État partie

Rapport

Observations finales

Allemagne

Cinquième rapport périodique

CAT/C/DEU/5

CAT/C/DEU/CO/5

Bélarus

Quatrième rapport périodique

CAT/C/BLR/4

CAT/C/BLR/CO/4

Bulgarie

Quatrième et cinquième rapports périodiques

CAT/C/BGR/4-5

CAT/C/BGR/CO/4-5

Djibouti

Rapport initial

CAT/C/DJI/1

CAT/C/DJI/CO/1

Madagascar

Rapport initial

CAT/C/MDG/1

CAT/C/MDG/CO/1

Maroc

Quatrième rapport périodique

CAT/C/MAR/4

CAT/C/MAR/CO/4

Paraguay

Quatrième à sixième rapports périodiques

CAT/C/PRY/4-6

CAT/C/PRY/CO/4-6

Sri Lanka

Troisième et quatrième rapports périodiques

CAT/C/LKA/3-4

CAT/C/LKA/CO/3-4

45.À sa quarante-huitième session, le Comité était saisi des rapports ci-après, à l’exception du rapport spécial demandé à la République arabe syrienne, et il a adopté les observations finales correspondantes:

État partie

Rapport

Observations finales

Albanie

Deuxième rapport périodique

CAT/C/ALB/2

CAT/C/ALB/CO/2

Arménie

Troisième rapport périodique

CAT/C/ARM/3

CAT/C/ARM/CO/3

Canada

Sixième rapport périodique

CAT/C/CAN/6

CAT/C/CAN/CO/6

Cuba

Deuxième rapport périodique

CAT/C/CUB/2

CAT/C/CUB/CO/2

Grèce

Cinquième et sixième rapports périodiques

CAT/C/GRC/5-6

CAT/C/GRC/CO/5-6

Rép. arabe syrienne

Rapport spécial

Non soumis

CAT/C/SYR/CO/1/Add.2

Rép. tchèque

Quatrième et cinquième rapports périodiques

CAT/C/CZE/4-5

CAT/C/CZE/CO/4-5

Rwanda

Rapport initial

CAT/C/RWA/1

CAT/C/RWA/CO/1

46.Conformément à l’article 68 de son règlement intérieur, le Comité a invité des représentants de tous les États parties qui présentaient des rapports à assister aux séances au cours desquelles leur rapport allait être examiné. À l’exception de la République arabe syrienne, tous les États parties concernés ont envoyé des représentants pour participer à l’examen de leur rapport. Le Comité les en a remerciés dans ses observations finales.

47.À sa quarante-septième session, compte tenu de la situation dans l’État partie, le Comité a invité la République arabe syrienne à lui soumettre un rapport spécial le 9 mars 2012 au plus tard. L’État partie a refusé de soumettre un rapport et d’envoyer des représentants pour participer au dialogue avec le Comité.

48.Des rapporteurs et des corapporteurs ont été désignés pour chacun des rapports examinés. On en trouvera la liste à l’annexe XII au présent rapport.

49.Dans le cadre de l’examen des rapports, le Comité était également saisi des documents suivants:

a)Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports initiaux que les États parties doivent présenter en application du paragraphe 1 de l’article 19 de la Convention (CAT/C/4/Rev.3);

b)Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports périodiques que les États parties doivent présenter en application de l’article 19 de la Convention (CAT/C/14/Rev.1).

50.Le Comité établit des listes de points à traiter depuis 2004, à la suite d’une demande formulée par des représentants d’États parties lors d’une réunion avec les membres du Comité. Le Comité comprend que les États parties souhaitent connaître à l’avance les questions susceptibles d’être examinées pendant le dialogue, mais il ne peut que souligner que l’élaboration de telles listes a augmenté sa charge de travail. Les incidences sont d’autant plus lourdes que le Comité compte peu de membres.

B.Observations finales sur les rapports des États parties

51.Le texte des observations finales adoptées par le Comité à l’issue de l’examen des rapports des États parties susmentionnés ainsi que de l’examen de l’application de la Convention en République arabe syrienne figure ci-après.

52. Bélarus

1)Le Comité contre la torture a examiné le quatrième rapport périodique du Bélarus (CAT/C/BLR/4) à ses 1036e et 1039e séances (CAT/C/SR.1036 et 1039), les 11 et 14 novembre 2011, et a adopté, à sa 1053e séance (CAT/C/SR.1053), les observations finales ci-après.

A. Introduction

2)Le Comité se félicite de la présentation du quatrième rapport périodique du Bélarus mais regrette que ce document ait été soumis avec neuf années de retard, ce qui l’a empêché de procéder à une analyse de la façon dont la Convention a été appliquée dans l’État partie pendant les années qui ont suivi l’examen du troisième rapport périodique, effectué en 2000.

3)Le Comité regrette qu’aucun représentant de l’État partie n’ait pu venir de la capitale pour le rencontrer au cours de la quarante-septième session mais il se félicite d’avoir pu établir un dialogue constructif avec la délégation bélarussienne sur un grand nombre de domaines couverts par la Convention.

B. Aspects positifs

4)Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux suivants ou y a adhéré:

a)Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (3 février 2004);

b)Premier et deuxième Protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l’enfant (23 janvier 2002 et 25 janvier 2006).

5)Le Comité note les efforts que consacre actuellement l’État partie à la réforme de sa législation, de ses politiques et de ses procédures se rapportant à des domaines relevant de la Convention, notamment:

a)La révision du Code pénal, du Code d’application des peines et du Code de procédure pénale, dont les versions modifiées sont entrées en vigueur le 1er janvier 2001;

b)L’adoption en 2003 de la loi sur les modalités et les conditions de la détention provisoire; et

c)L’adoption en 2008 de la nouvelle loi sur l’octroi du statut de réfugié et d’une protection supplémentaire et temporaire aux ressortissants étrangers et aux apatrides.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Garanties juridiques fondamentales

6)Le Comité est profondément préoccupé par des informations nombreuses et concordantes indiquant que les personnes privées de liberté ne bénéficient souvent pas des garanties juridiques fondamentales les plus élémentaires, dont le droit de voir un avocat et un médecin dans les plus brefs délais et le droit de contacter des proches, surtout lorsque ces personnes sont soupçonnées de violation de l’article 293 du Code pénal. Ces informations portent notamment sur des affaires évoquées conjointement par plusieurs titulaires de mandat au titre des procédures spéciales, dont le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. On peut notamment citer le cas d’Andreï Sannikov, qui a fait valoir au cours de son procès, tenu en mai 2011, qu’on lui avait refusé le droit de voir rapidement un avocat, de contacter ses proches et de recevoir des soins médicaux malgré ses blessures, que les autorités lui avaient causées pendant sa garde à vue, et de Vladimir Neklyayev (A/HRC/17/27/Add.1, par. 249). Tout en prenant acte de la loi no 215-Z du 16 juin 2003 sur les modalités et les conditions de la détention provisoire, le Comité est gravement préoccupé par le fait que, dans la pratique, l’État partie ne fait pas le nécessaire pour que toutes les personnes privées de liberté, dont les personnes placées dans les locaux de détention provisoire du Comité de sécurité de l’État (KGB) et celles faisant l’objet d’une mesure d’internement administratif, bénéficient dès leur arrestation de toutes les garanties juridiques fondamentales citées aux paragraphes 13 et 14 de l’Observation générale no 2 (2008) sur l’application de l’article 2 de la Convention par les États parties (art. 2, 11 et 12).

Le Comité recommande à l ’ État partie de:

a) Veiller à ce que, dans la législation et dans la pratique, toutes les personnes privées de liberté bénéficient dès leur arrestation de toutes les garanties juridiques fondamentales, notamment du droit de s ’ entretenir avec un avocat et d ’ être examinées par un médecin indépendant dans les plus brefs délais, de contacter leurs proches, d ’ être informées de leurs droits dès le début de la garde à vue, notamment des charges pesant sur elles, et d ’ être présentées rapidement à un juge;

b) Garantir aux personnes privées de liberté, y compris celles faisant l ’ objet d ’ une mesure d ’ internement administratif, la possibilité de contester la légalité de leur détention ou du traitement qui leur est réservé; et

c) Prendre des mesures pour que tous les interrogatoires effectués dans les commissariats de police et les lieux de détention fassent l ’ objet d ’ un enregistrement audio ou vidéo, afin de renforcer la prévention de la torture et des mauvais traitements.

7)Le Comité note avec inquiétude l’accès restreint des proches et des avocats des personnes privées de liberté au registre central des détenus. Il regrette en outre que le système d’enregistrement des détenus ne soit pas efficace (art. 2, 11 et 12).

Le Comité recommande à l ’ État partie de faire en sorte que toutes les personnes privées de liberté soient rapidement enregistrées après leur arrestation et que les avocats et les proches de ces personnes puissent consulter le registre des détenus.

8)Le Comité est alarmé par les nombreuses allégations indiquant que des policiers en civil procèdent à des arrestations, ce qui rend leur identification impossible lorsque des plaintes pour torture ou mauvais traitements sont déposées. Il relève avec inquiétude les informations selon lesquelles plusieurs candidats à l’élection présidentielle auraient été arrêtés et détenus par des hommes en civil (A/HRC/17/27/Add.1, par. 250) et que plusieurs personnes, dont Andreï Sannikov et Vladimir Neklyayev, affirment avoir été torturées par des hommes masqués pendant leur détention provisoire (art. 2, 12 et 13).

L ’ État partie devrait surveiller la façon dont est appliquée la législation en vertu de laquelle tous les membres des forces de l ’ ordre, dont la police antiémeutes (OMON) et le personnel du KGB, ont l ’ obligation de porter une plaquette d ’ identification lorsqu ’ ils sont de service et fournir à tous les agents de la force publique des uniformes munis d ’ un insigne visible permettant d ’ assurer qu ’ ils rendent personnellement compte de leurs actes et de garantir une protection contre les actes de torture et les mauvais traitements. L ’ État partie devrait en outre faire en sorte que tous les membres des forces de l ’ ordre soupçonnés de violations de la Convention fassent l ’ objet d ’ enquêtes et que les responsables soient condamnés à des peines adéquates.

Disparitions forcées

9)Le Comité prend acte de l’information communiquée par les représentants de l’État partie selon laquelle une base de données sur les personnes disparues serait tenue. Il regrette néanmoins que l’État partie ne lui ait pas fourni suffisamment de renseignements sur plusieurs affaires de disparition, en particulier celles non encore élucidées concernant l’ex-Ministre de l’intérieur, Yury Zakharenko; l’ex-Vice-Président de l’ancien Parlement du Bélarus, Viktor Gonchar, et son ami Anatoly Krasovsky ainsi qu’un journaliste d’investigation d’une chaîne de télévision, Dmitry Zavadsky, lesquelles avaient été évoquées lors du dialogue avec l’État partie, en 2000 (CAT/C/SR.442, par. 29), et portées à l’attention du Gouvernement bélarussien par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, en 1999 (A/HRC/16/48) (art. 2, 11, 12 et 16).

L ’ État partie devrait veiller à ce que des enquêtes soient ouvertes sur les affaires de disparition forcée afin d ’ obtenir des informations fiables permettant de déterminer où se trouvent les personnes concernées et de savoir ce qu ’ elles sont devenues. En particulier, il devrait actualiser les informations se rapportant aux quatre affaires susmentionnées, s ’ agissant notamment des résultats de l ’ enquête, des éventuelles peines ou sanctions prononcées contre les responsables et des réparations accordées aux proches des personnes disparues, et indiquer si ceux-ci et leurs avocats ont été autorisés à consulter la base de données sur les disparitions.

T orture

10)Le Comité est vivement préoccupé par les allégations nombreuses et concordantes faisant état d’un recours généralisé à la torture et aux mauvais traitements dans les lieux de détention de l’État partie. D’après des informations fiables portées à sa connaissance, de nombreuses personnes privées de liberté auraient été torturées, maltraitées et menacées par les forces de l’ordre, en particulier au moment de leur arrestation et pendant leur détention provisoire. Ces allégations confirment les préoccupations exprimées par plusieurs organismes internationaux, dont le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Conseil des droits de l’homme (résolution 17/24), la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Tout en relevant que l’article 25 de la Constitution interdit la torture, le Comité est préoccupé par le fossé existant entre le cadre législatif en vigueur et son application concrète (art. 2, 4, 12 et 16).

L ’ État partie devrait prendre de toute urgence des mesures concrètes pour prévenir la torture et les mauvais traitements dans l ’ ensemble du pays, notamment en appliquant des politiques propres à donner des résultats mesurables en ce qui concerne l ’ éradication de la pratique de la torture et des mauvais traite ments par les agents de l ’ État.

Impunité et absence d ’ enquêtes indépendantes

11)Le Comité demeure profondément préoccupé par la tendance persistante et généralisée des agents de l’État partie à ne pas procéder immédiatement à des enquêtes impartiales et approfondies sur les nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements et à ne pas poursuivre les auteurs présumés de ces actes, par l’absence de mécanismes indépendants d’enquête et de plainte, par les actes d’intimidation visant les membres de l’appareil judiciaire et par la faible collaboration de l’État partie avec les organes internationaux de suivi, situation qui fait que le nombre de violations signalées est nettement inférieur à la réalité et que les responsables jouissent de l’impunité (art. 2, 11, 12, 13 et 16). En particulier, le Comité est préoccupé par:

a)L’absence de mécanisme indépendant et efficace pour recevoir les plaintes et ouvrir immédiatement des enquêtes impartiales et efficaces sur les allégations de torture, en particulier celles émanant de personnes en détention provisoire;

b)Des informations indiquant que de graves conflits d’intérêts empêchent les mécanismes de plainte existants de mener des enquêtes efficaces et impartiales sur les allégations dont ils sont saisis;

c)Le manque de concordance entre les informations reçues par le Comité sur les plaintes soumises par des personnes qui se trouvent en détention. Le Comité note avec une vive inquiétude les renseignements selon lesquels les personnes qui portent plainte font l’objet de représailles et des plaintes déposées par des détenus, dont celles émanant d’Ales Mikhalevich et d’Andreï Sannikov, n’ont pas été prises en compte; et

d)Les informations indiquant qu’aucun fonctionnaire n’a été poursuivi pour faits de torture. Selon des renseignements dont dispose le Comité, seuls quatre membres des forces de l’ordre auraient été inculpés au cours des dix dernières années d’abus de pouvoir ou d’autorité et de dépassement de pouvoir ou d’autorité, au titre des articles 424 et 426 du Code pénal, respectivement, des chefs d’inculpation de moindre gravité que la torture.

Le Comité prie instamment l ’ État partie de prendre toutes les mesures voulues afin que toutes les allégations d ’ actes de torture et de mauvais traitements imputés à des agents de la force publique fassent rapidement l ’ objet d ’ une enquête transparente et indépendante et que les responsables soient condamnés à des peines en rapport avec la gravité de leurs actes. À cette fin, l ’ État partie devrait:

a) Mettre en place un mécanisme indépendant et efficace pour permettre aux victimes d ’ actes de torture et de mauvais traitements de saisir plus facilement les autorités d ’ une plainte et notamment de se faire délivrer un certificat médical pour prouver le bien-fondé de leurs allégations, et faire le nécessaire pour empêcher concrètement que les plaignants fassent l ’ objet de mauvais traitements ou d ’ actes d ’ intimidation en raison de leur plainte ou de leur témoignage. En particulier, comme le Comité l ’ a recommandé dans ses précédentes observations finales (A/56/44, par. 46 c)), l ’ État partie devrait étudier la possibilité de mettre en place une commission nationale des droits de l ’ homme, gouvernementale et non gouvernementale, indépendante et impartiale, qui soit dotée de pouvoirs effectifs, entre autres pour défendre les droits de l ’ homme et enquêter sur toutes les plaintes concernant des violations des droits de l ’ homme, en particulier celles qui portent sur l ’ application de la Convention;

b) Condamner publiquement et catégoriquement la pratique de la torture sous toutes ses formes, en s ’ adressant en particulier aux membres des forces de l ’ ordre, de l ’ armée et du personnel pénitentiaire, et en faisant clairement savoir que quiconque commet ces infractions ou y participe directement ou en tant que complice en sera tenu personnellement responsable en vertu de la loi et encourt des sanctions pénales;

c) Veiller à ce qu ’ en cas d ’ allégation de torture, les suspects soient immédiatement suspendus pendant la durée de l ’ enquête, en particulier s ’ il existe un risque que leur maintien dans leurs fonctions puisse entraver l ’ enquête; et

d) Communiquer les résultats des enquêtes ouvertes sur les allégations évoquées par le Comité lors du dialogue, notamment en ce qui concerne Ales Mikhalevich , Andreï Sannikov , Alexander Otroschenkov , Vladimir Neklyayev , Natalia Radina et Maya Abromchick , et les allégations plus générales relative s aux événements survenus le 19  décembre 2010 sur la place de l ’ Indépendance, au cours desquels la police antiémeutes aurait fait un usage disproportionné et aveugle de la force contre environ 300 personnes.

Indépendance du pouvoir judiciaire

12)Tout en notant que l’article 110 de la Constitution et l’article 22 du Code de procédure pénale garantissent l’indépendance du pouvoir judiciaire, le Comité est profondément inquiet de constater que d’autres dispositions du droit interne, en particulier celles portant sur les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats ainsi que sur la révocation, la nomination et la durée du mandat des juges réduisent la portée de ces articles et ne garantissent pas l’indépendance des magistrats à l’égard du pouvoir exécutif (art. 2, 12 et 13). En particulier, le Comité est préoccupé par:

a)Les mesures d’intimidation dont des avocats feraient l’objet et les ingérences dans leur travail relevées avec inquiétude par la Rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats dans son rapport (A/HRC/17/30/Add.1, par. 101). Le Comité demeure préoccupé par le fait que, même si la loi garantit son indépendance, le barreau est subordonné au Ministère de la justice et relève avec inquiétude que ce dernier a radié plusieurs avocats qui défendaient des personnes arrêtées dans le contexte des événements du 19 décembre 2010;

b)Les allégations faisant état d’une partialité de la justice en faveur de l’accusation, notamment lors du procès de Vladimir Russkin, auquel on aurait interdit de citer ses témoins et d’interroger les témoins à charge, ainsi que le comportement des tribunaux dans plusieurs procès liés aux événements du 19 décembre 2010.

Compte tenu des recommandations figurant dans ses précédentes obse rvations finales (A/56/44, par.  46 d)), le Comité exhorte l ’ État partie à:

a) Garantir la pleine indépendance du pouvoir judiciaire conformément aux Principes fondamentaux relatifs à l ’ indépendance de la magistrature;

b) Faire en sorte que la procédure de sélection et de nomination des juges et la rémunération et la durée du mandat des magistrats soient fondées sur des critères objectifs tels que les qualifications, l ’ intégrité, la compétence et l ’ efficacité; et

c) Ouvrir des enquêtes sur la radiation des avocats qui défendaient des personnes arrêtées dans l e contexte des événements du 19  décembre 2010, dont Pavel Spelka , Tatsiana Aheyeva , Uladszimir Toustsik , Aleh Aleyeu , Tamara Harayeva et Tamara Sidarenka , et faire en sorte qu ’ ils soient réadmis au sein du barreau, le cas échéant.

Surveillance et inspection des lieux de privation de liberté

13)Tout en prenant acte des informations fournies sur les activités de surveillance des lieux de détention menées par le Bureau du Procureur général, la commission nationale publique de surveillance du Ministère de la justice et les commissions de surveillance locales, le Comité note avec une profonde préoccupation les renseignements indiquant que le système national de surveillance n’est pas indépendant et l’absence d’informations sur les procédures suivies et les pratiques en matière d’établissement de rapports. Il regrette en outre que, d’après certaines informations, l’internement psychiatrique serait utilisé abusivement pour des raisons autres que médicales et que les établissements psychiatriques ne font pas l’objet d’inspections (art. 2, 11 et 16).

Le Comité prie instamment l ’ État partie de créer des organes pleinement indépendants habilités à se rendre inopinément dans les lieux de privation de liberté et à y effectuer des visites indépendantes et efficaces, et de veiller à ce que ces organes soient composés de personnes qualifiées issues de divers horizons, dont des juristes et des professionnels de la santé familiarisés avec les normes internationales applicables ainsi que des experts indépendants et des représentants de la société civile. L ’ État partie devrait en outre faire en sorte que les membres de ces organes soient autorisés à inspecter tous les lieux de détention sans préavis et à s ’ entretenir en tête-à-tête avec les détenus, et que leurs conclusions et leurs recommandations soient rendues publiques au plus vite et dans la transparence.

De plus, l ’ État partie devrait publier des informations détaillées indiquant où, quand et à quelle fréquence des visites ont été effectuées dans les lieux de privation de liberté, y compris les hôpitaux psychiatriques, ainsi que des renseignements sur les conclusions formulées à l ’ issue de ces visites et sur la suite qui leur a été donnée. Ces informations devraient aussi être communiquées au Comité.

14)Le Comité est préoccupé par le fait que les mécanismes internationaux de surveillance tant gouvernementaux que non gouvernementaux n’ont pas accès aux lieux de détention de l’État partie. Il regrette en outre que le Gouvernement bélarussien n’ait pas encore répondu aux demandes de visite que lui ont adressées cinq titulaires de mandat au titre des procédures spéciales, en particulier le Rapporteur spécial sur la question de la torture et le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, et qu’il n’ait pas non plus répondu à la demande de visite que lui a adressée le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) (art. 2, 11 et 16).

Le Comité invite instamment l ’ État partie à:

a) Autoriser les organisations gouvernementales et non gouvernementales indépendantes à se rendre dans tous les lieux de privation de liberté du pays, dont les cellules des commissariats de police, les centres de détention provisoire, les locaux des services de sécurité, les lieux d ’ internement administratif, les unités fermées des établissements médicaux et psychiatriques et les prisons;

b) Intensifier sa coopération avec les mécanismes chargés des droits de l ’ homme de l ’ ONU, en particulier en autorisant le Rapporteur spécial sur la question de la torture, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d ’ opinion et d ’ expression et le Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l ’ homme à se rendre dans le pays comme il l ’ a accepté dans le cadre de l ’ Examen périodiq ue universel (A/HRC/15/16, par.  97.17) et ce, dans les meilleurs délais; et

c) Étudier la possibilité d ’ accepter qu ’ une équipe du HCDH effectue une visite dans le pays comme la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l ’ homme le lui a demandé.

Institution nationale des droits de l ’ homme

15)Compte tenu des recommandations formulées par plusieurs mécanismes chargés des droits de l’homme et de l’engagement que l’État partie a pris dans le cadre de l’Examen périodique universel pour ce qui est d’étudier la possibilité de créer une institution nationale des droits de l’homme (A/HRC/15/16, par. 97.4), le Comité regrette l’absence de progrès accomplis à cette fin (art. 2).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre des mesures pour créer une institution nationale des droits de l ’ homme satisfaisant aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (Principes de Paris).

Définition, interdiction absolue et criminalisation de la torture

16)Tout en prenant acte des informations fournies par l’État partie selon lesquelles la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention est utilisée pour poursuivre au pénal les auteurs présumés d’actes de torture et le Bureau du Procureur général s’emploie à élaborer un projet de loi portant modification de la législation pénale, le Comité constate avec inquiétude que cette définition n’a jamais été appliquée par les tribunaux nationaux. Il demeure préoccupé par le fait que la législation interne ne contient pas de définition de la torture ni de disposition consacrant l’interdiction absolue de cette pratique. Il est également préoccupé par le fait que les articles 128 et 394 du Code pénal n’érigent pas la torture en infraction comme l’exigent les dispositions du paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention (art. 1, 2 et 4).

Compte tenu des recommandations figurant dans les précédentes observations f inales du Comité (A/56/44, par.  46 a)) et des recommandations formulées dans le cadre de l ’ Examen périodique universel qui ont été acceptées pa r le Bélarus (A/HRC/15/16, par. 97.28 et  98.21), l ’ État partie devrait prendre immédiatement des mesures pour incorporer dans son Code pénal des dispositions pour définir et ériger en infraction pénale la torture qui soient pleinement conformes à l ’ article premier et à l ’ article 4 de la Convention. En outre, l ’ État partie devrait veiller à ce que l ’ interdiction de la torture ne soit pas susceptible de dérogation et que les actes assimilables à la torture ne soient pas soumis à la prescription .

Applicabilité de la Convention dans l ’ ordre juridique interne

17)Le Comité relève avec satisfaction qu’en vertu de l’article 20 de la loi sur les actes juridiques normatifs, les instruments internationaux auxquels le Bélarus est partie sont directement applicables, mais il constate avec inquiétude que l’État partie n’a fourni aucune information sur les décisions judiciaires dans lesquelles la Convention a été directement invoquée. Il regrette que, d’après des renseignements portés à sa connaissance, la Convention n’ait jamais été appliquée par les tribunaux internes alors que, théoriquement, elle pourrait l’être (art. 2 et 10).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures nécessaires pour garantir l ’ applicabilité de fait des dispositions de la Convention dans son ordre juridique interne et l ’ ap plication concrète de l ’ article  20 de la loi sur les actes juridiques normatifs, notamment en offrant une formation approfondie aux membres de l ’ appareil judiciaire et des forces de l ’ ordre afin qu ’ ils se familiarisent complètement avec les dispositions de la Convention et soient pleinement conscients que cet instrument peut être directement appliqué. En outre, l ’ État partie devrait rendre compte des décisions prononcées par les tribunaux nationaux ou les autorités administratives qui donnent effet aux droits protégés par la Convention.

Preuves obtenues par la torture

18)Tout en notant qu’en vertu de l’article 27 de la Constitution, les preuves obtenues par la torture sont irrecevables et que l’État partie a accepté la recommandation qui lui a été adressée à ce sujet dans le cadre de l’Examen périodique universel (A/HRC/15/16, par. 97.28), le Comité est préoccupé par plusieurs cas d’aveux obtenus par la torture ou des mauvais traitements ainsi que par l’absence de renseignements sur les fonctionnaires soupçonnés d’actes de ce type qui ont été poursuivis et condamnés. Selon des informations dont dispose le Comité, dans certaines affaires, les juges se seraient fondés sur des déclarations faites par les suspects pendant leur détention provisoire alors qu’elles étaient en contradiction avec celles qu’ils avaient faites au cours du procès, bien que ces derniers aient affirmé avoir été soumis à des mesures de contrainte et d’intimidation. Le Comité regrette de ne pas avoir reçu d’informations sur les cas de Nikolay Avtukhovich et Vladimir Asipenka, qui ont été condamnés sur la base de déclarations faites sous la torture par des témoins qui se seraient rétractés ultérieurement (art. 15).

L ’ État partie devrait prendre les mesures voulues pour garantir que, dans la pratique, les aveux obtenus par la torture ou la contrainte ne soient pas considérés comme recevables dans le cadre d ’ une procédure, conformément à la lég islation interne et à l ’ article  15 de la Convention. Il devrait s ’ assurer que les juges demandent systématiquement à l ’ accusé s ’ il a été torturé ou maltraité pendant sa garde à vue et ordonnent qu ’ un examen soit effectué par un médecin indépendant si un accusé le demande pendant son procès. Les juges devraient considérer les déclarations obtenues par ces moyens comme irrecevables, en particulier si l ’ accusé fait valoir cet argument au cours de son procès et si l ’ examen médical confirme ses allégations. Des enquêtes impartiales devraient être immédiatement menées chaque fois qu ’ il y a des motifs de penser qu ’ un acte de torture a été commis, en particulier lorsque l ’ unique moyen de preuve consiste dans les aveux de l ’ accusé. À ce propos, l ’ État partie devrait autoriser les organisations gouvernementales ou non gouvernementales internationales à assister aux procès.

En outre, le Comité prie l ’ État partie de lui communiquer des informations sur la question de savoir si des membres des forces de l ’ ordre ont été poursuivis et punis pour avoir arraché des aveux à un suspect par la torture et, le cas échéant, de lui fournir des détails sur les affaires en question et sur les peines ou les sanctions qui ont été prononcées contre les responsables.

Conditions de détention

19)Le Comité salue les efforts déployés par l’État partie pour améliorer les conditions de vie dans les lieux de privation de liberté (CAT/C/BLR/4, par. 21 et suiv.) et se réjouit de ce qu’il ait accepté la recommandation formulée à ce sujet dans le cadre de l’Examen périodique universel (A/HRC/15/16, par. 97.30). Il demeure toutefois profondément préoccupé par la persistance d’informations dénonçant les conditions déplorables de détention dans les lieux de privation de liberté, notamment l’appel lancé par le Rapporteur spécial sur la question de la torture concernant les conditions de détention dans plusieurs établissements, dont le centre de détention provisoire (SIZO) de Minsk (A/HRC/4/33/Add.1, par. 16). Les problèmes constatés dans ces établissements sont notamment le surpeuplement, la mauvaise qualité de la nourriture, l’absence d’accès à des installations sanitaires de base et l’insuffisance des soins médicaux (art. 11 et 16).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour mettre les conditions de détention dans les lieux de privation de liberté en conformité avec l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et d ’ autres normes applicables du droit international et de la législation interne, en particulier:

a) En s ’ employant à réduire le surpeuplement carcéral et en étudiant la possibilité de prévoir des peines non privatives de liberté conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo);

b) En s ’ assurant que tous les détenus reçoivent des rations alimentaires suffisantes et bénéficient de soins de santé en cas de besoin ; et

c) En veillant à ce que tous les mineurs soient détenus séparément des adultes pendant toute la durée de leur détention ou de leur mise à l ’ isolement et en leur proposant des activités éducatives et récréatives.

20)Tout en notant que, d’après la délégation bélarussienne, le Bureau du Procureur général n’a pas reçu de plaintes de détenues affirmant avoir été menacées d’actes de violence, le Comité est préoccupé par des informations faisant état d’actes ou de menaces de violence, notamment sexuelle, auxquels des détenues auraient été soumises dans des lieux de privation de liberté par des détenus et des agents de l’État (art. 2, 11 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre immédiatement des mesures concrètes pour lutter plus efficacement contre la violence dans les prisons, conformément aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l ’ imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok). L ’ État partie devrait en outre créer un mécanisme efficace pour recevoir les plaintes pour violence sexuelle et le promouvoir, et veiller à ce que les membres des forces de l ’ ordre reçoivent une formation sur l ’ interdiction absolue des violences sexuelles, qui constituent une forme de torture, et sur la façon dont les plaintes dénonçant ce type d ’ acte doivent être recueillies.

Formation

21)Le Comité regrette de n’avoir reçu aucun renseignement sur la formation à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants offerte au personnel médical, aux membres des forces de l’ordre et des forces de sécurité, aux fonctionnaires de l’administration pénitentiaire et de l’appareil judiciaire et aux autres personnes qui peuvent intervenir dans la garde, l’interrogatoire et le traitement des personnes placées sous le contrôle de l’État. Le Comité regrette également l’absence d’informations sur l’évaluation de la formation dispensée (art. 10).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures suivantes:

a) Offrir régulièrement à toutes les personnes qui exercent les diverses fonctions énumérées à l ’ article 10 de la Convention une formation aux dispositions de la Convention et à l ’ interdiction absolue de la torture ainsi qu ’ aux règles, aux instructions et aux méthodes d ’ interrogatoire, en collaboration avec les organisations de la société civile;

b) Dispenser à l ’ ensemble du personnel concerné, en particulier le personnel médical, une formation portant spécifiquement sur les méthodes de détection des séquelles de la torture et des mauvais traitements et sur l ’ utilisation du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul);

c) Adopter une approche respectueuse de la différence entre les sexes dans le cadre de la formation du personnel intervenant dans la garde, l ’ interrogatoire et le traitement de toute femme arrêtée, détenue ou emprisonnée de quelque façon que ce soit; et

d) Évaluer régulièrement l ’ efficacité des programmes de formation et de sensibilisation afin de déterminer s ’ ils contribuent à réduire le nombre de cas de torture et de mauvais traitements.

Violence à l ’ égard des femmes et des enfants, notamment dans la famille

22)Tout en se félicitant des mesures prises par l’État partie pour combattre la violence à l’égard des femmes et des enfants, le Comité est préoccupé par la persistance de ce type de violence et par l’absence d’informations sur: a) les poursuites engagées dans le cadre des affaires de violence à l’égard des femmes et des enfants, notamment dans la famille; et b) l’assistance concrète et les réparations offertes aux victimes de cette forme de violence. Le Comité note avec regret que le nombre de femmes décédées des suites de violences commises au foyer est élevé et que la législation pénale ne prévoit pas de dispositions réprimant spécifiquement la violence dans la famille et le viol conjugal, lacune qui a été relevée par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW/C/BLR/CO/7, par. 19) (art. 2, 14 et 16).

L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour prévenir, combattr e et réprimer la violence à l ’ égard des femmes et d es enfants, en particulier la violence dans la famille, notamment en modifiant sa législation pénale et en offrant aux victimes une protection immédiate et des moyens de réadaptation à long terme. En outre, l ’ État partie devrait mener de plus vastes campagnes de sensibilisation et de formation sur la violence dans la famille à l ’ intention des juges, des avocats, des membres des forces de l ’ ordre et des travailleurs sociaux qui sont en contact direct avec les victimes ainsi qu ’ à l ’ intention du grand public .

Traite des personnes

23)Le Comité note avec satisfaction les efforts déployés par l’État partie pour faire face au phénomène de la traite et traduire les responsables présumés en justice, mais relève avec inquiétude les informations indiquant que la traite des personnes, en particulier la traite de femmes, demeure un grand problème et que le Bélarus continue d’être un pays d’origine, de transit et de destination pour les victimes de la traite (art. 2, 10 et 16).

Compte tenu des recommandations formulées par la Rapporteuse spéciale sur la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants , à la suite de la visite qu ’ elle a effectuée au Bélarus en ma i 2009 (A/HRC/14/32/Add.2, par.  95 et suiv .), l ’ État partie devrait prendre des mesures concrètes, notamment dans le cadre de la coopération régionale et internationale, pour s ’ attaquer aux causes profondes de la traite, en particulier aux liens étroits entre ce phénomène et l ’ exploitation sexuelle, continuer de poursuivre les auteurs présumés et de punir les responsables, accorder des réparations aux victimes et leur proposer des services de réinsertion, et dispenser une formation aux fonctionnaires chargés de l ’ application des lois, en particulier aux agents chargés de la surveillance des frontières et aux fonctionnaires des douanes.

Réparation, notamment indemnisation et réadaptation

24)Le Comité regrette l’absence d’informations sur a) les mesures de réparation et d’indemnisation, y compris les mesures de réadaptation, ordonnées par les tribunaux et effectivement prises en faveur des victimes ou de leurs ayants cause; et b) les soins médicaux, les services de réinsertion et d’autres types d’assistance proposés aux victimes, dont les services médicaux et psychosociaux de réadaptation. Le Comité note avec regret que, d’après certaines informations, le tribunal de Minsk rejette les demandes d’indemnisation pour préjudice moral causé pendant la détention (art. 14).

L ’ État partie devrait faire en sorte que, dans la pratique, les victimes bénéficient de mesures de réparation et d ’ indemnisation, y compris des moyens nécessaires à leur réadaptation, et communiquer des renseignements au Comité sur les affaires pertinentes. En outre, il devrait fournir des informations sur les mesures de réparation et d ’ indemnisation que les tribunaux ont prononcées et dont les victimes de la torture et leurs proches ont bénéficié. Il devrait préciser le nombre de recours qui ont été présentés et qui ont abouti et le montant des indemnisations ordonnées par les tribunaux et effectivement versées aux victimes dans chaque cas. En outre, dans son prochain rapport périodique, l ’ État partie devrait fournir au Comité des statistiques à ce sujet et citer des exemples d ’ affaires dans lesquelles des personnes ont été indemnisées.

Défenseurs des droits de l ’ homme

25)Le Comité est vivement préoccupé par les allégations nombreuses et concordantes faisant état d’actes graves d’intimidation et de représailles et de menaces dont sont la cible des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes et par l’absence d’informations sur les éventuelles enquêtes ouvertes sur ces allégations. Il note avec inquiétude que, d’après plusieurs sources, des demandes d’enregistrement émanant d’organisations non gouvernementales indépendantes ont été rejetées, que les membres de ces organisations ont été la cible de menaces et d’actes d’intimidation, qu’ils ont été poursuivis au pénal et arrêtés et que leurs bureaux ont été attaqués. Ces faits ont été soulignés par la Haut-Commissaire aux droits de l’homme lorsqu’elle est intervenue devant le Conseil des droits de l’homme en septembre 2011, par la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme et par le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression dans leurs appels urgents. Le Comité regrette qu’en dépit des constatations du Comité des droits de l’homme (communication no 1296/2004) et de plusieurs appels lancés par des rapporteurs spéciaux (A/HRC/17/27/Add.1, par. 331), la Cour suprême du Bélarus a confirmé la décision du Ministère de la justice de ne pas enregistrer le centre de défense des droits de l’homme «Viasna» (art. 2, 12 et 16).

L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures voulues pour assurer la protection des défenseurs des droits de l ’ homme et des journalistes contre les actes d ’ intimidation ou de violence suscités par leurs activités et faire en sorte que des enquêtes impartiales et approfondies soient immédiatement ouvertes sur ces actes, que des poursuites soient engagées contre les auteurs présumés et que les responsables soient punis. En particulier, le Comité recommande à l ’ État partie de:

a) Reconnaître que les organisations non gouvernementales jouent un rôle crucial en l ’ aidant à s ’ acquitter de ses obligations au titre de la Convention et autoriser ces organisations à rechercher et à recevoir des ressources suffisantes pour être en mesure de mener leurs activités pacifiques de défense des droits de l ’ homme;

b) Communiquer au Comité le résultat des enquêtes ouvertes sur les allégations selon lesquelles les autorités menaceraient et harcèleraient des défenseurs des droits de l ’ homme et des journalistes, dont deux journalistes, Irina Khalip et Andrzej Poczobut , le Président du Comité Helsinki pour le Bélarus, Aleh Gulak, et le Président de « Viasna », Ales Byalyatski ; et

c) Donner des informations à jour sur les mesures prises pour donner effet aux constatations susmentionnées du Comité des droits de l ’ homme, qui avait conclu que les 11 membres de « Viasna », auteurs de la requête, avaient droit à un recours utile, y compris le réenregistrement de leur association.

Réfugiés et demandeurs d ’ asile

26)Tout en se félicitant de l’adoption en 2008 de la nouvelle loi sur l’octroi aux ressortissants étrangers et aux personnes apatrides du statut de réfugié et d’une protection supplémentaire et temporaire au Bélarus, le Comité estime que la législation et la façon dont elle est appliquée devraient faire l’objet d’un examen approfondi afin qu’elles soient mises pleinement en conformité avec le droit international des droits de l’homme et les instruments internationaux relatifs aux réfugiés (art. 3).

Le Comité recommande à l ’ État partie de revoir les procédures et les pratiques en vigueur en matière d ’ expulsion, de refoulement et d ’ extradition de façon à s ’ acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de l ’ article  3 de la Convention. Il devrait offrir une meilleure protection aux demandeurs d ’ asile, aux réfugiés et aux autres personnes nécessitant une protection internationale, améliorer la procédure nationale de détermination du statut de réfugié et réfléchir à la possibilité de ratifier la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d ’ apatridie.

Peine de mort

27)Le Comité est préoccupé par les informations concernant les conditions déplorables de détention des condamnés à mort et le secret et l’arbitraire qui entourent les exécutions, notamment les renseignements indiquant que les proches des condamnés ne sont informés que plusieurs jours, voire plusieurs semaines après l’exécution, qu’ils n’ont pas la possibilité de faire une dernière visite au condamné, que sa dépouille ne leur est pas remise après l’exécution et que le lieu où il est enterré ne leur est pas révélé. En outre, le Comité est profondément préoccupé par les renseignements montrant que certaines personnes qui se trouvent dans le quartier des condamnés à mort ne bénéficient pas des garanties juridiques fondamentales et par les divergences entre les informations émanant des autorités bélarussiennes et celles provenant de diverses autres sources sur cette question. Le Comité note qu’un groupe de travail parlementaire continue d’étudier la possibilité de proclamer un moratoire sur la peine de mort, mais déplore que deux personnes qui se trouvaient dans le quartier des condamnés à mort et dont la requête était en cours d’examen au Comité des droits de l’homme aient été exécutées malgré la demande de mesures provisoires que celui-ci avait adressée aux autorités bélarussiennes (communications nos 1910/2009 et 1906/2009) (art. 16).

L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures voulues pour améliorer les conditions de détention des personnes qui se trouvent dans les quartiers des condamnés à mort et veiller à ce qu ’ elles bénéficient de toutes les garanties prévues par la Convention. En outre, il devrait remédier au problème que représente le secret et l ’ arbitraire entourant les exécutions capitales afin d ’ éviter aux proches des condamnés des incertitudes et des souffrances supplémentaires. Le Comité recommande également à l ’ État partie de réfléchir à la possibilité de ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

Collecte de données

28)Le Comité regrette l’absence de données complètes et ventilées dans plusieurs domaines relevant de la Convention, notamment l’absence de statistiques sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans des affaires de torture et de mauvais traitements imputées à des membres des forces de l’ordre ou des forces de sécurité ou au personnel pénitentiaire, ainsi que sur les affaires de disparition forcée, de traite, de violence dans la famille et de violence sexuelle (art. 12 et 13).

L ’ État partie devrait collecter et envoyer au Comité des statistiques propres à lui permett re de se faire une idée de l ’ application de la Convention au plan national, dont des informations sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans des affaires de torture et de mauvais traitements, de traite, de violence dans la famille et de violence sexuelle ainsi que sur la suite donné e à ces plaintes et affaires, y compris les mesures d ’ indemnisation et de réadaptation prises en faveur des victimes.

Coopération avec les mécanismes de l ’ ONU chargés des droits de l ’ homme

29)Le Comité recommande à l’État partie d’intensifier sa coopération avec les mécanismes de l’ONU chargés des droits de l’homme, notamment en autorisant les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales, qui lui en ont fait la demande, à se rendre dans le pays, notamment le Rapporteur spécial sur la question de la torture, le Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression et le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires.

30)Le Comité recommande à l’État partie d’étudier la possibilité de ratifier dans les meilleurs délais le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

31)Le Comité recommande à l’État partie de réfléchir à la possibilité de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

32)Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, notamment la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. Prenant acte des engagements pris par l’État partie dans le cadre de l’Examen périodique universel (A/HRC/15/16, par. 97.1 et 98.3), le Comité recommande à l’État partie d’œuvrer à la ratification de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille ainsi que de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et du Protocole facultatif s’y rapportant.

33)L’État partie est invité à diffuser largement le rapport qu’il a soumis au Comité et les présentes observations finales, dans les langues appropriées, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

34)Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir le 25 novembre 2012 au plus tard des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 6, 11 et 14 du présent document, dans lesquelles il est encouragé à a) adopter des garanties juridiques pour protéger les personnes privées de liberté ou renforcer les garanties existantes, b) veiller à ce que des enquêtes impartiales et efficaces soient menées sans délai et c) poursuivre les personnes soupçonnées d’actes de torture et de mauvais traitements et punir les responsables. Des renseignements sont également demandés sur les réparations et les indemnisations octroyées aux victimes, le cas échéant.

35)L’État partie est invité à mettre à jour son document de base commun (HRI/CORE/1/Add.70) conformément aux instructions figurant dans les Directives harmonisées concernant l’établissement des rapports destinés aux organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN/2/Rev.6).

36)L’État partie est invité à présenter son prochain rapport périodique, qui sera son cinquième, le 25 novembre 2015 au plus tard. À cette fin, le Comité prie l’État partie de lui indiquer d’ici au 25 novembre 2012 s’il accepte de lui soumettre son rapport en suivant la procédure facultative d’établissement des rapports, qui consiste pour l’État partie à répondre à une liste de points à traiter transmise par le Comité avant la soumission du rapport périodique. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront son prochain rapport périodique au titre de l’article 19 de la Convention.

53. Bulgarie

1)Le Comité contre la torture a examiné les quatrième et cinquième rapports périodiques de la Bulgarie présentés en un seul document (CAT/C/BGR/4-5) à ses 1032e et 1035e séances, les 9 et 10 novembre 2011 (CAT/C/SR.1032 et 1035), et a adopté, à sa 1054e séance (CAT/C/SR.1054), le 24 novembre 2011, les observations finales ci-après.

A. Introduction

2)Le Comité se félicite de la présentation, malheureusement avec deux ans de retard, des quatrième et cinquième rapports périodiques de la Bulgarie soumis en un seul document, qui ont été établis conformément aux directives du Comité, et des réponses à la liste de points à traiter (CAT/C/BGR/Q/4-5).

3)Il se félicite aussi du dialogue ouvert et constructif qu’il a eu avec une délégation diverse et de haut niveau et remercie celle-ci pour ses réponses claires, franches et détaillées aux questions posées par ses membres.

B. Aspects positifs

4)Le Comité note avec satisfaction que, depuis l’examen de son troisième rapport périodique, l’État partie a ratifié les instruments internationaux suivants ou y a adhéré:

a)Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (2011);

b)Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (2006).

5)Le Comité se félicite de la signature par la Bulgarie et la Grèce, en juin 2010, d’un accord bilatéral de coopération visant à combattre le crime organisé et, notamment, la contrebande, la traite des êtres humains et le trafic de drogues.

6)Le Comité prend note des efforts que fait l’État partie pour réviser sa législation dans les domaines visés par la Convention, notamment de la modification de la Constitution, en 2007, portant création d’un conseil suprême de la magistrature, ainsi que des textes législatifs et des mesures ci-après:

a)Nouveau Code de procédure pénale, en vigueur depuis le 1er mars 2008, qui contient des dispositions sur l’indemnisation ou la réadaptation des victimes de la torture;

b)Loi sur le système judiciaire, en vigueur depuis le 10 août 2007, et Stratégie de réforme du pouvoir judiciaire (2009-2013), adoptée en 2009;

c)Modification apportée à la loi sur l’asile et les réfugiés portant création d’un mécanisme pour la procédure de détermination du statut de réfugié (2007);

d)Loi sur l’assistance aux victimes d’infractions pénales et leur indemnisation pécuniaire, en vigueur depuis 2007, et Stratégie nationale pour l’assistance aux victimes d’infractions pénales et leur indemnisation;

e)Nouveau Code de procédure administrative, en vigueur depuis le 12 juillet 2006, contenant des dispositions relatives à la prévention et à la répression de la torture et à la possibilité pour les étrangers de faire appel des arrêtés d’expulsion;

f)Nouveau Code de procédure pénale, en vigueur depuis le 26 avril 2006, prévoyant des garanties procédurales pour l’interdiction de la torture, contenant des dispositions pour prévenir la torture et réglementant la détention par la police;

g)Loi sur l’aide juridictionnelle (2006) et création du Bureau national de l’aide juridictionnelle;

h)Modifications à la loi sur la santé, en vigueur depuis le 1er mai 2005, concernant les procédures médicales pour les handicapés mentaux;

i)Plusieurs modifications du Code pénal, en vigueur depuis 2004, concernant notamment l’article 287 relatif aux dispositions de la Convention exigeant l’incrimination de l’acte de torture.

7)Le Comité se félicite en outre des efforts faits par l’État partie pour modifier ses politiques, programmes et mesures administratives en vue d’assurer une meilleure protection des droits de l’homme et de donner effet à la Convention, et notamment de l’adoption des documents suivants:

a)Stratégie pour le développement des installations pénitentiaires (2009-2015) et Programme pour l’amélioration des conditions dans les lieux de privation de liberté (2010);

b)Stratégie nationale pour l’enfance (2008-2018) et «Vision pour la désinstitutionnalisation des enfants en Bulgarie», adoptée le 24 février 2010;

c)Stratégie intégrée de lutte contre la criminalité et la corruption (2010);

d)Stratégie pour la réforme des lieux de détention (2009-2015);

e)Plan d’action national pour la mise en œuvre de l’initiative «Décennie pour l’inclusion des Roms (2005-2015)» et Programme d’action pour l’intégration des Roms dans la société bulgare (2010-2020);

f)Plan d’action national pour la santé mentale (2004-2012).

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition, interdiction absolue et incrimination de la torture

8)Le Comité note avec préoccupation que le Code pénal ne contient pas de définition complète de la torture incluant tous les éléments de l’article premier de la Convention et que la torture n’est pas érigée en infraction pénale distincte, comme le requiert la Convention. Il note que le Groupe de travail du Ministère de la justice créé pour élaborer un nouveau code pénal n’a pas encore examiné l’article contenant les dispositions consacrées à une nouvelle infraction correspondant à la définition de la torture (art. 1er et 4).

Le Comité demande instamment à l ’ État partie d ’ adopter une définition de la torture englobant tous les éléments figurant à l ’ article premier de la Convention. L ’ État partie devrait prendre des mesures législatives concrètes pour ériger la torture en infraction pénale spécifique dans sa législation et faire en sorte que les peines prévues pour les actes de torture soient à la mesure de la gravité de ces actes. Il devrait faire en sorte que l ’ interdiction absolue de la torture ne soit susceptible d ’ aucune dérogation et que les faits constitutifs d ’ actes de torture soient imprescriptibles.

Garanties juridiques fondamentales − accès à un avocat et à l ’ aide juridictionnelle

9)Le Comité note que l’État partie a adopté des mesures législatives et émis des instructions pour garantir le droit de notifier un tiers de la détention, de consulter un avocat, de se faire examiner par un médecin indépendant et d’être informé des accusations portées contre soi dès le début de la détention. Il est toutefois préoccupé par les informations selon lesquelles, dans la pratique, l’accès à un avocat pendant les vingt-quatre heures que dure la garde à vue n’est pas systématique et un tel accès n’est une réalité que pour une minorité de détenus, à savoir ceux qui ont les moyens de rémunérer un avocat privé. Le Comité est également préoccupé par les allégations selon lesquelles la police serait réticente à autoriser l’accès à un avocat dès le début de la détention et les délais dans lesquels un avocat commis d’office a été contacté et s’est présenté au poste de police ont parfois été excessifs. Le Comité note aussi avec préoccupation que le Bureau national de l’aide juridictionnelle manque de personnel et de ressources, ce qui entrave l’exercice du droit à un procès équitable, les inégalités économiques et sociales se traduisant par des inégalités d’accès à la justice et aux moyens de défense pendant le procès. Outre les pauvres, les personnes appartenant à des minorités et certaines catégories d’étrangers, tels que les demandeurs d’asile et les migrants clandestins, ne bénéficient pas de l’égalité d’accès à la justice (art. 2).

Le Comité recommande aux autorités bulgares d ’ informer tous les fonctionnaires de police de l ’ obligation juridique d ’ autoriser tous les détenus à consulter un avocat dès le début de leur détention. Il leur recommande également de prendre les mesures nécessaires pour lever tous les obstacles à l ’ exercice du droit à l ’ égalité d ’ accès à la justice et de faire en sorte que le Bureau national de l ’ aide juridictionnelle soit doté de ressources financières et humaines suffisantes pour pouvoir s ’ acquitter de ses fonctions vis-à-vis de toutes les catégories de détenus.

Violences policières et utilisation d ’ armes à feu par la police

10)Le Comité est préoccupé par l’usage excessif de la force et des armes à feu par les agents de la force publique, notamment dans les huit affaires dans lesquelles la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée contre l’État partie en 2010, dont la moitié portait sur des faits ayant entraîné la mort des victimes, par l’ampleur de l’emploi des armes à feu autorisé par la loi sur le Ministère de l’intérieur (art. 74), par le fait que les actes de violence imputés à des agents de la force publique comprennent des actes de torture et des traitements inhumains ou dégradants, par le refus de fournir aux victimes une assistance médicale vitale et par le fait qu’il y a eu très peu de poursuites jusqu’à présent (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité exhorte l ’ État partie à modifier sa législation de façon à mettre les règlements relatifs à l ’ usage des armes à feu en conformité avec les normes internationales, notamment les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l ’ utilisation des armes à feu par les responsables de l ’ application des lois. L ’ État partie devrait également prendre des mesures pour mettre un terme à toutes les formes de harcèlement et de mauvais traitement s de la part de la police pendant les enquêtes et devrait enquêter sans délai et de manière approfondie et impartiale sur toutes les allégations faisant état d ’ une utilisation non nécessaire et disproportionnée de la violence par des agents de la force publique, poursuivre les responsables et leur infliger des peines à la mesure de la gravité de leurs actes et accorder réparation aux victimes, y compris les moyens d ’ une réadaptation aussi complète que possible.

Surveillance indépendante des lieux de détention et des autres lieux de privation de liberté

11)Le Comité se félicite que l’État partie ait ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention et qu’il ait l’intention de créer un mécanisme national de prévention d’ici un an. Il note avec préoccupation que les organisations de la société civile ne sont pas autorisées à procéder à un suivi indépendant de tous les cas de détention et que les organisations non gouvernementales, telles que le Comité Helsinki bulgare, doivent obtenir l’autorisation du procureur pour pouvoir rendre visite à des détenus avant jugement (art. 2).

Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que des organismes non gouvernementaux indépendants puissent exercer une surveillance indépendante, effective et régulière de tous les lieux de détention.

Réforme du système judiciaire

12)Le Comité prend note de la mise en place de la stratégie de réforme judiciaire (2009-2013) mais il est préoccupé par le manque de progrès réalisés dans le processus de réforme et, notamment, par certaines erreurs qui ont été signalées, comme la gouvernance conjointe des tribunaux et du parquet. Il est aussi préoccupé par le manque de transparence du processus de sélection et de nomination des juges et des membres du Conseil suprême de la magistrature, par le fait que le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire n’est pas respecté par les organes non judiciaires, notamment par certains hauts fonctionnaires, et n’est pas pleinement appliqué par le système judiciaire, et par les allégations de corruption du système judiciaire et de manque de confiance dans l’administration de la justice, ce qui se traduit par un manque de confiance du public dans l’appareil judiciaire (art. 2 et 13).

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ accélérer le processus de réforme judiciaire en tenant compte des conclusions et des observations préliminaires du Rapporteur spécial sur l ’ indépendance des juges et des avocats en date du 16 mai 2011 ainsi que des normes internationales − en particulier les Principes fondamentaux relatifs à l ’ indépendance de la magistrature, les Principes de base relatifs au rôle du barreau, les Principes directeurs applicables au rôle des magistrats du parquet et les Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire. L ’ État partie devrait veiller à ce que la sélection et la nomination des juges, y compris au Conseil suprême de la magistrature, soient transparentes et que l ’ égalité des chances des candidats soit garantie par des critères objectifs. Il devrait sensibiliser les membres de l ’ appareil judiciaire et les autres agents publics ainsi que le grand public à l ’ importance de l ’ indépendance de la magistrature. Il ne devrait y avoir aucune ingérence extérieure dans le processus judiciaire. L ’ État partie devrait en outre redoubler d ’ efforts pour combattre la corruption et faire en sorte que tous les cas de corruption présumés fassent rapidement l ’ objet d ’ une enquête approfondie et impartiale et de poursuites, notamment dans le cadre de la stratégie intégrée de lutte contre la criminalité et la corruption (2010).

Institution nationale des droits de l ’ homme et mécanisme national de protection

13)Le Comité prend bonne note que le Médiateur et la Commission de protection contre la discrimination ont déposé une demande d’accréditation auprès du Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme mais relève avec préoccupation que, à ce jour, il n’existe aucune institution nationale satisfaisant aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) (art. 2, 11 et 13).

Le Comité recommande de mettre l ’ institution du Médiateur et la Commission de la protection contre la discrimination en conformité avec les principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (Principes de Paris).

Accès des demandeurs d ’ asile à une procédure d ’ asile équitable

14)Le Comité note avec préoccupation que l’État partie n’a pas pris de mesures pour donner effet à tous les droits des demandeurs d’asile et des réfugiés et est notamment préoccupé par des questions comme la détention et le transfert de demandeurs d’asile, l’absence de services de traduction et d’aide juridictionnelle et l’expulsion des étrangers pour des raisons de sécurité nationale (art. 3, 11 et 14).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De modifier l ’ article 16 de l ’ ordonnance sur la coordination de l ’ Office national des réfugiés, de la Direction des migrations et de la Police des frontières et leurs responsabilités respectives, de manière à supprimer la règle qui autorise la détention des demandeurs d ’ asile pour entrée illégale dans le pays, et de faire en sorte que les demandeurs d ’ asile bénéficient d ’ un hébergement, obtiennent des documents et aient accès aux soins, à l ’ assistance sociale, à l ’ enseignement et à des cours de langue comme le prévoient les articles 29 et 30 a) de la loi sur l ’ asile et les réfugiés;

b) De veiller à ce que les demandeurs d ’ asile ne soient placés en détention qu ’ en dernier recours, en cas de nécessité, et pour la période la plus brève possible, et que les garanties contre le refoulement soient pleinement respectées;

c) D ’ assurer au plus vite l ’ ouverture tant attendue du c entre de transit de Pastrogor en vue de remédier à la pratique actuelle consistant, faute de structure d ’ accueil adaptée, à placer les demandeurs d ’ asile dans des centres de détention;

d) D ’ assurer des services d ’ interprétation et de traduction à tous les points de passage aux frontières et dans tous les centres s ’ occupant des demandeurs d ’ asile;

e) De faire en sorte que l ’ Office national des réfugiés rétablisse son programme d ’ assistance juridique et de veiller à ce que les rapports, la description des informations présentées par les demandeurs d ’ asile, les minutes et les transcriptions des entretiens soient établis de manière professionnelle.

