie réaffirme ses arguments concernant la recevabilité de la communication. En ce qui concerne sa réserve relative à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, l’État partie note qu’il l’a émise conformément à une recommandation du Comité des ministres en date du 15 mai 1970, afin d’éliminer la possibilité de requêtes successives auprès des différents organes. Si l’on se place sous cet angle, on ne peut conclure du libellé de cette réserve que l’État partie avait l’intention de s’écarter de la recommandation du Comité des ministres. L’État partie mentionne aussi la procédure interne concernant la ratification du Protocole facultatif: il rappelle que la Cour européenne est le successeur juridique de la Commission européenne et considère que l’argument du conseil sur le rôle de la Commission n’a aucune incidence sur la succession juridique, du fait en particulier que la réserve de l’État partie concernait le devoir de la Commission de décider de la recevabilité d’une requête et d’en faire une première évaluation au fond. L’État partie rejette aussi l’argument du conseil selon lequel son interprétation élargit le champ d’application de la réserve, celle ‑ci ayant aujourd’hui la même portée que celle qu’elle avait au moment où elle a été formulée. De plus, l’État partie affirme qu’on ne pouvait en aucune façon prévoir en 1987 que le mécanisme de protection prévu par la Convention serait modifié.

6.2 Pour ce qui est de l’argument des auteurs selon lequel leur requête n’a pas été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme au sens de cette réserve, l’État partie fait valoir que le rejet d’une requête par la Cour européenne conformément à l’article 35 (par. 3 et 4) de la Convention présuppose un examen au fond, si bien que la procédure d’examen de la recevabilité comprend une évaluation − ne serait ‑ce que sommaire − du bien ‑fondé de l’allégation de violation de la Convention. L’État partie réaffirme donc que la communication devrait être déclarée irrecevable compte tenu de sa réserve relative à l’article 5 (par. 2 a)).

6.3 Quant au fond de la communication, l’État partie note que la présente communication a exactement le même libellé que celle qui lui a été adressée dans le cadre de la communication n o  803/1998, et il renvoie aux observations qu’il avait faites à propos de cette communication antérieure. Dans ses observations, l’État partie a fait valoir que l’effet des modifications ne pouvait être considéré comme de nature discriminatoire. Il explique que le Règlement n’est pas un décret, mais une convention collective à laquelle les auteurs sont parties et qui est conclue entre l’Association des caisses de prévoyance et le syndicat.

6.4 L’État partie affirme en outre que la suppression des allocations de foyer ne constitue pas une discrimination puisque cette mesure touche tout autant les actifs que les retraités. Il a été calculé que cette suppression entraînerait une réduction de 0,4 à 0,8 % du montant total de la pension, ce qui, selon l’État partie, ne peut être considéré comme déraisonnable.

Commentaires de l’auteur sur les observations supplémentaires de l’État partie

7.1 Par une lettre datée du 3 mars 2002, les auteurs réaffirment que la présente communication est distincte de la communication initiale n o  803/1998. Ils ajoutent qu’il ne leur appartient pas de décider de joindre la communication au dossier de l’affaire n o  803/1998 ou de la traiter comme une nouvelle affaire.

7.2 Les auteurs contestent les explications données par l’État partie sur la raison d’être de sa réserve et notent que la recommandation du Comité des ministres était de portée plus large que celle de la réserve effectivement faite. Ils soulignent aussi que sur les 35 États qui sont parties à la fois au Protocole facultatif et à la Convention européenne, 17 seulement ont fait une réserve relativement à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif. Ils affirment que la mention faite de l’intention de l’État partie ne peut l’absoudre du texte de sa réserve. Ils objectent aussi à la déclaration de l’État partie, selon laquelle le champ d’application de la réserve ne se trouve pas élargi par une interprétation plus large de celle-ci, que sans une telle interprétation, la réserve ne serait tout simplement pas applicable.

7.3 Le conseil conteste aussi l’analyse faite par l’État partie des fonctions de la Commission européenne et de la Cour européenne et affirme en outre que des discussions sur la fusion de la Commission et de la Cour étaient engagées depuis 1982, c’est-à-dire dès avant la date de la réserve de l’État partie, et que l’on pouvait donc s’attendre à l’époque à des modifications du mécanisme européen de protection des droits de l’homme.

7.4 Les auteurs réaffirment que la suppression de l’allocation de foyer a un effet discriminatoire parce qu’elle touche plus fortement les employés en retraite que les employés en activité, lesquels ont plus de chances de toucher les prestations pour enfants que les employés en retraite. Ils notent que l’État partie n’a pas traité de ces arguments dans ses observations.

7.5 Dans une autre lettre datée du 23 avril 2002, le conseil présente des données récentes sur les incidences financières des modifications apportées au Règlement. Pour les retraités, la perte de revenu causée par l’effet cumulatif de la modification de 1992 (qui fait l’objet de la communication n o 608/1995), de la modification de 1994 (objet de la communication n o  803/1998) et de la modification de 1996, objet de la présente communication, dans la période 1994 ‑2001, s’inscrit dans une fourchette allant de 34 916 schillings à 141 757 schillings .

Délibérations du Comité

8.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité a noté l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable parce qu’elle a été transmise antérieurement dans le cadre de la communication n o  803/1998. Il fait observer que sa décision d’irrecevabilité en date du 21 mars 2002 concernant la communication n o  803/1998 n’a aucun rapport avec la teneur de la présente communication. En conséquence, le Comité n’a pas encore examiné la plainte contenue dans la présente communication et l’objection de l’État partie à cet égard ne peut donc être retenue.

8.3 Le Comité note que l’État partie a invoqué la réserve qu’il a faite en vertu de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif aux termes de laquelle le Comité ne peut connaître d’aucune communication qui a déjà été «examinée» par la «Commission européenne des droits de l’homme». S’agissant de l’argument des auteurs selon lequel la requête qui avait été soumise à la Commission européenne n’a, de fait, jamais été examinée par cet organe mais a été déclarée irrecevable par la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité observe que la Cour européenne, par suite des modifications apportées à la Convention par le Protocole n o  11, a juridiquement repris les fonctions précédemment exercées par la Commission européenne, consistant à recevoir les requêtes présentées en vertu de la Convention européenne, à se prononcer sur leur recevabilité et à procéder à une première évaluation quant à leur bien ‑fondé. Le Comité observe, aux fins de déterminer l’existence de procédures parallèles ou, selon le cas, successives devant le Comité et devant les organes de Strasbourg, que la nouvelle Cour européenne des droits de l’homme a succédé à l’ancienne Commission européenne dont elle a repris les fonctions.

8.4 Ayant conclu que la réserve de l’État partie s’applique, le Comité doit examiner la question de savoir si la présente communication a le même objet que celle qui a été présentée dans le cadre du mécanisme européen. À cet égard, le Comité rappelle que «la même question» concerne les mêmes auteurs, les mêmes faits et les mêmes droits substantiels. Dans des affaires précédentes, le Comité a déjà décidé que le droit principal à l’égalité et à la non ‑discrimination consacré par l’article 26 du Pacte fournissait une plus grande protection que le droit accessoire à la non ‑discrimination énoncé à l’article 14 de la Convention européenne. Le Comité a pris acte de la décision prise par la Cour européenne le 12 janvier 2001 de déclarer irrecevable la requête des auteurs ainsi que de la lettre du Greffe de la Cour exposant les différents motifs possibles d’irrecevabilité. Il note que la requête des auteurs a été rejetée parce qu’elle ne faisait apparaître aucune violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou les Protocoles s’y rapportant, étant donné qu’elle ne soulevait pas de questions relevant du droit à la protection de la propriété visé à l’article premier du premier Protocole. Par conséquent, en l’absence d’allégation distincte au titre de la Convention ou des Protocoles s’y rapportant, la Cour ne pouvait avoir examiné la question de savoir si les droits accessoires des auteurs au titre de l’article 14 de la Convention avaient été bafoués. Au vu des circonstances de la présente affaire, le Comité conclut donc que la question de savoir si les droits des auteurs à l’égalité devant la loi et à la non ‑discrimination ont ou non été violés en vertu de l’article 26 du Pacte n’est pas la même question que celle dont était saisie la Cour européenne.

8.5 Le Comité s’est assuré que les auteurs ont épuisé tous les recours internes aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

9. En conséquence, le Comité décide que la communication est recevable.

Examen quant au fond

10.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, ainsi que le prévoit l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif.

10.2 Les auteurs affirment être victimes d’une discrimination parce que la suppression de l’allocation de foyer les touche plus fortement, en tant que retraités, qu’elle ne touche les employés en activité. Le Comité rappelle qu’une violation de l’article 26 peut également résulter de l’effet discriminatoire d’une règle ou d’une mesure apparemment neutre ou dénuée de toute intention discriminatoire . Toutefois, on ne peut dire qu’une telle discrimination indirecte est fondée sur les motifs énumérés à l’article 26 du Pacte que si les effets préjudiciables d’une règle ou d’une décision affectent exclusivement ou de manière disproportionnée des personnes particulières en raison de leur race, couleur, sexe, langue, religion, opinion politique ou toute autre opinion, origine nationale ou sociale, fortune, naissance ou toute autre situation. En outre, des règles ou décisions ayant une telle incidence ne constituent pas une discrimination si elles sont fondées sur des motifs objectifs et raisonnables. En l’occurrence, la suppression de l’allocation mensuelle de foyer conjuguée à l’augmentation de la prestation pour enfant est préjudiciable, non seulement aux retraités, mais aussi aux salariés en activité n’ayant pas (encore ou plus) d’enfants dans la tranche d’âge pertinente, et les auteurs n’ont pas démontré que l’incidence de ces mesures pour eux avait un caractère disproportionné. À supposer même, à titre d’hypothèse, qu’une telle incidence puisse être démontrée, le Comité considère que la mesure, comme l’ont souligné les juridictions autrichiennes (par. 2.3 ci ‑dessus) était fondée sur des motifs objectifs et raisonnables. Pour ces raisons, le Comité conclut que, dans les circonstances de la présente affaire, la suppression de l’allocation mensuelle de foyer, même examinée à la lumière des modifications antérieures du Règlement régissant les conditions d’emploi des salariés de la Caisse de prévoyance, ne peut être considérée comme une discrimination telle qu’interdite à l’article 26 du Pacte.

11. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître de violation d’aucun des droits consacrés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

BB. Communication n o 1007/2001, Sineiro Fernández c. Espagne * (Constatations adoptées le 7 août 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par :

M. Manuel Sineiro Fernández (représenté par M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

15 novembre 2000 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 7 août 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  1007/2001 présentée par M. Manuel Sineiro Fernández en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 15 novembre 2000, est Manuel Sineiro Fernández, citoyen espagnol qui purge actuellement une peine de 15 ans d’emprisonnement pour trafic de stupéfiants et appartenance à une bande organisée. Il dit être victime d’une violation par l’Espagne de l’article 9, des paragraphes 1, 2, 3 b) et 5 de l’article 14, et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur le 24 janvier 1985. L’auteur était représenté par un conseil mais celui ‑ci, dans une note reçue par le Comité le 3 mars 2003, a fait savoir qu’il s’était dessaisi de l’affaire.

Rappel des faits

2.1 Le 6 septembre 1996, la Chambre pénale de l’Audiencia Nacional a condamné l’auteur pour trafic de stupéfiants et appartenance à une bande organisée à une peine de 15 ans d’emprisonnement et une amende de 200 millions de pesetas.

2.2 Le 28 juillet 1998, la Cour suprême a rejeté le pourvoi en cassation formé par l’auteur. Celui ‑ci a alors introduit devant la Cour constitutionnelle un recours en amparo qui a été rejeté le 17 février 2000. Dans son arrêt, la Cour suprême a indiqué qu’elle n’avait pas compétence pour procéder à une nouvelle appréciation des éléments de preuve sur lesquels s’était fondé le juge d’instance pour déclarer l’auteur coupable.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme qu’il y a eu violation des dispositions du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte puisque le jugement prononcé par l’Audiencia Nacional n’a pas été examiné par une instance supérieure, et qu’il se trouve donc en détention illégale.

3.2 L’auteur dénonce une violation des paragraphes 1 et 3 b) de l’article 14 en raison de la manière dont s’est déroulé le premier interrogatoire, c’est ‑à ‑dire en l’absence de l’avocat qu’il avait désigné et en présence de l’avocat commis d’office, ainsi qu’en présence de policiers hostiles, qui n’ont pas cessé de donner des avis au juge pendant qu’il faisait sa déclaration.

3.3 En ce qui concerne les allégations relatives à la violation du paragraphe 2 de l’article 14, l’auteur estime que la charge de la preuve incombe à l’accusation et non à la défense puisque l’accusé bénéficie de la présomption d’innocence. Selon lui, le seul moyen de preuve a été la déclaration d’un coaccusé le mettant en cause, qui n’a aucune valeur parce qu’elle n’est pas corroborée par d’autres preuves à la charge du coaccusé en question.

3.4 En ce qui concerne la violation alléguée du paragraphe 5 de l’article 14, l’auteur fait valoir qu’une instance supérieure doit procéder à une appréciation complète des preuves et des incidences du jugement rendu en première instance, étant donné que la cassation implique seulement une révision partielle du jugement.

3.5 Enfin, l’auteur dénonce une violation de l’article 26 du Pacte car il n’a jamais eu le droit de faire appel ou d’obtenir une révision complète de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcée à son encontre puisqu’il a été jugé en première instance par l’Audiencia Nacional. Si le délit qu’il a commis avait été puni d’une peine moins grave, il aurait été jugé par le Tribunal pénal central de l’Audiencia Nacional et aurait eu droit à une révision intégrale du jugement en interjetant appel.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1 Dans ses réponses du 22 octobre 2001 et du 19 février 2002, l’État partie précise, en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 9 du Pacte, que l’auteur se trouve en prison pour des motifs énoncés dans le Code pénal et conformément à la procédure prévue par le Code de procédure pénale.

4.2 En ce qui concerne le paragraphe 5 de l’article 14, l’État partie rappelle la position du Comité à propos de la communication 701/1996 selon laquelle ce dont il s’agit ce n’est pas de la révision de la loi espagnole dans l’abstrait, c’est de savoir si la procédure de recours a respecté les garanties prévues par le Pacte. Dans le cas d’espèce, l’État partie affirme que l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14 n’est pas recevable puisque, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une révision de la loi dans l’abstrait, la communication de l’auteur ne contient rien concernant ce qui s’est passé dans le cadre du recours interne qui permette d’étayer ladite allégation.

4.3 En ce qui concerne la violation alléguée du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, l’État partie rappelle qu’il est dit dans le jugement de l’Audiencia Nacional qu’il a été procédé à l’appréciation de tous les éléments de preuve présentés. La participation de l’auteur au grave délit de trafic de stupéfiants qui a motivé le jugement a été suffisamment et dûment démontrée dans le cadre d’une procédure contradictoire dans laquelle l’auteur a pu exercer intégralement son droit à la défense. En outre, le simple fait que l’auteur conteste son jugement, en affirmant dans l’abstrait qu’il n’existe pas de preuve suffisante, ne permet pas de dire qu’une décision judiciaire est contraire au Pacte. C’est pourquoi l’État partie estime que cette partie de la communication est irrecevable.

4.4 Quant à l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie rappelle qu’au cours de la procédure devant l’Audiencia Nacional, la Cour suprême et la Cour constitutionnelle, l’auteur a été assisté d’un avocat choisi par lui. De plus, l’auteur n’a jamais formulé cette allégation dans aucun de ses écrits, devant les tribunaux nationaux. Par ailleurs, à propos de l’absence d’un avocat de son choix pendant le premier interrogatoire, l’État partie affirme que, non seulement l’auteur n’a pas soulevé la question devant les tribunaux nationaux mais qu’il a refusé de faire des déclarations.

4.5 En ce qui concerne la présence prétendument hostile et active de la police au moment où l’auteur a fait sa déclaration, l’État partie précise que le jugement de l’Audiencia Nacional répond à cette allégation, et il explique que l’auteur donne des faits une version qui le décharge de toute responsabilité, ce qui exclut toute possibilité qu’il ait agi sous l’empire de la crainte ou de mesures d’intimidation. Par ailleurs, la Cour suprême devant laquelle l’auteur a formulé le même grief, a précisé dans son jugement que rien n’indique que des policiers aient été présents au moment du premier interrogatoire de l’auteur. En revanche, au moment de la confrontation de l’auteur avec son coaccusé, le 13 août 1992, si des policiers étaient effectivement présents, on ne peut pas dire qu’il y ait eu intimidation de leur part puisque la confrontation a eu lieu en présence des magistrats et des avocats des coaccusés. Cette partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable.

4.6 En ce qui concerne l’article 26 du Pacte, l’État partie rappelle les observations formulées par le Comité le 20 juillet 2000 au sujet de la communication n o  701/1996, Gómez Vázquez c.  Espagne. Le Comité avait alors considéré, s’agissant de l’argument selon lequel le système espagnol prévoit différentes procédures de recours en fonction de la gravité de l’infraction, que le fait de traiter différemment des délits différents ne constituait pas nécessairement une discrimination.

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité et sur le fond

5.1 Dans ses commentaires du 27 décembre 2001 et du 27 mars 2002, l’auteur affirme à propos du paragraphe 5 de l’article 14 qu’il a pu saisir la Cour suprême uniquement des violations des droits fondamentaux et de l’application erronée de la loi, mais qu’il n’a pas pu solliciter directement la révision de la déclaration de culpabilité parce que le témoin à charge n’était pas digne de foi. Enfin, l’auteur souligne qu’il n’a pas pu obtenir la révision du jugement en deuxième instance.

5.2 Quant aux allégations de l’État partie selon lesquelles l’auteur n’a pas invoqué le principe du double degré de juridiction devant la Cour suprême ou la Cour constitutionnelle, l’auteur rappelle la jurisprudence constante de la Cour constitutionnelle qui est que le pourvoi en cassation est conforme au principe du double degré de juridiction énoncé au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

5.3 Pour ce qui est du paragraphe 2 de l’article 14, l’auteur fait observer que le seul fait à sa charge a été la déclaration d’un de ses coaccusés. Par ailleurs, on est en droit d’avoir des doutes étant donné que le chef des Services de renseignements de Madrid, pour lequel travaillait le coaccusé, a déclaré au cours du procès que cet informateur ne lui avait pas donné de renseignements mettant en cause l’auteur.

5.4 À propos de l’allégation de violation des paragraphes 1 et 3 b) de l’article 14, l’auteur rejette les arguments de l’État partie selon lesquels il n’a jamais soulevé la question de l’avocat devant les tribunaux nationaux, et précise qu’il en est question dans le pourvoi en cassation et que c’est pour cette raison qu’il a refusé de signer la première déclaration. Il affirme par ailleurs qu’un policier a reconnu qu’au cours du premier interrogatoire deux policiers chargés de l’enquête étaient présents pour informer le juge et lui donner des avis.

5.5 Enfin, l’auteur réaffirme que les allégations relatives au paragraphe 1 de l’article 9 et à l’article 26 devraient faire l’objet d’un examen quant au fond car l’État partie n’y a pas répondu sérieusement.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il s’est assuré également que les recours internes avaient été épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 9 du Pacte, le Comité estime que l’auteur n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, en quoi le fait que le jugement n’avait pas été examiné par une instance supérieure constitue une violation de cet article. Il conclut par conséquent que cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 S’agissant de la violation alléguée de l’article 26 du Pacte due au fait que le système espagnol prévoit différentes procédures de recours en fonction de la gravité de l’infraction, le Comité réaffirme la position qu’il a exprimée dans ses constatations au sujet de la communication n o  701/1996, Gómez Vásquez c.  Espagne , à savoir que le fait de traiter différemment des délits différents ne constitue pas nécessairement une discrimination, et il déclare donc cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5 Pour ce qui est des allégations de l’auteur selon lesquelles il y a eu de la part de l’État partie violation de son droit à la présomption d’innocence puisque les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour établir sa culpabilité, le Comité rappelle sa jurisprudence constante qui est qu’il incombe généralement aux tribunaux nationaux d’apprécier les faits et les éléments de preuve présentés dans un cas d’espèce, à moins que l’on puisse déterminer que l’appréciation a été manifestement partiale ou arbitraire ou qu’elle a représenté un déni de justice. Le Comité conclut donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte et que, par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Pacte.

6.6 En ce qui concerne la violation des paragraphes 1 et 3 b) de l’article 14 dont l’auteur se dit victime puisqu’il n’a pas été assisté d’un conseil de son choix au cours du premier interrogatoire et qu’il y a eu présence hostile et active de la police, le Comité prend note des observations de l’État partie, qui affirme que l’auteur a été assisté d’un conseil de son choix pendant le procès et qu’il a refusé de faire des déclarations lors de l’interrogatoire. L’État partie nie en outre que des policiers soient intervenus à ce stade. Au vu des arguments avancés par l’État partie, le Comité conclut que l’auteur n’a pas étayé sa plainte et déclare cette partie de la communication irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7 Enfin, le Comité déclare que les allégations de l’auteur relatives à une violation du paragraphe 5 de l’article 14 sont recevables et il procède à l’examen quant au fond sur la base des informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

7. S’agissant de savoir si l’auteur a été victime d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, au motif que la condamnation et la sentence prononcées à son encontre ont fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour suprême uniquement, ce qui constitue une révision partielle de la déclaration de culpabilité et de la condamnation, le Comité renvoie à sa jurisprudence à propos de la communication n o  701/1996, Gómez Vázquez c.  Espagne , dans laquelle il a considéré que l’impossibilité pour la Cour suprême, en tant qu’unique instance d’appel, de réexaminer les éléments de preuve soumis en première instance constituait, dans les circonstances de l’affaire, une violation des dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. De même, pour ce qui est de la présente communication, la Cour suprême a indiqué explicitement qu’elle n’avait pas compétence pour procéder à une nouvelle appréciation des éléments de preuve sur lesquels le juge de première instance s’était fondé pour déclarer l’auteur coupable. De ce fait, l’auteur n’a pas eu droit à une révision intégrale de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcée à son encontre.

8. Par conséquent, le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

9. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile. La déclaration de culpabilité de l’auteur doit être révisée conformément aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Note

CC. Communication n o  1014/2001, Baban et consorts c. Australie * (Constatations adoptées le 6 août 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par :

M. Omar Sharif Baban (représenté par un conseil, M. Nicholas Poynder)

Au nom de :

L’auteur et son fils, Bawan Heman Baban

État partie :

Australie

Date de la communication :

19 décembre 2000 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 6 août 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  1014/2001, présentée par M. Omar Sharif Baban en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication est Omar Sharif Baban, né le 3 mai 1976, Kurde de nationalité iraquienne. Il présente la communication en son nom et au nom de son fils Bawan Heman Baban, né le 3 novembre 1997, également Kurde de nationalité iraquienne. Au moment où la communication a été présentée, l’auteur et son fils étaient retenus au centre de détention de Villawood, à Sydney (Australie) . L’auteur affirme être victime, avec son fils, de violations par l’Australie de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, de l’article 19 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2 Le 20 septembre 2001, le Comité des droits de l’homme, par l’entremise du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur et son fils vers l’Iraq si la Haute Cour rejetait la demande de l’auteur, qui devait être examinée le 12 octobre 2001, pendant que le Comité examinait cette communication.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur déclare qu’en Iraq il était membre actif de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), qu’il avait été menacé par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) et avait été la cible d’un agent des Mukhabarat (services de renseignements) iraquiens chargé de perpétrer des assassinats dans le nord de l’Iraq.

2.2 Le 15 juin 1999, l’auteur et son fils sont arrivés en Australie sans documents de voyage et ont été placés en détention (rétention des immigrants) en vertu de l’article 189 (par. 1) de la loi sur les migrations de 1958. Le 28 juin 1999, ils ont demandé le statut de réfugié. Le 7 juillet 1999, l’auteur a été interrogé par un fonctionnaire du Département de l’immigration et des affaires multiculturelles (DIMA).

2.3 Le 13 juillet 1999, le Département de l’immigration et des affaires multiculturelles a rejeté la demande de l’auteur. Le 6 septembre 1999, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a rejeté le recours présenté par l’auteur contre la décision du DIMA. Le 10 septembre 1999, le DIMA a informé l’auteur que son dossier ne répondait pas aux critères requis pour que le Ministre l’autorise à rester en Australie pour des motifs humanitaires. Le 12 avril 2000, la Cour fédérale (présidée par le juge Whitlam) a rejeté la demande de l’auteur de soumettre à l’examen d’un organe judiciaire la décision du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés.

2.4 Le 24 juillet 2000, l’auteur a participé avec d’autres détenus à une grève de la faim dans une salle des loisirs du centre de détention de Villawood, à Sydney. Le 26 juillet 2000, les grévistes de la faim auraient été privés entièrement d’électricité et de contacts avec le monde extérieur. Ils auraient reçu des bouteilles d’eau contenant des drogues. Les gardiens auraient empêché les grévistes de la faim de dormir en faisant du bruit. Le 27 juillet 2000, les grévistes de la faim (et le fils de l’auteur) ont été emmenés de force dans un autre centre de détention, à Port Hedland, en Australie occidentale. À Port Hedland, l’auteur et son fils ont été détenus dans une cellule d’isolement sans fenêtre ni toilettes. Le cinquième jour de sa détention en régime d’isolement (son fils a été nourri régulièrement à compter du lendemain de leur arrivée), l’auteur a interrompu sa grève de la faim et, huit jours plus tard, il a été changé de cellule. L’auteur affirme que, pendant qu’il était en régime d’isolement cellulaire, on lui a refusé tout contact avec son conseil. Le 15 août 2000, l’auteur et son fils ont été renvoyés au centre de détention de Villawood, à Sydney, pour assister à l’audience de la Cour fédérale réunie en chambre plénière.

2.5 Le 21 septembre 2000, la chambre plénière de la Cour fédérale a rejeté le nouveau recours des auteurs contre la décision de la Cour fédérale. Le même jour, les auteurs ont présenté une demande d’autorisation spéciale de former recours devant la Haute Cour de l’Australie.

2.6 En juin 2001, l’auteur et son fils se sont échappés du centre de détention de Villawood. On ignore actuellement où ils se trouvent exactement. Le 16 juillet 2001, le Greffe de la Haute Cour d’Australie a inscrit l’audience prévue pour examiner l’affaire de l’auteur à la date du 12 octobre 2001. Le 15 octobre 2001, la Haute Cour a ajourné l’audience en attendant que l’auteur et son fils soient retrouvés.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que le traitement qui lui a été infligé pendant sa grève de la faim, son transfert forcé, le fait d’avoir laissé son fils sans nourriture à l’arrivée à Port Hedland et sa détention au secret dans ce centre pendant 13 jours étaient une violation de l’article 7. Deuxièmement, l’auteur affirme que son expulsion avec son fils vers l’Iraq allait nécessairement l’exposer, de manière prévisible, à la torture ou à «des mauvais traitements graves» en raison de son passé en Iraq, et entraînerait une violation de l’article 7 par l’État partie . Il a en outre mentionné divers rapports aux fins de montrer qu’il existe des violations systématiques graves et flagrantes des droits de l’homme en Iraq .

3.2 L’auteur affirme que la mise en détention obligatoire à l’arrivée et le fait que les tribunaux ou les autorités administratives ne puissent ordonner sa mise en liberté constituent, comme l’a constaté le Comité dans l’affaire A. c. Australie , une violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9. L’auteur relève que l’État partie n’a avancé aucune justification pour sa détention prolongée.

3.3 L’auteur affirme également que sa détention au secret pendant 13 jours et le traitement qu’il a reçu d’une manière générale pendant sa détention représentent une violation du paragraphe 1 de l’article 10. Il cite à l’appui de son affirmation la jurisprudence du Comité ainsi que l’Observation générale n o  21 sur les droits des détenus, les observations des rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur la question de la torture et sur les états d’exception ainsi que les normes internationales minima concernant le traitement des détenus .

3.4 L’auteur affirme que sa grève de la faim est l’expression légitime de son droit de protester et que le traitement subi à Villawood et son transfert forcé à Port Hedland violaient les droits que lui reconnaissait l’article 19. Aucune mention des impératifs de sécurité nationale ou d’ordre, de santé ou de moralité publics n’a été faite pour justifier les mesures prises.

3.5 L’auteur affirme en outre que la détention et le traitement dont son fils a fait l’objet son  contraires au droit que lui reconnaît le paragraphe 1 de l’article 24, qui doit être interprété compte tenu des obligations énoncées dans la Convention relative aux droits de l’enfant. L’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été pris en considération et sa mise en liberté n’a pas été envisagée. Selon l’auteur, il est fallacieux de faire valoir que l’intérêt supérieur de l’enfant consiste à le laisser avec son père, étant donné que la détention prolongée du père était injustifiée et que l’un et l’autre auraient pu être remis en liberté en attendant qu’il soit statué sur leurs demandes d’asile.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Dans une lettre du 26 mars 2002, l’État partie conteste la recevabilité et le bien ‑fondé de la communication, en faisant valoir, à titre préliminaire, que le conseil de l’auteur n’a pas qualité pour agir. En raison du long délai qui s’est écoulé entre le mandat confié au conseil et la présentation de la communication, auquel s’ajoute la fuite de l’auteur et de son fils, il n’apparaît pas que le conseil de l’auteur soit encore mandaté pour présenter la communication en leur nom.

4.2 En ce qui concerne l’invocation par l’auteur de l’article 7 au sujet de l’expulsion vers l’Iraq, l’État partie fait observer que le recours présenté par l’auteur devant la Haute Cour concernant sa demande d’asile est ajourné jusqu’à ce que le père et le fils soient retrouvés, et qu’il reste par conséquent à épuiser des recours utiles disponibles. L’État partie affirme également qu’il n’y a pas de victimes − avant la fuite de l’auteur, il n’avait pris aucune mesure pour le renvoyer et, comme l’auteur et son fils se sont enfuis, la question du renvoi a un caractère purement hypothétique à l’heure actuelle. L’État partie affirme en outre que cette plainte est irrecevable faute d’être étayée.

4.3 En ce qui concerne l’invocation des articles 7 et 10 et la plainte touchant les mauvais traitements et les conditions de détention, l’État partie fait valoir qu’un certain nombre de procédures civiles pourraient être engagées devant les tribunaux, auquel cas il faudrait alors démontrer le bien ‑fondé des allégations formulées par l’auteur (et rejetées par l’État partie) par la balance des probabilités. Il s’agit d’engager contre le Commonwealth d’Australie une action pour négligence, pour abus d’autorité dans l’exercice d’une fonction publique, pour violences et voies de fait. De plus, une plainte pénale pour violences illicites pourrait être adressée à la police. En outre, l’auteur pourrait se plaindre auprès du Médiateur du Commonwealth (Ombudsman), qui est habilité à faire les recommandations, ainsi qu’au Département de l’immigration et des affaires multiculturelles concernant le traitement dont il a fait l’objet en détention. L’État partie souligne également que l’auteur a déposé une plainte auprès de la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances (HREOC) et que celle ‑ci est encore en instance. Il fait également valoir que ces plaintes sont insuffisamment étayées faute, par exemple, de dépositions de témoins ou déclarations de détenus ou du personnel qui pourraient fournir des éléments de preuve.

4.4 Quant aux allégations formulées par l’auteur au titre de l’article 9, l’État partie fait valoir que l’ajournement de l’audience de la Haute Cour signifie que des recours sont encore disponibles. De surcroît, la légalité de la détention peut être contrôlée dans le cadre des procédures d’ habeas corpus ou de mandamus qui peuvent être engagées devant la Haute Cour. L’État partie fait également valoir que ces allégations ne sont pas étayées car l’auteur a en fait eu accès à ses tribunaux, qui ont le pouvoir de déterminer la légalité de la détention.

4.5 L’État partie estime que l’allégation formulée au titre de l’article 19 est incompatible avec le Pacte, car une grève de la faim n’est pas l’expression d’une opinion par un «moyen» protégé par le paragraphe 2 de l’article 19, et cela n’a été envisagé non plus par les rédacteurs du Pacte. Elle n’appartient pas à la même catégorie que les moyens oraux, écrits, imprimés ou artistiques, qui constituent le contexte dans lequel s’inscrit cette disposition. Pour l’État partie, cette allégation est en outre insuffisamment étayée, et, pour les raisons indiquées à propos de l’article 7 et de l’article 10 concernant les mauvais traitements en détention, des recours internes sont encore disponibles.

4.6 Au sujet de l’allégation formulée au titre de l’article 24, l’État partie note que l’auteur, en tant que parent/gardien, est habilité à exercer des recours au nom de son fils. Un certain nombre de recours étaient disponibles pour faire valoir les droits de son fils: une plainte déposée devant la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances qui n’a pas encore été tranchée; une plainte auprès du Département de l’immigration et des affaires multiculturelles concernant son traitement en détention; une plainte auprès du Médiateur du Commonwealth (Ombudsman); enfin, une procédure d’ habeas corpus /de mandamus devant la Haute Cour d’Australie pour contester la détention.

4.7 Concernant le fond, l’État partie nie que l’une quelconque des allégations fasse apparaître une violation du Pacte. Pour ce qui est de l’allégation de mauvais traitements contraires aux articles 7 et 10, l’État partie relève qu’un rapport sur cet incident a conclu que l’électricité a été coupée dans la salle des loisirs à Villawood à 9 heures, après que les détenus eurent menacé de s’électrocuter. Dans les autres locaux, l’électricité est restée branchée et les détenus étaient libres de quitter cette salle quand ils le voulaient. L’État partie considère que la coupure de l’électricité pendant une courte période (moins d’une journée) était nécessaire pour la sécurité des détenus et n’était par conséquent pas contraire à l’article 7. Ce rapport indique également, contrairement à ce qui était prétendu, que la distribution de l’eau n’a à aucun moment été interrompue. L’État partie nie que l’auteur ou qui que soit d’autre ait été drogué − le rapport susmentionné n’a relevé aucune preuve à cet égard pas plus du reste que la fourniture d’eau en bouteille.

4.8 Touchant l’allégation du refus de tout contact avec le monde extérieur, l’État partie souligne que l’accès à la salle des loisirs a été suspendu dans l’après ‑midi du 24 juillet 2000 pour des raisons de sécurité. Le 25 juillet 2000, les contacts sur les lieux et par téléphone ont de nouveau été suspendus dans l’ensemble du centre. Ces mesures ont été mises en place pour une courte période et étaient dictées par les circonstances, sachant que les détenus pouvaient sortir à tout moment. Il ne s’agit donc pas d’une détention au secret dans laquelle le détenu est totalement coupé du monde extérieur. L’État partie nie que des gardiens aient volontairement privé les détenus de sommeil et, du reste, l’enquête menée à ce sujet n’a permis d’établir aucune preuve à l’appui de cette allégation (comme des témoignages de détenus ou de fonctionnaires).

4.9 En ce qui concerne les menottes passées à l’auteur lorsqu’il a quitté le centre, l’État partie fait observer, en se fondant sur la réponse du DIMA à l’enquête de la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances, que les grévistes de la faim ont été pris et sortis de la salle des loisirs de manière pacifique et sans usage de la force ni incident. L’auteur a fait l’objet d’une contrainte minimale (c’est ‑à ‑dire qu’il avait suffisamment de liberté de mouvement pour s’occuper de son fils) sous la forme de liens en plastique passés au poignet à titre de mesure de précaution, car il était classé parmi les détenus à haut risque ayant des problèmes de comportement notoires. Cette contrainte a été utilisée pendant une courte période au cours du transport, pour la sécurité des détenus et des fonctionnaires présents. Après le décollage, les liens ont été retirés. À aucun moment pendant le voyage le fils de l’auteur ni aucun autre mineur n’a été soumis à des mesures de contrainte (exception faite des ceintures de sécurité).

4.10 L’État partie nie que le fils de l’auteur n’ait reçu aucune nourriture à l’arrivée à Port Hedland; il fait observer que les détenus sont arrivés à 14 h 40 le 29 juillet 2000 et que des repas leur ont été servis à 18 h 40 le même jour. La nourriture a été apportée dans le bloc où se trouvait l’auteur. Lui et d’autres ayant refusé de quitter leur chambre, les repas ont été placés dans leur chambre pour qu’ils puissent manger s’ils le voulaient. Du lait a été proposé aux adultes et aux enfants. Un déjeuner et des rafraîchissements ont également été servis à tous les passagers pendant le vol par lequel l’auteur et son fils ont été transférés de Sydney à Port Hedland.

4.11 Pour ce qui est de l’allégation de détention au secret à Port Hedland, l’État partie fait observer qu’excepté la première nuit (29 juillet 2000) où les détenus ont été retenus dans leur chambre pour des entretiens individuels et des contrôles de sécurité, tous les détenus étaient libres de leurs mouvements dans le bloc, et pouvaient notamment se rendre à la salle commune et dans la cour extérieure pour prendre de l’exercice. L’auteur a passé quatre appels téléphoniques à partir de Port Hedland et a refusé la proposition de faire un nouvel appel le 11 août 2000. Il n’a fait aucune demande pour s’entretenir avec son avocat ou des amis. L’État partie rejette l’affirmation selon laquelle l’auteur a été placé en cellule d’isolement − sa chambre était située dans un bloc de détention normal comptant 12 pièces réparties sur deux niveaux. Chaque niveau est équipé de toilettes ainsi que d’une salle commune comportant un évier, un réfrigérateur, un four à micro ‑ondes et un téléviseur. Chaque chambre est éclairée par la lumière naturelle et on peut y loger quatre personnes; l’auteur et son fils se trouvaient dans une chambre de ce type. Tous les détenus étaient libres de circuler dans le bâtiment, notamment de se rendre à la salle commune et dans la cour pour y prendre de l’exercice. Il ressort de ce qui précède que l’auteur n’a pas établi l’existence d’actes ou d’omissions atteignant un seuil de gravité tel qu’ils pourraient soulever des questions, à la lumière de la jurisprudence du Comité, au titre de l’article 7 ou du paragraphe 1 de l’article 10.

4.12 Quant à l’allégation formulée au titre de l’article 7 concernant l’expulsion de l’auteur vers l’Iraq, l’État partie fait valoir que l’obligation de non ‑refoulement ne s’étend pas à tous les droits énoncés dans le Pacte, mais se limite aux droits les plus fondamentaux relatifs à l’intégrité physique et mentale d’une personne. Il fait valoir que l’auteur et son fils ne risquaient pas d’être soumis à la torture ou à un traitement semblable s’ils étaient expulsés en Iraq, et qu’aucun Iraquien n’a été expulsé d’Australie vers l’Iraq à ce jour. Comme on ignore où se trouvent l’auteur et son fils, aucune mesure de ce type n’est envisagée à ce stade, et s’ils sont retrouvés une décision sera alors prise. Même si l’expulsion était envisagée, l’État partie rejette l’idée selon laquelle cela aurait pour conséquence nécessaire et prévisible la torture ou des traitements analogues en Iraq. Il relève que d’autres pays, les Pays ‑Bas par exemple, ont réussi à renvoyer des personnes dans les territoires du nord de l’Iraq (contrôlés par les Kurdes) sans les exposer à des risques. L’Organisation internationale pour les migrations apporte également une assistance au retour librement consenti des détenus dans ces régions. Statuant sur les faits, le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’a pas retenu que l’auteur courait un risque spécifique, soit en tant que membre allégué de l’UPK, soit en tant qu’émigrant clandestin, et le Comité est invité à donner tout le poids voulu aux conclusions de cet organe.

4.13 En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie fait valoir que la détention de l’auteur et de son fils était raisonnable et nécessaire compte tenu de toutes les circonstances, et n’était ni inappropriée, ni injuste, ni imprévisible. L’État partie fait observer que la détention était légale aux termes de la loi sur les migrations. Pour ce qui est du caractère arbitraire, l’État partie explique que la détention obligatoire des candidats à l’immigration est nécessaire pour veiller à ce que les non ‑citoyens qui entrent en Australie aient l’autorisation pour cela et pour préserver l’intégrité de son régime d’immigration. La détention est utilisée pour que les personnes n’entrent pas dans le pays tant que leur demande n’a pas été correctement instruite, et permet d’avoir véritablement accès à ces personnes afin d’examiner et d’instruire rapidement leur demande. De plus, l’État partie n’ayant aucun système général d’enregistrement ou d’identification sanctionné par un document requis pour entrer sur le marché du travail ou pour accéder aux services publics ou aux services sociaux, il est difficile de surveiller les immigrants clandestins dans la société.

4.14 L’État partie a constaté que si la détention n’est pas rigoureusement contrôlée, il y a une forte probabilité que les clandestins prennent la fuite. Il y a déjà eu des cas où les immigrants sans papiers ont été détenus dans des foyers spéciaux non clos pour immigrants avec obligation de se présenter à des contrôles et où ces personnes se sont enfuies; il s’est avéré difficile alors d’obtenir la coopération des groupes ethniques locaux pour les retrouver. En conséquence, on peut raisonnablement penser que si les gens sont relâchés en attendant qu’il soit statué sur leur demande, ils seront fortement tentés d’entrer dans la clandestinité. L’État partie fait observer que la Haute Cour d’Australie a confirmé la constitutionnalité des dispositions relatives à la détention au titre de la loi sur l’immigration, en concluant qu’elles n’avaient aucun caractère punitif, mais pouvaient être considérées comme nécessaires en attendant l’expulsion ou pour permettre la présentation et l’examen d’une demande d’admission . L’État partie note aussi que la mise en liberté est également prévue dans des circonstances exceptionnelles.

4.15 Selon l’État partie, les circonstances particulières de l’affaire à l’examen montrent que la détention était justifiable et appropriée. À l’arrivée, l’auteur a déclaré tout ignorer des documents d’identité et de voyage qu’il aurait dû avoir, manifestant un manque de coopération qui nécessitait un complément de recherches. Si on les avait laissé entrer dans le pays, l’auteur et son fils seraient devenus des immigrants clandestins. À l’origine, ils ont été détenus pour que leurs demandes d’asile soient instruites; ils étaient (et sont encore) libres de quitter l’Australie à tout moment, et sont restés en détention pour avoir choisi eux ‑mêmes d’utiliser toutes les possibilités de réexamen et de recours. Leur détention était proportionnée aux fins recherchées, à savoir permettre l’examen des demandes, plaintes et recours de l’auteur et veiller à préserver le droit de l’Australie de contrôler les entrées sur son territoire.

4.16 L’État partie fait valoir que les faits de la cause sont distincts de la situation dans l’affaire A.  c. Australie , dont l’État prétend, de toutes façons, qu’elle a fait l’objet d’une décision erronée. Dans le cas présent, la longueur de la détention ayant précédé la fuite (21 mois) était sensiblement inférieure aux quatre ans qu’a duré celle de A. La demande formée par l’auteur pour obtenir un visa de protection a été instruite dans les 15 jours, contre 77 semaines dans le cas de A. L’État partie fait valoir qu’en raison de la fuite de l’auteur il n’y a pas actuellement de détention pouvant être jugée arbitraire, et le Comité ne devrait pas excuser une violation de la loi australienne.

4.17 Pour la plainte formulée au titre du paragraphe 4 de l’article 9, l’État partie relève que la Cour fédérale avait compétence en l’espèce pour réexaminer le refus du visa de protection. Comme la décision relative au visa de protection a abouti au maintien en détention de l’auteur et de son fils, l’État partie estime que la possibilité de s’adresser à la Cour fédérale (comme l’a fait l’auteur) satisfaisait aux conditions énoncées au paragraphe 4 de l’article 9. En outre, il est possible d’engager une procédure en habeas corpus / mandamus devant la Haute Cour afin de faire examiner la légalité de la détention.

4.18 Quant à la plainte formulée au titre de l’article 19, l’État partie estime qu’aucune preuve n’a été fournie pour montrer en quoi le transfert de l’auteur à Port Hedland a violé son droit d’avoir des opinions et sa liberté d’expression. À tout moment, il a eu la possibilité d’exercer les droits en question, et il l’a fait, par exemple en signant un mémorandum de protestation adressé au Premier Ministre le 14 juillet 2000. Si le Comité devait considérer une grève de la faim comme un «moyen» d’expression protégé par le paragraphe 2 de l’article 19 (ce que rejette l’État partie), l’État partie estime que ce moyen d’expression n’a pas été restreint par le transfert et que ce transfert n’était pas conçu comme une forme de châtiment. En fait, le souhait de l’auteur de poursuivre sa grève de la faim à Port Hedland a été respecté.

4.19 L’État partie fait observer que la grève de la faim et le fait de barricader la salle des loisirs de Villawood ont constitué un incident très grave, devant lequel des détenus n’ont pas laissé d’autres, qui avaient besoin de soins médicaux, se faire examiner par le personnel médical et en ont empêché certains de quitter la salle des loisirs. Cet incident a menacé la santé et le bien ‑être à long terme de plusieurs détenus, notamment un diabétique, une femme enceinte et de très jeunes enfants, et le transfert dans d’autres structures des personnes impliquées dans l’incident était donc une question de sécurité. L’État partie rappelle ce qu’il a déjà indiqué ci ‑dessus, à savoir qu’à Port Hedland l’auteur pouvait aller et venir et être en contact avec le monde extérieur. Selon l’État partie, le fait d’enfermer les détenus dans leurs chambres pour procéder à des contrôles de sécurité pendant la nuit ne limitait pas les droits reconnus à l’auteur par l’article 19.

4.20 Si le Comité devait considérer que le déplacement de l’auteur a porté atteinte aux droits qui lui sont reconnus par le paragraphe 2 de l’article 19, l’État partie fait valoir qu’en tout état de cause cette mesure était justifiée en vertu du paragraphe 3 de l’article 19. Ce déplacement était autorisé par les règlements régissant le fonctionnement des centres et la surveillance des détenus. Cette mesure était en outre nécessaire pour respecter les droits des autres détenus (voir le paragraphe précédent), pour maintenir l’ordre et la sécurité dans le centre et pour protéger la sécurité des visiteurs (selon les services de renseignements, d’autres détenus allaient se joindre à cette manifestation en recourant à la violence).

4.21 Touchant la plainte formulée au titre de l’article 24, l’État partie explique que ses normes concernant la détention des candidats à l’immigration portent une attention particulière à la santé, à la sécurité et au bien ‑être des enfants. Des programmes à caractère social, récréatif et éducatif sont prévus pour répondre aux besoins de chaque enfant. Des spécialistes peuvent fournir des soins médicaux en cas de besoin. Lorsqu’un enfant est admis dans un tel centre, les besoins de cet enfant en matière d’éducation, d’études religieuses et de loisirs sont examinés en consultation avec les parents. Chaque fois que c’est possible, des contacts avec des membres de la famille à l’étranger sont organisés et on veille à ce que les enfants soient placés dans une structure où un ou plusieurs adultes peuvent s’occuper de lui et le conseiller. Des dispositions permettent de laisser les enfants en liberté dans la société au titre de visas temporaires, auquel cas des dispositions sont prises pour qu’ils soient pris en charge et reçoivent une protection sociale. L’intérêt supérieur de l’enfant est évalué individuellement pour décider s’il a droit à ce programme. Tous ces services font l’objet d’un contrôle administratif (par le Groupe consultatif sur la détention dans le cadre de l’immigration) et judiciaire et doivent se soumettre au contrôle du Parlement et lui rendre des comptes.

4.22 Pour ce qui est de la situation particulière du fils de l’auteur, il a été jugé que son intérêt supérieur voulait qu’il soit hébergé avec son père, car il n’avait pas d’autre famille en Australie. Il est resté en détention seulement en attendant qu’une décision soit prise sur le statut de son père, puis en attendant l’examen du recours. La décision d’expulser des détenus de la salle des loisirs a été motivée par le souci de préserver la santé des enfants en particulier et, pour leur sécurité, ce sont les enfants qui ont été retirés les premiers. Le personnel s’est occupé du fils de l’auteur pendant le transfert à Port Hedland, où il a été logé avec son père dans un bloc ordinaire près d’autres familles. Le conseiller psychologique du centre s’est rendu plusieurs fois à l’endroit où il était logé, a organisé des jeux et des activités pour les enfants. L’État partie considère que ces mesures satisfont aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 24.

Commentaires du conseil sur les observations de l’État partie

5.1 Dans une lettre du 10 février 2003, le conseil de l’auteur a répondu aux observations de l’État partie en relevant, concernant sa qualité pour agir, que l’État partie contestait qu’il soit habilité à représenter les auteurs. Le conseil renvoie à la common law en la matière pour faire valoir qu’un avocat est habilité à agir en qualité d’agent général d’un client pour toutes les questions qui peuvent raisonnablement être soulevées et faire l’objet d’une décision dans une procédure judiciaire. La charge de la preuve incombe à la (l’État) partie qui veut établir l’absence de mandat. En  common law , cette habilitation est prouvée par une copie du mandat signé, dont le conseil rappelle qu’il l’a jointe à la communication initiale.

5.2 Le conseil fournit une copie d’une déclaration faite sous serment, datée du 10 février 2003, aux termes de laquelle: i) l’auteur lui a téléphoné après s’être échappé du centre de détention, ii) en novembre 2001, il s’est entretenu avec un membre de la communauté iraquienne au sujet de l’auteur, et iii) il en est ressorti que le conseil se considérait comme restant habilité à présenter la communication et à suivre la procédure.

5.3 En ce qui concerne la recevabilité de la plainte formulée au titre de l’article 7 touchant les mauvais traitements, le conseil renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle une plainte présentée à la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances ou au Médiateur du Commonwealth (Ombudsman) ne constitue pas un recours interne utile, aux fins du Protocole facultatif, car les mesures correctives indiquées par ces organes ne sont pas exécutoires et n’ont aucun effet contraignant . Une plainte soumise au Département de l’immigration et des affaires multiculturelles aurait le même effet. Engager une action civile ne constituerait pas un recours utile car elle déboucherait au mieux sur l’octroi de dommages ‑intérêts, et non sur la reconnaissance d’une violation d’un droit de l’homme, objet de la communication. Les sanctions pénales n’auraient pas constitué un recours utile pour l’auteur, mais pouvaient seulement déboucher sur le châtiment des responsables des actes. En tout état de cause, aucune inculpation n’a été faite et aucune enquête pénale n’a été menée.

5.4 Touchant la plainte formulée au titre de l’article 7 concernant l’expulsion de l’auteur vers l’Iraq, le conseil affirme que, dès lors que l’auteur et son fils seront incarcérés, il y aura obligation de les expulser en vertu de la loi sur l’immigration et, en tant que citoyens iraquiens, la seule destination possible serait l’Iraq. Le conseil considère que la situation actuelle des Kurdes en Iraq est bien connue du Comité et que l’expulsion aurait pour conséquence nécessaire et prévisible de graves violations des droits que leur reconnaît le Pacte.

5.5 Au sujet de l’article 9, le conseil cite une série de rapports critiquant la politique de détention obligatoire de l’État partie . Le conseil fait également valoir que la décision adoptée par le Comité sur la communication A.  c.  Australie , puis reprise dans C.  c.  Australie , a établi de manière incontestable que ce régime de détention viole les paragraphes 1 et 4 de l’article 9. La présente affaire ne se distingue pas sur le plan des faits de l’une ou l’autre des deux précédentes, si ce n’est que la détention d’un mineur rend la situation encore plus grave, et les principes déjà établis par le Comité devraient par conséquent être appliqués.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’est pas déjà à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Touchant le fait que l’État partie refuse de reconnaître que le conseil a qualité pour présenter la communication, le Comité est d’avis qu’une autorisation dûment donnée avant la communication confère normalement à un conseil un mandat suffisant pour qu’il suive jusqu’à son terme la procédure concernant la communication. En l’espèce, le Comité ne considère pas que la période écoulée avant que la communication soit vraiment enregistrée avec un numéro de dossier ou que les circonstances ayant suivi puissent empêcher de déduire que le conseil était et demeure dûment autorisé.

6.4 Quant à la plainte formulée par l’auteur au titre de l’article 7 concernant son expulsion possible vers l’Iraq, le Comité note qu’après sa fuite, la Haute Cour a ajourné l’examen de son recours contre le jugement du Tribunal d’examen des décisions concernant les réfugiés jusqu’à ce qu’il soit retrouvé. Il s’ensuit qu’à l’heure actuelle des recours internes restent disponibles en ce qui concerne cette demande. Cette plainte est par conséquent irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5 Touchant les allégations de mauvais traitements formulées au titre des articles 7 et 10 à propos du traitement subi par l’auteur et son fils à Villawood, de leur transfert à Port Hedland et du traitement qu’ils y ont reçu, le Comité prend note des réponses apportées par l’État partie aux questions soulevées, notamment des résultats des enquêtes menées, et relève que les conclusions des enquêtes n’ont pas été contestées par les auteurs. Dans ces circonstances, par conséquent, le Comité estime que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les plaintes présentées à ce sujet. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6 Pour ce qui est des plaintes de l’auteur au titre de l’article 9, le Comité note que la plus haute juridiction de l’État partie a déterminé que les dispositions relatives à la détention obligatoire sont constitutionnelles. Rappelant sa jurisprudence antérieure, le Comité observe qu’en conséquence le seul résultat qu’aurait une procédure en habeas corpus devant la Haute Cour ou tout autre tribunal serait de confirmer que les dispositions concernant la détention obligatoire s’appliquaient à l’auteur en tant qu’immigrant clandestin. Par conséquent, l’auteur ne dispose d’aucun recours utile pour contester sa détention aux termes de l’article 9, et les plaintes formulées à ce titre sont donc recevables.

6.7 Au sujet des plaintes formulées par l’auteur au titre de l’article 19, le Comité considère que, même en prenant pour hypothèse, aux fins de l’argumentation, qu’une grève de la faim peut être incorporée au droit à la liberté d’expression protégé par cet article, compte tenu des préoccupations invoquées par l’État partie touchant la santé et la sécurité des détenus, notamment des jeunes enfants, et d’autres personnes, les mesures prises légalement pour déplacer des grévistes de la faim d’un lieu où ils suscitaient des inquiétudes peuvent bien être interprétées comme entrant dans le cadre des restrictions légitimes prévues au paragraphe 3 de l’article 19. Il s’ensuit que l’auteur n’a pas étayé suffisamment, aux fins de la recevabilité, l’allégation d’une violation de ses droits aux termes de l’article 19 du Pacte.

6.8 Concernant la plainte formulée au titre de l’article 24, le Comité note l’argument présenté par l’État partie selon lequel, en l’absence de tout autre membre de la famille en Australie, l’intérêt supérieur du jeune enfant de l’auteur commandait de le laisser avec son père. Le Comité considère, à la lumière de l’explication donnée par l’État partie touchant les efforts déployés pour offrir aux enfants des programmes appropriés à caractère éducatif, récréatif et autres, y compris en dehors du centre de détention, que l’allégation par l’auteur d’une violation de ses droits au titre de l’article 24 a, vu les circonstances, été insuffisamment étayée aux fins de la recevabilité. Dans la mesure où la plainte formulée au titre de l’article 24 concerne le régime de détention obligatoire imposé à l’enfant, le Comité considère qu’il est plus approprié d’examiner cette question dans le contexte de l’article 9, avec la plainte recevable formulée par le père à ce titre.

Examen quant au fond

7.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2 Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 9, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle pour ne pas être qualifiée d’arbitraire la détention ne doit pas se poursuivre au ‑delà de la période pour laquelle l’État partie peut apporter une justification appropriée . En l’espèce, la détention de l’auteur en tant que non ‑citoyen sans visa d’entrée doit obligatoirement se poursuivre jusqu’à ce qu’il soit renvoyé ou qu’il obtienne un permis de séjour. S’agissant des raisons particulières avancées par l’État partie pour justifier la détention (par. 4.15 et suiv.), le Comité note que ce dernier n’a pas démontré qu’elles justifiaient le maintien de l’auteur en détention, compte tenu du temps écoulé et de considérations telles que les affres d’une détention prolongée pour son fils ou le fait que durant la période considérée l’État partie n’a apparemment pas renvoyé d’Iraquiens d’Australie (par. 4.12). En particulier, l’État partie n’a pas montré que, dans les circonstances particulières de l’auteur, il n’existait pas de moyen moins invasif de parvenir aux mêmes fins, à savoir respecter les politiques de l’État relatives à l’immigration, par exemple en imposant l’obligation de se présenter aux autorités, en exigeant des garanties ou par d’autres mesures. Le Comité note également qu’en l’espèce, l’auteur n’a pas pu contester son maintien en détention devant les tribunaux. Un contrôle judiciaire de la détention se serait d’ailleurs limité à une analyse de la question de savoir si l’auteur était un non-citoyen sans titre d’entrée valide, et par l’application directe de la législation pertinente, les tribunaux compétents n’auraient pas été en mesure d’examiner les arguments portant sur l’illégalité de cette détention particulière au regard du Pacte. Conformément au paragraphe 4 de l’article 9, un contrôle judiciaire de la légalité de la détention n’est pas limité à vérifier s’il elle est compatible avec le droit national mais doit inclure la possibilité d’ordonner la libération du détenu si sa détention est déclarée incompatible avec les dispositions du Pacte, en particulier celles du paragraphe 1 de l’article 9 . Dans le cas d’espèce, l’auteur et son fils ont été gardés dans un centre de détention pour immigrés pendant presque deux ans sans justification spécifique à leur cas et sans aucune possibilité d’examen judiciaire quant au fond de la question de savoir si leur détention continuait d’être compatible avec le Pacte. En conséquence, les droits garantis à l’auteur et à son fils par les paragraphes 1 et 4 de l’article 9 ont été violés.

8. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 du Pacte en ce qui concerne l’auteur et son fils.

9. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir aux auteurs un recours utile, sous la forme d’une indemnisation.

10. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est aussi invité à publier les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle de Sir Nigel Rodley, membre du Comité (en partie dissidente)

Pour les raisons que j’ai mentionnées dans l’opinion séparée que j’ai exprimée dans l’affaire C. c. Australie (communication n o  900/1999, constatations adoptées le 28 octobre 2002), je souscris à la conclusion du Comité à l’existence d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9 mais pas du paragraphe 4 de l’article 9.

( Signé ) Nigel Rodley

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Opinion individuelle de M me  Ruth Wedgwood, membre du Comité (dissidente)

Je ne puis souscrire au point de vue du Comité selon lequel toute norme législative exigeant la détention de quiconque entre illégalement sur le territoire d’un État et limitant le pouvoir d’appréciation d’un tribunal pendant le déroulement de la procédure relative à l’immigration constitue nécessairement en soi une violation de l’article 9 du Pacte. De l’avis du Comité, la garantie contre la détention arbitraire figurant à l’article 9 requiert non seulement qu’une personne ait accès à un contrôle judiciaire mais que les normes sur lesquelles est fondée l’évaluation du tribunal ne doivent faire l’objet d’aucune restriction. Les conclusions − axées sur les faits − du législateur quant au succès ou à l’échec des politiques de maintien en liberté sous surveillance ou aux problèmes que pose le fait que certaines catégories d’immigrants illégaux fassent défaut sont apparemment de peu de poids.

Le même argument pourrait être avancé pour contester toute peine statutaire dans les affaires pénales, puisque dans ce contexte aussi un tribunal est limité à l’évaluation des faits sans jouir du pouvoir discrétionnaire de modifier les conséquences qui en découlent.

Les paragraphes 1 et 4 de l’article 9 font peut ‑être référence à des normes allant au ‑delà du droit interne − en d’autres termes, un acte peut être arbitraire en vertu du Pacte même s’il est compatible avec le droit national; or il n’existe dans le Pacte aucun principe exigeant que les tribunaux établissent les orientations de politique générale et les normes dans des domaines difficiles tels que l’immigration illégale. Et il est pour le moins ironique de trouver des excuses au requérant au titre du Protocole facultatif lorsqu’il faillit à son obligation d’épuiser les recours internes au stade de l’appel et de reprocher ensuite à l’État partie l’absence de décision judiciaire indépendante 1 . C’est un fait que la demande d’autorisation de faire appel devant la Haute Cour australienne présentée par le requérant est en suspens puisque, depuis sa fuite, les autorités d’immigration australiennes n’ont plus aucun contact avec lui 2 .

En se prononçant sur la question de savoir si la détention de l’auteur était arbitraire, il convient de noter que l’Australie a examiné sa demande d’immigration avec une grande célérité. Il est arrivé en Australie sans aucun document de voyage et sans indiquer l’itinéraire qu’il avait emprunté et a déposé deux semaines plus tard une demande d’asile politique en invoquant une «crainte de persécution bien fondée». L’Australie a étudié sa demande et l’a rejetée en deux semaines (c’est-à-dire un mois après son arrivée dans le pays). Son recours devant le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a été tranché deux mois et quatre jours plus tard; le Ministre chargé des questions relatives à l’immigration a examiné et rejeté sa demande tendant à ce qu’il soit autorisé à rester en Australie pour des motifs humanitaires. C’est parce que l’auteur a décidé de se prévaloir de trois autres moyens de recours judiciaire devant le Tribunal fédéral et la Haute Cour australienne que la décision finale dans l’affaire n’a été prise qu’après trois mois. Le Tribunal fédéral et sa chambre plénière se sont prononcés sur les recours introduits par l’auteur en l’espace d’une année. L’auteur a décidé de demander une autorisation spéciale de faire appel devant la Haute Cour australienne, mais l’audience, dont la date avait déjà été fixée, a été reportée sine die parce que l’auteur avait fait défaut.

L’auteur n’affirme nullement que le rejet par l’Australie de sa demande d’asile est en soi arbitraire et il ne conteste pas non plus le refus du Ministre de l’autoriser à rester dans le pays pour des raisons humanitaires. Il affirme plutôt que sa détention en tant que demandeur d’asile était arbitraire et déraisonnable, parce que dans son cas un maintien en liberté sous surveillance aurait suffi pour empêcher sa fuite, et qu’il aurait fallu qu’un tribunal examine l’affaire. Cette prétention peut sembler cavalière de la part d’une personne qui a fui par la suite. Quoi qu’il en soit, le législateur australien pouvait légitimement craindre que les immigrants illégaux dont les demandes d’asile sont rejetées par l’administration ou les tribunaux du premier degré ne se présentent pas par la suite dans l’éventualité d’une expulsion après l’épuisement de tous les recours. L’exercice d’une telle compétence par le Parlement n’exclut pas une certaine restriction en vertu du Pacte, de la durée de la période pendant laquelle les demandeurs d’asile déboutés peuvent être détenus lorsqu’il n’est pas possible de les renvoyer dans un autre pays. Il n’exclut pas non plus la possibilité d’imposer un délai raisonnable pour l’adoption de la décision en appel lorsque le requérant est détenu. Mais l’auteur de la communication ne fait nullement état de telles considérations.

Nous ne pouvons que souhaiter que le monde n’ait pas de frontières et que les conditions qui sont à l’origine des demandes d’asile légitimes disparaissent. Mais, nous devons aussi reconnaître, en particulier, à l’heure actuelle, que les États ont le droit de contrôler l’entrée sur leur territoire et sont habilités à utiliser des moyens législatifs raisonnables à cet effet.

( Signé ) Ruth Wedgwood

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

DD. Communication n o  1020/2001, Cabal et Pasini c. Australie * (Constatations adoptées le 7 août 2003, soixante-dix-huitième session)

Présentée par :

M. Carlos Cabal et M. Marco Pasini Bertran (représentés par un conseil, M. John P. Pace et M. John Podgorelec)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

6 juillet 2001 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 7 août 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  1020/2001 présentée au nom de M. Carlos Cabal et de M. Marco Pasini Bertran en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. Les auteurs de la communication, datée du 6 juillet 2001, sont Carlos Cabal, qui réside actuellement au Mexique, et Marco Pasini Bertran («Pasini»), actuellement détenu à la prison de haute sécurité de Port Philip en attendant d’être extradé vers le Mexique. Les deux auteurs ont la nationalité mexicaine. Ils se disent victimes d’une violation par l’Australie de l’article 7, des paragraphes 1 et 2 a) de l’article 10 et du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

Procédure d’extradition

2.1 Le 11 novembre 1998 , les auteurs ont été arrêtés en Australie, en vertu d’un mandat d’amener délivré en application de la loi de 1988 sur l’extradition («loi sur l’extradition»). Ils ont été déférés devant un magistrat (Magistrate) et placés en détention provisoire au Centre d’évaluation de Melbourne (État de Victoria), où ils étaient séparés des condamnés. Le 4 janvier 1999, ils ont été transférés à la prison de Port Philip (Victoria). Avoir après passé trois semaines dans un quartier de transit, ils ont été transférés dans un quartier de détention ordinaire, avant d’être transférés de nouveau, en août 1999, à Sirius East, quartier de haute sécurité de la prison de Port Philip. Pendant toute la durée de leur détention à la prison de Port Philip, les auteurs n’ont pas été séparés des condamnés ni fait l’objet d’un régime distinct .

2.2 Le 31 décembre 1998 et le 11 février 1999, le Mexique a demandé officiellement l’extradition de Cabal à raison de plusieurs infractions relatives au fonctionnement d’une banque ainsi que d’autres infractions (fraude, évasion fiscale et blanchiment d’argent). Le 20 janvier 1999, le Mexique a demandé officiellement l’extradition de Pasini pour deux infractions qu’il aurait commises, l’une relative au fonctionnement d’une banque et l’autre à un recel. Le 17 décembre 1999, un magistrat a décidé que les auteurs étaient passibles d’extradition et signé des mandats ordonnant leur incarcération à la prison de Port Philip. Le 29 août 2000, la Cour fédérale d’Australie a rejeté le recours en révision de la procédure d’extradition que les auteurs avaient introduit. Ceux ‑ci ont alors interjeté appel devant les chambres réunies de la Cour fédérale. Le 18 avril 2001, les chambres réunies ont rejeté leur appel. Le 7 septembre 2001, la Haute Cour a rejeté une requête de Pasini demandant l’autorisation de former un recours contre la décision rendue par les chambres réunies de la Cour fédérale.

2.3 À partir du 20 décembre 2000, Pasini a été libéré sous caution à plusieurs reprises avant d’être de nouveau incarcéré le 19 juillet 2001; il est toujours en prison. Le 4 juillet 2001, Cabal a été libéré sous caution par la Haute Cour mais cette décision a été annulée en appel le 2 août 2001. Le même jour, Cabal a fait savoir aux autorités qu’il ne souhaitait pas se prévaloir des recours encore disponibles et qu’il acceptait d’être extradé vers le Mexique. Le 6 septembre 2001, il a été remis aux autorités mexicaines.

2.4 Le 22 mai 2002, Pasini a demandé au Ministre de la justice de surseoir à toute décision d’extradition en vertu de l’article 22 de la loi sur l’extradition jusqu’à ce que l’issue de sa procédure d’ amparo introduite au Mexique soit connue. Le Ministre a fait droit à cette demande. Dans une télécopie du 9 février 2003, Pasini a fait savoir au Comité que, ayant épuisé tous les recours disponibles en Australie concernant son extradition, il acceptait d’être extradé; il est actuellement en passe d’être remis aux autorités mexicaines. Il est toujours détenu dans le quartier Sirius East de la prison de Port Philip.

Conditions et régime de détention

2.5 Avant d’être extradé, Cabal était détenu, avec des condamnés, dans le quartier de haute sécurité Sirius East de la prison de Port Philip, qui est elle ‑même un établissement de haute sécurité. Pasini est toujours détenu dans le même quartier avec des condamnés. La prison de Port Philip est un établissement privé géré par le Group 4 Correction Services Pty Ltd. («Group 4») et régi par la législation de l’État de Victoria. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres États et territoires d’Australie, la législation pénitentiaire de cet État ne prévoit pas que les détenus en instance d’extradition soient séparés des condamnés.

2.6 Selon les auteurs, le quartier Sirius East est «peuplé de meurtriers multiples et de violeurs» et la violence y est monnaie courante. Les prisonniers ont presque tous un passé de violence et de toxicomanie. Un psychologue expert a indiqué à leur propos qu’ils étaient «plus susceptibles d’être les auteurs d’actes de violence que d’en être les victimes». Un des prisonniers du quartier a le sida et 12 d’entre eux souffrent d’hépatite C. Beaucoup de prisonniers ont des maladies contagieuses et, selon les auteurs, un prisonnier aurait déclaré par écrit et sous serment que, le 4 janvier 2000, un de leurs codétenus «crachait le sang».

2.7 Une atmosphère de peur règne dans la prison et les auteurs mentionnent la déclaration sous serment d’un autre prisonnier selon lequel il aurait été agressé sexuellement à plusieurs reprises par d’autres prisonniers. Les auteurs décrivent deux incidents au cours desquels on les a menacés de violence. Le 30 mai 2000, Pasini, qui était en compagnie de Cabal, a été menacé par un autre prisonnier, toxicomane notoire et violent, qui était armé d’un couteau de 20 centimètres. Le 26 octobre 2000, alors qu’ils étaient dans la cour de promenade, deux prisonniers ont fait signe à Cabal pour lui indiquer qu’ils souhaitaient lui parler et se sont approchés de lui. Ils ont été interceptés par deux gardiens de prison qui les ont fouillés et ont trouvé une paire de ciseaux sur l’un d’eux.

2.8 Le régime de détention auquel ont été soumis les auteurs (et c’est toujours le cas pour Pasini) ne diffère en rien de celui qui est appliqué aux condamnés. La description suivante, qui concerne Pasini, s’appliquait aussi à Cabal avant son extradition. Pasini a un numéro de matricule (Criminal Record Number), qu’il est obligé de réciter chaque fois qu’on lui demande de s’identifier. Il est soumis aux mêmes horaires et aux mêmes restrictions que les condamnés, notamment en ce qui concerne les contacts avec sa famille et les repas. En cas de conflit du travail se soldant par une grève du personnel pénitentiaire, seul un effectif minimal continue de travailler. En conséquence, les détenus restent dans leur cellule pendant 23 heures par jour et n’ont pas accès au téléphone. Pour les dédommager de ces désagréments, les condamnés voient leur peine réduite d’un à deux jours par journée de grève du personnel des prisons. Pasini, quant à lui, n’a reçu aucune compensation.

2.9 Chaque fois que Pasini sort de l’enceinte de la prison, il est menotté et entravé avec des chaînes à 12 ou 17 maillons. De plus, il est soumis à une fouille à corps après chaque visite au parloir, ainsi qu’avant et après chaque déplacement entre la prison et le tribunal. Cela signifie qu’il fait parfois l’objet de trois fouilles intégrales en une seule journée. Pasini est régulièrement bousculé et molesté par les gardiens de prison.

2.10 Le 17 décembre 1999, les auteurs ont été enfermés ensemble pendant une heure dans une cellule qu’ils qualifient de «cage». La «cage», de la taille d’une cabine téléphonique, est de forme triangulaire; deux des côtés sont des murs et le troisième, une porte métallique percée de petits trous ronds. La cage est munie d’un siège, mais si on y met deux personnes, il n’y a pas de place pour s’asseoir .

2.11 Selon les auteurs, les tribunaux se sont émus à plusieurs reprises des conditions de leur détention, sans juger toutefois qu’elles étaient suffisamment anormales pour justifier une décision de libération sous caution en leur faveur . Les tribunaux ont considéré que le risque d’évasion l’emportait sur les effets négatifs que l’incarcération pouvait avoir sur les auteurs.

Tentatives faites par les auteurs pour contester leur détention

2.12 Le 8 novembre 1999, Cabal a demandé à la Cour fédérale de prononcer une injonction interlocutoire interdisant au Ministère de la justice et des douanes et au directeur de la prison de Port Philip de le maintenir en détention, en attendant qu’elle se prononce sur le recours portant sur la procédure d’extradition dont elle était saisie . Cette demande a été rejetée le 3 décembre 1999.

2.13 Le 19 mai 2000, les auteurs ont introduit une requête en habeas corpus devant la Cour suprême de l’État de Victoria. Le 30 mai 2000, leur requête a été rejetée. Le 19 juin 2000, ils ont introduit la même requête auprès de la Cour fédérale australienne, au motif que leur détention contrevenait à la loi sur l’extradition. Le 14 juillet 2000, la Cour fédérale a rejeté leur demande. Le 28 juillet 2000, les auteurs ont interjeté appel devant les chambres réunies de la Cour fédérale, lesquelles ont rejeté l’appel. Le 13 septembre 2000, les auteurs ont introduit une requête auprès de la Haute Cour d’Australie pour demander l’autorisation spéciale de faire appel du jugement rendu par les chambres réunies de la Cour fédérale. Le 28 novembre 2000, leur requête a été rejetée.

2.14 Dans une requête datée du 27 juillet 2000, les auteurs ont, entre autres, demandé à la Cour fédérale d’Australie d’ordonner leur mise en liberté et de les confier à la garde de la police fédérale australienne, de la police de l’État de Victoria ou du Ministère de la justice. Le 11 août 2000, la Cour a reporté sine die l’examen de cette requête. Aucune autre information n’est fournie concernant l’issue de cette requête.

2.15 Le 8 mars 2000, les auteurs ont porté plainte devant la Commission australienne des droits de l’homme et de l’égalité des chances (HREOC), au motif que leur détention violait le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le 9 novembre 2000, la Commission a rendu ses conclusions préliminaires dans lesquelles elle a jugé que la détention des auteurs constituait une violation de leurs droits au titre de l’article 7 et des paragraphes 1 et 2 a) de l’article 10 du Pacte. Le 23 octobre 2001, après avoir reçu d’autres observations, la Commission a rendu sa décision finale selon laquelle «les actes et pratiques faisant l’objet de la plainte ne violaient aucun droit de l’homme».

2.16 Depuis que les auteurs sont incarcérés, de nombreuses lettres ont été adressées, en leur nom, aux autorités pénitentiaires pour demander l’assouplissement de leurs conditions de détention.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs soutiennent que l’État partie a violé le paragraphe 2 a) de l’article 10 du Pacte du fait qu’il ne les a pas séparés des condamnés et ne les a pas soumis à un régime distinct , approprié à leur condition de personnes non condamnées . Dans ce contexte, ils invoquent l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (Ensemble de règles minima) et le Principe 8 de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement (Ensemble de principes), qui prévoient tous deux la séparation des condamnés et des non ‑condamnés.

3.2 Concernant la question de la séparation , les auteurs font valoir que la réserve («sauf dans des circonstances exceptionnelles») qui figure au paragraphe 2 a) de l’article 10 a été prévue à l’intention des pays pauvres, qui n’ont pas les moyens de construire des installations séparées pour les condamnés et les prévenus . Ils mentionnent l’Observation générale n o  21 du Comité selon laquelle «cette séparation est nécessaire pour faire ressortir qu’un prévenu n’est pas une personne condamnée et qu’il a le droit d’être présumé innocent, comme le dispose le paragraphe 2 de l’article 14. Les États parties devraient indiquer dans leurs rapports comment ils assurent la séparation entre les prévenus et les condamnés et préciser en quoi le régime applicable aux prévenus diffère de celui réservé aux condamnés» .

3.3 Concernant la question du régime distinct , les auteurs font observer qu’aucune restriction n’est prévue au paragraphe 2 a) de l’article 10, où il est clairement question d’«un régime distinct, approprié à leur condition de personne non condamnée» . Ils font valoir que «les prévenus devraient être séparés des condamnés et que leurs conditions de détention doivent être différentes» et conformes à l’Ensemble de règles minima (règles 85 à 93), qui prévoit des mesures d’application, notamment en ce qui concerne l’accès aux médecins, aux dentistes et aux avocats.

3.4 Les auteurs rappellent que l’Australie a formulé la réserve suivante concernant l’article 10:

«En ce qui concerne le paragraphe 2 a), le principe de la séparation est accepté en tant qu’objectif à réaliser progressivement.».

Ils font valoir que cette réserve ne concerne que l’élément «séparation» et qu’en ratifiant le Pacte, l’État partie a souscrit l’obligation d’assurer un régime distinct aux condamnés et aux non ‑condamnés. Cette réserve ayant été formulée il y a 20 ans, on pourrait raisonnablement s’attendre, argumentent ‑ils, que l’Australie ait atteint l’objectif qu’elle s’est fixé de s’acquitter intégralement de ses obligations; ils rappellent que l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités énonce le principe de la bonne foi dans l’exécution des obligations souscrites par les États. Selon les auteurs, au lieu de «progresser» l’État partie a régressé, du moins en ce qui concerne l’application du principe de la séparation dans le système pénitentiaire de l’État de Victoria. Ainsi, le Centre de détention provisoire de Melbourne qui, à partir du 6 avril 1989, s’était employé à séparer les condamnés des prévenus, est revenu sur cette politique à partir de 1994. Quant à la prison de Port Philip, la séparation n’y est pas pratiquée et contrairement à ce que prétend l’État partie dans le quatrième rapport qu’il a présenté conformément à l’article 40 du Pacte et que le Comité a examiné en juillet 2000, à savoir que la prison de Port Philip «permettra de mieux séparer encore les détenus condamnés et les prévenus», ces intentions n’ont pas été suivies d’effet.

3.5 Selon les auteurs, les conditions dans lesquelles Cabal a été détenu et Pasini continue de l’être portent atteinte au droit à être traité avec humanité et avec le respect inhérent à la dignité de la personne humaine et sont donc contraires à l’article 7 et au paragraphe 1 de l’article 10.

3.6 Comme Cabal a été traité et Pasini continue de l’être à tous égards comme un condamné purgeant sa peine, le droit des auteurs d’être présumés innocents jusqu’à preuve du contraire a été violé, en infraction du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

3.7 Les auteurs affirment que «leur droit à la santé a été gravement compromis» du fait qu’ils ont été détenus avec des condamnés atteints de maladies contagieuses. Ils insistent à ce propos sur le cas d’un codétenu qui aurait «craché le sang», symptôme classique de la tuberculose. Ils mentionnent aussi un article sur le sujet, publié dans une revue internationale, qui mentionne la Déclaration de Bakou sur la tuberculose dans laquelle il est demandé aux gouvernements et aux autorités sanitaires de prendre des mesures pour s’attaquer au problème de la tuberculose dans les prisons. Comme il ne fait rien pour s’attaquer à ce problème, l’État partie porte atteinte à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Réponse de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Dans une note verbale du 1 er  octobre 2002, l’État partie a fait des observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il fournit des informations générales sur la prison de Port Philip, en précisant notamment qu’il s’agit du principal centre de détention provisoire de l’État de Victoria, qu’entre 40 et 50 % des détenus sont des prévenus et que la prison fait office d’établissement de transit dans le système pénitentiaire de l’État de Victoria. Quant à Sirius East, on y place des détenus qui doivent être protégés contre d’autres détenus, qu’ils aient été condamnés ou non. L’État partie explique que Cabal et Pasini ont été transférés à Sirius East pour des motifs de sécurité, car ils auraient fait l’objet de tentatives d’extorsion de la part d’autres prisonniers et auraient eu un comportement qui les exposait à la vindicte de leurs codétenus .

4.2 L’État partie fait observer qu’il ressort des conclusions du Groupe de travail sur la détention arbitraire de la Commission des droits de l’homme (avis n o  15/2001 du 18 mai 2001 − Australie) que la détention des auteurs n’était pas arbitraire et que leurs conditions de détention qui, selon eux, auraient mis leur vie en péril, ne relevaient pas de son mandat. Il se réfère aussi à l’appel pressant que le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la question de la torture lui a adressé le 12 juin 2001.

4.3 L’État partie fait valoir que la communication est irrecevable au motif que ses auteurs n’ont présenté au Comité aucun élément nouveau par rapport à ceux qu’ils ont présentés à la HREOC, laquelle a conclu dans son rapport final du 23 octobre 2001 que l’État partie n’avait violé aucun de leurs droits consacrés par le Pacte. Les violations invoquées par les auteurs, abstraction faite de la prétendue violation du paragraphe 2 de l’article 14, sont identiques dans les deux affaires. Selon l’État partie, il ressort des conclusions du Comité dans l’affaire F. , au nom de son fils , C.  c.  Australie que si la HREOC a conclu que les allégations d’un auteur et les éléments de preuve ne faisaient apparaître aucune violation du Pacte et que l’auteur ne fournit au Comité aucune information autre que celles qu’il a fournies à la HREOC, la communication doit être considérée comme irrecevable parce qu’insuffisamment étayée.

4.4 L’État partie fait valoir que, du fait de la réserve qu’il a formulée, la violation du paragraphe 2 a) de l’article 10 alléguée par les auteurs, à savoir que l’État partie a manqué à son obligation de séparer les auteurs des condamnés, est irrecevable ratione materiae . Il rappelle que lors de la treizième session de l’Assemblée générale, les débats de la troisième Commission ont révélé que beaucoup de pays avaient des difficultés quant aux incidences pratiques du paragraphe 2 a) de l’article 10. En effet, «certains représentants ont exprimé des doutes quant à la faisabilité de séparer dans tous les cas les condamnés et les non ‑condamnés, comme l’exige le paragraphe 2 de l’article ». La réserve de l’Australie n’a d’ailleurs suscité aucune objection et est conforme à ce que le Comité a lui ‑même indiqué au sujet des réserves dans son Observation générale n o  24 . L’État partie invoque le paragraphe 3 de l’article 19 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, selon lequel un État peut formuler une réserve pour autant que cette réserve ne soit pas interdite par le traité, qu’elle relève bien de la catégorie des réserves autorisées et qu’elle ne soit pas incompatible avec l’objet et le but du traité. Or le Pacte n’interdit pas les réserves ni ne mentionne aucun type de réserve autorisées.

4.5 L’État partie fournit des renseignements sur les mesures concrètes visant à instaurer progressivement un régime de séparation dans les établissements pénitentiaires de l’État de Victoria. La construction d’un nouveau centre de détention provisoire à Melbourne, d’une capacité d’accueil de 600 détenus, et d’un établissement pénitentiaire à régime de sécurité intermédiaire, d’une capacité d’accueil de 300 détenus, devrait être achevée à la fin de 2004. L’emplacement exact de ces nouveaux établissements pénitentiaires n’a pas encore été décidé. L’État partie renvoie à l’explication donnée par l’ancien Directeur général des services pénitentiaires de l’État de Victoria à la HREOC: «l’État de Victoria n’est pas actuellement en mesure de séparer les condamnés des prévenus. En 1989, le centre de détention provisoire de Melbourne a été construit pour accueillir tous les détenus en détention provisoire, mais six semaines après l’ouverture, le centre était plein et il a fallu diriger le surplus de détenus vers le complexe des pénitentiaires de Coburg… Le système pénitentiaire dans l’État de Victoria est soumis à de fortes pressions et la crise ne concerne pas que cet État. Idéalement, les condamnés et les prévenus devraient être séparés mais, dans la pratique, il faut prendre en considération les besoins de tous les détenus… Pour pouvoir séparer les prévenus des condamnés dans tous les cas, il faudrait doubler les établissements pénitentiaires tout en maintenant les différents régimes de sécurité et en prévoyant les installations voulues pour les prévenus… Il faut donc mettre dans la balance, d’une part, l’objectif [de la séparation] et, d’autre part, des facteurs qui ont un impact direct et immédiat sur la sécurité et le bien ‑être des détenus et sur la population carcérale en général… Le système de placement des prisonniers fait périodiquement l’objet d’un réexamen. Toutes ces considérations s’inscrivent dans le contexte d’un système pénitentiaire fonctionnant à pleine capacité…».

4.6 Pour l’État partie, le fait que la séparation n’est pas encore faite ne constitue pas une violation du paragraphe 2 a) de l’article 10. La réalisation progressive de l’objectif n’implique pas «un progrès purement linéaire». Dans certaines circonstances, il faut parfois marquer une pause, voire un recul, lorsque, par exemple, les contraintes budgétaires sont telles qu’un centre de détention provisoire destiné aux prévenus doit faire office de prison où se mêlent condamnés et non ‑condamnés. Le fait qu’il y ait un recul temporaire ne signifie pas que la séparation n’est pas réalisée progressivement. L’État partie rappelle l’argument avancé par le Directeur général des services pénitentiaires de l’État de Victoria devant la HREOC: «prétendre (comme le font les plaignants) que, comme la réserve a été formulée il y a 20 ans, la séparation devrait déjà avoir été réalisée, c’est ne tenir aucun compte de problèmes tels que l’explosion de la population carcérale et l’évolution du profil des détenus auxquels l’administration pénitentiaire a dû faire face au cours des 20 dernières années». L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité concernant la séparation prévue au paragraphe 2 a) de l’article 10, mais considère qu’elle ne s’applique pas, étant donné la réserve qu’il a formulée au sujet de l’article 10.

4.7 En ce qui concerne le droit à la présomption d’innocence qui, selon les auteurs, aurait été violé, l’État partie fait valoir que le paragraphe 2 de l’article 14 ne s’applique qu’aux personnes contre lesquelles une action pénale a été engagée . Bien que les auteurs fassent l’objet de poursuites pénales au Mexique, cela n’a jamais été le cas en Australie. Selon le droit australien, la procédure d’extradition ne constitue pas une action pénale et les tribunaux australiens ne se sont à aucun moment prononcés sur la culpabilité ou l’innocence des auteurs. Ils se sont bornés à déterminer si ceux ‑ci pouvaient être extradés conformément à la loi sur l’extradition. L’État partie considère donc que le droit à la présomption d’innocence consacré dans le Pacte n’entre pas en ligne de compte. De ce fait, cette partie de la communication est irrecevable ratione materiae .

4.8 Selon l’État partie, le fait que les auteurs soient détenus n’implique pas qu’ils soient considérés comme coupables; ils n’ont produit aucun élément prouvant que leur droit à la présomption d’innocence a été enfreint par les tribunaux ou les autorités australiennes. L’État partie considère donc que les auteurs n’ont pas dûment étayé cette allégation.

4.9 S’agissant du droit à la santé des auteurs qui, selon eux, aurait été mis en péril, l’État partie fait observer que les auteurs n’ont pas relié cette allégation à l’un des droits protégés par le Pacte. Aucune disposition du Pacte ne consacre le droit à la santé; toute plainte relative à une violation de ce droit est dès lors irrecevable ratione materiae . Au cas où le Comité déciderait d’interpréter une disposition du Pacte comme protégeant le droit à la santé, l’État partie se réserve le droit de lui faire part de ses observations avant qu’il ne prenne une décision finale à ce propos. De plus, il fait valoir que les auteurs n’ont pas apporté la preuve que leur droit à la santé avait été violé et fournit des informations détaillées sur le programme de lutte contre les maladies à la prison de Port Philip. En particulier, ils n’ont pas apporté la preuve qu’ils encouraient un risque réel de contracter une des maladies dont souffrent leurs codétenus.

4.10 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’État partie a contrevenu à la Convention de Vienne sur le droit des traités, l’État partie soutient qu’elle est irrecevable du fait que le mandat du Comité ne porte que sur les violations présumées du Pacte et non sur celles d’autres instruments internationaux.

4.11 Sur le fond, et en ce qui concerne la question du régime distinct et la référence des auteurs à l’Ensemble de règles minima et à l’Ensemble de principes, l’État partie fait valoir que ces principes n’ont pas force obligatoire et que le fait qu’un État n’applique pas toutes les recommandations qu’ils contiennent ne constitue pas en soi un signe que le paragraphe 2 a) de l’article 10 a été violé. Ainsi, il ressort clairement du rapport que la troisième Commission de l’Assemblée générale a adopté en 1958 que l’Ensemble de règles minima est certes un instrument d’interprétation du Pacte mais n’entretient aucun lien formel avec cet instrument . De plus, l’introduction à l’Ensemble des règles minima laisse entendre que ces règles ne sont ni contraignantes pour les États ni créatrices de droits pour les détenus. Par ailleurs, le Rapporteur spécial sur la question de la torture a expliqué que «l’Ensemble de règles minima n’est pas en soi un instrument juridique, le Conseil économique et social n’ayant pas le pouvoir de légiférer. L’Assemblée générale encourage certes les États à s’y conformer, mais elle ne le fait pas d’une manière qui implique que ses résolutions sur le sujet sont davantage que des recommandations d’ordre politique ou moral» .

4.12 L’État partie soutient que les auteurs ont bénéficié d’un régime suffisamment distinct pour que ses obligations découlant du paragraphe 2 a) de l’article 10 soient considérées comme respectées. Il fait valoir que les auteurs ont bénéficié de la plupart des éléments du traitement distinct qui doit être réservé aux prévenus selon l’Ensemble de règles minima et l’Ensemble de principes, notamment en ce qui concerne l’accès à un conseil juridique, les visites familiales, le droit de porter leurs propres vêtements, le fait d’être détenus dans des cellules individuelles munies de toilettes, l’accès à leur propre médecin, le droit d’acheter des journaux et des livres et la possibilité de travailler s’ils le souhaitent. À l’appui de ce qui précède, l’État partie cite le rapport final de la HREOC, selon lequel «M. Cabal a passé plus de 2 600 appels téléphoniques et M. Pasini en a passé plus de 1 600» .

4.13 S’agissant de la violation présumée du droit de Cabal et de Pasini à la présomption d’innocence, l’État partie soutient que si les auteurs ont bénéficié d’un régime distinct, c’est en partie parce qu’ils sont considérés comme des personnes non condamnées contre lesquelles aucune action pénale n’a été engagée en vertu du droit australien. C’est pourquoi le simple fait qu’ils ont été détenus ne saurait avoir donné l’impression qu’ils étaient coupables. L’État partie répète les arguments qu’il a invoqués concernant la recevabilité de la communication et soutient que, même si les auteurs avaient été détenus dans des conditions impliquant leur culpabilité, cela n’aurait eu aucun effet sur l’issue de l’action pénale engagée contre eux au Mexique.

4.14 L’État partie réfute les allégations des auteurs selon lesquelles le régime de détention auquel ils ont été soumis constitue une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Il fait valoir que, dans la mesure où les auteurs imputent les actes incriminés à d’autres prisonniers, ces actes ne sauraient être attribués à l’Australie, puisqu’ils n’ont pas été commis par des agents de l’État. L’État partie invoque à ce propos le rapport final de la HREOC daté du 23 octobre 2001 selon lequel ni l’une ni l’autre de ces dispositions n’a été enfreinte. Concernant les griefs invoqués par les auteurs devant la HREOC concernant les conditions générales de leur détention, notamment un accès insuffisant à la bibliothèque et aux activités récréatives, des droits de visite insuffisants, la nature du travail offert, la difficulté de téléphoner à leurs avocats et aux membres de leur famille à l’étranger et d’obtenir la nourriture à laquelle ils sont habitués, l’État partie note que la HREOC a estimé que, pour qu’il y ait violation du paragraphe 1 de l’article 10, il aurait fallu des conditions de détention beaucoup plus rigoureuses que celles décrites, les difficultés et les contraintes inhérentes à la privation de liberté ne constituant pas une violation en soi.

4.15 S’agissant de la question de l’entravement auquel les auteurs ont été soumis, l’État partie fait valoir que l’Ensemble de règles minima et l’Ensemble de principes peuvent être utilisés pour interpréter le paragraphe 2 de l’article 10.

Ainsi, le paragraphe 33 de l’Ensemble de règles minima dispose que:

«… les instruments de contrainte ne peuvent être utilisés que dans les cas suivants: a) par mesure de précaution contre une évasion pendant un transfèrement, pourvu qu’ils soient enlevés dès que le détenu comparaît devant une autorité judiciaire ou administrative.»

Quant au paragraphe 34, il dispose que:

«Le modèle et le mode d’emploi des instruments de contrainte doivent être déterminés par l’administration pénitentiaire centrale. Leur application ne doit pas être prolongée au ‑delà du temps strictement nécessaire.».

4.16 L’État partie précise que si les auteurs étaient entravés lorsqu’on les emmenait de la prison au tribunal et du tribunal à la prison, c’est parce que le risque d’évasion était suffisant pour justifier un régime de haute sécurité. À ce propos, il rappelle les observations faites par le Directeur général des services pénitentiaires de l’époque à la HREOC, selon lesquelles le risque d’évasion avait été évalué en tenant compte du fait que: les auteurs avaient par le passé échappé à l’arrestation en utilisant des documents de voyage et des pièces d’identité falsifiés, avaient accès à des ressources financières considérables; avaient versé de l’argent à d’autres prisonniers; les services de renseignements de la prison avaient rapporté plusieurs incidents; d’autres prisonniers avaient offert aux auteurs de les aider à s’évader contre rétribution. L’État partie cite aussi les propos d’un juge, qui figurent dans le rapport de la HREOC et selon lesquels il existait un risque considérable que les auteurs prennent la fuite en cas de libération sous caution.

4.17 L’État partie cite un extrait du rapport final de la HREOC sur la nature des instruments de contrainte utilisés: «Il est vrai que les plaignants ont été entravés par des chaînes à 12 maillons pendant les transports. Cependant, à partir du 7 janvier 2000, seules des chaînes à 17 maillons ont été utilisées. Or, les chaînes à 17 maillons donnent une plus grande liberté de mouvement, notamment pour ce qui est de monter dans le fourgon. Les gardiens de l’escorte aident les prisonniers à accéder au fourgon en les soutenant par la ceinture qui leur entoure la taille…». L’État partie cite également la conclusion de la HREOC sur cette question: «… la décision d’entraver les détenus pendant les transports a été prise par le Gouverneur responsable du Groupe des services de sécurité d’urgence (SESG) sur la base d’une évaluation du risque d’évasion. La décision a été confirmée par le Directeur général des services pénitentiaires. Les fers n’ont été utilisés que lors des transports. On peut déplorer que le Gouverneur ait jugé que de tels instruments de contrainte étaient nécessaires, mais en tout état de cause, j’estime qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1 de l’article 10 ou de l’article 7 en ce qui concerne l’entravement».

