État partie

Date à laquelle le rapport était attendu

Rapports initiaux

Ouganda

25 juin 1988

Togo

17 décembre 1988

Guyana

17 juin 1989

Guinée

8 novembre 1990

Somalie

22 février 1991

Bosnie‑Herzégovine

5 mars 1993

Seychelles

3 juin 1993

Cap‑Vert

3 juillet 1993

Burundi

19 mars 1994

Antigua‑et‑Barbuda

17 août 1994

Éthiopie

12 avril 1995

Albanie

9 juin 1995

Tchad

7 juillet 1996

Tadjikistan

9 février 1996

Côte d’Ivoire

16 janvier 1997

République démocratique du Congo

16 avril 1997

Malawi

10 juillet 1997

Honduras

3 janvier 1998

Kenya

22 mars 1998

Bahreïn

4 avril 1999

Bangladesh

3 novembre 1999

Niger

3 novembre 1999

Afrique du Sud

8 janvier 2000

Burkina Faso

2 février 2000

Mali

27 mars 2000

Turkménistan

25 juillet 2000

Japon

29 juillet 2000

Mozambique

14 octobre 2000

Qatar

9 février 2001

Ghana

6 octobre 2001

Botswana

7 octobre 2001

Gabon

7 octobre 2001

Liban

3 novembre 2001

Sierra Leone

24 mai 2002

Nigéria

27 juillet 2002

Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines

30 août 2002

Lesotho

11 décembre 2002

Mongolie

22 février 2003

Irlande

10 mai 2003

Deuxièmes rapports périodiques

Afghanistan

25 juin 1992

Belize

25 juin 1992

Philippines

25 juin 1992

Ouganda

25 juin 1992

Togo

17 décembre 1992

Guyana

17 juin 1993

Brésil

27 octobre 1994

Guinée

8 novembre 1994

Somalie

22 février 1995

Roumanie

16 janvier 1996

Népal

12 juin 1996

Serbie‑et‑Monténégro

9 octobre 1996

Yémen

4 décembre 1996

Jordanie

12 décembre 1996

Bosnie‑Herzégovine

5 mars 1997

Bénin

10 avril 1997

Lettonie

13 mai 1997

Seychelles

3 juin 1997

Cap‑Vert

3 juillet 1997

Cambodge

13 novembre 1997

Burundi

19 mars 1998

Slovaquie

27 mai 1998

Antigua-et-Barbuda

17 août 1998

Costa Rica

10 décembre 1998

Sri Lanka

1er février 1999

Éthiopie

12 avril 1999

Albanie

9 juin 1999

États-Unis d’Amérique

19 novembre 1999

ex‑République yougoslave de Macédoine

11 décembre 1999

Namibie

27 décembre 1999

République de Corée

7 février 2000

Tadjikistan

9 février 2000

Cuba

15 juin 2000

Tchad

8 juillet 2000

République de Moldova

27 décembre 2000

Côte d’Ivoire

16 janvier 2001

République démocratique du Congo

16 avril 2001

El Salvador

16 juillet 2001

Lituanie

1er mars 2001

Koweït

6 avril 2001

Malawi

10 juillet 2001

Honduras

3 janvier 2002

Kenya

22 mars 2002

Kirghizistan

4 septembre 2002

Arabie saoudite

21 octobre 2002

Bahreïn

4 avril 2003

Troisièmes rapports périodiques

Afghanistan

25 juin 1996

Belize

25 juin 1996

France

25 juin 1996

Philippines

25 juin 1996

Sénégal

25 juin 1996

Ouganda

25 juin 1996

Uruguay

25 juin 1996

Autriche

27 août 1996

Togo

17 décembre 1996

Équateur

28 avril 1997

Guyana

17 juin 1997

Turquie

31 août 1997

Tunisie

22 octobre 1997

Australie

6 septembre 1998*

Algérie

11 octobre 1998

Brésil

27 octobre 1998

Guinée

8 novembre 1998

Somalie

22 février 1999

Malte

12 octobre 1999

Liechtenstein

1er décembre 1999

Roumanie

16 janvier 2000

Népal

12 juin 2000

Serbie‑et‑Monténégro

9 octobre 2000

Yémen

4 décembre 2000

Jordanie

12 décembre 2000

Monaco

4 janvier 2001

Bosnie‑Herzégovine

5 mars 2001

Bénin

10 avril 2001

Lettonie

13 mai 2001

Seychelles

3 juin 2001

Cap-Vert

3 juillet 2001

Cambodge

13 novembre 2001

Maurice

7 janvier 2002

Burundi

19 mars 2002

Slovaquie

27 mai 2002

Slovénie

14 août 2002

Antigua‑et‑Barbuda

17 août 2002

Arménie

12 octobre 2002

Costa Rica

10 décembre 2002

Sri Lanka

1er février 2003

Éthiopie

12 avril 2003

Quatrièmes rapports périodiques

Afghanistan

25 juin 2000

Bélarus

25 juin 2000

Belize

25 juin 2000

Bulgarie

25 juin 2000

Cameroun

25 juin 2000

France

25 juin 2000

Hongrie

25 juin 2000

Mexique

25 juin 2000

Philippines

25 juin 2000

Fédération de Russie

25 juin 2000

Sénégal

25 juin 2000

Ouganda

25 juin 2000

Uruguay

25 juin 2000

Autriche

27 août 2000

Panama

22 septembre 2000

Togo

17 décembre 2000

Colombie

6 janvier 2001

Équateur

28 avril 2001

Guyana

17 juin 2001

Pérou

5 août 2001

Turquie

31 août 2001

Tunisie

22 octobre 2001

Chili

29 octobre 2001

Chine

2 novembre 2001

Pays‑Bas

19 janvier 2002

Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

6 janvier 2002

Italie

10 février 2002

Portugal

10 mars 2002

Jamahiriya arabe libyenne

14 juin 2002

Pologne

24 août 2002

Australie

6 septembre 2002

Algérie

11 octobre 2002

Brésil

27 octobre 2002

Guinée

8 novembre 2002

Nouvelle‑Zélande

8 janvier 2003

Guatemala

3 février 2003

Somalie

22 février 2003

Paraguay

10 avril 2003

23.Le Comité s’est déclaré préoccupé par le nombre d’États parties qui n’avaient pas respecté leur obligation de présenter leur rapport et a demandé à deux de ses membres, M. Mariño et M. Rasmussen, d’examiner les moyens de faciliter la présentation des rapports en retard. Les deux membres du Comité ont envoyé des rappels aux États parties dont le rapport initial était en retard de cinq jours et plus et ont eu des réunions informelles avec certains d’entre eux.

III. EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

24.À ses vingt-neuvième et trentième sessions, le Comité a examiné les rapports soumis par 12 États parties, en vertu du paragraphe 1 de l’article 19 de la Convention. À sa vingt‑neuvième session, il était saisi des rapports ci-après:

Chypre: troisième rapport périodiqueCAT/C/54/Add.2

Égypte: quatrième rapport périodiqueCAT/C/55/Add.6

Estonie: rapport initialCAT/C/16/Add.9

Espagne: quatrième rapport périodiqueCAT/C/55/Add.5

Venezuela: deuxième rapport périodiqueCAT/C/33/Add.5.

25.À sa trentième session, le Comité était saisi des rapports ci-après:

Azerbaïdjan: deuxième rapport périodiqueCAT/C/59/Add.1

Belgique: rapport initialCAT/C/52/Add.2

Cambodge: rapport initialCAT/C/21/Add.5

Islande: deuxième rapport périodiqueCAT/C/59/Add.2

Slovénie: deuxième rapport périodiqueCAT/C/43/Add.4

Turquie: deuxième rapport périodiqueCAT/C/20/Add.8.

26.Conformément à l’article 66 de son règlement intérieur, le Comité a invité des représentants de tous les États parties qui présentaient des rapports à assister aux séances au cours desquelles leurs rapports respectifs étaient examinés. À l’exception du Cambodge, tous les États parties concernés ont envoyé des représentants, qui ont participé à l’examen de leurs rapports respectifs.

27.Un rapporteur et un rapporteur suppléant ont été désignés pour chacun des rapports examinés. On en trouvera la liste à l’annexe V du présent rapport.

28.Dans le cadre de l’examen des rapports, le Comité était également saisi des documents suivants:

a)Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports initiaux que les États parties doivent présenter en application du paragraphe 1 de l’article 19 de la Convention (CAT/C/4/Rev.2).

b)Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports périodiques que les États parties doivent présenter en application du paragraphe 1 de l’article 19 de la Convention (CAT/C/14/Rev.1).

29.On trouvera dans les sections qui suivent les conclusions et recommandations adoptées par le Comité à propos des rapports des États parties susmentionnés.

CHYPRE

30.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de Chypre (CAT/C/54/Add.2) à ses 536e et 539e séances les 15 et 18 novembre 2002 (CAT/C/SR.536 et 539) et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

31.Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique de Chypre, qui a été soumis dans les délais et en conformité générale avec les directives du Comité concernant l’établissement des rapports périodiques. Il se félicite également des informations complémentaires apportées par écrit et oralement par la délégation. Le Comité rend hommage à la façon dont l’État partie a donné suite à ses précédentes recommandations.

B. Aspects positifs

32.Le Comité note avec satisfaction qu’aucun cas de torture ni aucun prisonnier politique n’a été recensé dans l’État partie.

33.Le Comité se félicite des faits nouveaux intervenus à Chypre depuis l’examen du rapport périodique précédent, dans les domaines législatif, administratif et institutionnel, à savoir:

a)Le projet de loi visant à modifier la loi de ratification, qui érige en délit pénal le fait de soumettre autrui à un traitement ou à un châtiment cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16 de la Convention et prévoit la présomption de mauvais traitements lorsqu’il est attesté par examen médical qu’une personne placée en détention porte des blessures externes qui n’étaient pas présentes au moment de son arrestation;

b)L’adoption par le Parlement de la loi sur la protection des témoins, qui assurera l’anonymat des témoins;

c)L’adoption de la loi sur la prévention de la violence dans la famille;

d)La promulgation en 2000 d’une nouvelle loi sur la répression de la traite des personnes et l’exploitation sexuelle des enfants;

e)L’abolition de la peine de mort;

f)L’amendement de la loi sur les étrangers et l’immigration visant à assurer une plus grande protection aux personnes demandant le statut de réfugié;

g)La promulgation d’une nouvelle loi pour le versement de dommages‑intérêts adéquats;

h)La décision du Conseil des ministres de déléguer au Procureur général le pouvoir de nommer des enquêteurs chargés d’enquêter sur les allégations de délit ou de crime commis par des membres de la police;

i)Les nouvelles mesures prises pour donner effet à la loi récemment adoptée sur les traitements psychiatriques;

j)L’amélioration et la rénovation des établissements pénitentiaires;

k)La création d’une institution nationale pour la promotion et la protection des droits de l’homme;

l)La création d’un office des droits de l’homme au sein des services de police pour la réception et l’examen de plaintes déposées à l’encontre de membres de services de police pour violation des droits de l’homme;

m)L’introduction d’un programme de formation pour les juges de première instance dans le domaine des droits de l’homme.

C. Sujets de préoccupation

34.Quoique la tendance en matière de traitement des personnes placées en détention par la police soit globalement positive, l’existence de quelques cas de mauvais traitements impose aux autorités de rester vigilantes.

D. Recommandations

35. Le Comité rend hommage à l’État partie pour les efforts constants qu’il fait afin d’assurer la mise en œuvre effective de la Convention, apprécie le travail réalisé jusqu’ici, et l’appelle à poursuivre ces efforts.

36. Le Comité recommande que ses conclusions et recommandations fassent l’objet d’une vaste diffusion dans l’État partie, dans toutes les langues voulues.

ÉGYPTE

37.Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique de l’Égypte (CAT/C/55/Add.6) à ses 532e et 535e séances, tenues les 13 et 14 novembre 2002 (CAT/C/SR.532 et 535), et a adopté les conclusions et recommandations suivantes.

A. Introduction

38.Le Comité se félicite de la présentation du quatrième rapport périodique de l’Égypte, qui a été remis dans les délais impartis et rédigé conformément aux directives du Comité en matière d’établissement des rapports périodiques. Le Comité se félicite également du dialogue sincère qui s’est instauré avec les représentants de l’État partie au cours de l’examen du rapport et des renseignements supplémentaires qu’ils ont fournis. Le Comité note que le rapport contient des renseignements très utiles sur l’adoption de nouvelles lois visant à mettre en œuvre et à diffuser la Convention.

B. Aspects positifs

39.Le Comité se félicite des éléments suivants:

a)La promulgation d’une loi interdisant la flagellation en tant que sanction disciplinaire applicable aux détenus;

b)La lettre circulaire no 11 de 1999 réglementant la procédure à suivre pour les inspections inopinées, que le parquet a l’obligation d’effectuer dans les lieux de détention, en particulier s’il lui est notifié par écrit ou oralement qu’une personne est illégalement détenue dans un commissariat de police ou dans un autre lieu de détention;

c)Les décisions des tribunaux égyptiens de refuser de retenir comme élément de preuve les aveux faits sous la contrainte;

d)Les efforts faits par l’État partie pour mettre davantage l’accent sur la formation en matière de droits de l’homme dispensée aux responsables de l’application des lois et aux agents de la fonction publique;

e)La création, en 1999, d’un comité des droits de l’homme ayant pour tâche d’étudier et de proposer des moyens d’assurer une protection plus efficace des droits de l’homme;

f)La création, en 2000, de la Direction générale des questions relatives aux droits de l’homme, qui relève du Ministère de la justice et qui a pour attributions de veiller à la mise en œuvre des aspects juridiques des obligations internationales découlant des instruments relatifs aux droits de l’homme, notamment l’établissement des réponses aux questions posées par des organismes internationaux, de sensibiliser davantage le public aux obligations internationales de l’Égypte et de dispenser une formation en la matière aux membres du pouvoir judiciaire et du parquet;

g)Les efforts faits par l’État partie pour mettre sur pied une commission nationale des droits de l’homme.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention

40.Le Comité est conscient des difficultés que rencontre l’État partie dans la lutte de longue haleine qu’il mène contre le terrorisme mais rappelle qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture, et se déclare préoccupé par les éventuelles restrictions des droits de l’homme qui peuvent résulter des mesures prises à cet effet.

D. Sujets de préoccupation

41.Le Comité s’inquiète des éléments suivants:

a)La permanence de l’état d’urgence, en vigueur depuis 1981, qui entrave une véritable consolidation de l’état de droit en Égypte;

b)Les nombreuses informations concordantes faisant état de la persistance de la torture et des mauvais traitements infligés aux détenus par les responsables de l’application des lois et de l’absence de mesures visant à assurer une protection efficace et à garantir qu’il soit procédé immédiatement à une enquête impartiale. Un grand nombre de ces informations font état de nombreux cas de décès en détention;

c)Le Comité constate avec une inquiétude particulière qu’il existe des preuves que la torture et les mauvais traitements sont couramment pratiqués dans les locaux administratifs qui dépendent du Service de renseignements de la Sûreté d’État, actes d’autant plus facilement commis, selon les informations dont il dispose, qu’il n’existe aucune inspection obligatoire de ces locaux par un organe indépendant;

d)Les nombreuses informations faisant état de sévices infligés à des détenus mineurs, notamment du harcèlement sexuel dont sont victimes les jeunes filles de la part des responsables de l’application des lois, de l’absence de mécanismes de surveillance chargés d’enquêter sur ces cas et de poursuivre les auteurs de ces sévices, ainsi que le fait que les mineurs placés dans des lieux de détention côtoient des détenus adultes;

e)Les informations selon lesquelles des mauvais traitements seraient infligés aux hommes en raison de leur homosexualité réelle ou supposée, pratique apparemment encouragée par le manque de clarté de la législation pénale;

f)Le maintien de la détention administrative en Égypte;

g)Le fait que les victimes de torture et de mauvais traitements n’aient pas d’accès direct aux tribunaux afin d’y déposer plainte contre les responsables de l’application des lois;

h)La longueur excessive d’un grand nombre de procédures intentées pour actes de torture et mauvais traitements et le fait que de nombreuses décisions judiciaires remettant des détenus en liberté ne sont pas appliquées;

i)Les restrictions légales et concrètes imposées aux activités des organisations non gouvernementales actives dans la défense des droits de l’homme;

j)Les écarts importants constatés dans l’indemnisation des victimes de torture et de mauvais traitements.

E. Recommandations

42. Le Comité recommande à l’État partie:

a) De réexaminer la question du maintien de l’état d’urgence;

b) D’adopter une définition de la torture qui recouvre exactement celle qui en est donnée au paragraphe 1 de l’article premier de la Convention;

c) De garantir que toutes les plaintes se rapportant à des cas de torture ou de mauvais traitements, y compris celles ayant trait à des décès en détention, fassent l’objet d’enquêtes promptes, impartiales et indépendantes;

d) De s’assurer du caractère effectif et régulier de l’inspection obligatoire de tous les lieux de détention par des procureurs, des juges ou un autre organe indépendant;

e) De faire en sorte que toutes les personnes détenues puissent sans délai consulter un médecin et un avocat et se mettre en rapport avec leur famille;

f) D’éliminer toutes les formes de détention administrative. De plus, les locaux qui dépendent du Service de renseignements de la Sûreté d’État devraient être soumis à inspection obligatoire et les allégations de torture ou de mauvais traitements qui y seraient commis faire l’objet d’enquêtes promptes et impartiales;

g) De faire en sorte que la législation donne leur plein effet aux droits reconnus par la Convention et d’instituer des voies de recours utiles en cas de violation de ces droits; de veiller en particulier à ce qu’il soit donné suite dans un délai raisonnable aux plaintes déposées et que toute décision judiciaire remettant des détenus en liberté soit effectivement appliquée;

h) D’abolir la détention au secret;

i) De faire en sorte que toute personne déclarée coupable par décision des tribunaux militaires dans des affaires de terrorisme ait le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi;

j) De mettre un terme à toutes les pratiques impliquant des sévices infligés à des mineurs dans les lieux de détention et d’en punir les auteurs, ainsi que d’interdire la détention de mineurs au contact de détenus adultes;

k) De lever toute ambiguïté dans la loi qui pourrait être cause que des individus soient persécutés en raison de leurs préférences sexuelles. Il conviendrait également d’adopter des mesures visant à prévenir tout traitement dégradant lors des fouilles corporelles;

l) D’établir la compétence de l’État à l’égard de tout auteur présumé d’actes de torture qui se trouve dans le pays et n’est pas extradé vers un autre État pour y être jugé, conformément aux dispositions des articles 5 à 8 de la Convention;

m) De faire en sorte que les organisations non gouvernementales actives dans la défense des droits de l’homme puissent exercer leurs activités sans entrave, et en particulier qu’elles soient autorisées à se rendre dans tous les lieux de détention, notamment les prisons, afin de garantir un meilleur respect de l’interdiction de la torture et des mauvais traitements;

n) De fixer des règles et des normes précises pour permettre aux victimes de torture et de mauvais traitements d’obtenir pleinement réparation tout en évitant qu’il n’y ait des écarts injustifiés dans l’indemnisation qui leur est accordée;

o) De poursuivre dans la voie de la formation des responsables de l’application des lois , notamment en ce qui concerne les obligations qu’impose la Convention et le droit de tout détenu de bénéficier d’une aide médicale et juridique et de se mettre en rapport avec sa famille;

p) D’envisager d’adopter les déclarations visées aux articles  21 et 22 de la Convention;

q) De diffuser largement les conclusions et recommandations du Comité dans l’État partie, dans toutes les langues appropriées.

43. Le Comité réitère à l’État partie les recommandations qu’il lui a adressées en mai 1996 compte tenu des conclusions auxquelles il était parvenu dans le cadre de la procédure prévue à l’article 20 de la Convention, et lui demande de l’informer des mesures qu’il aura prises pour s’y conformer.

44. Prenant acte de la volonté déclarée de l’État partie de coopérer avec les organes conventionnels et mécanismes de l’ONU relatifs aux droits de l’homme, le Comité lui recommande d’autoriser une visite du Rapporteur spécial sur la question de la torture de la Commission des droits de l’homme.

ESTONIE

45.Le Comité a examiné le rapport initial de l’Estonie (CAT/C/16/Add.9) à ses 534e, 537e et 545e séances, les 14, 15 et 21 novembre 2002 (CAT/C/SR.534, 537 et 545), et a adopté les conclusions et recommandations ci-après.

A. Introduction

46.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de l’Estonie mais regrette que ce rapport, qui devait être présenté le 19 novembre 1992, ait été soumis avec plus de huit ans de retard. Il note cependant que certains des renseignements communiqués vont jusqu’à l’année 2001. À cet égard, le Comité prend acte des difficultés qu’a rencontrées l’État Partie au cours de sa transition politique et économique, et espère qu’à l’avenir il s’acquittera pleinement des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19 de la Convention.

47.Le rapport, qui traite essentiellement de dispositions juridiques mais ne rend pas compte de façon détaillée de la mise en œuvre de la Convention dans la pratique et des difficultés rencontrées à cet égard, n’est pas pleinement conforme aux directives générales adoptées par le Comité pour l’établissement des rapports. Toutefois, le Comité prend acte des réponses très complètes que la délégation a données à ses questions.

B. Aspects positifs

48.Le Comité note les faits nouveaux positifs suivants:

La nomination d’un chancelier de justice qui exerce aussi les fonctions de médiateur;

L’abolition de la peine de mort en 1998;

La possibilité d’appliquer directement, selon la Constitution, la définition de la torture donnée à l’article premier de la Convention;

L’entrée en vigueur, le 1er septembre 2002, du nouveau Code pénal qui fait de la torture un délit et vise à instituer un système pénal souple et individualisé donnant aux détenus de meilleures chances de réinsertion en leur offrant la possibilité de travailler ou de faire des études;

L’amélioration des conditions dans les prisons et en particulier la suppression des cellules disciplinaires spéciales, la rénovation des centres de détention et la mise en service de la nouvelle prison de Tartu qui est conforme aux normes internationales. Le Comité se félicite également de l’entrée en vigueur, le 1er décembre 2000, de la loi relative à l’emprisonnement établie sur la base des Règles pénitentiaires européennes et de ce que le règlement intérieur de 2000 relatif aux conditions de détention autorise le Chancelier de justice et les membres du Service de protection de la santé à accéder librement à tous les locaux des établissements pénitentiaires;

La publication des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants et les réponses données par l’État partie, grâce auxquels pourra s’instaurer un débat général avec la participation de toutes les instances intéressées;

L’engagement pris par l’État partie de continuer à publier sur le site Web du Ministère des affaires étrangères les observations finales des organes des Nations Unies créés en vertu d’instruments internationaux ainsi que les rapports soumis par l’Estonie à ces organes;

La ratification par l’État partie, le 30 janvier 2002, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale;

L’assurance donnée par l’État partie d’examiner la possibilité de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

C. Sujets de préoccupation

49.Le Comité est préoccupé par les éléments ci-après:

L’article premier de la Convention n’a pas encore été directement appliqué par des magistrats, et l’application directe des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, bien que possible en théorie, n’est pas largement pratiquée par les tribunaux;

La définition donnée de la torture à l’article 122 du Code pénal comme correspondant à «des sévices corporels continus ou des sévices entraînant de grandes souffrances» ne semble pas tout à fait conforme à l’article 1 de la Convention. Le Comité note que, d’après la délégation, l’article 122 garantit la protection de la santé physique aussi bien que mentale, mais il estime que le libellé de cet article pourrait conduire à des interprétations restrictives et prêter à confusion;

Des cas isolés de mauvais traitements infligés à des détenus par des agents de l’État sont encore observés dans les commissariats de police. Bien que les actes de violence, y compris sexuelle, entre prisonniers dans les centres de détention et entre malades dans les établissements psychiatriques aient diminué, le risque de voir se produire de tels incidents reste élevé. Les conditions qui règnent dans les anciens centres de détention de la police restent préoccupantes;

Le stade auquel un suspect ou un détenu peut être autorisé à voir un médecin de son choix − en supposant qu’un médecin soit disponible − n’apparaît pas clairement. En tout état de cause, le droit de communiquer avec un avocat et «une personne désignée» est limité par des exceptions légales dont les autorités de police pourraient faire un usage abusif. D’une manière générale, rien n’indique à partir de quel moment les personnes placées en garde à vue peuvent faire valoir leurs droits;

Selon le droit estonien, les immigrants en situation irrégulière et les demandeurs d’asile déboutés peuvent être placés dans des centres de détention en attendant d’être expulsés; dans les cas où la mesure d’expulsion ne peut être exécutée, ces personnes peuvent rester en détention pendant de longues périodes;

Les personnes de nationalité russe et les apatrides (catégories qui se recoupent) sont surreprésentés dans la population des détenus condamnés;

Aucun organe particulier ne semble être chargé de recueillir des données dans les centres de détention, qu’il s’agisse des commissariats de police, des prisons ou des établissements psychiatriques.

D. Recommandations

50. Le Comité recommande à l’État partie:

a) D’incorporer dans le Code pénal une définition du délit de torture qui réponde pleinement et clairement aux dispositions de l’article premier de la Convention et de donner aux juges et aux avocats des informations très complètes sur le contenu de la Convention et sur son statut au regard du droit national;

b) De veiller à ce que les responsables de l’application de la loi, les personnels judiciaire et médical et toute personne qui participe à la garde, à l’interrogatoire et au traitement des détenus ou des malades mentaux reçoivent une formation concernant l’interdiction de la torture, et de faire en sorte que les examens qu’ils doivent subir pour être confirmés dans leurs qualifications contiennent un élément portant sur la connaissance des prescriptions de la Convention ainsi qu’une évaluation de leur comportement passé en ce qui concerne le traitement des prisonniers ou des patients. Il conviendrait que cette formation porte aussi sur les compétences à acquérir pour reconnaître d’éventuelles séquelles de torture;

c) De surveiller étroitement les actes de violence, y compris sexuelle, entre prisonniers et entre malades dans les centres de détention et les établissements psychiatriques afin de les prévenir;

d) De poursuivre la rénovation de tous les lieux de détention afin qu’ils soient conformes aux normes internationales;

e) De renforcer les garanties qu’offre le Code de procédure pénale contre les mauvais traitements et la torture et de veiller à ce que, en droit et en pratique, les personnes placées en garde à vue et en détention provisoire puissent voir un médecin de leur choix, notifier de leur détention une personne de leur choix et communiquer avec un avocat. Les exceptions légales autorisant la restriction de ces droits devraient être bien circonscrites. Les personnes privées de leur liberté, y compris les suspects, devraient être immédiatement informées de leur droit dans une langue qu’elles comprennent. Le droit donné aux suspects de bénéficier des services d’un avocat devrait également être accordé aux témoins et aux personnes ne faisant pas encore l’objet de poursuites pénales. L’État partie devrait définir une chronologie précise établissant exactement à quel moment doivent être appliqués et respectés les droits de tous les détenus;

f) D’élaborer un code de conduite à l’intention des fonctionnaires de police, des enquêteurs et de tous les autres personnels participant à la garde de détenus;

g) De fixer des délais juridiquement exécutoires pour la détention des immigrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile déboutés qui sont sous le coup d’un arrêté d’expulsion;

h) De procéder à une étude approfondie des raisons pour lesquelles les personnes de nationalité russe et les apatrides sont surreprésentés dans la population des détenus condamnés, et d’établir un rapport à ce sujet;

i) D’envisager de ratifier la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie;

j) De créer un mécanisme pour la collecte et l’analyse de données sur les questions relevant de la Convention dans les établissements pénitentiaires et psychiatriques;

k) D’envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

51. Le Comité recommande à l’État partie, dans son prochain rapport périodique qui sera examiné comme son quatrième rapport périodique et devra être soumis avant le 19 novembre 2004:

a) De donner des informations détaillées concernant en particulier: i) le mandat précis et les résultats des visites du Chancelier de justice et des membres du service de protection de la santé dans les centres de détention; et ii) les résultats des interventions du Chancelier de justice en réponse aux plaintes qui lui sont soumises pour mauvais traitements ou actes de torture de la part d’agents de l’État;

b) D’expliquer comment, dans la pratique, sont garanties en permanence l’impartialité et l’objectivité des enquêtes sur les plaintes pour mauvais traitements déposées par des personnes placées en garde à vue;

c) De fournir des données statistiques ventilées, notamment par sexe, âge, nationalité et citoyenneté, sur les plaintes pour actes de torture et mauvais traitements infligés par des agents de l’État, sur les poursuites engagées en réponse à ces plaintes et sur les sanctions pénales et disciplinaires prononcées.

52. Le Comité recommande en outre à l’État partie de diffuser largement dans le pays tous les rapports soumis par l’Estonie au Comité, les conclusions et les recommandations de ce dernier ainsi que les comptes rendus analytiques des séances consacrées à l’examen de ces rapports dans des langues appropriées, dont l’estonien et le russe, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

ESPAGNE

53.Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique de l’Espagne (CAT/C/55/Add.5) à ses 530e, 533e et 540e séances, tenues respectivement le 12, le 13 et le 19 novembre 2002 (CAT/C/SR.530, 533 et 540), et a adopté les conclusions et recommandations ci-après.

A. Introduction

54.Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique de l’Espagne, qui a été soumis par l’État partie dans les délais. Il constate que le rapport comprend beaucoup de renseignements sur les mesures prises dans le domaine législatif mais peu concernant l’application pratique de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants depuis la présentation du précédent rapport.

55.Le Comité se félicite que l’Espagne ait dépêché une délégation nombreuse et hautement qualifiée pour l’examen du rapport, ce qui montre la volonté de l’État partie de poursuivre le dialogue ouvert et constructif entamé avec le Comité. Il prend note avec satisfaction des renseignements fournis par l’État partie dans son rapport complémentaire et des réponses orales exhaustives apportées aux questions des membres, y compris des statistiques utiles ainsi communiquées.

B. Aspects positifs

56.Le Comité se félicite qu’en vertu de l’article 96 de la Constitution de l’Espagne la Convention fasse partie de l’ordre juridique interne et puisse être invoquée directement devant les tribunaux.

57.Le Comité réaffirme, comme il l’a fait dans ses précédentes conclusions et recommandations (A/53/44, par. 119 à 136), que le Code pénal en vigueur depuis 1996 est, d’une manière générale, conforme à l’article premier de la Convention. À cet égard, il note avec satisfaction que l’article 57 du Code pénal, modifié par la loi organique 14/1999 du 9 juin, confère aux juges et tribunaux la faculté de prononcer, quand ils rendent leur jugement dans des affaires de torture, des interdictions accessoires pour garantir la protection ultérieure de la victime.

58.Le Comité prend note également des éléments positifs suivants:

a)La ratification, en octobre 2000, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale;

b)L’adoption de mesures visant à garantir la protection des droits des détenus, comme par exemple l’élaboration du Manuel de règles relatives aux missions de police judiciaire et sa distribution aux membres des forces de police et de sécurité, aux juges et aux procureurs. Ce manuel établit des critères sur lesquels les fonctionnaires doivent se fonder, en particulier dans les affaires qui impliquent des restrictions spécifiques à l’exercice de certains droits et libertés;

c)Les efforts déployés dans le cadre des programmes de formation à l’intention des forces de police et de sécurité de l’État;

d)La nouvelle instruction du délégué du Gouvernement pour les étrangers et les questions d’immigration concernant le traitement des passagers clandestins, qui remplace l’instruction correspondante du 17 novembre 1998. L’instruction définit un ensemble de garanties concernant le droit à l’assistance d’un avocat commis d’office dans les procédures administratives ou judiciaires qui peuvent aboutir à l’approbation d’éventuelles demandes d’asile, au refus d’accès au territoire espagnol ou à l’expulsion;

e)La modernisation du système pénitentiaire et l’accroissement de sa capacité d’accueil, avec la construction de 13 établissements pouvant héberger plus de 14 000 détenus au total;

f)La diminution du nombre de personnes détenues dans des établissements pénitentiaires en attendant d’êtres jugées;

g)La régularité avec laquelle des dons sont versés au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention

59.Le Comité est conscient de la situation difficile à laquelle l’État partie se heurte du fait des actes de violence et de terrorisme graves et fréquents qui menacent la sécurité de l’État et causent des pertes en vies humaines et des dégâts matériels. Il reconnaît que l’État a le droit et le devoir de protéger ses citoyens contre ces actes et de chercher à mettre fin à la violence, et fait observer que son action légitime doit être compatible avec les dispositions du paragraphe 2 de l’article  2 de la Convention, selon lesquelles aucune circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée pour justifier la torture.

D. Sujets de préoccupation

60.Le Comité s’inquiète de la contradiction qui existe entre l’affirmation de l’État partie selon laquelle la torture ou les mauvais traitements ne sont pas pratiqués en Espagne, hormis quelques cas très isolés (CAT/C/55/Add.5, par.10), et les informations émanant de sources non gouvernementales qui indiquent que les forces de police et de sécurité de l’État continuent de se livrer à des actes de torture et d’infliger des mauvais traitements.

61.Les plaintes pour mauvais traitements, y compris sévices sexuels et viols, qui auraient été infligés à des migrants pour des motifs racistes ou xénophobes, sont particulièrement préoccupantes. Le Comité constate que l’Espagne est devenue une importante porte d’entrée pour l’immigration en Europe, ce qui a entraîné une augmentation sensible du nombre d’étrangers dans le pays. Dans ce contexte, le fait qu’il ne soit pas question, dans le texte de l’article 174 du Code pénal, de la torture fondée sur «une forme de discrimination quelle qu’elle soit», acquiert une importance particulière même si le Code fait du mobile raciste de toute infraction une circonstance aggravante.

62.Le Comité demeure profondément préoccupé par le fait que la mise au secret puisse durer jusqu’à cinq jours pour les auteurs de certaines catégories d’infractions particulièrement graves. Durant cette période, le détenu ne peut consulter un avocat et un médecin de son choix ni informer sa famille. Bien que l’État partie indique que la mise au secret n’implique pas l’isolement total du détenu, celui‑ci disposant de l’aide d’un avocat commis d’office et d’un médecin expert près les tribunaux, le Comité considère que le régime de la mise au secret, indépendamment des garanties légales entourant les conditions dans lesquelles celle‑ci peut être décidée, favorise les actes de torture et les mauvais traitements.

63.Le Comité est aussi préoccupé par:

a)La durée excessive des enquêtes judiciaires concernant les plaintes pour torture, qui fait parfois que les coupables bénéficient d’une remise de peine ou ne purgent pas leur peine en raison du temps écoulé depuis que le délit a été commis. Ces délais excessifs retardent l’exercice par les victimes de leurs droits à une réparation morale et matérielle;

b)Le fait que, dans certains cas, les autorités n’engagent pas de procédure disciplinaire lorsqu’un procès pénal est en cours, dans l’attente du verdict. En raison de la durée excessive de la procédure judiciaire, il arrive qu’une fois le procès clos, l’action disciplinaire en la responsabilité soit prescrite;

c)Les cas de mauvais traitements lors de l’exécution d’arrêtés d’expulsion du territoire, en particulier lorsqu’il s’agit de mineurs non accompagnés;

d)La sévérité des conditions de détention de certains prisonniers inscrits au fichier des détenus devant faire l’objet d’une surveillance spéciale (Fichero de Internos de Especial Seguimiento). D’après les informations reçues, ceux qui relèvent du régime de surveillance directe du premier degré doivent rester dans leur cellule la majeure partie de la journée. Dans certains cas, ils peuvent bénéficier de seulement deux heures de promenade, sont exclus de toute activité collective et sportive, ne sont pas autorisés à travailler et sont soumis à des mesures de sécurité extrêmes. En général, il semblerait que les conditions matérielles de détention de ces détenus soient contraires aux méthodes visant à favoriser la réinsertion des détenus et qu’elles puissent être considérées comme interdites en vertu de l’article 16 de la Convention.

E. Recommandations

64. Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de revoir la qualification de l’infraction de torture à l’article 174 du Code pénal afin qu’elle soit pleinement conforme à l’article premier de la Convention.

65. Le Comité recommande à l’État partie de continuer à prendre des mesures pour prévenir les incidents racistes ou xénophobes.

66. Le Comité invite l’État partie à envisager de prendre des mesures de protection applicables dans les cas de mise au secret, telles que:

a) L’enregistrement systématique des interrogatoires sur support vidéo afin de protéger tant le détenu que les fonctionnaires qui pourraient être accusés à tort d’actes de torture ou de mauvais traitements. Ces enregistrements devront être mis à la disposition du juge sous la juridiction duquel se trouve le détenu. Les déclarations du détenu non filmées ne pourront être retenues comme preuve;

b) L’examen conjoint du détenu par un médecin expert près les tribunaux et par un médecin de son choix.

67. Le Comité rappelle à l’État partie son obligation de faire procéder à des enquêtes diligentes et impartiales et de traduire en justice les auteurs présumés de violations des droits de l’homme, en particulier d’actes de torture.

68. Le Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que des procédures disciplinaires soient engagées dans les affaires de torture ou de mauvais traitements, sans attendre le résultat de l’action pénale.

69. Le Comité engage l’État partie à prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que les procédures d’expulsion du territoire, en particulier pour les mineurs, soient conformes à la Convention.

70. Le Comité recommande que les présentes conclusions et recommandations fassent l’objet d’une large diffusion dans l’État partie, dans toutes les langues voulues.

VENEZUELA

71.Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique du Venezuela (CAT/C/33/Add.5) à ses 538e , 541e et 545e séances, tenues les 18, 19 et 21 novembre 2002 (CAT/C/SR.538, 541 et 545), et a adopté les conclusions et recommandations ci-après.

A. Introduction

72.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique du Venezuela, qui aurait dû être soumis en août 1996, a été reçu en septembre 2000 et actualisé en septembre 2002. Ce rapport contient les renseignements que l’État partie aurait dû faire figurer dans le troisième rapport périodique, lequel était attendu en août 2000.

73.Le Comité note que dans le rapport figurent d’amples renseignements sur les dispositions juridiques entrées en vigueur depuis la présentation du précédent rapport mais aucune indication sur les faits touchant à l’application dans la pratique de la Convention. Ainsi, le rapport ne mentionne aucun cas ni affaire portés devant les autorités judiciaires, administratives ou autres ayant juridiction pour les questions visées dans la Convention.

74.Le Comité disposait aussi d’un complément d’information fourni par l’État partie ainsi que d’un rapport établi spécialement par le Bureau du Défenseur du peuple. Les affaires exposées dans ce document et ses annexes ont été très utiles au Comité pour évaluer le respect des obligations incombant à l’État partie en vertu de la Convention.

75.Le Comité remercie l’État partie d’avoir dépêché une délégation nombreuse et compétente, composée de représentants gouvernementaux et du Bureau du Défenseur du peuple, avec lesquels il a eu un dialogue franc et constructif qui a facilité l’examen du rapport.

B. Aspects positifs

76.Le Comité se félicite de l’entrée en vigueur, le 30 décembre 1999, de la nouvelle Constitution de la République bolivarienne du Venezuela qui dénote des avancées dans le domaine des droits de l’homme. En particulier, le Comité juge positif que la Constitution:

a)Confère rang constitutionnel aux traités, pactes et conventions relatifs aux droits de l’homme, pose leur primauté dans l’ordre interne, indique que leurs dispositions sont d’application immédiate et directe et dispose que l’absence de textes d’application relatifs à ces droits n’en affecte pas l’exercice;

b)Reconnaisse à chaque personne le droit d’adresser des pétitions ou plaintes aux organismes internationaux créés à cet effet pour obtenir la protection de ses droits fondamentaux, disposition qui est conforme à la déclaration faite par l’État partie en 1994 en vertu de l’article 22 de la Convention;

c)Impose à l’État l’obligation d’enquêter sur les infractions attentatoires aux droits de l’homme et de réprimer ces infractions, déclare imprescriptibles les actions les visant et écarte, s’agissant desdites infractions, toute disposition, telle que l’amnistie et la grâce, susceptible de se traduire par l’impunité;

d)Investisse les juridictions ordinaires de jugement de la compétence de connaître des violations des droits de l’homme et des crimes contre l’humanité;

e)Impose à l’État l’obligation d’indemniser intégralement les victimes de violations des droits de l’homme, et reconnaisse le droit des victimes d’actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés ou tolérés par des agents de l’État à une réadaptation et une réparation;

f)Réglemente de manière adéquate les garanties concernant la détention, telles que: l’exigence d’un mandat judiciaire préalable pour procéder à toute arrestation ou détention, sauf en cas de flagrant délit, fixe à 48 heures le délai − déjà inscrit dans le Code de procédure pénale − pour présenter tout détenu à l’autorité judiciaire et considère comme une règle générale l’obligation de laisser l’inculpé en liberté, la détention provisoire étant l’exception;

g)Stipule une série de garanties aux détenus, telles que l’accès à un avocat depuis le moment de la détention et l’interdiction d’obtenir des aveux en recourant à la torture;

h)Rende obligatoire d’accorder l’extradition des personnes poursuivies pour atteinte aux droits de l’homme et institue pour le jugement de telles personnes une procédure publique, orale et courte.

77.Le Comité considère particulièrement importante l’institution du Bureau du Défenseur du peuple, en tant qu’organisme autonome chargé de promouvoir, défendre et faire respecter les droits et garanties consacrés par la Constitution et les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par le Venezuela.

78.Le Comité prend note avec satisfaction de l’adoption de diverses dispositions législatives ainsi que de la mise en place d’un certain nombre de structures dans différents secteurs de l’administration de l’État, qui attestent l’importance attachée à une protection et une promotion accrues des droits de l’homme. En ce qui concerne les premières, les lois organiques portant respectivement sur les états d’exception, sur les réfugiés et les demandeurs d’asile, sur le ministère public et sur la protection de l’enfant et de l’adolescent revêtent une importance particulière. En ce qui concerne les secondes, il convient d’insister sur la Direction des droits de l’homme créée au sein du Ministère de l’intérieur et de la justice.

79.Le Comité accueille également avec satisfaction la ratification, en décembre 2000, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

C. Sujets de préoccupation

80.Le Comité est préoccupé par les faits suivants:

a)Malgré les ambitieuses réformes législatives entreprises par l’État partie, la torture n’est toujours pas érigée en infraction spécifique dans la législation vénézuélienne, contrairement aux dispositions de l’article premier de la Convention;

b)Les nombreuses plaintes faisant état de tortures, de traitements cruels, inhumains ou dégradants, d’abus d’autorité et de comportements arbitraires de la part d’agents des organes de sûreté de l’État tendent à indiquer que les dispositions à caractère protecteur de la Constitution et du Code de procédure pénale sont inopérantes;

c)Les plaintes faisant état d’abus de pouvoir et de recours indu à la force comme méthode de contrôle, en particulier durant des manifestations et protestations;

d)Les plaintes faisant état de menaces et d’attaques visant des minorités sexuelles et des militants transsexuels, en particulier dans l’État de Carabobo;

e)L’information selon laquelle les personnes portant plainte pour mauvais traitements de la part de fonctionnaires de police seraient la cible de menaces et d’actes de harcèlement et selon laquelle les témoins et victimes ne bénéficieraient pas d’une protection adéquate;

f)L’absence d’enquêtes rapides et impartiales sur les plaintes visant des faits de tortures et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que l’inexistence d’une procédure institutionnelle et accessible, propre à garantir aux victimes d’actes de torture l’exercice de leur droit d’obtenir réparation et d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate, comme le prescrit l’article 14 de la Convention;

g)L’ampleur du phénomène de la violence entre codétenus et de la violence à l’encontre des détenus dans les prisons, de la part des agents de l’administration pénitentiaire, avec pour résultat des blessures graves et parfois la mort. Les conditions matérielles précaires régnant dans les établissements pénitentiaires sont également préoccupantes;

h)L’absence d’informations, notamment de données statistiques, ventilées par nationalité, sexe, groupe ethnique, région géographique et type et lieu de détention, sur la torture et les autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

D. Recommandations

81. Le Comité recommande à l’État partie:

a) D’adopter une législation faisant de la torture une infraction pénale. Conformément à la disposition transitoire n o  4 de la nouvelle Constitution, cette adoption doit se faire par l’intermédiaire d’une loi spéciale ou d’une réforme du Code pénal, dans un délai d’un an − qui a déjà expiré depuis longtemps − à compter de la mise en place de l’Assemblée nationale;

b) D’adopter toutes les mesures nécessaires pour garantir des enquêtes immédiates et impartiales à chaque fois qu’est déposée une plainte pour tortures ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Pendant la durée de l’enquête, les fonctionnaires impliqués devraient être suspendus de leurs fonctions;

c) D’adopter des mesures en vue d’encadrer et institutionnaliser le droit des victimes de la torture d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate, ainsi que de mettre en place des programmes destinés à leur assurer une réadaptation physique et psychologique la plus complète possible, comme le Comité l’avait déjà recommandé dans ses précédentes conclusions et recommandations;

d) De poursuivre les activités d’éducation et de promotion relatives aux droits de l’homme, en particulier à l’interdiction des actes de torture, à l’intention des fonctionnaires chargés de l’application des lois et du personnel médical;

e) D’adopter des mesures tendant à améliorer les conditions matérielles de détention dans les établissements pénitentiaires et d’éviter tant la violence entre codétenus que le recours à la violence à l’encontre des détenus par le personnel pénitentiaire. Il est en outre recommandé à l’État partie de renforcer les procédures indépendantes d’inspection des prisons.

82. Le Comité demande à l’État partie d’inclure dans son prochain rapport périodique des statistiques ventilées, notamment, en fonction de la nationalité, de l’âge et du sexe des victimes et en fonction des services auxquels appartiennent les inculpés, concernant les cas d’actes relevant de la Convention qui ont été examinés par les juridictions internes, en mentionnant le résultat des enquêtes qui ont été menées et les suites qu’elles ont eues pour les victimes en termes de réparation et d’indemnisation.

83. Le Comité invite l’État partie à présenter son quatrième rapport périodique le 20 août 2004 au plus tard et à diffuser largement les présentes conclusions et recommandations.

AZERBAÏDJAN

84.Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique de l’Azerbaïdjan (CAT/C/59/Add.1) à ses 550e et 553e séances, tenues le 30 avril et le 1er mai 2003 (CAT/C/SR.550 et 553), et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

85.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique de l’Azerbaïdjan, ainsi que les renseignements fournis oralement par la délégation de haut niveau. Il se félicite particulièrement des assurances de l’État partie selon lesquelles celui‑ci s’emploiera sérieusement à donner suite aux préoccupations et recommandations formulées par le Comité.

86.Le rapport, qui traite surtout des dispositions légales et ne fournit pas de renseignements détaillés sur l’application concrète de la Convention, n’est pas pleinement conforme aux directives du Comité concernant les rapports. Le Comité insiste sur le fait que le prochain rapport périodique devrait contenir des renseignements plus précis au sujet de l’application.

B. Aspects positifs

87.Le Comité prend note des faits nouveaux positifs ci‑après:

a)Les efforts faits par l’État partie pour prendre en compte les observations finales antérieures du Comité, notamment par la promulgation de l’important décret présidentiel du 10 mars 2000;

b)La déclaration faite au titre de l’article 22 de la Convention, permettant à des particuliers de présenter des communications au Comité;

c)La ratification de plusieurs instruments importants relatifs aux droits de l’homme, en particulier la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants;

d)Les importantes réformes juridiques et législatives engagées par l’État partie, notamment l’adoption d’un nouveau Code pénal et d’un nouveau Code de procédure pénale;

e)L’introduction dans le nouveau Code pénal de l’infraction de torture, et le fait que l’État partie a indiqué que des condamnations ont été prononcées du chef de cette infraction;

f)Le fait que les centres de détention provisoire ont été placés sous l’autorité du Ministère de la justice, au lieu de celle du Ministère de l’intérieur;

g)La création du poste de médiateur;

h)Les assurances données par l’État partie selon lesquelles il prend des mesures pour réduire l’incidence de la tuberculose dans les lieux de détention;

i)L’accord conclu avec le Comité international de la Croix‑Rouge, permettant aux représentants du CICR d’avoir accès sans restriction aux condamnés dans les lieux de détention, ainsi que l’assurance donnée par l’État partie que l’accès des organisations non gouvernementales aux établissements pénitentiaires, aux fins de visite et d’examen des conditions de détention, est illimité.

C. Sujets de préoccupation

88.Le Comité est préoccupé par:

a)La persistance de nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements qui seraient infligés dans les locaux de la police et les locaux de détention temporaire, ainsi que dans les centres de détention provisoire et dans les prisons;

b)Le fait que la définition de la torture figurant dans le nouveau Code pénal n’est pas pleinement conforme à celle de l’article premier de la Convention, notamment parce que l’article 133 omet de mentionner les fins, énoncées dans la Convention, auxquelles la torture est pratiquée, limite les actes de torture au fait d’infliger des coups systématiques ou de se livrer à d’autres actes de violence et n’établit pas la responsabilité pénale des agents de la fonction publique qui ont donné leur consentement tacite à la torture;

c)L’absence de renseignements concernant l’application de l’article 3 de la Convention, qui interdit de livrer une personne à un pays où elle court un risque réel d’être soumise à la torture, ainsi que sur les droits et garanties accordés aux personnes concernées;

d)L’écart important que l’on observe entre le cadre législatif et son application concrète;

e)Le fait qu’en dépit de nouvelles dispositions légales, la magistrature ne semble pas être indépendante;

f)Les informations selon lesquelles certaines personnes seraient maintenues en garde à vue par la police bien au‑delà de la durée maximum de 48 heures prévue par le Code de procédure pénale et que, dans des cas exceptionnels, des personnes pourraient être gardées jusqu’à 10 jours en détention temporaire dans les locaux de la police;

g)Le fait que dans bien des cas, les personnes qui se trouvent en garde à vue ou dans des centres de détention provisoire ne bénéficient pas d’un accès rapide et approprié à un conseil indépendant et à un médecin, garantie importante contre la torture, que beaucoup de personnes en garde à vue se verraient contraintes de renoncer à leur droit à l’assistance d’un avocat, et que l’examen par un médecin expert n’aurait lieu que sur ordre des autorités et non à la demande du détenu;

h)Le fait que, malgré la recommandation du Rapporteur spécial sur la question de la torture, le centre de détention provisoire du Ministère de la sécurité nationale continue de fonctionner et de relever de la compétence des mêmes autorités que celles qui sont chargées de l’instruction;

i)Les informations selon lesquelles des défenseurs et organisations de défense des droits de l’homme auraient été victimes de harcèlement et d’agressions;

j)Le régime particulièrement sévère appliqué aux détenus purgeant des peines d’emprisonnement à perpétuité;

k)Les informations selon lesquelles la possibilité pour un détenu de présenter une requête ou une plainte serait indûment limitée par la censure exercée sur la correspondance et par le fait que les autorités n’assurent pas la protection des plaignants contre d’éventuelles représailles;

l)Les informations selon lesquelles les nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements ne donneraient pas lieu sans délai de la part de l’État partie à une enquête impartiale et approfondie, et son effort pour poursuivre les responsables présumés serait insuffisant;

m)Le fait qu’il n’a pas été mis en place d’organe indépendant chargé de visiter et/ou de superviser les lieux de détention, et que l’accès des organisations non gouvernementales aux établissements pénitentiaires est entravé;

n)Le fait que très rares sont les victimes qui ont été indemnisées;

o)Les informations selon lesquelles les juges refuseraient, dans bien des cas, de tenir compte des indices visibles des tortures et mauvais traitements subis par les détenus et n’ordonneraient pas d’examen médical indépendant ni de complément d’enquête.

D. Recommandations

89. Le Comité recommande à l’État partie:

a) De veiller à ce que l’infraction de torture inscrite dans la législation nationale réponde pleinement à la définition figurant à l’article premier de la Convention;

b) De garantir que, dans la pratique, personne ne puisse être maintenu en garde à vue plus de 48 heures et de supprimer la possibilité de garder une personne en détention temporaire dans les locaux de la police pendant une durée pouvant atteindre 10 jours;

c) De donner aux fonctionnaires de police, aux autorités d’enquête et au personnel des centres de détention provisoire des instructions indiquant clairement qu’ils doivent respecter le droit des personnes détenues d’avoir accès à un avocat dès leur mise en détention et à un médecin sur leur demande, et non pas seulement après que les autorités de détention y ont consenti par écrit. L’État partie devrait garantir la pleine indépendance des médecins experts;

d) De faire passer le centre de détention provisoire du Ministère de la sécurité nationale sous l’autorité du Ministère de la justice, ou de le fermer;

e) D’assurer pleinement l’indépendance de la magistrature, conformément aux Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature;

f) De veiller à ce que soit créé sans délai le nouvel ordre des avocats et de prendre des mesures garantissant qu’un nombre suffisant d’avocats qualifiés et indépendants soient en mesure d’agir dans des affaires pénales;

g) D’assurer la pleine indépendance du Médiateur;

h) D’assurer pleinement la protection des défenseurs et organismes de défense des droits de l’homme non gouvernementaux;

i) De faire en sorte que toute personne ait le droit de former un recours contre toute décision de l’extrader vers un pays où elle court un risque réel d’être soumise à la torture;

j) D’intensifier ses efforts d’éducation et de formation de la police, du personnel des prisons, des responsables de l’application des lois, des magistrats et des médecins quant à leur obligation de protéger contre la torture et les mauvais traitements toutes personnes détenues sous la garde de l’État. Il importe particulièrement de former ces personnels à détecter les signes de torture ou de mauvais traitements et à documenter de tels actes;

k) De garantir le droit de plainte des détenus en leur assurant l’accès à un avocat indépendant, en réexaminant les règles relatives à la censure de la correspondance et en établissant des garanties concrètes mettant les plaignants à l’abri de représailles;

l) De réexaminer le traitement appliqué aux personnes purgeant des peines d’emprisonnement à perpétuité pour veiller à ce qu’il soit conforme aux dispositions de la Convention;

m) D’instituer un système d’inspections régulières et indépendantes de tous les lieux de détention et de faciliter dans la pratique l’accès des organisations non gouvernementales aux établissements pénitentiaires, notamment en donnant aux autorités appropriées des instructions à cet effet;

n) De veiller à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements fassent l’objet sans délai d’enquêtes impartiales et approfondies, et de créer un organe indépendant habilité à recevoir et instruire toutes les plaintes faisant état de tortures ou autres mauvais traitements infligés par des agents de l’État. L’État partie devrait aussi assurer que le décret présidentiel du 10 mars 2000 soit bien appliqué à cet égard;

o) De veiller à ce que, dans la pratique, les victimes d’actes de torture se voient garantir un recours, une indemnisation et des moyens de réadaptation;

p) De diffuser largement dans le pays, dans des langues appropriées, les rapports soumis au Comité, les conclusions et les recommandations de ce dernier ainsi que les comptes rendus analytiques des séances consacrées à l’examen de ces rapports.

90. Le Comité demande à l’État partie de fournir dans son prochain rapport périodique:

a) Des informations détaillées, notamment des statistiques, sur la mise en œuvre concrète de ses lois et des recommandations du Comité, concernant en particulier les droits des personnes placées en garde à vue et en détention provisoire, l’application de la loi de 1998 sur la réparation et des autres dispositions législatives pertinentes, l’application de l’article 3 de la Convention, ainsi que le mandat et les activités du Médiateur;

b) Des statistiques détaillées, ventilées par infraction, région, origine ethnique et sexe sur les plaintes pour actes de torture et sévices commis par des fonctionnaires chargés de l’application des lois, ainsi que sur les enquêtes, poursuites et sanctions pénales et disciplinaires en rapport avec ces plaintes.

91. Le Comité se félicite des assurances données par la délégation, selon lesquelles un complément d’information sur les questions qui attendent encore une réponse, sera présenté par écrit.

92. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir d’ici un an des renseignements sur la suite que celui ‑ci aura donnée à ses recommandations figurant aux alinéas  c , f , h , i et n du paragraphe 89 ci ‑dessus.

CAMBODGE

93.Le Comité a examiné le rapport initial du Cambodge (CAT/C/21/Add.5) à sa 548e séance, le 29 avril 2003 (CAT/C/SR.548), et a adopté les conclusions et recommandations provisoires ci‑après.

A. Introduction

94.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial du Cambodge et note qu’il est de façon générale rédigé conformément à ses directives concernant la forme et le contenu des rapports. Il regrette toutefois qu’il se soit écoulé neuf ans avant qu’il ait été soumis et qu’il contienne très peu de renseignements sur l’exercice dans la pratique des droits consacrés par la Convention.

95.Le Comité regrette l’absence d’une délégation de l’État partie qui aurait pu participer à un dialogue avec lui, et relève que l’examen du rapport a eu lieu conformément au paragraphe 2 b) de l’article 66 de son règlement intérieur. Il attend avec intérêt les réponses écrites aux questions et aux observations faites par les membres du Comité et engage l’État partie à s’acquitter entièrement à l’avenir des obligations découlant de l’article 19 de la Convention.