Définition de l ’ apatridie

15)Le Comité note avec préoccupation que la législation de l’État partie ne contient pas de définition juridique de l’apatridie et qu’il n’existe aucun cadre juridique ou mécanisme pour déterminer si une personne est apatride (art. 2 et 3).

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ envisager d ’ introduire une définition de l ’ apatridie dans sa législation et de mettre en place un cadre juridique et des mécanismes pour déterminer si une personne est apatride. Il l ’ encourage à envisager d ’ adhérer à la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et à la Convention de 1961 sur la réduction des cas d ’ apatridie.

Non-refoulement

16)Le Comité constate avec préoccupation que l’État partie ne s’acquitte pas pleinement de l’obligation de respecter le principe de non-refoulement qui lui incombe en vertu de l’article 3 de la Convention (art. 3).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) D ’ observer les règles garantissant le respect du principe de non-refoulement, notamment l ’ obligation de vérifier s ’ il existe de sérieux motifs de croire que le demandeur d ’ asile risque d ’ être torturé ou maltraité en cas d ’ expulsion;

b) De modifier sa législation pour garantir un droit d ’ appel suspensif en Bulgarie et de respecter toutes les garanties et les mesures provisoires dans le cadre des procédures d ’ asile et d ’ expulsion en attendant l ’ issue des recours intentés;

c) D ’ assurer des services d ’ interprétation à tous les demandeurs d ’ asile dans les affaires relatives à l ’ asile et les appels dont elles font l ’ objet;

d) De soumettre les situations visées par l ’ article 3 de la Convention à un examen approfondi des risques, notamment en assurant aux juges une formation appropriée sur les risques de torture dans les pays de renvoi et en procédant systématiquement à des entretiens individuels pour évaluer le risque couru personnellement par les requérants;

e) D ’ assurer le suivi des affaires, à la lumière de l ’ arrêt de la Cour européenne des droits de l ’ homme et, en particulier, des cas des deux demandeurs d ’ asile palestiniens déboutés, Youssef Kayed , torturé après avoir été renvoyé au Liban, le 27 novembre 2010, et Moussa Kamel Ismael , torturé après avoir été renvoyé au Liban, également le 27 novembre 2010, et donner des informations à jour sur leur situation dans le prochain rapport périodique.

Compétence pour les infractions visées à l ’ article 4 de la Convention

17)Le Comité note avec préoccupation que la législation bulgare n’établit pas la compétence de l’État pour les infractions visées à l’article 4 de la Convention pour tous les actes de torture, étant donné que la torture n’est pas expressément érigée en infraction distincte correspondant à la définition qui figure dans la Convention (art. 5, 6 et 7).

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter une définition de la torture qui soit conforme à la Convention afin que tous les actes de torture, et pas seulement ceux qui sont constitutifs de crimes de guerre, puissent faire l ’ objet de poursuites en vertu de la compétence de l ’ État partie pour les infractions visées à l ’ article 4 de la Convention et de veiller à ce que toutes les personnes soupçonnées d ’ actes de torture qui se trouvent sur le territoire bulgare soient extradées ou poursuivies conformément à l ’ article 6 du Code pénal.

Irrecevabilité des preuves obtenues par la torture

18)Le Comité est préoccupé par l’absence de législation garantissant l’irrecevabilité des preuves obtenues par la torture (art. 15).

Le Comité recommande que l ’ État partie adopte une loi interdisant expressément l ’ utilisation de déclarations obtenues par la torture en tant que preuves, conformément à la Convention (art. 15), et que les autorités compétentes de l ’ É tat partie réunissent des statistiques et informe nt le Comité des cas dans lesquels des preuves obtenues par la torture ont été jugées irrecevables.

Traitement des personnes, notam ment des personnes handicapées, dans les institutions sociales

19)Le Comité est préoccupé par:

a)Le fait que les personnes handicapées placées dans des institutions sociales, étatiques ou municipales, en particulier dans des établissements médicaux, ne jouissent pas de garanties juridiques et de garanties procédurales suffisantes quant au respect de leur droit à l’intégrité mentale et physique; le fait que les personnes privées de leur capacité juridique et dont les décisions et les préférences ne sont pas prises en compte n’ont aucun moyen de contester la violation de leurs droits; le fait que des responsables des établissements dans lesquels des personnes handicapées sont internées participent souvent aux procédures d’admission et aux mécanismes de tutelle, ce qui peut donner lieu à un conflit d’intérêts et à une détention de facto − le consentement des tuteurs à un traitement médical pouvant constituer un traitement forcé −; l’utilisation de moyens de contention et des traitements forcés, intrusifs et irréversibles, tels que ceux à base de neuroleptiques; l’absence de mécanisme indépendant d’inspection des institutions de santé mentale; le niveau de compétence du personnel, la fréquence des visites effectuées par des spécialistes et les conditions matérielles des institutions − notamment le fait qu’elles sont situées dans des lieux reculés, loin des familles et des grands centres médicaux;

b)La situation actuelle et future des enfants handicapés mentaux placés en institution, le Comité notant toutefois que l’État partie envisage de passer du placement en institution à une prise en charge communautaire dans des conditions proches du cadre familial et la fermeture de toutes les institutions accueillant des enfants dans un délai de quinze ans; le fait que 238 décès d’enfants handicapés, dont les trois quarts auraient pu être prévenus, ont été enregistrés entre 2000 et 2010 sans qu’aucune inculpation ait été prononcée à ce jour à l’issue des 166 enquêtes pénales qui ont été menées, et que deux enfants sont morts récemment dans des circonstances analogues à Medven; le fait qu’une inspection portant sur l’année 2010 et concernant les mesures d’internement et de soins sans consentement prises en application de la loi sur la santé et les mesures d’internement forcé à des fins thérapeutiques prises en application du Code pénal a conclu à l’absence de violation dans l’application de la législation; le fait qu’il ne sera pas procédé − pendant la période que durera la désinstitutionnalisation − à l’entretien et à la rénovation, pourtant nécessaires, des installations existantes au motif qu’elles vont être abandonnées (art. 2, 11, 12, 13, 14 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De revoir la législation et la politique relatives à la privation des personnes handicapées de leur capacité juridique, de fournir des garanties juridiques et procédurales pour le respect de leurs droits et d ’ assurer à ces personnes un accès rapide à un contrôle judiciaire effectif des décisions ainsi qu ’ à des recours utiles en cas de violation;

b) D ’ examiner les situations au cas par cas et d ’ assurer le respect du droit à l ’ intégrité mentale et physique des personnes placées en institution, s ’ agissant en particulier de l ’ utilisation de moyens de contention et de l ’ administration forcée de traitements intrusifs et irréversibles, tels que les traitements à base de neuroleptiques, et de veiller à ce que les décisions et les préférences de ces personnes soient prises en compte;

c) De prendre des mesures concrètes pour réglementer le système de tutelle de façon à éviter les conflits d ’ intérêts et les situations qui constituent un traitement forcé ou une détention de facto;

d) De soumettre les placements à une surveillance étroite de la part des organes judiciaires et de mécanismes d ’ inspection indépendants de manière à assurer l ’ application des garanties et des normes internationales, notamment des Principes pour la protection des personnes atteintes de maladies mentales et pour l ’ amélioration des soins de santé mentale;

e) De fournir un personnel professionnel et compétent en nombre suffisant et procéder à la rénovation nécessaire des établissements, qui devraient être situés dans de grandes agglomérations dotées d ’ hôpitaux et de centres médicaux;

f) De veiller à ce que les décès d ’ enfants handicapés placés en institution donnent lieu à une enquête et à ce que les responsables soient poursuivis, condamnés et sanctionnés;

g) De modifier et de renforcer la législation pour accroître l ’ obligation de rendre des comptes et empêcher la récidive et l ’ impunité, de réglementer les traitements autorisés dans les institutions, en particulier dans le cas des personnes handicapées, et de tenir compte des besoins particuliers de chaque enfant en veillant à prescrire un traitement approprié conformément aux dispositions de la Convention;

h) De veiller à ce que des mécanismes indépendants, notamment l ’ Institution nationale des droits de l ’ homme et les organisations de la société civile, contrôlent et supervisent fréquemment et de manière professionnelle toutes les institutions ainsi que le processus de désinstitution n alisation , y compris pour accélérer le plus possible la désinstitution n alisation , de manière à maintenir un système de soins viable.

Formation

20)Le Comité constate avec préoccupation que le programme de formation obligatoire des fonctionnaires comme les juges, les agents de la force publique et le personnel pénitentiaire ne contient pas des cours de formation spécifiques sur les dispositions de la Convention, en particulier sur l’interdiction absolue de la torture, y compris la violence sexuelle, et sur le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) (art. 10).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) D ’ élaborer et de mettre en œuvre des programmes de formation pour assurer que les juges, les procureurs, les agents de la force publique et les agents pénitentiaires soient pleinement informés des dispositions de la Convention et sachent que les manquements ne seront pas tolérés et donneront lieu à des enquêtes et que leurs auteurs seront traduits en justice;

b) D ’ élaborer des modules de formation en vue de sensibiliser les agents de la force publique et les autres personnels concernés au problème de la discrimination fondée sur l ’ appartenance ethnique et la religion;

c) De dispenser de manière régulière et systématique au personnel médical et à tou te s les autres personnes qui interviennent dans la garde, l ’ interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné de quelque façon que ce soit, ainsi qu ’ aux autres personnes participant aux enquêtes sur les cas de torture, une formation sur le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul), et de veiller à ce que cette même formation soit dispensée aux personnes qui interviennent dans le traitement des demandes d ’ asile;

d) D ’ élaborer et de mettre en œuvre une méthodologie permettant d ’ évaluer l ’ efficacité des programmes d ’ éducation et de formation et leurs effets sur la diminution des cas de torture et de mauvais traitement.

Conditions de détention

21)Le Comité prend note du projet de l’État partie visant à construire de nouvelles installations de détention et à rénover celles qui existent déjà, mais il s’inquiète de voir que les conditions de détention, dans des locaux vétustes, insalubres et surpeuplés, n’ont pas évolué et qu’elles ne sont pas conformes aux normes internationales. Le Comité est particulièrement préoccupé par la surpopulation, qui fait que, dans de nombreuses prisons, les détenus ne disposent que d’un espace vital de 1 mètre carré, au lieu des 6 mètres carrés qui sont la norme recommandée, et par le fait que certains sont obligés de dormir à même le sol. Il est également préoccupé par le fait qu’aucun établissement nouveau n’a été construit et que peu d’établissements existants ont été rénovés, qu’en raison des restrictions budgétaires le nombre d’agents pénitentiaires par rapport au nombre de prisonniers n’a pas augmenté, que le Médiateur de la République de Bulgarie a souligné en 2009 qu’il était nécessaire de réformer le système pénitentiaire et s’est dit préoccupé de voir que les fonds alloués pour la rénovation des prisons conformément à la Stratégie d’aménagement des lieux de détention pour la période allant de 2009 à 2015 avaient été considérablement réduits en 2009 et en 2010, et que les conditions matérielles comme l’accès à l’eau potable, l’hygiène, l’électricité, l’utilisation des toilettes, la qualité de la nourriture et sa quantité, et les possibilités d’activités motivantes et d’exercice physique ne sont pas conformes aux normes internationales (art. 11 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De redoubler d ’ efforts et d ’ augmenter les fonds alloués pour mettre les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires en conformité avec les normes internationales, comme l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus;

b) D ’ accélérer la mise en œuvre de la Stratégie de réforme des lieux de détention pour la période 2009- 2015 et du Programme d ’ amélioration des conditions dans les lieux de détention (2010) et d ’ allouer davantage de fonds à cette fin;

c) D ’ adopter des calendriers précis pour la construction de nouvelles prisons et la rénovation des prisons existantes et d ’ augmenter les effectifs d ’ agents pénitentiaires dans tous les établissements;

d) D ’ augmenter les fonds alloués pour le financement des services de base, parmi lesquels l ’ accès à l ’ eau potable, l ’ alimentation, l ’ électricité, l ’ hygiène et l ’ assainissement, et de veiller à ce que l ’ éclairage − naturel et artificiel −, le chauffage et la ventilation des cellules soient suffisants, et de prévoir la prise en charge psychosociale des détenus qui ont besoin d ’ un suivi et d ’ un traitement psychiatrique.

Le Comité invite l ’ État partie à utiliser davantage de mesures de substitution à l ’ emprisonnement conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et à réduire la surpopulation.

22)Le Comité s’inquiète de voir qu’il existe toujours des locaux en sous-sol dans cinq centres de détention préventive où se trouvent des personnes en attente de jugement. Il note également avec préoccupation qu’il y a des cellules sans fenêtre, que dans certaines cellules chaque détenu dispose d’un espace vital inférieur à 1 mètre carré et que certains détenus n’ont pas la possibilité de faire de l’exercice en plein air. Il est aussi préoccupé par les conditions de détention dans de nombreux postes de police dont les cellules ne répondent pas aux normes d’hygiène internationales et dans lesquelles il est inacceptable de garder des personnes pendant la nuit, et par le fait que, dans certains cas, les détenus passent les premières vingt-quatre heures dans un espace clos par des barreaux appelé la «cage», parfois à la vue des personnes qui se présentent au poste de police. Le Comité note qu’il est désormais interdit de menotter des personnes à des barreaux ou à des canalisations mais il est préoccupé par les informations selon lesquelles des détenus ont été menottés à des objets fixes comme des radiateurs et des canalisations ou à une chaise pendant plusieurs heures − parfois jusqu’à six heures (art. 11).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De prendre d ’ urgence des mesures pour que le traitement des détenus en attente de jugement qui se trouvent dans les établissements de détention préventive et des personnes détenues dans les postes de police soit conforme aux normes internationales. Il l ’ invite instamment à construire de nouveaux établissements de détention préventive ou d ’ adapter et de rénover les installations existantes afin qu ’ aucune personne ne soit placée dans des locaux en sous-sol et que les installations répondent aux normes internationales minimales. Les locaux de détention de la police devraient disposer d ’ un nombre suffisant de cellules équipées pour passer la nuit et offrir des conditions matérielles convenables, dont des matelas et des couvertures propres, ainsi qu ’ un éclairage, une ventilation et un chauffage adéquats;

b) De veiller à ce qu ’ il soit interdit, en droit et en pratique, de menotter des personnes à de s objets fixes.

Violence entre prisonniers et décès en détention

23)Le Comité est préoccupé de constater que la surpopulation carcérale et le nombre insuffisant d’agents pénitentiaires favorisent la violence entre prisonniers, y compris les sévices sexuels, en particulier pendant la nuit et que, sur les 3 161 cas de violence enregistrés entre janvier 2007 et juillet 2011, 22 seulement ont fait l’objet d’une enquête. Le Comité s’inquiète également d’apprendre que la violence entre prisonniers a augmenté depuis 2008, tout particulièrement en 2011. Il est préoccupé par la fréquence des actes de violence sexuelle, notamment des viols, qui sont rarement signalés, et des cas de harcèlement et des brutalités qui ont parfois conduit des détenus à se suicider, ainsi que par le nombre important de décès en détention préventive, qui oscille entre 40 et 50 par an (art. 2, 11 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De redoubler d ’ efforts pour prévenir la violence entre détenus en s ’ attaquant aux causes du phénomène, comme la surpopulation, le manque de personnel, le manque d ’ espace et la médiocrité des conditions matérielles, l ’ absence d ’ activités motivantes, la présence de stupéfiants et l ’ existence de bandes rivales;

b) D ’ être attentif à la protection des détenus, en particulier ceux qui sont homosexuels, bisexuels ou transgenres, contre la violence entre détenus et au profil psychosocial des détenus et de ceux qui se livrent à des actes de violence, d ’ enquêter sur les cas de violence et de punir les auteurs;

c) D ’ augmenter les effectifs pénitentiaires, notamment le nombre d ’ agents formés à la gestion de la violence entre détenus;

d) D ’ améliorer la qualité et d ’ augmenter la fréquence des inspections et de la surveillance, en particulier la nuit, notamment en renforçant la vidéosurveillance;

e) De faire en sorte qu ’ il soit procédé à une enquête impartiale, approfondie et immédiate sur tous les cas de décès en garde à vue, que les résultats de l ’ enquête soient rendus publics et que les auteurs des violations qui sont à l ’ origine des décès soient poursuivis.

Mise à l ’ isolement et réclusion à perpétuité

24)Le Comité constate avec préoccupation que des détenus continuent d’être mis à l’isolement pour une période qui peut aller jusqu’à quatorze jours pour non-respect de la discipline et jusqu’à deux mois pour empêcher tout risque d’évasion, d’atteinte à la vie ou à la santé d’autrui, ou d’autres crimes. Il constate également avec préoccupation que la législation en vigueur impose un strict régime de ségrégation pendant les cinq premières années de réclusion à perpétuité et que les personnes qui exécutent une peine de réclusion à perpétuité sont systématiquement menottées quand elles sortent de leur cellule. Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que certains demandeurs d’asile sont aussi placés à l’isolement pendant de longues périodes (art. 2, 11 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre en considération les recommandations du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (A/66/268) engageant vivement les États à interdire l ’ isolement cellulaire comme sanction, que ce soit au titre d ’ une peine ou d ’ une mesure d isciplinaire, et leur recommandant d ’ adopter et d ’ appliquer d ’ autres sanctions disciplinaires pour éviter l ’ isolement cellulaire (par. 84). Le Comité recommande à l ’ État partie de réduire la durée de la mise à l ’ isolement et les restrictions qui y sont attachées. Il faudrait mettre fin sans délai à la pratique qui consiste à mettre les demandeurs d ’ asile à l ’ isolement. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ envisager de modifier la législation qui prévoit un régime strict de ségrégation pendant les cinq premières années de réclusion et le port des menottes pour les prisonniers exécutant une peine de réclusion à perpétuité lorsqu ’ ils sortent de leur cellule. Les prisonniers qui exécutent une peine de réclusion à perpétuité devraient pouvoir se joindre aux autres prisonniers.

Violence intrafamiliale

25)Le Comité est préoccupé par l’interprétation étroite qui est faite de la notion de violence intrafamiliale et par le fait qu’elle n’est pas expressément réprimée par le Code pénal. Il relève aussi avec préoccupation qu’il appartient à la victime de déposer plainte en cas de violence intrafamiliale quand il s’agit de lésions corporelles légères ou de moyenne gravité, que les cas de violence intrafamiliale sont rarement portés devant les tribunaux et suivis de sanctions, surtout lorsque la victime est de sexe féminin, que les cas portés devant les tribunaux se limitent généralement à ceux dans lesquels l’auteur a enfreint les mesures de sûreté prises à son encontre, dont la durée est généralement d’un mois, et qu’il n’existe pas de mécanisme efficace de protection contre la violence intrafamiliale, y compris le viol conjugal (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

L ’ État partie devrait modifier la législation et inscrire la violence intrafamiliale dans le Code pénal en tant qu ’ infraction spécifique donnant lieu à des poursuites d ’ office. L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour prévenir la violence intrafamiliale, en particulier à l ’ égard des femmes et des filles, et encourager les victimes à signaler l ’ affaire aux autorités. Tous les cas de violence intrafamiliale devraient donner lieu à une enquête en bonne et due forme, à des poursuites et à des sanctions. La durée d ’ application des mesures de sûreté devrait être beaucoup plus longue. L ’ État partie devrait mettre en place des mécanismes de surveillance de la violence intrafamiliale et des moyens de protection efficaces, dont un mécanisme de dépôt de plaintes approprié.

Mariages précoces

26)Le Comité est préoccupé par la pratique des mariages précoces et forcés de fillettes roms qui n’ont parfois pas plus de 11 ans (art. 2 et 16).

L ’ État partie devrait appliquer la législation concernant l ’ âge minimum du mariage et faire clairement savoir que les mariages d ’ enfants n ’ ont aucun effet juridique et constituent une pratique préjudiciable, compte tenu des observations finales du Comité des droits de l ’ enfant et de la R ecommandation générale n o 24 (1999) sur l ’ article 12 du Comité sur l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes. Il conviendrait de mener, à l ’ intention de la communauté concernée, des campagnes de sensibilisation mettant l ’ accent sur l ’ interdiction de ces mariages, leurs conséquences néfastes et les droits de l ’ enfant. Le Comité engage aussi instamment l ’ État partie à faire respecter l ’ obligation d ’ enregistrer tous les mariages afin d ’ en contrôler la légalité, à faire appliquer strictement l ’ interdiction des mariages précoces, à enquêter sur les cas de mariage précoce et à poursuivre les responsables.

Traite des êtres humains

27)Le Comité prend note du Programme national visant à prévenir et combattre la traite des êtres humains et à protéger les victimes, mais reste préoccupé par le fait que la misère et l’exclusion sociale font des femmes et des enfants, en particulier les femmes et les fillettes roms, et notamment celles qui sont enceintes, des victimes potentielles de la traite (art. 2, 3, 14 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour lutter contre la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants, et notamment:

a) De prévenir la traite des êtres humains et les pratiques connexes, d ’ enquêter sans délai et de manière approfondie et impartiale sur les cas de traite et d ’ en poursuivre et punir les auteurs;

b) D ’ améliorer le repérage des victimes de la traite et de leur donner des moyens de réparation effectifs, y compris l ’ indemnisation et la réadaptation, et notamment de les aider à signaler les cas de traite à la police, en particulier en leur offrant une assistance juridique, médicale et psychologique et des services de réadaptation, entre autres en assurant un véritable accès aux soins de santé et aux services de conseil, et en leur assurant un hébergement adapté, conformément à l ’ article 14 de la Convention;

c) De prévenir le renvoi des victimes de traite vers leur pays d ’ origine lorsqu ’ il y a des motifs sérieux de croire qu ’ elles risquent d ’ être soumises à la torture, conformément à l ’ article 3 de la Convention;

d) D ’ assurer la formation régulière des policiers, des procureurs et des juges en ce qui concerne la prévention efficace de la traite, les enquêtes et les poursuites relatives aux cas de traite et les sanctions imposées aux responsables, y compris les garanties relatives au droit d ’ être représenté par un conseil de son choix, et d ’ informer le grand public de la nature criminelle de ces actes;

e) De compiler des données ventilées, selon qu ’ il conviendra, par nationalité, pays d ’ origine, appartenance ethnique, sexe, âge et emploi, ainsi que des informations sur les voies de recours offertes.

Discrimination, propos haineux et actes de violence visant des groupes vulnérables

28)Le Comité salue la prise de position des autorités, qui ont condamné publiquement les manifestations de discrimination et d’intolérance, mais il est vivement préoccupé par les manifestations de discrimination et d’intolérance, y compris les propos haineux et les attaques violentes visant certaines minorités nationales ou religieuses et les personnes appartenant à des minorités sexuelles. Il est également préoccupé par l’usage excessif de la force de la part des policiers contre certaines minorités et par les récentes émeutes anti-Roms et le saccage de biens leur appartenant, parfois sans que la police intervienne à titre préventif. Il note aussi avec préoccupation que des groupes minoritaires vulnérables sont la cible de slogans empreints de haine, proférés notamment par les membres de certains partis et groupes politiques, et que l’intolérance à l’égard des minorités religieuses s’est traduite par des actes de vandalisme dans des lieux de culte et l’agression de fidèles. Le Comité note que des enquêtes ont été ouvertes sur les agressions récentes perpétrées contre des journalistes dans le contexte des émeutes anti-Roms (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour mettre fin aux stéréotypes et à la discrimination dont sont victimes les Roms et d ’ autres minorités nationales, notamment en organisant des campagnes de sensibilisation et d ’ information visant à promouvoir la tolérance et le respect de la diversité. Il faudrait prendre des mesures pour prévenir et interdire la promotion de propos haineux, de la discrimination et de l ’ intolérance, y compris dans le domaine public, conformément aux normes internationales et aux instruments internationaux relatifs aux droits de l ’ homme auxquels la Bulgarie est partie. L ’ État partie devrait renforcer l ’ application de la législation antidiscrimination et veiller à ce que les actes de violence, la discrimination et les propos haineux fassent systématiquement l ’ objet d ’ enquêtes et de poursuites, et que leurs auteurs soient condamnés et punis. L ’ État partie devrait appliquer systématiquement les dispositions du Code pénal relatives aux crimes motivés par l ’ intolérance et faire en sorte que les motifs liés à la discrimination constituent une circonstance aggravante en matière pén ale . L ’ État partie devrait veiller à ce que les membres de la communauté rom ne soient pas spécialement visés, pour des raisons ethniques, par le recours à la force de la part de la police et à ce que les cas d ’ usage excessif de la force contre des membres de minorités nationales et d ’ autres minorités fassent sans délai l ’ objet d ’ une enquête approfondie et que leurs auteurs soient poursuivis et punis. Les victimes devraient obtenir réparation et se voir accorder tous les recours prévus par la Convention, y compris être indemnisées pour les dommages subis. Le Comité demande à l ’ État partie de l ’ informer des résultats des enquêtes ouvertes à la suite des agressions dont des journalistes ont récemment été victimes.

Réparation

29)Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie dans son rapport concernant le droit à réparation, y compris à une indemnisation financière, pour les personnes dont les droits ont été violés. Toutefois, il regrette de ne pas disposer de davantage d’informations sur l’application, dans la pratique, du droit à réparation pour les personnes qui ont subi des actes de torture ou des mauvais traitements, notamment pour les personnes qui ont été internées dans des centres et des foyers pour handicapés mentaux, dont un grand nombre d’enfants (art. 14).

L ’ État partie devrait veiller à ce que les mesures de réparation, y compris l ’ indemnisation et la réadaptation, soient renforcées, afin que les victimes, notamment celles qui ont subi des actes de torture et des mauvais traitements dans de tels centres, obtiennent réparation et reçoivent une indemnisation équitable et adéquate, y compris les moyens nécessaires à leur réadaptation la plus complète possible.

Châtiments corporels

30)Le Comité note que les châtiments corporels sont expressément interdits par la loi, mais constate avec préoccupation que la loi n’est toujours pas appliquée et relève que le Comité des droits de l’enfant a constaté que les enfants étaient toujours victimes de châtiments corporels à la maison, à l’école, dans le système pénal, dans les structures de protection de remplacement et au travail. Le Comité note avec préoccupation que, selon une enquête de 2009, 34,8 % des personnes interrogées étaient favorables à l’utilisation des châtiments corporels pour éduquer les enfants dans certains cas et 10,9 % considéraient que les châtiments corporels étaient acceptables si les parents estimaient que leur utilisation serait efficace. Il est préoccupé en particulier par le fait que le recours aux châtiments corporels est nettement plus fréquent dans les établissements pour enfants handicapés et que le dossier personnel de certains enfants fait apparaître un certain nombre de cas de violences physiques (art. 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de mettre en place, à l ’ intention des professionnels comme du grand public, des programmes de sensibilisation visant à promouvoir l ’ utilisation de méthodes non violentes, positives et participatives d ’ éducation des enfants et d ’ adopter une approche globale afin de veiller à ce que la loi qui interdit les châtiments corporels soit largement appliquée et connue, y compris des enfants, qui doivent être informés de leur droit d ’ être protégés contre toute forme de châtiment corporel. L ’ interdiction des châtiments corporels dans les institutions, y compris les établissements pour enfants handicapés, devrait être absolue. L ’ État partie devrait prévoir des mesures efficaces et adaptées pour faire face aux cas de châtiments corporels et veiller notamment à ce que de tels cas donnent lieu à des enquêtes et que les auteurs soient poursuivis et punis.

Collecte de données

31)Le Comité regrette de ne pas disposer de données complètes et ventilées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations portant sur des actes de torture et des mauvais traitements infligés par les forces de l’ordre, les forces de sécurité, les forces armées et le personnel pénitentiaire, ainsi que sur la traite et la violence intrafamiliale et sexuelle, y compris sur les moyens de recours (art. 2, 11, 12, 13, 14 et 16).

L ’ État partie devrait rassembler des données statistiques permettant d ’ évaluer la mise en œuvre de la Convention à l ’ échelon national, notamment des données sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans les affaires de torture et de mauvais traitements, de traite et de violence intrafamiliale et sexuelle, ainsi que sur les moyens pour les victimes d ’ obtenir réparation, y compris une indemnisation et des services de réadaptation.

32)Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, à savoir la Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, la Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Protocole facultatif s’y rapportant et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

33)L’État partie est prié de diffuser largement les rapports qu’il a soumis au Comité ainsi que les observations finales du Comité dans toutes les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

34)L’État partie est invité à mettre à jour son document de base (HRI/CORE/1/Add.81) en suivant les instructions relatives à l’établissement du document de base commun qui figurent dans les Directives harmonisées pour l’établissement de rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN.2/Rev.6).

35)Le Comité prie l’État partie de lui faire parvenir, d’ici le 25 novembre 2012, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations portant sur a) la mise en place de garanties juridiques pour les personnes détenues ou le renforcement des garanties existantes, b) la conduite rapide d’enquêtes impartiales et effectives et c) les poursuites engagées contre les suspects et les sanctions prises contre les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements, recommandations qui sont formulées aux paragraphes 9, 10 et 28 du présent document.

36)L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le sixième, le 25 novembre 2015 au plus tard. À cette fin, le Comité invite l’État partie à se soumettre, d’ici le 25 novembre 2012, à sa procédure facultative, qui consiste à transmettre une liste de points à l’État partie avant que celui-ci ne soumette son rapport périodique. Les réponses à cette liste constitueront le prochain rapport périodique de l’État partie au titre de l’article 19 de la Convention.

54. Djibouti

1)Le Comité contre la torture (ci-après «le Comité») a examiné le rapport initial de Djibouti (CERD/C/DJI/1) à ses 1024e et 1027e séances (CAT/C/SR.1024 et 1027), les 2 et 3 novembre 2011, et a adopté les observations finales ci-après à ses 1045e et 1046e séances (CAT/C/SR.1045 et 1046), les 17 et 18 novembre 2011.

A. Introduction

2)Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de Djibouti, qui suit globalement ses directives concernant la présentation des rapports initiaux. Le Comité salue la franchise de ce rapport, dans lequel l’État partie reconnaît plusieurs lacunes dans la mise en œuvre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après «la Convention»). Le Comité regrette, toutefois, que le rapport ait été soumis avec sept ans de retard. Le Comité se félicite du dialogue très franc qu’il a pu avoir avec la délégation de l’État partie sur de nombreux domaines couverts par la Convention.

B. Aspects positifs

3)Le Comité prend note avec satisfaction de la ratification par l’État partie des instruments internationaux suivants:

a)Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, en 2002;

b)Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en 2002;

c)Les deux Protocoles facultatifs se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en 2002;

d)La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, en 2011;

e)Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, en 2002.

4)Le Comité se félicite qu’en vertu de l’article 37 de la Constitution, les instruments internationaux ratifiés par l’État partie, y compris la Convention, soient hiérarchiquement supérieurs aux lois dans le droit interne de l’État partie et directement applicables au cours de la procédure judiciaire nationale.

5)Le Comité note avec satisfaction la mise en place d’une Commission des réformes juridiques et judiciaires en août 2011 chargée de moderniser la législation et de mettre celle-ci en harmonie avec les obligations découlant des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État partie, y compris la Convention.

6)Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a aboli la peine de mort en 1995.

7)Le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a été en mesure de préparer et de présenter ses rapports aux organes conventionnels de l’ONU grâce au Comité interministériel de coordination du processus de préparation et de soumission des rapports aux organes conventionnels, avec l’appui technique du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Néanmoins, le Comité regrette que ces rapports aient été présentés avec du retard.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition et criminalisation de la torture

8)Le Comité note que la Constitution de Djibouti interdit la torture, les sévices ou traitements inhumains, cruels, dégradants ou humiliants dans son article 16. Le Comité prend note de l’engagement par l’État partie d’amender son droit interne à la lumière des obligations découlant des instruments internationaux qu’il a ratifiés dans le domaine des droits de l’homme et d’y introduire, entre autres, une définition de la torture. Néanmoins, le Comité demeure préoccupé par l’absence de toute définition explicite de la torture dans le Code pénal en vigueur dans l’État partie et de dispositions criminalisant les actes de torture, conformément aux articles 1er et 4 de la Convention (art. 1er et 4).

L ’ État partie devrait inclure la torture dans son Code pénal en tant qu ’ infraction passible de peines appropriées tenant compte de la gravité des actes commis, ainsi qu ’ une définition de la torture comprenant tous les éléments énoncés à l ’ article premier de la Convention. En qualifiant et en définissant l ’ infraction de torture conformément à la Convention et en la distinguant des autres crimes, les États parties serviraient directement, selon le Comité, l ’ objectif fondamental de la Convention qui consiste à prévenir et à punir les actes de torture.

Actes de torture

9)Le Comité note avec préoccupation la reconnaissance par l’État partie que des abus, notamment des actes de torture, ont été commis par la police djiboutienne dans l’exercice de ses fonctions. Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que ces cas n’ont pas fait l’objet d’investigations sérieuses, ce qui a contribué à laisser ces crimes impunis (art. 2 et 12).

Le Comité invite l ’ État partie à prendre immédiatement des mesures concrètes pour enquêter sur les actes de torture et, le cas échéant, poursuivre et punir les auteurs. Il l ’ invite, en outre, à garantir que les membres des forces de l ’ ordre n ’ utilise nt en aucun cas la torture ; à publiquement et clairement réaffirmer l ’ interdiction absolue de la torture ; à condamn er cette pratique, en particulier par les forces de police et le personnel pénitentiaire; et à clairement faire savoir que quiconque commet, se rend complice ou participe à de tels actes en sera tenu personnellement responsable devant la loi, fera l ’ objet de poursuites pénales et se verra infliger les peines appropriées.

Impunité des auteurs d ’ actes de torture et de mauvais traitements

10)Le Comité prend note de la reconnaissance par l’État partie que des actes de torture ont eu lieu et n’ont fait l’objet ni d’enquêtes ni de poursuites. En particulier, il prend note de l’absence d’informations concrètes sur les poursuites engagées, les condamnations prononcées ou les sanctions disciplinaires infligées à l’encontre d’agents de police ou de membres du personnel pénitentiaire reconnus coupables d’actes de torture ou de mauvais traitements. Le Comité note aussi la reconnaissance par l’État partie du fait que la faiblesse du droit interne contribue en partie à l’impunité (art. 2, 4, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait veiller à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements fassent sans délai l ’ objet d ’ une enquête impartiale, approfondie et efficace et que les auteurs soient poursuivis et condamnés à une peine proportionnée à la gravité des actes commis, comme l ’ exige l ’ article 4 de la Convention, sans préjudice de sanctions disciplinaires appropriées. L ’ État partie devrait également prendre toutes mesures législatives voulues pour mettre un terme à cette impunité.

Garanties juridiques fondamentales

11)Le Comité est préoccupé par l’écart qui existe entre les garanties juridiques fondamentales établies par la Constitution et le Code de procédure pénale et la mise en pratique de ces garanties dès le début de la détention. Il est également préoccupé par les informations faisant état de la longueur de la détention provisoire, et de la lenteur des procédures. Le Comité regrette l’absence d’information sur les garanties juridiques fondamentales dont bénéficient les personnes souffrant d’un handicap mental, intellectuel ou physique. En outre, il regrette l’absence d’un système de justice des mineurs complet axé sur l’éducation et la socialisation des enfants en conflit avec la loi (art. 2).

L ’ État partie devrait prendre sans délai des mesures efficaces pour que, dans la pratique, tous les détenus bénéficient de l ’ ensemble des garanties juridiques fondamentales dès le début de leur détention . Conformément aux normes internationales, ces garanties doivent comprendre, en particulier: le droit des détenus d ’ être informés des raisons de leur arrestation, y compris des charges retenues contre eux; le droit d ’ avoir rapidement accès à un avocat et, si besoin, à l ’ aide juridictionnelle; le droit de bénéficier d ’ un examen médical indépendant effectué, si possible, par un médecin de leur choix; le droit d ’ aviser un proche; le droit de comparaître rapidement devant un juge; et le droit de demander à un tribunal de se prononcer sur la légalité de la détention. L ’ État partie devrait veiller à ce que toutes les garanties juridiques fondamentales soient mises en place pour les personnes placées dans un établissement psychiatrique.

L ’ État partie devrait aussi prendre des mesures pour établir un système de justice des mineurs conforme à l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l ’ administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), a dopté par l ’ Assemblée générale dans sa résolution 40/33 du 29 novembre 1985 , et aux Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad), a doptés et proclamés par l ’ Assemblée générale dans sa résolution 45 / 112 du 14  décembre 1990 .

Surveillance et inspection des lieux de privation de liberté

12)Le Comité prend note de l’information fournie par l’État partie sur la création d’un corps pénitentiaire au sein de la Direction de la législation et des droits de l’homme, relevant du Ministère de la justice chargé des droits de l’homme. Il prend aussi note du travail de la Commission nationale des droits de l’homme, des visites organisées par celle-ci dans la prison de Gabode, les commissariats, les brigades de gendarmerie ou autres maisons de détention ou d’arrêt, de même que de l’utilisation des informations recueillies pendant ces visites dans les bilans élaborés par la Commission sur l’état des droits de l’homme à Djibouti. Le Comité demeure toutefois préoccupé par l’effort insuffisant consenti par l’État partie pour assurer de manière soutenue la surveillance et l’inspection des lieux de privation de liberté (art. 2, 10, 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ instaurer un système national indépendant et efficace de surveillance et d ’ inspection de tous les lieux de privation de liberté et de veiller à donner systématiquement suite aux résultats de cette surveillance. L ’ État partie devrait aussi renforcer sa coopération avec les ONG, qu ’ il devrait soutenir davantage afin de leur permettre d ’ exercer une surveillance indépendante des conditions de détention dans les lieux de privation de liberté.

L ’ État partie est prié de donner des renseignements détaillés dans son prochain rapport périodique sur les lieux, les dates et la fréquence des inspections, notamment inopinées, effectuées dans les lieux de privation de liberté, ainsi que sur les conclusions et le suivi donné aux résultats de ces inspections.

Institution nationale des droits de l ’ homme

13)Le Comité note avec satisfaction la création de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), chargée notamment d’effectuer des visites dans les lieux de privation de liberté et d’examiner les plaintes alléguant de violations des droits de l’homme. Le Comité regrette néanmoins que la Commission ne se conforme pas aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris, annexe à la résolution 48/134 de l’Assemblée générale des Nations Unies). Il relève notamment que ses membres, y compris le Président et le Vice‑Président, sont nommés par le Président de la République, ce qui ne garantit pas son indépendance (art. 2).

L ’ État partie devrait renforcer le rôle et le mandat de la Commission nationale des droits de l ’ homme, notamment celui d ’ effectuer régulièrement des visites inopinées dans les lieux de privation de liberté pour formuler des constatations et des recommandations indépendantes. Il devrait aussi accorder tout le poids voulu aux conclusions de la Commission sur les plaintes individuelles dont elle est saisie , et communiquer ces conclusions au Procureur général dans les cas où des actes de torture ou de mauvais traitements sont constatés. L ’ État partie est prié de fournir des informations, y compris des données statistiques, sur les plaintes examinées par la Commission nationale des droits de l ’ homme se rapportant à des cas présumés de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et d ’ indiquer si ces cas ont été communiqués aux autorités compétentes aux fins de poursuites.

L e Comité encourage l ’ État partie à demander l ’ accréditation de la Commission nationale des droits de l ’ homme auprès du Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme afin de garantir la conformité de la Commission aux P rincipes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme, notamment en ce qui concerne l ’ indépendance de la Commission .

Enquêtes

14)Malgré les explications données par l’État partie au cours du dialogue, le Comité demeure préoccupé par:

a)L’absence de toute enquête approfondie sur l’arrestation de plus de 300 personnes pendant les manifestations qui se sont déroulées le 18 février 2011. Plusieurs auraient subi des tortures et des mauvais traitements dans les locaux de la gendarmerie. (art. 12, 13 et 14);

b)Le cas des deux ressortissants éthiopiens, le capitaine Behailu Gebre et M. Abiyot Mangudai, qui, le 11 juillet 2005, ont été refoulés vers l’Éthiopie où ils ont été maintenus en détention et torturés. Le Comité note avec préoccupation que, selon les informations reçues, ces personnes n’ont pas eu accès aux recours leur permettant de faire appel de leur refoulement. Il est également préoccupé par le fait qu’aucune enquête complète et efficace n’a été menée par l’État partie sur cette affaire. En outre, il note avec préoccupation que Djibouti n’a pas répondu aux appels urgents envoyés par le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à ce sujet. Ainsi, le Comité apprécierait de recevoir des informations de l’État partie à ce sujet (art. 12, 13 et 14);

c)Le cas du ressortissant yéménite, Mohammed al-Asad. Selon les informations dont dispose le Comité, celui-ci aurait été détenu au secret à Djibouti pendant deux semaines avant d’être transféré en Afghanistan. Il y aurait été torturé, mis en isolement extrême sans contact humain, soumis à une musique à volume élevé constant et exposé à une lumière artificielle vingt-quatre heures sur vingt-quatre, au froid et à une manipulation diététique. Le Comité note que le cas est actuellement examiné par le système africain des droits de l’homme, notamment la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.

L ’ État partie devrait sans délai ouvrir des enquêtes indépendantes, impartiales et approfondies sur l ’ incident susmentionné en vue de traduire en justice les auteurs éventuels de violation de la Convention. Le Comité recommande que ces enquêtes soient menées par un mécanisme d ’ experts indépendants chargé d ’ examiner toutes les informations de manière approfondie, de tirer des conclusions sur les faits et sur les mesures prises et d ’ accord e r une indemnisation adéquate aux victimes et à leur famille, y compris sous la forme des moyens nécessaires à la réadaptation la plus complète possible. L ’ État partie est prié de donner au Comité des renseignements détaillés sur les résultats auxquels auront abouti toutes ces enquêtes dans son prochain rapport périodique.

L ’ État partie devrait adopter un cadre législatif réglement ant l ’ expulsion, le refoulement et l ’ extradition dans le but de s ’ acquitter de l ’ obligation visée à l ’ article  3 de la Convention. L ’ expulsion, le refoulement et l ’ extradition des personnes, y compris en situation irrégulière, devraient relever d ’ une décision judiciaire après examen minutieux du risque de torture encouru dans chaque cas , et être susceptibles d e recours avec effet suspensif. Les termes des accords de coopération conclus avec les pays voisins en matière d ’ entraide judiciaire devraient être révisés de manière à s ’ assurer que le transfert d ’ un détenu vers un des États signataires se déroule dans le cadre d ’ une procédure judiciaire et dans le strict respect de l ’ article  3 de la Convention.

Mécanisme de plainte

15)Malgré les informations fournies dans le rapport de l’État partie sur la possibilité qui est donnée aux prisonniers et aux détenus de déposer plainte auprès du Procureur général, du Procureur de la République, du juge d’instruction ou du Président de la chambre d’accusation, selon les cas, ou auprès de la direction de l’administration pénitentiaire du Ministère de la justice, le Comité regrette l’absence d’un mécanisme spécialisé, indépendant et efficace habilité à recevoir les plaintes, à enquêter de manière rapide et impartiale sur les allégations de torture émanant, en particulier, de prisonniers et de détenus, et à faire en sorte que les coupables soient punis. Il note également l’absence d’informations, notamment de statistiques, sur le nombre de plaintes dénonçant des actes de torture et de mauvais traitements et sur les enquêtes menées, les poursuites engagées et les sanctions infligées, tant sur le plan pénal que disciplinaire, aux auteurs de ces actes (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait prendre des mesures concrètes pour instaurer un mécanisme de plainte indépendant et efficace, spécifiquement dédié aux allégations de torture et de mauvais traitements commis par des membres des forces de l ’ ordre, des services de sécurité, des militaires et des fonctionnaires de l ’ administration pénitentiaire, avec pour mandat d ’ enquêter sans délai et de manière impartiale sur ces allégations et d ’ engager des poursuites contre les auteurs. L ’ État partie devrait faire en sorte que, dans la pratique, ceux qui déposent des plaintes soient protégés contre tout mauvais traitement ou acte d ’ intimidation dont ils pourraient faire l ’ objet en raison de leur plainte ou de leur déposition.

Le Comité prie l ’ État partie d ’ indiquer si les actes de torture et les mauvais traitements donnent lieu d ’ office à des enquêtes et à des poursuites et de fournir des informations, notamment des données statistiques, sur le nombre de plaintes pour torture et mauvais traitements déposées contre des agents de l ’ État, ainsi que des renseignements sur l ’ issue des procédures engagées, tant pénales que disciplinaires. Ces données devraient être ventilées suivant le sexe et l ’ âge de l ’ auteur de la plainte et préciser quelle est l ’ autorité ayant mené l ’ enquête.

Réfugiés et demandeurs d ’ asile

16)Le Comité est préoccupé par le fait que la Commission nationale d’éligibilité à l’asile ne fonctionne pas de manière adéquate et que les personnes demandant l’asile ou le statut de réfugié se retrouvent dans une situation juridiquement indéfinie pendant une période beaucoup trop longue, au risque d’être expulsées. Le Comité note aussi avec préoccupation que l’État partie n’a pas adhéré à la Convention relative au statut des apatrides (1954) ni à la Convention sur la réduction des cas d’apatridie (1961) (art. 3 et 16).

L ’ État partie devrait veiller à ce que la Commission nationale d ’ éligibilité fonctionne d ’ une manière adéquate et que les personnes sous le coup d ’ un arrêté d ’ expulsion puissent faire appel de cette décision devant les tribunaux.

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ envisager d ’ adhérer à la Convention relative au statut des apatrides et à la Convention sur la réduction des cas d ’ apatridie.

Conditions de détention

17)Le Comité prend note des engagements pris par l’État partie, lors de son dialogue avec le Comité, s’agissant d’améliorer les conditions dans les lieux de détention, spécialement grâce à la rénovation, voire la construction, de certains bâtiments de la prison centrale de Gabode, et à la réouverture et la réhabilitation des prisons dans les régions. Il prend aussi note des efforts déployés par l’État partie pour améliorer l’accès aux services de santé. Toutefois, le Comité demeure profondément préoccupé par les informations, confirmées par l’État partie, faisant état du surpeuplement carcéral, des mauvaises conditions d’hygiène et de salubrité, de même que du manque d’eau et de nourriture appropriée. En outre, l’État partie ne fait pas de distinction entre les mineurs et les adultes en détention (art. 11 et 16).

L ’ État partie devrait prendre d ’ urgence des mesures pour veiller à ce que les conditions de détention dans les postes de police, les prisons et autres lieux de détention soient conformes à l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus ainsi qu ’ aux autres normes pertinentes et notamment:

a) Réduire le surpeuplement carcéral, en particulier en envisageant des peines non privatives de liberté, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo);

b) Améliorer la qualité et la quantité des rations et de l ’ eau distribuées aux détenus, prévenus et condamnés;

c) Renforcer le contrôle judiciaire des conditions de détention;

d) Veiller à ce que les mineurs, prévenus ou condamnés, soient effectivement séparés des adultes conformément à l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l ’ administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing) , adopté par l ’ Assemblée générale dans sa résolution 40/33 du 29  novembre 1985, et aux Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté, adoptées par l ’ Assemblée générale dans sa résolution 45/113 du 14  décembre 1990 .

Réparation, y compris indemnisation et réadaptation

18)Le Comité prend note de l’affirmation écrite de l’État partie selon laquelle «le dispositif législatif et réglementaire djiboutien prévoit le droit à la réparation et à une indemnisation équitable de toute victime d’un acte de torture» (CAT/C/DJI/1, par. 181). Néanmoins, il reste préoccupé par le fait que sans une définition légale de la torture, toute réparation ou indemnisation équitable reste difficile. Le Comité regrette la rareté des décisions de justice accordant une indemnisation aux victimes d’actes de torture et de mauvais traitements ou à leur famille. Il regrette également l’absence, à Djibouti, de programmes de réadaptation des personnes victimes de torture (art. 14).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour assurer aux victimes d ’ actes de torture et de mauvais traitements une réparation, sous la forme d ’ une indemnisation équitable et adéquate, et la réadaptation la plus complète possible sur la base d ’ une définition claire de la torture conforme à l ’ article premier de la Convention. L ’ État partie devrait aussi donner des informations sur les mesures de réparation et d ’ indemnisation ordonnées par les tribunaux en faveur de victimes d ’ actes de torture ou de leur famille. En outre, l ’ État partie devrait fournir des renseignements sur tout programme de réadaptation en cours en faveur de victimes d ’ actes de torture et de mauvais traitements et allouer des ressources suffisantes pour assurer la bonne exécution de tels programmes.

Formation

19)Le Comité prend note des renseignements communiqués par l’État partie dans son rapport et lors du dialogue au sujet des formations, séminaires et cours organisés sur les droits de l’homme à l’intention des juges, des magistrats du parquet, des policiers, des agents pénitentiaires et des militaires. Le Comité s’inquiète, toutefois, des informations fournies aux paragraphes 126 et 130 du rapport concernant l’absence de l’interdiction expresse de la torture dans les formations dispensées au personnel de la police nationale, de même que dans les autres formations données aux fonctionnaires et aux agents des administrations et des services publics (art. 10).

L ’ État partie devrait continuer d ’ élaborer des programmes de formation, et renforcer ceux qui existent déjà, de sorte que l ’ ensemble des fonctionnaires, notamment les juges, les membres des forces de l ’ ordre, les agents de sécurité, les militaires, les agents du renseignement et le personnel pénitentiaire connaissent bien les dispositions de la Convention et, en particulier, qu ’ ils prennent pleinement conscience de l ’ interdiction absolue de la torture et sachent que les violations de la Convention ne seront pas tolérées, qu ’ elles donneront lieu sans délai à des enquêtes impartiales et que les auteurs de ces violations seront poursuivis.

Par ailleurs, tous les personnels concernés, notamment ceux qui sont visés par l ’ article 10 de la Convention, devraient recevoir une formation spécifique pour apprendre à détecter les signes de torture et de mauvais traitements. Cette formation devrait, notamment, comprendre une initiation à l ’ emploi du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul), publié par l ’ ONU en 2004. L ’ État partie devrait en outre évaluer l ’ efficacité et l ’ incidence de ces programmes de formation et d ’ enseignement.

Aveux obtenus sous la torture

20)Le Comité note que les aveux obtenus sous la torture ne peuvent pas être invoqués lors d’une procédure, et qu’ils sont reconnus par l’État partie comme «actes entachés de nullité» ou «violence dans les contrats». Toutefois, le Comité demeure préoccupé de constater que la législation n’interdit pas explicitement l’obtention des aveux sous la contrainte: en conséquence, les dispositions actuellement en vigueur restent insuffisantes pour mettre en œuvre la Convention (art. 15).

L ’ État partie devrait faire en sorte que la législation relative aux modes de production de la preuve dans la procédure soit rendue conforme à l ’ article 15 de la Convention, de manière à interdire explicitement les aveux obtenus sous la torture.

Violence à l ’ égard des femmes et pratiques traditionnelles nocives

21)Le Comité se félicite que la pratique des mutilations génitales féminines soit une infraction pénale depuis 1995 grâce à l’inclusion de l’article 333 dans le Code pénal de l’État partie. Ce dernier a reconnu que les dispositions de cet article n’étaient pas appliquées faute de plaintes dénonçant cette pratique. Le Comité demeure préoccupé par le fait que les mutilations génitales féminines restent très répandues, notamment par les nombreux cas d’infibulation − forme extrême de mutilation génitale féminine −, surtout dans les zones rurales. Il demeure également très préoccupé par le fait que les cas de mutilations ne sont généralement pas signalés et ne donnent donc lieu ni à des poursuites ni à des sanctions (art. 2, 10 et 16).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour prévenir, combattre et punir la violence à l ’ égard des femmes et des enfants et les pratiques traditionnelles nocives, en particulier dans les régions rurales. En conséquence, le Comité fait siennes les recommandations adressées à l ’ État partie à l ’ occasion de l ’ Examen périodique universel de Djibouti ( A/HRC/11/16 par. 67, al.  18 et 25 ; par.  68 , al . 3 et 8) , mais aussi les recommandations du Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes (CEDAW/C/DJI/CO/1-3 par. 18 et 19) et du Comité des droits de l ’ e nfant (CRC/C/DJI/CO/2, par. 56). L ’ État partie devrait, en outre, assurer aux victimes des services de réadaptation et des services juridiques, médicaux et psychologiques, ainsi qu ’ une indemnisation. Il devrait aussi instaurer des conditions leur permettant de dénoncer les pratiques traditionnelles nocives ainsi que les cas de violence au foyer et de violence sexuelle sans crainte de représailles ou de stigmatisation. L ’ État partie devrait dispenser une formation aux juges, aux procureurs, aux membres de la police et aux dignitaires locaux sur la stricte application du Code pénal et la nature criminelle des pratiques traditionnelles nocives et autres formes de violence à l ’ égard des femmes.

En général, l ’ État partie devrait faire en sorte que son droit coutumier et ses pratiques coutumières soient compatibles avec ses obligations dans le domaine des droits de l ’ homme, en particulier celles qui découlent de la Convention. L ’ État partie devrait aussi expliquer l es rapports hiérarchi qu e s existant entre le droit coutumier et le droit interne, en particulier au regard d es différentes formes de discrimination à l ’ égard des femmes.

L e Comité demande également à l ’ État partie de faire figurer dans son prochain rapport des informations détaillées et des données statistiques à jour sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites, les condamnations et les peines infligées aux individus reconnus coupables d ’ un comportement criminel impliquant des pratiques traditionnelles préjudiciables, meurtre compris , ainsi que sur l ’ aide et l ’ indemnisation accordées aux victimes.

Traite des êtres humains

22)Le Comité prend acte des mesures prises par l’État partie, parmi lesquelles l’interdiction de la traite des êtres humains dans le droit pénal, l’organisation de formations et la création d’un «Migration Responses Centre» à Obock, ainsi que la mise en place d’une coordination nationale chargée de lutter contre la traite des êtres humains. Néanmoins, le Comité reste préoccupé par l’ampleur du phénomène dans l’État partie (art. 2 et 16).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour prévenir et combattre la traite des êtres humains, fournir une protection et une indemnisation aux victimes et garantir l ’ accès de celles-ci à des services de réadaptation et à des services juridiques, médicaux et psychologiques. À cet égard, le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter une stratégie globale de lutte contre la traite des êtres humains et ses causes. L ’ État partie devrait en outre enquêter sur toutes les allégations de traite et veiller à ce que les auteurs soient poursuivis et condamnés à des peines appropriées qui prennent en considération la gravité de leurs crimes. L ’ État partie est invité à fournir des informations sur les mesures prises pour porter assistance aux victimes de la traite, de même que des données statistiques sur le nombre de plaintes, d ’ enquêtes, de poursuites et de condamnations liées à la traite .

Châtiments corporels infligés aux enfants

23)Le Comité note avec préoccupation que les châtiments corporels ne sont pas interdits lorsqu’il s’agit de mesures de correction appliquées au sein de la famille, suivant l’interprétation des dispositions du Code pénal (1995), du Code de la famille (2002) et de la Constitution (art. 16).

L ’ État partie devrait envisager de modifier son Code pénal et son Code de la famille révisé en vue d ’ interdire le recours aux châtiments corporels dans toutes situations, y compris au sein de la famille, et de sensibiliser le public à des formes de discipline positives, participatives et non violentes.

Collecte de données

24)Le Comité regrette l’absence de données complètes et détaillées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites, les condamnations et les réparations dans les affaires de torture et de mauvais traitements impliquant les forces de l’ordre, le personnel de sécurité, les militaires et le personnel pénitentiaire (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait rassembler des données statistiques pertinentes sur la surveillance de l ’ application de la Convention au niveau national, y compris sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites, les condamnations et les réparations (indemnisation et réadaptation des victimes) liées aux affaires de torture et de mauvais traitements. L ’ État partie devrait inclure ces données dans son prochain rapport périodique.

25)Le Comité recommande à l’État partie d’intensifier sa coopération avec les mécanismes des droits de l’homme de l’ONU, notamment en autorisant les visites, entre autres, du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, du Groupe de travail sur la détention arbitraire et de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme.

26)Prenant acte de l’engagement pris par l’État partie lors du dialogue avec le Comité, il lui recommande de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les meilleurs délais.

