Objet: Conservation de la citoyenneté.
Questions de procédure:Non‑épuisement des recours internes.
Questions de fond:Égalité devant la loi, non‑discrimination, déni de justice.
Articles du Pacte:14 (par. 1), 26 et 2 (par. 3).
Articles du Protocole facultatif:3 et 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 29 mars 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 823/1998 présentée au nom de Rudolf Czernin en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur originel de la communication était Rudolf Czernin, citoyen de la République tchèque, né en 1924, domicilié à Prague. Il était représenté par son fils, Karl‑Eugen Czernin, né en 1956, qui réside en Autriche, et affirmait être victime d’une violation, par la République tchèque, des articles 14, paragraphe 1, et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après dénommé «le Pacte»). L’auteur est décédé le 22 juin 2004. Dans une lettre datée du 16 décembre 2004, son fils (ci-après désigné comme le second auteur) a déclaré qu’il maintenait la communication soumise au Comité. Il n’est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits
2.1À la suite de l’occupation par les Allemands de la zone frontalière tchécoslovaque en 1939 et de la création du «protectorat», Eugen et Josefa Czernin, parents aujourd’hui décédés de l’auteur, sont automatiquement devenus citoyens allemands en vertu d’un décret allemand daté du 20 avril 1939. Après la Seconde Guerre mondiale, ils ont vu leurs biens confisqués au titre des décrets Benes no 12/1945 et no 108/1945, au motif qu’ils étaient citoyens allemands. Ils ont en outre été privés de leur citoyenneté tchécoslovaque en application du décret Benes no 33/1945 du 2 août 1945, pour les mêmes raisons. Ce décret prévoyait cependant que les personnes satisfaisant à certains critères de loyauté envers la République tchécoslovaque pouvaient demander à conserver la citoyenneté tchécoslovaque.
2.2Le 13 novembre 1945, Eugen et Josefa Czernin ont demandé, dans le délai requis, à bénéficier de la disposition permettant de conserver la citoyenneté tchécoslovaque, conformément au décret présidentiel no 33/1945. Après avoir examiné leurs demandes, une commission d’enquête du Comité national du district de Jindříchův Hradec a conclu que Eugen Czernin avait apporté la preuve de son attitude antinazie». Le Comité national a alors transmis les demandes au Ministère de l’intérieur pour que celui-ci prenne une décision définitive. En décembre 1945, après avoir été libéré de prison, où il avait été soumis au travail forcé et aux interrogatoires des services secrets soviétiques GPU et NKVD, Eugen Czernin est parti s’installer en Autriche avec sa femme. Le Ministère n’a pas pris de décision sur leurs demandes, ni répondu à la lettre du 19 mars 1946 par laquelle Eugen Czernin exhortait les autorités à se prononcer sur leurs cas. Les deux dossiers contiennent une note de 1947 dans laquelle il est dit que les demandes doivent être considérées comme sans objet du fait que les intéressés ont volontairement émigré en Autriche; les deux dossiers ont été classés.
2.3Après le changement de régime survenu en Tchécoslovaquie fin 1989, l’auteur, seul descendant et héritier d’Eugen et Josefa Czernin, a engagé une action aux fins d’obtenir la restitution de leurs biens, en vertu des lois no 87/1991 et no 243/1992. Selon lui, la principale condition nécessaire pour obtenir cette restitution est que ses parents aient eu la citoyenneté tchécoslovaque après la guerre.
2.4Le 19 janvier et le 9 mai 1995, respectivement, l’auteur a sollicité la reprise des procédures engagées par ses parents en vue de conserver leur citoyenneté tchécoslovaque. S’agissant d’Eugen Czernin, le bureau du district de Jindříchův Hradec a répondu à l’auteur, le 27 janvier 1995, que la procédure ne pouvait être reprise parce que l’affaire avait été définitivement réglée par application de la loi no 34/1953; ce texte accordait la citoyenneté tchécoslovaque aux citoyens allemands qui l’avaient perdue en application du décret no 33/1945 mais qui étaient domiciliés en République tchécoslovaque. Dans une lettre datée du 13 février 1995, l’auteur a insisté pour qu’une décision soit prise sur sa demande de réouverture des procédures. Dans un courrier en date du 22 février 1995, les autorités l’ont informé qu’il n’était pas possible de traiter la demande de citoyenneté d’une personne décédée et que l’affaire était considérée comme classée. Le 3 mars 1995, l’auteur a écrit au Ministère de l’intérieur en lui demandant de se prononcer sur son cas. Après que le Ministère l’eut informé que la lettre ne lui était pas parvenue, l’auteur a renouvelé sa demande le 13 octobre 1995. Les 24 et 31 janvier 1996, il a de nouveau écrit au Ministère de l’intérieur. Entre-temps, au cours d’un entretien, le Ministre de l’intérieur a déclaré au second auteur qu’il existait des raisons non seulement juridiques mais également politiques et personnelles de ne donner aucune suite à cette affaire, et que «dans tout autre cas [que le sien], ce genre de demande relative à la nationalité aurait reçu une réponse favorable dans les deux jours». Le Ministre a également promis de convoquer une commission ad hoc formée de juristes indépendants, qui consulterait les avocats de l’auteur, mais cette commission ne s’est jamais réunie.
2.5Le 22 février 1996, le Ministre de l’intérieur a écrit à l’auteur qu’«une décision défavorable a[vait] été rendue au sujet de [sa] demande». Le 8 mars 1996, l’auteur a attaqué la teneur de cette lettre devant le Ministère de l’intérieur. Dans une lettre datée du 24 avril 1996, le Ministère lui a répondu que la lettre du Ministre ne constituait pas une décision au sens de l’article 47 de la loi no 71/1967 relative aux procédures administratives et qu’il n’était pas possible de faire appel d’une décision inexistante. Le jour même, l’auteur a porté la teneur de la lettre du Ministre devant la Cour suprême. Celle-ci a conclu le 16 juillet 1996 que la lettre ne constituait pas une décision d’un organe administratif, que l’absence d’une telle décision faisait irrémédiablement obstacle à la procédure, et que le droit administratif interne ne permettait pas aux tribunaux d’intervenir pour remédier à l’inaction d’un organisme public.
2.6Après avoir formé en vain un autre recours auprès du Ministère de l’intérieur, l’auteur a saisi la Cour constitutionnelle pour déni de justice. Dans un arrêt en date du 25 septembre 1997, la Cour a ordonné au Ministère de l’intérieur de mettre un terme à son inaction au motif que celle-ci portait atteinte aux droits du plaignant. À la suite de cette décision, l’auteur a retiré la communication qu’il avait présentée au Comité des droits de l’homme.
2.7L’auteur affirme que le bureau du district de Jindříchův Hradec (ci-après dénommé le «bureau du district»), dans une décision du 6 mars 1998, a réinterprété la teneur de sa demande, la qualifiant arbitrairement de demande de certificat de citoyenneté. Le bureau du district a rejeté cette demande au motif que Eugen Czernin n’avait pas demandé à recouvrer la citoyenneté tchèque dont il avait été privé, la loi de 1993 sur la citoyenneté exigeant en effet, pour toute décision favorable à cet égard, qu’une procédure de citoyenneté ait préalablement abouti. Le bureau du district n’a pas traité la requête initiale de l’auteur, qui demandait la reprise des procédures engagées par ses parents pour conserver leur nationalité. À la suite de cette décision, l’auteur a mis à jour sa communication et l’a soumise de nouveau au Comité en mars 1998.
2.8Le 28 juillet 1998, l’auteur a fait savoir au Comité que, le 17 juin 1998, le Ministre de l’intérieur avait confirmé la décision rendue le 6 mars 1998 par le bureau du district. En août 1998, l’auteur a demandé un réexamen judiciaire de l’affaire par la Haute Cour de Prague et a également saisi la Cour constitutionnelle. Celle-ci a rejeté sa demande le 18 novembre 1998 au motif que les voies de recours ouvertes n’avaient pas été épuisées, l’affaire étant toujours en instance devant la Haute Cour de Prague.
2.9Le 29 septembre 1998, l’auteur a informé le Comité que, ce même jour, le bureau du district no 1 de Prague avait répondu par la négative à la demande présentée par Josefa Czernin aux fins de conserver sa nationalité.
2.10En ce qui concerne l’obligation d’épuiser les recours internes, l’auteur rappelle que les demandes présentées aux fins de conserver la nationalité datent de novembre 1945, et que c’est en janvier 1995 que l’on a cherché à rouvrir les procédures pour les mener à bien. Il estime par conséquent que ces procédures ont excédé des délais raisonnables. Dans la mise à jour de sa communication, en 1998, l’auteur affirme que la décision rendue par le bureau du district n’est pas «une décision sur sa demande». Il fait valoir que les recours restants sont vains, puisque la décision du bureau du district est contraire à l’esprit de celle de la Cour constitutionnelle, et que la Cour suprême ne pourrait qu’infirmer une décision du bureau du district, sans trancher définitivement la question. Par conséquent, en exerçant les recours offerts, l’auteur ne ferait qu’attaquer sans cesse des décisions pour satisfaire à des conditions de pure forme, sans jamais obtenir qu’une décision soit prise sur le fond de sa demande.
2.11L’auteur assure que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur invoque une violation de son droit à une égale protection de la loi sans discrimination ainsi que de son droit à une procédure régulière.
3.2L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 26 du Pacte, rappelant que ses parents et lui-même ont été privés de leur droit à une égale protection de la loi sans discrimination, non seulement en raison d’une application inégale de la loi mais également du fait d’une inégalité inhérente à la loi elle-même, qui ne lui permet pas d’engager une action pour négligence contre les autorités. La discrimination tient au fait que les autorités n’ont pas rendu de décision sur leurs demandes, alors même que celles-ci satisfaisaient aux conditions de forme et de fond requises par le décret no 33/1945. L’auteur fait également valoir que le droit interne ne lui offre pas de recours contre l’inaction des autorités et qu’il est privé de la possibilité de faire respecter ses droits. Il affirme que les personnes dont la demande a fait l’objet d’une décision disposent d’un recours, alors que lui n’en a pas, ce qui équivaut selon lui à une forme de discrimination contraire à l’article 26.
3.3L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, du fait que les autorités, en restant inactives face à sa demande de réouverture des procédures engagées par ses parents pour conserver leur nationalité, n’ont pas permis que «sa cause soit entendue équitablement … par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi»; l’auteur soutient également que la procédure administrative le concernant a été excessivement lente.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication
4.1Le 3 février 1999, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication, puis, le 10 août 1999, de ses observations sur le fond. Il affirme que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes et que leurs griefs de violation des articles 14, paragraphe 1, et 26 sont manifestement dénués de fondement.
4.2L’État partie souligne qu’après que la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 25 septembre 1997, eut fait droit à la demande de l’auteur et ordonné aux autorités de mettre un terme à leur inaction continue, le bureau du district de Jindříchův Hradec a examiné l’affaire et rendu une décision le 6 mars 1998. Le 17 juin 1998, le Ministère de l’intérieur s’est prononcé sur le recours formé contre cette décision. Le 5 août 1998, l’auteur a contesté la décision du Ministère devant la Haute Cour de Prague. Cette procédure suivant toujours son cours au moment où l’État partie a soumis ses observations, les recours internes n’ont donc pas été épuisés. L’État partie fait valoir que la dérogation qui peut être faite à la règle de l’épuisement des recours internes en cas de prolongement des procédures au-delà de délais raisonnables ne s’applique pas en l’espèce; il estime en effet que, compte tenu des dates des décisions susmentionnées et de la complexité de l’affaire et des recherches qu’elle exige, les procédures de recours internes n’ont pas excédé des délais raisonnables. L’État partie ajoute qu’en ce qui concerne l’utilité de ces recours, l’auteur ne saurait préjuger de l’issue de son action, et que dans la pratique, lorsqu’un tribunal conclut que l’avis juridique d’une autorité administrative est erroné, la décision du Ministère de l’intérieur contestée est infirmée. L’État partie rappelle qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 250 j) du Code de procédure civile tchèque, les conclusions juridiques d’un tribunal sont contraignantes pour les autorités administratives.
4.3L’État partie soutient que le grief de violation de l’article 26 du Pacte est manifestement infondé, puisque l’auteur n’a pas étayé sa plainte ni fait valoir le moindre fait ou élément de preuve démontrant l’existence d’une quelconque forme de discrimination visée à l’article 26. L’État partie ajoute que l’auteur n’a pas invoqué l’interdiction de la discrimination et l’égalité des droits devant les juridictions internes, de sorte qu’il n’a pas épuisé les recours internes à cet égard.
4.4En ce qui concerne le non-respect présumé du paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie admet que l’auteur était fondé à invoquer une violation de son droit à un procès équitable au moment de sa demande initiale. Il fait cependant valoir qu’après que la Cour constitutionnelle eut statué le 25 septembre 1997, le bureau du district a rendu le 6 mars 1998 une décision administrative qui était conforme à l’arrêt de la Cour constitutionnelle, et qui donnait pleinement effet au droit de l’auteur à un procès équitable. Renvoyant aux dates des décisions susmentionnées, l’État partie ajoute qu’il n’y a pas eu de retard excessif. Il considère par conséquent que le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14 formulé dans la communication est manifestement infondé. Il énumère la liste des voies de recours qui sont ouvertes aux auteurs si ceux-ci estiment que la durée de la procédure a été excessive. L’auteur aurait pu saisir le Ministère de l’intérieur ou le Président de la Haute Cour. Une autre voie de recours possible était la requête en inconstitutionnalité. L’État partie indique qu’il doit être répondu à toute demande dans les deux mois à compter de la date à laquelle elle est transmise à l’administration compétente. Il rappelle que l’auteur n’a pas fait usage de ces moyens et n’a donc pas épuisé les voies de recours internes.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
5.1Les 19 novembre 1999, 25 juin 2002 et 29 janvier, 25 février, 16 et 22 décembre 2004, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie et ont informé le Comité de l’avancement des actions engagées devant les juridictions tchèques. L’auteur maintient que la décision du bureau du district en date du 6 mars 1998 a été prise pour satisfaire dans les formes aux obligations énoncées par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 25 septembre 1997. Il soutient que les autorités ont réinterprété, de manière arbitraire et contre son gré, la requête par laquelle il demandait la réouverture des procédures engagées par ses parents pour conserver leur nationalité; considérant cette requête comme une demande de vérification de citoyenneté, elles l’ont examinée à la lumière des lois de l’État partie relatives à la citoyenneté, alors que c’est le décret no 33/1945 qui était applicable. L’auteur affirme que les mécanismes d’appel ont confirmé cette décision, sans examiner plus avant la question et sans motiver leur décision. À son sens, le fait qu’un organe administratif ait réinterprété sa demande, arbitrairement et proprio motu, et sans l’en informer au préalable, et qu’il ne se soit donc pas prononcé sur sa demande initiale, constitue une violation de son droit à une procédure régulière et de son droit à faire entendre sa cause en vue d’obtenir une décision, droits qui sont protégés par l’article 14.
5.2En ce qui concerne la mère de l’auteur, les autorités municipales de Prague ont conclu, le 6 janvier 1999, qu’«à la date de son décès, Josefa Czernin était citoyenne de la République tchécoslovaque». L’auteur fait observer que, dans le cas de sa mère, les autorités ont fait droit à la demande sans difficulté, contrairement à ce qui s’est passé pour son père, alors que les éléments de preuve produits étaient bien plus ténus. L’auteur avance que cette inégalité de traitement entre ses parents peut s’expliquer par le fait que sa mère possédait des biens beaucoup moins importants que ceux de son père, dont la plupart sont aujourd’hui propriété de l’État.
5.3Le 19 octobre 2000, la Haute Cour de Prague a infirmé la décision rendue le 17 juin 1998 par le Ministère de l’intérieur, concluant que le texte de référence en l’espèce était le décret no 33/1945 et que la décision querellée était non seulement illégale mais également contraire à l’arrêt juridiquement contraignant de la Cour suprême et qu’elle bafouait en outre des règles fondamentales de procédure.
5.4L’affaire a été renvoyée devant le Ministère de l’intérieur pour un nouvel examen. Le 31 mai 2002, le Ministère a conclu que Eugen Czernin, membre du groupe ethnique allemand, n’avait pas fait valoir des «motifs exonératoires» suffisants, conformément au décret no 33/1945, et que «par conséquent, il avait perdu la citoyenneté tchécoslovaque». L’auteur a fait appel de cette décision, mais elle a été confirmée par le Ministre de l’intérieur le 1er janvier 2003. Il a alors saisi le tribunal municipal de Prague, lequel a infirmé la décision le 5 mai 2004, concluant que le Ministre, dans sa décision du 1er janvier 2003, de même que le Ministère, dans sa décision du 31 mai 2002, avaient tranché la question «sans l’argumentation requise», de manière arbitraire, et sans examiner les éléments de preuve produits par le père de l’auteur. L’affaire a alors été renvoyée devant le Ministère de l’intérieur pour un troisième examen, qui est actuellement en cours.
5.5Dans tous ses commentaires, l’auteur répète que les autorités, qui l’obligent à repasser continuellement par les mêmes étapes d’appel, en principe ad infinitum, ne veulent pas traiter l’affaire le concernant et font traîner la procédure à dessein. Il invoque la situation visée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, à savoir des procédures «excédant des délais raisonnables».
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité a établi que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.3En ce qui concerne l’obligation d’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication en termes généraux. Il relève également que la demande de l’auteur est actuellement pendante devant le Ministère de l’intérieur, et que ce dernier l’a examinée deux fois en quatre ans, depuis que la Cour constitutionnelle, dans son arrêt de septembre 1997, l’a enjoint de mettre un terme à son inaction continue. Les deux décisions rendues en l’affaire par le Ministère de l’intérieur ont été infirmées, respectivement, par la Haute Cour de Prague et par le tribunal municipal de Prague, avant d’être renvoyées pour un nouvel examen devant ce même ministère. Le Comité est d’avis, eu égard au fait que le Ministère de l’intérieur n’a pas respecté les décisions applicables des tribunaux, qu’un troisième examen de la demande par le même organe n’offrirait pas à l’auteur une possibilité raisonnable d’obtenir réparation et ne saurait donc constituer un recours utile qu’il lui faudrait épuiser pour satisfaire aux dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.4Le Comité estime en outre que les procédures engagées par le second auteur et par feu son père ont été considérablement prolongées, s’étendant sur une période de 10 ans, et que l’on peut par conséquent considérer qu’elles «excèdent des délais raisonnables» au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité ne pense pas que ces délais soient imputables au second auteur ou à feu son père.
6.5S’agissant de l’argument de l’État partie qui affirme que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes en ce qui concerne le grief de discrimination, le Comité rappelle que les auteurs n’ont pas invoqué la question précise de la non-discrimination devant les juridictions tchèques; ils n’ont donc pas épuisé les recours internes à cet égard. Le Comité en conclut que cette partie de la communication est irrecevable au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.6S’agissant du grief formulé par l’auteur selon lequel il aurait été victime d’une application inégale de la loi en violation de l’article 26, le Comité estime que ce grief peut soulever des questions sur le fond.
6.7En ce qui concerne la violation présumée du droit des auteurs à ce que leur cause soit entendue équitablement, conformément au paragraphe 1 de l’article 14, le Comité relève que les auteurs contestent non pas les procédures engagées devant les tribunaux mais la non‑application de décisions judiciaires par les autorités administratives. Il rappelle que l’expression «ses droits et obligations de caractère civil», qui figure au paragraphe 1 de l’article 14, s’applique aux litiges relatifs aux droits de propriété. Le Comité estime qu’aux fins de la recevabilité l’auteur a suffisamment étayé sa thèse, à savoir que la réinterprétation, par les autorités administratives tchèques, de sa demande et des lois applicables, ainsi que le temps excessif mis pour prendre une décision finale et le non-respect des décisions judiciaires par les autorités peuvent soulever des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. Le Comité conclut que ce grief doit être examiné au fond.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations reçues, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Le Comité doit principalement déterminer si les autorités administratives (le bureau du district de Jindříchův Hradec et le Ministère de l’intérieur) ont agi d’une manière portant atteinte au droit des auteurs à ce que leur cause soit entendue équitablement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, conformément au paragraphe 1 de l’article 14, compte tenu du droit à un recours utile, tel que garanti au paragraphe 3 de l’article 2.
7.3Le Comité prend note des arguments des auteurs, qui affirment que le bureau du district et le Ministère de l’intérieur, dans leurs décisions respectives du 6 mars et du 17 juin 1998, ont réinterprété arbitrairement la requête par laquelle était demandée la réouverture des procédures engagées aux fins de conserver la nationalité, et ont appliqué les lois de l’État partie relatives à la citoyenneté plutôt que le décret no 33/1945, sur lequel était fondée la demande initiale. Le Comité relève en outre que cette seconde décision a été infirmée par la Haute Cour de Prague, qui a renvoyé l’affaire pour un nouvel examen. Lorsqu’il a examiné la demande pour la deuxième fois, le Ministère de l’intérieur a appliqué le décret no 33/1945 et l’a rejetée.
7.4Le Comité renvoie à sa jurisprudence, réaffirmant que l’interprétation et l’application du droit interne appartiennent au premier chef aux tribunaux et autorités de l’État partie. Toutefois, la personne qui poursuit une action en vertu du droit interne doit avoir accès à des recours utiles, ce qui suppose que les autorités administratives doivent se conformer aux décisions contraignantes des juridictions nationales, comme l’a admis l’État partie lui-même. Le Comité note que la décision du Ministère de l’intérieur en date du 31 mai 2002, ainsi que celle du même ministère qui l’a confirmée le 1er janvier 2003, ont toutes deux été infirmées par le tribunal municipal de Prague le 5 mai 2004. Selon les auteurs, le tribunal municipal a conclu que les autorités avaient pris les décisions en cause sans les motiver, de manière arbitraire, et sans examiner les éléments de preuve concrets produits par les demandeurs, notamment par le père de l’auteur, Eugen Czernin. Le Comité observe que l’État partie n’a pas contesté cette partie de l’exposé des faits par les auteurs.
7.5Le Comité relève en outre que les auteurs, depuis qu’ils ont demandé la réouverture des procédures en 1995, n’ont cessé de se heurter à la frustration découlant du refus des autorités d’exécuter les décisions judiciaires applicables. Le Comité estime que l’inaction des autorités administratives et le retard excessif dans l’exécution des décisions judiciaires applicables constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, qui garantit le droit à un recours utile.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En ce qui concerne la constatation ci-dessus, le Comité estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le grief de violation de l’article 26 du Pacte.
9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, notamment en obligeant ses autorités administratives à se conformer aux décisions judiciaires.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood
L’Europe de l’Est jouit de la démocratie depuis plus de 10 ans. Au cours de cette période, le Comité des droits de l’homme a été saisi de plusieurs affaires dans lesquelles il lui était demandé de dire si les réfugiés de l’ancien régime communiste avaient le droit de recouvrer leurs biens confisqués et, dans l’affirmative, sous quelles conditions.
Dans quatre constatations concernant la République tchèque, le Comité a conclu que le droit à la propriété privée, en tant que tel, n’était pas protégé par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, mais les conditions de la restitution des biens ne devaient pas être indûment discriminatoires.
Dans la première des affaires examinées, Simunek c. République tchèque (communication no 516/1992), le Comité a invoqué la norme de l’«égale protection de la loi» telle qu’elle est énoncée à l’article 26 du Pacte. Le Comité a estimé qu’un État n’était pas habilité à imposer des conditions arbitraires pour la restitution de biens confisqués. En particulier, il a jugé que même des requérants qui n’étaient plus citoyens d’un État et des résidents permanents dans cet État devaient avoir la possibilité de recouvrer leurs biens − du moins lorsque l’ancien régime communiste qui était en place dans l’État partie était «responsable du départ» des requérants (voir les constatations du Comité concernant la communication no 516/1992, par. 11.6).
Le Comité s’est ultérieurement conformé à ces constatations, notamment dans les affaires Adam c. République tchèque (communication no 586/1994), Blazek et consorts c. République tchèque (communication no 857/1999) et Des Fours Walderode c. République tchèque (communication no 747/1997).
Un membre du Comité, M. Nisuke Ando, exprimant une opinion individuelle dans l’affaire Adam c. République tchèque (communication no 586/1994), a souligné à juste titre que, traditionnellement, le droit international privé autorisait les États à restreindre le droit de leurs citoyens à la propriété de biens immobiliers. Mais un régime totalitaire qui force ses opposants politiques à fuir constitue un cas particulier. Par ailleurs, la République tchèque n’exige nullement des nouveaux acheteurs de biens immobiliers qu’ils aient la nationalité tchèque ou qu’ils soient des résidents permanents.
C’est dans ce contexte que le Comité a été saisi de l’affaire Czernin c. République tchèque (communication no 823/1998). En l’espèce, le Comité s’est opposé à l’État partie non pas au motif qu’il y a eu déni du droit à l’égalité de traitement mais sur une question d’équité de la procédure concluant que les autorités administratives de l’État partie avaient «refusé d’appliquer les décisions pertinentes des tribunaux nationaux» concernant la restitution de biens.
Le père de l’auteur a quitté l’Autriche en décembre 1945, accompagné de sa femme, après avoir été interrogé en prison par les services secrets soviétiques (GPU et NKVD). En 1989, après la chute du régime communiste dans l’ex‑Tchécoslovaquie, l’auteur en tant qu’unique héritier a réclamé la restitution des biens de son père puis a essayé, en 1995, de renouveler les demandes de conservation de la citoyenneté tchèque déposées par ses parents. Depuis lors, la Cour constitutionnelle tchèque, la Haute Cour de Prague et le tribunal municipal de Prague ont, chacun, critiqué le Ministère tchèque de l’intérieur pour ne pas avoir pris de décision au sujet de la demande de l’auteur, pour s’être fondé à tort sur la loi sur la citoyenneté de 1993 et, s’agissant de l’attitude antinazie présumée du père de l’auteur (qui était nécessaire pour la conservation de la citoyenneté tchèque en vertu du décret no 33/1945 adopté après la guerre par le Président Eduard Benes au sujet des personnes de souche allemande), pour avoir tranché la question sans l’argumentation requise.
Dans un sens le cas à l’examen est plus simple que les cas précédents dans la mesure où l’affaire porte sur la question de l’équité de la procédure plutôt que sur les limites de motifs de fonds légitimes. Il y a lieu de noter que les tribunaux de la République tchèque ont, en fin de compte, tenté d’assurer un recours utile aux auteurs dans l’examen de leurs griefs. On a déjà vu dans de nombreuses démocraties des organes administratifs se montrer réticents à parvenir à certaines conclusions, et la question qui se pose est celle de savoir s’il y a un recours dans le cadre du système en place lorsqu’une requête n’est pas traitée de manière impartiale par un organe de l’État partie. On ne saurait en déduire dans l’absolu comme règle que le fait que trois procédures d’appel successives n’aboutissent pas constitue la preuve qu’un requérant a été privé de son droit à une procédure équitable devant un tribunal compétent, indépendant et impartial d’autant plus que les juridictions d’appel de l’État partie ont agi pour récuser les motifs sur lesquels s’est fondé l’organe administratif concerné pour rejeter les demandes de l’auteur. Le Comité n’est pas d’avis que les procédures administratives entrent dans le champ d’application de l’article 14.
De même, le cas d’espèce est sans rapport avec le transfert forcé de la population sudète allemande après la guerre, mesure prise en riposte à l’utilisation abusive par les nazis, avec les résultats catastrophiques que l’on connaît, de l’idée de l’autodétermination allemande. Bien que les transferts de population ne seraient pas aussi facilement acceptés dans le cadre du droit moderne relatif aux droits de l’homme, même dans le contexte d’un règlement de paix, l’état de ruine dans lequel était l’Europe après la guerre avait conduit à une autre conclusion. L’auteur n’a pas non plus contesté − et le Comité ne met pas en question − l’autorité du décret présidentiel de 1945 en vertu duquel les personnes de souche allemande du pays des Sudètes qui souhaitaient rester en Tchécoslovaquie devaient apporter la preuve de leur opposition au régime fasciste allemand durant la guerre. Une nouvelle démocratie avec une économie émergente peut également se heurter à certaines difficultés pratiques si elle décide de tirer au clair des violations du droit à la propriété privée qui ont duré 50 ans. À tous ces égards, si l’État partie est tenu de respecter le Pacte, le Comité doit, lui, agir en étant conscient de ses limites.
(Signé) Ruth Wedgwood
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
B. Communication n o 879/1998, Howard c. Canada (Constatations adoptées le 26 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)*
Présentée par: |
George Howard (représenté par un conseil, Peter Hutchins de Hutchins, Soroka & Dionne) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Canada |
Date de la communication: |
9 octobre 1998 (date de la lettre initiale) |
Objet: Limitation du droit de pêche de l’auteur et conséquences pour son droit d’avoir, en commun avec les autres membres de son groupe, sa propre vie culturelle.
Questions de procédure: Définition de la portée de la décision du Comité sur la recevabilité.
Questions de fond: Droit d’avoir, en commun avec d’autres, sa propre culture.
Articles du Pacte: 27.
Articles du Protocole facultatif: Sans objet.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 879/1999 présentée au nom de George Howard en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication, datée du 9 octobre 1998, est M. George Howard, né le 5 juin 1946, membre de la Première Nation de Hiawatha, qui est reconnue en tant que peuple autochtone dans la législation de l’État partie. Il affirme être victime d’une violation par le Canada des droits qui lui sont reconnus au paragraphe 2 de l’article 2 et à l’article 27 du Pacte. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Canada le 19 août 1976.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1La communauté Hiawatha à laquelle appartient l’auteur fait partie des Premières Nations Mississauga. Ces Premières Nations figuraient parmi celles qui étaient parties aux traités conclus avec la Couronne («les Traités Williams»), dont un traité signé en 1923 («le Traité de 1923»), qui régit, entre autres, les droits de chasse et de pêche des autochtones. Aux termes de ce traité, en échange d’une indemnisation de 500 000 dollars, les Premières Nations Mississauga «cèdent», «abandonnent» et «transmettent» au Gouvernement canadien leurs intérêts relatifs à des terres déterminées décrites dans le Traité ainsi que «tous leurs droits, titres, intérêts, prétentions, demandes et privilèges … relatifs à toutes les autres terres situées dans la province de l’Ontario, qu’ils ont déjà eus, ont maintenant ou prétendent avoir, à l’exception des réserves que Sa Majesté le Roi a mises de côté jusqu’à maintenant à leur intention».
2.2Le 18 janvier 1985, l’auteur a pris quelques poissons dans une rivière qui était mitoyenne de la réserve de sa nation sans en faire partie. Il a été sommairement déclaré coupable et condamné à une amende par la Cour provinciale de l’Ontario pour avoir pêché illégalement en dehors de la saison. La Cour a rejeté ses arguments selon lesquels il jouissait d’un droit de pêche constitutionnel fondé sur la protection, assurée par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, des «droits existants − ancestraux ou issus de traités − des peuples autochtones du Canada». Elle estimait que les ancêtres des Premières Nations dont descendait l’auteur avaient abandonné leurs droits de pêche en vertu du Traité de 1923 et qu’il ne subsistait donc plus aucun droit de cette nature. Le 9 mars 1987, la cour de district de l’Ontario a débouté l’auteur en appel.
2.3Le 13 mars 1992, la cour d’appel de l’Ontario a rejeté le recours formé par l’auteur contre la décision de la cour de district, estimant que le Traité de 1923 avait mis fin aux droits de pêche que détenait la Première Nation à laquelle appartenait l’auteur et que les représentants de celle‑ci avaient été au courant du Traité et de ses dispositions et les avaient compris. Le 12 mai 1994, la Cour suprême a rejeté un nouveau recours de l’auteur, considérant que par «des termes clairs», les Premières Nations avaient renoncé à tout droit de pêche spécial qui leur restait.
2.4En 1990, dans une autre affaire, la Cour suprême du Canada a déclaré que des «droits existants» au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle devaient être confirmés par des preuves attestant un exercice continu, quand bien même il serait peu fréquent par moment, à moins qu’il ne soit prouvé qu’il existait «une intention claire et expresse» de la part de la Couronne de mettre fin à ces droits. Ultérieurement, le Gouvernement de l’Ontario s’est engagé à négocier dans les meilleurs délais des accords avec les autochtones sur la question de la chasse, de la pêche, de la cueillette et du piégeage.
2.5Le 7 mars 1995, le Gouvernement de l’Ontario et les Premières Nations parties aux Traités Williams ont signé les Accords dits «de préservation de l’exploitation communautaire», qui autorisaient l’exercice de certains droits de chasse et de pêche. En vertu de ces accords, renouvelables chaque année, les Premières Nations étaient autorisées à chasser et à pêcher en dehors des réserves pour leur subsistance, ainsi qu’à des fins cérémoniales et spirituelles, et de troc.
2.6Le 30 août 1995, le gouvernement nouvellement élu de l’Ontario a exercé son droit d’abroger lesdits Accords au motif qu’ils étaient incompatibles avec la décision prise par la Cour suprême dans l’affaire concernant l’auteur.
2.7En septembre 1995, les Premières Nations touchées par l’abrogation des Accords ont demandé aux tribunaux de rendre des ordonnances de mesures provisoires et définitives contre le Gouvernement de l’Ontario. La Cour de justice de l’Ontario a rejeté cette requête, considérant que le Gouvernement avait exercé dans les règles son droit − prévu dans les Accords − d’abroger ces instruments avec un préavis de 30 jours. L’auteur affirme que la Cour a «clairement indiqué» qu’aucune nouvelle procédure ne donnerait gain de cause aux requérants et qu’il était donc vain de poursuivre des recours coûteux.
2.8Le 16 janvier 1997, la Cour suprême a rejeté une requête de l’auteur tendant à ce que son cas soit réexaminé. L’auteur a fait valoir que l’évolution de la jurisprudence de la Cour suprême, selon laquelle une intention claire de mettre fin aux droits de pêche devait accompagner l’abandon d’un intérêt foncier pour que l’extinction de ces droits soit valide, justifiait un réexamen de son cas.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur se plaint de manière générale d’être privé, avec tous les autres membres de sa nation, de la possibilité d’exercer, individuellement et de concert avec d’autres personnes, ses droits de pêche liés à son statut d’autochtone au point que cela met en péril la survie de sa communauté sur les plans culturel, spirituel et social. Il affirme que la chasse, la pêche, la cueillette et le piégeage sont des éléments essentiels de sa culture et qu’en le privant de la possibilité d’exercer ces activités on compromet la transmission de sa culture à d’autres personnes et aux générations futures.
3.2Concrètement, l’auteur estime que dans son cas le jugement prononcé par la Cour suprême est incompatible avec l’article 27 du Pacte. Se référant à l’Observation générale no 23 du Comité, il fait valoir que le Canada a failli à son devoir de prendre des mesures positives de protection en n’intervenant pas en sa faveur dans la procédure judiciaire. Ni le Pacte ni les autres règles du droit international applicable en la matière n’ont été mentionnés ou examinés au cours de la procédure. La décision de la Cour suprême a de surcroît entraîné un déni d’éléments essentiels de la culture, du bien‑être spirituel, de la santé, de la survie et du développement sur le plan social et de l’éducation des enfants. L’auteur affirme que les Traités Williams sont les seuls instruments à ne pas protéger les droits de chasse et de pêche des autochtones puisqu’ils les abrogent explicitement et que la décision prise à son encontre par la Cour suprême constitue une anomalie au regard de la jurisprudence de cette instance. Se référant à la décision du Comité dans l’affaire Kitok c. Suède, l’auteur fait valoir que loin d’être nécessaires «pour la survie et le bien‑être de la minorité dans son ensemble», les restrictions en question mettent en péril sa survie même sur les plans culturel et spirituel.
3.3L’auteur soutient que l’abrogation unilatérale des Accords de préservation de l’exploitation communautaire constitue une violation de l’article 27 du Pacte. Il estime que l’article 27 impose «l’obligation de restaurer les droits fondamentaux sur lesquels repose la survie culturelle et spirituelle des Premières Nations, à un degré suffisant pour assurer la survie et le développement de la culture de la Première Nation grâce à la survie et au développement des droits de ses membres pris individuellement». Alors qu’ils représentaient un certain progrès, les Accords, de par leur caractère contractuel et la facilité avec laquelle ils pouvaient être abrogés unilatéralement, n’avaient pas contribué à garantir la protection voulue à l’auteur et à la fragile culture de la minorité à laquelle il appartenait.
3.4L’auteur affirme aussi qu’il y a eu violation de l’article 27 et du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte car le Gouvernement fédéral et le Gouvernement provincial sont disposés à envisager uniquement une indemnisation pécuniaire pour la perte des droits des autochtones, à l’exclusion de la restauration de ces droits. Le versement d’une somme d’argent n’est pas la «mesure positive» de protection attendue, considérée comme nécessaire au paragraphe 2 de l’article 2.
3.5L’auteur ajoute que sa plainte telle qu’elle est exprimée ci‑dessus devrait être interprétée dans le contexte du paragraphe 2 de l’article premier du Pacte dès lors que le statut des Premières Nations en tant que «peuples» est reconnu au niveau national. Il fait observer que le paragraphe 2 de l’article 5 du Pacte ne permet pas à l’État partie de faire valoir que les Premières Nations ne jouissent pas, en droit international, d’un tel statut puisqu’il leur a été conféré par la législation interne.
3.6En conséquence, l’auteur demande au Comité d’exhorter l’État partie à faire le nécessaire en vue de mettre en œuvre les mesures voulues pour garantir la reconnaissance et l’exercice des droits de chasse, de pêche, de piégeage et de cueillette des Premières Nations, moyennant l’élaboration d’un nouveau traité.
3.7L’auteur déclare que la même affaire n’a pas été soumise pour examen à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
Observations soumises par l’auteur dans un enregistrement vidéo
4.Dans sa communication initiale du 9 octobre 1998, l’auteur, se référant à la tradition orale des Premières Nations de Mississauga, a demandé au Comité de tenir compte, en plus des pièces écrites présentées par les parties, d’un témoignage oral sous la forme d’un enregistrement vidéo contenant un entretien avec l’auteur et deux autres membres des Premières Nations de Mississauga sur l’importance de la pêche pour leur identité, leur culture et leur mode de vie. Le 12 janvier 2000, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial pour les nouvelles communications (de l’époque), a décidé de ne pas accepter l’enregistrement vidéo en tant qu’élément de preuve en application de la disposition du Protocole facultatif autorisant uniquement une procédure écrite (par. 1 de l’article 5 du Protocole facultatif). Dans une lettre datée du 7 février 2000, l’auteur a fourni au Comité une transcription de l’enregistrement vidéo du témoignage en question. Le Comité sait gré à l’auteur de s’être montré coopératif en lui fournissant cette transcription.
Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication
5.1Dans une lettre datée du 28 juillet 2000, l’État partie affirme que la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes. Il souligne que la législation en vigueur réglemente, sans l’interdire, la pratique de la chasse et de la pêche. La réglementation en question, qui porte sur l’octroi de permis, le volume des prises autorisées et les restrictions saisonnières, vise à promouvoir la conservation, la sécurité et l’éthique en matière de chasse et de pêche. L’auteur peut, à l’instar de toute autre personne, se livrer à ses pratiques traditionnelles dans le respect des limites fixées.
5.2L’État partie fait observer que les Premières Nations parties aux Traités Williams ont une action actuellement en instance devant la Cour fédérale dans laquelle elles affirment que le Gouvernement fédéral et le Gouvernement de l’Ontario ont manqué à leur obligation fiduciaire. Elles réclament, entre autres, une mesure corrective qui les rétablirait dans leurs droits de pêche et de chasse en dehors des réserves. Les parties ont décidé d’un commun accord de surseoir à la procédure contentieuse pendant que les négociations se poursuivaient.
5.3L’État partie fait observer en outre que les Premières Nations parties aux Traités Williams ne se sont pas prévalues de la possibilité de contester l’abrogation des Accords. Même si le tribunal a rejeté leur première requête pour vice de procédure, il a clairement indiqué qu’elles avaient la possibilité de déposer une nouvelle requête. Or, elles ne l’ont pas fait. L’État partie note que, quand bien même, aux dires de l’auteur, il aurait été «vain» de le faire, le Comité a toujours considéré qu’il ne suffit pas de douter de l’efficacité d’un recours pour être dispensé de l’exercer.
5.4Troisièmement, l’État partie fait observer que rien n’empêche les Premières Nations parties aux Traités Williams de demander à la Commission des revendications des Indiens, organe consultatif indépendant, de les aider à résoudre tout litige dans leurs négociations avec le Gouvernement fédéral au sujet de leurs revendications; or ce mécanisme de règlement n’a pas été mis à profit.
Commentaires de l’auteur
6.1Dans une lettre datée du 21 décembre 2000, l’auteur a rejeté les observations de l’État partie, affirmant qu’il a épuisé les recours internes dès lors que la décision obligatoire prononcée en ce qui le concerne par la Cour suprême a confirmé l’extinction de ses droits liés à son statut d’autochtone.
6.2L’auteur fait valoir que la procédure en cours devant la Cour fédérale soulève des questions différentes et ne saurait lui assurer la réparation qu’il demande. Cette procédure porte sur la violation d’une obligation fiduciaire plutôt que sur le rétablissement des droits de capture des autochtones et vise (sous sa forme actuelle) à obtenir une déclaration en ce sens, consistant à consentir «un recours en application de l’obligation qu’a la Couronne en tant que partie défenderesse de mettre des réserves à la disposition des plaignants ou de les dédommager si cette obligation n’est pas remplie». Au demeurant, la Cour fédérale est obligée de s’en tenir à la décision de la Cour suprême, pour qui les droits des autochtones en question ont été éteints par les Traités Williams. L’auteur note que, même si la procédure devant la Cour fédérale pouvait permettre à sa communauté d’acquérir d’autres terres et d’être équitablement indemnisée de ce qu’elle a cédé en 1923, elle ne rendra pas à l’auteur ses droits de capture, puisque, selon la Cour suprême, ils se sont éteints à cette époque.
6.3Pour ce qui est de l’action visant à contester l’abrogation des Accords de préservation de l’exploitation communautaire, l’auteur affirme que l’issue de toute nouvelle procédure est «tout à fait prévisible». Le juge a déclaré qu’il était «arrivé à la conclusion, après examen des faits de la cause, que rien ne justifiait l’octroi d’une réparation par déclaration ou par injonction». Se référant à la jurisprudence du Comité, l’auteur note que, dans son cas, la Cour suprême s’est déjà «prononcée sur la même question quant au fond» et qu’il n’était donc pas nécessaire d’engager une nouvelle procédure. En outre, la Cour suprême ayant rejeté sa demande tendant à ce que sa décision soit réexaminée, cette décision restait obligatoire pour les tribunaux inférieurs.
6.4Pour ce qui est de la proposition de l’État partie de poursuivre les négociations, l’auteur affirme que de telles négociations ne constituent pas un «recours» au sens du Protocole facultatif et qu’au demeurant l’État partie n’a pas montré que de telles négociations étaient susceptibles de rétablir l’auteur dans ses droits de capture. Le 16 mai 2000, les Premières Nations ont été informées que ces négociations ne reprendraient pas tant que le Gouvernement de l’Ontario n’y serait pas partie. En outre, la Commission des revendications des Indiens est un organe consultatif dont les recommandations ne sont pas contraignantes pour le Gouvernement fédéral. Qui plus est, elle peut seulement faciliter la solution de certains types de litiges et le Gouvernement fédéral a déjà déclaré que la question du rétablissement des droits de capture n’en faisait pas partie.
Observations ultérieures des parties
7.1Dans une lettre datée du 12 juillet 2001, l’État partie a répondu aux commentaires de l’auteur affirmant que, même si ce dernier dit intervenir non pas en tant que représentant des Nations parties aux Traités Williams, mais en son propre nom, il agit manifestement en leur nom et demande, en conséquence, une réparation collective.
7.2En ce qui concerne la procédure en cours devant la Cour fédérale, l’État partie fait valoir qu’il est tout à fait significatif que les Premières Nations demandent réparation pour le non‑respect d’une obligation fiduciaire découlant de la cession par les autochtones de leurs droits, y compris de chasse et de pêche. Même si elles demandent actuellement réparation, les Premières Nations avaient réclamé auparavant le rétablissement de leurs droits avant de modifier de leur plein gré leur argumentation de façon à ne plus revendiquer cet élément. L’État partie souligne que les Premières Nations ont la possibilité de demander le rétablissement de leurs droits de chasse et de pêche devant une juridiction provinciale compétente. D’ailleurs, elles ont intenté une action devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
7.3L’État partie fait observer que, dans sa décision concernant l’auteur, la Cour suprême s’est occupée essentiellement de la question factuelle de savoir s’il jouissait d’un droit de pêche dans le secteur où il avait été surpris en train de pêcher et inculpé. Elle n’a nullement abordé la question de la violation des obligations fiduciaires et celle des recours disponibles en pareil cas; en conséquence, ces questions peuvent encore être soumises aux tribunaux.
7.4Le 5 septembre 2001, l’auteur a envoyé d’autres commentaires, affirmant qu’il remplissait toutes les conditions de recevabilité: en particulier, il avait la qualité de victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif, ayant été privé, en application d’une décision de la plus haute autorité judiciaire, de la possibilité de pratiquer la pêche en tant que membre d’une «minorité» au sens de l’article 27. Se référant à des affaires antérieures tranchées par le Comité, il fait valoir que le fait que la réparation qu’il pourrait obtenir au titre du Protocole facultatif pourrait bénéficier à d’autres membres de sa communauté est sans objet. Il dénonce des violations bien déterminées de ses droits consacrés par le Pacte. Enfin, il a épuisé tous les moyens de droit disponibles. Il affirme qu’il serait injuste de le priver de son droit de présenter au Comité une requête individuelle fondée sur le Pacte simplement parce que la Première Nation à laquelle il appartient exerce d’autres recours devant les tribunaux canadiens en vertu de la législation interne en même temps que d’autres Premières Nations parties aux Traités Williams.
7.5L’auteur affirme qu’en vertu du droit canadien tel qu’il se présente actuellement, il n’est pas possible aux tribunaux de rétablir des droits autochtones éteints. Tous les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada, ne sont liés que par la reconnaissance, par la Loi constitutionnelle de 1982, des droits autochtones «existants». Il considère que le fait qu’en l’espèce la Cour suprême n’a pas examiné la question de la violation de l’obligation fiduciaire est sans objet − et que même si elle l’avait fait, le résultat aurait été le même. De même, pour ce qui est de l’opportunité d’engager une nouvelle action au sujet de l’abrogation des Accords de préservation de l’exploitation communautaire, force est de constater que les tribunaux auraient été liés par la décision de la Cour suprême selon laquelle, dans le cas de l’auteur, il n’existe aucun droit autochtone dont il puisse se prévaloir.
7.6Le 15 janvier 2003, l’État partie a présenté d’autres observations, contestant l’affirmation selon laquelle, en raison de sa législation telle qu’elle se présentait actuellement, le rétablissement de droits éteints était impossible. Il a fait observer que dans la décision de la Cour suprême citée à cet effet, la Cour ne s’était pas prononcée sur ce que seraient, le cas échéant, les obligations fiduciaires de la Couronne vis‑à‑vis de la Première Nation dans le cadre de la cession ou de l’extinction des droits de cette dernière, sur la question de savoir s’il y avait eu violation d’une quelconque obligation de cette nature, et sur les recours éventuellement disponibles. Or, ces questions sont précisément soulevées dans le cadre de l’action en cours intentée par les Premières Nations parties aux Traités Williams devant la Cour fédérale ou pourraient l’être dans le cadre d’une action devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
7.7L’État partie fait remarquer en outre que le Gouvernement fédéral n’a pas refusé d’engager des négociations au sujet des droits de chasse, de pêche, de piégeage et de cueillette des Premières Nations parties aux Traités Williams. Le Gouvernement fédéral considère toutefois que le rétablissement de tels droits nécessiterait la participation du Gouvernement de l’État de l’Ontario dès lors que ce dernier exerce seul sa juridiction sur les terres provinciales de la Couronne et sur le droit de récolte sur ces terres, conformément à la Loi constitutionnelle. Le Gouvernement de l’Ontario s’emploie actuellement à revoir les revendications des Premières Nations et n’a pas encore décidé s’il accepterait la demande de négociations.
Décision du Comité sur la recevabilité
8.1À sa soixante‑dix‑septième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.
8.2Le Comité s’est assuré, aux fins du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
8.3Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur agit au nom de tierces parties, le Comité a noté que l’auteur se disait personnellement victime, au sens de l’article premier du Protocole facultatif, d’une violation présumée de ses droits reconnus par le Pacte par suite de la décision de la Cour suprême confirmant sa condamnation pour pêche illégale. Pour ce qui est de la position d’autres personnes, le Comité a rappelé sa jurisprudence selon laquelle rien ne s’opposait, en principe, à ce qu’un groupe de personnes, s’estimant victimes d’un même préjudice, présentent ensemble une communication alléguant une atteinte à leurs droits. Toutefois, dans le cas présent, comme la communication pouvait être perçue comme ayant été présentée au nom d’autres personnes ou groupes de personnes, le Comité a noté que l’auteur n’avait soumis ni une autorisation émanant de ces personnes ni des arguments attestant qu’il était en position de représenter d’autres personnes devant le Comité sans leur autorisation. En conséquence, le Comité a estimé que la communication était irrecevable au titre de l’article premier du Protocole facultatif dans la mesure où il était possible de considérer qu’elle avait été soumise au nom d’autres personnes que l’auteur lui‑même.
8.4S’agissant des arguments de l’État partie selon lesquels les négociations en cours pourraient assurer un recours utile, le Comité s’est référé à sa jurisprudence en vertu de laquelle les recours qui devaient être épuisés aux fins du Protocole facultatif étaient, essentiellement, des recours judiciaires. Une procédure de négociations fondée, entre autres, sur des considérations extrajudiciaires, notamment des facteurs politiques, ne pouvait généralement être considérée comme étant de la même nature que les recours en question. Même si ces négociations étaient considérées comme un recours utile supplémentaire devant être épuisé dans certaines circonstances, le Comité a rappelé, en se référant à l’article 50 du Pacte, que l’État partie était responsable, aux termes du Pacte, des actes de ses autorités provinciales autant qu’il l’était des actes des autorités fédérales. Comme les autorités provinciales n’avaient jusqu’à présent pas pris de décision sur la question de savoir s’il convenait d’accepter la demande de négociations des Premières Nations, le Comité considérerait en tout état de cause ce recours comme étant excessivement long. En conséquence, vu l’état actuel des négociations, le Comité estimait qu’à tous points de vue, rien de ce qui figurait au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchait d’examiner la communication.
8.5Il en allait de même pour l’argument selon lequel des actions étaient en cours devant la Cour fédérale et la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Outre le fait que les deux actions avaient été intentées par les Premières Nations plutôt que par l’auteur et que leur issue n’aurait aucune incidence sur la condamnation de l’auteur en 1985 pour pêche illégale, le Comité considérait que même si l’auteur pouvait individuellement bénéficier d’un tel recours, ce recours était excessivement long en ce qui le concernait. Le Comité concluait donc que la Cour suprême s’étant déjà prononcée sur son cas, l’auteur avait épuisé les recours internes pour ce qui était des droits de pêche autochtones qu’il revendiquait, qui faisaient partie intégrante de sa culture.
8.6Le 1er avril 2003, le Comité a donc conclu que la communication était recevable dans la mesure où l’auteur avait été privé, en vertu d’une décision de droit pénal, de la possibilité d’exercer, individuellement et de concert avec d’autres membres de la communauté autochtone à laquelle il appartenait, des droits de pêche autochtones qui faisaient partie intégrante de sa culture.
Examen de la communication quant au fond
Observations de l’État partie sur le fond
9.1Par une lettre datée du 23 mars 2004, l’État partie présente ses observations sur la communication quant au fond. Contestant les dires de l’auteur selon lesquels le paragraphe 2 de l’article 2 et l’article 27 du Pacte auraient été violés, l’État partie soutient que l’auteur peut jouir, individuellement et de concert avec les autres membres de la Première Nation de Hiawatha, des aspects de sa culture qui touchent à la pêche.
9.2L’État partie rappelle que selon le Traité de 1923, la Première Nation à laquelle l’auteur appartient a convenu de renoncer à ses droits de pêche autochtones, si ce n’est dans les réserves qui lui ont été affectées. La Cour de l’Ontario a estimé que ces droits issus de traités s’appliquaient aux eaux adjacentes aux réserves, décision que le Gouvernement a interprétée comme signifiant qu’ils pouvaient s’étendre jusqu’à 100 yards (91,44 m) à partir du rivage dans les eaux situées face aux frontières de la réserve. Dans ces eaux, les membres de la Première Nation de Hiawatha n’ont pas à respecter les restrictions normales applicables à la pêche telles que saisons de pêche et limites de prises et ont le droit de pêcher toute l’année à des fins alimentaires, sociales et cérémoniales. En tout état de cause, l’État partie fait observer que ni l’auteur ni la Première Nation de Hiawatha ne dépendent de la pêche pour vivre. Les membres de la Première Nation de Hiawatha (dont 184 membres vivent dans la réserve et 232 au‑dehors) vivent au premier chef du tourisme et la pêche représente un loisir fort apprécié des personnes qui visitent la région. Les rives du lac Rice sur lesquelles vit la Première Nation de Hiawatha seraient parmi les plus poissonneuses de la région.
9.3L’État partie ajoute que l’auteur peut aussi se procurer une licence de pêche de loisir lui permettant de pêcher de mai à novembre dans les lacs et rivières de la région des lacs Kawartha au milieu de laquelle se trouve la réserve de la Première Nation de Hiawatha. Les quelques restrictions imposées à la pêche sont ciblées et ne touchent que quelques espèces; elles visent à assurer que la vulnérabilité particulière de chaque espèce soit prise en compte et que toutes les personnes qui exploitent cette ressource, dont l’auteur et les autres membres de la Première Nation de Hiawatha, en profitent. Des limites sont imposées sur le type d’espèce qui peut être pêchée, la durée pendant laquelle la pêche est ouverte pour chaque espèce et le volume des prises. Lorsque les eaux à la lisière de la réserve de Hiawatha sont fermées du 16 novembre à fin avril pour des raisons de préservation, l’auteur peut pêcher la plupart des espèces dans d’autres lacs et rivières un peu plus loin, de janvier à mars et de mai à décembre.
9.4L’État partie fait ainsi valoir que, comme l’auteur peut pêcher tout au long de l’année, partager ses prises avec sa famille et montrer à ses enfants et petits‑enfants comment pêcher, il n’est pas empêché de jouir des droits de pêche propres à sa culture. Prétendre comme le fait l’auteur que les eaux dans lesquelles il est autorisé à pêcher ne seraient pas assez poissonneuses est inconciliable avec le fait qu’il peut pêcher dans la rivière Otonabee, adjacente à la réserve de la Première Nation de Hiawatha, un peu en aval de là où il pêchait le 18 janvier 1985, et avec les enquêtes sur les ressources halieutiques et les déclarations publiques faites par la Première Nation de Hiawatha pour attirer les touristes. Il existe des possibilités de pêche légales pour l’auteur même pendant l’hiver où les eaux proches de la réserve de Hiawatha sont fermées à la pêche.
9.5Pour ce qui est de l’argument de l’auteur selon lequel la décision prise par la Cour suprême dans son cas serait incompatible avec les obligations faites à l’État partie au titre de l’article 27 du Pacte, l’État partie rappelle les questions et les arguments présentés aux tribunaux et les décisions de ces derniers. L’auteur a été inculpé de pêche illégale pendant la fermeture de la pêche parce qu’il avait attrapé du brochet dans l’Otonabee à proximité mais non dans les limites de la réserve de la Première Nation de Hiawatha. Au procès devant la Cour provinciale de l’Ontario, l’auteur a plaidé non coupable et fait valoir qu’il avait le droit de pêcher en tant que membre de la Première Nation de Hiawatha, que ce droit n’avait pas disparu avec le Traité de 1923 et qu’il ne devrait pas être abrogé par les règlements de pêche. Le juge du fond, qui avait reçu des centaines de pages de pièces justificatives, a conclu que les terres sur lesquelles l’infraction aurait eu lieu avaient en fait été cédées par le Traité de 1923 et que tout droit de pêche spécial avait de ce fait disparu. Au stade de l’appel devant la cour de district de l’Ontario, le juge a estimé qu’il ne pouvait pas conclure que les Indiens auraient été induits en erreur à l’époque du Traité de 1923 et que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui reconnaissait et confirmait l’existence des droits issus de traités des peuples autochtones du Canada, ne créait pas de nouveaux droits ni ne rétablissait les droits qui avaient été cédés. Quant à la cour d’appel de l’Ontario, elle était appelée à trancher la question centrale de savoir si les droits des membres de la Première Nation de Hiawatha de pêcher dans l’Otonabee avaient été ou non cédés au titre du Traité de 1923. L’auteur faisait valoir qu’il ne fallait pas interpréter le Traité comme éteignant ces droits et, en même temps, que la Bande du lac Rice (comme la Première Nation de Hiawatha s’appelait naguère) n’avait pas eu suffisamment connaissance des conditions énoncées dans le Traité et ni ne les avait assez bien comprises pour se sentir liée par lui. La Cour a estimé que les termes du Traité de 1923 montraient clairement et sans ambiguïté que la Bande avait renoncé à ses droits de pêche sur l’ensemble du territoire de l’Ontario lorsqu’elle avait signé le Traité, et conclu que la Couronne avait établi, comme elle en avait le devoir, que les représentants de la Bande connaissaient et comprenaient le Traité et ses clauses. La Cour suprême, saisie en appel, devait statuer sur le point de savoir si les signataires du Traité Williams de 1923 avaient renoncé à leurs droits de pêche issus de traités. Après avoir examiné minutieusement l’appréciation des éléments de preuve par les juridictions inférieures, elle a fait siennes leurs constatations et conclu que le contexte historique n’apportait aucun élément permettant de conclure que les termes du Traité de 1923 étaient ambigus ou n’auraient pas été compris des signataires Hiawatha. À ce propos, la Cour a fait observer que ces derniers comptaient des commerçants et un fonctionnaire et qu’ils savaient tous lire et écrire et participaient activement à l’économie et à la société de leur province.
9.6L’État partie fait valoir que la tentative faite par l’auteur de saper les constatations de fait des tribunaux va à l’encontre du principe soutenu par le Comité selon lequel il appartient aux juridictions des États parties et non au Comité d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée. L’État partie conteste par ailleurs l’idée émise par l’auteur qu’en l’espèce la décision de la Cour suprême revenait sur ce que la Première Nation de Hiawatha croyait comprendre depuis longtemps, à savoir qu’après 1923 elle avait conservé ses droits de pêche autochtones et n’avait pas à observer la législation de l’Ontario en la matière. Selon l’État partie, cette thèse n’avait été étayée d’aucun élément de preuve à l’audience, bien au contraire.
9.7Enfin, l’État partie affirme que l’article 27 doit permettre à une minorité de faire le choix d’accepter la limitation de ses droits à poursuivre son mode de vie traditionnel sur un certain territoire en échange d’autres droits et avantages. C’est ce choix que la Première Nation de Hiawatha a opéré en 1923 et, de l’avis de l’État partie, l’article 27 ne permet pas à l’auteur de revenir sur l’option prise par sa communauté plus de 80 ans auparavant. Il relève que l’auteur n’a soulevé aucun argument au titre des obligations internationales du Canada, y compris de l’article 27 du Pacte, au cours de la procédure judiciaire.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
10.1Le 30 août 2004, l’auteur commente les observations de l’État partie et réaffirme que les Traités Williams sont les seuls traités conclus au Canada qui ne protègent pas les droits autochtones de chasse, de pêche, de piégeage et de cueillette, et sont au contraire réputés avoir mis expressément fin à ces droits. En conséquence, l’auteur soutient qu’il ne jouit pas du même statut juridique et constitutionnel spécial que les membres de tous les autres peuples autochtones du Canada qui jouissent de droits autochtones ou issus de traités. Il considère qu’une indemnisation financière ne saurait se substituer aux mesures de protection nécessaires qu’appelle la culture de la minorité au sens de l’article 27 du Pacte.
10.2L’auteur affirme qu’en sa qualité de membre d’un groupe minoritaire, il a droit à la protection des activités économiques qui constituent un élément essentiel de sa culture. L’exercice de leurs droits culturels par les membres de communautés autochtones est étroitement associé au territoire et à l’utilisation de ses ressources. L’auteur note que l’État partie ne nie pas que la pêche représente un élément essentiel de la culture de la minorité à laquelle il appartient, et qu’il articule au contraire son argumentation autour du fait que l’auteur est en mesure d’exercer son droit de pêche. L’auteur déclare cependant que l’État partie ne précise pas s’il est habilité à exercer son droit culturel de pêcher en vertu d’un droit distinct et complémentaire de tout privilège reconnu par la loi à toute personne, autochtone ou non, qui s’acquitte d’une redevance en échange d’un permis de pêche délivré par les autorités.
10.3L’auteur s’élève aussi contre le fait que l’État partie se focalise uniquement sur la pêche et émet l’idée que cette insistance traduit une lecture par trop étroite de la décision de recevabilité du Comité. Selon l’auteur, sa communication touche aussi à ses droits de chasse, de piégeage et de cueillette qui font également partie intégrante de la culture qui lui est refusée.
10.4L’auteur souligne que c’est l’importance culturelle et sociétale du droit à la pêche, à la chasse, au piégeage et à la cueillette qui est au cœur de sa communication, non son aspect économique. Le fait que les membres de la Première Nation de Hiawatha participent à l’économie générale du Canada ne saurait ni ne devrait diminuer l’importance de leurs traditions et mode de vie culturels et sociétaux.
10.5Se référant à la superficie de la réserve de la Première Nation de Hiawatha (790,4 ha) et de la réserve partagée avec deux autres Premières Nations (un certain nombre d’îles), l’auteur affirme qu’il n’est pas raisonnable de donner à entendre qu’il peut exercer utilement de concert avec les membres de sa communauté ses droits inhérents à la pêche et à la chasse dans les limites des réserves et des eaux qui leur sont immédiatement adjacentes. Ces droits perdraient tout intérêt en l’absence de terres suffisamment étendues sur lesquelles les exercer. Dans ces conditions, il rappelle qu’à l’exception des Premières Nations parties aux Traités Williams, toutes les autres Premières Nations du Canada qui ont conclu des traités avec la Couronne ont vu leurs droits de capture reconnus bien au‑delà des limites de leurs réserves − sur l’intégralité de leurs territoires traditionnels.
10.6S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel il peut pêcher avec un permis de pêche récréative, l’auteur soutient qu’il n’est pas un pêcheur amateur. À son avis, les règlements applicables à la pêche de loisir sont destinés à encourager la pêche sportive et indiquent clairement que cette activité constitue un privilège et non un droit. En règle générale, cette activité est interdite, sauf conformément aux règlements et pour autant que l’on détienne un permis. Les règlements prévoient des exceptions à la règle générale en faveur de personnes titulaires d’un permis délivré en vertu des Règlements sur les permis de pêche communautaires des autochtones, mais l’auteur déclare qu’on lui a refusé le bénéfice de cette disposition parce que la Cour avait décidé que ses droits autochtones s’étaient éteints suite à la conclusion du Traité Williams.
10.7L’auteur relève qu’en comparant ses activités de pêche à celles d’un pêcheur amateur, l’État partie assimile son accès à la pêche à un privilège et non à un droit. Ses activités de pêche ne sont donc pas considérées comme prioritaires par rapport aux activités de pêcheurs sportifs et peuvent être limitées unilatéralement par l’État sans qu’il soit tenu de consulter l’auteur ou les dirigeants de sa Première Nation. Aux dires de l’auteur, ce traitement est contraire à celui reconnu à d’autres autochtones du Canada pour lesquels la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que l’exercice des droits autochtones et issus de traités prime sur toutes les autres utilisations à l’exception de la préservation.
10.8L’auteur fait valoir que l’État partie est tenu de prendre des mesures positives pour protéger ses droits de pêche et de chasse et que le fait de l’autoriser à pêcher en vertu de règlements applicables à la pêche récréative n’est pas une mesure positive au sens du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte.
10.9Il ajoute qu’il lui est interdit chaque année, du 16 novembre à fin avril, de pêcher sur le territoire traditionnel de la Première Nation de Hiawatha. Selon lui, l’argument avancé par l’État partie qu’il peut pêcher dans les lacs et rivières un peu éloignés de la réserve de Hiawatha ne tient pas compte des notions de territoire autochtone car ces lacs ne font pas partie du territoire traditionnel de la Première Nation de Hiawatha. L’auteur fait aussi valoir que les règlements privilégient la pêche à la ligne et que les méthodes de pêche traditionnelles (filet maillant, harpon, piège à poisson‑appât, senne, épuisette, etc.) sont soumises à des restrictions. De ce fait, une bonne partie des poissons pêchés traditionnellement par les Mississaugas ne peuvent l’être selon les méthodes traditionnelles (filet et piège). L’auteur indique aussi qu’il ne peut pas pratiquer la pêche sur glace sur le territoire traditionnel de sa Première Nation. Il renvoie à un arrêt de la Cour suprême (R. c. Sparrow, 1990) dans lequel la Cour estimait que l’interdiction faite aux peuples autochtones d’exercer leurs droits autochtones à l’aide de techniques traditionnelles constituait une atteinte à ces droits car il était impossible de faire une distinction nette entre le droit de pêcher et la technique de pêche. Enfin, l’auteur fait valoir que les limites de prises imposées par les règlements le contraignent effectivement à ne pêcher que pour sa consommation personnelle.
10.10Pour les raisons ci‑dessus, l’auteur soutient que ses droits aux termes de l’article 27 et du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte ont été violés et prie le Comité d’exhorter l’État partie à faire le nécessaire en vue de mettre en œuvre les mesures voulues pour garantir la reconnaissance et l’exercice des droits, protégés par la Loi constitutionnelle, de chasse, de pêche, de piégeage et de cueillette moyennant l’élaboration d’un nouveau traité.
Observations ultérieures des parties
11.1Par une lettre du 15 décembre 2004, l’État partie conteste l’assertion de l’auteur que la portée de la décision de recevabilité du Comité s’étend aux droits de chasse, de pêche et de cueillette. Il déclare que le texte de la décision de recevabilité est clair et que la question dont le Comité est saisi ne vise que «les droits de pêche qui font partie intégrante» de la culture de l’auteur. Si l’auteur n’accepte pas cette limite, libre à lui de demander au Comité de revoir sa décision sur la recevabilité, auquel cas l’État partie se réserve le droit de présenter de nouvelles observations sur le sujet.
11.2L’État partie fait aussi valoir que le Traité de 1923 a été négocié à la demande des Premières Nations elles‑mêmes, lesquelles revendiquaient la reconnaissance de droits aux territoires de chasse traditionnels en Ontario au nord du 45e parallèle. Après étude de ces revendications, la Couronne a conclu des traités par lesquels les Premières Nations renonçaient à leurs droits sur les territoires situés en Ontario en échange d’une indemnisation. La Bande du lac Rice n’ignorait rien de l’élaboration du traité et comme la cour d’appel l’a constaté dans l’affaire de l’auteur, il ressort des minutes de la réunion du conseil de la Bande que le projet de traité a été lu, interprété et expliqué avant d’être approuvé à l’unanimité.
11.3Quant aux griefs de l’auteur à propos des restrictions imposées en ce qui concerne les espèces qu’il peut pêcher et les méthodes de pêche, l’État partie fait valoir qu’ils auraient dû être formulés plus tôt, au titre de l’article 27. Il relève à cet égard que la communication initiale de l’auteur était axée sur les restrictions saisonnières de sa faculté de pêcher et soulevait d’autres arguments quant à sa faculté de transmettre ses connaissances à ses enfants, de s’adonner à cette activité avec sa communauté et de pêcher pour sa subsistance. Il ne prétendait nullement être empêché de pêcher tel ou tel poisson ou de recourir aux méthodes de pêche traditionnelles et l’État partie n’a pas été invité à faire des observations sur la recevabilité et le bien‑fondé de telles revendications. Il note par ailleurs que les éléments de preuve présentés par l’auteur à l’appui de ces revendications sont très généraux et ne sont pas propres à la Première Nation de Hiawatha, ce qui met en cause leur fiabilité. C’est pourquoi l’État partie demande au Comité de ne pas s’arrêter sur ces doléances.
11.4Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’État partie a l’obligation de prendre des mesures positives pour protéger ses droits de pêche et qu’il ne l’a pas fait, l’État partie avance que l’auteur jouit du droit issu de traités, protégé par la Loi constitutionnelle, de pêcher dans la réserve de sa nation et les eaux qui lui sont adjacentes. Dans la réserve que la Première Nation de l’auteur partage avec les Mississaugas du lac Curve et de l’île Scugog (réserve du Trent no36A), le droit de pêche issu de traités de l’auteur est aussi protégé. L’État partie fait observer que la réserve partagée se compose de plus d’une centaine d’îles réparties entre une douzaine de lacs et de rivières des Kawarthas et que les eaux adjacentes à ces îles offrent d’amples possibilités de pêche à l’auteur et aux membres de la Première Nation de Hiawatha. Dans ces eaux, l’auteur peut pêcher à tout moment de l’année à l’aide des techniques traditionnelles propres à sa communauté. L’État partie estime que la protection constitutionnelle évoquée plus haut constitue une mesure positive.
11.5L’État partie explique en outre qu’en vertu des principaux traités de cession de terrains du Canada, y compris les Traités Williams, ce qui était naguère des droits autochtones de chasse et de pêche a été redéfini et réaménagé au moyen des traités. Les termes des traités variaient selon l’objet du traité et la situation des parties. D’après l’État partie, les traités visant des régions éloignées, à la population disséminée, et peu urbanisées protègent la pratique de la pêche et l’exploitation de la faune à des fins de subsistance en fonction des particularités locales. Les Traités Williams visaient par contre des terres très proches de zones urbanisées et la question ne se posait pas de protéger ces droits à des fins de subsistance.
11.6S’agissant de l’argument avancé par l’auteur qu’un permis de pêche récréative est un simple privilège et non un droit, l’État partie fait observer que l’article 27 n’exige pas qu’une activité culturelle soit protégée moyennant la reconnaissance d’un droit. De l’avis de l’État partie, l’obtention d’un permis ne viole pas en soi l’article 27. L’État partie explique aussi qu’en vertu d’un permis de pêche récréative de l’Ontario une personne peut choisir de pêcher non pas pour se distraire, mais à des fins alimentaires, sociales et éducatives ou encore cérémoniales.
11.7L’État partie conteste l’argument de l’auteur que les limites de prises prévues par les règlements le contraignent à ne pêcher que pour sa consommation personnelle. Il explique qu’il n’y a aucune limite au nombre de poissons qu’il peut attraper dans les eaux des réserves ou celles qui les jouxtent et que dans les eaux qui se trouvent au‑delà de ce périmètre, lorsque la pêche est ouverte, il peut attraper des perchaudes et des mariganes en nombre illimité ainsi que 6 dorés jaunes, 6 achigans à grande bouche, 6 grands brochets, 5 truites ou saumons, 1 maskinongé et 25 grands corégones par jour. L’État partie conclut que l’auteur ne saurait par conséquent soutenir qu’il peut pêcher uniquement pour sa consommation personnelle. Il ajoute que l’auteur n’a pas présenté d’éléments de preuve attestant des besoins de sa famille élargie et des raisons pour lesquelles ils ne pourraient être satisfaits.
11.8L’État partie conteste aussi la déclaration de l’auteur selon laquelle il lui serait interdit de pêcher dans le territoire traditionnel de la Première Nation de Hiawatha chaque année du 16 novembre à fin avril, et rappelle que l’auteur peut pêcher tout au long de l’année dans les eaux du lac Rice et l’Otonabee adjacent à la réserve de la Première Nation de Hiawatha, ainsi que dans les eaux adjacentes aux îles de la réserve du Trent. Muni d’un permis de pêche récréative, il peut aussi pêcher dans le lac Scugog en janvier et février et dans des lacs et rivières de districts de pêche voisins. Dans ces conditions, l’État partie relève que l’auteur n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui de son affirmation que ces eaux se trouveraient en dehors du territoire et des zones de pêche traditionnels de la Nation de Hiawatha. Selon l’État partie, au contraire, tout porte à croire que les sept Premières Nations parties aux Traités Williams se partageaient leur territoire traditionnel.
11.9Enfin, l’État partie rappelle que la demande faite par l’auteur tendant à ce que le Comité formule des constatations et offre des voies de recours en faveur d’autres personnes que lui‑même ne relève pas en l’espèce de la portée de la décision de recevabilité. L’État partie rappelle que la Première Nation de Hiawatha et les autres Premières Nations parties aux Traités Williams sont en plein conflit avec la Couronne au nom de leurs membres, dans la mesure où elles cherchent une voie de recours pour un manquement présumé au devoir fiduciaire de la Couronne en ce qui concerne le renoncement à certains droits de chasse, de pêche et de piégeage aux termes des Traités Williams. Aussi serait‑il inapproprié que l’auteur demande au Comité de formuler des constatations et d’offrir des voies de recours au nom des Premières Nations qui n’ont pas saisi le Comité en bonne et due forme; de telles constatations préjugeraient de l’issue du contentieux au Canada. Si le Comité, contrairement à l’État partie, estimait que les droits de pêche de l’auteur au titre de l’article 27 ont été violés, les mécanismes législatifs et réglementaires existants permettraient à l’État de multiplier les possibilités de pêche en faveur de l’auteur et de sa communauté.
11.10Dans sa réponse aux nouvelles observations de l’État partie, l’auteur, dans une lettre datée du 5 avril 2005, affirme que les îles de la réserve partagée des eaux de la rivière Trent, bien que nombreuses, sont de taille extrêmement réduite, nombre d’entre elles étant constituées de simples amas de rochers, ce qui signifie que les possibilités de pêche sont négligeables. La superficie moyenne des îles serait de 0,68 ha.
11.11L’auteur rappelle par ailleurs que la comparaison avec des traités contemporains n’est pas inutile et montre que malgré l’urbanisation et le développement économique et le fait que certains autochtones ne soient pas tributaires des activités traditionnelles pour leur subsistance, tous les traités à l’exception des Traités Williams reconnaissent et protègent les droits de chasse, de pêche et de piégeage de même que l’exercice de ces droits sur une partie raisonnable du territoire traditionnel de la communauté autochtone.
11.12En réponse à l’affirmation de l’État partie que l’auteur n’a pas apporté de preuves que le lac Scugog et les autres lacs et rivières des districts de pêche voisins se trouvent en dehors des zones de pêche traditionnelles de la Première Nation de Hiawatha, l’auteur renvoie à une carte indiquant les territoires de chasse familiaux des Mississaugas, dressée à partir de la description faite de ces territoires à l’occasion des dépositions devant les Commissaires des Traités Williams en 1923. Selon l’auteur, la carte montre que le territoire de chasse traditionnel de Hiawatha se trouvait près du lac Rice et n’incluait pas le lac Scugog.
11.13L’auteur conteste par ailleurs la déclaration faite par l’État partie que le Traité Williams a été négocié selon les règles avec la Première Nation de l’auteur; il fait valoir qu’il n’y a eu qu’une seule journée d’audition dans la communauté et que le conseiller juridique de la communauté n’a pas été autorisé à y participer. La signification culturelle et religieuse de la pêche pour les Mississaugas a été totalement négligée et les droits de pêche traditionnelle non commerciale ont été pratiquement éteints. Aussi l’auteur réitère‑t‑il son argument que l’État partie n’a pas mis en œuvre les Traités Williams de façon à assurer que l’auteur puisse jouir de sa culture.
11.14En réponse à l’argument avancé par l’État partie que l’article 27 n’exige pas de protéger une activité culturelle par l’institution d’un droit, l’auteur soutient que sa situation se distingue de celle de l’auteur dans l’affaire évoquée par l’État partie. Le Comité a jugé en l’espèce que la législation qui portait atteinte aux droits de l’auteur reposait sur des fondements raisonnables et objectifs et s’imposait pour assurer la viabilité et la protection dans le temps de la minorité tout entière. On ne peut en dire autant de la réglementation de la pêche applicable à l’auteur dans le cas présent.
11.15L’auteur rejette l’idée avancée par l’État partie qu’il aurait formulé de nouvelles prétentions en soulevant la question des méthodes de pêche car il serait artificiel de faire la distinction entre son droit de pêcher et la manière particulière d’exercer ce droit. Il souligne qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle revendication mais qu’il s’agit bien de la même que celle qu’il a formulée au titre de l’article 27 avant que le Comité ne statue sur la recevabilité.
11.16L’auteur rejette l’argument de l’État partie selon lequel il demanderait une réparation inappropriée. Il déclare qu’il s’est tenu entre les Premières Nations et l’Ontario non pas des négociations sur le fond, mais seulement des réunions préparatoires. L’auteur ajoute qu’au cours de ces réunions il a été convenu que l’ouverture d’entretiens ne serait pas interprétée ni présentée comme une admission de fait, de droit ou la reconnaissance de quoi que ce soit qui serait contraire à la position des parties, telle qu’elle est décrite dans la présente communication, et que l’argument de l’État partie porte ainsi atteinte à cet accord. Il rappelle que la seule voie de recours utile réside dans la négociation de bonne foi et en temps utile d’un accord qui, fondé sur une assise solide et conçu dans une perspective à long terme, permettrait à l’auteur de jouir de sa culture. Le meilleur outil disponible à cet effet dans la panoplie juridique du Canada resterait la protection des droits par voie de traité.
Examen de la communication au fond
12.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
12.2En ce qui concerne la portée de la décision sur la recevabilité, le Comité constate qu’au moment où il a pris sa décision, l’auteur n’avait produit aucun élément étayant ses revendications au sujet de ses droits de chasse, de piégeage et de cueillette et de l’épuisement des recours internes à cet égard. Il note aussi que l’auteur ne s’est plaint des restrictions imposées à l’utilisation des méthodes de pêche traditionnelles et des limites des prises qu’une fois la communication déclarée recevable. De l’avis du Comité, rien n’aurait empêché l’auteur de formuler ces revendications en temps opportun, lorsqu’il a soumis sa communication, s’il l’avait voulu. Comme l’État partie n’avait pas demandé à faire des observations sur la recevabilité de ces aspects des griefs de l’auteur et que les voies de recours internes que l’auteur a épuisées ne visaient que sa condamnation pour pêche hors saison, le Comité n’a pas pris en considération ces aspects de la plainte de l’auteur dans sa décision sur la recevabilité. Aussi le Comité ne s’y arrêtera‑t‑il pas.
12.3Tant l’auteur que l’État partie ont fait abondamment référence au Traité de 1923, conclu entre la Couronne et la Première Nation de Hiawatha et qui, selon les tribunaux de l’État partie, a éteint le droit de la nation dont l’auteur est membre de pêcher en dehors de ses réserves ou de leurs eaux adjacentes. Il n’appartient toutefois pas au Comité de se prononcer à ce sujet.
12.4Le Comité relève qu’il est indiscutable que l’auteur est membre d’une minorité qui jouit de la protection de l’article 27 du Pacte et qu’il est donc en droit d’avoir, en commun avec les autres membres de son groupe, sa propre culture. Il est indiscutable que la pêche fait partie intégrante de la culture de l’auteur.
12.5La question dont le Comité est saisi, telle qu’elle est déterminée par sa décision de recevabilité, est donc celle de savoir si les règlements de pêche de l’Ontario tels qu’ils sont appliqués à l’auteur par les tribunaux l’ont privé, en violation de l’article 27 du Pacte, de sa faculté d’exercer, individuellement et en commun avec d’autres membres de son groupe, des droits de pêche reconnus aux autochtones qui font partie intégrante de sa culture.
12.6L’État partie a soutenu que l’auteur avait le droit de pêcher tout au long de l’année dans les réserves de sa nation et les eaux adjacentes et que, titulaire d’un permis, il pourrait aussi pêcher dans d’autres zones de la région ouvertes à la pêche lorsque la région avoisinante des réserves est fermée. L’auteur a répliqué qu’il n’y avait pas assez de poisson dans les réserves et les eaux adjacentes pour que ce droit représente un intérêt quelconque et que les autres zones indiquées par l’État partie n’appartenaient pas aux zones de pêche traditionnelles de sa nation. Il a aussi affirmé que pêcher avec un permis représentait un privilège alors qu’il prétend pêcher de plein droit.
12.7Se référant à sa jurisprudence antérieure, le Comité estime que les États parties au Pacte peuvent réglementer les activités qui constituent un élément essentiel de la culture d’une minorité pour autant que ces règlements ne reviennent pas, de fait, à refuser ce droit. Le Comité doit donc rejeter l’argument de l’auteur selon lequel l’obligation de se procurer un permis de pêche violerait en soi ses droits au titre de l’article 27.
12.8Le Comité note que les éléments de preuve et les arguments présentés par l’État partie montrent que l’auteur a la possibilité de pêcher, soit en vertu du droit conféré par un traité dans les réserves et dans les eaux adjacentes à celles‑ci, soit sur la base d’un permis en dehors des réserves. La question de savoir si ce droit suffit ou non à permettre à l’auteur de jouir de cet élément de sa culture en commun avec les autres membres de son groupe dépend d’un certain nombre de considérations factuelles.
12.9Le Comité note que, en ce qui concerne les prises potentielles de poisson dans les réserves et les eaux adjacentes, l’État partie et l’auteur ne voient pas les choses sous le même angle. L’État partie a fourni des statistiques détaillées tendant à montrer que les eaux des réserves et celles qui leur sont adjacentes sont suffisamment poissonneuses pour permettre à l’auteur d’exercer utilement son droit de pêche, ce que conteste l’auteur. De même, les parties ne partagent pas le même point de vue sur l’étendue des zones de pêche de la Première Nation de Hiawatha.
12.10Le Comité note à cet égard que ces questions de fait n’ont pas été portées devant les tribunaux de l’État partie. Il rappelle que c’est au premier chef aux juridictions d’un État partie qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, or l’absence d’une telle appréciation dans le cas présent gêne considérablement le Comité dans sa tâche.
12.11Le Comité considère qu’il n’est pas en mesure de tirer des conclusions indépendantes sur les conditions réelles dans lesquelles l’auteur peut exercer son droit de pêche et leurs conséquences pour sa jouissance du droit à sa propre culture. Bien qu’il comprenne le souci de l’auteur, compte tenu tout particulièrement de la superficie plutôt réduite des réserves en question et des limites imposées à la pêche en dehors des réserves, et sans préjuger de l’issue de toute action en justice ou de toute négociation entre les Premières Nations parties aux Traités Williams et le Gouvernement, il est d’avis que les informations dont il est saisi ne lui permettent pas de constater qu’il y a eu violation de l’article 27 du Pacte.
13.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
C. Communication n o 903/2000, Van Hulst c. Pays-Bas (Constatations adoptées le 1 er novembre 2004, quatre-vingt-deuxième session)
Présentée par: |
Antonius Cornelis Van Hulst (représenté par un conseil, M. Taru Spronken) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Pays‑Bas |
Date de la communication: |
8 avril 1998 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er novembre 2004,
Ayant achevé l’examen de la communication no 903/1999, présentée au nom de Antonius Cornelis Van Hulst en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication est Antonius Cornelis Van Hulst, ressortissant néerlandais. Il prétend être victime de violations par les Pays‑Bas des articles 14 et 17 du Pacte. Il est représenté par un conseil.
1.2Une communication analogue, reposant sur les mêmes faits, a été présentée le 7 septembre 1998 par M. A.T.M.M., se déclarant lui aussi victime d’une violation par les Pays‑Bas de l’article 17 du Pacte. M. A.T.M.M. n’a pas fait valoir par la suite ses prétentions et, nonobstant un rappel qui lui a été adressé, n’a pas indiqué au Comité s’il souhaitait maintenir sa communication.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1À l’occasion d’une enquête préliminaire ouverte contre M. A.T.M.M., l’avocat de l’auteur, des conversations téléphoniques entre A.T.M.M. et l’auteur ont été interceptées et enregistrées. Au vu des informations ainsi recueillies, une enquête préliminaire a été ouverte contre l’auteur lui‑même, et sa mise sur table d’écoute autorisée.
2.2Par décision rendue le 4 septembre 1990, le tribunal de district de ’s‑Hertogenbosch a déclaré l’auteur coupable de participation à une organisation criminelle, d’acquisition habituelle de biens sans intention de payer, d’escroquerie et de tentative d’escroquerie, de chantage, de contrefaçon et de recel, et l’a condamné à six ans d’emprisonnement.
2.3Au cours du procès, le conseil de l’auteur a affirmé que l’accusation ne devrait pas être retenue parce qu’elle s’appuyait sur un certain nombre de procès‑verbaux de conversations téléphoniques entre l’auteur et son avocat, A.T.M.M., qui ne sauraient, au regard du droit, être admis comme éléments de preuve. Il a fait valoir que, conformément au paragraphe 2 de l’article 125h, lu en liaison avec l’article 218, du Code de procédure pénale, les éléments de preuve recueillis illégalement auraient dû être écartés.
2.4Bien que le tribunal de district ait reconnu avec l’auteur que les conversations téléphoniques échangées entre celui‑ci et A.T.M.M. ne pouvaient pas être utilisées comme éléments de preuve, dans la mesure où ce dernier intervenait en sa qualité d’avocat de l’auteur et non en tant que suspect, il a rejeté l’argumentation développée par l’auteur pour réfuter la thèse de l’accusation, notant que le procureur ne s’était pas fondé, pour établir la culpabilité de l’auteur, sur les conversations téléphoniques mises en cause. Tout en ordonnant que ces éléments soient retirés du dossier, il a admis et utilisé comme éléments de preuve d’autres conversations téléphoniques, qui avaient été interceptées et enregistrées dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte contre A.T.M.M., conformément à l’article 125g du Code de procédure pénale, et qui ne concernaient pas la relation avocat‑client avec l’auteur.
2.5En appel, le défenseur a fait valoir que les enregistrements des écoutes téléphoniques, qui auraient dû être détruits conformément au paragraphe 2 de l’article 125h, ne l’avaient pas en fait tous été. Néanmoins, par arrêt rendu le 10 avril 1992, la cour d’appel de ’s‑Hertogenbosch a rejeté cet argument, déclarant qu’il n’y aurait pas lieu de faire droit à la demande présentée par l’auteur d’examiner la question de savoir si les procès‑verbaux en question avaient été détruits, car «l’absence de ces pièces dans le dossier ne prouverait pas avec certitude qu’elles ont été détruites». La cour a reconnu l’auteur coupable d’acquisition habituelle de biens sans intention de payer, de contrefaçon et de recours à des menaces physiques, sans faire état des enregistrements des conversations téléphoniques, et l’a condamné à cinq années d’emprisonnement.
2.6Devant la Cour suprême, le défenseur a fait observer que la cour d’appel n’avait pas donné de réponse à la thèse qu’il avait avancée selon laquelle les enregistrements des conversations téléphoniques avec l’avocat de l’auteur avaient été obtenus illégalement et qu’ils n’avaient pas été détruits par la suite. La Cour suprême a rejeté cet argument et, par décision du 30 novembre 1993, pour des raisons différentes, elle a partiellement cassé l’arrêt de la cour d’appel sur deux chefs d’accusation, ainsi que la peine prononcée, et renvoyé l’affaire à la cour d’appel d’Arnhem.
2.7Le 24 mars 1995, la cour d’appel d’Arnhem a acquitté l’auteur sur un chef d’accusation et l’a condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement sur les autres chefs d’accusation. Dans le pourvoi qu’il a formé contre cet arrêt, l’auteur a fait valoir qu’il n’avait toujours pas été répondu à son grief touchant les écoutes téléphoniques. Le 16 avril 1996, la Cour suprême a rejeté le pourvoi, sans le motiver, en se fondant sur l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire.
2.8Le 22 octobre 1996, l’auteur a présenté à la Commission européenne des droits de l’homme une requête, alléguant notamment une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Par décision rendue le 8 décembre 1997, la Commission a déclaré la requête irrecevable au motif qu’une juridiction d’appel ne viole pas l’article 6 de la Convention si, se fondant sur une disposition juridique spécifique, elle rejette un recours dont elle considère qu’il n’a aucune chance d’aboutir sans motiver plus avant sa décision. S’agissant des autres griefs présentés par l’auteur, la Commission a considéré qu’ils ne laissaient apparaître aucune violation des droits et des libertés énoncés dans la Convention ou ses protocoles.
Teneur de la plainte
3.1Selon l’auteur, le rejet par la Cour suprême, par simple référence à l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire, de son grief touchant les écoutes téléphoniques, ainsi que l’admission en tant qu’éléments de preuve de procès‑verbaux de l’écoute de conversations téléphoniques entre lui‑même et son avocat et leur utilisation constituaient une violation de ses droits au titre de l’article 14 du Pacte, et l’atteinte portée à son droit de communiquer avec son avocat en toute confidentialité était illégale et arbitraire, constituant une violation de l’article 17 du Pacte.
3.2L’auteur ajoute que le fait que les juridictions ont rejeté son moyen de défense sans le motiver a rendu vain son droit de faire appel de sa condamnation. En particulier, l’exercice par la Cour suprême du pouvoir discrétionnaire que lui reconnaît l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire, de se borner à déclarer qu’une requête ne peut pas déboucher sur la cassation de l’arrêt initial ou qu’elle n’appelle pas de réponse sur des points de droit dans l’intérêt de l’uniformité et du développement du droit, l’a privé de l’occasion de préparer sa défense devant le Comité ou, au demeurant, devant la Commission européenne des droits de l’homme.
3.3De l’avis de l’auteur, l’article 121 de la Constitution des Pays‑Bas exige que les jugements soient motivés; les exceptions à cette règle doivent être définies par la loi et limitées au strict minimum. En conséquence, l’article 101a, qui a été adopté en 1988 afin de réduire la charge de travail de la Cour suprême et de renforcer son efficacité, ne saurait justifier le déni du droit d’un défendeur à connaître les motifs du rejet de son recours de manière à dûment préparer sa défense.
3.4L’auteur se réfère à la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle les juridictions nationales doivent indiquer avec suffisamment de clarté les motifs sur lesquels elles se sont fondées pour prendre leurs décisions, afin de permettre à l’accusé de dûment exercer son droit de recours. Vu les similitudes existant entre l’article 6 de la Convention européenne et l’article 14 du Pacte, il est fait observer que les exceptions à l’application de ce principe, qui peuvent être excipées de la jurisprudence de la Cour européenne, s’appliquent aussi dans le cas de l’article 14 du Pacte. Aussi, une juridiction n’a‑t‑elle pas à motiver sa décision: a) si une juridiction inférieure a déjà rendu une décision motivée sur la même question; b) si une décision n’est pas susceptible d’appel; c) dans le cas d’arguments qui ne revêtent pas une importance essentielle; d) dans le contexte d’un système de formation de recours sur autorisation; et e) dans le cas d’une décision sur la recevabilité.
3.5Selon l’auteur, les exceptions énumérées ci‑dessus ne s’appliquent pas dans son cas, pour les raisons suivantes: a) aucune des juridictions saisies de son affaire n’a répondu, dans le fond et de façon circonstanciée, à son argument mettant en cause l’utilisation des écoutes téléphoniques lors de la procédure pénale; b) bien que l’arrêt de la Cour suprême du 16 avril 1996 ne fût pas susceptible d’appel au niveau national, il aurait dû être motivé de manière à permettre à l’auteur de préparer une communication destinée au Comité et/ou à la Commission européenne des droits de l’homme; c) son argument ne pouvait pas être rejeté pour n’être pas essentiel, car il avait trait à des violations de son droit à la protection de sa vie privée et de son droit à un procès équitable; et d) le pouvoir discrétionnaire de la Cour suprême de rejeter un pourvoi en cassation en se fondant sur l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire ne saurait être comparé à un système de formation de recours sur autorisation, car cet article habilite la Cour à «renoncer purement et simplement à motiver ses décisions».
3.6S’agissant de son grief au titre de l’article 17, l’auteur fait observer que, en tant que client de M. A.T.M.M., il aurait dû se voir accorder une protection judiciaire contre les écoutes téléphoniques et l’enregistrement de ses conversations téléphoniques avec son avocat, parce qu’il ne pouvait pas savoir que celui‑ci était tenu pour suspect dans le cadre d’une procédure pénale. Il y a atteinte au droit de s’assurer les services de l’avocat de son choix lorsque la protection de la confidentialité dépend de la question de savoir si l’avocat est lui‑même tenu ou non pour suspect dans une affaire pénale.
3.7D’après l’auteur, le droit que lui reconnaît l’article 17 de ne pas être l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée englobe le droit à communiquer en toute confidentialité avec son avocat, droit qui ne peut être limité que: a) conformément à la loi; b) dans un but légitime; et c) si l’immixtion est proportionnée au but recherché.
3.8Tout en admettant que la lutte contre la criminalité est un objectif légitime, l’auteur conteste la jurisprudence de la Cour suprême selon laquelle le paragraphe 2 de l’article 125h du Code de procédure pénale, bien qu’exigeant la destruction des procès‑verbaux d’écoute de conversations téléphoniques faisant intervenir une personne habilitée à refuser de témoigner, n’empêche pas de prendre éventuellement connaissance d’informations qui entrent dans le champ d’application de l’article 218 du Code de procédure pénale, car il n’est pas possible de savoir par avance si participe à la conversation une personne tenue au secret par la loi. Le paragraphe 2 de l’article 125h devrait plutôt être interprété comme interdisant rigoureusement de mettre sur table d’écoute un avocat/suspect, «les enregistrements de toutes les conversations confidentielles devant être immédiatement détruits». Dans le cas contraire, des informations pourraient être recueillies par voie d’interception et d’enregistrements, qui ne pourraient pas normalement être obtenues à travers les dépositions de témoins ou de suspects. L’auteur ajoute que l’écoute de conversations téléphoniques échangées entre lui et son avocat était une mesure disproportionnée.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1Dans ses observations datées du 23 avril 2003, l’État partie, sans contester la recevabilité de la communication, fait observer que ni la référence faite par la Cour suprême à l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire ni l’admission comme éléments de preuve de conversations téléphoniques entre l’auteur et M. A.T.M.M. interceptées ne constituaient une violation du droit de l’auteur à un procès équitable conformément à l’article 14 et que les immixtions dans sa vie privée et sa correspondance n’étaient ni illégales ni arbitraires.
4.2Tout en concédant que le droit à un procès équitable, en principe, veut que les tribunaux exposent les motifs de leurs décisions, l’État partie déclare que le droit d’obtenir une décision de justice motivée n’est pas un droit absolu, mais qu’il dépend de la nature de la décision, des circonstances de chaque espèce et du stade de la procédure. La jurisprudence de la Cour européenne selon laquelle les juridictions d’appel peuvent, en principe, se borner à faire leurs les motifs énoncés dans la décision d’une juridiction inférieure, doit a fortiori s’appliquer aussi dans le cas des cours suprêmes qui, à l’instar des cours constitutionnelles, rejettent souvent des recours hâtivement.
4.3L’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire a été conçu comme une mesure d’efficacité devant permettre à la Cour suprême de faire face à sa charge de travail de plus en plus lourde. Il a été donné à la Cour européenne d’examiner cette disposition, et elle a déclaré des recours dont elle a fait l’objet manifestement non fondés. On ne saurait donc prétendre que, du seul fait qu’il existe, l’article 101a constitue une violation de l’article 14 du Pacte.
4.4L’État partie rejette l’argument de l’auteur selon lequel l’application de l’article 101a a restreint la possibilité qu’il avait de se défendre devant le Comité, faisant valoir que les garanties prévues à l’article 14 du Pacte ne s’appliquent qu’aux recours formés au niveau national. Au grief de l’auteur selon lequel le fait que la Cour suprême s’est contentée d’invoquer l’article 101a constituait une atteinte à son droit de saisir le Comité, l’État partie répond que la décision de la Cour suprême n’a nullement remis en cause les motifs circonstanciés exposés par les juridictions aux stades antérieurs de la procédure. L’allégation de l’auteur selon laquelle aucun organe judiciaire n’a jamais répondu au fond à son argument touchant l’écoute de ses conversations téléphoniques avec son avocat était dénuée de fondement. En outre, la Cour suprême n’a invoqué l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire qu’après avoir cassé en partie l’arrêt rendu de la cour d’appel du 10 avril 1992, et elle a renvoyé l’affaire à la cour d’appel d’Arnhem, par décision du 30 novembre 1993.
4.5Quant à l’admission comme élément de preuve de l’enregistrement de certaines conversations téléphoniques entre l’auteur et M. A.T.M.M., l’État partie relève qu’il appartient en règle générale aux juridictions nationales, et non au Comité, d’apprécier les éléments de preuve recueillis par elles, sauf s’il apparaît manifestement qu’il y a eu violation de l’article 14. Pour l’État partie, il y a lieu de considérer que la procédure, dans son ensemble, s’est déroulée de façon équitable, pour les raisons suivantes: a) le tribunal de district n’a admis l’enregistrement de conversations entre l’auteur et son avocat que dans la mesure où celles‑ci avaient un rapport avec la participation de ce dernier à la commission d’une infraction pénale, et il a précisé que ni le parquet ni le tribunal lui‑même n’avaient fondé leurs conclusions sur des conversations avocat‑client protégées; b) aucune transcription des enregistrements n’a été faite ni versée au dossier, les enregistrements ayant été tout simplement mentionnés au cours du procès, conformément à l’arrêt rendu par la Cour européenne dans l’affaire Kruslin c. France, arrêt dans lequel elle a souligné la nécessité de communiquer complets les enregistrements réalisés, aux fins de contrôle éventuel par le juge et par la défense; c) l’auteur n’a jamais contesté la fiabilité des éléments de preuve, maintenant tout simplement que les informations auraient dû être effacées; et d) le dossier montre que la condamnation de l’auteur ne reposait pas sur des conversations interceptées dans lesquelles M. A.T.M.M. intervenait en tant qu’avocat et non comme suspect.
4.6S’agissant de l’assertion de l’auteur concernant l’article 17, l’État partie concède que les expressions «vie privée» ou «correspondance» peuvent s’entendre aussi d’appels téléphoniques en provenance ou à destination d’un cabinet d’avocats et que l’interception des conversations téléphoniques de l’auteur constituait une «immixtion» au sens de cette disposition. Évoquant l’Observation générale no 16 du Comité, il conteste que cette immixtion ait été illégale ou arbitraire au sens de l’article 17, car celui‑ci n’interdit que les immixtions qui ne sont pas prévues par la loi (immixtions «illégales»), laquelle doit être elle‑même conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte, ou qui ne sont pas raisonnables dans les circonstances de l’espèce (immixtions «arbitraires»).
4.7L’État partie avance que le droit applicable au moment considéré, à savoir les alinéas f à h de l’article 125 du Code de procédure pénale, n’interdisait pas la mise sur écoute de conversations téléphoniques échangées avec des personnes liées, aux termes de la loi, par le secret. En promulguant ces dispositions en 1971, le législateur n’a pas indiqué qu’elles ne devraient pas s’appliquer aux personnes liées, aux termes de la loi, par le secret, au sens de l’article 218 du Code de procédure pénale. De plus, le droit applicable, qui incluait alors des directives circonstanciées relatives à l’examen des conversations téléphoniques, était suffisamment précis pour autoriser des immixtions dans le droit au respect de la vie privée, puisqu’il énonçait des garanties de procédure contre les excès de pouvoir, comme par exemple la subordination des écoutes téléphoniques à une autorisation du juge et la réglementation de l’établissement et, dans certains cas, de la destruction d’enregistrements officiels de toute conversation téléphonique interceptée.
4.8L’État partie affirme que les immixtions dans l’exercice par l’auteur de son droit au respect de sa vie privée visaient un objectif légitime (la lutte contre la criminalité) et étaient proportionnées, le tribunal de district ayant veillé à ce qu’il ne soit pas tenu compte, dans le cadre des poursuites pénales engagées contre l’auteur, des conversations téléphoniques interceptées dans lesquelles M. A.T.M.M. intervenait en tant qu’avocat de l’auteur et non en tant que suspect dans des affaires pénales. S’agissant des conversations interceptées parce que A.T.M.M. était tenu pour suspect, et qui n’englobaient donc pas des communications professionnelles entre un avocat et son client, l’État partie fait observer qu’il est déraisonnable d’escompter une impunité totale pour l’auteur et A.T.M.M. du simple fait que ce dernier est également avocat.
4.9Enfin, l’État partie maintient que les inconvénients causés à l’auteur du fait de l’écoute de ses conversations téléphoniques avec A.T.M.M. relèvent essentiellement d’une affaire entre parties privées, car l’auteur aurait pu engager une procédure au civil contre A.T.M.M., qui pourrait faire en outre l’objet d’une procédure disciplinaire.
Commentaires de l’auteur
5.1Dans ses commentaires datés du 15 juillet 2003 sur les observations de l’État partie, l’auteur réitère ses griefs et développe son argumentaire concernant la violation présumée de l’article 17. Les décisions des juridictions néerlandaises impliquent concrètement que, chaque fois qu’un avocat est soupçonné d’avoir perpétré une infraction pénale et qu’il est mis pour ce fait sur écoute, ses clients ne peuvent plus prétendre à la confidentialité de la relation avocat‑client ni à la garantie de la destruction immédiate des enregistrements des conversations téléphoniques ainsi interceptées.
5.2L’auteur prétend que l’État partie n’a pas établi de distinction entre les conversations conseil‑client et les conversations suspect‑suspect lorsqu’il a intercepté ses propres conversations téléphoniques avec A.T.M.M., lesquelles n’avaient strictement rien à voir avec l’affaire dans laquelle son avocat était tenu pour suspect, lançant ainsi la police sur la piste d’une nouvelle infraction pénale éventuelle, ni lorsqu’il a ultérieurement mis sur écoute sa propre ligne téléphonique, lançant ainsi de nouveau la police sur la piste d’une autre infraction qui, elle aussi, différait de celle qui avait été à l’origine de la mise sur écoute et dans laquelle son avocat était alors considéré aussi comme suspect. Son grief tourne autour du fait que les soupçons éveillés contre lui sont nés de l’interception de conversations téléphoniques confidentielles, dont les enregistrements auraient dû être détruits immédiatement au lieu d’être versés au dossier comme preuve à charge contre lui.
5.3L’auteur conclut que la liberté dont disposent les autorités d’enquêter, à partir d’informations confidentielles recueillies à travers l’interception de conversations téléphoniques, sur une éventuelle infraction pénale susceptible d’avoir été commise par le client d’un avocat, mis sur écoute téléphonique parce qu’il est soupçonné d’avoir perpétré une infraction pénale, constitue une immixtion disproportionnée au regard de l’article 17 du Pacte, immixtion que le but recherché ne saurait justifier. Toute autre interprétation rendrait le droit d’avoir des conversations téléphoniques confidentielles avec son avocat illusoire.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, conformément aux alinéas a et b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que l’auteur a épuisé les recours internes.
6.3En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle le fait que la Cour suprême, dans sa décision du 16 avril 1996, s’est bornée à se référer à l’article 101a de la loi sur l’organisation judiciaire l’a privé de la possibilité de dûment développer son argumentaire à l’appui de la présente communication, le Comité note que les garanties énoncées à l’alinéa b du paragraphe 3 et au paragraphe 5 de l’article 14, qui s’appliquent aux poursuites pénales engagées au niveau national, ne s’appliquent pas à l’examen de communications présentées par des particuliers à des instances internationales d’enquête ou de règlement. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
6.4En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle le droit que le paragraphe 5 de l’article 14 lui reconnaît de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et sa condamnation a été violée parce que, abstraction faite de la décision rendue le 16 avril 1996 par la Cour suprême, les juridictions n’ont pas suffisamment motivé leur décision de rejeter son argument mettant en cause la légalité des éléments de preuve recueillis, le Comité rappelle que, lorsque le droit interne prévoit plusieurs instances d’appel, le condamné doit pouvoir s’adresser utilement à chacune d’elles. Afin d’exercer effectivement ce droit, l’intéressé doit pouvoir disposer du texte écrit des jugements, dûment motivés, de la juridiction de jugement et au moins de ceux de la première juridiction d’appel.
6.5Le Comité note que les décisions du tribunal de district et de la cour d’appel de ’s‑Hertogenbosch, de même que l’arrêt de la Cour suprême du 30 novembre 1993 et l’arrêt de la cour d’appel d’Arnhem, énoncent les motifs du rejet de la demande de l’auteur. Il rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions nationales, et non au Comité, d’apprécier les faits et les éléments de preuve soumis dans chaque affaire, à moins que l’on puisse déterminer que la procédure qui s’est déroulée devant les tribunaux nationaux était clairement arbitraire ou constituait un déni de justice. Le Comité considère que l’auteur n’a pas prouvé, aux fins de la recevabilité de sa communication, que les motifs exposés par les juridictions néerlandaises pour rejeter sa mise en cause de la recevabilité de la thèse de l’accusation étaient arbitraires ou constituaient un déni de justice. Il doit donc s’ensuivre que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.6Au sujet de l’assertion de l’auteur selon laquelle l’admission comme éléments de preuve de certaines conversations téléphoniques entre lui‑même et A.T.M.M. qui avaient été interceptées et leur utilisation au cours de la procédure pénale en général constituaient une violation de son droit à un procès équitable, le Comité ne croit pas que la distinction opérée par le tribunal de district entre, d’une part, l’enregistrement de conversations téléphoniques susceptible d’être utilisé comme élément de preuve dans la mesure où il s’agissait de conversations interceptées dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte contre A.T.M.M. et, d’autre part, l’enregistrement de conversations dans lesquelles A.T.M.M. intervenait en tant qu’avocat de l’auteur, qui ne pouvait pas être utilisé comme élément de preuve et qui était appelé à être retiré du dossier et détruit, était arbitraire. Bien que l’auteur prétende que les autorités néerlandaises n’ont pas distingué les conversations conseil‑client des conversations suspect‑suspect, puisque ses appels téléphoniques à M. A.T.M.M. portaient sur des questions différentes de l’affaire dans laquelle son avocat était tenu pour suspect, il n’a pas étayé cette allégation. Cette partie de la communication est, elle aussi, irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.7Le Comité considère que l’auteur a étayé, aux fins de la recevabilité de sa communication, son argumentation selon laquelle l’interception de conversations téléphoniques entre lui‑même et son avocat et le fait que l’État partie n’a pas détruit les enregistrements de certaines conversations téléphoniques peuvent soulever des questions au titre de l’article 17 du Pacte. En conséquence, il conclut que la communication est recevable dans la mesure où elle soulève des questions au titre de l’article 17.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Le Comité doit déterminer si l’interception et l’enregistrement des conversations téléphoniques entre l’auteur et M. A.T.M.M. constituaient une immixtion illégale ou arbitraire dans sa vie privée, en violation de l’article 17 du Pacte.
7.3Le Comité rappelle que, pour être admissible au regard de l’article 17, une immixtion dans l’exercice du droit au respect de la vie privée doit répondre de façon cumulative à plusieurs conditions, énoncées au paragraphe 1, c’est‑à‑dire qu’elle doit être prévue par la loi, être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et être raisonnable eu égard aux circonstances de l’espèce.
7.4Le Comité note que l’article 125g du Code de procédure pénale des Pays‑Bas autorise le juge d’instruction à ordonner, au cours de l’enquête préliminaire, l’interception ou l’enregistrement d’un trafic de données lorsqu’il croit que le suspect y prend part, à condition que cette mesure soit strictement nécessaire dans l’intérêt de l’enquête et que soit en jeu une infraction susceptible de donner lieu à une décision de mise en détention provisoire. L’auteur n’a pas contesté le fait que les autorités compétentes ont agi conformément à cette disposition. En conséquence, le Comité constate que l’immixtion dans les conversations téléphoniques entre l’auteur et M. A.T.M.M. était légale au sens du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.
7.5Il s’agit de savoir aussi si les dispositions du paragraphe 2 de l’article 125h, lu en liaison avec l’article 218, du Code de procédure pénale, faisaient obligation à l’État partie d’écarter et de détruire toutes informations recueillies par l’interception et l’enregistrement des conversations téléphoniques entre l’auteur et M. A.T.M.M., dans la mesure où ce dernier intervenait en tant qu’avocat de l’auteur et qu’en cette qualité il était tenu au secret professionnel. Le Comité note à ce propos que l’auteur conteste la jurisprudence de la Cour suprême selon laquelle il peut être pris connaissance de conversations téléphoniques interceptées faisant intervenir une personne habilitée à refuser de témoigner, bien que le paragraphe 2 de l’article 125h dispose que les procès‑verbaux de ces conversations doivent être détruits. Le Comité rappelle qu’une immixtion n’est pas «illégale» au sens du paragraphe 1 de l’article 17 si elle est conforme au droit interne applicable, tel qu’interprété par les juridictions nationales.
7.6Enfin, le Comité doit examiner la question de savoir si les immixtions dans les conversations téléphoniques entre l’auteur et M. A.T.M.M. étaient arbitraires ou raisonnables eu égard aux circonstances de l’espèce. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle pour être raisonnable, l’immixtion dans la vie privée doit être proportionnée à l’objectif recherché et doit être nécessaire dans les circonstances particulières à chaque cas. Le Comité a pris note de l’argument de l’auteur selon lequel des clients ne peuvent plus compter sur la confidentialité des communications avec leur avocat s’il existe un risque que la teneur de ces communications soit interceptée et utilisée contre eux, selon que leur avocat est soupçonné ou non d’avoir commis une infraction pénale, que le client en ait ou non connaissance. Tout en reconnaissant l’importance qu’il y a à protéger le caractère confidentiel des communications, en particulier celles échangées entre un avocat et son client, le Comité doit aussi évaluer la nécessité pour les États parties de prendre des mesures efficaces pour prévenir la commission d’infractions pénales et enquêter à leur sujet.
7.7Le Comité rappelle que la législation pertinente autorisant des immixtions dans les communications doit préciser dans le détail les cas précis dans lesquels ces immixtions peuvent être autorisées et que la décision de procéder à ces immixtions doit être prise par l’autorité désignée par la loi, et cas par cas. Il note que les conditions de forme et de fond auxquelles doit répondre l’interception des conversations téléphoniques sont clairement définies et à l’article 125g du Code de procédure pénale des Pays‑Bas et dans les directives relatives à l’examen des conversations téléphoniques datées du 2 juillet 1984. Les deux textes subordonnent cette interception à l’autorisation écrite du juge d’instruction.
7.8Le Comité considère que l’interception et l’enregistrement des conversations téléphoniques entre l’auteur et A.T.M.M. ne portaient pas atteinte de façon disproportionnée à son droit de communiquer avec son avocat dans des conditions garantissant le plein respect du caractère confidentiel des communications entre eux, car le tribunal de district a fait la distinction entre les conversations mises sur écoute, dans lesquelles A.T.M.M. est intervenu en tant qu’avocat de l’auteur et ordonné leur retrait du dossier en tant qu’éléments de preuve, et d’autres conversations, qui ont été admises comme éléments de preuve parce qu’elles ont été interceptées dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte contre A.T.M.M. Bien qu’il ait contesté que l’État partie ait opéré judicieusement cette distinction, l’auteur n’a pas étayé son argumentation.
7.9Quant au grief de l’auteur selon lequel les procès‑verbaux des conversations entre lui et son avocat qui ont été interceptées auraient dû être détruits immédiatement, le Comité prend note de la réponse de l’État partie, qui n’a pas été contestée, selon laquelle les enregistrements des conversations interceptées ont été conservés intacts et complets, séparément du dossier, aux fins de contrôle éventuel par le juge. Comme le droit au respect de la vie privée implique le droit de chaque individu de réclamer la rectification ou la suppression de données personnelles incorrectes figurant dans des dossiers placés sous le contrôle des autorités publiques, le Comité considère que le stockage, séparément des enregistrements des conversations interceptées entre l’auteur et M. A.T.M.M., ne saurait être tenu pour déraisonnable aux fins de l’article 17 du Pacte.
7.10Vu ce qui précède, le Comité conclut que l’immixtion dans la vie privée de l’auteur s’agissant de ses conversations téléphoniques avec A.T.M.M. était proportionnée et nécessaire à la réalisation de l’objectif légitime que constitue la lutte contre la criminalité et donc raisonnable dans les circonstances particulières de l’affaire et qu’en conséquence il n’y a pas eu violation de l’article 17 du Pacte.
7.11Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation de l’article 17 du Pacte.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
D. Communication n o 912/2000, Deolall c. Guyana (Constatations adoptées le 1 er novembre 2004, quatre-vingt-deuxième session)
Présentée par: |
Mme Deolall (non représentée par un conseil) |
Au nom de: |
M. Deolall (époux de l’auteur) |
État partie: |
République du Guyana |
Date de la communication: |
17 août 1998 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er novembre 2004,
Ayant achevé l’examen de la communication no 912/2000, présentée au nom de M. Deolall en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication, datée du 17 août 1998, est Mme Deolall. Elle présente la communication au nom de son époux, M. Deolall, actuellement emprisonné au Guyana, sous le coup d’une condamnation à mort. Ils sont l’un et l’autre de nationalité guyanienne. L’auteur affirme que son époux est victime de violations des droits de l’homme par le Guyana. Bien qu’elle n’invoque aucun article spécifique du Pacte, la communication semble soulever des questions au titre des articles 14 et 6 du Pacte. La personne au nom de laquelle la plainte est soumise n’est pas représentée par un conseil.
1.2Conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l’État partie le 7 février 2000 de ne pas exécuter M. Deolall tant que sa communication serait à l’examen. Aucune réponse de l’État partie à cette demande n’a été reçue.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1M. Deolall a été arrêté le 26 octobre 1993 et inculpé de meurtre le 3 novembre 1993. Le 22 novembre 1995, il a été reconnu coupable de meurtre et condamné à mort par la cour d’assises de Georgetown. Il a fait appel devant la High Court puis devant la cour d’appel. Les moyens avancés en appel devant la cour d’appel étaient les suivants: a) le juge du fond n’avait pas présenté convenablement aux jurés la défense de l’accusé, et b) le juge du fond avait déclaré recevables des preuves qui ne l’étaient pas, à savoir des aveux qui n’auraient pas été spontanés. La cour d’appel a rejeté son recours et le Président de la Cour a confirmé la condamnation à mort le 30 janvier 1997. Selon l’auteur, les recours internes ont ainsi été épuisés. L’auteur fait observer que M. Deolall est dans le quartier des condamnés à mort depuis novembre 1995 et que sa peine aurait dû être commuée.
2.2Selon l’auteur, M. Deolall a été condamné sur la base d’un seul élément de preuve, les aveux qu’il aurait signés après avoir été brutalisé par les policiers au cours de l’interrogatoire. Si les registres de main courante de la police indiquent que le corps de M. Deolall ne portait aucune marque de violence, il a été révélé au procès que l’intéressé en présentait bien lorsqu’il avait été examiné séparément par trois médecins. Il apparaît à la lecture des comptes rendus d’audience soumis par l’auteur que M. Deolall a été examiné les 30 octobre et 8 novembre 1993. Le docteur Persaud, qui l’a vu le 30 octobre 1993, indique dans son rapport: «L’examen a révélé une légère contusion à la partie inférieure de la région de la fosse iliaque gauche (partie inférieure gauche de l’abdomen).». Le docteur Maynard, qui avait examiné M. Deolall le même jour, a fait la même constatation. Le docteur Joshua Deen, qui l’avait vu le 8 novembre 1993, a indiqué dans son rapport que M. Deolall «présentait des égratignures dans le dos et qu’à son avis elles remontaient à la période du 27 au 31 octobre 1993, soit aux jours précédant les aveux présumés».
2.3Selon l’auteur, «le frère de M. Deolall, soupçonné du même crime, a été abattu par la police mais n’a jamais été inculpé».
2.4Le 1er juin 2004, l’auteur a donné de nouvelles informations concrètes sur le déroulement du procès et les conditions de détention.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que son époux a été frappé et brutalisé par les policiers pendant les interrogatoires au commissariat de police.
3.2 L’auteur affirme que M. Deolall est innocent et que son procès n’a pas été équitable.
3.3L’auteur ajoute que son époux a été contraint de signer des aveux après avoir été frappé par les policiers et que c’est sur cette seule base qu’il a été condamné.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
4.1Par des lettres datées du 7 février 2000, du 28 février 2001, du 24 juillet 2001, du 8 avril 2004 et du 9 août 2004, l’État partie a été invité à présenter au Comité des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a toujours pas reçu de réponse et regrette que l’État partie ne lui ait fourni aucun renseignement concernant la recevabilité ou le fond des allégations de l’auteur. Il rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que les États parties doivent examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et communiquer au Comité tous les renseignements dont ils disposent. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où celles‑ci ont été suffisamment étayées.
4.2Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.3Le Comité s’est assuré que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.
4.4M. Deolall a fait appel de sa condamnation et a été débouté. En l’absence d’argument à l’appui de la thèse inverse, le Comité considère que M. Deolall a épuisé les recours internes.
4.5Le Comité note que la communication a été soumise avant que le Guyana ne dénonce le Protocole facultatif, le 5 janvier 1999, et n’y adhère de nouveau en formulant une réserve quant à la compétence du Comité pour examiner les communications concernant des condamnations à la peine de mort. Il en conclut que cette dénonciation n’affecte en rien sa compétence. Le Comité ne voit aucun motif qui pourrait le conduire à déclarer la communication irrecevable et procède à son examen sur le fond.
Examen au fond
5.1L’auteur affirme que M. Deolall a subi des mauvais traitements quand il était interrogé par les policiers et qu’il a été contraint de signer des aveux, allégation qui soulève des questions au titre des paragraphes 1 et 3 g) de l’article 14 et de l’article 6 du Pacte. Le Comité renvoie à ses décisions antérieures selon lesquelles le libellé du paragraphe 3 g) de l’article 14 en vertu duquel toute personne «a droit à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable» doit s’entendre comme interdisant toute contrainte physique ou psychologique, directe ou indirecte, des autorités d’instruction sur l’accusé, dans le but d’obtenir un aveu, et réitère qu’il est implicite dans ce principe que l’accusation doit prouver que les aveux ont été faits sans contrainte. En l’espèce, le Comité relève que le témoignage des trois médecins qui ont déclaré au procès que M. Deolall présentait des lésions, évoqué au paragraphe 2.2 ci‑dessus, ainsi que la déclaration de M. Deolall lui‑même semblent corroborer l’allégation selon laquelle ces mauvais traitements se sont bien produits au cours des interrogatoires de police, avant que l’intéressé ne signe ses aveux. Dans les instructions données au jury, la Cour a clairement indiqué que si les jurés concluaient que M. Deolall avait été frappé par la police avant de passer aux aveux, même si les coups avaient été légers, ils ne pourraient accorder aucune valeur à de tels aveux et devraient acquitter l’accusé. Toutefois, la Cour n’a pas précisé aux jurés qu’ils devraient avoir la conviction que l’accusation avait réussi à établir que les aveux étaient spontanés.
5.2Le Comité réaffirme que, de manière générale, il ne lui appartient pas d’examiner ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve présentés à une juridiction nationale. En l’espèce toutefois, le Comité est d’avis que les instructions données au jury soulèvent une question au titre de l’article 14 du Pacte, étant donné que l’accusé avait pu apporter un commencement de preuve montrant qu’il avait été maltraité et que la Cour n’a pas averti le jury qu’il incombait dès lors à l’accusation de prouver que les aveux avaient été spontanés. Cette erreur constituait une atteinte au droit à un procès équitable garanti par le Pacte ainsi qu’au droit de M. Deolall à ne pas être forcé de témoigner contre lui‑même ou de s’avouer coupable, à laquelle il n’avait pas été remédié en appel. Le Comité conclut par conséquent que l’État partie a commis une violation des paragraphes 1 et 3 g) de l’article 14 du Pacte à l’égard de M. Deolall.
5.3Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, la condamnation à la peine capitale à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue, en l’absence de toute autre possibilité de faire appel de cette sentence, une violation de l’article 6 du Pacte. En l’espèce, étant donné que la condamnation à mort a été prononcée en dernier ressort sans que le droit à un procès équitable, consacré par l’article 14 du Pacte, ait été respecté, force est de conclure que le droit protégé par l’article 6 du Pacte a également été violé.
6.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 6 et des paragraphes 1 et 3 g) de l’article 14 du Pacte.
7.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à M. Deolall un recours utile, sous la forme d’une mise en liberté ou d’une commutation de peine.
8.En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte. Conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
E. Communication n o 931/2000, Hudoyberganova c. Ouzbékistan (Constatations adoptées le 5 novembre 2004, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Mme Raihon Hudoyberganova (non représentée par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Ouzbékistan |
Date de la communication: |
15 septembre 1999 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 5 novembre 2004,
Ayant achevé l’examen de la communication no 931/2000, présentée par Mme Raihon Hudoyberganova en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est Mme Raihon Hudoyberganova, de nationalité ouzbèke, née en 1978. Elle affirme être victime de violations par l’Ouzbékistan de ses droits garantis par les articles 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Mme Hudoyberganova était étudiante au Département de persan à la faculté des langues de l’Institut d’État pour les langues orientales de Tachkent depuis 1995. En 1996, elle a rejoint le Département des affaires islamiques de l’Institut, qui venait d’être créé. Elle explique qu’en tant que musulmane pratiquante elle s’habille correctement conformément aux préceptes de sa religion, et qu’elle a commencé au cours de sa deuxième année d’études à porter le foulard (hijab). Selon elle, en septembre 1997 l’administration de l’Institut a commencé à restreindre de manière draconienne le droit à la liberté de croyance des musulmans pratiquants. La salle de prière de l’Institut a été fermée et, lorsque les étudiants se sont plaints à la direction, l’administration a commencé à les harceler. Toutes les étudiantes qui portaient le hijab ont été «invitées» à quitter l’Institut pour aller étudier à l’Institut islamique de Tachkent.
2.2L’auteur et les étudiantes concernées ont continué de suivre les cours, mais les enseignants ont commencé à exercer de plus en plus de pressions sur elles. Le 5 novembre 1997, après qu’elles eurent adressé une nouvelle plainte au recteur de l’Institut pour dénoncer les empiètements présumés sur leurs droits, leurs parents ont été convoqués à Tachkent. À son arrivée, le père de l’auteur s’est fait signifier que Mme Hudoyberganova était en contact avec un groupe religieux dangereux qui pourrait lui porter préjudice, qu’elle portait le hijab à l’Institut, et qu’elle persistait à se rendre dans les salles de cours malgré l’interdiction qui lui avait été adressée. Comme la mère de Mme Hudoyberganova était à l’époque gravement malade, le père a décidé de ramener sa fille à la maison. Cette dernière est revenue à l’Institut le 1er décembre 1997. Le vice‑doyen chargé des questions idéologiques et éducatives a alors convoqué les parents de l’auteur et s’est plaint de sa manière de s’habiller; à la suite de cet entretien, l’auteur aurait été menacée et des tentatives auraient été faites pour l’empêcher d’assister aux cours.
2.3Le 17 janvier 1998, l’auteur a été informée de l’adoption d’un nouveau règlement de l’Institut en vertu duquel les étudiants n’étaient plus autorisés à porter des tenues religieuses et qu’on lui a demandé de signer. Elle a accédé à cette demande, tout en notant par écrit qu’elle n’était pas d’accord avec les dispositions du nouveau règlement qui interdisaient aux étudiantes de couvrir leur visage. Le lendemain, le vice‑doyen chargé des questions idéologiques et éducatives l’a convoquée à son bureau pendant les cours, lui a de nouveau montré le règlement et lui a demandé d’ôter son foulard. Le 29 janvier, il a fait venir les parents de l’auteur parce que, apparemment, Mme Hudoyberganova avait été exclue de la cité universitaire. Le 20 février 1998, l’auteur a été transférée du Département des affaires islamiques à la faculté des langues. On lui a signifié que le Département était fermé et qu’il ne rouvrirait que si les étudiantes concernées cessaient de porter le hijab.
2.4Le 25 mars 1998, le doyen du Département de persan a informé l’auteur d’une décision par laquelle le recteur l’avait exclue de l’Institut. Cette décision avait été prise en raison de l’attitude négative présumée de l’auteur à l’égard des professeurs et parce qu’elle aurait violé les dispositions du règlement de l’Institut. Il a été signifié à Mme Hudoyberganova que la décision serait annulée si elle changeait d’avis au sujet du hijab.
2.5Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’auteur explique que, le 10 mars 1998, elle a écrit au Ministère de l’éducation pour lui demander de faire en sorte que l’Institut cesse de violer la loi; sa démarche aurait eu pour effet sa déchéance de son statut d’étudiante le 15 mars 1998. Le 31 mars 1998, l’auteur a adressé une plainte au recteur, affirmant que cette décision était illégale. Le 13 avril 1998, elle s’est plainte auprès du Président du Comité des affaires religieuses (Conseil des ministres); le 22 avril 1998, le Président lui a conseillé de respecter le règlement de l’Institut. Le 14 avril 1998, l’auteur a écrit au Directoire spirituel des musulmans d’Ouzbékistan mais n’a reçu de cet organisme «aucune réponse écrite». Suite à ses lettres adressées le 3 mars et les 13 et 15 avril 1998 au Ministre de l’éducation, le Vice‑Ministre lui a conseillé, le 11 mai 1998, de se conformer au règlement de l’Institut.
2.6Le 15 mai 1998, une nouvelle loi (loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses) est entrée en vigueur. Son article 14 dispose que les citoyens ouzbeks ne sont pas autorisés à porter des habits religieux dans les lieux publics. L’administration de l’Institut a informé les étudiantes que celles d’entre elles qui porteraient le hijab seraient exclues.
2.7Le 20 mai 1998, l’auteur a saisi le tribunal de district de Mirabadsky (Tachkent), demandant son rétablissement dans ses droits en tant qu’étudiante. Le 9 juin 1998, le conseiller juridique de l’Institut a demandé au tribunal d’ordonner l’arrestation de l’auteur en application de l’article 14 de la nouvelle loi. L’avocat de Mme Hudoyberganova a objecté que cette loi portait atteinte aux droits de l’homme. Selon l’auteur, au cours de l’audience du tribunal du 16 juin, son avocat a demandé, en son nom, la comparution de l’avocat du Comité des affaires religieuses, qui a témoigné que la tenue de l’auteur n’avait pas de rapport avec le culte.
2.8Le 30 juin 1998, le tribunal a débouté l’auteur, en se fondant apparemment sur les dispositions de l’article 14 de la loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses. Selon l’auteur, l’Institut a fourni au tribunal de faux documents pour prouver que l’administration l’avait avertie qu’elle risquait d’être renvoyée. L’auteur a ensuite demandé au Procureur général, au Vice‑Premier Ministre et au Président du Comité des affaires religieuses de préciser le sens des termes tenue de «culte» (religieuse) et elle a été informée par le Comité que l’islam ne prescrivait aucune tenue de culte spécifique.
2.9Le 15 juillet 1998, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal de district (du 30 juin 1998) devant le tribunal municipal de Tachkent. Le 10 septembre, ce dernier a confirmé la décision du tribunal de district. À la fin de 1998 et en janvier 1999, l’auteur a adressé une plainte au Parlement, au Président de la République et à la Cour suprême; le Parlement et les services de la présidence ont transmis ses lettres à la Cour suprême. Le 3 février 1999 et le 23 mars 1999, la Cour suprême l’a informée qu’elle ne voyait aucune raison de contester les décisions prises par les tribunaux.
2.10Le 23 février 1999, l’auteur a adressé une plainte à l’Ombudsman. Le 26 mars 1999, elle a reçu copie de la réponse du recteur de l’Institut à l’Ombudsman, dans laquelle il réaffirmait que Mme Hudoyberganova avait constamment violé le règlement de l’Institut et s’était mal conduite à l’égard de ses professeurs, que ses actes montraient qu’elle appartenait à une organisation extrémiste wahhabite et qu’il n’avait aucune raison de l’admettre à nouveau en tant qu’étudiante. Le 12 avril 1999, l’auteur a adressé une plainte à la Cour constitutionnelle. Cette dernière lui a fait savoir qu’elle n’était pas compétente pour examiner ses griefs, et sa requête a donc été envoyée au Bureau du Procureur général, qui l’a à son tour transmise au Bureau du Procureur de Tachkent qui a informé l’auteur le 30 juin 1999 qu’il n’y avait aucune raison d’annuler les décisions des tribunaux la concernant. Le 1er juillet 1999, l’auteur a adressé une nouvelle plainte au Procureur général, lui demandant de faire examiner son cas. Elle n’a pas reçu de réponse.
Teneur de la plainte
3.L’auteur affirme être victime de violations des articles 18 et 19 du Pacte dans la mesure où elle a été exclue de l’Université parce qu’elle portait un foulard pour des raisons religieuses et refusait de l’ôter.
Observations de l’État partie
4.1.En date des 24 mai 2000, 26 février 2001, 11 octobre 2001 et 3 septembre 2004, le Comité a demandé à l’État partie de lui fournir des informations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. L’État partie a fait part de ses observations en date du 21 octobre 2004. Il rappelle que, le 21 mai 1998, l’auteur a saisi le tribunal de district de Mirabadsky (municipalité de Tachkent), lui demandant de reconnaître l’illégalité de son renvoi de l’Institut d’État pour les langues orientales de Tachkent et de la rétablir dans son statut d’étudiante. Le 30 juin 1998, le tribunal de district de Mirabadsky l’a déboutée de sa plainte.
4.2L’État partie explique qu’il ressort du dossier de l’affaire civile que l’auteur a intégré la faculté des langues de l’Institut en 1995, et qu’en 1996 elle a poursuivi ses études à la faculté d’histoire (Département d’études islamiques). En vertu de l’alinéa d de l’article 2 du règlement intérieur (régissant les droits et obligations des étudiants de l’Institut), il est interdit aux étudiants de porter des vêtements «suscitant une attention excessive» et de circuler le visage couvert (par un hijab). Ces dispositions ont été débattues lors d’une assemblée générale des étudiants le 15 janvier 1998. Le texte en a été soumis à l’auteur, qui a rédigé une note dans laquelle elle exprimait son désaccord avec les prescriptions de l’alinéa d de l’article 2. Le 26 janvier 1998, le doyen de la faculté d’histoire lui a adressé un avertissement au motif qu’elle violait les dispositions de l’alinéa d de l’article 2. L’auteur a refusé de signer l’avertissement, comme il est constaté dans le procès‑verbal établi le 27 janvier 1998.
4.3Le 10 février 1998, sur ordre du doyen de la faculté d’histoire, l’auteur a reçu un blâme pour inobservation du règlement intérieur. Le 16 mars 1998, sur l’ordre du recteur de l’Institut, Mme Hudoyberganova a été renvoyée de l’Institut aux motifs suivants: «attitude profondément irrespectueuse à l’égard d’un enseignant et violation du règlement intérieur de l’Institut malgré des injonctions répétées». Selon l’État partie, il n’a pas été fait appel de cette décision. La plainte de l’auteur au titre de la procédure de supervision (nadzornaya zhaloba) n’a pas abouti.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2Le Comité note que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale et que les recours internes ont été épuisés. Aucune réponse de l’État partie contestant cette conclusion n’a été reçue. Les conditions énoncées au paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif ont donc été remplies.
5.3Le Comité note que l’auteur invoque l’article 19 du Pacte sans toutefois formuler de griefs précis à ce titre, et qu’elle se contente de le citer. Il conclut donc que l’auteur n’a pas étayé sa plainte aux fins de la recevabilité et que cette partie de la communication n’est pas recevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.4Quant aux autres griefs de l’auteur au titre de l’article 18 du Pacte, le Comité considère qu’ils ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et décide de les examiner au fond.
Examen au fond
6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.2Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que ses droits à la liberté de pensée, de conscience et de religion ont été violés du fait de son exclusion de l’Université par suite de son refus d’ôter le foulard qu’elle portait pour se conformer à ses croyances. Le Comité considère que la liberté de manifester sa religion englobe le droit de porter en public des vêtements ou une tenue conformes à sa foi ou à sa religion. Par ailleurs, il estime que le fait d’empêcher une personne de porter un habit religieux en public et en privé peut constituer une violation du paragraphe 2 de l’article 18, qui interdit toute contrainte qui porterait atteinte à la liberté de la personne d’avoir ou d’adopter une religion. Comme l’indique l’Observation générale no 22 (par. 5), les politiques ou les pratiques ayant le même but ou le même effet de contrainte directe, telles que celles restreignant l’accès à l’éducation, sont incompatibles avec le paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte. Le Comité rappelle toutefois que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction n’est pas une liberté absolue, et qu’elle peut faire l’objet des restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre, de la santé ou de la morale publics ou des droits et libertés fondamentaux d’autrui (art. 18, par. 3, du Pacte). En l’espèce, l’exclusion de l’auteur a eu lieu le 15 mars 1998 et se fondait sur les dispositions du nouveau règlement de l’Institut. Le Comité note que l’État partie n’a pas invoqué de raison particulière montrant que la restriction imposée à l’auteur serait, selon lui, nécessaire au sens du paragraphe 3 de l’article18. Au contraire, l’État partie a cherché à justifier l’expulsion de l’auteur de l’Université par son refus de se conformer à l’interdiction. Ni l’auteur ni l’État partie n’a clarifié quel type précis d’habit l’auteur portait, et qui a été désigné comme «hijab» par les deux parties. Dans les conditions particulières de l’affaire en question et sans préjuger ni du droit de l’État de limiter les manifestations de la religion ou de la conviction dans le cadre de l’article 18 du Pacte et compte dûment tenu des données propres au contexte, ni de celui des institutions universitaires d’établir des règles spécifiques à leur fonctionnement propre, en l’absence de justification fournie par l’État partie, le Comité se trouve amené à conclure à une violation du paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte.
7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte.
8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à Mme Hudoyberganova un recours utile. Il a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
9.Étant donné que, en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion dissidente de M. Hipólito Solari ‑Yrigoyen
Mon opinion dissidente sur la communication à l’examen porte sur les points suivants:
Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité doit examiner la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui sont soumises par les parties. Dans le cas présent, c’est l’auteur qui a fourni le plus d’informations, encore que ces informations ne confirment pas ses propres allégations et vont même jusqu’à les contredire.
L’auteur dit (par. 2.4) avoir été exclue de l’Institut pour les langues orientales de Tachkent par le recteur, après plusieurs avertissements, pour les motifs ci‑après:
1.Son attitude négative à l’égard des professeurs;
2.La violation des dispositions du règlement de l’Institut.
Pour ce qui est de l’attitude négative à l’égard des professeurs, il ressort de la décision du tribunal de district de Mirabad que l’auteur a accusé l’un de ses professeurs de corruption, affirmant que ses étudiants étaient reçus aux examens contre rémunération. Selon l’État partie (par. 4.3), l’auteur a été renvoyée pour «attitude profondément irrespectueuse à l’égard d’un enseignant». L’auteur n’a donné aucune information accréditant la grave accusation portée contre le professeur en question ou invalidant le premier motif invoqué contre son renvoi. Elle n’a pas expliqué non plus l’éventuel rapport entre ce motif de renvoi et la violation de l’article 18 du Pacte qu’elle invoque.
En ce qui concerne la violation du règlement de l’Institut, qui n’autorisait pas le port de tenues religieuses dans son enceinte, l’auteur a indiqué qu’elle n’était pas d’accord avec les dispositions de ce règlement parce qu’elles «interdisaient aux étudiantes de couvrir leur visage» (par. 2.3). L’État partie signale que le règlement intérieur interdit de porter dans les locaux de l’Institut des vêtements «suscitant une attention excessive» et de circuler le visage couvert (par. 4.2). Si l’auteur et l’État partie n’ont pas spécifié le type de vêtement que portait l’auteur, cette dernière indiquait qu’elle s’habillait «conformément aux préceptes de sa religion». Mais l’auteur elle‑même ajoutait qu’elle avait déposé plainte auprès du Président du Comité des affaires religieuses (qui relève du Conseil des ministres) et que le Président l’avait «informée que l’islam ne prescrivait aucune tenue de culte spécifique» (par. 2.8) sans que l’auteur réfute cette information qu’elle apportait elle‑même.
S’agissant du règlement de l’Institut universitaire, il faut tenir compte du fait que les institutions universitaires ont le droit d’adopter des normes spécifiques de fonctionnement à respecter dans leur enceinte. Il convient aussi d’ajouter que ce règlement s’applique à tous les étudiants sans exception, dans la mesure où il s’agit non pas d’un lieu de culte mais d’un établissement d’enseignement public où la liberté de manifester sa religion est soumise à la nécessité de protéger les droits et les libertés fondamentaux d’autrui, c’est‑à‑dire la liberté religieuse de chacun en vertu de l’égalité devant la loi garantie à chaque étudiant, indépendamment de ses convictions religieuses ou croyances. Il n’y aurait pas lieu de demander à l’État partie d’exposer la raison particulière motivant la restriction dont l’auteur se plaint, puisque le règlement qui lui a été appliqué représente une norme générale valable pour tous les élèves et qu’il ne s’agit pas d’une prescription qui lui serait imposée à elle seule ou aux tenants d’une religion particulière. Qui plus est, l’exclusion de l’auteur, selon les informations qu’elle a données elle‑même, s’expliquait par des causes plus complexes et non pas seulement par la tenue religieuse qu’elle portait ou l’exigence de se couvrir le visage dans les locaux de l’Institut.
Les considérations ci‑dessus et les informations fournies m’amènent à la conclusion que l’auteur n’a pas justifié l’allégation de violation de l’un quelconque des quatre paragraphes de l’article 18 du Pacte.
Conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, j’estime que les faits ne révèlent en l’espèce aucune violation des articles 18 et 19 du Pacte.
(Signé) Hipólito Solari ‑Yrigoyen
[Fait en anglais, en espagnol (version originale) et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Opinion individuelle de Sir Nigel Rodley
J’approuve les constatations du Comité et l’essentiel du raisonnement exposé au paragraphe 6.2. Je suis toutefois dans l’obligation de me désolidariser d’une partie de la dernière phrase de ce paragraphe, celle où le Comité précise qu’il agit «compte dûment tenu des données propres au contexte».
Le Comité a raison de donner à entendre que, dans les cas où les dispositions en jeu comportent une clause autorisant une restriction, comme les dispositions des articles 12, 18, 19, 21 et 22, il est nécessaire de tenir compte du contexte dans lequel les restrictions prévues dans ces clauses sont appliquées. Malheureusement, dans l’affaire à l’examen, l’État partie n’a pas expliqué le fondement sur lequel il voulait justifier la restriction imposée à l’auteur. Le Comité n’était donc pas en mesure de tenir compte du contexte. Préciser qu’il l’a fait alors qu’il ne disposait pas des éléments qui lui auraient permis de le faire ne renforce ni la justification ni l’autorité du raisonnement.
(Signé) Sir Nigel Rodley
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood
Les faits de la cause demeurent trop obscurs pour permettre de conclure à une violation du Pacte. L’auteur s’est plainte d’avoir été empêchée de porter un «hijab» à l’Institut d’État de Tachkent, en Ouzbékistan. Souvent, le mot «hijab» est traduit pas «foulard» et peut être simplement un foulard couvrant la tête et les épaules. Mais dans la lettre de protestation qu’elle a adressée aux doyens de l’Institut de Tachkent, l’auteur a dit qu’elle «n’était pas d’accord avec les dispositions (…) qui interdisaient aux étudiantes de couvrir leur visage» (par. 2.3) L’État partie dit de son côté (par. 4.2) qu’il est «interdit aux étudiantes de circuler le visage couvert (par un hijab)».
En l’absence d’une clarification des faits de la part de l’auteur, il semblerait donc que la manifestation de convictions religieuses en cause en l’espèce peut consister à avoir le visage entièrement couvert dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement laïc. La pratique des États parties diffère dans ce domaine. Certains États autorisent toute forme de tenue religieuse, y compris un voile couvrant le visage, ce qui permet de faire des études à des femmes qui sinon ne pourraient pas aller à l’université. D’autres États parties estiment que le principe de la laïcité de l’enseignement exige l’application de restrictions à la tenue vestimentaire. Un professeur d’université peut par exemple avoir besoin d’observer la réaction de sa classe à un cours ou un séminaire ou rencontrer le regard des étudiants quand il pose des questions et donne des réponses.
La Cour européenne des droits de l’homme a conclu dans une affaire récente qu’une université laïque pouvait restreindre le port par les étudiantes du hijab traditionnel, c’est‑à‑dire un foulard couvrant la tête et le cou, à cause des effets que cela pouvait avoir sur les autres femmes. Voir Leyla Sahin c. Turquie, requête no 44774/98, décision rendue le 29 juin 2004. La Cour a estimé que les «droits et libertés d’autrui» et le «maintien de l’ordre public» étaient en jeu parce que le port d’un vêtement particulier pouvait conduire d’autres personnes de la même religion à se sentir obligées de se conformer à la même pratique. La Cour européenne a relevé qu’elle «ne perd[ait] pas de vue qu’il exist[ait] en Turquie des mouvements politiques extrémistes qui s’efforcent d’imposer à la société tout entière leurs symboles religieux et leur conception de la société, fondée sur des règles religieuses».
Cette ingérence dans la manifestation de convictions religieuses personnelles pose problème. Mais un État peut être fondé à imposer des restrictions à certaines formes de tenue vestimentaire qui ont une incidence directe sur le déroulement d’un cours, et s’il s’agit pour une étudiante de couvrir son visage la situation de fait est différente. L’incertitude dans laquelle on se trouve en l’espèce ne permet pas d’examiner la question correctement ni même de constater une violation sui generis .
(Signé) Ruth Wedgwood
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
F. Communication n o 945/2000, Marik c. République tchèque (Constatations adoptées le 26 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
M. Bohumir Marik (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
République tchèque |
Date de la communication: |
8 octobre 1998 (date de la lettre initiale) |
Objet: Non‑restitution de biens confisqués au motif de la nationalité.
Questions de procédure: Non‑épuisement des recours internes.
Questions de fond: Discrimination fondée sur la nationalité.
Articles du Pacte: 26.
Articles du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 945/2000 présentée par M. Bohumir Marik en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est M. Bohumir Marik, de nationalité américaine et tchèque, né à Plzen (Tchécoslovaquie) et vivant actuellement aux États-Unis. L’auteur se dit victime d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il n’est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits
2.1En 1969, l’auteur a quitté la Tchécoslovaquie pour aller s’installer aux États-Unis avec sa famille. Il est ensuite devenu citoyen américain. En 1972, le tribunal de district de Plzen l’a reconnu coupable d’avoir fui le pays. Ses biens, notamment deux maisons à Letkov et à Plzen, ont été confisqués.
2.2Le 23 avril 1990, la République fédérative tchèque et slovaque a adopté la loi no 119/1990 (recueil de lois sur la réparation judiciaire), par laquelle ont été annulées toutes les condamnations prononcées par des tribunaux communistes pour des motifs politiques. Les personnes dont les biens avaient été confisqués pouvaient donc, en vertu de l’article 23.2 de la loi, les récupérer, à des conditions qui seraient énoncées dans une loi de restitution distincte.
2.3Le 1er février 1991, la loi no 87/1991, relative à la réparation extrajudiciaire, a été adoptée. En vertu de cette loi, pour pouvoir prétendre à la restitution de ses biens, il fallait: a) être de nationalité tchécoslovaque, b) résider en République tchèque, et c) prouver l’illégalité de l’acquisition du bien en question par son propriétaire actuel. Les deux premières conditions devaient être satisfaites pendant la période fixée pour la présentation des demandes de restitution, à savoir du 1er avril au 1er octobre 1991. Par son arrêt no 164/1994 du 12 juillet 1994, la Cour constitutionnelle a toutefois annulé la condition de résidence permanente et fixé de nouveaux délais − du 1er novembre 1994 au 1er mai 1995 − pour la présentation des demandes de restitution par les personnes qui remplissaient les conditions ainsi modifiées. D’après l’auteur, cet arrêt établissait que les personnes qui n’étaient pas résidents permanents et remplissaient la condition de citoyenneté pendant la période nouvellement fixée pouvaient exercer leur droit à restitution. Or, selon l’interprétation soutenue par la Cour suprême et la Cour constitutionnelle, les personnes nouvellement autorisées à demander la restitution de leurs biens étaient celles qui, au cours de la période précédemment fixée (du 1er avril au 1er octobre 1991), remplissaient toutes les conditions, y compris la condition de nationalité, à l’exception de la condition de résidence permanente. Bien qu’il déclare n’avoir jamais perdu la nationalité tchèque, l’auteur est devenu de nouveau officiellement tchèque en mai 1993.
2.4En 1994, l’auteur a présenté deux demandes de restitution distinctes concernant ses maisons de Letkov et de Plzen. Dans le premier cas (propriété de Letkov), le tribunal de district de Plzen-mesto a rejeté la demande le 13 novembre 1995 car l’auteur ne satisfaisait pas à la condition de nationalité pendant la première période fixée pour la présentation des demandes de restitution, à savoir au 1er octobre 1991 au plus tard. Il a aussi jugé que la troisième condition de la restitution, à savoir l’illégalité de l’acquisition du bien par ses propriétaires actuels, n’était pas remplie en l’espèce. Cette décision a été confirmée par le tribunal régional de Plzen le 25 mars 1996. L’appel formé par l’auteur devant la Cour suprême a été rejeté le 20 août 1997 au motif qu’il ne satisfaisait pas à la condition de nationalité en 1991. Dans son arrêt, la Cour suprême a confirmé que l’établissement de nouveaux délais ne changeait pas les conditions initiales mais donnait aux non-résidents davantage de temps pour présenter leurs demandes de restitution. Elle n’a pas examiné les autres conditions. Un nouvel appel devant la Cour constitutionnelle a été rejeté le 12 mai 1998.
2.5Dans la deuxième affaire (propriété de Plzen), le tribunal de district de Plzen-mesto a rejeté la demande de restitution de l’auteur le 22 septembre 1995, parce qu’il ne satisfaisait pas à la condition de nationalité en 1991. Le tribunal régional a confirmé cette décision le 20 décembre 1995. L’appel interjeté par l’auteur devant la Cour suprême a été déclaré irrecevable le 26 septembre 1996 et l’appel formé devant la Cour constitutionnelle a été rejeté pour des questions de procédure le 7 octobre 1998. L’auteur affirme par conséquent avoir épuisé tous les recours internes.
Teneur de la plainte
3.L’auteur se dit victime d’une violation de l’article 26 du Pacte, la condition de nationalité fixée par la loi no 87/1991 constituant une discrimination illégale. Il cite la jurisprudence du Comité dans les affaires Simunek c. République tchèque et Adam c. République tchèque, dans lesquelles le Comité a conclu que la condition de nationalité imposée par la loi no 87/1991 était déraisonnable et que ses effets constituaient une violation de l’article 26 du Pacte.
Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond
4.1Dans une lettre datée du 8 juillet 2003, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne les faits, il souligne que l’auteur n’a pas perdu sa citoyenneté tchécoslovaque par décision de l’ex-République tchécoslovaque, mais en vertu du Traité de naturalisation du 16 juillet 1928, traité bilatéral conclu entre la République tchèque et les États-Unis d’Amérique, qui est resté en vigueur jusqu’en 1997. En vertu de ce traité, l’auteur a automatiquement perdu sa nationalité tchécoslovaque en devenant citoyen américain. Cependant, en dépit de ce traité, à partir de 1990, quiconque souhaitait acquérir la nationalité tchèque avait la possibilité d’en faire la demande. L’auteur, qui a déposé sa demande en 1992, est devenu citoyen tchèque le 20 mai 1993. Toutefois, entre le moment où il a acquis la nationalité américaine et le 20 mai 1993, il n’était pas tchèque.
4.2L’État partie rappelle que la loi no 87/1991 fixe, outre des conditions de nationalité et de résidence permanente, d’autres conditions pour la restitution des biens confisqués. En particulier, afin de protéger les propriétaires actuels des biens faisant l’objet d’une demande de restitution, la loi dispose que le propriétaire actuel ne doit rendre le bien que s’il l’a obtenu en violation des lois en vigueur à l’époque ou grâce à un traitement préférentiel illégal. La charge de la preuve incombe au demandeur. Dans le cas de la propriété de Letkov, les tribunaux nationaux ont jugé que l’auteur n’avait pas prouvé que les propriétaires actuels avaient illégalement acquis son bien. Cette condition n’est donc pas satisfaite, tout comme la condition de nationalité, puisqu’il n’était pas tchèque en 1991. L’État partie fait valoir qu’en l’espèce l’auteur aurait été débouté même s’il n’y avait pas eu de condition de nationalité.
4.3L’État partie fait valoir également que la partie de la communication qui traite de la propriété de Plzen est irrecevable pour non-épuisement des recours internes. L’objectif du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif est de donner aux États parties la possibilité d’écarter les violations présumées du Pacte ou d’y remédier avant qu’elles soient portées à l’attention du Comité. Les requérants doivent également observer les délais légaux pour se prévaloir des recours internes. Dans le cas de la propriété de Plzen, bien que l’auteur ait effectivement fait appel devant la Cour constitutionnelle, il l’a fait après l’expiration des délais prévus pour ce type d’appel.
4.4L’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la partie de la communication qui traite de la propriété de Letkov.
4.5Sur le fond, l’État partie indique que les lois de restitution, y compris la loi no 87/1991, obéissaient à deux objectifs. Le premier était d’atténuer les conséquences des injustices commises pendant le régime communiste, tout en gardant à l’esprit qu’elles ne pourront jamais être totalement réparées. Le deuxième était de permettre la mise en œuvre rapide d’une réforme économique globale, en vue de mettre en place une économie de marché effective. La condition de nationalité a été incluse dans la loi pour inciter les propriétaires à prendre soin des biens après la privatisation.
4.6D’après l’État partie, l’auteur pouvait acquérir la nationalité tchèque en 1990 et en 1991. Il s’est privé de la possibilité de satisfaire à la condition de nationalité pendant la période ouverte aux demandes de restitution en ne demandant la nationalité tchèque qu’en 1992.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
5.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la partie de la communication relative à la propriété de Plzen. Il rappelle que seuls doivent être épuisés les recours internes qui sont à la fois disponibles et utiles. Le Comité note que, bien que l’auteur n’ait pas déposé son recours constitutionnel concernant la restitution de sa propriété de Plzen dans le délai de 60 jours fixé par la loi, il l’a fait pour sa propriété de Letkov. Le Comité rappelle sa jurisprudence et note que le recours déposé par l’auteur devant la Cour constitutionnelle concernant la propriété de Letkov a été rejeté le 12 mai 1998, que d’autres requérants dans des situations analogues ont tenté en vain de contester la constitutionalité de la loi no 87/1991, et que des constatations formulées précédemment par le Comité n’ont pas été suivies d’effet. Le Comité considère que, en l’absence de législation permettant à l’auteur, qui n’avait pas la nationalité tchèque en 1991, de demander la restitution de ses biens, un recours déposé dans les délais légaux devant la Cour constitutionnelle ne lui aurait pas donné de chance raisonnable d’obtenir une réparation effective et n’aurait donc pas constitué un recours utile aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
5.4Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la partie de la communication qui a trait à la restitution de la propriété de Letkov. Il considère par conséquent que la communication est recevable eu égard aux deux propriétés, dans la mesure où elle semble soulever des questions au titre de l’article 26 du Pacte, et procède à son examen au fond.
Examen au fond
6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.2Le Comité doit déterminer si l’application de la loi no 87/1991 à l’auteur constitue une violation du droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi qui lui est reconnu par l’article 26 du Pacte.
6.3Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que toutes les différences de traitement ne constituent pas une discrimination au titre de l’article 26. Une différenciation compatible avec les dispositions du Pacte et fondée sur des critères objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26. Même si le critère de nationalité est objectif, le Comité doit déterminer si son application à l’auteur était raisonnable dans le cas d’espèce.
6.4Le Comité rappelle ses constatations dans les affaires Simunek, Adam, Blazek et Des Fours Walderode, dans lesquelles il a considéré qu’il y avait violation de l’article 26 du Pacte: «les auteurs dans ce cas, comme bien d’autres personnes se trouvant dans une situation analogue, avaient quitté la Tchécoslovaquie à cause de leurs opinions politiques et cherché à échapper aux persécutions politiques dans d’autres pays, où ils avaient fini par s’installer définitivement et dont ils avaient obtenu la nationalité. Compte tenu du fait que l’État partie lui-même est responsable du départ de l’auteur, il serait incompatible avec le Pacte d’exiger de l’auteur qu’il obtienne la nationalité tchèque pour pouvoir ensuite demander la restitution de [ses] biens ou, à défaut, le versement d’une indemnité appropriée». Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence, à savoir que, dans les circonstances, la condition de nationalité est déraisonnable. En outre, l’État partie n’a pas étayé son argument selon lequel la condition de nationalité a été incluse dans la loi pour inciter les propriétaires à prendre soin des biens après la privatisation.
6.5Le Comité considère que le précédent créé dans les affaires susmentionnées s’applique également à l’auteur de la présente communication. Le Comité note que, dans le cas de la propriété de Letkov, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas satisfait à la troisième condition, à savoir qu’il n’a pas apporté la preuve que cette propriété avait été acquise illégalement par les actuels propriétaires. Toutefois, il note en outre que, bien que les instances inférieures aient pris cet élément en considération, la Cour suprême n’a fondé sa décision que sur la non-satisfaction de la condition de nationalité. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que l’application à l’auteur de la loi no 87/1991 qui subordonne la restitution de biens confisqués à la condition de nationalité constitue une violation de ses droits au titre de l’article 26 du Pacte.
7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur un recours utile qui peut être une indemnisation et, dans le cas de la propriété de Plzen, la restitution du bien ou, à défaut, le versement d’indemnités. Le Comité rappelle que l’État partie devrait revoir sa législation pour garantir à tous l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi.
9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
G. Communication n o 968/2001, Jong-Cheol c. République de Corée (Constatations adoptées le 27 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Kim Jong‑Cheol (représenté par un conseil, M. Cho Yong‑Whan, Horizon Law Group, Séoul) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
République de Corée |
Date de la communication: |
31 janvier 2000 (date de la lettre initiale) |
Objet : Condamnation pénale d’un journaliste pour publication des résultats d’un sondage d’opinion avant une élection.
Questions de procédure : Aucune.
Questions de fond : Droit à la liberté d’expression.
Articles du Pacte : 19 (par. 2 et 3), 25 (al. a et b ) et 26.
Articles du Protocole facultatif : 1 er .
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 27 juillet 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no968/2001, présentée au Comité des droits de l’homme au nom de Kim Jong‑Cheol en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est M. Kim Jong‑Cheol, de nationalité coréenne. Il se dit victime de violations par la République de Corée de ses droits au titre du paragraphe 2 de l’article 19, des alinéas a et b de l’article 25 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.
Exposé des faits
2.1Le 11 décembre 1997, l’auteur, journaliste, a publié un article dans un hebdomadaire national, rendant compte de sondages d’opinion effectués entre le 31 juillet et le 11 décembre 1997, au sujet de l’élection présidentielle du 18 décembre 1997. En février 1998, il a été inculpé par le ministère public de violation de l’article 108 1) de la loi relative aux conditions d’éligibilité aux fonctions publiques et à la prévention des fraudes électorales (ci‑après la «loi électorale»), qui interdit la publication de sondages d’opinion pendant la durée de la campagne électorale. Selon l’article 33 1) de cette loi, la durée de la campagne présidentielle est de 23 jours. La loi électorale prévoit la responsabilité pénale de quiconque divulgue les résultats de sondages d’opinion politique pendant la période de 23 jours allant jusqu’au jour de l’élection compris. Le 16 juillet 1998, l’auteur a été reconnu coupable des infractions dont il avait été inculpé par la Chambre collégiale du Tribunal pénal de district de Séoul, et condamné à une amende de 1 million de won (environ 445 dollars des États-Unis).
2.2L’auteur a fait appel de cette décision et, en même temps, contesté la constitutionnalité des dispositions pertinentes de la loi électorale devant la Cour constitutionnelle. Le 28 janvier 1999, la Cour constitutionnelle a déclaré constitutionnelles les dispositions pertinentes de la loi électorale, estimant que la durée de l’interdiction de publication des résultats de sondages d’opinion pendant la campagne électorale était raisonnable s’agissant d’assurer que le résultat des élections soit régulier et non faussé. Dans son arrêt, elle a fait référence à une étude qui démontrerait qu’un sondage d’opinion peut encourager les électeurs à reporter leurs voix sur un candidat qui a de meilleures chances de gagner (c’est ce que l’on appelle l’«effet boule de neige»), ou à ajouter des voix au candidat donné perdant (c’est ce que l’on appelle l’«effet de compassion»), influençant ainsi le choix des électeurs. Le 13 avril 1999, la Haute Cour a confirmé la décision du tribunal de district, et le 20 août 1999, la Cour suprême a débouté l’auteur de son appel.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que sa condamnation viole le paragraphe 2 de l’article 19 et les alinéas a et b de l’article 25 du Pacte. Il soutient que rien ne prouve que l’interdiction de publier les résultats de sondages d’opinion pendant une campagne électorale favorise la régularité des élections, la Cour constitutionnelle ayant simplement supputé que la publication des sondages pourrait faire basculer des votes au profit ou au détriment de tel ou tel candidat. Le raisonnement de la Cour constitutionnelle se fonde essentiellement sur une théorie abstraite et non étayée (celle des effets de «boule de neige» et de «compassion») et ne peut pas être invoqué pour priver l’auteur de son droit à la liberté d’expression et à la communication d’informations, sans autre base qu’une telle «théorie» incertaine. De fait, selon le raisonnement même de la Cour constitutionnelle, les deux effets défavorables possibles peuvent en théorie se neutraliser mutuellement.
3.2L’auteur estime qu’en tant que journaliste il a le droit garanti par l’article 19 de s’acquitter de son devoir professionnel en communiquant aux lecteurs des éléments d’information pertinents. Son devoir de rendre compte est une condition nécessaire du droit d’accès à l’information du public et l’interdiction en cause constitue une restriction excessive et disproportionnée.
3.3Selon l’auteur, l’article 108 1) de la loi électorale viole les alinéas a et b de l’article 25, car il s’oppose à l’échange d’informations libre et complet qui est indispensable aux électeurs pour déterminer de manière judicieuse leur choix. Les résultats de sondages d’opinion dignes de foi donnent des informations pertinentes et significatives qui présentent de l’intérêt pour les électeurs. Dès lors qu’ils sont informés de la position éventuelle de chaque candidat dans une élection, les électeurs peuvent librement former ou modifier leur opinion sur les candidats.
3.4L’auteur fait valoir que l’interdiction établit une discrimination déraisonnable entre les personnes qui peuvent avoir directement accès aux résultats des sondages (le fait de procéder à un sondage en soi n’est pas illégal) et celles qui n’ont pas cette possibilité, et que cela conduit à des distorsions dans la détermination du choix des électeurs. Il fait valoir que, puisque rien n’empêche les médias étrangers facilement accessibles de publier les résultats de sondages, l’interdiction ne sert aucun objet véritable. Enfin, il fait valoir que l’État partie n’a pas démontré que la publication faite par l’auteur ait entraîné quelque effet négatif que ce soit sur l’élection, et que par conséquent la sanction qui lui a été appliquée était injustifiée.
3.5L’auteur indique que la même question n’a pas été soumise à une autre procédure d’enquête ou de règlement international et qu’il a épuisé les recours internes.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond et commentaires de l’auteur
4.1Le 22 février 2002, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il met en avant la décision de la Cour constitutionnelle, selon laquelle les restrictions mises à la publication d’informations obtenues par sondage d’opinion pendant la durée nécessaire pour garantir la régularité des élections ne constituent une violation ni de la Constitution ni du Pacte. Il fait référence à l’article 37 2) de la Constitution, en vertu duquel les libertés et les droits des citoyens ne peuvent être légalement limités que lorsque cela est indispensable pour des raisons de sécurité nationale, de maintien de l’ordre public ou dans l’intérêt général, ainsi qu’au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il fait valoir que la garantie d’élections régulières fait partie intégrante de l’ordre public dans une société démocratique. La durée de la période pendant laquelle des restrictions sont imposées ne peut pas être considérée comme excessive ou discriminatoire.
4.2L’État partie fait observer que le raisonnement de la Cour constitutionnelle n’est pas fondé sur une théorie ou une possibilité, mais sur l’expérience même du pays. Elle tient compte du fait que, par le passé, la culture et le climat des élections ont été particulièrement vulnérables à la manipulation politique et aux irrégularités en République de Corée. La divulgation, avant une élection, de résultats abusivement ou partiellement manipulés de sondages d’opinion a souvent influencé le choix des électeurs, compromettant ainsi la régularité de l’élection. L’État partie estime néanmoins qu’avec le temps, lorsque le climat politique témoignera d’une plus grande maturité, l’interdiction de publier les résultats de sondages d’opinion pourrait être levée.
5.Le 31 juillet 2003, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie, affirmant qu’il n’y avait aucun lien entre la divulgation qu’il avait faite des résultats de sondages d’opinion et les prétendues «manipulation politique et irrégularités» évoquées concernant l’élection, et que c’était le Gouvernement lui‑même qui était responsable de la création «d’une culture et d’un climat des élections» qui étaient «vulnérables à la manipulation politique et aux irrégularités». Selon lui, si cette manipulation était possible, c’était en partie parce que le Gouvernement avait imposé des restrictions à la liberté d’expression et au libre accès à l’information s’agissant des élections. L’État partie n’avait pas expliqué quel préjudice l’auteur avait causé en faisant connaître les résultats du sondage et en quoi l’interdiction était liée au désir d’assurer une élection régulière. Il n’avait pas non plus établi le lien nécessaire entre la sanction imposée à l’auteur et les motifs justifiant la restriction du droit à la liberté d’expression inscrit dans le Pacte.
Observations complémentaires de l’État partie
6.1Dans ses observations du 28 juin 2004, l’État partie rappelle que la loi électorale vise à garantir la régularité des élections en les soustrayant à l’influence défavorable de sondages d’opinion tendancieux ou manipulés, qui pourraient influencer les électeurs en leur fournissant des informations incorrectes. Même effectués de manière honnête et objective, de tels sondages peuvent influencer les électeurs par le biais des effets de «boule de neige» et de «compassion».
6.2Tout en reconnaissant que, par le passé, l’abus de pouvoir imputable à certains acteurs politiques avait nui aux efforts en faveur d’élections régulières, l’État partie nie que le Gouvernement soit responsable de la culture actuelle en ce domaine. Les médias contemporains ont acquis un pouvoir social et politique qui a des effets majeurs sur la formation de l’opinion, en particulier s’agissant des élections. En vertu de la loi électorale, le Gouvernement est légalement tenu d’améliorer la culture électorale en empêchant que les résultats des élections ne soient influencés par la publication, par les médias, de résultats de sondages qui sont incorrects. Enfin, l’État partie fait valoir qu’il n’a pas à prouver, dans chaque cas particulier, le préjudice causé par la publication des résultats de sondages d’opinion pour justifier l’application de la loi.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité a vérifié que la même question n’est pas actuellement examinée dans le cadre d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie n’affirme pas qu’il existe des recours internes qui n’aient pas été épuisés ou dont l’auteur pourrait encore faire usage.
7.3En ce qui concerne les plaintes de l’auteur au titre des alinéas a et b de l’article 25, et de l’article 26 du Pacte, le Comité estime que l’auteur n’a pas, aux fins de la recevabilité de sa communication, suffisamment étayé ses allégations. Il estime donc que ces plaintes sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Le Comité passe immédiatement à l’examen au fond pour ce qui est de la plainte présentée au titre de l’article 19 du Pacte.
Examen au fond
8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
8.2Le Comité relève que la question dont il est saisi est de savoir si la condamnation de l’auteur, en vertu de l’article 108 1) de la loi relative aux conditions d’éligibilité aux fonctions publiques et à la prévention des fraudes électorales, au motif qu’il avait publié un article sur les résultats de sondages d’opinion pendant la campagne en vue de l’élection présidentielle, viole le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte garantit le droit à la liberté d’expression, qui comprend «la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen». Le Comité estime que, par ses articles, l’auteur exerçait son droit de répandre des informations et des idées au sens du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.
8.3Le Comité relève que toute restriction de la liberté d’expression au sens du paragraphe 3 de l’article 19 doit satisfaire cumulativement aux conditions suivantes: elle doit être fixée par la loi, elle doit viser les buts énumérés au paragraphe 3 de l’article 19, et elle doit être nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi. Les restrictions étaient fixées par la loi, en vertu de l’article 108 1) de la loi relative aux conditions d’éligibilité aux fonctions publiques et à la prévention des fraudes électorales. Quant à savoir si les mesures visaient l’un des buts énumérés au paragraphe 3, le Comité note que l’État partie soutient que la restriction est justifiée à des fins de protection de l’ordre public (paragraphe 3 b)). Le Comité estime que, dans la mesure où la restriction a trait aux droits des candidats à la présidence, elle peut aussi relever des termes du paragraphe 3 a) de l’article 19 (mesure nécessaire au respect des droits d’autrui). Le Comité note que le raisonnement qui sous‑tend cette restriction se fonde sur le désir de laisser aux électeurs un délai de réflexion limité, pendant lequel ils seront à l’abri de considérations étrangères aux questions en jeu dans les élections, et que l’on peut trouver des restrictions similaires dans de nombreuses juridictions. Il relève aussi les particularités historiques récentes du processus politique démocratique de l’État partie, notamment celles invoquées par ce dernier. Dans ces conditions, une loi qui restreint la publication de sondages d’opinion pendant une période limitée précédant une élection ne semble pas ipso facto sortir du cadre des buts envisagés au paragraphe 3 de l’article 19. Quant à la question de la proportionnalité, tout en notant qu’un délai de 23 jours avant la date de l’élection est plus long qu’il n’est d’usage, le Comité estime qu’il n’a pas à se prononcer sur la compatibilité de ce délai avec le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte puisque la publication initiale par l’auteur de résultats de sondages d’opinion dont il n’avait pas été rendu compte auparavant a eu lieu sept jours avant l’élection. La condamnation de l’auteur pour cet acte ne peut être considérée comme excessive au regard de la situation dans l’État partie. Le Comité note aussi que la sanction infligée à l’auteur, quoique relevant du droit pénal, ne peut pas être jugée excessivement sévère. Il n’est donc pas en mesure de conclure que la loi, telle qu’elle a été appliquée à l’auteur, est disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi. En conséquence, le Comité ne conclut pas à une violation de l’article 19 du Pacte à cet égard.