B. Aspects positifs

96.Le Comité se félicite des éléments ci‑après:

a)La volonté exprimée par l’État partie de continuer à entreprendre les réformes législatives nécessaires pour s’acquitter de ses obligations internationales dans le domaine des droits de l’homme;

b)La coopération de l’État partie avec les organes et les mécanismes de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme. À ce sujet, le Comité se félicite de la coopération établie avec la présence sur le terrain du Haut‑Commissariat aux droits de l’homme, et des activités de formation et d’éducation dans le domaine des droits de l’homme menées par des organisations internationales à l’intention des personnels chargés de l’application de la loi, ainsi que du rôle positif joué par les ONG dans ce domaine.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention

97.Le Comité reconnaît les difficultés rencontrées par le Cambodge pendant sa transition politique et économique, notamment l’absence d’infrastructure judiciaire et les restrictions budgétaires.

D. Sujets de préoccupation

98.Le Comité est préoccupé par ce qui suit:

a)Les allégations nombreuses, concordantes et persistantes faisant état d’actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants commis par des membres des forces de l’ordre dans les postes de police et dans les prisons;

b)Les allégations portant sur les expulsions d’étrangers qui semblent avoir eu lieu sans que les garanties prévues à l’article 3 de la Convention aient été prises en considération, en particulier la situation de très nombreux montagnards demandeurs d’asile qui se trouvent dans la zone frontière avec le Viet Nam;

c)L’absence en droit pénal interne d’une interdiction claire de la torture, encore que l’État partie ait indiqué qu’il interdisait la torture et qu’il avait adopté la définition de la torture figurant dans la Convention;

d)L’impunité pour les violations passées et présentes des droits de l’homme dont bénéficient les membres des forces de l’ordre et des forces armées et en particulier le fait que l’État partie n’ouvre pas d’enquête sur les actes de torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et ne réprime pas leurs auteurs;

e)Les allégations faisant état d’une corruption généralisée parmi les fonctionnaires du système de justice pénale;

f)L’absence d’un organe indépendant compétent pour examiner les plaintes contre la police;

g)L’inefficacité de l’administration de la justice pénale, en particulier l’absence d’indépendance et l’inefficacité de la magistrature;

h)L’importance accordée aux aveux dans la procédure pénale et le fait que la police et les autorités judiciaires se fondent sur les aveux pour faire condamner des suspects;

i)La durée excessive injustifiée de la détention avant jugement, au cours de laquelle les détenus sont le plus exposés au risque d’être soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements;

j)Le placement en détention au secret pendant au moins 48 heures avant que l’intéressé ne soit déféré devant un juge, période pendant laquelle l’intéressé ne peut pas prendre contact avec un conseil ni avec sa famille. De plus, les modifications apportées récemment à la loi autorisent la police à prolonger cette période;

k)Le fait que les détenus en général ne puissent pas consulter un conseil et un médecin de leur choix;

l)Le surpeuplement des prisons et les mauvaises conditions carcérales, ainsi que les allégations faisant état de cas de mauvais traitements de prisonniers et les difficultés auxquelles se heurtent les organisations internationales, les organisations non gouvernementales et les familles quand elles veulent voir les prisonniers.

E. Recommandations

99. Le Comité recommande à l’État partie:

a) D’incorporer dans sa législation nationale la définition de la torture figurant à l’article premier de la Convention et d’ériger les actes de torture en infractions spécifiques, passibles de peines appropriées;

b) De prendre des mesures efficaces pour mettre en place un pouvoir judiciaire professionnel et totalement indépendant et veiller à ce qu’il le reste, conformément aux normes internationales et plus particulièrement aux Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, si nécessaire en faisant appel à la coopération internationale;

c) De veiller à ce que des enquêtes impartiales et approfondies soient rapidement menées sur les nombreuses allégations de torture portées à la connaissance des autorités et de faire en sorte que leurs auteurs soient poursuivis et punis, selon qu’il convient;

d) D’établir un organe indépendant compétent pour examiner les plaintes contre la police et les autres services de répression;

e) De prendre toutes les mesures voulues pour garantir que les dispositions de l’article 3 de la Convention soient prises en considération quand il s’agit d’ordonner l’expulsion, le renvoi ou l’extradition d’étrangers;

f) De prendre des mesures pour que les preuves obtenues sous la torture ne soient pas admises par les tribunaux;

g) De prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’accès à la justice à tous les habitants du Cambodge, y compris aux pauvres et aux habitants des régions rurales et reculées du pays;

h) De prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir à toute personne privée de liberté le droit à la défense, et donc le droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat, si nécessaire aux frais de l’État;

i) De prendre d’urgence des mesures afin d’améliorer les conditions de détention dans les commissariats de police et dans les établissements pénitentiaires et, de plus, d’intensifier ses efforts pour remédier au surpeuplement carcéral et établir une procédure systématique menée par un organisme indépendant pour surveiller la façon dont les personnes arrêtées, détenues ou incarcérées sont traitées dans la pratique. L’État partie devrait envisager de signer et de ratifier le Protocole facultatif à la Convention;

j) De renforcer l’éducation aux droits de l’homme et les activités de promotion des droits de l’homme en général et en ce qui concerne particulièrement l’interdiction de la torture, à l’intention des fonctionnaires des services de répression et du personnel médical, et d’introduire des cours sur ces questions dans les programmes d’enseignement officiels;

k) D’adopter des mesures pour réglementer et institutionnaliser le droit des victimes d’actes de torture à une indemnisation équitable et adéquate et pour mettre en place des programmes de réadaptation physique et psychique à leur intention;

l) De veiller à ce que la pratique, signalée, de la traite illicite d’êtres humains soit réprimée;

m) D’indiquer: a) le nombre de personnes détenues dans des prisons et des lieux de détention, ventilé par âge, par sexe, par groupe ethnique, par origine géographique et par type d’infraction; b) le nombre d’affaires où des policiers et autres membres de services de répression ont fait l’objet d’une procédure disciplinaire ou pénale pour actes de torture ou infractions connexes, en précisant la nature des faits et l’aboutissement de l’affaire;

n) De faire diffuser largement les présentes conclusions et recommandations dans tout le Cambodge, dans toutes les principales langues.

100. Le Comité demande à l’État partie de faire parvenir d’ici au 31 août 2003 des réponses aux questions soulevées par ses membres et aux points soulevés dans les présentes conclusions et recommandations provisoires.

ISLANDE

101.Le Comité contre la torture a examiné le deuxième rapport périodique de l’Islande (CAT/C/59/Add.2) à ses 552e, 555e et 568e séances (CAT/C/SR.552, 555 et 568), tenues les 1er, 2 et 13 mai 2003, et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

102.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique de l’Islande, qui a été présenté dans les délais et qui est tout à fait conforme aux directives du Comité concernant l’établissement des rapports périodiques des États parties. Le Comité remercie le Gouvernement et la délégation islandais pour leur réelle coopération et le dialogue constructif qui s’est engagé.

B. Aspects positifs

103.Le Comité note avec satisfaction qu’il n’a reçu aucune plainte de torture ou de mauvais traitement en Islande.

104.Le Comité se félicite des faits nouveaux suivants: a) la nouvelle loi no 80/2000 sur la protection des enfants, qui renforce la protection accordée aux enfants; b) la nouvelle loi no 96/2002 sur les étrangers qui protège davantage les étrangers; c) les modifications apportées à la loi sur la police, qui prévoient que les allégations faisant état d’infractions commises par un policier sont directement transmises au procureur général pour enquête.

105.Le Comité note avec satisfaction que les prisonniers en détention provisoire qui sont placés en régime d’isolement ont le droit de faire examiner par un tribunal leur mise à l’isolement et qu’ils doivent être informés de l’existence de ce droit.

106.Le Comité se félicite de ce que ses conclusions et recommandations précédentes aient été traduites en islandais et largement diffusées.

C. Sujets de préoccupation

107.Le Comité demeure préoccupé par le fait qu’il n’existe, en droit islandais, aucune disposition spécifique prévoyant que toute déclaration au sujet de laquelle il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme élément de preuve dans une procédure, comme le prévoit l’article 15 de la Convention.

108.Le Comité est également préoccupé par le problème de la violence entre prisonniers (à la prison de Litla Hraun), qui a suscité des craintes parmi certaines catégories de détenus, amenant, notamment, nombre d’entre eux à demander de leur propre chef leur mise à l’isolement.

D. Recommandations

109. Le Comité engage l’État partie à réexaminer les recommandations qu’il a faites précédemment, à savoir:

a) La recommandation tendant à ce que la torture soit définie comme infraction spécifique en droit islandais;

b) La recommandation tendant à ce que la législation relative aux éléments de preuve à produire lors de procédures judiciaires soit mise en conformité avec les dispositions de l’article 15 de la Convention afin que soient expressément exclues toutes les preuves obtenues par la torture.

110. Le Comité recommande également que:

a) Les médecins qui sont en contact avec des personnes soumises à une forme quelconque d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement reçoivent une formation qui leur permette de reconnaître les séquelles de la torture et de fournir des services de réadaptation aux victimes de tortures et de mauvais traitements;

b) L’État partie continue d’examiner la question de la violence entre prisonniers, en surveillant activement cette violence, en veillant à ce que le personnel pénitentiaire soit formé et en mesure d’intervenir comme il convient;

c) Des informations concernant les enquêtes sur les cas de suicide en prison, ainsi que toute directive en matière de prévention du suicide qui serait adoptée à cet égard, figurent dans le prochain rapport périodique de l’Islande.

SLOVÉNIE

111.Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique de la Slovénie (CAT/C/43/Add.4) à ses 556e et 559e séances (CAT/C/SR.556 et 559), tenues les 5 et 6 mai 2003, et a adopté les conclusions et recommandations ci-après.

A. Introduction

112.Le Comité accueille avec satisfaction le fait que la Slovénie ait soumis son deuxième rapport périodique en temps voulu, comme l’a demandé le Comité, et se félicite d’avoir la possibilité de poursuivre son dialogue avec l’État partie.

113.Tout en notant que le rapport couvre la période allant de mai 2000 à mars 2001, le Comité apprécie les renseignements à jour fournis par la délégation slovène durant l’examen du rapport et ses réponses détaillées aux questions qu’il a posées.

B. Aspects positifs

114.Le Comité se félicite des efforts que l’État partie continue de déployer en vue de réformer son système juridique et de réexaminer sa législation afin de renforcer les droits de l’homme en Slovénie. En particulier, le Comité accueille avec satisfaction:

a)L’intégration dans le rapport de l’État partie des conclusions du Médiateur pour les droits de l’homme, qui ont souvent été très critiques à l’égard du Gouvernement. Le Comité note le rôle important de cette institution dans la promotion et la protection des droits de l’homme dans l’État partie;

b)La décision que la Cour suprême a prise en décembre 2000 de fixer à deux ans la période maximale de détention provisoire;

c)Le règlement sur les pouvoirs de police adopté en juin 2000, qui établit en détail les limites des pouvoirs des policiers dans leurs contacts officiels avec le public;

d)Les modifications apportées à la loi sur les étrangers et à la loi sur l’asile qui ont permis d’aligner la législation slovène sur l’article 3 de la Convention, comme l’avait recommandé le Comité lors de l’examen du rapport initial;

e)La décision du Gouvernement, adoptée en 2003, selon laquelle tous les ministères devront coopérer étroitement avec les ONG dans l’élaboration des lois et règlements qui concernent, d’une quelconque manière, les droits de l’homme et les libertés fondamentales;

f)Le programme spécial «Hercule», géré par la Cour suprême de Slovénie, qui a été lancé en 2001 en vue de réduire et éliminer les retards observés dans les tribunaux;

g)Les efforts entrepris par l’État partie dans le cadre d’activités d’éducation et de formation en vue de familiariser les policiers et les nouvelles recrues qui suivent une formation en cours d’emploi avec les normes internationales en matière de droits de l’homme, notamment en ce qui concerne la prévention de la torture.

C. Sujets de préoccupation

115.Le Comité est préoccupé par:

a)Le fait que le droit pénal positif ne prévoie pas le crime spécifique de torture qui, bien que mentionné dans le Code pénal, n’est toujours pas défini;

b)Le fait que les actes de torture soient prescriptibles et que le délai de prescription pour les autres types de mauvais traitements soit trop court;

c)Les informations reçues selon lesquelles il n’existerait pas de mécanisme indépendant chargé d’examiner rapidement et en toute impartialité les plaintes et allégations de mauvais traitements;

d)La persistance d’allégations selon lesquelles la police ferait un usage excessif de la force, en particulier à l’encontre des membres de minorités ethniques; le Comité déplore que l’État partie ne soit pas en mesure de fournir des données statistiques ventilées à ce sujet;

e)L’absence de garanties légales permettant d’assurer le droit des personnes privées de liberté d’avoir accès à un médecin de leur choix dès le début de leur détention. Le Comité note que l’article 74 du règlement sur les pouvoirs de police prévoit une assistance médicale, mais considère qu’il ne constitue pas une garantie suffisante contre les mauvais traitements et la torture;

f)L’absence d’un code de conduite pour les interrogatoires de police qui compléterait les dispositions du Code de procédure pénale et de la loi sur la police en vue d’éviter tout cas de torture ou de mauvais traitements, conformément à l’article 11 de la Convention;

g)Le fait que les prisons et autres lieux de détention soient toujours surpeuplés, malgré la légère amélioration constatée en 2002.

D. Recommandations

116. Le Comité recommande à l’État partie:

a) De poursuivre sans délai l’élaboration de plans visant à adopter une définition de la torture qui reprenne tous les éléments de celle qui figure à l’article premier de la Convention et de modifier son droit pénal en conséquence;

b) D’annuler la prescription pour les actes de torture et d’allonger le délai de prescription pour les autres types de mauvais traitements;

c) De prendre des mesures en vue de créer un mécanisme d’examen des plaintes efficace, fiable et indépendant afin d’entreprendre rapidement des enquêtes impartiales en cas d’allégations de mauvais traitements ou de torture par des membres de la police ou d’autres agents de l’État et de punir les coupables;

d) D’intensifier les efforts entrepris en vue de réduire les cas de mauvais traitements par des membres de la police et d’autres agents de l’État, en particulier lorsqu’ils sont motivés par l’origine ethnique, et, tout en assurant la protection de la vie privée, de mettre au point des méthodes pour recueillir des données et suivre la survenance de tels actes afin de s’attaquer plus efficacement à ce problème. L’État partie est encouragé à communiquer des renseignements à ce sujet dans son troisième rapport périodique;

e) De renforcer les garanties fournies dans le Code de procédure pénale contre les mauvais traitements et la torture et de veiller à ce que, dans les lois comme dans les faits, toute personne privée de liberté puisse exercer son droit d’accéder à un médecin indépendant. Le caractère confidentiel des examens médicaux devrait être garanti;

f) De poursuivre les efforts entrepris en vue de remédier au problème du surpeuplement des prisons et autres lieux de détention conformément, notamment, aux recommandations formulées à ce sujet par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants dans son rapport sur la Slovénie (CPT) (CPT/Inf(2002)36);

g) De diffuser largement, dans des langues appropriées, les rapports soumis par la Slovénie au Comité et les conclusions et recommandations de ce dernier, par l’intermédiaire des sites Internet officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

TURQUIE

117.Le Comité contre la torture a examiné le deuxième rapport de la Turquie (CAT/C/20/Add.8) à ses 554e et 557e séances (CAT/C/SR.554 et SR.557), les 2 et 5 mai 2003, et adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

118.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique de la Turquie, qui expose les nouvelles mesures prises et les faits nouveaux intervenus concernant l’application de la Convention depuis que l’État a soumis son rapport initial, en 1990. Il accueille aussi avec satisfaction les renseignements mis à jour et détaillés ainsi que les réponses circonstanciées données par la délégation de l’État partie.

119.Le Comité déplore néanmoins que l’État partie ait soumis très en retard son rapport qui aurait dû être présenté huit ans plus tôt.

B. Aspects positifs

120.Le Comité prend note des aspects positifs ci‑après:

a)L’abolition de la peine capitale pour les crimes commis en temps de paix;

b)La levée de l’état d’urgence qui était en vigueur depuis longtemps;

c)Les réformes législatives et constitutionnelles adoptées en vue de renforcer la primauté du droit et de rendre la législation conforme à la Convention, notamment la réduction de la durée de la garde à vue, la suppression de l’obligation d’avoir une autorisation administrative pour engager des poursuites à l’encontre d’un fonctionnaire ou d’un agent de l’État et la diminution du nombre des infractions relevant de la compétence des tribunaux de sûreté de l’État;

d)L’incorporation dans la législation interne du principe qui veut que les éléments obtenus par la torture n’ont pas valeur de preuve dans les procédures judiciaires;

e)La mise en place de conseils de surveillance des prisons, composés de membres d’organisations non gouvernementales siégeant à titre individuel et qui ont pour mandat d’inspecter les établissements pénitentiaires;

f)La présentation au Parlement du projet de loi prévoyant la mise en place de l’institution du médiateur;

g)L’acceptation par l’État partie, dans un esprit de coopération, des visites des organes de surveillance comme les rapporteurs de la Commission des droits de l’homme de l’ONU et la publication des rapports du CPT.

C. Sujets de préoccupation

121.Le Comité se déclare préoccupé par:

a)Les allégations nombreuses et concordantes indiquant que la torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants sont apparemment toujours largement pratiqués sur des personnes gardées à vue;

b)Le fait que la police ne respecte pas toujours les garanties concernant l’enregistrement des détenus;

c)Les allégations selon lesquelles les personnes gardées à vue se voient refuser la possibilité de bénéficier rapidement et comme il convient de l’assistance d’un avocat et d’un médecin et leurs proches ne sont pas informés promptement de leur détention;

d)Les allégations selon lesquelles, malgré les nombreuses plaintes, il est rare que des poursuites soient engagées contre des membres des forces de sécurité pour torture et mauvais traitements et que des sanctions soient prises à leur encontre, les procédures sont d’une durée excessive, les peines prononcées ne sont pas en rapport avec la gravité des crimes, et les fonctionnaires de police accusés de torture sont rarement suspendus de leurs fonctions pendant l’enquête;

e)L’importance accordée aux aveux dans les procédures pénales et le fait que la police et les autorités judiciaires se fondent sur des aveux pour obtenir que des accusés soient condamnés;

f)Les problèmes alarmants qui se posent dans les prisons depuis la création des prisons dites de «type F» qui ont conduit des détenus à faire des grèves de la faim, auxquels plus de 60 personnes ont succombé;

g)Le fait que l’État partie n’exécute pas intégralement les jugements de la Cour européenne des droits de l’homme exigeant le versement d’indemnités équitables.

122.Le Comité est aussi préoccupé par:

a)La formation insuffisante du personnel médical qui s’occupe des détenus aux questions relatives à l’interdiction de la torture;

b)Les allégations selon lesquelles l’expulsion des étrangers en situation illégale vers leur pays d’origine ou des pays voisins s’accompagne souvent de mauvais traitements en violation des garanties prévues à l’article 3 de la Convention;

c)Les informations persistantes faisant état d’actes de harcèlement et de persécutions subis par des défenseurs des droits de l’homme et des organisations non gouvernementales.

D. Recommandations

123. Le Comité recommande à l’État partie:

a) De veiller à ce que les détenus, y compris ceux privés de leur liberté à la suite d’infractions relevant de la compétence des tribunaux de sûreté de l’État, bénéficient dans la pratique des garanties contre les mauvais traitements et la torture, notamment en assurant le respect de leur droit à l’assistance d’un médecin et d’un avocat et de communiquer avec leur famille;

b) De prendre les mesures requises pour faire en sorte que les nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements fassent l’objet sans délai d’enquêtes impartiales et approfondies et d’instituer un système de plainte efficace et transparent dans ce domaine;

c) D’abroger la prescription pour les crimes de torture et de mauvais traitements, de juger rapidement en première instance et en appel les affaires où des agents de l’État sont inculpés de torture ou de mauvais traitements et de veiller à ce que les membres des forces de sécurité qui font l’objet d’une enquête ou d’un procès pour torture ou mauvais traitements soient suspendus de leurs fonctions pendant l’enquête et rayés des cadres s’ils sont reconnus coupables;

d) De veiller à ce que des inspections de prisons et d’autres lieux de détention par les magistrats, les procureurs ou d’autres organes indépendants (tels que les conseils de surveillance des prisons) continuent d’être effectuées à intervalles réguliers et à ce que les mesures voulues soient prises par les autorités responsables pour donner suite à tous les rapports d’inspection et à toutes les recommandations formulées;

e) De garantir que les registres de détention par la police soient strictement tenus dès le début du placement en détention en inscrivant également le moment où les détenus sont extraits de leur cellule, et que ces registres puissent être consultés par les familles et les avocats;

f) De résoudre les problèmes qui se posent actuellement dans les prisons du fait de la création des «prisons de type F», en donnant effet aux recommandations du CPT et en engageant un véritable dialogue avec les détenus qui observent une grève de la faim;

g) De revoir la législation et la pratique actuelles de façon à garantir que l’expulsion des étrangers en situation irrégulière soit effectuée dans le respect total des garanties prescrites par les normes internationales en matière de droits de l’homme, notamment la Convention;

h) De veiller à ce qu’une réparation suffisante et équitable soit assurée aux victimes de torture et de mauvais traitements, comprenant une indemnisation financière, des services de réadaptation et un traitement médical et psychologique;

i) De veiller à ce qu’il ne soit pas porté atteinte aux défenseurs des droits de l’homme et aux organisations non gouvernementales ainsi qu’à leurs locaux et archives;

j) D’inclure la prévention de la torture dans le Programme turc pour l’éducation dans le domaine des droits de l’homme (1998 ‑2007) et de veiller à faire largement connaître à toutes les autorités toutes les nouvelles dispositions législatives;

k) D’intensifier la formation du personnel médical en ce qui concerne les obligations énoncées dans la Convention, en particulier pour ce qui est de déceler les signes de torture ou de mauvais traitements et d’établir les rapports d’expertise médico ‑légale conformément au Protocole d’Istanbul;

l) D’inclure dans le prochain rapport périodique des données statistiques détaillées, ventilées par délit, région, appartenance ethnique et sexe, sur les plaintes dénonçant des actes de torture et de mauvais traitements qui auraient été commis par des agents de la force publique, ainsi que sur les enquêtes ouvertes et les poursuites, les peines et les sanctions disciplinaires auxquelles elles ont donné lieu;

m) De donner dans le prochain rapport périodique des renseignements sur la mise en œuvre du «programme de retour au village» concernant les personnes déplacées à l’intérieur du pays;

n) De faire largement connaître dans l’État partie les conclusions et recommandations du Comité dans toutes les langues voulues.

124. L’État partie est invité à présenter d’ici le 31 août 2005 son prochain rapport périodique, qui sera considéré comme le troisième.

BELGIQUE

125.Le Comité a examiné le rapport initial de la Belgique (CAT/C/52/Add.2) à ses 558e, 561e, 562e et 569e séances, les 6, 7, 8 et 14 mai 2003 (CAT/C/SR.558, 561, 562 et 569), et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

126.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de la Belgique qui, toutefois, ne contient pas suffisamment d’informations relatives à l’application pratique de la Convention et aux difficultés rencontrées à cet égard.

127.Le Comité se félicite de la présence d’une délégation composée d’experts de haut niveau, qui ont répondu de façon exhaustive et avec franchise aux nombreuses questions qui leur ont été posées. Le Comité accueille avec grande satisfaction la très bonne qualité du dialogue qui s’en est suivi.

B. Aspects positifs

128.Le Comité note avec satisfaction les éléments suivants:

a)La ratification sans réserve de la Convention et la reconnaissance de la compétence du Comité pour connaître des plaintes interétatiques et individuelles (art. 21 et 22);

b)L’adoption, le 14 juin 2002, d’une loi de mise en conformité du droit belge avec la Convention, qui introduit dans le Code pénal des articles relatifs à la torture et aux traitements inhumains ou dégradants, et précise que l’ordre d’un supérieur ne peut justifier les infractions de torture ou de traitements inhumains;

c)L’adoption, le 18 juillet 2001, d’un article du Code de procédure pénale reconnaissant la compétence des juridictions belges pour connaître des infractions commises hors du territoire belge et visées par une convention internationale liant la Belgique;

d)La création, en 1991, puis l’accroissement des pouvoirs du Comité permanent de contrôle des services de police (Comité P), placé sous l’autorité du Parlement;

e)L’abrogation, en 1999, de l’article 53 de la loi du 8 avril 1965 permettant de placer un mineur dans une maison d’arrêt pour une période maximale de 15 jours, de même que les efforts déployés par les communautés flamande et française pour remédier aux problèmes de surpopulation dans les établissements spécialisés pour mineurs délinquants.

C. Sujets de préoccupation

129.Le Comité se déclare préoccupé par:

a)Le manque de précision entourant la notion d’«ordre manifestement illégal» et par le fait qu’un agent ayant commis un traitement dégradant puisse s’exonérer de sa responsabilité pénale, en vertu de l’article 70 du Code pénal, s’il a agi sur ordre d’un supérieur;

b)L’absence d’une disposition légale interdisant clairement d’invoquer l’état de nécessité pour justifier la torture;

c)Des cas d’utilisation excessive de la force lors de manifestations publiques ou d’éloignement d’étrangers;

d)Le fait que des étrangers, même établis de longue date, ayant gravement porté atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale peuvent être éloignés du territoire alors que la majorité de leurs attaches est en Belgique;

e)Le caractère non suspensif des recours en annulation introduits devant le Conseil d’État par les personnes faisant l’objet d’une décision d’éloignement du territoire. Le Comité s’inquiète en outre du retard de l’administration dans la mise en œuvre des directives ministérielles de 2002 conférant un effet suspensif aux recours d’extrême urgence introduits par les demandeurs d’asile déboutés;

f)La possibilité de prolonger la détention des étrangers aussi longtemps que ceux‑ci refusent de collaborer à leur rapatriement, la possibilité de mettre en détention, pour des périodes longues, des mineurs non accompagnés, de même que par des informations selon lesquelles des demandeurs d’asile formellement remis en liberté ont été transférés en zone de transit de l’aéroport national sans pouvoir la quitter, et laissés sans assistance;

g)La réforme, le 23 avril 2003, des règles relatives à l’exercice de la compétence universelle par les juridictions belges en matière de violations graves du droit international humanitaire, en vertu de laquelle le Ministre de la justice est autorisé dans certains cas à dessaisir un juge belge des faits portés à sa connaissance;

h)L’insuffisance de la législation en matière de droits des personnes faisant l’objet d’une arrestation judiciaire ou administrative d’accéder à un avocat, d’informer leurs proches de leur détention, d’être clairement informées de leurs droits et de se faire examiner par un médecin de leur choix;

i)L’absence de liste limitative d’infractions disciplinaires dans les prisons, et l’absence de recours effectif mis à disposition du détenu contre la décision disciplinaire prise à son encontre;

j)L’existence de violences entre détenus dans les établissements pénitentiaires;

k)Des informations faisant état de carences dans les prisons du système d’accès aux soins médicaux, y compris psychiatriques et psychologiques, dues notamment à un manque de personnel qualifié et disponible;

l)La possibilité de prendre des mesures d’isolement à l’encontre des mineurs délinquants ayant atteint l’âge de 12 ans, pour une durée allant jusqu’à 17 jours;

m)Le mauvais fonctionnement des commissions administratives, organes de contrôle interne des prisons;

n)L’insuffisance de la formation dont bénéficie le personnel de l’administration pénitentiaire, y compris le personnel médical, en particulier en ce qui concerne l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, due, en particulier, à la faiblesse des moyens financiers dégagés à cet effet;

o)Le fait que seule la jurisprudence ait établi des règles d’exclusion des preuves obtenues par la torture, et que les juges semblent conserver, en la matière, un certain pouvoir d’appréciation.

D. Recommandations

130. Le Comité, tout en se félicitant de la décision des autorités belges d’étendre la définition de la torture et des traitements inhumains ou dégradants à la commission de tels actes par des acteurs non étatiques, agissant même sans consentement d’un agent de l’État, recommande aux autorités belges de s’assurer que l’ensemble des éléments de définition de l’article premier de la Convention se trouve effectivement englobé dans la définition générale offerte par le droit pénal belge.

131. Le Comité recommande à l’État partie:

a) De veiller à ce que les agents ayant commis des traitements dégradants soient l’objet de sanctions pénales alors même qu’ils auraient agi sur l’ordre d’un supérieur, et de clarifier la notion d’«ordre manifestement illégal»;

b) D’insérer dans le Code pénal une clause interdisant expressément d’invoquer l’état de nécessité pour justifier la violation du droit de ne pas être soumis à la torture;

c) De s’assurer que les directives en matière d’utilisation de la force lors de manifestations publiques et d’éloignement d’étrangers répondent entièrement aux exigences de la Convention, d’en garantir l’application effective, et de procéder à des enquêtes immédiates en cas d’allégation de recours excessif à la force par les agents de la force publique;

d) De conférer un caractère suspensif non seulement aux recours en extrême urgence, mais aussi aux recours en annulation introduits par tout étranger qui, faisant l’objet d’une décision d’éloignement du territoire, invoque qu’il risque d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il doit être renvoyé;

e) De poser une limite maximale à la détention d’étrangers faisant l’objet d’une décision d’éloignement du territoire, d’élaborer une législation spécifique relative aux mineurs non accompagnés qui prenne en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, et d’assurer le suivi des demandeurs d’asile remis en liberté;

f) D’assurer en particulier le respect du principe de l’indépendance des juridictions belges par rapport au pouvoir exécutif, en particulier pour ce qui concerne l’exercice de la compétence universelle en matière de violations graves du droit international humanitaire;

g) De garantir expressément dans la législation nationale le droit de toute personne, qu’elle soit détenue judiciairement ou administrativement, d’accéder à un avocat et à un médecin de son choix dès son arrestation, d’être informée de ses droits dans une langue qu’elle comprend et d’informer rapidement ses proches de sa détention;

h) De moderniser de toute urgence son droit pénitentiaire, en particulier en définissant le statut juridique des détenus, en clarifiant le régime disciplinaire en prison, et en garantissant le droit des détenus de porter plainte et de recourir efficacement contre toute sanction disciplinaire injustifiée, devant un organe indépendant et rapidement accessible;

i) De lutter plus efficacement contre les violences entre prisonniers;

j) D’améliorer le système d’accès aux soins de santé dans les prisons, en recrutant davantage de personnel médical qualifié;

k) De s’assurer que la mise en isolement des mineurs délinquants n’est prise qu’à titre tout à fait exceptionnel et pour une période de temps limitée;

l) D’améliorer le système de supervision des établissements pénitentiaires, en assurant rapidement, comme prévu, le remplacement des commissions administratives par des organes plus efficaces, et en envisageant la possibilité pour les organisations non gouvernementales de visiter régulièrement les prisons et de rencontrer les détenus;

m) D’assurer la formation du personnel de l’administration pénitentiaire, y compris le personnel médical, en matière d’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants;

n) D’énoncer clairement dans la législation nationale l’irrecevabilité de plein droit des preuves obtenues sous la torture, lesquelles, dès lors, doivent être soustraites de l’examen du juge lui ‑même.

132. Le Comité recommande que les présentes conclusions et recommandations, de même que les comptes rendus analytiques des séances consacrées à l’examen du rapport initial de l’État partie, soient largement diffusés dans le pays dans les langues appropriées.

133. Le Comité recommande que le prochain rapport périodique de la Belgique contienne des informations détaillées sur la mise en œuvre pratique de la Convention et l’ensemble des points soulevés dans les présentes conclusions. En particulier, devront y être incluses des informations détaillées, de nature statistique notamment, sur le fonctionnement et l’efficacité du système de supervision des prisons, sur les violences entre prisonniers et sur l’efficacité des mesures prises à cet égard. Le Comité désire recevoir des informations sur le nombre et l’âge des mineurs délinquants concernés par des mesures d’isolement, la longueur moyenne de leur isolement et les raisons de la sanction prise à leur encontre.

RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

134.Le Comité contre la torture a examiné le rapport initial de la République de Moldova (CAT/C/32/Add.4) à ses 563e et 565e séances (CAT/C/SR.563 et 565), tenues les 8 et 9 mai 2003, et a adopté les conclusions et recommandations ci-après.

A. Introduction

135.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de la République de Moldova mais déplore qu’il ait été présenté avec un retard de près de cinq ans et qu’il contienne peu de renseignements sur l’exercice effectif dans l’État partie des droits garantis par la Convention.

136.Bien qu’il tienne compte du fait que la délégation de l’État partie n’a pu arriver à temps pour l’examen du rapport pour raison de force majeure, le Comité note avec déception que la plupart de ses questions sont restées sans réponse et rappelle à l’État partie qu’il lui a demandé de fournir des renseignements complémentaires par écrit.

B. Aspects positifs

137.Le Comité prend note des aspects positifs ci‑après:

Les indications fournies par la délégation de l’État partie selon lesquelles le nouveau Code pénal fournira un cadre juridique en vue d’un traitement des détenus plus humain;

Le fait que l’État partie ait décidé de rendre publics les rapports et réponses relatifs aux visites du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT). En outre, l’État partie a créé un comité de coordination permanent spécialisé pour les questions examinées par le CPT;

Les efforts accomplis par les autorités moldoves en vue d’améliorer les conditions de détention, notamment en retirant 89 % des rideaux de fer qui recouvraient les fenêtres des cellules dans les centres de détention provisoire; l’intensification des efforts en vue d’améliorer le traitement des personnes atteintes de tuberculose; et l’augmentation des possibilités de travail pour les détenus;

L’acceptation de l’article 20 de la Convention.

C. Sujets de préoccupation

138.Le Comité est préoccupé par:

La persistance de nombreuses allégations d’actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à l’encontre de personnes placées en garde à vue;

Le fait que les personnes placées en garde à vue ne bénéficient pas d’un accès rapide et approprié à un conseil et à un médecin ainsi qu’aux membres de leur famille;

La suppression, dans le nouveau Code pénal, de la définition de la torture, qui était conforme à celle figurant dans la Convention;

Le fait que des personnes soient mises en rétention administrative sous le contrôle de la police dans des centres de détention provisoire placés sous l’autorité du Ministère de l’intérieur;

Le fait que, selon les informations reçues, les nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements ne donneraient pas lieu sans délai de la part de l’État partie à une enquête impartiale et approfondie, ce qui contribuerait à instaurer une culture de l’impunité parmi les responsables de l’application des lois;

L’absence de mécanisme de contrôle indépendant chargé d’examiner les plaintes déposées contre la police;

Le fait que les autorités judiciaires ne supervisent pas les centres de détention provisoire placés sous l’autorité du Ministère de l’intérieur;

Les allégations selon lesquelles le système de justice pénale ne fonctionnerait pas correctement, ce qui semble dû en partie au fait que les services du procureur et la magistrature ne sont pas indépendants;

Les allégations selon lesquelles, lors des procédures pénales, une importance excessive est accordée aux aveux en tant que principale source d’éléments de preuve;

Le fait que, selon les informations reçues, des immigrants sont apparemment détenus dans des conditions médiocres dans des centres de détention provisoire;

Les allégations concernant l’expulsion d’étrangers, qui semble avoir lieu sans que soient appliquées les garanties énoncées à l’article 3 de la Convention;

Les mauvaises conditions matérielles qui règnent dans les cellules de garde à vue et les prisons et le fait que ces locaux ne fassent pas l’objet d’inspections indépendantes. Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations selon lesquelles les mineurs sont parfois détenus avec des adultes et n’ont accès ni à l’éducation ni à des activités intéressantes;

Le fait que les responsables de l’application des lois, y compris les médecins qui s’occupent de personnes privées de liberté, ne soient pas formés à la prévention de la torture.

D. Recommandations

139. Le Comité recommande à l’État partie:

a) De veiller à ce que les garanties fondamentales contre la torture et les mauvais traitements des détenus, y compris ceux qui sont emprisonnés pour des infractions administratives, soient effectivement appliquées, notamment celles qui concernent le droit des détenus d’avoir accès à un médecin et à un conseil ainsi qu’aux membres de leurs familles, dès le début de leur détention;

b) D’intégrer dans le nouveau Code pénal une définition de la torture en tant que crime distinct qui soit conforme à l’article premier de la Convention;

c) De veiller à ce que les nombreuses allégations de torture adressées aux autorités fassent l’objet sans délai d’enquêtes impartiales et approfondies, à ce que les auteurs soient poursuivis et punis comme il convient et à ce que les victimes reçoivent une indemnisation appropriée;

d) De mettre fin à toute détention administrative par la police;

e) De créer un organe administratif indépendant chargé d’examiner les plaintes contre la police et les responsables de l’application des lois;

f) De prendre des mesures efficaces en vue d’assurer la totale indépendance des services du procureur et l’indépendance de la magistrature, conformément aux Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature de l’Organisation des Nations Unies, en faisant appel, si nécessaire, à la coopération internationale;

g) De prendre des mesures en vue de garantir que les preuves obtenues sous la torture ne puissent être utilisées devant les tribunaux;

h) De prendre des mesures afin de s’assurer que la condition énoncée à l’article 3 de la Convention est prise en considération dans toute décision relative à l’expulsion, au refoulement ou à l’extradition d’étrangers;

i) De transférer au Ministère de la justice la responsabilité des personnes détenues dans les centres de détention provisoire du Ministère de l’intérieur;

j) De publier les directives sur le bon déroulement des interrogatoires durant la garde à vue, notamment en vue d’interdire totalement la torture et les mauvais traitements;

k) De fournir une fiche de renseignements, dans des langues appropriées, à tous les commissariats afin que ceux ‑ci informent tous les détenus de tous leurs droits dès leur arrestation;

l) D’améliorer les conditions de détention dans les commissariats et les prisons en vue de les mettre en conformité avec l’article 16 de la Convention, et de créer un mécanisme indépendant chargé de superviser systématiquement la façon dont les personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées sont traitées dans les faits;

m) De renforcer les activités d’éducation et de plaidoyer dans le domaine des droits de l’homme concernant l’interdiction de la torture, à l’intention notamment des responsables de l’application des lois et du personnel médical, et d’intégrer une formation à ce sujet dans les programmes d’enseignement officiels;

n) De fournir dans le prochain rapport périodique des données statistiques détaillées, ventilées par type d’infraction, région, groupe ethnique et sexe, sur les plaintes pour torture ou mauvais traitement contre des responsables de l’application des lois ainsi que sur les enquêtes, poursuites, sanctions disciplinaires et réparations auxquelles elles ont donné lieu;

o) De diffuser largement dans le pays, dans des langues appropriées, les conclusions et recommandations du Comité.

140. Le Comité demande à l’État partie de répondre aux questions que ses membres lui ont posées, avant le 31 août 2003.

141. L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera considéré comme le deuxième, avant le 27 décembre 2004.

IV. ACTIVITÉS MENÉES PAR LE COMITÉ EN APPLICATION DE L’ARTICLE 20 DE LA CONVENTION

A. Informations générales

142.En vertu du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention, s’il reçoit des renseignements crédibles qui lui semblent contenir des indications fondées attestant que la torture est pratiquée systématiquement sur le territoire d’un État partie, le Comité invite ledit État à coopérer à l’examen des renseignements et, à cette fin, à lui faire part de ses observations à ce sujet.

143.Conformément à l’article 69 du règlement intérieur du Comité, le Secrétaire général porte à l’attention du Comité les renseignements qui sont ou semblent être présentés pour examen par le Comité au titre du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention.

144.Le Comité ne reçoit aucun renseignement concernant un État partie qui, conformément au paragraphe 1 de l’article 28 de la Convention, a déclaré, au moment où il a ratifié la Convention ou y a adhéré, qu’il ne reconnaissait pas la compétence accordée au Comité aux termes de l’article 20, à moins que cet État n’ait ultérieurement levé sa réserve conformément au paragraphe 2 de l’article 28 de la Convention.

145.Le Comité a poursuivi ses travaux en application de l’article 20 de la Convention pendant la période couverte par le présent rapport. Conformément aux dispositions de l’article 20 de la Convention et des articles 72 et 73 du règlement intérieur, tous les documents et tous les travaux du Comité afférents aux fonctions qui lui sont confiées en vertu de l’article 20 de la Convention sont confidentiels et toutes les séances concernant ses travaux au titre de l’article 20 sont privées.

146.Toutefois, conformément au paragraphe 5 de l’article 20 de la Convention, le Comité peut, après consultations avec l’État partie intéressé, décider de faire figurer dans son rapport annuel aux États parties et à l’Assemblée générale un compte rendu succinct des résultats desdits travaux. On trouvera ci‑après un résumé des activités du Comité concernant le Mexique.

B. Résumé des résultats de l’enquête concernant le Mexique

147.Le Mexique a ratifié la Convention le 23 janvier 1986. Au moment de la ratification, il n’a pas déclaré qu’il ne reconnaissait pas la compétence conférée au Comité en vertu de l’article 20 de la Convention. La procédure prévue par l’article 20 est donc applicable au Mexique.

148.En octobre 1998, le Comité a reçu du Centre des droits de l’homme Miguel Agustín Pro‑Juárez (PRODH), une organisation non gouvernementale qui a son siège à Mexico, un rapport intitulé «Torture: la violence institutionnalisée au Mexique, avril 1997‑septembre 1998». Dans ce rapport, un appel était lancé au Comité pour qu’il procède à une enquête conformément à l’article 20 de la Convention. Après examen, le Comité a estimé que les renseignements présentés par le PRODH étaient fiables et contenaient des indications bien fondées que la torture était pratiquée systématiquement au Mexique. Conformément au paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention et à l’article 76 de son règlement intérieur, le Comité a prié le Gouvernement mexicain de coopérer à l’examen des renseignements en question et de les commenter.

149.Au cours de sa vingt‑deuxièmesession (mai 1999), le Comité a chargé deux de ses membres, M. Alejandro González Poblete et M. Antonio Silva Henriques Gaspar, d’examiner la réponse du Gouvernement. À l’issue de cet examen, le Comité a décidé, à la même session, de procéder à une enquête confidentielle conformément au paragraphe 2 de l’article 20 de la Convention et à l’article 78 de son règlement intérieur, dont il a chargé les deux membres susmentionnés. Il a aussi décidé d’inviter le Gouvernement mexicain, conformément au paragraphe 3 de l’article 20 de la Convention et à l’article 79 de son règlement intérieur, à coopérer avec lui dans la conduite de l’enquête. Enfin, il a décidé de demander au Gouvernement mexicain, conformément au paragraphe 3 de l’article 20 de la Convention et à l’article 80 de son règlement intérieur, d’autoriser une visite sur son territoire.

150.Le 30 janvier 2001, le Gouvernement a invité les membres du Comité à se rendre dans le pays. Cette visite s’est déroulée du 23 août au 12 septembre 2001. Le Comité avait entre‑temps désigné M. Ole Vedel Rasmussen comme troisième membre de l’équipe dépêchée au Mexique. En fin de compte, M. Silva Henriques Gaspar a été empêché pour des raisons personnelles de participer à cette visite.

151.Les deux membres désignés ont présenté leur rapport au Comité à sa vingt‑huitième session (avril‑mai 2002). Ils ont constaté que le nombre de plaintes pour torture portées à l’attention des organismes publics et ONG mexicains semblait avoir diminué. Cependant, les renseignements recueillis au cours de la procédure engagée conformément à l’article 20 − qui n’avaient pas été réfutés par le Gouvernement −, la description des cas de torture portés à leur attention, principalement par les victimes elles‑mêmes, la similarité des circonstances dans lesquelles ces cas s’étaient produits, l’objet de la torture − qui était presque toujours d’obtenir des renseignements ou d’extorquer des aveux compromettants pour soi‑même −, la similarité des méthodes employées et le fait que de telles méthodes étaient largement répandues, tout cela a convaincu les membres du Comité qu’il ne s’agissait pas là de situations exceptionnelles ni d’infractions occasionnelles commises par un petit nombre d’agents de police. Bien au contraire, la police avait habituellement recours à la torture, et ce, de façon systématique, comme méthode d’enquête criminelle qu’elle appliquait aussitôt qu’il fallait faire avancer la procédure.

152.Le Comité a fait sien le rapport des deux membres et, conformément au paragraphe 4 de l’article 20 de la Convention, a décidé de le communiquer au Gouvernement mexicain. Dans le même temps, le Comité a invité le Gouvernement à l’informer des mesures prises relativement à ses constatations et comme suite à ses conclusions et recommandations.

153.Le 31 août 2002, le Gouvernement a communiqué les renseignements demandés, réaffirmant sa ferme volonté de mettre en œuvre la Convention et l’importance qu’il attachait aux conclusions et recommandations du Comité. Il a également promis de les analyser minutieusement en vue d’adopter des mesures pour les appliquer. Le 20 février 2003, le Gouvernement mexicain a informé le Comité qu’il lui donnait son agrément pour que le texte intégral du rapport accompagné de sa réponse soit publié. À sa trentième session, le Comité a décidé de publier le rapport et la réponse. Le texte en est paru sous la cote CAT/C/75.

V. EXAMEN DE REQUÊTES REÇUES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION

154.Conformément à l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, les particuliers qui se disent victimes d’une violation par un État partie de l’un quelconque des droits énoncés dans la Convention ont le droit d’adresser une requête au Comité contre la torture pour examen, sous réserve des conditions énoncées dans cet article. Cinquante et un des 133 États qui ont adhéré à la Convention ou l’ont ratifiée ont déclaré qu’ils reconnaissaient la compétence du Comité pour recevoir et examiner des requêtes en vertu de l’article 22 de la Convention. La liste de ces États figure à l’annexe III. Le Comité ne peut recevoir aucune requête concernant un État partie à la Convention qui n’a pas reconnu sa compétence en vertu de l’article 22.

155.Les requêtes soumises en vertu de l’article 22 de la Convention sont examinées en séance privée (art. 22, par. 6). Tous les documents relatifs aux travaux du Comité dans le cadre de l’article 22 (observations des parties et autres documents de travail) sont confidentiels.

156.Conformément à l’article 107 révisé du règlement intérieur, afin de se prononcer sur la recevabilité d’une requête, le Comité, son groupe de travail ou un rapporteur désigné conformément à l’article 98 ou au paragraphe 3 de l’article 106 s’assure que le requérant déclare être victime d’une violation par l’État partie intéressé des dispositions de la Convention, que la requête ne constitue pas un abus de la procédure devant le Comité et n’est pas manifestement dénuée de fondement, que la requête n’est pas incompatible avec les dispositions de la Convention, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ou n’a pas déjà été examinée, que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles et que le délai écoulé depuis l’épuisement des recours internes n’est pas excessivement long, au point que l’examen de la plainte par le Comité ou l’État partie en est rendu anormalement difficile.

157.Conformément à l’article 109 révisé du règlement intérieur, aussitôt que possible après son enregistrement, la requête est transmise à l’État partie qui est prié de soumettre une réponse écrite dans les six mois. À moins que le Comité, le groupe de travail ou le rapporteur n’ait décidé, du fait du caractère exceptionnel de l’affaire, de demander une réponse écrite qui porte exclusivement sur la question de la recevabilité, l’État partie soumet des explications ou des observations portant à la fois sur la recevabilité et sur le fond de la requête ainsi que sur toute mesure qui peut avoir été prise pour accorder réparation. L’État partie peut demander, dans un délai de deux mois, que la requête soit déclarée irrecevable. Le Comité, ou le rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, peut accepter ou non d’examiner la question de la recevabilité séparément de celle du fond. Lorsqu’une décision a été rendue sur la seule question de la recevabilité, le Comité fixe la date limite de la réponse sur le fond au cas par cas. Le Comité, son groupe de travail ou le(s) rapporteur(s) peut demander à l’État partie ou au requérant de présenter par écrit des renseignements, éclaircissements ou observations supplémentaires et il fixe un délai. Dans le délai indiqué par le Comité, son groupe de travail ou le(s) rapporteur(s), l’État partie ou le requérant peut bénéficier de la possibilité de faire des commentaires sur toute réponse reçue de l’autre partie. Le fait de ne pas recevoir ces commentaires dans le délai fixé ne doit pas, en règle générale, retarder l’examen de la requête et le Comité ou son groupe de travail peut décider d’examiner la question de la recevabilité ou du fond à la lumière des renseignements disponibles.

158.Quand il a achevé l’examen d’une requête, le Comité formule une décision à la lumière de tous les renseignements qui lui ont été fournis par le requérant et par l’État partie. Ses constatations sont communiquées aux parties (art. 22, par. 7, de la Convention et art. 112 du Règlement intérieur) et sont ensuite rendues publiques. Le texte des décisions du Comité déclarant des requêtes irrecevables en vertu de l’article 22 de la Convention est également rendu public; si l’État partie est identifié, l’identité du requérant en revanche n’est pas révélée.

159.Conformément au paragraphe 1 du nouvel article 115 de son règlement intérieur révisé, le Comité peut décider d’inclure dans son rapport annuel un résumé des requêtes examinées. Il inclut aussi dans son rapport annuel le texte de ses décisions en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

160.Finalement, pour remplacer M. González Poblete, le Comité a nommé M. El Masry rapporteur chargé du suivi des décisions adoptées au titre de l’article 22 de la Convention.

A. Groupe de travail de présession

161.À la vingt‑neuvième session, le groupe de travail de présession du Comité s’est réuni pendant cinq jours avant la session plénière pour aider le Comité plénier à s’acquitter de sa tâche en vertu de l’article 22. Il était composé des membres suivants: M. Camara, M. González Poblete, M. Mariño Menéndez et M. Yakovlev. Avant la trentième session, le groupe de travail s’est réuni pendant trois jours dans le même but. Il était composé de M. El Masry, M. Mariño Menéndez, M. Yakovlev et M. Yu Mengjia.

B. Mesures provisoires de protection

162.Il est fréquent que les requérants demandent une protection à titre préventif, en particulier quand ils sont sous le coup d’une mesure d’expulsion ou d’extradition imminente et qu’ils invoquent une violation de l’article 3 de la Convention. En vertu de l’article 108 du règlement intérieur, le Comité, son groupe de travail ou le rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires peut, à tout moment après avoir reçu une requête, adresser à l’État partie une demande tendant à ce qu’il prenne les mesures provisoires que le Comité juge nécessaires pour éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la victime ou aux victimes de la violation alléguée. L’État partie est informé que la demande de mesures provisoires ne préjuge pas la décision qui sera prise en définitive sur la recevabilité ou sur le fond de la requête. Le rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires vérifie que les demandes de mesures provisoires adressées par le Comité sont respectées. L’État partie peut informer le Comité que les raisons justifiant l’adoption de mesures provisoires ont cessé d’exister ou peut présenter des arguments pour expliquer pourquoi il pense que les mesures provisoires devraient être levées. Le rapporteur, le Comité ou son groupe de travail peut retirer la demande de mesures provisoires.

163.Au cours de la période considérée, le rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires a développé la méthode de travail concernant le retrait des demandes de mesures provisoires. Lorsque les circonstances donnent à penser qu’une demande de mesures provisoires peut être reconsidérée avant l’examen d’une requête quant au fond, il convient d’ajouter à la demande une phrase standard, disant que la demande est adressée à l’État partie compte tenu d’éléments d’information communiqués par le requérant dans sa requête mais qu’elle peut être reconsidérée, à l’initiative de l’État partie, à la lumière des renseignements ou observations reçus de sa part ou, le cas échéant, d’observations complémentaires fournies par le requérant.

164.conformément à cette démarche, le Comité a décidé, pour la première fois en janvier 2003, par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, de retirer une demande de mesures provisoires (voir requête no 219/2002, Kanze c. Suisse, texte reproduit en annexe au présent rapport, sect. A).

165.Au cours de la période couverte par le présent rapport, le rapporteur a demandé aux États parties de surseoir à l’expulsion ou l’extradition dans un certain nombre d’affaires, afin de donner au Comité le temps d’examiner les requêtes selon la procédure applicable. Tous les États parties ainsi requis ont accédé à la demande du Comité. Dans cinq affaires d’expulsion enregistrées au cours de la période considérée, le rapporteur, après un examen minutieux des arguments présentés, n’a pas jugé nécessaire de demander aux États concernés de prendre des mesures provisoires pour éviter qu’un préjudice irréparable soit porté aux requérants à leur retour dans leur pays.

C. Travaux accomplis

166.Au moment de l’adoption du présent rapport, le Comité avait enregistré 230 requêtes concernant 22 pays. Sur ce nombre, 59 avaient été classées et 39 avaient été déclarées irrecevables. Le Comité avait adopté des constatations sur le fond dans le cas de 81 requêtes et avait établi que 22 d’entre elles faisaient apparaître des violations de la Convention. Il lui restait à examiner 51 requêtes au total.

167.À sa vingt-neuvième session, le Comité a déclaré recevable cinq requêtes, qui devaient être examinées au fond.

168.À sa vingt-neuvième session également, le Comité a adopté ses constatations concernant les communications nos 119/1998 (V.N.I.M. c. Canada), 161/2000 (Hajrizi Dzemajl et consorts c. Yougoslavie), 193/2001 (P.E. c. France) et 204/2002 (H.K.H. c. Suède). Le texte des constatations du Comité figure à la section A de l’annexe VI du présent rapport.

169.Dans ses décisions relatives aux requêtes nos 119/1998 (V.N.I.M. c. Canada) et 204/2002 (H.K.H. c. Suède), le Comité a estimé que les requérants n’avaient pas apporté d’éléments suffisants pour permettre de conclure qu’ils risquaient d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine. Le Comité a donc conclu dans chaque cas que la décision de renvoyer les requérants dans leur pays ne constituait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

170.Dans sa décision relative à la requête no 193/2001 (P.E. c. France), le Comité a estimé que l’extradition de la requérante vers l’Espagne ne constituait pas une violation de l’article 15 de la Convention, car il n’avait pas été établi que la déclaration faite par une tierce personne auprès de la police espagnole, et invoquée comme élément de preuve dans la procédure d’extradition de la requérante en France, avait été obtenue par la torture.

171.Dans sa décision relative à la requête no 161/2000 (Hajrizi Dzemajl et consorts c. Yougoslavie), le Comité a estimé que l’inaction de l’État partie qui n’avait pris aucune mesure appropriée pour protéger les requérants, tous nationaux yougoslaves d’origine rom, contre l’incendie et la destruction de leurs maisons par des non-Roms, alors que la police avait été informée et se trouvait sur les lieux, équivalait à un «consentement tacite» au sens de l’article 16 de la Convention et constituait une violation de cet article. Le fait de n’avoir engagé de poursuites ni contre les assaillants ni contre les policiers constituait une violation de l’article 12. Le fait que l’État partie n’ait pas non plus notifié aux requérants l’arrêt de l’enquête sur l’affaire, ce qui les avait empêchés d’engager eux-mêmes des poursuites, constituait en outre une violation de l’article 13. Bien que cela ne soit pas expressément prévu par la Convention pour les victimes de mauvais traitements autres que la torture, le Comité a estimé que les obligations positives de l’État partie découlant de l’article 16 englobaient l’obligation d’accorder une indemnisation équitable et adéquate aux victimes.

172.À sa trentième session, le Comité a décidé de se dessaisir de quatre requêtes et de suspendre l’examen de deux autres. En outre, il a déclaré recevables deux requêtes, qui devaient être examinées au fond et a déclaré irrecevable la requête no 216/2002 (H.I.A c. Suède) au motif qu’elle était manifestement infondée, le requérant n’ayant pas suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité. Le texte de cette décision est reproduit dans la section B de l’annexe VI du présent document.

173.Toujours à sa trentième session, le Comité a adopté des décisions sur le fond en ce qui concerne les requêtes nos 190/2001 (K.S.Y. c. Pays-Bas), 191/2001 (S.S. c. Pays-Bas), 192/2001 (B.H. et consorts c. Suisse), 197/2002 (U.S. c. Finlande), 198/2002 (A.A. c. Pays-Bas), 201/2002 (M.V. c. Pays-Bas) et 219/2002 (G.K. c. Suisse). Le texte de ces décisions est reproduit dans la section A de l’annexe VI du présent document.

174.Dans ses décisions au sujet des requêtes nos 192/2001 (B.H. et consorts c. Suisse), 198/2002 (A.A. c. Pays-Bas) et 201/2002 (M.V. c. Pays-Bas), le Comité a estimé que les requérants n’avaient pas apporté d’éléments suffisants pour permettre de déclarer qu’ils risquaient d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine. Le Comité a donc conclu dans chaque cas que le renvoi du requérant dans son pays ne constituait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

175.En ce qui concerne les requêtes nos 191/2001 (S.S. c. Pays-Bas) et 197/2002 (U.S. c. Finlande), le Comité a estimé que la décision des autorités néerlandaises et finlandaises d’autoriser l’expulsion des requérants vers Sri Lanka ne constituait pas une violation par l’État partie de son obligation, contractée en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas renvoyer une personne dans un autre État où il y a de sérieux motifs de croire qu’elle risque d’être torturée, compte tenu de l’amélioration de la situation des droits de l'homme à Sri Lanka et parce que les tortures dont auraient souffert les requérants dans ce pays n’étaient pas récentes. Le Comité a également rejeté la plainte selon laquelle le renvoi des requérants dans des régions du pays sous le contrôle des Tigres de libération de l’Eelam Tamoul les exposerait à un risque d’être torturés par cette organisation dès lors que cette allégation ne relevait pas de la définition de la torture figurant à l’article premier de la Convention.