27)Le Comité recommande en outre à l’État partie de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention afin de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des plaintes relatives à des violations de la Convention.

28)Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments relatifs aux droits de l’homme de l’ONU auxquels il n’est pas encore partie, notamment la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, la Convention relative aux droits des personnes handicapées et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

29)Le Comité encourage l’État partie à diffuser largement le rapport qu’il a présenté au Comité et les observations finales de ce dernier dans les langues voulues, par l’intermédiaire des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

30)Le Comité prie l’État partie de lui faire parvenir, avant le 25 novembre 2012, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations visant à: 1) assurer ou renforcer les garanties juridiques des personnes détenues; 2) mener des enquêtes promptes, impartiales et effectives; 3) poursuivre les suspects et sanctionner les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements; 4) améliorer les conditions de détention, recommandations qui sont formulées aux paragraphes 11, 14, 15 et 17 du présent document.

31)Le Comité invite l’État partie à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le deuxième, d’ici le 25 novembre 2015 au plus tard. À cette fin, le Comité invite l’État partie à accepter, avant le 25 novembre 2012, de soumettre son rapport selon la procédure facultative, qui consiste en la transmission par le Comité d’une liste de questions à l’État partie, préalable au rapport périodique. La réponse de l’État partie à cette liste de questions préalables constituera le prochain rapport périodique de l’État partie, conformément à l’article 19 de la Convention.

55. Allemagne

1)Le Comité contre la torture a examiné le cinquième rapport périodique de l’Allemagne (CAT/C/DEU/5) à ses 1028e et 1031e séances (CAT/C/SR.1028 et 1031), les 4 et 8 novembre 2011. À ses 1046e et 1047e séances (CAT/C/SR.1046 et 1047), le 18 novembre 2011, il a adopté les observations finales ci-après.

A. Introduction

2)Le Comité se félicite de la présentation du cinquième rapport périodique de l’Allemagne mais regrette qu’il ait été soumis avec un retard de plus de deux ans. Le Comité note en outre que le rapport de l’État partie est globalement conforme aux directives relatives à l’établissement des rapports, bien qu’il manque de données concrètes ventilées par sexe, âge et nationalité, notamment, sur les actes de torture et les mauvais traitements imputés à des agents de la force publique.

3)Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir envoyé une délégation interministérielle complète, qui comptait des représentants de l’Office national pour la prévention de la torture opérant au niveau national et à celui des Länder, et se félicite du dialogue avec cette délégation sur de nombreux aspects de la Convention. Le Comité remercie en outre l’État partie des réponses écrites détaillées à la liste de points à traiter qu’il a fournies avant la session pour faciliter l’examen de son rapport.

B. Aspects positifs

4)Le Comité se félicite de la ratification par l’État partie des instruments internationaux suivants:

a)Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (14 juin 2006);

b)Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (14 juin 2006);

c)Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (4 décembre 2008);

d)Convention relative aux droits des personnes handicapées (24 février 2009);

e)Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées (24 février 2009);

f)Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (15 juillet 2009);

g)Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (24 septembre 2009).

5)Le Comité se félicite de l’adoption des lois suivantes:

a)Loi fédérale sur le contrôle parlementaire des services du renseignement (entrée en vigueur le 30 juillet 2009);

b)Loi fédérale sur l’internement de sûreté de janvier 2011, qui exige que cette mesure ne soit utilisée qu’en tout dernier recours et soit régie par les principes de nécessité et de proportionnalité.

6)Le Comité salue la création d’un office national pour la prévention de la torture, qui regroupe l’Office fédéral pour la prévention de la torture et la Commission conjointe des Länder, et qui a été désigné comme mécanisme national de prévention indépendant conformément au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

7)Le Comité se félicite du projet conjoint de l’Organisation internationale pour les migrations et de l’Office fédéral des migrations et des réfugiés visant à repérer les victimes potentielles de la traite des personnes parmi les demandeurs d’asile.

8)Le Comité note l’existence d’une société civile dynamique, qui contribue grandement à la surveillance de la torture et des mauvais traitements, facilitant de ce fait l’application effective de la Convention par l’État partie.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition et criminalisation de la torture

9)Le Comité prend acte avec satisfaction du Code des crimes contre le droit international qui codifie, entre autres, les crimes de torture dans le contexte du génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, conformément à l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Il est toutefois vivement préoccupé par l’absence de dispositions érigeant dûment les actes de torture en infraction pénale dans le cadre du droit pénal général, vu que les dispositions du Code pénal (notamment le paragraphe 1 de son article 340, lu conjointement avec l’article 224) et du Code pénal militaire (art. 30 et 31) ne sanctionnent pas comme il convient le fait d’infliger une douleur ou des souffrances physiques ou mentales, comme l’exige l’article premier de la Convention. En outre, tout en prenant note des données relatives aux enquêtes sur les infractions imputées à des agents des forces de l’ordre, le Comité regrette l’absence d’informations indiquant clairement quels mauvais traitements imputés à des agents de l’État constitueraient, s’ils étaient prouvés, des actes de torture, en vertu de l’article premier de la Convention, ou une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant selon son article 16 (art. 1 et 4).

L ’ État partie devrait ériger la torture en infraction spécifique en droit pénal général et faire en sorte que sa définition englobe tous les éléments de l ’ article premier de la Convention. Conformément à l ’ Observation générale n o  2 (2007) du Comité relati ve à l ’ application de l ’ article  2 par les États parties, l ’ État partie devrait aussi indiquer clairement quels sont les mauvais traitements commis par des agents de la force publique visés dans ses réponse s à la liste de points à traiter qui constituent des actes de torture ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, afin d ’ aider à déterminer de quelle manière et dans quels cas la Convention est appliquée et de faciliter la surveillance de sa mise en œuvre par le Comité.

10)Le Comité note avec préoccupation que l’État partie ne dispose d’aucune information précise sur les affaires dans lesquelles la Convention a été invoquée et directement appliquée devant les tribunaux nationaux (art. 2 et 10).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre des mesures pour diffuser la Convention auprès de toutes les autorités publiques, y compris les autorités judiciaires, de façon à en faciliter l ’ application directe devant les tribunaux nationaux, tant au niveau fédéral qu ’ à celui des Länder, et de fournir des exemples de cas concrets dans son prochain rapport périodique.

11)Le Comité note avec satisfaction que le Code pénal militaire sanctionne les mauvais traitements et les traitements dégradants infligés par des supérieurs au sein de l’armée, à quoi s’ajoutent les peines prévues pour «lésions corporelles graves» ou «lésions corporelles infligées dans l’exercice d’une charge publique» dans le Code pénal, mais il est préoccupé par la légèreté des peines inscrites dans le Code pénal militaire, qui vont de six mois à cinq ans d’emprisonnement, même pour des actes ayant provoqué une douleur ou des souffrances aiguës (art. 4).

L ’ État partie devrait modifier son Code pénal militaire de façon à sanctionner les actes de torture commis au sein de l ’ armée par des peines à la mesure de leur gravité, conformément à l ’ article 4 de la Convention et à la jurisprudence du Comité sur la question.

Obligations de la Fédération et des Länder

12)Le Comité prend note de la réforme constitutionnelle de 2006, dans le cadre de laquelle la responsabilité des lois relatives aux prisons, qui incombait auparavant aux autorités fédérales, a été transférée aux Länder mais il relève avec préoccupation que les normes de protection contre la torture et les mauvais traitements sont plus strictes à l’échelon fédéral que dans les différents Länder, notamment en ce qui concerne les moyens de contention physique (Fixierung). Le Comité est également préoccupé par le manque de clarté au sujet des mesures prises par le Gouvernement fédéral pour assurer le respect de la Convention au niveau des Länder (art. 2).

Comme la République fédérale d ’ Allemagne constitue, au regard du droit international, une entité étatique qui a souscrit à l ’ obligation de s ’ acquitter pleinement des dispositions de la Convention au niveau national, le Comité recommande à l ’ État partie de donner des directives et de fournir une assistance pour l ’ adoption et l ’ application au niveau de chaque Land de mesures législatives et politiques propres à assurer une protection uniforme des droits de l ’ homme dans le cadre de l ’ application des lois au niveau fédéral et à celui des Länder, et d ’ œuvrer pour l ’ harmonisation des mesures prises par les différents Länder de façon à assurer que les normes et les garanties inscrites dans la Convention soient protégées et appliquées de la même manière dans tous les Länder.

Office national pour la prévention de la torture

13)Le Comité est préoccupé par l’insuffisance du personnel et des ressources financières et techniques mis à la disposition de l’Office national pour la prévention de la torture − organisme regroupant l’Office fédéral pour la prévention de la torture et la Commission conjointe des Länder −, situation qui fait que les lieux de détention ne peuvent actuellement être visités qu’une fois tous les quatre ans et qui empêche, en conséquence, l’Office national de s’acquitter pleinement de son mandat de surveillance (art. 2 et 12). Le Comité est également préoccupé par les informations communiquées par l’État partie d’après lesquelles la Commission conjointe des Länder a dû, dans certains cas, annoncer à l’avance son intention de visiter les lieux de détention aux autorités compétentes afin d’y avoir accès.

Le Comité recommande à l ’ État partie de fournir à l ’ Office national pour la prévention de la torture des ressources humaines, financières, techniques et logistiques suffisantes pour lui permettre de s ’ acquitter efficacement et de manière indépendante de ses fonctions, conformément au paragraphe 3 de l ’ article 18 du Protocole facultatif et aux directives 11 et 12 du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et d ’ assurer l ’ accès régulier et en temps opportun de l ’ Office à tous les lieux de détention au niveau fédéral et à celui des Länder, sans avoir à obtenir l ’ accord préalable des autorités compétentes pour effectuer une visite.

14)Le Comité salue les recommandations de l’Office national visant, entre autres, à améliorer les conditions d’utilisation des moyens de contention physique, les prescriptions concernant les vêtements autorisés dans les salles spéciales sécurisées ou les spécifications techniques pour les nouvelles salles de détention de la prison de Brandenburg, mais il note avec préoccupation que le public n’est pas au fait de ces recommandations et des mesures prises par l’État partie pour en assurer l’application. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles aucune coopération n’a été établie entre la Commission conjointe des Länder et les organes déjà en place, dont les comités des requêtes, qui sont habilités dans certains Länder à effectuer des visites sans préavis dans les lieux de détention (art. 2 et 12).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De rendre publiques et de diffuser régulièrement, en utilisant tous les moyens de communication voulus, les recommandations de l ’ Office national visant à améliorer les conditions dans les lieux de détention et les mesures prises par l ’ État partie pour en assurer l ’ application effective;

b) De compiler les meilleures pratiques de l ’ Office national et de dispenser la formation requise à son personnel;

c) D ’ établir une coopération entre la Commission conjointe des Länder et les organes déjà en place dans chaque Land, en particulier les comités des requêtes, qui sont habilités à effectuer des visites préventives dans les lieux de détention.

Traite des personnes

15)Le Comité note avec intérêt les programmes de coopération entre la Fédération et les Länder ainsi qu’entre les organisations ecclésiastiques et celles de la société civile visant à fournir une assistance aux victimes de la traite et se félicite de l’exercice de la compétence universelle pour les actes de traite à des fins d’exploitation sexuelle et d’exploitation par le travail, en application de l’article 6 du Code pénal. Il se déclare toutefois vivement préoccupé par l’existence d’une «zone d’ombre de cas de traite non détectés» reconnue par l’État et dont témoigne le faible nombre d’infractions de ce type enregistrées par la police, en comparaison avec les estimations non gouvernementales. D’après des sources non gouvernementales, quelque 15 000 personnes originaires de différents pays européens, asiatiques et africains, dont des enfants, auraient été introduites clandestinement dans l’État partie dans le cadre de la traite à des fins d’exploitation sexuelle et d’adoption illégale et pour travailler dans le secteur des services (art. 2, 3, 12, 14 et 16).

Le Comité invite instamment l ’ État partie à:

a) Prévenir la traite des personnes et les pratiques analogues, procéder rapidement à des enquêtes approfondies et impartiales sur les cas de traite et en poursuivre et punir les responsables;

b) Donner des moyens de recours aux victimes de la traite, notamment en les aidant à dénoncer les cas de traite à la police, et plus particulièrement en leur fournissant une aide juridique, médicale et psychologique et des services de réadaptation, y compris des refuges appropriés, conformément à l ’ article 14 de la Convention;

c) Éviter le renvoi de victimes de la traite dans leur pays d ’ origine lorsqu ’ il y a de sérieux motifs de craindre qu ’ elles soient soumises à la torture, de façon à garantir le respect de l ’ article 3 de la Convention;

d) Dispenser à la police, aux procureurs et aux juges une formation régulière sur les moyens effectifs de prévenir les actes de traite, d ’ enquêter sur ces actes et de poursuivre et sanctionner leurs auteurs et sur les garanties relatives au droit d ’ être représenté par l ’ avocat de son choix, et informer le grand public de la nature criminelle de ces actes;

e) Rassembl er des données ventilées, selon qu ’ il convient, par nationalité, pays d ’ origine, appartenance ethnique, sexe, âge et secteur d ’ emploi, ainsi que des données sur les mesure s de réparation.

Moyens de contention physique ( Fixierung )

16)Le Comité accueille avec satisfaction les informations fournies par l’État partie indiquant que, depuis la visite effectuée en Allemagne par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), la police fédérale n’utilise plus de moyens de contention physique (Fixierung) et qu’au niveau des Länder, le Fixierung n’est pratiqué qu’en tout dernier recours. Toutefois, il est préoccupé par l’affirmation de l’État partie selon laquelle il ne serait pas possible de renoncer à long terme à la pratique du Fixierung dans l’ensemble des contextes non médicaux au niveau des Länder comme l’a recommandé le CPT, et par le manque d’informations sur l’application uniforme des principes et des normes minimum du CPT en ce qui concerne le Fixierung (art. 2, 11 et 16).

Le Comité demande instamment à l ’ État partie de réglementer strictement l ’ utilisation des moyens de cont ention physique dans les prisons, les hôpitaux psychiatriques, les prisons pour mineurs et les centres de détention pour étrangers en vue de restreindre celle-ci dans tous les établissements et , à terme , d ’ y renoncer complètement dans l ’ ensemble des contextes non médicaux . L ’ État partie devrait en outre assurer une formation convenable aux agents des forces de l ’ ordre et autres fonctionnaires sur l ’ utilisation des moyens de contention physique , l ’ harmonisation des mo yens autorisés de contention physique dans tous les Länder et le respect dans tous les établissements des principes et normes minimum applicables aux Fixierung établi s par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Internement de sûreté

17)Le Comité prend acte de l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 4 mai 2011 dans lequel cette dernière a statué que toutes les dispositions du Code pénal et de la loi sur les tribunaux pour mineurs relatives à l’application et à la durée de l’internement de sûreté étaient contraires à la Constitution, et note avec satisfaction que les autorités fédérales et les Länder ont commencé à appliquer cette décision. Il relève toutefois avec regret l’information selon laquelle plus de 500 personnes sont encore soumises à ce régime, certaines depuis plus de vingt ans (art. 2 et 11).

Le Comité invite instamment l ’ État partie à:

a) Adapter et modifier ses lois compte tenu de la décision de la Cour constitutionnelle fédérale d ’ ici au 31 mars 2013 , comme l ’ a demandé cette juridiction , en vue de réduire les risques inhérents à l ’ internement de sûreté ;

b) Prendre, dans l ’ intervalle, toutes les mesures nécessaires pour donner effet aux mesures in stitutionnelles édict ées dans la décision de la Cour , notamment en ce qui concerne la libération des personnes faisant l ’ objet d ’ un internement de sûreté , la réduction du recours à cette mesure et de sa durée, et tenir compte des dispositions des Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté ( Règles de Tokyo ) lorsqu ’ il élaborera de s mesures pour remplacer l ’ internement de sûreté .

Accès aux mécanismes de plainte

18)Le Comité est préoccupé par les informations indiquant que les victimes présumées de mauvais traitements commis par la police ne connaissent pas les procédures de plainte autres que celle consistant à déposer plainte auprès de la police, qui refuse dans certains cas de recevoir les allégations faisant état de comportements fautifs de la part de ses membres. Le Comité est également préoccupé par les informations selon lesquelles des personnes en situation vulnérable auraient renoncé à porter plainte pour mauvais traitements de peur que la police ne porte plainte de son côté ou n’exerce des représailles sous d’autres formes (art. 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures voulues pour:

a) Faire en sorte que des informations sur la possibilité de déposer une plainte contre la police et la procédure à suivre à cet effet soient mises à la disposition du public et largement diffusées , notamment par un affichage bien visible dans tous les postes de police , au niveau fédéral et à celui des Länder ;

b) Veiller à ce que toutes les allégations de comportement fautif de la part de la police, y compris celles portant sur des cas d ’ intimidation ou de représailles exercées notamment à l ’ encontre de personnes dans une situation vulnérable à la suite de plaintes contre de s mauvais traitements commis par la police , fassent l ’ objet d ’ un examen et d ’ une enquête en bonne et due forme.

Enquêtes rapides, indépendantes et approfondies

19)Le Comité se félicite de l’information fournie par l’État partie sur les mesures prises par le Gouvernement fédéral et par les Länder pour faire en sorte que les enquêtes sur les allégations de comportement criminel de la part de la police soient menées sans délai et de manière impartiale. Il est toutefois préoccupé par le fait que les enquêtes sur les allégations de torture et mauvais traitements et d’usage illicite de la force par la police au niveau fédéral continuent d’être menées par les parquets et des fonctionnaires de police relevant de ces derniers. Le Comité est particulièrement préoccupé par les allégations selon lesquelles plusieurs cas de mauvais traitements commis par la police, signalés lors du dialogue avec l’État partie, n’ont pas fait l’objet d’enquêtes rapides, indépendantes et approfondies, vu que des parties de l’enquête ont parfois été confiées à l’unité de police fédérale à laquelle appartenait l’agent accusé. Le Comité se dit donc de nouveau préoccupé par l’absence d’enquêtes indépendantes et sérieuses sur les allégations de mauvais traitements au niveau fédéral ainsi que dans certains Länder (art. 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de:

a) Prendre les mesures requises , tant au niveau fédéral qu ’ à celui des Länder , pour faire en sorte que toutes les allégations d ’ actes de t orture et de mauvais traitements commis par la police fasse nt l ’ objet d ’ une enquête rapide et approfondie , menée par des organes indépendants , et qu ’ il n ’ y ait aucun lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs et les auteurs présumés;

b) Faire part au Comité de ses commentaires sur l es cas précis de mauvais traitements par la police évoqués pendant le dialogue avec sa délégation .

Personnes intersexuées

20)Le Comité prend note des informations données lors du dialogue, selon lesquelles le Conseil de l’éthique a entrepris d’examiner les cas signalés d’intervention chirurgicale systématique sur les enfants dont l’anatomie sexuelle à la naissance ne peut pas être facilement qualifiée de féminine ou de masculine, appelés également personnes intersexuées, afin d’évaluer et de modifier éventuellement les pratiques actuelles. Le Comité demeure toutefois préoccupé par le fait que des ablations des gonades et des interventions de chirurgie plastique reconstructrice des organes génitaux, qui entraînent un traitement hormonal à vie, aient été pratiquées sans le consentement effectif et éclairé des personnes concernées ou de leur tuteur légal et que ces actes n’aient donné lieu à aucune enquête ni aucune mesure de réparation. Le Comité est également préoccupé par l’absence de dispositions légales prévoyant des mesures de réparation et d’indemnisation dans ces cas (art. 2, 10, 12, 14 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De veiller à ce que soient effectivement appliquées les normes juridiques et médicales en matière de consentement éclairé s ’ agissant du traitement médica l et chirurgical des personnes intersexuées , en suivant les meilleures pratiques à cet égard, comprenant notamment la transmission, oralement et par écrit, d ’ informations complètes sur le traitement proposé, sa justification et les alternatives possibles;

b) D ’ e nquêter sur les cas de traitement chirurgical ou autre traitement médical qu ’ auraient subi des personnes intersexuées sans avoir donné leur consentement effectif et d ’ adopter des mesures législatives afin d ’ a ccorder réparation aux victimes, y compris une indemnisation adéquate;

c) De faire en sorte que les professionnels de la médecine et de la psycho l ogie reçoivent une formation sur les questions se rapportant à la diversité sexuelle , y compris dans ses aspects biologique s et physique s ;

d) D ’ informer dûment les patients et leurs parents des conséquences que peuvent avoir pour les personnes intersexuées les interventions médicales, et notamment chirurgicales , non nécessaire s .

Réfugiés et protection internationale

21)Le Comité prend note de la suspension des transferts vers la Grèce en vertu du Règlement Dublin‑II en raison des conditions d’accueil difficiles, mais constate avec préoccupation que la suspension actuelle des retours, qui doit prendre fin le 12 janvier 2012, pourrait être levée avant que les conditions d’accueil en Grèce ne s’améliorent (art. 3).

L ’ État partie est invité à prolonger la susp ension des transferts forcés de demandeurs d ’ asile vers la Grèce en janvier 2012, à moins que la situation dans le pays de retour ne s ’ améliore sensiblement.

22)Le Comité note que les demandes d’asile relevant du Règlement Dublin-II sont susceptibles de recours mais il est préoccupé de constater qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 34 a) de la loi allemande sur les procédures d’asile, l’introduction d’un recours n’a pas d’effet suspensif sur les décisions contestées (art. 3).

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ abolir les dispositions de la loi relative aux procédures d ’ asile excluant l ’ effet suspensif des recours contre une décision de transfert d ’ un demandeur d ’ asile vers un autre État participant au système de Dublin.

23)Le Comité note que les demandeurs d’asile ne bénéficient pas de conseils en matière de procédure avant d’être entendus par les autorités compétentes et que l’aide juridictionnelle n’est payée pour les recours contre des décisions négatives que si le recours a des chances d’aboutir, selon l’estimation sommaire du tribunal (art. 3, 11 et 16).

Le Comité demande à l ’ État partie de veiller à ce que les demandeurs d ’ asile aient accès à des conseils de qualité, indépendants et gratuits en matière de procédure avant d ’ être entendus par les autorités compétentes et de garantir l ’ accès des demandeurs d ’ asile démunis à l ’ aide juridictionnelle après qu ’ une décision négative a été rendue , dès lors que le recours n ’ e st pas de toute évidence dénué de toute chance d ’ aboutir.

Rétention avant expulsion

24)Le Comité note une baisse du nombre de cas de rétention d’étrangers et de la durée de cette mesure. Il est cependant préoccupé par les informations selon lesquelles plusieurs milliers de demandeurs d’asile déboutés et une grande majorité des «cas Dublin» sont toujours placés dans les centres de détention des Länder dès leur arrivée, parfois pour des périodes prolongées. Cette pratique va à l’encontre de la Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, qui réglemente la rétention avant expulsion, considérée comme un moyen de dernier recours. Le Comité est particulièrement préoccupé par l’absence de procédure d’identification des demandeurs d’asile vulnérables, comme les réfugiés traumatisés et les mineurs non accompagnés, dans certains Länder, en raison de l’absence d’examen médical obligatoire à l’arrivée en rétention, à l’exception du dépistage de la tuberculose et du contrôle systématique des maladies mentales ou des traumatismes. Le Comité est également préoccupé par le fait que les demandeurs d’asile, et notamment les femmes en attente d’expulsion, ne soient pas séparés des personnes placées en détention provisoire (art. 11 et 16).

Le Comité exhorte l ’ État partie à:

a) Limiter le nombre de placements de demandeurs d ’ asile en rét ention, y compris dans les cas relevant du Règlement de Dublin, ainsi que la durée de la rétention avant renvoi, en application de la Directive 2008/115/CE de l ’ Union européenne;

b) Faire en sorte que tous les demandeurs d ’ asile, y compris les «cas Dublin», soient soumis à un examen médical et à un contrôle systématique des troubles mentaux ou des traumatismes, effectués par des professionnels de la santé indépendants et qualifiés, dès leur arrivée dans tous les centres de détention des Länder;

c) Charger un expert médical spécialement formé et indépendant d e procéder à un e xamen médical et psychologique et d ’ établir un rapport lorsque des signes de torture ou de traumatisme o nt été détectés lors des entretiens personnels mené s par les autorités chargées des demandes d ’ asile; et

d) Faire en sorte que les demandeurs d ’ asile, en particulier les femmes en attente d ’ expulsion, soient séparé s des prévenus dans tous les centres de détention .

Assurances diplomatiques

25)Le Comité prend note de l’arrêt rendu par le Tribunal administratif de Düsseldorf en mars 2009 et confirmé par le Tribunal administratif supérieur de Rhénanie du Nord‑Westphalie en mai 2010 dans l’affaire concernant un Tunisien considéré comme une menace pour la sécurité nationale par le Gouvernement allemand, qui n’a pas pu être expulsé en Tunisie malgré des assurances diplomatiques, ces dernières ayant été considérées comme «juridiquement non contraignantes … et peu fiables ou difficiles à vérifier par nature». Il prend également acte de la pratique suivie par les hautes cours régionales qui consiste à évaluer les demandes d’extradition compte tenu de toutes les informations disponibles, y compris concernant la torture et les mauvais traitements. De plus, il prend note de la déclaration de l’État partie, qui a affirmé n’avoir pas accepté d’assurances diplomatiques depuis 2007; toutefois, selon l’État partie, «l’acceptation d’assurances diplomatiques en cas d’extradition reste une possibilité dans des cas appropriés et exceptionnels, en particulier lorsque le risque de torture ou de mauvais traitements est d’ordre général uniquement». Le Comité est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles les règles d’application de la loi sur les résidents, qui vise à contrôler l’entrée, la résidence et l’emploi des étrangers en Allemagne, prévoient le recours à des assurances diplomatiques lorsqu’une expulsion est prononcée par le Ministère fédéral de l’intérieur pour des raisons de sécurité nationale, ainsi que par le manque d’informations à jour sur la question de savoir si des assurances diplomatiques ont été utilisées dans des cas de ce genre (art. 3 et 14).

Le Comité recommande à l ’ État partie de s ’ abstenir de solliciter et d ’ accepter des assurances diplomatiques , tant dans les cas d ’ extradition que dans les cas d ’ expulsion, de la part d ’ un État dans lequel il y a des motifs sérieux de penser qu ’ une personne risquerait d ’ être soumis e à la torture ou à des mauvais traitements à son retour, ces assurances ne pouvant garanti r que la personne ne subira pas des actes de torture ou des mauvais traitements si elle est renvoyée , même si des mécanismes de contrôle après le retour sont mis en place .

Détention secrète et transferts illégaux

26)Le Comité se félicite de l’adoption d’une nouvelle loi sur le contrôle parlementaire des services de renseignements après l’enquête parlementaire de 2009 sur l’implication présumée de l’État partie dans des transferts illégaux et la détention secrète de personnes soupçonnées de terrorisme. Il déplore cependant le manque de clarté quant à l’application par le Gouvernement fédéral des recommandations de la Commission parlementaire d’enquête. Le Comité note en outre avec préoccupation que le Gouvernement fédéral n’a mené aucune enquête après la décision rendue en juin 2009 par la Cour constitutionnelle, qui a déclaré que l’absence de coopération du Gouvernement avec l’organe d’enquête avait violé la Constitution fédérale. Le Comité est également préoccupé par l’absence d’informations de la part de l’État partie sur les mesures prises pour mettre en œuvre les recommandations figurant dans l’étude conjointe des Nations Unies sur les pratiques mondiales concernant le recours à la détention secrète dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (A/HRC/13/42) (art. 3).

Le Comité invite instamment l ’ État partie:

a) À fournir des informations sur les suites concrètes données aux recommandations f ormulé es par la Commission parlementaire d ’ enquête en 2009 ainsi que sur les mesures prises par le Gouvernement fédéral pour enquêter sur la participation présumée d ’ agents des forces de l ’ ordre de l ’ État partie dans des programme s de transfert et de détention secrète;

b) À publ ier les résultats des enquêtes;

c) À prendre toutes les mesures qui s ’ imposent pour éviter que de telles situations ne se reproduisent à l ’ avenir ;

d) À prendre des mesures spécifiques pour mettre en œuvre les recommandations figurant dans l ’ étude conjointe des Nations Unies sur les pratiques mondiales concernant le recours à la détention secrète dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (A/HRC/13/42).

Mineurs non accompagnés

27)Le Comité prend note de l’information selon laquelle la procédure dite «aéroportuaire» prévue par l’article 18 de la loi sur la procédure d’asile s’applique aux demandeurs d’asile provenant d’un pays d’origine sûr ou sans passeport valide mais il est préoccupé d’apprendre notamment que des mineurs non accompagnés y sont exposés continuellement, y compris ceux dont la demande d’asile ou de statut de réfugié a été rejetée et qui peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine si aucun motif raisonnable de penser qu’ils risquent d’être torturés ou de subir des mauvais traitements n’a été décelé. Le Comité est préoccupé en outre par le manque d’informations sur la position de l’État partie dans le contexte du débat de l’Union européenne sur les mineurs faisant l’objet de la «procédure aéroportuaire» (art. 3).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) D ’ exclure les mineurs non accompagnés de la « procédure aéroportuaire » , ainsi que l ’ a recommandé la Commission européenne contre le racisme et l ’ intolérance;

b) De faire en sorte que les mineurs non accompagnés puissent jouir des droits garantis par la Convention relative aux droits des enfants;

c) De faire en sorte que des données, ventilées par âge, sexe et nationalité, portant sur le nombre de mineurs non accompagnés expulsés par l ’ État partie soient collect ées et rendues publiques;

d) De jouer un rôle actif dans le débat de l ’ Union européenne sur cette question en vue de garantir que les mineurs non accompagnés soient protégés du risque de torture et de mauvais traitements.

Exercice de compétence

28)Le Comité est vivement préoccupé par les informations faisant état de la réticence de l’État partie à exercer sa compétence sur les allégations de torture et de maltraitance de personnes transférées à l’étranger, notamment dans l’affaire Khaled El- Masr i, en violation de l’article 5 de la Convention. De plus, il est préoccupé par l’absence d’informations de la part de l’État partie permettant de savoir si Khaled El-Masri a obtenu réparation, y compris une indemnisation, conformément à l’article 14 de la Convention (art. 5 et 14).

L ’ État partie est instamment invité à se conform er à l ’ article 5 de la Convention, en vertu duquel la compétence d ’ un État ne se limite pas aux ressortissants dudit État. L ’ État partie devrait également informer le Comité des réparations, y compris une indemnisation adéquate, accordées à Khaled El- Masri , conformément à l ’ article  14 de la Convention.

Formation des forces de l ’ ordre

29)Le Comité prend note de la formation dispensée aux membres des forces de l’ordre de la République fédérale et des Länder sur la Convention et les garanties constitutionnelles ainsi qu’en droit public, pénal et procédural national mais il est préoccupé de constater que tous les professionnels intervenant directement dans les enquêtes sur les cas de torture et la recherche d’éléments de preuve ainsi que le personnel médical et d’autres personnels s’occupant des détenus et des demandeurs d’asile ne reçoivent pas de formation spécifique concernant le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul). Il juge préoccupant par ailleurs qu’il soit prévu d’axer la formation au Protocole d’Istanbul, qui doit commencer l’année prochaine dans tous les Länder, sur la détection des séquelles physiques, et non psychologiques, de la torture. L’absence de formation concernant l’interdiction absolue de la torture, dans le cadre des instructions données aux services du renseignement, suscite également des préoccupations (art. 2, 10 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De veiller à ce que l ’ ensemble des forces de l ’ ordre et du personnel médical ainsi que les autres personnels prenant part à la détention, à l ’ interrogatoire ou au traitement des personnes soumises à une forme quelconque d ’ arrestation, de détention ou d ’ emprisonnement et à la recherche d ’ éléments de preuve ou encore à la conduite d ’ enquêtes sur des cas de torture, reçoivent, de maniè re régulière, une formation concern ant le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul), qui requiert que soient identifiées les conséquences tant physiques que psychologiques de la torture;

b) De veil ler à ce que cette formation soi t également dispensée au personnel chargé des procédures d ’ examen des demandes d ’ asile et de faire le nécessaire pour que les publications et outils de formation sur le Protocole d ’ Istanbul existants soi ent disponibles sur l ’ Internet;

c) De faire en sorte que les instructions délivrées aux services du renseignement fassent systématiquement référence à l ’ interdiction absolue de la torture.

Identification des policiers

30)Le Comité juge préoccupantes les informations fournies par l’État partie, selon lesquelles les policiers ne sont pas tenus, sauf dans les Länder de Brandenburg et de Berlin, de porter des badges d’identification indiquant leur numéro ou leur nom dans l’exercice de leurs fonctions et s’inquiète de ce que, même dans ces deux Länder, le port du badge puisse être suspendu pour protéger la sécurité et les intérêts des policiers, selon l’État partie. Cette pratique aurait, dans de nombreux cas, fait obstacle aux enquêtes menées concernant des policiers soupçonnés d’avoir été impliqués dans des actes de maltraitance, y compris l’utilisation excessive de la force lors de manifestations, et à l’établissement des responsabilités. D’après une étude faite à la demande de la police de Berlin, environ 10 % des cas de mauvais traitements imputés à la police n’auraient pu être élucidés et donner lieu à des poursuites en raison de l’absence d’identification des policiers (art. 12, 13 et 14).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De tenir compte des intérêts tant des policiers que des victimes potentielles de mauvais traitements, de faire en sorte que les membres de la police de tous les Länder puissent être effectivement identifiés à tout moment lorsqu ’ ils exercent leurs fonctions de maintien de l ’ ordre et de garantir que leur responsabilité puisse être établie lorsqu ’ ils sont impliqués dans des mauvais traitements;

b) De se pencher sur les cas d ’ enquête insuffisante évoqués lors du dialogue avec l ’ État partie et de faire rapport à ce sujet au Comité.

Interrogatoires menés à l ’ étranger

31)Le Comité se félicite d’apprendre que la pratique des interrogatoires de personnes soupçonnées de terrorisme par des agents des services allemands du renseignement à l’étranger a été abandonnée suite aux conclusions de la Commission parlementaire d’enquête sur l’affaire Khaled Al- Masri et accueille avec satisfaction la déclaration du Gouvernement fédéral annonçant qu’il a été mis fin aux enquêtes menées à l’étranger par la police, les procureurs et les agents du renseignement. Le Comité s’inquiète toutefois du manque de clarté quant à la question de savoir si l’engagement pris de mettre fin aux enquêtes à l’étranger concerne aussi les sociétés de sécurité privées. Il s’inquiète aussi du manque d’explications, compte tenu de la décision de juin 2005 de la Cour suprême de Hambourg dans l’affaire Mounir al- Motassadeq, sur le point de savoir à qui incombe la charge de la preuve en ce qui concerne l’irrecevabilité des preuves qui auraient été obtenues par la torture ou des mauvais traitements devant les tribunaux de l’État partie. L’absence d’informations indiquant si le Gouvernement continue de s’appuyer sur les informations fournies par les services du renseignement d’autres pays, dont certaines ont pu être obtenues par la torture ou des mauvais traitements, est très préoccupante (art. 2, 3, 11 et 15).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) D ’ appliquer l ’ interdiction de mener des enquêtes à l ’ étranger à toutes les autorités et entités engagées dans la lutte contre la criminalité, y compris les sociétés de sécurité privées si l ’ on soupçonne qu ’ il y a eu coercition;

b) De préciser quelles sont les normes de procédure, y compris en ce qui concerne la charge de la preuve, appliquées par les tribunaux de l ’ État partie pour appréci er les éléments de preuve susceptibles d ’ avoir été obtenus par la torture ou des mauvais traitements; et

c) De ne pas se fier automatiquement aux informations données par les services du renseignement d ’ autres pays , afin d ’ empêcher la torture ou les mauvais traitements infligés pour extorquer des aveux.

Châtiments corporels

32)Le Comité note que les châtiments corporels sont interdits en toutes circonstances par la législation allemande (art. 163 du Code civil) mais il est préoccupé par l’absence d’informations sur les efforts déployés pour mener une action régulière et appropriée de sensibilisation du public et de formation des professionnels à l’interdiction des châtiments corporels dans tous les contextes (art. 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de promouvoir activement des formes d ’ éducation, des enfants en particulier, positives, participatives et non violentes à substituer aux châtiments corporels.

Collecte de données

33)Le Comité se félicite de la décision prise par l’État partie d’établir de nouvelles statistiques sur les infractions, y compris les mauvais traitements infligés par la police et «la violence dans les relations sociales entre proches». Il prend note des données sur les plaintes dénonçant des mauvais traitements commis par des agents des forces de l’ordre ventilées par infraction présumée. Il regrette toutefois l’absence de données complètes et détaillées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans les affaires de torture et de mauvais traitements par les agents des forces de l’ordre, le personnel des services de sécurité, les personnels militaire et pénitentiaire, ainsi que sur la traite, la violence dans la famille, la violence sexuelle, les infractions à motivation raciste ainsi que les voies de recours, y compris l’indemnisation et les moyens de réadaptation accordés aux victimes (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de recueillir des données pour la surveillance de l ’ application de la Convention au niveau national, notamment sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans les affaires de torture et de mauvais traitements par les forces de l ’ ordre, les agents de sécurité, les personnels militaire et pénitentiaire, ainsi que sur la traite, la violence familiale et sexuelle, les infractions à motivation raciste et s ur les voies de recours, y compris l ’ indemnisation et les moyens de réadaptation accordés aux victimes.

34)Prenant acte de l’engagement pris par l’Allemagne dans le cadre de l’Examen périodique universel, le Comité recommande à l’État partie de garantir la pleine application des dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier dans le contexte de la lutte contre le terrorisme.

35)Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, à savoir la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, et à envisager de signer et de ratifier le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

36)L’État partie devrait envisager de retirer sa déclaration concernant l’article 3 de la Convention afin de permettre l’application directe de cette disposition devant les tribunaux et autorités de la République fédérale et des Länder.

37)L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité, ainsi que les comptes rendus analytiques et les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

38)L’État partie est invité à mettre à jour son document de base (HRI/CORE/DEU/2009), conformément aux instructions relatives au document de base qui figurent dans les Directives harmonisées pour l’établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN.2/Rev.6).

39)Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 25 novembre 2012, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 16, 24, 28 et 30 du présent document concernant: a) la réglementation et la restriction de l’utilisation de moyens de contention physique dans tous les établissements; b) la réduction du nombre de demandeurs d’asile en rétention, y compris les «cas Dublin», et l’assurance qu’ils font l’objet de contrôles médicaux obligatoires; c) l’exercice de la compétence conformément à l’article 5 de la Convention et la fourniture d’informations sur les réparations, y compris l’indemnisation, accordée à Khaled El-Masri; d) les mesures prises pour que les policiers puissent être identifiés et que leur responsabilité puisse être établie lorsqu’ils sont impliqués dans des mauvais traitements, dans tous les Länder.

40)L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le sixième, le 25 novembre 2015 au plus tard. À cet effet, le Comité invite l’État partie à accepter, d’ici au 25 novembre 2012, de présenter son rapport selon la procédure facultative pour l’établissement des rapports qui consiste pour le Comité à transmettre à l’État partie une liste de points à traiter avant la soumission du rapport périodique. La réponse de l’État partie à cette liste de points constituera son prochain rapport périodique présenté au Comité en application de l’article 19 de la Convention.

56. Madagascar

1)Le Comité contre la torture a examiné le rapport initial de Madagascar (CAT/C/MDG/1) à ses 1034e et 1037e séances (CAT/C/SR.1034 et 1037), les 10 et 11 novembre 2011, et adopté les observations finales ci-après à ses 1052e et 1053e séances (CAT/C/SR.1052 et 1053), le 23 novembre 2011.

A. Introduction

2)Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de Madagascar. Il se félicite du dialogue franc et constructif qu’il a eu avec la délégation de l’État partie, qu’il remercie d’avoir fourni des réponses détaillées lors de ce dialogue et des réponses écrites additionnelles ultérieurement.

B. Aspects positifs

3)Le Comité accueille avec satisfaction la ratification par l’État partie des instruments internationaux ci-après pendant la période considérée:

a)Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, en 2008;

b)La Convention (no 105) de l’Organisation internationale du Travail sur l’abolition du travail forcé, en 2007.

4)Le Comité prend note de l’engagement pris par l’État partie de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention et d’élaborer un Plan d’action pour la mise en œuvre des recommandations de l’Examen périodique universel, y compris des mesures appropriées pour combattre efficacement la torture et les mauvais traitements.

5)Le Comité prend note de:

a)L’interdiction de la torture consacrée par la Constitution de l’Étatpartie;

b)La déclaration de l’État partie selon laquelle la signature de la feuille de route de sortie de crise en septembre 2011, qui avait abouti à la nomination d’un premier ministre de consensus, devrait également permettre aux institutions nationales − dont le fonctionnement était entravé depuis 2009 par la crise politique − de se remettre à fonctionner normalement. Le fonctionnement de ces institutions, notamment du Parlement, permettrait d’adopter ou de réviser les lois afin de mettre la législation nationale en conformité avec les normes internationales contenues dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, ratifiés par l’État partie;

c)L’engagement pris par l’État partie de confirmer dans les meilleurs délais l’invitation permanente faite verbalement aux procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme;

d)L’application du moratoire de facto sur la peine de mort.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Incrimination de la torture et des mauvais traitements

6)Tout en prenant note de l’adoption par l’État partie de la loi no 2008-008 du 25 juin 2008 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à la lumière de la Convention, le Comité est préoccupé par le fait qu’il n’existe pas d’échelle des peines pour sanctionner les mauvais traitements, ce qui donne au juge tout pouvoir discrétionnaire en matière de sanctions. Pour le Comité, cette absence d’échelle des peines viole le principe de légalité des délits et des peines. Par ailleurs, le Comité déplore le fait que ladite loi n’a jamais été appliquée depuis sa promulgation en 2008, ce que corrobore l’information selon laquelle les magistrats, les avocats et les agents chargés de l’application de la loi ne connaissent pas son existence (art. 4).

L ’ État partie devrait réviser la loi contre la torture pour y inclure l ’ échelle de s peines sanctionnant les mauvais traitements . En outre, il devrait réviser son Code pénal et son Code de procédure pénale pour y intégrer les dispositions pertinentes de la loi contre la torture et faciliter ainsi la mise en œuvre de celles-ci . En attendant ladite révision, l ’ État partie devrait diffuser le texte de cette loi auprès des magistrats, des avocats, des officiers de police judiciaire, des chefs de Fokontany (subdivision administrative de base au niveau de la commune) et du personnel pénitentiaire aux fins de son application immédiate.

Catégorisation et prescription de la torture

7)Le Comité note que la loi de 2008 établit une distinction entre les actes de torture qualifiés de délits passibles de deux à cinq ans d’emprisonnement et les actes de torture qualifiés de crimes passibles de cinq à dix ans d’emprisonnement. Le Comité regrette que le délai de prescription soit au maximum de dix ans dans les cas de torture et que l’État partie ne prévoie l’imprescriptibilité de la torture qu’en cas de génocide ou de crime contre l’humanité (art. 1 et 4).

L ’ État partie devrait réviser cette loi en considération du fait que l ’ acte de torture , compte tenu de sa gravité , devrait être considéré comme un crime imprescriptible. En effet, l ’ application d e châtiments appropriés et l ’ imprescriptibilité permettent de renforcer l ’ effet dissuasif de l ’ interdiction de l a torture. E l le s permettent également au public de surveiller et, si nécessaire, de contester l ’ action de l ’ État , ou son inaction , lorsque celle-ci viole la Convention.

Non-justification de la torture et enquêtes approfondies et impartiales

8)Le Comité est sérieusement préoccupé par les nombreuses allégations faisant état de violations des droits de l’homme depuis la crise politique de 2009, notamment de torture, d’exécutions sommaires et extrajudiciaires ou de disparitions forcées, ne donnant lieu ni à des enquêtes ni à des poursuites. Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles la torture serait motivée par des considérations politiques et ciblerait notamment les adversaires politiques, les journalistes et les avocats (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

L ’ État partie devrait prendre d es mesures appropriées pour mener des enquêtes indépendantes, approfondies et impartiales sur les violations des droits de l ’ homme, y  compris les cas de torture , de mauvais traitements, d ’ exécutions sommaires et de disparitions forcées , et veiller à ce que les auteurs so ie nt effectivement poursuivis et punis. En effet, aucune circonstance, fût- elle l ’ instabilité politique intérieure , ne saurait être invoquée pour justifier la torture et aucun accord, f û t-il politique , ne devrait amnistier les auteurs des crimes les plus graves commis durant la crise politique. Par ailleurs, l ’ État partie devrait renforcer les mécanismes de plainte mis à la disposition d es victimes et s ’ assurer qu e c elles -ci obtiennent réparation et bénéficient des moyens de réussir leur réinsertion sociale et leur réadaptation psychologique. L ’ État partie devrait veiller à protég er les plaignants, les témoins et les membres de leur famille contre tout acte d ’ intimidation lié à leur plainte ou à leur témoignage.

Le Comité invite l ’ État partie à inclure , dans son prochain rapport périodique , des statistiques sur le nombre de plaintes déposées pour torture ou mauvais traitements , de condamnations pénales prononcées ou de mesures disciplinaires infligées, y  compris pendant l ’ é tat d ’ urgence qui existait de facto en 2009. L es informations requises devraient indiquer l ’ autorité ayant mené l ’ enquête et être ventilées suivant le sexe, l ’ âge et l ’ origine ethnique de l ’ auteur de la plainte.

Garanties juridiques fondamentales

9)Le Comité note que les suspects arrêtés sont rarement informés de leur droit d’être examinés par un médecin, qu’ils ne bénéficient pas d’un examen médical approprié et que les détenus ont parfois difficilement accès à leurs avocats et aux membres de leur famille. Par ailleurs, le Comité juge excessive la prolongation de la détention préventive de douze jours. Plusieurs cas de détention préventive dépassant les délais acceptables préoccupent gravement le Comité (art. 2, 12, 13, 15 et 16).

À la lumière de l ’ O bservation générale n o 2 du Comité sur l ’ application de l ’ article  2 par les États parties , l e Comité invite l ’ État partie à redoubler d ’ efforts pour s ’ assurer que , dans la pratique , les détenus bénéficient de l ’ ensemble des garanties juridiques fondamentales dès le début de leur détention. Ces garanties comprennent notamment le droit d ’ être informés de leurs droits et des charges retenues contre eux ; de bénéficier promptement de l ’ assistance d ’ un avocat et, si nécessaire, de l ’ aide juridictionnelle ; de bénéficier d ’ un examen médical indépendant effectué si possible par un médecin de leur choix ; d ’ avertir un proche ; et de comparaître rapidement devant un juge.

L ’ État partie devrait veiller à mettre en œuvre le décret n o  2009-970 du 14  juillet 2009 portant réglementation de l ’ assistance judiciaire , à renforcer l ’ assistance juridique gratuite aux détenus et à faciliter l ’ accès de ces derniers à leurs avocats et aux membres de leur famille. L ’ État partie devrait également envisager de révis er le Code de procédure pénale en vue de réduire la durée de la détention préventive et d ’ entourer celle-ci de restrictions rigoureuses pour éviter tout abus. Le Comité invite l ’ État partie à renforcer la justice de proximité dans toute la mesure possible pour résoudre les problèmes logistiques causés par la distance d es justiciables et d es officiers de police judiciaire.

Conditions de vie dans les lieux de détention et surveillance systématique des lieux de détention

10)Tout en prenant note des informations fournies par l’État partie sur la construction de quatre nouveaux établissements pénitentiaires, le Comité demeure préoccupé par les mauvaises conditions de vie dans les prisons, notamment la non-séparation des détenus, la malnutrition, l’absence de soins médicaux qui a entraîné la mort de détenus et les conditions inhumaines dans les cellules disciplinaires. Le Comité demeure aussi préoccupé par la surpopulation carcérale: bien qu’il soit affirmé dans la Constitution que la détention préventive reste une exception, plus de 50 % des détenus sont dans ce dernier cas. Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations faisant état d’humiliations infligées à des prisonniers, de viols et de cas d’exploitation sexuelle forcée en échange de nourriture (art. 2, 11, 12, 13, 14 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Veiller à ce que les conditions dans les prisons soient compatibles avec l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus , y compris dans les cellules disciplinaires (exiguïté) de sorte que les conditions d ’ isolement dans ces cellules soient conforme s aux normes internationales;

b) S épar er l es détenus et garantir la séparation entre les prévenus et l es condamnés et entre les mineurs et l es adultes ;

c) Tenir compte des problèmes spécifiques des détenues et de la nécessité de mettre en place des moyens propres à résoudre ces problèmes à la lumière des Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l ’ imposition d e mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) , adoptées par l ’ Assemblée générale le 21 décembre 2010 ;

d) Assurer aux détenus un accès digne à la nourriture et aux soins médicaux;

e) Traiter avec diligence les cas de détention provisoire , en mettant en œuvre la responsabilité des agents si nécessaire ;

f) Utiliser des peines de substitution à l ’ emprisonneme nt pour désengorger les prisons à la lumière des Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privative s de liberté (Règles de Tokyo) , adoptées par l ’ Assemblée générale le 14  décembre 1990;

g ) Enquêter sur les allégations d ’ humiliation s infligées à des prisonniers, de viols et autres violences à caractère sexuel, et prendre des mesures urgentes pour puni r les auteurs de ces actes. Le Comité rappelle l ’ obligation qui est faite à l ’ État partie de procéder d ’ office à des enquêtes, sans plainte préalable déposée par la victime, dans tous les cas où il existe des motifs raisonnables de croire qu ’ un acte de torture a été commis ;

h ) Instaurer un e surveillance systématique des lieux de détention en vue d ’ améliorer les conditions de détention dans ces lieux . L ’ État partie devrait doter la Commission de surveillance des prisons de moyens financiers . En outre, il devrait renforcer sa c oopération avec les organisations non gouvernementales en accordant à celles-ci le libre accès aux lieux de détention , de manière à permettre l ’ exercice indépendant d ’ une surveillance de ces lieux .

Justice traditionnelle ( Dina )

11)Le Comité est particulièrement préoccupé par le recours systématique de la population au Dina, qui serait dû à son manque de confiance dans le système judiciaire. En plus des décisions concernant des affaires civiles, le système traditionnel du Dina aurait rendu des décisions en matière pénale, donnant lieu parfois à des tortures et à des exécutions sommaires et extrajudiciaires (art. 2 et 16).

Compte tenu de son Observation générale sur l ’ application de l ’ article 2 de la Convention, le Comité n ’ admet pas l ’ invocation de motifs fondés sur les traditions pour justifier une dérogation à l ’ interdiction absolue de la torture. L ’ État partie devrait se doter de moyens de contrôle efficaces pour surveiller les décisions du D ina et enquêter sur toute violation de la loi et des dispositions de la Convention. L ’ État partie devrait faire en sorte que le système du Dina soit compatible avec ses obligations en matière de droits de l ’ homme, en particulier avec celles qui découlent de la Convention. Il devrait également expliquer les rapports hiérarchiques existant entre le droit coutumier et le droit interne.

L ’ État partie devrait prendre des mesures urgentes pour suivre de près les décisions d u Dina en vertu de la loi n o  2001-004 du 25  octobre 2001 , qui exige , entre autres , l ’ homologation des décisions d u Dina par les tribunaux de droit commun. Il devrait également s ’ assurer que toutes les décisions du Dina font l ’ objet d ’ un recours devant ces tribunaux. L ’ État partie devrait s ’ efforcer de renforcer la confiance de l a population dans le système judiciaire. Il devrait procéder à une réforme de la justice en vue de résoudre les problèmes majeurs qui décrédibilis e nt le système judiciaire et entravent l ’ administration de la justice . Il devrait également apporter d es solutions adéquates pour que celle-ci fonctionne de manière efficace au service de la population.

Traite des êtres humains

12)Le Comité déplore l’absence d’informations sur la traite des êtres humains dans le rapport de l’État partie, malgré le problème persistant du tourisme sexuel et de l’exploitation des enfants des rues (art. 2, 12, 13 et 14).

L ’ État partie devrait mener des enquêtes sur toute allégation de traite des êtres h umains conformément à la loi n o  2007-038 du 14  janvier 2008 sur la traite et le tourisme sexuel et aux normes internationales pertinentes . Il devrait entreprendre des campagnes de sensibilisation et dispenser des formation s aux agents des forces de l ’ ordre afin de prévenir et combattre ce phénomène. Il devrait offrir une protection aux victimes et faciliter l ’ accès de celles-ci aux services méd icaux, socia ux et juridiques, y compris aux services de réadaptation. Le Comité invite l ’ État partie à inclure dans son prochain rapport des informations détaillées sur le nombre d es enquêtes engagées et de s plaintes déposées ainsi que d es condamnations prononcées dans ce domaine.

Violence faite aux femmes et aux enfants

13)Le Comité est préoccupé par les informations relatives au nombre élevé des mariages précoces ou forcés et des cas de maltraitance et de violence dans la famille. Il est également préoccupé par l’absence de plaintes, due à la pression sociale et familiale, en dépit de la loi no 2000-21, qui érige la violence familiale et les sévices sexuels en infractions pénales (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait poursuivre le débat avec les communautés , notamment avec les chefs de Fokontany , et prendre d ’ autres mesures pour réduire et éliminer les mariages forcés ou Moletry (mariages à l ’ essai d ’ une année avec d es filles mineures). Il devrait faire respecter l ’ obligation d ’ enregistrer tous les mariages en vue d ’ assurer le contrôle de leur légalité conformément aux lois nationales et aux conventions qu ’ il a dûment ratifiées. L ’ État partie devrait également veiller à interdire les mariages précoces et à poursuivre les contrevenants.

Le Comité encourage l ’ État partie à adopter une loi à l ’ effet de prévenir et de punir le viol conjugal et à interdire l es châtiments corporels infligés aux enfants. Il l ’ invite à inclure la détection de s actes de violence commis envers les femmes et les enfants dans les formations dispensées aux agents chargés d e l ’ application de la loi.

Institution nationale des droits de l ’ homme

14)Le Comité regrette que la crise politique de 2009 ait empêché la nomination des membres du Conseil national des droits de l’homme et que le Conseil ne fonctionne toujours pas depuis sa création en 2008 (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait garantir le fonctionnement effectif et indépendant de cette institution en lui octroyant les ressources humaines et financières nécessaires à l ’ accomplissement de son mandat, consistant notamment à enquêter sur les allégations de torture et de mauvais traitements. Le Comité encourage l ’ État partie à solliciter l ’ appui technique du Haut - Commissariat des Nations Unies aux droits de l ’ homme pour s ’ assurer de la conformité de cette institution aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (Principes de Paris, annexe à la résolution 48/143 de l ’ Assemblée générale).

Prise en otage des proches

15)Le Comité déplore que, d’après les allégations reçues, des femmes soient arrêtées et détenues en lieu et place de leur mari pour contraindre ces derniers à se rendre aux forces de l’ordre (art. 12 et 16).

L ’ État partie devrait veiller à mettre fin à la pratique consistant à prendre en otage l es proches d es auteurs présumés d ’ infractions, e t diligenter des enquêtes à l ’ effet de puni r les coupables. Cette pratique très grave viole les lois nationales et les principes fondamentaux des droits de l ’ homme.

Condamnés à mort et peine capitale

16)Tout en prenant note du fait que l’État partie applique un moratoire de facto sur la peine de mort en commuant les peines de mort prononcées en peines d’emprisonnement, le Comité regrette que ce moratoire ne soit pas formellement consacré par la loi (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait maintenir le moratoire de facto sur l ’ application de la peine capitale et envisager de consacrer dans la loi le principe de la commutation de peine, à l ’ effet de commuer systématiquement les condamnations à mort en peines d ’ emprisonnement . Le Comité souhaiterait obtenir plus d ’ informations sur les sentences capitales qui continueraient d ’ être prononcées, les conditions d ’ incarcération des condamnés à mort, le délai généralement observé pour commuer les peines capitales en peines d ’ emprisonnement, le traitement des condamnés à mort et le droit de ces derniers de recevoir des visites de leur famille et de leurs avocats. Par ailleurs, le Comité encourage l ’ État partie à ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

Formation

17)Le Comité prend note de l’organisation de formations aux droits de l’homme mais regrette l’absence d’évaluations de l’impact de ces formations sur l’amélioration de la situation des droits de l’homme ainsi que l’absence de formations axées sur les méthodes visant à déceler les séquelles physiques et psychologiques de la torture (art. 10).

Le Comité recommande que le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul) soit incorporé dans les prochaines formations des tinées aux agents chargés d e l ’ application de la loi et a u personnel médical et qu ’ il soit diffusé auprès du personnel pénitencier et médical. L ’ État partie devrait également évaluer l ’ impact et l ’ efficacité de ces programmes de formation.