9.Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion dissidente de M me Christine Chanet et de MM. Abdelfattah Amor, Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, Alfredo Castillero Hoyos, Ahmed Tawfik Khalil et Rajsoomer Lallah
Nous notons que toute restriction apportée à la liberté d’expression en vertu du paragraphe 3 de l’article 19 doit satisfaire cumulativement aux conditions suivantes: elle doit être fixée par la loi, elle doit viser l’un des buts énumérés au paragraphe 3 a) et b) de l’article 19, et elle doit être nécessaire pour atteindre un objectif légitime. L’État partie a bien affirmé qu’en l’espèce les restrictions étaient justifiées pour protéger l’ordre public et qu’elles étaient fixées par la loi, en vertu de l’article 108 1) de la loi relative aux conditions d’éligibilité aux fonctions publiques et à la prévention des fraudes électorales, mais nous ne considérons pas que les mesures prises à l’encontre de l’auteur étaient nécessaires pour atteindre l’objectif déclaré. Nous notons que l’État partie a invoqué l’ordre public par référence au désir d’assurer des élections libres et régulières et à la crainte de voir les médias manipuler l’opinion publique en publiant des résultats de sondage inexacts. Il a aussi fait référence au désir d’éviter les effets appréhendés de «boule de neige» ou de «compassion» sur l’électorat. Nous estimons toutefois que l’État partie n’a pas démontré la réalité de la menace que, selon lui, l’exercice de sa liberté d’expression par l’auteur représentait; il n’a pas non plus expliqué pourquoi les électeurs du pays devaient être privés d’informations qui pourraient les aider à faire pencher le résultat des élections dans le sens correspondant le mieux à leurs préférences politiques globales. Nous notons aussi que les effets dits «de boule de neige» et «de compassion» sont mutuellement contradictoires et insistons enfin sur le fait que la période de 23 jours prescrite par la loi est inhabituellement longue. Nous concluons que les arguments avancés par l’État partie ne suffisent pas à rendre la restriction apportée au droit à la liberté d’expression de l’auteur compatible avec le paragraphe 3 de l’article 19. En conséquence, nous estimons que les faits dont le Comité est saisi font apparaître une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.
(Signé) Mme Christine Chanet(Signé) M. Abdelfattah Amor(Signé) M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati(Signé) M. Alfredo Castillero Hoyos(Signé) M. Ahmed Tawfik Khalil(Signé) M. Rajsoomer Lallah
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Opinion dissidente de M me Ruth Wedgwood
Je me joins à six de mes collègues du Comité des droits de l’homme pour conclure que la loi pénale de la République de Corée qui interdit la publication d’informations liées à des sondages d’opinion politique en période électorale est incompatible avec l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
La loi de la République de Corée relative à la prévention des fraudes électorales fait interdiction de publier ou de citer les «résultats» des sondages d’opinion, ou tout détail à leur sujet, pendant toute la durée d’une campagne électorale. Ainsi, pendant les 23 jours de la campagne en vue de l’élection du Président de la République de Corée, aucun journaliste ni analyste politique ne peut faire de supputations sur l’avance ou le retard de tel ou tel candidat, ou sur lequel des partis voit son programme politique recueillir les faveurs du public, dès lors que cette caractérisation repose sur une tentative quelconque faite pour sonder l’opinion des électeurs.
Cela revient à brider la parole orale et écrite des citoyens, ainsi que la liberté d’expression des journalistes. La loi impose des limites à ce qu’un parti politique peut dire concernant l’ampleur du soutien dont il bénéficie auprès du public, et elle s’applique indifféremment aux scrutins locaux et aux consultations nationales. En l’absence de toute définition de ce que recouvre le terme «sondage», même une simulation d’élection au sein d’un club de football local serait apparemment prohibée. Cette restriction de la liberté d’expression écrite et orale est d’autant plus draconienne que quiconque ne la respecte pas s’expose à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans, même si en l’occurrence c’est une amende qui a été infligée.
Certains pourraient souhaiter un temps de pause, durant lequel on cesserait de traiter l’élection comme s’il s’agissait d’une course de chevaux, mais l’interdiction complète pendant la durée d’une campagne de tout sondage concernant les candidats et les partis politiques constitue par ailleurs une entrave au débat sur les problèmes de fond et les sujets de controverse. Ainsi, aucun journaliste ne peut faire observer lors d’une émission de radio nationale ni dans un article de presse que, selon un sondage, tel ou tel candidat semble avoir gagné des sympathies et que sa position sur tel ou tel enjeu du moment n’y est pas étrangère.
L’État partie a fait valoir que les résultats des sondages pouvaient être «incorrects» et que les médias avaient un «pouvoir» grandissant, et il a tenté de justifier l’interdiction comme étant un moyen de protéger l’«ordre public» (voir plus haut, par. 6.2). Cependant, on peut aussi considérer que les sondages d’opinion s’inscrivent dans le dialogue entre candidats et citoyens. Ils peuvent constituer l’une des garanties de la régularité des élections dans les démocraties naissantes comme dans les régimes démocratiques établis. En tout état de cause, selon l’article 19 du Pacte, «nul ne peut être inquiété pour ses opinions» et chacun a droit à la «liberté d’expression» et a le droit «de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, … sous une forme orale, écrite, imprimée».
L’État partie n’a pas démontré que l’interdit absolu qu’il a imposé sur la publication de tout sondage indiquant l’évolution de l’opinion des électeurs constitue une restriction légitime au vu de la garantie de la liberté d’expression consacrée de manière globale par le Pacte.
Dans le cadre d’une action en inconstitutionnalité de la loi devant la Cour constitutionnelle de la République de Corée, un juge «dissident» a fait observer que «la liberté d’échanger des opinions [était] une condition absolue du système démocratique». Le Pacte ne dit pas autre chose.
(Signé) Mme Ruth Wedgwood
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
H. Communication n o 971/2001, Arutyuniantz c. Ouzbékistan (Constatations adoptées le 30 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Irina Arutyuniantz (non représentée par un conseil) |
Au nom de: |
Vazgen Arutyuniantz, fils de l’auteur |
État partie: |
Ouzbékistan |
Date de la communication: |
18 décembre 2000 (lettre initiale) |
Objet: Condamnation fondée sur le témoignage d’un complice présumé; le tribunal n’a pas désigné avec certitude l’assassin (les assassins).
Questions de fond: Présomption d’innocence.
Questions de procédure: Néant.
Articles du Pacte: 14 (par. 2).
Articles du Protocole facultatif: 4 (par. 2) et 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 mars 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 971/2001 présentée au Comité des droits de l’homme au nom de Vazgen Arutyuniantz en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur est Irina Arutyuniantz, de nationalité ouzbèke, née en 1952. Elle présente la communication au nom de son fils, Vazgen Arutyuniantz, également de nationalité ouzbèke, né en 1977, actuellement incarcéré dans la ville d’Andijan en Ouzbékistan. Elle affirme que son fils est victime de violations par l’Ouzbékistan des articles 6, 7, 14, paragraphes 2 et 3 g), et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle n’est pas représentée par un conseil.
1.2Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’Ouzbékistan le 28 décembre 1995.
Rappel des faits
2.1Le 31 mai 2000, Vazgen Arutyuniantz et un autre homme, Armen Garushyantz, ont été reconnus coupables par le tribunal militaire de Tachkent du meurtre aggravé de deux personnes et du cambriolage de leur appartement; ils ont été condamnés à mort. Le tribunal a établi qu’en janvier 1999 les deux hommes s’étaient rendus dans l’appartement de l’une des victimes, à laquelle ils devaient de l’argent, et l’ont tuée en la frappant avec un marteau, puis ont cambriolé son appartement. Il a établi qu’en mars 1999 les deux hommes avaient également tué un autre homme en le frappant plusieurs fois à la tête avec un marteau, puis avaient cambriolé son appartement. L’auteur déclare que son fils a admis avoir été présent sur la scène de chacun de ces meurtres et avoir commis des vols qualifiés, mais qu’il maintient être innocent des deux meurtres.
2.2Selon l’auteur, son fils a eu un procès inéquitable et a été injustement déclaré coupable de meurtre. Sa condamnation était fondée sur le témoignage de son complice présumé, Garushyantz, lequel a modifié sa déposition plusieurs fois. Lorsqu’il a été arrêté, Garushyantz avait dit qu’Arutyuniantz, qui était alors toujours en fuite, avait commis les deux meurtres. Après l’arrestation d’Arutyuniantz, Garushyantz a reconnu avoir déclaré faussement qu’Arutyuniantz avait commis les meurtres, dans l’espoir que celui-ci ne serait pas appréhendé et qu’il ne le contredirait donc pas. Par la suite, au tribunal, craignant d’être condamné à mort, Garushyantz est de nouveau revenu sur sa déposition, affirmant cette fois-ci qu’Arutyuniantz avait tué la première victime, mais qu’il avait tué la deuxième. Malgré ces incohérences, c’est sur la base de la déposition de Garushyantz que le fils de l’auteur a été reconnu coupable de meurtre.
2.3L’auteur déclare qu’il n’y avait pas de preuve ni même de conclusion du tribunal sur la question de savoir si c’était bien Arutyuniantz ou son complice qui avait tué l’une des victimes ou les deux, nonobstant les prescriptions de l’ordonnance no 10 de la Cour suprême, qui dispose que, dans le cas de crimes attribués à un groupe d’individus, le tribunal doit établir le rôle joué par chacun dans ce crime. Il est simplement déclaré dans la décision judiciaire que «Garushyantz et Arutyuniantz ont frappé (les victimes) avec un marteau», sans préciser lequel des deux a donné les coups de marteau. L’auteur affirme qu’en de telles circonstances le droit de son fils à être considéré comme innocent jusqu’à ce qu’il soit reconnu coupable a été violé. Elle déclare que le tribunal inclinait déjà vers la culpabilité à l’ouverture du procès, et qu’il a souscrit à chacune des accusations formulées contre son fils en vertu du Code pénal, alors même que certaines étaient tout simplement sans objet. Ainsi, son fils a été accusé d’avoir tué deux personnes ou plus en vertu de l’article 97 du Code pénal. Or cet article, selon l’auteur, ne s’applique que lorsque les meurtres en cause sont commis simultanément. Elle affirme en outre qu’il n’y avait pas de preuve de ce que les meurtres aient été commis avec des circonstances aggravantes, comme l’a estimé le tribunal. Selon elle, celui-ci s’est borné dans sa décision à reproduire l’acte d’accusation, et c’est là une indication de plus de son manque d’objectivité.
2.4L’auteur déclare que son fils a été sauvagement battu après son arrestation par la police dans le but de lui extorquer un aveu quant à sa prétendue participation aux meurtres. Le fait que son fils a été battu a été établi par un examen médical effectué par le Ministère de la défense le 12 juillet 1999. L’auteur fait valoir que son mari était revenu bouleversé d’une visite à son fils en prison car celui-ci était couvert de bleus. Il a dit à son père qu’il avait très mal aux reins, qu’il avait du sang dans les urines, qu’il souffrait de maux de tête et n’était pas capable de se tenir debout. Le magistrat instructeur aurait dit à son mari que leur fils était un assassin et qu’il serait fusillé. Dans un message adressé de sa cellule à ses parents, il les a implorés de l’aider, ajoutant qu’il était battu mais qu’il refusait d’avouer parce qu’il n’était pas un assassin. L’auteur déclare qu’en octobre 1999, désespéré par la situation de son fils, son mari s’est suicidé.
2.5M. Arutyuniantz a formé recours devant la Cour suprême pour lui soumettre l’affaire susmentionnée, sans toutefois évoquer l’allégation selon laquelle il aurait été sauvagement battu. Le 6 octobre 2000, il a été débouté de l’appel de sa condamnation pour meurtre.
Teneur de la plainte
3.L’auteur affirme que le procès de son fils et les mauvais traitements qu’il a subis alors qu’il était en détention avant jugement ont donné lieu à des violations des articles 6, 7, 14, paragraphes 2 et 3 g), et 16 du Pacte.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1Par une note datée du 13 janvier 2005, l’État partie a affirmé le 28 décembre 2001 que la Cour suprême avait pris une ordonnance commuant la peine de mort prononcée contre M. Arutyuniantz en une peine de 20 ans d’emprisonnement. Comme suite aux «décrets d’amnistie» présidentiels datés des 28 décembre 2000, 22 août 2001 et 3 décembre 2002, la peine de M. Arutyuniantz a été réduite à 9 ans, 4 mois et 22 jours d’emprisonnement; il n’a pas été admis à bénéficier d’autres décrets d’amnistie pris les 1er décembre 2003 et 1er décembre 2004 parce qu’il avait enfreint le règlement pénitentiaire.
4.2L’État partie affirme que l’enquête préliminaire sur les crimes dont M. Arutyuniantz a été reconnu coupable a été conduite conformément au Code de procédure pénale ouzbek et que tous les chefs d’accusation et éléments de preuve ont été appréciés de manière approfondie. Il affirme que la culpabilité d’Arutyuniantz a été démontrée et considère que la communication est tout à la fois irrecevable et dénuée de fondement.
Délibérations du Comité
5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2Le Comité s’est assuré, comme le prévoit le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
5.3Le Comité note que la plainte de l’auteur au titre de l’article 16 n’a pas été étayée et qu’il n’y a pas dans le dossier d’informations laissant penser que le fils de l’auteur s’est vu dénier la reconnaissance de sa personnalité juridique. En outre, compte tenu de la commutation de la peine de mort prononcée contre M. Arutyuniantz, la plainte de l’auteur au titre de l’article 6 du Pacte ne repose plus sur aucune base factuelle. En conséquence, le Comité considère que ces plaintes n’ont pas été étayées et qu’elles sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.4S’agissant des plaintes de l’auteur selon lesquelles les droits que tient son fils des articles 7 et 14, paragraphe 3 g), ont été violés, le Comité note que ces questions n’ont pas été soulevées par le fils de l’auteur dans l’appel qu’il a formé devant la Cour suprême. Le Comité n’a reçu aucune information faisant état de ce que l’auteur se serait plaint aux autorités de l’État partie des mauvais traitements que lui aurait fait subir la police. Il réaffirme que la prescription, selon laquelle un auteur doit avoir épuisé les recours internes, concerne chaque allégation de violation du Pacte, et non pas simplement la décision d’un tribunal défavorable à l’auteur. Le Comité considère donc que les plaintes de l’auteur concernant des violations de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte sont irrecevables en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
5.5Le Comité estime que rien ne s’oppose à ce que la dernière plainte de l’auteur au titre du paragraphe 2 de l’article 14 soit jugée recevable, et il procède à l’examen au fond de cette plainte.
Examen au fond
6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il note que si l’État partie a communiqué des observations sur l’affaire de l’auteur et sa condamnation, notamment des informations sur la commutation de la peine de mort, il n’a donné aucune information sur les plaintes formulées par l’auteur. L’État partie se borne à affirmer que M. Arutyuniantz a été jugé et reconnu coupable conformément aux lois ouzbèkes, que les chefs d’accusation et éléments de preuve ont été appréciés de manière approfondie, que sa culpabilité a été démontrée et que la communication est tout à la fois irrecevable et dénuée de fondement.
6.2En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle son fils n’a pas été présumé innocent jusqu’à ce qu’il soit reconnu coupable, l’auteur a fait des observations détaillées dont l’État partie n’a pas traité. Le Comité rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif qu’il convient qu’un État partie examine de bonne foi toutes les allégations faites contre lui et communique au Comité toutes les informations pertinentes dont il dispose. Le Comité ne considère pas qu’une déclaration générale sur le caractère approprié de la procédure pénale en cause satisfasse à cette obligation. Eu égard à cela, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, pour autant qu’elles soient étayées.
6.3L’auteur décrit un certain nombre de circonstances qui, selon elle, démontrent que son fils n’a pas bénéficié de la présomption d’innocence. Elle déclare que la condamnation de son fils était fondée sur le témoignage d’un complice qui est revenu plusieurs fois sur sa déposition et qui, à un certain moment, a avoué avoir commis les meurtres lui-même et avoir faussement mis en cause Arutyuniantz. Elle déclare aussi que la juridiction de jugement n’a jamais déterminé de manière affirmative qui avait tué les deux victimes; il est déclaré dans la décision que les deux accusés ont frappé et tué les victimes avec un seul marteau.
6.4Le Comité rappelle son Observation générale no 13, dans laquelle il a réaffirmé que du fait du principe de la présomption d’innocence, la preuve incombe à l’accusation quel que soit le chef d’accusation, et l’accusé a le bénéfice du doute. L’accusé ne peut pas être présumé coupable tant que le bien-fondé des accusations dont il fait l’objet n’a pas été démontré au-delà de tout doute raisonnable. Il ressort des informations données au Comité, qui n’ont pas été contestées sur le fond par l’État partie, que les charges et les éléments de preuve retenus contre l’auteur laissent place à un doute considérable. Le Comité estime qu’il y a lieu d’examiner avec circonspection tout élément de preuve incriminant une personne qui est apporté par un complice poursuivi pour la même infraction, en particulier lorsque ce complice a modifié à plusieurs reprises sa version des faits. Le Comité ne dispose d’aucune information donnant à penser que le tribunal de première instance ou la Cour suprême ait pris ce facteur en considération, bien que le fils de l’auteur l’ait invoqué.
6.5Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que c’est aux juridictions des États parties au Pacte, et non à lui-même, qu’il appartient généralement d’examiner ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que la conduite du procès ou l’appréciation des faits et des éléments de preuve ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Pour les motifs exposés plus haut, le Comité estime que de telles irrégularités ont entaché le procès de l’auteur en l’espèce.
6.6En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, les préoccupations susmentionnées font fortement douter que le fils de l’auteur soit coupable des meurtres pour lesquels il a été condamné. Au vu des pièces dont il est saisi, le Comité considère que M. Arutyuniantz n’a pas eu le bénéfice de ce doute dans les poursuites pénales engagées contre lui. Dans ces circonstances, le Comité conclut que le procès de l’auteur n’a pas été mené dans le respect du principe de la présomption d’innocence, en violation du paragraphe 2 de l’article 14.
7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître des violations du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.
8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’auteur a droit à un recours utile, sous la forme notamment d’une indemnisation et d’un nouveau procès ou d’une libération.
9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de publier les constatations du Comité.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
I. Communication n o 973/2001, Khalilova c. Tadjikistan (Constatations adoptées le 30 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Mme Maryam Khalilova (non représentée par un conseil) |
Au nom de: |
M. Validzhon Alievich Khalilov (fils de l’auteur) |
État partie: |
Tadjikistan |
Date de la communication: |
14 mai 2001 (date de la lettre initiale) |
Objet: Condamnation à mort à l’issue d’une procédure irrégulière.
Questions de procédure: Absence de réponses de la part de l’État partie.
Questions de fond: Condamnation à la peine capitale à l’issue d’une procédure irrégulière et mauvais traitements pendant l’enquête préliminaire.
Articles du Pacte: 6, 7, 10, 14.
Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 4).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 mars 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 973/2001, présentée au nom de M. Validzhon Alievich Khalilov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication est Mme Maryam Khalilova, de nationalité tadjike, née en 1954. Elle présente la communication au nom de son fils − Validzhon Alievich Khalilov, également de nationalité tadjike, né en 1973, qui, au moment où la communication a été présentée, était en attente d’exécution dans le quartier des condamnés à mort du centre de détention SIZO no 1, à Douchanbé, après avoir été condamné à mort par la Cour suprême du Tadjikistan le 8 novembre 2000. L’auteur affirme que son fils est victime de violations par le Tadjikistan des paragraphes 1 et 4 de l’article 6, du paragraphe 1 de l’article 10 et des paragraphes 2, 3 g) et 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La communication semble également soulever des questions au titre de l’article 7 du Pacte, à l’égard de l’auteur et de son fils, bien que cette disposition n’ait pas été directement invoquée par l’auteur. L’auteur n’est pas représentée par un conseil.
1.2Le 16 mai 2001, conformément à l’article 92 (ancien art. 86) de son règlement intérieur, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a prié l’État partie de ne pas procéder à l’exécution de M. Khalilov tant que son affaire était en instance devant le Comité. Cette demande de mesures provisoires de protection a été renouvelée le 17 décembre 2002 et le 15 avril 2004. Aucune réponse n’a été reçue de l’État partie. Dans une lettre du 18 février 2005, l’auteur a informé le Comité que, le 10 février 2005, elle avait reçu une attestation signée d’un vice-président de la Cour suprême, indiquant que l’exécution de son fils avait eu lieu le 2 juillet 2001.
Exposé des faits
2.1En 1997, un dénommé Saidmukhtor Yorov a formé une bande armée dans le district de Gulliston, région de Lenin (Tadjikistan). En utilisant la force et les menaces, il a recruté des jeunes gens et les a obligés à commettre plusieurs crimes graves. L’auteur explique que son fils a été contraint sous la menace d’une arme de rejoindre la bande de Yorov. Lorsque son fils a compris en quoi consistaient les activités prétendument «anticonstitutionnelles» de la bande, il s’est échappé et s’est caché chez une tante, dans le district de Lokhur, pour éviter les représailles de la bande.
2.2En avril 1997, M. Khalilov s’est rendu dans sa ville d’origine (kolkhoze Khosilot), dans le district de Gulliston, pour assister au mariage de sa sœur. Après la cérémonie, M. Khalilov et son père se sont rendus à la mosquée pour prier. D’après l’auteur, son fils a été reconnu par des membres de la bande de Yorov qui se sont immédiatement emparés de lui et l’ont conduit devant Yorov. M. Khalilov a été obligé de réintégrer la bande.
2.3À la fin du mois de septembre 1997, l’armée gouvernementale a fait lâcher depuis des hélicoptères des tracts contenant un appel du Président à toutes les personnes que Yorov avait recrutées «par la force et les mensonges». Le Président a expliqué que les membres de la bande qui se rendraient sans violence seraient graciés. M. Khalilov s’est de nouveau enfui; la bande a alors menacé ses parents de les assassiner. Les membres de la bande ont repéré M. Khalilov alors qu’il se trouvait chez sa tante et l’on conduit à Yorov, qui l’a menacé de tuer tous les membres de sa famille s’il s’échappait de nouveau.
2.4En décembre 1997, toutefois, M. Khalilov s’est échappé une fois encore et s’est caché chez une autre tante, dans la région de Hissar. Peu de temps après, il a appris que la bande avait été démantelée, que Yorov était poursuivi, et que les charges retenues contre lui étaient abandonnées. Il a quitté la région de Hissar en juin 1998 pour retourner dans le district de Lokhur, où les autorités l’ont arrêté en janvier 2000.
2.5Selon l’auteur, les enquêteurs ont frappé son fils pour le forcer à avouer sa participation à divers crimes non élucidés, à savoir des meurtres, des actes de violence, des vols simples et des vols qualifiés, et divers autres crimes qui se sont produits entre 1998 et 2000. Selon elle, les enquêteurs ont refusé d’interroger les voisins des tantes chez lesquelles son fils s’est caché entre décembre 1997 et janvier 2000, et qui auraient pu témoigner de son innocence.
2.6À une date non précisée, M. Khalilov a été transféré des services de la police de district de Lenin à ceux du district de Kaferingansky. Dans l’intervalle, on est allé chercher son père sur son lieu de travail pour le mettre en présence de son fils qui se trouvait aux mains du département de la police de district de Kaferingansky. Le père a remarqué que son fils avait été battu et a déclaré qu’il se plaindrait aux autorités compétentes. Les enquêteurs se sont alors mis à le battre devant son fils. Le fils de l’auteur a été menacé et a déclaré avoir dû s’avouer coupable de deux meurtres au cours d’une émission télévisée, sinon son père serait tué. M. Khalilov a avoué avoir commis les deux meurtres comme on le lui demandait. Les enquêteurs ont pourtant tué son père.
2.7Le 12 février, M. Khalilov est apparu de nouveau à la télévision nationale (émission «Iztirob»). Selon l’auteur, il avait été roué de coups et avait le nez cassé, mais les caméras ne montraient son visage que sous un certain angle où ses blessures n’apparaissaient pas.
2.8La Cour suprême a examiné le cas de M. Khalilov avec ceux de cinq autres coaccusés. Le fils de l’auteur a été reconnu coupable de crimes au titre des articles 104 2) (homicide), 181 3) (prise d’otages), 186 3) (banditisme), 195 3) (achat, vente, détention et transport illicites d’armes, de munitions, d’explosifs, etc.), 244 (vol) et 249 (vol avec violence) du Code pénal du Tadjikistan. Il a été condamné à mort le 8 novembre 2000. Selon l’auteur, aucune victime ou partie lésée n’a reconnu son fils au tribunal comme ayant participé aux actes criminels visés, alors que les témoins avaient déclaré pouvoir reconnaître le visage de chacun des participants à ces crimes. La Cour suprême aurait ignoré les dépositions en question et refusé de les prendre en compte ou des les mentionner dans sa décision.
2.9Le fils de l’auteur a déposé un recours en grâce présidentielle, mais sa demande a été rejetée le 23 mai 2001.
2.10Dans une lettre du 5 juin 2003, l’auteur réaffirme que son fils a été contraint de faire partie de la bande de Yorov mais qu’il n’a commis aucun crime. Il s’est échappé et, après la liquidation de la bande, c’est-à-dire lorsqu’il ne risquait plus de représailles, il «a repris une vie normale». Lorsque les crimes ont été commis, il se trouvait chez ses tantes. Après son arrestation en 2000, il a été accusé de crimes qui ont été commis par la bande et a par la suite été condamné à mort. L’auteur déclare que le jugement a été confirmé en cassation (sans préciser la date ni l’instance).
2.11L’auteur explique aussi qu’elle ne sait pas où son fils est détenu. Les responsables du centre de détention SIZO no 1 de Douchanbé auraient refusé d’accepter les colis qu’elle apportait, en lui disant que son fils avait été transféré, sans autres précisions.
2.12Le 18 février 2005, l’auteur a fait savoir au Comité qu’elle avait reçu une lettre du Vice‑Président de la Cour suprême, datée du 2 février 2005, qui indiquait que son fils avait été exécuté le 2 juillet 2001.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que les droits reconnus à son fils au paragraphe 1 de l’article 10 ont été violés parce qu’il a été roué de coups par les enquêteurs. Bien que l’auteur n’invoque pas cet article expressément, cette partie de la communication peut également soulever des questions au titre de l’article 7 du Pacte, à l’égard de M. Khalilov.
3.2Même si l’auteur n’invoque pas expressément cette disposition, le fait qu’elle déclare que, pour accentuer la pression exercée sur son fils, les enquêteurs ont conduit son mari au centre de détention et l’ont battu à mort devant son fils, semble également soulever des questions au titre de l’article 7 du Pacte, à l’égard de son fils.
3.3L’auteur affirme que les faits présentés constituent une violation du droit de son fils à la présomption d’innocence au titre du paragraphe 2 de l’article 14. Elle rappelle que son fils est apparu à la télévision nationale pendant l’enquête − c’est‑à‑dire avant toute détermination de sa culpabilité par un tribunal − et qu’il a été contraint d’avouer publiquement avoir commis plusieurs crimes graves.
3.4L’auteur affirme en outre que son fils a été victime d’une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, parce qu’il a été contraint de s’avouer coupable.
3.5Sans étayer son allégation, l’auteur affirme que le droit conféré à M. Khalilov par le paragraphe 5 de l’article 14 de faire réexaminer sa condamnation par une juridiction supérieure conformément à la loi, a également été violé.
3.6L’auteur affirme que les droits reconnus à son fils par les paragraphes 1 et 4 de l’article 6, en liaison avec l’article 14, ont été violés parce que son fils a été condamné à mort à l’issue d’un procès irrégulier au cours duquel les garanties de procédure n’ont pas été respectées.
3.7Enfin, et même si l’auteur n’a pas soulevé cette question expressément, la communication semble aussi soulever des questions au titre de l’article 7, à son propre égard, parce que les autorités tadjikes auraient constamment refusé de lui révéler le sort de son fils et l’endroit où il se trouvait.
Inobservation par l’État partie de la demande d’adoption de mesures provisoires adressée par le Comité en application de l’article 92 de son règlement intérieur
4.1Le Comité note que l’État partie a exécuté le fils de l’auteur bien que le Comité des droits de l’homme ait été saisi d’une communication au titre du Protocole facultatif et qu’il ait adressé une demande d’adoption de mesures provisoires de protection à l’État partie. Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, un État partie reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (Préambule et article premier). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication et d’en mener l’examen à bonne fin, et l’empêche de faire part de ses constatations, est incompatible avec ses obligations.
4.2Indépendamment de toute violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, l’État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte, ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. Dans la présente communication, l’auteur déclare que son fils s’est vu dénier ses droits au titre des articles 6, 10 et 14 du Pacte. Elle soulève également des questions qui pourraient relever de l’article 7 même si elle n’a pas invoqué expressément cette disposition. Ayant été notifié de la communication, l’État partie a contrevenu à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en procédant à l’exécution de la victime présumée avant que le Comité ait mené l’examen à bonne fin et qu’il ait pu formuler ses constatations et les communiquer. Il est particulièrement inexcusable pour l’État partie d’avoir agi ainsi après que le Comité lui eut demandé, en application de l’article 92 (ancien art. 86) du règlement intérieur, de s’abstenir de le faire.
4.3Le Comité se déclare par ailleurs extrêmement préoccupé par le fait que l’État partie n’a donné aucune explication pour justifier sa décision, bien qu’il lui ait adressé plusieurs demandes à cet égard.
4.4Le Comité rappelle que l’adoption de mesures provisoires en application de l’article 92 (ancien art. 86) du règlement intérieur, adopté conformément à l’article 39 du Pacte, est essentielle au rôle confié au Comité en vertu du Protocole facultatif. Le non-respect de cet article, en particulier par une action irréparable, comme en l’espèce l’exécution du fils de l’auteur, sape la protection des droits consacrés dans le Pacte qu’assure le Protocole facultatif.
Absence de réponse de la part de l’État partie
5.Par des notes verbales du 16 mai 2001, du 17 décembre 2002 et du 15 avril 2004, l’État partie a été prié de présenter au Comité des informations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Le Comité note qu’il ne les a toujours pas reçues. Il regrette que l’État partie ne lui ait adressé aucune information quant à la recevabilité ou au fond des allégations de l’auteur. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que les États parties communiquent au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles sont dûment étayées.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité note que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et compte tenu des éléments de fait dont il dispose, que les recours internes ont été épuisés. En l’absence de toute objection de la part de l’État partie, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.
6.3Le Comité a noté l’allégation de l’auteur selon laquelle les droits reconnus à son fils au titre du paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte ont été violés. Toutefois, il ressort de la communication de l’auteur que M. Khalilov avait présenté une demande de grâce présidentielle à une date non spécifiée et que cette demande a été rejetée, par décret présidentiel, le 23 mai 2001. Dans ces circonstances, le Comité constate que l’auteur n’a pas suffisamment étayé cette allégation aux fins de la recevabilité, et décide en conséquence que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4Le Comité considère que les autres allégations de l’auteur ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité, au sens où elles semblent soulever des questions au titre des articles 6, 7, 10 et 14 du Pacte.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de l’ensemble des éléments d’information que lui ont fournis les parties, comme l’exige le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Le Comité a pris note des allégations de l’auteur qui affirme que pendant sa détention son fils a été maltraité et frappé par les enquêteurs qui voulaient le forcer à s’avouer coupable et que, pour mettre encore plus de pression sur lui, ils avaient battu et torturé son père devant lui, à la suite de quoi ce dernier était décédé dans les locaux de la police. L’auteur a en outre identifié par leur nom certaines des personnes qui seraient responsables des brutalités infligées à son fils et qui auraient brûlé les mains de son mari au fer. En l’absence de toute information émanant de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées. Le Comité considère que les faits dont il est saisi l’autorisent à conclure que le fils de l’auteur a été soumis à la torture et à des traitements cruels et inhumains, en violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.
7.3Comme les actes mentionnés plus haut ont été infligés par les enquêteurs à M. Khalilov pour l’obliger à s’avouer coupable de plusieurs crimes, le Comité considère en outre que les faits dont il est saisi font également apparaître une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.
7.4Le Comité a pris note de la plainte formulée par l’auteur au titre du paragraphe 2 de l’article 14, selon laquelle le droit de son fils à la présomption d’innocence a été violé par les enquêteurs. Elle affirme que son fils a été contraint de passer des aveux à deux reprises au moins au cours de l’enquête, à la télévision nationale. En l’absence de toute information émanant de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu à ces allégations. Le Comité rappelle son Observation générale no 13 et sa jurisprudence, selon lesquelles «c’est un devoir pour toutes les autorités publiques de s’abstenir de préjuger de l’issue d’un procès». En l’espèce, le Comité conclut que les autorités chargées de l’enquête n’ont pas respecté leurs obligations au titre du paragraphe 2 de l’article 14.
7.5L’auteur a affirmé que le droit de son fils de faire réexaminer sa condamnation à mort par une juridiction supérieure conformément à la loi a été violé. Il ressort des documents dont le Comité est saisi que, le 8 novembre 2000, le fils de l’auteur a été condamné à mort en première instance par la Cour suprême. Le texte de l’arrêt mentionne qu’il s’agit d’un jugement définitif qui ne peut faire l’objet d’aucun autre recours en cassation. Le Comité rappelle que, si les États parties n’ont pas l’obligation de se doter d’un système qui octroie automatiquement le droit d’interjeter appel, ils sont tenus, en vertu du paragraphe 5 de l’article 14, de faire examiner quant au fond, en vérifiant si les éléments de preuve sont suffisants et à la lumière des dispositions législatives applicables, la déclaration de culpabilité et la condamnation, de manière que la procédure permette un examen approprié de la nature de l’affaire. Faute d’explication de l’État partie à cet égard, le Comité est d’avis que l’absence de possibilité de faire appel devant une juridiction supérieure des jugements rendus par la Cour suprême en première instance ne satisfait pas aux prescriptions énoncées au paragraphe 5 de l’article 14 et que, par conséquent, il y a eu violation de cette disposition.
7.6En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte formulée par l’auteur, le Comité rappelle que la condamnation à la peine capitale à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. En l’espèce, la condamnation à mort a été prononcée et exécutée en violation du droit à un procès équitable, consacré à l’article 14 du Pacte et, partant, également en violation de l’article 6.
7.7Le Comité a pris note de l’allégation de l’auteur selon laquelle les autorités tadjikes, notamment la Cour suprême, n’ont jamais répondu à ses demandes d’informations et ont systématiquement refusé de donner des précisions sur la situation de son fils ni sur l’endroit où il se trouvait. Le Comité comprend l’angoisse et la pression psychologique dont l’auteur, mère d’un prisonnier condamné à mort, a souffert et souffre encore parce qu’elle ne connaît toujours pas les circonstances ayant entouré l’exécution de son fils, ni l’emplacement de sa tombe. Le secret total entourant la date de l’exécution ainsi que le lieu de l’ensevelissement ont un effet d’intimidation ou de punition pour les familles en les laissant délibérément dans un état d’incertitude et de souffrance morale. Le Comité considère que le fait que les autorités n’aient pas notifié l’auteur de l’exécution de son fils constitue un traitement inhumain à l’égard de l’auteur, contraire à l’article 7 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation à l’égard des droits de M. Khalilov du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 2, 3 g) et 5 de l’article 14 du Pacte, ainsi qu’une violation de l’article 7 à l’égard de l’auteur.
9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur une réparation, consistant notamment à l’informer du lieu où son fils a été enterré, et à l’indemniser pour la peine et les affres dans lesquelles elle vit. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est prié de rendre publiques les constatations du Comité.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
J. Communication n o 975/2001, Ratiani c. Géorgie (Constatations adoptées le 21 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Shota Ratiani (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Géorgie |
Date de la communication: |
22 juillet 1998 (date de la lettre initiale) |
Objet: Arrestation et mauvais traitement d’un partisan de l’ancien Président de l’État partie; procès non équitable sur la base d’accusations de participation à un complot pour assassiner le successeur du Président.
Questions de fond: Procès non équitable − aucun droit de faire appel − non‑épuisement des recours internes − certaines allégations non étayées.
Articles du Pacte: 7, 9 (par. 1 et 4), 10 (par. 1) et 14 (par. 1, 2, 3 c), d) et e) et par. 5).
Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 a) et b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 21 juillet 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 975/2001 présentée par Shota Ratiani en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est Shota Ratiani, de nationalité géorgienne, né en 1955. Il se déclare victime de violations par la Géorgie du paragraphe 1 de l’article premier du Pacte, ainsi que du paragraphe 1 de l’article 2, de l’article 7, du paragraphe 2 de l’article 8, des paragraphes 1 et 4 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, des paragraphes 1, 2, 3 c), d) et e) et 5 de l’article 14, des paragraphes 1 et 2 de l’article 19, de l’article 21, des paragraphes a) et b) de l’article 25, et de l’article 26 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits
2.1L’auteur était un partisan de l’ancien Président de la Géorgie, Zviad Gamsakhourdia. Il faisait partie de la Garde nationale du Président et a participé au conflit armé en Géorgie en 1993, où il soutenait M. Gamsakhourdia et son gouvernement.
2.2Le 30 août 1995, à la suite de ce qui semblait être une tentative d’assassinat perpétrée la veille contre le Président Chevardnadzé, l’auteur a été arrêté avec 10 autres personnes, sans mandat. Il a été inculpé de tentative de renverser le Gouvernement (haute trahison), de tentative de terrorisme et de participation à une organisation agissant contre l’État. Le jour de son arrestation, des représentants du service de sécurité ont déclaré à la télévision et à la presse que l’auteur de la communication et les autres personnes arrêtées avec lui étaient des «terroristes» et des partisans de l’ancien Président Gamsakhourdia.
2.3D’après l’auteur, des membres du service de sécurité ont ensuite été arrêtés dans le cadre de l’enquête sur la tentative d’assassinat mais les autorités soupçonnaient l’auteur et les autres personnes arrêtées de s’être faits complices du complot d’assassinat en détournant l’attention des véritables responsables.
2.4L’auteur affirme que les charges portées contre lui ont été forgées de toutes pièces et que les accusations étaient très générales. Par exemple, il était accusé d’être un «membre actif» d’un groupe subversif parce qu’une fois par semaine il retrouvait un groupe de personnes dont l’une avait été plus tard inculpée d’acte de terrorisme.
2.5L’auteur affirme que, pendant son interrogatoire le jour de l’arrestation, il a été frappé, menacé et insulté et n’a pas eu la possibilité de parler à un avocat. Il affirme qu’il n’a pas eu rapidement accès aux pièces du dossier et que le procès ne s’est ouvert qu’un an et demi après son arrestation. Les éléments de preuve présentés au procès étaient abstraits et indirects et certains avaient été obtenus d’autres détenus sous la menace et les coups. L’auteur ne donne aucun détail à ce sujet. Il affirme que la Cour a refusé d’examiner ses griefs concernant les «violations» commises par le service de sécurité ou ses allégations relatives à la légalité de l’arrestation et du procès et que, quand il a demandé à interroger des témoins qui auraient pu prouver son innocence, cela lui a été refusé. Le 21 avril 1997, l’auteur a été reconnu coupable et condamné à un emprisonnement de sept ans. D’après lui, le droit de faire recours contre cette décision lui a été dénié.
2.6L’auteur affirme qu’il a été jugé et condamné pour ses opinions politiques, parce qu’il était partisan de l’ancien Président.
2.7Le 9 février 1998, l’auteur a écrit au Défenseur du peuple pour lui soumettre ses griefs d’arrestation illégale et de procès inéquitable. En date du 15 mai 1999, le Défenseur du peuple a adressé une lettre au Présidium de la Cour suprême pour lui demander de réexaminer l’affaire. Il ressort du dossier que la Cour suprême a ensuite réexaminé l’affaire et révisé la condamnation.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme qu’il a été frappé et soumis à des mauvais traitements par les membres du service de sécurité, en infraction aux articles 7 et 10, qu’il a été détenu de façon arbitraire et illégale, en infraction à l’article 9, et que la Cour suprême n’a pas pris en considération la question de l’illégalité de son arrestation qu’il avait soulevée (par. 4 de l’article 9). Il relève de nombreuses violations de l’article 14: il n’a pas eu rapidement connaissance des documents du procès pour pouvoir préparer sa défense (par. 3 b)); il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un défenseur à certains moments déterminés (par. 3 d)); il a été empêché d’interroger des témoins (par. 3 e)); le principe de la présomption d’innocence n’a pas été respecté (par. 2) et sa déclaration de culpabilité n’a pas été réexaminée (par. 5).
3.2L’auteur affirme que s’il a été placé en détention et traduit en justice c’était pour des motifs politiques, en infraction aux droits garantis aux paragraphes 1 et 2 de l’article 19. Il invoque également, sans donner d’argument à l’appui de ces allégations, des violations par l’État partie des articles 1er, 8, 21, 25 et 26 du Pacte.
Observations de l’État partie et commentaires de l’auteur
4.1Par une note datée du 24 mai 2001, l’État partie répond que l’auteur a été condamné à sept ans d’emprisonnement par le collège de la Cour suprême de Géorgie pour haute trahison, tentative d’acte de terrorisme et participation à une organisation hostile à l’État. Il ajoute que, par une décision datée du 14 mai 1999, le Présidium de la Cour suprême a ramené la condamnation à 3 ans, 8 mois et 14 jours et que l’auteur a été remis en liberté le jour même, quittant la salle d’audience libre.
4.2L’État partie fait valoir que l’auteur pouvait solliciter sa «réhabilitation» auprès du tribunal mais qu’il ne l’a pas fait.
5.1Dans ses commentaires en date du 28 juillet 2001, l’auteur donne de plus amples renseignements sur la tentative d’assassinat apparemment perpétrée contre le Président géorgien en 1995. Il cite d’anciens hauts responsables dont les propos ont été rapportés dans des articles de journaux, qui ont déclaré que la tentative d’assassinat avait été orchestrée par les forces de sécurité et le Président lui-même afin d’incriminer les partisans de l’ancien Président Gamsakhourdia.
5.2En février 1998, après avoir été condamné par la Cour suprême sans pouvoir faire appel du jugement, l’auteur a écrit au bureau du Défenseur du peuple nouvellement nommé pour lui demander de l’aider à obtenir la révision de sa condamnation. La lettre a été transmise au Présidium de la Cour suprême, qui a rejeté sa demande le 16 juin 1998. Le 25 janvier 1999, le Défenseur du peuple a transmis au nom de l’auteur une nouvelle lettre au Présidium de la Cour suprême. L’auteur affirme que la loi géorgienne obligeait le Présidium de la Cour suprême à répondre au Défenseur public dans un délai de deux mois. Comme au mois de mai aucune réponse n’avait été reçue, l’auteur a commencé une grève de la faim pour demander une réponse. L’auteur dit que, lors d’une audience tenue à huis clos le 14 mai 1999, la Cour suprême a révisé sa condamnation et a décidé de réduire la peine de telle façon qu’elle couvre le nombre exact de mois qu’il avait déjà passés en prison. Il ajoute que, contrairement à ce que l’État partie affirme, il n’a pas quitté libre la salle d’audience vu qu’il n’était pas présent: il a été remis en liberté le lendemain.
Observations complémentaires des parties
6.1Dans une réponse aux commentaires de l’auteur, datée du 27 août 2001, l’État partie fait parvenir des renseignements émanant du bureau du Procureur général au sujet du dossier à l’examen. Il dit que l’auteur a été condamné le 21 avril 1997 par le collège de la Cour suprême. Conformément à la loi applicable à l’époque, une telle décision n’était pas susceptible de recours. Toutefois, le Présidium de la Cour suprême a examiné la requête demandant «un contrôle» (la requête transmise par le Défenseur du peuple) et a commué la peine qui avait été prononcée. Néanmoins, la déclaration de culpabilité n’a pas été modifiée.
6.2L’État partie fait observer que, après la décision rendue par la Cour suprême le 14 mai 1999, l’auteur a été libéré quand les formalités nécessaires ont été achevées. Il souligne que les articles de journaux cités par l’auteur dans ses commentaires ne peuvent pas être considérés comme prouvant son innocence.
6.3Enfin, l’État partie explique que si l’auteur peut apporter de nouveaux éléments de fait donnant à penser qu’il n’a pas été condamné à bon droit, il peut se pourvoir devant la Cour suprême pour demander à être jugé de nouveau. S’il est acquitté, il pourrait être réhabilité comme le prévoit la loi géorgienne.
7.Dans des commentaires supplémentaires datés du 19 octobre 2001, l’auteur objecte que les articles de journaux qu’il avait cités dans ses premières observations se rapportent bien à la question de son innocence. Il donne de plus amples détails sur la «recommandation» du Défenseur du peuple à la Cour suprême à l’effet que sa condamnation soit cassée, citant quatre extraits qui concernent des irrégularités apparentes dans les preuves qui ont servi à le condamner, et d’autres éléments qui tendaient à l’innocenter.
8.Dans des observations supplémentaires datées du 27 décembre 2001, l’État partie joint un mémoire du Président de la Cour suprême qui dresse la liste des infractions dont l’auteur a été reconnu coupable, expose la première peine prononcée et le fait qu’elle a été commuée. L’État partie précise qu’en vertu de la loi de procédure pénale géorgienne, les décisions du Présidium de la Cour suprême ne peuvent être révisées que si des faits nouveaux sont découverts, et que les demandes de révision doivent être adressées au Procureur général. La Cour suprême réexaminera l’affaire si le Procureur général reconnaît l’existence des faits nouveaux et recommande la révision.
9.Dans une autre réponse, en date du 12 février 2002, l’auteur réitère ses griefs. Le 2 septembre 2004, l’auteur a envoyé une nouvelle réponse, dans laquelle il réaffirme qu’en vertu de la loi en vigueur à l’époque en Géorgie, il n’avait pas le droit de faire appel de la déclaration de culpabilité prononcée par la Cour suprême le 21 avril 1997. Il joint également copie de la lettre adressée par le bureau du Défenseur du peuple au Présidium de la Cour suprême en janvier 1999, sollicitant le réexamen de la déclaration de culpabilité, accompagnée du texte de la décision du Présidium de la Cour suprême datée du 14 mai 1999 portant réduction de sa peine.
Délibérations du Comité
10.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
10.3En ce qui concerne les griefs de l’auteur tirés de l’article premier, le Comité rappelle sa jurisprudence et fait observer que de tels griefs ne sont pas recevables au titre du Protocole facultatif. Pour ce qui est des griefs tirés des articles 2, 8, 9 et 10, du paragraphe 3 d) de l’article 14 ainsi que des articles 19, 21, 25 et 26 du Pacte, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations et déclare donc ces griefs irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
10.4Concernant les griefs de violation des articles 7 et 10, l’auteur affirmant avoir été frappé, menacé et insulté, et l’argument de l’auteur qui affirme ne pas avoir pu communiquer avec un avocat, en infraction au paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, le Comité relève que ces griefs ont un caractère général et considère que l’auteur n’a pas fourni de renseignements suffisamment détaillés aux fins de les étayer. En conséquence, le Comité déclare ces griefs irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
10.5En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14 (condamnation au terme d’une procédure irrégulière), le Comité considère qu’il porte en substance sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve par la Cour suprême de Géorgie. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que c’est généralement aux juridictions des États parties et non pas à lui-même qu’il appartient d’examiner et d’apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que la conduite du procès ou l’examen des faits et des éléments preuve était manifestement arbitraire ou constituait un déni de justice. Le Comité conclut que la conduite du procès dans le cas de l’auteur n’était pas entachée de telles irrégularités. En conséquence, le grief tiré du paragraphe 1 de l’article 14 est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
10.6En ce qui concerne le droit à la présomption d’innocence qui, selon l’auteur, avait été violé à cause des déclarations publiques faites par les représentants du service de sécurité, le Comité rappelle son Observation générale no 13, dans laquelle il affirme que toutes les autorités publiques ont le devoir de s’abstenir de préjuger l’issue d’un procès. Toutefois, les griefs de l’auteur sur ce point ont un caractère général et le Comité considère que l’auteur n’a pas fourni de renseignements suffisamment détaillés, aux fins de les étayer. En conséquence, le Comité déclare que ces griefs sont irrecevables en vertu du Protocole facultatif.
10.7Relativement au grief de violation du paragraphe 3 c) de l’article 14, le Comité relève que l’État partie n’a donné aucun renseignement sur la durée écoulée entre l’arrestation de l’auteur et son procès, mais il renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’une durée d’un an et demi ne constitue pas en soi un retard excessif. La question de ce qui constitue un «retard excessif» est fonction des circonstances propres à chaque affaire, par exemple la complexité des infractions et de l’enquête. En l’absence de détails à ce sujet, le Comité estime que l’allégation n’est pas suffisamment étayée et déclare donc ce grief irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
10.8En ce qui concerne le grief de l’auteur selon lequel, comme il n’a pas eu la possibilité d’appeler certains témoins à la barre, les droits consacrés au paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte lui ont été déniés, le Comité note que l’auteur ne donne aucun détail sur l’identité des témoins en question ni sur les circonstances dans lesquelles il a demandé à les faire appeler et la Cour a refusé. Bien que l’État partie n’ait pas répondu à ces allégations, le Comité estime que celles-ci ne sont pas suffisamment étayées et déclare donc aussi cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
10.9Le Comité estime que rien ne s’oppose à ce qu’il déclare recevable le grief de l’auteur tiré du paragraphe 5 de l’article 14, et procède à l’examen quant au fond.
Examen au fond
11.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements qui lui ont été soumis par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
11.2En ce qui concerne le grief de l’auteur selon lequel il n’a pas pu former recours contre la déclaration de culpabilité prononcée par la Cour suprême, le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que le paragraphe 5 de l’article 14 exige qu’une procédure d’appel soit offerte pour permettre le réexamen complet de la déclaration de culpabilité et de la peine ainsi qu’un examen approfondi du dossier de première instance. Dans la présente affaire, trois procédures de réexamen ont été citées par l’auteur et le Comité doit déterminer si l’une d’elles répond aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14. Premièrement, l’auteur a indiqué qu’il s’était plaint de sa condamnation auprès du bureau du Défenseur du peuple qui, semble-t-il, a étudié l’affaire et a fait une recommandation à l’intention du Présidium de la Cour suprême. Il apparaît qu’il en est résulté que le Présidium de la Cour suprême a réexaminé l’affaire et a rendu une décision révisant la peine, ensuite de quoi l’auteur a été remis en liberté. L’État partie note que, en vertu de la législation en vigueur à l’époque (2001), il n’était pas possible de se pourvoir contre une décision du collège de la Cour suprême, lequel avait condamné l’auteur, mais que sur la base de la «demande de contrôle» de l’auteur, le Présidium de la Cour suprême a réexaminé l’affaire et a commué la peine. Le Comité note que l’État partie lui-même ne dit pas que cette procédure équivaut à un appel mais parle simplement d’une «demande de contrôle». Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’une révision sur «demande de contrôle», qui est discrétionnaire et qui ne peut être qu’un recours extraordinaire, ne constitue pas un moyen d’exercer le droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la peine par une juridiction supérieure conformément à la loi. Il ressort des documents dont dispose le Comité que la procédure de demande de contrôle utilisée dans la présente affaire revêt ce caractère exceptionnel. En conséquence, à la lumière des renseignements dont il dispose, le Comité conclut que cette procédure ne permet pas l’exercice du droit de recours garanti au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
11.3Deuxièmement, l’État partie fait valoir que l’auteur peut s’adresser à la Cour suprême, par l’intermédiaire du Procureur général, pour demander le réexamen de l’affaire s’il peut avancer de nouveaux éléments de nature à remettre en cause le bien-fondé de la première décision. Toutefois le Comité ne considère pas qu’une telle procédure satisfasse aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14: le droit d’appel signifie la possibilité de faire examiner entièrement, par une juridiction supérieure, la déclaration de culpabilité et la peine prononcées en première instance. La possibilité de s’adresser à un tribunal pour demander le réexamen d’une condamnation en raison de nouveaux éléments est par définition une procédure différente du réexamen d’une condamnation existante, étant donné qu’une condamnation prononcée repose sur des éléments qui étaient connus au moment du prononcé du jugement. De la même manière, le Comité estime que la possibilité de demander la réhabilitation ne peut pas être considérée en principe comme un appel d’une déclaration de culpabilité au sens du paragraphe 5 de l’article 14. en conséquence, le Comité estime que les mécanismes de révision présentés dans l’affaire à l’examen ne satisfont pas aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 et que l’État partie a donc commis une violation du droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi.
12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
13.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à une réparation. L’État partie est tenu d’indemniser l’auteur comme il convient et de prendre des mesures effectives pour garantir que de telles violations ne se reproduisent pas à l’avenir.
14.En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
K. Communication n o 1023/2001, Länsman et consorts c. Finland e (Constatations adoptées le 17 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Jouni Länsman, Eino Länsman et le Comité des éleveurs de Muotkatunturi (représentés par un conseil, Mme Johanna Ojala) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Finlande |
Date de la communication: |
6 novembre 2000 (date de la lettre initiale) |
Objet: Droits des éleveurs de rennes face aux activités d’exploitation forestière de l’État partie.
Questions de procédure: Demande de réexamen de la décision sur la recevabilité.
Questions de fond: Quelle ampleur les activités d’exploitation forestière des pouvoirs publics doivent‑elles prendre avant d’être considérées comme une violation des droits des éleveurs de rennes?
Articles du Pacte: 27.
Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 17 mars 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1023/2001, présentée au Comité des droits de l’homme au nom de Jouni Länsman, d’Eino Länsman et du Comité des éleveurs de Muotkatunturi, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été présentées par les auteurs de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1Les auteurs de la communication sont M. Jouni E. Länsman, M. Eino A. Länsman, de nationalité finlandaise, et le Comité des éleveurs de Muotkatunturi (dont les deux auteurs individuels sont membres). Ils affirment être victimes d’une violation par la Finlande de l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976.
1.2Le 31 octobre 2002, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Président, a demandé à l’État partie, en application de l’article 86 de son règlement intérieur, «de s’abstenir de toute activité d’exploitation forestière susceptible d’avoir des incidences sur la pratique de l’élevage des rennes par M. Jouni Länsman et consorts dans la région d’Angeli, tant que le Comité n’aurait pas achevé d’examiner leur plainte».
Exposé des faits
2.1Le 30 octobre 1996, le Comité a adopté ses constatations dans l’affaire Länsman et consorts c. Finlande («la communication précédente»). Compte tenu des éléments dont il disposait, il a conclu que l’exploitation d’environ 250 hectares de forêt à Pyhäjärvi et le projet d’exploitation de 250 hectares supplémentaires à Kirkko‑outa (les deux secteurs sont situés dans la région d’Angeli) ne constituaient pas une violation des droits que l’article 27 confère aux deux particuliers auteurs de la communication (avec d’autres).
2.2Le Comité a développé son argumentation comme suit:
«10.6En ce qui concerne les travaux d’exploitation forestière futurs, le Comité fait observer que, d’après les informations dont il dispose, les autorités forestières de l’État partie ont approuvé des opérations d’abattage dont l’ampleur entraîne, certes, un travail et des dépenses supplémentaires pour les auteurs et d’autres éleveurs de rennes, mais ne menace pas la survie de l’élevage du renne. Si l’élevage du renne est une activité peu rentable, ce n’est pas, d’après les informations disponibles, parce que l’État partie encourage d’autres activités économiques dans la région concernée, mais en raison d’autres facteurs économiques.
10.7Le Comité estime que, dans le cas où des plans d’abattage de plus grande ampleur devaient être approuvés pour les années à venir dans la région concernée, ou s’il pouvait être démontré que les effets des plans d’abattage déjà prévus étaient plus graves que ce que l’on peut prévoir aujourd’hui, il y aurait peut‑être lieu de poser la question de savoir s’il y aurait violation du droit des auteurs de jouir de leur propre culture au sens de l’article 27. À la lumière de communications antérieures, le Comité sait que d’autres exploitations de grande envergure ayant des effets sur le milieu naturel sont prévues ou ont déjà commencé dans la zone habitée par les Samis (par exemple, l’exploitation de carrières). Si, dans la présente communication, le Comité a conclu que les faits ne faisaient pas apparaître de violation des droits des auteurs, il estime en revanche important de faire observer que l’État partie doit être conscient, lorsqu’il prend des mesures susceptibles de toucher les droits consacrés à l’article 27, que bien que différentes activités puissent ne pas constituer individuellement une violation de cet article, prises ensemble elles peuvent porter atteinte au droit des Samis “de jouir de leur propre culture”.».
2.3En 1999, les 500 hectares des deux zones visées dans la communication précédente avaient été entièrement abattus. En 1998, 110 autres hectares situés dans la zone de Paadarskaidi (non mentionnée dans la communication précédente), sur le territoire du Comité des éleveurs, avaient été abattus.
2.4Au moment de la présentation de la communication à l’examen, une nouvelle opération d’exploitation forestière était prévue à brève échéance à Paadarskaidi, ce dont le Comité des éleveurs n’avait été averti que très peu de temps à l’avance; il n’avait pas encore, à cette date, reçu de projet écrit précisant la nature des opérations et la superficie de la zone d’abattage. Le Service national des parcs et forêts avait fait savoir qu’il lui transmettrait le descriptif du projet ultérieurement, ayant indiqué dans son projet précédent que la prochaine opération n’aurait lieu qu’un an plus tard et dans une zone différente.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs affirment être victimes d’une violation de leurs droits en tant qu’éleveurs de rennes, qui relèvent de l’article 27 du Pacte, du fait des activités d’exploitation forestière passées et prévues. Ils font valoir qu’environ 1 600 hectares de forêt situés dans la zone de pâturage du Comité des éleveurs à Paadarskaidi ont été exploités depuis les années 80, ce qui a entraîné la destruction dans cette zone d’environ 40 % des ressources en lichen, dont se nourrissent les rennes.
3.2Pour ce qui est des effets de l’exploitation forestière sur l’élevage, les auteurs soulignent que les rennes sont des animaux sensibles, qui évitent les zones exploitées ou préparées en vue de leur exploitation. Les troupeaux ont donc tendance à se disperser pour trouver d’autres pâturages, ce qui augmente le travail des éleveurs. Une fois l’exploitation terminée, les résidus forestiers empêchent les rennes de paître et la neige tassée les gêne pour creuser. Le lichen disparaît complètement des zones exploitées, et ce pendant des siècles.
3.3D’après les auteurs, en 1997, à la suite de chutes de neige particulièrement fortes, les éleveurs ont dû pour la première fois donner du fourrage aux rennes, nourriture coûteuse et nécessitant une main‑d’œuvre importante. L’exploitation croissante des forêts à lichen rend de plus en plus nécessaire l’utilisation du fourrage et menace la viabilité économique de la renniculture, qui repose sur la capacité des animaux à se nourrir eux‑mêmes.
3.4Les auteurs rappellent que le nombre de bêtes que le Comité est autorisé à élever est fixé par le Ministère de l’agriculture et des forêts, qui est statutairement chargé de veiller à ce que le nombre de rennes présents en hiver sur les terres du Comité des éleveurs ne dépasse pas la capacité limite de ses pâturages d’hiver. Depuis l’adoption par le Comité de ses constatations concernant la communication précédente, le Ministère a réduit par deux fois le nombre de têtes autorisé, de 8 000 à 7 500 en 1998, et de 7 500 à 6 800 en 2000. Deux fois en l’espace de deux ans, il a donc statué que la capacité des pâturages d’hiver de Muotkatunturi était si faible qu’il fallait réduire de 15 % le nombre maximum de rennes pouvant y paître. Or, d’après les auteurs, c’est l’exploitation forestière qui est la principale cause du déclin des pâturages d’hiver, et plus particulièrement de ceux qui portent les lichens bruns (Bryoria) dont se nourrissent les rennes.
3.5En dépit de la récente réduction des troupeaux, le Service national des parcs et forêts poursuit ses opérations d’exploitation forestière, détruisant les pâturages du Comité des éleveurs et entraînant une dégradation accrue des conditions d’élevage. Les auteurs font valoir que les faits exposés ci‑dessus constituent une violation de l’article 27, dans la mesure où les activités d’exploitation se poursuivent et où leurs conséquences sont plus graves qu’initialement prévu. À mesure que les forêts sont exploitées, la taille des troupeaux de rennes diminue parce que les pâturages encore disponibles ne sont pas assez étendus pour nourrir le même nombre de bêtes.
3.6Les auteurs affirment qu’ils ont épuisé tous les recours internes en ce qui concerne l’exploitation forestière dans les zones de Kirkko‑outa et Pyhäjärvi. Pour ce qui est des autres zones, ils s’en remettent aux constatations du Comité concernant la communication précédente, pour avancer qu’ils n’ont pas à saisir à nouveau les tribunaux nationaux. Ils font valoir que les critères énoncés par le Comité sont réunis puisque l’État partie lui‑même a reconnu que les conséquences de l’exploitation forestière ont été plus graves que prévu, tout en poursuivant ses opérations d’exploitation et en continuant d’en prévoir de nouvelles.
Observations de l’État partie concernant la recevabilité
4.1Dans ses observations du 31 décembre 2001, l’État partie n’a répondu que sur la recevabilité de la communication. Le 8 février 2002, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Président, a décidé d’examiner séparément la recevabilité et le fond.
4.2L’État partie a informé le Comité qu’il «[s’abstiendrait] de toute activité d’exploitation forestière dans la région d’Angeli (comme il est indiqué au paragraphe 10.1 des constatations adoptées par le Comité le 30 octobre 1996 concernant la communication no 671/1995) susceptible d’avoir des incidences sur la pratique de l’élevage des rennes par les auteurs individuels tant que le Comité [n’aurait] pas achevé d’examiner la communication».
4.3En ce qui concerne la région de Paadarskaidi, qui se trouve à une trentaine de kilomètres de la région d’Angeli, l’État partie relève que le Service national des parcs et forêts a procédé à des coupes préparatoires sur une superficie totale de 200 à 300 hectares entre 1998 et 2000. Il estime que la communication est irrecevable pour trois raisons: l’un des requérants n’a pas qualité pour adresser une plainte, les recours internes n’ont pas été épuisés, et les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs allégations aux fins de la recevabilité.
4.4S’il accepte le statut des auteurs individuels, l’État partie considère en revanche que le Comité des éleveurs n’a pas qualité pour soumettre une communication car il n’entre pas dans le champ d’application de l’article 27 du Pacte et ne peut pas être défini comme un «particulier» au sens de l’article 2 du Protocole facultatif. En vertu de la loi sur l’élevage du renne, chaque comité d’éleveurs se compose de tous les éleveurs d’une région donnée, qui ne sont pas personnellement responsables de l’exécution du mandat du comité auquel ils appartiennent; toute plainte au nom du Comité des éleveurs constitue donc une actio popularis.
4.5L’État partie fait observer que des recours internes sont encore ouverts, comme le montrent les décisions du tribunal de district, de la cour d’appel et de la Cour suprême concernant les faits de la communication précédente et dont la validité n’est pas contestée. Les auteurs n’ont engagé aucune procédure pour faire cesser les opérations d’abattage prévues ou menées dans les régions d’Angeli et de Paadarskaidi après l’adoption des constatations du Comité relatives à cette communication.
4.6L’État partie relève que, dans ses constatations concernant la communication no 671/1995, le Comité a simplement indiqué que, si les effets des opérations d’abattage étaient plus graves que prévu ou si de nouveaux plans d’abattage étaient approuvés, il y aurait lieu de poser la question de savoir si cela constituerait une violation des droits consacrés à l’article 27. Le Comité ne sous‑entendait nullement qu’il serait possible de passer outre à la condition d’épuiser les recours internes pour toute plainte ultérieure. Cet aspect est particulièrement pertinent dans un cas où il n’est pas possible de se prononcer sur une violation éventuelle de l’article 27 sans que tous les éléments de preuve n’aient été évalués de façon approfondie par les tribunaux internes d’abord puis, dans un deuxième temps, par le Comité. Rien ne prouve que les effets des opérations d’exploitation forestière passées ont été plus graves que cela n’était prévu à l’époque. Les décisions du Ministère de réduire le nombre de rennes autorisé ne suffisent pas à étayer un grief concernant les effets de certaines opérations d’exploitation. Ces réductions ne sont pas davantage une raison pour ne pas saisir les juridictions internes compétentes, qui examineraient en détail les griefs des auteurs.
4.7Les auteurs n’ont donc ni épuisé les voies de recours interne disponibles ni montré qu’il y avait des circonstances exceptionnelles pouvant les en dispenser. Enfin, l’État partie fait valoir que la communication n’est pas suffisamment fondée et ne contient pas les éléments de preuve nécessaires pour constituer une plainte, et non une simple allégation. En conséquence, la plainte n’a pas été étayée.
Commentaires des auteurs
5.1Le 15 mars 2002, les auteurs ont fait parvenir leurs commentaires, qui portaient uniquement sur les arguments de l’État partie concernant la recevabilité de la communication.
5.2Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes pour les autres régions (dont il n’a pas été question dans la communication précédente), les auteurs affirment que la remarque de l’État partie concernant la disponibilité des recours est sans rapport avec la réalité. Aucune action en justice visant à empêcher l’exécution de plans d’exploitation forestière n’a abouti en partie parce que tout périmètre d’exploitation «n’est toujours qu’une partie en apparence restreinte de la superficie totale des terres utilisées par les Samis pour la renniculture». Rien n’indique qu’une requête visant à assurer une protection effective des éleveurs samis aboutirait et, du reste, l’arrêt prononcé par la Cour suprême en la matière s’y opposerait.
5.3Pour les auteurs, le Service national des parcs et forêts n’a pas fourni toutes les informations concernant ses activités d’exploitation forestière qui ont eu une incidence sur la vie des Samis de la région d’Angeli. S’agissant de la question de savoir s’ils ont étayé leurs plaintes les auteurs affirment qu’ils ont démontré que les mesures de réduction de la taille des troupeaux prises après les décisions du Ministère étaient une conséquence directe de l’impact des abattages d’arbres sur les pâturages. Ils ont à cet égard exposé de manière détaillée les plans de l’État partie tendant à poursuivre les activités d’exploitation forestière en dépit des constatations adoptées ultérieurement par le Comité. Les auteurs estiment que, ce faisant, ils ont suffisamment étayé leurs plaintes.
5.4Enfin, les auteurs indiquent qu’il existe des plans prévoyant la réalisation, par le Service national des parcs et forêts, de nouvelles opérations d’exploitation forestière dans une zone qui a fait déjà l’objet d’une procédure judiciaire et qui est connue sous le nom de zone de Kippalrova.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1À sa soixante‑dix‑septième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Pour ce qui est de l’objection selon laquelle le Comité des éleveurs de Muotkatunturi n’a pas qualité pour soumettre une plainte en vertu du Protocole facultatif, le Comité a renvoyé à sa jurisprudence constante, rappelant que les personnes morales n’étaient pas des «particuliers» habilités à présenter une plainte. Rien n’indiquait non plus que des membres du Comité des éleveurs l’aient autorisé à soumettre une plainte en leur nom, ni que Jouni ou Eino Länsman soient autorisés à agir au nom du Comité des éleveurs et de ses membres. En conséquence, s’il était indéniable que Jouni et Eino Länsman étaient habilités à présenter une plainte en leur nom propre, le Comité a estimé que la communication était irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif pour ce qui concerne le Comité des éleveurs de Muotkatunturi et ses membres autres que Jouni et Eino Länsman.
6.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité a noté qu’après l’arrêt de la Cour suprême en date du 22 juin 1995, il ne restait aucune voie de recours interne disponible pour contester la décision d’entreprendre des activités d’exploitation forestière dans les zones de Pyhäjärvi et Kirkko‑outa (visées dans la communication précédente). En conséquence, il a considéré recevable l’argument des auteurs selon lequel l’exploitation de ces zones avait eu des conséquences pour l’exercice de l’article 27 plus graves que ne l’avaient prévu les tribunaux finlandais lors des procédures correspondantes et le Comité lui‑même dans ses constatations concernant la communication no 671/1995.
6.3De même, le Comité a noté que la zone de Kippalrova, où il était prévu d’entreprendre de nouvelles opérations d’exploitation forestière, faisait également partie de la zone couverte par l’arrêt de la Cour suprême du 22 juin 1995. Il ne semble donc plus exister de recours pour faire réexaminer cette décision. En conséquence, le Comité a estimé que la partie de la communication relative à la proposition d’exploiter cette zone était recevable.
6.4Pour ce qui est de l’exploitation, en 1998, de la zone de Paadarskaidi (à laquelle ne s’applique pas l’arrêt de la Cour suprême), le Comité a noté que les juridictions internes auxquelles l’État renvoie avaient toutes eu à se prononcer sur les conséquences pour l’exercice de l’article 27 des projets d’exploitation avant que ceux‑ci ne soient mis à exécution. Dans ces conditions, la décision sur les effets prévus de l’exploitation forestière est nécessairement d’ordre spéculatif, seuls les événements ultérieurs permettant de déterminer dans quelle mesure les prévisions étaient justes. Le Comité a constaté que certaines des autres affaires citées par le conseil étaient également des contestations de projets d’exploitation forestière. Il a considéré que l’État partie n’avait pas montré quelles étaient les voies de recours internes qui étaient encore ouvertes aux auteurs pour demander à être indemnisés ou tenter d’obtenir réparation sous une autre forme pour les violations de l’article 27 découlant des opérations forestières passées. En conséquence, il a estimé que le grief relatif aux conséquences pour l’exercice de l’article 27 des activités forestières déjà menées dans la zone de Paadarskaidi était recevable.
6.5En ce qui concerne les nouvelles opérations forestières prévues dans la zone de Paadarskaidi, le Comité a pris note de l’argument des auteurs selon lequel aucune action intentée devant les tribunaux finlandais en vue d’empêcher de telles activités n’avait jamais abouti. Tout en reconnaissant qu’il fallait se demander si des voies de recours étaient disponibles et utiles dans la pratique, le Comité a jugé que les renseignements dont il disposait concernant le nombre de procédures engagées, les arguments avancés et l’issue de ces procédures n’étaient pas suffisants pour lui permettre de conclure à l’inefficacité des recours cités par l’État partie et exercés auparavant par les auteurs. En conséquence, cette partie de la communication a été considérée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.6Tenant compte de l’affirmation des auteurs selon laquelle ils ont été victimes d’une réduction non négligeable du nombre de rennes qu’ils sont autorisés à élever dans leurs zones de pâturage, le Comité a estimé que les parties de la communication qui n’avaient pas été jugées irrecevables pour incapacité de soumettre une communication ou le non‑épuisement des recours internes avaient été étayées aux fins de la recevabilité.
6.7Le 1er avril 2003, le Comité a déclaré la communication recevable en ce qui concerne les effets cumulés de l’exploitation forestière des zones de Pyhäjärvi, Kirkko‑outa et Paadarskaidi, ainsi que des projets d’exploitation dans la zone de Kippalrova, sur l’exercice par Jouni et Eino Länsman des droits énoncés à l’article 27 du Pacte.
Observations de l’État partie sur le fond
7.1Le 1er octobre 2003, l’État partie a présenté ses observations sur le fond et demandé au Comité de revoir sa décision concernant la recevabilité car les recours internes n’avaient pas été épuisés. Il rappelle que des questions complexes comme celle des effets présumés des activités d’exploitation forestière dans la présente affaire doivent et peuvent faire l’objet d’un examen approfondi, fondé, par exemple, sur des expertises et des témoignages, des inspections sur les lieux et des informations précises sur les circonstances locales. Il est peu probable que toutes les informations nécessaires puissent être obtenues ailleurs que devant les tribunaux nationaux. La présente affaire ne fait apparaître aucune circonstance particulière qui aurait pu exonérer les auteurs de l’obligation d’épuiser les recours internes disponibles. Ces derniers pouvaient intenter au civil une action en dommages‑intérêts contre l’État devant un tribunal de district du premier degré et, si nécessaire, se pourvoir en appel devant la cour d’appel et, sous réserve d’obtenir l’autorisation de faire recours, devant la Cour suprême.
7.2Sur le fond, l’État partie reconnaît que la communauté sami est une communauté ethnique au sens de l’article 27 et que les auteurs, en tant que membres de cette communauté, ont droit à une protection au titre de cette disposition. Se référant à la jurisprudence du Comité concernant l’article 27 du Pacte, il reconnaît que le concept de culture au sens de l’article 27 englobe la renniculture en tant qu’élément essentiel de la culture sami.
7.3L’État partie admet qu’au sens de l’article 27 le terme «culture» présuppose la protection des moyens de subsistance traditionnels des minorités locales, dans la mesure où ils sont essentiels à cette culture et indispensables à sa survie. Cela dit, on ne peut pour autant considérer toute mesure − ou les conséquences de cette mesure − qui modifie d’une certaine manière les conditions antérieures comme une atteinte prohibée au droit des minorités de jouir de leur propre culture. L’État partie se réfère à l’Observation générale du Comité relative à l’article 27, adoptée en avril 1994, dans laquelle il est reconnu que la protection des droits visée à l’article 27 a pour but d’assurer «la survie et le développement permanent de l’identité culturelle, religieuse et sociale des minorités concernées» (par. 9). Il invoque les motifs à la base des constatations du Comité dans l’affaire I. Länsman et consorts c. Finlande, dans lesquelles le Comité a estimé qu’il était compréhensible que les États parties puissent souhaiter encourager le développement économique et favoriser l’activité économique et que des mesures ayant un certain effet limité sur le mode de vie de personnes appartenant à une minorité ne constituent pas nécessairement une violation de l’article 27.
7.4L’État partie note que la zone visée dans la communication est propriété publique et relève du Service national des parcs et forêts qui a le pouvoir discrétionnaire d’exploiter des forêts et de construire des routes − compte dûment tenu des dispositions pertinentes de la législation nationale et des instruments internationaux. Selon l’État partie, la diligence voulue a été exercée dans toutes les opérations d’exploitation forestière exécutées dans des forêts du domaine public situés dans le nord de la Finlande. Ces dernières années, les abattages effectués visaient uniquement à éclaircir les forêts afin qu’elles croissent dans de bonnes conditions.
7.5L’État partie souligne que le territoire où opèrent les membres du Comité des éleveurs de Muotkatunturi est vaste. Il est d’environ 248 000 ha, dont 16 100 ha de forêts (représentant environ 6 % des terres administrées par le Comité) sont utilisés aux fins des activités d’exploitation forestière menées sur des terres appartenant à l’État. En réalité les abattages ont été peu nombreux dans la région, la superficie des terres se prêtant à l’exploitation forestière représentant environ 1,2 % des terres administrées par le Comité. Les opérations accomplies sur ce territoire entre 1983 et 2001 ont porté sur 152 ha par an, alors que celles qui sont prévues pour la période allant de 2003 à 2012 porteraient sur 115 ha par an. Par rapport à la superficie totale des zones boisées, les activités passées et celles qui sont prévues sont de plus faible ampleur que celles qui ont été exécutées dans les forêts privées de la région. Alors que les éleveurs de rennes demandent que le Service national des parcs et forêts mette fin aux activités d’exploitation forestière dans les zones administrées par le Comité, ils n’ont pas réduit leurs propres activités d’exploitation forestière.
7.6L’État partie dément que de nouvelles activités d’exploitation forestière soient prévues dans la région d’Angeli (Pyhäjärvi et Kirkko‑outa) ou que de telles opérations aient déjà été effectuées ou soient prévues dans la région de Kippalrova. Il note qu’en ce qui concerne la partie recevable de la plainte portant sur la région de Paadarskaidi, le Service national des parcs et forêts ne s’est livré qu’à des abattages préparatoires sur une superficie d’environ 110 ha en 1998.
7.7Les activités forestières menées dans la région de Pyhäjärvi en 1996 (170 ha) et en 1999 (abattages de régénération sur 60 ha) ainsi que les activités qui ont eu lieu à Kirkko‑outa en 1998 (abattages de régénération sur 70 ha et éclaircies sur 200 ha) ont déjà été prises en compte par le Comité des droits de l’homme dans ses constatations du 22 novembre 1996. Le Comité avait alors examiné les activités d’exploitation forestière qui avaient déjà été menées à la date de la décision ainsi que celles qui étaient prévues dans la région d’Angeli. Selon cette décision, il n’y avait eu aucune violation de l’article 27 du Pacte. L’État partie note à cet égard que les abattages de régénération (300 ha) dans la région d’Angeli et les activités d’éclaircies (200 ha) ne représentent respectivement que 0,8 % et 0,5 % de la forêt administrée par le Comité des éleveurs de Muotkatunturi.
7.8Pour ce qui est de l’impact de l’exploitation des forêts sur la renniculture, l’État partie note qu’il n’a pas été démontré que les effets des précédentes activités ont été plus importants que prévu. Il n’a pas non plus été prouvé que les activités d’exploitation forestière causeraient des dommages durables en empêchant les auteurs de continuer d’élever des rennes à la même échelle qu’à l’heure actuelle. Selon lui, les effets des activités forestières ne doivent pas être examinés dans le court terme ou pour différentes zones d’exploitation prises individuellement mais dans une perspective plus globale. Selon un communiqué du Finnish Game and Fisheries Research Institute (Institut finlandais de recherche sur la chasse et la pêche) en date du 31 janvier 2002, les activités visées dans la communication n’ont aucun effet négatif additionnel notable à long terme sur l’élevage du renne si le nombre de rennes reste approximativement le même. Vu l’état des zones de pâturage d’hiver, le nombre actuel de rennes est élevé.
7.9L’État partie note qu’en raison de conditions naturelles difficiles dans la région administrée par le Comité des éleveurs de rennes, des dispositions visant à préserver la nature et l’environnement figurent, entre autres, à l’article 21 de la loi sur la renniculture qui dispose que le Ministère de l’agriculture et des forêts détermine le nombre maximum de rennes que le Comité des éleveurs peut garder ainsi que le nombre de rennes que peut posséder chaque membre du Comité. Pour déterminer le nombre maximum de rennes, le Ministère se fonde sur le paragraphe 2 de l’article 21 de la loi selon lequel le nombre de rennes dans les terres administrées par le Comité ne doit pas excéder la capacité des pâturages d’hiver.
7.10Même après la réduction du nombre maximum de rennes par le Ministère de l’agriculture et des forêts en 1998/99 et 2000/01, ce nombre reste trois fois supérieur à celui qui était autorisé dans les années 70. En 1973, il ne dépassait pas 1 051 et le maximum était de 10 398 en 1990. L’État partie fait valoir que cette forte augmentation du nombre de rennes faisant partie de troupeaux dans les années 80 et 90 a nui aux pâturages d’hiver. Le grand nombre de rennes détenus par les éleveurs membres du Comité et les effets néfastes qui en résultent sur les terres utilisées pour l’élevage augmentent les besoins en nourriture d’appoint, portant ainsi préjudice à l’activité. L’État partie ajoute que, si l’on fait abstraction du nombre de rennes par troupeau, les difficultés des éleveurs et la détérioration des terres utilisées pour l’élevage s’expliquent davantage par d’autres formes d’utilisation de la forêt que par la foresterie. Pour l’État partie, la décision du Ministère concernant le nombre autorisé de rennes ne saurait à elle seule être considérée comme la preuve des effets de certaines activités d’exploitation forestière et représente plutôt la conséquence du nombre excessif de rennes constituant les troupeaux.
7.11L’État partie affirme qu’il y a eu des contacts réguliers entre les autorités et le Comité des éleveurs sous la forme d’échanges de lettres, de négociations, et même des visites sur les lieux. Pour lui, que les terres appartiennent à l’État ou à un citoyen, les éventuelles restrictions découlant du droit des Samis, d’autres Finlandais ou de ressortissants d’autres États de l’espace économique européen de se livrer à la renniculture ne sauraient priver entièrement les propriétaires des terres de leurs propres droits. Il est également noté que les comités samis d’éleveurs de rennes ont souvent une composition mixte comprenant à la fois des Samis et d’autres Finlandais. Les dispositions applicables de la Constitution finlandaise reposent sur le principe selon lequel les deux groupes de la population sont, dans l’exercice de leur activité professionnelle, égaux devant la loi, et aucun des deux groupes ne peut être favorisé par rapport à l’autre, pas même dans le domaine de la renniculture.
Commentaires des auteurs
8.1Dans leurs commentaires du 5 décembre 2003, les auteurs contestent l’affirmation de l’État partie selon laquelle ils peuvent intenter au civil une action en dommages‑intérêts. Aux termes de l’article premier du chapitre 5 de la loi finlandaise de 1974 sur la responsabilité en cas de dommage et préjudice, «les dommages‑intérêts constituent le moyen d’indemnisation du préjudice causé aux personnes et aux biens. Lorsque le préjudice ou le dommage a été causé par un acte puni par la loi ou dans l’exercice de l’autorité publique, ou dans d’autres cas, lorsqu’il y a des raisons impérieuses de procéder ainsi, les dommages‑intérêts tiennent lieu également d’indemnisation pour une perte matérielle autre qu’un préjudice causé à une personne ou à des biens.». Le Service national des parcs et forêts, qui a causé le dommage, n’exerce pas d’autorité publique et les activités d’exploitation forestière ne constituent pas une infraction pénale. En conséquence, il ne peut y avoir de réparation en vertu de cette loi pour préjudice financier que s’il y a des «raisons impérieuses» justifiant l’octroi d’une indemnisation. L’application du concept de «raisons impérieuses» dans le cadre de la jurisprudence finlandaise a suscité des problèmes d’interprétation et «il n’est pas du tout évident que la disposition puisse être appliquée au préjudice subi par les auteurs». Quoi qu’il en soit, une action en justice à cet effet serait laborieuse et aurait un coût prohibitif. Le procès pourrait durer plusieurs années.
8.2Les auteurs contestent l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’a pas l’intention de procéder à des abattages dans la région de Kippalrova et fournissent une carte qui prouve le contraire. En octobre 2003, le Service national des parcs et forêts a annoncé qu’il préparait un autre plan d’abattage à Paadarskaidi.
8.3Pour ce qui est des activités d’exploitation forestière entreprises dans l’ensemble du territoire, les auteurs affirment que la zone qui relève du Comité des éleveurs n’est pas une forêt homogène mais comprend différents types de pâturages. Bien que le Service national des parcs et forêts ne se livre à des activités forestières que dans une partie de la région administrée par le Comité, 35 % des pâturages forestiers se trouvant dans la zone de pâturage d’hiver et 48 % de ceux qui sont situés dans la zone de pâturage d’été font l’objet d’opérations d’exploitation forestière exécutées par les pouvoirs publics ou des propriétaires privés. Selon l’actuelle démarcation des terres destinées à l’exploitation forestière et les déclarations faites par le Service national des parcs et forêts, la zone en question sera tôt ou tard touchée par le processus d’abattage. Ce processus comprend un vaste éventail de mesures, dont même les moins envahissantes portent atteinte à l’élevage du renne. Neuf pour cent de l’ensemble des terres sur lesquelles opèrent les membres du Comité appartiennent à des particuliers qui ne sont pas soumis aux mêmes obligations que l’État en ce qui concerne l’élevage du renne.
8.4Le Service national des parcs et forêts a invité le Comité des éleveurs à effectuer deux visites sur le terrain à Kippalvaara et Kippalrova en septembre 2001 et à Savonvaara‑Pontikkamäki en janvier 2002, au cours desquelles les éleveurs se sont déclarés opposés aux propositions d’abattage faites par les pouvoirs publics. Les opérations ont néanmoins commencé dans la région de Savonvaara‑Pontikkamäki (qui n’est pas couverte par la présente communication) au début du printemps de 2002. En octobre 2003, le Service national des parcs et forêts a annoncé d’ailleurs que les opérations d’abattage allaient avoir lieu dans cette région dans un avenir proche.
8.5Pour ce qui est de la participation du Comité des éleveurs, il y a lieu de signaler que même si le Service national des parcs et forêts a organisé une audition à laquelle les membres du Comité et d’autres groupes intéressés pouvaient participer, il ne s’agissait en réalité que d’une simple opération de collecte d’opinions. Selon les auteurs, le Service national des parcs et forêts fixe les principes, les stratégies et les objectifs concernant les opérations d’exploitation forestière exclusivement en fonction de ses propres besoins; comme ses décisions ne sont pas sujettes à appel, aucune participation n’est en réalité assurée.
8.6Pour ce qui est des effets des opérations d’exploitation, les auteurs se réfèrent à plusieurs enquêtes et études ainsi qu’à des rapports de comités établis dans le contexte de l’affaire Länsman qui témoignent selon eux des dommages considérables causés par les activités d’exploitation forestière. Un inventaire des ressources en lichen Alectoria effectué entre 1999 et 2000 sur le territoire où opèrent les membres du Comité des éleveurs de Laponie a confirmé qu’il restait très peu de lichen Alectoria dans les forêts exploitées et que les activités d’exploitation avaient causé des dommages considérables à l’élevage du renne. D’autres rapports − y compris différentes études suédoises publiées entre 1998 et 2000 − font état de résultats similaires. En outre, en essayant de déterminer le nombre maximum de rennes autorisé par troupeau, le Ministère finlandais de l’agriculture et des forêts a reconnu l’importance des pâturages d’hiver − lichen Alectoria et Deschampsia − pour les rennes et qu’en raison de l’exploitation forestière les ressources en lichen Alectoria avaient diminué.
8.7Il est affirmé qu’étant donné que les rennes quittent les zones exploitées, la pression se fait plus forte sur le reste des pâturages. En d’autres termes, les effets de l’exploitation forestière vont au‑delà des zones où celle‑ci a lieu. Les auteurs font valoir qu’ils s’exercent sur le long terme et pratiquement de façon permanente et que les mesures utilisées causent de nouveaux dommages, aggravent les dégâts existants et étendent la superficie des terres affectées. Depuis le commencement des activités d’exploitation forestière, l’accès des rennes aux pâturages d’hiver dans les régions de Pyhäjärvi et de Kirkko‑outa est davantage conditionné par d’autres paramètres, y compris ceux résultant de phénomènes naturels tels qu’un épais manteau neigeux, des printemps plus tardifs et une augmentation du nombre de prédateurs, en particulier des loups.
8.8Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel, d’après le Finnish Game and Fisheries Research Institute, «les abattages dont il est question dans la communication n’ont pas d’autres effets néfastes additionnels notables sur l’élevage du renne à long terme si le nombre de rennes reste approximativement stable», les auteurs font observer que l’État partie a oublié de mentionner la fin de l’avis qui se lit comme suit: «… et la détérioration des pâturages est compensée par l’utilisation de fourrages. Si, d’autre part, le but est de se livrer à un élevage faisant uniquement appel à des pâturages naturels, les activités d’exploitation forestière − même celles qui sont dites relativement bénignes − auront sur l’élevage du renne une incidence d’autant plus grande qu’il est déjà en difficulté pour d’autres raisons.». Les auteurs se réfèrent au point de vue du Comité des éleveurs des régions de Laponie et de Kemin‑Sompio, qui ont déclaré par le passé que l’alimentation artificielle suscitait des inégalités et des conflits au sein du Comité et qu’elle était considérée comme une menace pour les traditions et la culture ancestrales samis en matière de renniculture. Ces dernières années, en raison du manque de pâturages d’hiver, les auteurs ont dû utiliser des fourrages artificiels qui doivent être financés sur d’autres sources de revenu que l’élevage du renne, ce qui porte atteinte à la rentabilité de ce moyen de subsistance.
8.9Les auteurs reconnaissent qu’au cours des deux dernières années les pâturages naturels ont été abondants, ce qui a permis de réduire sensiblement les dépenses d’alimentation d’appoint et d’enregistrer un taux de survie des rennes qui a dépassé les espérances. En dépit de ces conditions, la rentabilité de l’élevage du renne ne s’est pas améliorée car les sociétés qui achètent la viande de renne ont réduit les prix de 30 % ainsi que le volume de leurs achats. En outre, l’État impose une amende si, par suite de mévente, le Comité des éleveurs dépasse le nombre maximum autorisé de rennes par troupeau.
Examen de la recevabilité
9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements que lui ont fournis les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
9.2Pour ce qui est de la demande de l’État tendant à ce que la recevabilité soit réexaminée au motif que les auteurs n’ont pas intenté d’action en dommages‑intérêts au civil et n’ont donc pas épuisé les recours internes, le Comité estime que, dans la présente affaire, où il est question des effets d’activités d’exploitation forestière menées dans le passé, l’État partie n’a pas montré qu’une action en dommages‑intérêts constituait un recours utile permettant de traiter tous les aspects de la responsabilité qui incombe à l’État partie, en vertu de l’article 27 du Pacte, de protéger le droit des minorités de jouir de leur propre culture, et de faire valoir qu’il a été porté atteinte ou qu’il est actuellement porté atteinte à cette culture. Pour cette raison il n’a pas l’intention de réexaminer sa décision concernant la recevabilité.
9.3Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle les effets néfastes des projets d’exploitation forestière dans la région de Kippalrova porteraient atteinte aux droits garantis par l’article 27, le Comité reconnaît que l’État partie s’est engagé dans ses observations quant au fond à ne se livrer à aucune activité d’exploitation forestière dans cette région; il considère donc qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les activités d’exploitation forestière que pourrait entreprendre l’État dans cette région à l’avenir.
9.4Le Comité procède donc à l’examen quant au fond des allégations se rapportant aux effets des activités d’exploitation forestière passées dans les régions de Pyhäjärvi, de Kirkko‑outa et de Paadarskaidi.
Examen au fond
10.1Pour ce qui est des allégations concernant les effets des activités d’exploitation dans ces régions, qui font partie des terres où opèrent les membres du Comité des éleveurs de Muotkatunturi, le Comité note qu’il n’a pas été contesté que les auteurs sont membres d’une minorité au sens de l’article 27 du Pacte et ont à ce titre le droit de jouir de leur propre culture. Il n’est pas non plus contesté que l’élevage du renne est un élément essentiel de leur culture et que des activités économiques peuvent relever de l’article 27 du Pacte si elles constituent un élément essentiel de la culture d’une minorité ethnique. L’article 27 exige qu’aucun membre d’une minorité ne soit privé du droit de jouir de sa culture. Des mesures qui ont pour effet de le priver de ce droit sont incompatibles avec les obligations énoncées à l’article 27. Toutefois, comme l’a noté le Comité dans ses constatations concernant la communication no 511/1992 (Länsman et consorts c. Finlande), des mesures qui n’ont que des effets restreints sur le mode de vie et les moyens de subsistance d’une personne appartenant à une minorité ne constituent pas nécessairement un déni du droit reconnu à l’article 27.
10.2Le Comité rappelle que dans la précédente affaire (communication no 511/1992), qui portait sur les régions de Pyhäjärvi et Kirkko‑outa, il n’a pas relevé de violation de l’article 27, mais a déclaré que si des activités d’exploitation forestière de plus vaste envergure que celles‑ci qui sont déjà envisagées étaient approuvées, ou s’il pouvait être démontré que les effets des activités d’exploitation forestière déjà envisagées étaient plus graves que prévu, il y aurait lieu d’examiner la question de savoir s’il y a une violation de l’article 27. À propos des effets des activités d’exploitation forestière, voire de toute autre activité de l’État partie sur la culture d’une minorité, le Comité note que l’empiètement sur le droit d’une minorité de jouir de sa propre culture, tel qu’il est énoncé à l’article 27, peut résulter de l’effet conjugué de plusieurs actes ou mesures entrepris par l’État partie sur une certaine période et dans plusieurs secteurs du territoire occupé par la minorité. Le Comité doit donc examiner les effets globaux de telles mesures sur la capacité de la minorité concernée de continuer à jouir de sa culture. En l’espèce et compte tenu des éléments qui ont été portés à son attention, il ne doit pas examiner les effets de ces mesures à un moment donné − immédiatement avant ou après l’adoption des mesures − mais leurs effets passés, présents et futurs sur la capacité des auteurs de jouir de leur culture en association avec d’autres membres de leur groupe.
10.3Les auteurs et l’État partie ne sont pas d’accord sur les effets des activités d’exploitation forestière dans les zones en question. Ils expriment des avis divergents sur tous les faits intervenus depuis qu’il a été procédé à l’exploitation de forêts dans ces zones, y compris sur les raisons à la base de la décision du ministre tendant à réduire le nombre de rennes par troupeau: alors que les auteurs attribuent la réduction aux activités d’exploitation forestière, l’État partie fait état d’une augmentation générale du nombre de rennes qui met en péril l’élevage du renne pris globalement. Tout en notant que les auteurs se sont référés à un rapport du Finish Game and Fisheries Research Institute, selon lequel «les activités d’exploitation forestière − même celles qui sont dites relativement bénignes − auront sur l’élevage du renne une incidence d’autant plus grande» que cet élevage fait uniquement appel à des pâturages naturels (supra, 8.8), le Comité tient compte aussi du fait que non seulement ce rapport mais aussi de nombreux autres documents dont il a été saisi mentionnent d’autres facteurs selon lesquels l’élevage du renne reste une activité peu rentable. Il prend également en considération le fait qu’en dépit des difficultés le nombre total de rennes reste relativement élevé. Pour ces raisons, le Comité conclut qu’il n’a pas été démontré que les effets des activités d’exploitation forestière menées dans les régions de Pyhäjärvi, Kirkko‑outa et Paadarskaidi sont d’une gravité telle qu’elles constituent un déni du droit des auteurs de jouir de leur propre culture en association avec d’autres membres de leur groupe, conformément à l’article 27 du Pacte.
11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation de l’article 27 du Pacte.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
L. Communication n o 1061/2002, Fijalkowska c. Pologne (Constatations adoptées le 26 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Bozena Fijalkowska (non représentée par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Pologne |
Date de la communication: |
19 août 1999 (date de la lettre initiale) |
Décision concernant la recevabilité: |
9 mars 2004 |
Objet: Internement arbitraire dans un établissement psychiatrique.
Questions de procédure: Demande de précisions sur le fond du Comité à l’État partie dans la décision de recevabilité.
Questions de fond: Détention arbitraire; droit de contester en justice la légalité d’une mesure de détention.
Articles du Pacte: 9 et 14.
Articles du Protocole facultatif: 2.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1061/2002 présentée au Comité des droits de l’homme par Bozena Fijalkowska, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est Mme Bozena Fijalkowska, de nationalité polonaise, résidant actuellement à Torun, en Pologne. Elle affirme être victime d’une violation par la Pologne de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’affaire semble aussi soulever des questions au regard des articles 9 et 14 du Pacte. L’auteur n’est pas représentée par un conseil.
Rappel des faits
2.1L’auteur souffre de schizophrénie paranoïaque depuis 1986. Le 12 février 1998, elle a été internée au Centre provincial de thérapie psychiatrique (ci‑après dénommé l’«établissement psychiatrique») de Torun, en application de l’article 29 de la loi sur la protection de la santé mentale, sur ordonnance du tribunal de district de Torun en date du 5 février 1998.
2.2Le 29 avril 1998, l’auteur a été autorisée à quitter l’établissement psychiatrique, mais a poursuivi son traitement en ambulatoire, lequel s’est achevé le 22 juillet 1998.
2.3Le 1er juin 1998, l’auteur s’est rendue au greffe du tribunal pour examiner son dossier et a demandé une copie des minutes de l’audience et de la décision du 5 février 1998. Elle a reçu une copie de cette décision le 18 juin 1998, à l’établissement psychiatrique. Le 24 juin 1998, elle a formé un recours contre la décision du tribunal de district de Torun du 5 février 1998. Le 26 juin 1998, le tribunal régional l’a déboutée de son appel parce qu’elle avait dépassé le délai réglementaire.
2.4Le 1er juillet 1998, l’auteur s’est adressée au tribunal régional pour qu’il fixe une nouvelle date limite pour le dépôt de son recours. Le 16 septembre 1998, le tribunal régional a refusé d’accéder à cette demande. Le 19 octobre 1998, le tribunal provincial de Torun a, à son tour, rejeté le recours de l’auteur contre la décision du tribunal régional. La décision rendue contenait une description de la procédure à suivre pour former un recours auprès de la Cour suprême.
2.5Le 24 novembre 1998, et suite à une décision du tribunal provincial en date du 20 octobre 1998, l’auteur s’est vu désigner un avocat commis d’office pour la préparation de son recours auprès de la Cour suprême. Le 21 avril 1999, la Cour suprême a rejeté le recours de l’auteur.
2.6Le 1er septembre 1999, la Cour suprême, s’estimant incompétente, a rejeté la demande d’examen de la constitutionnalité des dispositions de la loi sur la protection de la santé mentale déposée par l’auteur.
Teneur de la plainte
3.L’auteur fait valoir que le fait de l’avoir internée contre son gré dans un établissement psychiatrique constitue une violation de l’article 7 du Pacte. Elle affirme en particulier que les dispositions de la loi sur la protection de la santé mentale, en vertu de laquelle a été prise la décision de l’interner sont incompatibles avec l’article 7 du Pacte. Elle fait valoir également que le traitement qu’elle a reçu pendant son internement a constitué un traitement cruel, inhumain ou dégradant.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond et commentaires de l’auteur
4.1Dans une lettre du 11 septembre 2002, l’État partie a fait valoir que la communication était irrecevable pour non‑épuisement des recours internes. Il affirme que l’auteur aurait pu porter plainte devant le Tribunal constitutionnel conformément à l’alinéa 1 de l’article 79 de la nouvelle Constitution polonaise du 2 avril 1997. L’allégation de l’auteur selon laquelle le fait de l’avoir internée en institution psychiatrique sans son accord équivalait à un traitement cruel, inhumain ou dégradant aurait pu être examinée en tant que violation de ses droits consacrés aux articles 39, 40 et 41 de la Constitution. Une telle plainte aurait permis un examen en constitutionnalité de l’article 29 de la loi de 1994 sur la protection de la santé mentale.
4.2Sur le fond et en particulier sur l’allégation de violation de l’article 7, l’État partie a relevé que l’auteur ne se plaignait pas de mauvais traitements au cours de son hospitalisation forcée, mais estimait simplement que l’internement dans un établissement psychiatrique sur décision de justice, sans son libre consentement, équivalait en soi à une violation de l’article 7.
4.3L’État partie a jugé la communication «manifestement infondée» et noté que le 17 décembre 1997, la sœur de l’auteur avait, en application de l’article 29 de la loi sur la protection de la santé mentale, demandé au tribunal de district de Torun de placer l’auteur en établissement psychiatrique parce qu’elle souffrait de schizophrénie. L’auteur avait précédemment été hospitalisée du 29 novembre 1996 au 18 février 1997, ce qui avait permis de maîtriser sa maladie. Cependant, quelques semaines après sa sortie de l’hôpital, son état de santé s’était détérioré, parce qu’elle avait arrêté son traitement. Elle était aussi devenue agressive. À l’appui de sa demande, la sœur de l’auteur avait fourni un certificat médical délivré par un psychiatre, qui déclarait que le fait de ne pas interner l’auteur induirait une grave détérioration de sa santé mentale, tout en confirmant aussi qu’un tel traitement contribuerait à améliorer sa santé mentale.
4.4Le 17 décembre 1997, et afin de corroborer les éléments de preuve soumis par la sœur de l’auteur, le tribunal de district de Torun a ordonné que l’auteur soit examinée par une personne indépendante. Le 22 décembre 1997, l’expert médical désigné par le tribunal a fait savoir à ce dernier que l’auteur ne s’était pas présentée à l’examen auquel elle avait été convoquée. Le même jour, le tribunal a enjoint à l’auteur de se présenter pour un examen le 30 décembre 1997. L’auteur a une nouvelle fois ignoré la convocation. Le tribunal a programmé un autre examen psychiatrique pour le 12 janvier 1998, date à laquelle l’auteur a été escortée à la police jusqu’au lieu d’examen.
4.5L’expert qui a procédé à l’examen a conclu que l’auteur avait besoin de suivre un traitement en établissement psychiatrique. Le 5 février 1998 et sur la base de cet élément, le tribunal de district de Torun a ordonné l’internement de l’auteur. L’auteur ne s’étant pas présentée au tribunal, l’État partie concluait qu’il existait des motifs sérieux de soumettre l’auteur à un traitement obligatoire et que la décision correspondante avait été prise conformément aux dispositions applicables de la loi polonaise. Il concluait que l’auteur n’avait présenté aucun argument valable à l’appui de son affirmation selon laquelle elle aurait subi un traitement cruel, inhumain ou dégradant.
4.6Le 30 janvier 2003, l’auteur a réitéré ses arguments et maintenu qu’elle avait épuisé les recours internes.
Observations complémentaires de l’État partie
5.Dans une lettre datée du 16 décembre 2003 et suite à une demande d’éclaircissements du secrétariat sur les faits en cause, l’État partie a donné les informations ci‑après sur la représentation en justice de l’auteur: l’auteur a seulement demandé au tribunal de lui attribuer un conseil juridique après que le tribunal régional de Torun a refusé de faire droit à sa requête tendant à ce que le délai pour former un recours contre la décision du tribunal de district soit prolongé. Le 20 octobre 1998, le tribunal régional a accédé à sa demande et le 24 novembre 1998, l’association régionale du barreau lui a désigné un conseil. L’État partie a fait valoir que la représentation en justice n’était pas obligatoire et que l’auteur, «dotée de la pleine capacité juridique, pouvait de manière satisfaisante plaider elle‑même sa cause devant les tribunaux». Dans ce contexte, il a renvoyé à la décision de la Cour suprême du 21 avril 1999, selon laquelle, dans les circonstances, un avocat n’était pas nécessaire car l’auteur «jouissait de la pleine capacité juridique» et qu’«une déficience mentale ne saurait équivaloir à la perte de la capacité juridique».
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1À sa quatre‑vingtième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.
6.2Le Comité a pris note de l’allégation de l’auteur selon laquelle le fait de l’avoir internée contre son gré dans un établissement psychiatrique constituait une violation de l’article 7 du Pacte, et qu’il en allait de même pour le traitement qu’elle avait reçu pendant son internement. Il a relevé que l’auteur n’avait présenté aucun argument ni aucune information pour démontrer en quoi ses droits consacrés par cette disposition avaient été violés et réitéré qu’une simple allégation de violation du Pacte ne suffisait pas à étayer une plainte au titre du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité a considéré que l’une comme l’autre de ces plaintes étaient irrecevables, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.
6.3Nonobstant ce qui précède, le Comité a estimé que les faits dont il était saisi soulevaient des questions qui étaient recevables et qui devaient être examinées sur le fond. Le Comité a ainsi noté que les circonstances dans lesquelles l’auteur avait été internée, en particulier le fait qu’elle l’ait été en l’absence de représentant en justice et qu’elle n’ait pas reçu de copie de l’ordre d’internement avant le 18 juin 1998, soit plus de quatre mois après la délivrance de cet ordre et après l’expiration du délai pour former un recours, pouvait soulever des questions au regard des articles 9 et 14 du Pacte.
6.4Le 9 mars 2004, le Comité des droits de l’homme a décidé que la communication était recevable dans la mesure où elle semblait soulever des questions au regard des articles 9 et 14 du Pacte. L’État partie a été invité à indiquer dans quelle mesure l’internement de l’auteur s’était déroulé conformément aux procédures «prévues par la loi», conformément à l’article 9 du Pacte et, le cas échéant, si le fait de ne pas lui avoir assuré de représentation en justice et de ne pas lui avoir transmis une copie de l’ordre d’internement au moment de son internement, mais seulement après l’expiration du délai pour former un appel, ne constituait pas une détention arbitraire au sens de l’article 9. Il a également été invité à dire dans quelle mesure les procédures prévues par la loi et leur application dans le cas d’espèce n’équivalaient pas à une violation de l’article 14 du Pacte.
Observations de l’État partie sur le fond
7.1Le 1er octobre 2004, l’État partie a répondu à la demande d’informations du Comité et déclaré que l’affaire ne soulevait pas de questions au regard des articles 9 et 14 du Pacte et qu’il n’y avait pas eu de violation du Pacte en l’espèce. Pour ce qui est de savoir si la détention de l’auteur s’est déroulée conformément aux procédures «prévues par la loi», conformément à l’article 9, l’État partie fait savoir que l’internement de l’intéressée dans un établissement psychiatrique du 12 février au 29 avril 1998 a été conforme à la procédure fixée dans la loi de 1994 sur la protection de la santé mentale, et plus particulièrement à son article 29, qui dispose ce qui suit:
«1.Un malade mental peut aussi être interné dans un hôpital psychiatrique sans le consentement prévu à l’article 22:
a)Si son comportement indique que le fait de ne pas l’interner entraînerait une détérioration substantielle de son état de santé mentale;
b)S’il est incapable de subvenir lui‑même à ses besoins élémentaires et si l’on est fondé à penser qu’un traitement en hôpital psychiatrique contribuerait à améliorer son état de santé.
2.La décision quant à la nécessité d’interner, sans son consentement, une personne visée au paragraphe 1 est prise par un juge des tutelles compétent, en fonction du lieu de résidence de l’intéressé, sur demande de son conjoint, d’un de ses parents en ligne directe ou frères ou sœurs, de son tuteur légal ou d’une personne en exerçant la garde de fait.».
7.2Selon l’État partie, c’est en application de cette disposition de la loi sur la protection de la santé mentale que le tribunal de district de Torun a restreint le droit à la liberté de l’auteur par sa décision du 5 février 1998. L’ordre d’internement a été délivré sur demande de la sœur de l’auteur et à la suite d’une audience au cours de laquelle un expert‑psychiatre a témoigné. L’État partie fait valoir que la décision du tribunal de district de Torun était conforme aux dispositions applicables de la législation polonaise et remplissait donc les conditions de «procédure prévue par la loi» au sens du paragraphe 1 de l’article 9.
7.3Pour ce qui est de la question de savoir si le fait de ne pas avoir assuré de représentation en justice à l’auteur et de ne pas lui avoir remis une copie de l’ordre d’internement au moment de son internement, mais seulement après l’expiration du délai pour former un recours, constituait une détention arbitraire au sens de l’article 9, l’État partie fait observer qu’il n’y avait pas d’obligation légale d’assurer une représentation en justice à l’auteur devant le tribunal de district de Torun. L’État partie conclut qu’aucune obligation de ce type ne peut être déduite de l’article 9. Il renvoie à l’avis de la Cour suprême selon lequel «une déficience mentale ne saurait équivaloir à la perte de la capacité juridique». L’auteur n’a, ni en partie ni en totalité, perdu sa capacité de discerner la nature de ses actes, et notamment les conséquences que pouvait avoir le fait de ne pas se présenter devant le tribunal de district de Torun pour l’audience du 5 février 1998. C’est délibérément qu’elle a choisi de ne pas être présente à cette audience en refusant de se soumettre à une assignation et à un examen psychiatrique. L’État partie fait en outre valoir que l’auteur elle‑même n’a pas demandé au tribunal de lui attribuer un conseil juridique pendant l’examen de l’affaire par le tribunal de district de Torun.
7.4En ce qui concerne la date à laquelle une copie de l’ordre d’internement a été remise à l’auteur, l’État partie note que le paragraphe 1 de l’article 357 du Code de procédure civile contient ce qui suit: «Le tribunal ne joindra les motifs à une décision prononcée en audience publique qu’à la condition que cette décision soit sujette à un appel interlocutoire et uniquement à la demande d’une partie, laquelle demande doit être présentée dans un délai d’une semaine à compter de la date du prononcé de la décision. La décision n’est remise qu’à la partie qui a exigé que l’exposé des motifs soit rédigé et lui soit communiqué, accompagné de la décision.». Or, l’auteur n’a demandé une copie de la décision que le 1er juin 1998, soit quatre mois après qu’elle eut été rendue, et le tribunal n’était pas tenu de lui envoyer d’office une copie de la décision et des motifs. De l’avis de l’État partie, l’interdiction de la détention arbitraire consacrée à l’article 9 n’induit pas d’obligation de communiquer automatiquement à la personne concernée une décision judiciaire concernant son internement dans un établissement psychiatrique.
7.5L’État partie conteste que les procédures fixées par la loi et leur application dans le cas d’espèce ont constitué une violation de l’article 14. L’internement de l’auteur a été ordonné par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi conformément à la loi. Le tribunal a adopté sa décision après avoir entendu un expert‑psychiatre et après s’être dûment assuré que les conditions fixées dans la loi sur la protection de la santé mentale étaient remplies. Les autres procédures judiciaires en l’espèce, c’est‑à‑dire celles concernant la demande d’établissement d’un nouveau délai pour former un recours, ont respecté toutes les garanties prévues à l’article 14. Cette demande a été examinée à la fois par le tribunal de district et le tribunal provincial de Torun, qui ont tous deux fondé leur refus sur des motifs suffisants. De plus, l’auteur s’est également prévalue de la procédure de cassation devant la Cour suprême, laquelle a décidé le 21 avril 1999 que la requête était infondée.
Examen au fond
8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
8.2En ce qui concerne la question de savoir si l’État partie a violé l’article 9 du Pacte en internant l’auteur dans un établissement psychiatrique, le Comité rappelle sa jurisprudence antérieure selon laquelle un traitement en établissement psychiatrique contre la volonté du patient est une forme de privation de liberté qui tombe sous le coup de l’article 9 du Pacte. Concernant la question de savoir si l’internement était légal, le Comité relève qu’il a été exécuté dans le respect des articles pertinents de la loi sur la protection de la santé mentale, et a donc été effectué en toute légalité.
8.3En ce qui concerne la nature potentiellement arbitraire de l’internement de l’auteur, le Comité considère que l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a été reconnue, conformément à la loi, comme souffrant d’une détérioration de son état de santé mentale et comme ne pouvant pas subvenir à ses besoins élémentaires est difficilement compatible avec un autre de ses arguments, selon lequel elle serait, dans le même temps, juridiquement capable d’agir en son nom propre. Au sujet de l’argument de l’État partie selon lequel «une déficience mentale n’équivaut pas à la perte de la capacité juridique», le Comité considère que le fait d’interner une personne dans un établissement psychiatrique revient à reconnaître un amoindrissement de la capacité, juridique et autre, de cette personne. Le Comité estime que l’État partie a une obligation particulière de protéger les personnes vulnérables relevant de sa juridiction, y compris les déficients mentaux. Dans la mesure où l’auteur souffrait d’une diminution de ses capacités susceptible d’altérer son aptitude à se défendre efficacement elle‑même, le tribunal aurait dû être en mesure d’assurer qu’elle soit assistée ou représentée de telle sorte que ses droits soient préservés durant toute la procédure. Pour le Comité, la sœur de l’auteur n’était pas en position d’assurer cette assistance ou cette représentation indépendante, puisqu’elle avait demandé elle-même l’internement en premier lieu. Le Comité reconnaît qu’il peut y avoir des circonstances dans lesquelles la santé mentale d’une personne est tellement détériorée que la délivrance d’un ordre d’internement, sans une assistance ou une représentation suffisante pour préserver ses droits, est inévitable pour que l’individu ne nuise pas à lui‑même ou aux autres; de telles circonstances n’ont cependant pas été avancées dans l’affaire à l’examen. Pour ces raisons, le Comité estime que l’internement de l’auteur était arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.
8.4Le Comité note en outre que même si un ordre d’internement peut faire l’objet d’un recours en justice, ce qui permet à l’intéressé de le contester, en l’espèce, l’auteur, qui n’avait même pas reçu de copie de l’ordre en question et qui n’avait pas non plus été assistée ou représentée au cours de l’audience par une personne qui aurait pu l’informer de cette possibilité, a dû attendre sa libération pour avoir connaissance de l’existence d’un tel recours et l’exercer effectivement, ce qui fait que son recours a finalement été rejeté pour avoir été enregistré après l’expiration du délai réglementaire. De l’avis du Comité, le droit de l’auteur de contester sa détention est devenu ineffectif parce que l’État partie n’a pas communiqué l’ordre d’internement à l’intéressé avant l’expiration du délai pour former un recours. Dans les circonstances de la cause, le Comité conclut à une violation du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.
8.5Ayant conclu à une violation de l’article 9, le Comité n’a pas à statuer sur une éventuelle violation de l’article 14 du Pacte.
9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que l’État partie a violé les paragraphes 1 et 4 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme d’une indemnisation, et de procéder aux modifications législatives qui s’imposent pour éviter des violations analogues dans l’avenir. L’État partie est tenu d’éviter que de telles violations se reproduisent à l’avenir.
11.En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte. Conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est aussi prié de publier les constatations du Comité.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
M. Communication n o 1073/2002, Terrón c. Espagne (Constatations adoptées le 5 novembre 2004, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Jesús Terrón (représenté par un conseil, Mme Antonia Mateo Moreno) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
13 février 2001 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 5 novembre 2004,
Ayant achevé l’examen de la communicationno 1073/2002, présentée par M. Jesús Terrón en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication, datée du 13 février 2001, est M. Jesús Terrón, de nationalité espagnole, né en 1957. Il dit être victime de violations du paragraphe 3 a) de l’article 2, du paragraphe 5 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil.
Rappel des faits
2.1L’auteur était député aux Cortès de Castille‑La Manche. Il a été jugé par le Tribunal suprême et condamné le 6 octobre 1994 pour faux et usage de faux en écritures privées à deux ans d’emprisonnement et au versement d’une indemnité de 100 000 pesetas.
2.2L’auteur n’a pas formé de recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, procédure qu’il juge inefficace au vu de la jurisprudence de ce tribunal qui a constamment rejeté ledit recours lorsqu’il est présenté pour un réexamen des faits établis dans les jugements rendus par les tribunaux ordinaires.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur allègue qu’il y a eu violation du droit de faire réexaminer par une juridiction supérieure la condamnation et la peine prononcées (par. 5 de l’article 14 du Pacte), du fait qu’il a été jugé par le tribunal ordinaire du degré le plus élevé en matière pénale, c’est‑à‑dire le Tribunal suprême, dont les arrêts ne peuvent faire l’objet d’un recours en cassation. L’auteur affirme que le droit de former un recours utile (par. 3 a) de l’article 2 du Pacte) contre le jugement de condamnation en première instance a été violé.
3.2L’auteur affirme avoir été victime d’une violation de l’article 26 du Pacte, en raison du traitement différent prévu par la loi en ce qui concerne les juges appelés à connaître de délits dans lesquels est impliqué un député. Si un député de Madrid commet un délit à Madrid, ou si un député d’une région commet un délit dans cette région, ils ont le droit d’être jugés par le tribunal de justice supérieur de la juridiction en question et de former ensuite un recours en cassation devant le Tribunal suprême. S’il s’agit d’un député d’une région qui commet un délit à Madrid, il est directement jugé par le Tribunal suprême, sans avoir le droit de former un recours en cassation. Selon l’auteur, cette différence de traitement est discriminatoire.
3.3En ce qui concerne le critère de l’épuisement des recours internes, l’auteur affirme qu’il n’était d’aucune utilité de former un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. Il fait valoir la jurisprudence constante du Tribunal constitutionnel selon laquelle celui‑ci n’est pas habilité à réexaminer les jugements prononcés par les tribunaux ordinaires et n’a pas compétence pour connaître des faits établis lors des procédures judiciaires car la loi le lui interdit expressément. En outre, l’auteur affirme que l’inefficacité du recours en amparo est démontrée par la jurisprudence constante du Tribunal constitutionnel selon laquelle les garanties particulières qui s’attachent aux charges de député et de sénateur justifient l’absence d’un deuxième degré de juridiction.
Commentaires de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication
4.1L’État partie fait valoir que la communication est irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés. Il indique que l’auteur aurait dû former un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel.
4.2L’État partie joint un document d’où il ressort que le premier avocat qui a défendu l’auteur dans la procédure interne a été condamné en première instance pour négligence dans la conduite de la défense, parce qu’il n’avait pas formé de recours en amparo. Le premier avocat de l’auteur a déclaré qu’il avait envisagé de former un tel recours mais qu’il avait opté pour un recours en cassation qui avait été déclaré irrecevable. Le tribunal qui a condamné l’avocat a considéré que ce dernier aurait dû savoir que le délai pour former un recours en amparo continuait à courir si le recours en cassation qu’il avait formé était manifestement irrecevable, ce qui a conduit le tribunal à conclure que l’avocat avait agi avec négligence. Le procès contre le premier avocat de l’auteur a été intenté par la personne qui représente l’auteur devant le Comité. Pour l’État partie, ce procédé dément l’allégation de l’auteur qui affirme qu’il n’était pas nécessaire de former un recours en amparo.
4.3Concernant le fond, l’État partie fait valoir que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte n’est pas applicable lorsqu’une personne est jugée en première instance par la juridiction la plus élevée, c’est‑à‑dire le Tribunal suprême, en raison de la situation personnelle de l’accusé. L’auteur a été jugé par le Tribunal suprême parce qu’il exerçait une charge publique en vertu d’un mandat électif. Selon l’État partie, en tant que député, l’auteur occupait une position différente de celle des accusés en général et, de ce fait, il devait être traité différemment. L’État partie considère que le fait d’être jugé en premier et dernier ressort par l’organe le plus élevé des juridictions ordinaires découle d’une circonstance purement objective: le fait d’occuper une charge publique déterminée. Il estime également que l’absence de réexamen de la condamnation est compensée par le fait d’être jugé par la juridiction la plus élevée.
4.4L’État partie fait valoir que cette situation est fréquente dans de nombreux États, de même qu’il est courant que des procédures soient établies pour retirer leur immunité à certaines personnes qui exercent des charges publiques lorsqu’il s’agit d’établir leur responsabilité pénale.
4.5L’État partie indique que les procédures applicables aux députés sont prévues à l’article 10.3 du Statut d’autonomie de Castille‑La Manche, approuvé par la loi organique no 9/1982 du 10 août 1982, selon laquelle «il appartiendra au tribunal supérieur de justice de la région de se prononcer, dans tous les cas, sur l’inculpation, l’emprisonnement, les poursuites et le jugement. En dehors du territoire régional, la responsabilité pénale sera engagée selon les mêmes conditions devant la chambre criminelle du Tribunal suprême». Selon l’État partie, l’auteur n’a jamais élevé d’objection au fait d’être jugé en instance unique, il le fait seulement après avoir été condamné. L’auteur a également bénéficié de toutes les garanties d’une procédure équitable et a eu la possibilité de réfuter tous les éléments de preuve à charge présentés contre lui.
4.6L’État partie considère que, dans le cas d’infractions mineures, il est contre‑productif d’établir une procédure de révision devant un tribunal supérieur, en raison des frais que cela entraîne et de la prolongation inutile du procès. L’État partie cite à ce sujet le paragraphe 2 de l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme), qui dispense de l’obligation de révision dans le cas des délits mineurs.
4.7En ce qui concerne le grief de violation de l’article 26 du Pacte, l’État partie fait valoir que, conformément à la législation en vigueur, la compétence pour connaître d’un délit commis par un député sur le territoire où il exerce son mandat d’élu appartient au tribunal supérieur de justice de la région, alors que si le délit imputé au député a été commis en dehors du territoire de sa région, c’est le Tribunal suprême qui est compétent. Selon l’État partie, cette différence de traitement repose sur des critères objectifs et raisonnables. En outre, l’État partie fait valoir que cette disposition n’est pas discriminatoire, car elle s’applique à tous les cas dans lesquels un député est jugé pour un délit commis en dehors du territoire régional sur lequel il exerce son mandat.
Observations de l’auteur sur les commentaires de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication
5.1En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’auteur reconnaît qu’il a engagé une action contre le premier avocat qui l’a défendu dans le procès pénal intenté contre lui. Il indique toutefois que, dans le procès engagé contre l’avocat en question, ce dernier a toujours déclaré que le recours en amparo n’avait aucune chance d’aboutir en raison des limites propres à ce recours. En outre, dans le jugement de condamnation, le tribunal a indiqué qu’il condamnait l’avocat pour avoir agi avec négligence, mais que ce dernier ne pouvait pas être tenu pour responsable de toutes les conséquences de la condamnation de l’auteur, du fait que le recours en amparo avait un caractère extraordinaire, que son efficacité n’était pas garantie en raison de ses limites propres et qu’en aucun cas l’absence de recours en amparo ne priverait l’auteur d’une deuxième instance qui se serait prononcée sur le délit pour lequel l’auteur a été condamné par le Tribunal suprême.
5.2En ce qui concerne le fond, l’auteur maintient que l’État partie affirme à tort que le procès a été équitable, car durant la procédure orale son avocat a renoncé à faire comparaître la majorité des témoins de la défense.
5.3L’auteur réaffirme qu’il a été condamné sur la base d’éléments de preuve purement circonstanciels et que sa condamnation n’a pas pu être réexaminée par un tribunal supérieur car il a été jugé par le tribunal ayant le rang le plus élevé dans la hiérarchie, en premier et dernier ressort.
5.4L’auteur ne partage pas l’avis de l’État partie qui objecte que l’absence de réexamen de la condamnation est compensée par le fait d’avoir été jugé par le tribunal du rang le plus élevé. Selon l’auteur, le fait d’être jugé par la juridiction la plus élevée ne met pas à l’abri des erreurs qu’elle pourrait commettre et qui devraient être réexaminées par une juridiction supérieure.
5.5L’auteur affirme que les arguments de l’État partie qui font référence au Protocole no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme ne s’appliquent pas à la plainte présentée au Comité, du fait que le champ d’application du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte est sensiblement différent de celui du Protocole no 7. L’État partie n’a pas émis de réserve à ladite disposition du Pacte.
5.6L’auteur maintient que la différence qu’établit la loi organique pour le jugement des délits commis par les députés est discriminatoire, car si un député se voit imputer un délit commis sur le territoire d’une région, il a le droit de bénéficier du double degré de juridiction, alors que si un député se voit imputer un délit commis à Madrid, il est jugé en premier et dernier ressort par le Tribunal suprême de Madrid.
Délibérations du Comité sur la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
6.2Le Comité s’est assuré que la même question n’était pas déjà examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et que par conséquent le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à l’examen de la communication.
6.3L’État partie a fait valoir que les recours internes n’avaient pas été épuisés du fait que l’auteur n’a pas formé de recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. L’auteur maintient qu’il n’était pas nécessaire de former un tel recours parce qu’il n’avait aucune chance d’aboutir. L’auteur dit que tous les recours en amparo formés devant le Tribunal constitutionnel contre la chambre criminelle du Tribunal suprême ont été rejetés et que, selon une jurisprudence constante, le Tribunal constitutionnel a établi que le recours en amparo ne constituait pas une troisième instance et ne permettait pas d’évaluer les faits et de réexaminer les jugements prononcés par les tribunaux ordinaires.
6.4À l’appui de la thèse du non‑épuisement des recours internes, l’État partie a cité le jugement rendu par le tribunal civil de première instance no 13, dans lequel il est indiqué que l’auteur a demandé des dommages‑intérêts au premier avocat qui l’a représenté dans la procédure pénale engagée contre l’auteur, au motif que ledit avocat n’avait pas formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. L’avocat a été condamné à verser une indemnité et le tribunal a considéré que l’avocat avait agi avec négligence parce qu’il avait laissé expirer le délai pour former un recours en amparo et avait présenté un autre recours inapproprié. Pour le Comité, cet argument n’est pas décisif parce que le jugement a pris en compte, pour fixer le montant des dommages‑intérêts, le fait que le préjudice subi par le plaignant était relatif parce que le recours en amparo avait un caractère extraordinaire et que le Tribunal constitutionnel ne pouvait pas agir comme une juridiction de deuxième instance en raison du caractère limité de la portée du recours.
6.5Selon la jurisprudence constante du Comité, seules doivent être épuisées les voies de recours internes qui ont une chance d’aboutir. Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, le Comité observe que l’État partie n’a pas contesté que le recours en amparo ne constitue pas un recours permettant une révision de la condamnation et de la peine comme l’exige le Pacte. De plus, l’État partie n’a pas non plus contesté l’existence de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel selon laquelle le recours en amparo ne permet pas d’apprécier les faits ni de procéder à la révision des jugements rendus par les tribunaux internes. Il n’a pas contesté non plus le fait que, selon la législation interne, les jugements de condamnation rendus par le Tribunal suprême ne sont pas susceptibles de recours. Le Comité considère que l’auteur a épuisé les recours internes concernant l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. La plainte faisant apparaître des éléments qui peuvent porter sur les droits reconnus au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, cette partie de la communication est recevable.
6.6Le Comité a établi par sa jurisprudence constante que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte est une lex specialis par rapport au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte; par conséquent, dès lors que le Comité s’est prononcé sur la recevabilité de l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14, il n’a pas à se prononcer sur le grief de violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.
6.7Au sujet du grief de violation de l’article 26 du Pacte, l’auteur affirme que la distinction établie par la législation interne en ce qui concerne le tribunal compétent pour connaître des affaires mettant en cause des députés est discriminatoire parce que, dans certains cas, la personne visée a droit au réexamen du jugement par un tribunal supérieur, alors que dans d’autres cas le jugement est rendu en premier et dernier ressort, sans possibilité de réexamen de la sentence. L’État partie a indiqué que la distinction était établie par la loi, qui est appliquée sur tout le territoire et dans toutes les affaires où un député est jugé pour une infraction commise à l’extérieur du territoire de la région pour laquelle il a été nommé. Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité, et qu’il soulève des questions au regard de l’article 26 du Pacte. Par conséquent, le Comité déclare cette partie de la communication recevable.
Délibérations du Comité sur le fond
7.1Le Comité doit déterminer si la condamnation de l’auteur en première instance par le Tribunal suprême, sans que soit possible un recours permettant le réexamen de la condamnation et de la peine, constitue une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
7.2L’État partie a fait valoir que, dans le cas d’infractions mineures, l’obligation de réexamen par une juridiction supérieure ne s’applique pas. Le Comité rappelle que le droit garanti au paragraphe 5 de l’article 14 concerne toute personne condamnée pour une infraction. Il est vrai que dans le texte espagnol du paragraphe 5 de l’article 14 le terme employé est «un delito», alors que dans le texte anglais c’est «a crime», et dans le texte français «une infraction». Le Comité considère toutefois que la condamnation prononcée contre l’auteur est suffisamment lourde, indépendamment des circonstances, pour justifier un réexamen par une juridiction supérieure.
7.3L’État partie fait valoir que l’auteur n’a émis à aucun moment la moindre objection au fait d’être jugé par le Tribunal suprême, mais que c’est seulement après sa condamnation qu’il a invoqué l’absence de possibilité de réexamen par une autre juridiction. Le Comité ne peut pas approuver cet argument, étant donné que le jugement par le Tribunal suprême ne dépendait pas de la volonté de l’auteur, mais était établi par la loi de procédure pénale de l’État partie.
7.4L’État partie fait valoir que, dans des situations comme celle de l’auteur, si une personne est jugée par la juridiction pénale la plus élevée, la garantie prévue au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte n’est pas applicable, que le fait de ne pas avoir droit à un réexamen par une instance supérieure est compensé par le fait d’être jugé par le tribunal le plus élevé dans l’ordre judiciaire et qu’il s’agit d’une situation courante dans de nombreux États parties au Pacte. Le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte dispose qu’une personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi. Le Comité rappelle que l’expression «conformément à la loi» ne vise pas à laisser à la discrétion des États parties l’existence même du droit au réexamen. Même si la législation de l’État partie dispose, en certaines circonstances, qu’en raison de sa charge une personne sera jugée par un tribunal de rang supérieur à celui qui serait normalement compétent, cette circonstance ne peut à elle seule porter atteinte au droit de l’accusé au réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par un tribunal. Par conséquent, le Comité conclut que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte a été violé en ce qui concerne les faits exposés dans la communication.
7.5Le Comité, ayant conclu à la violation par l’État partie du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, ne considère pas comme nécessaire d’examiner la possibilité d’une violation de l’article 26 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
9.Conformément aux dispositions du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie doit assurer à l’auteur une réparation sous la forme d’une indemnisation adéquate.
10.En adhérant au Protocole facultatif, l’Espagne a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. Conformément à l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à leur assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. Il est demandé à l’État partie de rendre publiques les constatations du Comité.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
N. Communication n o 1076/2002, Kasper et Olavi c. Finlande (Constatations adoptées le 15 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Riitta‑Liisa Kasper et Illka Olavi Sopanen(représentées par un conseil, M. Martti Tapio Juvonen) |
Au nom: |
Des auteurs |
État partie: |
Finlande |
Date de la communication: |
25 avril 1997 (date de la lettre initiale) |
Objet: Égalité de traitement en matière d’indemnisation pour expropriation d’un bien.
Questions de procédure: Épuisement des recours internes, abus du droit de présenter des communications.
Questions de fond: Divulgation du nom des juges qui ont rendu la décision; égalité de traitement en matière d’indemnisation pour expropriation d’un bien.
Articles du Pacte: 14 (par. 1) et 26.
Articles du Protocole facultatif: 3 et 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 15 mars 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no1076/2002, présentée au nom de Riitta‑Liisa Kasper et de Illka Olavi Sopanenen vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.Les auteurs de la communication sont Riitta‑Liisa Kasper et Illka Olavi Sopanen, toutes deux de nationalité finlandaise. Elles affirment être victimes d’une violation du paragraphe 1 de l’article 2, de l’article 3, du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elles sont représentées par un conseil, M. Martti Tapio Juvonen.
Exposé des faits
2.1Le 26 mars 1987, le Conseil d’État finlandais a autorisé l’expropriation d’une partie des terres des auteurs (65,97 hectares), qui faisait partie de l’extension du parc national de Linnansaari. Le 18 février 1988, la Commission des expropriations a rendu une ordonnance d’expropriation et fixé le montant de l’indemnité à verser.
2.2Les auteurs affirment que le Gouvernement a exproprié leurs terres à un prix nettement inférieur à celui pratiqué alors pour les transactions de gré à gré et pour les autres expropriations de la région.
2.3Le recours que les auteurs ont formé contre cette décision a été rejeté par le Tribunal de Finlande orientale le 20 septembre 1989. Le Tribunal n’a pas modifié le montant de l’indemnité. Le 4 mai 1990, la Cour suprême a rejeté la demande d’autorisation de déposer un pourvoi présentée par les auteurs.
2.4Une requête en annulation a alors été présentée à la Cour suprême. Celle‑ci a entendu la requête et, dans son arrêt du 1er décembre 1993, a jugé que les auteurs n’avaient pas su produire de faits ou éléments de preuve nouveaux susceptibles de justifier une autre conclusion. En conséquence, elle a rejeté la requête. Les auteurs disent avoir ainsi épuisé tous les recours internes.
2.5Les auteurs déclarent qu’au cours de l’examen de leur requête, la Cour suprême a sollicité l’avis du Conseil national des enquêtes statistiques. Celui‑ci a conclu que les auteursn’avaient pas bénéficié du même traitement par rapport aux expropriations réalisées dans la même région pour le même motif. La Cour suprême a néanmoins débouté les auteurs.
2.6Les auteurs font également valoir que l’arrêt de la Cour suprême ne fait pas apparaître le nom des juges qui ont participé à l’adoption de la décision, ce qui obvie à toute tentative de contestation de leur compétence.
2.7Le recours introduit par les auteurs devant la Commission européenne des droits de l’homme a été déclaré irrecevable ratione temporis le 29 février 1996.
Teneur de la plainte
3.Les auteurs affirment que leurs droits au titre du paragraphe 1 de l’article 2 et des articles 3 et 26 du Pacte ont été violés puisqu’elles n’ont pas bénéficié de l’égalité de traitement pour ce qui est de l’indemnisation de leur bien foncier exproprié. Elles affirment également être victimes d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, dans la mesure où la Cour suprême n’a pas rendu public le nom des juges qui ont rendu la décision relative à leur requête.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond de la communication
4.1Dans ses observations du 23 juillet 2002, l’État partie conteste la recevabilité de la communication, faisant valoir le caractère définitif de l’arrêt rendu en l’espèce par la Cour suprême le 4 mai 1990, qui rejette la demande d’autorisation de faire appel déposée par les auteurs. Il fait remarquer que la procédure en annulation engagée par les auteurs et sanctionnée par l’arrêt de la Cour suprême du 1er décembre 1993 est un moyen de droit extraordinaire. Sept années se sont ainsi écoulées entre l’épuisement des recours internes et la date à laquelle les auteurs ont porté leur affaire devant le Comité des droits de l’homme.
4.2L’État partie note que le Protocole facultatif ne fixe pas de limite de temps particulière pour la présentation des communications au Comité. Il estime toutefois que pour décider de la recevabilité d’une communication, il devrait être tenu compte du temps écoulé depuis le prononcé de la décision finale de la juridiction nationale.
4.3L’État partie soutient également que la communication est irrecevable ratione materiae, dans la mesure où les auteurs entendent porter plainte pour atteinte à leur droit de propriété.
5.1Dans ses observations du 25 novembre 2002, l’État partie ajoute une nouvelle objection à la recevabilité de la plainte des auteurs au titre de l’article 14 du Pacte: il estime celle‑ci irrecevable parce qu’incompatible avec les dispositions du Pacte, qui ne prévoit ni droit à la révision d’un jugement dans une affaire civile ni droit à un recours extraordinaire.
5.2Sur le fond, l’État partie renvoie à la législation régissant l’expropriation des biens immobiliers et l’indemnisation des propriétaires. La loi relative à l’expropriation des biens immobiliers et aux droits spéciaux (603/1977) dispose que le propriétaire d’un bien a le droit d’être totalement indemnisé des pertes financières causées par l’expropriation (art. 29). Aux termes de l’article 30 1) de la loi, «Il convient de déterminer l’indemnité totale correspondant à la valeur du marché du bien exproprié. La date du transfert du bien est déterminante à cette fin. Si la valeur du marché ne correspond pas aux pertes véritablement encourues par le propriétaire du bien ou le titulaire de quelque autre droit connexe, l’évaluation doit être faite sur la base des revenus tirés du bien ou des sommes qui y ont été investies.».
5.3D’après l’État partie, il se peut, compte tenu de ces dispositions, que des biens différents aient une valeur différente, en fonction de leurs caractéristiques et de leur valeur récréative, même s’ils se trouvent à proximité les uns des autres. Le montant de l’indemnité doit normalement être calculé sur la base de preuves statistiques fiables relatives aux sommes normalement versées pour des terrains comparables.
5.4En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie note qu’il s’agissait en l’espèce d’une requête en annulation, qui appelait donc à produire des preuves nouvelles et importantes. L’État partie constate que les auteurs n’ont pas fait valoir qu’elles étaient dans l’impossibilité de produire tous les éléments de preuve. La Cour suprême, après avoir évalué tous les éléments de preuve qui lui étaient présentés, a jugé que les auteurs n’avaient présenté aucun fait ou élément de preuve nouveau susceptible de conduire à un dénouement différent. En conséquence, elle n’a pas annulé le jugement. L’État partie fait observer que le fait que les auteurs ne sont pas satisfaites de l’issue de leur affaire ne signifie pas que la procédure judiciaire n’a pas été équitable.
5.5En ce qui concerne la plainte pour non‑divulgation du nom des juges ayant participé à l’adoption de la décision, l’État partie fait observer qu’il est possible d’obtenir le nom des juges appelés à rendre une décision en s’adressant au greffe de la Cour suprême et que les renseignements en question sont donc à la disposition de chacun. L’État partie conclut qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Il ajoute que le nom des juges figure désormais sur les jugements écrits.
5.6En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 26 du Pacte, l’État partie déclare que la valeur des terres expropriées avait été calculée sur la base des statistiques disponibles relatives aux sommes versées pour des terrains comparables à l’époque de l’expropriation. Il constate qu’il a été relevé dans l’arrêt de la Cour suprême du 1er décembre 1993 que le rapport du Conseil national des enquêtes statistiques n’indiquait pas que le calcul du montant de l’indemnité avait été incorrect. La Cour suprême a également considéré que les auteurs n’avaient pas présenté d’éléments de preuve susceptibles de l’amener à conclure à un traitement inégal. L’État partie fait valoir que des différences de montant des indemnités ne sauraient en tant que telles rendre une décision incorrecte ou discriminatoire. Il conclut qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 26 du Pacte.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
6.Le 4 mars 2003, les auteurs ont fait parvenir leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Elles ont soutenu que leur communication était recevable. S’agissant du fond, elles ont réaffirmé que le Conseil national des enquêtes statistiques était d’avis qu’elles avaient fait l’objet d’un traitement inégal au regard des expropriations réalisées aux mêmes fins dans la même région.
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité note que les auteurs ont épuisé tous les recours internes. Il note, en outre, que les auteurs ont présenté leur communication un an après que la Commission européenne des droits de l’homme a déclaré leur requête irrecevable ratione temporis. Le Comité estime que, dans les circonstances particulières de la cause, il n’est pas possible de considérer que le temps écoulé avant la présentation de la communication était excessif au point qu’il y ait eu abus du droit de présenter des communications.
7.3S’agissant de l’allégation des auteurs qui affirment avoir également fait l’objet d’un traitement inégal pour ce qui est de l’indemnisation qu’elles ont reçue pour l’expropriation de leur bien foncier, en violation de l’article 26 du Pacte, le Comité note que la Cour suprême, après avoir examiné tous les éléments de preuve dont elle était saisie, et notamment le rapport du Conseil national des enquêtes statistiques mentionné par les auteurs, a jugé que les éléments de preuve produits étaient insuffisants pour conclure que les auteurs avaient reçu un traitement contraire au principe d’égalité consacré dans la Constitution. Le Comité rappelle que c’est généralement aux juridictions des États parties, et non à lui‑même, qu’il appartient d’évaluer les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée. En l’espèce, le Comité, après avoir examiné l’arrêt de la Cour suprême, est d’avis que la décision de celle‑ci n’est ni manifestement arbitraire ni dénuée de fondement. En conséquence, il conclut que cette allégation n’est pas recevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.4En ce qui concerne enfin l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité est d’avis qu’elle est recevable et décide de l’examiner quant au fond.
Examen au fond
8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication compte tenu de toutes les informations que les parties lui ont communiquées, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
8.2En ce qui concerne l’allégation des auteurs qui affirment être victimes d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité prend note des explications fournies par l’État partie − qui n’ont d’ailleurs pas été contestées par les auteurs − à savoir que les auteurs auraient pu à tout moment demander au greffe de la Cour suprême le nom des juges qui ont pris la décision. En conséquence, le Comité estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation d’une quelconque des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
O. Communication n o 1089/2002, Rouse c. Philippines (Constatations adoptées le 25 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Leon R. Rouse (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Philippines |
Date de la communication: |
10 juin 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet: Équité de la procédure et égalité des moyens dans un procès pour atteintes sexuelles à enfant.
Questions de procédure: Néant.
Questions de fond: Procès équitable et impartial; égalité des moyens; présomption d’innocence; possibilité de faire procéder au contre-interrogatoire des témoins; durée excessive de la procédure, réexamen par une juridiction supérieure conformément à la loi, arrestation et détention arbitraires, privation de soins médicaux comme forme de torture.
Articles du Pacte: 7, 9 (par. 1) et 14 (par. 1, 2, 3 a), c), d), e), et par. 5).
Articles du Protocole facultatif: 2 et 3.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1089/2002 présentée par Leon R. Rouse en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication, datée du 21 juin 2002, est Leon R. Rouse, de nationalité américaine. À la date de la lettre initiale, il était détenu à la prison de Bilibid à Muntinlupa City (Philippines). Il a été libéré puis expulsé vers les États-Unis d’Amérique le 29 septembre 2003. Il affirme être victime de violations, par les Philippines1, de l’article 7, des paragraphes 1, 2, 3 a), c), d), e), et 5 de l’article 14, et du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après «le Pacte»). Il n’est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits
2.1Le 4 octobre 1995, au cours d’un voyage aux Philippines, l’auteur a été arrêté parce qu’il aurait eu des relations sexuelles avec un mineur, en violation de la loi sur les atteintes à enfant qui réprime tout acte sexuel entre un adulte et une personne de moins de 18 ans. La police lui a proposé de classer l’affaire en échange d’un pot-de-vin, mais l’auteur a préféré affronter la justice, affirmant qu’il était innocent.
2.2L’auteur affirme avoir été victime d’un coup monté par la police. Le jour de son arrestation, il est arrivé vers midi à l’hôtel Pichay Lodging House, où il a rencontré une ancienne connaissance, Harty Dancel, accompagnée de deux personnes, Pedro Augustin et Godfrey Domingo. Tous les quatre ont déjeuné au restaurant et Dancel a proposé à Godfrey d’avoir des relations sexuelles avec l’auteur. Ce dernier a refusé, faisant valoir que Godfrey était trop jeune, même quand Dancel a insisté en lui assurant qu’il était majeur.
2.3Plus tard dans la journée, les trois mêmes hommes ont attendu l’auteur à son hôtel. Dancel a demandé à l’auteur de les inviter dans sa chambre. Après que l’auteur a pris une douche, Dancel et Augustin ont quitté la chambre, le laissant seul avec Godfrey. Ce dernier a demandé s’il pouvait aller à la salle de bains et il s’est déshabillé. On a alors frappé à la porte et l’auteur est allé ouvrir. Des policiers sont entrés. À ce moment, ni lui ni Godfrey n’étaient habillés.
2.4L’auteur a été arrêté sans mandat et conduit au commissariat en même temps que Godfrey Domingo (ci-après désigné comme le mineur), qui a signé une déclaration sous serment en présence de ses parents et déposé une plainte contre l’auteur. Il a affirmé qu’il avait 15 ans et que l’auteur l’avait incité à avoir des relations sexuelles avec lui. Le mineur a ensuite répété cette version des faits lorsqu’il a été interrogé par le procureur municipal adjoint, M. Aurelio, par un certain docteur Caday, et par deux assistants sociaux.
2.5Le docteur Caday, qui a examiné et interrogé le mineur après les faits, a conclu dans un certificat médical que le jeune homme «affirmait avoir été sodomisé» mais que l’examen médical n’avait pas permis de confirmer ni d’infirmer ses dires.
2.6Le 11 octobre 1995, en présence de ses parents, Godfrey Domingo a signé sous serment un acte de désistement dans lequel il confirmait la version des faits de l’auteur et reconnaissait avoir participé à un coup monté organisé par les policiers Augustin et Dancel. Il ressort du jugement de la cour d’appel que la victime présumée a également déclaré dans le même document qu’elle était âgée de 18 ans quand l’auteur a été arrêté.
2.7Le 19 octobre, l’auteur a été inculpé d’atteintes à enfant, en application de l’article III, paragraphe 5, alinéa b, de la loi de la République no 7610 (loi pour la protection spéciale des enfants contre la maltraitance, l’exploitation et la discrimination). Le 23 octobre, à l’audience de notification de sa mise en accusation, l’auteur a plaidé non coupable; le même jour, il a présenté une demande de mise en liberté sous caution. Le 10 novembre, le tribunal régional de première instance de Laoag City, section II (ci-après dénommé le tribunal de première instance), a déclaré que «le fait que l’accusation fût sur le point de terminer ses réquisitions l’emportait sur la demande de mise en liberté sous caution».
2.8Bien qu’ayant été cités à comparaître en qualité de témoins, le mineur et ses parents ne sont pas venus aux audiences du 31 octobre et du 10 novembre 1995.
2.9Le 7 décembre 1995, l’auteur a soulevé une exception pour insuffisance de preuves, en se fondant principalement sur le fait que l’accusation reposait sur des déclarations recueillies par des tiers auprès du mineur, qui était le seul témoin oculaire des faits et qui, en dépit d’une citation à comparaître, ne s’était pas présenté pour un contre-interrogatoire. L’auteur a également fait valoir les incohérences entre les dépositions des autres témoins et souligné le caractère illégal de l’arrestation, et il a invoqué le principe de la présomption d’innocence. Il a demandé au tribunal de débouter le plaignant pour insuffisance de preuves.
2.10Le 22 janvier 1996, avant que l’auteur n’eût présenté ses conclusions en défense, le tribunal de première instance a rendu une ordonnance avant dire droit par laquelle il a rejeté l’exception pour insuffisance de preuves au motif qu’elle n’était pas fondée, concluant que «les éléments de preuve de l’accusation [étaient] suffisants pour démontrer au-delà de tout doute raisonnable que l’accusé [était] coupable du crime qui lui [était] imputé». L’accusation avait présenté les preuves indirectes suivantes: 1) Un témoin âgé de 21 ans avait déclaré avoir eu des relations sexuelles avec l’auteur la veille de l’arrestation, et le tribunal a estimé que ce jeune homme, malgré son âge, avait «l’apparence physique d’un mineur». Le tribunal de première instance a fondé sa décision sur cette considération, alors que celle‑ci n’avait même pas été avancée comme élément à charge par l’accusation, et que l’auteur n’avait pas eu la possibilité de répondre sur ce point. 2) En entrant dans la chambre d’hôtel, les policiers avaient trouvé l’auteur et le mineur nus. 3) Le mineur avait toujours donné la même version des faits à deux assistants sociaux, au médecin qui l’avait examiné et au procureur municipal adjoint. Le tribunal a estimé que ces déclarations du mineur, même si elles avaient été faites hors audience, n’étaient pas de simples ouï‑dire.
2.11Le 2 février, l’auteur a formé un recours en révision devant le même tribunal, faisant valoir qu’en l’absence du témoignage du mineur les dépositions des autres témoins de l’accusation équivalaient à des ouï-dire, et qu’il n’y avait en outre aucune preuve que Domingo fût mineur.
2.12Le 11 mars, le tribunal de première instance a rejeté le recours en révision, estimant qu’il n’était pas fondé.
2.13Le 26 mars, l’auteur a saisi la cour d’appel pour obtenir une ordonnance de certiorari aux fins de réexamen, en vue de faire annuler la décision du 22 janvier 1996 par laquelle le tribunal de première instance avait rejeté son exception pour insuffisance de preuves, ainsi que la décision du 11 mars 1996 par laquelle ce même tribunal avait rejeté son recours en révision. Pour fonder sa requête, l’auteur a fait valoir qu’il avait été privé de l’exercice du droit d’être confronté aux témoins à charge ou de les soumettre à un contre-interrogatoire; il a également invoqué l’illégalité de son arrestation et de la perquisition à sa chambre d’hôtel, effectuées sans mandat.
2.14L’auteur joint une copie des observations du Solicitor General relatives au mémoire d’appel, ainsi que de sa propre réponse à ces observations. Dans ses observations, le Solicitor General relève qu’il n’était pas nécessaire de prouver que le mineur avait effectivement été sodomisé, puisqu’une autre disposition de la loi no 7610 − l’alinéa b du paragraphe 10 de l’article VI − punit «toute personne qui retient ou accompagne un mineur âgé de 12 ans ou moins, ou qui est son cadet de 10 ans ou plus, dans un lieu public ou privé, un hôtel…». Le Solicitor General estime que «le simple fait que le requérant ait été surpris en compagnie de Domingo […] qui a 24 ans de moins que lui […] laisse présumer que d’autres actes de sévices à enfant ont au moins été commis». L’auteur rappelle pour sa part qu’il a été accusé en vertu de l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article III de la loi no 7610, et non de l’alinéa b du paragraphe 10 de l’article VI.
2.15Le 24 septembre 1996, la cour d’appel a rejeté la demande d’ordonnance de certiorari aux fins de réexamen, qu’elle a jugée «manifestement entachée de vices de procédure», au motif que l’auteur n’avait pas produit des éléments de preuve à décharge et que les déclarations faites par le mineur avant le procès avaient été considérées à juste titre comme des preuves indirectes. La cour a estimé que, en tout état de cause, les éléments de preuve produits par l’accusation pouvaient «suffire à établir l’existence de l’infraction moins grave définie et sanctionnée à l’alinéa b du paragraphe 10 de la loi». La cour a également conclu que l’illégalité présumée de l’arrestation de l’auteur n’avait d’incidence que sur la recevabilité en tant que preuve des photos prises dans la chambre d’hôtel au moment de l’arrestation.
2.16Le 29 octobre 1996, l’auteur a formé un recours en révision contre la décision rendue par la cour d’appel. Il joint une copie des observations du Solicitor General ainsi que de sa propre réponse à ces observations.
2.17Le 12 février 1997, la cour d’appel a rejeté ce recours en révision.
2.18Le 20 mars 1997, l’auteur a saisi la Cour suprême, qui a rejeté son pourvoi en cassation le 23 juillet 1997 au motif qu’il n’avait pas «suffisamment montré que [la cour d’appel] eût commis en rendant la décision contestée une quelconque erreur réparable».
2.19Le 12 janvier 1998, le tribunal de première instance a déclaré que «l’aveu par Godfrey Domingo de ce qui [s’était] passé entre l’accusé et lui-même, réitéré devant différents fonctionnaires immédiatement après les faits […] ne [pouvait] pas être annulé par l’acte de désistement signé sous serment par Godfrey Domingo avec ses parents», le jeune homme n’étant pas présent à l’audience pour confirmer la teneur de ce document. Le tribunal a conclu que l’acte de désistement devait être considéré comme un ouï-dire sans valeur probante. Il a déclaré que l’auteur était coupable au-delà de tout doute raisonnable du crime dont il était accusé, et l’a condamné à une peine d’emprisonnement allant de 10 ans, 2 mois et 21 jours au minimum, à 17 ans, 4 mois et 1 jour au maximum.
2.20L’auteur a saisi la cour d’appel, qui a confirmé la condamnation le 18 août 1999. La cour d’appel a fondé sa décision sur les motifs suivants. S’agissant de l’âge de la victime présumée, la cour a estimé que «le tribunal n’avait pas commis d’erreur en n’accordant pas de valeur probante à l’acte de désistement car il est bien connu que les rétractations sont, en général, peu fiables et les tribunaux les reçoivent avec beaucoup de méfiance». Pour ce qui est du fait que le jeune homme ne s’est pas présenté à l’audience pour un contre-interrogatoire, la cour a estimé qu’il s’agissait d’une exception à la règle générale de l’irrecevabilité de la preuve par ouï-dire, car les déclarations du mineur ont été entendues immédiatement après les faits présumés et elles étaient par conséquent naturelles et spontanées. En ce qui concerne les versions contradictoires des faits et des témoignages de l’accusation et de la défense, la cour a jugé que la question de la crédibilité des témoins relevait de la compétence du tribunal de première instance. En vertu de quoi, la décision du tribunal a été confirmée.
2.21Le 3 septembre 1999, l’auteur a saisi la Cour suprême. Le Solicitor General a présenté ses observations concernant le pourvoi, le 21 janvier 2000, auxquelles l’auteur a répondu le 25 mai 2000. Ce sont les dernières observations que l’auteur a adressées à la Cour suprême. Celle‑ci a rejeté le pourvoi en cassation le 10 février 2003 au motif qu’il ne soulevait aucun point de droit. Le 7 mars 2003, l’auteur a formé un recours en révision contre la décision rendue, mais la Cour suprême l’a débouté pour les mêmes motifs. Dans son arrêt, daté du 23 avril 2003, elle a souligné que ce refus était «définitif».
2.22L’auteur dit qu’à partir de 2001, pendant sa détention, il a souffert de violentes douleurs causées par des calculs rénaux. Les examens nécessaires, qui devaient avoir lieu dans un hôpital extérieur, ont tous été ajournés pour des raisons administratives qui ne lui étaient pas imputables (absence de gardiens qui n’étaient pas venus travailler, défaut d’autorisation du Ministère de la justice, demandes insuffisantes des médecins de la prison). En conséquence, les examens requis n’ont pas été faits et l’auteur n’a pu obtenir ni un vrai diagnostic ni un traitement. Il joint la copie d’un certificat médical en date du 13 mars 2003, dans lequel le médecin qui l’a examiné ce même jour recommande de lui accorder «la grâce conditionnelle» et de l’expulser, conformément à sa volonté, afin qu’il puisse subir des examens approfondis et éventuellement se fasse opérer aux États-Unis.
2.23Le 26 octobre 2003, l’auteur a informé le Comité qu’il avait été libéré le 29 septembre 2003 et expulsé vers les États-Unis, après avoir passé huit ans en prison.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme être victime de violations des paragraphes 1, 2, 3 a), c), d), e), et 5 de l’article 14, du paragraphe 1 de l’article 9 et de l’article 7 du Pacte, du fait qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable, qu’il a été arrêté de manière arbitraire et, par voie de conséquence, soumis à la torture et à un traitement inhumain et dégradant en prison.
3.2L’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 14 et du principe de l’égalité devant les tribunaux. Il joint la copie d’un ordre de remise en liberté délivré dans une autre affaire par le même tribunal que celui qui l’a jugé, trois jours après que celui-ci eut rejeté son exception pour insuffisance des éléments de preuve. Dans cette autre affaire, le tribunal de première instance avait ordonné la remise en liberté d’un homme accusé d’avoir violé à plusieurs reprises une mineure, au motif que la victime avait signé un acte de désistement sous serment et n’avait pas comparu à l’audience. Le tribunal avait conclu que l’accusation n’avait aucun moyen de démontrer au-delà de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé. L’auteur affirme que son cas aurait dû être traité de la même manière.
3.3L’auteur invoque une violation de son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal impartial. Renvoyant aux conclusions de la juge, il affirme que cette dernière s’est montrée arbitraire, et non impartiale, dans son appréciation des éléments de preuve − ayant ignoré de graves incohérences dans les témoignages des policiers − ainsi que dans son choix et son interprétation de la jurisprudence nationale. L’auteur cite en particulier un arrêt de la Cour suprême invoqué par la juge à l’appui de sa décision du 22 janvier 1996; dans cet arrêt, la Cour suprême avait estimé que l’aveu de culpabilité d’un accusé recueilli par un tiers n’était pas considéré comme ouï-dire et était recevable à titre de preuve. Dans le cas de l’auteur, la juge s’est fondée sur «l’aveu» (en fait une accusation) du mineur, considérant qu’il ne s’agissait pas de ouï-dire, pour les mêmes raisons que dans l’arrêt susmentionné. L’auteur avance que ce précédent n’est applicable qu’aux aveux de l’accusé, alors que lui-même n’a jamais reconnu les faits. Il souligne également que la juge n’a pas qualifié de ouï-dire les éléments de preuve tirés des déclarations faites par le mineur aux policiers, aux assistants sociaux et au médecin, et les a donc acceptés comme preuve, alors qu’elle a considéré comme des ouï-dire l’acte de désistement signé sous serment par le mineur, ainsi que le témoignage du représentant du ministère public qui l’a enregistré, au motif que le mineur n’était pas venu en confirmer la teneur à l’audience. La juge a estimé que l’acte de désistement signé sous serment n’avait aucune valeur probante. Selon l’auteur, cela confirme sa partialité et ses préjugés.
3.4L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 2 de l’article 14 du fait qu’il n’a pas bénéficié du principe de la présomption d’innocence. Il rappelle que la décision du 22 janvier 1996 du tribunal de première instance (voir plus haut par. 2.10) a été rendue avant qu’il n’eût lui-même présenté sa défense. Il ajoute que les incohérences dans les dépositions des policiers mettent sérieusement en doute la crédibilité de ces témoignages et que le tribunal a entendu deux versions contradictoires des faits. L’auteur estime que le moindre doute devrait bénéficier à l’accusé, alors que, en l’espèce, le tribunal a choisi d’accorder le bénéfice du doute à l’accusation et de reconnaître l’auteur coupable, au mépris du principe de la présomption d’innocence.
3.5L’auteur invoque différentes violations du paragraphe 3 de l’article 14. Renvoyant à l’arrêt du 24 septembre 1996 par lequel la cour d’appel a déclaré qu’il pouvait être reconnu coupable d’une forme moins grave d’atteintes à enfant punie par un autre article que celui en vertu duquel il avait été accusé, l’auteur fait valoir que cette décision allait à l’encontre du droit d’être informé de la nature et des motifs de l’accusation retenue contre lui (art. 14, par. 3 a)) et qu’en conséquence il a été empêché de préparer sa défense sur l’accusation en question. Il semble toutefois que l’auteur ait abandonné par la suite le grief formulé à cet égard, n’ayant pas été reconnu coupable de cette autre infraction.
3.6L’auteur affirme être victime également d’une violation du paragraphe 3 c) de l’article 14, qui protège le droit d’être jugé sans retard excessif, du fait que la Cour suprême, qui est tenue de statuer dans un délai de 24 mois, s’est prononcée plus de 32 mois après l’introduction du pourvoi en cassation, pendant que l’auteur était en prison.
3.7L’auteur estime que le tribunal, en fondant ses conclusions et la déclaration de culpabilité sur, entre autres, l’apparence prétendument juvénile du témoin de 21 ans, alors que ce fait n’avait jamais été invoqué comme preuve par l’accusation, l’a privé de son droit à la défense (art. 14, par. 3 d)).
3.8L’auteur affirme être victime d’une violation de son droit d’interroger, ou de faire interroger, les témoins à charge (art. 14, par. 3 e)) puisque le mineur, seul témoin oculaire des faits qui ont valu à l’auteur d’être condamné, ne s’est jamais présenté à l’audience pour un contre‑interrogatoire.
3.9L’auteur affirme que la Cour suprême, en rejetant sommairement son pourvoi en révision qui soulevait des questions de droit, l’a privé de l’exercice du droit de faire examiner sa déclaration de culpabilité et sa condamnation par une juridiction supérieure, conformément à la loi (art. 14, par. 5).
3.10L’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 9, plus précisément du droit de ne pas faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraires, parce qu’il a été arrêté sans mandat et que la mise en liberté sous caution lui a été refusée au motif que le fait que l’accusation fût sur le point de terminer ses réquisitions l’emportait sur sa demande.
3.11Enfin, l’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 7 en ce qu’il a subi, physiquement et psychologiquement, une forme de torture ou de peine ou traitement cruel, inhumain et dégradant. Selon lui, les graves douleurs dont il a commencé à souffrir en 2001 à cause de ses problèmes rénaux constituent une forme de torture ou de traitement inhumain et dégradant, de même que le fait qu’il n’ait pas pu subir les examens nécessaires, obtenir un véritable diagnostic et être soigné. Il renvoie à cet égard au certificat médical du 13 mars 2003. Il fait valoir également que les souffrances causées par les décisions judiciaires, ainsi que le refus opposé à sa demande de se rendre au chevet de son père mourant, équivalent à une forme de torture psychologique ou de peine ou traitement cruel, inhumain et dégradant.
Observations de l’État partie concernant le fond de la communication et commentaires de l’auteur
4.1Par une note verbale du 3 novembre 2004, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication, sans en contester la recevabilité. Il fait valoir que le tribunal régional de première instance et la cour d’appel n’ont pas jugé crédible la thèse de l’auteur, qui affirmait avoir été victime d’un coup monté, au vu du poids écrasant des preuves à charge ressortant des dépositions des policiers qui l’avaient surpris dans la chambre d’hôtel avec le mineur, ainsi que des dépositions des assistants sociaux, du procureur et du médecin qui avaient interrogé le mineur après l’arrestation de l’auteur.
4.2L’État partie fait valoir que la Cour suprême ne pouvait pas examiner le pourvoi en cassation de l’auteur ni ses recours en révision subséquents, parce que ceux-ci soulevaient des questions de fait et non des points de droit. La Cour suprême ne peut pas trancher des questions exigeant un examen de la valeur probante des éléments présentés par les parties.
4.3L’État partie dément que l’auteur n’ait pas pu procéder au contre-interrogatoire des témoins à l’audience. Il affirme que l’auteur pouvait être confronté − et de fait, l’a été −, aux fins de les interroger, aux policiers et aux assistants sociaux, qui avaient cosigné la plainte déposée contre lui (et faisaient donc partie de l’accusation) et qui ont témoigné à l’audience.
4.4Concernant le grief de violation du droit à l’égalité devant les tribunaux (art. 14, par. 1), l’État partie estime que les circonstances propres à l’affaire du viol d’une mineure, invoquée par l’auteur, différaient totalement de celles de l’espèce. Il souligne que dans cette autre affaire la partie plaignante, qui était un particulier, avait renoncé à son action et n’avait pas témoigné devant le tribunal de première instance. La Cour suprême avait estimé que les témoignages des enquêteurs, qui rapportaient les dires de la victime, ne pouvaient pas être retenus comme preuve car ils constituaient des ouï-dire. L’État partie relève que, dans la présente affaire, il y a d’autres témoins que la victime qui ont une connaissance directe de l’infraction et qui ont vu l’auteur la commettre: les policiers, qui ont surpris l’auteur nu en compagnie d’un enfant, lui-même nu, dans une chambre d’hôtel.
4.5L’État partie conclut que l’auteur a bénéficié d’un procès équitable devant le tribunal de première instance.
5.Dans ses commentaires datés du 9 mars 2005 concernant les observations de l’État partie, l’auteur réitère ses griefs et réfute l’argument selon lequel sa condamnation serait fondée sur les témoignages de policiers qui l’ont vu commettre l’infraction. Il rappelle que les policiers n’ont pas indiqué l’avoir vu se livrer à des actes sexuels avec le mineur.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication, que l’auteur a épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts, et que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3En ce qui concerne le grief de violation présumée du droit à l’égalité devant les tribunaux (art. 14, par. 1), le Comité relève que l’auteur conteste l’issue de la procédure judiciaire par comparaison à l’issue d’une autre affaire analogue. Le Comité note que l’État partie estime que les circonstances de l’affaire évoquée par l’auteur différaient totalement de celle de l’espèce. Le Comité note en outre que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte garantit l’égalité en matière de procédure mais ne saurait être interprété comme garantissant une égalité de résultats entre des procédures engagées devant un tribunal compétent. Cette partie de la communication de l’auteur dépasse le champ d’application du paragraphe 1 de l’article 14 et est par conséquent irrecevable ratione materiae au titre de l’article 3 du Protocole facultatif. Le Comité note toutefois que la communication soulève des questions concernant le droit de chacun à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal impartial établi par la loi, et il examinera cet aspect de la plainte de l’auteur au titre du même article.
6.4En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 3 a) de l’article 14, le Comité constate que l’auteur n’a pas été déclaré coupable d’une infraction autre que celle dont il était accusé. Ce grief n’est donc pas étayé aux fins de la recevabilité et est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.5Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 3 d) de l’article 14, le Comité relève que, d’après les informations qui lui ont été communiquées, il est manifeste que l’auteur était présent à son procès et qu’il était bien assisté d’un défenseur. Le fait − invoqué par l’auteur à l’appui de son grief − que la Cour suprême se soit fondée sur l’apparence prétendument juvénile du témoin de 21 ans n’entre pas dans le champ d’application du paragraphe 3 d) de l’article 14 et cette plainte est par conséquent irrecevable ratione materiae au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.
6.6Le Comité estime que les autres griefs de l’auteur sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et déclare par conséquent que la communication est recevable dans la mesure où elle soulève des questions au regard des paragraphes 1, 2, 3 c) et e) et 5 de l’article 14, du paragraphe 1 de l’article 9, et de l’article 7 du Pacte.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il appartient généralement aux tribunaux des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation était manifestement arbitraire ou constituait un déni de justice. En l’espèce, le Comité note que la juge a condamné l’auteur, entre autres, à partir d’éléments de preuve tirés de déclarations du mineur qui, bien que faites hors audience, n’ont pas été considérées comme de simples ouï-dire. En outre, la juge, qui avait retenu comme élément de preuve la première déclaration faite par le mineur, n’a pas retenu au même titre l’acte de désistement qu’il avait signé sous serment, bien que l’un et l’autre fait aient été confirmés par des témoins n’ayant pas connaissance personnellement de l’affaire. Enfin, l’auteur a été confronté à des éléments de preuve sujets à caution, et même à des moyens qui n’ont pas été présentés à l’audience (l’apparence juvénile du témoin âgé de 21 ans, ainsi que la condition de mineur de la victime présumée). Dans ces conditions, le Comité conclut que le choix des moyens que le tribunal considérait comme recevables, en particulier en l’absence de tout élément de preuve confirmé par le mineur, de même que l’appréciation des moyens de preuve, était clairement arbitraire, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
7.3Compte tenu de la conclusion relative au paragraphe 1 de l’article 14, il n’est pas nécessaire d’examiner le grief tiré du paragraphe 2 de l’article 14.
7.4En ce qui concerne le grief de retard excessif dans la procédure, le Comité constate que la Cour suprême a rendu son arrêt le 10 février 2003, soit plus de 41 mois après que le pourvoi en cassation eut été formé le 3 septembre 1999 puis complété par des mémoires d’appel, dont le dernier est daté du 25 mai 2000. Il s’est donc écoulé deux ans et huit mois entre la présentation du dernier mémoire d’appel et le prononcé de l’arrêt de la Cour suprême. Au total, six ans et demi sont passés entre la date de l’arrestation de l’auteur et celle de l’arrêt de la Cour suprême. Au vu des informations soumises au Comité, ces retards ne tiennent pas aux démarches de l’auteur. En l’absence d’explications satisfaisantes de la part de l’État partie, le Comité conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l’article 14.
7.5Pour ce qui est du droit de procéder au contre-interrogatoire d’un témoin capital de l’accusation, dont l’auteur affirme avoir été privé, le Comité relève que, selon l’État partie, l’auteur avait la possibilité d’interroger les fonctionnaires qui avaient également porté plainte contre lui, et qu’il l’a fait. Le Comité constate cependant que le mineur n’a pas pu, semble‑t‑il, être localisé, pas plus que ses parents, alors qu’il avait été cité à comparaître en qualité de témoin. Le Comité rappelle en outre qu’un crédit considérable a été accordé aux déclarations faites par le témoin hors audience. Attendu que l’auteur n’a pas pu interroger le mineur alors que celui‑ci était le seul témoin oculaire de l’infraction présumée2, le Comité conclut que l’auteur a été victime d’une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14.
7.6En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, le Comité note que l’auteur affirme que la Cour suprême l’a privé de son droit de faire appel qui, selon lui, soulevait des questions de droit, sans examiner l’affaire au principal, au motif que cette cour ne réexamine que des questions de droit. Il ne fait pas valoir que ce jugement n’a pas été réexaminé par une instance supérieure. En outre, les faits montrent que la condamnation de l’auteur par le tribunal de première instance a été réexaminée par la cour d’appel qui est une instance supérieure au sens du paragraphe 5 de l’article 14. Le Comité observe que cet article ne garantit pas un réexamen par plus d’un tribunal. Le Comité conclut par conséquent que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
7.7En ce qui concerne le grief de violation du droit de ne pas faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraires, il est incontesté que l’auteur a été arrêté sans mandat. L’État partie n’a pas contesté cette allégation, pas plus qu’il n’a donné de justification de l’arrestation de l’auteur sans mandat. Le Comité conclut que l’auteur a été victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.