4.18 Pour ce qui est de la détention des auteurs dans une «cage», la HREOC a reçu des témoignages selon lesquels les auteurs sont restés pendant une heure dans la cellule en question, parce que c’était la seule disponible dans l’établissement qui pouvait alors accueillir les deux prisonniers (les prisonniers placés sous le régime de haute sécurité sont généralement détenus individuellement). Ils ont refusé la possibilité d’être placés dans des cellules individuelles, préférant rester ensemble. Ils pouvaient soit se tenir debout, soit s’asseoir dans la cellule, mais ils ont choisi de rester debout. La gêne qu’ils ont pu ressentir n’a pas duré longtemps et la souffrance physique et mentale qui aurait pu être éprouvée (mais dont il n’y a aucune preuve) n’aura été que temporaire et légère. Dans ses conclusions sur les allégations faites par les auteurs à ce propos, la HREOC a estimé que, même en admettant que la cellule était exiguë et inconfortable, les auteurs y sont restés un laps de temps trop court pour qu’il puisse être affirmé, au regard de la jurisprudence, qu’ils ont subi un traitement contraire aux articles 7 et 10 du Pacte.

4.19 En ce qui concerne la fouille à corps, l’État partie décrit les modalités prévues par le règlement intérieur de toutes les prisons. La procédure, qui est conduite par deux membres du personnel de la prison du même sexe que le prisonnier, est d’abord expliquée à l’intéressé. La fouille a lieu dans un endroit sec et chaud, hors de la vue d’autres personnes, et un paillasson est fourni si le sol n’est pas recouvert d’une moquette. On demande au détenu, alors qu’il est toujours habillé, d’ouvrir la bouche, de lever la langue et d’enlever son dentier s’il en a un, et une inspection purement visuelle est alors effectuée. Les vêtements du prisonnier sont ensuite vérifiés; lorsque le prisonnier est en sous ‑vêtements, on lui demande de lever les bras afin que son torse puisse être examiné visuellement; il est ensuite prié d’enlever ses sous ‑vêtements, et les parties inférieures du corps sont aussi examinées visuellement. Enfin, il est demandé au prisonnier de montrer la plante de ses pieds. Toute la procédure est menée le plus rapidement possible.

4.20 L’État partie cite un extrait du rapport final de la HREOC selon lequel: «il semble que ce type de fouilles [fouilles à corps] est inévitable en milieu carcéral. L’objet de ces fouilles est de détecter et de réprimer l’introduction de drogues illicites dans la prison. En particulier, il s’agit d’éviter que des drogues ne soient introduites en prison à la faveur des visites au parloir; c’est pourquoi les détenus sont fouillés à corps après chaque visite. Je prends note du fait que ces fouilles corporelles sont strictement visuelles et ne comportent aucune intrusion… Je suis convaincu que les fouilles sont indispensables au bon fonctionnement des prisons et qu’elles semblent donc être une conséquence inévitable de la détention; j’estime donc que le fait que les plaignants y aient été soumis ne constitue pas une violation du paragraphe 1 de l’article 10 ou de l’article 7 du Pacte…». L’État partie fait valoir que les auteurs n’étaient pas indûment visés par les fouilles, qui ont été menées de façon à leur causer le minimum de gêne et pour des motifs de sécurité uniquement.

4.21 L’État partie conteste l’allégation selon laquelle la détention constitue un risque pour la santé physique et mentale des auteurs. Il fait valoir que l’allégation selon laquelle Pasini a été menacé au moyen d’un couteau de 20 centimètres par un codétenu a fait l’objet d’une enquête et qu’elle s’est avérée non fondée. Cependant, dans l’intérêt de l’auteur et de sa sécurité, le Directeur de la gestion des peines a fait transférer l’agresseur présumé dans une autre prison. Il précise également que la déclaration écrite sous serment invoquée par les auteurs selon laquelle un détenu de Sirius East a été victime d’une agression sexuelle est sans fondement et que l’intéressé a refusé de coopérer à une enquête policière.

4.22 Bien qu’il considère qu’aucune disposition du Pacte n’a trait au droit à la santé, l’État partie fournit néanmoins les renseignements suivants concernant le fond. Il nie que le détenu qui «crachait le sang» ait été atteint de tuberculose et précise que les détenus qui en sont atteints sont isolés des autres et envoyés à l’infirmerie située dans le quartier de St Johns. La réponse du Group 4 (que l’État partie prie le Comité de considérer comme faisant partie de ses observations), confirme l’explication fournie par l’État partie. Par ailleurs, les institutions pénitentiaires ont pour politique de ne pas isoler les détenus atteints du sida de la population carcérale générale. Tous les détenus, quel que soit leur état de santé, doivent être traités équitablement et il serait contraire à la loi sur l’égalité des chances de l’État de Victoria d’agir autrement. Étant donné que les détenus ne sont pas tenus de déclarer leur éventuelle séropositivité lorsqu’ils arrivent à la prison de Port Philip et qu’il n’est pas obligatoire de leur faire subir un test de dépistage du VIH le Group 4 fait valoir qu’il serait de toute façon impossible d’appliquer une politique d’isolement des séropositifs et des malades du sida.

Commentaires des auteurs

5.1 Dans une lettre du 28 janvier 2003, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie. Ils contestent l’argument selon lequel la communication est inadmissible et font valoir que les conclusions du Comité dans l’affaire F., au nom de son fils, C. c. Australie , ne s’appliquent pas en l’espèce.

5.2 Les auteurs considèrent que l’intervention du Rapporteur spécial sur la question de la torture est importante, puisque l’information qu’il avait recueillie l’avait amené à lancer un appel pressant à l’État partie. Ils maintiennent la plainte introduite devant le Groupe de travail sur la détention arbitraire, au motif que la procédure par laquelle ils ont été transférés d’un quartier à régime ordinaire à un quartier de haute sécurité (Sirius East) était en soi arbitraire puisqu’ils n’ont pas eu l’occasion de contester les raisons motivant la décision. Selon les auteurs, les tribunaux australiens ne sont pas compétents pour revoir cette procédure et peuvent seulement se prononcer sur la question de savoir si la détention est conforme à la loi sur l’extradition.

5.3 Les auteurs rappellent que, dans son quatrième rapport au Comité, l’État partie a indiqué expressément que «la prison de Laverton accueillera la plupart des détenus de sexe masculin en détention provisoire et permettra de mieux séparer encore les condamnés et les prévenus» . Or, selon les auteurs, la prison susmentionnée est la prison de Port Philip, qui pourrait servir, et était censée servir, à séparer les condamnés des non ‑condamnés, groupe dont font partie les auteurs, mais ce n’est pas le cas pour des raisons de politique. L’État partie dispose en effet des moyens et des équipements voulus pour que les conditions de détention des auteurs soient conformes aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 10.

5.4 Les auteurs contestent l’argument avancé par l’État partie selon lequel la réserve qu’il a formulée concernant le paragraphe 2 a) de l’article 10 n’a soulevé aucune objection et rappellent que les Pays ‑Bas ont exprimé leurs «doutes» quant à cette réserve. Ils soutiennent que lorsqu’on examine l’étendue et la portée de la réserve, il faut songer à l’intention de l’État partie au moment où il l’a formulée et tenir compte de ce que le Comité a indiqué dans son Observation générale n o  24: les réserves sont l’exception tandis que l’acceptation de toutes les obligations découlant du Pacte est la règle, et les réserves devraient être retirées le plus tôt possible. Dès lors que la séparation est considérée comme un objectif à atteindre progressivement, il n’est pas conforme à la réserve de placer les détenus en fonction d’«impératifs administratifs plutôt que de la qualité de condamné ou de prévenu», comme l’a indiqué le Directeur général des services pénitentiaires , alors que les installations nécessaires pour séparer les prévenus des condamnés existent. Selon les auteurs, la pratique actuelle de l’État de Victoria résulte d’une politique introduite après que la réserve a été formulée, politique qui semble contredire tant l’intention exprimée dans la réserve elle ‑même que les principes énoncés dans l’Observation générale.

5.5 Les auteurs mentionnent la décision de la HREOC qui, selon eux, n’est contraignante ni pour l’État partie ni pour le Comité. Ils insistent sur le fait que bien que la HREOC n’ait constaté aucune violation du Pacte, elle n’a pas contesté la version des faits des auteurs, à savoir qu’ils ont subi des menaces, qu’ils ont été menottés et entravés, qu’ils ont été soumis à des fouilles à nu, qu’ils n’ont pas été séparés des condamnés et n’ont pas fait l’objet d’un régime distinct. Les auteurs invoquent la décision de la HREOC dans la mesure où elle comporte une évaluation des faits de la cause, qui conforte leur argument selon lequel le Commissaire a pris une décision erronée.

Observations complémentaires des parties

6.1 Dans une note verbale datée du 24 avril 2003, l’État partie a fait des observations complémentaires concernant l’état et les effets de sa réserve au sujet du paragraphe 2 de l’article 10 du Pacte et a réitéré ses précédents arguments sur la question.

6.2 L’État partie a soumis une autre note verbale le 22 juillet 2003. Au vu du projet de constatations dont il était saisi, qui avait été élaboré par son groupe de travail présession, le Comité a décidé que celle-ci n’avait aucune incidence sur les déclarations du Comité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2 Avant de déterminer si les différentes plaintes sont recevables, le Comité doit tout d’abord vérifier si les obligations souscrites par l’État partie en vertu du Pacte s’appliquent aux établissements pénitentiaires administrés par des sociétés privées, comme c’est le cas en l’espèce, de la même façon qu’elles s’appliquent à des établissements administrés par l’État. Bien que cet argument n’ait pas été avancé par l’État partie, le Comité se doit de déterminer ex officio si la communication concerne un État partie au Pacte au sens de l’article premier du Protocole facultatif. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle «l’État partie n’est pas dégagé de ses obligations en vertu du Pacte lorsque certaines de ses fonctions sont déléguées à d’autres organes autonomes» . Le Comité considère que le fait de confier au secteur privé des activités essentielles de l’État comportant le recours à la force et la détention de personnes ne dégage pas l’État partie des obligations qu’il a souscrites en vertu du Pacte, notamment celles qui découlent des articles 7 et 10 et font l’objet de la présente communication. Par conséquent, le Comité tient l’État partie pour responsable en vertu du Pacte et du Protocole facultatif, du traitement qui est réservé aux détenus de la prison de Port Philip, établissement pénitentiaire géré par le Group 4.

7.3 Le Comité note que l’État partie a invoqué la réserve qu’il a formulée au sujet du paragraphe 2 a) de l’article 10, à savoir «en ce qui concerne le paragraphe 2 a), le principe de la séparation est accepté en tant qu’objectif à réaliser progressivement». Le Comité note aussi l’argument présenté par les auteurs selon lequel, malgré cette réserve, cette partie de la communication est recevable, au motif que la réserve a été formulée il y a 20 ans et qu’il serait raisonnable de s’attendre que, dans un tel délai, l’État partie aurait atteint son objectif de s’acquitter pleinement des obligations découlant de l’article en question. Le Comité note par ailleurs que les deux parties se sont référées à l’Observation générale n o  24 relative aux réserves.

7.4 Le Comité fait observer que la réserve formulée par l’État partie est spécifique et transparente, et que son champ d’application est clair. Elle porte sur la séparation des prévenus et des condamnés et ne s’étend pas, comme le soutiennent les auteurs et comme ne le conteste pas l’État partie, à l’élément régime distinct prévu au paragraphe 2 a) de l’article 10. S’il est vrai que 20 ans se sont écoulés depuis que l’État partie a formulé sa réserve, que l’État partie comptait atteindre progressivement son objectif, et que même s’il serait souhaitable que les États parties retirent leurs réserves le plus vite possible, le Pacte ne prévoit aucun délai pour le retrait des réserves. Le Comité note en outre les efforts déployés par l’État partie pour réaliser cet objectif, notamment la construction du centre de détention provisoire de Melbourne en 1989, qui était précisément censé servir à l’accueil des personnes en détention provisoire, et qu’il compte construire deux nouvelles prisons à Melbourne, dont un centre de détention provisoire, d’ici à la fin de 2004. Par conséquent, si l’on peut déplorer que l’État partie n’ait pas encore réalisé son objectif de séparer les prévenus des condamnés, comme le demande le paragraphe 2 a) de l’article 10, le Comité ne saurait considérer que la réserve en question est incompatible avec l’objet et le but du Pacte. Cette partie de la plainte est donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.5 S’agissant du reste de la plainte en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 10, à savoir que l’État partie a manqué à son obligation de soumettre les auteurs à un régime distinct, approprié à leur condition de personnes non condamnées, le Comité note qu’à bien des égards, les auteurs ont fait l’objet d’un régime distinct, en obtenant des privilèges tels que le droit de porter leurs propres vêtements, de passer des appels téléphoniques et de recevoir des plats mexicains. Le Comité estime que les auteurs n’ont pas, aux fins de la recevabilité de leur plainte, suffisamment étayé leur allégation selon laquelle le fait qu’ils ont été traités à certains égards comme des condamnés est incompatible avec leur qualité de détenus en instance d’extradition ou soulève des questions distinctes de celle de l’absence de séparation, aspect qui est couvert par la réserve de l’État partie. Par conséquent, le Comité considère que cette partie de la plainte est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6 En ce qui concerne la plainte selon laquelle le droit à la présomption d’innocence des auteurs a été violé du fait qu’ils n’ont pas été séparés des condamnés ni fait l’objet d’un régime distinct, le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 14 ne porte que sur les personnes qui font l’objet de poursuites pénales. Étant donné que les auteurs n’étaient pas poursuivis au pénal par l’État partie, ce grief ne soulève pas de question au titre du Pacte et le Comité le déclare donc irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.7 En ce qui concerne la plainte relative à une violation du droit à la santé des auteurs, le Comité partage l’opinion de l’État partie selon laquelle aucune disposition du Pacte ne vise spécifiquement un tel droit. Le Comité considère que le fait de ne pas isoler les détenus souffrant de maladies contagieuses des autres détenus pourrait soulever des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 10 . Cependant, en l’espèce, le Comité considère que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leur plainte et qu’elle est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.8 En ce qui concerne la nouvelle plainte des auteurs (voir par. 5.2), selon laquelle la décision de les transférer du quartier de détention ordinaire au quartier de haute sécurité (Sirius East) était arbitraire, du fait qu’ils ne pouvaient ni refuser ce transfert ni contester la décision devant un tribunal, le Comité note que les auteurs, qui étaient détenus en vertu de la loi sur l’extradition, ont introduit plusieurs requêtes en habeas corpus pendant leur détention à Sirius East. Il note que les auteurs n’ont pas, aux fins de la recevabilité, suffisamment étayé leur allégation selon laquelle leur transfert soulève une question distincte au regard du Pacte du fait qu’il était arbitraire. Par conséquent, cette plainte est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.9 Le Comité ne voit aucun obstacle à juger recevables les plaintes à raison d’une violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10. Ces plaintes doivent donc être examinées quant au fond.

Examen quant au fond

8.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2 En ce qui concerne la plainte selon laquelle l’État partie aurait violé l’article 7 et le paragraphe 1 de l’article 10 en raison des conditions de détention et du régime auquel les auteurs ont été soumis, le Comité note que les plaintes relatives à l’entravement au moyen de fers reliés par des chaînes à 12 maillons, remplacées par la suite par des chaînes à 17 maillons, pendant les transports, et celles relatives aux fouilles qu’ils ont subies après chaque visite ne sont pas contestées par l’État partie sur le plan des faits. Cependant, l’État partie justifie le traitement en question, en expliquant que l’évaluation des risques d’évasion se fonde sur le fait que les auteurs avaient, par le passé, échappé à l’arrestation en utilisant des documents de voyage et des pièces d’identité falsifiés, qu’ils avaient accès à des ressources financières considérables, qu’ils avaient fait des paiements à d’autres prisonniers et parce que les services de renseignements de la prison avaient signalé des incidents dans lesquels d’autres prisonniers avaient proposé aux intéressés de les aider à s’évader moyennant finances. De plus, l’État partie a expliqué que les auteurs n’étaient pas indûment visés par les fouilles, qui avaient été menées de manière à leur causer un minimum de gêne et pour des motifs de sécurité. Selon le Comité, il n’y a pas eu violation de l’article 7 ou du paragraphe 1 de l’article 10 à cet égard.

8.3 Pour ce qui est des questions soulevées par la détention des auteurs pendant une heure dans une «cage» triangulaire, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel la cellule en question était alors la seule capable d’accueillir deux personnes en même temps et que les auteurs ont voulu rester ensemble. De l’avis du Comité, le fait de ne pas disposer d’une cellule remplissant les conditions requises pour que deux personnes y soient placées n’est pas une raison valable pour obliger deux prisonniers à être assis ou debout chacun à son tour dans un espace aussi exigu, même si cela n’a duré qu’une heure. Dans ces circonstances, le Comité considère que cet incident fait apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’Australie du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

10. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que les auteurs ont droit à un recours utile sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion dissidente de M. Hipólito Solari Yrigoyen, membre du Comité

Mon opinion dissidente concerne le paragraphe 8.2 des constatations qui, à mon sens, devrait être libellé comme suit:

«8.2 En ce qui concerne la plainte selon laquelle l’État partie a violé l’article 7 et le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, du fait des conditions de détention et du traitement auxquels ont été soumis les auteurs, et parce que chaque fois que Pasini doit sortir de la prison, il est entravé au moyen de chaînes de 12 à 17 maillons, qu’après chaque visite il est déshabillé et fouillé, de même qu’avant et après qu’on l’emmène au tribunal, ce qui signifie qu’il peut avoir à subir une inspection des orifices corporels plus de trois fois par jour, et qu’il est communément exposé aux rudoiements et à la violence générale des gardiens de la prison, le Comité note que l’État partie n’a démenti aucun de ces faits. Il a toutefois essayé de les justifier en invoquant le risque que Pasini tente de s’évader. Le Comité estime que l’État partie dispose des pouvoirs et des moyens nécessaires pour se protéger de ce risque d’évasion sans recourir à des mesures vexatoires et inutiles qui sont incompatibles avec le respect de la dignité inhérente à l’être humain et au traitement que doit recevoir toute personne privée de liberté. Par conséquent, le Comité considère qu’il y a eu violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.».

( Signé ) Hipólito Solari Yrigoyen

Le 8 août 2003

[Adopté en anglais, en espagnol (version originale) et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

EE. Communication n o  1077/2002, Carpo et consorts c. Philippines * (Constatations adoptées le 28 mars 2003, soixante-dix-septième session)

Présentée par : Jaime Carpo, Oscar Ibao, Warlito Ibao et Roche Ibao (représentés par un conseil, M e  Ricardo A. Sunga III)

Au nom de : Les auteurs

État partie : Les Philippines

Date de la communication : 6 mai 2002

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n° 1077/2002 présentée par MM. Jaime Carpo, Oscar Ibao, Warlito Ibao et Roche Ibao en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 Les auteurs de la communication, datée du 6 mai 2002, sont Jaime Carpo, ses fils Oscar et Roche Ibao ainsi que son neveu Warlito Ibao, tous de nationalité philippine et détenus dans la nouvelle prison de Bilibid, à Muntinlupa City. Les auteurs se disent victimes de violations par les Philippines du paragraphe 2 de l’article 6 et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Les auteurs sont représentés par un conseil. Le Pacte est entré en vigueur pour l’État partie le 23 janvier 1987 et le Protocole facultatif le 22 novembre 1989.

1.2 Le 14 mai 2002, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, le Comité des droits de l’homme a demandé à l’État partie, conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, de surseoir à l’exécution des auteurs condamnés à la peine capitale pendant l’examen de leur cas par le Comité.

Rappel des faits

2.1 Avant 1987, la peine de mort existait dans le système judiciaire philippin, et de nombreux crimes, parmi lesquels le meurtre, étaient punis de mort. Le 2 février 1987, une nouvelle Constitution est entrée en vigueur après avoir été «approuvée» par le peuple philippin consulté par plébiscite. Cette Constitution, en son article 3 19) 1), a aboli la peine de mort dans les termes suivants:

«Il ne sera pas imposé de peines d’amende, ni de peines cruelles, inhumaines ou dégradantes. La peine de mort ne sera pas imposée, excepté si le Congrès le prévoit ultérieurement pour des raisons impérieuses dans le cas de crimes odieux. Toute peine de mort déjà prononcée sera commuée en réclusion à perpétuité.».

2.2 Le 13 décembre 1993, le Congrès philippin, par la loi de la République n o  7659, a réintroduit la peine de mort par électrocution pour les «crimes odieux spécifiques», notamment les meurtres commis dans diverses circonstances . En substance, le crime de meurtre est resté inchangé.

2.3 Dans la soirée du 25 août 1996, une grenade a été lancée dans la chambre à coucher de la famille Dulay. L’explosion a tué Florentino Dulay, ainsi que ses filles Norwela et Nissan, et a blessé une autre fille, Noemi. Le 25 octobre 1996 et le 9 décembre 1996, les auteurs Jaime Carpo et Roche Ibao, respectivement, ont été arrêtés. Après quoi, les autres auteurs, Oscar et Warlito Ibao, se sont rendus.

2.4 Le 22 janvier 1998, la Cour régionale de Tayug, Pangasinan, a reconnu les auteurs coupables d’«homicides multiples avec tentative de meurtre», les a condamnés à mort et a fixé le montant des dommages ‑intérêts pour responsabilité civile à 600 000 pesos. Le 4 avril 2001, dans le cadre de la procédure de révision automatique, une chambre composée de 15 juges de la Cour suprême, après avoir longuement examiné les faits, a confirmé la déclaration de culpabilité tout en ramenant le montant des dommages ‑intérêts à 330 000 pesos. Quant à la condamnation à mort, la Cour a considéré que l’affaire relevait de l’article 48 du Code pénal révisé selon lequel la peine la plus lourde encourue pour le crime le plus grave devait être prononcée . Puisque la peine maximale pour le crime le plus grave commis par les auteurs, c’est-à-dire le meurtre, était la mort, la Cour a considéré que l’article 48 était applicable et a requis la peine de mort. Dans le jugement, il était également noté que quatre juges de la Cour avaient estimé que la loi de la République n o  7659 était inconstitutionnelle dans la mesure où elle prescrivait la peine de mort, mais s’étaient ralliés à la décision de la majorité de la Cour selon laquelle la loi n o  7659 était constitutionnelle, et que les auteurs devaient par conséquent être condamnés à la peine de mort.

2.5 La Cour suprême a également demandé que le dossier complet de l’affaire soit adressé au Bureau de la Présidente des Philippines pour que celle ‑ci prenne éventuellement une mesure de grâce. À ce jour, la Présidente n’a accordé aucune mesure de grâce présidentielle.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs font valoir que la réintroduction de la peine de mort et son application dans leur cas est incompatible avec la première phrase du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, qui autorise l’imposition de la peine de mort dans les États «où la peine de mort n’a pas été abolie». En outre, les auteurs font valoir que «le meurtre» n’emportait pas la peine de mort avant la réintroduction de cette dernière, et qu’il ne peut par conséquent pas constituer un des «crimes les plus graves» (pour lesquels le paragraphe 2 de l’article 6 autorise l’application de la peine de mort) après la réintroduction de la peine capitale, alors que la définition du délit de meurtre est restée en substance totalement inchangée.

3.2 Concernant la plainte formulée au titre du paragraphe 5 de l’article 14, les auteurs affirment que, dans le cadre de la procédure de révision automatique, ils n’ont obtenu «aucun réexamen véritable (de leur cas) devant la Cour suprême». Ils affirment n’avoir eu «aucune véritable possibilité d’être entendus», étant donné que la Cour n’a autorisé aucune plaidoirie et a «pratiquement exclu la présentation de toutes nouvelles pièces à conviction». Par conséquent, selon les auteurs, la révision automatique par la Cour suprême ne constituait pas réellement un moyen efficace de déterminer si la déclaration de culpabilité et la condamnation étaient adéquates et solidement fondées.

3.3 Les auteurs déclarent que la même question n’a pas été soumise à l’examen d’une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Dans une lettre du 8 juillet 2002, l’État partie a affirmé que la communication n’était pas étayée et qu’elle était irrecevable eu égard à tous les griefs formulés.

4.2 En ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 6, l’État partie considère l’argument invoqué comme un argument «normatif» qui ne peut être examiné par le Comité. Selon lui, l’argument porte uniquement sur le point de savoir s’il est judicieux d’imposer la peine capitale pour certaines infractions, alors que la détermination des crimes entrant dans cette catégorie est une question relevant purement de la compétence nationale. Selon l’État partie, le Pacte ne vise pas à limiter le droit qu’a un État partie d’apprécier l’opportunité de se doter d’une loi imposant la peine capitale. L’État partie fait valoir que la constitutionnalité de la loi sur la peine de mort est un point qu’il appartient à l’État partie lui ‑même de trancher, et note que la Cour suprême a confirmé la constitutionnalité de la loi en question . L’État partie fait valoir aussi qu’il n’appartient pas au Comité d’interpréter la constitution d’un État partie en vue de déterminer le respect du Pacte par cet État partie.

4.3 L’État partie fait la distinction entre les États qui ont actuellement des lois sur la peine de mort et ceux qui ont réintroduit la peine de mort après l’avoir abolie ou suspendue. Il met l’accent sur la disposition spécifique de l’article constitutionnel abolissant la peine de mort qui prévoit la possibilité pour le Congrès de la réimposer. Le Pacte n’empêche pas une telle réintroduction, car le paragraphe 2 de l’article 6 mentionne simplement les pays qui ont une législation sur la peine de mort. L’exigence imposée par le Pacte est que la peine capitale doit être imposée dans le strict respect des formes légales. Dans le cas à l’examen, l’argument selon lequel l’État partie a manqué au respect de ses propres procédures internes n’a pas été invoqué.

4.4 En ce qui concerne l’argument des auteurs selon lequel la peine capitale a été imposée pour des crimes qui ne font pas partie des «plus graves», l’État partie note que les États ont toute latitude pour interpréter cette disposition en fonction des valeurs culturelles, des nécessités apparentes et d’autres facteurs, étant donné que la notion de «crimes les plus graves» n’est pas définie plus explicitement dans le Pacte. L’État partie juge fallacieux le raisonnement des auteurs qui veut que, étant donné que la peine de mort ne pouvait être imposée pour aucun crime avant d’être réintroduite, aucun crime ne saurait figurer parmi les «plus graves» pouvant emporter la peine de mort après sa réintroduction − le crime de meurtre restait, et reste encore, l’un des plus graves dans l’ordre interne, comme l’attestait notamment la gravité des sanctions qui pouvaient alors lui être appliquées.

4.5 Quant au paragraphe 5 de l’article 14, l’État partie rejette les arguments des auteurs car toute personne condamnée à mort a automatiquement droit à un appel. En outre, le fait de ne pas accorder d’audience pour la plaidoirie ne signifie pas qu’il n’y a pas de révision authentique, car la pratique suivie de longue date par la Cour consiste à n’entendre de plaidoirie que dans les cas soulevant des questions de droit inédites. En ce qui concerne la grâce présidentielle, l’État partie note qu’en droit philippin cette prérogative relève exclusivement du pouvoir discrétionnaire du Président. Toute demande en grâce sera reçue et examinée, mais la teneur de la décision est laissée à la discrétion du Président.

Commentaires des auteurs

5.1 Dans une lettre du 24 novembre 2002, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie. Ils relèvent qu’en adhérant au Pacte et au Protocole facultatif, l’État partie a accepté de reconnaître au Comité la faculté de déterminer si les actions de l’État partie étaient compatibles avec les dispositions des deux instruments. En invoquant le paragraphe 6 de l’article 6 du Pacte, les auteurs croient détecter dans le Pacte une «position abolitionniste» qui n’envisage pas le renoncement à l’abolition, ce qu’a fait l’État partie. Quant à la discrétion qui serait laissée à l’État partie pour déterminer le contenu de la notion de «crimes les plus graves», les auteurs notent que, selon le consensus international, il est entendu qu’il s’agira de crimes intentionnels ayant des conséquences fatales ou d’autres conséquences extrêmement graves . Les auteurs relèvent que, bien au contraire, la longue liste des infractions emportant la peine de mort dans l’État partie comprend des crimes tels que l’enlèvement, les infractions à la législation sur les stupéfiants, le pillage et la corruption qualifiée.

5.2 Pour ce qui est du paragraphe 5 de l’article 14, les auteurs notent que l’absence de plaidoirie devant la Cour suprême lorsqu’elle a examiné leur recours l’a empêchée d’avoir sa propre appréciation des dépositions des témoins et l’a obligée à s’appuyer sur l’appréciation de la juridiction inférieure. Les auteurs font valoir qu’aucune révision effective n’est possible lorsque la Cour suprême doit choisir entre la crédibilité de l’accusé et celle de la victime sans pouvoir entendre les principaux témoins.

5.3 Les auteurs mentionnent d’autres faits ultérieurs, notamment un article paru dans la presse selon lequel, bien que la Présidente ait annoncé au début d’octobre 2002 l’interdiction des exécutions jusqu’à nouvel avis afin de permettre au Congrès d’adopter une législation sur l’abolition, des dispositions préliminaires avaient déjà été prises en vue de l’exécution des auteurs. La Présidente avait récemment accordé sa grâce à certains condamnés qui devaient être exécutés, mais les auteurs à ce jour n’avaient reçu aucune notification dans ce sens. De plus, l’exécution des auteurs serait, semble ‑t ‑il, illégale au regard du droit interne, car elle interviendrait après la période de 18 mois prescrite par la loi, dès lors que le jugement est définitif, comme étant le délai maximum à l’expiration duquel l’exécution doit avoir eu lieu.

Échanges de correspondance ultérieurs avec les parties

6.1 Bien qu’il y ait été invité par des rappels datés du 27 novembre 2002 et du 8 janvier 2003, l’État partie n’a envoyé aucun autre courrier concernant le fond de la communication pour compléter ses observations sur la recevabilité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité note que le seul argument avancé par l’État partie pour contester la recevabilité est que les griefs des auteurs ne sont pas étayés, en présentant divers arguments portant sur le fond de la plainte. Le Comité estime donc plus approprié de traiter de ces questions en examinant le fond. En l’absence de tout autre élément faisant obstacle à la recevabilité, le Comité déclare donc les griefs des auteurs recevables.

Examen quant au fond

8.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que les parties lui avaient communiquées, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2 En ce qui concerne le grief au titre du paragraphe 2 de l’article 6, le Comité souligne tout d’abord, en réponse à l’argument de l’État partie qui objecte qu’il n’appartient pas au Comité d’apprécier la constitutionnalité des lois des États parties, que le rôle du Comité est de déterminer la compatibilité avec le seul Pacte des griefs précis portés devant lui.

8.3 Le Comité note que le meurtre tel qu’il est qualifié par la loi pénale de l’État partie est défini de façon très large puisqu’il est constitué par le seul fait de tuer quelqu’un. En l’espèce, le Comité fait observer que la Cour suprême a jugé que cette affaire relevait de l’article 48 du Code pénal révisé, selon lequel, si un acte unique constitue deux crimes à la fois, c’est la peine maximale encourue pour le crime le plus grave qui doit être prononcée. Les crimes commis au moyen d’un seul acte étant trois meurtres et une tentative de meurtre, la peine maximale prévue pour le meurtre − la peine de mort − a été prononcée automatiquement en application des dispositions de l’article 48. Le Comité renvoie à sa jurisprudence qui veut que la condamnation obligatoire à la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, dans des circonstances où la peine capitale est prononcée sans qu’il soit possible de prendre en considération la situation personnelle de l’accusé ou les circonstances ayant entouré le crime en question . Il en découle que la condamnation automatique des auteurs à la peine de mort en vertu de l’article 48 du Code pénal révisé était une violation des droits qui leur sont reconnus au paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

8.4 Compte tenu de la constatation ci-dessus selon laquelle il y a bien eu violation de l’article 6 du Pacte, il n’est pas nécessaire que le Comité examine les autres plaintes des auteurs qui concernent toutes l’imposition de la peine de mort dans leur cas.

9. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

10. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir aux auteurs un recours utile et approprié, consistant en une commutation de peine. Il est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est traduit aussi en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Nisuke Ando, membre du Comité (dissidente)

Je ne puis approuver les constatations adoptées à la majorité selon lesquelles «le Comité renvoie à sa jurisprudence qui veut que la condamnation obligatoire à la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, dans des circonstances où la peine capitale est prononcée sans qu’il soit possible de prendre en considération la situation personnelle de l’accusé ou les circonstances ayant entouré le crime en question» (par. 8.3).

En premier lieu , je doute que la jurisprudence établie du Comité veuille que «la condamnation obligatoire à la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte». Les constatations adoptées à la majorité sont fondées sur les constatations du Comité dans l’affaire n o  806/1998 adoptées le 18 octobre 2000 ( Thompson c . Saint ‑Vincent ‑et ‑les Grenadines ). [Le Comité a adopté une décision similaire dans l’affaire n o  845/1998 ( Kennedy c . Trinité ‑et ‑Tobago) , mais les faits pertinents dans les deux affaires étaient différents]. Il me faut toutefois signaler que deux opinions dissidentes ont été annexées aux constatations et qu’elles émanaient de cinq membres (Lord Colville, pour l’une et MM. Kretzmer, Amor, Yalden et Zakhia, pour l’autre). Il se trouve que j’étais absent lorsque les constatations ont été adoptées et que je n’ai pas été en mesure d’exprimer mon opinion. Si j’avais participé à la prise de la décision, j’aurais cosigné les deux opinions dissidentes.

En tout état de cause, comme l’ont souligné M. Kretzmer et consorts, ainsi que Lord Colville, les constatations dans l’affaire Thompson s’écartaient de ce qui était jusque ‑là la pratique du Comité. Avant cette décision, le Comité avait été saisi de nombreuses communications émanant de personnes condamnées à mort en vertu d’une législation qui rend la condamnation à mort obligatoire en cas de meurtre. Or, dans aucune de ces affaires, le Comité n’avait posé que le caractère obligatoire de la peine entraînait une violation de l’article 6 (ou de tout autre article) du Pacte. De plus, dans l’exercice de ses fonctions au titre de l’article 40 du Pacte, le Comité a examiné des rapports d’États parties dont la législation prévoit que la peine capitale est obligatoire en cas de meurtre, mais il n’a jamais posé dans ses observations finales que l’obligation de prononcer une sentence de mort en cas de meurtre était incompatible avec le Pacte. En outre, dans son Observation générale n o  6 relative à l’article 6 du Pacte, le Comité n’a indiqué à aucun moment que le prononcé obligatoire de la peine capitale était incompatible avec l’article 6. Bien entendu, comme M. Kretzmer et consorts l’ont fait observer, le Comité n’est pas lié par sa jurisprudence. Toutefois, s’il souhaite s’en écarter, il doit en donner les motifs à l’État partie et à la personne concernée. Malheureusement, cette explication n’a pas été fournie dans les constatations du Comité sur l’affaire Thompson et elle ne l’est pas davantage dans les constatations sur l’affaire à l’examen.

En deuxième lieu , Lord Colville dit clairement que, dans les juridictions de common law , les juges doivent, s’agissant de prononcer une sentence de mort en cas d’homicide, tenir compte de la situation personnelle et des circonstances particulières du crime. Selon lui, des facteurs tels que la légitime défense, une provocation de la part de la victime, le rapport entre la réaction de l’accusé et sa propre perception de la situation sont examinés par les tribunaux et le chef d’inculpation de meurtre peut être ramené à celui d’homicide. De même, dans les juridictions de droit civil, diverses circonstances aggravantes ou atténuantes telles que la légitime défense, la nécessité, un état de détresse et les facultés de discernement de l’accusé doivent être examinées avant d’arriver à une déclaration de culpabilité de prononcer une condamnation dans chaque affaire d’homicide. Ces points ont dû être traités avant que les tribunaux philippins compétents n’aient rendu leur décision dans l’affaire à l’examen mais les constatations adoptées à la majorité n’en font aucune mention, se bornant à noter que «le meurtre tel qu’il est qualifié par la loi pénale de l’État partie est défini de façon très large puisqu’il est constitué par le seul fait de tuer quelqu’un » (par. 8.3; non souligné dans le texte).

Or, comme l’indique la note de bas de page 1 (par. 2.2 ci ‑dessus), l’article 248 du Code pénal révisé des Philippines définit le «meurtre». Il dispose que «toute personne qui … en tue une autre est coupable de meurtre et condamnée … à mort si le meurtre a été commis: avec perfidie, en tirant parti d’une plus grande force physique, avec l’aide d’hommes armés, en usant de moyens visant à amoindrir les capacités de défense, ou en recourant à des personnes ou moyens garantissant l’impunité, ou en provoquant une inondation, un incendie, un empoisonnement, une explosion, un naufrage, un échouage ou un déraillement, en attaquant une voie de chemin de fer, en provoquant la chute d’un aéronef, à l’aide de véhicules motorisés ou de tout autre moyen causant de grandes pertes ou destructions». De toute évidence, les tribunaux philippins ont examiné de près ces dispositions, outre les circonstances aggravantes et atténuantes énoncées ci ‑dessus.

Selon les constatations adoptées à la majorité, «la Cour suprême» [des Philippines] a estimé que cette affaire relevait de l’article 48 du Code pénal révisé, selon lequel, si un acte unique constitue deux crimes à la fois, c’est la peine maximale encourue pour le crime le plus grave qui doit être prononcée. Les crimes commis au moyen d’un seul acte étant trois meurtres et une tentative de meurtre, la peine maximale prévue pour le meurtre − la peine de mort − a été automatiquement prononcée, en application des dispositions de l’article 48» (par. 8.3; non souligné dans le texte). Il me semble que les dispositions de l’article 48 qui sont citées sont des dispositions courantes que l’on peut trouver dans les Codes pénaux d’un très grand nombre d’États. Pourtant, le Comité ajoute dans ses constatations adoptées à la majorité: «il en découle que la condamnation automatique des auteurs à la peine de mort en vertu de l’article 48 du Code pénal révisé était une violation des droits qui leur sont reconnus au paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte» (par. 8.3; non souligné dans le texte). Les crimes commis par les auteurs étaient certainement «les crimes les plus graves en vertu du droit en vigueur au moment où ils ont été commis» aux Philippines, et l’application en l’occurrence de l’article 48 fait assurément partie des procédures pénales habituelles. Compte tenu de toutes les circonstances pertinentes, je dois conclure que, dans l’affaire à l’examen, il n’est pas du tout justifié de qualifier la condamnation à mort d’«obligatoire» ou d’«automatique».

En troisième lieu , je me demande si les constatations adoptées à la majorité peuvent être justifiées par le seul postulat selon lequel la peine de mort en soi constitue une privation arbitraire de la vie. En tout état de cause, ce postulat est contraire à la structure du Pacte, qui admet qu’une sentence de mort peut être prononcée pour les crimes les plus graves (par. 2 de l’article 6). Il est également en contradiction avec le fait que le Protocole visant à abolir la peine de mort est «facultatif». La disposition figurant au paragraphe 6 de l’article 6 suggère que l’abolition de la peine de mort est souhaitable mais cela n’en fait pas pour autant une obligation juridique. Il est vrai que, dans certaines régions du monde, la plupart des États ont aboli la peine de mort. Il n’en est pas moins vrai que, dans d’autres régions du monde, la plupart des États l’ont conservée. À mon avis, le Comité des droits de l’homme, dont l’existence repose sur la communauté mondiale des États, devrait tenir compte de cette situation lorsqu’il interprète et applique les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, quelles qu’elles soient.

( Signé ) Nisuke Ando

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est traduit aussi en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Opinion individuelle de M me  Ruth Wedgwood, membre du Comité (dissidente)

Le Comité des droits de l’homme a conclu que l’État partie avait lésé les quatre auteurs de cette communication en les soumettant à une «condamnation obligatoire à la peine de mort» qui «constitue une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l’article 6» du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. (Voir les constatations du Comité, par. 8.3.) Le Comité affirme que la peine de mort a été «prononcée sans qu’il soit possible de prendre en considération … les circonstances ayant entouré le crime en question». (Ibid., par. 8.3.)

L’angle sous lequel le Comité examine cette question est pour le moins problématique. Dans leur communication, les auteurs ne formulent aucun grief concernant une condamnation qui aurait été obligatoire et l’État partie a donc été privé de toute possibilité de commenter l’argument que le Comité invoque à présent de sa propre initiative. La communication des auteurs est datée du 6 mai 2002, soit bien postérieure à la publication des opinions précédentes du Comité à propos des condamnations obligatoires à la peine de mort 1 , et leur conseil a déconseillé aux auteurs de formuler ce type de grief. Le Comité n’a pas renvoyé la question de la condamnation obligatoire à l’État partie pour commentaire bien qu’il se puisse qu’elle relève éminemment d’une interprétation du droit philippin relatif au meurtre et aux infractions multiples. De fait, le Comité a pris sa décision sans même disposer d’une copie de l’opinion du tribunal de première instance.

La jurisprudence antérieure du Comité contestant l’imposition «obligatoire» de la peine de mort se rapporte à des affaires de meurtre dans la perpétration d’une infraction (lorsqu’un décès se produit de manière imprévue alors qu’un crime se commet) et dans le contexte d’un régime de peine indifférencié (dans lequel tous les homicides intentionnels emportent la peine de mort). Il est beaucoup plus radical de supposer qu’un code pénal adopté démocratiquement et qui spécifie soigneusement les circonstances aggravantes qui doivent entourer un meurtre avant que la peine de mort puisse être prononcée est d’une certaine manière en contradiction avec une interdiction implicite de toute condamnation obligatoire que fait l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. À vrai dire, le fait que ce grief ne soit pas formulé dans la requête des auteurs reflète peut ‑être l’opinion qu’un tel grief n’est pas convaincant en pareilles circonstances.

Lorsqu’elle a réexaminé les déclarations de culpabilité et les condamnations dans cette affaire, la Cour suprême des Philippines a noté que les dispositions du Code pénal philippin révisé relatives au meurtre ne prévoyaient la peine de mort que si une ou plusieurs circonstances aggravantes avaient été établies – ici, un meurtre délibéré avec «perfidie». Les auteurs ont été reconnus coupables du meurtre de Florentino Dulay et de ses deux filles et de la tentative de meurtre d’une troisième fille. Ils ont commis ces crimes en «lanç[ant] une grenade dans la chambre à coucher de la famille Dulay», dans la soirée, alors que les enfants étaient couchés. (Voir l’opinion de la Cour suprême des Philippines, 4 avril 2001, p. 13.) L’intention, selon l’opinion de la Cour suprême, était d’empêcher Florentino Dulay de témoigner contre l’un des auteurs de la communication dans un autre procès pour meurtre. La plus jeune des victimes était une petite fille de 5 ans, tuée par un éclat de grenade. Les accusés ont été identifiés par un témoin oculaire qui les connaissait depuis longtemps, et le tribunal de première instance a rejeté comme non plausibles les alibis qu’ils invoquaient. La Cour suprême des Philippines a réexaminé le jugement de culpabilité en plénière et, bien qu’ils aient demandé que soit consignée leur opinion selon laquelle la peine de mort était incompatible avec la Constitution nationale, quatre membres ont décidé «d’approuver, par un vote à la majorité, la décision de la Cour selon laquelle la loi [était] constitutionnelle et la peine de mort devait donc être appliquée». (Opinion, p. 16). Aucune requête n’a été présentée devant la Cour suprême des Philippines pour faire valoir que la peine de mort était obligatoire et donc abusive.

L’article 248 du Code pénal révisé ne prévoit la peine de mort que s’il est avéré qu’une circonstance aggravante entourait le meurtre, notamment la perfidie ou le fait de provoquer une explosion. La Cour suprême a fait observer que les critères définissant la perfidie étaient réunis puisque celle ‑ci consiste à tirer parti d’une plus grande force physique, se faire aider par des hommes armés ou user de moyens visant à amoindrir les capacités de défense ou recourir à des moyens ou personnes garantissant l’impunité. Ici, «les victimes étaient endormies lorsque la grenade a été lancée dans leur chambre» et «elles n’ont eu aucune chance de se défendre ni de repousser l’attaque. De toute évidence, l’attaque a été lancée sans qu’aucun des accusés ne soit exposé à des tentatives de défense de la part des victimes». (Opinion, p. 12, note 23.) La Cour suprême a fait remarquer que le facteur aggravant de l’«explosion» aurait aussi pu être retenu, bien qu’il n’ait pas été invoqué durant l’instruction.

Le Comité ne remet pas en question la légitimité de l’article 248 en soi. Il suppose plutôt que la condamnation à mort était obligatoire parce que l’affaire était également jugée en vertu d’une disposition relative aux «crimes multiples» figurant dans l’article 48 du Code pénal révisé. En effet, la déclaration de culpabilité concluait et à la tentative de meurtre et à des meurtres multiples. L’article 48 dispose ce qui suit: «Lorsqu’un seul acte constitue deux ou plusieurs infractions plus ou moins graves … c’est la peine encourue pour le crime le plus grave qui sera prononcée, et pendant la période maximale prévue par la loi.».

Il semble que l’article 48 soit destiné à éviter le problème de la «multiplicité», c’est ‑à ‑dire la possible multiplication des chefs d’accusation et des condamnations à partir d’un seul acte répréhensible. La solution la plus simple était de prévoir que «la peine encourue pour le crime le plus grave [serait] prononcée, et pendant la période maximale prévue par la loi». Du point de vue sémantique, on peut douter que l’expression «période maximale» se réfère à la peine de mort 2 . En tout état de cause, rien dans l’article 48 n’écarte ni n’atténue la disposition distincte énoncée dans l’article 248 selon laquelle le tribunal doit trouver une circonstance aggravante avant de pouvoir prononcer une sentence de mort.

En d’autres termes, la condamnation à mort prononcée dans les règles pour un meurtre commis avec perfidie ne devient pas obligatoire du simple fait qu’elle s’accompagne d’une accusation supplémentaire pour tentative de meurtre. Le Comité ne fournit aucun argument convaincant à l’appui de sa conclusion selon laquelle la peine de mort a été prononcée «automatiquement» ou «sans qu’il soit possible de prendre en considération … les circonstances ayant entouré le crime en question».

Dans les sociétés modernes, les opinions divergent quant à l’admissibilité de la peine de mort. L’article 6.2 du Pacte par lequel ce Comité est régi dispose ce qui suit: «Dans les pays où la peine de mort n’a pas été abolie, une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves, conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a été commis…». Il est peut ‑être sage que le Comité n’ait pas accepter l’invite des auteurs à conclure que le fait de tuer des enfants endormis en faisant exploser une grenade ne fait pas partie des «crimes les plus graves». Le Comité n’a pas non plus examiné le grief des auteurs selon lequel l’amélioration constitutionnelle intervenue aux Philippines de réserver la peine de mort, aux «crimes odieux» constitue en quelque sorte une «réimposition» illégitime de la peine de mort qui serait prohibée par l’article 6.2. En tentant de formuler un grief que les parties elles ‑mêmes avaient écarté, le Comité s’est appuyé sur une interprétation douteuse du droit philippin et se méprend sur la teneur des décisions que lui ‑même a prises dans le passé.

( Signé ) Ruth Wedgwood

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est traduit aussi en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

FF. Communication n o 1086/2002, Weiss c. Autriche * (Constatations adoptées le 3 avril 2003, soixante ‑dix ‑septième session)

Présentée par :

Sholam Weiss (représenté par un conseil, M. Edward Fitzgerald)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Autriche

Date de la communication :

24 mai 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 3 avril 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  1086/2002 présentée au nom de M. Sholam Weiss en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication, initialement datée du 24 mai 2002, est Sholam Weiss, ayant la double nationalité américaine et israélienne, né le 1 er  avril 1954. Quand il a envoyé sa communication, il se trouvait en détention en Autriche, en attendant d’être extradé vers les États ‑Unis d’Amérique («les États ‑Unis»). Il se déclare victime de violations par l’Autriche du paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10 et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il se dit également victime d’une violation du droit de ne pas faire l’objet d’une détention illégale et du droit à l’«égalité devant la loi», ce qui peut soulever des questions au regard des articles 9, 26 et 14, paragraphe 1, du Pacte. Par la suite, ayant été extradé il s’est déclaré victime de ce fait d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, ainsi que de l’article premier et de l’article 5 du Protocole facultatif. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2 Le 24 mai 2002, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l’État partie, en application de l’article 86 de son règlement intérieur de ne pas extrader l’auteur tant qu’il n’aurait pas reçu et examiné la réponse de l’État partie sur la question de savoir s’il y avait un risque de préjudice irréparable, comme le conseil le faisait valoir. Le 9 juin 2002, l’État partie a extradé l’auteur vers les États ‑Unis sans avoir envoyé au Comité les renseignements demandés.

1.3 En ratifiant le Protocole facultatif, l’État partie a émis une réserve rédigée comme suit: «La République autrichienne ratifie le Protocole facultatif … étant entendu que, conformément aux dispositions de l’article 5, paragraphe 2 dudit Protocole, … le Comité des droits de l’homme ne devra examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’a pas déjà été examinée par la Commission européenne des droits de l’homme établie en vertu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.».

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Accusé de nombreux chefs d’escroquerie, de racket et de blanchiment d’argent, l’auteur a été jugé par le tribunal de district de Floride. Pendant tout le procès, qui s’est ouvert le 1 er  novembre 1998, il était représenté par un défenseur qu’il avait choisi lui ‑même. Le 29 octobre 1999, alors que le procès entrait dans la phase de délibération du jury, l’auteur a quitté précipitamment le prétoire et a pris la fuite. Le 1 er  novembre 1999, il a été reconnu coupable de tous les chefs d’inculpation. Après avoir entendu l’accusation et la défense qui étaient opposées sur la question de savoir s’il convenait de condamner l’accusé en son absence, la cour a fini par condamner l’auteur par contumace, le 18 février 2000, à un emprisonnement de 845 ans (avec possibilité de remise de peine pour bonne conduite à 711 années ( sic )) et à une peine financière dépassant 248 millions de dollars des États ‑Unis.

2.2 Le conseil de l’auteur a interjeté appel dans le délai légal de dix jours. Le 10 avril 2000, la cour d’appel de la onzième circonscription a rejeté la demande du conseil de l’auteur qui sollicitait un report du rejet de l’appel et a débouté le condamné en appliquant la règle qui veut que l’accusé en fuite renonce à ses droits. En vertu de cette règle, la cour d’appel peut rejeter un recours formé par un fugitif au seul motif que l’appelant est en fuite. Cette décision a mis un terme à la procédure pénale engagée contre l’auteur aux États ‑Unis .

2.3 Le 24 octobre 2000, l’auteur a été arrêté à Vienne (Autriche) en vertu d’un mandat d’arrêt international et il a été placé en détention extraditionnelle le 27 octobre 2000. Le 18 décembre 2000, les États ‑Unis ont adressé aux autorités autrichiennes une demande d’extradition. Le 2 février 2001, le juge d’instruction du tribunal pénal régional de Vienne ( Landesgericht für Strafsachen ) a recommandé à la cour d’appel régionale de Vienne ( Oberlandesgericht ), tribunal de premier et de dernier ressort pour ce qui est de la recevabilité d’une demande d’extradition, de faire droit à la demande des États ‑Unis.

2.4 Le 25 mai 2001, la cour d’appel régionale de Vienne a demandé aux autorités des États ‑Unis s’il existait encore pour l’auteur une possibilité de faire appel de sa condamnation et de sa peine. Le 21 juin 2001, l’Attorney General des États ‑Unis a déposé une motion d’urgence visant à rétablir le recours que l’auteur avait formé auprès de la cour d’appel de la onzième circonscription. Le conseil de l’auteur n’a pris explicitement aucune position à ce sujet mais a contesté que l’État ait qualité pour déposer une telle requête au nom de l’auteur. Le 29 juin 2001, la cour a rejeté la motion. Le 5 juillet 2001, le procureur des États ‑Unis a déposé une autre motion d’urgence auprès de la cour de district de Floride (district du centre), en vue de faire annuler le jugement de ce tribunal. Le 6 juillet 2001, la cour a rejeté la motion et a confirmé que son arrêt n’était pas susceptible de révision.

2.5 Le 13 août 2001, l’auteur a adressé une requête à la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour européenne») en faisant valoir que son extradition constituerait une violation des dispositions ci ‑après de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales («la Convention européenne»): l’article 3 parce qu’il devrait exécuter une peine obligatoire de réclusion à perpétuité; l’article 6 et l’article 2 du Protocole n o  7 parce que sa condamnation et sa peine avaient été prononcées par contumace et qu’aucune voie de recours ne lui était ouverte; l’article 5 parce que sa détention extraditionnelle était illégale; et l’article 13.

2.6 Le 11 septembre 2001, la cour d’appel régionale de Vienne a refusé l’extradition demandée par les États ‑Unis, en avançant pour seul motif qu’il était contraire à l’article 2 du Protocole n o  7 de la Convention européenne d’extrader l’auteur sans avoir l’assurance qu’il pourrait exercer tous les recours disponibles .

2.7 Le Procureur de l’État (qui est le seul à avoir qualité pour former un tel pourvoi) a fait appel de la décision de la cour d’appel régionale auprès de la Cour suprême ( Oberster Gerichtshof ). Le 9 avril 2002, la Cour suprême a jugé que la décision de la cour d’appel régionale n’était pas valable parce que celle ‑ci n’était pas compétente pour examiner la question du droit d’appel en vertu de l’article 2 du Protocole n o 7 à la Convention européenne. Cette cour ne pouvait examiner que les aspects spécifiques énoncés dans la loi sur l’extradition (déterminer si l’auteur avait bénéficié d’un procès équitable et si sa peine pourrait constituer un traitement ou une peine cruel, inhumain ou dégradant); le Ministre de la justice était la seule autorité ayant compétence pour examiner toute autre question (y compris le droit d’appel) quand il décidait si la personne dont l’extradition avait été judiciairement déclarée recevable allait ou non être extradée. L’arrêt de la cour d’appel régionale a donc été annulé et l’affaire a été renvoyée.

2.8 Le 8 mai 2002, la cour d’appel régionale, ayant réexaminé l’affaire, a conclu que l’extradition était recevable pour tous les chefs d’accusation sauf celui de «faux témoignage en tant que défendeur» (pour lequel l’auteur avait été condamné à 10 ans d’emprisonnement). Conformément à la décision de la Cour suprême, la cour a conclu que l’auteur avait bénéficié d’un procès équitable et que sa condamnation ne serait pas cruelle, inhumaine ou dégradante. Elle n’a pas traité de la question du droit d’appel. Le 10 mai 2002, le Ministre de la justice a autorisé l’extradition de l’auteur vers les États ‑Unis sans mentionner les autres questions relatives aux droits fondamentaux de l’auteur .

2.9 Le 10 mai 2002, la Cour européenne des droits de l’homme a demandé des mesures provisoires de sursis à l’extradition. Le 16 mai 2002, suite aux représentations de l’État partie, la Cour a décidé de ne pas prolonger l’application des mesures provisoires. À la demande de l’auteur, la Cour constitutionnelle ( Verfassungsgerichtshof ) a rendu une injonction, en date du 17 mai 2002, ordonnant le sursis à exécution de l’extradition (jusqu’au 23 mai 2002).

2.10 Le 23 mai 2002, la Cour constitutionnelle a refusé de faire droit à une demande de décision déposée par l’auteur, au motif que ses chances d’aboutir étaient insuffisantes et qu’elle n’était pas exclue de la compétence du Tribunal administratif ( Verwaltungsgerichtshof ). La cour a donc mis fin à l’injonction de sursis. Le même jour, l’auteur s’est de nouveau adressé à la Cour européenne des droits de l’homme pour demander des mesures provisoires et sa requête a été rejetée.

2.11 Le 24 mai, l’auteur a informé la Cour européenne qu’il retirait sa demande «avec effet immédiat». Le même jour, il a déposé une requête auprès du Tribunal administratif pour contester la décision du Ministre d’autoriser son extradition et pour demander un sursis à exécution de la mesure en attendant une décision sur le fond. Le sursis a été accordé et renvoyé au Ministère de la justice et au tribunal pénal régional de Vienne.

2.12 Le 26 mai, les autorités ont voulu livrer l’auteur. Après un coup de téléphone de l’officier responsable de la police de l’aéroport au Président du Tribunal administratif, l’auteur a été renvoyé dans un centre de détention, en raison du sursis qui avait été ordonné par le Tribunal administratif et de son mauvais état de santé. Le 6 juin 2002, le juge d’instruction du Tribunal pénal régional de Vienne a estimé que le Tribunal administratif n’était pas compétent pour examiner une procédure d’extradition ou pour empêcher l’exécution d’une décision d’extradition et a ordonné que l’auteur soit livré. Le 9 juin 2002, des fonctionnaires de la prison où était détenu l’auteur et des Ministères de la justice et de l’intérieur ont remis ce dernier à des responsables militaires américains à l’aéroport de Vienne, qui l’ont renvoyé aux États ‑Unis.

2.13 Quand l’auteur a été extradé, deux actions étaient en cours devant la Cour constitutionnelle, dont aucune n’avait d’effet suspensif en vertu de la législation de l’État partie. Tout d’abord, l’auteur avait déposé le 25 avril 2002 une action pour contester la constitutionnalité de plusieurs dispositions de la loi d’extradition de l’État partie, ainsi que du traité d’extradition conclu avec les États ‑Unis, en particulier la façon dont le jugement par contumace y est traité. Deuxièmement, il avait déposé le 17 mai 2002 une requête visant à ce que soit tranché le conflit négatif d’attribution ( Antrag auf Entscheidung eines negativen Kompetenzkonfliktes ) afin de résoudre la question de savoir si c’est à un Tribunal administratif ou à une juridiction de l’ordre judiciaire qu’il appartient de se prononcer sur le droit à un recours, étant donné que tant la cour d’appel régionale que le Ministre de la justice ne s’étaient pas prononcés sur cette question.

2.14 Le 13 juin 2002, le Tribunal administratif a jugé que, l’auteur ayant été renvoyé dans son pays en violation du sursis ordonné, les procédures étaient privées de tout objet et il les a donc suspendues. Il a relevé que le but de l’ordonnance de sursis à extradition était de préserver les droits de l’auteur en attendant l’issue des actions principales et que désormais aucune mesure ne pouvait être prise au détriment de l’auteur sur la base de la décision attaquée du Ministre. En conséquence, le renvoi de l’auteur n’avait pas de base légale suffisante.

2.15 Le même jour, la Cour européenne des droits de l’homme a pris acte du souhait de l’auteur de retirer sa requête. Après avoir pris connaissance des faits et des griefs, elle a conclu que le respect des droits de l’homme garantis dans la Convention et dans les protocoles y relatifs ne rendait pas nécessaire la poursuite de l’examen de l’affaire même si l’auteur souhaitait retirer sa demande, et a radié la requête du rôle .

2.16 Le 12 décembre 2002, la Cour constitutionnelle s’est prononcée en faveur de l’auteur, estimant que la cour d’appel régionale devait examiner toutes les questions relatives à la recevabilité se rapportant aux droits de l’homme de l’auteur, notamment la question du droit d’appel. Il s’ensuit que la décision formelle d’extrader l’intéressé prise par le Ministre devait tenir compte de toutes autres questions relatives à la dignité humaine qui pouvaient se poser. La Cour a également établi que l’impossibilité dans laquelle se trouvait l’auteur du fait de la loi d’extradition de l’État partie de contester une décision de la cour d’appel régionale ouvrant droit à une demande d’extradition était contraire aux principes de la légalité et à la Constitution.

Teneur de la plainte

3.1 Dans sa première communication (adressée avant d’avoir été extradé), l’auteur affirme que son extradition vers les États ‑Unis entraînerait pour lui l’impossibilité d’être présent dans l’État partie pour y faire valoir ses griefs. En particulier, il ne pourrait pas bénéficier des recours qui découleraient de la décision de la Cour constitutionnelle quand elle aurait tranché le conflit négatif d’attribution et déterminé quelle juridiction ou autorité administrative devait examiner le grief de déni du droit à un procès équitable/droit d’appel ainsi que de l’examen ultérieur de cette question par l’autorité compétente, selon les prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 et du paragraphe 3 de l’article 2, lus conjointement. L’extradition l’empêcherait de bénéficier de l’issue de certains recours comme la décision pure et simple de ne pas l’extrader, l’extradition consentie pour une peine équivalente à celle qui serait prononcée dans l’État partie ou l’extradition sous réserve de la possibilité d’exercer l’intégralité des droits de recours. Il fait valoir que ni les tribunaux ni les autorités administratives de l’État partie n’ont jamais examiné au fond la question du déni du droit à un procès équitable/droit d’appel aux États ‑Unis.

3.2 L’auteur ajoute que si l’État partie l’extradait, celui ‑ci faciliterait et cautionnerait la violation du droit consacré au paragraphe 5 de l’article 14 qu’il affirme avoir déjà subie aux États ‑Unis. Eu égard à l’issue de la procédure pénale aux États ‑Unis, l’extradition vers ce pays serait illégale, en premier lieu parce qu’il a été reconnu coupable et condamné par contumace et en deuxième lieu parce qu’il n’a pas eu et qu’il n’a toujours pas de possibilité de faire appel de la déclaration de culpabilité ou de la peine, en application de la règle qui veut que l’accusé en fuite est déchu de ce droit. Plus précisément, il ne peut pas faire appel du fait qu’il a été reconnu coupable et condamné par contumace. L’auteur fait valoir que tel qu’il est garanti dans le Pacte, le droit à un procès équitable/droit d’appel est obligatoire et que s’il n’était pas respecté, l’extradition serait illégale.

3.3 L’auteur invoque une violation du droit à l’égalité devant la loi. Seul le ministère public a la faculté de former un pourvoi devant la Cour suprême contre une décision de la cour d’appel régionale sous réserve, selon la loi de l’État partie, que ce pourvoi ne puisse pas opérer au détriment de la personne qui a été jugée et dont le jugement est attaqué, étant donné qu’elle ne peut pas elle ‑même se prévaloir du même recours. En l’espèce, la Cour suprême a annulé la décision de la cour d’appel régionale qui avait statué que l’auteur ne pouvait pas être extradé et a renvoyé l’affaire, laquelle a été réexaminée sans que le droit de l’auteur à un procès équitable/droit d’appel ait été pris en considération.

3.4 L’auteur fait valoir que sa condamnation à un emprisonnement de 845 ans, sans possibilité de remise en liberté avant au moins 711 ans, est une peine «exceptionnelle et grotesque», «inhumaine» et équivalente à la forme la plus grave d’incarcération pour ne pas dire qu’elle équivaut à une torture. Il fait valoir qu’il y a une violation «manifeste et irréversible» du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte du fait de la longueur excessive de la peine et de l’absence de possibilité de libération pendant la vie d’un homme ou de possibilité de recours. L’État partie est responsable du fait que ses tribunaux et ses autorités administratives n’ont pas examiné la question.

3.5 Enfin, l’auteur se plaint d’être détenu illégalement. D’après lui, comme l’extradition est illégale puisqu’il n’a pas eu droit à un procès appel/équitable, la détention extraditionnelle est automatiquement illégale.

3.6 En ce qui concerne la recevabilité de la plainte, l’auteur fait valoir que, depuis que la Cour constitutionnelle a rendu son arrêt, tous les recours utiles sont épuisés. Il affirme que les questions soulevées dans la communication ne sont pas «en cours d’examen» au sens du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, au titre de la procédure européenne (ou autre) d’enquête ou de règlement. La réserve émise par l’État partie à l’égard du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif n’empêche pas non plus le Comité d’examiner la communication.

3.7 L’auteur fait valoir tout d’abord qu’il n’y a jamais eu de décision formelle de la Cour européenne concernant la recevabilité ou le fond de sa requête mais qu’il n’y a eu que des décisions de procédure. Étant donné l’interprétation que le Comité a donnée dans l’affaire Pauger c.  Autriche du mot «examinée» utilisé par l’Autriche dans sa réserve, il fait valoir que ces décisions de procédure ne constituent pas un «examen» de l’affaire. Deuxièmement, quand elle était pendante, la requête n’a pas été transmise à l’État partie pour qu’il formule ses observations sur la recevabilité ou sur le fond. Troisièmement, en tout état de cause, la communication porte en partie sur des droits (comme le paragraphe 3 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte) qui ne font pas l’objet de dispositions de la Convention européenne.

3.8 Par une lettre datée du 19 juin 2002 (après son extradition), l’auteur fait valoir que son renvoi n’empêche pas le Comité d’examiner la communication et ne doit pas non plus avoir d’effet sur les mesures provisoires demandées par le Comité. Il se réfère au débat que le Comité avait eu au sujet des obligations des États parties à l’occasion de l’examen d’une affaire précédente, dans laquelle une demande de mesures provisoires n’avait pas été respectée . Il invoque la jurisprudence de la Cour permanente de Justice internationale, indiquant que la participation à un système de justice internationale implique que l’État partie accepte l’obligation de s’abstenir de toute mesure propre à avoir un effet préjudiciable à l’égard de l’exécution de la décision qui sera rendue et, d’une façon générale, de ne pas permettre que soit prise une quelconque mesure qui pourrait aggraver ou prolonger le litige . De même, la Cour internationale de Justice a statué que les mesures conservatoires qu’elle demandait avaient force obligatoire pour les parties à un litige dont elle était saisie .

3.9 Dans le cas d’espèce, l’auteur fait valoir que, d’après la jurisprudence du Comité, il court un risque de préjudice irréparable. Dans l’affaire Stewart c. Canada , des mesures provisoires avaient été demandées alors qu’il n’était pas probable que l’auteur puisse retourner dans son pays d’adoption, le Canada, tandis que dans le cas d’espèce il n’y a aucune possibilité d’être libéré de prison.

3.10 L’auteur rappelle qu’en ce qui le concerne il ne s’agit pas d’une affaire où il s’est écoulé peu de temps entre le moment où des mesures provisoires ont été demandées (24 mai 2002) et le moment où la mesure que l’on cherchait à éviter a été exécutée (9 juin 2002). Il prie donc le Comité de demander à l’État partie d’expliquer par quels faits il justifie son renvoi, s’il a tenu compte de la demande de mesures provisoires et de quelle façon, et comment il comptait s’acquitter de ses obligations persistantes.

Réponse de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Par lettre datée du 24 juillet 2002, l’État partie a contesté la communication autant du point de vue de la recevabilité que du fond. Il fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Tout en reconnaissant que le Comité n’exige pas d’ordinaire que les procédures internes aient été achevées au moment où la communication est adressée, il souligne que ces procédures doivent avoir été achevées au moment où le Comité examine la communication . Étant donné qu’une procédure était toujours en cours devant la Cour constitutionnelle au moment où l’État partie adresse sa réponse, cette condition n’a pas été remplie.

4.2 L’État partie rappelle la réserve qu’il a faite à l’égard du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif et objecte qu’une plainte déjà soumise aux organes européens ne peut pas être soumise au Comité. Il affirme que la Cour européenne a «examiné» la requête au fond − après avoir sollicité des observations, la Cour a procédé à une indiscutable appréciation du fond de l’affaire. En demandant la radiation de sa requête du registre de la Cour avant de soumettre sa plainte au Comité, l’auteur montre bien que les griefs qu’il présente aux deux organes sont essentiellement les mêmes.

4.3 Pour ce qui est du fond, l’État partie relève que l’extradition en tant que telle n’entre pas dans le champ d’application du Pacte, de sorte qu’il s’agit de déterminer si l’État partie soumettrait l’auteur à un traitement contraire au Pacte dans un État qui n’est pas partie au Protocole facultatif, par le fait de l’extradition . Du point de vue de la procédure interne, l’État partie objecte que les juridictions ordinaires tout comme les juridictions supérieures et les autorités administratives ont étudié attentivement les arguments développés par l’auteur et que celui ‑ci a été représenté tout au long de la procédure. L’État partie rappelle que, d’après la jurisprudence de la Cour européenne, la procédure d’extradition ne doit pas nécessairement être entourée des mêmes garanties de procédure que la procédure pénale qui est à l’origine de la demande d’extradition .

4.4 En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14, au motif que l’auteur a été reconnu coupable et condamné par contumace, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité qui a considéré qu’un jugement par contumace était compatible avec l’article 14 si l’accusé avait été cité à comparaître en temps opportun et avait été informé des poursuites engagées contre lui . En l’espèce, l’auteur ne dit pas que ces conditions n’ont pas été remplies − il a pris la fuite à la fin de la phase du procès consacrée à la présentation des preuves et quand le jury s’était retiré pour délibérer et ne s’est jamais présenté de nouveau au procès. Il n’a donc pas été reconnu coupable par contumace, et le fait que la condamnation a été prononcée ensuite ne change rien.

4.5 Pour ce qui est de la deuxième allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, découlant de l’impossibilité pour l’auteur, du fait de son absence, de bénéficier d’un procès en appel équitable, l’État partie relève que le paragraphe 5 de l’article 14 garantit un droit d’appel «conformément à la loi». L’État partie en question est donc libre de définir en détail le contenu de ce droit, du point de vue du fond et du point de vue de la procédure et peut prévoir, comme dans le cas d’espèce, l’obligation de forme que l’appelant ne soit pas en fuite quand il se pourvoit. L’auteur était représenté par un conseil et connaissait la situation légale aux États ‑Unis; on peut donc raisonnablement conclure de son comportement général, notamment de sa fuite, qu’il avait renoncé à son droit de faire appel. L’État partie relève que l’auteur n’a pas soutenu la demande de l’Attorney général des États ‑Unis tendant à rétablir le recours qu’il avait formé, parce qu’il voulait empêcher son extradition vers les États ‑Unis. Il ne s’est jamais pourvu en appel et la déclaration d’appel qu’il avait faite est restée sans suite. Pour ce qui est du traitement qu’il peut attendre à l’avenir à ce sujet, l’État partie signale que son Ministre de la justice a demandé et obtenu que les autorités américaines compétentes donnent l’assurance que de nouvelles procédures de détermination de la peine seraient ouvertes à l’auteur pour tous les chefs d’inculpation.

4.6 En ce qui concerne le grief concernant l’emprisonnement à vie qui, d’après l’auteur, constituerait une violation du paragraphe 1 de l’article 10, l’État partie fait valoir que cette disposition porte exclusivement sur les conditions de détention et ne porte pas sur la durée. Il se réfère à la jurisprudence du Comité qui avait établi que la simple privation de liberté ne suppose pas une violation de la dignité humaine . D’après l’État partie, la peine de 845 ans d’emprisonnement n’est pas excessive ni inhumaine au regard des innombrables atteintes aux biens commises et des pertes subies par des titulaires de pension escroqués. L’État partie note aussi que la juridiction de jugement n’a pas écarté la possibilité d’une remise en liberté conditionnelle si l’auteur restituait 125 millions de dollars et versait une amende de 123 millions de dollars. L’État partie souligne également que la Cour européenne a certes laissé entendre qu’une réclusion à perpétuité pouvait soulever des questions au regard de l’article 3 de la Convention européenne mais n’a pas à ce jour fait de constatations dans ce sens .

4.7 De l’avis de l’État partie, rien dans le Pacte n’empêche d’extrader quelqu’un vers un État où l’infraction emporte une peine plus lourde (à l’exception d’une peine corporelle). S’il en était autrement, l’extradition serait vidée de son utilité en tant qu’outil de coopération internationale dans l’administration de la justice et de refus de l’impunité, objectif que le Comité a lui ‑même mis en relief .

Autres questions liées à la demande de mesures provisoires formulée par le Comité

5.1 Par une lettre en date du 2 août 2002 adressée au représentant de l’État partie auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, le Comité a, par l’intermédiaire de son Président, exprimé son profond regret face à l’extradition de l’auteur, intervenue alors qu’il avait demandé des mesures provisoires. Le Comité a demandé à l’État partie d’expliquer par écrit les motifs qui l’ont conduit à ne faire aucun cas de sa demande et de préciser comment il entendait à l’avenir garantir que de telles demandes soient observées. Par une note datée du même jour, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a prié l’État partie de suivre de près la situation et le traitement qui serait réservé à l’auteur après son extradition ainsi que de faire auprès du Gouvernement des États ‑Unis l’intervention qui serait jugée utile pour empêcher qu’un préjudice irréparable ne soit porté à l’auteur en violation des droits garantis dans le Pacte.

5.2 Dans une réponse datée du 15 octobre 2002, l’État partie explique qu’après réception de la demande de mesures provisoires du Comité, le Ministre fédéral de la justice a ordonné le 25 mai 2002 au service du Procureur de Vienne ( Staatsanwaltschaft ) de demander au juge d’instruction du tribunal pénal régional de Vienne la suspension de la mesure d’extradition. Le même jour, le tribunal a répondu en refusant de faire droit à cette demande, faisant valoir que l’article 86 du Règlement intérieur du Comité ne peut pas infirmer une décision judiciaire ni restreindre la compétence d’une juridiction nationale indépendante. Le 6 juin 2002, le juge d’instruction a donc ordonné que l’auteur soit livré.

5.3 Au sujet des questions de droit qui se posent, l’État partie fait valoir que l’article 86 du Règlement intérieur du Comité n’oblige pas les États à modifier leur constitution de façon à permettre que les demandes de mesures provisoires aient un effet direct. Une demande de mesures provisoires en application de l’article 86 «n’a pas en tant que telle d’effet contraignant en droit international». Une telle requête ne peut pas l’emporter sur une obligation de droit international contraire, c’est ‑à ‑dire une obligation contractée en vertu du traité d’extradition entre l’État partie et les États ‑Unis de livrer un individu quand les conditions nécessaires énoncées dans le traité ont été respectées. L’État partie souligne que les juridictions autrichiennes et la Cour européenne ont examiné en détail le cas de l’auteur.

5.4 Pour ce qui est de la situation actuelle, l’État partie fait remarquer que l’Attorney des États ‑Unis a demandé à la cour de district de prononcer une nouvelle peine (de façon qu’il n’exécute pas de peine pour le délit de «faux témoignage» pour lequel l’extradition a été refusée). Selon les informations communiquées à l’État partie, l’auteur bénéficiera, en cas de nouvelle condamnation, de toutes les possibilités de recours pour attaquer la (nouvelle) peine et la déclaration de culpabilité initiale elle ‑même. L’État partie continuera à demander des renseignements aux autorités des États ‑Unis, par les voies appropriées, pour savoir où en est la procédure aux États ‑Unis.

Commentaires de l’auteur

6.1 Par une lettre datée du 8 décembre 2002, l’auteur a affirmé qu’il était victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte pour avoir été extradé vers les États ‑Unis en violation de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité. Il invoque les constatations du Comité dans l’affaire Piandiong c. Philippines .

6.2 Par une lettre du 21 janvier 2003, l’auteur a rejeté l’argument de l’État partie qui affirme que la demande de mesures provisoires en application de l’article 86 ne pouvait pas l’emporter sur l’obligation internationale d’extrader qui découlait de son traité d’extradition avec les États ‑Unis. L’auteur relève que le traité lui ‑même, ainsi que la législation interne de l’État partie, prévoit la possibilité de refuser l’extradition pour des motifs liés aux droits de l’homme. En tout état de cause, les dispositions obligatoires des instruments relatifs aux droits de l’homme applicables erga omnes , dont le Pacte, priment toutes obligations découlant d’un traité liant deux États.

6.3 L’auteur fait valoir qu’il existe une obligation exprès en vertu du droit international, du Pacte et du Protocole facultatif pour l’État partie de respecter une demande formulée en application de l’article 86 du Règlement intérieur. Cette obligation découle à la fois du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte et de la reconnaissance, au moment de la ratification du Protocole facultatif, de la compétence du Comité pour déterminer s’il y a eu violation du Pacte, ce qui implique subsidiairement de respecter le règlement intérieur que le Comité a valablement établi.

6.4 L’auteur s’appuie sur la jurisprudence du Comité pour faire valoir que le fait d’exposer quelqu’un à une mesure irréversible avant d’examiner une affaire va à l’encontre de l’objectif du Protocole facultatif et prive l’intéressé du recours utile que le Pacte oblige l’État partie à garantir . Par conséquent, par sa décision (voir plus haut par. 5.2) le tribunal pénal régional de Vienne a ignoré les obligations découlant directement de l’article premier et de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité est invité à demander à l’État partie d’indiquer quelles mesures il entend prendre pour remédier à cette violation, y compris par la voie diplomatique auprès des États ‑Unis, pour rétablir le statu quo ante.

6.5 En ce qui concerne les arguments avancés par l’État partie pour contester la recevabilité, l’auteur objecte que les procédures encore en cours devant les tribunaux ne sont pas opportunes ni effectives puisqu’il a été renvoyé avant qu’elles soient achevées. Quoi qu’il en soit, avec la décision que la Cour constitutionnelle a rendue le 12 décembre 2002, les recours internes ont été épuisés. Il rejette l’argument selon lequel la Cour européenne a «examiné» sa requête au sens de la réserve émise par l’État partie à l’égard du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif car la décision de radier l’affaire du rôle de la Cour «ne supposait assurément pas une décision sur le fond».

6.6. Sur le fond, l’auteur maintient qu’il est victime d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 car l’application de la règle qui veut que l’accusé en fuite perd ses droits l’a privé de la révision, en appel, de la déclaration de culpabilité ou du prononcé de la peine aux États ‑Unis. L’application de cette règle a également servi à empêcher la motion des États ‑Unis tendant à rétablir le recours qu’il avait formé. L’auteur conteste qu’il ait «renoncé» à introduire un recours étant donné que la juridiction d’appel a rejeté sa demande (la demande de son conseil) de report du rejet du recours. En Autriche, cette violation a été entérinée puisque aucun tribunal effectivement compétent n’a examiné cet aspect de l’affaire avant qu’il ne soit extradé. Quand la Cour constitutionnelle a reconnu que les juridictions inférieures auraient dû le faire, il était trop tard pour que ce soit un recours utile.

6.7 Pour ce qui est de l’allégation de violation des articles 7 et 10, l’auteur fait valoir qu’une condamnation à 845 ans d’emprisonnement pour des délits d’escroquerie était manifestement disproportionnée, élément qui équivaut à une peine inhumaine . L’auteur réfute l’argument tiré par l’État partie de l’affaire Vuolanne c. Finlande en faisant remarquer que cette affaire portait sur une privation de liberté de 10 jours qui ne saurait être comparable à sa peine. Il ajoute que la réclusion à perpétuité (sans possibilité de libération conditionnelle) pour un crime non violent est en soi une peine inhumaine. Il invoque une décision de la Cour constitutionnelle allemande qui a établi qu’une peine de réclusion à perpétuité pour un meurtre était inconstitutionnelle si elle n’était pas assortie de la possibilité d’une réhabilitation et d’une libération conditionnelles . A fortiori, une peine d’emprisonnement à perpétuité pour un délit qui n’a pas entraîné d’atteintes physiques ou psychiques irréparables et avec une possibilité de restitution serait inhumaine. Cette peine est une atteinte à la dignité de l’homme et l’absence de possibilité de remise de peine la rend incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

6.8 L’auteur rejette l’argument de l’État partie qui affirme qu’il n’y a rien à redire à une extradition vers un pays où l’intéressé risque une peine éventuellement plus grave que celle qui est applicable dans l’État qui extrade car elle est inhérente à la nature de l’extradition, étant donné qu’à un certain stade, la peine plus lourde devient tellement inhumaine que le fait d’extrader est un acte inhumain. L’auteur cite les constatations du Comité dans l’affaire Ng  c.  Canada à l’appui de cet argument et renvoie également à la jurisprudence de la Cour européenne qui laisse entendre qu’une peine de prison totalement disproportionnée comme peut l’être une condamnation à perpétuité incompressible (différente d’une torture physique ou psychologique) pourrait également atteindre ce degré d’inhumanité .

Inobservation de la demande de mesures provisoires de protection formulée par le Comité

7.1 Le Comité constate, dans les circonstances de l’espèce, que l’État partie a manqué à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en extradant l’auteur avant qu’il ait pu examiner son allégation d’atteinte irréparable aux droits consacrés dans le Pacte. Le Comité est préoccupé en particulier par la séquence des événements dans cette affaire car, avant de demander des mesures provisoires de protection directement en supposant que l’extradition pouvait entraîner pour l’auteur un préjudice irréversible, il avait d’abord demandé, en application de l’article 86 de son règlement intérieur, les observations de l’État partie sur le caractère irréparable d’un préjudice éventuel. En répondant, l’État partie aurait pu montrer au Comité que l’extradition n’entraînerait pas un préjudice irréparable.

7.2 Demander des mesures provisoires en application de l’article 86 de son règlement intérieur adopté conformément à l’article 39 du Pacte constitue un élément essentiel du rôle du Comité en vertu du Protocole. Ne faire aucun cas de cette demande, en particulier, en prenant des mesures irréversibles telles que l’exécution de la victime présumée ou son expulsion du territoire affaiblit la protection des droits énoncés dans le Pacte par l’intermédiaire du Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Examen de la question de la recevabilité

8.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui fait valoir que les recours internes n’ont pas été épuisés, le Comité relève que le recours auprès de la Cour constitutionnelle est épuisé depuis que l’État partie a envoyé sa réponse. Il relève en outre que quand il demande des mesures provisoires, c’est parce qu’il existe un risque de préjudice irréparable. Dans de tels cas, un recours dont il est dit qu’il reste ouvert après que l’acte que les mesures provisoires visent à empêcher s’est produit est par définition inutile car le préjudice irréparable ne peut pas être annulé si le recours interne aboutit ensuite à une décision favorable à l’auteur. En pareil cas, il n’y a plus de recours utile à épuiser après que l’acte que la demande de mesures provisoires vise à empêcher s’est produit; spécifiquement, aucun recours approprié n’est ouvert à l’auteur maintenant qu’il est détenu aux États ‑Unis même si les juridictions internes de l’État partie se prononçaient en sa faveur à l’issue des procédures qui étaient toujours en cours après l’extradition. Le Comité n’est donc pas empêché en vertu de l’alinéa  b du paragraphe 2 de l’article 5 d’examiner la communication.

8.3 En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel sa réserve à l’égard de l’alinéa  a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif empêche l’examen de la communication, le Comité note que cette réserve porte sur les requêtes soumises à la Commission européenne des droits de l’homme. Supposant que la réserve vaut pour les plaintes reçues non plus par l’ancienne Commission européenne mais par la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité se réfère à sa jurisprudence et rappelle que, dans les cas où la Cour européenne est allée plus loin qu’une simple décision technique ou procédurale concernant la recevabilité, et a procédé à une appréciation du fond de l’affaire, la plainte a bien été «examinée» au sens du Protocole facultatif ou, dans le cas d’espèce, au sens de la réserve émise par l’État partie . En l’espèce, le Comité note que la Cour a estimé que le respect des droits de l’homme n’était pas en jeu au point de justifier la poursuite de l’examen de l’affaire et l’a radiée de son rôle. Il estime que décider qu’une affaire n’est pas suffisamment importante pour justifier la poursuite de son examen après que le requérant a retiré sa plainte n’équivaut pas à procéder à une véritable appréciation du fond de l’affaire. En conséquence, la plainte ne saurait être considérée comme ayant été «examinée» par la Cour européenne et le Comité n’est pas empêché par la réserve de l’État partie d’examiner les griefs présentés en vertu de la Convention européenne, mais retirés par l’auteur. En l’absence d’autres obstacles s’opposant à la recevabilité, le Comité conclut que les questions soulevées dans la communication sont recevables.

Examen au fond

9.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2 Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle le fait que la déclaration de culpabilité et la condamnation ont été prononcées par contumace a entraîné une violation de l’article 14 du Pacte, le Comité note qu’en l’espèce l’auteur et son défenseur étaient présents pendant toute la phase du procès consacrée aux plaidoiries et à l’administration des preuves et que, par conséquent, l’auteur ne pouvait pas ne pas savoir que le jugement et, en cas de condamnation, la peine allaient être prononcés. Dans ces circonstances, le Comité, rappelant sa jurisprudence , estime que l’on ne peut faire valoir qu’il y a eu violation du Pacte par l’État partie du fait que la déclaration de culpabilité et la condamnation de l’auteur ont été prononcées dans un autre État.

9.3 Pour ce qui est du grief de l’auteur qui affirme que, du fait de l’application de la règle qui veut que l’accusé en fuite perd ses droits, il a été privé d’un droit d’appel complet, le Comité note qu’il ressort des renseignements dont il dispose que, comme l’auteur est extradé pour des chefs d’inculpation moins nombreux que ceux pour lesquels il a été condamné, il fera l’objet d’une nouvelle peine conformément à la règle de la spécialité. Selon les informations communiquées à l’État partie, cette nouvelle condamnation lui permettra de se pourvoir et d’obtenir la révision complète de la déclaration de culpabilité et de la peine. Le Comité n’a donc pas à examiner si la règle qui veut que l’accusé en fuite perd ses droits est compatible ou non avec le paragraphe 5 de l’article 14 ni si l’extradition vers un pays où un appel a été rejeté pour ce motif soulève une question au regard du Pacte en ce qui concerne l’État partie.

9.4 Pour ce qui est de la question de savoir si l’extradition de l’auteur par l’État partie afin qu’il purge une peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération anticipée constitue une violation de l’article 7 et de l’article 10 du Pacte, le Comité relève, comme il l’a exposé dans le paragraphe précédent, que la déclaration de culpabilité et la peine ne sont pas encore définitives puisqu’on attend le nouveau prononcé de la peine, décision qui donnerait la possibilité de former recours contre la déclaration de culpabilité initiale elle ‑même. Comme la déclaration de culpabilité et la peine ne sont pas encore définitives, il est prématuré de déterminer en fonction de faits qui restent hypothétiques si la situation a fait naître une responsabilité de l’État partie en vertu du Pacte.

9.5 Ces constatations font qu’il est inutile pour le Comité d’examiner les autres griefs fondés sur une constatation de violation du Pacte pour l’un quelconque des éléments ci ‑dessus.

9.6 En ce qui concerne l’allégation de violation du droit à l’égalité devant la loi lors des procédures devant les tribunaux de l’État partie, le Comité relève qu’après avoir adressé sa communication au Comité, l’auteur a obtenu du Tribunal administratif un sursis à exécution de l’extradition tant que celui ‑ci ne se serait pas prononcé sur la demande de l’auteur contestant la décision du Ministre qui avait ordonné son extradition. Il note que, bien que l’ordonnance de sursis ait été dûment transmise aux autorités compétentes, l’auteur a été renvoyé aux États ‑Unis après plusieurs tentatives, en violation de l’ordonnance de sursis du tribunal. Ce dernier, ayant appris le renvoi de l’auteur, a fait remarquer qu’il avait été extradé en violation du sursis à exécution de la mesure qu’il avait ordonné et qu’il n’y avait pas de fondement légal à l’extradition; en conséquence, les procédures étaient caduques et n’avaient plus d’objet compte tenu de l’extradition et seraient donc arrêtées. Le Comité note en outre que la Cour constitutionnelle a conclu qu’il était inconstitutionnel que l’auteur ne puisse pas attaquer une décision défavorable de la cour d’appel régionale, dans la mesure où le Procureur pouvait faire appel d’un jugement antérieur de la cour d’appel régionale déclarant l’extradition irrecevable et a de fait exercé ce recours. Le Comité estime que l’extradition de l’auteur en violation d’un sursis ordonné par le Tribunal administratif et l’impossibilité pour l’auteur de faire appel d’une décision qui lui était défavorable de la cour d’appel régionale alors que le Procureur pouvait le faire constituent une violation du droit à l’égalité devant les tribunaux garanti au paragraphe 1 de l’article 14, considéré conjointement avec le droit à un recours utile et exécutoire reconnu au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’Autriche du paragraphe 1 (première phrase) de l’article 14 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Il réitère sa conclusion que l’État partie a violé ses obligations en vertu du Protocole facultatif en extradant l’auteur sans laisser le Comité examiner la question de savoir s’il subirait de ce fait un préjudice irréparable, comme il l’affirmait.

11. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Étant donné les circonstances, l’État partie a l’obligation de faire aux autorités des États ‑Unis les représentations qui peuvent être nécessaires pour garantir que l’auteur ne subisse pas de violation des droits garantis par le Pacte du fait de son extradition effectuée en violation des obligations contractées par l’État partie en vertu du Pacte et du Protocole facultatif. L’État partie est également tenu de veiller à ce que pareilles violations ne se reproduisent pas à l’avenir, en particulier en prenant les mesures voulues pour faire en sorte que les demandes de mesures provisoires que le Comité pourra lui adresser soient respectées.

12. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

Annexe VII

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME DÉCLARANT IRRECEVABLES DES COMMUNICATIONS PRÉSENTÉES EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

A. Communication n o  693/1996, Nam c. République de Corée *

(Décision adoptée le 28 juillet 2203, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par : Gi ‑Jeong Nam (représenté par M. Suk Tae Lee, conseil)

Au nom de : L’auteur

État partie : République de Corée

Date de la communication : 14 février 1996 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 juillet 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  693/1996 présentée par M. Gi ‑Jeong Nam en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 14 février 1996, est M. Gi ‑Jeong Nam, de nationalité coréenne, né le 20 octobre 1959. Il affirme être victime d’une violation par la République de Corée du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 En 1989, l’auteur, professeur de langue nationale (littérature coréenne) dans une école secondaire de Séoul et représentant de l’organisation «Enseignants pour une éducation dans la langue nationale» qui œuvre pour l’amélioration de l’enseignement du coréen, a commencé à travailler sur un nouveau manuel de coréen destiné à la publication. Depuis lors, il s’est rendu compte, avec d’autres membres de l’organisation, que la législation pertinente – article 157 de la loi sur l’éducation et article 5 du décret sur l’éducation (décret présidentiel relatif aux matériels pédagogiques) – interdisaient la publication indépendante de manuels pour l’enseignement de la langue nationale dans les écoles secondaires.

2.2 L’auteur a contesté la constitutionnalité des textes concernés devant la Cour constitutionnelle de Corée . Il a fait valoir que, en restreignant la reconnaissance de la qualité d’auteur de matériels et manuels pédagogiques et en déléguant tous les pouvoirs y relatifs au Ministère de l’éducation, ces lois violent son droit à une éducation indépendante et professionnelle. En outre, les dispositions imposant un monopole des pouvoirs publics sur la publication des matériels pédagogiques violent le droit à la liberté d’expression que lui confère la Constitution. L’auteur s’est également déclaré victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 22 de la Constitution («Tout citoyen peut librement s’instruire et avoir accès à l’art») du fait que les dispositions législatives visées mettaient les enseignants dans l’impossibilité de faire de la recherche sur les moyens d’améliorer les méthodes d’éducation et d’en élaborer.

2.3 Le 12 novembre 1992, la Cour constitutionnelle a rejeté la requête de l’auteur, au motif que les restrictions figurant dans les textes visés n’étaient en rien abusives.

Teneur de la plainte

3. Dans sa communication, l’auteur affirme que le monopole des pouvoirs publics sur la publication des manuels de langue nationale destinés aux écoles secondaires, qui lui interdit de faire publier son propre manuel, viole le droit à la liberté d’expression que lui confère le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Il souligne que les enseignants du secondaire et les élèves qui étudient le coréen en tant que langue nationale sont presque exclusivement tributaires des manuels, et que la rédaction de ce type d’ouvrage constitue le seul moyen efficace de communiquer ses idées sur l’enseignement du coréen dans les écoles secondaires. Il affirme que le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte s’applique à son droit d’exprimer ses connaissances professionnelles sous la forme de manuels scolaires.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

4.1 Dans sa réponse en date du 11 juin 1996, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif du non ‑épuisement des recours internes, en faisant valoir que, quand bien même la Cour constitutionnelle a rejeté l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par l’auteur, celui ‑ci a la possibilité d’exercer d’autres recours. En particulier, les articles 26 et 29 de la Constitution coréenne prévoient, respectivement, un droit de pétition et un droit de demander réparation à l’État.

4.2 L’article 26 de la Constitution confère à tous les citoyens le droit d’adresser une pétition aux pouvoirs publics, dans les conditions fixées par la loi, et stipule que l’État a le devoir d’examiner toutes ces pétitions. Conformément à l’article 4 de la loi sur les pétitions, le requérant peut demander l’application, la révision ou l’abrogation de toute loi, ordonnance ou réglementation.

4.3 L’article 29 de la Constitution, tel qu’appliqué par le biais de la loi sur l’indemnisation des préjudices causés par l’État, stipule que quiconque a subi des dommages par suite d’un acte illégal commis par un agent de l’État dans l’exercice de ses fonctions peut réclamer une juste compensation de la part de l’État ou d’un organisme public, dans les conditions prévues par la loi. L’État partie affirme que l’auteur doit demander une réparation appropriée de la violation supposée de ses droits fondamentaux avant que les recours internes puissent être réputés avoir été épuisés.

Commentaire de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Dans sa réponse du 20 juillet 1996, l’auteur affirme que ni le droit de pétition ni le droit de demander réparation ne constituerait un recours utile dans son cas.

5.2 S’agissant du droit de pétition, l’auteur souligne que, selon l’interprétation qui a été donnée de la loi mentionnée, une décision prise par un organisme public en réponse à une pétition est dénuée de tout effet juridiquement contraignant. Qui plus est, l’organisme en question ne peut pas donner à une pétition une suite qui serait contraire à la loi dès lors que la constitutionnalité de celle ‑ci est établie. La Cour constitutionnelle ayant confirmé la constitutionnalité des lois relatives à l’éducation et débouté l’auteur de sa plainte, ce dernier est dans l’impossibilité de former un autre recours juridique pour contester lesdites lois.

5.3 L’auteur affirme également ne pas pouvoir invoquer la loi sur l’indemnisation des préjudices causés par l’État pour demander réparation d’un dommage résultant d’une mesure prise par les pouvoirs publics en vertu d’une loi, à moins que l’inconstitutionnalité de ladite loi n’ait été démontrée, ce qui n’est pas le cas puisque la Cour constitutionnelle a rejeté l’exception soulevée par l’auteur. De surcroît, selon la législation de l’État partie, en règle générale il ne peut être demandé réparation que d’un préjudice résultant d’un acte illégal commis par un agent de l’État, et non d’une disposition législative.

5.4 Dans sa réponse du 4 mars 1997, l’auteur affirme également que la Cour constitutionnelle a elle ‑même considéré de façon implicite qu’il ne disposait d’aucun recours contre la violation alléguée de ses droits puisque, conformément au paragraphe 1 de l’article 68 de la loi sur la Cour constitutionnelle, cette dernière n’aurait pas examiné sa plainte sur le fond s’il avait disposé d’un quelconque recours.