Collecte de données

18)Le Comité regrette l’absence de données complètes et détaillées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations se rapportant aux tortures et mauvais traitements infligés par les forces de l’ordre, le personnel de sécurité, les militaires et le personnel pénitentiaire, ainsi que sur les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la traite, la violence domestique, les conditions de détention et les réparations (art. 12, 13, 14 et 16).

L ’ État partie devrait compiler des données statistiques pertinentes aux fins de la surveillance de l ’ application de la Convention au niveau national, notamment sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations se rapportant à la torture , aux mauvais traitements et autres violations des droits de l ’ homme précitées ainsi que sur les moyens de réparation, l ’ indemnisation et la réadaptation offerts aux victimes. Le Comité invite l ’ État partie à inclure ces données dans son prochain rapport périodique. C es données pourrai en t être collectées dans le cadre du projet mené conjointement avec les institutions spécialisées des Nations Unies visant à mettre en place un mécanisme de suivi et d ’ évaluation de l ’ exécution de s engagements contractés par l ’ État partie dans le domaine des droits de l ’ homme.

Réfugiés

19)Le Comité note que l’article 19 de la loi contre la torture interdit les extraditions vers un État dans lequel une personne risque d’être soumise à la torture, mais qu’il reste silencieux sur les cas d’expulsion et de refoulement. Par ailleurs, le Comité constate également l’absence d’information sur la situation des réfugiés dans le pays et l’inexistence de loi sur l’asile (art. 3).

L ’ État partie devrait réviser l ’ article  19 de la loi contre la tor ture du 25  juin 2008 pour y inclure également les cas de refoulement et d ’ expulsion conformément à l ’ article  3 de la Convention. Le Comité encourage l ’ État partie à adhérer au Protocole relatif au statut des réfugiés (1967) ainsi qu ’ à la Convention régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique. P ar ailleurs , i l invite l ’ État partie à incorporer dans son prochain rapport périodique des information s sur la situation des réfugiés à Madagascar.

Coopération avec les mécanismes des droits de l ’ homme

20)Le Comité recommande à l’État partie d’intensifier sa coopération avec les mécanismes des droits de l’homme de l’ONU, notamment en autorisant les visites, entre autres, du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, du Groupe de travail sur la détention arbitraire et de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme.

21)Prenant acte de l’engagement affiché par l’État partie lors de l’Examen périodique universel et lors du dialogue avec le Comité, ce dernier recommande à l’État partie de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

22)Le Comité recommande en outre à l’État partie de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention, et de reconnaître ce faisant la compétence du Comité à recevoir et examiner les plaintes portant sur les violations de la Convention.

23)Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments relatifs aux droits de l’homme de l’ONU auxquels il n’est pas encore partie, notamment la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, la Convention relative aux droits des personnes handicapées et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

24)L’État partie est encouragé à diffuser largement le rapport qu’il a soumis au Comité, ainsi que les observations finales de ce dernier, sur les sites Internet officiels, mais aussi par le biais des médias et des organisations non gouvernementales.

25)Le Comité invite en outre l’État partie à mettre à jour son document de base commun du 18 mai 2004 (HRI/CORE/1/Add.31/Rev.1), et à cet effet à suivre les directives harmonisées concernant l’établissement des rapports destinés aux organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme approuvées en juin 2009 par les organes de suivi des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN/2/Rev.6).

26)Le Comité invite l’État partie à fournir, dans un délai d’un an, des informations sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité figurant aux paragraphes 8, 10, 14 et 15 du présent document.

27)L’État partie est invité à présenter son prochain rapport périodique, qui sera son deuxième, au plus tard le 25 novembre 2015. À cet effet, le Comité invite l’État partie à accepter de présenter son rapport, d’ici le 25 novembre 2012, selon la procédure facultative qui consiste en la soumission par le Comité d’une liste de questions à l’État partie préalablement à la présentation du rapport, les réponses de l’État partie constituant, au titre de l’article 19 de la Convention, le prochain rapport périodique.

57. Maroc

1)Le Comité contre la torture a examiné le quatrième rapport périodique du Maroc (CAT/C/MAR/4) à ses 1022e et 1025e séances (CAT/C/SR.1022 et 1025), les 1er et 2 novembre 2011, et a adopté à ses 1042e, 1043e et 1045e séances (CAT/C/SR.1042, 1043 et 1045) les observations finales ci-après.

A. Introduction

2)Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique du Maroc, les réponses écrites (CAT/C/MAR/Q/4/Add.1) apportées par l’État partie à la liste de points à traiter (CAT/C/MAR/Q/4/), ainsi que les renseignements complémentaires fournis oralement par la délégation marocaine lors de l’examen du rapport, tout en regrettant que ce dernier ait été soumis avec plus de deux ans de retard. Il se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation d’experts envoyée par l’État partie et remercie celle-ci des réponses détaillées apportées aux questions posées, ainsi que des réponses écrites additionnelles fournies.

B. Aspects positifs

3)Le Comité prend note avec satisfaction des mesures prises par l’État partie pendant la période considérée, concernant les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ci-après:

a)Ratification de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, en avril 2009;

b)Ratification de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et de son Protocole facultatif, en avril 2009;

c)Ratification du Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, en avril 2011;

d)Reconnaissance de la compétence du Comité pour recevoir et examiner les communications émanent de particuliers en vertu de l’article 22 de la Convention;

e)Retrait de plusieurs réserves exprimées au regard d’un certain nombre de conventions internationales, notamment de la réserve aux articles 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et de la Convention relative aux droits de l’enfant ainsi que de toutes les réserves à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

4)Le Comité prend également note avec satisfaction des éléments suivants:

a)L’adoption par voie de référendum, le 1er juillet 2011, d’une nouvelle Constitution comportant de nouvelles clauses relatives à l’interdiction de la torture et aux garanties fondamentales des personnes arrêtées, détenues, poursuivies ou condamnées;

b)Le processus de réforme du système juridique engagé par l’État partie afin d’adapter et de transformer les lois et les pratiques dans le pays en vue de les rendre conformes à ses obligations internationales;

c)L’établissement du Conseil national des droits de l’homme, le 1er mars 2011, qui a remplacé le Conseil consultatif des droits de l’homme et bénéficie de pouvoirs élargis, ainsi que l’établissement d’instances régionales pour la protection des droits de l’homme;

d)Le moratoire de facto sur l’exécution des peines capitales;

e)L’établissement d’un mécanisme de justice transitionnelle, l’Instance Équité et Réconciliation, chargé d’établir la vérité sur les violations des droits de l’homme intervenues entre 1956 et 1999 et de permettre une réconciliation nationale;

f)L’organisation de différentes activités de formation et de sensibilisation aux droits de l’homme, notamment à l’intention des magistrats et des agents pénitentiaires.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition et criminalis ation de la torture

5)Tout en notant que des projets de loi visant à amender le Code pénal sont actuellement en cours de préparation, le Comité reste préoccupé par le fait que la définition de la torture telle que visée à l’article 231.1 du Code pénal en vigueur n’est pas pleinement conforme à l’article premier de la Convention, notamment en raison du champ d’application restreint de sa définition. En effet, l’article 231.1 se limite aux buts énoncés dans l’article premier et ne couvre ni la complicité ni le consentement exprès ou tacite d’un agent de la force publique ou de toute autre personne agissant à titre officiel. De plus, le Comité regrette l’absence dans le Code pénal d’une disposition rendant imprescriptible le crime de torture malgré ses précédentes recommandations en ce sens (art. 1 et 4).

L ’ État partie devrait s ’ assurer que les projets de loi actuellement devant le Parlement étendent le champ de la définition de la torture, conformément à l ’ article premier de la Convention contre la torture. L ’ État partie, conformément à ses obligations internationales, devrait veiller à ce que quiconque se rend coupable ou complice d ’ actes de torture, tente de commettre de tels actes ou participe à leur commission fasse l ’ objet d ’ une enquête, et soit poursuivis et sanctionné sans pouvoir bénéficier d ’ un délai de prescription.

6)Le Comité se déclare préoccupé par certaines dispositions du cadre juridique actuel relatif à la torture, en particulier la possibilité d’amnistier et de gracier les auteurs d’actes de torture; par l’absence de toute disposition spécifique établissant clairement l’impossibilité de se prévaloir de l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique pour justifier la torture; et par l’absence d’un mécanisme spécifique de protection des subordonnés qui refuseraient d’obéir à l’ordre de torturer une personne placée sous leur garde (art. 2 et 7).

L ’ État partie devrait faire en sorte que son cadre juridique prévoie l ’ interdi ction de toute amnistie éventuelle des crimes de torture et de tout pardon en violation de la Convention . Il devrait également modifier sa législation de façon à établir explicitement que l ’ ordre d ’ un supérieur ou d ’ une autorité publique ne saurait être invoqué pour justifier la torture . L ’ État partie devrait instaurer un mécanisme visant à protéger les subordonnés qui refusent d ’ obéir à un tel ordre. Il devrait en outre largement diffuser l ’ interdiction d ’ obéir à un tel ordre ainsi que les mécanismes de protection y afférents auprès de l ’ ensemble d es forces de l ’ ordre.

Garanties juridiques fondamentales

7)Le Comité note la consécration par le droit positif marocain de plusieurs garanties fondamentales en faveur des personnes détenues dans le but de prévenir les actes de torture. Il prend également acte des projets de réforme législative visant, entre autres propositions importantes, à permettre un accès plus rapide à un avocat au cours de la garde à vue. Il reste néanmoins préoccupé par les restrictions imposées à l’exercice de certaines de ces garanties fondamentales, aussi bien dans le droit positif actuel que dans la pratique. Le Comité est notamment préoccupé par le fait que l’avocat, à l’heure actuelle, ne peut rencontrer son client qu’à partir de la première heure de prolongation de la garde à vue au plus tôt, sous réserve de l’autorisation du Procureur général du Roi. Il est également préoccupé par le fait que l’accès d’office au service de l’aide juridique soit limité aux seules personnes mineures et à celles encourant des peines supérieures à cinq années d’emprisonnement. Le Comité déplore le manque d’information relative à la mise en œuvre dans la pratique des autres garanties fondamentales, telles que l’examen par un médecin indépendant et la notification à la famille (art. 2 et 11).

L ’ État partie devrait veiller à ce que les projets de loi actuellement à l ’ étude garantissent à tout suspect le droit de bénéficier dans la pratique des garanties fondamentales prévues par la loi, qui incluent notamment que l ’ intéressé ait accès à un avocat dès son arrestation, qu ’ il soit examiné par un médecin indépendant, qu ’ il puisse contacter un proche, qu ’ il soit informé de ses droits − comme des charges retenues contre lui −, et qu ’ il soit présenté immédiatement devant un juge. L ’ État partie devrait prendre des mesures pour permettre l ’ accès à un avocat dès le début de la garde à vue, sans aucune autorisation préalable, et mettre en place un régime effectif d ’ aide juridictionnelle gratuite, en particulier pour les personnes se trouvant en situation de risque ou appartenant à des groupes en situation de vulnérabilité.

Loi contre le terrorisme

8)Le Comité note avec préoccupation que la loi no 03-03 de 2003 contre le terrorisme ne contient pas de définition précise du terrorisme, pourtant requise par le principe de légalité des infractions, et inclut les délits d’apologie du terrorisme et d’incitation au terrorisme qui, pour être constitués, ne doivent pas forcément être liés à un risque concret d’action violente. De plus, cette loi étend la période légale de la garde à vue à douze jours dans les affaires de terrorisme et ne permet l’accès à un avocat qu’au bout de six jours, amplifiant ainsi le risque de torture des suspects détenus. En effet, c’est précisément pendant les périodes au cours desquelles ils ne peuvent pas communiquer avec leur famille et leurs avocats que les suspects sont le plus susceptibles d’être torturés (art. 2 et 11).

L ’ État partie devrait revoir sa loi antiterroriste n o  03-03 afin de mieux définir le terrorisme, de réduire la durée maximale de la garde à vue au strict minimum et de permettre l ’ accès à un avocat dès le début de la détention. Le Comité rappelle qu ’ en vertu de la Convention contre la torture, aucune circonstance exceptionnelle quelle qu ’ elle soit ne saurait être invoquée pour justifier la torture. Il note également que, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité, notamment 1456 (2003) et 1566 (2004), et à d ’ autres résolutions pertinentes, les mesures de lutte contre le terrorisme doivent être appliquées dans le plein respect du droit international relatif aux droits de l ’ homme.

Non-refoulement et risque de torture

9)Le Comité est préoccupé par le fait que les procédures et les pratiques actuelles du Maroc en matière d’extradition et de refoulement peuvent exposer des personnes à la torture. À cet égard, le Comité rappelle qu’il a reçu des plaintes de particuliers contre l’État partie, en vertu de l’article 22 de la Convention, portant sur des demandes d’extradition et qu’il est préoccupé par les décisions et les mesures prises par l’État partie dans le cadre de ces affaires. En effet, le Comité s’inquiète de la décision actuelle de l’État partie de seulement «suspendre» l’extradition de M. Ktiti, alors qu’il était arrivé à la conclusion qu’une telle extradition constituerait aussi une violation de l’article 3 de la Convention, et qu’il avait dûment transmis sa décision finale à l’État partie. De plus, il exprime sa vive préoccupation devant l’extradition de M. Alexey Kalinichenko vers son pays d’origine, intervenue alors que le Comité avait décidé de demander la suspension temporaire de cette extradition jusqu’à sa décision finale, d’autant plus que cette extradition est faite sur la seule base des assurances diplomatiques données par le pays d’origine de M. Kalinichenko (art. 3).

L ’ État partie ne devrait en aucune circonstance expulser, renvoyer ou extrader une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu ’ elle risque d ’ être soumise à la torture. Le Comité rappelle sa position selon laquelle les États parties ne peuvent en aucun cas considérer les assurances diplomatiques comme une garantie contre la torture ou les mauvais traitements lorsqu ’ il y a des motifs sérieux de croire qu ’ une personne risque d ’ être soumise à la torture si elle retourne dans son pays. Pour déterminer si les obligations qui lui incombent en vertu de l ’ article  3 de la Convention s ’ appliquent, l ’ État partie devrait examiner minutieusement, sur le fond, chaque cas particulier, y compris la situation générale en matière de torture dans le pays de retour. En outre, il devrait établir et mettre en œuvre des procédures bien définies pour obtenir ces assurances diplomatiques, des mécanismes judiciaires appropriés de contrôle et des dispositifs efficaces de suivi en cas de refoulement.

Le Maroc devrait respecter ses obligations internationales et se conformer aux décisions finales et provisoires du Comité dans les cas qui lui sont soumis par des particuliers en vertu de l ’ article  22 de la Convention. Dans le cas de M .  Ktiti , le Maroc devrait décider d ’ annuler son extradition vers son pays d ’ origine, de manière définitive, sous peine de violer l ’ article  3 de la Convention.

Utilisation de la torture dans les affaires de sécurité

10)Le Comité est préoccupé par les nombreuses allégations d’actes de torture et de mauvais traitements commis par les officiers de police, les agents pénitentiaires et plus particulièrement les agents de la Direction de surveillance du territoire (DST) – désormais reconnus comme officiers de police judiciaire – lorsque les personnes, en particulier celles suspectées d’appartenir à des réseaux terroristes ou d’être des partisans de l’indépendance du Sahara occidental, sont privées de l’exercice des garanties juridiques fondamentales comme l’accès à un avocat ou durant les interrogatoires dans le but de soutirer des aveux aux personnes soupçonnées de terrorisme (art. 2, 4, 11 et 15).

L ’ État partie devrait prendre immédiatement des mesures concrètes pour enquêter sur les actes de torture, et poursuivre et punir leurs auteurs. Il devrait garantir que les membres des forces de l ’ ordre n ’ utilisent pas la torture, notamment en réaffirmant clairement l ’ interdiction absolue de la torture, en condamnant publiquement la pratique de la torture, en particulier par la police, le personnel pénitentiaire et les membres de la DST, et en faisant clairement savoir que quiconque commet de tels actes, s ’ en rend complice ou y participe en sera tenu personnellement responsable devant la loi, fera l ’ objet de poursuites pénales et se verra infliger des peines appropriées.

«Transfèrements secrets»

11)Le Comité prend note des déclarations de l’État partie selon lesquelles il n’était pas impliqué dans les opérations de «transfèrements secrets» menées dans le contexte de la lutte internationale contre le terrorisme. Néanmoins, le Comité reste préoccupé par les allégations selon lesquelles le Maroc aurait servi de point de départ, de transit et de destination de «transfèrements secrets» opérés en dehors de tout cadre légal, notamment dans les cas de MM. Mohamed Binyam, Ramzi bin al-Shib et Mohamed Gatit. Il note que les informations lacunaires fournies par l’État partie sur les enquêtes qu’il a menées à ce sujet ne sont pas à même de dissiper ces allégations. Le Comité est gravement préoccupé par les allégations selon lesquelles tous ces «transfèrements secrets» se seraient accompagnés de détention au secret et/ou dans des lieux secrets, d’actes de torture et de mauvais traitements, notamment lors des interrogatoires des suspects, ainsi que de refoulements vers des pays dans lesquels les personnes auraient été également soumises à la torture (art. 2, 3, 5, 11, 12 et 16).

L ’ État partie devrait faire en sorte qu ’ aucun individu placé sous son contrôle à un moment donné ne fasse l ’ objet de tels «transfèrements secrets». Le transfèrement, le refoulement, la détention et l ’ interrogation des personnes dans de telles conditions constituent en eux-mêmes une violation de la Convention. L ’ État partie devrait mener des investigations effectives et impartiales et, le cas échéant, faire toute la lumière sur les cas de «transfèrements secrets» dans lesquels il a pu jouer un rôle. Il devrait poursuivre et punir les auteurs de ces transfèrements .

Événements concernant le Sahara occidental

12)Le Comité est préoccupé par les allégations faisant état d’arrestations et de détentions arbitraires, de détentions au secret et dans des lieux secrets, d’actes de torture et de mauvais traitements, de l’extorsion d’aveux sous la torture et d’un usage excessif de la force par les forces de sécurité et par les forces de l’ordre marocaines au Sahara occidental.

Le Comité rappelle encore une fois qu ’ en vertu de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants , aucune circonstance exceptionnelle quelle qu ’ elle soit ne saurait être invoquée pour justifier la torture sur le territoire soumis à la juridiction de l ’ État partie et que les mesures de maintien de l ’ ordre ainsi que les procédures d ’ enquête et d ’ investigation doivent être appliquées dans le plein respect du droit international relatif aux droits de l ’ homme, ainsi que des procédures judiciaires et des garanties fondamentales en vigueur dans l ’ État partie. L ’ État partie devrait prendre d ’ urgence des mesures concrètes pour prévenir les actes de torture et les mauvais traitements décrits précédemment. En outre, il devrait annoncer une politique de nature à produire des résultats mesurables par rapport à l ’ objectif d ’ éliminer tout acte de torture et tout mauvais traitements de la part des agents de l ’ État. L ’ État partie devrait renforcer les mesures prises pour que des enquêtes approfondies, impartiales et efficaces soient menées rapidement sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitement s infligés à des prisonniers, à des détenus et sur tous les autres cas.

Le Camp Gdeim Izik

13)Le Comité est particulièrement préoccupé par les circonstances qui ont entouré l’évacuation du camp de Gdeim Izik en novembre 2010. Au cours de cette évacuation, plusieurs personnes ont été tuées, y compris des agents des forces de l’ordre, et des centaines d’autres arrêtées. Le Comité reconnaît que la grande majorité des personnes arrêtées ont été depuis remises en liberté dans l’attente de leur procès. Cependant, il reste sérieusement préoccupé par le fait que les procès se dérouleront devant des tribunaux militaires alors que les intéressés sont des civils. De plus, le Comité se déclare préoccupé par le fait qu’aucune enquête impartiale et efficace n’a été ouverte pour faire la lumière sur ces événements et établir les responsabilités éventuelles au sein des forces de l’ordre (art. 2, 11, 12, 15 et 16).

L ’ État partie devrait renforcer les mesures prises pour que des enquêtes approfondies, impartiales et efficaces soient menées rapidement sur les violences et les décès survenus à l ’ occasion du démantèlement du camp de Gdeim Izik , et que les responsables soient traduits en justice. L ’ État partie devrait modifier sa législation afin que toutes les personnes civiles soient jugées exclusivement par des juridictions civiles.

Arrestations et détentions secrètes dans les affaires de sécurité

14)Le Comité est préoccupé par les informations reçues selon lesquelles, dans les affaires liées au terrorisme, les procédures judiciaires qui régissent l’arrestation, l’interrogation et la détention ne sont pas toujours respectées dans la pratique. Il est également préoccupé par les allégations faisant état du schéma récurrent suivant: dans ces affaires, les suspects sont arrêtés par des officiers en civil qui ne s’identifient pas clairement, puis amenés pour être interrogés et détenus dans des lieux de détention secrets, ce qui revient en pratique à une détention au secret. Les suspects sont soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sans être officiellement enregistrés. Ils sont gardés dans ces conditions pendant plusieurs semaines sans être présentés à un juge et sans contrôle de la part des autorités judiciaires. Leur famille n’est informée de leur arrestation, de leurs mouvements et de leur lieu de détention qu’à partir du moment où ils sont transférés à la police pour signer des aveux obtenus sous la torture. Ce n’est qu’alors qu’ils sont officiellement enregistrés et réintégrés dans la procédure judiciaire régulière avec des dates et des données falsifiées (art. 2, 11, 12, 15 et 16).

15)Le Comité prend note des déclarations faites par l’État partie durant le dialogue selon lesquelles il n’existait aucun centre de détention secret au siège de la DST à Témara, comme l’attestaient les résultats des trois visites effectuées par le Procureur général du Roi en 2004, mais aussi par les représentants de la Commission nationale des droits de l’homme et par plusieurs parlementaires en 2011. Toutefois, le Comité regrette le manque d’informations relatives à l’organisation et à la méthodologie de ces visites, qui au vu de la situation et des allégations nombreuses et persistantes de l’existence d’un tel centre de détention secret ne permettent pas de lever le doute sur ce point. Cette question reste donc un objet de préoccupation pour le Comité. Ce dernier est également préoccupé par les allégations selon lesquelles des lieux de détention secrets existeraient également au sein même de certains établissements de détention officiels. D’après les allégations reçues par le Comité, ces centres de détention secrets ne feraient l’objet d’aucune surveillance ni inspection de la part d’organes indépendants. Pour finir, le Comité est préoccupé par les allégations selon lesquelles une nouvelle prison secrète aurait été construite dans les environs d’Ain Aouda, près de la capitale de Rabat, pour y détenir les personnes soupçonnées d’être liées à des mouvements terroristes (art. 2, 11, 12, 15 et 16).

L ’ État partie devrait veiller à ce que toute personne arrêtée et détenue bénéficie des procédures judiciaires en vigueur et que les garanties fondamentales consacrées par le droit positif , comme l ’ accès du détenu à un avocat et à un médecin indépendant, son droit à ce que les membres de sa famille soient informés de son arrestation et de son lieu de détention, et sa présentation devant un juge, soient respectées.

L ’ État partie devrait prendre des mesures en vue de garantir que les registres, les procès-verbaux et tous les documents officiels relatifs à l ’ arrestation et à la détention des personnes soient tenus avec la plus grande rigueur et que tous les éléments se rapportant à l ’ arrestation et à la détention y soient consignés et attestés à la fois par les officiers de police judiciaire et par la personne concernée. L ’ État partie devrait faire en sorte que des enquêtes approfondies, impartiales et efficaces soient menées rapidement sur toutes les allégations d ’ arrestation et de détention arbitraires , et que les responsables éventuels soient traduits en justice.

L ’ État partie devrait veiller à ce que nul ne soit gardé dans un centre de détention secret placé de facto sous son contrôle effectif. Comme l ’ a souvent souligné le Comité, la détention des personnes dans de telles conditions constitue une violation de la Convention. L ’ État partie devrait ouvrir une enquête impartiale et efficace sur l ’ existence de tels lieux de détention. Tous les lieux de détention devraient être soumis à un système régulier de contrôle et de surveillance.

Poursuite s contre les auteurs d ’ actes de torture et de mauvais traitements

16)Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait de n’avoir reçu à ce jour aucune information faisant état de la condamnation d’une personne pour actes de torture au titre de l’article 231.1 du Code pénal. Le Comité note avec préoccupation que les officiers de police sont dans le meilleur des cas poursuivis pour violences ou coups et blessures, et non pour le crime de torture, et que selon les données fournies par l’État partie, les sanctions administratives et disciplinaires prises à l’endroit des officiers concernés ne semblent pas proportionnées à la gravité des actes commis. Le Comité note avec préoccupation que les allégations de torture, pourtant nombreuses et fréquentes, font rarement l’objet d’enquêtes et de poursuites et qu’un climat d’impunité semble s’être instauré en raison de l’absence de véritables mesures disciplinaires et de poursuites pénales significatives contre les agents de l’État accusés des actes visés dans la Convention, y compris les auteurs des violations graves et massives des droits de l’homme commises entre 1956 et 1999 (art. 2, 4 et 12).

L ’ État partie devrait faire en sorte que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements fassent rapidement l ’ objet d ’ une enquête efficace et impartiale et que les auteurs soient poursuivis et condamnés à des peines proportionnées à la gravité de leurs actes, comme le requiert l ’ article  4 de la Convention. En outre, l ’ État partie devrait modifier sa législation de sorte que celle-ci stipule explicitement que l ’ ordre d ’ un supérieur ou d ’ une autorité publique ne saurait être invoqué pour justifier la torture. L ’ État partie devrait également veiller à ce que, dans la pratique, les plaignants et les témoins soient protégés contre tout mauvais traitement et tout acte d ’ intimidation liés à leur plainte ou à leur témoignage.

Aveux sous la contrainte

17)Le Comité est préoccupé par le fait que dans le système d’investigation en vigueur dans l’État partie, il est extrêmement courant que l’aveu constitue une preuve permettant de poursuivre et condamner une personne. Il est préoccupé de constater que de nombreuses condamnations pénales sont fondées sur les aveux, y compris dans les affaires de terrorisme, créant ainsi des conditions susceptibles de favoriser l’emploi de la torture et des mauvais traitements à l’encontre du suspect (art. 2 et 15).

L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures voulues pour garantir que les condamnations pénales soient prononcées sur la foi de preuves autres que les aveux de l ’ inculpé, notamment lorsque l ’ inculpé revient sur ses aveux durant le procès, et que les déclarations faites sous la torture ne soient pas invoquées comme éléments de preuve au cours de la procédure, si ce n ’ est contre la personne accusée de torture, conformément aux dispositions de la Convention.

L ’ État partie est invité à examiner les condamnations pénales prononcées exclusivement sur la foi d ’ aveux afin d ’ identifier les cas dans lesquels la condamnation s ’ est fondée sur des aveux obtenus par la torture ou des mauvais traitements. Par ailleurs, il est aussi invité à prendre toutes mesures correctives appropriées et à informer le Comité de ses conclusions.

Surveillance et inspection des lieux de détention

18)Le Comité prend note des informations détaillées fournies par l’État partie concernant les différents types de visites des lieux de détention effectuées par le Procureur du Roi, les différents juges, les commissions provinciales de contrôle des prisons et les représentants du Conseil national des droits de l’homme. Il prend également note des projets de réforme visant à désigner le Conseil national des droits de l’homme comme mécanisme national de prévention dans la perspective de l’adhésion prochaine du Maroc au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture. Le Comité est néanmoins préoccupé par le fait que plusieurs organisations non gouvernementales, qui souhaitaient observer la situation dans les établissements pénitentiaires, se sont vu refuser le droit de visiter les centres de détention. En vertu de l’article 620 du Code de procédure pénale, ces visites semblent être du ressort exclusif des commissions provinciales. Il regrette également l’absence d’information sur les suites données aux visites effectuées et sur les résultats obtenus (art. 11 et 16).

L ’ État partie devrait veiller à ce que le mécanisme national de contrôle des lieux de détention soit en mesure d ’ assurer une surveillance et une inspection effectives de tous les lieux de détention, et qu ’ une suite soit donnée aux résultats de ces contrôles. Le mécanisme en question devrait prévoir d es visit es périodiques et inopinées d ’ observateurs nationaux et internationaux dans le but de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L ’ État partie devrait également faire en sorte que des médecins légistes formés à la détection des signes de torture soient présents pendant ces visites. De plus, il devrait modifier sa législation afin d ’ octroyer également aux organisations non gouvernementales la possibilité d ’ effectuer des visites régulières, indépendantes, inopinées et illimitées dans les lieux de détention.

Conditions de détention

19)Le Comité prend note avec satisfaction des informations fournies par l’État partie sur son plan de construction et de rénovation des établissements pénitentiaires. Ce plan a vraisemblablement conduit à une certaine amélioration des conditions de détention dans les établissements concernés. Le Comité est néanmoins préoccupé par le fait que, selon les informations reçues, les conditions de détention dans la majorité des prisons restent alarmantes, en raison notamment de la surpopulation, des mauvais traitements, des sanctions disciplinaires, y compris la mise au secret pendant des périodes prolongées, des conditions sanitaires, de l’insuffisance de la nourriture et de l’accès limité aux soins médicaux. Le Comité est préoccupé par le fait que ces conditions ont poussé certains détenus à entamer des grèves de la faim, d’autres à se révolter et à participer à des mouvements de protestation violemment réprimés par les forces de l’ordre (art. 11 et 16).

Afin de rendre les conditions de détention sur l ’ ensemble du territoire marocain conformes à l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus , l ’ État partie devrait poursuivre son effort de construction de nouveaux établissements pénitentiaires et de rénov ation d es anciens, et continuer d ’ accroître les ressources allouées au fonctionnement des établissements pénitentiaires, notamment pour la nourriture et les soins médicaux. Pour lutter contre le surpeuplement carcéral, largement dû au fait que la moitié des personnes détenu e s dans les prisons marocaines le sont à titre préventif, l ’ État partie devrait modifier sa législation pour permettre le recours aux mesures de substitution à la mise en détention préventive , conform ément aux Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) . À cet effet, il pourrait mettre sur pied un système de cautionnement et développ er les peines non privatives de liberté pour les infractions les moins graves.

Décès dans les prisons

20)Le Comité prend acte des informations détaillées fournies sur le nombre des décès dans les prisons marocaines et sur leurs causes officielles. Il regrette, néanmoins, l’absence d’information sur les mécanismes en place permettant d’enquêter de manière systématique et indépendante sur les causes de ces décès, alors que les cas de suicide font, quant à eux, systématiquement l’objet d’une enquête (art. 11, 12 et 16).

L ’ État partie devrait enquêter rapidement et de manière approfondie et impartiale sur tous les décès en détention et poursuivre les personnes responsables, le cas échéant. Il devrait fournir au Comité des informations sur tout décès en détention résultant d ’ actes de torture, de mauvais traitements ou d ’ une négligence volontaire. L ’ État partie devrait aussi veiller à ce que les examens soient effectués par des médecins légistes indépendants, et accepter les conclusions de ces examens comme preuves dans les procédures pénales et civiles.

Condamnés à mort

21)Le Comité prend note du moratoire de facto sur l’application de la peine de mort en vigueur depuis 1993, du projet de réforme législative visant à réduire significativement le nombre des crimes passibles de la peine capitale et de la nécessité que de telles peines soient prononcées à l’unanimité. Le Comité se déclare préoccupé par les conditions d’incarcération des condamnés à mort. Celles-ci, en l’état, peuvent constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant, compte tenu en particulier de la durée de la détention dans les quartiers des condamnés à mort et de l’incertitude pesant sur le sort de ces condamnés du fait, notamment, de l’absence de toute perspective de commutation de leur peine (art. 2, 11 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ envisager de ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. En attendant, l ’ État partie devrait poursuivre son moratoire de facto sur l ’ application de la peine capitale , faire en sorte que sa législation prévoie la possibilité de commuer les condamnations à mort et veiller à ce que tous les condamnés à mort bénéficient de la protection assurée par la Convention. En outre, il devrait faire en sorte que ces derniers soient traités avec humanité, et qu ’ ils puissent, en particulier, recevoir des visites de leur famille et de leurs avocats.

Hôpitaux psychiatriques

22)Le Comité prend note des informations écrites complémentaires qui lui ont été transmises par l’État partie au sujet des mesures envisagées pour lutter contre les mauvais traitements dans les hôpitaux psychiatriques et de la nouvelle loi-cadre de 2011 sur le système de santé. Le Comité reste toutefois préoccupé par le manque d’information sur la surveillance et l’inspection des institutions psychiatriques susceptibles d’accueillir des malades internés, ainsi que sur les résultats éventuels de cette surveillance ou inspection (art. 16).

L ’ État Partie devrait veiller à ce que le mécanisme national de contrôle et de surveillance des lieux de détention qui doit être prochainement établi soit également compétent pour inspecter les autres lieux de privation de liberté, tels que les hôpitaux psychiatriques. En outre, il devrait faire en sorte qu ’ il soit donné suite aux résultats de ce processus de contrôle. Le mécanisme en question devrait prévoir des visites périodiques et inopinées de manière à prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L ’ État partie devrait également faire en sorte que des médecins légistes formés à la détection des signes de torture soient présents pendant ces visites. L ’ État partie devrait également veiller à ce que les patients détenus dans ces institutions contre leur gré soient en mesure de faire appel de la décision d ’ internement et d ’ avoir accès à un médecin de leur choix.

Violence à l ’ égard des femmes

23)Au vu de l’importance prise par la violence à l’égard des femmes au Maroc, le Comité se déclare vivement préoccupé par l’absence d’un cadre juridique à la fois spécifique et global visant à prévenir et à réprimer pénalement les violences commises envers les femmes ainsi qu’à protéger les victimes et les témoins de ces violences. Le Comité est également préoccupé par le faible nombre des plaintes déposées par les victimes, par l’absence de procédure pénale ouverte par le parquet, par le fait que les plaintes déposées ne font pas systématiquement l’objet d’enquêtes, y compris dans les cas de viol, mais aussi par le fait que le fardeau de la preuve s’avère excessif et qu’il repose exclusivement sur la victime dans un contexte social où le risque de stigmatisation des victimes est important. De plus, le Comité est préoccupé par l’absence de toute disposition légale spécifique faisant du viol conjugal un crime. Enfin, le Comité est vivement préoccupé par le fait que le droit positif marocain offre à l’auteur du viol d’une mineure la possibilité d’éluder sa responsabilité pénale en épousant la victime. À cet égard, le Comité regrette le manque d’informations sur le nombre des cas dans lesquels la victime a épousé l’auteur du viol ou refusé un tel mariage (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité exhorte l ’ État partie à promulguer au plus vite une législation sur la violence à l ’ égard des femmes et des filles de manière à ériger en infractions pénales toutes les formes de violence à l ’ encontre des femmes. L ’ État partie est en outre encouragé à veiller à ce que les femmes et les filles victimes de violences aient immédiatement accès à des moyens de protection, y compris des foyers d ’ accueil, qu ’ elles puissent obtenir réparation et que les auteurs soient poursuivis et punis comme il convient. Le Comité réitère à cet égard les recommandations du Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes . L ’ État partie devrait modifier sans plus tarder le Code pénal de manière à criminaliser le viol conjugal et à s ’ assurer que les auteurs de viols n ’ échappent pas aux poursuites pénales quand ils épousent leur victime. Il devrait aussi procéder à des études sur les causes et l ’ ampleur de la violence à l ’ encontre des femmes et des filles, y compris la violence sexuelle et la violence dans la famille. En outre, l ’ État partie devrait présenter dans son prochain rapport au Comité des informations sur les lois et les politiques en vigueur pour lutter contre les violences envers les femmes et rendre compte des effets des mesures prises.

Châtiments corporels

24)Le Comité note avec préoccupation que la législation marocaine ne contient aucune disposition interdisant les châtiments corporels dans la famille, à l’école et dans les institutions chargées de la protection de l’enfance (art. 16).

L ’ État partie devrait modifier sa législation afin d ’ interdire l ’ utilisation des châtiments corporels dans l ’ éducation des enfants, tant au sein de la famille que dans les centres de protection de l ’ enfance. Il devrait aussi sensibiliser le public aux formes positives, participatives et non violentes de discipline.

Traitement des réfugiés et des demandeurs d ’ asile

25)Le Comité prend note des informations transmises par l’État partie concernant sa collaboration accrue avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, notamment dans le domaine du renforcement des capacités de l’État partie en matière d’accueil, d’identification et de protection des demandeurs d’asile et des réfugiés. Il s’inquiète néanmoins de l’absence d’un cadre juridique spécifique pour les réfugiés et les demandeurs d’asile qui permettrait d’empêcher tout amalgame avec les migrants clandestins. Le Comité est préoccupé par le fait qu’en l’état actuel des choses les demandeurs d’asile ne sont pas toujours en mesure de déposer leur demande d’asile auprès des autorités compétentes, en particulier aux points d’entrée sur le territoire marocain où ils sont souvent assimilés à des immigrés clandestins. Le Comité est également préoccupé par l’absence d’un office spécifique offrant aux réfugiés et aux apatrides un traitement diligent et efficace de leur demande d’asile, et garantissant aux réfugiés la jouissance de l’ensemble de leurs droits sur le territoire marocain (art. 2, 3 et 16).

L ’ État partie devrait établir un cadre juridique propre à garantir les droits des réfugiés et des demandeurs d ’ asile et développer les instruments institutionnels et administratifs permettant de mettre en œuvre cette protection, notamment en renforçant sa coopération avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et en octroyant au Haut-Commissariat un statut d ’ observateur dans le processus de réforme du système d ’ asile. Il devrait s ’ assurer de la mise en place de procédures et de mécanismes propres à garantir l ’ identification systématique des demandeurs d ’ asile potentiels à tous les points d ’ entrée sur le territoire marocain. L ’ État partie devrait en outre permettre à ces personnes de déposer leur demande d ’ asile. Ces mécanismes devraient également garantir que la décision rendue soit susceptible d ’ un recours avec effet suspensif et que la personne ne soit pas refoulée vers un pays où existe un risque de torture.

L ’ État partie devrait envisager d ’ adhérer à la Convention relative au statut des apatrides (1954) et à la Convention sur la réduction des cas d ’ apatridie (1961).

Traitement des migrants et des étrangers

26)Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie relative au cadre juridique régissant les mesures d’éloignement des migrants illégaux, notamment en vertu de la loi no 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc, ainsi que des exemples de reconduites d’étrangers effectuées en conformité avec les dispositions de la loi précitée. Il reste toutefois préoccupé par les informations reçues selon lesquelles, dans la pratique, des migrants illégaux ont été reconduits à la frontière ou expulsés en violation des lois marocaines, sans avoir eu la possibilité de faire valoir leurs droits. Suivant plusieurs allégations, des centaines d’entre eux auraient été abandonnés dans le désert sans eau ni nourriture. Le Comité déplore le manque d’information sur ces événements de la part de l’État partie, ainsi que sur les lieux et les régimes de détention des étrangers en attente d’expulsion qui ne relèvent pas de l’administration pénitentiaire. Le Comité déplore enfin le manque d’information au sujet des enquêtes éventuellement menées sur les violences commises par les forces de l’ordre à l’encontre de migrants clandestins dans les régions de Ceuta et Melilla en 2005 (art. 3, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait prendre des mesures visant à garantir que les garanties légales régissant les reconduites à la frontière des migrants illégaux et l ’ expulsion des étrangers soient toujours mises en œuvre dans la pratique et que les reconduites et les expulsions soient conformes à la loi marocaine. Il devrait mener des enquêtes impartiales et efficaces sur les allégations selon lesquelles des expulsions de migrants se seraient accompagnées d ’ un usage excessif de la force ou de mauvais traitements à l ’ encontre des migrants. En outre, l ’ État partie devrait faire en sorte que les responsables soient traduits en justice et qu ’ il leur soit infligé des peines à la mesure de la gravité de leurs actes.

Il est demandé à l ’ État partie de fournir dans son prochain rapport des informations détaillées sur les lieux de détention et les régimes de détention des étrangers en attente d ’ expulsion ainsi que des données ventilées par année, genre, lieu, durée de détention et raison justifiant la détention et l ’ expulsion.

Traite des êtres humains

27)Le Comité est préoccupé par l’absence générale d’information sur la pratique de la traite des femmes et des enfants à des fins d’exploitation sexuelle et autre, ainsi que sur l’ampleur de la traite dans l’État partie, notamment le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites et de condamnation, de même que sur les mesures prises pour prévenir et combattre ce phénomène (art. 2, 4, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour prévenir et combattre la traite des femmes et des enfants, notamment en adoptant une loi spécifique sur la prévention, la répression de la traite et la protection des victimes, en fournissant une protection aux victimes et en garantissant l ’ accès de celles-ci à des services de réadaptation , mais aussi à des soins médicaux, sociaux et juridiques, ainsi qu ’ à des services de conseil en tant que de besoin. L ’ État partie devrait en outre créer des conditions propices à l ’ exercice par les victimes de leur droit de déposer plainte . Il devrait procéder rapidement à des enquêtes impartiales et efficaces sur toutes les allégations de traite , et veiller à ce que les responsables soient traduits en justice et que des peines à la mesure de la gravité de leurs actes leur soient infligées.

Formation

28)Le Comité prend note des informations relatives aux activités de formation, aux séminaires et aux cours sur les droits de l’homme organisés à l’intention des magistrats, des policiers et des agents pénitentiaires. Il s’inquiète, toutefois, de l’absence de formations ciblant le personnel des services de surveillance du territoire (DST), les militaires, les médecins légistes et le personnel médical qui s’occupe des détenus ou des internés psychiatriques et portant notamment sur les méthodes propres à déceler les séquelles physiques et psychologiques de la torture (art. 10).

L ’ État partie devrait continuer à mettre sur pied des programmes de formation, et à renforcer ces derniers, pou r que tous les fonctionnaires −  forces de l ’ ordre, services de renseignement, agents de sécurité, militaires, personnel pénitentiaire et personnel médical des prisons ou des hôpitaux psychiatriques − connaissent bien les dispositions de la Convention , que les violations signalées ne soient pas tolérées , qu ’ elles donnent lieu à des enquêtes et que le ur s auteurs soient poursuivis. De plus, l ’ État partie devrait faire en sorte que tous les personnels concernés, y compris les membres du corps médical, apprennent à détecter les signes de torture et de mauvais traitements grâce à des formations spécifiques s ’ appuyant sur le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul). L ’ État partie devrait enfin évaluer l ’ efficacité et l ’ incidence de ces programmes de formation et de cet enseignement.

L ’ Instance Équité et Réconciliation et la question de la réparation

29)Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie sur le travail considérable accompli entre 2003 et 2005 par le mécanisme de justice transitionnelle, l’Instance Équité et Réconciliation (IER), qui a enquêté sur les violations graves, massives et systématiques des droits de l’homme commises au Maroc entre 1956 et 1999. Ces enquêtes ont permis de faire la lumière sur un grand nombre de ces violations, en élucidant notamment de nombreux cas de disparitions forcées. Grâce à elles, de nombreuses victimes ont ainsi pu bénéficier de réparations sous diverses formes. Le Comité reste toutefois préoccupé par le fait que ces travaux ne sont pas complets puisqu’ils n’incluent pas les violations commises au Sahara occidental et que certains cas de disparitions forcées n’étaient pas résolus à la fin des travaux de l’IER en 2005. De plus, le Comité est préoccupé par le fait que les travaux de l’IER puissent avoir entraîné une impunité de facto des auteurs des violations de la Convention commises au cours de cette période, puisqu’à ce jour aucun d’entre eux n’a été poursuivi. Enfin, le Comité est préoccupé par les informations reçues selon lesquelles toutes les victimes et toutes les familles de victimes n’auraient pas été indemnisées et que les indemnités versées n’auraient pas toujours été équitables, adéquates ou effectives (art. 12, 13 et 14).

L ’ État partie devrait s ’ assurer que le Conseil national des droits de l ’ homme, qui a été désigné pour finaliser les travaux de l ’ IER, continue de s ’ efforcer d ’ élucider les cas de disparitions forcées intervenues entre 1956 et 1999 restés non élucidés, y compris les cas liés au Sahara occidental. L ’ État partie devrait également intensifier ses efforts pour garantir aux victimes de torture et de mauvais traitements une réparation sous la forme d ’ une indemnisation équitable et suffisante et d ’ une réadaptation aussi complète que possible. À cet effet, il devrait inclure dans sa législation des dispositions sur le droit des personnes victimes de torture d ’ être indemnisées de manière équitable et adéquate pour le préjudice subi.

Coopération avec les mécanismes de l ’ ONU

30)Le Comité recommande à l’État partie d’intensifier sa coopération avec les mécanismes des droits de l’homme de l’ONU, notamment en autorisant les visites, entre autres, du Groupe de travail sur la détention arbitraire, de la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, en particulier les femmes et les enfants, et du Rapporteur spécial sur le droit de réunion et d’association pacifiques.

31)Le Comité invite l’État partie à envisager d’adhérer aux principaux instruments relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, notamment au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et au Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

32)L’État partie est exhorté à diffuser largement les rapports qu’il a soumis au Comité, ainsi que les conclusions et recommandations de celui-ci, par le biais des sites Internet officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

33)Le Comité prie l’État partie de lui faire parvenir, avant le 25 novembre 2012, des renseignements sur la suite qui aura été donnée aux recommandations visant à: 1) assurer ou renforcer les garanties juridiques des personnes détenues; 2) mener des enquêtes promptes, impartiales et effectives; 3) poursuivre les suspects et sanctionner les auteurs, de torture ou de mauvais traitements; et 4) octroyer les réparations visées aux paragraphes 7, 11, 15 et 28 du présent document. De plus, le Comité demande à l’État partie de l’informer de la suite qui aura été donnée aux recommandations sur la loi contre le terrorisme formulées au paragraphe 8 du présent document.

34)Le Comité invite l’État partie à mettre à jour, si nécessaire, son document de base en date du 15 avril 2002 (HRI/CORE/1/Add.23/Rev.1 et Corr.1), conformément aux instructions relatives au document de base commun qui figurent dans les Directives harmonisées concernant l’établissement des rapports destinés aux organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN/2/Rev.6).

35)Le Comité invite l’État partie à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le cinquième, le 25 novembre 2015 au plus tard. À cette fin, le Comité invite l’État partie à accepter, avant le 25 novembre 2012, de soumettre son rapport selon la procédure facultative qui consiste en la transmission par le Comité à l’État partie d’une liste de questions préalable au rapport périodique. La réponse de l’État partie à cette liste de questions préalable constituera le prochain rapport périodique de l’État partie, conformément à l’article 19 de la Convention.

58. Paraguay

1)Le Comité contre la torture a examiné les quatrième, cinquième et sixième rapports périodiques du Paraguay, soumis en un seul document (CAT/C/PRY/4-6), à ses 1026e et 1029e séances (CAT/C/SR.1026 et CAT/C/SR.1029), les 3 et 4 novembre 2011, et a adopté à sa 1048e séance (CAT/C/SR.1048), le 21 novembre 2011, les observations finales ci-après.

A. Introduction

2)Le Comité accueille avec satisfaction le document valant quatrième, cinquième et sixième rapports périodiques du Paraguay soumis en réponse à la liste des points à traiter (CAT/C/PRY/Q/4-6). Il remercie l’État partie d’avoir accepté de présenter son rapport en suivant cette nouvelle procédure qui facilite la coopération entre l’État partie et le Comité et sert de fondement tant à l’examen du rapport qu’au dialogue avec la délégation.

3)Le Comité se félicite également du dialogue franc et ouvert qu’il a eu avec la délégation de l’État partie, à laquelle il exprime ses remerciements pour les informations complémentaires qu’elle a fournies pendant l’examen du rapport, bien qu’il regrette que certaines des questions posées à l’État partie soient restées sans réponse.

B. Aspects positifs

4)Le Comité note avec satisfaction que, depuis l’examen du troisième rapport périodique de l’État partie, celui-ci a ratifié les instruments internationaux ci-après ou y a adhéré:

a)Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (14 mai 2001);

b)Statut de Rome de la Cour pénale internationale (14 mai 2001);

c)Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (3 octobre 2001);

d)Protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant, respectivement, l’implication d’enfants dans les conflits armés (27 septembre 2002) et la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (18 août 2003);

e)Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort (18 août 2003); à ce sujet, le Comité constate avec satisfaction que l’État partie a aboli la peine de mort, et lui recommande de la supprimer expressément dans le contexte de la justice militaire;

f)Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (18 août 2003);

g)Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (22 septembre 2004);

h)Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (2 décembre 2005);

i)Convention relative aux droits des personnes handicapées et Protocole facultatif se rapportant à la Convention (3 septembre 2008);

j)Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (23 septembre 2008);

k)Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (3 août 2010).

5)Le Comité note avec satisfaction que le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’est rendu dans l’État partie en mars 2009 et en septembre 2010 (visite de suivi) et que l’État partie a autorisé la publication des rapports du Sous-Comité et envoyé ses réponses écrites à propos de ces rapports.

6)Le Comité félicite l’État partie pour avoir, dans sa déclaration du 29 mai 2002, reconnu la compétence du Comité pour recevoir des communications en vertu des articles 21 et 22 de la Convention contre la torture.

7)Le Comité note avec satisfaction que l’État partie maintient depuis 2003 son invitation permanente à tous les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Depuis l’examen du rapport périodique précédent de l’État partie, le Paraguay a reçu la visite de quatre rapporteurs du Conseil, dont le Rapporteur spécial sur la question de la torture.

8)Le Comité prend note des efforts entrepris par l’État partie pour modifier sa législation afin de mettre en œuvre les recommandations du Comité et d’améliorer l’application des instruments, et notamment:

a)L’adoption, le 20 avril 2011, de la loi no 4288 portant création du Mécanisme national de prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

b)L’adoption, le 12 octobre 2011, de la loi organique no 4423 relative au Ministère de la défense publique, qui confère une autonomie fonctionnelle et financière à cette institution;

c)L’adoption, le 11 août 2011, de la loi no 4381 qui déclare imprescriptible le droit des victimes des violations des droits de l’homme commises sous la dictature de 1954 à 1989 de demander une indemnisation; et l’adoption de la loi no 3603 de 2008 qui habilite les enfants des victimes à réclamer cette indemnisation;

d)La création, par la loi no 2225 de 2003, de la Commission pour la vérité et la justice, chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme commises par des agents de l’État ou des entités paraétatiques entre 1954 et 2003, et l’entrée effective en fonctions de la Commission, en août 2004;

e)La décision no 195 du 5 mai 2008, dans laquelle la chambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice a considéré que l’action pénale engagée et les peines prononcées à l’encontre d’auteurs de crimes de torture étaient imprescriptibles.

9)Le Comité approuve également les efforts faits par l’État partie pour modifier ses politiques et procédures afin de renforcer la protection des droits de l’homme et de donner effet à la Convention, en particulier:

a)La création, par le décret no 4674 du 9 juillet 2010, de la Commission nationale de la réforme pénitentiaire, instance technique de débat chargée d’appuyer l’élaboration d’un plan pour améliorer le traitement des personnes privées de liberté et la gestion des prisons;

b)La création, par le décret no 2290 de 2009, du Réseau des droits de l’homme du pouvoir exécutif, dans le but de coordonner les politiques, plans et programmes relatifs aux droits de l’homme;

c)La publication, en août 2008, du rapport final «Anive Haguã Oiko» de la Commission pour la vérité et la justice, contenant les résultats des enquêtes de la Commission sur les graves violations des droits de l’homme commises au Paraguay entre 1954 et 2003;

d)La création, par le décret no 5093 de 2005, de la Commission interinstitutions pour la prévention et la répression de la traite des personnes dans la République du Paraguay, chargée d’élaborer des politiques publiques dans ce domaine;

e)La désignation, par la décision no 768 de la Chambre des députés, en octobre 2001, d’un défenseur du peuple dont le bureau compte actuellement des antennes dans plusieurs villes du pays;

f)L’élaboration, à l’initiative de l’État partie, d’un Plan d’action national pour les droits de l’homme, selon un processus participatif.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture et infraction de torture

10)Le Comité prend note de l’existence d’un projet de loi visant à modifier la qualification pénale actuelle de la torture. Il regrette cependant que malgré ses recommandations antérieures et celles de plusieurs mécanismes régionaux et internationaux des droits de l’homme, l’État partie n’ait toujours pas incorporé dans son Code pénal l’infraction de torture telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention (art. 1 et 4).

Le Comité réitère sa recommandation précédente (A/55/44, par. 151), selon laquelle l ’ État partie devrait adopter une définition de la torture qui couvre tous les éléments figurant à l ’ article premier de la Convention. L ’ État partie devrait également veiller à ce que les infractions de torture soient passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité, conformément au paragraphe 2 de l ’ article 4 de la Convention.

Garanties fondamentales

11)Le Comité est préoccupé par le fait que dans la pratique, de nombreux droits de l’homme prévus dans la législation paraguayenne sont refusés aux personnes privées de liberté, y compris aux mineurs. En particulier, il se dit inquiet de l’absence de mécanismes qui permettraient de donner effet au droit des personnes privées de liberté d’être assistées par un avocat dès le début de leur détention et d’être examinées par un médecin indépendant, de communiquer avec un membre de leur famille ou une autre personne de confiance et d’être informées de leurs droits et des raisons de leur arrestation dès leur placement en détention. Pour ce qui est du recours en habeas corpus, le Comité relève avec inquiétude les informations indiquant qu’il peut s’écouler jusqu’à trente jours avant qu’il n’aboutisse. Concernant les examens médicaux au début de la détention, le Comité est préoccupé par le fait qu’ils ne soient pas pratiqués fréquemment et qu’ils aient lieu en présence de policiers. Le Comité note avec préoccupation les informations indiquant que des personnes privées de liberté sont détenues par la police pendant de longues périodes sans que leur détention ne soit consignée dans le registre prévu à cet effet, et que dans la pratique un grand nombre de postes de police ne respectent pas les règlements relatifs aux procédures d’enregistrement des détenus. D’une manière générale, le Comité exprime son inquiétude quant aux propos de la délégation de l’État partie, qui a affirmé qu’aucune difficulté n’entravait l’application dans tout le pays de la décision no 176/2010 du Commandement de la Police nationale ordonnant la mise en place d’un système d’enregistrement dans les commissariats (art. 2, 11 et 12).

L ’ État partie devrait prendre sans délai des mesures efficaces pour faire en sorte que tous les détenus bénéficient dans la pratique de toutes les garanties fondamentales dès le début de leur détention. Il devrait veiller à ce que, dans la pratique, toute personne détenue soit immédiatement informée du motif de son arrestation ainsi que de ses droits, et garantir aux détenus le droit d ’ être assistés par un avocat et de communiquer avec un membre de leur famille ou une autre personne de confiance. Le recours en habeas corpus devrait être modifié et renforcé et les mesures nécessaires devraient être prises pour que ce recours soit simplifié, accéléré et mis en œuvre dans tous les cas dans le délai fixé par la loi. L ’ État partie devrait veiller à ce que toute personne placée en garde à vue puisse être examinée par un médecin indépendant sans la présence d ’ un fonctionnaire de police, dès le début de sa détention . Il devrait faire en sorte que les personnes privées de liberté soient rapidement enregistrées et que les registres de détention des postes de police soient régulièrement examinés pour vérifier qu ’ ils sont tenus à jour conformément aux procédures établies par la loi. L ’ État partie devrait également veiller à ce que les dispositions de la décision n o 176/2010 relative à l ’ enregistrement des détenus soient dûment appliquées et, à cette fin, envisager de transformer en texte de loi la norme administrative en question.

Aide juridictionnelle gratuite

12)Le Comité salue l’adoption récente de la loi organique relative à la défense publique et l’augmentation des ressources humaines allouées à cette institution, mais se dit inquiet du nombre limité d’avocats commis au titre de la défense publique, qui empêche beaucoup de personnes privées de liberté de bénéficier d’une aide juridictionnelle appropriée.

L ’ État partie devrait garantir à toute personne démunie qui en fait la demande une aide juridictionnelle gratuite dès le début de la détention. À cet effet, il devrait améliorer les conditions de travail des fonctionnaires au service de la défense publique et accroître les ressources humaines, financières et matérielles allouées à cette institution de sorte qu ’ elle puisse s ’ acquitter de ses fonctions .

État d ’ urgence

13)Le Comité note que l’état d’urgence a été déclaré pour une période de soixante jours dans deux départements de l’État partie (Concepción et San Pedro), par la loi no 4473 du 10 octobre 2011. Il constate avec inquiétude que l’état d’urgence a été déclaré à d’autres occasions au cours de la période à l’examen. En dépit des informations fournies par l’État partie quant aux mesures prises pour garantir le respect des droits de l’homme des personnes concernées, le Comité est préoccupé par les restrictions imposées aux droits de l’homme et par le risque de violations de la Convention sous ce régime.