7.8En ce qui concerne le grief formulé par l’auteur au titre de l’article 7, le Comité rappelle que les États parties ont l’obligation de respecter certaines normes minimales en matière de conditions de détention, et qu’ils sont notamment tenus de fournir des services médicaux et de faire soigner les détenus malades, conformément à la règle 22, paragraphe 2, de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus3. Selon ses propres dires, qui n’ont pas été contestés, l’auteur a manifestement enduré des douleurs intenses causées par des problèmes graves aux reins et n’a pas pu obtenir des autorités pénitentiaires un traitement médical adéquat. Attendu que l’auteur a enduré ces souffrances pendant une période considérablement longue, de 2001 jusqu’à sa libération en septembre 2003, le Comité conclut qu’il a été victime d’une violation de l’article 7. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres griefs formulés par l’auteur au titre de l’article 7 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 1 et 3 c) et e) de l’article 14, du paragraphe 1 de l’article 9 et de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur un recours utile sous la forme d’une indemnisation adéquate, entre autres, pour la période qu’il a passée en détention.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non-violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
P. Communication n o 1095/2002, Gomaríz c. Espagne (Constatations adoptées le 22 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Bernardino Gomaríz Valera(représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
4 septembre 1997 (date de la lettre initiale) |
Objet:Respect des garanties judiciaires dans un procès pénal.
Questions de procédure:Justification suffisante des allégations de violation − épuisement des recours internes.
Questions de fond: Droit d’être jugé sans retard excessif − droit de ne pas être forcé de témoigner contre soi‑même ou de s’avouer coupable − droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi.
Articles du Pacte: 14 (par. 3 c) et g) et par. 5).
Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1095/2002 présentée au nom de M. Bernardino Gomaríz Valera en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication, datée du 4 septembre 1997, est Bernardino Gomaríz Valera, né en 1960, de nationalité espagnole. Il se déclare victime de violations de la part de l’Espagne du paragraphe 3 c) et g) et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, José Luis Mazón Costa.
Rappel des faits
2.1L’auteur était animateur des ventes dans une entreprise de Murcie, Coloniales Pellicer S.A. Le 20 janvier 1989, il a fait sous seing privé une reconnaissance de dette en faveur de son entreprise. Après avoir signé cet acte, l’auteur a continué à travailler pour l’entreprise jusqu’au mois de mai 1990, date à laquelle il a été licencié. L’auteur et l’entreprise ont conclu un accord de conciliation devant le juge aux affaires sociales no 4 de Murcie, mettant fin au contrat de travail et déduisant les sommes dues à l’auteur au titre des salaires et de la liquidation du montant de la dette que l’auteur avait reconnue en janvier 1989.
2.2L’entreprise a porté plainte contre l’auteur pour détournement de fonds. Le 16 mai 1996, la deuxième chambre du tribunal pénal de Murcie a acquitté l’auteur. L’entreprise a fait appel et le 16 septembre 1996 l’Audiencia Provincial a reconnu l’auteur coupable de détournement de fonds et l’a condamné à un emprisonnement de cinq mois, à la suspension de son emploi, d’une charge publique et de l’exercice du droit de vote ainsi qu’aux dépens.
2.3L’auteur a formé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, qui l’a rejeté en date du 29 janvier 1997. Dans son recours, l’auteur faisait valoir que le droit de ne pas témoigner contre soi‑même avait été violé parce que sa condamnation avait pour unique fondement la reconnaissance de dette qu’il avait signée en faveur de l’entreprise et faisait valoir en outre une violation du droit d’être jugé sans retard excessif. L’auteur avait bien avancé cette dernière allégation au début de l’audience, comme l’exige la loi de procédure pénale, mais le Tribunal constitutionnel n’en a pas moins considéré que l’auteur avait avancé cet argument après épuisement des délais. En ce qui concerne l’allégation de violation du droit de ne pas s’avouer coupable, il ressort de l’arrêt du Tribunal constitutionnel joint par l’auteur que le Tribunal avait conclu que le fait d’avoir retenu comme preuve la reconnaissance de dette ne portait en rien atteinte au droit de ne pas s’avouer coupable puisqu’elle avait été signée avant l’action au pénal et que l’auteur n’alléguait pas qu’il avait signé la reconnaissance de dette sous la contrainte.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur invoque une violation du droit de ne pas être forcé de s’avouer coupable (art. 14, par. 3 g), du Pacte), étant donné que la seule preuve retenue pour le condamner est la reconnaissance de dette qu’il avait signée bien avant le début de l’action pénale. Il fait valoir que cette preuve a été obtenue par tromperie parce que le but de la signature de la reconnaissance de dette avait été de normaliser sa situation dans l’entreprise.
3.2L’auteur invoque une violation du droit d’être jugé sans retard excessif (art. 14, par. 3 c), du Pacte) du fait qu’il s’est écoulé 3 ans, 4 mois et 29 jours entre l’ouverture de la procédure et le jour où s’est tenue l’audience de jugement. L’affaire n’était pas complexe au point de justifier une telle durée.
3.3L’auteur avance une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte tenant au fait qu’il a été condamné pour la première fois en seconde instance, par la juridiction d’appel, et n’a pas eu la possibilité de demander le réexamen de la condamnation devant une juridiction supérieure. Ce grief n’a pas fait l’objet du recours en amparo formé devant le Tribunal constitutionnel, mais l’auteur estime qu’une telle démarche aurait été inutile étant donné que la loi de procédure pénale ne prévoit pas la possibilité de faire appel d’une décision rendue par une juridiction d’appel qui condamne pour la première fois l’accusé. D’après la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, les recours en amparo contestant des normes légales ne sont pas recevables quand ils sont formés par des particuliers et non pas par des organes constitutionnellement habilités à contester la constitutionnalité des lois. De plus, l’auteur se réfère à l’arrêt du 26 juin 1999 dans lequel le Tribunal constitutionnel a établi qu’une condamnation prononcée par la juridiction d’appel après acquittement par la juridiction de première instance ne constituait pas une violation du droit à un double degré de juridiction.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1En ce qui concerne les faits relatés par l’auteur, l’État partie indique que dans l’acte de reconnaissance de dette il est écrit que, sans que l’entreprise le sache ni y consente, l’auteur a retenu 4 725 369 pesetas et qu’il a continué à travailler dans l’entreprise pour rembourser la dette. Plus tard, l’auteur a fait valoir qu’une somme de sept millions de pesetas, correspondant à des paiements effectués par des clients de l’entreprise, lui avait été soustraite à son domicile. Pour cette raison, l’entreprise avait perdu toute confiance en son salarié et l’avait licencié le 4 février 1991; elle avait par la suite engagé une action pénale contre lui.
4.2L’État partie invoque le non‑épuisement des recours internes relativement au grief de violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte. Il fait valoir qu’en Espagne le droit d’être jugé sans retard excessif est protégé de deux façons. Premièrement, par une réparation au fond. Si un retard excessif est en train de se produire, l’intéressé peut protester auprès du juge saisi de l’affaire et si celui‑ci ne rectifie pas la situation il peut s’adresser au Tribunal constitutionnel qui détermine si le grief est fondé, auquel cas elle ordonne qu’il soit immédiatement mis fin au retard. Deuxièmement, par une indemnisation. L’intéressé doit demander des dommages‑intérêts pour le retard qu’il a subi, suivant la procédure prévue par la loi. D’après la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, l’indemnisation est un recours interne valable et utile et si le requérant n’en a pas fait usage, sa requête est rejetée pour non‑épuisement des recours. En l’espèce, l’État partie objecte que pendant l’instruction de l’affaire (3 ans et 11 jours), l’auteur n’a jamais demandé la réparation au fond. Une fois l’instruction achevée, au début du procès, l’auteur a avancé le grief de la durée excessive de l’instruction, qui était déjà close. Les délais étant épuisés, l’auteur devait demander une indemnisation. Vu qu’il ne l’a pas fait, son grief est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes.
4.3En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 3 g) de l’article 14, l’État partie répond que l’acte écrit dans lequel l’auteur reconnaît avoir retenu l’argent de l’entreprise a été signé avant le procès pénal, et que le droit de ne pas se déclarer coupable ne s’applique qu’au procès pénal. L’auteur a signé librement la reconnaissance de dette et n’a jamais affirmé qu’il a été contraint d’une quelconque manière de l’écrire. La reconnaissance de dette et son contenu ont servi à acquitter l’auteur en première instance, le juge ayant considéré que cet acte constituait la preuve que l’auteur n’avait pas l’intention de s’approprier l’argent. L’Audiencia Provincial a annulé le jugement, concluant au contraire qu’il y avait bien eu volonté d’appropriation. L’État partie fait valoir que si le document a pu être retenu comme preuve pour rendre un jugement d’acquittement, il est incohérent d’essayer ensuite de le rejeter dans le cas d’un jugement de condamnation, surtout si l’on considère le comportement ultérieur de l’auteur. L’État partie affirme que ce grief est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif ou, à défaut, qu’il n’y a pas de violation.
4.4Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’État partie avance qu’elle est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes. L’auteur aurait dû introduire un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. L’auteur affirme qu’un particulier ne peut pas former un recours en amparo pour contester la constitutionnalité de dispositions législatives mais l’État partie conteste cette affirmation étant donné que la loi permet expressément le recours en amparo quand un particulier s’estime victime d’une violation de ses droits fondamentaux. Pour ce qui est du fond de ce grief, l’État partie dit que le droit au double degré de juridiction ne peut pas être interprété de façon absurde comme étant le droit à un double degré du double degré du double degré, et il invoque l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, dont le paragraphe 2 dispose que le droit à un double degré de juridiction peut faire l’objet d’exceptions lorsque l’intéressé a été condamné à la suite d’un recours contre son acquittement en première instance. L’État partie ajoute que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte ne peut pas être entendu comme interdisant à la partie poursuivante d’engager un recours. Le droit reconnu au paragraphe 5 de l’article 14 vise à éviter que quelqu’un ne se retrouve sans protection, ce qui ne s’est pas produit dans le cas de l’auteur puisque ses griefs ont été examinés et que l’affaire a été tranchée dans le respect du droit par deux autorités judiciaires distinctes; on ne peut donc pas soutenir que l’affaire n’a pas été réexaminée.
4.5L’État partie ajoute que dans la première communication, datée de septembre 1997, il n’était pas question d’une éventuelle violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, ce grief apparaissant pour la première fois en décembre 1999. Dans une lettre du 23 avril 2001, l’auteur a invoqué le texte de la décision du Tribunal constitutionnel, en date du 28 juin 1999, donc rendue deux ans après le dépôt de la communication initiale et dont l’auteur se prévaut pour faire valoir qu’il n’était pas nécessaire d’introduire un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. L’État partie affirme que cette décision n’a pas pour effet de dispenser de l’obligation d’épuiser les recours internes établie par le paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il conclut que la communication doit être déclarée irrecevable parce que l’auteur n’a jamais soulevé devant les juridictions internes la question des faits éventuellement constitutifs d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte, l’auteur maintient qu’il est évident que le temps écoulé entre la plainte et le jugement, c’est-à-dire plus de trois ans, est incompatible avec le droit d’être jugé sans retard excessif.
5.2Pour ce qui est de la violation du paragraphe 3 g) de l’article 14, l’auteur maintient que le droit de ne pas se déclarer coupable non seulement signifie que l’auto‑incrimination est interdite pendant le procès mais a aussi d’autres implications. En l’espèce, l’auteur a été condamné exclusivement sur la base de la reconnaissance de dette qu’il avait signée 17 mois avant le dépôt de la plainte, et cette déclaration visait à régler ses différends avec l’entreprise. Ni l’entreprise ni le parquet n’ont apporté de preuve directe de la commission d’un délit de détournement de fonds. Il est évident que la reconnaissance de dette avait été écrite dans un climat de confiance et avec la volonté de régulariser plusieurs dettes contractées par l’auteur. L’auto‑incrimination faite en dehors du procès et dans un climat de confiance ne peut pas servir d’unique fondement à une condamnation, car en ce cas il y a atteinte au droit de ne pas témoigner contre soi‑même et de ne pas s’avouer coupable, qui recouvre également le droit de ne pas être amené par la tromperie à témoigner contre soi-même.
5.3En ce qui concerne la violation alléguée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’auteur réaffirme qu’il a été condamné pour la première fois par une juridiction d’appel. Il affirme que, à la différence d’autres États parties, l’Espagne n’a pas émis de réserve au Pacte tendant à exclure le cas où la condamnation est prononcée après qu’une décision d’acquittement a été attaquée en appel. Il ajoute que l’État partie a l’obligation de garantir le droit de faire réexaminer une condamnation quand celle‑ci est prononcée pour la première fois en seconde instance. L’auteur reconnaît qu’il s’est trompé en affirmant dans la communication initiale que les particuliers ne pouvaient pas former le recours en amparo pour contester la constitutionalité de lois qui portent atteinte aux droits fondamentaux. Cela étant, il n’aurait servi à rien d’introduire le recours en amparo puisque, selon la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, il n’y a pas violation du droit au double degré de juridiction quand la condamnation est prononcée pour la première fois par la juridiction d’appel.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
6.2En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, le Comité relève que l’auteur reconnaît qu’il a signé volontairement la reconnaissance de dette, avant les poursuites pénales, et que dans ce document il a reconnu avoir conservé de l’argent qui appartenait à l’entreprise, sans que celle‑ci le sache ni l’accepte. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que le libellé du paragraphe 3 g) de l’article 14 − personne ne doit être forcé de témoigner contre soi‑même ou de s’avouer coupable − doit être interprété comme interdisant l’exercice de pression physique ou psychique directe ou indirecte sur la personne de l’accusé de la part des autorités chargées de l’enquête afin de lui faire avouer sa culpabilité. Pour ce qui est de l’argument de l’auteur qui fait valoir que la reconnaissance de dette, preuve obtenue extrajudiciairement, a été l’unique fondement de la condamnation, le Comité relève que le jugement énonçait comme motif de condamnation le comportement de l’auteur antérieurement, simultanément et postérieurement à la signature de la reconnaissance de dette, comportement qui de l’avis du Tribunal attestait l’intention dolosive de l’auteur. Suivant sa jurisprudence constante, le Comité réaffirme qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’appréciation des faits et des preuves par les juridictions internes, sauf si celle‑ci a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le Comité conclut que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, le grief de violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte et que par conséquent cette partie de la communication est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.
6.3En ce qui concerne le grief tiré de la durée excessive de la procédure, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur aurait pu faire une demande de réparation au fond pour faire cesser les retards et, qu’il aurait pu, à défaut, demander une indemnisation. Le Comité relève que l’auteur n’a pas contesté l’argument de l’État partie qui affirme que l’indemnisation constitue un recours utile ni apporté des éléments permettant de l’infirmer. Il considère par conséquent que cette partie de la communication est irrecevable conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.4En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, le Comité prend note de l’argument de l’auteur qui affirme qu’un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel aurait été vain en raison de la jurisprudence de cette juridiction, qui a établi qu’il n’y a pas violation du droit au double degré de juridiction lorsque la condamnation est prononcée pour la première fois en appel. À ce sujet, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il y a lieu d’épuiser uniquement les recours qui ont une chance raisonnable d’aboutir, et réaffirme que, lorsque la jurisprudence de la plus haute juridiction d’un État sur la question objet du litige est telle que toute possibilité de succès d’un recours devant les juridictions internes est exclue, l’auteur n’est pas tenu d’épuiser les recours internes aux fins du Protocole facultatif. En l’espèce, cette décision a été adoptée au sujet d’une affaire légèrement postérieure, mais qui tendait à confirmer qu’il aurait été inutile d’utiliser cette voie de recours.
6.5En conséquence, le Comité considère que le grief de violation du paragraphe 5 de l’article 14 est recevable et doit être examiné quant au fond.
7.1Le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte consacre le droit de toute personne déclarée coupable d’une infraction de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi. Le Comité rappelle que l’expression «conformément à la loi» ne doit pas s’entendre comme laissant l’existence même du droit de révision à la discrétion des États parties. Au contraire, l’expression «conformément à la loi» vise les modalités selon lesquelles le réexamen par une juridiction supérieure doit être effectué. Le paragraphe 5 de l’article 14 garantit non seulement que la décision doit être soumise à une juridiction supérieure, comme cela s’est produit dans le cas de l’auteur, mais aussi que la déclaration de culpabilité doit elle aussi être soumise à une juridiction du second degré, ce qui ne s’est pas produit dans le cas de l’auteur. Le fait qu’une personne acquittée en première instance soit condamnée en appel par la juridiction du second degré ne saurait à lui seul, en l’absence d’une réserve de l’État partie, compromettre l’exercice du droit de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la peine par une juridiction supérieure. En conséquence, le Comité conclut que les faits exposés dans la communication font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile sous la forme du réexamen de sa déclaration de culpabilité par une juridiction supérieure.
10.En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. Conformément à l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en espagnol (version originale) en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion dissidente formulée par M me Elisabeth Palm, à laquelle s’associent M. Nisuke Ando et M. Michael O’Flaherty
J’ai le regret de ne pas pouvoir souscrire au point de vue de la majorité des membres du Comité selon lequel, dans le cas d’espèce, l’auteur n’était pas tenu d’épuiser les recours internes.
L’auteur fait valoir que, en l’occurrence, un recours en amparo aurait été inutile. L’État partie est d’un avis opposé. Je constate que, dans la première communication, datée de septembre 1997, l’auteur n’invoquait pas de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, ce grief apparaissant pour la première fois en décembre 1999. Dans la lettre qu’il a adressée le 23 avril 2001, l’auteur a invoqué le texte de la décision du Tribunal constitutionnel du 28 juin 1999 pour faire valoir qu’il n’était pas nécessaire d’introduire un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel.
Conformément à la jurisprudence du Comité, l’auteur d’une communication est tenu d’épuiser uniquement les recours qui ont une chance raisonnable d’aboutir. Lorsqu’il est établi par la jurisprudence qu’un appel aurait été inutile, il n’est pas nécessaire d’épuiser cette voie de recours. Dans le cas d’espèce, l’auteur avait la possibilité d’introduire un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, pour faire valoir que ses droits fondamentaux avaient été violés du fait que la loi de procédure pénale ne prévoyait pas la possibilité de faire appel d’une décision rendue par une juridiction du second degré qui a condamné pour la première fois l’accusé. L’auteur n’a toutefois pas introduit de recours en amparo.
À l’époque où l’affaire a été tranchée (le 29 janvier 1997), il n’existait pas de jurisprudence du Tribunal constitutionnel. Ce n’est que le 26 juin 1999 que cette juridiction a établi qu’une condamnation prononcée par une juridiction d’appel après acquittement par le tribunal de première instance ne constituait pas une violation du droit à un double degré de juridiction.
À mon sens, l’auteur ne peut pas prétendre avoir épuisé les recours internes en se fondant sur une décision du Tribunal constitutionnel rendue près de deux ans et demi après que son affaire a été tranchée. Étant donné qu’à l’époque il n’y avait pas de pratique établie ni de jurisprudence en la matière, l’auteur aurait dû introduire un recours en amparo. Il ne l’a pas fait. En conséquence, je considère qu’il n’a pas épuisé les recours internes relativement au grief de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
(Signé)Elisabeth Palm(Signé) Nisuke Ando(Signé) Michael O’Flaherty
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Opinion individuelle formulée par M me Ruth Wedgwood, membre du Comité
Je partage les doutes de ma collègue Elisabeth Palm quant à l’opportunité de se prononcer sur le fond de la plainte de l’auteur alléguant le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, parce que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes. Lorsqu’il a introduit un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel d’Espagne à la fin de 1996, l’auteur n’a invoqué parmi les motifs déclarés de sa requête rien qui ressemble à la plainte dont a été saisi le Comité des droits de l’homme. Il s’est notamment abstenu d’invoquer devant le Tribunal le fait que la loi de procédure pénale espagnole présentait une déficience en ce qu’elle n’accordait pas le droit de faire appel d’une condamnation prononcée par une juridiction de deuxième degré. En fait, l’auteur n’avait pas non plus élevé ce grief devant le Comité des droits de l’homme dans sa communication d’origine, en septembre 1997, et ne l’a mentionné qu’en 1999. (L’affaire n’a été formellement inscrite au rôle du Comité qu’en 2002.)
L’arrêt rendu par le Tribunal constitutionnel dans une autre affaire plus tardive ne devrait pas être une considération critique pour cette question des recours, même si l’on admet qu’il règle la question. D’une part, beaucoup de systèmes juridiques refusent à juste titre de donner un effet rétroactif à une règle nouvelle, à moins que la partie en cause n’ait déjà soulevé le point dont il s’agit devant un tribunal interne. Il appartient à cette partie en cause de protéger la validité de sa plainte en soulevant ledit point en temps utile. En l’espèce, l’auteur est représenté par un conseil, et cela justifie d’autant plus l’application ordinaire de la condition de l’épuisement préalable.
D’autre part, la validité des prétentions que l’auteur fonde sur le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte semble plus problématique que ne le donneraient à penser les constatations du Comité. Celui‑ci déclare tout simplement (par. 7.1) que «le fait qu’une personne acquittée en première instance soit condamnée en appel par la juridiction du second degré ne saurait à lui seul […] compromettre l’exercice du droit de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la peine par une juridiction supérieure». Le Comité s’engage là sur un terrain nouveau et si sa règle était largement appliquée, elle perturberait le système judiciaire de beaucoup de pays de tradition romaine.
On sait bien que, dans la tradition juridique des pays de common law, une cour d’appel ne peut pas revenir sur l’acquittement prononcé par une instance de degré inférieur et, si elle le faisait, cela soulèverait de graves questions constitutionnelles. L’indépendance historique du jury en common law a protégé de toute révision les acquittements qu’il a prononcés.
Mais dans les pays de tradition romaine, y compris des États comme l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne, le Luxembourg et la Norvège, l’acquittement par une juridiction de premier degré peut apparemment être annulé en révision par la condamnation d’une juridiction supérieure − et il peut ne plus y avoir de recours possible en droit au‑delà de ce deuxième degré. Les tribunaux internationaux institués par le Conseil de sécurité de l’ONU pour juger les crimes de guerre commis dans l’ex‑Yougoslavie et au Rwanda donnent le même pouvoir à la chambre d’appel, sans aucun droit de révision possible.
Les cinq pays européens qui viennent d’être cités ont formulé des réserves au Pacte international relatif aux droits civils et politiques afin de conserver leur droit de prononcer des condamnations au stade de l’appel, sans révision possible. Mais comme Mohamed Shahabuddeen l’a fait remarquer dans un autre contexte, «certaines de ces déclarations se rapprochent de déclarations interprétatives», c’est‑à‑dire qu’elles sont formulées comme des éclaircissements sur ce que le Pacte est censé signifier initialement.
D’autre part, le Comité devrait tenir compte du Protocole no 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, entré en vigueur le 1er novembre 1988. Le paragraphe 1 de l’article 2 garantit à toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale «le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation». Mais le paragraphe 2 du même article ajoute que ce droit peut faire l’objet «d’exceptions lorsque l’intéressé a été jugé en première instance par la plus haute juridiction ou a été déclaré coupable et condamné à la suite d’un recours contre son acquittement».
Il va sans dire que la Convention européenne ne détermine pas la jurisprudence du Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Tel qu’il est formulé, le paragraphe 2 de l’article 2 du Protocole 7 va au‑delà du texte du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Mais il est difficile d’imaginer, comme l’a justement fait observer Shahabuddeen, que les 35 [36 maintenant] États parties au Protocole 7 «avaient l’intention d’agir en s’écartant des obligations fixées au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte». Lorsqu’il a pris sa décision aujourd’hui, le Comité ne s’est pas demandé dans quelle mesure la pratique de ces 36 États, ou autres signataires du Pacte, pouvait être différente de la norme qu’il appliquait.
Dans un domaine aussi fondamental que la structure de l’appareil judiciaire national des pays de tradition romaine, nous devrions prêter attention à l’opinion des États parties ainsi qu’à leur pratique générale. Cela vaut particulièrement lorsqu’il s’agit d’interpréter le texte d’une disposition du Pacte dont les travaux préparatoires sont eux‑mêmes ambigus et lorsque certains États ont explicitement réservé leur droit de maintenir cette pratique sans que les autres États parties y aient fait objection.
D’ailleurs, le Comité a déjà affirmé que «la validité internationale de la réserve [au paragraphe 5 de l’article 14] ne fait aucun doute» dans le cas d’une condamnation prononcée par la Cour constitutionnelle italienne, siégeant en première instance et jugeant sans appel. [Voir Fanali c. Italie, communication no 75/1980, paragraphe 11.6.] Nous avons interprété la réserve italienne comme s’appliquant à des parties qui n’y sont pas expressément mentionnées.
Pour ces raisons, je considérerais la décision d’aujourd’hui comme limitée aux faits de l’espèce et aux parties en présence, et la règle qu’elle pose comme appelant un examen ultérieur plus approfondi.
(Signé) Ruth Wedgwood
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Q. Communication n o 1101/2002, Alba Cabriada c. Espagne (Constatations adoptées le 1 er novembre 2004, quatre-vingt-deuxième session)
Présentée par: |
M. José María Alba Cabriada (représenté par un conseil, M. Ginés Santidrán) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
19 juin 2002 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er novembre 2004,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1101/2002, présentée au nom de M. José María Alba Cabriada en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est M. José María Alba Cabriada, citoyen espagnol, né à Algeciras (Cadix) en 1972. Il dit être victime de violations par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil.
Rappel des faits
2.1Le 4 avril 1997, l’Audiencia Provincial de Cadix a condamné l’auteur à dix ans et un jour de prison, à une suspension de charge publique et à une amende de 120 millions de pesetas pour atteinte à la santé publique. Selon le jugement, l’auteur avait fait l’objet d’une surveillance de la part d’agents de la brigade des stupéfiants en raison de sa participation présumée à la distribution de substances narcotiques. L’auteur a été arrêté en même tant qu’un ressortissant irlandais, sur lequel ont été saisis 2 996 cachets d’une substance qui s’est avérée être un dérivé amphétaminique connu sous le nom de MDA. Le jugement établit que l’auteur servait d’intermédiaire au ressortissant irlandais pour la distribution de la drogue à des tiers.
2.2L’auteur s’est pourvu en cassation devant le Tribunal suprême, en faisant valoir que le droit à la présomption d’innocence avait été violé et que l’appréciation des éléments de preuve était entachée d’erreur. S’agissant de la présomption d’innocence, l’auteur a soutenu que sa condamnation s’était fondée sur une preuve par indices et que les déductions auxquelles était parvenu le tribunal d’instance étaient insuffisantes pour nier son innocence. En ce qui concerne l’erreur dans l’appréciation des éléments de preuve, l’auteur soutient que le tribunal a considéré que la substance saisie était de la MDA alors qu’un rapport diffusé par le Ministère de la santé et de la consommation établissait qu’il s’agissait d’une substance connue sous le nom de MDEA.
2.3Par un arrêt du 27 janvier 1999, le Tribunal suprême a rejeté le pourvoi en cassation. S’agissant de la violation alléguée de la présomption d’innocence, le Tribunal a indiqué qu’il lui incombait de vérifieruniquement s’il existait plusieurs indices dûment établis, s’ils étaient concomitants et interdépendants, et si les conclusions ou les déductions auxquelles était parvenu le tribunal d’instance étaient fondées sur des règles de logique et d’expérience rationnelles, ceci afin de déterminer que la déduction logique faite par le tribunal n’était pas irrationnelle, capricieuse, absurde ou extravagante mais en conformité avec les règles de la logique et de l’expérience. Le Tribunal a déclaré qu’il lui était formellement interdit de procéder à une nouvelle appréciation des faits considérés comme des indices par le tribunal de première instance, dans la mesure où cette fonction appartenait exclusivement, conformément à la loi, à la juridiction de jugement. S’agissant de l’allégation selon laquelle l’appréciation des éléments de preuve serait entachée d’une erreur de fait, le Tribunal suprême a déclaré que le rapport du Ministère de la santé et de la consommation indiquait que la substance confisquée avait été initialement considérée comme de la MDMA, mais qu’il est ensuite apparu qu’il s’agissait de MDEA ou de MDA, deux dérivés amphétaminiques.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur allègue que les dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte ont été violées, étant donné que le Tribunal suprême n’a pas apprécié les éléments de preuve. Selon lui, cette restriction constitue une violation du droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation dont il a fait l’objet.
3.2L’auteur soutient également que la loi de procédure pénale espagnole viole le paragraphe 5 de l’article 14 et l’article 26 du Pacte, dans la mesure où les affaires impliquant des personnes accusées des infractions les plus graves sont instruites par un seul magistrat (le juge d’instruction) qui, après avoir procédé à l’instruction, les transmet à l’Audiencia Provincial, juridiction dans laquelle trois magistrats prennent part à la procédure et au prononcé de la peine. Cette décision ne peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation que pour des motifs juridiques très limités, et la juridiction de cassation n’a pas la possibilité de réévaluer les éléments de preuve. En revanche, les affaires dans lesquelles des personnes sont condamnées pour des infractions moins graves, passibles de peines inférieures à six ans de prison, sont instruites par un seul magistrat (le juge d’instruction) qui, lorsque l’affaire est en état d’être jugée, transmet le dossier à un juge unique ad quo (le juge pénal), dont la décision peut faire l’objet d’un recours devant l’Audiencia Provincial, laquelle procède à un réexamen effectif non seulement de l’application du droit mais aussi des faits.
3.3L’auteur n’a pas présenté de recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. Selon lui, il est de jurisprudence constante que le Tribunal constitutionnel rejette le recours en amparo, ce qui le rend inutile. Il soutient que la jurisprudence du Comité établit que seuls doivent être épuisés les recours utiles dont dispose effectivement l’auteur.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1L’État partie signale que l’auteur a présenté la communication plus de deux ans et demi après l’arrêt du Tribunal suprême. Il ajoute que l’auteur n’a pas introduit de recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel et a tenté de justifier l’absence de recours internes en alléguant l’existence d’une jurisprudence nombreuse et variée qui tend à rejeter le recours en amparo, ce qui le rend inutile.
4.2L’État partie soutient que le paragraphe 5 de l’article 14 n’établit pas un droit à une seconde instance comportant un réexamen complet de l’affaire, mais le droit à ce qu’une juridiction supérieure statue sur le bien‑fondé du jugement rendu en première instance, en examinant l’application des règles de droit qui fondent la déclaration de culpabilité et le prononcé de la peine dans le cas d’espèce. Le nouvel examen a pour objet de vérifier que la décision en première instance n’est pas manifestement arbitraire et qu’elle n’a pas constitué un déni de justice.
4.3L’État partie fait valoir que le pourvoi en cassation trouve son origine dans le système de cassation français et que, pour des raisons historiques et philosophiques, il a pris la forme d’un examen limité aux questions de droit, présentant des caractéristiques identiques dans plusieurs pays européens. L’État partie précise que la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que les États parties conservent la faculté de décider des modalités d’exercice du droit à réexamen et peuvent en restreindre l’étendue à des questions de droit.
4.4Selon l’État partie, le pourvoi en cassation en Espagne, plus étendu que la cassation initiale française, est conforme aux exigences énoncées au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il ajoute que le droit à la double instance ne comporte pas le droit à une nouvelle appréciation des éléments de preuve, mais signifie que les juridictions de seconde instance examinent les éléments de fait et de droit et la décision judiciaire, laquelle est maintenue, sauf en cas de décision arbitraire ou de déni de justice. Il précise que c’est exactement ce qui s’est passé dans le cas d’espèce: dans son jugement, le Tribunal suprême a constaté qu’il existait des indices permettant d’établir la culpabilité de l’auteur, qu’il s’agissait d’indices concomitants et interdépendants, que le tribunal de première instance s’est livré à un raisonnement par déduction pour établir la culpabilité de l’auteur, et que ce raisonnement n’est pas arbitraire mais conforme à la logique et à des principes découlant de l’expérience.
4.5L’État partie soutient que les constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vásquez ne sauraient être généralisées, puisqu’elles ne concernent que le cas d’espèce pour lequel elles ont été adoptées. Il met également l’accent sur la contradiction manifeste qui existe en matière de protection internationale du droit à un double degré de juridiction, contradiction qui découle de l’interprétation différente que font la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité des droits de l’homme d’un même texte.
4.6L’État partie conclut que l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14 doit être déclarée irrecevable en ce qu’elle est fondée sur un abus du droit de présenter une communication.
4.7S’agissant de la violation du paragraphe 5 de l’article 14, lu conjointement avec l’article 26 du Pacte, l’État partie cite les constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vásquez, dans laquelle le Comité a considéré que le fait de traiter différemment des délits différents ne constitue pas nécessairement une discrimination. Il en conclut que cette partie de la communication doit être déclarée irrecevable, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif, l’allégation n’étant pas suffisamment motivée.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1L’auteur soutient qu’il n’était pas tenu d’introduire un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel dans la mesure où ce recours ne constitue pas un moyen utile pour remédier à la violation dénoncée devant le Comité. Il précise que l’État partie a invoqué le texte de l’arrêt du Tribunal suprême concernant son affaire, dans lequel il est dit expressément que tant le Tribunal suprême que le Tribunal constitutionnel ne sont pas compétents pour procéder à un réexamen des faits et des éléments de preuve.
5.2L’auteur indique que les constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vásquez établissent manifestement que la législation espagnole n’est pas conforme aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, et que l’État partie n’a pas adopté de mesures visant à remédier à cette situation, malgré la recommandation du Comité.
5.3L’auteur soutient qu’il n’a pas demandé au Comité d’examiner in abstracto la législation de l’État partie, mais de constater que celle-ci est inadaptée à son cas concret. Il insiste sur le fait que le droit au réexamen comprend une nouvelle appréciation des éléments de preuve et que le Tribunal suprême a expressément exclu cette possibilité en déclarant que «… il est formellement interdit tant au Tribunal constitutionnel, dans une procédure d’amparo, qu’à la seconde chambre qui connaît de l’affaire, en cassation, de procéder à une nouvelle appréciation des faits ou des indices, cette fonction étant de la compétence exclusive, en vertu de l’article 117.3 de la Constitution et de l’article 741 de la loi de procédure pénale, de la juridiction de jugement, dans la mesure où un éventuel réexamen du bien-fondé des éléments de preuve constituerait une atteinte inadmissible à la décision souveraine de la juridiction de jugement…». L’auteur considère que le Tribunal suprême s’est borné à réexaminer les aspects formels et légaux de la procédure, mais n’a pas procédé à un réexamen complet du jugement et de la condamnation.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
6.2Le Comité s’est assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que, par conséquent, les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à ce que la plainte soit examinée.
6.3L’État partie affirme que c’est plus de deux ans et demi après l’arrêt du Tribunal suprême que l’auteur a présenté la plainte au Comité. Il semble alléguer que la communication devrait être considérée irrecevable en ce qu’elle constitue un abus du droit de présenter une communication en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, compte tenu du délai écoulé depuis le prononcé du jugement. Le Comité observe que le Protocole facultatif ne soumet la présentation des communications à aucun délai et que le laps de temps écoulé avant d’en soumettre une ne constitue pas en soi, hormis dans des cas exceptionnels, un abus du droit de présenter des communications. Par ailleurs, l’État partie n’a pas non plus dûment expliqué pourquoi il considère qu’un délai de plus de deux ans serait excessif en l’espèce.
6.4L’État partie a soutenu que les recours internes n’ont pas été épuisés, l’auteur n’ayant pas introduit de recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. L’auteur fait valoir qu’un tel recours n’était pas nécessaire puisqu’il n’avait aucune chance d’aboutir compte tenu de l’existence d’une jurisprudence nombreuse et variée rejetant le recours en amparo, ce qui le rend inutile.
6.5Selon une jurisprudence constante, le Comité estime que seules doivent être épuisées les voies de recours qui ont des chances d’aboutir. En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, le Comité observe que ni l’auteur ni l’État partie ne contestent l’arrêt du Tribunal suprême, qui précise qu’en vertu d’une interdiction légale le Tribunal constitutionnel ne peut se livrer à une nouvelle appréciation des faits et des éléments de preuve établis en première instance. Le Comité considère, par conséquent, que le recours en amparo n’avait aucune possibilité d’aboutir en ce qui concerne la violation alléguée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, et que l’auteur a donc épuisé les recours internes susceptibles d’être engagés à cet égard.
6.6L’État partie soutient également que la partie de la communication relative à la violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte doit être déclarée irrecevable en ce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications. Le Comité fait observer que l’État partie n’a pas suffisamment étayé l’argument selon lequel l’allégation de l’auteur constituerait un abus du droit de présenter des communications, et il considère que la plainte soulève des questions susceptibles d’affecter le droit reconnu au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte; cette partie de la communication est donc jugée recevable.
6.7L’État partie fait valoir que la violation alléguée du paragraphe 5 de l’article 14 lu conjointement avec l’article 26 du Pacte doit être déclarée irrecevable dans la mesure où elle n’a pas été suffisamment étayée. L’auteur considère que le système de recours tel qu’il existe dans l’État partie pour différents types de délits permet le réexamen intégral de l’affaire dans certains cas, mais pas dans d’autres. Le Comité observe que le fait de traiter différemment les différents recours selon la gravité de l’infraction ne constitue pas nécessairement une discrimination. Il considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé cette partie de la communication aux fins de la recevabilité, et celle-ci est donc déclarée irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de l’ensemble des informations communiquées par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Le Comité observe que ni l’auteur ni l’État partie n’ont contesté les faits relatifs à la violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il note que le Tribunal suprême a expressément déclaré qu’il n’était pas compétent pour procéder à une nouvelle appréciation des faits ayant motivé la condamnation de l’auteur, fonction qui appartient, selon le Tribunal, souverainement et exclusivement au tribunal de première instance. Par ailleurs, le Tribunal suprême a contrôlé si le principe de la présomption d’innocence avait été ou non violé en l’espèce, constatant à cet égard qu’il existait des indices de culpabilité à l’encontre de l’auteur, que ceux‑ci étaient nombreux, concomitants et interdépendants, et que le raisonnement suivi par la juridiction de jugement pour conclure à la responsabilité de l’auteur sur la base de ces indices n’était pas arbitraire puisqu’il se fondait sur des règles de logique et sur l’expérience. C’est dans ce contexte que le Comité doit déterminer si l’examen effectué par le Tribunal suprême est compatible avec les dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
7.3Le Comité note les commentaires formulés par l’État partie sur la nature du pourvoi en cassation en Espagne, en particulier que la juridiction de seconde instance se limite à examiner si la décision du tribunal n’était pas arbitraire ou ne constituait pas un déni de justice. Tel que l’a établi le Comité dans des communications précédentes (701/1996; 986/2001; 1007/2001), un examen aussi limité par une juridiction supérieure n’est pas conforme aux exigences du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, à la lumière de l’étendue limitée de l’examen entrepris par le Tribunal suprême dans le cas de l’auteur, le Comité conclut que l’auteur est victime d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile. La déclaration de culpabilité de l’auteur doit être réexaminée conformément aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
R. Communication n o 1104/2002, Martínez Fernández c. Espagne (Constatations adoptées le 29 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Antonio Martínez Fernández (représenté par un conseil, M. José Javier Uriel Batuecas) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
31 juillet 2001 (date de la lettre initiale) |
Objet: Étendue du réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation dans le cadre du pourvoi en cassation en Espagne.
Questions de procédure: Même question déjà examinée par une autre instance internationale de règlement − réserve de l’État partie.
Questions de fond: Droit pour toute personne condamnée de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi.
Articles du Pacte: 14 (par. 5).
Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 a)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 29 mars 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1104/2002 présentée au nom de M. Antonio Martínez Fernández en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication datée du 31 juillet 2001 est Antonio Martínez Fernández, de nationalité espagnole. Il prétend être victime d’une violation par l’Espagne de l’article 14, paragraphe 5, du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, M. José Javier Uriel Batuecas.
Exposé des faits
2.1L’auteur était adjudant dans l’armée espagnole. Le 26 mars 1999, il a été condamné par le deuxième tribunal militaire territorial pour désobéissance, à la peine de 10 mois d’emprisonnement avec suspension de l’emploi et du droit de vote. S’étant fracturé la main droite en octobre 1995, il a été mis en congé de maladie. En février 1996, il a été convoqué à trois reprises pour passer un examen médical auquel il ne s’est présenté que la troisième fois. Le 1er mars 1996, il a été déclaré médicalement apte au service et a été informé qu’il devait rejoindre immédiatement son unité militaire. Il ne l’a pas fait et a envoyé des documents attestant de son inaptitude temporaire au service. Il a été convoqué de nouveau à la fin mars 1996 mais n’a pas répondu non plus à cette convocation, se contentant d’envoyer un certificat d’incapacité temporaire.
2.2L’auteur a formé un pourvoi en cassation devant la cinquième chambre de la Cour suprême, siégeant en chambre militaire, dans lequel il a invoqué l’article 14, paragraphe 5, du Pacte. Par décision en date du 29 décembre 1999, la cinquième chambre a rejeté le pourvoi. Conformément à l’article 325 du Code de procédure militaire, qui se réfère aux articles 741 et suivants du Code de procédure pénale, la chambre n’a examiné les motifs avancés dans le pourvoi que pour déterminer s’ils étaient recevables.
2.3.L’auteur a formé un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle, alléguant d’une violation de son droit au double degré de juridiction. Il a affirmé que, selon la loi organique sur la procédure militaire, la cinquième chambre n’était pas habilitée à agir comme une véritable juridiction supérieure en ce sens qu’il ne lui appartenait pas de réévaluer tous les éléments de l’affaire. Il a invoqué également les constatations du Comité concernant l’affaire Gómez Vásquez. Par décision du 9 mai 2001, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours.
2.4Le 27 juillet 2001, l’auteur a présenté une requête à la Cour européenne des droits de l’homme, portant sur la même question que celle qui fait l’objet de la communication soumise au Comité. Mais le 12 septembre 2002, il a demandé le retrait de cette requête à la Cour européenne des droits de l’homme et l’a fait savoir au Comité. Le secrétariat de la Cour européenne des droits de l’homme a informé le Comité que, par décision du 3 décembre 2002, celle‑ci avait classé la requête de l’auteur.
Teneur de la plainte
3.L’auteur dénonce une violation du droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation. Il signale qu’en raison des caractéristiques particulières du pourvoi en cassation, la chambre ne peut connaître de tous les éléments de l’affaire jugée en première instance mais doit se borner à analyser les motifs invoqués par l’auteur du pourvoi pour déterminer s’ils sont conformes au droit; la chambre ne peut connaître que des irrégularités dont le jugement pourrait être entaché, elle ne peut évaluer pleinement les «droits» (sic), et doit simplement examiner les motifs invoqués pour déterminer s’ils sont recevables. Selon l’auteur, il n’existe pas de double degré de juridiction au sens de l’article 14, paragraphe 5, du Pacte.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication
4.1En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie fait valoir qu’il n’existe pas de preuve digne de foi que la demande de retrait de la requête présentée par l’auteur à la Cour européenne des droits de l’homme ait été acceptée par celle‑ci. Il ajoute que l’auteur a reconnu qu’il s’était adressé en même temps au Comité et à la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui va à l’encontre des dispositions de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif et rend la communication irrecevable. Même si la procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme avait été achevée, elle aurait eu lieu en même temps que la procédure devant le Comité. L’État partie en conclut que même dans le cas où la requête devant la Cour européenne des droits de l’homme aurait été retirée, la réserve qu’il a formulée en adhérant au Protocole, réserve dont le sens a été clarifié par le Comité dans sa décision d’irrecevabilité concernant la communication no 1074/2002 (Ferragut c. Espagne, décision du 28 mars 2004), est applicable.
4.2En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie soutient que le paragraphe 5 de l’article 14 n’établit pas un droit à une deuxième instance comportant un réexamen complet de l’affaire, mais le droit à ce qu’une juridiction supérieure statue sur le bien‑fondé du jugement rendu en première instance, en examinant l’application des règles de droit qui fondent la déclaration de culpabilité et l’imposition de la peine dans le cas d’espèce. Le nouvel examen a pour objet de vérifier que la décision en première instance n’est pas manifestement arbitraire et qu’elle n’a pas constitué un déni de justice.
4.3L’État partie fait valoir que le pourvoi en cassation trouve son origine dans le système de cassation français et que, pour des raisons historiques et philosophiques, il a pris la forme d’un examen limité aux questions de droit, présentant des caractéristiques identiques dans plusieurs pays européens. L’État partie précise que la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que les États parties conservent la faculté de décider des modalités d’exercice du droit à réexamen et peuvent en restreindre l’étendue à des questions de droit.
4.4Selon l’État partie, le pourvoi en cassation en Espagne, plus étendu que la cassation initiale française, est conforme aux exigences énoncées au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il fait observer que le droit au double degré de juridiction ne comporte pas le droit à une nouvelle appréciation des éléments de preuve, mais signifie que les juridictions de deuxième instance examinent les éléments de fait et de droit, et la décision judiciaire, laquelle est maintenue, sauf en cas de décision arbitraire ou de déni de justice. Il affirme que la déclaration de culpabilité de l’auteur et la peine à laquelle il a été condamné ont été réexaminées par la Cour suprême. Il rappelle la décision rendue dans l’affaire de l’auteur par la Cour constitutionnelle qui a dit: «L’auteur du recours […] n’a même pas indiqué, s’étant contenté d’invoquer le droit en question, quel aspect précis du jugement rendu en première instance n’avait pu être revu du fait de la nature juridique particulière du pourvoi en cassation, alors que tous les motifs qu’il a invoqués ont été examinés et qu’aucun d’eux n’a été rejeté parce qu’il n’était pas recevable selon la loi.».
4.5L’État partie affirme que les constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vásquez ne peuvent être généralisées, puisqu’elles ne concernent que le cas d’espèce pour lequel elles ont été adoptées. Il met également l’accent sur la contradiction manifeste qui existe en matière de protection internationale du droit à un double degré de juridiction, contradiction qui découle de l’interprétation différente que font la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité des droits de l’homme d’un même texte.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication
5.1En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’auteur a informé le Comité que la Cour européenne des droits de l’homme avait accusé réception de sa requête par une lettre datée du 21 septembre 2001 dans laquelle elle lui faisait savoir que sa demande pourrait être déclarée recevable, parce que ni l’article 6, paragraphe 1, ni l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme n’imposaient plusieurs degrés de juridiction et parce que l’Espagne n’avait pas ratifié le Protocole no 7 à la Convention. La Cour a informé en outre l’auteur que sa requête ne serait pas enregistrée officiellement tant qu’il n’aurait pas indiqué s’il souhaitait la maintenir ou non. L’auteur a joint à ses commentaires une lettre datée du 20 décembre 2002 par laquelle la Cour européenne l’informait qu’une chambre constituée de trois juges avait décidé de radier sa requête du rôle conformément à l’article 37, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.
5.2En ce qui concerne le fond, l’auteur soutient que le fait que la Cour européenne des droits de l’homme ait donné une interprétation restrictive du contenu du droit au double degré de juridiction ne modifie en rien la jurisprudence du Comité concernant le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation.
5.3Selon l’auteur, la nature du pourvoi en cassation empêche un réexamen des faits. La cassation est une voie de recours juridictionnelle qui vise essentiellement à faire régner l’unité d’interprétation du droit sans constituer un jugement en deuxième instance dans la mesure où la Cour suprême n’est pas habilitée à réévaluer les éléments de preuve ou les faits sur lesquels le tribunal de première instance a fondé son jugement et que seules relèvent de sa compétence les irrégularités de fond ou de forme ou l’appréciation des éléments de preuve à titre exceptionnel. Le pourvoi ne peut être formé contre les motifs pour lesquels le jugement a été rendu; il a un caractère extraordinaire et porte strictement sur la forme. L’auteur affirme qu’il n’offre pas un moyen réel de réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation.
5.4D’après l’auteur, après l’adoption par le Comité de ses constatations dans l’affaire Gómez Vásquez, la deuxième chambre de la Cour suprême, siégeant en formation plénière le 13 septembre 2000, a évoqué la question de l’institution d’un appel avant la cassation. L’auteur a joint à ses commentaires une copie de la loi no19/2003, entrée en vigueur à la fin de décembre 2003 en Espagne, loi qui, se référant aux constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vásquez, généralise le principe de la deuxième juridiction en matière pénale et institue le droit de faire appel des décisions rendues par les Audiencias provinciales et l’Audiencia Nacional. L’auteur signale que la loi en question n’a pas été étendue au système de justice pénale militaire.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
6.2En ce qui concerne l’allégation de l’État partie selon laquelle la communication est irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif lu conjointement avec la réserve qu’il a formulée à cette disposition, le Comité observe que la communication que l’auteur lui a soumise est datée du 31 juillet 2001, que l’auteur a présenté une requête pour violation du droit à l’examen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par une juridiction supérieure à la Cour européenne des droits de l’homme le 27 juillet 2001, que la Cour n’a pas enregistré officiellement cette requête, que l’auteur a demandé son retrait le 12 septembre 2002 et que la Cour européenne des droits de l’homme a fait droit à sa demande le 3 décembre 2002.
6.3Le Comité estime que la plainte de l’auteur n’est pas actuellement examinée et n’a pas déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme puisque celle‑ci n’a pas officiellement enregistré sa requête, que cette requête a été par la suite retirée par l’auteur et que la Cour a accepté ce retrait sans examiner le fond de la plainte déposée par l’auteur. Le Comité conclut que la communication n’est pas irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif et de la réserve formulée par l’État partie à cette disposition.
6.4Considérant que la plainte de l’auteur soulève des questions relevant de l’article 14, paragraphe 5, du Pacte, le Comité estime qu’elle est recevable et décide de passer à son examen quant au fond.
Examen au fond
7.Le Comité note que la principale question dans le cadre de la procédure pénale contre l’auteur était l’évaluation de sa capacité de s’acquitter de ses obligations militaires, ce qui implique une évaluation des faits. Le Comité prend note des commentaires formulées par l’État partie sur la nature du pourvoi en cassation en Espagne, en particulier du fait que la juridiction de deuxième instance se borne à examiner si les conclusions auxquelles est parvenu le tribunal de première instance sont arbitraires ou constituent un déni de justice. Comme l’a établi le Comité dans de précédents cas, un examen aussi limité par une juridiction supérieure n’est pas conforme aux exigences du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que l’auteur est victime d’une violation de l’article 14, paragraphe 5, du Pacte.
8.Par conséquent, le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile. La déclaration de culpabilité de l’auteur doit être réexaminée conformément aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
S. Communication n o 1107/2002, El Ghar c. Jamahiriya arabe libyenne , (Constatations adoptées le 2 novembre 2004, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Loubna El Ghar (non représentée par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Jamahiriya arabe libyenne |
Date de la communication: |
14 juin 2002 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 2 novembre 2004,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1107/2002 présentée par Loubna El Ghar, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur est Loubna El Ghar, citoyenne libyenne (née le 2 septembre 1981 à Casablanca) résidant au Maroc. Elle se déclare victime de violations par laJamahiriya arabe libyenne. L’auteur n’invoque pas de dispositions particulières du Pacte, mais ses allégations semblent soulever des questions au titre de l’article 12 du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.
1.2Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour laJamahiriya arabe libyenne, respectivement le 23 mars 1976 et le 16 août 1989.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur, de nationalité libyenne, réside depuis sa naissance au Maroc auprès de sa mère divorcée et y est titulaire d’une carte de séjour. Étudiante en droit français à la faculté Hassan II de Casablanca, elle a souhaité poursuivre ses études en France pour une spécialisation en droit international. À cet effet, depuis 1998, l’auteur a demandé son passeport auprès de la représentation consulaire libyenne au Maroc.
2.2L’auteur déclare n’avoir reçu que des réponses négatives, sans motivation légale et légitime. Elle précise que, bien que majeure, elle a accompagné sa demande d’une autorisation de son père résidant en Libye, assermentée auprès du Ministère de l’extérieur libyen, afin de lui permettre d’acquérir tout document officiel. Elle ajoute qu’en septembre 2002, déclarant se référer au règlement en la matière (sans donner de détails à ce sujet), le Consul libyen lui a déclaré ne pas pouvoir lui délivrer un passeport, mais un document temporaire de voyage pour se rendre en Libye.
2.3L’auteur a également contacté la représentation diplomatique française au Maroc afin de vérifier s’il était possible d’obtenir un laissez-passer pour la France, requête à laquelle les autorités françaises n’ont pu accéder.
2.4En l’absence de passeport, l’auteur n’a pu s’inscrire auprès de l’Université de Montpellier I en France.
Teneur de la plainte
3.L’auteur déclare que le refus par le consulat libyen de Casablanca de lui délivrer un passeport l’empêche de voyager et d’étudier et constitue une violation du Pacte.
Observations de l’État partie
4.1Dans ses observations du 15 octobre 2003, l’État partie apporte les informations suivantes. Après avoir été informée de la communication de l’auteur, la Direction générale des passeports et de la nationalité de l’État partie a pris contact avec le Bureau de la fraternité à Rabat qui lui a fait savoir que, jusqu’au 1er septembre 1999, il n’avait reçu de l’intéressée aucune demande officielle pour obtenir un passeport.
4.2Le 6 septembre 2002, la Direction des passeports et de la nationalité a demandé au consulat général de lui faire savoir si l’intéressée avait présenté une demande de passeport, étant donné qu’aucun élément concernant Mlle El Ghar n’était consigné dans ses registres.
4.3Le 13 octobre 2002, la Direction générale des passeports et de la nationalité a adressé au consulat général à Casablanca un télégramme pour qu’il communique, au cas où il l’aurait reçue, la demande de l’intéressée et tous renseignements et pièces justificatives nécessaires pour l’octroi d’un passeport.
4.4L’État partie soutient qu’il ressort clairement de ce qui précède que les autorités libyennes concernées accordent toute l’attention requise à la question et que le retard est dû au fait que l’intéressée ne s’est pas présentée au moment voulu au Bureau de la fraternité au Maroc. L’État partie précise que rien dans la législation en vigueur n’empêche des ressortissants libyens d’obtenir des titres de voyage lorsqu’ils remplissent les conditions requises et présentent les documents demandés.
4.5Enfin, l’État partie explique que des instructions ont été envoyées, le 1er juillet 2003, au Bureau de la fraternité à Rabat pour qu’il délivre un passeport à Mlle Loubna El Ghar. D’autre part, l’auteur a été contactée, par téléphone, à son domicile, et a été informée qu’elle pouvait se rendre au consulat libyen à Casablanca pour le retrait de son passeport.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans ses commentaires du 24 novembre 2003, l’auteur précise, concernant la date officielle de présentation de sa demande de passeport, avoir entrepris des démarches dès 1998, date à laquelle sa mère s’est rendue en Libye afin d’obtenir une autorisation de son père pour l’obtention d’un passeport (voir par. 2.2). Elle ajoute que la date précise de sa demande officielle de passeport est le 25 février 1999.
5.2Concernant la Direction des passeports et de la nationalité et la date du 6 septembre 2002 mentionnée par l’État partie (voir par. 4.2), l’auteur rappelle que, lors d’une de ses visites au consulat général libyen afin de s’informer sur le déroulement de sa demande, le 18 septembre 2002, les représentants libyens lui ont signifié ne pas pouvoir lui donner un passeport, mais un laissez-passer pour la Libye. Ce laissez-passer délivré ce même jour et produit par l’auteur précise: «Tenant compte du fait qu’elle est native du Maroc et qu’elle n’a pas obtenu de passeport, le présent document de voyage lui est délivré pour pouvoir retourner au territoire national.».
5.3L’auteur confirme avoir reçu un appel téléphonique, le 1er août 2003, de Mme l’Ambassadrice de la Libye auprès des Nations Unies à Genève, l’informant qu’elle pouvait se rendre au consulat général de Libye à Casablanca afin d’obtenir son passeport, un communiqué ayant été adressé à cet effet par la Direction générale des passeports. Le jour même, l’auteur s’est rendue au consulat, en possession de tous les documents susceptibles d’être demandés pour le retrait du passeport. Or, les représentants libyens ont nié avoir reçu le communiqué précité. De retour à son domicile, l’auteur a rappelé l’Ambassadrice libyenne auprès des Nations Unies à Genève pour l’informer de la situation, et deux jours plus tard est retournée au consulat. L’auteur explique que le Consul en personne lui a déclaré qu’il n’était pas nécessaire qu’elle se déplace à chaque fois, et qu’elle serait contactée dès réception du communiqué précité. Depuis lors, l’auteur n’a pu obtenir de passeport et donc se rendre à l’étranger pour poursuivre ses études.
5.4L’auteur ajoute être dans l’impossibilité de demander une aide juridictionnelle en vue d’intenter une action en justice contre les autorités libyennes à partir du Maroc, et qu’elle ne peut intenter un recours pour excès de pouvoir.
Délibérations du Comité sur la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a)de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Ayant pris note des arguments de l’auteur relativement à l’épuisement des voies de recours internes, à savoir les obstacles à toute demande d’aide juridictionnelle et à un recours contre les autorités libyennes à partir du Maroc, et compte tenu de l’absence de toute contestation pertinente de la recevabilité de la communication à ce sujet de la part de l’État partie, le Comité estime que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.
6.4Le Comité estime que les griefs formulés par l’auteur peuvent soulever des questions au regard du paragraphe 2 de l’article 12, du Pacte et procède à l’examen de la plainte sur le fond, conformément au paragraphe 2 de l'article 5 du Protocole facultatif.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Le Comité constate qu’à ce jour l’auteur n’a pu obtenir de passeport des autorités consulaires libyennes alors même que sa demande officielle date au plus tard, selon les déclarations mêmes des autorités, du 1er septembre 1999. En outre, il ressort que, dans un premier temps, le 18 septembre 2002, le Consul libyen a signifié à l’auteur ne pas pouvoir lui délivrer un passeport mais un laissez-passer pour la Libye, ceci en vertu d’un règlement n’ayant pas été précisé tant oralement que sur le laissez-passer même. La demande de délivrance d’un passeport présentée au consulat de Libye a ainsi été rejetée sans que cette décision soit motivée quant au fond, la seule observation étant que l’auteur «est native du Maroc et qu’elle n’a pas obtenu de passeport, le présent document de voyage [laissez-passer] lui [étant] délivré pour pouvoir retourner au territoire national». Le Comité estime que ce laissez-passer ne saurait être considéré comme remplaçant de façon satisfaisante un passeport libyen valable afin de se rendre à l’étranger.
7.3Dans un second temps, le Comité constate que, le 1er juillet 2003, la Direction générale des passeports a adressé un communiqué aux autorités consulaires libyennes au Maroc afin d’octroyer un passeport à l’auteur, information certifiée par l’État partie ayant produit une copie de ce document. L’État partie affirme que l’auteur a été personnellement contactée par téléphone à son domicile afin de retirer son passeport au consulat de Libye. Or, il apparaît qu’à ce jour, malgré deux visites de l’auteur auprès du consulat de Libye, aucun passeport ne lui a été délivré, sans que la responsabilité ne puisse lui être attribuée. Le Comité rappelle qu’un passeport offre à un ressortissant un moyen de «quitter tout pays, y compris le sien», comme le stipule le paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte, et qu’en conséquence il résulte de la nature même du droit considéré que, dans le cas d’un ressortissant résidant à l’étranger, le paragraphe 2 de l’article 12 impose des obligations à la fois à l’État où l’intéressé réside et à celui dont il a la nationalité, et que le paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte ne peut être interprété comme limitant les obligations de la Libye en vertu du paragraphe 2 de l’article 12 aux seuls ressortissants vivant sur son territoire. Le droit reconnu par le paragraphe 2 de l’article 12 peut, en vertu du paragraphe 3 dudit article, faire l’objet de restrictions «prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le Pacte». Il y a, par conséquent, des circonstances dans lesquelles un État peut, si la loi le prévoit, refuser de délivrer un passeport à l’un de ses ressortissants. Toutefois, dans le présent cas, l’État partie n’a pas, dans les informations qu’il a soumises au Comité, avancé d’argument de cet ordre, et a, au contraire, certifié avoir donné des instructions afin de satisfaire la demande de passeport de l’auteur, déclaration n’ayant pas été suivie d’effet.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits constatés révèlent une violation du paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte dans la mesure où l’auteur n’a pu obtenir de passeport, sans aucune justification valable et dans le cadre de délais déraisonnables, se voyant de ce fait empêchée de se rendre à l’étranger afin de poursuivre ses études.
9.En vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de garantir que l’auteur dispose d’un recours utile, y compris une indemnisation. Le Comité invite instamment l’État partie à délivrer sans plus tarder un passeport à l’auteur. L’État partie est, en outre, dans l’obligation de prendre des mesures efficaces pour veiller à ce que des violations analogues ne se produisent plus à l’avenir.
10.Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, la Jamahiriya arabe libyenne a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, elle s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Aussi, le Comité souhaite-t-il recevoir de l’État partie, dans les 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour leur donner suite. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.
[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
T. Communication n o 1110/2002, Rolando c. Philippines (Constatations adoptées le 3 novembre 2004, quatre-vingt-deuxième session)
Présentée par: |
Pagdayawon Rolando (représenté par un conseil, M. Theodore O. Te, du Free Legal Assistance Groupe (FLAG)) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Philippines |
Date de la communication: |
22 juillet 1998 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 novembre 2004,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1110/2002, présentée au nom de Pagdayawon Rolando en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication est Pagdayawon Rolando, de nationalité philippine, actuellement incarcéré au pénitencier de New Bilibid, à Muntinlupa. Il dit être victime de violations du paragraphe 2 de l’article 5, des paragraphes 1 et 2 de l’article 6, de l’article 7, des paragraphes 1 à 4 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et des paragraphes 1, 2 et 5 de l’article 14 du Pacte. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 22 novembre 1989.
1.2Le 28 août 2002, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, le Comité des droits de l’homme a demandé à l’État partie, en application de l’article 86 de son règlement intérieur, de surseoir à l’exécution de l’auteur condamné à la peine capitale, tant que sa communication serait à l’examen.
1.3Le 20 octobre 2003, informé que l’État partie avait l’intention d’exécuter l’auteur, le Comité des droits de l’homme, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a de nouveau demandé à l’État partie, conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, de ne pas exécuter l’auteur tant que sa communication était à l’examen devant le Comité.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1En septembre 1996, l’auteur a été arrêté et conduit au poste de police, sans mandat d’arrêt. Il a été informé qu’il était arrêté parce que sa femme l’accusait d’avoir violé sa belle‑fille. L’auteur, qui a été policier, a demandé à voir le mandat d’arrêt le concernant ainsi qu’une copie de la plainte officielle, mais n’a reçu aucun des deux. Il dit ne pas avoir été informé de son droit de garder le silence ou de son droit de consulter un avocat, comme l’exige l’article III, section 12‑1, de la Constitution de 1987. Il a été libéré le 1er novembre 1996. À aucun moment durant sa détention, il n’a été traduit devant une autorité judiciaire ni formellement inculpé.
2.2Le 27 janvier 1997, il a de nouveau été arrêté et accusé du viol de sa belle‑fille Lori Pagdayawon, en vertu du paragraphe 3 de l’article 335 du Code pénal révisé, tel que modifié. Il dit ne pas avoir été informé de son droit de garder le silence ou de consulter un avocat. Il indique également qu’il n’a pas pu engager un avocat à titre privé avant l’enquête. Il a été représenté par le même avocat tout au long de la procédure. Le 27 mai 1997, le tribunal régional de première instance de Davao l’a reconnu coupable des faits qui lui étaient reprochés et l’a condamné à mort, ainsi qu’au versement de 50 000 pesos à la victime. Selon l’auteur, la peine de mort est obligatoire en cas de viol. C’est un crime contre la personne, en vertu de la loi de la République no 8353.
2.3Le 15 février 2001, dans le cadre de sa procédure de contrôle juridictionnel automatique, la Cour suprême a confirmé la condamnation à mort prononcée par le tribunal de première instance mais a porté l’indemnisation due à la victime au titre de la responsabilité civile à 75 000 pesos et a ajouté «un montant supplémentaire de 50 000 pesos pour préjudice moral». Selon l’auteur, la Cour suprême s’est conformée à sa pratique habituelle qui consiste à ne pas entendre de témoins pendant le contrôle et à s’appuyer uniquement sur l’appréciation des éléments de preuve faite par les juridictions inférieures. Elle a réaffirmé sa position, établie par la jurisprudence, en ce qui concerne le crédit accordé au témoignage des jeunes femmes qui disent avoir été violées, déclarant que «le témoignage d’une victime de viol, qui est très jeune, est crédible et doit recevoir le crédit mérité, en particulier lorsque les faits la désignent comme victime d’une agression sexuelle. Elle ne chercherait certainement pas la publicité et n’endurerait pas l’épreuve et l’humiliation que représente un procès public si elle n’avait pas été effectivement violée.». Selon l’auteur, le seul critère retenu par le tribunal pour juger de la véracité des allégations de la victime présumée est le fait qu’elle soit disposée à subir un examen médical et à endurer l’épreuve d’un procès.
2.4L’auteur décrit la procédure énoncée à l’alinéa a du paragraphe 7 du document EP 200, publié par le Bureau correctionnel en vertu de la loi de la République no 8177, concernant son exécution. Le condamné n’est prévenu de la date de son exécution qu’à l’aube du jour fixé, et l’exécution doit avoir lieu au plus tard 8 heures après que le condamné en a été informé. Il n’est pas prévu de prévenir la famille du condamné. Celui‑ci a uniquement le droit de contacter un prêtre ou son avocat et ne peut leur parler qu’à travers un grillage.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur soutient que sa première mise en détention était illégale et constituait une violation des paragraphes 1 à 4 de l’article 9. Il estime que le refus de le laisser consulter un avocat lors de sa première détention constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 14, car ses chances d’avoir un procès équitable s’en sont trouvé réduites.
3.2L’auteur indique que la position de la Cour suprême, réaffirmée dans la présente affaire, qui consiste à accepter le témoignage d’une victime de viol comme étant forcément véridique, constitue une violation de son droit à être présumé innocent et de son droit à l’égalité devant les tribunaux, conformément au paragraphe 2 de l’article 14. Il estime qu’elle constitue également une violation du droit à l’égalité consacré par le paragraphe 1 de l’article 14, ainsi que de son droit à un procès équitable. Il fait valoir que le fait que le tribunal n’ait pas respecté la présomption d’innocence et n’ait pas «imputé la charge de la preuve à l’accusation» constitue une violation manifeste de l’obligation d’impartialité qui incombe au juge. Il indique que, le tribunal régional de première instance ayant adopté la même position en l’espèce, la présomption d’innocence n’a pas été respectée et qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable.
3.3L’auteur ajoute que la pratique de la Cour suprême, qui consiste à ne pas entendre de témoins pendant le contrôle et donc à s’appuyer sur l’appréciation des éléments de preuve faite par les juridictions inférieures, constitue une violation du droit d’examen par une juridiction supérieure consacré par le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Dans le cas d’espèce, l’un des arguments de l’auteur devant la Cour suprême était que le tribunal s’était trompé dans son appréciation du témoignage de Lori Pagdayawon. Il estime que, pour examiner correctement l’affaire, la Cour suprême aurait dû entendre la victime afin d’évaluer la véracité de ses dires.
3.4L’auteur estime que l’application de la peine de mort à des crimes tels que le viol en application de la loi de la République no 8353 de 1997 constitue une violation de l’obligation de l’État partie de restreindre la peine de mort aux «crimes les plus graves», conformément à l’article 6. Il fait valoir qu’aux termes de la résolution du Conseil économique et social de 1984 intitulée «Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort», l’expression «crimes les plus graves» s’applique au moins aux crimes intentionnels ayant des conséquences fatales ou d’autres conséquences extrêmement graves. L’auteur évoque le consensus international croissant contre la peine de mort et le fait que les statuts du Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie, du Tribunal pénal international pour le Rwanda et de la Cour pénale internationale ne prévoient pas l’application de la peine de mort.
3.5Il indique que s’il était exécuté, il serait informé de son exécution seulement 8 heures avant au maximum, ne pourrait dire adieu à sa famille et pourrait seulement parler à son avocat et à un prêtre à travers un grillage, conformément à la procédure en vigueur aux Philippines, telle qu’elle est énoncée dans le document EP 200. Il soutient que cette procédure constitue une peine inhumaine et dégradante et ne respecte pas la dignité inhérente à la personne humaine, garantie par l’article 7 et le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. L’auteur fait valoir qu’un tel traitement constitue une torture psychologique/mentale analogue au «syndrome du quartier des condamnés à mort».
3.6L’auteur ajoute qu’en rétablissant la peine de mort pour les «crimes odieux», conformément à la loi de la République no 7659, l’État partie a violé les dispositions de l’article 6 du Pacte. Il soutient que les paragraphes 1, 2 et 6 de l’article 6, lus conjointement, permettent de conclure qu’une fois qu’un État a aboli la peine de mort, il n’est pas libre de la rétablir. Qui plus est, une «interprétation au sens large» du paragraphe 2 de l’article 5 du Pacte, qui permettrait à un État partie de restaurer la peine de mort, serait contraire à cette disposition.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
4.1La communication et les documents joints ont étés transmis à l’État partie le 28 août 2002. Malgré plusieurs rappels, l’État partie n’a pas donné de réponse au Comité qui l’avait prié, conformément aux articles 86 et 91 de son règlement intérieur, de lui soumettre des explications ou des observations portant sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Le Comité rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que les États parties sont tenus d’examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et de faire parvenir au Comité toutes les informations dont ils disposent. Compte tenu de l’absence de coopération de l’État partie avec le Comité dans l’affaire dont il est saisi, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été étayées.
4.2Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.3Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie n’a pas évoqué l’existence de recours internes qui auraient pu être épuisés par l’auteur.
4.4En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que le droit à la présomption d’innocence a été violé du fait que le tribunal a accepté le témoignage d’une victime mineure, le Comité relève à la lecture des jugements rendus par le tribunal régional de première instance et la Cour suprême que le pouvoir judiciaire a effectivement tenu compte de l’âge de la victime en appréciant son témoignage et a effectivement considéré qu’un procès pour viol était une épreuve telle qu’il était improbable que quelqu’un engage un tel procès si un viol n’avait pas été effectivement subi. Mais ces considérations n’ont pas été les seuls éléments examinés par le tribunal régional de première instance et par la Cour suprême. Les deux juridictions ont pris en considération, entre autres éléments, des preuves d’ordre médical et les dépositions de témoins pour apprécier les faits et les preuves dans cette affaire. Le Comité a également relevé dans le jugement du tribunal régional de première instance une confirmation que «dans l’ensemble, les preuves à charge sont d’un poids tel qu’elles l’emportent sur le principe constitutionnel de la présomption d’innocence de l’accusé. L’accusation a établi la culpabilité de l’accusé au‑delà du doute raisonnable. Les preuves à décharge, qui consistent simplement à nier les faits, n’ont pas une valeur probante suffisante par rapport aux preuves administrées par l’accusation qui établissent sa culpabilité au‑delà de tout doute possible.». Le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle les juridictions des États parties sont le mieux à même d’apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf si cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. L’auteur n’ayant fourni aucun élément de preuve pour démontrer que les décisions des juridictions d’appel étaient manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice, le Comité considère cette plainte comme irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, faut d’éléments pour étayer sa recevabilité. En conséquence, le grief énoncé sur ce point est irrecevable.
4.5Pour ce qui est du grief de violation des droits consacrés au paragraphe 5 de l’article 14, du fait que la Cour suprême n’a pas entendu la déposition des témoins mais a repris l’interprétation des preuves donnée en première instance, le Comité rappelle, conformément à sa jurisprudence, que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte n’exige pas «un nouveau procès sur les faits de la cause» ni une «nouvelle audience». En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable car, aux termes de l’article 3 du Protocole facultatif, elle est incompatible avec les dispositions du Pacte.
4.6Le Comité considère les autres griefs de l’auteur comme recevables et procède par conséquent à l’examen quant au fond des plaintes au titre de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10, de l’article 9 et du paragraphe 3 d) de l’article 14.
Examen au fond
5.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
5.2Il ressort des jugements rendus par le tribunal régional de première instance et par la Cour suprême que l’auteur a été reconnu coupable de viol sur mineur en vertu de l’article 335 du Code pénal révisé, tel que modifié par l’article 11 de la loi de la République no 8353 (voir la note 2 ci‑dessus), qui dispose que «la peine de mort est aussi prononcée lorsque le crime de viol est commis dans les circonstances aggravantes suivantes: 1. la victime a moins de 18 ans et l’auteur est le père ou la mère, un ascendant, un beau‑parent, un tuteur, un parent consanguin ou allié au troisième degré ou le concubin du parent de la victime…». La peine de mort a donc été appliquée automatiquement en vertu de l’article 335 du Code pénal révisé, tel que modifié. Le Comité renvoie à sa jurisprudence qui veut que la condamnation obligatoire et automatique à la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, dans des circonstances où la peine capitale est prononcée sans qu’il soit possible de prendre en considération la situation personnelle de l’accusé ou les circonstances ayant entouré le crime en question. Le Comité note par ailleurs que, dans le droit interne de l’État partie, le viol est une notion large qui recouvre des infractions de différents degrés de gravité. Il en découle que la condamnation automatique de l’auteur à la peine de mort en vertu de l’article 335 du Code pénal révisé, tel que modifié, constitue une violation des droits qui lui sont reconnus au paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.
5.3Ayant constaté la violation de l’article 6 du Pacte, le Comité n’a pas lieu de se pencher sur les autres griefs de l’auteur au titre des paragraphes 1, 2 et 6 de l’article 6 qui concernent tous l’imposition de la peine capitale.
5.4Le Comité prend note des griefs de violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 avancés par l’auteur du fait qu’il ne serait informé de la date de son exécution qu’à l’aube du jour où elle aurait lieu, qu’il serait alors exécuté dans les 8 heures et n’aurait pas le temps de dire adieu à sa famille et de mettre en ordre ses affaires personnelles. Il prend également note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que la peine capitale sera exécutée «au plus tôt un an et au plus tard 18 mois après que le jugement serait devenu définitif et exécutoire, sans préjudice de l’exercice à tout moment de son droit de grâce par le Président de la République». Le Comité croit comprendre, au vu du texte de la loi, que l’auteur aurait au moins un an et au plus 18 mois après l’épuisement de tous les recours internes pour prendre des dispositions pour voir sa famille avant la notification de la date de l’exécution. Il note aussi qu’en vertu de l’article 16 de la loi de la République no 8177, après notification de son exécution, l’auteur aurait environ 8 heures pour prendre les dernières dispositions concernant ses affaires personnelles et voir les membres de sa famille. Le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle l’établissement d’un mandat d’exécution, provoque nécessairement chez l’individu concerné une angoisse intense et il estime que l’État partie devrait s’efforcer de réduire cette angoisse dans la mesure du possible. Cependant, sur la base des informations fournies, le Comité ne peut pas conclure que l’exécution de l’auteur dans les 8 heures suivant la notification, considérant qu’il aurait déjà eu au moins un an après avoir épuisé les recours internes et avant la notification de son exécution pour mettre en ordre ses affaires et voir sa famille, violerait les droits qui lui sont reconnus par l’article 7 et le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.
5.5Pour ce qui est du grief de violation de l’article 9, étant donné que l’État partie n’a pas contesté les éléments de fait présentés par l’auteur, le Comité conclut que, quand il a été arrêté en septembre 1996, l’auteur n’a pas été informé des motifs de son arrestation et n’a pas reçu notification dans le plus court délai de l’accusation portée contre lui; l’auteur a été arrêté sans mandat et par conséquent en violation du droit interne applicable; ensuite, après son arrestation, il n’a pas été traduit dans le plus court délai devant un juge. En conséquence, il y a eu violation des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9 du Pacte.
5.6En ce qui concerne le grief de l’auteur selon lequel il n’a pas pu communiquer avec un avocat pendant la première période de détention et que pendant l’une et l’autre période il n’a pas été informé de son droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat, grief que l’État partie n’a pas contesté, le Comité estime qu’il y a violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.
6.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par les Philippines du paragraphe 1 de l’article 6, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
7.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur un recours approprié, consistant en une commutation de sa peine. Il est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
8.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion individuelle des membres du Comité dont le nom suit: M. Martin Scheinin, M me Christine Chanet et M. Rajsoomer Lallah (partiellement dissidente)
Nous appuyons pleinement la conclusion du Comité selon laquelle le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte a été violé du fait que le prononcé obligatoire de la peine de mort à l’encontre de l’auteur constitue une privation arbitraire de la vie. À cet égard, cette affaire confirme et développe la jurisprudence antérieure du Comité, telle qu’établie dans les affaires Thompson c. Saint ‑Vincent ‑et ‑les Grenadines (communication no 806/1998), Kennedy c. Trinité ‑et ‑Tobago (communication no 845/1998), Carpo et consorts c. Philippines (communication no 1077/2002) et Ramil Rayos c. Philippines (communication no 1167/2003).
Toutefois, nous ne partageons pas l’avis du Comité, exprimé au paragraphe 5.3 des constatations, selon lequel il est inutile d’examiner les autres réclamations de l’auteur portant sur l’article 6. Bien que la majorité des membres du Comité ait aussi suivi, en l’espèce, les constatations formulées le 28 mars 2003, dans l’affaire Carpo, nous sommes d’avis que le moment est venu d’examiner la question de la compatibilité avec l’article 6 du rétablissement de la peine capitale dans un pays l’ayant précédemment abolie. Depuis la décision prise dans l’affaire Carpo − à laquelle nous avons participé −, deux faits nouveaux importants se sont produits qui justifient, selon nous, que le Comité se penche à présent sur la question.
Premièrement, en octobre 2003, le Comité a examiné le deuxième rapport périodique des Philippines et abordé à cette occasion la question de la peine capitale sous différents angles, ce qui lui a permis de comprendre beaucoup mieux le droit et la pratique de l’État partie (voir le rapport de l’État partie CCPR/C/PHL/2002/2, les comptes rendus de séance CCPR/C/SR.2138, 2139 et 2140, et les observations finales du Comité CCPR/CO/79/PHL).
Deuxièmement, au cours de la session qui a suivi le règlement de l’affaire Carpo, le Comité s’est interrogé sur le point de savoir si le rétablissement de la peine capitale, une fois qu’elle a été abolie, est compatible avec l’article 6. Cette question a été examinée dans le cadre de l’affaire Roger Judge c. Canada (communication no 829/1998, constatations adoptées le 5 août 2003), au sujet de laquelle le Comité a estimé que le Canada, bien qu’ayant aboli la peine capitale, avait violé l’article 6 en expulsant l’auteur de la communication vers un pays où il était passible de la peine de mort. Il convient de souligner que le Comité n’est pas parvenu à cette conclusion parce que le Canada était partie au deuxième Protocole facultatif − il ne l’est pas −, ni parce que le pays d’accueil était susceptible de violer l’article 6. La question était plutôt de savoir si le fait, pour un pays abolitionniste, de faire courir à une personne le risque d’être condamnée à la peine capitale dans un autre pays constituait en soi une violation de l’article 6.
Le Comité a répondu par l’affirmative à cette question dans les termes suivants:
«10.4Pour étudier la question de l’application de l’article 6, le Comité note que, comme il est prescrit par la Convention de Vienne sur le droit des traités, un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. Le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, qui dispose que “le droit à la vie est inhérent à la personne humaine…” est une règle générale qui vise à protéger la vie. Les États parties qui ont aboli la peine de mort sont tenus en vertu de ce paragraphe de protéger la vie dans toutes les circonstances. Les paragraphes 2 à 6 de l’article 6 ont de toute évidence été inclus afin d’éviter que le premier paragraphe de l’article 6 ne puisse être interprété comme abolissant la peine de mort. Cette interprétation de l’article est confortée par les premiers mots du paragraphe 2 (“Dans les pays où la peine de mort n’a pas été abolie…”) et par le paragraphe 6 (“Aucune disposition du présent article ne peut être invoquée pour retarder ou empêcher l’abolition de la peine capitale par un État partie au présent Pacte.”). En effet, les paragraphes 2 à 6 ont la double fonction de créer une exception au droit à la vie du fait de l’existence de la peine de mort et d’imposer des limites à la portée de cette exception. Ce n’est que quand la peine capitale est prononcée alors qu’un certain nombre d’éléments précis sont réunis que l’exception peut s’appliquer. Au nombre de ces éléments restrictifs figure celui qui est exprimé au début du paragraphe 2, c’est‑à‑dire que seuls les États “où la peine de mort n’a pas été abolie” peuvent se prévaloir des exceptions créées aux paragraphes 2 à 6. Les pays qui ont aboli la peine de mort sont tenus de ne pas exposer un individu au risque réel de son application. Ils ne peuvent donc pas renvoyer quelqu’un de leur juridiction, par voie d’expulsion ou d’extradition, s’il peut être raisonnablement prévu que l’intéressé sera condamné à mort, sans obtenir la garantie que la peine capitale ne sera pas appliquée.». (C’est nous qui soulignons.)
Pour tout lecteur familiarisé avec la question de la peine capitale, il est clair que, dans ce paragraphe, le Comité a arrêté non seulement sa position au sujet de la réintroduction «indirecte» de la peine capitale, lorsqu’un pays abolitionniste expulse quelqu’un vers un autre pays où il risque de se faire condamner à mort, mais qu’il s’est aussi prononcé sur ce qui revient à la réintroduire directement dans sa propre législation après l’avoir abolie.
Ainsi, la question juridique de savoir si la réintroduction de la peine capitale après qu’elle a été abolie constitue une violation de l’article 6 a été clarifiée après l’adoption des constatations du Comité dans l’affaire Carpo. Ce qui ne l’a pas été, en revanche, est le point de fait de savoir si les modifications constitutionnelles et législatives intervenues aux Philippines en 1987 équivalaient à l’abolition de la peine capitale. Telle est la question que le Comité aurait pu − et, selon nous, dû − examiner. La majorité des membres du Comité a toutefois estimé qu’il était inutile de la traiter dans le cas d’espèce, sans l’examiner au fond.
Le Pacte est entré en vigueur pour les Philippines le 23 janvier 1987, sans qu’aucune réserve y soit apportée. À compter de cette date, les Philippines étaient tenues par l’ensemble des obligations qui découlaient de l’article 6 du Pacte. Tout de suite après, le 2 février 1987, une nouvelle Constitution approuvée par plébiscite populaire est entrée en vigueur. L’article 3 19) 1) de la Constitution a abrogé la peine de mort dans les termes suivants:
«Il est interdit d’imposer des amendes administratives, ou d’infliger un châtiment cruel, dégradant ou inhumain. La peine de mort ne sera pas prononcée, si ce n’est pour des raisons impérieuses concernant des crimes odieux, comme prévu ci‑après par le Congrès. Toute condamnation à mort qui a déjà été prononcée sera commuée en réclusion à perpétuité.».
De 1987 à 1993, l’ordre juridique en vigueur aux Philippines ne permettait pas de condamner une personne à mort, ni même d’instituer la peine de mort. La situation était donc différente de celle d’un simple moratoire, où la peine capitale demeure en vigueur en droit mais son application est suspendue dans la pratique. Le 13 décembre 1993, le Congrès des Philippines a adopté la loi de la République no 7659, qui rétablissait la peine de mort pour un certain nombre d’infractions. Comme il ressort clairement de la disposition constitutionnelle précitée, seule une nouvelle décision législative permettait de rétablir la peine de mort. Cette décision a été prise en 1993 et, bien que sa constitutionnalité ait été contestée, celle-ci a été confirmée, aux fins du droit constitutionnel interne, par opposition à sa conformité avec le Pacte, par la Cour suprême dans l’affaire People c. Echegaray (GR No 117472, arrêt du 7 février 1997). Dans cet arrêt, la Cour suprême a estimé, à la majorité, qu’une nouvelle législation autorisant la peine capitale n’était pas inconstitutionnelle. Le raisonnement de la majorité était, en partie, le suivant:
«Le paragraphe 19 1) de l’article III de la Constitution de 1987 confère clairement au Congrès le pouvoir de rétablir la peine de mort “pour des raisons impérieuses concernant des crimes odieux”. Ce pouvoir ne relève donc pas de la compétence législative plénière du Congrès puisqu’il est clairement tributaire de “raisons impérieuses concernant des crimes odieux”. L’exercice constitutionnel de ce pouvoir limité de rétablir la peine de mort exige 1) que le Congrès définisse ou explique ce qu’il faut entendre par des crimes odieux; 2) qu’il précise et rende passible de la peine capitale uniquement les crimes susceptibles d’être qualifiés d’odieux en fonction de la définition ou de l’explication qui figurera dans la loi relative à la peine de mort et/ou qu’il indique quels sont les crimes passibles de la réclusion à perpétuité ou de la peine de mort, et dans ce cas la peine de mort ne pourra être prononcée qu’après qu’un tribunal aura qualifié d’odieuses les circonstances caractérisant le crime, au sens de la définition ou de l’explication formulée dans la loi relative à la peine de mort; et 3) que le Congrès, en adoptant la loi relative à la peine de mort, soit singulièrement motivé par “des raisons impérieuses concernant des crimes odieux”.».
Selon nous, il ressort clairement de ce passage et d’autres passages de l’arrêt que l’analyse de la Cour suprême se limitait au droit constitutionnel interne, et qu’elle ne portait pas sur la question de savoir si l’adoption de la Constitution de 1987 équivalait à une abolition au sens du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte et, si tel avait été le cas quelles en auraient été les conséquences au titre du Pacte. Il nous semble néanmoins utile de citer aussi un avis de la minorité particulièrement bien formulé, qui porte également sur le droit constitutionnel interne plutôt que sur le droit international:
«… la Constitution n’a pas simplement suspendu l’application de la peine de mort, elle l’a en réalité complètement abolie en droit. Le fait de commuer ou de transformer automatiquement toute condamnation à mort prononcée mais non encore appliquée depuis l’entrée en vigueur de la Constitution en réclusion à perpétuité démontre clairement que, s’il est toujours possible d’un accusé pour un crime capital, la mort en tant que peine a cessé d’exister dans notre droit pénal et ne peut donc plus être appliquée. Telle était clairement l’intention des auteurs de la Constitution.».
Dans la présentation des événements qui précède, nous avons évité de prendre position sur la question de savoir si ce qui s’est déroulé aux Philippines en 1987 équivalait à une abolition de la peine de mort au sens du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte. Il est temps à présent de répondre à cette question.
Comme le fait observer le Comité, au paragraphe 4.1 de ses constatations dans la présente affaire, les Philippines n’ont communiqué aucune information au Comité en réponse à la communication. Cette situation est bien évidemment regrettable, mais elle ne saurait empêcher le Comité d’établir les faits à la lumière des éléments dont il dispose.
La distinction entre abolition et moratoire est, selon nous, capitale. En 1987, les Philippines ont supprimé la peine capitale de leur ordre juridique, de sorte qu’aucune disposition du droit pénal ne prévoyait la possibilité de condamner une personne à mort. La peine de mort ne pouvait être appliquée au motif qu’il y était fait référence dans la Constitution. Au contraire, la Constitution elle‑même précisait très clairement que la peine capitale avait été supprimée de l’ordre juridique, c’est‑à‑dire abolie. Le fait qu’elle ait comporté une espèce de réserve interne, en ce sens que la réintroduction de la peine capitale selon certaines modalités pourrait ne pas être inconstitutionnelle, est sans incidence sur les dispositions de fond ou l’application de l’article 6 du Pacte en tant que traité international.
Partant, nous concluons que, aux fins du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, les Philippines ont aboli la peine capitale en 1987 et l’ont réintroduite en 1993. Suite à cela, l’auteur de la présente communication a été condamné à mort, ce qui constitue, selon nous, une violation de l’article 6 du Pacte. Cette violation se distingue de la violation de l’article 6 établie par le Comité sur le fondement du prononcé obligatoire de la peine de mort, et s’y ajoute.
Notre conclusion est appuyée par les arguments que l’État partie lui‑même a communiqués au Comité dans le cadre de l’affaire Carpo. Bien que l’État partie n’ait pas coopéré avec le Comité en l’espèce, il est à présent intéressant d’observer que, avant que le Comité n’ait statué sur l’affaire Carpo, l’État partie avait fait valoir que:
1)«Le fait que les Philippines aient décidé, en vertu de la Constitution de 1987, d’abolir [la peine de mort] ne saurait empêcher pour autant le législateur de la rétablir, dans la mesure où la Constitution elle‑même le permet.».
2)«… il appartient à l’État partie de se prononcer sur la constitutionnalité de la peine de mort. Le Comité n’est pas compétent pour interpréter la constitution d’un État partie afin de déterminer si celui-ci se conforme aux obligations qui lui incombent en vertu des Pactes.».
3)Le paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte «ne fait pas référence aux pays qui ont précédemment aboli la peine de mort: il se réfère simplement aux pays où la peine de mort est toujours prévue par la législation».
La première observation est correcte du point de vue du droit constitutionnel philippin, mais elle revient en même temps à reconnaître que l’enchaînement des événements devrait être considéré comme une abolition suivie d’une réintroduction. La deuxième observation est techniquement correcte, mais elle ne saurait affecter la compétence du Comité pour interpréter l’article 6 du Pacte. Quant à la troisième observation, elle est manifestement incorrecte au regard du début du paragraphe 2 de l’article 6: «Dans les pays où la peine de mort n’a pas été abolie, une sentence de mort ne peut être prononcée que…».
Depuis qu’il a été établi, il y a plus de 25 ans, le Comité des droits de l’homme a élaboré une jurisprudence particulièrement importante en ce qui concerne le droit à la vie, qui a eu pour effet de restreindre toute application de la peine capitale. Les auteurs du Pacte ne sont manifestement pas parvenus à se mettre d’accord pour abolir la peine capitale, mais ils ont néanmoins prévu dans les dispositions détaillées de l’article 6 un certain nombre de restrictions quant à l’application de cette peine que de nombreux États, des cours suprêmes ou des cours constitutionnelles dans différents pays du monde, des juristes éminents, des universitaires et de simples particuliers considèrent inhumaine. Grâce à une application rigoureuse des divers éléments de l’article 6, le Comité est parvenu à instituer, par sa jurisprudence, une surveillance internationale de l’application de la peine de mort, sans toutefois interpréter l’article 6 comme interdisant totalement cette peine. Certains des aspects les plus importants de cette volumineuse jurisprudence portent sur l’effet d’une violation des droits de la défense dans le cadre d’un procès aboutissant à une condamnation à la peine capitale, ce qui constitue une violation non seulement de l’article 14 mais aussi de l’article 6, sur le fait de considérer le prononcé obligatoire de la peine capitale pour un crime défini en termes vagues comme une privation arbitraire de la vie, sur la portée de la notion de «crimes les plus graves» figurant au paragraphe 2 de l’article 6 et, dans l’affaire Judge, sur la question du rétablissement indirect de la peine capitale découlant du fait pour un pays abolitionniste d’expulser une personne vers un autre pays où elle court le risque d’être condamnée à mort, tous ces points constituant des violations de l’article 6. En outre, s’agissant de l’article 7 du Pacte, le Comité a également estimé que certaines formes d’exécution, ainsi qu’un séjour prolongé dans le quartier de la mort, s’il s’accompagne d’«autres circonstances déterminantes», constituent des violations du Pacte. Toute cette jurisprudence, associée au fait que l’article 6 exclut que certaines catégories de personnes puissent être condamnées à la peine capitale, a effectivement restreint le recours à cette peine. Un jour le Comité disposera peut-être de raisons suffisantes pour conclure que, compte tenu de l’évolution de l’opinion publique, de la pratique des États et de la jurisprudence de diverses juridictions, toute forme d’exécution constitue un châtiment inhumain au sens de l’article 7.
Les affaires futures montreront si c’est effectivement dans ce sens qu’évoluera la jurisprudence du Comité. En tout état de cause, nous sommes d’avis que le Comité aurait dû suivre en l’espèce l’interprétation qu’il avait déjà formulée dans l’affaire Judge et aborder la question de savoir si les Philippines avaient violé l’article 6 en réintroduisant la peine capitale en 1993, après l’avoir abolie en 1987. Comme indiqué ci‑dessus, notre réponse à cette question est affirmative.
(Signé) Martin Scheinin(Signé) Christine Chanet(Signé) Rajsoomer Lallah
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Opinion individuelle des membres du Comité suivants: M me Ruth Wedgwood et M. Nisuke Ando
Dans le prolongement de l’opinion individuelle que nous avions formulée au sujet de l’affaire Carpo c. Philippines (no 1077/2002), le 6 mai 2002, nous ne sommes pas en mesure de nous associer aux conclusions que le Comité a formulées au paragraphe 5.2 de ses constatations. En outre, nous ne partageons pas l’opinion dissidente de M. Scheinin, de Mme Chanet et de M. Lallah en l’espèce. Le Comité n’a jamais laissé entendre, et il ne le fait guère plus en l’espèce, qu’une lecture expansionniste du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte devait aller à l’encontre de la volonté d’un État partie de réformer ses dispositions en matière pénale. En l’espèce, l’État partie a modifié sa Constitution pour limiter la peine de mort aux «infractions odieuses» et il a révisé en conséquence ses lois pénales. Il s’efforçait ainsi, de bonne foi, de s’acquitter de l’obligation lui incombant en vertu du Pacte de limiter la peine de mort aux «crimes les plus graves». Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte offre un cadre distinct aux États qui souhaitent abolir la peine de mort dans tous les cas. En laissant entendre que même en cas de suspension temporaire pendant une période de réforme législative une application limitée de la peine de mort devrait être interdite, on ne ferait que décourager toute volonté d’améliorer les dispositions en matière pénale. Une telle interprétation n’est pas confirmée par le texte ou les travaux préparatoires du paragraphe 2 de l’article 6 et serait contraire aux objectifs mêmes visés par les auteurs de cette disposition.
(Signé) Ruth Wedgwood(Signé) Nisuke Ando
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
U. Communication n o 1119/2002, Lee c. République de Corée (Constatations adoptées le 20 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
M. Jeong-Eun Lee (représenté par un conseil, M. Seung‑Gyo Kim) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
République de Corée |
Date de la communication: |
23 août 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet: Condamnation de l’auteur en vertu de la loi sur la sécurité nationale pour appartenance à une «organisation hostile à l’État».
Questions de procédure: Justification par l’auteur de ses allégations − Épuisement des recours internes − Applicabilité de la réserve faite par l’État partie à l’égard de l’article 22 du Pacte.
Questions de fond: Liberté de pensée et de conscience − Liberté d’opinion − Liberté d’expression − Restrictions autorisées de la liberté d’association − Droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi.
Articles du Pacte: 18 (par. 1), 19 (par. 1 et 2), 22 et 26.
Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 20 juillet 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1119/2002, présentée au Comité des droits de l’homme au nom de M. Jeong-Eun Lee en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est M. Jeong-Eun Lee, citoyen de la République de Corée, né le 22 février 1974. Il se dit victime de violations par la République de Corée du paragraphe 1 de l’article 18, des paragraphes 1 et 2 de l’article 19, du paragraphe 1 de l’article 22 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le «Pacte»). Il est représenté par un conseil, M. Seung-Gyo Kim.
Rappel des faits
2.1En mars 1993, l’auteur a commencé ses études à l’école d’architecture de l’Université Konkuk. En quatrième année d’études, il a été élu Vice-Président du Conseil général des étudiants de cette université et, à ce titre, est devenu automatiquement membre de la Conférence des représentants, qui est l’organe suprême de la Fédération coréenne des conseils étudiants (Hanchongnyeon). Cette association nationale des étudiants universitaires, créée en 1993 et regroupant (en août 2002) 187 universités, dont l’Université Konkuk, a pour objectif de promouvoir la démocratisation de la société coréenne, la réunification nationale et l’autonomie des universités.
2.2En 1997, la Cour suprême de la République de Corée a jugé que le Hanchongnyeon était un «groupement agissant dans l’intérêt de l’ennemi» et une organisation hostile à l’État au sens des paragraphes 1 et 3 de l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale, parce que le programme et les activités du Hanchongnyeon de la cinquième année soutenaient la stratégie de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) visant à réaliser l’unification nationale en «communisant» la République de Corée.
2.3En 2001, l’auteur est devenu membre de la Conférence des représentants du Hanchongnyeon de la neuvième année. Le 8 août 2001, il a été arrêté, puis inculpé en vertu de l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale. Par un jugement daté du 28 septembre 2001, la division est du tribunal de district de Séoul l’a condamné à un an d’emprisonnement et à un an de «suspension d’éligibilité». Ayant fait appel de cette décision, il a été débouté par la cour d’appel de Séoul le 5 février 2002. Le 31 mai 2002, la Cour suprême a rejeté son pourvoi.
2.4Les tribunaux ont rejeté les arguments de l’auteur selon lesquels le Hanchongnyeon de la neuvième année avait révisé son programme pour faire sienne la «Déclaration commune Nord‑Sud du 15 juin» (2000) sur la réunification nationale, adoptée par les dirigeants de la Corée du Nord et de la Corée du Sud, et que, même si le programme du Hanchongnyeon correspondait dans une certaine mesure à l’idéologie de la Corée du Nord, cela ne suffisait pas à justifier qu’il soit qualifié de «groupement agissant dans l’intérêt de l’ennemi».
2.5À la date de présentation de la communication, l’auteur accomplissait sa peine d’emprisonnement à l’établissement correctionnel de Gyeongju.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur soutient que sa condamnation pour appartenance à un «groupement agissant dans l’intérêt de l’ennemi» viole ses droits à la liberté de pensée et de conscience (art. 18, par. 1), à la liberté d’opinion (art. 19, par. 1) et d’expression (art. 19, par. 2), à la liberté d’association (art. 22, par. 1) et à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi (art. 26).
3.2Il soutient que le fait d’avoir été condamné uniquement parce qu’il était représentant du Hanchongnyeon violait son droit à la liberté de pensée et de conscience protégé par l’article 18, puisque son appartenance à l’association répondait à sa libre volonté et à sa conscience.
3.3Invoquant la jurisprudence du Comité, l’auteur fait valoir que le fait qu’il a été condamné pour appartenance à un «groupement agissant dans l’intérêt de l’ennemi» violait également les droits découlant de l’article 19, à savoir le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et le droit à la liberté d’expression, puisque sa condamnation était motivée par l’orientation idéologique de l’organisation, et non pas par les activités concrètes menées par le Hanchongnyeon de la neuvième année. Il souligne que le Comité lui-même a critiqué l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale en disant que cet article était incompatible avec les dispositions du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.
3.4Pour l’auteur, son droit à la liberté d’association a été violé parce qu’il a été puni pour être devenu ex officio représentant du Hanchongnyeon. De plus, sa condamnation constituait une discrimination fondée sur les opinions politiques, en violation de l’article 26, puisque le Hanchongnyeon n’avait jamais exercé d’activités qui auraient directement servi les intérêts de la RPDC.
3.5L’auteur demande au Comité de recommander à l’État partie d’abroger les paragraphes 1 et 3 de l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale et, en attendant leur abrogation, d’en suspendre l’application, et aussi de rejuger et d’acquitter l’auteur, et de l’indemniser de son préjudice.
3.6Sur la question de la recevabilité, l’auteur indique que la même question n’est pas en cours d’examen au titre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international et qu’il a épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans ses observations datées du 8 mai 2003, l’État partie n’a contesté la communication qu’au fond, disant que la condamnation de l’auteur en vertu des paragraphes 1 et 3 de l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale était justifiée par la nécessité de protéger la sécurité du pays et son ordre démocratique. Selon lui, dans le cadre des restrictions autorisées par les dispositions du paragraphe 3 de l’article 18, du paragraphe 3 de l’article 19, et du paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, le paragraphe 2 de l’article 37 de la Constitution de la République de Corée prévoit que les libertés et les droits des citoyens peuvent être restreints par la loi dans l’intérêt de la protection de la sécurité nationale, du maintien de l’ordre ou du bien public. Les paragraphes 1 et 3 de l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale, promulguée pour protéger la sécurité nationale et l’ordre démocratique contre la menace que représente l’objectif révolutionnaire de la Corée du Nord, qui est de «communiser» la République de Corée, ont maintes fois été déclarés conformes à la Constitution par la Cour suprême et la Cour constitutionnelle. L’État partie conclut que la condamnation de l’auteur, prononcée à l’issue d’un procès équitable qui s’est déroulé devant des tribunaux indépendants, dans la stricte application des paragraphes 1 et 3 de l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale, était compatible avec le Pacte et avec la Constitution.
4.2L’État partie rejette l’argument de l’auteur selon lequel le Hanchongnyeon de la neuvième année avait révisé son programme et ne pouvait pas être considéré comme une organisation hostile à l’État pour le seul motif que certains de ses objectifs rappelaient l’idéologie nord‑coréenne. Il fait valoir que le programme de l’organisation, ses règlements et sa documentation révèlent que le Hanchongnyeon «agit dans l’intérêt d’une organisation hostile à l’État et met en danger la sécurité nationale et les principes de démocratie libérale de la République de Corée».
4.3Enfin, l’État partie nie que l’auteur ait fait l’objet d’une discrimination fondée sur ses opinions politiques. Il affirme que les lois de la République de Corée, y compris la loi sur la sécurité nationale, s’appliquent également à tous les citoyens. L’auteur n’a pas été poursuivi en raison de ses opinions politiques, mais parce que ses actions constituaient une menace pour la société.
Demandes de commentaires adressées par le Comité à l’auteur
5.Le 13 mai 2003, la communication de l’État partie a été adressée au conseil pour observations. Aucun commentaire n’a été reçu, malgré trois rappels datés du 8 octobre 2003 et du 26 janvier et du 13 juillet 2004.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas actuellement examinée dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international et que l’auteur avait épuisé les recours internes comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.3Le Comité considère que l’auteur n’a pas, aux fins de la recevabilité, étayé son allégation selon laquelle sa condamnation constituait une discrimination fondée sur les opinions politiques, en violation de l’article 26 du Pacte. Il s’ensuit que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4En ce qui concerne le grief de violation de l’article 22 du Pacte, le Comité note que l’État partie s’est référé au fait que les dispositions de la loi sur la sécurité nationale en cause étaient conformes à sa Constitution. Toutefois, il n’a pas invoqué la réserve ratione materiae qu’il a faite à l’article 22, selon laquelle cette garantie ne s’applique que sous réserve des «dispositions de la législation interne, y compris de la Constitution de la République de Corée». En conséquence, le Comité n’a pas à examiner la compatibilité de cette réserve avec l’objet et le but du Pacte et peut étudier la question de la violation de l’article 22 en l’espèce.
6.5Le Comité déclare donc la communication recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte, de l’article 19 et de l’article 22.
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, comme il y est tenu conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Enfin, le Comité doit déterminer si la condamnation de l’auteur pour son appartenance au Hanchongnyeon a représenté une restriction déraisonnable de sa liberté d’association, et par conséquent une violation de l’article 22 du Pacte. Le Comité note que, conformément au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, toute restriction du droit à la liberté d’association, pour être valable, doit satisfaire cumulativement aux conditions suivantes: a) elle doit être prévue par la loi; b) elle ne peut viser que l’un des buts énoncés au paragraphe 2; et c) elle doit être «nécessaire dans une société démocratique» pour la réalisation de l’un de ces buts. La référence à une «société démocratique» indique, de l’avis du Comité, que l’existence et le fonctionnement d’une pluralité d’associations, y compris d’associations qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, constituent l’un des fondements d’une société démocratique. Il n’est donc pas suffisant qu’il y ait une justification raisonnable et objective quelconque pour limiter la liberté d’association. L’État partie doit démontrer aussi que l’interdiction de l’association et l’engagement de poursuites pénales contre des particuliers pour leur adhésion à cette association sont véritablement nécessaires pour écarter un danger réel, et non pas seulement hypothétique, pour la sécurité nationale et l’ordre démocratique et que des mesures moins draconiennes seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif.
7.3L’auteur a été condamné sur la base des paragraphes 1 et 3 de l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale. La question déterminante à examiner est donc de savoir si cette mesure était nécessaire pour la réalisation d’un des buts énoncés au paragraphe 2 de l’article 22. Le Comité note que l’État partie a invoqué la nécessité de protéger la sécurité nationale et l’ordre démocratique du pays contre la menace que représente la République populaire démocratique de Corée. L’État partie n’a cependant pas précisé la nature de la menace que constituerait l’adhésion de l’auteur au Hanchongnyeon. Le Comité relève que la décision de la Cour suprême de la République de Corée, déclarant en 1997 que cette association était un «groupement agissant dans l’intérêt de l’ennemi», s’appuyait sur le paragraphe 1 de l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale qui interdit tout soutien à des associations qui «risquent» de mettre en danger l’existence et la sûreté de l’État ou son ordre démocratique. Il relève aussi que l’État partie et ses tribunaux n’ont pas montré qu’il était nécessaire de sanctionner pénalement l’auteur pour son appartenance au Hanchongnyeon, en particulier après qu’il a fait sienne la «Déclaration commune Nord‑Sud du 15 juin» (2000), pour écarter un danger réel pesant sur la sécurité nationale et l’ordre démocratique de la République de Corée. Le Comité considère donc que l’État partie n’a pas démontré que la condamnation de l’auteur était nécessaire à la protection de la sécurité nationale ni à aucune autre des fins énoncées au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. Il conclut que la restriction du droit de l’auteur à la liberté d’association était incompatible avec les dispositions du paragraphe 2 de l’article 22, et violait donc le paragraphe 1 de l’article 22, du Pacte.
7.4Étant donné cette conclusion, le Comité n’a pas à examiner la question de savoir si la condamnation de l’auteur a également constitué une violation des droits garantis au paragraphe 1 de l’article 18 et au paragraphe 19 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte.
9.En vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à une réparation, sous la forme d’une indemnisation adéquate. Le Comité recommande à l’État partie de modifier l’article 7 de la loi sur la sécurité nationale en vue de la rendre conforme au Pacte. L’État partie est tenu de veiller à ce que de semblables violations ne se reproduisent pas à l’avenir.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures que celui-ci aura prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également tenu de publier les constatations du Comité.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
Communication n o 1128/2002 |
V. Communication n o 1128/2002, Marques de Morais c. Angola (Constatations adoptées le 30 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Rafael Marques de Morais(représenté par la Open Society Institute et Interights) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Angola |
Date de la communication: |
5 septembre 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet: Arrestation, détention et condamnation d’un journaliste pour avoir critiqué le Président de l’Angola.
Questions de procédure: Non-coopération de l’État partie − Justification des griefs − Recevabilité ratione materiae − Épuisement des recours internes.
Questions de fond: Liberté et sécurité de la personne − Droit d’être informé des raisons de son arrestation − Droit d’être traduit dans le plus court délai devant un juge − Contestation de la légalité de la détention − Réparation pour arrestation ou détention illégale − Droit à un procès équitable − Liberté de mouvement − Liberté d’expression.
Articles du Pacte: 9 (par. 1 à 5), 14 (par. 1, par. 3 a) b) d) et e), et par. 5), 12 et 19.
Articles du Protocole facultatif: 2, 3 et 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 29 mars 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1128/2002 présentée par Rafael Marques de Morais, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication est Rafael Marques de Morais, de nationalité angolaise, né le 31 août 1971. Il se dit victime de violations par l’Angola des articles 9, 12, 14 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). L’auteur est représenté par un conseil.
Exposé des faits
2.1Le 3 juillet, le 28 août et le 13 octobre 1999, l’auteur, journaliste et représentant de l’Open Society Institute en Angola, a écrit plusieurs articles critiquant le Président angolais, M. Dos Santos, dans un journal angolais indépendant, l’Agora. Dans ces articles, il a écrit, entre autres, que le Président était responsable «de la destruction du pays et de la situation catastrophique des institutions de l’État» et qu’il devrait rendre des comptes pour «avoir érigé l’incompétence, l’abus de confiance et la corruption en valeurs sociales et politiques».
2.2Le 13 octobre 1999, l’auteur a été convoqué par un enquêteur de la Division nationale d’enquête pénale (DNIC) et interrogé pendant trois heures environ avant d’être relâché. Lors d’un entretien conduit un peu plus tard le même jour sur la station de radio catholique Radio Ecclésia, l’auteur a renouvelé ses critiques du Président et décrit la manière dont il avait été traité par la DNIC.
2.3Le 16 octobre 1999, l’auteur a été arrêté sous la menace d’une arme par 20 membres armés de la Police d’intervention rapide et des agents de la DNIC à son domicile à Luanda, sans être informé des raisons de son arrestation. Il a été conduit à l’Unité de police opérationnelle, où il a été retenu pendant sept heures et interrogé avant d’être remis aux enquêteurs de la DNIC, qui l’ont interrogé pendant cinq heures. Il a ensuite été placé officiellement en état d’arrestation, mais sans être inculpé, par le substitut du procureur général de la DNIC.
2.4Du 16 au 26 octobre 1999, l’auteur a été gardé au secret au Laboratoire central de police technique et scientifique (CFL) de haute sécurité à Luanda, où il n’a pas été autorisé à contacter son avocat et sa famille et a subi des intimidations de la part des responsables de la prison, qui lui ont demandé de signer des documents dégageant le CFL et le Gouvernement angolais de toute responsabilité en cas de décès ou de blessures subies pendant la détention, ce qu’il a refusé de faire. Il n’a pas été informé des raisons de son arrestation. À son arrivée au CFL, l’enquêteur en chef lui a simplement indiqué qu’il était retenu en tant que prisonnier de l’UNITA (União Nacional pela Independencia Total de Angola).
2.5Le 29 octobre 1999, ou autour de cette date, l’auteur a été transféré à la prison de Viana à Luanda et a pu contacter son avocat. Le même jour, ce dernier a déposé une requête en habeas corpus devant la Cour suprême, contestant la légalité de l’arrestation et de la détention de l’auteur. Il n’a jamais été accusé réception de cette requête et aucun juge ou tribunal n’a été chargé de l’examiner.
2.6Le 25 novembre 1999, l’auteur a été libéré sous caution et informé pour la première fois des accusations retenues contre lui. Tout comme le directeur de l’Agora, A. S., et son rédacteur en chef, A. J. F., il était accusé d’avoir «concrètement et continuellement commis des délits caractérisés de diffamation et de calomnie à l’encontre de S. E. le Président de la République et du Procureur général de la République […] visés aux articles 44 et 46 de la loi no 22/91 du 15 juin (loi sur la presse) avec les circonstances aggravantes prévues aux paragraphes 1, 2, 10, 20, 21 et 25 de l’article 34 du Code pénal». Libéré sous caution, l’auteur avait obligation «de ne pas quitter le pays» et «de ne pas se livrer à certaines activités qui renouvellent l’infraction commise et créent le risque d’une nouvelle infraction» (art. 270 du Code pénal). Les demandes d’éclaircissement des conditions de la libération sous caution, présentées à plusieurs reprises par l’auteur, n’ont pas reçu de réponse.
2.7Le procès de l’auteur a débuté le 21 mars 2000. Après trente minutes, le juge a demandé que le procès se poursuive à huis clos, un journaliste ayant essayé de prendre des photos.
2.8Se fondant sur l’article 46 de la loi no 22/91 du 15 juin 1991 sur la presse, le tribunal provincial a jugé que les éléments de preuve présentés par l’auteur pour appuyer sa défense et qui tendaient à démontrer que ses allégations étaient «vraies» et qu’elles avaient été faites de bonne foi (discours du Président, décisions du Gouvernement et déclarations de hauts responsables étrangers) n’étaient pas recevables. À titre de protestation, l’avocat de l’auteur a quitté la salle d’audience, déclarant que dans ces circonstances il ne pouvait pas représenter son client. Lorsqu’il est revenu dans la salle d’audience le 25 mars, le juge l’a empêché de reprendre la défense de l’auteur et a ordonné qu’il lui soit interdit d’exercer la profession d’avocat en Angola pendant six mois. Le tribunal a alors commis d’office comme défenseur un responsable du cabinet du Procureur général attaché à la Division du travail du tribunal provincial, qui, d’après l’auteur, n’était pas qualifié pour plaider.
2.9Le 28 mars 2000, un témoin de la défense s’est vu ordonner de quitter le tribunal et de mettre fin à son témoignage après avoir dit que la loi en vertu de laquelle l’auteur avait été inculpé était contraire à la Constitution. Le tribunal n’a pas autorisé l’auteur à appeler deux autres témoins de la défense, sans donner de motif.
2.10Le 31 mars 2000, le tribunal provincial a reconnu l’auteur coupable d’abus de la presse par diffamation, estimant que l’article du 3 juillet 1999 et l’entretien radiophonique contenaient «des termes et expressions insultants» à l’encontre du Président de la République et, bien que cela n’ait pas été soulevé par l’accusation et ne soit donc pas passible de sanctions, à l’encontre du Procureur général, dans l’exercice de leurs fonctions officielles comme à titre personnel. Le tribunal a estimé que l’auteur avait «agi avec l’intention de nuire» et l’a condamné en faisant jouer les articles 43, 44, 45 et 46 de la loi no 22/91 sur la presse, et en retenant la préméditation, circonstance aggravante prévue au paragraphe 1 de l’article 34 du Code pénal. Il a prononcé une peine de six mois d’emprisonnement, assortie d’une amende d’un million de kwanzas pour «décourager» de tels comportements, et a aussi condamné l’auteur au versement de 100 000 NKz à titre d’indemnités à «la partie lésée» et aux dépens pour un montant de 20 000 NKz.
2.11Le 4 avril 2000, l’auteur a fait appel devant la Cour suprême qui, le 7 avril 2000, a rendu un avis public critiquant l’ordre des avocats pour avoir déclaré, dans une décision de son Conseil national adoptée le 27 mars 2000, que la suspension de l’avocat de l’auteur était nulle et non avenue pour défaut de compétence du juge qui l’avait prononcée.
2.12Le 26 octobre 2000, la Cour suprême a annulé le jugement du tribunal concernant l’accusation de diffamation mais a confirmé la condamnation pour abus de la presse par outrage au Président, qui tombe sous le coup du paragraphe 3 de l’article 45 de la loi no 22/91 sur la presse. Le tribunal a estimé que les actes de l’auteur ne relevaient pas du droit constitutionnel à la liberté d’expression, dont l’exercice était en effet limité par d’autres droits reconnus par la Constitution, tels l’honneur et la réputation, ou par «le respect qui est dû aux organes de la souveraineté et aux symboles de l’État, en l’espèce le Président de la République». Il a confirmé la peine de six mois de prison mais a suspendu son exécution pendant cinq ans et a condamné l’auteur aux dépens pour un montant de 20 000 NKz ainsi qu’à des dommages-intérêts d’un montant de 30 000 Nkz. Les conditions de la libération sous caution n’ont pas été évoquées dans le jugement.
2.13Le 11 novembre 2000, l’auteur a essayé sans succès d’obtenir une déclaration confirmant que les restrictions qui lui étaient imposées par les conditions de sa libération sous caution n’étaient plus applicables.
2.14Le 12 décembre 2000, l’auteur a été empêché de quitter l’Angola pour se rendre en Afrique du Sud où il devait participer à une conférence de l’Open Society Institute. Son passeport a été confisqué. Malgré ses demandes répétées, il ne lui a pas été rendu avant le 8 février 2001, à la suite d’une décision de justice en date du 2 février 2001, fondée sur la loi d’amnistie no 7/00 du 15 décembre 2000, qui a été déclarée applicable dans son cas. En dépit de cette amnistie, l’auteur a été convoqué le 19 janvier 2002 au tribunal provincial qui lui a ordonné de verser au Président des indemnités d’un montant de 30 000 NKz, ce qu’il a refusé de faire; il a en revanche accepté de payer les frais de justice.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur estime que son arrestation et sa détention n’étaient pas fondées sur des dispositions suffisamment définies, en violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. En particulier, l’article 43 de la loi sur la presse («abus de la presse») et l’article 410 du Code pénal («outrage») ne sont pas assez précis mais sont au contraire excessivement généraux, et il est donc impossible de savoir avec certitude quels types de discours politiques restent autorisés. En outre, les autorités se sont fondées sur des bases juridiques différentes pour l’arrestation de l’auteur et pour son inculpation, son procès et son appel. Même en admettant que l’arrestation était légale, le maintien en détention pendant 40 jours n’était ni raisonnable ni nécessaire au vu des circonstances de l’affaire.
3.2L’auteur se dit victime d’une violation du paragraphe 2 de l’article 9, car il a été arrêté sans être informé des raisons de son arrestation ni des accusations portées contre lui. Sa détention au secret pendant 10 jours, sans qu’il puisse contacter son avocat ou sa famille, le déni du droit constitutionnel d’être traduit devant un juge pendant les 40 jours de sa détention, et le refus des autorités de le libérer rapidement en attente du procès alors qu’il n’y avait pas de risque qu’il prenne la fuite (comme il l’avait montré par son attitude coopérative, par exemple lorsqu’il s’était présenté à la DNIC le 13 octobre 1999), ont constitué des violations des droits garantis au paragraphe 3 de l’article 9. Le fait qu’il ait été empêché de soulever la question de la légalité de sa détention alors qu’il était détenu au secret constitue également une violation du paragraphe 4 de l’article 9, tout comme le refus des tribunaux angolais d’examiner sa demande d’habeas corpus. En vertu du paragraphe 5 de l’article 9, l’auteur demande réparation pour son arrestation et sa détention illégales.
3.3L’auteur fait valoir que le refus d’autoriser la presse et le public à assister au procès n’était justifié par aucune des circonstances exceptionnelles énumérées au paragraphe 1 de l’article 14, car le photographe perturbateur aurait pu se voir confisquer son appareil ou être exclu de la salle d’audience.
3.4Le fait que l’auteur n’ait été informé des chefs d’inculpation formels retenus contre lui que 40 jours après son arrestation constituerait une violation du droit, garanti au paragraphe 3 a) de l’article 14, d’être informé rapidement de la nature et des motifs de l’accusation portée contre lui. L’auteur fait valoir que ce retard n’était pas justifié par la complexité de l’affaire. En outre, le fait qu’il ait été condamné pour des infractions plus graves (art. 43 et 45 de la loi sur la presse) que celles dont il était accusé au départ (art. 44 et 46 de la loi sur la presse) constitue une violation du droit de disposer des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (par. 3 b) de l’article 14 du Pacte). Sa condamnation pour ces infractions supplémentaires aurait dû être annulée par la Cour suprême qui a, à la place, jugé qu’un tribunal provincial pouvait «condamner un accusé pour une infraction différente de celle dont il était accusé, même si elle était plus grave, à condition que cette condamnation se fonde sur des faits portés dans l’acte d’accusation ou dans un acte analogue».
3.5L’auteur invoque une violation du droit de communiquer avec un conseil (par. 3 b) de l’article 14) parce qu’il n’a pas pu consulter son avocat quand il était au secret, à un stade crucial de la procédure et parce que le juge n’a pas ajourné l’audience après avoir dessaisi l’avocat de l’auteur et nommé un défenseur d’office le 23 mars 2000, l’empêchant ainsi de disposer du temps nécessaire pour s’entendre avec son nouveau conseil. Le droit de bénéficier de l’assistance d’un défenseur de son choix (par. 3 d) de l’article 14) a été violé car son avocat a été exclu illégalement de l’affaire, comme l’a confirmé l’arrêt de la Cour suprême du 26 octobre 2000. L’auteur fait valoir que, alors qu’il était disposé à payer les services d’un défenseur de son choix le juge a commis d’office un nouveau conseil qui n’était ni qualifié ni compétent pour assurer correctement sa défense et qui s’est borné, pendant le reste du procès, à demander au tribunal «de rendre la justice» et à se déclarer satisfait du déroulement du procès.
3.6Selon l’auteur, la décision du juge de n’entendre qu’un seul témoin à décharge, un militant des droits de l’homme qui a été expulsé du tribunal après avoir affirmé que l’article 46 de la loi sur la presse était contraire à la Constitution, et de rejeter des écrits tendant à prouver la véracité des déclarations de l’auteur et sa bonne foi, au motif que l’article 46 de la loi sur la presse empêchait la présentation de preuves contre le Président, a constitué une violation des droits garantis au paragraphe 3 e) de l’article 14 et l’a empêché de produire des preuves permettant de déterminer si tous les éléments de l’infraction étaient présents, et notamment s’il avait agi avec l’intention d’offenser le Président.
3.7L’auteur se dit victime d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 en raison du manque d’impartialité de la Cour suprême qui a publiquement critiqué l’ordre des avocats alors que son appel était en cours d’examen, et des imprécisions entourant la base légale exacte de sa condamnation qui l’ont empêché de former un appel «efficace».
3.8L’auteur fait valoir que ses déclarations critiques à l’égard du Président Dos Santos relevaient de son droit à la liberté d’expression, consacré à l’article 19, qui implique que les citoyens doivent être autorisés à critiquer ou à évaluer ouvertement et publiquement leur gouvernement et que la presse doit être à même d’exprimer des opinions politiques, y compris en critiquant ceux qui détiennent le pouvoir. Son arrestation et sa détention illégales décidées à cause de ses déclarations, les restrictions imposées à sa liberté d’expression et à sa liberté de circulation alors qu’il était en attente de jugement, sa condamnation et sa peine, et la menace de réprimer à l’avenir de la même façon toute expression d’une opinion sont autant d’atteintes à sa liberté d’expression. Il fait valoir que ces restrictions ne sont pas «fixées par la loi» au sens du paragraphe 3 de l’article 19, étant donné a) que sa détention illégale et l’interdiction qui lui a été faite de voyager n’étaient fondées sur aucune disposition de la législation angolaise; b) qu’il a été condamné en vertu de dispositions telles que l’article 43 de la loi sur la presse («abus de la presse») et l’article 410 du Code pénal («outrage»), qui n’étaient pas assez claires pour être considérées comme des normes «suffisamment accessible[s]» et «énoncée[s] avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite»; et c) que la clause de sa libération conditionnelle lui interdisant de «se livrer à certaines activités qui [créeraient] le risque d’une nouvelle infraction» était tout aussi imprécise et qu’il avait en vain demandé ce qui était réellement visé.
3.9L’auteur fait valoir que les restrictions qui lui ont été imposées n’obéissaient pas à un but légitime au sens du paragraphe 3 a) et b) de l’article 19. En particulier, le respect des droits ou de la réputation d’autrui [al. a)] ne pouvait pas être interprété comme protégeant un Président contre les critiques d’ordre politique, par opposition aux critiques d’ordre personnel, étant donné que l’un des objectifs du Pacte était de promouvoir le débat politique. De même, les mesures prises à l’encontre de l’auteur n’étaient ni nécessaires pour atteindre un but légitime ni proportionnelles au but recherché, étant donné que a) les limites des critiques acceptables sont plus larges pour les hommes politiques que pour les personnes privées, qui n’ont pas le même accès aux moyens de communication pour démentir les fausses déclarations; b) il a été reconnu coupable pour ses déclarations sans avoir eu la possibilité de montrer la réalité de ce qu’il affirmait ni de prouver sa bonne foi; c) dans tous les cas, le recours à des sanctions pénales plutôt que civiles constitue un moyen disproportionné pour protéger la réputation d’autrui.
3.10Enfin, l’auteur se dit victime d’une violation de l’article 12, qui comprend le droit d’obtenir les documents de voyage nécessaires pour quitter son propre pays. L’interdiction qui lui a été faite de quitter l’Angola le 12 décembre 2000 et la confiscation, sans justification, de son passeport jusqu’en février 2001, malgré ses tentatives répétées pour le récupérer et pour se faire préciser ses droits en matière de voyage, ne reposaient sur aucune base légale puisque les restrictions découlant des conditions de sa libération sous caution n’étaient plus applicables et que dans son arrêt la Cour suprême n’avait fixé aucune limite à sa liberté de mouvement. L’auteur fait valoir que ces mesures constituaient, en plus d’une violation de l’article 12, une atteinte à la liberté d’expression puisqu’il n’a pas pu participer à la conférence organisée par l’Open Society Institute en Afrique du Sud.
3.11L’auteur affirme que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’il a épuisé les recours internes, puisqu’il a déposé en vain une requête en habeas corpus contestant la légalité de son arrestation et de sa détention et qu’il a également fait appel de la déclaration de culpabilité et de la condamnation auprès de la Cour suprême, qui est la plus haute autorité judiciaire en Angola.
3.12L’auteur demande réparation pour les violations dont il se dit victime et demande au Comité de recommander à l’État partie d’annuler sa condamnation, de préciser qu’il n’existe aucun obstacle à sa liberté de mouvement et d’abroger les articles 45 et 46 de la loi sur la presse.
Absence de coopération de l’État partie
4.Par des lettres datées du 15 novembre 2002, du 15 décembre 2003, du 26 janvier 2004 et du 23 juillet 2004, l’État partie a été prié de présenter au Comité des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a toujours pas reçu les informations demandées. Il regrette que l’État partie n’ait donné aucune information quant à la recevabilité ou au fond des allégations de l’auteur. Il rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que les États parties doivent examiner de bonne foi toutes les allégations présentées contre eux et fournir au Comité tous les renseignements utiles dont ils disposent. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur dans la mesure où celles-ci ont été étayées.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
5.3En ce qui concerne les allégations de l’auteur qui affirme que la presse et le public ont été exclus de la salle d’audience, en violation du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité relève que l’auteur n’a pas soulevé la question devant la Cour suprême. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
5.4Pour ce qui est des allégations de l’auteur qui dit n’avoir été informé des accusations portées contre lui que 40 jours après son arrestation, le Comité rappelle que le paragraphe 3 a) de l’article 14 du Pacte ne s’applique pas aux personnes placées en garde à vue en attendant les résultats de l’enquête de police mais implique que l’intéressé doit être informé dans le plus court délai et de façon détaillée de ce qui lui est reproché dès que l’accusation est formulée pour la première fois par une autorité compétente. Bien que l’auteur ait été inculpé le 25 novembre 1999, c’est-à-dire une semaine après que sa mise en cause a été «approuvée» par le ministère public, il n’a pas soulevé la question de ce retard en appel. Le Comité conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
5.5En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que la condamnation pour des infractions plus graves que celles retenues dans l’acte d’accusation constitue une violation des droits garantis au paragraphe 3 b) de l’article 14, le Comité a pris note de l’argument de la Cour suprême dans son arrêt du 26 octobre 2000, selon lequel un juge peut condamner un accusé pour une infraction plus grave que celle dont il était accusé, à condition que cette condamnation se fonde sur des faits portés dans l’acte d’accusation. Le Comité rappelle que c’est généralement aux juridictions nationales, et non à lui-même, qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, ou de revoir l’interprétation de la législation nationale, sauf s’il peut être établi que les décisions des tribunaux ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Le Comité estime que l’auteur n’a pas véritablement montré que les accusations portées contre lui ne lui avaient pas été notifiées dans un délai raisonnable, pas plus qu’il n’a montré l’existence d’irrégularités entachant les conclusions de la Cour suprême, qui a estimé qu’un juge n’est pas lié par l’évaluation que fait le ministère public des faits contenus dans l’acte d’accusation. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.6En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 3 b) de l’article 14, le juge n’ayant pas ajourné le procès après avoir remplacé l’avocat de l’auteur par un conseil commis d’office, l’empêchant ainsi de disposer de suffisamment de temps pour s’entretenir avec son nouveau conseil et préparer sa défense, le Comité note qu’il ne ressort pas des documents dont il est saisi que l’auteur ou son nouveau conseil ont demandé un ajournement au motif qu’ils ne disposaient pas de suffisamment de temps pour préparer sa défense. Si le conseil estimait que son client et lui-même n’étaient pas suffisamment préparés, il lui appartenait de demander l’ajournement du procès. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu’un État partie ne peut pas être tenu pour responsable des agissements d’un avocat de la défense, à moins qu’il n’ait été ou n’eût dû être manifeste pour le juge que le comportement de l’avocat était incompatible avec les intérêts de la justice. Il estime que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que le non-ajournement du procès était manifestement incompatible avec les intérêts de la justice. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.7Pour ce qui est du grief de violation du droit de se défendre soi-même avec l’assistance d’un conseil de son choix (par. 3 d) de l’article 14), le Comité note que la Cour suprême, tout en annulant la suspension temporaire de l’avocat de l’auteur, ne s’est pas prononcée sur la légalité de l’exclusion de l’avocat du procès. Au contraire, elle a jugé que l’abandon d’un client par son avocat, en dehors des situations expressément prévues par la loi, était passible de sanctions disciplinaires en vertu des règlements applicables. Dans son avis, la Cour suprême n’a pas défendu la décision du juge de suspendre l’avocat mais s’est déclarée préoccupée par les effets de la critique de l’ordre des avocats (qui a «injustement créé un climat de suspicion et a discrédité [l’appareil judiciaire] à la fois au niveau national et à l’étranger») tout en soulignant que la décision du juge du fond était «susceptible d’être révisée par une juridiction supérieure». La Cour suprême a par la suite annulé la suspension de l’avocat pour six mois. De même, il ne semble pas, au vu des minutes du procès, que le conseil ait été nommé contre la volonté de l’auteur ou qu’il ait limité ses interventions pendant le reste du procès à des remarques redondantes. Il ressort du compte rendu d’audience que l’auteur, invité à dire s’il souhaitait désigner un nouveau défenseur, a déclaré qu’il laissait cette décision au tribunal. Le Comité conclut que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que l’exclusion de son avocat était illégale ou arbitraire, que le conseil a été nommé contre sa volonté ou qu’il n’était pas qualifié pour assurer une représentation légale efficace. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.8En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du fait de la décision du juge de n’entendre qu’un témoin de la défense, qui a été expulsé de la salle d’audience après avoir critiqué l’article 46 de la loi sur la presse en le déclarant contraire à la Constitution, le Comité note qu’il ne ressort pas de l’arrêt de la Cour suprême en date du 26 octobre 2000, ou de tout autre document à sa disposition, que l’auteur ait soulevé cette question en appel. En conséquence, la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, pour non-épuisement des recours internes.
5.9Tout en notant que l’auteur a avancé entre autres moyens d’appel le fait que le juge du fond avait rejeté les preuves qu’il avait présentées pour attester de la véracité de ses dires, le Comité note qu’il n’est pas en principe de sa compétence de déterminer si les juridictions nationales apprécient correctement la recevabilité des éléments de preuve, sauf s’il apparaît que leur décision est manifestement arbitraire ou constitue un déni de justice. Dans le cas d’espèce, le Comité note que le tribunal provincial et tout particulièrement la Cour suprême ont examiné si la loi sur la presse interdisait de défendre la vérité concernant les déclarations relatives au Président de la République, et rien ne permet à son avis d’estimer que leurs conclusions souffrent de telles irrégularités. Il estime par conséquent que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, cette plainte en vertu du paragraphe 3 e) de l’article 14 et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.10En ce qui concerne les allégations de l’auteur qui se dit victime d’une violation des droits garantis au paragraphe 5 de l’article 14, parce que la base légale sur laquelle s’est appuyé le tribunal provincial pour le condamner n’est pas claire et que l’impartialité de la Cour suprême a été altérée par son avis du 7 avril 2000, le Comité fait observer que l’infraction pour laquelle l’auteur a été condamné (abus de la presse par diffamation) est décrite avec suffisamment de précision dans le jugement du tribunal provincial. Il conclut par conséquent que l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.11Pour ce qui est du reste de la communication, le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé sa plainte aux fins de la recevabilité.
5.12En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’auteur a soulevé les questions constituant le fond de ses griefs au titre de l’article 9 dans sa requête en habeas corpus sur laquelle, d’après lui, les tribunaux angolais ne se sont jamais prononcés. En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 19 du Pacte, le Comité note que l’auteur a invoqué «le droit à la critique politique et sociale et la liberté de la presse» dans son appel. Il note en outre que l’auteur déclare (en rapport avec l’article 12 du Pacte) avoir fait à plusieurs reprises des démarches officielles pour récupérer son passeport et pour faire préciser par une autorité son droit de voyager mais qu’il s’est heurté à l’impossibilité absolue d’obtenir des renseignements concernant ses documents de voyage. Le Comité observe que, dans ces circonstances, aucun recours interne ne s’offrait à l’auteur.
5.13En l’absence d’informations contraires fournies par l’État partie, le Comité conclut que l’auteur a satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et que la communication est recevable pour ce qui est des questions soulevées au titre des paragraphes 1 à 5 de l’article 9 et de l’article 12, du paragraphe 3 b) de l’article 14 (en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouvait l’auteur de consulter son avocat pendant sa détention au secret) et de l’article 19 du Pacte.
Examen au fond
6.1Le Comité doit déterminer tout d’abord si l’arrestation de l’auteur le 16 octobre 1999 et sa détention jusqu’au 25 novembre 1999 étaient arbitraires ou constituaient de quelque manière que ce soit une violation de l’article 9 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante et réaffirme qu’il ne faut pas donner au mot «arbitraire» le sens de «contraire à la loi», mais plutôt l’interpréter plus largement du point de vue de ce qui est inapproprié, injuste, non prévisible et non conforme à la légalité. Cela signifie que la mise en détention provisoire doit certes être légale mais doit aussi être raisonnable et nécessaire à tous égards, par exemple pour éviter que l’intéressé prenne la fuite, soustraie ou modifie des preuves ou commette un nouveau crime. Or, aucune justification de ce type n’a été invoquée en l’espèce. Quelles que soient les règles de procédure pénale applicables, le Comité observe que même si l’auteur n’en a pas été informé, le motif de l’arrestation était la diffamation qui, bien que reconnue comme une infraction en droit pénal angolais, ne justifie ni l’arrestation de l’auteur [sous la menace d’une arme] par 20 policiers armés, ni la durée de sa détention, à savoir 40 jours, dont 10 jours au secret. Le Comité conclut qu’en l’espèce l’arrestation et la détention de l’auteur n’étaient ni raisonnables ni nécessaires mais revêtaient, du moins en partie, un caractère punitif et donc arbitraire, en violation du paragraphe 1 de l’article 9.
6.2Le Comité prend note de l’affirmation non réfutée de l’auteur qui dit ne pas avoir été informé des raisons de son arrestation et n’avoir été inculpé que le 25 novembre 1999, 40 jours après son arrestation le 16 octobre 1999. Le Comité considère que la déclaration de l’enquêteur en chef, le 16 octobre 1999, qui a signifié à l’auteur qu’il était retenu en tant que prisonnier de l’UNITA, ne satisfait pas aux conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 9. Dans ces circonstances, le Comité conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 2 de l’article 9.
6.3En ce qui concerne le grief de l’auteur qui se plaint de ne pas avoir été conduit devant un juge pendant ses 40 jours de détention, le Comité rappelle que le droit d’être traduit «dans le plus court délai» devant une autorité judiciaire implique que ce délai ne saurait dépasser quelques jours, et que la détention au secret en tant que telle pourrait constituer une violation du paragraphe 3 de l’article 9. Il prend note de l’argument de l’auteur selon lequel sa détention au secret pendant 10 jours, sans pouvoir consulter un avocat, a eu des incidences négatives sur l’exercice de son droit d’être traduit devant un juge, et conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Étant donné cette constatation, le Comité ne juge pas utile de se prononcer sur une violation éventuelle du paragraphe 3 b) de l’article 14.
6.4En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui affirme qu’au lieu d’être placé en détention provisoire pendant 40 jours il aurait dû être libéré en attendant son procès, puisqu’il n’y avait pas de risque qu’il prenne la fuite, le Comité relève que l’auteur n’a été inculpé que le 25 novembre 1999, date à laquelle il a également été remis en liberté. Avant cette date, il n’était donc pas en attente de jugement, au sens du paragraphe 3 de l’article 9. De plus, il n’a pas été traduit avant cette date devant une autorité judiciaire qui aurait pu déterminer s’il existait une raison légale de prolonger sa détention. Le Comité considère par conséquent que l’illégalité de la détention de l’auteur pendant 40 jours, sans accès à un juge, fait partie de la [des] violation[s] du [des] paragraphe[s] [1] [et] 3 (première phrase) de l’article 9 et que la question d’une violation du paragraphe 3 de l’article 9 (deuxième phrase) pour durée excessive de la détention avant jugement ne se pose donc pas.
6.5Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 4 de l’article 9, le Comité rappelle que l’auteur n’avait pas la possibilité de s’entretenir avec un conseil pendant sa détention au secret, ce qui l’a empêché de contester la légalité de sa détention pendant cette période. Même si son avocat a par la suite − le 29 octobre 1999 − déposé une demande en habeas corpus auprès de la Cour suprême, celle-ci ne s’est jamais prononcée sur cette demande. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, le Comité estime que le droit de l’auteur d’obtenir qu’un tribunal statue sur la légalité de sa détention (art. 9, par. 4) a été violé.
6.6Pour ce qui est des allégations de violation du paragraphe 5 de l’article 9, le Comité rappelle que cette disposition prévoit un droit à réparation en cas d’arrestation ou de détention «illégale» que ce soit en vertu de la législation interne ou des dispositions du Pacte. Il rappelle que les circonstances de l’arrestation et de la détention de l’auteur ont donné lieu à des violations des paragraphes 1 à 4 de l’article 9 du Pacte et prend note de l’argument non contesté de l’auteur qui affirme que le fait que l’État partie ne l’ait pas traduit devant un juge au cours de ses 40 jours de détention constitue également une violation de l’article 38 de la Constitution angolaise. Dans ce contexte, le Comité estime approprié de traiter de la question d’une réparation au paragraphe consacré aux mesures correctives.
6.7Le Comité doit en deuxième lieu déterminer si l’arrestation, la détention et la condamnation de l’auteur, ainsi que les obstacles qui ont été mis à ses déplacements, ont restreint illégalement son droit à la liberté d’expression, en violation de l’article 19 du Pacte. Le Comité réaffirme que le droit à la liberté d’expression au sens du paragraphe 2 de l’article 19 comprend le droit des individus d’émettre des critiques ou de porter des appréciations ouvertement et publiquement à l’égard de leur gouvernement sans crainte d’intervention ou de répression.
6.8Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que toute restriction à la liberté d’expression doit satisfaire à l’ensemble des conditions suivantes, énoncées au paragraphe 3 de l’article 19: elle doit être fixée par la loi, répondre à un des buts énumérés aux alinéas a et b du paragraphe 3 et être nécessaire pour atteindre un de ces buts. Le Comité note que la condamnation finale de l’auteur se fonde sur l’article 43 de la loi sur la presse, lu conjointement avec l’article 410 du Code pénal. Même en admettant que l’arrestation et la détention de l’auteur, ou les restrictions qui ont été imposées à ses déplacements, ont un fondement en droit angolais, et que ces mesures, tout comme sa condamnation, servaient un but légitime, comme la protection des droits et de la réputation du Président ou la préservation de l’ordre public, on ne peut dire que les restrictions étaient nécessaires pour parvenir à l’un de ces buts. Le Comité observe que le critère de nécessité implique la proportionnalité, c’est-à-dire que l’ampleur des restrictions imposées à la liberté d’expression doit être en rapport avec la valeur que ces restrictions visent à protéger. Étant donné l’importance essentielle, dans une société démocratique, du droit à la liberté d’expression et d’une presse et autres moyens d’information libres et sans censure, la sévérité des sanctions imposées à l’auteur ne peut pas être considérée comme une mesure proportionnée à l’objectif qui est de préserver l’ordre public ou de protéger l’honneur et la réputation du Président, personne publique qui, en tant que telle, est sujet à la critique et à l’opposition. De plus, le Comité considère que le fait que le motif invoqué par l’auteur dans sa défense face à l’accusation de diffamation, à savoir la défense de la vérité, ait été rejeté par les tribunaux constitue une circonstance aggravante. Dans ces circonstances, le Comité conclut qu’il y a eu violation de l’article 19.
6.9Enfin, le Comité doit déterminer si l’interdiction qui a été faite à l’auteur de quitter l’Angola le 12 décembre 2000 et la confiscation de son passeport constituent des violations de l’article 12 du Pacte. Il note que l’auteur affirme que la confiscation de son passeport n’obéissait à aucune justification et ne reposait sur aucune base légale, les restrictions dont sa libération sous caution était assortie n’étant plus applicables, et qu’il n’a obtenu aucun renseignement sur ses droits en matière de déplacement. En l’absence d’explication de la part de l’État partie, le Comité estime que l’auteur a été victime d’une violation de ses droits au titre du paragraphe 1 de l’article 12.
7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 1, 2, 3 et 4 de l’article 9 et des articles 12 et 19 du Pacte.
8.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile et à réparation pour arrestation et détention arbitraires [ainsi que pour violation de ses droits au titre des articles 12 et 19 du Pacte]. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
W. Communication n o 1134/2002, Gorji-Dinka c. Cameroun (Constatations adoptées le 17 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Fongum Gorji‑Dinka (représenté par un conseil, Mme Irene Schäfer) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Cameroun |
Date de la communication: |
14 mars 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet: Droit à l’autodétermination de l’ancien Cameroun britannique − Détention arbitraire d’un dirigeant séparatiste − Conditions de détention − Déni du droit de vote dans des élections.
Questions de procédure: Recevabilité ratione temporis et ratione materiae − Griefs étayés par l’auteur − Épuisement des recours internes
Questions de fond: Droit à l’autodétermination − Liberté et sécurité de la personne − Droit des personnes privées de liberté d’être traitées avec humanité − Séparation des prévenus et des condamnés − Liberté de déplacement − Indemnisation pour déni de justice − Droit de vote
Articles du Pacte: 1(par. 1), 7, 9 (par. 1), 10 (par. 1 et 2), 12, 14 (par. 6), 19 et 25 b)
Articles du Protocole facultatif: 1, 2, 3 et 5 (par. 2 b))
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 17 mars 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1134/2002 présentée au nom de Fongum Gorji‑Dinka en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est M. Fongum Gorji‑Dinka, de nationalité camerounaise, né le 22 juin 1930, résidant actuellement au Royaume‑Uni. Il se déclare victime de violations par le Cameroun du paragraphe 1 de l’article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’article 7, des paragraphes 1 et 5 de l’article 9, des paragraphes 1 et 2 a) de l’article 10, des articles 12 et 19, du paragraphe 3 de l’article 24 et de l’article 25 b). Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits exposés par l’auteur
2.1L’auteur est un ancien Président du barreau camerounais (1976‑1981) et le Fon, c’est‑à‑dire le chef traditionnel, de Widikum dans la province du nord‑ouest du Cameroun; il dit être le dirigeant du gouvernement en exil de la République d’Ambazonie. Sa plainte porte pour beaucoup sur les événements qui se sont produits dans le Cameroun du Sud britannique dans le contexte de la décolonisation.
2.2Après la Première Guerre mondiale, la Société des Nations a placé toutes les anciennes colonies allemandes sous administration internationale. En vertu d’un mandat de la Société des Nations, le Cameroun a été partagé entre le Royaume‑Uni et la France. Après la Seconde Guerre mondiale, le Cameroun britannique et le Cameroun français sont devenus des territoires sous tutelle des Nations Unies, la partie sous administration britannique étant divisée en deux territoires sous tutelle, le Southern Cameroon («Ambazonie») et le Northern Cameroon. Les «Ambas» étaient une fédération d’ethnocraties souveraines mais interdépendantes avec chacune à sa tête un chef traditionnel appelé «Fon». En 1954, elles ont été unifiées en une démocratie parlementaire moderne, composée d’une chambre des chefs désignés parmi les chefs traditionnels, d’une assemblée élue au suffrage universel et d’un gouvernement ayant à sa tête un Premier Ministre nommé et révoqué par la Reine d’Angleterre.
2.3Devenu indépendant, le Cameroun français a pris en 1960 le nom de République du Cameroun. Lors d’un plébiscite organisé par les Nations Unies le 11 février 1961, la population du Northern Cameroon britannique, majoritairement musulmane, a voté en faveur d’un rattachement au Nigéria tandis que celle du Southern Cameroon, majoritairement chrétienne, s’est déclarée favorable à une union avec la République du Cameroun, dans laquelle l’Ambazonie resterait une nation et conserverait une marge considérable de souveraineté. D’après l’auteur, le Royaume-Uni a refusé de mettre en œuvre les résultats du plébiscite craignant que le Premier Ministre de l’Ambazonie ne subisse des influences communistes et ne nationalise la Cameroon Development Cooperation (CDC), société dans laquelle l’Autorité administrante avait investi 2 millions de livres. En échange d’une licence permettant de continuer à exploiter la CDC, le Royaume-Uni aurait «vendu» l’Ambazonie à la République du Cameroun qui a alors pris le nom de République fédérale du Cameroun.
2.4Le 8 octobre 1981, on a demandé à l’auteur de réunir la caution nécessaire pour faire libérer cinq missionnaires nigérians accusés de diffuser les enseignements d’une secte sans autorisation du Gouvernement. Au commissariat, l’auteur a été arrêté et est resté détenu avec les missionnaires. Quelques mois plus tard, il était inculpé du chef d’avoir fabriqué un faux permis pour permettre à la secte d’opérer au Cameroun. Le juge de jugement a constaté, sur les faits, que l’auteur ne se trouvait pas au Cameroun quand l’infraction avait été commise mais ne l’en a pas moins condamné à un emprisonnement de 12 mois. L’audience en appel n’a eu lieu que quand l’auteur avait déjà exécuté l’intégralité de sa peine. Juste avant l’audience en appel, le Parlement a adopté la loi d’amnistie 82/21 éteignant donc la condamnation de l’auteur. Celui‑ci a alors renoncé à faire appel et a déposé une demande d’indemnisation pour détention illégale mais n’a jamais reçu de réponse des autorités.
2.5À la suite de la «soumission» des Ambazoniens, dont les droits fondamentaux auraient été gravement bafoués par les membres des forces armées franco‑camerounaises ainsi que par des groupes de miliciens, des émeutes ont éclaté en 1983, obligeant le Parlement à adopter une loi dite de restauration (loi 84/01) par laquelle l’union des deux pays était dissoute. L’auteur a alors pris la tête du Conseil de restauration ambazonien et a publié plusieurs articles engageant Paul Biya, le Président de la République du Cameroun, à appliquer la loi de restauration et à se retirer de l’Ambazonie.
2.6Le 31 mai 1985, l’auteur a été arrêté à Bamenda (Ambazonie) et conduit à Yaoundé où il est resté détenu dans une cellule humide et sale, qui ne contenait ni lit, ni table, ni sanitaires. Il est tombé malade et il a été hospitalisé. Ayant appris qu’il était prévu de le transférer dans un hôpital psychiatrique, il a pris la fuite et s’est réfugié à la résidence de l’Ambassadeur de Grande-Bretagne, qui a rejeté sa demande d’asile et l’a livré à la police. Le 9 juin 1985, l’auteur a été de nouveau placé en détention au quartier général de la Brigade mixte mobile (BMM) − un corps de police paramilitaire − où il partageait une cellule avec 20 prisonniers condamnés pour meurtre.
2.7L’auteur a eu une crise cardiaque qui lui a laissé le côté gauche paralysé et dont il affirme qu’elle résulte des tortures physiques et psychiques qu’il a subies pendant sa détention.
2.8D’après l’auteur, c’est son placement en détention qui a provoqué les incidents appelés «les émeutes de Dinka», à la suite desquels les établissements scolaires sont restés fermés pendant plusieurs semaines. Le 11 novembre 1985, le Parlement a adopté une résolution en faveur de l’organisation d’une conférence nationale consacrée à la question de l’Ambazonie. Le Président Biya a répondu en accusant le Président du Parlement de mener une révolte parlementaire «pro-Dinka» dirigée contre lui; il a fait traduire l’auteur devant une juridiction militaire pour haute trahison, et aurait demandé la peine de mort. L’accusation s’est effondrée faute de dispositions pénales criminalisant le fait pour l’auteur d’avoir demandé au Président Biya d’appliquer la loi de restauration en se retirant de l’Ambazonie. Le 3 février 1986, l’auteur a été acquitté de toutes les charges et remis en liberté.
2.9Après avoir donné l’ordre d’arrêter de nouveau l’auteur, le Président Biya avait l’intention de faire appel du jugement, mais n’a pu le faire parce que la loi portant création de la juridiction militaire ne prévoyait pas la possibilité de faire appel dans les affaires de haute trahison. L’auteur a ensuite été placé en résidence surveillée et y est resté du 7 février 1986 au 28 mars 1988. Dans une lettre datée du 15 mai 1987, le Département des affaires politiques du Ministère de l’administration territoriale a fait savoir à l’auteur que son comportement en résidence surveillée était incompatible avec la «remise en liberté avec mise à l’épreuve» ordonnée par le tribunal militaire, étant donné qu’il continuait à tenir des réunions dans son palais, à assister aux séances du conseil des notables, à invoquer ses prérogatives de chef (Fon), à mépriser et ignorer les forces de l’ordre et d’autres autorités et à pratiquer la religion illégale Olumba Olumba. Le 25 mars 1988, le bureau de la Division de Batibo Momo a informé l’auteur qu’en raison de ses «antécédents judiciaires» son nom avait été radié des listes électorales et ne serait réinscrit que quand il pourrait produire un «certificat de réhabilitation».
2.10Le 28 mars 1988, l’auteur s’est exilé au Nigéria. En 1995, il est parti pour la Grande‑Bretagne où le statut de réfugié lui a été reconnu, et il est devenu avocat.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur fait valoir que l’«annexion illégale» de l’Ambazonie par la République du Cameroun s’est faite contre la volonté des Ambazoniens de demeurer une nation et de conserver leurs prérogatives souveraines, volonté qu’ils avaient exprimée lors du plébiscite de 1961 et qui avait été confirmée par la Cour de Bamenda dans un arrêt de 1992, ce qui constitue une violation du droit de son peuple à l’autodétermination garanti au paragraphe 1 de l’article premier du Pacte. Se référant au paragraphe 3 de l’article 24 du Pacte, il invoque également une violation du droit d’avoir sa propre nationalité.
3.2L’auteur fait valoir que sa détention du 8 octobre 1981 au 7 octobre 1982 et du 31 mai 1985 au 3 février 1986 puis son placement en résidence surveillée du 7 février 1986 au 28 mars 1988 ont été arbitraires et ont constitué une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Les conditions de détention et les mauvais traitements subis pendant la seconde période de détention représentent des violations de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 et le fait qu’il a été gardé dans les locaux de la Brigade mixte mobile dans la même cellule qu’un groupe de condamnés pour meurtre, après avoir été de nouveau arrêté le 9 juin 1985, a représenté une violation du paragraphe 2 a) de l’article 10. L’auteur ajoute que les restrictions imposées à ses déplacements quand il était en résidence surveillée et l’interdiction de fait qui lui est actuellement imposée de quitter le pays où il se trouve et d’entrer dans son pays représentent une violation de l’article 12 du Pacte.
3.3L’auteur fait valoir que le droit de voter et d’être élu lui a été retiré, en violation de l’article 25 b) du Pacte.
3.4Invoquant l’article 19 du Pacte, l’auteur fait valoir que l’arrestation du 31 mai 1985 puis son placement en détention étaient des mesures répressives visant à le punir pour ses publications critiques à l’égard du régime.
3.5L’auteur fait valoir de plus que le droit à une indemnisation pour détention illégale prévu au paragraphe 5 de l’article 9 a été violé puisque les autorités n’ont jamais répondu à sa demande d’indemnisation pour la période de détention du 8 octobre 1981 au 7 octobre 1982.
3.6L’auteur affirme que toutes les tentatives qu’il a faites pour obtenir réparation auprès des autorités judiciaires dans son pays ont été vaines car les autorités n’ont jamais répondu à sa demande d’indemnisation et n’ont pas respecté la législation nationale ni les jugements du Tribunal militaire camerounais et de la Cour de Bamenda. Après s’être enfui alors qu’il était en résidence surveillée, en 1988, il ne disposait plus d’aucun recours interne précisément parce qu’il était en fuite. Il affirme que le seul moyen de faire valoir ses droits serait une décision du Comité car les autorités camerounaises ne respectent jamais les jugements de leurs propres tribunaux dans des affaires de droits de l’homme.
3.7L’auteur affirme que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
4.1En date des 12 novembre 2002, 26 mai 2003 et 30 juillet 2003, le Comité a demandé à l’État partie de lui fournir des informations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il note que ces informations n’ont toujours pas été reçues. Il regrette que l’État partie n’ait donné aucune information quant à la recevabilité ou au fond des allégations de l’auteur. Le Comité rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement au paragraphe 2 de l’article 4 que les États parties examinent de bonne foi les allégations dont ils font l’objet et qu’ils communiquent au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux affirmations de l’auteur, dans la mesure où elles sont étayées.
4.2Le Comité a relevé que plusieurs années s’étaient écoulées entre les faits allégués par l’auteur dans sa communication, ses tentatives pour exercer les recours internes et la date à laquelle il a présenté sa communication. Si un tel délai pourrait, dans d’autres circonstances, être considéré comme constituant un abus du droit de plainte au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, en l’absence d’explication convaincante pour justifier ce délai, le Comité tient également compte de l’absence de coopération de l’État partie qui n’a pas soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Par conséquent, il n’estime pas nécessaire de poursuivre l’examen de cette question.
4.3Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.4Pour ce qui est du grief de l’auteur qui affirme que son droit et le droit de son peuple à l’autodétermination ont été violés par l’État partie qui n’a pas donné effet aux résultats du plébiscite de 1961, n’a pas appliqué la loi de restauration 84/01 et n’a pas exécuté le jugement rendu en 1992 par la Haute‑Cour de Bamenda ainsi que par la «soumission» des Ambazoniens, le Comité rappelle que le Protocole facultatif ne lui donne pas compétence pour examiner des griefs de violation du droit à l’autodétermination garanti par l’article premier du Pacte. La procédure mise en place par le Protocole facultatif permet aux particuliers de dénoncer une violation de leurs droits individuels. Ces droits sont ceux qui sont énoncés dans la partie III du Pacte (art. 6 à 27). Par conséquent cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.
4.5En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que son incarcération entre le 8 octobre 1981 et le 7 octobre 1982 a été arbitraire, en violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, du fait que sa condamnation avait été annulée par la loi d’amnistie 82/21, le Comité rappelle qu’il ne peut pas examiner des violations du Pacte qui se seraient produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, à moins que les violations n’aient persisté après cette date ou aient continué d’avoir des effets qui en soi constituent une violation du Pacte. Il relève que l’auteur a été incarcéré en 1981‑1982, c’est-à-dire avant la date de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, qui est le 27 septembre 1984. De l’avis du Comité, si une peine imposée à la suite d’une condamnation pénale qui a ensuite été annulée peut continuer à produire des effets aussi longtemps que la personne condamnée à cette peine n’a pas été indemnisée conformément à la loi, c’est là une question qui relève du paragraphe 6 de l’article 14 et non pas du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Il estime donc que la détention arbitraire dénoncée par l’auteur n’a pas continué à avoir des effets au‑delà du 27 septembre 1984, qui auraient en eux‑mêmes constitué une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable ratione temporis [en vertu de l’article premier du Protocole facultatif].
4.6Pour ce qui est du grief tenant au fait qu’il n’a pas été indemnisé pour la détention illégale qu’il a subie en 1981‑1982, le Comité estime que l’auteur n’a pas apporté assez d’éléments pour étayer sa plainte aux fins de la recevabilité. Par exemple, il n’a pas joint des copies de lettres qu’il aurait adressées aux autorités compétentes pour demander une indemnisation et n’a pas indiqué la date ni le destinataire. En conséquence cette plainte est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
4.7En ce qui concerne le grief de violation de l’article 7 du Pacte, l’auteur déclarant avoir subi des tortures physiques et psychiques en détention après sa nouvelle arrestation, le 9 juin 1985 (qui auraient été à l’origine d’une crise cardiaque l’ayant laissé paralysé du côté gauche), le Comité relève qu’il n’a pas donné de détails sur les mauvais traitements qu’il aurait subis et qu’il n’a pas joint de certificats médicaux qui pourraient corroborer cette allégation. Le Comité conclut donc que l’auteur n’a pas étayé cette plainte aux fins de la recevabilité et que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
4.8En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que son arrestation le 31 mai 1985 puis la détention étaient des mesures visant à le punir d’avoir publié des articles critiques à l’égard du régime, en violation de l’article 19 du Pacte, le Comité considère que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi cette détention était une conséquence directe de la parution des publications. Par conséquent cette partie de la communication est également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
4.9En ce qui concerne le grief de l’auteur au titre de l’article 25 b) du Pacte, le Comité estime que le droit de voter et d’être élu est subordonné à l’inscription du nom de la personne concernée sur les listes électorales. Si le nom de l’auteur ne figure pas sur ces listes ou en est radié, celui‑ci ne peut exercer son droit de voter, ni celui d’être élu. En l’absence d’explication de l’État partie, le Comité note que le nom de l’auteur a été radié des listes électorales de façon arbitraire, cette décision n’ayant pas été motivée et ne résultant pas d’une décision de justice. Le fait même de radier l’auteur des listes électorales peut donc constituer un déni de son droit de voter et d’être élu consacré à l’article 25 b) du Pacte. Le Comité estime donc que l’auteur a suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité.
4.10En ce qui concerne le grief de l’auteur qui dit être privé de sa nationalité ambazonienne, en violation du paragraphe 3 de l’article 24 du Pacte, le Comité rappelle que cette disposition protège le droit de tout enfant d’acquérir une nationalité. Elle a pour but d’éviter qu’un enfant ne soit moins protégé par la société et par l’État s’il est apatride, et non de donner un droit à avoir la nationalité de son choix. Il s’ensuit que cette partie de la communication est irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
4.11Concernant l’épuisement des recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’auteur qui fait valoir que, s’étant enfui alors qu’il était en résidence surveillée (en 1988), il n’était pas en mesure de demander réparation par les voies de recours internes vu qu’il était recherché au Cameroun. Compte tenu de sa jurisprudence, qui veut que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif n’exige pas d’avoir épuisé des recours qui n’ont objectivement aucune chance d’aboutir, et en l’absence de toute indication de l’État partie selon laquelle l’auteur aurait pu se prévaloir de recours utiles, le Comité estime que l’auteur a apporté suffisamment d’éléments pour montrer l’inutilité et l’inefficacité des recours internes dans son cas.
4.12Le Comité conclut que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9, des paragraphes 1 et 2 a) de l’article 10 et de l’article 25 b) du Pacte, et dans la mesure où ces griefs portent sur la légalité et les conditions de détention après l’arrestation de l’auteur, le 31 mai 1985, sur son incarcération initiale avec un groupe de condamnés pour meurtre dans le quartier général de la Brigade mixte mobile, sur la légalité de la mesure de mise en résidence surveillée, du 7 février 1986 au 28 mars 1988 et les restrictions à sa liberté de mouvement pendant cette période et sur la radiation de son nom des listes électorales.
Examen au fond
5.1Le Comité doit déterminer tout d’abord si la détention de l’auteur entre le 31 mai 1985 et le 3 février 1986 était arbitraire. Conformément à la jurisprudence constante du Comité, l’adjectif «arbitraire» n’est pas synonyme de «contraire à la loi» mais doit être interprété de façon plus large, incorporant le caractère inapproprié, l’injustice, l’absence de prévisibilité et les garanties judiciaires. Cela signifie qu’un placement en détention doit non seulement être conforme à la loi mais doit aussi être raisonnable et nécessaire en toutes circonstances, par exemple pour empêcher que l’intéressé ne prenne la fuite, ne soustraie ou ne modifie des preuves ou ne continue ses actes délictueux. L’État partie n’a invoqué aucun de ces facteurs dans l’affaire à l’examen. Le Comité rappelle aussi le grief non contesté de l’auteur, qui affirme que ce n’est qu’après son arrestation, le 31 mai 1985, et sa nouvelle arrestation, le 9 juin 1985, que le Président Biya a engagé des poursuites contre lui, sans s’appuyer sur la moindre base légale et dans l’intention d’infléchir l’issue du procès qui se déroulait devant le Tribunal militaire. Dans ce contexte, le Comité estime que la détention qui a duré du 31 mai 1985 au 3 février 1986 n’était ni raisonnable ni nécessaire dans les circonstances de l’affaire et a donc constitué une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.
5.2Pour ce qui est des conditions de détention, le Comité prend note de l’allégation non contestée de l’auteur, qui affirme avoir été détenu dans une cellule humide et sale, sans lit, table ni sanitaires. Il réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privation ou de contrainte autre que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté et doivent être traitées dans le respect de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (1957) notamment. En l’absence de renseignements de la part de l’État partie sur les conditions de détention de l’auteur, le Comité conclut que les droits consacrés au paragraphe 1 de l’article 10 ont été violés pendant la détention de l’auteur du 31 mai 1985 jusqu’à la date de son hospitalisation.
5.3Le Comité note que le grief de l’auteur qui affirme qu’il a été maintenu dans une cellule de garde à vue avec 20 condamnés pour meurtre au quartier général de la Brigade mixte mobile n’a pas été contesté par l’État partie, lequel n’a apporté aucun élément faisant état de circonstances exceptionnelles qui aurait justifié de déroger à la règle exigeant la séparation de l’auteur, en tant que prévenu, de ces condamnés. Le Comité conclut donc que les droits consacrés au paragraphe 2 a) de l’article 10 du Pacte ont été violés pendant la détention de l’auteur au quartier général de la Brigade mixte mobile.
5.4En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, tenant au caractère arbitraire de la mise en résidence surveillée entre le 7 février 1986 et le 28 mars 1988, le Comité prend note de la lettre datée du 15 mai 1987 émanant du Département des affaires politiques du Ministère de l’administration territoriale, qui critiquait le comportement de l’auteur quand il était en résidence surveillée, ce qui confirme que l’intéressé était bien assigné à domicile. Le Comité note de plus que cette mesure a été imposée alors que l’auteur avait été acquitté et remis en liberté par un jugement exécutoire du Tribunal militaire. Le Comité rappelle que le paragraphe 1 de l’article 9 est applicable à toutes les formes de privation de liberté et relève que le placement en résidence surveillée a été une mesure illégale et était donc arbitraire dans les circonstances de l’affaire; il y a donc violation du paragraphe 1 de l’article 9.
5.5En l’absence de circonstances exceptionnelles invoquées par l’État partie pour justifier toute restriction à la liberté de déplacement de l’auteur, le Comité conclut que les droits garantis au paragraphe 1 de l’article 12 du Pacte ont été violés pendant que l’auteur était en résidence surveillée, placement qui était en soi illégal et arbitraire.
5.6En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que sa radiation des listes électorales a constitué une violation des droits consacrés à l’article 25 b) du Pacte, le Comité relève que l’exercice du droit de vote et du droit d’être élu ne peut être suspendu ou supprimé que pour des motifs consacrés par la loi, et qui soient objectifs et raisonnables. Bien que la lettre datée du 25 mars 1998 informant l’auteur de sa radiation des listes électorales mentionne la «loi électorale en vigueur», la décision est justifiée par les «antécédents judiciaires» de l’auteur. À ce sujet, le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté qui n’ont pas été condamnées ne doivent pas être déchues du droit de vote et rappelle que l’auteur a été acquitté par le Tribunal militaire en 1986 et que sa condamnation par un autre tribunal en 1981 a été éteinte par le jeu de la loi d’amnistie no 82/21. Il rappelle aussi que les personnes qui à tous autres égards seraient éligibles ne devraient pas être privées de la possibilité d’être élues du fait de leur affiliation politique. En l’absence de motifs objectifs et raisonnables pour justifier le retrait du droit de vote et d’être élu, le Comité conclut, à la lumière des éléments dont il dispose, que la radiation de l’auteur des listes électorales représente une violation des droits consacrés à l’article 25 b) du Pacte.
6.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations du paragraphe 1 de l’article 9, des paragraphes 1 et 2 a) de l’article 10, du paragraphe 1 de l’article 12 et de l’article 25 b) du Pacte.
7.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile, sous la forme d’une indemnisation et de l’assurance d’exercer ses droits civils et politiques. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.
8.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
X. Communication n o 1155/2003, Leirvåg c. Norvège (Constatations adoptées le 3 novembre 2004, quatre-vingt-deuxième session)
Présentée par: |
Mme et M. Unn et Ben Leirvåg et leur fille Guro, M. Richard Jansen et sa fille Maria, Mme et M. Birgit et Jens Orning et leur fille Pia Suzanne, et Mme Irene Galåen et M. Edvin Paulsen et leur fils Kevin Johnny Galåen (représentés par Me Laurentz Stavrum de l’étude Stavrum, Nystuen & Bøen) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Norvège |
Date de la communication: |
25 mars, 7 et 10 septembre 2002 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 novembre 2004,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1155/2003, présentée au nom de Mme et M. Unn et Ben Leirvåg et leur fille Guro, M. Richard Jansen et sa fille Maria, Mme et M. Birgit et Jens Orning et leur fille Pia Suzanne, et Mme Irene Galåen et M. Edvin Paulsen et leur fils Kevin Johnny Galåen en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.Les auteurs de la communication sont Mme et M. Unn et Ben Leirvåg et leur fille Guro, M. Richard Jansen et sa fille Maria, Mme et M. Birgit et Jens Orning et leur fille Pia Suzanne, et Mme Irene Galåen et M. Edvin Paulsen et leur fils Kevin Johnny Galåen. Ils sont tous de nationalité norvégienne et se déclarent victimes de violations par la Norvège des articles 17, 18 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil.
Contexte général présenté par les auteurs
2.1La Norvège a une religion d’État et une Église d’État, à laquelle appartiennent environ 86 % de la population. L’article 2 de la Constitution norvégienne dispose que l’Église évangélique luthérienne est la religion officielle et que «les habitants qui en font profession sont tenus d’élever leurs enfants dans cette religion». La religion chrétienne est enseignée depuis 1739, année de la mise en place de la scolarité générale obligatoire mais, à partir de l’adoption en 1845 de la loi «de dissidence» ou «de non‑conformité», il existe un droit de dispense pour les enfants d’autres confessions.
2.2En même temps, les élèves dispensés de l’instruction religieuse avaient le droit de suivre un cours non confessionnel sur la philosophie de la vie intitulé «Connaissance de la philosophie de la vie». Toutefois, ce cours n’était pas obligatoire pour les enfants dispensés d’instruction religieuse et cette matière ne s’enseignait pas selon les mêmes modalités que les autres, par exemple pour ce qui est du nombre d’heures de cours. Un certain nombre d’enfants n’assistaient donc ni à l’instruction religieuse chrétienne, ni à la matière proposée à sa place.