176.Dans sa décision au sujet de la requête no 190/2001 (K.S.Y c. Pays-Bas), le Comité a conclu que le requérant, ressortissant iranien, n’avait pas suffisamment étayé son allégation selon laquelle en raison de son orientation sexuelle et parce qu’il avait été condamné par un tribunal néerlandais pour avoir tué son partenaire, lui aussi citoyen iranien, aux Pays-Bas, il courait personnellement un risque actuel et prévisible d’être torturé s’il était renvoyé dans son pays d’origine.

177.Dans sa décision au sujet de la requête 219/2002 (G.K. c. Suisse), le Comité a estimé que l’extradition de la requérante en Espagne, où elle avait été inculpée de collaboration avec l’Organisation Euzkadi ta Askatasuna (Patrie et Liberté) (ETA) et de recel d’armes à feu et d’explosifs, ne constituait pas une violation par l’État partie des obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 3 de la Convention, eu égard aux garanties juridiques obtenues par la requérante au cours et après la procédure d’extradition. En outre, le Comité a estimé que l’extradition de la requérante vers l’Espagne ne constituait pas une violation de l’article 15 de la Convention dès lors qu’il n’avait pas été établi que la déclaration faite par un membre condamné de l’ETA devant la police espagnole sur laquelle reposerait la demande d’extradition adressée par l’Espagne à l’État partie avait été obtenue sous la torture.

VI.  SESSIONS FUTURES DU COMITÉ

178.Conformément à l’article 2 de son règlement intérieur, le Comité tient deux sessions ordinaires par an. En consultation avec le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, le Comité a arrêté les dates ci‑après pour ses sessions ordinaires de l’exercice biennal 2004‑2005:

Trente‑deuxième session3‑21 mai 2004

Trente‑troisième session15‑26 novembre 2004

Trente‑quatrième session2‑21 mai 2005

Trente‑cinquième session7‑18 novembre 2005

179.Les dates des réunions des groupes de travail de présession pour le même exercice biennal seront les suivantes: 26‑30 avril 2004, 8‑12 novembre 2004, 25‑29 avril 2005 et 31 octobre‑4 novembre 2005.

VII.  ADOPTION DU RAPPORT ANNUEL DU COMITÉ

180.Conformément à l’article 24 de la Convention, le Comité présente aux États parties et à l’Assemblée générale un rapport annuel sur ses activités. Étant donné que le Comité tient chaque année sa deuxième session ordinaire à la fin du mois de novembre, période qui coïncide avec les sessions ordinaires de l’Assemblée générale, il adopte son rapport annuel à la fin de sa session de printemps, de façon à pouvoir le transmettre à l’Assemblée générale pendant la même année civile. En conséquence, à sa 573e séance, le 16 mai 2003, le Comité a examiné et adopté à l’unanimité le rapport sur ses travaux à ses vingt‑neuvième et trentième sessions.

Annexe I

Liste des États ayant signé ou ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou y ayant adhéré, au 16 mai 2003

État

Date de la signature

Date de réception des instruments de ratification ou d’adhésion

Afghanistan

4 février 1985

1er avril 1987

Afrique du Sud

29 janvier 1993

10 décembre 1998

Albanie

11 mai 1984 a

Algérie

26 novembre 1985

12 septembre 1989

Allemagne

13 octobre 1986

1er octobre 1990

Antigua-et-Barbuda

19 juillet 1993 a

Arabie saoudite

23 septembre 1997 a

Argentine

4 février 1985

24 septembre 1986

Arménie

13 septembre 1993 a

Australie

10 décembre 1985

8 août 1989

Autriche

14 mars 1985

29 juillet 1987

Azerbaïdjan

16 août 1996 a

Bahreïn

6 mars 1998 a

Bangladesh

5 octobre 1998 a

Bélarus

19 décembre 1985

13 mars 1987

Belgique

4 février 1985

25 juin 1999

Belize

17 mars 1986 a

Bénin

12 mars 1992 a

Bolivie

4 février 1985

12 avril 1999

Bosnie‑Herzégovine

6 mars 1992 b

Botswana

8 septembre 2000

8 septembre 2000

Brésil

23 septembre 1985

28 septembre 1989

Bulgarie

10 juin 1986

16 décembre 1986

Burkina Faso

4 janvier 1999 a

Burundi

18 février 1993 a

Cambodge

15 octobre 1992 a

Cameroun

19 décembre 1986 a

Canada

23 août 1985

24 juin 1987

Cap‑Vert

4 juin 1992 a

Chili

23 septembre 1987

30 septembre 1988

Chine

12 décembre 1986

4 octobre 1988

Chypre

9 octobre 1985

18 juillet 1991

Colombie

10 avril 1985

8 décembre 1987

Comores

22 septembre 2000

Costa Rica

4 février 1985

11 novembre 1993

Côte d’Ivoire

18 décembre 1995 a

Croatie

8 octobre 1991 b

Cuba

27 janvier 1986

17 mai 1995

Danemark

4 février 1985

27 mai 1987

Djibouti

5 novembre 2002 a

Égypte

25 juin 1986 a

El Salvador

17 juin 1996 a

Équateur

4 février 1985

30 mars 1988

Espagne

4 février 1985

21 octobre 1987

Estonie

21 octobre 1991 a

États‑Unis d’Amérique

18 avril 1988

21 octobre 1994

Éthiopie

14 mars 1994 a

Ex‑République yougoslave de Macédoine

12 décembre 1994 b

Fédération de Russie

10 décembre 1985

3 mars 1987

Finlande

4 février 1985

30 août 1989

France

4 février 1985

18 février 1986

Gabon

21 janvier 1986

8 septembre 2000

Gambie

23 octobre 1985

Géorgie

26 octobre 1994 a

Ghana

7 septembre 2000

7 septembre 2000 a

Grèce

4 février 1985

6 octobre 1988

Guatemala

5 janvier 1990 a

Guinée

30 mai 1986

10 octobre 1989

Guinée‑Bissau

12 septembre 2000

Guinée équatoriale

8 octobre2002 a

Guyana

25 janvier 1988

19 mai 1988

Honduras

28 novembre 1986

5 décembre 1996 a

Hongrie

4 février 1985

15 avril 1987

Inde

14 octobre 1997

Indonésie

23 octobre 1985

28 octobre 1998

Irlande

28 septembre 1992

11 avril 2002

Islande 

23 octobre 1996

Israël

22 octobre 1986

3 octobre 1991

Italie

4 février 1985

12 janvier 1989

Jamahiriya arabe libyenne

16 mai 1989 a

Japon

29 juin 1999 a

Jordanie

13 novembre 1991 a

Kazakhstan

26 août 1998

Kenya

21 février 1997 a

Kirghizistan

5 septembre 1997 a

Koweït

8 mars 1996 a

Lesotho

12 novembre 2001 a

Lettonie

14 avril 1992 a

Liban

5 octobre 2000 a

Liechtenstein

27 juin 1985

2 novembre 1990

Lituanie

1er février 1996 a

Luxembourg

22 février 1985

29 septembre 1987

Madagascar

1er octobre 2001

Malawi

11 juin 1996 a

Mali

26 février 1999 a

Malte

13 septembre 1990 a

Maroc

8 janvier 1986

21 juin 1993

Maurice

9 décembre 1992 a

Mexique

18 mars 1985

23 janvier 1986

Monaco

6 décembre 1991 a

Mongolie

24 janvier 2002

Mozambique

14 septembre 1999 a

Namibie

28 novembre 1994 a

Nauru

12 novembre 2001

Népal

14 mai 1991 a

Nicaragua

15 avril 1985

Niger

5 octobre 1998 a

Nigéria

28 juillet 1988

28 juin 2001

Norvège

4 février 1985

9 juillet 1986

Nouvelle‑Zélande

14 janvier 1986

10 décembre 1989

Ouganda

3 novembre 1986 a

Ouzbékistan

28 septembre 1995 a

Panama

22 février 1985

24 août 1987

Paraguay

23 octobre 1989

12 mars 1990

Pays‑Bas

4 février 1985

21 décembre 1988

Pérou

29 mai 1985

7 juillet 1988

Philippines

18 juin 1986 a

Pologne

13 janvier 1986

26 juillet 1989

Portugal

4 février 1985

9 février 1989

Qatar

11 janvier 2000 a

République de Corée

9 janvier 1995 a

République démocratique du Congo

18 mars 1996 a

République de Moldova

28 novembre 1995 a

République dominicaine

4 février 1985

République tchèque

1er janvier 1993 b

Roumanie

18 décembre 1990 a

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

15 mars 1985

8 décembre 1988

Saint‑Siège

26 juin2002 a

Saint-Vincent‑et‑les Grenadines

1er août 2001 a

Sao Tomé‑et‑Principe

6 septembre 2000

Sénégal

4 février 1985

21 août 1986

Serbie‑et‑Monténégro

12 mars 2001 b

Seychelles

18 mars 1985

5 mai 1992 a

Sierra Leone

25 avril 2001

Slovaquie

29 mai 1993 b

Slovénie

16 juillet 1993 a

Somalie

24 janvier 1990 a

Soudan

4 juin 1986

Sri Lanka

3 janvier 1994 a

Suède

4 février 1985

8 janvier 1986

Suisse

4 février 1985

2 décembre 1986

Tadjikistan

11 janvier 1995 a

Tchad

9 juin 1995 a

Timor-Leste

16 avril 2003

Togo

25 mars 1987

18 novembre 1987

Tunisie

26 août 1987

23 septembre 1988

Turkménistan

25 juin 1999 a

Turquie

25 janvier 1988

2 août 1988

Ukraine

27 février 1986

24 février 1987

Uruguay

4 février 1985

24 octobre 1986

Venezuela

15 février 1985

29 juillet 1991

Yémen

5 novembre 1991 a

Zambie

7 octobre 1998 a

Annexe II

États parties ayant déclaré, lors de la ratification ou de l’adhésion, ne pas reconnaître la compétence du Comité en application de l’article 20 de la Convention, au 16 mai 2003 a

AfghanistanArabie saouditeChineGuinée équatorialeIsraëlKoweïtMarocUkraine

Annexe III

États parties ayant fait les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention, au 16 mai 2003 a

État partie Date d’entrée en vigueur

Afrique du Sud10 décembre 1998Algérie12 octobre 1989

Allemagne19 octobre 2001

Argentine26 juin 1987

Australie29 janvier 1993

Autriche28 août 1987

Belgique25 juillet 1999

Bulgarie12 juin 1993

Cameroun11 novembre 2000

Canada24 juillet 1987

Chypre8 avril 1993

Costa Rica27 février 2002

Croatie8 octobre 1991

Danemark26 juin 1987

Équateur29 avril 1988

Espagne20 novembre 1987

Fédération de Russie1er octobre 1991

Finlande29 septembre 1989

France26 juin 1987

Ghana7 octobre 2000

Grèce5 novembre 1988

Hongrie26 juin 1987

Irlande11 avril 2002

Islande22 novembre 1996

Italie11 février 1989

Liechtenstein2 décembre 1990

Luxembourg29 octobre 1987

Malte13 octobre 1990

Monaco6 janvier 1992

Norvège26 juin 1987

État partie Date d’entrée en vigueur

Nouvelle-Zélande9 janvier 1990

Paraguay29 mai 2002

Pays-Bas20 janvier 1989Pérou7 juillet 1988Pologne12 juin 1993

Portugal11 mars 1989République tchèque3 septembre 1996Sénégal16 octobre 1996Serbie‑et‑Monténégro12 mars 2001Slovaquie17 avril 1995

Slovénie16 juillet 1993

Suède26 juin 1987Suisse26 juin 1987Togo18 décembre 1987Tunisie23 octobre 1988

Turquie1er septembre 1988

Uruguay26 juin 1987Venezuela26 avril 1994

États parties ayant fait uniquement la déclaration prévue à l’article 21 de la Convention, au 16 mai 2003

États‑Unis d’Amérique21 octobre 1994

Japon29 juin 1999

Ouganda19 décembre 2001

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord8 décembre 1988

États parties ayant fait uniquement la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention, au 16 mai 2003 b

Azerbaïdjan4 février 2002

Mexique15 mars 2002

Seychelles6 août 2001

Annexe IV

Composition du Comité contre la torture en 2003

Membres

Pays de nationalité

Mandat expirant le 31 décembre

M. Peter Thomas BURNS

Canada

2003

M. Guibril CAMARA

Sénégal

2003

M. Sayed Kassem EL MASRY

Égypte

2005

Mme Felice GAER

États-Unis d’Amérique

2003

M. Alejandro GONZÁLEZ POBLETEa

Chili

2003

M. Fernando MARIÑO MENÉNDEZ

Espagne

2005

M. Andreas MAVROMMATIS

Chypre

2003

M. Ole Vedel RASMUSSEN

Danemark

2005

M. Alexander M. YAKOVLEV

Fédération de Russie

2005

M. YU Mengjia

Chine

2005

Annexe V

Rapporteurs et corapporteurs pour chacun des rapports des États parties examinés par le Comité à ses vingt-neuvième et trentième sessions

A. Vingt ‑neuvième session

Rapport

Rapporteur

Corapporteur

Chypre: troisième rapport périodique (CAT/C/54/Add.2)

M. El Masry

M. Yu Mengjia

Égypte: quatrième rapport périodiqueM. MariñoM. Yakovlev

(CAT/C/55/Add.6)

M. Mariño Menéndez

M. Yakovlev

Estonie: rapport initial (CAT/C/16/Add.9)

M. Burns

Mme Gaer

Espagne: quatrième rapport périodique (CAT/C/55/Add.5)

M. González Poblete

M. Rasmussen

Venezuela: deuxième rapport périodique (CAT/C/33/Add.5)

M. González Poblete

M. Rasmussen

B. Trentième session

Azerbaïdjan: deuxième rapport périodique (CAT/C/59/Add.1)

Mme Gaer

M. Yakovlev

Belgique: rapport initial (CAT/C/52/Add.2)

M. Camara

M. Mavrommatis

Cambodge: rapport initial (CAT/C/21/Add.5)

M. Burns

M. Yu Mengjia

Islande: deuxième rapport périodique (CAT/C/59/Add.2)

M. El Masry

M. Mavrommatis

République de Moldova: rapport initial (CAT/C/32/Add.4)

M. Rasmussen

M. Burns

Slovénie: deuxième rapport périodique (CAT/C/43/Add.4)

M. Yakovlev

M. Yu Mengjia

Turquie: deuxième rapport périodique (CAT/C/20/Add.8)

M. Mariño Menéndez

M. Rasmussen

Annexe VI

DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE L’ARTICLE 22 DE LA CONVENTION

A. Décisions sur le fond

Communication n o  119/1998

Présentée par:M. V. N. I. M. (représenté par un conseil)

Au nom de:M. V. N. I. M.

État partie:Canada

Date de la requête:3 novembre 1998

Date de l’adoption de la décision:12 novembre 2002

Le Comité contre la torture, institué conformément à l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 12 novembre 2002,

Ayant considéré la requête no 119/1998 présentée au Comité contre la torture en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte des informations qui lui ont été communiquées par l’auteur de la requête et l’État partie,

Adopte la décision ci‑après, au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

1.1Le requérant est M. V. N. I. M., né en 1966 et originaire du Honduras. Il vit actuellement au Canada où il a demandé l’asile le 27 janvier 1997. Cette demande ayant été rejetée, il prétend que son rapatriement forcé vers le Honduras constituerait une violation par le Canada de l’article 3 de la Convention contre la torture. Il est représenté par un conseil.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l’attention de l’État partie le 18 novembre 1998. Dans le même temps, le Comité, agissant en vertu de l’article 108 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant vers le Honduras tant que sa requête serait en cours d’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant prétend qu’il a été accusé par l’armée d’avoir posé une bombe dans un bâtiment où il fut arrêté alors qu’il était la seule personne sur les lieux au moment de l’explosion, le 19 avril 1988. Grièvement blessé, il fut interrogé le lendemain de son arrestation et prétend que les médecins l’amputèrent d’un bras sous la menace des militaires afin qu’il révèle les noms de ses complices. Un officier de l’armée aurait déclaré à une infirmière et un docteur que lui enlever une partie de son bras était un moyen de faire un avertissement aux autres «gauchistes».

2.2Suite à cette arrestation, il fut détenu pendant trois ans et quatre mois jusqu’au 8 août 1991. Entre‑temps, un jugement de la troisième Cour criminelle de San Pedro Sula du 13 janvier 1989 abandonnait les poursuites contre le requérant par manque de preuvesa. Le requérant prétend que durant sa détention, il fut traité par les militaires comme le coupable de l’explosion et fut de nombreuses fois torturé et maltraité.

2.3Avec l’aide de l’Église pentecôtiste, le requérant contacta alors les autorités canadiennes pour obtenir le statut de réfugié au Canada mais fut informé qu’il devait se rendre sur place pour faire une demande valable. En avril 1992, il fuit au Costa Rica. Pendant cette période, ses frères et sœurs furent continuellement harcelés par l’armée pour qu’ils leur disent où il se cachait. En mai 1992, son frère fut détenu illégalement pendant cinq jours pour ce motif. Il fut alors relâché non sans avoir encore fait l’objet de menaces de mort. Le requérant contacta alors encore une fois l’ambassade du Canada au Costa Rica pour obtenir de l’aide mais celle‑ci lui fut refusée parce que, en raison d’actes terroristes commis par des citoyens honduriens durant cette période, la situation politique était délicate. Par manque de moyens, le requérant retourna au Honduras en mars 1993 où il resta caché dans un petit village près de la frontière du Salvador jusqu’en 1995.

2.4En 1995, une loi fut adoptée au Honduras invitant tous les citoyens à dénoncer les abus commis par l’armée. Le requérant tenta en vain d’exercer ce droit en soumettant différentes plaintes contre les officiers qui avaient ordonné ou étaient responsables de l’amputation de son bras.

2.5En janvier 1996, le requérant tenta d’obtenir une pension d’invalidité, requête à l’appui de laquelle il a du présenter un dossier médical complet. L’hôpital lui refusa cependant l’accès à son dossier et informa l’armée de sa demande. Le requérant fut alors à nouveau arrêté par des militaires en civil qui le questionnèrent, le battirent et le frappèrent à l’abdomen. Gravement blessé, il dut à nouveau se cacher.

2.6Le requérant raconte également que depuis 1994, il est resté en contact par courrier avec Radio Moscou et quelques amis de Cuba et qu’en janvier 1997 les autorités honduriennes ont intercepté une de ses lettres, utilisée plus tard comme preuve de ses «activités subversives».

2.7Le requérant est resté caché jusqu’en janvier 1997 lorsque, ayant obtenu un passeport salvadorien, il quitta le Honduras. Le requérant arriva au Canada et demanda immédiatement le statut de réfugié.

2.8Après le départ du requérant, sa sœur aurait été questionnée et menacée de mort à son lieu de travail par les militaires qui désiraient connaître l’endroit où se trouvait le requérant.

2.9Au Canada, le requérant s’est d’abord vu refuser sa demande d’asile en date du 17 septembre 1997. À l’encontre de cette dernière décision, le requérant fit une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada, qui fut rejetée le 6 février 1998.

2.10Le requérant initia alors la procédure appropriée pour être inclus dans la «catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada» (demande de DNRSC). Cette demande fut rejetée et le requérant fit à nouveau une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Cette dernière rejeta également la demande.

2.11Le 21 octobre 1998, le requérant déposa une demande de dispense ministérielle afin d’être exempté de l’application régulière de cette loi sur la base de considérations humanitaires (demande de statut humanitaire). Le 30 mars 1999, cette demande fut rejetée.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant estime que les droits de l’homme ne sont pas respectés au Honduras et que l’impunité est la règle pour les auteurs de violations. Il prétend que les personnes possédant des informations à propos d’actes illégaux commis par les militaires sont particulièrement menacées, ce qu’il considère être son cas. Il estime qu’en cas de retour au Honduras, il risque d’être la victime d’actes de torture ou d’une exécution extrajudiciaire ou pourrait faire l’objet d’une disparition forcée.

3.2À l’appui de ses allégations liées au risque de violation de l’article 3 de la Convention, le requérant soumet notamment un rapport psychologique détaillé qui conclut à l’existence «d’un état de stress post‑traumatique de type chronique» et ajoute: «[I]l vit une crainte concernant son intégrité physique, et l’anxiété se situe à un niveau très élevé. […] Le niveau d’anxiété est si élevé et les tensions sont si fortes qu’il ne peut utiliser ses ressources internes d’une façon constructive pour résoudre les problèmes quotidiens.». Le requérant indique par ailleurs que les autorités canadiennes n’ont apporté aucune considération à ce rapport psychologique, mentionnant uniquement qu’il avait été soumis tardivement. Le requérant explique que cela était dû à plusieurs raisons, notamment financières et psychologiques.

3.3Le requérant a soumis également une copie du jugement de la troisième Cour criminelle de San Pedro Sula du 13 janvier 1989 qui l’avait innocenté de sa participation à l’attentat du 19 avril 1988. Le tribunal a conclu à l’acquittement du requérant sur la base, notamment, de déclarations faites par une série de témoins qui avaient corroboré les dires du requérantb.

3.4Le requérant indique qu’il détient certaines informations sur les militaires qui l’ont torturé, notamment sur un certain major Sánchez Muňoz, et soutient qu’il est notoire que ces militaires vont très loin pour effacer les preuves de leurs crimes, notamment en faisant disparaître les victimes.

3.5Le requérant affirme également, pour contrer l’argument des autorités canadiennes selon lequel il aurait encore vécu quelques années au Honduras après sa détention sans rencontrer de problème, qu’il ne peut lui être reproché d’avoir tenté de rester dans son pays.

3.6Quant à la situation existant au Honduras, le requérant souligne que, même s’il existe actuellement un régime démocratique, les militaires représentent encore un «sous‑État». Pour démontrer cette affirmation, le requérant se réfère à différents rapports d’Amnesty International et de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme). Dans son rapport pour l’année 1997, Amnesty International indique ainsi «qu’au moins cinq anciens membres de la [Direction nationale des enquêtes] […] ont été tués dans des circonstances portant à croire qu’il s’agissait d’exécutions extrajudiciaires», l’un d’eux devant témoigner au sujet d’un meurtre qui aurait été commis par des agents de cette Direction en 1994. Le requérant indique aussi que le Honduras est un des seuls pays à avoir été condamnés à maintes reprises par la Cour interaméricaine des droits de l’homme, citant notamment le cas Velásquez Rodríguez, lié à la disparition d’un étudiant et pour laquelle a été stigmatisée l’impunité dont avaient bénéficié certains militaires au Honduras.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la requête

4.1L’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité de la requête par une note verbale du 15 septembre 2000.

4.2L’État partie soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes avant de présenter sa requête au Comité. En effet, le requérant n’a pas fait de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale du Canada à l’encontre de la décision lui refusant le statut humanitaire.

4.3L’État partie rappelle à ce titre que toutes les décisions prises par les autorités canadiennes en matière d’immigration sont sujettes à contrôle judiciaire. Le requérant a d’ailleurs utilisé cette voie de recours à deux reprises antérieurement durant la procédure qu’il avait initiée pour obtenir le statut de réfugié.

4.4L’État partie estime également que ce recours est toujours ouvert au requérant alors même qu’il existe normalement un délai de 15 jours pour l’introduire. La loi prévoit en effet une possibilité de prolonger ce délai dans les cas où des raisons spéciales sont avancées pour justifier le retard. Il est à noter également que si cette possibilité de recours avait été utilisée, la loi permettait encore d’aller à l’encontre d’une éventuelle décision de la Cour fédérale devant la Cour d’appel fédérale et, de la même manière, jusqu’à la Cour suprême du Canada.

4.5À l’appui de son argumentation, l’État partie se réfère à la décision du Comité dans l’affaire R.K. c. Canada (CAT/C/19/D/42/1996) où il avait considéré que la requête devait être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des voies de recours internes parce que le requérant n’avait pas fait de demande de contrôle judiciaire à l’encontre du rejet de la demande d’asile et n’avait, en outre, pas introduit de demande de statut humanitaire. Dans l’affaire P.S. c. Canada (CAT/C/23/D/86/1997), également citée par l’État partie, le Comité avait précisément considéré que le fait que le requérant avait, entre autres, négligé de faire une demande de contrôle judiciaire allait à l’encontre du principe d’épuisement des voies de recours internes. L’État partie se réfère encore à la décision du Comité dans l’affaire L.O. c. Canada (CAT/C/24/D/95/1997) à propos de l’absence d’une demande de statut humanitaire.

4.6Faisant enfin référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’État partie soutient que le contrôle judiciaire revêt bien le caractère de recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et que, même dans des cas où le requérant risque des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays, il doit respecter les formes et les délais des procédures internes avant de s’adresser aux instances internationales [Bahaddar c. Pays ‑Bas, no 145/1996/764/965 (19 février 1998)].

4.7L’État partie conclut que, au vu de ces différentes raisons, le Comité devrait déclarer la présente requête irrecevable pour non‑épuisement des voies de recours internes.

Commentaires du requérant

5.1Par une lettre du 27 octobre 2000, le requérant a formulé ses remarques par rapport aux observations de l’État partie sur la recevabilité de la requête.

5.2Le requérant soutient tout d’abord qu’il a utilisé la possibilité de contrôle judiciaire contre la décision lui ayant refusé la qualité de réfugié et qu’il s’agissait là du dernier recours, dans l’entièreté de la procédure qu’il a poursuivie, dont l’objet portait sur la substance même des moyens invoqués à l’appui de sa demande d’asile. En effet, les appels et recours qui ont suivi n’avaient pour objet que des questions de procédure.

5.3Le requérant estime également que la demande de contrôle judiciaire qu’il a faite à l’encontre de la décision rejetant la demande de DNRSRC se basait sur les mêmes moyens que celle qui aurait pu être faite à l’encontre de la décision sur le statut humanitaire et que les deux procédures avaient lieu en même temps. Il considère dès lors que la demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision sur le statut humanitaire aurait constitué un recours frivole puisque la Cour fédérale n’aurait assurément pas statué d’une autre manière que dans l’autre recours.

5.4Le principe de la procédure pour inclure une personne dans la DNRSRC ainsi que la demande d’un statut humanitaire ne sont pas, selon le requérant, des recours valables en droit international parce qu’ils sont totalement discrétionnaires. De la même manière, les contrôles judiciaires effectués le cas échéant par la Cour fédérale ne sont pas non plus des recours valables au sens du droit international parce qu’ils ne peuvent donner une décision finale et doivent renvoyer l’affaire devant les autorités administratives pour une nouvelle décision. De plus, il est de jurisprudence constante que la Cour fédérale n’intervient pas dans les questions de fait qui sont entièrement à la discrétion des autorités administratives mais uniquement sur le respect de certains principes devant diriger les procédures administratives.

5.5Le requérant rappelle à ce sujet les raisons pour lesquelles les recours internes doivent être épuisés en vertu de l’article 22 de la Convention. Il rappelle que les recours internes devant être épuisés ne peuvent être dénués de toutes chances de succès. Ceci est le cas, selon le requérant, du contrôle judiciaire dont il est question dans la mesure où la jurisprudence selon laquelle le contrôle ne se fait que sur la procédure et pas sur les faits ou le droit est particulièrement bien établi au sein de la Cour fédérale du Canada. Une demande de contrôle judiciaire tendant à démontrer qu’une personne court de réels risques d’être torturée dans le pays où les autorités veulent la renvoyer n’a donc aucune chance de succès.

5.6Selon le requérant, les recours qui doivent être épuisés sont ceux qui permettent d’établir, le cas échéant, la violation du droit invoqué. À ce titre, la demande d’asile et la demande de contrôle judiciaire qui s’ensuit, nonobstant la mise en doute de son caractère effectif, comme cela a été développé plus haut, sont des recours que le requérant estime devoir être épuisés. Par contre, ce dernier soutient que la demande de statut humanitaire ainsi que la demande de contrôle judiciaire qui lui fait le cas échéant suite ne sont pas des recours qu’il faut épuiser car même si dans certains cas il est justifié que des recours extraordinaires soient utilisés, cela ne peut être le cas pour un recours entièrement discrétionnaire comme la demande de statut humanitaire. Le requérant se réfère à ce titre à C. Amerasinghe (Local Remedies in International Law, p. 63) selon lequel il n’est pas nécessaire d’utiliser un recours extraordinaire s’il n’est que discrétionnaire et de nature non judiciaire à l’instar de ceux dont l’objet est d’obtenir une faveur et non de revendiquer un droit. Or, il est établi, et non contesté par l’État partie, que la demande de statut humanitaire n’a pas pour objet l’obtention d’un droit mais plutôt d’une faveur de l’État canadien, ce qui a d’ailleurs été maintes fois souligné par la Cour fédérale.

5.7Les demandes de contrôle judiciaire à l’encontre de décisions de type discrétionnaire comme celles qui font suite à une demande de statut humanitaire ne sont pas plus efficaces, et ce même quand la Cour fédérale se penche sur le fond de l’affaire. Le requérant illustre cette affirmation par un cas similaire dont la décision sur la demande de statut humanitaire avait fait l’objet d’un contrôle judiciaire à l’issue duquel la Cour fédérale avait estimé que la personne courait effectivement le risque d’être soumise à des tortures ou des traitements inhumains et dégradants. Cependant, étant donné que la Cour fédérale ne peut prendre une décision définitive dans cette procédure, elle avait dû renvoyer le cas à l’autorité administrative, laquelle prit une nouvelle décision à l’encontre des conclusions de la Cour fédérale, refusant d’accorder le statut humanitaire. Le requérant considère que le caractère illusoire du contrôle judiciaire est ainsi d’autant plus démontré.

5.8Estimant avoir démontré le caractère inadéquat et ineffectif des recours qu’on lui reproche de ne pas avoir utilisés, le requérant attire ensuite l’attention du Comité sur le fait que, selon lui, l’État partie ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve qui lui incombe d’établir qu’il existe encore des recours internes disponibles et effectifs. Il se réfère à ce sujet à la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Velásquez Rodríguez c. Honduras selon laquelle c’est à l’État qui conteste l’épuisement des voies de recours qu’il appartient de prouver qu’il existe des recours qui doivent encore être épuisés et que ces derniers sont effectifs. Le requérant suggère ainsi que la Cour interaméricaine des droits de l’homme a opéré un transfert de la charge de la preuve de l’épuisement des voies de recours du requérant vers l’État. Il constate que telle est également la jurisprudence du Comité des droits de l’homme qui demande à l’État, outre des détails par rapport aux recours disponibles, des preuves qu’il existe des perspectives raisonnables que ces recours seraient effectifs. Le requérant considère que cela devrait également être l’attitude du Comité contre la torture.

5.9Après avoir fait une critique plus générale de la réglementation de l’État partie en matière de réfugiés et des procédures qui y sont liées, le requérant soutient qu’il a fait la preuve de l’existence de ses droits et des risques qu’il encourt en cas de retour au Honduras.

5.10En conclusion, le requérant considère que la règle de l’épuisement des voies de recours internes doit être interprétée en fonction des objectifs de la Convention contre la torture. Il souligne à ce sujet que ce principe est d’ailleurs celui de la Cour européenne des droits l’homme qui a expressément fait valoir que la Convention européenne des droits de l’homme devait être interprétée en fonction de ses objectifs ultimes qui sont la protection effective des droits de l’homme.

5.11Par un courrier du 18 avril 2001, le requérant fait valoir que le 1er novembre 2000 il a finalement introduit une demande de contrôlejudiciaire de la décision de refus de lui accorder le statut humanitaire devant la Cour fédérale du Canada. Or, cette dernière a rejeté la demande de contrôle judiciaire en date du 2 mars 2001. Le requérant considère dès lors que, tout en maintenant l’argumentation qu’il a développée précédemment sur le principe de l’épuisement des voies de recours internes, les arguments initialement soulevés par l’État partie ne font plus obstacle à la recevabilité de sa requête.

Décision du Comité sur la recevabilité

6.1Lors de sa vingt‑sixième session (avril‑mai 2001), le Comité a examiné la recevabilité de la requête. Le Comité s’est ainsi assuré que la question soulevée dans la requête n’avait pas été examinée et n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et a noté que la requête n’était pas un abus du droit de présenter une requête et n’était pas incompatible avec les dispositions de la Convention.

6.2En ce qui concerne le critère de recevabilité de l’épuisement des voies de recours internes, énoncé à l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22, le Comité a noté que la procédure initiée par le requérant s’était déjà déroulée sur une période dépassant les quatre années et a considéré qu’une prolongation supplémentaire de cette période aurait été en tout état de cause déraisonnable. Par conséquent, le Comité a déclaré la requête recevable.

Observations de l’État partie sur le fond

7.1L’État partie a communiqué ses observations sur le fond de la requête en même temps que celles sur la recevabilité par une note verbale du 15 septembre 2000.

7.2L’État partie rappelle tout d’abord que c’est au requérant qu’il appartient de faire la preuve qu’il risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé dans son pays. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et à l’ouvrage United Nations Convention against Torture: A Handbook, l’État partie rappelle également qu’un acte de torture implique des souffrances aiguës, l’intensité de la douleur étant l’élément essentiel qui distingue la torture des autres traitements inhumains. L’État partie, rappelant le caractère prospectif de l’article 3 de la Convention, souligne ensuite que le fait qu’une personne ait été torturée dans le passé ne suffit pas à démontrer que celle‑ci risque de subir des traitements similaires dans le futur. Se référant à la jurisprudence du Comité, l’État partie précise aussi que le risque de torture doit être personnel, présent, prévisible et réel, ce qui implique entre autres qu’il ne suffit pas qu’il existe dans le pays d’origine un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, massives ou flagrantes. L’État partie décrit enfin, en se basant sur plusieurs décisions prises précédemment par le Comité, une liste non exhaustive d’indicateurs pertinents aux fins de l’application de l’article 3 et, notamment, l’existence d’éléments de preuve de nature médicale ou d’autres éléments de preuve de sources indépendantes à l’appui des allégations du requérant, les éventuels changements dans la situation interne du pays en matière de droits de l’homme, l’existence d’activités politiques dans le chef du requérant, les preuves de crédibilité du requérant ou encore les incohérences factuelles de ce que le requérant affirme.

7.3Dans le cas d’espèce, l’État partie soutient que le requérant n’a pas établi qu’il existait un risque sérieux, personnel et prévisible qu’il soit soumis à la torture parce qu’il n’est pas crédible, qu’aucun fait ne permet de croire qu’il est recherché par les autorités honduriennes et qu’il n’a pas établi qu’il existait au Honduras un ensemble de violations massives des droits de l’homme.

7.4L’État partie conteste la crédibilité du requérant notamment parce qu’il a donné différentes explications par rapport aux raisons pour lesquelles il se trouvait sur le lieu de l’explosion, le jugement l’ayant libéré mentionnant qu’il s’était rendu sur les lieux pour faire différents appels téléphoniques alors qu’il a affirmé aux autorités canadiennes qu’il s’était rendu sur les lieux pour chercher des documents pour préparer un examen à l’université et, selon un journal hondurien, qu’il serait entré dans l’édifice parce qu’il y avait vu de la lumière. De même, les affirmations du requérant selon lesquelles l’amputation de son bras et une opération qu’il a subie à l’estomac étaient inutiles ne sont pas crédibles dans la mesure où le jugement cité plus haut indique qu’il se trouvait tout près de l’endroit de l’explosion et que les restes d’une main ont été retrouvés. Le requérant avait lui‑même déclaré qu’il avait été aveuglé par un éclat de lumière, et que ses yeux et ses oreilles saignaient, qu’il sentait qu’il était blessé au bras et qu’il avait pu, en tâtonnant, sortir sur un balcon pour demander de l’aide. L’État partie considère donc qu’au vu de ces éléments il est plus que probable que l’amputation de son bras ait été justifiée, de même que son opération à l’estomac afin d’en extraire un corps étranger. En outre, le requérant s’est contredit par rapport à son statut matrimonial, ayant déclaré dans la fiche de renseignements qu’il était célibataire et sans enfant alors que dans une demande de visa faite en 1995 il avait mentionné avoir une épouse et deux enfants. Le requérant s’est également contredit par rapport à un emploi exercé entre 1993 et 1995. Le requérant n’a de plus pas donné d’explications crédibles quant à ces contradictions et incohérences, ce que le rapport psychologique ne peut non plus expliquer.

7.5L’État partie considère en outre que, objectivement, le requérant n’a jamais été un opposant actif ou membre d’une organisation d’opposants, qu’il n’existe aucune preuve qu’il est recherché par les autorités honduriennes, ayant pu obtenir un passeport de sortie en 1997 et les membres de sa famille n’ayant pas connu des difficultés avec les autorités, mis à part la détention de son frère pendant cinq jours, qu’il a vécu sans problèmes entre 1993 et 1995 et qu’il a quitté quatre fois son pays et y est chaque fois retourné volontairement. Il n’a en outre pas demandé le statut de réfugié au Guatemala ou au Costa Rica, pays signataires de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés.

7.6L’État partie soutient que la crainte invoquée par le requérant liée à sa dénonciation des abus de pouvoirs commis par l’armée ne trouve pas beaucoup d’illustration documentaire dans la mesure où non seulement il y a fort peu de disparitions à l’heure actuelle, celles‑ci visant surtout les défenseurs des droits de l’homme ou les criminels, mais il s’avère également que plusieurs militaires ont fait l’objet de poursuites pour abus de pouvoir. L’État partie soutient que le Honduras n’est pas un pays où il existe un ensemble de violations massives des droits de l’homme et que la situation du pays a significativement évolué depuis les années 80. Pour démontrer cette réalité, l’État partie souligne notamment que selon un rapport du Programme des Nations Unies pour le développement, le nombre de cas de torture au Honduras est descendu de 156 en 1991 à 7 en 1996. Le rapport de 1999 du Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme sur la torture ne fait mention d’aucun cas de torture et pour la période précédant 1999, l’État partie souligne que le Gouvernement du Honduras a chaque fois fourni une réponse aux questions posées par le Rapporteur spécial. Un certain nombre d’appels urgents concernant des exécutions ont été lancés par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires pour des périodes allant de 1997 à 1999. Les rapports du Groupe de travail sur la détention arbitraire pour les années 1997, 1998 et 1999 ne font mention d’aucun cas concernant le Honduras. Les rapports du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires font apparaître que la plupart des cas de disparition ont eu lieu entre 1981 et 1984 et le rapport pour l’année 1998 mentionne un seul cas de disparition au sujet d’un prêtre jésuite. En ce qui concerne les autres sources documentaires, l’État partie souligne que pour l’année 1999, Amnesty International a fait mention de violations des droits de l’homme par rapport à des défenseurs des droits de l’homme, que le rapport de 1999 de Human Rights Watch ne traite pas du Honduras et que le «Country Reports on Human Rights Practices for 1999» du Département d’État américain mentionne que les droits de l’homme étaient généralement respectés au Honduras durant la période étudiée même si de sérieux problèmes persistaient concernant certaines allégations d’exécutions extrajudiciaires par des membres de la sécurité. Enfin, en ce qui concerne le document de la FIDH qui a été déposé par le requérant, l’État partie souligne qu’il se réfère aux défenseurs des droits de l’homme, qualité que le requérant ne peut revendiquer. En conclusion, l’État partie soutient que, même si ces informations font apparaître des préoccupations certaines, il n’existe pas au Honduras un ensemble de violations systématiques, graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme et que la preuve documentaire ne soutient pas l’allégation d’un risque de torture dans le chef du requérant qui ne s’est jamais opposé au Gouvernement et qui n’a jamais fait partie d’une telle organisation.

7.7Enfin, l’État partie rappelle l’attention du Comité sur le fait que ce type d’évaluation est confié au niveau interne à des organes hautement spécialisés et expérimentés et que cette dernière évaluation est soumise au contrôle de la Cour fédérale du Canada. Se référant à l’observation générale du Comité sur l’article 3 ainsi qu’à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, l’État partie soutient qu’il n’appartient pas au Comité de substituer sa propre évaluation des faits à celle de ses autorités dans la mesure où le cas du requérant ne fait apparaître ni erreur manifeste, ni abus de procédure, ni quelque autre irrégularité et que la norme de l’article 3 a été appliquée par les autorités canadiennes dans l’évaluation du cas présent.

Délibérations du Comité

8.1Le Comité doit se prononcer sur le point de savoir si en renvoyant le requérant au Honduras, l’État partie violerait l’obligation, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

8.2Le Comité doit décider, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 3, s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Honduras. Pour prendre cette décision, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l’article 3, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée est en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister d’autres motifs qui donnent à penser que l’intéressé est personnellement en danger. Par contre, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.3Le Comité rappelle son observation générale sur l’application de l’article 3, où on lit ce qui suit: «Étant donné que l’État partie et le Comité sont tenus de déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé ou extradé, l’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable» (A/53/44, annexe IX, par. 6).

8.4Dans le cas d’espèce, le Comité note les observations de l’État partie selon lesquelles les déclarations du requérant par rapport aux risques invoqués de torture ne sont pas crédibles et ne sont pas corroborés par des éléments objectifs.

8.5Sur la base des éléments qui lui ont été présentés, le Comité considère que le requérant n’a pas démontré qu’il est un opposant du régime, recherché pour des activités terroristes. Le Comité note qu’il a été acquitté de sa responsabilité pour l’explosion de 1988 et qu’il n’a pas été accusé d’avoir d’autres activités d’opposition depuis lors. Il n’a donc pas démontré qu’il existe un risque personnel d’être soumis à la torture s’il rentre au Honduras. Dans cette mesure, le Comité estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la situation générale du Honduras en matière de respect des droits de l’homme et est d’avis que le requérant n’a pas démontré qu’il existe un motif sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture en cas de retour dans son pays d’origine dans le sens de l’article 3 de la Convention.

9.Par conséquent, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que le renvoi du requérant au Honduras ne constituerait aucune violation de l’article 3 de la Convention.

Communication n o 161/2000

Requête présentée par:Hajrizi Dzemajl et consorts (représenté par un conseil)

Au nom de:Hajrizi Dzemajl et consorts

État partie:Serbie‑et‑Monténégro*

Date de la requête:11 novembre 1999

Date de la présente décision:21 novembre 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 21 novembre 2002,

Ayant achevé l’examen de la requête no 161/2000 présentée en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte la décision ci‑après en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

1.1Les requérants, au nombre de 65, sont tous d’origine rom et ressortissants de la Serbie‑et‑Monténégro. Ils affirment que la Serbie‑et‑Monténégro a violé le paragraphe 1 de l’article premier, le paragraphe 1 de l’article 2, les articles 12, 13 et 14 et le paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention. Ils sont représentés par M. Dragan Prelevic, avocat, par le Humanitarian Law Center, organisation non gouvernementale (ONG) sise en Serbie‑et‑Monténégro et par le Centre européen pour les droits des Roms, ONG sise en Hongrie.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l’attention de l’État partie, le 13 avril 2000.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1Le 14 avril 1995 vers 22 heures, il a été signalé au commissariat de police de Danilovgrad que deux mineurs roms avaient violé S.B., une mineure monténégrine. Suite à cette information, vers minuit, la police a pénétré dans plusieurs maisons du quartier rom de Bozova Glavica pour y perquisitionner puis a arrêté tous les jeunes Roms de sexe masculin présents à ce moment‑là (qui figurent tous parmi les requérants).

2.2Le même jour, vers minuit, quelque 200 Monténégrins de souche menés par des proches et des voisins de la jeune victime se sont rassemblés devant le commissariat de police exigeant publiquement de l’Assemblée municipale qu’elle adopte un arrêté d’expulsion de tous les Roms de Danilovgrad. La foule hurlait des slogans hostiles aux Roms, menaçant de «les exterminer» et d’«incendier» leurs maisons.

2.3Plus tard, deux mineurs roms ont fait des aveux sous la contrainte. Le 15 avril, entre 4 et 5 heures du matin, tous les individus interpellés, sauf ceux qui avaient avoué, ont été relâchés par la police qui leur avait auparavant conseillé de quitter Danilovgrad immédiatement avec leur famille parce que leurs voisins non roms risquaient de les lyncher .

2.4Au même moment, l’agent de police Ljubo Radovic se rendait dans le quartier de Bozova Glavica pour dire à ses habitants roms qu’il leur fallait en partir immédiatement. Ses propos ont déclenché la panique. La plupart des habitants ont fui en direction d’une route toute proche afin d’y prendre le bus pour Podgorica. Seuls quelques hommes et femmes sont demeurés sur place pour garder les maisons et le bétail. Vers 5 heures du matin, l’agent de police Radovic est revenu dans le quartier, en compagnie de l’inspecteur de police Branko Micanovic. Les policiers ont dit aux quelques Roms restés chez eux (dont plusieurs des requérants), de quitter Danilovgrad immédiatement car personne ne pouvait assurer leur sécurité ou leur offrir protection.

2.5Vers 8 heures du matin, le même jour, un groupe d’habitants non roms de Danilovgrad a fait irruption dans le quartier de Bozova Glavica, lançant des pierres et brisant les fenêtres des maisons des requérants. Les Roms qui n’avaient pas encore fui (tous font partie des requérants) étaient cachés dans la cave de l’une des maisons, dont ils ont fini par réussir à s’échapper pour rejoindre Podgorica à travers les champs et les bois.

2.6Dans la matinée du 15 avril, une voiture de police a patrouillé à plusieurs reprises dans les rues désertes de Bozova Glavica. Des groupes d’habitants non roms de Danilovgrad se sont rassemblés en différents endroits de la ville et dans des villages environnants. Vers 14 heures, une foule de non‑Roms est arrivée à Bozova Glavica − en voiture ou à pied. Très vite, au moins plusieurs centaines de non‑Roms (de 400 à 3 000 personnes, en fonction des sources) se sont rassemblés dans le quartier déjà déserté par ses habitants.

2.7Entre 14 et 15 heures, la foule n’a cessé de grossir et des gens se sont mis à hurler: «Chassons‑les!», «Brûlons le quartier!», «Rasons le quartier!». Peu après 15 heures, la démolition du quartier a commencé. Les manifestants en colère se sont mis à briser, à coups de pierres et d’autres projectiles, les fenêtres des voitures et des maisons appartenant aux Roms, avant de les incendier. Ils ont en outre détruit ou incendié les meules de foin, les machines agricoles et autres, les granges où était stockée la nourriture des animaux, les étables et tout ce qui appartenait à des Roms. Les gens lançaient des engins explosifs et des cocktails Molotov préparés d’avance et jetaient des chiffons et des morceaux de caoutchouc mousse en feu par les fenêtres des maisons. Des coups de feu et des explosions ont retenti au milieu du fracas des destructions. Dans le même temps, les manifestants se sont livrés au pillage des objets de valeur et ont abattu le bétail. Les déprédations se sont poursuivies pendant des heures sans opposition.

2.8Au mépris de leurs fonctions officielles, les policiers présents sur les lieux ne sont intervenus à aucun moment. Peu après le déclenchement de l’émeute, au lieu de faire cesser la violence, les policiers se sont contentés de déplacer leur véhicule pour le mettre à l’abri et de faire rapport à leur supérieur. Au paroxysme de la violence, les policiers se sont bornés à tenter timidement de calmer certains émeutiers en leur disant d’attendre la réponse finale de l’Assemblée municipale à la demande populaire d’expulsion des Roms du quartier de Bozova Glavica.

2.9Cette flambée de haine anti‑Roms s’est soldée par le saccage du quartier et l’incendie ou la destruction complète de tout ce qui appartenait à ses habitants roms. La police n’a rien fait pour arrêter les déprédations tout en veillant à ce que le feu ne se propage pas aux bâtiments voisins appartenant à des non‑Roms.

2.10La police et le juge d’instruction du tribunal de première instance de Danilovgrad se sont rendus sur les lieux et ont établi un rapport sur les dommages causés par les participants aux déprédations.

2.11Il ressort des documents officiels de la police, de même que des déclarations faites par un certain nombre de policiers et d’autres témoins, tant devant le tribunal que lors de la première phase de l’enquête, que les habitants non roms de Danilovgrad suivants comptaient parmi les participants à la destruction du quartier rom de Bozova Glavica: Veselin Popovic, Dragisa Makocevic, Gojko Popovic, Bosko Mitrovic, Joksim Bobicic, Darko Janjusevic, Vlatko Cacic, Radojica Makocevic.

2.12En outre, selon certaines indications, les policiers Miladin Dragas, Rajko Radulovic, Dragan Buric, Djordjije Stankovic et Vuk Radovic étaient tous présents au moment des violences et n’ont rien fait, ou trop peu, pour protéger les habitants roms de Bozova Glavica ou leurs biens.

2.13Quelques jours après les événements, les ruines du quartier rom ont été complètement rasées par des engins de terrassement des services publics. Toute trace de l’existence de Roms à Danilovgrad a été ainsi effacée .

2.14Suite aux déprédations, et conformément à la législation interne pertinente, le 17 avril 1995, la préfecture de police de Podgorica a saisi le bureau du Procureur général de Podgorica d’une plainte pénale dans laquelle il était indiqué qu’un nombre indéterminé d’individus s’étaient rendus coupables de l’infraction pénale d’atteinte à l’ordre public visée à l’article 164 du Code pénal monténégrin, et constaté explicitement, entre autres, qu’il existait «de bonnes raisons de croire que, de façon organisée et à l’aide d’objets enflammés, … le 15 avril 1995 … ils avaient déclenché un incendie … qui avait réduit en cendres toutes les habitations … et les autres biens appartenant à des personnes qui résidaient auparavant dans le quartier [de Bozova Glavica].».

2.15Le 17 avril 1995, la police a convoqué une vingtaine d’individus pour interrogatoire. Le 18 avril 1995, la préfecture de police de Podgorica a établi un mémorandum dans lequel était consignée la déposition de Veselin Popovic: «… J’ai remarqué des flammes dans une cabane, j’en ai conclu que la foule avait commencé à mettre le feu aux cabanes, alors j’ai trouvé des morceaux de caoutchouc mousse que j’ai allumés avec mon briquet avant de les lancer enflammés sur deux cabanes, dont l’une a pris feu.».

2.16Sur la base de ce témoignage et du dossier officiel de police, le 18 avril 1995, la préfecture de police de Podgorica a ordonné le placement de Veselin Popovic en détention parce que certains éléments donnaient à penser qu’il avait commis l’infraction pénale d’atteinte à l’ordre public visée à l’article 164 du Code pénal monténégrin.

2.17Le 25 avril 1995, le Procureur général a engagé des poursuites contre une seule (Veselin Popovic) des personnes impliquées dans les événements à l’origine de la présente requête.

2.18Veselin Popovic a été inculpé en vertu de l’article 164 du Code pénal monténégrin. Dans cette même affaire, Dragisa Makocevic a été inculpé pour s’être procuré illégalement des armes à feu en 1993 − infraction cependant sans relation aucune avec les incidents en cause, malgré les indices l’impliquant dans la destruction du quartier rom de Bozova Glavica.

2.19Dans le cadre de l’enquête, le juge d’instruction du tribunal de première instance de Danilovgrad a entendu un certain nombre de témoins, qui ont tous déclaré avoir été présents lors des violences mais être incapables d’identifier un seul meneur. Le 22 juin 1995, ce même juge d’instruction a recueilli la déposition du policier Miladin Dragas, lequel, contrairement à ce qu’il avait en personne consigné dans un procès verbal officiel en date du 16 avril 1995, a affirmé à cette occasion n’avoir vu personne lancer d’engins incendiaires et ne pas être capable d’identifier l’un quelconque des auteurs des faits.

2.20Le 25 octobre 1995, le procureur de Podgorica a demandé au juge d’instruction du tribunal de première instance de Danilovgrad d’effectuer un complément d’enquête, suggérant plus précisément que de nouveaux témoins soient entendus − notamment des policiers du commissariat de police de Danilovgrad qui avaient été chargés de protéger le quartier rom de Bozova Glavica. Le juge d’instruction a interrogé ces autres témoins qui ont tous déclaré n’avoir vu aucun des incendiaires. Le juge d’instruction n’a rien fait de plus.

2.21Le 23 janvier 1996, le procureur de Podgorica a abandonné «faute de preuves», toutes les charges qui pesaient sur Veselin Popovic. Le 8 février 1996, le juge d’instruction du tribunal de première instance de Danilovgrad a décidé de classer sans suite l’affaire. De février 1996 au jour du dépôt de la requête à l’examen, les autorités n’ont rien fait de plus pour identifier et/ou sanctionner les individus responsables des incidents en cause − «civils» comme fonctionnaires de police.

2.22En violation directe du droit interne, l’ordonnance de non‑lieu en date du 8 février 1996 n’a pas été notifiée aux requérants, ce qui les a donc empêchés d’intenter une action eux‑mêmes comme ils en avaient le droit .

2.23Avant même le classement sans suite de l’affaire, les 18 et 21 septembre 1995, le juge d’instruction, alors même qu’il entendait des témoins (dont plusieurs des requérants), ne les a pas informés de leur droit de poursuivre eux‑mêmes l’affaire dans l’hypothèse où le procureur déciderait de ne pas retenir de charges − ce en violation directe du droit interne, en vertu duquel le tribunal est expressément tenu d’aviser les parties qui les ignoreraient des voies de recours à leur disposition pour défendre leurs intérêts.

2.24Le 6 septembre 1996, les 71 requérants ont engagé une action civile pour préjudice matériel et moral auprès du tribunal de première instance de Podgorica − chaque plaignant réclamant environ 100 000 dollars. La demande de réparation du préjudice matériel se fondait principalement sur la destruction complète de tous les biens appartenant aux requérants, tandis que la demande de réparation du préjudice moral portait sur la douleur et les souffrances endurées à quoi s’ajoutaient la peur éprouvée et l’atteinte à leur honneur, à leur réputation, à leur liberté de circulation et à leur droit de choisir leur propre lieu de résidence. Les requérants, se prévalant des articles 154, 180 1), 200 et 203 de la loi fédérale sur les obligations, ont dirigé leurs plaintes contre la République du Monténégro. Plus de cinq ans plus tard, l’action civile en dommages et intérêts est toujours en instance.

2.25Le 15 août 1996, huit des Roms de Danilovgrad (figurant tous parmi les requérants) licenciés par leur employeur pour ne pas s’être présentés à leur travail, ont engagé une action en justice demandant au tribunal d’ordonner leur réintégration. Tout au long de la procédure, les plaignants ont fait valoir qu’ils ne s’étaient pas présentés à leur travail pendant la période considérée parce qu’ils avaient de bonnes raisons de croire que leur vie aurait été menacée s’ils étaient allés travailler si peu de temps après ces événements. Le 26 février 1997, le tribunal de première instance de Podgorica a rejeté ces plaintes au motif que leurs auteurs s’étaient effectivement absentés de leur travail cinq jours de suite sans raison valable. Ce tribunal s’est fondé sur l’article 75 du Code du travail fédéral dont le paragraphe 2 dispose notamment que «si une personne ne se présente pas à son travail cinq jours consécutifs sans justification valable, il est mis fin à son emploi». Le 11 juin 1997, les plaignants ont fait appel de cette décision et presque cinq mois plus tard, le 29 octobre 1997, le tribunal de grande instance de Podgorica a annulé le jugement rendu en première instance et ordonné la réouverture de la procédure. Cette dernière décision était motivée par le fait qu’apparemment les plaignants ne s’étaient pas vu notifier dans les règles la décision de leur employeur de les licencier.

2.26En fin de compte, l’affaire est montée jusqu’à la Cour suprême du Monténégro qui a ordonné l’ouverture d’un nouveau procès devant le tribunal de première instance de Podgorica. L’affaire est toujours pendante.

2.27Après avoir été expulsés de chez eux et vu leurs biens complètement détruits, les requérants se sont réfugiés dans les faubourgs de Podgorica, la capitale du Monténégro, où ils se sont cachés dans des parcs et des maisons abandonnées pendant quelques semaines après les événements. Les Roms de Podgorica leur ont fourni des vivres et les ont prévenus que des groupes d’hommes non roms en colère les cherchaient dans les banlieues roms de la ville. Depuis, les Roms chassés de Danilovgrad vivent dans le plus grand dénuement à Podgorica, dans des abris de fortune ou des maisons abandonnées, et ils sont contraints de travailler à la décharge municipale de Podgorica ou de mendier pour survivre.

Teneur de la requête

3.1Les requérants allèguent que l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 2 lu conjointement avec l’article premier et le paragraphe 1 de l’article 16 et les articles 12, 13 et 14 de la Convention, pris séparément ou lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 16.

3.2Au sujet de la recevabilité de la requête, et plus particulièrement de l’épuisement des recours internes, les requérants font valoir que, vu la gravité du préjudice subi et conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’hommea, seul un recours au pénal serait efficace en l’espèce. Les recours civils et/ou administratifs n’offrent en l’occurrence pas de réparation adéquate.