L ’ État partie ne devrait prononcer l ’ état d ’ urgence qu ’ en cas d ’ absolue nécessité et devrait respecter à tout moment les dispositions de l ’ article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il devrait également veiller à la stricte application de l ’ interdiction absolue de la tort ure, conformément au paragraphe  2 de l ’ article  2 de la Convention selon lequel aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu ’ elle soit, qu ’ il s ’ agisse de l ’ état de guerre ou de menace de guerre, d ’ instabilité politique intérieure ou de tout autre état d ’ exception , ne peut être invoquée pour justifier la torture.

Institution nationale des droits de l ’ homme

14)Le Comité salue la désignation en 2001 du premier Défenseur du peuple de l’État partie, qui a été attendue pendant plus de sept ans. Il s’inquiète toutefois de ce que, d’après la délégation de l’État partie, le mandat de l’actuel Défenseur est venu à expiration sans qu’un successeur répondant aux critères requis n’ait été désigné. Il s’inquiète en outre de ce que le Bureau du Défenseur du peuple ne soit pas doté des ressources nécessaires pour accomplir sa mission de protection et de promotion des droits de l’homme avec efficacité et en toute indépendance (art. 2).

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter les mesures nécessaires en vue de nommer, dans les plus brefs délais et conformément à la procédure légale en vigueur, un nouveau défenseur du peuple qui réponde aux critères requis. L ’ État partie devrait doter le Bureau du Défenseur du peuple des ressources humaines et financières nécessaires pour remplir son rôle de manière efficace , indépendante et conforme aux Principe s de Paris ( résolution 48/134 (1993) de l ’ Assemblée générale des Nations Unies, annexe ) .

Mécanisme national de prévention

15)Le Comité relève avec intérêt les informations fournies par la délégation de l’État partie au sujet des efforts visant la mise en place effective du mécanisme national de prévention prévu par la loi no 4288. Néanmoins, il constate avec préoccupation que ce mécanisme, qui avait dû être établi en 2007, n’est toujours pas opérationnel.

L ’ État partie devrait accélérer l ’ application de la loi portant création du mécanisme national de prévention, et en particulier constituer rapidement l ’ organe de sélection établi en vertu de cette loi. Il devrait veiller à ce que le mécanisme en question dispose des ressources humaines, matérielles et financières nécessaires pour s ’ acquitter de son mandat de manière efficace et indépendante sur tout le territoire.

Prévention et éradication de la corruption

16)Le Comité est gravement préoccupé par les allégations d’actes de corruption généralisée dans le système pénitentiaire et les services de police de l’État partie. Les personnes privées de liberté seraient en effet contraintes de soudoyer des fonctionnaires pour obtenir des soins médicaux ou de la nourriture ou pour recevoir des visites. Le Comité se déclare également préoccupé par l’octroi d’avantages indus à certaines personnes privées de liberté résultant de ces pratiques. Il regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations à ce sujet (art. 2, 10 et 12).

L ’ État partie devrait de toute urgence prendre des mesures pour éradiquer la corruption dans la police et le système pénitentiaire car elle constitue un obstacle à l ’ application de la Convention. Ces mesures devraient notamment comprendre la réalisation d ’ enquêtes en vue d ’ identifier les actes et les risques de corruption et de recommander des mesures propres à assurer le contrôle interne et externe. L ’ État partie devrait également consacrer davantage de moyens aux enquêtes sur les affaires de corruption et à la poursuite des responsables. Il devrait en outre mettre en œuvre des programmes de formation , de sensibilisation et de renforcement des capacités axés sur la lutte contre la corruption et les codes de déontologie applicables, à l ’ intention de la police et des autres personnels des forces de l ’ ordre ainsi que des procureurs et des juges , et mettre en place des mécanismes efficaces pour assurer, en droit et en pratique, la transparence des activités des autorités publiques. Le Comité demande à l ’ État partie de le tenir informé des mesures prises et des difficultés rencontrées dans la lutte contre la corruption. Il lui demande également de lui faire parvenir des informations concernant le nombre de fonctionnaires, y compris parmi les hauts responsables, qui ont été poursuivis et condamnés pour corruption.

Non-refoulement

17)Le Comité est préoccupé par les allégations faisant état de cas d’extradition dans lesquels l’État partie n’aurait pas examiné le risque que l’intéressé soit soumis à la torture dans le pays requérant. Il est également préoccupé par le fait que les membres de l’appareil judiciaire de l’État partie ne reçoivent aucune formation spécifique relative à la portée de l’article 3 de la Convention (art. 3).

L ’ État partie devrait élaborer et adopter des dispositions en vue d ’ incorporer l ’ article  3 de la Co nvention dans son droit interne et veiller à ce que les dispositions de cet article soient appliquées en cas d ’ expulsion, de renvoi ou d ’ extradition d ’ étrangers. En aucune circonstance l ’ État partie ne devrait expulser, refouler ou extrader une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu ’ elle court un danger certain d ’ être soumise à la torture ou à des mauvais traitements.

Impunité des actes de torture et des mauvais traitements

18)Le Comité est préoccupé par les allégations nombreuses et concordantes faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements infligés à des personnes privées de liberté, en particulier par des membres de la police. Il regrette l’absence de données ventilées concernant les plaintes pour torture, les enquêtes réalisées et les sanctions prononcées pendant la période couverte dans le rapport de l’État partie. Le Comité prend note des statistiques relatives aux procédures administratives engagées contre des fonctionnaires de police fournies dans le rapport de l’État partie mais il fait observer qu’elles n’indiquent pas le nombre de cas qui ont également été portés devant les tribunaux. Il s’inquiète en outre de ce que, d’après les renseignements figurant dans le rapport de l’État partie, il n’y aurait eu en 2009 que neuf plaintes pour torture dans les établissements pénitentiaires du pays. Le Comité considère que ces données contrastent avec les allégations récurrentes et les renseignements détaillés émanant d’autres sources à propos des cas de torture et de mauvais traitements à l’encontre de personnes privées de liberté. Il s’inquiète aussi de l’efficacité limitée des mécanismes de contrôle et de supervision de la police existants et du fait que les victimes de torture ou de mauvais traitements ne bénéficient pas d’une indemnisation ni de services de réadaptation (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De prendre d ’ urgence des mesures d ’ application immédiate et effective pour prévenir les actes de torture et les mauvais traitements, et notamment d ’ annoncer une politique qui soit à même de produire des résultats tangibles en vue d ’ éliminer tout acte de cette nature de la part d ’ agents de l ’ État ;

b) D ’ adopter des mesures appropriées pour faire en sorte que toute plainte pour torture ou mauvais traitements donne lieu sans délai à une enquête impartiale par un organe indépendant;

c) D ’ examiner l ’ efficacité du système de plaintes interne dont disposent les personnes privées de liberté et d ’ envisager d ’ établir un mécanisme de plaintes indépendant pour toutes les personnes se trouvant dans u ne telle situation;

d) De veiller à ce que le ministère public ouvre une enquête d ’ office et, s ’ il y a lieu, engage une action pénale lorsqu ’ il existe des motifs raisonnables de croire que des actes de torture ont pu être commis ;

e) De traduire en justice les personnes soupçonnées d ’ actes de torture ou de mauvais traitements et, si elles sont reconnues coupables, de les condamner à des peines proportionnées à la gravité de leurs actes;

f) De renforcer les mécanismes de contrôle et de supervision au sein de la police de manière à en garantir l ’ indépendance et l ’ efficacité;

g) D ’ accorder aux victimes une indemnisation adéquate, et de les aider à parvenir à une réadaptation aussi complète que possible.

Conditions de détention et détention avant jugement

19)Le Comité note avec préoccupation que le placement en détention provisoire est habituel et généralisé, ce qui peut porter atteinte au droit à la présomption d’innocence, et que les mesures non privatives de liberté ne sont pas appliquées. Il est également préoccupé par le fait que la durée maximale de deux ans fixée pour la détention avant jugement n’est pas respectée et qu’il existe un texte législatif qui limite la possibilité d’appliquer des mesures de substitution à la détention provisoire. Il s’inquiète particulièrement de l’utilisation fréquente de la détention provisoire d’enfants de 16 à 18 ans. Le Comité est préoccupé par les nombreux renseignements qu’il a reçus de diverses sources et qui font état des conditions matérielles déplorables qui règnent dans un grand nombre de commissariats de police et de centres pénitentiaires, de la surpopulation et de l’entassement des détenus, de l’insuffisance des services médicaux et de l’absence quasi totale d’activités pour les personnes privées de liberté. Il se déclare particulièrement préoccupé par les conditions matérielles qui règnent au pavillon psychiatrique de la prison nationale de Tacumbú et par le fait que les personnes qui se trouvent dans ces locaux ne bénéficient pas d’une prise en charge médicale spécialisée. Le Comité est préoccupé en outre par les informations dénonçant une discrimination à l’égard des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres exercée dans les établissements pénitentiaires de l’État partie, y compris d’une discrimination dans l’accès aux visites intimes. Enfin, le Comité est préoccupé par l’utilisation arbitraire du placement à l’isolement à titre de punition dans les établissements pénitentiaires (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait prendre des mesures efficaces pour garantir que sa politique concernant la détention avant jugement soit conforme aux normes internationales et que la détention avant jugement ne soit ordonnée qu ’ à titre de mesure de dernier recours, pendant une durée limitée, conformément aux règles fixées dans sa législation. À cet te fin, l ’ État partie devrait réexaminer l ’ utilisation de la détention avant jugement en tant que première et unique mesure pour les personnes en attente de jugement et étudier la possibilité d ’ appliquer des mesures de substitution à la privation de liberté, comme il est énoncé dans les Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) adoptées par l ’ Assemblée générale dans sa résolution 4 5/110 , en particulier pour les mineurs . Il devrait également renforcer le contrôle juridictionnel de la durée de la détention provisoire .

L ’ État partie devrait prendre d ’ urgence des mesures pour que les conditions de détention dans les commissariats de police , les établissements pénitentiaires et les autres centres de détention soient conformes à l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, approuvé par le Conseil économique et social dans ses résolutions 663 C (XXIV) et 2076 (LXII). En particulier, le Comité recommande à l ’ État partie:

a) D ’ adopter un plan d ’ amélioration des infrastructures des commissariats de police et des prisons afin d ’ assurer aux personnes privées de liberté des conditions de vie dignes;

b) De garantir la présence d ’ un nombre suffisant de professionnels de santé, y compris de professionnels de la santé mentale, afin d ’ assurer aux personnes privées de liberté des soins médicaux de qualité;

c) D ’ assurer un hébergement et un traitement psychiatrique adéquats aux personnes privées de liberté qui ont besoin d ’ une surveillance et d ’ un traitement psychiatriques;

d ) D ’ intensifier les efforts pour lutter contre la discrimination exercée contre des groupes vulnérables, en particulier les détenus appartenant à la communauté LGBT;

e ) De n ’ appliquer la mise à l ’ isolement qu ’ à titre de mesure de dernier recours, pendant le moins de temps possible, sous une supervision stricte et avec la possibilité d ’ un contrôle juridictionnel.

Déclarations obtenues par la contrainte

20)Le Comité est préoccupé par les informations signalant que, en dépit des dispositions de l’article 90 du Code de procédure pénale établissant l’impossibilité pour la police de recueillir la déclaration de la personne en état d’arrestation, dans la pratique la police continue d’obtenir des déclarations par la torture ou des mauvais traitements. Le Comité est également préoccupé par le fait que les tribunaux de l’État partie utilisent parfois ces déclarations comme éléments de preuve. Le Comité note aussi avec préoccupation l’absence de renseignements sur les cas dans lesquels des agents de l’État ont pu être poursuivis et punis pour avoir obtenu des déclarations dans ces conditions (art. 2, 4, 10 et 15).

L ’ État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour garantir dans toutes les procédures judiciaires l ’ irrecevabilité des déclarations obtenu e s par la torture, conformément aux dispositions de l ’ article 15 de la Convention. Le Comité demande à l ’ État partie de garantir dans les faits l ’ ir recevabilité des preuves obtenues par la torture et de lui faire savoir si des agents de l ’ État ont été poursuivis et condamnés pour avoir obtenu des déclarations de cette manière, ainsi que de lui donner des exemples d ’ affaires auxquelles il n ’ a pas été donné suite au motif que des déclarations avaient été obtenu e s par la torture . En outre, l ’ État partie devrait veiller à ce qu ’ une formation soit dispensée aux membres des forces de l ’ ordre, aux juges et aux avocats pour leur apprendre à reconnaître les cas où des déclarations ont été ob tenues par la torture, et à enquêter sur de tels cas.

Violence à l ’ égard des femmes

21)Le Comité prend note des différentes mesures prises par l’État partie pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, qui comportent le renforcement de cinq commissariats de police de façon à permettre l’enregistrement des plaintes pour violence au foyer. Il note également la mise en œuvre du Programme national de prévention de la violence sexiste et de prise en charge des victimes dans sept hôpitaux publics et l’introduction de peines privatives de liberté pour les auteurs d’actes de violence au foyer. Toutefois, il est préoccupé par le fait qu’il n’existe pas de loi spécifique visant à prévenir, réprimer et éliminer la violence à l’égard des femmes, en particulier les violences sexuelles, la violence au foyer et les morts violentes de femmes, dont l’incidence est pourtant élevée dans l’État partie (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour assurer l ’ application d ’ urgence de mesures de protection efficaces visant à prévenir et combattre toutes les formes de violence à l ’ égard des femmes et des filles, en particulier les violences sexuelles, la violence au foyer et les morts violentes de femmes. Ces mesures devraient comprendre l ’ adoption rapide d ’ une loi visant à prévenir, réprimer et éliminer la violence à l ’ égard des femmes, qui soit conforme à la Convention sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination à l ’ égard des femmes et à la Recommandation générale n o  19 (1994) du Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes sur la violence à l ’ égard des femmes . L ’ État partie devrait également organiser de vastes campagnes de sensibilisation et des cours de formation sur la prévention de la violence à l ’ égard des femmes et des filles, à l ’ intention des agents de l ’ État qui travaillent direct ement avec les victimes (agents des forces de l ’ ordre, juges, avocats, travailleurs sociaux, etc.) et de la population en général.

22)Le Comité est préoccupé par l’interdiction générale de l’avortement faite à l’article 109 du Code pénal même dans les cas où la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste ou dans le cas où le fœtus n’est pas viable, la seule exception concernant le cas où la mort du fœtus est la conséquence indirecte d’une intervention qui était nécessaire pour protéger d’un grave danger la vie de la mère. Du fait de cette situation, les femmes concernées seraient constamment exposées à des risques de violations de leurs droits, ce qui engendrerait un stress important et traumatisant susceptible de créer des troubles psychologiques durables. Le Comité note également avec préoccupation que les femmes qui demandent une interruption de grossesse pour les motifs mentionnés plus haut sont poursuivies en justice. Il est également préoccupé par le fait que les femmes qui ont décidé d’avorter soient privées de soins médicaux, ce qui peut compromettre sérieusement leur santé physique et mentale et peut constituer un traitement cruel ou inhumain. C’est pourquoi le Comité exprime sa vive inquiétude quant au fait que les avortements clandestins demeurent l’une des principales causes de mortalité chez les femmes. Il constate en outre avec préoccupation que les membres du personnel médical peuvent faire l’objet d’enquêtes et de sanctions pour avoir pratiqué un avortement pour raisons médicales. Le Comité relève avec inquiétude qu’il arrive que des membres du personnel médical dénoncent les cas d’avortement dont ils ont eu connaissance sous le sceau du secret professionnel, en violation des règles déontologiques (art. 2 et 16).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à revoir s a législation relative à l ’ avortement, comme le lui ont recommandé le Conseil des droits de l ’ homme, le Comité des droits de l ’ homme, le Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels dans leurs observations finales les plus récentes, et l ’ engage à étudier la possibilité de prévoir d ’ autres exceptions à l ’ interdiction générale de l ’ avortement, en particulier les cas d ’ avortement pour raisons médicales et de grossesses résulta nt d ’ un viol ou d ’ un inceste. Conformément aux directives de l ’ Organisation mondiale de la santé, l ’ État partie doit garantir des soins immédiat s et sans condition aux fe mmes qui ont besoin d ’ une prise en charge médicale d ’ urgence. Il devrait également prendre des mesures pour garantir la confidentialité dans la relation médecin-patiente quand des soins médicaux sont rendus nécessaires par l es complications d ’ un avortement.

Traite des êtres humains

23)Le Comité donne acte à l’État partie des efforts accomplis pour lutter contre la traite des personnes, qui comprennent la création d’une commission interinstitutions pour la prévention et la répression de la traite des êtres humains et de services spécialisés du Secrétariat à l’enfance et à l’adolescence et du Secrétariat à la condition féminine, la mise en place d’un centre de prise en charge complète des victimes de traite et l’élaboration d’un projet de loi contre la traite. Le Comité relève avec intérêt qu’un centre d’accueil provisoire pour les victimes de la traite a été ouvert mais il note que la capacité de ce centre est limitée et qu’il est réservé aux victimes de sexe féminin. Le Comité est préoccupé par le fait que le Paraguay reste un pays d’origine et de transit pour la traite et regrette l’absence de renseignements complets sur les cas de traite ainsi que sur les condamnations prononcées pour cette infraction (art. 2, 10 et 16).

L ’ État partie devrait veiller à ce que toutes les plaintes pour traite fassent l ’ objet sans délai d ’ enquêtes impartiales et approfondies et à ce que les auteurs de tels faits soient traduits en justice et punis pour l ’ infraction de traite. Il devrait continuer à organiser des campagnes de sensibilisation dans tout le pays, à offrir des programmes adéquats d ’ aide, de réadaptation et de réinsertion pour les victimes de la traite et à dispenser une formation aux membres des forces de l ’ ordre, aux juges et aux procureurs, aux fonctionnaires des services d ’ immigration et de la p olice des frontières sur les causes, les conséquences et les répercussions de la traite et d es autres formes d ’ exploitation. En particulier, l ’ État partie devrait prendre des mesures pour donner effet au Plan national de prévention et d ’ élimination de l ’ exploitation sexuelle des enfants et des adolescents , et consacrer à la mise en œuvre du Plan les ressources humaines et financières nécessaires . Le Comité recommande en outre à l ’ État partie d ’ intensifier ses efforts pour mettre en place des mo des et des mécanismes de coopération internationale, régionale et bilatérale avec les pays d ’ origine, de transit et de destination, afin de prévenir la traite, de mener des enquêtes et de punir les responsables.

Formation et application du Protocole d ’ Istanbul

24)Le Comité prend note des renseignements donnés dans le rapport de l’État partie qui décrivent des programmes de formation à l’intention des forces armées, des procureurs et des membres de la Police nationale mais il regrette l’insuffisance des renseignements disponibles sur l’évaluation de ces programmes et leur efficacité pour la réduction des cas de torture et de mauvais traitements. Il regrette en particulier de ne pas avoir eu de renseignements concernant les formations à l’utilisation du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) assurées au personnel chargé de détecter les cas de torture et de procéder aux enquêtes (art. 10).

L ’ État partie devrait:

a) Poursuivre les programmes de formation afin que tous les agents de l ’ État et en particulier les fonctionnaires de police et autres agents de la force publique connaissent intégralement les dispositions de la Convention;

b) Évaluer l ’ efficacité des programmes de formation et d ’ éducation et leur incidence en ce qui concerne la réduction des cas de torture et de mauvais traitements;

c) Établir un plan de formation à l ’ intention de tous les personnels qui participent aux enquêtes sur les cas de torture, notamment les défenseurs publics, les médecins et les psychologues, afin qu ’ ils connaissent la teneur du Protocole d ’ Istanbul et qu ’ ils l ’ appliquent dans leur pratique.

Réparation, y compris indemnisation et moyens de réadaptation

25)Le Comité prend note des renseignements figurant dans le rapport de l’État partie sur les indemnités financières accordées aux victimes des violations des droits de l’homme, y compris d’actes de torture, commises pendant la période allant de 1954 à 1989. Il regrette de ne pas avoir reçu de renseignements sur les mesures prises, comme une aide psychologique ou une formation, pour assurer la réadaptation des victimes. Il regrette également l’absence totale de renseignements sur les mesures de réparation offertes aux victimes d’actes de torture commis en dehors de la période de la dictature (art. 14).

L ’ État partie devrait veiller à ce que les mesures voulues soient prises pour assurer aux victimes de torture et de mauvais traitements la réparation nécessaire, y compris une indemnisation équitable et adéquate , et les moyens nécessaires à leur réadaptation .

Le Comité demande à l ’ État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des données statistiques et des renseignements complets sur les cas dans lesquels les victimes ont bénéficié d ’ une réparation complète, comprenant une enquête et la condamnation des responsables, une indemnisation et des moyens de réadaptation.

Violence à l ’ égard des enfants

26)Le Comité prend note des mesures prises pour interdire les châtiments corporels sur les enfants qui se trouvent avec leur mère privée de liberté ou placés dans des foyers d’accueil. Il note également les renseignements donnés par la délégation de l’État partie qui a signalé qu’il existait un projet de loi visant à interdire les châtiments corporels. Toutefois il est préoccupé par le fait que les châtiments corporels ne soient pas encore interdits dans le milieu familial (art. 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ interdire expressément les châtiments corporels sur les enfant s dans tous les contextes, y compris dans le milieu familial.

Protection des peuples autochtones

27)Le Comité donne acte à l’État partie des mesures qu’il a déjà prises pour donner effet aux arrêts et décisions des organes interaméricains de protection des droits de l’homme en vue d’assurer la protection des peuples autochtones sur son territoire. Il prend note également des mesures prises en collaboration avec l’Organisation internationale du Travail pour lutter contre l’exploitation du travail de ces peuples. Toutefois il est préoccupé par les renseignements dont il a été saisi indiquant que les situations d’exploitation du travail des personnes appartenant aux communautés autochtones présentes au Paraguay, qui équivalent à un traitement inhumain contraire à la Convention, n’ont pas disparu (art. 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire disparaître toute forme d ’ exploitation du travail des personnes appartenant à des peuples autochtones. Il devrait également donner pleinement effet, à une échéance raisonnable, à tous les arrêts de la Cour interaméricaine des droits de l ’ homme qui l ’ obligent à prendre des mesures de protection en faveur des peuples autochtones .

28)L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, par la voie des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

29)Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, avant le 25 novembre 2012, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations relatives à: a) la mise en œuvre et le renforcement des garanties fondamentales en faveur des détenus; b) la réalisation rapide d’enquêtes impartiales et efficaces; c) la traduction en justice des personnes soupçonnées d’actes de torture ou de mauvais traitements et la condamnation des responsables, recommandations figurant aux paragraphes 11 et 18 du présent document. Le Comité demande en outre à l’État partie de lui fournir des informations de suivi concernant les mesures qu’il adoptera pour prévenir, combattre et faire disparaître la traite des personnes, évoquées au paragraphe 23 du présent document.

30)L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le septième, le 25 novembre 2015 au plus tard. À cette fin, le Comité enverra à l’État partie, en temps voulu, une liste de points à traiter établie avant la soumission du rapport, étant donné que l’État partie a accepté de soumettre ses rapports au Comité conformément à la procédure facultative de présentation des rapports.

59. Sri Lanka

1)Le Comité contre la torture a examiné les troisième et quatrième rapports périodiques de Sri Lanka, présentés en un seul document (CAT/C/LKA/3-4), à ses 1030e et 1033e séances, les 8 et 9 novembre 2011 (CAT/C/SR.1030 et 1033), et a adopté, à ses 1050e, 1051e et 1052e séances (CAT/C/SR.1050, 1051 et 1052) les 22 et 23 novembre 2011, les observations finales ci-après.

A. Introduction

2)Le Comité accueille avec satisfaction la soumission conjointe des troisième et quatrième rapports périodiques de Sri Lanka qui, dans l’ensemble, suivent les directives du Comité en matière d’établissement des rapports. Cependant, le Comité regrette que le rapport manque de données statistiques et pratiques sur la mise en œuvre des dispositions de la Convention et qu’il ait été soumis avec deux ans de retard. Il apprécie le dialogue établi avec la délégation, les réponses apportées oralement pendant l’examen du rapport et les réponses supplémentaires fournies par écrit.

B. Aspects positifs

3)Le Comité note avec satisfaction que, pendant la période qui s’est écoulée depuis la soumission du deuxième rapport, l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci‑après, ou y a adhéré:

a)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, en septembre 2006;

b)La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, en septembre 2006.

4)Le Comité prend acte des efforts consentis par l’État partie pour réformer sa législation, notamment:

a)L’adoption, en 2005, de la loi no 34 relative à la prévention de la violence familiale, qui prévoit que des ordonnances de protection peuvent être prises pour protéger les femmes comme les enfants;

b)L’adoption, en 2006, de la loi no 16 portant modification du Code pénal, qui a érigé notamment en infraction le fait d’engager et de recruter un enfant à des fins d’utilisation dans un conflit armé, ainsi que le travail des enfants, la traite des enfants et la pédopornographie.

5)Le Comité se félicite aussi des efforts déployés par l’État partie dans le cadre des politiques et procédures en cours, notamment:

a)L’adoption d’un Plan national d’action pour les enfants (2010-2015);

b)Les consultations tenues avec des organisations de la société civile au sujet des éléments à incorporer dans le projet de plan national d’action pour les droits de l’homme, qui devrait insister tout particulièrement sur la prévention de la torture;

c)La création, en mai 2010, de la Commission des enseignements et de la réconciliation.

C. Principaux sujets d ’ inquiétude et recommandations

Allégations de recours généralisé à la torture et aux mauvais traitements

6)En dépit de la nouvelle situation qui prévaut depuis la défaite des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), de la fin du conflit militaire qui a consumé le pays pendant près de trente ans et de l’engagement pris publiquement par l’État partie envers le Comité d’appliquer une politique de tolérance zéro à l’égard de la torture aussi bien en matière de politique générale que dans la pratique, le Comité demeure sérieusement préoccupé par les allégations persistantes et cohérentes faisant état d’une pratique généralisée de la torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants à l’encontre des suspects placés en garde à vue feraient l’objet, en particulier lorsque la police veut obtenir des aveux ou des informations dans le cadre d’une procédure pénale. Le Comité est aussi préoccupé par des informations qui donnent à entendre que des acteurs étatiques, qu’il s’agisse de personnels militaires ou des services de police, ont continué à pratiquer la torture et les mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après que le conflit eut pris fin en mai 2009 et y recouraient encore en 2011 (art. 2, 4, 11 et 15).

Le Comité exhorte l ’ État partie à prendre de toute urgence des mesures immédiates et efficaces pour que tous les actes de torture et de mauvais traitements fassent l ’ objet d ’ enquêtes et que des peines proportionnées à leur gravité soient infligées à leurs auteurs. Il invite l ’ État partie à veiller à ce que les personnels des services de police et des forces armées ne recourent pas à la torture. En plus de ces mesures, l ’ État partie devrait réaffirmer clairement l ’ interdiction absolue de la torture et en condamner publiquement la pratique, en faisant clairement savoir que quiconque commettrait de tels actes, en serait complice ou y participerait, en serait tenu personnellement responsable devant la loi, ferait l ’ objet de poursuites pénales et se verrait infliger les peines appropriées.

Le Comité rappelle l ’ interdiction absolue de l a torture énoncée au paragraphe  2 de l ’ article  2 de la Convention, selon lequel « [a] ucune circonstance exceptionnelle, quelle qu ’ elle soit, qu ’ il s ’ agisse de l ’ état de guerre ou de menace de guerre, d ’ instabilité politique intérieure ou de tout autre état d ’ exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture » , ainsi que la déclaration du représentant de l ’ État partie qui le réaffirme.

Garanties juridiques fondamentales

7)Tout en prenant note des informations fournies par l’État partie sur la teneur des directives présidentielles du 7 juillet 2006 (publiées de nouveau en 2007) et des Règles applicables aux personnes placées en garde à vue (circulaire ministérielle no A 20), le Comité exprime sa profonde préoccupation devant le fait que, dans la pratique, l’État partie ne garantit pas à tous les détenus, y compris aux personnes détenues en application de la législation antiterroriste, toutes les garanties fondamentales, dès leur placement en détention. Il s’inquiète de ce que, malgré la teneur des directives présidentielles de 2006, la loi ne reconnaît toujours pas aux personnes soupçonnées d’infractions pénales placées en garde à vue le droit d’informer un membre de leur famille de leur arrestation ou d’avoir rapidement accès à un avocat de leur choix. Le Code de procédure pénale ne prévoit pas non plus d’autres garanties juridiques fondamentales, tels le droit à être assisté d’un avocat pendant tout interrogatoire et d’un interprète, et le droit au respect du caractère confidentiel des communications entre l’avocat et son client. Le Comité note avec préoccupation que l’accès à un médecin est laissé à la discrétion du policier responsable du poste de police. Il exprime aussi son inquiétude devant le fait que la police ne présenterait pas les suspects à un juge dans le délai prévu par la loi et que, souvent, les accusés ne sont pas suffisamment informés de leurs droits. De plus, il est préoccupé par l’absence de programme d’aide juridictionnelle financé par l’État et par la multitude d’obstacles d’ordre institutionnel, technique et procédural qui fait perdre toute efficacité à l’ordonnance d’habeas corpus (art. 2).

L ’ État partie devrait prendre rapidement des mesures efficaces pour faire en sorte qu ’ en droit et dans la pratique tous les détenus jouissent, dès leur placement en détention, de toutes les garanties juridiques. Il s ’ agit en particulier du droit de chaque détenu d ’ être informé des raisons de son arrestation, y compris de tout e charge qui pèse contre lui, d ’ avoir r apidement accès à un avocat et de s ’ entretenir en privé avec lui , de bénéficier de l ’ aide juridictionnelle, si nécessaire d ’ être examiné par un médecin indépendant, si possible de son choix, d ’ informer un proche et d ’ être informé de ses droits, d ’ être assisté par un avocat pendant tout interrogatoire de police et par un interprète, d ’ être tradui t rapidement devant un juge et de faire examiner la légalité de sa détention par un tribunal, conformément aux instruments internationaux.

L ’ État partie devrait veiller à ce que, lorsque des suspects sont traduits devant les tribunaux par la police, les magistrats demandent systématiquement au suspect s ’ il a été torturé ou maltraité par la police pendant sa garde à vue. L ’ État partie devrait veiller à ce que les agents de l ’ État, en particulier les médecins légistes, médecins et personnels pénitentiaires, et les magistrats qui ont des raisons de soupçonner qu ’ un acte de torture ou des mauvais traitements ont été infligés, consignent tout acte de cette nature soupçonné ou dénoncé et le rapportent aux autorités.

Centres de détention secrets

8)Bien que la délégation sri-lankaise ait catégoriquement rejeté toutes les allégations faisant état de l’existence de centres de détention clandestins sur le territoire sri-lankais, le Comité est profondément préoccupé par des informations reçues de sources non gouvernementales concernant des centres de détention secrets dirigés par des groupes de renseignement militaire et des groupes paramilitaires sri-lankais qui seraient responsables de disparitions forcées, de torture et d’assassinats extrajudiciaires (art. 2 et 11).

L ’ État partie devrait veiller à ce que personne ne soit détenu dans un centre de détention secret quelconque, ces structures contrevenant en soi à la Convention. L ’ État partie devrait enquêter sur de tels lieux de détention, en révéler l ’ existence, et indiquer sous la responsabilité de quelles autorités ils ont été mis en place. Il devrait aussi faire en sorte que les résultats de l ’ enquête soient rendus publics. Il devrait fermer tout centre qui existerait et demander des comptes aux éventuels responsables.

Disparitions forcées

9)Tout en félicitant la Cour suprême de l’État partie de l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Kanapathipillai Machchavallavan v. Officer in C harge Army Camp Plaintain Point, Trincomalee and Three Others(2005), dont il ressort que la disparition forcée pourrait constituer une violation du paragraphe 4 de l’article 13 de la Constitution, le Comité note avec préoccupation que ce raisonnement n’a pas été repris dans des arrêts plus récents. Il constate par ailleurs que la disparition forcée n’est pas une infraction distincte en droit pénal sri-lankais et que de tels actes tombent sous le coup de dispositions du Code pénal réprimant d’autres crimes, à savoir le rapt, l’enlèvement et la séquestration. Il exprime son inquiétude devant le fait que 475 nouveaux cas de disparition forcée ont été transmis par le Groupe de travail des disparitions forcées ou involontaires à l’État partie au titre de sa procédure d’urgence pendant la période 2006-2010, et les allégations selon lesquelles l’armée, les services de police et le Département des enquêtes criminelles ainsi que des groupes paramilitaires en seraient responsables. Il est également préoccupé par des informations donnant à entendre que les pouvoirs très étendus prévus par la législation antiterroriste ont contribué à la multiplication des disparitions (art. 2, 11, 12, 13 et 16).

L’État partie devrait:

a) Prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que la disparition forcée soit érigée en infraction dans son droit interne;

b) Veiller à ce que les cas de disparition forcée fassent l ’ objet d ’ enquêtes approfondies et efficaces, que les suspects soient poursuivis et que les personnes jugées coupables se voient infliger des peines proportionnelles à la gravité de leur crime;

c) Veiller à ce que tout individu qui a subi un préjudice en relation directe avec une disparition forcée ait accès à des informations sur ce qu ’ il est advenu de la personne disparue, ainsi qu ’ à une indemnisation juste et suffisante;

d) Adopter des mesures propres à faire la lumière sur les affaires de disparition forcée non résolues et accéder à la demande de visite du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou i nvolontaires (A/HRC/16/48, par.  450).

Le Comité appelle en outre l ’ État partie à envisager de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Lutte contre le terrorisme

10)Tout en prenant acte de la décision prise le 31 août 2011 par l’État partie de lever l’état d’urgence instauré des années plus tôt, le Comité s’inquiète de ce que vingt-quatre heures avant la levée de l’état d’urgence, de nouveaux règlements ont été pris au titre de la loi no 48 de 1979 relative à la prévention du terrorisme. Il est préoccupé par l’étendue de ces règlements qui restreignent indûment les garanties juridiques dont doivent jouir les personnes soupçonnées ou accusées d’avoir commis un crime terroriste ou de nature comparable, comme le Comité des droits de l’homme et le Rapporteur spécial sur la question de la torture l’ont fait observer. Il note que le Président a continué d’invoquer l’article 12 de l’ordonnance relative à la sécurité publique (chap. 40) pour permettre aux forces armées de conserver des pouvoirs coercitifs dans les 25 districts du pays (ordonnance présidentielle du 6 août 2011). À cet égard, le Comité note avec préoccupation qu’avec la levée de l’état d’urgence les quelques garanties qui étaient prévues dans le Règlement relatif à l’état d’urgence no 1 de 2005 (Dispositions et pouvoirs divers) et qui s’appliquaient en cas d’arrestation par les forces armées, ne sont apparemment plus en vigueur en vertu du nouveau règlement publié au titre de la loi relative à la prévention du terrorisme (ainsi, une personne arrêtée par un agent des forces armées devait être remise aux mains de la police dans les vingt-quatre heures) (art. 2 et 16).

L ’ État partie devrait veiller au respect des garanties juridiques fondamentales et prendre toutes les mesures nécessaires pour que ses mesures législatives, administratives et autres de lutte contre le terrorisme soient compatibles avec les dispositions de la Convention, en particulier le paragraphe 2 de l ’ article 2.

Aveux sous la contrainte

11)Le Comité prend acte des éclaircissements apportés par l’État partie au sujet de l’irrecevabilité des éléments de preuve recueillis sous la torture au titre de la loi de 1985 relative à l’ordonnance concernant l’administration de la preuve, mais il reste préoccupé par le fait que la loi relative à la prévention du terrorisme considère comme recevables tous les aveux obtenus par des policiers du rang de commissaire adjoint ou au-dessus (art. 16) en imposant à l’accusé la charge d’établir que ses aveux ont été obtenus sous la contrainte (par. 2 de l’article 17). Le Comité est aussi préoccupé par les informations selon lesquelles dans la plupart des affaires instruites au titre de la loi relative à la prévention du terrorisme, les seuls éléments de preuve qui font foi sont les aveux obtenus par un policier du rang de commissaire adjoint ou au-dessus. Le Comité prend par ailleurs note avec inquiétude des informations faisant état de cas individuels de torture et de mauvais traitements dont les victimes auraient été sélectionnées au hasard par la police qui les a arrêtées et détenues pour ce qui semblait être une accusation sans fondement, puis soumises à la torture et à des mauvais traitements pour leur extorquer des aveux à ce titre (art. 2, 11, 15 et 16).

L ’ État partie devrait exclure explicitement tout élément de preuve obtenu par la torture et veiller à aligner sa législation, y compris sa législation antiterroriste, relative à l ’ administration de la preuve dans une procédure judiciaire sur les dispositions de l ’ article 15 de la Convention.

L ’ État partie devrait aussi veiller à ce que le juge demande à tous les détenus s ’ ils ont été maltraités ou torturés en garde à vue. Il devrait s ’ assurer que les juges ordonnent des examens médicaux indépendants chaque fois qu ’ un suspect demande au tribunal à subir un examen médical et qu ’ il soit procédé immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu ’ il y a des motifs de croire qu ’ un acte de torture a été commis, en particulier dans les cas où les seuls éléments de preuve produits consistent dans des aveux. Le juge devrait exclure de telles déclarations si le suspect le demande à l ’ audience et si l ’ examen médical corrobore ses dires. Les détenus devraient recevoir une copie confirmant leur demande d ’ examen médical et une copie du compte rendu d ’ examen lui-même.

Enregistrement de tous les détenus

12)Le Comité note que, d’après le document de base de l’État partie, au cours de la période 2000-2005, plus de 80 000 personnes ont été placées en détention chaque année, dont plus de 60 000 n’ont jamais été condamnées. Qui plus est, d’après les renseignements écrits supplémentaires fournis par la délégation de l’État partie, au 11 novembre 2011, 765 personnes étaient en détention en vertu d’ordonnances de détention administrative, mais il n’existait aucun registre central des personnes détenues au titre de la loi relative à la prévention du terrorisme. Le Comité relève avec inquiétude que, suite à l’application de la procédure confidentielle du Comité en vertu de l’article 20 de la Convention (A/57/44, par. 123 à 195), l’État partie l’a informé de la mise en place d’un registre central informatisé de la police mais qu’il indique maintenant que cela ne s’est pas fait (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Veiller à ce que tous les suspects faisant l ’ objet d ’ une enquête criminelle soient rapidement enregistrés dès leur arrestation et non seulement une fois leur arrestation ou mise en accusation officialisée;

b) Établir immédiatement un registre central recensant toutes les personnes placées officiellement en garde à vue, notamment les personnes détenues dans les établissements pénitentiaires, les postes de police et les «centres de réadaptation», ainsi que celles détenues au titre de la loi relative à la prévention du terrorisme;

c) Publier la liste de tous les détenus et lieux de détention.

Défenseurs des droits de l ’ homme, avocats de la défense, journalistes et autres acteurs de la société civile en danger

13)Le Comité exprime son inquiétude devant les informations montrant que des défenseurs des droits de l’homme, avocats de la défense et autres acteurs de la société civile, y compris des activistes politiques, des syndicalistes et des journalistes de médias indépendants ont été pris pour cibles de mesures d’intimidation, de harcèlement, y compris de menaces de mort, d’agressions physiques et d’accusations motivées par des raisons d’ordre politique. Il regrette que, dans bien des cas, les individus qui seraient responsables des actes d’intimidation et de représailles jouissent apparemment de l’impunité. Il note avec regret que l’État partie n’a pas pu fournir de renseignements adéquats au sujet des incidents précis sur lesquels le Comité a enquêté, y compris le cas de journalistes, comme Poddala Jayantha, Prageeth Eknaligoda et J. S. Tissainayagam, et d’avocats, comme J. C. Welliamuna et Amitha Ariyarantne. Ces affaires ont suscité un certain nombre de communications adressées au Comité par plusieurs des personnes intéressées, contenant des informations contradictoires. Il est aussi préoccupé par des informations reçues selon lesquelles le Ministère de la défense aurait publié sur son site Web des articles impliquant que des avocats de la défense étaient des «traîtres» à la nation. Le Comité est préoccupé par le fait que l’un de ces articles, intitulé «Rassemblement de traîtres en robe noire», donnait le nom de cinq avocats, accompagné de leur photo, leur faisant courir un risque d’agression (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Faire en sorte que toutes les personnes, y compris celles qui veillent au respect des droits de l ’ homme et luttent contre la torture et l ’ impunité, soient protégées contre les mesures d ’ intimidation ou actes de violence en raison de leurs activités;

b) Prendre rapidement des mesures efficaces, y compris mener des enquêtes et engager des poursuites, pour répondre aux préoccupations concernant le climat extrêmement hostile dans lequel œuvrent les défenseurs des droits de l ’ homme, avocats, journalistes et autres acteurs de la société civile à Sri Lanka.

Conditions de détention dans les postes de police et les prisons

14)Le Comité est préoccupé par le degré de surpeuplement déplorable et les mauvaises conditions que connaissent les postes de police et les prisons, en particulier le manque d’hygiène, l’insuffisance des soins médicaux, l’absence de séparation entre condamnés et prévenus et entre adultes et mineurs, comme le signale le Rapporteur spécial sur la torture (A/HRC/7/3/Add.6 et A/HRC/13/39/Add.6). À cet égard, le Comité regrette l’absence d’informations transmises par l’État partie sur les mesures prises pour améliorer les conditions de détention des personnes placées en détention provisoire et des personnes condamnées (art. 11 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Veiller à ce que les conditions de détention dans les prisons du pays soient compatibles avec l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l ’ imposition de mesures non privatives de liberté aux dé linquantes (Règles de Bangkok);

b) Redoubler d ’ efforts pour remédier au surpeuplement des prisons, en particulier en adoptant des mesures de substitution aux peines privatives de liberté;

c) Continuer d ’ étendre l ’ infrastructure carcérale et les centres de détention provisoire, y compris ceux destinés aux jeunes délinquants;

d) Prendre des mesures efficaces pour améliorer les ressources en soins de santé dans les établissements pénitentiaires et veiller à ce que les soins médicaux dispensés aux détenus soient de grande qualité.

Décès en détention

15)Le Comité est préoccupé par les informations émanant d’organisations non gouvernementales faisant état de décès en détention, notamment de l’assassinat par la police de personnes soupçonnées d’avoir commis des actes criminels à l’occasion d’«affrontements» ou de tentatives d’«évasion» qui auraient été montés de toutes pièces. Le Comité note avec préoccupation que l’État partie n’a rapporté pour l’ensemble de la période 2006-2011 que deux cas de décès en détention, dans lesquels il a été établi que la cause du décès était le suicide, alors que dans son document de base pour une période comparable, 2000-2005, il avait signalé environ 65 décès en détention par an, toutes causes de décès confondues (HRI/CORE/LKA/2008, p. 87 de la version anglaise).

Le Comité exhorte l ’ État partie à enquêter rapidement, de manière approfondie et impartiale sur tous les décès de détenus en appréciant la responsabilité que pourraient avoir les personnels des forces de l ’ ordre et des établissements pénitentiaires, et prévoir, le cas échéant, l ’ imposition de sanctions aux responsables et l ’ indemnisation de la famille des victimes.

L ’ État partie devrait fournir des données détaillées concernant les cas signalés de décès en détention, ventilées par lieu de détention, sexe, âge, origine ethnique du défunt et cause du décès.

Surveillance des établissements de détention

16)Le Comité constate certes les vastes pouvoirs d’enquête conférés à la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka pour enquêter sur les violations des droits de l’homme, en vertu de l’article 11 de la loi no21 de 1996 relative à la Commission des droits de l’homme, mais s’alarme de l’inactivité dont elle ferait preuve, de l’absence de coopération de la police et des pouvoirs publics et de ses ressources limitées, ainsi que des obstacles à son indépendance et à son impartialité, tenant à l’adoption du dix-huitième amendement à la Constitution sri-lankaise, qui confie au seul chef de l’État la nomination de ses membres. Le Comité est aussi préoccupé par le fait que, contrairement aux informations fournies par l’État partie, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) n’est pas autorisé à visiter les «centres de réadaptation» ou autres structures dans lesquels sont détenus des suspects des LTTE qui n’ont pas encore été mis officiellement en accusation. Il note avec inquiétude qu’en 2009 l’administration militaire des camps d’internement fermés pour personnes déplacées dans leur propre pays en a refusé l’accès aux organisations humanitaires, notamment à l’Organisation des Nations Unies et au CICR (art. 2, 11, 12, 13 et 16).

Le Comité invite l ’ État partie à créer un mécanisme national indépendant chargé de contrôler et d ’ inspecter effectivement tous les lieux de détention, dont les établissements qui détiennent des suspects des LTTE et les camps fermés pour personnes déplacées, et à donner suite aux conclusions de ses contrôles systématiques.

L ’ État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour soutenir les travaux de la Commission des droits de l ’ homme de Sri Lanka, en veillant à ce que ses recommandations soient pleinement mises en œuvre. Il devrait aussi fournir des informations détaillées sur la suite donnée aux recommandations faites par la Commission à l ’ occasion de sa visite au poste de police de Mount Lavinia , le 15 août 2011.

L ’ État partie devrait renforcer les capacités des organisations non gouvernementales qui entreprennent des activités de contrôle et adopter toutes les mesures voulues pour leur permettre de procéder à des visites impromptues, indépendantes et périodiques des lieux de détention.

Le Comité encourage vivement l ’ État partie à envisager la possibilité de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cru els, inhumains ou dégradants en vue de mettre en place un système de visites impromptues régulières d ’ organes de contrôle nationaux et internationaux, afin d ’ empêcher la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Commission des droits de l ’ homme de Sri Lanka

17)Le Comité est préoccupé par le fait que le nouveau processus de nomination mis en place par le dix-huitième amendement à la Constitution sri-lankaise (septembre 2010), qui met fin au rôle du Parlement dans l’approbation des nominations, nuit à l’indépendance de la Commission. Il est aussi préoccupé par les difficultés rencontrées par la Commission pour s’acquitter de sa mission en raison en partie du manque de coopération des autres institutions de l’État partie et de ressources humaines et financières limitées, qui ont réduit son aptitude à enquêter sur des incidents spécifiques et à faire des recommandations pour y remédier, et le fait que ses rapports d’enquête ne sont pas publiés.

L ’ État partie devrait veiller à ce que la Commission des droits de l ’ homme s ’ acquitte effectivement de son mandat et reçoive les ressources nécessaires à cet effet. Il devrait faire en sorte que la Commission puisse ouvrir et mener des enquêtes en toute indépendance sur les cas présumés et possibles de torture et de mauvais traitements, y compris ceux concernant des locaux militaires, de même que les «centres de réadaptation» et autres établissements contrôlés par les pouvoirs publics, tels que les «centres de protection sociale», et en publier les résultats. L ’ État partie devrait mettre en place un processus de sélection consultatif et transparent pour garantir la pleine indépendance de la Commission, conformément aux Principes de Paris.

Impunité pour les actes de torture et mauvais traitements

18)Le Comité reste préoccupé par le climat d’impunité qui prévaut dans l’État partie et l’absence apparente d’enquête rapide et impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. Il note également l’absence de mécanisme de contrôle indépendant efficace pour enquêter sur les plaintes dénonçant des actes de torture. Le Comité exprime son inquiétude devant les informations selon lesquelles le bureau de l’Attorney général aurait cessé de renvoyer les affaires à l’Unité spéciale d’enquête de la police et devant le grand nombre d’affaires encore en suspens. Il est aussi préoccupé par les nombreuses informations faisant état de l’absence d’indépendance du pouvoir judiciaire (art. 11, 12 et 13).

L ’ État partie devrait:

a) Veiller à ce qu ’ il soit procédé rapidement à une enquête impartiale sur toutes les plaintes dénonçant des actes de torture ou des mauvais traitements. En particulier, ces enquêtes devraient être placées sous la responsabilité d ’ un organe indépendant et non sous celle des services de police;

b) Instaurer un mécanisme indépendant d ’ examen des plaintes pour toutes les personnes privées de liberté;

c) D éclen cher spontanément des enquêtes rapides et impartiales chaque fois qu ’ il y a des motifs raisonnables de croire qu ’ un acte de torture a été commis ;

d) Veiller à ce que le bureau de l ’ Attorney général remplisse son devoir de soumettre les affaires à l ’ Unité spéciale d ’ enquête de la police;

e) En cas de présomption de torture, veiller à ce que les suspects soient immédiatement suspendus de leurs fonctions pendant la durée de l ’ enquête, en particulier s ’ il existe un risque qu ’ ils soient en mesure de récidiver ou d ’ entraver l ’ enquête ;

f) Veiller, dans la pratique, à ce que les plaignants et les témoins soient protégés contre tout mauvais traitement et tout acte d ’ intimidation lié à le ur plainte ou à leur témoignage;

g) Traduire en justice les auteurs présumés d ’ actes de torture ou de mauvais traitements et, s ’ ils en sont reconnus coupables, veiller à ce que les peines infligées soient proportionnelles à la gravité de leurs actes. À cet égard, l ’ État partie devrait prendre des mesures d ’ ordre législatif pour garantir l ’ indépendance du pouvoir judiciaire.

Protection des témoins et des victimes

19)Le Comité reste préoccupé par l’absence de mécanisme efficace permettant d’assurer la protection des témoins et des victimes de violations des droits de l’homme et de leur venir en aide, au détriment de la disposition et de l’aptitude des témoins et des victimes à participer à des enquêtes ou à témoigner en justice. À cet égard, il est préoccupé par l’impunité dans des affaires d’agression contre des témoins et des victimes comme l’illustre l’affaire de Gerald Perera et des personnes qui auraient été impliquées dans son meurtre après qu’il eut formulé des allégations de torture contre plusieurs policiers. Le Comité constate avec préoccupation qu’un projet de loi relatif à la protection des témoins et des victimes est à l’ordre du jour du Parlement depuis 2008. Il regrette que l’État partie ait fourni peu d’informations de fond au sujet de l’affaire Siyaguna Kosgodage Anton Sugath Nishanta Fernando , du nom de l’auteur d’une plainte pour torture portée devant la Cour suprême, qui a été tué le 20 septembre 2008 par des hommes équipés d’armes à feu, non identifiés. La victime avait demandé à maintes reprises des mesures de protection contre les auteurs présumés pour elle-même et sa famille (art. 2, 11, 12, 13 et 15).

Le Comité réitère sa recommandation antérieure (CAT/C/LKA/CO/2, par. 15), à savoir que l ’ État partie devrait veiller à ce que les témoins et les victimes de violations des droits de l ’ homme soient effectivement protégés et aidés, en particulier en s ’ assurant que les auteurs de telles violations n ’ exercent pas d ’ influence sur les mécanismes de protection et soient tenus responsables de leurs actes.

Personnes déplacées

20)Le Comité constate qu’au moment où le conflit armé touchait à sa fin, en 2009, près de 280 000 personnes ont fui les régions du nord contrôlées par les LTTE pour gagner les territoires contrôlés par le Gouvernement dans les districts de Vavuniya, Mannar, Jaffna et Trincomalee où la grande majorité d’entre elles ont rejoint des camps d’internement militaires fermés. Tout en prenant acte des informations fournies par l’État partie au sujet des efforts considérables déployés pour répondre à l’arrivée massive de personnes déplacées, il demeure préoccupé par la situation de ces personnes dans le pays, en particulier de celles qui demeurent dans des «centres de protection sociale». D’après l’État partie, les personnes déplacées se sont vu proposer dans un premier temps de vivre dans «un environnement sûr et d’être prises en charge pendant qu’elles faisaient l’objet d’un contrôle destiné à identifier le(s) cadre(s) terroriste(s) qui avai(en)t infiltré la population civile secourue à l’issue du conflit armé». Cependant, le Comité demeure préoccupé par les allégations persistantes de torture et de mauvais traitements qui seraient pratiqués au cours des interrogatoires des résidents par le Département d’enquête criminelle et le Département d’enquête terroriste. Il s’inquiète de ce que ces allégations n’aient pas fait l’objet d’enquêtes en dehors du processus mis en œuvre par la Commission des enseignements et de la réconciliation et qu’aucune mesure d’ordre judiciaire n’ait été prise. Il est aussi préoccupé par des informations faisant état de surpeuplement massif, de manque d’hygiène et d’installations sanitaires défaillantes, de malnutrition, de soins médicaux et psychologiques insuffisants et de l’absence de liberté des résidents des camps pendant et après les dernières phases de la guerre (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Adopter les mesures nécessaires pour garantir l ’ intégrité physique et répondre aux besoins spéciaux des personnes déplacées, conformément aux Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l ’ intérieur de leur propre pays (E/CN.4/1998/53/Add.2), y compris en leur apportant les soins médicaux et psychologiques dont elles ont besoin;

b) Veiller à ce que des enquêtes soient menées sur les cas de torture présumés, y compris de violences sexuelles, contre les résidents des camps et à ce que les auteurs de tels actes soient traduits en justice;

c) Prévoir des programmes de formation permanente obligatoire en ce qui concerne les droits de l ’ homme, les déplacements internes et la violence à motivation sexiste, à l ’ intention des personnels des forces armées et de maintien de l ’ ordre en service dans les camps.

Processus de détermination des responsabilités et Commission des enseignements et de la réconciliation

21)Le Comité note qu’un certain nombre de commissions spéciales d’enquête se sont penchées sur les violations des droits de l’homme, dont la Commission présidentielle d’enquête, chargée d’enquêter sur de graves violations des droits de l’homme qui auraient été commises depuis le 1er août 2005, qui d’après le Groupe international indépendant de personnes éminentes ne répondait pas aux normes internationales d’indépendance, de protection des témoins et des victimes, et de transparence. Le Comité prend acte des informations sur le mandat, la composition et les méthodes de travail de la Commission des enseignements et de la réconciliation et du Comité consultatif interinstitutions, créés respectivement en mai et septembre 2010. Il relève les assurances données par la délégation de l’État partie, à savoir que la Commission des enseignements et de la réconciliation est habilitée à transmettre les plaintes reçues «avec la possibilité de l’ouverture immédiate d’une enquête et de l’adoption de mesures propres à remédier à la situation» et que l’Attorney général est «habilité à engager des procédures pénales en se fondant sur les éléments recueillis pendant que la Commission des enseignements et de la réconciliation formulait ses recommandations». Il regrette néanmoins le mandat apparemment limité confié à celle-ci et son manque présumé d’indépendance. Il regrette aussi que l’État partie ait fourni peu d’informations sur les enquêtes menées au sujet des allégations de violations graves du droit international des droits de l’homme, comme la torture, y compris le viol et les disparitions forcées et d’autres formes de maltraitance qui se seraient produites au cours des dernières phases du conflit et pendant la phase postérieure, rapportées par de nombreuses sources, dont le Rapporteur spécial sur la torture, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et la Commission consultative d’experts créée par le Secrétaire général en vue d’instituer un mécanisme d’établissement des responsabilités à Sri Lanka. Il note que l’État partie fait valoir que la Commission des enseignements et de la réconciliation «a pris connaissance de toutes les allégations», mais déplore n’avoir reçu aucune information en ce sens. Il constate que l’État partie «(...) attendra le rapport de la Commission des enseignements et de la réconciliation avant d’envisager l’adoption de nouvelles mesures» et qu’«il lui apportera une réponse détaillée» sur la mise en œuvre de programmes destinés à venir en aide aux victimes de torture et de mauvais traitements commis pendant le conflit armé «une fois que le rapport de la Commission des enseignements et de la réconciliation aura été achevé et rendu public» (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

Suivant l ’ initiative de la Commission des enseig nements et de la réconciliation, l ’ État partie devrait ouvrir rapidement des enquêtes impartiales et efficaces sur toutes les allégations de violations de la Convention, notamment de torture, viol, disparitions forcées et autres formes de maltraitance, survenues au cours des dernières phases du conflit et pendant la phase postérieure, afin de demander des comptes aux responsables et d ’ apporter une réparation effective aux victimes de ces violations.

L ’ État partie devrait envisager aussi la possibilité d ’ accepter un organe international d ’ enquête qui se pencherait sur les problèmes posés dans le passé par le manque de crédibilité des précédentes enquêtes et toute préoccupation que pourrait encore susciter la Commission des enseig nements et de la réconciliation.

Violences faites aux femmes, y compris les violences sexuelles

22)Le Comité prend note avec inquiétude des renseignements faisant état d’un nombre croissant de cas de violences à l’égard des femmes, dont des actes de violence sexuelle et familiale, ainsi que du peu d’informations fournies à ce sujet par l’État partie. Il note par ailleurs avec préoccupation que la violence familiale et le viol conjugal ne sont pris en considération qu’après qu’un juge a reconnu juridiquement la séparation des époux. Il s’inquiète aussi des cas signalés de viol en temps de guerre et d’autres actes de violence sexuelle survenus au lendemain du conflit, en particulier dans les camps dirigés par les forces armées (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait mener des enquêtes rapides, impartiales et efficaces sur toutes les allégations de violence sexuelle, engager des poursuites contre les suspects et les sanctionner.