Autres commentaires de l’État partie et de l’auteur

6.1 Dans sa réponse du 30 juillet 1997, l’État partie convient que la décision de la Cour constitutionnelle de juger au fond la plainte pour inconstitutionnalité suppose que tous les recours judiciaires ont été épuisés, mais cela ne signifie pas qu’il n’existe aucun recours législatif ou administratif. L’auteur aurait donc dû exercer son droit d’adresser une pétition à l’autorité concernée ou de demander réparation au titre de la loi sur l’indemnisation des préjudices causés par l’État.

6.2 Dans sa nouvelle réponse du 31 janvier 2001, l’auteur réfute l’affirmation de l’État partie selon laquelle le fait que la Cour constitutionnelle ait jugé sa plainte sur le fond signifie seulement que les recours judiciaires ont été épuisés. À son sens, la formulation claire de l’arrêt de la Cour s’applique à tous les recours, y compris administratifs et législatifs. La Cour ne juge pas une affaire si un recours utile, quel qu’il soit, s’offre encore au requérant.

6.3 L’auteur affirme également que, dans la mesure où la décision de la Cour s’impose à tous les organes de l’État partie, y compris législatifs et administratifs, tout recours devant ces organes serait sans effet et n’aurait aucune chance d’aboutir. Il ne peut donc être tenu d’épuiser tous les recours législatifs ou administratifs, y compris ceux prévus par la loi sur les pétitions ou la loi sur l’indemnisation des préjudices causés par l’État.

Décision concernant la recevabilité

7. À sa soixante ‑douzième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. S’étant assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen, ou n’avait pas déjà été examinée devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, il a considéré la question de l’épuisement des recours internes et constaté que l’État partie était convenu que la décision de la Cour constitutionnelle concernant le fond de la requête de l’auteur signifiait que ce dernier ne disposait d’aucun autre recours judiciaire; il a conclu en conséquence que les voies de recours judiciaires avaient été épuisées dans cette affaire. En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle les recours administratifs au titre de la loi sur l’indemnisation des préjudices causés par l’État et de la loi sur les pétitions restaient ouverts, le Comité a considéré que, même si ces recours étaient disponibles en théorie après que la Cour constitutionnelle eut statué, l’État partie n’avait pas démontré que de tels recours pouvaient en l’espèce être utiles. Le Comité a donc considéré que l’auteur avait épuisé tous les recours utiles et disponibles et que les exigences du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif avaient été satisfaites. En conséquence, le 3 juillet 2001, le Comité a déclaré la communication recevable.

Observations de l’État partie quant au fond

8.1 Dans sa réponse en date du 22 février 2002, l’État partie a présenté des observations quant au fond de la communication.

8.2 L’État partie fait observer que, dans bon nombre de pays l’État se réserve, à des degrés divers, le pouvoir de rédiger lui ‑même ou de censurer les matériels pédagogiques utilisés dans les écoles primaires et secondaires et affirme que cela est indispensable pour vérifier le caractère approprié sur le plan pédagogique des matériels pouvant être utilisés dans les programmes scolaires (système qui ne s’applique pas au niveau des écoles supérieures et des universités). En outre, ce type de mesure vise à préserver la neutralité politique et religieuse de l’éducation, à assurer la «validité universelle» de l’éducation en évitant les erreurs factuelles ou les «préjugés» et à garantir pour l’essentiel le droit des élèves à l’apprentissage.

8.3 En ce qui concerne la compatibilité de l’article 157 de la loi sur l’éducation avec l’article 19 du Pacte, l’État partie souligne que la qualité d’auteur de l’État et le système d’examen ou d’agrément par le Ministère de l’éducation ne visent pas à interdire la publication des ouvrages par d’autres entités que les pouvoirs publics, mais à faire en sorte que les manuels utilisés pour les programmes scolaires soient d’une qualité appropriée. En l’occurrence, l’auteur de la communication, qui a compilé des matériaux de son choix, avait l’interdiction d’utiliser son manuel en classe mais conservait le droit de le faire publier en tant qu’outil de référence pour les enseignants et les élèves. Il pouvait ainsi encore jouir du droit à la liberté d’expression garanti par l’article 19 du Pacte.

8.4 Par ailleurs, bien que l’article 19 du Pacte s’applique au droit de l’auteur d’exprimer ses connaissances professionnelles sous la forme de manuels scolaires, l’État partie peut restreindre ce droit dans les limites fixées au paragraphe 3 de l’article 19. À cet égard, la nécessité d’une censure de l’État, telle qu’elle est décrite plus haut, constitue une restriction nécessaire à la sauvegarde de la moralité publique au sens du paragraphe 3 b) de l’article 19 du Pacte. L’État partie déclare par conséquent que «la nécessité d’une censure de l’État, mentionnée plus haut, assurant “la sauvegarde de la moralité publique”, le monopole des pouvoirs publics sur la publication des manuels scolaires est compatible avec le Pacte».

8.5 L’État partie conclut que la communication n’est pas fondée et que la demande de l’auteur visant à abroger ou réviser la législation en question, ainsi que sa demande de réparation, ne sauraient être recevables.

8.6 Pour terminer, l’État partie appelle l’attention sur les efforts qu’il déploie en vue de promouvoir le droit à la liberté d’expression. Il envisage de remplacer progressivement le matériel pédagogique destiné aux écoles élémentaires et secondaires dont l’État détient les droits d’auteur par du matériel examiné ou agréé par les pouvoirs publics. À long terme, le Gouvernement prévoit d’améliorer le système en vigueur pour autoriser, le moment venu, la libre publication des matériels pédagogiques.

Observations de l’auteur

9.1 Dans sa réponse du 2 décembre 2002, l’auteur a commenté les observations présentées par l’État partie quant au fond de sa communication.

9.2 Selon l’auteur, l’État partie admet qu’il lui est interdit de publier son propre manuel et d’utiliser des compilations de matériels concernant l’enseignement de la langue nationale, puisque le Gouvernement coréen se réserve le droit exclusif d’être l’auteur des manuels de langue nationale en vertu de la loi sur l’éducation.

9.3 L’auteur conteste le fait que la «neutralité politique et religieuse» soit mieux préservée lorsque la qualité d’auteur des manuels est réservée à l’État au lieu d’être confiée aux citoyens. Il fait valoir que dans de nombreux pays, en particulier les dictatures, l’État s’est toujours servi des manuels pédagogiques, en sa qualité d’auteur, pour orienter l’éducation en fonction de la politique gouvernementale. Dans l’État partie, qui a longtemps été placé sous un régime militaire, les manuels ont été utilisés pour justifier l’action des pouvoirs publics.

9.4 L’auteur considère que la «neutralité politique et religieuse» est dûment préservée dans les sociétés démocratiques ouvertes qui garantissent le droit de la population à la liberté d’expression, y compris le droit de publier des manuels. En outre, la Constitution de l’État partie ne contient aucune référence à une religion d’État et les manuels de coréen ne se rattachent à aucune religion particulière. L’État partie préserverait entièrement la «neutralité politique et religieuse» en autorisant un système dans lequel les pouvoirs publics sélectionneraient les manuels. Un tel système permettrait aux citoyens de publier ce type d’ouvrage, dont l’utilisation dans les écoles serait soumise à l’agrément des pouvoirs publics. En agissant de la sorte, l’État préserverait la «neutralité politique et religieuse».

9.5 L’auteur souligne de nouveau l’absence de lien entre les manuels d’enseignement de la langue nationale et la sauvegarde de la «moralité publique» au sens du paragraphe 3 b) de l’article 19 du Pacte. Les cours de coréen n’ont d’autre but que d’apprendre aux élèves à lire et à écrire la langue et la littérature nationales. Qui plus est, il existe un manuel pédagogique spécialement consacré à la «moralité publique», dont l’auteur ne peut également être que l’État et qui est utilisé par le Gouvernement pour sauvegarder ladite «moralité publique».

9.6 Selon l’auteur, à supposer même que les arguments invoqués au sujet de la sauvegarde de la «moralité publique» sont fondés, l’État partie conserverait sa capacité de protéger ladite moralité en appliquant un système d’autorisation des manuels non publiés par les pouvoirs publics.

9.7 En conséquence, l’auteur conclut que l’attribution exclusive à l’État de la qualité d’auteur des manuels de langue nationale constitue une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

Réexamen de la décision concernant la recevabilité

10. À la lumière des observations des parties, le Comité note que, telle qu’elle est interprétée par les parties, la communication ne concerne pas l’interdiction pour des auteurs autres que l’État de publier des manuels scolaires, selon la teneur initiale de la plainte (par. 3) que le Comité a déclarée recevable (par. 7). La communication porte plutôt sur l’allégation selon laquelle il n’existe pas de mécanisme d’examen permettant à des auteurs autres que les pouvoirs publics de soumettre à l’agrément des autorités des ouvrages destinés à être utilisés comme manuels scolaires. Tout en affirmant que le droit de rédiger et de publier des manuels destinés à être utilisés dans les écoles relève de la protection de l’article 19 du Pacte, le Comité note que l’auteur prétend avoir le droit de soumettre le manuel qu’il a rédigé à l’examen et à l’agrément, ou au refus, des autorités, en vue d’être utilisé comme manuel scolaire dans les écoles secondaires d’État. Le Comité estime que cette allégation n’entre pas dans le champ d’application de l’article 19 et que, par conséquent, elle est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

11. En conséquence, le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 3 de l’article 93 du Règlement intérieur:

a) Décide d’annuler sa décision du 3 juillet 2001 dans laquelle il déclarait la communication recevable;

b) Décide que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif;

c) Décide que le texte de la présente décision sera envoyé à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Note

APPENDICE

Opinion individuelle de M. Hipólito Solari Yrigoyen (opinion divergente)

Je suis en désaccord avec la présente décision pour les motifs suivants:

1. L’article 157, paragraphe 1, de la loi sur l’éducation dispose que «Les matériels pédagogiques … se limitent aux matériels dont le Ministère de l’éducation détient le droit d’auteur ou à ceux qui ont été examinés ou autorisés par le Ministère.». En outre, selon le décret présidentiel relatif aux matériels pédagogiques, la compilation des matériels pédagogiques est assurée par le Ministère de l’éducation ou, lorsque celui-ci le juge nécessaire, peut être déléguée à des instituts de recherche ou des universités. L’on peut déduire de l’article 157 mentionné que des particuliers pourraient établir des matériels pédagogiques et les soumettre à l’agrément du Ministère, mais l’État partie n’a pas accordé cette possibilité, faisant valoir que la censure de l’État constitue une restriction nécessaire à la sauvegarde de la moralité publique au sens du paragraphe 3 b) de l’article 19 du Pacte.

2. Le Comité estime que s’il est vrai que pour sauvegarder la moralité publique la loi peut prévoir des restrictions à la liberté d’expression et à la diffusion d’informations et d’idées de toute espèce sous une forme imprimée, ces restrictions ne doivent pas aboutir à une violation du droit consacré au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. L’absence de toute possibilité pour un auteur de soumettre un manuel de langue nationale destiné aux écoles secondaires à l’examen des autorités compétentes, qui peuvent autoriser son utilisation ou, le cas échéant, la refuser pour des motifs valables, constitue une restriction qui outrepasse les limites admissibles fixées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte et qui porte atteinte au droit à la liberté d’expression.

3. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

4. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris le droit de soumettre son manuel pour l’enseignement de la langue nationale dans les écoles secondaires à l’examen effectif et à l’agrément éventuel des autorités scolaires compétentes, en vue de son utilisation ultérieure en classe. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

( Signé ) Hipólito Solari Yrigoyen

Le 7 août 2003

[Adopté en anglais, en espagnol (version originale) et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

B. Communication n o  743/1997, Truong c. Canada * (Décision adoptée le 28 mars 2003, soixante ‑dix ‑septième session)

Présentée par : Ngoc Si Truong (représenté par un conseil, M. Ian White)

Au nom de : L’auteur

État partie : Canada

Date de la communication : 26 avril 1996

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication est Ngoc Si Truong, né au Viet Nam le 31 mars 1964 mais qui affirme être actuellement apatride. Il se trouvait sous le coup d’un arrêté d’expulsion du Canada à la date de présentation de la communication. Il dit être victime d’une violation par le Canada des alinéas  a et b du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, des articles 7, 9, 13 et 17 et des paragraphes 1 et 2 de l’article 23 du Pacte. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 En mai 1978, l’auteur a fui illégalement le Viet Nam de crainte d’être enrôlé dans les forces armées vietnamiennes alors que le Viet Nam était en conflit avec le Cambodge. Le père de l’auteur, décédé en 1975, avait été général dans les anciennes forces armées sud ‑vietnamiennes. Le 20 octobre 1980 (à l’âge de 16 ans), l’auteur est arrivé au Canada et a obtenu le statut de résident permanent. Sur sa fiche d’immigrant et dans son dossier d’accession au statut de résident permanent, il est identifié comme «apatride/stateless». En avril 1985, l’auteur a été reconnu coupable de voies de fait ayant causé des lésions corporelles et d’agression caractérisée et condamné à neuf mois d’emprisonnement et deux ans de probation, à purger concurremment. En 1988, il a été i) reconnu coupable d’introduction par effraction et de vol ainsi que d’attaque à main armée et condamné à des peines consécutives de quatre mois et de deux mois d’emprisonnement, ii) reconnu coupable de voies de fait ayant causé des lésions corporelles et condamné à un an d’emprisonnement et à deux ans de probation, et iii) reconnu coupable de conduite d’un véhicule à moteur alors que ses facultés étaient affaiblies et condamné à sept jours d’emprisonnement et à une amende. En juin 1991, l’auteur s’est rendu au Viet Nam avec sa carte de résident canadien et un visa de tourisme à durée limitée et a épousé une Vietnamienne qui a demandé le statut de résident permanent au Canada en faisant valoir son union avec l’auteur.

2.2 Compte tenu des condamnations pénales dont a fait l’objet l’auteur, le 8 juillet 1992, les autorités canadiennes ont ordonné son expulsion conformément à l’article 27 de la loi sur l’immigration, qui punit d’expulsion les résidents permanents reconnus coupables d’infractions pénales graves. En 1993, l’auteur a été condamné pour conduite d’un véhicule à moteur alors que ses facultés étaient affaiblies à 14 jours d’emprisonnement. Le 15 juillet 1993, il a été débouté de l’appel qu’il avait interjeté devant la Division des appels de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en se fondant sur «l’existence de motifs d’ordre humanitaire». Il a alors sollicité l’autorisation de demander la révision de cette décision au Tribunal fédéral. Toutefois l’avocat qui le défendait à l’époque n’ayant pas demandé, par inadvertance, à la Division des appels de motiver par écrit sa décision dans les 10 jours prescrits celle ‑ci a refusé de produire une décision motivée. Le 10 novembre 1993, le Tribunal fédéral a rejeté la demande présentée par l’auteur pour non ‑soumission du dossier requis (y compris la décision motivée de la Division des appels).

2.3 Le 20 décembre 1993, les autorités canadiennes ont rejeté la demande de statut de résident permanent présentée par la femme de l’auteur (demande qui, selon celui-ci, aurait été probablement approuvée dans d’autres circonstances) compte tenu de l’arrêté d’expulsion prononcé à l’encontre de l’auteur. Le 21 décembre 1993, ce dernier a présenté au Tribunal fédéral une requête en réexamen de sa décision du 10 novembre 1993 de rejeter la demande de contrôle juridictionnel qu’il lui avait présentée. Le 18 avril 1994, le Tribunal fédéral a rejeté cette requête. Le 4 mars 1994, l’auteur a formé recours contre la décision de rejeter la demande présentée par sa femme auprès de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

2.4 Le 5 juillet 1994, le nouveau conseil de l’auteur a demandé une nouvelle fois à la Division des appels de motiver par écrit sa décision. Le 21 juillet 1994, il a été informé que le délai prescrit pour obtenir une décision motivée était écoulé et que celle ‑ci ne serait pas fournie. Le 12 septembre 1994, le conseil a demandé à la Division des appels de prolonger le délai permettant d’obtenir le texte de la décision motivée. Le 5 octobre 1994, la Division a rejeté sa demande. Le 25 octobre 1994, l’autorisation a été sollicitée de présenter une demande de réexamen judiciaire de cette décision au Tribunal fédéral.

2.5 Le 9 mars 1995, le Tribunal fédéral a rejeté cette demande sans fournir de raisons. Selon l’auteur, aucun autre recours n’est possible et tous les recours internes utiles ont été épuisés. En 1995, l’auteur a été accusé des chefs d’entrée par effraction, de détention illégale d’arme soumise à autorisation, de port d’arme dissimulée, de manipulation imprudente d’arme à feu, de détention d’arme prohibée et de plusieurs autres chefs connexes .

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir que son expulsion vers un pays dans lequel il dit n’avoir aucun statut juridique constituerait un traitement cruel, inhumain et dégradant contraire à l’article 7. Il affirme qu’à la suite de son départ illégal du Viet Nam et de la perte de son statut de résident permanent au Canada, il est devenu apatride. En conséquence, une fois expulsé vers le Viet Nam, il ne pourrait y travailler, y résider ni y exercer les droits liés à l’emploi. Il fait observer que pour se rendre au Viet Nam en 1991, il avait dû demander un visa de quatre mois et n’était pas autorisé à y travailler. D’après lui, il pourrait être emprisonné dans un «camp de rééducation» du fait de son départ illégal du Viet Nam et des liens qu’avait son père avec l’ancien gouvernement sud ‑vietnamien. L’auteur renvoie à l’Observation générale n o  20 du Comité dans laquelle ce dernier a estimé que l’article 7 du Pacte avait pour but de «protéger la dignité et l’intégrité physique et mentale de l’individu». Il fait également référence à la jurisprudence du Comité et à celle de la Cour européenne des droits de l’homme qui ont conclu que cette disposition pouvait couvrir les actes de torture et les pressions d’ordre psychologique .

3.2 L’auteur affirme également en invoquant l’article 7 que son expulsion réduirait à néant sa vie de famille et que ses proches en souffriraient terriblement. Il affirme qu’il serait ainsi séparé de ses 3 sœurs, 3 beaux ‑frères, 6 nièces, 3 neveux et 5 autres personnes (sans préciser de liens de parenté) résidant au Canada. Il fait valoir que le Comité a reconnu que la douleur et l’angoisse causées aux membres d’une famille pouvaient constituer une violation du Pacte .

3.3 L’auteur affirme en outre que, pour les raisons exposées plus haut, son expulsion constituerait une violation de son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne (art. 9). Il fait valoir que la «liberté» comprend le droit de fonder un foyer et d’élever des enfants. Il fait en outre référence aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés concernant le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne et soutient que ce droit comprend le droit d’assurer sa subsistance ou d’exercer toute activité légale sans ingérence excessive du Gouvernement.

3.4 L’auteur estime que son expulsion serait arbitraire et contraire à l’article 13, lu conjointement avec le paragraphe 3, alinéas a et b , de l’article 2, car elle n’est pas conforme à la loi et ne respecte pas les garanties prévues à l’article 13. S’appuyant sur l’Observation générale n o  15 du Comité concernant l’article 13 du Pacte, il fait valoir que celui ‑ci a donné une interprétation large du droit de ne pas être victime d’expulsion arbitraire. Dans le cas d’espèce, le refus de la Division des appels de produire par écrit les motifs de sa décision l’a empêché de contester devant le Tribunal fédéral la légalité de l’arrêté d’expulsion prononcé à son encontre. Il indique que la décision de la Division des appels devrait faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, compte tenu de ses conséquences, et pour s’assurer de l’objectivité et de l’indépendance de l’organe de décision. Il indique, en faisant référence à la jurisprudence du Comité, qu’il n’a pas bénéficié d’un recours utile pour contester son expulsion et qu’il n’existe aucune raison impérieuse de sécurité nationale qui justifierait de le priver d’un recours .

3.5 Enfin, l’auteur affirme que son expulsion constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de son droit à fonder un foyer et à une vie familiale et, partant, une violation des droits que lui confèrent les paragraphes 1 et 2 de l’article 17 et les paragraphes 1 et 2 de l’article 23. Il soutient que le fait de le séparer de sa famille en l’expulsant est sans commune mesure avec son casier judiciaire et qu’il est abusif d’expulser quelqu’un qui est arrivé au Canada à l’âge de 16 ans. Se référant à la demande d’octroi du statut de résident permanent présentée par sa femme (qui a été rejetée) et aux membres de sa famille qui se trouvent au Canada, il fait valoir qu’il est le soutien de sa famille dans ce pays. Dans les circonstances présentes, selon lui, la notion de «famille» devrait être interprétée au sens large , et la protection de sa famille prime la volonté de l’État partie de l’expulser. L’auteur ajoute que les articles 17 et 23 devraient être aussi interprétés au sens large lorsqu’il existe des obstacles juridiques à l’établissement d’une vie de famille et des risques de persécution dans le pays vers lequel la personne est renvoyée. Du fait de son apatridie, il ne pourra rester indéfiniment au Viet Nam et subvenir aux besoins de sa famille.

3.6 L’auteur affirme que la jurisprudence de la Cour européenne contient des cas dans lesquels celle ‑ci a interdit, pour des motifs familiaux, l’expulsion de personnes ayant fait l’objet de condamnations pénales . Bien que le déni des droits familiaux puisse être assimilé à un traitement cruel ou dégradant contraire à l’article 12 de la Charte canadienne, l’auteur affirme qu’il ne dispose d’aucun recours interne utile pour faire valoir les droits en question.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

4.1 Dans une lettre datée du 4 juillet 1997, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’avait pas apporté d’éléments de fait établissant une forte présomption qu’il serait victime d’une violation par le Canada d’une des dispositions du Pacte s’il devait être renvoyé au Viet Nam. La communication est donc dénuée de fondement, incompatible avec les dispositions du Pacte et irrecevable.

4.2 L’État partie fait observer que, si 200 000 personnes obtiennent chaque année le statut de résident permanent au Canada, il n’existe aucun droit d’obtenir ou de conserver ce statut et que certaines conditions peuvent s’appliquer. Ces conditions découlent pour la plupart des préoccupations de l’État partie en ce qui concerne la santé et la sécurité de ses citoyens, la sécurité de ses institutions et l’application des lois. Pour ce qui est de la situation personnelle de l’auteur au Canada, l’État partie note qu’il vit avec l’une de ses sœurs et la famille de celle ‑ci et qu’il n’a jamais eu d’emploi stable. L’État partie fait observer qu’il a demandé des documents de voyage pour l’auteur au Viet Nam, pays avec lequel il a conclu le 4 octobre 1995 un protocole d’accord par lequel le Viet Nam s’engageait à accepter le renvoi des citoyens vietnamiens sans autre nationalité qui avaient violé la loi canadienne et se trouvaient sous le coup d’un arrêté d’expulsion. À la date de la communication, le Viet Nam avait accepté le retour de 15 personnes relevant de cette catégorie et étudiait activement le dossier de l’auteur.

4.3 En ce qui concerne les allégations de l’auteur au titre de l’article 7, l’État partie estime que la portée de cet article n’est pas aussi étendue que l’auteur le prétend. Par analogie avec l’affaire Vuolanne c.  Finlande , l’État partie fait valoir que la plainte ne peut porter uniquement sur l’expulsion ou les conséquences logiques de cette expulsion. Il doit exister des raisons sérieuses de croire que les droits de l’auteur au titre de l’article 7 seront violés dans le pays d’accueil. En l’espèce, l’auteur n’a fourni aucun élément de preuve permettant de réfuter les affirmations du Haut ‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés selon lesquelles les Vietnamiens rapatriés sont bien traités , et ses allégations selon lesquelles il pourrait être emprisonné dans un camp de rééducation ne sont que pure spéculation. L’État partie observe que l’auteur n’a pas hésité à retourner au Viet Nam il y a quelques années pour se marier et ne semble pas avoir été alors victime de discrimination de la part des autorités vietnamiennes, et encore moins d’actes justifiant d’invoquer l’article 7.

4.4 L’État partie conteste le fait que l’auteur soit apatride et note que dans quatre documents dont le Comité a été saisi par l’auteur, celui ‑ci est identifié comme national vietnamien (sur son certificat de mariage vietnamien, dans la déclaration sous serment et dans le texte de son argumentation présentés à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ainsi que dans le texte de son argumentation soumis au Tribunal fédéral). Il n’a pas fourni la preuve qu’il avait été déchu de la nationalité vietnamienne ou qu’il ne pouvait travailler au Viet Nam et y subvenir aux besoins de sa famille. En fait, il a récemment épousé une Vietnamienne, dont le droit de résidence au Viet Nam lui permettrait d’y avoir une vie de famille. L’auteur ne pourrait certes pas conserver les relations qu’il avait avec ses sœurs restées au Canada, mais sa mère et, semble ‑t ‑il, ses deux frères vivent au Viet Nam, ce qui atténuerait encore les conséquences de son expulsion.

4.5 Concernant l’article 9, l’État partie estime qu’au Viet Nam, l’auteur ne serait privé d’aucun des droits qu’il considère inhérents à cet article. En tant que citoyen vietnamien, il  jouirait de tous les droits reconnus par ce pays s’il y retournait. Si un étranger faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion valable ne peut plus circuler librement dans l’État qui l’expulse, il n’y a pas violation de l’article 9 lorsque l’expulsion est légale et conforme au Pacte.

4.6 En ce qui concerne les allégations de l’auteur au titre des articles 13 et 2 concernant l’expulsion arbitraire, l’État partie rappelle que l’auteur a été reconnu coupable d’infractions pénales graves, manquant ainsi à une condition importante du maintien de son statut de résident étranger. Il a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion à l’issue d’une procédure orale qui présentait toutes les garanties de forme. La décision de la Division des appels de rejeter son recours, prise conformément à la loi et compte tenu de toutes les circonstances de la cause, ne saurait être considérée comme arbitraire ou non conforme au Pacte. L’auteur disposait de multiples voies de droit pour obtenir de la Division des appels qu’elle communique ses motifs et s’il n’y est pas parvenu, c’est du fait de sa propre négligence et dans le respect de la légalité.

4.7 L’État partie fait observer que la Division des appels est saisie de beaucoup trop d’affaires pour pouvoir systématiquement motiver par écrit ses décisions. Elle doit cependant le faire lorsqu’elle en reçoit la demande dans les délais prescrits. Ceux ‑ci ont pour objet de garantir une restitution fidèle de la décision et doivent concorder avec les délais applicables aux recours ultérieurs concernant les décisions de la Division des appels et les autres décisions rendues en application de la loi sur l’immigration. À chaque étape de la procédure, l’auteur a été représenté par un conseil et les magistrats, les membres de la Division des appels et les juges du Tribunal fédéral qui se sont prononcés en l’espèce étaient tous indépendants. L’arrêté d’expulsion a donc été pris conformément à la loi et l’auteur avait largement la possibilité de demander le réexamen de cet arrêté, conformément à l’article 13. L’État partie fait valoir que la procédure de réexamen judiciaire ouverte à l’auteur satisfaisait aux conditions prévues à l’article 2 et que toute violation des droits consacrés par le Pacte aurait pu faire l’objet d’un recours utile devant les autorités judiciaires compétentes.

4.8 En ce qui concerne les allégations de l’auteur au titre des articles 17 et 23, l’État partie réaffirme que celui ‑ci est un national vietnamien qui jouit des droits liés à sa nationalité et qu’un certain nombre de ses proches, y compris sa femme, sa mère et ses deux frères, vivent au Viet Nam. Il n’a pas fourni la preuve qu’il subvenait aux besoins de sa famille au Canada. En fait, il vit au domicile de sa sœur et de la famille de celle ‑ci. L’État partie fait valoir que la portée de la notion de protection de la famille au sens du Pacte, dans le contexte de l’immigration, est définie par les articles 13, 17 et 23 lus conjointement, de sorte qu’un État, lorsqu’il envisage d’expulser un étranger, devrait mettre en balance les intérêts de la famille de l’intéressé et les intérêts de l’État. En l’occurrence, il a été dûment tenu compte de la situation familiale de l’auteur tout au long du processus de la prise de décision. Des critères comme l’âge, le nombre d’années passées au Canada, la présence de proches au Canada et à l’étranger, le degré d’intégration dans la société canadienne et l’installation réussie au Canada sont obligatoirement pris en considération. Les décisions prises n’ont pas été arbitraires et les garanties de procédure ont été dûment respectées. L’État partie indique que les critères appliqués en l’espèce ont été les mêmes que dans l’affaire Stewart c.  Canada , dans laquelle le Comité a conclu qu’il n’y avait pas eu violation des articles 17 et 23 du Pacte, et qu’en l’espèce, les faits montrent que l’auteur a des liens familiaux beaucoup plus faibles avec le pays qui l’expulse que ce n’était le cas dans l’affaire Stewart .

4.9 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 6, l’État partie conteste le fait que cet article puisse être invoqué dans la présente affaire. L’auteur n’a pas donné à entendre que son cas était apparenté aux affaires concernant la peine de mort, la mortalité infantile, les décès en détention sous la garde d’agents de l’État ou autres affaires similaires que le Comité a déjà examinées en relation avec l’article 6. Le droit de l’auteur à la vie n’est menacé ni au Canada ni au Viet Nam.

Commentaires de l’auteur

5.1 Par une lettre datée du 27 octobre 1997, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie, en signalant que dans les documents des services de l’immigration de l’État partie, il est identifié comme «apatride/stateless». L’État partie ne peut donc pas prétendre qu’il a la nationalité vietnamienne alors que ses papiers confirment qu’il est apatride. Il fait aussi remarquer que lorsqu’il s’est rendu au Viet Nam en 1991, il a d’abord dû obtenir un visa de tourisme pour une période de quatre mois seulement et qu’il n’a pas été autorisé à travailler durant son séjour.

Observations complémentaires

6.1 Dans une lettre datée du 16 mars 1998, l’État partie a répondu aux commentaires de l’auteur, en faisant observer que celui ‑ci ne nie pas qu’il demeure un national vietnamien et que le Gouvernement vietnamien ne l’accepterait pas si tel n’était pas le cas. Le Protocole d’accord de 1995 exige seulement que le Viet Nam accepte ses nationaux s’ils ont fait l’objet de condamnations pénales au Canada. Le Viet Nam ne délivrerait pas de passeport ni d’autres pièces à l’auteur s’il n’était pas un national vietnamien.

6.2 L’État partie fait remarquer que la mention «apatride/stateless» est en général utilisée sur les papiers d’immigration pour indiquer que la personne concernée ne se trouve pas sur le territoire de l’État dont elle a la nationalité, ne possède pas de document de voyage délivré par cet État et ne souhaite pas retourner dans celui-ci. Les agents qui remplissent ces documents n’ont pas les moyens de déterminer si l’intéressé est légalement apatride. L’État partie continue de considérer l’auteur comme un national vietnamien et poursuit ses pourparlers avec le Viet Nam sur cette base concernant son renvoi.

6.3 L’État partie rappelle que le certificat de mariage de l’auteur délivré par les autorités vietnamiennes l’identifie comme un national vietnamien. De fait, l’auteur a déclaré sous serment qu’il était un national vietnamien devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et devant le Tribunal fédéral.

6.4 Le 22 avril 1998, les observations complémentaires de l’État partie ont été communiquées au conseil de l’auteur qui a été invité à faire part de ses commentaires. En dépit de rappels envoyés le 25 septembre 2000 et le 12 octobre 2001, aucune réponse n’a été reçue du conseil.

Délibérations du Comité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité constate que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au seul motif qu’elle est sans fondement et/ou que les allégations de l’auteur sortent du champ d’application du Pacte. Le Comité note tout d’abord qu’il n’a pas besoin de déterminer si l’auteur est en fait apatride ou non. S’il n’a pas la nationalité vietnamienne, alors, sur la base des informations dont le Comité dispose, il n’est pas susceptible d’être expulsé vers le Viet Nam en vertu du Protocole d’accord et, du moins en l’état actuel des choses, sa communication est sans motif et dénuée d’objet. Le Comité procède donc, pour les besoins du raisonnement, sur la base la plus favorable à l’auteur, à savoir que celui ‑ci est susceptible d’être expulsé vers le Viet Nam.

7.3 Le Comité note que l’auteur n’a présenté aucun argument d’aucune sorte à l’appui de ses allégations au titre de l’article 6 et estime donc qu’elles sont irrecevables car elles n’ont manifestement pas été étayées.

7.4 Pour ce qui est des allégations au titre des articles 2, 7, 9, 13, 17 et 23, le Comité constate que les arguments de l’auteur sont de deux ordres. Premièrement, il affirme que son expulsion le séparerait de sa famille au Canada, l’empêcherait d’avoir une vie de famille au Viet Nam du fait, en partie, qu’il n’est pas citoyen vietnamien, et l’exposerait à d’autres privations de ses droits dans ce pays. Deuxièmement, il fait valoir que la procédure d’expulsion engagée au Canada a été entachée d’irrégularités. Sur le premier point, le Comité note qu’en tant que national vietnamien, l’auteur aurait le droit de résider, de travailler et de subvenir aux besoins de sa famille au Viet Nam. De fait, il a épousé une Vietnamienne dans ce pays sans aucune difficulté en 1991. Comme son épouse, sa mère et ses deux frères vivent dans ce pays, l’auteur n’a pas démontré que son expulsion soulève, en vertu des articles 17 et 23, des problèmes familiaux dont il y a lieu de débattre aux termes du Pacte. Eu égard à la décision prise par le Comité dans l’affaire Stewart , dans laquelle il avait conclu qu’il n’y avait pas eu de violation des articles 7, 9, 13, 17 et 23 (entre autres) alors qu’elle concernait l’expulsion d’un individu qui était arrivé au Canada à un plus jeune âge, qui y avait vécu plus longtemps et dont toute la famille, à part un seul frère, résidait au Canada, l’auteur n’a pas étayé ses allégations.

7.5 S’agissant de l’allégation faite au titre de l’article 7, le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé son affirmation selon laquelle il court un risque réel d’être soumis à de mauvais traitements de la part des autorités vietnamiennes, ce qui soulèverait d’autres questions au regard de l’article 7 du Pacte. À cet égard, le Comité observe i) que dans ses commentaires au sujet des observations de l’État partie, l’auteur n’a pas répondu à l’argument selon lequel il n’était pas exposé à un tel risque et ii) qu’en dépit du fait qu’il ait été invité plusieurs fois à commenter les observations complémentaires de l’État partie, l’auteur n’a pas saisi l’occasion pour étayer son affirmation. Compte tenu des paragraphes précédents, le Comité conclut que l’auteur n’a pas étayé ses allégations de violation des articles 7, 9, 17 et 23 du Pacte aux fins de la recevabilité de sa communication.

7.6 En ce qui concerne les procédures engagées devant les autorités judiciaires et les services de l’immigration du Canada, le Comité note que l’auteur, secondé par un conseil, avait obtenu de la Division des appels un réexamen complet et indépendant de la décision d’expulsion. Même si l’on devait interpréter l’article 13 comme énonçant l’obligation d’autoriser un nouveau recours, le Comité note qu’un tel recours était de toute façon possible en vertu de la législation de l’État partie, sous réserve que l’auteur présente en temps voulu une requête aux fins d’obtenir le texte de la décision assortie de ses motifs. Le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle le fait de ne pas respecter le délai légal pour le dépôt d’une plainte signifie que les recours internes n’ont pas été épuisés , et conclut en conséquence qu’il serait inopportun pour l’auteur de faire valoir sur le fond son incapacité, due à son inadvertance, d’introduire un recours utile. Le Comité conclut donc que l’auteur n’a pas étayé ses allégations de violation des articles 2 et 13 du Pacte aux fins de la recevabilité de sa communication.

8. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale) en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

C. Communication n o 771/1997, Baulin c. Fédération de Russie * (Décision adoptée le 31 octobre 2002, soixante-seizième session)

Présentée par :

Alexander Baulin représenté par le Centre d’aide à la protection internationale

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

15 juillet 1996 (date de la communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2002,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est M. Alexander Baulin, un citoyen russe né le 29 novembre 1951 qui, au moment de l’envoi de sa communication, était détenu dans l’établissement de rééducation de Rybinsk. Il se déclare victime d’une violation par la Russie des paragraphes 1 et 3 e) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 25 mai 1988 vers 16 heures, l’auteur en état d’ivresse a pénétré dans l’appartement de son ex ‑épouse en son absence. Bien que divorcé, le couple aurait continué à avoir des relations sexuelles, qu’il dissimulait à la mère de l’ex ‑épouse, M me  Isaeva. Alors qu’il se trouvait dans l’appartement, l’auteur a entendu les voix des deux femmes à l’extérieur et s’est caché dans une armoire pour éviter de rencontrer sa belle ‑mère. Après avoir passé environ une heure et demie dans l’armoire, il a répandu accidentellement un liquide et a été découvert.

2.2 Alors qu’il se trouvait dans l’armoire, il a entendu son ex ‑épouse le critiquer et le tourner en ridicule. Au moment où il a été découvert, il était furieux et a agressé son ex ‑belle ‑mère et son ex ‑femme avec un couteau qu’il avait trouvé dans l’armoire. Le conseil affirme que les blessures infligées étaient superficielles, l’auteur n’ayant utilisé que le plat de la lame. Son ex ‑épouse aurait couru à la fenêtre et appelé au secours. Elle a ensuite grimpé sur le rebord de la fenêtre, s’y est assise, a perdu l’équilibre et s’est tuée en tombant du quatrième étage. L’auteur admet avoir mal agi au cours de l’incident qui a conduit au décès de son ex ‑femme, mais nie avoir voulu sa mort ou être impliqué dans son décès.

2.3 Le procès de l’auteur s’est déroulé du 28 décembre 1988 au 12 janvier 1989. L’auteur était accusé de meurtre avec préméditation et avec circonstances aggravantes conformément aux articles 102 g) et 193 2) du Code pénal. Le tribunal a toutefois considéré qu’il n’existait pas de preuves suffisantes pour le condamner et a ordonné une enquête préliminaire complémentaire. Lors d’une deuxième audience qui a eu lieu le 29 juin 1989, à la suite de la nouvelle enquête préliminaire, l’auteur a été accusé et déclaré coupable en vertu de l’article 102 g) du Code pénal, et condamné à huit ans d’emprisonnement. La mère de la défunte et l’auteur ont l’un et l’autre fait appel de la condamnation. Le 14 mars 1990, le tribunal municipal de Moscou a déclaré M. Baulin coupable de crime avec préméditation et avec circonstances aggravantes conformément aux articles 102 g) et 193 2) du Code pénal, et l’a condamné à 13 ans d’emprisonnement dans un camp de travail à régime renforcé.

2.4 L’accusation a fait valoir que M. Baulin avait rendu visite à sa femme le 25 mai 1988, l’avait blessée avec un couteau, avant de la défenestrer. Elle était morte sur le coup. Le principal témoin oculaire, l’ex ‑belle ‑mère de M. Baulin, a témoigné au procès et accusé M. Baulin d’avoir défenestré sa fille. Des voisins de M me  Baulin, M. et M me  Novitsky, ont vu celle ‑ci tomber de la fenêtre de son appartement situé au quatrième étage, comme si elle avait été poussée. D’autres témoins ont affirmé qu’ils l’avaient vue tomber de la fenêtre mais qu’ils n’avaient vu personne la pousser. Les dépositions des médecins et d’autres experts n’ont pas permis d’éclairer les faits.

2.5 L’auteur fait valoir que dans sa première déclaration à la police, l’ex ‑belle ‑mère de M. Baulin a affirmé qu’elle avait tenté d’éloigner ce dernier de sa fille pendant qu’il lui donnait les coups de couteau. Sa fille s’était ensuite dégagée et s’était assise sur le rebord de la fenêtre, appelant au secours. L’ex ‑belle ‑mère avait voulu ouvrir la porte pour demander de l’aide à l’extérieur et quand elle s’était retournée, sa fille était déjà tombée. Ce n’est qu’après l’enterrement qu’elle avait changé de version, affirmant que M. Baulin s’était rendu dans l’appartement avec l’intention de tuer sa fille et qu’il l’avait agrippée, placée sur le rebord de la fenêtre puis poussée. Elle avait ensuite modifié à plusieurs reprises les détails de sa déposition. Le conseil estime que, de ce fait, la déposition du témoin est sujette à caution et que la condamnation de M. Baulin devrait être reconsidérée. En outre, plusieurs connaissances des Baulin ont affirmé devant le tribunal que même à l’enterrement de sa fille M me  Isaeva n’avait pas encore formulé la version selon laquelle l’auteur était responsable de la défenestration de M me  Baulin, et un voisin de M me  Isaeva, M. Monakov, a affirmé le 25 juin 1988 qu’elle lui avait dit que M me  Baulin avait sauté par la fenêtre.

2.6 La Cour suprême a confirmé le jugement du tribunal municipal le 28 juin 1990, déclarant que, pour ce qui est de l’argument du conseil selon lequel M me  Isaeva et M. et M me  Novitsky avaient fait de faux témoignages, elle avait examiné la question et que rien ne venait appuyer cette thèse. En ce qui concerne l’argument du conseil qui affirme que le tribunal n’avait pas examiné les conclusions des médecins légistes, la Cour suprême a indiqué que non seulement ces conclusions avaient été étudiées dans le cadre de l’enquête préliminaire, mais également que les experts avaient témoigné au procès. Enfin, la Cour suprême a conclu à l’absence de violation des dispositions du Code de procédure pénale. Le conseil a formé un recours en révision auprès du Président de la Cour suprême et du Procureur général de la Fédération de Russie, sans résultat.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que les tribunaux ont violé le droit à une procédure équitable, en particulier le droit à la présomption d’innocence et celui de faire citer des témoins à décharge.

3.2 Il soutient qu’il a été condamné sur la base d’éléments insuffisants et contradictoires, l’établissement de sa culpabilité étant fondé sur le témoignage de son ex ‑belle ‑mère au procès, qui contredisait ses déclarations antérieures et ne concordait pas avec les dépositions d’autres témoins. De même pour ce qui est des rapports des médecins légistes, qui n’étaient nullement catégoriques, le tribunal avait tenu à les considérer comme tels et avait ignoré les éléments des conclusions des experts qui corroboraient la version des faits de l’auteur. Ce dernier affirme que le tribunal était partial, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Cette plainte semble aussi soulever des questions au titre du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

3.3 L’auteur affirme que le tribunal lui a dénié le droit de faire citer et interroger des témoins et des experts. En particulier, le tribunal lui a dénié le droit de faire citer les agents de police, MM. Golub, Gorynov, Semin et Aletiev, qui avaient interrogé l’ex ‑belle ‑mère de l’auteur après le décès de sa fille et avaient conduit les enquêtes préliminaires. Au cours de la première audience de janvier 1989, le tribunal a toutefois entendu les dépositions des agents de police, MM.  Golub et Gorynov. Ils ont affirmé qu’avant d’être conduite à l’hôpital, M me  Isaeva avait dit que l’auteur les avait frappées à coups de couteau, elle et M me  Baulin, mais qu’elle ne l’avait pas vu défenestrer sa fille.

3.4 L’auteur s’est également vu dénier le droit de faire citer le docteur Sogrina, qui avait affirmé, dans le cadre de l’enquête préliminaire, qu’il avait vu M me  Baulin assise sur le rebord de la fenêtre, le dos tourné vers lui, et qu’au bout d’un moment, juste avant de tomber, elle s’était retournée et avait enjambé le rebord de la fenêtre. Il lui avait également prodigué les premiers secours après sa chute. De plus, le tribunal a privé l’auteur du droit de faire citer son fils Ilya, dont le témoignage aurait pu éclairer les intentions du défendeur, ainsi que d’autres témoins proposés par la défense. Le tribunal a rejeté la demande de la défense de faire citer à décharge un expert en médecine légale et de procéder à un contre ‑interrogatoire des médecins légistes présents à la barre pour préciser des points contradictoires dans leurs conclusions, et le conseil affirme que ce refus était particulièrement préjudiciable à l’auteur puisque le tribunal n’a pas pris en compte les multiples versions plausibles des faits fournies par les experts et s’en est tenu à la version présentée par l’accusation. Le conseil affirme que le refus des tribunaux de reconnaître à l’auteur le droit de faire comparaître des témoins à décharge et de faire procéder à un contre ‑interrogatoire des experts légistes constitue une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond de la communication

4.1 Par une note verbale datée du 9 octobre 1997, l’État partie a présenté ses observations, affirmant que les allégations de l’auteur ne permettaient pas de conclure à une violation des droits énoncés dans le Pacte, l’instruction et la procédure judiciaire ayant été conduites en toute objectivité et l’auteur ayant été condamné conformément à la loi.

4.2 L’État partie a fait valoir que l’auteur avait été reconnu coupable du meurtre de son ex ‑épouse sur la foi du témoignage de son ex ‑belle ‑mère et d’autres témoins, des avis rendus par des commissions d’experts en médecine légale et en biologie médico ‑légale, des données figurant dans les comptes rendus d’une inspection sur place et d’une reconstitution du crime, et d’autres faits dûment examinés par le tribunal. L’autre version des circonstances du décès de M me  Baulin présentée par l’auteur avait été dûment examinée par le tribunal de première instance et par la juridiction d’appel et avait été considérée comme dénuée de fondement.

Commentaires de l’auteur

5. Le 27 septembre 2001, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il souligne que celui ‑ci se borne à rappeler les décisions des tribunaux russes et n’aborde pas la question des violations présumées des dispositions des paragraphes 1 et 3 e) de l’article 14 du Pacte.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, en application de l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité relève que le procès engagé contre l’auteur a commencé en 1988 et que la dernière décision judiciaire a été rendue en juin 1990, c’est ‑à ‑dire avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, le 1 er  janvier 1992. Étant donné que l’auteur n’a pas avancé de griefs spécifiques fondés sur la persistance des effets des violations du Pacte qu’il dénonce et qui auraient été commises pendant le procès, effets qui à eux seuls constitueraient une violation du Pacte, le Comité estime qu’il est empêché ratione temporis d’examiner la communication.

6.3 En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

D. Communication n o  820/1998, Rajan et consorts c. Nouvelle-Zélande *

(Décision adoptée le 6 août 2003, soixante-dix-huitième session)

Présentée par : M. Keshva Rajan et M me  Sashi Kantra Rajan (représentés par un conseil, M. Sapt Shankar)

Victimes présumées : Les auteurs et leurs enfants mineurs, Vicky Rajan et Ashnita Rajan

État partie : Nouvelle ‑Zélande

Date de la communication : 11 juin 1997 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 6 août 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. Les auteurs de la communication sont M. Keshva Rajan, né à Fidji le 28 juillet 1965, M me  Sashi Kantra Rajan, née à Fidji le 6 juin 1969, et leurs enfants, Vicky Rajan, né en Australie le 2 février 1992, et Ashnita Rajan, née en Nouvelle ‑Zélande en mars 1996, qui résidaient tous en Nouvelle ‑Zélande au moment de la présentation de la communication. Ils affirment être victimes de violations par la Nouvelle ‑Zélande des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 3 de l’article 24. Sans invoquer des articles précis, ils affirment aussi être victimes de discrimination et d’une atteinte à leur vie privée et au droit de leurs enfants à la protection qu’exige leur statut de mineurs. Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 M. Rajan a émigré en Australie en 1988, où il a obtenu un permis de résidence le 19 février 1990, sur la base d’une union libre avec une Australienne. Par la suite, en 1994, cette dernière a été reconnue coupable, en Australie, d’avoir fait une fausse déclaration dans la demande de permis de résidence de M. Rajan. En 1990, M. Rajan a épousé, à Fidji, Sashi Kantra Rajan, qui l’a suivi en Australie en 1991, où elle a obtenu un permis de résidence accordé sur la base du statut de résident de son époux. En 1991, les autorités australiennes ont pris conscience du fait que la prétendue union libre était fausse et ont commencé à prendre des mesures contre M. et M me  Rajan ainsi que contre le frère (Bal) et la sœur de M. Rajan qui, selon elles, avaient eux aussi obtenu un permis de résidence en Australie grâce à des déclarations mensongères. Le 2 février 1992, le couple a eu un fils, Vicky, qui est né en Australie. Le 22 avril 1992, le frère de M. Rajan (Bal) a été arrêté pour immigration frauduleuse, et M. Rajan a été informé que les autorités avaient l’intention de l’interroger.

2.2 Le lendemain, M. et M me  Rajan ont émigré en Nouvelle ‑Zélande. Ils n’ont pas révélé leurs démêlés avec les autorités australiennes, et ont obtenu un permis de résidence accordé sur la base de leurs permis australiens. Le 24 avril 1992, le frère de M. Rajan (Bal) a quitté à son tour l’Australie pour la Nouvelle ‑Zélande. Le 30 avril 1992, les autorités australiennes ont annulé les permis de résidence australiens de M. et M me  Rajan. Le 5 juin 1992, les autorités néo-zélandaises ont été informées que M. et M me  Rajan étaient considérés comme ayant fui l’Australie et qu’il leur était interdit de revenir dans le pays. Le 3 juillet 1992, M. Rajan a reconnu devant les autorités néo ‑zélandaises que son union libre avec une Australienne, qui lui avait permis à l’origine d’obtenir un permis de séjour en Australie, n’était pas réelle. À la suite d’investigations menées par les autorités néo ‑zélandaises, notamment d’un interrogatoire de M. et M me  Rajan, le Ministre de l’immigration a révoqué le 21 juin 1994 le permis de résidence de ces derniers au motif que M. Rajan n’avait pas révélé que les documents australiens (sur la base desquels les permis néo ‑zélandais avaient été accordés) avaient été obtenus frauduleusement.

2.3 M me  Rajan, qui n’avait pas mentionné ces faits dans la demande de naturalisation qu’elle avait présentée au Ministère de l’intérieur, a obtenu la nationalité néo ‑zélandaise le 26 octobre 1994, date à laquelle, conformément à l’article 8 de la loi sur la citoyenneté de 1977, sa nationalité fidjienne a été automatiquement annulée. Au début de 1995, son fils Vicky a lui aussi obtenu la nationalité néo ‑zélandaise. Le 19 avril 1995, le Ministre de l’intérieur a notifié son intention de déchoir M me  Rajan de la nationalité néo ‑zélandaise au motif qu’elle l’avait obtenue par la fraude, par une fausse déclaration, par dissimulation délibérée d’informations pertinentes ou par erreur.

2.4 Le 31 juillet 1995, la Haute Cour a rejeté un recours contre la révocation des permis de résidence et une demande de contrôle juridictionnel de la décision du Ministre portant révocation desdits permis, estimant qu’ils avaient été obtenus par la fraude et au moyen d’une déclaration fausse et trompeuse. La Cour a jugé que l’unité de la famille n’était pas en danger dès lors que l’enfant pourrait vivre avec ses parents à Fidji et retourner plus tard s’il le souhaitait en Nouvelle ‑Zélande comme il en avait le droit de son propre chef. L’appel interjeté ensuite par M. et M me  Rajan devant la Cour d’appel a lui aussi été rejeté. En mars 1996, M. et M me  Rajan ont eu un second enfant, Ashnita, qui a automatiquement acquis la citoyenneté néo ‑zélandaise de par sa naissance.

2.5 Le 17 juillet 1996, le Tribunal chargé d’examiner les mesures d’expulsion a rejeté un autre recours de M. et M me  Rajan contre la décision de révocation de leur permis de séjour, estimant qu’il n’y avait aucune raison d’annuler cette décision. Il a noté que le seul fait d’avoir des enfants qui possédaient la nationalité néo ‑zélandaise ne conférait pas le droit de rester en Nouvelle ‑Zélande à des parents qui n’y étaient pas habilités par ailleurs. M. et M me  Rajan n’ont pas fait appel de la décision du Tribunal.

2.6 Le 5 août 1996, le Ministre de l’intérieur a notifié son intention de révoquer la citoyenneté de Vicky Rajan au motif qu’elle avait été obtenue par la fraude, par une fausse déclaration, par la dissimulation délibérée d’informations pertinentes ou par erreur. Le 5 novembre 1996, la Haute Cour a rejeté une requête de M me  Rajan concernant la notification par le Ministre de son intention de la priver de sa citoyenneté, estimant qu’aucune erreur de droit ou erreur administrative n’avait été commise. La Cour a enjoint au Ministre de l’intérieur de prendre en considération les dispositions pertinentes des instruments internationaux avant de prendre sa décision définitive. Le 28 janvier 1997, le Ministre a signé une ordonnance privant M me  Rajan de sa citoyenneté au motif officiel qu’elle avait été accordée par erreur, la durée de séjour requise n’ayant pas été respectée. Le 9 avril 1997, la Haute Cour a rejeté une demande d’examen judiciaire de la décision de révocation. Le 3 juillet 1998, la communication des auteurs a été inscrite au rôle du Comité.

2.7 Le 15 avril 1997, le Ministre de l’intérieur a signé une ordonnance révoquant la citoyenneté de Vicky Rajan, qui n’avait plus ainsi que la citoyenneté australienne. Les autorités néo ‑zélandaises ont alors pris des arrêtés d’expulsion à l’encontre de M. et M me  Rajan, mais ces derniers avaient disparu.

2.8 Le 1 er  octobre 1999, la loi sur l’immigration a été sensiblement modifiée, notamment par l’incorporation d’une disposition en vertu de laquelle les personnes qui séjournaient illégalement en Nouvelle ‑Zélande après confirmation, par le Tribunal chargé d’examiner les mesures d’expulsion, de la décision de révoquer leur permis de résidence ne pouvaient plus former de recours devant l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion. Le 18 septembre 2000, le Gouvernement a adopté une «Politique transitoire» permettant aux personnes séjournant en Nouvelle ‑Zélande sans autorisation mais qui y étaient «bien établies», c’est ‑à ‑dire qui se trouvaient dans le pays depuis au moins cinq ans et avaient à leur charge des enfants nés en Nouvelle ‑Zélande, d’obtenir des permis, à condition qu’elles soient en bonne santé et de bonne moralité. M. et M me  Rajan entraient dans la catégorie des personnes ayant besoin d’une dérogation à la condition relative à la moralité.

2.9 Le 28 septembre 2000, les auteurs ont formé des recours séparés devant l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion. Le 31 octobre 2000, le Ministre de l’immigration a refusé d’intervenir dans l’affaire. Le 10 novembre 2000, l’Autorité s’est déclarée incompétente pour examiner les recours en raison des modifications apportées à la loi sur l’immigration.

2.10 Le 19 mars 2001, les auteurs ont demandé à bénéficier de la «Politique transitoire». M. Rajan ayant été condamné antérieurement pour évasion fiscale en Australie, une dérogation aux prescriptions relatives à la moralité a été sollicitée. Dans la demande, il n’était pas fait mention de l’obtention frauduleuse du permis de résidence. Le 23 avril 2001, le Ministre de l’immigration a rejeté la demande de dérogation. En conséquence, le 15 octobre 2001, la demande présentée au titre de la «Politique transitoire» a également été rejetée. Le 23 mai 2002, les autorités fidjiennes ont confirmé que M. et M me  Rajan étaient toujours citoyens fidjiens et que leurs passeports étaient valides. En décembre 2002, à la suite de la présentation d’informations supplémentaires, le Ministre adjoint à l’immigration a confirmé la décision du Ministre, après avoir spécifiquement tenu compte de la situation des enfants.

2.11 Le 8 avril 2003, après que l’adresse de M me  Rajan eut été trouvée, un arrêté d’expulsion lui a été signifié. M. Rajan, en revanche, n’a pas pu être localisé. M me  Rajan a été informée qu’elle et son mari devaient quitter le territoire au plus tard le 22 avril 2003. Le 2 mai 2003, la Haute Cour a rejeté une demande de contrôle juridictionnel du refus du Ministre d’accorder une dérogation, confirmant qu’il y avait des «preuves suffisantes» permettant de conclure qu’un acte frauduleux avait été commis. La Cour a estimé que le Ministre avait dûment et pleinement tenu compte des droits des enfants et qu’il n’y avait eu aucun manquement à la justice ou à l’équité.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs affirment spécifiquement qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 23, du paragraphe 3 de l’article 24 et des paragraphes 1 et 4 de l’article 9. Ils n’associent pas ces articles à des griefs particuliers et les griefs eux ‑mêmes sont difficiles à cerner. Ceux qui sont exposés ci ‑après semblent également soulever des questions au titre de l’article 13, de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 24 et de l’article 26 du Pacte.

3.2 Comme leurs enfants ne peuvent pas vivre seuls et devraient quitter la Nouvelle ‑Zélande avec leurs parents, il est affirmé que leurs droits fondamentaux seraient violés par l’expulsion de leurs parents. L’expulsion de M. et M me  Rajan vers Fidji constituerait une atteinte à la vie privée de la famille et pourrait conduire à un divorce et à l’insécurité de leurs moyens de subsistance.

3.3 Les auteurs font valoir que ni M. ni M me  Rajan n’ont fait l’objet d’un contre ‑interrogatoire de la part des instances d’appel néo ‑zélandaises en ce qui concerne la fraude présumée, que M. Rajan a toujours niée. Pour ce qui est de M me  Rajan, il est affirmé qu’elle a été privée de son permis de résidence australien sans avoir eu l’occasion de faire entendre sa cause, bien qu’elle n’ait rien fait de mal. Par suite de la perte de sa nationalité néo ‑zélandaise, elle est à présent apatride.

3.4 Les auteurs affirment que les droits de Vicky Rajan ont été violés parce qu’il a été déchu de sa citoyenneté. Selon les auteurs, cela n’aurait pas dû se produire car il l’avait obtenue sur la base de sa propre citoyenneté australienne et de ses trois ans de résidence en Nouvelle ‑Zélande, et non, comme les tribunaux l’ont établi, par l’effet de sa dépendance vis ‑à ‑vis de sa mère. Il est donc affirmé qu’il ne peut être déchu de sa nationalité du fait de la révocation de celle de sa mère.

3.5 Il est suggéré que les auteurs ont été victimes d’une discrimination tenant au fait que la législation néo ‑zélandaise «est appliquée d’une manière plus dure aux non ‑Européens».

3.6 Les auteurs se réfèrent à une décision de la Cour d’appel néo ‑zélandaise concernant une affaire similaire dans laquelle, selon ce qu’ils affirment, la cour avait dit que des obligations internationales, telles que celles qui découlent du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention relative aux droits de l’enfant, exigeaient de la Nouvelle ‑Zélande qu’elle assume sa responsabilité envers les enfants qui sont des citoyens néo ‑zélandais et que les enfants ne doivent pas être tenus responsables du comportement de leurs parents. Le Ministre de l’intérieur, suite à l’arrêt susmentionné, aurait, dans des situations similaires, accordé des permis de résidence aux parents, comme ce fut le cas pour le frère et la sœur de M. Rajan. Le fait que la décision n’ait pas été suivie en l’espèce constituerait une discrimination contre les auteurs.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1 Par une note verbale datée du 3 février 1999, l’État partie a contesté à la fois la recevabilité et le fond de la communication. Pour ce qui est de la recevabilité, il affirme que la communication devrait être rejetée parce que les recours internes n’ont pas été épuisés, parce que les allégations faites n’ont pas été étayées et pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte.

4.2 S’agissant du non ‑épuisement des recours internes, l’État partie note que M. et M me  Rajan évitent actuellement toute procédure judiciaire mais qu’ils sont sous le coup d’un arrêté d’expulsion qui leur sera signifié dès qu’on les trouvera. Un tel arrêté doit être approuvé par un tribunal de district avant d’être exécuté. Une fois que l’arrêté d’expulsion aura été délivré à M. et M me  Rajan, ils pourront former un recours devant l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion dans un délai de 42 jours, et arguer, entre autres, de raisons humanitaires et de circonstances familiales. Un appel pourrait ensuite être interjeté devant la Haute Cour et la Cour d’appel sur des points de droit. Une autre solution consisterait à saisir la Haute Cour puis la Cour d’appel en vue d’un contrôle juridictionnel de la décision de l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion. Enfin, M. et M me  Rajan pourraient s’adresser directement au Ministre de l’immigration, en particulier s’ils disposent de nouveaux éléments d’information, afin qu’il donne des instructions spéciales pour qu’un permis de séjour leur soit octroyé.

4.3 D’autre part, et notamment en ce qui concerne les violations alléguées des articles 9 et 13, l’État partie fait valoir que des irrégularités de procédure de ce type constitueraient une violation de la loi néo ‑zélandaise de 1990 sur la déclaration des droits et un motif de révision. Il fait observer également que les auteurs n’ont pas fait appel de la décision rendue à leur encontre par le Tribunal chargé d’examiner les mesures d’expulsion comme le leur permet la loi, encore que le délai fixé pour un tel recours soit, à présent, expiré.

4.4 L’État partie affirme également que les auteurs n’ont pas étayé leurs allégations. Ils n’ont pas apporté de commencement de preuve de la violation de dispositions du Pacte. Ils n’ont pas non plus présenté d’éléments de preuve établissant une quelconque irrégularité de procédure qui permettrait de penser que l’État a agi d’une manière arbitraire ou illégale, qu’ils n’ont pas bénéficié de la protection de la loi ou que l’on n’a pas assuré à la famille la protection visée par le Pacte. La famille de M. Rajan a le droit, en vertu de la législation fidjienne, de retourner à Fidji et les autorités néo ‑zélandaises lui fourniraient les documents de voyage nécessaires. Rien ne permet de penser que la famille sera séparée. Le droit qu’ont les enfants, de leur propre chef, de rester en Nouvelle-Zélande ou en Australie signifie qu’ils pourront être envoyés chez d’autres membres de la famille élargie pour leurs études ou leur éducation, comme c’est le cas pour des milliers d’habitants des îles du Pacifique. Mais un tel choix, selon l’État partie, serait celui des parents agissant au mieux de l’intérêt de leurs enfants et ne saurait fonder une allégation de violation du Pacte. L’État partie évoque aussi les vagues affirmations concernant un possible harcèlement de la part de membres de la famille qui risquerait de mettre en péril l’unité du couple et de conduire éventuellement à un divorce à Fidji et à l’insécurité de ses moyens de subsistance; il note cependant qu’aucun élément de preuve n’est apporté à l’appui de telles allégations. Rien n’indique non plus que la famille ne pourra pas renouer avec ses réseaux de soutien à Fidji.

4.5 Pour ce qui est de la violation alléguée de l’article 26, l’État partie déclare que les auteurs n’ont pas étayé leurs vagues allégations de discrimination raciale. Il affirme que les auteurs peuvent encore faire valoir le moyen de la discrimination raciale dans le cadre d’une autre procédure avant d’être expulsés. Il indique encore, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle la sœur et le frère de M. Rajan n’ont pas fait l’objet du même traitement, que cela ne constitue pas en soi, en l’absence d’autres détails, un indice convaincant d’une violation de l’obligation d’assurer une égale protection de la loi conformément à l’article 26 du Pacte.

4.6 Pour ce qui est de la plainte concernant la révocation de la citoyenneté de M me  Rajan, qui aurait fait d’elle une apatride, l’État partie affirme que cette allégation ne renvoie à aucun droit protégé par le Pacte et qu’elle est donc irrecevable ratione materiae parce qu’incompatible avec les dispositions du Pacte. L’État partie fait observer que M me  Rajan a le droit de retourner à Fidji en application de l’article 16 de la Constitution fidjienne et qu’elle pourra plus tard faire une demande pour recouvrer sa citoyenneté fidjienne conformément aux paragraphes 6 et 7 de l’article 12 de la Constitution fidjienne de 1997.

4.7 Sur le fond, l’État partie se réfère d’une manière détaillée aux décisions des autorités locales. Pour ce qui est de la révocation du permis de M. et de M me  Rajan, il note que la Haute Cour est arrivée à la conclusion que M. Rajan avait obtenu un permis de résidence par «la fraude et au moyen d’une déclaration fausse et trompeuse selon laquelle il vivait en union libre» avec une Australienne. Le permis qu’a reçu M me  Rajan sur la base de sa relation avec son époux a donc lui aussi été obtenu par des moyens frauduleux. La Cour a pris en considération, avant de rejeter la demande, le risque pour l’unité de la famille et la nécessité de protéger les enfants. La Cour d’appel a confirmé cette décision. Le Tribunal chargé d’examiner les mesures d’expulsion a tenu compte de l’affaire Tavita mais a estimé que la nécessité de prendre en considération les intérêts des enfants «ne donne pas aux parents le droit de rester en Nouvelle ‑Zélande simplement parce qu’ils ont des enfants qui sont des citoyens néo ‑zélandais». Ayant examiné l’ensemble des circonstances familiales, le Tribunal n’a trouvé aucun motif qui justifierait une annulation de la révocation des permis de résidence.

4.8 L’État partie affirme que M. et M me  Rajan subissent actuellement les conséquences des actes frauduleux commis par M. Rajan pour obtenir le droit de résider en Nouvelle ‑Zélande. Toutes les mesures prises depuis lors sont conformes à la loi et ont été examinées à plusieurs reprises par des autorités indépendantes et ne peuvent donc être qualifiées d’arbitraires ou d’injustes. Les circonstances familiales et en particulier le bien ‑être des enfants ont été pris en compte à de multiples niveaux au cours de la procédure. L’État partie renvoie également à la jurisprudence internationale à l’appui de la décision du Tribunal chargé d’examiner les mesures d’expulsion selon laquelle la citoyenneté d’un enfant, ne peut, à elle seule, donner aux parents le droit de résider dans un État . Ce qu’il faut, selon l’État partie, c’est trouver un équilibre entre les droits incontestés des enfants et de la famille prise globalement et toutes les autres considérations.

4.9 L’État partie réaffirme qu’aucun élément de preuve n’a été fourni à l’appui de l’allégation de discrimination raciale. Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle les auteurs ont subi un traitement inégal dès lors que d’autres personnes se trouvant dans des situations similaires, en particulier la sœur et le frère de M. Rajan, semblent avoir été traitées différemment, l’État partie déclare que de telles décisions sont prises en fonction des circonstances de l’espèce et du temps et des moyens disponibles. Une différenciation sur cette base est raisonnable et objective. Il fait observer que les conditions dans lesquelles les pouvoirs publics prennent leurs décisions font que les délinquants ne sont pas tous poursuivis sur ‑le ‑champ car les moyens dont disposent les services judiciaires sont toujours inférieurs aux besoins. Recourant à une analogie, il fait valoir que le fait qu’une personne ayant commis un excès de vitesse soit poursuivie alors que d’autres dans la même situation ne le sont pas ne signifie pas que cette personne a été victime d’une discrimination ou qu’elle n’a pas bénéficié de l’égale protection de la loi.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1 Dans une lettre datée du 30 juin 1999, les auteurs contestent l’affirmation selon laquelle la communication est irrecevable et font valoir que les recours mentionnés par l’État partie sont désignés en des termes généraux. Ils affirment qu’une demande de contrôle juridictionnel et/ou un appel devant la Haute Cour n’auraient aucune chance d’aboutir; ils ajoutent qu’ayant été déboutés lors de leurs précédents appels, il est peu probable que de nouvelles demandes de révision soient couronnées de succès. Ils font observer qu’une demande de contrôle juridictionnel ne peut être présentée que pour contester «un point de fait ou de droit» et qu’autrement il n’y a aucune chance que leur affaire soit examinée sur le fond. À cet égard, ils déclarent qu’ils n’ont aucune base pour réclamer efficacement un contrôle juridictionnel et que par conséquent une telle requête serait vaine.

5.2 Les auteurs notent qu’il ne leur est pas possible de se prévaloir des recours mentionnés par l’État partie parce qu’ils n’ont pas droit à l’aide judiciaire et qu’ils n’ont pas à présent le droit de travailler en Nouvelle ‑Zélande. En outre, ils affirment que toute requête adressée à l’autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion «fait … plutôt partie des recours extraordinaires. Ces recours rendent possible une décision discrétionnaire mais ne permettent pas de faire triompher un droit et ne constituent donc pas des recours utiles». Selon les auteurs, de tels recours s’apparentent au droit d’adresser une plainte à un organe consultatif contre un arrêté d’expulsion, procédure que le Comité a, selon eux, considérée par le passé comme ne constituant pas un recours utile.

5.3 Les auteurs notent, en ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle aucun commencement de preuve n’a été présenté par les auteurs quant aux violations présumées des articles 9 et 13, qu’il n’a pas été expliqué comment pouvait être intentée une action en violation de la loi de 1990 sur la déclaration des droits. Pour ce qui est de l’allégation de discrimination raciale, les auteurs réaffirment qu’ils font l’objet d’une discrimination parce qu’ils sont d’ascendance indo ‑fidjienne et «ne bénéficient pas de la préférence anglo ‑saxonne». S’agissant de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la déchéance de citoyenneté de M me  Rajan, mesure qui a fait d’elle une apatride, ne renvoie à aucun droit protégé par le Pacte, les auteurs déclarent que même si le droit en cause n’est pas expressément protégé par le Pacte, «il l’est au titre des droits primordiaux protégés par cet instrument».

5.4 Sur le fond, les auteurs affirment que leurs déclarations relatives aux effets préjudiciables de leur renvoi à Fidji ont été suffisamment étayées et se réfèrent aux procédures internes au cours desquelles ces questions ont été soulevées. Ils fournissent des informations et une comparaison avec le traitement d’une autre famille fidjienne, dont les membres ont obtenu la nationalité néo ‑zélandaise dans le cadre des mêmes procédures, à l’appui de leur affirmation selon laquelle ils n’ont pas fait l’objet d’un traitement raisonnable et objectif. Ils réaffirment qu’une telle différence de traitement, dans des circonstances similaires, est discriminatoire.

Observations complémentaires des parties

6.1 Le 15 février 2001, les auteurs ont demandé au Comité de suspendre l’examen de leur communication en attendant que soit examinée la requête qu’ils avaient présentée au titre de la «Politique transitoire». Dans des lettres datées respectivement du 22 octobre 2001, du 14 mars 2002 et du 23 décembre 2002, les auteurs ont exposé la suite des événements et fait valoir, en ce qui concerne le rejet de la demande de dérogation au critère de moralité, qu’il était injuste de se fonder sur la fraude présumée commise par M. Rajan pour lui refuser une telle dérogation, dès lors qu’il n’a été ni inculpé ni reconnu coupable d’un tel acte, et que le fait d’impliquer sa femme dans l’acte présumé retenu contre lui était également injuste. Ils ont ajouté que, leurs enfants étant à présent âgés de 6 et 11 ans, il ne saurait être suggéré qu’ils peuvent rester en Nouvelle ‑Zélande sans leurs parents. En outre, les auteurs ont affirmé qu’ayant récemment déposé des recours (qui ont été rejetés) auprès de l’Autorité chargée de l’examen des mesures d’expulsion et ayant également présenté une requête au titre de la «Politique transitoire», ils avaient épuisé tous les recours internes.

6.2 Dans des observations complémentaires datées du 14 mai 2003, l’État partie note que les auteurs ont indiqué leur intention de contester devant la Cour d’appel la décision de la Haute Cour en date du 2 mai 2003. Les points litigieux sont examinés par les tribunaux depuis 10 ans et continueront apparemment de l’être. Aussi, pour que l’affaire soit définitivement réglée, l’État partie renonce ‑t ‑il expressément à contester en l’espèce la recevabilité de la communication pour non ‑épuisement des recours internes. Il fait observer que la longueur de la procédure − plus de 10 ans − est due essentiellement aux recours répétés formés sans succès par M. et M me  Rajan. Comme l’a noté la Haute Cour, leur affaire a été examinée sous tous les angles. Sur le fond, l’État partie indique que la «Politique transitoire» est une approche bienveillante à l’égard des familles qui séjournent dans le pays sans autorisation et de leurs enfants. Le fait que les Rajan n’aient pas pu en bénéficier s’explique par leur comportement abusif passé. L’État partie souligne que ce comportement n’a pas consisté uniquement à séjourner dans le pays sans autorisation mais aussi à agir de façon à tromper les fonctionnaires de l’immigration néo ‑zélandais et australiens.

6.3 Dans une lettre datée du 5 juin 2003, les auteurs ont informé le Comité que l’audience de la Cour d’appel avait été fixée au 23 juin 2003. L’État partie avait, selon eux, indiqué qu’il procéderait à l’expulsion de M. et M me  Rajan en cas de décision défavorable de la Cour, bien que M. Rajan n’eût toujours pas été localisé. Étant donné l’imminence de l’examen de l’affaire par le Comité à sa soixante ‑dix ‑huitième session, de juillet ‑août 2003, les auteurs ont demandé que le Comité, agissant en application de l’article 86 de son règlement intérieur, prie l’État partie de ne pas les expulser avant que le Comité se soit prononcé.

6.4 Le 23 juin 2003, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l’État partie, conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, de n’expulser aucune des victimes alléguées de son territoire tant qu’il serait saisi de l’affaire.

Délibérations du Comité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, selon l’article 87 de son règlement intérieur, décider si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie a expressément renoncé à contester la recevabilité de la communication à ce titre (voir par. 6.2 ci ‑dessus) .

7.3 Pour ce qui est de la plainte des auteurs selon laquelle le renvoi de M. et M me  Rajan constituerait une violation de leurs droits, au regard du paragraphe 1 de l’article 23, et du droit de leurs enfants à la protection prévue par le paragraphe 1 de l’article 24, le Comité note que, en dehors de l’affirmation selon laquelle, en raison de leur jeune âge, les enfants devraient aussi quitter la Nouvelle ‑Zélande si leurs parents étaient expulsés, les auteurs n’ont pas suffisamment expliqué en quoi leurs droits en la matière seraient violés. Il ressort clairement des décisions des autorités du pays que la protection de la famille, et plus particulièrement la protection des enfants, ont été prises en compte à chaque stade de la procédure, y compris par la Haute Cour, la Cour d’appel, le Tribunal chargé d’examiner les mesures d’expulsion et plus récemment par le Ministre, lorsque la requête des auteurs au titre de la «Politique transitoire» a été examinée. Le Comité fait observer que très tôt, et plusieurs années avant la naissance d’Ashnita, les autorités de l’État partie avaient fait diligence pour expulser les auteurs une fois leurs agissements frauduleux découverts et que les auteurs ont passé ensuite l’essentiel de leur séjour en Nouvelle ‑Zélande à exercer les recours disponibles ou à se cacher. En outre, le fait que l’État partie ait agi avec une diligence raisonnable pour faire appliquer ses lois sur l’immigration à l’encontre de comportements délictueux enlève de sa force à tout argument selon lequel M me  Rajan, si l’on admet qu’elle n’a pas été impliquée dans les agissements frauduleux de M. Rajan, pourrait avoir été titulaire d’un intérêt distinct, fondé sur la confiance née du passage du temps. En conséquence, le Comité estime que les auteurs n’ont pas produit d’éléments établissant qu’eux ou leurs enfants sont victimes de violations de l’article 17, du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Leurs allégations ne sont donc pas étayées et ne sont pas recevables au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4 Le Comité note que les auteurs affirment être victimes, ainsi que leurs enfants, de discrimination raciale parce qu’ils ne sont pas Anglo ‑Saxons et avoir subi un traitement différent et, partant, inégal par rapport à d’autres personnes se trouvant dans des situations similaires, notamment la sœur et le frère de M. Rajan. Le Comité rappelle que l’égale jouissance des droits et des libertés n’exige pas un traitement identique en toutes circonstances et que des différences de traitement ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont fondées sur des critères objectifs et raisonnables. Il observe que les tribunaux nationaux ne peuvent examiner les affaires dont ils sont saisis que sur la base des faits présentés et que ces faits diffèrent d’un cas à l’autre. Les auteurs n’ont pas présenté au Comité ou aux tribunaux locaux les faits des affaires auxquelles ils comparent la leur; en conséquence, le Comité considère que les arguments avancés par les auteurs ne permettent pas d’étayer, aux fins de la recevabilité, leur allégation selon laquelle ils seraient victimes d’une discrimination ou d’un traitement inégal. Le Comité estime donc que cette allégation n’est pas recevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5 Le Comité note l’affirmation selon laquelle Vicky Rajan deviendrait apatride du fait de la révocation de sa citoyenneté néo ‑zélandaise, ce qui constituerait une violation du paragraphe 3 de l’article 24 du Pacte. Il ressort cependant des pièces dont est saisi le Comité que Vicky Rajan garde sa nationalité australienne et par conséquent, aucune question ne peut être soulevée au titre du paragraphe 3 de l’article 24 du Pacte. L’allégation formulée à cet égard dans la communication est donc irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif. Compte tenu du fait que les autorités fidjiennes ont confirmé que le passeport fidjien de M me  Rajan demeure valide et qu’elle conserve sa nationalité fidjienne, la même conclusion s’applique à toute allégation relative à la révocation de la nationalité néo ‑zélandaise de M me  Rajan.

7.6 En ce qui concerne les violations alléguées des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 et de l’article 13, le Comité considère que ces allégations n’ont pas été étayées par les auteurs aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide que:

a) La communication est irrecevable au titre des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b) La présente décision sera communiquée aux auteurs et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

E. Communication n o  837/1998, Kolanowski c. Pologne *

(Décision adoptée le 6 août 2003, soixante-dix-huitième session)

Présentée par :

Janusz Kolanowski

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Pologne

Date de la communication :

22 novembre 1996 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 6 août 2003

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est Janusz Kolanowski, de nationalité polonaise, né le 13 juillet 1949. Il affirme être victime d’une violation par la Pologne des articles 14 (par. 1) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur est entré dans la police polonaise (anciennement milice civique) en 1973. Il est sorti en 1975 de l’École des sous ‑officiers de police de Pila. Il a obtenu un doctorat de culture physique en 1991.

2.2 Le 7 janvier 1991, l’auteur a demandé au commandant en chef de la police de le promouvoir au grade d’officier. Sa demande a été rejetée le 22 février 1991 au motif qu’il n’avait pas reçu la formation nécessaire pour prétendre à cette promotion. L’auteur a formé un recours contre cette décision devant le Ministre de l’intérieur, arguant qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 50 de la loi sur la police, il n’avait besoin que d’une formation à l’encadrement et n’était pas tenu d’avoir suivi la formation d’officier réservée aux policiers titulaires d’un diplôme de l’enseignement secondaire.

2.3 Le 24 avril 1991, l’auteur a eu une conversation avec le Sous ‑Secrétaire d’État à l’intérieur à propos de sa promotion. Dans un mémorandum rendant compte de cette conversation, le Sous ‑Secrétaire d’État s’est déclaré favorable à la nomination de l’auteur au grade d’aspirant, rang intermédiaire entre celui de sous ‑officier et celui d’officier. Mais cette approbation a été infirmée par le commandant en chef de la police le 20 août 1991 au motif que la nomination de l’auteur au «grade d’aspirant» par une procédure exceptionnelle ne se justifiait pas.

2.4 Par une lettre datée du 26 août 1991, adressée au commandant général de la police de Varsovie, l’auteur a interjeté appel du rejet de cette nomination. Le 28 août 1991, il a adressé une plainte similaire au Sous ‑Secrétaire d’État à l’intérieur. Dans sa réponse datée du 16 septembre 1991, le commandant général de la police a de nouveau fait savoir à l’auteur qu’il ne possédait pas la formation d’officier requise. Le 29 juin 1994, le Ministre de l’intérieur a refusé d’engager une procédure concernant le rejet de la nomination de l’auteur au grade d’aspirant, ce rejet n’étant pas considéré comme une décision administrative au sens de l’article 104 du Code de procédure administrative.

2.5 Le 25 août 1994, le Ministère de l’intérieur rejetait une autre requête de l’auteur, datée du 19 juillet 1994, demandant à être nommé au grade d’aspirant. Après avoir vainement formé opposition contre cette décision auprès du Ministère de l’intérieur, l’auteur a porté plainte devant la Haute Cour administrative de Varsovie, le 6 décembre 1994, attaquant l’impossibilité de faire examiner par une instance judiciaire une décision administrative prise relativement à sa nomination. Le 27 janvier 1995, la Cour l’a débouté de sa plainte, estimant que le refus de promouvoir l’auteur ne constituait pas une décision administrative.

2.6 Par une lettre du 1 er  mars 1995 adressée à la Haute Cour administrative, l’auteur s’est plaint de ce que la Cour n’avait pas motivé sa décision de rejeter sa plainte ni indiqué les dispositions juridiques sur lesquelles elle s’appuyait pour ce faire. Cette requête a été rejetée par la Cour le 14 mars 1995. Ultérieurement, l’auteur a adressé une lettre au Ministre de la justice dans laquelle il accusait les juges qui avaient statué sur sa plainte d’avoir commis un «déni de justice». Le 30 mars 1995, le Président de la Haute Cour administrative, à qui cette lettre avait été transmise par le Ministère de la justice, a informé l’auteur que, s’il n’était aucunement fondé à former un recours en révision, un recours extraordinaire contre la décision prise par la Cour le 27 janvier 1995 lui était ouvert.

2.7 Le 11 juillet 1995, l’auteur a demandé au Médiateur polonais de former un recours extraordinaire devant la Cour suprême, lui demandant de casser la décision de la Haute Cour administrative. Par une lettre datée du 28 août 1995, le Bureau du Médiateur a informé l’auteur que sa compétence pour former un recours extraordinaire se limitait aux violations présumées de droits des citoyens, et qu’elle revêtait un caractère subsidiaire en ceci qu’il fallait au préalable qu’une demande de former recours ait été déposée sans succès auprès d’un organe ayant compétence primaire pour former un recours extraordinaire devant la Cour suprême. La demande de l’auteur ne répondant pas à ces prescriptions, le Médiateur l’a rejetée.

2.8 L’auteur a alors demandé au Médiateur de transmettre sa demande au Ministre de la justice. Le 13 novembre 1995, en l’absence de réponse du Médiateur, il a adressé au Ministre de la justice copie de la demande tendant à former un recours extraordinaire devant la Cour suprême. Dans le même temps, il réclamait un retour au statu quo ante , faisant valoir que l’expiration du délai de six mois dans lequel il pouvait faire appel de la décision prise par la Cour le 27 janvier 1995 n’était due à aucun manquement de son fait. Le 20 février 1996, le Ministère de la justice a rejeté sa demande tendant à former un recours extraordinaire, aux motifs que le délai de six mois était déjà expiré à la date de la présentation de la demande (le 16 novembre 1995) et que le Ministre n’avait aucune raison d’agir, l’affaire ne soulevant aucune question touchant les intérêts de la République de Pologne.

2.9 Le 4 mars 1996, l’auteur a prié le Médiateur de réexaminer sa demande de former un recours extraordinaire devant la Cour suprême, arguant du fait que le retard mis à traiter sa première demande du 11 juillet 1995 était la cause de l’expiration du délai de six mois. Dans des lettres ultérieures, il a de nouveau exprimé des doutes sur la légalité de l’examen de sa plainte par la Haute Cour administrative. Dans sa réponse, datée du 2 septembre 1996, le Médiateur a rejeté la demande de l’auteur et l’a mis en garde contre le fait que les accusations qu’il proférait contre les juges de la Haute Cour administrative pouvaient être interprétées comme constitutives d’une infraction pénale.

2.10 Dans des procédures parallèles, l’auteur avait été mis à pied en 1992, puis réintégré dans la police à la suite d’une décision de la Haute Cour administrative du 18 août 1993 dans laquelle celle-ci déclarait la révocation nulle et non avenue. En 1995, l’auteur a été mis à pied une deuxième fois. Par une décision datée du 8 mai 1996, la Haute Cour administrative a confirmé cette dernière révocation, apparemment parce que l’auteur avait manqué à la discipline. Une procédure de recours contre cette décision était encore en instance à la date de présentation de la communication.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme être victime de violations des articles 14 (par. 1) et 26 du Pacte du fait qu’on lui a refusé l’accès aux tribunaux, le refus de le promouvoir au grade d’aspirant n’étant pas considéré comme une décision administrative et n’étant donc pas susceptible d’être examiné par la Haute Cour administrative.

3.2 Il affirme que la plainte qu’il a déposée des chefs du rejet de sa promotion et du refus de rendre un jugement sur une décision administrative doit amener la justice à décider de contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, puisque le paragraphe 1 de l’article 14 doit être interprété au sens large à cet égard. Il affirme en outre que la partialité dont ont fait preuve les juges de la Haute Cour administrative et le fait qu’il ait été privé de la possibilité de former un recours extraordinaire devant la Cour suprême, que ce soit par l’intermédiaire du Ministère de la justice ou par le truchement du Médiateur – le Bureau du Médiateur n’ayant pas traité sa demande dans les délais prescrits –, constituent d’autres violations du paragraphe 1 de l’article 14.

3.3 L’auteur prétend que des décisions administratives sont nécessaires dans d’autres situations analogues, par exemple dans les cas de dégradation ou rétrogradation de militaires de carrière, ou encore de remise d’un diplôme universitaire par le conseil d’une université. Les militaires et les étudiants pouvant faire appel de telles décisions devant les tribunaux, il considère que le fait qu’une telle voie de recours ne lui soit pas ouverte constitue une violation de l’article 26.

3.4 L’auteur déclare qu’il a épuisé les recours internes et que la même affaire n’a pas été soumise pour examen à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Par une note verbale datée du 22 juin 1999, l’État partie a présenté ses observations sur la communication, la contestant aussi bien sur le plan de la recevabilité que sur le fond. S’il ne conteste pas que les recours internes ont été épuisés, il considère que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione temporis dans la mesure où elle a trait à des faits qui ont eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie le 7 février 1992.

4.2 En outre, l’État partie considère que la plainte de l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte est irrecevable faute d’avoir été étayée. En particulier, toute comparaison entre la dégradation ou la rétrogradation d’un militaire de carrière, qui prend la forme d’une décision administrative en vertu du paragraphe 1 de l’ordonnance du Ministre de la défense en date du 27 juillet 1992, et les décisions (internes) prises en vertu des dispositions de la loi sur la police est irrecevable, le champ d’application du paragraphe 1 de l’ordonnance étant strictement limité à des cas exceptionnels. De même, aucun parallèle ne peut être fait avec la remise d’un diplôme universitaire par décision administrative, question qui n’a rien à voir avec le refus de nommer quelqu’un au grade d’officier.

4.3 L’État partie estime que l’adoption de décisions administratives est subordonnée à l’existence de dispositions législatives faisant obligation à l’organe administratif intéressé de prendre la décision en cause. Ainsi par exemple, l’examen par un tribunal d’une décision administrative est expressément prévu dans le cas de l’établissement, de la modification ou de la cessation de relations de travail au sein du Bureau de la protection de l’État . Cette règle ne s’applique cependant qu’aux nominations et non pas au refus de nommer des fonctionnaires du Bureau à un grade supérieur. Dans un arrêt historique daté du 7 janvier 1992, la Cour constitutionnelle a estimé que les dispositions de la loi du 12 octobre 1990 sur les gardes frontière, supprimant le droit à un jugement dans les affaires touchant les conditions d’emploi des gardes frontière, étaient incompatibles avec les articles 14 et 26 du Pacte. L’État partie affirme que cette décision est sans rapport avec le cas de l’auteur, puisque les dispositions contestées de la loi sur les gardes frontière concernaient des relations de service relevant d’une compétence externe, assujetties à une législation spéciale prévoyant l’adoption d’une décision administrative.

4.4 En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie soutient que tout ordre juridique national fait une distinction entre les actes qui demeurent de la compétence interne des organes administratifs et ceux qui sortent de cette compétence. Le refus de promouvoir l’auteur au grade d’«aspirant» revêt un caractère purement administratif et interne, tenant à sa subordination à ses supérieurs. En tant qu’acte interne, la décision d’accorder ou non une promotion ne peut faire l’objet d’un recours devant les tribunaux, mais seulement devant les organes supérieurs dont relève l’organe qui prend la décision.

4.5 L’État partie souligne que le paragraphe 1 de l’article 14 garantit le droit de chacun à un jugement équitable par un tribunal qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Étant donné que cette disposition a trait essentiellement à la détermination des droits et obligations civils , la présente affaire sort du champ d’application du paragraphe 1 de l’article 14 puisqu’elle est d’ordre purement administratif. En outre, l’État partie affirme que la plainte de l’auteur pour refus de promotion à un grade supérieur n’a aucun rapport avec le fait de trancher des contestations sur un droit , les policiers ou autres agents des services en tenue n’ayant aucun droit à une telle promotion.

Commentaires de l’auteur

5.1 Par une lettre datée du 15 novembre 1999, l’auteur a répondu aux affirmations de l’État partie. Il déclare que les faits pertinents ont eu lieu après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de la Pologne le 7 février 1992, sans étayer cette affirmation.

5.2 L’auteur soutient que le refus de le promouvoir au grade d’aspirant constituait une décision administrative, citant plusieurs dispositions de droit administratif qu’il considère pertinentes. Il affirme qu’il n’existe en droit polonais aucune disposition donnant aux organes de l’État le pouvoir de prendre des décisions internes. Se référant au paragraphe 2 de l’article 14 de la loi sur la police, l’auteur affirme que du fait qu’il était subordonné au Ministre de l’intérieur, le commandant en chef de la police était tenu de se conformer à l’«ordre» donné par le Sous ‑Secrétaire d’État à l’intérieur de le nommer à un grade supérieur. Le refus de le nommer à ce grade était également illégal quant au fond, puisque l’auteur remplissait toutes les conditions légales à cet effet.

5.3 Concernant l’argument de l’État partie selon lequel sa plainte au titre de l’article 26 n’a pas été étayée, l’auteur fait valoir que même si l’on admet que les dispositions spéciales concernant la dégradation et la rétrogradation des militaires de carrière ou la remise de diplômes universitaires, lesquelles sont effectuées par décision administrative, ne sont pas applicables dans son cas, les textes législatifs interdisant aux policiers de faire appel devant un tribunal des décisions de les promouvoir ou non à un grade supérieur sont en soi discriminatoires.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, aux fins du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et que l’auteur a épuisé les recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.3 Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable dans la mesure où elle a trait à des faits antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de la Pologne, le 7 février 1992. Selon sa jurisprudence bien établie, le Comité ne peut examiner les violations présumées du Pacte qui se sont produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie, sauf si les violations dont il est fait état se poursuivent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Le Comité note que l’auteur a fait sa première demande de promotion en 1991, c’est ‑à ‑dire avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie. Bien que l’auteur ait poursuivi après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif des démarches visant à contester le rejet de sa demande, le Comité estime que ces procédures ne constituent pas en elles ‑mêmes une violation potentielle du Pacte. Il note cependant qu’après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie, l’auteur a engagé une deuxième série de procédures pour obtenir sa promotion (voir par. 2.5) et que toutes plaintes relatives à ces procédures ne sont pas irrecevables ratione temporis .

6.4 S’agissant des plaintes de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité note qu’elles ont trait aux efforts déployés par celui ‑ci pour contester une décision de rejet de sa demande de promotion à un grade supérieur. L’auteur n’a pas été démis de ses fonctions et il n’a pas non plus postulé à un poste vacant déterminé, d’un grade supérieur. Dans ces circonstances, le Comité estime que le cas de l’auteur doit être distingué de l’affaire Casanovas c.  France (communication n o  441/1990). Réaffirmant son opinion selon laquelle la notion de «droits de caractère civil» visée au paragraphe 1 de l’article 14 se fonde sur la nature du droit en cause et non sur la qualité de l’une des parties, le Comité estime que les procédures engagées par l’auteur pour contester la décision de rejet de sa propre demande de promotion au sein de la police polonaise ne constituaient pas des contestations sur des droits et obligations de caractère civil au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication est incompatible avec la disposition susmentionnée et est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5 S’agissant des violations présumées de l’article 26, le Comité estime que l’auteur n’a étayé, aux fins de la recevabilité, aucune de ses allégations faisant état d’une violation éventuelle de l’article 26. Cette partie de la communication est donc irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

F. Communication n o 872/1999, Kurowski c. Pologne * (Décision adoptée le 18 mars 2003,  soixante-dix-septième session)

Présentée par : Eugeniusz Kurowski (représenté par un conseil, M. Adam Wiklik)

Au nom de : L’auteur

État partie : Pologne

Date de la communication : 30 septembre 1996 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 mars 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1 Communication présentée par M. Eugeniusz Kurowski, polonais, né en 1949. Il se déclare victime de violations par la Pologne de l’article 14, paragraphe 1 et de l’article 25 c), combiné avec le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

1.2 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur pour la Pologne le 18 juin 1977, et le Protocole facultatif le 7 février 1992.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur a occupé de décembre 1976 à 1989 un poste dans les forces de l’ordre en Pologne (milice nationale). En 1989, il a été nommé chef adjoint de la sécurité du Bureau régional de l’intérieur dans la ville d’Andrychow. Le 31 juillet, il a été révoqué en application de la loi sur le Bureau de protection de l’État du 6 avril 1990, laquelle avait dissout la police secrète en la transformant en un nouveau département.

2.2 Par décret n o  69 du 21 mai 1990, le Conseil des Ministres avait prévu des procédures et des critères de qualification pour la réintégration des officiers démis de leurs fonctions au sein du nouveau département. Une telle réintégration ne pouvait avoir lieu qu’après l’avis positif d’une commission régionale de qualification ou sur recours devant la Commission centrale de qualification à Varsovie. Le 22 juillet 1990, la Commission de qualification de Bielsko-Biala a déclaré que l’auteur ne répondait pas aux exigences requises pour les officiers ou agents du Ministère de l’intérieur. La Commission centrale de qualification a confirmé cet avis le 5 septembre 1990, à la suite du recours introduit par l’auteur le 28 juillet 1990.

2.3 Le 25 avril 1995, l’auteur a demandé au Ministre de l’intérieur d’annuler les décisions des Commissions de qualification et de le réintégrer au sein de la police. Le 29 mai 1995, le Ministre lui a répondu qu’il n’était pas compétent pour modifier les décisions des Commissions de qualification ou procéder à un recrutement sans l’obtention d’un avis positif des commissions. Le 1 er février 1996, le Ministre a confirmé ses propos. L’auteur a interjeté appel auprès de la Cour administrative centrale, mais cette dernière l’a débouté, estimant qu’elle n’était pas compétente pour statuer sur les décisions des commissions de qualification.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur se déclare victime d’une violation par l’État partie de l’article 25 c) du Pacte, du fait que le Ministère de l’intérieur l’a révoqué de la police en raison de son appartenance au Parti polonais des travailleurs unis et de ses opinions politiques de gauche. En outre, le Ministère de l’intérieur l’a injustement classé comme fonctionnaire du service de sécurité, alors que, lorsqu’il a été admis dans la police, il était agent de police et il a porté l’uniforme tout au long de son service. L’auteur considère que cette violation doit être examinée conjointement avec une violation de l’article 2, paragraphe 1 du Pacte.