3.3Les requérants soulignent en outre que les autorités avaient l’obligation d’enquêter ou du moins de poursuivre leurs investigations, si elles estimaient les éléments de preuve recueillis insuffisants. De plus, même si les requérants reconnaissent ne jamais avoir engagé de poursuites pénales contre les personnes responsables des prédations commises, ils font valoir que la police et le ministère public avaient une connaissance suffisante des faits pour ouvrir une enquête d’office et la mener à son terme. Les requérants concluent donc à l’absence de recours utile.

3.4Les requérants relèvent aussi qu’en l’absence de tout recours utile contre cette violation présumée de la Convention, la question de l’épuisement des recours internes devrait être examinée en même temps que le fond de l’affaire puisqu’il y a allégation de violation des articles 13 et 14 de la Convention.

3.5Se référant à un certain nombre de documents émanant d’organisations non gouvernementales et de sources gouvernementales, les requérants demandent tout d’abord que la requête soit examinée à la lumière du sort réservé aux Roms en Serbie‑et‑Monténégro, où ils sont victimes de brutalités policières systématiques et où leur situation est dans l’ensemble dramatique sur le plan des droits de l’homme.

3.6Les requérants affirment que les autorités yougoslaves ont violé soit le paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention, lu conjointement avec l’article premier, puisque la police était présente durant les événements décrits plus haut et en a observé le déroulement, soit le paragraphe 1 de l’article 16 pour les mêmes motifs. À ce propos, les requérants estiment qu’il y a lieu de tenir compte de la vulnérabilité particulière de la minorité rom pour apprécier la gravité des mauvais traitements leur ayant été infligés. Ils font valoir que «des violences physiques risquent davantage de constituer une peine ou un traitement dégradant ou inhumain lorsqu’elles sont motivées par l’animosité raciale».

3.7Pour ce qui est du fait que la plupart des actes dénoncés ont été commis par des acteurs non étatiques, les requérants se fondent sur la jurisprudence internationale relative au principe de «diligence due» et invoquent l’état actuel du droit international concernant les obligations «positives» qui incombent aux États. Ils estiment que les dispositions de la Convention ne sont pas réductibles aux obligations négatives incombant aux États parties, mais supposent aussi des mesures positives à prendre afin d’éviter que des actes de torture et actes connexes ne soient commis par des particuliers.

3.8Les requérants soutiennent en outre que ces actes de violence ont été commis avec le «consentement exprès ou tacite» de la police qui, au regard du droit, devait veiller à leur sécurité et garantir leur protection.

3.9Les requérants estiment également qu’il y a eu violation de l’article 12 pris séparément ou, si les actes commis ne sont pas des actes de torture, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 16, puisque les autorités n’ont pas procédé immédiatement à une enquête impartiale et approfondie qui permette d’identifier et de punir les responsables. Compte tenu de la jurisprudence du Comité contre la torture, ils font observer que puisque les autorités disposaient de nombreuses preuves, elles n’étaient pas simplement tenues de mener quelques investigations, mais aussi de procéder à une véritable enquête, même en l’absence de plainte en bonne et due formeb. Les requérants soulignent en outre que l’impartialité de ladite enquête dépend du degré d’indépendance de l’organe qui la mène. En l’espèce, ils affirment que le juge d’instruction ne jouissait pas d’une indépendance suffisante.

3.10Les requérants invoquent enfin une violation de l’article 13 pris séparément et/ou conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 16, puisque leur «droit de porter plainte devant les autorités compétentes qui procéderont immédiatement et impartialement à l’examen de [leur] cause» a été violé. Ils allèguent aussi une violation de l’article 14 (pris séparément ou lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 16) puisqu’il n’y aurait pas eu de réparation et d’indemnisation adéquate et équitable.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.Dans un mémoire du 9 novembre 1998, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que l’affaire a été conduite conformément à la législation nationale et que les voies de recours disponibles n’ont pas encore été épuisées.

Commentaires des requérants

5.Dans un mémoire daté du 20 septembre 2000, les requérants rappellent leurs principaux arguments concernant la recevabilité de la communication et soulignent que l’État partie n’a pas indiqué quelles sont les voies de recours internes encore à leur disposition. Ils estiment en outre que l’État partie n’ayant formulé aucune autre objection à cet égard, il a en fait tacitement renoncé à contester d’autres critères de recevabilité.

Décision concernant la recevabilité

6.À sa vingt‑cinquième session (novembre 2000), le Comité a examiné la recevabilité de la requête. Il s’est assuré, comme l’exige le paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’avait pas été examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, le Comité a pris acte des éléments sur lesquels se fondaient les requérants et a noté qu’il n’avait reçu aucune argumentation ni information de l’État partie sur ce point. Rappelant le paragraphe 7 de l’article 108 de son règlement intérieur, le Comité a déclaré la requête recevable, le 23 novembre 2000.

Observations de l’État partie quant au fond

7.L’État partie n’a formulé aucune observation sur la communication quant au fond, alors que le Comité l’y a invité par une note du 5 décembre 2000 et deux rappels des 9 octobre 2001 et 11 février 2002.

Commentaires des requérants quant au fond

8.1Par une lettre du 6 décembre 2001, les requérants ont transmis au Comité de nouvelles informations et observations sur le fond de l’affaire. Dans le même courrier, ils ont fourni des précisions sur différentes questions qui leur avaient été posées par le Comité, à savoir sur la présence et le comportement de la police pendant le déroulement de ces événements, les mesures prises à l’égard de la population locale, les relations entre les différents groupes ethniques et leurs titres de propriété respectifs.

8.2Au sujet de la présence et du comportement de la police pendant le déroulement de ces événements, les requérants ont décrit dans le détail les faits, tels qu’ils sont récapitulés plus haut aux paragraphes 2.1 à 2.29.

8.3S’agissant de la situation d’ensemble de la minorité rom en Serbie‑et‑Monténégro, les requérants affirment qu’elle est demeurée pour l’essentiel inchangée depuis le départ du Président Milosevic. Se référant à un rapport soumis précédemment par le Humanitarian Law Center au Comité contre la torture et au rapport annuel pour 2001 de Human Rights Watch, les requérants font valoir que la situation des Roms dans l’État partie est aujourd’hui très préoccupante et soulignent qu’un certain nombre d’incidents graves ont visé les Roms ces dernières années mais que les autorités n’ont pris aucune mesure notable pour retrouver ou poursuivre les auteurs de ces actes ni pour indemniser les victimes.

8.4Pour ce qui est des titres de propriété, les requérants expliquent que la plupart de ces titres ont été perdus ou détruits lors des événements des 14 et 15 avril 1995 et que les autorités de l’État partie n’ont pas contesté cet aspect des choses dans le cadre de l’instance civile.

8.5Les requérants ont procédé à une analyse approfondie du champ d’application du paragraphe 1 de l’article premier et du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, en faisant tout d’abord valoir que la Cour européenne des droits de l’homme avait établi dans l’affaire Irlande c. Royaume ‑Uni et l’affaire grecque que l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme visait aussi le fait d’infliger des souffrances morales en créant un état d’angoisse et de tension par des moyens autres que des voies de faitc.

8.6Les requérants réaffirment de plus que pour apprécier la gravité des mauvais traitements il faut aussi tenir compte de la vulnérabilité de la victime et par conséquent de son sexe, de son âge, de son état de santé ou de son origine ethnique. Le Comité devrait dès lors prendre en considération l’origine ethnique des victimes roms dans leur appréciation des violations commises, en particulier en Serbie‑et‑Monténégro. Dans le même ordre d’idées, ils réaffirment que des violences physiques d’une certaine gravité ont plus de chances de constituer un traitement interdit par l’article 16 de la Convention si elles sont motivées par des considérations d’ordre racial.

8.7Pour ce qui est de la dévastation de lieux d’habitation, les requérants renvoient à deux affaires sur lesquelles la Cour européenne des droits de l’homme a eu à se prononcer et dont les circonstances sont similaires à celles de l’affaire à l’examend. La Cour européenne a estimé dans l’un et l’autre cas que l’incendie et la destruction de maisons ainsi que l’expulsion de leurs habitants du village constituaient en l’espèce des faits contraires à l’article 3 de la Convention européenne.

8.8En ce qui concerne les auteurs des violations présumées de l’article premier et de l’article 16 de la Convention, les requérants rappellent que seul un agent de la fonction publique ou une personne agissant à titre officiel peut être l’auteur d’un acte tombant sous le coup de l’une ou l’autre des dispositions susmentionnées, lesquelles prévoient toutes deux que l’acte de torture ou de tout autre mauvais traitement peut aussi être infligé avec le consentement exprès ou tacite d’un agent de la fonction publique. En conséquence, sans contester que les actes en cause n’ont pas été commis par les fonctionnaires de police ni commis à leur instigation, les requérants n’en considèrent pas moins qu’ils l’ont été avec leur consentement exprès ou tacite. La police savait ce qui allait se passer le 15 avril 1995 et était présente sur les lieux au moment où les déprédations se sont déroulées, mais elle ne s’est pas interposée pour empêcher les exactions.

8.9Pour ce qui est de l’obligation positive des États d’empêcher et de réprimer les actes de violence par des particuliers, les requérants renvoient à l’observation générale no 20 du Comité des droits de l’homme relative à l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques selon laquelle cet article vise des actes commis par des particuliers, ce qui implique pour les États le devoir de prendre les mesures voulues pour assurer à toute personne une protection contre de tels actes. Ils renvoient aussi au Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l’application des lois, aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois ainsi qu’à la Convention‑cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales qui contiennent des dispositions allant dans le même sens.

8.10Sur ce même point, les requérants citent l’arrêt rendu par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Velásquez Rodríguez c. Honduras d’après lequel

«[u]n acte illégal qui viole les droits de l’homme et qui, initialement, n’est pas directement imputable à un État (par exemple parce qu’il s’agit d’un acte commis par un particulier ou parce que l’auteur n’en a pas été identifié) peut engager la responsabilité internationale de l’État, non en soi mais en raison de l’absence de diligence à prévenir la violation ou à y répondre comme le veut la Conventione.».

De même, la Cour européenne des droits de l’homme s’est penchée sur cette question dans l’affaire Osman c. Royaume ‑Uni et a statué ce qui suit:

«L’article 2 de la Convention peut, dans certaines circonstances bien définies, mettre à la charge des autorités l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu dont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui … La Cour estime que, face à l’allégation que les autorités ont failli à leur obligation positive de protéger le droit à la vie dans le cadre de leur devoir de prévenir et réprimer les atteintes contre la personne … [I]l lui faut se convaincre que lesdites autorités savaient ou auraient dû savoir sur le moment qu’un ou plusieurs individus étaient menacés de manière réelle et immédiate dans leur vie du fait des actes criminels d’un tiers, et qu’elles n’ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient sans doute pallié ce risque … [V]u la nature du droit protégé par cet article, essentiel pour l’économie de la Convention, il suffit au requérant de montrer que les autorités n’ont pas fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour empêcher la matérialisation d’un risque certain et immédiat pour la vie, dont elles avaient ou auraient dû avoir connaissancef.».

8.11Les requérants font aussi valoir que l’obligation de prendre des mesures de prévention peut se faire plus pressante encore si le risque pour la vie est immédiat. Pour étayer leur argument, ils citent abondamment l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans Mahmut Kaya c. Turquie, dans lequel la Cour énonce comme suit les obligations des États: premièrement, les États sont tenus de prendre toutes les mesures raisonnables pour empêcher la matérialisation d’une menace réelle et immédiate à la vie et à l’intégrité d’une personne lorsque les agissements peuvent être le fait d’une personne ou d’un groupe de personnes avec le consentement exprès ou tacite des autorités; deuxièmement, les États sont tenus d’assurer un recours utile, y compris de faire procéder à une enquête en bonne et due forme et efficace sur les actes commis par des personnes à titre privé avec le consentement exprès ou tacite des autorités publiquesg.

8.12Les requérants soulignent par ailleurs que l’obligation contractée par les États aux termes de la Convention européenne sur les droits de l’homme va bien au‑delà de l’imposition de simples sanctions pénales aux particuliers qui ont commis des actes contraires à l’article 3 de la Convention. Dans Z. et consorts c. Royaume ‑Uni, la Commission européenne des droits de l’homme a constaté ce qui suit:

«les autorités étaient informées des mauvais traitements et de la grave négligence auxquels les enfants étaient exposés depuis des années dans leur famille et qu’elles n’avaient pris aucune mesure effective pour mettre un terme à cette situation, malgré les moyens dont elles pouvaient raisonnablement disposer … [L’État a donc] failli à l’obligation positive que lui faisait l’article 3 de la Convention d’assurer aux intéressés une protection suffisante contre tout traitement inhumain et dégradanth.» .

8.13En conclusion, les requérants affirment qu’«ils ont bien été soumis à des actes de violence communautaire qui leur ont infligé de grandes souffrances physiques et morales, constitutifs d’actes de torture et/ou de peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants» et ajoutent qu’«il s’agissait de les punir pour un acte commis par un tiers (le viol de S.B.) et que la violence communautaire (ou plutôt la déprédation raciste) en cause s’est déroulée en présence et par conséquent avec “le consentement exprès ou tacite” de la police, dont le devoir était, au regard du droit, précisément le contraire − veiller à leur sécurité et garantir leur protection».

8.14Enfin, au sujet de l’absence d’observations de l’État partie sur la requête quant au fond, les requérants renvoient au paragraphe 6 de l’article 108 du règlement intérieur du Comité et estiment que ce principe devrait être également applicable pendant la phase d’examen de la requête quant au fond. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité des droits de l’homme, ils font aussi valoir qu’en ne contestant pas les faits ni les arguments juridiques développés dans la requête et les courriers ultérieurs, l’État partie a admis tacitement les griefs formulés.

Délibérations du Comité

9.1Le Comité a examiné la requête à la lumière de toutes les informations que lui ont communiquées les parties intéressées, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention. De plus, en l’absence de toute observation de l’État partie suite à sa décision concernant la recevabilité, le Comité se fonde sur les mémoires détaillés des requérants. Il rappelle à cet égard qu’un État partie a l’obligation, aux termes du paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, de coopérer avec lui et de lui soumettre par écrit des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation.

9.2En ce qui concerne la qualification juridique des faits survenus le 15 avril 1995, tels qu’ils ont été décrits par les requérants, le Comité considère tout d’abord que le fait d’incendier et de détruire des maisons est en l’espèce un acte constitutif de peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant. Cet acte est d’autant plus grave que certains des requérants étaient encore cachés dans le quartier lorsque les maisons ont été incendiées et détruites, que les victimes présumées étaient particulièrement vulnérables et que les motifs des assaillants étaient en grande partie raciaux. De plus, le Comité estime que les requérants ont suffisamment démontré que les policiers (agents de la fonction publique) n’ont pris aucune mesure appropriée pour protéger les requérants alors qu’ils avaient été informés du risque immédiat que ces derniers couraient et qu’ils étaient présents sur les lieux, ce qui permet de conclure à leur «consentement tacite» au sens de l’article 16 de la Convention. À cet égard, le Comité a fait part à de nombreuses reprises de ses préoccupations face à «l’inaction de la police et des responsables de l’application des lois, qui ne fourniraient pas une protection suffisante contre des agressions d’inspiration raciste»i. Bien que les actes dénoncés par les requérants n’aient pas été commis par les agents de l’État eux‑mêmes, le Comité estime qu’ils ont été commis avec leur consentement tacite et constituent donc une violation par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention.

9.3Ayant considéré que les faits décrits par les requérants sont constitutifs d’actes visés au paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, le Comité analysera les autres violations présumées à la lumière de cette constatation.

9.4Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 12 de la Convention, le Comité est d’avis, comme il l’a souligné dans des affaires précédentes (voir notamment l’affaire Encarnacíon Blanco Abad c. Espagne, communication no 59/1996, constatations adoptées le 14 mai 1998), qu’une enquête criminelle doit chercher tant à déterminer la nature et les circonstances des faits allégués qu’à établir l’identité des personnes qui ont pu être impliquées. En l’espèce, il constate que malgré la participation de plusieurs centaines de non‑Roms aux événements du 15 avril 1995 et la présence d’un certain nombre de policiers sur les lieux au moment des faits, aucun particulier ni aucun agent des forces de police n’a été traduit devant les tribunaux de l’État partie. Dans ces conditions, le Comité est d’avis que l’enquête menée par les autorités de l’État partie ne satisfait pas aux exigences de l’article 12 de la Convention.

9.5S’agissant de la violation présumée de l’article 13 de la Convention, le Comité estime que l’absence d’enquête au sens donné au paragraphe précédent constitue aussi une violation de l’article 13 de la Convention. Par ailleurs, le Comité est d’avis que le fait que l’État partie n’a pas informé les requérants des conclusions de l’enquête, notamment en ne leur notifiant pas la décision d’abandonner l’enquête, les a effectivement empêchés d’engager eux‑mêmes des poursuites. Dans ces conditions, le Comité estime qu’il y a là une violation supplémentaire de l’article 13 de la Convention.

9.6En ce qui concerne la violation présumée de l’article 14 de la Convention, le Comité note que le champ d’application de cette disposition ne recouvre que la torture au sens de l’article premier de la Convention et ne vise pas les autres formes de mauvais traitements. De plus, le paragraphe 1 de l’article 16, s’il vise expressément les articles 10, 11, 12 et 13 de la Convention, ne fait pas mention de l’article 14 de la Convention. Toutefois, le Comité est d’avis que l’article 14 ne signifie pas que l’État partie n’a pas l’obligation d’accorder réparation et une indemnisation équitable et adéquate à la victime d’un acte au sens de l’article 16. Les obligations positives découlant de la première phrase de l’article 16 de la Convention englobent l’obligation d’accorder une réparation et une indemnisation aux victimes d’un acte au sens de ladite disposition. Le Comité est donc d’avis que l’État partie ne s’est pas acquitté de ses obligations en vertu de l’article 16 de la Convention en n’ayant pas permis aux requérants d’obtenir réparation et en ne leur ayant pas accordé une indemnisation équitable et adéquate.

10.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, est d’avis que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 16 et des articles 12 et 13 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

11.Conformément au paragraphe 5 de l’article 111 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à procéder à une enquête en bonne et due forme sur les faits survenus le 15 avril 1995, à poursuivre et sanctionner les personnes qui en seront reconnues responsables et à accorder une réparation appropriée aux requérants, sous la forme d’une indemnisation équitable et adéquate, et à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises conformément aux constatations ci‑dessus.

Appendice

(Affaire n o  161/1999) − Hajrizi Dzemajl et consorts c. Serbie ‑et ‑Monténégro

Opinion individuelle de MM. Fernando Mariño et Alejandro González Poblete jointe à la décision en application de l’article 113 du règlement intérieur du Comité

À notre avis, les faits illicites dont l’État partie est responsable sont constitutifs non seulement de «traitements cruels, inhumains ou dégradants» au sens de l’article 16 de la Convention mais aussi de «torture» au sens du paragraphe 1 de l’article premier. En ne réagissant pas face aux évictions violentes et au déplacement forcé de personnes et à la destruction de logements et de biens par des particuliers, les agents de l’État ont illicitement consenti tacitement à ces actes, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article premier, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention.

Nous estimons en effet que les souffrances causées aux victimes ont atteint un degré suffisant pour être considérées comme des tortures, et ce pour les raisons suivantes:

a)Les habitants du quartier de Bozova Glavica ont été contraints d’abandonner leur logement dans l’urgence devant le risque de graves dommages corporels et dégâts matériels;

b)Leur quartier et leurs maisons ont été entièrement détruits, de même que des biens de première nécessité;

c)Leur déplacement forcé les a non seulement empêchés de se réinstaller dans le même quartier mais aussi, pour beaucoup, contraints à vivre dans des conditions difficiles, sans travail et sans logement fixes;

d)Plus de sept ans après les faits, les nationaux de la Serbie-et-Monténégro ayant subi ces préjudices n’ont encore reçu aucune indemnisation, bien qu’ils aient saisi les autorités nationales;

e)Tous les habitants déplacés de force appartiennent à l’ethnie rom, dont la vulnérabilité est bien connue dans de nombreuses régions d’Europe. Ils devaient à ce titre bénéficier d’une protection renforcée de l’État.

Tout ce qui précède permet de conclure à des «souffrances aiguës» non seulement mentales mais aussi physiques, même si les victimes n’ont pas subi d’agression physique directe.

Pour ces raisons, nous considérons que les faits examinés auraient dû être qualifiés d’actes de torture.

(Signé) Fernando Mariño

(Signé) Alejandro González Poblete

Communication n o 204/2002

Requête présentée par:M. H. K. H. (représenté par un conseil)

Au nom de:M. H. K. H.

État partie:Suède

Date de la requête:26 mars 2002

Date de la présente décision:19 novembre 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 19 novembre 2002,

Ayant achevé l’examen de la requête no 204/2002 présentée par M. Hassan Karbalai Heidar en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte la décision ci‑après en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

1.1Le requérant est M. Hassan Karbalai Heidar, de nationalité iranienne, se trouvant actuellement en Suède et frappé d’une mesure d’expulsion. Il affirme que son renvoi en Iran constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 8 avril 2002, le Comité a adressé la requête à l’État partie en le priant de faire ses observations et, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, il l’a prié de ne pas renvoyer le requérant en Iran tant que sa requête serait en cours d’examen. L’État partie a accédé à cette demande.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Quand il vivait en Iran, le requérant était membre de l’organisation politique Cherikhaj Fadai Khalq, pour laquelle il travaillait. Il déclare qu’il a été arrêté plusieurs fois entre 1983 et 1988, soupçonné d’activités politiques illégales. En septembre 1989 ou vers cette date, il aurait tué par accident un gardien de la révolution, dans les circonstances décrites ci‑après. Il entretenait une relation avec une jeune fille d’origine arménienne. Un jour qu’ils se promenaient dans un parc du centre de Téhéran, ils avaient rencontré un groupe de gardiens de la révolution qui les avaient «pris à parti» parce que la jeune fille portait une croix chrétienne au cou. Les gardiens lui avaient jeté de l’acide au visage. L’un d’eux avait brandi un couteau dont le requérant avait réussi à s’emparer et il en avait frappé le gardien. Avec son amie, ils avaient alors pris la fuite.

2.2Après cet incident, le requérant s’était caché en différents endroits autour de Téhéran. Il avait alors appris que le gardien était mort de ses blessures et que son amie s’était suicidée. Il avait également appris que le domicile de certains de ses proches avait été fouillé. Le 26 octobre 1989, le requérant a réussi à quitter clandestinement l’Iran et est arrivé en Suède où il a demandé l’asile au Conseil suédois de l’immigration (appelé aujourd’hui le Conseil des migrations et désigné ci‑après sous ce nom). Le 17 septembre 1990, le Conseil des migrations a rejeté la demande du requérant au motif qu’il avait donné des renseignements contradictoires au sujet de ses activités politiques. Le requérant a fait appel de cette décision auprès de la Commission de recours des étrangers qui l’a débouté pour les mêmes motifs et a refusé de lui accorder le statut de réfugié. Le requérant a ensuite obtenu un permis de séjour dans le cadre d’une amnistie générale au bénéfice des demandeurs d’asile.

2.3Le requérant dit que sa mère a été assassinée en 1996 et qu’à son avis il est probable que c’est une conséquence de ses actions. Un de ses frères s’est suicidé en 1996 et un autre a été tué, en 2000. Ses deux autres frères ont quitté l’Iran et le Canada leur a octroyé l’asile. Le requérant ajoute que quelqu’un lui a dit qu’il avait été condamné à mort dans son pays. Un représentant des gardiens de la révolution avait parlé du verdict à la mère du requérant avant la mort de celle‑ci.

2.4En 1994, le requérant a été poursuivi pour trafic de drogue. Il a été condamné à 10 ans d’emprisonnement et à être expulsé car il était considéré comme un danger pour la population. Le requérant a été débouté par la cour d’appel de Suède centrale puis par la Cour suprême. Il fait valoir que les tribunaux n’ont pas tenu compte de son besoin de protection. Le Conseil national des établissements pénitentiaires a réduit sa peine de sorte qu’il serait libéré le 8 mars 2002.

2.5Le 10 janvier 2002, le requérant a déposé une demande auprès du Gouvernement pour solliciter l’annulation de la décision du tribunal de l’expulser de Suède car il avait toujours autant besoin de protection que quand il avait fait sa demande auprès du Conseil des migrations. Il faisait valoir en outre que les contradictions relevées dans les renseignements qu’il avait donnés au Conseil des migrations tenaient aux séquelles des tortures qui lui avaient été infligées en Iran quand il avait été arrêté et interrogéa. L’auteur a fourni des renseignements sur d’autres documents pris en considération par le Gouvernement dans l’examen de l’affaire, mais ces renseignements avaient été communiqués à l’auteur dans le cadre de la loi suédoise sur le secret et, à la demande du requérant, ne sont pas consignés ici.

2.6Par une décision en date du 21 mars 2002, le Gouvernement suédois a estimé qu’il n’y avait pas de risque objectif que le requérant soit soumis à la torture s’il était renvoyé en Iran. Le 10 avril 2002, le requérant a été libéré de prison sur décision du Ministère de la justice qui a décidé de surseoir à son expulsion jusqu’à nouvel ordre.

2.7D’après le requérant, la pratique de la torture est courante en Iran. La police, les gardiens de la révolution et les autres forces de sécurité pratiquent fréquemment des formes graves de torture, en appliquant diverses méthodes, pendant les enquêtes. La torture est également pratiquée en prison, une fois le verdict rendu. À ce sujet, le requérant renvoie aux rapports du Représentant spécial de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme en Iran, aux «Country Reports on Human Rights» du Département d’État des États‑Unis ainsi qu’aux rapports d’Amnesty International. Le Parlement iranien lui‑même a selon les dires du requérant estimé que la torture et l’usage excessif de la violence étaient fréquents dans les prisons iraniennes.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en Iran et que la Suède commettrait ce faisant une violation de l’article 3 de la Convention. Le requérant reconnaît qu’il a donné aux autorités suédoises des renseignements contradictoires sur sa participation à des activités politiques mais objecte que cela tenait aux séquelles psychiques des tortures subies. De plus, il affirme qu’il n’a jamais donné des renseignements contradictoires au sujet de l’incident avec les gardiens de la révolution dans le parc et que c’est cette altercation qui constitue le principal argument qui lui fait craindre d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en Iran. En effet selon lui il est ainsi devenu un ennemi de l’État et un tel acte, que ce soit ou non un accident, est puni de mort.

3.2Le requérant souligne que l’objet de sa plainte n’est pas le risque d’être exécuté qui représenterait une violation de l’article 3, mais la très forte probabilité, en raison de la nature du crime, d’être soumis à des tortures avant d’être exécuté, peut‑être afin de lui arracher des renseignements sur son appartenance à des organisations illégales. Il affirme aussi que tout ce qui s’est passé dans sa famille, y compris le fait que deux de ses proches parents aient été assassinés et deux de ses frères aient été obligés de chercher refuge à l’étranger, confirme que les autorités le recherchaient et que, ne le trouvant pas, elles se sont vengées sur sa famille.

3.3Le requérant affirme que tous les recours internes ont été épuisés et que la requête n’a pas été soumise à l’examen d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une lettre datée du 18 juin 2002, l’État partie a fait parvenir sa réponse sur la recevabilité et sur le fond de la requête. En ce qui concerne la recevabilité, il affirme que l’argument de l’auteur qui fait valoir qu’il risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en Iran manque du minimum d’élément pour être étayé et donc compatible avec l’article 22 de la Conventionb.

4.2Pour ce qui est du fond, l’État partie rappelle que l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas un motif suffisant pour établir qu’un individu risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé dans ce pays; le particulier doit montrer que son expulsion aurait pour conséquence de lui faire personnellement courir un risque prévisible et réel d’être torturé. L’État partie avance qu’il découle de ces principes que c’est au requérant qu’il appartient au premier chef de rassembler et de produire les preuves à l’appui de son récit.

4.3L’État partie fait valoir que plusieurs dispositions de la loi relative aux étrangers garantissent les mêmes droits que le paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Il dit à ce sujet que le dossier du requérant a été évalué par le Conseil des migrations en 1990 et en 1994, par la Commission de recours des étrangers en 1992 et par le Conseil des migrations et le Gouvernement en 2002. De plus, la question des motifs qui pourraient empêcher l’expulsion a été examinée par deux juridictions suédoises. D’après lui, le requérant a tort quand il affirme au Comité que la question de sa protection n’a pas été traitée pendant la procédure pénale. En ce qui concerne l’expulsion, le tribunal a pris note du fait que le requérant vivait depuis quatre ans avec une Suédoise dont il avait eu un enfant en novembre 1993. Toutefois, il a considéré que les infractions dont il avait été reconnu coupable étaient extrêmement graves et représentaient un danger pour les individus et pour la société en général. De surcroît, il a établi que ces infractions avaient été commises de façon massive et depuis relativement longtemps. Le tribunal a donc conclu que globalement des motifs exceptionnels justifiaient l’expulsion du requérant. Le tribunal de district a également fondé sa décision sur un avis du Conseil des migrations indiquant qu’il n’y avait aucun empêchement à l’expulsion.

4.4L’État partie confirme aussi que quand le Gouvernement a examiné la demande d’annulation de l’arrêté d’expulsion, il a demandé l’avis du Conseil des migrations et de l’ambassade de Suède à Téhéran. L’ambassade a envoyé deux séries de renseignements mais l’État partie affirme que le requérant n’en a communiqué qu’une seule au Comité. L’ambassade aurait donné les renseignements ci‑après: globalement, elle était d’avis qu’il était peu probable que le requérant ait été condamné par contumace. Toutefois, à supposer que le requérant avait bien tué un gardien de la révolution, il aurait pu être poursuivi soit devant un tribunal révolutionnaire islamique soit devant une juridiction ordinaire. S’il avait été condamné par un tribunal ordinaire, le jugement aurait été notifié à lui‑même ou à sa famille. S’il avait été condamné par un tribunal révolutionnaire, il n’aurait aucune preuve du jugement prononcé. La peine fixée par la loi pour le meurtre d’un gardien de la révolution est la peine de mort. Le tribunal révolutionnaire n’aurait probablement pas considéré que les circonstances dans lesquelles le gardien avait été tué étaient atténuantes au point d’exclure la peine capitale mais, s’il avait été jugé par un tribunal ordinaire, le requérant aurait pu obtenir le bénéfice des circonstances atténuantes en avançant l’argument de la légitime défense. L’incident relaté par le requérant était crédible car d’autres incidents du même genre avaient été portés à la connaissance de l’ambassade. Celle‑ci pouvait demander officiellement aux autorités iraniennes si le requérant avait été condamné par contumace mais elle estimait que cela ne mènerait sans doute à rien ou pouvait faire courir au requérant le risque d’être considéré comme «coupable par association».

4.5L’État partie fait valoir que le compte rendu des événements fait par le requérant contient un certain nombre d’incohérences et de failles. Il n’ignore pas que le Comité estime qu’une précision totale peut rarement être attendue des victimes de la torture mais il considère que de telles incohérences doivent être retenues quand il s’agit d’apprécier la crédibilité du requérant. L’État partie note que le requérant affirme que les contradictions relevées dans son récit des événements tenaient aux séquelles des tortures qu’il aurait subies. Il relève que le requérant n’avait jamais signalé avoir été torturé (ou par deux fois avoir attenté à ses jours quand il était en prison) avant d’avoir formé son recours devant la Commission de recours des étrangers. Ainsi, il n’en a pas fait mention quand il était interrogé par le Conseil des migrations ni dans ses observations supplémentaires au même organe, alors que ces observations ont été rédigées avec l’assistance d’un conseil.

4.6L’État partie note également qu’à aucun moment de la procédure le requérant n’a donné de détails relatifs aux tortures qu’il aurait subies. À son avis, le seul rapport médical (daté du 23 mai 1990) produit dans cette affaire ne contenait aucun élément permettant d’étayer l’argument de l’auteur qui déclare souffrir de troubles post‑traumatiques. Rien dans ce rapport n’indiquait non plus que l’examen médical a révélé des cicatrices sur les lèvres et dans la bouche. L’État partie conclut donc que la seule mention du fait qu’il aurait subi des tortures ne suffit pas à expliquer les incohérences relevées dans sa relation des événements.

4.7Sur la question de sa participation à des activités politiques, l’État partie note que le requérant n’a pas produit la moindre preuve de ces activités ni du fait que les autorités iraniennes en aient eu connaissance. Il souligne que cette absence de preuves devrait être notée en particulier compte tenu du fait que dans le cadre de la procédure de demande d’asile le requérant a donné des renseignements clairement contradictoires quand on lui a demandé s’il avait ou non mené des activités politiques en Iran. Il avait de plus donné des réponses différentes à la fois au sujet des motifs des arrestations qui d’après lui étaient la conséquence de ses activités et de la durée de la détention. Si le Comité devait décider d’ajouter foi aux déclarations du requérant sur cette question, l’État partie souligne que le requérant a affirmé qu’il était seulement un partisan et non pas un membre de l’organisation Cherikhaj Fadai Khalq et que ses activités étaient d’importance négligeable quant à leur nature et à leur ampleur. Pour ces raisons, il n’aurait que peu intéressé les autorités iraniennes. De l’avis de l’État partie, il est donc guère probable que l’incident du parc soit une conséquence des activités politiques du requérant comme ce dernier l’a affirmé devant le Conseil des migrations en 1990.

4.8Concernant la question du récit de l’incident avec les gardiens en 1989, l’État partie fait valoir que le requérant a modifié sa version sur plusieurs points importants. Les incohérences relevées portent sur l’heure, le lieu et le motif de l’agression alléguée, ainsi que sur le déroulement des événements et leurs conséquences. En particulier, l’État partie insiste sur les éléments nouveaux soumis dans la requête adressée au Gouvernement en date du 10 janvier 2002: le requérant y indiquait que son amie était avec lui au moment de l’incident et que les gardiens lui avaient lancé de l’acide au visage; il ajoutait dans sa requête, pour la première fois, qu’il avait effectivement tué le gardien d’un coup de couteau et que son amie s’était suicidée, et il admettait qu’il savait tout cela en quittant la République d’Iran.

4.9L’État partie note également que ces circonstances nouvelles de cet incident, qui n’avaient pas été mentionnées auparavant aux autorités suédoises, ont été portées à l’attention du Comité, y compris le fait que le coup de couteau avait été porté sur le corps et non pas au visage du gardien, que son amie était avec lui à ce moment‑là et que c’était elle et non pas le requérant qui portait la croix à son cou. L’État partie relève de plus que le fait que le gardien ait poussé le requérant dans la vitrine d’un magasin, ce qui lui avait causé des blessures graves, semble pour une raison inconnue avoir disparu des plaintes entre la procédure de demande d’asile et la procédure de contestation de l’expulsion.

4.10En ce qui concerne la question du départ de la République islamique d’Iran, l’État partie relève que le requérant a changé sa relation des faits, en affirmant d’abord que son père avait organisé son départ avec un passeur et ensuite que c’était lui‑même qui avait pris contact avec le passeur. De plus, pendant les audiences devant le Conseil des migrations, le 26 octobre 1989 et le 13 novembre 1989, il avait déclaré avoir quitté la République islamique d’Iran à partir du port maritime de Bandar‑E‑Abbas et avoir utilisé son livret militaire et son permis de conduire comme papiers d’identité pendant le voyage de Téhéran à Bandar‑E‑Abbas. Toutefois, il avait affirmé plus tard qu’il était passé par la Turquie et avait utilisé de faux papiers pour quitter le pays. Pour cette raison et aussi parce que le requérant n’a produit aucune preuve écrite à l’appui de son récit concernant le voyage, l’État partie objecte que l’on ne peut pas exclure qu’il avait quitté l’Iran en toute légalité. Étant donné que le requérant affirme avoir été recherché par les autorités iraniennes pendant un mois à l’époque de son départ, on peut se demander s’il aurait vraiment réussi à quitter le pays en étant muni uniquement de son livret militaire et de son permis de conduire. D’après l’État partie, c’est peut‑être cela qui explique pourquoi le requérant a annoncé par la suite qu’il avait utilisé des faux papiers pour quitter le pays.

4.11En ce qui concerne le décès de sa mère, d’après l’État partie, le requérant s’est contredit en affirmant d’abord qu’elle était morte à la fin de l’année 1990 des suites de problèmes cardiaques puis qu’elle avait été assassinée en 1996, ce qui avait un rapport avec les activités de son fils. Le requérant n’a donné aucune explication à ce sujet.

4.12Enfin, l’État partie relève que le requérant a changé sa position pour son inculpation en Suède. Devant le tribunal de district, il a plaidé coupable mais devant la cour d’appel il a retiré sa déclaration. Pour l’État partie, cette attitude justifie que l’on mette sérieusement en doute l’affirmation du requérant qui prétend être sous le coup d’une condamnation à mort en Iran. L’État partie ajoute que rien n’indique que le requérant fait l’objet d’un mandat d’arrestation. Il se réfère aussi de nouveau à l’avis de l’ambassade de Suède à Téhéran, pour qui il est peu probable que le requérant ait été reconnu coupable et condamné par contumace comme il le prétend. D’après l’État partie, toutes ces déclarations contradictoires font douter sérieusement de la véracité générale de la plainte du requérant.

Commentaires du requérant

5.1Le requérant conteste l’argument de l’État partie qui affirme que la plainte est irrecevable, et affirme que les faits de l’affaire sont très différents de ceux que le Comité a dans le passé déclarés irrecevables parce que la plainte n’était pas étayée.

5.2Le requérant reconnaît que la loi sur les étrangers reflète les droits garantis au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention mais il objecte que toute la question porte sur la façon dont cette loi est appliquée; il souligne à ce sujet que le Comité a déjà établi dans neuf cas que la Suède avait commis des violations de l’article 3.

5.3Le requérant objecte que les renseignements donnés par le Conseil des migrations au tribunal de district pour conclure qu’il n’y avait pas d’empêchement à l’expulsion est une réponse stéréotypée que le Conseil des migrations donne quand une demande a déjà été rejetée par lui‑même et par la Commission de recours des étrangers. Il fait valoir que le Conseil des migrations n’a pas procédé à un examen plus poussé de tous les aspects permettant de déterminer les risques qu’il encourrait s’il était renvoyé en Iran. En fait, il fait valoir que dans le jugement écrit du tribunal de district, les questions concernant l’expulsion ne sont traitées que sur une demi‑page et sous le seul aspect des relations du requérant avec son épouse et sa fille, la conclusion étant que l’expulsion est nécessaire à cause de la gravité du crime commis. Dans ce jugement, rien n’est dit du risque encouru si le requérant est renvoyé en Iran. Quant à l’arrêt de la cour d’appel, il ne contient rien qui montre qu’elle a évalué le risque lié à l’expulsion.

5.4Sur la question des tortures subies en Iran, le requérant dit que s’il n’en a fait état que relativement tard dans la procédure, c’est à cause des séquelles de ce qu’on appelle les effets psychologiques de la torture, et il ne faudrait pas retenir ce facteur contre lui. Il ajoute que le Comité a dans d’autres affaires conclu qu’il n’attendait pas nécessairement d’une victime de torture qu’elle déclare spontanément avoir subi de tels traitements et, en particulier, que l’on ne pouvait pas s’attendre à ce que cette information soit donnée d’une façon cohérente et logique. Le requérant réaffirme qu’il souffre de troubles post‑traumatiques et ajoute que, quand il a appris la décision négative du Gouvernement, en mars 2002, il était dans un tel état qu’il a dû consulter un psychiatre et suivre un traitement.

5.5En ce qui concerne ses activités politiques, le requérant reconnaît qu’elles étaient de peu d’importance mais dit que les autorités iraniennes les considéraient comme suffisamment dangereuses pour le faire arrêter même s’il avait été remis en liberté quelque temps après. Il avait travaillé pour l’organisation Cherikhaj Fadai Khalq, mais avait bien mentionné plus tôt qu’il avait aussi travaillé pour les Mohaheddin. D’après le requérant, comme ces deux organisations travaillaient en étroite collaboration, la différence est minime. Il affirme que l’incident du parc était lié à ses activités politiques parce que les gardiens l’avaient reconnu. Il fait valoir que s’il est renvoyé en Iran les autorités consulteront leurs dossiers et feront une enquête sur le rapport entre cet incident et ses liens avec les groupes politiques. Le requérant reconnaît qu’il a dit des choses différentes pour l’endroit où s’était produit l’incident avec les gardiens, mais dit que les deux endroits sont tout à côté l’un de l’autre. Il admet également qu’il n’a pas été capable de dire la date exacte, mais il a déclaré trois fois aux autorités suédoises que c’était en septembre 1989. Il ajoute que le récit qu’il a fait à son arrivée en Suède peut ne pas avoir été très clair car il venait de faire un long voyage traumatisant, dans des conditions de grande insécurité.

5.6Pour ce qui est du fait qu’il n’a pas précisé que son amie était avec lui dans le parc, le requérant reconnaît qu’il n’en a pas fait expressément état, mais dit qu’il a bien parlé de leur relation. Il se souvient parfaitement avoir dit à son avocat qu’elle avait reçu de l’acide au visage et dit qu’il a peut‑être été mal compris. Il affirme qu’il a su que le gardien était mort et que son amie s’était suicidée seulement après avoir engagé la procédure de demande d’asile et donc qu’il n’en a pas parlé au début. Enfin, il est vrai qu’il n’a pas précisé qu’il avait été poussé dans une vitrine par les gardiens dans sa demande adressée au Gouvernement, mais cela ne veut pas dire que ses propos contredisaient ce qu’il avait dit précédemment.

5.7Sur la question de ses déclarations contradictoires concernant son départ pour la Suède, le requérant confirme qu’il est passé par la frontière entre l’Iran et la Turquie, mais qu’il a menti parce qu’il voulait protéger le passeur. En ce qui concerne les circonstances du décès de sa mère, le requérant dit que la première déclaration qu’il avait faite était un malentendu et qu’il avait depuis donné aux autorités les renseignements voulus montrant que sa mère avait été assassinée en 1996. Le requérant dit également que certes il est inhabituel que quelqu’un soit condamné à mort par contumace mais que ce n’est pas impossible. Il ajoute qu’il est bien possible que sa mère, qui lui a dit qu’il avait été condamné à mort par contumace, ait mal compris le message reçu des gardiens.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note également que l’État partie n’a pas contesté que les recours internes avaient été épuisés. L’État partie affirme que le requérant n’a pas étayé ses allégations aux fins de la recevabilité, mais le Comité est d’avis qu’il a reçu assez d’éléments pour examiner la plainte quant au fond. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen sur le fond.

Examen quant au fond

6.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en République islamique d’Iran, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, conformément à la jurisprudence du Comité et nonobstant les allégations du requérant présentées au paragraphe 2.8 quant à la situation en Iran, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans ses circonstances particulières.

6.3Le Comité note que la principale raison pour laquelle le requérant craint d’être personnellement soumis à la torture s’il est renvoyé en Iran est qu’il aurait tué un gardien de la révolution dans un parc de Téhéran. Le requérant reconnaît lui‑même qu’il a donné des renseignements contradictoires à l’État partie au sujet de sa participation à des activités politiques, incohérence qu’il attribue aux incidences psychologiques des tortures subies, mais fait valoir qu’il ne s’est jamais contredit quand il a relaté l’incident du parc. Le Comité relève que le requérant a produit un rapport médical indiquant qu’il portait des marques sur le corps, mais ne donne aucun élément pour montrer qu’il souffre de troubles post‑traumatiques à la suite des tortures subies. Le Comité note l’argument de l’État partie qui affirme que le requérant n’a fait état de tortures que pendant l’audience devant la Commission de recours des étrangers et que, même à ce moment‑là, il n’a donné aucun détail sur les traitements qu’il aurait subis. Le requérant n’a pas non plus décrit les tortures dans sa requête au Comité. En conséquence, celui‑ci estime difficile de croire que les incohérences relevées dans les renseignements que le requérant a fournis à l’État partie et au Comité étaient dues aux séquelles de la torture. De plus, le Comité relève que, contrairement à ce qu’il affirme, le requérant s’est contredit dans son récit de l’incident survenu dans le parc, notamment en ne mentionnant la présence sur les lieux de son amie que dans sa requête au Gouvernement, en 2002. Le Comité relève également que le requérant n’a pas donné d’explications suffisantes à de nombreuses autres incohérences, notamment les circonstances du décès de sa mère et son départ d’Iran, ce qui fait douter de sa crédibilité. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que le requérant n’a pas montré que lui‑même courait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention.

7.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant en République islamique d’Iran ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication n o 190/2001

Présentée par:K. S. Y. (représenté par un conseil)

Au nom de:K. S. Y.

État partie:Pays‑Bas

Date de la requête:5 janvier 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 15 mai 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 190/2001 présentée par M. K. S. Y. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte la décision ci-après au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Le requérant est M. K. S. Y., de nationalité iranienne, né le 23 août 1950, dont la demande de statut de réfugié aux Pays‑Bas a été rejetée. Il affirme que son expulsion vers la République islamique d’Iran constituerait une violation par les Pays‑Bas de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l’attention des États parties, le 16 octobre 2001. En application de l’article 108 de son règlement intérieur, il a également prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers la République islamique d’Iran tant que la requête serait encore à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant dit qu’il a eu des ennuis en Iran à cause de son homosexualité et des activités politiques de son frère, A. A.

2.2Le requérant avait eu maille à partir avec les autorités iraniennes depuis que son frère avait obtenu le statut de réfugié aux Pays‑Bas, au début des années 80. Il avait été interrogé par le bureau des Monkerat (une unité spéciale du Comité révolutionnaire) quatre ou cinq fois et à la fin de chaque interrogatoire, il devait signer sa prochaine convocation.

2.3En mars 1992, le requérant est allé aux Pays‑Bas pour assister au mariage de son frère. Quand il est rentré en Iran, il a été interrogé par les autorités sur le motif de son voyage et les activités de son frère aux Pays‑Bas. Les autorités iraniennes ont confisqué son passeport et ont pris une ordonnance lui interdisant d’aller à l’étranger. Il a reçu l’ordre de se présenter tous les jours au bureau des passeports du département d’enquête criminelle.

2.4En Iran, le requérant avait une relation homosexuelle avec un certain K. H., dont l’homosexualité était évidente à cause de son comportement «efféminé». Du fait de son homosexualité, il s’est séparé de sa femme dont il avait trois enfants.

2.5Le 10 août 1992, le requérant a été arrêté à Chiraz par le Bureau des Monkerat parce que des voisins avaient porté plainte au sujet de ses relations homosexuelles. Son partenaire n’a pas été arrêté parce qu’il était passé dans la clandestinité. Le requérant a été conduit en prison dans le désert de Lout et a été interrogé au sujet de son homosexualité et des activités de son frère. Pendant sa détention, il aurait été torturé, frappé à coup de câble sur la plante des pieds, sur les jambes et au visage, et suspendu au plafond par un bras pendant une demi‑journée, pendant trois semaines. Le requérant a ensuite été condamné à morta mais n’a jamais reçu de copie du jugement. Au bout de cinq mois de détention, il a réussi à s’évader avec l’aide des services de nettoyage de la prison qui l’ont caché dans le camion poubelle. L’évasion a été possible parce que le soir il n’y a pas de gardien, les prisonniers étant tous confinés dans leur cellule.

2.6Le requérant est d’abord allé à Mashad puis à Ispahan où il a des parents. De là, il a organisé son départ pour l’Europe. En août 1993, le requérant et son partenaire se sont rendus séparément aux Pays‑Bas. Le requérant était muni d’un passeport iranien, fourni par le passeur, qui portait sa propre photographie. Quand il est arrivé aux Pays‑Bas, il a détruit le passeport comme on lui avait dit de le faire.

2.7Le 16 mars 1994, le requérant a demandé le statut de réfugié ainsi qu’un permis de séjour pour motifs humanitaires. L’une et l’autre demande ont été rejetées le 26 août 1994. Le 29 août 1994, le requérant a formé un recours. La Commission consultative pour les étrangers a adressé, le 22 décembre 1994, un avis défavorable au Secrétariat d’État du Ministère de la justice pour ce qui est de l’asile, mais un avis favorable pour le permis de séjour en raison de l’état physique et psychologique du requérant.

2.8Depuis son arrivée aux Pays‑Bas, le requérant habitait avec son partenaire, K. H., puis celui‑ci a commencé à avoir des relations avec d’autres hommes. Après une dispute à ce sujet, le requérant a tué son partenaire. Le 22 juin 1995, il a été reconnu coupable de meurtre par le tribunal de district de Leeuwarden et condamné à six ans d’emprisonnement. Il est resté incarcéré du 21 janvier 1995 au 21 janvier 1999. Le corps de K. H. a été rapatrié en Iran, après l’intervention de l’ambassade d’Iran aux Pays‑Bas.

2.9Entre‑temps, le 12 septembre 1996, la demande de réexamen de la décision de refus du droit d’asile et du permis de séjour a été rejetée. Le requérant s’est pourvu contre ce rejet devant le tribunal de district de La Haye le 13 septembre 1996.

2.10De plus, le 10 septembre 1996, le Secrétariat d’État du Ministère de la justice a déclaré le requérant «persona non grata», à cause du meurtre qu’il avait commis. Le recours contre cette dernière décision a été rejeté le 6 décembre 1996. Le requérant a formé un nouveau recours contre cette décision, le 24 décembre 1996, auprès du tribunal de district de La Haye.

2.11Le 22 décembre 1999, le tribunal de district de La Haye a rejeté les recours du 13 septembre 1996 et du 24 décembre 1996.

2.12Pendant ce temps, le requérant a déposé, le 1er octobre 1999, une nouvelle demande d’asile qui a été rejetée le 5 octobre 1999. Il a formé un recours contre cette décision et a été débouté, le 11 mai 2001.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que s’il est renvoyé en Iran il risque d’être soumis à la torture et que son renvoi dans ce pays représenterait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

3.2À l’appui de cette allégation, le requérant fait valoir qu’il a été torturé pendant sa détention en Iran en 1992. Les séquelles des sévices qu’il dit avoir subis sont attestées dans un certain nombre de rapports médicaux joints à la requête. D’après ces pièces, le requérant souffre de troubles post‑traumatiques sévères, notamment d’une tendance suicidaire, et il a de grosses difficultés à bouger l’épaule droite à cause des longues périodes passées suspendu par un bras.

3.3D’après le requérant, le principal motif de craindre un risque de torture est son homosexualité et les événements qui se sont produits aux Pays‑Bas après son arrivée. Il fait valoir que son homosexualité a été confirmée par son partenaire, K. H., quand il était entendu pour sa propre demande d’asile et par le jugement du 22 juin 1995 le reconnaissant coupable de meurtre.

3.4Le requérant explique que le corps de K. H. a été rapatrié en Iran et que les autorités iraniennes ont sans aucun doute cherché à connaître la cause de sa mort. S’il était renvoyé aujourd’hui en Iran, il serait certainement inquiété à cause du meurtre et surtout à cause de son homosexualité. Il risque donc d’être de nouveau arrêté et soumis à des tortures et d’autres formes de mauvais traitements.

3.5Se référant à un rapport d’Amnesty International, daté du 30 juillet 1997, le requérant souligne que l’homosexualité est une infraction pénale en droit iranien. Il fait remarquer que la simple déclaration de quatre témoins peut conduire à une condamnation pénale, ainsi que l’opinion d’un juge fondée sur sa propre conviction. Dans son rapport, Amnesty International ajoute que quiconque est soupçonné de «commettre» des actes homosexuels risque d’être arrêté, torturé (flagellé) ou maltraité.

3.6Pour ce qui est des sources confirmant la pratique de la torture en Iran, le requérant renvoie au rapport du Représentant spécial de la Commission des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, daté du 21 septembre 1999, selon lequel «des articles de presse indiquent que les peines corporelles existent toujours. En janvier 1999, un journal iranien a rapporté que deux garçons de 15 ans avaient été condamnés à la flagellation pour avoir “offensé la démocratie” parce qu’ils s’étaient habillés en fille et étaient maquillés. Ils ont expliqué au tribunal qu’ils avaient agi ainsi pour “extorquer de l’argent à des jeunes gens riches”. En juin, un journal iranien a rapporté qu’un jeune homme de Mashad avait reçu 20 coups de fouet pour “atteinte à la moralité publique” parce qu’il avait les sourcils épilés et portait de l’ombre à paupières. En mars, un journal iranien a rapporté que six personnes de Mashad avaient été condamnées à 18 mois d’emprisonnement et à 228 coups de fouet pour avoir invité des passants à danser dans la rue...» (A/54/365, par. 38).

3.7Le requérant souligne que l’État partie a décidé de lui refuser le statut de réfugié uniquement à cause de contradictions qu’il aurait relevées et en particulier le fait que K. H. n’avait pas indiqué, quand il avait été entendu, dans le cadre de sa propre demande d’asile, que le requérant avait été détenu en Iran. Or, d’après le requérant, K. H. a seulement mentionné sa relation homosexuelle avec lui et expliqué que son partenaire avait également eu des ennuis, mais sans donner de détails. Le requérant renvoie également à la jurisprudence du Comité qui a conclu qu’une parfaite exactitude peut rarement être attendue des victimes de torture.

3.8Enfin, le requérant déclare que le fait qu’il n’a pas été admis à demeurer dans l’État partie parce qu’il avait été condamné pour un crime grave est incompatible avec le caractère absolu de l’article 3 de la Convention. De plus, le requérant fait valoir qu’il ne représente aucune menace pour la société hollandaise puisqu’il a commis un crime passionnel comme le confirme le jugement en date du 22 juin 1995.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une réponse datée du 21 novembre 2000, l’État partie fait parvenir ses observations sur le fond de l’affaire, sans objecter à sa recevabilité.

4.2Se référant à la jurisprudence du Comité, l’État partie rappelle que pour que quelqu’un courre personnellement le risque d’être soumis à la torture, au sens de l’article 3 de la Convention, il faut non seulement qu’il existe un ensemble de violations systématiques et flagrantes des droits de l’homme dans le pays vers lequel le requérant est expulsé mais aussi qu’il y ait des raisons spécifiques donnant à penser qu’il risque personnellement d’être soumis à la torture. Il rappelle aussi que les mots «motifs sérieux» supposent que la torture est hautement probable et que l’intéressé doit courir personnellement un risque prévisible et réel d’être torturé, selon l’interprétation tirée de l’observation générale no 1 du Comité, relative à l’application de l’article 3.

4.3En ce qui concerne la situation en Iran, l’État partie se réfère aux constatations du Comité dans certaines affaires et fait valoir que même si la situation est préoccupante, elle ne l’est pas au point que toute personne expulsée vers l’Iran soit en danger d’être soumise à des tortures. De plus, le fait que le requérant soit homosexuel ne constitue pas en soi un risque rendant l’expulsion incompatible avec l’article 3 de la Convention. Se référant à divers rapports sur la situation dans les pays, établis par ses propres services, l’État partie conclut que, même si les actes homosexuels sont interdits en Iran et peuvent être punis de la peine capitale, il n’y a pas de politique agissante de poursuites systématiques. Même si l’inculpation d’homosexualité est dans certains cas ajoutée à d’autres chefs d’inculpation pénale, on ne connaît pas de cas de condamnation, même à la discrétion du tribunal, pour actes homosexuels exclusivement. Il ajoute que le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés n’a pas «pu trouver le moindre cas d’exécution de personnes reconnues coupables de relations homosexuelles».

4.4En ce qui concerne les activités politiques du frère du requérant, A. A., l’État partie estime que le requérant n’a pas montré en quoi elles impliqueraient pour lui un risque réel et prévisible d’être personnellement soumis à la torture; en effet, ses déclarations à ce sujet ont été incohérentes, vagues et peu détaillées. Selon les interrogatoires, le requérant dit avoir a été arrêté une fois, cinq ou six fois ou plus de 40 fois en relation avec les activités politiques de son frère. De plus, le requérant a affirmé que son frère avait dirigé un groupe de moudjahidin alors que le frère avait lui‑même dit aux autorités de l’État partie qu’il était seulement sympathisant des moudjahidin et distribuait des tracts mais n’avait eu aucune autre activité contre le Gouvernement iranien.

4.5L’État partie estime qu’il n’est pas plausible que le requérant, qui n’a en effet eu aucun ennui à ce sujet quand il s’est rendu aux Pays‑Bas en mars 1992 avec l’accord des autorités, ait été arrêté à son retour en Iran, que son passeport ait été confisqué et qu’il ait été interrogé au sujet des activités de son frère. L’État partie se réfère aux rapports du Ministère d’où il ressort qu’il est impossible pour des personnes recherchées par les autorités d’aller à l’étranger, et note que des milliers d’Iraniens se rendent tous les ans à l’étranger sans être inquiétés quand ils rentrent dans leur pays.