2.3En août 1997, le Gouvernement norvégien a imposé l’enseignement d’une nouvelle matière à caractère religieux intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» pour remplacer les deux matières précédentes (religion chrétienne et philosophie de la vie). Pour cette nouvelle matière, les élèves ne peuvent être dispensés que de suivre certaines parties très précises de l’enseignement. Le paragraphe 4 de l’article 2 de la nouvelle loi sur l’éducation dispose que le contenu de cette nouvelle matière reposera sur l’objectif chrétien de l’école et transmettra «une connaissance approfondie de la Bible et du christianisme en tant qu’héritage culturel ainsi que de la foi évangélique luthérienne». Pendant les travaux préparatoires à l’adoption de la loi, le Parlement avait donné pour instructions au Ministère de faire évaluer la compatibilité de cette loi avec le respect des droits fondamentaux. L’évaluation a été menée par M. Erik Møse, qui était à l’époque juge à la cour d’appel et qui a conclu ce qui suit:
«La situation étant ce qu’elle est, j’estime que le plus sûr est de prévoir un droit général de dispense. Ainsi, les organes internationaux de surveillance du respect des droits de l’homme n’auront pas à s’interroger sur les doutes que peut susciter un enseignement obligatoire. Pour autant, je ne peux pas affirmer qu’une dispense partielle serait contraire aux instruments. Il faut partir de l’idée que le mécanisme qui sera établi sera, dans la pratique, conforme à leur cadre (le cadre des instruments). Tout dépendra de la suite du processus législatif et de la façon dont la mesure sera mise en œuvre dans la pratique.».
2.4Dans sa circulaire, le Ministère précise: «Les parents des élèves qui demandent la dispense doivent en aviser l’établissement scolaire par écrit, en indiquant la raison pour laquelle ils considèrent que cet enseignement est consacré à la pratique d’une autre religion ou à l’adhésion à une philosophie de vie différente.». Le Ministère a rédigé ultérieurement une autre circulaire indiquant que les demandes de dispense fondées sur des motifs autres que ceux qui régissaient les activités à caractère clairement religieux devaient être appréciées au regard de critères stricts.
2.5L’Association humaniste norvégienne (AHN), dont les auteurs sont membres, a engagé un psychologue spécialisé dans les minorités à l’automne 2000, en le chargeant de faire une étude sur la façon dont les enfants réagissaient en cas de conflit d’allégeance entre la philosophie de vie qui leur était inculquée chez eux et l’enseignement qu’ils recevaient à l’école. Cet expert a interrogé notamment les auteurs. Il a conclu entre autres choses que les enfants et leurs parents (et selon toute probabilité l’école également) éprouvaient des conflits d’allégeance et se sentaient contraints de suivre la norme et de l’approuver et que certains enfants étaient même l’objet de brimades et ressentaient de l’impuissance. Le rapport de l’expert a été transmis à l’État partie et présenté comme preuve à la Cour suprême.
2.6Face aux critiques suscitées par la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» et par le fait que le droit d’en être dispensé était limité, le législateur a décidé une période d’essai de trois ans au cours de laquelle un bilan serait fait. Le Ministère a confié cette mission au Conseil norvégien de la recherche qui a fait appel à trois instituts de recherche pour procéder à l’évaluation. Les résultats ont fait l’objet de deux rapports publiés en octobre 2000; l’un concluait que «l’application de la dispense partielle ne permettait pas de protéger suffisamment les droits des parents». Par la suite, le Ministère a fait paraître un communiqué de presse indiquant que «les modalités de dispense partielle ne fonctionnaient pas comme prévu et devaient donc être complètement revues».
2.7La question a été débattue au Parlement qui a adopté une proposition selon laquelle la matière devrait s’intituler «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale générale» à partir de la rentrée scolaire de 2002. Le Parlement soulignait que tout l’enseignement serait fondé sur la vocation chrétienne de l’école et que le christianisme représentait 55 % des heures de la nouvelle matière, 25 % étant consacrés à d’autres convictions religieuses ou philosophies de vie et 20 autres pour cent à des thèmes éthiques et philosophiques. Un formulaire de demande de dispense des activités religieuses a été établi pour simplifier les modalités de dispense en vigueur. La demande n’aurait pas à être soumise plus d’une fois par cycle d’enseignement, c’est‑à‑dire trois fois au cours de la scolarité. Il était souligné que la dispense portait toujours uniquement sur les activités religieuses et non pas sur la connaissance des matières. Ensuite, un groupe de travail des programmes a été constitué pour aider le Conseil norvégien de l’éducation à donner effet à la réforme. Bien que la majorité des membres du groupe de travail des programmes ait voté contre, le Ministère n’en a pas moins inclus dans le programme révisé une clause selon laquelle l’enseignement de la connaissance de religions et de philosophies de vie qui n’étaient pas représentées dans la communauté locale pouvait commencer, non pas à l’école primaire, mais au niveau secondaire. D’après les auteurs, cette initiative confirme que l’identité de la majorité est prioritaire, au détriment du pluralisme.
2.8Plusieurs organisations représentant des minorités qui avaient des convictions différentes se sont élevées contre le contenu de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale générale». Après la rentrée scolaire de 1997, un certain nombre de parents, dont les auteurs, ont demandé que leurs enfants soient totalement dispensés de ces cours. Leur demande a été rejetée par les établissements scolaires où leurs enfants étaient inscrits et par le Directeur régional de l’éducation, saisi d’un recours administratif, au motif que la dispense totale n’était pas autorisée par la loi.
2.9Le 14 mars 1998, l’Association humaniste norvégienne et les parents de huit élèves, dont les auteurs de la communication, ont saisi le tribunal de la ville d’Oslo, qui a rejeté leur demande le 16 avril 1999. Par un arrêt du 6 octobre 2000, la cour d’appel du ressort de Borgarting a confirmé la décision du tribunal d’Oslo. Saisie d’un autre recours, la Cour suprême a également confirmé la décision dans son arrêt du 22 août 2001; les auteurs affirment qu’ils ont ainsi épuisé les recours internes. Trois des autres parents parties à la procédure engagée devant les tribunaux nationaux ainsi que l’Association humaniste norvégienne ont décidé de soumettre une requête à la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour européenne).
Rappel des faits présentés par M me et M. Unn et Ben Leirvåg et leur fille Guro
3.1Unn et Ben Leirvåg observent une philosophie de vie humaniste, areligieuse. Ils ne veulent pas que leur fille assiste aux cours de connaissance chrétienne et d’éducation religieuse et morale car les manuels sont incompatibles avec leur philosophie de vie. Leur fille Guro (née le 17 février 1991) est à l’école Bratsbergkleiva de Porsgrunn depuis la rentrée 1997. Sa demande de dispense totale a été rejetée et Guro a donc suivi les cours.
3.2À mesure que l’année scolaire avançait, les parents se sont aperçus que le matériel utilisé pour les cours de connaissance chrétienne et d’éducation religieuse et morale était des récits religieux et des histoires tirées des mythes religieux, unique base pour comprendre le monde et réfléchir sur des questions de morale et d’éthique. Unn Leirvåg, enseignant lui‑même, a évalué dans un esprit professionnel le programme et le contenu des cours ainsi que les manuels et a constaté que de la première à la quatrième année d’enseignement le thème principal était enseigné à partir d’une relecture d’histoires bibliques, rattachées à la vie des élèves. L’enseignement de cette matière aboutit donc à immerger les enfants dans les histoires de la Bible qui servent à encadrer leur propre perception de la réalité. Les enfants commencent avec des histoires de l’Ancien Testament dont la principale leçon à tirer est que le pire qu’un individu puisse faire est de désobéir à Dieu. Ensuite, l’Évangile est introduit, l’idéal mis en avant étant d’avoir foi dans un «maître» et de le suivre. Les enfants entendent ensuite des récits de même nature pris dans d’autres religions. On attend des élèves qu’ils apprennent ainsi à déterminer comment ils doivent se conduire. D’après les auteurs, les doctrines religieuses ne constituent pas une base critique et ne donnent à leur fille aucune possibilité ou moyen de prendre du recul, de faire la moindre réserve ou la moindre critique. Guro a commencé à utiliser certaines expressions qui montrent que les aspects du christianisme qu’on lui enseigne sont synonymes de «bien».
3.3Contre le gré de ses parents, Guro s’est trouvée face à un conflit d’allégeance entre l’école et la maison. Elle est dans une situation telle qu’elle se sent obligée de modifier ce qu’elle raconte à ses parents quand elle rentre de l’école pour que ce soit conforme à ce qu’elle estime acceptable pour eux.
Rappel des faits présentés par M. Richard Jansen et sa fille Maria
4.1Richard Jansen est humaniste et il ne souhaite pas que sa fille suive un cours qui soit l’occasion d’un prosélytisme religieux. Quand sa fille Maria (née le 3 mars 1991) est entrée à l’école de Lesterud à Bærum à l’automne de 1997, elle a présenté une demande de dispense totale des cours de connaissance chrétienne et d’éducation religieuse et morale signée de ses parents, qui a été rejetée. Une dispense partielle lui a été accordée conformément à la nouvelle loi. Constatant que le système de dispense partielle ne fonctionnait pas dans la pratique, les auteurs ont formé recours auprès du Directeur de l’éducation nationale à Oslo et à Akershus, qui a confirmé le rejet de la demande par ses décisions datées du 25 mai 1998 et de janvier 2000.
4.2En application de cette dispense partielle, Maria n’a plus alors suivi qu’une partie de cet enseignement. D’après les auteurs, elle s’est plainte plusieurs fois en rentrant de l’école de ce qu’on lui avait fait des remarques parce que sa famille ne croyait pas en Dieu. À l’occasion des cérémonies de fin d’année pour Noël, Maria a été désignée pour apprendre par cœur et réciter un texte chrétien. L’école n’a pas été en mesure de fournir à ses parents un emploi du temps donnant un aperçu des thèmes qui seraient abordés dans la classe de Maria. Au lieu de cela, ils ont été renvoyés au programme général et à l’emploi du temps hebdomadaire. Les parents de Maria l’ont bien dispensée de quelques cours pendant sa première année d’école. À ces occasions, on l’a envoyée dans la cuisine et on lui a demandé de dessiner, parfois seule, parfois sous surveillance. Quand ses parents se sont rendu compte que l’exil dans la cuisine était une punition infligée aux élèves qui se tenaient mal en classe, ils ne l’ont plus dispensée d’assister aux cours.
Rappel des faits présentés par M me et M. Birgit et Jens Orning et leur fille Pia Suzanne
5.1Birgit et Jens Orning sont humanistes et membres de l’Association humaniste norvégienne (AHN). Ils ne souhaitent pas que leur fille reçoive une éducation religieuse assortie de prosélytisme. La matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» exerce sur les enfants une influence chrétienne ou religieuse. Les auteurs estiment que l’enfant doit choisir librement et naturellement sa philosophie de vie, objectif difficile à atteindre dans ce contexte.
5.2Leur fille, Pia Suzanne (née le 23 mai 1990), est entrée à l’école à l’automne de 1997. Les parents ont présenté une demande de dispense totale de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale». Leur demande a été rejetée. À la suite de cela, Pia Suzanne a été inscrite au nouveau cours selon la modalité de dispense partielle, système dont le fonctionnement ne convenait pas aux parents. Par exemple, elle n’était pas censée suivre un enseignement religieux qui s’accompagne de prosélytisme mais c’est tout de même ce qui s’est produit.
5.3Les auteurs affirment qu’à deux reprises au moins on a demandé à leur fille d’apprendre et de réciter des psaumes et des textes tirés de la Bible à l’occasion des cérémonies de fin d’année pour Noël. On a aussi demandé aux enfants d’apprendre par cœur plusieurs psaumes et textes tirés de la Bible, ce que leurs cahiers de classe confirment. Comme conséquence de cette éducation religieuse, Pia s’est souvent retrouvée face à des conflits d’allégeance entre l’école et la maison. Ses parents ont décidé de déménager dans une région où il était possible de l’inscrire dans une école privée.
Rappel des faits présentés par M me Irene Galåen et M. Edvin Paulsen et leur fils Kevin Johnny Galåen
6.1Les parents de Kevin Galåen (né le 18 février 1987) sont humanistes et souhaitent que leur fils reçoive un enseignement fondé sur des principes non dogmatiques et agnostiques. Ils considèrent que la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» est conçue de telle manière qu’elle attirerait progressivement leur fils vers la foi chrétienne. Ils ont donc demandé, à l’automne de 1997, que Kevin soit totalement dispensé de cette matière; leur demande a été rejetée. Kevin a donc suivi ces cours. Les parents n’ont pas déposé de demande de dispense partielle car ils ne considéraient pas que cela serait utile dans leur cas.
6.2Lorsque Kevin est entré à l’école, il n’avait pas de philosophie de la vie pleinement développée. Ses parents jugent important que la leur lui serve d’ancrage naturel dans son cheminement vers l’âge adulte et dans sa rencontre avec d’autres philosophies ou conceptions de la vie. Ils considèrent que la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» ne satisfait pas à cette exigence car le christianisme y sert de fondement pour traiter des questions existentielles et de méthode pédagogique. La philosophie de vie à laquelle ils adhèrent n’y est représentée que de manière fragmentaire, sans vision d’ensemble ni cohérence. Ils affirment que cette matière se concentre à l’excès sur une seule religion.
Teneur de la plainte
7.1Les auteurs affirment que l’État partie a violé leur droit à la liberté de religion − c’est‑à‑dire leur droit de décider sur quelle philosophie de vie ils se fonderont pour élever et éduquer leurs enfants − et leur droit à la protection de leur vie privée. Il est également affirmé que la procédure de dispense partielle constitue une violation de l’interdiction de la discrimination.
7.2Il est estimé que le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, consacré par l’article 18 du Pacte, s’applique également aux philosophies de vie areligieuses et que les parents ont, en vertu du paragraphe 4 dudit article, le droit de faire assurer l’éducation de leurs enfants conformément à leurs propres convictions philosophiques, d’autant qu’il s’agit d’une éducation obligatoire et dispensée par l’État. Les auteurs se réfèrent aux constatations adoptées par le Comité dans l’affaire Hartikainen et consorts c. Finlande (communication no 40/1978) ainsi qu’à l’Observation générale no 22 sur l’article 18, en particulier les paragraphes 3 et 6. Il est également fait référence aux observations finales du Comité concernant le quatrième rapport périodique de la Norvège, dans lesquelles le Comité a exprimé une nouvelle fois sa préoccupation au sujet de l’article 2 de la Constitution qui stipulait que les personnes de confession évangélique luthérienne devaient élever leurs enfants dans cette religion et a estimé que cette disposition était «incompatible avec le Pacte» (CCPR/C/79/Add.112, par. 13).
7.3Dans ses observations finales sur le rapport de la Norvège, adoptées le 2 juin 2000, le Comité des droits de l’enfant a également exprimé sa préoccupation au sujet de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale», notamment les modalités d’octroi d’une dispense qu’il considérait comme potentiellement discriminatoires (CRC/C/15/Add.126, par. 26 et 27).
7.4L’État partie a déclaré qu’il était nécessaire que les enfants comprennent et apprennent diverses philosophies de vie afin de trouver leur propre identité dans ce domaine tout en respectant davantage les autres religions et philosophies de vie, mais les auteurs considèrent qu’une matière religieuse obligatoire n’est pas l’instrument approprié pour obtenir le résultat souhaité. Ils estiment que l’introduction de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» a amoindri le respect manifesté à l’égard de leurs propres convictions.
7.5De surcroît, il est affirmé que la participation obligatoire au nouveau cours n’est pas nécessaire dans une société démocratique. Cela est attesté par le fait que ce type d’enseignement obligatoire n’existait pas auparavant en Norvège ni dans les autres pays européens.
7.6Les auteurs estiment que, pour atteindre le résultat souhaité, il serait plus approprié de renforcer le cours sur la philosophie de la vie qui était dispensé avant l’introduction de la nouvelle matière et de le rendre obligatoire pour les enfants dispensés d’études religieuses. Fondée sur des principes chrétiens, la nouvelle matière ne sert que la partie de l’objectif qui consiste à renforcer l’identité des enfants issus de familles chrétiennes. Par conséquent, étant obligatoire, elle représente une violation du droit des auteurs d’afficher une philosophie de vie indépendante.
7.7Pour ce qui est des enfants, il est affirmé que leur droit de choisir et de conserver leur propre religion ou philosophie de la vie est violé, du fait que la nouvelle matière obligatoire les contraint à suivre un enseignement qui comporte un endoctrinement religieux et chrétien. Les auteurs ne souhaitent en aucun cas être associés à une telle conception religieuse et chrétienne de la réalité.
7.8La modalité de dispense partielle suppose qu’un dialogue est instauré entre l’école et les parents à propos de ce que ceux-ci jugent problématique. Cela signifie que la philosophie de vie des parents sert de fondement à l’évaluation de la dispense, en particulier pendant les premières années d’école. Au lieu d’élaborer sa propre philosophie de la vie en toute liberté et en toute indépendance, l’enfant est forcé à assumer un rôle inférieur par rapport à ses parents. Cela est incompatible avec la vision humaniste du développement de l’enfant que partagent les familles des auteurs. Le fait que les autorités déterminent si une demande de dispense est fondée place les enfants face à un conflit d’allégeance entre l’école et leurs parents.
7.9La modalité de dispense partielle suppose également que les auteurs décrivent aux administrateurs de l’école les éléments du cours «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» qui sont en conflit avec leurs propres convictions, ce qui viole leur droit au respect de leur vie privée énoncé à l’article 17 du Pacte. Pour ce qui est des enfants, il est affirmé qu’ils subissent une violation de leur droit à la protection de leur vie privée lorsqu’ils accèdent à la modalité de dispense partielle.
7.10Les auteurs affirment que les faits présentés constituent également une violation de leurs droits en vertu de l’article 27 du Pacte.
7.11Les auteurs font observer que l’actuelle modalité de dispense impose davantage de contraintes aux parents non chrétiens qu’aux parents chrétiens, ce qui lui confère un caractère discriminatoire, en violation de l’article 26 du Pacte. Le système de dispense suppose que les parents aient une bonne connaissance des autres philosophies de vie et des méthodes et pratiques éducatives, qu’ils soient en mesure d’exprimer leurs opinions et qu’ils disposent du temps et des moyens nécessaires pour s’occuper de la façon dont le système fonctionne concrètement, alors qu’aucune contrainte de ce type n’est imposée aux parents chrétiens. La modalité de dispense pénalise les auteurs en ce sens qu’elle les oblige à indiquer quels éléments de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» sont en conflit avec leurs propres convictions, lesquelles apparaîtront ensuite comme une «déviation» par rapport à la norme. Il est affirmé que le fait de contraindre les auteurs à révéler leur propre philosophie de vie aux administrateurs de l’école constitue une violation de l’article 26 du Pacte lu conjointement avec les paragraphes 1 à 4 de l’article 18.
7.12Pour ce qui est des enfants, il est observé que la dispense partielle signifie qu’ils ne participeront pas à l’activité prévue au programme mais qu’ils acquerront progressivement la même connaissance du thème en question que les autres élèves. Leur approche du sujet sera donc, sur le plan qualitatif, inférieure à celle des autres élèves. Il en résulte une impression de différence qui peut être mal vécue, engendre un sentiment d’insécurité et provoque des conflits d’allégeance.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
8.1Le 3 juillet 2003, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la plainte. Il conteste cette recevabilité au motif que la même question a déjà été soumise à une autre instance internationale d’enquête et de règlement, en invoquant le non‑épuisement des recours internes et l’absence de fondement des plaintes.
8.2L’État partie note que les tribunaux norvégiens ont statué sur les demandes de dispense de l’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» présentées par les auteurs en les joignant en une seule affaire avec des demandes identiques présentées par trois autres familles. Les différentes parties étaient toutes représentées par le même avocat (qui est conseil pour la présente communication), et le tribunal a rendu une seule décision sur ces demandes identiques. Aucune tentative n’a été faite pour individualiser les causes des différentes parties. Les tribunaux norvégiens ont rendu un seul et unique jugement concernant toutes les parties, et aucun des tribunaux n’a établi de distinction entre les parties. Après avoir plaidé une seule et même cause devant les tribunaux norvégiens, les parties ont toutefois décidé de s’adresser à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et au Comité des droits de l’homme. Quatre familles ont présenté une communication au Comité des droits de l’homme, et trois autres ont présenté une requête à la Cour européenne des droits de l’homme le 20 février 2002. La communication soumise au Comité des droits de l’homme et la requête adressée à la Cour européenne des droits de l’homme sont dans une large mesure identiques. Il apparaît donc que les auteurs agissent ensemble, mais qu’ils demandent un réexamen par les deux organes internationaux de ce qui constitue essentiellement une seule et même affaire.
8.3L’État partie prend acte avec intérêt des constatations du Comité sur la communication no 777/1997, mais il estime que le cas à l’examen doit être considéré comme irrecevable parce que la même question est examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. Il soutient que le cas à l’examen est différent de l’affaire Sánchez López du fait que les auteurs du cas cité ont fait valoir que «en ce qui concerne la plainte dont la Commission européenne des droits de l’homme a été saisie, même s’il s’agissait de la même question, ni l’infraction, ni les victimes, ni, partant, les décisions des tribunaux espagnols, y compris le recours en amparo correspondant, ne sont les mêmes». Dans le cas à l’examen, le même arrêt rendu par la Cour suprême norvégienne est attaqué devant les deux organes. L’arrêt de la Cour suprême de Norvège concernait une question de principe, celle de savoir si l’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» constituait ou non une violation des normes internationales relatives aux droits de l’homme.
8.4Si la communication est jugée recevable, les organes internationaux devront adopter une position générale, c’est‑à‑dire se demander si cette matière en tant que telle, en l’absence de droit à une dispense totale, constitue une violation du droit à la liberté de religion. L’objectif premier du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif est d’empêcher le double examen de la même affaire par des instances internationales, or c’est exactement la situation que sont en train de créer les différentes parties à l’affaire qui a été jugée par les tribunaux norvégiens.
8.5Sur la question de l’épuisement des recours internes, l’État partie est d’avis que les allégations de violation au titre des articles 17 et 18 n’ont pas été formulées dans les procédures engagées devant les tribunaux norvégiens et que, par conséquent, les recours internes n’ont pas été épuisés. Il mentionne le quatrième alinéa du paragraphe 4 de l’article 2 de la loi sur l’éducation qui autorise une dispense partielle de l’enseignement de la matière en question, c’est‑à‑dire des éléments de cet enseignement que les auteurs, se fondant sur leur propre religion ou philosophie de vie, perçoivent comme étant la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie. Les établissements doivent offrir la possibilité aux élèves d’être dispensés de suivre les parties de l’enseignement qui peuvent raisonnablement être perçues comme étant la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie. La décision d’un établissement de ne pas accorder cette dispense est susceptible d’un recours administratif devant le Gouverneur de comté, dont la décision peut à son tour être portée devant les tribunaux pour réexamen.
8.6Les auteurs n’ont pas utilisé la possibilité de demander une dispense partielle; leurs plaintes portent sur des demandes de dispense totale de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale». Pour fonder une constatation de violation des articles 17 et 18 du Pacte, il faudra se reporter à ce qui a été enseigné aux enfants des auteurs. Mais cette violation aurait pu être évitée par les parents en présentant des demandes de dispense partielle. Pour remplir l’obligation d’épuisement des recours internes, les auteurs auraient dû tout d’abord exercer le droit qui leur est reconnu au quatrième alinéa du paragraphe 4 de l’article 2 de la loi sur l’éducation. Si l’école et le Gouverneur de comté ne leur accordaient pas de dispense partielle, les auteurs devraient alors demander un réexamen par un organe judiciaire.
8.7L’État partie fait valoir que les allégations formulées par les auteurs au titre des articles 26 et 27 sont insuffisamment étayées. Pour l’article 26 du Pacte, l’État partie souligne que la clause de dispense figurant dans la loi sur l’éducation s’applique à tous les parents, quelle que soit leur religion ou leur philosophie de vie. En outre, le programme d’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» porte sur les principes du christianisme et d’autres religions et philosophies de vie, ne prévoit aucun prosélytisme et repose sur les mêmes principes éducatifs que l’enseignement des autres matières. Toute distinction entre les chrétiens et les autres groupes est fondée sur des critères objectifs et raisonnables. La matière dont il est question a d’importants objectifs culturels et éducatifs. Le fait de limiter les possibilités de dispense aux parties de l’enseignement qui peuvent raisonnablement être perçues comme reflétant la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie ne saurait être considéré comme une discrimination contraire à l’article 26.
8.8En ce qui concerne l’article 27, l’État partie note que les auteurs ont simplement invoqué cette disposition sans chercher à expliquer comment un groupe qui se définit comme non chrétien peut constituer une minorité religieuse au sens de l’article 27.
8.9Le 9 juillet 2003, le Rapporteur spécial du Comité pour les nouvelles communications et les mesures provisoires a refusé d’examiner séparément la question de la recevabilité et le fond de la communication.
Observations de l’État partie sur le fond
9.1Le 21 novembre 2003, l’État partie a présenté des observations sur le fond de la communication. La principale question sur laquelle devaient statuer les tribunaux norvégiens était de savoir si la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» constituait d’une manière générale, en l’absence de clause de dispense totale, une violation des instruments relatifs aux droits de l’homme ratifiés par la Norvège, notamment du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Par conséquent, toutes les allégations formulées dans la présente communication ont déjà été examinées par les tribunaux nationaux, notamment par la Cour suprême de Norvège. La Cour suprême a conclu que la matière appelée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale», assortie de sa clause de dispense partielle, était pleinement conforme aux normes internationales relatives aux droits de l’homme.
9.2Lorsque les autorités norvégiennes ont proposé au Parlement, en 1995, un nouveau programme national d’enseignement obligatoire, la Commission permanente du Parlement sur l’éducation, la recherche et les affaires religieuses («la Commission de l’éducation») a proposé d’y inclure une matière commune à tous les élèves englobant la religion chrétienne et les autres convictions religieuses et morales. Comme certains éléments de cette matière d’enseignement suscitaient des préoccupations quant aux droits qu’avaient les parents d’assurer à leurs enfants une éducation conforme à leurs propres convictions, la Commission permanente a demandé au Gouvernement de préparer des directives applicables à l’octroi de dispenses.
9.3Ont alors été élaborées des propositions de modification et des directives concernant une dispense partielle de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale». Le Gouvernement a chargé Erik Møse, qui était à l’époque juge à la cour d’appel, d’examiner dans quelle mesure les obligations contractées par la Norvège pouvaient imposer des limites à l’enseignement obligatoire des questions de religion ou de philosophie de vie, et dans quelle mesure il convenait d’autoriser une dispense de l’enseignement de cette matière. Dans son rapport, M. Møse concluait, notamment, qu’une dispense limitée serait en principe compatible avec les obligations juridiques internationales contractées par la Norvège, à condition que soient élaborées des modalités d’application de cette dispense dans les limites imposées par les conventions internationales. Ensuite, tout dépendrait du processus de mise en place du cadre juridique dans lequel s’inscrirait la matière «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» et de la manière dont cette matière serait enseignée dans les écoles.
9.4En réponse à ce rapport, le Ministère de l’éducation a proposé de nouveaux amendements à la loi sur l’éducation de 1996, laquelle est entrée en vigueur le 1er juillet 1997. Le droit de dispense a été limité aux parties de l’enseignement qui étaient perçues par les parents comme reflétant la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie que la leur.
9.5L’État partie considère que les droits des parents énoncés au paragraphe 4 de l’article 18 du Pacte sont au cœur de la communication. La plainte des parents est fondée sur l’allégation suivante: la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» s’apparente à «du prosélytisme et à de l’endoctrinement» et cet enseignement n’est «ni objectif, ni pluraliste, ni neutre», à quoi s’ajoute le fait que la loi sur l’éducation de 1998 ne prévoit pas la dispense totale de cet enseignement. L’État partie est d’avis que la matière appelée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» est conforme au Pacte. Toutefois, la loi, les réglementations ou les instructions applicables peuvent, dans certains cas particuliers, être appliquées de manière injustifiée. Il peut arriver que certains enseignant abordent des sujets ou choisissent des termes, dans leur enseignement, qui seront peut‑être jugés comme relevant de l’endoctrinement, ou que certains établissements ou certaines municipalités appliquent la clause de dispense d’une manière incompatible avec la loi et les règlements d’application.
9.6Les parents qui perçoivent cet enseignement comme un endoctrinement et n’obtiennent pas de dispense disposent de plusieurs voies de recours. Premièrement, la décision de ne pas accorder la dispense peut être portée devant un organe administratif et/ou un organe judiciaire. Deuxièmement, les tribunaux peuvent être saisis d’allégations de violation des droits de l’homme. Dans le cas à l’examen, les auteurs n’ont pas précisé à quel moment ni de quelle manière leurs enfants ont été exposés à un enseignement qui était un endoctrinement, pour lequel ils ont demandé sans succès la dispense prévue par la loi. À la connaissance de l’État partie, aucun des auteurs ne s’est vu refuser une demande de dispense partielle, et il est certain qu’aucun refus n’a fait l’objet d’un recours devant les tribunaux nationaux.
9.7Les procédures qu’ont choisies les auteurs ont nécessairement des conséquences sur la recevabilité et le bien‑fondé de leur communication. La plainte formulée au titre de l’article 18 doit être considérée comme irrecevable parce que les auteurs n’ont pas épuisé le recours utile dont ils disposent sous la forme d’une demande de dispense partielle. Deuxièmement, tant qu’ils n’auront pas demandé une telle dispense, on ne pourra établir si leurs enfants ont été contraints de suivre un enseignement en violation des droits protégés par le Pacte; les auteurs ne peuvent par conséquent être considérés comme victimes d’une violation de l’article 18. Troisièmement, dans l’hypothèse où la communication serait jugée recevable, le fait que les parents n’ont pas contesté l’enseignement dispensé à leurs enfants doit influencer l’examen de la communication quant au fond. Le Comité doit se borner à examiner la question générale de savoir si, en l’absence de clause prévoyant une dispense totale, l’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» constitue en lui‑même une violation des droits des parents. Il n’existe aucune base pour étudier la manière dont les enfants des auteurs reçoivent individuellement l’enseignement qui leur est donné.
9.8Quant aux observations des auteurs sur les manuels, l’État partie fait observer que ces derniers ne font pas partie du cadre juridique applicable à la matière enseignée. La loi et les règlements d’application laissent aux établissements toute discrétion pour le choix des manuels à utiliser dans le cadre de cet enseignement et la mesure dans laquelle ils doivent être utilisés. Néanmoins, au cas où le Comité examinerait l’enseignement spécifique dispensé aux enfants des auteurs, il est à noter que les auteurs n’ont guère cherché à étayer leur allégation d’endoctrinement, laquelle à elle seule ne peut suffire à fonder une constatation de violation. Il convient aussi de noter que l’État partie a signalé cette nouvelle matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» dans son quatrième rapport périodique au Comité, et que ce dernier, dans ses observations finales, n’a pas exprimé de préoccupation quant à la compatibilité de cette matière avec le Pacte.
9.9L’État partie estime qu’il ressort de l’Observation générale no 22 sur l’article 18 et de la décision du Comité dans l’affaire Hartikainen et consorts c. Finlande que le paragraphe 4 de l’article 18 n’interdit pas l’enseignement scolaire obligatoire sur les questions de religion et de philosophies de vie, à condition que cet enseignement soit donné de manière neutre et objective.
9.10L’État partie soutient qu’un enseignement religieux dispensé de manière neutre et objective est conforme aux autres normes relatives aux droits de l’homme, comme celles du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de la Convention relative aux droits de l’enfant. En conséquence, le paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte ne saurait interdire un enseignement obligatoire qui vise à «mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux» (Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, par. 1 de l’article 13) ou qui vise à inculquer à l’enfant le respect «de son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il peut être originaire et des civilisations différentes de la sienne» (Convention relative aux droits de l’enfant, par. 1 c) de l’article 29). La matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» est destinée à promouvoir la compréhension, la tolérance et le respect entre les élèves d’origines différentes, et à favoriser le respect et la compréhension par l’élève de sa propre identité, de l’histoire et des valeurs nationales de la Norvège ainsi que des autres religions et philosophies de vie.
9.11L’État partie cite l’article 2 du Protocole additionnel no 1 à la Convention européenne des droits de l’homme, article qui énonce l’obligation pour l’État partie de respecter le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. Il mentionne la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme.
9.12L’État partie estime que, dans l’affaire à l’examen, le Comité devrait avoir une double approche. Premièrement, le Comité devrait examiner la question de savoir si la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» en général implique la transmission d’informations et de connaissances d’une manière qui n’est pas objective ni neutre. Deuxièmement, en ce qui concerne les éléments de cette matière scolaire qui ne répondent pas à ces normes, le Comité devrait examiner si des dispositions suffisantes ont été prises pour que des dispenses ou des solutions de remplacement non discriminatoires permettent de répondre aux souhaits des parents.
9.13En ce qui concerne le premier point, l’État partie est d’avis que la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» ne comporte que quelques activités susceptibles d’être perçues comme ayant un caractère religieux. Jusqu’en 1997, l’enseignement du christianisme constituait une matière indépendante dans les écoles norvégiennes. En 1997, le Gouvernement a introduit la matière appelée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» afin de combattre les préjugés et la discrimination et afin de favoriser le respect et la tolérance mutuelle entre les différents groupes, les différentes religions et philosophies de vie ainsi qu’une meilleure compréhension par chacun de ses propres origines et identité. Cette matière avait également pour but explicite de contribuer à définir une identité culturelle collective. Pour atteindre les objectifs en question, il faut que les membres des différents groupes participent ensemble à cet enseignement. En conséquence, l’enseignement de cette matière relative à la connaissance chrétienne et à l’éducation religieuse et morale ne pouvait atteindre son objectif si chacun pouvait obtenir une dispense totale de cet enseignement.
9.14Les enfants ne sont pas tenus de fréquenter l’école publique. L’Association humaniste norvégienne (AHN) ou les auteurs, par exemple, ont la possibilité d’ouvrir des écoles privées. Il s’agit d’une solution réaliste et viable, même du point de vue économique, puisque le Gouvernement prend en charge plus de 85 % de la totalité des frais liés au fonctionnement et à la gestion des écoles privées.
9.15En ce qui concerne l’allégation des auteurs selon laquelle plus de temps est consacré à l’enseignement du christianisme qu’à celui d’autres religions et philosophies de vie, l’État partie fait observer que l’enseignement du christianisme ne peut en soi poser de problèmes au regard du Pacte tant qu’il est dispensé de façon objective et neutre. Il se réfère aussi à la décision pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme .
9.16Concernant le fait que les auteurs contestent la «clause de l’objectif chrétien de l’école» énoncée au premier alinéa du paragraphe 2 de l’article premier de la loi sur l’éducation, l’État partie fait valoir qu’il est indiqué dans cette clause elle‑même qu’elle ne s’appliquera «qu’en accord et en coopération avec les familles». En outre, en vertu de l’article 3 de la loi norvégienne sur les droits de l’homme, le paragraphe 2 de l’article premier de la loi sur l’éducation doit être interprété et appliqué conformément aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme qui sont incorporés dans le droit interne (Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et Convention européenne des droits de l’homme). En conséquence, la clause de l’objectif chrétien n’autorise ni le prosélytisme ni l’endoctrinement dans les écoles norvégiennes. Telle a été la conclusion de la Cour suprême dans l’affaire des auteurs.
9.17S’agissant de la deuxième question, l’État partie fait observer que des mesures suffisantes ont été prises pour donner des dispenses et/ou d’autres possibilités propres à tenir compte des vœux de tous les parents eu égard aux activités qui peuvent être perçues comme étant de nature religieuse. Cette solution visait à la fois à reconnaître le droit des parents de donner à leurs enfants une éducation conforme à leurs propres convictions religieuses et philosophiques et à tenir compte du fait que la société souhaitait légitimement renforcer le respect, la compréhension et la tolérance mutuels entre élèves de milieux différents.
9.18Le mécanisme le plus important est la disposition qui autorise l’octroi d’une dispense pour les éléments des cours perçus comme constituant la pratique d’une autre religion ou d’une autre philosophie de vie, sur la base d’une demande écrite des parents. Les travaux préparatoires contiennent d’autres principes directeurs concernant cette dispense. Les activités pouvant en faire l’objet sont regroupées en deux catégories distinctes. Premièrement, la dispense est donnée lorsqu’elle porte sur des activités pouvant clairement être perçues comme étant de nature religieuse. Dans ce cas, les parents ne sont pas tenus de motiver leur demande. En 2001, le Ministère a simplifié la procédure de dispense en élaborant un formulaire qui peut être utilisé pour huit activités différentes et précises, à savoir apprendre par cœur des prières, des déclarations de foi et des textes religieux, chanter des hymnes religieux, assister à un service religieux, visiter des églises, produire des images religieuses, jouer un rôle actif ou passif dans des pièces religieuses, recevoir les Saintes Écritures en cadeau, et participer à des manifestations de cet ordre. Les parents peuvent demander que leurs enfants soient dispensés de ces activités en cochant les cases correspondantes. Deuxièmement, d’autres activités peuvent elles aussi faire l’objet d’une dispense, à condition de pouvoir être perçues raisonnablement comme représentant la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie. Dans ce cas, les parents doivent expliquer brièvement les motifs de leur demande pour que l’école détermine si l’activité en question peut raisonnablement être considérée comme représentant la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie.
9.19Le second mécanisme mis en place pour remédier aux problèmes posés par les convictions religieuses ou philosophiques des parents consiste à dispenser un enseignement souple, dans la mesure du possible, et conforme à la culture des élèves.
9.20Pour ce qui est du grief de violation de l’article 26, l’État partie fait valoir qu’imposer des obligations ou des règles générales tout en autorisant des dispenses à condition que certains critères soient réunis est un moyen de gouverner efficace et admissible qui ne va pas à l’encontre de l’article 26. Pareille méthode de gouvernement exige invariablement que les citoyens eux‑mêmes cherchent à savoir s’ils réunissent les conditions requises pour bénéficier d’une dispense, et qu’ils demandent dûment celle‑ci, selon les modalités et dans les délais voulus, et que l’État partie ne considère pas ces régimes légaux comme discriminatoires. La clause de dispense s’applique indifféremment aux chrétiens et aux non‑chrétiens.
9.21En tout état de cause, les obligations imposées par la clause de dispense ne peuvent être considérées comme excessives ou déraisonnables. Les parents n’ont pas à motiver la demande de dispense dans les cas où les activités en cause peuvent clairement être perçues comme revêtant un caractère religieux. Au paragraphe 6 de son Observation générale no 22, le Comité semble accepter les systèmes ayant pour règle générale que les enfants sont tenus d’assister aux cours, avec la possibilité d’être dispensés de l’enseignement d’une religion donnée. D’autres matières, comme l’histoire, la musique, l’éducation physique et les sciences sociales, peuvent elles aussi susciter des problèmes religieux ou moraux, et la clause de dispense s’applique donc à toutes les disciplines. L’État partie considère que le seul système viable, tant pour ces matières que pour le cours appelé «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale», est d’autoriser des dispenses partielles. Si ce système était considéré comme discriminatoire, l’article 26 rendrait l’instruction obligatoire impossible dans la plupart des matières.
9.22En ce qui concerne le grief de violation de l’article 17 au motif que les parents demandant une dispense partielle sont tenus de donner des détails sur leur philosophie de vie et leurs convictions aux administrateurs et aux enseignants de l’école, l’État partie relève que les parents n’ont à motiver leur demande que pour les activités qui ne semblent pas représenter manifestement la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie. Lorsqu’ils sont tenus d’exposer leurs raisons, rien ne les oblige à donner des détails sur leur propre religion ou philosophie. Le personnel de l’école a le strict devoir de respecter la confidentialité des informations qui lui sont données sur la vie privée de particuliers. Si le Comité devait conclure que l’obligation de motiver une demande dans certains cas constitue une ingérence dans la vie privée des auteurs, l’État partie soutiendrait que cette ingérence n’est ni illégale ni arbitraire.
9.23Concernant la «légalité» de l’ingérence, l’État partie note que l’obligation faite aux parents de donner des raisons dans certains cas est clairement prévue au paragraphe 4 de l’article 2 de la loi sur l’éducation. Pour ce qui est de la notion d’arbitraire, il se réfère au paragraphe 4 de l’Observation générale no 16 du Comité, et aux objectifs positifs qui sont ceux de la matière appelée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale», et est d’avis que la clause de dispense partielle doit être considérée comme à la fois raisonnable et proportionnée. Faisant le parallèle avec l’objection de conscience au service militaire obligatoire, il fait observer que les objecteurs de conscience doivent donner des raisons beaucoup plus précises et personnelles pour justifier leur demande que les parents qui souhaitent voir leurs enfants dispensés de la nouvelle matière, et que l’objection de conscience est pourtant acceptée par les organes internationaux de défense des droits de l’homme.
Observations des auteurs sur la recevabilité et le fond
10.1Les 6 et 27 avril 2004, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie et retiré leur plainte au titre de l’article 27. Ils font valoir que la question de savoir si la matière appelée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» constitue ou non une violation des droits énoncés dans le Pacte doit être considérée dans le contexte plus général d’une société majoritairement chrétienne, étant donné qu’il y a en Norvège une religion d’État, une Église d’État, des prérogatives constitutionnelles pour la foi chrétienne, une clause d’objectif chrétien de l’école et des établissements préscolaires publics, des pasteurs de l’Église d’État dans les forces armées, les prisons, les universités et les hôpitaux et ainsi de suite. Pourtant, le droit des non‑chrétiens de ne pas professer de religion a été pris en considération de différentes manières, par exemple en les dispensant de la matière «connaissance chrétienne» dans les écoles publiques. Le droit à une dispense générale, qui existait depuis plus de 150 ans, a été supprimé lorsque la nouvelle matière a été introduite en 1997.
10.2S’agissant de la recevabilité, les auteurs font valoir que les enfants n’étaient pas officiellement les plaignants devant les tribunaux norvégiens parce que la procédure civile du pays est fondée sur la reconnaissance des parents comme représentants légaux de leurs enfants mineurs. Si les enfants avaient été officiellement les plaignants, ils auraient quand même été représentés par leurs parents, et les faits auraient été les mêmes que dans la présente affaire. Les enfants n’ont donc plus de recours interne.
10.3D’autres groupes de parents ont bien déposé des plaintes analogues devant la Commission européenne des droits de l’homme, mais on ne peut considérer qu’il s’agit de «la même question» que la présente affaire, en cours d’examen «devant une autre instance internationale … de règlement», au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Les auteurs se réfèrent à la jurisprudence pertinente du Comité selon laquelle, dans le cas où différents particuliers adressent des plaintes à différents organes internationaux, ces plaintes ne sont pas considérées comme «la même question». La procédure civile norvégienne autorise différentes parties à agir conjointement. L’affaire de chaque auteur a été présentée individuellement devant les tribunaux norvégiens. Les plaintes concernaient des décisions administratives distinctes portant sur la demande de dispense du cours de connaissance chrétienne et d’éducation religieuse et morale faite par la partie concernée. L’Association humaniste norvégienne a pu se constituer partie civile devant les juridictions inférieures mais s’est vu refuser ce statut devant la Cour suprême, ce qui montre bien que celle‑ci a examiné les plaintes individuelles des parents.
10.4Les parents qui étaient parties aux procédures intentées devant les tribunaux nationaux sont tous des particuliers, et ils ont le droit de décider quel organe international saisir de leur plainte. Le fait qu’ils ont la même philosophie de vie et appartiennent à une organisation qui la prône ne change rien à la situation. Les communications dont sont saisis le Comité des droits de l’homme et la Cour européenne ne sont donc pas «la même question».
10.5Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie voulant que les recours internes ne soient pas épuisés parce que les auteurs n’ont pas demandé de dispense partielle, ceux‑ci font valoir que deux d’entre eux ont d’abord demandé ce type de dispense, puis sont revenus à la dispense totale lorsqu’ils ont compris que la dispense partielle ne mettrait pas leurs enfants à l’abri de l’influence de la religion et leur donnait, ainsi qu’aux enfants, le sentiment d’être montrés du doigt. La dispense partielle permet d’échapper à certaines activités mais pas à la connaissance de certaines matières: les élèves peuvent être dispensés de prier, mais ils ne le sont pas de savoir la prière. Les auteurs affirment donc que leur droit à une dispense totale est protégé par le Pacte et considèrent que l’argument de l’État partie selon lequel ils auraient dû demander une dispense partielle est sans rapport avec la question.
10.6S’agissant de l’affirmation de l’État partie selon laquelle ils n’ont pas étayé leur plainte au titre de l’article 26, les auteurs réaffirment que les non‑chrétiens font l’objet d’une discrimination dans la mesure où ils doivent motiver leur demande de dispense concernant la matière «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale», alors que les chrétiens n’ont pas à se soumettre à ce type d’obligation étant donné que la matière en question s’adresse principalement à eux. Le Comité a déjà qualifié de discriminatoire l’instruction religieuse dispensée dans le système scolaire norvégien (avant l’introduction de la nouvelle matière en 1997). Le nouveau système de dispense est plus discriminatoire que l’ancien étant donné qu’en vertu de ce dernier les personnes demandant une dispense étaient seulement tenues d’indiquer si elles étaient ou non membres de l’Église d’État. Après le recours intenté devant la Cour suprême, l’État partie a introduit un formulaire standard de demande de dispense partielle concernant la nouvelle matière. Ce fait n’est cependant pas pertinent en l’espèce et ne modifie en rien l’opinion des auteurs au sujet de la procédure de dispense partielle.
10.7En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel tous les griefs formulés dans la présente affaire ont été soigneusement examinés, les auteurs relèvent que la Cour suprême a choisi de ne pas examiner les plaintes des parents quant au fond et a opté pour une approche générale des questions légales.
10.8Les auteurs contestent la manière légaliste dont l’État partie aborde la question d’une violation du Pacte, étant donné que la pratique du droit, à savoir l’enseignement lui‑même et la manière dont le système de dispense est appliqué, est au cœur de la question de savoir s’il y a eu ou non violation du Pacte. Le Gouvernement a demandé à deux instituts de recherche d’examiner comment l’enseignement de la nouvelle matière et, en particulier, le système de dispense partielle fonctionnaient dans la pratique. L’un d’entre eux (Diaforsk) a conclu que «l’application du système de dispense ne permettait pas de protéger suffisamment les droits des parents». Dans son communiqué de presse, le Ministère de l’Église, de l’éducation et de la recherche a indiqué que, «selon les deux études, les modalités de dispense partielle ne fonctionnaient pas comme prévu et devaient donc être revues». Les deux instituts de recherche ont recommandé l’introduction d’un droit général à la dispense.
10.9Les auteurs considèrent que l’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» constitue en lui‑même une violation de leur droit de décider de l’éducation donnée à leurs enfants en matière de philosophie de vie et qu’une éventuelle dispense partielle dans leur cas aurait porté sur une si grande partie de cette matière qu’elle aurait dépassé la limite de 50 % indiquée dans les travaux préparatoires. Les modalités de dispense partielle ne garantissent pas ce droit parental, étant donné que les éléments du cours qui peuvent faire l’objet d’une dispense sont quand même enseignés à l’élève.
10.10Comme le Gouvernement l’a reconnu, les manuels contiennent des textes qui peuvent être interprétés comme enseignant le christianisme. Si la définition de leur contenu ne fait pas partie du cadre légal de la matière, ces manuels ont été examinés et autorisés par un organisme d’État officiel, ils ont un statut officiel et ils sont utilisés par 62 % des écoles norvégiennes.
10.11L’État partie reconnaît que certains éléments au moins de la nouvelle matière peuvent être considérés comme revêtant un caractère religieux, mais il ne dit pas s’il en découle que les éléments en question ne répondent pas aux critères de neutralité et d’objectivité de l’enseignement. Les auteurs considèrent qu’il est si peu possible de faire la distinction entre les parties du cours qui sont de nature religieuse et celles qui ne le sont pas que personne ne s’y est essayé. Ils renvoient aux conclusions de la recherche menée par l’Institut Diaforsk, et en particulier à la phrase suivante: «Nous avons demandé aux enseignants comment ils faisaient cette distinction pendant le cours. Très peu d’entre eux ont compris le sens de la question.». L’un des objectifs du cours de connaissance chrétienne et d’éducation religieuse et morale, à savoir réunir tous les élèves dans un même enseignement, est manifestement contraire à l’affirmation de l’État partie selon laquelle les parents humanistes sont libres d’envoyer leurs enfants dans des écoles privées. Si ces parents créaient leur propre école, leurs enfants ne recevraient pas le même enseignement que les autres.
10.12L’importance accordée au christianisme dans le cours de connaissance chrétienne et d’éducation religieuse et morale ressort aussi des travaux préparatoires à l’occasion desquels la Commission de l’éducation a indiqué ce qui suit: «La majorité souligne que le cours n’a pas une valeur neutre. Le fait que l’enseignement ne doit comprendre aucun prosélytisme ne signifie aucunement qu’il doit être dispensé dans un vide religieux/moral. Toute instruction et éducation dispensée dans notre école primaire doit avoir comme point de départ l’objectif de l’école, en l’occurrence le christianisme, et les diverses religions et philosophies de vie devraient être enseignées en en montrant les caractéristiques distinctives. L’accent est surtout mis sur l’enseignement du christianisme.».
10.13Les auteurs affirment que la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» entraîne une discrimination excessive et déraisonnable à l’égard des non‑chrétiens étant donné que rien n’obligeait l’État partie à mettre fin à l’arrangement précédent et que, pour rassembler les élèves dans «la lutte contre les préjugés et la discrimination», et autres intentions louables, il n’était pas nécessaire de forcer tous les élèves à suivre un cours dont l’objectif premier est l’éducation chrétienne.
Informations complémentaires fournies par l’État partie
11.1Le 4 octobre 2004, l’État partie a fait des observations complémentaires sur la recevabilité et le fond de la communication. Pour ce qui est de la recevabilité, il réitère ses observations antérieures (faites le 27 avril 2004). Sur le fond, il réaffirme que la Cour suprême a minutieusement examiné l’affaire et conclu que le cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale et la clause de dispense partielle dont il était assorti étaient pleinement conformes au droit international relatif aux droits de l’homme; l’article 18 du Pacte n’interdit pas l’enseignement obligatoire dans les écoles de questions relatives à la religion et aux philosophies de vie à condition que cet enseignement soit dispensé de manière pluraliste, neutre et objective; le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention relative aux droits de l’enfant imposent tous deux aux États parties l’obligation positive d’assurer un enseignement avec une dimension sociale et éthique, et les parents n’ont pas contesté l’enseignement spécifique dispensé à leurs enfants.
11.2L’État partie se réfère plus particulièrement à l’objection principale des auteurs selon laquelle par le biais de l’enseignement d’une matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale», leurs enfants peuvent recevoir des informations qui constituent un endoctrinement. Ils ont demandé, pour qu’il n’y ait pas violation du paragraphe 4 de l’article 18 du Pacte, que leurs enfants soient totalement dispensés de cet enseignement. Or l’État partie juge inutile une dispense totale dans la mesure où il s’agit d’une matière pluridisciplinaire dont font partie, en plus de la connaissance de la religion chrétienne, les sciences sociales, les religions du monde, la philosophie et l’éthique.
11.3En ce qui concerne les observations des auteurs, l’État partie fait valoir que le cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale a fait l’objet d’une évaluation approfondie et que les autorités ont fait établir deux rapports indépendants qui ont été analysés dans le rapport du Ministère de l’éducation au Storting pour 2000‑2001. La Cour suprême a examiné les rapports susmentionnés et leur suivi par l’administration, ce qui constitue, aux yeux de l’État partie, la preuve qu’elle était pleinement consciente de tous les aspects de l’affaire lorsqu’elle est parvenue à la conclusion que le cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale était conforme aux pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme. Il est indiqué dans les conclusions des rapports d’évaluation que dans la majorité des cas les dispenses partielles fonctionnaient de manière satisfaisante, que la plupart des parents estimaient que le cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale se déroulait dans de bonnes conditions pour leurs enfants et que peu d’enseignants considéraient les dispenses partielles comme une source de problèmes pratiques.
11.4Pour ce qui est de l’allégation des auteurs selon laquelle l’État partie a fait fi des avertissements lancés par différents groupes religieux, du droit relatif aux droits de l’homme et de la recommandation du juge Møse, il est déclaré qu’il n’existe pas d’opposition unanime au cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale, que les groupes religieux minoritaires ont participé à l’élaboration du nouveau plan d’études approuvé par le Parlement et qu’à l’heure actuelle il n’y avait pratiquement pas de désaccord au sujet de la clause de dispense dont le cours était assorti.
11.5L’État partie se réfère en outre au commentaire des auteurs selon lequel la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark est sans rapport avec la présente affaire parce qu’il était à l’époque question non pas d’éducation religieuse mais d’éducation sexuelle obligatoire.
11.6L’État partie souligne, en ce qui concerne les allégations des auteurs, que dans ses observations, le Comité des droits de l’enfant s’est déclaré préoccupé par les «modalités d’octroi d’une dispense», sans expliquer pourquoi il l’était. Depuis l’adoption des observations susmentionnées (2 juin 2000), le cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale et son système de dispense ont fait l’objet d’une évaluation approfondie, et les autorités ont réagi aux préoccupations exprimées en accordant des dispenses sur notification uniformisée et en facilitant la communication entre les écoles et les familles. Enfin, l’État partie note que le Comité n’a pas élevé d’objection à un système de dispense partielle et n’a pas non plus soutenu les revendications des auteurs en vue d’une dispense totale.
11.7L’État partie affirme que de nombreuses matières enseignées à l’école peuvent inclure des informations ou des mesures perçues comme ayant une dimension philosophique ou religieuse. Il note en l’espèce que, si les auteurs de la communication n’étaient pas préoccupés par des matières telles que la science, la musique, l’éducation physique et l’économie domestique, les minorités religieuses refusaient, elles, certains aspects de l’enseignement de ces matières, notamment le côté pratique des cours d’éducation physique et de musique. L’État partie fait valoir qu’une clause de dispense partielle est, de manière générale et en particulier dans le cas du cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale, le seul moyen réaliste d’assurer un enseignement obligatoire.
11.8Pour ce qui est de la question de la discrimination, l’État partie note que les auteurs semblent avoir mal compris ses observations en escamotant les mots «ne … pas» dans la phrase suivante: «En particulier, les États parties doivent être habilités à demander aux parents d’exposer leur motivation lorsqu’ils demandent une dispense d’activité qui ne semble pas à première vue assimilable à la pratique d’une religion donnée ou à une adhésion à une philosophie de vie différente.». L’État partie rappelle qu’à la suite de l’évaluation du cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale en 2000‑2001, un formulaire de notification générale a remplacé l’ancienne procédure de demande.
11.9Enfin, eu égard à la situation internationale, l’État partie affirme que le dialogue entre les cultures et les religions devrait être encouragé en tant que partie intégrante de l’éducation des enfants. Selon lui, dans ce contexte, le cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale apparaît comme un moyen essentiel de promouvoir «l’émergence d’un espace commun pour une génération de plus en plus multiculturelle et diverse».
Informations complémentaires fournies par les auteurs
12.1Dans une lettre datée du 15 octobre 2004, les auteurs ont fait d’autres commentaires sur les dernières observations de l’État partie. Ils soulignent à nouveau qu’ils sont opposés au cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale parce qu’il ne s’agit pas d’une matière permettant de transmettre des informations neutres sur différentes philosophies de vie ou religions. Font manifestement partie du cours des activités ouvertement religieuses (telles que la prière). Selon les auteurs, le contenu du cours, s’ajoutant à la clause relative à l’objectif chrétien, dément l’argumentation de l’État partie quant à l’objet de la loi. Les auteurs ne sont pas opposés à une éducation ayant une certaine dimension «sociale et éthique», mais le fait est que la méthode d’enseignement du cours vise à renforcer l’identité religieuse des élèves et à enseigner l’activité religieuse dans le cadre de la clause relative à l’objectif chrétien.
12.2Les auteurs affirment que, même si un système de dispense partielle est satisfaisant dans la majorité des cas et que rares sont les enseignants qui ont rencontré des problèmes pratiques, cet argument est sans objet en l’espèce. L’essentiel dans la présente affaire est que des étudiants minoritaires et leurs parents ont une tout autre expérience du système.
12.3Les auteurs contestent l’objection de l’État partie fondée sur l’absence d’une opposition plus générale à l’inscription au programme du cours mis en cause et font valoir que presque tous les groupes minoritaires du pays qui se réclament d’une religion ou d’une philosophie de vie distincte sont opposés au cours. Ils ajoutent que le Conseil islamique et les parents musulmans ont engagé, de leur côté, contre le Gouvernement des poursuites correspondant plus ou moins aux griefs des auteurs et qu’ils ont perdu leur procès pour des motifs similaires à ceux des auteurs. Ils affirment que le Conseil a décidé d’attendre l’issue de l’examen de la communication des auteurs par le Comité avant d’intenter une nouvelle action.
12.4Il est souligné que d’importants groupes de la société norvégienne continuent d’avoir des problèmes avec le système de dispense partielle. Les auteurs versent au dossier une copie d’un rapport du Forum norvégien pour la Convention relative aux droits de l’enfant en date de juin 2004 dans lequel le Forum invite le Comité des droits de l’enfant à recommander à l’État partie de revoir son programme «d’éducation religieuse et éthique, à la fois dans le système scolaire public et dans le contexte des prescriptions relatives aux écoles privées et de l’inspection de ces écoles, à la lumière des dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la liberté de pensée, de conscience et de religion».
12.5Enfin, les auteurs soutiennent une promotion continue du dialogue interculturel mais affirment que le cours de connaissance de la religion chrétienne et d’éducation religieuse et morale ne contribue pas à la réalisation de cet objectif.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
13.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette plainte est recevable en vertu du Protocole facultatif.
13.2Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les auteurs ne seraient pas «victimes» d’une violation présumée des droits de l’homme au sens de l’article premier du Protocole facultatif. De l’avis du Comité, les auteurs ont montré qu’ils étaient affectés, individuellement et en tant que familles, par le droit et la pratique de l’État partie. En conséquence, le Comité ne voit aucune raison de déclarer la communication irrecevable pour ce motif.
13.3L’État partie conteste également la recevabilité au motif que la «même question» est actuellement examinée par la Cour européenne des droits de l’homme dans la mesure où trois autres groupes de parents ont déposé une plainte similaire devant cette instance et que les tribunaux norvégiens se sont prononcés dans le cadre d’une seule et même procédure sur la requête des auteurs tendant à obtenir une dispense totale du cours et sur trois requêtes identiques soumises par lesdits groupes de parents. Le Comité réaffirme sa jurisprudence selon laquelle l’expression «la même question» au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif doit être comprise comme désignant une seule et même requête concernant une même personne, soumise par cette personne ou par une autre habilitée à agir en son nom à une autre instance internationale. Que d’autres groupes de personnes aient joint leurs plaintes à celles des auteurs devant les tribunaux nationaux ne change rien à cette interprétation du Protocole facultatif. Les auteurs ont démontré qu’ils sont distincts des trois autres groupes de parents qui ont adressé une plainte à la Cour européenne des droits de l’homme. Ils ont choisi de ne pas soumettre leur plainte à cette juridiction. Par conséquent, le Comité considère qu’en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, rien ne l’empêche d’examiner la communication.
13.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les articles 17 et 18 n’ont pas été soulevés dans le cadre de la procédure nationale dans la mesure où les auteurs ne se sont pas prévalus de la possibilité de demander une dispense partielle, et que les recours internes n’ont pas été épuisés à cet égard. Toutefois, aussi bien devant le Comité que devant les tribunaux nationaux, les auteurs ont fait valoir que le caractère obligatoire du cours mis en cause constituait une violation de leurs droits garantis par le Pacte dès lors qu’ils ne pouvaient demander d’en être totalement dispensés. En outre, l’État partie a explicitement confirmé que les griefs contenus dans la communication avaient déjà été examinés par les tribunaux nationaux. En conséquence, le Comité considère que les auteurs ont épuisé les recours internes en ce qui concerne la plainte en question.
13.5L’État partie a contesté la recevabilité de la plainte des auteurs au titre de l’article 26 parce qu’elle n’a pas été étayée dans la mesure où la clause de dispense prévue par la loi sur l’éducation s’applique à tous les parents quelle que soit leur religion ou leur philosophie de vie. Le Comité ne partage pas ce point de vue. L’examen de la question de savoir s’il y a une différenciation entre les chrétiens et d’autres groupes − et si une telle différenciation est fondée sur des critères objectifs et raisonnables − doit faire partie de l’examen du fond de la communication. Le Comité considère donc que les auteurs ont suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, leur allégation selon laquelle le système de dispense applicable à l’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» pourrait donner lieu à une différenciation entre les parents non chrétiens et les parents chrétiens et qu’une telle différenciation pourrait constituer une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte.
13.6Notant que les auteurs ont retiré leur plainte au titre de l’article 27, le Comité décide que la communication est recevable dans la mesure où elle soulève des questions au titre des articles 17, 18 et 26 du Pacte.
Examen au fond
14.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
14.2Le Comité doit déterminer principalement si l’enseignement obligatoire de la matière appelée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» dans les écoles norvégiennes, assorti seulement d’une possibilité de dispense limitée, constitue une violation des droits des auteurs à la liberté de pensée, d’opinion et de religion consacrés à l’article 18 et plus précisément du droit des parents d’assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions (par. 4 de l’article 18). La portée de l’article 18 s’étend non seulement à la protection des religions traditionnelles mais aussi aux philosophies de vie, comme celles que professent les auteurs. De l’avis du Comité, l’enseignement de la religion et de la morale peut être compatible avec l’article 18 s’il respecte les conditions énoncées par le Comité dans son Observation générale no 22 relative à l’article 18: «[L]e paragraphe 4 de l’article 18 permet d’enseigner des sujets tels que l’histoire générale des religions et des idées dans les établissements publics, à condition que cet enseignement soit dispensé de façon neutre et objective»et«l’éducation publique incluant l’enseignement d’une religion ou d’une conviction particulière est incompatible avec le paragraphe 4 de l’article 18, à moins qu’elle ne prévoie des exemptions ou des possibilités de choix non discriminatoires correspondant aux vœux des parents et des tuteurs.». Le Comité rappelle également les constatations qu’il a adoptées dans l’affaire Hartikainen et consorts c. Finlande, où il a conclu que l’instruction dans un contexte religieux devait respecter les convictions des parents et des tuteurs qui n’ont aucune religion. C’est dans ce contexte juridique que le Comité va examiner la plainte.
14.3Premièrement, le Comité examinera la question de savoir si l’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» est dispensé de façon neutre et objective. Sur la question, il renvoie au paragraphe 4 de l’article 2 de la loi sur l’éducation qui dispose: «L’enseignement de la matière ne comprendra aucun prosélytisme. Les enseignants chargés de la matière “Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale” seront guidés par l’objectif de l’enseignement primaire et du premier cycle du secondaire tel qu’il est exposé au paragraphe 2 de l’article premier et présenteront le christianisme, les autres religions et les philosophies de vie en montrant leurs caractéristiques distinctives. L’enseignement des différents sujets sera fondé sur les mêmes principes éducatifs.». Dans la disposition exposant l’objectif dont il est question dans la loi, il est indiqué que l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire du premier cycle auront pour objet «en accord et en coopération avec les familles, d’aider à donner aux élèves une éducation chrétienne et morale». Il ressort clairement de certains des travaux préparatoires de la loi mentionnée que, dans cette matière, la priorité est donnée aux règles et principes du christianisme par rapport à d’autres religions et philosophies de vie. Dans ce contexte, la Commission permanente de l’éducation a conclu à la majorité de ses membres que «l’enseignement n’avait pas une valeur neutre et que l’accent était mis surtout sur le christianisme dans l’enseignement de cette matière». L’État partie reconnaît que la matière comporte des éléments qui peuvent être perçus comme revêtant un caractère religieux, les enfants pouvant être dispensés de l’enseignement de ces éléments sans que leurs parents aient à motiver leur demande de dispense. En effet, certaines au moins des activités en question impliquent à première vue non pas simplement l’enseignement de connaissances religieuses, mais la pratique effective d’une religion donnée (voir par. 9.18). Il ressort également des résultats de recherche exposés par les auteurs ainsi que de leur expérience personnelle que la matière contient des éléments qui, selon leur perception, ne sont pas enseignés de façon neutre et objective. Le Comité conclut que l’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» ne peut pas être considéré comme répondant aux critères de neutralité et d’objectivité dans la façon dont il est dispensé, sauf si le système de la dispense aboutit en fait à une situation où l’enseignement dispensé à ces enfants, dont la famille demande la dispense, est neutre et objectif.
14.4La deuxième question que le Comité doit trancher est donc de savoir si les dispositions prévoyant une dispense partielle et les autres moyens représentent «des exemptions ou des possibilités de choix non discriminatoires correspondant aux vœux des parents et des tuteurs». Le Comité prend note de l’argument des auteurs qui font valoir que la dispense partielle ne satisfait pas à leurs besoins parce que l’enseignement de cette matière est trop fortement axé sur l’instruction religieuse et qu’une dispense partielle est impossible à mettre en œuvre dans la pratique. Le Comité note en outre que la loi norvégienne sur l’éducation dispose: «À la demande écrite des parents, les enfants seront dispensés de suivre les éléments de l’enseignement donné dans leur établissement qu’ils perçoivent, en fonction de leur propre religion ou philosophie de vie, comme représentant la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie.».
14.5Le Comité note que le cadre normatif concernant l’enseignement de la nouvelle matière suscite des divergences, voire des contradictions. D’un côté, la Constitution et l’objectif énoncé dans la loi sur l’éducation expriment une nette préférence pour le christianisme par rapport au rôle d’autres religions ou visions du monde dans le système éducatif. D’un autre côté, la clause spécifique relative aux dispenses figurant au paragraphe 4 de l’article 2 de la loi sur l’éducation est formulée d’une manière qui semble en théorie accorder un droit complet de dispense concernant tout élément de la nouvelle matière que les élèves ou les parents perçoivent comme la pratique d’une autre religion ou l’adhésion à une autre philosophie de vie. Si cette clause pouvait être appliquée de manière à contrebalancer la préférence marquée par la Constitution et l’objectif énoncé dans la loi sur l’éducation, on pourrait considérer sans doute qu’elle respecte l’article 18 du Pacte.
14.6Le Comité estime cependant que, même dans l’abstrait, le système actuel de dispense partielle impose un fardeau considérable aux personnes qui se trouvent dans la position des auteurs, dans la mesure où il exige d’elles qu’elles prennent connaissance des éléments de la matière qui sont manifestement de nature religieuse, ainsi que d’autres éléments, afin de déterminer lesquels de ces autres éléments justifient qu’elles fassent une demande − motivée − de dispense. On ne pourrait pas exclure non plus que ces personnes soient dissuadées d’exercer ce droit, dans la mesure où un régime de dispense partielle pourrait créer des problèmes aux enfants, autres que ceux susceptibles de se poser dans un régime de dispense totale. En fait, comme le montre l’expérience des auteurs, le régime actuel de dispense ne protège pas la liberté des parents de veiller à ce que l’éducation religieuse et morale donnée à leurs enfants soit conforme à leurs propres convictions. À cet égard, le Comité note que la matière en question combine l’enseignement de connaissances religieuses à la pratique de convictions religieuses particulières, c’est-à-dire à l’obligation d’apprendre des prières par cœur, de chanter des hymnes religieuses ou d’assister à des services religieux (par. 9.18). S’il est vrai qu’en pareil cas les parents peuvent demander une dispense de ces activités en cochant la case correspondante sur un formulaire, le système d’enseignement de la matière intitulée «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» ne garantit pas une séparation de l’enseignement de connaissances religieuses de la pratique religieuse propre à rendre cette dispense applicable dans la pratique.
14.7De l’avis du Comité, les difficultés rencontrées par les auteurs, en particulier le fait que Maria Jansen et Pia Suzanne Orning ont dû réciter des textes religieux à l’occasion d’une célébration de Noël, alors même qu’elles relevaient du régime de dispense, de même que le conflit d’allégeance éprouvé par les enfants, illustrent amplement ces difficultés. Qui plus est, l’obligation de motiver la demande de dispense des cours axés sur l’enseignement de connaissances religieuses et l’absence d’indications claires quant à la nature des raisons acceptables crée un obstacle supplémentaire pour les parents soucieux d’éviter que leurs enfants soient exposés à certaines idées religieuses. De l’avis du Comité, le cadre normatif actuel concernant la nouvelle matière, y compris le système de dispense en vigueur, tel qu’il a été appliqué à l’égard des auteurs, constitue une violation du paragraphe 4 de l’article 18 du Pacte vis-à-vis des auteurs.
14.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime qu’aucune autre question ne se pose au titre d’autres parties de l’article 18, ni des articles 17 et 26 du Pacte.
15.Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, considère que les faits qui lui sont soumis constituent une violation du paragraphe 4 de l’article 18 du Pacte.
16.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir aux auteurs un recours utile et adéquat qui respecte le droit des auteurs, en tant que parents, de s’assurer que leurs enfants reçoivent une éducation qui soit conforme à leurs propres convictions, et le droit des enfants, en tant qu’élèves, de recevoir une telle éducation. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
17.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
Y. Communication n o 1189/2003, Fernando c. Sri Lanka (Constatations adoptées le 31 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Anthony Michael Emmanuel Fernando (représenté par des conseils, Kishali Pinto ‑Jayawardena et Suranjith Hewamanne) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Sri Lanka |
Date de la communication: |
10 juin 2003 (date de la lettre initiale) |
Objet: Procès équitable dans une affaire d’outrage à magistrat, torture, menaces de mort et sécurité de la personne.
Questions de procédure: Non‑épuisement des recours internes; allégations non étayées.
Questions de fond: Procédure équitable dans une affaire d’outrage à magistrat; mesures dans laquelle un État partie est responsable pour ce qui est d’enquêter sur des menaces de mort et de protéger la victime de telles menaces.
Articles du Pacte: 7, 9; 10 (par. 1), 14 (par. 1, 2, 3, a), b), c), d), e) et par. 5), 19 et 2 (par. 3).
Articles du Protocole facultatif: 2, 3 et 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 mars 2005
Ayant achevé l’examen de la communication no 1189/2003, présentée par M. Anthony Michael Emmanuel Fernando en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites que lui ont communiquées l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication est M. Anthony Michael Emmanuel Fernando, de nationalité sri‑lankaise, qui demande actuellement l’asile à Hong Kong. Il affirme être victime de violations par Sri Lanka des droits qui lui sont reconnus aux articles 7 et 9, au paragraphe 1 de l’article 10, aux paragraphes 1, 2, 3 a), b), c), d) et e), et 5 de l’article 14, à l’article 19, et au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par des conseils, Kishali Pinto ‑Jayawardena et Suranjith Hewamanne.
1.2Le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications n’a pas fait droit à une demande de mesures provisoires tendant à faire libérer l’auteur de prison à Sri Lanka, présentée en même temps que la communication.
Exposé des faits
2.1L’auteur a déposé une demande d’indemnisation pour accident de travail auprès du Commissaire adjoint du Service d’assurance accidents du travail afin d’être dédommagé de blessures qu’il avait subies. Il ressort du dossier judiciaire que l’auteur était un employé de la Young Men’s Christian Association (YMCA). Dans l’exercice de ses fonctions, il a été blessé à la suite d’une chute. Le Commissaire adjoint du Service d’assurance accidents du travail a ouvert une enquête sur l’incident. L’auteur et la YMCA étaient représentés par des avocats. Les deux parties ont pu parvenir à un accord mais lorsqu’elles ont été convoquées devant le Commissaire adjoint, le 9 janvier 1998, l’auteur s’est rétracté. Ses exigences ayant été rejetées, il a déposé quatre requêtes successives auprès de la Cour suprême. Les deux premières avaient trait à des violations présumées de ses droits constitutionnels par le Commissaire adjoint. Le 27 novembre 2002, la Cour suprême a examiné conjointement ces deux requêtes et les a rejetées. Par la suite, le 30 janvier 2003, l’auteur a déposé une troisième requête, affirmant que les deux premières n’auraient pas dû être examinées conjointement et que leur examen conjoint constituait une violation de son droit constitutionnel à un «procès équitable». Le 14 janvier 2003, cette requête a été à son tour rejetée.
2.2Le 5 février 2003, l’auteur a déposé une quatrième requête, affirmant que le Président et deux autres juges de la Cour suprême qui avaient examiné la troisième requête n’auraient pas dû le faire dans la mesure où ces magistrats étaient ceux qui avaient examiné conjointement les deux premières requêtes. Au cours de l’examen de cette requête, le 6 février 2003, l’auteur a été sommairement déclaré coupable d’outrage à magistrat et condamné à un an «de réclusion en régime sévère» (c’est‑à‑dire avec travail forcé). Il a été écroué le même jour. Selon l’auteur, environ deux semaines plus tard, une deuxième ordonnance pour outrage à tribunal a été émise par le Président de la Cour suprême au motif que, en dépit de l’avertissement qu’il avait reçu, l’auteur avait persisté à perturber le déroulement de la procédure devant la Cour. Le dispositif de l’ordonnance contient ce qui suit: «Le requérant a été informé qu’il devait cesser d’abuser de son droit de recours et de déposer continuellement des requêtes non justifiées. À ce moment‑là, le requérant a élevé la voix, insistant sur son droit d’aller jusqu’au bout de sa démarche. Il a été alors averti que son comportement serait considéré comme un outrage à magistrat s’il persistait à perturber le déroulement de la procédure. En dépit de cet avertissement, il a continué à perturber la procédure. Dans ces circonstances, nous l’avons déclaré coupable d’outrage à magistrat et condamné à une peine d’un an de réclusion en régime sévère. Il a été intimé au Greffier de faire sortir le requérant de la salle et de veiller à ce qu’il soit écroué.». L’ordonnance était fondée sur le paragraphe 3 de l’article 105 de la Constitution sri‑lankaise qui confère à la Cour suprême «le pouvoir de punir l’outrage à magistrat, qu’il soit commis dans la salle d’audience ou ailleurs, d’emprisonnement ou d’une amende, ou des deux à la fois si la Cour le juge approprié…». Selon l’auteur, ni la Constitution ni d’autres textes de loi ne réglementent la procédure pour informer la personne accusée d’outrage à magistrat des charges qui pèsent contre elle de façon à lui permettre de consulter un avocat ou de faire appel de l’ordonnance de la Cour suprême, et ils ne fixent pas non plus la peine pouvant être imposée en cas d’outrage à magistrat.
2.3À la suite de son emprisonnement, l’auteur a développé une forme d’asthme grave qui a nécessité son hospitalisation dans un service de soins intensifs. Le 8 février 2003, il a été transféré dans une aile carcérale de l’hôpital général, où on l’a fait dormir à même le sol, la jambe menottée avec interdiction de se déplacer sauf pour aller aux toilettes. Étant constamment étendu sur le sol, il a pris froid, ce qui a aggravé son asthme. Ni la femme de l’auteur ni son père n’ont été informés de son transfert à l’hôpital; ils ont dû effectuer leurs propres recherches pour le retrouver.
2.4Le 10 février 2003, l’auteur a ressenti de vives douleurs dans toutes les parties de son corps mais n’a reçu aucun soin médical. Le même jour, renvoyé en prison, il a été agressé à plusieurs reprises par ses gardiens pendant son transfert. Dans le fourgon de la police, il a reçu plusieurs coups de pied au dos qui lui ont causé des lésions à la colonne vertébrale. À son arrivée à la prison, il a été déshabillé et laissé étendu par terre à côté des toilettes pendant plus de 24 heures. Lorsqu’il a été constaté qu’il avait du sang dans les urines, il a été renvoyé à l’hôpital, où il a ultérieurement reçu la visite du Rapporteur spécial de l’Organisation des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats qui s’est déclaré préoccupé par son cas. Après le 11 février 2003, l’auteur était, selon ses propres affirmations, incapable de se lever du lit. Le 17 octobre 2003, il a été libéré après avoir exécuté 10 des 12 mois de sa peine. Les autorités sri‑lankaises ont engagé des poursuites pénales contre les gardiens de prison impliqués, les accusant de voies de fait sur la personne de l’auteur. Ils ont été depuis lors libérés sous caution en attendant qu’ils soient jugés.
2.5Le 14 mars 2003, l’auteur a déposé, en protection de ses droits fondamentaux au titre de l’article 126 de la Constitution, une requête pour tortures présumées qui est actuellement en instance devant la Cour suprême. Il a également fait appel de sa condamnation pour outrage à magistrat, au motif qu’il ne lui avait été donné lecture d’aucun acte d’accusation avant sa condamnation et que la peine à laquelle il avait été condamné était disproportionnée. Il a également fait valoir que sa cause n’aurait pas dû être examinée par les mêmes juges dans la mesure où ils étaient partiaux. L’appel a été examiné et rejeté le 17 juillet 2003 par les trois juges qui avaient condamné l’auteur.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme qu’il a été victime d’une violation de ses droits garantis aux paragraphes 1, 2, 3 a), b), c) et e) et 5 de l’article 14 dans la mesure où il n’y a pas eu d’audience sur la question de l’outrage puisqu’il a été condamné sommairement, où la déclaration de culpabilité et la sentence ont été prononcées par les mêmes juges que ceux qui avaient examiné ses trois précédentes requêtes; et où l’auteur n’a pas été informé des charges retenues contre lui et n’a pas eu suffisamment de temps pour préparer sa défense; l’appel a été entendu par les mêmes juges de la Cour suprême que ceux qui avaient auparavant examiné l’affaire; il n’y avait aucune preuve qu’il avait commis un outrage à magistrat ou qu’il existait «une intention délibérée» de commettre un tel outrage, comme l’exigent les lois nationales; la peine d’un an d’emprisonnement était franchement disproportionnée par rapport à l’infraction dont il avait été reconnu coupable.
3.2L’auteur affirme que le fait que les mêmes juges aient entendu toutes ses requêtes est contraire à la législation sri‑lankaise. Le paragraphe 1 de l’article 49 de la loi no 2 de 1978 sur la magistrature (telle que modifiée) stipule qu’aucun juge n’aura compétence, et en aucun cas un juge ne sera obligé d’exercer sa juridiction, dans le cadre d’une action, de poursuites, d’une procédure ou d’une affaire dans lesquelles il est partie ou a un intérêt personnel. Le paragraphe 2 de cet article dispose qu’aucun juge ne connaîtra d’un appel contre un jugement, une condamnation ou une ordonnance qu’il aura lui‑même prononcés et ne procédera au contrôle de la légalité d’un tel jugement, d’une telle condamnation ou d’une telle ordonnance. Le paragraphe 3 stipule que lorsqu’un juge, qui est partie ou a un intérêt personnel dans une affaire, siège à la Cour suprême ou à la cour d’appel, l’action, les poursuites ou l’affaire dans lesquelles il est partie ou a un intérêt ou dans lesquelles il est interjeté appel de son jugement seront examinées ou tranchées par un autre ou d’autres juges de la Cour. À l’appui de son argument selon lequel le procès n’a pas été équitable, l’auteur se réfère aux préoccupations internationales et nationales au sujet du comportement du Président de la Cour suprême.
3.3L’auteur fait valoir qu’ayant été emprisonné sans avoir bénéficié d’un procès équitable, il a été victime d’une détention arbitraire en violation de l’article 9 du Pacte. Il se réfère aux critères sur lesquels se fonde le Groupe de travail sur la détention arbitraire pour déterminer si une privation de liberté est arbitraire.
3.4L’auteur affirme qu’il a été porté atteinte à sa liberté d’expression, garantie par l’article 19 du Pacte, du fait qu’il a été condamné à une peine de prison disproportionnée, que l’exercice d’un pouvoir de punir l’outrage à magistrat n’est pas «prescrit par la loi» (vu le manque de précision des dispositions applicables) et qu’il n’est pas «nécessaire de protéger l’administration de la justice» ou «l’ordre public» (par. 3 b) de l’article 19) en l’absence d’un comportement abusif de la part de l’auteur pouvant être considéré comme «un outrage à la Cour». Il affirme que la manière dont il a été traité et les restrictions imposées en conséquence à sa liberté d’expression ne répondaient pas aux trois conditions fixées en la matière: ils doivent être prescrits par la loi, viser un des objectifs énoncés au paragraphe 3 a) et b) de l’article 19 et être nécessaires pour atteindre un but légitime.
3.5À propos de la première condition, l’auteur affirme que la restriction dont il a fait l’objet n’est pas prescrite par la loi étant donné que les mesures en question ne sont pas clairement définies et ont une portée si vaste qu’elles ne répondent pas aux critères de la certitude du droit. Il se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour affirmer que la norme juridique en question doit être accessible aux personnes, dans ce sens que ces dernières doivent être en mesure de la discerner et d’entrevoir les conséquences d’une action donnée. Les lois de l’État partie régissant l’outrage à magistrat sont opaques et inaccessibles et la possibilité qu’a la Cour suprême d’exercer son propre pouvoir discrétionnaire d’imposer des sanctions en la matière est si vaste et illimitée qu’elle ne répond pas aux critères d’accessibilité et de prévisibilité.
3.6Pour ce qui est de la deuxième condition, il est affirmé que l’étendue du pouvoir de punir l’outrage à magistrat conféré aux autorités judiciaires en vertu du droit sri‑lankais et la mesure dans laquelle ce pouvoir restreint le droit à la liberté d’expression ne cadrent pas suffisamment avec les objectifs visés à l’article 19, à savoir la protection de l’«ordre public» et «des droits et de la réputation d’autrui». S’agissant de la troisième condition, le droit à la liberté d’expression peut certes être restreint «afin de protéger les droits et la réputation d’autrui» et, en l’espèce, pour protéger l’administration de la justice, mais les pouvoirs conférés à la Cour suprême par la législation sri‑lankaise pour ce qui est de punir l’outrage à magistrat, notamment le pouvoir d’imposer des peines de prison, sont tout à fait démesurés et ne peuvent être justifiés comme étant «nécessaires» à ces fins. Même si le Comité venait à conclure qu’il y a un besoin social impérieux en la matière (assurer l’administration de la justice) et que l’auteur s’est effectivement rendu coupable d’un outrage à magistrat, un an d’emprisonnement − avec travaux forcés − ne saurait en aucune manière être considéré comme une mesure proportionnée ni nécessaire.
3.7L’auteur affirme que le paragraphe 3 de l’article 105 de la Constitution sri‑lankaise est incompatible avec les articles 14 et 19 du Pacte. Il invoque, en ce qui concerne les voies de fait qu’il aurait subies et ses conditions de détention, l’article 7 et le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte (voir par. 2.3 et 2.4 ci‑dessus). Il affirme en outre qu’en interjetant appel contre sa condamnation pour outrage, il a épuisé tous les recours internes disponibles.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Le 27 août 2003, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la communication. Il fait observer que les jugements prononcés en appel par la Cour suprême le 17 juillet 2003 au sujet de la condamnation de l’auteur pour outrage couvrent l’ensemble de l’affaire. Il est important de noter que l’auteur n’a pas exprimé le moindre regret pour l’outrage dont il s’est rendu coupable bien que le tribunal lui en ait donné la possibilité, montrant ainsi son mépris pour la justice et les autorités judiciaires.
4.2Pour ce qui est des tortures présumées qu’auraient infligées à l’auteur les autorités pénitentiaires, l’État partie confirme qu’il a pris des mesures pour traduire les responsables en justice, que l’affaire est encore en instance et que les accusés ont été libérés sous caution en attendant qu’ils soient jugés. Il y a deux affaires en instance. Si les accusés sont reconnus coupables, ils seront condamnés. En outre, il est confirmé que l’auteur a déposé une requête, en protection de ses droits fondamentaux, auprès de la Cour suprême contre les tortures dont il aurait été victime et que l’examen de cette requête est en cours. Si la Cour suprême tranche la requête en faveur de l’auteur, il aura droit à une indemnisation. De ce point de vue, la plainte pour torture est irrecevable car les recours internes n’ont pas été épuisés. D’autre part, comme l’État a pris toutes les mesures possibles pour poursuivre les auteurs présumés, il ne peut faire l’objet d’aucune autre plainte à ce sujet.
4.3L’État partie ajoute que la Constitution sri‑lankaise garantit l’indépendance du pouvoir judiciaire. Ce pouvoir n’est pas sous le contrôle de l’État partie qui ne peut de ce fait ni influer sur le comportement d’un fonctionnaire judiciaire quel qu’il soit, ni prendre des engagements ou donner des assurances au nom du pouvoir judiciaire en ce qui concerne un tel comportement. Si l’État partie tentait d’influencer la procédure judiciaire ou de s’y immiscer, cela constituerait une ingérence dans l’administration de la justice et le fonctionnaire qui en serait responsable s’exposerait lui‑même à des poursuites pour outrage.
4.4Bien que l’État partie ait demandé au Comité d’examiner séparément la recevabilité et le fond de la communication, ce dernier a fait savoir, par le biais de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, qu’il les examinerait conjointement dans la mesure où les futures observations de l’État partie sur le fond permettraient de clarifier les questions touchant la recevabilité et que les renseignements fournis n’étaient pas suffisants pour pouvoir se prononcer d’une manière définitive sur ces questions à ce stade.
Demande de mesures provisoires
5.1Le 15 décembre 2003, après avoir reçu des menaces de mort, l’auteur a demandé que soient prises des mesures provisoires, engageant l’État partie à adopter toutes les dispositions nécessaires pour assurer sa protection et celle de sa famille et faire en sorte qu’une enquête soit ouverte sans délai sur les menaces et autres mesures d’intimidation dont il aurait fait l’objet. Il affirme que, le 24 novembre 2003, à 9 h 35, un inconnu a appelé sa mère et lui a demandé s’il était à la maison. Quant elle a répondu par la négative, cette personne a proféré des menaces de mort contre l’auteur et demandé qu’il retire ses trois plaintes, à savoir la communication adressée au Comité des droits de l’homme, la requête en protection de ses droits fondamentaux soumise à la Cour suprême concernant les actes de torture qu’il aurait subis et la plainte déposée auprès de la Magistrate’s Court de Colombo contre les deux gardiens de la prison de Welikade. L’auteur de l’appel téléphonique n’a pas révélé son identité.
5.2Le 28 novembre 2003, la plainte de l’auteur contre les deux gardiens de prison a été examinée par la Chief Magistrate’s Court de Colombo en présence de l’auteur. Le juge a intimé l’ordre à la police, le 6 février 2004, d’inculper les accusés, dans la mesure où ils ne s’étaient pas présentés à trois reprises devant le conseil de médiation de Maligakanda comme l’avait demandé la Cour. Plus tard dans la journée du 28 novembre 2003, la mère de l’auteur lui a fait savoir qu’un inconnu s’était présenté chez elle à environ 11 h 30 et, se tenant à l’extérieur devant le portail, avait demandé l’auteur. Lorsque la mère de l’auteur lui a dit qu’il n’était pas à la maison, il est parti en menaçant de le tuer. Le même individu est revenu le 30 novembre 2003 à 15 h 30; se comportant d’une manière aussi menaçante que la première fois, il a demandé à la mère et au père de l’auteur de faire sortir leur fils de la maison. Les parents de l’auteur n’ont pas répondu et ont appelé la police. Avant l’arrivée de la police, l’individu a proféré des menaces à l’encontre des parents de l’auteur et, après avoir de nouveau menacé de tuer l’auteur, il a quitté les lieux. La mère de l’auteur a déposé le même jour une plainte au commissariat de police.
5.3Le 24 novembre 2003, à 10 h 27, un inconnu a appelé le bureau du journal sri‑lankais Ravaya, qui avait soutenu l’auteur tout au long de son calvaire. Il a parlé à un journaliste, proférant des menaces de mort contre lui et le rédacteur en chef de Ravaya, exigeant qu’ils cessent de publier d’autres nouvelles concernant l’auteur. Le journal avait fait paraître des interviews de l’auteur les 16 et 23 février et le 2 novembre 2003 à propos du déni de justice dont il avait souffert. Ces menaces ont été évoquées dans l’édition du week‑end du journal Ravaya.
5.4L’auteur ajoute que, le 4 décembre 2003, il a reçu des informations indiquant que les deux gardiens de prison, qui avaient été cités dans sa requête en protection de ses droits fondamentaux ainsi que dans l’affaire examinée par la Magistrate’s Court de Colombo, avaient été rétablis dans leurs fonctions: l’un d’eux avait été muté à la prison de New Magazine alors que l’autre avait retrouvé son poste à la prison de Welikade. En conséquence, l’auteur vit quotidiennement dans la crainte pour sa vie ainsi que pour la vie et la sécurité de sa femme, de son fils et de ses parents. En dépit de sa plainte aux autorités, il n’a reçu jusqu’à présent aucune protection de la police et ignore quelles mesures ont été prises pour enquêter sur les menaces brandies contre sa famille et lui‑même. Il rappelle qu’il a également reçu des menaces de mort en prison; il se réfère aux observations finales du Comité de novembre 2003 qui contiennent ce qui suit: «Les autorités devraient enquêter avec diligence sur tous les cas présumés d’intimidation de témoins et mettre en place un programme de protection des témoins afin d’en finir avec le climat de peur qui entoure les enquêtes et les poursuites relatives à de tels cas.». Il se réfère également aux constatations du Comité dans l’affaire Delgado Paez c. Colombie relatives à l’obligation qu’a tout État partie d’enquêter sur les menaces de mort et de protéger ses sujets contre de telles menaces.
5.5Le 9 janvier 2004, en application de l’article 86 du règlement intérieur, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a demandé, au nom du Comité, à l’État partie d’adopter toutes les mesures nécessaires pour protéger la vie, la sécurité et l’intégrité personnelle de l’auteur et de sa famille de façon à éviter qu’un préjudice irréparable ne leur soit infligé, et d’informer le Comité des mesures qu’il aurait prises en application de cette décision dans les 30 jours qui suivent la date de la note verbale, c’est‑à‑dire au plus tard le 9 février 2004.
5.6Le 3 février 2004, l’auteur a fait savoir que, dans la matinée du 2 février 2004, il avait été agressé par un inconnu qui lui avait aspergé le visage de chloroforme. Une fourgonnette s’était approchée de l’endroit où il se trouvait pendant l’agression, et l’auteur pense qu’elle allait être utilisée pour le kidnapper. Il a réussi à s’échapper et a été emmené à l’hôpital. S’il ne l’avait pas fait, il aurait été assassiné ou enlevé. Le 13 février 2004, le Comité, par le biais de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a réitéré la demande qu’il avait adressée précédemment à l’État partie en application de l’article 86 de son règlement intérieur dans sa note du 9 janvier 2004.
5.7Le 19 mars 2004, l’État partie a fait des observations sur l’attaque dont avait été victime l’auteur le 2 février 2004. Il indique que le Bureau du Procureur général a chargé la police d’enquêter sur l’agression présumée et de prendre les mesures requises pour assurer la sécurité de l’auteur. La police a enregistré la déclaration de l’auteur dans laquelle il n’a pas été en mesure de donner le nom des suspects ou le numéro du véhicule utilisé par les agresseurs présumés. L’enquête est en cours et le nécessaire sera fait pour informer l’auteur de ses résultats. Au cas où elle révélerait qu’une personne a eu recours à des menaces pour entraver le cours de la justice, l’État partie prendrait les mesures requises.
5.8Pour ce qui est de la sécurité de l’auteur, un registre de patrouille a été placé à son domicile et une patrouille de police a été chargée d’effectuer des tournées à son domicile jour et nuit et d’en consigner les détails dans le registre. En outre, le domicile de l’auteur est placé sous la surveillance de policiers en civil. Il n’y a aucune preuve que l’auteur a reçu des menaces de mort parce qu’il a adressé une communication au Comité des droits de l’homme.
Observations de l’État partie sur le fond
6.1Le 16 mars 2004, l’État partie a fait ses observations sur le fond. Pour ce qui est de la violation présumée des articles 9, 14 et 19 du Pacte, il reconnaît que l’auteur a épuisé les recours internes. Il se réfère au jugement de la Cour suprême en date du 17 juillet 2003 concernant l’appel contre l’ordonnance pour outrage à magistrat, indiquant qu’il ne peut faire de commentaires sur le contenu d’un jugement quel qu’il soit prononcé par un tribunal sri‑lankais compétent. L’État partie s’appuie sur les arguments figurant dans le jugement pour affirmer que les droits de l’auteur n’ont pas été violés. Il déclare que la manière dont ce dernier s’est comporté − entre le moment où il est revenu sur un accord conclu avec la YMCA, arbitré par le Commissaire général adjoint de l’assurance pour accidents de travail, devant lequel les deux parties étaient représentées par un conseil, et son refus de s’excuser de son comportement lorsque la Cour suprême a examiné sa condamnation pour outrage à magistrat − démontre son manque de respect pour la dignité et le décorum d’un tribunal de justice. Se référant à l’examen par les juges du pouvoir de connaître des affaires d’outrage à magistrat, il souligne que dans de telles affaires une sanction peut être imposée sommairement. Bien que l’auteur ait eu la possibilité d’alléger la peine en s’excusant, il ne l’a pas fait.
6.2La liberté de parole et d’expression, y compris la liberté de publication, sont garanties par le paragraphe 1 a) de l’article 14 de la Constitution sri‑lankaise. En vertu du paragraphe 2 de l’article 15 de cette constitution, il est permis de soumettre à des restrictions des droits garantis à l’article 14; une telle mesure peut être prescrite par la loi dans le cas de l’outrage à magistrat. L’État partie conteste l’allégation selon laquelle la compétence exercée par la Cour suprême au titre du paragraphe 3 de l’article 105 de la Constitution est incompatible à la fois avec le droit fondamental garanti par le paragraphe 1 a) de l’article 14 de la Constitution et les articles 19 ou 14 du Pacte.
6.3L’État partie réaffirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne la plainte pour torture et mauvais traitements puisque l’affaire est encore en instance. Comme il ne peut faire d’observations au nom d’un accusé, le fait que le Comité formule des constatations sur la violation présumée équivaudrait à une violation des règles de justice naturelle dans la mesure où ceux qui sont accusés de l’agression n’ont pas la possibilité de donner leur version des faits. Une décision du Comité à ce stade serait préjudiciable aux accusés et/ou à l’accusation. Il fait remarquer que l’auteur n’a pas affirmé que les recours en question sont inefficaces ou qu’ils seraient excessivement longs à exercer.
6.4L’État partie note que l’action au titre des droits fondamentaux intentée par l’auteur auprès de la Cour suprême est encore en instance et qu’une violation de droits identiques à ceux qui sont protégés par l’article 7 et le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte serait examinée dans le cadre de cette procédure. Il fait observer en outre qu’il s’est abstenu de parler au nom des personnes contre lesquelles les allégations de torture ont été faites. Le Procureur général qui représente l’État s’abstient, par principe, de parler au nom de fonctionnaires de l’État sur lesquels pèsent des accusations de torture dans la mesure où il peut encore engager des poursuites pénales contre les auteurs présumés de tels actes au terme de la procédure. En l’espèce, une telle action (poursuites pénales) est en cours.
Commentaires de l’auteur sur la recevabilité et le fond
7.1Le 6 août 2004, l’auteur a formulé ses commentaires sur les observations de l’État partie, réitérant les griefs exprimés précédemment. À la suite de l’agression dont il avait été victime le 2 février 2004, il s’est caché. Bien qu’il se soit plaint auprès de la police, aucune enquête n’a été effectuée et il n’y a eu ni poursuites ni arrestation. L’auteur reconnaît certes que des patrouilles de police sont passées à côté de son domicile, mais il affirme qu’elles ne constituent pas une protection suffisante contre une tentative d’enlèvement, voire de meurtre. Un examen médical a établi qu’il souffrait de troubles post‑traumatiques et que sa santé mentale s’était détériorée. En raison de ces événements, il a quitté Sri Lanka le 16 juillet 2004 et a demandé l’asile à Hong Kong où il continue de recevoir un traitement pour les troubles psychiques dont il souffre. Sa requête n’a pas encore été examinée. Il conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle il ne peut rien faire vis‑à‑vis d’un jugement prononcé par un tribunal local.
7.2Contrairement à ce qu’il a déclaré dans sa lettre initiale, l’auteur affirme que jusqu’à présent aucune accusation n’a été portée contre les auteurs présumés de l’agression. Selon lui, les rapports préliminaires («rapports B») ont été communiqués à la Magistrate’s Court à Colombo, mais il s’agit seulement de rapports sur la progression de l’enquête. Le dernier rapport de ce type a été examiné par la Cour le 23 juillet 2004. Par conséquent, bien qu’une année et demie se soit écoulée depuis l’incident, l’enquête se poursuivrait encore. L’auteur estime que le fait que l’État partie n’ait pas fait diligence dans ses investigations sur les plaintes de torture constitue une violation de l’article 2 et l’absence de protection en faveur des témoins rend impossible toute participation à un procès qui pourrait avoir lieu.
7.3L’auteur affirme également que l’État partie n’a pas contribué à sa réadaptation. Il indique qu’alors que quatre médecins avaient diagnostiqué un traumatisme psychique causé par les événements susmentionnés, l’examen de sa requête en protection de ses droits fondamentaux et de sa demande d’indemnisation déposée le 13 mars 2003 a été constamment ajourné. Aux termes du paragraphe 5 de l’article 126 de la Constitution, «[l]a Cour suprême examine et tranche définitivement toute requête ou acte de renvoi au titre du présent article dans les deux mois qui suivent le dépôt de la requête ou la présentation de l’acte de renvoi». Or les requêtes de l’auteur sont encore en instance. Le fait que l’État partie n’ait pas examiné ces requêtes permettrait en outre de conclure que l’exercice des recours internes en ce qui concerne les violations présumées de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 est indûment prolongé et que ces recours sont inefficaces.
7.4L’auteur ajoute une nouvelle plainte concernant sa condamnation pour outrage car il n’a pas bénéficié d’un procès, n’a pas eu la possibilité de se défendre par ses propres moyens ou par le biais d’un avocat de son choix, n’a pas été informé de son droit à l’assistance judiciaire et aucune assistance de ce type ne lui a été accordée. À ce propos, il dénonce une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette plainte est recevable au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
8.2Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 (au regard des tortures que l’auteur aurait subies et de ses conditions de détention présumées), le Comité note que la Magistrate’s Court et la Cour suprême sont actuellement saisies de ces questions. Bien qu’on ne sache pas exactement si les auteurs présumés de l’agression qu’aurait subie l’auteur ont été officiellement inculpés, il n’est pas contesté que cette question est actuellement examinée par la Magistrate’s Court. Le Comité estime que la période de 18 mois qui s’est écoulée depuis la date de l’incident en question ne constitue pas un retard excessif au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité considère par conséquent que cette allégation est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
8.3S’agissant de l’affirmation selon laquelle, au regard de l’article 9, l’auteur a été arbitrairement détenu dans la mesure où l’ordonnance dont il a fait l’objet a été prononcée à l’issue d’un procès inéquitable, le Comité estime que cette plainte relève plutôt de l’article 14 du Pacte puisqu’il s’agit d’une mesure de détention faisant suite à une condamnation.
8.4Pour ce qui est de la violation présumée du paragraphe 3 c) de l’article 14, le Comité estime que cette allégation n’a pas été étayée aux fins de la recevabilité et la considère par conséquent irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.
8.5Pour ce qui est des autres griefs de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 9, des paragraphes 1, 2, 3 a), b), d), e) et 5 de l’article 14, et de l’article 19, le Comité considère qu’ils ont été suffisamment étayés et ne voit donc aucun obstacle à leur recevabilité.
Examen au fond
9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en se fondant sur toutes les informations que lui ont communiquées les parties conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
9.2Le Comité note qu’une des caractéristiques des juridictions de common law est que par tradition les tribunaux exercent la faculté de maintenir l’ordre et la dignité pendant les audiences et disposent pour ce faire du pouvoir de prononcer sommairement des peines pour outrage à magistrat. Or, en l’espèce, les seules entraves à la justice mentionnées par l’État partie sont le dépôt répété de requêtes par l’auteur, pour lequel une amende aurait assurément suffi, et le fait que l’auteur ait «élevé la voix» devant la Cour et refusé ensuite de présenter des excuses. La peine infligée a été d’un an de réclusion sévère. Ni la Cour ni l’État partie n’a expliqué ce qui avait fondé les juges à prononcer sommairement une peine aussi sévère pour assurer le bon déroulement de la procédure, comme ils en avaient la faculté. Le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte interdit toute privation «arbitraire» de liberté. L’application d’une peine draconienne sans explication suffisante ni garanties indépendantes de procédure tombe sous le coup de cette disposition. Qu’un acte constitutif d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9 soit commis par un organe judiciaire ne peut pas exonérer l’État de sa responsabilité en tant qu’État. Le Comité conclut que l’auteur a été détenu arbitrairement, en violation du paragraphe 1 de l’article 9. En conséquence, il n’est pas nécessaire qu’il détermine si les dispositions de l’article 14 peuvent s’appliquer à l’exercice par un tribunal du pouvoir à lui conféré pour outrage à magistrat. Il n’est pas nécessaire non plus que le Comité se prononce sur l’existence d’une violation de l’article 19.
10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours approprié sous la forme d’une indemnisation, et d’apporter les modifications nécessaires à sa législation pour éviter de telles violations. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent plus.
12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
Z. Communication n o 1207/2003, Malakhovsky c. Bélarus (Constatations adoptées le 26 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Sergei Malakhovsky et Alexander Pikul(non représentés par un conseil) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Bélarus |
Date de la communication: |
24 juillet 2003 (date de la lettre initiale) |
Objet: Refus d’enregistrer une association religieuse et restrictions aux activités de l’association qui résultent de ce refus.
Questions de fond: Droit de manifester ses convictions et de s’associer avec d’autres; nécessité et proportionnalité des restrictions.
Articles du Pacte: 18 (par. 1 et 3) et 22 (par. 1 et 2).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 2005,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1207/2003 présentée par Sergei Malakhovsky et Alexander Pikul en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1Les auteurs de la communication sont M. Sergei Malakhovsky et M. Alexander Pikul, de nationalité bélarussienne, nés en 1953 et 1971, respectivement. Ils se déclarent victimes de violations par le Bélarus des paragraphes 1 et 3 de l’article 18 et des paragraphes 1 et 2 de l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils ne sont pas représentés par un conseil.
1.2Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour le Bélarus le 23 mars 1976 et le 30 décembre 1992, respectivement.
Exposé des faits
2.1Les auteurs sont membres de la communauté Vaishnava (communauté du mouvement pour la conscience de Krishna) de Minsk, l’une des sept communautés de ce type enregistrées au Bélarus. La loi applicable fait la distinction entre communauté religieuse enregistrée et association religieuse enregistrée. Les auteurs expliquent que certaines activités qui sont primordiales pour la pratique de leur religion ne peuvent être exercées que par une association religieuse. Selon la loi interne sur «la liberté de conscience et les organisations religieuses» (ci‑après «la loi») et le décret en Conseil des ministres sur «l’autorisation d’inviter des ecclésiastiques étrangers et leur activité au Bélarus» (ci‑après «le décret»), seules les associations religieuses ont le droit de fonder des monastères, des congrégations religieuses, des missions religieuses et des établissements d’enseignement spirituel, ou d’inviter des ecclésiastiques étrangers à se rendre au Bélarus pour y prêcher ou y exercer d’autres activités de caractère religieux.
2.2Le 10 mai 2001, les auteurs ont déposé auprès de la Commission des religions et des nationalités (ci‑après «la Commission») une demande d’enregistrement des sept communautés Krishna du Bélarus en tant qu’association religieuse. Cette demande était accompagnée d’un projet de statuts et des autres pièces requises par la loi, y compris des documents établissant que l’association avait un siège social officiellement agréé («adresse légale») au 11 rue Pavlova, à Minsk, dont les locaux satisfaisaient à toutes les prescriptions applicables du Code du logement, y compris les règles concernant les équipements de sécurité incendie et les installations sanitaires.
2.3Le 5 juin 2001, la Commission a renvoyé ces documents aux auteurs en prescrivant qu’il y soit apporté certaines modifications. Les auteurs ont soumis une nouvelle fois le dossier mais, le 27 juillet 2001, il leur a de nouveau été retourné pour corrections. Les deux fois, la plupart des modifications exigées n’étaient pas fondées sur les textes législatifs applicables et tenaient apparemment à l’appréciation personnelle des fonctionnaires chargés du dossier. Les auteurs ont soumis les documents une troisième fois, le 11 août 2001.
2.4Selon la loi, une décision aurait dû être rendue sur la demande des auteurs dans le mois suivant son dépôt, mais plus d’un an s’est écoulé à partir de la date de présentation initiale du dossier sans que la Commission ait statué. Le 30 mai 2002, les auteurs ont introduit une requête auprès du tribunal central de Minsk pour qu’il ordonne à la Commission de se prononcer sur leur demande. Le 4 juillet 2002, le tribunal a rendu une ordonnance enjoignant à la Commission de statuer sur la demande des auteurs dans le mois.
2.5Le 2 août 2002, la Commission a rejeté la demande des auteurs au motif qu’ils n’avaient pas fourni d’adresse légale dûment agréée. Elle a considéré que la décision de l’Administration de l’arrondissement central de la ville de Minsk d’approuver l’adresse légale de l’association religieuse n’était pas valable, car elle s’appuyait sur une décision antérieure du Comité exécutif de la ville de Minsk qui, en vertu d’une autre loi, ne s’appliquait pas à l’enregistrement des organisations religieuses.
2.6Le refus de la Commission d’enregistrer l’association a eu pour conséquence de priver les membres des sept communautés Krishna, dont les auteurs, du droit de créer des établissements d’enseignement spirituel pour y dispenser une formation à leurs prêtres, et les a ainsi empêchés d’œuvrer dûment au développement de la doctrine. L’impossibilité pour eux d’inviter des prêtres étrangers et de se nourrir de la présence à leurs côtés d’adeptes plus avancés sur le plan spirituel se traduit par un relâchement spirituel. De même, ils n’ont pas pu créer des monastères et des missions aux fins d’appliquer certains préceptes essentiels de leur religion.
2.7Le 24 septembre 2002, les auteurs ont fait appel devant le tribunal de l’arrondissement central de Minsk du refus de la Commission d’enregistrer l’association et ils ont été déboutés le 18 octobre 2002. Le 29 octobre 2002, ils se sont pourvus en cassation devant la cour de la ville de Minsk; leur pourvoi a été rejeté le 28 novembre 2002. Le 21 décembre 2002, les auteurs ont saisi le Président de la cour d’une demande de contrôle juridictionnel, laquelle a été rejetée le 17 février 2003. Enfin, le 14 avril 2003, ils ont déposé une requête en contrôle juridictionnel auprès de la Cour suprême du Bélarus, qui l’a rejetée le 30 mai 2003. Ces divers recours ont été rejetés pour deux motifs: d’une part, l’absence d’adresse légale dûment agréée pour les raisons exposées dans la décision de la Commission (par. 2.5 ci‑dessus) et, d’autre part, la non‑conformité des locaux aux prescriptions du Code du logement, plusieurs manquements aux règles relatives aux installations sanitaires et au dispositif de sécurité incendie ayant été constatés.
2.8Les auteurs font valoir que la décision de l’organe administratif d’approuver l’adresse du siège social de leur association n’a jamais été annulée et qu’elle reste valable. Ils reconnaissent que la décision antérieure du Comité exécutif de la ville de Minsk, sur laquelle était fondée la décision d’agréer leur adresse légale, n’était pas applicable à l’enregistrement d’organismes religieux, mais font valoir qu’elle était purement et simplement sans objet et que les locaux devaient seulement être conformes aux dispositions pertinentes du Code du logement, ce qui était le cas. S’agissant du dispositif de sécurité incendie et des installations sanitaires des locaux, les auteurs font observer que ces derniers sont situés dans un immeuble résidentiel où des gens vivent, et que l’on ne peut pas soutenir que l’immeuble est sûr pour les résidents mais non pour leur organisation.
2.9Les auteurs font valoir que, en conséquence des modifications de la loi adoptées le 31 octobre 2002, il est encore plus difficile pour une association religieuse de se faire enregistrer. La loi exige désormais que l’association religieuse compte au moins 10 communautés, dont une au moins doit exercer ses activités au Bélarus depuis 20 ans au minimum.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs affirment que le refus de la Commission d’enregistrer leur association religieuse et le fait que les instances judiciaires internes n’ont pas fait droit à leurs recours, ainsi que les conséquences qui résultent de ces décisions, constituent une violation de leurs droits au titre des paragraphes 1 et 3 de l’article 18 et des paragraphes 1 et 2 de l’article 22 du Pacte. Ils relèvent que la procédure par laquelle ils ont cherché en vain à obtenir l’enregistrement de l’association a pris deux ans, ce qui montre selon eux que l’État partie pratique une politique discriminatoire à l’égard des minorités religieuses.
3.2Les auteurs font valoir que les conditions fixées par la loi de l’État partie à l’enregistrement d’une association religieuse constituent des restrictions injustifiées à leur droit de manifester leur religion et à l’exercice de leur droit de s’associer librement avec d’autres, restrictions qui ne satisfont pas au critère énoncé au paragraphe 3 de l’article 18 et dans la disposition correspondante du paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte, car elles ne sont pas nécessaires «à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui».
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans ses observations datées du 29 avril 2004, l’État partie affirme que la communication ne fait apparaître aucune violation des articles 18 ou 22 du Pacte. Il note que les auteurs ont pu pratiquer leur religion sans entrave, individuellement ou avec d’autres. Depuis 1992, ils participent activement aux activités de la communauté Krishna de Minsk, qui a été enregistrée conformément à la loi. Les sept communautés Krishna qui existent au Bélarus ont un statut autonome et ne sont pas soumises à un contrôle d’ordre religieux.
4.2L’État partie confirme l’entrée en vigueur le 16 novembre 2002 de modifications de la loi qui imposent de nouvelles conditions pour l’enregistrement des associations religieuses, parmi lesquelles l’obligation de compter au minimum 10 communautés, dont une au moins doit exercer des activités au Bélarus depuis au minimum 20 ans.
4.3En ce qui concerne les demandes d’enregistrement déposées par les auteurs, l’État partie fait observer que les deux premières n’étaient pas conformes aux prescriptions légales. Pour ce qui est de la troisième, la Commission a dû s’intéresser de près aux statuts de l’association, à ses enseignements et à ses activités, car ses objectifs et rôles déclarés différaient sensiblement de ceux des sept communautés religieuses qui la composaient. En particulier, il était dit dans le projet de statuts de l’association que celle‑ci aspirait à faire de la Société internationale pour la conscience de Krishna, qui n’est que l’une des nombreuses composantes de l’hindouisme vishnouite, la seule organisation religieuse représentant le vishnouisme au Bélarus.
4.4L’État partie confirme qu’une condition essentielle de l’enregistrement d’une association religieuse est qu’elle doit avoir une adresse légale agréée. Les auteurs mentionnaient dans leur demande un immeuble d’habitation situé au 11 rue Pavlova, à Minsk. Le Code du logement dispose que toute utilisation de bâtiments d’habitation à des fins autres que résidentielles exige l’accord des autorités locales, ainsi que la conformité des locaux aux règles en matière d’équipements sanitaires et de sécurité incendie; or l’inspection des locaux par les autorités a révélé des manquements à ces règles. L’État partie relève que les auteurs se proposaient d’utiliser les lieux à des fins collectives − cérémonies religieuses, rites et autres rassemblements − qui requièrent des mesures de sécurité particulières et le strict respect des normes applicables. Une inspection des lieux effectuée après une cérémonie de mariage, le 25 mai 2002, a ainsi permis de découvrir que l’on y avait allumé des feux sans dispositif de protection.
4.5Selon l’État partie, les juridictions qui ont examiné les recours déposés par les auteurs étaient fondées à considérer que la décision administrative autorisant l’utilisation des locaux comme adresse légale de l’association avait été prise sans qu’il ait été procédé à l’inspection obligatoire desdits locaux et en violation des textes législatifs en matière de logement susmentionnés. En tout état de cause, l’organe administratif qui l’avait prise n’avait pas compétence pour les questions relatives aux associations religieuses et sociales. C’est donc à bon droit que les juridictions de l’État partie ont rejeté les recours formés par les auteurs contre le refus de la Commission d’enregistrer l’association.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie et nouvelles observations de ce dernier
5.1Dans leurs commentaires sur les observations de l’État partie, datés du 31 mai 2004, les auteurs réaffirment qu’en refusant d’enregistrer leur association pour des motifs non fondés et illégaux, l’État partie a considérablement restreint leur droit de pratiquer leur religion et de professer leurs opinions, en commun avec d’autres, y compris avec des personnes venues de l’étranger. Ils ajoutent que, du fait des modifications apportées à la loi en 2002, il ne leur sera plus possible de faire enregistrer leur association, laquelle ne compte en effet que sept communautés au Bélarus, dont aucune n’exerce ses activités depuis plus de 20 ans. Ils font valoir que les conditions prévues par la loi sont discriminatoires à l’égard des religions qui n’ont pas pu avoir d’activités pendant l’ère soviétique.
5.2Les auteurs soutiennent que ce que dit l’État partie à propos de problèmes de sécurité concernant les locaux en question est inexact, les autorités ayant procédé plus tôt à une inspection du dispositif de sécurité incendie des locaux et autorisé l’utilisation de ces derniers comme siège social, sous réserve de sept mesures correctives, que les auteurs ont toutes apportées.
5.3Les auteurs affirment que la mention par l’État partie du feu allumé dans les locaux pendant une cérémonie de mariage atteste le caractère discriminatoire du refus d’enregistrer leur association, car d’autres religions pratiquent des formes de dévotion analogues sans que les autorités y trouvent à redire. Enfin, les auteurs font observer que si l’association a besoin d’un siège social, ce n’est pas nécessairement pour y tenir des cérémonies et rites religieux, c’est pour disposer d’un centre pour l’organisation de ses activités. Par conséquent, les mesures spéciales de sécurité évoquées par l’État partie ne sont pas nécessaires.
5.4Dans une autre lettre en date du 26 novembre 2004, l’État partie réaffirme que les dispositions de la loi de 2002 sur la liberté de conscience et les organisations religieuses ne sont pas de nature discriminatoire et renvoie à la législation interne d’autres États, qui exige un nombre minimum d’organes constituants et une certaine durée d’existence comme conditions préalables à l’enregistrement d’une communauté religieuse.
5.5L’État partie note que de nombreuses infractions à la réglementation sanitaire et aux normes relatives à la prévention des incendies ont été enregistrées dans les locaux de la communauté Vaishnava de Minsk. Un mariage célébré dans ces locaux le 25 mai 2002 a ensuite été qualifié par l’administration de l’arrondissement central de Minsk de «manifestation ayant menacé la vie et la santé des participants et des voisins». En conséquence, la Commission a refusé d’agréer les statuts de l’association. Le 18 octobre 2002, le tribunal de l’arrondissement central de Minsk a débouté l’auteur de son appel contre la décision de la Commission au même motif; cette décision a été confirmée en cassation.
5.6L’État partie explique qu’il était impossible d’enregistrer l’association à l’adresse donnée parce que ceci serait traduit par une augmentation de la fréquence et de la fréquentation des manifestations religieuses dans les locaux en question, ce qui aurait eu pour effet d’accroître les risques sanitaires. Les fondateurs de l’association ont été priés de remédier aux infractions à la réglementation en matière de santé et de sécurité et invités à étudier la possibilité de choisir une autre adresse.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Le Comité estime que les auteurs ont suffisamment étayé leurs allégations de violation des articles 18 (par. 1 et 3) et 22 (par. 1 et 2) aux fins de la recevabilité. Il conclut que la communication est recevable et procède à son examen quant au fond.
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication sur le fond en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2En ce qui concerne le grief de violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 18, le Comité rappelle son Observation générale no 22, selon laquelle l’article 18 n’autorise aucune restriction quelle qu’elle soit à la liberté de pensée et de conscience ou à la liberté d’avoir ou d’adopter la religion ou la conviction de son choix. En revanche, le droit de manifester librement sa religion ou ses convictions peut faire l’objet de certaines restrictions, mais uniquement si ces restrictions sont prévues par la loi et sont nécessaires pour protéger la sécurité, l’ordre et la santé publics, ou la morale ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. Par ailleurs, la liberté de manifester sa religion ou ses convictions par le culte, l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement englobe des actes très variés, y compris les actes indispensables au groupe religieux pour mener ses activités essentielles, tels que la liberté de choisir ses responsables religieux, ses prêtres et ses enseignants, et celle de fonder des séminaires ou des écoles religieuses. En l’espèce, le Comité relève que la loi de l’État partie distingue entre communautés religieuses et associations religieuses, certaines activités ne pouvant être exercées que par ces dernières. Faute d’avoir obtenu le statut d’association religieuse, les auteurs et leurs coreligionnaires ne peuvent inviter des ecclésiastiques étrangers au Bélarus, ni créer des monastères ou des établissements d’enseignement. Dans le droit fil de son Observation générale, le Comité considère que ces activités relèvent du droit des auteurs de manifester leurs convictions.
7.3Le Comité doit à présent examiner la question de savoir si les restrictions imposées au droit des auteurs de manifester leur religion sont «nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui», au sens du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. Le Comité renvoie à nouveau à son Observation générale no 22, dans laquelle il est indiqué que le paragraphe 3 de l’article 18 doit être interprété au sens strict, et que les restrictions ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui‑ci.
7.4Dans la présente affaire, les restrictions dont fait l’objet le droit des auteurs de manifester leurs convictions consistent en plusieurs conditions attachées à l’enregistrement d’une association religieuse. La demande d’enregistrement présentée par les auteurs ne répondait pas à la condition selon laquelle l’association doit avoir un siège social agréé, satisfaisant à certaines normes sanitaires et règles concernant la sécurité incendie qui sont nécessaires pour les locaux utilisés à des fins telles que les cérémonies religieuses. Ces restrictions doivent être appréciées au regard des conséquences qu’elles ont pour les auteurs et leur association religieuse.
7.5Le Comité estime que la condition selon laquelle une association religieuse doit, pour pouvoir exercer son droit de mener ses activités à caractère religieux, avoir l’usage de locaux qui satisfont aux normes applicables de santé et de sécurité publiques, est une restriction qui est nécessaire à la protection de la santé et de la sécurité publiques et proportionnée à cette nécessité.
7.6Le Comité note toutefois que l’État partie n’a présenté aucun argument pour expliquer en quoi il est nécessaire, aux fins du paragraphe 3 de l’article 18, qu’une association religieuse dispose, pour être enregistrée, d’un siège social agréé satisfaisant non seulement aux normes requises pour le siège administratif de l’association mais aussi aux normes nécessaires à la tenue de cérémonies, rites religieux et autres activités de groupe. Il est possible d’obtenir des locaux appropriés à cet usage après l’enregistrement. Le Comité note aussi que l’argument invoqué par l’État partie dans ses observations sur la communication, lorsqu’il prétend que la communauté à laquelle appartiennent les auteurs cherche à monopoliser la représentation du vishnouisme au Bélarus, est un point qui n’a pas été soulevé au cours de la procédure judiciaire interne. Prenant également en compte les conséquences du refus de l’enregistrement, à savoir l’impossibilité pour l’association d’avoir certaines activités, par exemple créer des établissements d’enseignement et inviter au Bélarus des dignitaires religieux étrangers, le Comité conclut que le refus d’enregistrer l’association constitue une restriction du droit des auteurs de manifester leur religion en vertu du paragraphe 1 de l’article 18 qui est disproportionnée et, de ce fait, ne répond pas aux critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 18. Il y a donc eu violation des droits garantis au paragraphe 1 de l’article 18.
7.7Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner les allégations des auteurs relativement à une violation des droits consacrés à l’article 22 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 18.
9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que les auteurs ont droit à un recours approprié consistant dans le réexamen de leur demande en fonction des principes, des règles et de la pratique en vigueur au moment du dépôt de leur requête et compte dûment tenu des dispositions du Pacte.
10.En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood
Le droit d’une communauté religieuse de fonder des monastères, des établissements d’enseignement ou des missions religieuses et d’inviter des personnalités religieuses étrangères à venir parler devant elle a été considérablement restreint par le Gouvernement du Bélarus. Seuls les groupes officiellement enregistrés auprès des autorités en tant qu’«associations religieuses» peuvent exercer ces aspects du droit de pratiquer librement la religion.
Les sept communautés religieuses «Krishna» du Bélarus ont voulu se faire enregistrer en tant qu’association en déposant une demande auprès de la «Commission des religions et des nationalités». Cette commission a rejeté leur demande, au bout d’un an, au motif que le groupe Krishna n’avait pas «d’adresse légale» dûment agréée. L’adresse donnée par les requérants était celle de locaux situés dans un immeuble résidentiel. Elle avait auparavant été approuvée par le comité exécutif de la ville de Minsk.
Le refus d’enregistrer le groupe Krishna en tant qu’«association» religieuse a motivé un recours en appel devant le tribunal de l’arrondissement central de Minsk en 2002. Un mois après le rejet du recours, l’État a modifié la loi applicable en y ajoutant de nouvelles restrictions à l’enregistrement des associations religieuses.
En vertu des nouvelles dispositions, les groupes religieux qui demandent le statut d’«association» doivent prouver qu’ils exercent leurs activités au Bélarus depuis 20 ans au minimum et qu’ils comptent au moins 10 communautés dans le pays. Le groupe Krishna n’a pas le nombre requis de communautés et ne peut pas justifier d’une implantation de 20 ans au Bélarus.
Le Comité des droits de l’homme constate à juste titre que l’État partie a commis une violation de l’article 18 du Pacte en refusant d’accepter l’adresse légale de la communauté Krishna comme «siège administratif» d’une association religieuse. Je pense comme les autres membres du Comité qu’il est légitime pour l’État de se préoccuper des conditions de sécurité dans lesquelles se tiennent de grands rassemblements publics mais que ces réunions peuvent également avoir lieu dans d’autres lieux. Le refus d’enregistrer le groupe Krishna au motif que son adresse était celle d’un immeuble d’habitation était donc déraisonnable.
En outre, la nouvelle règle de «droits acquis» instaurée par l’État partie pose également un sérieux problème, car elle constitue un obstacle supplémentaire à la liberté de la pratique religieuse au Bélarus. On voit mal pourquoi une confession moins ancienne n’aurait pas le droit de dispenser un enseignement religieux, et l’obligation de justifier d’une présence de 20 ans au minimum est donc contestable. On ne comprend pas non plus pourquoi l’existence de 10 «communautés» devrait être un préalable à toute activité d’enseignement, étant donné en particulier qu’une «communauté» comme celle de Minsk peut être plus importante qu’un grand nombre de petites communautés distinctes.
Le Comité ayant conclu à une violation de l’article 18, il n’a pas eu à examiner ces autres questions. Mais il est bon de rappeler que le Pacte reconnaît et garantit la liberté de toute personne «de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement». Voir l’article 18, paragraphe 1. Ce droit n’est pas réservé aux religions anciennes et établies ni aux grandes congrégations et constitue un des fondements de la liberté de religion.
(Signé) Ruth Wedgwood
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
AA. Communication n o 1222/2003, Byahuranga c. Danemark (Constatations adoptées le 1 er novembre 2004, quatre-vingt-deuxième session)
Présentée par: |
Jonny Rubin Byahuranga (représenté par un conseil, M. Tyge Trier) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Danemark |
Date de la communication: |
15 août 2003 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er novembre 2004,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1222/2003 présentée au nom de Jonny Rubin Byahuranga en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication est Jonny Rubin Byahuranga, de nationalité ougandaise, né le 28 octobre 1956, qui réside actuellement au Danemark et se trouve en instance d’expulsion vers l’Ouganda. Il se dit victime d’une violation par le Danemark des articles 7, 17 et 23 (par. 1) du Pacte. Il est représenté par un conseil.
1.2La communication a été transmise à l’État partie le 27 novembre 2003. Le 7 juillet 2004, l’auteur a prié le Comité, au titre de l’article 86 de son règlement intérieur, de demander à l’État partie d’adopter des mesures provisoires, en l’invitant à ne pas expulser l’auteur tant que sa communication serait à l’examen par le Comité. Le 9 juillet 2004, le Comité, par l’intermédiaire de son rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a prié l’État partie de ne pas expulser l’auteur avant que le Comité ait pu se pencher sur la question de savoir s’il y avait lieu de proroger les mesures provisoires. L’État partie a accédé à cette demande. Le 30 juillet 2004, le Comité a informé l’État partie de sa décision de renouveler sa demande l’invitant à ne pas procéder à l’expulsion de l’auteur avant la date de clôture de la quatre‑vingt‑deuxième session du Comité, le 5 novembre 2004.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur était officier dans l’armée ougandaise sous le régime d’Idi Amin. Il s’est enfui d’Ouganda en 1981 après avoir été détenu illégalement et, selon ses dires, torturé à plusieurs occasions par les forces militaires. Il est arrivé en décembre 1984 au Danemark où l’asile lui a été accordé le 4 septembre 1986, en vertu de l’article 7 1) ii) de la loi sur les étrangers. Un permis de séjour permanent lui a été délivré le 24 juillet 1990.
2.2En 1997, l’auteur a épousé une ressortissante tanzanienne. En 1998, sa femme est venue habiter au Danemark avec lui et sa fille d’un premier mariage (née en 1980). Elle est devenue danoise depuis et a eu deux enfants de l’auteur, nés au Danemark respectivement en 1999 et 2000.
2.3Par un arrêt du 23 avril 2002, le tribunal d’instance de Copenhague a reconnu l’auteur coupable d’infractions à la législation sur les stupéfiants (art. 191 du Code pénal danois) et l’a condamné à deux ans et demi de prison. Il a aussi ordonné l’expulsion de l’auteur du Danemark, estimant que cette expulsion ne constituerait pas une violation du droit à la vie de famille consacré à l’article 8 de la Convention européenne et lui a interdit définitivement l’accès au territoire danois. Il fondait son arrêt sur un avis du 19 avril 2002 émis par le Service danois de l’immigration, pour qui aucune considération, au sens de l’article 26 de la loi sur les étrangers, ne constituerait en l’espèce un argument décisif contre l’expulsion de l’auteur. Il s’est fondé sur a) le fait que, à l’âge de 45 ans, l’auteur avait résidé 17 ans et 4 mois au Danemark; b) le bon état de santé de l’auteur, c’est-à-dire l’absence de toute maladie qui ne pourrait être traitée en Ouganda; c) le fait que son expulsion ne porterait pas atteinte au droit de son épouse et de ses enfants de continuer à résider au Danemark, étant donné que son épouse et sa fille aînée avaient reçu entre-temps des permis de séjour permanent; d) l’absence de tout risque que, dans des cas autres que ceux visés aux paragraphes 1 et 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers, il soit maltraité en Ouganda. Le Service de l’immigration n’a pas opposé d’objections à l’intention du procureur d’expulser l’auteur en dépit des liens très lâches entretenus par ce dernier avec sa famille ougandaise et du fait qu’il n’était pas retourné en Ouganda depuis 1981.
2.4Le 3 septembre 2002, la Haute Cour du Danemark oriental a débouté l’auteur qui avait fait appel de la décision du tribunal d’instance de Copenhague. Le 12 novembre 2002, la Commission danoise de recours a rejeté la demande d’autorisation de l’auteur de former un recours contre l’arrêt de la Haute Cour.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur fait valoir a) que son expulsion reviendrait à violer ses droits au titre de l’article 7 du Pacte, car elle l’exposerait au danger réel et immédiat d’être soumis à des mauvais traitements à son retour en Ouganda; et b) qu’elle constituerait une immixtion arbitraire dans son droit à une vie de famille au titre de l’article 17 du Pacte et une violation du devoir de l’État partie de respecter et de protéger la famille en tant qu’élément naturel et fondamental de la société, comme le veut le paragraphe 1 de l’article 23.
3.2L’auteur souligne qu’il a vécu 18 ans au Danemark sans être jamais retourné en Ouganda, qu’il n’entretient aucun contact avec ses parents d’Ouganda, que sa femme et ses enfants vivent avec lui; que les deux plus jeunes sont nés au Danemark et ne sont jamais allés en Ouganda.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Le 11 février 2004, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication, contestant la recevabilité du fait que l’auteur n’avait pas épuisé les voies de recours internes et réfutant les allégations de violation des articles 7, 17 et 23 (par. 1).
4.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’État partie indique que, le 31 juillet 2003, l’auteur a demandé à la police de Copenhague de saisir la justice pour obtenir l’annulation de l’arrêté d’expulsion, conformément au paragraphe 1 de l’article 50 de la loi sur les étrangers. Le 29 août 2003, la police a demandé au Service danois de l’immigration de se prononcer à nouveau sur l’opportunité d’expulser l’auteur. Le 18 septembre 2003, le Service de l’immigration a fait à nouveau savoir qu’il ne possédait aucun renseignement sur le point de savoir si l’auteur serait exposé à des sanctions pénales particulièrement pénibles à son retour en Ouganda ni sur celui de savoir s’il encourrait le risque d’être sanctionné une nouvelle fois pour les infractions qui lui avaient valu d’être condamné au Danemark. Cependant, il a demandé au Ministère danois des affaires étrangères d’enquêter sur le risque d’une nouvelle incrimination pour les mêmes faits en Ouganda. Ce risque mis à part, il n’était pas possible de prendre en considération les éventuels motifs d’octroi de l’asile prévus aux paragraphes 1 et 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers, en application du paragraphe 1 vii) de l’article 26 de la loi. Le Service de l’immigration concluait que, étant donné la nature des infractions commises par l’auteur et la sévérité de la peine de prison qui lui avait été infligée, les considérations personnelles étaient loin de contrebalancer les arguments en faveur de son expulsion.
4.3L’État partie ajoute que, le 11 novembre 2003, le tribunal d’instance de Copenhague a confirmé l’arrêté d’expulsion pris contre l’auteur, estimant que son annulation n’était pas requise au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, puisque l’auteur pouvait encore invoquer l’article 31 de la loi sur les étrangers, qui ménageait une nouvelle évaluation des risques par le Service danois de l’immigration avant son rapatriement en Ouganda. Le 1er décembre 2003, la Haute Cour du Danemark oriental a débouté l’auteur, qui avait fait appel de la décision du tribunal d’instance. Le 19 janvier 2004, le Service danois de l’immigration, se fondant sur des renseignements émanant du Ministère des affaires étrangères sur l’amnistie dont bénéficieraient les partisans de l’ancien Président Amin et l’absence de risque de double incrimination en Ouganda, a estimé que l’article 31 de la loi sur les étrangers n’empêcherait pas l’expulsion de l’auteur. Le recours formé par l’auteur auprès de la Commission danoise pour les réfugiés et la demande qu’il a adressée à la Commission de recours pour être autorisé à faire recours contre l’arrêt de la Haute Cour du 1er décembre 2003 étaient encore en instance lorsque l’État partie a présenté ses observations. L’État partie estime dans ces conditions que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
4.4Quant au fond, l’État partie déclare que la procédure devant les tribunaux danois et le Service danois de l’immigration garantit qu’un individu ne sera pas expulsé vers un pays où il encourrait réellement le risque d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Service de l’immigration, tant dans ses avis datés des 19 avril 2002 et 18 septembre 2003 que dans son évaluation des risques aux termes de l’article 31 de la loi sur les étrangers, a examiné soigneusement le risque qu’encourrait l’auteur d’être soumis à des mauvais traitements. Il est parvenu à la conclusion que son expulsion ne serait pas contraire à l’article 26 ni à l’article 31 de la loi sur les étrangers. Cette dernière disposition reflète les obligations du Danemark au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme comme de l’article 7 du Pacte. L’État partie conclut que l’expulsion de l’auteur serait compatible avec l’article 7 du Pacte.
4.5Tout en reconnaissant que l’expulsion de l’auteur constitue une ingérence dans son droit à une vie de famille au titre de l’article 17, l’État partie fait valoir que cette ingérence est prévue par la loi, qu’elle est conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et qu’elle est raisonnable en l’espèce, étant donné qu’elle fait suite à la condamnation de l’auteur pour une infraction particulièrement grave. L’État partie invoque son droit à exercer un contrôle sur l’entrée et le séjour des étrangers sur son territoire, qui s’entend notamment du droit d’expulser des personnes condamnées pour des infractions pénales, dans la mesure où cette expulsion n’est pas arbitraire mais est proportionnée au but légitime poursuivi. Pour l’État partie, l’expulsion de l’auteur ne constituerait pas une difficulté déraisonnable pour sa femme et sa fille aînée qui, l’une comme l’autre, ont peu de liens avec le Danemark et dont on pourrait raisonnablement attendre qu’elles accompagneraient l’auteur. Inversement, si elles préféraient demeurer au Danemark, l’expulsion de l’auteur n’aurait aucune répercussion sur leur droit de séjour puisqu’elles possèdent toutes deux un permis de séjour permanent.
4.6L’État partie fait valoir que, tout en constituant une ingérence dans les droits reconnus au paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte, l’expulsion de l’auteur ne violerait pas cette disposition, puisque rien n’empêcherait sa femme, ressortissante tanzanienne, leurs enfants ni sa fille aînée de poursuivre leur vie de famille avec l’auteur en Tanzanie ou ailleurs en dehors du Danemark.
5.Le 17 mars 2004, l’État partie a informé le Comité que, par une décision du 17 février 2004, la Commission de recours avait rejeté la demande d’autorisation de recours contre la décision de la Haute Courdu 1er décembre 2003.
Demande de mesures provisoires présentée par l’auteur
6.1Les 7 et 9 juillet 2004, l’auteur a demandé au Comité de rechercher l’assurance de l’État partie que, tant que sa communication serait à l’examen par le Comité, il ne serait pas expulsé vers l’Ouganda où il risquerait de subir un préjudice irréparable du fait qu’il était lieutenant sous le régime d’Idi Amin.
6.2L’auteur fait valoir que, par une décision du 28 juin 2004, la Commission danoise pour les réfugiés a rejeté son recours contre la décision du Service danois de l’immigration datée du 19 janvier 2004, au motif qu’il n’encourrait aucun risque s’il retournait en Ouganda. Le 6 juillet 2004, la police lui a notifié officiellement cette décision en l’informant qu’il serait expulsé dans les plus brefs délais.
6.3L’auteur affirme qu’il a critiqué ouvertement l’actuel gouvernement ougandais pendant son séjour au Danemark et qu’il a participé à des conférences au cours desquelles il a protesté contre le traitement réservé par l’Ouganda aux opposants politiques. Il nomme plusieurs officiers et hauts fonctionnaires ougandais en poste actuellement qu’il craint tout spécialement.
6.4À l’appui de ses affirmations, l’auteur renvoie à des rapports émanant de sources non gouvernementales et gouvernementales qui confirment la poursuite des exécutions extrajudiciaires, de la torture et de la détention arbitraire d’opposants politiques ou de personnes soupçonnées de soutenir la rébellion en Ouganda. Se référant à la jurisprudence du Comité, il fait valoir que son expulsion immédiate du Danemark rendrait inutile l’examen de sa communication par le Comité.
Réponses complémentaires de l’État partie et commentaires de l’auteur
7.Le 15 juillet 2004, l’État partie a admis que l’auteur avait épuisé les voies de recours internes après que la Commission de l’immigration eut rejeté, le 28 juin 2004, le recours formé contre la décision prise le 19 janvier 2004 par le Service danois de l’immigration. Une demande de permis de séjour pour raisons humanitaires, soumise ensuite conformément à l’article 9 b 1) de la loi sur les étrangers au Ministre des réfugiés, de l’immigration et de l’intégration, a été rejetée le 9 juillet 2004 au motif qu’un tel permis pouvait être accordé à l’auteur au plus tôt deux ans après le départ du demandeur du territoire danois.
8.Le 21 juillet 2004, l’auteur a fait observer que l’État partie ne s’était pas préoccupé du risque de préjudice irréparable qu’il encourrait s’il retournait en Ouganda. À l’appui de ses dires, il soumet une lettre datée du 14 juillet 2004, émanant de l’ancien Président de l’Institut Schiller au Danemark, confirmant que l’auteur a participé à des conférences données par l’Institut en sa qualité de Président de l’Union ougandaise au Danemark. Sa participation, en septembre 1997, à une conférence au cours de laquelle les liens présumés du Président ougandais Museveni avec le Front patriotique rwandais ont été critiqués est attestée par un article publié dans l’Executive Intelligence Review du 10 octobre 1997, ainsi que par un journal de langue allemande. L’auteur de la lettre disait craindre que l’ambassade d’Ouganda à Copenhague n’ait relevé le nom des ressortissants ougandais ayant participé aux conférences de l’Institut Schiller.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie au sujet de la recevabilité et du fond
9.1Le 26 août 2004, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations formulées par l’État partie au sujet de la recevabilité et du fond, datées du 11 février et du 15 juillet 2004, en rappelant qu’il avait épuisé les recours internes. Il affirme que la lettre émanant de l’Institut Schiller montre clairement que les autorités ougandaises ont bien conscience de ses activités politiques, à cause de la liste des participants aux conférences auxquelles il a assisté, qui peut aussi être consultée en ligne. L’auteur maintient que le danger qu’il encourt en rentrant en Ouganda est réel et représente la conséquence nécessaire et prévisible de son expulsion et déplore que l’État partie n’ait fait aucune observation sur les éléments de preuve qu’il avait soumis.
9.2En se fondant uniquement sur l’évaluation des risques conduite par le Service danois de l’immigration les 19 avril 2002 et 18 septembre 2003, au titre des articles 50 et 26 de la loi sur les étrangers, l’État partie n’a pas tenu compte du fait que la plainte déposée par l’auteur au titre de l’article 7 reposait en grande partie sur des informations obtenues après l’évaluation des risques. En l’absence de réponse de l’État partie à ses observations spécifiques, il faudrait accorder tout leur poids à ces observations incontestées, attendu que l’État partie a eu l’occasion d’enquêter de façon approfondie sur ses allégations. Ce dernier n’a pas démontré que la situation en Ouganda avait changé au point de rendre obsolètes les raisons qui avaient motivé l’octroi de l’asile à l’auteur en 1986.
9.3À l’appui de ses plaintes au titre des articles 17 et 23, l’auteur rappelle que sa femme et lui ont deux enfants, qui sont nés et élevés au Danemark, parlent danois et considèrent le Danemark comme leur pays. Le fait que l’État partie n’ait pas abordé cet aspect des choses ne saurait diminuer l’importance que le Comité devrait accorder à leur éducation dans un milieu stable et sûr, surtout si les articles 17 et 23 du Pacte sont interprétés à la lumière des articles 9 et 16 de la Convention relative aux droits de l’enfant. Plusieurs rapports faisant état des visites que l’auteur a rendues à sa famille à l’occasion de permissions de sortie de prison donnent une bonne idée du rôle important qu’il joue dans la vie de ces deux enfants: ces rapports montrent combien les enfants étaient heureux de voir leur père.
9.4Le 6 août 2004, le tribunal d’instance de Copenhague a décidé de mettre l’auteur en liberté, reconnaissant ainsi implicitement l’étroitesse des liens familiaux, ainsi que l’épreuve que ses 11 mois de rétention dans l’attente de son expulsion, à l’issue de sa peine de prison, représentait pour lui et sa famille. L’auteur fait valoir que le fait de lui permettre de reprendre une vie de famille quelques mois durant lesquels il peut s’occuper des enfants pendant que sa femme travaille, avant finalement de l’expulser vers l’Ouganda, porterait sérieusement atteinte à ses droits au titre des articles 17 et 23.
9.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel rien n’empêche ses proches de continuer à vivre avec lui hors du Danemark, l’auteur soutient que sa femme ne pourrait pas le suivre dans un pays qui n’offre aucun débouché ni perspectives de scolarisation et de garde pour ses enfants.
9.6L’auteur ajoute qu’une installation en Tanzanie, comme le propose l’État partie, n’est pas une option réaliste car ce pays n’est nullement tenu de l’accueillir et selon toute vraisemblance éprouvera une certaine réticence à accepter un étranger qui a été condamné pour une infraction pénale. Bien qu’il lui soit arrivé de se rendre dans ce pays, l’auteur n’y a aucune attache.
9.7L’auteur rappelle qu’il n’entretient aucun contact avec les membres de sa famille en Ouganda. Les membres de sa tribu, les Toros, le traiteront probablement comme un paria ou le tueront parce qu’il a servi dans l’armée d’Idi Amin qui a opprimé les Toros.
9.8L’auteur rappelle que les trois juges du tribunal d’instance de Copenhague qui ont rendu la décision de mai 2002 n’étaient pas unanimes à se prononcer en faveur de son expulsion, l’un d’entre eux considérant en effet qu’elle serait incompatible avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans une affaire similaire, où il était question d’expulser un étranger qui avait vécu au Danemark plusieurs années avec sa femme, et dont on avait aussi ordonné l’expulsion suite à une condamnation pour infractions à la législation sur les stupéfiants, la Cour européenne des droits de l’homme avait jugé que l’expulsion emporterait violation de l’article 8 de la Convention.
9.9L’auteur fait valoir que, vu la durée de son séjour au Danemark et l’intérêt des membres de sa famille à continuer de vivre ensemble, la décision de l’État partie de l’expulser doit être considérée comme disproportionnée par rapport au but poursuivi en dépit du caractère relativement sérieux de sa condamnation. Se référant à la jurisprudence du Comité, il conclut que l’arrêté d’expulsion pris contre lui constitue une ingérence arbitraire dans ses droits au titre des articles 17 et 23.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
10.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
10.2Le Comité s’est assuré, conformément aux alinéas a et b de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que l’auteur avait épuisé tous les recours internes disponibles, comme l’État partie l’a d’ailleurs reconnu.
10.3Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé ses allégations au titre des articles 7, 17 et 23 (par. 1) aux fins de la recevabilité. Il conclut que la communication est recevable et procède à son examen quant au fond.
Examen au fond
11.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que les parties lui avaient soumises, comme prévu au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
11.2La première question dont le Comité est saisi est celle de savoir si l’expulsion de l’auteur vers l’Ouganda l’exposerait au risque réel et prévisible de subir un traitement contraire à l’article 7. Le Comité rappelle que, aux termes de l’article 7 du Pacte, les États parties ne doivent pas exposer les individus à un risque de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en les renvoyant dans un autre pays en vertu d’une mesure d’extradition, d’expulsion ou de refoulement. Il prend acte de l’exposé détaillé fait par l’auteur des raisons pour lesquelles il craint d’être soumis à des mauvais traitements aux mains des autorités ougandaises et conclut que l’auteur a donné des indices sérieux quant à l’existence d’un tel risque.
11.3Le Comité fait observer que l’État partie, tout en contestant la plainte de l’auteur au titre de l’article 7, n’apporte aucune raison matérielle à l’appui de sa position. Au contraire, il se contente de renvoyer à l’évaluation des risques effectuée par le Service danois de l’immigration au titre des articles 26 (avis datés des 19 avril 2002 et 18 septembre 2003) et 31 (décision du 19 janvier 2004, telle qu’elle a été confirmée par la Commission danoise pour les réfugiés le 28 juin 2004) de la loi sur les étrangers. Après avoir examiné ces documents, le Comité note, premièrement, que l’examen par le Service de l’immigration au titre du paragraphe 1 vii) de l’article 26 de la loi sur les étrangers se limitait à une évaluation de la situation personnelle de l’auteur au Danemark, ainsi que du risque qu’il encourrait de subir une nouvelle peine pour l’infraction qui lui avait valu d’être condamné au Danemark, sans répondre aux questions plus larges qui se posaient au titre de l’article 7 du Pacte, telles que les mauvais traitements qui peuvent motiver une demande d’asile au titre des paragraphes 1 et 2 de l’article 7 de la loi sur les étrangers. Deuxièmement, dans sa décision du 19 janvier 2004, le Service de l’immigration se fonde uniquement sur une évaluation faite par le Ministère des affaires étrangères du risque d’être condamné une deuxième fois en Ouganda pour la même infraction et sur l’amnistie accordée aux partisans de l’ancien Président Amin pour conclure que l’auteur n’encourrait pas le risque d’être torturé ou maltraité s’il rentrait en Ouganda. De même, la Commission pour les réfugiés, après avoir dressé un compte rendu détaillé des déclarations de l’auteur quant à sa crainte d’être soumis à des mauvais traitements s’il rentrait en Ouganda, a rejeté son recours en se fondant sur le même avis du Ministère, sans ajouter dans sa décision du 28 juin 2004 de raisons matérielles qui lui seraient propres. Elle a en particulier simplement rejeté, parce qu’il l’avait présenté trop tard, le document produit par l’auteur attestant que ses activités politiques au Danemark étaient connues des autorités ougandaises, lui faisant ainsi courir un risque particulier d’être soumis à des mauvais traitements à son retour en Ouganda. L’État partie n’a pas donné au Comité l’avis de son ministère des affaires étrangères ni aucun autre document argumentant effectivement l’évaluation du Ministère. En bref, devant le Comité, l’État partie cherche à réfuter le risque présumé que l’auteur aurait à subir un traitement contraire à l’article 7 simplement en renvoyant aux conclusions de l’évaluation faite par ses propres autorités, au lieu de répondre à l’exposé assez détaillé de l’auteur des raisons pour lesquelles, à son avis, il encourrait effectivement un tel risque.
11.4Attendu que l’État partie n’a pas fait valoir d’arguments de fond pour réfuter les allégations de l’auteur, le Comité estime qu’il faut accorder le crédit voulu à l’exposé détaillé fait par l’auteur de l’existence d’un risque de traitement contraire à l’article 7. Par conséquent, le Comité est d’avis que, s’il était mis à exécution par le renvoi de l’auteur en Ouganda, l’arrêté d’expulsion pris contre l’auteur constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.
11.5Pour ce qui est de la violation présumée du droit de l’auteur à une vie de famille au titre des articles 17 et 23 (par. 1), le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il peut effectivement se produire des cas où le refus de l’État partie de laisser un membre d’une famille rester sur son territoire représente une ingérence dans la vie de la famille de cette personne. Mais le simple fait que l’un des membres d’une famille ait le droit de rester sur le territoire d’un État partie ne fait pas forcément de l’éviction d’autres membres de la même famille une ingérence du même ordre.
11.6En l’occurrence, et comme l’État partie a admis que l’éviction de l’auteur représenterait une ingérence dans sa vie de famille, le Comité considère qu’une décision de l’État partie d’expulser le père d’une famille avec deux enfants mineurs et d’obliger cette famille à choisir entre l’accompagner ou rester sur le territoire de l’État partie doit être considérée comme une «ingérence» dans la famille. Bien que la vie de l’auteur avec sa famille ait été interrompue un laps de temps considérable à cause de son incarcération puis de sa rétention dans l’attente de son expulsion, il a reçu régulièrement des visites de sa femme au cours de cette période et a pu rendre plusieurs fois visite à ses enfants à l’occasion d’autorisations de sortie de prison. Qui plus est, il a repris la vie de famille après que le tribunal d’instance de Copenhague eut décidé de le mettre en liberté le 6 août 2004.
11.7La question se pose donc de savoir si cette ingérence est arbitraire ou illégale et, partant, contraire à l’article 17, considéré à la lumière du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte. Le Comité observe que l’expulsion de l’auteur repose sur l’article 22 de la loi sur les étrangers. Cependant, il rappelle que, même une ingérence prévue par la loi doit obéir aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et être raisonnable eu égard aux circonstances particulières. À cet égard, le Comité rappelle que dans les cas où une partie de la famille doit quitter le territoire de l’État partie tandis que l’autre partie est en droit de rester, il faut examiner les critères pertinents permettant d’apprécier si l’ingérence spécifique dans la vie de famille peut être objectivement justifiée, à la lumière, d’une part, de l’importance que revêtent les raisons avancées par l’État partie pour expulser l’intéressé et, de l’autre, du degré de gravité de l’épreuve que cette expulsion entraînerait pour la famille et ses membres.
11.8Le Comité note que l’État partie justifie l’expulsion de l’auteur a) par le fait qu’il a été condamné pour des infractions à la législation sur les stupéfiants, et b) par la théorie selon laquelle la gravité de ces infractions se reflète dans la durée de la peine de prison qui lui a été infligée. Il prend aussi note de l’argument de l’auteur qui fait valoir que sa femme et ses enfants vivent au Danemark dans un milieu stable et sûr et ne pourraient donc pas le suivre s’il était expulsé vers l’Ouganda. S’il est peut‑être vrai que l’expulsion de l’auteur constituerait une épreuve considérable pour sa femme et ses enfants, qu’ils demeurent au Danemark ou qu’ils décident d’éviter la séparation de la famille en suivant l’auteur dans un pays qu’ils ne connaissent pas et dont les enfants ne parlent pas la langue, le Comité constate que l’auteur a soumis la communication uniquement en son nom propre et non en celui de sa femme ou de ses enfants. Il s’ensuit que le Comité ne peut examiner que la question de savoir si les droits de l’auteur au titre des articles 17 et 23 seraient violés en cas d’expulsion.
11.9Le Comité note en l’occurrence que l’État partie a cherché à justifier son ingérence dans la vie de famille de l’auteur en faisant valoir la nature et la gravité des infractions commises par l’auteur. Le Comité considère que les raisons avancées par l’État partie sont raisonnables et suffisantes pour justifier l’ingérence dans la vie de famille de l’auteur. Il conclut par conséquent que l’expulsion de l’auteur, si elle était mise à exécution par le renvoi en Ouganda, ne constituerait pas une violation de ses droits au titre des articles 17 et 23 (par. 1).
12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que la mesure d’expulsion de l’auteur vers l’Ouganda, si elle était mise à exécution, violerait ses droits au titre de l’article 7 du Pacte.
13.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris l’annulation et le réexamen intégral de l’arrêté d’expulsion pris à son encontre. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion individuelle (dissidente) de M me Ruth Wedgwood et M. Maxwell Yalden
La majorité conclut que le Danemark n’a pas suffisamment étayé sa décision d’expulser l’auteur, un citoyen ougandais, à la suite de sa condamnation pour infraction à la législation sur les stupéfiants à une peine de deux ans et demi de prison. La majorité estime que l’auteur, ancien membre des forces armées sous le régime d’Idi Amin, a donné des indices sérieux qu’il risquerait d’être torturé ou soumis à des mauvais traitements en Ouganda s’il y retournait, et que l’État partie n’a pas apporté la preuve contraire.
Les États parties sont tenus d’observer les prescriptions juridiques internationales concernant le non-refoulement. La situation générale en Ouganda n’est pas rassurante. Lors de l’examen récent du rapport que lui a présenté l’Ouganda en vertu du Pacte, le Comité des droits de l’homme a, par exemple, noté que des tortures et des mauvais traitements étaient couramment infligés aux personnes détenues (Observations finales concernant l’Ouganda, 5 mai 2004, par. 17). Il serait bon par conséquent que l’État partie examine soigneusement les risques encourus, selon ses dires, par l’auteur.
Néanmoins, le Comité ne peut pas examiner à nouveau les faits et les éléments de preuve dans chaque affaire d’expulsion, en particulier lorsque tout repose pour l’essentiel sur une évaluation de la crédibilité d’un plaignant. Le Comité a donc été contraint d’examiner les documents dont il disposait. Dans sa réponse, l’État partie rend compte en détail de l’examen de la situation de l’auteur par les autorités nationales. Il fait état notamment des renseignements recueillis auprès du Ministère des affaires étrangères et des trois évaluations effectuées par le Service danois de l’immigration, ainsi que des décisions du tribunal d’instance de Copenhague, de la Haute Cour du Danemark oriental et de la Commission danoise de recours. Le conseil de l’auteur a également remis au Comité le texte de la décision rendue le 28 juin 2004 par la Commission danoise pour les réfugiés mais dans sa version originale de sorte que seuls les quelques membres du Comité pouvant lire le danois ont pu le consulter.
L’État partie a assuré le Comité qu’il était à la disposition du Secrétaire général de l’ONU pour répondre à toute question que cette affaire en général pourrait soulever. (Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond datées du 11 février 2004, p. 1.) Le Comité peut poser des questions par écrit aux États parties ainsi qu’aux plaignants. Si le Comité avait voulu consulter l’intégralité du dossier d’immigration de l’auteur ou tel ou tel document y figurant, il aurait pu facilement le demander à l’État partie. Le Danemark a fait preuve de coopération avec le Comité pendant que la communication était en cours d’examen, suspendant l’expulsion de l’auteur à la demande du Comité et remettant l’auteur en liberté conditionnelle. Le Comité ne demande pas d’habitude à voir les télex envoyés par un ministère des affaires étrangères lorsqu’on lui soumet des avis motivés et il est probable que de nombreux États n’accepteraient pas de fournir des documents confidentiels de cette nature. Mais le Comité peut certainement demander qu’on lui communique les documents qu’il juge nécessaires pour procéder à une évaluation au lieu de parvenir à une conclusion définitive concernant une affaire sur la base d’un dossier incomplet.
Le Comité aurait dû au moins donner à l’État partie la possibilité de fournir tous autres documents qu’il aurait souhaité examiner. Nous estimons que cela n’a pas été fait. Il est vrai que si un État partie ne coopère pas et ne fournit pas d’informations, le Comité peut, le cas échéant, décider d’accorder le «crédit voulu» aux allégations de l’auteur, et peut conclure de la sorte à une violation. Mais une telle conclusion n’est pas justifiée en l’espèce étant donné que l’État partie, comme on l’a déjà indiqué, s’est efforcé de coopérer avec le Comité et que celui-ci aurait pu facilement lui demander de lui fournir d’autres informations pertinentes.
Le Comité est clairement tenu d’observer certaines normes d’équité, ce qui signifie que non seulement il doit se montrer équitable envers les deux parties mais aussi que l’on doit voir qu’il l’est, et nous estimons qu’en l’occurrence il a failli à cette obligation. Par conséquent, nous ne pouvons souscrire à la conclusion d’une violation du Pacte en l’espèce.
(Signé) Ruth Wedgwood(Signé) Maxwell Yalden
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Annexe VI
DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME DÉCLARANT IRRECEVABLES DES COMMUNICATIONS PRÉSENTÉES EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
A. Communication n o 851/1999, Zhurin c. Fédération de Russie (Décision adoptée le 2 novembre 2004, quatre-vingt-deuxième session)
Présentée par: |
M. Vladimir S. Zhurin (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
M. Vladimir V. Zhurin (fils de l’auteur) |
État partie: |
Fédération de Russie |
Date de la communication: |
15 décembre 1998 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le2 novembre 2004,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1L’auteur de la communication est Vladimir S. Zhurin, de nationalité russe, qui la présente au nom de son fils Vladimir V. Zhurin, également de nationalité russe, né en 1966, lequel se trouvait à la date de la présentation de la communication sous le coup d’une condamnation à mort à la suite d’un jugement rendu en 1990 par la Cour suprême de la République socialiste soviétique autonome de Bachkirie (aujourd’hui République du Bachkortostan, Fédération de Russie). L’auteur affirme que son fils est victime de violations par la Fédération de Russie des droits que lui confèrent les articles 6, 7, 10 et 14, paragraphes 1, 2 et 3 b), d), e) et g)du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.
1.2Le 10 février 1999, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, a demandé à l’État partie, en application de l’article 86 du règlement intérieur du Comité, de ne pas procéder à l’exécution de M. Zhurin tant que le Comité examinait son cas. D’une lettre ultérieure de l’auteur en date du 10 mars 1999, il est ressorti que la condamnation à mort de M. Zhurin avait en fait été commuée en une peine de réclusion criminelle à perpétuité par un décret présidentiel en date du 23 septembre 1993.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.L’auteur note que son fils a été condamné à mort le 12 janvier 1990 pour meurtre commis avec préméditation et accompagné de violences, un meurtre commis avec préméditation dans l’intention de dissimuler un autre crime, et pour vol qualifié avec violence. La Cour suprême de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) a entériné ce jugement le 11 mai 1990. Le fils de l’auteur a été reconnu coupable, de même que quatre autres personnes (dont son frère E. Zhurin) d’avoir commis de 1984 à 1988 différents crimes, notamment des meurtres en Russie et dans ce qui était alors la République socialiste soviétique d’Ouzbékistan.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme qu’au cours de l’enquête son fils a été menotté à sa chaise et frappé afin de lui faire avouer sa culpabilité. Le fils de l’auteur n’a pas pu recevoir la visite des membres de sa famille pendant trois mois après son arrestation, le 3 mai 1988. Ce n’est qu’en juillet 1988, après de nombreuses démarches de sa famille auprès des autorités, que le fils a été «montré» à la famille. Aux dires de l’auteur, son fils avait le visage tuméfié et meurtri et était déprimé. L’article 7 du Pacte aurait été violé en raison du traitement infligé à M. Zhurin.
3.2L’article 10 du Pacte aurait été violé au cours de l’instruction du fait que M. Zhurin a été frappé et privé de nourriture, portant ainsi atteinte à sa dignité humaine; il a été détenu en compagnie de «criminels récidivistes» qui l’ont menacé de violences physiques et les enquêteurs ont menacé de le pendre dans sa cellule et de faire passer sa mort pour un suicide.
3.3D’après l’auteur, la culpabilité de son fils n’a été prouvée ni par l’accusation ni par le tribunal, en violation du droit à un procès équitable protégé par les paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte, et sa condamnation était dépourvue de toute base juridique. La déclaration de culpabilité reposait selon lui sur les témoignages de personnes qui avaient un intérêt particulier dans l’issue de cette affaire: les coaccusés de son fils, M. Kitsaev (qui aurait reçu une peine plus légère) et M. Kayumov (qui aurait été obligé de témoigner sous la contrainte au cours de l’instruction avant de se rétracter ultérieurement au tribunal).
3.4Les droits garantis à M. Zhurin par le paragraphe 3 b) de l’article 14 auraient été violés du fait que son avocat n’aurait été autorisé à le voir qu’une fois l’acte d’accusation établi par l’instruction, c’est‑à‑dire après que l’affaire eut déjà été «truquée». L’auteur affirme avoir demandé le 24 mai 1988 au Procureur de Tcheliabinsk l’autorisation d’engager un avocat privé pour son fils, mais que cette autorisation lui a été refusée. Les visites ultérieures de l’avocat se seraient déroulées en présence d’un enquêteur et l’avocat et le fils de l’auteur n’auraient pas disposé de suffisamment de temps pour prendre connaissance des charges. M. Zhurin aurait préparé son pourvoi en cassation lui-même car son avocat était souffrant et il n’avait ni le temps ni la possibilité d’en engager un autre.
3.5Le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte aurait été violé parce que M. Zhurin n’a pas été représenté par un avocat dès le début de sa détention et que les demandes de l’auteur à cet effet ont été rejetées. L’auteur affirme qu’aucune requête déposée par la défense et son fils n’a été examinée ni accueillie par le tribunal. Selon lui, son fils aurait dû être jugé par un jury et non par un juge unique.
3.6L’auteur affirme que les droits de son fils en vertu du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte ont été violés parce que le tribunal a rejeté ses demandes de contre‑interrogatoire de différents témoins et refusé de citer d’autres experts pour témoigner.
3.7D’après l’auteur, le paragraphe 3 g) de l’article 14 a été violé à l’égard de son fils car ce dernier a été amené de force par l’enquêteur à avouer sa culpabilité au titre de chacun des chefs d’inculpation.
3.8Enfin, l’auteur affirme que l’article 6 a été violé à l’égard de son fils parce que celui‑ci a été condamné illégalement à la peine de mort à l’issue d’un procès présentant des irrégularités de procédure pour des meurtres qu’il n’avait pas commis.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Le 26 janvier 2000, l’État partie a fait observer que la condamnation à mort de M. Zhurin avait été entérinée par la Cour suprême de la RSFSR le 11 mai 1990. Le 23 septembre 1993, l’intéressé avait bénéficié d’une grâce présidentielle et sa condamnation à mort avait été commuée en réclusion criminelle à perpétuité.
4.2L’État partie fait valoir que l’affaire pénale de M. Zhurin avait été examinée non seulement en appel par la Cour suprême, mais également à deux reprises par les services du Procureur en application d’une procédure de supervision, et que les décisions de justice rendues en cette affaire avaient été considérées comme légales et bien fondées.
4.3D’après l’État partie, les circonstances de l’affaire ont fait l’objet d’un examen complet, approfondi et objectif. Il n’y a eu aucune violation du droit pénal ou procédural qui justifierait d’annuler le verdict de culpabilité. La question de l’état mental de M. Zhurin a également fait l’objet d’une enquête approfondie, ayant en particulier donné lieu à un examen psychiatrique en milieu hospitalier qui avait établi que M. Zhurin était sain d’esprit. D’après l’État partie, les éléments de preuve ont été appréciés de manière appropriée et la peine imposée à M. Zhurin l’a été conformément à la loi en vigueur au moment de la commission des infractions en cause.
Commentaires de l’auteur
5.Le 21 juillet 2000, l’auteur s’est contenté de renouveler ses affirmations initiales et a rejeté comme inexactes les observations de l’État partie.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité note que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que les recours internes ont été épuisés. Les conditions énoncées aux alinéas a et b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif sont donc réunies.
6.3En ce qui concerne la compétence ratione temporis, le Comité a pris note des allégations de l’auteur énoncées aux paragraphes 3.1 à 3.8 ci‑dessus. Il note que le Pacte est entré en vigueur pour la Fédération de Russie le 23 mars 1976 et le Protocole facultatif le 1er janvier 1992. En l’espèce, l’auteur a été reconnu coupable d’assassinat et d’autres crimes et condamné à mort par une décision de la Cour suprême de la République de Bachkirie le 12 janvier 1990. La décision judiciaire définitive dans l’affaire le concernant a été rendue par la Cour suprême de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) le 11 mai 1990, c’est‑à‑dire avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie.
6.4Le Comité rappelle sa jurisprudence, à savoir que les obligations incombant à un État partie en vertu du Pacte s’appliquent à compter de la date à laquelle celui-ci entre en vigueur à l’égard dudit État partie. Le Comité a aussi systématiquement estimé ne pouvoir connaître de violations qui se seraient produites avant que le Protocole facultatif n’entre en vigueur à l’égard de l’État partie en cause, à moins que lesdites violations ne persistent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Une violation persistante s’entend de la prolongation, par des actes ou de manière implicite, après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, de violations commises antérieurement par l’État partie.
6.5En l’espèce, les plaintes de l’auteur en vertu des articles 7, 10 et 14 du Pacte (par. 3.1 à 3.8 ci‑dessus) ont toutes trait à des événements qui se sont produits avant que l’État partie ne reconnaisse officiellement la compétence du Comité en vertu du Protocole facultatif. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, en l’absence de facteurs additionnels, une peine d’emprisonnement ne constitue pas un «effet continu» − en violation du Pacte − suffisant pour que les circonstances qui ont conduit à l’emprisonnement de l’auteur soient de la compétence ratione temporis du Comité. En l’absence de toute information pertinente concernant les éventuels effets persistants des violations alléguées après le 1er janvier 1992, date de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, qui constitueraient par eux‑mêmes une violation du Pacte, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable ratione temporis, en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.
6.6Dans ces conditions, et étant donné que la condamnation de l’auteur à la peine capitale a été commuée en 1993, le Comité considère qu’il n’y a pas lieu d’examiner la dernière plainte de l’auteur au titre de l’article 6.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
B. Communication n o 860/1999, Fernández Álvarez c. Espagne (Décision adoptée le 31 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Aurelio Fernández Álvarez (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
2 novembre 1997 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 mars 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.La communication datée du 2 novembre 1997 est présentée par Aurelio Fernández Álvarez, de nationalité espagnole, qui dit avoir été victime de tortures et de mauvais traitements de la part de l’Espagne. L’auteur n’invoque pas de dispositions précises du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, mais sa plainte semble soulever des questions au regard des articles 7 et 10. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.
Exposé des faits
2.1Lorsqu’il a présenté sa communication, en novembre 1997, l’auteur exécutait une peine au centre pénitentiaire de Huelva (Espagne). Dans les nombreuses lettres qu’il a adressées au Comité, il se plaint d’avoir été soumis au régime carcéral applicable aux détenus extrêmement dangereux et, de ce fait, d’avoir été victime de plusieurs violations de ses droits. Il dit en particulier avoir été frappé et maltraité par les agents pénitentiaires des différentes prisons d’Espagne où il a été incarcéré.
2.2L’auteur indique qu’à plusieurs reprises en 1997, lorsqu’il était détenu au centre pénitentiaire de Puerto I (Cadix), les autres prisonniers et lui-même étaient immobilisés à l’aide de fers attachés aux lits. Il ajoute qu’ils étaient insultés et frappés, qu’on leur mettait du gaz dans la bouche, qu’ils ont également été menottés aux barreaux de leur cellule et obligés de rester nus. De plus, la nourriture servie en prison était de mauvaise qualité, on interdisait aux détenus de communiquer entre eux par les fenêtres et d’accéder aux installations sportives; les soins médicaux étaient inexistants et les détenus recevaient des menaces de mort.
2.3Par une lettre datée du 25 octobre 1999, l’auteur a informé le Comité que les 11, 12 et 17 septembre 1999, des fonctionnaires du centre pénitentiaire de Madrid II où il était incarcéré l’avaient menotté, lui avaient donné l’ordre de se déshabiller intégralement et de faire ainsi pendant trente minutes des flexions de genoux dans leur bureau. Il ajoute qu’ils le frappaient et lui donnaient des coups de pied chaque fois qu’il s’arrêtait pour se reposer et qu’ils lui avaient plongé la tête plusieurs fois dans un seau d’eau. Il affirme qu’il a été envoyé en cellule d’isolement où il est resté jusqu’à cinq jours sans que personne ne s’occupe de lui. Dans une lettre datée du 9 juin 2002, l’auteur dénonce de nouvelles agressions physiques, analogues à celles de 1999.