3.2 L’auteur se déclare également victime de violation par l’État partie de son droit d’accès à un tribunal, étant donné que ni la question de sa révocation, ni son reclassement rétroactif d’agent du service de sécurité, n’ont pu être examinés par un tribunal.

3.3 Il estime que les décisions des commissions de qualification ont été rendues par des membres hostiles à la gauche, qui écartaient tout candidat ayant des opinions politiques différentes des leurs. Étant donné que les décisions ainsi rendues n’étaient pas susceptibles de recours devant un tribunal ou un autre organe indépendants du Ministère de l’intérieur, l’auteur s’estime victime de violation par l’État partie de son droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 L’État partie a envoyé ses observations le 31 mai 2000. Après un bref résumé des faits de la cause, il fait état de la législation nationale pertinente. Il déclare qu’à la suite du changement politique en 1989, il a été nécessaire d’adopter des dispositions entièrement nouvelles concernant la sécurité et l’ordre public. Le Parlement a pris la décision de réorganiser les unités subordonnées au Ministère de l’intérieur et en particulier son service politique. Il en est résulté la dissolution de la police secrète, le licenciement des officiers et l’établissement du Bureau de protection de l’État. L’État partie estime ces changements indispensables, vu le rôle auparavant exercé par la police secrète . Le caractère idéologique de la police secrète était également à l’origine de la décision de la dissoudre . Toutefois, le remplacement de la police de sécurité par le Bureau de protection de l’État visait principalement à renforcer les garanties de l’État de droit et le respect des droits de l’homme. À cet effet, des critères ont été adoptés. La conformité à ces critères donnait le droit à d’anciens officiers de la police de sécurité d’être réadmis au sein du service public. La base légale de la réorganisation du Ministère de l’intérieur citée reposait sur deux lois, adoptées le 6 avril 1990 (sur la police et sur le Bureau de protection de l’État), ainsi que sur l’ordonnance n o  69 du Conseil des Ministres du 21 mai 1990. L’article 129 de la loi sur le Bureau de protection de l’État prévoit que la police de sécurité est dissoute à compter du jour de l’établissement du Bureau de protection de l’État. En vertu de l’article 131, paragraphe 1 de ladite loi, les agents de la police de sécurité étaient licenciés ex lege . Cette disposition s’appliquait également aux officiers de la milice, qui étaient des officiers de la police de sécurité jusqu’au 31 juillet 1989, selon le paragraphe 2 de l’article cité.

4.2 L’article 132, paragraphe 2 de la loi sur le Bureau de protection de l’État précise que le Conseil des Ministres est autorisé à fixer les modalités procédurales et les critères de réadmission des agents de la police de sécurité au sein des nouveaux départements. Le 21 mai 1990, le Conseil des Ministres avait adopté l’ordonnance n o  69, prévoyant la possibilité de réadmission uniquement pour des agents de la police de sécurité ayant obtenu une note positive de la part d’une commission de qualification dans le cadre d’une procédure de vérification spéciale. Les procédures de vérification étaient engagées à l’initiative de la personne concernée. Des commissions de qualification régionales étaient compétentes pour donner un avis en première instance. Par la suite, dans un délai de sept jours, l’intéressé pouvait interjeter appel d’une note négative auprès de la Commission centrale de qualification. La décision de cette dernière était définitive. L’État partie soutient que les Commissions avaient l’obligation d’examiner si les candidats remplissaient les critères établis pour les officiers d’un service donné du Ministère de l’intérieur et s’ils répondaient aux qualifications morales prévues.

4.3 L’État partie poursuit, en indiquant que le nouveau Bureau de protection de l’État avait été créé dans le contexte d’une société démocratique, ce qui expliquait la réduction substantielle du nombre de postes. La loi n’obligeait pas le nouvel organe à recruter tout candidat ayant obtenu une note positive au cours des procédures de qualification; d’ailleurs comme cela est précisé au paragraphe 10 de l’ordonnance nº 69, l’avis positif était simplement une condition pour pouvoir se porter candidat à des postes au Ministère de l’intérieur et non pas y être admis.

4.4 Le 22 janvier 1990, le Ministre de l’intérieur a promulgué l’ordonnance n o  8/90 , comportant une liste des postes appartenant à la police de sécurité et indiquant, entre autres, les postes alloués à la Section de recherche et d’analyse de l’Office régional des affaires internes. Aux fins de qualification, le Ministre a promulgué l’ordonnance n o  53/90 le 3 juillet 1990, pour confirmer et réitérer les catégories de postes reconnus comme ayant fait partie de la police de sécurité. D’après cette ordonnance, les officiers employés jusqu’au 10 mai 1990 sur des postes alloués, entre autres, à la section de recherche et d’analyse du Bureau régional de l’intérieur, avaient été classés officiers de la police de sécurité.

4.5 En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie rappelle que le Pacte est entré en vigueur pour la Pologne le 18 juin 1977 et le Protocole facultatif le 7 février 1992, et estime que le Comité ne peut recevoir des communications individuelles que concernant des allégations de violation des droits de l’homme qui ont eu lieu après l’entrée en vigueur du Protocole, c’est ‑à ‑dire après le 7 février 1992. Or, les procédures de vérification à l’égard de l’auteur ont pris fin le 5 septembre 1990 . Toutes les lettres ultérieures du requérant adressées à différentes institutions concernant sa réadmission à la police, constituaient plutôt une correspondance ordinaire et non des décisions administratives ou des actes de l’administration publique. Ainsi, comme il a été confirmé, entre autres, dans la décision de la Cour administrative suprême le 7 mai 1996, en rejetant sa plainte relative à la lettre de refus de l’admettre au sein des forces de police, une telle correspondance ne doit pas être considérée comme faisant partie intégrante des procédures relatives au cas de l’auteur. Selon l’État partie, cette correspondance ne représentait pas non plus un recours légal effectif.

4.6 L’État partie estime également qu’il n’y a pas de raison d’invoquer en l’espèce le principe d’application rétroactive du Protocole facultatif, tel qu’élaboré par le Comité, dans des circonstances exceptionnelles. Selon l’État partie, les violations alléguées n’ont pas un caractère continu et leurs effets ne sont pas constants. Il fait état de la jurisprudence du Comité (communications 520/1992 et 568/1993), selon laquelle une violation persistante s’entend de la prolongation, par des actes ou de manière implicite, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises antérieurement par l’État partie. Les procédures relatives au cas de l’auteur, selon l’État partie, se sont terminées le 5 septembre 1990, c’est ‑à ‑dire avant le 7 février 1992. Pour ces raisons, indique l’État partie, la communication doit être déclarée irrecevable ratione temporis au regard du Protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.7 En ce qui concerne l’épuisement des voies de recours internes, l’État partie déclare que l’auteur a épuisé tous les recours disponibles prévus par la loi polonaise, en engageant un recours devant la Commission centrale de qualification à Varsovie contre la décision de la Commission régionale de qualification de Bielsko-Biala.

4.8 Sur le fond de l’affaire, l’État partie estime que le fait que l’auteur ait servi au sein de la police secrète ne faisait pas de doute; il avait également été membre du Parti uni des travailleurs polonais. L’ordonnance n o  8/90 avait été promulguée le 22 janvier 1990 en tant que législation spéciale par rapport à la loi sur la police de sécurité et la milice civique de 1985, qui était en vigueur avant l’adoption des nouvelles lois le 6 avril 1990. L’État partie est convaincu que la présente affaire n’a pas trait à la classification rétroactive, contrairement à ce que l’auteur soutenait. L’auteur lui-même ne met pas en cause le fait qu’il ait servi dans la police de sécurité, comme il ressort de sa lettre au Ministre de l’intérieur du 5 avril 1995. Le fait d’avoir révoqué l’auteur en tant qu’officier de la police de sécurité, en application de l’article 131 de la loi de protection de l’État, ne constituait pas une sanction à son encontre. La décision du Parlement, légale et légitime, visait à dissoudre la police de sécurité, de sinistre mémoire, et à révoquer tous ses officiers ex lege .

4.9 L’État partie affirme qu’une distinction entre la milice civique et la police de sécurité existait légalement, financièrement et en matière d’organisation aussi bien avant qu’après 1990. Les deux unités faisaient partie du Ministère de l’intérieur. Au niveau régional et de district, celui ‑ci disposait de sections spéciales de la police de sécurité à la tête desquelles un officier occupait le poste de chef adjoint du bureau local des affaires intérieures. L’auteur faisait partie de la police de sécurité depuis février 1989.

4.10 L’État partie déclare interpréter l’article 25 c) du Pacte dans l’esprit des travaux préparatoires du Pacte et il est d’avis que les dispositions de cet article visent à empêcher que des groupes privilégiés ne monopolisent l’appareil d’État. En tout état de cause, selon l’État partie, les rédacteurs du Pacte ont été unanimes sur le fait qu’un État partie doit avoir la possibilité d’instaurer certains critères sur l’accès de ses nationaux à la fonction publique. Des critères éthiques entre autres ont été à la base de la dissolution de la police de sécurité et de l’adoption de la loi sur la protection de l’état, avec comme conséquence la décision de révoquer tous les officiers de la sécurité.

4.11 L’État partie cite le commentaire général n o  25, adopté par le Comité des droits de l’homme le 12 juillet 1996, en attirant l’attention sur son paragraphe 23, lequel énonce que pour garantir l’accès à la fonction publique dans des conditions générales d’égalité, les critères et les procédures de nomination, de promotion, de suspension et de révocation doivent être objectifs et raisonnables. L’État partie estime que les critères appliqués au cas présent remplissaient ces conditions. De plus, l’État partie note que dans une affaire similaire le Comité n’a pas constaté de violation de l’article 25 c) du Pacte (communication n o  552/1993, Kall c. Pologne ).

4.12 L’État partie souligne également que les procédures de qualification engagées par l’auteur avaient un caractère volontaire et non obligatoire. L’ordonnance du Comité des Ministres n o  69 du 21 mai 1990 énonçait cela clairement dans son paragraphe 6.1. D’après les statistiques du Ministère de l’intérieur, sur un total de 18 000 officiers révoqués, 14 034 d’entre eux sont passés par les procédures de qualification et 3 595 ont obtenu un avis négatif. Selon l’État partie, cela démontrait clairement que les officiers n’avaient pas tous décidé de recourir à la qualification et, en ce qui concerne ceux qui l’avaient fait, 25 % avaient été notés négativement. Malgré le fait que la quasi ‑totalité des officiers de la police de sécurité faisaient partie des membres du parti communiste, les procédures de qualification n’avaient pas conduit à une «vengeance» pour motifs politiques. Tous les officiers avec des notes négatives attribuées par les commissions de qualification avaient perdu leur crédibilité sociale et ne pouvaient donc plus faire partie des services du Ministère de l’intérieur.

4.13 L’État partie soutient que, dans le cas d’espèce, il n’y a pas de violation de l’article 25 c) du Pacte, et il demande au Comité des droits de l’homme que la communication soit irrecevable ratione temporis . Subsidiairement, la communication devrait être considérée comme manifestement infondée.

Commentaires de l’auteur aux observations de l’État partie

5.1 L’auteur a présenté ses commentaires le 5 octobre 2000. Il déclare qu’il reste sur ses positions antérieures et que contrairement à ce qu’avance l’État partie, l’article 25 c) du Pacte a bien été violé dans son cas. La décision de le révoquer des forces de police avait été dictée par des motivations politiques, sans qu’il y ait eu une autre raison. Dans le cas contraire, explique l’auteur, ces raisons auraient été certainement exposées dans la décision par la Commission de qualification. L’auteur estime qu’il disposait des qualifications, aussi bien professionnelles que morales, pour continuer à travailler dans la police. La preuve était son dossier personnel au Ministère de l’intérieur, ainsi que l’opinion écrite à son sujet par son supérieur (dans le texte son «employeur»).

5.2 Selon l’auteur, sa position exposée au Comité reposait sur des considérations fondées et formelles à la fois, étant donné que l’échec d’un organe administratif étatique à rassembler tous les éléments de preuve constituait une infraction aux dispositions des procédures administratives, en particulier quand une des parties invoque des circonstances particulières. Trancher une affaire administrative en prenant une décision basée sur des faits faussement établis est contraire au principe de la vérité objective, lequel est contraignant en ce qui concerne les dispositions de procédure administrative, et viole entre autres les articles 7, 75, 79 et 81 du Code de procédure administrative . La violation des dispositions de la procédure administrative a eu une influence sur l’établissement des faits dans la présente affaire, et des erreurs, comme dans le cas d’espèce ont conduit à une décision différente de celle qui aurait été prise si les faits avaient été correctement établis. Selon l’auteur, l’établissement de faits, tout comme la violation de dispositions lors de la prise de la décision de révocation de la police auraient dû être sujet à un contrôle juridictionnel, conformément au paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Toutefois, la Cour administrative suprême n’a pas examiné la requête introduite par l’auteur à l’encontre du refus de lui offrir la possibilité de travailler à nouveau dans la police, et ce malgré le fait que dans une décision similaire ayant trait à l’article 14 du Pacte, la Cour constitutionnelle avait statué que «toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial». La position de la Cour administrative suprême est contraire, selon l’auteur, au jugement de la Cour de justice des communautés européennes de Luxembourg . L’auteur demande que ce fait soit pris en compte lors de l’examen de sa communication.

5.3 L’auteur soutient également que contrairement au paragraphe 1 de l’article 10 et au paragraphe 2 de l’article 79 du Code de procédure administrative, il avait été privé de son droit à participer à la procédure administrative, malgré le fait que les dispositions de ce Code garantissaient à chacune des parties le droit de participer à chaque stade de la procédure devant un organe administratif étatique. Il déclare également que l’article 8 du Code de procédure administrative prévoit que les circonstances réelles peuvent être reconnues prouvées si les parties ont eu l’opportunité d’exprimer leur opinion concernant les preuves orales avant qu’une décision soit prise. Les circonstances réelles, établies dans le cadre de la procédure concernant le présent cas, à laquelle M. Kurowski n’a pas pris part et n’a pas pu exprimer son opinion sur les preuves orales devant la Commission de qualification avant d’être révoqué de la police, ne peuvent pas être considérées prouvées à la lumière du droit polonais. Le respect des conditions des articles 79 et 81 du Code de procédure administrative est obligatoire pour les organes étatiques administratifs, sans égard au poids et au contenu des preuves orales . Les arrêtés (instructions) du Ministère de l’intérieur sur la révocation des officiers membres du service de sécurité communiste et de la milice communiste, comme exposé par l’État partie, ne peuvent pas être reconnus, en droit polonais, comme des actes légaux établissant la base légale pour inclure M. Kurowski dans le service de sécurité communiste. En outre, le seul fait d’inclure un policier dans le service de sécurité communiste ne devrait pas entraîner sa révocation de la police, s’il n’a pas été prouvé qu’il avait agi au détriment des citoyens ou de l’État, et s’il disposait de la qualification professionnelle appropriée et remplissait les conditions éthiques et morales.

5.4 L’auteur conteste également les observations de l’État partie sur les objectifs et les tâches du Bureau de protection de l’État, étant donné que, depuis longtemps déjà, cette institution était de plus en plus considérée comme étant politique, comme cela est démontré par ses actions contre le Président de la République, ainsi que par les propos tenus par le Ministre de la protection de l’État à l’adresse de l’opposition et du Président de la République, et par la surveillance de l’opposition. Par conséquent, selon l’auteur, l’objectif visé principalement par le remplacement de la police de sécurité par le Bureau de protection de l’État − «créer des garanties plus effectives pour la règle de droit et le respect des droits de l’homme» − est fort discutable. Ce que le remplacement visait était l’élimination des membres de la police dont les opinions politiques étaient différentes des leurs. Les Commissions régionales et centrales de qualification avaient été constituées d’adversaires de la gauche polonaise, lesquels rendaient des décisions motivées politiquement et lesquels ont révoqué de la police tous ceux qui avaient des opinions politiques différentes des leurs. Les avis rendus, laconiques et non fondés, étaient un exemple de népotisme. Ces avis ne pouvaient pas être vérifiés par un tribunal ou par un autre organe administratif, indépendant du Ministère de l’intérieur. Les avis rendus par ces commissions équivalaient à la révocation de la fonction publique et par conséquent n’avaient rien en commun avec le droit ou l’ordre démocratique, mais, au contraire, étaient l’exemple du style autoritaire dans l’exercice du pouvoir de la part des gouvernants après 1989.

5.5 L’auteur déclare également que l’État partie n’avait pas raison en statuant que sa révocation de la police était due à une réduction des postes du Bureau de la protection de l’État et de la police. En effet, le nombre de policiers avait augmenté, selon l’auteur. En conséquence les explications données par l’État partie à ce sujet ne mériteraient pas d’être considérées.

5.6 Enfin, l’auteur estime que le Comité des droits de l’homme est en position d’examiner sa communication, étant donné que la Pologne avait ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques le 3 mars 1977, d’autant plus si l’on tenait compte du fait que l’auteur avait engagé des actions contre la décision de sa révocation en 1995. Tenant compte de cela, ainsi que du fait que la violation des articles 39 et 40 du Code du travail par le Ministère de l’intérieur – vu que l’auteur avait été révoqué de la police le 31 juillet 1990, malgré le fait qu’il était malade entre février 1990 et le 26 août 1990 à cause d’un accident de travail, et du fait qu’il n’était qu’à un an de la retraite – la communication au Comité des droits de l’homme devrait être considérée fondée.

Délibération du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant de procéder à l’examen d’une communication, le Comité des droits de l’homme doit s’assurer, en vertu de l’article 87 de son règlement intérieur, que la communication est recevable conformément au Protocole facultatif relatif au Pacte.

6.2 Le Comité note que l’affaire n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale et que les recours internes ont été épuisés. Les conditions fixées au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif sont donc remplies.

6.3 Le Comité note que l’État partie affirme que la communication est irrecevable ratione temporis , étant donné que les procédures de qualification pour l’auteur ont pris fin le 5 septembre 1990, c’est ‑à ‑dire avant que le Protocole facultatif n’entre en vigueur pour la Pologne le 7 février 1992. L’auteur s’oppose à cet argument en répondant que l’État était partie au Pacte depuis le mois de juin 1977, que le Protocole facultatif était entré en vigueur en 1992, et qu’il n’avait engagé des actions contre sa révocation qu’à partir de  1995 (après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif).

6.4 Le Comité rappelle que les obligations que l’État partie a souscrites en vertu du Pacte le lient à compter de la date où celui-ci entre en vigueur à son égard. Conformément à sa jurisprudence, le Comité estime qu’il ne peut connaître de violations qui se seraient produites avant que le Protocole facultatif entre en vigueur à l’égard de l’État partie, à moins que lesdites violations ne persistent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Une violation persistante s’entend de la poursuite, par des actes ou de manière implicite, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises antérieurement par l’État partie.

6.5 En l’espèce, l’auteur a été révoqué en 1990, en application de la loi en vigueur, et s’était présenté la même année, sans succès, devant l’une des Commissions régionales de qualification afin de déterminer s’il satisfaisait aux nouveaux critères fixés par la loi en vue d’occuper un poste au sein des organes du Ministère de l’intérieur tels qu’ils ont été restructurés. Le fait qu’il n’a pas eu gain de cause à l’issue des procédures qu’il avait engagées en 1995, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, ne constitue pas en soi une violation potentielle du Pacte. Le Comité ne peut pas conclure à l’existence d’une violation antérieure à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie qui aurait persisté par la suite. Par conséquent, le Comité déclare que la communication est irrecevable ratione temporis , conformément à l’article premier du Protocole facultatif.

7.1 En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte ;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la  communication .

[Adopté en anglais, en français (version originale) et en espagnol. Le texte est traduit aussi en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

G. Communication n o  876/1999, Yama et Khalid c. Slovaquie * (Décision adoptée le 31 octobre 2002, soixante ‑seizième session)

Présentée par : M. L. Yama et M. N. Khalid (représentés par un conseil, M. Bohumir Bláha)

Au nom : Des auteurs

État partie : Slovaquie

Date de la communication : 2 août 1999 (communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2002,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. Les auteurs de la communication sont Latiphy Yama et Neda Khalid, citoyens afghans résidant, au moment de la présentation de la communication, au Centre humanitaire pour les réfugiés en République slovaque. Ils affirment être victimes de violations par la République slovaque des articles 2, 14 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Le 10 mars 1997, Latiphy Yama et Neda Khalid sont arrivés en République slovaque et ont immédiatement présenté une demande d’asile à l’Office des migrations du Ministère de l’intérieur. M. Yama a expliqué dans sa demande qu’il avait fui l’Afghanistan après l’occupation de Kaboul par le groupe rebelle des Talibans, parce qu’il était membre du Parti démocratique populaire afghan qui avait eu des affrontements avec les Talibans, et qu’il craignait de ce fait pour sa vie. M. Khalid a expliqué qu’il avait fui son pays à la suite de l’occupation de Kaboul, parce que son père était général sous le régime de Najibullah et que son frère aîné, qui était officier supérieur, avait été tué dans les rues de Kaboul au cours de l’occupation.

2.2 Les demandes de M. Khalid et de M. Yama ont été rejetées en vertu de décisions de l’Office des migrations; ces décisions ont été reçues le 1 er  décembre 1997 et le 28 novembre 1998, respectivement. Les demandes ont été rejetées parce que l’Office des migrations avait estimé qu’aucun des auteurs ne remplissait les critères fixés à l’article 7 de la loi du Conseil national (n o  283/1995 Coll.) sur les réfugiés, à savoir qu’ils aient des craintes bien fondées de persécution en raison de leur race, de leur nationalité ou de leurs opinions religieuses ou politiques ou de leur appartenance à un groupe social déterminé faisant qu’ils ne pouvaient ou ne voulaient retourner chez eux.

2.3 Les auteurs ont fait appel de ces décisions auprès du Ministère de l’intérieur qui est conseillé par une commission spéciale faisant partie de ses services. Ils étaient tous deux représentés par un conseil. La Commission spéciale du Ministère de l’intérieur fait ses recommandations uniquement sur la base de documents écrits, aucune procédure orale n’étant prévue. Les recours des auteurs ont été rejetés.

2.4 Les auteurs ont ensuite interjeté appel auprès de la Cour suprême au motif que les autorités avaient incorrectement évalué les faits et les éléments de preuve qu’ils avaient soumis. Les auteurs avaient présenté à l’appui de leurs arguments des données matérielles sur la situation qui régnait en Afghanistan. Leurs requêtes ont été examinées sans qu’ils soient entendus et ont été toutes deux rejetées dans une décision en date du 27 octobre 1998.

2.5 Après leur plainte initiale, les auteurs ont informé le Comité que, conformément à une demande du ministère public, la Cour constitutionnelle avait examiné les dispositions du Code civil qui autorisaient la Cour suprême à examiner les recours contre les décisions des organes administratifs sans entendre la victime présumée. Dans une décision datée du 22 juin 1999, la Cour a considéré cette loi anticonstitutionnelle. La loi a été par la suite modifiée pour que des auditions puissent avoir lieu.

Teneur de la plainte

3.1 Dans leur lettre initiale, les auteurs affirment qu’il y a eu violation de l’article 14 du Pacte, dès lors qu’ils n’avaient pas été entendus publiquement, n’ayant pas eu la possibilité de formuler des remarques orales dans le cadre de leurs recours auprès du Ministre de l’intérieur ou de la Cour suprême.

3.2 Les auteurs affirment également qu’ils n’ont pas bénéficié des services d’un interprète pour leurs recours auprès du Ministre de l’intérieur ou de la Cour suprême. Ils font valoir que l’égalité des droits des parties à une affaire devant un tribunal ainsi que leur droit à l’égalité devant la loi, qui sont garantis par les articles 2 et 26 du Pacte, ont par conséquent été violés. En outre, les auteurs affirment que bien qu’en vertu de la législation slovaque les décisions judiciaires doivent être prononcées en public et le contenu du jugement doive être traduit à la victime dans sa propre langue, ce droit leur a été dénié.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1 Dans une note verbale datée du 16 novembre 1999, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité de la communication. Il estime que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes et prie le Comité de déclarer la communication irrecevable. En vertu des alinéas  e et  f de l’article 243 du Code de procédure pénale, qui est entré en vigueur le 1 er  juillet 1998, les auteurs avaient la possibilité de former un recours extraordinaire auprès du «Procureur général» s’ils estimaient qu’une décision valable d’un tribunal constituait une violation de la loi. En vertu de cette procédure, explique l’État partie, si le Procureur général estime que la loi a été violée, il peut former un recours extraordinaire auprès de la Cour suprême. Une autre chambre de la Cour suprême que celle qui a examiné l’affaire en troisième instance examinerait alors le recours extraordinaire.

4.2 L’État partie indique en outre que le 13 novembre 1998, les deux auteurs ont présenté une deuxième demande pour l’obtention du statut de réfugié qui a été rejetée par une décision datée du 10 février 1999 parce qu’ils n’avaient pas rempli les critères fixés à l’article 7 de la loi du Conseil national (n o  283/1995 Coll.) sur les réfugiés. Les recours ultérieurs des auteurs auprès du Ministre de l’intérieur ont été également rejetés; l’affaire étant actuellement examinée par la Cour suprême, l’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas encore épuisé les recours internes.

Commentaires de l’auteur

5.1 Pour ce qui est de la question du non ‑épuisement des recours internes, les auteurs contestent l’argument de l’État partie selon lequel un appel introduit auprès du «Procureur général» constituerait un recours utile. Ils affirment que l’engagement d’une telle procédure dépendant exclusivement du Procureur général, ce recours n’est ni disponible ni accessible .

5.2 Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les recours internes n’ont pas été épuisés puisqu’une procédure est en cours en ce qui concerne la deuxième demande pour l’obtention du statut de réfugié , les auteurs font valoir que ces recours se rapportant à une autre demande, non visée dans la présente communication, l’épuisement des recours internes n’est pas requis.

5.3 Les auteurs concèdent que la loi concernant l’absence de procédure orale lors de l’examen d’appels par la Cour suprême a été modifiée mais font valoir que le paragraphe 3 de l’article 14 a été violé puisque les parties sont informées avant l’audience que leur présence au tribunal n’est pas obligatoire; de l’avis des auteurs, cela a pour but de les empêcher d’exercer leur droit d’être entendu.

Autres observations de l’État partie et commentaires de l’auteur

6.1 Dans une note verbale datée du 7 mars 2001, l’État partie a fourni des renseignements supplémentaires concernant la présente communication. Il confirme que les premières demandes d’asile des auteurs n’ont été examinées par la Cour suprême que sur la base d’informations écrites, étant donné que la décision, par laquelle la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelle la loi excluant les auditions n’a été adoptée que le 22 juin 1999 et que les recours des auteurs devant la Cour suprême avaient été introduits le 27 octobre 1998. L’État partie affirme cependant que la décision a été prononcée en public et que les parties à la procédure avaient été dûment informées de la date à laquelle elle serait prononcée.

6.2 L’État partie confirme que les appels introduits par les auteurs auprès de la Cour suprême en ce qui concerne leurs deuxièmes demandes d’asile qui n’avaient pas été tranchées à la date de la première note verbale ont été rejetés le 16 novembre 1999.

6.3 L’État partie affirme qu’en ce qui concerne les deuxièmes demandes d’asile , les auteurs ont tous deux bénéficié de services d’interprètes lors de l’examen de leur appel par la Cour suprême. Or M. Yama n’en a pas tiré parti car il était absent lors de la procédure bien qu’il ait reçu une convocation , et que son avocat n’a pas insisté pour que la procédure ait lieu en présence de son client. Pour ce qui est de M. Khalid, l’État partie indique qu’il était présent, qu’il a eu la possibilité d’être entendu par la Cour suprême et qu’il a utilisé les services de l’interprète .

6.4 L’État partie affirme en outre que même si les auteurs n’ont pas obtenu le statut de réfugié, un permis de résidence permanent leur a été délivré en 1999 (le 7 septembre 1999 dans le cas de M. Yama, et le 5 novembre 1999 dans celui de M. Khalid) en sorte qu’ils n’ont plus à craindre un retour en Afghanistan.

7. En réponse aux observations de l’État partie, les auteurs réitèrent leurs affirmations et font remarquer que sur 1 556 demandeurs d’asile, 10 seulement ont obtenu le statut de réfugié en République slovaque en 2000.

Délibérations du Comité

8.1 Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité s’est assuré, comme le requiert l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement. Pour ce qui est de l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité considère que les auteurs ont épuisé les recours internes disponibles et utiles.

8.3 En ce qui concerne les allégations selon lesquelles les droits des auteurs en vertu des articles 14 et 26 ont été violés car ils n’ont pas eu la possibilité d’être entendus ou de bénéficier de services d’interprètes lorsque leurs demandes d’asile ont été examinées en appel, le Comité note que l’État partie a fait savoir que les auteurs pouvaient se prévaloir de ces droits lors de l’examen en appel par la Cour suprême de leurs deuxièmes demandes d’asile. Les auteurs n’ayant pas nié que tel ait été le cas, le Comité estime que cette partie de la communication est irrecevable car les auteurs n’ont pas prouvé qu’ils étaient fondés à présenter une plainte au sens de l’article 2 du Protocole facultatif.

9. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

H. Communication n o 881/1999, Collins c. Australie * (Décision adoptée le 29 octobre 2002, s oixante ‑seizième session)

Présentée par : M. Robert Collins

Au nom de : L’auteur

État partie : Australie

Date de la communication : 14 septembre 1999 (communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 29 octobre 2002,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est M. Robert Collins, de nationalité australienne, qui est actuellement en détention en Australie du Sud. Il se déclare victime d’une violation par l’Australie de l’article 10, paragraphes 1 et 2 a), du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Du 26 avril 1994 au 21 avril 1997, l’auteur a été détenu à la maison d’arrêt d’Adélaïde. Du 26 avril 1994 au 18 janvier 1995, alors qu’il n’était qu’en détention provisoire , l’auteur a été incarcéré avec des condamnés. L’auteur n’a pas dû cohabiter avec un condamné pendant cette période en vertu du système de «double occupation des cellules », mais il a dû partager les installations pénitentiaires avec des condamnés. Du 18 janvier 1995 au 29 mars 1996, il a joui d’un «double statut», à savoir celui de détenu condamné pour une infraction et de prévenu au titre d’une autre infraction. Du 29 mars 1996 au 21 avril 1997, l’auteur a été détenu en tant que condamné.

2.2 Le 13 février 1997, l’auteur a intenté une action devant la Cour suprême de l’Australie méridionale contre le Gouvernement de cet État. Il affirmait que le système de double occupation des cellules, qui était appliqué à la maison d’arrêt d’Adélaïde, était contraire aux normes internationales et que cela favorisait, selon lui, les agressions sexuelles sur les détenus, les agressions contre le personnel pénitentiaire et la propagation des maladies contagieuses, outre le fait que des non ‑fumeurs devaient cohabiter avec des fumeurs. Il demandait que la Cour suprême déclare que l’administration pénitentiaire avait violé les droits de l’homme .

2.3 Le 21 avril 1997, l’auteur a été transféré à la prison de Mobilong où il a été détenu jusqu’en novembre 1997 en tant que condamné. Il a été inculpé d’une autre infraction au cours de cette période. En novembre 1997, il a été transféré à la prison de Yatala, où il est resté jusqu’en novembre 1999 avec le double statut de condamné et de prévenu.

2.4 Le 25 juin 1999, la Cour suprême a rendu une décision rejetant l’allégation de l’auteur selon laquelle l’administration pénitentiaire avait violé l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus à la maison d’arrêt d’Adélaïde ainsi que l’article 10, paragraphes 1 et 2, du Pacte, lequel, a ‑t ‑elle confirmé, faisait bien partie du droit interne . Toutefois, le juge a considéré que l’État de l’Australie méridionale n’était pas lié par la loi sur la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances à laquelle le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est annexé, étant donné que l’article 6 de cette loi exclut son application directe au niveau de l’État. Il a également estimé que la loi sur les décisions administratives de 1995, promulguée en Australie méridionale, ôte tout espoir légitime que les décisions administratives se conforment aux dispositions de traités, conventions ou pactes internationaux. En outre, il a décidé de ne pas publier de déclaration dans cette affaire étant donné qu’il ne serait pas possible ou pas pratique de remédier concrètement au problème, car cela signifierait nécessairement la suppression du système de double occupation des cellules et obligerait donc à construire un nouvel établissement pénitentiaire. De l’avis du juge, les tribunaux n’étaient pas habilités à prescrire au Gouvernement comment il devait dépenser son argent.

2.5 En novembre 1999, l’auteur a été transféré au Centre de détention provisoire d’Adélaïde où il a été détenu en tant que prévenu et condamné jusqu’en mai 2000. Il a été ensuite transféré à la prison de Yatala, où il a eu le double statut de prévenu et de condamné jusqu’en août 2000. Depuis cette date, il y est détenu en tant que condamné.

2.6 L’auteur donne des informations générales sur les établissements pénitentiaires de l’Australie méridionale. Par exemple, il indique qu’à la maison d’arrêt d’Adélaïde, le nombre des détenus est passé de 166 à 240 en raison du système de double occupation des cellules, qu’il n’y a pas d’aération naturelle et très peu de lumière naturelle dans les cellules, dont les occupants se voient limités dans leurs mouvements et dans l’accès à de l’air frais. À la prison de Yatala, dit ‑il, bien que tout un étage soit réservé actuellement aux prévenus, ces derniers se «mêlent» aux autres détenus et ne bénéficient pas de «conditions spéciales de détention». Ils ont simplement droit à un coup de téléphone de 10 minutes par jour, qu’ils doivent réserver la veille.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme qu’en raison du système de double occupation des cellules individuelles appliqué dans les établissements pénitentiaires de l’Australie méridionale, en particulier à la maison d’arrêt d’Adélaïde, ses droits en vertu du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte ont été violés. Il soumet à cet égard au Comité diverses plaintes, qui sont celles qu’il a déjà présentées à la Cour suprême, au sujet des effets néfastes du partage de cellule, à savoir une augmentation du nombre d’agressions, y compris d’agressions sexuelles, une diminution de la qualité de vie et du sentiment de sécurité, l’obligation pour des non ‑fumeurs de cohabiter avec des fumeurs, le placement dans la même cellule de personnes souffrant de maladies contagieuses avec des personnes en bonne santé et le fait de devoir aller aux toilettes dans la cellule à un mètre de la couchette inférieure et devant l’autre occupant. Bien que l’auteur n’ait pas eu à partager une cellule pendant son incarcération à la maison d’arrêt d’Adélaïde, il affirme avoir subi un stress en raison des effets que ce système de double occupation des cellules avait sur les détenus de cet établissement en général.

3.2 L’auteur affirme également que le fait d’avoir été détenu en tant que prévenu dans les mêmes installations que des condamnés, du 26 avril 1994 au 18 janvier 1995, constitue une violation du paragraphe 2 a) de l’article 10 du Pacte . Il dit en outre que pendant la période où il avait le double statut de prévenu et de condamné, il aurait dû aussi avoir le droit d’être séparé des autres détenus.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Par une note verbale datée de février 2001, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne le premier point, il affirme que la communication est irrecevable dans la mesure où l’auteur ne remplit pas les critères énoncés à l’article premier du Protocole facultatif, n’a pas épuisé les recours internes et n’est pas fondé à se déclarer victime d’une violation du Pacte. L’État partie fait observer que dans l’action qu’il a intentée devant la Cour suprême de l’Australie méridionale, l’auteur a demandé que celle ‑ci déclare que l’État de l’Australie méridionale, par l’intermédiaire de l’administration pénitentiaire, avait violé le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et qu’il soit indiqué dans cette déclaration si et dans quelle mesure le Pacte avait été incorporé au droit interne et avait force obligatoire pour l’État de l’Australie méridionale. L’auteur n’a pas affirmé dans le cadre de cette action qu’il était victime d’une violation quelconque de l’article 10 du Pacte.

4.2 L’État partie fait observer que dans sa communication, l’auteur n’a pas étayé l’allégation selon laquelle il avait été victime d’une violation quelconque de l’article 10. En fait, il donne des informations sur certains établissements pénitentiaires de l’Australie méridionale et signale un certain nombre d’incidents qui se seraient produits dans ces établissements mais qui ne le concernent pas et n’ont aucun rapport avec sa propre situation. L’État partie se réfère à la jurisprudence du Comité sur l’interprétation de l’article premier du Protocole facultatif d’où il ressort que l’auteur d’une communication doit démontrer qu’il/elle est victime de violations présumées du Pacte. L’État partie fait observer que l’auteur n’a pas prétendu être personnellement victime d’une quelconque violation. En conséquence, l’État partie considère que le Comité ne peut formuler d’opinion sur des violations du droit in abstracto et qu’il devrait donc déclarer la communication irrecevable.

4.3 En outre, l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable puisque les recours internes n’ont pas été épuisés comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif. D’après l’État partie, l’auteur aurait pu se pourvoir devant la Cour suprême de l’Australie méridionale siégeant en formation plénière. Bien que le délai fixé pour former un tel pourvoi ait expiré, l’auteur a encore la possibilité de déposer une demande de prolongation de ce délai pour se pourvoir devant la Cour. L’auteur pourrait également demander l’autorisation de former recours à la High Court d’Australie au cas où un pourvoi devant la Cour suprême de l’Australie méridionale siégeant en formation plénière n’aboutirait pas ou si sa demande de prolongation du délai fixé pour se pourvoir devant la Cour suprême de l’Australie méridionale était rejetée.

4.4 L’État partie estime que l’auteur n’est pas fondé à invoquer le Pacte. En ce qui concerne sa plainte selon laquelle il n’a pas été séparé des condamnés pendant sa détention provisoire, l’État partie rappelle sa réserve au paragraphe 2 a) et b) de l’article 10. Il souligne qu’aucune objection à la réserve de l’Australie à l’article 10 n’a été formulée par d’autres États parties au Pacte et reçue par le Secrétaire général. Il fait valoir que cette réserve est conforme aux directives du Comité concernant les réserves énoncées dans l’Observation générale nº 24 . En outre, il se réfère à l’alinéa c de l’article 19 de la Convention de Vienne sur le droit des traités qui dispose que si une réserve n’est pas interdite par le traité considéré ou si elle relève de la catégorie des réserves autorisées, un État peut formuler une réserve pour autant qu’elle ne soit pas incompatible avec l’objet et le but du traité. Le Pacte n’interdit pas les réserves en général ni ne mentionne aucun type de réserves autorisées. Pour ces raisons, l’État partie considère que l’auteur n’est pas fondé à se déclarer victime d’une violation de cet article du Pacte.

4.5 S’agissant du fond de la communication et dans le cas où le Comité jugerait recevables les plaintes relatives au système de double occupation des cellules, l’État partie estime que ces allégations ne sont pas fondées étant donné que l’auteur n’a pas indiqué en quoi la façon dont il avait été traité dans les prisons de l’Australie méridionale constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Bien qu’il ait fait mention de certaines des conséquences de ce système dans l’action qu’il a intentée contre l’Australie méridionale, l’auteur n’indique pas en quoi cela équivaudrait à une violation du paragraphe 1 de l’article 10. En fait, il n’a pas dit qu’il avait partagé une cellule avec un autre détenu. Il ressort cependant des registres de l’administration pénitentiaire que l’auteur a été placé temporairement dans la cellule d’un autre détenu pendant un mois, en décembre 1997, à la prison de Yatala, après quoi il a été transféré dans une cellule individuelle .

4.6 Pour ce qui est de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, l’État partie renvoie aux débats qui ont eu lieu lors de la rédaction du Pacte et rappelle qu’il avait été dit à l’époque qu’il n’était pas souhaitable de lier formellement l’Ensemble de règles à cet article parce que le Comité ne les avait pas examinées ni étudiées en détail et que certaines de ces règles risquaient d’être contraires à l’esprit et à la lettre du texte en cours d’élaboration. L’État partie fait valoir par conséquent que même si les Règles peuvent être prises en compte pour déterminer les normes correspondant à des conditions de détention humaines, elles ne constituent pas un code et que les États parties ne sont pas non plus tenus d’y adhérer pour satisfaire aux exigences du Pacte. Il signale en outre que ces règles n’ont pas force de loi en Australie.

4.7 L’État partie se réfère à la règle 9 1) de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus selon laquelle «les cellules ou chambres destinées à l’isolement nocturne ne doivent être occupées que par un seul détenu», et note qu’une exception peut être faite à cette règle en cas de surpeuplement temporaire. Il fait observer qu’en Australie, l’administration pénitentiaire n’a recours au système de la double occupation des cellules que dans les cas où il n’y a pas de cellule individuelle disponible. La population carcérale aurait diminué au cours des dernières années en dépit de prévisions antérieures selon lesquelles elle augmenterait. En raison des fluctuations de la population carcérale, il est difficile de déterminer s’il faut construire de nouvelles installations, à un coût conséquent pour les contribuables, compte tenu en particulier des délais de construction. La double occupation des cellules disponibles devient alors nécessaire pour tenir compte des fluctuations de la population carcérale. Le Gouvernement australien fait observer toutefois que même si l’on a recours à ce système dans les prisons de l’Australie méridionale, c’est uniquement à titre temporaire en fonction des fluctuations de la population carcérale.

4.8 L’État partie se réfère à nouveau à la décision de la Cour suprême dans laquelle le juge citait certains des propos de l’auteur qui avait dit notamment: «il n’y a pas de respect de la dignité humaine lorsqu’un détenu est obligé d’aller aux toilettes à un mètre de celui qui occupe la couchette inférieure dans la même cellule et devant lui». L’État partie fait observer qu’il n’est pas rare que des personnes du même sexe partagent des installations accueillant un grand nombre de personnes. Se référant à la jurisprudence du Comité , il dit que l’on ne pourrait raisonnablement affirmer que les conditions dans lesquelles l’auteur se plaint d’avoir été incarcéré répondent aux critères du traitement inhumain ou du non ‑respect de la dignité inhérente à la personne humaine. À cet égard, l’État partie fait état des types de conditions de détention et de traitement des détenus dont le Comité a considéré dans de précédentes affaires qu’ils constituaient une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, notamment la détention au secret, le manque d’hygiène, l’insuffisance d’exercice et de nourriture et les brutalités de la part du personnel pénitentiaire . De l’avis de l’État partie, les conditions de détention à propos desquelles le Comité a conclu à une violation du paragraphe 1 de l’article 10 sont nettement plus pénibles que celles décrites par l’auteur dans sa plainte.

Commentaires de l’auteur

5.1 L’auteur répond aux observations de l’État partie concernant la recevabilité en affirmant qu’il a épuisé les recours internes. Selon lui, le juge de la Cour suprême de l’Australie méridionale avait dit que «l’autorisation de former un recours ne lui serait pas accordée à cause de la législation promulguée par les gouvernements concernés». Il ajoute qu’il ne souhaitait pas faire perdre du temps aux tribunaux en formant un recours sur une question qui ne pouvait pas être tranchée en sa faveur à cause d’une législation qui empêchait expressément l’application du droit international. Il dit également qu’une requête présentée à la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances a été rejetée.

5.2 En réponse aux observations de l’État partie concernant le fond, l’auteur renvoie à nouveau à la décision de la Cour suprême de l’Australie méridionale dont la teneur est exposée dans ses grandes lignes au paragraphe 2.4. Il affirme que le fait de mettre deux détenus dans une cellule conçue pour un seul est contraire au paragraphe 1 de l’article 10, étant donné que cela signifie qu’un détenu doit dormir dans la même pièce qu’un autre détenu, qu’il risque de faire l’objet de harcèlement sexuel et de «pressions», qu’il est obligé d’utiliser les toilettes devant l’autre occupant de la cellule et à un mètre de sa couchette et de regarder lorsque celui ‑ci l’utilise, et qu’il doit peut ‑être cohabiter avec un condamné. Dans une lettre ultérieure, il confirme qu’à la prison de Yatala, il a dû partager la cellule d’un autre détenu et utiliser les toilettes devant ce dernier.

5.3 S’agissant de la réserve de l’État partie au paragraphe 2 de l’article 10 du Pacte, l’auteur dit que celle ‑ci a été «invalidée» par le fait que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a été annexé à la loi de 1986 sur la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances sans qu’il soit fait aucune mention de la réserve émise.

5.4 L’auteur explique ensuite en détail pourquoi il estime que l’État de l’Australie méridionale est lié par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et qu’il est tenu d’appliquer l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, et regrette que l’État partie n’ait pas mentionné la loi de 1995 sur les décisions administratives (Effet des instruments internationaux) (Australie méridionale) et d’autres textes de loi nationaux.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1 En réponse aux commentaires de l’auteur, l’État partie fait observer que la décision du juge de la Cour suprême de l’Australie méridionale ne détermine pas les questions relevant du droit international et que ses vues ne devraient pas remplacer celles du Comité.

6.2 En ce qui concerne les principes énoncés aux paragraphes 1 et 2 de l’article 10 du Pacte, l’État partie indique que les dispositions et les termes du Pacte ont un sens qui leur est propre et diffère de celui qu’ils ont en droit interne . Les conclusions auxquelles un tribunal national pourrait aboutir à propos des termes «humanité» et «dignité inhérente à la personne humaine» ne sauraient remplacer l’appréciation indépendante du Comité. Le fait que le juge ne s’est pas référé à des constatations antérieures du Comité donne à penser qu’il n’a pas fondé sa décision sur le sens donné aux mots en question en droit international. Selon l’État partie, lorsque les conclusions du tribunal sont replacées dans leur contexte, il apparaît clairement que le juge a assimilé l’absence d’observation stricte de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus à une violation du paragraphe 1 de l’article 10. Mais, dit ‑il, même si ces règles peuvent être prises en compte pour déterminer les normes correspondant à des conditions de détention humaines, elles ne constituent pas un code. Le fait de ne pas y adhérer ne peut en soi amener à conclure qu’un détenu n’a pas été traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.

6.3 De l’avis de l’État partie, la loi de 1995 sur les décisions administratives (Effet des instruments internationaux) (Australie méridionale ) est sans rapport avec les allégations de violation de l’article 10; cette loi ne modifie les décisions et les procédures administratives appliquées en vertu du droit de l’État de l’Australie méridionale que dans la mesure où l’instrument international concerné a été incorporé au droit interne. En conséquence, si un instrument international ne fait pas encore partie du droit australien, on ne peut s’attendre légitimement à ce qu’une autorité prenne une décision qui soit strictement conforme à cet instrument.

6.4 L’État partie fait observer que le fait que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est annexé à un texte législatif ne modifie en aucune façon les réserves de l’Australie au Pacte. L’affirmation de l’auteur n’est étayée par aucune règle de droit international.

6.5 L’État partie fait également observer que l’auteur consacre une large partie de ses commentaires à l’examen de la relation entre le droit international et le droit australien. Il traite en particulier du recours par les tribunaux au droit international pour interpréter la common law . À son avis, une discussion abstraite de la pratique judiciaire australienne ne sert à rien pour déterminer si l’allégation de violation de l’article 10 est fondée en l’espèce.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire par le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3 En ce qui concerne l’obligation d’épuisement des recours internes énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité note que si dans la communication qu’il a présentée au Comité l’auteur s’est plaint d’une violation de ses propres droits, dans l’action qu’il a intentée devant les tribunaux de l’Australie méridionale, il a formulé des allégations générales sur les conditions de détention. Le Comité observe en particulier que l’auteur n’a jamais prétendu devant les juridictions australiennes qu’il avait personnellement subi en prison un traitement qui serait contraire aux dispositions de l’article 10 du Pacte ou à toutes autres dispositions comparables du droit interne. Le Comité estime par conséquent que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes et que la communication est donc irrecevable.

8. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

I. Communication n o  890/1999, Krausser c.  Autriche * (Décision adoptée le 23 octobre 2002, soixante ‑seizième session)

Présentée par :

M. Emmerich Krausser

Au nom de :

L’auteur et sa mère

État partie :

Autriche

Date de la communication :

27 septembre 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 octobre 2002,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication est M. Emmerich Krausser, citoyen autrichien, résidant actuellement à Blumenau (Brésil). Il affirme être victime de violations par l’Autriche des articles 2, 12, 14, 17 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

1.2 L’Autriche a adhéré au Pacte le 10 décembre 1978. Le Protocole facultatif est entré en vigueur à son égard le 10 mars 1988.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur s’est marié à une certaine Elvira Krausser le 15 septembre 1978. En novembre 1978, une fille lui est née. Le 25 juillet 1980, le tribunal pénal d’arrondissement ( Bezirksgericht für Strafsachen , Graz) a reconnu l’auteur coupable de coups et blessures volontaires sur la personne de sa femme et l’a condamné à une amende ou à une peine substitutive de 20 jours d’emprisonnement. Le pourvoi en révision formé par l’auteur a été rejeté le 16 mars 1981. Il a déposé diverses plaintes au pénal contre sa femme et d’autres personnes en 1980 et 1981, mais celles ‑ci n’ont pas donné lieu à des poursuites.

2.2 Le 11 mars 1981, le tribunal civil d’arrondissement ( Bezirksgericht für Zivilsachen , Graz) a octroyé la garde de la fille de l’auteur à sa femme, après que celle ‑ci eut quitté leur appartement . Le 14 mai 1981, le recours formé par l’auteur contre cette décision a été rejeté. Le 7 juillet 1981, le tribunal d’arrondissement a ordonné l’exécution de sa décision, c’est ‑à ‑dire la remise de l’enfant par l’auteur à sa femme. Cette décision n’ayant pas été exécutée, la femme de l’auteur a déposé plainte au parquet contre l’auteur pour soustraction d’enfant mineur à la personne qui en a la garde . La police a interrogé l’auteur le 19 août 1981 à son retour de vacances d’été en Yougoslavie; l’information pénale a été suspendue le 26 août 1981, ce dont l’auteur a été informé. Le parquet a repris la procédure le 10 septembre 1981 sur la base de nouvelles informations communiquées par le tribunal d’arrondissement. Le 6 novembre 1981, le tribunal de district a ordonné la mise en détention de l’auteur et délivré un mandat d’arrêt international à son encontre. Au cours de l’automne 1981, l’auteur et sa fille ont quitté l’Autriche pour le Brésil . En août 1982, la mère de l’auteur a été reconnue coupable de complicité de soustraction par celui ‑ci d’un enfant à la personne qui en avait légalement la garde.

2.3 Le 27 novembre 1989, l’auteur a fait une demande de passeport ordinaire pour tous pays, d’une validité de 10 ans, au consulat d’Autriche à Curitiba (Brésil). Le 12 février 1990, se fondant sur la loi autrichienne sur les passeports ( Passgesetz 1969 ) , le consulat a refusé de délivrer un passeport à l’auteur parce que celui ‑ci avait quitté l’Autriche en sachant que des poursuites pénales avaient été engagées contre lui et dans l’intention de se soustraire à une information pénale. Le 1 er  mars 1990, le consulat a rejeté la réclamation de l’auteur. Le 18 septembre 1990, le Ministère fédéral de l’intérieur ( Bundesministerium für Inneres ) a rejeté le recours formel ( Berufung ) de l’auteur sur la base d’informations reçues par le tribunal pénal de district compétent ( Landesgericht für Strafsachen , Graz) selon lesquelles un mandat d’arrêt international contre l’auteur ( Haftbefehl ) était encore en vigueur. Le 29 septembre 1994, la Cour administrative fédérale ( Verwaltungsgerichtshof ) a rejeté le pourvoi de l’auteur contre la décision du Ministère fédéral de l’intérieur au motif qu’il n’avait pas été présenté dans les délais légaux.

2.4 Dans l’intervalle, une nouvelle demande de passeport ordinaire a été rejetée. Le 29 septembre 1992, la Cour constitutionnelle fédérale ( Verfassungsgerichtshof ) a rejeté une demande d’aide juridictionnelle présentée par l’auteur aux fins de contester la décision du Ministère fédéral de la justice, en indiquant que rien ne laissait présumer que la décision était fondée sur une disposition générale dénuée de valeur légale ou qu’en appliquant les dispositions légales pertinentes, le Ministère avait commis une erreur ressortissant au droit constitutionnel. Néanmoins, entre 15 février 1993 et le 2 juillet 1994, l’auteur a déposé neuf autres demandes de passeport; toutes ont été rejetées. Dans le but d’obtenir un passeport, l’auteur a également demandé la nationalité brésilienne en mars 1993. Cette demande a été rejetée sur la base d’informations communiquées par l’ambassade d’Autriche au Ministère brésilien de la justice selon lesquelles l’auteur était recherché par les autorités autrichiennes pour infraction pénale passible de plus d’une année d’emprisonnement.

2.5 Le 9 janvier 1992, l’auteur a demandé à bénéficier d’un avocat au titre de l’aide juridictionnelle pour faire face aux poursuites pénales engagées contre lui et réclamer le remboursement des dépenses qu’il aurait à encourir pour se présenter devant le juge d’instruction en Autriche. Le 2 septembre 1992, le tribunal pénal de district l’a débouté de sa demande aux motifs qu’un avocat n’était pas nécessaire au premier stade de la procédure et que l’auteur n’avait pas fourni d’informations suffisamment détaillées sur sa situation financière. Le 26 avril 1993, une demande d’extrait de casier judiciaire présentée par l’auteur a été rejetée du fait de l’existence d’un mandat d’arrêt contre lui, conformément aux lois autrichiennes. Le tribunal pénal de district a rejeté une nouvelle demande d’aide juridictionnelle concernant la procédure pénale le 28 janvier 1996.

2.6 Le 27 octobre 1993, le Ministère fédéral de la justice ( Bundesministerium für Justiz ) a délivré un sauf ‑conduit ( Geleitbrief ) à l’auteur pour qu’il comparaisse devant le tribunal pénal de district et le mandat d’arrêt a été suspendu jusqu’au 1 er  mars 1994. L’auteur ne s’est cependant pas présenté au tribunal. Le 12 juillet 1994, le Ministère fédéral de la justice a délivré un autre sauf ‑conduit valide jusqu’au 1 er  août 1995. L’ambassade d’Autriche a délivré un passeport valable un an, jusqu’au 1 er  septembre 1995. Le 21 août 1995, le tribunal pénal de district a suspendu le mandat d’arrêt sur la demande des services du parquet ( Staatsanwaltschaft beim Landgericht , Graz). Le 2 octobre 1995, l’ambassade d’Autriche à Brasilia a délivré un passeport valable jusqu’au 2 octobre 2005. Tous les recours pendants devant la Cour administrative fédérale ( Verwaltungsgerichtshof ) contre les décisions rejetant la demande de passeport de l’auteur ont fait l’objet d’une suspension de procédure.

2.7 Le 2 juillet 1997, la Cour de l’État ( Oberlandesgericht ) de Vienne a débouté l’auteur de sa demande d’aide juridictionnelle aux fins de réclamer à l’État partie une indemnisation pour faute, au motif que la législation pertinente ( Amtshaftungsgesetz ) ne prévoyait pas ce type de réclamation contre les décisions des tribunaux dans les procédures de recours. Le 10 septembre 1997, le Département des finances ( Finanzprokuratur ) a rejeté une demande d’indemnisation formée par l’auteur du fait, entre autres motifs, qu’elle était prescrite. Les juridictions compétentes ont également rejeté des demandes subséquentes d’aide juridictionnelle faites dans le cadre de la même affaire. Le 26 février 1999, la Cour constitutionnelle ( Verfassungsgerichtshof ) a rejeté une demande d’aide juridictionnelle déposée par l’auteur dans le but de réclamer une indemnisation pour faute de diverses autorités de l’État partie.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que sa condamnation pour violence conjugale était fondée sur des éléments insuffisants, ainsi que le montrent les avis d’experts qu’il a ultérieurement recueillis. D’après lui, le fait que les tribunaux ne soient pas revenus sur cette décision entraîne une violation du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte. En outre, le parquet a renoncé à enquêter sur les accusations de déclarations fallacieuses qu’il avait portées contre les témoins experts entendus au cours du procès. L’auteur se dit victime d’une discrimination contraire à l’article 26 du Pacte.

3.2 L’auteur ajoute que la procédure judiciaire qui a abouti à la décision du tribunal d’arrondissement d’octroyer la garde de sa fille à sa femme contrevenait aux articles 14 (par. 1), 17 et 26 du Pacte. Selon lui, le rapport du travailleur social et le procès ‑verbal de la police pris en considération par le tribunal n’étaient pas fiables et ont été produits sans qu’il ait eu son mot à dire.

3.3 L’auteur déclare qu’il ne savait pas que des poursuites pénales étaient engagées contre lui en Autriche lorsqu’il a quitté le pays. Il est parti pour fuir une injustice permanente. Il avait été licencié après que des agents de police furent venus le chercher en son absence et, en raison de sa condamnation antérieure pour violence conjugale, il ne pouvait pas trouver de nouvel emploi. C’est pourquoi il avait dû quitter l’Autriche. Il affirme n’avoir été informé de l’information le concernant qu’en février 1996, lorsque lui a été notifiée la décision du tribunal de district de rejeter sa demande d’aide juridictionnelle.

3.4 L’auteur indique en outre que sa mère a été condamnée à tort de complicité de soustraction d’un enfant mineur des mains du parent qui en avait la garde légale. La procédure intentée contre sa mère violait selon lui l’article 14 (par. 1, 2, 3 d), e), f), g) et par. 5) du Pacte. Sa mère avait reçu en tout et pour tout une instruction primaire en Yougoslavie et était incapable de comprendre les formules officielles allemandes utilisées par les tribunaux autrichiens. En outre, elle présentait déjà des déficiences visuelles et auditives en 1980. L’État partie l’a contrainte à témoigner contre elle ‑même en l’interrogeant en l’absence d’un avocat.

3.5 D’après l’auteur, l’ambassade d’Autriche au Brésil connaissait l’adresse de son domicile et de son lieu de travail dès le mois de décembre 1989 au moins. Par conséquent, l’État partie était en mesure de demander son extradition vers l’Autriche ou son inculpation au Brésil. En outre, les autorités autrichiennes auraient pu l’interroger à tout moment au Brésil depuis 1990. L’auteur prétend que sa cause n’a pas été entendue publiquement et qu’il a été présumé coupable sans possibilité de se défendre, en violation de l’article 14 du Pacte.

3.6 L’auteur précise qu’il avait des problèmes financiers et ne pouvait rémunérer les services d’un avocat ni se rendre en Autriche à ses frais. Il joint diverses déclarations d’impôt sur le revenu censées établir sa situation financière. D’après lui, l’ambassade d’Autriche était parfaitement au courant de sa situation financière; cela n’a pas empêché les autorités de l’obliger à retourner en Autriche. L’État partie a violé l’article 12 du Pacte en refusant de lui délivrer un passeport et en l’empêchant de quitter le Brésil. Du fait qu’il a été traité différemment d’autres personnes se trouvant dans une situation comparable en Autriche, l’État partie a violé l’article 26 du Pacte.

3.7 L’auteur affirme par ailleurs qu’il n’a pas été suffisamment tenu compte de sa situation financière et personnelle par les tribunaux qui ont rejeté ses demandes d’aide juridictionnelle. Se référant au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, il soutient qu’il aurait dû pouvoir demander à être indemnisé des pertes financières encourues par la faute des autorités devant les tribunaux de l’État partie.

3.8 L’auteur prétend que l’ambassade d’Autriche a communiqué de fausses informations au Ministère brésilien de la justice lorsque celui ‑ci a examiné sa demande de naturalisation. L’État partie aurait fait obstacle à sa naturalisation au Brésil et, de ce fait, violé l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. En outre, les mêmes informations auraient été portées à l’attention de son employeur, qui l’a licencié en décembre 1994 parce qu’il n’avait pas réussi à respecter le strict délai qui lui avait été fixé pour régler ses affaires et recevoir un passeport. L’auteur déclare qu’en raison des atteintes à sa réputation, il n’a pu retrouver un emploi et ne peut entretenir sa famille. Il demande à être indemnisé des pertes financières que lui a causées l’État partie.

3.9 L’auteur mentionne la décision du tribunal pénal de district en date du 28 février 1996 rejetant sa demande d’aide juridictionnelle et allègue que le tribunal l’a informé qu’au stade préliminaire de la procédure, il serait tenu de rencontrer le magistrat instructeur en l’absence d’un avocat ou du procureur. À l’issue de cette confrontation, le magistrat déciderait de le mettre ou non formellement en accusation. Selon l’auteur, cette pratique est contraire au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte car il risque d’être contraint à des aveux au cours de cette confrontation.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1 Dans une réponse datée du 24 mars 2000, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles, ce qui rend sa communication irrecevable. Il indique que l’auteur n’a pas déposé plainte ( Bescheidbeschwerde ) devant la Cour administrative fédérale pour contester la légalité des décisions du Ministère fédéral de la justice dans le délai légal de six mois. Une telle plainte aurait permis à la Cour d’examiner toute violation des droits de l’homme et de casser la décision administrative . En revanche, les diverses plaintes de l’auteur n’ont pas abouti parce qu’elles ont été déposées hors des délais prescrits. Par ailleurs, l’État partie affirme que la demande de passeport de l’auteur avait déjà été acceptée en septembre 1994, lorsqu’il s’est vu délivrer un passeport valable un an.

4.2 Dans une réponse ultérieure datée du 12 mai 2000 sur la recevabilité et le fond, l’État partie allègue que l’auteur savait lorsqu’il a quitté l’Autriche qu’il faisait l’objet de poursuites pénales qui avaient été suspendues. À la reprise de la procédure, le Procureur a adressé à l’auteur une citation à comparaître qui a été déposée à son domicile légal et ultérieurement remise à la poste. L’auteur n’avait pas indiqué aux autorités de l’État partie qu’il avait quitté son lieu de résidence permanente et selon l’enquête de police, il séjournait avec l’enfant à son adresse permanente pendant les week ‑ends. En conséquence, conformément à la loi autrichienne, la signification de la notification était réputée faite.

4.3 Dès le 21 août 1990, et par conséquent avant la première décision du consulat d’Autriche à Curitiba concernant sa plainte relative au refus de lui délivrer un passeport ordinaire pour tous pays, d’une validité de 10 ans, l’ambassade d’Autriche à Brasilia a informé l’auteur de la possibilité de lui délivrer un passeport pour une courte période seulement, ce qui lui permettrait de revenir en Autriche, sous réserve qu’il s’engage par écrit à comparaître devant les tribunaux. Au lieu de cela, l’auteur a présenté de nombreuses demandes de passeport à durée de validité normale. En outre, dans sa décision du 15 avril 1992, le Ministère fédéral de l’intérieur a expliqué à l’auteur que le rejet de sa demande ne constituait pas une sanction mais seulement une mesure visant à garantir l’administration de la justice.

4.4 En ce qui concerne le premier sauf-conduit, l’État partie indique que l’auteur, de son propre fait et alors qu’il avait été cité à comparaître, ne s’est pas présenté devant le tribunal de district le 28 février 1994. En ce qui concerne le deuxième sauf-conduit, le tribunal de district avait informé l’auteur que la date de l’audition pouvait dans une large mesure être fixée en fonction de sa disponibilité. Comme suite à sa demande, il a été remis à l’auteur un passeport d’une validité limitée à un an. Malgré cela, celui ‑ci ne s’est pas présenté devant le tribunal de district dans les délais indiqués sur son sauf ‑conduit.

4.5 Le 9 août 1995, les services du parquet ont abrogé l’ordonnance de mise en détention et le mandat d’arrêt parce que ces mesures s’étaient révélées jusqu’alors inefficaces. Cela supprimait les motifs du refus de délivrance d’un passeport à l’auteur et celui ‑ci a pu obtenir un passeport valable pour une durée de 10 ans. Les plaintes déposées par l’auteur devant la Cour administrative ont été classées sans suite, la question étant devenue sans objet.

4.6 S’agissant de la violation présumée du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte par suite du rejet des différentes demandes d’aide juridictionnelle aux fins de demander réparation pour faute des autorités, l’État partie renvoie aux affaires Lestourneaud c.  France et K. L. c.  Danemark et soutient que cette disposition ne peut être violée que conjointement avec l’une des dispositions de fond du Pacte. En outre, les demandes d’indemnisation formulées par l’auteur n’étant pas conformes à la législation nationale pertinente, l’octroi d’une aide juridictionnelle n’était pas requis dans l’intérêt de la justice et devait donc être refusé par les autorités compétentes.

4.7 En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte concernant le refus du consulat d’Autriche de délivrer un passeport valide pour tous les pays et pour une durée normale de 10 ans, l’État partie affirme que l’auteur s’est vu offrir un passeport d’une validité limitée pour qu’il puisse retourner en Autriche. Ce refus ne constituait donc pas une entrave au droit de l’auteur à la liberté de circulation. Si, toutefois, le Comité devait en juger autrement, l’État partie affirme que cette entrave était prévue par la loi, nécessaire au maintien de l’ordre public et conforme à d’autres droits consacrés par le Pacte et, par conséquent, justifiée au titre du paragraphe 3 de l’article 12 du Pacte. Cette disposition du Pacte a été clairement rédigée pour s’appliquer aux mesures visant à garantir que les poursuites pénales soient menées à bonne fin. L’État partie mentionne les affaires Gonzales c.  Pérou et Peltonen c.  Finlande et ajoute que c’est en fait l’auteur lui ‑même qui par son propre comportement a empêché son retour, notamment en voulant faire supporter par l’État partie les dépenses nécessaires à cette fin, ce qui n’est pas prévu par le droit interne.

4.8 Le rejet de la demande de passeport, de surcroît, ne violait pas le droit de l’auteur à la présomption d’innocence garanti par le paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. Comparable à d’autres mesures de coercition prises dans le cadre d’une information pénale, le refus de délivrance d’un passeport constitue une mesure préventive, visant à garantir l’administration de la justice. En ce qui concerne le principe de la séparation des pouvoirs dans le système constitutionnel autrichien, les autorités administratives sont incompétentes pour examiner les mesures prises dans le cadre d’une procédure d’information pénale lorsqu’elles se prononcent sur la délivrance d’un passeport.

4.9 Pour ce qui est de la violation présumée du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, l’État partie précise qu’en droit interne autrichien, l’aide juridictionnelle est accordée aux personnes indigentes et si la commission d’office d’un avocat se révèle nécessaire dans l’intérêt de la justice. S’agissant de la procédure pénale, il déclare que l’affaire de l’auteur en était encore au stade préliminaire de l’information, où la présence d’un avocat n’est pas requise par la loi si bien que la désignation d’un avocat au titre de l’aide juridictionnelle n’était pas nécessaire dans l’intérêt de la justice. Quant aux autres procédures engagées par l’auteur, l’État partie estime qu’une aide juridictionnelle a au moins été accordée dans le cadre de la procédure portée devant la Cour administrative en ce qui concerne le recours formé par l’auteur contre la première décision du consulat d’Autriche à Curitiba rejetant sa demande de passeport. Les demandes d’aide juridictionnelle ultérieures ont été chaque fois rejetées par la juridiction concernée après un examen approfondi des conditions d’octroi de l’aide juridictionnelle et en motivant pleinement la décision prise.

4.10 En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, l’État partie ajoute que l’auteur n’a pas affirmé qu’il avait été effectivement contraint de s’accuser lui ‑même, mais qu’il a formulé des craintes quant aux actes de procédures futurs dans le cas où ni le procureur ni l’avocat de la défense ne sont tenus d’être présents au cours de l’enquête préliminaire. L’État partie renvoie à l’affaire Aumeeruddy ‑Cziffra et 19 autres Mauriciennes c.  Maurice et estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé l’affirmation selon laquelle le recours à la force physique ou à la torture au cours de l’audition était plus qu’une simple possibilité théorique.

4.11 L’État partie déclare en outre que l’auteur n’a pas étayé son affirmation selon laquelle il y avait eu violation de l’article 17 du Pacte. Dans sa communication, l’auteur n’a pas dit que l’État partie avait commis des faits internationaux illicites portant atteinte à son honneur et à sa réputation sur la base d’allégations mensongères.

4.12 En ce qui concerne la violation présumée de l’article 26 du Pacte, l’État partie relève que l’auteur a soutenu qu’il ne jouissait pas de la même protection de la loi que les Autrichiens vivant en Autriche mais n’a pas précisé la nature de la discrimination dont il se prétendait victime. En outre, l’auteur n’appuie par aucun élément son affirmation selon laquelle le refus de délivrance d’un passeport conformément à la législation nationale pertinente et après examen par les tribunaux était arbitraire. En ce qui concerne le mandat d’arrêt contre l’auteur l’État partie ajoute que la même mesure, susceptible d’avoir les mêmes incidences financières et personnelles, aurait été prise à l’encontre d’une personne résidant en Autriche.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans sa réponse du 25 septembre 2000, l’auteur affirme que toutes les voies de recours effectifs utiles ont été épuisées dans son cas. Il concède qu’un avocat a été commis d’office dans le cadre de la procédure portée devant la Cour administrative concernant sa demande de passeport ordinaire du 4 juillet 1994, mais fait observer que cette procédure avait avorté par suite de la décision en date du 29 septembre 1994 selon laquelle il n’avait pas respecté les délais de présentation du recours. L’auteur affirme qu’il a fait appel tant devant la Cour administrative que devant la Cour constitutionnelle dans les délais prescrits, dès qu’on lui avait notifié la décision de lui accorder l’aide juridictionnelle. Toutefois, le consulat d’Autriche à Curitiba n’a pas transmis son pourvoi en temps voulu. Compte tenu de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la Cour administrative avait compétence pour examiner les violations du Pacte, le refus d’une aide juridictionnelle le privait arbitrairement des droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 14, à l’article 26 et aux paragraphes 2 et 3 de l’article 2 du Pacte.

5.2 L’auteur conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle il avait été fait droit à sa plainte en lui délivrant un passeport d’une durée de validité limitée le 16 septembre 1994. Ce passeport lui avait été remis afin qu’il se présente au tribunal pénal de district et non pas pour être utilisé sans restriction à des fins professionnelles. À l’époque, une décision du Ministère fédéral de l’intérieur concernant son dernier recours était encore pendante. Le fait qu’on ait ultérieurement remis un passeport ordinaire à l’auteur avait pour seul but de couvrir des actes illégaux et valait reconnaissance de violations antérieures du paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte.

5.3 L’auteur affirme que l’intention de protéger l’ordre public au sens du paragraphe 3 de l’article 12 du Pacte s’est transformée dans son cas en une demande d’audition d’un suspect dans le cadre d’une enquête préliminaire. Selon lui, cet interrogatoire aurait pu avoir lieu au Brésil à n’importe quel moment. En outre, la restriction de son droit ne répondait pas à des motifs légitimes et ne constituait pas le moyen le moins coercitif. Si l’on peut considérer comme un moyen proportionné de refuser un passeport dans son propre pays à une personne qui y fait l’objet de poursuites pénales, dans le cas d’espèce, l’auteur a été contraint par l’État partie de revenir dans son pays pour se soumettre à une information pénale alors même que cet État partie savait qu’il était dans une situation financière difficile. En outre, le refus de passeport n’était pas conforme aux autres droits énoncés dans le Pacte, en particulier à l’article 26 et aux paragraphes 1 et 2 de l’article 14.

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Eu égard au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que l’auteur n’avait pas porté son affaire devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Eu égard au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles. Il observe que l’auteur a présenté diverses demandes de passeport ordinaire analogues qui ont toutes été rejetées par les autorités de l’État partie. Il ressort du dossier que le recours contre la décision concernant la première demande, présentée par l’auteur le 27 novembre 1989, a été rejeté de façon définitive par la Cour administrative fédérale le 29 septembre 1994 parce qu’il n’avait pas été déposé dans les délais. Aucune autre décision définitive concernant une autre demande de passeport ordinaire présentée par l’auteur n’est mentionnée dans les mémoires des parties. Pour ce qui est des allégations de violation de l’article 12 du Pacte, le Comité conclut que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles et que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’alinéa  b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4 En ce qui concerne les plaintes de l’auteur relatives à la décision prise à l’encontre de sa mère pour avoir été son complice dans la soustraction de sa fille des mains du parent qui en avait la garde, le Comité rappelle qu’il ne peut examiner que les requêtes individuelles présentées par les victimes présumées elles ‑mêmes ou par leur représentant dûment autorisé. Il note que l’auteur n’a présenté aucune preuve écrite de son pouvoir d’agir au nom de sa mère. Il conclut donc que l’auteur n’a pas qualité à ses yeux à cet égard, au sens de l’article premier du Protocole facultatif.

6.5 S’agissant des affirmations de l’auteur présentées aux paragraphes 3.1, 3.3, 3.5, 3.7, 3.8 et 3.9 ci ‑dessus, le Comité considère que l’auteur n’a étayé aucune de ses allégations de violation des dispositions du Pacte aux fins de la recevabilité. Étant donné qu’il conclut à l’irrecevabilité de cette partie de la communication en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, il n’est pas nécessaire que le Comité examine les autres conditions de recevabilité, y compris la question de sa compétence ratione temporis .

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable au titre des articles 1 et 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

J. Communication n o  942/2000, Jonassen c. Norvège * (Décision adoptée le 25 octobre 2002, soixante ‑seizième session)

Présentée par : M. Jarle Jonassen et des éleveurs du district de renniculture de Riast/Hylling, représentés par M. Erik Keiserud, du cabinet Hjort DA

Au nom de : L’auteur

État partie : Norvège

Date de la communication : 9 février 2000 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2002,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. Les auteurs de la communication sont les éleveurs du district de renniculture de Riast/Hylling, de nationalité norvégienne et d’origine ethnique samie. Ils se déclarent victimes d’une violation par la Norvège de l’article 27, lu conjointement avec l’article 2, et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1 Les Samis sont une minorité ethnique autochtone de Norvège, dont la culture repose sur l’élevage du renne. Pratiquer cette activité constitue la principale condition pour pouvoir s’établir dans les régions samies. Il existe en Norvège six régions différentes de renniculture. Elles sont divisées en unités plus petites appelées districts de renniculture, dans lesquelles un ou plusieurs groupes de Samis ont le droit de faire paître leurs troupeaux.

2.2 Les auteurs sont des éleveurs de rennes samis. Ils appartiennent au district de renniculture de Riast/Hylling, région traditionnellement utilisée tous les ans comme zone de parcours, de mars ‑avril à décembre ‑janvier. Les limites du district de renniculture de Riast/Hylling, qui s’étend sur environ 1 900 km 2 , ont été fixées par un décret royal daté du 10 juillet 1894. En hiver, les auteurs s’installent dans le district de renniculture de Femund, de même que dans celui d’Essand, ce dernier étant également utilisé en été. Le district de renniculture de Femund a une superficie d’environ 1 100 km 2 . Les districts de Riast/Hylling et de Femund sont utilisés par les Samis depuis le début du XVII e  siècle. Les districts de Riast/Hylling, Essand et Femund constituent, avec le district d’Elgaa, la région de renniculture de Soer ‑Troendelag/Hedmark, la plus méridionale de Norvège.

2.3 À l’heure actuelle, les auteurs possèdent une dizaine de troupeaux, soit au total environ 4 500 têtes (constituant le cheptel d’hiver avant la reproduction). Dans le district de Riast/Hylling, l’élevage traditionnel du renne constitue le principal moyen d’existence et la source de revenu essentielle de près de 45 personnes d’origine samie.

2.4 Conformément à la loi norvégienne du 9 juin 1978 sur la renniculture, les éleveurs samis ont le droit de pratiquer l’élevage du renne dans les limites des districts qui leur sont assignés. Toutefois, à la suite de l’arrêt rendu par la Cour suprême le 18 novembre 1988 dans l’affaire Korssjofjell , les éleveurs samis n’ont le droit de faire paître leurs rennes dans ce district que s’ils ont acquis le droit d’usage de la zone en question conformément au droit norvégien. Il en résulte que si le propriétaire des terres en cause prétend que les éleveurs samis n’ont pas le droit d’y faire paître leurs troupeaux, ces éleveurs doivent prouver qu’ils en ont acquis le droit conformément à la législation norvégienne sur l’acquisition de droits par un usage remontant à des temps immémoriaux. Selon une nouvelle règle adoptée par le Parlement en 1996, le juge doit faire droit aux revendications des Samis si, ayant apprécié tous les éléments de preuve dont il est saisi, il subsiste un doute dans son esprit.

2.5 L’affaire Korssjofjell concernait une grande partie du district de renniculture de Femund. Les propriétaires avaient affirmé que les auteurs n’avaient pas le droit de pâture dans les secteurs occidentaux de ce district, adaptés à l’élevage d’hiver. La Cour suprême leur a donné tort, estimant au contraire que les auteurs avaient bien le droit de pâture dans cette zone, qui a une superficie d’environ 119 km 2 et représente approximativement 11 % de la superficie brute totale du district (lac Store Korssjo non compris).

2.6 Le 24 octobre 1997, la Cour suprême a rendu son arrêt dans l’affaire Aursunden 1997 , concernant les droits de pâture dans le district de renniculture d’été de Riast/Hylling. Les propriétaires avaient soutenu que les auteurs n’avaient pas le droit de faire paître leurs rennes sur les terres agricoles privées de cette zone. En première instance, le 25 octobre 1994, le tribunal de district de Midtre Gauldal avait donné tort aux auteurs. Ceux ‑ci avaient formé un recours devant la cour d’appel de Frostating, laquelle l’avait rejeté le 15 décembre 1995. Les auteurs s’étaient alors pourvus devant la Cour suprême, affirmant qu’il y avait eu une erreur tant dans l’application de la loi que dans l’appréciation des faits par la cour d’appel de Frostating. Le 24 octobre 1997, la Cour suprême a conclu que les auteurs n’avaient pas le droit de faire paître leurs rennes dans la zone en question et les a déboutés par une décision prise à la majorité de 4 voix contre une.

2.7 Dans cette affaire, la Cour suprême a attaché une importance primordiale à son arrêt précédent du 6 juillet 1897, concernant les droits de pâture dans la partie occidentale de la zone en litige. Elle a estimé que « les tribunaux étaient bien mieux au fait des éléments de preuve au siècle dernier » et que « l’on devait se garder de méconnaître l’appréciation qu’avait faite des éléments de preuve la Cour suprême de 1897 ». La zone contestée en 1897 s’étendait toutefois plus à l’ouest que celle faisant l’objet de la plainte déposée dans l’affaire dont était saisie la Cour suprême en 1997. Concernant la question des droits de pâture dans la partie orientale de la zone contestée dans l’affaire de 1997, dont il n’avait pas été question dans l’arrêt de 1897, la Cour a estimé que la décision prise par la Cour suprême de 1897 « devait avoir grosso modo le même effet juridique ».

2.8 Dans une opinion dissidente, le juge de la Cour suprême Matningsdal a toutefois déclaré: « Dans l’appréciation des faits de la cause, j’attache moins d’importance à l’arrêt de la Cour suprême de 1897 que ne le fait le juge premier votant. Si l’on part de l’admission que les droits de pâture ne sont pas juridiquement contraignants pour la partie orientale de la zone, il faudra procéder à une réévaluation complète des éléments de preuve sans préjudice du résultat de l’appréciation qu’en avait faite la Cour suprême de 1897 ». Bien que dans l’affaire Aursunden 1997, la majorité ait déclaré que la question litigieuse présentait de nombreux aspects analogues à celle sur laquelle la Cour suprême de 1897 s’était prononcée, elle a pris sa décision sur la base de la législation en vigueur.

2.9 La zone contestée dans l’affaire Aursunden 1997 représente 4 à 5 % du district de renniculture de Riast/Hylling, mais selon les auteurs, sa valeur en tant que pâturage est bien moins importante. En outre, du fait que les auteurs ont perdu leurs droits d’élevage dans la « zone Storskarven », qui a fait l’objet d’un litige jugé tant dans l’affaire Aursunden 1997 que dans l’affaire de 1897 et dont la superficie est restreinte, ils n’ont pas accès à de larges zones adjacentes d’un seul tenant dans lesquelles on ne peut en fait pénétrer qu’en empiétant sur la zone interdite.

2.10 Comme suite à l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Aursunden 1997 , les auteurs ont perdu environ 120 km 2 de pâturages dans le district de renniculture de Ryast/Hylling. En outre, ils en ont perdu près de 33 km 2 à la suite d’une autre action en justice, l’affaire Tamnes du 6 novembre 1997.

2.11 D’autres affaires sont également pendantes qui, en raison de la pratique de la Cour suprême, pourraient aboutir à des pertes supplémentaires de zones de parcours pour les auteurs.

2.12 En premier lieu, les auteurs et les éleveurs du district de renniculture d’Essand sont parties à un nouveau procès, l’affaire Selbu , concernant les secteurs nord et ouest de ce district, qui couvre environ 90 km 2 de la zone de Riast/Hylling. Dans cette affaire, la cour d’appel de Frostating a tranché le 17 août 1999 en faveur des auteurs à une majorité de 3 voix contre 2. La minorité avait retenu les arguments de la majorité des juges de la Cour suprême dans l’affaire Aursunden 1997 . La Cour suprême a été saisie d’un pourvoi le 19 octobre 1999. Au moment où les auteurs ont présenté leur première communication, la Cour suprême n’avait pas encore statué sur la recevabilité de ce pourvoi.

2.13 En deuxième lieu, un nouveau conflit a surgi dans l’« Holtålen », la partie orientale du district de renniculture de Riast/Hylling, s’étendant sur environ 450 km 2 . Toutefois, dans un autre litige, l’affaire dite de Kvipsdal concernant une petite zone située en plein milieu du district de renniculture de Femund, le tribunal a tranché en faveur des auteurs.

2.14 Dans l’affaire Aursunden 1997 susmentionnée, la Cour suprême s’était appuyée sur l’arrêt de 1897; dans la dernière affaire, la Cour suprême s’est référée à un arrêt antérieur datant de 1892, concernant la même zone. Parmi les documents soumis à la Cour suprême tant dans l’affaire de 1897 que dans celle de 1892 figurait une étude de la population sami du sud de la Norvège publiée en 1888 par le professeur d’ethnologie Yngvar Nielsen. Dans cette étude, le professeur Nielsen avait lancé une nouvelle théorie allant à l’encontre de l’opinion communément admise jusqu’alors, selon laquelle le peuple sami avait migré du nord vers la région de Roros au milieu du XVIII e  siècle et était donc un nouveau venu dans la région. Cette théorie avait reçu l’aval de la Commission lapone instituée en 1889. D’après les auteurs, la Cour suprême avait attaché une grande importance à cette théorie et fondé son jugement sur le fait que des agriculteurs s’étaient installés dans la zone en question avant même que les Samis n’y pénètrent. Des recherches récentes montrent toutefois que les Samis sont apparus dans le sud de la Norvège plus de 150 ans auparavant et certaines études archéologiques indiquent la présence de Samis dans le sud de la Norvège dès avant le Moyen Âge.

2.15 Pour illustrer la façon dont la Commission lapone voyait les Samis, les auteurs ont communiqué la traduction suivante d’un extrait de la page 33 du rapport de cette dernière:

« Par ailleurs, il convient de respecter les droits des Lapons. Mais d’un autre côté, lorsque l’on évalue les droits et obligations mutuels des Lapons et des habitants sédentaires, il convient de garder à l’esprit les différentes conditions dans lesquelles ils exercent leur métier, l’agriculteur portant souvent de lourds fardeaux au cours de son travail pénible et ardu de cultivateur, tandis que le Lapon, dont le mode de vie alterne entre rudesse et oisiveté, échappe généralement à ce dur labeur. ».

2.16 La Commission lapone poursuit ainsi à la page 41:

«… s’agissant des communautés de Sondre Trondhjem et d’Hedemarken, les agriculteurs avaient commencé à y cultiver la terre bien avant l’arrivée des Lapons, et ils avaient dans une large mesure commencé à exploiter les vallées et les montagnes. Il ne fait donc pas de doute que ce sont les Lapons qui se sont imposés aux agriculteurs et sont pour eux une nuisance depuis. Plus tard, les agriculteurs ont apparemment étendu leurs cultures, établi des fermes dans les montagnes et exécuté d’autres travaux de défrichement dans les zones montagneuses où les Lapons circulaient peut-être auparavant sans aucune restriction, mais d’une manière générale, on ne peut supposer que les droits des Lapons ont été violés en raison du fait − comme cela est déclaré dans la proposition de la Commission de 1883 − que ces droits peuvent être considérés comme étant de nature à exclure ou empêcher un développement rationnel de l’agriculture et le progrès. ».

2.17 À la fin du XIX e  siècle, le Gouvernement norvégien a publié des instructions déniant aux enfants samis le droit de parler leur langue à l’école et adopté des dispositions aux termes desquelles seules les personnes qui parlaient le norvégien avaient le droit de lotir leurs propriétés. Le Ministre de l’intérieur a déclaré le 2 février 1869:

« …du point de vue économique et sauf en ce qui concerne les nomades du comté de Finmark, qui restent en Norvège toute l’année, il ne peut y avoir de doute que la culture nomade est un fardeau tel pour la Norvège qu’elle n’offre aucun avantage en compensation et que l’on doit en souhaiter la disparition inconditionnelle. ».

2.18 La communication est appuyée par l’Assemblée samie, le Conseil de la renniculture et l’Association norvégienne des éleveurs de rennes samis.

Teneur de la plainte

3.1 Les auteurs affirment qu’en ne reconnaissant ni ne protégeant leur droit de faire paître leurs troupeaux sur leurs parcours traditionnels, en contravention de l’article 27, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte, l’État partie a violé les droits que leur confère le Pacte. Ils affirment en outre qu’il y a eu violation de l’article 26 parce que la Cour suprême de Norvège a fondé ses considérants sur une appréciation des faits datant du XIX e  siècle, époque à laquelle les Samis souffraient de discrimination et les prétentions des propriétaires terriens norvégiens à des droits de propriété privée étaient favorisés.

3.2 Les auteurs affirment que l’État partie a violé l’article 27, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte en ne garantissant pas leur droit de jouir de leur propre culture. Ils renvoient aux Observations générales du Comité n os  23 et 18 et aux affaires Ominayak  c. Canada , Sara et consorts c.  Finlande , Ilmari Länsman et consorts c.  Finlande , Kitok  c. Suède et Jouni E. Länsman  c. Finlande , concernant les droits des autochtones en vertu du Pacte.

3.3 En particulier, les auteurs rappellent que le Comité a reconnu que l’article 27 imposait aux États parties l’obligation non seulement de protéger les aspects immatériels de la culture autochtone mais aussi de protéger sur le plan juridique les fondements matériels de cette culture . Pour l’interprétation de cet article, ils renvoient au paragraphe 2 de l’article premier du Pacte, qui prévoit que tous les peuples doivent pouvoir disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles et qu’ils ne peuvent être privés de leurs propres moyens de subsistance .

3.4 S’agissant des deux affaires Länsman c.  Finlande , dans lesquelles le Comité n’a pas constaté de violation de l’article 27, les auteurs soulignent qu’elles présentent quatre différences avec l’affaire examinée. Premièrement, la question en cause dans les deux affaires Länsman était de savoir si une action isolée de l’État partie représentait un déni des droits consacrés à l’article 27, alors que dans l’affaire présente, selon les auteurs, c’est le système de justice actuel qui viole ces droits. Deuxièmement, les activités de renniculture dans les affaires Länsman étaient seulement perturbées par des activités menées dans la zone, alors qu’en l’espèce les auteurs se voient privés de zones de renniculture. En raison des décisions adverses prises dans les affaires Aursunden 1997 , Korssjofjell et Tamnes , ainsi que de la probabilité que les affaires pendantes Selbu et Holtaalen aboutissent à un jugement en leur défaveur, les auteurs se sont vus restreindre plusieurs fois leurs droits de pâture.

3.5 De plus, la zone d’Aursunden faisant partie intégrante d’une zone d’élevage d’une importance vitale pour le district de Riast/Hylling, et les auteurs n’ayant pas accès à Aursunden, ils n’ont pratiquement aucun accès aux zones adjacentes. Ainsi, ils courent le risque de devoir mettre un terme à l’ensemble de leur activité de renniculture. Ils affirment que le seul moyen d’empêcher les rennes de paître dans la zone faisant l’objet du litige dans les affaires Aursunden 1997 et Korssjofjell serait soit de clôturer la zone soit de renforcer la surveillance des troupeaux. D’après les auteurs, aucune des deux solutions ne serait réaliste car les clôtures seraient recouvertes de neige en hiver et les dépenses d’entretien trop lourdes.

3.6 Troisièmement, il convient de noter qu’à l’inverse de ce qui s’est passé dans les deux affaires Länsman , dans l’affaire Aursunden 1997 la Cour suprême a rejeté le pourvoi sans examiner les droits que confère l’article 27 du Pacte aux auteurs. Enfin, ceux ‑ci soulignent que la Cour suprême dans l’affaire Aursunden 1997 a attaché une importance décisive à l’arrêt pris par la Cour suprême de 1897, à une époque où les Samis subissaient une discrimination flagrante.

3.7 Ils font valoir que la Cour suprême et l’État partie en général n’ont pas protégé les fondements matériels de la culture des Samis du Sud ainsi que le prescrivent les dispositions énoncées à l’article 27 et à l’article 2 du Pacte, du fait qu’ils ont donné une importance cruciale à des appréciations faites à une époque caractérisée par la discrimination et l’intégration forcée des Samis et où l’opinion officielle était que l’élevage du renne par les Samis constituait une charge pour les agriculteurs norvégiens.

3.8 Les auteurs affirment aussi que le droit norvégien concernant l’acquisition de droits découlant d’un usage immémorial, tel qu’il a été interprété et pratiqué par les tribunaux norvégiens, constitue en soi une violation de l’article 27. En ne reconnaissant pas la culture des Samis et leur conception de la loi, et en fixant les mêmes conditions pour l’acquisition du droit de pratiquer la renniculture que celles qui régissent d’autres aspects du droit de la propriété, les tribunaux norvégiens ont en fait empêché à maints égards les auteurs et le peuple sami, en raison de leur style de vie nomade, d’acquérir des droits de pâture reconnus par la loi et donc de jouir de leur propre culture.

3.9 Pour acquérir des droits de pâture reconnus par la loi sur la base d’un usage immémorial, les auteurs devront prouver à la Cour qu’ils ont exploité la zone en cause pendant plus de 100 ans. Ceci s’est déjà révélé difficile dans la pratique puisque les conditions d’acquisition de ces droits ne tiennent compte ni des caractéristiques spécifiques de la renniculture ni de la culture des Samis et de leur conception des droits fonciers. Ces conditions sont établies sur la base des droits concernant le bétail en général, ce qui a pour conséquence qu’un pâturage sporadique n’est pas considéré comme suffisant pour instituer des droits reconnus par la loi.

3.10 La renniculture nécessite de grands espaces, et les rennes ne paissent pratiquement jamais dans la même zone d’une année sur l’autre. Ils utilisent tout l’espace dont ils disposent pour paître. Ils sont faits pour s’adapter à leur environnement, à la topographie, à la situation des pâturages, aux conditions météorologiques et au régime des vents. Ces conditions déterminent l’étendue de la superficie nécessaire aux pâturages. Étant donné que la pérennité de la culture samie dépend de l’utilisation de ces terres, les conditions norvégiennes régissant l’acquisition de terres ont pour effet de les priver de leurs droits fondamentaux consacrés par l’article 27 du Pacte. Les auteurs citent la déclaration faite par le Parlement sami le 27 novembre 1997.

3.11 Les auteurs affirment qu’il est difficile de prouver quels ont été les premiers établissements dans les zones contestées, puisque leurs huttes et clôtures étaient faites de matériaux putrescibles et que les Samis n’ont jamais eu de culture écrite.

3.12 Ils affirment en outre que l’État partie n’a pas joué un rôle actif pour protéger leurs droits en s’abstenant d’intervenir dans les nombreux conflits portés ces 10 dernières années devant les tribunaux par les propriétaires terriens des districts où ils pratiquent la renniculture. Les auteurs et les Samis en général endurent depuis des années conflits, procès et souffrances, tant au plan économique qu’au plan personnel, en raison de la réticence de l’État partie à intervenir avant qu’un litige ne soit tranché par un arrêt de la Cour suprême.

3.13 Les auteurs ont saisi l’État partie des demandes d’expropriation pour assurer le droit de pâture des rennes dans les zones concernées par l’affaire Korssjofjell et l’affaire Aursunden 1997 , mais les demandes sont encore pendantes devant les autorités administratives.

3.14 Enfin, les auteurs affirment que l’État partie a violé l’article 2, lu dans le contexte de l’article 27, en ne garantissant pas aux auteurs le droit de jouir de leur propre culture.

3.15 En ce qui concerne leur affirmation selon laquelle il y a eu violation de l’article 26 du Pacte, les auteurs soutiennent que la Cour suprême, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Aursunden 1997 , ne les a pas protégés de la discrimination, puisqu’elle a fondé son appréciation des faits sur celle qu’avait eue la Cour suprême en 1897, à une époque où l’opinion générale était discriminatoire à l’égard des Samis. Ils affirment que la distinction faite entre les auteurs et les propriétaires fonciers privés dans la zone en litige n’est pas fondée sur des critères objectifs et raisonnables.

3.16 Les auteurs affirment que les recours internes ont été épuisés avec les procès des affaires Korssjofjell , Aursunden 1997 et Tamnes qui ont toutes été définitivement tranchées par la Cour suprême. Il reste une affaire pendante, l’affaire Selbu , et un nouveau conflit a éclaté dans une vaste zone s’étendant entre Aursunden et Selbu, appelée « Holtaalen ». Bien que les auteurs demandent principalement au Comité de se pencher sur la question de savoir si la Cour suprême en l’affaire Aursunden 1997 comme en l’affaire Korssjofjell , et l’État partie en général, ont ou non protégé les fondements matériels de la culture des Samis du Sud et si le système juridique norvégien comporte en lui ‑même des violations du Pacte, ils affirment que le Comité devrait prendre en considération tant les affaires jugées définitivement que les affaires pendantes. Ils estiment qu’ils ne peuvent pas continuer de présenter les mêmes requêtes aux tribunaux nationaux sur la base de faits pratiquement identiques concernant chacune des zones se trouvant dans les limites de leur district tant que le Comité n’a pas décidé de la question de savoir si le Pacte a été violé ou non.