4.6L’État partie fait valoir de plus que, même à supposer que le requérant a bien été arrêté après être rentré en Iran, en avril 1992, le fait qu’il ait été remis en liberté peu de temps après sans avoir été inquiété et le fait que les activités politiques de son frère remontent à 17 ans ne pouvaient pas constituer des preuves montrant qu’il risquerait d’être soumis à la torture pour cette raison.

4.7Pour ce qui est de l’orientation sexuelle du requérant, l’État partie note que le requérant a déclaré que jusqu’en août 1992 et avant son départ d’Iran, en août 1993, il n’avait eu aucun ennui avec les autorités iraniennes pour ce motif. L’État partie considère de plus que son arrestation en août 1992 du fait de son homosexualité est peu crédible parce que le requérant ne s’affichait pas. Il est également invraisemblable que son partenaire K. H. qui, lui, avait l’air manifestement homosexuel n’ait pas été arrêté. Le fait que K. H. n’ait pas signalé l’arrestation du requérant quand il a été entendu dans le cadre de sa propre demande d’asile à cause de leurs relations fait également douter de la véracité de cette allégation compte tenu de l’importance d’un tel détail.

4.8En ce qui concerne la peine de mort, à laquelle il avait a été condamné du fait de son homosexualité, le requérant avait dit lors de sa première entrevue n’avoir reçu aucun document portant inscrite la sentence. En avril 1994, il avait dit qu’un document avait été glissé sous la porte de sa cellule, attaché à un bout de ficelle. Il avait ensuite affirmé qu’on lui avait dit qu’il devait mourir parce qu’il était homosexuel. Enfin, en décembre 1994, il avait déclaré que le verdict de mort lui avait été lu au bureau des Monkerat.

4.9L’État partie relève que le récit qu’a fait le requérant de sa détention et de son évasion (il n’y avait pas de gardien le soir et il avait pu s’évader dans un camion à ordures sans être inquiété) est invraisemblable dans le cas d’un prisonnier condamné à mort.

4.10L’État partie considère que la jurisprudence du Comité en ce qui concerne la question des incohérences et des contradictions dans les récits des victimes de torture ne s’applique pas dans la présente affaire parce que les contradictions relevées dans le récit du requérant portent sur des éléments essentiels des persécutions dont il dit avoir été victime.

4.11En ce qui concerne les rapports médicaux joints par le requérant, l’État partie fait valoir qu’ils se heurtent au manque de crédibilité du requérant au sujet des motifs de sa demande d’asile. L’État partie considère donc qu’il n’est pas nécessaire de vérifier si les symptômes physiques allégués indiquent qu’il y a eu torture et s’il faut les prendre en considération pour évaluer la plainte; il estime en outre qu’il appartient au requérant de montrer qu’ils sont importants en présentant une plainte crédible. De plus les médecins font leurs observations uniquement dans le contexte limité des déclarations qu’ils entendent, de sorte que les causes de l’état de santé du requérant ne peuvent pas être établies objectivement.

4.12Enfin, l’État partie estime que le requérant n’a pas montré que, depuis son arrivée aux Pays‑Bas, les autorités iraniennes ont appris son orientation sexuelle et, se référant de nouveau aux rapports établis par son Ministère des affaires étrangères, qui indiquent que l’homosexualité demeure un tabou social en Iran, il fait valoir qu’il n’est pas vraisemblable que la famille de K. H. ait signalé aux autorités la cause de son décès. Le requérant n’a pas montré non plus qu’il risquait d’être incarcéré en Iran, et encore moins d’être torturé, du fait du meurtre de K. H. commis dans un autre pays.

Commentaires du conseil

5.1Dans sa réponse datée du 30 mai 2002, le conseil du requérant a fait parvenir ses commentaires aux observations de l’État partie.

5.2Pour ce qui est de l’absence de cas connus de poursuites engagées récemment exclusivement pour le chef d’inculpation d’homosexualité, le conseil souligne que cela ne veut pas dire qu’il n’y en ait pas et que l’on sait bien que les autorités iraniennes ne donnent pas volontiers de renseignements sur les poursuites pénales engagées dans le pays. De plus, d’après un rapport d’Amnesty International transmis à l’État partie le 7 novembre 2001, pour le seul mois de juillet 2001, 100 personnes ont été torturées en Iran, au moins 10 ont été pendues et 100 condamnations à mort ont été confirmées par la Cour suprême. Étant donné que les circonstances de ces affaires sont le plus souvent difficiles à établir, l’homosexualité peut très bien dans certains cas avoir été le motif.

5.3Le requérant relève la remarque de l’État partie qui a fait observer que les actes homosexuels sont souvent associés à d’autres chefs d’inculpation pénale. Il dit que c’est exactement ce qui va sans doute se produire dans son cas étant donné que le corps de son partenaire a été rapatrié en Iran. Les autorités iraniennes auront donc ainsi une raison d’ajouter le chef d’inculpation de meurtre à celui d’homosexualité. D’après le requérant, le meurtre qu’il a commis entraîne à lui seul un risque d’être torturé s’il est renvoyé en Iran et le fait qu’il ait déjà exécuté une peine aux Pays‑Bas n’entre pas en ligne de compte.

5.4Pour ce qui est des contradictions et des incohérences dont serait entaché son récit des faits, le requérant objecte que l’État partie a mal interprété ses propos, en particulier sur la question de sa détention du fait des activités politiques de son frère. Pendant la première entrevue avec les autorités néerlandaises, il avait signalé qu’il avait été arrêté une fois à cause de son homosexualité et plusieurs fois à cause des activités politiques de son frère. Ses déclarations ultérieures concernaient d’autres arrestations, distinctes. Le requérant relève enfin qu’il n’est pas en mesure de comparer ce qu’il a dit lors de ces entrevues avec ce que son frère a dit, car il a reçu le dossier de l’État partie.

5.5Pour ce qui est de l’objection de l’État partie pour qui il n’est pas vraisemblable qu’il ait été arrêté en août 1992 du fait de son homosexualité parce qu’il n’affichait pas son orientation sexuelle, le requérant réaffirme qu’il a été arrêté à la suite de plaintes de voisins qui l’avaient vu avec K. H. qui, lui, était ouvertement homosexuel. En outre, il estime qu’il n’y a rien d’inconcevable à ce que K. H. soit passé dans la clandestinité.

5.6Pour ce qui est du fait que K. H. n’ait pas signalé la détention du requérant quand il était entendu dans le cadre de sa propre demande d’asile, le requérant relève que K. H. n’a pas été interrogé expressément sur cette question et que les entrevues duraient peu de temps.

5.7Le requérant confirme qu’il n’a jamais reçu de jugement écrit portant le verdict de mort et qu’il n’en a été informé que quand un document relatif à la sentence a été glissé sous la porte de sa cellule puis retirée.

5.8Enfin, le requérant joint un autre rapport établi par une organisation du nom de «Stichting Centrum “45”» qui s’occupe des victimes de guerre et des demandeurs d’asile traumatisés, selon lequel son état s’aggrave et qu’il existe un risque sérieux de suicide. Contrairement à l’État partie le requérant estime que les certificats médicaux représentent un élément de preuve à l’appui de sa plainte. Il ajoute qu’il a déjà montré l’importance de ces rapports médicaux.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité note par ailleurs que l’État partie n’a pas émis d’objection à la recevabilité de la communication, même au sujet de l’épuisement des recours internes. Il déclare donc la communication recevable et procède sans plus attendre à son examen quant au fond.

7.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en République islamique d’Iran, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite, en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes ou systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans ses circonstances particulières.

7.2Dans la présente affaire, le Comité relève que les activités politiques du frère du requérant remontent à plus de 17 ans et qu’elles ne peuvent pas à elles seules représenter pour le requérant lui‑même un risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en Iran.

7.3Pour ce qui est des difficultés que le requérant rencontrerait du fait de son orientation sexuelle, le Comité relève un certain nombre de contradictions et d’incohérences dans le récit des violations subies dans le passé quand il se trouvait aux mains des autorités iraniennes, ainsi que le fait qu’une partie de son récit n’a pas été suffisamment étayée ou manque de vraisemblance.

7.4Le Comité note également que, d’après des sources différentes et dignes de foi, il n’y a pas de politique agissante de poursuites contre des homosexuels en Iran.

7.5À la lumière des arguments avancés par le requérant et par l’État partie, le Comité constate que le requérant ne lui a pas donné suffisamment d’éléments pour conclure qu’il court personnellement, aujourd’hui, un risque prévisible d’être torturé s’il est renvoyé dans son pays d’origine.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que le requérant n’a pas étayé l’allégation selon laquelle il serait soumis à la torture s’il était renvoyé en République islamique d’Iran et conclut donc que le renvoi du requérant vers ce pays ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

Communication n o 191/2001

Requête présentée par:S.S. (représenté par un conseil)

Au nom de:S.S.

État partie:Pays‑Bas

Date de la requête:20 septembre 2001 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 5 mai 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 191/2001 présentée par M. S.S. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte la décision ci-après en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

1.1Le requérant est M. S.S., ressortissant sri‑lankais appartenant au groupe de population tamoul, né le 27 novembre 1956 à Kayts (Jaffna) et qui se trouve actuellement aux Pays‑Bas où il est frappé d’une mesure d’expulsion vers Sri Lanka. Il affirme que son renvoi contre son gré à Sri Lanka constituerait une violation par les Pays‑Bas de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 23 octobre 2001, le Comité a transmis la requête à l’État partie en lui demandant de lui faire part de ses observations et, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, il l’a prié de ne pas expulser le requérant vers Sri Lanka tant que sa requête serait en cours d’examen. L’État partie a accédé à cette demande.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant a vécu dans la péninsule de Jaffna de 1989 à 1995; il était professeur de karaté et donnait aussi des leçons aux membres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Tout en étant sympathisant de ce mouvement, il refusait de dispenser son enseignement dans ses camps militaires. Quand l’armée sri‑lankaise a repris Jaffna, à la fin de 1995, le requérant a fui à Chavakachchery puis à Killinochi avec sa femme et ses enfants.

2.2Le 7 avril 1996, la mère du requérant est morte à Trincomalee, ville qui était contrôlée en partie par les LTTE et en partie par l’armée sri‑lankaise. Le requérant a voulu se rendre à Trincomalee pour rendre les derniers honneurs à sa mère mais les LTTE lui ont refusé un laissez‑passer parce qu’il n’avait personne pour se porter garant de luia. En juin 1996, en échange de leçons de karaté qu’il donnait gratuitement à des membres des LTTE, il a enfin réussi à obtenir l’autorisation de se rendre avec un guide à Mullaitivu – qui était toujours sous le contrôle des LTTE. Après être resté deux mois à Mullaitivu où il était hébergé chez un pêcheur, il a pris un bateau de pêche pour se rendre dans le district de Trincomalee. Pendant deux ou trois mois il s’est caché avec un Tamoul à Anbuvelipuram, dans le district de Trincomalee, puis il est allé chez sa sœur dans le centre de Trincomalee, en novembre 1996.

2.3Le 13 décembre 1996, deux jours après que les LTTE eurent bombardé un camp de l’armée sri‑lankaise, celle‑ci s’est emparée de Trincomalee et a arrêté un grand nombre de personnes, dont le requérant. Tous ceux qui avaient plus de 12 ans ont été contraints de s’aligner devant un temple et un homme masqué a désigné plusieurs hommes parmi lesquels se trouvait le requérant. Celui‑ci a été conduit à Trincomalee dans un camp militaire où il est resté en détention pendant environ deux mois. Il était enfermé avec quatre autres hommes dans une cellule étroite à peine éclairée; le sol était en béton et il n’y avait aucun meuble. On lui donnait une ration journalière d’une nourriture de mauvaise qualité. Comme il n’y avait pas de tinette, les prisonniers se soulageaient dans les coins de la cellule et les excréments étaient enlevés de temps en temps. D’après le récit du requérant, les soldats entraient régulièrement dans la cellule, surtout quand il y avait eu des attaques armées des LTTE, pour brutaliser les prisonniers, leur donnant des coups de pied et les rouant de coups, parfois en même temps qu’ils leur posaient des questions. Le requérant affirme qu’on lui a demandé s’il était professeur de karaté et il avait dit non. Les prisonniers de cette cellule étaient souvent laissés complètement nus ou seulement en sous‑vêtements. Fréquemment, les soldats les aspergeaient d’eau avant de commencer à les frapper. Les coups étaient portés avec le plat de la main, avec le poing, avec la crosse d’un fusil, avec une matraque en caoutchouc. Une fois, on lui a donné des coups de canne sur la plante des pieds, ce qui lui a causé des douleurs extrêmes aux pieds pendant plusieurs jours. Une autre fois, on l’a obligé à se tenir face contre un placard, les mains en l’air, et on lui a donné des coups de matraque en caoutchouc sur le dos; il lui en était resté des douleurs chroniques dans le dos, qui persisteraient encore à ce jour. Il a aussi reçu un coup de poing sur l’œil qui lui a causé une blessure à l’arcade sourcilière. Les soldats l’ont également frappé sur les organes génitaux et sur les reins, à la suite de quoi il a eu un testicule enflé et du sang dans les urines. De plus, d’après son récit, il a été brûlé avec un bâton incandescent au bras gauche et il en gardait des cicatrices. Le gros orteil de son pied droit a subi une grave lésion quand les tortionnaires lui ont piétiné le pied avec leurs bottes. Quand les soldats l’ont frappé à la main droite avec un tesson de bouteille en lui demandant s’il n’était pas professeur de karaté, il a perdu connaissanceb.

2.4Le requérant s’est réveillé à l’hôpital du camp militaire, où il est resté quelques jours jusqu’à ce qu’un homme qu’il ne connaissait pas, un musulman du nom de Nuhuman, réussisse à organiser son évasion. Le requérant soupçonne que sa sœur avait donné de l’argent à Nuhuman et que celui‑ci avait «acheté» les gardiens qui étaient postés devant sa chambre d’hôpital. Il ajoute qu’avec Nuhuman, il a réussi à quitter l’hôpital et le camp militaire sans la moindre difficulté.

2.5Nuhuman a conduit le requérant en voiture à Colombo, d’où ce dernier a quitté Sri Lanka par avion le 14 février 1997, sous le nom de Mohamed Alee, à l’aide d’un faux passeport sri‑lankais. Il s’est d’abord rendu à Doubaï, puis en Ukraine où il est resté cinq mois. Le 1er août 1997, un «agent de voyages» russe l’a conduit en camion jusqu’à un endroit inconnu, où il a traversé une rivière avec cinq autres Tamouls. Il a été conduit jusqu’à une ville de Pologne inconnue de lui où il a pris un train pour Berlin. Le 14 août 1997, le guide russe a emmené le requérant jusqu’aux Pays‑Bas, où il a déposé une demande d’asile et de permis de séjour le 15 août 1997. Le même jour il a eu un premier entretien avec un fonctionnaire du Département néerlandais de l’immigration et des naturalisations qui l’a interrogé sur son identité et sa nationalité, son état civil, sa famille, ses documents de voyage et autres papiers, la date à laquelle il avait quitté son pays d’origine et les modalités de son départ ainsi que l’itinéraire qu’il avait suivi jusqu’aux Pays‑Bas.

2.6Par une lettre datée du 16 février 1998, le requérant a adressé une réclamation au Département de l’immigration parce que celui‑ci ne s’était pas prononcé sur sa demande d’asile dans le délai légal de six mois ce qui, dans la pratique, équivalait à un rejet de la demande. Le 7 avril 1998, il a formé un recours auprès du tribunal de district de Zwolle parce que le même Département n’avait pas pris de décision dans les délais sur la réclamation en question. Le requérant a retiré ce recours le 4 juin 1998 car le Département s’était engagé à prendre une décision rapidement mais il l’a réintroduit par une lettre datée du 28 août 1998 parce que cet engagement n’avait pas été tenu. Par une décision en date du 18 novembre 1998, le tribunal de district a ordonné au Département de l’immigration et des naturalisations de se prononcer dans un délai de six semaines.

2.7Le 6 octobre 1998, le requérant a été convoqué pour un deuxième entretien, lors duquel il a bénéficié de l’assistance d’un interprète. Pendant l’entretien, qui a duré trois heures, le requérant a répété ce qu’il avait dit la première fois: sa femme était enceinte de trois mois quand il l’avait quittée en juin 1996, il ne l’avait jamais revue depuis son départ de Killinochi et il était resté caché pendant les deux mois de son séjour à Mullaitivu. Pour ce qui était de sa situation de famille, le requérant a déclaré que son père avait péri dans un bombardement de l’armée sri‑lankaise et que l’une de ses filles était morte d’un accès de fièvre parce qu’elle n’avait pas pu être transportée à l’hôpital assez rapidement, à cause du couvre‑feu. Dans une lettre du 1er décembre 1998, l’ancien avocat du requérant a élevé des objections au sujet de la façon dont s’était déroulé le deuxième entretien. Il joignait également les lettres que la femme du requérant avait envoyées à ce dernier, indiquant qu’elle avait accouché le 21 mai 1997.

2.8Le 11 février 1999, le requérant a été entendu par une commission du Département de l’immigration et des naturalisations. L’entretien a porté surtout sur la contradiction qui avait été relevée dans les déclarations du requérant, celui‑ci ayant dit que sa femme était enceinte de trois mois quand il l’avait quittée en juin 1996, alors qu’elle avait accouché le 21 mai 1997. Au terme de l’audition, l’ancien avocat du requérant a dit à la commission qu’il allait élucider l’affaire. Par une lettre datée du 26 février, l’avocat a fait savoir au Département que le requérant maintenait toujours que sa femme était enceinte de trois mois en juin 1996. D’autre part, pendant son séjour à Mullaitivu, il ne se cachait pas au sens strict du terme et sa femme lui rendait visite de temps en temps. Elle avait fait une fausse couche, chose dont on ne parle pas facilement dans la culture hindoue, d’autant que selon la religion hindoue la naissance de l’enfant qui avait été perdu aurait représenté la renaissance de la mère décédée du requérant. D’ailleurs, ce dernier n’avait pas parlé, même à son frère le plus proche de la perte de cet enfant qu’en février 1999.

2.9Le 15 mars 1999 et le 22 avril 1999, le Département de l’immigration et des naturalisations a demandé au service d’évaluation médicale de déterminer si le requérant avait besoin d’un traitement médical et s’il était en assez bonne santé pour voyager. Le 20 mai 1999, le Département a rejeté la réclamation dont il avait été saisi pour n’avoir pas pris de décision dans les délais sur la demande de statut de réfugié du requérant. Celui‑ci a été informé en même temps que la mesure d’expulsion ne serait pas exécutée tant que le service d’évaluation médicale n’aurait pas rendu son avis. Le Département fondait sa décision sur les motifs ci‑après: a) le fait que le requérant soit tamoul n’était pas en soi un élément suffisant pour qu’il obtienne l’asile; b) les contradictions relevées dans les déclarations du requérant à propos des grossesses de sa femme et de sa situation de clandestin à Mullaitivu; c) le récit peu plausible qu’il avait fait de son évasion de l’hôpital militaire eu égard au fait que, d’après ses propres dires, il était un prisonnier relativement important et d) l’absence de motif humanitaire justifiant l’octroi d’un permis de séjour. Le Département concluait que le requérant ne serait pas exposé au risque de torture s’il était renvoyé à Sri Lanka et qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer la politique relative aux troubles post‑traumatiques comme motif d’admission, étant donné que ses allégations de torture n’étaient pas crédibles. La décision du Département était accompagnée de conseils sur les recours disponibles, le requérant étant informé que son expulsion serait suspendue s’il formait un recours devant un tribunal.

2.10Le 16 juin 1999, le requérant a formé un recours auprès du tribunal de district de Zwolle contre la décision susmentionnée du Département, en avançant les arguments ci‑après: a) le Département de l’immigration n’était pas fondé à rejeter l’explication qu’il avait donnée au sujet des grossesses de sa femme; b) sa description détaillée des faits ainsi que les cicatrices visibles qu’il portait sur le corps démentaient la conclusion du Département selon laquelle ses allégations de torture n’étaient pas crédibles; c) donner des pots‑de‑vin à des soldats était une pratique générale à Sri Lanka et donc une explication plausible pour son évasion de l’hôpital militaire; d) le Département n’avait tenu aucun compte des déclarations faites par son frère 12 ans plus tôt quand lui‑même avait déposé une demande d’asile aux Pays‑Bas, qui confirmaient que le requérant avait toujours eu des problèmes parce qu’il était professeur de karaté et e) les tortures qu’il avait subies étaient assez traumatisantes pour que la politique concernant les troubles post‑traumatiques lui soit appliquée.

2.11Le service d’évaluation médicale a rendu son avis le 14 décembre 1999, déclarant que, au moment où l’avis était émis, le requérant souffrait notamment de douleurs lombaires et de problèmes visuels, qu’il ne suivait plus de traitement médical particulier, qu’il était en état de voyager et qu’il n’y avait pas lieu de craindre une quelconque urgence médicale.

2.12Par une lettre du 8 novembre 2000, le Département de l’immigration et des naturalisations a informé le requérant que la suspension de la mesure d’expulsion allait être levée. Par une lettre datée du 15 novembre 2000, l’avocat du requérant a déposé au tribunal de district de La Haye une demande d’injonction interlocutoire.

2.13À la demande de l’avocat du requérant, le groupe des examens médicaux de la section néerlandaise d’Amnesty International a rendu un rapport, en date du 12 juin 2001, attestant que le requérant portait plusieurs cicatrices sur le corps et ne pouvait pas allonger complètement l’index. Les cicatrices sur le corps, en particulier les marques de brûlures sur le bras gauche, une blessure à l’orteil et une tache brune sur la peau près de l’œil, semblaient confirmer les allégations de torture, et le problème au doigt pouvait avoir été causé par les coups qui auraient été portés au requérant avec un tesson de bouteille. D’autre part, d’après le rapport d’Amnesty International, aucune lésion anatomique ne pouvait être diagnostiquée dans le dos mais cela n’excluait pas qu’il ait pu y avoir un lien entre les douleurs dorsales chroniques dont souffrait le requérant et les coups qu’il aurait subis. En outre, d’après le rapport les symptômes psychiques présentés par le requérant, comme la souffrance permanente liée à ce qu’il avait vécu, son hypersensibilité et son anxiété excessive, ses difficultés de concentration et ses insomnies, étaient des signes typiques de troubles post‑traumatiques.

2.14Le 2 juillet 2001, le tribunal de district de La Haye, a rejeté le recours formé contre la décision du Département de l’immigration et des naturalisations du 20 mai 1999 comme non fondé et a déclaré irrecevable la demande de mesures provisoires. Le tribunal a considéré que les allégations du requérant n’étaient pas crédibles du fait des contradictions concernant les grossesses de sa femme et parce qu’il n’avait pas dit la vérité sur la question de savoir s’il était dans la clandestinité pendant son séjour à Mullaitivu. Le tribunal a également considéré qu’il n’y avait pas de motif justifiant d’appliquer la politique concernant les troubles post‑traumatiques, et que le fait que le Département de l’immigration et des naturalisations eût rendu sa décision sans attendre l’avis du service d’évaluation médicale n’avait causé au requérant aucun préjudice. Le tribunal a également considéré que le requérant ne faisait pas partie d’une catégorie de personnes risquant d’être soumises à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en cas de renvoi à Sri Lanka.

Commentaires du conseil

3.1Le conseil fait valoir que les conclusions du tribunal de district n’excluent pas la possibilité que le requérant coure un risque sérieux d’être soumis à la torture ou à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était renvoyé à Sri Lanka, et que par conséquent les Pays‑Bas commettraient ce faisant une violation de l’article 3 de la Convention.

3.2Pour ce qui est de la crédibilité du requérant, le conseil fait valoir que l’essentiel de ses déclarations a trait à l’époque où il était détenu au camp militaire de Trincomalee et non à la question de savoir quand sa femme était enceinte ou quand elle a accouché.

3.3Le conseil s’élève contre les conditions dans lesquelles s’est déroulé le deuxième entretien avec le Département de l’immigration et des naturalisations et la façon dont le requérant s’est vu opposer les contradictions de ses déclarations concernant les grossesses de sa femme et sa situation à Mullaitivu.

3.4Le conseil dit que le Département n’aurait pas dû examiner seulement le rapport du service d’évaluation médicale mais aussi le rapport du groupe des examens médicaux d’Amnesty International qui, d’après lui, corrobore les allégations du requérant et confirme qu’il a subi un traumatisme. Le conseil fait valoir que le doute devrait bénéficier au requérant, étant donné qu’il n’existe guère de preuves sûres à 100 % dans les affaires de demande d’asile.

3.5D’après le conseil, le requérant ne peut pas être renvoyé dans la région de Sri Lanka contrôlée par les Tigres de libération parce que la situation y est globalement dangereuse en raison des opérations militaires aussi bien des LTTE que de l’armée sri‑lankaise et parce que le requérant peut craindre des sanctions pour avoir quitté cette région sans l’autorisation des LTTE. De même, de l’avis du conseil, le requérant ne peut pas être renvoyé dans le sud de Sri Lanka, où il risquerait d’être soumis à la torture pour les raisons suivantes: a) son passé de professeur de karaté connu susciterait des soupçons quant à ses liens avec les Tigres de libération; b) les cicatrices qu’il porte sur le corps peuvent donner à penser qu’il a participé à la lutte armée des Tigres ou du moins qu’il a reçu d’eux un entraînement; c) son origine tamoule, le fait qu’il ne parle pas le cingalais et le fait qu’il n’ait pas de papiers d’identité ni de raison valable de vouloir s’installer dans le sud augmentent le risque qu’il court d’être arrêté, et ultérieurement torturé par la police sri‑lankaisec.

3.6Le conseil conclut que s’il revenait à Sri Lanka, le requérant serait exposé à un risque sérieux d’être arrêté et placé en garde à vue pendant une période plus longue que la durée ordinaire de 48 à 72 heures pendant laquelle les Tamouls sont souvent retenus à la suite de contrôles d’identité. Le risque d’être soumis à la torture pendant une période de détention aussi prolongée est généralement élevé.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

4.1Le 22 avril 2002, l’État partie a fait parvenir ses observations au fond sur la requête, dont il ne conteste pas la recevabilité.

4.2L’État partie indique qu’en raison de la forte densité démographique des Pays‑Bas, les motifs d’admission de demandeurs d’asile sur le territoire néerlandais sont limités à trois: a) statut de réfugié au sens de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés; b) préservation des intérêts essentiels du pays; c) raisons impérieuses d’ordre humanitaire. Le statut de réfugié [point a)] suppose qu’il y ait des raisons fondées de craindre des persécutions du fait de convictions religieuses, idéologiques ou politiques ou de la nationalité ou du fait de l’appartenance à une race ou à un groupe social particulier. Pour déterminer si un individu est un réfugié, les autorités néerlandaises apprécient également si le renvoi dans le pays d’origine serait incompatible avec les obligations incombant aux Pays‑Bas en vertu de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et en vertu de l’article 3 de la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Les demandes d’asile sont traitées par le Département de l’immigration et des naturalisations qui relève du Ministère de la justice. Après un premier entretien avec le requérant, puis un deuxième, le fonctionnaire du Département qui a mené le deuxième entretien établit un rapport, sur lequel le requérant peut présenter des observations. Il est de règle qu’un défaut de décision de la part du Département dans les six mois équivaut à un rejet de la demande, qui peut être contesté par le requérant. Si le requérant invoque des motifs médicaux pour justifier sa demande d’asile, un avis, ayant légalement valeur d’une expertise, peut être demandé au service d’évaluation médicale du Ministère de la justice. En attendant que le Service ait rendu son avis, la mesure d’expulsion, si elle a été ordonnée, peut être suspendue.

4.3En ce qui concerne la situation des droits de l’homme à Sri Lanka, l’État partie cite trois décisions du tribunal de district de La Haye et les rapports sur le pays pour les années 1996 à 2001 établis par le Ministère néerlandais des affaires étrangères, d’où il ressort que le renvoi de Tamouls déboutés de leur demande d’asile dans les zones de l’ouest, du centre et du sud de Sri Lanka contrôlées par le Gouvernement − où on peut s’installer sans avoir à s’inscrire auprès de la police ou d’une autre autorité − demeure une option raisonnable. Toutefois, dans le rapport pour 2000, il est précisé que dans ces régions, les Tamouls sont souvent arrêtés et placés en garde à vue pendant une période allant jusqu’à 72 heures dans le cadre de contrôles d’identité. À Colombo, les Tamouls sont en outre de temps en temps victimes de harcèlement de la part de la population cingalaise et sont parfois torturés par la police quand ils sont soupçonnés d’avoir des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Les rapports recensent aussi plusieurs facteurs de risque contribuant soit a) au risque général d’être arrêté et détenu pendant 48 à 72 heures à la suite d’un contrôle d’identité soit b) au risque aggravé de rester détenu plus longtemps, auquel cas le risque de torture augmente de façon notable. Les facteurs de risque de la catégorie a) sont i) la jeunesse, ii) une mauvaise connaissance du cingalais, et iii) l’origine tamoule. Les facteurs de risque de la catégorie b) sont i) l’arrivée récente à Colombo en provenance d’une des zones de conflit du pays, ii) le fait de ne pas être en possession de papiers d’identité valables, iii) une fiche dans les dossiers de police indiquant que l’intéressé pourrait être impliqué dans les activités des Tigres de libération ou avoir des connaissances sur ces activités, et iv) des cicatrices sur le corps d’une personne soupçonnée d’avoir des liens avec les Tigres de libération. Dans le cas où la participation aux activités des LTTE est dûment établie, l’intéressé peut être détenu jusqu’à 18 mois en vertu de la loi sur les mesures d’exception ou de la loi sur la prévention du terrorisme.

4.4En ce qui concerne l’argument du requérant relatif à la violation de l’article 3 de la Convention, l’État partie fait valoir que même s’il existait à Sri Lanka un ensemble de violations systématiques et graves des droits de l’homme, cela ne constituerait pas en soi un motif suffisant pour dire qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture si elle était renvoyée dans ce pays. Selon la jurisprudence du Comitéd, il doit exister des motifs précis de penser que l’intéressé serait personnellement exposé au risque de torture. L’État partie renvoie également à la jurisprudence du Comité selon laquelle l’expression «motifs sérieux» utilisée à l’article 3 implique davantage qu’une simple possibilité de torturee.

4.5De l’avis de l’État partie, le requérant ne court pas personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture s’il est renvoyé à Sri Lanka. Le simple fait qu’il est Tamoul ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure à l’existence d’un tel risque. De plus, l’État partie soutient que les déclarations du requérant ne sont pas crédibles, comme il ressort de la contradiction concernant les grossesses de sa femme et les circonstances de son séjour à Mullaitivu. Cette explication diffère sur des points essentiels de ses déclarations précédentes. Pour l’État partie, on ne saurait expliquer cette divergence en mettant simplement en cause la qualité de la traduction des déclarations du requérant. Même si sa culture empêchait celui‑ci de parler de la fausse couche de sa femme, il n’avait nul besoin de faire des déclarations inexactes à propos de son séjour à Mullaitivu. L’État partie estime que la crédibilité du requérant est également sujette à caution en raison du récit qu’il a fait de son évasion du camp militaire de Trincomalee. Il est peu plausible qu’il ait pu s’évader du camp sans la moindre difficulté sous les yeux des soldats sri‑lankais.

4.6L’État partie ajoute que le requérant n’a pas démontré de façon convaincante que les autorités sri‑lankaises le traiteraient en suspect. L’affirmation selon laquelle il rencontrerait des problèmes avec les autorités n’est qu’une simple spéculation qui n’est pas étayée par des faits objectifs, le seul élément à l’appui étant les lettres de sa famille et de ses amis. En ce qui concerne les sanctions que le requérant aurait à craindre de la part des Tigres de libération s’il était envoyé dans la partie de Sri Lanka contrôlée par ce groupe, l’État partie fait valoir que ces sanctions ne relèvent pas de la définition de la torture telle qu’elle est donnée à l’article premier de la Convention et n’entrent donc pas dans le champ d’application de l’article 3. Étant donné que, selon l’article premier, «le terme “torture” désigne tout acte […] [infligé] par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite», les actes de groupes non étatiques, comme les Tigres de libération, ne sauraient être considérés comme des actes de torture aux fins de la Conventionf.

4.7En ce qui concerne le rapport du groupe médical d’Amnesty International, il confirme simplement, selon l’État partie, que les symptômes que présente le requérant correspondent en partie à ses allégations; il n’en découle pas que le requérant a établi de façon convaincante que ces symptômes ainsi que les cicatrices qu’il porte sur le corps sont le résultat de tortures.

4.8En conclusion, l’État partie affirme qu’eu égard à la situation générale à Sri Lanka et à la situation personnelle du requérant, il n’existe pas de motifs sérieux de croire que le requérant courrait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. En conséquence, son expulsion ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant sur la réponse de l’État partie

5.1Le conseil affirme que le requérant n’a pas pu contester sur le fond la décision du Département de l’immigration et des naturalisations du 20 mai 1999 parce qu’il avait déjà objecté au fait que ce département ne s’était pas prononcé dans les délais sur sa demande d’asile; il n’a donc pas eu la possibilité de répondre sur le fond pour défendre son dossier avant de saisir un tribunal.

5.2En ce qui concerne les preuves d’ordre médical, le conseil critique le fait que le service d’évaluation médicale ait limité son avis à la question de savoir si l’état de santé du requérant justifiait son admission au statut de réfugié, sans examiner si les symptômes dont il se plaignait ainsi que les cicatrices qu’il portait corroboraient ses allégations de torture. Il ajoute que l’État partie n’a pas accordé le crédit voulu au rapport du groupe des examens médicaux d’Amnesty International et souligne que cette organisation ne produit de tels rapports que dans un petit nombre de cas crédibles.

5.3En ce qui concerne la situation générale à Sri Lanka, le conseil regrette que l’État partie ait essentiellement fondé son appréciation sur les rapports du Ministère des affaires étrangères, sans tenir compte d’autres sources pertinentes.

5.4En ce qui concerne la contestation de la crédibilité du requérant par l’État partie, le conseil nie que ses déclarations aient été incohérentes. En disant que le requérant avait qualifié la traduction de l’entretien de «mauvaise», l’État partie simplifiait son argumentation. Ce que le requérant avait souligné, c’est qu’il y avait différentes façons de traduire en néerlandais le mot équivalant à «se cacher» et que chacune de ces traductions avait un sens différent.

5.5Le conseil estime qu’on ne peut pas raisonnablement attendre du requérant qu’il prouve dans le détail comment sa libération de l’hôpital militaire de Trincomalee a pu avoir lieu.

5.6En ce qui concerne le risque que le requérant court personnellement d’être torturé s’il est renvoyé à Sri Lanka, le conseil affirme que sa notoriété en tant que professeur de karaté accroît ce risque. À ce sujet, le conseil reproche à l’État partie de ne pas avoir pris en considération les déclarations concernant l’expérience de professeur de karaté du requérant que le frère de celui‑ci avait faites quand il avait déposé sa propre demande d’asile aux Pays‑Bas. D’après ces déclarations, le requérant avait quitté Sri Lanka en 1984 pour s’installer au Qatar (où il est resté jusqu’en 1987) parce qu’il était soupçonné d’avoir assuré la formation des militants des Tigres de libération. De plus, le conseil soutient que le fait que le requérant ait été torturé dans le passé, joint au risque général que courent les personnes soupçonnées d’appartenir aux Tigres de libération d’être torturées, montre que, pour le requérant, le risque d’être arrêté et torturé s’il est renvoyé à Sri Lanka est élevé. Ce risque est encore aggravé parce qu’il est probable que le nom du requérant figure dans la base de données du Bureau national du renseignement depuis qu’il a été arrêté à Trincomalee en 1996. Le conseil considère comme vraisemblable qu’à l’occasion d’une vérification de routine des demandeurs d’asile tamouls déboutés, les autorités sri‑lankaises s’aperçoivent que le requérant a été arrêté et placé en détention dans le camp militaire et apprennent aussi qu’il avait travaillé comme professeur de karaté à Jaffna. De plus, les cicatrices qu’il a sur le corps le feraient soupçonner d’avoir participé à la lutte armée des Tigres de libération. Le conseil conclut que tous ces éléments conjugués font que le requérant court personnellement un risque élevé d’être soumis à la torture, allant au‑delà d’une «simple possibilité».

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner les demandes formulées dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si celle‑ci est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen dans une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note aussi que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication. Ne voyant pas d’autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et passe donc immédiatement à son examen sur le fond.

6.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant à Sri Lanka, l’État partie manquerait à l’obligation que lui fait le paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État s’il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’y être soumise à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence, dans l’État concerné, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le but, cependant, est de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence dans un pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que la personne concernée risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit être produit des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un tel ensemble de violations systématiques et graves des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui lui sont propres.

6.3En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka, le Comité rappelle que, dans les conclusions et recommandations qu’il a formulées à l’issue de l’examen du rapport initial de Sri Lanka, il s’était déclaré gravement préoccupé par des «renseignements faisant état de violations graves de la Convention, en particulier d’actes systématiques de torture associés à des disparitionsg». Le Comité relève également dans des rapports récents sur la situation des droits de l’homme à Sri Lankah que, bien que des efforts aient été déployés pour éliminer la torture, des cas de torture continuent d’être rapportés et il est fréquent aussi que les plaintes pour torture ne soient pas traitées efficacement par la police, les magistrats et les médecins. Cela dit, le Comité note aussi le processus de paix en cours à Sri Lanka qui a conduit à la conclusion d’un accord de cessez‑le‑feu entre le Gouvernement et les LTTE en février 2002 et les négociations qui ont eu lieu depuis lors entre les deux parties − encore qu’elles soient actuellement interrompues. Le Comité rappelle en outre que, sur la base des résultats de son enquête sur Sri Lanka au titre de l’article 20 de la Convention, il a conclu que la pratique de la torture n’était pas systématique dans l’État partiei. Le Comité note enfin qu’un grand nombre de réfugiés tamouls sont rentrés à Sri Lanka en 2001 et 2002.

6.4En ce qui concerne l’argument du requérant concernant le risque qu’il courrait d’être torturé par les LTTE qu’il courrait parce qu’il avait quitté la zone de Sri Lanka sous leur contrôle sans avoir eu d’autorisation expresse et sans avoir désigné de garant, le Comité rappelle que l’obligation qui est faite à l’État partie de ne pas renvoyer une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture est directement liée à la définition de la torture qui est donnée à l’article premier de la Convention. Aux fins de la Convention, selon l’article premier, «le terme “torture” désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite». Le Comité note que la question de savoir si l’État partie a l’obligation de ne pas expulser une personne qui risquerait de se voir infliger des souffrances ou des douleurs par une entité non gouvernementale sans le consentement exprès ou tacite du Gouvernement n’entre pas dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention, à moins que l’entité non gouvernementale occupe le territoire vers lequel le requérant serait renvoyé et exerce une autorité quasi gouvernementale sur ce territoirej. Comme le requérant peut être renvoyé dans un territoire autre que celui qui est contrôlé par les LTTE, la question sur laquelle il fonde une partie de sa plainte, à savoir le fait qu’il subirait des sanctions de la part des LTTE à son retour à Sri Lanka, ne saurait être examinée par le Comité.

6.5En ce qui concerne le risque que des agents de l’État soumettent le requérant à la torture s’il est renvoyé à Sri Lanka, le Comité a pris note des arguments que le requérant a avancés à cet égard, à savoir que le risque personnel est élevé en raison de ses activités passées de professeur de karaté, qu’il a déjà été gravement brutalisé par des soldats de l’armée sri‑lankaise et qu’il porte sur le corps des cicatrices que les autorités imputeraient probablement à son combat pour les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Il a également noté que, d’après le requérant, le fait que le Département néerlandais de l’immigration et des naturalisations ne s’est pas prononcé sur sa demande de statut de réfugié dans les délais prescrits l’a empêché de contester au fond la décision finale du Département en date du 20 mai 1999. Le Comité a noté de plus que le Département de l’immigration a pris cette décision avant que le service d’évaluation médicale n’ait rendu son avis sur l’état de santé du requérant. Le Comité a noté d’autre part que l’État partie avait appelé l’attention sur un certain nombre d’incohérences et de contradictions dans le récit du requérant, qui jetteraient un doute sur la crédibilité de celui‑ci et sur la véracité de ses allégations.

6.6Le Comité relève que les éléments de preuve d’ordre médical soumis par le requérant confirment l’existence de symptômes physiques et psychologiques qui pourraient être attribués aux mauvais traitements que l’armée sri‑lankaise lui aurait infligés. Il remarque toutefois que, même si les affirmations du requérant selon lesquelles il a subi de graves tortures pendant sa détention dans le camp militaire de Trincomalee en 1996 étaient suffisamment étayées, il ne s’agit pas de faits récents.

6.7De l’avis du Comité, le requérant n’a pas démontré qu’il existait des circonstances − autres que le fait qu’il a été professeur de karaté à Jaffna jusqu’en 1996 et qu’il porte des cicatrices − qui sembleraient l’exposer particulièrement au risque d’être torturé s’il était renvoyé à Sri Lanka. D’autre part, le Comité note à nouveau que l’évolution positive des pourparlers de paix entre le Gouvernement sri‑lankais et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul et la mise en œuvre du processus de paix en cours donnent à penser qu’une personne se trouvant dans la situation du requérant ne courrait pas un tel risque à son retour à Sri Lanka. En conséquence, le Comité conclut que le requérant n’a pas produit d’éléments suffisants pour établir qu’il courrait, personnellement et actuellement, le risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

7.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication n o 192/2001

Présentée par:H.B.H., T.N.T., H.J.H., H.O.H., H.R.H. et H.G.H. (représentés par un conseil)

Au nom de:Les requérants

État partie:Suisse

Date de la requête:15 octobre 2001

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 29 avril 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 192/2001, présentée par H.B.H., T.N.T. H.J.H., H.O.H., H.R.H. et H.G.H. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte la décision ci‑après au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention,

1.1Les requérants − M. H.B.H., son épouse, Mme T.N.T., et leurs enfants H.J.H., H.O.H., H.R.H. et H.G.H. – sont des ressortissants syriens d’origine kurde. Actuellement, ils se trouvent en Suisse, où ils avaient déposé une demande d’asile. Cette demande a été rejetée et les requérants soutiennent que leur renvoi en République arabe syrienne constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention. Ils ont demandé au Comité de bénéficier de mesures d’urgence, étant donné qu’au moment du dépôt de leur requête, ils risquaient une expulsion imminente. Ils sont représentés par un conseil.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l’attention de l’État partie le 20 novembre 2001. Dans le même temps, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas expulser les requérants vers la Syrie tant que leur requête serait en cours d’examen.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1M. H affirme avoir été arrêté au cours de son service militaire obligatoire, en raison de son refus d’adhérer au parti Baath au pouvoir. Il prétend avoir été détenu à la prison de Tadmur du 1er novembre 1987 au 31 mars 1988 et avoir été maltraité.

2.2Il déclare également être un fervent sympathisant du parti Yekiti depuis 1992, dont il est devenu membre en 1995. Dans ce contexte, il explique avoir distribué des tracts, des journaux et participé aux assemblées du parti. Il affirme avoir été accusé, le 5 novembre 1996, par le Service de sécurité politique syrien de distribution de tracts prohibés et placé en détention, avant d’être remis en liberté faute de preuves le 20 novembre 1996.

2.3Le 18 juillet 1998, une réunion comptant 45 à 50 personnes, parmi lesquelles de hauts dirigeants du parti Yekiti, s’est tenue à son domicile à Kamischli durant laquelle il a sévèrement critiqué la politique du Gouvernement. À la suite de la réunion, sur le conseil de l’organisateur, le requérant s’est réfugié chez sa sœur par crainte que les autorités soient informées des remarques qu’il avait faites. D’ailleurs, peu après la réunion, des membres du Service de sécurité syrien se sont rendus à son domicile et l’ont cherché. Dans les jours suivants, il a entendu dire que les forces de sécurité auraient tenté, à plusieurs reprises, de l’arrêter. Il s’est d’abord caché chez sa sœur à Kamischli, puis chez son oncle domicilié à proximité de la frontière turque. Il a retrouvé chez lui sa famille qui avait entre-temps également fui Kamischli. Les requérants affirment avoir quitté ensemble la Syrie, début août 1998, et traversé la Turquie pour se rendre en Suisse.

2.4M. H. affirme être resté en contact, après sa fuite, avec les organisations exilées de son parti en Europe. Il déclare, en outre, avoir participé à une manifestation contre le régime syrien au printemps 2000, à Genève.

2.5Les requérants ont déposé une demande d’asile en Suisse le 17 août 1998, laquelle fut rejetée le 21 janvier 1999. Appelée à statuer sur le recours déposé par les requérants le 20 février 2001, la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA) a confirmé la décision initiale de rejet le 11 avril 2001. Par lettre du 23 avril 2001, un délai de départ a été imparti aux requérants, au 23 juillet 2001.

2.6S’appuyant sur un nouveau document destiné à prouver le bien-fondé de la persécution invoquée − à savoir une lettre interne de la Division de la sécurité politique d’Al Hassaka, datée du 21 août 1998, adressée à la Division de la sécurité politique de Kamischli afin de procéder à l’arrestation de M. H. pour propagande politique interdite en faveur de la cause kurde −, le requérant a déposé le 21 juin 2001, auprès de la CRA, une demande de révision du jugement du 11 avril 2001. Par décision incidente du 28 juin 2001, la CRA a rejeté la demande d’accorder l’effet suspensif à la demande de révision et de surseoir à l’exécution du renvoi.

2.7Par courrier du 27 août 2001, la copie d’un jugement du 20 mai 1999 du tribunal d’Al Hassaka condamnant M. H. à trois ans de prison ferme en raison de son appartenance à une organisation interdite a été remise à la CRA. Celle-ci n’a pas jugé opportun de revenir sur sa décision incidente.

2.8Le 31 août 2001, a été également adressé à la CRA un rapport d’Amnesty International, Section suisse, Berne, du 3 juillet 2001, concluant que les requérants seraient très probablement incarcérés, interrogés sous la torture et feraient l’objet d’une détention arbitraire s’ils retournaient en Syrie. La CRA n’a pas modifié sa décision initiale.

2.9Par courrier du 18 septembre 2001, une autre confirmation du danger couru par les requérants − à savoir une lettre de soutien de la «Western Kurdistan Association» − a été transmise à la CRA. Par lettre du 19 septembre 2001, la CRA a réitéré son refus d’accorder l’effet suspensif à la demande de révision et d’ordonner de surseoir à l’exécution du renvoi.

2.10Les requérants déclarent avoir épuisé les voies de recours internes. Ils précisent que, bien que la demande de révision n’ait pas encore fait l’objet d’un jugement sur le fond, la décision de renvoi est exécutoire depuis le 23 juillet 2001.

Teneur de la plainte

3.1Les requérants affirment qu’ils risquent réellement d’être soumis à la torture s’ils sont expulsés vers la Syrie.

3.2Afin de justifier cette crainte, ils rappellent leur différentes soumissions auprès des instances suisses, en particulier le fait que le rapport d’Amnesty International n’a, selon eux, pas été ou a insuffisamment apprécié à sa juste valeur, ainsi que la copie du jugement du tribunal syrien qui n’a pas été accepté comme moyen de preuve par les autorités. Ils font valoir qu’ayant quitté leur pays depuis trois ans, ils devraient très probablement, s’ils y retournaient, justifier leur séjour à l’étranger. Ils seraient, pour cette raison, soumis à un interrogatoire intensif par l’autorité autorisant les départs et délivrant les passeports. Ils risqueraient ensuite d’être arrêtés par l’un des services secrets syriens, du fait qu’ils sont kurdes et très proches du parti Yekiti. D’après les requérants, ceci n’a pu échapper aux autorités syriennes, d’autant plus qu’ils ont participé à une manifestation à Genève. Par conséquent, les requérants estiment que tout porte à croire qu’ils seraient interrogés sous la torture au sujet de leurs relations et de leurs contacts à l’étranger ainsi que de leurs activités.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

4.1Par lettre du 10 janvier 2002, l’État partie a déclaré qu’il ne contestait pas la recevabilité de la requête. Il a précisé que les requérants avaient introduit, le 25 juin 2001, une demande de révision devant la CRA et que, par arrêt du 12 décembre 2001, ce recours avait été rejeté.

4.2Par lettre du 20 mai 2002, l’État partie a formulé ses observations sur le fond de la requête.

4.3En ce qui concerne les allégations de mauvais traitements ou de tortures qu’aurait subis M. H par le passé, l’État partie souligne que le seul élément figurant au dossier est la déclaration de M. H., selon laquelle il aurait été maltraité durant sa détention du 1er novembre 1987 au 31 mars 1988 à la prison de Tadmur. Selon l’État partie, malgré les questions précises qui lui ont été posées à ce propos lors de son interrogatoire par les autorités suisses en matière d’asile, le requérant n’a pas été en mesure de fournir de plus amples détails. À la question «Comment avez‑vous été torturé?», il a répondu: «La première chose que l’on pratique là-bas est la torture avec le pneu. On vous met dedans et on vous rosse de coups. Je n’ai reçu qu’un morceau de pain et du thé froid. Nous n’avons pas pu voir de miroir durant cinq mois. Les visites n’étaient pas autorisées. Ma famille ne savait pas où je me trouvais.»a. L’État partie estime que le requérant parle, en termes très généraux, d’une méthode de torture apparemment utilisée, sans toutefois préciser explicitement que lui-même aurait été torturé de cette manière. En outre, il ne donne aucune précision sur les circonstances précises des mauvais traitements subis, par exemple le nombre de personnes l’ayant maltraité, la fréquence du traitement, le lieu et les fins recherchées. D’après l’État partie, ce défaut de précisions et d’éléments concrets met grandement en doute la crédibilité des mauvais traitements subis par le requérant pendant son service militaire.

4.4Toutefois, dans l’hypothèse où le requérant aurait effectivement subi des mauvais traitements par le passé, selon l’État partie ceux‑ci ne seraient pas déterminants pour se prononcer dans la présente procédure. En effet, les mauvais traitements allégués ayant eu lieu plus de 10 ans avant le départ du requérant de Syrie, la condition de leur caractère récent afin de démontrer le risque d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention − telle qu’établie par l’observation générale n° 1 du Comité − n’est manifestement pas remplie. L’État partie ajoute que les mêmes conditions valent a fortiori pour la requérante, puisque celle‑ci n’a, à aucun moment, allégué avoir été maltraitée par des organes étatiques.

4.5Concernant ses activités politiques en Syrie, le requérant a fourni, dans le cadre de la procédure d’asile nationale, des attestations datées du 1er octobre 1998 et du 12 mars 1999 sur son appartenance au parti Yekiti. Or, lors de son interrogatoire sur ce parti au cours de la procédure d’asile, le requérant, de façon surprenante, n’a pu fournir que des renseignements très vagues sur les buts du parti dont il prétend être un membre avec des fonctions de responsabilité. Il n’avait, en outre, que des connaissances très approximatives des structures de celui-ci, en particulier de ses organes dirigeants. Il a cité le secrétaire du parti comme organe suprême de celui-ci, alors que, selon les informations de sources fiables en possession des autorités suisses en matière d’asile, c’est le Congrès, que le requérant n’a même pas nommé, qui constitue l’organe de décision suprême dans le parti Yekitib. D’après l’État partie, étant donné que tous les membres du parti Yekiti doivent accomplir un «temps d’apprentissage» avant leur admission formelle au sein de celui-ci, les renseignements fournis par le requérant à propos des buts et de la structure du parti sont par trop imprécis pour que son appartenance au parti soit crédible. Aussi, les autorités en matière d’asile en ont conclu que le requérant n’était pas lié au parti Yekiti de la manière dont il prétend l’être. Selon l’État partie, les deux attestations de qualité de membre n’y changent rien, étant donné que de tels documents n’ont aucun caractère officiel et qu’ils sont, en outre, selon les expériences et les connaissances des autorités suisses, établis avec une telle facilité qu’ils doivent être considérés comme de simples documents de complaisance.

4.6À titre de preuves de ses relations étroites avec le parti Yekiti et de son engagement en son sein, le requérant a fait des allégations considérées comme non crédibles par l’État partie. En premier lieu, l’affirmation selon laquelle une réunion secrète, rassemblant environ 50 personnes, a eu lieu au domicile du requérant n’est guère plausible. En effet, d’après l’État partie, si le requérant était aussi surveillé par les forces de sécurité syriennes qu’il le prétend, il ne pouvait, en aucun cas, tenir une réunion de cette ampleur à son domicile sans attirer l’attention des forces de sécurité. N’est également pas crédible, selon l’État partie, l’affirmation du requérant selon laquelle il se serait, après la réunion, réfugié durant environ une semaine chez sa sœur domiciliée dans la même ville, où il aurait appris que les forces de sécurité le recherchaient intensivement. D’après l’État partie, il ne fait en effet nul doute que si les forces de sécurité avaient voulu arrêter le requérant, elles ne se seraient pas limitées à le rechercher à son domicile, mais elles auraient également effectué des recherches chez sa sœur, domiciliée dans la même localité. De même, l’État partie estime que l’on peut difficilement imaginer comment le requérant, prétendument activement recherché, aurait réussi à préparer sa fuite ainsi que celle de sa famille depuis son refuge chez sa sœur.

4.7Dans la procédure de révision devant la CRA, le requérant a produit un document du Service de sécurité syrien d’Al Hassaka daté du 21 août 1998 (voir par. 2.6). Le requérant a fait valoir qu’une connaissance de sa famille, domiciliée en Syrie et qui entretenait de bonnes relations avec l’entourage du Service secret syrien, avait réussi à obtenir ce document en recourant à la corruption. Par la suite, ce document aurait transité par l’Allemagne, par une autre connaissance, dans une photographie polaroïd et de là, il aurait été envoyé en Suisse par la poste. D’après l’État partie, comme l’a retenu la CRA dans son jugement du 12 décembre 2001, il est incompréhensible que le requérant ait pu prendre possession de ce document, qui ne lui est pas adressé personnellement et qu’il qualifie lui‑même de note interne. Pour l’État partie, les explications que le requérant donne concernant la manière dont ce document du Service de sécurité syrien lui serait parvenu en Suisse sont extrêmement vagues et peu convaincantes. En effet, aucune des personnes qui auraient participé à l’obtention de ce document n’est citée nommément. De même, les liens unissant ces personnes au requérant ne sont pas précisés. En outre, aucune indication sur l’acte de corruption invoqué n’est donnée et, finalement, on ignore totalement les raisons pour lesquelles ce document a dû transiter par l’Allemagne avant de parvenir au requérant en Suisse. Compte tenu de ces incohérences, l’État partie estime que le document est un faux. En outre, dans sa communication au Comité, le requérant n’allègue absolument aucun fait qui pourrait contredire cette appréciation. Enfin, selon l’État partie, il est pour le moins étrange que le requérant n’ait acquis ce document, qui date de 1998, et ne l’ait versé au dossier qu’après que l’Office fédéral des réfugiés (OFR) ainsi que la CRA eurent rejeté sa demande d’asile. Il est donc fort probable que ce document ait été établi à la seule fin de constituer un nouveau moyen de preuve qui permettrait d’introduire une procédure de révision.

4.8Toujours dans la procédure de révision devant la CRA, le requérant a produit la copie d’un jugement du 20 mai 1999 du tribunal d’Al Hassaka le condamnant à trois ans de prison ferme en raison de son appartenance à une organisation interdite (voir par. 2.7). Contrairement aux assertions du requérant (voir par. 3.2), l’État partie soutient que la CRA a examiné, dans son jugement de révision du 12 décembre 2001, tous les documents produits par M. H., y compris le jugement du 20 mai 1999c, et a considéré, à juste titre, ce dernier comme étant un faux, pour les raisons suivantes:

En premier lieu, son contenu ne correspond pas aux déclarations du requérant et de son épouse. En effet, ces derniers n’ont jamais évoqué, lors des interrogatoires par les autorités en matière d’asile, la détention du 1er au 16 juin 1998, mentionnée dans le jugement. Lors de l’interrogatoire du 21 décembre 1998, le requérant n’a évoqué qu’une détention subie au cours de son service militaire en 1987 et une autre subie en 1996. À la question expresse de savoir s’il avait été détenu ou arrêté à d’autres occasions, le requérant a répondu par la négatived. L’épouse du requérant n’a également jamais mentionné, lors de son interrogatoire, la détention de son mari de juin 1998. Au contraire, elle a affirmé que son époux avait été arrêté pour la dernière fois le 5 novembre 1996e;

En deuxième lieu, la peine de trois ans mentionnée dans le jugement outrepasse la peine prévue par la loi syrienne pour le délit auquel le requérant aurait été condamné;

De plus, le jugement est en contradiction avec la note interne du Service de sécurité du 28 août 1998 produite par le requérant. En effet, il n’est guère compréhensible que, malgré les soupçons qui pesaient sur lui d’avoir fondé une organisation secrète, le requérant n’ait été détenu que deux semaines et ait été relâché le 16 juin 1998, pour être recherché seulement deux mois plus tard par le Service de sécurité pour le même délit. Eu égard à la gravité du délit de fondation d’une organisation secrète, la mise en liberté mentionnée dans le jugement apparaît plus que douteuse. Il est, en outre, surprenant que le requérant n’ait été condamné par défaut que le 20 mai 1999, soit environ une année après que les autorités syriennes aient eu connaissance de ses activités subversives;

Finalement, le requérant prétend qu’un fonctionnaire employé au tribunal qui l’a condamné aurait été soudoyé pour faire une copie du jugement. La copie produite par le requérant est toutefois de qualité tellement médiocre qu’il peut difficilement s’agir d’une copie du jugement original, mais tout au plus de la copie d’un document déjà copié à plusieurs reprises.