2.4En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, l’auteur a joint plusieurs documents, d’où il ressort ce qui suit:
a)Le 17 août 1995, le juge de surveillance des conditions pénitentiaires a décidé d’enlever l’auteur du Fichier des détenus devant faire l’objet d’une surveillance spéciale (FIES). Le 8 janvier 1996, l’Audiencia Provincial de Madrid a confirmé cette mesure alors que l’auteur continuait d’être soumis au régime spécial;
b)Le 2 octobre 1996, alors qu’il se trouvait au centre pénitentiaire de Villanubla (Valladolid), l’auteur a déposé une plainte auprès du juge de surveillance des conditions pénitentiaires afin de ne plus être soumis au régime spécial. L’auteur affirmait que le 8 janvier 1996 l’Audiencia Provincial de Madrid avait décidé de l’enlever du fichier FIES alors qu’il était encore placé dans des «quartiers spéciaux», qu’il y était resté pendant sept ans et qu’il y était victime d’agressions physiques, menotté, soumis à des fouilles corporelles pour lesquelles il était contraint de se déshabiller et menacé sans cesse de mort. Le juge a rejeté la plainte, considérant que les restrictions auxquelles l’auteur était soumis correspondaient au régime pénitentiaire qui lui était applicable en vertu de la loi sur les prisons, qui prévoit qu’un détenu considéré comme extrêmement dangereux soit maintenu en régime fermé ou dans des quartiers spéciaux. Le 25 novembre 1996, le juge a rejeté le recours en révision formé par l’auteur. Le 30 juin 1997, l’Audiencia Provincial de Valladolid a débouté l’auteur de l’appel qu’il avait interjeté;
Par la suite, l’auteur a introduit un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel faisant notamment valoir que la décision de l’Audiencia n’était pas motivée. L’auteur ne se trouvait alors plus à Valladolid mais dans la prison de Puerto I (Cadix). Dans son recours, l’auteur affirme qu’il continue d’être soumis à des traitements vexatoires, d’être régulièrement contraint de se dénuder, de ne pas pouvoir lire la presse, de ne pas être autorisé à utiliser les installations sportives et que ses biens sont endommagés à chaque visite de contrôle dans sa cellule. Le 30 novembre 1998, le Tribunal correctionnel a rejeté son recours, confirmant que les restrictions qui lui étaient imposées étaient inhérentes au régime pénitentiaire applicable à la catégorie des condamnés extrêmement dangereux dans laquelle il était classé et que, qu’il soit d’accord ou non avec la façon dont il était considéré et traité, la réponse des organes judiciaires ne pouvait être interprétée comme contraire à la Constitution. L’auteur fait valoir au Comité que la décision du Tribunal ne porte que sur la question du régime qui lui est appliqué et non sur les plaintes relatives aux mauvais traitements, tortures, vexations et humiliations qu’il a subis. L’auteur considère avoir épuisé les recours internes;
c)Le 13 mars 1997, l’auteur a déposé une plainte pour mauvais traitements contre les autorités du centre pénitentiaire de Puerto I;
d)Le 1er octobre 1997, l’auteur a déposé une plainte auprès du juge d’instruction de garde de Huelva pour dénoncer des incidents survenus le 30 septembre 1997, au cours desquels il aurait été frappé et menotté par des gardiens de prison;
e)Le 26 janvier 1998, l’auteur a déposé plainte auprès du juge de garde de Palencia contre le Directeur du centre pénitentiaire de la Moraleja, alléguant qu’il était maintenu au secret, qu’il subissait des mauvais traitements physiques et des tortures, que sa correspondance était interceptée et qu’il lui était interdit de participer aux activités organisées et aux activités sportives. Il a de nouveau invoqué le défaut d’exécution de la décision du 8 janvier 1996. Le 5 mars 1998, le tribunal a ordonné le classement de l’affaire, n’ayant pas constaté le moindre délit;
f)Le 4 mai 1998, l’auteur a déposé une plainte auprès du juge de surveillance des conditions pénitentiaires d’Oviedo pour dénoncer les mauvais traitements dont il avait été victime. Le 15 juin 1998, le juge de surveillance des conditions pénitentiaires des Asturies a fait droit partiellement à la plainte de l’auteur et a conclu que les autorités pénitentiaires n’avaient pas entièrement justifié la fouille corporelle à nu à laquelle l’auteur avait été soumis le 2 mai 1998. L’auteur a attaqué cette décision par un recours en révision, qui a été rejeté le 7 juillet 1998. Il a alors interjeté appel auprès de l’Audiencia Provincial d’Oviedo, qui l’a débouté le 3 octobre 1998. Il a ensuite introduit un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, qui a été rejeté le 25 octobre 1999 au motif que le Tribunal d’instance s’était déjà prononcé sur la question;
g)Le 12 avril 1999, le Tribunal constitutionnel a débouté l’auteur d’un autre recours en amparo qu’il avait formé contre le jugement rendu par l’Audiencia Provincial de Huelva en date du 10 juin 1998 sur une plainte de l’auteur qui dénonçait le fait que les autorités pénitentiaires ne lui procuraient pas de journaux quotidiennement;
h)Le 8 juin 1999, le Tribunal suprême a accepté partiellement une plainte de l’auteur contre une décision prise par la Commission disciplinaire du Conseil général du pouvoir judiciaire le 27 janvier 1995 qui avait classé sans suite une plainte déposée en janvier 1995 contre un juge de surveillance des conditions pénitentiaires de Valence, au motif qu’il n’avait pas statué en temps opportun sur les griefs de l’auteur à l’égard des autorités pénitentiaires. Dans son jugement, le Tribunal suprême indique que l’auteur s’est plaint devant le juge de devoir se promener seul. L’auteur affirme qu’en dépit de la décision du Tribunal suprême, le Conseil n’a pris aucune mesure.
2.5L’auteur a joint également une décision de la Commission européenne des droits de l’homme en date du 25 novembre 1996, portant sur une plainte pour mauvais traitements lors de divers incidents survenus en août 1993, octobre 1994, décembre 1994, mai 1995 et octobre 1995. La Commission avait statué que la plainte était irrecevable pour non‑épuisement des recours internes parce que l’auteur n’avait pas saisi le Tribunal constitutionnel.
Teneur de la plainte
3.1Fondamentalement, l’auteur dit qu’il a subi des traitements inhumains et dégradants et des tortures dans toutes les prisons d’Espagne où il a été incarcéré sous le régime spécial. Il ajoute qu’il n’a jamais bénéficié de mesures de réinsertion et de resocialisation, donnant comme preuve le fait que les prisonniers ne puissent pas lire de journaux.
3.2L’auteur affirme que, bien qu’il ait été enlevé du FIES par un jugement de l’Audiencia Provincial de Madrid en date du 8 janvier 1996, les autorités pénitentiaires ont continué à lui imposer des restrictions de ses droits.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans ses réponses datées du 21 avril 1999 et du 23 août 1999, l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, parce que l’auteur a soumis la même affaire à la Commission européenne des droits de l’homme puis que, par une décision du 25 novembre 1996, la Commission avait conclu à l’irrecevabilité de la plainte. La plainte doit être déclarée irrecevable également en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif pour non‑épuisement des recours internes. L’État partie ajoute que l’auteur a adressé ses plaintes simultanément à des organes nationaux et internationaux et que les plaintes qu’il a déposées auprès des juridictions compétentes ont fait l’objet de décisions motivées. Il indique en outre que, d’une façon générale, l’auteur n’informe pas le Comité des décisions qui lui ont été favorables.
4.2Selon l’État partie, certains faits dénoncés par l’auteur ont été réparés par des décisions judiciaires en sa faveur. Il ajoute que les plaintes qui ont été rejetées avaient fait l’objet d’un examen minutieux et raisonné et que l’auteur n’avait pas exercé les recours ouverts. L’État partie affirme que l’auteur ne figure plus sur le fichier FIES conformément au jugement du tribunal de surveillance des conditions pénitentiaires de Madrid en date du 17 août 1995, confirmé par le jugement de l’Audiencia Provincial de Madrid en date du 8 janvier 1996, décision qui est dûment appliquée.
4.3L’État partie ajoute que l’auteur s’est plaint d’avoir été obligé de subir une fouille corporelle entièrement nu au centre pénitentiaire de Villanubla, mais que le tribunal de surveillance des conditions pénitentiaires de Valladolid avait rejeté sa plainte statuant que les fouilles à nu étaient autorisées s’il existait de sérieuses raisons de soupçonner que les détenus détenaient des objets interdits. Il soutient que les plaintes déposées le 13 mars 1997 par l’auteur et d’autres détenus concernant les mauvais traitements qu’ils auraient subis au centre pénitentiaire de Puerto I ont été rejetées le 20 mai 1997 par le tribunal de surveillance des conditions pénitentiaires d’El Puerto. Il ajoute que la plainte concernant les mauvais traitements qui auraient été subis en mai 1997 dans la même prison a elle aussi été rejetée par le même tribunal. Rien n’indique que l’auteur ait fait appel de ces décisions.
4.4Dans une lettre datée du 26 octobre 1999, l’État partie ajoute qu’en déposant sans relâche plainte pour mauvais traitements contre les autorités pénitentiaires, l’auteur exerce une sorte d’actio popularis, qui n’entre pas dans le cadre des procédures établies.
Commentaires de l’auteur
5.1Dans une lettre du 25 octobre 1999 ainsi que dans des lettres suivantes, l’auteur insiste sur le fait qu’il a épuisé les recours internes et joint la copie de multiples documents adressés à des autorités administratives et judiciaires.
5.2L’auteur joint aussi la copie de deux articles de journaux: l’un, daté du 22 novembre 1999, rendait compte des mauvais traitements subis par l’auteur et des plaintes s’y rapportant et l’autre des plaintes pour mauvais traitements dans les prisons espagnoles.
Observations complémentaires des parties
6.1Le 4 mars 2002, l’auteur a adressé au Comité la copie de 13 certificats délivrés par des médecins légistes désignés par différents tribunaux, qui portent des dates comprises entre septembre 1998 et février 2001. Il a également envoyé un certificat établi par le médecin de l’établissement pénitentiaire de Valence, en décembre 1994, qui atteste de contusions, écorchures et hématomes divers.
6.2Le 23 octobre 2002, l’État partie a indiqué au Comité que l’auteur avait été classé parmi les détenus extrêmement dangereux, justiciables du régime I, en vertu du paragraphe 1 de l’article 93 du règlement pénitentiaire et que, de ce fait, il était soumis au régime carcéral applicable à cette catégorie, néanmoins différent du régime du FIES dont l’auteur ne relevait pas. Il a fait savoir également que le tribunal de surveillance des conditions pénitentiaires no 5 de Madrid, dans des décisions du 30 mars 1999, avait rejeté deux requêtes de l’auteur portant sur sa classification, estimant que cette catégorie était justifiée par «la mauvaise conduite en prison» de l’auteur. Rien n’indique que l’auteur ait épuisé les recours internes concernant ces décisions judiciaires. L’État partie réaffirme qu’il n’y a eu aucune violation du Pacte dans cette affaire.
6.3Dans une note verbale du 6 novembre 2002, l’État partie indique que lorsqu’il était arrivé au centre pénitentiaire no 2 de Madrid le 14 septembre 1998, l’auteur relevait du régime I. Le 17 février 1999, le centre a décidé d’annuler les sanctions et mesures disciplinaires prises contre l’auteur et de lui appliquer le régime ordinaire. Or, l’auteur n’a pas coopéré avec les autorités pénitentiaires. Au bout de quatre jours de ce nouveau régime, il a agressé un gardien et lui a cassé la main; avec l’accord du tribunal de surveillance des conditions pénitentiaires, il a donc fallu lui appliquer à nouveau le régime pénitentiaire des détenus très dangereux et le placer en cellule d’isolement. À la suite de cet incident, l’auteur a été condamné pour coups et blessures et atteinte à l’autorité. L’État partie ajoute qu’il ne se passait pas de jour où l’auteur ne soit la cause d’incidents, insultes, menaces et agressions, que sa mauvaise conduite lui avait valu 19 procédures disciplinaires en 2000 et 58 en 2001, et qu’il en était déjà à 16 pour 2002. Entre avril 1999 et janvier 2002, l’auteur a déposé 29 plaintes contre les autorités pénitentiaires auprès de tribunaux de surveillance des conditions pénitentiaires. Toutes ces plaintes ont été examinées et rejetées. Entre avril et juin 2002, six autres plaintes ont été rejetées par ces tribunaux ou par l’Audiencia Provincial de Madrid.
Délibérations du Comité
7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2L’État partie fait valoir que la communication de l’auteur doit être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif dans la mesure où la Commission européenne des droits de l’homme avait été saisie de la même affaire. À ce sujet, le Comité relève que la décision de la Commission porte sur des violations qui auraient eu lieu entre août 1993 et octobre 1995, au sujet desquelles l’auteur a présenté au Comité un certificat médical en date du 22 décembre 1994. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.3La plainte devant le Comité se réfère en outre à des violations qui auraient été commises après les dates mentionnées ci-dessus. Le Comité estime que s’agissant des faits survenus après le 6 octobre 1995, la présente communication soulève des questions différentes de celles dont la Commission européenne des droits de l’homme a été saisie, qui doivent être examinées en ce qui concerne leur recevabilité.
7.4Le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles les autorités pénitentiaires ont modifié plusieurs fois le régime de détention auquel était soumis l’auteur et qu’elles ont tenté de lui appliquer un régime plus souple, mais que la conduite agressive de l’auteur, les problèmes et conflits fréquents avec les autres détenus et avec des agents pénitentiaires les ont obligées à le soumettre à nouveau au régime destiné aux détenus les plus dangereux. Son comportement a valu à l’auteur d’être à plusieurs reprises l’objet de mesures disciplinaires. Le Comité prend note également des certificats médicaux produits par l’auteur qui attestent de lésions. Ces certificats, qui portent des dates comprises entre septembre 1998 et février 2001, lorsque l’auteur se trouvait au centre pénitentiaire no 2 de Madrid, portent sur des incidents qui seraient postérieurs à la présentation de la communication initiale. L’auteur affirme avoir porté plainte pour ces faits auprès des autorités judiciaires mais rien n’indique dans le dossier qu’il ait fait appel des décisions rendues en première instance par les tribunaux compétents. Rien n’indique non plus que l’auteur ait fait appel des décisions judiciaires relatives aux plaintes datées du 13 mars 1997, 1er octobre 1997 et 26 janvier 1998. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.5Le Comité observe que le 2 octobre 1996, l’auteur a déposé une plainte auprès des autorités du centre pénitentiaire de Villanubla (Valladolid) concernant le régime qui lui était appliqué, dans laquelle il évoquait les mauvais traitements qu’il subissait. Cette plainte ayant été rejetée en première et seconde instance, l’auteur a introduit un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Le Comité estime donc que l’auteur a épuisé les recours internes en ce qui concerne ces faits. En revanche, il considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses plaintes pour pouvoir conclure qu’il a été soumis à des traitements contraires aux articles 7 et 10 du Pacte, et que la communication est par conséquent irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.
8.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en espagnol (version originale), en français et en anglais. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
C. Communication n o 918/2000, Vedeneyeva c. Fédération de Russie (Décision adoptée le 29 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Galina Vedeneyeva (représentée par Alexander Manov, Directeur du Centre international de protection à Moscou) |
Au nom de: |
Konstantin Vedeneyev (fils de l’auteur) |
État partie: |
Fédération de Russie |
Date de la communication: |
24 février 1997 (date de la lettre initiale) |
Objet: Actes de torture en vue d’obtenir des aveux, conditions d’emprisonnement, décès en prison dû à la tuberculose.
Questions de fond: Non‑épuisement des recours internes; charge de la preuve.
Articles du Pacte: 6 (par. 1), 7 et 10 (par. 1).
Articles du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 29 mars 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1L’auteur de la communication est Galina Maksimova Vedeneyeva, de nationalité russe. Elle affirme que son fils, Konstantin Vedeneyev, de nationalité russe, né en 1966, décédé, a été victime d’une violation par la Fédération de Russie du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Elle est représentée par Alexander Manov, Directeur du Centre international de protection à Moscou.
1.2Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Fédération de Russie le 1er janvier 1992.
Exposé des faits
2.1L’auteur indique que, le 20 avril 1994, Konstantin Vedeneyev a été arrêté à Tomsk car il était soupçonné d’avoir commis un meurtre à Moscou. Il a été transféré à Moscou au Centre no 1 de détention avant jugement puis, à une date non précisée, au Centre no 2 de détention avant jugement, pour y être interrogé. M. Vedeneyev a d’abord clamé son innocence, mais il aurait été torturé par des policiers dans le but d’obtenir des aveux. L’auteur a reçu des lettres dans lesquelles son fils décrit le traitement auquel il a été soumis, et indique notamment avoir été battu et avoir subi des décharges électriques. À la suite de ce traitement, M. Vedeneyev a fini par faire de faux aveux concernant le meurtre en question. Par la suite, il s’est rétracté. Il a vu un avocat pour la première fois le 6 mai 1994. L’enquête menée sur l’affaire a été conclue le 20 décembre 1994 et le procès devait avoir lieu au début de 1995.
2.2L’auteur affirme que les lettres de son fils décrivent les conditions inacceptables dans lesquelles il a vécu au Centre no 2 de détention avant jugement de Moscou. Placé dans une cellule surpeuplée avec 100 autres détenus, il n’avait pas de lit et la nourriture était insuffisante. M. Vedeneyev a contracté la tuberculose mais n’a pas reçu de traitement médical adapté. Son état a empiré et, le 26 janvier 1995, il a été transféré pour traitement médical au Centre no 1 de détention avant jugement, où il est décédé le 28 janvier 1995. Son certificat de décès précise que la cause du décès est la tuberculose pulmonaire. L’auteur affirme que son fils était robuste et en bonne santé lorsqu’il a été placé en détention avant jugement.
2.3À une date non précisée, l’auteur a déposé une plainte auprès du Procureur de la ville de Moscou, affirmant que son fils avait été torturé dans le but d’obtenir des aveux, qu’il n’avait pu s’entretenir avec un conseil que deux semaines après son arrestation et qu’il avait été détenu dans des conditions déplorables au Centre no 2 de détention avant jugement de Moscou, où il avait contracté la tuberculose. Elle a affirmé que le fait d’avoir détenu son fils dans de telles conditions revient à l’avoir condamné à mort de façon extrajudiciaire et a demandé que les responsables de la mort de son fils soient traduits en justice.
2.4Dans une lettre datée du 21 mars 1996, le Directeur du Centre no 2 de détention avant jugement a informé l’auteur qu’il avait reçu la plainte qu’elle avait déposée auprès du Procureur de la ville de Moscou et que les conditions du décès de son fils avaient fait l’objet d’une enquête. Il a déclaré qu’aucune violation des règles touchant aux conditions de détention ou à la fourniture d’une assistance médicale aux détenus n’avait été mise à jour. D’après la lettre, la tuberculose de M. Vedeneyev a été diagnostiquée le 17 novembre 1994 et il a reçu un traitement médical approprié. Le 20 janvier 1995, son état a empiré et il a fallu l’hospitaliser. Une grave pneumonie a alors été diagnostiquée. Il a finalement été transféré au département de chirurgie du Centre no 1 de détention avant jugement le 26 janvier 1995, mais les efforts déployés pour le sauver ont été vains.
2.5L’auteur indique s’être adressée au procureur régional, au procureur municipal et au procureur général, mais ne donne aucune information sur ses demandes. Elle précise seulement qu’elles ont été rejetées.
Teneur de la plainte
3.L’auteur affirme que son fils a été soumis à la torture et à des traitements cruels, inhumains et dégradants, en violation des droits reconnus à l’article 7 du Pacte. Elle fait valoir que les conditions de détention au Centre no 2 de détention avant jugement de Moscou étaient telles que son fils n’a pas été traité avec humanité et dans le respect de sa dignité, en violation du paragraphe 1 de l’article 10. Enfin, elle affirme que, dans ces circonstances, le décès de son fils, dû à la tuberculose, constitue une violation du droit à la vie consacré au paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.
Observations de l’État partie et commentaires de l’auteur
4.Dans une lettre datée du 10 décembre 2001, l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable car l’auteur n’a pas épuisé les recours internes du fait qu’elle n’a saisi ni le Procureur général de la Fédération de Russie ni la Cour suprême.
5.Dans une lettre datée du 22 août 2004, l’auteur indique qu’elle ne considère ni le Procureur général de la Fédération de Russie ni la Cour suprême comme des organes capables de fournir un recours utile. Elle ne donne aucune explication à l’appui de cette affirmation.
6.Dans de nouvelles observations en date du 7 février 2005, l’État partie donne des informations supplémentaires sur la procédure d’appel, recours qui était selon lui ouvert mais que l’auteur n’a pas utilisé. L’État partie indique que toutes les décisions des organes de l’État sont susceptibles d’appel, ainsi que le garantit l’article 46 de la Constitution russe. En droit russe, les représentants d’une victime peuvent interjeter appel au nom de celle‑ci. Une décision rendue en première instance peut être infirmée si elle n’est pas conforme à la loi, si elle est injuste, ou s’il existe des disparités entre les conclusions qu’elle contient et les faits, entre autres circonstances. La loi sur le ministère public dispose que toute action dénoncée comme illégale peut être réexaminée par un procureur, et que le fait d’avoir déposé une plainte auprès du ministère public n’empêche pas le plaignant de saisir directement une juridiction. L’État partie réaffirme qu’à son sens la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes.
Délibérations du Comité
7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
7.3Le Comité note que l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes car elle n’a pas saisi le Procureur général de la Fédération de Russie et la Cour suprême au sujet des mauvais traitements qu’aurait subis son fils. Si l’auteur affirme que ces organes n’auraient pu fournir un recours utile dans le cas présent, aucune explication ne vient étayer cette affirmation. Le Comité considère que, même s’il n’incombe pas au seul auteur d’une communication de démontrer qu’un recours interne donné n’est pas utile, il doit toutefois présenter au moins un commencement de preuve du bien‑fondé de sa position et expliquer pourquoi il estime que le recours en question n’est ou ne serait pas utile. Dans le cas présent, l’auteur ne l’a pas fait.
8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
D. Communication n o 939/2000, Dupuy c. Canada (Décision adoptée le 18 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Georges Dupuy (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Canada |
Date de la communication: |
4 novembre 1998 (date de la lettre initiale) |
Objet: Non-divulgation d’un document au cours d’un procès au pénal.
Questions de procédure: Épuisement des recours internes; étaiement de la plainte.
Questions de fond: Droit à un procès équitable; droits pour la préparation de la défense; droit à être jugé sans retard excessif.
Articles du Pacte: 2 (par. 3), 3, 14 (par. 3 b)) et 26.
Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2).
Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 18 mars 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur est M. Georges Dupuy, de nationalité canadienne, né le 9 mai 1947. L’auteur se déclare victime de violations par le Canada du paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 3, du paragraphe 3 b) de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.
Exposé des faits
2.1Le 16 août 1991, Mme Gascon, alors conjointe de l’auteur, a déposé une plainte contre ce dernier pour des menaces de mort qu’il aurait proférées à son encontre.
2.2Suite à une enquête préliminaire du 19 décembre 1991, la Cour criminelle du Québec a déclaré, le 24 avri1 1992, l’auteur coupable d’avoir sciemment proféré par téléphone les −ou vers les − 12 et 15 août 1991, des menaces de causer la mort ou des blessures graves à Mme Gascon. Le 12 mars 1993, le juge a prononcé une sentence suspendue de deux ans avec probation.
2.3Le 15 février 1994, la cour d’appel du Québec a refusé de modifier le verdict, tandis que le 11 août 1994 la Cour suprême du Canada a rejeté la requête en autorisation de pourvoi de l’auteur. Ce dernier précise que les décisions des tribunaux ont reposé sur les seuls témoignages de Mme Gascon et de lui-même.
2.4L’auteur déclare avoir pris connaissance d’un rapport de police, lequel incluait une déclaration écrite en date du 16 août 1991 de Mme Gascon à son encontre, en décembre 1994 seulement.
2.5Le 3 avril 1995, en vertu de l’article 690 du Code criminel, l’auteur a demandé au Ministre de la justice d’ordonner la tenue d’un nouveau procès en raison de la non-divulgation de la déclaration précitée lors du procès.
2.6Le 14 décembre 1995, l’auteur a engagé une poursuite en dommages contre le Gouvernement du Québec en raison, selon lui, de la conduite malicieuse du substitut du procureur de la Couronne en charge du dossier, car il n’avait pas transmis dans le cadre du procès la déclaration écrite en date du 16 août 1991.
2.7Le 20 mars 1996, la Cour supérieure du district de Montréal a accueilli la requête en irrecevabilité du substitut du procureur et a rejeté le pourvoi de l’auteur. Le 17 juin 1997, la cour d’appel a estimé que certaines allégations de la plainte du 14 décembre 1995 étaient susceptibles de donner éventuellement lieu à la réouverture d’un procès, a infirmé le jugement de première instance, et a décidé que le sort du présent pourvoi dépendait d’abord de la décision future du Ministre de la justice sur la requête de l’auteur en vertu de l’article 690 du Code criminel ainsi que du sort qui pourrait être réservé à un nouveau procès que le Ministre de la justice pourrait ordonner.
2.8Le 7 mai 2001, la Ministre de la justice a refusé le pourvoi de l’auteur.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur déc1are être innocent et avoir été condamné, en réalité, sur la base de fausses accusations de Mme Gascon afin de s’accaparer la demeure patrimoniale dans le cadre d’une séparation du couple.
3.2L’auteur soutient que la déclaration écrite de Mme Gascon ne lui a pas été, sciemment et malicieusement, transmise dans le cadre du procès afin d’affaiblir sa défense. L’auteur estime que cette déclaration constituait une nouvelle preuve qui aurait permis de contester la version de la plaignante. Dès lors, l’auteur affirme être victime d’une erreur judiciaire. Il accuse également le retard pris dans la décision du Ministre de la justice en vertu de l’article 690 du Code criminel.
3.3L’auteur explique que son cas résulte de la politique gouvernementale sexiste du Québec de répression des hommes en matière de violence conjugale au bénéfice de groupes extrémistes féministes, et donc portant atteinte à l’égalité des conjoints.
3.4L’auteur se plaint enfin de difficultés à trouver un emploi en raison de sa condamnation figurant en particulier dans son casier judiciaire. Il déclare que les voies de recours internes ont été épuisées telles que ci-dessus exposées.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans ses observations du 21 juin 2002, l’État partie fait valoir, à titre principal, que la communication est irrecevable. En premier lieu, il soutient que les recours internes n’ont pas été épuisés relativement au grief de violation du paragraphe 3 b) de l’article 14. D’après l’État partie, la décision prise aux termes de l’article 690 du Code criminel peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada aux termes de l’article 18.1 de la loi sur la Cour fédérale. La Cour peut ainsi casser la décision prise et retourner l’affaire au décideur afin qu’une nouvelle décision soit prise. L’État partie précise que la Cour fédérale a d’ailleurs eu à traiter d’une demande de contrôle judiciaire à la suite d’un refus de nouveau procès alors que le demandeur alléguait qu’un document, en l’occurrence le rapport médical de la victime, n’avait pas été remis à l’accusé avant ou pendant le procès. La Cour a cependant refusé d’intervenir au motif qu’il avait été établi que l’accusé avait connaissance de ce document avant même le procès. La loi sur la Cour fédérale prévoit un délai de 30 jours pour présenter une demande de contrôle judiciaire. La Cour peut, sur demande, accorder un délai supplémentaire. La décision de la Cour fédérale, Section de première instance, peut être portée en appel devant la cour d’appel fédérale. Cette dernière décision peut également faire l’objet d’un appel devant la Cour suprême du Canada sur autorisation de cette dernière. L’État partie estime que l’auteur de la présente communication ne peut être excusé de n’avoir pas épuisé les voies de recours internes parce qu’il n’a pas respecté les délais prescrits.
4.2En second lieu, l’État partie soutient l’absence de violation prima facie de l’article 14 du Pacte. Il estime en effet qu’en réalité l’auteur demande au Comité de réévaluer les conclusions de fait et de crédibilité des instances canadiennes. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle il ne lui appartient pas de remettre en cause l’appréciation de la preuve faite par les tribunaux nationaux sauf en cas de déni de justice. Selon l’État partie, dans le cas d’espèce l’auteur n’a pas établi un déni de justice car sa condamnation repose sur son témoignage et l’appréciation de celui-ci par la Cour. Or, la cour d’appel du Québec a rejeté l’appel à l’encontre de la condamnation et la Cour suprême du Canada a refusé l’autorisation de pourvoi à l’encontre de cette décision. L’État partie souligne, à cet égard, l’importance du principe de l’autorité de la chose jugée. En outre, l’auteur s’est prévalu de la demande de clémence aux termes de l’article 690 du Code criminel après avoir épuisé les drits d’appel et prétendu que le procès n’était pas équitable au regard en particulier du paragraphe 3 b) de l’article 14. Selon l’État partie, l’auteur fait valoir devant le Comité les mêmes motifs que ceux fournis à l’appui de sa demande de clémence, à savoir que la déclaration de Mme Gascon aurait dû lui être communiquée lors du procès. L’État partie soutient que la démarche à suivre dans le cas d’espèce repose sur celle issue de l’arrêt Stinchcombe précité, où la Cour suprême du Canada indique qu’en cas d’omission de divulguer des renseignements la question est de savoir si la divulgation de ces renseignements aurait pu influer sur l’issue du litige. L’État partie mentionne également sur cette approche la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et du Canada.
4.3L’État partie explique que la divulgation à l’auteur de la déclaration de la victime n’aurait pas influé sur le résultat du procès et qu’il a bénéficié d’un procès équitable. L’État partie précise que la condamnation criminelle au Canada pour avoir proféré des menaces de causer la mort ou des blessures graves repose sur la preuve hors de doute raisonnable apportée par le substitut du procureur de la Couronne que des menaces ont été proférées (actus reus) et que l’accusé a sciemment proféré de telles menaces (mens rea). L’État partie rappelle que les faits ayant donné lieu aux accusations auxquelles l’auteur faisait face à son procès le 24 avril 1992 lui étaient bien connus car Mme Gascon a, le 19 décembre 1991, témoigné et a été contre-interrogée sur ces faits lors de l’enquête préliminaire. En l’espèce, l’auteur avait admis avoir fait à Mme Gascon les deux appels téléphoniques lors desquels des menaces auraient été proférées et que les mots qu’il a utilisés peuvent avoir été interprétés comme des menaces par Mme Gascon.
4.4Quoiqu’il ait nié avoir proféré des menaces, l’auteur a admis avoir dit, lors de la conversation téléphonique avec Mme Gascon, le 12 août 1991, ce qui suit:
«Et c’est pour ça que je l’ai rappelée le 12, je veux dire pour ça, pour lui dire qu’elle avait été violente dans la voiture avec moi. J’ai parlé de ses hurlements, j’ai parlé de son attitude. Puis j’ai dit … je lui ai dit que ça pouvait avoir un accident fatal si ça recommençait, ce genre de situation. […] Peut-être qu’elle a interprété mes paroles comme des menaces de mort, c’est fort possible, je sais pas. […] Par la Cour. Q. Puis, là, vous nous dites que ce que vous lui avez dit, c’est que si jamais elle vous fait encore ça, vous pourriez perdre patience, vous pourriez mettre les freins rapidement... R. Bien. Q. ... et que ça pourrait être fatal? R. Oui, ça pourrait être un accident. Q. Pour qui? Pour qui? R. Bien, pour les deux ou … bien, s’il y a un accident de voiture, on sait pas qu’est-ce qui peut arriver, ça peut être moi dans l’accident qui meurs, peut-être les deux…» (annexe B, transcription du procès, témoignage de M. Dupuy, p. 34 et 35).
4.5Selon l’État partie, la Cour a considéré que ces paroles, indiquant une intention d’agir alors que Mme Gascon se mit au volant de la voiture, constituait une menace et que ces paroles avaient été prononcées volontairement. Il n’est pas nécessaire que l’auteur ait eu l’intention de mettre ses menaces à exécution et de tuer Mme Gascon pour établir la commission de 1’infraction.
4.6Eu égard à la seconde menace de causer des blessures ou la mort, selon l’État partie, lors de l’appel téléphonique du 15 août 1991, l’auteur a indiqué ne pas se souvenir avoir dit les paroles que lui prête Mme Gascon, à savoir qu’en sortant de l’hôpita1 il allait la tuer. Cependant, il indique penser avoir dit des choses qu’elle a peut-être mal interprétées, qu’elle a interprétées comme des menaces. Ainsi que l’a souligné la Cour dans le jugement, l’auteur a longuement hésité avant de nier avoir tenu les propos relatés par Mme Gascon.
4.7L’État partie soutient que la condamnation de l’auteur repose d’abord sur l’appréciation de sa crédibilité et des déclarations qu’il a faites à la Cour. La Cour a conclu qu’il avait sciemment proféré les menaces de causer des blessures graves ou la mort, même s’il n’avait pas l’intention de les mettre à exécution. D’après l’État partie, les deux éléments constitutifs de l’infraction, l’intention de transmettre la crainte par des paroles intimidantes et l’acte de prononcer de telles paroles, ayant été établis, la raison pour laquelle les menaces ont été proférées n’est pas pertinente. L’État partie soutient que la déclaration de Mme Gascon n’apprend rien de nouveau ou de pertinent au sujet des éléments constitutifs du crime et n’aurait pas eu l’impact que prétend l’auteur. D’ailleurs, d’après l’État partie, selon ses prétentions l’auteur aurait utilisé la déclaration seulement pour contre‑interroger Mme Gascon sur deux éléments de cette déclaration, à savoir le «mobile du crime» et le mois des événements ayant mené aux accusations, ceci afin de porter atteinte à la crédibilité de Mme Gascon et donc d’obtenir un verdict différent.
4.8L’État partie soutient que ce contre-interrogatoire n’aurait eu aucun impact. L’auteur allègue essentiellement que, dans sa déclaration écrite, Mme Gascon a indiqué que le «mobile du crime» était qu’elle désirait mettre fin à leur relation, ce que conteste l’auteur qui prétend plutôt qu’elle voulait s’accaparer la propriété de leur résidence commune. L’État partie estime que l’auteur semble confondre «mobile du crime» qu’il a été accusé d’avoir commis et «mobile du dépôt de la plainte», ou en d’autres termes la motivation de Mme Gascon à porter plainte. Or, d’après l’État partie, même s’il avait été établi que le désir de Mme Gascon de s’accaparer la propriété de la résidence commune avait motivé le dépôt de la plainte, cette question est totalement distincte de la notion de «mobile du crime» et n’est pas pertinente à la déclaration de culpabilité d’avoir sciemment proféré des menaces. En outre, l’État partie explique que, contrairement à ce qu’allègue l’auteur devant le Comité, le «mobile» de l’infraction n’est pas pertinent quant à l’intention requise pour une déclaration de culpabilité. Conséquemment, même si l’appréciation des faits par la victime n’était pas avérée, le «mobile du crime» n’est pas un élément de l’infraction reprochée et n’a aucune pertinence.
4.9Selon l’État partie, l’auteur ne pouvait ignorer le lien que faisait Mme Gascon entre la séparation qu’elle lui avait annoncée et les menaces qu’il a proférées. Cette information lui avait été communiquée lors du témoignage de Mme Gascon pendant l’enquête préliminaire. En outre, le témoignage de Mme Gascon lors du procès commence par le rappel qu’elle lui avait annoncé son intention de le quitter à la fin juin 1991, et elle indique, en contre-interrogatoire, que l’auteur lui a reproché cette décision le 12 août lors de la première menace. Selon l’État partie, dès le début du contre-interrogatoire, l’avocat de l’auteur a tenté d’établir que les conjoints avaient un différend au regard de la vente de la maison, tandis que Mme Gascon a répondu que tel n’était pas le cas puisqu’il avait été décidé d’un commun accord d’attendre que l’auteur soit en meilleure santé avant de procéder à cette vente. L’avocat de l’auteur a donc contre-interrogé Mme Gascon sur, selon les termes de M. Dupuy, le «mobile du crime». Ainsi, en contre-interrogatoire lors du procès, Mme Gascon a réitéré sa déclaration, de même que son témoignage donné à l’enquête préliminaire en regard du différend avec l’auteur. Puisqu’il s’agit de son appréciation des faits et qu’elle n’a pas donné de versions différentes, l’État partie estime que le contre-interrogatoire sur ce point ne pouvait révéler ni contradiction ni incompatibilité susceptible de mettre en doute sa crédibilité. Qui plus est, lors de son témoignage au procès, l’auteur a donné sa version des événements ayant précédé les appels téléphoniques qu’il admet avoir faits et ayant motivé ces derniers. Selon l’État partie, ne s’agissant pas d’un élément de l’infraction, contrairement à ce que prétend l’auteur la Cour n’a pas retenu contre lui «le fait [qu’il] n’acceptai[t] pas la rupture». En tout état de cause, la Cour a pu apprécier les témoignages de l’auteur et de la victime quant aux événements ayant précédé et motivé les appels téléphoniques en cause et était en mesure de tirer les conclusions appropriées.
4.10Quant à l’incompatibilité des dates indiquées sur la déclaration de Mme Gascon, soulevée par l’auteur, l’État partie considère qu’il faut remarquer qu’à la première mention des événements sur la déc1aration, le mot «juin» a été biffé et remplacé par le mot «août». Cependant, le mot «juin» se trouve à deux autres endroits en regard des menaces proférées par l’auteur. Selon l’État partie, le seul recours additionnel offert à l’auteur, s’il avait eu en sa possession la déclaration écrite lors du contre-interrogatoire, eût été de demander à Mme Gascon pourquoi la correction était incomplète. Même si Mme Gascon avait fourni une explication incorrecte, l’État partie estime que l’auteur, selon le droit de la preuve tel que cité dans la décision du Ministre de la justice, n’aurait pu faire la démonstration de l’inexactitude de ses dires.
4.11L’État partie soutient que, bien que dans sa déclaration écrite Mme Gascon ait parfois renvoyé au mois de juin plutôt qu’au mois d’août, elle a, tant dans son témoignage à l’enquête préliminaire qu’au procès, situé les événements au mois d’août. Le facteur déterminant est que l’auteur, à son procès, connaissait parfaitement la nature de l’infraction qui lui était reprochée ainsi que la façon dont on lui reprochait de l’avoir commise.
4.12Considérant que la déclaration écrite de Mme Gascon ne révèle qu’une incompatibilité partielle quant aux dates des événements, ne présente aucune contradiction avec la teneur de ses témoignages, n’ajoute que des faits secondaires, et que la Cour a pu apprécier la crédibilité de Mme Gascon et de l’auteur, il ressort, selon l’État partie, que la révélation de ce document n’offre aucun moyen additionnel utile à la défense de ce dernier.
4.13L’État partie ajoute, eu égard aux précédents développements, que l’auteur a bénéficié de la présomption d’innocence. D’après l’État partie, le juge a rendu sa décision sur une preuve hors de tout doute raisonnable apportée par le substitut du procureur de la Couronne en regard des différents éléments de l’infraction reprochée.
4.14Eu égard au grief relatif aux conséquences de la condamnation, à savoir les difficultés à trouver un emploi, l’État partie souligne qu’aux termes de la loi sur le casier judiciaire, toute personne condamnée pour une infraction à une loi fédérale (dont le Code criminel) peut présenter une demande de réhabilitation à la Commission nationale des libérations conditionnelles à l’égard de cette infraction. Dans le cas de l’auteur, cette demande peut être faite cinq ans après l’expiration légale de la période de probation. La loi canadienne sur les droits de la personne interdit également la discrimination, notamment dans le domaine de l’emploi, fondée sur le sexe et l’état de la personne graciée. L’«état de la personne graciée» est défini par l’«état d’une personne physique qui a légalement obtenu une réhabilitation qui, si elle a été octroyée ou délivrée en vertu de la loi sur le casier judiciaire, n’a pas été révoquée ou annulée». Toute personne qui se croit victime de discrimination par un employeur ou un organisme visé par la législation fédérale peut déposer une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. D’autre part, l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne prévoit que «Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon.». L’auteur dispose de recours en cas de violation de cet article, à savoir porter plainte auprès de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec, saisir le tribunal des droits de la personne ou un tribunal de droit commun.
4.15Relativement au grief de violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie estime que cet article ne constitue pas un droit substantif comme tel, mais est accessoire à la violation d’un droit garanti par le Pacte. Pour l’État partie, une telle violation n’a pas été établie par l’auteur.
4.16Eu égard au grief de violations des articles 3 et 26 du Pacte, l’État partie soutient qu’il n’existe aucune preuve de violation prima facie de ces articles. L’État partie fait valoir que sa politique n’est pas discriminatoire et vise à marquer un pas vers l’égalité entre hommes et femmes. De plus, toutes les interventions effectuées au Québec, qu’elles soient de nature policière, judiciaire ou autre, doivent s’effectuer en respectant les droits judiciaires et les garanties juridiques de toutes personnes impliquées, notamment l’impartialité et 1’indépendance judiciaire, tel que le prévoient la Charte des droits et libertés de la personne et la Charte canadienne des droits et libertés. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec a d’ailleurs déjà conclu que la politique n’était pas discriminatoire dans le cadre d’une correspondance avec un citoyen qui l’avait saisie de la question.
4.17Finalement, l’État partie soutient, à titre subsidiaire, que les allégations du requérant sont sans fondement pour les raisons ci-dessus développées.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans ses commentaires en date du 30 août 2002, l’auteur conteste les arguments d’irrecevabilité pour non-épuisement des voies de recours internes de l’État partie au motif du retard indu de la décision du Ministre de la justice rendue en vertu de l’article 690 du Code criminel, le 7 mai 2001, pour une demande de l’auteur en date du 3 avri1 1995.
5.2Il déclare également ne pas demander une réévaluation des conclusions de faits et de crédibilité des tribunaux canadiens, tout en estimant que la non-transmission de la déclaration de Mme Gascon essentielle pour sa défense ne peut se comprendre que dans le contexte du procès. L’auteur estime que le juge s’est construit un scénario en se fondant sur de simples réflexions exprimées par l’auteur au cours du procès et transformées ensuite de toutes pièces en accusation, ceci malgré l’accumulation de mensonges de Mme Gascon.
5.3Eu égard au document non transmis, l’auteur conteste les arguments de l’État partie et fait valoir que la déclaration écrite de Mme Gascon était essentielle pour permettre une défense pleine et entière. L’auteur estime que la preuve des intentions de l’accusé (mens rea) telles qu’elles ressortent de cette déclaration est pertinente pour l’appréciation de sa culpabilité contrairement à la position de l’État partie à ce sujet. L’auteur explique que son procès a consisté à avoir, d’un côté, la plaignante et le substitut du procureur préparant leurs stratégies basées sur la déclaration et, de l’autre, l’accusé privé de cette information stratégique. L’auteur explique qu’il aurait pu utiliser cette déclaration pour un contre-interrogatoire de Mme Gascon, non seulement sur le «mobile du crime» et les dates des événements, mais également sur de nombreux autres points, tous pertinents, afin de démontrer, selon l’auteur, l’amp1eur et la gravité des accusations mensongères de Mme Gascon. En outre, selon l’auteur, quand bien même la déclaration écrite contient les deux accusations de menaces de mort ayant abouti à sa condamnation, ceci ne justifie en rien le fait que ce document lui ait été, selon lui, caché.
5.4L’auteur fait valoir que son affaire démontre un sexisme omniprésent propre à la politique d’intervention du Québec en matière de violence conjugale. En tant que Président de l’Association «Coalition pour la défense des droits des hommes du Québec» et Vice-Président du Groupe d’entraide aux pères et de soutien à l’enfant, l’auteur déclare avoir pu identifier de nombreux cas d’hommes lésés, notamment par la non-transmission de déclaration écrite de plaignantes, révélant le traitement judiciaire réservé aux hommes. L’auteur estime que, dans son cas, les magistrats ont agi de façon malicieuse à son encontre, ne transmettant pas le document précité, tronquant les propos de l’auteur, et étant motivé par des positions féministes outrancières, le tout protégé par la Ministre de la justice.
5.5Dans ses commentaires additionnels du 7 mars 2003, du 15 juin 2003 et du 26 octobre 2004, l’auteur rappelle son argumentation sur l’épuisement des voies de recours internes reposant principalement sur le retard excessif de la décision du Ministre de la justice rendue en vertu de l’article 690 du Code criminel. Il ajoute que le Code criminel ne prévoit aucun droit d’appel contre cette décision. Enfin, il affirme que la jurisprudence au titre des demandes de contrôle judiciaire tirée de l’affaire William R. c. The Honourable A. Annee McLellan, Minister of Justice and Attorney General of Canada (voir note de bas de page 4) n’est pratiquement connue de personne, n’est pas répertoriée, et est en contradiction avec le Code criminel.
Réponses complémentaires de l’État partie
6.1Dans ses réponses du 11 août 2003, l’État partie réitère sa position sur 1’irrecevabilité de la communication et, subsidiairement, son absence de fondement.
6.2L’État partie précise en particulier que bien que la décision du Ministre de la justice (voir par. 5.6) ne soit pas susceptible d’appel, elle est, par ailleurs, sujette au contrôle judiciaire de la Cour fédérale comme toute décision prise par un «office fédéral», tel que défini dans sa version actuelle depuis le 1er février 1992 par la loi sur la Cour fédérale. La décision prise aux termes de l’article 690 du Code criminel peut donc faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada aux termes de l’article 18.1 de la loi sur la Cour fédérale. La Cour peut casser la décision prise et retourner l’affaire au décideur afin qu’une nouvelle décision soit prise si un des motifs justifiant son intervention est établi (voir par. 4.1). Il s’agit donc, d’après l’État partie, d’un recours qui aurait pu donner satisfaction à l’auteur. L’État partie ajoute que l’affaire Williams, disponible sur Internet, établit clairement l’existence d’un recours domestique, et que l’auteur ne peut être excusé de ne pas avoir épuisé un tel recours.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 du règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
7.3Concernant le grief de violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, le Comité a pris note des arguments d’irrecevabilité de 1’État partie pour non‑épuisement des voies de recours internes (voir par. 4.1 et 6.2) et des commentaires de l’auteur à cet égard. Le Comité constate qu’en l’espèce l’auteur reconnaît ne pas avoir présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Ministre de la justice du 7 mai 2001 en raison, d’une part, du retard excessif accusé pour une telle décision et, d’autre part, du manque de connaissance par le public de la jurisprudence au titre de l’affaire Williams que l’auteur, en outre, estime contraire au Code criminel (voir par. 5.5). Après examen des pièces du dossier, le Comité estime, en premier lieu, que le grief tiré de la durée excessive de la procédure au titre de l’article 690 du Code criminel ne saurait être retenu dans la mesure où l’auteur ne s’est pas plaint de retards auprès de la Ministre de la justice au cours de la procédure. Le Comité considère en outre que l’auteur n’a pas réfuté de façon valable les développements de l’État partie faisant valoir que la demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada aux termes de l’article 18.1 de la loi sur la Cour fédérale constituait de fait un recours disponible et utile. Le Comité estime également que l’argument de l’auteur quant à la non-connaissance d’un tel recours ne peut être reconnu et ne saurait être imputé à l’État partie. En conséquence, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.4Relativement aux griefs de violations des articles 3 et 26 du Pacte, le Comité estime que les allégations de l’auteur faisant valoir que sa condamnation et la non-divulgation de la déclaration de Mme Gascon résultent d’une politique prétendument sexiste du Québec n’ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.5Concernant le grief de l’auteur relatif aux difficultés à trouver un emploi du fait de la mention de sa condamnation dans son casier judiciaire, le Comité estime que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes quant à cette allégation de discrimination. En conséquence, cette partie de la communication n’est pas recevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
8.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2, et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à 1’État partie et à l’auteur.
[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
E. Communication n o 944/2000, Chanderballi Mahabir c. Autriche (Décision adoptée le 26 octobre 2004, quatre-vingt-deuxième session)
Présentée par: |
Chanderballi Mahabir (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Autriche |
Date de la communication: |
18 mai 1999 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le26 octobre 2004
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1L’auteur de la communication est Chanderballi Mahabir, ressortissant de la Trinité‑et‑Tobago, né en 1964. Bien qu’aucun article du Pacte ne soit spécifiquement invoqué, les faits allégués semblent soulever des questions au regard des articles 8, 10, 17 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). L’auteur n’est pas représenté par un conseil.
1.2Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 10 décembre 1978 et le 10 mars 1988, respectivement. Au moment de la ratification du Pacte, l’État partie a formulé la réserve suivante concernant le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif: «En sus des dispositions du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité prévu par l’article 28 dudit Pacte ne devra examiner aucune communication émanant d’un particulier avant de s’être assuré que la même question n’a pas déjà été examinée par la Commission européenne des droits de l’homme établie par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.».
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Par un jugement du 27 septembre 1993, le tribunal pénal régional de Graz a reconnu l’auteur coupable de plusieurs infractions liées à la drogue et d’autres délits et l’a condamné à une peine de prison de neuf ans et huit mois. L’auteur a exécuté sa peine dans différentes prisons de Graz. Le 11 mai 1994 et le 2 septembre 1995, il a tenté de s’évader. Il a été libéré le 3 août 2001 et expulsé immédiatement vers Port‑of‑Spain (Trinité‑et‑Tobago).
2.2Alors qu’il exécutait sa peine, l’auteur a été obligé de travailler, pour un salaire horaire de 51,40 schillings autrichiens. Conformément au paragraphe 2 de l’article 32 de la loi sur l’application des peines, une somme correspondant à 75 % de sa rémunération a été prélevée pour couvrir ses frais de détention. Par exemple, en octobre 1998, après une déduction supplémentaire de 376,80 schillings au titre de la cotisation à l’assurance chômage, l’auteur a perçu un salaire net de 1 892 schillings (pour un salaire brut de 8 840,80 schillings) pour 172 heures de travail.
2.3Le 3 mars 1997, l’auteur a demandé l’autorisation d’acheter un ordinateur pour ses études. Les autorités carcérales ont fait droit à sa demande le 13 mars 1997, l’auteur ayant suivi des cours d’informatique et ayant fait preuve de bonne conduite et de bons résultats professionnels. En novembre 1997, elles lui ont retiré l’autorisation d’utiliser un ordinateur privé et lui ont confisqué son ordinateur car il ne travaillait pas. Le 5 novembre 1997, il a demandé que son ordinateur lui soit restitué, demande qui a été rejetée trois semaines plus tard, au motif qu’il fallait avoir produit un travail de qualité pour bénéficier du privilège d’utiliser un ordinateur privé. Après qu’une nouvelle demande a fait également l’objet d’un refus le 16 décembre 1997 pour les mêmes raisons, l’auteur, par une lettre du 25 février 1998, s’est plaint au Ministère de la justice, au motif que la durée de confiscation de son ordinateur avait dépassé la durée maximale autorisée, à savoir trois mois (art. 111 de la loi sur l’application des peines).
2.4Le 27 juillet et le 10 août 1998, l’auteur a demandé l’autorisation de recevoir des colis alimentaires de sa famille tous les trois mois. Un refus lui a été opposé à chaque fois, au motif qu’il exécutait une peine pour des infractions liées à la drogue et qu’il lui était donc interdit de recevoir des colis alimentaires. Le 17 septembre 1998, l’auteur s’est plaint au directeur de la prison et, le 5 octobre 1998, au Ministère de la justice, qui a rejeté sa plainte le 9 octobre. Le 19 octobre, l’auteur a informé l’Organisation des Nations Unies et Amnesty International de ces décisions, faisant valoir qu’elles constituaient une discrimination raciale, puisque d’autres détenus qui exécutaient eux aussi une peine pour des infractions liées à la drogue recevaient des colis alimentaires de leur famille et de leurs amis.
2.5Le 30 mars 1999, l’auteur s’est plaint au Ministère de la justice de violations de ses droits en tant que détenu car un colis contenant des vêtements envoyés par sa tante avait été ouvert par l’agent de garde en son absence et sans sa signature, puis refermé et renvoyé à l’expéditeur. Bien qu’un travailleur social de la prison lui ait promis que les colis qui lui seraient envoyés à l’avenir seraient acceptés, un autre paquet a été ouvert et retourné à l’envoyeur quelque temps plus tard. Dans une lettre du 5 avril 1999, l’auteur a informé le Ministère de la justice qu’un travailleur social lui avait dit qu’un des gardes de la prison, le Major W., avait exprimé l’intention d’empêcher l’auteur de recevoir quelque colis que ce soit tant qu’il ne retirait pas sa plainte auprès du Ministère de la justice.
2.6Le 10 mai 1999, les autorités carcérales ont rejeté la demande de l’auteur qui souhaitait téléphoner à un membre de sa famille comme il en avait le droit une fois par mois, faisant valoir qu’il avait déjà téléphoné le 21 avril 1999. L’administration de la prison n’a pas donné suite aux précisions apportées par l’auteur le 16 mai, selon lesquelles sa demande portait sur le mois de mai et non d’avril.
2.7En mai 1999, l’auteur a acheté une imprimante, mais n’a pas reçu de cartouches d’encre, alors que l’achat de cartouches aurait été autorisé. Après qu’une autre demande visant à récupérer les cartouches a été rejetée le 20 mai 1999, au motif que la demande se fondait sur de fausses informations, il s’est plaint au Ministère de la justice de discrimination raciale, car deux autres détenus, P. B. et H. S., avaient obtenu des cartouches. Dans l’intervalle, les autorités de la prison ont de nouveau confisqué l’ordinateur de l’auteur.
2.8Le 18 mai 1999, l’auteur a déposé auprès de la Cour européenne des droits de l’homme une requête dans laquelle il se plaignait des faits susmentionnés. Par une décision du 19 novembre 1999, un Comité de trois juges a rejeté sa requête, conformément au paragraphe 4 de l’article 35 de la Convention européenne, estimant que les griefs invoqués ne faisaient apparaître aucune violation des droits et libertés consacrés par la Convention ou ses protocoles.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur fait valoir que l’inégalité de traitement dont il a été victime en prison constitue une discrimination raciale, au motif qu’il est noir et étranger. Il indique en outre que le fait d’avoir été obligé à travailler pour payer les frais de sa détention et que ce travail soit une condition préalable à la restitution de son ordinateur constitue une forme moderne d’esclavage.
3.2L’auteur souligne que, alors que le règlement de la prison autorise les détenus à recevoir des sous-vêtements envoyés par leur famille, ainsi que quatre colis alimentaires par an, ce droit lui a été refusé, à la différence d’autres détenus exécutant eux aussi des peines pour des infractions liées à la drogue. Il indique qu’au moment où il a écrit au Comité il lui était interdit d’utiliser le téléphone depuis trois mois.
3.3L’auteur dénonce le prélèvement sur son salaire de la cotisation à l’assurance chômage, faisant valoir que, si les prisonniers autrichiens peuvent «réclamer cet argent» à leur sortie de prison, cela n’est pas possible pour les étrangers qui quittent le pays une fois leur peine exécutée.
3.4L’auteur indique qu’il a obtenu l’autorisation de s’entretenir avec deux responsables de la prison en août 1996 mais que ces entretiens n’ont pas eu lieu. De même, la seule réponse du Ministère de la justice à ses plaintes a été de lui conseiller de régler ses problèmes directement avec les autorités de la prison.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Dans une lettre du 23 février 2001, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, au motif que l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes, que la même question avait été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme et que l’auteur ne définissait pas clairement dans la communication lesquels de ses droits au titre du Pacte auraient été violés.
4.2L’État partie fait valoir qu’en vertu des articles 120 et 121 de la loi sur l’application des peines, les décisions du personnel pénitentiaire sont susceptibles d’être contestées auprès du directeur de la prison, puis des autorités pénales suprêmes ou, éventuellement, du Ministère fédéral de la justice. En vertu des articles 140 et 144 de la Constitution fédérale, l’auteur aurait pu contester les dispositions pertinentes de la loi sur l’application des peines concernant la réception de colis, les appels téléphoniques ou les cotisations obligatoires à l’assurance chômage devant la Cour fédérale constitutionnelle, par exemple en invoquant l’interdiction constitutionnelle de la discrimination ou son droit à la propriété. L’auteur n’ayant pas fait usage de ces recours, l’État partie conclut que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
4.3L’État partie fait valoir que la communication est également irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, car l’auteur avait déjà présenté une requête auprès de la Cour européenne.
4.4Enfin, l’État partie indique que la communication ne donne pas suffisamment d’informations sur les violations présumées des droits de l’auteur en vertu du Pacte, sur les mesures éventuelles qu’il aurait prises pour épuiser les recours internes, et sur le fait que la même question était déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
Commentaires et réponses complémentaires de l’auteur
5.1Dans une lettre du 22 mai 2001, l’auteur a commenté la réponse de l’État partie concernant la recevabilité, maintenant ses arguments et déclarant que son «refus» d’épuiser les recours internes était justifié compte tenu des éléments déjà fournis.
5.2Dans une lettre du 4 juin 2001, l’auteur a présenté des informations complémentaires, concernant, d’une part, la décision des autorités carcérales du 29 mars 2001 de rejeter ses demandes répétées de restitution de son ordinateur, alors que sa requête auprès de la Cour européenne y était stockée et, d’autre part, le rejet de la plainte qu’il avait présentée au directeur de la prison, ainsi que de la plainte formulée le 30 avril 2001 auprès du Ministère de l’intérieur. Dans cette dernière, il affirmait être enfermé dans sa cellule 23 heures par jour depuis le 30 novembre 2000, soi-disant parce qu’il était considéré comme un «fauteur de troubles».
Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
6.1Dans une lettre du 22 octobre 2003, l’État partie a apporté des réponses complémentaires concernant la recevabilité et, à titre subsidiaire, le fond. Il réaffirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, étant donné qu’il a lui-même évoqué son «refus d’épuiser les recours internes» dans sa lettre du 22 mai 2001.
6.2L’État partie invoque sa réserve au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, faisant valoir que la même question était déjà examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. Bien que la réserve ne fasse explicitement référence qu’aux questions qui ont déjà été examinées par la Commission européenne des droits de l’homme, il ressort clairement de la jurisprudence du Comité qu’elle s’applique aussi aux affaires dans lesquelles la question a déjà été examinée par la Cour européenne. Celle-ci a «examiné» la question, déclarant la requête irrecevable en vertu du paragraphe 4 de l’article 35 de la Convention européenne, au motif que les griefs de l’auteur ne faisaient apparaître aucune violation des droits et libertés consacrés par la Convention ou ses Protocoles. La Cour a donc fondé sa décision non seulement sur des questions de procédure mais aussi sur un examen au fond.
6.3Pour l’État partie, la communication est également irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif parce que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations très générales et que certains de ses griefs sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions du Pacte. Ainsi, l’obligation de travailler en prison, qui a davantage pour objectif de faciliter la réinsertion des détenus en les préparant à retourner sur le marché du travail que de couvrir les frais de détention, ne relève pas de la notion de «travail forcé ou obligatoire» en application du paragraphe 3 c) i) de l’article 8 du Pacte. De même, l’utilisation d’un ordinateur personnel en prison n’est pas couverte par l’article 10 du Pacte, qui porte sur les besoins fondamentaux des détenus, comme la nourriture, l’habillement, l’accès aux médicaments, un exercice régulier, etc., qui dans le cas de l’auteur ont tous été satisfaits.
6.4Sur le fond, l’État partie fait valoir que les mesures dont se plaint l’auteur ne constituent pas un traitement discriminatoire, car elles se fondent sur des critères objectifs. La confiscation de l’ordinateur de l’auteur était justifiée par le fait qu’il n’aille pas travailler. Après un vol de viande dans la boucherie de la prison, où l’auteur avait travaillé jusqu’au 29 octobre 1997, il a été placé en confinement en cellule ordinaire et le privilège en vertu duquel il avait le droit d’utiliser un ordinateur lui a été retiré jusqu’à ce qu’il reprenne le travail, en février 1998. Après d’autres incidents, dont des insultes visant un responsable de la prison, le 30 novembre 2000, ainsi que le refus, les 23 et 30 janvier 2001, de déménager dans une autre cellule qui lui avait été assignée, l’auteur a été placé en confinement en cellule pendant 12 jours en décembre 2000 et durant deux périodes de sept et huit jours début 2001, sans précision de dates. Il n’a pas travaillé entre le 5 décembre 2000 et le 21 mai 2001, et son ordinateur ne lui a pas été rendu avant sa libération, le 3 août 2001.
6.5L’État partie fait valoir que l’auteur a été traité conformément à la norme minimale exigée par l’article 10 du Pacte, vue que ses besoins essentiels − nourriture, habillement, médicaments, hygiène sanitaire, lumière, chauffage et exercices physiques réguliers − ont été satisfaits en tous temps.
6.6L’État partie indique qu’en falsifiant un bon de commande l’auteur a trompé l’administration en ce qui concerne l’achat d’une tête de scanner pour son imprimante, prétendant qu’il voulait seulement acheter des cartouches d’encre. L’achat d’une tête de scanner n’était pas autorisé pour des raisons de sécurité.
6.7L’État partie considère que le fait de ne pas autoriser l’auteur à recevoir des colis était justifié parce que l’auteur, qui avait à deux reprises essayé de s’évader, représentait un danger. Il a été autorisé à passer des appels téléphoniques au moins une fois par mois. En outre, en vertu de l’article 17, lu conjointement avec l’article 10 du Pacte, l’auteur pouvait seulement prétendre à communiquer avec sa famille et ses amis par courrier et à recevoir des visites.
6.8En ce qui concerne l’obligation de l’auteur de cotiser à l’assurance chômage, l’État partie fait valoir que dans une communauté réunissant les membres d’une profession ou d’un groupe donnés, l’élément pension l’emporte sur l’élément assurance. Par conséquent, les cotisations obligatoires à un plan d’assurance sociale ne donnent pas automatiquement lieu à versement de prestations sociales. L’objectif premier de l’intégration des détenus dans le plan d’assurance chômage est de veiller à leur réinsertion dans la société. Si l’auteur n’a pas perçu d’allocations chômage puisqu’il a été expulsé dès sa libération, un nombre important d’anciens détenus ont bénéficié de ces allocations.
Commentaires de l’auteur
7.Dans une lettre du 15 décembre 2003, l’auteur a fait valoir qu’il avait pleinement étayé sa plainte et que les observations formulées par l’État partie le 22 octobre 2003 étaient sans fondement.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
8.2Le Comité note que l’État partie a invoqué sa réserve concernant le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, qui empêche le Comité d’examiner une communication si la même question a déjà été examinée par la Commission européenne des droits de l’homme. S’agissant de vérifier l’existence de procédures parallèles ou successives devant le Comité ou les organes de Strasbourg, le Comité rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a succédé à l’ancienne Commission européenne en reprenant ses fonctions, après l’entrée en vigueur du Protocole no 11 se rapportant à la Convention européenne. Par conséquent, la réserve formulée par l’État partie s’applique aussi aux cas dans lesquels la même question a déjà été examinée par la Cour européenne.
8.3Pour ce qui est de savoir si la Cour européenne a «examiné» la question, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, dans les cas où les organes de Strasbourg ont rendu une décision d’irrecevabilité non seulement pour des questions de procédure mais aussi pour des raisons qui supposent un examen même limité du fond, la même question est considérée avoir été «examinée» au sens des réserves au paragraphe 2 a) du Protocole facultatif. Il considère qu’en l’espèce la Cour européenne est allée au-delà de l’examen de critères de recevabilité reposant uniquement sur des questions de procédure, estimant que les griefs avancés par l’auteur ne faisaient apparaître aucune violation des droits et libertés consacrés par la Convention ou ses Protocoles.
8.4Le Comité doit donc déterminer si la question qui fait l’objet de la présente communication est la «même question» que celle examinée par la Cour européenne. Il note que la requête de l’auteur au titre de la Convention européenne des droits de l’homme a été déposée le même jour que sa communication au titre du Protocole facultatif et que l’affirmation de l’État partie selon laquelle les deux plaintes visaient les mêmes questions n’a pas été contestée par l’auteur. En conséquence et étant donné que l’État partie a invoqué sa réserve concernant le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité conclut que la même question a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme.
8.5Toutefois, la Cour européenne n’a pu examiner la même question que dans la mesure où le contenu des droits protégés par la Convention européenne correspond à celui des droits protégés au titre du Pacte et dans la mesure où les faits dont se plaint l’auteur se sont produits avant le 18 mai 1999, date à laquelle il a déposé sa requête auprès de la Cour européenne. Le Comité observe que les articles 8 et 17 du Pacte correspondent largement aux articles 4 et 8 de la Convention européenne. Cependant, ni la Convention européenne ni ses protocoles ne contiennent de dispositions équivalentes aux articles 10 et 26 du Pacte. Par conséquent, le Comité considère que la réserve de l’État partie s’applique dans la mesure où l’affaire soulève des questions au titre des articles 8 et 17 du Pacte et dans la mesure où elle est liée à des faits qui ont eu lieu avant le 18 mai 1999. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.
8.6En ce qui concerne le grief de l’auteur selon lequel le prélèvement sur son salaire de la cotisation à l’assurance chômage constituait un fait discriminatoire contraire à l’article 26 du Pacte, puisqu’il était clair qu’il ne pourrait percevoir aucune prestation de chômage en tant qu’étranger devant être expulsé vers son pays d’origine immédiatement après sa sortie de prison, le Comité note, sur la base des documents mis à sa disposition, que l’auteur, au moment de la soumission de sa communication au Comité ou plus tard, n’a pas fait part de ce grief aux autorités et tribunaux autrichiens. À part le fait d’affirmer que son «refus» d’épuiser les recours internes était justifié, l’auteur n’a pas répondu à l’argument de l’État partie selon lequel il aurait pu contester, en saisissant la Cour constitutionnelle, l’effet discriminatoire que pourraient avoir les cotisations obligatoires à l’assurance chômage, ou indiquer si et, le cas échéant, pourquoi le recours devant la Cour constitutionnelle aurait été inefficace ou impossible dans les circonstances de l’espèce. Le Comité considère donc que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes à cet égard et conclut que cette partie de la communication est irrecevable au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
8.7Pour ce qui est du reste de la communication, le Comité observe que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi l’obligation qui lui a été faite de travailler en prison, le degré de restriction des communications téléphoniques avec sa famille ou toute autre mesure prise par les autorités carcérales, en particulier la confiscation de son ordinateur et le refus de le laisser acheter des équipements pour son imprimante ou recevoir des colis alimentaires ou d’autres colis envoyés par sa famille, constituaient une violation de son droit, en vertu de l’article 10 du Pacte, d’être traité, en tant que détenu, avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Il n’a pas non plus apporté d’éléments pour prouver qu’en tant qu’étranger ou noir il avait été victime de discrimination au sens de l’article 26 du Pacte.
8.8Le Comité note également la contradiction qui existe entre, d’une part, la plainte de l’auteur auprès du Ministère de l’intérieur selon laquelle il était confiné dans sa cellule 23 heures par jour du 30 novembre 2000 au 30 avril 2001 et, d’autre part, les explications de l’État partie selon lesquelles l’auteur avait été placé en confinement en cellule ordinaire à trois reprises durant la période considérée, pour différentes violations du règlement de la prison le 30 novembre 2000 ainsi que les 23 et 30 janvier 2001, et pour une durée de 12, 7 et 8 jours, respectivement. Le Comité note que l’auteur n’a fait aucun commentaire sur cette contradiction, et conclut donc qu’aux fins de la recevabilité il n’a pas établi le bien‑fondé de cette prétention. La communication est donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif, dans la mesure où elle soulève des questions au regard de l’article 10 du Pacte.
9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion individuelle de M. Hipólito Solari ‑Yrigoyen (dissidente)
Je désapprouve en partie la décision du Comité, qui, à mon avis, aurait dû être libellée comme suit.
Examen de la recevabilité
Au sujet de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il avait été puni d’un confinement en cellule 23 heures par jour, le Comité note que l’État partie admet la réalité de cette sanction et la description qui en est donnée, mais en conteste la durée. Alors que l’auteur affirme qu’elle a duré du 30 novembre 2000 au 30 avril 2001, l’État partie soutient que la sanction s’est étalée sur trois périodes ayant duré, respectivement, 12, 7 et 8 jours, soit un total de 27 jours.
Le Comité constate que l’État partie a fourni des informations incomplètes, étant donné qu’il ne mentionne pas les dates auxquelles l’auteur était supposé purger sa sanction et qu’il n’explique pas comment il a pu donner à l’auteur l’occasion de s’exercer «en tout temps», le traitant ainsi d’une manière conforme aux règles minimales énoncées à l’article 10 du Pacte (comme indiqué au paragraphe 6.5), alors qu’il admet que l’auteur était enfermé dans sa cellule 23 heures par jour pendant 27 jours. Le Comité observe que l’État partie est tenu de fournir «des explications ou déclarations éclaircissant la question à l’examen», comme stipulé au paragraphe 2 de l’article 4 du Pacte.
Le Comité constate également que l’auteur a rejeté comme infondées les observations de l’État partie datées du 22 octobre 2003, comme indiqué au paragraphe 7. L’auteur conteste ainsi la durée plus courte de la sanction indiquée par l’État partie.
Il ressort de ce qui précède que la communication est recevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif, dans la mesure où elle soulève des questions au regard de l’article 10 du Pacte.
Examen au fond
Le Comité doit déterminer si le confinement en cellule auquel l’auteur, selon les informations complémentaires figurant dans sa lettre datée du 22 mai 2001, a été soumis par l’État partie constituait une violation de l’article 10 du Pacte. Il note que l’auteur et l’État partie sont d’accord sur le fait que la sanction consistait en un confinement en cellule de 23 heures par jour.
Le Comité souligne que tout régime pénitentiaire a pour but essentiel l’amendement et le reclassement social des condamnés, et que les sanctions devraient avoir les mêmes objectifs, à condition que ceux‑ci ne portent pas atteinte au traitement humain auquel ont droit les personnes privées de leur liberté (par. 1 et 3 de l’article 10 du Pacte). Le Comité note que l’État partie n’a ni fait allusion à ces objectifs ni soutenu que la punition infligée à l’auteur était destinée à réaliser lesdits objectifs.
Le Comité conclut que la punition extrêmement dure infligée à l’auteur était, vu ses éventuelles conséquences mentales et physiques ainsi que sa durée, incompatible avec l’article 10 du Pacte, qui dispose que toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Conformément au paragraphe 4 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
(Signé) Hipólito Solari-Yrigoyen
Genève, le 27 octobre 2004
[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
F. Communication n o 954/2000, Minogue c. Australie (Décision adoptée le 2 novembre 2004, quatre-vingt-deuxième session)
Présentée par: |
Craig Minogue (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Australie |
Date de la communication: |
23 septembre 1999 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 2 novembre 2004
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur est Craig Minogue, citoyen australien, qui purge actuellement une peine de réclusion à vie dans la prison de Barwon (État de Victoria), en Australie. Il se dit victime de violations par l’Australie des paragraphes 1, 2, 3 a) et b) de l’article 2, du paragraphe 4 de l’article 9, des paragraphes 1 et 2 a) de l’article 10, des paragraphes 1, 3 b) et 5 de l’article 14, et des articles 26 et 50 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que de l’article premier du Protocole facultatif. Il n’est pas représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Australie le 25 décembre 1991.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1En mars 1986, l’auteur a été arrêté avec quatre autres hommes à la suite du meurtre d’un policier survenu en Australie. En 1988, bien qu’il ait clamé son innocence, l’auteur a été reconnu coupable de meurtre et condamné à la prison à perpétuité, avec une peine minimale de 30 ans. Il a alors utilisé toutes les voies de recours disponibles, en vain.
2.2Lorsque, au milieu des années 90, l’auteur a eu connaissance de sérieuses critiques dirigées contre deux témoins ayant déposé à son procès, il a envisagé de demander le réexamen de son cas. Entre juillet 1996 et août 1998, alors qu’il était emprisonné à la prison de Barwon, il s’est mis à préparer une demande en grâce ainsi qu’un nouveau recours en appel fondé sur de nouveaux éléments de preuve. Il affirme qu’au cours de cette procédure les autorités pénitentiaires l’ont empêché de consulter des documents juridiques, d’utiliser des ordinateurs et de voir ses avocats. Ses préparatifs ont en outre été perturbés par l’obligation qui lui a été imposée de changer de cellule chaque mois, prétendument pour des raisons de sécurité. Il affirme que ce régime de changement de cellule lui a été imposé pour le punir d’avoir adressé une plainte à la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances (HREOC), et que cette explication est corroborée par le fait qu’il était le seul prisonnier soumis à ce régime de déménagement. En outre, il affirme que les gardiens de prison ont pu se procurer des documents concernant ses requêtes.
2.3Dans une lettre du 14 novembre 1996, l’auteur s’est plaint à la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances (HREOC) que les autorités pénitentiaires de l’État de Victoria l’empêchaient de préparer une demande en grâce. Le 6 mai 1997, sa plainte a été rejetée au motif que la Commission n’était pas compétente en la matière. L’auteur a cherché à obtenir un réexamen de la décision de la Commission par le Tribunal des recours administratifs, mais a été informé que cette question ne relevait pas de sa compétence. L’auteur a demandé au Médiateur du Commonwealth de réexaminer la décision de la Commission, demande qui a été rejetée pour le même motif.
2.4Le 24 décembre 1997, l’auteur a déposé une plainte contre la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances auprès de la Cour fédérale d’Australie. Un membre de la Commission internationale de juristes ayant la qualité d’amicus curiae a été désigné comme défenseur. Le 12 octobre 1998, la Cour a rejeté la plainte et l’auteur a fait appel de cette décision devant la Cour fédérale plénière d’Australie. L’auteur a ajouté à sa plainte le grief de ne pas avoir été défendu comme il le fallait en première instance. Le 19 février 1999, la Cour fédérale a rejeté l’appel. L’auteur n’a pas fait recours devant la Haute Cour d’Australie, car ce recours prendrait deux ans de plus, ce qui à son avis dépasserait les «délais raisonnables».
Teneur de la plainte
3.L’auteur se dit victime de violations des paragraphes 1, 2, 3 a) et b) de l’article 2, du paragraphe 4 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, des paragraphes 1, 3 b) et 5 de l’article 14, et des articles 26 et 50 du Pacte, ainsi que de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Ces violations alléguées seraient dues aux changements réguliers de cellule et aux restrictions au paragraphe 2.2, qui auraient contrarié ses tentatives pour faire réexaminer son affaire.
Observations préalables de l’État partie sur la recevabilité et commentaires de l’auteur
4.1En juin 2001, l’État partie a présenté une «demande d’information sur le point de savoir si la procédure d’examen de la plainte était en cours». Il a informé le Comité que l’auteur avait été transféré à la prison de Port Phillip en septembre 1999. Ce transfert avait été négocié entre le Service de l’exécution des peines du bureau du Directeur général des services pénitentiaires de l’État de Victoria (qui est chargé d’organiser le transfert des prisonniers entre les prisons), le Gouverneur de la prison de Barwon et le Directeur général de la prison de Port Phillip. L’auteur a été transféré «pour résoudre diverses questions de gestion», et, sous réserve des besoins de sécurité, de sûreté et d’ordre général du système pénitentiaire, restera là où il est pendant plusieurs mois durant les formalités relatives à ses recours. Compte tenu du transfert de l’auteur, l’État partie déclare qu’il n’a pas connaissance de faits qui pourraient constituer un sujet de préoccupation pour le Comité au regard du Pacte. Il explique au Comité les services auxquels l’auteur a actuellement accès.
4.2Le 11 juillet 2001, l’auteur a répondu et reconnu que les questions soulevées dans la lettre initiale ne se posaient plus en l’état actuel des choses, qu’elles s’étaient posées entre juillet 1996 et août 1998 et que l’objet de ses plaintes n’existait plus. Toutefois, il déclare vouloir maintenir la communication parce que ses droits ont été violés pendant sa détention à la prison de Barwon et que l’État partie ne répond pas à la question de l’absence de recours internes pour les violations de droits énoncés dans le Pacte. Il formule également une nouvelle plainte pour violation du paragraphe 2 a) de l’article 10 du fait que les condamnés et les prévenus ne sont pas détenus séparément dans la prison de Port Phillip. Selon l’auteur, la seule raison pour laquelle il a été transféré à Port Phillip est qu’il avait déposé une requête contre la prison de Barwon devant la Haute Cour pour violation des droits que lui reconnaît le Pacte.
4.3Le 28 novembre 2001, après avoir reçu la réponse de l’auteur, l’État partie a demandé si la plainte était toujours activement à l’examen. Il conteste l’argument présenté par l’auteur selon lequel les conditions actuelles de son incarcération ne sont pas l’objet de sa plainte, qui est fondée sur l’expérience qu’il a vécue à une période particulière, dans ses rapports avec des personnes particulières, non sur une disposition expresse de la législation qui serait d’application générale. Il s’agit d’une plainte essentiellement personnelle dans laquelle l’auteur allègue la privation d’accès à un équipement informatique et à des documents juridiques, d’où résulterait un refus d’accès aux tribunaux.
4.4Tout en contestant la teneur de la plainte de l’auteur, l’État partie déclare que les conditions dans lesquelles il vit ont changé: l’auteur a reçu satisfaction et il n’y a plus de plainte à laquelle donner suite. Comme l’auteur le reconnaît lui‑même, son transfert à la prison de Port Phillip a réglé la question de l’accès à du matériel informatique et à des textes juridiques, et l’auteur peut rester à la prison de Port Phillip pour la durée des procédures judiciaires qu’il a engagées, sous réserve des considérations générales de sécurité et de sûreté. L’État partie demande par conséquent au Comité de cesser d’examiner la communication.
4.5L’État partie affirme que la communication est irrecevable parce que l’auteur n’est plus victime comme l’exige l’article premier du Protocole facultatif. Dans des cas précédents où l’auteur d’une communication a obtenu ce qu’il demandait, le Comité a conclu que l’auteur ne pouvait maintenir sa plainte car il n’y avait pas de victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif. Ainsi, la réparation ou le recours que fournit l’État ôte tout fondement à la plainte devant une procédure internationale. Tout comme la condition selon laquelle les plaignants s’adressant à des instances internationales doivent au préalable avoir épuisé les recours internes, la condition selon laquelle il doit y avoir une victime reconnaît le rôle primordial du système juridique interne, et le rôle subsidiaire des mécanismes internationaux, pour ce qui est d’offrir un recours ou une réparation. L’opinion du Comité concorde à cet égard avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. L’État partie estime que le Comité n’est pas censé consacrer le temps limité dont il dispose à examiner des questions dans l’abstrait, sans lien avec des faits concrets.
4.6En ce qui concerne le commentaire de l’auteur selon lequel les personnes en détention provisoire et les condamnés sont détenus ensemble à la prison de Port Phillip, ce qui pourrait être contraire au paragraphe 2 de l’article 10 du Pacte, l’État partie répond qu’il appartient aux prévenus de réclamer le bénéfice de la disposition du Pacte, et non à des condamnés comme c’est le cas de l’auteur. En outre, l’État partie renvoie à la réserve qu’il a formulée au paragraphe 2 de l’article 10 dans laquelle il déclare que le principe de la séparation est accepté en tant qu’objectif à réaliser progressivement.
4.7Au cas où le Comité maintiendrait la plainte à l’examen, l’État partie se réserve le droit de lui adresser un commentaire complet sur la recevabilité et le fond de la communication. Le 21 décembre 2001, au nom du Comité, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a demandé à l’État partie d’envoyer une réponse complète sur la recevabilité et le fond de la communication.
Réponse de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond et commentaires de l’auteur sur cette réponse
5.1Concernant la recevabilité, l’État partie réitère les arguments qu’il a formulés dans la lettre où il demandait si la plainte était toujours à l’examen. Il fait également valoir que cette plainte est irrecevable en ce qui concerne les allégations relatives à l’accès aux documents, aux avocats et aux ordinateurs, car l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes. Cet argument ne s’applique pas aux allégations de violation des articles 26 et 50 du Pacte et de l’article premier du Protocole facultatif, puisque l’auteur a épuisé les recours internes en ce qui concerne la décision de la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances de ne pas examiner sa plainte.
5.2Selon l’État partie, l’auteur a eu trois possibilités d’épuiser les recours internes. Premièrement, lorsqu’il était détenu à la prison de Barwon, il pouvait déposer plainte auprès du Médiateur de l’État de Victoria. En vertu de la loi sur le Médiateur de 1983 (Vic), celui‑ci doit faire des enquêtes indépendantes sur les mesures administratives prises par les organismes publics pertinents. Lors de leur incarcération, les prisonniers sont informés de leur droit de déposer plainte et de présenter des requêtes auprès de diverses personnes et de divers organismes. Lorsque le Médiateur enquête sur une plainte et acquiert la conviction qu’une mesure doit être prise, il adresse un rapport et des recommandations au responsable de l’organisme approprié et en adresse copie au ministre de tutelle. Lorsque la mesure qu’il a recommandée n’est pas prise dans un certain délai, le Médiateur peut en informer directement le gouverneur en conseil et lui faire des recommandations. Lorsqu’il a adressé un rapport ou des recommandations au gouverneur en conseil, le Médiateur peut faire rapport aux deux chambres du Parlement de l’État. Cela permet souvent d’obtenir la mise en œuvre des recommandations du Médiateur grâce à la pression résultant de l’examen par les autorités publiques.
5.3Deuxièmement, l’auteur aurait pu se plaindre auprès du Ministre et du Secrétaire au Département de la justice, en vertu de l’article 47 1) j) de la loi pénale de 1986 (État de Victoria). Troisièmement, il aurait pu intenter une action en justice. L’auteur a effectivement engagé deux procédures devant la Cour fédérale, concernant la décision de la HREOC de ne pas examiner son cas, concernant des questions constitutionnelles relatives à la loi de 1986 (Commonwealth) sur la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances, et concernant l’incorporation directe et littérale du droit consacré par le Pacte dans le droit interne australien. Toutefois, aucune juridiction interne n’a à ce jour tranché la question de savoir si la loi australienne reconnaît à l’auteur le droit de consulter les documents le concernant, de rencontrer ses avocats et d’utiliser les ordinateurs. L’auteur a le droit de se plaindre devant les tribunaux du fait qu’on lui a refusé cet accès et que cela a été confirmé par la Cour fédérale, qui a informé l’auteur qu’il pouvait intenter un procès concernant l’accès aux documents, aux avocats et aux ordinateurs.
5.4L’État partie rejette les allégations concernant les contacts avec les avocats comme étant irrecevables parce qu’insuffisamment étayées. L’auteur n’a fourni aucune preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle les autorités de l’État de Victoria lui auraient refusé de contacter ses avocats. Tous les documents qu’il a fournis concernent l’accès aux documents juridiques et aux ordinateurs. Quant à l’allégation d’une violation du paragraphe 3 a) et b) de l’article 2, l’État partie estime que l’auteur n’a pas démontré de quelle manière lui avait été refusé l’accès à un recours utile.
5.5L’État partie considère que certaines des allégations de l’auteur sont irrecevables ratione materiae: les droits protégés par l’article 2 du Pacte sont par nature accessoires et n’existent pas isolément; l’article 10 ne concerne pas les restrictions d’accès aux avocats et aux documents juridiques; et comme l’auteur n’est pas accusé d’une infraction pénale, le recours en grâce ou le recours fondé sur de nouveaux éléments de preuve ne constitue pas un «moyen de défense» au sens du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte, qui ne s’applique pas au cas de l’auteur. L’allégation de l’auteur concernant le réexamen de la déclaration de culpabilité et de sa condamnation et concernant la préparation d’un recours fondé sur de nouveaux éléments de preuve et son recours en grâce relève en réalité du paragraphe 5 de l’article 14 et non du paragraphe 4 de l’article 9. Toutefois, dans la mesure où l’auteur allègue que l’entrave aux préparatifs d’un recours en grâce est une violation du paragraphe 5 de l’article 14, l’État partie considère que ce recours ne constitue pas un appel auprès d’un tribunal supérieur, et que, par conséquent, une entrave alléguée à ces préparatifs ne constituerait pas une violation de cette disposition.
5.6Sur le fond de la communication, l’État partie estime que le simple fait que l’auteur n’ait pu obtenir réparation en s’adressant à la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances (HREOC), organe ayant une compétence limitée, ne signifie pas qu’il n’avait pas la possibilité de demander réparation auprès d’un autre organe (voir par. 5.2 et 5.3 ci‑dessus). Aucune des restrictions limitant l’accès de l’auteur aux documents juridiques et aux avocats n’est considérée comme atteignant le seuil nécessaire pour invoquer une violation du paragraphe 1 de l’article 10.
5.7Quant aux allégations formulées au titre de l’article 26 et du paragraphe 3 b) de l’article 14, l’État partie estime que les restrictions concernant l’accès de l’auteur aux documents, aux avocats et aux ordinateurs étaient raisonnables et objectives dans les circonstances particulières. La nature même de l’emprisonnement implique nécessairement des restrictions à l’accès d’un prisonnier aux documents juridiques. Il convient notamment de prendre en compte les considérations de sûreté et de sécurité face au souhait exprimé par le prisonnier de conserver tous les documents juridiques le concernant dans sa cellule. Le gouverneur de la prison de Barwon a régulièrement contrôlé le nombre des cartons de documents se trouvant dans la cellule de l’auteur pour en évaluer la sûreté et la sécurité, car cette cellule avait été signalée par le responsable de l’évaluation du risque d’incendie de la prison comme constituant un risque d’incendie. Après chaque évaluation, le gouverneur a augmenté le nombre de cartons que l’auteur pouvait conserver dans sa cellule. Il pouvait d’ailleurs avoir accès aux différents cartons en remplaçant certains qui se trouvaient dans sa cellule par d’autres qui étaient stockés. À la date du 6 février 1997, l’auteur avait été autorisé à conserver 24 cartons de documents juridiques dans sa cellule. Quant à l’affirmation selon laquelle l’auteur avait dû régulièrement changer de cellule parce qu’il avait déposé des plaintes touchant l’accès aux documents juridiques et selon laquelle le fait de devoir changer de cellule chaque semaine perturbait la préparation d’un nouvel appel et d’un recours en grâce, l’État partie fait valoir que l’auteur devait changer de cellule parce qu’il était considéré comme constituant un risque élevé pour la sécurité.
5.8L’auteur a eu l’autorisation de rencontrer des avocats conformément au règlement applicable à la prison de Barwon entre juillet 1996 et août 1998. Il a reçu quatre visites d’avocats pendant cette période. En outre, comme en témoignent les copies de courriers jointes à sa lettre initiale, il a pu prendre contact avec de nombreux avocats et d’autres hommes de loi. Pour ce qui est de son ordinateur personnel, l’État partie reconnaît que l’auteur n’a pas pu l’utiliser de juin 1996 jusqu’au 24 novembre 1997, car, pendant cette période, il n’était pas permis d’introduire de nouveaux ordinateurs dans la prison en raison d’un audit. Malheureusement, l’ordinateur de l’auteur a été en dérangement pendant cette période et n’a pas pu être remplacé. Une fois l’audit terminé, l’auteur a été autorisé à acheter un nouvel ordinateur personnel. Concernant le paragraphe 5 de l’article 14, l’État partie considère que les préparatifs que fait actuellement l’auteur pour présenter un nouvel appel fondé sur de nouveaux éléments de preuve et pour présenter un recours en grâce ne sont pas entravés par les autorités.
5.9L’État partie comprend que l’allégation formulée par l’auteur au titre de l’article 26 concerne le fait que la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances n’a pas compétence pour entendre sa plainte, et fait observer qu’il existe d’autres organismes de l’État de Victoria ayant compétence pour connaître de sa plainte (voir par. 5.2 et 5.3 ci‑dessus). Si l’argument de l’auteur est qu’il ne reçoit pas une protection égale de la loi parce que, contrairement aux personnes dont les plaintes visent des organismes du Commonwealth d’Australie, il ne peut déposer une plainte en vertu de la loi de 1986 (Commonwealth) sur la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances, l’État partie est d’avis que la question n’est pas de savoir si l’auteur peut déposer une plainte en invoquant une loi particulière ou en s’adressant à un organe particulier, mais plutôt de savoir s’il peut déposer une plainte devant une instance de décision ayant compétence pour trancher la question de fond soulevée par sa plainte.
5.10Le 20 décembre 2002, l’auteur a réitéré les plaintes qu’il avait déjà formulées et reconnaît qu’après avoir contesté son inscription sur la liste de sécurité il n’a plus été contraint de changer de cellule après septembre 1997. Quant à l’affirmation de l’État partie selon laquelle il constituait un risque d’incendie, l’auteur considère que ce risque ainsi que celui qu’il aurait constitué pour la sécurité étaient «inventés» par les autorités pénitentiaires afin d’empêcher les prisonniers d’obtenir les documents juridiques. En réponse aux arguments de l’État partie sur la nécessité d’avoir la qualité de «victime», l’auteur affirme que refuser d’examiner son cas quant au fond pour ce seul motif constituerait une violation de ses droits, et encouragerait les autorités à modifier temporairement les conditions de vie d’une personne.
5.11 Pour ce qui est de l’argument du non‑épuisement des recours internes, l’auteur affirme que déposer plainte auprès du Médiateur et par la voie judiciaire serait inefficace. Concernant le Médiateur, l’auteur affirme que, s’il a pour fonction de mener des enquêtes sur des actes administratifs, le Médiateur s’en acquitte rarement. On préfère les enquêtes informelles, méthode peut‑être plus rapide, mais qui, selon l’auteur, n’amène pas les policiers et les autorités pénitentiaires à reconnaître leur faute lorsqu’on leur demande de répondre à une telle enquête. L’auteur mentionne plusieurs rapports annuels du Médiateur, notamment le rapport 2001/02, qui rend compte de 699 plaintes déposées, dont 1 seulement a fait l’objet d’une enquête et a abouti. En ce qui concerne les tribunaux, il affirme qu’ils sont inefficaces, car ils refusent régulièrement de statuer en faveur des prisonniers et sont réticents lorsqu’il s’agit d’intervenir dans le fonctionnement des prisons. Quant à la possibilité de déposer plainte auprès du directeur de la prison ou du ministre, l’auteur considère qu’il est irréaliste de penser qu’un prisonnier aille se plaindre à ceux qui le détiennent.
5.12Le 7 juillet 2004, une nouvelle lettre émanant d’une organisation qui se présentait comme conseil de l’auteur a indiqué que celui‑ci avait été transféré de nouveau à la prison de Barwon, où il ne pouvait consulter sans restrictions les documents juridiques concernant son affaire, notamment le dossier de la communication adressée au Comité. L’organisation joint la copie d’une lettre datée du 1er juin 2004 dans laquelle l’auteur demandait à consulter ses ouvrages et documents juridiques. Sa demande a été refusée.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2L’État partie fait valoir que les plaintes de l’auteur concernant son emprisonnement à la prison de Barwon sont irrecevables car l’auteur n’est pas une «victime» au sens de l’article premier du Protocole facultatif. Selon l’État partie, l’auteur a obtenu ce qu’il réclamait lorsqu’il a été transféré à la prison de Port Phillip, où il avait accès à tous les renseignements nécessaires afin de préparer ses recours. Le Comité note que l’auteur ne conteste pas cela mais insiste pour que le Comité examine ses plaintes. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, lorsqu’il est remédié à une violation du Pacte sur le plan interne avant la soumission d’une communication, il peut juger une communication irrecevable au motif que l’auteur n’a pas le statut de «victime» ou qu’il n’est pas «fondé à se plaindre». Dans le cas à l’examen, le Comité note que l’auteur a présenté sa communication le 23 septembre 1999, concernant des événements qui se sont produits entre juillet 1996 et août 1998. Bien que l’État partie ait apparemment remédié aux griefs de l’auteur avant la présentation de la plainte, l’auteur a, dans sa dernière lettre, informé le Comité qu’il a été reconduit à la prison de Barwon où au moins l’un de ses griefs initiaux reste valable. Dans ces conditions, le Comité conclut que l’auteur peut être considéré comme une «victime» au sens de l’article premier du Protocole facultatif, et que ses plaintes ne sont pas irrecevables simplement parce que l’État partie a remédié à ses griefs à un moment donné.
6.3Quant à l’obligation d’épuiser les recours internes, le Comité considère qu’en utilisant plusieurs procédures judiciaires et quasi judiciaires afin de saisir diverses autorités australiennes de ses griefs l’auteur a rempli l’obligation énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.4Touchant la plainte formulée au titre du paragraphe 4 de l’article 9, le Comité estime que, l’auteur étant actuellement en train de purger la durée minimale d’une peine de prison prononcée par un tribunal de justice, sa plainte n’entre pas dans le champ d’application de cette disposition. Pour les allégations formulées au titre des paragraphes 3 et 5 de l’article 14, le Comité estime que, comme l’auteur n’est pas accusé d’une infraction pénale et que la déclaration de culpabilité ainsi que sa condamnation ont été réexaminées par une juridiction supérieure, les dispositions en question ne sont pas applicables. Quant au paragraphe 1 de l’article 14, le Comité estime que les plaintes formulées à ce titre ne concernent ni le comportement des autorités judiciaires ni l’accès à un tribunal dans une affaire qui pourrait faire l’objet d’une action en justice au sens de cette disposition. Pour ces motifs, le Comité conclut que ces plaintes sont incompatibles avec les dispositions du Pacte et sont, de ce fait, irrecevables ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
6.5Quant à la plainte formulée par l’auteur concernant le fait que les condamnés et les prévenus ne sont pas détenus séparément à la prison de Port Phillip, le Comité note que l’État partie a invoqué la réserve qu’il a formulée au paragraphe 2 a) de l’article 10 du Pacte, aux termes de laquelle «En ce qui concerne le paragraphe 2 a), le principe de la séparation est accepté en tant qu’objectif à réaliser progressivement.». Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle, si l’on peut déplorer que l’État partie n’ait pas encore réalisé son objectif de séparer les prévenus des condamnés, comme le demande le paragraphe 2 a) de l’article 10, le Comité ne saurait considérer que la réserve en question est incompatible avec l’objet et le but du Pacte. Cette partie de la plainte de l’auteur est, par conséquent, incompatible avec les dispositions du Pacte et, de ce fait, est irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
6.6Touchant la plainte relative à une violation de l’article premier du Protocole facultatif, le Comité est d’avis, même s’il a de sa propre initiative établi qu’il y avait violation du droit à présenter une plainte individuelle consacré dans le Protocole facultatif dans le cas où un État partie a exécuté ou expulsé une personne alors qu’une communication individuelle était soumise à l’examen du Comité, que l’auteur n’a pas démontré qu’il y avait violation du droit en question. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
6.7En ce qui concerne la plainte formulée au titre de l’article 26 du Pacte, le Comité estime qu’elle n’a été étayée par aucun argument, et que cette partie de la communication est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.8Pour ce qui est des autres plaintes formulées au titre du paragraphe 1 de l’article 10, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte, le Comité les a examinées à la lumière des dispositions de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Compte tenu des explications de l’État partie sur les conditions de détention de l’auteur, qui a pu notamment obtenir les documents juridiques et contacter les avocats, ainsi que sur l’existence de divers mécanismes de recours sur le plan interne, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, la plainte faisant état d’une violation de ces dispositions. En conséquence, le Comité estime que cette plainte est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.9Pour la plainte formulée au titre de l’article 50 du Pacte, le Comité renvoie à sa jurisprudence constante selon laquelle une communication individuelle ne peut lui être présentée qu’à la lumière des articles de la troisième partie du Pacte, interprétés le cas échéant à la lumière des articles des première et deuxième parties du Pacte. En conséquence, l’article 50 ne peut servir de base à une plainte isolée présentée sans référence à une violation des articles de fond du Pacte. Le Comité considère donc cette plainte irrecevable ratione materiae,conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable, en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
G. Communication n o 958/2000, Jazairi c. Canada (Décision adoptée le 26 octobre 2004, quatre-vingt-deuxième session)
Présentée par: |
Nuri Jazairi (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Canada |
Date de la communication: |
10 août 2000 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 octobre 2004,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est M. Nuri Jazairi, de nationalité canadienne, né en Iraq en 1941. Il se déclare victime de violations par le Canada de l’article 26, des paragraphes 1 et 2 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 19, et de l’article 50 lu conjointement avec l’article 26, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits
2.1L’auteur est professeur assistant d’économie à l’Université York de Toronto. Cette université ne dépend ni du gouvernement fédéral ni du gouvernement provincial de l’État partie. En août 1984, comme il avait demandé sa titularisation, un comité des promotions de l’Université a reçu sans les avoir sollicitées deux lettres émanant d’autres professeurs de sa faculté qu’il a examinées et qui contenaient des critiques à l’égard de l’auteur. En septembre 1984, un autre comité des promotions a retiré les lettres du dossier de l’auteur mais, apparemment en violation de ses règles de fonctionnement, a entendu à huis clos les observations du Président de la faculté où l’auteur enseigne, à propos de la demande de ce dernier, sans les porter à sa connaissance ni lui donner la possibilité de répondre. En décembre 1984, le Comité a recommandé que la décision concernant la titularisation soit différée et, en novembre 1985, le président de l’Université s’est rallié à cet avis.
2.2En juillet 1989, l’auteur a saisi la Commission ontarienne des droits de la personne au motif que son droit à l’égalité de traitement en matière d’emploi a été violé et qu’il a été victime de discrimination et de harcèlement fondés sur sa race, son origine ethnique, sa croyance et son appartenance à un groupe, contrairement aux dispositions du Code des droits de la personne de l’Ontario de 1981 (ci-après appelé «Code de l’Ontario»). Il affirmait dans cette plainte que des membres de la faculté l’avaient peu à peu considéré comme antisémite, et que les opinions politiques qu’il exprimait à l’époque, critiquant l’attitude d’Israël qui à son avis ne faisait pas assez d’efforts pour résoudre la question palestinienne, ajoutées à d’autres facteurs comme sa race, son origine ethnique et sa religion, ont créé une polémique qui a nui à son droit à l’égalité de traitement en matière d’emploi et en particulier à sa titularisation. Entre décembre 1989 et mai 1993, la Commission a enquêté sur cette plainte.
2.3La Commission a rejeté la plainte par une décision du 29 août 1994, constatant: i) que certes la demande de titularisation n’avait pas été examinée d’une manière équitable et en temps voulu mais que les irrégularités relevées dans la procédure ne semblaient pas tenir à un motif de discrimination interdit; et ii) qu’il était possible que l’auteur ait fait l’objet d’une différence de traitement mais qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments pour affirmer que le motif en était sa croyance et non pas ses opinions politiques, l’opinion politique ne constituant pas un motif de discrimination interdit par le Code. La Commission a donc décidé de ne pas demander la constitution d’un organe d’enquête et a rejeté la plainte. L’auteur a demandé le réexamen de cette décision.
2.4Le 2 mai 1995, la Commission a confirmé sa décision initiale, estimant que le mot «croyance» n’englobait pas les convictions politiques et que, quelle que soit la différence de traitement dont l’auteur avait pu faire l’objet de la part de son employeur, l’Université York, ce traitement n’était pas fondé sur sa croyance ou tout autre motif interdit de discrimination. L’auteur a demandé un examen judiciaire de cette décision.
2.5Le 19 septembre 1995, la Commission a annulé sa décision du 2 mai 1995, au motif que des éléments présentés par l’auteur n’avaient pas été pris en compte. Le 29 novembre 1995, elle a rendu une seconde décision après avoir réexaminé l’affaire, confirmant de nouveau sa décision initiale. Elle a réaffirmé que le mot «croyance» n’englobait pas les convictions politiques et que, quel que soit le traitement différent dont l’auteur avait pu faire l’objet, ce traitement n’était pas fondé sur sa croyance ou sur tout autre motif interdit de discrimination. Il n’y avait donc pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier une révision de la décision initiale.
2.6L’auteur s’est adressé à la Cour divisionnaire de l’Ontario pour demander l’examen de la question de l’interprétation à donner au mot «croyance» et de la question constitutionnelle concernant l’absence, dans le Code de l’Ontario, de l’«opinion politique» au nombre des motifs de discrimination interdits. La Cour divisionnaire de l’Ontario a rejeté la requête de l’auteur par une décision du 16 avril 1997 au motif que le mot «croyance» n’englobait par les «convictions politiques» et que l’absence, dans le Code de l’Ontario, de l’«opinion politique» ne constituait pas une violation des dispositions sur l’égalité de la Charte canadienne des droits et libertés (ci‑après appelée «la Charte»). L’auteur a ensuite formé un recours devant la cour d’appel de l’Ontario.
2.7Le 28 juin 1999, la cour d’appel a débouté l’auteur. Elle a estimé que les opinions personnelles de l’auteur sur la «seule question des relations entre les Palestiniens et Israël» ne constituaient pas une «croyance» au sens du Code de l’Ontario. Sur les faits, la Cour s’est refusée à ajouter aux motifs constitutionnels un nouvel élément de discrimination, l’opinion politique, qui s’apparenterait à ceux énumérés au paragraphe 1 de l’article 5 du Code de l’Ontario. Le 3 mai 2000, la Cour suprême a refusé l’autorisation de former recours.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur se déclare victime d’une violation de l’article 26 du Pacte, des paragraphes 1 et 2 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 19, et de l’article 50 lu conjointement avec l’article 26. Son principal grief est que l’État partie n’a pas assuré sa protection contre la discrimination dont il a été l’objet en raison de son opinion politique, motif qui est expressément énoncé à l’article 26 du Pacte. L’auteur avance trois autres arguments.
3.2Premièrement, l’absence de l’«opinion politique» au nombre des motifs énumérés dans le Code de l’Ontario est une violation des dispositions de l’article 26 du Pacte. L’auteur soutient que le fait que ce motif ait été inclus dans la législation relative aux droits de l’homme de sept autres provinces et territoires de l’État partie fait ressortir l’absence de ce motif dans le Code de l’Ontario et fait apparaître de plus une violation de l’article 50 du Pacte. L’auteur se réfère aux observations finales adoptées en 1999 à l’issue de l’examen du quatrième rapport périodique du Canada par le Comité des droits de l’homme, qui s’inquiétait «de l’insuffisance des recours en cas de violation des articles 2, 3 et 26 du Pacte» et recommandait que «la législation relative aux droits de l’homme soit amendée afin de garantir à tous les plaignants en matière de discrimination l’accès à la justice et à des recours utiles».
3.3Deuxièmement, l’auteur affirme que des erreurs de droit fondamentales ont été commises dans les décisions de la Commission et des juridictions nationales, en violation de l’article 26 du Pacte. En ce qui concerne la Commission, l’auteur considère qu’elle n’était pas compétente pour prendre la décision qu’elle a prise, qu’elle a méconnu le préambule du Code de l’Ontario et le droit international relatif aux droits de l’homme, qu’elle a interprété le mot «croyance» de façon exagérément étroite, qu’elle n’a pas dûment tenu compte du fait que, dans son cas, l’opinion politique, la race et la religion se recoupaient, et qu’elle n’a pas conclu qu’il y avait eu discrimination.
3.4En ce qui concerne la Cour divisionnaire, l’auteur affirme qu’elle a fait des erreurs de droit fondamentales i) en ne considérant pas que l’«opinion politique» est un motif prévu dans le Code de l’Ontario et lui demandant de se comporter comme s’il appartenait à une «minorité isolée et à part», ii) en rejetant l’argument selon lequel les positions politiques et religieuses peuvent être de nature si semblable qu’elles pouvaient constituer des «croyances», et iii) en affirmant que la notion de «croyance» impliquait une conviction religieuse. En ce qui concerne la cour d’appel, les erreurs de droit fondamentales seraient constituées par le fait qu’elle n’a pas appliqué une décision exécutoire préalable, par des constatations de fait erronées, par une analyse incorrecte de la Charte, ainsi que par une interprétation exagérément étroite du mot «croyance» excluant l’opinion politique. Enfin, l’auteur dénonce le refus de la Cour suprême de l’autoriser à introduire un recours, au motif que l’affaire soulevait des questions totalement nouvelles et fondamentales. L’auteur estime qu’en agissant ainsi la Cour n’a pas suivi ses propres critères et que le refus a été contraire à la «protection égale et efficace contre toute discrimination» garantie par l’article 26 du Pacte.
3.5Troisièmement, l’auteur avance divers arguments concernant ce qu’il appelle des problèmes d’application du droit relatif aux droits de l’homme qui se posent dans l’Ontario. Il affirme que les délais de traitement des dossiers constituent un problème sérieux et que «la multiplicité des rôles de la Commission, notamment quand une même personne est chargée à la fois de traiter une plainte et de rechercher un règlement, donne lieu à des conflits d’intérêts et expose à subir des pressions». Il estime que le renvoi de 2 à 4 % des plaintes à une commission d’enquête pour examen prive les plaignants d’un recours utile. Il mentionne également le manque de moyens financiers et les problèmes de fonctionnement de la Commission de l’Ontario.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans ses observations datées du 21 décembre 2001, l’État partie conteste la recevabilité et le fond, en faisant valoir que les allégations de violation du Pacte ne sont pas étayées. En ce qui concerne le fait que le Code de l’Ontario ne comprend pas l’«opinion politique» comme motif interdit de discrimination, l’État partie rappelle les conclusions de la cour d’appel selon laquelle, même en considérant l’affaire de la façon la plus favorable à l’auteur, rien n’indiquait que l’Université ait exercé une discrimination à son égard en raison de ses convictions politiques. La Cour avait conclu: «Il n’y a rien dans ce dossier qui laisse à penser que ses convictions politiques aient nui à la titularisation de l’auteur à la faculté d’économie». L’État partie avance que rien dans aucune des décisions contestées prises par l’Université, la Commission ou les tribunaux, ne montre que l’auteur ait été traité différemment à cause de ses convictions politiques. Rien ne prouve non plus que la Commission aurait considéré qu’il y avait dans le dossier matière à enquête, même si le mot «croyance» devait être interprété comme englobant la «conviction politique». Au vu de ces constatations, il apparaît que la plainte relative au Code de l’Ontario n’est qu’une contestation abstraite ne reposant pas sur des faits concrets.
4.2L’État partie rejette les allégations de l’auteur, qui fait valoir que des erreurs de droit fondamentales ont été commises, voyant dans ces allégations une appréciation de l’auteur à l’égard des tribunaux canadiens qui auraient mal interprété la loi canadienne. Il renvoie à la jurisprudence constante du Comité, qui a établi qu’il ne substituait pas ses propres opinions à celles des juridictions nationales au sujet de l’interprétation de la législation du pays concerné. Les arguments de l’auteur ont été examinés en détail et rejetés par trois degrés du système judiciaire canadien, et rien ne permet de dire que leur interprétation de la loi ait été arbitraire ou ait représenté un déni de justice.
4.3En ce qui concerne le grief tiré de «problèmes d’application du droit relatif aux droits de l’homme» en Ontario, l’État partie fait observer qu’une grande partie des pièces présentées par l’auteur se rapportaient à la Commission fédérale des droits de l’homme, un organe différent de la Commission de l’Ontario et qui n’était pas en cause dans cette affaire. Quant aux documents soumis qui concernent la Commission de l’Ontario, ils datent de presque 10 ans et ne donnent pas une image actuelle de ses activités. L’État partie se réfère au rapport annuel pour 2000‑2001 de la Commission qui fait apparaître des progrès considérables dans la gestion des affaires, dans le respect des délais de traitement des requêtes, le travail de promotion des droits de l’homme et de sensibilisation du public. Au cours des cinq dernières années, la Commission a clos plus de dossiers qu’elle n’en a ouverts et, en moyenne, les requêtes dataient de 10 mois. En moyenne, la durée totale de traitement d’une requête était de 15 mois.
4.4La Commission mène ses enquêtes en toute indépendance et renvoie les dossiers à un organe d’enquête quand un règlement n’est pas possible. Cet organe a des pouvoirs étendus pour assurer une réparation, notamment pour ordonner une indemnisation, et ses décisions peuvent faire l’objet d’un recours en justice. En 1999-2000, 68 % des 1 700 plaintes ont été réglées à l’amiable. Soixante-dix pour cent des plaignants ont considéré que leur plainte avait été traitée correctement, 78 % ont estimé la procédure équitable et 87 % ont indiqué qu’ils y feraient encore appel.
4.5L’État partie réfute l’idée que l’absence de l’«opinion politique» au nombre des motifs de discrimination interdits dans le Code de l’Ontario constitue une violation du Pacte. Il fait valoir que les États parties sont libres de choisir la façon dont ils s’acquittent de leurs obligations et qu’il n’est pas nécessaire que la législation nationale les reflète avec exactitude. La liberté d’expression, qui comprend la liberté d’opinion et de conviction politiques, est constitutionnellement garantie par l’article 2 de la Charte fédérale, ainsi que dans la loi relative à la fonction publique s’agissant des fonctionnaires.
4.6Enfin, en ce qui concerne le grief de violation de l’article 2 du Pacte, l’État partie se réfère à la jurisprudence constante du Comité qui a établi que cet article ne visait pas un droit autonome. En l’absence de violation de tout autre droit, que l’auteur n’a pas montrée, aucune autre question ne se pose au regard de l’article 2.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Par une lettre datée du 12 avril 2002, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie, rejetant l’argument de l’État partie qui affirme que sa plainte n’est pas fondée d’une façon générale, et en particulier en ce qu’elle concerne le jugement de la cour d’appel. Il fait valoir que récemment il a essayé d’obtenir des tribunaux la présentation d’autres documents pertinents émanant de la Commission mais a toujours essuyé un refus. Il affirme que le «sens ordinaire» des décisions de la Commission est qu’il y a bien eu une différence de traitement mais qu’elle n’était pas compétente parce que l’«opinion politique» n’était pas visée dans le Code de l’Ontario. L’auteur fait valoir que le rapport de la Commission sur cette affaire est incomplet et en tout état de cause ne rend pas compte équitablement des preuves produites. L’auteur considère que les constatations au sujet des preuves de la cour d’appel sont «injustifiées et particulièrement inappropriées» et ne tiennent pas compte de l’ensemble du dossier. Ensuite l’auteur cherche à établir une distinction entre la jurisprudence invoquée par l’État partie et son propre cas.
5.2En ce qui concerne la façon dont le Comité considère la question de la charge de la preuve, l’auteur fait valoir que c’est à l’État partie qu’il appartient de fournir au Comité «tout le dossier d’enquête, comprenant les déclarations de tous les témoins, les avis juridiques et l’appréciation des preuves documentaires faite par les membres de cette commission ainsi que les notes qu’ils ont prises quand ils ont interrogé les témoins» afin de lui permettre de faire ses constatations en connaissance de cause. L’auteur invite également le Comité à tirer les conclusions qui s’imposent des pratiques de la Commission de l’Ontario, qu’il qualifie de systématiques et qui consistent «à rejeter en bloc les plaintes pour violation des droits fondamentaux sur la base de relations inexactes des faits, d’arguments et de considérations fallacieux énoncés “en privé”».
5.3En ce qui concerne le fait que l’«opinion politique» ne soit pas prévue dans le Code de l’Ontario, l’auteur répète que l’absence de ce motif constitue une violation manifeste de l’article 26 du Pacte, l’État partie ayant manqué à son obligation de mettre en œuvre cet article. Il maintient que ses critiques à l’égard de l’interprétation de la loi par les tribunaux sont «sérieuses, détaillées et étayées», et il évoque une certaine critique publique de la décision de la cour d’appel.
5.4L’auteur maintient ses griefs au sujet des «problèmes d’application» liés à l’article 2, affirmant que dans la province de l’Ontario les victimes de discrimination ne peuvent pas engager une action en justice pour discrimination mais doivent saisir la Commission. Il affirme que la situation insatisfaisante qu’il a décrite dans sa communication reflétait le fonctionnement de la Commission à l’époque où sa plainte a été examinée par la Commission. Il ajoute que «les mêmes problèmes ou des problèmes comparables de mise en œuvre de la législation relative aux droits fondamentaux dans l’Ontario persistent, voire s’aggravent». Il fait aussi valoir que les procédures en place sont inefficaces parce que les frais de justice sont exorbitants. D’après lui, déposer une plainte et engager une action sans avocat «n’est pas faisable», l’aide judiciaire n’est pas accordée pour les plaintes, certains dépens prononcés par les tribunaux sont «déraisonnables, voire punitifs» et il n’est pas possible de déduire les frais de justice du revenu imposable. De plus, le fait que la Commission ne dispose pas d’une procédure de référé − qu’il aurait souhaité engager après «l’escalade des actes de représailles» qui ont suivi le dépôt de sa plainte − constitue une violation de l’article 2 du Pacte lu conjointement avec les articles 19 et 26.
5.5Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui fait valoir que l’article 3 de la Charte protège la liberté d’opinion et d’expression, l’auteur objecte que la cour d’appel a commis une erreur en affirmant que ce motif n’avait pas besoin d’être inscrit dans le Code de l’Ontario puisqu’il était déjà visé dans la Charte. Il souligne que la Charte ne protège que contre les actions de l’État et non pas contre des actes d’organismes tels que des universités. Il fait valoir en outre que la protection assurée par la Charte est incomplète dans la mesure où elle est soumise à des limites raisonnables, comme le montre le fait que cela aurait été invoqué par des «groupes juifs dans de nombreux cas connus et non connus». Il ajoute que la loi sur la fonction publique ne s’applique pas aux universités, ce qui fait qu’il n’a pas bénéficié de la moindre protection contre la discrimination exercée par un organisme du secteur privé au motif de l’opinion politique. Ensuite l’auteur fait valoir que le juge de la cour d’appel qui a rendu sa décision «a commis des erreurs de droit fondamentales», remettant par là même en question «la crédibilité de l’ensemble de son raisonnement juridique».
5.6L’auteur fait valoir que les preuves minimales à fournir pour étayer une plainte sont moindres si le grief porte sur l’article 19 que s’il porte sur l’article 26, et que ce minimum existe au demeurant dans son cas. D’après lui, il faut déterminer si le fait que l’opinion politique ne soit pas énoncée dans le Code de l’Ontario entraîne un effet restrictif sur l’exercice de ce droit. Étant donné que le résultat est une absence de protection contre la discrimination fondée sur ce motif exercée par le secteur privé, l’auteur fait valoir que l’affaire est claire. En l’espèce, il avance donc: «L’auteur a été pénalisé dans son emploi par certains de ses collègues israéliens et juifs de l’Université York pour avoir eu et exprimé des opinions particulières que ses collègues n’approuvaient pas. L’employeur, l’Université York, n’a rien fait pour lui. La Commission des droits de l’homme de l’Ontario a refusé de le protéger pour des motifs de compétence. Les tribunaux internes se sont ralliés à l’avis de la Commission.».
5.7En raison des considérations qui précèdent, l’auteur demande au Comité de conclure que le Pacte a été violé, qu’il doit être indemnisé pour les frais de justice qu’il a engagés et se voit accorder une réparation appropriée, notamment pour compenser la perte de salaire.
Réponses complémentaires des parties
6.1Par une lettre datée du 31 juillet 2002, l’auteur a présenté une décision prise en première instance par la Cour suprême de l’Île‑du‑Prince‑Édouard établissant que l’opinion politique était un motif de discrimination interdit «analogue» et devrait être expressément prévu dans la législation relative aux droits de l’homme des provinces.
6.2Par une note verbale datée du 5 décembre 2002, l’État partie a présenté des observations supplémentaires faisant valoir que dans sa réponse l’auteur avançait de nouveaux griefs qui ne figuraient pas dans la communication initiale, faisait référence à de nombreuses opinions anonymes ou individuelles auxquelles il ne faut pas accorder de crédit et continuait en grande partie à contester l’interprétation de la législation nationale. L’État partie fait valoir qu’après avoir pris connaissance de ses propres observations, l’auteur a saisi la Cour suprême de l’Ontario (par. 5.1) pour obtenir les éléments qui manquaient à son dossier devant le Comité. Il n’avait pas fait cette démarche avant que l’affaire soit examinée en premier lieu, et ne devrait donc pas pouvoir − en vertu du principe de non‑épuisement des recours internes − prétendre que les décisions initiales du tribunal étaient erronées. À l’époque, l’auteur n’avait pas davantage soulevé la question de l’insuffisance du dossier devant les tribunaux. Quoi qu’il en soit, sa nouvelle requête n’a pas encore été rejetée, mais il a été sursis à son examen afin de lui permettre de déposer la demande voulue en vertu de la loi sur la liberté de l’information et la vie privée, qui prévoit une procédure obligatoire préservant les intérêts des tiers. De plus, les documents demandés n’ont aucun rapport avec les questions dont le Comité est saisi.
6.3L’État partie souligne que la thèse de l’auteur qui conteste la façon dont la Charte protège les droits − thèse qui n’a jamais été soumise à la Cour suprême avec les éléments concrets voulus pour lui permettre de se prononcer − est hypothétique et abstraite. La direction de l’Université a pris sa décision sur la demande de titularisation sans examiner les deux lettres contestées ni les opinions politiques de l’intéressé. Aucun élément ne prouve le contraire.
6.4L’État partie rejette toute accusation de partialité portée contre le juge qui a prononcé l’arrêt de la cour d’appel, faisant valoir que tous les principes éthiques applicables ont été respectés. Il ajoute que l’auteur n’a soulevé cette question à aucun moment devant les tribunaux ou devant le Conseil canadien de la magistrature. Pour ce qui est des «représailles» dont l’auteur se déclare l’objet, l’État partie précise que la lettre jointe à l’attention du Comité est une lettre de l’Université indiquant que l’auteur refusait de faire un cours qu’il était tenu de donner dans le cadre de ses heures d’enseignement normales. L’État partie n’a pas connaissance de litiges contractuels avec l’Université, qui n’est pas un établissement public, et fait valoir que s’il en existe ils n’ont aucun rapport avec l’affaire. L’État partie rejette les critiques émises à l’égard du système de jugement en matière de droits de l’homme de la province de l’Ontario, citant des observateurs qui ont au contraire loué ses points forts. Enfin, l’État partie dit que la décision dans l’affaire de l’Île‑du‑Prince‑Édouard est en appel, et souligne que la Cour s’est référée à la conclusion dans l’affaire de l’auteur selon laquelle «il n’y avait aucun élément qui montrait que sa dignité d’être humain était simplement en cause et encore moins était violée, ou que ses opinions politiques avaient nui à sa candidature à la titularisation».
6.5Par une lettre datée du 17 février 2003, l’auteur a répondu en affirmant que la demande de présentation de documents ne portait pas sur le fond de sa plainte auprès du Comité. Quoi qu’il en soit, il affirme que l’examen de sa requête en vertu de la loi serait excessivement long et ne serait pas efficace, car la Commission cherche à utiliser les dispositions prévoyant des dérogations. Il fait valoir que, comme les cours d’appel ne tranchent que les questions de droit, il n’a pas présenté d’arguments sur la question de l’existence de faits suffisants. Il cite l’affaire Pezoldova c. République tchèque en exemple de cas où le Comité a bien examiné le fond de décisions rendues par des juridictions nationales et invite le Comité à faire de même en l’espèce.
6.6L’auteur fait valoir que l’affaire soulève également des questions au regard de la première phrase du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 3 c) de ce même article, car l’appréciation faite par les juridictions internes était manifestement arbitraire et a représenté un déni de justice, les recours étaient inutiles, la Commission de l’Ontario a refusé de produire des preuves et les délais étaient excessifs. Il affirme que le grief relatif aux «représailles» s’ajoute aux éléments de preuve produits pour démontrer l’inutilité des recours internes et n’est pas un grief de fond. Enfin, il approuve le raisonnement plus général du tribunal de l’Île‑du‑Prince‑Édouard par rapport à celui qu’a suivi la cour d’appel dans son propre cas et fait valoir que de toute façon ce n’est pas parce que la décision dans l’affaire de l’Île‑du‑Prince‑Édouard est en appel que la violation de ses droits par l’Ontario est justifiée.
6.7Par une autre lettre, datée du 17 novembre 2003, l’auteur joint trois décisions de tribunaux provinciaux qui reprennent à leur compte le point de vue de la Cour divisionnaire dans son affaire au sujet des compétences des commissions des droits de la personne en matière d’enquête et du degré de déférence voulu.
Délibérations du Comité
7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2En ce qui concerne le grief de violation des paragraphes 1 et 3 c) de l’article 14 du Pacte, le Comité relève que cette question a été soulevée pour la première fois dans l’avant‑dernière réponse supplémentaire de l’auteur et ne faisait donc pas partie des arguments auxquels l’État partie avait été prié de répondre relativement à la recevabilité et au fond de l’affaire. L’auteur n’a pas montré pourquoi il n’avait pas pu avancer ce grief à un stade antérieur de la procédure. De l’avis du Comité, ce serait abuser de la procédure que de traiter de ce grief, qui est donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
7.3En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 50 du Pacte, le Comité rappelle qu’une violation substantielle du Pacte par une autorité provinciale engage tout autant la responsabilité internationale de l’État partie qu’un acte de ses autorités fédérales. Le Comité renvoie toutefois à sa jurisprudence constante et réaffirme qu’un particulier ne peut lui soumettre une communication qu’en rapport avec les articles contenus dans la Partie III du Pacte, dûment interprétés à la lumière des autres dispositions du Pacte. Par conséquent, l’article 50 du Pacte ne peut pas, en soi, donner lieu à un grief autonome, qui soit indépendant d’une violation de fond d’un autre article du Pacte. De l’avis du Comité, par conséquent, le grief au titre de l’article 50 est inclus dans les arguments avancés par l’auteur au sujet des articles de fond du Pacte et il est irrecevable en soi pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte, conformément à l’article 3 du Pacte.
7.4Passant au principal grief consistant à affirmer que l’absence de l’opinion politique au nombre des motifs de discrimination interdits énoncés dans le Code de l’Ontario représente une violation du Pacte, le Comité relève que l’absence de protection contre une discrimination pour ce motif soulève effectivement des questions au regard du Pacte. En outre, le fait que l’opinion politique ne constitue pas un motif de discrimination interdit par le Code de l’Ontario semble indiquer que l’État partie n’a peut‑être pas veillé à ce qu’une victime de discrimination en matière d’emploi, pour des motifs politiques, dispose d’un recours utile. Le Comité relève toutefois que la cour d’appel, estimant que les convictions de l’auteur ne sont pas assimilables à une «croyance» protégée, est parvenue à la conclusion que, même en examinant la question sous l’angle le plus favorable à l’auteur, aucun élément du dossier ne laisse penser que c’est en raison de ses convictions politiques que celui‑ci n’a pas été promu au sein du Département d’économie. Il n’appartient pas au Comité de substituer son avis au jugement des juridictions internes en ce qui concerne l’appréciation des faits et des éléments de preuve dans une affaire, sauf si cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Si une certaine conclusion sur un élément de fait s’impose raisonnablement au juge du fait à la lumière des éléments dont il dispose, ipso facto, on ne peut pas avancer que la décision a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. De l’avis du Comité, l’auteur ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait et n’a pas montré que l’appréciation des faits par les juridictions internes avait été entachée d’irrégularités. Compte tenu de cette conclusion, la plainte au titre de l’article 26 concernant l’absence de protection de l’opinion politique dans le Code de l’Ontario devient hypothétique. Ce grief est par conséquent irrecevable faute d’avoir été suffisamment étayé, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.
7.5Pour ce qui est des erreurs de droit fondamentales qu’auraient commises la Commission, la Cour divisionnaire statuant en première instance et en appel, et la Cour suprême, le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle c’est aux juridictions internes qu’il appartient d’interpréter le droit interne, sauf s’il peut être établi que l’interprétation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. De l’avis du Comité, l’auteur n’a pas montré que les circonstances exceptionnelles nécessaires pour avancer cet argument aient existé. En conséquence ce grief est irrecevable faute d’avoir été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.
7.6En ce qui concerne les allégations générales selon lesquelles le mécanisme de mise en œuvre du système de protection des droits fondamentaux de la province de l’Ontario est déficient et n’offre pas un recours utile, le Comité rappelle sa jurisprudence constante et réaffirme que, pour présenter une requête, un particulier doit être personnellement et directement touché par les violations alléguées. En conséquence, dans la mesure où l’auteur fait valoir que le mécanisme dans son ensemble n’est pas conforme au Pacte, ce grief équivaut à une actio popularis qui dépasse les circonstances de l’affaire. Il est donc irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.
8.En conséquence le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable conformément aux articles 1er, 2 et 3 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion individuelle des membres du Comité suivants: M me Christine Chanet, M. Maurice Glèlè Ahanhanzo, M. Ahmed Tawfik Khalil et M. Rajsoomer Lallah (opinion dissidente)
1.Comme le dit la majorité des membres du Comité dans les deux premières phrases du paragraphe 7.4 des délibérations, nous sommes d’avis que l’absence de l’opinion politique au nombre des motifs de discrimination interdits dans le Code ontarien des droits de la personne soulève une question au titre de l’article 26 du Pacte.
2.La majorité du Comité parvient ensuite à la conclusion que, à la lumière de l’arrêt de la cour d’appel de l’Ontario, rien ne permet de penser que c’est en raison de ses convictions politiques que l’auteur n’a pas été promu au sein du Département d’économie, où il était professeur associé. Nous ne partageons pas l’avis de la majorité du Comité sur ce point, et ce pour un certain nombre de raisons.
3.Tout d’abord, la conclusion de la majorité du Comité se fonde manifestement, selon nous, sur une regrettable confusion entre le contrôle juridictionnel (recours administratif nécessairement limité, fondé sur une simple demande appuyée par des éléments de preuve énoncés dans des déclarations sous serment) et une action ordinaire, où l’arrêt se fonde sur les dépositions des témoins, qui sont entendus par le juge et soumis à un contre‑interrogatoire, à partir desquelles le juge tire ses propres conclusions en ce qui concerne les faits. Un contrôle juridictionnel n’a pas pour objet d’examiner les faits, et constitue une voie de recours extraordinaire en vertu de laquelle le juge peut discrétionnairement accorder ou ne pas accorder la réparation demandée. Ce mécanisme est bien expliqué par la cour d’appel elle‑même au paragraphe 42 de l’arrêt, où elle cite ce passage de l’ouvrage de Blake intitulé «Administrative Law in Canada» (2e éd., 1997):
«En matière de contrôle juridictionnel, il n’existe pas de droit au recours, même si tous les critères nécessaires sont remplis. Un juge peut décider de ne pas accorder la réparation demandée par un requérant qui peut par ailleurs y prétendre.».
Il convient d’observer que la procédure engagée devant la cour d’appel portait sur la question de savoir si la Cour divisionnaire devait ou non ordonner, par la voie du contrôle juridictionnel, à la Commission de désigner une commission d’enquête conformément au Code des droits de la personne. On peut supposer que le rôle d’une commission d’enquête est d’enquêter pour déterminer le bien‑fondé éventuel de la plainte. À cet égard, l’État partie fait valoir, comme il ressort du paragraphe 4.4 de la décision du Comité, que la Commission mène ses enquêtes en toute indépendance et renvoie les dossiers à un organe d’enquête quand un règlement n’est pas possible.
4.Deuxièmement, la question de la recevabilité doit être appréciée non à la lumière de la plainte telle qu’elle a été déposée devant une juridiction interne, mais à la lumière de la communication soumise au Comité; or, celle‑ci est clairement présentée aux paragraphes 2.1 à 3.5 de la décision du Comité. Il ressort manifestement des faits établis que l’auteur a suffisamment étayé sa requête aux fins de la recevabilité.
5.Troisièmement, comme il ressort du paragraphe 2.3 de la décision, les allégations de l’auteur, dont la cour d’appel a incidemment confirmé qu’elles étaient étayées au paragraphe 15 de l’arrêt énonçant les conclusions de la Commission, tendent à montrer que la Commission n’a pas conclu que i) alors que les éléments de preuve indiquaient que la demande de titularisation de l’auteur n’avait pas été examinée de manière équitable et dans les délais, les irrégularités commises ne semblaient pas liées à un quelconque motif de discrimination interdit, et ii) bien que les éléments de preuve indiquent que l’auteur a peut‑être fait l’objet d’un traitement différent, ils ne suffisent pas à conclure que cette différence résulte de sa croyance plutôt que de ses convictions politiques, ces dernières ne constituant pas un motif de discrimination interdit par le Code de l’Ontario.
6.Quelle est donc la situation? Selon la législation ontarienne, l’opinion politique ne saurait constituer un motif de discrimination interdit. Cette affirmation constitue une violation de l’article 26 du Pacte; or, la Commission n’ayant pas cru devoir interpréter la croyance comme incluant l’opinion politique, elle n’a pas pu faire droit à la demande de l’auteur, à savoir la désignation d’un organe d’enquête par la Commission.
7.Il y aurait beaucoup à dire sur la question de savoir à qui incombe la charge de la preuve dans des situations où un employé prétend avoir été victime d’une discrimination fondée sur un motif interdit par l’article 26 du Pacte. Selon nous, l’auteur d’une requête doit à tout le moins l’étayer, dans une certaine mesure, ce que l’auteur a indubitablement fait en l’espèce. Il incombe toutefois à l’État partie de communiquer l’ensemble des faits permettant d’établir, non seulement de façon négative, par une simple déclaration, que le traitement différent infligé à l’auteur ne résulte pas d’une discrimination fondée sur ses convictions politiques, mais aussi de manière positive, en montrant, par exemple, que celui‑ci a été considéré inapte pour une raison précise, ou que son dossier d’évaluation ne justifiait pas une promotion, du moins à ce stade, ou en avançant toute autre raison valable.
8.Pour toutes ces raisons, nous parvenons à la conclusion que la requête de l’auteur est, en premier lieu, recevable et, en second lieu, qu’il a été privé de la protection contre la discrimination fondée sur les opinions politiques, garantie à l’article 26 du Pacte, parce que le Code de l’Ontario ne lui accorde pas cette protection. La Commission ontarienne des droits de la personne et la Cour ne pouvaient par conséquent pas lui accorder une réparation non prévue par le Code de l’Ontario. Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie devrait, selon nous, accorder à l’auteur la réparation qu’il demande depuis le 1er juillet 1989.
(Signé) Christine Chanet(Signé) Maurice Glèlè Ahanhanzo(Signé) Ahmed Tawfik Khalil(Signé) Rajsoomer Lallah
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
H. Communication n o 967/2001, Ostroukhov c. Fédération de Russie (Décision adoptée le 31 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Valentin Ostroukhov (représenté par des conseils, Mme Ledeneva, Mme Voskobitova et Mme K. Moskalenko, du Centre moscovite de protection internationale) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie |
Fédération de Russie |
Date de la communication: |
27 avril 1999 |
Objet: Nouvelle qualification juridique de la possession illicite de stupéfiants.
Questions de procédure: Plainte non étayée aux fins de la recevabilité.
Questions de fond: Application rétroactive d’une peine plus légère après modification de la loi.
Articles du Pacte: 14 (par. 1) et 15 (par. 1).
Articles du Protocole facultatif: 2.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 mars 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est M. Valentin Ostroukhov, de nationalité russe, né en 1977, qui, à l’époque où la communication a été présentée, purgeait une peine de prison dans la République des Komis (Fédération de Russie). Il affirme être victime de violations par la Fédération de Russie des articles 14, paragraphe 1, et 15, paragraphe 1 du Pacte. Il est représenté par un conseil.
Exposé des faits
2.1Le 27 août 1996, l’auteur a acheté 10 grammes de marijuana à un inconnu − par curiosité selon lui. Peu après, il a été interrogé par une patrouille de police à proximité de son domicile, et la drogue a été découverte. Il a été arrêté et placé en détention provisoire. Le 10 novembre 1997, le tribunal intermunicipal Tagansky de Moscou l’a déclaré coupable d’achat et de détention illicites de stupéfiants sans intention de les vendre et l’a condamné à un an et six mois d’emprisonnement en vertu du paragraphe 3 de l’article 224 du Code pénal de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, en vigueur au moment où l’infraction pénale avait été commise.
2.2L’auteur relève qu’à la date de l’infraction − le 27 août 1996 − l’ancien Code pénal était encore en vigueur et qu’en vertu de ses dispositions l’achat et la détention illicites de «petites» quantités de marijuana constituaient une infraction pénale. D’après lui, le Tableau récapitulatif du Comité permanent de lutte contre les stupéfiants du 17 avril 1995 stipulait que 10 grammes de marijuana constituaient une «petite» quantité.
2.3L’auteur fait observer qu’au cours de l’enquête et concomitamment au procès un nouveau Code pénal était entré en vigueur (le 1er janvier 1997). D’après l’article 228 dudit Code, la responsabilité pénale n’était engagée qu’en cas d’achat et de détention illicites de stupéfiants en quantité «importante» ou «très importante»; de l’avis de l’auteur, la possession de «petites» quantités de stupéfiants s’en trouvait donc dépénalisée. En vertu de l’article 10 du nouveau Code pénal, cette dépénalisation devait s’appliquer rétroactivement aux personnes qui avaient commis des infractions pénales analogues avant l’entrée en vigueur du nouveau Code. Malgré cela, le tribunal a déclaré l’auteur coupable le 10 novembre 1997.
2.4M. Ostroukhov a fait appel du jugement du tribunal de première instance devant le tribunal de la ville de Moscou, lui demandant d’annuler ce jugement et de classer l’affaire. Dans son appel, il a mentionné l’article 228 du nouveau Code pénal qui dépénalisait la possession de «petites» quantités de marijuana. Le 11 décembre 1997, le tribunal de la ville de Moscou a confirmé le jugement du 10 novembre 1997.
2.5L’auteur s’est alors pourvu devant le président du tribunal de la ville de Moscou, déposant un recours en révision (nadzor). Le 20 janvier 1998, le président du tribunal de la ville de Moscou a expliqué que la plainte de l’auteur était dénuée de fondement parce que la sanction prévue à l’article 228 du nouveau Code pénal pour la possession de 10 grammes de marijuana sans intention de les vendre était en fait plus sévère que la sanction prévue à l’article 224 de l’ancien Code pénal. L’auteur a déposé plusieurs autres plaintes devant les services du Procureur général et la Cour suprême. Le président de la Cour suprême a examiné son affaire et conclu qu’il ressortait du Tableau récapitulatif du Comité permanent de lutte contre les drogues du 1er août 1995 et de la liste no 1 qui y était annexée («Quantités de stupéfiants pouvant être considérées comme minimes, importantes et très importantes») du 4 juin 1997 que l’acquisition et la détention de 10 grammes de marijuana constituaient une infraction pénale tant à la date de la commission de cette infraction qu’en vertu du nouveau Code pénal.
2.6D’après l’auteur, le nouveau Tableau récapitulatif du Comité permanent de lutte contre les drogues du 4 juin 1997 stipulait que 10 grammes de marijuana constituaient une quantité «importante» et ce nouveau tableau avait été appliqué pour la qualification de l’infraction qu’il avait commise le 27 août 1996.
Teneur de la plainte
3.L’auteur affirme être victime de violations par la Fédération de Russie des droits que lui confèrent l’article 14, paragraphe 1, et l’article 15, paragraphe 1 du Pacte. Il déclare qu’en 1996 il a été accusé de possession d’une «petite quantité» de marijuana et que, en novembre 1997, il a été reconnu coupable et condamné à une peine d’emprisonnement. Il affirme que sa condamnation était illégale du fait que, le 1er janvier 1997, un nouveau Code pénal était entré en vigueur qui dépénalisait la possession de petites quantités de marijuana; en droit russe, toute loi dépénalisant une infraction est censée s’appliquer rétroactivement.
Observations de l’État partie
4.1Par une note du 31 juillet 2001, l’État partie a expliqué que les services du Procureur général avaient examiné l’affaire pénale de l’auteur en vertu de la procédure de contrôle judiciaire. Il affirme que le conseil de l’auteur fondait les arguments de sa défense sur le Tableau récapitulatif du Comité permanent de lutte contre les drogues du 1er août 1995 selon lequel 10 grammes de marijuana séchée constituaient une «petite quantité» de stupéfiants et ne justifiaient donc pas l’ouverture de poursuites pénales contre l’auteur en vertu du Code pénal alors en vigueur.
4.2D’après l’État partie, lesdits arguments n’étaient pas convaincants car les quantités de stupéfiants mentionnées dans les Tableaux récapitulatifs du Comité permanent du 1er août 1995 et du 4 juin 1997 constituaient tout au plus de simples recommandations scientifiques à l’usage des experts. Les conclusions du Comité permanent n’ont pas valeur juridique et la règle selon laquelle le droit pénal ne devrait pas avoir d’effet rétroactif ne s’applique pas à ces conclusions. D’après l’État partie, il est du seul ressort des tribunaux de décider, à la lumière de toutes les circonstances, si une quantité donnée de stupéfiants doit être qualifiée de «minime», «importante» ou «très importante».
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.L’auteur a commenté les observations de l’État partie dans une lettre datée du 14 novembre 2002. Il fait valoir que les Tableaux récapitulatifs du Comité permanent de lutte contre les drogues du 1er août 1995 et du 4 juin 1997 constituent de fait une source de droit car, en tout état de cause, ils ont servi à qualifier ses actes en termes juridiques et ne constituent pas selon lui de simples recommandations scientifiques.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité note que la même affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et que les recours internes disponibles ont été épuisés. Il considère donc que les conditions énoncées aux paragraphes 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.
6.3Le Comité a noté que l’affirmation de l’auteur selon laquelle les droits que lui confèrent l’article 14, paragraphe 1, et l’article 15, paragraphe 1, ont été violés du fait qu’il a été condamné illégalement par le tribunal intermunicipal Tagansky de Moscou le 10 novembre 1997, en vertu des dispositions du Code pénal de 1960, pour détention de 10 grammes de marijuana (quantité qualifiée à l’époque de «minime»), en dépit du fait que, le 1er janvier 1997, le nouveau Code pénal de l’État partie soit entré en vigueur et que, selon ses dispositions, l’achat et la détention de «petites» quantités de drogues soient dépénalisés. Le Comité note cependant que le tribunal intermunicipal Tagansky de Moscou a examiné cette question et fondé son jugement du 10 novembre 1997 sur l’ancien Code pénal, affirmant que la sanction prévue pour l’achat et la détention illicites de 10 grammes de marijuana était plus légère que celle prévue par le nouveau Code pénal. En appel, le tribunal de la ville de Moscou a déterminé que la possession d’une telle quantité de drogues constituait une infraction pénale tant en vertu de l’ancien Code pénal que du nouveau.
6.4En substance, le principal argument de l’auteur a trait à la qualification juridique de l’acquisition de la quantité susmentionnée de marijuana, considérée comme «minime» en vertu de la loi en vigueur en 1996 et «importante» en vertu du nouveau Code pénal de 1997. D’après l’auteur, le nouveau Code pénal dépénalisait l’achat de «petites» quantités de marijuana et il devait donc être acquitté puisque la quantité qu’il détenait était «minime» d’après le Tableau récapitulatif du Comité permanent de lutte contre les drogues du 17 avril 1995. Le Comité a noté que cet argument avait été examiné par les tribunaux et jugé dénué de fondement. Il constate que la plainte de l’auteur a trait, de par sa nature, à l’appréciation des faits et des éléments de preuve et à l’interprétation du droit interne. Il renvoie à sa jurisprudence, réaffirmant que c’est aux juridictions des États parties au Pacte et non à lui-même qu’il appartient généralement d’examiner ou d’évaluer les faits et les éléments de preuve, sauf à établir que la conduite du procès ou l’évaluation des faits et des éléments de preuve ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Comme l’auteur n’a pas présenté d’éléments de preuve montrant que les décisions des cours d’appel aient été entachées de telles irrégularités, le Comité considère que cette plainte n’est pas étayée aux fins de la recevabilité et est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.Le Comité des droits de l’homme décide en conséquence:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur, pour information.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
I. Communication n o 969/2001, da Silva Queiroz et consorts c. Portugal (Décision adoptée le 26 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Abel da Silva Queiroz et consorts (représentés par un conseil, Maîtres João Pedro Gonçalves Gomes et Rui Falcão de Campos) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Portugal |
Date de la communication: |
16 avril 2000 (date de la lettre initiale) |
Objet: Perte de biens en Angola de la part de citoyens portugais lors de la décolonisation par le Portugal et absence d’indemnités pouvant revêtir un caractère discriminatoire.
Questions de procédure: Recevabilité ratione temporis − Effet continu.
Questions de fond: Droit à la propriété − Droit à indemnisation − Discrimination.
Articles du Pacte: 26.
Articles du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1Les auteurs sont des citoyens portugais ayant perdu leurs biens en Angola lors de sa décolonisation par le Portugal et n’ayant pas obtenu d’indemnités pour cette perte. Les auteurs se déclarent victimes d’une violation par le Portugal de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs sont représentés par un conseil.
1.2Le Portugal est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques depuis le 15 septembre 1978 et au Protocole facultatif depuis le 3 août 1983.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1Les auteurs, citoyens portugais regroupés dans l’«Association des Spoliés de l’Angola», ont perdu tous leurs biens au cours de la décolonisation de l’Angola, colonie portugaise jusqu’à son indépendance le 11 novembre 1975. Ils n’ont reçu aucune indemnité.
2.2Le 26 octobre 1977, le Portugal a promulgué la loi no 80/77 portant reconnaissance du droit à indemnisation des citoyens portugais et des ressortissants étrangers dont les biens sur le territoire métropolitain portugais avaient fait l’objet d’expropriations ou de nationalisations durant les troubles des années 1975 et 1976.
2.3L’article 40 de cette loi exclut de son champ d’application les biens qui se trouvaient dans les anciennes colonies portugaises et renvoie à cet égard à la législation de l’État où étaient localisés les biens spoliés.
2.4Les auteurs précisent que, dans le cadre du processus de décolonisation initié dès 1974, a été signé le 15 janvier 1975 le dénommé Accord d’Alvor entre le Portugal, le FNLA (Front national de libération de l’Angola), le MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola) et l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola). Par cet accord, l’État partie a reconnu le droit du peuple angolais à l’indépendance et a régi les modalités d’exercice du pouvoir durant la période de transition, à savoir jusqu’au 11 novembre 1975, jour fixé pour la proclamation de l’indépendance. Les gouvernements dits de transition de l’Angola constitués de représentants des signataires de l’Accord avaient notamment comme prérogative la sécurité des biens et des personnes. Cependant, selon les auteurs, la plupart des biens des citoyens portugais en Angola ont dû être abandonnés en raison des conditions de sécurité précaires, et ont été appropriés en particulier par la population et les bandes armées d’insurgés. En raison de ces violations, le Portugal a mis fin à l’Accord d’Alvor par le décret-loi no 458-A/75 du 22 août 1975. Les auteurs indiquent que les gouvernements de transition de l’Angola ont autorisé la confiscation de certains biens par le décret-loi du 7 octobre 1975. La plupart des biens ont ensuite été confisqués et nationalisés par l’État angolais.
2.5Alors que le Portugal a dédommagé ses ressortissants des pertes subies sur le territoire portugais en 1975 et 1976, les citoyens portugais victimes de spoliations sur le territoire de l’Angola n’ont pas été indemnisés.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs estiment que la loi no 80/77 est discriminatoire au sens de l’article 26 du Pacte, en ce que les ressortissants de nationalité portugaise n’ont pas été traités de la même manière quant à l’octroi ou non d’indemnités selon que leurs biens se trouvaient sur le territoire du Portugal ou sur celui des anciennes colonies portugaises, dont l’Angola.
3.2Les auteurs considèrent que les actes ayant eu lieu en territoire angolais avant l’indépendance entraînent la responsabilité civile du Portugal. D’après les auteurs, au cours de cette période l’Angola était, au regard du droit, un territoire portugais sur lequel l’État partie avait pleine juridiction, y compris pour la mise en œuvre de sa législation (en particulier les articles 6 et 8 de la Constitution de 1933garantissant respectivement le devoir de l’État de faire respecter et d’assurer l’exercice des droits et libertés ainsi que le droit à la non-confiscation des biens). Les auteurs estiment en outre que le Portugal est coresponsable des dommages matériels subis par ses citoyens en Angola après l’indépendance, ceci en vertu du devoir de protection diplomatique. Ils précisent à cet égard que la présente Constitution portugaise dispose, en son article 14, que «les citoyens portugais qui se trouvent ou qui habitent à l’étranger bénéficient de la protection de l’État pour l’exercice de leurs droits…». Selon les auteurs, la responsabilité du Portugal se manifeste également, chaque année, par l’inscription au budget de l’État d’une dotation au titre des dédommagements résultant du processus de décolonisation. Finalement, les auteurs soutiennent que la responsabilité de l’État partie résulte autant des agissements ci-dessus décrits qu’il a permis avant l’indépendance de l’Angola, que d’une omission continue de son devoir de protection diplomatique depuis lors. Le droit à indemniser les auteurs n’est donc pas prescrit, mais au contraire continu. Il s’agit d’un droit acquis.
3.3Les auteurs demandent réparation pour la spoliation de leurs biens, sous forme d’indemnités, soit directe de la part du Portugal, soit indirecte de la part de l’Angola par voie d’action diplomatique.
3.4Les auteurs estiment avoir épuisé les voies de recours internes, précisant qu’aucun moyen contentieux n’est à leur disposition. La législation portugaise ne permettant pas aux particuliers de saisir directement la Cour constitutionnelle pour contester la loi no 80/77, ils soutiennent avoir soumis leur requête au Médiateur (Provedor de Justiça), lequel a décidé, le 5 juillet 1993, de ne pas donner suite à leurs griefs. Les auteurs ajoutent, dans leur communication initiale, que la décision du Médiateur ne peut faire l’objet d’aucun recours en justice.
Observations de l’État partie
4.1Dans ses observations du 18 juin 2001, l’État partie conteste la recevabilité de la communication.
4.2En premier lieu, l’État partie considère, en se fondant sur la jurisprudence du Comité, que la plainte est irrecevable ratione temporis, dans la mesure où les auteurs se plaignent, d’une part, de faits s’étant produits entre 1975 et 1976 et, d’autre part, de la loi no 80/77 entrée en vigueur le 26 octobre 1977 alors que le Protocole facultatif a été ratifié par le Portugal le 3 mai 1983.
4.3En second lieu, l’État partie estime, sur la base de la jurisprudence du Comité, que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées. Il développe que, dans le cas d’espèce et sur la base de la jurisprudence de la Cour suprême administrative du Portugal, doit être considérée la question de la responsabilité civile de l’État découlant d’un acte législatif ou politique. D’après l’État partie, la loi portugaise admet cette forme de responsabilité de l’État, mais les auteurs auraient dû introduire l’action en justice, dans ce cas, devant les tribunaux communs de l’ordre judiciaire. Cette responsabilité pour des actes législatifs est admise, selon l’État partie, par la jurisprudence de la Cour suprême de justice. En conséquence, selon l’État partie, il était ainsi loisible pour les auteurs d’intenter une action civile contre l’État, d’engager une procédure en indemnisation contre l’État devant les tribunaux judiciaires et d’y invoquer l’inconstitutionnalité de la loi. Il y aurait eu alors recours obligatoire immédiat du ministère public à la Cour constitutionnelle où la question aurait été appréciée, comme le souhaite la partie requérante. Celle-ci aurait pu continuer son recours judiciaire devant les tribunaux communs en ce qui concerne la question de l’indemnité. Or, dans le cas d’espèce, les auteurs n’ont pas épuisé ces recours.
4.4En troisième lieu, l’État partie déclare que la communication est irrecevable dans la mesure où l’affaire a été présentée au Comité des droits de l’homme le 16 avril 1998, à savoir cinq ans après que le Médiateur a rendu son délibéré (cf. le 5 juillet 1993).
4.5Dans sa note verbale du 21 septembre 2001, l’État partie fait part de ses observations sur le fond ayant trait, selon lui, à la question d’une éventuelle discrimination entre citoyens nationaux selon que leurs biens se trouvaient en territoire national ou en territoire sous administration portugaise.
4.6L’État partie estime que la question de l’éventuelle discrimination se rattache au statut respectif du territoire de l’Angola et du Portugal aux termes du droit international.
4.7Selon l’État partie, sans vouloir décliner a priori une responsabilité qui pourrait revenir au Portugal face à ses ressortissants que le pays de la nationalité doit protéger, la question se pose de savoir si la situation juridique de l’Angola est la même que celle du Portugal par rapport aux citoyens portugais et si, de ce fait, le Portugal est en mesure d’accorder le même traitement aux ressortissants sur le territoire national et à ceux qui se trouvent en territoire de l’Angola, encore que sous responsabilité portugaise à l’époque des faits. Seulement si la situation est la même, pourrait-on se trouver face à une discrimination.
4.8Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’État partie explique que la notion de discrimination implique que soient traitées pareillement les situations qui sont les mêmes, et différemment celles qui ne le sont pas.
4.9Il soutient que la distinction effectuée par la loi no 80/77 ne dépend pas d’une finalité − celle d’indemniser − mais d’une situation de fait: l’exercice matériel, véridique et possible de la juridiction de l’État portugais sur le territoire de l’Angola à l’époque des faits. D’après l’État partie, la notion de juridiction en droit international est clairement établie:
«L’expression relevant de leur juridiction semble limiter le nombre des bénéficiaires de la Convention, mais ne fait qu’établir le lien nécessaire entre la victime d’une violation de la Convention et l’État partie à qui cette violation est imputable. Autrement dit, pour que la Convention soit applicable, il doit être possible à l’État de reconnaître les droits garantis par la Convention; cependant, il n’est pas nécessaire qu’existe un lien juridique stable comme la nationalité, la résidence ou le domicile, car il suffit que l’État puisse exercer un certain pouvoir sur l’intéressé.».
4.10Selon l’État partie, se posent alors les questions suivantes: pourquoi, alors, limiter l’action relative aux spoliés de l’Angola aux seuls citoyens portugais qui y possédaient des biens et non pas également aux non-Portugais? D’autre part, est-ce que l’État portugais était en mesure d’exercer un certain pouvoir sur les biens des intéressés?
4.11L’État partie explique que l’origine d’un nouvel État sur le plan international dépend de facteurs liés à la vie plus qu’au droit. Il conclut que, dans le cas d’espèce, il n’y a pas discrimination car la situation n’est pas la même au Portugal et en Angola. D’après l’État partie, l’Angola, même avant la décolonisation, était un territoire différent du Portugal et juridiquement prêt, selon le droit international, à la séparation. Il s’agissait d’un État en devenir potentiel. Le Portugal, en contrepartie, n’est unitaire qu’en ce qui concerne le rectangle ibérique et les Régions autonomes − qui n’ont pas, internationalement, de statut colonial. L’État partie considère, dès lors, que le Portugal n’est astreint à la protection de la propriété que sur ce territoire.
4.12De même, selon l’État partie, il n’est pas possible d’affirmer que la qualification de territoire métropolitain ou de colonie est donnée par l’État. Elle est donnée, depuis 50 ans, par la communauté internationale, ce qui affaiblit la juridiction de l’État portugais sur le territoire de l’Angola à partir du moment où la décolonisation est en phase de transition. Du reste, selon l’État partie, à partir du moment où la définition des territoires a été donnée par la communauté internationale, ceux-ci ne dépendaient plus du Portugal et c’est pourquoi celui-ci a procédé à la décolonisation lors des années 70.
4.13L’État partie soutient que, même si l’on doit pouvoir affirmer que les situations privées doivent se maintenir en cas de constitution d’un nouvel État, l’État colonisateur ne peut les assurer lorsque celles-ci passent sous la juridiction (même si ce moment est un moment de transition), de fait, du nouvel État, même s’il est encore en formation. C’est à celui-ci que devrait revenir cette défense, sans atteinte naturellement aux dispositions, en particulier, des résolutions des Nations Unies 1314 (XIII) du 12 décembre 1958 et 1803 (XVII) du 12 décembre 1962 relative à la «Souveraineté permanente sur les ressources naturelles». Ceci est confirmé, selon l’État partie, à la fois par la Déclaration des Nations Unies du 24 octobre 1970 relative aux principes de droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies et la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 1960 sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.
4.14L’État partie conclut qu’il n’y a pas discrimination entre les citoyens portugais dont les biens se trouvaient en territoire national et les citoyens portugais dont les biens se trouvaient en territoire de l’Angola lors de l’entrée en vigueur de la loi no 80/77, et donc qu’il n’y a pas eu violation par l’État partie de l’article 26 du Pacte. Il ajoute que, nonobstant les aspects juridiques ci-dessus exposés qui font apparaître que la plainte des auteurs n’est pas fondée, le Portugal n’a pas abandonné les citoyens portugais qui se trouvaient sur le territoire de l’Angola et, dans la mesure de ses possibilités, a cherché à assurer leur protection ainsi que celle de leurs biens et leur réintégration dans le pays.
4.15Il est dès lors établi que l’État partie n’a pas enfreint l’article 26 du Pacte et n’a pas non plus abandonné les citoyens portugais se trouvant en Angola au moment de la décolonisation.
4.16Dans ses observations du 29 décembre 2004 sur les commentaires des auteurs du 6 décembre 2004, l’État partie réitère son argumentation sur l’irrecevabilité de la communication. Il souligne qu’à ce jour seule la procédure auprès du tribunal civil de Cascais a abouti à une décision de la Cour suprême. Or, selon l’État partie, il s’agit de savoir si une question de constitutionnalité a été soulevée devant la Cour constitutionnelle, ou le cas échéant si celle-ci ne peut avoir lieu. Sur le fond, l’État partie insiste sur la constatation selon laquelle il n’est pas possible d’exiger une réparation pour des faits qui ont été perpétrés en dehors de sa juridiction.
Commentaires des auteurs
5.1Dans leur correspondance du 28 novembre 2001, les auteurs contestent les observations de l’État partie et font valoir que les voies de recours internes ont été épuisées. Ils font état des recours introduits le 25 septembre 1997 auprès du tribunal administratif de Lisbonne, le 20 novembre 1998 et le 20 avril 2000 auprès du tribunal civil de Lisbonne, le 2 mai 2000 auprès du tribunal civil de Viseu et de Cascais, et le 3 mai 2000 auprès du tribunal civil de Tomar. Ils précisent qu’aucune décision de justice n’a été rendue à la date de soumission de leur correspondance au Comité.
5.2Dans leur correspondance du 6 décembre 2004, les auteurs expliquent qu’à ce jour seul le recours auprès du tribunal civil de Cascais a abouti, à savoir la décision par les tribunaux que les droits à compensation des auteurs étaient prescrits (arrêt du 18 juin 2002 du tribunal civil de Cascais, confirmé par la cour d’appel le 5 mai 2003 et par la Cour suprême le 14 mai 2004).
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Le Comité a pris note des arguments de l’État partie sur l’irrecevabilité ratione temporis de la plainte et des commentaires des auteurs à ce sujet.
6.4Conformément à sa jurisprudence, le Comité estime qu’il ne peut connaître de violations qui se seraient produites avant l’entrée en vigueur du Pacte pour l’État partie, à moins que lesdites violations ne persistent après l’entrée en vigueur du Protocole. Le Comité constate que la discrimination qui résulterait de la loi no 80/77 du 26 octobre 1977 s’est produite avant la ratification par l’État partie du Pacte le 15 septembre 1978 et du Protocole facultatif le 3 août 1983. Le Comité ne considère pas que les effets persistants de ladite discrimination liée à la loi précitée puissent constituer en soi des violations du Pacte. Par conséquent, la communication des auteurs est irrecevable ratione temporis. Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire pour le Comité de se prononcer sur la question de l’épuisement des voies de recours internes.
7.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 1 du Protocole facultatif.
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.
[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood, membre du Comité
Les auteurs se plaignent de ce que leurs biens en Angola ont été confisqués, sans indemnisation, pendant la période de transition vers l’indépendance de 1974 à 1975, et de ce que le Portugal n’a pas accordé d’indemnités pour ces actes des autorités angolaises. Cela constitue selon eux une violation du droit à l’égalité de traitement reconnu par l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Portugal ayant décidé de verser des indemnités pour les expropriations qui avaient eu lieu sur son territoire européen pendant la même période. Ils formulent ce grief de discrimination illégale bien que l’influence du Portugal et le contrôle qu’il exerçait en Angola aient été très réduits, sinon inexistants, pendant cette période.
Le Comité a conclu que cette plainte, fondée sur une discrimination illégale, était irrecevable ratione temporis. Le Comité note que la loi du Portugal sur l’indemnisation a été promulguée en octobre 1977, près de six ans avant l’adhésion du Portugal au Protocole facultatif se rapportant au Pacte, en août 1983.
Cependant, dans les cas où une violation a «un effet continu», le Comité a parfois tenu compte de faits antérieurs à l’adhésion de l’État partie en cause au Protocole facultatif. Il y a donc lieu de relever que la plainte des auteurs serait irrecevable pour une autre raison, indépendante de la première, à savoir le non‑épuisement des voies de recours internes. Des instances sont encore en cours devant les tribunaux portugais, et les auteurs n’ont pas démontré que ces recours seraient vains.
La plainte des auteurs mélange plusieurs arguments. L’un concerne la portée de la «protection diplomatique»: Un gouvernement a‑t‑il le devoir, et pas seulement le droit, de faire valoir les demandes de ses citoyens à l’encontre d’États étrangers, et est‑il libre de décider s’il doit le faire, et comment? Le deuxième argument est qu’un État partie aurait le devoir d’accorder une indemnité lorsque ces demandes n’aboutissent pas. Le troisième est que le Portugal est resté, en droit, responsable des confiscations de biens effectuées avant la date officielle de l’indépendance de l’Angola, le 11 novembre 1975, quand bien même Lisbonne aurait perdu le contrôle effectif des événements dans la colonie et essayé de protéger les biens portugais par l’Accord d’Alvor. Chacune de ces questions peut intéresser des spécialistes du droit international. Toutefois, le bien‑fondé de ces arguments et leur rapport prétendu avec l’article 26 du Pacte ne peuvent pas être examinés puisque la communication ne répond pas à la première condition de recevabilité fixée par le Protocole facultatif, qui est que les recours internes aient été manifestement épuisés.
(Signé) Ruth Wedgwood
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
J. Communication n o 988/2001, Gallego Díaz c. Espagne (Décision adoptée le 3 novembre 2004, quatre-vingt-deuxième session)
Présentée par: |
Mariano Gallego Díaz (représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
28 octobre 1999 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 novembre 2004,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est Mariano Gallego Díaz, de nationalité espagnole, résidant en Suisse, né le 22 juin 1930. Il est représenté par un conseil, M. Emilio Ginés Santidrián.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur, ingénieur de formation, a travaillé en Espagne du 1er mars 1958 au 10 septembre 1982, date à laquelle il a émigré en Suisse. Pendant toute cette période, il a cotisé à la Sécurité sociale espagnole, selon le barème maximal applicable à son groupe professionnel. Pendant son séjour en Suisse, il a cotisé à la caisse de Sécurité sociale de ce pays jusqu’à son départ à la retraite en 1995. Après ce départ à la retraite et en application de la Convention de Sécurité sociale entre la Confédération suisse et l’Espagne de 1969 et la Convention additionnelle y relative de 1982, les caisses de Sécurité sociale espagnole et suisse lui ont chacune accordé une pension de retraite. En application de la règle prorata temporis, une proportion de 70 % de cette pension lui est versée par la caisse espagnole et le reste par la caisse suisse.
2.2Pour déterminer le montant de la pension de retraite espagnole, les autorités espagnoles, appliquant l’article 14 de la Convention bilatérale additionnelle susmentionnée, ont utilisé les bases minimales de cotisations applicables en Espagne aux travailleurs de la même profession. Contestant ce calcul, l’auteur a décidé d’en appeler à la justice au motif que la base qui lui avait été appliquée ne devait pas être fondée sur les cotisations minimales de son groupe professionnel. D’autres circonstances auraient dû également être prises en considération, surtout le fait qu’il avait cotisé en Espagne selon le barème maximum de son groupe professionnel jusqu’à l’année où il avait émigré.
2.3Le 26 mai 1997, le tribunal des affaires sociales no 3 de Madrid a rejeté sa demande. Ce jugement a été attaqué devant la Chambre des affaires sociales du Tribunal supérieur de justice de Madrid, qui a confirmé le 7 avril 1998 la décision prise en première instance. L’auteur s’est pourvu en amparo devant le Tribunal constitutionnel, recours également rejeté le 25 janvier 1999.
Teneur de la plainte
3.L’auteur allègue une violation de l’article 26 du Pacte parce qu’il considère que la pension de retraite des travailleurs espagnols qui ont émigré dans d’autres pays, l’Allemagne par exemple, n’est pas calculée sur les bases minimales de cotisations, et qu’elle est de ce fait plus importante. Les conventions bilatérales entre l’Espagne et, respectivement, la Suisse et l’Allemagne donnent lieu à un traitement injuste et inégal puisque deux personnes qui ont cotisé à la Sécurité sociale espagnole pendant la même période et pour un même montant sont traitées différemment selon qu’elles ont émigré en Suisse ou en Allemagne.
Observations de l’État partie
Observations sur la recevabilité
4.1Le 17 septembre 2001, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la communication, en concluant que celle‑ci devait être jugée irrecevable.
4.2Selon l’État partie, si l’auteur souhaitait contester devant le Comité la Convention hispano‑suisse, il aurait dû s’adresser aux deux États qui sont parties à celle‑ci. Comme il s’adresse uniquement à l’Espagne, le Comité devrait juger la plainte irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
4.3L’État partie soutient également que les éléments sur lesquels l’auteur prétend que se fonde la discrimination sont incorrects, dans la mesure où l’auteur compare non pas deux traités mais des passages non isolables de deux traités, à savoir en l’espèce les passages relatifs au calcul de la pension par l’Espagne. De plus, l’Allemagne et la Suisse sont deux États distincts, ayant chacun son propre régime juridique, ce qui signifie que chaque Convention a été conclue en fonction des circonstances particulières des États signataires. L’Espagne a d’ailleurs conclu des conventions bilatérales de Sécurité sociale avec plusieurs autres États, dont chacune définit son propre régime de couverture des personnes qui ont travaillé dans chacun des pays considérés. Parmi tous ces instruments, l’auteur distingue sans aucune justification celui qui a été conclu avec l’Allemagne. Il ne peut alléguer de discrimination que si la distinction qu’il fait ainsi est objective et raisonnable puisque les conventions qu’il s’agirait de comparer ne sont pas divisibles à sa discrétion ni comparables entre elles car leurs signataires sont différents, ainsi, par conséquent, que les conditions de leur application. Le choix d’une convention comme élément de comparaison et l’exclusion des autres ne se justifie pas non plus.
Observations sur le fond
4.4Le 15 janvier 2002, l’État partie a présenté ses observations sur le fond.
4.5L’État partie fait observer que l’auteur n’a pas indiqué le montant exact des pensions de retraite espagnole et suisse qu’il percevait, ni le montant des pensions de retraite espagnole et suisse qui lui seraient versées si la Convention hispano‑allemande lui était appliquée. Or, ces renseignements sont indispensables pour que la comparaison soit juste. L’État partie réaffirme que les citoyens d’un État ne peuvent exiger l’application isolée de certaines des dispositions d’instruments bilatéraux ou multilatéraux, indépendamment du reste de l’instrument dont il s’agit et des autres États contractants. La disparité de traitement qu’il allègue trouve une justification objective et raisonnable dans la souveraineté des États, libres de conclure des conventions bilatérales avec d’autres États, selon leur appréciation des circonstances. L’État partie considère par conséquent que la communication doit être rejetée car elle n’établit pas la réalité de la discrimination.
Commentaires de l’auteur
5.1Le 9 avril 2002, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie.
5.2L’auteur explique que, selon la législation espagnole, un travailleur doit avoir cotisé à la Sécurité sociale 15 années au moins pour avoir droit à une pension de retraite. Il doit également avoir cotisé au minimum deux années pendant la période de huit ans précédant la date officielle de son départ à la retraite. Le montant de la pension est assis sur le total des cotisations versées pendant les années antérieures au départ à la retraite. Pour les personnes ayant cessé leurs fonctions la même année que l’auteur, il s’agissait de huit années.
5.3Lorsqu’une personne qui a travaillé en Espagne émigre et cesse de verser des cotisations avant d’entamer la période finale de sa vie professionnelle, celle qui sert à calculer sa pension, les cotisations qu’elle a versées en Espagne n’entrent pas dans le calcul de sa pension et ne lui servent à rien. Si cette personne émigre dans un pays avec qui a été conclue une convention de Sécurité sociale, la période pendant laquelle elle a versé des cotisations dans ce pays est retenue en vertu de ladite convention comme période qualifiante pour la pension en Espagne. En tel cas, cette pension est calculée selon les règles fixées dans chaque convention, qui varie selon les pays. L’Espagne a conclu des conventions bilatérales de Sécurité sociale avec 29 pays. Dix d’entre eux sont membres de l’Union européenne et les conventions conclues avec eux ne sont plus en vigueur puisqu’elles ont été remplacées par la réglementation de l’Union.
5.4Selon l’auteur, le fait que le régime espagnol de Sécurité sociale ne retient pas les mêmes formules de calcul pour établir le montant des pensions que l’Espagne doit verser à tous ceux qui ont quitté le pays et cessé de verser des cotisations à la Sécurité sociale espagnole est à l’origine de la discrimination dont il fait l’objet. Ce régime n’envisage pas la situation des émigrants. Il fixe les conditions dans lesquelles une pension peut être versée. Si ces conditions ne sont pas remplies, et en général les émigrés ne les remplissent pas, les droits à pension ne sont pas ouverts. Les conventions de Sécurité sociale remédient à cette situation, mais en partie seulement.
5.5Les pensions que l’Espagne verse aux Espagnols qui ont émigré incombent à elle seule, sont financées par des fonds exclusivement espagnols et sont régies par la législation espagnole. L’État avec lequel l’Espagne a signé une convention de Sécurité sociale n’est en rien concerné. Par conséquent, il n’y a aucune raison que la partie des conventions qui traite du calcul des pensions de retraite espagnoles diffère d’un instrument à l’autre. Ce n’est pas une question dont les pays débattent lorsqu’ils rédigent une convention. Il serait plus logique que toutes les conventions retiennent une formule de calcul nationale concrète, formule qui n’existe pas dans le cas des émigrés.
5.6Pour déterminer la pension touchée en Espagne par un travailleur qui n’émigre pas, il est tenu compte de l’historique de ses cotisations sur les dernières années. Ce n’est pas ce que prévoient la plus grande partie des conventions bilatérales, qui laissent cet aspect dans le flou ou le renvoient à des stipulations qui envisagent des montants minimaux et ne tiennent pas compte des cotisations réellement versées par l’intéressé. L’adhésion de l’Espagne à l’Union européenne a été marquée par l’adoption d’une certaine formule de calcul des prestations de retraite versées aux Espagnols ayant émigré dans un pays de l’Union, à savoir: «Le calcul de la pension théorique espagnole est fondé sur les cotisations réellement versées par l’assuré immédiatement avant le versement de sa dernière cotisation à la Sécurité sociale espagnole». Dans la Convention de Sécurité sociale conclue entre l’Espagne et le Mexique en 1994, c’est un principe analogue qui est utilisé, qui correspond à la formule de calcul de la pension des travailleurs qui prennent leur retraite en Espagne.