3.17 Les auteurs ont déposé une demande d’expropriation auprès des autorités administratives de Norvège afin de garantir que des parcours de renniculture soient disponibles. Néanmoins, ils considèrent qu’il est pratiquement impossible d’éviter que des rennes ne pénètrent dans les zones faisant l’objet des décisions rendues dans les affaires Korssjofjell et Aursunden 1997 , et ils risquent donc en permanence d’être accusés d’utilisation illégale de ces zones. Les autorités ont le pouvoir discrétionnaire de décider de la suite à donner à la demande d’expropriation. L’examen de cette demande devrait être long et l’aboutissement en est incertain. D’après les auteurs, il n’est pas encore arrivé que des éleveurs samis, placés dans une situation analogue à celle des auteurs, aient reçu pleine réparation par expropriation. Bien que l’affaire relative à l’expropriation soit pendante, les auteurs considèrent qu’après plus d’une centaine d’années de litiges avec les propriétaires fonciers privés, il convient de considérer que les recours internes ont été épuisés ou sont inefficaces.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

4.1 Par une note verbale datée du 16 novembre 2000, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la communication. Il conteste la recevabilité des plaintes au titre des articles 2 et 26 au motif qu’elles ne sont pas suffisamment étayées, et de la plainte au titre de l’article 27 en affirmant que les recours internes n’ont pas été épuisés et que les auteurs ne peuvent pas être considérés comme des victimes au sens de l’article premier du Protocole facultatif.

4.2 En ce qui concerne la plainte au titre de l’article 27 et la condition énoncée à l’article premier du Protocole facultatif, il souligne que les auteurs ont pour « principal argument que le droit norvégien concernant l’acquisition de droits découlant d’un usage remontant à des temps immémoriaux, tel qu’il a été interprété et pratiqué par les tribunaux norvégiens, constitue en lui ‑même une violation de l’article 27 » et considère qu’il s’agit là d’une  actio popularis dont le Comité ne devrait pas avoir à connaître. Il affirme que la question dont devrait être saisi le Comité est de savoir si les droits conférés par le Pacte aux auteurs ont été violés par les décisions des tribunaux dans des affaires spécifiques, qui concernent les auteurs.

4.3 L’État partie rappelle que toutes les affaires mentionnées dans la communication concernent les droits de pâture des auteurs sur des terres privées, en droit privé norvégien. Il souligne que ces affaires portent sur l’équilibre à établir entre, d’une part, les intérêts privés légitimes de la population samie et, d’autre part, le droit des propriétaires fonciers de protéger leurs biens. Il rappelle que la propriété privée est protégée par la Constitution norvégienne ainsi que par le premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme qui est incorporé dans le droit norvégien et estime que ces dispositions devraient être prises en considération lorsque l’on examine dans quelle mesure les États parties ont l’obligation d’appliquer des normes de droit civil en vertu desquelles un certain groupe jouit d’un traitement préférentiel en raison de son origine ethnique.

4.4 L’État partie rappelle que la création d’un district de renniculture n’emporte pas en elle ‑même droit de pâture dans les limites de ce district. Les éleveurs doivent en outre appartenir au district considéré, être légalement fondés en droit norvégien à exercer leur droit de pâture vis ‑à ‑vis des propriétaires fonciers, droit qui peut par exemple découler d’un usage immémorial, d’un contrat ou d’une expropriation. À cet égard, il souligne que tant dans l’affaire Korssjofjell que dans l’affaire Aursunden 1997 , la Cour suprême a statué que les auteurs n’avaient pas acquis de droit de pâture dans les zones litigieuses, c’est ‑à ‑dire que les auteurs n’avaient jamais eu de tels droits sur les zones en question. Selon l’État partie, ceci contredit la prémisse apparente de cette communication selon laquelle un droit de pâture a été perdu.

4.5 Au sujet des plaintes des auteurs concernant les articles 2 et 26, l’État partie indique que dans l’affaire A ursunden 1997 la Cour suprême a été amenée à se prononcer sur la valeur probante des éléments ayant servi de fondement aux conclusions formulées dans l’arrêt de 1897 en raison de l’argumentation des auteurs selon laquelle la Cour suprême avait apprécié les faits de façon erronée en 1897. Les plaintes des auteurs reposent essentiellement sur l’assertion (jugée infondée dans l’arrêt de 1897) selon laquelle leur communauté aurait acquis des droits de pâture dans la zone considérée par un usage suffisamment documenté de ces terres depuis des temps immémoriaux. En 1997, se référant à l’affaire de 1897 la Cour suprême est parvenue au constat ci ‑après.

4.6 « Cette affaire a donné lieu à la présentation d’un volume considérable d’éléments de preuve, notamment des témoignages des parties ainsi que des témoignages au nom des Samis et des propriétaires. S’ajoutant à cela, le tribunal de première instance s’est rendu sur les lieux. À cette époque, on s’est également intéressé à la question de l’existence de vestiges d’établissements samis. J’attache de l’importance au fait que voilà un siècle les tribunaux étaient bien plus près des éléments de preuve, principalement l’usage allégué de la zone en litige pour le parcours de rennes. Plusieurs des témoins ayant déposé devant le tribunal de première instance – sur la décision duquel la Cour suprême a fondé son arrêt – étaient dépositaires de données d’expérience (relatives à la situation) remontant jusqu’aux années 1820.».

4.7 L’État partie indique qu’en 1997 la Cour suprême a examiné les plaintes soumises au Comité par les auteurs concernant les articles 26 et 2 et a estimé qu’aucun élément probant ne permettait d’étayer l’assertion selon laquelle en 1897 les juges de la Cour suprême avaient fait preuve de partialité dans l’appréciation des éléments de preuve. En 1997, la Cour suprême a formulé la constatation ci-après.

4.8 « L’arrêt (de 1897) de la Cour suprême fait clairement ressortir l’importance déterminante qu’elle accordait aux témoignages circonstanciés relatifs à l’existence et à la fréquence des parcours de rennes dans la zone en litige. Aucun élément ne permet de justifier l’opinion selon laquelle la Cour aurait fait preuve dès le début de partialité dans l’appréciation des éléments de preuve. ».

4.9 L’État partie estime que les auteurs demandent de facto un réexamen des conclusions de la Cour suprême relatives aux éléments de preuve de l’affaire. Étant donné que les auteurs n’ont soumis aucune information susceptible de servir de support à un réexamen des conclusions de la Cour suprême, l’État partie fait valoir que les plaintes des auteurs en vertu des articles 26 et 2 du Pacte devraient être déclarées irrecevables parce qu’insuffisamment étayées.

4.10 Au sujet de la plainte concernant l’article 27 du Pacte, l’État partie se réfère aux affirmations des auteurs selon lesquelles la Norvège ne serait pas acquittée des obligations positives lui incombant en vertu dudit article, en particulier en fixant pour l’acquisition par les Samis de droits à l’usage de terres des critères identiques à ceux applicables aux autres secteurs du droit à la propriété. Sur ce point, l’État partie souligne que, même à supposer que de telles obligations existent dans l’affaire considérée, il ne s’ensuivrait pas automatiquement que l’État soit tenu de les honorer en introduisant des critères moins rigoureux en faveur des Samis en droit norvégien de la propriété. Les intérêts des Samis ont été préservés en lieu et place par un mécanisme d’expropriation dans les cas où l’existence de droits de pâture n’a pas été antérieurement suffisamment établie dans des zones de parcours de rennes.

4.11 L’État partie souligne que les auteurs ont le droit de déposer une demande d’expropriation en vue d’obtenir les droits de pâture nécessaires et que cette option constitue un recours utile restant à épuiser dans l’affaire considérée.

4.12 En 1996, dans le prolongement de l’affaire  Korssjofjell (dans laquelle la Cour suprême a considéré que le classement administratif d’une zone en district de pâturage n’était pas un critère déterminant s’agissant des droits de pâture en droit privé), l’article 31 de la loi sur l’élevage de rennes a fait l’objet d’un amendement destiné à élargir les droits des usagers samis dans les zones de pâture, ce avec l’introduction d’une disposition autorisant l’expropriation de terres afin d’assurer de tels droits d’usage. Les travaux préparatoires relatifs à cette loi font ressortir que cet amendement avait pour objet ce qui suit.

4.13 « Donner aux autorités gouvernementales les moyens voulus pour prendre des dispositions énergiques tendant à sauvegarder les intérêts des éleveurs de rennes samis. La législation en vigueur ne les investit pas de tels pouvoirs. À défaut d’un élargissement des dispositions statutaires relatives à l’expropriation, il serait impossible aux autorités de prévenir les conflits ou de les résoudre. ».

4.14 Depuis l’entrée en vigueur de cet amendement, le recours à l’expropriation pour assurer des droits de pâture suffisants est un principe faisant partie intégrante de la politique de l’État partie et des instructions adressées par le Ministère de l’agriculture aux autorités concernées. S’agissant plus particulièrement des zones sur lesquelles portent les affaires  Aursunden 1997 et  Korssjofjell , le Ministère des pouvoirs locaux et du développement régional a indiqué dans un rapport soumis au Parlement qu’il était possible de recourir à l’expropriation pour faire respecter les droits de pâture des Samis éleveurs de rennes mais uniquement en dernier ressort après s’être efforcé de parvenir à un arrangement à l’amiable du type accord de bail rural avec l’État comme partie prenante.

4.15 Les auteurs ont saisi le Gouvernement norvégien de demandes d’expropriation concernant les terrains en litige dans les affaires Aursunden 1997 (le 2 avril 1998) et Korssjofjell (le 9 avril 1999). Au moment où l’État partie a soumis ses observations, il s’agissait des deux seules demandes de cet ordre reçues par le Gouvernement norvégien depuis l’amendement de 1996. Pour ce qui est des autres affaires mentionnées par les auteurs, ils ont gagné les affaires Kvipsdal et Selbu , cette dernière étant toujours en examen par la Cour suprême, et ils n’ont pas déposé de demande d’expropriation dans l’affaire Tamnes .

4.16 Aux termes de l’article 12 de la loi du 23 octobre 1959 sur l’expropriation, les parties doivent être encouragées à conclure un règlement à l’amiable avant d’engager une procédure d’expropriation. Dans l’affaire Aursunden 1997 , le Ministère de l’agriculture a ainsi mis en place un comité de négociation, le 4 novembre 1998 et les propriétaires fonciers ont nommé les membres de leur propre comité de négociation. Au cours de ce processus, les auteurs ont été entendus lors d’une séance du comité de négociation mis en place par le Gouvernement et ils ont été consultés par écrit sur le projet d’accord et la proposition d’accord avec les propriétaires fonciers. Le 4 février 2000, les comités de négociation sont parvenus à un accord qu’ils ont soumis à leurs mandants respectifs.

4.17 Cette proposition d’accord, qui porte sur environ 80 % des 121 kilomètres carrés de terrains de parcours visés par la demande d’expropriation, prévoit la mise en place d’une clôture à rennes d’une quarantaine de kilomètres de longueur ayant pour objet de faciliter le respect par les éleveurs de l’obligation statutaire leur incombant de garder sous contrôle d’une manière appropriée leurs troupeaux de rennes et de les maintenir sur les pâturages. Aux termes de cette proposition d’accord, l’État partie prendrait en charge le règlement d’un loyer annuel de pâturage ainsi que les coûts de construction et d’entretien de la clôture à rennes. L’État partie s’est engagé à prendre en charge tous les frais afférents à ces négociations (430 000 couronnes norvégiennes) ainsi qu’à la construction de la clôture à rennes (4,2 millions de couronnes norvégiennes).

4.18 En dépit de cette proposition d’accord, en mai 2000 les auteurs ont fait savoir au Ministère de l’agriculture qu’ils maintenaient leur demande d’expropriation. Le Gouvernement ne doute pas que le Ministère de l’agriculture veillera au respect des intérêts des auteurs, que ce soit en concluant la proposition d’accord ou en rendant une décision d’expropriation. Dans une éventualité comme dans l’autre, le Gouvernement norvégien proposera au Parlement d’affecter des crédits pour couvrir les frais encourus.

4.19 La procédure décrite plus haut sera sans doute mise en œuvre pour la demande d’expropriation portant sur les terrains en litige dans l’affaire Korssjofjell . L’État partie indique par ailleurs que les décisions de justice rendues jusqu’à présent sont sans incidence sur l’usage effectif des terrains en litige par les auteurs aux fins de l’élevage de rennes et que la proposition d’accord recommandée dans l’affaire Aursunden 1997 prévoit la prise en charge par l’État norvégien des coûts afférents à l’usage par les Samis des terrains en litige à compter de la date (24 octobre 1997) du jugement rendu dans l’affaire Aursunden .

4.20 L’État partie indique que la possibilité de déposer une demande d’expropriation constitue un recours disponible au sens de l’article 5 du Protocole facultatif et considère dès lors que le Comité n’a pas à déterminer si les auteurs sont victimes d’une violation de l’article 27 aussi longtemps qu’il n’aura pas été statué sur leurs demandes d’expropriation.

Commentaires des auteurs

5.1 Dans une lettre en date du 13 août 2001, les auteurs ont exposé leurs commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2 Les auteurs réfutent l’affirmation de l’État partie selon laquelle ils ne seraient pas des victimes au sens de l’article premier du Protocole facultatif parce que leur plainte constituerait une actio popularis. Ils indiquent être personnellement concernés par la norme relative à l’acquisition de droits découlant d’un usage remontant à des temps immémoriaux – selon l’interprétation donnée tant dans l’affaire Aursunden 1997 que dans l’affaire Korssjofjell . Ils ne demandent donc pas au Comité de se prononcer sur la norme de droit interne in abstracto puisqu’ils font valoir que la perte de droits de pâture dans les zones en litige devrait être envisagée en tenant compte des réductions antérieures de leurs droits de pâture intervenues dans le même district suite à des décisions de justice définitives ainsi que des réductions éventuelles pouvant résulter des affaires en cours d’examen par les tribunaux ou les autorités administratives.

5.3 Dans ce contexte, les auteurs signalent que le litige les opposant aux propriétaires fonciers de la municipalité de Selbu (l’affaire  Selbu) a été tranché par la Cour suprême plénière le 21 juin 2001 en faveur des auteurs. Le membre premier votant de la Cour suprême, le juge Matningsdal, a souligné, entre autres, l’importance des considérations relatives à la topographie et à l’usage extensif des pâturages à rennes lors de l’application du critère d’ usage comme base de l’acquisition de droit de pâture conformément aux règles relatives aux droits acquis depuis des temps immémoriaux. Il a conclu qu’il fallait adapter le critère d’usage des terres à la spécificité de la renniculture, c’est ‑à ‑dire envisager un usage moins intensif des terres par rapport à l’élevage des moutons et des vaches comme base pour l’acquisition de droit de pâturage pour l’élevage de rennes et a fait ressortir les problèmes méthodologiques rencontrés par les familles pour prouver l’usage ancien de terres à des fins de pâturage pour l’élevage de rennes.

5.4 Les auteurs affirment que la démarche suivie dans l’affaire  Selbu ne l’a été ni dans l’affaire Korssjofjell ni dans l’affaire Aursunden 1997 , avec pour résultat la perte de zones de pâturage d’une importance vitale pour les auteurs, ce en violation de droits protégés par le Pacte. Dans ces deux dernières affaires, la Cour suprême a en outre semblé moins attentive à la prise en considération de la topographie aux fins de la délimitation entre zones de pâturage légales et illégales.

5.5 Au sujet de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les plaintes des auteurs au titre de l’article 27 doivent être mises en balance avec les intérêts des propriétaires privés légitimes, les auteurs font valoir que les droits que leur reconnaît l’article 27 du Pacte n’ont pas été pris en considération dans le jugement rendu dans les affaires Aursunden 1997 et Korssjofjell . Ils soulignent que la jurisprudence relative à l’acquisition de droits découlant d’un usage immémorial telle qu’elle transparaît dans ces jugements dénote une prise en considération inappropriée des particularités de l’élevage de rennes par rapport, par exemple, à l’élevage de moutons ou de vaches, et est inapte à assurer aux auteurs le droit de vivre conformément à leur culture. Les auteurs affirment que cette prise en considération inappropriée de la situation particulière du peuple sami dans l’application des normes norvégiennes relatives aux droits des usagers a abouti à l’établissement d’une distinction entre agriculteurs norvégiens et éleveurs de rennes samis ne reposant pas sur des critères raisonnables et objectifs. Les auteurs estiment même au contraire qu’ils auraient dû bénéficier d’un traitement préférentiel conformément aux articles 26 et 27 afin de rétablir l’équilibre et l’égalité entre les auteurs et les propriétaires fonciers, dans un souci de protection de la culture samie.

5.6 En réponse à l’affirmation de l’État partie réfutant la perte par les auteurs de droits de pâture dans les zones en litige dans les affaires Korssjofjell et Aursunden 1997 parce qu’ils n’auraient acquis aucun droit de pâturage dans lesdites zones, les auteurs indiquent que la Cour suprême a reconnu que le peuple sami avait fait usage des zones en question pendant plus de 100 ans et ils persistent à faire valoir qu’ils ont de facto perdu leurs droits de pâture dans ces zones.

5.7 À propos de leur plainte visant une violation des articles 26 et 2 du Pacte, les auteurs précisent ne pas demander au Comité d’apprécier les faits dans l’affaire Aursunden 1997 tout en continuant à affirmer que dans cette affaire la Cour suprême n’a pas procédé à une appréciation intégrale et indépendante des faits et a au lieu de cela attaché une importance déterminante à des appréciations antérieures des faits reposant sur une conception inacceptable des Samis. Cette opinion a été appuyée par le professeur Jens Edvin A. Skoghoy , à présent juge à la Cour suprême, qui a déclaré ce qui suit au sujet de l’affaire  Aursunden.

5.8 « À mon avis, dans l’affaire Riast/Hylling la majorité a attaché une trop grande importance à l’arrêt de 1897. La perception de la culture samie par les autorités publiques a évolué depuis et on ne peut exclure que l’appréciation des éléments de preuve par la Cour suprême en 1897 ait été influencée par l’attitude des autorités publiques de l’époque. En outre, de récents travaux de recherche historique ont mis à la disposition de la Cour suprême un tableau historique de la situation de l’époque. Mon opinion est que la Cour suprême aurait dû procéder à une appréciation indépendante des éléments de preuve.».

5.9 Au sujet de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes du fait qu’ils n’ont pas demandé l’ouverture d’une procédure administrative d’expropriation, les auteurs rappellent le principe selon lequel les recours en question doivent être utiles et accessibles et que leur application ne doit pas être d’une durée déraisonnable.

5.10 S’agissant de l’accord recommandé concernant les zones en litige dans l’affaire Aursunden 1997 , les auteurs ont joint deux lettres du Ministère de l’agriculture en date de janvier 2001 dans lesquelles le Ministère indique que 38 % seulement des propriétaires fonciers souhaitent souscrire audit accord. Dans une lettre de l’avocat des propriétaires fonciers en date du 26 mars 2001, il est indiqué que ces propriétaires sont pour plusieurs raisons hostiles à l’accord. Les négociations n’ont toujours pas abouti et les auteurs doutent que l’accord recommandé permette de préserver leurs intérêts.

5.11 La demande d’expropriation déposée dans l’affaire Aursunden 1997 l’a de surcroît été il y a plus de trois ans (le 2 avril 1998) et demeure pendante malgré l’indication de l’État partie selon laquelle la décision relative aux terrains en litige est attendue au premier semestre de 2001. Les auteurs estiment douteux que leur demande aboutisse à leur satisfaction.

5.12 L’État partie fait valoir que les décisions de justice en question n’ont jusqu’à présent eu aucun effet sur l’usage effectif des terrains en litige par les auteurs aux fins de l’élevage de rennes. Alors qu’ils étaient encore dans l’attente des résultats de leur demande d’expropriation, le 25 août 2000 des poursuites pénales ont été engagées contre les auteurs pour usage illégal de terrains situés au nord d’Aursunden et ils craignent de faire l’objet d’autres poursuites pour usage illégal des terrains en litige. Dans le cadre de ces poursuites judiciaires, le 23 avril 2001 la police du district d’Uttrondelag a infligé aux auteurs une amende de 50 000 couronnes norvégiennes; ils ont refusé de la payer et doivent comparaître du 7 au 9 janvier 2002.

5.13 Enfin, les auteurs appellent l’attention sur la charge financière que font peser sur eux les actions privées qu’ils ont intentées en justice. Les frais afférents à ces instances incombent en principe personnellement aux auteurs même si jusqu’à présent ils leur ont été remboursés par imputation sur le Fonds pour l’élevage des rennes – mécanisme de financement public doté d’environ 1,3 million de couronnes, qui dispose de ce fait de moins de ressources à consacrer à ses projets.

Observations supplémentaires de l’État partie

6. Par une note verbale du 7 mars 2002, l’État partie a informé le Comité que le 21 janvier 2002 le tribunal de première instance avait acquitté les auteurs dans l’affaire pénale concernant l’usage illégal de terrains situés au nord d’Aursunden. Il a été fait appel de ce jugement, qui n’est donc pas définitif. L’État partie précise toutefois que cette plainte pénale concerne un différend entre particuliers et n’a aucun rapport avec l’affaire à l’examen.

Délibérations du Comité

7. Par une décision du 21 décembre 2000, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a décidé que le Comité examinerait séparément la recevabilité et le fond des communications.

Examen de la recevabilité

8.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Comme il est tenu de le faire par le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3 En ce qui concerne l’article 26 et l’article 2, le Comité note les arguments des auteurs selon lesquels, dans l’affaire Aursunden 1997, la Cour suprême a attaché de l’importance à la décision de la Cour suprême de 1897, qui reposait sur une attitude entachée de discrimination à l’égard des Samis. Cependant, les auteurs n’ont pas présenté d’éléments permettant de mettre en cause la constatation de la Cour suprême dans l’affaire Aursunden 1997 selon laquelle dans sa décision de 1897 la Cour suprême n’avait pas fait preuve de partialité à l’encontre des Samis. Il n’appartient pas au Comité de réévaluer les faits qui ont été examinés par la Cour suprême dans l’affaire Aursunden 1997 . Le Comité estime que les auteurs n’ont pas présenté d’arguments étayant cette partie de leur plainte aux fins de la recevabilité, et que leur plainte est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.4 S’agissant de la plainte pour violation supposée de l’article 27 en conjonction avec l’article 2 du Pacte, l’État partie en réfute la recevabilité aux motifs que les auteurs ne sont pas des victimes au sens de l’article premier du Protocole facultatif et qu’ils n’ont pas épuisé les recours internes conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.5 Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel la plainte des auteurs constituerait une actio popularis puisqu’ils ne peuvent pas être considérés comme victimes d’une violation par l’État partie de l’article 27 du Pacte au sens de l’article premier du Protocole facultatif. Il constate cependant que la plainte des auteurs concerne le déni de leurs droits à faire paître des rennes dans certaines zones précises. Il récuse donc l’affirmation de l’État partie selon laquelle cette partie de la communication doit être rejetée en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

8.6 Au sujet de l’affirmation de l’État partie selon laquelle, contrairement aux dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes, le Comité relève que l’État partie a montré que les auteurs n’avaient pas encore épuisé tous les recours puisque dans certaines affaires ils n’avaient pas déposé de demandes d’expropriation auprès des autorités administratives. Les auteurs ont saisi la justice dans les affaires Tamnes , Aursunden 1997 et Korssjofjell et les demandes d’expropriation déposées par les auteurs dans ces deux dernières affaires sont pendantes, mais ils n’ont pas formulé de demande d’expropriation dans la première de ces affaires. Le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, un requérant est tenu de faire usage de tous les recours judiciaires ou administratifs lui offrant des perspectives raisonnables d’obtenir réparation. La procédure d’expropriation, recours prévu par la loi de 1996, reste pendante. Il apparaît donc que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes.

8.7 Toutefois, il s’agit de savoir si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. Le Comité note l’argument des auteurs selon lequel leur communauté fait usage des recours judiciaires internes depuis plus d’un siècle et les demandes d’expropriation qu’ils ont déposées en 1998 et 1999 restent pendantes, ce qui excède un délai raisonnable.

8.8 Le Comité estime que le temps qu’il a fallu aux auteurs pour obtenir réparation ne peut pas être compté à partir du moment où les Samis ont engagé des procédures au sujet de leurs droits de parcours, mais de celui où les auteurs eux ‑mêmes ont saisi les tribunaux. Le Comité note que les auteurs ont présenté des demandes d’expropriation le 2 avril 1998 dans l’affaire Aursunden et le 9 avril 1999 dans l’affaire Korssjofjell. Dans le cadre de cette procédure, des négociations ont été engagées qui ont débouché sur un accord en février 2000; mais l’accord a été repoussé en mai 2000, ce qui a contraint les autorités à rouvrir la procédure d’expropriation.

8.9 Le Comité considère que l’amendement de la loi sur l’élevage de rennes, puis la mise en route de négociations en vue d’offrir une solution aux auteurs, sont une explication raisonnable de la durée de l’examen des demandes des auteurs. Il ne peut pas conclure que la législation norvégienne, faisant obligation aux auteurs de mener à son terme la procédure de conciliation avec les propriétaires fonciers avant de déposer une demande d’expropriation, est déraisonnable. Il note également que, si les auteurs ont fait l’objet d’une plainte pénale pour usage illégal de terrains en litige, ils ont été acquittés et ont pu poursuivre leur élevage de rennes à la même échelle qu’avant les arrêts rendus par la Cour suprême. Le Comité ne peut donc pas conclure que les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. Les auteurs n’ayant pas épuisé tous les recours internes, leur plainte concernant l’article 27 est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.10 Le Comité considère qu’étant donné le nouveau recours prévu par la loi de 1996, la plainte doit être jugée irrecevable. Il invite néanmoins instamment l’État partie à mener rapidement la procédure à bonne fin.

9. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

APPENDICE

Opinion individuelle, dissidente, de MM. Louis Henkin, Martin Scheinin et Solari Yrigoyen

Nous estimons que la communication aurait dû être examinée quant au fond. La décision d’irrecevabilité adoptée par la majorité repose essentiellement sur l’alinéa  b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, en d’autres termes sur le non ‑épuisement des recours internes disponibles. Cette conclusion est selon nous erronée pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, nous ne pensons pas que le fait de saisir les autorités administratives de l’État partie afin qu’elles engagent une procédure d’expropriation pour garantir les droits des auteurs en tant qu’éleveurs de rennes constitue un recours utile au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Les auteurs ont déjà épuisé une série de recours juridictionnels en portant leur affaire jusque devant la Cour suprême. Ils ne sont même pas parties à la procédure d’expropriation (voir par. 4.16), qui ne saurait donc être considérée comme un recours utile restant à épuiser. Les auteurs ont tout exercé le recours supplémentaire qui pouvait encore leur être ouvert pour obtenir l’expropriation par le simple dépôt de leur requête, en permettant ainsi de déclencher la procédure. L’issue de cette procédure et la question du délai dans lequel la décision serait rendue devraient être examinées au fond par le Comité, qui devrait s’interroger sur les mesures prises par l’État partie en vue de donner effet aux droits consacrés à l’article 27.

Ensuite, à supposer même que la procédure d’expropriation constitue en soi un recours utile devant être épuisé, celle ‑ci a déjà excédé les délais raisonnables au sens du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. Les auteurs ont présenté leur demande d’expropriation le 2 avril 1998 après avoir été déboutés par la Cour suprême dans l’affaire Aursunden , à l’issue d’une procédure relativement longue. Près de trois ans plus tard, le 26 mars 2001, le règlement proposé a été rejeté par les propriétaires fonciers. Bien que l’État partie ait depuis adressé une note verbale au Comité, en date du 7 mars 2002, il n’a pas tenu celui ‑ci informé des événements ultérieurs et n’a pas expliqué pourquoi quatre ans et demi s’étaient écoulés depuis que les auteurs avaient déposé leur requête ni indiqué une échéance à laquelle une décision pourrait être attendue. Dans ces conditions, le Comité aurait dû conclure que la procédure de recours avait excédé les délais raisonnables.

De plus, il apparaît que les arrêts de la Cour suprême donnant tort aux auteurs ne sont pas sans incidences sur l’exercice des droits consacrés à l’article 27. L’élevage étant devenu illégal dans certaines zones jusque ‑là utilisées par les auteurs, de nouvelles actions risquent d’être intentées contre eux et de déboucher sur des sanctions légales s’ils continuent à pratiquer l’élevage du renne dans ces zones. Il n’a même pas été montré que la procédure d’expropriation, même si elle aboutissait, constituerait un recours pour ce grief précis.

Enfin, outre les arguments juridiques exposés ci ‑dessus, il existe une raison pratique. Toute décision d’irrecevabilité pour non ‑épuisement des recours internes peut être réexaminée. La majorité des membres du Comité a d’ailleurs fait référence au paragraphe 2 de l’article 92 du Règlement intérieur, qui permet aux auteurs de demander au Comité de reconsidérer une telle décision. Il nous semble donc déraisonnable de déclarer la communication irrecevable alors que tout laisse à penser que les auteurs demanderont prochainement la réouverture du dossier.

Pour ce qui est de la plainte pour violation de l’article 26, nous estimons qu’elle est sans fondement seulement si leurs griefs au titre de l’article 27 sont déclarés irrecevables. Étant donné que nous considérons la partie de la communication relative à l’article 27 comme recevable, il en va de même en ce qui concerne l’article 26.

( Signé ) Louis  Henkin

( Signé ) Martin  Scheinin

( Signé ) Hipólito Solari Yrigoyen

K. Communication n o  951/2000 Kristjánsson c. Islande * (Décision adoptée le 16 juillet 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par :

M. Bjorn Kristjánsson (représenté par un conseil, M. Ludvik Emil Kaaber)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Islande

Date de la communication :

6 juillet 2000 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 juillet 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est un citoyen islandais, M. Bjorn Kristjánsson, qui se dit victime d’une violation par l’Islande de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Islande le 22 novembre 1979.

Législation pertinente

2.1 Durant les années 1970, la capacité de pêche de la flotte islandaise a dépassé la faculté de reconstitution des stocks halieutiques et des mesures se sont imposées pour préserver la principale ressource naturelle du pays. Après plusieurs tentatives infructueuses ayant tendu à limiter les captures de plusieurs espèces et à assujettir l’usage de certains types d’engins ou de certains types de navires à l’obtention d’une licence, la loi n o  82/1983 a introduit un système de gestion des pêcheries (dit «régime des quotas») fondé sur l’attribution de quotas de captures aux bateaux de pêche en fonction de leurs captures antérieures.

2.2 Les exploitants des bateaux ayant pratiqué la pêche d’espèces démersales pendant la période allant du 1 er  novembre 1980 au 31 octobre 1983 se sont vu reconnaître la possibilité d’obtenir une licence de pêche, ce en vertu du règlement n o  44/1984 (sur la gestion des espèces démersales) portant application de la loi susmentionnée. Ces bateaux ont été admis au bénéfice de quotas de pêche déterminés en fonction du volume de leurs captures pendant la période de référence. De nouveaux règlements sont venus préciser les principes ainsi posés − qui ont été incorporés dans un texte législatif (loi n o  97/1985) disposant que nul ne pouvait capturer sans permis les espèces suivantes: poissons démersaux, crevettes, homards, coquillages, harengs et capelans. Le régime des quotas de capture est devenu permanent avec l’adoption de la loi n o  38/1990 sur la gestion des pêcheries, encore en vigueur.

2.3 L’article premier de la loi susmentionnée dispose que les bancs de pêche entourant l’Islande sont le patrimoine commun de la nation islandaise et que l’attribution de quotas n’ouvre pas droit à une appropriation privative ou une maîtrise irrévocable desdits bancs par des particuliers. L’article 3 de cette loi charge le Ministre de la pêche d’édicter un règlement fixant les totaux admissibles de captures (TAC) par période ou saison donnée pour les différents stocks marins exploitables dans les eaux islandaises dont on a jugé nécessaire de plafonner l’exploitation. Les droits de pêche institués par la loi sont calculés en se fondant sur ces TAC et chaque bateau se voit attribuer une fraction déterminée du TAC pour chaque espèce visée (la part de quota). Aux termes du paragraphe 1 de l’article 4 de la loi, nul ne peut pratiquer la pêche commerciale dans les eaux islandaises sans être titulaire d’un permis de pêche général. Le paragraphe 2 de l’article 4 autorise le Ministre à édicter des règlements instituant l’obligation d’obtenir un permis spécial pour la capture de certaines espèces ou de faire usage de certains types d’engins ou de certains types de bateaux. Le paragraphe 1 de l’article 7 dispose que la pêche des espèces marines vivantes ne faisant pas l’objet des TAC visés à l’article 3 est ouverte à tous les bateaux dotés d’un permis de pêche commerciale. Le paragraphe 2 de l’article 7 dispose que les droits de pêche concernant les espèces dont le total des captures est plafonné sont attribués à titre individuel aux bateaux. Les parts de quota pour les espèces non assujetties auparavant à des TAC sont calculées sur la base des captures des trois dernières campagnes de pêche. Pour les espèces déjà assujetties à une restriction de pêche, les parts de quota sont calculées sur la base des attributions des années précédentes. Le paragraphe 6 de l’article 11 de la loi dispose que la part de quota d’un bateau peut être transférée en tout ou partie à un autre bateau ou fusionnée avec la part de quota d’un autre, étant entendu qu’un tel transfert ne doit pas avoir pour résultat de porter les droits de pêche du bateau bénéficiaire à un niveau manifestement supérieur à sa capacité de pêche. Celles des parties admises à titre permanent au bénéfice d’une part de quota qui n’exercent pas de manière satisfaisante ce droit s’exposent à le perdre à titre permanent. La loi sur la gestion des pêcheries plafonne en outre la part de quota qu’un particulier ou une personne morale est susceptible de détenir.

2.4 En décembre 1998, dans l’affaire Valdimar Johannesson c.  République d’Islande , la Cour suprême islandaise a rendu un arrêt dans lequel elle a estimé que le refus du Gouvernement d’attribuer au requérant une licence de pêche en application de l’article 5 de la loi sur la gestion des pêcheries était contraire aux articles 65 (droit à l’égalité devant la loi) et 75 (liberté d’exercer un emploi de son choix) de la Constitution. Le Parlement a par la suite adopté la loi n o  1/1999 qui prévoit que tout ressortissant islandais exploitant un bateau de pêche immatriculé et doté d’un certificat de navigabilité est habilité à obtenir une licence de pêche. Tout titulaire d’une licence de pêche est quant à lui habilité à négocier l’achat de fractions de quota avec les détenteurs de quotas et à «louer» des quotas de tonnage à la bourse des quotas.

Rappel des faits présentés par l’auteur

3.1 L’auteur affirme que malgré l’article premier de la loi sur la gestion des pêcheries, les quotas de pêche sont dans la pratique devenus un patrimoine transférable. Les parties possédant des droits de pêche en vertu du règlement initial n o  44/1984 peuvent céder des quotas à d’autres parties contre paiement. Le prix des quotas de tonnage est déterminé par la bourse des quotas régie par la loi n o  11/1998 y relative et que gère un conseil d’administration dont les membres sont nommés par le Ministre de la pêche. L’auteur indique que les prix des quotas sont élevés au point de mettre un pêcheur n’en possédant pas dans l’impossibilité de réaliser le moindre bénéfice. Le secteur de la pêche est de la sorte pratiquement fermé à tout nouvel entrant alors que, selon l’auteur, de nombreux Islandais souhaitent exercer l’activité de pêche car c’est un métier profondément enraciné dans la culture islandaise tout en étant d’ailleurs la seule activité productive accessible aux hommes dans la force de l’âge. L’auteur ajoute que chaque année des milliers de tonnes de poissons de petite taille (et donc non susceptibles d’être vendus au meilleur prix) sont rejetés en mer afin de ne pas être imputés sur les quotas.

3.2 En 1999, l’auteur travaillait comme capitaine de bateau pour la société Hyrnó, propriétaire immatriculé du bateau de pêche Vatneyri . Le 10 février 1999, cette société a déclaré publiquement que ses bateaux iraient pêcher même sans disposer de quota pour certaines espèces capturées. L’auteur estime avoir le droit d’accéder au même titre que d’autres aux bancs de pêche et indique avoir été disposé à acheter à un organisme public mais non à un particulier ce droit d’accès. Le propriétaire du bateau avait initialement l’intention d’acheter un quota de tonnage correspondant à ce qu’il était susceptible de capturer mais, après avoir constaté que le prix de la morue à la bourse des quotas était égal ou supérieur au prix qu’il pouvait espérer obtenir pour ses prises au retour au port, il a décidé de passer outre les dispositions légales, convaincu que la justice les jugerait contraires à la Constitution.

3.3 L’auteur est rentré au port le 16 février 1999 et a débarqué 33 623 kg de morue. Le 16 août 1999, des poursuites ont été engagées contre l’auteur et le propriétaire du bateau pour avoir enfreint les lois n os  57/1996, 38/1990 et 97/1997 en ayant pêché sans être titulaires d’un quota. Le 5 janvier 2000, l’auteur et le propriétaire ont été relaxés par le tribunal de district des Fjords occidentaux qui a estimé, en se référant à l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire Valdimar , que le paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur la gestion des pêcheries était contraire aux articles 65 (droit à l’égalité) et 75 (liberté de l’emploi) de la Constitution. L’auteur indique que sa relaxe a suscité chez des membres du Gouvernement et des représentants des milieux économiques de vives critiques, que certains ont perçues comme attentatoires à l’indépendance des magistrats. Le 6 avril 2000, la Cour suprême islandaise a infirmé le jugement de la juridiction inférieure. Il a déclaré aussi bien l’auteur que le propriétaire coupables. Le propriétaire de la société a été condamné à une amende de 1 million de couronnes islandaises et l’auteur à une amende de 600 000 couronnes islandaises. L’arrêt a été rendu par une majorité de quatre juges, un juge ayant exprimé son accord sur la condamnation mais son désaccord sur la peine et deux juges ayant exprimé leur désaccord sur la condamnation.

Teneur de la plainte

4. L’auteur affirme que l’État partie a violé l’article 26 du Pacte en accordant à une minorité de ses citoyens le droit exclusif de percevoir d’autres citoyens une redevance pour l’accès à une ressource naturelle renouvelable de grande valeur − répartie sur une superficie près de sept fois supérieure à celle du territoire terrestre de l’Islande − qui n’était auparavant pas assujettie au droit de propriété et en le reconnaissant coupable d’une infraction pénale du fait de son refus de se plier à cette disposition. Il fait valoir que l’exploitation de ces ressources au cours de la période allant du 1 er  novembre 1980 au 31 octobre 1983 par les bénéficiaires de ce privilège ne saurait le justifier.

Observations de l’État partie

5.1 Dans une note verbale en date du 23 janvier 2001, l’État partie conteste la recevabilité de la communication à trois égards: non-épuisement des recours internes (par. 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif); insuffisance des éléments apportés par l’auteur pour étayer l’affirmation selon laquelle il serait victime d’une violation de l’article 26 (art. 90 b) du Règlement intérieur du Comité); incompatibilité de la communication avec les dispositions du Pacte (art. 3) du Protocole facultatif.

5.2 Au sujet de l’application du principe d’égalité en droit islandais, l’État partie souligne que la Constitution et le droit civil général garantissent la complète indépendance de l’appareil judiciaire islandais et que cela s’applique pleinement dans la pratique. L’État partie réfute donc l’affirmation de l’auteur selon laquelle le Gouvernement aurait exercé sur la Cour suprême des pressions qui auraient indûment influé sur l’arrêt rendu par cette instance dans l’affaire de l’auteur. À ce propos, l’État partie renvoie à divers arrêts marquants rendus par la Cour suprême en se fondant sur l’article 65 de la Constitution − qui s’inspire de l’article 26 du Pacte − en particulier dans l’affaire Valdimar Jóhannesson . Dans le cas de l’auteur, la Cour suprême a procédé là aussi à un nouvel examen, approfondi, de la compatibilité du système de gestion des pêcheries islandaises avec les principes généraux de liberté de l’emploi et d’égalité des citoyens et a conclu à la compatibilité.

5.3 L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles en ce qu’il n’a pas sollicité l’obtention du permis de pêche qui lui aurait donné la possibilité d’acquérir ou de louer des parts de quota. L’État partie souligne que la validité de la condition préalable à l’obtention d’un permis de pêche − à savoir la possession d’un bateau par le requérant − n’a pas été contestée par l’auteur. De l’avis de l’État partie, l’auteur n’a pas fait usage des moyens nécessaires pour se voir attribuer des droits de pêche.

5.4 L’État partie fait valoir par ailleurs que l’auteur n’a pas démontré en quoi l’article 26 du Pacte s’applique en l’espèce. L’État partie note que l’auteur se contente d’avancer des arguments à caractère général sans exposer sa propre position et sans apporter d’éléments analytiques tendant à établir qu’il a été victime de discrimination par rapport à d’autres personnes se trouvant dans une position similaire. L’État partie rappelle que l’auteur était employé par la société Hyrnó et qu’au moment des faits cette société avait déjà utilisé la part de quota permanente attribuée à ses bateaux en vertu du paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur la gestion des pêcheries. Les bateaux de la société Hyrnó, y compris le bateau dont l’auteur était capitaine, s’étaient vu attribuer une part de quota sur la base de leurs captures antérieures au même titre que les autres bénéficiaires de ces dispositions. Selon l’État partie, l’auteur doit avoir eu parfaitement conscience du fait qu’il commettait une infraction pénale en sortant en mer pour pêcher après l’épuisement des droits de pêche de sa société. L’ouverture de poursuites pénales contre l’auteur ne constitue en rien une discrimination à son égard puisque de nombreuses poursuites de cet ordre sont intentées chaque année en application des diverses dispositions pertinentes de la législation relative à la gestion des pêcheries.

5.5 L’État partie fait également valoir que la liberté de l’emploi − un des principaux points invoqués par l’auteur devant les tribunaux internes − n’est pas protégée en tant que telle par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et qu’en l’absence d’arguments précis démontrant que les restrictions à sa liberté de l’emploi revêtaient un caractère discriminatoire, la communication devrait être considérée irrecevable en ce qu’elle est incompatible avec les dispositions du Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

5.6 S’agissant du fond de la communication, l’État partie fait valoir qu’aucune discrimination contraire à la loi n’a été faite entre l’auteur et les parties auxquelles des droits de pêche ont été attribués. En l’occurrence il s’agit d’une différence de traitement justifiable puisque son objet est licite et repose sur des motifs raisonnables et objectifs, énoncés par la loi et se caractérisant par une proportionnalité entre les moyens employés et le but recherché. L’État partie explique que l’intérêt public exige que des restrictions soient imposées à la liberté des individus de pratiquer la pêche commerciale afin d’empêcher la surpêche. Des restrictions à cet effet sont inscrites dans les dispositions de la législation relative aux pêches. L’État partie fait en outre observer que la répartition de ressources limitées ne peut s’effectuer sans une forme ou une autre de discrimination et indique que le législateur a fait preuve de pragmatisme dans la définition des modalités d’attribution des permis. L’État partie rejette l’opinion de l’auteur selon laquelle le principe d’égalité protégé par l’article 26 du Pacte doit s’interpréter comme imposant l’obligation d’attribuer à tous les citoyens d’un État une partie de ressources limitées. L’État partie souligne en outre que la loi sur la gestion des pêcheries autorise le transfert des droits de pêche − garantissant ainsi à de nouvelles parties l’accès à la pêche d’espèces pour lesquelles des plafonds de capture ont été fixés. À ce propos, l’État partie indique que l’employeur de l’auteur (la société Hyrnó) a elle-même transféré à d’autres parties des droits de pêche qui avaient à l’origine été attribués au bateau de l’auteur et que c’est là une des raisons pour lesquelles ce bateau avait épuisé ses droits de pêche au moment de l’infraction.

5.7 L’État partie souligne que tout citoyen islandais disposant d’un bateau immatriculé et doté d’un certificat de navigabilité peut solliciter un permis de pêche général et capturer les espèces de poissons dont le volume des captures n’est pas plafonné. En outre, il peut obtenir des droits de pêche pour des espèces de poissons dont la capture est soumise à plafonnement en achetant une part de quota permanent ou un quota de capture pour une période déterminée. L’État partie fait observer que le caractère permanent et transférable des droits de pêche est garant d’efficacité économique et constitue la meilleure méthode de concilier les objectifs économiques et biologiques assignés à la gestion des pêcheries. Enfin, l’État partie signale que la troisième phrase de l’article premier de la loi sur la gestion des pêcheries indique clairement que l’attribution de droits de pêche à une partie ne l’investit pas d’un droit de propriété ni d’un pouvoir irrévocable sur les droits de pêche. Les droits de pêche ne sont donc permanents qu’en ce qu’ils ne peuvent être abolis ou modifiés que par un texte législatif. L’État partie ajoute qu’un réexamen de la législation relative à la gestion des pêcheries est prévu d’ici à la fin de la saison de pêche 2000 ‑2001.

5.8 En conclusion, l’État partie fait valoir que la discrimination découlant du système de gestion des pêcheries repose sur des considérations objectives et pertinentes et vise à atteindre des objectifs légitimes fixés par la loi. Des restrictions ont certes été imposées à la liberté de l’emploi mais dans le respect du principe d’égalité et le requérant n’a pas apporté suffisamment d’éléments pour étayer l’affirmation selon laquelle il serait victime d’une discrimination contraire à la loi constituant une violation de l’article 26 du Pacte.

5.9 Dans un mémoire supplémentaire en date du 25 septembre 2001, l’État partie formule des observations complémentaires relatives au fond de la communication. Il explique que tous les citoyens islandais sont autorisés à pêcher dans les eaux baignant le pays aux fins de leur consommation particulière et que les textes réglementaires relatifs à la gestion des pêcheries n’ont imposé aucune interdiction en la matière. L’État partie estime que les problèmes soulevés dans la communication touchent à la question de savoir jusqu’à quel point il est permis de restreindre la liberté de l’auteur de choisir pour emploi la pêche à but lucratif ou professionnelle. L’État partie réaffirme qu’aucune discrimination contraire à la loi n’a été faite entre l’auteur d’un côté et les personnes auxquelles ont été attribués des droits de pêche de l’autre et que la différence de traitement instituée se justifie.

5.10 L’État partie constate que l’auteur n’a pas expliqué en quoi il a été personnellement victime d’une discrimination puisqu’il se contente d’affirmer de manière générale que le système de gestion des pêcheries viole le principe d’égalité, sans se référer à sa position particulière ni à des conséquences spécifiques pour sa personne. Il souligne que l’auteur ne possède pas de bateau de pêche et ne remplit donc pas les conditions fixées par l’article 5 de la loi sur la gestion des pêcheries relatif à l’acquisition d’un permis de pêche général. L’État partie réfute l’affirmation selon laquelle tous les citoyens islandais devraient avoir accès aux droits de pêche et considère que le dispositif d’attribution des droits de pêche institué par la loi sur la gestion des pêcheries ne constitue pas une violation de l’article 26 du Pacte. Il rappelle qu’au moment où le législateur a dû statuer sur la répartition de ressources limitées, il était tenu de respecter le droit à l’emploi des personnes déjà actives dans le secteur de la pêche et ayant investi dans ce secteur. L’État partie indique en conclusion que la distinction établie entre l’auteur et les diverses parties titulaires de droits de pêche et de parts de quota en vertu de la loi n o  38/1990 l’a été dans le souci légitime de protéger les stocks de poissons dans l’intérêt de la nation et repose sur des considérations objectives et raisonnables.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

6.1 Dans ses commentaires, en date du 3 décembre 2001, l’auteur reconnaît qu’hormis le climat général et les circonstances de sa condamnation, aucun élément ne prouve que les conditions visées à l’article 14 n’étaient pas remplies. Il fait observer que sa condamnation avait pour prémisse la compatibilité supposée du système de gestion des pêcheries avec les normes relatives aux droits de l’homme et demande donc au Comité de se prononcer sur sa validité.

6.2 S’agissant des arguments avancés par l’État partie pour conclure à l’irrecevabilité de la communication, l’auteur estime que sa position devrait aux fins de la communication être considérée comme équivalente à celle de son employeur puisqu’il était à son service et a été condamné du fait qu’il travaillait pour ledit employeur. Que l’auteur n’ait pas été propriétaire du bateau en cause est une circonstance n’entrant pas en ligne de compte dans les poursuites pénales engagées contre lui. Il est de plus souligné que le Vatneyri , dont l’auteur était le capitaine, possédait une licence de pêche professionnelle générale. L’auteur n’avait donc aucune raison de demander un permis de pêche. La condamnation de l’auteur est motivée non par le défaut de permis de pêche mais par le fait d’avoir pêché sans l’obtention préalable du quota nécessaire.

6.3 Au sujet de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas démontré en quoi l’article 26 s’appliquait à son cas, l’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas compris l’essence de sa plainte − qui ne porte pas sur une discrimination par rapport à d’autres individus se trouvant dans la même situation que lui suite à la mise en place du système en vigueur de gestion des pêcheries mais sur le fait que son statut diffère de celui d’autres parties en matière d’accès aux quotas. D’autres parties se sont en effet vu attribuer un droit exclusif d’exploiter la plus importante des ressources naturelles de l’Islande alors que l’auteur ne peut exploiter cette ressource qu’en versant de l’argent aux parties détentrices de ce droit. L’égalité de droit existant entre toutes les personnes qui comme l’auteur ne se sont pas vu attribuer de droits de pêche exclusifs n’a rien à voir avec la plainte de l’auteur. L’auteur affirme que sa plainte ne porte pas sur le fait qu’on lui refuse un privilège accordé à d’autres mais, inversement, sur le fait que d’autres se sont vu attribuer un privilège par rapport à lui. Selon l’auteur, la différence de traitement que constitue l’attribution du droit d’exploiter les bancs de pêche de l’Islande à un groupe restreint de privilégiés est contraire aux obligations incombant à l’Islande en vertu de l’article 26 du Pacte.

6.4 Pour ce qui est du fond de la communication, l’auteur rappelle qu’il a été jugé nécessaire d’inscrire le principe de liberté de l’emploi dans la Constitution pour empêcher les situations de monopole. Il indique que son objection ne concerne en rien le système de gestion des pêcheries fondé sur des quotas librement transférables appartenant à des particuliers mais sur l’attribution de droits de pêche exclusifs par voie de donation de quotas à un groupe particulier. À son avis, cette démarche a abouti à une différence de statut entre deux groupes, dont l’un est investi d’un privilège alors que l’autre fait par voie de conséquence l’objet d’une discrimination. Dans cette optique, l’auteur fait valoir que l’emploi n’échappe pas au champ d’application de l’article 26 du Pacte et que l’absence dans le Pacte d’une disposition relative à la liberté de l’emploi n’a donc pas à entrer en considération pour apprécier la recevabilité de la communication. L’auteur conteste aussi l’affirmation de l’État partie selon laquelle le système actuel de gestion des pêcheries serait efficace sur les plans économique et écologique et fait valoir que, même si tel était le cas, les activités et entreprises économiques sont assujetties à la loi et que l’efficacité économique ne saurait constituer une excuse valable pour justifier des violations des droits de l’homme.

6.5 À propos de l’argument de l’État partie selon lequel aucune discrimination n’est intervenue du fait que la différence de traitement était justifiable, l’auteur admet que la protection des bancs de pêche contre la surexploitation est un but légitime mais fait valoir que la méthode retenue pour y parvenir est incompatible avec le droit international. Il souligne en outre que la différence de traitement ne repose pas sur des critères raisonnables et objectifs vu que la condition effective fixée − à savoir l’appartenance à un groupe jouissant d’un privilège créé artificiellement − n’est ni raisonnable ni objective. Il ajoute que si l’utilisation d’une certaine ressource ne peut être dévolue qu’à un nombre limité de personnes, les possibilités pour tout citoyen d’en faire partie doivent, elles, être identiques.

6.6 L’auteur indique ne pas avoir d’objection à formuler au sujet du mécanisme d’attribution des quotas de capture aux propriétaires de bateaux. Son objection porte sur une situation pérennisée par la loi sur la gestion des pêcheries sans y être mentionnée, à savoir que ces quotas ont été attribués à un groupe particulier avec pour résultat que toutes les autres personnes sont obligées de les acheter à ce groupe. À propos de l’argument de l’État partie selon lequel la différence de traitement a été instituée par voie législative, l’auteur affirme que les quotas de capture dans les eaux territoriales islandaises de certaines espèces de poissons soumises à des plafonds annuels ne sont mentionnés dans aucun texte législatif. Selon l’auteur, les totaux admissibles de capture ont été tout simplement répartis entre les personnes qui pratiquaient la pêche à une certaine époque, avec pour conséquence que les autres personnes en ont été exclues − par le règlement administratif n o  44/1984 dont les dispositions ont été reprises dans des textes de loi ultérieurs aux termes desquels seules les personnes s’étant vu auparavant attribuer un quota de capture sont admissibles au bénéfice d’un nouveau quota annuel de capture et les autres personnes sont autorisées à accéder à la ressource par l’achat ou la location de droits de pêche délivrés par les autorités administratives selon les modalités prescrites. De l’avis de l’auteur, l’existence de quotas de pêche en Islande découle donc de textes non pas législatifs mais administratifs, et il s’interroge donc sur la logique de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les droits de pêche ne sont permanents qu’en ce qu’ils ne peuvent être abolis ou amendés que par un autre texte législatif car il lui est difficile de comprendre pourquoi une disposition non établie par la voie législative ne peut être abrogée que par la voie législative.

6.7 L’auteur estime que l’exploitation exclusive des ressources par un groupe particulier de personnes sans considération pour les personnes n’appartenant pas à ce groupe constitue une violation du principe d’égalité. La question est de savoir, non pas si des Islandais sont investis d’un droit de propriété les autorisant à exploiter les bancs de pêche autour de l’Islande, mais si les personnes traitant actuellement comme un patrimoine privé des bancs de pêche sont habilitées à le faire.

6.8 L’auteur conteste également l’affirmation de l’État partie selon laquelle le système de gestion des pêcheries fait l’objet d’un consensus national et indique que ce système a en fait suscité entre les Islandais une discorde et des différends sans précédent.

Observations supplémentaires de l’État partie

7.1 Dans un mémoire du 25 février 2002, l’État partie répond aux commentaires de l’auteur. Il réaffirme que la liberté de l’emploi n’est pas protégée par le Pacte relatif aux droits civils et politiques et que le Comité n’a donc pas compétence pour déterminer si la restriction imposée à la liberté de l’emploi de l’auteur est excessive, à moins qu’il ne puisse être démontré que cette restriction constitue une violation de l’article 26 du Pacte. L’État partie souligne à ce sujet que l’auteur n’a pas fait état de la moindre conséquence préjudiciable pour lui, telle qu’une perte de revenu.

7.2 Au sujet du commentaire de l’auteur selon lequel ses droits découlant de l’article 26 du Pacte ont été violés en ce qu’il lui a été conféré un statut différent de celui des personnes ayant obtenu des droits de pêche, l’État partie indique avoir déjà exposé en détail pourquoi un groupe particulier d’individus s’était vu attribuer une position plus favorable que les autres citoyens islandais en matière d’accès aux parts de quotas de captures de certaines ressources halieutiques limitées. L’État partie récapitule son argumentation en faisant valoir que la différence de traitement est légitime, qu’elle repose sur des considérations objectives et raisonnables et qu’il existe un rapport de proportionnalité raisonnable entre les moyens employés et le but recherché.

7.3 L’État partie note que l’auteur semble estimer que, suite à la mise en place d’un système de gestion des pêcheries dans le cadre duquel des droits de pêche ont été attribués en se basant sur les volumes des captures antérieures des parties concernées du secteur de la pêche au cours d’une certaine période, un groupe particulier de citoyens s’est retrouvé dans une position plus favorable que les autres citoyens et qu’en conséquence les droits des personnes n’ayant pas obtenu de droits de pêche ont été violés. L’État partie ne partage pas l’opinion selon laquelle il est possible d’inférer des dispositions de l’article 26 du Pacte que les droits en question devraient être attribués à un groupe plus grand et même moins limitatif d’individus − lesquels pourraient même ne pas être actifs dans le secteur de la pêche. Sur ce point, l’État partie souligne à nouveau que la loi pertinente autorise le transfert de droits de pêche et garantit ainsi à de nouvelles parties l’accès aux stocks de poissons dont l’exploitation a été plafonnée.

7.4 S’agissant de l’affirmation de l’auteur selon laquelle les droits de pêche visés ne reposeraient point sur un texte législatif vu qu’ils ont été institués à l’origine par la voie de textes réglementaires, l’État partie fait observer que l’auteur ne s’est pas prévalu des procédures internes pour contester le fondement juridique de l’attribution des droits de pêche et que les dispositions de la loi sur la gestion des pêcheries confèrent à l’évidence un fondement législatif aux restrictions en vigueur imposées en matière de droits de pêche que vise la plainte de l’auteur.

7.5 Enfin, l’État partie juge frappant le peu de rapports existant entre les intérêts particuliers de l’auteur et l’ensemble de l’exposé de l’affaire, ce qui l’amène à penser que la communication a pour objet d’obtenir du Comité un avis théorique sur la question de savoir si les dispositions adoptées par l’Islande en matière de gestion des pêcheries sont compatibles avec l’article 26 du Pacte. Cette question possède une dimension sociale et présente un intérêt considérable pour la nation islandaise. En violant la loi en toute connaissance de cause, l’auteur s’est ouvert la possibilité de solliciter l’avis des tribunaux islandais sur la question de savoir si la loi était ou non compatible avec la Constitution et les conventions internationales. En l’occurrence, la juridiction suprême a estimé que l’appréciation du législateur quant aux moyens à mettre en œuvre pour gérer les pêcheries islandaises dans l’intérêt général de la nation ne pouvait être contestée si elle reposait sur des considérations pertinentes. L’État partie souligne que le législateur islandais est mieux à même que les instances internationales d’apprécier quelles mesures sont les plus adaptées dans ce secteur, qui revêt une grande importance pour la prospérité économique du pays.

7.6 L’État partie signale que de 1998 à 2001, il y a eu 20 inculpations pour infraction à la loi sur la gestion des pêcheries.

7.7 L’État partie fournit également des renseignements sur la révision de la législation relative à la gestion des pêcheries. En septembre 2001, le maintien du régime des quotas dans le dispositif de gestion des pêcheries a été préconisé par une commission parlementaire, dont la majorité des membres a en outre recommandé d’engager une réflexion sur une nouvelle politique concernant le paiement de redevances pour l’exploitation des ressources marines. Un projet de texte législatif sera soumis au Parlement au printemps.

Commentaires supplémentaires de l’auteur

8.1 Dans une lettre du 12 avril 2002, l’auteur transmet ses commentaires relatifs au mémoire de l’État partie. Il fait valoir que la limitation de l’accès à des ressources de grande valeur doit se faire sans accorder de privilège permanent à un groupe restreint de personnes. Au sujet de l’argument de l’État partie selon lequel le système en vigueur de gestion des pêcheries est dans l’intérêt du public, l’auteur fait observer qu’un système de privilège octroyé ne présente qu’un intérêt très indirect pour le public. L’auteur souligne ne rien avoir contre un système de quotas en tant que tel, mais considère qu’il est vital que les droits de capture ne soient pas attribués en excluant le plus grand nombre. La possibilité offerte aux exclus d’acheter ou de louer des quotas de pêche aux personnes qui les obtiennent gratuitement ne rend pas ce système légitime. Si l’argent est le moyen d’accéder aux pêcheries, alors l’argent versé à cet effet devrait revenir à l’État en tant qu’organe responsable du contrôle de cet accès mais pas à une clique de privilégiés. L’auteur estime que le système en vigueur de gestion des pêcheries a été introduit sous l’influence de groupes défendant les intérêts d’individus riches et politiquement puissants et qu’il n’est nullement nécessaire de restreindre l’attribution de quotas à un groupe aussi limitatif. L’auteur rappelle qu’il a été condamné pour avoir violé les règles de gestion des pêcheries mais qu’en tant que citoyen islandais, il a le droit de bénéficier de la protection de la loi, si bien que l’affaire portée devant le Comité revêt un caractère non théorique mais pratique.

8.2 Au sujet des informations fournies par l’État partie relatives à d’autres poursuites pénales visant des infractions à la loi sur la gestion des pêcheries, l’auteur ne nie pas que d’autres poursuites aient été engagées mais souligne que ces autres affaires ne sont pas comparables à la sienne car aucune n’a donné lieu à une remise en cause aussi manifeste des composantes fondamentales du système de gestion des pêcheries. L’auteur explique à nouveau que sa plainte ne vise pas le système de quotas transférables appartenant à des particuliers pourvu qu’ils soient acquis honnêtement dans le respect des principes généraux.

8.3 Par des correspondances en date des 8 et 12 août 2002, l’auteur a transmis des copies et traductions d’articles consacrés par les médias à son affaire lors de son examen par les tribunaux. Ces articles font ressortir que cette affaire a été suivie avec une grande attention par le Gouvernement et le Parlement, ce dernier ayant consacré un débat au jugement de la juridiction inférieure. Des membres du Gouvernement semblent avoir exprimé à ce moment l’opinion selon laquelle une confirmation du jugement de la juridiction inférieure par la Cour suprême risquait de déclencher une grave crise économique en Islande.

8.4 L’auteur a formulé des commentaires supplémentaires dans une nouvelle lettre, en date d’octobre 2002, dans laquelle il indique que les hommes politiques au pouvoir sont attachés au maintien du système de gestion des pêcheries pour des raisons autres que la préservation des stocks halieutiques de la nation, principalement parce que l’abolition du privilège concédé les amènerait à reconnaître leur incompétence et affecterait les intérêts financiers d’un groupe d’individus politiquement influents. Selon l’auteur, dans des déclarations faites après le prononcé du jugement par la juridiction inférieure dans son affaire, le Premier Ministre a brandi la menace d’une confrontation avec le pouvoir judiciaire au cas où ce jugement ne serait pas infirmé et c’est pourquoi la Cour suprême a rendu son arrêt sans appliquer le principe d’égalité consacré par la Constitution − au mépris de son devoir premier et prépondérant.

8.5 L’auteur rappelle que les contingents de capture islandais ont été institués en fermant l’accès aux bancs de pêche à toutes les personnes qui ne pratiquaient pas la pêche à une certaine époque, en attribuant ces contingents aux personnes qui pratiquaient la pêche à ladite époque et en leur conférant le droit exclusif de demander de l’argent à d’autres personnes pour accéder à cette ressource. Il admet que ce dispositif n’était pas déraisonnable au regard des circonstances de l’époque vu que les opérateurs alors en activité auraient risqué autrement de ne pas pouvoir amortir leurs investissements. L’auteur fait toutefois valoir que le législateur et le Gouvernement étaient tenus de revenir aussitôt que possible à une situation conforme à la Constitution et que ce dispositif n’aurait jamais dû être pérennisé, comme l’a estimé la Cour suprême dans son arrêt relatif à l’affaire Valdimar .

8.6 Enfin, l’auteur fait observer que le non-respect de l’un des droits fondamentaux de l’être humain conduit au non-respect des autres et a des répercussions sur l’ensemble de la société. La concentration des droits de pêche dans les mains d’un petit groupe de personnes a eu également pour résultat d’accorder à ce groupe une meilleure protection de ses droits constitutionnels au détriment des autres individus − bien moins susceptibles de bénéficier de la protection de la Constitution.

Délibérations du Comité

9.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, décider si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2 L’auteur affirme que sa condamnation pour avoir pêché sans détenir le quota nécessaire fait de lui la victime d’une violation de l’article 26 du Pacte au motif que la société pour laquelle il travaillait était tenue d’acheter un quota à d’autres parties qui s’étaient vu attribuer gratuitement des quotas parce qu’elles pratiquaient la pêche pendant la période de référence (du 1 er  novembre 1980 au 31 octobre 1983). Le Comité note cependant que l’auteur ne possédait pas de bateau et n’a jamais demandé à bénéficier d’un quota en vertu de la loi sur la gestion des pêcheries. Il travaillait simplement en tant que capitaine d’un vaisseau doté d’une licence de pêche et ayant acquis un quota. Une fois le quota du bateau épuisé, l’acquisition d’un nouveau quota s’est révélée trop coûteuse et il a accepté de continuer de pêcher sans avoir acquis de quota, se rendant ainsi délibérément coupable d’une infraction pénale aux termes de la loi sur la gestion des pêcheries. Vu ces circonstances, le Comité estime que l’auteur ne peut se prétendre victime d’une discrimination du fait de la condamnation prononcée contre lui pour avoir pêché sans quota.

10. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable ratione personae en vertu de l’article premier du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

L. Communication n o  953/2000, Zündel c. Canada * (Décision adoptée le 27 juillet 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par : Ernst Zündel (représenté par un conseil, M me  Barbara Kulaszka)

Au nom de : L’auteur

État partie : Canada

Date de la communication : 21 août 2000 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 juillet 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est Ernst Zündel, citoyen allemand né le 24 avril 1939, résidant au Canada depuis 1958. Il affirme être victime d’une violation par le Canada des articles 3, 19 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques («le Pacte»). Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits

2.1 L’auteur se présente comme éditeur et militant, ayant défendu le groupe ethnique allemand contre des allégations fallacieuses d’atrocités relatives au comportement des Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa communication a pour origine une affaire jugée par le Tribunal des droits de la personne du Canada, à l’issue de laquelle il a été reconnu responsable au regard de la loi canadienne sur les droits de la personne d’avoir exposé les Juifs à la haine et au mépris sur un site Internet connu sous le nom de «Zundelsite». Il ressort par exemple des documents présentés au Comité par les parties que l’un des articles de l’auteur affiché sur ce site sous le titre « Did Six Million Jews Really Die? » («Est-il vrai que six millions de Juifs sont morts?») conteste le fait que 6 millions de Juifs sont morts pendant l’Holocauste.

2.2 En mai 1997, après qu’un survivant de l’Holocauste eut porté plainte contre le site de l’auteur devant la Commission canadienne des droits de la personne, le Tribunal canadien des droits de la personne a ouvert une enquête. Au cours des audiences, le 25 mai 1998, le Tribunal n’a pas voulu autoriser l’auteur à soulever une «exception de vérité» à l’encontre de la plainte et à prouver que les déclarations publiées sur le «Zundelsite» étaient véridiques. Le Tribunal n’a pas jugé approprié de débattre de l’exactitude ou l’inexactitude des déclarations publiées sur le site en question, car cela «n’aurait fait qu’introduire un bon motif de plus de contretemps, de coûts et d’injures à la dignité des victimes présumées de ces déclarations» .

2.3 Peu de temps après, l’auteur a obtenu de la Tribune de la presse parlementaire canadienne, organisme non gouvernemental sans but lucratif auquel est confiée l’administration courante des installations de presse du Parlement canadien, une réservation pour tenir une conférence de presse le 5 juin 1998 dans la salle de presse Charles Lynch de l’Édifice du centre, dans l’enceinte parlementaire. L’auteur répondait selon lui aux conditions à remplir pour réserver cette salle. Dans le communiqué de presse annonçant la conférence, daté du 3 juin 1998, l’auteur indiquait qu’il parlerait de la décision provisoire du Tribunal canadien des droits de la personne, qui avait jugé la vérité irrecevable comme moyen de défense. Les passages pertinents de ce communiqué se lisent comme suit:

« La nouvelle Inquisition à Toronto! Le Gouvernement essaie de mettre la main sur l’Internet !

La Commission canadienne des droits de la personne et son tribunal disent à Ernst Zündel:

Que la vérité n’est pas un moyen de défense;

Que l’intention n’est pas un moyen de défense;

Que le fait que les déclarations publiées sont vraies est sans pertinence !

La décision provisoire en cause a été rendue le 25 mai 1998 après une année d’audiences par le Tribunal canadien des droits de la personne qui juge actuellement un site Web implanté aux États-Unis, le «Zundelsite», à l’adresse http://www.web.com.com/ezundel .

(Pour le texte complet de la décision, voir les pages jointes.) ».

2.4 Le 4 juin 1998, des adversaires des thèses de l’auteur qui protestaient contre le fait que celui ‑ci utilise la salle Charles Lynch s’étant adressés à plusieurs membres du Parlement et la Tribune de la presse ayant refusé d’annuler la réservation de la salle, la Chambre des communes a adopté à l’unanimité la décision suivante: «La Chambre ordonne que Ernst Zündel ne soit pas autorisé à pénétrer dans les locaux de la Chambre des communes pendant le cours et jusqu’à la fin de la présente session.».

2.5 En conséquence de cette décision, l’auteur n’a pu pénétrer dans l’enceinte parlementaire et a été empêché de tenir sa conférence de presse dans la salle Charles Lynch. Il a tenu une conférence de presse informelle sur le trottoir à l’extérieur de l’enceinte du Parlement.

Épuisement des recours internes

3.1 L’action intentée par l’auteur contre les partis politiques ayant participé à l’adoption de la décision unanime lui interdisant de pénétrer dans l’enceinte du Parlement ainsi que contre certains membres du Parlement, en particulier parce qu’ils avaient violé sa liberté d’expression (garantie à l’alinéa  b de l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés), a été déclarée sans fondement par la Cour de justice de l’Ontario (Division générale) le 22 janvier 1999. La Cour a considéré que les partis politiques, défendeurs en l’espèce, pouvaient être attaqués en effet mais que la plainte contre des membres du Parlement était à rejeter faute de motif raisonnable. Elle a soutenu que la Chambre des communes avait exercé son «privilège parlementaire» en refusant à l’auteur l’entrée dans ses locaux. La condition de nécessité était satisfaite puisque la décision interdisant l’accès de l’auteur aux locaux parlementaires était indispensable pour préserver le bon fonctionnement de la Chambre, son motif étant le souci de sauvegarder la dignité et l’intégrité du Parlement. La Cour a fait observer que la restriction imposée à la liberté d’expression de l’auteur ne visait que l’utilisation des locaux de la Chambre des communes et ne l’empêchait pas d’une manière générale d’exprimer son opinion.

3.2 Le 10 novembre 1999, la cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel de l’auteur, expliquant que la question juridictionnelle qui se posait à elle était de savoir s’il fallait que la Chambre des communes ait, pour préserver son bon fonctionnement, la maîtrise de ses locaux, y compris le pouvoir d’en interdire l’entrée aux personnes de l’extérieur. Il ne s’agissait pas pour elle de déterminer s’il avait été nécessaire d’exclure l’auteur de l’enceinte parlementaire, car cela l’aurait amenée à s’interroger sur le bien ‑fondé ou le mal ‑fondé de la décision, ce qui eût réduit à néant tout «privilège» existant. Comme la maîtrise des lieux était un aspect complémentaire du bon fonctionnement du Parlement, les tribunaux outrepasseraient les limites constitutionnelles légitimes s’ils s’avisaient de porter atteinte au privilège en question. La décision d’exclure l’auteur ne relevait pas d’autre chose que de ce pouvoir de contrôler l’accès des personnes de l’extérieur à l’enceinte parlementaire et la plainte de l’auteur portait intégralement sur la question des privilèges parlementaires; elle avait donc été rejetée à juste titre.

3.3 Le 29 juin 2000, la Cour suprême du Canada a débouté l’auteur de son pourvoi contre la décision de la cour d’appel de l’Ontario.

Teneur de la plainte

4.1 L’auteur se dit victime d’une violation des articles 3, 19 et 26 du Pacte puisque le droit de s’exprimer librement lui a été refusé d’une manière discriminatoire.

4.2 Pour l’auteur, la liberté d’expression garantie à l’article 19 du Pacte a été violée par la décision de la Chambre des communes l’excluant de l’enceinte parlementaire et, en particulier, de la salle de presse Charles Lynch. Selon lui cette décision était discriminatoire et violait les articles 3 et 26 du Pacte puisqu’il remplissait toutes les conditions requises pour réserver la salle en question, son exclusion étant «le premier cas dans l’histoire canadienne où une personne est interdite d’accès dans l’enceinte du Parlement […] en raison de ses opinions politiques».

4.3 L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes et que la même affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

5.1 L’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication dans une note verbale du 10 août 2001.

5.2 L’État partie conteste la recevabilité de la communication en ce qui concerne les violations alléguées des articles 3 et 26 du Pacte, estimant que la plainte est à cet égard insuffisamment motivée. En particulier, l’auteur n’a pas apporté la preuve qu’il ne pouvait jouir des droits consacrés par le Pacte dans les mêmes conditions que les femmes au Canada (art. 3) et que son exclusion de l’enceinte parlementaire était un acte discriminatoire (art. 26). De plus, l’État partie fait observer que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne ces allégations, dans la mesure où l’action qu’il a intentée ne portait que sur l’allégation selon laquelle la décision de la Chambre des communes violait sa liberté d’expression garantie par la Charte canadienne des droits et des libertés.

5.3 L’État partie ne conteste pas la recevabilité du reste de la communication mais considère que la liberté d’expression de l’auteur, garantie par l’article 19, n’a pas été violée. Selon lui, bien que la décision de la Chambre des communes ait eu pour effet d’interdire à l’auteur l’accès à l’enceinte parlementaire, elle ne l’empêchait pas d’exprimer son opinion à l’extérieur de cette enceinte. L’État partie fait valoir que l’article 19 n’exige pas des États qu’ils garantissent à n’importe qui l’accès à n’importe quel endroit où l’intéressé souhaiterait exercer sa liberté d’expression.

5.4 L’État partie affirme que même si le fait d’interdire l’enceinte parlementaire à l’auteur devait être considéré comme une restriction à sa liberté d’expression, cette restriction était justifiée selon le paragraphe 3 de l’article 19 et le paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte. La décision d’interdiction était le résultat de l’exercice légitime du pouvoir législatif que les normes constitutionnelles confèrent à la Chambre des communes et qui, pour ce qui est des privilèges parlementaires, répondent à la condition fixée au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte («restrictions […] expressément fixées par la loi») .

5.5 La restriction imposée à l’auteur avait pour objet de protéger le droit des communautés juives à la liberté de religion et à la liberté d’expression ainsi que leur droit de vivre dans une société sans discrimination et était étayée par le paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte . Ainsi, le Comité des droits de l’homme, dans son Observation générale n o  11 relative à l’article 20 , a fait remarquer que les interdictions de cette sorte «sont tout à fait compatibles avec le droit à la liberté d’expression prévu à l’article 19, dont l’exercice entraîne des responsabilités et des devoirs spéciaux». Le fait que l’auteur a pendant près de 30 ans répandu dans le monde entier des documents niant l’Holocauste et les autres atrocités commises par les nazis contre les Juifs suffit à expliquer pourquoi la Chambre des communes craignait de voir les locaux parlementaires servir de tribune pour diffuser des opinions antisémites et la communauté juive exposée de ce fait à la haine et à la discrimination. L’État partie soutient que la décision en cause était non seulement justifiée au regard du paragraphe 3 de l’article 19, du paragraphe 2 de l’article 20 et du paragraphe 1 de l’article 5 du Pacte, mais aussi légalement prescrite en vertu de l’article 4 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale , qui impose de prendre des mesures pour réprimer la diffusion d’idées fondées sur la supériorité et la haine raciales . Outre le respect de la réputation d’autrui, l’exclusion de l’auteur des locaux parlementaires avait pour objet la protection de l’ordre public et de la moralité publique. Puisque la protection des travaux parlementaires constituait un but légitime d’«ordre public» au sens du paragraphe 3 de l’article 19 , la doctrine des privilèges parlementaires et la manière dont elle a été appliquée en l’espèce sont compatibles avec la notion d’ordre public. Comme l’antisémitisme est contraire aux valeurs de tolérance, de diversité et d’égalité que consacrent la Charte canadienne des droits et libertés et les autres lois nationales relatives aux droits de l’homme, la décision de la Chambre des communes concourait de surcroît à la protection de la moralité publique.

5.6 L’État partie soutient que les restrictions imposées à l’auteur étaient «nécessaires», au sens du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, pour protéger les droits de la communauté juive, la dignité et l’intégrité du Parlement et les valeurs canadiennes que sont l’égalité et la diversité culturelle. Comparées aux risques que présentait la conférence de presse envisagée par l’auteur, aux effets préjudiciables de l’incitation à la haine sur l’ensemble de la société et à l’impression que l’on aurait eue que la conférence en question avait l’ imprimatur officiel du Parlement ou du Gouvernement, les restrictions imposées à la liberté d’expression de l’auteur étaient minimes et, donc, proportionnées. Elles ne visaient qu’un lieu particulier, l’enceinte parlementaire, à laquelle aucune personne de l’extérieur n’a librement accès, et ne limitaient pas la liberté qu’avait l’auteur d’utiliser quelque autre tribune pour se faire entendre, à condition de ne pas dénigrer la communauté juive dans ses propos.

5.7 L’État partie fait valoir que les privilèges parlementaires s’inscrivent parmi les conventions non écrites qui font partie de la Constitution canadienne et qui ont leur origine dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, dans la tradition historique et dans le principe selon lequel le pouvoir législatif est censé disposer des pouvoirs constitutionnels qui sont nécessaires à son bon fonctionnement. L’un de ces privilèges de l’organe législatif consiste à régir ses propres procédures internes. Il est étroitement lié au droit qu’a le Parlement de réglementer l’accès à ses locaux et d’en exclure les personnes de l’extérieur. Ces deux privilèges sont jugés essentiels pour permettre à l’organe législatif de préserver la dignité, l’intégrité et l’efficacité de ses travaux. L’importance de ces privilèges a été soulignée par la Cour suprême du Canada dans son arrêt New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse , dans lequel elle a déclaré que lorsqu’ils examinent l’exercice par le Parlement de ses privilèges naturels, «les tribunaux peuvent déterminer si le privilège revendiqué est nécessaire pour que la législature soit capable de fonctionner, mais ne sont pas habilités à examiner si une décision particulière prise conformément aux privilèges est bonne ou mauvaise» .

5.8 L’État partie insiste sur le fait que le droit qu’a le Parlement de maîtriser sans partage son fonctionnement interne – domaine relativement restreint de l’activité législative – est essentiel pour la sauvegarde de son indépendance vis ‑à ‑vis du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire. Soumettre à la révision judiciaire la décision qu’a prise le Parlement d’exclure de son enceinte une personne de l’extérieur non seulement ferait infraction au principe de la séparation des pouvoirs mais signifierait de surcroît que les décisions de cet ordre ne sont pas définitives, ouvrant la porte aux incertitudes et aux contretemps et empêchant les membres du Parlement d’accomplir leur important travail législatif. L’État partie affirme que puisque l’organe législatif est mieux placé que les tribunaux pour déterminer dans quelles conditions il peut conduire efficacement ses propres travaux, les tribunaux n’ont pas à se mêler de la manière dont le Parlement exerce ses privilèges.

5.9 Si, inversement, le Comité devait juger recevable la plainte de l’auteur au titre des articles 3 et 26, l’État partie contesterait au fond cette partie de la communication et se réserverait le droit de présenter de nouvelles observations. Il soutient que l’auteur n’a pas fait l’objet de discrimination, son exclusion de l’enceinte parlementaire étant compatible avec les dispositions du Pacte, fondée sur des motifs raisonnables et ayant l’objectif légitime d’empêcher la diffusion de propos antisémites et de faire respecter les droits des membres de la communauté juive que garantit le Pacte.

Commentaires de l’auteur

6.1 Dans une lettre du 13 novembre 2001, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. Il y réaffirme que sa plainte répond à toutes les conditions de recevabilité. Comme il en a été débouté par les tribunaux pour ce motif très général que constitue le privilège parlementaire, toute plainte en discrimination aurait été rejetée pour les mêmes raisons. Il note qu’il a été argué devant la cour d’appel de l’Ontario que ce privilège très étendu pourrait donner au Parlement le droit illimité d’agir de façon discriminatoire contre n’importe quelle personne ou n’importe quel groupe.

6.2 L’auteur soutient que le privilège qu’a le Parlement de réglementer l’accès à ses locaux n’exonère pas l’organe législatif des obligations internationales de l’État partie en matière de droits de l’homme, d’autant plus que le Parlement lui ‑même a souscrit à ces obligations du fait de la ratification du Pacte par l’État partie.

6.3 L’auteur affirme qu’en l’absence de tout moyen politique de s’opposer au pouvoir de l’État partie, les recours judiciaires étaient la seule voie qui s’offrait à l’auteur pour contester son exclusion de l’enceinte parlementaire.

6.4 Pour ce qui est de la plainte au titre de l’article 19, l’auteur répète qu’il satisfaisait aux conditions à remplir pour utiliser la salle de presse puisque le sujet de sa conférence présentait un intérêt national. La Chambre des communes avait interdit la salle Charles Lynch à l’auteur pour l’empêcher d’utiliser une tribune connue pour être sérieuse pour exprimer son opinion et faire obstacle ainsi à la diffusion de la conférence de presse par la chaîne câblée d’audience nationale qui couvre les conférences tenues dans les installations de presse du Parlement.

6.5 Selon l’auteur, rien ne prouvait qu’il avait l’intention d’inciter à la haine contre le peuple juif pendant la conférence de presse envisagée. Au contraire, le communiqué de presse expliquait qu’il allait parler de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne selon laquelle la vérité ne peut être invoquée comme moyen de défense dans une procédure engagée au titre du paragraphe 13 de la loi canadienne sur les droits de la personne. Des copies de cette décision avaient été préparées en vue de leur distribution. L’État partie n’en a pas moins invoqué de manière tendancieuse le prétexte de la moralité afin d’ajouter cette dimension à l’affaire. L’auteur insiste sur le fait que depuis qu’il est devenu officiellement résident au Canada en 1958, il n’a jamais été poursuivi ni condamné pour incitation à la haine contre le peuple juif. Une condamnation antérieure pour «propagation de fausses nouvelles» avait été annulée en 1992 par la Cour suprême du Canada, au motif qu’elle violait le droit constitutionnel de l’auteur à la liberté d’expression .

Observations supplémentaires de l’État partie

7.1 Dans une note verbale du 30 mai 2002, l’État partie a fourni des renseignements sur l’interprétation par les tribunaux de la notion de privilège parlementaire et sur la décision définitive du Tribunal canadien des droits de la personne dans l’affaire Citron c.  Zündel .

7.2 Selon l’article 40 de la loi sur les droits de la personne, un individu ou un groupe d’individus qui pensent être victimes d’un acte discriminatoire peuvent déposer une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne. Sous réserve de certaines conditions de recevabilité, la Commission est habilitée à enquêter sur la plainte et, si la plainte n’est pas rejetée, à s’interposer pour rechercher un règlement amiable. Si aucune conciliation n’est possible, la Commission peut renvoyer la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne, organe quasi judiciaire indépendant habilité à tenir audience et à régler l’affaire par voie d’ordonnance.

7.3 En juillet et septembre 1996, le Comité du maire de Toronto sur les relations raciales et communautaires et Sabina Citron, survivante de l’Holocauste, ont déposé deux plaintes parallèles contre l’auteur, en invoquant le paragraphe 1 de l’article 13 de la loi sur les droits de la personne et en alléguant qu’en affichant des documents sur son site, l’auteur avait «fait utiliser un téléphone de façon répétée pour aborder des questions susceptibles d’exposer les Juifs à la haine ou au mépris». La Commission des droits de la personne lui ayant renvoyé la plainte pour examen au fond, le Tribunal des droits de la personne a rendu sa décision définitive le 18 janvier 2002, ordonnant que l’intimé […] «ou toute autre personne qui agit en son nom ou de concert avec lui cessent la pratique discriminatoire que constitue l’utilisation d’un téléphone de façon répétée» pour diffuser des messages du genre de celui dont le Tribunal est saisi ou les rendre consultables sur le «Zundelsite», «ou pour diffuser d’autres messages ayant sensiblement la même forme ou la même teneur qui sont susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base de “motifs de distinction illicite” en contravention du paragraphe 1 de l’article 13 de la loi canadienne sur les droits de la personne ».

7.4 La loi canadienne de 1985 sur les droits de la personne dispose au paragraphe 1 de son article 13:

«Constitue un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d’un commun accord, d’utiliser ou de faire utiliser un téléphone de façon répétée en recourant ou en faisant recourir au service d’une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement, pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l’article 3.».

Les critères en question sont précisés au paragraphe 1 de l’article 3 de cette loi:

«Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.».

7.5 Outre la loi sur les droits de la personne, le Code criminel du Canada contient trois dispositions sur la «propagande haineuse» visant: a) le fait de préconiser le génocide (art. 318), b) «l’incitation à la haine en un endroit public» (art. 319, par. 1) et c) le fait de «fomenter volontairement la haine» (ibid., par. 2).

Délibérations du Comité

8.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Comme il est tenu de le faire par le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3 En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 3 du Pacte, le Comité constate que l’auteur n’a rien produit pour étayer des affirmations qui ne semblent pas correspondre aux intentions dudit article. Par conséquent, le Comité juge cette partie de la communication irrecevable au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif.

8.4 Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, le Comité note que l’État partie ne conteste pas l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a épuisé les recours internes contre la décision de l’exclure de l’enceinte de la Chambre des communes «pendant le cours et jusqu’à la fin de la présente session», dont la conséquence a été qu’il n’a pu tenir la conférence de presse qu’il avait annoncée. En conséquence, la plainte de l’auteur au titre du paragraphe 2 de l’article 19 du Protocole facultatif n’est pas irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.5 Toutefois, et bien que l’État partie soit disposé à examiner le fond de la communication, le Comité considère que la plainte de l’auteur est incompatible avec les dispositions de l’article 19 du Pacte et par conséquent irrecevable ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif. Bien que le droit à la liberté d’expression, tel qu’énoncé au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, s’étende au choix du moyen, il n’équivaut pas à un droit illimité qu’aurait toute personne ou tout groupe de personnes de tenir des conférences de presse dans l’enceinte parlementaire ou de faire diffuser ces conférences de presse autrement. S’il est vrai que l’auteur avait réservé auprès de la Tribune de la presse parlementaire la salle de presse Charles Lynch et que cette réservation a été annulée par suite de la décision, adoptée à l’unanimité par le Parlement, d’interdire à l’auteur l’accès à l’enceinte parlementaire, l’auteur, note le Comité, est resté libre de tenir une conférence de presse ailleurs. Le Comité est par conséquent d’avis, après avoir soigneusement examiné les informations dont il dispose, que la plainte de l’auteur, fondée sur le fait qu’il n’a pas pu tenir une conférence de presse dans la salle de presse Charles Lynch, ne relève pas du droit à la liberté d’expression, protégé par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

8.6 En ce qui concerne enfin l’allégation de violation de l’article 26 du Pacte, le Comité juge cette partie de la communication irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés comme le prévoit l’alinéa  b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité relève dans la plainte déposée devant la cour de justice de l’Ontario que l’auteur se déclare victime d’une violation de son droit à la liberté d’expression, garanti au paragraphe b) de l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés, sans cependant alléguer une violation de ses droits à l’égalité reconnus au paragraphe 1 de l’article 15 du même instrument . L’argument de l’auteur selon lequel toute plainte pour discrimination aurait été rejetée en raison du privilège parlementaire est de pure conjecture et ne le dispensait pas de chercher à épuiser les recours internes.

9. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable au titre des articles 2 et 3 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

M. Communication n o  956/2000, Piscioneri c. Espagne*(Décision adoptée le 7 août 2003, soixante-dix-huitième session)

Présentée par :

M. Rocco Piscioneri (représenté par M. Luis Bertelli)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

11 mai 2000

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 7 août 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est Rocco Piscioneri, citoyen italien, qui se trouve en détention à la prison de Jaén en Espagne. Dans sa lettre datée du 5 avril 2000, qui a été suivie d’une deuxième lettre datée du 5 janvier 2001, il affirme être victime de violations par l’Espagne de l’article 14, paragraphes 1, 3 b) et 5, et de l’article 15, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un avocat. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 janvier 1985.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 7 novembre 1997, l’Italie a demandé l’extradition de l’auteur, au motif qu’un mandat d’arrêt avait été lancé le 30 septembre 1997 contre l’auteur pour trafic de stupéfiants, suite à la saisie de 200 kilos de cocaïne à Feletto Canavese (Italie) et de 1 385 kilos de hachisch à Barcelone (Espagne). Néanmoins, ce mandat a été annulé le 7 novembre 1997 par le Tribunal de grande instance de Turin pour vice de forme . L’auteur se trouvait alors en Espagne.

2.2 Le 17 novembre 1997, les autorités italiennes lançaient un nouveau mandat d’arrêt pour les mêmes faits. Selon l’auteur, l’affaire n’avait pas commencé à être instruite par une juridiction italienne, mais par la juridiction d’instruction espagnole n o  10, qui avait ouvert l’enquête préliminaire n o  979/97.

2.3 L’auteur s’étant trouvé à toutes les dates marquantes de l’affaire sur le territoire espagnol, l’État italien demanda à nouveau son extradition en se fondant sur le second mandat d’arrêt; par une ordonnance du 18 mai 1998, l’ Audiencia Nacional (juridiction compétente en matière pénale, sociale et de contentieux administratif) accorda l’extradition pour l’affaire du trafic de cocaïne mais la refusa pour celle du trafic de hachisch, au motif qu’une information avait déjà été ouverte en Espagne en rapport avec ce fait. Selon cette ordonnance, la remise de l’auteur à l’Italie serait suspendue jusqu’à ce qu’il ait, le cas échéant, purgé la peine infligée par la juridiction d’instruction n o  10 de Barcelone, qui était saisie de l’affaire.

2.4 Selon l’auteur, ce n’est que la veille de l’audience préliminaire qu’il lui a simplement été demandé s’il savait qu’une nouvelle plainte avait été déposée contre lui, et il n’a pas eu suffisamment de temps pour préparer sa défense.

2.5 L’auteur a fait opposition à l’ordonnance d’extradition et introduit un recours en révision qui a été rejeté par la Chambre criminelle de l’ Audiencia Nacional le 23 juillet 1998. Trois des juges qui déclarèrent la demande d’extradition légale étaient parmi les neuf membres de la Chambre de l’ Audiencia Nacional saisie du recours en révision.

2.6 Pour contester le jugement rejetant son recours en révision, l’auteur forma devant le Tribunal constitutionnel un recours en amparo , qui fut rejeté le 4 décembre 1998.

2.7 Par ailleurs, le 11 janvier 1999, l’ Audiencia Provincial de Barcelone condamnait l’auteur à une peine d’emprisonnement de six ans et six mois et à une amende de 1 milliard de pesetas pour trafic de hachisch. Contre cette décision, l’auteur s’est pourvu en cassation devant la Cour suprême, mais, le 9 octobre 2000, alors que la Cour n’avait pas encore rendu son arrêt, il lui a demandé la suspension du pourvoi . Le 11 octobre, la deuxième Chambre de la Cour suprême rejetait sa demande.

2.8 Devant le refus de la Cour suprême de suspendre le pourvoi, l’auteur a introduit un recours en amparo , qui a été rejeté par le Tribunal constitutionnel espagnol le 11 décembre 2000. Le 8 juin 2001, la Cour Suprême s’est prononcée sur le recours en cassation, qu’elle a rejeté.

Teneur de la plainte

3.1 La plainte de l’auteur fait l’objet de deux lettres écrites à neuf mois d’intervalle. Dans sa lettre initiale, en date du 5 avril 2000, à propos de la procédure d’extradition, l’auteur dénonce des violations du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 13, soutenant que s’il est extradé en Italie, il ne sera pas jugé par un tribunal compétent et impartial pour le délit de trafic de cocaïne. Il soutient également que c’est l’Espagne qui doit le juger étant donné que c’est elle qui a commencé à enquêter sur les faits et que les poursuites engagées contre lui en Italie et en Espagne étaient fondées sur les mêmes faits. Il faut ajouter à cela le principe de l’universalité des poursuites puisque le trafic de drogues est considéré comme une atteinte aux intérêts de tous les États.

3.2 L’auteur dénonce également une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, en faisant valoir que, l’Espagne n’ayant pas rejeté la demande d’extradition, il a été privé du droit d’être jugé pour délit continu, pour lequel la peine est moins lourde que pour deux délits jugés de manière autonome. L’auteur soutient également qu’il a été privé du droit à un procès équitable puisqu’il n’y a pas eu respect des dispositions de la loi d’extradition qui prévoit que la demande d’extradition doit être accompagnée de la « condamnation ou du mandat d’arrêt ou de toute autre décision analogue » et que l’Italie n’avait transmis qu’un mandat d’arrêt. Il ajoute que, contrairement aux dispositions de ladite loi, la procédure d’extradition a été engagée à la demande du pays requis, c’est ‑à ‑dire l’Espagne.

3.3 L’auteur se dit victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, en faisant valoir que les magistrats qui ont déclaré l’extradition légale faisaient partie de la Chambre de l’ Audiencia Nacional qui a statué sur le recours en révision, ce qui a pu les amener à exercer une certaine influence sur les autres magistrats.

3.4 L’auteur affirme avoir été victime d’une violation de l’alinéa  b du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, en soutenant qu’on ne lui a pas laissé le temps de préparer sa défense ni d’exposer dûment devant la juridiction compétente les motifs pour lesquels il faisait opposition à la nouvelle demande d’extradition.