4.9Au regard de ces contradictions et de ces incohérences, l’État partie estime que la copie du jugement précité révèle, de toute évidence, qu’il s’agit d’un faux.

4.10Concernant les activités politiques du requérant hors de la Syrie (voir par. 2.4), l’État partie estime que, contrairement à ce qu’affirment les requérants, la photographie produite les représentant à l’occasion d’une manifestation pour les droits des Kurdes devant la Mission permanente de la République arabe syrienne à Genève ne démontre ni leur participation à la manifestation, ni une quelconque activité politique en Suisse. La photographie atteste seulement que les requérants se trouvaient à un endroit où s’est déroulée une manifestation politique, laissant ouverte la question de savoir de quelle manifestation il s’agissait. En particulier, elle ne permet pas de déterminer le rôle joué par les requérants lors de cette manifestation, étant donné que leur position éloignée des personnes tenant un transparent et le fait d’être entourés d’enfants en bas âge amènent plutôt à la conclusion que les requérants étaient de simples spectateurs de la manifestation. En toute hypothèse, d’après l’État partie, on ne saurait conclure de cette photographie que les requérants ont été actifs politiquement en Suisse et, par conséquent, qu’ils courent un risque de répression en cas de renvoi en Syrie.

4.11À propos du rapport d’Amnesty International du 3 juillet 2001 (voir par. 2.8), l’État partie explique qu’au début de son document, cette organisation précise que ce rapport n’est pas en mesure de se prononcer sur les risques encourus par les requérants en raison de leurs activités avant leur fuite, étant donné qu’elle ne peut pas entreprendre les investigations nécessaires à cet effet. Or, selon Amnesty International, le risque de subir des mauvais traitements en cas de renvoi en Syrie serait fondé sur les liens du requérant avec le parti Yekitif et ses activités en Syrieg. Selon l’État partie, ces conclusions peuvent être remises en cause puisque, tels que précédemment exposés, les relations étroites avec le parti Yekiti et le danger prétendument encouru en raison de l’activité politique des requérants à l’étrangerh ne sont nullement établis. Relativement aux mesures dont peuvent faire l’objet les personnes retournant en Syrie après un séjour à l’étranger, à savoir des interrogatoires par différents organes étatiques, et des coups parfois assénés aux personnes interrogéesi, l’État partie souligne que ces faits sont mentionnés de manière générale et qu’il ne ressort nullement du rapport d’Amnesty International que les requérants courraient personnellement un risque particulier et sérieux de subir de mauvais traitements en cas de retour dans leur pays. Relativement à la situation des Kurdes en Syrie et aux arrestations dont ils font l’objetj, Amnesty International reconnaît que ces personnes ne sont pas arrêtées en raison de leur origine kurde mais de leur activité politique. Ainsi, d’après l’État partie, l’affirmation des requérants selon laquelle ils risquent, en cas de renvoi en Syrie, d’être maltraités ou torturés en raison de leur origine kurde n’est pas fondée. En outre, l’État partie soutient que, selon les informations en possession du Gouvernement suisse, un séjour prolongé à l’étranger en relation avec une requête d’asile ne donne pas lieu, à lui seul, à des poursuites pour raison politique ou à des problèmes particuliers lors du retour en Syrie. Ainsi, se référant à la jurisprudence du Comiték, l’État partie conclut que la condition sine qua non d’un risque «personnel» d’être soumis à des mauvais traitements n’est pas remplie en l’espèce.

4.12Concernant la situation particulière de Mme T., l’État partie explique que tout au long de la procédure, seul M. H. a fait valoir des motifs qui pourraient justifier – s’ils étaient fondés – le caractère inadmissible de son renvoi en Syrie. Par contre, il n’a pas été allégué que Mme T. avait été active politiquement en Syrie ou ailleurs, ou qu’elle avait été arrêtée ou maltraitée. Dans ce contexte, l’État partie rappelle que l’article 3 de la Convention ne garantit pas, selon la pratique du Comité, le regroupement familial si seul un de ses membres peut démontrer un risque réel et sérieux d’être soumis à des mauvais traitements. Par conséquent, l’État partie conclut que le renvoi de Mme T. ne violerait en rien la Convention.

4.13Relativement à la crédibilité des indications fournies par les requérants, l’État partie considère que les nombreuses contradictions mises en évidence dans les déclarations du requérant (notamment à propos de ses prétendues activités politiques) les rendent peu crédibles. D’après l’État partie, il convient enfin tout particulièrement de souligner que, durant toute la procédure interne, les requérants ont produit de nombreux documents non pas spontanément, au début de la procédure, mais seulement en fonction des décisions négatives prises par les autorités suisses à leur encontre. Ainsi, les requérants ont produit la photographie les représentant à Genève au printemps 2000 seulement après avoir reçu le jugement de la CRA du 12 avril 2001. Il en va de même du document des forces de sécurité syriennes du 21 août 1998 et du jugement pénal syrien du 20 mai 1999. Selon l’État partie, ce comportement incite à penser que les requérants n’ont «produit» certains moyens de preuve qu’une fois qu’ils ont constaté que leurs allégations n’atteignaient pas le résultat escompté devant les autorités nationales compétentes.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie

5.1Par lettre du 23 octobre 2002, les requérants ont indiqué ne pas avoir de commentaires additionnels à ceux soumis dans leur requête initiale.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Dans le cas d’espèce, le Comité note aussi que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité. Il estime donc que la requête est recevable. L’État partie comme les requérants ayant formulé des observations sur le fond de la requête, le Comité procède à l’examen quant au fond.

6.2Le Comité doit se prononcer sur le point de savoir si le renvoi des requérants vers la République arabe syrienne violerait l’obligation qu’a l’État partie, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

6.3Le Comité doit déterminer, en application du paragraphe 1 de l’article 3, s’il existe des motifs sérieux de croire que les requérants risqueraient d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés en Syrie. Pour prendre cette décision, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l’article 3, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé risquerait personnellement d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister d’autres motifs qui donnent à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. Pareillement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas que l’intéressé ne risque pas d’être soumis à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

6.4Le Comité rappelle le paragraphe 6 de son observation générale no 1 sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, qui se lit comme suit: «Étant donné que l’État partie et le Comité sont tenus de déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que l’auteur risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé ou extradé, l’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable.».

6.5Dans le cas d’espèce, le Comité note que l’État partie fait état d’incohérences et de contradictions patentes dans les récits et soumissions des requérants, permettant de douter de la véracité de leurs allégations. Il prend également acte des informations fournies par les requérants à cet égard.

6.6En ce qui concerne les allégations de mauvais traitements ou de torture en Syrie, le Comité constate, d’une part, que seul M. H. déclare avoir subi un tel traitement lors de sa détention à la prison de Tadmur entre le 1er novembre 1987 et le 31 mars 1988 et, d’autre part, que l’intéressé est resté dans son pays, sans être inquiété, jusqu’en 1998, date de son départ de Syrie.

6.7Concernant les activités politiques des requérants, le Comité constate, en premier lieu, que seul M. H. fait part d’un tel engagement en Syrie. Il estime, en second lieu, que le requérant n’a établi ni par ses déclarations ni au moyen des documents produits son militantisme actif au sein du parti Yekiti et d’opposition aux autorités syriennes, ceci en raison de ses contradictions et incohérences, ainsi que des doutes sérieux sur l’authenticité de la note interne du Service de sécurité syrien du 21 août 1998 et du jugement du tribunal d’Al Hassaka du 20 mai 1999. Enfin, le Comité considère que l’activisme politique d’opposition en Suisse n’a pas été démontré par les requérants.

6.8Le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles les documents précités n’ont été produits par les requérants qu’en réaction à des décisions des autorités suisses de rejet de leur demande d’asile et ce, sans que les intéressés aient expliqué de manière cohérente le caractère tardif de leurs soumissions.

6.9Relativement au rapport d’Amnesty international de 2001, outre les contradictions relevées par l’État partie quant aux conclusions tirées des activités politiques des requérants en Syrie, le Comité constate que les informations ayant trait aux mesures pouvant affecter les personnes retournant en Syrie après un séjour à l’étranger sont, d’une part, évoquées en termes généraux sans être pertinemment rapportées au cas particulier des requérants et, d’autre part, sont contredites par les informations transmises par l’État partie, soumissions que les requérants n’ont pas souhaité contester par la suite. Il ressort, en outre, que l’origine kurde des requérants ne constituerait pas à elle seule un motif de mauvais traitements ou de torture en Syrie.

6.10Enfin, le Comité relève que la requérante, Mme T., n’avance aucun argument sur le risque d’être soumise à de mauvais traitements en cas de renvoi en Syrie.

6.11Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que les requérants n’ont pas démontré l’existence de motifs sérieux permettant de considérer que leur renvoi en Syrie les exposerait à un risque réel, concret et personnel de torture.

7.Par conséquent, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, considère que le renvoi des requérants en République arabe syrienne ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication n o 193/2001

Présentée par:Mme P. E. (représentée par un conseil)

Au nom de:Mme P. E.

État partie:France

Date de la requête:24 septembre 2001

Date de l’adoption de la décision:21 novembre 2002

Le Comité contre la torture, institué conformément à l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 21 novembre 2002,

Ayant considéré l’examen de la requête no 193/2001, présentée au Comité contre la torture en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte des informations qui lui ont été communiquées par l’auteur de la requête et l’État partie,

Adopte la décision ci-après au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention:

1.1La requérante, P. E., née le 26 mai 1963 à Francfort, de nationalité allemande, a été extradée par la France vers l’Espagne le 7 novembre 2001. Elle prétend être victime d’une violation par la France de l’article 15 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle est représentée par un conseil.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l’attention de l’État partie le 5 décembre 2001. Dans le même temps, le Comité, agissant en vertu de l’article 108 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas extrader la requérante vers l’Espagne tant que sa requête serait en cours d’examena.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1En novembre 1996b, la requérante fut arrêtée dans les Landes en compagnie de son compagnon, Juan Luis Agirre Lete, lors d’un contrôle de la douane française et mise en détention préventive à Paris. À la suite de cette arrestation, elle fut condamnée, le 23 février 1999, à 30 mois d’emprisonnement pour participation à une association de malfaiteurs en tant que membre présumée de l’organisation indépendantiste basque, Euskadi Ta Askatasuna (Patrie et Liberté) (ETA)c.

2.2Dès son arrestation, les autorités espagnoles ont demandé une première fois son extradition mais cette demande fut ensuite retirée en raison d’une erreur sur la personne. Une deuxième demande d’extradition fut présentée un an après par les autorités espagnoles pour collaboration à une bande armée, laquelle reposait sur une preuve prétendument discutable mais fut néanmoins accueillie favorablement par les autorités françaises.

2.3Une troisième demande d’extraditiond a été formulée par l’Espagne sur base d’une déclaration faite par un certain Mikel Azurmendi Penagarikano, arrêté le 21 mars 1998 à Séville par la garde civile espagnole et qui aurait subi différents traitements contraires à la Convention durant sa détention. La requérante ajoute que la compagne de M. Azurmendi a été arrêtée au même moment que ce dernier et a également fait l’objet de traitements contraires à la Convention.

2.4Lors de sa garde à vue, les 23 et 24 mars 1998, Mikel Azurmendi aurait effectué sous la contrainte deux déclarations auprès de la Guardia Civil. Dans ces déclarations, qui contiendraient de nombreuses contradictions et invraisemblances, la requérante a été mise en cause, parmi une trentaine d’autres personnes, comme membre du «Commando Madrid» de l’ETA et accusée d’avoir opéré avec d’autres des surveillances et des vérifications sur le trajet emprunté à Madrid par une fourgonnette de l’état‑major de l’armée de l’air espagnole, afin de commettre un attentat, et d’avoir participé avec d’autres à la confection d’un engin explosif placé à bord d’un véhicule qui fut utilisé par d’autres membres du commando dans une tentative d’attentat le 25 janvier 1994. La requérante soutient néanmoins qu’elle avait quitté Madrid depuis longtemps au moment des faits.

2.5Au sujet des circonstances dans lesquelles ces déclarations ont été faites, la requérante produit un extrait du témoignage de M. Azurmendi:

«Je vous écris cette lettre pour dénoncer le traitement infligé par les forces de sécurité espagnoles, plus concrètement par la Guardia Civil, au moment de mon arrestation (à Séville), ainsi que durant le transfert jusqu’aux dépendances de Madrid et mon séjour dans celles-ci. Concernant mon arrestation, elle s’est produite rue José Laquillo, no 5, 1er étage, porte B. Ils m’ont immobilisé et m’ont mis les menottes, n’ont pas arrêté de m’écraser, m’ont donné des coups en me menaçant constamment. Après m’avoir lu mes droits, une personne (juge de vigilance) leur ordonne de me changer les menottes. Ils le font devant lui et juste après m’avoir descendu dans la voiture, ils me remettent d’autres menottes en me les serrant le plus possible, me faisant mal aux poignets, et me provoquant des lésions visibles encore à ce jour. Ils ne me les enlèvent qu’une fois arrivé au cachot du commissariat.

À part la douleur due aux menottes, ils me portent des coups sur la tête, les côtes, me pincent les testicules; ils simulent des tirs avec une arme à feu en pressant le canon contre ma tête et tirant plusieurs fois. Ils me donnent des coups me provoquant une entorse à la cheville. Tout cela durant le trajet de Séville à Madrid.Une fois à Madrid, ils me font marcher, mais ma jambe ne répond plus et à chaque fois que j’essaye, je tombe par terre. Ils continuent à me frapper à cause de ça, m’obligent à réessayer à chaque fois que je suis par terre, jusqu’à voir que je ne peux plus marcher et me conduisent au cachot. Là-bas, ils me disent qu’ils me laissent un moment pour que ma circulation sanguine se rétablisse.

Un peu plus tard, ils viennent et m’obligent à me lever, tout ça les yeux bandés. À partir de là, ils commencent à me frapper la cheville, me donnent des claques, des coups sur la nuque et profèrent des menaces de toutes sortes. Au bout d’un certain temps, je ne peux pas dire combien d’heures, ils me conduisent aux urgences médicales pour que soit examinée la lésion à la cheville. Une fois là‑bas, on me pronostique une entorse, en me mettant un bandage et me conseillant de mettre de la glace pour soulager la douleur et de maintenir le pied levé.

Lorsque les Gardes civils me ramènent aux dépendances de la Guardia civil, ils me frappent à nouveau provoquant une autre lésion, et à force de me pousser et de me donner des coups sur le pied blessé, ils me cassent le gros orteil.

Ils me font subir une longue séance d’interrogatoire, avec des coups, me tirant des mèches de ma barbe et utilisent un objet qui me provoque des chocs électriques dans le pénis, l’estomac et la poitrine. Et si cela ne suffisait pas, ils utilisent une autre méthode: la poche plastique. Cela consiste à me mettre une poche plastique sur la tête, la serrant à la hauteur du cou et m’asphyxiant. Cela, en même temps que les chocs électriques, ils me l’ont fait à plusieurs reprises. Lorsque je perds connaissance, ils me laissent récupérer un peu et recommencent.

Après tout ça, ils me conduisent aux urgences, à un endroit différent du précédent, puisque le trajet fut beaucoup plus court, je déduis que ça devait être près du commissariat. Durant le trajet, ils ne cessent de me menacer, me disant: Tu ne sais pas où l’on t’amène; tu vas à la montagne pour creuser ta propre tombe ….

Au retour, ils continuent à me menacer. Cette fois-ci, à propos de ma sœur: si je ne parle pas, ils iront la chercher et que c’est elle qui payera à cause de moi, que cela dépend de moi, …

Puis, ils se mettent à proférer des menaces contre ma compagne Maite Pedrosa (arrêtée en même temps que moi), qu’ils vont la violer, qu’elle est très mal, … avec des menaces comme: «On est en train de remplir la baignoire». Et que si je continue à crâner (sic), ils me feront subir la baignoire. Les coups n’ont pas cessé durant mon séjour au commissariat, surtout les coups sur l’entorse, des coups et des claques sur la tête.

À la fin, ils me disent qu’ils me conduisent à l’Audiencia Nacional pour que je déclare et que, l’après-midi, je devrai retourner avec eux pour que je regarde quelques photos et que le traitement sera en conséquence suivant ce que je déclarerai devant le juge.

Durant presque tous les interrogatoires, je suis resté les yeux bandés et si ce n’était pas le cas, ils m’obligeaient à baisser la tête, même si j’ai pu voir la tête de l’un d’entre eux par deux fois et que je pourrai le reconnaître. Prison d’Alcala de Henares, le 7 avril 1998.».

2.6À la fin de la garde à vue, le 25 mars 1998, lors de son passage devant le juge d’instruction n° 6 de l’Audiencia Nacional à Madrid, M. Azurmendi porta plainte pour les tortures qu’il subit pendant sa garde à vue et s’est rétracté de ses précédentes déclarations. Ladite plainte est toujours actuellement à l’instruction.

2.7Lors de son incarcération au centre pénitentiaire de Madrid, M. Azurmendi fit également l’objet d’examens de la part des services médicaux pénitentiaires et un rapport médical d’expertise judiciaire fut rendu le 18 octobre 1998. Ces rapports médicaux ainsi que les témoignages de certains détenus arrêtés le même jour que l’intéressé corroborent les allégations de tortures et de mauvais traitements formulées par M. Azurmendi.

2.8Suite à la mise en cause de la requérante par les déclarations des 23 et 24 mars 1998 de M. Azurmendi, le parquet espagnol avait conditionné la poursuite de la requérante «aux résultats positifs des preuves». Les résultats ayant été négatifs, aucune poursuite ne lui avait été intentée. Cependant, le juge du tribunal central d’instruction n° 2 de l’Audiencia Nacional de Madrid, M. Ismael Moreno Chamaro, rendait le 29 octobre 1998 un arrêt de mise en accusation et d’emprisonnement de la requérante. Sur cette base, le juge rendait, le 22 décembre 1998, un arrêt de demande d’extradition de la requérante. Par note verbale du 10 mars 1999, le Gouvernement espagnol sollicitait via son ambassade l’extradition de la requérante aux autorités françaises. Le 15 juin 1999, elle a été placée sous écrou extraditionnel à la maison d’arrêt de Fresnes. La demande d’extradition a été examinée en audience publique le 24 mai 2000 par la première chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris qui, par un arrêt rendu le 21 juin 2000, a donné un avis partiellemente favorable à l’extradition pour les faits qualifiés par l’État espagnol de 19 tentatives d’assassinats terroristes.

2.9La requérante souligne que la demande d’extradition ne contenait pas de copie de la déclaration de M. Azurmendi du 25 mars 1998 devant le magistrat instructeur de l’Audiencia Nacional. À cet égard, le conseil de la requérante faisait valoir devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris qu’il était inacceptable que, s’agissant d’accusations emportant de très lourdes peines d’emprisonnement, l’État requérant n’avait pas fait mention decette déclaration dans laquelle il se rétractait d’une manière globale mais déclarait aussi particulièrement ne pas connaître la requérante.

2.10Le même conseil faisait également valoir:

«[I]lrésulte des examens médicaux effectués lors de la garde à vue au cours de laquelle il a été transporté aux urgences de l’hôpital, des déclarations effectuées dès le 25 mars 1998, des constatations médicales officielles effectuées dès son arrivée au centre pénitentiaire de Madrid, du rapport d’expertise judiciaire rendu le 18 octobre 1998, de la plainte qui a été déposée, des témoignages de certains détenus le même jour, que M. Azurmendi a fait l’objet de mauvais traitements lors des interrogatoires qu’il a subis à la Guardia Civil. De tels traitements, outre qu’ils sont évidemment contraires aux textes internes de tout État de droit, sont encore prohibés par les conventions internationales ratifiées par la France, notamment par l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui stipule que nul ne peut être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Plus précisément encore, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, stipule dans son article 15: «Tout État partie veille à ce que toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite». En l’espèce, les déclarations de M. Azurmendi, dont il est établi qu’il a fait l’objet de mauvais traitements durant sa garde à vue, ne peuvent à l’évidence servir de fondement juridique à la poursuite intentée à l’encontre de [P. E.].».

2.11La chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris répondait dans son arrêt du 21 juin 2000 de la façon suivante:

«Considérant qu’il n’appartient pas à la cour de dire si les éléments de fait énoncés par l’autorité requérante sont démontrés, mais de rechercher si ces éléments sont constitutifs d’une infraction pénale au regard de l’État requérant et de celle de l’État requis; …Considérant que s’il est exact que [P. E.] a été mise en cause par le nommé Azurmendi, cette mise en cause ne s’est pas déroulée sous la violence, mais tel que cela résulte des pièces communiquées par l’État requérant, dans les locaux de la Guardia Civil, en présence d’un avocat; considérant que la chambre d’accusation ne saurait se faire communiquer les pièces de la procédure espagnole pour se substituer aux autorités de l’État requérant dans leur analyse; qu’il suffit comme en l’espèce que la chambre d’accusation dispose de faits suffisamment précis pour déterminer l’existence de charges afin de permettre l’application du principe de double incrimination.».

2.12Le 17 mai 2000, la section allemande de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture − Aktion der Christen für die Abschaffung der Folter e.V.) adressait au Gouvernement français un courrier lui demandant de ne pas extrader la requérante vers l’Espagne. Le 23 mai 2000, de nombreuses organisations, associations et personnalités envoyaient une lettre ouverte aux autorités françaises dans le même but.

2.13Par un décret du 29 septembre 2000, le Gouvernement français accordait l’extradition de la requérante aux autorités espagnoles. Le 3 janvier 2001, ce décret fit l’objet d’un recours par la requérante devant le Conseil d’État. Dans son mémoire présenté devant le Conseil d’État, le conseil de la requérante a soutenu les même moyens que devant la chambre d’accusation et a ajouté:

«[E]n réponse au moyen tiré de la méconnaissance de l’ordre public français, le Ministre [français de la justice] ne conteste aucune des circonstances relatées par l’exposante, en particulier:

Ni le fait que les déclarations de M. Azurmendi, lors de son interrogatoire par les autorités de la Guardia Civil, qui comportaient une mise en cause de [MmeP. E.], ont été ultérieurement rétractées devant le magistrat instructeur;

Ni même que M. Azurmendi a été transporté aux urgences à l’issue de sa garde à vue pour avoir fait l’objet de mauvais traitements lors des interrogatoires subis à la Guardia Civil.

Selon le mémoire de l’administration, les déclarations de M. Azurmendi ne contreviendraient pas à l’ordre public français car elles auraient été recueillies librement en présence d’un avocat du barreau de Madrid. Rien ne vient établir en réalité qu’il en aurait été ainsi, ni même qu’un avocat aurait été constamment présent lors de la garde à vue et ce, du début à la fin des interrogatoires.

De sorte que si un avocat du barreau de Madrid a pu assister l’intéressé à un moment quelconque de sa garde à vue, cette circonstance n’exclut en rien que les charges retenues à l’encontre de l’exposante aient été recueillies dans des conditions contraires à l’ordre public français.».

Par arrêt du 7 novembre 2001, le Conseil d’État a rejeté ce recours. La requérante était remise aux autorités espagnoles le même jour.

Teneur de la plainte

3.1La requérante considère que son extradition vers l’Espagne constitue une violation de l’article 15 de la Convention dans la mesure où son inculpation par les autorités espagnoles a été rendue possible grâce à des déclarations faites sous la torture.

3.2L’article 15 de la Convention est un des corollaires de la prohibition absolue de la torture qui est le fondement de cette Convention contre la torture. La première partie de la disposition vise en effet à supprimer toute utilité à la pratique de la torture lorsque celle-ci est infligée à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux. Dans ce cadre, les déclarations obtenues par la torture doivent donc être frappées de nullité absolue.

3.3Cette disposition est applicable à toute procédure, de caractère juridictionnel ou non juridictionnel, et notamment au plan pénal ou administratif. Elle est donc bien applicable en l’espèce aux procédures d’extradition.

3.4Selon la requérante, plusieurs critères doivent être réunis pour que soit constatée une violation de l’article 15 de la Convention par un État partie:

a)Il doit être établi que la déclaration invoquée comme élément de preuve dans la procédure en cause a été obtenue par la torture;

b)La déclaration litigieuse doit être un élément essentiel de l’accusation portée contre l’auteur de la communication;

c)Il résulte de l’article 15 de la Convention une obligation absolue pour les juridictions et les autorités de l’État mis en cause de réunir et d’examiner, de manière objective, équitable et approfondie, tous les éléments qui permettent d’établir que ladite déclaration a été obtenue de manière illicite;

d)L’article 15 de la Convention implique que la déclaration litigieuse soit frappée de nullité absolue par les juridictions et les autorités de l’État mis en cause;

e)Il convient de plus, dans le cadre d’une procédure d’extradition, de déterminer s’il existe dans l’État requérant une pratique de la torture, d’examiner les circonstances dans lesquelles la déclaration litigieuse a été obtenue et si, de manière habituelle, les déclarations obtenues par la torture sont validées par les juridictions de l’État requérant.

3.5En l’espèce, tous ces critères sont réunis:

3.5.1Selon la requérante, il est établi au-delà de tout doute raisonnable que les déclarations de M. Azurmendi invoquées comme élément de preuve dans la procédure en cause ont été obtenues par la torture.

3.5.2En ce qui concerne l’assistance d’un avocat commis d’office pendant la garde à vue, qui représente l’argument sur lequel repose l’État partie pour réfuter ces allégations, la requérante souligne qu’en vertu de la législation spéciale antiterroriste espagnole, M. Azurmendi a été détenu et gardé à vue en «incommunication», c’est-à-dire détenu au secret, coupé de tout contact avec un avocat de son choix ou l’un de ses proches. Cette incommunication fut prolongée y compris lorsqu’il comparut devant le juge le 25 mars 1998.

3.5.3La requérante explique à ce sujet qu’il apparaît que les mécanismes de protection des personnes mises en cause dans des affaires terroristes et détenues par les forces de sécurité espagnoles sont notoirement insuffisants:

a)Ces personnes n’ont pas accès à un avocat de leur choix pendant la garde à vue et même dans certains cas pendant la comparution devant le magistrat instructeur;

b)L’avocat commis d’office n’est présent, au cours de la garde à vue, que pendant les déclarations «officielles» devant les membres des forces de sécurité espagnoles; l’avocat commis d’office n’est jamais présent pendant l’ensemble de la garde à vue; notamment, il n’assiste pas à l’ensemble des interrogatoiresf.

3.5.4À ce sujet, lors de l’examen du troisième rapport périodique de l’Espagne, les 18 et 19 novembre 1997, le Comité contre la torture avait formulé les observations suivantes:

«Le Comité a continué de recevoir fréquemment des plaintes pour tortures et mauvais traitements infligés pendant la période couverte par le rapport. … Malgré les garanties légales entourant les conditions dans lesquelles elle peut être décidée, il existe des cas de détention prolongée au secret, régime pendant lequel le détenu ne peut bénéficier de l’assistance d’un avocat de son choix et qui semble favoriser la pratique de la torture. La plupart des plaintes portent sur des tortures infligées pendant cette période. Le Comité est également préoccupé par des renseignements portés à sa connaissance selon lesquels, bien que les juges n’acceptent pas comme preuves à charge des déclarations qu’ils estiment nulles parce qu’elles ont été obtenues par la contrainte ou par la torture, ce qui est conforme à l’article 15 de la Convention, ils acceptent toutefois ces mêmes déclarations pour incriminer d’autres coinculpés. … Il est recommandé d’envisager de supprimer les cas dans lesquels la prolongation de la détention au secret et les restrictions au droit des détenus de bénéficier de l’assistance du défenseur de leur choix sont autoriséesg.».

3.5.5De plus, il convient de rappeler les constatations formulées, le 9 novembre 1999, par le Comité contre la torture, à l’égard de la communication no 63/1997 présentée par Josu Arkauz Arana contre la France. Dans cette décision rendue publique le 1er décembre 1999, le Comité a constaté notamment:

«[L]ors de l’examen du troisième rapport périodique présenté par l’Espagne en application de l’article 19 de la Convention, le Comité avait exprimé sa préoccupation quant aux allégations de tortures et mauvais traitements qu’il recevait fréquemment. Il a également relevé que, malgré les garanties légales entourant les conditions dans lesquelles elle pouvait être décidée, il existait des cas de détention prolongée au secret, régime pendant lequel le détenu ne pouvait bénéficier de l’assistance d’un avocat de son choix et qui semblait favoriser la pratique de la torture. La plupart des plaintes reçues portaient sur des tortures infligées pendant cette période. Des préoccupations dans le même sens avaient déjà été exprimées lors de l’examen du deuxième rapport périodique par le Comité ainsi que dans les observations finales du Comité des droits de l’homme concernant le quatrième rapport périodique présenté par l’Espagne en application de l’article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Quant au Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), il a également fait état d’allégations de torture ou mauvais traitements reçues lors de ses visites en Espagne en 1991 et 1994, en particulier par des personnes détenues pour des activités terroristes. Le CPT a conclu qu’il serait prématuré d’affirmer que la torture et les mauvais traitements graves avaient été éradiqués en Espagneh.».

3.5.6Lors de l’examen du quatrième rapport périodique de l’Espagne, le Comité des droits de l’homme a souligné dans ses observations du 3 avril 1996 (CCPR/C/79/Add.61):

… «12. Le Comité s’inquiète du maintien d’une manière permanente d’une législation spéciale en vertu de laquelle les personnes soupçonnées d’appartenir à des groupes armés ou de collaborer avec eux peuvent être détenues au secret pendant cinq jours, n’ont pas le droit de choisir un avocat et sont jugées sans appel par l’Audiencia Nacional. Il souligne que ces dispositions ne sont pas conformes aux articles 9 et 14 du Pacte…

E.Suggestions et recommandations

18. Le Comité recommande de supprimer les dispositions législatives qui privent les personnes accusées d’actes de terrorisme ou celles qui sont soupçonnées de collaborer avec elles du droit de choisir un défenseur. Il exhorte l’État partie à renoncer à la détention au secret et l’invite à réduire la durée de la détention avant jugement et à renoncer à fixer la durée maximale de la détention provisoire en fonction de la durée de la peine encourue.».

3.5.7De même, pour le CPT, la protection contre la torture et les autres mauvais traitements graves des personnes gardées à vue par les Forces de sécurité espagnoles dans le cadre des opérations anti-ETA, présente de graves insuffisances. À cet égard, le CPT attache une importance particulière à la reconnaissance de trois droits que les autorités espagnoles dénient aux personnes détenues par les Forces de sécurité:

a)Le droit, pour la personne concernée, de pouvoir informer un proche ou un autre tiers de sa détention;

b)Le droit d’avoir accès à un avocat de son choix;

c)Le droit de demander un examen par un médecin de son choix.

De l’avis du CPT, ces droits constituent trois garanties fondamentales contre les mauvais traitements qui devraient s’appliquer dès le début de la détention (c’est-à-dire dès que la personne concernée est privée de sa liberté d’aller et de venir par les Forces de sécurité)i.

3.5.8Selon la requérante, la déclaration litigieuse est l’élément essentiel de l’accusation portée contre elle. Il résulte en effet de l’examen de la procédure que l’unique élément de preuve produit par les autorités espagnoles pour demander pour la troisième fois l’extradition de la requérante est en effet fondé sur les seules déclarations effectuées par M. Azurmendi les 23 et 24 mars 1998 lors de sa garde à vue par la Guardia Civil. C’est sur la base de ces déclarations obtenues par la torture que la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris a fondé son avis favorable à l’extradition rendu le 21 juin 2000 et que le Gouvernement français a pris le décret d’extradition du 29 septembre 2000.

3.5.9Selon la requérante, les autorités et les juridictions françaises n’ont pas réuni et examiné, de manière objective, équitable et approfondie, tous les éléments qui permettent d’établir que la déclaration litigieuse a été obtenue de manière illicite. En effet, il apparaît d’une part que la plainte pour tortures formulée le 25 mars 1998 par M. Azurmendi lors de sa comparution devant le magistrat instructeur n’a pas été prise en compte par les juridictions et autorités françaises. De même, les preuves médicales qui établissent sans conteste possible que les déclarations de M. Azurmendi lors de sa garde à vue ont été obtenues par la torture, ont été systématiquement écartées par les autorités et juridictions françaises. De plus, les juridictions françaises ont systématiquement refusé d’intervenir auprès des autorités espagnoles afin d’obtenir tout élément complémentaire qui aurait permis d’établir que lesdites déclarations n’ont pas été obtenues par la torture.

3.5.10 Selon la requérante, les déclarations de M. Azurmendi n’ont pas été frappées de nullité par les autorités et juridictions françaises. Malgré qu’il soit établi que les déclarations de M. Azurmendi ont été obtenues par la torture, ces déclarations sont le fondement de l’avis favorable rendu le 21 juin 2000 par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris à la troisième demande d’extradition formulée par les autorités espagnoles et au décret d’extradition pris le 29 septembre 2000 par le Gouvernement français. Or, en vertu de l’article 15 de la Convention contre la torture, ces déclarations obtenues par des moyens illicites auraient dû être frappées de nullité absolue.

3.5.11 Enfin, il convient de plus, dans le cadre d’une procédure d’extradition, de déterminer s’il existe dans l’État requérant une pratique de la torture, et si, de manière habituelle, les déclarations obtenues par la torture sont validées par les juridictions de l’État requérant.

3.5.12 Selon la requérante, il est établi que l’infliction de la torture et des mauvais traitements par les Forces de sécurité espagnoles est une «pratique administrative» incompatible avec la Convention contre la torture, car il y a répétition d’actes contraires à l’article 1 de la Convention et tolérance officielle des autorités. Cette pratique de torture et de mauvais traitements est corroborée par de nombreux rapports d’organismes internationaux concernant l’Espagne, ceci depuis de nombreuses années et de façon persistante aujourd’hui. Ainsi, dans ses conclusions relatives au deuxième rapport périodique de l’Espagne, le Comité contre la torture «s’inquiète… de l’augmentation du nombre de plaintes faisant état de torture et de mauvais traitement, des retards dans l’instruction desdites plaintes et de l’impunité d’un certain nombre d’auteurs d’actes de torture»j. Comme le souligne le CPT, «il serait prématuré de conclure que le phénomène de la torture et des mauvais traitements graves a été éradiqué»k en Espagne.

3.5.13 Les risques de torture et de mauvais traitements sont également corroborés par de nombreux rapports des organismes internationaux concernant l’Espagne, et ceci de façon récente:

a)Les constatations et recommandations du Comité des droits de l’homme réalisées lors de l’examen des rapports présentés par l’Espagne en vertu de l’article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques;

b)Les rapports du CPT relatifs aux visites réalisées en Espagne. Dans ses rapports, le CPT constate la persistance de la pratique de la torture et d’autres mauvais traitements très graves tout particulièrement de la part des membres de la Guardia Civil à l’égard des ressortissants basques soupçonnés d’appartenir ou de collaborer avec l’ETA. Dans le rapport sur sa visite effectuée du 22 novembre au 4 décembre 1998, le CPT relate «l’existence de témoignages où l’on fait état de coups sur différentes parties du corps et dans certains cas, de formes plus sérieuses de mauvais traitements physiques, y compris des agressions sexuelles sur des femmes détenues et d’asphyxie par l’utilisation du sac en plastique»l. Dans certains cas, les rapports incluent des certificats médicaux concordants avec les témoignages des victimes;

c)Les rapports de MM. Kooijmans et Rodley, Rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur la torture;

d)Les constatations du Comité contre la torture lors de l’examen des rapports périodiques présentés par l’Espagne en application de l’article 19 de la Convention. Le 9 novembre 1999, le Comité contre la torture a fait part de ses constatations concernant la communication no 63/1997 présentée par le requérant, Josu Arkauz Arana contre la France (voir par. 3.5.5);

e)Les rapports d’Amnesty International, de l’Association pour la prévention de la torture, de l’Organisation mondiale contre la torture et de l’Observatoire international des prisons. En outre, il est important de souligner que, depuis 1990, le Gouvernement espagnol a rompu l’accord conclu avec le Comité international de la Croix-Rouge qui permettait à ce dernier de visiter les détenus politiques en Espagne, et notamment les nombreux prisonniers basques. Malgré les nombreuses demandes faites auprès des autorités espagnoles, ces dernières n’ont pas encore rétabli cet accord.

3.5.14 De plus, il résulte des constatations dignes de foi formulées par les organes internationaux de protection des droits de l’homme que les mauvais traitements infligés habituellement par les fonctionnaires espagnols, de manière intentionnelle et avec professionnalisme, afin d’obtenir des aveux ou des renseignements ou de provoquer la terreur ont un caractère de gravité tel qu’ils peuvent être qualifiés de tortures au sens de l’article 1 de la Convention contre la torture et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

3.5.15 L’impunité dont bénéficient les tortionnaires de la part des autorités espagnoles est un facteur de risque supplémentaire. En effet, cette impunité incite les auteurs de tortures et de mauvais traitements à continuer leurs exactions. Souvent, les plaintes des victimes sont classées sans suite; les procédures sont très longues; les condamnations des tortionnaires sont très rares; lorsque des condamnations sont prononcées par les tribunaux espagnols, les tortionnaires sont le plus souvent graciés par le pouvoir politique et certains tortionnaires ont même bénéficié de promotions. L’absence de répression contre les fonctionnaires tortionnaires crée donc un sentiment d’impunité qui favorise la continuation de la pratique de la torture.

3.5.16 Comme il a été constaté par le Comité contre la torture, les déclarations obtenues par la torture sont validées par les juridictions espagnoles, et notamment par l’Audiencia Nacional qui est une juridiction spéciale en matière de crimes et délits terroristes. De plus, les jugements rendus par l’Audiencia Nacional ne peuvent pas être frappés d’appel et ce en contradiction avec l’article 14, paragraphe 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; seul un recours en cassation est possible devant le Tribunal suprême qui refuse de réexaminer la licéité des preuves acceptées en premier ressort par l’Audiencia Nacional.

3.5.17 Enfin, s’agissant de la situation en Espagne, il convient de rappeler comme il a été fait par le Comité contre la torture dans ses observations finales les plus récentesm que, selon le paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention, «aucune circonstance exceptionnelle quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse … d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture». Ainsi, la situation de conflit aigu qui règne au Pays basque ne peut être invoquée pour justifier la pratique de la torture par les Forces de sécurité espagnoles et l’utilisation de preuves obtenues par la torture par les juridictions espagnoles.

Observations de l’État partie

4.1L’État partie a communiqué ses observations par une note verbale du 29 avril 2002.

4.2L’État partie avance que la requérante a été arrêtée en possession d’armes et soupçonnée d’appartenir à l’ETA. Elle a été condamnée par un jugement du tribunal correctionnel de Paris à une peine de deux ans et six mois d’emprisonnement pour des infractions liées au transport et à la détention d’armes, détention de faux documents administratifs et participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme.

4.3La première demande d’extradition du 15 septembre 1997ndont elle a fait l’objet était basée sur son appartenance à l’ETA et sur le fait d’avoir créé l’infrastructure du «commando Madrid» qui perpétrait des attentats dans la capitale espagnole. Pour cette raison, la requérante a été placée sous écrou extraditionnel le 21 octobre 1997 à la maison d’arrêt de Fresnes. Par un arrêt du 18 mars 1998, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris a émis un avis favorable à son extradition et la Cour de cassation a rejeté son pourvoi contre cet avis en date du 23 juin 1998.

4.4La requérante a fait l’objet d’une demande complémentaire d’extradition le 10 mars 1999. L’instruction de cette demande complémentaire étant en cours ainsi que la procédure pénale diligentée par les juridictions françaises, les autorités de l’État partie ont dès lors décidé de ne pas procéder directement à la première extradition. Selon l’acte d’accusation et les pièces produites par les autorités espagnoles à l’appui de cette demande d’extradition complémentaire:

«[I]l est fait grief à P., en tant que membre de l’organisation terroriste ETA, d’avoir avec d’autres membres de cette organisation, à Madrid, recherché des informations, opéré des surveillances et des vérifications sur le trajet emprunté par une fourgonnette de l’état-major de l’armée de l’air espagnole, afin de commettre un attentat. Le 30 novembre 1993, un véhicule Opel était volé et les plaques d’immatriculations étaient changées. L’extradable en compagnie de ses complices confectionnait un engin explosif composé de deux «cocottes» contenant chacune une charge explosive d’environ 45 kilos. Le 24 janvier 1994, deux des complices de l’extradable conduisaient le véhicule piégé à l’intersection du «Paseo» de «la Ermita» et de l’avenue «del Manzanarès» (à Madrid). Le 25 janvier 1994, aux environs de 8 heures, au passage de la fourgonnette militaire, Angel Azurmendi Penagaricano activait l’engin sans parvenir à le faire exploser. Il prenait alors la fuite en compagnie d’Arri Pascual d’Alvaro. … Quelques instants après, les policiers essayaient de provoquer une explosion contrôlée. Ils échouaient et l’engin explosait faisant 19 blessés et causant d’importants dégâts à des immeubles et à des véhicules stationnés.».

4.5Suite à cette demande complémentaire, la requérante a été placée sous écrou extraditionnel le 15 juin 1999. Après avoir ordonné un complément d’information afin de vérifier si une partie des faits reprochés n’était pas prescrite, la chambre d’accusation a rendu, en date du 21 juin 2000, un avis favorable à l’extradition pour les faits qualifiés par l’État requérant de tentatives d’assassinats terroristes mais pas pour les faits qualifiés de destructions terroristes, après avoir constaté que la prescription de l’action publique était acquise en droit français.

4.6La requérante a demandé sa mise en liberté le 21 octobre 1997. Celle-ci fut accordée par la chambre d’accusation le 22 mars 2000. Dans le cadre de la demande complémentaire d’extradition, la requérante a également demandé sa mise en liberté le 4 septembre 2000. Celle−ci fut accordée le 18 octobre 2000 mais assortie d’une mesure de placement sous contrôle judiciaire.

4.7C’est dans ces circonstances que le Premier Ministre a accordé l’extradition, sur base de la première demande d’extradition ainsi que de la demande complémentaire, par un décret du 29 septembre 2000. La requérante était remise aux autorités espagnoles le jour de la décision du Conseil d’État rejetant son recours à l’encontre de ce décret, le 7 novembre 2001.

4.8En ce qui concerne le fondement de la requête, l’État partie précise que l’unique grief soulevé par la requérante n’a trait qu’à la demande complémentaire d’extradition. Il ne remet nullement en cause la première demande d’extradition, fondée sur des faits distincts et qui, à eux seuls, auraient pu justifier une décision d’extradition, après l’avis favorable rendu par la chambre d’accusation le 18 mars 1998. Ainsi, ce n’est pas l’extradition elle-même qui est en cause mais seulement le fait que la décision d’extrader prise par l’État partie n’ait pas été assortie d’une réserve, portant sur les faits liés aux déclarations de M. Azurmendi.

4.9Selon la législation de l’État partie, c’est la loi du 10mars 1927 qui s’applique en cas de demande d’extradition faite par l’Espagne. En vertu de l’article 16 de cette loi, la chambre d’accusation doit vérifier si les conditions légales de l’extradition sont remplies. À ce titre, elle doit vérifier si le dossier est régulièrement constitué, s’il n’y a pas «erreur évidente» sur l’identité de l’individu demandé ou s’il est manifeste que l’individu n’est pas susceptible d’avoir participé aux faits qui lui sont reprochés. Cependant, la chambre d’accusation, en vertu d’un principe général de droit français en matière d’extradition, ne peut apprécier si les poursuites sont fondées ou si les charges réunies sont suffisantes.

4.10La chambre d’accusation rend ensuite un avis qui peut, s’il est favorable, être assorti de réserves ou être partiellement favorable. Si l’avis n’est pas favorable, il est définitif. Le contrôle éventuellement effectué par la Cour de cassation porte uniquement sur la procédure et les règles de forme se rapportant à la procédure.

4.11 Sur base d’un avis favorable de la chambre d’accusation, le Gouvernement adopte, le cas échéant, un décret d’extradition, susceptible de recours devant le Conseil d’État qui contrôle «les vices de forme du décret d’extradition et … la légalité interne de la mesure d’extradition, au regard des lois et conventions internationales, afin de vérifier si, notamment après l’examen de l’affaire par la chambre d’accusation, le Gouvernement a pu légalement décider que les conditions de l’extradition, pour les infractions qu’il retient, étaient réunies». L’État partie souligne que c’est dans ce contexte que le Conseil d’État a, en date du 15 février 1999, annulé une décision d’extradition au motif d’une méconnaissance de l’article 3 de la Convention contre la torture.

4.12Par rapport aux allégations de la requérante selon lesquelles les déclarations de M. Azurmendi ont été obtenues sous la torture, la chambre d’accusation a décidé que «s’il est exact que [P. E.] a été mise en cause par le nommé Azurmendi, cette mise en cause ne s’est pas déroulée sous la violence, mais tel que cela résulte des pièces communiquées par l’État requérant, dans les locaux de la Guardia Civil, en présence d’un avocat». De son côté, le Conseil d’État, se basant sur les mêmes éléments a considéré que ces allégations n’étaient assorties d’aucun commencement de preuve. Le Conseil d’État a également souligné «qu’il résulte des principes généraux du droit applicable à l’extradition qu’il n’appartient pas aux autorités françaises, sauf cas d’erreur évidente, de statuer sur le bien‑fondé des charges retenues contre la personne recherchée; qu’en l’espèce, il n’apparaît pas qu’une erreur évidente aurait été commise tant en ce qui concerne l’infraction d’appartenance à bande armée que le crime de complicité de tentative d’assassinat reprochés à [Mme P. E.].».

4.13L’État partie soutient que l’obligation souscrite par l’État partie en vertu de l’article 15 de la Convention ne s’applique que dans l’hypothèse où il est «établi» que cette déclaration a été obtenue par la torture. La rédaction de cette disposition est fort différente de celle de l’article 3 de la Convention interdisant à un État partie de refouler ou d’expulser une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle «risque» d’être soumise à la torture. Or, en l’espèce, la requérante n’a pas établi que les déclarations de M. Azurmendi avait été obtenues sous la torture et la présence d’un avocat à ses côtés durant la garde à vue jette un doute suffisamment sérieux sur ces allégations.

4.14En outre, l’État partie soutient que l’article 15 de la Convention ne lui impose nullement de mener des investigations auprès d’un État tiers pour apprécier le bien‑fondé d’allégations de torture. En matière d’extradition, il n’a en effet jamais été admis qu’un État s’immisce dans le cours de procédures juridictionnelles se déroulant dans des pays tiers. La charge de la preuve ne peut donc qu’incomber à l’auteur de ces allégations.

4.15L’obligation de l’article 15 ne s’imposant que lorsqu’il est établi qu’une déclaration a été obtenue sous la torture, cette preuve peut résulter d’un faisceau d’indices suffisamment concordants. Or, en l’espèce, il convient de constater la faiblesse des indices avancés par la requérante. Elle invoque une consultation dans un hôpital à la fin de la garde à vue et la rétractation de M. Azurmendi dès le lendemain devant le magistrat instructeur. Or, la requérante n’a jamais apporté le moindre commencement de preuve de la détérioration de l’état de santé de M. Azurmendi durant la garde à vue et d’un lien de causalité entre cette détérioration et des sévices qui lui auraient été infligés. Quant à la rétractation devant le magistrat instructeur, celle‑ci s’explique par le fait qu’à ce moment, M. Azurmendi ne faisait l’objet d’aucune pression et qu’il a ainsi pu très rapidement diminuer la portée de ses déclarations antérieures.

4.16En ce qui concerne la présence d’un avocat commis d’office et le fait que la législation espagnole ne permette pas aux personnes gardées à vue de choisir leur avocat, le fait que l’avocat présent durant les déclarations ait été commis d’office ne constitue pas en soi un élément permettant de soupçonner d’avoir gravement failli à ses devoirs déontologiques en ne dénonçant pas sur‑le‑champ ou postérieurement l’obtention des déclarations sous la torture.

4.17Outre le fait que les explications supplémentaires de la requérante par rapport aux conditions de garde à vue en Espagne sont très générales, l’État partie souligne que des communications comportant des allégations similaires à celles de la requérante ont déjà été rejetées dans le cadre des mécanismes onusiens. Ainsi, dans un avis no 26/1999 (voir document E/CN.4/2001/14/Add.1), le Groupe de travail sur la détention arbitraire à considéré:

«[E]n soi, la mise au secret, lorsqu’elle est justifiée par des raisons impérieuses liées à l’instruction de l’affaire en question, a fortiori lorsqu’il s’agit d’infractions aussi graves que celle de terrorisme, ne peut être, par elle‑même, jugée contraire au Pacte. … Le Groupe de travail considère que l’imputation d’un délit de terrorisme et d’association de malfaiteurs constitue une circonstance exceptionnelle qui, selon la loi espagnole, autorise la mise au secret pendant un court délai. … Les mêmes observations s’appliquent au droit de choisir un avocat et d’être assisté par celui-ci pendant le procès, et au droit de l’avocat de s’entretenir avec l’accusé, conformément aux dispositions dudit Ensemble de principes adopté en 1988, par consensus, par l’Assemblée générale. Il convient de noter que Mikel Egibar n’a pas exigé d’être interrogé en présence d’un avocat de son choix et qu’il a accepté un avocat commis d’office, de sorte que son droit n’a pas été violé; qui plus est, dès que la mesure de mise au secret a été levée, il a pu désigner un avocat qu’il a conservé pendant le reste du procès. … Le secret de l’instruction, pendant la première phase de l’instruction, est une mesure autorisée non seulement par la loi espagnole mais aussi par la quasi‑totalité des législations, qui vise à ne pas entacher le jugement de nullité. Une telle mesure ne porte pas atteinte au droit à la défense puisque le défenseur a accès, au cours du jugement proprement dit, à toutes les pièces du dossier et peut contester les moyens de preuve infondés ou obtenus de manière illégale. On ne saurait dès lors conclure à la violation d’un droit essentiel pour la défense de l’accusé.».

Dans cette mesure, la requérante ne pourrait se prévaloir de l’absence du choix d’un avocat par M. Azurmendi.

4.18Enfin, concernant les constatations du Comité dans l’affaire Arkauz Arana, l’État partie soutient que cette requête se distinguait de la présente, d’une part, parce qu’il y était fait allégation d’une violation de l’article 3 et non de l’article 15 de la Convention, ce qui explique pourquoi le Comité a longuement énuméré les éléments qui auraient dû conduire l’État partie à craindre d’éventuels faits de torture en cas d’expulsion et, d’autre part, parce que le Comité a reproché à la France d’avoir mené une procédure d’expulsion, jugée ultérieurement illégale par les tribunaux français, dans des conditions signifiant une remise directe de police à police sans respect des droits du détenu, ce qui n’est pas le cas en l’espèce où il s’agissait d’une procédure d’extradition conformément aux règles applicables en la matière et où la requérante n’a nullement été privée de faire valoir ses droits devant les juridictions françaises.

Commentaires de la requérante

5.1Par une lettre du 23 juin 2002, la requérante a formulé ses remarques par rapport aux observations de l’État partie sur le fond de la requête. Dans ses commentaires, la requérante maintient ses allégations et réitère les arguments qu’elle a développés dans sa requête.

5.2Pour démontrer la pertinence de ses arguments selon lesquels les États parties à la Convention doivent respecter l’article 15 de la Convention, y compris dans le cas d’extradition ou d’expulsion, la requérante attire tout d’abord l’attention du Comité sur le fait que deux autres pays de l’Union européenne, la Belgique et le Portugal, ont récemment refusé l’extradition de trois membres présumés de l’ETA en application de l’article 15 de la Convention aux motifs que ces demandes d’extradition étaient fondées sur des preuves obtenues sous la torture.

5.3La requérante estime que l’affirmation selon laquelle les juridictions françaises n’auraient aucune obligation de mener des investigations auprès d’un État tiers pour apprécier le bien‑fondé d’allégations de torture est une interprétation extrêmement restrictive qui est contraire au but de la Convention. Elle vide de sa substance le principe fondateur de la Convention, à savoir la prohibition absolue de la torture et l’une de ses conséquences essentielles, l’illicéité des preuves obtenues par la torture. Dès qu’il existe, comme en l’espèce, une allégation sérieuse et fondée que des preuves obtenues par la torture sont à la base d’une procédure, l’État partie doit utiliser les moyens dont il dispose pour vérifier la véracité de ces allégations. En l’espèce, les juridictions françaises pouvaient, par exemple, solliciter des autorités espagnoles un complément d’information, cette procédure étant tout à fait courante en matière d’extradition. Cette demande aurait permis aux autorités françaises de réunir et d’examiner, de manière objective, équitable et approfondie, tous les éléments qui auraient permis d’établir que ladite déclaration a été obtenue de manière illicite.

5.4Par rapport aux éléments permettant de soutenir les allégations selon lesquelles M. Azurmendi a fait ses déclarations sous la torture, la requérante se réfère à un rapport de la CPT relatif à la période précise lors de laquelle les déclarations litigieuses ont pris place et selon lequel:

«[A]ussi bien avant que pendant la visite, le CPT a reçu d’autres sources des rapports contenant un nombre considérable d’allégations faisant état de mauvais traitements infligés par la Police nationale, la Garde civile et la Police autonome basque (les Ertzaintza) au cours de périodes de détention, en 1997 et 1998. Il s’agissait de coups assenés sur différentes parties du corps et, dans certains cas, de sévices plus graves, y compris des attentats à la pudeur de détenues par des agents de police de sexe masculin et l’étouffement au moyen d’une poche en plastique dont on couvrait la tête de la victime. Parfois, les rapports étaient assortis de certificats médicaux décrivant les blessures ou les situations en rapport avec les allégations faites par les personnes concernées.

Bonne part des rapports susmentionnés avait trait à des personnes détenues dans le Pays basque ou en Navarre en tant que terroristes présumés ou pour des atteintes à l’ordre public liées au terrorisme. Il semblerait que dans certains de ces cas les personnes concernées ou leurs proches ont déposé des plaintes officielles, notamment auprès des autorités judiciaires compétentes sur la manière dont les intéressés avaient été traitéso.».

5.5Plus précisément, et contrairement aux affirmations de l’État partie, dans son rapport soumis le 2 février 2000 (E/CN.4/2000/9, par. 917), le Rapporteur spécial sur la question de la torture indique que:

«Mikel Azurmendi Peñagarikano, arrêté à Séville le 21 mars 1998 par la Guardia Civil est détenu au pénitencier de Madrid-2 (Alcalá de Henares). Il a déclaré avoir été maltraité et torturé durant sa détention, notamment piétiné, frappé aux côtes, à la tête, aux testicules; on lui aurait appliqué des électrodes sur le pénis, à l’estomac et à la poitrine; on l’aurait soumis à des simulacres d’exécution, on l’aurait aveuglé et on aurait proféré des menaces à l’égard de sa famille et de sa compagne, Maite Pedrosa, également détenue. Depuis son incarcération, Mikel Azurmendi souffrirait de douleurs à la cheville qui l’empêcheraient de se livrer à une activité physique.».

5.6Au sujet de la présence d’un avocat commis d’office lors des déclarations litigieuses, la requérante se réfère également à un rapport plus récent du Rapporteur spécial sur la torture selon lequel:

«Il a été noté que la plupart d’entre eux auraient été interrogés sans qu’un avocat soit présent ou s’étaient vu assignés par le tribunal un avocat, qui, au moment de l’enregistrement de leur déclaration, aurait été d’accord avec leur détention. À cet égard, le Rapporteur spécial a été informé que le Code de procédure pénale stipule que pendant la détention provisoire au secret, l’avocat est nommé par le tribunal, le détenu ne peut le consulter en privé et les membres de la famille ou toute autre personne avec laquelle le détenu souhaite entrer en contact ne sont informés ni de sa détention ni du lieu où il est détenu (traduction de l’espagnol du paragraphe 1390 du document E/CN.4/2002/76/Add.1).».

5.7La requérante tient également à souligner que les autorités françaises n’ont pas hésité à valider les déclarations de M. Azurmendi faites les 23 et 24 mars 1998 pendant la garde à vue alors qu’elles n’ont tenu aucun compte de ses déclarations ultérieures devant le juge d’instruction. Les autorités de l’État partie ont donc accordé une présomption irréfragable de validité aux aveux obtenus les 23 et 24 mars 1998.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Dans le cas d’espèce, le Comité note aussi que tous les recours internes sont épuisés et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité. Il estime donc que la communication est recevable. L’État partie et l’auteur ayant chacun formulé des observations sur le fond de la communication, le Comité procède à l’examen quant au fond.