5.7L’auteur fait observer que la discrimination résultant des conventions bilatérales de Sécurité sociale a sur les pensions de retraite des conséquences normalement moins sensibles que dans son propre cas, et ce pour les raisons suivantes:
a)Les travailleurs émigrés qui demandent une pension ont versé des cotisations en Espagne pendant moins longtemps que lui, car ils étaient plus jeunes lorsqu’ils ont émigré;
b)Ces travailleurs émigrés ont quitté l’Espagne avant l’auteur, à une époque où les cotisations étaient moins élevées;
c)Ces travailleurs émigrés ont versé les cotisations correspondant à des groupes professionnels moins élevés, et d’un montant par conséquent beaucoup plus faible.
5.8Il s’ensuit que l’auteur reçoit une pension moins élevée que celle qu’il toucherait s’il n’avait pas émigré, fondée sur des cotisations qui ne représentent que 32 % de ce qu’il a en réalité versé. Cette réduction n’est pas compensée par la pension de retraite suisse; celle‑ci est également minime en vertu du calcul prorata temporis et l’auteur n’a cotisé que pendant les dernières années de son activité professionnelle. Si le barème des cotisations de l’auteur en Espagne avait été, par exemple, celui des années 60, la formule minimale qui lui est aujourd’hui appliquée serait à son avantage. Dans son cas, comme la date à laquelle il a émigré est proche de la date à laquelle il est parti à la retraite, cette formule minimale lui est préjudiciable.
5.9Selon l’auteur, l’application littérale de l’article 14 de la Convention bilatérale revient à faire fi des droits qu’il s’est acquis ou qu’il est en voie d’acquérir en tant que travailleur émigré, ce qui est contraire à plusieurs réglementations nationales et internationales qui consacrent le principe de la protection de ces droits.
5.10L’auteur rejette l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’a pas établi le montant de sa pension suisse; il indique que ce montant a été mentionné dans le recours en amparo qu’il a exercé devant le Tribunal constitutionnel. Il soutient également que le montant de sa pension suisse n’est pas calculé selon la Convention bilatérale mais selon le droit suisse, qu’il est correct et qu’il n’est pas en cause ici. Quant à l’affirmation de l’État partie selon laquelle la communication devrait viser les deux États signataires de la Convention, l’auteur soutient la position inverse pour les motifs suivants:
a)La Suisse n’est pas partie au Protocole facultatif;
b)La pension suisse qu’il reçoit a été calculée de façon indépendante selon le paragraphe 1 de l’article 7 de la Convention de 1969, et elle est identique à celle que recevrait un Suisse ou quelque autre étranger travaillant en Suisse et se trouvant dans la même situation. La Convention ne contient aucune disposition spécialement applicable au versement de la partie suisse de la pension de retraite, au contraire de ce qu’elle fait pour la partie espagnole;
c)La Suisse n’a compétence ni à l’égard du calcul ou du versement de la pension espagnole, ni à l’égard des litiges dont celle‑ci fait l’objet. C’est l’État espagnol qui fixe un traitement différent quand il propose d’incorporer dans une convention de Sécurité sociale en cours de rédaction, sans aucun motif, un traitement particulier qui n’est justifié ni objectivement ni rationnellement.
5.11L’auteur dément également avoir demandé qu’on lui applique la Convention hispano‑allemande, comme le laisse entendre l’État partie. Cette Convention n’a été mentionnée que pour illustrer le traitement discriminatoire dont il fait l’objet. L’État partie, lorsqu’il détermine les pensions de retraite différemment d’une convention à l’autre ou conformément aux règlements de l’Union européenne, introduit aléatoirement des distinctions entre les travailleurs qui ont émigré. De l’avis de l’auteur, l’État partie devrait appliquer aux pensions de retraite versées aux Espagnols qui ont émigré dans tous les pays du monde la même formule de calcul que celle qu’il applique aux Espagnols qui ont émigré dans d’autres pays de l’Union européenne. Il devrait aussi proposer de modifier les conventions bilatérales qui ne calculent pas les pensions selon cette même formule.
Commentaires complémentaires de l’auteur
6.1Le 12 août 2003, l’auteur a envoyé au Comité des renseignements sur des faits nouveaux intervenus depuis sa lettre précédente.
6.2L’auteur déclare que l’Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes est entré en vigueur le 1er juin 2002 et qu’il offre la possibilité de calculer la pension espagnole selon la réglementation communautaire et non selon la Convention hispano‑suisse. L’auteur a fait à cette fin les démarches nécessaires auprès des administrations compétentes et a introduit un recours devant le tribunal des affaires sociales no 4 de Madrid, lequel, dans son jugement du 11 avril 2003, a accordé à l’auteur une pension de 1 363,06 euros par mois à compter du 1er juin 2002, c’est‑à‑dire une pension trois fois supérieure à celle qu’il percevait depuis 1995. La Sécurité sociale espagnole a exécuté le jugement.
6.3L’auteur déclare avoir obtenu satisfaction et n’avoir rien à réclamer à l’État partie en ce qui concerne le montant de sa pension après le 1er juin 2002. Cela dit, il considère qu’il fait encore l’objet de discrimination au regard de l’article 26 du Pacte en ce qui concerne la période allant du 1er juillet 1995 au 31 mai 2002. Il reprend donc le grief qu’il a déjà fait valoir à ce propos. Il rappelle que la formule de calcul appliquée à son cas à partir du 1er juin 2002, qui se fonde sur ses cotisations réelles, est précisément celle dont il avait réclamé l’application à la Sécurité sociale dans son courrier du 30 août 1996 et réclamé encore dans le cadre des divers moyens dont il s’était prévalu.
6.4L’auteur demande également que la réglementation espagnole soit amendée de manière que la pension de retraite de tous les travailleurs émigrés se calcule comme se calcule dorénavant la sienne, c’est‑à‑dire selon les mêmes principes que ceux qui sont appliqués aux personnes qui émigrent dans les pays de l’Union européenne, quel que soit le pays dont il s’agit.
6.5L’État partie n’a pas fait de commentaires sur les observations de l’auteur.
Délibérations du Comité
7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Conformément au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et il a constaté que l’auteur avait épuisé tous les recours internes disponibles. Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur aurait dû également viser la Suisse dans sa plainte, le Comité note que l’auteur ne conteste pas la partie de sa pension qu’il reçoit du système suisse de Sécurité sociale et qu’en outre la Suisse n’a pas ratifié le Protocole facultatif. Le fait que la communication vise uniquement l’Espagne ne constitue pas un obstacle à sa recevabilité.
7.3En ce qui concerne l’argument de l’auteur selon lequel le fait que les travailleurs migrants espagnols ne sont pas traités de la même manière selon qu’ils ont émigré en Suisse ou dans d’autres pays constitue une violation de l’article 26 du Pacte, le Comité note que l’auteur n’a pas montré en quoi cette distinction est fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique et toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation de ces travailleurs migrants. La position moins avantageuse de l’auteur a son origine dans le fait que les traités bilatéraux négociés par l’Espagne ne sont pas identiques pour ce qui est du calcul de la part espagnole de la pension des personnes qui ont travaillé en Espagne et à l’étranger. Or, le simple fait que des traités différents portant sur le même sujet conclus avec différents pays à des périodes différentes n’aient pas la même teneur ne constitue pas, en soi, une violation de l’article 26 du Pacte. L’auteur n’a invoqué aucun élément supplémentaire permettant de qualifier d’arbitraire l’article 14 de la Convention avec la Suisse. Le Comité conclut donc que les faits présentés par l’auteur ne soulèvent pas de questions au regard de l’article 26.
8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
K. Communication n o 1037/2001, Bator c. Pologne (Décision adoptée le 22 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Zdzislaw Bator (représenté par un conseil: le cabinet juridique Winston and Strawn, en Suisse, et par M. Sloan et Leon Zelechowski, aux États‑Unis d’Amérique) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Pologne |
Date de la communication: |
3 octobre 2001 (date de la lettre initiale) |
Objet: Retrait à un individu de sa qualité de liquidateur d’une société à l’issue d’un procès non équitable.
Questions de procédure: Néant.
Questions de fond: Procès non équitable.
Articles du Pacte: 14 (par. 1 et 2).
Articles du Protocole facultatif: 2.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est Zdzislaw Bator, citoyen américain et polonais, résidant actuellement aux États‑Unis d’Amérique. Il prétend être victime de violations par la Pologne des articles 2, paragraphes 3 a) et b), et 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil: le cabinet juridique Winston and Strawn, en Suisse, et par M. Sloan et Leon Zelechowski, aux États‑Unis d’Amérique.
Exposé des faits
2.1En 1986, l’auteur a formé une coentreprise avec son frère Waldemar Bator («Waldemar»), citoyen polonais résidant à Plock (Pologne). Cette société avait pour nom Capital Ltd. («Capital») et avait son principal établissement à Plock. L’auteur en détenait 81 % des parts et Waldemar 19 %. L’auteur en assumait le financement et Waldemar en gérait les opérations courantes en Pologne. L’auteur résidait aux États‑Unis mais se rendait en Pologne plusieurs fois par an pour aider à la gestion de la société.
2.2L’auteur affirme avoir découvert en 1994 que Waldemar et sa femme détournaient des fonds de la société. L’auteur a passé plusieurs mois en Pologne pour tenter de «sauver l’entreprise». En 1995, il a toutefois décidé que Capital devait être dissoute. Le 6 novembre 1995, lors d’une réunion avec Waldemar, l’auteur, en tant qu’actionnaire majoritaire, a adopté une résolution portant dissolution de Capital, et s’est élu lui‑même liquidateur de la société. À cette réunion, Waldemar a voté contre la candidature de l’auteur aux fonctions de liquidateur et menacé de le faire révoquer.
2.3L’auteur a pris plusieurs dispositions pour liquider les avoirs de Capital, notamment la vente d’une partie de ses avoirs immobiliers. Le 18 décembre 1995, le tribunal de première instance de Plock a notifié à l’auteur que la liquidation devait être portée au registre du commerce immédiatement. Waldemar a obtenu cet acte de notification du tribunal le jour même où il a été établi et transmis par télécopie à l’auteur. L’original est parvenu aux bureaux de Capital à Plock le 27 décembre 1995. En réponse à cette notification, l’auteur a déposé une déclaration informant le tribunal que la liquidation avait eu lieu le 3 janvier 1996.
2.4Le 18 décembre 1995, Waldemar a déposé une première requête visant à remplacer l’auteur comme liquidateur. Le 15 mars 1996, le tribunal de première instance de Plock l’a examinée au cours d’une «audience privée». Celle-ci n’a pas eu lieu dans la salle d’audience mais dans le bureau du juge et, d’après l’auteur, ni lui ni son avocat n’avaient été informés du lieu et de l’heure. Aucun des deux n’était donc présent pour contester la requête. En outre, l’affaire a été entendue par la chambre des affaires commerciales du tribunal de première instance au titre des «infractions au registre du commerce», en violation, selon l’auteur, des règles de procédure civile polonaises applicables. La compétence du tribunal avait donc été invoquée à tort. La juge chargée de l’affaire a estimé que Waldemar devait remplacer l’auteur comme liquidateur de Capital, au motif, entre autres, que l’auteur avait attendu le 3 janvier 1996 pour déclarer la liquidation, et qu’il résidait aux États‑Unis, ce qui le rendait moins apte à s’acquitter des fonctions de liquidateur (soit personnellement, soit par l’intermédiaire de ses agents).
2.5En application du jugement, le nom de l’auteur a aussitôt été radié du registre du commerce et celui de Waldemar a été inscrit à la place comme liquidateur. D’après l’auteur, cela était contraire à la loi polonaise car la décision du tribunal de première instance n’aurait pas dû être reconnue officiellement avant que l’auteur ait pu faire appel. Le 27 mai 1996, la juge du tribunal de première instance a annulé sa décision du 15 mars 1996, admettant qu’elle avait outrepassé ses pouvoirs en inscrivant Waldemar comme liquidateur au registre du commerce. Le 21 octobre 1996, l’appel interjeté par Waldemar a été rejeté et, en janvier 1997, le registre a été modifié pour y réinscrire l’auteur comme liquidateur.
2.6Au début de 1997, Waldemar a déposé une deuxième demande de changement de liquidateur. Le 11 juillet 1997, la même juge l’a examinée en l’absence d’un représentant de l’auteur, et a statué en faveur de Waldemar, en avançant des raisons pratiquement identiques à celles qui figuraient dans sa décision du 15 mars 1996. Le 30 octobre 1997, cette décision a été annulée par la cour d’appel au motif que l’auteur n’avait pas été correctement informé de la date de l’audience et que, partant, le principe de l’égalité des armes entre les parties n’avait pas été respecté. La cour d’appel a renvoyé l’affaire devant le tribunal de première instance pour réexamen.
2.7Avant que l’affaire ne soit réexaminée par le tribunal de première instance le 15 octobre 1998, l’avocat de l’auteur avait déposé une demande de report de l’audience, car l’auteur était souffrant et ne pouvait se déplacer, et son avocat ne pouvait pas le représenter à la date en question. Le tribunal n’a pas accusé réception de cette demande. D’après l’auteur, celle‑ci avait été déposée au tribunal dès 8 heures du matin le jour de l’audience. Un juge différent présidait les débats et a statué en faveur de Waldemar, en avançant les mêmes motifs que le tribunal de première instance. Le 6 juillet 1999, la cour d’appel a confirmé la décision du tribunal de première instance. Le tribunal aurait rejeté la demande de l’auteur qui voulait témoigner et présenter des preuves documentaires. L’auteur a déposé plusieurs requêtes visant à faire rouvrir l’instance et à se pourvoir devant la Cour suprême. Toutes ces demandes ont été rejetées.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que ses droits au titre des articles 2 et 14 ont été violés car sa cause n’a pas été entendue équitablement et publiquement de sorte qu’il n’a pu se défendre contre les tentatives répétées pour lui retirer ses fonctions de liquidateur. Chaque fois que le tribunal de première instance lui a retiré ses fonctions de liquidateur, il l’a fait en son absence, et a refusé selon lui de le laisser produire des preuves à l’appui de ses prétentions. De même, lors de l’audience du 6 juillet 1999, la cour d’appel a refusé de laisser l’auteur témoigner ou participer de quelque autre façon à l’audience. L’auteur affirme également qu’en examinant ces demandes en son absence, le tribunal de première instance a enfreint l’article 379, paragraphe 5, du Code de procédure civile.
3.2Selon l’auteur, les juges du tribunal de première instance de Plock n’ont pas agi de façon indépendante et impartiale. Pour étayer cette affirmation, il fait observer que le tribunal de première instance a statué en faveur de Waldemar à chaque fois qu’il a été saisi d’une demande de révocation de l’auteur comme liquidateur; que l’auteur n’a jamais été informé du lieu et de l’heure des audiences; que le tribunal a maintenu l’audience sur la troisième demande alors même qu’il avait été informé que l’auteur était souffrant et ne pouvait y assister; et que le jour même de chaque audience, le tribunal a rendu un jugement écrit complet, ce qui selon l’auteur donne à penser que l’issue était décidée à l’avance.
3.3En outre, l’auteur déduit du fait que Waldemar a reçu l’acte de notification du tribunal de première instance concernant l’enregistrement de la liquidation le 18 décembre 1995, c’est‑à‑dire le jour même où il a été établi, que Waldemar avait préalablement eu connaissance par le tribunal que cette notification serait faite. Il se réfère aussi au fait qu’après la décision du tribunal de première instance concernant la première demande de révocation, Waldemar a immédiatement été inscrit comme liquidateur au registre du commerce. Cela était contraire à la loi polonaise et permettait à Waldemar d’agir au nom de Capital sans y être habilité. Bien que le tribunal de première instance ait annulé sa décision, il a fallu attendre janvier 1997 pour que le registre soit corrigé, soit trois mois après que l’appel interjeté par Waldemar devant la cour d’appel eut été examiné et rejeté par celle‑ci.
3.4L’auteur affirme que la juge du tribunal de première instance, qui présidait les audiences concernant les deux premières demandes de révocation, lui avait dit que la décision à prendre en l’espèce lui avait été suggérée par le juge qui la supervisait. D’après lui, cette dernière avait une liaison amoureuse avec un ami de Waldemar, et l’ami en question l’avait reconnu lors d’un procès en diffamation qu’il avait intenté à l’auteur et à trois autres personnes. Au cours de ce procès, il avait appelé cette juge sa «fiancée».
3.5Pour étayer son argument selon lequel les juges n’ont été ni impartiaux, ni indépendants, l’auteur fait état d’un rapport de 1999 de la Banque mondiale, qui décrit les problèmes de corruption du système judiciaire polonais en général. Enfin, l’auteur admet que si toutes les allégations de corruption résumées aux paragraphes 3.2 à 3.4 ne constituent pas des preuves directes, ces éléments combinés font fortement présumer l’existence d’un parti pris défavorable ou tout du moins d’un manque d’impartialité à son égard. Les actions du système judiciaire dans son ensemble lui auraient valu «des centaines de milliers de dollars de pertes».
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Le 8 juillet 2001, l’État partie a fait parvenir ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il a clarifié les faits comme suit: Waldemar avait déposé une première demande le 18 décembre 1995, qu’il justifiait par le fait que l’auteur vivait aux États‑Unis et n’était donc pas en mesure de mener à bien comme il se doit le processus de liquidation et, qu’en cas de malversations, il serait pratiquement impossible de le poursuivre devant la justice polonaise. Le 25 janvier 1996, Waldemar a informé le tribunal de première instance que l’auteur avait, le 20 janvier 1996, vendu des biens immobiliers appartenant à la société à sa femme. Pour ces motifs, le 26 janvier 1996, le tribunal avait tenu une audience à laquelle l’auteur, bien que dûment convoqué, ne s’était pas présenté. Une autre audience avait été fixée au 9 février 1996, à laquelle l’auteur ne s’était pas présenté non plus. En conséquence, le tribunal avait reporté l’audience au 23 février 1996 et ordonné la comparution obligatoire de l’auteur à cette audience. Le 23 février 1996, l’auteur était présent et le tribunal a ordonné que l’information concernant l’engagement de la procédure de liquidation soit consignée au registre du commerce. À l’audience suivante, le 8 mars 1996, l’avocat de l’auteur était présent.
4.2Le 15 mars 1996, le tribunal de première instance de Plock a ordonné à tort des modifications du registre du commerce, sans attendre une décision finale et exécutoire comme le prévoit le Code de commerce polonais. Aussi ce même tribunal a‑t‑il ordonné, le 27 mai 1996, que les changements déjà apportés soient annulés. La décision du 11 juillet 1997 retirant ses fonctions de liquidateur à l’auteur a été annulée le 30 octobre 1997 par la cour d’appel, qui a renvoyé l’affaire devant le tribunal de première instance, du fait que l’auteur n’avait pas été dûment convoqué et n’était pas représenté à l’audience. Le 15 octobre 1998, après avoir réexaminé l’affaire, le tribunal de première instance de Plock a annulé la désignation de l’auteur comme liquidateur et nommé Waldemar à sa place. La cour d’appel a rejeté l’appel de l’auteur contre cette décision, en estimant qu’il avait été dûment convoqué à l’audience même s’il n’avait pu y assister, et que le tribunal avait eu amplement la possibilité de formuler une opinion motivée sur la demande en son absence. Le pourvoi de l’auteur devant la Cour suprême a également été rejeté.
4.3L’État partie estime que la communication est manifestement mal fondée et conteste que l’auteur ait été empêché de présenter des éléments de preuve ou de participer aux audiences. Exception faite de l’audience du 11 juillet 1997, à laquelle le tribunal a supposé à tort que l’auteur avait été dûment informé de sa tenue, erreur à laquelle la cour d’appel a remédié, rien n’atteste que l’auteur n’ait pas été dûment convoqué à toutes les autres audiences tenues par les tribunaux dans l’affaire le concernant. Par suite de la décision de la cour d’appel, l’affaire a été renvoyée devant le tribunal de première instance. L’auteur n’a pas comparu à cette audience, bien qu’il y ait été dûment convoqué. L’État partie fait valoir que le tribunal a pu examiner l’affaire en son absence sur la base des arguments communiqués par écrit.
4.4L’État partie rappelle que l’auteur et son conseil ont été convoqués à maintes reprises aux audiences et qu’ils ont tous deux témoigné devant les tribunaux. En fait, pendant la plus grande partie de l’instance, l’auteur a été représenté par deux avocats. On ne peut donc pas dire qu’il n’ait pas eu la possibilité de présenter sa position à la justice. En outre, les avocats de l’auteur ont déposé de nombreuses requêtes procédurales, dans lesquelles ils ont exposé en détail la position de leur client. L’État partie estime qu’il ne peut être tenu responsable du fait que l’auteur n’a pas pu assister à chacune des audiences. Le simple fait que la justice lui a donné tort ne signifie pas qu’il n’ait pas eu droit à un procès équitable.
4.5Quant aux allégations de corruption au tribunal de première instance, l’État partie estime qu’elles ne sont pas étayées et que le rapport de la Banque mondiale sur la corruption n’est pas pertinent en l’espèce, et ne peut être considéré comme une preuve directe de corruption au tribunal de Plock. Il ajoute que les allégations concernant certains juges de ce tribunal sont diffamatoires et constituent un abus du droit de présenter une communication. En outre, dans la mesure où il n’est pas engagé de procédure en vertu des articles 77 et/ou 417 du Code civil pour préjudice causé par des fonctionnaires publics, l’auteur n’a pas épuisé les recours dont il disposait s’agissant des pertes qu’il aurait subies par la faute du système judiciaire. Quand bien même le Comité considérerait que la plainte est suffisamment étayée, l’État partie estime que l’auteur n’a pas démontré qu’il y avait eu violation de l’une quelconque des dispositions du Pacte.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Le 10 octobre 2002, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il indique que son défaut de comparution à l’audience du 26 janvier 1996 était dû à la maladie de son fils, ce dont il avait informé le tribunal. Il souligne que l’État partie a omis de mentionner les points suivants: la demande qu’il avait faite, en raison de sa maladie, de reporter l’audience du 15 octobre 1998; la décision de la juge d’examiner l’affaire le 15 octobre 1998 «en privé», hors de la salle d’audience, malgré la décision initiale qu’elle aurait pris d’ajourner l’affaire; le refus par la cour d’appel, le 6 juillet 1999, d’autoriser l’auteur à participer à l’audience et sa menace de le faire arrêter s’il persistait à vouloir y participer; et le fait que le juge qui l’avait débouté à la Cour suprême était le même que celui qui avait examiné et rejeté une demande de réouverture de l’affaire.
5.2L’auteur signale que lors de l’examen de sa demande de réouverture de l’instance, la cour d’appel et la Cour suprême ont l’une comme l’autre mis l’accent sur les distinctions entre les «affaires concernant le registre du commerce» et les «affaires commerciales», passant sous silence les questions de garanties d’une procédure régulière mises en avant par l’auteur. Il conteste le point de vue de l’État partie selon lequel son absence à l’audience du 15 octobre 1998 en raison de sa maladie est sans conséquence car le tribunal était en possession de ses arguments écrits. Quant à l’assertion selon laquelle il n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne sa plainte contre certains juges, l’auteur fait observer que cela aurait été vain: puisqu’il n’avait déjà pas obtenu satisfaction auprès de la cour d’appel et de la Cour suprême pour les mêmes atteintes au droit à une procédure régulière, il n’y avait aucune raison de s’attendre à ce qu’un recours au titre des articles cités aboutisse à un résultat différent. En outre, il avait déjà passé cinq années à tenter de protéger ses droits devant les tribunaux et une nouvelle procédure de recours risquait de durer trop longtemps.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2En ce qui concerne la plainte de l’auteur selon laquelle sa cause n’a pas été entendue équitablement et publiquement de sorte qu’il n’a pu se défendre contre des tentatives répétées pour lui retirer sa qualité de liquidateur, le Comité observe que les allégations de l’auteur portent principalement sur l’évaluation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux. Il rappelle que c’est en principe aux tribunaux des États parties, et non au Comité, d’évaluer les faits et les éléments de preuve d’une affaire donnée, sauf s’il apparaît que les décisions des tribunaux sont manifestement arbitraires ou constituent un déni de justice. Dans le cas d’espèce, le Comité note que la cour d’appel et la Cour suprême ont l’une et l’autre examiné les griefs de l’auteur, et que rien ne prouve que leurs décisions aient été entachées de telles irrégularités. Il conclut donc que l’auteur n’a pas étayé sa plainte et que cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.3En ce qui concerne la plainte de l’auteur selon laquelle les juges chargés de statuer sur son affaire n’ont été ni impartiaux, ni indépendants, le Comité considère que l’auteur, du fait qu’il n’a soulevé ces questions devant aucune instance et n’a pas exercé les autres recours dont il disposait, n’a pas épuisé les recours internes, et la plainte est ainsi irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
L. Communication n o 1092/2002, Guillén Martínez c. Espagne (Décision adoptée le 29 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Josefa Guillén Martínez(représentée par un conseil, José Luis Mazón Costa) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
16 juin 1999 (date de la lettre initiale) |
Objet: Irrégularités dans la procédure concernant la garde d’un mineur.
Questions de procédure: Question déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; épuisement des recours internes.
Questions de fond: Droit d’être entendu publiquement par un tribunal compétent et impartial; droit de ne pas être l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée et sa famille.
Articles du Pacte: 14 (par. 1) et 17.
Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 a) et b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 29 mars 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est Mme Josefa Guillén Martínez, de nationalité espagnole et résidant en France. Elle se déclare victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14, et de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil, J. L. Mazón Costa.
Exposé des faits
2.1En juillet 1992, l’auteur de la communication et son mari qui avaient deux enfants mineurs se sont séparés. Dans le jugement de séparation, du 15 juillet 1992, la garde du fils aîné a été confiée au père et celle du cadet, Daniel, à la mère, le père et la mère continuant d’exercer en commun l’autorité parentale. Après la séparation, l’auteur s’est installée en France en emmenant son fils Daniel comme un juge l’y avait expressément autorisée. L’autorisation judiciaire imposait certaines conditions relativement au régime des visites et l’auteur était obligée de faire 1 000 kilomètres tous les 15 jours pour que l’enfant passe le week‑end avec son père.
2.2Le 12 juillet 1993, le père a demandé au juge de modifier le régime de garde de façon à retirer la garde de Daniel à la mère et à lui confier les deux enfants. À cette fin, il a produit un pouvoir que l’auteur avait donné longtemps auparavant à un avoué dans le cadre de la procédure de sa séparation. Le pouvoir n’était plus valable car l’auteur n’avait pas conservé cet avoué. Le juge, qui avait initialement décidé de convoquer l’auteur, a annulé la commission rogatoire internationale qu’il avait établie et a accepté le pouvoir bien que celui‑ci doive être présenté par la personne à laquelle il a été donné et non par la partie adverse. Il s’ensuit que les notifications du tribunal ont été envoyées au domicile de l’ancien avoué et non au domicile de l’auteur, laquelle n’a donc pas su qu’une procédure était engagée.
2.3Le 2 avril 1994 pendant une visite en France, le père de l’enfant, résidant à Lorca (Murcie) a soustrait le mineur à la garde de sa mère et l’a emmené en Espagne, où il l’a confié à ses grands‑parents paternels. L’auteur a déposé plainte pour l’enlèvement et la rétention illégale de son fils et c’est ainsi que son avocat a appris de manière fortuite qu’une procédure avait été engagée pour retirer à la mère la garde de l’enfant.
2.4Par une lettre datée du 18 avril 1994, l’auteur a constitué avoué et avocat pour la représenter dans la procédure de modification de la garde et a demandé, en application de l’article 240, paragraphe 1, de la loi organique du pouvoir judiciaire l’annulation des actes de procédure diligentés à compter du moment où elle aurait dû être citée à comparaître. Sa demande a été rejetée et, en date du 11 juillet 1994, le juge a rendu un jugement par lequel la garde des deux mineurs était accordée aux grands‑parents paternels, solution qui était considérée comme répondant le mieux aux intérêts des enfants. Le jugement prévoit également un autre régime de garde en faveur de la mère pour le cas où les grands‑parents refuseraient de s’occuper des enfants et d’assurer leur éducation. Selon l’auteur, cette décision est étonnante étant donné que la garde n’a jamais été demandée pour les grands‑parents, le père l’ayant demandé pour lui‑même.
2.5Entre‑temps, le 2 juillet 1994, l’auteur a retrouvé Daniel dans un camping où il séjournait avec son père et, profitant d’un moment d’inattention de ce dernier, l’a emmené avec elle en France.
2.6L’auteur a fait appel du jugement du 11 juillet 1994. L’Audiencia Provincial de Murcie a tenu son audience le 21 janvier 1997. L’avocat de l’auteur s’était trompé de date et ne s’est donc pas présenté à l’audience mais la Cour a néanmoins examiné le fond de l’affaire et dans son arrêt du 22 janvier 1997 elle a confirmé intégralement la décision prise en premier ressort. Elle indiquait dans ce jugement que, si l’absence injustifiée de l’avocat l’avait empêchée de prendre connaissance des motifs de la contestation du jugement rendu en première instance, elle ne l’empêchait en aucun cas d’examiner la totalité des preuves produites. L’auteur indique que le fait qu’elle ait eu un différend au pénal avec le juge de première instance a influé sur la décision de l’Audiencia, compte tenu de l’esprit de corps existant entre les juges. Toutefois, elle n’explique pas sur quoi portait ce différend.
2.7Le 24 février 1997, l’auteur a introduit un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, en faisant valoir que le droit à un procès contradictoire et les droits de la défense n’avaient pas été respectés. D’une part, une procédure visant à lui retirer la garde de son fils avait été conduite sans qu’elle ait été convoquée et sans qu’elle en ait eu connaissance avant avril 1994, alors que le dossier était déjà clos. D’autre part, la garde de l’enfant avait été confiée aux grands‑parents sans que le père l’ait demandé et sans que cette solution ait fait l’objet d’une quelconque procédure contradictoire. L’auteur a en outre invoqué une violation du droit au respect de la vie privée ou de la vie de famille.
2.8Le 26 mai 1997, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours. Il a estimé que du fait de l’absence de l’avocat à l’audience en appel les recours ouverts par voie judiciaire n’avaient pas été épuisés, ce qui était la condition de recevabilité du recours en amparo prévue à l’article 44 de la loi organique du Tribunal constitutionnel. Le Tribunal a considéré de plus que certains des motifs exposés dans la demande n’avaient pas trait à des questions constitutionnelles qui pouvaient justifier une décision sur le fond.
2.9Le 13 mai 1996, l’auteur a adressé à la Commission européenne des droits de l’homme une requête qu’elle a ensuite retirée par lettre du 4 octobre 1996. L’auteur joint la copie d’une lettre du secrétariat de la Commission datée du 11 octobre 1996, prenant note de sa demande de retrait de la requête mais ajoutant que, comme celle‑ci avait déjà été enregistrée, la Commission prendrait une décision à ce sujet.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur fait valoir que le fait qu’elle n’ait pas été informée par le juge de la procédure qui avait été engagée à son encontre constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, qui protège le droit pour toute personne à un procès dans le cadre duquel sa cause sera entendue. En effet, n’ayant pas été informée, elle n’a pas pu réfuter les allégations figurant dans la demande. Elle n’a pas pu non plus présenté une demande de nouvelle audition conformément à l’article 773 du Code de procédure civile, car cette possibilité n’est prévue que pour les cas où le défendeur a été défaillant tout au long de la procédure. L’auteur au contraire s’est manifestée par lettre du 18 avril 1994, date à laquelle toutes les preuves avaient été examinées et il n’était plus possible de présenter de nouvelles allégations. En outre, le droit d’être entendu par un juge compétent, consacré dans les mêmes dispositions du Pacte, a été violé dans la mesure où le juge qui a traité cette affaire n’avait pas la sensibilité nécessaire pour adopter des solutions raisonnables.
3.2L’Audiencia Provincial de Murcie a commis un déni de justice et a agi en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte en faisant valoir que l’absence injustifiée de l’avocat à l’audience avait empêché la chambre de prendre connaissance des motifs de la contestation du jugement rendu en premier ressort. Or ces motifs étaient exposés dans la demande d’appel. En outre, le jugement rendu par ce tribunal renouvelle les atteintes portées aux droits fondamentaux par la décision de la première instance.
3.3Il y a violation du paragraphe 1 de l’article 14 pour deux autres raisons. Premièrement, le jugement rendu en premier ressort ne correspond pas à la demande, étant donné que le père avait demandé la garde des deux enfants pour lui‑même et que le juge l’a attribuée aux grands‑parents paternels. Deuxièmement, la décision du Tribunal constitutionnel déforme les faits de la cause et elle est arbitraire.
3.4L’auteur affirme également que le fait qu’elle ait été privée arbitrairement de la garde de son fils cadet constitue une violation du droit de ne pas être l’objet d’immixtions illégitimes dans sa vie privée, consacré à l’article 17 du Pacte. Il n’y avait aucune raison de transférer la garde de l’enfant aux grands‑parents paternels et de le priver ainsi de la présence de sa mère, avec laquelle il avait l’habitude de vivre et qui s’occupait parfaitement de lui.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans une réponse datée du 27 septembre 2002, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il indique tout d’abord que l’auteur a omis de joindre au Comité la lettre du 4 octobre 1996 par laquelle elle faisait connaître à la Commission européenne des droits de l’homme sa décision de retirer sa requête. Elle a également omis de communiquer la décision de rejet de la requête rendue le 28 novembre 1996 par la Commission qui avait estimé, conformément à l’article 30, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qu’il n’y avait aucune circonstance particulière relativement au respect des droits garantis par la Convention qui justifie de poursuivre l’examen de la requête. Il s’ensuit que la question a bien été soumise à une autre instance internationale qui, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, l’a examinée et classée, faute d’avoir constaté une violation des droits de l’homme. En conséquence, l’État partie fait valoir que la communication n’est pas recevable au titre du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.
4.2.L’État partie déclare également que la communication devrait être jugée irrecevable, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, pour non‑épuisement des recours internes. En effet, dans sa très succincte demande d’appel de la décision du 11 juillet 1994, l’auteur met en avant les droits fondamentaux qui selon elle n’ont pas été respectés, mais elle n’explique pas en quoi ils ont été violés. Cette absence d’explication n’a pas été corrigée à l’audience puisque l’avocat était absent. C’est pourquoi le Tribunal constitutionnel a considéré que la défaillance de l’avocat avait empêché d’épuiser les possibilités offertes par le droit interne, avant de le saisir de la question, afin que les organes du pouvoir judiciaire réparent l’atteinte qui aurait été portée aux droits fondamentaux, condition indispensable compte tenu de la nature subsidiaire du recours en amparo. Selon l’État partie, si la nature subsidiaire du Tribunal constitutionnel empêche ce dernier de se prononcer sur des plaintes qui n’ont pas été suffisamment présentées aux organes judiciaires ordinaires, le Comité ne peut pas non plus examiner des plaintes qui n’ont pas été correctement plaidées devant des organes internes.
4.3Dans une réponse du 23 janvier 2003, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication, objectant qu’il n’y avait pas eu violation du Pacte. L’État partie réaffirme que la communication doit être déclarée irrecevable pour les raisons exposées plus haut. Il ajoute que le fait d’être en désaccord avec une décision judiciaire ne signifie pas qu’elle a été rendue par un juge arbitraire et insensible, à moins que ces allégations ne soient dûment étayées et justifiées. Or ce n’est absolument pas le cas dans la présente affaire, vu que l’auteur se contente de tout rejeter en général, sans apporter le moindre argument objectif.
Commentaires de l’auteur
5.1Par une lettre du 12 mai 2003, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication. En ce qui concerne l’argument selon lequel la même question a déjà été soumise à la Commission européenne des droits de l’homme, l’auteur affirme que la Commission n’a pas examiné le fond de l’affaire et s’est limitée à déclarer qu’il n’y avait pas de circonstances particulières exigeant de poursuivre l’examen de la demande malgré sa demande de retrait de la requête.
5.2En ce qui concerne le non‑épuisement des recours internes, dans sa décision l’Audiencia Provincial reconnaît que l’absence de l’avocat ne l’a en aucun cas empêchée d’examiner, comme elle il y était habilitée, la totalité des preuves versées au dossier, et elle a immédiatement après rendu sa décision. En outre, dans sa demande d’appel, l’auteur avançait la violation de plusieurs droits fondamentaux. Par conséquent, l’argument du Tribunal constitutionnel, qui fait valoir que l’absence de l’avocat a empêché d’épuiser les recours internes, n’est pas fondé et contredit la décision de l’Audiencia Provincial. Enfin, l’auteur accuse le juge de première instance d’être arbitraire et de lui être hostile, sans donner plus de détails pour étayer son allégation.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au titre du Protocole facultatif du Pacte.
6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que la question a été examinée par la Commission européenne des droits de l’homme et que la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité relève que, en date du 13 mai 1996, l’auteur a présenté une requête à la Commission puis l’a retirée par une demande écrite du 4 octobre de la même année. Dans sa décision du 28 novembre 1996, la Commission a pris acte du retrait et a estimé qu’il n’y avait pas de raisons particulières relativement au respect des droits protégés par la Convention pour poursuivre l’examen de la requête. Le Comité estime par conséquent que l’affaire n’a pas fait l’objet d’un examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3En ce qui concerne la nécessité d’épuiser les recours internes disponibles, l’État partie fait valoir que la déclaration d’appel n’expliquait pas suffisamment les motifs de la demande et que cette absence d’explication n’a pas été corrigée à l’audience, du fait de l’absence de l’avocat. Le Comité relève toutefois que ces faits n’ont pas empêché l’Audiencia Provincial de se prononcer sur le recours en appel et que l’auteur a par la suite introduit un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, par une demande écrite dans laquelle elle décrivait les faits et les droits qui avaient été violés. Le Comité en conclut que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.4L’auteur fait valoir que, comme elle n’avait pas été informée par le juge de la procédure engagée contre elle, elle n’a pas pu y participer avant plusieurs mois alors que toutes les preuves avaient déjà été administrées et qu’il n’était plus possible de présenter de nouvelles allégations, ce qui est contraire au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte qui protège le droit pour toute personne à un procès dans lequel sa cause sera entendue. Le Comité constate toutefois que l’auteur a eu la possibilité de présenter de nouvelles preuves et allégations dans le cadre du recours en appel et que les manquements de sa défense, en particulier l’absence de l’avocat à l’audience, ne peuvent pas être imputés à l’État partie. Le Comité considère par conséquent que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée et doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.5L’auteur invoque également une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, parce que le juge n’était pas compétent et impartial et parce que la décision rendue en première instance est sans rapport avec la demande, étant donné que le père avait demandé la garde des deux enfants et que le tribunal avait confié cette garde aux grands‑parents. Le Comité relève que l’auteur souhaite qu’il examine les faits et éléments de preuve du dossier et, renvoyant à sa jurisprudence, il réaffirme qu’il appartient aux juridictions nationales d’apprécier les faits et les éléments de preuve des tribunaux nationaux, à moins qu’il ne soit manifeste que l’appréciation a été arbitraire ou a représenté un déni de justice. Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte pour pouvoir affirmer qu’il y a eu arbitraire ou déni de justice et il estime par conséquent que cette partie de la communication doit également être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.6De même, en ce qui concerne la violation de l’article 17 invoquée par l’auteur parce qu’elle a été privée de la garde de son fils mineur, le Comité observe qu’il ne lui appartient pas d’examiner les faits et éléments de preuve et que l’auteur n’a pas démontré que l’appréciation de ceux‑ci par les tribunaux nationaux ait été arbitraire ou équivalente à un déni de justice. Par conséquent, cette partie de la communication doit également être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais, en espagnol (version originale) et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
M. Communication n o 1097/2002, Martínez Mercader et consorts c. Espagne (Décision adoptée le 21 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Juan Martínez Mercader, Esteban Fajardo Monreal et Jesús Nicolás Orenes (représentés par un conseil) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
13 août 1999 (date de la lettre initiale) |
Objet: Discrimination en matière de rémunération à l’encontre d’employés d’une administration locale.
Questions de procédure: Défaut de justification de la plainte.
Questions de fond: Appréciation des faits et des éléments de preuve par les juridictions internes.
Articles du Pacte: 14 (par. 1) et 26.
Articles du Protocole facultatif: 2.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 21 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.Les auteurs de la communication sont Juan Martínez Mercader, Esteban Fajardo Monreal et Jesús Nicolás Orenes, de nationalité espagnole, qui se disent victimes d’une violation par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil, M. José Luis Mazón Costa.
Exposé des faits
2.1Les auteurs travaillaient comme plombier, chauffeur et serrurier, respectivement, à la mairie d’Alcantarilla (province de Murcie). En sus de leur journée de travail à plein temps, ils assuraient des gardes au Service d’incendie de la mairie, ce qui impliquait leur présence physique à la caserne des pompiers dans l’attente d’une éventuelle alerte. Pour ces services, les auteurs percevaient une gratification mensuelle. En décembre 1994, ils ont porté plainte contre la mairie auprès du tribunal aux affaires sociales no 3 de Murcie, estimant qu’au cours de la période comprise entre le 1er février 1993 et le 31 janvier 1994 la rémunération perçue pour les services en question avait été insuffisante. Cette rémunération n’atteignait pas la rémunération établie par convention collective pour les heures supplémentaires, ni même celle prévue pour les heures ordinaires. Les auteurs réclamaient que leurs heures de service soient rémunérées au tarif des heures supplémentaires.
2.2Le 29 décembre 1995, le tribunal a rejeté la demande en estimant, conformément à la jurisprudence et notamment celle du Tribunal suprême en date du 5 juin 1982, que les heures de présence ne pouvaient pas être considérées comme des heures supplémentaires. Ne pourraient être ainsi considérées que des heures, effectuées en sus du maximum légal d’heures travaillées, qui auraient été consacrées à la lutte contre des incendies ou à la réalisation de travaux relevant de la qualification de pompiers.
2.3Un recours contre cette décision a été formé auprès du Tribunal supérieur de justice de Murcie, qui l’a rejeté en date du 13 mai 1997. Le Tribunal a estimé que le temps de présence dans la caserne ne pouvait pas être considéré comme un temps de travail effectif et qu’il n’y avait donc pas lieu de le rétribuer au tarif des heures supplémentaires, d’autant que l’accomplissement d’heures d’intervention effective n’avait pas été prouvé.
2.4Les auteurs ont introduit une demande en cassation pour unification de la jurisprudence auprès du Tribunal suprême, qui l’a rejetée en date du 13 janvier 1998, considérant qu’il n’y avait pas identité d’éléments entre la décision attaquée et le précédent invoqué. Finalement, les auteurs ont présenté un recours en amparo auprès du tribunal constitutionnel, recours rejeté en octobre 1998 comme manifestement infondé.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs estiment que le droit à un procès équitable consacré au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte a été violé, pour les raisons suivantes:
Le Tribunal aux affaires sociales no 3, tout en reconnaissant que les périodes de présence physique dans la caserne des pompiers faisaient partie du temps de travail, a rejeté la demande en arguant que les auteurs n’avaient pas établi le nombre d’heures réellement consacrées à la lutte contre des incendies ou à d’autres travaux relevant de la qualification de pompier. Selon les auteurs, cette question n’a jamais fait l’objet d’un débat;
La décision du Tribunal supérieur de justice ne répond pas aux demandes des parties. Elle rejette la demande présentée par les auteurs tendant à ce que les heures de présence soient rétribuées, sinon comme des heures supplémentaires, au moins comme des heures ordinaires, considérant que cette demande subsidiaire n’avait pas été introduite en première instance;
La décision du Tribunal suprême dans la procédure de cassation pour unification de la jurisprudence est arbitraire étant donné que les précédents invoqués présentaient une identité de faits, de fondement en droit et de prétentions. Le seul élément différent est la convention collective applicable.
3.2Les auteurs estiment également avoir fait l’objet d’une discrimination, en violation de l’article 26 du Pacte. Les décisions citées établissent que les auteurs n’ont droit à aucune rémunération pour les heures de présence à la caserne, heures pendant lesquelles ils peuvent passer d’une situation de calme à une situation de danger imminent et qu’ils ne peuvent pas passer en famille ni occuper à des loisirs. Pourtant, tout autre pompier ou travailleur astreint à des périodes de garde a droit à une rémunération pour celles-ci, indépendamment de l’activité effective pendant ces périodes. En particulier, les pompiers ont droit à une rémunération pour les heures de permanence effectuées en sus de leur temps de travail ordinaire, ce qui a été refusé aux auteurs.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans sa réponse datée du 9 octobre 2002, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. En date du 23 janvier 2003, il a réaffirmé que la communication était irrecevable et que, si elle devait être déclarée recevable, il n’y avait pas eu violation du Pacte.
4.2L’État partie fait valoir que, quand les auteurs ont présenté en première instance une demande de paiement d’heures supplémentaires, ils auraient dû justifier matériellement et juridiquement du caractère d’heures supplémentaires des heures en question. Les auteurs ne l’ayant pas fait, la juge, appliquant correctement le droit, a rejeté leur demande. Dans le mémoire d’appel, les auteurs ont formé une demande subsidiaire, tendant à ce que les heures soient payées comme des heures ordinaires. Or il n’est pas possible d’examiner en appel un élément qui pouvait être présenté en première instance mais ne l’a pas été. De plus, alléguer un déni de justice parce que le Tribunal suprême a rejeté le recours en cassation n’est pas sérieux au vu du raisonnement suivi par cette juridiction. Les auteurs, qui avaient des métiers divers, percevaient des gratifications mensuelles extraordinaires pour leur collaboration avec le Service des incendies. Le précédent invoqué devant le Tribunal suprême ne peut pas servir d’élément de comparaison étant donné que les travailleurs visés étaient des pompiers professionnels et les heures effectuées entraient dans le cadre de leur travail de pompier.
4.3L’État partie indique que la communication ne fait état d’aucun fait pouvant constituer une violation du Pacte et que le seul élément qui en ressort est le mécontentement des auteurs du fait que les recours internes qu’ils ont engagés n’ont pas abouti. Par conséquent, la communication doit être déclarée irrecevable conformément à l’article 3 du Protocole facultatif, au motif qu’elle constitue un abus du droit de présenter de telles communications.
Commentaires des auteurs
5.1En date du 28 août 2003, les auteurs ont envoyé au Comité leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils soulignent que, d’après la décision du Tribunal aux affaires sociales, les heures − plus d’un millier − effectuées par chacun d’eux sous forme de permanences à la caserne des pompiers ne sont pas rétribuées, et seules sont comptées les heures consacrées à des interventions de lutte contre des incendies ou à des opérations de secours. Le reste constitue un travail gratuit. De plus, la décision du 5 juin 1982 du Tribunal suprême, précédent sur lequel s’appuie le juge, n’a rien à voir avec le cas présenté par les auteurs. Il s’agissait d’employés du Conseil général d’une province qui, dans le cadre de leur emploi ordinaire, devaient attendre d’être appelés par radio. Ces employés ne percevaient de rémunération supplémentaire que pour les opérations effectives d’extinction d’incendie ou de secours, car le reste du temps ils accomplissaient leur service ordinaire.
5.2D’après les auteurs, la décision du Tribunal aux affaires sociales est contraire aux dispositions de la convention collective de la mairie d’Alcantarilla, laquelle garantit le droit d’être rémunéré pour les heures effectuées en sus de l’horaire de travail normal au taux de 175 % ou au minimum au taux de 100 % du tarif ordinaire. Au procès, le représentant de la mairie n’a pas nié la réalité des heures effectuées et n’a pas prétendu que ces heures ne donnaient pas lieu à rémunération ou que seules les heures d’intervention effective donnaient lieu à rémunération puisqu’il a indiqué que dans tous les cas ces heures seraient rétribuées au tarif des heures ordinaires. Or le Tribunal supérieur de justice fait valoir contre les auteurs qu’ils n’ont pas demandé la rémunération au tarif des heures ordinaires, ce qui revient à bafouer le principe consacré par l’adage «qui demande le plus demande le moins».
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3En ce qui concerne les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité considère que les allégations des auteurs portent en réalité sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux espagnols. Il renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties d’examiner ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que la conduite du procès ou l’appréciation des faits et des éléments de preuve ont été manifestement arbitraires ou ont constitué un déni de justice. Le Comité considère que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leur plainte pour pouvoir affirmer qu’il y a eu en l’espèce arbitraire ou déni de justice et estime par conséquent que cette partie de la communication doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4Pour ce qui est des griefs de violation de l’article 26 du Pacte, le Comité estime que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leur plainte pour pouvoir affirmer qu’il y a eu discrimination pour l’un des motifs consacrés par ledit article. Par conséquent, cette partie de la communication est également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.
[Adopté en espagnol (version originale), en français et en anglais. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
N. Communication n o 1099/2002, Marín Contreras c. Espagne (Décision adoptée le 18 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Catalina Marín Contreras (représentée par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
3 septembre 1999 (date de la lettre initiale) |
Objet: Droit à une indemnisation à la suite d’un décès dans un accident de voiture.
Questions de procédure: Irrecevabilité en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
Questions de fond: Appréciation des faits et des éléments de preuve par les juridictions internes.
Articles du Pacte: 14 (par. 1) et 26.
Articles du Protocole facultatif: 2.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 17 mars 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est Mme Catalina Marín Contreras, de nationalité espagnole, qui se déclare victime de violations par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 26. Elle est représentée par un conseil, M. José Luis Mazón Costa.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Le 31 mai 1992, l’époux de l’auteur a eu un accident de voiture qui lui a coûté la vie et dont il était lui‑même le principal responsable; il s’était en effet déporté sur la partie gauche de la chaussée et avait eu une collision frontale avec un autre véhicule conduit par M. Sánchez Gea. Un automobiliste qui suivait le véhicule qui avait causé l’accident sur une distance d’environ un kilomètre avait témoigné que le véhicule fautif franchissait de temps en temps la ligne médiane de la chaussée et qu’à un moment il était carrément passé sur la gauche. D’après l’auteur, M. Sánchez Gea était également responsable de la collision parce que sur environ un kilomètre il ne s’était pas rendu compte, alors que la route était droite et que la visibilité était bonne, qu’un véhicule arrivait en sens contraire en zigzaguant, et qu’il tenait toute la chaussée.
2.2L’auteur a formé une demande contre la compagnie d’assurances de M. Sánchez Gea auprès du tribunal de Caravaca de la Cruz, afin d’obtenir une indemnité pour le décès de son époux. La demande a été rejetée. Elle a ensuite fait appel auprès de l’Audiencia Provincial de Murcie qui l’a également déboutée. Ensuite elle s’est adressée au Tribunal suprême pour demander qu’il constate l’existence d’une erreur judiciaire. Son recours a été rejeté, le Tribunal considérant qu’il n’y a pas matière à un recours pour erreur judiciaire quand, comme dans l’affaire dont il était saisi, le seul argument est que la partie n’est pas d’accord avec l’appréciation des preuves menée à bien par les juridictions compétentes, dans l’exercice de leurs pouvoirs judiciaires. Enfin, l’auteur a introduit un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel en faisant valoir qu’il y avait eu erreur judiciaire et a également été déboutée.
Teneur de la plainte
3.1D’après l’auteur, le refus de l’indemniser pour le décès de son époux constitue une violation du droit à l’égalité consacré au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, pour deux raisons. La première est que son cas est très semblable à d’autres affaires où il y avait eu une forme de faute, même très légère, de la part de l’autre conducteur impliqué dans l’accident, et où l’indemnisation avait été accordée pour le principal responsable de l’accident, en application de l’article premier, paragraphe 2, de la loi sur l’utilisation et la circulation des véhicules à moteur. La deuxième raison est que la jurisprudence du Tribunal suprême en matière d’erreurs judiciaires est restrictive, ce qui a eu des conséquences négatives pour l’auteur.
3.2L’auteur ajoute que le droit à une procédure contradictoire, garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, a également été violé parce que, en appel, l’Audiencia Provincial a développé des arguments qui n’ont pas été soumis à un examen ni à un débat contradictoire. De plus, devant le Tribunal suprême, l’auteur n’a pas pu formuler d’observations concernant les rapports des autorités judiciaires parties à la procédure ni répliquer.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond et commentaires de l’auteur
4.1Dans une réponse datée du 27 septembre 2002, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. En date du 17 janvier 2003, il a réitéré que la communication était irrecevable et, si elle devait être déclarée recevable, il a nié qu’il y ait violation du Pacte.
4.2En ce qui concerne la violation du droit à l’égalité consacré au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie objecte que l’auteur n’allègue pas une quelconque différence de traitement arbitraire ou déraisonnable, insistant sur sa version subjective des faits. Pour ce qui est de la violation du droit à une procédure contradictoire, l’État partie indique que les faits ou circonstances mentionnés dans la décision de l’Audiencia Provincial figuraient déjà dans les rapports techniques versés au dossier dont le Tribunal de première instance avait été saisi. De plus, cette allégation n’a pas été formulée devant les autorités internes et doit donc être considérée comme irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
4.3L’État partie souligne que le motif de la communication est que l’auteur n’accepte pas l’appréciation des preuves faite par les autorités judiciaires. Or elle n’a pas montré que les procédures judiciaires avaient été arbitraires ou avaient représenté un déni de justice et sa plainte constitue un abus manifeste du droit de présenter des communications.
5.En date du 15 mai 2003, l’auteur a adressé une réponse reprenant les arguments qu’elle avait déjà avancés dans sa communication initiale et ajoutant que, en plus des dispositions du Pacte déjà invoquées, les droits garantis à l’article 26 du Pacte lu conjointement avec l’article 2 ont été violés.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3En ce qui concerne les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 14 ainsi que de l’article 26 du Pacte lu conjointement avec l’article 2, le Comité considère que les allégations de l’auteur portent en fait sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux espagnols. Il renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties d’examiner ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que la conduite du procès ou l’appréciation des faits et des éléments de preuve ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte pour pouvoir affirmer qu’il y avait eu en l’espèce une procédure arbitraire ou un déni de justice et estime donc que la communication doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
O. Communication n o 1105/2002, López González c. Espagne (Décision adoptée le 26 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Concepción López González (représentée par un conseil, M. José Luis Mazón Costa) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
28 juillet 2000 (date de la lettre initiale) |
Objet: Droit de faire citer un expert dans les mêmes conditions que la partie défenderesse dans un procès portant sur un conflit du travail.
Questions de procédure: Motivation suffisante de la violation alléguée − épuisement des recours internes.
Questions de fond: Égalité des armes devant les tribunaux.
Articles du Pacte: 14 (par. 1).
Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication, datée du 28 juillet 2000, est Mme Concepción López Gómez, de nationalité espagnole. Elle dit être victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représentée par M. José Luis Mazón Costa.
Exposé des faits
2.1L’auteur était employée en tant qu’intérimaire par l’entreprise Fruta Romu S.A. Le 2 juillet 1993, huit jours avant la fin de son contrat, elle est victime d’un accident du travail, ayant reçu un citron dans l’œil droit. Les effets de la lésion se sont aggravés avec le temps. En raison d’un décollement de rétine, l’auteur a dû subir plusieurs interventions chirurgicales, et l’œil atteint a perdu 45 % d’acuité visuelle. L’auteur ne s’est pas rendue immédiatement chez un médecin pour se faire soigner, et c’est un mois après l’accident, c’est‑à‑dire le 2 août 1993, qu’elle s’est rendue au centre de santé de Beniaján pour des problèmes de vision. Le lendemain (3 août 1993), elle a été opérée d’un décollement de rétine à l’hôpital général universitaire. L’ophtalmologue qui l’a opérée précise dans son rapport qu’à l’occasion d’un traumatisme oculaire, la déchirure à l’origine du décollement de rétine peut apparaître plusieurs semaines après l’accident.
2.2Le 24 juin 1994, l’auteur a engagé une action contre l’entreprise, l’Institut national de sécurité sociale, l’Institut national de la santé, la trésorerie territoriale de la sécurité sociale et la Mutua Frenap (association d’employeurs) tendant à faire établir l’existence d’un accident du travail et à faire condamner les défendeurs à lui verser une indemnisation.
2.3Le 27 février 1995, l’auteur a demandé au juge de faire citer deux témoins ainsi que l’ophtalmologue qui l’avait soignée à l’hôpital général universitaire de Murcie. Le juge a fait droit à la requête concernant les témoins, mais il a refusé de faire citer le médecin, sans motiver sa décision.
2.4Par un arrêt du 17 mars 1995, le tribunal chargé des affaires sociales no 3 de Murcie a rejeté la demande de l’auteur. Le juge a en effet estimé que celle‑ci n’avait pas établi que la lésion avait été causée alors qu’elle travaillait dans l’entreprise défenderesse. L’auteur considère que la déposition par elle sollicitée était décisive pour l’issue de l’affaire. Elle indique que l’arrêt est essentiellement fondé sur l’avis de l’expert cité par la partie défenderesse (l’association d’employeurs), lequel a estimé que l’accident dont elle a été victime ne saurait être la cause de la lésion. En effet, si l’accident avait été à l’origine de la lésion, le décollement de rétine se serait produit en même temps que lui étant donné que l’auteur présentait une prédisposition puisqu’elle souffrait d’une pathologie de base (forte myopie). En revanche, selon le rapport de l’ophtalmologue qui l’a opérée, il était tout à fait possible qu’un traumatisme oculaire ayant provoqué des déchirures ultérieures soit à l’origine du décollement de rétine un mois après l’accident.
2.5L’auteur a engagé un recours en révision contre l’arrêt, demandant que les preuves soient correctement appréciées et qu’il soit tenu compte du fait qu’au cours du procès, l’expertise proposée par la défenderesse avait été acceptée, alors que la demande de l’auteur tendant à faire citer un expert avait été refusée sans motif. Le Tribunal supérieur de justice a rejeté le recours le 25 septembre 1996. L’auteur s’est pourvue en cassation aux fins d’unification de la jurisprudence devant la Chambre sociale du Tribunal supérieur de justice, qui a rejeté son action le 10 juin 1997.
2.6Le 21 octobre 1997, l’auteur a saisi le Tribunal suprême d’un recours en révision, invoquant un document inconnu auparavant, qui établissait que l’entreprise l’avait employée quatre mois sans la déclarer au régime général de sécurité sociale, ce qui expliquait que l’entreprise n’ait pas signalé l’accident et que ses représentants aient nié qu’un accident du travail se soit produit. Le 30 juin 1998, le Tribunal suprême a rejeté le recours, estimant que le document sur lequel elle se fondait aurait pu être obtenu et présenté plus tôt au cours du procès. Enfin, l’auteur a introduit un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, faisant valoir que son droit à une procédure équitable avait été violé dans la mesure où le médecin n’avait pas été autorisé à témoigner alors que le rapport d’expertise établi par la défenderesse avait été accepté, ce qui l’avait laissée sans moyen de défense. Le 13 mai 1999, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours, au motif que l’auteur n’avait pas avancé d’arguments convaincants tendant à démontrer que l’arrêt aurait pu lui être favorable si sa requête avait été acceptée.
2.7L’auteur a présenté deux rapports cliniques, l’un de juillet et l’autre d’août 2002, qui confirment que sa capacité visuelle demeure extrêmement limitée, ce qui l’empêche d’exercer des activités tant au niveau professionnel et social que personnel.
Teneur de la plainte
3.L’auteur soutient que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte a été violé dans la mesure où elle a été privée d’un moyen de preuve décisif, ce qui porte atteinte au principe de l’égalité des parties. Si l’ophtalmologue, qui appartient au système de santé publique, avait été cité, les tribunaux auraient disposé des opinions différentes de deux spécialistes sur les mêmes faits; en effet, l’expert proposé par l’auteur étant un fonctionnaire du service de santé publique dont l’impartialité était hors de doute, l’arrêt aurait été différent. L’auteur souligne que le point essentiel consistait à déterminer si les effets de la lésion avaient été retardés, et elle fait valoir que ce qui est grave en l’espèce c’est que le tribunal ait admis l’avis d’un expert engagé par la défenderesse et qu’il ait refusé de citer l’expert qu’elle avait proposé. Elle ajoute que le tribunal, pour donner l’impression que sa décision était équitable, a accordé une valeur probante à la déclaration du médecin urgentiste du centre de santé où elle s’est rendue pour la première fois le 2 août 1993, qui précisait que la lésion dont elle souffrait datait d’une vingtaine de jours, mais qu’il a refusé de prendre en compte le rapport de l’expert qu’elle avait proposé, selon lequel la lésion s’était produite un mois auparavant. L’auteur indique enfin que son affaire est similaire à celle relative à la communication no 846/1999, Jansen ‑Gielen c. Pays ‑Bas, dans laquelle le Comité a conclu que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte avait été violé «étant donné que les parties ne pouvaient pas produire des preuves aux fins d’audition à armes égales»1.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond et commentaires de l’auteur sur ces observations
4.1S’agissant de la recevabilité de la communication, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Il indique que lorsque le juge de la chambre sociale a refusé de faire droit à la demande de l’auteur aux fins de citation en qualité d’expert de l’ophtalmologue qui l’a opérée, celle‑ci aurait pu attaquer cette décision, comme l’y autorise l’article 184 de la loi relative à la procédure en matière de contentieux du travail. Or, l’auteur n’a engagé aucun recours. Deuxièmement, lorsque l’expert de la défenderesse est intervenu à l’instance, l’auteur ou son avocat aurait pu contester cette intervention. L’auteur ne l’a pas fait. En troisième lieu, à la fin du procès, l’auteur aurait pu solliciter l’intervention de l’ophtalmologue en qualité d’expert à titre de supplément d’information, conformément à l’article 95 de la loi relative à la procédure en matière de contentieux du travail. Elle ne l’a pas fait. Enfin, lorsqu’elle a saisi le Tribunal supérieur de justice du recours en révision, l’auteur avait la possibilité de faire citer le même ophtalmologue en qualité d’expert, comme l’y autorise l’article 191 de la loi relative à la procédure en matière de contentieux du travail, mais elle ne l’a pas fait.
4.2Quant au fond, l’État partie indique que l’auteur souffrait d’une importante myopie congénitale et qu’elle portait des lentilles de contact dures. Elle a travaillé comme empaqueteuse dans une entreprise de conditionnement de citrons du 11 janvier 1993 au 10 juillet 1993, et mis fin en temps voulu au contrat de travail. Le 2 août 1993, un mois après la fin de son activité, elle s’est rendue dans un centre de santé parce qu’elle ressentait une douleur à l’œil droit. Selon le rapport du médecin urgentiste qui l’a soignée, l’auteur présentait un traumatisme qui datait d’une vingtaine de jours. L’auteur a été hospitalisée le lendemain et opérée d’un décollement de rétine, le rapport médical précisant qu’elle souffrait d’un traumatisme remontant à un mois. Deux mois et demi après avoir mis fin à son contrat de travail, elle s’est adressée à l’inspection du travail en indiquant qu’elle avait reçu un «coup de citron» à l’œil droit, le 2 juillet 1993, pendant qu’elle travaillait. L’inspection du travail a précisé qu’il ne lui avait pas été possible de confirmer l’accident, qu’il n’avait pas été établi de déclaration d’accident et que la responsable de section a déclaré que l’auteur n’avait jamais signalé avoir reçu un coup à l’œil. Dans l’année qui a suivi l’incident, l’auteur a saisi une juridiction du tribunal du travail, afin de demander que le prétendu «coup de citron» soit reconnu comme un accident du travail.
4.3L’État partie soutient que l’auteur n’a établi devant les juridictions internes ni le fait à l’origine du traumatisme (le «coup de citron» alors qu’elle travaillait), ni la conséquence supposée du traumatisme (le décollement de rétine). Au cours du procès, l’auteur n’a pu démontrer qu’elle avait reçu un coup à l’œil droit avec un citron. La responsable de la section où elle travaillait a nié ce fait, et les deux témoins cités par l’auteur se sont contredits. L’un d’eux a en effet affirmé avoir lancé un citron vers une caisse située à quatre ou cinq mètres, tandis que l’autre a indiqué que le citron avait été lancé d’une distance d’un mètre vers l’endroit où se trouvait l’auteur. S’agissant du moyen de preuve concernant la conséquence supposée, la requête de l’auteur aux fins de citation de l’ophtalmologue a été communiquée hors délai, soit deux jours avant l’audience, alors que la loi exige que les requêtes aux fins de preuve soient présentées avec un préavis de trois jours. L’auteur n’a nullement contesté le rejet de sa demande, probablement parce que ledit rapport avait déjà été versé au dossier de l’affaire. Au cours du procès, elle n’a ni contredit ni rejeté le rapport de l’expert cité par la défenderesse. Le juge de la cause a estimé que ni le fait à l’origine du «coup de citron» ni sa conséquence, à savoir le décollement de rétine, n’avaient été établis. L’appréciation des éléments de preuve par le juge n’a pas été arbitraire. Celui‑ci a pris en compte, notamment, le retard avec lequel l’auteur s’est rendue au centre de santé, les dates différentes auxquelles se serait probablement produit l’accident selon le médecin du service des urgences et selon l’ophtalmologue qui a opéré l’auteur (20 jours avant le 2 août 1993; 30 jours avant le 3 août 1993) et le fait que le prétendu «coup de citron» n’a pas été mentionné lors de la première consultation, le 2 août 1993, mais seulement le 3 août 1993.
4.4L’État partie fait valoir que l’auteur a engagé six recours différents devant les tribunaux nationaux, qui ont tous rejeté ses arguments. Le Tribunal supérieur de justice a rejeté un recours en révision présenté par l’auteur, en concluant que «si le fait même à l’origine du traumatisme n’est pas établi, du moins en ce qui concerne le travail réalisé, il est impossible de qualifier le décollement de rétine d’accident de travail». Le Tribunal a tenu compte du fait que le contrat de travail de l’auteur s’était achevé le 10 juillet 1993, qu’elle avait reçu son solde, qu’elle n’avait jamais signalé à l’entreprise avoir reçu un coup le 2 juillet 1993 et que, peu après le prétendu accident, elle s’est rendue dans un centre de santé. Le pourvoi en cassation aux fins d’unification de la jurisprudence a été rejeté par le Tribunal suprême parce que l’auteur n’a pas établi l’existence d’un précédent ou d’un arrêt antérieur qui aurait différé de l’arrêt rendu en l’espèce. Le recours en révision devant le Tribunal suprême a été rejeté car le «nouveau» document sur lequel prétendait s’appuyer l’auteur aurait pu être présenté auparavant. L’auteur a ensuite engagé un nouveau recours en révision qui a aussi été rejeté. Enfin, le recours en amparo qu’elle a engagé devant le Tribunal constitutionnel a également été rejeté. En ce qui concerne le refus de citer en qualité d’expert le médecin proposé par l’auteur, le Tribunal a estimé que la nécessité de son intervention n’avait pas été étayée, ni d’ailleurs que, suite à la déclaration de l’expert, l’auteur aurait obtenu gain de cause.
4.5S’agissant des rapports médicaux établis en 2002, et présentés par l’auteur en vue de démontrer qu’elle souffrait d’une grave insuffisance visuelle qui l’empêchait de mener une vie normale, l’État partie souligne qu’au cours du procès l’auteur n’est pas parvenue à établir qu’elle avait effectivement reçu un coup avec un citron. L’État partie a joint différentes pièces en rapport avec le procès. Dans la demande, l’auteur a uniquement annoncé qu’elle utiliserait des moyens de preuve documentaires et testimoniaux. Deux jours avant la première audience du procès, elle a demandé la citation de témoins. Le juge a suspendu l’audience et adressé une demande de renseignements à l’inspection du travail, qui l’a informé que l’accident n’avait pas été confirmé et que l’auteur n’avait pas signalé avoir reçu un coup à l’œil droit le 2 juillet 1993. Une seconde audience a été fixée et les témoins proposés par l’auteur ont été cités, mais la notification n’a pu leur être remise. L’auteur a alors fourni les nouvelles adresses des témoins et demandé pour la première fois que l’ophtalmologue qui l’avait soignée soit cité. La défenderesse a fourni trois rapports médicaux. Au cours de la seconde audience, le principe du contradictoire a été respecté et le juge a dûment motivé sa décision.
5.1Par lettre du 11 mai 2003, l’auteur fait valoir que les arguments de l’État partie quant au non‑épuisement des recours internes sont présentés pour la première fois devant le Comité et qu’ils n’ont jamais été avancés au cours des instances internes. L’auteur estime que le fait que l’État partie avance des arguments qui ne lui ont pas été opposés devant les juridictions internes constitue un abus de droit. Elle considère qu’il était superflu d’attaquer la décision du juge de la chambre sociale rejetant sa demande de citation de l’ophtalmologue, dans la mesure où le Tribunal constitutionnel, en rejetant le recours en amparo, a statué sur le fond de l’affaire lorsqu’il a jugé qu’il n’avait pas été porté atteinte au droit de l’auteur d’utiliser des moyens de preuve puisque celle‑ci n’avait pas démontré, comme elle le soutenait, que les droits de la défense avaient été violés; en effet, elle n’avait pas établi de manière convaincante que la décision judiciaire définitive aurait pu lui être favorable s’il avait été fait droit à sa requête. L’une des conditions formelles pour introduire un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel est d’avoir épuisé les recours utilisables par la voie judiciaire, et l’auteur avait invoqué la violation de son droit d’utiliser des moyens de preuve dans le cadre du recours en révision devant le Tribunal supérieur de justice. L’auteur soutient que les autres recours invoqués par l’État partie n’étaient pas des recours utiles ou disponibles.
5.2Quant au fond, l’auteur fait valoir qu’en ce qui concerne le recours engagé par elle au sujet d’une lésion ophtalmologique et son lien avec un traumatisme, il était capital de citer l’ophtalmologue qui l’avait opérée. L’importance de la déposition des experts est démontrée par le fait que le juge a effectivement entendu l’expert cité par la défenderesse et qu’il a attribué à sa déposition une importance décisive pour l’issue de l’affaire. L’auteur conclut que son droit à l’égalité des armes devant les tribunaux a été violé dans la mesure où elle n’a pas pu présenter de moyens de preuve en situation d’égalité avec la défenderesse.
Délibérations du Comité
6.1Conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
6.2Après avoir examiné l’ensemble des éléments d’information qui lui ont été présentés par l’auteur et l’État partie, le Comité conclut que les droits de la défense de l’auteur n’ont pas été violés dans la mesure où, s’il est vrai que l’ophtalmologue qui l’a soignée n’a pas été cité à l’audience, rien n’empêchait l’auteur de présenter ledit rapport et de le faire figurer au dossier. Par ailleurs, contrairement à la défenderesse qui n’a pas pu contre‑interroger ledit ophtalmologue, l’auteur a eu la possibilité de contre‑interroger l’expert proposé par la défenderesse. Le Comité observe que le rapport du 3 août 1993 invoqué par l’auteur diffère de celui du 2 août 1993, établi par le médecin urgentiste du centre de santé auquel s’est adressée l’auteur, celui‑ci ayant indiqué que la date probable de l’accident remontait à une vingtaine de jours, c'est‑à‑dire à un moment où l’auteur avait déjà cessé de travailler. Le Comité observe aussi que le juge qui a examiné l’affaire a motivé sa décision de considérer qu’il n’avait pas été établi que l’affection dont souffrait l’auteur était due au travail. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il appartient en principe aux juridictions des États parties d’apprécier les éléments de fait et les éléments de preuve, à moins que cette appréciation n’ait été manifestement arbitraire ou ne constitue un déni de justice2, ce qui ne semble pas être le cas en l’espèce. Le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte aux fins de la recevabilité de sa requête et que celle‑ci est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie, à l’auteur et à son conseil.
[Adopté en anglais, en espagnol (version originale) et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
P. Communication n o 1118/2002, Deperraz c. France (Décision adoptée le 17 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Jean-Louis Deperraz et Geneviève Delieutraz épouse Deperraz (représentés par un conseil, M. Alain Lestourneau) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
France |
Date de la communication: |
11 octobre 2000 (date de la lettre initiale) |
Objet: Irrégularités dans la procédure judiciaire de mise en liquidation des biens de deux sociétés.
Questions de procédure: Irrecevabilité ratione materiae − Non-épuisement des recours internes.
Questions de fond: Droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement − Droit à être jugé sans retard excessif.
Articles du Pacte: 14 (par. 1 et 3 c)).
Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 17 mars 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.Les auteurs de la communication sont Jean-Louis Deperraz et son épouse Geneviève Delieutraz, citoyens français. Ils se déclarent victimes de violations par la France de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil, M. Alain Lestourneau.
Exposé des faits
2.1Les auteurs étaient propriétaires de la société à responsabilité limitée SARL Deperraz Électricité et de la société civile immobilière SCI Le Praley. La première avait pour objet les installations électriques. La seconde avait été constituée entre les époux Deperraz, mariés sous le régime de la séparation de biens, en vue d’acquérir et de gérer tous biens immobiliers, y compris ceux utilisés pour l’exploitation de Deperraz Électricité.
2.2Suite à une assignation en paiement de facture contestée délivrée à l’initiative d’une société de fournitures, le Tribunal de grande instance de Bonneville a rendu, le 6 novembre 1985, un jugement de liquidation des biens de Deperraz Électricité. Un des salariés de la société a formé tierce opposition contre ce jugement en vue de démontrer que la société ne se trouvait pas en état de cessation des paiements. Par jugement rendu le 18 décembre 1985, le même tribunal a conclu que la cessation des paiements n’était pas formellement établie et décidé de rétracter son précédent jugement.
2.3Or, le jugement de liquidation des biens a eu des conséquences négatives pour la société du fait de l’exécution provisoire attachée à ce type de décision judiciaire. Cela s’est traduit, entre autres, par le départ immédiat du personnel de l’entreprise, l’élimination des chantiers en cours ainsi que la perte de la totalité de la clientèle et des approvisionnements par les fournisseurs. Une nouvelle procédure de redressement judiciaire fut ouverte à son encontre par jugement du même tribunal du 18 avril 1990, cette fois à l’initiative de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et des services fiscaux. Le tribunal décida également, et d’office, de prononcer le redressement judiciaire de la SCI Le Praley. Selon les auteurs, le redressement a été prononcé sans aucune convocation ni comparution de son représentant légal, et aucune signification du jugement n’a été adressée à la société. Par la suite, les deux sociétés furent mises en liquidation judiciaire par jugement du même tribunal du 22 mai 1991.
2.4La SCI Le Praley a fait appel contre ce jugement au motif qu’elle n’avait jamais fait l’objet d’une procédure régulière de confusion de patrimoine avec Deperraz Électricité. Par arrêt du 7 avril 1992, la cour d’appel de Chambéry a statué que le Tribunal de grande instance s’était saisi d’office, sans respecter la loi, d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la SCI Le Praley, alors que cette société n’était même pas partie à l’instance. La cour a donc déclaré la nullité des jugements concernant la SCI Le Praley. Elle n’a cependant pas statué sur le fond, à savoir la confusion des patrimoines des deux sociétés.
2.5Le 5 janvier 1993, le liquidateur de Deperraz Électricité a saisi le Tribunal de grande instance d’une demande d’extension de liquidation judiciaire à l’encontre de la SCI Le Praley sur le fondement de la confusion des patrimoines, et d’une demande de condamnation en comblement du passif à l’encontre de M. Deperraz pris personnellement, au motif notamment qu’il avait poursuivi une exploitation déficitaire. Le 7 octobre 1993, l’avocat des auteurs a été informé téléphoniquement par le Greffe que le tribunal avait rendu son jugement la veille et que le demandeur avait été débouté. Cependant, il n’a jamais reçu le jugement écrit annoncé par le Greffe.
2.6En février 1994, l’avocat a été informé d’une réouverture des débats. Il a écrit au Président du tribunal pour s’opposer à une telle procédure, en faisant valoir que le jugement du 6 octobre était seulement susceptible d’appel. Selon les auteurs cette situation est due au fait que le Président du tribunal qui a rendu le jugement le 6 octobre 1993 ne l’a pas rédigé et a changé de juridiction.
2.7Par nouveau jugement du 7 septembre 1994, le tribunal nouvellement composé a constaté la confusion des patrimoines entre les deux sociétés et prononcé la liquidation judiciaire de la SCI Le Praley. Par second jugement de la même date, le tribunal a estimé que le passif de Deperraz Électricité résultait d’une succession de fautes de gestion, et condamné M. Deperraz à payer au liquidateur l’intégralité du passif de la société.
2.8La SCI Le Praley et M. Deperraz ont fait appel des jugements devant la cour d’appel de Chambéry. La SCI Le Praley a soutenu principalement que l’action engagée à son encontre se heurtait à l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt rendu par la même cour le 7 avril 1992. La cour d’appel a confirmé les jugements par deux arrêts distincts du 24 septembre 1996. Concernant le jugement contre la SCI Le Praley, elle a conclu que l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 7 avril 1992 ne s’appliquait qu’à la nullité du jugement du 22 mai 1991 et ne s’opposait pas à ce que le liquidateur assigne la SCI Le Praley aux fins que soit prononcée sa liquidation judiciaire.
2.9Les auteurs se sont pourvus en cassation contre ces arrêts en soulevant les questions suivantes:
En ce qui concerne l’arrêt de la cour d’appel confirmant la liquidation judiciaire de la SCI Le Praley, ils affirment que cette décision a été prise après avoir relevé un moyen d’office, sans avoir recueilli les observations des parties, violant ainsi les droits de la défense et le principe contradictoire. Ils affirment aussi que la cour a retenu à tort les critères de la confusion des patrimoines;
En ce qui concerne l’arrêt de condamnation de M. Deperraz, ils affirment que la cour d’appel a pris d’office sa décision sur l’existence prétendue d’une faute de gestion non visée dans la demande introductive d’instance et non légalement établie, violant ainsi les droits de la défense et le principe du contradictoire.
2.10La Cour de cassation a rejeté les pourvois par arrêts du 6 juillet 1999.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs font valoir une violation à plusieurs égards du paragraphe premier de l’article 14 du Pacte pris isolément, et combiné avec l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif. Ils estiment que les diverses procédures dont ils ont été l’objet constituent un tout indivisible se rapportant aux mêmes faits, de sorte que l’affaire doit être examinée dans son ensemble au regard du Pacte. Ils affirment avoir épuisé les voies de recours internes.
3.2En ce qui concerne l’article 14, paragraphe 1, du Pacte, les auteurs estiment qu’ils n’ont pas été entendus équitablement et publiquement dans la mesure où:
La mise en liquidation des biens par erreur de Deperraz Électricité selon jugement du 6 novembre 1985 a constitué un dysfonctionnement majeur de la justice qui a anéanti le fonds de commerce de la société. Le jugement de rétractation du 18 décembre 1985 n’a pas corrigé les conséquences du premier jugement, étant donné l’exécution provisoire attachée à celui-ci;
La mise en redressement judiciaire d’office de la SCI Le Praley par jugement du 18 avril 1990 constitue aussi un dysfonctionnement de la justice dans la mesure où la loi n’a pas été respectée. La cour d’appel a déclaré la nullité d’ordre public dans son arrêt définitif du 7 avril 1992. Or la même cour, dans son arrêt du 24 septembre 1996, a déclaré de façon non contradictoire et inéquitable l’extension de la liquidation judiciaire à la SCI Le Praley;
Le jugement rendu le 6 octobre 1993 n’a pas été rédigé mais a bien existé. Il n’appartenait pas au tribunal nouvellement composé de rendre deux jugements contraires au premier au prétexte que celui-ci n’avait pas été rédigé par le précédent Président;
M. Deperraz a été inéquitablement condamné à combler le passif de la société Deperraz Électricité sur le fondement d’un moyen soulevé d’office par les juges d’appel, à savoir par le jeu d’une faute de gestion non contradictoirement débattue et absente de l’acte introductif d’instance;
Les procédures en cause ont échappé à la publicité des débats, contrairement à l’exigence visée par le Pacte, et ceci sans que la nature de l’affaire puisse valablement constituer une justification suffisante.
3.3Les auteurs allèguent que la procédure prise dans son ensemble s’est étendue sur près de quinze années, de 1985 à 2000, et que les dysfonctionnements judiciaires successifs survenus ont favorisé sa durée excessive. Ceci constituerait une violation de l’article 14, paragraphe 1, lu conjointement avec l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.
3.4Les auteurs affirment également que la communication n’a fait l’objet d’aucune autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.
Observations de l’État partie
Observations sur la recevabilité
4.1Par une note verbale datée du 6 janvier 2002 l’État partie formule ses observations sur la recevabilité de la communication.
4.2Concernant l’absence d’équité du procès, l’État partie conteste la recevabilité de ce grief et fait valoir que les auteurs tentent en réalité de remettre en cause les décisions rendues par les juridictions internes, alors que celles-ci ont été à chaque fois longuement et précisément motivées. Par ailleurs, les auteurs n’ont pas exercé de recours contre certaines des décisions qu’ils critiquent, à savoir les jugements du 6 novembre 1985 et 18 avril 1990. Concernant la procédure relative à l’action en comblement de passif, ils affirment avoir été condamnés sur un moyen soulevé d’office par la cour d’appel. Or, la Cour de cassation a considéré que ce moyen avait été débattu devant la cour d’appel. Le Comité a affirmé à plusieurs reprises qu’il ne peut examiner les faits et les éléments de preuve soumis aux tribunaux nationaux, à moins qu’il ne soit manifeste que leur appréciation a été arbitraire ou qu’elle équivaut à un déni de justice.
4.3Concernant l’absence de publicité des débats, l’État partie affirme que les auteurs n’ont à aucun moment invoqué ce grief devant la Cour de cassation. En conséquence les voies de recours internes n’ont pas été épuisées.
4.4Concernant la plainte relative à la durée excessive de la procédure l’État partie estime que les auteurs n’ont pas épuisé les voies de recours internes. Tout d’abord, ils n’ont pas exercé l’action fondée sur l’article L 781-1 du Code de l’organisation judiciaire (COJ), selon lequel «L’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que pour une faute lourde ou pour un déni de justice.». La Cour européenne des droits de l’homme a admis l’efficacité du recours fondé sur cet article, qui peut être utilement exercé pour contester la durée d’une procédure, en matière aussi bien civile que pénale. L’État partie demande au Comité de faire sienne la jurisprudence de la Cour européenne en la matière.
4.5Par ailleurs, les auteurs n’ont pas soulevé le grief tiré sur la durée de la procédure devant les juridictions internes, et notamment la Cour de cassation. L’État partie rappelle à cet égard la décision du Comité concernant la communication no 661/1995, où il avait déclaré irrecevable, en raison du non‑épuisement des voies de recours internes, le grief fondé sur la durée excessive de l’instruction et de la procédure judiciaire au motif que l’auteur n’avait pas porté ce grief devant la Cour de Cassation.
Observations sur le fond
4.6Le 14 avril 2003, l’État partie a présenté ses observations quant au fond de la communication.
4.7Concernant le manque d’équité de la procédure, l’État partie se réfère aux dysfonctionnements de la justice invoqués par les auteurs, et considère que l’erreur d’un juge ne constitue pas un dysfonctionnement condamnable au sens de l’article 14 du Pacte dès lors qu’elle s’inscrit dans un processus judiciaire qui en permet le redressement. Ainsi, l’erreur d’appréciation du tribunal dans le jugement du 6 novembre 1985 a été redressée très rapidement et les auteurs n’apportent aucune preuve du préjudice qu’ils allèguent, à savoir l’anéantissement de leur fonds de commerce. L’arrêt de la cour d’appel du 7 avril 1992 a annulé le jugement du 18 avril 1990 au motif que le tribunal avait prononcé d’office une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la SCI Le Praley alors que celle-ci n’était pas partie à la procédure. L’arrêt du 4 septembre 1996 a été rendu dans le cadre d’une autre procédure et n’a pas ressuscité, ainsi que les auteurs le prétendent, la nullité qui, par ailleurs, ne concernait que l’irrégularité de la procédure.
4.8Les auteurs n’ont apporté aucune preuve sérieuse de l’existence du prétendu jugement daté du 6 octobre 1993 qu’ils invoquent, lequel aurait statué en leur faveur. Il est d’ailleurs permis de s’étonner que les requérants aient attendu de recevoir l’avis de réouverture des débats du greffe pour s’enquérir de la décision du 6 octobre 1993.
4.9Concernant la procédure en comblement de passif et l’argument que M. Deperraz avait été condamné sur le fondement d’un moyen soulevé d’office par les juges d’appel, à savoir par le jeu d’une faute de gestion non contradictoirement débattue et absente de l’acte introductif d’instance, l’État partie fait valoir que les parties ont discuté la question de la mauvaise gestion devant le tribunal et que M. Deperraz a estimé inutile de répondre à l’assignation à comparaître du tribunal pour s’expliquer en personne de la mauvaise gestion qui lui était reprochée. S’il est vrai que la cour d’appel a caractérisé différemment du tribunal la faute de gestion, elle s’est cependant référée à des faits qui étaient dans le débat et qui avaient donc été discutés préalablement par les parties, à savoir l’analyse des comptes et leur déséquilibre. Ceci a été confirmé par la Cour de cassation.
4.10Concernant l’absence de publicité des débats de ces procédures l’État partie considère qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte. Il rappelle le droit interne en la matière et souligne que si les débats devant le Tribunal de grande instance ont eu lieu en chambre du conseil, c’est-à-dire hors la présence du public, ils ont en revanche été publics devant la cour d’appel. Le tribunal a par ailleurs toujours rendu sa décision en audience publique.
4.11Concernant la durée de la procédure, l’État partie observe que, contrairement à ce qu’indiquent les requérants, il n’y a pas eu en l’espèce une seule procédure mais quatre procédures distinctes avec des objets différents. Les deux dernières, s’étalant sur une période de sept et six ans respectivement, présentaient un caractère complexe, notamment en ce qui concerne l’appréciation des fautes de gestion commises par M. Deperraz. À cet égard, il rappelle la décision du Comité déclarant la communication no 831/98 irrecevable, en relevant que l’auteur n’avait pas suffisamment établi que la durée de la procédure devant les juridictions administratives françaises lui avait causé un préjudice réel.
Commentaires des auteurs
Commentaires sur la recevabilité
5.1Dans leurs commentaires du 4 août 2003, les auteurs contestent les observations de l’État partie sur la recevabilité. Ils affirment que l’article L 781‑1 du Code de l’organisation judiciaire institue un régime très restrictif de la responsabilité étatique impossible à mettre en œuvre. Ils font allusion à un arrêt de la Cour de cassation du 23 février 2001 selon lequel la jurisprudence, du moins à son niveau suprême, se montre exigeante quant à l’existence d’une faute lourde ou d’un déni de justice alors que ces notions sont déjà restrictives par elles-mêmes. Elle ajoute que l’indemnisation recherchée est rarement obtenue en dehors d’erreurs plus que manifestement grossières ou de déficiences particulièrement anormales, et que la solution adoptée par la Cour européenne lors de décisions rendues en novembre 2000 et septembre 2001 constitue un revirement de sa propre jurisprudence. Ces décisions sont par ailleurs postérieures à l’arrêt final rendu par la Cour de cassation le 14 mars 2000 dans la présente communication. Le recours basé sur l’article L 781‑1 ne devrait donc pas être exigé par le Comité.
5.2Les auteurs affirment avoir mis en évidence durant des années les dysfonctionnements, erreurs et irrégularités dont ils ont été l’objet, et qu’ils se sont expressément plaints jusque devant la Cour de cassation de violations des droits de la défense et du principe du contradictoire.
5.3Les auteurs rejettent comme non fondé le reproche fait par l’État partie de n’avoir pas exercé de recours contre le jugement du 18 avril 1990. Aucun recours ne pouvait être valablement exercé à l’encontre d’une décision frappée de nullité d’ordre public.
Commentaires sur le fond
5.4Quant au fond, les auteurs rejettent également les observations de l’État partie. Ils réitèrent les conséquences irréparables du jugement du 6 novembre 1985 et font valoir que le jugement de liquidation judiciaire prononcé contre la SCI Le Praley le 22 mai 1991 a été annulé près d’un an plus tard. Or l’exécution provisoire attachée à ce jugement a interdit à la société de percevoir tout loyer et contribué à détériorer sa situation financière. En outre, les juges internes n’ont finalement pas tenu compte de la nullité de la décision du 18 avril 1990 prononçant le redressement judiciaire de la SCI Le Praley, car le jugement du 24 septembre 1996 a finalement confirmé sa liquidation judiciaire.
5.5Quant à la preuve de l’existence du jugement rendu le 6 octobre 1993, les auteurs rappellent l’existence d’une lettre adressée le 22 février 1994 par leur avocat au Tribunal de grande instance de Bonneville, indiquant que les services du Greffe avaient téléphoniquement informé son cabinet, dès le 7 octobre 1993, que le jugement avait été rendu le 6 octobre 1993. L’avocat avait informé les auteurs par écrit de ce jugement le 12 octobre 1993.
5.6Concernant la faute de gestion retenue contre M. Deperraz, la cour d’appel a retenu d’office, dans sa décision du 24 septembre 1996, un nouveau grief tiré de l’article 68 de la loi du 24 juillet 1966 selon lequel «les pertes cumulées ne peuvent excéder la moitié du capital sans que des dispositions soient prises pour remédier à cette situation». Ce grief n’a été débattu ni devant le tribunal ni devant la cour d’appel qui l’a soulevé, alors que M. Deperraz était présent dans la cause et régulièrement représenté par son conseil.
5.7Quant à l’absence de publicité des débats, les auteurs la qualifient comme non justifiée. Le fait que les juridictions internes aient rendu publiquement leurs décisions est par ailleurs sans incidence sur la publicité des débats eux-mêmes.
5.8Enfin, pour ce qui est de la durée excessive de la procédure, les auteurs estiment que le fractionnement de la procédure en quatre phases distinctes fait par l’État partie est artificiel. Si la société Deperraz n’avait pas été placée par erreur en liquidation judiciaire en 1985, jamais M. Deperraz n’aurait été condamné à combler le passif et jamais la SCI Le Praley n’aurait été condamnée par extension à sa liquidation judiciaire, le tout s’achevant par arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 2000. L’exercice régulier des voies de recours par les auteurs ne peut être la source d’aucun reproche.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Les auteurs allèguent une violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte au motif que leur cause n’a pas été entendue équitablement par les tribunaux internes. Ils affirment avoir été l’objet d’erreurs judiciaires et de violations des droits de la défense et du principe du contradictoire. L’État partie conteste la recevabilité et signale que les auteurs tentent en réalité de remettre en cause les décisions rendues par les juridictions internes, alors que celles-ci ont été à chaque fois longuement et précisément motivées. Le Comité prend note du fait que les erreurs et violations invoquées, y compris la mise en liquidation des biens de Deperraz Électricité le 6 novembre 1985, la mise en redressement judiciaire d’office de la SCI Le Praley, et la condamnation de l’auteur sur le fondement d’un moyen soulevé d’office non contradictoirement débattu, ont été examinées par les tribunaux internes. Lorsqu’ils ont constaté que les jugements précédents contenaient des erreurs, celles-ci ont été réparées. Le Comité rappelle à cet égard sa jurisprudence selon laquelle il appartient généralement aux tribunaux nationaux d’examiner les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit manifeste que leur appréciation a été arbitraire ou qu’elle équivaut à un déni de justice. Les arguments invoqués par les auteurs et les éléments qu’ils ont présentés en ce sens ne permettent pas de conclure que les décisions judiciaires ont été entachées d’irrégularités pouvant justifier la recevabilité de cette partie de la communication. Le Comité estime dès lors que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leur plainte relative à une violation de l’article 14, paragraphe 1, et considère cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4Les auteurs affirment également qu’ils ont été victimes d’une violation de l’article 14 du Pacte du fait de la durée excessive de la procédure qui s’est déroulée devant les tribunaux internes et de l’absence de publicité des débats. L’État partie conclut à cet égard à l’irrecevabilité au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés. Le Comité rappelle que l’auteur d’une communication doit avoir fait valoir en substance devant les juridictions nationales le grief qu’il invoque par la suite devant le Comité, et que de simples doutes quant à l’utilité d’un recours ne dispensent pas de l’obligation de l’épuiser. Le Comité note qu’en l’espèce les auteurs n’ont pas saisi les juridictions internes des griefs mentionnés. Ces aspects de la communication sont donc irrecevables au regard de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif se rapportant au Pacte;
Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et à l’État partie.
[Adopté en français (version originale), en espagnol et en anglais. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
Q. Communication n o 1127/2002, Karawa c. Australie (Décision adoptée le 21 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Elisabeth Karawa, Josevata Karawa et Vanessa Karawa (représentés par un conseil, Mme Anne O’Donoghue) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Australie |
Date de la communication: |
19 septembre 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet:Projet d’expulser de l’Australie vers les Fidji les parents d’une mineure australienne séjournant depuis longtemps en Australie.
Questions de procédure: Épuisement des recours internes
Questions de fond: Immixtion arbitraire dans la famille − Protection de la cellule familiale − Protection des mineurs.
Articles du Pacte: 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1).
Articles du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 21 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.Les auteurs de la communication sont Elisabeth et Josevata Karawa, tous deux ressortissants fidjiens, nés aux Fidji en 1968 et 1967, respectivement. Ils présentent la communication en leur nom propre et en celui de leur fille Vanessa Karawa, de nationalité australienne à la date où la communication a été présentée, née en Australie le 24 février 1989. Les auteurs affirment qu’en les expulsant vers les Fidji, l’Australie contreviendrait aux articles 17, 23, paragraphe 1, et 24, paragraphe 1, du Pacte. Ils sont représentés par un conseil.
Rappel des faits
2.1En 1987, les auteurs, qui se trouvaient tous deux illégalement en Australie à l’époque, du fait que leurs permis de séjour temporaires avaient expiré, ont commencé une relation. En février 1989, le couple a donné naissance à une fille, qui est devenue citoyenne australienne lorsqu’elle a atteint l’âge de 10 ans. En 1990, Mme Karawa a sollicité un visa de protection (en incluant son mari et sa fille dans la demande) sur le conseil d’un agent des services des migrations qui lui avait dit que son seul recours pour légaliser sa présence en Australie était de demander le statut de réfugié.
2.2Le 31 juillet 1995, le Département de l’immigration et des affaires ethniques (à l’époque) a rejeté cette demande, estimant que les préjudices ou mauvais traitements invoqués dans l’éventualité d’un retour aux Fidji n’étaient pas suffisamment graves pour être qualifiés de persécutions. Le 22 août 1995, les auteurs, avec le concours d’un deuxième agent des services des migrations ont saisi l’instance de contrôle des décisions concernant les réfugiés, le Tribunal pour les réfugiés. Une demande en révision a été introduite. Le 12 janvier 1996, le Tribunal a reçu un «avis signé et daté» de retrait de la demande. Le 2 mai 1996, M. Karawa, avec le soutien de son employeur, a présenté une demande de visa au titre du programme de parrainage par l’employeur, sans succès.
2.3En 2000, les auteurs, qui disent n’avoir pas eu connaissance de l’issue du recours présenté au Tribunal pour les réfugiés ont fait appel au deuxième agent des services des migrations pour participer à une action en nom collectif. Ils ont obtenu des visas de transition sur la base de leur participation à cette action. En mai 2001, l’agent des services des migrations a fait savoir que cette action avait été rejetée, mais qu’une autre action en nom collectif avait été entamée. Les auteurs ont fait appel à l’agent pour être inclus dans cette deuxième action. En juillet 2002, ayant appris la décision rendue dans cette affaire, les auteurs ont été informés, lorsqu’ils ont questionné l’agent, qu’ils n’avaient pas fait partie de l’action, car ils n’avaient jamais présenté de recours au Tribunal pour les réfugiés. Selon les auteurs, «il est ainsi apparu que [l’agent] n’avait jamais présenté de demande en révision au Tribunal pour les réfugiés comme [Mme Karawa] le lui avait demandé, en le rémunérant pour ce service».
2.4Comme, d’après la loi sur les migrations, une demande en révision doit être présentée au Tribunal pour les réfugiés dans les 28 jours suivant la décision considérée, le fait que six années se soient écoulées signifiait que le droit à la révision de la première décision concernant le statut d’immigré avait été perdu. Qui plus est, les auteurs n’auraient été en mesure de demander aucun autre visa de résidence, à l’exception d’un nouveau visa de protection, délivré sur agrément du Ministre, au titre de l’article 48B de la loi sur les migrations.
2.5Le 24 juillet 2002, Mme Karawa a écrit au Ministre chargé de l’immigration et des affaires multiculturelles et autochtones, ainsi qu’au Ministre chargé de la citoyenneté et des affaires multiculturelles, pour demander à demeurer en Australie. Il lui a été répondu que sa seule option était de quitter l’Australie, et il lui a été accordé un visa de transition pour obtenir un passeport fidjien et prendre les dispositions nécessaires à cette fin. Le 12 août 2002, Vanessa Karawa a écrit aux deux ministres et, citant des dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant, a demandé que ses parents soient autorisés à rester.
2.6Le 10 septembre 2002, le Ministre chargé de l’immigration et des affaires multiculturelles et autochtones a répondu qu’il n’avait aucun pouvoir légal pour intervenir car le Tribunal pour les réfugiés n’avait pris aucune décision de rejet d’un recours des auteurs. Il a évoqué un certain nombre de types de visa d’immigration, notamment pour regroupement familial, que les auteurs pourraient envisager de demander lorsqu’ils auraient quitté l’Australie.
2.7Le 30 septembre 2002, les visas de transition des auteurs ont expiré et ces derniers sont devenus des étrangers en situation irrégulière; on ignore où ils se trouvent. Des dispositions seront prises par les autorités australiennes pour les expulser d’Australie, s’ils sont découverts.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs font valoir que leur expulsion vers les Fidji serait contraire à l’article 17, au paragraphe 1 de l’article 23 et au paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Ils ne peuvent envisager de laisser Vanessa en Australie mais n’estiment pas possible de l’emmener avec eux aux Fidji. Ils disent que si Vanessa retourne aux Fidji, elle sera isolée et stigmatisée dans leur village d’origine, en raison de l’échec d’un mariage précédent de sa mère. Les auteurs précisent que Vanessa est bonne élève, qu’elle n’a pas d’amis aux Fidji et n’a aucun désir d’y vivre. Elle ne connaît pas non plus la langue ni la culture fidjiennes. Par ailleurs, les auteurs et leur fille sont «très impliqués» dans la vie paroissiale et locale.
3.2Les auteurs affirment qu’une demande de visa parental effectuée depuis l’étranger ne pourrait aboutir avant «plusieurs années». La propre documentation du Département de l’immigration indique qu’étant donné le grand nombre de candidats aux 500 visas offerts chaque année dans cette catégorie, «un délai d’attente très important» est prévisible.
3.3De l’avis des auteurs, leur cas n’est pas différent «dans le principe» de celui de l’affaire Winata et consorts c. Australie . Ils font valoir que la notion de «famille» au sens du Pacte doit être interprétée au sens large et que la relation entre les auteurs et leur fille relève clairement de cette définition. En outre, une expulsion dans laquelle des parents seraient séparés d’un enfant à leur charge, comme ce serait selon eux le cas en l’occurrence, revient à une «immixtion» au sens de l’article 17. Enfin, bien qu’autorisée par la loi australienne, l’expulsion des parents est une mesure arbitraire. Les auteurs expliquent que la seule manière d’éviter la séparation serait que Vanessa parte avec eux s’établir aux Fidji. Ils considèrent que cela ne serait pas conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte, et que ce ne serait pas raisonnable compte tenu des circonstances, puisque Vanessa est parfaitement intégrée dans la société australienne, n’a jamais été aux Fidji et n’a aucun lien culturel avec ce pays. Il serait tout aussi déraisonnable selon eux de s’attendre que Vanessa puisse rester en Australie alors que ses parents sont expulsés. Ainsi, les auteurs considèrent que leur expulsion serait contraire à l’article 17, au paragraphe 1 de l’article 23 et au paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.
3.4Les auteurs étayent cette conclusion en renvoyant aux articles 8 et 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, bien qu’ils pensent que ces dispositions garantissent une moindre protection que le Pacte. Ils estiment qu’il convient d’être libéral dans l’interprétation du Pacte − à l’instar, selon eux, de la Cour européenne − s’agissant de membres d’une famille constituée qui ne sont pas citoyens du pays où ils se trouvent.
3.5Le 7 janvier 2003, les auteurs ont fourni le rapport d’un expert psychiatre sur la famille, daté du 29 septembre 2002. Ce rapport indique que Mme Karawa n’a aucune attache familiale véritable aux Fidji, où elle n’a qu’un demi‑frère. Elle s’est sentie rejetée par sa famille élargie à la suite de l’échec d’un mariage. Son père vit à Sydney, en Australie. M. Karawa a trois sœurs mariées aux Fidji, mais aucune famille ni aucun ami susceptible d’aider sa famille s’il était renvoyé aux Fidji. D’après le psychiatre, Vanessa est «très proche» de ses parents et, tout en étant fière de ses origines fidjiennes, «ne s’identifie pas fortement à la société fidjienne». À son avis, il est «difficile d’imaginer» que Vanessa reste seule en Australie et cela serait «catastrophique du point de vue émotionnel et psychologique». Il lui serait d’un autre côté «extrêmement difficile» de s’établir aux Fidji. Il est probable qu’elle devrait «cesser ou abréger» ses études en raison des coûts, tandis qu’elle se sentirait «perdue» dans un pays dont elle ne connaîtrait pas la langue ni la culture. Son type physique indien, bien que peu prononcé, «pourrait entraîner des difficultés». L’obliger à passer d’une société multiculturelle positive à une société biculturelle où des incidents racistes se sont produits récemment serait «extrêmement cruel», et les conséquences seraient d’autant plus graves que sa famille est «très démunie sur le plan économique».
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans ses observations datées du 10 septembre 2003, l’État partie a contesté aussi bien la recevabilité que le fond de la communication. Concernant les faits, il fait observer qu’en 1986, Mme Karawa s’est vu notifier l’obligation de quitter l’Australie par suite de l’expiration de son permis temporaire et qu’elle a signé un engagement de s’y conformer. Cela s’est passé après une demande de divorce du premier mari de Mme Karawa en 1986, dans des circonstances où celle‑ci, une fois arrivée en Australie, n’était restée avec son mari que quelques jours. Elle n’avait pas quitté le pays et, ses parents vivant en Australie, avait rompu tout contact avec le Département australien de l’immigration. De 1986 à 1988, maintes tentatives avaient été faites pour la localiser.
4.2L’État partie considère que la plainte au titre de l’article 17 n’est pas recevable car les recours internes n’ont pas été épuisés. Il affirme que la famille a retiré sa demande en révision devant le Tribunal pour les réfugiés le 12 janvier 1996. Même si le Tribunal avait pris une décision défavorable aux auteurs, ils auraient pu soit faire appel devant le Tribunal fédéral puis la Haute Cour, soit saisir directement la Haute Cour en sa qualité de juridiction constitutionnelle de première instance. L’État partie affirme également que les affirmations de l’auteur ne se rattachent pas à l’article 17 ni à aucun autre droit reconnu par le Pacte et dès lors ne sont pas recevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, outre qu’elles sont insuffisamment étayées aux fins de la recevabilité, et ne sont pas recevables au regard de l’article 2.
4.3Sur le fond de la plainte relative à l’article 17, l’État partie fait observer que la mesure envisagée est parfaitement licite. L’État partie considère comme «immixtion» dans la cellule familiale un acte tendant inévitablement à disloquer celle‑ci (plutôt que simplement un changement important dans la vie d’une famille établie de longue date). Dans le cas présent, l’expulsion des parents n’aura pas cet effet: toute la famille, y compris Vanessa, est libre et a le droit de quitter l’Australie et d’aller aux Fidji. Cela ne sera d’aucune conséquence pour la citoyenneté australienne de Vanessa. En outre, étant née de nationaux fidjiens, elle a été exposée à un certain degré de culture fidjienne en Australie et a acquis un certain niveau d’affinité culturelle avec les Fidji. S’il est possible que le départ aux Fidji perturbe temporairement le déroulement normal de la vie familiale, il ne s’agit pas d’une «immixtion» au sens de l’article 17.
4.4L’État partie estime que ce n’est pas parce qu’un membre d’une famille a le droit de rester en Australie que ses autres membres, ressortissants d’un autre État, ont également ce droit. Demander à deux ressortissants d’un autre État de retourner dans leur pays d’origine ne saurait être considéré comme une «immixtion» dans la famille du seul fait qu’ils ont eu un enfant en Australie. S’il est vrai que la famille est restée en Australie pendant 14 ans, c’est sans être autorisée par la loi. M. et Mme Karawa ne peuvent se prévaloir d’actes illicites pour fonder leur prétention. L’État partie conteste que la réinstallation de Vanessa aux Fidji serait incompatible avec les dispositions, les buts et les objectifs du Pacte. L’Australie ne l’oblige pas à quitter le pays ou à y rester: c’est aux parents d’en décider. Il est courant que des familles changent d’État en Australie ou partent à l’étranger en emmenant leurs enfants avec eux. L’objet du Pacte ne peut être d’interdire aux enfants de partir avec leur famille. Enfin, puisque Vanessa peut obtenir la citoyenneté fidjienne par déclaration à l’état civil (tout en conservant sa citoyenneté australienne), les trois membres de la famille ont la possibilité de vivre dans un pays dont ils sont des nationaux.
4.5Même si, au vu de ces arguments, le Comité devait considérer qu’il y a eu «immixtion», l’État partie estime qu’elle n’est pas arbitraire, et donc pas contraire à l’article 17. La notion d’arbitraire suppose l’abus d’autorité, l’injustice, l’imprévisibilité, la disproportionnalité ou le caractère déraisonnable. L’État partie se réfère au droit souverain qu’il a en vertu du droit international de décider de l’entrée et de la présence sur son territoire de non‑nationaux. Son droit de contrôle des migrations est régi par des lois et des politiques complètes, qui visent à trouver un équilibre entre la nécessité de permettre aux gens d’aller en Australie et d’en repartir, et d’autres aspects de l’intérêt national. Le programme migratoire est rigoureusement planifié et géré dans l’intérêt national, compte tenu des besoins sociaux, économiques, humanitaires et environnementaux de l’Australie. Le nombre de migrants et de réfugiés licites est fixé chaque année par le Gouvernement après de larges consultations avec la collectivité.
4.6Afin de préserver l’intégrité de ce programme, la loi australienne prévoit l’expulsion des personnes qui n’ont pas le droit de se trouver ou de rester en Australie. La cohérence dans l’application, et l’application effective, de ces lois est un gage important du maintien de la légitimité du programme migratoire et de l’état de droit en Australie. Ces lois sont raisonnables et ne sont pas arbitraires, reposent sur des principes cohérents de politique publique qui s’accordent tant avec le rang de nation souveraine de l’Australie qu’avec ses obligations au regard du Pacte. Elles sont prévisibles, connaissent une large publicité et sont appliquées avec cohérence, sans discrimination.
4.7En conséquence, l’État partie fait valoir que l’opinion de la majorité des membres du Comité dans l’affaire Winata ne devrait pas être appliquée, car il n’accepte pas de devoir s’abstenir d’appliquer ses lois migratoires chaque fois que des étrangers en situation irrégulière sont réputés avoir établi une vie de famille. L’État partie note que les membres du Comité ayant formulé une opinion individuelle ou une opinion dissidente ont considéré que l’article 17 vise une immixtion dans la famille et non la vie de famille. Ils ont estimé aussi que l’interprétation retenue donnait en fait le droit de rester à des personnes qui fondent une famille et réussissent à ne pas se faire prendre pendant suffisamment longtemps, interprétation qui, selon eux, «ignore les règles du droit international en vigueur». Les membres du Comité susmentionnés ont mentionné par ailleurs l’avantage injuste qu’une telle conception donnait à ceux qui contournent les règles en matière d’immigration, au détriment de ceux qui les respectent.
4.8Concernant la référence des auteurs à l’article 8 de la Convention européenne, l’État partie fait observer qu’une liste de dérogations tolérables au droit prévu à cet article a délibérément été omise du projet d’article 17 du Pacte afin de laisser aux États une grande marge dans la détermination des formes d’immixtion admissibles. En outre, selon l’article 8 de la Convention européenne, l’immixtion doit être «nécessaire» pour être compatible avec l’article, ce qui est un critère plus strict que l’absence d’arbitraire imposée par l’article 17 du Pacte.
4.9Compte tenu de ces principes, l’État partie fait valoir que l’application aux auteurs de ces lois en matière d’expulsion ne serait pas arbitraire. L’application d’une loi qui était connue d’eux dès 1986, bien au contraire, était envisageable et prévisible. L’un et l’autre avaient signé des formules administratives où il était précisé qu’une présence illégale en Australie pouvait entraîner l’expulsion, et les effets de la loi leur ont été expliqués à maintes reprises en 15 ans. Une telle application de la loi ne saurait être arbitraire. L’État partie précise que c’est parce que la famille s’est désistée de son recours devant le Tribunal pour les réfugiés, et que donc ce dernier ne s’est pas prononcé sur leur cas, que le Ministre a estimé qu’il n’avait légalement aucun pouvoir de prendre une décision plus favorable. À l’heure actuelle, les auteurs ne séjournent pas en Australie légalement, et le Pacte ne confère aucun droit de migrer vers le pays de son choix. Pendant les courtes périodes où ils ont vécu en Australie en situation régulière, ils se sont prévalus de toutes les garanties de procédure et ont introduit toutes les instances que la loi leur autorisait. Tout au long de ces instances, il leur a été rappelé que s’ils n’obtenaient pas la résidence permanente ou si leur visa expirait, il leur faudrait partir. En résumé, les auteurs avancent peu d’arguments, sinon qu’ils souhaitent rester en Australie et que leur vie serait perturbée s’ils devaient partir pour les Fidji.
4.10L’État partie estime que la plainte au titre du paragraphe 1 de l’article 23 n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, car les auteurs orientent leur argumentation vers une prétendue immixtion dans la famille en violation de l’obligation négative énoncée à l’article 17, qui impose à l’État partie de s’abstenir de certains actes. Les obligations positives prévues à l’article 23, en revanche, imposent à l’État partie de protéger la famille en tant qu’institution, et il n’est pas avéré qu’un quelconque manquement à l’article 17 détermine aussi, ipso facto, un manquement à l’article 23. En l’absence de toute autre argumentation de la part des auteurs quant à la façon dont une violation de l’article 23 se serait produite, il s’ensuit que cette plainte devrait être déclarée irrecevable.
4.11Sur le fond, l’État partie affirme de façon détaillée qu’il s’acquitte pleinement de l’obligation de reconnaissance institutionnelle et de soutien de la cellule familiale tant au niveau national qu’au niveau fédéral, ainsi que de l’investissement de ressources proportionnelles à cette reconnaissance, y compris dans le domaine de la protection de l’enfance. L’État partie dit respecter le fait que les auteurs et leur fille forment une cellule familiale, et ne cherche pas à disloquer ou à détruire cette cellule. La fille des auteurs, dont l’État partie affirme qu’elle a le droit comme enfant de nationaux fidjiens d’entrer et de vivre aux Fidji et d’en acquérir la citoyenneté par déclaration à l’état civil, peut voyager avec la famille. Rien ne permet de penser que la réinstallation lui sera préjudiciable, et on a peine à croire qu’elle ne parviendra pas à s’adapter, comme les enfants en sont généralement capables. Même si elle devait connaître certains désagréments ou une période d’adaptation à son nouveau cadre de vie, cela ne constituerait pas un manquement aux droits protégés par le Pacte. Si, à l’inverse, les parents décidaient qu’elle reste en Australie, ce serait leur propre choix, et non un choix imposé par l’État partie.
4.12Selon l’État partie, le paragraphe 1 de l’article 23 doit également se lire compte tenu du droit reconnu aux États par le droit international de contrôler l’entrée, la résidence et l’expulsion des étrangers. Si l’Australie protège les familles qui relèvent de sa juridiction, cette protection doit être mise en balance avec la nécessité de prendre des mesures raisonnables pour contrôler l’immigration. Il s’agit d’un droit reconnu aux articles 12 et 13 du Pacte. Se référant à son troisième rapport périodique sur l’application du Pacte, l’État partie affirme reconnaître implicitement et explicitement l’importance de la famille comme étant l’unité sociale fondamentale. Un exemple significatif de cette reconnaissance est la création d’une catégorie spéciale de visa, assortie de privilèges particuliers, que les parents peuvent demander afin de vivre en Australie avec leurs enfants.
4.13Concernant le grief relatif au paragraphe 1 de l’article 24, l’État partie fait valoir qu’il n’est pas suffisamment étayé, lui aussi, aux fins de la recevabilité. Comme l’article 23, l’article 24 crée une obligation positive pour l’État partie, qui est tenu d’agir en prenant des mesures de protection de l’enfance, et un manquement à cet article n’est pas nécessairement établi par des informations visant à démontrer un manquement à l’obligation de «ne pas faire» énoncée à l’article 17. Comme les auteurs cherchent à établir une incompatibilité avec l’article 17 et ne donnent pas d’autre élément d’appréciation concernant l’article 24, ce grief devrait être déclaré irrecevable.
4.14Sur le fond, l’État partie fait valoir que dans l’accomplissement de son obligation positive d’assurer une protection spéciale aux enfants, il a appliqué un certain nombre de lois et de politiques visant spécifiquement à protéger les enfants et à venir en aide aux enfants vulnérables. Vanessa bénéficie des mêmes mesures de protection visant à garantir leur santé, leur sécurité et leur bien‑être que les autres enfants australiens. Il existe en Australie des systèmes très complets de droit de la famille, de droit de la protection de l’enfance et de droit pénal, et les États et les territoires ont des services administratifs chargés d’administrer les programmes et les politiques de protection familiale. Des unités de police spéciales s’occupent de prévenir la criminalité envers les enfants et d’élucider ce type d’affaires criminelles. Cette mesure ainsi que d’autres sont expliquées dans le rapport initial que l’État partie a présenté au titre de la Convention relative aux droits de l’enfant, ainsi que dans son troisième rapport périodique au titre du Pacte. Si Vanessa reste en Australie, elle continuera à bénéficier de cette protection, avec ou sans ses parents. Rien ne permet de penser qu’elle ne s’adapterait pas aux changements qui accompagnent nécessairement un changement de lieu de résidence, et si elle restait en Australie, ses parents auraient la possibilité de demander un visa parental depuis les Fidji. La plainte des auteurs selon laquelle l’État partie n’a pas assuré à Vanessa les mesures de protection requises est donc sans aucun fondement.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
5.1Dans une lettre datée du 13 janvier 2004, les auteurs ont contesté les observations de l’État partie. À propos de la recevabilité, si le conseil indique que la requête au Tribunal pour les réfugiés a «apparemment été retirée par les auteurs», il fait valoir que ce qui était en cause dans cette instance était le statut de réfugié. D’après lui, l’argument selon lequel les auteurs auraient dû emprunter cette voie de recours devant le Tribunal pour les réfugiés, puis en appel devant les tribunaux ordinaires, a été rejeté dans l’affaire Winata et doit encore être rejeté en l’espèce. La revendication présente concerne au contraire une plainte «distincte et séparée» touchant l’unité et la stabilité familiales. Les auteurs expliquent ainsi que si l’argument de l’État partie était poussé jusqu’à sa conclusion logique, ils devraient chacun faire une demande pour chaque catégorie de visa imaginable, et épuiser les voies de recours internes pour toutes ces demandes, avant de pouvoir se tourner vers le Comité.
5.2Sur le fond, les auteurs font valoir que Vanessa, âgée de 14 ans et citoyenne australienne depuis l’âge de 10 ans, a vécu toute sa vie et fait toute sa scolarité en Australie. En revanche, la situation de ses parents est différente et ils doivent être expulsés «aussi rapidement que cela est raisonnablement possible», en vertu de la loi sur les migrations. Le choix est donc laissé à Vanessa de quitter l’Australie avec ses parents ou d’y rester sans eux. Tout en concédant qu’il est «plutôt courant» que les enfants accompagnent leurs parents dans leurs pérégrinations, les auteurs estiment que dans le cas de Vanessa, ce départ lui serait imposé, alors qu’elle est citoyenne australienne, «par les effets pernicieux de l’application de deux lois australiennes, ainsi que par sa jeunesse et ses liens familiaux». L’application du droit australien en l’espèce est donc, selon les auteurs, arbitraire, et relève en fait des circonstances exceptionnelles retenues dans l’affaire Winata.
5.3Les auteurs contestent le point de vue de l’État partie selon lequel l’«immixtion» dans une famille implique nécessairement la séparation de ses membres. L’immixtion peut également résulter de la rupture de son mode de vie habituel, ou du fait qu’on l’oblige à faire quelque chose qu’elle ne ferait pas autrement, par exemple quitter le pays ou se séparer. Pour les auteurs, le choix imposé à la famille par l’application combinée de la loi sur la citoyenneté et de la loi sur les migrations est contraire aux articles 23 et 24 du Pacte. Les obligations de l’État partie en matière de protection de la famille et de l’enfance vont au‑delà de la simple promulgation de lois protectrices: elles exigent des mesures correctives sur le plan législatif afin de protéger l’intégrité des familles qui se trouvent dans la situation de l’auteur.
Réponses complémentaires de l’État partie
6.Dans une note datée du 31 mars 2004, l’État partie réaffirme son argument originel, contestant en outre que la plainte présentée par les auteurs au Comité puisse être qualifiée de plainte distincte et séparée concernant l’unité et la stabilité familiales, qui serait sans rapport avec leur demande d’obtention du statut de réfugié. L’État partie fait observer que le droit à une protection contre un possible éclatement futur de la cellule familiale était expressément visé dans la demande de visa de protection. Dans cette demande, datée du 24 septembre 1990, Mme Karawa a déclaré expressément, à titre d’information utile susceptible d’étayer sa demande, qu’elle avait des liens très forts avec l’Australie, y ayant vécu depuis 1985, ayant un enfant né en Australie et comptant parmi les membres de sa famille immédiate des citoyens et des résidents australiens. Une demande de révision par le Tribunal pour les réfugiés était donc un recours interne utile qui offrait des chances raisonnables de succès.
Délibérations du Comité
7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité rappelle que conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le requérant doit avoir épuisé tous les recours internes. Le Comité rappelle que, dans l’affaire Winata, les auteurs avaient sollicité l’examen de leur cas devant une instance indépendante, le Tribunal pour les réfugiés. Compte tenu de l’ensemble du dossier de l’affaire, le Comité avait déterminé ultérieurement que dans ces circonstances précises, il ne pouvait être demandé aux auteurs de poursuivre l’affaire devant d’autres juridictions pour demander la révision de la décision défavorable du Tribunal. Dans le cas présent, à l’inverse, les auteurs se sont adressés à la première instance de recours indépendante compétente pour examiner leur affaire, le Tribunal pour les réfugiés, puis se sont désistés. Le Comité renvoie à sa jurisprudence, selon laquelle lorsqu’un auteur a engagé un recours devant un tribunal indépendant de sa propre initiative, le Comité demande que ce recours soit dûment épuisé. Il en est particulièrement ainsi lorsque les auteurs ont, comme dans le cas présent à propos de questions touchant la vie familiale, saisi les autorités internes des mêmes questions que celles qui sont soulevées devant le Comité (voir par. 6). Le retrait par les auteurs de leur recours devant le Tribunal pour les réfugiés a ainsi privé l’État partie de toute possibilité de faire examiner leurs griefs par son propre Tribunal des recours administratifs et, ultérieurement, par une juridiction supérieure. Le Comité note à cet égard qu’il est indifférent que la demande en révision ait été retirée par les auteurs ou par leur(s) représentant(s), car selon sa jurisprudence la conduite du conseil est généralement imputée aux auteurs. En l’absence de toute information pouvant laisser penser que le retrait du recours n’est pas imputable aux auteurs, la communication doit être considérée irrecevable en application du paragraphe 2 b) de l’article 5, du fait que les recours internes n’ont pas été épuisés.
8.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en rabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
R. Communication n o 1182/2003, Karatsis c. Chypre (Décision adoptée le 25 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Savvas Karatsis(représenté par un conseil, M. Achilleas Demetriades) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Chypre |
Date de la communication: |
29 novembre 2001 (date de la lettre initiale) |
Objet: Révocation de la nomination temporaire d’un juge à un autre poste au sein de la fonction judiciaire − Partialité alléguée des juges de la Cour suprême.
Questions de procédure: Éléments de preuve à l’appui des allégations de l’auteur − Recevabilité ratione materiae.
Questions de fond: Droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal impartial − Droit d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques − Droit à un recours utile.
Articles du Pacte: 2 (par. 3), 14 (par. 1) et 25 c).
Articles du Protocole facultatif: 2 et 3.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est M. Savvas Karatsis, citoyen chypriote, né le 23 décembre 1952. Il affirme être victime d’une violation par Chypre du paragraphe 1 de l’article 14, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Dans une lettre ultérieure (voir par. 5.1), il fait également état d’une violation des droits consacrés par l’article 25 c). L’auteur est représenté par un conseil, M. Achilleas Demetriades.
Exposé des faits
2.1Le 11 janvier 1994, l’auteur a été nommé au poste de juge aux affaires familiales, position qu’il occupe encore aujourd’hui. En juin 2000, il s’est porté candidat à un poste vacant de juge de tribunal de district qui offrait davantage de possibilités de promotion, un barème des salaires plus élevé et une pension de retraite plus avantageuse. Le 12 juillet 2000, le Conseil suprême de la magistrature (le «Conseil suprême»), l’organe chargé de la nomination et de la promotion des juges conformément à la loi de 1964 sur l’administration de la justice et dont les 13 membres siègent aussi à la Cour suprême de Chypre, a retenu la candidature de l’auteur pour un poste temporaire de juge de tribunal de district pour une durée d’un an à compter du 1er octobre 2000, à condition qu’il démissionne de son poste de juge aux affaires familiales avant de prendre ses fonctions au tribunal de district. À la fin du délai cité, le Conseil suprême prendrait une décision concernant sa nomination en tant que juge intégré dans la fonction publique à titre permanent.
2.2Le 14 juillet 2000, agissant sur instructions de la Cour suprême, le Greffier en chef a communiqué avec l’auteur. Après acceptation par l’auteur des conditions de nomination, y compris sa démission préalable du poste de juge aux affaires familiales, le Greffier en chef lui a adressé une offre de nomination au poste de juge de tribunal de district (avec le salaire de départ prévu dans le barème des traitements des juges de tribunal de district) et a affiché le poste de juge aux affaires familiales qu’occupait l’auteur. Par une lettre en date du 19 juillet 2000, l’auteur a accepté l’offre écrite de nomination, qui ne mentionnait pas la condition de sa démission de son poste de juge aux affaires familiales.
2.3Le 26 septembre 2000, le Greffier en chef a adressé à l’auteur la lettre suivante, avec le document relatif à sa nomination au poste de juge de district à titre temporaire:
«Suite à la lettre d’offre de nomination en date du 13 juillet 2000 et à l’acceptation de celle‑ci par votre lettre en date du 19 juillet 2000, je vous fais tenir ci‑joint le document relatif à votre nomination au poste de juge de district à titre temporaire.
1.Il est noté que, comme vous en avez été informé, une condition préalable de votre nomination est votre démission du poste de juge aux affaires familiales avant votre prise de fonctions.
2.Sous réserve que la condition ci‑dessus [soit] remplie, vous prononcerez le serment judiciaire et la déclaration solennelle à la République pour le poste de juge de district à titre temporaire lundi prochain, 2 octobre 2000, à 8 heures à la Cour suprême.».
2.4Le 2 octobre 2000, l’auteur a contesté la condition exigeant sa démission préalable de son poste de juge aux affaires familiales; en effet, il pensait que cette condition avait été abandonnée puisqu’elle n’était pas mentionnée dans l’offre écrite de nomination. Selon lui, cette démission entraînerait une réduction de son salaire annuel de 10 000 livres chypriotes, la perte des droits acquis grâce à ses six années de service au tribunal de la famille, y compris la perte de sa pension de retraite, et une incertitude en termes de garantie d’emploi puisqu’il n’était pas sûr d’être nommé à titre permanent à la fin du délai d’un an. Il n’accepterait la «condition nouvelle» de sa démission préalable que s’il était nommé à titre permanent au poste de juge de tribunal de district avec un traitement correspondant à celui d’un juge aux affaires familiales ayant accumulé plus de six années de service et à condition que tous les droits qu’il avait acquis soient préservés.
2.5Le même jour, le Greffier en chef a informé l’auteur que sa nomination avait été révoquée puisqu’il n’en acceptait pas les conditions. Le 4 décembre 2000, l’auteur a formé un recours devant la Cour suprême, en contestant la notification du Conseil suprême de la magistrature en date du 26 septembre 2000 au motif qu’elle modifiait unilatéralement les termes de son contrat d’emploi. L’auteur a également contesté la décision du Conseil suprême de la magistrature du 2 décembre 2000 révoquant sa nomination. L’affaire a d’abord été examinée par l’un des juges de la Cour suprême, puis transmise à la Cour suprême en formation collégiale par le Greffier en chef. Le 23 janvier 2001, l’auteur, faisant référence à l’article 153, paragraphe 9, de la Constitution chypriote, a demandé que son cas soit examiné par une formation collégiale différente, faisant valoir que les 13 juges de la Cour suprême étaient les auteurs des décisions contestées, qu’ils avaient prises en leur qualité de membres du Conseil suprême de la magistrature.
2.6Le 15 mars 2001, la Cour suprême a rejeté le recours en se déclarant non compétente, sans aborder la question de l’impartialité. Elle a estimé que la nomination des juges relevait davantage de l’autorité judiciaire que de l’exécutif ou de l’autorité administrative, et qu’à ce titre elle était de la compétence exclusive du Conseil suprême de la magistrature et non de la compétence de la Cour suprême au titre de l’article 146 de la Constitution chypriote.
2.7Le 25 mai 2001, l’auteur a présenté une requête à la Cour européenne des droits de l’homme, alléguant que l’absence d’impartialité de la Cour suprême, le déni d’un recours utile pour contester la décision de la Cour suprême et la réduction de son salaire et de sa pension de retraite au cas où il démissionnerait du poste de juge aux affaires familiales étaient des violations des articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article premier du Protocole no 1 à la Convention.
2.8Le 31 mai 2001, le Greffier de la Cour européenne a informé l’auteur des obstacles possibles à la recevabilité de sa requête, à savoir l’inapplicabilité des articles 6 et 13 de la Convention aux litiges de droit public indépendamment de l’élément pécuniaire, ainsi que l’inapplicabilité de l’article premier du Protocole no 1 compte tenu du fait que l’auteur n’avait pas été privé de ses droits à pension en tant que juge aux affaires familiales et qu’il n’avait pas acquis de tels droits en tant que juge de tribunal de district.
2.9Le 14 juin 2001, l’auteur a insisté pour déposer sa requête, faisant valoir que l’État partie ne pouvait pas, sinon en le privant de tout recours, lui refuser une révision judiciaire au motif que la nomination des juges, à la différence de celle des membres de la fonction publique, relevait davantage de la compétence de l’autorité judiciaire que de celle de l’autorité administrative, et en même temps faire valoir que l’article 6 ne s’appliquait pas aux litiges concernant les membres de la fonction publique.
2.10Le 27 septembre 2001, la Cour européenne a déclaré la requête irrecevable au sens du paragraphe 4 de l’article 35 de la Convention, puisqu’elle ne faisait apparaître aucune violation des droits et libertés consacrés dans la Convention.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que comme la décision de la Cour suprême de ne pas examiner son recours a été prise par les juges qui, en leur qualité de membres du Conseil suprême de la magistrature, avaient révoqué sa nomination temporaire au poste de juge de tribunal de district, il a été privé de son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal impartial et de son droit à un recours utile, en violation de l’article 14, paragraphe 1, lu indépendamment et conjointement avec l’article 2, paragraphe 3, du Pacte.
3.2Sur la question de l’impartialité, l’auteur rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, les juges ne doivent pas avoir d’idées préconçues au sujet de l’affaire dont ils sont saisis. Le fait que ni le Procureur général, qui représente généralement l’État dans les procédures judiciaires, ni le Conseil suprême de la magistrature en tant que défendeur n’aient demandé à être entendus par la Cour suprême montrait bien que les 13 juges siégeant à la Cour suprême étaient les juges de leur propre cause.
3.3Selon l’auteur, la question de l’impartialité est un préalable de telle importance pour un procès équitable qu’elle devrait être examinée avant toute autre, y compris celle de la compétence. Au lieu de rejeter son recours pour des raisons de compétence, les juges de la Cour suprême auraient dû être remplacés d’abord par une autre formation collégiale conformément à la procédure prévue à l’article 153, paragraphe 9, de la Constitution.
3.4L’auteur fait valoir que les garanties du paragraphe 1 de l’article 14 s’appliquent à toutes les procédures judiciaires, tant civiles que pénales ou administratives, qui impliquent la détermination de droits et obligations de caractère civil faisant l’objet de contestations.
3.5En ce qui concerne l’article 2 du Pacte, selon l’auteur, en ne lui permettant pas d’exercer les droits que lui reconnaissait le paragraphe 1 de l’article 14, la Cour suprême l’a privé du seul recours utile disponible en droit chypriote.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Le 2 décembre 2003, l’État partie a contesté la recevabilité et, à titre subsidiaire, le fond de la communication, en faisant valoir que la plainte formulée par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14 était irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif et que, par conséquent, l’article 2 du Pacte ne s’appliquait pas.
4.2L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle la procédure de nomination des juges ne relève pas de la détermination de droits et obligations de caractère civil faisant l’objet de contestations au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Dans le cadre de la disposition en grande partie similaire énoncée au paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention européenne, la Commission européenne a décidé que les litiges concernant la fonction judiciaire, même s’ils étaient indépendants de l’exécutif, ne relevaient pas de l’article 6. La Cour européenne, depuis l’affaire Pellegrin c. France, a appliqué un «critère fonctionnel» pour exclure du champ du paragraphe 1 de l’article 6 les litiges portant sur les nominations, promotions et révocations en relation avec des postes impliquant la participation à l’exercice de pouvoirs conférés par le droit public.
4.3Selon l’État partie, la plainte de l’auteur au titre de l’article 2 du Pacte devrait également être rejetée, parce que ladite disposition ne peut être invoquée qu’en relation avec un droit substantiel consacré dans le Pacte.
4.4Sur le fond, l’État partie fait valoir que les allégations de l’auteur quant au manque d’impartialité des juges de la Cour suprême et au fait que sa cause n’a pas été entendue équitablement sont de simples conjectures, puisque la Cour suprême (indépendamment de sa composition) était tenue par son jugement antérieur dans l’affaire Kourris v. The Supreme Council of Judicature de rejeter sa plainte pour défaut de compétence au titre de l’article 146 de la Constitution. Les droits de l’auteur au titre de l’article 2 et de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte n’avaient donc pas été violés en tout état de cause.
Commentaires de l’auteur
5.1Le 2 février 2004, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie et amendé la communication en prétendant aussi être victime d’une violation de l’article 25 c) du Pacte. Selon lui, dans cette affaire, c’est l’équité de la procédure même de la Cour suprême, plutôt que l’équité de son issue, qui est en cause. Cette procédure devait être distinguée de celle en cause dans l’affaire Kazantzis c. Chypre, qui portait sur une décision du Conseil suprême de la magistrature lui‑même, organe non judiciaire, de refuser la nomination d’un candidat n’appartenant pas à l’administration de la justice au poste de juge de district.
5.2L’auteur considère que son affaire est similaire aux affaires Casanovas c. France et Chira Vargas c. Pérou, puisqu’elle concerne ses conditions d’emploi dans l’administration de la justice, avec des perspectives de carrière, un salaire et une pension de retraite plus favorables en cas de nomination au poste de juge de tribunal de district. Il rappelle que la notion de «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14, est fondée sur la nature du droit en question plutôt que sur le statut de l’une des parties, et conclut que la plainte qu’il formule en vertu de cet article est recevable ratione materiae.
5.3L’auteur répète que le manque d’impartialité de la Cour suprême, qui mettait en jeu les principes élémentaires de la justice, aurait dû être pris en considération avant toute question de compétence soulevée par rapport au droit interne. Le Comité devrait constater qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14.
5.4Faisant référence à l’affaire Kazantzis c. Chypre, l’auteur dit que la procédure de nomination des juges relève de l’article 25 c) du Pacte. Il affirme que la révocation de sa nomination au poste de juge de tribunal de district violait le droit que lui reconnaissait cet article d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, à la fonction publique.
5.5Selon l’auteur, le rejet de sa plainte par la Cour suprême l’a également privé de son droit à un recours utile, en violation de l’article 14, paragraphe 1, et de l’article 25 c) lus conjointement avec l’article 2 du Pacte.
5.6L’auteur demande, à titre de recours, que la procédure soit relancée et qu’une cour suprême composée de façon différente examine d’abord la question de l’impartialité des 13 juges de la Cour suprême qui ont rejeté sa plainte. Il demande aussi une réparation adéquate pour la perte subie en termes de perspectives de carrière, de salaire et de pension de retraite, ainsi que pour ses frais de justice.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2En ce qui concerne la plainte formulée par l’auteur en vertu de l’article 25 c) du Pacte, le Comité relève l’absence de toute information sur des cas comparables où des candidats auraient été nommés au poste de juge de tribunal de district, ainsi que sur tous motifs de discrimination prohibés pour avoir refusé à l’auteur l’accès au poste en question. Il considère donc que l’auteur n’a pas étayé aux fins de la recevabilité ses affirmations selon lesquelles l’accès, dans des conditions générales d’égalité, à la fonction publique lui aurait été refusé. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.3Pour ce qui est de la plainte de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité note que, contrairement à la situation dans les affaires Casanovas c. France et Chira Vargas c. Pérou, dans le cas d’espèce c’est la révocation d’une nomination à un autre poste dans l’administration de la justice, et non la révocation d’une charge dans la fonction publique, qui est en cause. Le Comité rappelle que la notion de «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14, est fondée sur la nature des droits en question plutôt que sur le statut de l’une des parties. Il rappelle aussi que la procédure de nomination des juges, bien que devant respecter le droit d’accès à la fonction publique dans des conditions générales d’égalité (art. 25 c)) et le droit à un recours utile (art. 2, par. 3), ne relève pas en tant que telle de la détermination de droits et obligations de caractère civil au sens du paragraphe 1 de l’article 14.
6.4Le Comité doit donc déterminer si la procédure engagée par l’auteur pour contester la révocation de sa nomination au poste de juge de tribunal de district constituait une détermination de ses droits et obligations de caractère civil. Le Comité rappelle que l’auteur a choisi de ne pas démissionner de son poste de juge aux affaires familiales pour éviter une réduction substantielle de son salaire annuel, l’exclusion de ses années de service au tribunal de la famille dans le calcul de sa pension de retraite et la précarité de l’emploi. Il note que l’auteur a entièrement préservé ces droits acquis et il considère que son argumentation concernant la perte de perspectives de carrière et d’éventuelles augmentations de son salaire et de sa pension de retraite du fait de la révocation de sa nomination est purement hypothétique. L’auteur n’a pas non plus étayé ses affirmations selon lesquelles son droit d’accéder à la fonction publique dans des conditions d’égalité, en vertu de l’article 25 c), aurait été violé. L’auteur n’a donc pas prouvé que la procédure engagée par lui constituait une détermination de ses droits et obligations de caractère civil au sens du paragraphe 1 de l’article 14.
6.5Le Comité rappelle que si la révocation des nominations dans la fonction judiciaire ne doit pas nécessairement être déterminée par une cour ou un tribunal, dès lors qu’un organe judiciaire est chargé par la loi de statuer sur ces questions, cet organe doit respecter le droit à l’égalité de tous devant les cours et tribunaux, garanti au paragraphe 1 de l’article 14, ainsi que les principes d’impartialité, d’équité et d’égalité des moyens implicites dans cette disposition. Or, l’auteur n’a pas réfuté l’argument de l’État partie selon lequel la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Kourris v. The Supreme Council of Judicature avait établi un précédent contraignant, dans le sens que l’exercice par le Conseil suprême de la magistrature de ses pouvoirs ne donne pas lieu à révision judiciaire et n’est pas de la compétence de la Cour suprême au sens de l’article 146 de la Constitution. Le Comité considère, par conséquent, que la Cour suprême n’a pas violé les garanties données au paragraphe 1 de l’article 14 lorsqu’elle s’est déclarée incompétente pour examiner l’action de l’auteur, puisque la loi chypriote excluait expressément que la Cour soit compétente pour statuer sur la question. Le fait d’engager une procédure devant une instance judiciaire qui n’est manifestement pas compétente pour connaître d’une question ne peut pas déclencher les garanties données au paragraphe 1 de l’article 14. Le Comité conclut que cette partie de la communication est donc irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en rabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
S. Communication n o 1185/2003, Van den Hemel c. Pays-Bas (Décision adoptée le 25 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Johannes Van den Hemel (représenté par un conseil, B. W. M. Zegers) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Pays‑Bas |
Date de la communication: |
12 juin 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet: Indépendance de la magistrature.
Questions de procédure: Aucune.
Questions de fond: Droit à un procès équitable.
Articles du Pacte: 14.
Articles du Protocole facultatif: 2.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1L’auteur de la communication est Johannes Van den Hemel, un Néerlandais. Il affirme être victime d’une violation par les Pays‑Bas des droits qu’il tient de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. B. W. M. Zegers.
1.2Le 15 août 2003, compte tenu des observations de l’État partie sur la recevabilité, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, agissant au nom du Comité, a décidé que la recevabilité et le fond de la communication seraient examinés ensemble.
Exposé des faits
2.1L’auteur est un orthodontiste vivant aux Pays‑Bas. Le 12 octobre 1989, il a été impliqué dans un accident de voiture à l’occasion duquel des panneaux signalétiques utilisés par des entreprises de travaux routiers ont été endommagés. L’auteur a lui‑même subi un préjudice «matériel et non matériel» et a perdu 20 % de sa capacité de gain.
2.2Le préjudice a été indemnisé par plusieurs compagnies d’assurances, y compris Royal Nederlanda Verzekeing Maatschappij NV (Royal), qui l’a partiellement indemnisé. La compagnie d’assurances VVAA Schadeverzekeing‑smattschappij (VVAA), auprès de laquelle l’auteur était assuré au tiers au moment de l’accident, a partiellement indemnisé le préjudice de Royal. La question de la culpabilité en ce qui concerne la cause de l’accident de voiture et les panneaux routiers endommagés a donné lieu à un différend entre l’auteur et la compagnie d’assurances Royal.
2.3Royal a assigné l’auteur et VVAA devant le Tribunal régional d’Utrecht en réparation des dommages qui n’avaient pas été indemnisés. L’auteur a introduit une demande reconventionnelle. Le 21 février 1996, le Tribunal régional d’Utrecht a ordonné à l’auteur de verser à Royal 9 576,62 guilders néerlandais plus des intérêts d’un montant de 5 257,25 guilders néerlandais. Le Tribunal régional d’Utrecht a déclaré la demande reconventionnelle de l’auteur irrecevable.
2.4L’auteur a fait appel du jugement devant la cour d’appel, qui a confirmé le jugement le 26 juin 1997. Les juges Van der Reep et Veger, qui ont rendu l’arrêt en appel, siègent également au Tribunal régional d’Utrecht. L’auteur renvoie à un rapport publié en 1996 par la Fondation judiciaire de recherche scientifique, dans lequel il est indiqué qu’un troisième juge, le juge Cremers, troisième signataire de l’arrêt rendu contre l’auteur en appel, avait statué en faveur de la compagnie d’assurances dans les 26 affaires en appel auxquelles une compagnie d’assurances était partie.
2.5Le 26 septembre 1997, l’auteur a fait appel de l’arrêt devant la Cour suprême. Deux des juges qui ont examiné ce recours, les juges Herrmann et Mijnssen, étaient, à l’époque du recours de l’auteur, employés et rémunérés par le Conseil de supervision du secteur des assurances (Raad van Toezicht Verzekeringen) qui est financé par l’Association des assureurs (Verbond van Verzekeraars) dont Royal est membre. Le Conseil est un organe disciplinaire qui tranche les différends entre compagnies d’assurances et assurés.
2.6Craignant que les juges Herrmann et Mijnssen de la Cour suprême ne soient pas impartiaux, l’auteur a demandé leur récusation. Sa requête a été examinée par une formation de la Cour suprême composée différemment. Sur leur demande, les juges Herrmann et Mijnssen ont été entendus par la Cour suprême en l’absence de l’auteur. L’auteur a été entendu en présence des deux juges. Selon l’auteur, ceux‑ci avaient déclaré que si la Cour ne faisait pas droit à leur demande, ils «ne coopéreraient plus à l’examen de la requête en récusation». Le 19 novembre 1999, la Cour suprême a rejeté la requête de l’auteur et le 24 décembre 1999 elle a rejeté le recours qu’il avait formé contre l’arrêt de la cour d’appel.
2.7L’auteur déclare que le juge Mijnssen avait été collègue du juge Heemskerk dans une université d’Amsterdam. Ce dernier juge, un juge de la Cour suprême, avait examiné et rejeté la demande de l’auteur tendant à récuser le juge Mijnssen et avait aussi examiné et rejeté le recours de l’auteur.
2.8Selon l’auteur, il n’a pas été en mesure de vérifier si l’un quelconque des juges de la Cour suprême ou de la cour d’appel était actionnaire de Royal, et il accuse le Tribunal régional d’Utrecht d’avoir manqué aux obligations que lui impose l’article 44 de la loi sur la magistrature (Wet Rechtspositie Rechterlijke Ambtenaren), qui exige des tribunaux qu’ils tiennent un registre dans lequel les fonctions additionnelles exercées par les magistrats sont indiquées. Il fonde son argument sur une étude menée en octobre 2000 par le Ministère de la justice, qui a conclu qu’un grand nombre de juges refusaient de rendre publiques leurs autres fonctions ou ne le faisaient que partiellement.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur fait valoir que son procès en appel était contraire à l’article 14 du fait que deux des juges qui ont rendu l’arrêt siègent également au Tribunal régional d’Utrecht.
3.2Il affirme que la relation des deux juges de la Cour suprême avec Royal, de par leur présence au Conseil de supervision, fait naître une «apparence de partialité» en violation du droit de l’auteur à ce que sa cause soit entendue équitablement en vertu de l’article 14 du Pacte. L’auteur fait valoir que si ces juges de la Cour suprême avaient statué en sa faveur dans l’action intentée contre lui par Royal ils risquaient de perdre leur siège au Conseil et donc des honoraires. Il déclare que ces deux juges ont montré qu’ils avaient un intérêt dans le différend entre l’auteur et Royal en refusant de se déporter et par leur comportement lorsque l’auteur a tenté de les récuser. Il ajoute que le fait que sa cause n’a pas été entendue équitablement est aggravé par les «liens» existant entre le juge Mijnssen et le juge Heemskerk, qui ont travaillé ensemble dans une université d’Amsterdam.
3.3Enfin, il soutient que les relations entre Royal et les juges du Tribunal régional d’Utrecht, la cour d’appel et la Cour suprême violent son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement en application de l’article 14 du Pacte parce que ces juges «pourraient» être actionnaires de Royal. Il déclare que, comme il lui «est apparu» que le Tribunal régional d’Utrecht n’avait pas respecté l’article 44 de la loi sur la magistrature, son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement a été violé, puisqu’il n’a pas été en mesure de vérifier si l’un quelconque des juges était actionnaire de Royal.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond et commentaires de l’auteur sur ces observations
4.1Le 4 août 2003, l’État partie a contesté la recevabilité d’une partie de la plainte. Il faisait valoir que le moyen concernant les juges de la cour d’appel était irrecevable parce que les recours internes n’avaient pas été épuisés. Il affirme qu’en vertu des articles 36 et 37, paragraphe 1, du Code de procédure civile, l’auteur aurait pu demander la récusation des juges désignés pour examiner sa cause en «raison de faits ou de circonstances susceptibles de porter atteinte à l’impartialité judiciaire», ce qui doit être fait «dès que la personne concernée a connaissance de ces faits ou circonstances». Si l’auteur avait contesté l’impartialité d’un ou de plusieurs des juges, la procédure aurait été immédiatement suspendue. La contestation aurait été examinée par la Cour en formation plénière, à l’exclusion des juges contestés, à la première occasion. Si la Cour en formation plénière avait fait droit à la demande de l’auteur, l’affaire aurait ultérieurement été examinée par une formation de la Cour dont le ou les juges contestés n’auraient pas fait partie. Il renvoie à cet égard à la décision adoptée par le Comité dans les affaires Perera c. Australie et Triboulet c. France.
4.2Le 2 décembre 2003, l’État partie a présenté ses observations sur le fond, faisant valoir que la partie de la plainte qui n’est pas irrecevable par non‑épuisement des recours internes était «manifestement mal fondée». À titre préliminaire, il note que le 14 novembre 2000 la Cour européenne des droits de l’homme a jugé l’affaire irrecevable, «ne relevant aucun signe d’une violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou ses protocoles». Selon l’État partie, une décision du Comité constatant une violation en l’espèce serait extrêmement difficile à concilier avec cette conclusion.
4.3Sur les faits, l’État partie expose la législation régissant les demandes de récusation de juges pour partialité et la récusation des juges, notamment l’article 34 du Code de procédure civile et la disposition 8:19 de la loi sur le droit administratif général (Algemene Wet Bestuursrecht), selon laquelle un juge doit se déporter s’il existe dans une affaire des faits ou des circonstances susceptibles de porter atteinte à l’impartialité du tribunal. L’État partie fait valoir qu’en vertu de l’(ancien) article 32 du Code de procédure, le tribunal peut décider, à la demande de la partie demanderesse ou du juge pris à parti, qu’une des parties ou que les deux parties ne seront pas entendues en présence de l’autre. Les deux juges de la Cour suprême ont exercé cette faculté et le conseil de l’auteur a déclaré expressément à l’audience publique du 4 octobre 1999 qu’il ne s’y opposait pas. Après que le Président eut fait droit à la demande, l’auteur a quitté la salle d’audience. Son conseil a déclaré qu’il «jugeait préférable de quitter également la salle d’audience». L’État partie ajoute que les juges concernés ont déclaré qu’ils ne s’opposaient pas à ce que le conseil de l’auteur soit présent lors de leur audition. Quant à l’allégation selon laquelle les juges ont déclaré que s'il n’était pas fait droit à leur demande ils «ne coopéreraient plus à l’examen de la requête en récusation», l’État partie la déclare totalement infondée et nullement étayée par les pièces du dossier.
4.4S’agissant de l’argument tiré du fait que deux des juges ayant examiné l’affaire à la Cour suprême étaient membres du Conseil de supervision des compagnies d’assurances, qui est financé par l’Association néerlandaise des assureurs, à laquelle l’autre partie à l’affaire appartenait, l’État partie renvoie à la définition de l’impartialité donnée par le Comité dans l’affaire Karttunen c. Finlande(communication no387/1989),à savoir: «L’impartialité du tribunal exige que les juges n’aient pas d’idées préconçues au sujet de l’affaire dont ils sont saisis et qu’ils n’agissent pas de manière à favoriser les intérêts de l’une des parties.». Pour l’État partie, l’auteur n’a pas démontré que les juges concernés avaient de telles idées préconçues.
4.5Selon l’État partie, les observations de l’auteur ne tiennent pas compte du fait que les membres du Conseil de supervision sont des experts indépendants, et que le Conseil lui‑même est une instance disciplinaire indépendante relevant du droit privé. Il fournit, en même temps qu’un ombudsman en matière d’assurances, une alternative à l’action en justice. Il s’efforce, en consultation avec l’assureur ou l’agent en cause, de régler le litige en matière d’assurances ou de rendre un avis à cet égard, mais il ne se substitue pas au tribunal compétent. Le Conseil des plaintes des compagnies d’assurances est financé par une fondation du même nom, qui a été créée conjointement par les compagnies et agents d’assurances et par l’Association néerlandaise des consommateurs, et ni l’un ni l’autre, ajoute l’État partie, n’exerce aucune influence sur la manière dont une affaire est réglée et n’a aucun pouvoir de décision en la matière.
4.6L’État partie cite les attendus de la Cour suprême, indiquant que le seul fait que le Conseil de supervision soit partiellement financé par le biais du Conseil des plaintes des compagnies d’assurances et l’Association néerlandaise des assureurs, qui compte parmi ses nombreux membres la partie adverse dans le procès de l’auteur, et que les membres du Conseil de supervision soient rémunérés pour leur travail ne justifie en rien la crainte de l’auteur que les juges concernés manquent d’impartialité.
4.7L’État partie déclare que les membres du Conseil de supervision sont nommés par le Conseil d’administration de l’Association néerlandaise des assureurs, sur proposition de la direction de l’Association. Royal, l’un des nombreux membres de l’Association néerlandaise des assureurs, n’était pas en mesure d’exercer une influence aussi considérable sur la nomination des membres du Conseil ou le renouvellement de leur mandat que l’affirme l’auteur. L’État partie explique que l’Association néerlandaise des assureurs n’est qu’une des très nombreuses organisations, dont l’Association des consommateurs, affiliées au Conseil des plaintes des compagnies d’assurances. L’indépendance de ses membres est garantie expressément dans son règlement. De plus, Royal, en tant que membre de l’Association néerlandaise des assureurs, est expressément soumise à une juridiction disciplinaire indépendante. Quant à l’allégation selon laquelle si les juges n’avaient pas fait en sorte que le procès s’achève de manière favorable à Royal leur mandat n’aurait pas été renouvelé et ils auraient ainsi perdu des honoraires, l’État partie souligne que l’auteur n’a pas formulé cet argument devant les tribunaux internes.
4.8L’État partie conteste que le fait que deux des juges en cause, qui ont été professeurs à la faculté de droit de l’Université libre en 1990 et 1986 respectivement, avant d’être nommés à la Cour suprême, puisse avoir une signification quelconque dans la présente affaire. Quant à l’allégation selon laquelle certains juges sont peut‑être des actionnaires de Royal, l’État partie indique qu’en application de l’article 44 de la loi sur le statut juridique du personnel judiciaire, les juges sont tenus de signaler toutes les activités extrajudiciaires qu’ils exercent ou envisagent d’exercer. Le Conseil qui administre les tribunaux tient un registre de ces activités qui est à la disposition du tribunal pour inspection. Les activités extrajudiciaires des juges et juges‑adjoints sont aussi publiées sur Internet. Pour l’État partie, cette allégation ne repose que sur des suppositions, et l’auteur n’a pas soulevé ce point devant les tribunaux internes. Ceux‑ci n’ont donc pas eu la possibilité de se prononcer.
4.9L’État partie fait valoir que si le Comité devait déclarer la partie de la communication contenant les allégations de partialité formulées à l’encontre des juges de la cour d’appel recevable, il conviendrait de noter que l’auteur n’a nullement prouvé que le seul fait que les juges de la cour d’appel soient également juges‑adjoints au Tribunal régional d’Utrecht justifie objectivement ses craintes de partialité ou permette de conclure à une apparence de partialité. Il déclare également que les deux juges de la cour d’appel qui sont aussi juges‑adjoints au Tribunal régional d’Utrecht n’ont pas connu de l’affaire de l’auteur en première instance.
5.Le 2 février 2004, l’auteur a présenté des commentaires sur les observations de l’État partie. Il déclare que comme il ne savait pas, à l’époque où son appel était pendant, que deux juges de la cour d’appel siégeaient aussi au Tribunal régional d’Utrecht, la conclusion de l’État partie selon laquelle il n’a pas épuisé les recours internes est invalide. Il déclare de nouveau qu’un grand nombre de juges refusent de publier des informations sur leurs fonctions extrajudiciaires et que de ce fait les justiciables n’ont pas d’informations fiables sur ces fonctions aux fins de demander la récusation d’un juge et d’épuiser les recours internes. Dans de nouvelles pièces fournies le 28 mai 2004, l’auteur formule diverses allégations sur la relation entre la magistrature et les compagnies d’assurances en général.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité note que cette question a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme le 14 novembre 2000. Il rappelle toutefois sa jurisprudence, à savoir que c’est seulement lorsque la même affaire est déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement que le Comité, en application du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, ne peut connaître d’une communication. Ainsi, le paragraphe 2 a) n’empêche pas le Comité d’examiner la présente communication.
6.3Le Comité a noté que l’auteur invoque une violation de l’article 14 du Pacte a) parce que deux des juges qui ont rendu l’arrêt de la cour d’appel siègent également, en qualité de juges suppléants, au Tribunal régional d’Utrecht, b) parce que les juges de la Cour suprême qui ont examiné sa cause étaient partiaux du fait de leurs liens possibles avec Royal (la compagnie d’assurances qui avait assigné l’auteur) et parce qu’ils siégeaient au Conseil de supervision de l’Association néerlandaise des assureurs et c) parce que les juges qui ont statué sur son cas «auraient pu» être des actionnaires de Royal.
6.4Sur le premier moyen, le Comité note que l’auteur n’a produit aucune preuve attestant que les deux juges de la cour d’appel avaient effectivement aussi connu de sa cause au Tribunal régional d’Utrecht, ou participé de quelque manière que ce soit à son procès en première instance. À cet égard, l’auteur n’a pas apporté la preuve de ses allégations de partialité aux fins de la recevabilité, et le Comité déclare donc ce premier moyen irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.5Pour ce qui est du second moyen (partialité au motif que des juges de la Cour suprême siégeaient au Conseil de supervision de l’Association néerlandaise des assureurs), le Comité relève que l’auteur a demandé que les deux juges de la Cour suprême en cause se déportent. Tout en exprimant certaines réserves sur l’opportunité d’un système qui permet à des magistrats d’être membres d’un conseil de supervision créé par une association professionnelle, le Comité note que la Cour suprême a examiné la requête en récusation de l’auteur dans une formation différente, a pleinement examiné les positions et les éléments de preuve de l’auteur et des juges en cause et a finalement rejeté la requête en récusation de l’auteur puis, le 24 décembre 1999, son recours sur le fond. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux tribunaux des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve rapportés dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été manifestement arbitraire ou qu’il y a eu déni de justice. Rien dans le dossier dont le Comité est saisi ne donne à penser que la procédure devant la Cour suprême qui a abouti au rejet de la requête en récusation de l’auteur le 19 novembre 1999 et de son recours sur le fond un mois plus tard souffrait de tels vices. C’est pourquoi ce moyen est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Il en va a fortiori de même du moyen de l’auteur fondé sur l’article 14 selon lequel l’un des juges de la Cour suprême qui a examiné la requête en récusation formulée par l’auteur contre deux juges de la Cour suprême était un ancien collègue de l’un de ces juges à l’Université d’Amsterdam.
6.6Enfin, en ce qui concerne le dernier moyen de l’auteur, le Comité note que l’argument selon lequel certains des juges qui ont connu de l’appel de l’auteur «auraient pu» avoir été actionnaires de la compagnie d’assurances qui l’avait assigné (Royal) n’a pas été soulevé devant les tribunaux internes. Le Comité conclut donc à cet égard que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, comme l’exige l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et de l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
T. Communication n o 1188/2003, Riedl ‑Riedenstein et consorts c. Allemagne (Décision adoptée le 2 novembre 2004, quatre-vingt-deuxième session)
Présentée par: |
Riedl‑Riedenstein, Viktor‑Gottfried et Josseline; Scholtz, Maria (représentés par des conseils, M. Hans‑Jochen Moser et Mme Sylvia Moser) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Allemagne |
Date de la communication: |
11 juin 2003 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 2 novembre 2004,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.Les auteurs de la communication sont Viktor‑Gottfried Riedl-Riedenstein (premier auteur) et Josseline Riedl‑Riedenstein (deuxième auteur), respectivement nés en 1916 et 1934, et Maria Scholtz (née Riedl‑Riedenstein; troisième auteur). Tous sont de nationalité autrichienne. Ils affirment être victimes d’une violation par l’Allemagne du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Ils sont représentés par des conseils.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1Avant la Deuxième Guerre mondiale, la famille des auteurs possédait un vaste patrimoine en Tchécoslovaquie, comprenant notamment des actions de plusieurs entreprises allemandes, parmi lesquelles Daimler Benz (d’une valeur de 154 000 reichsmark), Dresdner Bank (d’une valeur de 142 000 reichsmark) et IG Farben Industrie AG (d’une valeur de 410 000 reichsmark). Les titres étaient en dépôt au château d’Aich, résidence secondaire de la famille. En septembre 1944, le père des premier et troisième auteurs a, en présence du premier, décidé d’emballer ces actions par paquets et d’inscrire sur ces paquets le nom du troisième auteur. En application des décrets Benes de 1945, la famille a été dépossédée de ses biens qui se trouvaient en Tchécoslovaquie, y compris le château d’Aich, où les titres étaient dissimulés dans un placard du hall d’entrée. Les preuves matérielles de l’existence de ces actions ayant été confisquées, les autorités tchécoslovaques n’ont pas tenté de lui en rembourser la valeur.
2.2En 1948, la monnaie de la République fédérale d’Allemagne est devenue le deutsche mark et les actions libellées en reichsmark ont été réémises. Il fallait alors produire ces anciennes actions, pour prouver qu’on en était propriétaire, faute de quoi la preuve devait être établie d’une autre manière, par exemple par le biais de relevés bancaires, de déclarations de revenus, etc. La République fédérale d’Allemagne a fait office de fiduciaire pour les actionnaires et a fini par s’approprier les actions non réclamées.
2.3En 1965, les auteurs se sont rendus au château d’Aich pour recueillir des informations sur leurs actions, dans le but de communiquer ces informations au Bureau d’indemnisation fédéral allemand en vertu des lois adoptées entre 1949 et 1964 sur la procédure d’examen et de validation des demandes pour perte ou destruction de titres pendant ou immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale (Wertpapierbereinigungsschlussgesetze).
2.4Entre 1965 et 1976, les auteurs ont déposé trois demandes d’indemnisation auprès du Bureau d’indemnisation fédéral, lesquelles ont été rejetées en 1965, 1971 et 1981, respectivement, faute d’éléments suffisants prouvant qu’ils possédaient effectivement ces actions. Les auteurs ont en vain formé recours contre ces décisions dans des procédures distinctes, pour chaque paquet d’actions, devant des tribunaux différents.
2.5Avant 1990, les auteurs ne pouvaient produire de documents apportant la preuve qu’ils détenaient les actions, car les documents en question se trouvaient au château d’Aich et leur étaient inaccessibles et que les relevés bancaires et déclarations de revenus correspondants avaient été détruits dans un incendie de la maison familiale à Vienne à la fin de la guerre. De plus, les autorités tchèques avaient à plusieurs reprises refusé de délivrer un certificat de la Banque centrale confirmant l’existence de ces actions.
2.6Suite au changement de gouvernement intervenu en Tchécoslovaquie en 1990, les auteurs ont progressivement obtenu accès aux documents justificatifs requis. C’est ainsi que le 19 avril 1991, une nouvelle demande d’indemnisation au titre des actions de l’entreprise IG Farben a été soumise à la chambre de validation des actions de la cour régionale de Francfort, qui a rejeté la plainte le 2 novembre 1992. En appel, la cour d’appel de Francfort a infirmé cette décision et renvoyé l’affaire à la cour régionale de Francfort.
2.7Les auteurs ayant demandé un report de décision parce qu’il leur était désormais possible d’apporter de nouveaux éléments émanant des autorités tchèques, la chambre de validation des actions de la cour régionale de Francfort a décidé, en date du 29 novembre 1999, que les auteurs n’étaient pas fondés à demander une indemnisation à hauteur de 410 000 reichsmark pour les actions d’IG Farben et a fixé le montant en question à 1 644 000 deutsche mark. Elle a considéré que les conditions fixées au paragraphe 1 de l’article 15 de la loi de 1964 sur la validation finale des actions n’avaient pas été remplies et que les auteurs n’avaient pas justifié le fait de ne pas avoir demandé la vérification et l’enregistrement de leurs droits avant l’expiration du délai légal, fixé au 31 décembre 1964. Le tribunal a rejeté l’argument des auteurs selon lequel ils auraient été dans l’incapacité d’obtenir des preuves à l’appui de leur requête avant leur visite au château d’Aich en 1965, étant donné qu’en 1962 leur ancien régisseur est réapparu à Aich (entre‑temps rebaptisé «Doubi»), et que celui-ci connaissait parfaitement les biens des auteurs, et notamment l’existence des actions. Ni la confiscation du château d’Aich ni l’incendie de leur maison à Vienne ne pouvaient justifier qu’ils n’aient pas respecté le délai car on pouvait raisonnablement attendre d’eux qu’ils présentent une requête à la banque de Karlsbad, qui avait servi d’intermédiaire à l’achat des actions, ou qu’ils s’enquièrent de l’existence éventuelle de coupons pour le paiement de dividendes, de déclarations de revenus ou d’autres justificatifs auprès des autorités tchèques.
2.8De plus, les auteurs n’avaient pas démontré de manière plausible que les actions en question leur appartenaient: le simple fait d’inscrire, en 1944, le nom du troisième auteur sur les paquets ne pouvait constituer une «remise» des actions à la fille ni s’y substituer, en l’absence de toute indication de la situation juridique du porteur du nom inscrit et sachant que la capacité du père d’agir au nom de sa femme et de sa fille n’avait pas été établie. Même si le premier auteur, en qualité de légataire universel, avait été habilité à demander une indemnisation, il n’avait pas enregistré son titre de propriété dans le cadre des procédures d’indemnisation avant l’expiration du délai, fixée au 30 juin 1976, comme l’exigeait le paragraphe 1 de l’article 11 de la loi de 1975 pour que la conversion monétaire puisse être menée à bien. Enfin, la répartition et la valeur nominale des actions n’avaient pas été spécifiées.
2.9Le 2 octobre 2000, la cour d’appel de Francfort a rejeté l’appel immédiat formé par les auteurs, ayant conclu à l’absence de vice juridique dans la décision de la cour régionale de Francfort attaquée. Concernant l’argument des auteurs selon lequel le fait que leur régisseur, maintenant décédé, aurait eu connaissance de l’existence des actions était soudainement devenu la question centrale de leur affaire, la cour a estimé que le simple fait que les plaintes des auteurs avaient auparavant été rejetées pour d’autres motifs ne donnait pas légitimement matière à conclure qu’il était justifié qu’ils n’aient pas respecté le délai pour demander la validation de leurs actions.
2.10Indépendamment de l’argument des auteurs selon lequel ils n’imaginaient même pas que le régisseur puisse ouvrir le placard du hall d’entrée et trouver les titres, la cour a estimé que le fait qu’ils n’aient pas demandé à ce dernier ce qu’il était advenu de ces titres était un manquement à leur obligation de diligence, dans la mesure où cette personne avait continué à administrer le château d’Aich après le départ de la famille et avait assisté à la confiscation de ses biens par les autorités tchécoslovaques en 1945 et où le compte rendu de la confiscation remis aux auteurs par cette même personne en 1962 ne faisait aucune mention des titres. La cour d’appel a donc entériné la conclusion de la cour régionale selon laquelle les auteurs n’avaient pas démontré qu’ils avaient fait tous les efforts qu’on pouvait raisonnablement attendre d’eux pour étayer leur demande de validation avant leur visite au château d’Aich en octobre 1965. Lorsqu’elle a rejeté la demande d’indemnisation des auteurs au motif de l’absence injustifiée de demande de validation de leurs actions avant l’expiration du délai le 31 décembre 1964, la cour n’a pas examiné la question de la propriété des actions.
2.11Le 13 septembre 2001, la Cour constitutionnelle fédérale a rejeté la plainte constitutionnelle des auteurs, constatant que les décisions des instances inférieures n’avaient pas violé l’interdiction constitutionnelle de l’arbitraire et que la question de savoir si une éventuelle violation de l’article 6 de la Convention européenne, requérant une audience y compris dans les affaires non conflictuelles de caractère civil, constituerait en même temps une violation de la Loi fondamentale allemande, était sans rapport avec l’affaire, dans la mesure où les auteurs n’ont jamais prétendu qu’ils auraient pu, au cours d’une procédure orale, présenter de nouveaux éléments de nature à infléchir les décisions des instances inférieures.
2.12Le 1er février 1999, les auteurs ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme, en faisant valoir que la durée des procédures d’indemnisation concernant les actions des trois entreprises − Dresdner Bank, Daimler Benz et IG Farben − était contraire à l’article 6 de la Convention européenne et que le déni de toute indemnisation pour ces actions portait atteinte au droit de propriété (consacré par l’article premier du Protocole no 1 à la Convention européenne). Le 22 janvier 2002, la Cour a rejeté les plaintes des auteurs relatives aux procédures concernant les actions d’IG Farben et de Dresdner Bank pour non‑épuisement des recours internes. Pour ce qui est des actions de Daimler Benz, elle a qualifié la plainte portant sur la durée des procédures manifestement infondée et déclaré la requête irrecevable ratione materiae au regard de l’article premier du Protocole no 1 à la Convention: la conclusion des tribunaux allemands selon laquelle les auteurs n’avaient pas suffisamment établi leur droit de propriété sur les actions n’était ni arbitraire ni contraire aux dispositions nationales applicables.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs, qui restreignent la portée de leur communication aux seules procédures concernant les actions de l’entreprise IG Farben, se plaignent de violations de leur droit à un tribunal impartial, consacré au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, ainsi que de leur droit à l’égalité et à la non‑discrimination, consacré par l’article 26, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et font valoir que les tribunaux allemands ont arbitrairement rejeté leur demande d’indemnisation en appliquant dans leur cas des règles en matière de preuve plus strictes que celles appliquées à des demandes d’indemnisation passées, auxquelles il avait souvent été donné droit dans des affaires de confiscation de biens appartenant à des Juifs. Ce traitement discriminatoire pourrait avoir un lien avec l’intention des tribunaux de protéger le Trésor allemand en période de graves difficultés économiques.
3.2Les auteurs font valoir qu’ils ont exercé la diligence due pour présenter des justificatifs à l’appui de leurs requêtes mais se sont d’abord vu refuser toute information des anciennes autorités tchécoslovaques puis, lorsqu’ils ont enfin obtenu des éléments prouvant qu’ils étaient propriétaires des actions, se sont vu refuser l’indemnisation par les tribunaux allemands au motif qu’ils avaient présenté leur requête après expiration du délai et qu’ils n’y avaient pas associé leur ancien régisseur.