3.5 Toujours au sujet de la procédure d’extradition, l’auteur dénonce une violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, disant que les faits dont il est accusé ne constituaient pas un acte délictueux au moment où ils se sont produits. Selon lui, le Tribunal civil et pénal de Turin avait considéré, en annulant le premier mandat d’arrêt, que le délit pour lequel l’extradition était demandée n’existait pas; or, la seconde demande d’extradition était fondée sur les mêmes faits, et le vice qui avait entraîné la nullité de la première demande n’avait pas été corrigé. À cet égard, l’auteur fait valoir que la Cour suprême espagnole a déclaré que les violations des droits fondamentaux commises par les autorités étrangères dans la procédure pénale initiale pourraient être imputables aux tribunaux espagnols qui en avaient connaissance et qui ont néanmoins autorisé son transfèrement. Il affirme qu’en dépit de l’annulation du premier mandat d’arrêt, le tribunal italien a engagé à nouveau des poursuites pénales pour les mêmes faits, en perdant de vue que l’affaire avait déjà été jugée, ce dont l’Espagne n’a pas non plus tenu compte.

3.6 Dans une autre lettre, datée du 5 janvier 2001, l’auteur dénonce de nouvelles violations en ce qui concerne la procédure suivie en Espagne. Il affirme, par exemple, qu’il y a eu violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte; en effet, alors qu’elle examinait le pourvoi en cassation, la Cour suprême n’a pas autorisé la présentation de l’enquête préliminaire 979/97, qui confirmait qu’un juge espagnol enquêtait déjà sur les faits motivant la demande d’extradition. L’auteur dénonce une autre violation du même article, en faisant valoir qu’il n’a pas pu disposer d’un recours en révision effectif contre la condamnation du tribunal espagnol et la peine qui lui avait été infligée pour le trafic de hachisch. Il affirme par ailleurs que le refus du Tribunal constitutionnel de suspendre son pourvoi en cassation constitue une violation dudit article, étant donné que le pourvoi en cassation n’étant pas un recours utile en Espagne, son droit à la double instance serait violé.

3.7 Par ailleurs, en ce qui concerne la procédure d’extradition, l’auteur soutient que son recours en amparo ayant été rejeté, il n’a pas été entendu en seconde instance et, partant, les éléments de preuve en sa faveur n’ont pas été réexaminés, ce qui constitue une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1 Dans ses observations datées du 18 janvier 2001, l’État partie précise que, comme l’a expressément déclaré l’ Audiencia Provincial de Barcelone, M. Rocco Piscioneri est l’un des chefs d’une organisation criminelle impliquée dans le trafic de drogues et de stupéfiants. Il rappelle au Comité la gravité de ce genre d’activités, comme il est dit dans la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes qui a été invoquée dans le cadre de la procédure d’extradition.

4.2 L’État partie conteste la recevabilité de la communication ratione materiae , estimant que le procès pénal est indépendant de la procédure d’extradition. S’agissant du trafic de cocaïne, il affirme que l’auteur ne peut pas être jugé en Espagne, parce qu’il n’a pas été inculpé par les tribunaux espagnols. Il rappelle que conformément à la décision du Tribunal constitutionnel, l’extradition passive est une procédure qui n’a pas pour but la sanction pénale d’une conduite mais qu’elle est simplement destinée à permettre que le procès pénal proprement dit se déroule dans un autre État.

4.3 S’agissant de la violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, dénoncée par l’auteur, l’État partie indique que, dans sa décision du 18 mai 1998, l’ Audiencia Nacional s’est bornée à prononcer la recevabilité de l’extradition de l’auteur vers l’Italie en raison de certains faits, et à l’écarter pour d’autres faits. Cette décision n’a pour effet ni de condamner ni de sanctionner M. Rocco Piscioneri. En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon lequel le mandat d’arrêt émis par le Tribunal de grande instance de Turin qui a motivé la décision d’extradition serait nul, l’État partie soutient qu’elle devra être opposée le moment venu, devant les autorités italiennes, étant donné que l’ Audiencia Nacional espagnole n’est pas habilitée à statuer en appliquant le droit procédural d’un État souverain tel que l’Italie, si bien que les allégations de l’auteur en ce sens sont aussi incompatibles ratione materiae avec le Pacte.

4.4 En ce qui concerne la plainte concernant la violation de l’alinéa  b du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, l’État partie affirme qu’elle n’a été formulée ni dans le recours en révision ni dans le recours en amparo . Dans ces conditions, n’ayant pas été formulée devant les juridictions internes, elle doit, conformément à l’article 5.2 b) du Protocole facultatif, être déclarée irrecevable.

4.5 Pour ce qui est de la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte au motif que les magistrats qui ont prononcé la recevabilité de son extradition étaient les mêmes que ceux qui ont été saisis du recours en révision, l’État partie répond là encore que l’auteur n’a pas formulé cette allégation devant les juridictions internes et qu’il n’est pas fait état de cette violation dans son recours en amparo .

4.6 L’État partie ajoute que l’affaire concernant M. Rocco Piscioneri ne peut pas être considérée comme une violation de l’article 13 du Pacte, puisqu’une procédure d’extradition a été engagée à l’issue de laquelle une décision conforme au droit a été adoptée, et au cours de laquelle l’auteur de la communication a formulé toutes les allégations qu’il jugeait pertinentes et introduit tous les recours possibles.

4.7 Pour ce qui est de la violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’État partie soutient que cette plainte est irrecevable, et faisant valoir, d’une part, que le pourvoi en cassation n’était pas clos lorsque l’auteur de la communication a introduit un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel et qu’il suffirait, d’autre part, de considérer l’ensemble du procès et le jugement final pour dire s’il y a eu véritablement atteinte aux garanties relatives à la défense du requérant. L’État partie ajoute que le Comité doit examiner des violations concrètes et réelles et non des révisions de la législation dans l’abstrait.

4.8 À propos de l’affirmation de l’auteur selon laquelle la présentation d’une preuve documentaire a été refusée – la copie de l’enquête préliminaire 979/97, l’État partie insiste sur le caractère prématuré de cette plainte, puisque la demande n’a pas été écartée et qu’étant donné le stade où en était la procédure, «en attente d’audience et de jugement uniquement», le Tribunal constitutionnel n’a pas rejeté le recours et s’est contenté de déclarer qu’il fallait attendre le compte rendu de l’audience, dans lequel il aurait été possible de formuler les demandes qui auraient été jugées pertinentes. Il ressort de ce qui précède qu’il n’y a pas violation réelle et effective des droits de l’auteur et l’État partie rappelle que, comme l’a dit le Tribunal constitutionnel, la plainte de l’auteur est fondée sur une violation purement hypothétique, potentielle ou éventuelle.

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité

5. Dans ses commentaires datés des 8 juin et 16 août 2001, l’auteur répond aux observations de l’État partie sur la recevabilité et déclare que, selon la décision du Comité dans l’affaire Gómez Vásquez , il n’est pas nécessaire d’attendre l’issue d’un procès lorsqu’il paraît déjà certain que le résultat sera identique aux jugements précédents rendus par les mêmes tribunaux et que, dans le cas d’espèce, il a dénoncé devant la Cour suprême le fait que son pourvoi en cassation n’était pas un recours effectif, et que c’est parce que celle ‑ci n’a pas accepté de suspendre le recours qu’il a formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu de l’alinéa  a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Le Comité observe que les allégations de l’auteur relatives au paragraphe 1 de l’article 14 concernent essentiellement le jugement pénal dont celui ‑ci pourrait faire l’objet par suite de son inculpation pour trafic de cocaïne; c’est donc à son sens en Espagne que l’auteur doit être jugé puisqu’il pourra y bénéficier de la procédure de l’infraction continue. Le Comité relève qu’il s’agit pour le moment d’un jugement pénal hypothétique ou éventuel et qui ne peut donc pas être considéré comme constituant une violation des articles du Pacte invoqués. Le Comité estime donc que la plainte de l’auteur ne relève pas des dispositions du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte et, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, déclare donc cette partie de la communication irrecevable ratione materiae.

6.4 En ce qui concerne la procédure d’extradition en cours en Espagne, l’auteur affirme qu’il a été privé du droit à un procès équitable puisqu’elle a été engagée à la demande du pays requis, c’est ‑à ‑dire l’Espagne, et que la demande d’extradition était uniquement accompagnée d’un mandat d’arrêt. Le Comité observe à cet égard que la plainte de l’auteur n’a aucun rapport avec le droit protégé par l’article 14 du Pacte et qu’elle est ainsi irrecevable ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5 En ce qui concerne les plaintes de l’auteur relatives à la violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, qui résulte du fait que les magistrats qui ont examiné l’extradition en première instance faisaient partie de la Chambre qui a été saisie du recours en révision, ainsi que la violation de l’alinéa  b du paragraphe 3 de l’article 14, due au fait que l’auteur n’a pas eu suffisamment de temps pour préparer sa défense, l’État partie a affirmé que ces griefs n’avaient pas été formulés par l’auteur lorsqu’il a formé des recours. Il ressort des documents dont dispose le Comité que l’auteur n’a pas dénoncé ces violations devant les juridictions internes. Le Comité rappelle que si les plaignants ne sont pas tenus de citer expressément les dispositions du Pacte qu’ils estiment avoir été violées, ils doivent avoir invoqué quant au fond devant les juridictions nationales les motifs qu’ils présentent ensuite au Comité. Ces griefs n’ayant même pas été formulés devant les tribunaux nationaux, cette partie de la communication est irrecevable conformément à l’alinéa  b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.6 Quant à la plainte relative au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, l’auteur tente de fonder ses allégations sur le fait que le premier mandat d’arrêt délivré contre lui par le tribunal italien a été annulé et que le second, qui autorisait l’extradition, était fondé sur les mêmes faits sans que les vices initiaux aient été corrigés. À cet égard, le Comité considère que la plainte de l’auteur n’a aucun rapport avec le droit garanti au paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. Cette partie de la plainte doit en conséquence être déclarée irrecevable ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.7 En ce qui concerne la plainte de l’auteur relative au paragraphe 5 de l’article 14, s’il est vrai que dans sa communication du 8 juin 2001 l’auteur indique qu’il a été débouté dans le recours en révision ( casación ) qu’il a formé après avoir été condamné pour trafic de hachisch, le Comité relève que, tant dans la communication qu’il a présentée en complément de sa lettre initiale que dans ses commentaires au sujet des observations de l’État partie, il se borne à alléguer que la violation de cet article résultait du refus du Tribunal constitutionnel de suspendre le pourvoi en cassation ( casación ). De l’avis du Comité, la simple suspension d’une procédure en cours ne saurait être considérée comme entrant dans le champ du droit protégé par le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, qui ne vise que le droit à révision par une juridiction supérieure. Cette partie de la communication doit donc être déclarée irrecevable ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable conformément à l’article 3 et à l’alinéa  b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

N. Communication n o  972/2001, Kazantzis c. Chypre * (Décision adoptée le 7 août 2003, soixante-dix-huitième session)

Présentée par :

George Kazantzis (représenté par un conseil, M. Sotiris Drakos)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Chypre

Date de la communication :

23 février 1998 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 7 août 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1. L’auteur de la communication, qui est datée du 3 mars 1998, est M. George Kazantzis. Il affirme être victime de violations, par la République de Chypre, des articles 2, 14, 17, 25 et 26 du Pacte. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 23 juin 1997, le Conseil suprême de la magistrature a invité les avocats qualifiés à présenter leur candidature à deux postes vacants de juge de district et un poste vacant de juge du Tribunal des conflits du travail. L’auteur s’est porté candidat pour les deux postes le 30 juillet 1997. Il a eu deux entrevues avec le Conseil suprême de la magistrature pour les deux postes, respectivement les 9 et 11 septembre 1997.

2.2 Le 18 septembre 1997, le Conseil suprême de la magistrature a décidé qu’un candidat autre que l’auteur convenait mieux pour le poste de juge au Tribunal des conflits du travail. Comme il y avait quatre autres postes vacants de juge de district en plus des deux postes pour lesquels il avait lancé un appel de candidature, le conseil a alors décidé de ne pas pourvoir dans l’immédiat les deux postes vacants mais plutôt de lancer un appel aux candidats pour les quatre postes supplémentaires. Il a aussi été décidé qu’il serait procédé à l’examen des candidatures des personnes qui avaient postulé pour les deux postes vacants affichés précédemment pour l’ensemble des six postes vacants. Les 15 et 18 octobre 1997, tous les candidats, y compris l’auteur, ont été interviewés.

2.3 Le 21 octobre 1997, le Conseil a évalué les candidatures en se fondant sur le rapport sur les aptitudes de chaque candidat établi par le Président du tribunal de district auprès duquel le candidat exerçait ses fonctions d’avocat, et a décidé de nommer les six candidats jugés les plus aptes à assumer les fonctions de juge de district. L’auteur ne faisait pas partie des candidats désignés. L’avis de nomination a été publié au Journal officiel de la République le 14 novembre 1997. L’auteur n’a pas été personnellement informé que sa candidature n’avait pas été acceptée ni des raisons pour lesquelles elle avait été refusée.

2.4 L’auteur n’a pas contesté la décision devant les tribunaux locaux parce que selon la jurisprudence de la Cour suprême, aucun tribunal chypriote n’était compétent pour connaître des décisions du Conseil suprême de la magistrature. En effet, dans l’affaire Kourris v Supreme Council of Judicature , la Cour suprême, à une majorité de trois juges contre deux, avait statué ce qui suit: «… il s’ensuit que la Cour n’est pas compétente pour examiner un recours … contre tout acte, décision ou omission dudit Conseil (de la magistrature) parce que les fonctions de cet organe sont très étroitement liées à l’exercice du pouvoir judiciaire » (souligné dans l’original).

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme, en invoquant l’article 25, ainsi que les articles 17 et 26 du Pacte, que sa non ‑nomination au poste de juge de district et la nomination d’une personne moins qualifiée que lui constituent une violation de son droit d’«accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays». Il a fait valoir qu’il avait toutes les qualifications requises pour exercer les fonctions de juge de district. Il affirme qu’il a eu droit à une entrevue de deux minutes, et que la nomination d’un autre candidat était fondée sur d’autres éléments que les résultats de l’entrevue proprement dits .

3.2. L’auteur affirme également qu’il a été privé de son droit d’accéder à un tribunal et de son droit à un procès équitable pour contester sa non ‑nomination, ce qui constitue une violation des articles 2 et 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1 Dans une lettre datée du 2 juillet 2002, l’État partie affirme que la communication est i) irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes, ii) irrecevable en ce qui concerne les articles 17, 25 c) et 26 car les allégations de l’auteur n’ont pas été suffisamment étayées et iii) irrecevable ratione materiae en ce qui concerne l’article 14. Pour ce qui est du fond, il déclare qu’aucun des articles invoqués du Pacte n’a été violé.

4.2 En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’État partie fait valoir qu’en vertu de l’article 157 de la Constitution, «les nominations, promotions, transferts, cessations de fonctions, révocations et affaires disciplinaires des fonctionnaires judiciaires seront de la compétence exclusive du Conseil suprême de la magistrature». Depuis 1964, le Conseil est constitué de tous les juges qui siègent à la Cour suprême. En vertu de l’article 146 de la Constitution, la Cour suprême peut examiner un recours sur la légalité «d’une décision, d’un acte ou d’une omission d’un organisme, d’une autorité ou d’une personne exerçant un pouvoir exécutif ou administratif», introduit par une personne qui se considère lésée, à condition que ce recours soit déposé dans les 75 jours qui suivent la publication de la décision. La Cour peut, entre autres, annuler totalement ou partiellement la décision contestée.

4.3 L’État partie constate que dans l’affaire Kourris à laquelle se réfère l’auteur, un fonctionnaire judiciaire exerçant les fonctions de juge de district a demandé à la Cour de déclarer, en application de l’article 146 de la Constitution, qu’une décision du Conseil suprême de la magistrature consistant à promouvoir d’autres juges que lui au poste de président par intérim des tribunaux de district était nulle et non avenue. La Cour s’est fondée sur le fait que l’on pouvait se prévaloir du recours prévu à l’article 146 dans les affaires qui relèvent de l’administration mais pas dans celles qui sont du ressort du pouvoir judiciaire et qu’il n’était donc pas disponible pour les actes dont se plaint l’auteur dès lors que ces actes relèvent du judiciaire et qu’ils sont le fait du Conseil suprême de la magistrature qui est non pas un organe administratif de l’État mais un organe de l’appareil judiciaire. La Cour a estimé que bien que le rôle du Conseil, qui ne s’occupe pas d’affaires contentieuses, ne puisse être qualifié de «judiciaire» au sens strict du mot, compte tenu des caractéristiques essentielles de ce rôle qui sont étroitement liées à l’exercice du pouvoir judiciaire, aucun recours n’est disponible en vertu de l’article 146 contre une décision prise par le Conseil dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 157 de la Constitution.

4.4 Au vu de cet arrêt et d’une autre décision prise par la Cour suprême en 2001 dans l’affaire Karatsis v Supreme Council of Judicature , l’État partie affirme que la question de la compétence de la Cour suprême pour connaître de futures actions en annulation de décisions du Conseil suprême de la magistrature n’a pas été tranchée d’une manière définitive. Il fait observer que les deux jugements susmentionnés ont été prononcés en première instance et n’ont pas fait l’objet d’appels et que l’arrêt prononcé dans l’affaire Kourris était une décision majoritaire. Il fait valoir que si l’auteur avait en fait fait appel, il aurait eu la possibilité de faire réexaminer la question de la compétence par la Cour. Selon l’État partie, il n’est possible d’affirmer qu’un jugement a eu pour effet de priver une personne de son droit d’accès aux tribunaux pour défendre sa cause que si cette personne a fait elle ‑même l’objet d’un tel jugement.

4.5 L’État partie ajoute que l’auteur dispose d’autres recours. Le tribunal qui a examiné l’affaire Kourris a lui ‑même indiqué que «même si un fonctionnaire de justice lésé se trouvant dans la situation du présent requérant n’a pas de droit de recours en vertu du paragraphe 1 de l’article 146 de la Constitution, il y a, dans toute affaire, la possibilité de faire examiner sa plainte par le Conseil suprême de la magistrature dès lors que le Conseil, à l’instar de tout autre organe collégial, est habilité à revoir, si nécessaire, ses propres décisions». L’auteur n’a pas déposé de requête à cet effet.

4.6 L’État partie affirme également, en ce qui concerne le Conseil suprême de la magistrature, que l’auteur aurait pu intenter une action au civil devant les tribunaux de district en invoquant une violation de la deuxième partie de la Constitution, dont l’article 15 garantit le droit à la vie privée et à la vie familiale, l’article 30 le droit d’accéder aux tribunaux et l’article 28 l’égalité devant la loi et la non ‑discrimination. Les droits invoqués par l’auteur au titre des articles 17, 14 et 26 du Pacte respectivement sont donc garantis et protégés par le biais des recours utiles disponibles en droit interne.

4.7 L’État partie affirme que ces recours sont à la disposition de l’auteur et qu’ils sont utiles. De simples doutes quant à l’efficacité de recours internes ne peuvent dispenser un requérant de les épuiser. En conséquence, la communication est irrecevable pour non ‑épuisement des recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Pacte.

4.8 L’État partie affirme d’autre part que les allégations de l’auteur au titre des articles 17, 25 c) et 26 du Pacte n’ont pas été étayées de quelque manière que ce soit et sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Il se réfère à la jurisprudence du Comité selon laquelle l’article 25 c) ne confère pas à tout citoyen le droit à un emploi garanti dans la fonction publique mais seulement une chance d’y accéder dans des conditions générales d’égalité . Le Comité ne dispose d’aucune preuve attestant une quelconque violation de ce droit d’accès dans des conditions d’égalité. Pour ce qui est de l’article 26, l’État partie souligne que les différences de traitement ne sont pas toutes discriminatoires; en effet des distinctions fondées sur des critères raisonnables et objectifs ne constituent pas une discrimination interdite au sens de cet article.

4.9 Enfin, l’État partie estime que la plainte de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14 est irrecevable ratione materiae car le litige qui l’oppose à l’auteur ne porte pas sur une question dont l’examen par la justice relève du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Compte tenu de la grande similarité entre cette disposition et le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’État partie appelle l’attention sur la jurisprudence des organes européens selon laquelle le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne ne confère pas un droit d’accès aux tribunaux en ce qui concerne les litiges relatifs à la nomination dans certaines branches de la fonction publique, y compris le judiciaire. En 1983, la Commission européenne des droits de l’homme avait estimé que les litiges concernant les nominations, promotions, révocations dans le judiciaire ne relevaient pas du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention . En 1999, la Cour européenne des droits de l’homme, notant qu’il y avait quelques incertitudes quant à la portée du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qui concerne les litiges portant sur les nominations, promotions et révocations dans la fonction publique, a estimé que la Cour devait adopter un critère fonctionnel, fondé sur la nature des fonctions et des responsabilités inhérentes aux postes en question . La Cour a estimé que, dans chaque cas, il convenait de déterminer «si l’emploi du requérant implique − compte tenu de la nature des fonctions et des responsabilités qu’il comporte − une participation directe ou indirecte à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions visant à sauvegarder les intérêts généraux de l’État ou des autres collectivités publiques». Cela s’applique manifestement au pouvoir judiciaire, et les recours tels que ceux de l’auteur ne relèvent donc pas du paragraphe 1 de l’article 6.

4.10 Pour ce qui est du fond, l’État partie fait valoir que les observations ci ‑dessus font apparaître qu’il n’y a eu aucune violation des droits consacrés par le Pacte qui ont été invoqués.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Dans une lettre datée du 27 mars 2003, l’auteur rejette les affirmations de l’État partie. Pour ce qui est de la possibilité d’intenter une action au titre de l’article 146 de la Constitution, il estime qu’il serait irréaliste et contraire au principe de l’indépendance du judiciaire que la Cour suprême conteste une décision que tous ses membres, siégeant ensemble en tant que Conseil suprême de la magistrature, ont adoptée. Ce recours serait donc inefficace et n’a pas besoin d’être épuisé. En outre, la décision prise dans l’affaire Kourris , qui a été signée par cinq juges de la Cour suprême, a établi un précédent contraignant pour tous les tribunaux, y compris les tribunaux de district ainsi que les juridictions de première instance de la Cour suprême, conformément à l’article 146 de la Constitution; en conséquence, le résultat de toute requête de ce type qui serait déposée devant la Cour suprême par le requérant serait connu d’avance. L’auteur affirme que, contrairement à ce que déclare l’État partie, la décision prise dans l’affaire Kourris était une décision en appel et il aurait à attendre jusqu’à ce que son affaire atteigne en appel le même stade avant qu’une décision différente de celle prise dans l’affaire Kourris ne devienne théoriquement possible.

5.2 Sur le fond, l’auteur fait valoir que sa candidature n’a pas été examinée sur un pied d’égalité avec celles d’autres candidats et que la principale base de nomination à Chypre est ce qu’il appelle le népotisme. Il n’existe pas de règle appropriée applicable en la matière et encore moins de critères, de règlements ou de normes fixés par le Conseil suprême de la magistrature régissant les nominations ou promotions de juges, lesquels sont uniquement désignés en fonction de la durée de la période au cours de laquelle ils ont exercé leurs fonctions sans tenir compte de la question de savoir s’ils sont qualifiés ou si leur profil est adapté au poste. L’auteur n’a reçu du Conseil suprême de la magistrature aucune lettre indiquant les raisons de sa non ‑nomination. Dans ces circonstances, il considère qu’il a été privé du droit ou de la possibilité d’accéder dans des conditions générales d’égalité à la fonction publique de son pays.

5.3 L’auteur affirme que l’État partie n’a pas garanti son droit à l’égalité devant la loi et/ou à une protection égale et efficace contre la discrimination fondée notamment sur l’origine sociale. Il considère par conséquent que sa plainte est fondée.

5.4 Enfin, l’auteur signale que les droits garantis aux articles 25 c) et 26 du Pacte ne sont pas garantis par la Convention européenne des droits de l’homme, et les décisions des organes européens ne sont donc pas une référence en la matière. Selon l’auteur, dès lors qu’il existe un droit garanti par le Pacte et qu’il n’y a pas de voie de recours interne, sa plainte doit être acceptée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Pour ce qui est de la question de l’épuisement des recours internes, le Comité note que le jugement prononcé dans l’affaire Kourris par la Cour suprême constitue un précédent contraignant quant au fait que l’exercice des pouvoirs conférés par l’article 157 de la Constitution au Conseil suprême de la magistrature n’est pas susceptible d’être contesté devant les instances judiciaires. Selon le Comité, l’État partie n’a pas démontré qu’il y avait la moindre probabilité que la Cour suprême adopte une autre décision si la question lui était de nouveau soumise et, par conséquent, le recours invoqué par l’État partie doit être considéré, conformément à la jurisprudence établie, comme inefficace. De même, un tribunal de district serait pareillement tenu par le précédent établi par la Cour suprême. Pour ce qui est de la possibilité que le Conseil suprême de la magistrature examine sa propre décision, le Comité rappelle qu’en règle générale, il n’exige pas, sans autre motif, que l’auteur exerce un nouveau recours devant un organe qui s’est déjà prononcé sur son cas. L’État partie n’ayant pas expliqué pourquoi l’auteur pourrait raisonnablement s’attendre à ce que le Conseil suprême de la magistrature parvienne à une conclusion différente si l’auteur le saisissait de nouveau, le Comité ne peut conclure que le recours proposé serait efficace aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité considère que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la communication.

6.4 Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle il y a eu violation des articles 17, 25 et 26 du Pacte, le Comité note que l’auteur affirme que sa candidature n’a pas fait l’objet d’un traitement égal par rapport à celle d’une personne moins qualifiée qui a été nommée par le Conseil suprême de la magistrature au poste de juge de district. Il note aussi que l’article 25 c) du Pacte confère un droit d’accès, dans des conditions générales d’égalité, à la fonction publique et que par conséquent, en principe, la plainte est couverte par cette disposition. Il constate toutefois que l’auteur n’a fourni aucun détail, autre que l’allégation de népotisme, sur les raisons pour lesquelles la candidature du juge qui a été nommé a été acceptée, sur les éléments qui lui permettent d’affirmer qu’il était, selon les critères à prendre en compte, supérieur au candidat retenu, ou sur toute autre question que le Comité aurait à examiner avant de pouvoir se prononcer sur la plainte. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé aux fins de la recevabilité ses affirmations au titre des articles susmentionnés et que lesdites affirmations sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 Pour ce qui est de la plainte de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité note que, contrairement à la situation dans les affaires Casanova  c.  France et Chira Vargas c.  Pérou , où il était question de révocation d’un emploi public, la question à l’examen a trait au rejet par un organe non judiciaire d’une candidature à un poste dans l’administration de la justice. Le Comité rappelle que le concept de «droit et obligations de caractère civil», visé au paragraphe 1 de l’article 14, est fondé sur la nature du droit en cause plutôt que sur le statut d’une des parties . Il considère que la procédure de nomination des juges, bien que devant respecter le droit d’accès à la fonction publique dans des conditions générales d’égalité (art. 25 c)) et le droit à un recours utile (art. 2, par. 3), ne relève pas de la détermination de droits et d’obligations de caractère civil, au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Cette partie de la communication est donc irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.6 L’auteur invoque l’article 2 du Pacte lu conjointement avec les articles 17, 25 c) et 26. Cela soulève la question de savoir si le fait que l’auteur n’a pas eu la possibilité de contester sa non ‑nomination au poste de juge a constitué une violation du droit à un recours utile garanti par les paragraphes 3 a) et b) de l’article 2 du Pacte. Le paragraphe 3 de l’article 2 prévoit que les États parties, outre qu’ils doivent protéger efficacement les droits découlant du Pacte, doivent veiller à ce que toute personne dispose de recours accessibles, utiles et assortis de garanties effectives pour faire valoir ses droits. Le Comité rappelle que l’article 2 ne peut être invoqué par les personnes qu’en relation avec d’autres articles du Pacte , et note que le paragraphe 3 a) de l’article 2 stipule que chaque État partie s’engage à «garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus [dans le Pacte] auront été violés disposera d’un recours utile». Cette disposition semble littéralement exiger qu’une violation de l’une des garanties du Pacte soit formellement établie car cela constitue une condition préalable à l’obtention de recours tels que la réparation ou la réhabilitation. Toutefois, le paragraphe 3 b) de l’article 2 oblige l’État partie à faire en sorte qu’une autorité judiciaire, administrative ou législative compétente se prononce sur le droit à un tel recours, garantie qui serait caduque si elle n’est pas disponible avant que l’existence d’une violation n’ait été établie. Certes, il ne peut être raisonnablement exigé d’un État partie, en application du paragraphe 3 b) de l’article 2 de la Convention, de faire en sorte que de telles procédures soient disponibles même pour les plaintes les moins fondées, mais le paragraphe 3 b) de l’article 2 assure une protection aux victimes présumées si leurs plaintes sont suffisamment bien fondées pour être défendables en vertu du Pacte. Considérant que l’auteur de la présente communication n’a pas étayé ses plaintes aux fins de recevabilité au titre des articles 17, 25 et 26, son allégation de violation de l’article 2 du Pacte est aussi irrecevable, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide que:

a) La communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b) La présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

O. Communication n o  978/2001, Dixit c. Australie * (Décision adoptée le 18 mars 2003, soixante ‑dix ‑septième session)

Présentée par :

Sunil Dixit

Au nom de :

Sonum Dixit (sa fille)

État partie :

Australie

Date de la communication :

18 mai 1998 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 18 mai 1998, est M. Sunil Dixit, qui résidait aux États ‑Unis au moment de la présentation de la communication. Il affirme que sa fille, Sonum Dixit, qui était âgée de 7 ans lorsque l’auteur a soumis la communication, est victime d’une violation par l’Australie du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 14 et des articles 17, 24 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 En 1996, l’auteur, un expert ‑comptable agréé, a présenté depuis les États ‑Unis, en tant que requérant principal, une demande de visa d’émigration en Australie pour lui ‑même, sa femme Shivi et sa fille Sonum. Le 16 septembre 1997, le visa a été refusé aux trois requérants par le Département de l’immigration et des affaires multiculturelles (ci ‑après dénommé le DIMA) en application de la loi sur l’immigration de 1958. Les raisons données étaient que Sonum, qui était née le 3 octobre 1991, souffrait d’une forme bénigne de spina bifida , «maladie ou affection susceptible d’entraîner d’importantes dépenses en matière de soins de santé et de services communautaires pour la collectivité australienne».

2.2 Cette conclusion résultait d’une évaluation par le médecin du Commonwealth du rapport d’un pédiatre spécialisé fourni par l’auteur. La conclusion était que l’affection dont souffrait l’enfant, «qui s’accompagnait de plusieurs complications», entraînerait des «dépenses importantes pour la collectivité australienne» (chirurgie orthopédique, soins réguliers dans des cliniques spécialisées, dépendance à long terme probable en ce qui concerne les moyens de subsistance, etc.).

2.3 À la suite du rejet de la demande, l’auteur a fourni d’autres informations médicales bien qu’il n’existe pas de droit à un contrôle officiel de l’avis médical à la base du refus d’octroyer le visa. Le Ministre de l’immigration a répondu que l’analyse des informations fournies montrait que, même selon les prévisions les plus optimistes, Sonum aurait un coût important pour la communauté (évalué à 16 000 dollars australiens au cours des cinq années suivantes, sans parler du long terme). Ce coût correspondait aux frais inhérents à une surveillance étroite par une équipe multidisciplinaire, à des examens répétés tout au long de la vie de l’enfant, à une intervention chirurgicale au niveau du pied ainsi qu’au paiement d’une allocation d’invalidité d’un montant de 1 950 dollars australiens par an jusqu’à l’âge de 16 ans. Cette évaluation a été établie indépendamment du fait que la personne utiliserait ou non les services susmentionnés.

2.4 L’auteur a ensuite déposé une série de plaintes d’ordre professionnel contre les experts médicaux concernés et a fait des démarches auprès de différents ministres et fonctionnaires, sans succès. Les plaintes déposées auprès du Médiateur, de la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances (ci ‑après appelée la HREOC) (plaintes rejetées pour absence de compétence), de la Commission parlementaire permanente mixte sur l’immigration et de la Commission parlementaire permanente mixte des affaires étrangères, de la défense et du commerce (Sous ‑Comité des droits de l’homme) n’ont rien donné.

2.5 En 2000, l’auteur et sa famille ont déposé une nouvelle demande pour obtenir un visa d’immigration de la sous ‑catégorie 136, qui est différent de celui qu’ils avaient initialement demandé. Le visa a été accordé le 18 mai 2000 et, depuis, l’auteur et sa famille ont droit à la résidence permanente en Australie. En conséquence, le 4 juin 2001, l’auteur a informé le Comité qu’il était disposé à retirer sa communication si le Gouvernement de l’État partie acceptait que leur statut de résident permanent prenne effet à compter de 1997, date du refus de leur première demande de visa d’émigration, au lieu de 2000, et de dispenser sa famille des conditions requises en matière de résidence afin qu’elle puisse demander la citoyenneté australienne.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur conteste la version des faits et les éléments de preuve à la base de l’évaluation médicale de l’état de sa fille. Son principal argument est que la décision de refuser sa demande de visa constitue une violation du principe de l’égalité devant la loi qui est consacré par l’article 26 du Pacte, en ce sens que la décision des autorités australiennes constitue une discrimination fondée sur un handicap. En gros, l’auteur s’élève contre les critères de santé contenus dans la loi sur l’immigration de 1958 et les règlements connexes, qui visent à minimiser les coûts pour les services de santé publique et les services communautaires, à restreindre les dépenses publiques en matière de services de santé et de services communautaires et à préserver l’accès des citoyens australiens et des résidents permanents à ces services, critères sur lesquels repose la décision de rejeter sa demande. L’auteur fait observer qu’aux termes de l’article 52 de la loi sur la discrimination fondée sur le handicap de 1952, qui interdit ce type de discrimination, cette loi n’est pas applicable aux dispositions discriminatoires de la loi sur l’immigration de 1958.

3.2 De même, en ce qui concerne l’article 26 du Pacte, l’auteur affirme que toutes les personnes ne sont pas égales devant la loi en ce sens qu’il n’a pas eu droit à une révision ou un appel de la décision du DIMA alors que pour d’autres catégories de visa les requérants bénéficient pleinement de ce droit.

3.3 L’auteur estime que l’article 26 du Pacte a également été violé parce que sa fille a été victime d’une discrimination du fait que le médecin qui a évalué son état de santé n’était pas un spécialiste de la spina bifida .

3.4 L’auteur dénonce enfin une violation de l’article 26 en ce sens qu’il n’a pas été en mesure de demander une dispense des prescriptions concernant la santé parce qu’il n’avait pas un proche en Australie comme l’exige apparemment la loi. Il affirme que le fait de n’accorder une telle dispense qu’aux requérants qui ont des proches australiens constitue une violation du droit à l’égale protection de la loi.

3.5 L’auteur allègue qu’il y a eu violation du paragraphe 3 de l’article 2 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte puisque son droit d’accès à la justice pour faire valoir ses droits a été violé du fait que dans son cas, contrairement à ce qui se passe pour d’autres types de visa d’immigration, il n’y avait pas de possibilité d’obtenir une révision de la décision ou d’en faire appel devant le Tribunal chargé d’examiner les décisions concernant l’immigration ou le Tribunal fédéral. L’auteur a toutefois déclaré le 18 mai 1998 qu’il existait une forme de recours possible qui consisterait à s’adresser au Tribunal fédéral de l’État partie dans les quatre mois qui suivent la date de la décision mais qu’en raison de retards dans l’obtention des documents relatifs à l’affaire, le délai a expiré. Quoi qu’il en soit l’auteur affirme qu’il est très difficile d’intenter une action en Australie depuis l’étranger et les chances de succès sont de surcroît très minces.

3.6 L’auteur affirme en outre que son droit à une procédure équitable qui est protégé par le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte exige que lui soit donnée la possibilité de fournir de plus amples renseignements médicaux, de consulter les spécialistes externes au sujet des conclusions médicales et de faire examiner ces conclusions par une commission médicale indépendante. À cet égard, l’auteur fait observer que la plainte qu’il a adressée à la HREOC constituait «une action en justice» mais qu’il n’a pas eu pour autant «la possibilité de la faire examiner par un organe juridictionnel comme le garantit» le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.7 L’auteur dénonce enfin une violation des articles 17 et 24 en ce sens que sa fille aurait été considérée à tort comme pouvant prétendre à «l’allocation pour enfant handicapé», ce qui constitue une atteinte illégale à la réputation d’un enfant mineur et montre que sa fille n’a pas bénéficié des protections garanties par l’article 24 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1 Dans sa réponse du 20 décembre 2001, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité de la communication.

Observations sur la recevabilité

4.2 L’État partie affirme tout d’abord que la communication est irrecevable parce qu’au moment de sa présentation au Comité, l’auteur, sa femme et sa fille ne se trouvaient pas sur le territoire australien et ne relevaient pas de la compétence de l’Australie comme l’exige le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. Tout en reconnaissant que dans certains cas la disposition susmentionnée doit faire l’objet d’une interprétation large, conformément à la jurisprudence du Comité dans les affaires Lichtensztejn c.  Uruguay et Vidal Martins c.  Uruguay , l’État partie fait observer que le cas de l’auteur est différent puisque lui et les membres de sa famille sont des ressortissants d’un autre État qui souhaitent immigrer en Australie. Ils n’avaient aucun lien antérieur avec l’Australie et, eu égard à l’Observation générale n o  15 du Comité , ils n’avaient, en vertu du droit international, aucunement le droit de résider en permanence en Australie. L’État partie souligne que, au vu des travaux préparatoires du Pacte, l’incorporation de la double exigence selon laquelle une personne doit à la fois se trouver sur le territoire de l’État partie et relever de sa compétence était tout à fait délibérée, et affirmer que le Pacte s’applique à des non ‑citoyens résidant dans un autre pays dont le seul lien avec l’Australie consiste en une demande de visa d’une catégorie donnée, c’est étendre le champ d’application du Pacte bien au ‑delà de l’intention de ceux qui l’avaient rédigé et rendre le libellé du paragraphe 1 de l’article 2 superflu.

4.3 L’État partie estime que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes puisque, contrairement à son affirmation selon laquelle il n’a pas eu le droit de faire appel de la décision du DIMA, il disposait de deux voies de recours juridictionnel distinctes. La première consistait à demander la révision judiciaire de la décision par le Tribunal fédéral conformément à l’article 475 de la loi sur l’immigration qui était alors en vigueur dans les 28 jours qui suivaient la notification de la décision et la seconde à faire appel devant la Haute Cour de la décision prise par les fonctionnaires du Commonwealth, conformément à l’article 75 de la Constitution. Selon l’État partie les deux juridictions auraient pu procéder en temps voulu à un examen judiciaire impartial et public des arguments juridiques des plaignants. Il est ajouté que les deux juridictions sont directement accessibles et que la cause de l’auteur y aurait été entendue sans retard indu. Comme l’auteur avait déjà obtenu l’assistance d’un conseil en Australie, la présentation de requêtes par ce dernier aurait été une affaire de routine.

4.4 L’État partie affirme également que la victime présumée dans l’affaire n’est pas une victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif, dès lors que l’auteur, sa femme et sa fille ont obtenu, le 18 mai 2000, un visa d’immigration quoique d’une catégorie différente, et sachant que la fille de l’auteur avait reçu le feu vert des services d’évaluation de l’état de santé des immigrants potentiels le 9 mai 2000, après un examen complémentaire de sa situation et d’autres investigations médicales. L’État partie estime qu’une personne qui a, en substance, obtenu ce qu’elle demandait ne peut plus être considérée comme une victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif. Eu égard à la jurisprudence connexe du Comité et des institutions européennes des droits de l’homme et aux fondements du principe de l’épuisement des recours internes, il est affirmé que, l’État partie ayant assuré un recours, la plainte internationale n’a plus de raison d’être, compte tenu du rôle subsidiaire des mécanismes internationaux. L’État partie considère que les dispositions en vigueur doivent faire l’objet d’une interprétation stricte et rappelle que le Comité a déclaré par le passé qu’il n’avait pas l’intention de devenir une tribune pour un débat sur des questions d’intérêt public . L’État partie estime en outre que la menace implicite contenue dans la lettre de l’auteur en date du 4 juin 2001 suscite des doutes quant à la sincérité et aux motivations de sa requête.

4.5 Enfin, l’État partie fait valoir que, l’auteur n’ayant pas étayé ses allégations en vertu du Pacte, il ne peut affirmer qu’il a établi la présomption du bien ‑fondé de sa plainte. L’État partie expose ci ‑après les arguments à l’appui de ce motif d’irrecevabilité en même temps que ces observations sur le fond de chacune des allégations.

4.6 Pour les raisons susmentionnées, l’État partie considère que la communication devrait être déclarée irrecevable.

Observations sur le fond

4.7 En ce qui concerne l’affirmation selon laquelle le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte a été violé puisque l’État partie n’a pas fourni de recours interne comme l’exige le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie souligne que les droits mentionnés à l’article 2 revêtent un caractère accessoire et sont liés à d’autres droits énoncés dans le Pacte et, se référant à plusieurs décisions antérieures du Comité, note qu’une violation des dispositions de cet article ne peut être constatée que si la violation d’un autre droit a été établie. En conséquence, si, comme l’affirme l’État partie, il n’y a pas eu violation d’une autre disposition du Pacte, force est de considérer que l’allégation concernant le paragraphe 3 de l’article 2 n’a pas été étayée.

4.8 Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 14 du Pacte, l’État partie estime, tout d’abord, qu’une plainte adressée à la HREOC n’est pas une «action en justice» puisque cet organisme n’est pas un organe juridictionnel. Qui plus est, l’auteur aurait pu engager une procédure judiciaire s’il n’était pas d’accord avec la décision de la HREOC. L’État partie fait valoir en outre que, même si l’auteur affirme que sa plainte à la HREOC constitue en substance une «action en justice» et qu’il y a eu, par conséquent, violation de l’article 14 puisque la décision de ne pas accorder de visa n’a pas fait l’objet d’un examen judiciaire, le paragraphe 1 de l’article 14 ne prévoit pas, à proprement parler, un droit de recours similaire à celui que garantit le paragraphe 5 de l’article 14, qui se rapporte uniquement aux déclarations de culpabilité et condamnations pénales. L’État partie considère par conséquent que l’auteur n’est pas fondé à invoquer le Pacte en la matière et que cette allégation devrait être déclarée irrecevable.

4.9 Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 17 du Pacte, l’État partie affirme qu’une violation de ladite disposition implique qu’il y a eu une «atteinte» d’une certaine intensité, que cette atteinte a revêtu un caractère «illégal», c’est-à-dire qu’elle a constitué une violation d’une disposition de la législation interne, et qu’elle a été commise dans l’intention de porter atteinte à l’honneur et à la réputation d’une personne. En ce qui concerne la recevabilité de cette allégation, il est affirmé que l’auteur n’a pas prouvé l’existence de ces trois éléments. Pour ce qui est du fond, l’État partie déclare que l’évaluation faite au sujet de la santé de la fille de l’auteur était tout à fait raisonnable et reposait sur les expertises médicales sur lesquelles l’auteur lui ‑même se fonde. Le commentaire contenu dans cette évaluation n’était pas illégal puisqu’il n’était ni gratuit, ni excessif, et ne saurait par conséquent constituer une atteinte au sens de l’article 17. L’affirmation – faite sur la base de trois rapports médicaux concordants – selon laquelle la fille de l’auteur remplissait les conditions requises pour pouvoir prétendre à une allocation pour enfant handicapé est équitable et ne vise par conséquent pas à porter délibérément atteinte à la réputation ou à l’honneur de la personne concernée.

4.10 Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 24 du Pacte, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas prouvé l’existence de la moindre mesure de protection prise par l’Australie et que les autorités australiennes n’auraient pas appliquée. Une interprétation du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte selon laquelle un État partie ne serait pas autorisé à évaluer l’état d’un enfant à la lumière des critères régissant l’octroi d’un visa et à tirer, dans les cas appropriés, la conclusion que l’enfant concerné pourrait prétendre à l’octroi d’une allocation serait absurde.

4.11 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’article 26 du Pacte a été violé puisque la procédure pour l’octroi d’un visa de la sous ‑catégorie 126 pour travailleur indépendant − demandé initialement par l’auteur − est discriminatoire en comparaison des procédures relatives à d’autres types de visa dès lors qu’elle requiert une évaluation de l’état de santé du requérant et ne prévoit aucun mécanisme dont pourrait se prévaloir ce dernier pour faire valoir ses droits, l’État partie, se référant à la jurisprudence du Comité , fait observer qu’aux fins du Pacte, une différenciation fondée sur des critères raisonnables et objectifs et visant un but légitime au regard du Pacte ne constitue pas une discrimination. S’agissant de la recevabilité de cette allégation, il est affirmé que l’auteur n’a pas fait d’observations générales sur les différences existant entre les diverses catégories de visa ou sur le critère de l’intérêt public à la base de l’évaluation de l’état de santé, qu’il n’a pas démontré que les différentes prescriptions régissant les diverses catégories de visa sont fondées sur le handicap et qu’il n’a pas indiqué en quoi de telles différences seraient injustifiées. Pour ce qui est du fond de l’allégation, l’État partie explique que le visa de la sous ‑catégorie 126 pour travailleur indépendant vise à autoriser l’immigration de personnes dont les compétences et les qualifications représentent un apport pour l’économie australienne et, qu’à cette fin, il est raisonnable d’exiger que les requérants démontrent qu’ils ne sont pas susceptibles d’occasionner d’importantes dépenses en soins de santé à la collectivité australienne, étant entendu que l’évaluation est faite au cas par cas par des fonctionnaires médicaux compétents.

4.12 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle il y a eu violation de l’article 26 du Pacte en ce sens que le visa de la sous ‑catégorie 126 pour travailleur indépendant est discriminatoire puisqu’il échappe aux dispositions de la loi sur la discrimination fondée sur le handicap, l’État partie tient à souligner que toutes les catégories de visa prévoient la même dérogation et peuvent être soumises à l’examen du Tribunal fédéral ou de la Haute Cour, moyens de recours dont l’auteur ne s’est pas prévalu. En outre, il est affirmé que même en l’absence de possibilités de contrôle juridictionnel, il n’y aurait pas de discrimination; en effet, pour qu’il y ait discrimination, il faut que des groupes ou des personnes présentant les mêmes caractéristiques soient traités d’une manière différenciée sans raison objective, alors que les personnes qui demandent les différentes sous ‑catégories de visa ne forment pas des groupes similaires. L’existence de différentes sous ‑catégories de visa ne constitue pas une discrimination parce qu’elle est légitime et raisonnable et fondée sur des critères objectifs.

4.13 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle il y a également eu violation de l’article 26 du Pacte, puisque la discrimination dont a été victime la fille de l’auteur est due en partie au fait que le fonctionnaire qui a procédé à l’évaluation de son état de santé n’avait pas la spécialisation médicale requise, l’État partie, analysant les trois rapports médicaux sur lesquels l’auteur lui ‑même s’est fondé, fait valoir que le fonctionnaire n’a fait que paraphraser le texte des rapports spécialisés et souscrire à leurs conclusions.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans ses réponses des 14 et 15 mars 2002, l’auteur a formulé ses commentaires sur les observations de l’État partie.

Commentaires sur la recevabilité

5.2 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle il n’a pas été satisfait aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, l’auteur déclare que la victime n’est pas tenue d’être physiquement sur le territoire de l’État partie pour relever de sa compétence. En l’espèce l’auteur et sa fille relevaient de celle de l’État partie du fait de l’application de la loi australienne sur l’immigration. Dans certaines circonstances, les lois de l’État partie ont des effets extraterritoriaux, comme par exemple en cas de déplacement vers l’Australie et d’entrée dans ce pays, la législation australienne soumettant les personnes à la juridiction de l’État partie même s’il ne s’agit pas de citoyens ou de résidents. Afin de montrer dans quelle mesure sa fille et lui relevaient de la compétence de l’Australie dans le contexte de leur demande de visa, l’auteur fournit une description détaillée du système de visas australien, en particulier, du visa de la sous ‑catégorie 126 pour travailleurs indépendants, qu’il qualifie de cadre juridique complexe. C’est ainsi que lorsque les droits et les devoirs d’une personne sont soumis à la législation d’un État partie, même si cette personne n’est pas physiquement présente sur le territoire de cet État, elle est sujette à sa juridiction pour ce qui est de déterminer ces droits et devoirs. Toute personne qui essaye d’entrer en Australie doit se conformer à la législation de l’État partie. L’auteur et sa fille relevaient donc de la compétence de l’État partie dès lors que leur demande de visa a été tranchée en application de sa législation. La décision est prise conformément aux lois de l’État partie et, comme ce dernier le laisse entendre lui ‑même, il existe des moyens de recours en vertu de cette législation. L’auteur estime que cela suffit pour démontrer que sa fille et lui relevaient effectivement à un moment donné de la compétence de l’État partie.

5.3 Pour ce qui est du non ‑épuisement présumé des recours internes, l’auteur affirme que les moyens de droit dont parle l’État partie sont distants, onéreux, inefficaces et peu susceptibles d’aboutir. Il appelle aussi l’attention du Comité sur les démarches qu’il a faites dans le cadre de sa demande de visa avant de présenter sa communication; il a écrit un nombre important de lettres, dans lesquelles il a demandé des informations et sollicité l’assistance de différents organes, et a notamment présenté des plaintes à la HREOC, au Médiateur et au Conseil médical. En outre, en dépit d’un important échange de correspondances avec le DIMA et le Ministre, l’auteur n’a jamais été informé de l’existence des moyens de recours mentionnés par l’État partie. L’auteur fait valoir en outre qu’il lui a fallu trois ans pour réunir tous les éléments nécessaires pour comprendre les raisons du refus du visa et lorsqu’il avait pris contact avec des avocats en Australie, ils n’ont pas été en mesure de l’aider parce que l’information dont il avait besoin n’était pas disponible. L’auteur a demandé à un conseil, Goldsmith Lawyers, d’obtenir une copie de son dossier auprès du DIMA mais, lorsqu’il l’a reçue, il s’est rendu compte qu’elle ne contenait pas suffisamment d’informations pour qu’il puisse se faire une idée des différents aspects de l’évaluation de l’état de santé de sa fille qui a été à l’origine du refus du visa. Il a donc demandé à un sénateur de l’aider à connaître la vérité et ce n’est qu’en 1999, après l’expiration des délais pour intenter une action devant le Tribunal fédéral, qu’il a été en mesure de prendre des dispositions. L’auteur considère que ce retard dans la communication de l’information requise ne peut lui être imputé. En outre, il fait valoir qu’il n’est pas obligé de se prévaloir d’un recours interne qui n’offre pas de chances raisonnables de succès. Compte tenu de la nature de la décision concernant sa demande de visa et du fait qu’il résidait aux États ‑Unis, qu’on ne lui a pas exposé les raisons du refus de sa demande, qu’il ne remplissait pas les conditions requises pour bénéficier d’une assistance juridictionnelle en Australie, il lui aurait été pratiquement impossible d’entamer une procédure en Australie que ce soit devant le Tribunal fédéral ou la Haute Cour. L’auteur affirme en outre qu’un contrôle juridictionnel vise à déterminer non pas s’il y a eu une violation des droits de l’homme mais plutôt si une erreur judiciaire a été commise et ne comprend pas un examen du fond de l’affaire, c’est ‑à ‑dire de la question qui préoccupe l’auteur. Les recours en question n’auraient donc été d’aucun secours à l’auteur sur le fond. Enfin, l’auteur affirme que par le passé, aucun non ‑citoyen se trouvant à l’étranger n’a interjeté appel devant la Haute Cour à la suite du refus d’un visa pour des raisons de santé et qu’étant essentiellement une juridiction de dernière instance, la Haute Cour n’encourage pas les requérants à entamer une procédure à ce stade. L’auteur est donc d’avis qu’il a épuisé tous les recours internes raisonnables qui étaient à sa disposition.

5.4 Pour ce qui est de l’absence présumée de la qualité de victime, l’auteur se référant à la jurisprudence du Comité note qu’il n’est pas nécessaire que la victime présumée dans une communication reste une victime pendant toute la procédure devant le Comité. En outre, la délivrance d’un visa à l’auteur et à sa famille en 2000 ne signifie pas qu’ils ne sont plus des victimes au sens du Pacte puisqu’ils continuent de souffrir des effets de la violation de cet instrument par l’État partie. Le fait que le visa leur a été accordé avec un retard de trois ans par rapport à leurs attentes a eu certaines conséquences sur leur situation familiale notamment en ce qui concerne leur demande de nationalité en Australie. L’auteur affirme en outre à cet égard que si sa famille et lui avaient obtenu un visa en 1997, leur situation aurait été beaucoup plus favorable. À l’appui de ces allégations l’auteur procède à une comparaison de taux de change et explique l’évolution des marchés au cours de la période allant de 1997 à 2000. Il ajoute qu’il aurait été facile pour sa fille de s’installer en Australie en 1997 alors qu’elle venait d’entamer sa scolarité; elle aura en revanche beaucoup de mal à s’adapter à son nouveau pays après avoir commencé ses études dans un système différent trois années plus tôt. L’auteur rejette aussi fermement l’affirmation de l’État partie selon laquelle sa lettre du 4 juin 2001 constitue une menace implicite qui suscite des doutes quant à la sincérité et aux motivations de ses allégations.

5.5 En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel les plaintes exposées dans la communication n’ont pas été étayées, l’auteur fait valoir qu’il a fourni un compte rendu détaillé des circonstances à l’origine de sa communication ainsi que des fondements de sa communication et des dispositions qui selon lui ont été violées.

Commentaires sur le fond

5.6 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte n’énonce aucun droit indépendant pouvant faire l’objet d’une communication et qu’une violation de l’article 2 ne peut être constatée que lorsque la violation d’un autre droit consacré par le Pacte a été établie, l’auteur fait valoir que l’existence d’un recours revêt une importance capitale pour l’efficacité du Pacte dès lors que la jouissance effective des droits énoncés dans cet instrument dépend en dernière analyse de la garantie d’un recours utile. Tout en reconnaissant que des constatations faites antérieurement par le Comité appuient le point de vue de l’État partie, l’auteur souligne que ces constatations n’ont pas toujours été adoptées à l’unanimité par le Comité et que certains de ses membres ont clairement indiqué que le Comité pouvait revenir sur sa jurisprudence ou la modifier et que celle ‑ci ne pouvait en elle ‑même être invoquée en tant que motif pour déclarer une communication irrecevable.

5.7 En ce qui concerne la violation présumée de l’article 14 du Pacte, l’auteur réaffirme qu’il n’existe, dans le cadre de la législation de l’État partie, aucun moyen de droit dont on pourrait se prévaloir pour contester l’application des critères empêchant une personne handicapée d’obtenir un visa et, en l’espèce, pour présenter des éléments de preuve afin de démontrer que sa fille n’aurait pas été un fardeau pour le système de soins de santé australien.

5.8 Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 17, l’auteur fait valoir que le fait que les autorités de l’État partie n’aient pas tenu compte de tous les aspects de l’état de sa fille constitue un comportement injustifié qui a porté atteinte à l’honneur et la réputation de l’enfant.

5.9 Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 24, l’auteur affirme que sa fille a droit à ce que sa demande de visa soit examinée à l’abri de toute discrimination fondée sur son handicap.

5.10 Pour ce qui est de la violation de l’article 26, l’auteur fait valoir que dans le contexte de l’examen d’une demande de visa, les personnes handicapées ne sont pas, selon la loi sur l’immigration, traitées sur un pied d’égalité avec celles qui ne sont pas handicapées. Se référant à l’Observation générale n o  18 du Comité, l’auteur considère, tout en étant d’accord qu’une différenciation n’est pas discriminatoire si elle est fondée sur des critères objectifs et raisonnables et vise à atteindre un objectif légitime au regard du Pacte, que la différenciation faite sur la base des critères de santé n’est ni raisonnable ni objective et ne vise pas un objectif légitime en vertu du Pacte.

Commentaires supplémentaires de l’État partie

6.1 Dans une lettre du 19 septembre 2002, l’État partie présente des observations supplémentaires sur les commentaires de l’auteur.

6.2 En ce qui concerne la question de la compétence, l’État partie fait valoir que le terme «compétence» signifie que l’État a le droit «d’exercer un contrôle sur une personne ou un objet, ou d’intervenir à leur sujet», que le fait d’octroyer ou de refuser un visa n’entre pas dans cette catégorie et que la loi australienne sur l’immigration ne confère aucune autorité souveraine à l’État partie sur l’auteur.

6.3 En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’État partie fait valoir que les recours qu’il a mentionnés dans ses observations précédentes ne sont pas coûteux étant donné que l’auteur aurait pu être dispensé des droits à acquitter, que la présence de l’auteur devant le Tribunal fédéral ou devant la Haute Cour n’aurait pas été requise, que la Haute Cour aurait pu autoriser l’auteur à présenter sa demande après les délais habituels si c’était dans l’intérêt de la justice, qu’il n’appartenait pas à un département du Commonwealth comme le DIMA d’informer les particuliers des droits qu’ils pourraient avoir de demander un contrôle juridictionnel, qu’en vertu des deux recours disponibles, la décision de refuser le visa aurait pu être annulée avec requête à l’organe d’origine de la modifier et que plus de 100 dossiers d’immigration avaient fait l’objet d’un recours devant la Haute Cour, notamment par des non ‑citoyens se trouvant à l’étranger.

6.4 En ce qui concerne la qualité de victime, l’État partie appelle l’attention du Comité sur le fait que, bien qu’un visa ait été accordé à la famille de l’auteur en 2000, ce dernier n’a pas déménagé en Australie pour des raisons financières.

6.5 Enfin, l’État partie note, en se fondant sur la dernière lettre de l’auteur, que le salaire perçu par l’auteur aux États ‑Unis d’Amérique pendant l’année écoulée dépasse de 200 % les salaires australiens correspondants et que c’est pour cette raison, semble ‑t ‑il, que la famille de l’auteur a décidé de rester aux États ‑Unis d’Amérique.

Commentaires supplémentaires de l’auteur

7. Dans une communication du 8 octobre 2002, l’auteur présente des commentaires supplémentaires au sujet des observations de l’État partie et réaffirme que la demande de visa de sa famille a été faite conformément à la législation australienne, et dans les locaux de la représentation diplomatique de l’Australie qui est territoire australien. Il souligne également que l’État partie doit admettre les immigrants d’une manière conforme au Pacte. Il fait ressortir enfin qu’il n’a jamais été informé des voies de recours dont il disposait, et il ne pense pas que l’on puisse saisir utilement la Cour pour entamer une procédure pour contester une évaluation médicale présumée malhonnête.

Délibérations du Comité

8.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement aux fins du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.3 Le Comité observe que l’auteur semble reconnaître qu’un recours était disponible, en principe, pour sa fille devant le Tribunal fédéral de l’État partie. Bien que les délais officiels aient maintenant expiré, le Comité considère que l’auteur n’a fait preuve d’aucun effort pour exercer les recours judiciaires disponibles dans l’État partie. En outre, et pour ce qui concerne la période actuelle, le Comité observe que l’auteur n’a pas montré qu’il n’avait pas la possibilité de présenter une demande d’autorisation de faire recours après les délais et observe aussi qu’une demande de visa présentée ultérieurement avait entre ‑temps abouti. Par conséquent, la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5.

9. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

P. Communication n o  980/2001, Hussain c . Maurice * (Décision adoptée le 18 mars 2003, soixante ‑dix ‑septième session)

Présentée par :

M. Fazal Hussain

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Maurice

Date de la communication :

18 février 1998 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 mars 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 18 février 1998, est M. Fazal Hussain, citoyen indien purgeant actuellement une peine de prison à Maurice. Il affirme être victime d’une violation par Maurice des paragraphes 3 b), c) et d), 5 et 6 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 7 juillet 1995, l’auteur a été arrêté à l’aéroport international Sir Seewoosagur Ramgoolam de Maurice et inculpé «d’importation et de trafic» d’héroïne. Avant le 15 octobre 1996, l’auteur a été présenté deux fois au tribunal de district de Mehbourgh .

2.2 Le 20 juin 1996, l’auteur a comparu devant la Cour suprême pour être jugé. Après la lecture par le Président de la Cour suprême des chefs d’accusation portés contre lui, l’auteur était perturbé car il n’était pas assisté par un conseil et il ne comprenait pas bien l’anglais. Il a dit qu’il avait demandé l’aide juridictionnelle et qu’il voulait être assisté d’un interprète. Pour ces raisons, la Cour suprême a ajourné le procès.

2.3 En septembre 1996, l’auteur a pris personnellement contact avec un avocat, M e  Oozeerally, qui a accepté de commencer à préparer la défense dès qu’il aurait reçu les copies de la déclaration de l’auteur ainsi que des autres éléments de preuve. M e  Oozeerally a été ensuite désigné avocat au titre de l’aide judiciaire. L’auteur affirme que son conseil n’a reçu les documents nécessaires que cinq jours avant le procès.

2.4 Le conseil a recommandé à l’auteur de plaider non coupable mais, après une journée de procédure, l’auteur a décidé de plaider coupable parce qu’il était «choqué de voir de quelle façon le procès était conduit». Le 17 octobre 1996, il a été condamné à l’emprisonnement à perpétuité. Il a immédiatement indiqué au juge qu’il avait l’intention de faire appel.

2.5 Le 29 octobre 1996, l’auteur a demandé à bénéficier de l’aide juridictionnelle pour se pourvoir en appel ( in forma pauperis ), mais sa demande a été rejetée par le Président de la Cour suprême en raison de l’avis de son conseil, qui estimait qu’il n’y avait pas matière à recours.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir tout d’abord que l’accusation a disposé de 14 mois pour préparer son argumentation alors que son conseil n’a reçu les informations nécessaires pour préparer sa défense que cinq jours avant le début du procès. Ainsi, l’auteur n’a pas disposé de suffisamment de temps pour préparer sa défense.

3.2 L’auteur affirme en outre qu’il a été condamné à l’emprisonnement à perpétuité par un tribunal composé d’un juge unique et non pas par un jury, ce qui d’après lui est contraire aux dispositions du Pacte.

3.3 Enfin, l’auteur affirme que le droit de faire appel lui a été dénié et que l’aide juridictionnelle qui lui aurait permis de présenter un tel recours lui a été refusée. Il ajoute que c’est en raison de l’avis émis par le conseil l’ayant représenté au procès que sa demande de recours en appel in forma pauperis a été rejetée.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond de la communication

4.1 Dans des réponses en date du 13 août 2001 et du 29 janvier 2002, l’État partie a fait ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication.

4.2 Pour ce qui est de la recevabilité de la communication, l’État partie affirme que la plainte déposée par l’auteur constitue un abus du droit de présenter une communication et que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles dans la mesure où, s’il avait estimé que le droit constitutionnel à un procès équitable avait été violé, il aurait pu se pourvoir devant la Cour suprême. En outre, l’auteur pouvait s’adresser à la Commission sur le droit de grâce pour obtenir un examen de la peine prononcée par la Cour suprême.

4.3 Pour ce qui est du fond de l’affaire, l’État partie explique qu’à la première audience, le 20 juin 1996, le procès a été reporté afin que l’auteur puisse être représenté en justice et assisté d’un interprète. Il est apparu par la suite que, bien que par souci d’équité les débats aient été traduits dans sa langue maternelle, l’auteur connaissait l’anglais et n’avait pas d’objection à ce que la procédure se déroule dans cette langue.

4.4 L’État partie fait observer en outre qu’à aucun stade du procès le conseil n’a demandé de report d’audience parce qu’il avait besoin de plus de temps pour préparer sa défense, ce qui, comme il est d’usage dans de tels cas, lui aurait été accordé par le tribunal.

4.5 De plus, bien que le conseil ait déclaré à un certain moment que la déposition d’un certain témoin et certaines photographies ne lui avaient pas été communiquées, il a fait savoir clairement qu’il n’élevait aucune objection à la recevabilité de la plupart des documents soumis par l’accusation. Le conseil a en outre déclaré qu’il n’avait pas besoin de temps pour examiner les documents car il en était donné lecture au tribunal. Enfin, les témoins qui ont enregistré la déposition et pris les photographies ont été également entendus par le tribunal, et le conseil aurait pu demander leur contre ‑interrogatoire.

4.6 En ce qui concerne le droit de faire appel, la législation de l’État partie prévoit le bénéfice de l’aide juridictionnelle à cette fin. Selon la procédure prévue dans de tels cas, le dossier est envoyé à un avocat pour que celui ‑ci indique s’il existe des motifs raisonnables de recours. En l’espèce, l’auteur a informé le 17 octobre 1996 le juge de son intention de faire appel de la décision du tribunal. Les documents nécessaires ont alors été envoyés au conseil qui, le 5 novembre 1996, a émis une opinion indiquant qu’il n’y avait pas raisonnablement matière à recours. L’auteur a été informé de ce fait par le Commissaire des prisons et sa demande d’aide juridictionnelle a par conséquent été rejetée.

4.7 L’État partie estime que toute l’attention voulue a été accordée à la demande d’aide juridictionnelle, mais que, étant donné l’opinion émise par le propre conseil de l’auteur, le tribunal ne pouvait que rejeter sa demande. Il ajoute que les tribunaux nationaux ont pour habitude de rejeter les demandes d’aide juridictionnelle dans les affaires de recours en appel qui sont considérées comme futiles ou abusives. En outre, l’auteur aurait pu se pourvoir directement devant la Cour suprême, ce qu’il a décidé de ne pas faire en l’espèce.

Commentaires de l’auteur

5.1 Le 7 mars 2002, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie.

5.2 Pour ce qui est du fond de l’affaire , l’auteur rappelle que son conseil n’a pas disposé de suffisamment de temps pour préparer sa défense et renvoie à un document présenté par l’État partie, dans lequel le conseil signalait que les informations ne lui avaient été communiquées que quelques jours avant le début du procès. À ce sujet, l’auteur dit qu’il n’est pas en mesure de demander à son conseil la raison pour laquelle il n’a pas demandé l’ajournement ou le report du procès.

5.3 L’auteur maintient également que le droit de faire appel lui a été dénié et qu’il n’a jamais demandé au conseil qui le représentait en première instance de se charger du recours en appel. L’auteur considère qu’un autre conseil aurait dû être désigné pour la procédure d’appel. Il déclare en outre qu’il n’a jamais été informé de l’avis de son conseil selon lequel il n’y avait pas raisonnablement matière à recours de la décision de la Cour suprême.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, décider si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur, qui déclare que son conseil n’a pas eu suffisamment de temps pour préparer sa défense du fait que le dossier n’a été communiqué à ce dernier que cinq jours avant la première audience, ce qui peut soulever des questions au titre du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte, le Comité note qu’il ressort des informations fournies par les parties que le conseil avait la possibilité de faire interroger le témoin ainsi que de demander l’ajournement du procès, ce qu’il n’a pas fait. Le Comité renvoie à ce sujet à sa jurisprudence et réaffirme qu’un État partie ne peut pas être tenu responsable des agissements d’un avocat de la défense, à moins qu’il n’ait été ou n’eût dû être manifeste pour le juge que le comportement de l’avocat était incompatible avec les intérêts de la justice . En l’espèce, le Comité n’a aucune raison de penser que le conseil de l’auteur n’a pas agi en toute conscience professionnelle. De plus, le Comité note que l’auteur a finalement décidé de plaider coupable, contre l’avis de son conseil. Le Comité estime en conséquence que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son allégation de violation du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte. Cette partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 En ce qui concerne l’argument de l’auteur qui affirme qu’il a été jugé non pas par un jury mais par un seul juge, l’auteur n’a pas montré en quoi il pouvait y avoir là violation du Pacte. Cette partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5 Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte, le Comité estime que, dans les circonstances de l’espèce, l’auteur n’a pas suffisamment montré en quoi la période de 11 mois qui s’est écoulée entre le moment de son arrestation et la date de la première audience de la Cour suprême pouvait constituer une violation de ces dispositions. Cette partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6 En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 6 de l’article 14, le Comité note que l’auteur ne lui a pas fourni d’éléments qui pourraient soulever des questions au titre de ces dispositions. Cette partie de la communication devrait donc être déclarée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.7 En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui affirme que le droit de faire appel lui a été dénié, ce qui peut soulever des questions au titre des paragraphes 3 d) et 5 de l’article 14 du Pacte, le Comité note, compte tenu du fait que l’auteur a plaidé coupable contre l’avis de son conseil, que l’auteur a demandé l’aide juridictionnelle pour faire appel sans présenter de motifs de recours ni d’éléments à l’appui de ce recours et que, quand l’aide juridictionnelle a été refusée, l’auteur ne s’est pas pourvu devant la Cour suprême pour dénoncer une violation de ses droits constitutionnels. Le Comité estime que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 5 du Pacte pour non-épuisement des recours internes.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2, 3 et 5 du Protocole facultatif;

Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

Q. Communication n o  984/2001 Shukuru Juma c. Australie * (Décision adoptée le 28 juillet 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par :

Shukuru Juma

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

19 février 2001 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 juillet 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est Shukuru Juma, de nationalité australienne, né en Tanzanie, qui exécute actuellement une peine d’emprisonnement à perpétuité au centre pénitentiaire de Wolston, au Queensland (Australie). Il affirme être victime de violations par l’Australie des paragraphes 3 f) et 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 2 février 1997, l’auteur a été arrêté et conduit au poste de police de Dutton où il a été accusé de meurtre. Le 25 novembre 1998, il a été reconnu coupable de meurtre et, le 26 novembre 1998, il a été condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité. Il a fait appel de sa condamnation et a demandé une prolongation du délai de présentation de son recours devant la Cour d’appel. Son recours en appel et sa demande de prolongation du délai ont tous deux été rejetés le 16 juillet 1999. L’auteur a alors demandé à la Haute Cour d’Australie une autorisation spéciale de recourir. Le 24 novembre 2000, la Haute Cour a rejeté sa requête.

2.2 Entre le moment de son arrestation et son recours final en appel, l’auteur n’a pas pu bénéficier des services d’un interprète, bien qu’il en ait fait la demande à chaque étape de la procédure. Il dit qu’il avait sollicité l’assistance d’un interprète avant d’être interrogé par la police, et qu’il avait demandé à son avocat d’interpréter au cours du procès en première instance. Au cours de l’audience devant la Cour d’appel, l’auteur a été informé qu’il pouvait recourir aux services d’un interprète par téléphone. Toutefois, l’auteur a refusé ce service car l’interprète ne se trouvait pas dans la salle d’audience et il estimait qu’il ne pouvait pas lui faire confiance. Il déclare qu’il a refusé de parler à l’interprète car «la police (l’)avait forcé à donner contre (son) gré un enregistrement de l’interrogatoire et (il a) été agressé par … [un inspecteur] de la police du Queensland» .

2.3 Dans sa demande d’autorisation spéciale d’introduire un recours auprès de la Haute Cour, l’auteur a affirmé qu’il avait été «forcé» d’accepter un avocat commis d’office, qui n’avait été chargé de son affaire que le matin même du procès en appel et ne la connaissait donc pas. En outre, l’avocat a refusé d’aborder les points de droit soulevés dans la demande établie par l’auteur. Celui ‑ci soutient également qu’au cours de l’audience, l’un des juges a demandé à trois reprises où se trouvait l’interprète, mais son conseil a simplement répondu qu’il connaissait l’affaire.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur déclare que l’État partie a violé son droit à un «procès juste et équitable». Il fait valoir en particulier que sa première langue étant le swahili et l’anglais n’étant que sa quatrième langue, il n’a pas pu comprendre ce qui se passait lors des audiences du tribunal ni saisir les complexités de la procédure judiciaire. Ne comprenant pas ce qui se disait au cours de la procédure, il a répondu par l’affirmative aux questions posées. Il affirme que, ne lui ayant pas fourni l’assistance d’un interprète, l’État partie a violé le paragraphe 3 f) de l’article 14 du Pacte.

3.2 L’auteur soutient également que l’État partie a violé le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, mais ne précise pas davantage la raison pour laquelle il estime que ses droits à cet égard ont été violés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond de la communication

4.1 Dans une note verbale du 21 décembre 2001, l’État partie formule ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il donne la version ci ‑après des faits, depuis l’arrestation de l’auteur jusqu’à son recours en appel. L’auteur est né en Tanzanie et est arrivé en Australie en 1989. Sa première langue est le swahili.

Détention avant jugement et interrogatoire

4.2 L’infraction a été commise le 1 er  février 1997. L’auteur a été interrogé dans la soirée du même jour par l’inspecteur de police judiciaire et a été informé de l’ouverture de l’enquête sur le meurtre de M. M. Il a été placé en garde à vue pendant la nuit. Le lendemain matin, il a été interrogé par le même inspecteur qui a effectué un enregistrement officiel de l’interrogatoire . L’auteur n’a pas sollicité l’assistance d’un interprète au cours de l’interrogatoire et les enquêteurs n’ont pas estimé qu’une telle assistance était nécessaire. Il a été formellement inculpé du meurtre de M. M. le 2 février 1997 et placé en détention provisoire le 7 février 1997 .

Procès et déclaration de culpabilité

4.3 Le procès initial a débuté en juillet 1998, mais son déroulement a été interrompu pour cause de maladie du conseil du coaccusé. Le deuxième procès a débuté le 9 novembre 1998 devant la Cour suprême du Queensland. L’auteur a bénéficié d’une représentation judiciaire gratuite. Lors du procès, il a témoigné en personne. Aucune demande n’a été adressée au juge du fond en vue d’obtenir l’assistance d’un interprète et la question n’a jamais été posée devant la Cour. Le jury a entendu l’enregistrement de l’interrogatoire du 2 février 1997 (mené le lendemain du meurtre). L’auteur a été reconnu coupable de meurtre le 25 novembre 1998.

Appel

4.4 L’auteur a demandé à la Cour suprême du Queensland l’autorisation de faire appel de sa condamnation auprès de la Cour d’appel, au motif qu’elle était inéquitable. Aucune précision détaillée n’a été donnée. L’auteur a assuré sa propre défense en appel. La Cour d’appel a pris des dispositions pour qu’un interprète puisse intervenir par téléphone depuis Sydney, mais l’auteur a refusé cette offre. Le recours en appel de la condamnation a été unanimement rejeté par la Cour d’appel le 16 juillet 1999 . Une demande de prolongation du délai de dépôt de la demande d’autorisation de faire appel de la peine prononcée a été rejetée. À propos de l’argument selon lequel l’auteur n’avait pas bénéficié des services d’un interprète lors de l’audience et avait éprouvé des difficultés à la fois à saisir pleinement l’argumentation du ministère public et à donner son propre témoignage, la Cour d’appel a estimé qu’il n’existait pas de fondement raisonnable à l’appui du recours en appel.

4.5 L’auteur a ensuite demandé l’autorisation de recourir auprès de la Haute Cour d’Australie , déclarant qu’il avait été victime d’un déni de justice car il n’avait pas été en mesure de suivre pleinement le procès à l’issue duquel il avait été reconnu coupable de meurtre. Le 24 novembre 2000, la Haute Cour a rejeté sa demande.

Sur la recevabilité

5.1 L’État partie déclare que l’allégation de violation du paragraphe 3 f) de l’article 14 est irrecevable car elle est incompatible ratione materiae avec le Pacte et n’a pas été suffisamment étayée. De l’avis de l’État partie, l’auteur se plaint essentiellement de n’avoir pas pu parler sa propre langue, le swahili, au cours de l’enquête de police et devant le tribunal, bien que l’enregistrement de l’interrogatoire et les comptes rendus d’audience indiquent qu’il pouvait s’exprimer correctement dans la langue officielle du tribunal. Selon l’État partie, la notion de «procès équitable» avancée par l’auteur, au sens de l’article 14 du Pacte, signifie que l’on a le droit, lors d’un procès pénal, d’employer la langue dans laquelle on s’exprime normalement et que le refus d’accorder les services d’un interprète dans de telles conditions constitue une violation du paragraphe 3 f) de l’article 14.

5.2 L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité, selon laquelle les dispositions de l’article 14 ne supposent nullement que l’on a le droit de demander que la procédure se déroule dans la langue de son choix ou d’employer la langue dans laquelle on s’exprime normalement. S’ils maîtrisent suffisamment la langue officielle employée à l’audience, les membres d’une minorité linguistique ou les étrangers n’ont pas le droit d’être assistés gratuitement d’un interprète . L’État partie déclare que l’auteur n’a pas établi qu’il ne pouvait pas communiquer avec les fonctionnaires de police et les membres du tribunal dans un anglais rudimentaire mais convenable et qu’en conséquence il ne pouvait assurer sa défense sans interprétation.

5.3 Par ailleurs, l’État partie fait observer que la communication ne contient aucun élément étayant l’allégation de l’auteur selon laquelle il n’était pas en mesure de communiquer avec les inspecteurs de police ou les membres du tribunal dans un anglais convenable. Pour ce qui est de l’enregistrement de l’interrogatoire, l’État partie souligne que l’inspecteur de police judiciaire a demandé à l’auteur s’il comprenait les questions qui lui étaient posées et s’il était ou non à même d’y apporter des réponses effectives. Dans chaque cas, l’auteur a affirmé qu’il comprenait l’anglais et qu’il pouvait communiquer en anglais.

5.4 Pour ce qui est de la conduite des audiences devant la Cour suprême, l’État partie note que les comptes rendus indiquent que ni l’auteur ni son avocat n’ont sollicité la présence d’un interprète. Les comptes rendus révèlent que l’auteur comprenait les questions qui lui étaient posées et pouvait se faire comprendre. Les défenseurs de l’auteur lors du procès et devant la Haute Cour ont estimé que ce dernier pouvait communiquer suffisamment bien en anglais. À aucun stade de la procédure l’auteur ou son conseil n’ont demandé une suspension au motif que l’auteur ne comprenait pas ce qui se disait. L’État partie rappelle que l’auteur lui ‑même a fait des dépositions lors du procès sans l’aide d’un interprète et s’est également défendu lui ‑même en appel, refusant les services d’un interprète. Lorsqu’elle a rejeté le recours de l’auteur, la Cour d’appel a estimé qu’il n’avait pas été prouvé, en première instance ou en appel, que l’auteur ne pouvait pas communiquer en anglais ou comprendre l’anglais. L’État partie a noté l’observation de la Cour selon laquelle le conseil de l’auteur n’avait pas estimé nécessaire de recourir à un interprète pour recevoir les instructions voulues ni de requérir l’assistance d’un interprète lors du procès. Fait encore plus probant de l’avis de l’État partie, l’auteur a refusé l’offre qui lui avait été faite de s’adresser à la Cour en swahili en utilisant les services d’un interprète (la Cour ayant pris des dispositions à cet effet). L’État partie ajoute que les juges de la Cour d’appel qui ont entendu l’auteur en personne lors de son recours ont déclaré qu’ils comprenaient ses déclarations.

5.5 De même, l’État partie rappelle la décision de la Haute Cour, qui a conclu que l’allégation selon laquelle l’auteur s’est vu refuser les services d’un interprète pendant l’ensemble de la procédure n’était pas suffisamment fondée pour faire douter de la validité de la condamnation et faire droit à la demande d’autorisation spéciale. Il fait en outre observer que la Cour n’a pas été persuadée que l’anglais n’était que la quatrième langue de l’auteur, comme celui ‑ci l’avait affirmé, étant donné que l’auteur était originaire de Tanzanie, pays où l’anglais est largement pratiqué. L’État partie rappelle l’observation de la Cour selon laquelle l’auteur avait vécu en Australie pendant plusieurs années avant sa condamnation et qu’aucune demande n’avait été formulée par le demandeur ou son conseil lors du procès en vue d’obtenir les services d’un interprète. De plus, la Haute Cour a relevé que les juges de la Cour d’appel qui avaient entendu le demandeur lui ‑même lors de l’audience en appel avaient affirmé qu’ils comprenaient ses déclarations.

5.6 S’agissant de l’allégation selon laquelle l’auteur aurait été agressé par un inspecteur de police judiciaire et forcé de participer à un enregistrement de l’interrogatoire, l’État partie considère que l’auteur ne formule pas une réclamation distincte à cet égard, mais justifie son refus d’accepter les services d’un interprète désigné par le tribunal. Toutefois, l’État partie estime que, dans la mesure où ces allégations soulèvent la question de la violation des dispositions du paragraphe 3 g) de l’article 14, de l’article 7 et/ou du paragraphe 1 de l’article 10, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles pour en démontrer le bien ‑fondé, et qu’en conséquence sa plainte est irrecevable.

5.7 Dans l’autre éventualité, l’État partie déclare que l’auteur n’a pas apporté suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de son allégation et qu’en conséquence le Comité devrait la déclarer irrecevable au motif qu’elle n’a pas été étayée. L’État partie fournit le rapport de l’inspecteur de police judiciaire pour réfuter les allégations de contrainte et d’agression .

5.8 Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14, l’État partie fait valoir que l’auteur ne précisant pas la raison sur laquelle il se fonde pour dénoncer une violation de ces dispositions, les allégations de l’auteur à cet égard sont irrecevables car incompatibles avec lesdites dispositions et, en outre, que l’auteur n’a pas étayé sa plainte.

5.9 L’État partie note que le Comité a examiné la question de l’application du paragraphe 5 de l’article 14 aux systèmes juridiques internes et a reconnu que l’expression «conformément à la loi» signifiait que les États étaient en droit de réglementer les modalités internes de l’exercice du droit de recours, sous réserve que la réglementation ainsi adoptée n’empêche pas l’accès effectif à la justice . L’État partie affirme que «la réglementation du nombre de recours dont peut connaître la Haute Cour n’empêche pas l’accès effectif à cette juridiction par des requérants qui contestent les décisions des juridictions inférieures» . Il déclare qu’il réglemente l’exercice du droit de recours par la Haute Cour en exigeant des requérants qu’ils obtiennent une autorisation spéciale de faire appel. Pour statuer sur la demande d’autorisation spéciale de faire appel, «la Haute Cour peut prendre en considération toute question qu’elle estime entrer en ligne de compte, mais elle devra déterminer si: a) la procédure à l’issue de laquelle la décision visée dans la demande a été rendue implique une question de droit: 1. qui soit d’importance pour le public en raison de son application générale ou pour d’autres raisons ou, 2. à propos de laquelle une décision de la Haute Cour, en tant que juridiction de dernière instance, doit être rendue pour résoudre les divergences d’opinion entre différentes juridictions, ou au sein d’une même juridiction, concernant l’état du droit; et b) l’intérêt de l’administration de la justice, soit de façon générale soit dans le cas d’espèce, exige un examen par la Haute Cour de la décision visée dans la demande. Outre ces facteurs impératifs, la Haute Cour examinera les questions de savoir si la décision dont il est fait appel est justifiée ou n’est pas raisonnablement discutable, s’il est peu probable que le recours en appel aboutisse, si le recours envisagé ne porte que sur des questions de fait, si le recours envisagé n’est pas un moyen approprié pour conduire à une décision sur le point contesté et s’il existe une véritable possibilité de déni de justice. L’État partie souligne que la question de la conformité de cette disposition avec la protection garantie au paragraphe 5 de l’article 14 a été précédemment examinée par le Comité dans l’affaire Pereira c.  Australie , dans laquelle le Comité a rappelé que le paragraphe 5 de l’article 14 n’exigeait pas qu’une cour d’appel «réexamine les faits de la cause, mais simplement qu’elle procède à une évaluation des éléments de preuve présentés au procès et de la façon dont celui ‑ci s’est déroulé».

5.10 L’État partie ajoute que la Haute Cour est l’instance la plus appropriée pour décider s’il existe des motifs suffisants pour accorder une autorisation spéciale de faire appel et, en particulier, si les circonstances d’une affaire donnée sont telles qu’elles justifient le recours à tous les moyens dont dispose la Haute Cour. Dans la mesure où l’examen de la communication de l’auteur supposerait que le Comité évalue le bien ‑fondé de la décision de la Haute Cour quant au fond, plutôt que du point de vue procédural, l’État partie déclare que le Comité, en agissant ainsi, excéderait ses propres fonctions en vertu du Protocole facultatif. À cet égard, il renvoie à la jurisprudence du Comité .

5.11 L’État partie se réfère à la jurisprudence du Comité, selon laquelle les États parties ne sauraient pas être tenus responsables des décisions que les avocats peuvent prendre dans l’exercice de leurs compétences professionnelles, à moins que le conseil n’ait manifestement agi dans un sens contraire aux intérêts de son client . Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle l’auteur n’aurait pas eu droit à un recours effectif en appel étant donné que la Haute Cour n’avait pas procédé au contre ‑interrogatoire des témoins et que le conseil n’avait pas fait valoir de motif(s) approprié(s) d’appel, le Comité a estimé que les allégations de ce type n’allaient pas en elles ‑mêmes à l’appui de l’affirmation selon laquelle l’auteur n’avait pas eu droit à ce que sa condamnation soit réexaminée par une juridiction supérieure conformément à la loi .

5.12 Pour ce qui est du caractère approprié de la procédure de recours dont l’auteur a pu bénéficier, l’État partie déclare que le rejet de la demande d’autorisation spéciale de faire appel par la Haute Cour ne peut pas, en lui ‑même, être la preuve que l’auteur n’a pas bénéficié d’un droit de recours approprié et suffisant. L’État partie déclare que le fait de limiter les recours en appel aux points de droit ne soulève pas de difficulté. Bien que le fait de ne soulever aucune question de droit dans un recours en appel constitue un facteur pouvant inciter la Haute Cour à rejeter une demande d’autorisation spéciale dans une affaire donnée, les demandes d’autorisation spéciale de recourir devant la Haute Cour ne sont pas nécessairement fondées exclusivement sur des points de droit. De même, le fait que la Haute Cour respecte en général les constatations de fait des juridictions inférieures ne signifie pas qu’elle ne les examinera pas si le cas d’espèce l’exige. Le motif reconnu pour accorder une autorisation spéciale de faire appel, à savoir une «possibilité réelle de déni de justice», signifie que la Haute Cour apprécie les faits si l’affaire l’exige .

5.13 L’État partie affirme qu’aucune question ne se pose quant au fait que l’auteur se serait vu refuser «l’accès effectif» à la Haute Cour. Il déclare que l’auteur a eu accès aux motifs du jugement dont il a fait appel, qu’il a disposé de suffisamment de temps pour préparer son appel, qu’il a eu accès à un conseil et qu’il avait le droit de faire des déclarations à la Cour, droit dont il s’est prévalu.

5.14 Selon l’État partie, l’allégation de l’auteur, qui se plaint d’avoir été «forcé» par le greffier de la Haute Cour d’accepter l’assistance d’un avocat qui ne connaissait pas les détails de son affaire et qui a refusé de s’appuyer sur les points de droit soulevés dans sa requête, se rattache au prétendu non ‑respect du droit de recours, et ne constitue pas une allégation distincte. Toutefois, dans la mesure où cette plainte soulève des questions au titre du paragraphe 3 d) et b) de l’article 14 concernant la préparation de la défense, l’État partie estime que la plainte est incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte et est donc irrecevable.

5.15 L’État partie réfute l’allégation selon laquelle le greffier de la Haute Cour aurait forcé l’auteur à accepter l’assistance d’un conseil. En réalité, l’auteur a préféré accepter les services à titre gracieux d’un conseil plutôt que de se défendre lui ‑même . L’État partie ajoute qu’en tout état de cause, le droit de l’accusé de choisir son propre avocat n’est pas absolu.

Sur le fond

5.16 S’agissant de l’allégation de violation du paragraphe 3 f) de l’article 14, l’État partie réitère les arguments qu’il a exposés concernant la recevabilité de la communication. Il renvoie à l’allégation de l’auteur qui a déclaré que «le juge de la Haute Cour a demandé par trois fois où se trouvait l’interprète et l’avocat a dit qu’il connaissait l’affaire [ sic ]» et affirme que, contrairement à cette allégation, le compte rendu concernant la demande d’autorisation spéciale de recourir devant la Haute Cour indique que le juge a simplement demandé à un moment si le requérant était ou non assisté d’un interprète. Le juge a été informé par le défendeur que la Cour avait pris des dispositions pour qu’un interprète puisse fournir ses services par téléphone si nécessaire, mais le conseil de l’auteur a estimé qu’il avait reçu suffisamment d’instructions pour être en mesure d’exposer l’affaire devant la Cour. Ayant considéré cette réponse satisfaisante, la Haute Cour a réexaminé la demande de l’auteur d’autorisation de faire appel et l’a finalement rejetée.

5.17 Bien que la législation australienne ne donne pas à chacun le droit de parler sa propre langue dans les instances judiciaires (ce qui, selon le Comité, ne constitue pas en soi une violation de l’article 14 ), les personnes qui ne parlent ou ne comprennent pas l’anglais peuvent bénéficier des services d’un interprète. Une telle assistance aurait été offerte à l’auteur, si la situation l’avait exigé. Selon le droit australien, la question de la mise à disposition d’un interprète se pose à divers stades de la procédure pénale, avant que l’accusé ne comparaisse devant le tribunal. Ainsi, l’article 101 de la loi de 1997 sur les pouvoirs et les responsabilités de la police (Queensland) dispose que l’officier de police judiciaire doit faire en sorte qu’un interprète soit présent s’il a des motifs raisonnables de penser que la personne en garde à vue ne peut pas, en raison d’une connaissance insuffisante de la langue ou d’une incapacité physique, s’exprimer plus ou moins couramment en anglais. L’article 73 du Code des responsabilités de la police, énoncée à l’annexe 2 de la loi de 1997 sur les pouvoirs et les responsabilités de la police, prévoit, à l’alinéa 2, que l’inspecteur de police judiciaire peut poser des questions afin de déterminer si oui ou non la personne en garde à vue est en mesure, notamment, de les comprendre. L’État partie fait valoir que rien dans l’enregistrement de l’interrogatoire ne peut laisser supposer que l’inspecteur de police judiciaire aurait dû se douter que l’auteur n’avait pas une connaissance suffisante de l’anglais pour s’exprimer «plus ou moins couramment». Enfin, l’article 131A(1) de la loi de 1977 sur les dépositions (Queensland) prévoit que, dans une procédure pénale, un tribunal peut demander à l’État de fournir les services d’un interprète à un plaignant, un défendeur ou un témoin, s’il estime que l’intérêt de la justice l’exige. Selon l’État partie, l’article 131A est compatible avec le paragraphe 3 f) de l’article 14 du Pacte et, étant donné le sens étendu que recouvre la notion d’«intérêt de la justice», prévoit même une protection plus large de l’accusé.

5.18 Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14, l’État partie estime que le Comité devrait rejeter cette allégation de l’auteur comme infondée pour les raisons énoncées plus haut (par. 5.8 à 5.13).

Commentaires de l’auteur

6.1 L’auteur a répondu aux observations de l’État partie dans une lettre de mars 2002. Il réfute les arguments de l’État partie concernant la recevabilité et le fond et réaffirme ses deux allégations de violation des paragraphes 3 f) et 5 de l’article 14. Il donne également des informations détaillées sur les déclarations consignées dans les comptes rendus d’audience, faites par l’inspecteur de police judiciaire et les témoins et qui révèlent, selon lui, le caractère contradictoire et peu fiable de toutes leurs dépositions.

6.2 S’agissant de la façon dont il a été traité par l’inspecteur de police judiciaire, l’auteur réaffirme qu’il a été «agressé au cours de son interrogatoire par celui ‑ci». Il déclare qu’on lui a demandé au cours du procès de désigner la personne qui l’avait agressé et qu’il a désigné l’inspecteur de police judiciaire.

6.3 En outre, l’auteur déclare qu’à son avis la raison pour laquelle son avocat n’a pas demandé la présence d’un interprète au cours du procès était due aux coûts induits. Il note que si l’anglais est largement parlé en Tanzanie, cette langue n’est pas nécessairement comprise et parlée par tous les habitants. Il reconnaît qu’il «pouvait s’exprimer raisonnablement», mais indique qu’il «n’a jamais très bien compris la procédure» et ajoute que, dans son exposé final, le juge du fond aurait dû demander au jury de prendre en considération les difficultés qu’il éprouvait à comprendre et parler l’anglais.

6.4 Enfin, l’auteur déclare, sans donner davantage de détails, que le jury avait des préjugés à son égard en raison des preuves indirectes, et parce qu’il est noir et s’exprime avec difficulté.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3 Pour ce qui est du fait que l’auteur se serait vu refuser les services d’un interprète, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son allégation aux fins de la recevabilité. Il constate, d’après les pièces fournies, que l’auteur pouvait s’exprimer correctement en anglais, qu’il n’a pas demandé la présence d’un interprète lors du procès au cours duquel il a fait des dépositions, qu’il a refusé l’assistance d’un interprète à l’audience de la Cour d’appel au cours de laquelle il s’est défendu lui ‑même et qu’il reconnaît dans sa réponse aux observations de l’État partie qu’il «était en mesure de s’exprimer à peu près correctement» en anglais. Le Comité réaffirme que l’exigence d’un procès équitable n’implique pas que les États parties ont l’obligation de fournir les services d’un interprète d’office ou sur demande à une personne dont la langue maternelle n’est pas la langue officielle du tribunal, si l’intéressé est par ailleurs en mesure de s’exprimer à peu près correctement dans la langue employée à l’audience . Le Comité considère en conséquence que cette partie de la communication est incompatible avec les dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif et qu’elle est donc irrecevable.