Le Comité réitère la recommandation faite par le Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes (CEDAW/C/LKA/CO/7), à savoir que l ’ État partie devrait élargir l ’ incrimination du viol conjugal, que la séparation ait été ou non reconnue par la justice .

L ’ État partie devrait fournir au Comité des informations sur les enquêtes menées sur les affaires de viol en temps de guerre et autres actes de violence sexuelle qui se sont produits au cours des dernières phases du conflit et pendant la phase postérieure ainsi que sur le résultat de ces procès, notamment des informations sur les peines infligées et les mesures de réparation et d ’ indemnisation offertes aux victimes.

Exploitation sexuelle des enfants et autre maltraitance imputables aux Casques bleus

23)Le Comité exprime sa profonde préoccupation au sujet des allégations d’exploitation et d’abus sexuel de mineurs par des militaires du contingent sri-lankais de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) en 2007. Tout en notant les informations fournies par la délégation de l’État partie selon lesquelles les troupes en question ont été rapatriées et que l’affaire a été réglée conformément au droit militaire, le Comité regrette l’absence d’informations sur les actes d’accusation précis ou les peines infligées aux 114 militaires du contingent sri-lankais qui ont été rapatriés pour des raisons disciplinaires (art. 2, 5, 12 et 16).

L ’ État partie devrait mener des enquêtes sur les allégations d ’ incidents d ’ exploitation et d ’ abus sexuels imputables à des militaires du contingent sri-lankais de la MINUSTAH et faire rapport sur les conclusions de ces enquêtes et les mesures prises pour donner suite à ces conclusions, y compris le nombre de mises en accusation, de poursuites engagées et de condamnations prononcées, et les mesures prises pour empêcher que de tels faits ne se reproduisent. Le Comité encourage l ’ État partie à poursuivre sa coopération avec les services compétents de l ’ Organisation des Nations Unies pour garantir que des progrès soient faits dans ce domaine.

Traite des êtres humains et violence à l ’ encontre de travailleurs migrants sri-lankais

24)Tout en prenant acte de l’adoption en 2006 de la loi no 16 portant modification du Code pénal, le Comité est préoccupé par les informations persistantes faisant état de trafic de femmes et d’enfants sur le territoire de l’État partie à des fins de travail forcé et d’exploitation sexuelle, le faible nombre de condamnations pour traite d’êtres humains et la détention des victimes de la traite. De même, il est préoccupé par la maltraitance dont seraient victimes de nombreux travailleurs migrants sri-lankais, en particulier des femmes, qui se rendent à l’étranger et se trouvent alors soumis à des conditions de travail forcé ou d’autres formes de maltraitance dans le pays hôte, comme le représentant de l’État partie l’a dénoncé. À cet égard, le Comité note avec intérêt la déclaration du représentant de l’État partie selon laquelle le projet de Plan national d’action pour les droits de l’homme comporte une partie consacrée à la protection des travailleurs migrants sri-lankais (art. 2, 12 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Redoubler d ’ efforts pour lutter contre la traite des êtres humains en prenant des mesures efficaces pour enquêter sur les faits de cette nature, et poursuivre et sanctionner leurs auteurs, et en renforçant encore la coopération internationale avec les pays d ’ origine, de transit et de destination;

b) Revoir sa législation et ses pratiques afin que les victimes de la traite ne soient pas poursuivies, détenues ou sanctionnées pour le caractère illégal de leur entrée ou de leur séjour sur le territoire sri-lankais ou pour les activités dans lesquelles elles sont impliquées en conséquence directe de leur condition de victimes de la traite;

c) Donner pour instruction aux autorités consulaires ou diplomatiques d ’ assurer une protection et une aide aux travailleurs migrants sri-lankais afin de protéger leur droit à ne pas subir d ’ actes de violence, de détention et de maltraitance commis en violation de la Convention;

d) Envisager la possibilité de ratifier le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants , et le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la crimi nalité transnationale organisée.

Définition de la torture

25)Le Comité réitère l’idée que la définition de la torture donnée à l’article 12 de la loi de 1994 relative à la Convention contre la torture ne reflète pas tout à fait la définition, dont il a été convenu à l’échelon international, énoncée dans la Convention. La définition donnée dans la loi restreint en effet l’acte de torture à «tout acte qui provoque une douleur aiguë, qu’elle soit physique ou mentale», alors que la Convention vise la «douleur ou [les] souffrances aiguës». La loi ne couvre donc pas les actes qui ne sont pas violents en soi mais qui infligent malgré tout des souffrances (art. 1 et 4).

Le Comité réitère la recommandation faite dans ses observations finales précédentes (CAT/C/LKA/CO/2, par. 5), à savoir que l ’ État partie devrait modifier la définition de la torture donnée à l ’ article 12 de la loi relative à la Convention contre la torture afin d ’ étendre la définition de la torture à tous les actes de torture, y compris à ceux par lesquels des souffrances aiguës sont infligées, conformément à l ’ article premier de la Convention. À ce propos, le Comité appelle l ’ attention sur son Observation générale n o  2 (2007), selon laquelle s i la définition de la torture en droit interne est trop éloignée de c elle énoncée dans la Convention le vide juridique réel ou potentiel qui en découle peut ouvrir la voie à l ’ impunité (CAT/C/GC/2, par. 9) .

Compétence pour connaître des actes de torture

26)Tout en prenant note des informations fournies par l’État partie au sujet de l’application des articles 5 à 8 de la Convention, le Comité regrette le manque de clarté sur le point de savoir si les mesures nécessaires établissant la compétence de l’État partie aux fins de connaître des actes de torture ont été prises. Alors que la loi de 1994 relative à la Convention contre la torture prévoit que l’État partie est compétent pour connaître des actes commis par les auteurs présumés d’actes de torture présents sur son territoire, qu’ils soient ou non ressortissants de Sri Lanka, le Comité ne voit pas bien si la loi prévoit l’établissement de la compétence universelle ou si la décision en la matière relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour suprême, comme le donne à entendre le paragraphe 2 de l’article 4 de la loi. Qui plus est, l’article 7 de la loi semble exiger le rejet d’une demande d’extradition pour que l’affaire puisse être soumise aux autorités compétentes. Le Comité rappelle sa jurisprudence concernant la teneur de l’obligation d’extrader ou de poursuivre (aut dedere , aut judicare), dont il ressort que l’obligation de l’État partie de poursuivre l’auteur présumé d’actes de torture ne dépend pas de l’existence préalable d’une demande d’extradition (art. 5, 6, 7 et 8).

L ’ État partie réitère la recommandation qu ’ il a faite précédemment (CAT/C/ LKA/CO/2, par. 10) selon laquelle l ’ État partie devrait veiller à ce que sa législation interne permette l ’ établissement de sa compétence sur les actes de torture, conformément à l ’ article 5 de la Convention, en prévoyant notamment l ’ ouverture d ’ une action pénale, conformément à l ’ article 7, contre les étrangers qui ont commis des actes de torture en dehors du territoire de l ’ État partie mais se trouvent sur son territoire et n ’ ont pas été extradés.

Réfugiés, non-refoulement

27)Le Comité note avec inquiétude l’absence de législation interne ou de politique nationale garantissant la protection des réfugiés et des demandeurs d’asile dans l’État partie et des personnes nécessitant une protection internationale. Il regrette l’absence d’informations fournies par l’État partie sur le nombre de cas de refoulement, d’extradition et d’expulsion enregistrés pendant la période à l’examen et sur le nombre de cas où il a offert des assurances diplomatiques ou des garanties (art. 3).

L ’ État partie devrait adopter une politique nationale, ainsi que les mesures législatives et administratives nécessaires pour garantir la protection des réfugiés, demandeurs d ’ asile et apatrides.

Le Comité encourage l ’ État partie à envisager la possibilité de ratifier la Convention relative au statut des réfugiés et le Protocole relatif au statut des réfugiés, la Convention relative au statut des apatrides et la Convention sur la réduction des cas d ’ apatridie.

Formation

28)Le Comité prend note des informations sur la formation des personnels des services de police et des forces armées en matière de droits de l’homme contenues dans le rapport de l’État partie et des réponses à la liste des points à traiter. Il regrette toutefois l’absence d’informations sur l’évaluation de ces programmes et la réduction du nombre de cas de torture et de mauvais traitements, et le fait qu’aucune formation spécifique n’est dispensée au personnel médical des lieux de détention pour lui permettre de détecter des signes de torture et de mauvais traitements (art. 10 et 11).

L ’ État partie devrait:

a) Continuer de prévoir des programmes de formation obligatoire pour que tous les fonctionnaires, en particulier les personnels des services de police et des forces armées, se familiarisent avec les dispositions de la Convention, sachent que les manquements ne sont pas tolérés mais font l ’ objet d ’ enquêtes et que leurs auteurs sont traduits en justice;

b) Évaluer l ’ efficacité et l ’ impact des programmes de formation et de l ’ éducation sur la réduction des cas de torture et de mauvais traitements;

c) Soutenir la formation à l ’ utilisation du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul) de tous les personnels intéressés, notamment médical.

Réparation, y compris l ’ indemnisation et la réadaptation

29)Le Comité prend note des déclarations de l’État partie qui a expliqué que, en vertu de leur compétence en matière de droits fondamentaux, les juridictions sri-lankaises peuvent accorder une indemnisation (529 plaintes ont été déposées contre des policiers depuis 2006), que, dans un certain nombre de cas, la Cour suprême a accordé une indemnisation pécuniaire aux victimes de torture et qu’une indemnisation peut être obtenue par le biais d’une action en dommages et intérêts auprès du tribunal de district. Cependant, le Comité relève des informations dont il ressort que les sommes accordées à titre d’indemnisation sont variables. À ce propos, il regrette que le rapport de l’État partie ne donne pas de précisions sur les décisions rendues par la Cour suprême et les tribunaux de district en matière d’indemnisation des victimes de torture et de mauvais traitements ou de leur famille et sur les sommes versées en pareil cas. Il note aussi avec inquiétude que ni la loi de 1994 relative à la Convention contre la torture ni le droit pénal ne prévoient d’indemnisation ou d’autres formes de réparation en faveur des victimes de torture. Enfin, il regrette le manque d’informations fournies sur les services de traitement et de réadaptation sociale, y compris médicale et psychosociale, à la disposition des victimes de torture (art. 14).

L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour assurer une réparation aux victimes de torture et de mauvais traitements, y compris une indemnisation juste et suffisante, ainsi qu ’ une réadaptation la plus complète possible.

Le Comité réitère la recommandation qu ’ il a formulée précé demment (CAT/C/LKA/CO/2, par.  16), tendant à ce que l ’ État partie veille à ce que les victimes de torture et de mauvais traitements puissent se prévaloir de programmes de réparation appropriés, y compris d ’ une assistance médicale et psychosociale.

Châtiments corporels

30)Le Comité note que, bien que les châtiments corporels soient interdits en tant que sanction pénale par la loi no 23 de 2005 relative aux châtiments corporels, ceux-ci ne sont pas interdits en tant que mesure disciplinaire dans les établissements pénitentiaires pour jeunes délinquants, dans la famille ou dans les structures de soins de substitution, en vertu de l’article 82 du Code pénal. Il note aussi avec préoccupation que, malgré la publication en 2005 de la circulaire no 2005/17 du Ministère de l’éducation déclarant que les établissements d’enseignement ne devraient pas infliger de châtiments corporels, la loi ne l’interdit pas et leur usage est encore répandu (art. 10 et 16).

L ’ État partie devrait envisager de modifier son Code pénal en vue d ’ interdire les châtiments corporels en tout lieu et de sensibiliser l ’ opinion à cette question.

Documentation exigée sur l ’ application de la Convention

31)Malgré la recommandation qu’il a formulée précédemment tendant à ce que l’État partie lui fournisse des données statistiques détaillées sur toutes sortes de questions essentielles d’ordre criminel et d’autres questions statistiques (CAT/C/LKA/CO/2, par. 19), le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie s’en est abstenu que ce soit dans son rapport périodique, sa réponse à la liste de points à traiter ou la documentation supplémentaire fournie par écrit. L’absence de données complètes et détaillées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans les affaires de torture et de mauvais traitements infligés par des agents des forces de l’ordre, des militaires et des personnels pénitentiaires, ainsi que sur les disparitions forcées, les viols et les violences faites aux femmes, et les autres formes de torture et de mauvais traitements, nuit au recensement des violations qui méritent d’être prises en considération et à l’application effective de la Convention (art. 2 et 19).

L ’ État partie devrait rassembler des données statistiques utiles pour la surveillance de l ’ application de la Convention aux niveaux national et local, ventilées par sexe, appartenance ethnique, âge, région géographique et type et lieu du centre de privation de liberté, en incluant des données relatives aux plaintes, aux enquêtes et aux poursuites dans les affaires de torture et de mauvais traitements infligés par des agents des forces de l ’ ordre, des militaires et des personnels pénitentiaires, ainsi que sur les disparitions forcées, les viols et les violences faites aux femmes.

32)Notant les engagements volontaires pris par l’État partie à l’occasion de l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme en mai 2008 (A/HRC/8/46, par. 90 et 108 à 110), le Comité recommande à l’État partie d’envisager d’adopter le projet de loi relatif à la protection des témoins et des victimes et du projet de loi relatif aux droits des personnes déplacées, d’améliorer et de rénover les établissements de détention et de renforcer la capacité des services de police à mener des enquêtes, en leur permettant de suivre une formation supplémentaire en matière d’interrogatoire et de poursuites.

33)Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture.

34)Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

35)Le Comité invite l’État partie à envisager de ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie.

36)Le Comité encourage l’État partie à diffuser largement les rapports qu’il a soumis au Comité et les présentes observations finales, dans toutes les langues officielles, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

37) L’État partie est invité à mettre à jour son document de base commun (HRI/CORE/LKA/2008) conformément aux instructions relatives au document de base qui figurent dans les Directives harmonisées pour l’établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN.2/Rev.6).

38)Le Comité invite l’État partie à soumettre, d’ici au 25 novembre 2012, des informations sur la suite donnée aux recommandations du Comité au sujet 1) du respect ou du renforcement des garanties juridiques offertes aux personnes placées en détention, 2) de la conduite d’enquêtes rapides, impartiales et efficaces, et 3) des poursuites engagées contre des suspects et des peines infligées aux auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements, visées aux paragraphes 7, 11, 18 et 21 du présent document. En outre, le Comité aimerait recevoir des informations sur la suite donnée aux recommandations concernant les recours et la réparation offerts aux victimes dont il est question dans ces paragraphes.

39)L’État partie est invité à faire parvenir son prochain rapport périodique, qui sera son cinquième rapport, avant le 25 novembre 2015. À cet effet, le Comité invite l’État partie à accepter d’ici au 25 novembre 2012 de faire rapport au titre de la procédure facultative d’établissement des rapports, qui consiste dans la transmission par le Comité à l’État partie d’une liste de questions à traiter avant la soumission du rapport périodique. Les réponses de l’État partie à la liste des points à traiter constitueront, conformément à l’article 19 de la Convention, son prochain rapport périodique.

60. Albanie

1)Le Comité contre la torture a examiné le deuxième rapport périodique de l’Albanie (CAT/C/ALB/2) à ses 1060e et 1063e séances (CAT/C/SR.1060 et 1063), les 8 et 9 mai 2012. À sa 1084e séance (CAT/C/SR.1084), le 25 mai 2012, il a adopté les observations finales ci-après.

A. Introduction

2)Le Comité accueille avec satisfaction la soumission du deuxième rapport périodique de l’État partie, qui lui est cependant parvenu avec près de deux ans de retard. Le Comité note que le rapport, dans l’ensemble, a été établi conformément aux directives concernant la forme et le contenu des rapports, même s’il manquait de données précises, ventilées par sexe, âge et nationalité, notamment sur les actes de torture et les mauvais traitements imputés à des membres des forces de l’ordre.

3)Le Comité se félicite du dialogue ouvert et constructif, portant sur tous les aspects de la Convention, qu’il a eu avec la délégation de l’État partie composée de représentants de différentes institutions. Le Comité remercie l’État partie d’avoir fait parvenir avant la session des réponses écrites détaillées à la liste des points à traiter pour faciliter l’examen du rapport.

B. Aspects positifs

4)Le Comité accueille avec satisfaction la ratification par l’État partie des instruments internationaux suivants:

a)La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le 5 juin 2007;

b)Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,le 4 octobre 2007;

c)Le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort,le 17 octobre 2007;

d)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées,le 8 novembre 2007;

e)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants,le 5 février 2008;

f)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés,le 9 décembre 2008;

g)La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, le 6 février 2007;

h)Le Protocole no 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, le 6 février 2007.

5)Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption des lois suivantes:

a)La loi no9686 du 26 février 2007, portant modification de la définition de la torture énoncée à l’article 86 du Code pénal, qui érige en infraction les actes tombant sous le coup de l’article premierde la Convention, y compris lorsqu’ils sont commis par des personnes agissant à titre officiel, et modifiant également l’article 50 du Code pénal de façon à établir que les motifs liés au sexe, à la race ou à la religion sont des circonstances aggravantes;

b)La loi no9669 du 18 décembre 2006 sur les mesures de lutte contre les violences dans la famille et la loi no10494 du 22 décembre 2011 sur la surveillance électronique des personnes privées de liberté en application de décisions de justice, visant à prévenir les violences dans la famille.

6)Le Comité note également avec satisfaction:

a)La désignation par le Parlement albanais en 2008 de l’Avocat du peuple en tant que mécanisme national de prévention de la torture au titre du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

b)L’approbation par le Directeur général de la Police d’État, en décembre 2009, du «Manuel pour le traitement des personnes en garde à vue»;

c)L’adoption,par la décision no 573 du Conseil des ministres en date du 16 juin 2011, de la Stratégie nationale pour l’égalité des sexes et la réduction de la violence sexiste et de la violence dans la famille (2011-2015).

7)Le Comité note qu’il existe une société civile active, qui contribue grandement à la surveillance des cas de torture et de mauvais traitements et facilite de ce fait l’application effective de la Convention.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition et incrimination de la torture

8)Le Comité constate avec satisfaction que le Code pénal de l’État partie (art. 86) est conforme à l’article premier de la Convention. Cependant, le Comité est vivement préoccupé par le fait qu’aucun renseignement n’a été donné sur l’application de l’article 86 du Code pénal, ni sur la pratique consistant à requalifier des faits de torture qui sont dénoncés en «actes arbitraires» visés par l’article 250 du Code pénal (art. 1er et 4).

Conformément à l ’ Observation générale n o 2 (2007) du Comité sur l ’ application de l ’ article 2 par les États parties, l ’ État partie devrait veiller à ce que les éléments considérés comme constitutifs d ’ actes de torture au sens de l ’ article 86 du Code pénal soient dûment rassemblés et évalués, et s ’ abstenir de requalifier les actes de torture qui sont dénoncés en « actes arbitraires » visés par l ’ article 250 du Code pénal. L ’ État partie devrait également indiquer quels sont, parmi les mauvais traitements imputés à des membres des forces de l ’ ordre signalés dans les réponse s à la liste de s points à traiter et pendant le dialogue , ceux qui constituent des torture s et d ’ autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que les mesures prises pour garantir que les procureurs puissent appliquer l ’ article 86 du Code pénal.

Applicabilité directe

9)Le Comité se félicite de ce que la Convention soit directement applicable, conformément à l’article 112 de la Constitution albanaise, mais il note avec préoccupation que pendant le dialogue l’État partie a reconnu qu’il ne disposait pas d’informations précises sur des cas dans lesquels la Convention avait été invoquée devant les juridictions internes et directement appliquée par elles (art. 2 et 10).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre des mesures pour:

a) Garantir la mise en œuvre effective de la Convention ainsi que son applicabilité directe et son caractère exécutoire dans l ’ ordre juridique interne , et diffuser la Convention auprès de toutes les autorités publiques concernées, y compris l es autorités judiciaires, de façon à en faciliter l ’ application directe par les juridictions nationales;

b) Donner dans son prochain rapport périodique des exemples de cas concrets d ’ application directe de la Convention par des organes judiciaires internes.

Avocat du peuple en tant que mécanisme national de prévention

10)Le Comité est préoccupé par les renseignements indiquant que l’Avocat du peuple, qui fait fonction de mécanisme national de prévention, n’intervient pour surveiller la situation des personnes privées de liberté − par l’intermédiaire de l’unité pour la prévention de la torture − qu’après avoir reçu des informations dénonçant des mauvais traitements et avec l’accord préalable des autorités concernées, ce qui limite la capacité de protection des visites de prévention (art. 2).

Le Comité recommande à l ’ État partie de faire le nécessaire pour que l ’ Avocat du peuple puisse se rendre régulièrement et en temps utile dans tous les lieux de détention, et pour que ses visites ne se limitent pas à des enquêtes sur place conduites à la suite d ’ allégations de mauvais traitements et ne soient pas subordonnées à l ’ accord préalable des autorités concernées.

11)Le Comité est également préoccupé par le fait que le bureau de l’Avocat du peuple ne dispose pas de personnel qualifié, de ressources méthodologiques et de moyens financiers suffisants et que, d’après certaines informations, des pressions injustifiées entravent son fonctionnement, au point par exemple que le poste d’Avocat du peuple soit resté vacant pendant plus de deux ans, autant de facteurs qui font que les lieux de détention n’ont pas été inspectés régulièrement, que l’Avocat du peuple ne peut pas s’acquitter adéquatement de son mandat de surveillance et que le rôle et l’importance de cette institution sont amoindris (art. 2 et 12).

Le Comité recommande à l ’ État partie de doter le bureau de l ’ Avocat du peuple de ressources humaines, financières, techniques et logistiques suffisantes pour lui permettre de remplir ses fonctions efficacement et en toute indépendance, conformément au paragraphe 3 de l ’ article 18 du Protocole facultatif et aux directives  11 et 12 du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et de veiller à ce que l ’ institution fonctionne sans subir de pressions injustifiées .

12)Le Comité salue les recommandations de l’Avocat du peuple visant notamment à l’amélioration des conditions de détention dans les locaux de garde à vue, mais il relève avec préoccupation que le Parlement n’a pas engagé de dialogue avec l’Avocat du peuple ni donné suite à ses recommandations, comme il y est tenu par la loi, et que le grand public n’a pas été informé de ses recommandations. Le Comité note également avec préoccupation l’absence de mandat de l’Avocat du peuple pour promouvoir les droits de l’homme des détenus, d’accès à l’institution au niveau régional et d’interaction systématique avec le système international des droits de l’homme et le manque de transparence des procédures de nomination aux organes de direction (art. 2 et 12).

Le Comité recommande à l ’ État partie de:

a) Prendre des mesures pour améliorer le dialogue et les procédures du Parlement de façon à donner effet aux conclusions et recommandations formulées par l ’ Avocat du peuple à l ’ issue des missions réalisées dans les centres de détention par l ’ unité pour la prévention de la torture, comme l ’ exige la loi;

b ) Rendre publiques, en utilisant tous les moyens de communication appropriés, les mesures qu ’ il a prises pour garantir l ’ application effective des conclusions et recommandations émanant de l ’ Avocat du peuple et faire mieux connaître ces recommandations au grand public;

c ) Compiler et diffuser régulièrement les meilleures pratiques de l ’ Avocat du peuple et dispenser une formation en ce sens à son personnel;

d ) Renforcer le mandat de l ’ Avocat du peuple en y intégrant la promotion des droits de l ’ homme de façon à améliorer la protection, les conditions de vie et le traitement des détenus, rendre l ’ institution plus accessible grâce à l ’ établissement d ’ une présence régionale permanente, et assurer une interaction plus systématique avec le système international des droits de l ’ homme et une plus grande transparence des procédures de nomination aux organes de direction.

Garanties juridiques fondamentales

13)Le Comité se déclare profondément préoccupé par les informations selon lesquelles les garanties fondamentales contre les mauvais traitements ne sont pas encore appliquées systématiquement et efficacement pendant la détention avant jugement, car les détenus ne sont pas toujours pleinement informés de leurs droits fondamentaux dès le début de la privation de liberté, se voient dénier le droit de consulter un avocat ou un médecin en temps opportun et le droit à ce qu’un membre de leur famille ou une personne qu’ils ont désignée soit informé de leur arrestation et du lieu de détention où ils se trouvent, et sont rarement présentés devant un juge dans les délais prévus par la Constitution (art. 2, 11 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de:

a) Prendre des mesures pour que toute personne détenue par la police soit pleinement informée de ses droits fondamentaux dès le début de la privation de liberté , ce qui suppose que ces renseignements lui soient donnés oralement dès le début de la détention, puis complétés dès que possible par une notice imprimée, dont la réception devrait être attestée par la signature de la personne détenue;

b) Dispenser régulièrement aux policiers une formation sur l ’ obligation imposée par la loi de permettre aux personnes en état d ’ arrestation de consulter un avocat et un médecin dès le début de la privation de liberté et d ’ informer un membre de leur famille ou une personne qu ’ elles ont désignée de leur arrestation et du lieu de détention où elles se trouvent;

c) Faire le nécessaire pour que toute personne détenue par la police soit présentée devant un juge dans les délais prévus par la Constitution.

Violence à l ’ égard des femmes, violence au foyer et violence à l ’ égard des enfants

14)Le Comité accueille favorablement la loi no 9669 du 18 décembre 2006 sur les mesures de lutte contre les violences dans la famille, qui vise à mettre en place des structures de police adaptées, des mécanismes de protection pour les victimes de violence dans la famille et un ensemble d’activités de formation, et il note l’adoption, le 16 juin 2011, de la Stratégie nationale pour l’égalité des sexes et la réduction de la violence sexiste et de la violence dans la famille, mais il s’inquiète de ce que le viol conjugal et la violence au foyer ne soient pas considérés comme des infractions pénales à part entière. Le Comité est aussi particulièrement préoccupé par le grand nombre d’actes de violence commis contre des enfants dans la famille et à l’école, et par le fait que les châtiments corporels sur les enfants soient couramment acceptés par la société (art. 2 et 16).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à:

a) Élaborer et adopter, à titre prioritaire, une législation complète sur la violence à l ’ égard de s femmes érigeant en infractions pénales à part entière le viol conjugal et la violence au foyer;

b) Adopter le nouveau projet de loi contre la violence à l ’ égard des enfants à l ’ école, interdire les châtiments corporels dans tous les contextes, y compris dans la famille et les structures assurant une protection de remplacement, et traduire en justice les auteurs de tels actes;

c) Prendre des mesures à tous les niveaux de l ’ administration de façon que le grand public sache que la violence à l ’ égard des femmes et des enfants est interdite en tout lieu et qu ’ il soit sensibilisé aux conséquences préjudiciables de cette violence dans tous les secteurs.

Traite des êtres humains

15)Le Comité prend note des explications données par l’État partie au sujet des modifications apportées au Code pénal en ce qui concerne la lutte contre la traite des êtres humains (art. 110/a, 114/b et 128/b), des activités du Coordonnateur national de la lutte contre la traite des personnes et de l’adoption des «Procédures uniformes pour l’identification et l’orientation des victimes potentielles de la traite» en date du 27 juillet 2011. Cependant, il relève avec une profonde préoccupation qu’il n’existe pas de données sur les mesures prises pour prévenir les actes de traite non plus que sur les poursuites engagées et le type de peine prononcée pour de tels actes (art. 2, 3, 12, 13, 14 et 16).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à:

a) Continuer à prendre des mesures efficaces pour améliorer la protection des victimes de la traite;

b) Prévenir la traite des personn es et les pratiques analogues, procéder rapidement à des enquêtes impartiales et approfondies sur les actes de traite et poursuivre et punir les responsables de tels actes;

c) Donner des moyens de recours aux victimes de la traite, notamment en les aidant à dénoncer les cas de traite à la police, et plus particulièrement en leur fournissant une assistance d ’ ordre juridique, médical et psychologique ainsi que des services de réadaptation et en mettant à leur disposition des refuges appropriés, conformément à l ’ article 14 de la Convention;

d) Empêcher le renvoi de victimes de la traite dans leur pays d ’ origine lorsqu ’ il y a de s motifs sérieux de craindre qu ’ elles ne soient soumis es à la torture, conformément à l ’ article 3 de la Convention;

e) Dispenser régulièrement aux membres de la police, aux procureurs et aux juges une formation sur les moyens efficaces à mettre en œuvre pour prévenir les actes de traite, enquêter sur ces actes, poursuivre leurs auteurs et prononcer des peines appropriées, ainsi qu ’ une formation sur les garanties relatives au droit d ’ être représenté par le conseil de son choix, et informer le grand public de la nature criminelle de ces actes;

f) R assembler des données désagrégées sur les victimes de la traite, les poursuites engagées, le type de peine prononcée, les mesure s de réparation offertes aux victimes et les dispositions prises pour prévenir les actes de traite ainsi que les difficultés rencontrées dans le cadre de la prévention de tels actes .

Détention avant jugement

16)Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption de la loi no 10494 du 22 décembre 2011 relative à la surveillance électronique des personnes sous contrôle judiciaire comme moyen de limiter la détention avant jugement. Il est toutefois préoccupé par le fait que les mesures de détention avant jugement continuent d’être excessivement fréquentes. Le Comité est en particulier préoccupé par des informations indiquant que le nombre d’actes de torture et de mauvais traitements pendant la détention avant jugement est élevé, que la détention avant jugement peut durer jusqu’à trois ans, et que le placement en détention avant jugement est souvent ordonné par les tribunaux sans justification. En outre, le Comité est également préoccupé par des informations indiquant que les personnes qui ont été détenues pendant de longues périodes avant d’être jugées et dont les droits n’ont pas été respectés pendant la détention ont souvent du mal à saisir la justice et à obtenir réparation (art. 2, 11 et 14).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à :

a) Modifier la législation pénale pertinente de façon que le placement en détention avant jugement ne soit ordonné qu ’ en dernier ressort, en particulier quand aucune autre mesure ne conviendrait compte tenu de la gravité du délit;

b) M ettre en place des mesures de substitution à la détention avant jugement et assurer leur mise en œuvre effective par les autorités judiciaires;

c) A dopter toutes les mesures nécessaires pour que la détention avant jugement soit moins fréquente et dure moins longtemps et prendre en considération les dispositions des Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) aux fins de la mise en place de mesures de substitution à la détention provisoire;

d) D ispenser aux membres des forces de l ’ ordre et aux autres catégories de personnel une formation adéquate concernant l ’ application des mesures de détention avant jugement;

e) O uvrir sans délai une enquête sur tout acte de torture ou mauvais traitement perpétré pendant la détention avant jugement et garantir l ’ accès des victimes à la justice et à des mesures de réparation.

Détention administrative

17)Le Comité demeure préoccupé par le maintien en vigueur de la période de détention administrative de dix heures à des fins d’interrogatoire qui précède le délai de quarante-huit heures dans lequel un suspect doit être présenté à un juge (art. 2 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de supprimer la période de détention administrative de dix heures à des fins d ’ interrogatoire et de faire en sorte que les mesures nécessaires à l ’ identification des suspects soient exécutées au cours du délai de quarante-huit heures dans lequel un suspect doit être présenté à un juge.

Non-refoulement

18)Le Comité regrette l’absence d’informations sur les motifs d’expulsion des personnes considérées comme une menace pour la sécurité et sur les garanties offertes à ces personnes eu égard à l’article 3 de la Convention (art. 3).

Le Comité recommande à l ’ État partie de respecter scrupuleusement dans tous les cas l ’ article 3 de la Convention , qui fait obligation aux États parties de ne pas expulser, refouler ni extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu ’ elle risque d ’ être soumise à la torture .

Assurances diplomatiques

19)Le Comité prend note des informations concernant le statut des neuf anciens détenus de Guantanamo et de leurs enfants accueillis par l’Albanie, dont la situation a été régularisée par la délivrance de documents, mais il relève avec préoccupation l’absence d’informations sur les critères appliqués pour demander et accepter des assurances diplomatiques, notamment sur le point de savoir si l’obtention de telles assurances peut influer sur la décision de renvoyer une personne dont il a été établi qu’elle risquerait d’être torturée dans son pays d’origine (art. 3).

Le Comité recommande à l ’ État partie de ne pas demander ni accepter d ’ assurances diplomatiques pour extrader ou renvoyer une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu ’ elle risque d ’ être soumise à la torture ou à des mauvais traitement s , et de renoncer à renvoyer une personne dans son pays d ’ origine si elle risque d ’ y être soumise à la torture ou à des mauvais traitem ents .

Accès aux mécanismes de plainte

20)Le Comité est préoccupé par les informations indiquant que les victimes présumées de mauvais traitements de la part de la police ne connaissent pas les procédures de plainte autres que celle consistant à déposer plainte auprès de la police, laquelle refuse dans certains cas d’accueillir les plaintes faisant état de comportements fautifs de la part de ses membres. Le Comité est également préoccupé par les cas signalés de personnes en situation de vulnérabilité qui auraient renoncé à dénoncer des mauvais traitements de peur que la police ne porte plainte contre elles ou n’exerce d’autres formes de représailles (art. 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures voulues pour:

a) Faire en sorte que des informations sur la possibilité de déposer une plainte contre la police et la procédure à suivre à cet effet soient mises à la disposition du public et largement diffusées, notamment par un affichage bien visible dans tous les postes de police de l ’ État partie;

b) Veiller à ce que toutes les plaintes dénonçant des comportements fau tifs de la part de la police, y compris des cas d ’ intimidation ou de représailles exercées en particulier à l ’ encontre de personnes vulnérables après qu ’ elles ont déposé un plainte contre la police pour mauvais traitements, fassent l ’ objet d ’ un examen et d ’ une enquête en bonne et due forme.

Ouverture sans délai d ’ enquêtes indépendantes et approfondies

21)Le Comité est préoccupé par l’insuffisance des informations concernant les enquêtes sur les affaires de torture, de mauvais traitements et d’utilisation illicite de la force par la police. Il est particulièrement préoccupé par l’absence d’enquêtes effectives sur les allégations de torture et de mauvais traitements mettant en cause des membres des services du Ministère de l’intérieur, due à l’ingérence de ce dernier dans les enquêtes, en violation du principe d’impartialité. Le Comité est préoccupé également par l’absence d’informations concernant le point de savoir s’il a été procédé sans délai à une enquête indépendante et approfondie sur le décès par balle de trois manifestants sur lesquels la police aurait tiré lors de manifestations antigouvernementales à Tirana en janvier 2011. Le Comité se dit par conséquent une nouvelle fois préoccupé par l’absence d’enquêtes indépendantes et efficaces sur les plaintes dénonçant des actes de torture et des mauvais traitements de la part de membres des forces de l’ordre et par l’impunité des auteurs de tels actes. Le Comité est en outre préoccupé par l’absence d’enquêtes sur les cas signalés de maltraitance d’enfants dans des structures de protection sociale (art. 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De prendre toutes les mesures voulues pour faire en sorte que toutes les plaintes dénonçant des actes de torture et des mauvais traitements de la part de la police fassent sans délai l ’ objet d ’ une enquête approfondie menée par des organes indépendants, qu ’ il n ’ y ait aucun lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs et les auteurs présumés et que les responsables soient traduits en justice, et de prendre toutes les mesures qui s ’ imposent pour empêcher que l ’ impunité ne règne , conformément à la recommandation formulée dans le cadre de l ’ Examen périodique universel concernant l ’ Albanie;

b) De faire savoir rapidement au Comité s ’ il a été procédé sans délai à une enquête indépendante et approfondie sur le décès par balle de trois manifestants sur lesquels la police aurait tiré lors de manifestations antigouvernementales à Tirana en janvier 2011, et de donner des renseignements à ce sujet;

c) De réunir des données précises concernant les enquêtes sur des affaires de torture, de mauvais traitements et d ’ utilisation illicite de la force par la police et de les transmettre au Comité;

d) De veiller à ce qu ’ une enquête efficace soit menée sur les cas signalés de maltraitance d ’ enfants dans des structures de protection sociale.

Détention secrète

22)Le Comité note avec préoccupation qu’aucune véritable enquête n’a été diligentée par le Gouvernement au sujet des allégations relatives à l’existence de lieux de détention secrets sur le territoire de l’État partie, utilisés dans le cadre de la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme. Le Comité est également préoccupé par le fait que l’État partie n’a donné aucun renseignement concernant les mesures spécifiques qu’il a prises pour mettre en œuvre les recommandations figurant dans l’étude conjointe des Nations Unies sur les pratiques mondiales concernant le recours à la détention secrète dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (A/HRC/13/42) (art. 2, 3 et 12).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à:

a) Donner des informations sur les mesures prises par le Gouvernement pour mener une enquête sur les allégations relatives à la participation de membres des forces de l ’ ordre de l ’ État partie à des opérations de transfert et de détention secrète;

b) Rendre les résultats de l ’ enquête publics;

c) Prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher ces pratiques à l ’ avenir;

d) Prendre des mesures spécifiques en vue de mettre en œuvre les recommandations figurant dans l ’ étude conjointe des Nations Unies sur les pratiques mondiales concernant le recours à la détention secrète dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (A/HRC/13/42).

Formation des forces de l ’ ordre

23)Le Comité prend note de l’adoption, en décembre 2009, d’un Manuel pour le traitement des personnes en garde à vue mais il demeure préoccupé par des informations indiquant que le personnel des postes de police ignorerait tout du Manuel et des prescriptions qui y sont énoncées. Le Comité se dit également préoccupé par le fait qu’il n’est pas dispensé de formation spécifique concernant le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) à l’ensemble des professionnels qui interviennent directement dans la recherche de preuves physiques et psychologiques de la torture ni au personnel médical et aux autres catégories de personnel qui côtoient des détenus et des demandeurs d’asile. Le Comité est préoccupé de surcroît par l’absence d’informations sur les programmes de formation concernant la Convention et l’Observation générale no 2 (2007) du Comité destinés aux juges (art. 10).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) D ’ assurer à l ’ ensemble du personnel de police une formation adéquate aux prescriptions énoncées dans le M anuel pour le traitement des personnes en garde à vue;

b) De veiller à ce que l ’ ensemble des forces de l ’ ordre, du personnel médical et des autres catégories de personnel qui interviennent dans la garde, l ’ interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné de quelque façon que ce soit et dans la recherche de preuves de la torture reçoivent régulièrement une formation concernant le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul), en vertu duquel les conséquences tant physiques que psychologiques de la torture doivent être identifiées;

c) De veiller à ce que cette formation soit également dispensée au personnel chargé des procédures d ’ examen des demandes d ’ asile;

d) De faire en sorte que les juges bénéficient de programmes de formation efficaces concernant l ’ application de la Convention et l ’ Observation générale n o  2 (2007) du Comité.

Enfants roms portés disparus

24)Le Comité est préoccupé par les informations indiquant que 502 des 661 enfants des rues roms de nationalité albanaise qui avaient été placés entre 1998 et 2002 dans le foyer pour enfants d’Aghia Varvara, en Grèce, seraient portés disparus. Le Comité est particulièrement préoccupé par l’absence de démarches concrètes de la part des autorités de l’État partie pour obtenir que les autorités grecques pertinentes ouvrent sans délai des enquêtes effectives sur les disparitions présumées d’enfants roms (art. 2, 11, 12 et 14).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à se mettre immédiatement en relation avec les autori tés grecques afin que soit créé au plus vite un mécanisme effectif pour mener des enquêtes sur ces affaires, de façon à localiser les enfants portés disparus , en coopération avec le Médiateur de chaque pays et les organisations de la société civile pertinentes, et à déterminer les responsabilités disciplinaires et pénales des personnes impliquées, avant que les faits ne soient prescrits.

Querelles meurtrières entre familles

25)Le Comité prend note des renseignements donnés par l’État partie concernant la baisse du nombre de crimes commis pour venger l’honneur en dehors de toute justice mais il est préoccupé par le fait que cette pratique reste profondément ancrée dans certains groupes de la population, en particulier en raison de la persistance de règles ancestrales qui commandent de défendre et de rétablir l’honneur de la famille perdu par suite du meurtre initial.

Rappelant les recommandations formulées par le Comité des droits de l ’ homme et le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le Comité recommande à l ’ État partie de prendre des mesures supplémentaires, sous la forme notamment de campagnes de sensibilisation, pour mettre fin à la pratique consistant à venger l ’ honneur en dehors de toute justice,et d ’ enquêter sur ces crimes et de poursuivre et punir leurs auteurs.

Identification des membres des groupes d ’ intervention dans les prisons

26)Le Comité est préoccupé par des informations indiquant que les membres des groupes spéciaux d’intervention dans les établissements pénitentiaires ne seraient pas tenus de porter un badge permettant de les identifier dans l’exercice de leurs fonctions (art. 12, 13 et 14).

Le Comité recommande à l ’ État partie de faire en sorte que les membres des groupes spéciaux d ’ intervention puissent être identifiés visuellement en permanence lorsqu ’ ils sont en contact avec des détenus, afin de prévenir les mauvais traitements et de faciliter la détermination des responsab ilités en cas de violation.

Indemnisation adéquate

27)Le Comité note que l’article 44 de la Constitution garantit l’indemnisation des personnes ayant subi des préjudices en raison d’actes ou d’omissions de la part des autorités ou des agents de l’État, mais il est préoccupé par des informations indiquant que, dans la pratique, de nombreuses victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements de la part de policiers ou d’autres agents de l’État doivent engager une action civile pour obtenir une indemnisation (art. 14).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à prendre sans délai des mesures d ’ ordre législatif et autre pour garantir aux victimes d ’ actes de torture et de mauvais traitements, en particulier aux anciens prisonniers politiques et aux personnes persécutées, le droit d ’ obtenir réparation et d ’ être indemnisées équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à leur réadaptation la plus complète possible, à recueillir des données sur les cas dans lesquels une indemnisation et des mesures de réadaptation ont été accordées aux victimes, en précisant la nature de l ’ indemnisation et des mesures de réadaptation accordées, et à faire figurer ces informations dans le prochain rapport périodique.

Collecte de données

28)Le Comité accueille avec satisfaction les statistiques relatives aux infractions fournies par l’État partie, notamment en ce qui concerne les mauvais traitements infligés par la police et la traite des êtres humains. Il prend note des données sur les plaintes dénonçant des mauvais traitements imputés à des membres des forces de l’ordre, ventilées par type d’infraction. Le Comité regrette toutefois l’absence de données détaillées et désagrégées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans des affaires d’actes de torture et de mauvais traitements imputés à des membres des forces de l’ordre, des forces de sécurité, des forces armées et du personnel pénitentiaire, ainsi que sur les crimes d’honneur, la violence dans la famille et la violence sexuelle, les disparitions forcées, et sur les mesures de réparation, notamment les indemnisations et les moyens de réadaptation accordés aux victimes (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de rassembler des données statistiques pertinentes pour la surveillance de la mise en œuvre de la Convention au niveau national, notamment sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans des affaires de torture et de mauvais traitements imputé e s à des membres des forces de l ’ ordre, des forces de sécurité, des forces armées et du personnel pénitentiaire, ainsi que sur les crimes d ’ honneur, la violence dans la famille et la violence sexuelle, les disparitions forcées, et sur les mesures de réparation, notamment les indemnisations et les moyens de réadaptation accordés aux victimes.

29)Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention afin de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant d’États et de particuliers, comme l’a indiqué la délégation de l’État partie.

30)Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, à savoir la Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Protocole facultatif s’y rapportant ainsi que le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

31)L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

32)L’État partie est invité à soumettre un document de base commun, conformément aux instructions relatives au document de base qui figurent dans les Directives harmonisées pour l’établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN/2/Rev.6).

33)Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 1er juin 2013, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 13 et 21 du présent document l’engageant à: a) assurer l’application des garanties juridiques des détenus ou renforcer celles-ci; et b) mener sans délai des enquêtes impartiales et effectives sur les actes de torture ou les mauvais traitements, engager des poursuites et punir les auteurs. Le Comité demande également à l’État partie de lui faire parvenir des renseignements sur la suite donnée aux recommandations figurant aux paragraphes 27 et 28 du présent document, relatives à l’octroi d’une indemnisation équitable et adéquate aux victimes et à la collecte de données.

34)L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le troisième, le 1er juin 2016 au plus tard. À cette fin, le Comité invite l’État partie à accepter d’établir son rapport conformément à la procédure facultative, qui consiste à transmettre à l’État partie une liste de points avant que celui-ci ne soumette le rapport attendu, et à le faire savoir avant le 1er juin 2013. Les réponses à cette liste constitueront le rapport de l’État partie au titre de l’article 19 de la Convention.

61. Arménie

1)Le Comité contre la torture a examiné le troisième rapport périodique de l’Arménie (CAT/C/ARM/3) à ses 1064e et 1067e séances (CAT/C/SR.1064 et 1067), les 10 et 11 mai 2012. À ses 1085e et 1086e séances (CAT/C/SR.1085 et 1086), les 28 et 29 mai 2012, il a adopté les observations finales ci-après.

A. Introduction

2)Le Comité accueille avec satisfaction la soumission du troisième rapport périodique de l’État partie, qui suit les directives générales concernant la forme et le contenu des rapports périodiques. Il regrette toutefois que l’État partie ait soumis son rapport avec sept ans de retard.

3)Le Comité se réjouit de la possibilité qui lui a été offerte d’examiner le respect des dispositions de la Convention avec une délégation de haut niveau de l’État partie. Il sait gré à l’État partie d’avoir soumis des réponses écrites détaillées à la liste des points à traiter (CAT/C/ARM/Q/3 et Add.1) et à la délégation d’avoir présenté, par écrit et oralement, des informations supplémentaires.

B. Aspects positifs

4)Le Comité accueille avec satisfaction la ratification par l’État partie d’un certain nombre d’instruments internationaux et régionaux, notamment les suivants:

a)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en septembre 2006;

b)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, en janvier 2011;

c)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, en septembre 2010;

d)Le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, en septembre 2006;

e)Les Protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, en septembre 2005, et concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, en juin 2005;

f)Le Protocole no 6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales concernant l’abolition de la peine de mort, en septembre 2003.

5)Le Comité note avec satisfaction les mesures législatives prises au cours de la période considérée, notamment:

a)L’adoption en 2008 d’une loi faisant du Défenseur des droits de l’homme le mécanisme national de prévention prévu par le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

b)La promulgation en mars 2002 de la loi sur la garde à vue et la détention provisoire;

c)L’adoption en décembre 2004 du Code pénitentiaire.

6)Le Comité accueille avec satisfaction:

a)La création en 2006 de groupes de surveillance publique composés de représentants d’organisations gouvernementales et non gouvernementales;

b)L’invitation permanente adressée aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales, en avril 2006, et la visite effectuée par le Groupe de travail sur la détention arbitraire en 2010.

7)Le Comité relève avec satisfaction que la délégation a fait savoir que l’État partie envisagerait de faire la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention, afin de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications présentées par des particuliers.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Allégations de torture et de mauvais traitements durant la garde à vue

8)Le Comité est gravement préoccupé par les allégations, nombreuses et concordantes, corroborées par des sources diverses, faisant état de l’utilisation systématique de la torture et des mauvais traitements durant la garde à vue, en particulier pour arracher des aveux aux suspects aux fins de l’action pénale (art. 2, 4, 12 et 16).

L ’ État partie devrait d ’ urgence prendre des mesures concrètes pour prévenir les actes de torture et les mauvais traitements dans tout le pays. Le Comité demande instamment à l ’ État partie d ’ ouvrir sans délai des enquêtes approfondies et impartiales sur tous les cas de torture, de mauvais traitements et de décès en détention; de traduire les responsables en justice et de faire publiquement état des résultats des procédures engagées. De plus, l ’ État partie devrait réaffirmer sans ambiguïté l ’ interdiction absolue de la torture et faire clairement savoir que quiconque commettrait de tels actes, en serait complice ou les tolérerait, en serait tenu personnellement responsable devant la loi, ferait l ’ objet de poursuites pénales et se verrait infliger les peines appropriées .

Bizutage et mauvais traitements dans les forces armées

9)Le Comité demeure préoccupé par les allégations selon lesquelles des décès suspects continuent de se produire dans les forces armées arméniennes en dehors des combats et le bizutage et autres mauvais traitements de conscrits continuent d’être pratiqués par les officiers et les autres soldats, sous les ordres ou avec le consentement, express ou tacite, ou l’approbation d’officiers ou d’autres militaires. Il prend acte des renseignements fournis par la délégation, mais demeure préoccupé par les informations selon lesquelles de nombreux incidents de ce type n’ont donné lieu à aucune enquête ou ont fait l’objet d’une enquête inadéquate, notamment dans le cas des décès de Vardan Sevian, Artak Nazerian et Artur Hakobian. Le Comité est également préoccupé par les informations faisant état de l’absence d’enquête au sujet d’allégations de sévices, tels que ceux infligés à Vardan Martirosian, et de l’insuffisance des peines imposées aux personnes reconnues coupables de tels sévices (art. 2, 4, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait renforcer les mesures visant à interdire et à éliminer le bizutage dans les forces armées et veiller à ce que toutes les plaintes pour bizutage et décès de soldats en dehors des combats donnent lieu sans délai à des enquêtes impartiales et complètes. Lorsque des éléments de preuve corroborent les allégations de bizutage, l ’ État partie devrait faire en sorte que tous les incidents donnent lieu à des poursuites et que les coupables soient dûment punis, rendre publics les résultats des enquêtes et fournir aux victimes une indemnisation et des moyens de réadaptation, notamment par le biais d ’ une aide médicale et psychologique adaptée.

Définition, interdiction absolue et incrimination de la torture

10)Le Comité constate avec préoccupation que la législation nationale érigeant la «torture» en infraction (art. 119 du Code pénal) n’est pas conforme à la définition de la torturedonnée à l’article premier de la Convention, et que la «torture», telle qu’elle est actuellement définie par l’État partie, ne comprend pas les infractions commises par des fonctionnaires, mais s’applique seulement aux infractions commises par des particuliers agissant à titre privé, ce qui fait qu’aucun fonctionnaire n’a jamais été reconnu coupable de torture par l’État partie. Il est préoccupé par les informations selon lesquelles des fonctionnaires ont classé des affaires de «torture» présumée, au motif de la réconciliation du défendeur avec la victime. Il est également préoccupé par les sanctions prévues actuellement (une peine minimale de trois ans d’emprisonnement et une peine maximale de sept ans d’emprisonnement en cas de circonstances aggravantes) qui ne tiennent pas compte de la gravité du crime. Il est en outre préoccupé par le fait que plusieurs personnes accusées de «torture» ou de mauvais traitements en application d’autres articles du Code pénal, ont bénéficié d’une amnistie (art. 1er et 4).

Le Comité sait gré à la délégation d ’ avoir déclaré oralement que l ’ Arménie avait l ’ intention de modifier le Code pénal et recommande à l ’ État partie de veiller à ce que la définition de la torture soit pleinement conforme aux dispositions des articles premier et 4 de la Convention. L ’ État partie devrait également veiller à ce que tous les fonctionnaires qui commettent un acte constitutif de torture ou de mauvais traitement soient dûment inculpés et sanctionnés par une peine qui prenne en considération la gravité de l ’ acte de torture, comme prévu à l ’ article 4 de la Convention. L ’ État partie devrait en outre veiller à ce que les personnes reconnues coupables de faits de torture ou autres actes assimilables en vertu du Code pénal ne bénéficient d ’ aucune prescription, et à ce que les autorités soient tenues d ’ ouvrir une enquête et de punir les auteurs de tels actes , que le(s) défendeur(s) et la(les) victime(s) soient ou non réconciliés .

Garanties juridiques fondamentales

11)En dépit des garanties prévues par la loi, dans la décision gouvernementale 574-N de juin 2008 et l’instruction 12-C, d’avril 2010, du chef de la police, et par la Cour de cassation dans l’arrêt qu’elle a rendu en décembre 2009 dans l’affaire G. Mikaelyan, le Comité est vivement préoccupé par les informations selon lesquelles, dans la pratique, l’État partie ne fait pas le nécessaire pour que tous les détenus bénéficient dès leur privation de facto de liberté de toutes les garanties fondamentales, dont le droit d’avoir accès en temps voulu à un avocat et à un médecin, et le droit de contacter des proches. Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles les fonctionnaires de police ne tiennent pas un registre précis de toutes les périodes de privation de liberté, n’offrent pas les garanties fondamentales aux personnes en détention, en particulier les personnes privées de liberté pour lesquelles aucun procès-verbal de détention n’a été établi, n’avisent pas en bonne et due forme les détenus de leurs droits pendant leur détention; ne respectent pas la limite de trois jours pour transférer les personnes privées de liberté du commissariat à leur lieu de détention et ne présentent pas rapidement les détenus à un juge. Le Comité constate également que le nombre de défenseurs publics demeure insuffisant dans l’État partie (art. 2).

Dans le contexte de la réforme législative en cours et, notamment, de la modification du Code de procédure pénale, l ’ État partie devrait sans tarder prendre des mesures efficaces pour faire en sorte que, en droit et dans la pratique, tous les détenus jouissent de toutes les garanties juridiques, dès le début de la privation de liberté. Il s ’ agit en particulier des droits de communiquer avec un avocat, d ’ être examiné par un médecin indépendant, d ’ aviser un proche, d ’ être informé de leurs droits et de comparaître rapidement devant un juge.

L ’ État partie devrait prendre des mesures pour garantir l ’ enregistrement audio ou vidéo de tous les interrogatoires menés dans les commissariats et les centres de détention à titre de mesure préventive supplémentaire. Le Comité encourage l ’ État partie à mettre dès que possible à exécution son plan visant à exiger des services de police qu ’ ils établissent un procès-verbal de détention au format électronique dès la privation de facto de liberté des personnes en garde à vue. L ’ État partie devrait garantir l ’ accès des avocats et des membres de la famille des détenus à ces enregistrements.

L ’ État partie devrait augmenter les ressources allouées au Bureau du Défenseur public du Conseil de l ’ ordre des avocats pour garantir l ’ accès à une aide juridictionnelle efficace.

Enquêtes et impunité

12)Le Comité est profondément préoccupé par les allégations selon lesquelles des actes de torture et de mauvais traitements commis par des agents chargés de l’application des lois et par des militaires ne font pas l’objet dans les meilleurs délais d’une enquête et de poursuites impartiales et efficaces. Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations selon lesquelles le Bureau du Procureur demande à la police d’enquêter sur certaines allégations de torture et de mauvais traitements mettant en cause des policiers, au lieu de confier ces plaintes à un service d’enquête indépendant. À cet égard, le Comité est préoccupé par le fait que le Bureau du Procureur ne s’assure pas régulièrement que des procureurs différents supervisent toute enquête portant sur une infraction et examinent les allégations de torture mettant en cause des policiers formulées par l’auteur présumé de l’infraction en question. Il est également préoccupé par le fait que le Service des enquêtes spéciales ne soit pas parvenu à rassembler des éléments de preuve suffisants pour identifier les coupables dans un certain nombre d’affaires de torture ou de mauvais traitements mettant en cause des fonctionnaires, ce qui soulève la question de son efficacité. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles des fonctionnaires qui auraient commis des actes de torture ou de mauvais traitements ne sont pas immédiatement suspendus de leurs fonctions ou transférés le cas échéant pendant la durée de l’enquête, en particulier s’il y a un risque qu’ils soient à même de récidiver ou de faire obstacle à l’enquête (art. 2, 11, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Prendre des mesures concrètes pour garantir l ’ ouverture d ’ enquêtes approfondies et impartiales sur toutes les allégations d ’ actes de torture et de mauvais traitements mettant en cause des agents chargés de l ’ application des lois et des militaires, qui aboutissent à l ’ engagement de poursuites contre les responsables et à l ’ imposition de peines qui prennent en considération la gravité de l ’ acte;

b) Veiller à ce que toutes les enquêtes sur des infractions mettant en cause des fonctionnaires soient menées par un organe indépendant et efficace ;

c) Veiller à ce que tous les fonctionnaires présumés responsables de violations de la Convention soient suspendus de leurs fonctions pendant la durée de toute enquête sur les allégations les mettant en cause.

Le Comité demande instamment à l ’ État partie de fournir des informations sur le nombre de plaintes déposées contre des fonctionnaires dénonçant des actes constitutifs de torture ou de mauvais traitements au sens de la Convention , ainsi que des informations sur les résultats des enquêtes auxquelles elles ont donné lieu et, le cas échéant, sur les procédures pénales ou disciplinaires engagées. Ces informations devraient décrire chaque allégation pertinente et indiquer quelle autorité a mené l ’ enquête.

Décès en détention

13)Le Comité est préoccupé par les informations fournies par l’État partie et par des organisations non gouvernementales au sujet de décès en détention, notamment le décès en garde à vue de Vahan Khalafyan et de Levon Gulyan (art. 2, 11, 12 et 16).