3.3Les auteurs font valoir qu’ils ont épuisé les recours internes et que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Concernant la réserve émise par l’Allemagne au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, ils soutiennent que leur requête devant la Cour européenne ne portait pas sur le même contenu des droits puisqu’elle visait leur droit à la propriété, qui n’est pas en tant que tel protégé par le Pacte, ainsi que la durée des procédures, et non pas leur droit à l’égalité de traitement et à la non‑discrimination. De plus, leur grief concernant les actions d’IG Farben n’avait pas du tout été examiné par la Cour européenne.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Le 12 août 2003, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, répondant que les plaintes des auteurs n’étaient pas étayées et qu’elles étaient incompatibles ratione materiae avec les dispositions du Pacte, dans la mesure où un argument fondé sur l’article 26 uniquement serait incompatible avec la réserve émise par l’Allemagne, mais étaient aussi irrecevables pour non‑épuisement des recours internes, dans la mesure où les auteurs n’avaient pas saisi la Cour constitutionnelle fédérale de la question de l’«interdiction de l’arbitraire sous l’aspect de l’inégalité de traitement par rapport à d’autres plaignants».
4.2L’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas démontré, aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif, que leur droit à l’égalité devant les tribunaux avait été violé, en particulier par comparaison avec d’autres groupes de personnes en situation comparable, ni sur la base de quels critères ils avaient fait l’objet d’une discrimination de la part des tribunaux allemands, qui leur auraient, selon eux, appliqué des règles plus strictes en matière de preuve. Ni des plaignants non identifiés ayant obtenu une indemnisation pour des biens perdus ni des plaignants ayant obtenu une restitution de biens juifs confisqués ne pouvaient être considérés comme des groupes de comparaison adaptés, en l’absence de toute indication des critères sur lesquels la différence de traitement supposée aurait été basée, et compte tenu du fait que les demandes d’indemnisation des Juifs pour les pertes subies pendant la guerre concernaient une situation complètement différente soumise à une législation distincte.
Commentaires des auteurs
5.1Dans une lettre du 4 novembre 2003, les auteurs ont fait valoir que la réserve émise par l’Allemagne était sans rapport avec leur plainte puisque la question dont le Comité était saisi était celle d’un déni d’égalité de traitement dans un procès, de sorte que leur grief était basé sur l’article 26 lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14, et non pas sur le seul article 26. Si la réserve devait être considérée comme concernant leurs griefs, les auteurs demanderaient au Comité d’examiner si elle est compatible avec l’objet et le but du Protocole facultatif.
5.2Les auteurs considèrent qu’ils ont suffisamment étayé leur plainte aux fins de la recevabilité, inversant par là même la charge de la preuve, conformément à la jurisprudence du Comité. En conséquence, il appartenait à l’État partie de préciser quelles informations additionnelles il souhaitait obtenir et d’expliquer pourquoi d’autres plaignants s’étaient vu reconnaître en tant que propriétaires d’actions, alors qu’on avait toujours exigé des auteurs qu’ils soumettent des éléments de preuve tangibles inaccessibles jusqu’aux années 90.
5.3Les auteurs réaffirment qu’une fois leurs plaintes déposées les tribunaux allemands les ont rejetées pour des motifs complètement différents, à savoir que les auteurs auraient dû essayer d’obtenir une déclaration sous serment de quelqu’un qui n’aurait pas nécessairement eu connaissance de l’existence de ces actions et n’aurait pas dressé l’inventaire des biens du château d’Aich. L’État partie aurait dû ne plus être fondé à soulever ces questions après le décès du régisseur. De plus, l’État partie lui‑même aurait pu apporter son concours pour l’obtention des informations nécessaires auprès des autorités tchécoslovaques.
5.4Enfin, les auteurs font savoir qu’il serait déraisonnable d’exiger qu’ils épuisent d’éventuels autres recours internes alors qu’ils ont, pendant des décennies, exercé la diligence due pour faire valoir leurs droits devant les tribunaux allemands.
6.1Le 29 septembre 2004, le conseil a communiqué de nouvelles observations et a fait valoir que, contrairement à d’autres personnes, juives et non juives, victimes de persécutions pour des motifs raciaux, dont les plaintes pouvaient être examinées en vertu de la loi sur l’indemnisation des injustices commises par les nazis (Bundesentschädigungsgesetz), les auteurs avaient dû faire connaître la valeur nominale de leurs titres. Or, lorsque cette information a enfin été disponible auprès des autorités tchèques, leur requête a été rejetée au prétexte que cette même information aurait pu être obtenue plus tôt auprès du régisseur de la famille. Étant donné que la loi sur l’indemnisation ne prévoit pas l’obligation de se mettre en relation avec tous les témoins potentiels, les auteurs estiment avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire par comparaison avec d’autres personnes, juives et non juives, victimes de persécutions pour des motifs raciaux.
6.2À l’appui de leur plainte, les auteurs soumettent une décision de la Caisse régionale des impôts de Berlin datée du 12 juin 2002, par laquelle celle-ci accorde à titre d’indemnisation un montant considérable aux cohéritiers d’une personne juive qui aurait été victime de spoliation de biens immobiliers en 1944. Ce montant avait été estimé en l’absence d’informations précises quant à la valeur des biens donnant droit à indemnisation.
Délibérations du Comité
7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Concernant le grief des auteurs selon lequel les tribunaux allemands les auraient traités de manière discriminatoire en leur appliquant des règles plus strictes en matière de preuve qu’ils ne l’avaient fait par le passé pour d’autres demandes d’indemnisation, en particulier dans des affaires tenant à la restitution de biens confisqués à des Juifs, le Comité relève que les auteurs n’ont pas soulevé cette question dans leur plainte constitutionnelle datée du 13 novembre 2000. Il rappelle que, outre les recours judiciaires et administratifs ordinaires, les auteurs doivent aussi faire usage de tous les autres recours judiciaires, y compris les plaintes constitutionnelles, pour satisfaire à la prescription de l’épuisement de tous les recours internes disponibles, dans la mesure où de tels recours semblent être utiles en l’espèce et leur sont de facto ouverts. Le Comité considère que les auteurs n’ont pas démontré que le fait de porter la question de l’application prétendument discriminatoire de règles plus strictes en matière de preuve devant la Cour constitutionnelle fédérale n’aurait pas constitué un recours utile du simple fait que les tribunaux inférieurs avaient toujours appliqué lesdites règles à leur affaire. Il conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif parce que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles à cet égard.
7.3Le Comité prend note de la plainte des auteurs selon laquelle le rejet par les tribunaux allemands de leur demande d’indemnisation dans les procédures concernant les actions de l’entreprise IG Farben au motif qu’ils ne s’étaient pas mis en relation avec leur ancien régisseur avant le délai légal (31 décembre 1964) pour le dépôt d’une demande de validation était arbitraire et constituait une violation de leurs droits consacrés par le paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec l’article 26 du Pacte, compte tenu du fait qu’il n’était pas certain que ce dernier ait eu connaissance de l’existence des actions. Le Comité rappelle qu’il a toujours considéré dans sa jurisprudence qu’il appartenait généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application faite de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il pouvait être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation avait été manifestement arbitraire et avait représenté un déni de justice, ou que le tribunal avait par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité. Le Comité note que les tribunaux allemands ont conclu que les auteurs avaient failli à leur obligation de diligence, entre autres en prenant pour hypothèse que le comportement normal de quiconque prétendait, comme le premier auteur, avoir eu connaissance de l’existence des titres depuis 1944 aurait été de s’enquérir de ce qu’il en était advenu à la réception, en 1962, d’un avis de confiscation qui n’en faisait aucune mention et en s’appuyant également sur le fait que les auteurs n’avaient pas cherché à savoir si d’autres justificatifs existaient (ils auraient pu, par exemple, vérifier auprès de l’ancienne banque de la famille à Karlsbad si celle-ci détenait une preuve de l’achat de ces titres). Il relève en outre que la cour régionale de Francfort a rejeté la demande d’indemnisation des auteurs non seulement parce que, sans raison, ils n’avaient pas fourni de preuve de l’existence de leurs actions de l’entreprise IG Farbenavant le 31 décembre 1964, mais aussi parce qu’ils n’avaient pas établi de manière plausible qu’ils étaient propriétaires de ces actions. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les auteurs n’ont pas démontré, aux fins de la recevabilité, que la façon dont les tribunaux allemands avaient statué était entachée d’arbitraire, et déclare que cette partie de la communication est en conséquence irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.4À la lumière de ce qui précède, le Comité n’a pas à examiner la question de savoir si la réserve émise par l’État partie concernant l’article 26 du Pacte s’applique en l’espèce.
8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
U. Communication n o 1192/2003, de Vos c. Pays-Bas (Décision adoptée le 25 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
M. M. de Vos (représenté par un conseil, M. M. W. C. Feteris) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Pays‑Bas |
Date de la communication: |
6 août 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet: Taxation inégalitaire des navetteurs se rendant à leur travail dans des voitures de fonction − Allégation d’absence de recours utile.
Questions de procédure: Justification de la plainte par l’auteur − Recevabilité ratione materiae.
Questions de fond: Droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi − Droit à un recours utile.
Articles du Pacte: 2 (par. 3) et 26.
Articles du Protocole facultatif: 2 et 3.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est M. M. de Vos, un Néerlandais né en 1967. Il affirme être victime de violations par les Pays‑Bas de l’article 26 lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Il est représenté par un conseil, M. M. W. C. Feteris.
Exposé des faits
2.1En 2000, l’auteur, fiscaliste, a utilisé une voiture de fonction mise à sa disposition par son employeur, un cabinet international d’experts‑comptables et de consultants, pour faire le trajet entre son domicile, situé à plus de 30 kilomètres de son lieu de travail, et son bureau à Amsterdam au moins trois jours par semaine. Il a aussi utilisé cette voiture de fonction (valant 44 590 NLG au prix catalogue) à des fins privées sur une distance de plus de 1 000 kilomètres en 2000, ce pourquoi il a dû verser un montant de 4 566 NLG à son employeur.
2.2En vertu de l’article 42 de la loi néerlandaise de 1964 relative à l’impôt sur le revenu, les salariés utilisant une voiture de fonction à des fins privées devaient ajouter 20 % du prix catalogue de la voiture à leur revenu imposable. Par une loi du 4 juillet 1990 modifiant la loi relative à l’impôt sur le revenu, cette somme a été majorée de 4 % du prix catalogue dans le cas où le salarié faisait la navette entre son domicile et son lieu de travail au moins trois jours par semaine sur une distance supérieure à 30 kilomètres (aller simple). Néanmoins, les salariés utilisant une voiture de fonction étaient exemptés de toute augmentation de leur revenu imposable s’ils pouvaient prouver que leur utilisation privée du véhicule était inférieure à 1 000 kilomètres par an.
2.3Par une décision du 15 juillet 1998 concernant l’exercice fiscal 1994, la Cour suprême a jugé que le fait d’augmenter d’encore 4 % du prix catalogue le revenu imposable dans les cas où l’utilisation privée d’une voiture de fonction excédait 1 000 kilomètres par an était contraire à l’article 26 du Pacte. Elle n’a pas considéré que l’ampleur de l’utilisation privée constituait un critère raisonnable et objectif pouvant justifier d’avantager les navetteurs qui utilisent une voiture de fonction au moins trois jours par semaine sur une distance supérieure à 30 kilomètres (aller simple), dont l’utilisation privée de la voiture est inférieure à 1 000 kilomètres par an. Elle a toutefois estimé que le fait de rendre caduque la disposition pertinente de la loi relative à l’impôt sur le revenu aurait pour effet de traiter de manière inégalitaire les salariés dépourvus de voiture de fonction qui font fréquemment un trajet entre leur domicile et leur lieu de travail d’une distance supérieure à 30 kilomètres et pour lesquels l’abattement fiscal normalement accordé aux navetteurs avait été plafonné aux fins de protection de l’environnement par la loi du 4 juillet 1990. La seule façon de garantir un traitement égal de tous les salariés faisant fréquemment la navette sur une distance supérieure à 30 kilomètres devait être de ne pas appliquer toutes les dispositions concernant le plafonnement institué par cette loi de l’abattement fiscal accordé aux navetteurs. Une telle conséquence revêtait cependant un caractère disproportionné au vu de l’article 26 du Pacte. La Cour suprême a conclu qu’il incombait au législateur et non au juge d’éliminer cette inégalité et que le fait qu’un nouveau projet de loi relative à l’impôt sur le revenu allait bientôt être soumis au Parlement montrait que le législateur était en voie de résoudre ce problème.
2.4Par la suite, le Gouvernement a rejeté l’avis du Conseil d’État selon lequel il convenait de mettre la législation fiscale néerlandaise en conformité avec l’article 26 du Pacte au plus tard en 1999, affirmant qu’il était préférable de surseoir à toute mesure jusqu’à l’adoption d’une réforme générale de la législation relative à l’impôt sur le revenu. Le 1er janvier 2001, une nouvelle loi relative à l’impôt sur le revenu est entrée en vigueur, abrogeant les dispositions litigieuses de la loi du 4 juillet 1990.
2.5Le 11 avril 2001, l’inspecteur des impôts de ’s Gravenhage a évalué la déclaration fiscale de l’auteur pour 2000, majorant de 10 701 NLG (24 % du prix catalogue de la voiture de fonction fixé à 44 590 NLG) son revenu imposable et déduisant les 4 566 NLG que l’auteur avait versés à son employeur au titre de l’utilisation privée de cette voiture de fonction. L’addition nette à son revenu imposable était donc de 6 135 NLG.
2.6Le 24 janvier 2001, la Cour suprême a rejeté la plainte déposée par un autre contribuable, qui affirmait que la législation fiscale aurait dû être modifiée plus tôt. Elle a considéré qu’il n’était pas déraisonnable pour le législateur d’ajourner une modification de la législation pour résoudre la question en cause dans le cadre d’une réforme fiscale générale.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur soutient que le fait que son imposition pour l’année 2000 ait été plus élevée que celle d’autres salariés faisant la navette avec une voiture de fonction au moins trois jours par semaine sur une distance supérieure à 30 kilomètres (aller simple), pour la seule raison que son utilisation privée de la voiture avait été supérieure à 1 000 kilomètres constitue une discrimination. L’ampleur de son utilisation privée de la voiture ne pouvait justifier ce traitement inégalitaire, étant donné que les autres navetteurs utilisant une voiture de fonction sur de longs trajets polluaient tout autant l’environnement, même si leur utilisation privée de la voiture n’était pas supérieure à 1 000 kilomètres par an.
3.2L’auteur affirme que le fait qu’un autre groupe de contribuables, c’est‑à‑dire les salariés utilisant d’autres moyens de transport qu’une voiture de fonction pour faire le trajet entre leur domicile et leur lieu de travail au moins trois jours par semaine sur une distance supérieure à 30 kilomètres (aller simple), avait été désavantagé par le plafonnement de l’abattement fiscal accordé aux navetteurs ne change rien au caractère discriminatoire de son imposition.
3.3Selon l’auteur, l’effet combiné de l’application des dispositions discriminatoires de la loi du 4 juillet 1990 à son affaire et de la décision de la Cour suprême de ne pas s’ingérer dans des affaires similaires malgré l’obligation qui lui incombe en vertu du paragraphe 1 de l’article 2 de respecter et de garantir les droits reconnus dans le Pacte constitue une violation de l’article 26 du Pacte.
3.4L’auteur ajoute que l’absence de toute voie de recours autre qu’un simple arrêt déclaratoire de la Cour suprême qui ne contraignait pas le législateur ou l’exécutif à prendre immédiatement des mesures pour respecter le Pacte violait son droit à un recours utile prévu par l’article 26, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.
3.5Pour ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur affirme que porter plainte devant la Cour suprême aurait été vain eu égard à la jurisprudence de la Cour dans des affaires similaires, et qu’aucun autre recours ne lui est offert en droit néerlandais.
3.6L’auteur demande à être indemnisé des dommages pécuniaires subis en raison de son imposition discriminatoire. Il affirme qu’il aurait dû être traité de la même façon que le groupe de contribuables avantagé qui avait été exempté de la majoration supplémentaire du revenu imposable de 4 % du prix catalogue. La différence entre l’impôt sur le revenu qu’il a versé en 2000 et l’impôt dont il se serait acquitté s’il avait été traité sur un pied d’égalité avec le groupe avantagé devrait lui être remboursée, majorée des intérêts légaux.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Le 23 octobre 2003, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. S’il admet que l’auteur n’était pas tenu d’épuiser les recours internes eu égard à la jurisprudence de la Cour suprême dans des affaires similaires, l’État partie affirme que la plainte de l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte est irrecevable ratione personae en vertu de l’article premier du Protocole facultatif et qu’en tout état de cause ses prétentions au titre de l’article 26 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte sont dénuées de fondement.
4.2L’État partie estime que la conclusion de la Cour suprême selon laquelle les dispositions pertinentes de la loi du 4 juillet 1990 étaient incompatibles avec l’article 26 du Pacte, de même que l’instruction qu’elle avait donnée au législateur de modifier ces dispositions, offrait une réparation suffisante à l’auteur. Une autre façon de remédier à cette incompatibilité aurait été de traiter tous les contribuables sur un pied d’égalité. Cependant, une taxation identique de tous les navetteurs dont l’usage privé d’une voiture de fonction n’était pas supérieur à 1 000 kilomètres par an aurait eu pour seul résultat de relever le taux d’imposition de ce groupe, sans pour autant améliorer la situation de l’auteur. L’État partie conclut que l’auteur ne peut affirmer être victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif et que sa plainte au titre de l’article 26 est donc irrecevable ratione personae.
4.3Subsidiairement, l’État partie affirme que la majoration du revenu imposable de l’auteur de 4 % additionnels du prix catalogue de la voiture de fonction n’enfreignait pas l’article 26. Le but de la loi du 4 juillet 1990 était de réduire les déplacements domicile‑travail, surtout en voiture, pour des raisons environnementales et pour décongestionner la circulation routière dans un pays à forte densité de population, les Pays‑Bas. La procédure législative conduisant à l’adoption de la loi comportait un examen minutieux de toutes les options disponibles pour parvenir à ce résultat. Les modifications proposées ont été jugées nécessaires pour répartir également la charge financière entre tous les contribuables, c’est‑à‑dire pour veiller à ce que les salariés faisant fréquemment le trajet en voiture de fonction entre leur domicile et leur lieu de travail sur une distance supérieure à 30 kilomètres (aller simple) fassent un sacrifice financier comparable au plafonnement de l’abattement fiscal accordé aux navetteurs utilisant leur propre voiture ou les transports publics.
4.4L’État partie affirme que le groupe de salariés faisant fréquemment des déplacements en navette dans une voiture de fonction sur une distance supérieure à 30 kilomètres (aller simple) qui prennent soin de conserver toutes les pièces justificatives de l’utilisation d’une voiture de fonction pour prouver que leur usage privé n’est pas supérieur à 1 000 kilomètres par an est si faible numériquement qu’il ne peut justifier d’abandonner l’important objectif social poursuivi par la taxation d’autres navetteurs effectuant de longs trajets. Des raisons de sécurité juridique militaient contre l’abrogation rétroactive de l’avantage dont jouissait ce groupe.
4.5Selon l’État partie, accepter des inégalités mineures dans l’élaboration d’un corpus cohérent de textes législatifs fiscaux pour établir un équilibre entre les intérêts de différents groupes de contribuables ne constitue pas une violation de l’article 26 si de telles inégalités n’ont que des conséquences financières négligeables pour les intéressés.
4.6En ce qui concerne le paragraphe 3 de l’article 2, l’État partie affirme que des objections à l’évaluation de l’impôt peuvent être présentées à l’administration fiscale et aux douanes néerlandaises, dont les décisions sont susceptibles de recours devant la cour d’appel puis de pourvoi devant la Cour suprême. L’auteur avait disposé d’un recours utile dans la mesure où l’inégalité de traitement alléguée avait été constatée dans le cadre d’une procédure nationale puis éliminée ultérieurement par le législateur. Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle la jurisprudence de la Cour suprême l’empêchait de recouvrer la différence entre le montant de son imposition et celui d’autres navetteurs dont l’usage privé d’une voiture de fonction était inférieur à 1 000 kilomètres par an, l’État partie soutient que le paragraphe 3 de l’article 2 ne garantit pas un résultat spécifique du recours en place.
Commentaires de l’auteur
5.1Le 7 janvier 2004, l’auteur, commentant les observations de l’État partie, a rejeté l’argument de la Cour européenne selon lequel une possibilité d’éliminer les inégalités de la loi du 4 juillet 1990, à savoir l’élimination des avantages dont jouissait un certain groupe de contribuables, n’aurait rien changé à sa situation. Il affirme qu’en définitive toute discrimination peut être réparée en reléguant à un statut inférieur la position du groupe traité plus favorablement. Telle n’était cependant pas l’intention du Pacte, et c’était impraticable dans les cas où des évaluations fiscales déterminées ne pouvaient faire l’objet d’une augmentation rétroactive.
5.2Pour l’auteur, la simple constatation de l’incompatibilité d’une loi avec l’article 26 ne peut supprimer la discrimination sous‑jacente si aucun recours utile n’est accordé aux victimes d’une telle discrimination. L’élimination ultérieure des inégalités que contenait la législation par la réforme fiscale du 1er janvier 2001 n’a rien changé au fait que le Pacte avait été violé et a continué de l’être dans l’intervalle. En ratifiant le Pacte, l’État partie s’était engagé à en respecter et appliquer les garanties avec effet immédiat.
5.3S’il admet que la réduction des déplacements domicile‑travail était un objectif politique légitime, l’auteur affirme que l’on ne pouvait chercher à atteindre cet objectif par des mesures discriminatoires. Il affirme que la réforme de la loi fiscale de 2001 réfute l’argument de l’État partie selon lequel les inégalités présentes dans la loi du 4 juillet 1990 étaient nécessaires pour élaborer un corpus cohérent de législation fiscale. La conformité avec l’article 26 aurait pu être garantie en majorant le revenu imposable de tous les navetteurs utilisant une voiture de fonction et habitant à moins de 30 kilomètres de leur lieu de travail de 4 % du prix catalogue de la voiture, quelle que soit l’étendue de leur utilisation privée de celle‑ci. Peu importait dans ce contexte de savoir si une telle augmentation aurait pu être introduite rétroactivement et si elle aurait eu un effet bénéfique pour l’auteur. Que le groupe avantagé fût minuscule ne pouvait justifier le traitement inégalitaire puisqu’en matière fiscale des avantages sont fréquemment réservés à de petits groupes de contribuables.
5.4L’auteur rejette l’affirmation selon laquelle l’imposition discriminatoire qui lui a été appliquée était négligeable, car le montant supplémentaire d’impôts qu’il a versé en 2000 s’élevait à environ 450 dollars des États‑Unis. Les distinctions injustifiées étaient inacceptables, même si leur impact pécuniaire était faible. Et de telles distinctions ne devraient pas être acceptées plus facilement dans le domaine de la législation fiscale que dans tout autre domaine législatif, eu égard à la jurisprudence du Comité selon laquelle l’article 26 interdit la discrimination dans tout domaine régi et protégé par les autorités publiques.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, décider si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle était discriminatoire, en violation de l’article 26 du Pacte, le fait d’avoir majoré son revenu imposable de 4 % du prix catalogue de la voiture de fonction qu’il utilisait, pour la seule raison que son utilisation privée du véhicule était supérieure à 1 000 kilomètres, le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé son argument selon lequel cette différence de traitement était fondée sur l’un des motifs de discrimination interdits à l’article 26, ou sur «toute autre situation» comparable mentionnée dans cet article. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.3Pour ce qui concerne l’absence de recours utile, le Comité rappelle qu’aux fins du Protocole facultatif l’article 2 ne peut être invoqué qu’en le rapprochant d’un droit substantiel du Pacte. Il note que l’auteur a invoqué le paragraphe 3 de l’article 2, à la lumière de l’article 26 du Pacte. Or sa prétention au titre de l’article 26 étant irrecevable faute pour l’auteur d’avoir démontré l’applicabilité de cet article en l’espèce, il s’ensuit que sa plainte au titre de l’article 26 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 l’est également. Le Comité conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable ratione materiae, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
V. Communication n o 1193/2003, Sanders c. Pays-Bas (Décision adoptée le 25 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Teun Sanders (représenté par un conseil, B. W. M. Zegers) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Pays‑Bas |
Date de la communication: |
12 juin 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet: Indépendance de la magistrature: Nomination d’avocats comme juges suppléants.
Questions de procédure: Néant.
Questions de fond: Droit à un procès équitable et impartial.
Articles du Pacte: 14.
Articles du Protocole facultatif: 2.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1L’auteur de la communication est M. Teun Sanders, de nationalité néerlandaise. Il affirme être victime d’une violation par les Pays‑Bas de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. B. W. M. Zegers.
1.2Le 28 août 2003, comme suite aux observations de l’État partie sur la recevabilité, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, agissant au nom du Comité, a décidé que la recevabilité de la communication devait être examinée séparément du fond.
Exposé des faits
2.1Le 4 février 1997, l’auteur a engagé une action civile contre le Club automobile néerlandais (ANWB) et l’Institut technique néerlandais (TNO) pour demander au tribunal: a) d’ordonner à l’ANWB de publier un rectificatif à un article paru dans le magazine de l’ANWB concernant le fonctionnement et la sécurité d’un stabilisateur d’attelage conçu par l’auteur; b) d’interdire à l’ANWB de distribuer cet article et d’ordonner à l’ANWB et au TNO de l’indemniser pour le préjudice subi; c) d’ordonner à l’ANWB et au TNO de remettre le «rapport» mentionné dans le mandat de comparution.
2.2Le 10 février 1997, au début de l’audience, l’auteur a demandé au juge du fond de renvoyer l’affaire devant une autre juridiction, au motif que le Tribunal régional de La Haye ne pouvait pas être considéré comme indépendant et impartial. Il a fait valoir qu’«un certain nombre d’avocats» travaillant pour le même cabinet que les avocats représentant l’ANWB et le TNO siégeaient également en tant que juges suppléants au Tribunal régional de La Haye et à la cour d’appel. Le juge n’a pas fait droit à sa demande.
2.3L’auteur a saisi la cour d’appel de La Haye et, au début de l’audience, a demandé le renvoi de l’affaire devant une autre cour d’appel, pour la même raison que celle énoncée au paragraphe 2.2 ci‑dessus. Le 22 septembre 1998, la cour d’appel de La Haye a déclaré la requête irrecevable étant donné qu’en vertu de la loi néerlandaise la décision de ne pas renvoyer l’affaire devant une autre juridiction ne pouvait pas faire l’objet d’un recours indépendant du jugement sur le fond. Le 30 juin 2000, son appel devant la Cour suprême a été rejeté.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur prétend être victime d’une violation de l’article 14 du Pacte, dans la mesure où il n’a pas bénéficié d’un «procès équitable» devant un tribunal indépendant et impartial. Il affirme que ni le Tribunal régional de La Haye ni la cour d’appel ne pouvaient être considérés comme des juridictions indépendantes et impartiales, étant donné qu’un certain nombre d’avocats travaillant pour le même cabinet que les avocats représentant l’ANWB et le TNO y siégeaient en tant que juges suppléants, ce qui entraînait un conflit d’intérêts. Il soutient que le refus de renvoyer l’affaire devant un autre tribunal régional prouve que la cour d’appel de La Haye avait «intérêt» à statuer sur son affaire.
3.2L’auteur ajoute que l’avocat représentant l’ANWB était également professeur à l’Université Vrije d’Amsterdam et que trois autres professeurs de cette même université étaient juges suppléants au Tribunal régional de La Haye. Il affirme que le juge du fond était membre du Conseil disciplinaire du barreau de La Haye jusqu’en 1996, avec Mme Nouwen‑Kronenberg, juge au tribunal (municipal) de Dordrecht et belle‑sœur de M. Nouwen, lui‑même ancien responsable de l’ANWB. Lorsque son attention a été appelée sur ce point, le juge du fond a répondu qu’il n’était pas au courant de ce fait mais que ce n’était pas une raison pour qu’il se dessaisisse de l’affaire.
3.3Enfin, l’auteur affirme que l’existence même de juges suppléants, qui exercent toujours d’autres fonctions en dehors de celle de juge, est contraire aux dispositions de l’article 14 du Pacte, dans la mesure où elle entraîne inévitablement des conflits d’intérêts.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et commentaires de l’auteur sur ces observations
4.1Dans une réponse datée du 27 août 2003, l’État partie conteste la recevabilité de la communication pour deux motifs. Premièrement, il affirme que l’on ne peut reconnaître à l’auteur la qualité de «victime» au sens de l’article premier du Protocole facultatif, étant donné que le juge ayant présidé la procédure concernant la demande de décision avant dire droit (désigné par l’auteur sous le terme de «juge du fond») n’avait aucun lien personnel avec le cabinet d’avocats représentant le défendeur. Il rappelle que le Protocole facultatif ne vise pas des plaintes formulées de façon abstraite et portant sur des lacunes supposées de la législation nationale ou de la pratique juridique nationale. Selon lui, toute demande de récusation d’un juge doit être étayée par des éléments spécifiques tendant à prouver que l’impartialité du juge en question était discutable ou, en tout état de cause, qu’il existait des doutes fondés sur des éléments objectifs concernant son impartialité réelle ou apparente.
4.2Deuxièmement, l’État partie affirme que l’affaire n’entre pas dans le champ d’application du Pacte, dans la mesure où elle concerne une action engagée devant le juge‑président (désigné sous le terme de «juge du fond» par l’auteur) en vue d’obtenir une décision avant dire droit. En vertu du paragraphe 1 de l’article 254 du Code de procédure civile, tout juge saisi d’une demande de mesure provisoire peut prononcer un jugement avant dire droit «dans tous les cas urgents dans lesquels une ordonnance exécutoire est nécessaire compte tenu de l’intérêt des parties». L’article 257 du Code dispose que les décisions exécutoires ne préjugent pas de la demande principale. L’État partie fait valoir que l’affaire à l’examen ne porte pas sur un droit civil au sens du paragraphe 1 de l’article 14. Il signale que la Cour européenne des droits de l’homme est parvenue à la même conclusion le 29 mai 2002, lorsqu’elle a déclaré la requête irrecevable au motif qu’elle ne relevait pas de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
5.1Dans une lettre datée du 30 septembre 2004, l’auteur fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie et réaffirme que sa requête relève bien des dispositions du Pacte, en soutenant qu’elle porte sur un droit civil, à savoir le «droit à un procès équitable», et qu’il a été victime d’une violation de ce droit au sens de l’article premier du Protocole facultatif. Il reconnaît que le juge du tribunal régional saisi de l’affaire n’était pas un juge suppléant appartenant au cabinet d’avocats mentionné mais un juge à plein temps. Toutefois, celui‑ci avait des «liens personnels» avec les avocats de ce cabinet. L’auteur fait valoir que, dans la pratique, les juges consultent d’autres juges suppléants qui appartiennent également au cabinet d’avocats [DBB] ou s’entretiennent avec eux. Il affirme en outre que le Pacte n’établit aucune distinction entre les procédures incidentes et les procédures principales et le fait que la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré sa requête irrecevable ne signifie pas que le Comité doit parvenir à la même conclusion.
5.2Enfin, l’auteur renvoie à une autre affaire examinée par le Tribunal régional de La Haye le 21 juin 2001, dans laquelle la demande du requérant tendant à renvoyer l’affaire devant un autre tribunal a été approuvée compte tenu des liens étroits entre les juges du Tribunal régional et le cabinet d’avocats DBB.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité note que cette affaire a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme le 29 mai 2002. Il rappelle toutefois sa jurisprudence, selon laquelle ce n’est que lorsque la même question est déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement que le Comité n’est pas compétent pour examiner une communication soumise en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Les dispositions dudit paragraphe n’empêchent donc pas le Comité d’examiner la communication.
6.3Le Comité note que l’auteur affirme que le tribunal n’était pas indépendant et impartial dans la mesure où «un certain nombre de juges» du Tribunal régional et de la cour d’appel de La Haye appartenaient également au cabinet d’avocats représentant les institutions contre lesquelles étaient dirigées les poursuites. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le juge ayant présidé la procédure concernant la demande de décision avant dire droit n’avait aucun lien avec le cabinet d’avocats en question et du fait que l’auteur lui‑même a reconnu, dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, que le juge saisi de l’affaire exerçait ses fonctions à plein temps et ne travaillait pas pour le cabinet en question. Le Comité note que l’auteur n’a pas fourni de renseignements complémentaires tendant à étayer ses allégations de manque d’impartialité ou d’indépendance des juges saisis de l’affaire. Par conséquent, il conclut que l’auteur n’a pas étayé ses plaintes aux fins de la recevabilité en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif et que celles‑ci sont donc irrecevables.
7.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
W. Communication n o 1204/2003, Booteh c. Pays-Bas (Décision adoptée le 30 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
Mme Sima Booteh (représentée par un conseil, M. Bogaers, du cabinet d’avocats Bos‑Veterman) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Pays-Bas |
Date de la communication: |
18 juin 2002 (lettre initiale) |
Objet: Préjudice que pourrait subir l’auteur en cas de renvoi dans son pays d’origine.
Questions de procédure: Néant.
Questions de fond: Procédure d’examen non équitable d’une demande d’asile.
Articles du Pacte: 7, 9 et 16.
Articles du Protocole facultatif: 2.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 30 mars 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1L’auteur de la communication est Mme Sima Booteh, de nationalité iranienne, née le 12 juillet 1970, résidant actuellement aux Pays-Bas. Elle affirme être victime de violations par les Pays-Bas des articles 7, 9 et 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil: M. Bogaers, du cabinet d’avocats néerlandais Bos-Veterman, Van As & De Vries.
1.2Le 5 janvier 2004, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, agissant au nom du Comité, a estimé que la recevabilité de la communication devait être examinée séparément du fond.
Exposé des faits
2.1L’auteur vient d’une famille politiquement active. Son père aurait été membre du parti Toudeh et aurait été détenu pendant cinq ans sous le règne du Chah, et pendant deux ans lorsque l’ayatollah Khomeiny était au pouvoir. Son frère et sa sœur étaient également politiquement actifs et avaient dû fuir d’Iran. Ils ont obtenu le statut de réfugié aux Pays-Bas.
2.2En 1989, l’auteur a commencé à travailler à l’Institut Kavosh à Téhéran. Le Conseil culturel de l’Institut menait de nombreuses activités politiques contre le régime, telles que la publication et la distribution de tracts, de livres interdits, de bulletins et de revues. L’auteur a contribué à ces activités en dactylographiant des tracts et des textes pour des revues au domicile de M. Reza Baharani, membre du Conseil iranien des écrivains, à Téhéran. En avril 1993, la police a effectué une descente à l’Institut, mais rien n’y a été trouvé. À la suite de cet incident, l’auteur a décidé de revenir à Roudsar, sa ville natale.
2.3À Roudsar, l’auteur et une autre femme ont publié des tracts et écrit des lettres sur la situation des femmes en Iran et ont encouragé d’autres femmes à participer à leurs activités. Le 24 juillet 1994, la police a arrêté l’auteur à son domicile avec d’autres femmes. Elles ont été conduites à la prison de Sepah où l’auteur aurait été battue jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. L’auteur a ensuite été détenue au secret pendant quatre semaines, interrogée jour et nuit et battue. On a refusé de lui fournir un médicament dont elle avait besoin pour soigner son asthme. L’auteur est restée à la prison de Sepah jusqu’au 14 avril 1995, date à laquelle elle a été transférée dans un autre lieu de détention. Au cours de son transfert, elle a réussi à s’échapper parce que son père avait soudoyé ses gardiens; elle a quitté l’Iran le 10 mars 1996.
2.4Le 11 mars 1996, l’auteur est arrivée aux Pays-Bas. Le 28 mars 1996, elle a demandé le statut de réfugié et un permis de résidence. Le 1er août 1996, sa demande a été rejetée par le Secrétaire d’État à la justice. Le 10 septembre 1997, elle a été déboutée de son recours contre cette décision.
2.5Le 6 octobre 1997, l’auteur a interjeté appel auprès du Tribunal de district de S’‑Gravenhage. Le 31 juillet 2000, le Tribunal de district a rejeté son appel, estimant qu’elle n’avait pas démontré qu’elle avait des raisons de craindre d’être persécutée au regard du droit relatif aux réfugiés. La décision était fondée sur la conclusion selon laquelle le récit de l’auteur était vague, contradictoire et/ou incohérent et n’était pas étayé par les éléments qu’elle avait présentés au tribunal.
2.6Le 30 juillet 2002, dans une nouvelle communication adressée au Comité, l’auteur a fait valoir que le jugement du 31 juillet 2000 était définitif et qu’elle pouvait être expulsée d’un jour à l’autre. Or, le 11 août 2003, elle a informé le Comité par l’intermédiaire de son conseil que même si elle n’avait pas le droit de rester aux Pays-Bas aucun arrêté d’expulsion n’avait, en fait, été émis à son encontre. Elle a même déclaré que «les autorités néerlandaises [n’appliquaient] pas une politique d’expulsion active. Les Pays-Bas [laissaient] les gens se vider de leur sang».
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme être victime d’une violation des articles 7 et 9 du Pacte car, ayant été détenue dans le passé en Iran en raison de ses activités politiques, elle risque d’être immédiatement arrêtée et incarcérée si elle retournait dans son pays, où elle serait soumise à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle affirme qu’elle est encore recherchée par les autorités iraniennes.
3.2Pour ce qui est de la procédure devant les autorités d’immigration néerlandaises, l’auteur affirme que l’interprète était impoli et qu’il a délibérément donné une traduction erronée d’une partie de ses propos. Le fonctionnaire des services de l’immigration aurait eu du mal à se concentrer lors de l’entretien en raison d’une douleur au genou; en outre, le premier avocat qui l’a représentée ne lui a pas donné le temps nécessaire pour qu’elle expose son cas, et le second ne l’a vue que brièvement. Elle affirme qu’il n’y avait aucun traducteur à l’audience du Tribunal de district du 22 juillet 1999 et que les contradictions que le Tribunal a relevées dans son récit étaient dues à des problèmes d’interprétation. Elle conteste la conclusion des tribunaux selon laquelle un des documents officiels iraniens qu’elle avait présentés n’était pas authentique.
3.3Enfin, l’auteur affirme que sa situation aux Pays‑Bas constitue une violation de l’article 16 du Pacte dans la mesure où elle n’est ni autorisée à rester dans le pays ni expulsée. Elle est donc traitée de facto comme une non-personne sur le plan du droit.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et commentaires de l’auteur
4.1Le 4 décembre 2003, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité de la communication. Pour ce qui est de la plainte de l’auteur au titre de l’article 7, il fait observer qu’elle fait plusieurs commentaires critiques vagues sur la procédure d’asile néerlandaise. À cet égard, l’État partie fait observer que, devant les tribunaux, l’auteur n’a formulé aucune objection précise quant au déroulement de la procédure d’asile, privant ainsi les autorités compétentes de la possibilité d’y répondre. Il fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Il note, d’autre part, que le droit de présenter une communication individuelle ne doit pas être exploité pour formuler des plaintes abstraites concernant la législation et la pratique nationales.
4.2Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 9 du fait que la détention de l’auteur en Iran pendant neuf mois était illégale, l’État partie fait valoir que cette détention, et toute violation qui en aurait découlé, n’a pas eu lieu sous la juridiction des Pays-Bas et ne lui est donc pas imputable.
5.1Le 23 décembre 2003, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie sur la recevabilité. Elle conteste son argument selon lequel sa plainte constitue une action collective et réaffirme que son expulsion en Iran l’exposerait à un risque réel de violation des droits qui lui sont garantis par le Pacte et qu’en examinant sa plainte les autorités néerlandaises ont injustement conclu que ses affirmations n’étaient pas suffisamment étayées. À cet égard, elle renvoie le Comité à son analyse de la procédure d’asile et au fait de sa cause.
5.2Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’auteur affirme qu’elle ne dispose plus d’aucun moyen de droit. Elle se réfère à la remarque suivante faite par le Ministère de la justice dans une lettre adressée à son avocat: «À présent, la décision est définitive, et il n’y a plus aucune possibilité de réexaminer l’affaire.».
5.3Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 9, l’auteur affirme que l’État partie a délibérément mal interprété son affirmation selon laquelle, étant donné qu’elle avait déjà été victime d’une détention illégale en Iran, elle a de sérieux motifs de craindre d’être à nouveau détenue ou de «subir un traitement pire» si elle est renvoyée dans son pays. Elle affirme que l’État partie serait, dans ce sens, responsable de sa nouvelle incarcération.
5.4L’auteur fournit une copie d’une lettre datée du 19 janvier 2004 émanant d’Amnesty International, dans laquelle cette organisation déclare qu’en cas de renvoi en Iran l’auteur serait exposée à un risque réel de violation de ses droits reconnus aux articles 7 et 9 du Pacte, et signale des carences présumées dans la procédure d’asile néerlandaise, y compris dans la manière dont le cas de l’auteur lui-même a été tranché.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle l’État partie violerait les articles 7 et 9 s’il renvoyait l’auteur en Iran en sachant pertinemment qu’il est probable qu’elle soit détenue arbitrairement ou soumise à une autre forme de traitement illégal à son arrivée, le Comité note que l’auteur ne s’attend pas à être expulsée des Pays-Bas. Il note aussi que, mis à part le fait de demander que le Comité examine la procédure d’asile néerlandaise, les réclamations de l’auteur se rapportent à des irrégularités présumées de cette procédure (voir par. 3.2) que les tribunaux nationaux n’ont pas eu la possibilité d’examiner. Le Comité considère que, n’ayant pas été étayée, cette plainte est irrecevable aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.3Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 16, le Comité estime que l’auteur n’a pas démontré qu’en refusant de lui accorder un permis de résidence tout en s’abstenant de l’expulser l’État partie a commis une violation de l’article 16. Le Comité estime par conséquent que cette plainte est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
X. Communication n o 1210/2003, Damianos c. Chypre (Décision adoptée le 25 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
George Damianos (représenté par un conseil, M. Achilleas Demetriades) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Chypre |
Date de la communication: |
12 juin 2001 (date de la lettre initiale) |
Objet: Inégalité de traitement d’un employé après restructuration d’un établissement de la fonction publique.
Questions de procédure: Sans objet.
Questions de fond: Droit à l’égalité et à la non‑discrimination; accès à la fonction publique; exécution d’une mesure de réparation.
Articles du Pacte: 19, 25 (al. c), 26 et 2.
Articles du Protocole facultatif: 2.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est George Damianos, de nationalité chypriote. Il affirme être victime de violations par Chypre des droits énoncés aux articles 19, 25 c) et 26, lus séparément et conjointement avec l’article 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, Achilleas Demetriades.
Exposé des faits
2.1Le 16 avril 1980, l’auteur a été nommé «chargé de programme» à la Division de la programmation radiophonique de la société de radiodiffusion et télévision chypriote (Cyprus Broadcasting Corporation (CBC)), qui appartient à la fonction publique, à l’échelon 6/7 de la grille des salaires (salaire maximum de 3 765 livres chypriotes par an). En septembre 1982, une convention collective a été signée entre la CBC et les syndicats, portant restructuration des postes à la CBC. En avril 1983, selon cette restructuration, le poste de «chargé de programme» a été supprimé et sept nouveaux postes ont été créés, avec les titres suivants: chargé de programme A, échelon A 10 (4 396 livres chypriotes par an), chargé de programme B, échelon A 8/9 (3 909 livres chypriotes par an), et chargé de programme C, échelon A 4/7 (3 150 livres chypriotes par an). L’auteur et les autres chargés de programme ont été nommés, avec effet rétroactif au 1er janvier 1981, au poste de chargé de programme A, avec la mention entre parenthèses du (titre personnel) à l’échelon 8/9 de la grille des salaires. Ces nouveaux postes n’existaient pas dans l’établissement restructuré. La CBC a déclaré qu’elle avait l’intention d’annoncer les nouveaux postes à pourvoir de chargés de programme A échelon A 10, et que l’auteur et les autres chargés de programme étaient invités à postuler.
2.2L’auteur et ses collègues ont contesté la restructuration dans une requête adressée à la Cour suprême. Le 3 mai 1985, la Cour suprême, ayant estimé que la convention collective n’était pas en elle‑même une base légale suffisante sur laquelle fonder la restructuration, a conclu que, s’il n’y avait pas de perte financière pour les requérants à la suite de la restructuration, il y avait eu toutefois un affaiblissement de leur statut au sein de l’organisme. Aussi la Cour a‑t‑elle décidé qu’ils pouvaient prétendre à un poste existant dans la nouvelle structure, avec des fonctions et des responsabilités correspondant à leur précédent poste et à leur ancienneté. La décision prise par la CBC a été annulée. La CBC a fait appel de cette décision, mais a ensuite retiré ce recours.
2.3Le 28 novembre 1985, la CBC a décidé que l’auteur (ainsi que d’autres employés de la division musicale) serait réintégré dans son ancien poste, celui de chargé de programme, avec ses fonctions initiales et à l’échelon 8/9 de la grille des salaires, au lieu de l’ancien échelon 6/7. L’auteur note qu’il a été nommé de nouveau à un poste qui n’existait pas dans la nouvelle structure. Le 30 novembre 1985, certains des collègues de l’auteur, dont il ne faisait pas partie, ont présenté une requête à la Cour suprême aux fins de renvoi en jugement du Directeur général et du Conseil d’administration de la CBC pour désobéissance à l’arrêt rendu par la Cour le 3 mai 1985. La Cour a rejeté la requête. Les requérants sont ensuite parvenus avec la CBC à un accord, auquel l’auteur n’a pas participé.
2.4Par la suite, l’auteur a présenté à la Cour suprême une requête contestant la légalité de la décision prise par la CBC le 28 novembre 1985, en faisant valoir qu’elle était contraire à l’arrêt de la Cour suprême du 3 mai 1985 et que sa réintégration dans son ancien poste de chargé de programme, qui avait été supprimé par la restructuration, était un abus, car ce poste n’existait plus. À son avis, le nouveau poste, créé dans la nouvelle structure, qui correspondait aux fonctions et responsabilités de son ancien poste était celui de chargé de programme A échelon A 10. Le 13 juin 1987, la Cour suprême a rejeté sa requête, au motif qu’il avait été correctement réintégré dans son ancien poste, et a relevé qu’il était rémunéré selon un barème plus élevé. La Cour n’a pas suivi les conclusions de l’arrêt du 3 mai 1985, faisant valoir que, vu que la Cour avait conclu que la convention collective ne constituait pas une base légale suffisante pour qu’une restructuration soit valable, le poste initial de l’auteur − chargé de programme − n’avait pas pu être supprimé par la restructuration. La CBC avait donc raison de réintégrer l’auteur dans son ancien poste.
2.5Le 13 juin 1987, l’auteur a fait appel de l’arrêt de la Cour suprême. Pendant l’audience du 23 novembre 1990, la CBC a accepté de réexaminer la question et l’auteur s’est désisté. Le 12 juillet 1991, la CBC a réexaminé le cas de l’auteur et a rejeté sa demande d’être nommé au poste de chargé de programme A, échelon A 10, mais a décidé qu’il resterait dans son ancien poste de chargé de programme, à l’échelon supérieur 8/9, comme cela avait été décidé le 28 novembre 1985. À la suite de cette décision, l’auteur a fait appel devant la Cour suprême, et a prétendu que la CBC l’avait traité de manière discriminatoire en appliquant la convention collective de manière partiale et sélective à certains employés, mais pas à lui. Le 26 mars 1999, la Cour suprême a rejeté la plainte pour discrimination illégale, considérant que l’auteur n’avait pas démontré que sa situation était analogue à celle des cas dans lesquels la convention collective avait été appliquée. Formuler une allégation générale selon laquelle la convention collective avait été appliquée seulement à certains employés ne suffisait pas. Par conséquent, l’auteur n’avait pas assumé la charge de la preuve comme il le devait.
2.6Le 19 décembre 1991, la décision de la CBC a été confirmée par une décision du Ministère des affaires intérieures, selon laquelle, s’il était fait droit aux griefs de l’auteur, ce dernier se trouverait dans une meilleure position que ses collègues qui étaient parvenus à un accord avec la CBC. Le 30 mars 1992, l’auteur s’est vu offrir un poste permanent en tant que chargé de programme A, échelon A 10. Le 13 avril 1992, il a accepté cette offre.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme qu’ayant été nommé à des postes non existants par trois fois depuis 1983 (en avril 1983, le 28 novembre 1985 (ancien poste) et le 12 juillet 1991 (décision de rester à l’ancien poste)), il a été traité de manière inégalitaire et discriminatoire par la CBC dans le cadre de l’application de la convention collective, qui a été appliquée aux autres employés mais pas à lui. Les décisions de le nommer à ces postes prises par la CBC étaient contraires à l’arrêt de la Cour suprême du 3 mai 1985, et l’auteur estime avoir été victime d’une discrimination en raison de ses opinions.
3.2Il affirme que ce traitement a eu pour effet d’affaiblir son statut professionnel. Il fait valoir que s’il avait été nommé au nouveau poste de chargé de programme A, échelon A 10, au moment de la restructuration (1983) et non 10 ans plus tard, il aurait davantage d’ancienneté dans le poste qu’il occupe au moment où il présente la communication. En réalité, il se trouve actuellement au point où il aurait dû être si l’arrêt de la Cour suprême du 3 mai 1985 avait été appliqué, à savoir chargé de programme A, échelon A 10. En outre, il déclare avoir subi une baisse de salaire ainsi qu’une réduction de ses droits à pension, et avoir également subi un préjudice pécuniaire à cause de la procédure proprement dite.
3.3En outre, l’auteur prétend qu’il y a violation de l’article 2 du Pacte dès lors que l’État partie ne garantit pas son droit à un traitement égal et non discriminatoire et ne lui fournit pas un recours utile. Il rappelle que les tribunaux nationaux n’ont pas confirmé ni fait exécuter l’arrêt de la Cour suprême du 3 mai 1985.
Observations de l’État partie concernant la recevabilité et sur le fond et commentaires de l’auteur sur ces observations
4.Dans une lettre datée du 26 avril 2004, l’État partie fait sien le raisonnement adopté par la Cour suprême dans son arrêt du 26 mars 1999, où on lit notamment que «la charge de la preuve de tout traitement discriminatoire ou inégal incombe à l’appelant. Afin d’étayer son allégation, l’appelant aurait dû démontrer que son cas était le même que ceux auxquels a été appliquée la convention collective. Formuler une allégation générale touchant l’application de la convention collective à l’égard de certains employés ne suffit pas. En conséquence, l’appelant n’a pas assumé la charge de la preuve et, de ce fait, le motif d’annulation invoqué est écarté». De l’avis de l’État partie, l’allégation de l’auteur est donc manifestement dénuée de fondement.
5.1Le 22 juillet 2004, l’auteur a réitéré ses arguments précédents et a ajouté de nouveaux griefs au titre de l’article 25 c) et de l’article 19 du Pacte. Au sujet de l’article 25 c), il affirme que cette disposition exige l’égalité de traitement, non seulement en ce qui concerne l’accès à cet emploi, mais pendant toute la période pendant laquelle un employé appartient à la fonction publique de son pays. Il affirme que la manière dont la CBC l’a traité constitue un harcèlement qui a menacé la continuité de sa situation professionnelle dans la fonction publique. Au sujet de cette dernière disposition, l’auteur prétend que le fait d’avoir exprimé ses opinions sur la gestion inadéquate de la CBC et l’inégalité de traitement qui en est résultée dans son cas s’est traduit par son exclusion de la grille normale des promotions qui s’est appliquée au reste de ses collègues. Il réitère son allégation au titre de l’article 2, lu séparément et/ou conjointement avec les articles 26, 25 c) et 19, à savoir que l’État partie n’a pas veillé au respect de ses droits dans l’égalité et sans distinction d’aucune sorte, et ne lui a pas fourni un recours utile eu égard à la violation des articles 26, 25 c) et 19. Il prétend également qu’il y a une violation intrinsèque du paragraphe 3 c) de l’article 2, du fait que l’État partie n’a pas donné effet à une décision judiciaire, à savoir l’arrêt de la Cour suprême du 3 mai 1985. Cet arrêt constitue une décision définitive rendue par les juridictions nationales de l’État partie, qui n’a pas été exécutée.
5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il appartenait à l’auteur d’assumer la charge de la preuve et de prouver que ses fonctions étaient les mêmes que celles des autres employés, l’auteur fait valoir que, dès lors qu’il a fourni un commencement de preuve de l’existence d’une discrimination, il appartient à l’État partie de prouver qu’il n’y a pas eu discrimination.
5.3Concernant les faits, l’auteur rappelle qu’il était le seul employé à se retrouver dans une situation ambiguë jusqu’à ce qu’il soit finalement nommé à un poste existant en 1992. Il affirme que, le 18 août 1983, peu après la conclusion de la convention collective, il y avait 13 employés au même échelon que lui, à savoir l’échelon 8/9, et que la CBC a appliqué la convention collective de manière sélective, le résultat étant que l’auteur a été le dernier des employés en question à être nommé à un poste existant, presque 10 ans plus tard. Les autorités de l’État partie, en s’abstenant d’examiner les raisons pour lesquelles il a reçu ce traitement moins favorable, ont accepté cette décision. L’auteur affirme que le refus par les autorités de le nommer à un poste existant, jusqu’en 1992, faisait partie de la victimisation et du harcèlement dont il était la cible en raison de ses tentatives pour dévoiler la mauvaise administration de la CBC par des plaintes adressées à des organes internes et externes, et par l’ouverture d’une procédure judiciaire.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2En ce qui concerne le grief selon lequel l’État partie a violé les droits de l’auteur consacrés à l’article 19, le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé son allégation aux fins de la recevabilité. Par conséquent, le Comité considère que ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.3En ce qui concerne le grief de l’auteur qui se dit victime d’une inégalité de traitement et de discrimination, au titre de l’article 25 c) et de l’article 26 (lus conjointement avec l’article 2) du Pacte, le Comité note que ces questions et ces allégations ont été examinées par la Cour suprême de Chypre dans son arrêt du 26 mars 1999. La Cour a examiné spécifiquement l’argument de l’auteur selon lequel, en procédant à la restructuration des postes dans le cas de plusieurs de ses collègues mais non dans son cas, la CBC l’avait traité de manière discriminatoire. La Cour a conclu que l’auteur n’avait pas assumé la charge de la preuve qui lui incombait concernant le caractère discriminatoire du traitement que lui avait appliqué la CBC. Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était manifestement arbitraire ou constituait un déni de justice. Rien dans le dossier n’autorise à penser que la procédure devant la Cour suprême, qui a abouti à l’arrêt du 26 mars 1999, ait été entachée de telles irrégularités. En conséquence, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
Y. Communication n o 1220/2003, Hoffman et Simpson c. Canada (Décision adoptée le 25 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Walter Hoffman et Gwen Simpson (représentés par un conseil, Brent D. Tyler) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Canada |
Date de la communication: |
4 octobre 2003 (date de la lettre initiale) |
Objet: Question de savoir si la règle de la «nette prédominance» du français dans l’affichage public au Québec est conforme au Pacte.
Questions de procédure: Épuisement des recours internes.
Questions de fond: Discrimination fondée sur la langue − Liberté d’expression − Droits des minorités − Droit à un procès équitable − Recours utile.
Articles du Pacte: 2 (par. 1, 2 et 3), 14, 19 (par. 2), 26 et 27.
Articles du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1Les auteurs de la communication, datée du 4 octobre 2003, sont Walter Hoffman et Gwen Simpson, nés respectivement le 24 mars 1935 et le 2 février 1945. Ils affirment être victimes de violations par le Canada des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 2, de l’article 14, du paragraphe 2 de l’article 19 et des articles 26 et 27 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil.
1.2Le 26 avril 2004, le membre du Comité qui assumait alors les fonctions de rapporteur spécial pour les nouvelles communications a décidé que la recevabilité et le fond de la communication seraient examinés séparément.
Exposé des faits
2.1Les auteurs, qui sont anglophones, sont les deux actionnaires et directeurs d’une société inscrite au registre du commerce sous l’appellation «Les entreprises W.F.H. Ltée», opérant dans la ville de Lac Brome au Québec et ayant pour raison sociale «The Lyon and the Walrus» et «La Lionne et le Morse». Le 10 juillet 1997, les auteurs ont placé une enseigne à l’extérieur de leur magasin.
Sur un côté de l’enseigne, on pouvait lire: |
Et sur l’autre côté: |
« LA LIONNE ET LE MORSE |
« THE LYON AND THE WALRUS |
Antiquités |
Antiquities |
Hot Tubs & Saunas |
Hot Tubs & Saunas |
Encadrement Gifts» |
Cadeaux» |
L’enseigne était donc bilingue, sauf pour les mots «Hot Tubs» qui étaient inscrits des deux côtés de l’enseigne. Tous les autres mots couvraient le même espace dans chaque langue et étaient inscrits dans des lettres de même taille.
2.2La société a été inculpée de non‑respect des articles 58 et 205 de la Charte de la langue française, qui requiert une «nette prédominance» du français dans l’affichage public. Tout en reconnaissant les faits constitutifs de l’infraction, les auteurs ont fait valoir que ces dispositions n’étaient pas valides parce qu’elles portaient atteinte à leur droit à la liberté d’expression commerciale et à leur droit à l’égalité reconnus à la fois dans la Charte canadienne des droits et des libertés et dans la Charte québécoise des droits et des libertés de la personne.
2.3Le 20 octobre 1999, la Cour du Québec a acquitté la société des auteurs, acceptant leur argument selon lequel les dispositions en cause de la Charte de la langue française n’étaient pas valides. La Cour a estimé que ces dispositions étaient contraires au droit à la liberté d’expression protégé à la fois par la Charte canadienne des droits et des libertés (art. 2 b)) et la Charte québécoise des droits et des libertés de la personne (art. 3) et que le Procureur général du Québec n’avait pas apporté la preuve que les restrictions en cause étaient raisonnables.
2.4En appel, la Cour supérieure du district de Bedford a invalidé le 13 avril 2000 la décision du tribunal de première instance. Par l’intermédiaire de son conseil, la société des auteurs, estimant que la charge de la preuve incombait au Procureur général, a décliné l’invitation de la Cour à apporter des preuves complètes à l’appui de son affirmation selon laquelle les restrictions prévues à l’article 58 de la Charte n’étaient pas justifiées. Se fondant sur son interprétation d’une décision antérieure de la Cour suprême datant de 1988, la Cour supérieure a jugé qu’il appartenait à la partie qui contestait les restrictions à la liberté d’expression prévues à l’article 58 de démontrer qu’elles n’étaient pas justifiées. Concrètement, il fallait prouver que les considérations invoquées par la Cour suprême dans les affaires de 1988 pour justifier la règle de la «nette prédominance» du français avaient cessé d’être applicables. La société des auteurs ne l’ayant pas fait, elle a été condamnée à une amende de 500 dollars.
2.5Le 29 mars 2001, la cour d’appel a rejeté une requête du conseil de la société visant à lui permettre de présenter de nouvelles preuves quant aux caractéristiques linguistiques du Québec, estimant que les éléments de preuve en question étaient sans rapport avec le différend tel qu’il avait été présenté par la société devant les juridictions inférieures et en appel. La Cour a noté que la Cour supérieure avait expressément invité les parties à présenter de nouveaux éléments de preuve mais que la position manifeste de ces derniers était qu’il fallait procéder du dossier existant. En outre, la Cour supérieure a estimé que la position des parties était claire et qu’elle s’était acquittée de son devoir d’équité en faisant en sorte qu’aucune des parties ne soit prise au dépourvu.
2.6Le 24 octobre 2001, la cour d’appel du Québec a rejeté sur le fond les recours de la société des auteurs. Elle a estimé que l’article 58, tel que rédigé en 1993, tenait compte d’un avis de la Cour suprême canadienne selon lequel il serait constitutionnellement acceptable d’accorder une «nette prédominance» au français au regard des caractéristiques linguistiques du Québec. Il incombait donc aux auteurs de démontrer qu’il n’y avait plus de justification suffisante pour des restrictions qui avaient été jusque‑là considérées comme légitimes. De l’avis de la Cour, les arguments des auteurs relatifs au bilinguisme, au multiculturalisme, au fédéralisme, à la démocratie, au constitutionnalisme et à la règle de droit ainsi qu’à la protection des minorités ne sauraient les décharger de cette obligation. La Cour a en outre estimé que les conclusions du Comité à l’existence d’une violation dans l’affaire Ballantyne et consorts c. Canada n’étaient pas pertinentes en l’espèce parce qu’il était plutôt question dans l’affaire susmentionnée de l’utilisation exclusive du français.
2.7La demande d’autorisation spéciale de faire appel devant la Cour suprême canadienne présentée par la société des auteurs a été rejetée le 12 décembre 2002.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs notent tout d’abord que les lois québécoises relatives à la question de la langue ont été examinées par le Comité dans les affaires Ballantyne et consorts c. Canada, McIntyre c. Canadaet Singer c. Canada. Dans l’affaire Ballantyne et consorts, le Comité a estimé que les dispositions de la Charte de la langue française qui, à l’époque, interdisaient la publicité en anglais constituaient une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, mais pas des articles 26 et 27. Dans l’affaire Singer, le Comité a conclu que des amendements à la Charte exigeant que la publicité extérieure soit en français mais autorisant une publicité interne dans d’autres langues dans certaines circonstances constituaient une violation du paragraphe 2 de l’article 19 dans les circonstances de la cause (en ce qui concerne la publicité extérieure). Les dispositions actuelles relatives à la règle de la «nette prédominance» que les auteurs contestent sont entrées en vigueur après l’enregistrement de l’affaire Singer mais avant la publication des constatations du Comité. Tout en notant alors qu’il ne lui était pas demandé de déterminer si les dispositions actuelles étaient compatibles avec le Pacte, le Comité a conclu que ces dispositions offraient à l’auteur un recours efficace dans les circonstances particulières de sa cause.
3.2Les auteurs affirment que l’obligation d’employer une langue, quelle qu’elle soit, dans l’activité commerciale privée constitue une violation de leur droit à la liberté d’expression garanti au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Selon eux, les restrictions à l’emploi des langues ne sont pas justifiées par le principe de la «nécessité» figurant au paragraphe 3 de l’article 19 et la Cour suprême canadienne a eu tort de considérer des restrictions à l’emploi d’une langue comme raisonnables et justifiées. Ils estiment également que l’obligation d’utiliser le français, en tant que langue ayant une «nette prédominance», dans leur publicité constitue une violation de leur droit à l’égalité garanti par le paragraphe 1 de l’article 2, de leur droit de ne pas être soumis à une discrimination fondée sur la langue, consacré par l’article 26 et, conformément à l’article 27, de leurs droits en tant que membres d’une minorité nationale (la minorité anglophone vivant au Québec).
3.3Pour ce qui est de l’article 14, les auteurs affirment qu’en appel la Cour a estimé qu’il leur incombait de prouver que les mesures législatives spéciales visant à protéger le français n’étaient pas justifiées au regard de la Charte canadienne. Ils font valoir qu’ils ont proposé de soumettre à la cour d’appel des preuves pour s’acquitter de cette charge (ils n’en avaient présenté aucune au premier degré parce que le juge avait estimé que cette charge incombait à l’État et qu’il ne s’en était pas acquitté) et que la juridiction d’appel a conclu à tort qu’ils ne souhaitaient présenter aucune preuve.
3.4Enfin, les auteurs font valoir que l’État partie ne s’est pas acquitté des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte, en violation des paragraphes 2 et 3 de l’article 2, dans la mesure où il n’a pas dûment incorporé les obligations du Pacte dans le droit interne et où les tribunaux compétents dans l’affaire à l’examen n’ont pas examiné comme il convient leur plainte du point de vue du Pacte.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Dans ses observations datées du 6 avril 2004, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Tout d’abord, il fait valoir que les droits protégés par le Pacte ne sont pas reconnus aux sociétés. Il fait observer que la société «Les entreprises W.F.H. Ltée» est l’entité poursuivie et reconnue coupable de violation de la Charte de la langue française. En droit canadien, une société est distincte de ses actionnaires et a sa propre personnalité juridique. Les créanciers d’une société ne peuvent recouvrer leurs dettes auprès d’un actionnaire. En outre, les sociétés ne sont pas imposées de la même manière que les personnes physiques. En conséquence, les auteurs ne peuvent affirmer d’abord être des personnes distinctes dans la procédure interne et bénéficier de règles spéciales qui s’appliquent aux sociétés pour ensuite cesser de se servir de l’écran de la société et revendiquer leurs droits en tant qu’individus devant le Comité. L’État partie s’appuie donc sur la jurisprudence du Comité selon laquelle lorsque l’auteur d’une communication est une société ou lorsque la victime de violations présumées est une société la communication est irrecevable.
4.2Deuxièmement, l’État partie fait valoir que même si le Comité considérait qu’une société pouvait jouir de certains droits reconnus par le Pacte cette société ne serait pas pour autant habilitée à soumettre une communication. Le Comité a maintes fois conclu que seuls les particuliers, agissant à titre personnel, pouvaient soumettre une communication. En outre, le Comité était chaque fois d’avis que les recours internes avaient été épuisés par la société plutôt que par l’auteur lui‑même. Il en va de même pour le cas d’espèce. Qui plus est, le Comité a estimé que même une société appartenant à une seule personne n’avait pas qualité au regard du Protocole facultatif. En conséquence la communication est irrecevable car il s’agit en fait d’une requête illégitime émanant d’une société.
4.3Troisièmement, l’État partie affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés. Il fait observer que la Cour supérieure a rejeté, en premier appel, le jugement du tribunal de première instance selon lequel il appartenait à la partie qui contestait la Charte de la langue française de démontrer, preuves à l’appui, que les restrictions qu’elle imposait n’étaient pas justifiées (plutôt que de faire porter la charge de la preuve au Procureur général). La Cour a ensuite donné aux parties la possibilité de présenter de nouvelles preuves, ce qu’elles ont refusé de faire. Elle a également accordé au conseil de la société des auteurs (qui est aussi le conseil des auteurs devant le Comité) le droit de présenter de nouvelles preuves s’il le souhaitait lors d’un nouveau procès. Le conseil a refusé. Après avoir décliné l’offre de la Cour supérieure tendant à ce qu’il fournisse de nouvelles preuves, le conseil de la société a tenté en vain de le faire devant la cour d’appel. Cette dernière a estimé que les nouvelles preuves fournies étaient sans rapport avec la cause définie par l’auteur de l’appel lui‑même devant les juridictions inférieures et en appel.
4.4L’État partie souligne que le conseil de la société est un avocat expérimenté spécialisé dans le droit relatif aux questions linguistiques. Par l’intermédiaire de ce conseil, la société a choisi de présenter des preuves restreintes et de donner une définition étroite de la question de droit à l’examen devant les tribunaux nationaux. Cette démarche a échoué et les auteurs ne sauraient chercher à présent à revenir sur les choix stratégiques faits par leur conseil. À présent que la question de la charge de la preuve a été réglée, il subsiste la procédure en cours devant les tribunaux internes concernant la constitutionnalité de l’article 58 de la Charte de la langue française. Le même conseil plaide dans la quasi‑totalité de plusieurs dizaines d’autres affaires, qui ont été ajournées en attendant la décision des tribunaux dans le cas d’espèce, et a indiqué au Procureur général du Québec qu’il y présenterait les éléments de preuve qui n’avaient pas été produits dans l’affaire à l’examen. Par conséquent, tous les moyens de recours sont ouverts pour cette question et une décision de la Cour suprême sera nécessaire pour déterminer concrètement les droits respectifs des parties concernées et, partant, les droits de personnes telles que les auteurs et leur société. L’État partie pense donc que le Comité ne ferait que court‑circuiter la procédure interne s’il exigeait du Québec de lui prouver le bien‑fondé de l’article 58 de la Charte de la langue française avant qu’il n’ait la possibilité de le faire devant les tribunaux nationaux.
4.5Quatrièmement, l’État partie estime que les auteurs ne peuvent pas s’appuyer sur les droits protégés par le Pacte pour étayer leurs affirmations ou pense que ces affirmations sont sans rapport avec ces droits. Pour ce qui est du grief au titre de l’article 14, l’État partie souligne que le Comité se fonde généralement sur l’appréciation par les tribunaux nationaux des faits et des éléments de preuve à moins que cette appréciation ne soit manifestement arbitraire, qu’elle ne constitue un déni de justice ou qu’elle ne fasse apparaître une violation manifeste du principe de l’impartialité de la justice. La société des auteurs n’a jamais soulevé ces questions ni contesté dans son argumentation une telle appréciation, le dossier de l’affaire ayant montré le souci des tribunaux de respecter strictement les garanties d’une procédure équitable. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, dans la mesure où les auteurs n’ont pas prouvé qu’il y a eu violation de l’article 14 du Pacte, ou en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, car elle est incompatible avec l’article 14.
4.6Pour ce qui est de la plainte au titre de l’article 19, l’article 58 de la Charte de la langue française a évolué en réponse à des constatations antérieures du Comité et est présenté, sous sa forme actuelle, dans le quatrième rapport périodique de l’État partie. Dans ses observations finales, le Comité n’a fait aucune remarque à ce sujet. Les auteurs n’ont donc pas démontré l’existence d’une violation de l’article 19. Pour ce qui est de l’article 26, l’État partie, se référant à des constatations antérieures du Comité selon lesquelles il n’y avait pas eu de violation de cet article du fait d’une législation plus stricte, affirme que l’on ne saurait conclure à l’existence d’une violation. S’agissant de l’article 27, l’État partie se réfère à des constatations antérieures du Comité selon lesquelles cet article s’applique aux minorités vivant dans un État plutôt qu’à celles qui se trouvent dans une province de cet État; en conséquence, cet article n’est pas applicable en l’espèce. Enfin, le droit reconnu à l’article 2 est un droit accessoire lié à un droit principal et ne peut donc donner lieu à une plainte séparée. Quoi qu’il en soit, les mesures, les politiques et les programmes législatifs et administratifs adoptés par le Canada donnent pleinement effet aux droits reconnus dans le Pacte.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
5.1Dans une lettre datée du 27 juin 2004, les auteurs contestent les observations de l’État partie. Ils se fondent tout d’abord sur une décision du Comité dans l’affaire Singer portant rejet de l’argument d’irrecevabilité au motif que les droits en cause sont ceux d’une société. Dans l’affaire Singer, le Comité a estimé, en se référant au caractère personnel de la liberté d’expression, que l’auteur lui‑même, et pas seulement sa société, a souffert de la législation en cause. La seule différence entre les deux affaires au regard de la procédure interne étant que l’affaire Singer concernait une procédure visant à obtenir un jugement déclaratoire, alors qu’en l’espèce il s’agit de poursuites entamées par la société des auteurs; ces derniers invitent le Comité à se fonder sur sa décision dans l’affaire Singer. Les auteurs affirment qu’ils ont le droit de diffuser des informations concernant leur société dans la langue de leur choix et qu’ils ont personnellement souffert des restrictions en cause. Ils se réfèrent à des dépositions faites au cours du procès mettant en évidence l’aspect personnel de la publicité dans le cas d’espèce. Enfin, les auteurs font valoir que, si ce motif d’irrecevabilité venait à être accepté, cela aurait pour effet de priver de la protection du Pacte presque toute expression commerciale, dans la mesure où la plupart des personnes engagées dans des activités commerciales le sont par le biais d’une société.
5.2Deuxièmement, s’agissant des recours internes, les auteurs rejettent les arguments de l’État partie. Ils affirment que les remarques de la Cour suprême canadienne dans les affaires Ford et Devine selon lesquelles une «nette prédominance» du français était justifiée dans le contexte de la Charte reposent entièrement sur des considérations relatives à la vulnérabilité de la langue française et au visage linguistique du Québec. Selon les auteurs, ces considérations ne satisfont pas aux exigences cumulées du paragraphe 3 de l’article 19 et sont donc contraires au Pacte.
5.3Les auteurs font valoir qu’ils n’ont pas refusé de présenter de nouvelles preuves concernant la vulnérabilité de la langue française et le visage linguistique du Québec à la Cour supérieure en premier appel. Devant la Cour supérieure ils ont dit qu’ils préféraient présenter de telles preuves à elle plutôt que lors d’un nouveau procès. Selon eux, la Cour supérieure a mal interprété leur position en déduisant qu’ils renonçaient à fournir toute nouvelle preuve, même devant elle. Ils font observer en outre que, dans les affaires Ford et Devine, le Gouvernement québécois a produit des preuves sur la vulnérabilité de la langue française pour la première fois au niveau de la Cour suprême canadienne.
5.4Les auteurs signalent qu’ils ont versé au dossier de nombreuses preuves qui n’avaient pas été soumises à la Cour suprême dans les affaires Ford et Devine, y compris des documents relatifs aux obligations qui incombent au Canada en vertu du Pacte, aux observations des parties et aux décisions du Comité dans les affaires McIntyre et Singer et à la pratique de l’État dans ce domaine. Ils affirment que le jugement de la Cour supérieure, qui a été confirmé en appel, a eu pour effet d’imposer à l’accusé une charge (celle de fournir certaines preuves) sans lui donner la possibilité de s’en acquitter, en violation de l’article 14 du Pacte. En outre, le fait que la règle de la «nette prédominance» soit contestée dans d’autres procédures ne signifie nullement que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes disponibles dans les circonstances de leur cause.
5.5Troisièmement, les auteurs font valoir qu’ils ont plus que suffisamment étayé leurs allégations, plus que suffisamment défini les droits qui leur sont reconnus par le Pacte, et plus que suffisamment décrit le comportement qui constitue une violation de ces droits. Leur communication devrait donc être déclarée recevable.
Réponses complémentaires de l’État partie
6.1Dans une note datée du 24 août 2004, l’État partie a réitéré ses observations concernant la recevabilité, faisant remarquer en particulier que les auteurs n’étaient pas concernés par le procès devant les tribunaux internes, leur société étant seule partie à la procédure. Le Comité a toujours considéré que seuls les particuliers pouvaient soumettre des communications, et l’irrecevabilité d’une communication n’a pas d’incidence sur la portée de la protection de l’expression commerciale par l’article 19.
6.2L’État partie souligne que la Cour supérieure a invité le conseil de la société à présenter, s’il le souhaitait, de nouvelles preuves dans le cadre d’un nouveau procès. Il a refusé de le faire, préférant obtenir un jugement dont il pourrait faire appel. Après avoir décliné l’invitation de la Cour supérieure, il a voulu présenter de nouvelles preuves devant la cour d’appel, laquelle a refusé de recevoir ces preuves au motif qu’elles étaient sans rapport avec la cause définie par la société elle‑même devant les juridictions inférieures et en appel. Les auteurs ne peuvent donc modifier devant le Comité le choix stratégique de leur conseil consistant à présenter des preuves restreintes et à définir de manière étroite les questions en cause devant les tribunaux nationaux.
6.3L’État partie fait valoir qu’il est clair que les auteurs cherchent uniquement à soulever devant le Comité la question de la charge de la preuve en droit canadien. Cette question a déjà été tranchée par les tribunaux internes qui examinent actuellement la question distincte de la constitutionnalité de l’article 58 de la Charte de la langue française et, notamment, la règle de la «nette prédominance».
Délibérations du Comité
7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité note, en ce qui concerne l’épuisement des recours internes, que la société des auteurs a expressément décliné, devant la Cour supérieure, l’invitation de la Cour tendant à ce qu’elle fournisse des preuves du manque de justification présumé de l’article 58 de la Charte de la langue française, éléments dont la Cour suprême canadienne ne disposait apparemment pas lorsqu’elle avait estimé qu’une «nette prédominance» du français était acceptable. La société s’est en effet contentée de soulever la question de la charge de la preuve. De son côté, la cour d’appel a rejeté la demande de la société tendant à ce qu’elle soit autorisée à produire des preuves supplémentaires au motif qu’en faisant droit à une telle demande elle serait amenée à examiner une question allant au‑delà de la cause restreinte définie par la société devant les tribunaux inférieurs et en appel. Dans ces circonstances, les auteurs ont, par le biais de leur société, expressément retiré du dossier devant les tribunaux nationaux les éléments factuels et l’appréciation de ces éléments par ces tribunaux, éléments qu’ils cherchent à présent à soumettre au Comité et qui se résument à la question de savoir si la situation actuelle au Québec est de nature à justifier les restrictions des dispositions de l’article 19 imposées par l’article 58 de laCharte de la langue française. Cette question de plus vaste portée, que les auteurs cherchent à présenter au Comité en invoquant les dispositions du Pacte, fait actuellement l’objet de procédures judiciaires devant les tribunaux de l’État partie engagées par le même conseil que celui qui avait soustrait laquestion à l’examen des tribunaux dans le cas des auteurs. Il s’ensuit que les auteurs, agissant par le biais de leur société, n’ont pas épuisé les recours internes; en conséquence, la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.3Compte tenu de la conclusion ci‑dessus, il n’est pas nécessaire que le Comité examine les autres arguments concernant la recevabilité avancés par l’État partie.
8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
Z. Communication n o 1235/2003, Celal c. Grèce (Décision adoptée le 2 novembre 2004, quatre-vingt-deuxième session)
Présentée par: |
Panayote Celal (représenté par des conseils, M. Branimir Plese du Centre européen pour les droits des Roms et M. Panayote Elias Dimitras du journal Greek Helsinki Monitor) |
Au nom de: |
Le fils de l’auteur, Angelos Celal (décédé) |
État partie: |
Grèce |
Date de la communication: |
14 octobre 2003 (date de la lettre initiale) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 2 novembre 2004,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1L’auteur de la communication est M. Panayote Celal, père de la victime présumée Angelos Celal, Grec d’origine rom décédé. Il affirme que son fils est victime de violations par la Grèce du paragraphe 1 de l’article 6 lu à la fois séparément et conjointement avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 2, ainsi que du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 5 août 1997.
1.2Le 24 février 2004, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, le Comité a décidé d’examiner séparément la question de la recevabilité et la communication quant au fond.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Dans la soirée du 1er avril 1998, Angelos Celal (ci‑après désigné A. Celal) et deux amis, MM. F. et R., ont consommé du hachisch dans la camionnette de A. Celal. Au moment où les deux amis sortaient de la camionnette pour enlever les résidus de hachisch qui étaient par terre, ils ont entendu des coups de feu sans savoir d’où ils provenaient. A. Celal a démarré, M. F. a pu s’installer sur le siège du passager tandis que M. R. n’était pas remonté dans la camionnette. De la place du passager, M. F. a réalisé que A. Celal avait reçu une balle dans la tête et ne pouvait pas conduire; il a alors pris le volant, fait monter M. R. et s’est rendu chez des proches qui ont conduit A. Celal à l’hôpital. Les médecins ont constaté que A. Celal était mort de blessures par balles à la tête.
2.2L’auteur relate alors les récits contradictoires que MM. F. et R. ont fait des événements devant la cour d’assises, le 10 janvier 2001. M. F. affirmait avoir volé un véhicule avec A. Celal et l’avoir caché dans un entrepôt. Le 1er avril 1998, selon M. F., les trois amis sont entrés dans l’entrepôt pour prélever des pièces détachées sur le véhicule. M. F. a prétendu qu’il avait vu quelqu’un dans l’entrepôt et s’était mis à courir, sur quoi des coups de feu avaient été tirés. Personne ne les aurait sommés de s’arrêter ni ne leur aurait déclaré qu’ils étaient en état d’arrestation. M. F. a affirmé que la police l’avait suivi jusqu’à son campement et que les balles retrouvées chez lui avaient en fait été ramassées par sa sœur après un mariage. Quant à M. R., il a affirmé que M. F. avait voulu entrer dans l’entrepôt mais avait rebroussé chemin, avait crié et s’était mis à courir. M. R. a affirmé que la police n’avait fait aucune sommation et n’avait pas donné l’ordre de se rendre. Les deux hommes ont nié avoir été en possession d’une arme ou avoir tiré sur la police, et ont répété que c’était A. Celal qui conduisait la camionnette.
2.3L’auteur relate la version des faits donnée par la police, selon laquelle le poste de police local avait été averti la nuit des faits de la présence d’un véhicule non identifié découvert dans l’entrepôt. Renseignements pris, il s’agissait d’un véhicule volé la nuit précédente. Les policiers P. et T., envoyés à l’entrepôt, avaient inspecté les lieux et avaient tendu une embuscade à l’intérieur de l’entrepôt pour appréhender les voleurs qu’ils attendaient. À 18 heures, ils avaient été rejoints par les policiers Y. et H., habillés en civil et portant des gilets pare‑balles. Lorsque M. F. était entré dans l’entrepôt, tard dans la soirée, le policier P. avait tenté de l’arrêter mais M. F. avait résisté et s’était enfui. Lancés à sa poursuite, les policiers avaient vu, dehors, les deux autres hommes, l’un assis au volant d’une camionnette et l’autre debout juste à côté. Les policiers s’étaient identifiés et avaient dit aux trois suspects qu’ils étaient en état d’arrestation. L’un des suspects avait tiré un coup de feu dans leur direction, ce qui avait déclenché un échange de tirs. Un suspect était monté dans la cabine de la camionnette et l’autre sur la plate‑forme arrière et le véhicule avait démarré en trombe. Les policiers avaient tenté de se redresser, car ils s’étaient plaqués au sol pour se mettre à l’abri pendant la fusillade, mais ils avaient de nouveau essuyé des coups de feu. L’un des suspects ayant été identifié par le policier P., les agents les avaient poursuivis jusque dans son quartier.
2.4Les policiers avaient retrouvé M. F. au domicile familial mais comme ils n’avaient pas de mandat de perquisition, ils n’avaient pas pu entrer. Pendant qu’ils envoyaient chercher un magistrat, M. F. avait pris la fuite. Au même moment, les policiers avaient remarqué une camionnette maculée de sang et portant des traces de balles. Ils avaient appris que M. F. avait conduit ce véhicule, et qu’il était en compagnie de M. R. et de A. Celal, blessé. De retour au poste de police, les policiers avaient appris le décès de A. Celal.
2.5Le 5 avril 1998, la police a ouvert une enquête administrative sous serment sur cet incident, puis une enquête complémentaire le 6 décembre 1999, afin d’établir les responsabilités au niveau administratif. Les deux enquêtes ont donné lieu à la recommandation de ne pas prononcer de sanction disciplinaire contre les policiers P., T., Y. et H. parce qu’ils avaient agi en légitime défense. Les enquêteurs ont accepté la relation des faits donnée par les policiers, ont conclu qu’ils avaient agi de manière raisonnable puisqu’ils avaient ouvert le feu contre les suspects après leur avoir demandé de se rendre et avoir eux‑mêmes essuyé des coups de feu. Le rapport médico‑légal a montré que l’empreinte de balle retrouvée dans la porte de l’entrepôt était celle d’une balle d’un calibre différent de celui des armes utilisées par la police. Dans le dossier de l’enquête complémentaire, qui a permis de faire déposer MM. F. et R., il est indiqué que leur relation des faits n’a pas été retenue et il est fait mention des casiers judiciaires de chacun des trois suspects.
2.6Entre‑temps, le 7 avril 1998, l’auteur avait déposé une plainte pénale auprès du parquet de Thessalonique contre les quatre policiers impliqués dans les tirs contre A. Celal. Le 16 avril 1998, la police a notifié officiellement l’incident au parquet. Le 22 mai 1998, les policiers P., Y. et H. ont été inculpés par le Procureur de tentative en commun d’homicide (art. 42, 83, 94 et 299 du Code pénal) et dommage grave causé aux biens d’autrui (art. 381 et 382 du Code) devant le tribunal correctionnel de Thessalonique et l’ouverture d’une information a été ordonnée.
2.7Le 31 janvier 2000, le substitut du Procureur, après avoir mené sa propre enquête, a déposé une requête auprès de la section judiciaire du tribunal correctionnel recommandant l’acquittement pour chacun des trois policiers. Le 23 février 2000, la section judiciaire du tribunal correctionnel a accepté la requête et a acquitté les policiers, au motif que leurs actes ne pouvaient être considérés comme illicites en dernière analyse, leur caractère initialement illicite ayant été effacé par le fait qu’ils avaient été accomplis en légitime défense. Le 25 avril 2000, l’un des conseils de l’auteur qui le représentait devant le Comité a déposé une requête motivée auprès du parquet de la cour d’appel demandant à former un recours d’office contre la décision de la section judiciaire. Le 26 avril 2000, le parquet de la cour d’appel a jugé qu’il n’y avait pas motif à recours. Le 15 juin 2000, M. F. a été arrêté. Le même jour, l’auteur a déposé un recours auprès de la section judiciaire de la cour d’appel, faisant valoir que comme les trois suspects n’avaient représenté aucune menace pour la sécurité des policiers, il ne pouvait pas être question de légitime défense et que, par conséquent, le décès de A. Celal était une violation de la loi. Le 20 juillet 2000, la section judiciaire de la cour d’appel a rejeté l’appel pour un motif de procédure, à savoir le défaut de mandat pour agir autorisant l’avocat de l’auteur à le représenter. En droit grec, il n’y a pas de moyen d’appel à avancer pour former un nouveau recours et demander l’autorisation de rectifier ce manquement à la procédure, ce qui rend la décision effectivement définitive. Le 5 septembre 2000, M. R. a été arrêté.
2.8Le 10 janvier 2001, MM. F. et R. ont été traduits en justice devant la cour d’assises de Serres, composée de trois juges et de quatre jurés. M. F. a été reconnu coupable de tentative de meurtre et de plusieurs infractions contre les biens et à la législation sur les armes à feu, et M. R. a été reconnu coupable d’infraction contre les biens. Le 1er avril 2003, après l’échec de l’action au pénal, l’auteur a engagé une action civile en dommages‑intérêts devant le tribunal de première instance de Thessalonique. La procédure était en cours quand la communication a été adressée au Comité.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur fait valoir que la mort de A. Celal a constitué une privation arbitraire de la vie, contraire au paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte étant donné que l’usage de la force était injustifié ou excessif. Le déroulement de l’opération fait également apparaître une préparation et une maîtrise insuffisante de la part de la police. L’auteur affirme que l’État partie ne s’est pas acquitté de l’obligation qu’il a de fournir une explication plausible, fondée sur des témoignages et des preuves indépendantes, de ce qui s’est passé. Se référant aux constatations adoptées par le Comité dans l’affaire Suarez de Guerrero c. Colombie, il fait valoir que l’acquittement des policiers n’exonère pas l’État partie des obligations qu’il a contractées en vertu du Pacte et d’une évaluation internationale indépendante des faits allégués.
3.2L’auteur cite les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, l’Observation générale du Comité sur l’article 6 et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme à l’appui de la thèse selon laquelle, lorsque la menace pour la sécurité de la police n’est pas à l’évidence imminente ou grave et lorsque l’infraction suspectée n’est ni grave ni dangereuse pour la vie humaine, l’usage des armes à feu est illégitime. L’auteur fait valoir que les preuves objectives dans l’affaire à l’examen ne corroborent pas l’affirmation des policiers selon laquelle les suspects étaient armés, ont tiré au moins six fois et ont ainsi menacé leur sécurité. Les policiers qui ont procédé à des investigations sur les lieux quelques heures après l’incident n’ont trouvé qu’une balle d’un calibre différent de celui des armes de la police, alors qu’ils ont retrouvé 14 cartouches et deux balles provenant de ces armes. L’auteur affirme que le parquet a négligé ce décalage entre le nombre des coups que les suspects auraient tirés et ceux de la police, et a conclu en se fondant sur des preuves insuffisantes − le fait que des munitions du même calibre avaient été découvertes au domicile de M. F. − que cette balle venait de l’arme de M. F. L’auteur relève qu’une minorité des membres de la cour d’assises n’était pas convaincue que les suspects étaient armés.
3.3Même si les suspects avaient ouvert le feu, l’auteur fait valoir qu’une riposte de 14 balles au moins pour une balle tirée par les suspects est disproportionnée. Le grand nombre de coups de feu tirés en direction des trois suspects (et non pas sur le tireur) donne à penser que les policiers tiraient avec l’intention de tuer ou au mépris total de cette conséquence. L’auteur poursuit en affirmant que, même si les policiers avaient eu des motifs valables d’ouvrir le feu, rien ne prouve que la menace ait été toujours présente à la fin de l’incident, au moment où A. Celal a été touché mortellement. L’examen effectué a montré que la camionnette avait reçu neuf balles, dont six logées à l’arrière, ce qui indique que le véhicule s’éloignait lorsque les coups ont été tirés. Le policier Y., dans sa déposition, a déclaré que lorsque les suspects étaient montés dans la camionnette, les policiers avaient cessé de tirer car le danger était passé. Le policier P., en revanche, a déclaré dans sa déposition qu’au moment où le véhicule s’éloignait, les policiers s’étaient relevés mais avaient essuyé deux ou trois coups de feu et qu’il avait alors riposté en tirant ses dernières balles, dont quatre cartouches avaient été retrouvées, et dont le parquet a constaté qu’elles avaient blessé mortellement A. Celal. Les autres policiers ont indiqué que le policier P. a été le seul à tirer, car ils étaient encore allongés sur le sol.
3.4Même en s’en tenant à la version des faits donnée par le policier P., l’auteur conteste que les coups tirés à la fin de l’opération puissent être justifiés par la légitime défense. Les trois suspects fuyaient une embuscade par une nuit de clair de lune dans un véhicule zigzagant (le pneu avant était crevé). Il était donc fort improbable qu’ils aient la possibilité de viser juste en tirant sur des policiers allongés à terre. Pour la même raison, il n’était pas nécessaire, bien au contraire, que le policier P. se mette debout, au risque d’être blessé, et continue à utiliser la force meurtrière alors que les suspects avaient cessé de menacer sa sécurité. En particulier, personne n’affirme que A. Celal qui, d’après les témoignages, était très probablement en train de quitter les lieux au volant de la camionnette, ait constitué une quelconque menace. Rien n’indique que ce soit lui plutôt que le suspect qui a grimpé à l’arrière de la camionnette, qui a tiré un coup de feu.
3.5L’auteur fait valoir que ceux qui ont préparé et dirigé l’embuscade n’ont pas pris suffisamment de mesures pour réduire le danger menaçant les policiers, ce qui a contribué à l’homicide arbitraire de A. Celal. Se référant à la Cour européenne des droits de l’homme, l’auteur affirme que les questions relatives à la préparation et à la maîtrise de l’embuscade, notamment la prise en compte d’autres possibilités que le recours à la force meurtrière, sont des critères pertinents pour évaluer s’il y a eu homicide arbitraire. L’enquête judiciaire n’a pas pris en considération cet aspect de l’incident. Le policier P., le gradé présent sur les lieux, doit être tenu pour responsable à cet égard − il connaissait bien le secteur, avait amplement le temps de préparer l’opération et a décidé de placer l’équipe de policiers dans l’entrepôt en l’absence d’un autre abri naturel. Cette décision a exposé les policiers à un risque inutile en les rendant vulnérables au moment de sortir de l’entrepôt pour affronter qui que ce soit, ce qui accroîtrait la probabilité d’un recours à la force − et c’est ce qui s’est passé. En outre, le policier P. est apparemment parti de l’hypothèse que la menace serait importante puisqu’il a distribué des gilets pare‑balles (rares) et ordonné à ses hommes de se munir d’un pistolet mitrailleur, alors qu’il a négligé de prendre d’autres mesures évidentes telles que positionner des unités prêtes à intervenir et prévoir une communication rapide avec elles, notamment pour prodiguer les soins médicaux nécessaires. Il n’a pas non plus été prévu de prendre des mesures de sécurité plus poussées, par exemple en plaçant l’entrepôt sous surveillance ou en mettant en place un barrage routier. Le fait que l’embuscade ait eu lieu par une nuit sans lune dans une zone mal éclairée ne permettait pas d’avoir une ligne de tir dégagée, d’où une plus grande probabilité que les balles atteignent A. Celal et non la cible vraisemblable, M. F. En outre, les policiers ont apparemment utilisé le véhicule volé stationné dans l’entrepôt pour poursuivre les suspects (le véhicule de patrouille étant garé un peu plus loin) ce qui, aux yeux de l’auteur, dénote une mauvaise préparation de l’opération.
3.6L’auteur affirme également qu’il y a violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 2, lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6, car le parquet et les autorités judiciaires n’ont pas procédé immédiatement à une enquête complète, approfondie, indépendante et impartiale, et ont ensuite acquitté les policiers. La justice n’aurait pas pris en compte les éléments de preuve à charge indépendants et n’aurait offert à la famille de A. Celal aucun recours judiciaire utile. Se référant à la jurisprudence du Comité, aux Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’auteur fait valoir que les prescriptions relatives à l’enquête effective/le recours utile n’ont pas été respectées. En particulier, les enquêtes policière et judiciaire n’ont ni l’une ni l’autre montré de manière plausible que les trois suspects étaient armés, qu’ils aient à un moment quelconque représenté une menace pour les policiers ou, inversement, représenté une menace suffisante pour justifier la force meurtrière. Le parquet n’aurait pas analysé de manière sérieuse et impartiale les récits détaillés donnés par les suspects eux‑mêmes, n’aurait pas comparé leurs récits avec les données de l’examen médico‑légal ni pris en compte les lacunes de la préparation et du déroulement de l’opération. Le parquet et les tribunaux ont négligé l’absence de concordance dans les données factuelles, les éléments de preuve objectifs à charge et les dépositions invraisemblables des policiers. Enfin, en acquittant ces derniers, l’État partie a irrévocablement dénié toute possibilité de réparation pour l’homicide arbitraire de A. Celal.
3.7L’auteur fait état d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 en invoquant le fait que les tribunaux de l’État partie ont fait une appréciation arbitraire des éléments de preuve produits et ont ainsi commis un déni de justice à l’égard des membres survivants de la famille. L’auteur mentionne en particulier le fait que les tribunaux n’ont pas examiné l’incident quant au fond au cours d’un procès public et équitable malgré l’existence de preuves concluantes selon lui de l’homicide arbitraire de A. Celal.
3.8En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, s’agissant de la plainte déposée au civil, l’auteur fait valoir qu’une victime est seulement tenue d’exercer jusqu’à son épuisement un moyen de recours (à savoir, la plainte pénale), même si d’autres recours sont disponibles. En tout état de cause, compte tenu de la gravité de l’affaire, seul un recours pénal peut être considéré comme utile et suffisant et se voir appliquer le critère de la nécessité d’épuiser les recours. Il fait valoir aussi que le rejet de l’appel de l’auteur pour des motifs de procédure est sans conséquence «car il ne modifie pas le fait crucial que les autorités grecques avaient connaissance de l’incident en cause mais n’ont toujours pas accordé de réparation».
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Dans une réponse datée du 9 février 2003, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication pour non‑épuisement des recours internes. L’État partie présente sa version des faits matériels dans les termes suivants, pour autant que sa version diffère de celle de l’auteur ou la complète: les trois suspects sont arrivés à l’entrepôt, et M. R. conduisait. M. F. est entré le premier dans l’entrepôt et a été accosté par le policier P. qui s’est identifié et lui a ordonné de se rendre. M. F. a frappé le policer au visage puis il est sorti en courant et en criant «danger» à ses complices. M. F. et A. Celal ont couru vers la camionnette. Lorsque les policiers l’ont sommé de s’arrêter, M. F. leur a tiré dessus. S’est ensuivi un échange de coups de feu, les policiers cherchant à se défendre et à immobiliser la camionnette en tirant dans les pneus. A. Celal, assis à côté du chauffeur, a été blessé mortellement à la tête. Une autre balle a touché un pneu de la voiture, mais les suspects ont pris la fuite dans le véhicule jusqu’au campement rom où vivait M. F. Les suspects ont remis A. Celal à des proches qui l’ont conduit à l’hôpital, après quoi M. F. s’est caché dans le campement. Arrivés sur les lieux, les policiers se sont mis à sa recherche mais il a pris la fuite pendant qu’on attendait l’arrivée du juge qui devait délivrer un mandat de perquisition.
4.2L’incident a été immédiatement notifié à la Division de la sécurité de Thessalonique qui a bouclé la zone au début de la matinée du 2 avril 1998 pour préparer un rapport sur la perquisition et les saisies. Tous les éléments retrouvés (douilles, impacts de balles, empreintes digitales) ont été évalués et les policiers et témoins ont déposé sous serment. Un rapport de perquisition a été fait le jour même sur la camionnette des suspects. Le 7 avril 1998, rapport a été fait à la Division des enquêtes criminelles de la police, qui a établi un rapport d’expert daté du 25 février 1999 après avoir examiné en laboratoire tous les éléments recueillis (armes des policiers, 14 douilles, trois balles et un fragment de métal) et avoir recueilli les dépositions des témoins.
4.3L’État partie explique que, selon sa procédure pénale, une plainte en dommages-intérêts peut être déposée au civil par la victime (ou, si elle est décédée, par sa famille) parallèlement à la procédure pénale. Des dommages-intérêts sont alors payables à la partie civile en cas de verdict de culpabilité rendu dans la procédure pénale, mais seulement si la partie civile joint les deux procédures. Une déclaration à cet effet doit être présentée soit avant le procès soit à l’audience jusqu’au moment du verdict rendu en première instance, mais elle doit s’accompagner de la désignation d’un mandataire au procès dans les cas où la partie civile n’a pas sa résidence dans le ressort territorial du tribunal. Si cette condition n’est pas remplie, la plainte civile est irrecevable. La loi dispose aussi que le tribunal saisi d’un recours (appel) doit entendre les parties et recevoir la proposition du parquet avant de déclarer une plainte irrecevable. L’État partie fait observer que la partie civile qui s’est jointe à la procédure peut de plein droit participer à la totalité de la procédure pénale.
4.4L’État partie fait valoir qu’en l’espèce l’auteur a été cité à comparaître devant la cour d’appel pour être entendu sur la recevabilité et le fond de l’appel, mais qu’il ne l’a pas fait. Il n’a donc pas donné à la cour d’appel la possibilité de l’entendre expliquer pourquoi il n’avait pas désigné de mandataire ni exposé ses arguments en faveur d’une responsabilité pénale des policiers, comme il le fait actuellement devant le Comité. La cour d’appel a par conséquent accepté la proposition du parquet de déclarer l’appel irrecevable faute pour l’appelant d’avoir désigné un représentant entre le dépôt de la plainte initiale, le 7 avril 1998, et l’acquittement prononcé par le tribunal correctionnel en 2000. Sur le plan de la procédure, le comportement de l’auteur a également rendu impossible un réexamen de l’affaire par la Cour de cassation, cette dernière devant se borner à déterminer s’il entrait dans la compétence de la cour d’appel de rejeter le recours en invoquant le motif d’irrecevabilité qu’elle a avancé.
4.5En ce qui concerne la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle les recours internes ne peuvent pas être considérés comme épuisés dans les cas où ils sont rejetés pour des raisons techniques dus à un non-respect de la procédure de la part du requérant, l’État partie fait valoir que la présente communication devrait de même être rejetée en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. C’est l’auteur lui-même qui est responsable du fait qu’il n’a pas désigné de représentant ou ne s’est pas présenté devant la cour d’appel pour expliquer les raisons de ce manquement, et il est donc responsable de n’avoir pas permis à la cour d’appel et la Cour de cassation d’examiner l’affaire quant au fond; il ne peut donc pas prétendre que les recours internes ont été épuisés.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans une lettre datée du 23 avril 2004, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie sur la recevabilité, faisant valoir que ce dernier affirmait qu’il incombait à l’auteur d’obtenir réparation et non aux autorités de la lui accorder. L’auteur affirme que, même selon le droit interne de l’État partie, il existe une obligation d’office dans les cas de meurtre, d’homicide involontaire ou d’autres crimes graves de poursuivre, mais cela ne vise pas du tout les proches des victimes. Les proches peuvent simplement se constituer partie civile au procès, comme l’a fait observer l’État partie.
5.2L’auteur fait valoir que le parquet devait et aurait pu faire appel d’office de la décision d’acquittement rendue par le tribunal correctionnel, au lieu de lui recommander d’abandonner les poursuites. De même, le Procureur auprès de la cour d’appel aurait dû recourir contre la décision, au lieu de conclure qu’il n’y avait pas lieu de le faire. C’est après ce refus que le père de la victime a formé son recours. L’auteur fait valoir que c’est sa plainte initiale qui a en fait déclenché l’enquête du parquet, contrairement à la pratique habituelle où ce sont les policiers eux-mêmes qui informent le Procureur lorsqu’un incident s’est produit.
5.3En ce qui concerne la désignation d’un représentant, l’auteur déclare qu’il en résulterait pour lui un fardeau supplémentaire car il lui faudrait désigner et rémunérer un second avocat dans le ressort territorial du tribunal afin de veiller à l’envoi des pièces appropriées. L’auteur fait valoir qu’il est illettré et n’a pas connaissance de l’obligation de désigner un tel représentant, deux facteurs qui devraient être pris en compte. Lorsque la plainte initiale a été déposée, le secrétariat‑greffe du parquet ne l’a pas informé de la nécessité de désigner un représentant, auquel cas il en aurait cherché un − ayant déjà fait un long voyage pour se rendre à Thessalonique. En outre, l’auteur avait dit à l’époque à l’avocat qui a rédigé la plainte initiale qu’il ne souhaitait pas s’engager dans une plainte contre la police, de sorte que l’avocat n’a pas signé la plainte mais l’a remise à l’auteur pour qu’il la dépose en son nom propre.
5.4L’auteur fait valoir qu’en tout état de cause la désignation d’un représentant est une simple formalité. L’absence de représentant n’a pas empêché les autorités de mener leur enquête, ni de notifier l’acquittement à l’auteur à une adresse située en dehors du ressort du tribunal, et n’a pas empêché non plus les tribunaux de délibérer. L’auteur a bien formé un appel dans les délais auprès du tribunal, appel qui n’a pas été examiné seulement en raison d’une simple question de procédure, l’absence de représentant. En tout état de cause, l’auteur considère que la procédure par laquelle on a considéré qu’il avait eu notification de l’audience était «irrégulière», car il est impossible de vérifier si une convocation orale ou téléphonique a effectivement été faite, comme l’exige la loi.
5.5L’auteur déclare par conséquent avoir épuisé les recours internes adéquats et utiles, alors même que le parquet avait l’obligation d’office de mener immédiatement une enquête impartiale, laquelle n’a pas été ouverte avant la plainte de l’auteur. L’auteur fait valoir que la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que seule une réparation d’ordre pénal, consistant à identifier et à punir les auteurs, et non une réparation versée à la victime seulement, peut être considérée comme un recours utile, nécessaire et suffisant pour des cas aussi graves. Il affirme que, si tel n’était pas le cas, les États pourraient utiliser l’octroi de dommages‑intérêts pour se dégager de toute responsabilité face aux violations les plus graves des droits de l’homme. L’auteur conclut en faisant valoir que, même s’il n’avait jamais déposé de plainte, l’État aurait été dans l’obligation d’enquêter sur l’incident dès lors qu’il était porté à son attention.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité fait observer que l’État conteste la recevabilité de la communication en invoquant le fait que l’auteur n’a pas exercé dans les formes son recours contre l’acquittement des trois policiers inculpés par le tribunal correctionnel de Thessalonique, sans mentionner l’engagement par l’auteur d’une procédure civile distincte en 2003. Le Comité se réfère à sa jurisprudence constante selon laquelle, dans les cas impliquant des violations des droits les plus fondamentaux, comme le droit à la vie, le Pacte fait obligation à l’État partie d’enquêter sur les comportements incriminés. Le Comité fait observer qu’en l’espèce l’État partie a bien enquêté sur les circonstances dans lesquelles A. Celal a trouvé la mort, et que le tribunal correctionnel a conclu qu’aucune responsabilité pénale n’était engagée, les policiers ayant agi en légitime défense. Le Comité fait observer qu’il ne lui appartient pas généralement, en tant qu’instance internationale, de se substituer à la juridiction nationale pour ce qui est d’apprécier les faits et les éléments de preuve.
6.3Dans un cas comme celui à l’examen où le tribunal de première instance a rendu une décision contraire à l’intérêt d’un justiciable, il appartient généralement à la victime, ou à une personne telle qu’un proche agissant en son nom, de s’adresser à une juridiction supérieure pour demander le réexamen de cette décision. Le Comité rappelle que la disposition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif vise à offrir à l’État partie lui‑même la possibilité de réparer la violation qui, en l’espèce, aurait été infligée par le comportement des autorités chargées de l’enquête et du parquet et par le tribunal pénal de première instance. Le Comité observe, en s’appuyant sur les informations dont il est saisi, que l’appel de l’auteur n’aurait pas simplement porté sur la question des dommages‑intérêts mais aurait concerné le déroulement général de la procédure pénale − selon l’État partie, la partie civile est «habilitée non seulement à demander la satisfaction de ses demandes civiles devant la juridiction pénale, mais aussi à prendre part à toute la procédure pénale (pendant la phase précédant le procès et durant le procès) pour apporter des preuves à charge et obtenir la condamnation du délinquant».
6.4Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que dans les cas où l’État partie restreint le droit de faire appel en imposant certaines règles de procédure telles que des délais d’appel ou des prescriptions techniques, l’auteur doit respecter les règles avant de pouvoir être réputé avoir épuisé les recours internes. En l’espèce, l’auteur n’a pas désigné de représentant dans le ressort du tribunal avant la décision rendue par le tribunal correctionnel sur son affaire, et ne s’est pas non plus présenté devant la cour d’appel pour exposer les motifs de l’absence de représentant et ses arguments sur l’affaire dans son ensemble. Son comportement a eu pour résultat d’empêcher la cour d’appel et la Cour de cassation d’examiner l’appel au fond. Il s’ensuit que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes et que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
AA. Communication n o 1292/2004, Radosevic c. Allemagne (Décision adoptée le 22 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
M. Marijan Radosevic (représenté par un conseil, M. Frank Selbmann) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Allemagne |
Date de la communication: |
27 mai 2004 (date de la lettre initiale) |
Objet: Rémunération inégale du travail effectué par des prisonniers.
Questions de procédure: Justification des griefs par l’auteur − Épuisement des recours internes.
Questions de fond: Droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi − Dérogations autorisées à l’interdiction du travail forcé ou obligatoire − Réadaptation et réinsertion sociale des prisonniers.
Articles du Pacte: 8 (par. 3 c) i)), 10 (par. 3) et 26.
Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est M. Marijan Radosevic, de nationalité croate, résidant actuellement en Suisse. Il se déclare victime d’une violation par l’Allemagne des droits énoncés à l’article 26, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 c) i) de l’article 8 du Pacte. Il est représenté par un conseil (M. Frank Selbmann).
Exposé des faits
2.1L’auteur a purgé une peine de prison à Heimsheim (Allemagne) du 10 mars 1998 au 28 février 2003, date à laquelle il a été expulsé. La peine restant à purger a été assortie d’un sursis, sous réserve qu’il ne retourne pas en Allemagne.
2.2L’auteur a travaillé durant son emprisonnement, comme le prévoit l’article 41 de la loi allemande relative à l’exécution des peines. Il a été rémunéré d’avril 1998 à août 1999 puis de nouveau en avril 2000, ainsi que de juin à août 2001. La rémunération a été calculée conformément aux dispositions de l’article 200 de la loi précitée, à raison de 5 % du montant de base d’avril à août 1999 et en avril 2000, et à raison de 9 % du montant de base de juin à août 2001. La rémunération était comprise entre 180 deutsche mark (DM) et 400 DM environ par mois.
2.3Le 28 avril 2000, l’auteur a été victime d’un accident du travail, qui a entraîné une incapacité de travail permanente.
2.4Par un arrêt du 1er juillet 1998, la Cour constitutionnelle fédérale a décidé que le principe constitutionnel de réinsertion sociale des détenus impose de rémunérer correctement leur travail; la Cour a écarté la méthode de calcul des salaires des prisonniers énoncée à l’article 200 de la loi relative à l’exécution des peines (5 % du montant de base, malgré l’intention initiale du législateur de porter progressivement la rémunération à 40 % du montant de base). Elle a estimé que le salaire moyen versé aux détenus en vertu de cette loi, qui correspondait, en 1997, à 1,70 DM de l’heure, soit 10 DM par jour ou 200 DM par mois, est incompatible avec la Loi fondamentale allemande, en l’absence de toute autre prestation liée au travail hormis la contribution de l’employeur à l’assurance chômage du prisonnier. La Cour a estimé que «compte tenu de la somme qui lui est versée au titre du travail obligatoire, un prisonnier ne saurait se convaincre qu’un travail honnête est un moyen approprié pour gagner sa vie» après sa libération. Elle a toutefois accordé au législateur une période transitoire, allant jusqu’au 31 décembre 2000, pour qu’il porte la rémunération du travail à un niveau adéquat, et qu’il modifie les dispositions relatives à la couverture sociale en la matière.
2.5Le 12 février 2004, l’auteur a présenté une requête au Directeur de la prison de Heimsheim, dans laquelle il demandait une rémunération équivalant à 40 % au moins du montant de base pour le travail effectué avant son accident survenu le 28 avril 2000. Le 19 février 2004, le Directeur de la prison de Heimsheim a estimé que l’auteur n’était pas fondé à contester le mode de calcul de sa rémunération car il n’avait pas intenté d’action en justice contre les décisions pertinentes dans le délai d’un an prévu au paragraphe 4 de l’article 112 de la loi relative à l’exécution des peines.
2.6Le 4 mars 2004, l’auteur a renouvelé sa demande de paiement d’un salaire adéquat, en faisant valoir que le paragraphe 4 de l’article 112 de la loi relative à l’exécution des peines ne lui était pas applicable et que, en tout état de cause, la date à prendre en compte pour le calcul du délai était celle de sa libération, le 28 février 2003, soit moins d’un an avant qu’il ne présente sa première demande de réévaluation de salaire (12 février 2004). Se référant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale et à l’article 26 du Pacte, il a soutenu que ce salaire était manifestement et abusivement disproportionné par rapport au salaire moyen payé aux travailleurs hors du système pénitentiaire. Le 9 mars 2004, le Directeur de la prison a confirmé la position arrêtée dans sa précédente lettre.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur considère que le refus de rémunérer correctement le travail qu’il a effectué pendant son incarcération constitue une violation de l’article 26 du Pacte. Il fait valoir que son travail était, à bien des égards, similaire à celui effectué par des salariés ordinaires. Tout en reconnaissant que les détenus ne peuvent pas prétendre à une égalité de rémunération absolue, il affirme que toute différence doit être justifiée par des critères raisonnables et objectifs, et proportionnée au regard des circonstances de l’espèce. Sa rémunération était insuffisante, compte tenu de la vulnérabilité de son statut de détenu et de l’objectif global de réinsertion sociale. Se référant au paragraphe 76 1) de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et au paragraphe 1 de l’article 14 de la Convention de l’OIT no 29 (Convention concernant le travail forcé ou obligatoire, 1930), l’auteur conclut que son salaire était anormalement bas, en violation de l’article 26 du Pacte.
3.2L’auteur affirme que la période transitoire de deux ans et six mois pour procéder à l’adaptation législative de l’article 200 de la loi relative à l’exécution des peines, au cours de laquelle il a continué à percevoir une rémunération discriminatoire, est également disproportionnée et contraire à l’article 26. À supposer même que cette période soit justifiée en vertu du droit constitutionnel allemand, une telle justification ne changerait rien à la violation sous-jacente de l’article 26, situation qui exigeait que des mesures correctives soient prises sans retard indu, dès lors que la discrimination avait été établie. Le retard n’était justifié par aucune raison impérieuse; les simples contraintes financières qui pèsent sur un État ne sauraient constituer une justification.
3.3L’auteur indique que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. S’agissant de l’épuisement des recours internes, il fait valoir qu’il aurait été vain d’attaquer la décision du Directeur de la prison de Heimsheim dans la mesure où la Cour constitutionnelle fédérale elle-même avait permis que l’article 200 de la loi relative à l’exécution des peines continue d’être appliqué jusqu’au 31 décembre 2000 et que, dans un arrêt ultérieur, elle avait estimé que la nouvelle législation satisfaisait, quoique imparfaitement, à l’obligation d’augmenter nettement la rémunération du travail en prison énoncée dans son précédent arrêt.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Le 3 août 2004, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, invoquant la réserve formulée par l’Allemagne au sujet de l’article 26 du Pacte, ainsi qu’un abus du droit de présenter des communications au sens de l’article 3 du Protocole facultatif.
4.2Selon l’État partie, le Comité n’est pas compétent pour examiner la violation présumée de l’article 26 du fait de la réserve formulée par l’Allemagne, dans la mesure où l’auteur n’a pas invoqué une violation d’un droit substantiel consacré par le Pacte: le droit à la propriété n’est pas protégé en vertu du Pacte. Par ailleurs, le travail exécuté par l’auteur en prison échappe à l’interdiction du travail forcé ou obligatoire énoncée au paragraphe 3 de l’article 8 du Pacte, qui exclut expressément tout travail ou service normalement requis d’un individu qui est détenu en vertu d’une décision de justice régulière. Les travaux préparatoires de l’article 8 montrent que la Commission des droits de l’homme a rejeté une proposition visant à inclure le droit des prisonniers à une rémunération équitable de leur travail.
4.3L’État partie affirme que rien n’indique que la réserve elle-même soit irrecevable. Le Comité a certes regretté «que l’Allemagne maintienne ses réserves − en particulier celle − (…) qui limite partiellement la compétence du Comité lorsque l’article 26 du Pacte est en cause» et recommandé à l’État partie d’envisager leur retrait, mais il n’a pas conclu qu’elles étaient irrecevables.
4.4Pour l’État partie, le fait que l’auteur ait soumis tardivement sa plainte concernant la rémunération prétendument discriminatoire du travail qu’il a effectué en prison entre avril et août 1999 et en avril 2000 au Directeur de la prison de Heimsheim et, ultérieurement, au Comité, constitue un abus du droit de présenter des communications. Bien que le Protocole facultatif ne prévoie expressément aucun délai pour la présentation d’une communication, le Comité a considéré qu’une soumission tardive peut équivaloir à un tel abus de droit, en l’absence de toute justification. L’explication donnée par l’auteur dans sa lettre du 4 mars 2004 au Directeur de prison, selon laquelle, étant étranger, il ne connaissait pas la situation juridique et n’avait pas accès à une assistance juridique, ne saurait justifier le retard dans la mesure où il est difficile de croire que les arrêts de la Cour constitutionnelle fédérale, en date du 1er juillet 1998 et du 24 mars 2002, n’aient pas été évoqués par les prisonniers, dont les intérêts étaient directement affectés par ces décisions, et où il était loisible à l’auteur de rechercher une assistance juridique pendant son incarcération.
Commentaires de l’auteur
5.1Le 22 septembre 2004, commentant les observations de l’État partie sur la recevabilité, l’auteur a fait valoir qu’il existait un lien suffisant entre sa communication et le paragraphe 3 c) i) de l’article 8 du Pacte, et qu’en tout état de cause la réserve de l’État partie concernant l’article 26 était incompatible avec l’objet et le but du Pacte. Il nie abuser du droit de présenter des communications.
5.2Pour l’auteur, l’objet de son affaire est régi par le paragraphe 3 c) i) de l’article 8 du Pacte, qui autorise les États parties à obliger les détenus à effectuer un travail «normalement requis» de tels individus. Dans sa communication initiale, il a invoqué l’article 26 indépendamment du paragraphe 3 c) i) de l’article 8, car ce premier article donnait des indications plus précises sur ce qui peut être exigé d’un prisonnier que cette dernière disposition, qui ne dit rien spécifiquement sur les conditions de travail en prison. Toutefois, à la lumière des observations de l’État partie sur la recevabilité, l’auteur allègue à présent des violations tant de l’article 26 en ce qu’il consacre un droit autonome, que lu conjointement avec le paragraphe 3 c) i) de l’article 8 du Pacte. Lu conjointement avec le paragraphe 3 c) i) de l’article 8, qui offre une protection non seulement contre «des décisions arbitraires des autorités carcérales» mais aussi contre une législation instaurant des conditions de travail en prison arbitraires, l’article 26 s’applique indépendamment de la réserve formulée par l’Allemagne, en ce qu’il exige que le travail des détenus soit correctement rémunéré.
5.3Selon l’auteur, la réserve formulée par l’Allemagne est incompatible avec l’esprit de l’article 26, en ce qu’il consacre un droit à l’égalité autonome, non soumis aux limitations inhérentes qui existent dans les clauses accessoires de non-discrimination, telles que l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La réserve a pour effet de transformer l’article 26 en un droit accessoire sans existence indépendante, ce qui revient à dédoubler la clause limitée de non-discrimination énoncée à l’article 2 du Pacte. Cette portée restrictive n’a pas été voulue par les rédacteurs de l’article 26, et elle n’est appuyée par aucune des méthodes traditionnelles d’interprétation des traités. Elle est en outre en contradiction avec la jurisprudence du Comité relative à l’article 26 et contraire aux tendances récentes visant à étendre le niveau de protection offert par les clauses internationales prévoyant l’égalité de protection. Ainsi, l’article premier du Protocole no 12 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, une fois le Protocole entré en vigueur, remplacerait l’article 14 de la Convention par un droit indépendant identique à celui consacré à l’article 26 du Pacte; des clauses similaires autonomes de non-discrimination sont également prévues à l’article 24 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et à l’article 3 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. L’auteur soutient que l’objet des regrets exprimés par le Comité dans ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de l’Allemagne «équivaut à une réserve qui porte indûment atteinte à l’essence même du droit consacré à l’article 26 du Pacte et devrait être considérée inapplicable».
5.4En ce qui concerne la soumission tardive de la communication, l’auteur réaffirme qu’on ne saurait attendre d’un ressortissant croate sans formation juridique qu’il suive la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande, qui est extrêmement complexe sur la question et, par conséquent, peu susceptible de devenir le sujet de débats dans un établissement pénitentiaire. S’agissant de la possibilité d’avoir accès à une assistance juridique, il indique que les services juridiques internes à la prison sont rares dans les établissements pénitentiaires allemands et qu’en raison de son expulsion directement après sa libération conditionnelle il n’a pas pu entrer en contact avec un avocat. Dès qu’il a pu s’assurer une représentation juridique, son conseiller et lui-même ont agi promptement et avec toute la diligence voulue. L’auteur rejette l’idée que la décision du Comité dans l’affaire Gobin c. Maurice constitue un précédent qu’il faut suivre, dans la mesure où cinq membres du Comité ont émis une opinion dissidente, estimant que le Comité n’avait pas le droit d’introduire des délais de forclusion dans le Protocole facultatif, et où un autre membre a considéré qu’un délai de cinq ans ne saurait justifier que la charge de la preuve que ce délai (n’) était (pas) abusif ne pèse plus sur l’État partie mais sur l’auteur.
Observations complémentaires de l’État partie
6.1Dans ses observations complémentaires, datées du 6 décembre 2004, l’État partie a critiqué le fait que l’auteur cherche à contourner la réserve formulée par l’Allemagne au sujet de l’article 26 en invoquant le paragraphe 3 c) i) de l’article 8, bien que cette disposition ne garantisse pas un droit à une rémunération équitable du travail effectué par des détenus. Les conditions de ce type de travail ne sauraient être réglementées en détail dans une convention générale relative aux droits civils et politiques, quand bien même cela pourrait sembler nécessaire dans le cas du travail obligatoire autorisé. Dès lors que le droit à une rémunération équitable du travail effectué par des détenus ne pourrait être déduit que de l’article 26, l’objet de la plainte de l’auteur ne relève pas de la compétence du Comité.
6.2L’État partie rappelle que le Protocole no 12 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est pas encore entré en vigueur. L’Allemagne a simplement signé le Protocole sans le ratifier; sa réserve concernant l’article 26 du Pacte est conforme à ses obligations existantes en vertu de l’article 14 de la Convention européenne, qui constitue une clause accessoire de non-discrimination.
6.3L’État partie réaffirme ses arguments au sujet de l’abus présumé du droit de l’auteur de présenter des communications. Se référant à l’affaire Gobin c. Maurice, il considère que c’est la décision du Comité elle-même qui fait autorité, non les opinions dissidentes invoquées par l’auteur.
Délibérations du Comité
7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, décider si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel sa rémunération calculée à raison de 5 % du montant de base entre avril 1998 et août 1999, et en avril 2000, et à raison de 9 % du montant de base entre juin et août 2001, était manifestement et abusivement disproportionnée au regard des salaires versés pour un travail similaire exécuté par une main‑d’œuvre ordinaire, et violait ainsi son droit à l’égalité consacré à l’article 26 du Pacte. Il constate également que l’État partie a invoqué sa réserve au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, aux termes de laquelle le Comité n’est pas compétent pour examiner les communications «dénonçant une violation de l’article 26 (…) dans la mesure où la violation dénoncée se réfère à des droits autres que ceux garantis dans le Pacte susmentionné». Le Comité considère que l’auteur n’a pas, aux fins de la recevabilité, suffisamment étayé son grief selon lequel il a été victime d’une discrimination parce qu’il était détenu au motif qu’il n’a perçu qu’une petite partie de la rémunération qui lui aurait été versée sur le marché du travail. En particulier, il n’a fourni aucune information sur le type de travail qu’il a exécuté durant sa détention ou sur le point de savoir si un tel travail était disponible sur le marché du travail, ni sur le salaire versé pour un travail comparable sur le marché du travail. La simple référence à un certain pourcentage du montant de base, c’est-à-dire au montant moyen des prestations payables au titre du régime allemand d’assurance retraite obligatoire, ne suffit pas à étayer que la disparité entre le salaire versé à l’auteur pour son travail et celui versé à une main-d’œuvre ordinaire serait discriminatoire. Il découle de ce qui précède que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Le Comité n’a donc pas lieu d’examiner la question de la réserve de l’État partie à l’article 26.
7.3Le Comité prend note en outre des affirmations de l’auteur selon lesquelles, d’une part, l’article 26, lu conjointement avec le paragraphe 3 c) i) de l’article 8, consacre un droit à une rémunération adéquate pour le travail effectué par des détenus et, d’autre part, il a été victime d’une discrimination dans la jouissance de ce droit, parce que l’article 200 de la loi relative à l’exécution des peines a continué d’être appliqué pendant une période transitoire de deux ans et six mois après que la Cour constitutionnelle eut déclaré cette disposition incompatible avec le principe constitutionnel de réinsertion sociale des prisonniers. Il considère que le paragraphe 3 c) i) de l’article 8, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 10 du Pacte, prévoit que le travail effectué par des détenus est avant tout destiné à assurer leur réinsertion sociale, comme l’indique le terme «normalement» figurant au paragraphe 3 c) i) de l’article 8, mais que cette disposition ne précise pas si la rémunération adéquate du travail effectué par des détenus doit figurer parmi les mesures à prendre à cette fin. Tout en réaffirmant que, loin d’être uniquement axé sur le châtiment, tout système pénitentiaire devrait viser le redressement et la réadaptation sociale des prisonniers, le Comité observe également que les États peuvent eux‑mêmes choisir les méthodes de traitement des prisonniers, y compris un travail ou un service quelconque normalement requis des détenus, visant essentiellement à atteindre ces objectifs. Il constate que la Cour constitutionnelle allemande a justifié la période transitoire, au cours de laquelle les détenus ont continué d’être rémunérés à raison de 5 % du montant de base, par le fait que la modification nécessaire de l’article 200 de la loi relative à l’exécution des peines exigeait du législateur qu’il réexamine le concept sous-jacent de resocialisation. Il rappelle en outre qu’il appartient en général aux juridictions nationales, et non au Comité, de revoir l’interprétation ou l’application de la législation interne dans un cas d’espèce, sauf s’il apparaît que les décisions des tribunaux sont manifestement arbitraires ou constituent un déni de justice. Le Comité considère que l’auteur n’a pas démontré que la décision de la Cour constitutionnelle d’accorder au législateur une période transitoire, allant jusqu’au 31 décembre 2000, pour modifier l’article 200 était entachée de telles irrégularités. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
BB. Communication n o 1326/2004, Mazón Costa et Morote Vidal c. Espagne (Décision adoptée le 26 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
José Luis Mazón Costa et Francisco Morote Vidal(représentés par José Luis Mazón Costa, avocat) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
22 août 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet: Impossibilité pour l’avocat de récuser un juge prétendument hostile.
Questions de procédure: La question a déjà été devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; épuisement des recours internes.
Questions de fond: Droit à un juge impartial.
Articles du Pacte: 14 (par. 1) et 26.
Articles du Protocole facultatif: 5 (par. 2 a)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1Les auteurs de la communication, datée du 22 août 2002, sont José Luis Mazón Costa (premier auteur) et Francisco Morote Vidal (second auteur), de nationalité espagnole. Ils disent être victimes de violations par l’État partie des droits reconnus à l’article 14, paragraphe 1, et à l’article 26 du Pacte, lu conjointement avec le précédent. M. Mazón agit en son nom propre et en qualité de représentant de M. Morote.
1.2Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985.
Exposé des faits
2.1En octobre 1994, le premier auteur a représenté le second dans une action en justice dans laquelle celui‑ci demandait la modification du montant de la pension alimentaire accordée à son épouse dans le cadre d’une procédure de divorce antérieure. La demande a été rejetée par le tribunal de première instance no 3 de Murcie, le 10 juillet 1995. Un appel formé par la suite a été rejeté par la Section no 1 de l’Audiencia Provincial de Murcie.
2.2Selon les auteurs, au cours de la procédure, l’Audiencia Provincial ne leur a pas communiqué le nom des juges qui composaient le tribunal ni celui du juge rapporteur, ce qui est contraire à l’article 203.2 de la loi organique du pouvoir judiciaire. Selon les auteurs, la Section no1, à la différence des autres sections de cette même Audiencia, a coutume de ne pas respecter cette obligation juridique. Le juge rapporteur a une influence décisive sur l’issue de la procédure puisque c’est lui qui élabore le projet de jugement et qui tranche dans la pratique, étant donné qu’en raison du nombre considérable d’affaires portées devant les Audiencias la collégialité est une question de pure forme dans la plupart des cas.
2.3Les auteurs n’ont connu la composition du tribunal et le nom du juge rapporteur (Francisco José Carrillo) que lorsque le jugement, rendu le 3 juin 1996, leur a été communiqué. Le premier auteur affirme que s’il avait connu avant le nom du juge rapporteur, il aurait demandé sa récusation, car il avait des motifs raisonnables de penser que le juge en question rendait systématiquement des jugements défavorables à ses clients depuis 1992, année où lui‑même avait critiqué ouvertement dans la presse le jugement prononcé dans une procédure pénale à laquelle ledit juge avait participé. Depuis cette date, dans les recours formés par le premier auteur dans lesquels le juge Carrillo était le juge rapporteur (sept au total depuis 1997), ce dernier a systématiquement rendu des jugements opposés à ce que le premier auteur demandait.
2.4Le 10 juillet 1996, le premier auteur a formé un recours en amparo, en son nom propre et non au nom du second auteur, devant la Chambre no 2 du Tribunal constitutionnel. Il dénonçait la violation du droit à un juge impartial et à la régularité de la procédure. Il alléguait que la législation était discriminatoire puisqu’elle permettait à un juge de s’abstenir quand il avait des liens de parenté avec l’avocat, mais qu’elle ne l’obligeait pas à le faire lorsqu’il y avait inimitié entre lui et l’un des avocats, et qu’elle n’autorisait pas l’avocat dans ce cas à demander la révocation du juge en question. Le premier auteur alléguait que dénier à l’avocat le droit de récusation entraînerait une inégalité pour le plaignant ou partie, puisque les droits et intérêts de l’avocat peuvent aussi être affectés par la participation d’un juge hostile. De plus, l’auteur a allégué qu’il n’avait pas été informé du nom du juge rapporteur de l’affaire, ce qui l’a empêché d’exercer le droit de récusation, qui est fondé sur le droit à un juge impartial.
2.5Dans une décision du 29 septembre 1998, le Tribunal constitutionnel a déclaré le recours irrecevable. La Chambre no 2 a estimé qu’en faisant preuve d’un minimum de diligence le premier auteur aurait pu s’assurer de la composition de la Chambre de l’Audiencia qui allait être saisie de l’affaire et présenter une demande incidente de récusation. Il est précisé en outre dans la décision que l’audience en appel a eu lieu le 3 juin 1996. Le premier auteur n’a pas invoqué à cette occasion de violation de ses droits fondamentaux; il a attendu que le jugement soit prononcé, et a saisi ensuite le Tribunal constitutionnel. En ce qui concerne le fond, le tribunal a conclu que la demande du premier auteur manquait manifestement de substance, puisque le droit à l’impartialité du juge est un droit reconnu aux parties, et non aux avocats qui assurent leur défense, et qu’il ne faisait aucun doute que le fait que l’inimitié à l’égard d’un avocat ne figure pas parmi les causes de récusation prévues dans la loi organique du pouvoir judiciaire était constitutionnel. Le Tribunal a rappelé une décision antérieure prise dans un autre recours en amparo formé par le premier auteur sur la même question, dans lequel le Tribunal avait conclu que «dans l’hypothèse, qui n’a pas été démontrée en l’espèce, où cette inimitié manifeste existerait, la solution conforme aux garanties de l’article 24 de la Constitution espagnole n’est pas que le juge s’abstienne, mais que le justiciable décide s’il est dans son intérêt de conserver le défenseur qu’il avait choisi. L’impartialité s’applique à l’égard de celui qui demande la protection judiciaire et non à l’égard de ceux qui, collaborant avec la justice, représentent et défendent les justiciables.».
2.6Le 26 octobre 1998, le premier auteur a demandé au Tribunal constitutionnel (Chambre plénière) d’annuler les décisions prises à l’issue du recours en amparo. Il faisait valoir premièrement qu’il n’avait pas eu la possibilité de connaître les arguments du procureur ni de les contredire. Il invoquait ensuite le manque d’impartialité des juges de la Chambre no 2 du Tribunal constitutionnel, dont il avait demandé la révocation dans une autre affaire. Dans un arrêt du 10 novembre 1998, la Chambre no 1, section no 1, du Tribunal constitutionnel a rejeté les prétentions de l’auteur.
2.7Le premier auteur a présenté une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le 5 octobre 2000, la Cour a déclaré la plainte irrecevable ratione personae, considérant que l’auteur ne pouvait pas se considérer directement touché par les violations qu’il invoquait en son nom propre, et non au nom de son client, dans le cadre d’une procédure à laquelle il participait non pas en tant que partie mais seulement en tant que représentant légal de son client. Les auteurs allèguent devant le Comité que la présente communication diffère de l’affaire portée devant la Cour européenne pour deux raisons: pour ce qui est du deuxième auteur, il n’a pas saisi la Cour européenne; quant au premier auteur, le Tribunal ne lui a pas reconnu qualité pour agir et a écarté la requête sans examiner le fond de la question. On ne peut pas dire que l’affaire ait été examinée au sens de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif.
2.8Le dossier transmis au Comité par les auteurs contient une copie de la requête présentée à la Cour européenne. Dans cette requête, le premier auteur, en qualité de demandeur, précise, au paragraphe 8 bis: «Mon client, Don Francisco Morote Vidal, approuve la requête présentée devant la Cour de Strasbourg, comme l’atteste le document joint en annexe.». Aucune copie de l’annexe en question n’a été transmise au Comité. La requête invoquait, entre autres choses, la violation du droit à un juge impartial et le droit d’avoir accès aux tribunaux de l’avocat lésé du fait d’un juge hostile, la discrimination qui résulte du fait que le juge doit s’abstenir en cas d’inimitié avec la partie à la procédure mais non avec l’avocat, et la violation du droit à une procédure contradictoire devant le Tribunal constitutionnel.
Teneur de la plainte
3.1Les deux auteurs allèguent que leur droit à un juge impartial et le droit d’avoir accès aux tribunaux (art. 14, par. 1, du Pacte) ont été violés par l’État partie. Ces violations découlent de l’arrêt de la Chambre no 2 du Tribunal constitutionnel selon lequel, en cas d’inimitié manifeste entre l’avocat d’une partie et le juge rapporteur, «la solution conforme aux garanties de l’article 24 de la Constitution n’est pas que le juge s’abstienne, mais que le justiciable décide s’il est dans son intérêt de conserver le défenseur qu’il avait choisi. L’impartialité s’applique à l’égard de celui qui requiert une protection judiciaire effective et non à l’égard de ceux qui, collaborant avec la justice, représentent et défendent les justiciables.». Il est porté atteinte au droit d’avoir accès aux tribunaux puisqu’on ne reconnaît pas à l’avocat qualité pour se défendre de quelque manière que ce soit face à un juge qui lui est hostile.
3.2Les auteurs allèguent qu’il y a eu violation du droit à l’égalité en ce qui concerne l’accès aux tribunaux (l’article 26, lu conjointement avec l’article 14, par. 1, du Pacte). La partialité d’un juge due à l’inimitié avec l’avocat d’une partie a des incidences tant pour ladite partie que pour son représentant. Ne pas admettre l’accès à la procédure de récusation de l’avocat, qui est directement intéressé à écarter le juge soupçonné de partialité à son égard, constitue un traitement discriminatoire à l’égard de la partie qui est incompatible avec les prescriptions de l’article 26 du Pacte. De plus, il y a traitement discriminatoire du fait que la loi espagnole admet la récusation d’un juge lorsqu’il existe un lien de parenté entre lui et l’avocat de l’une des parties, mais pas en cas d’inimitié manifeste entre le juge et l’avocat de l’une des parties.
3.3Le premier auteur allègue que son droit à une procédure contradictoire devant le Tribunal constitutionnel (art. 14, par. 1, du Pacte) a été violé puisque, dans le recours en amparo, il n’a pas eu la possibilité de connaître les arguments avancés par le ministère public à l’encontre de la recevabilité du recours, ni d’y répondre.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et commentaires des auteurs
4.1Dans ses observations du 19 janvier 2005, l’État partie précise que la communication doit être considérée comme irrecevable. À propos de l’identité du juge rapporteur dans le recours devant l’Audiencia Provincial, l’État partie affirme que le premier auteur était au courant de sa désignation. À cet égard, l’État partie joint une copie d’une note de l’Audiencia Provincial datée du 11 octobre 1995 rendant compte de l’ouverture du procès en appel, dans laquelle il est dit que le juge rapporteur est le juge Carrillo. De plus, au cours de l’audience en appel, qui a eu lieu le 3 juin 1996, le premier auteur n’a nullement contesté la composition du Tribunal ni l’intervention du juge Carrillo. Même s’il n’avait pas eu connaissance de l’identité du juge rapporteur, il aurait pu présenter une demande incidente de récusation puisqu’il connaissait parfaitement la composition de la section. Par ailleurs, la méconnaissance de l’identité du juge qui allait être le juge rapporteur est sans objet puisque la règle de l’impartialité ne concerne pas ledit juge uniquement, ni même en majeure partie, et qu’elle concerne de la même manière tous les juges de la section, étant donné qu’il s’agit d’une décision collégiale. L’État partie conclut donc que la communication doit être déclarée irrecevable conformément à l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.
4.2L’État partie ajoute que le statut de victime ne peut guère être invoqué quand il ne l’a pas été devant les juridictions internes, ni par la partie non lésée par la prétendue «hostilité» du juge, ni, à titre personnel, par l’avocat qui assurait la direction technique de sa défense, lequel n’est pas fondé en droit à demander sa récusation.
4.3Les auteurs n’ont pas présenté de données objectives attestant de la prétendue inimitié du juge rapporteur, et leurs appréciations sont purement subjectives. C’est pourquoi l’État partie invoque le motif d’irrecevabilité visé à l’article 3 du Protocole facultatif.
4.4L’État partie ne peut admettre que, parce qu’un certain nombre de jugements défavorables à d’autres clients d’un avocat auraient été prononcés par un juge, ce dernier doive s’abstenir de statuer dans une nouvelle affaire dans laquelle le même avocat interviendrait. Cela signifierait, ce qui est inacceptable, que la composition des tribunaux serait laissée au bon plaisir et à l’appréciation de la partie pour la simple raison que son avocat avait eu plus ou moins de succès dans des procès antérieurs. L’État partie indique les raisons pour lesquelles la loi prend uniquement en compte le lien de parenté pour justifier l’abstention et la récusation des juges dans les relations avec les avocats et les procureurs. Il conclut à l’absence de motif de récusation et invoque l’article 3 du Protocole facultatif pour justifier l’irrecevabilité de la communication.
4.5L’égalité de traitement des parties et de leurs avocats en ce qui concerne les règles qui définissent les motifs d’abstention et de récusation non seulement n’est pas obligatoire en vertu du principe d’égalité, mais elle est clairement déconseillée si l’on veut garantir l’impartialité des tribunaux. La situation des parties et celle de l’avocat sont nettement différentes et la différence de traitement juridique est pleinement justifiée. En conséquence, en ce qui concerne également l’allégation de violation de l’article 14, paragraphe 1, et de l’article 26 du Pacte, la communication est dénuée de fondement conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.
4.6Il est à noter également que «la même question» a été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a déclarée irrecevable. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité au sujet de la réserve formulée par l’Espagne concernant l’article 5, paragraphe 2, du Protocole facultatif et demande au Comité de déclarer la communication irrecevable pour ce motif.
4.7Enfin, l’État partie dit que la présente communication, soumise au Comité en août 2002, se rapporte à une violation prétendue du Pacte qui se serait produite en juin 1996 et sur laquelle les tribunaux nationaux se sont prononcés en septembre 1997 et septembre 1998. Le fait que les auteurs aient laissé s’écouler quatre ans avant de soumettre l’affaire au Comité enlève tout sérieux aux griefs présentés et permet de considérer que la communication constitue un abus de droit au sens de l’article 3 du Protocole facultatif.
5.1Dans leurs commentaires du 11 avril 2005, les auteurs affirment, à propos du non‑épuisement des recours internes, que selon la jurisprudence du Comité les recours qui seraient manifestement inutiles ne sont pas nécessaires. Le Tribunal constitutionnel a reconnu que la récusation aurait été inutile, quand il a affirmé dans sa décision d’irrecevabilité du recours en amparo: «En ce qui concerne le fond, la présente demande manque manifestement de substance (…) en ce sens que le droit fondamental à l’impartialité du juge est un droit reconnu aux parties, et non aux avocats qui assurent leur défense.». Au reste, le Tribunal constitutionnel ayant examiné le fond de la question avant de rejeter la plainte, les recours internes ont été épuisés.
5.2En ce qui concerne l’abus de droit invoqué par l’État partie, le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour la présentation d’une communication, et les faits se sont produits après la ratification par l’Espagne du Pacte et du Protocole. Le simple fait d’avoir tardé à présenter la communication ne constitue donc absolument pas un abus de droit.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Les auteurs font valoir que l’État partie a violé leur droit à un juge impartial et leur droit d’avoir accès aux tribunaux puisque la personne agissant en qualité d’avocat a été dans l’impossibilité de récuser le juge qui s’était comporté à son égard de manière hostile, ce qui s’est avéré préjudiciable à son client. Ils invoquent également la violation de leurs droits à avoir un accès égal aux tribunaux puisque le droit de récuser un juge est reconnu aux parties à un procès, mais pas à leurs avocats. Le premier auteur invoque en outre la violation de son droit à une procédure contradictoire devant le Tribunal constitutionnel.
6.3Le Comité prend note des observations de l’État partie, selon lesquelles, dans la note de l’Audiencia Provincial datée du 11 octobre 1995 rendant compte de l’ouverture du procès en appel, figure le nom du magistrat Carrillo en qualité de juge rapporteur. En outre, lors de la procédure orale d’examen du recours, le 3 juin 1996, le premier auteur n’a formulé aucune plainte concernant la composition du tribunal ou l’intervention dudit magistrat. L’État partie ajoute que, même s’il n’avait pas eu connaissance de l’identité du juge rapporteur, le premier auteur aurait pu présenter une demande incidente de récusation puisqu’il connaissait la composition de la Chambre. Le Comité prend note également de ce que le Tribunal constitutionnel, dans sa décision du 29 septembre 1998, a estimé que le premier auteur aurait pu, avec un minimum de diligence, vérifier la composition de la Chambre de l’Audiencia et présenter la demande incidente de récusation pertinente. Pour ce qui est du second auteur, le Comité constate que ce dernier n’a soulevé à aucun moment de la procédure la question de l’hostilité supposée du juge compétent à l’égard de son avocat, et qu’il n’a pas non plus formé de recours en amparo à ce sujet devant le Tribunal constitutionnel. Dans ces conditions, le Comité conclut que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes disponibles.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.
[Adopté en anglais, français et espagnol (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
CC. Communications n o s 1329-1330/2004, Pérez Munuera et Hernández Mateo c. Espagne (Décision adoptée le 25 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
José Pérez Munuera et Antonio Hernández Mateo(représentés par un conseil, M. José Luis Mazón Costa) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
7 octobre 2002 et 7 avril 2003 |
Objet: Égalité de moyens en ce qui concerne la possibilité d’interroger des experts de la défense dans un procès pénal.
Questions de procédure: Défaut de justification de la plainte.
Questions de fond: …
Articles du Pacte: 14 (par. 1 et 3 e)).
Articles du Protocole facultatif: 2.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1La présente affaire porte sur deux communications contre l’Espagne qui concernent les mêmes faits. L’auteur de la communication no 1329/2004 (première communication), datée du 7 octobre 2002, est José Pérez Munuera, de nationalité espagnole, né en 1957. L’auteur de la communication no 1330/2004 (seconde communication), datée du 7 avril 2003, est Antonio Hernández Mateo, de nationalité espagnole, né en 1940. Les auteurs se déclarent victimes de violations par l’Espagne de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. Les auteurs sont représentés par un conseil, M. José Luis Mazón Costa.
1.2Le 31 janvier 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a accédé à la demande de l’État partie qui souhaitait que la question de la recevabilité des communications soit examinée séparément du fond.
1.3En application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité a décidé d’examiner les deux communications conjointement.
Exposé des faits
2.1M. Hernández était le dirigeant d’une entreprise de construction et de rénovation de logements. En janvier 1998, il avait donné pour instructions à son employé, M. Pérez Munuera, de remplir deux formulaires qui avaient par la suite été utilisés pour mettre fin au contrat de travail d’un employé de nationalité algérienne, M. Abdelkader Boudjefna, pendant que celui‑ci était en vacances en Algérie. Plus tard, M. Hernández allait produire ces documents dans le cadre d’une procédure engagée par M. Boudjefna contre lui pour licenciement abusif. M. Boudjefna avait ensuite engagé une action pénale contre les auteurs pour falsification de documents.
2.2Le 10 février 2000, le tribunal pénal de Murcie a reconnu les auteurs coupables d’avoir participé à l’élaboration de deux documents visant à mettre fin au contrat de travail de M. Boudjefna sans le consentement de ce dernier et, en ce qui concerne M. Hernández, d’avoir ensuite utilisé les faux dans une procédure judiciaire. Dans un des deux documents M. Boudjefna certifiait avoir reçu 100 000 pesetas à titre d’indemnisation, et dans l’autre il faisait part de son souhait de mettre fin à son contrat. Dans le jugement, il est relevé que les signatures portées sur les documents, qui imitent la signature de M. Boudjefna, sont de la main de l’un des deux accusés ou de quelqu’un d’autre, agissant à leur demande. M. Hernández a été reconnu coupable d’avoir produit dans un procès une pièce fausse ainsi que du délit continu de faux et condamné à un emprisonnement de 22 mois. M. Pérez Munuera a été reconnu coupable du délit de faux en écritures privées et condamné à un emprisonnement de 16 mois. M. Hernández a toujours nié avoir eu la moindre responsabilité dans la falsification de la signature. M. Pérez Munuera a reconnu spontanément qu’il avait rédigé les documents sur ordre de son employeur mais n’a pas admis qu’il avait imité la signature de M. Boudjefna. Les experts à charge ont indiqué dans leur rapport que le demandeur, M. Boudjefna, n’était pas le scripteur de la signature des deux documents et qu’il ne leur avait pas été possible de déterminer qui en était le scripteur; ils avaient conclu que les signatures avaient été faites par l’un des deux défendeurs ou par un tiers, à leur demande. Les experts qui avaient été cités par les auteurs ont de leur côté établi que la signature portée sur les documents était bien celle de M. Boudjefna.
2.3Le juge s’est fondé sur le rapport des experts à charge et n’a pas écouté les experts à décharge, faisant valoir qu’il n’avait pas le temps. L’accusation a pu interroger les experts à charge mais la défense n’a pas été autorisée à interroger les experts à décharge, qui ont pu seulement confirmer leur rapport. Dans le compte rendu d’audience, qui n’est pas littéral, le refus du juge n’est pas noté. En appel, les auteurs ont invoqué le défaut de possibilité d’interroger les experts à décharge mais l’Audiencia Provincial de Murcie, dans son arrêt du 26 avril 2000, a considéré que les limites supposées de l’interrogatoire n’avaient pas entraîné un déni du droit de la défense au détriment des accusés étant donné que les experts avaient soumis leurs rapports par écrit et les avaient confirmés à l’audience. L’Audiencia a fait valoir que les avocats des défendeurs n’avaient pas formulé par écrit les questions qu’ils voulaient poser aux experts et que ce qui importait c’était que les experts avaient confirmé leur rapport pendant l’audience, les demandes d’éclaircissement étant «tout à fait superflues». Les auteurs ont formé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel en arguant qu’il avait été porté atteinte au principe de l’égalité des moyens de défense. Le 16 octobre 2000, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours, considérant que les auteurs n’avaient pas montré que l’interrogatoire des experts avait un caractère déterminant pour leur défense, étant donné que leurs avocats n’avaient pas consigné par écrit les éclaircissements ou observations qu’ils demandaient.
2.4Les auteurs affirment qu’ils n’ont pas bénéficié d’une garantie essentielle du procès pénal, c’est‑à‑dire l’existence d’un compte rendu littéral, ce qui a compromis l’efficacité de l’exercice du droit d’appel. En effet, dans le compte rendu d’audience, le refus de permettre aux avocats de la défense d’interroger les experts, opposé par le juge, n’était pas consigné.
2.5L’article 790, paragraphe 1, de la loi de procédure criminelle donne à l’accusation des avantages en ce qui concerne l’enquête dont ne bénéfice pas la défense. Usant de cette faculté, l’accusation a demandé que l’un des auteurs fasse une déclaration en qualité d’inculpé. L’article cité avait été déclaré conforme à la Constitution par le Tribunal constitutionnel le 15 novembre 1990.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs affirment qu’ils ont été condamnés sans que leur responsabilité dans l’imitation de la signature de M. Boudjefna n’ait été prouvée, ce qui porte atteinte au droit à la présomption d’innocence garanti au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. Comme le scripteur de la signature n’avait pas été déterminé, le doute devait profiter aux auteurs. La charge de la preuve incombait à l’accusation et ce n’était pas aux auteurs qu’il appartenait de prouver leur innocence. Dans le cas de M. Pérez Munuera, la seule preuve contre lui était la déclaration qu’il avait lui‑même faite en tant qu’inculpé et dans laquelle il reconnaissait avoir établi deux documents sur ordre de M. Hernández, l’un concernant la cessation du contrat de travail et l’autre concernant la liquidation de compte. À titre subsidiaire, les auteurs considèrent également que l’État partie a commis une violation du paragraphe 1 de l’article 14 parce que, pour eux, le fait d’avoir été condamnés sans preuve suffisante porte également atteinte au principe d’une procédure régulière.
3.2Les auteurs font valoir une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte en raison d’une inégalité de traitement dans l’interrogatoire des experts à charge et des experts à décharge. Le juge a écouté pendant plus d’une heure les experts à charge mais, quand le tour des experts à décharge est venu, il ne les a autorisés qu’à confirmer leur rapport, refusant de laisser l’avocat de la défense interroger librement ses experts. Les deux juridictions supérieures, l’Audiencia Provincial et le Tribunal constitutionnel, ont subordonné le droit de la défense d’interroger les experts à la condition que l’avocat présente par écrit les questions qu’il entendait poser et que ces questions soient pertinentes. Cette condition n’a pas de fondement légal. D’après les auteurs, en concluant que les questions que les avocats de la défense avaient l’intention de poser aux experts à décharge étaient superflues, l’Audiencia Provincial a de fait reconnu qu’il n’y avait pas eu égalité dans l’interrogatoire des experts à décharge.
3.3Les auteurs font également valoir une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte parce que le compte rendu du procès n’était pas littéral et ne faisait donc pas état des restrictions qui avaient été imposées à l’interrogatoire des experts à décharge. Comme il s’agit d’une pratique générale qui s’appuie sur la loi, l’argument n’a pas été avancé devant le Tribunal constitutionnel car il n’avait aucune chance d’aboutir.
3.4Les auteurs estiment aussi que le paragraphe 1 de l’article 14 a été violé parce qu’il existe une disposition de la loi de procédure criminelle qui fait une discrimination entre l’accusation et les défendeurs puisqu’elle permet au procureur de demander à la fin de l’instruction des actes d’instruction supplémentaires, ce qui est refusé aux défendeurs. Cet élément est caractéristique de la procédure pénale abrégée. Faisant usage de cette faculté, le procureur a demandé à titre de mesures complémentaires que soit recueillie la déclaration de l’un des deux auteurs en qualité d’inculpé.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1L’État partie fait valoir que la communication est irrecevable parce qu’elle est incompatible avec les dispositions du Pacte et qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications. D’après lui, la principale plainte des auteurs porte sur l’impossibilité d’interroger ses experts dans laquelle se serait trouvée la défense pendant la procédure orale et les autres sont complémentaires; en outre, les affirmations des auteurs sont en contradiction manifeste avec le compte rendu du procès. Le compte rendu du procès oral est un document où est consigné ce qui s’est passé pendant les audiences et sa teneur est confirmée par le greffier du tribunal qui le vise pour attester que le compte rendu est conforme au déroulement du procès.
4.2En vertu de l’article 788, paragraphe 6, de la loi de procédure criminelle, les comptes rendus doivent décrire la nature des preuves administrées, les incidents et les exceptions ainsi que les décisions rendues. L’État partie indique que les défenseurs des auteurs ont signé le compte rendu sans soulever la moindre objection, ce qui contredit l’assertion des auteurs qui déclarent que l’Audiencia aurait reconnu qu’il y avait eu une inégalité dans l’interrogatoire des experts à décharge. Il ajoute que les rapports des experts proposés par les auteurs ont été versés au dossier et confirmés pendant la procédure orale, et que les auteurs n’ont pas expliqué concrètement, ni devant les juridictions internes ni devant le Comité, quelles précisions supplémentaires ils demandaient. Il indique que le tribunal d’appel a relevé dans son jugement que les auteurs n’avaient pas exposé concrètement les observations ou les éclaircissements qui les intéressaient et que les experts désignés par les auteurs avaient comparu et avaient pu confirmer leurs rapports en apposant leur signature. Le tribunal a indiqué en outre qu’il ressortait de la lecture du compte rendu que la défense avait pu «poser des questions diverses et approfondies et avait donc eu toutes les possibilités de plaider».
4.3L’État partie conclut que l’attaque (sic) portée par les auteurs contre la véracité du compte rendu, sans la moindre preuve, constitue une plainte incompatible avec l’article 14 du Pacte et avec la règle de la publicité de l’audience, qui a été respectée dans le cas des auteurs étant donné que le compte rendu d’audience a été visé par le greffier, qui a ainsi authentifié le document. D’après l’État partie, la plainte des auteurs constitue en outre un abus du droit de présenter des communications, pour les raisons suivantes: elle conteste un document public dans lequel sont consignés de façon digne de foi les faits survenus pendant une audience et qui a été signé sans objection par les défenseurs des auteurs; elle contient des allégations qui n’ont pas été avancées ni prouvées devant les juridictions internes; elle porte sur des faits qui remontent à près de six ans et pour lesquels le Tribunal constitutionnel a rendu un arrêt définitif, en octobre 2000, ce qui fait que la communication a été soumise avec un retard évident.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
5.1D’après les auteurs, il est étrange que l’État partie ait assuré que le compte rendu de l’audience était complet ou littéral et non pas un résumé. Il suffit de regarder le document pour constater qu’il s’agit d’un compte rendu résumé. La possibilité d’établir un compte rendu succinct est expressément prévue par l’article 743 de la loi de procédure criminelle. D’après les auteurs, les observations de l’État partie sont démenties par sa propre législation interne et dénotent l’absence de bonne foi de l’État partie. Ils indiquent que dans le recours en amparoqu’ils ont formé devant le Tribunal constitutionnel, ils ont bien fait valoir que le caractère lacunaire du compte rendu compromettait l’exercice des garanties judiciaires. Ils ajoutent qu’il est discriminatoire que l’établissement d’un compte rendu littéral ne soit pas obligatoire en procédure pénale alors qu’il l’est en procédure civile, conformément à la loi no 1/2000 du 7 janvier 2000. Ils considèrent que l’absence de compte rendu littéral constitue une violation du droit à une procédure régulière consacré au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
5.2Les auteurs ajoutent que, quand le tribunal d’appel relève que les avocats des auteurs n’avaient pas énoncé les observations ou allégations qu’ils souhaitaient faire aux experts pendant l’audience de jugement et que les éclaircissements étaient tout à fait superflus, il reconnaît qu’il y a eu une restriction du droit d’interroger les experts à décharge.
5.3Les auteurs précisent que les quatre experts graphologues − deux pour l’accusation et deux pour la défense − ont été convoqués ensemble par le juge à l’audience de jugement, c’est‑à‑dire que les experts à décharge assistaient à l’interrogatoire des experts de l’accusation. Ils ajoutent que le procureur et l’avocat de la défense avaient commencé à interroger l’un des deux experts à charge, mais que le juge autorisait les experts à décharge à donner leur avis sur les déclarations de l’expert à charge même si ce n’était pas leur tour d’être interrogés. La déclaration des experts à charge a duré environ une heure et quand le tour des experts à décharge est venu, dès qu’ils ont eu confirmé leur rapport et donné quelques brèves précisions, le juge a interrompu l’interrogatoire en faisant valoir qu’il n’y avait plus le temps. Les questions que la défense avait l’intention de poser portaient sur l’objet du débat.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Le Comité prend note du grief des auteurs, qui affirment que la loi de procédure criminelle espagnole donne au procureur la possibilité de demander que soient effectués des actes d’instruction complémentaires après la clôture de l’instruction. En revanche, les auteurs n’ont pas expliqué en quoi, concrètement, le fait que le procureur ait demandé une mesure d’instruction complémentaire après l’instruction leur a porté préjudice. En conséquence, le Comité estime que les auteurs ne peuvent pas se déclarer victimes au sens de l’article premier du Protocole facultatif relativement à ce grief et estime que cette partie des communications présentées par les auteurs est irrecevable conformément à l’article premier du Protocole facultatif.
6.4En ce qui concerne le grief des auteurs qui affirment qu’ils ont été condamnés alors qu’il n’y avait pas contre eux de preuves suffisantes, le Comité renvoie à sa jurisprudence, sachant qu’il appartient en principe aux tribunaux des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, ce qui n’apparaît pas en l’espèce. Le Comité relève que dans la copie du compte rendu d’audience jointe par les auteurs figurent les éléments suivants: déclarations d’un des experts de la défense en réponse aux questions de l’accusation; une section consacrée à des questions posées par la défense à l’un des experts à charge; une autre consacrée aux questions posées par la défense à l’expert désigné par le tribunal et une dernière aux questions posées par la défense à l’un des experts à décharge, avec la réponse. Le Comité constate également, au vu de la copie du jugement rendu en première instance jointe par les auteurs, que les preuves administrées à charge ne consistaient pas uniquement en les résultats des rapports d’expertise graphologique. Le Comité considère par conséquent que les auteurs n’ont pas apporté suffisamment d’éléments pour étayer les autres griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte aux fins de la recevabilité et conclut que les communications sont de plus irrecevables conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité décide:
a)Que les communications sont irrecevables en vertu des articles 1er et 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie, aux auteurs et à leur conseil.
[Adopté en espagnol (version originale), en français et en anglais. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
DD. Communication n o 1333/2004, Calvet Ràfols c. Espagne (Décision adoptée le 25 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Liberto Calvet Ràfols (représenté par un conseil, M. Miquel Nadal Borràs) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
18 décembre 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet: Interdiction de l’emprisonnement pour inexécution d’une obligation contractuelle.
Questions de procédure: Irrecevabilité ratione materiae.
Questions de fond: ---
Articles du Pacte: 11.
Articles du Protocole facultatif: 1er et 3.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1L’auteur de la communication, datée du 18 décembre 2002, est Liberto Calvet Ràfols, de nationalité espagnole, résidant à Vilanova i la Geltrú (province de Barcelone). Il prétend être victime d’une violation par l’Espagne de l’article 11 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, M. Miquel Nadal Borràs.
1.2Le 17 février 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a accédé à la demande de l’État partie qui souhaitait que la question de la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond, conformément à l’article 97, paragraphe 3, du règlement intérieur du Comité.
Exposé des faits
2.1L’auteur a signé avec son épouse une convention de divorce qui a été approuvée par décision judiciaire en février 1990. À la suite de la demande de divorce présentée par l’ex‑épouse de l’auteur, le tribunal de première instance no 4 de Vilanova i la Geltrú a rendu une décision, en date du 7 mars 1992, confiant à la mère la garde de la fille encore mineure du couple et obligeant l’auteur à verser une pension alimentaire de 25 000 pesetas (150,28 euros par mois) à son ex‑épouse. Le 27 octobre 1995, l’ex‑épouse de l’auteur a saisi la chambre d’instruction no 6 de Vilanova i la Geltrú pour réclamer le paiement de mensualités qui restaient dues, trois pour l’année 1993, deux pour l’année 1994 et la totalité des mensualités de l’année 1995.
2.2Le 14 mars 2001, le douzième tribunal pénal de Barcelone a déclaré l’auteur coupable du délit d’abandon de famille défini à l’article 227 du Code pénal et l’a condamné à un emprisonnement de huit fins de semaine et au versement des mensualités arriérées à son ex‑épouse.
2.3L’auteur a fait appel, en arguant notamment que sa condamnation à une peine privative de liberté au motif du non‑paiement d’une dette pécuniaire constituait une violation de l’interdiction de l’emprisonnement pour inexécution d’obligations contractuelles consacrée par l’article 11 du Pacte. Par un arrêt du 5 juillet 2001, l’Audiencia Provincial de Barcelone a confirmé la décision susmentionnée mais a limité les versements à la période comprise entre le mois d’août 1994 et le 27 octobre 1995, date du dépôt de la plainte.
2.4L’auteur a formé un recours en amparo auprès du tribunal constitutionnel, faisant à nouveau valoir que sa condamnation à une peine privative de liberté au motif d’un manquement à une obligation contractuelle constituait une violation de l’article 11 du Pacte. Il a ajouté que l’article 227 du Code pénal constituait en soi une violation de l’article 11 du Pacte. Le tribunal constitutionnel a rejeté les deux arguments, estimant que le versement de la pension alimentaire n’était pas une obligation contractuelle mais une obligation légale et que la sanction visée à l’article 227 du Code pénal n’équivalait pas à un emprisonnement pour dettes mais punissait un comportement constitutif d’une infraction qualifiée par la loi, à savoir le manquement aux devoirs de soutien et d’assistance envers la famille établis par la loi.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que l’interdiction de l’emprisonnement pour inexécution d’obligations contractuelles consacrée à l’article 11 du Pacte n’a pas été respectée dans la mesure où il a été condamné à une peine privative de liberté pour n’avoir pas honoré une dette contractuelle alors que ce non‑paiement était uniquement dû à son manque de ressources et n’était pas intentionnel.
3.2L’auteur fait valoir également que l’article 227 du Code pénal constitue en soi une violation de l’article 11 du Pacte étant donné qu’il prévoit une peine d’emprisonnement pour le défaut de paiement de la pension alimentaire.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et commentaires de l’auteur
4.1L’État partie affirme que la communication est irrecevable en raison de son absence manifeste de fondement au regard de l’article 11 du Pacte, puisque l’auteur a été condamné non pas pour un manquement à une obligation contractuelle mais pour le manquement à l’obligation légale qui lui incombe de pourvoir aux besoins de sa famille. L’État partie ajoute que ce n’est pas parce que l’obligation est énoncée dans un document approuvé par les deux parties qu’elle est pour autant contractuelle puisqu’elle ne résulte pas de l’accord ainsi conclu mais de la disposition légale faisant obligation aux parents de toujours pourvoir aux besoins de leurs enfants et aux conjoints de se prêter mutuellement assistance pendant le mariage et, en cas de dissolution du mariage, lorsque l’un d’eux se trouve démuni. Par conséquent, la condamnation de l’auteur ne se fonde pas sur un contrat mais sur une loi.
4.2En ce qui concerne l’allégation relative à l’incompatibilité de l’article 227 du Code pénal avec l’article 11 du Pacte, l’État partie fait observer que la peine d’emprisonnement prévue par cet article ne sanctionne pas le non‑paiement de dettes mais le fait d’abandonner une famille dans le besoin à son sort; cette disposition ne se fonde donc pas sur un instrument contractuel mais sur une obligation légale.
5.1Dans une lettre datée du 4 avril 2005, l’auteur indique que l’article 227 du Code pénal a été modifié par la loi organique no 15/2003 et qu’en vertu de la nouvelle rédaction de l’article, entrée en vigueur le 1er octobre 2004, la peine d’emprisonnement de huit à 20 fins de semaines qui était prévue auparavant a été remplacée par une peine d’emprisonnement de trois mois à un an ou de 6 à 24 mois − amende.
5.2L’auteur répète que le non‑paiement de la pension alimentaire constitue un manquement à une obligation contractuelle, laquelle résulte de la convention signée par les deux conjoints, c’est‑à‑dire l’accord qu’ils ont conclu au moment de la séparation ou du divorce. Il s’agit donc bien d’une obligation contractuelle, même si elle a été confirmée par une décision judiciaire.
5.3L’auteur conclut que toute obligation contractuelle est une obligation légale dans la mesure où la loi règle l’ensemble des relations juridiques entre les personnes.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Le Comité s’est également assuré, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, que l’auteur avait épuisé tous les recours internes disponibles.
6.4En ce qui concerne le grief de violation de l’article 11 du Pacte au motif que le défaut de paiement de la pension alimentaire a été sanctionné par une peine privative de liberté, le Comité note qu’il ne s’agit pas d’un manquement à une obligation contractuelle mais d’un manquement à une obligation légale définie par l’article 227 du Code pénal espagnol. L’obligation relative au versement de la pension alimentaire trouve sa source dans la loi espagnole et non dans la convention réglant les modalités de la séparation ou du divorce signée par l’auteur et son ex‑épouse. Par conséquent, le Comité estime que la communication est incompatible ratione materiae avec l’article 11 du Pacte et qu’elle est donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
6.5Ayant conclu ce qui précède, le Comité estime qu’il n’a pas à s’interroger dans l’abstrait sur la compatibilité de l’article 227 du Code pénal avec l’article 11 du Pacte. La plainte introduite par l’auteur à cet effet constituant une actio popularis, le Comité la déclare irrecevable conformément à l’article premier du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1er et 3 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
EE. Communication n o 1336/2004, Ho Han Chung c. Australie (Décision adoptée le 25 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
M. Yo Han Chung (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Australie |
Date de la communication: |
8 juin 2003 (date de la lettre initiale) |
Objet: Exclusion de l’Université.
Questions de procédure: Irrecevabilité ratione materiae.
Questions de fond: Droit de faire des études.
Articles du Pacte: 1er, 2, 5, 6, 7, 9, 10, 14, 17, 18, 19, 20, 22, 25 et 26.
Articles du Protocole facultatif: 2 et 3.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication initialement datée du 8 juin 2003 est Yo Han Chung, citoyen coréen né en 1971, qui a émigré en Australie avec sa famille en 1990. Il affirme être victime de violations par l’Australie des articles 1er, 2, 5, 6, 7, 9, 10, 14, 17, 18, 19, 20, 22, 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il n’est pas représenté par un conseil.
Exposé des faits
2.1L’auteur s’est inscrit en première année de sciences appliquées (physiothérapie) à l’Université de Sidney en 1993. Par la suite on a diagnostiqué chez lui une dépression profonde avec troubles anxieux.
2.2En 1999, comme l’auteur rencontrait des difficultés dans ses études, plusieurs entretiens ont eu lieu entre lui et les autorités universitaires pour établir un programme et une charge de travail adaptés à sa santé mentale et son état anxieux. Mais il a eu de mauvais résultats dans certaines matières et s’est plaint des notes qui lui avaient été attribuées à diverses autorités, demandant à consulter ses copies d’examen. Par une lettre datée du 6 mars 2000, il a été informé qu’il avait été exclu du cours de physiothérapie pour deux ans, n’ayant pas fourni de raisons valables justifiant l’octroi d’une autorisation de se réinscrire.
2.3Le 4 septembre 2000, l’auteur a déposé une plainte devant la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances affirmant qu’en l’excluant, l’Université avait exercé une discrimination à son égard fondée sur la race et l’incapacité. Sa plainte a été classée le 20 mars 2001 pour défaut de fondement.
2.4Le 10 avril 2001, l’auteur a intenté une action en vertu de la loi sur la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances de 1986 concernant des plaintes pour discrimination fondée sur la race et l’incapacité devant le tribunal fédéral d’Australie. L’affaire a été renvoyée devant le tribunal fédéral de première instance qui a rejeté sommairement sa demande le 20 septembre 2001, estimant qu’aucun motif sérieux ne justifiait l’engagement d’une action en justice.
2.5Le 3 octobre 2001, l’auteur a demandé l’autorisation de faire appel devant le tribunal fédéral siégeant en formation plénière, autorisation qui lui a été refusée le 21 février 2002. Une demande d’autorisation spéciale de recours devant la High Court a été rejetée le 5 novembre 2002.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme être victime d’une violation des articles 1er, 2, 5, 7, 9, 17, 19 et 25 du Pacte parce que ses résultats à l’épreuve de rééducation cardiopulmonaire (niveau 2) ont été jugés insuffisants par l’Université de Sidney, ce qui lui a causé un «choc psychologique» et parce que les autorités universitaires lui ont envoyé une «lettre de menace» l’informant qu’il ne pourrait pas s’inscrire au cours d’études cliniques (niveau 1A) en 1999, ce qui lui a provoqué «un nouveau choc psychologique».
3.2L’auteur affirme être victime d’une violation des articles 1er, 2, 5, 7, 9, 10 (par. 1), 17, 19 (par. 1), 20 (par. 2), 25 et 26 du Pacte parce que le directeur de l’école n’a pas modifié ses résultats d’examen et l’a exclu de l’école bien qu’il eut été prévenu qu’il risquait de se suicider.