7.4 S’agissant de l’agression dont l’auteur aurait été victime de la part de l’inspecteur de police judiciaire, le Comité note que l’on ignore toujours si l’auteur se plaint d’une violation distincte du Pacte à cet égard ou s’il s’agit simplement d’une raison pour laquelle il a refusé les services d’un interprète lors de sa comparution devant la Cour d’appel. En tout état de cause, le Comité constate que l’auteur n’a ni prouvé qu’il avait épuisé les recours internes à cet égard, ni étayé sa réclamation aux fins de la recevabilité. Une simple allégation non étayée par des éléments de fait ne suffit pas pour formuler une demande en vertu du Pacte. Le Comité conclut en conséquence que toute allégation de mauvais traitement de la part de la police est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.5 Pour ce qui est de la question de la violation du paragraphe 5 de l’article 14, le Comité note que le motif sur lequel l’auteur se fonde pour avancer une telle allégation ne ressort pas clairement de sa communication. Ce paragraphe consacre le droit de l’auteur de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation. Il semble que cette allégation ait trait au rejet par la Haute Cour de la demande d’autorisation spéciale de faire appel formulée par l’auteur, ainsi qu’au fait que ce dernier aurait été «forcé» d’accepter un avocat commis d’office qui n’avait été chargé de son affaire que la veille de sa demande à la Haute Cour, et qu’au cours de l’audience, l’avocat de l’auteur n’aurait pas fait valoir les arguments énoncés dans la demande de ce dernier. Le Comité note que le simple rejet d’une demande d’autorisation spéciale de faire appel ne suffit pas à prouver qu’il y a eu violation du paragraphe 5 de l’article 14. Il rappelle que les dispositions de ce paragraphe n’exigent pas qu’une cour d’appel procède à un réexamen des faits de la cause, «mais qu’elle procède à une évaluation des éléments de preuve présentés au procès et de la manière dont le procès s’est déroulé». Le Comité constate, au vu de l’arrêt de la Cour d’appel, que celle ‑ci a bien évalué les éléments de preuve pesant contre l’auteur et a spécifiquement traité de la principale allégation de l’auteur selon laquelle il aurait dû bénéficier des services d’un interprète. La Haute Cour a également examiné cette allégation et l’a rejetée. Le Comité considère également que les plaintes dirigées contre le conseil n’étayent pas l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14. Il considère en conséquence que cette partie de la communication est irrecevable au motif qu’elle est insuffisamment fondée, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6 Pour ce qui est de la question de savoir si les arguments de l’auteur concernant le rôle du conseil dans la présentation de sa requête à la Haute Cour peuvent soulever une question au titre du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14, le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé son allégation à cet égard. De même, il considère que la nouvelle allégation de «préjugé racial» soulevée par l’auteur dans sa lettre de mars 2002 n’a pas non plus été étayée. Ces allégations sont en conséquence irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3, et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

R. Communication n o 987/2001, Gombert c. France * (Décision adoptée le 18 mars 2003, soixante ‑dix ‑septième session)

Présentée par : Philippe Gombert (représenté par un conseil, Maître Philippe Dehapiot)

Au nom de : L’auteur

État partie : France

Date de la communication : 24 septembre 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 mars  200 3 ,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur est M. Philippe Gombert, citoyen français, purgeant actuellement une peine de prison au centre de détention de Melun (France). L’auteur se déclare victime de la violation par la France de l’article 15, paragraphe 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cependant, sa communication soulève également des questions quant aux droits de la défense au regard de l’article 14, paragraphe 3 a) du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 31 janvier 1994, l’auteur a été mis en examen pour des faits d’infraction à la législation sur les stupéfiants, à savoir d’importation ou d’exportation illicites de stupéfiants et d’entente en vue de l’importation ou l’exportation de stupéfiants.

2.2 Par ordonnance en date du 20 avril 1998, le juge d’instruction a requalifié les faits reprochés à l’auteur, du fait de l’abrogation de l’ancien Code pénal à compter du 1 er  mars 1994 et de son remplacement par un nouveau Code pénal. Par la suite, l’auteur a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Marseille pour des faits d’importation de stupéfiants en bande organisée, acquisition, détention, offre, cession et transport de stupéfiants, ainsi que pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un délit, infractions visées par le nouveau Code pénal.

2.3 Par jugement en date du 3 novembre 1998, le tribunal correctionnel de Marseille a déclaré le prévenu coupable des faits reprochés et l’a condamné à une peine de 15 ans d’emprisonnement, avec maintien en détention.

2.4 Le 4 novembre 1998, l’auteur a fait appel de cette décision.

2.5 Par arrêt du 2 février 2000, la cour d’appel d’Aix ‑en ‑Provence a confirmé le jugement du tribunal correctionnel et a condamné l’auteur à une peine de 13 ans d’emprisonnement.

2.6 Par arrêt du 3 mai 2001, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur soutient qu’il n’était justiciable que des faits d’importation ou exportation illicites de stupéfiants sanctionnés par le premier alinéa de l’article 222 ‑36 du nouveau Code pénal. Ainsi, selon l’auteur, en vertu du principe de rétroactivité in mitius , la peine encourue aurait dû être abaissée à 10 ans (peine maximum prévue par l’article 222 ‑36, al. 1) au lieu des 20 ans prévus pour importation de stupéfiants par la précédente législation − en l’occurrence l’article L 627 du Code de la santé publique. Or, selon l’auteur, la loi d’adaptation du 16 décembre 1992 fait obstacle, en son article 338, à ce principe puisqu’il dispose que les faits d’importation ou d’exportation, commis avant l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal mais jugés postérieurement à cette entrée en vigueur, demeurent punis de 20 ans d’emprisonnement lorsqu’ils ont été commis en bande organisée. L’auteur conteste la requalification des faits ayant retenu, dans son cas d’espèce, la circonstance aggravante de «bande organisée», incrimination inconnue de l’arsenal juridique pénal à la date des faits, et ayant permis de le condamner à une peine de 13 ans de prison, portant ainsi atteinte à l’article 15, paragraphe 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3.2 L’auteur ajoute que la requalification des faits a porté atteinte aux droits de la défense dans la mesure où la circonstance aggravante de «bande organisée» aurait dû faire l’objet d’une notification supplétive formelle avant renvoi, ainsi que le recommandait la circulaire de mars 1994 du Ministère de la justice. Faute pour le magistrat d’avoir procédé à une telle formalité, l’auteur prétend être demeuré dans l’ignorance des faits qui lui étaient reprochés et ne pas avoir été en mesure de se défendre.

3.3 L’auteur déclare que les voies de recours internes ont été épuisées telles que ci ‑dessus exposées.

3.4 L’auteur précise, en outre, avoir déposé le 4 décembre 1997, une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, en excipant d’une violation des articles 5, paragraphes 3; et 6, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, tenant à la durée excessive de la détention provisoire et de la procédure pénale menée à son encontre. La Cour s’est prononcée sur ce recours par un arrêt en date du 13 février 2001, devenu définitif le 13 mai 2001. La Cour a conclu à la violation des dispositions invoquées par l’auteur .

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

4.1 Dans ses observations du 4 octobre 2001, l’État partie conteste la recevabilité de la communication.

4.2 En premier lieu, l’État partie rappelle le droit interne applicable.

4.3 Eu égard aux textes législatifs pertinents, l’État partie fait état des changements opérés lors de la réforme du Code pénal, et en particulier de l’intégration dans ce code des dispositions relatives à la répression du trafic de stupéfiants lesquelles figuraient jusqu’alors dans le Code de la santé publique.

4.4 Sous l’empire de l’ancienne législation, l’importation ou l’exportation de produits stupéfiants étaient réprimées comme suit:

− L’importation ou l’exportation illicites de stupéfiants étaient punies de 10 à 20 ans d’emprisonnement (art. L 627, al. 1 du Code de la santé publique),

− L’entente en vue de l’importation ou de l’exportation illicites de stupéfiants était punie de 10 à 20 ans d’emprisonnement (art. L 627, al. 2 du Code de la santé publique).

4.5 Le nouveau Code pénal ne contient pas exactement les mêmes incriminations que le Code de la santé publique puisqu’il prévoit désormais que:

− L’importation ou l’exportation illicites de stupéfiants sont punies de 10 ans d’emprisonnement (art. 222 ‑36, al. 1),

− L’importation ou l’exportation illicites de stupéfiants, en bande organisée, sont punies de 30 ans de réclusion criminelle (art. 222 ‑36, al. 2).

4.6 Ainsi, si le délit d’importation ou d’exportation de produits stupéfiants demeure inchangé, il est toutefois sanctionné d’une peine d’emprisonnement de 10 ans. Le délit d’entente en vue de l’importation ou de l’exportation illicites de stupéfiants disparaît. Est, en revanche, institué le crime d’importation ou d’exportation de produits stupéfiants en bande organisée, réprimé par une peine de réclusion de 30 ans.

4.7 Pour résoudre les difficultés de mise en œuvre du nouveau Code pénal tenant aux différences entre les définitions des incriminations, le législateur a prévu certaines dispositions transitoires. En matière de trafic de stupéfiants, l’article 338 de la loi d’adaptation n o  92.1336 du 16 décembre 1992 dispose que les faits d’importation ou d’exportation, commis avant l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal mais jugés postérieurement à cette entrée en vigueur, demeurent punis de 20 ans d’emprisonnement lorsqu’ils ont été commis en bande organisée.

4.8 L’État partie explique que cette disposition résultait du souhait du législateur de maintenir, à l’égard des délits les plus graves d’importation ou d’exportation de stupéfiants, les mêmes sanctions que sous l’empire de l’ancienne législation, tout en évitant de contrevenir au principe de la non ‑rétroactivité de la loi pénale plus sévère. Cette situation a eu pour conséquence:

− D’une part, d’écarter la peine de réclusion criminelle de 30 ans, sanctionnant désormais les trafics de stupéfiants commis en bande organisée;

− Et d’autre part, de ne pas renoncer à la répression de ces infractions. En effet, d’après l’État partie, l’application des règles traditionnelles régissant les conflits de lois pénales dans le temps aurait pu aboutir à la conséquence paradoxale de permettre à certains trafiquants de stupéfiants, jugés après l’entrée en vigueur de la réforme pour des faits commis antérieurement à son entrée en vigueur, d’encourir des peines, non pas seulement plus douces que celles prévues par le nouveau Code, mais également plus douces que celles résultant de la législation antérieure. Une telle solution aurait résulté de l’application immédiate des dispositions de l’article 131 ‑4 du nouveau Code qui fixe à 10 ans le maximum de l’emprisonnement correctionnel, alors que l’article L 627 du Code de la santé publique prévoyait des peines pouvant aller jusqu’à 20 ans d’emprisonnement.

4.9 Selon l’État partie, l’adoption de la loi d’adaptation a ainsi permis la prorogation temporaire de la répression antérieurement applicable aux infractions qui portent les atteintes les plus graves à l’ordre et à la santé publics.

4.10 Eu égard à la pratique judiciaire, l’État partie soutient que les principes posés par le législateur en 1992 ont été appliqués par les juridictions répressives d’une manière qui respecte pleinement le principe de la rétroactivité in mitius , consacré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel (déc. Des 19 ‑20 janvier 1981) et expressément confirmé dans le nouveau Code pénal. L’article 112 ‑1 du Code pénal prévoit en effet que:

«Sont seuls punissables les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis. Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date. Toutefois, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes.».

4.11 En cas de mise en examen pour le seul délit d’importation ou d’exportation de produits stupéfiants, l’article 222 ‑36, al. 1 prévoyant une peine d’emprisonnement de 10 ans au lieu de 20 ans, s’applique immédiatement. Selon l’État partie, il s’agit là de la seule hypothèse que le principe de rétroactivité in mitius a vocation à régir et, à ce sujet, la Cour de cassation n’a pas hésité à casser des décisions de cours d’appel qui avaient condamné une personne à une peine d’emprisonnement supérieure au maximum désormais prévu par l’article 222 ‑36, al. 1 (Cass crim 19.9.1995).

4.12 Concernant les infractions d’importation ou d’exportation de produits stupéfiants et d’entente en vue d’importation ou d’exportation de produits stupéfiants, la Cour de cassation a souligné qu’elle trouvait désormais un «support légal, depuis l’entrée en vigueur du Code pénal, dans les articles 132 ‑71 [définissant la notion de bande organisée] et 222 ‑36 dudit Code incriminant l’importation illicite de stupéfiants commise en bande organisée, la définition de cette circonstance recouvrant celle de l’entente» (Cass crim 22.6.1994 Beltran bull crim n o  247). Cette solution a été confirmée par la suite (Cass crim 24.10.1996 Landeau: «La circonstance aggravante de commission en bande organisée recouvre celle de l’entente»).

4.13 Selon l’État partie, faisant tout à fait logiquement jouer le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale la plus sévère, la Cour de cassation a exclu l’application de la loi nouvelle. En l’occurrence, elle a déduit que «l’article 222 ‑36, en ce qu’il réprime désormais de tels faits d’une peine de 30 ans de réclusion criminelle, plus sévère dans sa nature que celle encourue au moment des faits, est, de ce fait inapplicable en l’espèce». Elle a estimé que, dans de telles hypothèses, devait s’appliquer l’article 338 de la loi d’adaptation prévoyant une peine correctionnelle de 20 ans, seule exception temporaire au principe posé par l’article 131 ‑4. Cette peine se trouvant justement correspondre exactement à la peine antérieurement encourue pour ce type d’infraction, le principe de la rétroactivité in mitius ne trouve donc pas à s’appliquer en l’espèce.

4.14 En second lieu, l’État partie fait état de l’application du droit interne dans le cas de M. P. Gombert.

4.15 L’État partie rappelle que l’auteur a été initialement mis en examen le 30 janvier 1994 des chefs d’importation ou d’exportation illicites de stupéfiants, ainsi que d’entente en vue de l’importation ou de l’exportation de stupéfiants (art. L 627 du Code de la santé publique).

4.16 Toutefois, l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel en date du 20 avril 1998 a opéré une requalification de ces faits. En effet, conformément à la loi d’adaptation de 1992 et à la jurisprudence précitée de la Cour de cassation établie depuis 1994, les infractions «d’importation ou exportation illicites de stupéfiants», ainsi que «d’entente en vue de l’importation ou de l’exportation illicites de stupéfiants» ont été disqualifiées et requalifiées en «importation ou exportation illicites de stupéfiants en bande organisée».

4.17 D’après l’État partie, cette requalification implique que les infractions imputées à M. Gombert relèvent du seul article 222 ‑36, al. 2 du nouveau Code pénal qui réprime l’importation ou l’exportation illicites de stupéfiants en bande organisée. L’État partie souligne qu’ainsi l’auteur soutient à tort n’être justiciable que du premier alinéa de ce même article qui concerne les seules importations ou exportations illicites de stupéfiants, et que dès lors, il ne saurait se trouver irrégulièrement exclu du bénéfice de la rétroactivité in mitius , puisque ce principe n’est pas applicable à la présente situation.

4.18 En outre, l’État partie fait valoir que cette requalification n’a, contrairement à ce que l’auteur a prétendu, aucunement porté atteinte aux droits de la défense. L’État partie rappelle, tout d’abord, que la circulaire de mars 1994 invoquée par l’auteur ne concernait pas exactement sa situation. En effet, cette circulaire vise le cas de personnes inculpées du seul délit d’importation ou d’exportation de stupéfiants et présente les modalités de requalification de cette infraction sous l’empire du nouveau Code pénal. Elle ne concerne pas, en tout état de cause, le cas de personnes qui avaient en outre été inculpées pour délit d’entente en vue de l’importation de stupéfiants. Or, l’État partie souligne, à nouveau, que l’auteur a été régulièrement mis en examen, dès janvier 1994, à la fois pour le délit d’importation de stupéfiants et pour une seconde infraction, le délit d’entente en vue de l’importation. L’auteur a d’ailleurs été interrogé par le magistrat en charge de son dossier en cours d’instruction sur ces deux faits. Selon l’État partie, l’auteur ne se trouvait donc pas dans la situation décrite par la circulaire.

4.19 L’État partie ajoute que la notion de «bande organisée» ne constituait pas , sur le fond , un élément nouveau, qui n’aurait jamais été évoquée au cours de l’instruction et dont l’auteur aurait uniquement pris connaissance à l’audience. Elle recouvre en réalité une substitution technique, due à l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, de la qualification «d’entente». Dès lors, d’après l’État partie, il n’y avait légalement pas lieu de procéder à la notification d’une inculpation supplétive concernant un délit supplémentaire. L’État partie considère donc que l’auteur ne peut valablement soutenir avoir ignoré la nature des faits qui lui étaient reprochés, puisqu’il s’agit de faits identiques mais autrement dénommés. L’auteur était ainsi parfaitement en mesure d’organiser telle défense qu’il souhaitait pour les faits de «bande organisée», qui étaient à l’époque qualifiés «d’entente».

4.20 En outre, l’État partie signale que la circulaire précitée est dépourvue de force juridique obligatoire. Elle constitue uniquement un commentaire des dispositions légales, destiné à expliciter les nouvelles règles et, le cas échéant, en faciliter l’application mais elle ne saurait présenter un caractère contraignant pour l’autorité judiciaire.

4.21 Enfin, selon l’État partie, l’article 338 de la loi d’adaptation, loin de porter atteinte au principe de la rétroactivité in mitius , est destiné à protéger les droits des prévenus auxquels il est reproché un trafic de stupéfiants en bande organisée, puisque se trouvent écartés le jeu d’une loi pénale plus sévère (art. 222 ‑36, al. 2 du Code pénal criminalisant l’infraction) et maintenue temporairement l’application d’un régime pénal identique à celui applicable antérieurement.

4.22 Finalement, l’État partie conclut que la requalification s’opère à droit constant et ne saurait ainsi contrevenir à l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui, comme l’a souligné la Cour de cassation dans son arrêt du 3 mai 2001 , était inapplicable en l’espèce puisque, contrairement à ce que soutient l’auteur, la loi n’avait pas prévu de peine plus légère dans sa situation.

4.23 L’État partie estime donc que la communication est irrecevable dans la mesure où elle n’entre pas dans le champ d’application de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5. Dans sa correspondance du 17 juillet 2002, l’auteur déclare ne pas avoir l’intention de déposer des observations complémentaires en réponse à celles produites par l’État partie.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Comme il est tenu de le faire en vertu des paragraphes 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’ est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que l’auteur a épuisé les voies de recours internes.

6.3 À la lumière des arguments soumis par l’État partie, le Comité note que la qualification initiale des infractions imputées à l’auteur recouvrait tous les éléments du crime en vertu desquels il fut inculpé suite à l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé cette partie de la plainte de violation de l’article 14, paragraphe 3 a) du Pacte aux fins de la recevabilité.

6.4 Eu égard au grief de violation de l’article 15, paragraphe 1 du Pacte, le Comité a pris note des arguments de l’État partie selon lesquels l’auteur n’a pas été sujet à une peine plus sévère que celle applicable au moment du crime aux actes constituant le délit pour lequel l’auteur a été condamné , et n’avait pas droit à une peine plus légère en vertu des dispositions transitoires du nouveau Code pénal. Dès lors, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé cette partie de la plainte aux fins de la recevabilité.

7. En conséquence, le Comité décide:

Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

S. Communication n o 989/2001, Kollar c. Autriche * (Décision adoptée le 30 juillet 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par : M. Walter Kollar (représenté par M. Alexander H. E. Morawa)

Au nom de : L’auteur

État partie : Autriche

Date de la communication : 6 décembre 2000 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 juillet 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication est Walter Kollar, de nationalité autrichienne, né le 3 août 1935. Il affirme être victime de violations par l’Autriche 1 du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Il est représenté par un conseil.

1.2 Lorsqu’il a ratifié le Protocole facultatif le 10 décembre 1987, l’État partie a émis la réserve suivante: «Étant entendu que, conformément aux dispositions de l’article 5, paragraphe 2, dudit Protocole, le Comité des droits de l’homme institué en vertu de l’article 28 du Pacte n’examinera aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’a pas déjà été examinée par la Commission européenne des droits de l’homme établie en vertu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales».

Rappel des faits soumis par l’auteur

2.1 Depuis 1978, l’auteur était employé comme médecin contrôleur indépendant ( Vertrauensarzt ) et, depuis février 1988, comme médecin chef ( Chefarzt ) de la Caisse régionale d’assurance maladie de Salzbourg pour les travailleurs et les salariés ( Salzburger Gebietskrankenkasse für Arbeiter und Angestellte ).

2.2 Le 22 septembre 1988, comme suite aux accusations de conduite illégale et inappropriée portées contre l’auteur et son ancien superviseur, le Président de la Caisse d’assurance a essayé en vain d’obtenir l’accord du comité d’entreprise ( Betriebsrat ) pour suspendre l’auteur de ses fonctions.

2.3 Le 23 septembre 1988, l’employeur a engagé contre l’auteur des poursuites pénales auxquelles le procureur n’a finalement pas donné suite. Il a alors engagé, toujours sans succès, une procédure de citation directe.

2.4 Le 27 octobre 1988, le Conseil de la Caisse d’assurance a entamé une procédure disciplinaire contre l’auteur et l’a suspendu de ses fonctions, avec diminution de ses émoluments. Une commission disciplinaire a été constituée le 22 février 1989. L’auteur a été accusé de conduite inappropriée avec enrichissement personnel aux dépens de son employeur. Le 22 janvier 1990, la commission disciplinaire s’étant réunie plusieurs fois à huis clos a reconnu l’auteur coupable d’un certain nombre de chefs d’accusation, à savoir: prescription illégale de médicaments entraînant un désavantage financier pour son employeur, violation de ses devoirs de loyauté et de confidentialité en tenant une conférence de presse sur les accusations portées contre son ancien superviseur et admission illégale de patients dans un centre de réadaptation. La décision était sans appel.

2.5 Le 23 janvier 1990, la Caisse d’assurance a prétendu licencier l’auteur en s’appuyant sur les conclusions de la commission disciplinaire, sans toutefois s’acquitter de certaines obligations. Après s’en être acquittée, elle a, le 9 novembre 1990, confirmé la validité du premier licenciement et décidé, en tout état de cause, de licencier une seconde fois l’auteur.

2.6 Le 14 décembre 1988, l’auteur a contesté sa suspension de service, en date du 27 octobre 1988, devant le tribunal régional de Salzbourg ( Landesgericht Salzburg ) qui, par décision du 15 février 1989, a repoussé sa demande. Le 19 septembre 1989, la cour d’appel de Linz ( Oberlandesgericht Linz ) l’a débouté de son appel; mais, le 28 février 1990, la Cour suprême ( Oberste Gerichtshof ) a admis le pourvoi de l’auteur et renvoyé l’affaire devant le tribunal régional, en considérant que l’existence de motifs suffisants de suspendre l’intéressé de ses fonctions n’avait pas été établie. Le 7 août 1990, le tribunal de Salzbourg a une nouvelle fois rejeté le recours de l’auteur. Cette décision a été confirmée par la cour d’appel de Linz le 29 janvier 1991. Le 10 juillet 1991, la Cour suprême a une nouvelle fois accepté le pourvoi de l’auteur, en considérant que les juridictions inférieures n’avaient toujours pas établi l’existence de motifs suffisants de suspendre l’auteur. Le 13 juillet 1992, le tribunal régional de Salzbourg a rejeté une troisième fois l’action intentée par l’auteur. Tant la cour d’appel de Linz, par décision du 9 mars 1993, que la Cour suprême, par décision du 22 septembre 1993, ont rejeté le pourvoi de l’auteur.

2.7 L’auteur a également exercé un recours contre son premier licenciement, prononcé le 23 janvier 1990. Le 9 octobre 1990, le tribunal régional de Salzbourg, agissant dans le cadre de sa compétence pour connaître des affaires de droit du travail et de législation sociale, a fait droit à la demande de l’auteur. Le 11 juin 1991, la cour d’appel de Linz et, le 6 novembre 1991, la Cour suprême ont rejeté l’appel de l’employeur, en considérant que la relation de travail entre l’auteur et son employeur continuait d’exister.

2.8 Le 16 novembre 1990, l’auteur a contesté son deuxième licenciement, prononcé le 9 novembre 1990. Malgré l’objection de l’auteur, la procédure a été suspendue le 19 mars 1991, en attendant le résultat définitif de celle engagée contre le premier licenciement. Après la décision de la Cour suprême en date du 6 novembre 1991, la procédure relative au deuxième licenciement a repris et, le 25 novembre 1993, le tribunal régional de Salzbourg a rejeté la demande de l’auteur. Le 29 novembre 1994, la cour d’appel de Linz et, le 29 mars 1995, la Cour suprême ont rejeté les pourvois de l’auteur, en considérant ce dernier coupable de manquements à ses obligations, justifiant son licenciement.

2.9 Le 7 février 1996, l’auteur a adressé une requête à l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme, en se déclarant victime de violations des droits visés aux articles 6, 10, 13 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi qu’au paragraphe 1 de l’article 2 du Protocole n o  7 à la Convention. Cette requête n’a jamais été examinée par la Commission. Au lieu de cela, le 17 mars 2000 (après l’entrée en vigueur du Protocole n o  11), la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en comité de trois juges, l’a déclarée irrecevable. En ce qui concerne les griefs relatifs à la procédure disciplinaire engagée par l’employeur, la Cour a jugé que «le rôle de la Caisse d’assurance maladie était celui d’un employeur privé, la procédure disciplinaire contestée n’avait pas été engagée par un organe investi de prérogatives publiques mais était une procédure propre au lieu de travail du requérant visant à établir s’il y avait lieu de licencier ce dernier […]» 2 . La Cour a conclu que cette partie de la requête était incompatible ratione personae avec la Convention. En ce qui concerne les articles 13 et 14 de la Convention, ainsi que l’article 2 du Protocole n o  7, elle a conclu que les griefs soulevés ne faisaient apparaître aucune violation des droits visés par ces dispositions 3 .

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur déclare être victime de violations du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte puisque l’égalité d’accès à un tribunal indépendant et impartial lui a été déniée du fait que les juridictions autrichiennes ont examiné uniquement les conclusions de la commission disciplinaire sous l’angle des irrégularités flagrantes.

3.2 Se référant à la décision adoptée par le Comité dans l’affaire Nahlik c.  Autriche 4 , l’auteur affirme que le paragraphe 1 de l’article 14 s’applique aussi aux procédures de la commission disciplinaire. Cette dernière lui a dénié le droit à une audience publique en se réunissant à huis clos. L’exclusion du public n’était pas nécessaire pour protéger le droit de ses patients au respect de leur vie privée car les noms des intéressés auraient pu être remplacés par des initiales. L’auteur affirme que son droit à un procès équitable a été violé parce que le principe de l’égalité des armes a été bafoué de plusieurs manières. Premièrement, l’accusation a pu examiner les charges portées contre lui avec le président de la commission disciplinaire, alors que la défense n’a pas bénéficié d’une telle possibilité. De plus, le temps accordé pour préparer sa défense a été exagérément court. Le président de la commission ayant refusé d’admettre les réponses écrites de l’avocat de l’auteur aux accusations écrites de l’accusation, la défense a dû présenter oralement tous ses arguments pendant l’audience. En conséquence de quoi, un expert médical entendu par la commission n’a pas eu accès aux réponses écrites de la défense et n’a pu s’en remettre qu’aux faits présentés par l’accusation.

3.3 Par ailleurs, l’auteur affirme que la commission disciplinaire ne possédait pas l’impartialité et l’indépendance requises au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Malgré des demandes répétées, auxquelles elle n’a pas donné suite, la commission était composée, outre son président, de deux membres désignés par l’employeur et de deux membres désignés par le comité d’entreprise, qui étaient subordonnés à l’employeur. De même, la proposition de l’auteur de remplacer au moins un de ces membres par un expert médical est restée sans réponse.

3.4 L’auteur affirme que le président de la commission était partial dans la mesure où il a examiné l’affaire en privé et pendant plusieurs heures avec l’accusation et parce qu’il a rejeté sa réponse écrite aux accusations, en prétendant que cette réponse avait été soumise après l’expiration des délais et en joignant à la note initiale, dans le dossier, l’instruction de transmettre la réponse à l’accusation. Qui plus est, le président aurait écarté plusieurs objections de forme soulevées par la défense, manipulé les comptes rendus d’audience et intimidé l’avocat de l’auteur, ainsi que, à une occasion, un expert médical déposant en faveur de l’auteur. Se référant aux constatations adoptées par le Comité dans l’affaire Karttunen c.  Finlande 5 , l’auteur conclut que le président a fait montre de partialité, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.5 L’auteur affirme également être victime d’une discrimination, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte, selon lesquels un traitement égal doit être réservé à des affaires objectivement égales. À l’appui de sa plainte, il indique que son ancien superviseur, qui faisait l’objet d’accusations analogues, a été traité différemment pendant la procédure disciplinaire et, finalement, acquitté. Dans le cas du superviseur, trois membres de la commission disciplinaire ont été remplacés par des médecins principaux à la demande de l’intéressé, alors qu’aucun membre de la commission n’a été remplacé par un médecin dans le cas de l’auteur, en dépit du fait que la demande à cet effet présentée par ce dernier reposait sur des arguments identiques et avait été formulée par le même avocat. En outre, l’ancien superviseur a été acquitté de l’accusation d’avoir délivré des ordonnances à titre privé en utilisant les formulaires de la Caisse d’assurance, au motif que cette pratique avait déjà été établie par son prédécesseur. Qui plus est, malgré l’accord par lequel la Caisse régionale d’assurance de Salzbourg avait autorisé l’un de ses prédécesseurs à utiliser lesdits formulaires, l’auteur a été reconnu coupable de cette même accusation par la commission. Celle ‑ci a considéré que l’accord avait été conclu avec le prédécesseur à titre personnel et que l’auteur n’aurait donc pu l’invoquer que s’il avait été reconduit ad personam .

3.6 En ce qui concerne la réserve émise par l’Autriche au sujet de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif, l’auteur affirme que la même affaire «n’a pas été examinée par la Commission européenne des droits de l’homme». En l’occurrence, c’est la Cour européenne des droits de l’homme, et non la Commission, qui a déclaré sa requête irrecevable. Par ailleurs, le Greffier de la Cour ne l’a pas informé des problèmes concernant la recevabilité de sa requête, le privant ainsi de la possibilité de lever les incertitudes ou de retirer sa plainte afin de la soumettre au Comité des droits de l’homme. L’auteur affirme également que la Cour européenne ne s’est même pas prononcée officiellement sur les griefs selon lesquels le caractère extrêmement limité de l’examen de la décision de la commission disciplinaire par les juridictions autrichiennes violait son droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi (art. 6, par. 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales).

3.7 L’auteur affirme qu’il existe des différences notables entre les articles de la Convention et les droits visés par les dispositions du Pacte qu’il invoque. Ainsi, la Convention ne contient pas de clause distincte de non ‑discrimination analogue à l’article 26 du Pacte. De plus, l’article 14, paragraphe 1, du Pacte garantit un droit à l’égalité devant les tribunaux qui est unique en son genre. Se référant à la décision adoptée par le Comité dans l’affaire Nahlik c.  Autriche 6 , l’auteur ajoute que le champ d’application de cette disposition a été interprété d’une manière plus large que celui de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne.

Observations de l’État partie

4.1 Dans une note verbale datée du 17 septembre 2001, l’État partie présente ses vues sur la recevabilité de la communication. Il considère que la compétence du Comité pour examiner ladite communication est exclue par l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif lu dans le contexte de la réserve émise par l’Autriche au sujet de cette disposition.

4.2 L’État partie affirme que la réserve s’applique à la communication car l’auteur a déjà porté la même affaire devant la Commission européenne des droits de l’homme, d’où l’examen de sa requête par la Cour européenne des droits de l’homme qui a repris les fonctions de la Commission après la restructuration des organes de Strasbourg conformément au Protocole n o  11.

4.3 Selon l’État partie, le fait que la Cour européenne a rejeté la requête comme étant irrecevable ne signifie pas que la Cour n’a pas «examiné» les griefs de l’auteur, au sens où l’entend la réserve émise par l’Autriche. Le raisonnement de la Cour, à savoir qu’«il n’est constaté aucune violation des droits du requérant» 7 et que les griefs soulevés «ne font apparaître aucune violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou ses Protocoles» 8 , indique à l’évidence que la décision de rejeter la requête comme irrecevable «porte aussi sur des aspects importants concernant le fond».

4.4 L’État partie admet que la Cour européenne n’a pas examiné la nature de la procédure disciplinaire engagée contre l’auteur, tout en soulignant que, comme l’a indiqué la Cour, il ne peut être tenu responsable des litiges opposant des employeurs privés, comme la Caisse régionale d’assurance maladie, et leurs employés.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans sa lettre datée du 15 octobre 2001, l’auteur répond aux déclarations de l’État partie, en réaffirmant que, compte tenu du sens ordinaire et du contexte de la réserve émise par l’Autriche, le Comité n’est pas empêché d’examiner sa communication. Il maintient que cette réserve ne s’applique pas puisque la même affaire n’a jamais été «examinée» par la Commission européenne. Il compare la réserve de l’Autriche à celles analogues, mais plus larges, émises sur l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole optionnel par 16 autres États parties à la Convention européenne et affirme que la réserve de l’État partie est la seule qui fasse référence à un examen «par la Commission européenne des droits de l’homme».

5.2 L’auteur considère comme sans incidence le fait que l’État partie, en émettant sa réserve, ait eu l’intention d’empêcher un examen simultané ou successif des mêmes faits par les organes de Strasbourg et le Comité, car selon lui l’intention de la partie qui émet une réserve est simplement d’apporter un moyen complémentaire d’interprétation au titre de l’article 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui ne peut être utilisé que lorsqu’une interprétation suivant l’article 31 de ladite Convention (sens ordinaire, contexte, objet et but) s’avère insuffisante.

5.3 Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, l’auteur souligne que les réserves concernant les instruments relatifs aux droits de l’homme doivent être interprétées en faveur des particuliers. Toute tentative visant à élargir la portée de la réserve émise par l’Autriche doit donc être rejetée, dans la mesure en particulier où le Comité dispose de moyens appropriés pour prévenir une utilisation abusive des procédures parallèles existantes, comme les notions de «justification des griefs» et de «recours abusif», sans parler de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif.

5.4 L’auteur conclut que la communication est recevable au titre de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif puisque la réserve émise par l’Autriche ne s’applique pas dans ce cas. Il fait valoir accessoirement que la communication est recevable dans la mesure où elle porte sur les violations de ses droits commises dans le cadre de la procédure disciplinaire et sur l’absence de recours utile lui permettant de faire examiner cette procédure par un tribunal, parce que la Cour européenne n’a pas examiné ses griefs en la matière.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1 Dans sa note verbale du 30 janvier 2002, l’État partie apporte de nouvelles précisions concernant la recevabilité de la communication, en expliquant que l’Autriche a émis sa réserve en se fondant sur une recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, tendant à ce que les États membres «qui signent ou ratifient le Protocole facultatif aient la possibilité de faire une déclaration […] à l’effet d’exclure la compétence du Comité des droits de l’homme de l’ONU pour recevoir et examiner des plaintes présentées par des particuliers au sujet d’affaires en cours d’examen ou déjà examinées au titre de la procédure établie par la Convention européenne» 9 .

6.2 L’État partie affirme que sa réserve ne diffère des réserves analogues émises par d’autres États membres conformément à cette recommandation que dans la mesure où, par souci de clarté, le mécanisme approprié de la Convention y est directement cité. Toutes les réserves visent à prévenir un nouvel examen par une instance internationale après une décision adoptée par l’un des mécanismes institués par la Convention européenne. Il serait donc injustifié de nier la validité et le maintien de l’application de la réserve émise par l’Autriche au seul motif qu’une réforme structurelle des organes de Strasbourg est intervenue.

6.3 Par ailleurs, l’État partie affirme que, après la fusion de la Commission européenne et de l’«ancienne» Cour, la «nouvelle» Cour européenne peut être considérée comme le «successeur légal» de la Commission puisque plusieurs de ses fonctions essentielles, y compris la prise de décisions concernant la recevabilité, l’établissement des faits de la cause et le premier examen sur le fond d’une affaire, étaient auparavant exercées par la Commission. Attendu que la référence à la Commission européenne qui y est faite visait précisément ces fonctions, la réserve de l’État partie reste entièrement valable après l’entrée en vigueur du Protocole n o  11. L’État partie affirme qu’il n’était pas possible de prévoir, lorsqu’il a émis sa réserve en 1987, que les mécanismes de protection de la Convention européenne seraient remaniés.

6.4 L’État partie réaffirme que la même affaire a déjà été examinée par la Cour européenne qui, pour déclarer irrecevable la requête de l’auteur, a dû l’examiner quant au fond, ne serait ‑ce que sommairement. En particulier, il découle du rejet des griefs concernant la procédure disciplinaire que la Cour a examiné la plainte sur le fond avant de prendre sa décision.

Autres commentaires de l’auteur

7.1 Dans sa lettre du 25 février 2002, l’auteur constate que rien n’interdisait à l’État partie, en ratifiant le Protocole facultatif, d’émettre une réserve empêchant le Comité d’examiner des communications si la même affaire a déjà été examinée «au titre de la procédure instituée par la Convention européenne», comme recommandé par le Comité des ministres, ou d’utiliser la formulation plus large d’un examen antérieur par «une autre instance internationale d’enquête ou de règlement», comme d’autres États parties à la Convention européenne l’ont fait.

7.2 Par ailleurs, l’auteur indique que l’État partie pourrait même envisager d’émettre une réserve à cet effet en ratifiant une nouvelle fois le Protocole facultatif, pour autant que cette réserve puisse être considérée comme compatible avec l’objet et le but de cet instrument. Ce qu’il n’est pas possible de faire, en revanche, c’est d’élargir le champ d’application de la réserve existante d’une façon contraire aux règles fondamentales de l’interprétation des traités.

7.3 L’auteur réfute l’argument de l’État partie selon lequel les fonctions essentielles de la «nouvelle» Cour européenne, comme les décisions sur la recevabilité et l’établissement des faits de la cause, relevaient à l’origine de la compétence exclusive de la Commission européenne. Se référant à la jurisprudence de la Cour, il indique que l’«ancienne» Cour européenne avait à connaître régulièrement de telles questions.

7.4 L’auteur conteste l’argument de l’État partie selon lequel la réorganisation des organes de la Convention n’était pas prévisible en 1987, en citant des extraits du Rapport explicatif concernant le Protocole n o  11, qui comprend un bref historique des débats sur la «fusion de la Cour et de la Commission» ayant eu lieu entre 1982 et 1987.

Délibérations du Comité

8.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité constate que l’État partie a invoqué la réserve émise au titre de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif, qui l’empêche d’examiner des plaintes ayant déjà été «examinées» par la «Commission européenne des droits de l’homme». En ce qui concerne l’argument de l’auteur selon lequel la requête qu’il a soumise à la Commission n’a en fait jamais été examinée par cet organe mais a été déclarée irrecevable par la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité fait observer que la Cour européenne, à la suite d’un amendement à la Convention en vertu du Protocole n o  11, a légalement repris les fonctions de l’ancienne Commission, à savoir: recevoir les requêtes présentées au titre de la Convention européenne, se prononcer sur la recevabilité et procéder à un premier examen sur le fond. Il fait remarquer, aux fins d’établir l’existence d’un examen parallèle ou, selon le cas, successif de l’affaire par le Comité et les organes de Strasbourg, que la nouvelle Cour européenne des droits de l’homme a succédé à l’ancienne Commission européenne en en reprenant les fonctions.

8.3 Le Comité estime qu’une reformulation de la réserve de l’État partie, dans le cadre d’une nouvelle ratification du Protocole optionnel, comme l’a proposé l’auteur, dont l’objet serait uniquement d’énoncer ce qui est en fait une conséquence logique de la réforme des mécanismes de la Convention européenne, serait un exercice purement formaliste. Pour des raisons de continuité et compte tenu de son objet et de son but, il interprète la réserve de l’État partie comme s’appliquant également aux plaintes qui ont été examinées par la Cour européenne.

8.4 Pour répondre à l’auteur qui affirme que la Cour européenne n’avait pas «examiné» sa plainte sur le fond quand elle a déclaré la requête irrecevable, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle dès lors que la Commission européenne a déclaré la requête irrecevable non seulement pour vice de forme 10 , mais aussi pour des motifs reposant sur un examen quant au fond, il est considéré que la même affaire a été «examinée» au sens des réserves sur l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif 11 . En l’occurrence, la Cour européenne ne s’est pas contentée d’examiner des critères de recevabilité portant purement sur la forme, mais a estimé que la requête était irrecevable, en partie à cause de son incompatibilité ratione personae , et en partie parce qu’elle ne faisait apparaître aucune violation des dispositions de la Convention. Le Comité conclut en conséquence que l’on ne peut refuser d’admettre la réserve de l’État partie en arguant simplement du fait que la Cour européenne n’a pas rendu de décision concernant le fond de la requête de l’auteur.

8.5 En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle la Cour européenne n’a pas examiné les griefs relatifs à la procédure disciplinaire, au regard du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention, et ne s’est même pas prononcée officiellement sur la plainte concernant l’examen limité de la décision de la commission disciplinaire par les juridictions autrichiennes, le Comité constate que la Cour européenne a considéré que la procédure disciplinaire contestée n’avait pas été conduite par un organe investi de prérogatives publiques, mais qu’il s’agissait d’une procédure propre au lieu de travail du requérant visant à établir s’il y avait lieu de licencier ce dernier. Pour ces raisons, le Comité conclut que le droit de l’auteur à un recours utile (art. 13 de la Convention européenne et art. 2, par. 1, du Protocole n o  7) n’avait pas été violé.

8.6 Le Comité fait en outre observer que, malgré certaines différences d’interprétation du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte par les organes compétents, aussi bien la teneur que la portée de ces dispositions convergent largement. Compte tenu des importantes analogies existant entre ces deux textes et de la réserve émise par l’État partie, le Comité considère qu’il est empêché de réexaminer une conclusion de la Cour européenne concernant l’applicabilité du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne en la remplaçant par sa jurisprudence concernant le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, il considère cette partie de la communication comme irrecevable au titre de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif, car la même affaire a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme.

8.7 Pour ce qui est de la plainte présentée au titre de l’article 26 du Pacte, le Comité rappelle que l’application du principe de non ‑discrimination inscrit dans cette disposition ne se limite pas aux autres droits garantis par le Pacte et note que la Convention européenne ne contient aucune clause comparable en matière de discrimination. Cela étant, il constate également que la plainte de l’auteur ne repose pas sur des griefs distincts de discrimination, dans la mesure où son allégation de violation de l’article 26 n’est pas différente de celle relative au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Comité conclut que cette partie de la communication est également irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif.

9. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en français et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

T. Communication n o  1001/2001, Strik c. Pays-Bas * (Décision adoptée le 1 er novembre 2002, soixante ‑seizième session)

Présentée par :

M. Jacobus Gerardus Strik

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Pays ‑Bas

Date de la communication :

29 juin 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1 er  novembre 2002,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est M. Jacobus Gerardus Strik, de nationalité néerlandaise, né le 6 octobre 1938. Il se dit victime d’une violation par les Pays ‑Bas , du paragraphe 2 de l’article 5, de l’article 7, des paragraphes 6 et 7 de l’article 14, du paragraphe 1 de l’article 15, du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 26 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur était un employé de mairie de la ville d’Eindhoven depuis 30 ans. Le 8 avril 1990, il a envoyé un rapport au service du personnel ainsi qu’au conseil municipal d’Eindhoven, pour se plaindre du traitement que lui avaient fait, selon lui, subir ses supérieurs hiérarchiques. Il avait apparemment usé d’un langage diffamatoire. La municipalité d’Eindhoven a considéré qu’en écrivant ce rapport l’auteur avait négligé ses obligations professionnelles et avait diffamé ses employeurs. Dans une décision du 25 septembre 1990, la municipalité a donc décidé de réduire les deux dernières augmentations de salaire dont l’auteur avait bénéficié pendant deux ans, de le rétrograder temporairement et de l’affecter à un autre service.

2.2 L’auteur a fait appel de la décision de la municipalité en saisissant l’Ambtenarengerecht de Bois ‑le ‑Duc (s ‑Hertogenbosch), qui, dans une décision du 6 juin 1991, a statué que la municipalité était fondée à prendre des mesures disciplinaires, mais que celles-ci étaient disproportionnées par rapport à la nature et aux circonstances de la faute de service, parce que l’auteur était surmené au moment des faits. Le tribunal a donc annulé ces mesures disciplinaires et a laissé la municipalité d’Eindhoven libre de prendre d’autres mesures disciplinaires, qui tiennent compte de la décision du tribunal.

2.3 Le 15 décembre 1992, la municipalité ayant fait appel, la Commission centrale de recours a confirmé la décision de la juridiction inférieure. Le 5 janvier 1993, la municipalité d’Eindhoven a pris une nouvelle décision et imposé de nouvelles mesures disciplinaires consistant en une réduction de salaire identique à celle de la première décision.

2.4 Depuis le 11 avril 1990, l’auteur était en congé de maladie. Le médecin du travail ayant estimé que l’auteur pouvait reprendre son travail sous certaines conditions, ce dernier a travaillé du 1 er  janvier 1991 au 1 er  janvier 1992 au service des affaires culturelles de la municipalité. Par la suite, la municipalité n’ayant pas été en mesure de lui trouver un autre poste susceptible de lui convenir, l’auteur a fait l’objet de ce que la municipalité a appelé un «licenciement honorable», à compter du 1 er  août 1993, accompagné d’une allocation s’élevant à 80 % de son salaire.

2.5 Étant donné que l’auteur a refusé en février 1994 un emploi que la municipalité lui offrait pour deux mois, cette dernière a décidé de diminuer l’indemnité pendant huit mois. L’auteur a porté l’affaire devant le tribunal de district en demandant que la réduction de l’allocation soit suspendue, et a été débouté le 2 juillet 1994. D’après la loi, un fonctionnaire qui est au bénéfice d’une allocation peut se voir proposer un emploi approprié dans un autre service afin de réduire les frais à la charge de l’employeur. À ce stade, l’auteur avait déjà atteint l’âge de 55 ans ce qui devait, selon lui, le dispenser de l’obligation d’accepter cet emploi.

2.6 Le 4 juillet 1996, le tribunal de district a rendu sa décision concernant la demande de l’auteur qui attaquait les quatre décisions de la municipalité: a) réduction du salaire à titre de mesure disciplinaire (décision du 5 janvier 1993); b) licenciement (décision du 8 juin 1993); c) fixation du montant de l’allocation en fonction du salaire réduit (décision du 23 juin 1993) et d) réduction temporaire de l’allocation du fait du refus d’accepter un emploi qui pouvait lui convenir. Le tribunal a statué dans une décision du 4 juillet 1996, en ce qui concerne la première décision attaquée (décision a)), que la municipalité était fondée à imposer de nouvelles mesures disciplinaires et que l’argument de l’auteur qui invoquait le principe ne bis in idem n’était pas valable parce que les premières mesures disciplinaires avaient été annulées et que la deuxième décision de la municipalité remplaçait la première. Le tribunal a toutefois considéré que la sanction consistant en une réduction totale de 10 000 florins était toujours disproportionnée par rapport à la nature de la faute de service. Pour ce qui est de la deuxième décision attaquée (décision b)), il a considéré que le licenciement de l’auteur du fait de l’impossibilité de lui trouver un emploi approprié n’était pas déraisonnable. La troisième décision (décision c)) a été annulée par le tribunal − qui pourtant en approuvait le fondement − comme conséquence de sa décision concernant le grief a). Enfin, en ce qui concerne la quatrième décision attaquée (décision d)), le tribunal de district a débouté l’auteur, considérant qu’il n’avait pas le droit de refuser le travail, et qu’en pareil cas, la loi prévoit la réduction des allocations telle qu’elle lui a été imposée.

2.7 Suite au recours, la Commission centrale de recours a décidé en dernier ressort, le 22 janvier 1998, de confirmer la décision du tribunal de district datée du 4 juillet 1996.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme qu’il est victime d’une violation du droit à une indemnisation, prévu par la loi, en réparation de la sanction illégale, qui lui a été infligée, du droit de ne pas être puni une deuxième fois pour une infraction qui avait fait l’objet d’une décision finale, du droit de ne pas être puni pour un acte qui ne constituait pas une infraction au moment des faits, du droit de ne pas faire l’objet de discrimination au motif de l’âge, du droit d’exprimer librement son opinion ainsi que du droit de ne pas être soumis à un traitement inhumain.

3.2 L’auteur fait valoir qu’il a été puni plusieurs fois pour les mêmes faits de par les décisions de son employeur du 25 septembre 1990, du 5 janvier et du 8 juin 1993, et que ce préjudice n’a pas été réparé en dépit de la décision de la Commission centrale de recours qui lui était favorable, ce qui constitue une violation des paragraphes 6 et 7 de l’article 14.

3.3 L’auteur fait valoir ce que la Commission centrale de recours, en ajoutant l’obligation de démissionner aux autres peines, lui a infligé une peine plus lourde que celle qui était applicable au moment de l’infraction, ce qui constitue une violation de l’article 15 du Pacte.

3.4 L’auteur se déclare victime d’une violation de l’article 26 ou du paragraphe 2 de l’article 5 du Pacte, parce que le tribunal n’a pas appliqué la législation qui empêchait qu’on l’oblige à travailler alors qu’il avait atteint l’âge de 55 ans et lui a imposé plusieurs peines pour les mêmes faits lorsqu’il a été décidé qu’il devait démissionner, alors que la loi l’interdit.

3.5 L’auteur dit avoir été sanctionné pour faute de service et diffamation pour avoir rédigé un rapport dans lequel il se plaignait du traitement que lui avaient infligé ses supérieurs alors que le rapport en question reposait sur des faits concrets et n’avait été adressé qu’à la municipalité pour laquelle il travaillait, ce qui constitue une violation du droit à la liberté d’expression énoncé au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

3.6 L’auteur fait valoir qu’il a été victime d’un traitement inhumain, en violation de l’article 7 du Pacte, parce que la Commission centrale de recours a tiré argument de son état de santé pour justifier son licenciement, et parce que la procédure dans son ensemble a été très longue.

Réponse de l’État partie quant à la recevabilité

4.1 Par note verbale datée du 1 er  octobre 2001, l’État partie a informé le Comité qu’il contestait la recevabilité de la communication.

4.2 L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes puisqu’il n’a pas porté les griefs qui font l’objet de la communication soumise au Comité devant les tribunaux nationaux. L’auteur n’a donc pas rempli la condition de recevabilité énoncée à l’article 2 du Protocole facultatif.

4.3 En outre, en ce qui concerne l’allégation de violation des articles 14 et 15 du Pacte, ces dispositions ne s’appliquent pas en l’espèce, puisque l’auteur n’a pas fait l’objet de poursuites du fait de la teneur du rapport qu’il a envoyé à la municipalité.

4.4 L’État partie relève en outre qu’en aucune circonstance, l’auteur n’a été soumis à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 7 du Pacte.

4.5 En ce qui concerne la plainte pour traitement discriminatoire (art. 26 du Pacte) et pour atteinte à la liberté d’expression (art. 19 du Pacte), l’État partie objecte que l’auteur n’a avancé aucun argument valable.

4.6 L’État partie se réfère à la décision d’irrecevabilité rendue le 29 octobre 1998 par la Commission européenne des droits de l’homme dans la même affaire: la Commission, après avoir étudié les pièces soumises par l’auteur, a conclu qu’elles ne font pas apparaître de violation des droits énoncés dans la Convention européenne et ses Protocoles. Il affirme donc que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif que la plainte n’est pas étayée et renvoie aux décisions du Comité dans les affaires n os  419/1990, 379/1989, 378/1989, 341/1988 et 329/1988.

Commentaires de l’auteur

5.1 Par des lettres datées du 20 novembre 2001 et du 20 février 2002, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur la réponse de l’État partie.

5.2 Au sujet de l’objection de non ‑épuisement des voies de recours internes opposée par l’État partie, l’auteur fait valoir qu’il a porté ses griefs devant la juridiction nationale la plus élevée et considère donc qu’il a épuisé tous les recours internes.

5.3 En ce qui concerne l’objection de l’État partie qui affirme que les articles 14 et 15 du Pacte ne s’appliquent pas parce qu’il n’a pas fait l’objet de poursuites, l’auteur avance qu’il a néanmoins été puni trois fois pour les mêmes faits et que la peine qui lui a été infligée était plus lourde que celle qui était prescrite par la loi, ce qui constitue une violation desdits articles.

Délibérations du Comité

6. Le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a décidé le 12 février 2002 d’examiner la question de la recevabilité et le fond de la communication séparément.

7.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement .

7.3 En ce qui concerne l’argument de l’auteur qui fait valoir qu’il a été puni plusieurs fois pour les mêmes faits, dans les décisions prises par son employeur le 25 septembre 1990, les 5 janvier et 8 juin 1993, que le préjudice n’a pas été réparé malgré la décision en sa faveur de la Commission centrale de recours et que cette dernière, en ajoutant l’obligation de démissionner à d’autres peines, lui a infligé une peine plus lourde que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise, ce qui constitue une violation des paragraphes 6 et 7 de l’article 14 et de l’article 15 du Pacte, le Comité note que les dispositions du Pacte invoquées visent les infractions pénales, alors que l’auteur n’a été l’objet que de mesures disciplinaires, et note aussi que les éléments dont il est saisi ne portent pas sur une «infraction pénale» ou un «acte délictueux» au sens des articles 14 et 15 du Pacte. Cette partie de la communication ne relève pas du champ d’application du Pacte et est irrecevable, ratione materiae , au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.4 En ce qui concerne le fait que d’après la décision de la Commission centrale de recours, la loi néerlandaise ne conférait pas à l’auteur, qui avait atteint l’âge de 55 ans, le droit de refuser un nouvel emploi, le Comité note que l’auteur n’a pas démontré le contraire en produisant des documents valables. En conséquence, le Comité conclut que l’allégation de violation de l’article 26, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 5, n’est pas étayée, aux fins de la recevabilité de la communication, et qu’elle est de ce fait irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5 En ce qui concerne le grief d’atteinte à la liberté d’expression, le Comité note que prendre des mesures disciplinaires ou autres à l’encontre d’un employé de mairie au motif qu’il a rédigé un rapport critique envers son employeur, lequel qualifie le libellé de diffamatoire, pourrait soulever des questions au regard de l’article 19 du Pacte. Toutefois, puisque toutes les sanctions disciplinaires imposées pour ce motif ont été par la suite annulées par les tribunaux de l’État partie, le Comité considère que l’auteur n’est plus fondé à se déclarer victime d’une violation de l’article 19 du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6 En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 7 du Pacte au motif que l’auteur aurait été soumis à un traitement inhumain du fait de la décision de la Commission centrale de recours de l’autoriser à travailler sous certaines conditions, et de l’inexécution par son employeur des décisions de la Commission centrale de recours qui lui étaient favorables, le Comité conclut que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité de sa communication, en quoi ce traitement pourrait soulever des questions au titre de l’article 7 du Pacte.

7.7 Étant donné les conclusions qui précèdent, le Comité n’a pas à examiner les autres arguments de l’État partie concernant la recevabilité de la communication.

8. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et transmise pour information à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

U. Communication n° 1004/2001, Estevill c. Espagne * (Décision adoptée le 25 mars 2003, soixante-dix-septième session)

Présentée par : M. Luis Pascual Estevill (représenté par

M. Javier Pascual Franquesa)

Au nom de : L’auteur

État partie : Espagne

Date de la communication : 12 mars 2001

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 mars 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est Luis Pascual Estevill, de nationalité espagnole. Dans sa communication datée du 12 mars 2001, il se déclare victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 4 juillet 1996, le Tribunal suprême a condamné M. Pascual Estevill, membre du Conseil général de la magistrature, reconnu coupable en cumul idéal d’infractions d’un chef de prévarication et de deux chefs d’arrestation illégale, à une peine de six ans de suspension d’exercice de ses fonctions de magistrat.

2.2 L’auteur a déposé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel en faisant valoir que son droit à une protection judiciaire effective avait été violé et qu’il avait été porté atteinte à son droit à un procès assorti de toutes les garanties, attendu que le jugement rendu par le Tribunal suprême, siégeant en qualité de juridiction du premier degré, empêchait tout autre recours. Le 17 mars 1997, ce recours a été jugé irrecevable.

2.3 Enfin, l’auteur a saisi la Commission européenne des droits de l’homme en invoquant d’une part la violation de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autre part la violation du paragraphe 1 de l’article 2 du Protocole n o 7 à la Convention et des articles 14 et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Par une décision rendue le 6 juillet 1998, la Commission a estimé la requête «manifestement mal fondée» et l’a de ce fait déclarée irrecevable .

Teneur de la plainte

3. L’auteur se plaint d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte parce qu’il soutient que les jugements rendus par le Tribunal suprême ne sont pas susceptibles de recours, dans la mesure où il est de règle qu’une juridiction unique connaisse des actions pénales engagées contre des magistrats: la personne condamnée, comme l’auteur en l’occurrence, se voit donc interdire l’accès à tout recours.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

4.1 Dans ses observations du 15 octobre 2001, l’État partie indique qu’un certain nombre d’actions ont été engagées au pénal depuis 1994 contre Luis Pascual Estevill pour son comportement en tant que juge.

4.2 L’État partie conteste la recevabilité de la communication en raison de la réserve qu’il a faite lors du dépôt de l’instrument de ratification du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, au sujet de l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5, en faisant valoir que cette réserve empêche l’examen d’une affaire qui a déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. De l’avis de l’État partie, cette réserve s’applique en l’espèce car l’auteur a présenté la même affaire devant la Commission européenne des droits de l’homme. Cette dernière a analysé la plainte de l’auteur faisant valoir qu’il n’avait pu exercer de recours utile contre sa condamnation, et elle est parvenue à la conclusion, par sa décision d’irrecevabilité, que l’auteur, qui avait déposé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, avait bien exercé un recours utile devant une instance nationale.

4.3 En outre, pour l’État partie la communication est irrecevable en ce qu’elle constitue un abus du droit de présenter une communication, au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, attendu que l’auteur, qui du fait de son ancien statut de juge, a des connaissances juridiques approfondies, «a choisi la date à son gré» et a présenté la communication 48 mois après que la justice espagnole eut rendu sa dernière décision et 32 mois après que la Commission européenne se fut prononcée.

4.4 L’État partie ajoute que c’est l’auteur lui-même qui, en sa qualité de membre du Conseil général de la magistrature, a insisté pour être traduit devant le Tribunal suprême, considérant qu’il s’agissait là de la juridiction compétente. Aussi a-t-il présenté une requête au Tribunal supérieur de Catalogne le 7 novembre 1994, demandant que l’action pénale engagée contre lui soit renvoyée devant la deuxième chambre du Tribunal suprême. Comme il n’a pas été fait droit à sa requête, l’auteur a déposé un recours en révision ( recurso de súplica ), lequel a été rejeté par le Tribunal supérieur de justice. Enfin, le 14 novembre 1994 il a présenté une requête au Tribunal suprême lui demandant de se déclarer compétent pour instruire son affaire et le juger, ce à quoi le Tribunal suprême a répondu en se déclarant compétent «conformément au vœu de l’intéressé». En résumé, l’État partie fait valoir que l’auteur ne peut revenir sur ses propres décisions, en se plaignant devant le Comité de ce qu’il a été jugé en premier et dernier ressort par la plus haute juridiction quand, à l’époque, il ne songeait qu’à se faire juger par cette juridiction, sans élever, une fois l’objectif atteint, la moindre objection à ce sujet au cours du procès.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

5.1 Dans ses commentaires du 11 janvier 2002, l’auteur répond aux observations de l’État partie sur la recevabilité et indique que les renseignements apportés par l’État partie sur les actions engagées contre lui au pénal n’ont aucun rapport avec les raisons avancées par l’État partie en faveur de l’irrecevabilité.

5.2 S’agissant de la réserve de l’État partie, l’auteur affirme que rien n’empêche de saisir le Comité d’une communication quand celle-ci a été soumise à la Cour européenne des droits de l’homme si, comme c’est le cas en l’occurrence, la Cour ne s’est pas prononcée sur le fond. Il affirme que la jurisprudence du Comité ne prête pas à polémique, dans la mesure où le Comité considère qu’une affaire n’a pas été examinée quand une communication présentée devant un autre organisme international a été jugée irrecevable sans que cet organisme se soit prononcé quant au fond; il renvoie à titre d’exemple aux constatations faites dans l’affaire Casanovas c.  France . Il soutient en outre que la décision d’irrecevabilité était fondée dans son cas sur le paragraphe 2 de l’article 27 de la Convention européenne, ainsi conçu: «La Commission déclare irrecevable toute requête introduite par application de l’article 25, lorsqu’elle estime la requête incompatible avec les dispositions de la présente Convention, manifestement mal fondée ou abusive», si bien qu’il n’y a aucun doute que la question de fond n’a pas été examinée. Enfin, l’auteur soutient que son recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel a été jugé irrecevable, de sorte que la question n’a pas été traitée quant au fond et que le jugement rendu en première instance n’a donc pas été réexaminé.

5.3 Pour ce qui est du motif d’irrecevabilité prévu à l’article 3 du Protocole facultatif, l’auteur explique que cet article mérite une interprétation plus restrictive que celle qu’en donne l’État partie. De même, il maintient que l’imposition d’un délai à un individu déterminé, comme c’est le cas en l’occurrence, eu égard à sa situation personnelle et professionnelle, porte atteinte au principe de légalité et d’égalité, étant donné que le Protocole facultatif ne soumet le dépôt d’une plainte devant le Comité à aucun délai.

5.4 Enfin, l’auteur informe le Comité qu’en Espagne ce n’est pas le justiciable qui choisit les tribunaux, mais que c’est la loi qui prédétermine les compétences de ces derniers .

Délibérations du Comité sur la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le seul motif de plainte de l’auteur concerne les dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, aux termes duquel toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation. Le Comité note que le système judiciaire de l’État partie aurait pu assurer l’exercice du droit de faire appel si l’auteur avait été jugé par le Tribunal supérieur de Catalogne. Or c’est l’auteur lui ‑même qui a insisté à de multiples occasions pour être jugé directement par le Tribunal suprême. Étant donné que l’auteur est un ancien juge de grande expérience, le Comité estime que, en insistant pour être jugé en premier et dernier ressort par le Tribunal suprême, l’auteur a renoncé à son droit de recours. Le Comité estime que, en l’occurrence l’allégation de l’auteur constitue un abus du droit de présenter des communications, conformément aux dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.3 Par conséquent, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner si le fait que la même affaire ait été soumise à la Cour européenne des droits de l’homme empêche l’examen de celle ‑ci en raison de la réserve émise par l’État partie au sujet de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

V. Communication n o 1013/2002, Boboli c. Espagne * (Décision adoptée le 30 juillet 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par :

M. Jacek Boboli

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

19 août 1997 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 juillet 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication datée du 19 août 1997 est Jacek Boboli, de nationalité belge, domicilié à Saragosse (Espagne), qui se déclare victime de violations par l’Espagne des articles 14 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques Il n’est pas représenté par un conseil. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 janvier 1985.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 En raison de litiges nés de l’inexécution de contrats conclus avec plusieurs entreprises de transport, l’auteur s’est adressé à la Commission d’arbitrage des transports de Saragosse, qui a rendu le 6 octobre 1993 une sentence arbitrale (affaire n o 59/93), contraire aux intérêts de l’auteur. De plus, le 29 novembre de la même année, la Commission d’arbitrage a rendu trois décisions dans lesquelles elle se déclarait incompétente pour trancher d’autres litiges soumis par l’auteur.

2.2 L’auteur a fait appel de la sentence arbitrale rendue dans l’affaire n o  59/93. Le 27 mai 1994, la section V de l’ Audiencia Provincial de Saragosse a rejeté le recours, ce qui a été notifié à l’auteur le 1 er  juin 1994. L’auteur a alors adressé par courrier un recours en amparo qui a été enregistré sous le numéro 2261/94. Le 30 janvier 1995, la deuxième chambre du Tribunal constitutionnel a déclaré ce recours irrecevable en raison de l’expiration du délai, faisant valoir que l’auteur disposait de 20 jours pour déposer son recours en amparo à compter du lendemain de la date à laquelle la décision de l’ Audiencia Provincial lui avait été notifiée et qu’en conséquence le délai d’appel avait expiré.

2.3 L’auteur affirme que la date à laquelle sa déclaration de recours a été remise au concierge du tribunal, qui est portée sur l’accusé de réception de la poste, est le vendredi 24 juin 1994, dernier jour du délai d’appel. Or le recours a été enregistré au greffe du Tribunal constitutionnel le lundi 27 juin , comme l’atteste le tampon du greffe.

2.4 En outre, l’auteur a formé recours contre les trois décisions rendues le 29 novembre 1993 par la Commission d’arbitrage des transports de Saragosse auprès du Tribunal de première instance n o  1 de Saragosse, lequel a rejeté le recours par une décision du 2 juin 1994. L’auteur a alors formé un pourvoi devant la section 2 a de l’ Audiencia Provincial de Saragosse, qui l’a débouté par une décision du 23 janvier 1995. La décision a été notifiée à l’avouée de l’auteur le 24 janvier 1995.

2.5 D’après l’auteur, ni l’avouée ni l’avocate commises d’office ne lui ont transmis la décision. Il affirme qu’il a cherché plusieurs fois, en vain, à entrer en contact avec son avocate, et que ce n’est que le 28 février 1996 qu’il a appris qu’elle n’exerçait plus dans la même étude et que, quelque temps avant, une décision en sa défaveur avait été rendue. L’auteur s’est adressé au greffe de l’ Audiencia Provincial pour demander une copie de la décision, qu’il a reçue par courrier le 7 mai 1996.

2.6 Le 29 mai 1996, l’auteur a formé un nouveau recours en amparo , enregistré sous le numéro 2214/96, auprès de la deuxième chambre du Tribunal constitutionnel qui a rejeté le recours le 30 septembre 1996 pour expiration des délais d’appel.

2.7 L’auteur a porté plainte contre l’avouée d’office María Dolores Sanz Chandro et contre l’avocate María Pilar Español Bardají auprès du Conseil de l’Ordre des avoués ( Junta de Gobierno del Ilustre Colegio de Procuradores ) et auprès du Conseil de l’Ordre du barreau ( Real e ilustre Colegio de Abogados ). Le premier a décidé, en date du 22 mai 1996 que l’avouée avait agi correctement du point de vue déontologique et a recommandé le classement sans suite. Le deuxième a ordonné, en date du 18 avril 1996, l’arrêt de la procédure et le classement sans suite.

2.8 L’auteur s’est pourvu devant le Conseil général des avoués ( Consejo General de Procuradores ) qui a conclu, par une décision en date du 5 décembre 1996, que l’avouée avait agi correctement et dans le respect du droit.

2.9 L’auteur a en outre demandé l’intervention du Défenseur du peuple qui l’a informé, en date du 15 juillet 1996, que ses relations avec son avocate et son avouée commises d’office relevaient du droit privé et que, par conséquent, le Défenseur du peuple n’était pas compétent pour intervenir.

2.10 L’auteur a attaqué la décision du Conseil de l’Ordre des avoués près les tribunaux d’Espagne en déposant le 28 octobre 1997 un recours contentieux auprès de la neuvième section de la chambre du contentieux administratif du Tribunal supérieur de justice de Madrid, qui n’a pas encore statué.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur invoque une violation du droit à une protection effective de la justice consacré au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, au motif que le rejet du recours en amparo enregistré sous le numéro 2261/94 formé contre la décision de la section V de l’ Audiencia Provincial de Saragosse était dû au fait que le recours avait été enregistré au greffe du Tribunal constitutionnel trois jours après avoir été envoyé par courrier, et donc avait été enregistré après expiration du délai d’appel.

3.2 De même, l’auteur invoque une violation du droit à l’égalité devant la loi, garanti à l’article 26 du Pacte, parce que, d’après lui, il y a une discrimination territoriale dans la mesure où les plaignants qui n’habitent pas à Madrid sont obligés de se rendre dans cette ville pour déposer leur demande en personne, étant donné que c’est le seul moyen de pouvoir déposer un recours dans le délai d’appel.

3.3 De plus, l’auteur fait valoir que l’avouée qui lui a été commise d’office par le Tribunal supérieur d’Aragon a manqué à ses obligations étant donné qu’elle ne lui a pas transmis la décision de la section 2 a de l’ Audiencia Provincial de Saragosse, ce qui est à l’origine du rejet par le Tribunal constitutionnel du recours en amparo n o  2214/96 pour dépassement du délai d’appel. D’après l’auteur, cette faute ne lui est pas imputable et elle porte atteinte à son droit à une protection effective de la justice, garanti à l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

4.1 Dans ses observations concernant la recevabilité, en date du 25 octobre 2001, l’État partie fait valoir que le rejet du recours en amparo n o  2261/94 pour expiration du délai d’appel a été parfaitement conforme à la loi, car ce recours a été déposé après l’expiration du délai de 20 jours fixé pour un recours en amparo ; par conséquent la communication est irrecevable.

4.2 L’État partie affirme en outre que le principe de la sécurité juridique détermine que, conformément au paragraphe 1 de l’article 238 de la loi organique du pouvoir judiciaire, c’est la date de réception des actes au greffe des tribunaux qui doit être prise en considération. L’État partie ajoute que M. Boboli n’a pas apporté la preuve qu’il avait envoyé sa déclaration d’appel le 21 juin 1994 ni que le Tribunal constitutionnel l’avait reçue le 24 juin 1994. La seule chose qui ressort du dossier est que la déclaration d’appel a été reçue le 27 juin 1994.

4.3 L’État partie demande également que soit déclarée irrecevable la partie de la communication portant sur le rejet du recours en amparo n o  2214/96 pour dépassement du délai d’appel, faisant valoir que la décision de rejet est conforme au paragraphe 2 de l’article 43 de la loi organique 2/1979 du Tribunal constitutionnel. L’État partie affirme que la décision judiciaire qui faisait l’objet du recours a été notifiée à M me  Sanz Chandro, qui représentait M. Boboli à la procédure, le 24 janvier 1995 et que le recours en amparo n’a été déposé que le 27 mai 1996 seulement, c’est ‑à ‑dire un an et quatre mois plus tard, alors que le délai pour un recours en  amparo est de 20 jours.

4.4 L’État partie ajoute que conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi de procédure civile, «L’avoué entend et signe les notifications de toutes sortes, y compris les décisions, qui concerneront la partie représentée, faites pendant le cours de la procédure et ses démarches auront la même valeur que si le mandant était intervenu.».

4.5 L’État partie affirme que la décision judiciaire en question a été dûment notifiée à la représentante de M. Boboli, que dès que celle ‑ci en a eu notification elle l’a remise à l’auteur ainsi qu’à son avocate et qu’aucune de ces notifications n’a été retournée par le service des postes; il ajoute que M. Boboli a reconnu expressément que la lettre adressée à l’avocate était arrivée à destination.

4.6 L’État partie ajoute qu’il est de jurisprudence constante pour le Tribunal constitutionnel ainsi que pour la Cour européenne des droits de l’homme que la notification valable aux fins du calcul du délai de dépôt d’un recours en amparo est la notification faite à l’avoué, qui représentait légalement l’auteur de la communication à l’examen.

4.7 L’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes car il n’apparaît pas qu’il ait engagé une quelconque action judiciaire en responsabilité contre son avouée et que, conformément à l’article 442 de la loi organique du pouvoir judiciaire «Les avoués, dans l’exercice de leurs fonctions, sont responsables civilement, pénalement et disciplinairement, selon qu’il convient.».

4.8 Dans ses observations concernant le fond en date du 12 mars 2002, l’État partie réaffirme que le recours en amparo n o  2261/94 a été valablement rejeté pour dépassement du délai d’appel et souligne que l’auteur se contredit quand il affirme dans sa communication qu’il a envoyé le recours par lettre recommandée le 21 juin 1994 alors que la date qui figure sur la demande d’ amparo est le 22 juin 1994.

4.9 En ce qui concerne le reçu pour l’expéditeur et l’accusé de réception, qui ont été joints par l’auteur, l’État partie affirme que la photocopie est illisible et qu’il y a une différence dans l’écriture et le stylo utilisés pour la date d’un côté et le nom, la signature et la pièce d’identité du destinataire de l’autre. Il ajoute qu’il n’y a nulle part de cachet de la poste alors que sur le registre du Tribunal constitutionnel on voit clairement deux tampons et un paraphe.

4.10 Pour ce qui est du recours en amparo n o  2214/96, l’État partie souligne que la décision judiciaire a été notifiée à l’avouée et que celle ‑ci l’a remise à l’auteur; en outre, les recours internes n’ont pas été épuisés.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie en ce qui concerne la recevabilité et le fond

5.1 Dans une réponse datée du 28 novembre 2001, l’auteur assure que son recours en amparo est parvenu au Tribunal constitutionnel dans le délai légal et fait valoir qu’il faut déduire les jours fériés. Il joint des copies du reçu pour l’expéditeur et de l’accusé de réception remis par le service des postes ( Correos y Telégrafos ) qui attestent qu’il a envoyé un document le 23 juin 1994 et que celui ‑ci a été réceptionné par le personnel de ce tribunal le lendemain.

5.2 L’auteur fait valoir que la sécurité juridique invoquée par l’État partie laisse sans protection aucune tous ceux qui voudraient former un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel et qui vivent loin de Madrid.

5.3 L’auteur affirme que le fait de ne pas avoir examiné le recours lui a causé un grave préjudice car, dans une affaire similaire à la sienne, le Tribunal constitutionnel avait donné raison au recourant.

5.4 En ce qui concerne le rejet du recours en amparo n o  2214/96, l’auteur fait valoir que si la notification de la décision n’a pas été retournée par le service des postes c’est parce qu’elle n’a jamais été envoyée et que de plus rien ne prouve l’authenticité des copies avec lesquelles l’avouée est censée prouver qu’elle a envoyé la décision étant donné que les documents ont pu avoir été rédigés à n’importe quel moment.

5.5 Dans une lettre datée du 25 mai 2002, l’auteur répond aux observations de l’État partie concernant le fond, faisant valoir que la date qui doit être prise en considération pour le délai d’appel dans le cas de son recours en amparo est la date à laquelle le Tribunal constitutionnel a reçu le recours et non pas la date à laquelle il l’a envoyé, même si, d’après l’auteur, cela représente une injustice.

5.6 En réponse à l’argument de l’État partie qui a objecté que le reçu pour l’expéditeur et l’accusé de réception ne portent pas le tampon du tribunal, l’auteur fait valoir que les accusés de réception ne portent jamais le tampon du Tribunal constitutionnel et joint à titre de preuve plusieurs accusés de réception qui concernent des affaires différentes de la sienne. Pour ce qui est de l’observation de l’État partie concernant les différences d’écriture et de stylo constatées dans ces documents, l’auteur affirme qu’il n’y a rien là que de très normal car les cases dans lesquelles sont portées les signatures sont destinées à deux personnes distinctes: le destinataire et l’employé des postes.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 En ce qui concerne le grief tiré du rejet de son recours en amparo n o  2261/94 par le Tribunal constitutionnel, le Comité relève que l’article 135 de la loi de procédure civile dispose que les documents doivent être présentés au greffe du tribunal, lequel doit accuser réception en indiquant la date et l’heure de présentation; il faut interpréter cette disposition comme visant à garantir qu’il existe une preuve quand un délai est fixé, comme c’est le cas dans la présente affaire. Or, même si la disposition de la loi autorise l’utilisation de moyens permettant l’envoi d’actes, de mémoires et de documents et leur réception normale, au nombre desquels l’envoi par avion, il est précisé que la façon d’envoyer les actes doit être telle que «l’authenticité est garantie et qu’il puisse y avoir une trace faisant foi de la remise et de la réception en totalité des actes et documents et de la date de leur réception» . En ce sens, il ressort des documents dont le Comité est saisi que la seule date écrite qui atteste la réception du recours en amparo est celle qui est portée sur le Registre central du Tribunal constitutionnel, du 27 juin 1994. Par conséquent, le Comité ne dispose pas d’éléments suffisants permettant d’étayer la plainte aux fins de la recevabilité et cette partie de la communication est déclarée irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 En ce qui concerne l’allégation de violation du droit à l’égalité devant la loi, garanti à l’article 26 du Pacte, le Comité relève que la plainte ne vise pas un cas particulier mais vise les procédures en matière civile en Espagne, c’est ‑à ‑dire un système juridique en général. Le Comité estime donc que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, l’allégation de violation de l’article 26 du Pacte, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5 En ce qui concerne l’allégation de violation du droit à une protection effective de la justice, du fait que l’avouée et l’avocate commises d’office auraient manqué à leurs devoirs, le Comité relève que l’auteur a déposé un recours contentieux auprès du Tribunal supérieur de justice contre la décision du Conseil général de l’Ordre des avoués près les tribunaux d’Espagne. Or, il ne ressort pas du dossier que ce tribunal se soit encore prononcé et par conséquent le recours est pendant; les conditions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif n’étant pas remplies, cette partie de la communication est irrecevable.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et à l’État partie.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

W. Communication n o  1021/2001 , Hiro Balani c . Espagne * (Décision adoptée le 25 mars 2003, soixante ‑dix ‑septième session)

Présentée par : Rita Hiro Balani (représentée par un conseil, M. Juan Carlos Lara Garay)

Au nom de : L’auteur

État partie : Espagne

Date de la communication : 23 octobre 1998 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte i n ternational relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2003,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 23 octobre 1998, est Rita Hiro Balani qui, au moment des faits, était de nationalité indienne et a obtenu par la suite la nationalité espagnole. Elle se déclare victime d’une violation par l’Espagne des articles 14 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 janvier 1985.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 En 1985, la société japonaise de fabrication de montres «Orient Watch Co. Ltd.» a soumis au tribunal de première instance n o  8 de Madrid une demande contre la marque commerciale espagnole «Orient H. W. Balani Málaga» au motif que, en vertu de la Convention de Paris, l’enregistrement au Japon en 1951 de son nom commercial lui conférait la propriété de cette dénomination dans tous les États parties à la Convention – dont l’Espagne – et la protégeait contre tout dépôt ultérieur d’une marque identique ou semblable. M me  Hiro Balani s’est opposée à la demande de la société japonaise en faisant valoir que le délai de trois ans pour faire la réclamation était passé, ce qui avait pour effet juridique de «consolider» la marque et que le nom commercial «Orient Watch Co. Ltd.» n’était pas authentique car il existait déjà une marque appelée «Creaciones Oriente» déposée en 1934 et transférée en 1984 sous le nom de la société japonaise.

2.2 Par un arrêt du 9 mai 1988, l’ Audiencia Territorial de Madrid a accepté l’exception de «consolidation» en faveur de l’auteur. Par un arrêt du 30 avril 1990, le Tribunal suprême a statué au contraire qu’il n’y avait pas «consolidation» de la marque car l’enregistrement avait été entaché de nullité.

2.3 L’auteur a formé un recours en amparo contre cet arrêt et le 29 octobre 1990 le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours.

2.4 Par la suite, l’auteur s’est adressée à la Cour européenne des droits de l’homme qui a établi par une décision du 9 décembre 1994 que l’Espagne avait commis une violation du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, équivalente à l’article 14 du Pacte, étant donné que les garanties prévues dans cet article n’avaient pas été respectées dans la procédure civile qui avait abouti à l’annulation de la marque déposée par l’auteur. Cette dernière a demandé l’annulation de l’arrêt du Tribunal suprême. Par un arrêt en date du 23 avril 1997, le Tribunal constitutionnel a rejeté la demande en faisant valoir que le recours en nullité formé contre l’arrêt du Tribunal suprême n’était pas la voie appropriée, car l’auteur aurait dû interjeter un recours en  amparo dans le délai de 20 jours suivant la notification de l’arrêt du Tribunal suprême et que, en droit espagnol, dans le cas d’une procédure civile, les décisions condamnatoires de la Cour européenne des droits de l’homme n’ont qu’un effet déclaratif; la seule exception admise à ce sujet serait le cas où la Cour européenne aurait établi une violation des droits fondamentaux «dans le domaine pénal».

2.5 L’auteur signale à l’attention du Comité l’affaire Barberá, Messegué et Jabardo , dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a établi que l’Espagne avait commis une violation du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme au cours d’un procès pénal contre ces trois personnes, accusées d’avoir perpétré un attentat terroriste. Le Tribunal constitutionnel avait annulé, par un arrêt du 16 décembre 1991, l’arrêt du Tribunal suprême et a ordonné la réouverture de la procédure et entachée d’irrégularités et sa reprise au stade où la violation du droit à la protection de la justice s’était produite.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur dénonce une violation de l’article 14 du Pacte, qui dispose que «tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice», en faisant valoir que le Tribunal constitutionnel a accordé un effet différent aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme puisque dans son cas il a refusé de rendre un nouvel arrêt contrairement à ce qu’il avait ordonné à la suite de la décision de la Cour européenne dans l’affaire Barberá, Messegué et Jabardo .

3.2 L’auteur invoque également l’article 26 du Pacte, qui dispose que «toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi», en faisant valoir que le Tribunal constitutionnel n’a pas traité de la même manière MM. Barbera, Messegué et Jabardo et elle ‑même.

Délibérations du Comité

4.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2 Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 14 du Pacte au motif que le Tribunal constitutionnel a refusé d’ordonner qu’une nouvelle décision soit prise en ce qui concerne la demande relative à la marque «Orient H. W. Balani Málaga», le Comité relève que cette allégation n’est pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.3 En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 26 du Pacte, au motif que le Tribunal constitutionnel n’a pas accordé un traitement égal à la décision prise par la Cour européenne des droits de l’homme à l’issue de l’examen de son affaire, par rapport à la décision prise dans l’affaire Barberá, Messegué et Jabardo , conformément à sa jurisprudence constante, le Comité rappelle que le droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, sans discrimination, ne donne pas un caractère discriminatoire à toutes les différences de traitement. Une différence fondée sur des critères raisonnables et objectifs n’équivaut pas à un acte discriminatoire, tel qu’il est interdit au sens de l’article 26 .

4.4 À ce sujet, le Comité relève que le Tribunal constitutionnel a souligné dans son arrêt du 23 avril 1997 que «les décisions condamnatoires de la Cour créée par la Convention de Rome n’ont, par principe, qu’une valeur simplement déclarative. La seule exception admise à ce sujet est constituée par les cas où cette cour aurait établi une violation des droits dans le domaine pénal, violation dont, de plus, les effets doivent exister au moment de l’exécution de l’arrêt condamnatoire. En l’espèce, au contraire, il s’agit d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a établi une violation du paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention dans un procès civil; ce procès a donné lieu à un arrêt du Tribunal suprême, lequel de toute évidence ne porte en rien atteinte à la liberté de la requérante. Les circonstances particulières énoncées dans l’arrêt du Tribunal constitutionnel STC 245/1991 ne sont donc pas réunies pour qu’il puisse être fait exception au principe général du caractère déclaratif des décisions condamnatoires de la Cour de Strasbourg.». Le Comité estime en conséquence que les  arguments apportés par l’auteur ne sont pas suffisants pour étayer sa plainte aux fins de la recevabilité, vu qu’ils ne permettent pas de conclure que l’État partie l’a traitée de façon discriminatoire ou ne lui a pas assuré l’égalité de protection devant la loi; la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais, en français et en espagnol (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Note

X. Communication n o  1038/2001, Ó. Colchúin c. Irlande * (Décision adoptée le 28 mars 2003, soixante ‑dix ‑septième session)

Présentée par :

Dáithi Ó Colchúin

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Irlande

Date de la communication :

3 juillet 2000

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est Dáithi Ó Colchúin, de nationalité irlandaise, né le 22 avril 1946. Il se déclare victime de violations par la République d’Irlande des articles 2, 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2. Résidant d’ordinaire hors d’Irlande (en Australie), l’auteur ne peut pas voter aux élections législatives et présidentielles ni participer aux référendums. Ainsi, il n’est pas habilité à voter aux élections au Dáil (Chambre basse du Parlement) en application de l’article 8 de la loi électorale de 1992, qui dispose que pour être inscrit dans une circonscription en tant qu’électeur, il faut avoir 18 ans révolus, être de nationalité irlandaise et résider d’ordinaire dans la circonscription. Toutes les circonscriptions se trouvent sur le territoire de l’État et aucune disposition ne prévoit le vote depuis l’étranger sauf dans certains cas non significatifs. Le droit de vote aux élections présidentielles et lors des référendums découle du droit de vote aux élections des membres du Dáil.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme que cette exclusion empêche de nombreux nationaux irlandais se trouvant à l’étranger, dont lui ‑même, en raison de leur lieu de résidence, de prendre part aux affaires politiques conformément à l’article 25 du Pacte. Il fait valoir que l’article 25 garantit le droit de vote à «tout citoyen».

3.2 L’auteur affirme également que cette exclusion est discriminatoire et porte atteinte à son droit à l’égalité devant la loi, qui est consacré par les articles 2 et 26 du Pacte. Il se réfère au paragraphe 8 de l’Observation générale n o  23 du Comité, où il est stipulé que l’égalité des droits n’implique pas «dans tous les cas un traitement identique». Dans la même Observation générale, il est aussi affirmé que l’article 25 garantit certains droits politiques, en prévoyant une distinction fondée sur la nationalité. L’auteur estime que la loi électorale de 1992 établit non pas une distinction fondée sur la nationalité mais une distinction entre deux groupes de nationaux sur la base du lieu de résidence. Elle établit une distinction entre les personnes nées en Irlande qui résident dans le pays et les personnes nées en Irlande qui résident à l’étranger.

3.3 Pour ce qui est de la recevabilité de la communication, l’auteur déclare que l’épuisement des recours internes aurait un coût prohibitif car selon l’estimation reçue d’un conseil, le coût total d’une procédure devant les tribunaux nationaux serait de l’ordre de 20 000 à 100 000 livres irlandaises (environ 25 400 à 127 000 euros). Il ajoute qu’il a aussi fait des démarches auprès de députés sans obtenir de résultat.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1 Dans une note verbale datée du 13 mars 2002, l’État partie objecte que la communication est irrecevable ratione loci et pour non ‑épuisement des recours internes. Il estime qu’elle est irrecevable ratione loci parce que l’auteur ne se trouve pas sur le territoire irlandais et ne relève pas de la juridiction irlandaise comme l’exigent le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte et l’article premier du Protocole facultatif. Il considère donc qu’il n’est pas tenu, en vertu de l’article 2 du Pacte, d’assurer à l’auteur tous les droits reconnus dans le Pacte et que le Comité n’est pas compétent pour recevoir et examiner la communication au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

4.2 L’État partie fait valoir que cette communication peut être distinguée d’autres communications dans lesquelles le Comité a conclu que l’auteur, qui se trouvait physiquement hors du territoire de l’État partie, relevait de sa juridiction. La situation de l’auteur en l’espèce n’est pas comparable à celle de l’auteur dans l’affaire Montero  c.  Uruguay qui concernait le refus des autorités uruguayennes de lui renouveler son passeport. Dans cette dernière affaire le Comité avait déclaré ce qui suit: «C’est, de toute évidence, aux autorités uruguayennes qu’il appartient de délivrer un passeport à un national uruguayen et, à cet effet, l’intéressé “relève de la juridiction” de l’Uruguay ». Selon l’État partie il ressort implicitement de l’utilisation des mots «à cet effet» qu’un national qui ne se trouve pas physiquement sur le territoire d’un État ne «relève pas de sa juridiction», à toutes fins.

4.3 L’État partie se réfère également aux décisions du Comité dans les affaires Lopez Burgos  c.  Uruguay et Celiberti de Casariego c. Uruguay selon lesquelles lorsqu’un national se trouve à l’extérieur du territoire d’un État et que ses droits sont délibérément violés par des agents de cet État, l’État ne peut se soustraire aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte simplement parce que la violation a été commise à l’extérieur de son territoire. Dans une opinion individuelle jointe aux constatations du Comité sur chacune de ces communications, M. Christian Tomuschat a noté qu’il n’était pas envisagé «… de conférer aux États parties un pouvoir discrétionnaire sans limite qui leur permettrait de porter atteinte volontairement et d’une manière délibérée à la liberté et à l’intégrité personnelle de leurs nationaux vivant à l’étranger». L’État partie affirme que la communication à l’examen n’appartient pas à la même catégorie que les communications susmentionnées.

4.4 L’État partie se réfère également aux décisions du Comité concernant l’extradition et l’expulsion. Si un État partie extrade ou expulse une personne se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction dans des circonstances telles qu’elle court un risque réel d’être victime dans une autre juridiction de violations des droits que lui reconnaît le Pacte, cet État peut avoir commis une violation du Pacte . De l’avis de l’État partie, on ne peut pas comparer la communication à l’examen avec les cas d’extradition ou d’expulsion susmentionnés.

4.5 L’État partie appelle l’attention du Comité sur la récente affaire Bankovic et consorts  c.  Belgique , dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a décidé ce qui suit: «… l’on peut difficilement soutenir qu’une reconnaissance exceptionnelle par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies de certains cas de juridiction extraterritoriale … soit de nature à battre en brèche la portée explicitement territoriale conférée à la notion de juridiction par ledit article [art. 1] du Pacte de 1966 ou à expliquer le sens précis devant être attribué à la notion de “juridiction” figurant à l’article premier du Protocole facultatif de 1966…». Selon l’État partie, cette interprétation du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte et de l’article premier du Protocole facultatif est correcte. La Cour a cité des exemples d’actes extraterritoriaux reconnus comme constituant un exercice de la juridiction, à savoir l’extradition et l’expulsion d’une personne par un État contractant, les actes des autorités d’un État contractant qui ont produit des effets ou qui ont eu lieu à l’extérieur de son propre territoire ou l’exercice par un État contractant, à la suite d’une action militaire, d’un contrôle effectif sur une zone située à l’extérieur de son territoire national. La Cour a également pris note d’autres situations où «… le droit international coutumier et des dispositions conventionnelles reconnaissent l’exercice extraterritorial d’une juridiction par l’État concerné». L’État partie fait valoir qu’aucun des exemples mentionnés dans ce jugement ne correspond à la situation dont se plaint l’auteur.

4.6 L’État partie affirme que le cas d’espèce ne justifie pas la reconnaissance d’une juridiction extraterritoriale étendue. Il fait valoir que pour pouvoir être considéré comme victime d’une violation de l’article 25, l’individu doit se trouver sur le territoire et relever de la juridiction d’un État partie et être un national de cet État. Dans le contexte de l’article 25, la nécessité de posséder la nationalité s’ajoute aux conditions territoriale et juridictionnelle et ne les remplace pas. Selon l’État partie, cette interprétation est appuyée par les travaux préparatoires du Pacte .

4.7 L’État partie affirme en outre que la présente communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif parce que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. En fait, l’auteur n’a engagé aucune procédure judiciaire devant les tribunaux irlandais. Il n’a pas affirmé qu’une telle procédure serait vaine ou pourrait l’être. Il n’a rien tenté pour contester la constitutionnalité de la disposition en cause devant les tribunaux irlandais sur la base des motifs qu’il a exposés et n’a pas non plus soulevé devant les tribunaux irlandais la question de sa compatibilité avec le Pacte ou tout autre instrument international relatif aux droits de l’homme.

4.8 Selon l’État partie, l’auteur avait la possibilité de contester la validité de l’article 8 de la loi électorale de 1992 en invoquant les dispositions constitutionnelles ci ‑après.

Le paragraphe 1.2 o de l’article 16 de la Constitution, qui régit le droit de vote pour l’élection des membres du Dáil Éireann, stipule ce qui suit:

«i) Tous les citoyens, et

ii) Toutes autres personnes dans l’État déterminées par la loi, sans distinction de sexe, ayant atteint l’âge de 18 ans, n’étant pas empêchées en vertu de la loi et répondant aux dispositions de la loi relative à l’élection des membres du Dáil Éireann, auront le droit de vote pour une élection des membres du Dáil Éireann.».

Le paragraphe 1 de l’article 40 de la Constitution dispose ce qui suit:

«En tant qu’êtres humains, tous les citoyens seront égaux devant la loi. Cela ne veut pas dire que l’État, dans ses décrets, ne prendra pas en considération les différences de capacité physique et morale, et de fonction sociale.».

4.9 Selon l’État partie, la seule chose que l’auteur ait tentée pour faire cesser la violation qu’il dénonce a consisté à se livrer à des «démarches politiques pour promouvoir sa cause auprès de législateurs». Il se réfère à la jurisprudence constante du Comité selon laquelle l’auteur d’une communication doit se prévaloir de tous les moyens judiciaires ou administratifs qui lui offrent des chances raisonnables d’obtenir réparation . L’État partie se souvient que l’idée à la base de l’obligation d’épuiser les recours internes est de donner à l’État partie la possibilité de réparer la violation présumée avant que le Comité ne soit saisi de l’affaire. De l’avis de l’État partie, les démarches politiques ne permettent pas à l’État d’examiner les plaintes individuelles comme cela pourrait être fait dans le cadre d’une action en justice. Elles ne peuvent déboucher sur aucune décision judiciaire qui permette de reconnaître que les droits d’une personne ont été violés.

4.10 L’État partie note que l’auteur a reconnu qu’il n’avait pas épuisé tous les recours internes disponibles, ce qu’il a expliqué par l’insuffisance de ses moyens financiers. Pour l’État partie le Comité devrait se conformer à sa décision dans l’affaire P. S. c.  Danemark , dans laquelle il a déclaré que «des considérations d’ordre financier et des doutes quant à l’efficacité de recours internes ne sauraient dispenser l’auteur d’épuiser les recours». L’auteur n’a pris contact qu’avec un seul avocat et n’a effectué aucune autre démarche pour trouver un autre conseil disposé à s’occuper de son affaire et ne semble pas non plus avoir cherché à obtenir une assistance judiciaire ou à réunir les fonds dont il avait besoin pour défendre sa cause. L’État partie se réfère à l’affaire G. T. c.  Canada , dans laquelle le Comité a noté que l’auteur ne semblait pas «s’être beaucoup employé à obtenir une assistance judiciaire au sens de la loi sur l’assistance judiciaire de l’Ontario» et a conclu que l’auteur ne s’était pas acquitté de l’obligation d’épuiser les recours internes. L’État partie estime que la citation ci ‑dessus s’applique également à l’auteur et qu’en conséquence la communication devrait être déclarée irrecevable.

4.11 L’État partie fait valoir qu’il est possible de demander dans sa juridiction une aide judiciaire en vue d’entamer une procédure de ce type. En particulier l’auteur avait la possibilité de solliciter cette aide au titre de l’article 27 de la loi sur l’aide judiciaire au civil de 1995. L’État partie déclare que, dans la mesure où la seule information fournie par l’auteur sur sa situation financière est qu’il est actuellement sans emploi, la question de savoir s’il remplit les conditions requises en vertu de la loi de 1995 et du règlement de 1996 sur l’aide judiciaire au civil ne peut être examinée. Cela dit, bien qu’il ne soit pas possible d’affirmer catégoriquement que l’auteur aurait reçu l’aide judiciaire s’il l’avait demandée, il n’apparaît pas qu’il ait même tenté de le faire.