Le Comité demande instamment à l ’ État partie de mener sans délai une enquête impartiale et efficace sur les décès de détenus, qui permette d ’ apprécier l ’ éventuelle responsabilité de fonctionnaires, et de veiller à punir les coupables et à indemniser les familles des victimes. Il demande à l ’ État partie de fournir des informations exhaustives et actualisées sur tous les cas signalés de décès en détention, indiquant notamment le lieu, la cause du décès et les résultats des enquêtes menées, le cas échéant, ainsi que les peines prononcées ou l ’ indemnisation accordée à la famille des victimes.

Plaintes, représailles et protection des victimes, des témoins et des défenseurs des droits de l ’ homme

14)Le Comité note avec préoccupation les informations selon lesquelles des victimes et des témoins d’actes de torture et de mauvais traitements ne déposent pas plainte auprès des autorités par crainte de représailles. Il prend note des informations selon lesquelles des défenseurs des droits de l’homme, ainsi que des journalistes, ont fait l’objet de menaces et d’actes d’intimidation du fait de leur travail et l’État partie a pris peu de mesures pour assurer leur protection (art. 2, 11, 12, 13, 15 et 16).

Le Comité demande instamment à l ’ État partie de mettre en place un mécanisme efficace pour faciliter le dépôt de plainte par les victimes et témoins d ’ actes de torture et de mauvais traitements auprès des autorités et pour garantir dans la pratique que les plaignants ne fassent pas l ’ objet de mauvais traitements, d ’ actes d ’ intimidation ou de représailles en raison de leur plainte. L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour que les défenseurs des droits de l ’ homme, ainsi que les journalistes, soient protégés contre tout acte d ’ intimidation ou de violence.

Réparation, y compris indemnisation et réadaptation

15)Le Comité note que l’État partie a versé une indemnité aux victimes à la suite de l’arrêt de la Cour européenne de justice de juillet 2011, mais il regrette que l’État partie n’ait fourni que peu d’informations concernant le montant de toute indemnité accordée par les tribunaux aux victimes de violations de la Convention, notamment aux personnes qui ont été privées des garanties fondamentales ou ont subi des actes de torture ou des mauvais traitements en détention. Le Comité est préoccupé par le fait que la loi ne prévoie pas pour les victimes de la torture d’autres mesures de réparation qu’une indemnisation financière. Il constate le manque d’informations fournies concernant les éventuels services de traitement et de réadaptation sociale, y compris les services de réadaptation physique et psychosociale, mis à la disposition des victimes (art. 14).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour assurer aux victimes de la torture et de mauvais traitements une réparation sous la forme d ’ une indemnisation équitable et suffisante et d ’ une réadaptation la plus complète possible. Il devrait également modifier sa législation pour y inclure des dispositions explicites sur le droit à réparation des victimes de la torture, notamment le droit à une indemnisation équitable et adéquate et le droit d ’ obtenir réparation du préjudice causé par la torture conformément aux dispositions de l ’ article 14 de la Convention. Il devrait fournir au Comité des informations sur les mesures prises à cet égard, notamment en ce qui concerne les ressources allouées pour permettre le fonctionnement efficace des programmes de réadaptation.

Extorsion d ’ aveux

16)Le Comité est préoccupé par les allégations selon lesquelles les tribunaux de l’État partie utilisent comme éléments de preuve des aveux obtenus sous la contrainte. Il s’inquiète aussi des informations selon lesquelles les tribunaux n’ont pas suspendu les procédures pénales dans lesquelles le défendeur affirmait que ses aveux avaient été obtenus par la torture et n’ont pas demandé d’enquêtes approfondies. Il est en outre préoccupé par l’absence d’informations sur les cas dans lesquels les tribunaux de l’État partie ont jugé irrecevables comme preuves des aveux obtenus par la torture (art. 2, 11, 15 et 16).

Le Comité demande instamment à l ’ État partie de veiller à ce que, dans la pratique, les déclarations obtenues par la torture ne soient pas invoquées comme preuves dans les procédures. L ’ État partie devrait aussi veiller à ce que chaque fois qu ’ une personne dit avoir fait des aveux sous la torture, la procédure soit suspendue en attendant qu ’ une enquête approfond ie soit réalisée pour vérifier c es allégations. Le Comité engage instamment l ’ État partie à réexaminer les cas de condamnations uniquement fondées sur des aveux.

Le Comité engage l ’ État partie à combattre fermement tout recours à la torture pour extorquer des aveux, et à veiller à ce que, dans la pratique, les aveux obtenus sous la torture ne soient jamais utilisés comme preuves dans les procédures judiciaires. L ’ État partie devrait veiller à ce que la législation relative aux modes de preuve judiciaires soit conforme à l ’ article 15 de la Convention, et devrait indiquer si des agents de l ’ État ont été poursuivis et condamnés pour extorsion d ’ aveux.

Indépendance de l ’ appareil judiciaire

17)Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles la magistrature ne serait pas indépendante et, en particulier, par le fait que le pouvoir de nommer, de promouvoir et de révoquer les juges appartient uniquement au Président et à l’appareil exécutif. Le Comité est en outre préoccupé de ce qu’en vertu de la législation de l’État partie, la responsabilité pénale des juges peut être engagée s’ils rendent un jugement ou un autre acte judiciaire injuste (art. 2, 12 et 13).

L ’ État partie devrait prendre des mesures pour garantir l ’ indépendance et l ’ impartialité totales de la magistrature dans l ’ exercice de ses fonctions, et revoir le régime de nomination, de promotion et de révocation des juges au regard des normes internationales applicables, notamment des Principes fondamentaux relatifs à l ’ indépendance de la magistrature, qui disposent notamment qu ’ un juge ne peut être suspendu ou destitué que s ’ il est inapte à poursuivre ses fonctions pour incapacité ou inconduite.

Violence à l ’ égard des femmes, y compris la traite

18)Le Comité est préoccupé par l’ampleur de la violence physique et sexuelle dont les femmes seraient victimes. Le préoccupe en outre le fait que celles-ci signalent rarement à la police les mauvais traitements et les actes de violence qu’elles subissent. Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations selon lesquelles il n’existerait aucun refuge financé par l’État pour les femmes victimes de violence au foyer, laquelle n’est pas érigée en infraction dans l’État partie. Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fourni de renseignements sur les moyens de réparation et d’indemnisation, y compris de réadaptation, offerts aux femmes victimes de violence. S’il accueille avec satisfaction les divers plans nationaux de lutte contre la traite des êtres humains qui ont été adoptés au cours de la période considérée, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles l’Arménie reste un pays d’origine et de destination pour la traite des femmes et des jeunes filles (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour prévenir, combattre et réprimer la violence à l ’ égard des femmes et des enfants, en particulier la violence au foyer, notamment en modifiant sa législation pénale pour ériger la violence au foyer en infraction distincte, en menant des campagnes de sensibilisation et de formation sur le thème de la violence au foyer à l ’ intention des membres des forces de l ’ ordre et de la population en général, et en fournissant aux victimes de violence une protection et une réparation immédiates, en particulier des moyens de réadaptation.

L ’ État partie devrait aussi créer les conditions nécessaires pour que les femmes victimes de la violence, notamment de la violence au foyer et de la traite, puissent exercer leur droit de porter plainte. Il devrait enquêter de façon approfondie sur toutes les allégations de violence au foyer et de traite, ainsi que poursuivre et punir tous les responsables.

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ assurer la mise en place du mécanisme national de 2008 d ’ aide aux victimes de la traite et de fournir les services dont les victimes ont besoin, s ’ agissant notamment de l ’ accès à un refuge, à une assistance médicale et psychologique professionnelle, et à des programmes de formation.

Conditions de détention

19)Le Comité salue les efforts déployés par l’État partie pour améliorer les conditions de détention dans les prisons, notamment la rénovation de certains établissements et la construction d’une nouvelle prison, mais il demeure préoccupé par les informations selon lesquelles les prisons seraient gravement surpeuplées, manqueraient de personnel et n’auraient pas de quoi nourrir et soigner convenablement les détenus. Le Comité est préoccupé par les allégations de corruption dans les prisons, notamment de la part de groupes de prisonniers dont l’attitude paraît être tolérée par le personnel pénitentiaire. Il est également préoccupé par les informations faisant état de violence et de discrimination visant des victimes choisies par les groupes en question en raison de leur orientation sexuelle supposée ou de leur nationalité. Le Comité regrette que les tribunaux n’appliquent pas davantage des mesures de substitution à la détention et qu’un mécanisme confidentiel n’ait pas été mis en place pour permettre aux détenus de porter plainte pour torture ou mauvais traitements. Le Comité prend note de la création de groupes de surveillance publique, composés de représentants d’organisations non gouvernementales et chargés de procéder à une surveillance dans les établissements pénitentiaires et les commissariats de police. Toutefois, le Comité note avec inquiétude que le groupe de surveillance de la police n’est pas autorisé à accéder librement aux commissariats de police (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait continuer à prendre des mesures efficaces pour améliorer les conditions de vie dans les lieux de détention et pour y réduire la surpopulation. Le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour atténuer la surpopulation carcérale, notamment en adoptant des mesures de substitution à la prison conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo), et de lui fournir des renseignements sur tout régime de probation mis en place pour s ’ occuper des peines de substitution, de la libération conditionnelle et de la réadaptation.

L ’ État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour éliminer toutes les formes de violence ou de discrimination à l ’ égard des détenus en raison de leur orientation sexuelle ou de leur nationalité, y compris tous les actes violents et discriminatoires auxquels se livrent des détenus contre d ’ autres détenus. Il devrait créer un mécanisme confidentiel pour recevoir et examiner les plaintes pour torture ou mauvais traitements, et veiller à ce qu ’ un tel mécanisme soit mis en place dans tous les lieux de privation de liberté. L ’ État partie devrait veiller aussi à ce que toutes les plaintes reçues fassent sans délai l ’ objet d ’ enquêtes impartiales et efficaces, et que les responsables soient punis en conséquence.

L ’ État partie devrait veiller à ce que le groupe de surveillance de la police ait accès à tous les commissariats de police et puisse s ’ y rendre de façon inopinée. Il devrait aussi prendre des mesures efficaces pour exercer un contrôle systématique de tous les lieux de détention, y compris des services de santé fournis dans ces lieux de détention, et devrait prendre des mesures pour éliminer la corruption dans les prisons.

Violence postélectorale

20)Le Comité note avec inquiétude qu’en dépit des efforts engagés par l’État partie pour enquêter sur les allégations d’usage excessif et aveugle de la force par la police dans le cadre des affrontements entre la police et les manifestants à la suite des élections de février 2008, le Service des enquêtes spéciales continuerait encore d’enquêter sur les 10 décès survenus durant les affrontements. Le Comité est aussi préoccupé par les allégations nombreuses selon lesquelles, peu après les affrontements, de nombreuses personnes auraient été arbitrairement arrêtées, n’auraient pas eu le droit d’avoir accès à l’avocat de leur choix et auraient été soumises à des mauvais traitements pendant leur détention, et par le fait qu’aucune enquête satisfaisante n’ait été menée sur ces allégations (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait accélérer l ’ enquête sur les 10 décès liés aux affrontements survenus à la suite des élections de février 2008 et devrait veiller à ce que tous les agents des forces de l ’ ordre qui se sont livrés à un usage excessif ou aveugle de la force fassent l ’ objet de poursuites et de condamnations appropriées compte tenu de la gravité de leur crime, et à ce que les familles des victimes obtiennent réparation, y compris une indemnisation. L ’ État partie devrait aussi veiller à ce que les allégations plus générales mettant en cause l ’ usage excessif et aveugle de la force par la police, ainsi que des mauvais traitements et un déni des garanties de sa part après les élections en question fassent l ’ objet d ’ enquêtes indépendantes efficaces. L ’ État partie devrait prendre des mesures pour que les personnes qui disposeraient d ’ informations sur les événements de mars 2008 soient effectivement protégées contre des mesures de représailles et d ’ intimidation.

Justice pour mineurs

21)Le Comité regrette l’absence d’une justice pour mineurs, notamment de tribunaux pour mineurs. Il prend note de la création d’un groupe de surveillance publique, composé de représentants d’organisations non gouvernementales et chargé de surveiller les pensionnats spéciaux. Toutefois, le Comité est préoccupé par la pratique qui consisterait à placer des mineurs à l’isolement pendant une période pouvant aller jusqu’à dix jours, à titre de sanction disciplinaire, dans ces pensionnats spéciaux (art. 11, 12 et 16).

Le Comité encourage l ’ État partie à créer un système de justice pour mineurs et, en particulier, à établir une division ou une juridiction spécialisée pour mineurs, dotée de juges et d ’ autres personnels judiciaires ayant la compétence professionnelle voulue pour traiter les affaires impliquant des mineurs, et à veiller à ce qu ’ elle opère conformément aux normes internationales. L ’ État partie devrait suivre de plus près la situation des pensionnats spéciaux afin de s ’ assurer que les enfants ne soient pas victimes d ’ intimidation, de maltraitance ou de violence. L ’ État partie devrait limiter la mise à l ’ isolement pour en faire une mesure de dernier recours, pour la durée la plus courte possible, sous stricte supervision et avec la possibilité d ’ un contrôle juridictionnel. Le placement à l ’ isolement de mineurs devrait être limité à des cas très exceptionnels.

Utilité du Défenseur des droits de l ’ homme

22)Le Comité est préoccupé par l’insuffisance des ressources dont dispose le Défenseur des droits de l’homme (médiateur), qui fait office de mécanisme national de prévention pour l’Arménie, pour s’acquitter efficacement de son mandat. Il note aussi avec préoccupation que certaines recommandations formulées par le Défenseur des droits de l’homme à l’intention des autorités ne sont pas suivies d’effets (art. 2 et 12).

Le Comité recommande à l ’ État partie de fournir les ressources nécessaires au Défenseur des droits de l ’ homme pour lui permettre de s ’ acquitter efficacement de son double mandat de médiateur et de mécanisme national de prévention de l ’ Arménie, conformément aux directives concernant les mécanismes nationaux de prévention établies par le Sous-Comité pour la prévention de la torture. L ’ État partie devrait veiller à ce que les forces de l ’ ordre, les membres du parquet, les membres de l ’ armée et le personnel pénitentiaire collaborent avec le Défenseur des droits de l ’ homme, et devrait prendre des mesures pour faire appliquer ses recommandations.

Service de remplacement

23)Le Comité prend note du projet de loi visant à modifier et à compléter la loi sur le service militaire de remplacement, mais il demeure préoccupé de ce que l’État partie, comme il le reconnaît lui-même, continue de maintenir en détention de nombreuses personnes qui refusent d’effectuer leurs obligations militaires, certaines d’entre elles étant des objecteurs de conscience qui se sont opposés au service de remplacement au motif qu’il était exclusivement supervisé par du personnel militaire (art. 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter le projet de loi sur le service militaire de remplacement et de réexaminer la situation de toutes les personnes emprisonnées pour avoir refusé d ’ effectuer le service de remplacement pour des motifs religieux.

Non-refoulement

24)Le Comité regrette le manque d’informations concernant les garanties contre la torture dans les cas d’extradition et d’expulsion. Il est en outre préoccupé par l’absence de renseignements sur les assurances diplomatiques obtenues par l’État partie avant de renvoyer des demandeurs d’asile vers des pays voisins et dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord d’extradition qui existerait entre la Police nationale arménienne et la Police de la Fédération de Russie, ainsi que le manque de données sur le nombre de personnes extradées en application de cet accord. Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles l’État partie a délivré des mandats en vue d’une extradition sans autoriser les personnes concernées à exercer leur droit de recours conformément au paragraphe 2 de l’article 479 du Code de procédure pénale et sans respecter les procédures normales d’extradition (art. 3).

L ’ État partie ne devrait pas chercher à obtenir ni accepter des assurances diplomatiques de la part d ’ un État dans lequel il y a des motifs sérieux de croire qu ’ une personne risquerait d ’ être soumise à la torture. L ’ État partie devrait fournir au Comité des renseignements détaillés sur tous les cas dans lesquels des assurances diplomatiques ont été obtenues.

Le Comité recommande également à l ’ État partie de respecter ses obligations de non ‑refoulement au titre de l ’ article 3 de la Convention, y compris le droit de faire appel du mandat en vue de l ’ extradition, comme il est prévu au paragraphe 2 de l ’ article 479 du Code de procédure pénale.

Formation

25)Le Comité se félicite de l’organisation de programmes de formation aux droits de l’homme à l’intention des membres des forces de l’ordre et de l’armée au cours de la période considérée. Il regrette toutefois le manque d’informations sur le suivi et l’évaluation de l’efficacité de ces programmes de formation en termes de réduction des cas de torture et de mauvais traitements. Le Comité regrette aussi l’absence d’informations sur l’utilisation du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), dans le cadre de ces programmes de formation (art. 10).

L ’ État partie devrait renforcer les programmes de formation à l ’ intention des membres des forces de l ’ ordre, du personnel militaire et du personnel pénitentiaire concernant les exigences de la Convention, et devrait en évaluer l ’ efficacité. Il devrait aussi veiller à ce que les agents de l ’ État concernés reçoivent une formation sur l ’ utilisation du Protocole d ’ Istanbul pour déceler les signes de torture et de mauvais traitements.

26)Le Comité invite l’État partie à envisager de ratifier les principaux instruments internationaux des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, à savoir la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

27)L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

28)L’État partie est invité à mettre à jour son document de base commun (HRI/CORE/1/Add.57), conformément aux instructions relatives au document de base qui figurent dans les Directives harmonisées pour l’établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN/2/Rev.6).

29)Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 1er juin 2013, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations portant sur: a) la conduite rapide d’enquêtes impartiales et effectives; b) la mise en place de garanties juridiques pour les personnes détenues ou le renforcement des garanties existantes; et c) les poursuites engagées contre les suspects et les sanctions prises contre les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements, recommandations qui sont formulées aux paragraphes 8, 11 et 12 du présent document.

30)L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le quatrième, d’ici au 1er juin 2016. À cet effet, le Comité invite l’État partie à accepter, le 1er juin 2013 au plus tard, d’établir son rapport selon la procédure facultative, qui consiste pour le Comité à adresser à l’État partie une liste de points à traiter établie avant la soumission du rapport périodique. Les réponses de l’État partie à la liste de points à traiter constitueront son prochain rapport périodique au titre de l’article 19 de la Convention.

62. Canada

1)Le Comité a examiné le sixième rapport périodique du Canada (CAT/C/CAN/6) à ses 1076e et 1079e séances, les 21 et 22 mai 2012 (CAT/C/SR.1076 et 1079), et a adopté à ses 1087e et 1088e séances (CAT/C/SR.1087 et 1088) les observations finales suivantes.

A. Introduction

2)Le Comité accueille avec satisfaction le sixième rapport périodique de l’État partie qui, dans l’ensemble, est conforme aux directives concernant la forme et le contenu des rapports périodiques. Il regrette toutefois que le rapport ait été présenté avec trois ans de retard.

3)Le Comité a apprécié le dialogue ouvert qu’il a eu avec la délégation interministérielle de l’État partie et les efforts déployés par celle-ci pour fournir des réponses complètes aux questions posées par les membres du Comité durant le dialogue. Il remercie en outre l’État partie pour les réponses écrites détaillées à la liste des points à traiter, qui ont toutefois été soumises avec trois mois de retard, juste avant la tenue du dialogue. Ce retard a empêché le Comité de procéder à une analyse approfondie des renseignements fournis par l’État partie.

4)Le Comité sait que l’État partie a une structure fédérale, mais rappelle que le Canada est un État unique au regard du droit international et qu’il a l’obligation d’appliquer pleinement la Convention sur son territoire.

B. Aspects positifs

5)Le Comité prend note des efforts actuellement déployés par l’État partie pour revoir sa législation, ses politiques et ses procédures dans les domaines relevant de la Convention, notamment:

a)La création de la Division d’appel pour les réfugiés au sein de la Commission indépendante de l’immigration et du statut de réfugié en vertu de la loi de 2011 sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés;

b)La réalisation d’une enquête interne sur les actions des autorités canadiennes dans les affaires concernant Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin (enquête Iacobucci), en décembre 2006;

c)L’établissement du Comité de priorités et d’action pour la mise en œuvre du rapport Ipperwash par le Gouvernement de l’Ontario en 2007 afin de mettre en œuvre les recommandations figurant dans le rapport de la Commission d’enquête sur Ipperwash;

d)L’établissement du Comité de partenariat provincial sur les personnes disparues dans la province de Saskatchewan en janvier 2006;

e)L’enquête Braidwood ouverte par la province de la Colombie britannique en 2008 afin d’examiner le cas de Robert Dziekanski.

6)Le Comité note avec satisfaction que le Canada a présenté des excuses officielles et a versé une indemnisation à Maher Arar et à sa famille peu après la publication d’un rapport sur Maher Arar par la Commission d’enquête sur les actions des autorités canadiennes.

7)Le Comité note avec satisfaction que la police montée canadienne (Gendarmerie royale) a présenté des excuses officielles à la mère de Robert Dziekanski suite au décès de celui-ci.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Incorporation de la Convention dans le droit interne

8)Le Comité prend note avec satisfaction de la déclaration faite par la délégation selon laquelle les gouvernements canadiens, à tous les niveaux, prennent très au sérieux les obligations qui leur incombent en vertu de la Convention, mais regrette toutefois que le Canada n’ait pas incorporé toutes les dispositions de la Convention dans son droit interne et que ces dispositions ne peuvent être invoquées devant les tribunaux autrement que par le biais d’instruments juridiques nationaux. Le Comité estime que l’incorporation de la Convention dans le droit canadien n’aurait pas seulement valeur de symbole, mais renforcerait aussi la protection des personnes en leur donnant la possibilité d’invoquer directement les dispositions de la Convention devant les tribunaux (art. 2).

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ incorporer toutes les dispositions de la Convention dans son droit interne afin que les personnes puissent en invoquer directement les dispositions devant les tribunaux, d ’ accorder la primauté à la Convention et d ’ en faire mieux connaître les dispositions aux membres de la magistrature et à l ’ ensemble de la population. L ’ État partie devrait en particulier prendre toutes les mesures nécessaires pour s ’ assurer que les dispositions de la Convention prévoyant une compétence universelle puissent être directement appliquées devant les juridictions nationales.

Non-refoulement

9)Le Comité prend note de l’information fournie par l’État partie selon laquelle la loi autorisant l’expulsion même s’il existe un risque de torture est purement théorique. Toutefois, le fait est que cette loi est toujours en vigueur. En conséquence, le Comité demeure préoccupé par les points suivants (art. 3):

a)La loi canadienne, en particulier l’article 115 2) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, continue de prévoir des dérogations au principe de non-refoulement;

b)L’État partie continue, dans la pratique, à se livrer à des expulsions, des extraditions ou autres transferts de personnes, en ayant recours souvent à des certificats de sécurité en vertu de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et parfois à des assurances diplomatiques, ce qui pourrait aboutir à des violations du principe de non-refoulement;

c)On manque d’information sur les enquêtes menées sur toutes les allégations de violation de l’article 3 de la Convention, sur les réparations offertes aux victimes et sur les mesures prises pour garantir des modalités de surveillance efficace après l’expulsion.

Rappelant sa précédente recommandation (CAT/C/CR/34/CAN, par. 5 a) et b)), le Comité demande instamment à l ’ État partie de modifier les lois pertinentes, notamment la loi sur l ’ immigration et la protection des réfugiés, afin de respecter sans condition le principe absolu de non-refoulement consacré par l ’ article 3 de la Convention, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour appliquer pleinement ce principe dans la pratique, en toutes circonstances. En outre, l ’ État partie devrait s ’ abstenir de recourir à des assurances diplomatiques pour expulser quelqu ’ un vers un pays où il existe des motifs sérieux de croire qu ’ il risque d ’ être soumis à la torture.

10)Le Comité craint que le refus de l’État partie de se conformer systématiquement aux décisions prises par le Comité en vertu de l’article 22 de la Convention et aux demandes de mesures provisoires de protection, en particulier dans les cas impliquant une expulsion et une extradition (en référence aux communications nos 258/2004, Dadar c. Canada, et 297/2006, Sogi c. Canada), ne remette en cause l’engagement de l’État partie à respecter la Convention. Le Comité rappelle que l’État partie, en ratifiant la Convention et en acceptant la compétence du Comité en vertu de l’article 22 de la Convention, s’est engagé à coopérer avec le Comité de bonne foi en appliquant et en respectant pleinement la procédure des communications individuelles établie par ledit article. En conséquence, le Comité estime qu’en expulsant des requérants au mépris des décisions ou des demandes de mesures provisoires du Comité, l’État partie n’a pas respecté les obligations qui lui incombent en vertu des articles 3 et 22 de la Convention (art. 3 et 22).

L ’ État partie devrait coopérer pleinement avec le Comité, en particulier en respectant dans tous les cas ses décisions et demandes de mesures provisoires. Le Comité recommande à l ’ État partie de revoir sa politique en la matière, en examinant de bonne foi les demandes de mesures provisoires dont il est saisi et en conformité avec ses obligations en vertu des articles 3 et 22 de la Convention.

11)Tout en prenant note de la déclaration de l’État partie selon laquelle les forces armées canadiennes ont évalué le risque de torture ou de mauvais traitement avant de remettre un détenu aux autorités afghanes (CAT/C/CAN/Q/6/Add.1, par. 155), le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles des prisonniers transférés par les forces armées canadiennes en Afghanistan aux autorités d’autres pays ont subi des actes de torture et des mauvais traitements (art. 3).

L ’ État partie devrait adopter pour ses prochaines opérations militaires une politique qui interdis e expressément les transfèrements de prisonniers vers un pays où il existe des motifs sérieux de croire qu ’ ils seront soumis à la torture, et reconnaisse que les assurances diplomatiques et les mécanismes de surveillance ne sauraient être invoqués pour justifier les transfèrements de détenus lorsqu ’ il existe des risques importants de torture.

Certificats de sécurité en vertu de la loi sur l ’ immigration et la protection des réfugiés

12)Tout en prenant note du système des avocats spéciaux mis en place en vertu de la loi modifiée sur l’immigration et la protection des réfugiés comme suite aux préoccupations exprimées par différents acteurs et à l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Charkaoui c.Canada, le Comité demeure préoccupé par les points suivants (art. 2, 3, 15 et 16):

a)Les avocats spéciaux n’ont guère la possibilité de procéder à des contre-interrogatoires ou de rechercher des éléments de preuve en toute indépendance;

b)Les personnes faisant l’objet de certificats de sécurité ont accès à une synthèse des documents confidentiels qui les concernent mais ne peuvent pas directement débattre du contenu intégral de ces documents avec les avocats spéciaux. En conséquence, les avocats ne peuvent pas bien connaître l’affaire dont ils sont saisis, fournir tous les éléments de réponse demandés ou exercer pleinement la défense des personnes concernées, ce qui constitue une violation des principes fondamentaux de la justice et du droit à une procédure régulière;

c)La durée de la détention sans inculpation n’est pas déterminée et certaines personnes sont détenues pendant de longues périodes;

d)Des renseignements obtenus sous la torture auraient été utilisés pour établir des certificats de sécurité, comme en témoigne le cas d’Hassan Almrei.

Le Comité recommande à l ’ État partie de revoir sa politique consistant à recourir à la rétention administrative et à utiliser la législation sur l ’ immigration pour détenir et expulser des non-ressortissants au nom de la sécurité nationale, notamment en reconsidérant l ’ utilisation des certificats de sécurité et en veillant à faire appliquer l ’ interdiction d ’ utiliser des renseignements obtenus sous la torture, conformément à la législation nationale et au droit international. À cet égard, l ’ État partie devrait mettre en œuvre les recommandations formulées par le Groupe de travail sur la détention arbitraire à la suite de sa mission au Canada en 2005, en particulier celle en vertu de laquelle la détention des personnes soupçonnées de terrorisme devrait se faire dans le cadre de la procédure pénale et conformément aux garanties correspondantes consacrées par les règles du droit international applicables en la matière (E/CN.4/2006/7/Add.2, par. 92).

Rétention d ’ immigrés

13)Tout en prenant note de la nécessité pour l’État partie de revoir sa législation pour combattre la traite des êtres humains, le Comité est profondément préoccupé par le projet de loi C-31 (loi visant à protéger le système d’immigration du Canada) car, en octroyant au ministère compétent un pouvoir discrétionnaire excessif, cette loi (art. 2, 3, 11 et 16):

a)Entraînerait la rétention obligatoire de tous ceux qui entrent de façon irrégulière sur le territoire de l’État partie; et

b)Empêcherait les «arrivants clandestins» et les ressortissants de pays considérés comme «sûrs» de faire appel du refus de leur octroyer le statut de réfugié, ce qui va accroître pour ces personnes le risque d’être refoulées.

Le Comité recommande à l ’ État partie de modifier le projet de loi C-31, en particulier les dispositions régissant la rétention obligatoire et le déni du droit d ’ appel, compte tenu des risques de violation des droits protégés par la Convention. En outre, l ’ État partie devrait:

a) Faire en sorte que la rétention ne soit utilisée qu ’ en dernier recours, qu ’ une durée raisonnable soit fixée pour cette rétention, et que des mesures non privatives de liberté ainsi que des alternatives à la rétention soient prévues pour les personnes immigrées placées d ans les centres de rétention;

b) Veiller à ce que tous les requérants déboutés aient le droit de faire appel de cette décision devant la Division d ’ appel pour les réfugiés.

Compétence universelle

14)Le Comité note avec intérêt que toute personne présente sur le territoire de l’État partie qui est soupçonnée d’avoir commis des actes de torture peut être poursuivie et jugée dans l’État partie en vertu du Code pénal et de la loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Toutefois, le très faible nombre de poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, y compris pour des infractions de torture, en vertu des textes susmentionnés, soulève des interrogations quant à la politique de l’État partie concernant l’exercice de la compétence universelle. Le Comité est aussi préoccupé par les informations nombreuses et constantes selon lesquelles la politique de l’État partie qui consiste à utiliser des procédures d’immigration pour refouler ou expulser des individus de son territoire plutôt que de le faire dans le cadre d’une procédure pénale crée un vide juridique réel ou potentiel pouvant ouvrir la voie à l’impunité. D’après les informations dont le Comité dispose, un certain nombre de personnes qui auraient commis des actes de torture et d’autres crimes en vertu du droit international ont été expulsées et n’ont pas été jugées dans leur pays d’origine. À cet égard, le Comité note avec regret l’initiative récente consistant à révéler au public les noms et les visages de 30 personnes interdites du territoire canadien qui devaient être expulsées du territoire au motif qu’elles étaient l’auteur de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Si ces personnes sont arrêtées et expulsées, elles risquent d’échapper à la justice et de rester impunies (art. 5, 7 et 8).

Le Comité recommande à l ’ État p artie de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l ’ exercice de sa compétence universelle à l ’ égard des auteurs d ’ actes de torture, y compris des étrangers temporairement présents au Canada, conformément à l ’ article 5 de la Convention. L ’ État p artie devrait redoubler d ’ efforts, notamment en débloquant davantage de ressources, afin de s ’ assurer que dans le cadre de sa politique consistant à refuser d ’ abriter des criminels de guerre, la priorité soit accordée aux procédures pénales ou d ’ extradition plutôt qu ’ à l ’ expulsion et au renvoi.

Réparation civile et immunité des États

15)Le Comité reste préoccupé par l’absence de mécanismes efficaces permettant à toutes les victimes de torture d’obtenir réparation au civil, y compris une indemnisation, situation principalement due aux restrictions prévues par la loi sur l’immunité des États (art. 14).

L ’ État p artie devrait veiller à ce que toutes les victimes de torture puissent avoir accès à des recours et obtenir réparation, quel que soit le pays où les acte s de torture ont été commis et indépendamment de la nationalité de l ’ auteur ou de la victime. À cet égard, l ’ État p artie devrait envisager de modifier la loi sur l ’ immunité des États pour supprimer tous les obstacles qui empêchent les victimes de torture d ’ obtenir réparation.

Torture et mauvais traitement sur des canadiens détenus à l ’ étranger

16)Le Comité est gravement préoccupé par la réticence apparente de l’État partie à protéger les droits de tous les Canadiens détenus dans d’autres pays, comme par exemple dans le cas de Maher Arar. Le Comité est particulièrement préoccupé par les points suivants (art. 2, 5, 11 et 14):

a)Le refus de l’État partie de présenter des excuses officielles et d’accorder une indemnisation aux trois canadiens concernés malgré les conclusions de l’enquête Iacobucci. Ces trois personnes sont dans le même cas que Maher Arar car toutes ont été soumises à la torture à l’étranger et les autorités canadiennes ont été complices de la violation de leurs droits;

b)La complicité des autorités canadiennes dans la violation des droits fondamentaux d’Omar Khadr alors qu’il était détenu à Guantánamo Bay (Canada ( P rime Minister ) v. Khadr, 2010 SCC 3, et Canada (Justice) v. K hadr, 2008 SCC 28), et le retard avec lequel les autorités ont accepté la demande de cette personne d’être transférée au Canada pour y purger le reste de sa peine.

À la lumière des conclusions de l ’ enquête Iacobucci , le Comité recommande à l ’ État p artie de prendre immédiatement des mesures pour s ’ assurer qu ’ Abdullah Almalki , Ahmad Abou Elmaati et Muayyed Nureddin obtiennent réparation, y compris une indemnisation et une réadaptation appropriées. En outre, le Comité exhorte l ’ État p artie à accepter rapidement la demande de transfert d ’ Omar Khadr et à veiller à ce que celui-ci puisse obtenir réparation pour les violations des droits de l ’ homme dont il a été victime, comme l ’ a constaté la Cour suprême du Canada.

Renseignements de sécurité obtenus par la torture

17)Tout en prenant note des priorités de l’État partie en matière de sécurité nationale, le Comité se déclare profondément préoccupé par la Directive ministérielle adressée au Service canadien du renseignement de sécurité, qui pourrait aboutir à des violations de l’article 15 de la Convention en ce sens qu’elle autorise l’utilisation au Canada de renseignements de sécurité susceptibles d’avoir été obtenus par la torture dans des États étrangers, et autorise le Service du renseignement de sécurité à partager les renseignements avec des organismes étrangers même s’il existe un risque de torture important, dans des cas exceptionnels où la sécurité publique est menacée, en violation de la Recommandation no 14 formulée à l’issue de l’enquête Arar (art. 2, 10, 15 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État p artie de modifier la D irective ministérielle adressée au Service canadien du renseignement de sécurité afin de la rendre conforme aux obligations qui incombent au Canada en vertu de la Convention. L ’ État p artie devrait renforcer les activités de formation sur l ’ interdiction absolue de la torture dans le cadre des services d u renseignement.

Mécanisme de supervision des opérations liées au renseignement et à la sécurité

18)Le Comité est préoccupé par l’absence de renseignements sur les mesures prises par l’État partie pour mettre en œuvre les propositions formulées dans le rapport sur l’enquête Arar concernant la définition d’un modèle d’examen et de contrôle complets des activités des organismes et organes chargés de l’application de la loi et de la sécurité nationale (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État p artie:

a) D ’ examiner les possibilités de moderniser et de renforcer le cadre d ’ examen de la sécurité nationale afin de gagner en transparence et en rapidité;

b) D ’ envisager d ’ urgence de mettre en œuvre le modèle de contrôle des organismes et organes chargés de la sécurité nationale, tel qu ’ il est proposé dans le rapport sur l ’ enquête Arar ;

c) D ’ informer le Comité dans son prochain rapport périodique des changements apportés au mécanisme de contrôle des opérations liées au renseignemen t et à la sécurité.

Conditions de détention

19)Tout en prenant note du Programme de transformation lancé par le Service correctionnel du Canada afin d’améliorer le fonctionnement des établissements pénitentiaires, le Comité demeure préoccupé par les points suivants (art. 2, 11 et 16):

a)L’infrastructure inadaptée des établissements de détention ne permettant pas de répondre aux besoins croissants et complexes des détenus, en particulier ceux atteints de maladie mentale;

b)Les cas de violence entre détenus et les décès en détention liés à des modes de vie à haut risque tels que la consommation de drogues et d’alcool qui, comme l’a reconnu la délégation, circulent librement dans les lieux de détention;

c)Le recours à l’isolement cellulaire (disciplinaire et administratif), parfois pour une longue durée, y compris pour les personnes atteintes de maladie mentale.

L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les conditions de détention dans tous les lieux de privation de liberté soient conformes à l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Il devrait notamment:

a) Renforcer ses efforts pour adopter des mesures efficaces afin d ’ améliorer les conditions de vie matérielles dans les prisons, de réduire la surpopulation carcérale, de répondre correctement aux besoins fondamentaux des personnes privées de liberté et d ’ éliminer la drogue dans les prisons;

b) Renforcer la capacité des centres de traitement pour les prisonniers atteints de problèmes de santé mentale intermédiaires et graves;

c) Appliquer l ’ isolement cellulaire en dernier recours seulement, pour une période aussi courte que possible, sous une supervision stricte et en ménageant la possibilité d ’ un examen judiciaire;

d) Ne plus recourir à l ’ isolement cellulaire pour les personnes atteintes de graves maladies mentales.

Violence à l ’ égard des femmes

20)Tout en prenant note des mesures prises par le Gouvernement fédéral et les gouvernements de province pour combattre la violence à l’égard des femmes et des jeunes filles autochtones, y compris les cas de meurtre et de disparition (CAT/C/CAN/Q/6/Add.1, par. 76 ff), le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles: a) les femmes marginalisées, en particulier les autochtones, sont victimes beaucoup plus que les autres de formes de violence qui mettent leur vie en danger, d’homicides conjugaux et de disparitions forcées; et b) l’État partie n’intervient pas rapidement et efficacement pour enquêter sur les actes de violence, poursuivre et punir leurs auteurs ou fournir une protection appropriée aux victimes. En outre, le Comité regrette la déclaration de la délégation selon laquelle les questions relatives à la violence à l’égard des femmes relèvent essentiellement du mandat d’autres organes, et rappelle que l’État est tenu pour responsable et ses agents devraient être considérés comme les auteurs, les complices ou les responsables d’une quelconque autre manière, en vertu de la Convention, pour avoir consenti, expressément ou tacitement, à des actes de torture ou des mauvais traitements commis par des agents non étatiques ou du secteur privé (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour faire preuve de diligence et intervenir pour stopper et sanctionner les actes de torture et de mauvais traitements commis par des agents non étatiques ou du secteur privé, et fournir réparation aux victimes. Le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler aussi d ’ efforts pour mettre un terme à toutes les formes de violence à l ’ égard des femmes et des jeunes filles autochtones, notamment, en élaborant un plan d ’ action concerté et complet, en étroite collaboration avec les organisations de femmes autochtones, qui compren ne des mesures visant à enquêter de façon rapide et impartiale sur les disparitions et les meurtres de femmes autochtones, et à poursuivre et condamner leurs auteurs, ainsi qu ’ à mettre rapidement en œuvre les recommandations pertinentes formulées par les organes nationaux et internationaux à cet égard, notamment celles du Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale, du Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes, et du Groupe de travail sur les femmes disparues.

Armes à impulsions

21)Le Comité prend note des diverses initiatives prises par l’État partie pour élaborer des normes plus restrictives et plus transparentes afin de régir l’utilisation des armes à impulsions, notamment des directives nationales publiées par le Gouvernement fédéral en 2010. Il reste toutefois préoccupé par les informations faisant état de l’absence de normes cohérentes et unifiées applicables à toutes les forces de police aux niveaux fédéral et provincial, et par le manque de clarté du cadre juridique régissant les essais et l’autorisation d’utiliser de nouvelles formes d’armes par les forces de police au Canada. Le Comité regrette en outre que les directives nationales n’aient pas de caractère contraignant et ne fixent pas des conditions suffisamment restrictives en ce qui concerne l’utilisation des armes à impulsions dans le pays (art. 2 et 16).

Compte tenu des effets dangereux et mortels des armes à impulsions sur la santé physique et mentale des personnes qui en sont la cible, effets qui peuvent constituer des violations des articles 2 et 16 de la Convention, le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que ces armes soient utilisées exclusivement dans des situations extrêmes et restreintes. L ’ État partie devrait réviser la réglementation régissant l ’ utilisation de ces armes, y compris les directives nationales, afin de fixer des conditions restrictives en la matière, et d ’ adopter un cadre législatif régissant les essais de toutes les armes utilisées par les forces de sécurité et l ’ autorisation de les utiliser. En outre, l ’ État partie devrait envisager de renoncer à utiliser des armes à impulsions telles que les « tasers ».

Méthodes de contrôle des foules par la police

22)Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de l’usage excessif de la force par les agents des forces de l’ordre dans le cadre du contrôle des foules aux niveaux fédéral et provincial, en particulier lors des manifestations liées aux litiges fonciers des autochtones Ipperwash et Tyendinaga, ainsi que dans le cadre des sommets du G-8 et du G‑20. Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations concernant les méthodes violentes de contrôle des foules et les conditions de vie inhumaines dans les centres de détention temporaire (art. 11 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État p artie de renforcer ses efforts pour veiller à ce que toutes les allégations de mauvais traitement et d ’ usage excessif de la force par la police fassent rapidement l ’ objet d ’ enquêtes efficaces de la part d ’ un organe in dépendant et que les auteurs de ces actes soient poursuivis et punis par des peines appropriées. En outre, l ’ État p artie et le gouvernement de la province de l ’ Ontario devrait ouvrir une enquête sur les agissements de la police provinciale de l ’ Ontario lors des incidents de Tyendinaga , ainsi que sur les opérations de sécurité et de police qui se sont déroulées dans le cadre des sommets du G-8 et du G-20 .

Collecte de données

23)Le Comité regrette l’absence de données complètes et détaillées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans des affaires de torture et de mauvais traitement infligés par les forces de l’ordre, le personnel de sécurité, les militaires et le personnel pénitentiaire, ainsi que sur les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la traite et la violence familiale et sexuelle.

L ’ État partie devrait compiler des données statistiques pertinentes pour la surveillance de l ’ application de la Convention au niveau national, notamment des données sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans les affaires de torture et de mauvais traitement, les conditions de détention, les exactions commises par des agents de l ’ État, la rétention administrative, la traite, la violence sexuelle et familiale, ainsi que sur la réparation offerte aux victimes, y compris l ’ indemnisation et la réadaptation.

24)Le Comité recommande à l’État partie de renforcer sa coopération avec les mécanismes des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme, ainsi que de redoubler d’efforts pour mettre en œuvre leurs recommandations. L’État partie devrait prendre d’autres mesures pour veiller à adopter une approche transparente, concertée et accessible au public de l’application des obligations qui incombent au Canada en vertu des instruments internationaux des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme, notamment la Convention.

25)À la lumière des engagements pris par l’État partie devant le Conseil des droits de l’homme en 2006 et de son acceptation des recommandations formulées par le Groupe de travail sur l’Examen périodique universel (A/HRC/11/17, par. 86 2)), le Comité exhorte l’État partie à accélérer les pourparlers actuellement menés au niveau national et à ratifier dès que possible le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

26)Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, notamment la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

27)L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

28)L’État partie est invité à mettre à jour son document de base commun (HRI/CORE/1/Add.91), conformément aux instructions relatives au document de base qui figurent dans les directives harmonisées pour l’établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN.2/Rev.6).

29)Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 1er juin 2013, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 12, 13, 16 et 17 du présent document concernant: a) les mesures prises pour garantir ou renforcer les garanties légales concernant les détenus; b) la réalisation d’enquêtes rapides, efficaces et impartiales; c) les mesures prises pour poursuivre et sanctionner les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitement.

30)L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le septième, le 1er juin 2016 au plus tard. À cet effet, le Comité invite l’État partie à accepter d’ici au 1er juin 2013, de présenter son rapport selon la procédure facultative pour l’établissement des rapports qui consiste pour le Comité à transmettre à l’État partie une liste de points à traiter avant la soumission du rapport périodique. La réponse de l’État partie à cette liste constituera son prochain rapport périodique présenté au Comité en application de l’article 19 de la Convention.

63. Cuba

1)Le Comité contre la torture a examiné le deuxième rapport périodique de Cuba (CAT/C/CUB/2) à ses 1078e et 1081e séances (CAT/C/SR.1078 et SR.1081), les 22 et 23 mai 2012, et a adopté, à ses 1089e et 1090e séances (CAT/C/SR.1089 et SR.1090) les observations finales ci-après.

A. Introduction

2)Le Comité accueille avec satisfaction la soumission du deuxième rapport périodique de Cuba et se félicite de l’occasion qui lui est donnée de renouer un dialogue constructif avec l’État partie. Il relève néanmoins que le rapport périodique, qui a été soumis avec plus de neuf ans de retard, n’est pas présenté de façon entièrement conforme aux directives concernant la forme et le contenu des rapports périodiques.

3)Le Comité apprécie les réponses écrites à la liste des points à traiter (CAT/C/ CUB/Q/2/Add.1), ainsi que les renseignements complémentaires apportés pendant l’examen du rapport. Il se félicite du dialogue qu’il a eu avec la délégation tout en regrettant que certaines des questions posées soient restées sans réponse.

B. Aspects positifs

4)Le Comité note avec satisfaction que depuis l’examen du rapport initial, l’État partie a ratifié les instruments internationaux suivants:

a)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (25 septembre 2001);

b)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la participation d’enfants dans les conflits armés (9 février 2007);

c)La Convention relative aux droits des personnes handicapées (6 septembre 2007);

d)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (2 février 2009).

5)Le Comité salue également les efforts accomplis par l’État partie pour modifier les politiques et les procédures en vigueur de façon à assurer une meilleure protection des droits de l’homme et à appliquer la Convention, en particulier:

a)L’adoption du plan d’investissements pour le système pénitentiaire, qui sera exécuté jusqu’en 2017;

b)La poursuite du programme de bourses que l’État offre aux réfugiés pour leur permettre de suivre un enseignement secondaire, universitaire du premier ou du deuxième cycle et dont bénéficient actuellement 366 réfugiés, en majorité sahraouis;

c)La poursuite des travaux du Groupe national pour la prévention et la répression de la violence dans la famille.

6)Le Comité relève que l’État partie a donné une réponse positive à la demande de visite du Rapporteur spécial sur la question de la torture, et a confirmé par la suite son accord dans les engagements volontaires pris pendant l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme en février 2009 (A/HRC/11/22, par. 130.37). L’État partie a également répondu favorablement à la demande du nouveau rapporteur spécial désireux d’effectuer cette visite, à des dates qui ne sont pas encore confirmées (A/HRC/19/61, par. 6).

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition et incrimination de la torture

7)Le Comité prend note des renseignements donnés par l’État partie au sujet d’études réalisées en vue de réformer éventuellement le Code pénal mais il regrette qu’à ce jour l’infraction de torture, selon la définition figurant à l’article premier de la Convention, n’ait toujours pas été qualifiée. En ce qui concerne l’objection de l’État partie qui affirme qu’il existe dans sa législation interne d’autres infractions pénales qui couvrent les actes de torture, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son Observation générale no 2 (2007) relative à l’application de l’article 2 par les États parties, dans laquelle il souligne la valeur préventive de la qualification d’une infraction autonome de torture (CAT/C/GC/2, par. 11) (art. 1er et 4).

Le Comité rappelle la recommandation qu ’ il avait faite en 1997 (A/53/44, par. 118 a)) préconisant à l ’ État partie de prévoir dans son droit interne l ’ incrimination de la torture et d ’ adopter une définition de la torture qui comporte tous les éléments de l ’ article premier de la Convention. L ’ État partie devrait également veiller à ce que les faits de torture soient punis de peines appropriées qui tiennent compte de leur gravité, conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l ’ article 4 de la Convention.

Garanties juridiques fondamentales

8)Le Comité prend note des renseignements donnés par l’État partie sur la teneur de la loi de procédure pénale et des dispositions d’application correspondantes mais il relève qu’il n’a pas eu de renseignements sur les procédures en place pour garantir dans la pratique le respect des garanties juridiques fondamentales. Le Comité est préoccupé par les rapports concordants qu’il a reçus indiquant que l’État partie n’offre pas à tous les détenus, en particulier à ceux qui sont privés de liberté pour des motifs politiques supposés, toutes les garanties fondamentales dès le début de la détention, comme la possibilité de communiquer rapidement avec un avocat et d’être examiné par un médecin indépendant ou d’aviser un parent de la détention. Le Comité regrette de ne pas avoir reçu de données statistiques sur les plaintes concernant cette question et sur les recours en habeas corpus formés pendant la période couverte par le rapport. Le Comité est préoccupé de ce que l’article 245 in fine de la loi de procédure pénale dispose que les recours en habeas corpus ne sont pas recevables «dans le cas où la privation de liberté fait suite à un jugement ou à une ordonnance de mise en détention provisoire». Il prend note des explications de la délégation sur cette question mais il considère que cette disposition limite de façon injustifiée le droit de contester la légalité de la détention puisqu’elle exclut les situations dans lesquelles la privation de liberté, en principe ordonnée conformément à la loi en vigueur, devient illégale par la suite (art. 2 et 16).

L ’ État partie devrait prendre sans délai des mesures effectives pour garantir que tous les détenus bénéficient dans la pratique de toutes les garanties juridiques fondamentales, ce qui comporte le droit à l ’ assistance d ’ un avocat dès le placement en détention, le droit d ’ être examiné par un médecin indépendant, de prendre contact avec un proche, d ’ être informé de ses droits ainsi que des charges qui pèsent contre l ’ intéressé et le droit de comparaître immédiatement devant un juge.

De plus l ’ État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour garantir, en droit et en pratique, le droit de toute personne privée de liberté à un recours immédiat pour contester la légalité de sa détention.

Principe du non-refoulement et accès à une procédure d ’ asile rapide et juste

9)Le Comité est préoccupé par l’absence d’un cadre juridique adéquat pour la protection des réfugiés, des demandeurs d’asile et des apatrides. Il prend note des renseignements donnés par l’État partie qui a expliqué que les personnes identifiées comme étant des réfugiés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) peuvent rester dans le pays pendant la recherche d’un pays de réinstallation, mais il souligne que cette protection temporaire de facto ne suppose pas une reconnaissance du statut de réfugié par les autorités cubaines. Il relève aussi avec préoccupation que même si les réfugiés et les demandeurs d’asile ont accès aux services gratuits de santé et d’enseignement, ils ne peuvent pas obtenir un permis de travail et n’ont pas accès au logement et à d’autres services publics. Le Comité note avec inquiétude que, face à l’absence de perspective d’intégration sur place, la réinstallation dans un pays tiers est la seule solution durable possible pour les réfugiés à Cuba. D’un autre côté, l’État partie devrait veiller à ce que dans tous les cas l’expulsion forcée se déroule dans des conditions compatibles avec les dispositions de la Convention. Le Comité note avec préoccupation qu’il a reçu peu de renseignements sur les conditions dans lesquelles se déroule le rapatriement des migrants haïtiens en situation irrégulière. Il regrette également de ne pas avoir eu de renseignements sur l’existence de dispositifs de gestion des flux migratoires qui permettent de détecter les personnes qui ont besoin d’une protection internationale (art. 2, 3, 11 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De prendre les mesures législatives nécessaires pour garantir la protection des réfugiés, des demandeurs d ’ asile et des apatrides. Il encourage donc l ’ État partie à envisager la possibilité de ratifier la Convention relative au statut des réfugiés et le Protocole relatif au statut des réfugiés, la Convention relative au statut des apatrides et la Convention sur la réduction des cas d ’ apatridie;

b) D ’ établir des mécanismes permettant d ’ identifier et de prendre en charge les réfugiés et les autres personnes qui ont des besoins particuliers dans le contexte des flux migratoires, en vue de répondre à leurs besoins de protection;

c) De faciliter l ’ intégration sur place des réfugiés qui se trouvent sur le territoire cubain, en collaboration avec le HCR;

d) De réviser la législation sur l ’ immigration en vigueur (loi de 1976 n o  1312 relative aux migrations, et n o  1313 relative aux étrangers).

Conditions de détention

10)Le Comité note que l’État partie offre des plans d’étude à tous les niveaux d’enseignement dans les établissements pénitentiaires et a adopté un plan d’investissements pour le système pénitentiaire. Il regrette néanmoins de ne pas avoir reçu de données précises sur les taux d’occupation dans les centres de détention. Il est toujours extrêmement préoccupé par les rapports qu’il reçoit au sujet des conditions de surpeuplement, de malnutrition, de manque d’hygiène, d’insalubrité et d’insuffisance de soins médicaux dans lesquelles vivrait la population carcérale. Les sources d’information dénoncent également des restrictions injustifiées aux visites des familles, des transferts dans des établissements pénitentiaires éloignés de l’entourage familial et social du détenu, le placement dans des cellules d’isolement dans des conditions dégradantes, des mauvais traitements physiques et des insultes. Pour toutes ces raisons le Comité regrette l’absence de données, ventilées par âge et par sexe, concernant les plaintes présentées par les détenus ou leur famille, ainsi que les enquêtes qui peuvent avoir été ouvertes, et leurs résultats (art. 11 et 16).

Compte tenu des engagements pris volontairement par l ’ État partie à l ’ issue de l ’ Examen périodique universel, en février 2009 (A/HRC/11/22, par. 130.45), le Comité lui recommande de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et autres centres de détention soient conformes à l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (résolution s 663 C ( XXIV ) , en date du 31 juillet 1957, et 2076 ( LXII ) , en date du 13 mai 1977 , du Conseil économique et social) et aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l ’ imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok, adoptées par l ’ Assemblée générale dans sa résolution 65/229, en date du 21 décembre 2010). En particulier, l ’ État partie devrait:

a) Poursuivre ses efforts visant à améliorer les infrastructures et à réduire le taux d ’ occupation des établissements pénitentiaires, principalement en appliquant des mesures de substitution à la privation de liberté;

b) Améliorer l ’ alimentation et accroître les ressources consacrées aux soins médicaux et aux conditions d ’ hygiène pour les détenus;

c) Garantir que toutes les personnes privées de liberté puissent communiquer avec leurs proches et avec un avocat;

d) Veiller à ce que toute sanction cruelle, inhumaine ou dégradante, comme le placement à l ’ isolement cellulaire dans des conditions déplorables, soit totalement proscrite à titre de mesure disciplinaire.

Détention avant jugement prolongée, détention pour atteinte à la sécurité de l ’ État et régime des permissions de sortir de prison («licencia extrapenal »)

11)Le Comité prend note des précisions apportées par la délégation qui a expliqué que l’ordre juridique cubain ne prévoyait pas le régime de détention au secret. Néanmoins il est toujours préoccupé par les rapports d’organisations non gouvernementales qui signalent des cas de détention provisoire prolongée et de détention de durée indéterminée sur le fondement des dispositions de l’article 107 de la loi de procédure pénale, et qui toucheraient particulièrement les personnes privées de liberté pour motifs politiques. Le Comité regrette de ne pas avoir eu de renseignements sur le nombre et la situation des personnes privées de liberté pour atteinte à la sûreté de l’État, conformément à l’article 243 de la loi de procédure pénale. Enfin, le Comité est préoccupé par l’ambiguïté de la situation juridique des prisonniers libérés selon le régime des permissions de sortir ainsi que par les informations faisant état de restrictions arbitraires à la liberté personnelle et à la liberté de circulation de ces détenus. En particulier, le Comité est inquiet de la situation de José Daniel Ferrer et d’Oscar Elías Biscet (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour:

a) Faire en sorte que, dans la loi et dans la pratique, la détention provisoire ne soit pas d ’ une durée excessive ;

b) Modifier la loi de procédure pénale de façon à éviter les cas de prolongation indéfinie de l ’ instruction préparatoire d ’ une affaire ;

c) Garantir un contrôle judiciaire indépendant des mesures privatives de liberté et l ’ accès sans délai à l ’ assistance d ’ un avocat;

d) Garantir le respect de la liberté personnelle et de la liberté de déplacement, y compris le droit de retourner à Cuba, des personnes libérées sous le régime de la permission de sortir .

Mesures de sûreté prédélictuelles

12)Le Comité est préoccupé par les dispositions du Titre XI du Livre I du Code pénal («L’état dangereux et les mesures de sûreté»), en particulier la qualification fondée sur des notions subjectives et extrêmement imprécises relatives à «l’état dangereux», qui est entendu comme une «tendance particulière d’un individu à commettre des infractions, démontrée par le comportement de l’intéressé qui est manifestement contraire aux normes de la morale socialiste» (art. 72). Le Comité prend note de la réponse de la délégation qui a expliqué qu’aucune sanction pénale n’était infligée aux personnes déclarées en «état dangereux». Toutefois, il note que les mesures de rééducation, les mesures thérapeutiques ou les mesures de surveillance énoncées aux articles 78 à 84 du Code pénal peuvent aboutir à un placement, pendant une durée allant de un à quatre ans, dans des établissements spécialisés de travail ou d’études, des établissements sociaux, des institutions psychiatriques ou des centres de désintoxication. Le Comité s’inquiète de ne pas avoir reçu de renseignements au sujet du régime de placement dans ces centres (art. 2, 11 et 16).