3.3L’auteur invoque également des violations des articles 1er, 2, 5, 7, 9, 10, 14, 17, 18, 19, 25 et 26 du Pacte parce que de faux documents auraient été établis durant l’enquête sur sa plainte auprès de la Commission des droits de l’homme et parce que ses aptitudes linguistiques ont été contrôlées à l’école, ce qui a restreint son droit de décider librement des études et du métier qu’il voudrait faire.
3.4L’auteur affirme être victime d’une violation des articles 1er, 2, 5, 7, 9, 14, 17, 20, 22, 25 et 26 du Pacte parce que la Commission des droits de l’homme, le chef de la police et le Ministre de l’éducation n’ont pas veillé au respect de la loi et à la protection de ses droits de l’homme.
3.5Enfin, l’auteur affirme que les articles 1er, 2, 5, 7, 9, 10 (par. 1), 14 (par. 1 et 6), 17, 19, 20, 25 et 26 ont été violés étant donné que des éléments de preuve ont été falsifiés lors de la procédure devant le tribunal fédéral, que les défendeurs n’ont pas produit les éléments de preuve demandés et que le juge n’a pas «rendu la justice».
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2Le Comité estime que les griefs de l’auteur au titre des articles 1er, 2, 5, 6, 7, 9, 10, 14, 17, 18, 19, 20, 22, 25 et 26 du Pacte n’entrent pas dans le champ d’application de ces dispositions ou n’ont pas été étayés aux fins de la recevabilité. Les griefs de l’auteur sont donc irrecevables au titre des articles 2 et 3 du Protocole facultatif.
5.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
FF. Communication n o 1356/2005, Parra Corral c. Espagne (Décision adoptée le 29 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
M. Antonio Parra Corral (représenté par un conseil, Mme Encarnación Caballero Oliver) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
12 décembre 2004 (date de la lettre initiale) |
Objet: Portée de l’examen en appel par les juridictions espagnoles.
Questions de procédure: Non‑épuisement des recours internes, défaut de fondement des griefs.
Questions de fond: Droit au réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par une juridiction supérieure conformément à la loi.
Articles du Pacte: 14 (par. 5) et 26.
Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 29 mars 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication datée du 12 décembre 2004 est Antonio Parra Corral, de nationalité espagnole, né en 1945. Il se dit victime de violations par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil (Mme Encarnación Caballero Oliver).
Exposé des faits
2.1Le 9 décembre 2001, la deuxième chambre du tribunal provincial d’Almería (Audiencia Provincial) a condamné l’auteur à sept ans et demi d’emprisonnement pour destruction de biens, tentative d’homicide et fabrication illégale d’explosifs, et à un an d’emprisonnement pour menaces continues.
2.2L’auteur a interjeté appel de la décision devant le Tribunal suprême (Tribunal Supremo) en faisant valoir des violations des garanties de procédure et de droits substantiels. Le 12 décembre 2002, le Tribunal suprême a déclaré l’appel irrecevable. L’auteur a alors engagé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel (Tribunal Constitucional), qui l’a rejeté le 20 octobre 2004.
Teneur de la plainte
3.1La plainte de l’auteur concerne essentiellement le droit à un recours effectif contre une déclaration de culpabilité et une condamnation. L’auteur fait valoir que la loi de procédure pénale espagnole (Ley de Enjuiciamiento Criminal) viole le paragraphe 5 de l’article 14 et l’article 26 du Pacte dans la mesure où les affaires dans lesquelles les prévenus sont accusés des infractions les plus graves sont instruites par un juge unique (Juzgado de Instrucción) qui dirige toute l’instruction et renvoie l’affaire, lorsqu’elle est en état d’être jugée, au tribunal provincial (Audiencia Provincial), où un collège de trois juges conduit le procès et statue sur l’affaire. Leur décision ne peut donner lieu à un contrôle juridictionnel que dans un nombre très limité de cas. Toutes les décisions sur les éléments de fait prises par les juridictions inférieures étant définitives, le Tribunal suprême n’a pas la possibilité de réexaminer les éléments de preuve. En revanche, les affaires concernant des infractions moins graves, dans lesquelles les condamnés encourent des peines de prison de moins de six ans, sont instruites par un juge unique (Juzgado de Instrucción) qui renvoie l’affaire, lorsqu’elle est en état d’être jugée, à un juge ad quo unique (Juzgado de lo Penal), dont la décision peut être contestée devant le tribunal provincial (Audiencia Provincial), procédure qui assure un contrôle effectif non seulement de l’application du droit, mais également de la qualification des faits.
3.2Selon l’auteur, le Tribunal suprême ne procédant pas à une nouvelle appréciation des éléments de preuve, le système judiciaire espagnol ne garantit pas le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation conformément à la loi (par. 5 de l’article 14 du Pacte). Il soutient que le Tribunal suprême a rejeté son recours pour des motifs formels et procéduraux, sans avoir réexaminé les éléments de preuve établis par la juridiction inférieure. Dans son arrêt, le Tribunal constitutionnel a indiqué qu’il n’était pas compétent pour apprécier les éléments de preuve établis par la juridiction de jugement, ou pour contrôler les conclusions du Tribunal suprême.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle le principe d’épuisement des recours internes, qui permet à l’État partie de réparer une violation alléguée avant que la même question ne soit soumise au Comité, oblige l’auteur à soulever devant les juridictions internes les questions de fond présentées au Comité. L’auteur n’ayant pas avancé au fond, devant les juridictions internes, le grief de violation du principe de non-discrimination (par. 5 de l’article 14, lu conjointement avec l’article 26 du Pacte), le Comité estime que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
4.3Le Comité observe que l’autre aspect de l’allégation concernant le paragraphe 5 de l’article 14 − le fait que les juridictions espagnoles ne procèdent pas à une nouvelle appréciation des éléments de preuve − est contredit par les arrêts du Tribunal suprême et du Tribunal constitutionnel en l’espèce. Ces deux juridictions ont examiné de façon approfondie l’allégation de l’auteur selon laquelle les éléments de preuve indirects étaient insuffisants pour le condamner et elles l’ont rejetée, en mettant en avant de nombreux arguments qui permettent de conclure que les éléments de preuve, bien qu’indirects, étaient suffisants pour justifier la condamnation de l’auteur. En l’espèce, le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé sa plainte au titre du paragraphe 5 de l’article 14, et conclut que cette partie de la communication est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.
5.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
GG. Communication n o 1357/2005, A. K. c. Fédération de Russie (Décision adoptée le 29 mars 2005, quatre-vingt-troisième session)
Présentée par: |
A. K. (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Fédération de Russie |
Date de la communication: |
7 août 2004 (date de la lettre initiale) |
Objet: Réexamen présumé inéquitable d’un diagnostic psychiatrique.
Questions de fond: Recevabilité.
Articles du Pacte: 14 (par. 1) et 26.
Articles du Protocole facultatif: 5 (par. 2 a)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 29 mars 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est M. A. K., de nationalité russe, né en 1960, résidant en Fédération de Russie. Il se déclare victime de violations par la Fédération de Russie du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 3 de l’article 2. Il n’est pas représenté par un conseil.
Exposé des faits
2.1En 1979, un psychiatre a établi que l’auteur souffrait d’une schizophrénie. Le 11 septembre 1989, la Commission supérieure de psychiatrie de la Fédération de Russie lui a fait passer un examen psychiatrique en vue de réévaluer son état. Selon l’auteur, la psychiatre qui l’a examiné a conclu qu’il souffrait de «psychose aiguë de type schizophrénique» plutôt que de réelle schizophrénie, et a déclaré qu’elle officialiserait ce nouveau diagnostic sitôt qu’elle aurait reçu les documents nécessaires sur les antécédents psychiatriques du patient. Cependant, dans son rapport officiel en date du 8 janvier 1990, la psychiatre a conclu qu’il n’y avait en fait pas de raison de modifier le diagnostic de 1979.
2.2L’auteur a contesté cette décision auprès du tribunal de l’arrondissement de Preobrazhenski. Il a fait valoir que la psychiatre disposait de tous les documents médicaux utiles au moment de l’examen psychiatrique, et que son diagnostic établissant qu’il ne souffrait pas de réelle schizophrénie mais de «psychose aiguë de type schizophrénique», qui est une affection moins grave, faisait autorité. Selon l’auteur, la psychiatre a par la suite modifié illégalement ses observations, sans se fonder sur des éléments de preuve, et a conclu à tort qu’il souffrait de schizophrénie.
2.3Le 20 septembre 1994, le tribunal a conclu que la psychiatre avait agi en conformité avec ses attributions et qu’il n’y avait pas de motif de revoir sa décision. Il a jugé convaincantes ses explications, à savoir qu’elle avait émis un avis provisoire sur l’état de l’auteur à l’issue de l’examen et qu’elle avait attendu de recevoir le dossier psychiatrique du patient pour tirer ses conclusions finales. Une fois en possession des documents, elle avait conclu qu’il n’y avait en fait pas de raison de modifier le diagnostic initial.
2.4L’auteur a saisi le tribunal municipal de Moscou, qui l’a débouté de son appel le 6 décembre 1994; les recours qu’il a ensuite formés devant la Cour suprême de la Fédération de Russie ont été rejetés le 31 octobre 1995 et le 13 mars 1997 respectivement.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que la demande qu’il a introduite au sujet du diagnostic le concernant n’a pas fait l’objet d’une procédure équitable et impartiale, et que le tribunal a examiné de manière arbitraire les éléments de preuve relatifs aux faits en cause, ce qui s’est traduit par un déni de justice, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. L’auteur affirme également qu’il n’a pas eu accès à un recours utile pour demander réparation de la violation de ses droits reconnus par le Pacte, ce qui va à l’encontre du paragraphe 3 de l’article 2.
Délibérations du Comité
4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
4.3Le Comité relève que les allégations formulées dans la communication de l’auteur concernent fondamentalement l’appréciation des faits et des éléments de preuve au cours des procédures engagées devant les juridictions de l’État partie. Il renvoie à sa jurisprudence et fait observer qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties de réexaminer ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve, ou d’examiner l’interprétation que donnent du droit interne les juridictions nationales, à moins qu’il ne soit établi que la conduite du procès, l’appréciation des faits et éléments de preuve ou l’interprétation de la loi ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que la conduite de la procédure judiciaire concernant l’auteur ait été entachée de telles irrégularités. En conséquence, le Comité estime que les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte sont irrecevables conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.
5.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
HH. Communication n o 1371/2005, Mariategui et consorts c. Argentine (Décision adoptée le 26 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Eduardo Mariategui, Mirta Honorina Mattiusi de Mariategui, Francisco José Mariategui et Alicia Beatriz Fernández de Mariategui (non représentés par un conseil) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Argentine |
Date de la communication: |
17 juillet 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet: Non‑réparation présumée des préjudices causés aux propriétaires d’une entreprise du fait d’une violation présumée de contrats relatifs à des travaux publics.
Questions de procédure: Incapacité de l’auteur de présenter une communication concernant les droits d’une entreprise; recours internes formés ou exercés par une entreprise.
Questions de fond: Droit à un traitement égal devant les tribunaux, droit d’avoir accès aux tribunaux, droit à ce qu’une cause soit entendue sans retard excessif.
Articles du Pacte: 14 (par. 1) et 26.
Articles du Protocole facultatif: 1er et 5 (par. 2 b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.Les auteurs de la communication datée du 17 juillet 2002 sont Eduardo Mariategui, Mirta Honorina Mattiusi de Mariategui, Francisco José Mariategui et Alicia Beatriz Fernández de Mariategui, tous de nationalité argentine. Ils affirment être victimes de violations par l’Argentine des paragraphes 2 et 3 de l’article 2, et des articles 14 et 26 du Pacte. Ils ne sont pas représentés par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Argentine le 8 novembre 1986.
Exposé des faits
2.1Les auteurs sont propriétaires de l’entreprise «Mariategui Sociedad Anónima Comercial Industrial Minera Agropecuaria Constructora» (ci‑après dénommée l’entreprise), qui est une société à responsabilité limitée créée en 1976 et le successeur légal de «Mariategui Usandizaga S.A.C.I.M.A.C.», autre société à responsabilité limitée créée par les premier et deuxième auteurs en 1970. L’entreprise a participé à des appels d’offres publics et remporté un contrat de travaux publics pour des administrations provinciales en Argentine. Les auteurs affirment que cela fait 35 ans que ces administrations et le Gouvernement national ne respectent pas les contrats signés et doivent à l’entreprise un montant de 1 727 883 277 388 410 000 000 (!) dollars des États‑Unis. Ils disent être les principaux créanciers privés de l’État argentin.
2.2Travaux publics pour la province de Neuquén, prétendument financés par le Fonds national pour le logement: Le contrat pour l’exécution de ces travaux publics a été signé en mars 1976. Les coûts de construction auraient augmenté de manière disproportionnée mais l’entreprise a tout de même achevé les travaux en février 1977. Les autorités de la province de Neuquén ont délivré un certificat provisoire de réception des travaux le 9 février 1977 puis un certificat définitif le 17 mai 1982. En novembre 1985, l’entreprise a déposé une plainte administrative auprès du Gouverneur de la province de Neuquén. En avril 1986, elle a intenté une action devant le Tribunal arbitral institué en vertu de la loi no12.910. Le 26 septembre 1987, le Tribunal arbitral (Tribunal Arbitral de Obras Públicas) a jugé qu’il n’avait pas compétence pour connaître de la plainte. Le 28 décembre 1990, l’entreprise a déposé une plainte séparée auprès de la Cour suprême de justice de la nation (Corte Suprema de Justicia de la Nación) qui, en juin 1992, a estimé qu’elle n’était pas compétente et que l’entreprise aurait dû saisir les tribunaux locaux stipulés dans le contrat. En mai 1993, l’entreprise a porté plainte contre l’État argentin et la province de Neuquén devant la Haute Cour de la province de Neuquén. Le 12 juillet 1994, la Haute Cour a décidé qu’elle n’était pas compétente pour juger l’affaire. Le 3 février 1995, la même Cour a déclaré recevable le recours présenté par l’entreprise contre la décision du 12 juillet 1994. Ce recours a été rejeté par la Cour suprême de justice au motif que le plaignant n’avait pas porté l’affaire devant le tribunal administratif de première instance. Le 4 juillet 1996, soit deux ans plus tard, l’entreprise a déposé plainte auprès du tribunal administratif de première instance. En décembre 1997, ce dernier a déclaré qu’il n’avait pas compétence pour connaître de l’affaire et a renvoyé celle‑ci à la Cour suprême. Les auteurs soutiennent que la Cour suprême de justice «n’a pas touché» à leur plainte de 1997 à la date de la présentation de leur plainte au Comité.
2.3Gare routière de Piedra de Aguila (province de Neuquén): Un contrat a été signé le 13 février 1976 entre la province de Neuquén et l’entreprise Mariategui & Usandizaga S.A.C.I.M.A.C. Les travaux de construction, financés par le Fonds national pour les transports, se sont achevés en septembre 1977. Jugeant que les coûts d’exécution des travaux avaient augmenté de manière disproportionnée, l’entreprise a, le 7 octobre 1988, déposé une plainte administrative contre la province de Neuquén, qui a été rejetée en 1989 pour dépassement des délais. En juin 1992, l’entreprise a déposé une autre plainte auprès de la Cour suprême de justice de la nation contre le Gouvernement national et celui de la province de Neuquén. Par une décision datée du 24 septembre 1998, la Cour suprême de justice a rejeté l’action intentée contre le Gouvernement national en l’absence d’éléments de preuve suffisants quant à la participation du Gouvernement national à l’allocation des fonds entre le Fonds national pour les transports et la province de Neuquén. La Cour a également estimé qu’elle n’avait pas compétence pour connaître de la plainte contre la province au motif que, d’après les termes du contrat, ce sont les tribunaux ordinaires de la province qui ont compétence.
2.4Extension du central téléphonique de General Roca dans la province de Río Negro pour l’entreprise nationale argentine des télécommunications (ENTEL):Le contrat a été signé le 12 septembre 1977 entre ENTEL et Mariategui & Usandizaga S.A.C.I.M.A.C., et les travaux ont pris fin en novembre 1980. Parce que ENTEL n’aurait pas respecté les termes du contrat, l’entreprise a déposé une plainte administrative contre cette société, en 1987, qui a été rejetée en mai 1988. Le 25 septembre 1989, l’entreprise a porté plainte devant le tribunal administratif de première instance. Alors que la procédure était en cours, ENTEL a été privatisée. Le 26 mars 1991, l’entreprise a déposé une requête en vue d’associer les acquéreurs d’ENTEL à la procédure. Ces derniers (Telefónica Argentina et France Télécom SA) ont déposé des requêtes pour s’en dissocier. Les requêtes ont finalement fait l’objet de décisions en octobre 1995 et mars 1996, respectivement. Apparemment, la procédure contre les acquéreurs d’ENTEL se poursuit.
2.5Travaux de revêtement routier dans la municipalité de Mercedes: Le contrat a été conclu entre la municipalité et les premier et deuxième auteurs en 1969. En 1970, le premier auteur a déposé une plainte administrative contre la municipalité de Mercedes auprès de la Cour suprême de la province de Buenos Aires (Suprema Corte de Justicia de la Provincia de Buenos Aires). Le 4 octobre 1977, la Cour s’est prononcée en faveur du plaignant, a condamné l’accusé à verser un montant correspondant à la vraie valeur des travaux effectués et a décidé que le plaignant devait liquider sa dette. Le 20 décembre 1977, la Cour suprême de la province de Buenos Aires a approuvé la liquidation de la dette faite par le plaignant et fixé à 160 millions de pesos argentins le montant que le défendeur devait verser. Elle a également demandé au plaignant de calculer les intérêts de la dette. Le 28 février 1978, elle a ordonné au défendeur de verser 346 511 355 pesos argentins. Cependant, le 28 mars 1978, la Cour a décidé de son propre chef d’annuler la précédente liquidation et ordonné de procéder à une nouvelle liquidation. Le 18 avril 1978, le plaignant et le défendeur ont toutefois réglé leur différend en signant un accord extrajudiciaire, en vertu duquel l’accusé s’engageait à verser un montant de 300 000 000 pesos argentins au plaignant, versement qui a été effectué le 28 avril 1978. Le 4 juin 1978, la Cour suprême de la province de Buenos Aires a approuvé l’accord conclu par les parties. Le 29 juin 1995, le premier auteur a déposé une requête auprès de la Cour suprême de justice de la nation contre le Gouvernement national, le Gouvernement de la province de Buenos Aires et la municipalité de Mercedes, en vue d’obtenir la réparation des dommages qu’il aurait subis du fait de la décision de la Cour suprême de la province de Buenos Aires, qui aurait commis plusieurs erreurs dans son arrêt du 4 octobre 1977 et ultérieurement lors du processus de liquidation de la dette. Le 15 avril 1996, le plaignant et sa femme ont transféré leurs droits au procès à la société Mariategui S.A.C.I.M.A.C. Le 14 octobre 1999, la Cour suprême a rejeté la plainte, estimant qu’elle n’avait pas été déposée dans les délais fixés.
2.6Les auteurs ajoutent qu’une plainte similaire à celle soumise au Comité a été présentée en mars 1998 à la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Le 21 octobre 1999, la Commission a informé les auteurs que leur plainte était irrecevable ratione personae, la Commission ne pouvant examiner des décisions judiciaires dans lesquelles la victime présumée n’était pas une personne mais une entreprise. La Commission a ajouté que les recours internes avaient été épuisés par l’entreprise et non par les auteurs eux‑mêmes. Les auteurs ont demandé à la Commission de revoir sa décision mais celle‑ci a refusé. Les auteurs disent avoir appris par la suite que l’ancien Secrétaire exécutif et un ancien membre de la Commission avaient «fait obstacle» à l’examen de leur plainte. Ils ont porté plainte pour corruption auprès de l’Assemblée générale de l’Organisation des États américains (OEA), qui n’a pas donné suite à l’affaire.
2.7Le 4 juillet 2003, le secrétariat du Comité des droits de l’homme a adressé une lettre aux auteurs, leur expliquant que le Comité ne pouvait examiner leur plainte car il ne lui appartenait pas en principe d’apprécier les faits et les éléments de preuve évalués par les juridictions nationales mais seulement d’examiner les plaintes émanant de particuliers.
2.8Dans une lettre datée du 3 février 2004, les auteurs ont indiqué que le 13 juillet 2003, ils avaient porté plainte contre l’Argentine devant la Cour pénale internationale pour crime contre l’humanité commis à leur encontre. La plainte visait également les autres États membres de l’OEA pour conspiration avec l’Argentine. Les auteurs ont déposé des plaintes analogues auprès de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de la Banque interaméricaine de développement.
2.9Dans une lettre datée du 17 mars 2004, les auteurs affirment que l’Argentine continue de faire preuve de mauvaise foi. Ils expliquent que le Président de la République avait assuré au FMI que le Gouvernement argentin procéderait à des négociations avec ses créanciers privés du 22 mars 2004 au 16 avril 2004, mais qu’ils ne croyaient guère à cette promesse.
2.10Le 21 mai 2004, les auteurs ont informé le Comité qu’ils considéraient que la lettre type du secrétariat en date du 4 juillet 2003 était nulle et non avenue en raison de vices de forme et de fond. Selon eux, son contenu était contraire à la Déclaration universelle des droits de l’homme et au Pacte.
2.11Dans une lettre datée du 1er novembre 2004, les auteurs indiquent que les autorités argentines avaient approuvé le décret administratif sur la restructuration de la dette nationale des créanciers privés, et qu’ils avaient attaqué ce décret qu’ils jugeaient inconstitutionnel et illégal. Ils avaient tenté en vain d’obtenir un entretien avec le Président de la République et la Cour suprême de justice avait de nouveau estimé qu’elle n’avait pas compétence en l’espèce.
2.12Dans des lettres datées des 4 mai, 27 mai et 4 novembre 2004, le secrétariat du Comité a rappelé aux auteurs que le Comité ne pouvait examiner leur plainte initiale du mois de juillet 2002 ainsi que leurs requêtes ultérieures. Les auteurs ont répondu qu’ils considéraient ces lettres comme nulles et non avenues en raison de vices de forme et de fond.
2.13Dans une lettre datée du 14 janvier 2005, les auteurs ont indiqué que, le 10 décembre 2004, le Gouvernement argentin avait adopté un décret proposant à ses créanciers privés une alternative pour résoudre le problème de la dette interne. Ce décret a été publié le 17 janvier 2005 et les créanciers disposaient de 39 jours pour l’accepter ou le refuser. Les auteurs affirment que le décret est nul et non avenu d’un point de vue constitutionnel.
2.14Le 31 janvier 2005, les auteurs ont adressé une lettre au Président du Comité en insistant pour que leur affaire soit «examinée dans les meilleurs délais». Dans une lettre datée du même jour adressée au Secrétaire général de l’ONU, les auteurs se plaignent de «graves irrégularités» dans le traitement de leur affaire par le secrétariat du Comité.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs affirment que l’État partie a violé leur droit d’être traités sur un pied d’égalité et leur droit à la propriété en ne respectant pas ses obligations contractuelles. Ils se déclarent également victimes d’un déni de justice car cela fait plus de 30 ans qu’ils ont engagé des procédures auprès des juridictions nationales sans avoir obtenu aucune réparation. Selon eux, la violation des droits de leur entreprise constitue simultanément une violation de leurs droits individuels. Les actes et les omissions de l’État partie constitueraient des violations des articles 2, 14 et 26 du Pacte.
3.2Les auteurs demandent au Comité d’intervenir comme médiateur entre le Gouvernement argentin et eux. À cet effet, ils ont présenté un projet de «transaction». Cette offre était ouverte au Gouvernement argentin jusqu’au 13 avril 2005.
3.3Les auteurs demandent au Comité de leur accorder des mesures provisoires de protection contre l’Argentine, en ordonnant à l’État partie de suspendre le processus de restructuration de la dette interne en attendant que la proposition «devienne légale». Ils lui demandent également de leur fournir «du personnel de police aux fins de la prévention du délit», parce que cela fait plus de 34 ans qu’ils sont victimes d’un déni de justice.
Délibérations du Comité
4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
4.3Le Comité note que les auteurs affirment être victimes de violations de leurs droits en vertu des articles 2, 14 et 26, en raison de la non‑réparation présumée par l’État partie des préjudices qu’ils auraient subis en tant que propriétaires de l’entreprise Mariategui S.A.C.I.M.A.C., du fait d’une violation présumée de quatre contrats relatifs à des travaux publics pour lesquels l’entreprise était le principal créancier ou cessionnaire du créancier. Toutefois, le Comité estime que les auteurs revendiquent essentiellement des droits qui seraient des droits propres à une société privée, dotée d’une personnalité juridique entièrement distincte, et non à des particuliers. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle dans une situation comme celle‑ci, les auteurs ne sont pas fondés à invoquer l’article premier du Protocole facultatif. Il conclut que la communication est irrecevable ratione personae en vertu de cet article.
4.4En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
II . Communication n o 1379/2005, Queenan c. Canada (Décision adoptée le 26 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Peter Michael Queenan (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
Enfants canadiens à naître |
État partie: |
Canada |
Date de la communication: |
11 novembre 2004 (date de la lettre initiale) |
Objet: Avortement.
Questions de procédure: actio popularis.
Questions de fond: Reconnaissance de la personnalité juridique, discrimination fondée sur la naissance, égalité devant la loi, droit à la vie, traitement inhumain.
Articles du Pacte: 16, 26, 6 et 7.
Articles du Protocole facultatif: 1er.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication, datée du 11 novembre 2004, est Peter Michael Queenan, de nationalité canadienne et sud‑africaine, né en 1957 en Afrique du Sud et résidant au Canada. Il présente la communication au nom des enfants canadiens à naître et affirme que ceux‑ci sont victimes de violations par le Canada des articles 16, 26, 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci‑après le Pacte). Il n’est pas représenté par un conseil.
Exposé des faits
2.1L’auteur, en tant que citoyen canadien, soumet la communication au nom des enfants canadiens à naître, au motif que ceux‑ci sont dans l’incapacité de le faire eux‑mêmes. Selon lui, la pratique de l’avortement est ouvertement facilitée et soutenue par l’État partie. Il affirme que cette pratique découle du fait que les enfants à naître ne bénéficient d’aucune protection juridique et que l’État ne reconnaît pas leur droit à la vie.
2.2L’auteur joint le texte de l’article 223 (part. VIII) du Code criminel canadien, qui dispose qu’un enfant devient un être humain à sa naissance, et affirme qu’il est donc possible de tuer librement un enfant dès lors que celui‑ci n’est pas sorti du sein de sa mère.
2.3L’auteur soumet également des statistiques pour la période 1987‑2001, publiées par Statistique Canada sur le site officiel du Gouvernement canadien, et souligne qu’environ 100 000 vies sont supprimées chaque année dans l’État partie par des médecins.
2.4L’auteur fait observer que la question de l’avortement, tout en étant d’ordre social et moral, concerne aussi les droits de l’homme et touche à la fois la mère et l’enfant, qui devraient avoir les mêmes droits fondamentaux. Il affirme en outre qu’une opinion publique favorable ne saurait prévaloir sur les considérations relatives aux droits de l’homme et que le fait qu’il existe actuellement un consensus selon lequel l’avortement est considéré comme acceptable ne rend pas cette pratique tolérable pour autant. Il ajoute que des sondages dans l’État partie montrent que la plupart des Canadiens souhaitent que les femmes puissent choisir librement d’avorter, mais que la question des droits de l’homme dépasse l’enjeu de ces sondages et que les victimes ne font pas partie de l’échantillon de personnes interrogées.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur invoque une violation de l’article 16 du Pacte dans la mesure où l’État partie ne reconnaît pas les enfants à naître comme des personnes au regard de la loi, le paragraphe 1 de l’article 223 du Code criminel limitant la définition de l’être humain à l’enfant après sa naissance.
3.2L’auteur affirme que les enfants à naître sont victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte, étant donné que l’État partie ne les traite pas comme des personnes égales devant la loi et ne garantit pas leur protection juridique. Il fait observer que l’article 26 du Pacte vise par essence à empêcher toute forme de discrimination contre tout être humain, sans distinction d’aucune sorte, fondée notamment sur la «naissance ou toute autre situation», et couvre l’humanité entière, ainsi qu’il ressort de l’emploi de termes tels que «toutes les personnes», «chacun», «tous les membres de la famille humaine», «les êtres humains» et «tous les individus». L’auteur est d’avis que la seule définition des termes «humain» ou «personne» qui ne soit pas discriminatoire est celle qui inclut tous les êtres vivants appartenant à l’espèce humaine et qu’il est impossible de fixer une limite au‑delà de laquelle un embryon devient un être humain doté de droits.
3.3L’auteur affirme également que l’État partie a violé l’article 6 du Pacte en légalisant, facilitant et finançant le processus par lequel la vie d’un être humain à naître peut être supprimée. Il souligne que l’article 6 du Pacte protège le droit à la vie de la «personne humaine» et que le paragraphe 2 de l’article 223 du Code criminel, qui ne reconnaît pas l’homicide contre les enfants à naître, ne protège pas le droit à la vie de ces derniers. L’auteur renvoie en particulier au paragraphe 5 de l’article 6, qui dispose qu’une sentence de mort ne peut être exécutée contre des femmes enceintes. Il ajoute que la Convention relative aux droits de l’enfant, qui a été ratifiée par l’État partie et qui définit l’enfant comme «tout être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable», ne mentionne aucune limite d’âge inférieure, correspondant par exemple à la naissance. Le préambule de ladite Convention cite la Déclaration des droits de l’enfant, selon laquelle «l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance». L’auteur affirme que le Pacte ne saurait être en contradiction avec la Convention relative aux droits de l’enfant ni être plus discriminatoire à l’égard des enfants que celle‑ci.
3.4Enfin, l’auteur invoque une violation de l’article 7 du Pacte étant donné que l’État partie autorise l’avortement, qu’il définit comme une pratique cruelle et inhumaine. Il souligne que les procédures d’avortement ne sont pas réglementées par l’État.
3.5En ce qui concerne la règle de l’épuisement des recours internes, l’auteur affirme que ces recours sont inefficaces, de nombreuses démarches ayant été faites au cours des 30 dernières années pour faire reconnaître les droits des enfants à naître au Canada. Il considère en outre que l’État partie a déjà eu l’occasion de se pencher sur cette question et n’a jamais manifesté le moindre intérêt pour celle‑ci. Un appel tendant à garantir le droit à la vie et à une protection juridique des enfants à naître a été interjeté devant la Cour suprême et rejeté en mars 1989. Bien que des requêtes soient régulièrement présentées à l’État, aucune mesure n’a été prise pour reconnaître le droit à la vie des êtres humains encore à naître. Ces dernières années, deux propositions de loi sur la reconnaissance des droits des enfants à naître ont été soumises au Parlement, qui les a rejetées.
3.6L’auteur indique que la communication n’a été soumise à aucune autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
3.7Dans une lettre supplémentaire datée du 22 avril 2005, l’auteur affirme que sa requête ne constitue pas une actio popularis, étant donné que les victimes sont dans l’incapacité de présenter elles‑mêmes la communication. Il estime que tout citoyen d’un État partie devrait avoir le droit de saisir le Comité pour dénoncer les violations flagrantes commises par cet État. Le fait de limiter ce droit aux personnes directement concernées, à leurs proches ou à des personnes ayant un lien étroit avec elles revient selon lui à permettre à l’État de commettre des injustices dans la mesure où rien n’empêche celui‑ci de restreindre les contacts ou les liens avec les victimes. C’est pourquoi l’auteur considère qu’il est fondé, en tant que citoyen de l’État partie, à représenter les victimes dans sa communication.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2Le Comité note que l’auteur n’affirme pas être victime des violations alléguées du Pacte par l’État partie mais indique soumettre cette communication au nom des enfants à naître dans l’État partie en général. Il note que conformément à l’article premier du Protocole facultatif, les communications doivent émaner de «particuliers» qui affirment que «l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte» a été violé. Il considère qu’en l’absence de plaignants pouvant être identifiés individuellement, la communication de l’auteur équivaut à une actio popularis et est de ce fait irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.
5.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
APPENDICE
Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood
Conformément à la procédure de plainte prévue par le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l’homme est habilité à recevoir des communications émanant de particuliers qui sont victimes de violations du Pacte résultant de l’action de l’État. Cependant, même dans des circonstances impérieuses, il ne peut, conformément à ses règles de procédure, rendre un jugement déclaratoire ni recevoir des requêtes présentées au nom d’une classe générale d’individus.
Contrairement à d’autres procédures relatives aux droits de l’homme, de telles requêtes sont considérées comme des actio popularis qui ne relèvent pas du champ d’application limité du Protocole facultatif. Voir Manfred Nowak, U.N. Covenant on Civil and Political Rights: CCPR Commentary (2e édition révisée, 2005), pages 829 à 837.
Dans la requête en question, qu’il présente contre le Canada au nom des enfants canadiens à naître, l’auteur, Peter Queenan, fait état de violations du droit à la vie qu’énonce l’article 6 du Pacte résultant du financement de l’avortement par l’État, ainsi que d’autres violations. Le Comité a conclu qu’il n’est pas compétent pour examiner cette plainte car elle revêt la forme d’une action générale présentée au nom d’une classe entière d’individus. Cette règle de procédure ne préjuge d’aucune des questions d’ordre moral ou juridique que l’auteur de la requête pourrait souhaiter soulever.
(Signé) Ruth Wedgwood
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
JJ. Communication n o 1389/2005, Bertelli Gálvez c. Espagne (Décision adoptée le 25 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
Luis Bertelli Gálvez (représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
2 décembre 2004 |
Objet: Portée de l’examen en appel par les juridictions espagnoles de la procédure pénale à l’encontre du plaignant.
Questions de procédure: Non-épuisement des recours internes, défaut de fondement des réclamations.
Questions de fond: Droit à un traitement égal devant les tribunaux et les cours de justice, droit au réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par une juridiction supérieure conformément à la loi et interdiction des atteintes illégales à l’honneur et à la réputation.
Articles du Pacte: 14 (par. 1 et 5) et 17.
Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 a) et b)).
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication datée du 2 décembre 2004 est Luis Bertelli Gálvez, avocat de nationalité espagnole né en 1949. Il est représenté par un conseil. Il affirme être victime de violations par l’Espagne des paragraphes 1 et 5 de l’article 14 et de l’article 17 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985.
Exposé des faits
2.1En 1984, l’auteur était semble-t-il un avocat très respecté à Malaga. Il était connu pour avoir dénoncé des irrégularités apparemment commises par des juges locaux. Le 18 mai 1984, un certain M. Bohsali, accompagné d’un policier, s’était présenté à son bureau. M. Bohsali avait fait l’objet d’enquêtes d’Interpol dans cinq pays et cinq procédures pénales contre lui étaient en cours devant les tribunaux espagnols. L’auteur a décidé d’assurer la défense de M. Bohsali, qui lui a réglé une partie de ses honoraires à l’avance. Alors que l’auteur se trouvait aux Canaries, où son client avait été inculpé, M. Bohsali a été arrêté à Séville, puis relâché. Selon l’auteur, la police a fait croire à M. Bohsali qu’il n’avait rien fait pour lui et l’avait trompé. M. Bohsali aurait alors poursuivi l’auteur pour escroquerie.
2.2Les poursuites entamées contre l’auteur auraient été menées par un juge qui était partial à son égard. Il a été inculpé par la première chambre du tribunal provincial de Malaga (Sección Primera de la Audiencia Provincial de Malaga). L’auteur a déposé une plainte pénale contre les juges, qui l’avaient inculpé, devant le Tribunal suprême au motif qu’ils auraient commis une infraction en rendant une décision manifestement inique à son encontre. Il a été débouté par le Tribunal suprême. En décembre 1985, la première chambre du tribunal provincial de Malaga, qui aurait été composée des mêmes juges que ceux qui l’avaient inculpé, l’a condamné pour escroquerie. L’auteur indique que le jugement l’a présenté publiquement comme un escroc, un avocat qui, bien qu’ayant été payé à l’avance par son client, n’avait rien fait pour le défendre.
2.3Le 13 décembre 1985, l’auteur a interjeté appel devant le Tribunal suprême parce qu’il estimait que le tribunal provincial n’avait pas tenu compte de preuves qu’il lui avait apportées attestant qu’il avait dûment accompli son devoir d’avocat. En novembre 1998, le Tribunal suprême l’a débouté, statuant qu’il ne lui appartenait pas d’apprécier les preuves dans cette affaire. Alors que cette procédure d’appel était encore en instance, le Tribunal constitutionnel a rendu un arrêt dans lequel il statuait qu’un juge ayant inculpé une personne ne pouvait ensuite participer au procès de cette personne. Le Tribunal suprême n’aurait fait aucun cas de cette décision dans l’affaire concernant l’auteur.
2.4L’auteur a ensuite formé un recours devant le Tribunal constitutionnel, alléguant qu’il avait été jugé par des magistrats partiaux qui l’avaient condamné en dépit du fait qu’il les avait accusés d’avoir rendu une décision inique à son égard. Il a également fait valoir que les conditions dans lesquelles s’était déroulé son appel (recours en cassation) étaient contraires aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et qu’il avait été condamné en violation du principe de présomption d’innocence. Le 19 juin 1989, le Tribunal constitutionnel l’a débouté, considérant que l’accusation portée contre les juges n’était pas un motif suffisant pour les récuser dans la mesure où elle avait été formulée après l’engagement des poursuites contre l’auteur. Le Tribunal a également statué que la procédure d’appel (de recours en cassation) était conforme aux dispositions du Pacte.
2.5L’auteur a formé un recours devant la Commission européenne des droits de l’homme au motif qu’il avait été jugé par des juges qui n’étaient pas impartiaux. Le 29 mai 1991, la Commission a statué que la demande était irrecevable pour non-épuisement des recours internes. L’auteur estime que la Commission n’a pas «examiné» sa requête au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. La violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, ou des dispositions équivalentes de la Convention européenne des droits de l’homme, n’a jamais été invoquée devant la Commission.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur invoque une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte parce qu’il n’a pas pu obtenir de réévaluation des preuves dans son affaire.
3.2L’auteur affirme être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte du fait qu’il a été jugé par des juges partiaux qui l’avaient au préalable inculpé et qu’il avait accusés de partialité. Le jugement prononcé par ces juges avait passé sous silence l’ensemble des preuves présentées par l’auteur pour démontrer son innocence.
3.3L’auteur fait également état d’une violation de l’article 17 du Pacte parce que, dans son jugement, le tribunal provincial de Malaga l’a dépeint comme un escroc, en dépit des preuves qu’il avait apportées. Ce jugement avait porté atteinte à sa réputation.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2L’auteur s’est adressé pour la première fois au Comité en 1998, puis en 2004. Il explique que, dans l’intervalle, il était devenu Président de la Fundación Jurei, que cette fondation menait de nombreuses actions pour la promotion des droits de l’homme en Europe et en Amérique du Sud et que, dès lors, ce n’est plus seulement sa propre réputation qui est en jeu mais également celle de la Fondation. Les retards ultérieurs dans l’enregistrement de la communication sont dus à des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur. Dans ces conditions, le Comité conclut qu’il n’y a pas eu abus du droit de présenter des communications au sens de l’article 3 du Protocole facultatif.
4.3Le Comité a noté que la plainte de l’auteur concernant le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte avait déjà été soumise à la Commission européenne des droits de l’homme qui, le 29 mai 1991, l’avait déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Le Comité constate cependant que la Commission européenne n’a pas examiné l’affaire au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, dans la mesure où sa décision portait uniquement sur des questions de procédure et que l’affaire n’avait pas été jugée sur le fond. En conséquence, il n’existe aucun obstacle au regard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, tel que modifié par les réserves de l’État partie.
4.4S’agissant de l’obligation d’épuiser les recours internes en ce qui concerne la violation présumée de l’article 17 qui a trait aux conséquences du jugement du tribunal provincial de Malaga pour la réputation de l’auteur, le Comité constate que cette question n’a jamais été soumise aux juridictions nationales. Au sujet de la violation présumée du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité constate que cette question n’a pas été soulevée en appel (cassation) devant le Tribunal suprême. Cette situation a conduit à la fois le Tribunal constitutionnel espagnol et la Commission européenne des droits de l’homme à conclure que l’allégation selon laquelle les juges n’avaient pas été impartiaux était irrecevable parce que tous les recours internes n’avaient pas été épuisés. En conséquence, le Comité estime que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles pour ces deux griefs et déclare irrecevable cette partie de la communication en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
4.5En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14, il ressort de l’arrêt du Tribunal suprême que, si le Tribunal a statué que l’évaluation [des preuves] était du ressort de la juridiction de jugement et non du sien, il n’en avait pas moins amplement examiné les arguments présentés par l’auteur et conclu que ce dernier avait bien commis une escroquerie parce qu’il «[avait eu] une attitude trompeuse et [avait fait] preuve d’un goût égoïste du lucre, induisant ainsi en erreur une autre personne et la poussant à faire un acte de disposition contraire à ses intérêts». La plainte portant sur le paragraphe 5 de l’article 14 apparaît donc comme insuffisamment étayée aux fins de la recevabilité. Le Comité la déclare donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
4.6En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
KK. Communication n o 1399/2005, Cuartero Casado c. Espagne (Décision adoptée le 25 juillet 2005, quatre-vingt-quatrième session)
Présentée par: |
M. Luis Cuartero Casado (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
18 novembre 2004 (date de la lettre initiale) |
Objet: Appréciation des éléments de preuve et ampleur de l’examen de l’affaire pénale en appel par les juridictions espagnoles.
Questions de procédure: Défaut de fondement des griefs.
Questions de fond: Droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et droit de faire réexaminer par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi.
Articles du Pacte: 14 (par. 1, 3 d) et 5).
Articles du Protocole facultatif: 2.
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 juillet 2005,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication, datée du 18 novembre 2004, est Luis Cuartero Casado, de nationalité espagnole, né en 1960, condamné précédemment en 1993 pour agression sexuelle à une peine de 17 ans d’emprisonnement, et qui était en permission au moment des faits. Il se déclare victime d’une violation par l’Espagne des paragraphes 1, 3 d) et 5 de l’article 14 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985.
Exposé des faits
2.1Le 24 octobre 1999, deux plaintes pour agression sexuelle ont été déposées par deux jeunes femmes séjournant à l’hôtel Terra Brava à Lloret de Mar − Platja de Frenals (Gerona):
a)La première plainte a été déposée à 9 h 30 par une jeune Anglaise: elle s’était rendue dans un pub à Platja de Frenals la nuit précédente et rentrait à pied à l’hôtel lorsqu’un homme en voiture l’a arrêtée, fait monter dans son véhicule et conduite dans un bois voisin, où il l’a violée. Elle s’est ensuite enfuie et est rentrée à l’hôtel. Le lendemain matin, elle a dénoncé l’agression et a identifié l’auteur parmi la série de photographies que lui a présentées la police;
b)La seconde plainte a été déposée à 12 h 30 par une jeune Allemande: elle s’était rendue dans un pub à Lloret de Mar la nuit précédente et rentrait à pied à l’hôtel lorsqu’un homme l’a agressée, lui a placé un couteau sous la gorge, l’a entraînée dans une rue déserte, lui a jeté une veste sur le visage et a essayé de la violer. La femme s’est saisie du couteau qui était dans la poche de son agresseur et a frappé celui-ci dans le dos, déchirant sa veste. Lorsqu’elle s’est mise à crier et à lui donner des coups de pied, l’agresseur s’est enfui et a perdu les clefs de sa voiture, qu’elle a ramassées.
2.2Le 28 octobre 1999, le tribunal de première instance no 3 de Blanes (Gerona) a ordonné une perquisition au domicile de l’auteur à Lloret de Mar, où un ensemble de jogging semblable à celui qu’avaient décrit les victimes a été découvert. Dans le véhicule de l’auteur, qui a également été fouillé, les enquêteurs ont trouvé une pince à cheveux, un portefeuille de femme et une couverture. Ces objets ont tous été reconnus par les victimes.
2.3Le 28 mars 2001, la cour provinciale de Gerona a reconnu l’auteur coupable du crime d’agression sexuelle avec pénétration et de tentative d’agression sexuelle avec pénétration, aggravée par l’utilisation d’un couteau, et l’a condamné pour ces faits à des peines d’emprisonnement de 11 ans et de 9 ans et 6 mois, respectivement.
2.4L’auteur a interjeté appel devant le Tribunal suprême, alléguant que des erreurs avaient été commises dans l’évaluation des éléments de preuve et que son droit d’être présumé innocent avait été bafoué, compte tenu des contradictions que présentaient selon lui les témoignages des victimes. Le 22 février 2002, le Tribunal suprême a rejeté l’appel de l’auteur et confirmé la décision de la cour provinciale.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur se déclare victime d’une violation des paragraphes 1 et 3 d) de l’article 14 du Pacte. À l’appui de ces deux plaintes, il affirme que les juridictions espagnoles ont évalué de manière inexacte les éléments de preuve en ne tenant pas compte des contradictions que présentent selon lui les témoignages, et que d’autre part elles ont bafoué son droit d’être présumé innocent.
3.2L’auteur se déclare en outre victime d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte car il n’a pas pu obtenir que les éléments de preuve soient réexaminés de manière appropriée.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
4.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
4.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
4.3En ce qui concerne l’allégation de violation des paragraphes 1 et 3 d) de l’article 14, le Comité rappelle sa jurisprudence constante et réaffirme qu’il n’est pas compétent pour réexaminer les conclusions de fait ou l’application de la législation nationale, sauf s’il peut être établi que les décisions rendues par les juridictions nationales ont été arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Le Comité considère que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que la façon dont les tribunaux de l’État partie ont statué était entachée d’arbitraire ou représentait un déni de justice et déclare donc que les deux plaintes sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
4.4En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14, il ressort du texte de l’arrêt du Tribunal suprême que celui-ci a examiné de manière approfondie l’évaluation des éléments de preuve par le tribunal de première instance. À cet égard, le Tribunal suprême a estimé que les éléments de preuve présentés contre l’auteur étaient suffisants pour l’emporter sur la présomption d’innocence, d’après le critère défini par la jurisprudence pour déterminer l’existence d’éléments de preuve suffisants aux fins de poursuites dans le cas de certains types d’infractions comme les agressions sexuelles. La plainte au titre du paragraphe 5 de l’article 14 n’étant donc pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, le Comité conclut qu’elle est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
4.5En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
Annexe VII
SUIVI DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME CONCERNANT DES COMMUNICATIONS INDIVIDUELLES SOUMISES AU TITRE DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
Le présent rapport contient tous les renseignements communiqués par les États parties et les auteurs ou leur conseil depuis la publication du dernier rapport annuel (A/59/40).
État partie |
ANGOLA |
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Affaire |
Carlos Diaz, 711/1996 |
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Constatations adoptées le |
20 mars 2000 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Pas d’enquête sérieuse sur les délits commis par une personne occupant une charge importante, harcèlement de l’auteur et des témoins pour les empêcher de rentrer en Angola, perte de biens − article 9, paragraphe 1. |
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Réparation recommandée |
Offrir une réparation à l’auteur et prendre des mesures adéquates pour le protéger des menaces qui pèsent sur la sécurité de sa personne. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
17 juillet 2000 |
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Réponse de l’État partie |
Aucune |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Au cours de la quatre-vingt-deuxième session, le 1er novembre 2004, le Rapporteur spécial a rencontré un représentant de l’État partie. Le représentant de l’État partie a fait valoir que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes et que l’incident allégué s’était produit avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Selon lui, le Comité aurait donc dû considérer que la communication était irrecevable. Le Rapporteur spécial a apporté des précisions sur la procédure de suivi, la question des «effets continus» en foi de quoi le Comité avait estimé qu’il était de son ressort d’examiner l’affaire, et le fait que l’État partie n’avait pas répondu aux demandes de renseignements qui lui avaient été adressées avant et après l’adoption des constatations du Comité. Le représentant de l’État partie a indiqué qu’il transmettrait aux autorités dont il relevait le résultat de cet entretien et demanderait une réponse écrite aux constatations du Comité. Rien n’a été reçu. Une nouvelle rencontre avec le même représentant de l’État partie a eu lieu pendant la quatre‑vingt‑quatrième session. Le représentant a réaffirmé son point de vue selon lequel l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes et le Comité n’aurait pas dû déclarer la communication recevable. En outre, il était erroné de prétendre que les autorités angolaises n’étaient pas en mesure d’assurer la sécurité de l’auteur s’il retournait en Angola et déposait une plainte. |
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État partie |
ANGOLA |
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Affaire |
Rafael Marques de Morais, 1128/2002 |
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Constatations adoptées le |
29 mars 2005 |
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Questions soulevées et violations constatées |
L’arrestation et la détention de l’auteur n’étaient ni raisonnables ni nécessaires mais revêtaient, du moins en partie, un caractère punitif et donc arbitraire; il n’a pas été informé des raisons de son arrestation; il n’a été traduit devant un juge que 40 jours après son arrestation et est resté détenu au secret durant 10 jours. La sévérité des sanctions imposées à l’auteur ne peut pas être considérée comme une mesure proportionnée à l’objectif qui est de préserver l’ordre public ou de protéger l’honneur et la réputation du Président et, par conséquent, il y a eu violation de l’article 19. L’interdiction faite à l’auteur de quitter le pays et la confiscation de son passeport constituaient une violation de l’article 12. |
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Réparation recommandée |
Réparation sous la forme d’une indemnisation |
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Réponse de l’État partie attendue le |
1er juillet 2005 |
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Réponse de l’État partie |
Aucune |
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Mesures complémentaires prises |
Au cours de la quatre‑vingt‑quatrième session, le Rapporteur spécial a rencontré un représentant de l’État partie, qui a indiqué que ce dernier avait des capacités limitées pour traiter toutes les questions de droits de l’homme dont il était saisi. C’est la raison pour laquelle il n’avait pas répondu concernant les affaires à l’examen devant le Comité. Le représentant a déclaré qu’il transmettrait à son gouvernement le résultat de cet entretien et demanderait qu’il soit répondu par écrit aux constatations du Comité. |
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État partie |
AUSTRALIE |
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Affaire |
C., 900/1999 |
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Constatations adoptées le |
28 octobre 2002 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Détention en vertu de la loi sur l’immigration d’un demandeur du statut de réfugié présentant des troubles psychiatriques − article 7 et article 9, paragraphes 1 et 4. |
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Réparation recommandée |
Pour ce qui est des violations des articles 7 et 9 dont l’auteur a été victime au cours de sa première période de détention, l’État partie devrait indemniser l’auteur convenablement. S’agissant de l’expulsion envisagée de l’auteur, l’État partie devrait s’abstenir de renvoyer l’auteur en République islamique d’Iran. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
4 février 2003 |
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Date de la réponse |
28 septembre 2004 (réponse similaire reçue le 10 février 2003) |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie fait savoir au Comité que l’auteur a quitté le centre de rétention des services de l’immigration de Maribyrnong pour être placé en résidence surveillée. Il se trouve désormais dans une résidence privée à Melbourne. Il est libre de se déplacer dans la communauté australienne à condition d’être accompagné de l’un de ses parents désignés. Cet arrangement est en place depuis plus de 14 mois. L’État partie examine maintenant comment régler le cas de l’auteur, mais ce processus n’est pas encore finalisé. Il assure le Comité qu’une réponse détaillée sera fournie dès que possible. |
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Réponse de l’auteur |
Le 19 octobre 2004, l’auteur a répondu aux informations communiquées par l’État partie, et confirmé qu’il était «assigné à résidence» mais que sa liberté de mouvements était restreinte comme l’avait indiqué l’État partie. Il ajoute que l’ordre d’expulsion n’a pas été annulé et qu’il se trouve toujours sous cette menace, et qu’aucune indemnisation ne lui a été versée pour sa détention illicite. |
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État partie |
AUSTRALIE |
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Affaire |
Madafferi, 1011/2001 |
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Constatations adoptées le |
28 juillet 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Expulsion vers l’Italie d’un Italien, marié à une Australienne et père d’enfants nés en Australie − article 10, paragraphe 1. |
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Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer à l’auteur un recours utile et approprié, qui consisterait à ne pas expulser M. Madafferi tant que sa demande de visa pour conjoint n’aura pas été examinée en accordant l’attention nécessaire à la protection exigée par la condition de mineur des enfants. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
26 octobre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
Aucune |
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Réponse de l’auteur |
Le 17 mars 2005, le conseil a déclaré que l’État partie n’avait pas encore réglé le cas de l’auteur. L’auteur continue d’être en mauvaise santé, mais, bien que l’État partie ait pris des dispositions pour qu’il soit remis en liberté et qu’il rentre chez lui vivre dans la communauté avec un membre de sa famille, dans des conditions libérales, son statut juridique n’a pas changé. Le Ministre de l’immigration hésite à prendre une décision. |
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État partie |
AUSTRALIE |
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Affaire |
Young, 941/2000 |
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Constatations adoptées le |
6 août 2003 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Discrimination pour des raisons d’orientation sexuelle en ce qui concerne le droit aux prestations sociales − article 26. |
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Réparation recommandée |
Un recours utile, incluant le réexamen de la demande de pension présentée par l’auteur sans discrimination liée à son sexe ou à son orientation sexuelle, le cas échéant par un amendement à la loi. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
12 novembre 2003 |
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Date de la réponse |
L’État partie a répondu le 11 juin 2004. |
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Réponse de l’État partie |
Dans sa réponse, l’État partie a fait valoir, entre autres, qu’il n’admettait pas la constatation du Comité selon laquelle il avait manqué à l’article 26, et qu’il rejetait donc la conclusion selon laquelle l’auteur avait droit à un recours utile. (Voir le rapport annuel CCPR/C/81/CRP.1/Add.6.) |
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Réponse de l’auteur |
Le 16 août 2004, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie, et il s’est dit déçu que ce dernier répète purement et simplement les arguments qu’il avait présentés avant l’examen de l’affaire. Il se dit particulièrement offensé par le fait que l’État partie conteste sa liaison durable et sincère de 38 ans avec son partenaire M. Cains. Il demande au Comité d’inviter l’État partie à s’acquitter de ses obligations dans le cadre du Pacte. |
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État partie |
AUSTRALIE |
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Affaire |
Winata, 930/2000 |
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Constatations adoptées le |
26 juillet 2001 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Expulsion d’Australie des parents indonésiens d’un enfant né en Australie − article 17, article 23, paragraphe 1, et article 24, paragraphe 1. |
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Réparation recommandée |
S’abstenir d’expulser les auteurs d’Australie tant que leur demande de visa parental n’aura pas été examinée compte dûment tenu de la nécessité d’offrir à leur enfant la protection qu’exige sa condition de mineur. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
12 novembre 2001 |
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Date de la réponse |
2 septembre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie fait savoir que les auteurs se trouvent toujours en Australie et qu’il examine comment régler leur cas compte tenu de la législation australienne en vigueur en matière d’immigration. Il assure le Comité qu’une réponse détaillée sera fournie dès que possible. |
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État partie |
AUSTRALIE |
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Affaire |
Baban, 1014/2001 |
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Constatations adoptées le |
6 août 2003 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Expulsion, risque de torture − article 9, paragraphes 1 et 4 |
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Réparation recommandée |
Réparation sous la forme d’une indemnisation |
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Réponse de l’État partie attendue le |
27 novembre 2003 |
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Date de la réponse |
18 février 2005 |
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Réponse de l’État partie |
En ce qui concerne la constatation selon laquelle l’État partie a manqué à ses obligations au regard de l’article 9, paragraphe 1, en ce qui concerne la détention arbitraire, l’État partie réitère ses observations quant au fond selon lesquelles l’immigration dans le cadre de la détention n’est pas arbitraire, et réaffirme qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle qui s’applique exclusivement aux personnes qui arrivent ou qui demeurent en Australie sans autorisation. L’auteur et son fils étaient libres de quitter l’Australie à tout moment pendant qu’ils étaient en détention. La Haute Cour a confirmé la constitutionnalité des dispositions relatives à la détention au titre de la loi sur l’immigration de 1958, en concluant qu’elles n’avaient aucun caractère punitif, mais pouvaient être considérées comme nécessaires en attendant l’expulsion ou pour permettre la présentation et l’examen d’une demande d’admission. Conformément aux obligations qui incombent à l’Australie en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant, il a été considéré qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de rester avec son père, l’auteur. Dans les circonstances particulières de l’affaire, la détention a été considérée nécessaire, justifiable et appropriée. Elle était également proportionnée aux fins recherchées, à savoir permettre l’examen des demandes, plaintes et recours de l’auteur et veiller à préserver le droit de l’Australie de contrôler l’entrée sur son territoire. Quant à la constatation relative à une violation de l’article 9, paragraphe 4, l’État partie n’est pas d’accord avec l’interprétation qui est faite de cet article. Selon lui, le terme «légalité» s’applique au droit interne australien, et rien dans le Pacte, les travaux préparatoires ou les observations générales du Comité ne permet de dire qu’il signifie «légal en droit international» ou «non arbitraire». L’État partie n’accepte donc pas la constatation du Comité selon laquelle l’Australie a violé le paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte, et elle ne considère pas non plus que les auteurs ont droit à un recours utile. |
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État partie |
AUSTRALIE |
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Affaire |
Bakhtiyari, 1069/2002 |
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Constatations adoptées le |
29 octobre 2003 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Risque d’expulsion de la femme et des enfants de l’auteur, qui est reconnu en tant que réfugié en Australie − article 9, paragraphes 1 et 4, et article 24, paragraphe 1, et peut-être article 17, paragraphe 1, et article 23, paragraphe 1. |
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Réparation recommandée |
Pour ce qui est des violations des paragraphes 1 et 4 de l’article 9, qui continuent d’être commises à ce jour à l’égard de Mme Bakhtiyari, l’État partie devrait remettre l’intéressée en liberté et lui verser une indemnisation appropriée. Pour ce qui est des violations des articles 9 et 24 subies dans le passé par les enfants, qui ont pris fin avec leur remise en liberté le 25 août 2003, l’État partie a l’obligation de verser une indemnisation appropriée aux enfants. L’État partie devrait aussi s’abstenir d’expulser Mme Bakhtiyari et ses enfants tant que l’action en justice engagée par M. Bakhtiyari est en cours, car toute mesure prise en ce sens par l’État partie aboutirait à des violations du paragraphe 1 de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
1er février 2004 |
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Date de la réponse |
L’État partie a répondu le 24 décembre 2004. |
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Réponse de l’État partie |
Le 29 décembre 2004, l’État partie a fait savoir qu’il se félicitait de la constatation selon laquelle M. Bakhtiyari n’était pas détenu de manière arbitraire. Quant à la constatation selon laquelle ses enfants et son épouse avaient été détenus de manière arbitraire, l’État partie réaffirme ses observations quant au fond selon lesquelles la détention dans le cadre de l’immigration n’est pas arbitraire, et réaffirme qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle réservée aux personnes qui arrivent ou qui demeurent en Australie sans autorisation. Il précise que l’examen de la demande de visa de protection présentée par Mme Bakhtiyari et le réexamen quant au fond de la décision concernant ladite demande ont été achevés dans un délai de six mois à compter de la présentation de ladite demande. Le maintien en détention après ce délai tient aux démarches entreprises par elle pour obtenir du Ministre une décision plus favorable, et aux poursuites engagées concernant sa demande. Elle était libre de quitter l’Australie avec ses enfants et son mari à tout moment quand elle était en détention. La Haute Cour a confirmé la constitutionnalité des dispositions relatives à la détention au titre de la loi sur l’immigration de 1958, concluant qu’elles n’avaient aucun caractère punitif mais pouvaient être considérées comme nécessaires en attendant l’expulsion ou pour permettre la présentation et l’examen d’une demande d’admission. Dans ces conditions, l’État partie maintient que la détention de Mme Bakhtiyari est raisonnable et proportionnée, et qu’elle reste justifiée. Pour ce qui est de la constatation selon laquelle l’État partie a violé le paragraphe 4 de l’article 9 en ce qui concerne Mme Bakhtiyari et ses enfants, l’État partie n’accepte pas l’interprétation du Comité. Selon lui, le terme «illégal» au sens de cette disposition s’applique au droit interne australien. Rien dans les dispositions du Pacte ne permet de dire que le terme «légalité» signifie «légal en droit international» ou «non arbitraire». L’État partie maintient que Mme Bakhtiyari peut solliciter un recours en habeas corpus et qu’elle aurait pu le faire, de même que ses enfants avant leur remise en liberté. Quant à la possibilité de violation des articles 17 et 23 au cas où Mme Bakhtiyari et ses enfants seraient expulsés avant M. Bakhtiyari, l’État partie précise qu’il a l’intention d’expulser toute la famille en même temps. C’est ce qu’atteste la manière dont le Gouvernement a traité le cas des divers membres de la famille jusqu’ici. Quant à la constatation du Comité selon laquelle l’État partie a porté atteinte aux droits des enfants au titre de l’article 24, l’État partie maintient qu’il a offert aux enfants une protection satisfaisante. Pour ce qui est de sa position, l’État partie ne considère pas que les auteurs ont droit à un recours utile sous la forme d’une indemnisation, ni que Mme Bakhtiyari devrait être remise en liberté. |
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État partie |
AUTRICHE |
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Affaire |
Perterer, Paul, 1015/2001 |
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Constatations adoptées le |
20 juillet 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Vices de procédure dans une procédure disciplinaire contre un fonctionnaire − article 14, paragraphe 1. |
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Réparation recommandée |
Une réparation, sous la forme d’une indemnisation adéquate. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
28 octobre 2004 |
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Date de la réponse |
29 octobre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie déclare que le bureau du Procureur général et le Gouvernement de la province de Salzburg examinent actuellement la demande de l’auteur relative au versement de dommages-intérêts tendant à ce qu’il soit fait droit à ses griefs, au regard de la loi sur la responsabilité administrative de la puissance publique. Il confirme par ailleurs que les constatations ont été publiées. |
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Réponse de l’auteur |
Le 5 janvier 2005, l’auteur a envoyé une coupure de journal dans laquelle il était dit qu’il avait présenté une demande en dommages‑intérêts, mais dit qu’il n’a pas pu obtenir d’indication sur son éventuel salaire. Le 2 février 2005, l’auteur a indiqué qu’il lui avait été communiqué dans une lettre du 8 janvier 2004 qu’une indemnisation lui avait été refusée car «les fonctionnaires de la République autrichienne s’étaient comportés correctement et n’avaient rien fait de répréhensible». |
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Mesures complémentaires prises |
Le 2 novembre 2004, l’État partie a été invité à donner des précisions sur le résultat de la demande d’indemnisation de l’auteur. |
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Renseignements complémentaires reçus de l’auteur |
Par une lettre datée du 23 juin 2005, l’auteur a informé le Comité que le bureau du Procureur général (Finanzprokuratur) a rejeté ses demandes d’indemnisation le 28 janvier 2005, au motif qu’aucun organisme d’État n’avait agi en contradiction avec la loi et de façon délibérée. L’auteur a également saisi le bureau du Médiateur fédéral, qui, au début de 2005, a invité les services du Chancelier fédéral à offrir à l’auteur une indemnisation et indiqué que, dans son rapport au Parlement, il inclurait des observations critiques concernant l’affaire de l’auteur et le cadre législatif applicable aux procédures disciplinaires visant des fonctionnaires. Le 12 février 2005, l’auteur a proposé aux autorités fédérales et provinciales un «règlement à l’amiable» et demandé en particulier une indemnisation. Les autorités provinciales n’ont pas répondu et le Gouvernement fédéral l’a renvoyé à ces dernières. En mai 2005, l’auteur a présenté une demande d’aide juridictionnelle pour engager une action contre l’État (Staatshaftungsklage). Le 20 juin 2005, les services du Gouvernement provincial ont informé l’auteur que c’était à la justice, selon eux, qu’il appartiendrait de se prononcer sur ses demandes. |
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État partie |
AUTRICHE |
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Affaire |
Weiss, 1086/2002 |
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Constatations adoptées le |
3 avril 2003 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Extradition vers les États-Unis − article 14, paragraphe 1, lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 3. |
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Réparation recommandée |
Faire, auprès des autorités des États-Unis, les démarches qui peuvent être nécessaires pour garantir que l’auteur ne soit pas victime de graves atteintes aux droits que lui garantit le Pacte s’il était extradé en violation des obligations contractées par l’État partie en vertu du Pacte et du Protocole facultatif. Prendre les mesures voulues pour garantir que les demandes de mesures provisoires de protection formulées par le Comité soient respectées. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
8 août 2003 |
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Date de la réponse |
4 août 2004 (l’État partie avait déjà répondu le 6 août 2003). |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie communique le texte de la décision de la Cour suprême du 9 septembre 2003. La Cour suprême accepte la demande de l’auteur de déposer sa requête après expiration du délai, mais elle déclare ensuite cette requête irrecevable sur le fond, concluant, dans la dernière phrase, ceci: «La Cour suprême ne voit donc pas de raisons de douter de la constitutionnalité de l’application du traité d’extradition entre le Gouvernement autrichien et le Gouvernement des États-Unis.». L’État partie note aussi que, selon le Département de la justice des États-Unis, il a été engagé des procédures au sujet d’une décision donnant effet à la limitation de la règle de la spécialité en ce qui concerne l’extradition entre l’Autriche et les États-Unis. |
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État partie |
BÉLARUS |
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Affaire |
Svetik, 927/2000 |
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Constatations adoptées le |
8 juillet 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
La restriction de la liberté d’expression ne servait pas légitimement un des motifs énumérés au paragraphe 3 de l’article 19. Par conséquent, les droits garantis à l’auteur par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont été violés. |
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Réparation recommandée |
Un recours utile sous la forme d’une indemnisation d’un montant au moins égal à la valeur actuelle de l’amende et de tous les frais de justice acquittés par l’auteur. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
18 novembre 2004 |
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Date de la réponse |
12 juillet 2005 |
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Réponse de l’État partie |
Les autorités compétentes ont examiné la décision par laquelle le tribunal de Krichev a condamné l’auteur à une amende et ont conclu que cette dernière était adéquate. La Cour suprême a étudié les constatations du Comité, et considéré qu’il n’y avait pas lieu de rouvrir l’affaire. La responsabilité de l’auteur était engagée non pas pour l’expression de ses opinions politiques, mais parce qu’il avait appelé publiquement au boycottage des élections locales. Un tel appel revient à exercer des pressions sur la conscience, la volonté et le comportement des individus pour les amener à accomplir certains actes ou à s’abstenir d’accomplir certains actes. En conséquence, l’État partie conclut qu’il ne peut pas souscrire aux constatations du Comité selon lesquelles l’auteur est victime d’une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. |
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État partie |
CANADA |
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Affaire |
Judge, 829/1998 |
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Constatations adoptées le |
5 août 2003 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Expulsion pour exécution de la peine de mort − article 6, paragraphe 1, et article 2, paragraphe 3. |
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Réparation recommandée |
Effectuer toutes les démarches possibles auprès de l’État dans lequel l’auteur a été renvoyé pour empêcher l’exécution de la peine de mort. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
13 novembre 2003 |
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Date de la réponse |
8 août 2004 − Une réponse avait déjà été envoyée le 17 novembre 2003. |
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Réponse de l’État partie |
Suite à la demande adressée à l’État partie par le Rapporteur spécial pour obtenir des autorités des États-Unis qu’elles fassent le point sur la situation de l’auteur, l’État partie a réitéré la réponse figurant dans le rapport de suivi (CCPR/C/80/FU/1) et dans le rapport annuel (CCPR/C/81/CRP.1/Add.6). Il a ajouté qu’en octobre 2002 la Cour de district pour le district‑Est de Pennsylvanie avait décidé de surseoir à l’exécution de l’auteur et qu’il n’avait pas été fixé de date pour l’exécution. |
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État partie |
CANADA |
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Affaire |
Mansour Ahani, 1051/2002 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Expulsion vers un pays dans lequel l’auteur court le risque d’être soumis à des tortures et exécuté − article 7, article 9, paragraphes 4 et 13. |
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Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir à l’auteur une réparation, sous la forme d’une indemnisation. Étant donné les circonstances de l’affaire, l’État partie, qui n’a pas fait ce qu’il devait pour déterminer si l’auteur courait un risque de torture tel qu’il interdisait son expulsion, est tenu a) d’assurer réparation à l’auteur s’il apparaît qu’il a effectivement subi des tortures après avoir été expulsé, et b) de prendre les mesures qui peuvent être nécessaires pour garantir que l’auteur ne sera pas, à l’avenir, soumis à la torture du fait de sa présence dans l’État partie et de son expulsion. L’État partie est également tenu d’éviter que des violations analogues ne soient commises à l’avenir, notamment en prenant les mesures voulues pour garantir que les demandes de mesures provisoires de protection formulées par le Comité soient respectées. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
3 novembre 2004 |
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Date de la réponse |
3 septembre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie conteste les constatations du Comité et déclare qu’il n’a pas manqué à ses obligations en vertu du Pacte. Il n’a pas manqué à ses obligations en expulsant l’auteur pendant que l’affaire était examinée par le Comité, puisque ni les demandes de mesures provisoires ni d’ailleurs les constatations du Comité ne sont contraignantes pour l’État partie. Comme il n’y avait pas de risque substantiel de préjudice irréparable en cas d’expulsion et comme l’auteur représentait une menace pour la sécurité du Canada, il n’était pas possible de retarder son expulsion en attendant la décision du Comité. En dépit du caractère non contraignant des demandes de mesures provisoires, l’État partie assure le Comité qu’il les prend toujours en considération attentivement, comme il l’a fait en l’espèce, et qu’il est prêt à les accepter chaque fois que possible. Il ne faut certainement pas considérer qu’en prenant cette position le Canada remet en cause son engagement en faveur des droits de l’homme ou sa collaboration suivie avec le Comité. Les décisions concernant les demandes de mesures provisoires seront prises au cas par cas. S’agissant de la constatation concluant à une violation du paragraphe 4 de l’article 9, parce que le délai de neuf mois et demi après le rejet définitif du recours en inconstitutionnalité de la procédure de délivrance de l’attestation de danger pour la sécurité était excessif, l’État partie reprend les arguments qu’il a déjà présentés dans ses observations avant l’examen, à savoir que ce délai de neuf mois et demi était imputable à l’auteur. Il déclare que la procédure concernant le «caractère raisonnable» de l’attestation a été prolongée de juillet 1997 à avril 1998 du fait du conseil choisi par l’auteur. Ni l’auteur ni son conseil n’ont exprimé la moindre préoccupation concernant ce délai et ils n’ont jamais demandé à la Cour d’accélérer la procédure. L’État partie conteste par ailleurs la constatation concluant à une violation de l’article 13, puisque la Cour suprême a confirmé la légalité de la décision d’expulsion et que l’auteur n’a pas contesté cela. L’auteur a eu la possibilité de faire valoir les raisons militant contre son expulsion et ces observations ont été prises en considération par le Ministre avant de conclure que l’intéressé représentait un danger pour la sécurité du Canada et qu’il n’était exposé qu’à un risque minime de préjudice du fait de son expulsion. L’auteur savait que c’était sur la base des informations utilisées pour établir le «caractère raisonnable» de l’attestation de danger pour la sécurité que l’on évaluerait le danger qu’il représentait pour la sécurité du Canada. Selon l’État partie, l’article 13 n’impose pas de communiquer à l’intéressé toutes les informations dont dispose l’État et, comme il s’agissait d’une affaire de sécurité nationale, la procédure était équitable. Toutefois, afin de simplifier la procédure visant à déterminer si une personne qui représente un danger pour la sécurité du Canada peut être expulsée de ce pays, l’État partie confirme qu’il accorde désormais à chacun les mêmes «garanties procédurales renforcées». En particulier, tous les documents utilisés pour établir s’il y a un danger sont désormais communiqués sous une forme expurgée pour des raisons de sécurité à l’intéressé, qui a le droit de présenter des observations. L’État partie déclare que sa détermination suivant laquelle l’auteur n’encourait pas un risque substantiel d’être torturé en cas de renvoi a été confirmée par la suite des événements, notamment par une conversation entre un représentant canadien et la mère de l’auteur, qui a confirmé que celui‑ci était en bonne santé, ainsi que par une visite de l’auteur à l’ambassade du Canada à Téhéran le 1er octobre 2002, au cours de laquelle il ne s’est pas plaint de mauvais traitements. Pour les raisons précitées, l’État partie ne considère pas qu’il devrait assurer une quelconque réparation à l’auteur ni qu’il est tenu de prendre des mesures complémentaires en l’espèce. Toutefois, en octobre 2002, le Canada a fait savoir à la République islamique d’Iran qu’il attendait de ce pays qu’il respecte ses obligations internationales en matière de droits de l’homme, notamment en ce qui concerne l’auteur. Dans sa réponse à la liste de questions du Comité contre la torture, l’État partie a indiqué qu’il respectait intégralement ses obligations internationales dans cette affaire, et qu’il n’avait pas enfreint ses obligations découlant de l’article 13 du Pacte. La Cour suprême du Canada a conclu que le processus auquel l’auteur de la communication avait été assujetti était conforme aux principes de justice fondamentale garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour était convaincue que Ahani avait été mis au courant des preuves que le Ministre possédait contre lui et qu’il avait eu l’occasion d’y répondre. La Cour a conclu aussi que les procédures suivies n’avaient pas porté préjudice à l’auteur. La Cour suprême du Canada a confirmé que la décision d’expulser était conforme à la loi. Compte tenu de l’ensemble des preuves en sa possession, y compris le témoignage de Ahani et les importantes observations de son avocat, le Canada a conclu que le risque auquel l’auteur serait exposé s’il était renvoyé en Iran était «minime». En effet, la décision du Canada à cet égard a été confirmée à l’issue des contrôles judiciaires et des appels interjetés à tous les niveaux. La Cour suprême du Canada a statué que la décision du Ministre selon laquelle l’auteur ne faisait pas face à un risque important de torture à la suite de son renvoi était «inattaquable». L’auteur a été en mesure de faire valoir les raisons qui militaient contre son expulsion. La décision de l’expulser a été prise après avoir soupesé le risque que l’auteur constituait pour la sécurité du Canada et les risques auxquels il serait exposé s’il retournait dans son pays. Ce processus a mené à l’avis du Ministre selon lequel Ahani constituait un danger pour la sécurité du Canada et ne faisait face qu’à un risque minimal de préjudice en raison de son expulsion. Afin de simplifier le processus visant à déterminer si une personne qui représente un danger pour la sécurité du Canada peut être expulsée du pays, le Gouvernement canadien confère désormais à ces individus les mêmes garanties procédurales renforcées. En particulier, tous les documents utilisés pour établir s’il y a un danger sont désormais communiqués sous une forme expurgée pour des raisons de sécurité à l’intéressé, qui a le droit de présenter des observations. |
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État partie |
CROATIE |
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Affaire |
Paraga, 727/1996 |
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Constatations adoptées le |
4 avril 2001 |
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Questions soulevées et violations constatées |
«Effets continus»; durée de la période qui s’est écoulée avant le procès et liberté d’expression − article 14, paragraphe 3 c). |
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Réparation recommandée |
Indemnisation |
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Réponse de l’État partie attendue le |
27 août 2001 |
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Date de la réponse |
29 octobre 2002 |
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Réponse de l’État partie |
Le 2 décembre 2004, l’État partie a fait savoir au Comité que la demande en dommages‑intérêts pour le temps passé en garde à vue du 22 novembre au 18 décembre 1991, présentée par l’auteur le 14 janvier 2003, a été rejetée du fait qu’elle n’avait pas été présentée dans les délais prescrits. L’auteur aurait fait appel de cette décision; l’affaire est devant le tribunal de comté de Zagreb. |
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Réponse de l’auteur |
Le 30 janvier 2005, l’auteur a confirmé que le tribunal municipal de Zagreb avait refusé de lui accorder une indemnisation et l’avait en fait condamné aux dépens. Il a fait appel de cette décision devant le tribunal de comté de Zagreb, mais après deux ans ou presque l’affaire n’a pas encore été entendue. |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Mesures complémentaires prises: L’État partie a été invité à fournir des informations à jour en temps utile. |
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État partie |
RÉPUBLIQUE TCHÈQUE |
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Affaire |
Pezoldova, 757/1997 |
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Constatations adoptées le |
25 octobre 2002 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Restitution de biens − articles 2 et 26 |
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Réparation recommandée |
En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, à savoir la possibilité de présenter une nouvelle demande de restitution ou d’indemnisation. L’État partie devrait revoir sa législation et ses pratiques administratives afin de s’assurer que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à l’égale protection de la loi. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
5 mars 2003 |
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Réponse de l’auteur |
Le 6 mars 2005, l’auteur a dénoncé le non‑respect par l’État partie des constatations du Comité en ce qui concerne toutes les affaires de restitution de biens relatives à la République tchèque, au motif que ces constatations 1) seraient contraires aux droits des tierces parties; 2) compromettraient la nouvelle situation en matière de droits de propriété, qui est en grande partie le fruit de la législation sur la restitution des biens; et qu’elles dépasseraient les capacités budgétaires effectives de l’État. L’auteur fait valoir qu’aucun de ces arguments ne s’applique à son cas puisqu’aucune modification de la loi ne serait nécessaire, et elle précise que son affaire est différente des autres affaires existant en République tchèque en matière de droits de propriété. Par une lettre datée du 21 juin 2005, l’auteur a informé le Comité que, en mars 2005, elle avait demandé un entretien avec le Ministre de la justice concernant la mise en œuvre des recommandations du Comité. Elle n’a cependant pas reçu de réponse à ce jour. |
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Réponse de l’État partie |
Le 26 juillet 2005, l’État partie a informé le Comité que ses constatations avaient été publiées sur le site Web du Ministère de la justice au printemps de 2003. L’État partie conteste l’affirmation de l’auteur selon laquelle les autorités nationales lui auraient systématiquement refusé l’accès aux documents qui, selon elle, prouvaient que les biens immobiliers avaient été confisqués en vertu du décret no 12/1945. L’État partie respecte toutefois la conclusion du Comité établissant une violation de l’article 26, lu conjointement avec l’article 2. Les juristes des ministères intéressés ont tous été d’avis qu’il serait pleinement indiqué de proposer au Gouvernement d’offrir à l’auteur le versement d’une somme appropriée à titre de paiement ex gratia pour la violation du Pacte. La décision finale revient toutefois au Gouvernement, qui devra déterminer le montant à verser. L’État partie affirme en outre que les décisions des autorités nationales déclarant que les biens immobiliers en question n’ont pas été confisqués en vertu du décret no 12/1945 étaient correctes. Il admet que la loi no 143/1947, en vertu de laquelle une propriété familiale appartenait ex lege à l’État, est une disposition inhabituelle pour notre époque. Toutefois, cette loi a été adoptée bien avant que le Pacte et le Protocole facultatif entrent en vigueur, et par conséquent elle ne relève pas de la compétence du Comité. |
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État partie |
GUYANA |
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Affaires |
1) Yasseen et Thomas, 676/1996; 2) Sahadeo, 728/1996; 3) Mulai, 811/1998; 4) Hendriks, 838/1998; et 5) Smartt, 867/1999. |
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Constatations adoptées le |
1) 30 mars 1998; 2) 1er novembre 2002; 3) 20 juillet 2004; 4) 28 octobre 2002; et 5) 6 juillet 2004. |
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Questions soulevées et violations constatées |
1.Condamnation à mort. Procès inéquitable, traitement inhumain ou dégradant destiné à extorquer des aveux, conditions de détention − article 10, paragraphe 1, article 14, paragraphe 3 b), c) et e), en ce qui concerne les deux auteurs; article 14, paragraphe 3 b) et d), en ce qui concerne M. Yasseen. 2.Durée excessive de la détention avant jugement − article 9, paragraphe 3, article 14, paragraphe 3 c). 3.Condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable − article 6 et article 14, paragraphe 1. 4.Condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable et, mauvais traitements − article 9, paragraphe 3, et article 14, paragraphe 3 c), d) et e), et partant, article 6. 5.Condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable − article 6 et article 14, paragraphe 3 d). |
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Réparation recommandée |
1.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, MM. Abdool S. Yasseen et Noël Thomas ont droit à un recours utile. Le Comité estime que, dans les circonstances de l’affaire, ce recours doit prendre la forme d’une remise en liberté. 2.Le Comité estime que, conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, M. Sahadeo a droit à un recours utile, étant donné la durée excessive de la période pendant laquelle il a été maintenu en détention provisoire en violation du paragraphe 3 de l’article 9, et le délai qui s’est écoulé avant qu’il soit rejugé en violation du paragraphe 3 c) de l’article 14, ce qui devrait entraîner une commutation de la peine de mort et une indemnisation en vertu du paragraphe 5 de l’article 9 du Pacte. |
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3.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à MM. Bharatraj et Lallman Mulai un recours utile, sous la forme d’une commutation de leur peine. 4.Recours utile sous la forme d’une commutation de peine. 5.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer au fils de l’auteur un recours utile, sous la forme d’une commutation de la condamnation à mort. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
1) 3 septembre 1998; 2) 21 mars 2002; 3) 1er novembre 2004; 4) 10 mars 2003); 5) 10 octobre 2004. |
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Réponse de l’État partie |
Il n’a été reçu de réponse à aucune de ces constatations. |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Mesures prises: À la quatre-vingt-troisième session (29 mars 2005), le Rapporteur spécial a rencontré le Représentant permanent adjoint du Guyana auprès de l’ONU. Le Rapporteur spécial a expliqué au Représentant quel était son mandat et lui a remis copie des constatations adoptées par le Comité à propos des communications nos 676/1996 (Yasseen et Thomas), 728/1996 (Sahadeo), 838/1998 (Hendriks), 811/1998 (Mulai) et 867/1999 (Smartt). Les constatations ont également été envoyées à la Mission permanente du Guyana par courrier électronique pour qu’elles puissent être aisément transmises aux instances nationales. Le Rapporteur spécial s’est dit inquiet de voir que l’État partie n’avait pas communiqué de renseignements au sujet de la mise en œuvre des recommandations du Comité à propos de ces affaires. Le Représentant lui a donné l’assurance qu’il transmettrait ses préoccupations à son gouvernement. |
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Réponse de l’auteur |
S’agissant de la communication no 811/1998 (Mulai), par une lettre datée du 6 juin 2005, le conseil a informé le Comité que l’État partie n’avait pris aucune mesure pour mettre en œuvre la recommandation du Comité. |
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État partie |
IRLANDE |
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Affaire |
Kavanagh, 819/1998 |
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Constatations adoptées le |
4 avril 2001 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Procès mené par un tribunal pénal spécial; décision du Procureur général (DPP) non susceptible de contrôle judiciaire − article 26. |
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Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir: il doit assurer que nul ne soit renvoyé devant le tribunal pénal spécial à moins que la décision à cet effet ne soit justifiée par des motifs objectifs et raisonnables. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
2 août 2001 |
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Date de la réponse |
1er et 13 août 2001 |
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Réponse de l’État partie |
Voir A/57/40, A/58/40, A/59/40 et A/60/40. |
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Réponse de l’auteur |
Dans une lettre datée du 15 mars 2005, le conseil de l’auteur a demandé que la procédure de suivi soit reprise. Il a réitéré les arguments qu’il avait déjà avancés, en faisant valoir notamment que la seule réparation offerte consistait en une somme de 1 000 livres irlandaises (1 269,74 euros), sans aucune explication, et a ajouté que l’auteur, ayant considéré cette réparation insuffisante, l’avait refusée et avait immédiatement retourné la somme au Gouvernement et que, depuis lors, le Gouvernement n’avait pris aucune mesure pour veiller à ce que personne ne soit jugé par le Tribunal pénal spécial si la décision à cet effet n’est pas justifiée «par des motifs objectifs et raisonnables». Le conseil demandait que le Rapporteur spécial organise une nouvelle rencontre avec un représentant de l’État partie. |
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État partie |
RÉPUBLIQUE DE CORÉE |
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Affaire |
Shin, 926/2000 |
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Constatations adoptées le |
16 mars 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Condamnation d’un peintre pour art «subversif», destruction d’une toile − article 19, paragraphe 2. |
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Réparation recommandée |
Réparation sous la forme d’une indemnisation pour la condamnation, de l’annulation du jugement rendu et de la prise en charge des frais de justice. En outre, comme l’État partie n’a pas apporté la preuve que l’atteinte à la liberté d’expression de l’auteur, exprimée par le tableau, était justifiée, il doit lui restituer le tableau dans son état premier, en prenant à sa charge toutes les dépenses qui pourraient en découler. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
21 juin 2004 |
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Date de la réponse |
19 novembre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie fait valoir que l’auteur a bénéficié d’une amnistie spéciale accordée par le Gouvernement, le 15 août 2000. Étant donné qu’il avait été reconnu coupable à l’issue d’un procès légal, il ne peut pas prétendre à une indemnisation en vertu de la loi d’indemnisation pour actes de l’État. La toile peinte par l’auteur ne peut pas lui être restituée parce qu’elle a été confisquée légalement par une décision de la Cour suprême. L’amnistie dont l’auteur a bénéficié n’a eu aucune incidence sur la confiscation du tableau étant donné que, conformément au paragraphe 2 de l’article 5 de la loi d’amnistie, «les effets d’une peine déjà exécutée ne sont pas modifiés par l’amnistie, c’est‑à‑dire la réduction de la peine ou la réhabilitation». Compte tenu des limites légales qui entravent l’application des constatations du Comité, le Ministère de la justice étudie actuellement les procédures et les pratiques des autres pays pour donner effet aux recommandations du Comité, afin d’introduire un mécanisme de mise en œuvre effectif pour l’avenir. Le Ministère de la justice a transmis le texte original des constatations du Comité et une version traduite en coréen aux services du Procureur suprême et a demandé que les juges et les procureurs les prennent en considération dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires. Pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent, le Gouvernement s’occupe activement d’obtenir l’abrogation ou la révision de la loi sur la sécurité nationale. En attendant, il continuera à n’épargner aucun effort pour limiter au minimum le risque d’interprétation et d’application arbitraires de cette loi par les autorités de justice. Le Ministère a publié en coréen les constatations du Comité dans le Journal officiel électronique. |
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État partie |
RÉPUBLIQUE DE CORÉE |
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Affaire |
Keun-Tae Kim, 574/1994 |
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Constatations adoptées le |
3 novembre 1998 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Liberté d’expression − article 19 |
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Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer à l’auteur un recours utile. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
30 mars 1999 |
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Date de la réponse |
16 février 2005 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie fait valoir que, comme l’auteur a été reconnu coupable d’une atteinte à la loi sur la sécurité nationale, il ne peut pas prétendre à une indemnisation de l’État en vertu de la loi d’indemnisation pénale, sauf s’il était acquitté des chefs d’inculpation retenus contre lui à l’issue d’un nouveau procès. L’État partie ajoute que, étant donné que l’enquête et le procès se sont déroulés conformément à la loi et qu’il n’y a aucun élément de preuve montrant que les agents de l’État ont causé un préjudice intentionnellement ou par négligence, l’auteur ne peut pas demander de dommages‑intérêts au titre de la loi d’indemnisation pour actes de l’État. L’auteur n’a pas déposé de demande de réparation en vertu de la loi sur le rétablissement de l’honneur et des réparations en faveur des personnes ayant participé au mouvement de démocratisation, qui prévoit une réparation dans le cas des personnes tuées ou blessées pendant le processus de démocratisation. Toutefois, l’État partie estime que l’honneur a été dûment rétabli et que l’auteur a été reconnu comme quelqu’un qui a participé au mouvement de démocratisation. L’auteur a bénéficié d’une amnistie le 15 août 1995 et peut donc maintenant prendre part aux élections. Pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent, le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont engagé des débats visant à modifier ou à abroger certaines dispositions de la loi sur la sécurité nationale, qui doit être réformée afin de refléter le processus de réconciliation qui a eu lieu récemment dans les relations entre les deux Corées et pour empêcher des violations éventuelles des droits de l’homme. Les organismes d’enquête et l’appareil judiciaire ont limité l’application de la loi sur la sécurité nationale strictement aux circonstances dans lesquelles elle est absolument nécessaire pour maintenir la sécurité de l’État et protéger la vie et la liberté des nationaux. Le Gouvernement a rendu publique une traduction en coréen des constatations du Comité par l’intermédiaire des médias et en a également adressé un exemplaire à la Cour suprême. |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Recommandation du Rapporteur spécial: Il conviendrait de prier l’État partie de tenir le Comité informé de la réforme ou de l’abrogation des dispositions de la loi sur la sécurité nationale. |
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État partie |
RÉPUBLIQUE DE CORÉE |
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Affaire |
Jong-Kyu Sohn, 518/1992 |
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Constatations adoptées le |
19 juillet 1995 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Condamnation d’un dirigeant syndical pour avoir fait des déclarations dans le cadre de l’activité syndicale − liberté d’expression − article 19, paragraphe 2. |
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Réparation recommandée |
Un recours utile, sous la forme d’une indemnisation appropriée, pour avoir été condamné pour exercice du droit à la liberté d’expression. Le Comité invite en outre l’État partie à réexaminer l’article 13, paragraphe 2, de la loi sur le règlement des conflits du travail. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
15 novembre 1995 |
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Date de la réponse |
16 février 2005 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie fait valoir que, comme l’auteur a été reconnu coupable d’une infraction à la loi sur le règlement des conflits du travail, il ne peut pas prétendre à une indemnisation de l’État telle qu’elle est prévue par la loi sur l’indemnisation pénale sauf s’il était acquitté des chefs d’inculpation à l’issue d’un nouveau procès. Il ajoute que la Cour suprême a établi, en date du 26 mars 1999, que l’État n’était pas tenu d’indemniser l’auteur en vertu de la loi d’indemnisation pour actes de l’État, en ce qui concerne l’action que l’auteur, se fondant sur les constatations du Comité, avait engagée contre le Gouvernement, étant donné que les recommandations du Comité ne sont pas contraignantes et qu’il n’y a aucun élément de preuve montrant que les agents de l’État ont causé un préjudice à l’auteur intentionnellement ou par négligence pendant l’enquête ou le procès. La loi sur le rétablissement de l’honneur et des réparations en faveur des personnes ayant participé au mouvement de démocratisation, qui prévoit une réparation dans le cas des personnes tuées ou blessées pendant le processus de démocratisation, ne s’applique pas à l’auteur puisqu’il n’a pas été blessé. En revanche, il a été rétabli dans son honneur et il a participé au mouvement de démocratisation. L’État partie indique que l’auteur a bénéficié d’une grâce spéciale décidée le 6 mars 1993. Pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent, une loi a été promulguée en mars 1997 − la loi sur les relations du travail et les syndicats − qui a abrogé les dispositions de l’ancienne loi sur le règlement des conflits du travail interdisant à un tiers d’intervenir dans un conflit du travail. Désormais, en vertu de l’article 40 de la nouvelle loi, pendant des négociations collectives ou une action professionnelle un syndicat peut bénéficier de l’appui d’un tiers tel qu’une confédération professionnelle dont le syndicat est membre ou une personne désignée par le syndicat. |
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État partie |
LETTONIE |
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Affaire |
Ignatane, 884/1999 |
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Constatations adoptées le |
25 juillet 2001 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Déni arbitraire du droit de se présenter aux élections, au motif de la langue − article 25. |
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Réparation recommandée |
«Un recours utile» |
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Réponse de l’État partie attendue le |
29 octobre 2001 |
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Date de la réponse |
Juillet 2004 − Une réponse avait déjà été reçue le 7 mars 2002. |
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Réponse de l’État partie |
En juillet 2004 et à la suite d’une demande formulée par le Rapporteur spécial dans le rapport de suivi (CCPR/C/80/FU/1), mentionnée dans le Rapport annuel (CCPR/C/81/CRP.1/Add.6), l’État partie a fait parvenir le texte des modifications de sa législation qui, comme il l’avait annoncé dans un courrier précédent, supprimaient les difficultés évoquées par le Comité dans ses constatations. |
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État partie |
JAMAHIRIYA ARABE LIBYENNE |
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Affaire |
El‑Megreisi, 440/1990 |
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Constatations adoptées le |
23 mars 1994 |
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Questions soulevées et violations constatées |
L’auteur a été détenu au secret, dans un lieu inconnu, pendant plusieurs années sans qu’aucune accusation n’ait jamais été portée contre lui. Le Comité a conclu que ses droits protégés par les articles 7 et 9 et le paragraphe 1 de l’article 10 ont été violés. |
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Réparation recommandée |
Le Comité a prié instamment l’État partie de prendre les mesures voulues pour assurer la remise en liberté immédiate de l’auteur et l’indemniser. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
Juillet 1994 |
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Réponse de l’État partie |
Aucune |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Au cours de la quatre‑vingt‑quatrième session, le Rapporteur spécial a rencontré un représentant de l’État partie avec lequel il s’est entretenu du suivi des constatations du Comité. Le représentant de l’État partie a indiqué qu’il n’avait pas été répondu à une précédente demande de renseignements pertinents au titre du suivi adressée aux autorités compétentes, mais il a donné l’assurance que l’État partie coopérerait à l’avenir avec le Comité en matière de suivi. |
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État partie |
JAMAHIRIYA ARABE LIBYENNE |
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Affaire |
El Ghar, 1107/2002 |
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Constatations adoptées le |
29 mars 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Refus de l’État partie de délivrer un passeport à l’auteur − article 12, paragraphe 2. |
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Réparation recommandée |
L’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile sous la forme d’une indemnisation. Le Comité prie instamment l’État partie de délivrer, sans plus tarder, un passeport à l’auteur. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
4 février 2005 |
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Réponse de l’État partie |
Aucune |
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Réponse de l’auteur |
Dans une lettre datée du 23 juin 2005, l’auteur a indiqué que l’État partie n’a pas donné effet aux constatations du Comité. Elle avait rencontré peu de temps auparavant le Consul de la Jamahiriya arabe libyenne à Casablanca, qui l’avait informée qu’il n’était pas en mesure de délivrer le passeport, la décision en ce sens devant être prise par les autorités centrales. |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Au cours de la quatre‑vingt‑quatrième session, le Rapporteur spécial a rencontré un représentant de l’État partie avec lequel il s’est entretenu du suivi des constatations du Comité. Le représentant de l’État partie a fait observer que l’ambassade de la Jamahiriya arabe libyenne au Maroc avait une nouvelle fois reçu pour instruction de délivrer un passeport à l’auteur; il ne doutait pas qu’un passeport lui serait délivré dans les semaines à venir. |
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État partie |
MADAGASCAR |
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Affaire |
Marais, 49/1979; Wight, 115/1982; Jaona, 132/1982; Hammel, 155/1983. |
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Constatations adoptées le |
24 mars 1983; 1er avril 1985; 1er avril 1985; 3 avril 1987, respectivement. |
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Questions soulevées et violations constatées |
1.Conditions carcérales et déni d’accès à un défenseur − articles 7, 10, paragraphe 1, et 14, paragraphe 3 b) et d). 2.Conditions carcérales et déni d’accès à un défenseur − articles 7, 10, paragraphe 1, et 14, paragraphe 3 b). 3.Arrestation et détention au motif des opinions politiques; non‑respect de l’obligation d’informer des motifs de l’arrestation; persécution au motif des opinions politiques − articles 9, paragraphes 1 et 2, et 19, paragraphe 2. 4.Impossibilité d’engager une action devant un tribunal pour statuer sur la légalité de l’arrestation; refus d’autoriser l’auteur à faire valoir les raisons qui militaient contre son expulsion − articles 9, paragraphe 4, et 13. |
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Réparation recommandée |
1.Une réparation effective pour les violations subies et l’ordre de remettre M. Marais en liberté avant qu’il n’ait purgé intégralement sa peine, en réponse à sa demande de clémence. 2.Prendre des mesures efficaces. 3.Prendre les mesures voulues pour réparer le préjudice causé à Monja Jaona, le dédommager, conformément au paragraphe 5 de l’article 9 du Pacte, en raison de son arrestation et de sa détention arbitraires. 4.Prendre des mesures effectives. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
29 février 1982; 1er août 1985; 1er août 1985; 3 août 1987, respectivement. |
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Réponse de l’État partie |
Aucune |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Le 28 octobre 2004, pendant la quatre-vingt-deuxième session, le Rapporteur spécial s’est entretenu avec une représentante de l’État partie qui a confirmé qu’elle transmettrait aux autorités nationales la demande d’informations concernant ces affaires et qu’elle solliciterait une réponse écrite aux constatations du Comité. Aucune réponse n’a été reçue. |
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État partie |
PAYS ‑BAS |
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Affaire |
Derksen, 976/2001 |
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Constatations adoptées le |
1er avril 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Discrimination dans des dispositions en faveur des orphelins − article 26. |
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Réparation recommandée |
L’État partie est tenu d’accorder à l’auteur des prestations pour orphelin de père ou de mère en ce qui concerne Kaya Marcelle Bakker ou une réparation équivalente. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
24 août 2004 |
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Date de la réponse |
19 août 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie reconnaît l’importance de la procédure qui permet aux particuliers d’adresser des communications au Comité et le sérieux des décisions de celui‑ci, mais il conteste la conclusion dans cette affaire. Il ne voit pas comment il peut y avoir une inégalité de traitement alors qu’aucun des groupes comparés ne peut prétendre à des prestations en application de la législation en cause. Aucun orphelin de père ou de mère ne peut prétendre avoir droit aux prestations de la personne à charge survivante, même un orphelin qui est né − dans le mariage ou hors mariage − d’une relation qui a pris fin après le 1er juillet 1996 à la mort de l’un des parents. D’après l’État partie, on ne peut parler de victime de discrimination directe ou indirecte que quand quelqu’un se voit dénier certains droits accordés à d’autres personnes dans la même situation. Or dans le cas d’espèce, il s’agirait du parent survivant puisque c’est au parent survivant que la prestation est octroyée et c’est ce parent qui peut disposer de l’allocation comme il l’entend. Bien que l’allocation supplémentaire soit accordée pour contribuer à l’entretien des enfants mineurs, l’État partie n’a aucun moyen de garantir ou de vérifier que cette allocation est bien utilisée de cette manière. Or, précisément à l’égard de la personne qui avait droit à l’allocation − le parent survivant −, le Comité a établi que le fait de ne pas appliquer la nouvelle législation aux affaires antérieures ne représentait pas une discrimination au sens de l’article 26. L’État partie ne peut donc pas suivre le raisonnement qui a conduit le Comité à une conclusion différente en ce qui concerne le bénéfice de la prestation d’entretien de l’orphelin de père ou de mère. L’État partie renvoie à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire comparable (Van Bouwhuijsen et Schuring c. Pays ‑Bas) qui portait sur les allocations pour orphelin de père ou de mère en vertu de l’ancienne législation. La Cour européenne a relevé que l’allocation pour orphelin de père ou de mère n’avait pas été refusée parce que l’enfant était né hors mariage mais parce que la loi générale sur les veuves et les orphelins (AWW) ne prévoyait pas de prestations pour les orphelins de père ou de mère. L’État partie en conclut que le fait de ne pas faire droit à la demande d’une personne qui est par définition exclue du bénéfice des prestations en vertu de la loi ne peut pas être considéré comme une discrimination. |
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Réponse de l’auteur |
Le 3 décembre 2004, le conseil de l’auteur a fait part de son désaccord avec l’opinion de l’État partie. Il affirme que la décision de la Cour européenne des droits de l’homme citée par l’État partie ne vient pas étayer cette opinion. La Cour n’a pas examiné l’affaire sur le fond parce que l’orphelin en question ne pouvait pas demander de façon indépendante la pension d’orphelin de père ou de mère − accordée au conjoint survivant. La Cour a considéré que l’orphelin ne pouvait pas invoquer l’article premier du Protocole no 1 à la Convention étant donné que l’article 14 n’avait pas d’existence indépendante puisqu’il ne produisait d’effets qu’à l’égard de «l’exercice des droits garantis par ces dispositions». L’article 26 du Pacte a une portée plus large, et donc la condition préliminaire qu’il fallait remplir dans le cas de la requête soumise à la Cour européenne des droits de l’homme n’entre pas en ligne de compte dans l’affaire soumise au Comité. Le conseil fait valoir qu’il n’est pas contesté que la pension d’orphelin de père ou de mère est versée au nom de l’orphelin et renvoie à un certain nombre de cas non contestés où la loi a été appliquée dans ce sens. De l’avis du conseil, il est logique que les prestations pour enfant versées sous la forme d’allocations familiales ou de pension pour orphelin soient accordées au parent chargé de l’éducation de l’enfant car elles visent (le plus souvent) de jeunes enfants qui n’ont pas la capacité juridique. Il est évident que de telles prestations sont versées en faveur de l’enfant et que ce sont les enfants qui ont droit aux prestations. Celles‑ci permettent au parent qui s’occupe de l’enfant − la personne à charge du parent décédé de l’enfant − de disposer d’un complément de ressources financières pour assurer l’entretien de l’enfant. Le conseil regrette que l’État partie n’ait pas tenu compte des constatations du Comité et demande à ce dernier d’engager instamment l’État partie à assurer la réparation recommandée. |
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État partie |
NORVÈGE |
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Affaire |
Leirvag, 1155/2003 |
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Constatations adoptées le |
3 novembre 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Refus d’autoriser les élèves à être dispensés de la discipline scolaire appelée «philosophie de vie» dans les établissements scolaires, en violation de l’article 26 − non-discrimination − et de l’article 18, paragraphe 4 − liberté des parents en ce qui concerne l’éducation de leurs enfants. |
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Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir aux auteurs un recours utile et adéquat qui respecte leurs droits, en tant que parents, de s’assurer que leurs enfants reçoivent une éducation conforme à leurs propres convictions. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
6 février 2005 |
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Date de la réponse |
4 février 2005 |
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Réponse de l’État partie |
Modification des dispositions législatives et du programme scolaire. L’État partie explique que le Gouvernement va proposer au Parlement plusieurs modifications pour la prochaine année scolaire qui commencera en août 2005: suppression de la référence faite au paragraphe 4 de l’article 2 de la loi sur l’éducation à l’objectif 1‑2. Ainsi le paragraphe 4 de l’article 2 ne disposerait plus que l’objectif de l’enseignement de la matière «connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» est «d’aider à donner aux élèves une éducation chrétienne et morale». De plus, le paragraphe 4 de l’article 2 sera modifié de sorte que les différentes religions et philosophies de vie soient traitées d’une façon qualitativement égale. Des modifications seront apportées en conséquence au programme scolaire national. Modification du système de dispense. Les modifications ci‑après seront également proposées, pour être appliquées à partir d’août 2005. Le droit d’être dispensé de suivre une quelconque matière du programme scolaire qui pourrait être considérée comme relevant de la pratique d’une conviction religieuse particulière sera inscrit dans un article spécifique de la loi sur l’éducation, afin qu’il soit bien clair que la dispense de la pratique de convictions religieuses est un droit qui s’applique à tous les aspects de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire. La circulaire du Ministre concernant la matière «connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» sera modifiée de façon à définir clairement les éléments de la matière qui pourraient être interprétés comme relevant d’une conviction particulière. Les règles permettant aux parents de faire suivre à leurs enfants l’enseignement proposé dans le cadre du système de dispense seront simplifiées. La loi sur l’éducation contiendra des dispositions relatives à l’obligation des établissements scolaires d’informer les parents de leur droit de faire dispenser leurs enfants d’une partie quelconque de l’enseignement qu’ils considèrent comme relevant de la pratique d’une religion. La circulaire modifiée relative à la matière «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» contiendra également des instructions à l’intention des enseignants pour qu’ils soient très vigilants quand ils utilisent des méthodes d’enseignement que les élèves pourraient percevoir comme relevant de la pratique d’une religion. Si des méthodes de ce type sont utilisées, il faudra proposer d’autres cours. Mesures applicables avant l’entrée en vigueur des modifications exposées ci‑dessus. Jusqu’à ce que les mesures exposées plus haut soient appliquées, les élèves auront provisoirement le droit d’être dispensés de la matière «Connaissance chrétienne» et une note écrite des parents suffira à cette fin. Les établissements seront tenus de s’efforcer de trouver autant que possible un autre enseignement à proposer aux élèves dispensés. |
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Réponse des auteurs |
Dans une lettre datée du 15 avril 2005, les auteurs ont relevé que la réponse de l’État partie ne contenait pas assez d’éléments concrets pour montrer comment les modifications de la législation et du programme seraient menées à bien. Ils mentionnent une version plus détaillée des mesures correctrices proposées, contenue dans un document du Ministère de l’éducation et de la recherche, daté du 8 février 2005, qui a été adressé à de nombreuses organisations et institutions invitées à faire part de leurs observations avant le 29 mars 2005. Les auteurs disent qu’il faudrait demander à l’État partie d’adresser au Comité une traduction de ce document. Les résultats de l’examen par le Gouvernement des observations reçues n’ont pas encore été rendus public et une recommandation de modification à la loi sur l’éducation n’a pas encore été présentée au Parlement. Bien que les mesures proposées par l’État partie n’aient pas été clarifiées, les auteurs pensent pour l’heure que les modifications proposées ne sont pas de nature à satisfaire aux obligations contractées en vertu de l’article 2 du Pacte. Ils objectent notamment que la modification du paragraphe 4 de l’article 2 ne résoudra pas à elle seule le problème de l’objectif qui accorde la priorité à une religion particulière; qu’il n’y aura pas de traitement «qualitativement égal» étant donné que la matière «Connaissance chrétienne et éducation religieuse et morale» repose sur la tradition du conte, qui est adaptée uniquement pour enseigner le christianisme et d’autres religions mais n’est pas adaptée pour d’autres philosophies de vie dont l’orientation est par exemple humaniste; que le Gouvernement n’a pas l’intention de modifier le caractère et le profil général de la matière en tant que pratique d’une religion. En ce qui concerne la dispense, les auteurs reconnaissent que l’État partie accepte la nécessité de prévoir ce droit afin d’éviter de nouvelles violations du Pacte mais estiment que la procédure de simplification proposée n’entraîne pas de changement réel pour les droits des parents étant donné que l’établissement scolaire reste l’autorité seule habilitée à déterminer si la conviction des parents sur la question est «raisonnable». De l’avis des auteurs, pour mettre correctement en œuvre la décision du Comité, il aurait fallu réviser intégralement la matière en cause, de telle façon qu’elle consacre la liberté de religion pour tous les élèves − indépendamment de la croyance ou de la conviction personnelle relative à une philosophie de vie. |
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État partie |
PHILIPPINES |
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Affaire |
Cagas, 788/1997 |
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Constatations adoptées le |
23 octobre 2001 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Droit d’être jugé sans retard excessif, droit à la présomption d’innocence et durée excessive de la détention avant jugement − article 9, paragraphe 3, et article 14, paragraphes 2 et 3 c). |
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Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir aux auteurs de la communication un recours utile, sous la forme d’une indemnisation adéquate pour le temps qu’ils ont passé illégalement en détention. L’État partie est également tenu de faire en sorte que les auteurs soient jugés sans délai en bénéficiant de toutes les garanties énoncées à l’article 14 du Pacte ou, si cela n’est pas possible, qu’ils soient remis en liberté. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
9 mai 2002 |
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Date de la réponse |
19 août 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie indique qu’il n’a pas présenté d’observations sur le fond de la communication, ni sur les commentaires complémentaires du conseil avant que le Comité examine la communication, parce qu’il pensait que la communication était irrecevable. En ce qui concerne les questions soulevées au titre du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 3 de l’article 14, l’État partie déclare que la responsabilité de la durée de la période passée en attente de jugement revient aux auteurs, qui ont contesté devant la Cour suprême le rejet de leur demande de libération sous caution par le tribunal de première instance. Selon l’État partie, les auteurs ont cherché délibérément par ce biais à empêcher, ou tout au moins à retarder, le jugement de l’affaire. Pour ce qui est de la recommandation du Comité relative à une indemnisation, l’État partie considère que la responsabilité de la détention illégale dépendrait de l’acquittement de l’accusé. Dans l’éventualité d’un acquittement, l’indemnisation pour le temps passé illégalement en détention devrait être déterminée par le Bureau des requêtes, placé sous la direction du Ministère de la justice et/ou par la Commission philippine des droits de l’homme qui est, en vertu de la Constitution, l’organe compétent pour accorder une indemnisation aux victimes de violations des droits de l’homme. Pour ce qui est de la recommandation relative à un procès équitable, l’État partie fait savoir au Comité que le 22 mars 2002 le tribunal de première instance de la localité de Pili, dans la région de Camarines Sur «a mis un terme au procès dans l’affaire susmentionnée et qu’à cette date ladite affaire avait déjà été renvoyée pour décision». Le 3 juin 2005, suite à la réponse du conseil, l’État partie a fait savoir au Rapporteur spécial que le 18 janvier 2005 le tribunal de première instance de la localité de Pili, dans la région de Camarines Sur, avait rendu son jugement. Les accusés Cagas, Butin et Astilero ont tous été déclarés coupables de plusieurs meurtres, commis avec perfidie, sur la personne de Mmes Dolores Arevalo, Encarnación Basco, Arriane Arevalo, Analyn Claro, Marilyn Oporto et Elin Paloma. Cagas et Antillero ont été condamnés à la réclusion perpétuelle pour chacun des meurtres. Butin est mort avant le jugement définitif. |
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Réponse de l’auteur |
Le 24 octobre 2004, le conseil des auteurs a indiqué que le rejet de la libération sous caution avait été porté devant la Cour suprême en raison de son caractère illicite et injuste, et non pour faire traîner le procès. La durée du procès était due au fait que le tribunal s’était abstenu de fixer la date à laquelle l’affaire serait jugée, même après avoir examiné la question de la libération sous caution. Le conseil nie que l’affaire ait été entendue. Il déclare que c’est le 2 août 2000 qu’il a prononcé sa dernière plaidoirie devant le tribunal et que, selon le règlement du tribunal, l’affaire aurait dû être entendue dans les 90 jours qui ont suivi. Le 18 juillet 2003, le conseil a déposé une demande ex parte en vue du jugement de l’affaire, mais sans succès. Enfin, le conseil indique que l’État partie a omis d’informer le Comité de ce que l’un des auteurs, M. Wilson Butin, était mort de mort naturelle alors qu’il était en détention provisoire et attendait que l’affaire soit jugée. |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Le Rapporteur spécial a rencontré un représentant de l’État partie au cours de la quatre‑vingt‑quatrième session. Voir ci-après. |
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État partie |
PHILIPPINES |
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Affaire |
Wilson, 868/1999 |
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Constatations adoptées le |
30 octobre 2003 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Peine de mort obligatoire pour viol à l’issue d’un procès inéquitable − crimes «les plus graves». Indemnisation après acquittement − article 7, article 9, paragraphes 1, 2 et 3, et article 10, paragraphes 1 et 2. |
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Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur de la communication un recours utile. En ce qui concerne les violations de l’article 9, l’État partie devrait indemniser l’auteur. Pour ce qui est des violations des articles 7 et 10 dont il a souffert en détention, y compris suite à sa condamnation à mort, le Comité observe que l’indemnisation prévue par l’État partie en vertu de son droit interne ne visait pas ce type de violations et que l’indemnisation due à l’auteur devrait tenir compte à la fois de la gravité des violations et du préjudice qui lui a été causé. Le Comité rappelle à ce propos le devoir qui incombe à l’État partie de procéder à une enquête approfondie et impartiale sur les incidents survenus pendant la détention de l’auteur et de tirer les conséquences pénales et disciplinaires qui s’imposent pour les personnes qui en seront jugées responsables. S’agissant de l’imposition de taxes d’immigration et de l’interdiction de visa, le Comité est d’avis que, pour remédier aux violations du Pacte, l’État partie devrait rembourser à l’auteur les sommes perçues. Tout dédommagement pécuniaire ainsi dû à l’auteur incombant à l’État partie devrait lui être versé au lieu de son choix, que ce soit sur le territoire de l’État partie ou à l’étranger. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
10 février 2004 |
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Date de la réponse |
12 mai 2005 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie est «peu enclin» à accepter les constatations du Comité concernant les faits, et plus précisément sa réévaluation des preuves. Il déclare que les constatations reposent sur une appréciation erronée des faits et qu’il n’est pas certain que les faits révélés par le plaignant puissent étayer ces constatations. Il conteste la constatation selon laquelle l’indemnisation accordée était insuffisante. Il déclare que l’auteur n’a pas assumé la charge de la preuve; les déclarations ex parte faites par le plaignant ne sont pas considérées comme des éléments de preuve et ne constituent pas de preuves suffisantes des faits allégués. Une enquête confiée au gardien de la prison de Valenzuela, où l’auteur se trouvait détenu, met en cause toutes les allégations de l’auteur. L’auteur n’a pas indiqué les actes de harcèlement précis auxquels il aurait été soumis lorsqu’il était en détention, et il n’a pas reconnu les gardiens de prison qui lui auraient extorqué de l’argent. Comme il s’était déjà réfugié dans son pays au moment où la communication était en instance devant le Comité, il ne pouvait pas craindre pour sa sécurité en désignant ceux qui l’avaient prétendument maltraité. L’État partie réitère son observation selon laquelle l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes. Il considère enfin que l’indemnisation accordée est suffisante, précise que l’auteur n’a pas encore envoyé une personne autorisée pour retirer les chèques, et déclare qu’en insistant pour que l’État partie remette au plaignant toute la somme due au titre de l’indemnisation «le Comité a peut‑être outrepassé sa compétence et a fait preuve d’une grande injustice à l’égard de l’État partie». |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Le Rapporteur spécial a rencontré un représentant de l’État partie au cours de la quatre‑vingt‑quatrième session. Voir ci-après. |
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État partie |
PHILIPPINES |
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Affaire |
Carpo, 1077/200 |
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Constatations adoptées le |
28 mars 2003 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Condamnation à mort − article 6, paragraphe 1. |
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Réparation recommandée |
En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’offrir aux auteurs un recours utile et approprié, sous la forme d’une commutation de peine. Il est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
12 août 2003 |
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Date de la réponse |
5 octobre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie a fait observer, au sujet de la constatation de violation du paragraphe 2 de l’article 6, que la conclusion du Comité selon laquelle le délit de meurtre est défini de façon très large «puisqu’il est constitué par le seul fait de tuer quelqu’un» était incorrecte et que le Code pénal de l’État partie faisait une nette distinction entre différents types de meurtres. Ainsi, l’État partie ne pouvait être tenu pour responsable d’une privation arbitraire de la vie sur la base d’une conclusion aussi peu fondée. Il déclare également qu’on ne saurait conclure que l’imposition de la peine de mort découle de l’application automatique de l’article 48 du Code pénal révisé. Cette conclusion repose sur une hypothèse erronée, à savoir que l’article 48 prévoit l’imposition obligatoire de la peine de mort dans les cas où un acte unique entraîne la mort de plusieurs personnes. L’État partie fait valoir que rien n’indique dans la formulation de cette disposition que l’expression «période maximum» est une allusion à la peine de mort. L’article 48 stipule simplement que, si un acte constitue deux ou plusieurs crimes, c’est la peine encourue pour le crime le plus grave qui doit être prononcée, c’est-à-dire une peine inférieure à l’ensemble des peines qui seraient prononcées séparément pour chaque crime. L’État partie fait encore observer qu’il n’y a rien dans cette disposition qui autorise les tribunaux locaux à ne pas prendre en considération la situation personnelle de l’accusé ou les circonstances ayant entouré le crime en question lorsqu’ils examinent des affaires portant sur des crimes complexes. Il estime qu’aucun argument convaincant n’a été avancé pour justifier la conclusion selon laquelle la condamnation à mort des auteurs a été prononcée sans qu’il ait été «possible de prendre en considération la situation personnelle des accusés ou les circonstances ayant entouré le crime en question». Enfin, en ce qui concerne la conclusion selon laquelle les auteurs n’ont obtenu aucun réexamen véritable de leur cas devant la Cour suprême, qui aurait pratiquement exclu la présentation de toute nouvelle pièce à conviction, l’État partie fait observer que la Cour suprême ne juge pas des faits et n’a pas pour obligation de répéter les délibérations des juridictions de jugement. La procédure de révision devant la Cour suprême vise à garantir que les conclusions de la juridiction de jugement sont conformes aux lois et procédures en vigueur. Il ajoute qu’aucun élément du dossier n’indique que les auteurs avaient l’intention de présenter de nouvelles pièces à conviction qui n’auraient pas été antérieurement examinées par la juridiction de jugement. |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Le 21 juillet 2005, le Rapporteur spécial a tenu des consultations de suivi avec un représentant de l’État partie. Il a relevé que deux réponses qui devaient être apportées dans le cadre du suivi n’avaient pas encore été communiquées et que d’autres réponses pouvaient être considérées comme insuffisantes car il s’agissait en fait d’observations quant au fond présentées tardivement plutôt que de renseignements fournis au titre du suivi. Le représentant de l’État partie s’est engagé à ce que les renseignements à ce titre soient communiqués concernant les affaires encore en suspens (communications no 1167/2003 − Ramil Rayos, et 1110/2002 − Rolando), et à déterminer si des renseignements complémentaires seraient communiqués au titre du suivi dans les autres affaires, notamment celles de Wilson (communication no 868/1999) et de Piandiong (communication no 869/1999). |
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État partie |
FÉDÉRATION DE RUSSIE |
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Affaire |
Smirnova, 712/1996 |
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Constatations adoptées le |
5 juillet 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Détention avant jugement; déni du droit de l’auteur d’être informé des motifs de son arrestation ou des charges retenues contre elle; refus du droit d’être traduite dans le plus court délai devant un juge ou un magistrat; déni du droit d’introduire un recours devant un tribunal afin que celui‑ci statue sur la légalité de son arrestation; conditions de détention et absence de soins médicaux − article 9, paragraphes 3 et 4, et article 10, paragraphe 1. |
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Réparation recommandée |
Un recours utile, sous la forme d’une indemnisation appropriée pour les violations subies. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
28 octobre 2004 |
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Date de la réponse |
24 novembre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie présente un rapide exposé des faits. Il déclare ensuite que la plainte de l’auteur quant à l’illégalité de sa détention a été examinée par le tribunal conformément à la législation alors en vigueur. L’article 331 ne permettait pas de contester les décisions prises par un tribunal au titre de l’article 220‑2. Dans un arrêt de 1998, la Cour constitutionnelle a prononcé l’inconstitutionnalité de l’article 331 dans la mesure où il ne permettait pas de faire appel des décisions de l’organe judiciaire portant sur la détention avant jugement. Il est désormais possible de faire appel des décisions d’un tribunal au titre de l’article 220‑2, et c’est ce qui s’est produit. La décision de la Cour suprême a été prise en compte dans le nouveau Code de procédure pénale. Les personnes qui ont affaire à la justice pénale font pleinement usage du droit de faire appel à une décision touchant à la détention avant jugement. Au premier semestre 2004, les tribunaux russes ont examiné 116 760 requêtes/ recours touchant des décisions portant sur la détention avant jugement; 105 364, soit 90,2 % des décisions, ont été confirmées. La Cour suprême en formation plénière examine actuellement la question de la prorogation de la durée de la détention avant jugement en vue de formuler une recommandation uniforme en la matière. Selon l’État partie, les conclusions du Comité selon lesquelles il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 10 par l’État partie ne sont pas fondées/justifiées. Le 10 décembre 1996, l’auteur a été placée dans un centre spécial de détention «ouvert» pour femmes, le centre no 6, à Moscou, dont il est reconnu que les conditions sont satisfaisantes. Pendant sa détention, l’auteur a demandé à recevoir des soins médicaux. L’aggravation de son état chronique (vasculite) n’était pas connue à ce stade. Selon les médecins qui l’ont soignée à l’époque, rien dans son état physique n’empêchait qu’elle soit mise en détention avant jugement. L’auteur a émis toutes sortes de protestations, mais ne s’est jamais plainte des conditions de détention. |
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État partie |
FÉDÉRATION DE RUSSIE |
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Affaire |
Lantsova, 763/1997 |
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Constatations adoptées le |
26 mars 2002 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Décès en détention provisoire; mauvaises conditions de détention − articles 6 et 10. |
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Réparation recommandée |
Le Comité est d’avis que Mme Lantsova a droit, en vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, à un recours utile. L’État partie devrait prendre des mesures efficaces: a) pour octroyer une indemnisation appropriée; b) pour faire diligenter une enquête officielle sur le décès de M. Lantsov; et c) pour veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir, notamment en prenant des mesures immédiates pour que les conditions de détention soient compatibles avec l’obligation qui incombe à l’État partie en vertu des articles 6 et 10 du Pacte. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
22 septembre 2002 |
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Date de la réponse |
23 septembre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie a réitéré les arguments qu’il avait déjà présentés le 16 octobre 2002 (voir A/58/40, p. 121, par. 247), à savoir qu’une enquête interne avait déjà été menée en 1995 pour déterminer les causes du décès de l’auteur et qu’il y avait eu aussi une enquête de la Commission indépendante d’experts médicaux. Leurs conclusions n’avaient pas fait apparaître d’acte illicite de la part du personnel du centre de détention. |
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État partie |
FÉDÉRATION DE RUSSIE |
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Affaire |
Gridin, 770/1997 |
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Constatations adoptées le |
20 juillet 2000 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Arrestation et détention illégales (mandat d’arrêt délivré trois jours après le placement en détention) et déni du droit de consulter un avocat, procès inéquitable, violation de la présomption d’innocence − article 9, paragraphe 1, et article 14, paragraphes 1, 2 et 3 c) |
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Réparation recommandée |
Indemnisation et libération immédiate de l’auteur |
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Réponse de l’État partie attendue le |
14 décembre 2000 |
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Date de la réponse |
23 septembre 2004 (l’État partie avait déjà fourni une réponse le 18 octobre 2001 (voir rapport annuel A/57/40, vol. 1)). |
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Réponse de l’État partie |
Dans sa deuxième réponse portant sur les constatations du Comité, l’État partie fait observer que lesdites constatations ont été examinées par la Cour suprême mais que les arguments avancés par le Comité dans sa décision ont été jugés dénués de fondement («sans confirmation»), même après un deuxième examen du dossier de l’affaire. L’auteur a été arrêté conformément à la loi le 26 novembre 1989. Son arrestation a été avalisée par le Procureur le 29 novembre 1989. Il a été autorisé à consulter un avocat dès son inculpation, conformément à la loi. Il ne s’est jamais plaint de n’avoir pas pu consulter un avocat, et un avocat a effectivement participé à toutes les étapes de la procédure. Son droit à l’assistance d’un défenseur n’a donc pas été violé. Inculpé de viol, l’auteur a été jugé à huis clos. Aucune violation du Code de procédure pénale n’a été établie à l’occasion de l’examen des preuves médico‑légales ou autres. Gridin et son avocat ont eu dûment accès aux documents nécessaires pour préparer sa défense. Enfin, l’État partie souligne qu’il est un fait reconnu que le Comité n’est pas un tribunal et que ses constatations ont valeur de recommandations. Les autorités de l’État partie leur accordent beaucoup de poids et les prennent très au sérieux. C’est la raison pour laquelle l’État partie a procédé à un deuxième examen de l’affaire. Toutefois, ses conclusions sont restées les mêmes. |
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Réponse de l’auteur |
Dans une lettre datée du 20 juin 2005, l’avocat se plaint de ce que la recommandation du Comité n’a pas été mise en œuvre. |
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État partie |
FÉDÉRATION DE RUSSIE |
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Affaire |
Dugin, 815/1998 |
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Constatations adoptées le |
5 juillet 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Enquête préliminaire inadéquate et procès inéquitable − article 14. |
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Réparation recommandée |
En application du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que l’auteur a droit à un recours approprié sous la forme d’une indemnisation et d’une libération immédiate. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
3 octobre 2004 |
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Date de la réponse |
10 décembre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie a réitéré les observations qu’il avait communiquées au Comité avant l’examen de la communication. Le procès de l’auteur a eu lieu en 1995, époque où le Code pénal de la République fédérative socialiste soviétique de Russie (c’est‑à‑dire le Code de l’époque de l’ancienne URSS) de 1960 était en vigueur. Le témoin dont l’auteur demandait la comparution, Chikin, était l’une des victimes; il était aussi témoin du meurtre de Naumkin. Le tribunal était autorisé par la loi à statuer, même en l’absence de ce témoin. Conformément à la loi, le tribunal s’est demandé en l’espèce s’il y avait lieu de poursuivre le procès ou de l’ajourner en attendant que Chikin puisse être entendu et il a décidé de poursuivre le procès, estimant que même en l’absence de Chikin il serait possible de se faire une idée complète de ce qui s’était passé. Comme le prévoit la loi lorsque le témoin ne peut pas être entendu, la déposition faite par Chikin au stade de l’instruction pouvait être lue à l’audience et c’est ce qui a été fait. (Chikin n’a pas pu être entendu, la police n’ayant pas retrouvé sa trace.) Le 1er juillet 2002, un nouveau Code pénal est entré en vigueur dans l’État partie. Il contient des dispositions analogues à celles qui viennent d’être mentionnées. Pour ce qui est de la question des preuves fournies par les experts, l’auteur a pu demander des explications et un complément d’information sur les conclusions de l’expert après qu’il en eut été donné lecture à l’audience. Toutefois, rien dans l’ancien Code pénal n’exigeait la comparution de l’expert, pas plus que dans le nouveau. |
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Réponse de l’auteur |
Le 20 mars 2005, le conseil de l’auteur a envoyé des commentaires sur les observations de l’État partie. Il déclarait que ces observations ne contenaient aucun argument convaincant au sujet de la position de son client, et qu’elles n’abordaient pas la question de l’obligation de l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires en vue de la comparution des témoins. De plus, ces observations ne contenaient pas d’indication des raisons pour lesquelles l’expert médical n’avait pas été entendu. |
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État partie |
FÉDÉRATION DE RUSSIE |
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Affaire |
Telitsin, 888/1999 |
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Constatations adoptées le |
29 mars 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Pas d’enquête adéquate à la suite de torture et de traitement inhumain infligés en détention et ayant entraîné la mort du détenu − article 6, paragraphe 1, article 7 et article 10, paragraphe 1. |
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Réparation recommandée |
Mesures effectives. Le Comité a invité l’État partie à prendre des mesures effectives a) pour mener une enquête adéquate, approfondie et transparente sur les circonstances du décès de M. Vladimir Nikolayevich Telitsin, et b) octroyer à l’auteur une indemnisation appropriée. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
20 juillet 2004 |
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Réponse datée du |
24 novembre 2004 et 17 janvier 2005 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie fait savoir au Comité que, le 6 septembre 2004, sur instruction du Procureur général, le procureur de la région de Sverdlovsk a annulé la décision de ne pas déclencher l’action pénale à propos de la mort de l’auteur, au motif que l’enquête sur les circonstances de l’affaire avait été incomplète. Un nouvel examen a été ordonné et a été confié au procureur de Nizhnetagilski. Le médecin légiste Isakova, qui avait examiné le corps de Telitsin, a été à nouveau interrogée. Elle a déclaré qu’aucune lésion autre qu’une marque de strangulation n’avait été relevée sur le corps. Elle estimait que la mort était due à l’asphyxie provoquée par l’utilisation de nœuds coulants. Une infirmière, Kudrinova, qui avait assisté à l’autopsie, a confirmé ce point de vue. Afin de vérifier les allégations de l’auteur qui soutenait que certains gardiens de prison avaient participé au meurtre, il a été procédé à la consultation des archives jusqu’en 1994. Selon les données disponibles, les gardiens en cause sont à la retraite et ne travaillent plus à la prison. Compte tenu du temps pendant lequel les dossiers concernant le personnel des prisons sont conservés, tout est fait pour tenter de retrouver les documents en question. Ordre a été donné de confier à un expert l’examen des photographies post‑mortem. Ce travail ne pouvant se faire à la prison pour des raisons techniques a lieu ailleurs dans la région. L’auteur ayant refusé de se présenter au bureau du procureur pour exposer ses arguments sur l’exhumation du cadavre ainsi que sur d’autres points, le procureur de Nizhnetagilski a décidé le 24 septembre 2004 de ne pas déclencher l’action pénale. Mais il a annulé sa décision le 30 septembre 2004 et il est prévu d’exhumer le corps de Telitsin, d’examiner les photos post‑mortem et d’interroger les anciens gardiens de prison dans un avenir proche. L’instruction se poursuit sous la direction du Procureur général. Le 17 janvier 2005, l’État partie a fait savoir qu’afin de vérifier les allégations de Telitsina au sujet des mauvais traitements infligés à son fils (mort en détention provisoire), le Procureur de Nizhnetagilski avait ouvert une nouvelle enquête, au cours de laquelle le corps du fils de Telitsina a été exhumé; d’autres vérifications diverses (non précisées) ont également été effectuées. Aucune preuve que des actes délictueux aient été commis sur la personne de Telitsin n’ayant été découverte, il a été décidé (sans doute par le même bureau du procureur, le 8 octobre 2004) de ne pas engager de poursuites. Le Procureur général de la Fédération de Russie a aussi examiné les dossiers ci‑dessus et a approuvé cette décision. Le 9 mars 2005, l’État partie a transmis une copie d’une décision datée d’octobre 2004, par laquelle l’adjoint au Procureur de Nizhyi Tagil avait rejeté la demande de Mme Telitsina qui souhaitait l’ouverture d’une action pénale pour la mort de son fils. Le Procureur avait examiné les griefs de l’auteur au regard des éléments de preuve existants, notamment des dépositions des témoins, ainsi que des résultats de l’autopsie pratiquée le 6 octobre 2004 sur le corps exhumé de Telitsin. Le Procureur a décidé de ne pas déclencher l’action pénale du fait de l’absence d’indices attestant la perpétration d’actes délictueux. |
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État partie |
ESPAGNE − CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES CONCERNANT LES AFFAIRES PORTANT SUR DES VIOLATIONS DU PARAGRAPHE 5 DE L’ARTICLE 14 Le 16 novembre 2004, l’État partie a fait savoir au Comité que la loi no 19/2003 du 23 décembre 2003 était entrée en vigueur le 16 janvier 2004. Cette loi prévoit la possibilité de faire appel des jugements de l’Audiencia Nacional et des Audiencias Provinciales. Elle a pour objet de réduire le nombre de dossiers en instance devant le Tribunal suprême et de donner suite aux constatations du Comité dans l’affaire concernant Gómez Vásquez. La loi a été adoptée et est entrée en vigueur, mais l’État partie tient à souligner que i) le système de recours (cassation) antérieur était tout à fait semblable à celui d’autres pays européens et qu’il était même plus ouvert que certains d’entre eux puisque la révision pour erreur de fait était prévue, alors que le pourvoi en cassation se limite traditionnellement à des points de droit; ii) la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le système de cassation espagnol respectait entièrement le droit de faire examiner la condamnation par une juridiction supérieure; et iii) que le système de cassation était assez étendu pour s’appliquer aux affaires qui touchent à la présomption d’innocence. L’État partie estime que nulle disposition du Pacte ne peut l’obliger à modifier des condamnations qui ont déjà été exécutées, sauf à violer le principe de la chose jugée. Cette conclusion s’applique à toutes les communications qui ont déjà été examinées par le Comité ainsi qu’aux nouvelles communications portant sur des condamnations et des déclarations de culpabilité prononcées avant l’entrée en vigueur de la loi no 19/2003, ce qui pose la question de la compatibilité du système de cassation espagnol avec le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. La loi no 19/2003 porte sur des questions de procédure et n’a pas d’effet rétroactif. |
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Réponse de l’auteur |
En mars 2005, l’avocat des auteurs de certaines des communications dans lesquelles le Comité avait constaté des violations du paragraphe 5 de l’article 14 a fait savoir que l’État partie n’avait pris aucune mesure d’ordre législatif pour donner effet aux recommandations du Comité. Il n’existe pas en Espagne de procédure, en général, conçue pour donner suite aux décisions (ou arrêts) concernant des plaintes de particuliers rendues par les organes internationaux relatifs aux droits de l’homme, situation qui a été dénoncée par le Défenseur du peuple, les barreaux et les ONG. Le Parlement a rejeté un projet de loi tendant à mettre en place une telle procédure, qui avait été présenté en octobre 2002. |
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État partie |
ESPAGNE |
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Affaire |
526/1993, Hill et consorts |
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Constatations adoptées le |
2 avril 1997 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Durée excessive de la détention avant jugement et impossibilité pour les accusés de présenter eux‑mêmes leur défense devant les tribunaux espagnols − article 9, paragraphe 3, article 10, article 14, paragraphe 3 c) et 5, pour les deux auteurs, plus article 14, paragraphe 3 d), en ce qui concerne M. Hill uniquement. |
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Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, les auteurs ont droit à un recours utile, entraînant une indemnisation. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
Le 9 octobre 1997, l’État partie avait communiqué des renseignements sur la possibilité de demander une indemnisation. |
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Date de la réponse |
16 novembre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie indique que l’auteur a déposé une requête en annulation de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées. Le Tribunal constitutionnel avait rejeté la requête et indiqué que l’auteur devait former un pourvoi (révision). L’auteur a formé un pourvoi (révision) auprès de la deuxième chambre du Tribunal suprême, laquelle a décidé, le 25 juillet 2002, d’annuler la décision de l’instance saisie du pourvoi (Tribunal suprême) et une fois de plus rejeté le pourvoi initial de l’auteur (cassation). Dans ce deuxième arrêt, contrairement au précédent, le Tribunal suprême a pris dûment en compte les éléments de preuve avant de rejeter le pourvoi (cassation). L’auteur a introduit un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, recours qui est encore en instance. Il a également engagé une action contre le Ministère de la justice pour vice d’administration de la justice. Sa plainte a été rejetée et le recours formé devant l’Audiencia Nacional est toujours en instance. |
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État partie |
ESPAGNE |
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Affaire |
701/1996, Gómez Vásquez |
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Constatations adoptées le |
20 juillet 2000 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Déni du droit à un recours utile contre une déclaration de culpabilité et une condamnation pour les crimes les plus graves (examen judiciaire incomplet) − article 14, paragraphe 5. |
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Réparation recommandée |
Recours utile; la déclaration de culpabilité de l’auteur doit être annulée, à moins qu’elle ne soit révisée selon les normes prévues au paragraphe 5 de l’article 14. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
14 novembre 2000. L’État partie avait déjà répondu le 26 septembre 2001 et le 4 janvier 2002. |
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Réponse de l’État partie |
Le 16 novembre 2004, l’État partie a indiqué que le 14 décembre 2001 le Tribunal suprême en formation plénière avait décidé de rejeter la demande d’annulation de la déclaration de culpabilité de l’auteur. Il s’agit d’une décision majeure relativement à la compatibilité du système de cassation espagnol avec les prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. |
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État partie |
ESPAGNE |
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Affaire |
1007/2001, Sineiro |
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Constatations adoptées le |
7 août 2003 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Déni du droit à un recours utile contre la déclaration de culpabilité et la condamnation pour les crimes les plus graves (révision judiciaire incomplète) − article 14, paragraphe 5 |
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Réparation recommandée |
Recours utile, la déclaration de culpabilité de l’auteur doit être annulée, à moins qu’elle ne soit révisée selon les normes prévues au paragraphe 5 de l’article 14. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
20 novembre 2003 |
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Date de la réponse |
16 novembre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie déclare que le 16 février 2004 la deuxième chambre du Tribunal suprême a rejeté la demande d’annulation de la déclaration de culpabilité et de la condamnation. |
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État partie |
ESPAGNE |
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Affaire |
986/2001, Semey |
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Constatations adoptées le |
30 juillet 2003 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Refus du droit de former un recours utile contre la déclaration de culpabilité et la condamnation pour les crimes les plus graves (révision judiciaire incomplète) − article 14, paragraphe 5. |
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Réparation recommandée |
L’auteur doit avoir droit à un réexamen de sa déclaration de culpabilité conformément aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
20 novembre 2003 − l’État partie avait répondu le 5 mars 2004 (voir A/59/40). |
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Date de la réponse |
16 novembre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie indique qu’en dehors des lettres adressées au Comité, au Président de la République et au Ministère de la justice il n’apparaît pas que l’auteur ait formé un recours devant les tribunaux nationaux. |
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État partie |
SRI LANKA |
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Affaire |
Kankanamge, Victor Ivan, 909/2000 |
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Constatations adoptées le |
29 juillet 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Intimidation d’un journaliste sous la forme de diverses inculpations pour diffamation − article 2, paragraphe 3, article 14, paragraphe 3 c), et article 19. |
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Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, sous la forme d’une indemnisation appropriée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
24 novembre 2004 |
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Date de la réponse |
2 février 2005 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie indique que le Gouvernement sri‑lankais soumettra l’affaire à la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka pour qu’elle formule des recommandations quant au versement d’une indemnisation, et qu’elle détermine le montant de ladite indemnisation. |
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État partie |
SRI LANKA |
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Affaire |
Jayawardena, 916/2000 |
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Constatations adoptées le |
22 juillet 2002 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Menaces de mort dirigées contre un membre du Parlement − paragraphe 1 de l’article 9. |
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Réparation recommandée |
«Un recours utile» |
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Réponse de l’État partie attendue le |
22 octobre 2002 |
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Date de la réponse |
9 septembre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
(Repris du dernier rapport intérimaire) Conformément aux constatations du Comité, l’État partie a mené des enquêtes complémentaires et, à cette occasion, l’auteur a fait une nouvelle déclaration. Comme il n’a pas pu identifier les personnes qui l’auraient menacé, aucune autre action judiciaire n’a été entreprise. Toutefois, le Gouvernement a décidé de lui assurer une protection supplémentaire si nécessaire le moment venu. L’auteur n’avait présenté aucune demande de protection supplémentaire. L’État partie considérait donc l’affaire comme close. |
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Suite à la réponse de l’auteur en date du 18 octobre 2004, l’État partie a envoyé des commentaires supplémentaires, en date du 24 mars 2005, indiquant que le déploiement de personnel de sécurité par la police pour les personnalités se faisait sur la base de circulaires d’instructions émanant de l’Inspecteur général de la police. En vertu desdites instructions, un député n’a droit qu’à deux agents de sécurité. Dans leur rapport sur la perception des menaces, les Services du renseignement n’ont pas placé M. Jayawardena dans la catégorie des députés étant la cible de menaces d’une origine quelconque. Toutefois, eu égard à sa demande, deux agents de sécurité supplémentaires lui ont été attachés, portant à quatre le nombre des agents de sécurité assurant sa protection. |
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Réponse de l’auteur |
(Nouvelles informations émanant de l’auteur) Le 18 octobre 2004, l’auteur a répondu aux commentaires de l’État partie. Il affirme que ce dernier n’a pris aucune mesure pour enquêter sur ses plaintes faisant état de menaces de mort. Il a demandé à l’État partie une protection supplémentaire mais n’a pas encore reçu de réponse positive; en réalité, la protection qui lui a été fournie a été réduite. La Présidente n’a pris aucune mesure pour retirer ou rectifier les allégations qu’elle avait formulées contre lui. Il déclare avoir de nouveau été élu député lors des élections qui ont eu lieu en avril 2004, et occupe actuellement le poste de porte-parole de l’opposition pour le relèvement, la réinstallation et les réfugiés et a fait des représentations, dans le cadre de ses activités, au sujet des violations des droits de l’homme visant des députés de l’opposition. C’est pour cette raison selon lui que sa vie est davantage menacée. Il demande au Comité d’intervenir auprès de la Présidente de Sri Lanka pour qu’elle lui fournisse une protection supplémentaire comme il l’a demandé, aussi rapidement que possible, et que les enquêtes sur ses plaintes soient poursuivies. |
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État partie |
SRI LANKA |
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Affaire |
Sarma, Jegatheeswara, 950/2000 |
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Constatations adoptées le |
16 juillet 2003 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Détention dans un camp militaire, mauvais traitements et disparition − articles 7 et 9. |
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Réparation recommandée |
L’État partie est tenu de garantir à l’auteur et à sa famille un recours utile, consistant à mener une enquête approfondie et efficace sur la disparition et le sort du fils de l’auteur, à le remettre immédiatement en liberté s’il est encore en vie, à donner des renseignements appropriés à l’issue de cette enquête et à indemniser le fils de l’auteur, l’auteur et sa famille de façon appropriée pour les violations subies. L’État partie est également tenu de diligenter la procédure pénale et de faire en sorte que tous les responsables de l’enlèvement du fils de l’auteur soient jugés sans délai en application de l’article 356 du Code pénal sri‑lankais et de traduire en justice toute autre personne impliquée dans cette disparition. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
4 novembre 2003 |
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Date de la réponse |
2 février 2005 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie indique qu’une action pénale a été engagée contre les personnes accusées de l’enlèvement du fils de l’auteur devant la Haute Cour (High Court) de Trincomalee. Au nom du Gouvernement sri‑lankais, le Ministre de la justice (Attorney ‑General) a donné pour instruction au tribunal de diligenter la procédure. Le Gouvernement va ensuite renvoyer l’affaire à la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka afin qu’elle fasse des recommandations sur la question de l’indemnisation et en détermine le montant. |
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Commentaires de l’auteur |
Le 11 avril 2005, le conseil de l’auteur a envoyé des commentaires sur la réponse de l’État partie. Il a affirmé que l’État partie n’a pas donné suite à la décision sur les points suivants: il n’a pas enquêté sur toutes les personnes responsables alors que leur identité lui avait été communiquée par l’auteur; il n’a pas essayé de retrouver les témoins potentiels dont les noms et adresses lui avaient été communiqués et dont le témoignage pouvait donner des indications sur l’endroit où se trouvait le fils de l’auteur, et ne les a pas cités à comparaître comme témoins à charge dans le procès du caporal Sarath; il n’a pas versé d’indemnité mais a renvoyé la question de l’indemnisation à la fin du procès, ce qui, d’après l’expérience, risque de se traduire par de nouveaux délais excessifs, si ce n’est au renvoi indéfini de la question de l’indemnisation. Une action est en cours depuis trois ans contre le caporal Sarath devant la Haute Cour (High Court) de Trincomalee. Rien dans le dossier de l’affaire n’indique que le tribunal ait reçu une demande quelconque tendant à accélérer la procédure, encore moins qu’il y ait donné suite. |
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État partie |
SRI LANKA |
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Affaire |
Nallaratnam Singarasa, 1033/2001 |
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Constatations adoptées le |
21 juillet 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Procès inéquitable, mauvais traitements, absence de véritables voies de recours − paragraphe 3 de l’article 2, article 7, paragraphes 1, 2, 3 c) et g) de l’article 14. |
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Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer à l’auteur une réparation effective et appropriée, consistant en sa libération ou un nouveau procès et une indemnisation. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir et devrait faire en sorte que les dispositions contestées de la loi sur la prévention du terrorisme soient rendues conformes à celles du Pacte. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
4 novembre 2004 |
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Date de la réponse |
2 février 2005 |
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Réponse de l’État partie |
À titre de remarque générale, l’État partie se dit préoccupé par plusieurs décisions récentes que le Comité a adoptées sans prendre dûment en considération les dispositions de la Constitution et le régime juridique en vigueur à Sri Lanka. Selon lui, pour conserver la confiance des gouvernements, il est impératif que le Comité accorde l’importance voulue à ces facteurs et veille à ce que la procédure que l’État partie s’est engagé de bonne foi à respecter ne soit pas utilisée de manière abusive par des parties à leurs propres fins. Se référant à la mention qui est faite de la loi sur la prévention du terrorisme dans les constatations relatives aux communications no 1033/2001 et no 950/2000, l’État partie tient à préciser que cette loi a été adoptée à titre provisoire seulement, en raison du caractère exceptionnel de la situation que connaissait le pays sur le plan de la sécurité, afin de prévenir les actes de terrorisme et les autres activités illicites qui ont causé de terribles destructions − vies humaines et biens − au cours des deux dernières décennies à Sri Lanka. Les dispositions de la loi sur la prévention du terrorisme prévoient que si un suspect est détenu en vertu d’un mandat d’arrêt délivré au titre du paragraphe 1 de l’article 9 de la loi, il doit être présenté à un magistrat au plus tard 72 heures après son arrestation. En tout état de cause, nul ne peut être détenu sans inculpation au‑delà d’une période maximale de 18 mois, au cours de laquelle l’enquête sur le suspect doit être menée à son terme. Depuis la signature du Mémorandum d’accord entre le Gouvernement sri‑lankais et les LTTE, en février 2002, toutes les enquêtes pénales et les arrestations sont effectuées suivant les dispositions de la procédure pénale et non en vertu de la loi sur la prévention du terrorisme. Depuis la signature du Mémorandum, environ un millier d’inculpations de personnes détenues en vertu de la loi sur la prévention du terrorisme ont été retirées. En outre, 338 personnes qui étaient en détention en attendant leur inculpation ont été libérées à la fin de l’année 2003. En janvier 2004, on comptait 62 affaires en instance devant la Special High Court, juridiction d’exception qui a été créée afin de diligenter les procès en question. Il s’agit de procédures engagées avant la signature du Mémorandum d’accord pour lesquelles les inculpations n’ont pas été retirées par l’Attorney ‑General en raison de la gravité de l’infraction. En ce qui concerne la demande qui lui est adressée en l’espèce par le Comité, l’État partie fait valoir que la Constitution de Sri Lanka et le régime juridique en vigueur ne prévoient pas la libération ni un nouveau procès ni l’indemnisation d’une personne qui a été reconnue coupable lorsque sa condamnation est confirmée par la juridiction d’appel du degré le plus élevé, c’est-à-dire la Cour suprême. Semblables mesures seraient contraires à la Constitution et équivaudraient à une atteinte à l’indépendance de la magistrature. Toutefois, afin de se conformer aux constatations du Comité, les autorités judiciaires «pourraient» recommander à la Présidente d’exercer son pouvoir souverain d’accorder une grâce en vertu de l’article 34 de la Constitution. La grâce présidentielle est laissée à la discrétion souveraine du chef de l’État. Ce pouvoir conféré par la Constitution permet d’accorder la grâce ou un sursis à l’exécution de la peine mais ne permet pas d’annuler une condamnation prononcée par un tribunal compétent. |
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État partie |
TADJIKISTAN |
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Affaire |
Saidova, 964/2001 |
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Constatations adoptées le |
8 juillet 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Peine capitale, procès inéquitable et torture − articles 6, 7, paragraphe 1 de l’article 10, paragraphes 1, 2, 3 b) et d) et 5 de l’article 14. |
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Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur a droit à un recours utile sous la forme d’une indemnisation. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
20 octobre 2004 |
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Date de la réponse |
29 septembre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie a informé le Comité que M. Saidov avait été exécuté au printemps 2001. Le Ministère des affaires étrangères du Tadjikistan affirme ne pas avoir reçu d’informations sur l’enregistrement de cette affaire ni d’informations ultérieures de la part du secrétariat entre 2001 et 2003; aucun dossier n’avait été trouvé dans les registres ou les archives du Ministère sur cette question. |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
En octobre 2004, un membre du secrétariat a rencontré une délégation tadjike au sujet de communications individuelles, rencontre au cours de laquelle la question de la suite donnée aux constatations a été examinée. La délégation a confirmé que jusqu’en 2002 les informations adressées à la Mission à New York n’étaient pas transmises aux autorités au Tadjikistan. Dorénavant, toutes les informations concernant des plaintes individuelles seront adressées au Représentant permanent à New York, au Ministère des affaires étrangères ainsi qu’à l’OSCE à Tachkent. Pendant la quatre‑vingt‑troisième session (29 mars 2005), le Rapporteur spécial a rencontré un membre de la Mission permanente du Tadjikistan auprès de l’Organisation des Nations Unies. Le Rapporteur a expliqué en quoi consistait son mandat et a remis au représentant le texte des constatations adoptées par le Comité concernant les communications no 1096/2002 (Kurbanov), no 964/2001 (Saidov) et no 1117/2002 (Khomidov). Le Rapporteur s’est dit préoccupé par l’absence d’informations ou par les réponses insatisfaisantes de la part de l’État partie sur l’application des recommandations du Comité dans les affaires en question. Il a dit que l’État partie pourrait donner des informations sur les mesures prises comme suite aux recommandations pendant l’examen du rapport périodique du Tadjikistan, en juillet 2005. Le représentant de l’État a donné au Rapporteur l’assurance qu’il ferait part de sa requête aux autorités tadjikes. Le 21 avril 2005, l’État partie a envoyé des renseignements sur les communications no 1096/2002 (Kurbanov), no 964/2001 (Saidov) et no 1117/2002 (Khomidov), réitérant les informations données auparavant. |
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État partie |
TADJIKISTAN |
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Affaire |
Khalilov, 973/2001 |
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Constatations adoptées le |
30 mars 2005 |
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Questions soulevées et violations constatées |
La victime a été torturée afin de lui faire avouer sa culpabilité. Son père a été roué de coups et torturé devant lui et il est mort des suites de ces mauvais traitements dans les locaux de la police; Khalilov a été condamné à mort en vertu d’un jugement non susceptible d’appel. La peine de mort a été prononcée et appliquée en violation du droit à un procès équitable. Le fait que les autorités n’aient pas averti l’auteur de l’exécution de son fils constituait une violation de l’article 7. Le Comité a constaté des violations du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10, et des paragraphes 2, 3 g) et 5 de l’article 14 du Pacte. |
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Réparation demandée |
Réparation consistant à informer l’auteur du lieu où son fils a été enterré et à lui octroyer une indemnisation. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
30 juin 2005 |
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Date de la réponse |
Note verbale datée du 24 mai 2005, reçue le 11 juillet 2005. |
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Réponse de l’État partie |
Le Ministère des affaires étrangères n’a pas reçu la note du Comité lui demandant de ne pas exécuter le fils de l’auteur ni ses notes ultérieures sollicitant de lui des observations. L’État partie affirme qu’il ignorait totalement que le Comité était saisi de la communication. |
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État partie |
TADJIKISTAN |
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Affaire |
Kurbanov, 1096/2002 |
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Constatations adoptées le |
6 novembre 2003 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Arrestation et détention arbitraires, torture, procès inéquitable, représentation en justice absente ou insuffisante, pas de droit de recours, pas d’interprétation, conditions inhumaines, condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable − article 6, article 7, paragraphes 2 et 3 de l’article 9, article 10, et paragraphes 1 et 3 a) et g) de l’article 14. |
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Réparation recommandée |
Indemnisation et nouveau procès devant une juridiction de droit commun offrant toutes les garanties prévues à l’article 14 ou, en cas d’impossibilité, libération. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
10 février 2003 |
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Date de la réponse |
29 septembre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie a confirmé que, suite aux constatations du Comité, la condamnation à mort avait été commuée en peine d’emprisonnement «de longue durée». L’État partie a ensuite informé le Comité que cette durée était de 25 ans. L’État partie a envoyé un exemplaire de la réponse conjointe adressée par le Bureau du Procureur général et la Cour suprême au Premier Ministre adjoint. Le Procureur général et la Cour suprême ont réexaminé l’affaire. Soupçonné de fraude, il a été arrêté le 12 mai 2001 et est en détention depuis le 15 mai 2001. D’après les autorités, son dossier ne contient aucune information faisant état de tortures ou de mauvais traitements qu’il aurait subis et il n’a pas présenté de plainte en ce sens durant l’enquête ou devant le tribunal. Les autorités ont conclu que sa condamnation pour différents crimes (y compris des meurtres) était fondée, que le jugement était justifié et qu’il n’y avait aucune raison de le remettre en cause. |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Pendant la quatre‑vingt‑troisième session (29 mars 2005), le Rapporteur spécial a rencontré M. Nazarov, membre de la Mission permanente du Tadjikistan auprès de l’Organisation des Nations Unies. Il a expliqué en quoi consistait son mandat et a remis à M. Nazarov le texte des constatations du Comité concernant les communications no 1096/2002 (Kurbanov), no 964/2001 (Saidov) et no 1117/2002 (Khomidov). Le Rapporteur s’est dit préoccupé par l’absence d’informations ou les réponses insatisfaisantes de la part de l’État partie sur l’application des recommandations du Comité dans les affaires en question. Il a dit que l’État partie pourrait donner des informations sur les mesures qu’il a prises comme suite aux recommandations pendant l’examen du rapport périodique du Tadjikistan, en juillet 2005. M. Nazarov a donné au Rapporteur l’assurance qu’il ferait part de sa requête aux autorités tadjikes. Le 21 avril 2005, l’État partie a envoyé des renseignements sur les communications no 1096/2002 (Kurbanov), no 964/2001 (Saidov) et no 1117/2002 (Khomidov), réitérant les informations données auparavant. |
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État partie |
TADJIKISTAN |
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Affaire |
Khomidov, 1117/2002 |
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Constatations adoptées le |
29 juillet 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Peine capitale, procès inéquitable, torture, détention arbitraire − articles 6, 7, paragraphes 1 et 2 de l’article 9, paragraphes 1, 3 b), e) et g) de l’article 14. |
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Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’accorder à M. Khomidov un recours utile donnant lieu à une commutation de la peine capitale, à une indemnisation et à un nouveau procès qui offre toutes les garanties prévues à l’article 14 ou, en cas d’impossibilité, à sa remise en liberté. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
3 novembre 2004 |
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Date de la réponse |
13 décembre 2004 (reçue en mars 2005) |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie envoie des exemplaires des réponses adressées par le Bureau du Procureur général et la Cour suprême qui ont étudié la question de savoir si l’affaire devait être réexaminée à la suite des constatations de violation du Pacte faites par le Comité. Ayant procédé à un réexamen approfondi de l’affaire quant au fond, la Cour suprême a considéré que la condamnation était justifiée et conforme à la loi et qu’il n’y avait pas de raison de rouvrir le dossier. Le Procureur est parvenu à la même conclusion. Toutefois, à la suite du moratoire sur la peine capitale daté du 15 juin 2004, la condamnation à mort a été commuée en un emprisonnement de 25 ans, dont les cinq premiers seront passés en prison et le reste dans une «colonie pénitentiaire». Le 21 avril 2005, l’État partie a envoyé des renseignements sur les communications no 1096/2002 (Kurbanov), no 964/2001 (Saidov) et no 1117/2002 (Khomidov), réitérant les informations données auparavant. |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Pendant la quatre‑vingt‑troisième session (29 mars 2005), le Rapporteur spécial a rencontré M. Nazarov, membre de la Mission permanente du Tadjikistan auprès de l’Organisation des Nations Unies. Il a expliqué en quoi consistait son mandat et a remis à M. Nazarov le texte des constatations du Comité concernant les communications no 1096/2002 (Kurbanov), no 964/2001 (Saidov) et no 1117/2002 (Khomidov). Le Rapporteur s’est dit préoccupé par l’absence d’informations ou les réponses insatisfaisantes de la part de l’État partie sur l’application des recommandations du Comité dans les affaires en question. Il a dit que l’État partie pourrait donner des informations sur les mesures qu’il a prises comme suite aux recommandations pendant l’examen du rapport périodique du Tadjikistan, en juillet 2005. M. Nazarov a donné au Rapporteur l’assurance qu’il ferait part de sa requête aux autorités tadjikes. |
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État partie |
UKRAINE |
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Affaire |
A. Aliev, 781/1997 |
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Constatations adoptées le |
7 août 2003 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Procès inéquitable, déni du droit à l’assistance d’un défenseur − paragraphes 1 et 3 d) de l’article 14. |
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Réparation recommandée |
Étant donné que l’auteur n’a pas été dûment représenté par un avocat pendant les premiers mois suivant son arrestation et pendant une partie du procès alors même qu’il risquait d’être condamné à mort, il convient d’envisager sa libération anticipée. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
1er décembre 2003 |
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Date de la réponse |
17 août 2004 |
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Réponse de l’État partie |
D’après l’État partie, l’affaire a été examinée par le Procureur général, qui a établi qu’Aliev avait été régulièrement condamné compte tenu des charges retenues contre lui le 11 avril 1997 et condamné à mort. Le 17 juillet 1997, la Cour suprême a confirmé la déclaration de culpabilité et la condamnation. L’auteur invente quand il affirme n’avoir pas pu voir un conseil durant les cinq mois qu’avait duré l’enquête. Arrêté le 28 août 1996, il avait été interrogé en présence de son avocat. L’enquête judiciaire s’était déroulée avec la participation de son avocat qui avait participé à toutes les étapes de la procédure et l’avait défendu au procès. Après sa condamnation, Aliev et son avocat avaient formé un recours devant la Cour suprême. L’auteur avait été informé de la tenue de l’audience de la Cour suprême mais, pour des raisons inconnues, il ne s’était pas présenté. Les pièces du dossier démentaient les affirmations d’Aliev, selon lesquelles il aurait été soumis à des «moyens d’enquête illégaux» ou victime de violations du Code de procédure pénale. Aucun élément ne portait à croire qu’il en avait été ainsi et Aliev n’avait pas formulé de plaintes à l’époque. Ce n’était qu’au moment du recours qu’Aliev avait commencé à affirmer que la police l’avait contraint à faire des aveux. Une amnistie ayant été proclamée, la condamnation à mort avait été commuée en emprisonnement à vie. Dans ces circonstances, l’État partie fait valoir qu’il n’y a pas lieu de modifier les conclusions des organes judiciaires compétents. |
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État partie |
URUGUAY |
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Affaire |
Viana, 110/1981 |
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Constatations adoptées le |
31 mars 1983 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Traitement inhumain, déni du droit d’être défendu par le conseil de son choix et longueur excessive de la procédure − article 7, paragraphe 1 de l’article 10, paragraphe 3 b), c) et d) de l’article 14. |
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Réparation recommandée |
Assurer un recours utile et en particulier indemniser la victime pour les préjudices physiques et mentaux et les souffrances que lui avait causées le traitement inhumain qu’elle avait subi. |
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Réponse de l’État partie |
Le 31 mai 2000, l’État partie avait fait savoir au Comité qu’il avait décidé d’accorder à l’auteur une indemnité de 120 000 dollars des États-Unis. |
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Commentaires de l’auteur |
Dans une lettre du 4 novembre 2004, l’auteur affirme que l’État partie n’a pas donné suite aux constatations du Comité. |
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État partie |
OUZBÉKISTAN |
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Affaire |
Navarov, 911/2000 |
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Constatations adoptées le |
6 juillet 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
«Coup monté» déguisé en délit pénal, refus du droit à un conseil et aux visites de la famille, discrimination fondée sur la conviction religieuse − paragraphe 3 de l’article 9 et article 14. |
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Réparation recommandée |
Un recours utile sous la forme d’une indemnisation et de la libération immédiate de l’auteur. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
28 octobre 2004 |
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Date de la réponse |
27 octobre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie a donné une réponse détaillée aux constatations du Comité. On se souviendra que l’État partie n’avait fait parvenir aucune information sur la recevabilité et le fond de l’affaire avant son examen par le Comité. Dans sa réponse, l’État partie expose les faits. Il déclare que, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, la voiture a été fouillée une fois seulement, le 26 décembre 1997, en présence de témoins qui ont déposé en ce sens devant le tribunal de première instance. L’auteur a été placé en détention le 28 décembre, après son arrestation et sur la base des faits qui lui étaient reprochés, et a été libéré le 31 décembre. Par conséquent, selon l’État partie, il n’a pas été détenu illégalement pendant cinq jours. Le 29 décembre, il a été interrogé en présence de son avocat qui a participé à la procédure à partir de ce moment-là. Pour ce qui est de la demande de l’auteur qui voulait qu’un expert soit désigné pour déterminer la provenance géographique du chanvre, l’État partie déclare qu’elle a été rejetée par le tribunal parce qu’elle n’aurait pas apporté d’élément significatif au dossier. Un chimiste expert auprès des tribunaux avait confirmé le 27 décembre que les substances en question étaient bien des stupéfiants. Enfin, l’État partie indique qu’en vertu de la loi d’amnistie promulguée par décret présidentiel le 3 décembre 2002, l’auteur a été libéré le 21 janvier 2003. Étant de nationalité kirghize, il a été accompagné à la frontière et a quitté le territoire soumis à la juridiction de l’Ouzbékistan. De l’avis de l’État partie, la décision rendue par les tribunaux nationaux dans cette affaire était justifiée. |
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État partie |
OUZBÉKISTAN |
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Affaire |
Arutyunyan, 917/2000 |
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Constatations adoptées le |
29 mars 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Peine capitale − procès inéquitable et mauvais traitements − paragraphe 1 de l’article 10 et paragraphe 3 b) de l’article 14. |
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Réparation recommandée |
Assurer à M. Arutyunyan un recours utile, qui pourrait consister en une nouvelle réduction de peine et une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
12 juillet 2004 |
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Date de la réponse |
31 décembre 2004 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie a fait parvenir une réponse détaillée aux constatations du Comité. On se souviendra que l’État partie n’avait donné aucune information sur la recevabilité et le fond de la communication avant son examen par le Comité. La seule information qu’il avait apportée était que la condamnation à mort de l’auteur avait été commuée en 15 ans d’emprisonnement. Dans sa réponse, l’État partie réfute les allégations ainsi que les constatations faites contre lui. Il affirme que l’auteur a été représenté par un conseil à partir du 7 juin 1999 pendant toute l’enquête préliminaire et le procès. Il ajoute que l’auteur a avoué le crime dans une déclaration et n’a pas dit au tribunal avoir été maltraité ou avoir subi des pressions afin de passer aux aveux. Du 27 septembre au 5 octobre 1999, les audiences du tribunal ont été suspendues afin de permettre à son avocat d’étudier le dossier. Le 20 décembre 1999, l’affaire a été examinée par la chambre d’appel de la Cour suprême, audience au cours de laquelle le conseil n’a pas signalé de difficultés rencontrées pour préparer la défense de l’auteur. Aucune des allégations formulées par l’auteur ne figure dans le dossier. L’État partie affirme qu’il est faux de prétendre que la condamnation à mort a été commuée afin de couvrir les erreurs commises pendant le procès, et ajoute qu’à la suite de plusieurs décrets d’amnistie la peine de prison initiale de 20 ans a été ramenée à 6 ans, 10 mois et 11 jours. En fait, l’emprisonnement prendra fin le 15 avril 2006. Entre le 6 décembre 2001 et le 20 janvier 2004, l’auteur a été transféré de la prison dans une «colonie» à «régime renforcé», puis à partir du 20 janvier 2004, dans une colonie à «régime ordinaire». |
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État partie |
OUZBÉKISTAN |
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Affaire |
Hudoyberganova, 931/2000 |
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Constatations adoptées le |
5 novembre 2004 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Atteinte à la liberté d’expression des convictions religieuses (interdiction de porter le foulard) − paragraphe 2 de l’article 18. |
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Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à Mme Hudoyberganova un recours utile. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
10 mars 2005 |
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Date de la réponse |
26 avril 2005 |
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Réponse de l’État partie |
Selon l’État partie, les opinions individuelles de M. Solari‑Yrigoyen, Sir Nigel Rodley et Mme Wedgwood montrent que l’auteur n’a pas étayé ses allégations d’exclusion de l’Institut d’État des langues orientales de Tachkent et également que les déclarations qu’elle a faites à propos du port du hijab étaient contradictoires. L’État partie souligne que l’Institut est un établissement d’enseignement laïc et qu’à ce titre il a un règlement intérieur, qui est obligatoire tant pour le personnel que les étudiants. Mme Hudoyberganova connaissait les dispositions du règlement intérieur, mais elle a refusé de s’y conformer. Malgré les avertissements de la direction de l’Institut, l’auteur a refusé de respecter le règlement intérieur et elle est entrée systématiquement en conflit avec les professeurs. Elle a en particulier accusé un professeur de corruption. Selon l’État partie, les griefs de l’auteur qui affirme avoir été l’objet de pressions illégales de la part de l’administration ne reflètent pas la réalité et sont dénués de fondement. D’après lui, Mme Hudoyberganova a été exclue de l’Institut après de nombreux avertissements, non pas en raison de ses convictions religieuses mais en raison de son attitude profondément irrespectueuse à l’égard d’un professeur et pour violation du règlement intérieur de l’Institut. L’État partie souligne également que l’attitude irrespectueuse de Mme Hudoyberganova à l’égard de ses professeurs et son comportement provocateur ont créé un climat moral «défavorable» à l’étude, qui a perturbé le déroulement des activités d’enseignement. Selon l’État partie, dans ses constatations, le Comité n’a pas pris en compte le comportement provocateur de l’auteur mais a concentré son attention sur le port d’un hijab. Le hijab que l’auteur portait lui couvrait complètement le visage, à l’exception des yeux, ce qui créait certaines difficultés dans ses contacts avec les professeurs pendant les cours. En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle elle a été exclue en raison de l’interdiction du port du hijab pour raisons religieuses, l’État partie affirme que l’islam ne prescrit pas le port de vêtements spécifiques, ce qui a été également confirmé par un spécialiste du Comité des religions au Conseil des ministres de l’Ouzbékistan. D’après l’État partie, l’opinion individuelle de M. Solari‑Yrigoyen rend parfaitement compte du fond de l’affaire, dans laquelle les motivations sont «plus complexes» que celles présentées et examinées par le Comité. Enfin, l’État partie conteste la conclusion de Sir Nigel Rodley dans son opinion individuelle concernant les raisons peu claires pour lesquelles l’État partie imposait des restrictions à l’auteur. Selon l’État partie, les restrictions prévues dans le règlement intérieur en question s’appliquaient non seulement à l’auteur mais à l’ensemble du personnel et des étudiants, sans exception. |
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État partie |
OUZBÉKISTAN |
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Affaire |
Arutyuniantz, 971/2001 |
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Constatations adoptées le |
30 mars 2005 |
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Questions soulevées et violations constatées |
Procès au cours duquel le principe de la présomption d’innocence n’a pas été respecté, en violation du paragraphe 2 de l’article 14. |
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Réparation recommandée |
Recours utile, sous la forme d’une indemnisation et d’un nouveau procès ou de la remise en liberté. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
30 juin 2005 |
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Date de la réponse |
1er juillet 2005 |
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Réponse de l’État partie |
L’État partie qualifie les conclusions du Comité d’«inadmissibles» et mentionne une série d’éléments qui prouvaient la culpabilité de l’auteur dans les meurtres pour lesquels il avait été condamné. Il ajoute que les tribunaux ont bien établi qui avait tué les victimes, c’est-à-dire M. Arutyuniantz et son complice. D’après le tribunal ils avaient de toute façon l’un et l’autre préparé les meurtres. L’État partie estime que les tribunaux ouzbèkes ont rendu une décision juste et n’ont commis aucune violation du principe de la présomption d’innocence. |
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