6.2Le Comité note les allégations faites par la requérante au sujet des circonstances dans lesquelles les déclarations de M. Azurmendi ont été faites, les éléments qu’elle a apportés à l’appui de ses allégations ainsi que les arguments développés par les parties au sujet des obligations incombant aux États parties en vertu de l’article 15 de la Convention.

6.3Le Comité considère à ce titre que la généralité des termes de l’article 15 découle du caractère absolu de la prohibition de la torture et implique, par conséquent, une obligation pour tout État partie de vérifier si des déclarations qui font partie des éléments d’une procédure pour laquelle il est compétent n’ont pas été faites sous la torture. Le Comité constate à ce sujet que les déclarations litigieuses font partie des éléments de la procédure d’extradition dont la requérante a fait l’objet et pour laquelle l’État partie est compétent. À ce titre, en présence d’allégations selon lesquelles les déclarations litigieuses, qui constituent, à tout le moins en partie, les fondements de la demande d’extradition complémentaire ont été obtenues par la torture, l’État partie était dans l’obligation de vérifier la valeur de telles allégations.

6.4Le Comité constate que les autorités françaises, tant judiciaires qu’administratives, se sont effectivement penchées sur les allégations de la requérante et ont constaté qu’elles n’avaient pas été suffisamment étayées. Le Comité constate également que la plainte porté par M. Azurmendi au sujet des traitements dont il aurait été victime durant sa garde à vue est toujours en cours d’examen devant les autorités judiciaires espagnolesqui devraient, à l’issue de la procédure judiciaire, dire si les aveux de M. Azurmendi ont été obtenus dans des conditions illicites. Le Comité estime que seule cette vérité judiciaire doit être prise en considération plutôt que la simple rétractation par M. Azurmendi d’aveux souscrits antérieurement et en présence d’un avocat.

6.5Le Comité réaffirme à cet égard que c’est aux tribunaux des États parties à la Convention et non au Comité qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce. Il appartient aux juridictions d’appel des États parties à la Convention d’examiner la conduite du procès, sauf s’il peut être établi que la manière dont les éléments de preuve ont été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice, ou que le juge du fond a manifestement violé son obligation d’impartialité.

6.6Le Comité, considérant que c’est à l’auteur qu’il appartient de démontrer le bien‑fondé de ses allégations, estime que, sur base des éléments qui lui ont été soumis, il ne peut pas conclure qu’il est établi que les déclarations litigieuses ont été obtenues par la torture.

6.7En conséquence, le Comité est d’avis que les éléments qui lui ont été soumis ne permettent pas d’établir qu’il y a eu une violation de l’article 15 de la Convention.

Communication n o 197/2002

Présentée par:M. U. S.a

Au nom de:M. U. S.

État partie:Finlande

Date de la requête:7 janvier 2002 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 1er mai 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 197/2002 présentée par M. U. S. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte la décision ci‑après au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

1.1Le requérant est M. U. S., de nationalité sri‑lankaise, qui réside actuellement en Finlande et qui est frappé d’un arrêté d’expulsion vers Sri Lanka. Il affirme que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation par la Finlande de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 10 janvier 2002, le Comité a adressé la communication à l’État partie en lui demandant de faire parvenir ses observations et, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, il l’a prié de ne pas renvoyer le requérant à Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen. L’État partie a accédé à cette demande.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant a été membre de l’Organisation populaire de libération de l’Eelam tamoul (PLOTE) jusqu’en 1985, année où elle a été interdite par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). En 1985, les LTTE ont arrêté le requérant et l’ont gardé en détention quatre mois pendant lesquels ils l’ont interrogé sur l’endroit où étaient dissimulées les armes de la PLOTE. Ils lui ont aussi fait subir plusieurs interrogatoires par la suite.

2.2Au cours de cette période, le requérant, qui était chauffeur d’autobus, se déplaçait d’une région à une autre, les unes contrôlées par les LTTE, les autres par l’armée sri‑lankaise. Compte tenu de sa profession et du fait qu’il n’appartenait plus à la PLOTE, cette dernière l’a soupçonné de coopérer avec les LTTE et a fait part à l’armée sri‑lankaise de ses soupçons.

2.3En mars 1987, le requérant a été arrêté par l’armée sri‑lankaise et détenu pendant près de deux ans. Alors qu’il était en détention, il aurait été torturé régulièrement pendant six mois. On l’a frappé, on lui a donné des coups de pied, on l’a suspendu par l’épaule gauche dans la «position du poulet», on l’a «blessé» aux organes génitaux, on lui a brûlé les mains avec un objet incandescent et on lui a administré des décharges électriques tout en versant de l’eau froide sur lui.

2.4Après sa mise en liberté le 2 janvier 1989, le requérant a été arrêté de nouveau et interrogé à trois ou quatre reprises, parfois jusqu’à trois jours de suite, par la Force indienne de maintien de la paix. Les LTTE l’ont aussi interrogé pour savoir ce qu’il avait dit à la Force indienne de maintien de la paix au sujet de membres des LTTE.

2.5En juin 1989, le requérant s’est enfui en Allemagne où il a demandé l’asile. Sa demande a été rejetée et il a aussitôt cherché à gagner la France. La police française l’a arrêté et renvoyé en Allemagne. D’Allemagne, il a été renvoyé à Sri Lanka en juillet 1989. À son retour, il a habité dans la région de Jaffna, sous contrôle des LTTE, jusqu’en 1995. Les LTTE l’ont interrogé à plusieurs reprises pour savoir s’il avait des liens avec la PLOTE.

2.6En 1996, après que l’armée sri‑lankaise eut occupé Jaffna, le requérant s’est enfui à Vanni où il a vécu avec des parents, avant de partir pour Hatton. Dans cette ville, il a été arrêté deux fois par l’armée sri‑lankaise car il était nouveau dans la région. En 1998, la police sri‑lankaise l’a arrêté et détenu pendant trois mois, car elle le soupçonnait d’appartenir aux LTTE. Au cours de sa détention, il a été roué de coups; il garde des cicatrices aux lèvres et derrière l’oreille causées par des coups qui lui avaient été infligés à l’aide d’un revolver. En mars 1998, il a été relâché après avoir soudoyé la police.

2.7Une fois libéré, il s’est enfui via la Russie en direction de la Finlande où il est arrivé le 21 décembre 1998. Il a immédiatement demandé l’asile. Le 12 février 2001, la Direction de l’immigration a rejeté sa demande et pris un arrêté d’expulsion contre lui. Le 13 novembre 2001, le tribunal administratif d’Helsinki a rejeté son appel. Le requérant a alors demandé au Tribunal administratif suprême l’autorisation de faire appel et la suspension de l’arrêté d’expulsion. Le 31 décembre 2001, il a été débouté.

2.8Le requérant a subi plusieurs examens physiques et psychologiques après son arrivée en Finlande. Il a soumis six certificats médicaux, trois sur son état de santé physique et trois sur son état de santé psychologique. Deux des certificats font état de cicatrices aux lèvres et derrière l’oreille gauche. Un troisième indique qu’il est atteint de troubles post‑traumatiques et souffre à l’épaule de lésions correspondant au fait qu’il aurait été suspendu par un bras et qu’il présente des traumatismes d’ordre mental et physique et des cicatrices qui «pourraient avoir été causés par la torture».

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme avoir épuisé les recours internes depuis que sa demande d’autorisation de faire appel de l’arrêté d’expulsion a été rejetée par le Tribunal administratif suprêmeb.

3.2Le requérant affirme qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il serait soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka, en violation de l’article 3 de la Convention. Il souligne que la situation des droits de l’homme dans ce pays demeure mauvaise, surtout en ce qui concerne les Tamouls, et que les personnes soupçonnées d’appartenir aux LTTE risquent de disparaître et d’être détenues arbitrairement et torturées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 8 mars 2002, l’État partie a déclaré qu’il n’avait aucune objection à la recevabilité de la requête. Le 9 juillet 2002, il a soumis ses observations sur le fond. Il conteste la version des faits du requérant, qu’il juge en partie inexacte, notamment en ce qui concerne la demande d’asile en Allemagne et les événements qui ont suivi. Il renvoie le Comité à la décision de la Direction de l’immigration qui relèverait un certain nombre d’incohérences dans le récit du requérant. L’État partie fait valoir que les plaintes du requérant ont été examinées équitablement dans le cadre des procédures internes. Il renvoie à plusieurs cas particuliers d’asile dans lesquels la Cour suprême a abrogé un arrêté d’expulsion, pour montrer que chaque cas était apprécié en fonction des circonstances de la cause.

4.2Dans la décision qu’elle a rendue le 22 octobre 2001, la Direction de l’immigration a évalué la situation personnelle du requérant. Elle a estimé que les événements survenus de 1983 à 1989 n’avaient pas eu d’impact immédiat sur la décision du requérant de quitter son pays d’origine. Selon ce dernier, il avait regagné sa ville d’origine, Jaffna, après le rejet de sa demande d’asile par les autorités allemandes. Il y a résidé sans problèmes jusqu’en 1996 quand l’armée sri‑lankaise occupait Jaffna et alors que la plupart des habitants avaient dû partir pour Vanni. La torture dont il aurait été victime, remontant à une dizaine d’années avant son arrivée en Finlande, il n’y a pas de motif sérieux de croire qu’il risque encore d’être soumis à la torture.

4.3L’État partie affirme que les arrestations qui, aux dires du requérant, ont eu lieu en 1998 ne donnent aucune raison de penser que les autorités sri‑lankaises prêteraient un intérêt particulier aux activités du requérant, d’autant que, selon ce dernier, elles s’expliquaient par le fait qu’il était nouveau venu dans la région et qu’on le soupçonnait d’être un militant des LTTE. L’État partie note que lorsqu’il a été libéré après sa deuxième détention, il est demeuré encore deux semaines à Hatton où il avait été arrêté, puis a séjourné dans d’autres régions sous contrôle des forces gouvernementales jusqu’à son départ du pays. Il en conclut que rien n’indique que les autorités sri‑lankaises aient quelque chose à reprocher au requérant personnellement.

4.4L’État partie souligne que depuis la fin des années 80, le requérant n’a pas eu d’activités politiques et n’a pas non plus participé aux activités des LTTE. Ainsi, n’y a-t-il aucun motif sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture dans son pays d’origine.

4.5Bien que l’État partie reconnaisse que les certificats médicaux étayent en grande partie les déclarations du requérant au sujet de ses blessures, il fait valoir que, selon eux, elles sont déjà en partie guéries et que le requérant n’a plus besoin de traitement antidépresseur. Il admet qu’il a toujours besoin en revanche d’un traitement psychiatrique régulier et de physiothérapie, mais est d’avis qu’il faut apprécier la pertinence des certificats médicaux à la lumière des autres éléments de l’affaire.

4.6L’État partie affirme que le requérant ne manifeste pas de symptômes qui ne pourraient pas être traités dans son pays d’origine et que son état de santé ne fait pas obstacle à l’application de l’arrêté d’expulsion. Si l’on considère que les événements qui auraient porté atteinte à la santé du requérant se sont produits dans les années 80, son état de santé ne représente pas un motif sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture dans son pays d’origine.

4.7L’État partie estime que, au cours des dernières années, la situation des droits de l’homme s’est sensiblement améliorée à Sri Lanka. Il renvoie à un document établi par le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en 1999 à l’adresse du Groupe de travail de haut niveau de l’Union européenne sur l’asile et la migration aux termes duquel les demandeurs d’asile dont on constatait qu’ils ne remplissaient pas les critères pour obtenir le statut de réfugié pouvaient être renvoyés à Sri Lanka. Il se réfère au cessez-le-feu conclu le 23 février 2002 et respecté depuis par les forces armées sri‑lankaises et les LTTE. Depuis lors, les habitants n’ont plus à se présenter aux points de contrôle militaires. Il renvoie aussi à une déclaration d’un représentant du HCR en date du 21 mai 2002, selon laquelle 71 000 réfugiés tamouls avaient regagné leur foyer cette année-là, dont plus de la moitié étaient revenus dans la région de Jaffna. C’est pourquoi, de l’avis de l’État partie, au vu de l’amélioration continue de la situation à Sri Lanka, il n’y avait aucun risque prévisible, réel et personnel que le requérant soit torturé à son retour.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans sa réponse, le requérant rappelle les faits décrits dans sa communication initiale et fournit de nouvelles informations. Il affirme qu’en août 1985 il a enterré des armes appartenant à l’Organisation de libération de l’Eelam (TELO), autre organisation interdite par les LTTE, dans le jardin de la maison de famille. Comme les LTTE contrôlent la vie des habitants de Jaffna, le requérant craint les conséquences graves que lui-même et sa famille pourraient subir si les LTTE venaient à recevoir des informations sur ces armes. Il fait valoir que les LTTE considèrent la dissimulation d’armes et de munitions comme une atteinte grave à l’organisation et réagiraient sans ménagement à un tel acte. Qui plus est, comme cet acte constitue un crime en droit sri‑lankais, il risque d’être poursuivi par les pouvoirs publics. Il fait valoir que c’est parce qu’il avait peur qu’il n’avait pas fourni ces renseignements pendant la procédure d’asile. Afin d’expliquer la raison pour laquelle il n’a soulevé cette question qu’à ce stade, le requérant renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle on ne saurait attendre d’une victime de la torture qu’elle donne un compte rendu complet et cohérent de ses expériences passées pendant la procédure d’asile. Il ajoute que le HCR admet qu’une personne qui, en raison de ce qu’elle a vécu, craint les autorités de son pays d’origine, puisse exprimer de la méfiance à l’égard d’autorités quelles qu’elles soient.

5.2En outre, le requérant affirme qu’après s’être enfui de Sri Lanka, il a appris que certains de ses amis tamouls avaient été tués, que d’autres avaient rejoint les rangs de l’armée et d’autres encore quitté le pays. La PLOTE a été dissoute en 2000, lorsque son chef a été assassiné à Vavuniya. Il soutient par ailleurs que, comme il n’a pas de carte nationale d’identité, il se trouvera dans une situation extrêmement délicate comme l’illustre un rapport d’avril 2002 émanant de la Direction de l’immigration et de la nationalité du Home Office du Royaume‑Uni.

5.3Quant à la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka, le requérant nie qu’elle se soit sensiblement améliorée et invoque à cet égard des rapports, émanant et de Human Rights Watch (juillet 2002) et du Département d’État des États-Unis (Country Report on Human Rights Practices, 2001). D’après le premier, les participants au processus de paix ne se sont guère préoccupés officiellement des questions relatives aux droits de l’homme bien que la guerre civile ait été nourrie par des violations graves des droits de l’homme, commises par toutes les parties. Les détenus, qui se comptent par centaines, sont majoritairement des Tamouls soupçonnés d’avoir des relations avec les LTTE, le Mémorandum d’accord n’est pas un instrument qui porte sur les droits de l’homme et, manifestement, son adoption n’a pas empêché les violations de se poursuivre. Selon l’autre rapport, il s’est produit de graves problèmes de droits de l’homme dans certaines régions et la guerre en cours avec les LTTE a continué d’engendrer de graves violations des droits de l’homme, d’un côté comme de l’autre. Les forces de sécurité et la police continuent de torturer et de maltraiter les personnes détenues en garde à vue ou en prison, en particulier les Tamouls soupçonnés de soutenir les LTTE. C’est pourquoi, de l’avis du requérant, rien ne prouve de manière convaincante que la situation des droits de l’homme a définitivement et sensiblement changé ou qu’il ne se produit plus de violations massives, flagrantes et systématiques des droits de l’homme à Sri Lanka.

5.4Se référant aux certificats médicaux, le requérant reconnaît qu’il est en partie guéri, mais que cela n’est pas à prendre en considération pour apprécier s’il a été victime de tortures. Pour lui, l’État partie ne reconnaît pas qu’il a été torturé non seulement dans les années 80, mais aussi au cours de ses trois mois de détention en 1998. Il soutient qu’il est improbable que le système de soins de santé sri‑lankais puisse lui procurer le traitement spécialisé dont il a besoin. À ce sujet, même si son état de santé ne constitue peut‑être pas en soi un motif sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture, il n’en demeure pas moins qu’il représente un élément pertinent au sens du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention pour évaluer l’existence d’un tel risque.

5.5Le requérant affirme que «la question qui se pose est de savoir si … [il existe] … un risque sérieux qu’il soit soumis à la torture à Sri Lanka, non de savoir s’il a bénéficié d’une procédure d’asile équitable en Finlande». La question porte donc sur l’interprétation de l’article 3 de la Convention et non sur la légalité, quant à la procédure et au fond, de la décision finlandaise concernant l’asile.

5.6Le requérant fait valoir que les critères appliqués par le Comité dans l’affaire Elmi c. Australiec en ce qui concerne la notion élargie d’«agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel» s’appliquent aussi au rôle joué par les LTTE dans les régions soumises à leur contrôle à Sri Lanka. Il évoque l’exercice, par les LTTE, de pouvoirs quasi gouvernementaux dans le nord et l’est du pays qu’ils contrôlent et le fait qu’ils ont été acceptés en tant que partie aux négociations de paix et qu’ils viennent d’ouvrir un bureau politique à Jaffna avec l’aval du Gouvernement sri‑lankais. Ainsi, pour le requérant, la crainte qu’il éprouve d’être torturé par les LTTE mérite d’être prise en considération pour évaluer le risque d’une violation de l’article 3.

5.7Le requérant rappelle que ses expériences passées de la torture lui ont causé des souffrances psychiques et des blessures physiques aiguës. Il soutient qu’en raison de l’instabilité qui sévit à Sri Lanka, il est justifié de déclarer qu’il éprouve une vive inquiétude à l’idée de vivre à Sri Lanka, sans compter le risque grave de torture. Il fait observer que, selon son psychiatre, il a besoin d’un traitement spécialisé et se trouve donc moralement vulnérable au stress émotionnel que le fait de vivre à Sri Lanka ne manquerait pas de lui causer. Ces seuls éléments peuvent constituer en soi une souffrance assimilable à la torture.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Le 28 février 2003, l’État partie a affirmé que les nouveaux éléments d’information soumis par le requérant sur ses activités pour le compte de la TELO n’étaient pas crédibles car il n’en avait jamais fait mention jusqu’à sa lettre au Comité datée du 4 novembre 2002. Il a beau dire qu’il craignait que les LTTE ne découvrent ses activités, cela n’explique pas pourquoi il n’a pas évoqué cet incident plus tôt, comme il avait fait part de ses activités pour le compte de la PLOTE qui, elle aussi, agissait contre les LTTE. Qui plus est, étant donné que ces prétendues activités ont eu lieu près de 20 ans plus tôt, il serait fort peu probable que le requérant se retrouve en butte aux représailles des LTTE.

6.2L’État partie soutient aussi que le fait que le requérant soit retourné à Sri Lanka, sans subir de conséquences regrettables après que l’asile lui eut été refusé en Allemagne, appuie l’idée qu’il ne risquerait pas personnellement d’être soumis à la torture à son retour dans son pays. À propos des rapports soumis par le requérant sur la situation des droits de l’homme à Sri Lanka, il relève que la Direction de l’immigration comme les juridictions internes les ont déjà pris en considération pour examiner sa demande d’asile. Il fait aussi observer qu’à deux occasions au moins le Comité a estimé que les LTTE ne pouvaient pas être considérés comme une autorité au sens de l’article 3 de la Conventiond.

Délibérations du Comité

7.1Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que les parties lui avaient soumises, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

7.2Le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant à Sri Lanka violerait l’obligation qui incombe à la Finlande, au titre de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

7.3Avant de se prononcer, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque personnellement d’être soumis à la torture s’il y était renvoyé; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement ce risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, ne signifie pas qu’un individu ne peut pas être considéré comme risquant d’être soumis à la torture compte tenu de sa situation personnelle.

7.4Le Comité appelle l’attention sur son observation générale no 1 relative à l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22 de la Convention, dont le paragraphe 6 se lit comme suit:

«Étant donné que l’État partie et le Comité sont tenus de déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé ou extradé, l’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable.».

7.5Le Comité observe que l’obligation de l’État partie de s’abstenir de renvoyer une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture est directement liée à la définition de la torture donnée à l’article premier de la Convention. Aux fins de la Convention, d’après l’article premier, «le terme “torture” désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite».

7.6En ce qui concerne la possibilité que le requérant soit soumis à la torture par les pouvoirs publics à son retour à Sri Lanka, le Comité prend dûment acte des allégations du requérant selon lesquelles il a été précédemment détenu et torturé par des membres de l’armée sri‑lankaise. Il observe en outre que le requérant a fourni des certificats médicaux attestant des blessures qui «pourraient avoir été causées par la torture», encore qu’aucun de ces certificats ne montre qu’il a été torturé durant sa détention en 1998. L’État partie ne nie pas l’authenticité de ces certificats mais note que ces certificats témoignent d’une amélioration progressive de l’état de santé de l’auteur et du fait qu’il peut être à présent soigné à Sri Lanka. L’État partie ne reconnaît pas que le requérant a été torturé par l’armée sri-lankaise et fait observer que les sévices dont il fait état remontent à plusieurs années.

7.7Le Comité note la nécessité de tenir compte du processus de paix en cours qui a débouché sur un accord de cessez-le-feu entre le Gouvernement et les LTTE en février 2002, et les négociations menées depuis lors par les parties au conflit. Il rappelle, d’autre part, les résultats de son enquête sur Sri Lanka effectuée au titre de l’article 20 de la Convention et sa conclusion selon laquelle bien qu’il subsiste un nombre alarmant de cas de torture et de mauvais traitement au sens des articles premier et 16 de la Convention, la torture n’est pas systématique à Sri Lankae. Il note enfin l’avis exprimé par le HCR, en mars 1999, selon lequel ceux, y compris les personnes d’origine tamoule, qui ne remplissaient pas les critères pour obtenir le statut de réfugié pouvaient être renvoyés à Sri Lanka et que de nombreux réfugiés tamouls étaient rentrés dans leur pays en 2001 et 2002. Dans ce contexte, il y a lieu de constater que le requérant n’est plus politiquement actif depuis le milieu des années 80.

7.8Le Comité rappelle que pour que l’article 3 de la Convention soit applicable, la personne concernée doit courir un risque prévisible et réel d’être torturée dans le pays vers lequel elle est renvoyée et que le danger couru doit être personnel et actuel. Eu égard aux observations figurant aux paragraphes 7.6 et 7.7 ci‑dessus, le Comité pense que le requérant n’a pas prouvé l’existence d’un risque personnel et réel.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication n o 198/2002

Présentée par:A. A.

Au nom de:A. A.

État partie:Pays‑Bas

Date de la requête:10 octobre 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 30 avril 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 198/2002 présentée par M. A. A. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte la décision ci‑après au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

1.1Le requérant est A. A., de nationalité soudanaise, né le 11 novembre 1968 et séjournant actuellement aux Pays‑Bas, où il a demandé l’asile. Il affirme que son renvoi au Soudan constituerait une violation par les Pays‑Bas de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 10 janvier 2002, le Comité, agissant conformément à l’article 108 de son règlement intérieur, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que sa requête serait en cours d’examen. Le 11 mars 2002, l’État partie l’a informé qu’il respecterait cette demande.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant exerçait la profession d’avocat au Soudan. Il affirme que sa sœur, Zakia, est la veuve de Bashir Mustafa Bashir, l’une des 28 personnes ayant participé au coup d’État au Soudan en 1989, ce pour quoi M. Bashir a été exécuté. Par la suite, la sœur du requérant a milité dans une organisation de l’opposition œuvrant pour les familles des martyrs. À partir de 1993, le requérant a été un membre actif du Parti unioniste démocrate (DUP) interdit, appartenant à une coalition de partis d’opposition, al‑Tajammu’al‑Watani li’adat al‑Dimuqratiya (Alliance nationale démocratique). Il est membre de l’Association soudanaise des avocats depuis 1992.

2.2Au cours de l’été 1997, un parti progouvernemental s’est présenté contre le DUP aux élections de l’Association soudanaise des avocats. Pendant la préparation de cette consultation, le DUP a organisé une réunion pour ses sympathisants. Le requérant faisait partie des organisateurs et intervenants. Il affirme que les participants à la réunion étaient si nombreux que les autorités soudanaises ont jugé nécessaire d’intervenir et ont arrêté plusieurs personnes, dont le requérant. Il aurait ensuite été détenu dans un centre des services de la sûreté de l’État à Khartoum‑Bahri pendant 10 jours, au cours desquels il a été interrogé, maltraité et torturé. Puis, il a été libéré sous condition (interdiction de voyager).

2.3Alors qu’il se rendait à Port Soudan pour participer à des activités du parti d’opposition en septembre 1997, le requérant a été arrêté pour la deuxième fois. Il a été détenu à Sawakin, où il a été interrogé et aurait reçu des menaces de mort. Après trois jours de détention, il aurait été jeté à la mer et repêché au bout d’un quart d’heure. Il a ensuite été conduit dans une prison où il a été détenu pendant une semaine. Lorsqu’il a été relâché, on lui a demandé d’arrêter ses activités politiques.

2.4Le jour des élections, un différend a éclaté entre le parti gouvernemental et les partisans de l’opposition à propos d’allégations de fraude électorale. Le requérant a une nouvelle fois été arrêté et gardé en détention pendant trois jours, au cours desquels il aurait été torturé. Le 30 janvier 1998, il a de nouveau été arrêté alors qu’il participait à une grande manifestation qu’il avait contribué à organiser. Il a été conduit dans une prison secrète (dite «maison fantôme»), où il a été gardé pendant environ deux mois. Ayant réussi à s’échapper, il s’est enfui aux Pays‑Bas, où il est arrivé le 13 avril 1998.

2.5Le requérant a demandé l’asile aux Pays‑Bas le 15 avril 1998. Le 12 mai 1998, il a été interrogé par les services de l’immigration et, le 23 mai 1999, le Secrétaire d’État à la justice a rejeté sa demande au motif qu’elle était manifestement non fondée. Sa demande d’autorisation de séjour pour motifs humanitaires a également été rejetée.

2.6Le 14 avril 2000, le Secrétaire d’État à la justice a rejeté sa demande de révision de la décision. De plus, le recours formé par le requérant devant le tribunal de district de La Haye a été rejeté le 29 mars 2001.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme qu’il serait soumis à la torture s’il était renvoyé au Soudan. Pour justifier cela, il évoque ses précédentes détentions, affirmant notamment avoir été torturé à cause des activités politiques qu’il menait au Soudan. Il invoque en outre l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme par les autorités soudanaises et renvoie à cet égard à des rapports d’organisations non gouvernementales et des documents de la Commission des droits de l’homme de l’ONU.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une note verbale datée du 11 mars 2002, l’État partie a informé le Comité qu’il ne contestait pas la recevabilité de la requête. Il a présenté ses observations quant au fond le 9 juillet 2002.

4.2L’État partie déclare qu’en renvoyant le requérant il ne manquerait pas aux obligations qu’il a contractées au titre de l’article 3 de la Convention. Il donne une description détaillée de la procédure suivie au niveau national dans le cas d’espèce. L’admission et l’expulsion des étrangers sont réglées par la loi de 1965 sur les étrangers, le décret sur les étrangers, le règlement relatif aux étrangers et les directives de 1994 concernant l’application de la loi sur les étrangersa.

4.3Le premier entretien avec un demandeur d’asile a lieu dès que possible. Il est mené sur la base d’un formulaire que le demandeur doit remplir en portant les renseignements demandés. À ce stade, le demandeur n’est pas interrogé sur les raisons qui l’ont poussé à quitter son pays d’origine. Un deuxième entretien est consacré à ces motifs. Le demandeur ou son représentant reçoit copie du compte rendu établi par le fonctionnaire chargé de l’entretien et dispose d’au moins deux jours pour soumettre des corrections ou des renseignements complémentaires. Une décision est ensuite prise par un fonctionnaire du Service de l’immigration et des naturalisations au nom du Secrétaire d’État à la justice.

4.4Lorsqu’une demande d’admission en tant que réfugié ou d’autorisation de séjour fait l’objet d’une décision de rejet, le demandeur d’asile peut faire opposition. La décision est alors examinée par un comité, qui interroge l’intéressé. Si son objection est déclarée infondée, il peut former un recours auprès du tribunal de district de La Haye, dont les décisions sont sans appel, aux termes de la loi de 1965 sur les étrangersb.

4.5L’État partie indique que le Ministre néerlandais des affaires étrangères publie régulièrement des rapportsc sur la situation des droits de l’homme au Soudan. Selon le rapport publié en septembre 1998, après le coup d’État effectué par le général Omar Hassan El Bachir le 30 juin 1989, tous les partis politiques ont été interdits et leurs dirigeants ont quitté le pays ou poursuivi leur activité politique dans la clandestinité. Le Front islamique national restait l’unique force politique influente. Depuis 1993, Omar Hassan El Bachir est le Président du Soudan. Le Front dispose d’une large majorité au Parlement. Le rapport notait que les arrestations arbitraires et détentions sans inculpation étaient courantes. Les partisans des partis politiques interdits, les syndicalistes, les avocats et les militants des droits de l’homme faisaient partie des victimes potentielles. On connaissait des cas de «disparition» de membres de ces groupes, qui finissaient dans les «maisons fantômes» des services de sécurité ou étaient soumis à d’autres formes de harcèlement par ces mêmes services.

4.6L’État partie déclare que, selon le rapport susvisé, les prisonniers politiques étaient principalement détenus à la prison centrale de Khartoum‑Nord (prison de Kober). Au regard des normes européennes, les conditions de vie y étaient mauvaises, mais l’interdiction de la torture était respectée. L’armée et les services de sécurité avaient leurs propres centres de détention, où la torture et la détention sans inculpation étaient fréquemment pratiquées. Les «maisons fantômes» étaient des centres de détention non officiels, qui n’étaient soumis à aucune forme de contrôle. La détention durait généralement de quelques jours à trois semaines. Elle visait à intimider les adversaires politiques présumés; les détenus étaient soumis à des violences mentales et physiques et à la torture. Les attaques armées dans l’est du Soudan avaient entraîné une utilisation accrue de ces centres au cours du premier semestre de 1997, mais après que le Gouvernement eut repris le contrôle de la situation plus tard la même année, leur utilisation avait diminué. Le Ministre concluait que depuis 1997 l’on discernait au Soudan certains changements positifs. La situation n’était pas telle qu’il fût irresponsable d’y renvoyer un Soudanais dont la demande d’admission comme réfugié ou d’autorisation de séjour pour motifs humanitaires aurait été refusée à l’issue d’un examen attentif.

4.7Par lettre du 20 novembre 1998, le Secrétaire d’État à la justice a informé la Chambre des représentants de sa décision de ne plus admettre les demandeurs d’asile nord‑soudanais au bénéfice de permis de séjour temporairesd. Le 2 juin 1999, la Division pour l’application uniforme de la loi a conclu que, compte tenu des informations disponibles, la décision du Secrétaire d’État à la justice était justifiée.

4.8Selon le rapport sur le Soudan pour 1999, la situation des droits de l’homme s’était légèrement améliorée, tout en restant préoccupante. En particulier, la situation dans les zones de conflit était inquiétante. Devenues moins fréquentes, les arrestations et détentions arbitraires restaient cependant possibles en vertu de la loi sur la sécurité nationale et du Code pénal (aucune date n’est précisée).

4.9Le 21 juillet 2000, le Ministère des affaires étrangères a publié un rapport complémentaire sur la politique d’un certain nombre de pays occidentaux en matière de renvoi des Soudanais dont la demande d’asile n’avait pas abouti. Se fondant sur les rapports pour 1999 et 2000, le Secrétaire d’État à la justice a modifié sa politique de protection catégorielle. En particulier, les membres des groupes sud‑soudanais non arabes ou groupes nouba qui, avant de quitter le pays, résidaient sans être inquiétés au Nord‑Soudan n’étaient plus admis au bénéfice de permis de séjour temporaires.

4.10Selon le rapport le plus récent sur le Soudan, publié en mars 2001, la situation relative aux droits de l’homme s’était quelque peu améliorée mais restait préoccupante, en particulier dans les zones de conflit. Le Président El Bachir a remplacé la loi du Tawali de janvier 1999 par une nouvelle loi sur les partis politiques, autorisant les partis comptant au moins 100 adhérents à mener des activités politiques. Ces partis peuvent, raisonnablement, exercer leurs activités sans avoir à en pâtir. Ils ne sont toutefois pas complètement libres. Des responsables politiques, par exemple, ont à plusieurs occasions été convoqués pour interrogatoire par les services de sécurité et une arrestation a été signalée. Il n’existait cependant pas de cas de détention se prolongeant plus d’une journée ou de violences graves, comme cela se produisait auparavant. Les partis, comme le Parti de l’Oumma et le DUP, jouissaient d’une plus grande liberté que par le passé. Des membres de l’opposition du nord étaient rentrés au Soudan, à la suite de l’«Appel de la patrie» et de l’amnistie des réfugiés politiques vivant en exil, annoncée à plusieurs reprises par le Président El Bachir et proclamée par écrit le 3 juin 2000. Aussi, la politique de l’État partie concernant l’octroi d’autorisations de séjour aux demandeurs d’asile soudanais restait‑elle inchangée.

4.11Pour ce qui est de la situation personnelle du requérant, l’État partie rappelle que ce dernier affirme avoir commencé à exercer comme avocat à Khartoum en mars 1992 et être membre du Syndicat des avocats soudanais (le «Syndicat des avocats»). En 1993, il a adhéré au DUP. Le Syndicat des avocats comprenait deux fractions, dont l’une soutenait le régime au pouvoir et l’autre le DUP. Les activités menées par le requérant pour le DUP au sein du Syndicat des avocats consistaient principalement à coordonner et à organiser des réunions dans le but de renverser le régime. L’intéressé a indiqué que ses problèmes avaient commencé en juillet 1997, pendant la préparation des élections au conseil du Syndicat des avocats qui devaient se tenir en novembre de la même année. Il déclare que les autorités lui manifestaient de l’hostilité ainsi qu’à sa famille dès avant cela en raison des activités de son beau‑frère.

4.12L’État partie constate que le requérant a été arrêté à quatre reprises: la première fois en juillet 1997, au cours d’une réunion sur les élections à venir tenue dans les locaux du Syndicat des avocats. En septembre 1997, quand, voulant assister à une réunion du parti à Port Soudan, il s’était adressé aux services de sécurité pour obtenir une autorisation de voyager, il avait été informé qu’après son arrestation de 1997 il n’était plus autorisé à voyager. Cela ne l’a pas empêché de partir, mais il a été arrêté à Sawakin. Trois jours plus tard, il a été jeté dans l’océan par des membres des services de sécurité. Il affirme qu’on a ainsi cherché à l’effrayer; il a été repêché par un remorqueur, accusé de trafic d’armes et de sortie illégale du Soudan, et livré aux services de sécurité. Il a été détenu pendant sept jours avant d’être relâché. La troisième arrestation a eu lieu en novembre 1997, alors qu’il surveillait les élections au Syndicat des avocats. La quatrième arrestation a eu lieu le 30 janvier 1998, pendant une manifestation. Le requérant a affirmé avoir été conduit dans une «maison fantôme», où il a été enfermé dans une cellule d’isolement, mesurant 0,5 m par 3 m, interrogé à deux reprises et soumis à la torture psychologique. Le 20 mars 1998, il a été interrogé par un ancien camarade de classe de l’école secondaire, qui a décidé de l’aider et lui a indiqué comment s’évader de sa cellule. Le 25 mars 1998, le requérant a quitté le Soudan en bateau depuis Port Soudan.

4.13L’État partie rappelle que le requérant a déposé une demande d’asile et d’autorisation de séjour le 15 avril 1998. Le 12 mai 1998, il a eu un entretien avec un fonctionnaire des services de l’immigration et des naturalisations, avec le concours d’un interprète de langue arabe, sur les raisons de sa demande d’asile. Par décision du 23 mai 1999, sa demande a été rejetée comme manifestement infondée; sa demande d’autorisation de séjour a également été rejetée. Le 17 juin, il a fait opposition de la décision du 23 mai 1999 et le 10 février 2000, il a été interrogé par un comité au sujet de son objection. Celle‑ci a été déclarée infondée le 14 avril 2000. Le requérant a formé un recours de cette décision le 9 mai 2000. Par un jugement en date du 29 mars 2001, le tribunal de district de La Haye a déclaré son recours non fondé.

4.14L’État partie considère que l’existence d’un ensemble de violations systématiques et flagrantes des droits de l’homme dans un pays ne constitue pas en soi une raison suffisante pour conclure qu’une personne risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs précis donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en dangere. L’État partie rappelle que l’expression «motif sérieux» signifie qu’il doit exister plus qu’une simple possibilité de torture, mais qu’il n’est pas pour autant nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable pour que les conditions énoncées à l’article 3 de la Convention soient satisfaitesf.

4.15L’État partie invoque l’observation générale no 1 du Comité sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, en particulier les paragraphes 6 et 7g, ainsi que les constatations adoptées par le Comité dans l’affaire S. S. et S. A. c. Pays ‑Bas, communication no 142/1999h.

4.16En ce qui concerne le risque que son renvoi au Soudan ferait personnellement courir au requérant, l’État partie constate que la situation actuelle des droits de l’homme dans ce pays, même si elle est préoccupante, ne constitue pas un motif sérieux de croire que tous les Soudanais risquent de façon générale d’être soumis à la torture. Il renvoie aux rapports du Ministre néerlandais des affaires étrangères et à la jurisprudence du Comité.

4.17Selon l’État partie, le fait que le requérant ait été avocat et membre du DUP ne constitue pas en soi un motif suffisant de supposer que, s’il était renvoyé au Soudan, il risquerait d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. L’État partie invoque les rapports susmentionnés du Ministre des affaires étrangères. Les militants des partis politiques ne jouissent toujours pas d’une totale liberté, mais il n’y a plus de cas de détention se prolongeant plus d’une journée ou d’autres violences graves. Qui plus est, après l’«Appel de la patrie» et la proclamation d’une amnistie, des membres importants de l’opposition du nord sont rentrés au Soudan.

4.18Selon l’État partie, il n’est pas possible de conclure que le renvoi du requérant dans son pays d’origine aurait pour conséquence prévisible de lui faire courir personnellement un risque réel d’être torturé. Des doutes subsistent quant à la crédibilité des déclarations de l’intéressé selon lesquelles les autorités seraient mal disposées envers lui et sa famille parce que son beau‑frère avait participé à une tentative de coup d’État le 23 septembre 1989. L’État partie déclare ne pas être au courant d’une telle tentative à cette date; tous ses rapports indiquaient qu’un coup d’État avait eu lieu le 30 juin 1989, sous la direction du général El Bachir, devenu depuis lors Président du Soudan. Il déclare que le requérant n’a pas suffisamment étayé l’affirmation selon laquelle les problèmes qu’il avait eus avec les autorités en 1989 résultaient des activités de son beau‑frère et étaient tels qu’il devait craindre un traitement contraire à la Convention.

4.19L’État partie rejette comme invraisemblable l’affirmation selon laquelle le requérant a été détenu du 30 janvier au 23 mars 1998. Ses déclarations auraient été contradictoires, vagues et imprécises. En particulier, le requérant a fourni des renseignements contradictoires sur le nombre de personnes présentes à ses interrogatoires.

4.20Selon l’État partie, le requérant a été incapable de donner des renseignements détaillés sur la prison dans laquelle il était détenu et, bien qu’il y ait séjourné plus de deux mois, n’a pas pu décrire précisément sa cellule. L’État partie rejette comme invraisemblable l’affirmation selon laquelle des obstacles empêchaient l’intéressé de marcher dans sa cellule. Il est, à son avis, inimaginable qu’au cours d’une détention de près de deux mois, le requérant n’ait pas cherché à en savoir plus sur l’endroit où il se trouvait. L’intéressé aurait dû pouvoir décrire sa cellule plus en détail, ne serait‑ce que parce qu’il affirme que ses repas y étaient jetés chaque jour.

4.21L’État partie met en doute la facilité avec laquelle le requérant, selon ses dires, a pu quitter sa prison. Il soutient que le fait que d’importants opposants au régime puissent être détenus dans une prison dont les portes ne sont pas verrouillées défie l’imagination. L’État partie trouve également surprenant que le requérant ait pu partir sans se faire remarquer dans une voiture qui l’attendait à 100 mètres à peine de la prison. Enfin, l’État partie considère que le récit qu’a fait le requérant de sa détention n’est pas plausible.

4.22L’État partie conclut que, à son sens, la présentation des faits par le requérant contient des incohérences caractérisées qui suscitent des doutes quant à la véracité de ses déclarations; ces incohérences portent sur des aspects essentiels des raisons invoquées par l’intéressé pour quitter le Soudan. L’État partie considère qu’il existe des motifs suffisants de penser qu’il est peu plausible que les autorités soudanaises soient mal disposées à l’égard du requérant et, par conséquent, que celui‑ci risque d’être torturé à son retour au Soudan, ou que les raisons de croire que ce risque existe sont si sérieuses que l’intéressé se trouverait personnellement et actuellement en danger.

4.23L’État partie affirme que, même si l’on prêtait foi aux déclarations faites par le requérant au sujet des problèmes liés aux activités qu’il menait pour le DUP au sein du Syndicat des avocats, cela ne permettrait pas de conclure que l’intéressé subirait un traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il rentrait maintenant au Soudan. L’État partie considère qu’il n’est pas vraisemblable que les autorités soudanaises aient été complètement au courant des activités politiques personnelles du requérant, étant donné que celui-ci les menait sous le couvert du Syndicat des avocats. Il fait également observer que, selon les déclarations du requérant lui‑même, celui‑ci n’a jamais été visé personnellement par une arrestation ou des mauvais traitements (dans sa propre ville, par exemple) de la part des autorités. L’intéressé a été arrêté une fois dans le cadre d’une intervention de la police visant à réprimer des troubles importants de l’ordre public et une autre fois parce qu’il avait enfreint une interdiction de voyager.

4.24L’État partie conclut enfin que, compte tenu de la situation générale au Soudan et de la situation particulière de l’intéressé, il n’y pas de raison de considérer qu’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant courrait à son retour au Soudan un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture.

Commentaires du requérant

5.1Dans ses commentaires en date du 22 décembre 2002 sur les observations de l’État partie, le requérant note que celui‑ci émet «certains» doutes sur la crédibilité de ses déclarations, ce qui, à son avis, ne suffit pas pour remettre en cause ce qu’il affirme. Il conteste les doutes exprimés par l’État partie au sujet de sa détention du 30 janvier au 23 mars 1998. Il relève que l’État partie ne conteste pas sa participation à la manifestation du 30 janvier 1998, et estime que les contradictions relevées par l’État partie sont mineures. Il juge purement spéculatives les observations de l’État partie, qui n’a pas tenu compte du fait qu’il était détenu dans une prison secrète, c’est‑à‑dire dans un lieu de détention inhabituel, et qu’il est difficile d’obtenir des informations sur ces «maisons fantômes». Il objecte que l’État partie n’a pas pris en considération les circonstances de sa détention et le fait qu’il avait déjà été à l’époque victime d’actes de torture.

5.2Selon le requérant, l’État partie n’a pas exprimé auparavant de doutes explicites sur la crédibilité de ses déclarations concernant ses première, deuxième et troisième arrestations. Le requérant estime avoir fait des déclarations détaillées, cohérentes et non contradictoires.

5.3Le requérant conteste la conclusion à laquelle arrive l’État partie au paragraphe 4.24 ci‑dessus. Il rappelle, que pour commencer, les élections au Syndicat des avocats avaient un caractère hautement politique et qu’il n’est donc pas invraisemblable que les autorités aient été au courant de son engagement politique. Il réaffirme avoir été interrogé sur ses activités et prié d’y mettre fin.

5.4Par ailleurs, le requérant déclare que les faits ne corroborent pas l’observation de l’État partie selon laquelle il n’était pas personnellement «visé». La première fois qu’il a été arrêté, interrogé et torturé, il était l’un des organisateurs et orateurs de la réunion tenue dans les locaux du Syndicat. La deuxième fois, il a été arrêté, détenu et torturé, et on lui a demandé de mettre fin à ses activités politiques, après qu’il eut enfreint une interdiction de voyager. La troisième fois, il faisait partie des personnes qui avaient décelé une tentative de fraude électorale.

5.5Le requérant relève également que l’État partie n’a pas pris en considération, comme il l’aurait dû, le fait qu’à chacune de ses détentions il a été torturé.

5.6Enfin, le requérant affirme que l’État partie n’a pas tenu compte, comme il l’aurait dû, du fait que les avocats se trouvant dans sa situation demeurent au Soudan un groupe en situation de risquei.

Délibérations du Comité

6.Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si cette communication est recevable au titre de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme le paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention lui en fait obligation, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête et l’a prié de procéder à son examen quant au fond. Il conclut qu’il n’existe aucun obstacle à la recevabilité de la requête et procède à son examen sur le fond.

7.1Le Comité a examiné la requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

7.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Soudan, l’État partie manquerait ou non à l’obligation qui lui est faite par l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

7.3Le Comité rappelle qu’aux termes du paragraphe 2 de l’article 3, il doit pour ce faire tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris l’existence dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il s’agit, toutefois, de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires de penser que l’intéressé serait personnellement en danger. Inversement, l’absence d’un ensemble systématique de violations flagrantes des droits de l’homme ne signifie pas que cette personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.4Dans le cas d’espèce, le Comité prend note des incohérences relevées par l’État partie dans le récit du requérant, ainsi que du fait que ce dernier n’a aucunement étayé l’affirmation selon laquelle il a été soumis à la torture.

7.5Le Comité prend également note des observations de l’État partie selon lesquelles le requérant n’a fourni aucune information sur ses conditions de détention dans une «maison fantôme» et n’a pas pu décrire la cellule dans laquelle il aurait été détenu pendant plusieurs semaines. La seule réponse apportée à ces arguments par le requérant a été qu’il ne suffisait pas que l’État partie émette «certains doutes» sur la crédibilité de ses déclarations. Le Comité constate en outre que le requérant n’a pas dissipé les doutes émis par l’État partie au sujet de la facilité avec laquelle il aurait quitté la prison.

7.6Enfin, le Comité prend note des observations de l’État partie sur l’évolution qu’a connue le système politique au Soudan au cours des cinq dernières années, concernant en particulier la légalisation des partis politiques, l’amnistie accordée aux réfugiés politiques par le Président le 3 juin 2000 et l’«Appel de la patrie» auquel d’importants membres de l’opposition ont répondu en rentrant au Soudan. Le Comité constate que le requérant n’a contesté aucun de ces arguments dans ses commentaires.

7.7Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les renseignements fournis par le requérant ne font pas apparaître de motifs sérieux de croire qu’il courrait personnellement le risque d’être torturé s’il était renvoyé au Soudan.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que le renvoi du requérant au Soudan ne constituerait pas une violation par les Pays‑Bas de l’article 3 de la Convention.

Communication n o 201/2002

Présentée par:M. V. (représenté par un conseil)

Au nom de:M. V.

État partie:Pays‑Bas

Date de la requête:31 janvier 2002

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 2 mai 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 201/2002 présentée par M. M. V. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte la décision ci‑après en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

1.1Le requérant est M. M. V., ressortissant turc d’origine ethnique kurde, né le 1er janvier 1963, se trouvant actuellement aux Pays‑Bas et frappé d’une mesure d’expulsion vers la Turquie. Il affirme que son renvoi forcé en Turquie constituerait une violation par les Pays‑Bas de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 31 janvier 2002, le Comité a adressé la requête à l’État partie en le priant de faire ses observations et, en application de l’article 108 de son règlement intérieur, de ne pas renvoyer le requérant en Turquie tant que sa requête serait examinée par le Comité. L’État partie a accédé à cette demande.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant déclare que lui‑même et son épouse sont des proches du dirigeant du Parti des travailleurs kurdes (PKK), Abdullah Öcalan, qui est originaire de la même ville que lui, Ömerli, dans la partie kurde de la Turquie. Le grand‑père du requérant est le neveu de la mère d’Abdullah Öcalan. La grand‑mère de l’épouse du requérant est la sœur du père d’Abdullah Öcalan. Il affirme appartenir à une famille de militants politiques, étant lui‑même aussi très actif sur ce plan.

2.2En 1997, le requérant a rejoint les rangs du Parti démocratique du peuple (HADEP), formation politique prokurde. Il a également recueilli des éléments d’information pour le compte d’une organisation de défense des droits de l’homme, l’IHD, concernant des allégations de violations des droits de l’homme commises par les autorités turques. Il affirme avoir été arrêté à plusieurs reprises et avoir subi des mauvais traitements du fait de ces activités, et que les autorités turques ont cherché à lui soutirer des renseignements à propos du PKK, du HADEP et de l’IHD. En mai 1998, on l’aurait menacé de mort pour l’amener à donner les renseignements demandés (après l’avoir interrogé, en 1993 et 1995, aux mêmes fins). L’on aurait aussi menacé ses proches pour le dissuader de s’enfuir. Par la suite, il est parti de son village natal et a quitté la Turquie en camion le 11 juin 1998, arrivant aux Pays‑Bas le 17 juin 1998, d’où il poursuivrait ses activités politiquesa.

2.3Le 18 juin 1998, le requérant a formulé une demande d’asile et d’autorisation de séjour. À l’issue d’un entretien en présence d’un interprète, le Secrétaire à la justice a décidé, le 8 février 2000, que sa demande d’asile était manifestement infondée et a en outre rejeté sa demande d’autorisation de séjour pour des motifs humanitaires.

2.4Le 7 mars 2000, le requérant a formulé une objection au sujet de cette décision et en a donné les motifs le 24 mars 2000. Le 6 juillet 2000, il a sollicité une ordonnance interlocutoire pour la suspension de son expulsion. Le 24 juillet 2001, le Tribunal de district de La Haye a rejeté la demande d’ordonnance interlocutoire et a déclaré l’objection infondée. Le Tribunal a constaté, notamment, que rien n’indiquait que l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (interprété comme interdisant l’extradition vers un pays où un individu risquerait d’être soumis à la torture) serait violé dans le cas du requérant, étant donné que celui‑ci n’avait pas démontré son appartenance effective à l’une des catégories de personnes (telles que les militants du PKK) qui sont exposées plus que d’autres au risque de subir des actes de harcèlement ou d’intimidation, voire à des formes de sévices plus graves, de la part des autorités turques.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture ou à d’autres formes de mauvais traitements s’il est renvoyé en Turquie et que les Pays‑Bas commettraient donc une violation de l’article 3 de la Convention au vu des éléments ci‑après: sa participation à des activités politiques et de défense des droits de l’homme en Turquie, les arrestations et mauvais traitements dont il aurait été victime, sa participation à des activités politiques aux Pays‑Bas, ses liens de parenté avec Abdullah Öcalan et les problèmes de sa familleb.

3.2Le requérant appuie ses affirmations sur divers documents selon lesquels la situation en Turquie révèle l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Les sources en sont des organisations de défense des droits de l’hommec, des journauxd et une commission parlementaire turque chargée des droits de l’hommee.

3.3Le requérant affirme que la requête n’a pas été soumise à l’examen d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une lettre datée du 29 mars 2002, l’État partie a fait savoir qu’il n’avait pas d’objection quant à la recevabilité de la communication. Par une lettre datée du 31 juillet 2002, il en a contesté le fond, faisant valoir qu’au vu de la procédure interne qui avait été suivie, de la situation des droits de l’homme en Turquie, de la situation personnelle du requérant et de la compatibilité de l’expulsion proposée avec l’article 3 de la Convention, il n’y avait aucun motif de craindre que l’auteur risque d’être soumis à la torture.

4.2L’État partie rappelle la procédure appliquée au requérant. Les étrangers sont admis sur son territoire s’ils satisfont aux dispositions de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, si l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme le prescrit, ou si des circonstances humanitaires impérieuses l’exigent. Les demandeurs d’asile se voient rapidement informés de leur droit à une assistance judiciaire ou autre. Un premier entretien, qui ne porte pas sur les raisons ayant motivé leur départ, a lieu dès que possible après leur arrivée. Un second entretien (en présence d’un conseil juridique et d’un interprète) est consacré à ces raisons. Le requérant (et le conseil) peuvent corriger, ou compléter, le compte rendu de cet entretien. La décision quant à la demande tient compte des rapports officiels établis périodiquement par le Ministère des affaires étrangères sur la situation dans divers pays qui sont fondés, entre autres, sur des rapports émanant d’organisations non gouvernementales.

4.3Une objection peut être élevée à propos d’une décision négative. Dans ce cas, une décision est rendue quant à savoir si le requérant peut demeurer sur le territoire de l’État partie en attendant l’issue de la procédure. Si cette possibilité lui est refusée, il peut demander au Tribunal de district de rendre une ordonnance interlocutoire. Le Tribunal peut se prononcer simultanément sur l’objection élevée et sur la demande d’ordonnance interlocutoire. Les requérants faisant valoir qu’une expulsion aurait pour effet de les renvoyer dans un pays où ils ont des craintes légitimes d’être persécutés en raison de leurs convictions politiques ou religieuses, de leur race, de leur nationalité ou de leur appartenance à un groupe social particulier ne sauraient être renvoyés sans instructions expresses du Ministre de la justice.

4.4Pour ce qui est de la situation actuelle en Turquie, l’État partie signale que cette situation en général et celle du peuple kurde en particulier font l’objet d’une surveillance constante de la part du Gouvernement, et qu’il en est tenu compte dans les décisions que prend le Secrétaire d’État à la justice au cas par cas. Il indique qu’après la mort, signalée en avril 1999, d’un demandeur d’asile renvoyé en Turquie, le Secrétaire d’État à la justice a ordonné de surseoir à tous les renvois de Kurdes en Turquie en attendant les résultats d’une enquête officielle menée par le Ministère des affaires étrangères. En décembre 1999, à l’issue de cette enquête, le Secrétaire d’État à la justice a décidé de procéder à nouveau aux renvois vers ce pays. Cette décision a été confirmée en mars 2000 par le Tribunal de district de La Haye.

4.5L’État partie passe en revue les rapports récemment parus sur la situation en Turquie: le 3 septembre 1997, le Ministre a constaté que les Kurdes en tant que tels ne faisaient pas l’objet de persécutions au sens de la Convention relative au statut des réfugiés, et qu’ils étaient libres de se déplacer à l’intérieur du pays en cas de difficultés, à moins d’être soupçonnés d’adhérer activement à la cause kurde. Le 17 septembre 1999, le Ministre a constaté que des améliorations notables s’étaient produites dans les régions kurdes, sous l’action en particulier de la communauté internationale, dans les principaux domaines relatifs aux droits de l’homme, à savoir les restrictions à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Les Kurdes avaient la possibilité, au besoin, de parcourir le pays pour améliorer leur bien‑être et leurs conditions économiques. Le 13 décembre 2000, le Ministre a constaté certains phénomènes encourageants: désormais, les Kurdes risquaient sensiblement moins d’être impliqués dans un conflit armé, et étaient plus confiants de pouvoir retourner au pays et participer à sa reconstruction. Les pressions exercées sur le parti prokurde HADEP s’étaient atténuées, et un dialogue politique s’instaurait. Le 4 mai 2001, le Ministre a à nouveau évoqué la liberté d’expression, d’association et de réunion, tout en notant que les Kurdes n’étaient pas persécutés du seul fait de leur appartenance ethnique. Il découle du dernier rapport en date (29 janvier 2002), qu’aucune évolution majeure ne s’est produite depuis lors.

4.6En ce qui concerne la compatibilité du retour prévu du requérant avec l’article 3, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité, qui fait obligation au requérant de montrer que son renvoi aurait pour conséquence prévisible de lui faire personnellement courir un risque réel, et non simplement éventuel, d’être torturé, ainsi que de donner des motifs plus précis que la simple existence de violations flagrantes, constantes et systématiques des droits de l’homme. Appliquant ces principes à l’affaire du requérant, l’État partie fait valoir que, compte tenu de la récente jurisprudence du Comitéf et des rapports de pays susmentionnés, la situation générale en Turquie n’est pas de nature à mettre systématiquement les Kurdes en danger.

4.7Sur la question des liens de parenté du requérant et de sa prétendue participation à des activités politiques, l’État partie fait valoir que le requérant n’a pas démontré d’une manière plausible qu’il risquait d’être soumis à la torture en Turquie pour ces motifs. Dans le dernier rapport sur la situation dans ce pays, le Ministre signale que d’innombrables citoyens turcs ont des proches dans les rangs du PKK sans que ce lien de parenté ne leur crée de difficultés significatives. S’il est vrai que des proches de personnalités du PKK peuvent faire l’objet d’une surveillance particulière de la part des autorités et qu’ils ont probablement à subir certaines pressions, l’on ne peut dire qu’ils aient été persécutés du fait de leur lien de parenté avec des dirigeants du PKK.