4.12 Selon l’État partie, outre qu’il aurait pu demander une aide au titre de la loi de 1995, l’auteur avait la possibilité de solliciter une assistance judiciaire par le biais des centres d’assistance judiciaire gratuite (Free Legal Advice Centres). Ces établissements reçoivent une subvention annuelle de l’État et fournissent des services d’aide judiciaire aux personnes qui sont dans le besoin par le biais d’un avocat rémunéré et d’autres avocats agissant à titre bénévole. Il n’y a pas de restriction quant à la nature des affaires dont les centres peuvent s’occuper. Concrètement, les centres intentent des actions pouvant faire jurisprudence auprès des tribunaux, contestant la législation en vigueur en vue de favoriser des amendements aux lois dans l’intérêt de toutes les personnes concernées. On ignore si les centres pouvaient juger judicieux de s’occuper à ce titre d’une affaire comme celle de l’auteur mais ce dernier ne semble pas avoir pris contact avec eux.

4.13 L’État partie appelle aussi l’attention du Comité sur une autre source potentielle d’aide judiciaire, à savoir la loi de 2000 sur la Commission des droits de l’homme qui est entrée en vigueur après l’envoi par l’auteur de sa communication. La loi de 2000 prévoit la création d’une Commission des droits de l’homme, qui a été effectivement mise en place le 25 juillet 2001. Elle donne à toute personne se trouvant dans la situation de l’auteur un autre moyen d’obtenir une aide judiciaire. Il est certes impossible de dire à l’avance ce qu’aurait pu être le résultat d’une demande d’assistance adressée à la Commission mais l’auteur a depuis le 25 juillet 2001 la possibilité de faire cette demande.

Commentaires de l’auteur

5.1 Dans une lettre datée du 18 mai 2002, l’auteur a formulé les commentaires suivants sur les observations de l’État partie. Pour ce qui est de l’argument concernant l’irrecevabilité ratione loci , l’auteur fait valoir que l’État partie est tout à fait compétent pour dire quels nationaux irlandais et, le cas échéant, quels non ‑nationaux sont habilités à voter aux élections irlandaises indépendamment du pays où ils résident. Les nationaux qui vivent à l’extérieur du territoire de l’État partie participent déjà aux élections irlandaises de deux manières. Premièrement, les nationaux qui obtiennent le statut de résident dans un autre État ont le droit de voter aux élections au Dáil pendant les 18 mois qui suivent leur changement de statut. Deuxièmement, les nationaux diplômés de deux universités (l’Université nationale d’Irlande et l’Université de Dublin) sont habilités à voter à l’élection des membres du Sénat (Chambre haute du Parlement). L’auteur estime que, votant aux élections au Sénat depuis 1993 à partir de son lieu de résidence en Australie, il relève, en ce qui concerne le vote, de la juridiction irlandaise. En outre, il déclare que dans de nombreux pays démocratiques, des dispositions ont été prises pour que les nationaux non résidents votent aux élections qui ont lieu dans leur pays, et ces non ‑résidents sont donc soumis aux lois électorales de l’État dont ils sont nationaux.

5.2 En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui objecte que les recours internes n’ont pas été épuisés, l’auteur réaffirme que s’il n’a pas entamé une procédure par le biais du système judiciaire irlandais c’est en raison des estimations qu’il a reçues de deux avocats montrant que le coût d’une telle procédure serait prohibitif. Pour cette raison, il estime que ce recours n’était pas «disponible» pour lui comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’auteur se réfère aux décisions du Comité dans les affaires Thomas c . Jamaïque et Currie c . Jamaïque , dans lesquelles le Comité a conclu que le fait de ne pas avoir − faute de moyens financiers et d’assistance judiciaire − déposé de requête constitutionnelle auprès de la Cour suprême jamaïcaine n’était pas un obstacle à la recevabilité.

5.3 En ce qui concerne l’aide judiciaire, l’auteur affirme que pour pouvoir bénéficier d’une assistance au titre de la loi de 1995 sur l’aide judiciaire au civil, une personne doit avoir un revenu disponible inférieur à 12 697,38 euros. Selon lui, comme son revenu disponible est supérieur à ce montant il ne peut prétendre à une telle aide. Pour ce qui est de la possibilité d’obtenir une aide des centres d’assistance judiciaire gratuite, l’auteur indique qu’il a présenté une demande à cet effet et a été informé par courrier électronique, en mai 2002, que l’organisation ne serait pas en mesure de l’aider en la matière.

5.4 Enfin, s’agissant de la possibilité de recevoir une assistance financière de la Commission des droits de l’homme, l’auteur déclare que cet organe n’a été créé que le 25 juillet 2001, une année après sa lettre initiale au Comité des droits de l’homme et que, par conséquent, la question est sans objet aux fins de la recevabilité.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, décider si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Le Comité note que dans sa communication l’auteur conteste le fait qu’il ne puisse pas participer à certaines élections dans l’abstrait, c’est ‑à ‑dire sans qu’il soit fait référence à des élections particulières durant lesquelles il aurait été empêché d’exercer son droit de vote. En conséquence, le Comité estime que l’auteur ne peut prétendre être une «victime», au sens de l’article premier du Protocole facultatif, d’une violation présumée de l’un quelconque de ses droits en vertu du Pacte, et que la communication est donc irrecevable au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

Y. Communication n o  1049/2002, Van Puyvelde c. France * (Décision adoptée le 26 mars 2003, soixante ‑dix ‑septième session)

Présentée par : Philippe Van Puyvelde

Au nom de : L’auteur

État partie : France

Date de la communication : 31 décembre 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte i n ternational relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 mars 2003,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur est M. Philippe Van Puyvelde, citoyen français, né le 20 mars 1960 à Bergerac (France). Il se déclare victime de violations par la France inter alia des articles 14, 15, 16, 17 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur fait état de quatre procédures le concernant devant le juge aux affaires familiales et de deux procédures pénales.

Procédures devant le juge aux affaires familiales

2.2 Par jugement du 11 mars 1997, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Carcassonne a prononcé le divorce entre M me  F. Zink et l’auteur aux torts exclusifs de ce dernier et a fixé la résidence habituelle des enfants chez la mère. Le juge a fixé enfin à la charge de l’auteur une pension mensuelle de 400 francs pour l’entretien et l’éducation des deux enfants, et a constaté que l’auteur «ne s’oppose pas à cette demande extrêmement modérée (de la mère) à laquelle il y a donc lieu de faire droit».

2.3 L’auteur a interjeté appel de ce jugement, lequel a été confirmé par la cour d’appel de Montpellier le 30 octobre 1997.

2.4 Après le prononcé du divorce, plusieurs procédures ont été diligentées concernant les mesures relatives aux enfants (autorité parentale et pension alimentaire).

Requête de l’auteur aux fins de voir modifier la résidence habituelle des enfants (dossier 98/00312)

2.5 Par requête du 23 février 1998, l’auteur a saisi le juge aux affaires familiales afin que la résidence des enfants soit fixée chez lui.

2.6 L’auteur était assisté d’un avocat au titre de l’aide juridictionnelle.

2.7 Par ordonnance du 2 juillet 1998, le juge aux affaires familiales a commis un psychologue expert lequel a estimé que l’intérêt des enfants était le maintien de la situation actuelle. Par ordonnance du 2 novembre 1998, le juge aux affaires familiales a débouté l’auteur de sa demande.

Demande de l’auteur aux fins de voir supprimer ou modifier la pension alimentaire (dossier 2000/00904)

2.8 Par acte du 2 mai 2000, l’auteur a fait assigner M me  F. Zink aux fins de voir supprimer la pension alimentaire aux motifs d’insolvabilité persistante et de poursuites pénales à son encontre pour abandon de famille.

2.9 Les deux parties ont comparu à l’audience du 6 juillet 2000. L’auteur était assisté d’un avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle.

2.10 Par ordonnance du 15 septembre 2000, le juge aux affaires familiales a débouté l’auteur de sa demande, aux motifs que: a) ce dernier n’a jamais payé sa pension alimentaire pourtant symbolique alors que, par ailleurs, il se revendique comme un père responsable; b) ses craintes d’exécution des sanctions pour abandon de famille ne constituent pas un motif de suppression de la pension alimentaire dans la mesure où depuis 1997, en se mettant hors la loi et en ne sollicitant pas la modification de son obligation alimentaire, l’auteur a pris un risque calculé dont il doit assumer seul les conséquences; c) si la situation matérielle de l’auteur est modeste, il n’en demeure pas moins que, d’une part, ses enfants ont des besoins vitaux qui n’ont pas diminué depuis 1997 et, d’autre part, qu’il ne produit aucun justificatif établissant qu’il ait depuis 1997 très activement recherché un emploi rémunéré au moins au SMIC, afin de lui permettre d’assumer son obligation alimentaire; d) aux termes de la loi, l’autorité parentale implique pour les parents qui en sont titulaires droits et devoirs de garde, de surveillance et d’éducation, mais aussi au premier chef un devoir d’entretien; et la loi attache une importance toute particulière à l’obligation alimentaire puisque l’article 373 du Code civil précise même que perd l’exercice de l’autorité parentale ou en est provisoirement privé celui des père et mère qui inter alia a été condamné sous l’un des divers chefs de l’abandon de famille, tant qu’il n’a pas recommencé à assumer ses obligations pendant une durée de six mois au moins.

Requête de l’ex-épouse de l’auteur aux fins de modifier le droit de visite et d’hébergement (dossier 2001/00925)

2.11 Par requête du 18 juin 2001, M me  F. Zink a saisi le juge aux affaires familiales aux fins d’obtenir une modification du droit de visite et d’hébergement du père.

2.12 Dans le cadre de cette procédure, les parties étaient assistées d’un avocat.

2.13 Le 18 septembre 2001, le juge aux affaires familiales a modifié le droit d’hébergement et de visite du père. Par ailleurs, le juge a rejeté la demande de l’auteur de suppression de la pension alimentaire en relevant qu’aucun élément nouveau n’était intervenu depuis la précédente décision.

Procédures pénales

2.14 L’auteur fait état de deux procédures pénales pour abandon de famille.

Première procédure d’abandon de famille (dossier 99/00046)

2.15 Le 8 février 1998, M me  F. Zink a déposé plainte contre l’auteur pour non-paiement de pension alimentaire prononcée par jugement du 11 mars 1997.

2.16 À l’audience du tribunal correctionnel de Carcassonne du 28 octobre 1998, l’auteur a comparu, assisté d’un avocat. L’auteur a maintenu les déclarations faites devant les services de gendarmerie le 25 février 1998, à savoir, le non ‑paiement de la pension alimentaire au motif de l’absence de moyens financiers suffisants.

2.17 Par jugement du 2 décembre 1998, le tribunal correctionnel a déclaré l’auteur coupable des faits reprochés et l’a condamné à une peine de six mois d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve, ainsi qu’à payer à la partie civile des dommages et intérêts de 2 000 francs.

2.18 Le 2 décembre 1998, l’auteur a interjeté appel du jugement. Le ministère public a interjeté appel incident à la même date.

2.19 Par acte d’huissier du 31 janvier 2000, l’auteur était cité à comparaître à l’audience du 4 avril 2000 de la cour d’appel de Montpellier.

2.20 Par courrier du 1 er  mars 2000, l’auteur a sollicité le renvoi de l’affaire pour préparer sa défense en arguant qu’il avait révoqué l’avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle. L’auteur ne s’est pas présenté à l’audience publique du 4 avril 2000.

2.21 Par arrêt du 9 mai 2000, la cour d’appel de Montpellier a confirmé le jugement sur la culpabilité et a condamné l’auteur à une peine de six mois d’emprisonnement dont quatre mois assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve pendant une durée de deux ans, avec obligation pour l’intéressé de justifier qu’il contribue aux charges familiales ou qu’il acquitte régulièrement les pensions alimentaires dont il est le débiteur. La juridiction a également confirmé les dispositions civiles du jugement. Elle a estimé la demande de renvoi de l’auteur comme non justifiée aux motifs que ce dernier avait été cité suffisamment à l’avance pour prendre toutes les mesures utiles pour préparer sa défense; qu’il avait révoqué son défenseur au titre de l’aide juridictionnelle; et que s’agissant d’un reproche de non-paiement de pension alimentaire, l’auteur aurait pu se présenter lui-même à l’audience pour faire valoir les éléments de fait dont il entend se prévaloir.

2.22 Le 24 mai 2000, l’auteur a formé un pourvoi en cassation, par l’intermédiaire d’un avocat aux conseils.

2.23 Le 14 février 2001, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi.

Seconde procédure d’abandon de famille (dossier 00/01265)

2.24 Le 29 décembre 1999, M me  F. Zink a déposé plainte contre l’auteur pour non ‑paiement de la pension alimentaire.

2.25 À l’audience publique du tribunal correctionnel de Carcassonne du 5 mai 2000, l’auteur a maintenu ses déclarations faites devant les services de gendarmerie le 18 janvier 2000, à savoir le non ‑paiement de la pension alimentaire en raison de la modicité de ses ressources.

2.26 Après auditions des parties assistées chacune d’un avocat, le tribunal correctionnel de Carcassonne a déclaré, par jugement contradictoire du 5 mai 2000, l’auteur coupable des faits qui lui étaient reprochés et l’a condamné à une peine de quatre mois d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve de 18 mois avec obligation de payer la pension alimentaire et la somme de 2 000 francs à titre de dommages et intérêts à son ex ‑épouse.

2.27 L’auteur a interjeté appel le 15 mai 2000. Le ministère public a interjeté appel incident.

2.28 L’auteur était cité par voie d’huissier à l’audience publique de la cour d’appel de Montpellier du 13 février 2001. Par courrier du 12 février 2001, l’auteur a sollicité la désignation d’un avocat d’office et a mentionné qu’il ne pouvait se rendre à l’audience du 13 février 2001. Par arrêt avant dire droit du 13 mars 2001, la cour d’appel a ordonné la réouverture des débats à l’audience du 18 septembre 2001, après nouvelle citation du prévenu et de la partie civile et désignation au soin de monsieur le bâtonnier de l’ordre des avocats d’un avocat commis d’office pour le requérant. Un avocat lui était désigné le 10 juillet 2001.

2.29 À l’audience de la cour d’appel de Montpellier du 18 septembre 2001, l’auteur n’a pas comparu. Son avocat a néanmoins été entendu en sa plaidoirie.

2.30 Par arrêt du 16 octobre 2001, la cour d’appel de Montpellier a confirmé le jugement du 5 mai 2000. La cour a relevé en particulier que l’auteur a reconnu les faits et le non ‑versement volontaire de la pension alimentaire, arguant seulement l’impossibilité de payer du fait de la stagnation de ses revenus et de l’augmentation de ses charges, sans toutefois justifier de la saisine du juge aux affaires familiales en diminution de la pension.

L’auteur fait part de son intention de se pourvoir en cassation .

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme avoir été victime de violations par la France inter alia des articles 14, 15, 16, 17 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3.2 L’auteur se plaint des procédures devant le juge aux affaires familiales, estimant que le magistrat n’a pas entendu sa cause de manière équitable et n’a pas respecté le principe du contradictoire, notamment dans le cadre d’une audience le 6 juillet 2000 au cours de laquelle l’auteur déclare avoir reçu l’argumentaire dans le cabinet du juge (dossier 2000/904).

3.3 L’auteur reproche à la cour d’appel de Montpellier de l’avoir condamné à une peine d’emprisonnement, aggravant la peine prononcée par le tribunal correctionnel, alors qu’il avait fait une demande de report d’audience pour pouvoir préparer sa défense et qu’il n’était pas assisté d’un avocat pour se défendre (dossier 99/00046).

3.4 L’auteur reproche également aux autorités françaises de le condamner alors qu’il est seulement dans l’impossibilité de payer. Il prétend être victime d’une omission non délictueuse.

3.5 L’auteur estime, en outre, qu’il n’y a pas eu reconnaissance de sa personnalité juridique, et que les condamnations prononcées à son encontre constituent une atteinte à sa réputation et à son honneur.

3.6 L’auteur déclare avoir épuisé les voies de recours internes. Il ajoute avoir soumis, le 16 mars 1995, une plainte auprès de la Commission européenne des droits de l’homme, laquelle l’a déclarée irrecevable le 28 février 1996 . L’auteur déclare que la Commission n’a pas eu à traiter de la question de la pension alimentaire.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

4.1 Dans ses observations sur la recevabilité du 15 mai 2002, l’État partie commence par souligner que la plainte déposée par l’auteur auprès de la Commission européenne des droits de l’homme a été déclarée irrecevable.

4.2 L’État partie estime, en outre, que la communication de l’auteur est imprécise quant aux violations du Pacte dont il se plaint. L’État partie rappelle que si l’auteur invoque, au titre des articles violés, les articles «14 ‑15 ‑16 ‑17 ‑26 (liste non exhaustive)», il ne précise pas les griefs précis qu’il reproche aux autorités françaises. Toutefois, l’État partie estime qu’à la lecture de l’exposé des faits présentés par l’auteur, les griefs de violations des paragraphes 1 et 3 d) de l’article 14 et de l’article 15 du Pacte peuvent être retenus.

4.3 L’État partie fait valoir, en premier lieu, que le grief tiré de l’article 15 du Pacte est incompatible ratione materiae avec les dispositions de cet article.

4.4 L’État partie explique que l’article 227 ‑3 du Code pénal français dispose que:

«Le fait, pour une personne, de ne pas exécuter une décision judiciaire ou une convention judiciairement homologuée lui imposant de verser au profit d’un enfant mineur, légitime, naturel ou adoptif, d’un descendant, d’un ascendant ou du conjoint une pension, une contribution, des subsides ou des prestations de toute nature dues en raison de l’une des obligations familiales prévues par les titres V, VI, VII et VIII du livre premier du Code civil, en demeurant plus de deux mois sans s’acquitter intégralement de cette obligation, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 100 000 francs d’amende.».

4.5 Ainsi, le parent qui ne règle pas la pension alimentaire mise à sa charge par une décision de divorce est susceptible d’être poursuivi devant une juridiction pénale pour le délit d’abandon de famille. Ce délit est inscrit au Code pénal et parfaitement applicable à la situation de l’auteur. D’après l’État partie, l’auteur a bien été condamné par les juridictions pénales pour des faits – ne pas payer la pension alimentaire – qui constituaient des actes délictueux au sens de l’article 15 du Pacte.

4.6 L’État partie soutient, en second lieu, que les griefs soulevés par l’auteur sont irrecevables en raison du non ‑épuisement des voies de recours internes.

4.7 Eu égard au grief fondé sur l’inéquité de la procédure devant le juge aux affaires familiales, l’État partie rappelle que l’auteur se plaint de ce que, devant cette juridiction, ses pièces n’aient pas été prises en compte, ses enfants n’aient pas été entendus et qu’on le condamne à une pension alimentaire alors qu’il n’a pas de revenu.

4.8 Or, dans le cadre de la procédure de divorce, l’auteur n’a pas formé de pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt rendu le 30 octobre 1997 par la cour d’appel de Montpellier.

4.9 De même, dans le cadre des procédures postérieures à son divorce, l’auteur n’a pas formé appel des ordonnances rendues par le juge aux affaires familiales. Or, en application des dispositions de l’article 187 du nouveau Code de procédure civile, le délai d’appel des décisions rendues par le juge aux affaires familiales est de 15 jours et court à compter de la notification de celle ‑ci.

4.10 Ainsi, l’auteur n’a pas formé appel de l’ordonnance rendue le 2 novembre 1998, par laquelle le juge aux affaires familiales rejetait sa demande de modification de résidence de ses deux enfants mineurs (dossier 98/00312).

4.11 L’auteur n’a pas non plus interjeté appel de l’ordonnance du 15 septembre 2000, par laquelle le juge aux affaires familiales a rejeté sa demande tendant à voir supprimer ou modifier la pension alimentaire mise à sa charge (dossier 2000/00904).

4.12 Enfin, l’auteur n’a pas interjeté appel de l’ordonnance rendue le 18 septembre 2001 par laquelle le juge aux affaires familiales avait modifié le droit de visite de l’auteur, ordonnait une enquête sociale et avait également rejeté la demande de suppression de la pension alimentaire (dossier 2001/00925).

4.13 L’État partie ajoute que par ordonnance du 29 mars 2002, la juge aux affaires matrimoniales a supprimé le droit de visite et d’hébergement de l’auteur sur ses enfants. Or, l’auteur n’a pas non plus formé appel de cette ordonnance.

4.14 L’État partie estime ainsi que l’auteur n’a pas mis les autorités judiciaires en mesure de remédier aux griefs dont il se plaint aujourd’hui devant le Comité. D’après l’État partie, l’auteur aurait pu, en effet, remettre en cause tant les décisions du juge aux affaires familiales, notamment sur le montant de la pension alimentaire que la procédure suivie devant lui, notamment l’échange de pièces et l’audition des enfants.

4.15 Eu égard au grief fondé sur l’inéquité de la procédure pénale d’abandon de famille dans le cadre du dossier 99/00046, l’État partie estime qu’il convient de préciser que l’auteur a, en fait, révoqué l’avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle qui devait l’assister dans le cadre du procès en appel. L’auteur a formé, toutefois, un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la cour d’appel et a été représenté par un avocat aux conseils, désigné dans le cadre de l’aide juridictionnelle.

4.16 Cependant, l’auteur n’a évoqué qu’un moyen unique de cassation, ayant trait à l’insuffisance de la motivation de la peine prononcée par la cour d’appel. L’État partie précise qu’à aucun moment, l’auteur n’a mentionné devant la Cour de cassation, une quelconque violation des droits de la défense se rapportant au grief soulevé devant le Comité, ni au regard du droit interne, ni au regard de l’article 14.3 du Pacte.

4.17 L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle «si l’auteur d’une communication n’est pas tenu d’invoquer expressément les dispositions du Pacte dont il estime qu’elles ont été violées, il doit cependant avoir fait valoir en substance devant les juridictions nationales le grief qu’il invoque par la suite» (communication n o  661/95 Triboulet c. France ). Il précise également que le Comité a considéré irrecevable une communication au motif que «l’auteur a omis d’invoquer devant la Cour de cassation le droit qui est protégé par l’article 15 du Pacte; il s’ensuit que la juridiction nationale la plus élevée n’a jamais eu connaissance de l’argument de l’auteur (...).» (communication n o  584/1994 Valentijn  c.  France ).

4.18 L’État partie estime que mutatis mutandis , le même principe doit trouver à s’appliquer dans le cas d’espèce. L’auteur, en ne donnant pas à la Cour de cassation la possibilité de remédier à la violation alléguée, n’a pas satisfait à son obligation d’épuisement des voies de recours internes, d’où l’irrecevabilité de ce grief.

4.19 En troisième lieu, l’État partie fait valoir que l’imprécision des autres allégations de l’auteur ne lui permet pas de déterminer les griefs susceptibles d’être retenus au vu des dispositions du Pacte. L’État partie demande, en conséquence, au Comité de faire application de sa jurisprudence et de déclarer la communication irrecevable, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif dans la mesure où l’auteur n’a pas étayé ses allégations aux fins de recevabilité.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1 Dans une correspondance du 8 août 2002, l’auteur déclare être victime d’une machination et de la répression des avocats et de tout l’appareil judiciaire français. Il affirme que la justice française a tenu à favoriser son épouse, et à provoquer sa ruine par l’insistance à ce qu’il paie sa pension alimentaire. L’auteur déclare avoir systématiquement épuisé toutes les voies de recours internes. Il ne produit cependant aucun document à l’appui de ses assertions et aucun élément nouveau à sa plainte originelle. Il indique même, au contraire, ne pas avoir formé de pourvoi en cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Montpellier du 30 octobre 1997. De plus, il précise ne pas vouloir commenter les observations de l’État partie relatives à l’irrecevabilité, d’une part, du grief d’inéquité de la procédure pénale d’abandon de famille dans le cadre du dossier 99/00046, ceci pour non-épuisement des voies de recours internes, et d’autre part, des griefs de violations des articles 16, 17 et 26 du Pacte.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 En ce qui concerne les allégations de violations des articles 15, 16, 17 et 26 du Pacte, le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé ses allégations aux fins de recevabilité au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3 Relativement aux griefs de violations de l’article 14 du Pacte, le Comité constate que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes, d’une part, pour les procédures devant le juge aux affaires familiales (procédure de divorce dans le cadre de l’arrêt du 30 octobre 1997 et procédures postérieures au divorce dans les dossiers 98/00312, 2000/00904 et 2001/00925) pour lesquelles aucun appel n’a été interjeté, et d’autre part, pour les procédures pénales d’abandon de famille, tant pour le dossier 99/00046 pour lequel n’a pas été invoquée dans le pourvoi en cassation une quelconque violation des droits protégés par l’article 14 du Pacte, que pour le dossier 00/01265 pour lequel le pourvoi en cassation a été soumis en dehors des délais fixés par la loi.

Le Comité déclare, en conséquence, ces griefs irrecevables au regard du paragraphe 2 b) , de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.1 En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

Z. Communication n o  1082/2002, De Clippele c. Belgique * (Décision adoptée le 28 mars 2003, soixante ‑dix ‑septième session)

Présentée par : Olivier de Clippele (représenté par un conseil, Maître Arnaud Jansen)

Au nom de : L’auteur

État partie : Belgique

Date de la communication : 8 mars 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte i n ternational relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 mars 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur est M. Olivier de Clippele, citoyen belge résidant à Bruxelles (Belgique). Il se déclare victime de violations par la Belgique de l’article 25 b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représenté par un conseil.

(Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour la Belgique le 17 août 1984.)

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 La loi belge du 11 avril 1994 (telle que modifiée par la loi du 18 décembre 1998 et la loi du 12 août 2000) a instauré le vote automatisé dans certaines circonscriptions électorales, cantons électoraux ou communes.

2.2 Déclarant agir en tant que citoyen électeur et candidat aux élections communales dans la commune d’Ixelles, l’auteur a saisi les juridictions belges compétentes afin de faire constater que la loi sur le vote automatisé ne respectait pas les droits consacrés par l’article 25 b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

2.3 Le 17 novembre 2000, conformément à la loi électorale communale belge, l’auteur a introduit un recours contre la procédure de préparation, d’organisation et de dépouillement des opérations de vote dit automatisé des élections communales du 8 octobre 2000 à Ixelles, ceci afin d’obtenir leur annulation devant le Collège juridictionnel de la région de Bruxelles ‑Capitale.

2.4 Le 14 décembre 2000, le Collège juridictionnel a rejeté la réclamation de l’auteur.

2.5 Le 26 décembre 2000, l’auteur a interjeté appel auprès du Conseil d’État.

2.6 Le 4 avril 2001, le Conseil d’État a rejeté le recours de l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur conteste la loi sur le vote automatisé pour les raisons suivantes:

L’absence de contrôle indépendant des opérations électorales susceptible d’influencer la répartition des sièges entre les listes et se manifestant par quatre éléments:

Un système non transparent dans la mesure où les logiciels de vote et de dépouillement n’ont pas été rendus publics de sorte que ni le bureau principal ni les bureaux de vote n’ont pu procéder à un contrôle réel des opérations;

L’électeur ne peut avoir la certitude de la concordance entre le vote souhaité et le message électronique inscrit sur la carte magnétique, le logiciel constituant un intermédiaire qui échappe à tout contrôle de l’électeur;

Le dépouillement est organisé et contrôlé par le Ministère de l’intérieur. Le contrôle exercé par un collège d’experts ne remédie pas à ce défaut d’indépendance de l’organe de dépouillement dans la mesure où le fonctionnement, les pouvoirs et l’organisation de ce collège sont affectés de nombreuses déficiences (impossibilité de contrôler effectivement tous les bureaux de vote, absence de pouvoir contre la fraude);

Les candidats et les témoins sont dans l’incapacité de vérifier les opérations de dépouillement ou de totalisation des votes puisqu’ils n’ont pas accès aux logiciels et doivent ainsi se contenter d’observer une imprimante inscrire les résultats d’opérations électroniques opaques;

L’atteinte à la liberté de vote puisque l’électeur doit choisir une liste sans pouvoir visualiser simultanément l’ensemble des candidats présents sur chaque liste;

L’absence de fiabilité et des erreurs liées à ce vote automatisé s’étant manifestées au cours des élections du 8 octobre 2000 par des divergences entre le nombre de cartes enregistrées dans l’urne de plusieurs bureaux et le nombre d’électeurs y ayant voté et des divergences entre le nombre de cartes magnétiques enregistrées et annulées dans plusieurs bureaux de vote.

3.2 L’auteur estime que la loi sur le vote automatisé mise en œuvre lors des élections communales du 8 octobre 2000 est contraire à l’article 25 b) du Pacte.

3.3 L’auteur déclare avoir épuisé les voies de recours internes et précise que l’affaire n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

4.1 Dans ses observations du 29 juillet 2002, l’État partie conteste la recevabilité de la communication.

4.2 En premier lieu, se référant à la jurisprudence du Comité , l’État partie estime que l’auteur n’a pas démontré sa qualité de victime. L’auteur formule des critiques générales et abstraites contre le système de vote automatisé sans démontrer de manière concrète qu’un tel système ait pu l’affecter directement et lui ait causé un préjudice personnel, soit en sa qualité de candidat aux élections communales dans la commune d’Ixelles, soit en sa qualité d’électeur de la même commune. L’État partie affirme qu’en tant que candidat, l’auteur n’a subi aucun préjudice, puisqu’il a été élu. En outre, selon l’État partie, l’auteur n’avance aucune allégation concrète de nature à démontrer que les prétendues irrégularités qu’il dénonce ont faussé, à son détriment ou au détriment du candidat pour lequel il a voté, le résultat des élections communales d’Ixelles.

4.3 En second lieu, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne les griefs tirés de prétendues divergences entre d’une part, le nombre de cartes enregistrées dans l’urne de plusieurs bureaux et le nombre d’électeurs y ayant voté et, d’autre part, le nombre de cartes magnétiques enregistrées et annulées dans plusieurs bureaux de vote. D’après l’État partie, le Collège juridictionnel de la région de Bruxelles ‑Capitale, juridiction administrative de première instance, compétente en matière de contentieux électoral communal, a décidé par jugement du 14 décembre 2000, que les griefs précités constituaient des moyens nouveaux invoqués après l’expiration du délai de 40 jours pour introduire une réclamation devant le Collège (art. 74, par. 1 de la loi électorale communale). En effet, ces moyens ne figuraient nullement dans la réclamation initiale et n’avaient été invoqués que plus tard dans les mémoires déposés les 8 et 11 décembre 2000. Considérant qu’il s’agissait de moyens nouveaux qui ne pouvaient être assimilés à de simples développements de moyens figurant dans la réclamation initiale, le collège a, dès lors, déclaré ces moyens irrecevables. En outre, selon l’État partie, par arrêt du 4 avril 2001, et au terme d’une motivation circonstanciée, le Conseil d’État, statuant en degré d’appel, a entièrement partagé ce point de vue et a conclu que «le moyen invoqué tardivement devant le Collège juridictionnel était irrecevable et le reste, en degré d’appel, devant le Conseil d’État».

4.4 Se fondant sur la jurisprudence du Comité , l’État partie considère que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes dans la mesure où il a omis d’épuiser de tels recours par suite de sa propre négligence, en omettant d’introduire les recours prévus en droit interne dans les délais requis.

4.5 En troisième lieu, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations. Se référant à la jurisprudence du Comité , l’État partie estime que l’auteur procède par de simples affirmations sans rapporter d’éléments de preuve concrets aux fins de la recevabilité.

4.6 Enfin, l’État partie fait observer que les griefs de l’auteur ont été soigneusement examinés par les juridictions nationales et que conformément à la jurisprudence du Comité , il appartient aux tribunaux d’appel des États parties et non au Comité d’évaluer les faits et les preuves dans une affaire donnée, et ce, à moins qu’il ne soit possible de prouver que les juridictions nationales ont été manifestement arbitraires.

4.7 L’État partie rappelle que le Conseil d’État a souligné, d’abord, de manière générale, que l’article 25 b) du Pacte ne prescrit, ni ne proscrit aucun système de vote particulier.

4.8 Eu égard aux griefs tirés du manque de transparence du système de vote automatisé, le Conseil d’État les conteste au motif notamment que le «code source» a été divulgué même si cette divulgation n’incluait pas les algorithmes de sécurité. De plus, il ne s’est pas avéré pour autant que la transparence assurée par la divulgation du «code source» ne serait pas suffisante.

4.9 Relativement au contrôle par l’électeur de son bulletin de vote, le Conseil d’État remarque − et l’auteur admet − que l’électeur peut vérifier son vote après avoir exprimé son choix et que les contrôles effectués par le collège d’experts ont démontré qu’il n’y avait pas de discordance entre l’affichage du vote émis et les informations portées sur la carte magnétique.

4.10 Concernant l’indépendance du collège d’experts, le Conseil d’État remarque que l’auteur reproche à ce collège d’être élu par des assemblées législatives. Le Conseil d’État souligne d’abord qu’à suivre ce raisonnement, il faudrait nécessairement mettre en doute l’indépendance et l’impartialité de tous les magistrats en Belgique, nommés par le Roi sur proposition du ministre compétent, et donc du «pouvoir en place». Le Conseil d’État constate ensuite qu’aucun élément concret de nature à démontrer le manque d’indépendance du collège n’est avancé. En revanche, le Conseil d’État rappelle que c’est suite aux observations critiques du collège dans son rapport sur les élections du 13 juin 1999 que des modifications ont été apportées à la loi du 11 avril 1994. Dans le rapport concernant les élections du 8 octobre 2000, le collège énumère les différentes améliorations apportées au système de vote automatisé, aussi bien en ce qui concerne les procédures et le matériel utilisés. Parmi ces améliorations, figure la possibilité pour l’électeur de vérifier lui-même le vote qu’il a émis.

4.11 Le Conseil d’État met ensuite en exergue le fait qu’avant les élections du 8 octobre 2000, le collège d’experts a procédé à des tests consistant à émettre des votes, à les visualiser et à comparer le résultat avec les votes émis et qu’il a constaté que les machines à voter affichent fidèlement le contenu du vote dans la mémoire de l’ordinateur. Le Conseil d’État a aussi pris en compte les contrôles effectués le jour des élections, et même après celles-ci, lors desquels il a été constaté que 1) les «exécutables» des logiciels étaient strictement identiques à ceux qui avaient été créés lors de la compilation de référence; 2) le lecteur des cartes magnétiques ne modifie pas le contenu des cartes qui sont dans l’urne et 3) qu’il est possible de procéder à un recomptage indépendant en visualisant une par une toutes les cartes des urnes d’une commune, et de compter les votes manuellement. De plus, le Conseil d’État souligne qu’un double recours peut être exercé devant la Députation permanente ou le Collège juridictionnel en première instance, puis devant le Conseil d’État en appel et que ces instances peuvent ordonner des mesures d’instruction. Ces juridictions statuent en pleine juridiction et leur intervention constitue donc une garantie supplémentaire.

4.12 Concernant le grief d’atteinte à la liberté de vote, le Conseil d’État répond, d’une part, que l’article 15 de la loi du 11 avril 1994 impose l’affichage de l’ensemble des listes de candidats dans chaque bureau de vote et dans chaque compartiment-isoloir et, d’autre part, que l’article 7 prescrit l’affichage, sur l’écran de visualisation, du numéro d’ordre et du sigle de toutes les listes de candidats, l’invitation à confirmer le vote émis et la possibilité de le recommencer tant qu’il n’est pas confirmé. De cela, il résulte que la liberté de vote n’est en rien entravée par le vote automatisé.

4.13 Eu égard au grief sur l’absence de fiabilité et des erreurs liées au vote automatisé, le Conseil d’État rejette le moyen car la juridiction de première instance n’a pas été régulièrement saisie.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1 Dans sa lettre du 26 septembre 2002, l’auteur conteste l’argumentation de l’État partie.

5.2 En premier lieu, il soutient être personnellement et directement victime du non-respect de l’article 25 d) du Pacte qui lui confère des droits subjectifs politiques et demande au Comité d’examiner la violation de ses droits à l’occasion de l’application de la loi du 11 avril 1994 sur le vote automatisé lors des élections communales du 8 octobre 2000. Selon l’auteur, les garanties de fond et de forme assortissant les droits garantis aux citoyens par le Pacte en matière électorale ne sont pas respectées par le système même de vote automatisé, et il serait dès lors abusif d’exiger la démonstration concrète d’irrégularités.

5.3 En second lieu, eu égard à l’épuisement des voies de recours internes, l’auteur confirme que les griefs de divergences, dans certains bureaux de vote, entre le nombre de cartes enregistrées et le nombre d’électeurs ayant voté, ainsi qu’entre le nombre de cartes validées par rapport aux cartes enregistrées et annulées ont effectivement été déclarés irrecevables pour une raison de procédure tirée de leur tardiveté. Cependant, selon l’auteur, ce point n’affecte pas la recevabilité de sa communication portant sur la violation de l’article 25 b) du Pacte par la loi sur le vote automatisé appliquée lors des élections communales du 8 octobre 2000.

5.4 En troisième lieu, l’auteur estime que ses allégations sont suffisamment étayées par une analyse rigoureuse, sérieuse et détaillée. D’après l’auteur, sa communication ne porte pas sur la réalité des faits ou des preuves − à savoir l’existence des élections, de la loi sur le vote automatisé et la manière dont elle fut appliquée − mais sur la compatibilité de la loi du 11 avril 1994 telle qu’elle existe et a été appliquée avec l’article 25 b) du Pacte. L’auteur précise ne pas avoir été convaincu par l’arrêt du Conseil d’État du 4 avril 2001, en particulier pour les motifs suivants: 1) Le Conseil d’État ne répond pas à la critique suivant laquelle il est matériellement impossible au collège d’experts de contrôler tous les bureaux de vote; 2) Le Conseil d’État se réfère aux constatations du collège d’experts en ce qui concerne la problématique de la vérification par l’électeur de la concordance de son vote alors qu’il a omis de répondre à la critique ci-dessus mentionnée; 3) l’auteur maintient le grief sur le manque de garanties d’indépendance du collège d’experts; 4) Le Conseil d’État ne répond pas à la question du contrôle du dépouillement par les candidats et leurs témoins.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Eu égard à l’épuisement des voies de recours internes, le Comité a pris note des arguments de l’État partie faisant valoir l’irrecevabilité des allégations de divergences entre, d’une part, le nombre de cartes enregistrées dans l’urne de plusieurs bureaux et le nombre d’électeurs y ayant voté et, d’autre part, le nombre de cartes magnétiques enregistrées et annulées dans plusieurs bureaux de vote dans la mesure où ces griefs n’avaient pas été soulevés auprès des juridictions nationales compétentes dans les délais fixés par la loi. Le Comité a également noté la confirmation par l’auteur de ces motifs d’irrecevabilité. Le Comité déclare, en conséquence, cette partie de la communication irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4 Relativement aux autres griefs ayant trait à l’absence de contrôle indépendant des opérations électorales et à l’atteinte à la liberté de vote résultant de la loi sur le vote automatisé, le Comité estime qu’à supposer même qu’il ait pu être une victime, l’auteur n’a apporté aucun élément de preuve à l’appui de sa plainte. Dès lors, le Comité considère cette partie de la plainte irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 et de l’article 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

AA. Communication n o 1088/2002, Veriter c. France * (Décision adoptée le 6 août 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par : Bernard Veriter

Au nom de : L’auteur

État partie : France

Date de la communication : 16 août 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 6 août 2003,

Adopte ce qui suit :

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est M. Bernard Veriter, citoyen français, né le 11 juillet 1946 en Belgique, résidant à Moulins les Metz (France). Il se déclare victime de violations par la France des articles 2 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 L’auteur a effectué son service militaire dans l’armée belge avant d’acquérir par mariage la nationalité française. Il a été recruté dans l’administration française à compter du 1 er janvier 1978 en tant qu’attaché de préfecture. Il a alors effectué des démarches (demande d’avis du 24 novembre 1982  auprès du Ministre de la fonction publique; requête du 11 juillet 1988 auprès du Ministre de l’intérieur) afin que sa période de service militaire soit prise en considération pour ses droits à l’avancement à l’ancienneté et ses droits à pension.

2.2 Les 18 novembre 1988 et 20 juillet 1989, l’auteur a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une requête tendant à l’annulation de la décision par laquelle le Ministre de l’intérieur a implicitement rejeté sa demande en ne répondant pas à sa lettre du 11 juillet 1988. Par jugement du 5 septembre 1991, le tribunal a rejeté ces requêtes. Il a notamment considéré que les règlements communautaires invoqués par l’auteur ne concernaient que les ressortissants d’un État travaillant dans un autre État, ce qui n’est pas le cas de M. B. Veriter, citoyen français travaillant en France. L’auteur a interjeté appel de ce jugement. Par arrêt du 15 juin 1994, le Conseil d’État a déclaré la requête irrecevable .

2.3 Suite à ce jugement, la Commission des Communautés européennes, saisie d’une plainte de l’auteur, a indiqué au Gouvernement français que le refus de validation de services était contraire à l’article 48, par. 4 du traité CEE relatif à l’égalité de traitement devant exister entre travailleurs des différents États membres, tel qu’interprété par la Cour de justice des Communautés européennes (aff. 15/69 UGLIOLA). Le Gouvernement français a alors admis qu’une modification des règles en vigueur, notamment de l’article L.63 du code du service national, devait être opérée.

2.4 Cette modification a résulté de la loi n o 96 ‑1043 du 16 décembre 1996 relative à l’emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d’ordre statutaire. Désormais, le nouvel article 5  ter de la loi n o 83 ‑634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, prévoit, s’agissant du temps de service militaire accompli dans un autre État membre que: «ce temps est retenu pour le calcul de l’ancienneté de service exigé pour l’avancement dans les fonctions publiques de l’État, territoriale et hospitalière».

2.5 Le 15 janvier 1997, l’auteur a présenté une nouvelle demande de prise en compte de la durée de son service national. Néanmoins, le 29 mai 1997, le préfet de la Moselle lui a notifié la décision de refus du Ministre de l’intérieur en date du 20 mai 1997, prise au motif que ce nouveau texte n’était pas en vigueur au moment de son recrutement.

2.6 Le 11 juillet 1997, l’auteur a, à nouveau, saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une requête tendant à l’annulation de cette décision.

2.7 En cours d’instance, le Ministre de l’intérieur est revenu sur sa décision et a accepté de prendre en considération la période de service militaire lors d’une promotion de l’auteur. Ainsi par arrêté du Ministre de l’intérieur du 16 mars 2001, ont été reconnus les 13 mois de service militaire de l’auteur au titre de l’ancienneté lors de sa promotion au sixième échelon du corps des attachés principaux de préfecture.

2.8 Par jugement du 6 juillet 2001, le tribunal administratif de Strasbourg a considéré que la non ‑prise en compte du service national de l’auteur au seul motif qu’il l’avait effectué en Belgique constituait une discrimination contraire aux prescriptions de l’article 48 du traité instituant la Communauté européenne et du règlement (CEE) n° 1612/68 du 15 octobre 1968, lesquels étaient déjà en vigueur à la date d’intégration du requérant dans la fonction publique française et étaient directement applicables par la France. Le tribunal a annulé la décision contestée du 20 mai 1997 ainsi que l’arrêté du 16 mars 2001 en tant qu’il ne prend en compte la période de service national de l’auteur que pour l’intervention de la prochaine promotion et non dès le début de sa carrière de fonctionnaire. Le tribunal a enjoint au Ministre de l’intérieur de procéder à la reconstitution de carrière de l’auteur dans les conditions ainsi définies.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur prétend être victime d’une discrimination fondée sur la nationalité au titre de l’article 2 du Pacte.

3.2 L’auteur se plaint, en outre, de la mauvaise administration de la justice dans le cas d’espèce dans la mesure où le tribunal administratif de Strasbourg est revenu sur son jugement du 5 septembre 1991 par son arrêt du 6 juillet 2001. L’auteur demande l’exécution de cet arrêt tout en estimant que celui ‑ci ne constitue pas une réparation au préjudice de discrimination subi pendant 22 ans.

3.3 L’auteur déclare avoir épuisé les voies de recours internes et précise que l’affaire n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

4.1 Dans ses observations du 13 novembre 2002, l’État partie conteste la recevabilité de la communication.

4.2 En premier lieu, il soutient que l’auteur ne peut plus justifier de sa qualité de victime d’une violation de l’article 2 du Pacte.

4.3 L’État partie rappelle que pour le Comité, à l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme, le requérant doit se prétendre personnellement et effectivement victime d’une violation de l’un des droits énoncés dans le Pacte et avoir un intérêt personnel à agir. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne, l’État partie soutient que la qualité de victime doit s’apprécier à tous les stades de la procédure. Le requérant peut ainsi perdre cette qualité en cours d’instance, notamment par suite d’une réparation suffisante, au plan interne, des conséquences de la violation alléguée. La Cour considère, en effet, qu’«une mesure d’une autorité publique n’enlève à pareille personne la qualité de victime que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention» (CEDH, arrêt Nsona du 28 novembre 1996). C’est ainsi que l’annulation, par une juridiction nationale, d’une mesure disciplinaire prise à l’encontre d’un professeur lui retire la qualité de victime dès lors que cette sanction est considérée comme n’ayant jamais existé, qu’elle est rétrospectivement privée d’effets (CEDH aff. Akkoc c. Turquie du 10 octobre 2000).

4.4 Dans le cas d’espèce, d’après l’État partie, force est de constater que l’auteur a saisi le Comité quelques jours après la notification du jugement du 6 juillet 2001, sans attendre que les services compétents du Ministre de l’intérieur aient pu matériellement prendre les mesures d’exécution qu’appelait ce jugement. Or, l’État partie explique que par un arrêté du Ministre de l’intérieur du 19 octobre 2001, soit deux mois seulement après la notification du jugement, la reconstitution de carrière de l’auteur a été effectuée dans le sens préconisé par le tribunal. Par ailleurs, la somme que l’État a été condamné à verser au titre des frais de procédure a été payée. L’État partie estime donc que l’auteur n’est plus victime d’une violation de l’article 2 du Pacte et que la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole.

4.5 En second lieu, selon l’État partie, l’auteur tente d’établir que la condition de recevabilité ci ‑dessus rappelée est remplie en soutenant que nonobstant le jugement du 6 juillet 2001, «le préjudice de discrimination subi pendant 22 ans n’est pas réparé». Or, l’État partie soutient qu’à supposer que, en dépit de la décision de reconstitution de carrière, l’intégralité du préjudice ne soit pas réparée, force serait alors de considérer que la communication n’obéit pas au principe d’épuisement des voies de recours internes. Il s’agit d’une condition classique de recevabilité qui concerne «au premier chef les recours juridictionnels» c’est ‑à ‑dire les recours disponibles et de nature à porter remède aux griefs , et devant présenter «une perspective raisonnable de succès» .

4.6 L’État partie affirme qu’en l’espèce, l’absence d’épuisement des voies de recours internes est d’autant plus évidente que l’auteur vient, à nouveau, de saisir le tribunal administratif de Strasbourg d’une requête tendant à l’indemnisation de ce préjudice. En effet, le jour même où il a saisi le Comité, soit le 16 août 2001, l’auteur a présenté au Ministre de l’intérieur une demande de versement d’une somme de 2 500 francs français, en réparation, semble ‑t ‑il, du préjudice moral subi du fait de l’illégalité des décisions de refus prises à son encontre. Aucune réponse expresse n’ayant été apportée à cette demande, l’auteur a présenté dès le 27 novembre 2001 une nouvelle requête au tribunal administratif de Strasbourg tendant à la condamnation de l’État français à lui verser la somme précitée, outre une somme de 400 francs français au titre des frais irrépétibles. Cette requête n’est pas encore en état d’être jugée, mais, selon l’État partie, elle présente des chances raisonnables de succès dès lors qu’en droit interne, toute illégalité entachant une décision administrative est fautive et donc susceptible d’engager la responsabilité de l’Administration (Conseil d’État 26 janvier 1973 Driancourt Rec. p.77). Toujours est ‑il que les juridictions internes n’ayant pas pu encore statuer sur cette requête, l’absence d’épuisement des voies de recours internes ne fait aucun doute. En tout état de cause, selon l’État partie, à supposer que l’auteur persiste à considérer que l’Administration n’a pas tiré toutes les conséquences du jugement du 6 juillet 2001 et n’a pas correctement reconstitué sa carrière, il lui appartient de saisir à nouveau le tribunal administratif de Strasbourg d’une demande d’annulation de l’arrêté précité du 19 octobre 2001. Or, à la connaissance de l’État partie, l’auteur ne l’a pas fait. La communication est donc irrecevable en application des articles 2 et 5, par. 2 b) du Protocole.

4.7 En troisième lieu, selon l’État partie, le grief d’une mauvaise administration de la justice − du fait que s’agissant de la même question, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la requête de l’auteur, mais 10 ans plus tard, lui a donné satisfaction sur le fondement des mêmes textes communautaires − est incompatible avec l’article 14 du Pacte. Cet article ne prévoit nullement un droit à l’absence d’erreur de droit susceptible d’être commise par un juge.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1 Dans ses commentaires du 10 décembre 2002, l’auteur affirme que sa qualité de victime existe toujours dans la mesure où sa reconstitution de carrière, d’une part, ne prend pas en compte les intérêts pour les retards accumulés depuis 20 ans, et d’autre part, ne répare pas le préjudice d’une si longue discrimination. Il indique également que les délais raisonnables semblent déjà dépassés depuis son premier recours contre la discrimination à son encontre, sans qu’il lui soit nécessaire d’attendre davantage.

5.2 Eu égard au grief de violation de l’article 14 du Pacte, l’auteur met en cause la partialité du Conseil d’État ayant déclaré sa requête irrecevable, alors qu’aucune des parties n’a soulevé cet élément, et que la requête a été par deux fois jugée recevable par le tribunal administratif. Enfin, d’après l’auteur, la mise en cause du tribunal administratif et du Conseil d’État est très difficile à mettre en œuvre en l’absence d’une faute qualifiée lourde.

Délibérations du Comité sur la recevabilité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 Eu égard au grief de violation de l’article 2 du Pacte, le Comité prend note des arguments de l’État partie faisant valoir la perte de la qualité de victime de l’auteur dans la mesure où le jugement du 6 juillet 2001 du tribunal administratif de Strasbourg a été exécuté par l’arrêté du Ministre de l’intérieur en date du 19 octobre 2001 portant à la fois reconstitution de carrière par validation du service national et règlement des frais de procédure. Le Comité a également noté l’argument de l’auteur contestant la conclusion de l’État partie au motif que le préjudice de discrimination n’a pas été réparé. Le Comité considère que le grief de discrimination et la question de la réparation constituent deux éléments distincts de la plainte. Or, le Comité constate, en premier lieu, que la plainte de discrimination a été tranchée par le jugement du 6 juillet 2001 dont l’auteur demandait l’exécution, ce que l’État partie a entrepris par l’arrêté du 19 octobre 2001. En outre, toute contestation de l’auteur quant à cet arrêté supposerait un recours auprès du tribunal administratif de Strasbourg. En second lieu, le Comité constate que la réparation du préjudice de discrimination fait l’objet d’un recours que l’auteur a introduit le 27 novembre 2001 auprès du tribunal administratif de Strasbourg et qui reste en cours d’examen. Finalement, le Comité considère que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes afin d’établir la recevabilité du grief de violation de l’article 2 du Pacte. Ceci est sans préjudice quant à la question de savoir si l’article 2 est capable par lui ‑même d’être violé indépendamment d’une autre disposition du Pacte ou si la plainte aurait dû être faite au titre de l’article 26 plutôt que l’article 2 du Pacte.

6.4 Concernant le grief tiré d’une violation de l’article 14 du Pacte, le Comité a pris note des arguments de l’État partie soutenant l’incompatibilité ratione materiae des éléments de la plainte avec les dispositions du Pacte. Le Comité a également noté l’argumentation de l’auteur relative, d’une part, à une mauvaise administration de la justice par le tribunal administratif et le Conseil d’État, et d’autre part, aux difficultés à introduire des recours à leur encontre. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il appartient généralement aux tribunaux nationaux d’examiner les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit manifeste que leur appréciation a été arbitraire ou qu’elle équivaut à un déni de justice. Le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte de mauvaise administration de la justice. Le Comité considère également que, nonobstant les doutes que l’auteur pouvait avoir quant à l’efficacité des recours, il lui appartenait d’exercer tous les recours disponibles. Finalement, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

BB. Communication n o  1091/2002, Perera c. Sri Lanka *

(Décision adoptée le 7 août 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par : M. Wannakuwate Perera

Au nom de : L’auteur

État partie : Sri Lanka

Date de la communication : 18 avril 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 7 août 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1 L’auteur de la communication, datée du 18 avril 2002, est M. Wannakuwatte Perera, citoyen sri ‑lankais né le 30 octobre 1938. Il affirme être victime de violations du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte par la République socialiste démocratique de Sri Lanka. Il n’est pas représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur à Sri Lanka le 3 octobre 1997.

1.2 Le 17 octobre 2002, le Rapporteur spécial du Comité pour les nouvelles communications a décidé d’examiner séparément la recevabilité et le fond de la communication.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Alors qu’il exerçait les fonctions d’administrateur principal adjoint de la Banque populaire (banque d’État de Sri Lanka), l’auteur a été «suspendu» par son employeur au motif qu’il aurait trompé le bureau régional de la banque en approuvant l’octroi de facilités à un client. Selon lui, la banque en tant que telle n’a subi aucune perte dans cette transaction, et les accusations, qui reposaient sur des hypothèses et étaient empreintes de partialité, visaient à couvrir certaines fautes professionnelles commises par deux cadres supérieurs directement impliqués dans l’octroi des facilités au client.

2.2 Après une enquête interne, l’auteur a été licencié le 2 mars 1987, sans aucune possibilité de faire appel à des témoignages en sa faveur. En 1988, n’ayant pu obtenir réparation auprès du tribunal du travail, il a saisi la Haute Cour.

2.3 Le 13 février 1998, la Haute Cour a jugé que l’auteur avait été abusivement licencié et a ordonné le versement de 474 941,60 roupies à titre d’indemnisation et de frais de justice, en lieu et place de la réintégration de l’intéressé puisque celui ‑ci avait à l’époque déjà atteint l’âge de la retraite, soit 55 ans. L’auteur a formé un recours devant la Cour suprême, au motif que le montant de la réparation accordé par la Haute Cour était insuffisant, en particulier parce que les augmentations de salaire qu’il aurait perçues s’il n’avait pas été licencié n’avaient pas été prises en compte. Son employeur a interjeté un appel incident devant la Cour suprême, pour contester la décision de la Haute Cour qui avait considéré le licenciement abusif.

2.4 Le 22 mars 2000, le Président de la Cour suprême, assisté de deux autres juges de la Cour, a examiné les différentes conclusions des parties et aurait fait observer qu’il ne valait pas la peine de lire un aussi volumineux dossier portant sur une affaire somme toute «mineure». Il aurait poursuivi en déclarant que l’auteur avait subi une forme d’injustice et proposé «une certaine indemnisation». Le conseil de l’auteur a objecté que le montant des dommages ‑intérêts fixé dans le jugement de la Haute Cour était insuffisant et plaidé pour que l’affaire soit examinée et jugée. Malgré cela, le Président de la Cour suprême a conseillé aux avocats des parties de parvenir à un accord et a ajourné l’examen de l’affaire.

2.5 Le 9 mai 2000, quand l’affaire est revenue pour la deuxième fois devant la Cour suprême, le Président n’a pas autorisé le conseil de l’auteur à plaider, bien que la plaidoirie ait été prévue pour cette date, et a menacé de rejeter l’affaire si aucun accord n’était conclu à une date ultérieure, qui a été fixée au 12 septembre 2000. Il aurait déclaré que l’affaire ne devait être soumise à personne d’autre que lui.

2.6 Le 12 septembre 2000, le conseil de l’employeur a accepté de verser à l’auteur une indemnisation d’un montant de 469 941,60 roupies (environ 4 690 dollars des États-Unis). La Cour suprême a alors rejeté le même jour les deux recours, sans frais de justice, et ce malgré les objections qu’aurait soulevées le conseil de l’auteur afin que les droits à pension de son client soient dûment mentionnés. Depuis lors, l’auteur affirme que son employeur aurait abusivement refusé de reconnaître ses droits à pension.

2.7 L’auteur a adressé un recours au Président de Sri Lanka, mais n’a reçu aucune réponse.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, du fait qu’il s’est vu refuser le droit à un procès équitable par la Cour suprême et que celle ‑ci, lorsqu’elle a examiné son affaire, n’a pas agi comme un tribunal indépendant et impartial, le contraignant à accepter toute décision qu’elle prendrait.

3.2 L’auteur prétend que ni lui ni son conseil n’ont eu d’autre possibilité que d’accepter passivement l’arrêt de la Cour suprême. Il affirme que même l’intervention de son avocat principal tendant à ce que ses droits à pension soient consignés n’a rencontré aucun écho.

3.3 En outre, l’auteur considère que, quand bien même l’arrêt de la Cour suprême n’a pas d’effet sur ses droits à pension, son ancien employeur n’a tenu aucun compte de ses demandes répétées d’être admis au bénéfice de ces prestations en vertu dudit arrêt, au motif que la Cour n’y a pas consigné les droits en question.

3.4 En conséquence, l’auteur prie le Comité de déclarer qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable et qu’il a ainsi été privé de ses droits au versement d’une pension et d’autres prestations par son ancien employeur. Il le prie en outre de demander le versement d’une indemnisation d’un montant correspondant à celui des pertes réellement subies, tenant compte de l’évolution qu’aurait suivie sa carrière.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité de la communication

4.1 Dans ses observations en date du 10 octobre 2002, l’État partie affirme que la communication est irrecevable, d’une part parce qu’elle ne fait pas apparaître de violation des droits de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et d’autre part parce que les recours internes concernant les autres griefs n’ont pas été épuisés.

4.2 S’agissant de la plainte relative au paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie constate que l’arrêt de la Cour suprême constitue le résultat d’un accord entre les parties, à savoir l’auteur et la Banque populaire. Les deux parties étaient représentées par des conseils qui ont contracté cet accord devant la Cour au nom de leurs clients respectifs. L’auteur était d’ailleurs représenté par un avocat très expérimenté du barreau local exerçant depuis plus de 30 ans. L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pu fournir au Comité aucun élément indiquant que son conseil n’avait pas effectivement accepté l’accord ou qu’il l’avait fait sous la contrainte ou la menace. Dans ces conditions, l’affirmation de l’auteur, selon laquelle le consentement donné en son nom pour l’accord évoqué dans l’arrêt de la Cour ne dépendait pas de sa volonté, n’est pas étayée. Les circonstances montrent à l’inverse que l’auteur a toujours acquiescé et consenti à l’accord contracté devant la Cour.

4.3 Par ailleurs, l’État partie note que l’unique argument invoqué par l’auteur pour appuyer l’affirmation selon laquelle il n’a pas bénéficié d’un procès équitable devant la Cour suprême est le comportement du Président de cette dernière. Il constate toutefois que l’arrêt traduit une décision collective de la Cour et non pas l’opinion individuelle de son Président. De fait, cette décision a été prise à l’unanimité par le collège des trois juges qui ont entendu l’affaire. L’auteur ne s’est pas plaint de l’attitude des deux autres juges ayant pris part aux délibérations et rendu l’arrêt, alors que ces juges jouissent au regard de la Constitution d’un pouvoir égal à celui du Président dans la conduite des procédures judiciaires. En conséquence, l’affirmation selon laquelle l’auteur n’a pas bénéficié d’un procès équitable est absurde et sans fondement.

4.4 L’État partie fait observer, en tout état de cause, que s’il avait été insatisfait du comportement du Président de la Cour ou de tout autre juge, l’auteur se serait opposé, oralement ou par écrit, à ce que le juge en question continue de participer à la procédure. Dans le cas d’espèce, l’auteur n’a pas exercé ce droit, alors qu’il en avait la possibilité, ce qui ne fait que renforcer l’argument selon lequel il a acquiescé et consenti à la décision de la Cour suprême.

4.5 L’État partie note que les autres griefs reposent sur l’affirmation que la décision de la Cour suprême a eu un effet préjudiciable sur les droits à pension de l’auteur. Cependant, comme le confirment les décisions de la Haute Cour et de la Cour suprême, ces droits n’ont à aucun moment fait partie des affaires examinées par le tribunal du travail et les autres juridictions. Les juridictions concernées avaient à se prononcer sur le fait de savoir si le licenciement de l’auteur était ou non justifié. Elles n’auraient donc pas été en mesure de rendre une décision concernant les droits à pension et, de fait, l’auteur reconnaît lui ‑même que l’arrêt de la Cour suprême ne mentionnait aucunement ces droits.

4.6 L’État partie fait observer par ailleurs que la question des droits à pension est régie par la loi et que la Constitution et la législation prévoient plusieurs possibilités de recours pour faire valoir ces droits lorsque la partie tenue de verser les prestations correspondantes ne respecte pas ses obligations. Ainsi, l’auteur aurait pu demander un recours exceptionnel, par voie d’injonction de la Cour d’appel, au titre de l’article 140 de la Constitution, ou invoquer la compétence de la Cour suprême relative aux droits fondamentaux, au titre de l’article 126 de la Constitution. Il n’a formé aucun de ces recours alors même qu’il avait tout loisir de le faire. Il n’a donc pas épuisé tous les recours internes disponibles comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1 Dans sa lettre datée du 3 décembre 2002, l’auteur a contesté les observations de l’État partie, rappelant que le Président de la Cour suprême avait menacé de rejeter l’affaire si les parties ne parvenaient pas à s’entendre et ordonné que l’affaire ne soit examinée par personne d’autre que lui à l’audience suivante. Il affirme que son conseil n’a pas eu d’autre possibilité que de se soumettre à la volonté du Président, lequel est l’autorité judiciaire statuant en dernier ressort dans le système juridique de l’État.

5.2 À ce propos, l’auteur déclare que le traitement arbitraire et partisan de certaines affaires judiciaires a fait l’objet d’investigations par diverses organisations internationales, dont l’Association internationale du barreau qui a dépêché une mission à Sri Lanka «pour établir les circonstances entourant l’appel à un référendum sur la Constitution, apprécier la valeur constitutionnelle d’une telle mesure et ses effets sur la primauté du droit, à la lumière des récentes tentatives visant à radier le Président de la Cour suprême en tant qu’avocat (…)» . L’auteur renvoie également à une motion de mise en accusation dudit Président, déposée devant le Président du Parlement le 6 juin 2001, au sujet d’autres affaires dans lesquelles le Président de la Cour suprême aurait abusé de son autorité. Selon l’auteur, tout tend à démontrer que l’attitude de l’intéressé a créé une situation dans laquelle les plaideurs, les avocats et les juges, tous placés sous son autorité, étaient contraints d’obtempérer. Compte tenu de ces circonstances, l’auteur affirme s’être retrouvé désarmé en tant que plaideur, et dépourvu de tout recours.

5.3 S’agissant de ses droits à pension, l’auteur renvoie au courrier dans lequel son ancien employeur interprète l’arrêt de la Cour comme définitif sur cette question. Dans une lettre datée du 31 mars 2001, l’intéressé a indiqué qu’il ne communiquerait plus avec l’auteur au sujet des «divers paiements, y compris les indemnités de licenciement» réclamés, car la Cour suprême avait statué sur cette demande. L’auteur considère qu’une telle situation ne se serait pas produite si, comme l’avait demandé son conseil à l’audience, le Président de la Cour avait consigné que l’accord, même imposé à l’auteur, n’aurait pas d’effet sur ses droits à pension.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3 En ce qui concerne la plainte concernant le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité note que l’arrêt de la Cour suprême en date du 12 septembre 2000 a été rendu par trois juges. À son avis, les accusations de comportement inapproprié concernant l’administration de la justice dans d’autres affaires qui ont été portées contre le Président de la Cour dans la notification de résolution parlementaire n’étayent pas les griefs selon lesquels le fait que le Président a encouragé les conseils des deux parties à conclure un accord à l’amiable sur le montant des dommages ‑intérêts sort du cadre d’une gestion appropriée de ses ressources judiciaires par une juridiction supérieure, en violation des dispositions du paragraphe 1 de l’article 14. Le Comité constate, dans ce contexte, que le conseil n’a pas expressément contesté la façon dont la Cour a décidé oralement de statuer sur l’affaire, et que, en substance, le jugement de la Haute Cour donnant gain de cause à l’auteur a presque entièrement été confirmé par la juridiction d’appel. En conséquence, le Comité considère que cette plainte n’a pas été étayée aux fins de la recevabilité et qu’elle est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4 Quant aux griefs relatifs aux droits à pension, le Comité note que la question de ces droits n’a à aucun moment été examinée par les tribunaux nationaux, qui devaient se prononcer sur la légalité du licenciement de l’auteur et apprécier le dommage en résultant, et en particulier que l’arrêt de la Cour suprême daté du 12 septembre 2000 ne traite pas cette question. À supposer que l’ancien employeur de l’auteur refuse de lui reconnaître ses droits légitimes au versement d’une pension, le Comité constate que l’auteur dispose de toute une série de recours internes lui permettant de faire valoir ses droits. Ces griefs sont donc irrecevables en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, au motif du non ‑épuisement des recours internes.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

CC. Communication n o  1114/2002, Kavanagh c. Irlande * (Décision adoptée le 25 octobre 2002, soixante ‑seizième session)

Présentée par :

M. Joseph Kavanagh (représenté par M. Michael Farrell)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Irlande

Date de la communication :

8 juillet 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2002,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 8 juillet 2002, est Joseph Kavanagh, citoyen irlandais, né le 27 novembre 1957. Il est actuellement incarcéré à la prison de Mountjoy (Dublin). Il affirme être victime de violations par la République d’Irlande du paragraphe 3 a) et b) de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 4 avril 2001, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au sujet de la communication 819/1998, concluant que le droit de l’auteur à l’égalité devant la loi, qui est garanti à l’article 26 du Pacte, avait été violé puisque le Procureur général l’avait déféré devant un tribunal pénal spécial sans justifier le choix d’une telle juridiction dans le cas de l’auteur . Le Comité a fait observer dans ses constatations que l’auteur avait droit à un «recours utile» . L’État partie était «également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir; «il devait» assurer que nul ne soit renvoyé devant le Tribunal pénal spécial si la décision à cet effet n’est pas justifiée par des motifs objectifs et raisonnables dont l’intéressé a été informé» .

2.2 Le 28 avril 2001, après avoir reçu les constatations du Comité, le conseil a écrit au Ministre de la justice, de l’égalité et de la réforme juridique demandant la libération de l’auteur et indiquant qu’à défaut de cela une action en justice serait intentée pour faire valoir ses droits. Il a été officiellement accusé réception de la lettre du conseil le 30 avril 2001 . Comme, selon la pratique irlandaise, les requêtes visant à contester la détention d’une personne sont déposées le plus tôt possible, le 3 mai 2001, l’auteur a adressé une requête ex parte à la Haute Cour. Dans cette requête, il demandait l’annulation de sa condamnation, la reconnaissance de l’incompatibilité du paragraphe 2 de l’article 47 de la loi sur les atteintes à la sûreté de l’État ( Offences Against the State Act ) de 1939 avec le Pacte et la Constitution, sa libération sous caution en attendant l’issue de la procédure, le paiement de dommages et d’autres indemnités et de frais. La requête était fondée sur les constatations du Comité et l’affirmation selon laquelle le Gouvernement était tenu en vertu de la Constitution et du principe de la confiance légitime de donner suite à ces constatations.

2.3 Les 20 et 21 juin 2001, la demande d’autorisation de faire appel de l’auteur a été examinée par la Haute Cour; l’État s’est opposé à l’octroi de l’autorisation. L’avocat de l’auteur a fait valoir que même si le Pacte n’était pas expressément incorporé à la législation irlandaise et n’était pas donc devenu directement opposable au niveau local, ses dispositions et/ou ses principes faisaient désormais partie du droit international coutumier et étaient à ce titre obligatoires. Il a également affirmé que le fait que l’État partie ait ratifié le Pacte et le Protocole facultatif faisait que l’on pouvait légitimement s’attendre à ce qu’il s’y conforme et applique les constatations adoptées par le Comité dans les affaires. Il y a lieu de noter que l’État partie a réclamé le paiement des dépens par l’auteur; de son côté, l’auteur a demandé que lui soient remboursés les frais encourus pour soulever (pour la première fois) une question revêtant une importance considérable pour le public.

2.4 Le 29 juin 2001, la Haute Cour a refusé d’accorder l’autorisation demandée, estimant que l’auteur n’avait pas présenté d’arguments défendables. En l’absence d’une incorporation directe, le Pacte ne pouvait être appliqué dans l’ordre juridique interne que par le biais du paragraphe 3 de l’article 29 de la Constitution irlandaise . Toutefois, la Cour a jugé que, même en admettant, aux fins de la discussion, que le Pacte où ses principes étaient devenus «des principes universellement reconnus du droit international» applicables par les tribunaux, les seuls droits conférés ne se rapportaient qu’aux relations entre États et ne concernaient pas des personnes telles que l’auteur. La Haute Cour n’a pris aucune décision quant aux dépens, en sorte que l’auteur a dû assumer ses propres frais.

2.5 Dès que la décision de la Haute Cour a été rendue publique, le 16 juillet 2001, l’auteur a interjeté appel auprès de la Cour suprême. Son recours n’a été examiné que le 13 décembre 2001 bien que des demandes aient été faites pour que la procédure soit accélérée puisque l’auteur était en détention. L’État s’est de nouveau opposé au recours de l’auteur. L’État a réclamé le paiement des frais par l’auteur qui, de son côté, a encore une fois demandé le remboursement de ses frais pour avoir soulevé une question d’intérêt public. Le 1 er  mars 2002, la Cour suprême composée de cinq juges, y compris le Président de la Cour, a rejeté le recours de l’auteur contre le refus de la Haute Cour de l’autoriser à faire appel, estimant qu’il n’avait pas présenté d’arguments défendables. La Cour a statué qu’il n’était possible de donner effet en droit irlandais ni au Pacte ni aux constatations du Comité. Elle a estimé que les constatations du Comité ne pouvaient avoir la primauté sur les dispositions de la loi sur les atteintes à la sûreté de l’État ou sur une condamnation prononcée par un tribunal établi en application de cette loi. La Cour n’a pris aucune décision au sujet des dépens en sorte que l’auteur a dû prendre en charge ses propres frais.

2.6 Le 8 août 2001 (trois mois et 10 jours après avoir reçu les constatations du Comité), le Ministre de la justice, de l’égalité et de la réforme juridique a offert à l’auteur 1 000 livres en reconnaissance des constatations du Comité sans préciser si cette somme constituait une indemnité, une contribution aux frais de justice ou était destinée à d’autres fins. Le Ministre n’a pas non plus indiqué quelle mesure avait été prise pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

2.7 Peu de temps après, l’auteur a reçu du secrétariat du Comité une copie de la réponse de l’État partie aux constatations formulées par le Comité dans la communication initiale. L’État partie y informait le Comité de la somme proposée à l’auteur et lui faisait tenir une copie partielle d’un rapport intérimaire établi par une commission que le Gouvernement avait par ailleurs créé aux fins d’examiner les lois sur les atteintes à la sûreté de l’État de 1939 à 1998.

2.8 Le 22 août 2001, l’auteur a retourné au Ministre le chèque qui lui avait été envoyé, estimant qu’il était totalement inadéquat et ne constituait en aucune manière une réparation effective. Il a indiqué que la réparation la plus appropriée consisterait à annuler le verdict et à ordonner un nouveau procès devant des tribunaux ordinaires mais que, l’auteur ayant exécuté l’essentiel de sa peine, il devrait être libéré. Sous couvert d’une lettre datée du 24 août 2001, le Ministre a accusé réception de la lettre de l’auteur et a refusé la réparation suggérée. Il n’a été fait état d’aucune autre communication du Ministre. La question du chèque n’a pas été soulevée au cours de la procédure devant les tribunaux.

2.9 Sous couvert d’une lettre datée du 5 octobre 2001 (faisant suite à une lettre datée du 22 août 2001), l’auteur a répondu à la lettre contenant la réponse de l’État partie aux constatations du Comité, précisant les raisons pour lesquelles il estimait que la réparation proposée n’était ni adéquate ni utile. Il a fait valoir qu’une violation des droits consacrés par le Pacte devait être traitée de la même manière que des violations des droits fondamentaux garantis par la Constitution. Les tribunaux irlandais avaient veillé par le passé à empêcher des violations de ces droits entraînant des condamnations et avaient, en conséquence, annulé des condamnations et ordonné le paiement de sommes importantes en guise d’indemnisation. L’auteur a également fait parvenir au Comité une opinion dissidente (que l’État partie n’avait pas soumise au Comité) du Président et de deux membres de la Commission chargée d’examiner la législation en cause dans laquelle ces derniers estimaient qu’aucun amendement aux lois en question ne pouvait réparer la violation du Pacte constatée par le Comité dans l’application de ladite législation. En tout état de cause, l’auteur fait savoir qu’aucune décision n’a été annoncée en ce qui concerne les pouvoirs du Procureur général, qui continue de renvoyer des affaires devant le Tribunal pénal spécial sans donner de justification.

2.10. L’auteur note que durant la procédure, l’État partie n’a pris aucune mesure pour lui assurer une quelconque réparation. Il affirme qu’avec le rejet de son appel par la Cour suprême, tous les recours internes ont été épuisés.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme qu’il a été victime d’une violation du paragraphe 3 a) de l’article 2 en ce sens que l’État partie ne lui a pas fourni de recours utile pour la violation déjà constatée par le Comité − de l’article 26 du Pacte − dont les effets persistent. Il se réfère à une série d’affaires dans lesquelles le Comité avait conclu à l’existence d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 assortie d’une violation d’une disposition de fond du Pacte du fait que le système juridique concerné n’avait pas assuré un recours utile pour ladite violation . Il estime aussi que les déclarations du Comité selon lesquelles l’article 2 ne pouvait être invoqué en l’absence d’une violation touchant une disposition de fond ne s’appliquaient pas à son affaire, dès lors qu’une violation de ce type s’était déjà produite et avait été constatée par le Comité.

3.2 L’auteur dénonce en outre une violation du paragraphe 3 b) de l’article 2 du fait qu’on ne lui a pas assuré la possibilité de faire déterminer par les autorités compétentes s’il avait droit à un recours et que l’on n’a pas créé de possibilités de recours juridictionnel dans des affaires telles que la sienne. Il n’existe pas en droit irlandais de mécanisme dont pourrait se prévaloir une personne se trouvant dans la situation de l’auteur. Il n’y a aucune procédure pour faire au Ministre des propositions sur ce qui pourrait constituer un recours utile ou pour contester une décision du Ministre ou en obtenir un examen indépendant. L’indemnité de 1 000 livres qui a été proposée à l’auteur ne couvre même pas les frais concernant la communication et la procédure d’examen judiciaire ultérieure. L’auteur affirme que la possibilité de s’adresser au Ministre pour une réparation à titre gracieux discrétionnaire ne satisfait pas aux dispositions du paragraphe 3 b) de l’article 2, si par «autorité compétente», on entend, entre autres, une autorité agissant conformément à des procédures clairement établies, équitables et impartiales et soumise à ces procédures.

3.3 L’auteur note en outre qu’au lieu d’instituer des recours judiciaires, les tribunaux de l’État partie ont jugé que les arguments présentés par l’auteur à l’appui de sa requête pour obtenir réparation face à une violation établie du Pacte n’étaient même pas défendables au regard du droit irlandais. L’auteur note que l’État partie n’a pas changé sa législation pour que les tribunaux puissent donner effet aux constatations du Comité et assurer un recours utile. Au contraire, le Gouvernement s’est opposé aux requêtes présentées par l’auteur aux tribunaux à tous les niveaux et cherche à présent à lui faire payer les dépens. La décision de la Cour suprême selon laquelle le Pacte ne pouvait avoir la primauté sur des condamnations prononcées en application de la loi sur les atteintes à la sûreté de l’État signifie qu’il n’y a pas de recours utile contre la violation en question et ses effets persistants.

3.4. L’auteur affirme également que l’État partie a de nouveau violé ou continue de violer l’article 26 tant pris séparément que considéré en même temps que l’article 2 étant donné que les effets (emprisonnement à la suite d’une condamnation) de la décision irréfléchie et injustifiée de le juger devant le Tribunal pénal spécial persistent. Sa condamnation n’a pas été annulée et il n’a obtenu aucun recours. L’auteur se réfère à l’affaire Pauger  c. Autriche (n o 2) dans laquelle le Comité a conclu à l’existence d’une violation répétée de l’article 26 découlant essentiellement des mêmes faits que ceux qu’il avait considérés comme constituant une discrimination dans la première affaire.

Délibérations du Comité

4.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, établir si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2 En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle il est victime d’une violation des articles 2 et 26 du Pacte en raison de la non ‑fourniture par l’État partie d’un recours utile, le Comité note que cette allégation n’est fondée sur aucun élément factuel nouveau concernant les droits de l’auteur en vertu du Pacte, autre que la demande effectuée par celui ‑ci et restée jusqu’à présent sans effet, visant à obtenir un recours qu’il considérerait utile s’agissant d’une violation du Pacte déjà établie par le Comité. Dans ces conditions, il considère que l’auteur n’est pas fondé à faire d’autres allégations en vertu du Pacte qui iraient au ‑delà de ce que le Comité a déjà décidé dans la communication initiale que lui avait présentée l’auteur. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu des articles 1 er et 2 du Protocole facultatif.

4.3 Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle l’État partie continue de faire comparaître des personnes devant le Tribunal pénal spécial en violation de l’article 26 sans donner de justification, le Comité note que cette allégation relève d’une action publique dès lors qu’elle se réfère à d’autres mesures prises par l’État partie vis ‑à ‑vis de tiers plutôt qu’à l’égard de l’auteur lui ‑même, l’auteur n’étant pas personnellement victime des nouvelles violations présumées du Pacte dont il se plaint; cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

5. En conséquence, le Comité décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1 er et 2 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Notes

DD. Communication n o  1142/2002, Van Grinsven c. Pays ‑Bas * (Décision adoptée le 27 mars 2003, soixante ‑dix ‑septième session)

Présentée par :

M. A.J. v. G .

Au nom de :

L’auteur et ses deux enfants

État partie :

Pays ‑Bas

Date de la communication :

21 novembre 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 mars 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication, datée du 21 novembre 2002, est A.J. v. G., ayant la double nationalité néerlandaise et américaine, né en 1961, qui présente la plainte en son nom et au nom de ses deux enfants. Il se déclare victime de violations par les Pays ‑Bas des articles 7, 8, 14, paragraphes 1, 2, 3 a), b), c), d) et g), et 5, 15, 17, 23, paragraphe 1, 24, paragraphe 1, et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits

2.1 L’auteur dit que sa femme aurait tenté de tuer leurs deux enfants en juin 1998. Les enfants ont ensuite été confiés à sa seule garde et sa femme a dû suivre un traitement psychiatrique. L’auteur a demandé le divorce en décembre 1998.

2.2 En juillet 1999, le tribunal (Rechtbank) de Bois ‑le ‑Duc (s’ Hertogenbosch) a accordé la garde conjointe aux parents, tout en décidant que les enfants devaient vivre avec leur mère. Toutefois, lorsque la mère est venue chercher les enfants au domicile de l’auteur en août, celui ‑ci l’a tuée. L’auteur affirme avoir tué sa femme pour protéger les enfants de leur mère. Le 12 septembre 2001, l’auteur a été reconnu coupable du meurtre de sa femme par la cour d’appel (Gerechtshof’s-Hertogenbosch). Il a été condamné à six ans d’emprisonnement.

2.3 Le 13 mars 2000, le tribunal de première instance (Rechtbank’s-Hertogenbosch) a décidé de retirer la garde au père et la demande introduite par l’auteur en vue d’obtenir le droit de visite et de contact téléphonique avec ses enfants a été rejetée. Le 12 juillet 2000, la cour d’appel (Gerechtshof’s-Hertogenbosch) a ordonné un nouvel examen de la situation et des besoins des enfants. Puis, dans son arrêt du 2 janvier 2002, elle a confirmé la décision de la juridiction inférieure selon laquelle il était dans l’intérêt des enfants de ne pas voir leur père et de ne pas lui parler au téléphone. Le 12 février 2002, son avocat a indiqué de façon détaillée à l’auteur pourquoi un pourvoi en cassation n’avait aucune chance d’aboutir. Il lui a expliqué que comme sa plainte ne reposait que sur l’appréciation par la cour des faits et des éléments de preuve, il n’existait plus de possibilité de recours.

2.4 Le 4 septembre 2002, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré la requête de l’auteur irrecevable au motif qu’elle ne faisait apparaître aucune violation des articles de la Convention européenne des droits de l’homme.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme avoir été soumis avec ses enfants à une torture psychologique et à un traitement cruel, inhumain et dégradant, par le retrait de son droit de garde, le refus de le laisser voir ses enfants et leur parler et la censure de son courrier entre le 15 août 1999 et le 15 janvier 2002, en violation de l’article 7 du Pacte.

3.2 L’auteur affirme avoir été tenu, avec ses enfants, sous la servitude de l’État, en violation de l’article 8 du Pacte.

3.3 L’auteur affirme également que lui ‑même et ses enfants n’ont pas bénéficié de l’égalité de traitement devant les tribunaux et que la procédure relative à la garde n’a pas été équitable, puisque le tribunal des affaires familiales siégeait à juge unique à l’audience du 13 mars 2000, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.4 L’auteur affirme qu’il a tué sa femme uniquement pour protéger ses enfants et que par conséquent il n’aurait pas dû être condamné, cette condamnation constituant une violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

3.5 L’auteur affirme qu’il n’a pas été informé des charges retenues contre lui dans l’affaire concernant la garde et n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense parce que le chef d’accusation a été modifié sans préavis, que la procédure relative à la garde s’est prolongée indûment entre la première demande d’audience, le 29 septembre 1999, et le prononcé du jugement, le 2 janvier 2002, et que sa défense devant la cour n’a pas été prise en considération, qu’il a été contraint de renoncer à ses droits parentaux et, enfin, qu’il n’a pas bénéficié du droit de faire examiner son affaire par une juridiction supérieure, en violation du paragraphe 3 a) à d) et g) et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

3.6 L’auteur affirme que les tribunaux lui ont infligé une peine plus forte que celle prévue par la loi dans l’affaire relative à la garde, malgré sa bonne conduite, et que le droit de bénéficier des sanctions plus légères prévues par la loi lui a été refusé, en violation de l’article 15 du Pacte.

3.7 L’auteur affirme ne pas avoir été protégé contre des immixtions illégales dans sa vie privée ou sa famille ni contre des atteintes illégales à son honneur, sa réputation ou sa dignité, en violation de l’article 17 du Pacte.

3.8 L’auteur affirme en outre que ni lui ni ses enfants n’ont été protégés en tant que famille, en violation du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

3.9 L’auteur affirme enfin, pour ce qui est de son droit de garde, avoir été victime d’une discrimination au motif de son sexe et de sa situation de détenu. La Cour suprême ayant décidé, dans une affaire antérieure jugée le 2 décembre 1958, que la détention du parent ne constituait pas un motif de perte de la garde des enfants, il n’aurait pas dû être déchu de son droit de garde en raison de sa détention.

Délibérations du Comité

4. Le 4 décembre 2002, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a décidé d’examiner la question de la recevabilité et le fond de l’affaire séparément.

5.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2 Le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément à l’alinéa  a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.3 Le Comité relève que l’auteur n’a apporté aucun élément montrant que lui ‑même et ses enfants n’avaient pas bénéficié d’un traitement égal par les tribunaux et que la procédure relative à la garde était inéquitable et, de ce fait, contraire à l’article 14. En conséquence, le Comité estime que ces griefs sont irrecevables au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4 Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, le Comité relève que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, l’affirmation selon laquelle il n’a pas été présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie. Cette partie de la plainte est donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.5 S’agissant des allégations de violation des articles 17, 23, 24 et 26 du Pacte, le Comité estime que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité de sa communication, en quoi la perte de ses droits parentaux constituerait, dans les circonstances de l’affaire, une violation des articles susvisés du Pacte. Ces griefs sont donc également irrecevables au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.6 En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’auteur et ses enfants ont été soumis à une torture psychologique et à un traitement cruel, inhumain et dégradant, le Comité note qu’en l’espèce, le retrait du droit de garde à l’auteur, l’interdiction de le laisser voir ses enfants et de leur parler et la censure du courrier destiné à ses enfants ne constituent pas une violation de l’article 7 du Pacte. En outre, au vu des éléments de fait de l’affaire, il estime que la plainte selon laquelle l’auteur et ses enfants sont tenus sous la servitude de l’État ne relève pas du champ d’application de l’article 8 du Pacte. Dès lors, ces griefs sont incompatibles avec le Pacte et irrecevables au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

5.7 En ce qui concerne l’affirmation selon laquelle l’auteur a été condamné par les tribunaux à une peine plus lourde que celles prévues par la loi et le droit de bénéficier des peines plus légères prévues par la loi lui a été refusé, en violation de l’article 15, le Comité relève que la disposition visée du Pacte concerne les infractions pénales, tandis que l’allégation de l’auteur porte sur l’affaire relative à la garde. Les éléments portés à la connaissance du Comité n’étayent aucun argument et aucune allégation selon lesquels les procédures portaient sur un « acte délictueux » ou une « infraction pénale » au sens de l’article 15 du Pacte. Ce grief et toute autre partie des griefs de l’auteur qui pourraient concerner l’applicabilité du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte aux procédures relatives à la garde des enfants ne relèvent pas du champ d’application des dispositions du Pacte invoquées par l’auteur et sont irrecevables, ratione materiae , en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

EE. Communication n o  1169/2003, Hom c. Philippines * (Décision adoptée le 30 juillet 2003, soixante ‑dix ‑huitième session)

Présentée par :

M. Antonio Hom

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Philippines

Date de la communication :

20 décembre 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l'homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 juillet 2003,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1. L’auteur de la communication est Antonio Hom. Il se dit victime de la violation par les Philippines de ses droits en vertu du paragraphe 2 de l’article premier, du paragraphe 1 de l’article 14, et de l’article 26 du Pacte. Membre du barreau, il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 Le 3 octobre 1992, l’auteur, qui en 1987 avait cessé ses fonctions à la Banque nationale des Philippines, a intenté une action en dommages et intérêts contre la Banque. Il a affirmé que celle ‑ci avait illégalement retenu à la source un impôt sur l’équivalent monétaire des jours de congé qu’il n’avait pas utilisés. Le 29 juin 1994, le tribunal régional de première instance du Negros occidental a pris jugement contre l’auteur en premier ressort, estimant que la Banque avait correctement appliqué la loi fiscale pertinente alors en vigueur. Le 27 octobre 1998, trois juges de la cour d’appel de Manille ont rejeté son appel.

2.2 Le 25 novembre 1998, l’auteur a demandé une révision par voie de certiorari de la décision de la cour d’appel, invoquant une erreur de compétence. Cette demande a été faite par courrier, sans mention du motif pour lequel elle n’avait pas été faite en personne, comme l’exigeait habituellement la procédure applicable.

2.3 Le 22 février 1999, la Cour suprême a rejeté la demande de révision par voie de certiorari de la décision de la cour d’appel présentée par l’auteur, faisant valoir que i) le jugement contesté n’avait pas été correctement authentifié par un greffier du tribunal, ii) que la demande était viciée quant à la forme et quant au fond, et iii) que la demande n’avait pas été déposée en personne.

2.4 Le 26 avril 1999, l’auteur a formé un recours en révision, faisant valoir que le jugement en question avait été correctement authentifié, que son propre argument était bien fondé quant au fond et qu’il ne s’était pas présenté en personne pour des raisons de commodité. Le 23 juin 1999, la Cour a finalement rejeté le recours en révision de sa décision du 22 février 1999, au motif qu’il n’était justifié par aucun argument valable.

2.5 Le 2 août 1999, l’auteur a demandé à la Cour suprême de réexaminer sa décision du 23 juin 1999, développant une argumentation détaillée sur le fond à propos des erreurs de droit et du déni de justice dont il accusait la juridiction inférieure. Le 8 septembre 1999, la Cour suprême a rejeté sa requête du 2 août 1999, en invoquant des règles de procédure qui interdisaient à la même partie de former deux recours en révision consécutifs. En conséquence, le 27 octobre 1999, un jugement définitif a été rendu sur cette affaire.

2.6 Le 25 mars 2000, l’auteur s’est plaint du rejet de sa requête en révision auprès du Président de la Cour. Le 8 mai 2000, un juge de la Cour suprême lui a répondu, expliquant qu’un requérant devait établir la présomption du bien ‑fondé de la contestation d’une décision rendue en appel, sans quoi sa requête serait rejetée d’emblée. Le 26 mai 2000, l’auteur s’est de nouveau plaint auprès du Président de la Cour. Le 26 juin 2000, la Cour suprême a pris officiellement acte de la lettre que l’auteur avait adressée au Président de la Cour le 25 mars 2002 mais n’y a donné aucune suite.

2.7 Le 25 août 2000, l’auteur s’est plaint une nouvelle fois auprès du Président de la Cour. Le chef des assistants du Président lui a répondu le 21 septembre 2000. Le 17 octobre 2000, l’auteur s’est de nouveau plaint auprès du chef des assistants du Président, contestant la décision rendue par la Cour le 22 février 1999. Le 24 janvier 2001, il s’est de nouveau plaint au chef, prétendant que les décisions de la Cour suprême du 22 février 1999, du 23 juin 1999, du 26 juin 2000 et du 8 septembre 1999 ainsi que le contenu de la lettre du juge adjoint datée du 8 mai 2000 étaient entachées d’erreurs.

2.8 Le 24 janvier 2001, la Cour suprême, considérant que la lettre de l’auteur datée du 17 octobre 2000 équivalait à un troisième recours en révision, a décidé de «réitérer les fondements de sa décision» du 22 février 1999, lorsqu’elle avait rejeté pour la première fois le recours formé par l’auteur. Elle a expliqué en détail que i) le jugement rendu en appel n’avait pas été authentifié par un greffier de la Cour ainsi qu’il convenait, ii) que dans sa demande, l’auteur n’avait pas expliqué pourquoi il ne s’était pas déplacé et iii) que la demande, «en tout état de cause, était manifestement viciée quant au fond et à la forme», car elle n’établissait prima facie aucune erreur de la cour d’appel qui aurait permis de révoquer la décision de cette dernière. Elle a donc rejeté le recours.

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article premier du Pacte en ce sens qu’il aurait été privé d’une partie de ses prestations de retraite, qui représentent ses seuls moyens de subsistance.

3.2 L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14, en ce sens qu’on lui aurait refusé l’égalité devant les tribunaux ainsi qu’un procès équitable et conforme au droit. En particulier, il prétend, en premier lieu, que la Cour suprême l’a privé d’une audience lorsqu’elle a déclaré, dans sa décision du 24 janvier 2001, qu’aucune autre prétention ne serait admise dans cette affaire. En deuxième lieu, la Cour suprême, en estimant que la procédure n’avait pas été respectée, n’avait pas distingué correctement entre authentification par un greffier du tribunal régional de première instance et authentification par un greffier de la cour d’appel. En outre, la Cour suprême a décidé de considérer la lettre de l’auteur datée du 17 octobre 2000 comme un troisième recours en révision, alors qu’elle avait auparavant décidé qu’elle n’admettrait plus de recours. En troisième lieu, la Cour suprême avait abusivement invoqué le fait qu’il ne s’était pas déplacé, car il y avait clairement un problème de distance géographique et la Cour avait auparavant accepté qu’il dépose sa demande par courrier.

3.3 L’auteur invoque également une violation de l’article 26 en rapport avec l’égale protection de la loi, sans étayer davantage cette allégation.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

4.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2 En ce qui concerne la plainte soumise par l’auteur en vertu de l’article premier du Pacte, le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle l’article premier ne peut, en lui ‑même, faire l’objet d’une communication en vertu du Protocole facultatif . De plus, l’auteur n’a pas présenté sa communication dans le contexte d’une plainte formulée par un «peuple», au sens de l’article premier du Pacte. Par conséquent, cette partie de la communication sort du champ d’application du Protocole facultatif, ratione materiae et ratione personae , et la communication est irrecevable en vertu des articles 3 et premier du Protocole facultatif.

4.3 En ce qui concerne les plaintes soumises par l’auteur en vertu du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité fait observer qu’elles sont fondées sur un procès intenté par l’auteur à la suite d’un impôt d’environ 10 % déduit à la source de l’équivalent monétaire des jours de congé qu’il n’avait pas utilisés lorsqu’il a pris sa retraite. Dans la mesure où la communication peut être considérée comme portant sur l’interprétation du droit interne, voire sur l’évaluation des faits et des éléments de preuve par le tribunal régional de première instance, le Comité fait remarquer que l’auteur a saisi la cour d’appel, qui était pleinement compétente pour examiner ces questions. Le Comité se réfère à sa jurisprudence constante, selon laquelle il ne lui appartient pas d’examiner ces questions, sauf si l’appréciation des tribunaux internes est manifestement arbitraire ou équivaut à un déni de justice. Il estime que l’auteur n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité de sa communication, que ce type de situation exceptionnelle se présentait en l’espèce. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.4 En ce qui concerne les allégations de l’auteur en vertu du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 26 concernant les circonstances qui ont entouré le refus de la Cour suprême de réexaminer l’issue donnée à cette affaire, le Comité estime, là aussi, que l’auteur n’a étayé, aux fins de la recevabilité de sa communication, aucune allégation qui soulèverait des questions en rapport avec les dispositions concernées. Par conséquent, ces prétentions sont également irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5. En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a) Que la communication est irrecevable;

b) Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]

Note