4.8L’État partie ajoute que le requérant a divorcé d’avec sa femme le 3 janvier 2002, si bien que les liens de parenté avec la famille de cette dernière n’existent plus.

4.9En ce qui concerne l’allégation du requérant selon laquelle il aurait été arrêté à trois reprises du fait de son appartenance au HADEP, l’État partie signale qu’il a été libéré sans conditions et qu’il a été libre de poursuivre ses activités à chaque occasion, ce qui porte à croire que les autorités n’ont pas d’objection sérieuse à l’égard du requérant. En fait, celui‑ci déclare lui‑même qu’il n’a pas fui la Turquie pour ces raisons et, par conséquent, rien ici ne permet d’étayer d’une manière plausible l’existence d’un quelconque risque de torture.

4.10En outre, s’agissant des craintes du requérant d’avoir à subir les conséquences fâcheuses de son refus de donner aux autorités les renseignements demandés, l’État partie signale qu’après avoir refusé d’accéder à ces demandes à cinq reprises entre 1993 et 1998, en aucun cas il n’a eu à en pâtir. Après qu’il eut quitté son village, on a interrogé ses frères pour leur faire dire où il se trouvait, mais ils ont été par la suite libérés sans conditions. Rien dans ce qu’a dit le requérant ne prouve que d’autres membres de sa famille aient été inquiétés après son départ.

4.11L’État partie conclut que rien n’indique d’une manière plausible, et encore moins fondée, que le requérant ferait personnellement l’objet d’un traitement incompatible avec l’article 3 de la Convention. En conséquence, son renvoi devrait être autorisé.

Commentaires du requérant à propos des observations de l’État partie

5.1Par une lettre datée du 14 octobre 2002, le requérant a répondu, en faisant valoir que l’État partie n’avait pas mis en cause sa crédibilité. S’agissant de son divorce, il déclare qu’il est lui‑même directement apparenté à Abdullah Öcalan, et pas seulement par son ex‑épouse. En tout état de cause, «l’association coupable» découlant d’un mariage de neuf ans n’allait pas disparaître avec un divorce. Il insiste sur le fait qu’il n’est pas un de ces innombrables citoyens turcs ayant un ou plusieurs membres de leur famille dans les rangs du PKK, mais qu’il est lui‑même, personnellement et par son ex‑épouse, apparenté au dirigeant du mouvement. Par ailleurs, il ressort du rapport sur la Turquie du 29 janvier 2002 que les proches parents de membres du PKK peuvent s’attendre à faire l’objet d’un intérêt accru de la part des autorités, intérêt qui est proportionnel au degré de parenté ou à la position qu’occupe, au sein du PKK, le proche soupçonné (à moins que les autorités estiment qu’il n’existe aucun lien effectif).

5.2Répondant à l’observation de l’État partie selon laquelle il a été libéré sans conditions après chaque arrestation, le requérant déclare que le fait même d’avoir été arrêté à nouveau montrait bien qu’il ne pouvait pas poursuivre ses activités sans problèmes. Ces arrestations et les mauvais traitements subis indiquaient que les autorités avaient «des objections sérieuses» à son encontre, même s’il ne s’est pas enfui à ce moment‑là. Le requérant fait valoir que l’État partie n’a pas pris en considération les renseignements disponibles faisant état d’une détérioration de la situation des membres de l’HADEP et de l’IHD.

5.3S’agissant des affirmations de l’État partie selon lesquelles des menaces précédemment dirigées contre le requérant n’avaient pas eu de conséquences fâcheuses pour lui, le requérant déclare avoir pris au sérieux la dernière menace qu’il avait reçue avant sa fuite, alors qu’un autre militant de l’IHD avait été tué et que des militaires étaient postés près de son domicile. Quoi qu’il en soit, les menaces de mort proférées par les autorités sont en soi un acte grave, et la situation des droits de l’homme en Turquie ne dément pas ce fait. Au contraire, il convient de voir dans ces menaces une politique d’intimidation qui peut être qualifiée de «forme psychologique de mauvais traitements prohibés».

5.4En ce qui concerne la libération de ses frères après sa fuite, le requérant affirme que le seul fait qu’ils aient été arrêtés montre qu’il n’est pas une personne dénuée d’intérêt pour les autorités. Quoi qu’il en soit, leur libération ne permet pas de conclure à l’absence de risques pour le requérant en cas de retour au pays.

5.5Pour ce qui est de la référence, dans le rapport du 29 janvier 2002, au fait que des proches de membres du HADEP ne sont pas persécutés pour leur orientation politique, le requérant renvoie au précédent rapport daté du 13 décembre 2000, qui indique que, dans le cas des militants et des sympathisants du PKK, des indices fiables donnent à penser qu’il ne serait pas rare que des personnes rapatriées soient soumises à des mauvais traitements et/ou à la torture. Ces personnes voient leurs antécédents judiciaires contrôlés par les autorités dès leur retour au pays; ainsi, selon le requérant, l’intérêt que les autorités lui ont porté par le passé les inciterait à enquêter à son sujet dès son retour.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note également que l’État partie n’a pas contesté que les recours internes avaient été épuisés.

6.2Dans la mesure où le requérant laisse entendre que des mauvais traitements tels que ceux auxquels il pourrait être exposé en Turquie relèvent de l’article 3 de la Convention (voir les paragraphes 3.1 et 5.3 ci‑dessus), le Comité note que l’article 3 ne porte que sur la torture et n’inclut pas les traitements qui restent en deçà de ce seuil de gravité. Cette partie de la plainte est, par conséquent, irrecevable ratione materiae puisqu’elle se situe en dehors du champ d’application de l’article 3. En ce qui concerne les affirmations faites par le requérant au titre de l’article 3 de la Convention à propos de la torture proprement dite, le Comité ne voit aucun autre obstacle à la recevabilité de la plainte et procède, en conséquence, à son examen sur le fond.

7.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Turquie, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.2Le Comité doit déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture s’il retourne en Turquie. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays: il doit exister des motifs supplémentaires de penser qu’elle courrait personnellement un tel risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans sa situation particulière.

7.3En l’espèce, le Comité relève, sur la base des renseignements dont il dispose, que l’activité politique menée par le requérant se bornait à une participation (non précisée) aux activités du parti politique HADEP et de l’organisation IHD, consistant notamment à recueillir des informations et que le requérant lui‑même a dit qu’il n’avait pas fui son pays pour ces raisons. Rien ne laisse supposer qu’il ait milité activement dans les rangs du PKK. Par ailleurs, le requérant n’a aucunement précisé la nature des activités politiques qu’il menait aux Pays‑Bas, pas plus qu’il n’a indiqué en quoi elles pourraient étayer ses allégations au titre de l’article 3. Étant donné l’existence d’éléments documentés indiquant des progrès accomplis dans la situation des droits de l’homme en Turquie depuis le départ du requérant en 1998, et la nouvelle attitude, bien connue des autorités turques à l’égard de la direction du PKK, le Comité estime que le requérant n’a pas établi que les contacts sporadiques qu’il avait eus avec les autorités, au sujet desquels on ne trouve aucune allégation de torture, ou que ses liens de parenté quelque peu éloignés avec la direction du PKK, soient de nature à constituer des motifs sérieux de croire que l’intérêt que pourraient éventuellement lui porter les autorités à l’heure actuelle se traduirait par des actes de torture.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que l’auteur n’a pas apporté d’éléments suffisants pour étayer ses craintes d’être soumis à la torture s’il retournait en Turquie et conclut en conséquence que le renvoi du requérant en Turquie ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

Communication n o 219/2002

Présentée par:Mme G. K. (représentée par un conseil)

Au nom de:La requérante

État partie:Suisse

Date de la requête:18 octobre 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 7 mai 2003,

Ayant achevé l’examen de la requête no 219/2002 présentée par Mme G. K., en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par la requérante, son conseil et l’État partie,

Adopte la décision ci‑après au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

1.1La requérante est G. K., née le 12 janvier 1956, de nationalité allemande, qui, quand elle a adressé sa requête au Comité, se trouvait retenue au centre de détention de la police à Flums (Suisse), dans l’attente de son extradition vers l’Espagne. Elle affirme que son extradition constituerait une violation par la Suisse des articles 3 et 15 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle est représentée par un conseil.

1.2Le 22 octobre 2002, le Comité a transmis la requête à l’État partie en le priant de faire ses observations et, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, il lui a demandé de ne pas extrader la requérante vers l’Espagne tant que sa requête serait en cours d’examen. Le Comité a précisé que la requête pouvait toutefois être réexaminée à la lumière de nouveaux arguments présentés par l’État partie ou si les autorités espagnoles donnaient les garanties et assurances voulues. L’État partie a accédé à cette demande.

1.3Par une note verbale datée du 8 novembre 2002, l’État partie a présenté ses observations concernant la recevabilité et le fond de la requête; il a également demandé au Comité de retirer sa demande de mesures provisoires, conformément au paragraphe 7 de l’article 108 de son règlement intérieur. Dans ses observations, datées du 9 décembre 2002, le conseil a demandé au Comité de maintenir sa demande de mesures provisoires en attendant qu’il soit statué sur la requête. Le 6 janvier 2003, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial, a décidé de retirer sa demande de mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En 1993, la requérante était professeur de langues à Barcelone (Espagne), où elle a fait la connaissance d’un certain Benjamin Ramos Vega, de nationalité espagnole. À cette époque, la requérante et M. Ramos Vega louaient chacun un appartement à Barcelone, l’un rue Padilla, loué le 21 avril 1993 au nom de M. Ramos Vega, l’autre rue Aragon, loué le 11 août 1993 au nom de la requérante, et pour une durée d’un an. Selon le conseil, celle‑ci était retournée en Allemagne en octobre 1993.

2.2Le 28 avril 1994, Felipe San Epifanio, membre recherché du commando «Barcelona» de l’organisation terroriste basque «Euskadi ta Askatasuna» (Patrie et Liberté) (ETA), a été arrêté par la police espagnole à Barcelone. Dans le jugement rendu par l’Audiencia Nacional le 24 septembre 1997 condamnant celui-ci et d’autres membres de l’ETA à des peines d’emprisonnement il est indiqué que, quand il a été arrêté, M. San Epifanio a été jeté à terre par plusieurs policiers après qu’il eut dégainé un revolver, ce qui a lui a occasionné des blessures légères qui auraient guéri en 15 jours. Sur la foi de son témoignage, la police a fouillé, le 28 avril 1994, l’appartement de la rue Padillaa, où elle a saisi des armes à feu et des explosifs entreposés par le commando. Après cette perquisition, M. Ramos Vega a quitté l’Espagne pour l’Allemagne.

2.3Le tribunal central d’instruction n° 4 de Madrid a délivré un mandat d’arrêt daté du 23 mai 1994 contre la requérante et M. Ramos Vega au motif qu’ils étaient soupçonnés de collaboration avec l’ETA et pour détention d’armes à feu et d’explosifs. Un acte d’inculpation a été établi le 6 février 1995 par la même juridiction, pour les délits susmentionnés au motif qu’ils avaient «loué à leur nom les appartements de la rue Padilla et de la rue Aragon, qui servaient de “planque” et de cache d’armes et d’explosifs et dont les membres du commando pouvaient disposer pour mener leurs actions»b.

2.4Le 10 mars 1995, le parquet de Berlin a engagé des poursuites pénales contre la requérante, à la demande du Ministère espagnol de la justice. Le 23 novembre 1998, les autorités allemandes ont cependant décidé d’abandonner les poursuites, considérant qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de soupçonner l’existence d’une infraction punissable en droit allemand. Dans une lettre aux autorités espagnoles, leparquet de Berlin adéclaré que l’appartement de la rue Padilla, dans lequel les armes à feu et les explosifs avaient été trouvés, n’avait pas été loué par la requérante mais par M. Ramos Vega, seule une bouteille remplie de poudre de sulfure de plomb − qui ne sert pas à fabriquer des explosifs − ayant été trouvée dans l’appartement de la requérante, rue Aragon.

2.5À la suite de l’extradition vers l’Espagne de M. Ramos Vega, en 1996, l’Audiencia Nacional, dans un jugement rendu le 24 septembre 1997, l’a inculpé de collaboration avec un groupe armé et de falsification de plaques d’immatriculation en relation avec des activités terroristes, ce qui constituait une circonstance aggravante («con agravante de relación con actividades terroristas»), le condamnant à deux peines d’emprisonnement, l’une de sept ans et l’autre de quatre ans et trois mois. L’Audiencia Nacional l’a en revanche acquitté des chefs de recel d’armes à feu et de détention d’explosifs, faute de preuves établissant qu’il connaissait l’existence de ce matériel, relevant qu’il avait loué l’appartement de la rue Padilla à la demande d’une amie, Dolores López Resin («Lola»), pour l’usage personnel de celle-ci. Le jugement indique qu’immédiatement après la fouille de l’appartement, M. Ramos Vega avait aidé à s’enfuir plusieurs membres du commando «Barcelona» en louant une voiture dont il avait changé les plaques d’immatriculation et qu’il avait utilisée pour quitter Barcelone avec eux.

2.6La requérante a été arrêtée par la police suisse en vertu d’un mandat d’arrêt des autorités espagnoles daté du 3 juin 1994, alors qu’elle franchissait la frontière entre l’Autriche et la Suisse à St Margrethen,le 14 mars 2002. Elle a été placée en détention extraditionnelle. À l’audience, tenue le 20 mars 2002, on lui a proposé une procédure simplifiée d’extradition, qu’elle a refusée. Par une note diplomatique du 22 avril 2002, le Gouvernement espagnol a présenté une demande d’extradition à l’État partie sur la base d’un mandat d’arrêt international daté du 1er avril 2002, délivré par le tribunal central d’instruction n° 4 (Audiencia Nacional). Ce mandat se fonde sur les mêmes chefs d’inculpation que le mandat d’arrêt original et que l’acte d’inculpation dressé contre la requérante et M. Ramos Vega.

2.7Dans une lettre du 7 juin 2002, la requérante, par l’intermédiaire de son conseil, a demandé à l’Office fédéral de la justice de rejeter la demande d’extradition du Gouvernement espagnol, faisant valoir qu’en renvoyant la procédure pénale aux autorités allemandes, l’Espagne avait renoncé à sa compétence, ce qui empêche son extradition vers ce paysc. En outre, le fait que les autorités espagnoles, dans la demande d’extradition qu’elles ont adressée à l’État partie, aient délibérément passé sous silence la véritable identité du locataire de l’appartement de la rue Padilla indiquait que la requérante serait jugée pour des motifs politiques et non juridiques. Les infractions politiques n’étant pas susceptibles d’extraditiond, le conseil faisait valoir que, contrairement à la règle générale selon laquelle les décisions concernant les extraditions ne sont qu’une question de forme, l’État partie était obligé d’examiner s’il existait des motifs raisonnables de soupçonner la requérante d’avoir commis une infraction, étant donné qu’il n’existait aucun lien entre elle et les armes à feu et explosifs trouvés dans l’appartement de la rue Padilla ou le véhicule ayant servi à la fuite. À son avis, le fait que le mandat d’arrêt lancé par l’Espagne soit fondé sur un témoignage censé avoir été extorqué à M. San Epifanio sous la torture s’opposait également à l’extradition de la requérante.

2.8Dans une décision du 8 août 2002, l’Office fédéral de la justice a accédé à la demande d’extradition des autorités espagnoles, sous réserve que la requérante ne soit pas jugée pour avoir obéi à des motifs politiques en commettant les infractions qui lui étaient imputées et que la peine ne soit pas aggravée de ce fait. Cette décision se fondait sur les considérations ci-après: a) la responsabilité pénale réciproque était fondée sur les faits énoncés dans la demande d’extradition, l’appréciation des faits et des éléments de preuve et les questions d’innocence ou de culpabilité étant du seul ressort des tribunaux espagnols; b) le principe ne bis in idem n’était pas en jeu puisque les autorités allemandes, n’ayant pas compétence territoriale, n’avaient pas examiné complètement ces questions; c) les accusations portées contre la requérante n’avaient pas un caractère purement politique; d) la requérante ne courait pas personnellement et directement le risque d’être torturée pendant la détention au secret après son extradition vers l’Espagne, car elle pouvait d’ores et déjà, avant son extradition, s’assurer les services d’un avocat en Espagne et bénéficiait de la protection consulaire de l’Allemagne; et e) même si le témoignage de M. San Epifanio avait été obtenu sous la torture, il ne constituait pas le seul élément de preuve sur lequel se fondaient les accusations retenues contre elle.

2.9Le 8 septembre 2002, le conseil a intenté une action administrative auprès du Tribunal fédéral contre la décision de l’Office fédéral de la justice d’extrader la requérante. Outre les motifs exposés dans son mémoire du 7 juin 2002, il a objecté que la demande d’extradition des autorités espagnoles manquait de la précision requise par le paragraphe 2 de l’article 14 de la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale de 1959e, puisqu’elle se fondait essentiellement sur le mandat d’arrêt de 1994 sans tenir compte de l’issue de la procédure pénale qui avait suivi en Allemagne et en Espagne. En particulier, la demande ne précisait pas que M. Ramos Vega était le seul et unique locataire de l’appartement de la rue Padilla, que l’Audiencia Nacional l’avait acquitté des chefs de recel d’armes à feu et de détention d’explosifs et que la poudre trouvée dans l’appartement de la rue Aragon était du sulfure de plomb qui ne pouvait pas servir à fabriquer des explosifs. Il ne fallait par conséquent pas tenir compte des faits exposés dans la demande d’extradition, qui n’était pas fondée et devait être rejetée. En ce qui concerne l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le conseil a fait valoir que même si, en théorie, la requérante jouissait de la protection consulaire de l’Allemagne et pouvait engager un avocat de son choix en Espagne avant d’être extradée, elle ne pouvait exercer ces droits, en pratique, qu’une fois qu’elle ne serait plus détenue au secret. Concernant l’article 15 de la Convention, il a objecté que la demande d’extradition n’indiquait pas sur quels moyens de preuve supplémentaires les accusations portées contre la requérante étaient fondées. Dans la mesure où les éléments de preuve ont été obtenus indirectement par le biais du témoignage de M. San Epifanio, le conseil fait valoir que la théorie qui veut qu’un élément recueilli par des moyens illégaux n’a pas de valeur légale (doctrine «du fruit de l’arbre vénéneux») empêche les tribunaux suisses de les employer.

2.10Dans une lettre du 20 septembre 2002, l’Office fédéral de la justice a demandé au Tribunal fédéral de débouter la requérante. Le conseil a agi par une lettre datée du 15 octobre 2002 dans laquelle il maintenait et développait ses arguments.

2.11La section suisse d’Amnesty International a adressé au Tribunal fédéral un exposé en tant qu’amicus curiae daté du 2 octobre 2002, en faveur de la requérante, dans laquelle elle déclarait que la législation espagnole permettait de garder les suspects d’infractions terroristes en détention au secret pendant une durée pouvant aller jusqu’à cinq jours, pendant lesquels ils ne pouvaient recevoir la visite que d’un avocat commis au titre de l’aide juridictionnelle, et que ce mode de détention favorisait le risque de torture et de mauvais traitements. Même si la Police nationale ou la Garde civile ne se livraient pas systématiquement à des actes de torture, les personnes soupçonnées d’appartenance à l’ETA faisaient encore souvent l’objet de mauvais traitements: agressions sexuelles, viols, coups à la tête, pratique consistant à couvrir la tête d’un sac en plastique («la bolsa»), privation de sommeil, torture à l’électricité, menaces d’exécution, etc. D’après Amnesty International, il était indispensable que l’État partie n’accorde l’extradition que sous réserve d’avoir l’assurance: 1) qu’en aucun cas la requérante ne serait livrée à la Garde civile ou à la Police nationale, mais serait placée directement sous l’autorité de l’Audiencia Nacional à Madrid; 2) qu’elle pourrait consulter directement et sans restriction un avocat de son choix; 3) qu’elle passerait en jugement dès que possible après son extradition.

2.12Dans un jugement daté du 21 octobre 2002, le Tribunal fédéral a débouté la requérante et confirmé la décision de l’Office fédéral de la justice de faire droit à la demande d’extradition de l’Espagne. Le Tribunal se fondait sur les faits énoncés dans la demande d’extradition et concluait que la requérante était punissable en droit suisse (pour sa participation ou son soutien à une organisation terroriste dont l’objectif est de commettre des attentats politiques) au même titre qu’en droit espagnol. Le Tribunal ne s’est pas prononcé sur les objections formulées parla requérante à propos des faits contenus dans la demande d’extradition, statuant que c’est aux tribunaux espagnols qu’il incombait d’apprécier les faits et les éléments de preuve. En outre, étant donné que l’ETA n’était pas seulement un groupe luttant pour le pouvoir politique par des moyens légitimes, le Tribunal ne considérait pas la participation ou le soutien de la requérante à cette organisation comme une infraction politique au sens de l’article 3 de la Convention européenne d’extradition. Il estimait que le fait que le parquet de Berlin ait mis fin aux poursuites pénales engagées contre la requérante parce qu’il n’y avait pas de motif raisonnable de soupçonner l’existence d’une infraction ne s’opposait pas à son extradition par les autorités suisses, car la décision de mettre fin aux poursuites n’était pas fondée sur une justification matérielle et avait été prise par un État tiersf. S’agissant du risque de torture présumé que comporterait l’extradition de la requérante, le Tribunal a jugé que l’Espagne, en tant qu’État démocratique membre des conventions régionales et universelles existantes relatives aux droits de l’homme, ne pouvait être supposée pratiquer systématiquement la torture. Le Tribunal a en outre rejeté l’argument selon lequel les accusations portées contre la requérante se fondaient essentiellement sur un témoignage obtenu par la torture, en l’absence d’éléments de preuve à l’appui de cette affirmationg.

2.13Selon des renseignements donnés par le conseil, la requérante a été extradée vers l’Espagne après que le Comité eut décidé, le 6 janvier 2003, de retirer sa demande de mesures provisoires.

Teneur de la plainte

3.1Le conseil affirme que l’extradition de la requérante vers l’Espagne lui ferait courir le risque d’être torturée pendant la détention au secret autorisée, d’une durée maximale de cinq jours, et que par conséquent la Suisse commettrait une violation de l’article 3 de la Convention en l’extradant. À l’appui de cette affirmation, il cite plusieurs rapportsh faisant état de tortures infligées à des personnes soupçonnées d’appartenance à l’ETA ou de sympathie envers cette organisation, ainsi que les constatations du Comité concernant la communication no 63/1997 (Josu Arkauz Arana c. France)i relative à l’extradition par la France vers l’Espagne d’une personne soupçonnée d’appartenance à l’ETA, dans lesquelles le Comité avait conclu que «malgré les garanties légales entourant les conditions dans lesquelles elle pouvait être décidée, il existait des cas de détention prolongée au secret, régime pendant lequel le détenu ne pouvait bénéficier de l’assistance d’un avocat de son choix et qui semblait favoriser la pratique de la torture»j. Le conseil fait également valoir qu’en l’absence de garanties de la part des autorités espagnoles, la requérante ne pouvait pas, en pratique, consulter un avocat de son choix ou bénéficier de la protection consulaire de l’Allemagne tant qu’elle serait au secret. Il fait valoir en outre que les nombreux rapports concernant des cas de torture et de mauvais traitements dans les prisons espagnoles révélaient l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, conclusion étayée par le fait que des suspects d’appartenance à l’ETA avaient été tués, par le passé, par des escadrons de la mort (Groupes antiterroristes de libération/GAL) liés au gouvernement espagnol précédent. Le conseil estimait que le fait que la demande d’extradition soit fondée sur des accusations fausses, ce qui indiquait que l’Espagne n’était pas disposée à garantir à la requérante un procès équitable, augmentait le risque que courait personnellement celle-ci d’être torturée. En l’absence d’éléments de preuve manifestes contre cette dernière, il n’était pas exclu que la police espagnole tente de lui arracher des aveux par la torture.

3.2Le conseil affirme qu’en accédant à la demande d’extradition de l’Espagne, qui s’appuyait exclusivement sur le témoignage de Felipe San Epifanio, obtenu par la torture, et sur les pièces à conviction trouvées dans l’appartement de la rue Padilla sur la base de ce témoignage, l’État partie a violé l’article 15 de la Convention. Il ajoute que la prise en considération, dans une procédure d’extradition, d’éléments de preuve obtenus par la torture est contraire à l’esprit de la Convention, puisque cela incite les autorités de l’État requérant à faire fi de l’interdiction de la torture. En accordant l’extradition de l’Espagne, l’Office fédéral de la justice avait accepté de facto des éléments de preuve obtenus par la torture.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 8 novembre 2002, l’État partie a fait parvenir ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. Il ne conteste pas la recevabilité.

4.2L’État partie réaffirme que les questions portant sur les faits et les éléments de preuveainsi que sur l’innocence ou la culpabilité ne peuvent pas être examinées dans le cadre d’une procédure d’extradition, car elles relèvent de la compétence exclusive des juridictions de jugement. Puisque la requérante avait la possibilité de développer ses arguments devant les tribunaux espagnols, son extradition pouvait même être dans son intérêt, puisqu’elle pouvait être mise en liberté si elle était acquittée.

4.3Au sujet de l’allégation de violation de l’article 3, l’État partie fait valoir que l’existence de cas isolés de mauvais traitements dans les prisons espagnoles ne suffit pas à prouver que la torture est systématiquement pratiquée dans ce pays. En outre, la requérante n’avait pas démontré que le fait d’être extradée lui faisait courir personnellement un risque réel d’être torturée. L’affaire Josu Arkauz Arana, en particulier, où l’intéressé avait été extradé vers l’Espagne sur la base d’une procédure purement administrative dont le tribunal administratif de Pau avait établi ultérieurement l’illégalité, vu qu’il n’y avait pas eu d’intervention d’une autorité judiciaire et que l’auteur n’avait pu entrer en contact avec sa famille ou son avocat, n’était pas comparable à sa propre situation. Alors que les circonstances de son extradition avaient placé Josu Arkauz Arana dans une situation particulièrement vulnérable face à d’éventuelles atteintes à ses droits, la requérante avait pu bénéficier d’une procédure judiciaire d’extradition garantissant le respect de ses droits et libertés fondamentaux. Selon l’État partie, les mêmes garanties étaient appliquées en Espagne qui, en tant que signataire de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que de la Convention européenne des droits de l’homme, était soumise à l’examen des organes de surveillance de ces instruments, lesquels donnaient à titre préventif à la requérante la garantie de ne pas être torturée. Celle-ci jouissait en outre de la protection consulaire de l’Allemagne et pouvait bénéficier de l’assistance de l’avocat de son choix, qu’elle pouvait engager depuis la Suisse. L’État partie pouvait également charger sa propre ambassade en Espagne de surveiller ses conditions de détention. L’attention que l’opinion internationale portait à cette affaire constituait une garantie supplémentaire contre tout risque de torture.

4.4Au sujet de l’allégation de violation de l’article 15 de la Convention, l’État partie objecte que rien ne permet d’affirmer que le témoignage de Felipe San Epifanio a été obtenu par la torture, la requérante elle-même ayant déclaré qu’il avait été mis fin aux poursuites pénales engagées par M. San Epifanio. Encore une fois, c’est aux juridictions répressives espagnoles et non aux autorités suisses compétentes en matière d’extradition qu’il appartenait de se prononcer sur la recevabilité des éléments de preuve.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1En réponse aux observations de l’État partie, le conseil maintient que la requérante courrait personnellement le risque d’être torturée si elle était extradée vers l’Espagne. Ce risque était confirmé par plusieurs précédents, notamment par les affaires Felipe San Epifanio et Agurtzane Ezkerra Pérez de Nanclares, autre membre du commando «Barcelona» qui avait été arrêté et aurait été torturé pendant sa détention au secret. Le conseil joint une lettre datée du 4 mai 1994 adressée au tribunal d’instruction n° 4 (Bilbao), dans laquelle Felipe San Epifanio déposait une plainte pénale contre la police en affirmant que celle-ci, lorsqu’elle l’avait arrêté, l’avait cloué au sol, frappé à coups de poing et de pied sur tout le corps, et frappé à la tête avec un revolver. À l’hôpital on lui avait fait des points de suture mais il n’avait pas subi d’examen médical approfondi. Au contraire, la police aurait continué à le maltraiter pendant la détention au secret, le passant à tabac à plusieurs reprises. Les jours suivants, M. San Epifanio avait été interrogé sur ses liens avec l’ETA et certains de ses membres sans être assisté d’un avocat. Pendant les quatre jours qu’avait duré sa détention au secret, il aurait été privé de sommeil et n’aurait eu que de grandes quantités d’eau pour toute nourriture. Le conseil fait valoir que la décision du juge d’instruction de classer la plainte pénale déposée par M. San Epifanio témoigne de l’étendue de l’impunité dont jouissent les auteurs présumés d’actes de torture sur la personne des suspects d’appartenance à l’ETAk.

5.2Le conseil réaffirme que de nombreux rapports sur la situation des droits de l’homme démontrent l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives en Espagne. Il cite notamment les conclusions et recommandations formulées à l’issue de l’examen du dernier rapport de l’Espagnel, dans lequel le Comité s’inquiète de la contradiction qui existe entre les déclarations officielles de cet État, selon lesquelles il n’y aurait pas de cas de torture ou de mauvais traitements, hormis quelques cas très isolés, et les informations émanant de sources non gouvernementales qui indiquent que les forces de sécurité espagnoles continuent de se livrer à des actes de torture et d’infliger des mauvais traitements. Le Comité relève en outre que l’Espagne a conservé la législation prévoyant la mise au secret jusqu’à cinq jours, durant lesquels le détenu ne peut consulter un avocat et un médecin de son choix ni entrer en contact avec sa famille. Le conseil fait valoir que la protection consulaire n’est pas assurée pendant cette période.

5.3Pour ce qui est de la recevabilité du témoignage de M. San Epifanio, le conseil fait valoir que l’interdiction faite à l’article 15 de la Convention s’applique non seulement à la procédure pénale en Espagne mais aussi à la procédure d’extradition dont la requérante fait l’objet en Suisse. Cela découle du libellé de l’article 15, qui fait obligation à l’État partie de «veille[r] à ce que toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure». Le conseil conteste l’argument de l’État partie selon lequel il n’est pas établi que le témoignage de M. San Epifanio ait été obtenu par la torture, en opposant que les critères relatifs aux éléments de preuve à apporter à l’appui de cette allégation ne devaient pas être exagérément strictsm.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Dans le cas d’espèce, le Comité note également que tous les recours internes ont été épuisés et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication. Il estime donc que la communication est recevable et procède à son examen sur le fond.

6.2En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, le Comité doit déterminer sil’expulsion de la requérante vers l’Espagne constituerait un manquement à l’obligation qui est faite à l’État partie en vertu de cet article de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence, dans l’État où larequérante serait renvoyée, d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme, permettant de déterminer si l’intéressée court personnellement un risque.

6.3Le Comité rappelle que pendant l’examen du quatrième rapport périodique présenté par l’Espagne en application de l’article 19 de la Convention, il s’est inquiété de la contradiction qui existait entre l’affirmation du Gouvernement espagnol selon laquelle la torture ou les mauvais traitements n’étaient pas pratiqués en Espagne, hormis quelques cas très isolés, et les informations émanant de sources non gouvernementales qui indiqueraient que les forces de police et de sécurité de l’État continuaient de se livrer à des actes de torture et d’infliger des mauvais traitementsn. Il s’est également inquiété du fait que la mise au secret puisse durer jusqu’à cinq jours pour les auteurs de certaines catégories d’infractions particulièrement graves, sachant que, durant cette période, le détenu ne pouvait consulter un avocat et un médecin de son choix ni entrer en contact avec sa familleo. Le Comité a estimé que le régime de la mise au secret favorisait les actes de torture et les mauvais traitementsp.

6.4Nonobstant ce qui précède, le Comité réaffirme que son rôle principal consiste à déterminer si l’intéressée risque personnellement d’être soumise à la torture dans le pays vers lequel elle serait renvoyée. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressée courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans ses circonstances particulières.

6.5En ce qui concerne le risque d’être soumise à la torture que son extradition vers l’Espagne ferait personnellement courir à la requérante, le Comité a relevé les arguments de celle-ci, qui affirme que la demande d’extradition des autorités espagnoles reposait sur des accusations fausses, qu’elle courait personnellement le risque, étant soupçonnée d’appartenir à l’ETA, d’être torturée pendant sa détention au secret et privée du droit de consulter un avocat de son choix pendant cette période, que d’autres personnes avaient été soumises à la torture dans des circonstances qu’elle jugeait analogues aux siennes et que la protection consulaire de l’Allemagne ainsi que l’engagement préalable d’un avocat ne constituaient que des protections théoriques contre d’éventuels mauvais traitements pendant sa détention au secret. Il a également relevé l’argument de l’État partie qui souligne que, outre les protections mentionnées, l’attention que l’opinion internationale portait à cette affaire et la possibilité qu’avait la requérante d’attaquer les autorités espagnoles pour torture ou mauvais traitements devant le Comité et d’autres instances internationales constituaient des garanties supplémentaires qui empêcheraient la police espagnole de lui faire subir de tels traitements.

6.6En ce qui concerne l’argument de la requérante, qui rappelle ses constatations dans l’affaire Josu Arkauz Arana, le Comité fait observer que les circonstances spécifiques de cette affaire, qui l’ont conduit à conclure à une violation de l’article 3 de la Convention, différaient notablement de celles de sa propre affaire. L’expulsion de Josu Arkauz Arana «a été menée selon une procédure administrative, dont le tribunal administratif de Pau a constaté l’illégalité ultérieurement, signifiant la remise directe de police à police, de manière immédiate, sans l’intervention d’une autorité judiciaire et sans que l’auteur ait eu la possibilité d’entrer en contact avec sa famille ou son avocat»q. En revanche, la requérante n’a été extradée qu’après que la décision de l’Office fédéral de la justice de faire droit à la demande d’extradition de l’Espagne eut été réexaminée judiciairement par le Tribunal fédéral suisse. Le Comité relève que le jugement du Tribunal fédéral ainsi que la décision de l’Office fédéral contiennent une appréciation du risque de torture auquel l’extradition exposerait la requérante. Le Comité considère donc que, contrairement à ce qui s’était passé dans l’affaire Josu Arkauz Arana, les garanties légales étaient suffisantes, dans le cas d’espèce, pour éviter de placer la requérante dans une situation particulièrement vulnérable face à d’éventuelles atteintes à ses droits de la part des autorités espagnoles.

6.7Le Comité relève que la présence d’éventuelles incohérences dans les faits sur lesquels repose la demande d’extradition ne peut être interprétée comme étant le signe d’une hypothétique intention des autorités espagnoles d’infliger des tortures ou des mauvais traitements à la requérante une fois l’extradition accordée et exécutée. Dans la mesure où la requérante affirme que la décision de l’État partie de l’extrader constitue une violation des articles 3 et 9 de la Convention européenne d’extradition de 1957, le Comité fait observer qu’il n’a pas compétence rationae materiae pour se prononcer sur l’interprétation ou l’application de cette Convention.

6.8Enfin le Comité note que, après l’extradition de la requérante, il n’a reçu aucun renseignement faisant état de tortures ou de mauvais traitements qui auraient été infligés à celle‑ci pendant sa détention au secret. À la lumière de ce qui précède, il conclut que l’extradition de la requérante n’a pas constitué une violation de l’article 3 de la Convention par l’État partie.

6.9En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 15 de la Convention, le Comité a pris note des arguments de la requérante qui affirme que, en faisant droit à la demande d’extradition de l’Espagne, justifiée, au moins indirectement, par un témoignage de Felipe San Epifanio obtenu par la torture, l’État partie lui-même s’était fondé sur cet élément de preuve et que l’article 15 de la Convention ne s’appliquait pas seulement à la procédure pénale engagée contre elle en Espagne mais aussi à la procédure d’extradition engagée devant l’Office fédéral de la justice et devant le Tribunal fédéral. De même, il a pris note de l’avis de l’État partie qui a objecté qu’il appartenait aux juridictions espagnoles de déterminer la recevabilité des éléments de preuve.

6.10Le Comité fait observer que le caractère général de l’interdiction faite à l’article 15 d’invoquer toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture comme un élément de preuve «dans une procédure» découle du caractère absolu de la prohibition de la torture et implique, par conséquent, une obligation pour tout État partie de vérifier si des déclarations retenues comme preuves dans une procédure pour laquelle il est compétent, y compris dans une procédure d’extradition, n’ont pas été faites sous la torturer.

6.11En même temps, le Comité note que, pour que l’interdiction faite à l’article 15 s’applique, il faut qu’il ait été établi que la déclaration invoquée comme un élément de preuve a bien été obtenue par la torture. Or, comme la requérante l’a dit elle-même, les autorités espagnoles ont classé la plainte déposée par Felipe San Epifanio contre ses tortionnaires présumés. Étant donné que c’est à la requérante qu’il appartient de démontrer que ses allégations sont fondées, le Comité conclut que sur la base des faits dont il est saisi, il n’a pas été établi que la déclaration faite par M. San Epifanio à la police espagnole le 28 avril 1994 a été obtenue sous la torture.

6.12Le Comité réaffirme que c’est aux tribunaux des États parties à la Convention et non au Comité qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que la manière dont ces faits et ces éléments de preuve ont été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice. Il considère que la décision de l’État partie de faire droit à la demande d’extradition des autorités espagnoles ne fait pas apparaître de violation de l’article 15 de la Convention par l’État partie.

7.En conséquence, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que l’extradition de la requérante vers l’Espagne n’a pas constitué de violation de l’article 3 ni de l’article 15 de la Convention.

B. Décisions concernant la recevabilité

Communication n o 216/2002

Présentée par:H. I. A. (représenté par un conseil)

Au nom de:H. I. A.

État partie:Suède

Date de la requête:2 août 2002 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 2 mai 2003,

Adopte la décision ci‑après concernant la recevabilité au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

1.1Le requérant est M. H. I. A., de nationalité jordanienne, né le 14 décembre 1952, résidant actuellement en Suède et frappé d’une mesure d’expulsion vers la Jordanie. Il affirme que son renvoi en Jordanie contre son gré constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 29 août 2002, le Comité a communiqué la requête à l’État partie en le priant de faire part de ses observations.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le requérant est né et a grandi à Naplouse (Cisjordanie), où il a vécu jusqu’en 1971. Cette année‑là, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP)a l’a accusé d’être un espion israélien et un traître et l’a emprisonné, pour une durée totale de neuf mois dans deux lieux différents situés au Liban, avant qu’il ne soit libéré par un tribunal (dont il est fait mention sans autre précision). Il déclare avoir été torturé et battu pendant sa détention. Après s’être rendu en République arabe syrienne, il a été à nouveau emprisonné par l’OLP pour les mêmes motifs (en Syrie, à ce qu’il semble) puis libéré par un tribunal (dont il est fait mention sans autre précision).

2.2Après sa libération, le requérant a vécu aux Émirats arabes unis pendant 23 ans. En 1995, il aurait tenté en vain de vendre un terrain situé à Netanya (Israël) qu’il avait hérité de sa mère, la loi israélienne stipulant que la transaction devait se faire soit en Israël soit en Jordanie, pays dans lesquels, semble‑t‑il, l’intéressé ne pouvait pas se rendre. Il affirme avoir rejeté une demande de l’OLP d’acheter ce terrain à bas prix, avoir été menacé d’être empêché de le vendre ailleurs et qualifié de traître.

2.3De retour aux Émirats arabes unis après avoir tenté, en 1996, de vendre son terrain en Lituanie, il a été arrêté et placé en détention pour une durée de trois mois pour des loyers impayés se montant à environ 3 000 dollars. Il affirme que la véritable raison de son arrestation était «politique» et que son employeur, ayant appris qu’il avait essayé de vendre le terrain, n’avait pas renouvelé son contrat. Selon le requérant, c’est alors que les services de renseignements des Émirats arabes unis ont appris que l’OLP le considérait comme un traître et que son permis de séjour lui a été retiré.

2.4Ne voulant pas retourner en Jordanie par crainte de persécutions, le requérant a quitté les Émirats arabes unis en 1998 pour la Lituanie. Il a épousé une Lituanienne et obtenu un permis de séjour. Celui‑ci est arrivé à expiration le 6 novembre 1999 et n’a pas été renouvelé car son épouse, dont il était désormais séparé, s’y est opposée. Le 17 décembre 1999, le requérant s’est rendu en Suède où il a présenté une demande d’asile le 20 décembre 1999. Comme il devait faire renouveler son passeport, son avocat (jordanien) l’a informé que les services de sécurité jordaniens exigeaient à cette fin sa présence et celle de ses enfants en Jordanie. Les enfants du requérant et leur mère résident à Damas; leurs passeports sont périmés et ils seraient dans l’impossibilité de se rendre en Jordanie pour les faire renouveler.

2.5Le 17 avril 2001, le Conseil suédois des migrations a rejeté la demande d’asile du requérant. La Commission de recours des étrangers a débouté le requérant en appel le 24 avril 2002. Une nouvelle demande (s’appuyant sur des circonstances qui n’avaient pas été examinées précédemment par les autorités suédoises) a été rejetée le 3 juin 2002.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’en raison de ses efforts persistants pour vendre son terrain et de son refus de coopérer avec l’OLP, il est considéré comme déloyal envers la cause palestinienne et court le risque d’être soumis à la torture en Jordanie. Il craint aussi, du fait de l’étroite coopération qui existerait entre les autorités jordaniennes et l’OLP, d’être remis à l’OLP. Il cite des rapports d’organisations non gouvernementales à l’appui de la thèse selon laquelle la Jordanie et l’Autorité palestinienne se livreraient à des violations graves, flagrantes et massives des droits de l’hommeb.

3.2Le requérant affirme que la requête n’a pas été soumise à l’examen d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une lettre datée du 18 novembre 2002, l’État partie a contesté la recevabilité et le fond de la requête, faisant observer, quant aux faits, que lorsqu’il se trouvait en Lituanie, le requérant avait, le 30 novembre 1998, demandé à l’ambassade de Suède à Vilnius un visa de trois semaines pour décembre 1998. Il était alors en possession d’un passeport jordanien valable jusqu’en février 2000. Sa demande de visa a été rejetée le 3 décembre 1998, mais il est néanmoins entré en Suède le 17 décembre 1999 muni d’un faux passeport lituanien.

4.2La première fois qu’il a été interrogé par le Conseil des migrations, le requérant a déclaré qu’il s’était rendu en Lituanie afin de se mettre en rapport avec des relations juives auxquelles il comptait vendre son terrain. En Lituanie, une «mafia arabe» l’aurait menacé de mort au motif qu’il voulait vendre des terres à des Juifs. Des membres de sa famille à Amman (Jordanie) avaient proféré les mêmes menaces. Il a également dit qu’il était venu en Suède car il comptait y investir dans le secteur privé et gagner sa vie par ce moyen.

4.3Lors d’entretiens ultérieurs, le requérant a déclaré qu’en 1975 les autorités jordaniennes avaient refusé pendant toute une année de renouveler son passeport. À la suite d’une intervention de sa famille, son passeport aurait été renouvelé à la seule condition qu’il ne revienne pas dans le pays. Par la suite, son passeport a été renouvelé à plusieurs reprises pour une durée de cinq ans chaque fois jusqu’au jour où, en Lituanie, la «mafia arabe» lui a pris son passeport lorsqu’il a acheté un faux passeport lituanien. En Suède, il a tenté d’entrer en contact avec des Juifs dans le but de leur vendre son terrain. Il lui était désormais impossible d’obtenir un passeport jordanien, ses tentatives de vendre le terrain étant connues. Il n’avait jamais mené d’activités politiques.

4.4En rejetant ses demandes d’asile et de permis de séjour, le Conseil des migrations a relevé notamment que le requérant avait invoqué uniquement des raisons financières, pour expliquer son désir de vendre le terrain dont il avait hérité. Le fait qu’il ait pu obtenir à plusieurs reprises le renouvellement de son passeport contredisait son affirmation selon laquelle il était recherché par les services de sécurité jordaniens. Qui plus est, il avait été déclaré non coupable les deux fois où il était passé en jugement au début des années 70. Par conséquent, il n’avait pas prouvé qu’il risquait d’être persécuté en tant que réfugié ou qu’il avait besoin d’une protection pour quelque autre raison.

4.5La Commission de recours des étrangers a jugé, à son tour, que le requérant n’avait pas justifié ses craintes d’être en danger dans son propre pays et a fait observer que son arrestation à deux reprises par l’OLP remontait à une trentaine d’années. L’allégation selon laquelle ses transactions foncières l’exposaient à de graves dangers en Jordanie n’était que pure spéculation. Par ailleurs, il n’était pas indifférent de noter qu’il avait pu sans difficulté renouveler plusieurs fois son passeport jordanien. Le requérant n’avait donc pas étayé ses allégations selon lesquelles les autorités jordaniennes ou d’autres parties dans ce pays s’intéresseraient à lui pour des motifs tels que ses opinions politiques. La Commission a rappelé la jurisprudence du Comité, selon laquelle la charge de la preuve était relativement légère dans les cas d’allégation de torture, étant donné qu’il était rare que l’on puisse fournir des preuves évidentes du bien-fondé de telles allégations. Aussi, le risque qu’une personne soit soumise à la torture si elle était renvoyée dans son pays d’origine devait‑il être plus qu’une possibilité théorique ou un simple soupçon, mais il n’était pas nécessaire de démontrer que ce risque était hautement probable. S’appuyant sur ces critères, la Commission a estimé qu’il n’y avait pas de raisons valables de craindre que le requérant soit effectivement soumis à la torture au cas où il serait renvoyé en Jordanie, ni même qu’il existait un risque réel que cela se produise. À l’appui de sa demande ultérieure, le requérant a présenté une déclaration de son avocat selon laquelle les autorités jordaniennes avaient refusé de renouveler son passeport et, au lieu de cela, l’avaient renvoyé devant les services de sécurité du pays.

4.6En ce qui concerne la recevabilité de la plainte, l’État partie estime qu’elle est irrecevable au titre du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention, car elle ne contient pas le minimum d’éléments nécessaires pour étayer une allégation de violation des dispositions de l’article 3. L’État partie renvoie à ce propos à la jurisprudence du Comitéc ainsi qu’à ses arguments quant au fond exposés ci‑après.

4.7Pour ce qui est du fond, l’État partie rappelle les principaux points de sa législation en matière d’asile qui s’appliquent au requérant. Selon cette législation, un étranger bénéficie d’un permis de séjour (et d’une interdiction de refoulement) s’il a des raisons valables de craindre a) d’être condamné à la peine de mort ou à des châtiments corporels dans son pays d’origine, b) d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou c) d’être victime de persécutions. Le Conseil des migrations (en première instance) doit entendre le demandeur d’asile, avant que ne soit saisie, le cas échéant, la Commission de recours des étrangers. Si la demande est rejetée, une nouvelle demande faisant intervenir des circonstances de fait non encore examinées peut être présentée; à l’issue de cette procédure un permis de séjour peut être accordé pour les motifs exposés ci‑dessus ou lorsque l’expulsion serait contraire aux principes d’humanité.

4.8L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle, bien que celui‑ci tienne compte de toutes les considérations pertinentes, y compris l’existence dans le pays en question d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives, c’est en dernière analyse au particulier concerné qu’il revient de démontrer que son expulsion aurait pour conséquence de lui faire personnellement courir le risque d’être torturé. En ce qui concerne la situation générale en Jordanie, l’État partie fait observer que, bien qu’elle ne soit pas idéale, certaines améliorations ont néanmoins été enregistrées au cours de ces dernières années. En 2001, des mesures ont été prises pour renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire, et il n’a été relevé aucun cas de privation arbitraire ou illégale de la vie par des agents de l’État, de disparition pour des raisons politiques ou d’emprisonnement pour des motifs politiques. La loi garantit aux détenus le droit à l’assistance d’un conseil et le droit à un traitement humain. La plupart des prisons répondent aux normes internationales et, à quelques exceptions près, le Comité international de la Croix‑Rouge a librement accès aux détenus et aux installations, y compris à celles de la Direction des renseignements généraux. En 1999, le Gouvernement a en outre accordé expressément un droit d’accès au Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, tandis que des spécialistes locaux des droits de l’homme sont autorisés à effectuer des visites dans les prisons. Le Gouvernement ne recourt pas couramment à la déportation. La Jordanie est partie à plusieurs des principaux instruments relatifs aux droits de l’homme, y compris, depuis le 13 novembre 1991, à la Convention contre la torture.

4.9Quant à la question de savoir si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture, l’État partie fait observer que les autorités suédoises appliquent les critères énoncés à l’article 3 de la Convention et s’inspirent de l’interprétation du Comité, comme le montre, en particulier, la décision de la Commission de recours des étrangers. L’instance nationale chargée d’interroger les requérants est particulièrement bien placée pour apprécier la crédibilité de leurs déclarations. Dans le cas présent, le Conseil des migrations a pris sa décision à l’issue de trois entretiens qui ont duré en tout cinq heures et demie, et qui, venant s’ajouter aux faits et aux éléments du dossier, lui ont permis d’évaluer le besoin de protection du requérant en s’appuyant sur des bases solides.

4.10En conséquence, estimant qu’il convenait d’attacher aux décisions des autorités suédoises compétentes toute l’importance qu’elles méritaient, l’État partie renvoie le Comité à ces décisions. Il rappelle que le requérant soutient qu’il risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé vers le pays dont il a la nationalité, en raison des tentatives qu’il a faites pour vendre un terrain dont il aurait hérité et de son refus de coopérer avec l’OLP. Il soutient également que l’OLP, qui le considère comme un traître, entretient d’excellentes relations avec les autorités jordaniennes, lesquelles pourraient le soumettre à la torture, voire le remettre à l’OLP. En réponse à cela, l’État partie fait observer que, lors de son premier entretien, le requérant a évoqué uniquement des problèmes fonciers et n’a fait aucune allusion à des mauvais traitements qu’il aurait subis de la part de l’OLP en tant qu’espion présumé; il a affirmé en revanche avoir été menacé par une «mafia arabe» en Lituanie et par sa propre famille en Jordanie. Selon les informations qu’il a lui‑même fournies, il semble que le requérant soit venu en Suède afin de vendre son terrain en Israël et d’investir le produit de cette vente en Suède. Du point de vue de l’État partie, sa demande d’asile était essentiellement motivée par des intérêts économiques, qui ne constituent pas en soi un motif pour lequel est accordée une protection en vertu de la Convention.

4.11En ce qui concerne la question de savoir si un risque de torture existe actuellement, il convient de noter que les tortures auxquelles le requérant aurait été soumis par l’OLP (question qui n’avait pas été évoquée initialement) remonteraient à une trentaine d’années, et les faits ne devraient plus pouvoir être retenus aujourd’hui. Par ailleurs, le requérant n’a nullement prouvé, sinon en paroles, qu’il avait été arrêté et torturé par l’OLP au Liban et en Syrie. Alors qu’il a affirmé qu’il n’avait séjourné en Jordanie qu’une seule fois pendant une brève période, la Jordanie reste le pays dont il a la nationalité (pays qui compte une importante population palestinienne), et le fait de souhaiter ne pas y résider ne saurait ipso facto donner droit à une protection dans un autre pays.

4.12L’État partie relève que le requérant a également indiqué qu’il avait été en possession d’un passeport jordanien pendant 20 années consécutives, jusqu’à ce que celui‑ci lui soit retiré par une «mafia arabe» en échange d’un faux passeport. Le requérant a affirmé que ce passeport avait été renouvelé tous les cinq ans, alors même que les services de renseignements jordaniens savaient déjà à cette époque, semble‑t‑il, qu’il avait été emprisonné dans les années 70 et qu’il avait été accusé d’espionnage au profit d’Israël. Ces éléments touchant le passeport du requérant enlèvent toute crédibilité à ses allégations.

4.13L’État partie note qu’à aucun moment (y compris dans sa requête) le requérant n’a indiqué qu’il avait mené des activités politiques ou qu’il avait œuvré de quelque façon que ce soit contre la Jordanie ou la cause palestinienne. Il n’a pas non plus soumis au Comité le moindre élément d’information susceptible d’étayer l’allégation selon laquelle il serait «persécuté et torturé par les Jordaniens voire remis à l’OLP». L’État partie soutient par conséquent que les assertions du requérant quant aux conséquences de ses tentatives visant à vendre un terrain dont il aurait hérité ne relèvent que de la spéculation et de la suspicion.

4.14Considérant tous ces éléments dans leur globalité, l’État partie estime que le requérant n’a pas réussi à montrer que son expulsion vers la Jordanie aurait pour conséquence de lui faire personnellement courir un risque prévisible et réel d’être torturé; par conséquent, cette affaire ne relève pas des dispositions de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant

5.1Par une lettre datée du 30 décembre 2002, le requérant répond aux observations de l’État partie en affirmant que la raison pour laquelle il a été arrêté au Liban en 1971 était que les services de renseignements israéliens l’avaient recruté avant qu’il n’aille étudier au Liban. Il aurait été arrêté au bout d’une semaine et identifié par un responsable palestinien, parent du premier mari de sa mère, qui était détenu dans une prison de Naplouse au moment où le requérant était en contact avec les services de renseignements israéliens, dont les locaux étaient situés dans le même bâtiment.

5.2Entre 1995 et 1997, des transactions concernant des terres en Israël pouvaient être et ont effectivement été menées en Jordanie. Le requérant fait valoir que s’il est refoulé vers la Jordanie, il sera accusé d’avoir demandé l’asile en Suède et de vouloir vendre des terres en Israël. Le dossier relatif à l’espionnage pourrait être rouvert, ce qui pourrait déboucher sur une longue peine d’emprisonnement durant laquelle l’intéressé risquait de subir des mauvais traitements de la part de codétenus. S’il est remis en liberté à son arrivée dans le pays, il risque d’être poursuivi par des organisations palestiniennes en Jordanie. Il affirme que Yasser Arafat lui‑même pourrait ordonner la réouverture de son dossier.

5.3Enfin, il affirme que l’État partie chercherait à l’expulser par commodité, du fait que son cas serait de nature politique et impliquerait à la fois Israël et l’Autorité palestinienne.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen dans une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note également que l’État partie reconnaît que les recours internes ont été épuisés.

6.2En ce qui concerne la position de l’État partie selon laquelle la plainte est irrecevable du fait de son incompatibilité avec les dispositions de la Convention, le Comité estime que la partie de la plainte concernant la possibilité, évoquée par le requérant, que celui‑ci soit remis aux autorités palestiniennes n’est que pure spéculation de sa part. Le Comité observe que la possibilité d’un tel transfert, et moins encore les conséquences éventuelles qui pourraient en découler, n’a nullement été prouvée. De même, les arguments du requérant concernant la Jordanie n’apportent simplement pas le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité considère, en application de l’article 22 de la Convention et de l’article 107 b) de son règlement intérieur révisé, que la plainte est manifestement dénuée de fondement, et, de ce fait, irrecevable.

7.En conséquence, le Comité contre la torture décide:

a)Que la requête est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au requérant.

Annexe VII

Liste des documents à distribution générale établis à l’usage du Comité pendant la période considérée

A. Vingt ‑neuvième session

Cote

Titre

CAT/C/16/Add.9

Rapport initial de l’Estonie

CAT/C/33/Add.5

Deuxième rapport périodique du Venezuela

CAT/C/54/Add.2

Troisième rapport périodique de Chypre

CAT/C/55/Add.5

Quatrième rapport périodique de l’Espagne

CAT/C/55/Add.6

Quatrième rapport périodique de l’Égypte

CAT/C/69

Ordre du jour provisoire et annotations

CAT/C/SR.529‑546

Comptes rendus analytiques de la vingt-neuvième session du Comité

B. Trentième session

Cote

Titre

CAT/C/20/Add.8

Deuxième rapport périodique de la Turquie

CAT/C/21/Add.5

Rapport initial du Cambodge

CAT/C/32/Add.4

Rapport initial de la République de Moldova

CAT/C/43/Add.4

Deuxième rapport périodique de la Slovénie

CAT/C/52/Add.2

Rapport initial de la Belgique

CAT/C/59/Add.1

Deuxième rapport périodique de l’Azerbaïdjan

CAT/C/59/Add.2

Deuxième rapport périodique de l’Islande

CAT/C/70

Ordre du jour provisoire et annotations

CAT/C/71

Liste des rapports initiaux attendus en 2003:note du Secrétaire général

CAT/C/72

Liste des deuxièmes rapports périodiques attendus en 2003:note du Secrétaire général

CAT/C/73

Liste des troisièmes rapports périodiques attendus en 2003:note du Secrétaire général

CAT/C/74

Liste des quatrièmes rapports périodiques attendus en 2003:note du Secrétaire général

CAT/C/75

Rapport sur le Mexique établi par le Comité conformément à l’article 20 de la Convention et réponse du Gouvernement

CAT/C/SR.547 à 573

Comptes rendus analytiques de la trentième session du Comité

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