Dans le cadre des travaux de réforme de la législation pénale annoncés par la délégation, le Comité recommande à l ’ État partie de modifier les dispositions du Code pénal mentionnées plus haut en vue de supprimer l ’ internement administratif décidé selon des notions pénales subjectives, vagues et imprécises, comme la dang erosité sociale prédélictuelle .

Surveillance et inspection des lieux de détention

13)Le Comité note que la Fiscalía General de la Répública et le Ministère de l’intérieur sont habilités à inspecter les centres de détention et que conformément à la loi en vigueur les juges et les procureurs ont accès aux établissements pénitentiaires et autres lieux de privation de liberté. Toutefois, il n’a pas eu de renseignements montrant le nombre et la nature des visites effectuées par la Fiscalía ou par d’autres organes pendant la période couverte par le rapport, ni sur le contenu des conclusions et décisions de la Fiscalía et la suite qui leur est donnée. Le Comité continue d’être préoccupé par l’absence de contrôle et d’inspection systématique, efficace et indépendante de tous les lieux de détention et n’est pas d’accord avec l’État partie quand celui-ci affirme que «l’amélioration permanente de ce système n’exige pas d’autre type de visites ou de mesure complémentaire» (art. 11 et 12).

Le Comité recommande à l ’ État partie , comme il l ’ avait déjà fait (A/53/44, par. 118 d) ), de mettre en place un système national permettant de surveiller et d ’ inspecter tous les lieux de détention et de suivre les résultats de cette surveillance régulière.

Le Comité engage l ’ État partie à envisager la possibilité de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention en vue de mettre en place un système de visite s périodique s , sans préavis, effectuées par des observateurs nationaux et internationaux dans le but de prévenir la torture et les autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Le Comité recommande aussi de nouveau (ibid., i ) à l ’ État partie d ’ autoriser les organisations non gouvernementales de défense des droits de l ’ homme à entrer dans le pays et de coopérer avec elles pour déterminer s ’ il y a des cas de torture et de mauvais traitements.

Peine de mort

14)Le Comité prend note des renseignements donnés par l’État partie concernant les trois dernières exécutions de condamnés à mort, à la suite d’une procédure extrêmement sommaire, qui ont eu lieu le 11 avril 2003. Malgré les explications de la délégation, le Comité maintient les graves réserves qu’il a au sujet du respect dans ces trois cas des garanties judiciaires, comme le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de la défense et le droit de communiquer avec le conseil de son choix. Il constate certes qu’actuellement il n’y a pas à Cuba de condamnés à mort en attente d’exécution et que toutes les condamnations à mort ont été commuées en emprisonnement de trente ans ou en réclusion à perpétuité, mais il est toujours préoccupé par le grand nombre de crimes qui emportent la peine capitale, au nombre desquels figurent des délits de droit commun et des catégories d’infractions définies de façon très imprécise et qui ont un rapport avec la sécurité de l’État (art. 2, 11 et 16).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à respecter les normes internationales établi es dans l es Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort (adoptées par le Consei l économique et social dans sa résolution 1984/50, en date du 25 mai 1984). L ’ État partie est invité à étudier la possibilité d ’ abolir la peine de mort et de ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le deuxième Protocole facultatif s ’ y rapportant, visant à abolir la peine de mort.

Décès en détention

15)D’après les renseignements donnés par l’État partie, la responsabilité des forces de l’ordre n’a été établie dans aucun des cas de décès en détention survenus pendant la période couverte par le rapport et dans aucun de ces cas les autopsies n’ont révélé des signes de violence physique. Toutefois le Comité regrette que l’État partie n’ait pas donné de renseignements statistiques sur les causes des décès en détention ni sur le taux de mortalité dans les lieux de détention. D’après les rares renseignements apportés, on a enregistré un total de 202 décès dans le système pénitentiaire entre 2010 et 2011, chiffre que le Comité juge élevé. D’un autre côté, le Comité déplore que les renseignements sur la mort du détenu Orlando Zapata Tamayo, qui était en grève de la faim, aient été donnés après la fin de l’examen du rapport, de sorte qu’il n’a pas été possible d’engager un dialogue à ce sujet. Le Comité regrette également l’absence de renseignements sur la mort en garde à vue de Juan Wilfredo Soto García, qui avaient été demandés dans la liste des points à traiter (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait veiller à ce que des enquêtes approfondies , impartiales et diligentes soient immédiatement menées sur tous les cas de décès de détenus, et comportent une évaluation des soins de santé que les prisonniers ont reçus et une recherch e d ’ éventuelle responsabilité du personnel pénitentiaire et assure r , le cas échéant, l ’ indemnisation appropriée des familles des victimes.

L ’ État partie devrait garantir que les personnes privées de liberté qui observent une grève de la faim soient suivies et bénéficient d ’ un traitement médical adéquat.

Mécanisme d ’ examen des plaintes

16)Malgré les informations fournies par l’État partie sur les différentes instances et les différents mécanismes chargés d’examiner les plaintes et requêtes émanant des citoyens, le Comité regrette qu’il n’existe toujours pas de mécanisme spécifique, indépendant et efficace pour recevoir les plaintes et procéder à des enquêtes rapides et impartiales sur les plaintes pour actes de torture et mauvais traitements et pour veiller à ce que les responsables soient dûment punis. Le Comité remarque également l’absence de données statistiques sur le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites et de sanctions infligées aux auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements, tant sur le plan pénal que sur le plan disciplinaire (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité réitère ses précédentes recommandations (A/53/44, par. 118 b ) et g ) ) dans lesquelles l ’ État partie était invité à:

a) Mettre en place un mécanisme spécifique et indépendant permettant de recevoir les plaintes relatives à la torture et aux mauvais traitements de sorte que ces plaintes soient examinées promptement et de manière impartiale;

b) Créer un registre centralisé rassemblant des données sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations relatives à des cas de torture et de mauvais traitements. Ce registre devrait être accessible au public.

L ’ État partie d evra it garantir que les auteurs de plaintes et les témoins d ’ actes de torture et de mauvais traitements re cevro nt la protection et l ’ assistance nécessaires.

Enquêtes et procédures judiciaires

17)D’après les données fournies par l’État partie, le Bureau du Procureur général de la République a examiné 263 plaintes pour mauvais traitements infligés dans des établissements pénitentiaires et des locaux de détention pendant les années 2007 à 2011 et, des enquêtes ayant été ouvertes à la suite de ces plaintes, 46 membres des forces de l’ordre ont été reconnus pénalement responsables. Le Comité regrette qu’au cours du dialogue avec la délégation celle-ci n’ait pas fourni d’informations supplémentaires plus détaillées sur les enquêtes, les poursuites, les procédures disciplinaires et les indemnisations auxquelles les plaintes ont donné lieu. Le Comité n’a pas reçu non plus d’informations sur les condamnations et les sanctions pénales ou disciplinaires infligées aux auteurs des infractions; il ne lui a pas été indiqué si les auteurs présumés des actes en question ont été mutés ou expulsés de la fonction publique en attendant le résultat de l’enquête sur les plaintes. En l’absence de ces informations, le Comité se voit de nouveau dans l’impossibilité d’évaluer, à la lumière des dispositions de l’article 12 de la Convention, le comportement de l’État partie (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

Le Comité engage l ’ État partie à :

a) Veiller à ce qu ’ il soit pr o cédé rapidement à une enquête impartiale sur toutes les plaintes dénonçant des actes de torture ou des mauvais traitements. Ces enquêtes devraient être placées sous la responsabilité d ’ un organe indépendant, non subordonné au pouvoir exécutif;

b) Déclencher d ’ office une enquête rapide et impartiale chaque fois qu ’ il y a des motifs raisonnables de croire qu ’ un acte de torture a été commis;

c) En cas de présomption de torture et de mauvais traitements, garantir que les suspects soient immédiatement suspendus de leurs fonctions pendant la durée de l ’ enquête, en particulier s ’ il existe un risque, dans le cas contraire, qu ’ ils soient en mesure de récidiver ou d ’ entraver l ’ enquête;

d) Traduire en justice les auteurs présumés d ’ actes de torture ou de mauvais traitements et, s ’ ils sont reconnus coupables, veiller à ce que les peines infligées soient proportionnelles à la gravité de leurs actes et que les victimes reçoivent une indemnisation .

Indépendance de la magistrature et rôle du barreau

18)Le Comité observe avec préoccupation qu’il n’y a pas eu de changement significatif dans le système judiciaire de l’État partie depuis la présentation de son rapport initial en 1997. Il est préoccupé en particulier par l’absence d’indépendance de la magistrature et du barreau à l’égard des pouvoirs exécutif et législatif (art. 2, par. 1).

Compte tenu de sa précédente recommandation (A/53/44, par. 118, e ) ), le Comité juge indispensable que soient adoptées des mesures d ’ ordre législatif pour garantir l ’ indépendance du pouvoir judiciaire. Le Comité recommande également à l ’ État partie de garantir le respect des Principes de base relatifs au rôle du barreau ( Huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, tenu à La Havane, du 27 août au 7 septembre 1990 (A/CONF/ 144/28/Rev.1), p. 118).

Établissements psychiatriques

19)Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie sur la teneur du jugement rendu le 31 janvier 2011 par la deuxième chambre pénale du tribunal provincial populaire de La Havane dans le procès visant le directeur, les directeurs adjoints et autres employés de l’hôpital psychiatrique de La Havane, après la mort par hypothermie de 26 patients, en janvier 2010. Le Comité regrette de n’avoir pas reçu l’information qu’il demandait sur les mesures de réparation et d’indemnisation ordonnées par les tribunaux et sur les réparations et indemnités effectivement accordées aux proches des victimes et aux autres patients touchés par cet événement. Le Comité prend note de l’existence d’un plan du Ministère de la santé publique visant à renforcer l’efficacité de cet établissement, mais il indique n’avoir reçu aucune information sur le contenu de ce plan. Enfin, le Comité regrette qu’aucune donnée statistique ne lui ait été fournie sur le nombre de personnes atteintes d’un handicap psychosocial qui suivent actuellement un traitement médical forcé (art. 2, 11, 14 et 16).

Le Comité demande à l ’ État partie de lui envoyer des informations concernant les mesures de réparation et d ’ indemnisation ordonné es par les tribunaux et sur les réparations et indemnités effectivement attribuées aux victimes et/à leurs proches à la suite des décès survenus à l ’ hôpital psychiatrique de La Havane en 2010.

L ’ État partie d evra it prendre les mesures nécessaires pour remédier aux d y sfonctionnements qui pourraient se produire dans le réseau des hôpitaux psychiatriques et garantir ainsi que ce type d ’ év é nement s ne se reproduiront pas. Le Comité recommande que le fonctionnement réel des établissement s psychiatriques soit analysé d ’ urgence au moyen d ’ audits externe s et interne s des établissements en question, à partir desquels des mesures législatives et administratives s eront prises afin d ’ assurer un respect effectif des garanties nécessaires à la prévention de la torture et des mauvais traitements.

Acteurs de la société civile en situation de risque

20)Le Comité prend note du fait que l’État partie nie que le nombre des détentions de courte durée effectuées sans mandat et visant des opposants politiques, des militants des droits de l’homme et des journalistes indépendants ait augmenté, phénomène qui a été dénoncé par des organisations de défense des droits de l’homme devant le Comité. Néanmoins, et vu l’absence de données officielles, le Comité demeure sérieusement préoccupé par les plaintes persistantes faisant état de détentions arbitraires pendant de courtes périodes, du recours à des notions pénales ambiguës comme la «dangerosité sociale prédélictuelle» afin de justifier des mesures de sécurité, des restrictions à la liberté de circulation, des opérations de surveillance intrusive, des agressions physiques et d’autres actes d’intimidation et de harcèlement qui auraient été commis par des agents de la Police nationale révolutionnaire et des membres des organes de sécurité de l’État. Le Comité est également préoccupé par des informations signalant des actes d’ostracisme («actos de repudio») devant le domicile de membres de l’Union patriotique de Cuba (UNPACU) et du collectif Damas de Blanco («Femmes en blanc») entre autres. Le Comité regrette le peu d’empressement que met l’État partie à présenter des informations complètes sur les incidents mentionnés dans la liste de points à traiter et sur les mesures prises pour éviter ce type d’actions coordonnées au cours desquelles on constate ce qui pourrait être une connivence entre les auteurs du harcèlement et l’autorité policière (art. 2 et 16).

Compte tenu de s es précédentes observations finales (A/53/44, par . 114), le Comité invite instamment l ’ État partie à:

a) Adopter les mesures nécessaires pour faire cesser les formes de répression mentionnées plus haut, telles que les détentions arbitraires ou l ’ application de mesures de sécurité prédélictuelle , contre les opposants politiques, les défenseurs et militants des droits de l ’ homme, les journalistes indépendants et d ’ autres acteurs de la société civile en situation de risque et leurs proches. L ’ État partie doit également veiller à ce que ces actes de répression, d ’ intimidation et d e harcèlement donne nt lieu à des enquêtes en bonne et du e forme et à ce que les responsables soient sanctionnés;

b) Veiller à ce que toutes les personnes soient protégées contre les mesures d ’ intimidation ou actes de violence auxquelles elles pourraient être exposées en raison de leurs activités ou du simple exercice de leur liberté d ’ opinion et d ’ expression et de leur s droit s d ’ asso ciation et de réunion pacifique ;

c) Autoriser les organisations non gouvernementales de défense des droits de l ’ homme qui en font la demande à être inscrites au Registre des associations nationales, conformément aux dispositions de la loi n o  54 du 27 décembre 1985 (loi sur les associations).

Violence sexuelle

21)Le Comité observe avec préoccupation que l’État partie n’a fourni aucune information sur le cadre juridique en place pour combattre la violence à l’égard des femmes à Cuba ni sur les mesures adoptées pour éliminer ce phénomène, notamment la violence familiale et sexuelle. Le Comité regrette également l’absence de données statistiques couvrant la période à l’examen sur les différentes formes de violence contre la femme (art. 2 et 16).

Le Comité engage l ’ État partie à fournir des informations détaillées sur la législation en vigueur en la matière et sur les cas de violence contre les femmes qui se sont produits pendant la période à l ’ examen.

Aveux obtenus sous la contrainte

22)Le Comité prend note des garanties constitutionnelles et des dispositions de la loi de procédure pénale concernant l’irrecevabilité des éléments de preuve obtenus par la torture, mais il exprime sa préoccupation face aux informations qui font état de l’utilisation de méthodes coercitives lors des interrogatoires, en particulier la privation de sommeil, la réclusion en cellule d’isolement et l’exposition à de brusques changements de température. Le Comité prend note de l’information fournie par l’État partie selon laquelle, pendant la période à l’examen, il n’y a eu aucun cas où une instance a été suspendue parce que des preuves ou des témoignages auraient été obtenus par la torture ou de mauvais traitements; d’ailleurs, selon la délégation, il n’y a pas eu d’affaire où «la torture a été invoquée en tant que procédé» (art. 2 et 15).

L ’ État partie doit adopter des mesures efficaces pour faire en sorte, dans la pratique, que les aveux obtenus sous la contrainte soient irrecevables. L ’ État partie devrait veiller à ce qu ’ une formation sur les méthodes à utiliser pour détecter l es cas d ’ aveux obtenus sous la contrainte et d ’ enquêter à ce sujet soit dispensée aux agents de la force publique, aux juges et aux avocats.

Formation

23)Le Comité prend note des informations sur les programmes de formation technique et professionnelle dispensés au personnel médical, aux membres de la Police nationale révolutionnaire, aux fonctionnaires de l’administration pénitentiaire et aux auxiliaires de justice, mais regrette qu’il y ait peu d’informations disponibles sur l’évaluation des programmes en question et leurs effets sur la réduction de l’incidence des actes de torture et des mauvais traitements. Le Comité observe également que l’État partie n’a pas présenté d’informations sur les programmes de formation spécifique ni sur l’utilisation du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) (art. 10).

L ’ État partie d evrait :

a) Continuer de prévoir et d ’ exécuter des programmes de formation pour faire en sorte que les juges, les procureurs, les agents des forces de l ’ ordre et le personnel pénitentiaire se familiarisent avec les dispositions de la Convention, que les manquements ne soient pas tolérés et fassent l ’ objet d ’ enquêtes et que leurs auteurs soient traduits en justice;

b) Élaborer et appliquer une méthodologie pour évaluer l ’ efficacité et l es effets des programmes de formation sur la réduction des cas de torture et de mauvais traitements;

c) Veiller à ce que tous les personnel s concerné s reçoive nt une formation spécifique sur le Protocole d ’ Istanbul.

Réparation, y compris l ’ indemnisation et la réadaptation

24)Le Comité prend note de l’information figurant dans le rapport périodique sur les actions en responsabilité civile permettant d’obtenir réparation et le mandat institutionnel de la caisse d’indemnisation, mais il observe avec inquiétude que les victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements ne peuvent pas obtenir d’indemnisation si l’auteur des actes de torture ou des mauvais traitements a fait l’objet de sanctions disciplinaires, mais non de sanctions pénales. Le Comité regrette de nouveau que l’État partie n’ait pas fourni d’information sur les mesures de réparation ou d’indemnisation, y compris les moyens de réadaptation, ordonnés par les tribunaux et sur les réparations et indemnisations effectivement attribuées aux victimes de torture et de mauvais traitements (voir A/53/44, par. 117) (art. 14).

L ’ État partie doit:

a) Veiller à ce que toutes les victimes d ’ actes de torture et de mauvais traitements obtiennent réparation et qu ’ elles aient un droit opposable à une indemnisation juste et appropriée, y compris les moyens d ’ une réadaptation aussi complète que possible;

b) Garantir l ’ efficacité des mécanismes de réparation et d ’ indemnisation appropriée en faveur des victimes d ’ actes de torture et d ’ autres formes de mauvais traitements .

Le Comité réitère sa recommandation (A/53/44, par. 118 h ) ) visant à ce que l ’ État partie crée un fonds d ’ indemnisation des victimes de la torture et de mauvais traitements.

Institution nationale de défense des droits de l ’ homme

25)Le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie ne juge pas opportun de mettre en place une institution nationale de défense des droits de l’homme conformément aux Principes de Paris (résolution 48/134 de l’Assemblée générale, annexe). Le Comité prend note du fait que le parquet et d’autres institutions de l’État ont, entre autres fonctions, celle d’examiner les plaintes présentées par les citoyens invoquant des violations de leurs droits, mais il signale qu’aucune des instances indiquées par l’État partie ne présente le caractère d’une institution nationale indépendante en matière de droits de l’homme (art. 2).

Le Comité encourage l ’ État partie à envisager de créer une institution nationale de défense des droits de l ’ homme conforme aux Principes de Paris .

Collecte de données

26)Le Comité est préoccupé par le fait que, malgré la recommandation qu’il a formulée précédemment (A/53/44, par. 118 j)), l’État partie n’a pas fourni de données statistiques détaillées sur diverses questions et regrette que l’État partie ait décidé de ne pas fournir toutes les informations demandées. L’absence de données ventilées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans les affaires de torture et de mauvais traitements, ainsi que dans les affaires de décès en détention, de violence à l’égard des femmes ou de traite des êtres humains, complique le recensement des violations qui méritent d’être prises en considération, et fait obstacle à l’application effective de la Convention (art. 2, 16 et 19).

L ’ État partie devrait recueillir des données statistiques utiles pour le suivi de l ’ application de la Convention au x niveau x national et local, ventilées par sexe, origine ethnique, âge, région géographique et type et lieu du centre de privation de liberté, en incluant des données relatives aux plaintes, aux enquêtes et aux poursuites dans les affaires de torture et de mauvais traitements infligés par des agents des forces de l ’ ordre, des militaires et des personnels pénitentiaires, ainsi que sur les cas de décès en détention, de violence contre les femmes et de traite des êtres humains. Il devrait également recueillir des informations sur toute forme d ’ indemnis ation ou de réparation accordée aux victimes.

27)Le Comité regrette qu’aucune information ne lui ait été fournie sur les décisions concrètes des tribunaux nationaux dans lesquelles il est fait référence à la Convention et à ses dispositions.

28)Le Comité recommande à l’État partie d’envisager la possibilité de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

29)Le Comité invite l’État partie à envisager la possibilité de ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, en particulier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

30)Le Comité encourage l’État partie à diffuser largement le rapport qu’il a soumis au Comité et les présentes observations finales, par le biais des médias officiels et des organisations non gouvernementales.

31)L’État partie est invité à mettre à jour son document de base commun (HRI/CORE/1/Add.84) conformément aux instructions relatives au document de base qui figurent dans les Directives harmonisées pour l’établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/Gen.2./Rev.6).

32)Le Comité invite l’État partie à présenter, d’ici au 1er juin 2013, des informations sur la suite donnée aux recommandations du Comité au sujet: a) du respect ou du renforcement des garanties juridiques fondamentales offertes aux personnes placées en détention; b) de la conduite d’enquêtes rapides, impartiales et efficaces; c) des poursuites engagées contre des suspects et des peines infligées aux auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements, visés au paragraphe 10 c), au paragraphe 16 b) et aux paragraphes 19 et 21 du présent document. En outre, le Comité souhaiterait recevoir des informations sur la suite donnée aux recommandations concernant les recours et la réparation offerts aux victimes dont il est question dans ces paragraphes.

33)L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le troisième, le 1er juin 2016 au plus tard. À cet effet, le Comité invite l’État partie à accepter, d’ici au 1er juin 2013, de faire rapport au titre de la procédure facultative d’établissement des rapports, qui consiste dans la transmission par le Comité à l’État partie d’une liste de questions à traiter avant la soumission du rapport périodique. La réponse de l’État partie à la liste de points à traiter constituera le prochain rapport périodique qu’il doit présenter conformément à l’article 19 de la Convention.

64. République tchèque

1)Le Comité contre la torture a examiné les quatrième et cinquième rapports de la République tchèque soumis en un seul document (CAT/C/CZE/4-5) à ses 1068e et 1071e séances, les 14 et 15 mai 2012 (CAT/C/SR.1068 et CAT/C/SR.1071), et a adopté à sa 1087e séance (CAT/C/SR.1087) les observations finales ci-après.

A. Introduction

2)Le Comité accueille avec satisfaction les quatrième et cinquième rapports de la République tchèque, qui ont été soumis dans les délais et sont conformes à ses directives, ainsi que les réponses détaillées (CAT/C/CZE/Q/4-5/Add.1) apportées à la liste des points à traiter (CAT/C/CZE/Q/4-5). Le Comité remercie l’État partie d’avoir accepté la procédure facultative pour l’établissement des rapports, même s’il ne l’a pas utilisée car la rédaction de son rapport était déjà à un stade avancé.

3)Le Comité se félicite du dialogue ouvert et constructif qu’il a eu avec la délégation multisectorielle de l’État partie, qu’il remercie pour ses réponses aux questions soulevées par les membres du Comité.

B. Aspects positifs

4)Le Comité note avec satisfaction que, depuis l’examen de son troisième rapport périodique, l’État partie a ratifié les instruments internationaux suivants ou y a adhéré:

a)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (20 juillet 2006);

b)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants (26 janvier 2005);

c)La Convention relative aux droits des personnes handicapées (28 septembre 2009);

d)Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (21 juillet 2009).

5)Le Comité prend note des efforts considérables que fait l’État partie pour réviser sa législation dans des domaines relevant de la Convention, notamment:

a)La modification de la loi sur le Médiateur, accordant à celui-ci le pouvoir d’agir en tant que mécanisme national de prévention conformément au Protocole facultatif se rapportant à la Convention, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2006 (loi no 381/2005);

b)Les modifications apportées au Code de procédure pénale en 2008 et 2011 concernant l’extradition et les demandes d’indemnisation présentées par les victimes d’infractions, y compris d’actes de torture (lois no 457/2008 et no 181/2011);

c)Les modifications apportées à la loi sur l’asile en 2006 (loi no 165/2006) et en 2011 (loi no 303/2011);

d)Les modifications apportées à la loi sur la violence intrafamiliale, entrées en vigueur le 1er janvier 2007 (loi no 135/2006);

e)La nouvelle loi sur les forces de police de la République tchèque (loi no 273/2008);

f)L’entrée en vigueur le 1er janvier 2009 de la nouvelle loi sur la rétention de sûreté (loi no 129/2008);

g)L’entrée en vigueur le 1er septembre 2009 de la loi no 198/2009 sur l’égalité de traitement et l’égalité des moyens de protection contre la discrimination (loi contre la discrimination);

h)L’entrée en vigueur le 1er janvier 2010 du nouveau Code pénal (loi no 40/2009) faisant de la motivation raciale une circonstance aggravante pour un certain nombre d’infractions;

i)La nouvelle loi sur les services médicaux spéciaux, entrée en vigueur le 1er avril 2012 (loi no 373/2012 Rec.).

6)Le Comité prend également note avec satisfaction des efforts faits par l’État partie pour modifier ses politiques, programmes et mesures administratives en vue de garantir une meilleure protection des droits de l’homme et de donner effet à la Convention, à savoir:

a)L’adoption de la Stratégie relative au travail des forces de police tchèques en rapport avec les minorités 2008-2012;

b)L’adoption du Plan national d’action pour la mise en œuvre de la Stratégie nationale pour la prévention de la violence contre les enfants en République tchèque 2008‑2018;

c)L’adoption du Plan national d’action en vue de transformer et d’unifier le système de protection des enfants vulnérables 2009-2011;

d)L’adoption du Plan national d’action pour la prévention de la violence intrafamiliale 2011-2014;

e)L’adoption de la Stratégie nationale contre la traite des êtres humains en République tchèque 2012-2015;

f)L’instauration de l’Inspection générale des forces de sécurité en janvier 2012 (loi no 341/2011).

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture

7)Le Comité note qu’en application de l’article 10 de la Constitution, les instruments internationaux approuvés par le Parlement priment la législation interne, mais relève avec préoccupation que le nouveau Code pénal se borne à réprimer le crime de torture et autres traitements inhumains et cruels mais ne définit par la torture elle-même conformément à la Convention (art. 1).

Le Comité recommande à l ’ État partie de modifier son Code pénal afin d ’ adopter une définition de la torture qui comprenne tous les éléments énoncés à l ’ article premier de la Convention.

Vols à des fins de transfert et assurances diplomatiques

8)Le Comité note avec préoccupation que dans ses réponses écrites l’État partie a invoqué la Convention relative à l’aviation civile internationale (Convention de Chicago) comme raison de ne pas demander à inspecter les aéronefs civils. Le Comité relève que pendant le dialogue l’État partie a précisé que l’application de la Convention de Chicago ne visait pas à empêcher ni à décourager l’application de la Convention contre la torture. Il note aussi avec préoccupation que l’État partie a accepté des assurances diplomatiques en relation avec l’extradition de personnes vers des États dans lesquels ces personnes risqueraient d’être soumises à la torture. Enfin, il relève avec préoccupation qu’aucune information n’a été donnée au sujet du type d’assurances diplomatiques reçues ou demandées (art. 3, 6 et 7).

Le Comité recommande à l ’ État partie de refuser d ’ accepter des assurances diplomatiques en relation avec l ’ extradition de personnes vers des États dans lesquels ces personnes risqueraient d ’ être soumises à la torture car ces assurances ne sauraient être prises en considération lors de la détermination d ’ une possible violation de l ’ article 3 de la Convention. Il le prie également de lui communiquer le nombre et le type d ’ assurances diplomatiques reçues depuis 2004, en précisant les pays concernés.

Conditions de détention

9)Le Comité est préoccupé par l’aggravation de la surpopulation dans les centres de détention, qui conduit à une violence accrue entre détenus, par l’utilisation de gaz poivre dans des espaces fermés, à l’intérieur des prisons, par le nombre de suicides dans les lieux de détention et l’absence d’informations concernant leurs causes, par la présence de personnel pénitentiaire lors de l’examen des détenus par un médecin, par l’examen de détenus par des psychiatres à travers des barreaux et par l’absence d’information sur les allégations de détention au secret (art. 11 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de faire un plus grand usage des mesures non privatives de liberté conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et de réduire le nombre d ’ incarcérations dues à la non - application de peines de substitution qui sont par la suite converties en peines d ’ emprisonnement . Il lui recommande de réviser la réglementation relative à l ’ usage du gaz poivre dans les espaces fermés. Il recommande également qu ’ une étude soit menée sur les causes de suicide en détention, que l ’ A dministration pénitentiaire renforce la surveillance et le repérage des détenus à risque et prenne des mesures pour prévenir les suicides et les violences entre détenus, notamment en i nstallan t de s caméras et en augmentan t le nombre d ’ agents pénitentiaires. Il recommande en outre de modifier les règles régissant l ’ examen médical des détenus de manière à garantir que l ’ examen soit effectué en privé et de manière indépendante et que les détenus ne soient pas examinés par des psychiatres à travers des barreaux, et de transférer au Ministère de la santé les services de santé destinés aux détenus, qui sont actuellement sous la tutelle de l ’ A dministration pénitentiaire, laquelle relève du Ministère de la justice. Il prie l ’ État partie de lui faire parvenir des renseignements sur la pratique de la détention au secret, notamment de lui communiquer les lois et règlements régissant la détention au secret, de l ’ informer de la durée de cette détention et du nombre de personnes détenues au secret et d ’ indiquer si la détention au secret fait l ’ objet d ’ un contrôle juridictionnel qui prévoit le réexamen des décisions.

10)Le Comité est préoccupé par la persistance de la politique obligeant certaines catégories de détenus à payer jusqu’à 32 % du coût de leur incarcération (art. 2 et 11).

Le Comité recommande à l ’ État partie de mettre fin sans attendre à la politique obligeant certaines catégories de détenus à payer pour leur incarcération.

Traitement de la minorité rom

11)Le Comité est vivement préoccupé par les informations indiquant que les membres de la minorité rom continuent d’être marginalisés et d’être victimes de discrimination. Plusieurs faits se sont produits récemment, dont la mort de trois Roms, des manifestations anti-Roms et des incendies volontaires d’habitations roms. Le Comité note également avec préoccupation que ces faits n’ont pas donné lieu à l’ouverture rapide d’enquêtes impartiales et efficaces ni à des poursuites (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Assurer la protection des Roms et de leurs biens en renforçant les mesures de surveillance et de prévention. Tous les actes de violence ou de discrimination visant des Roms devraient faire l ’ objet d ’ enquêtes approfondies et efficaces, leurs auteurs devraient être traduits en justice et les victimes devraient obtenir réparation et être indemnisées. Les agents de la force publique devraient recevoir une formation à la lutte contre les infractions visant des minorités et des membres de la communauté rom devraient être recrutés dans la police. Le Comité recommande à l ’ État partie de recueillir des statistiques sur les infractions à connotation extrémiste ainsi que sur les résultats des enquêtes, les poursuites et les mesures de réparation qui ont été prises;

b) Condamner publiquement les agressions verbales et physiques contre des Roms , interdire et empêcher l ’ incitation à la haine et organiser des campagnes de sensibilisation et d ’ information faisant la promotion de la tolérance et du respect de la diversité. La loi sur l ’ égalité de traitement et l ’ égalité de moyens de protection contre la discrimination (loi contre la discrimination) devrait être traduite en langue rom.

12)Le Comité est préoccupé par les informations indiquant que des femmes roms ont été stérilisées sans leur consentement libre et éclairé, par la destruction des dossiers médicaux sur les stérilisations non volontaires et par les difficultés qu’ont les victimes à obtenir réparation (art. 2, 14 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ enquêter sans délai, de manière impartiale et efficace, sur toutes les allégations de stérilisation non volontaire de femmes roms , d ’ allonger les délais pour le dépôt de plainte, de poursuivre et punir les auteurs de tels actes et d ’ assurer aux victimes une réparation équitable et adéquate. Le personnel médical procédant à des stérilisations sans le consentement libre , entier et éclairé des personnes concernées pourrait voir sa responsabilité pénale engagée et les dossiers médicaux relatifs à de possibles stérilisations non volontaires ne devraient pas être détruits avant l ’ expiration du délai prévu par la loi. Le personnel médical devrait être formé aux moyens efficaces d ’ obtenir un consentement libre et éclairé de la part des femmes subissant une stérilisation et tous les documents écrits relatifs à la stérilisation devraient être traduits en langue rom.

Réparation et indemnisation, y compris la réadaptation

13)Le Comité est préoccupé par l’absence de statistiques sur l’indemnisation des victimes d’actes de torture et de mauvais traitements, y compris les victimes de stérilisation ou de castration chirurgicale non volontaires, de mauvais traitements dans les établissements médicaux ou psychiatriques, d’agressions violentes dirigées contre des minorités ethniques, de la traite ou de violence intrafamiliale ou sexuelle. Il est également préoccupé par les délais fixés pour le dépôt de plainte (art. 14 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que les victimes de torture ou de mauvais traitements aient droit à une réparation et à une indemnisation suffisante, y compris des moyens de réadaptation, et les obtiennent, conformément à l ’ article 14 de la Convention. Il le prie de lui communiquer des statistiques sur le nombre de victimes, y compris les victimes de stérilisation ou de castration chirurgicale non volontaires , de mauvais traitements infligés dans des établissements médicaux ou psychiatriques, d ’ agressions violentes dirigées contre des minorités ethniques, de la traite ou de violence intrafamiliale ou sexuelle, qui ont été indemnisées ou ont bénéficié d ’ autres formes d ’ assistance. Il lui recommande en outre d ’ allonger les délais pour le dépôt de plainte.

Enfants roms

14)Le Comité est préoccupé par le placement d’enfants roms dans des structures éducatives conçues pour des enfants souffrant d’un handicap mental léger ou proposant un programme scolaire allégé utilisé précédemment par les écoles spécialisées, ce qui compromet la poursuite de leur instruction (art. 2, 10, 12, 13 et 16).

Compte tenu de son Observation générale n o  2 (2007) sur l ’ application de l ’ article 2 par les États parties , le Comité rappelle que la protection spéciale de certaines minorités ou personnes ou groupes marginalisés particulièrement exposés fait partie des obligations de l ’ État partie au titre de la Convention. À cet égard, l ’ État partie devrait veiller à ce que les enfants roms soient admis dans les écoles ordinaires, à moins qu ’ un examen en bonne et due forme ait conclu que l ’ enfant souffre d ’ une déficience mentale et que le représentant légal de l ’ enfant ait demandé que celui-ci soit placé dans une école spécialisée. Les tests normalisés devraient être adaptés aux spécificités sociales, culturelles et linguistiques des minorités et les éducateurs comme le personnel des écoles devraient bénéficier d ’ une formation aux principes de la non-discrimination.

Plaintes, enquêtes et poursuites dans des affaires de torture ou de mauvais traitements

15)Le Comité est préoccupé par les difficultés d’enregistrement des plaintes et s’inquiète de l’indépendance du système chargé d’évaluer ces plaintes. Il est en particulier préoccupé par le contraste entre le nombre de plaintes pour torture ou mauvais traitements dans des lieux de privation de liberté, en particulier de plaintes décrites comme étant fondées ou partiellement fondées, et l’absence de poursuites pour des actes de torture ou des mauvais traitements infligés par des policiers ou des agents pénitentiaires (art. 12 et 13).

Le Comité recommande que l ’ Inspection générale des forces de sécurité enquête sans délai, de manière impartiale et efficace sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements visant des agents de la force publique et des agents pénitentiaires, poursuive en justice les auteurs de ces actes et assure aux victimes une réparation, sous la forme notamment d ’ une indemnisation. L ’ État partie devrait communiquer au Comité des données ventilées par sexe, âge, appartenance ethnique et origine de la victime, et classées selon les catégories de motifs de plainte établis par la loi.

Traite des personnes

16)Le Comité note avec préoccupation que les victimes de la traite ne bénéficient pas toutes d’une protection suffisante et d’un accès aux soins de santé et aux services de conseil, à un hébergement et à une réparation, sous la forme notamment d’une indemnisation et de moyens de réadaptation, car seules celles qui coopèrent avec les autorités bénéficient d’un régime spécial (art. 10, 12, 13, 14 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de renforcer les enquêtes sur tous les types de traite, de poursuivre les auteurs et d ’ assurer dans des conditions d ’ égalité à toutes les victimes de la traite, y compris aux victimes de la traite aux fins d ’ exploitation sexuelle ou d ’ exploitation par le travail, une protection et un accès aux soins de santé et aux services de conseil, à un hébergement et à une réparation, sous la forme notamment d ’ une indemnisation et de moyens de réadaptation. Des efforts devraient être faits pour sensibiliser et former les agents de la force publique, les juges et les procureurs aux moyens de lutter contre la traite des personnes et pour améliorer l ’ identification des personnes qui en sont victimes.

Détention de demandeurs d ’ asile et d ’ autres non-nationaux

17)Le Comité est préoccupé par la persistance de la pratique du placement en rétention des demandeurs d’asile, y compris de familles avec enfants et de mineurs accompagnés d’un tuteur, par les restrictions imposées à la liberté de circulation des demandeurs d’asile placés dans des centres d’accueil fermés et par le régime et les conditions matérielles de détention qui prévalent dans les centres pour étrangers en attente d’expulsion (art. 3 et 11).

Le Comité recommande à l ’ État partie de mettre en œuvre des mesures de substitution au placement en rétention des demandeurs d ’ asile, y compris la libération sans conditions, en particulier en ce qui concerne les familles avec enfants et les adultes qui ont la responsabilité d ’ enfants. Il recommande aussi que les demandeurs d ’ asile placés dans des centres d ’ accueil fermés jouissent de la liberté de circulation et bénéficient de conditions d ’ accueil appropriées. En outre, il recommande à l ’ État partie de revoir la durée des restrictions à la liberté de circulation des demandeurs d ’ asile placés dans des centres d ’ accueil fermés et de revoir le régime et les conditions matérielles dans les centres pour étrangers en attente d ’ expulsion afin de garantir le respect du principe de non-refoulement énoncé à l ’ article  3 de la Convention et dans la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés.

Formation

18)Le Comité note avec préoccupation que l’État partie affirme que les signes de traumatismes physiques et psychologiques causés par la torture sont si spécifiques qu’un soignant expérimenté n’a pas besoin de formation (art. 10).

Le Comité recommande vivement que la formation à la détection des signes de traumatismes physiques et psychologiques causés par la torture et les mauvais traitements et au traitement de ces traumatismes, conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul), fasse partie de la formation du personnel infirmier, médical, paramédical et des autres professionnels participant aux enquêtes sur les allégations de torture et de mauvais traitements pour garantir que tous les cas de torture soient détectés et les auteurs dûment sanctionnés.

Apatrides

19)Le Comité note que l’État partie a ratifié la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, mais il est préoccupé par la situation particulièrement précaire des apatrides, en particulier des personnes qui n’ont pas de documents valides et n’ont pas le statut de résident permanent dans l’État partie. Il est également préoccupé par l’absence de définition de l’apatridie, de base de données centralisée sur les apatrides, de cadre juridique et de procédure ou mécanisme permettant de déterminer le statut de ces personnes. Enfin, il craint que la nouvelle loi sur la nationalité n’établisse une discrimination entre différentes catégories d’apatrides (art. 3 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ inscrire une définition de l ’ apatridie dans sa législation, de mettre en place des procédures et des mécanismes permettant de déterminer le statut d ’ apatride et de créer une base de données centralisée sur les apatrides vivant sur son territoire. Afin d ’ éviter la discrimination entre différentes catégories d ’ apatrides, l ’ État partie devrait revoir les dispositions du projet de loi sur la nationalité qui portent sur l ’ acquisition de la nationalité par les enfants qui, sinon, seraient apatrides ou qui sont nés hors mariage de mère étrangère ou apatride. En outre, le Comité recommande de délivrer des documents d ’ identité aux personnes apatrides.

Castration chirurgicale des délinquants sexuels

20)Le Comité note avec préoccupation que la castration chirurgicale des délinquants sexuels placés en détention reste une pratique en vigueur, qu’elle est généralement réalisée dans le cadre d’un traitement de protection (traitement obligatoire dans un hôpital psychiatrique) et que l’article 99 du Code pénal laisse entendre que les patients peuvent être internés et traités sans leur consentement. Il relève également avec préoccupation qu’en vertu de la nouvelle loi sur «la détention à des fins médico-légales», les délinquants sexuels pourraient rester en détention pour une durée indéterminée. Il note en outre avec préoccupation que, par le passé, les personnes étaient amenées à croire que, si elles refusaient la castration chirurgicale, elles resteraient en détention toute leur vie (art. 2 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de renoncer à la pratique de la castration chirurgicale et de modifier sa législation pour la mettre en conformité avec les normes internationales telles que les Normes relatives au traitement des délinquants sexuels adultes . La législation relative aux délinquants sexuels devrait comprendre des garanties de procédure et des règles et instructions professionnelles précises quant au traitement des délinquants sexuels et à leur détention, y compris sa durée.

Établissements psychiatriques

21)Malgré l’évolution de la législation annoncée par la délégation de l’État partie, le Comité prend note avec préoccupation des informations indiquant que les personnes présentant des déficiences intellectuelles ou psychosociales sont souvent placées dans des institutions sociales, médicales ou psychiatriques sans leur consentement libre et éclairé et que les lits-cages, pourtant interdits par la loi, et les lits à filet sont encore utilisés, ainsi que d’autres moyens de contrainte tels que des sangles de lit ou des menottes ou des mesures de mise à l’isolement, en application desquelles le patient est souvent délaissé dans des conditions insalubres. Le Comité est également préoccupé par l’absence d’enquêtes sur les mauvais traitements et les décès, y compris par suicide, de personnes confinées dans des lits-cages ou des lits à filet (art. 11 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) D ’ allouer des fonds suffisants à l ’ application du plan national de transformation des services psychiatriques, sanitaires, sociaux et autres destinés aux adultes et aux enfants présentant des déficiences intellectuelles ou psychosociales, afin d ’ accélérer la désinstitutionalisation au profit d ’ un système centré sur les services communautaires et/ou des logements abordables ;

b) De faire en sorte que des organes judiciaires supervisent et surveillent étroitement tout placement en institution de personnes présentant des déficiences intellectuelles ou psychosociales, en mettant en place les garanties juridiques appropriées et un système de visites par des organes de surveillance indépendants. Le placement en institution et le traitement devraient être subordonnés au consentement libre et éclairé des personnes concernées et celles-ci devraient être informées à l ’ avance du traitement prévu ;

c) De prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir, dans les faits, l ’ interdiction de l ’ utilisation des lits-cages, conformément aux dispositions de la loi s ur les services médicaux (loi n o 372/2011). Le Comité recommande en outre que la loi soit modifiée de manière à interdire l ’ utilisation des lits à filet, dont les effets sont analogues à ceux des lits-cages ;

d) De veiller à ce que les conditions de vie en institution, y compris les conditions d ’ hygiène et les cas de délaissement, fassent l ’ objet d ’ une surveillance effective et d ’ une évaluation indépendante. L ’ État partie devrait mettre en place un mécanisme de plainte s , assurer des services de conseils et veiller à ce que le personnel médical et non médical soit formé à l ’ administration de soins non violents et non coercitifs. Tous les cas de mauvais traitements et tous les décès, notamment le décès de Vera Musilova , 30 ans, en 2006, et le suicide d ’ une femme de 51 ans le 20  janvier 2012, devraient faire l ’ objet d ’ enquêtes effectives, des poursuites devraient être engagées et les victimes et leur famille devraient obtenir réparation, y compris une indemnisation et des moyens de réadaptation.

Châtiments corporels

22)Le Comité note avec préoccupation que les châtiments corporels sont largement tolérés dans l’État partie et qu’il n’existe pas de loi les interdisant expressément. Il relève aussi avec préoccupation que la loi no 94/1963 Rec. sur la famille dispose que les parents ont le droit de faire usage de «mesures éducatives adaptées» et que la question sera traitée de manière analogue dans le nouveau Code civil (art. 2 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie de modifier sa législation, notamment la loi sur la famille et le nouveau Code civil, en vue d ’ interdire expressément les châtiments corporels dans tous les contextes. L ’ État partie devrait mener des campagnes de sensibilisation du grand public pour faire comprendre que les châtiments corporels sont inacceptables et préjudiciables.

Collecte de données

23)Le Comité regrette de ne pas disposer de données complètes et ventilées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations portant sur des actes de torture ou des mauvais traitements infligés par les forces de l’ordre, les forces de sécurité et le personnel pénitentiaire, y compris en relation avec des stérilisations non volontaires, des castrations chirurgicales, des traitements non consentis et des placements en institution sociale, notamment l’utilisation de moyens de contrainte, ainsi que sur des agressions violentes contre des minorités ethniques, en particulier les Roms, sur la traite et sur la violence intrafamiliale ou sexuelle.

L ’ État partie devrait rassembler des données statistiques permettant d ’ évaluer la mise en œuvre de la Convention à l ’ échelon national, telles que des données sur les plaintes déposées, les enquêtes menées, les poursuites engagées et les condamnations prononcées dans des affaires de torture ou de mauvais traitements, en relation avec des stérilisations non volontaires, des castrations chirurgicales, des traitements non consentis, des placements en institution sociale et l ’ utilisation de moyens de contrainte, et dans des affaires d ’ agressions violentes contre des minorités ethniques, notamment les Roms , de traite et de violence intrafamiliale ou sexuelle, ainsi que sur les recours ouverts aux victimes pour obtenir réparation, sous la forme notamment d ’ une indemnisation et de moyens de réadaptation.

24)Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, à savoir la Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants.

25)L’État partie est prié de diffuser largement le rapport qu’il a soumis au Comité ainsi que les observations finales du Comité dans toutes les langues voulues, par l’intermédiaire des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

26)Le Comité prie l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 1er juin 2013, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 11, 14 et 21 portant sur a) la mise en place de garanties juridiques pour les personnes détenues ou le renforcement des garanties existantes, b) la conduite rapide d’enquêtes impartiales et effectives et c) les poursuites engagées contre les suspects et les sanctions prises contre les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements.

27)L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le sixième, le 1er juin 2016 au plus tard. À cette fin, le Comité soumettra en temps voulu à l’État partie une liste préalable de points à traiter puisque l’État partie a accepté d’établir son rapport conformément à la procédure facultative.

65. Grèce

1)Le Comité contre la torture a examiné les cinquième et sixième rapports périodiques de la Grèce, soumis en un seul document (CAT/C/GRC/5-6), à ses 1062e et 1065e séances (CAT/C/SR.1062 et SR.1065), les 9 et 10 mai 2012. À ses 1084e et 1085e séances (CAT/C/SR.1084 et SR.1085), le 25 mai 2012, il a adopté les observations finales ci-après.

A. Introduction

2)Le Comité accueille avec satisfaction le document valant cinquième et sixième rapports périodiques de la Grèce, soumis en réponse à la liste des points à traiter établie avant la soumission des rapports (CAT/C/GRC/Q/5-6). Il sait gré à l’État partie d’avoir accepté de soumettre son rapport conformément à la nouvelle procédure facultative, car celle-ci améliore la coopération entre l’État partie et le Comité et sert de fil conducteur à l’examen du rapport ainsi qu’au dialogue avec la délégation.

3)Le Comité se félicite également du dialogue ouvert et constructif qu’il a eu avec la délégation de haut niveau de l’État partie et sait gré à celle-ci de lui avoir fourni des informations complémentaires lors de l’examen du rapport, mais il regrette que certaines des questions posées à l’État partie soient restées sans réponse. Il est convaincu que le dialogue et les recommandations qui en découlent aideront l’État partie à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à la Convention dans la pratique.

B. Aspects positifs

4)Le Comité note avec satisfaction que, depuis l’examen du quatrième rapport périodique de l’État partie, celui-ci a accédé aux instruments internationaux ci-après ou les a ratifiés:

a)Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et Protocole additionnel à la Convention visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (Protocole de Palerme), en janvier 2011;

b)Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, en février 2008.

5)Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a adopté, en 2010, un «Plan d’action national sur la gestion des migrations» pour améliorer la procédure d’asile et les conditions du traitement des ressortissants de pays tiers entrés illégalement dans le pays, y compris les demandeurs d’asile; qu’il a adopté, en novembre 2010, un décret présidentiel (no 114/2010) portant modification de la législation précédente relative à la procédure d’asile et mettant en place, pour une période de transition, des normes et garanties appropriées permettant un examen équitable et efficace des demandes d’asile; et qu’il a, en janvier 2011, promulgué une loi complète (no 3907/2011) portant création d’un nouveau service de l’asile indépendant de la police, qui prendra progressivement l’entière responsabilité des questions d’asile, et d’un service de premier accueil chargé de mettre en place des centres de premier accueil près des frontières.

6)Le Comité note avec satisfaction qu’un certain nombre d’autres initiatives législatives ont été prises par l’État partie en vue de se conformer aux recommandations du Comité et d’améliorer la mise en œuvre de la Convention, notamment dans les domaines de la détention provisoire, de l’équité des procès, des conditions de détention, de la traite, de la violence familiale, etc.

7)Le Comité accueille avec satisfaction les efforts faits par l’État partie pour modifier ses politiques et procédures afin de renforcer la protection des droits de l’homme et de donner effet à la Convention, notamment:

a)La mise en place, à partir de juin 2011, d’un registre des blessures infligées aux détenus dans tous les établissements pénitentiaires et d’un registre des fouilles corporelles dans tous les établissements pour femmes;

b)La création d’une ligne téléphonique spéciale qui permet aux détenus de prendre contact avec l’administration pénitentiaire centrale et de s’en faire entendre.

8)Le Comité note également avec satisfaction que l’État partie a adressé une invitation permanente à tous les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Depuis l’examen de son précédent rapport périodique, l’État partie a reçu la visite de trois rapporteurs du Conseil, dont le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture

9)Le Comité note que la législation pénale de l’État partie incrimine les actes de torture (art. 137A et 137B) mais relève avec préoccupation que la définition actuelle de la torture n’est pas conforme à celle énoncée par l’article premier de la Convention, car tous les éléments requis n’y figurent pas (art. 1er).

L ’ État partie devrait incorporer dans sa législation pénale une définition de la torture qui soit strictement conforme à l ’ article premier de la Convention et vise tous les éléments qui y sont énoncés. Cette définition répondrait à l ’ impératif de clarté et de prévisibilité en droit pénal et à la nécessité, au titre de la Convention, de distinguer les actes de torture commis par un agent public, ou toute autre personne agissant à titre officiel, ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite, des actes de violence au sens large commis par des acteurs non étatiques.

Allégations de torture et de mauvais traitements, impunité

10)Le Comité se dit gravement préoccupé par les allégations persistantes faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements infligés par des policiers lors de l’arrestation ou de la détention, notamment dans les locaux des services de police judiciaire. Il note aussi avec préoccupation qu’un nombre limité de ces affaires ont été poursuivies, qu’il y a eu très peu de condamnations définitives et que dans les affaires qui ont donné lieu à une condamnation, il n’y a pas eu de sanctions car les condamnés ont bénéficié de circonstances atténuantes, etc. Il note que cela ne correspond pas aux décisions et arrêts qui ont été rendus récemment par des organismes internationaux, notamment le Comité des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme, et prend en outre note des allégations persistantes et des documents détaillés émanant d’autres sources. Il se dit également une nouvelle fois préoccupé par la réticence persistante des procureurs à engager des procédures pénales au titre de l’article 137A du Code pénal et par le fait qu’une seule affaire a abouti à une condamnation prononcée au titre de cet article. En outre, il est préoccupé, comme le Rapporteur spécial sur la question de la torture, par le fait que peu d’éléments médico-légaux sont disponibles pour étayer les allégations de mauvais traitements assimilables à la torture (art. 1er, 2, 4, 12 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) À titre d ’ urgence, prendre des mesures d ’ application immédiate et efficaces pour prévenir les actes de torture ou les mauvais traitements , notamment en sensibilisant le public et en annonçant et en adoptant une politique qui soit de nature à produire des résultats mesurables en ce qui concerne l ’ élimination des actes de torture et des mauvais traitements imputés à des agents publics;

b) Modifier rapidement ses règles et procédures d ’ interrogatoire, notamment par le recours à des enregistrements audio ou vidéo, en vue de prévenir la tortur e et les mauvais traitements;

c) Traduire dûment en justice les auteurs présumés d ’ actes de torture ou de mauvais traitements et, s ’ ils sont reconnus coupables, les condamner à des peines appropriées qui tiennent compte de la gravité de leurs actes.

Usage excessif de la force par la police

11)Le Comité se dit une nouvelle fois préoccupé par les allégations persistantes faisant état d’un usage excessif de la force par des membres des forces de l’ordre, souvent dans le cadre du contrôle des manifestations et du contrôle des foules (art. 12 et 16).

L ’ État partie devrait prendre des mesures immédiates et efficaces pour que les membres des forces de l ’ ordre n ’ aient recours à la force que lorsque cela est strictement nécessaire et seulement dans la mesure exigée par l ’ accomplissement de leurs fonctions.

Mauvais traitements infligés à des migrants sans papiers, des demandeurs d ’ asile, des membres de minorités et des Roms

12)Le Comité se dit préoccupé par les allégations récurrentes et concordantes faisant état de mauvais traitements infligés à des migrants sans papiers, à des demandeurs d’asile et à des Roms par des responsables de l’application des lois, notamment dans des lieux de détention et lors des contrôles de police qui sont régulièrement effectués dans les rues des centres urbains, en violation de la Convention. Il est également préoccupé par des informations indiquant qu’un grand nombre de victimes hésitent à porter plainte parce qu’il n’existe pas de mécanisme sûr de traitement des plaintes, qu’il n’y a pas suffisamment d’interprètes et que les victimes n’ont pas confiance en les autorités. Le Comité regrette en outre l’augmentation des manifestations de xénophobie et des agressions racistes visant des ressortissants étrangers, indépendamment de leur situation, émanant notamment de groupes de citoyens et de groupes d’extrême droite, comme l’a constaté le réseau quasi officiel d’enregistrement des actes de violence raciste. Enfin, il note avec préoccupation que la minorité musulmane en Thrace est le seul groupe minoritaire reconnu dans le pays (art. 2, 12 et 16).

L ’ État partie devrait combattre fermement les manifestations de plus en plus nombreuses de discrimination raciale et de xénophobie et les violences qui y sont associées, notamment en condamnant publiquement tous les actes d ’ intolérance et de violence de cette nature et en indiquant clairement et sans équivoque que les actes à caractère raciste ou discriminatoire, en particulier ceux commis par des policiers et d ’ autres agents publics, sont inacceptables, et en poursuivant et en punissant les auteurs de ces actes. Il devrait aussi prendre des mesures efficaces pour prévenir la discrimination à l ’ égard de toutes les minorités et veiller à protéger celles-ci, qu ’ elles soient reconnues ou non, conformément à l ’ Observation générale n o  2 (2007) du Comité sur l ’ application de l ’ article  2 par les États parties . Ces mesures devraient également viser à accroître le recrutement de membres de groupes minoritaires dans l ’ administration publique, y compris dans les services de détection et de répression.

Enquêtes promptes, impartiales et efficaces

13)Le Comité prend note de la création, au sein du Ministère de la protection du citoyen, d’un bureau chargé d’examiner les allégations d’arbitraire visant des membres des forces de l’ordre, mais se dit préoccupé par des informations indiquant que ce bureau n’est pas encore opérationnel, que son mandat se limiterait à se prononcer sur la recevabilité des plaintes et que les affaires seront transférées aux organes disciplinaires compétents des forces de sécurité pour des enquêtes plus approfondies. Il reste donc préoccupé par l’absence de système indépendant efficace chargé d’enquêter sur les plaintes pour torture, mauvais traitements et usage excessif de la force et il s’inquiète des carences dans la protection des victimes contre les mauvais traitements ou les manœuvres d’intimidation auxquels elles peuvent être exposées lorsqu’elles portent plainte ou apportent un élément de preuve (art. 12 et 13).

L ’ État partie devrait:

a) Renforcer les mécanismes existants de contrôle et de supervision de la police et d ’ autres agents publics, notamment en mettant en place un système de présentation de plaintes fiable, indépendant et accessible afin de mener rapidement des enquêtes impartiales et efficaces sur toutes les allégations de torture, de mauvais traitements ou d ’ usage excessif de la force;

b) Faire en sorte que toutes ces allégations soient consignées par écrit, qu ’ un examen médico-légal soit ordonné immédiatement et que les mesures nécessaires soient prises pour veiller à ce que les allégations fassent l ’ objet d ’ une enquête appropriée. Cette approche devrait être mise en œuvre indépendamment du fait que la personne concernée présente ou non des lésions externes visibles;

c) Veiller à ce que, dans les cas d ’ allégations de torture, les suspects soient suspendus de leurs fonctions immédiatement et pendant la durée de l ’ enquête, en particulier s ’ il existe un risque qu ’ à défaut, ils soient en mesure de récidiver ou d ’ entraver l ’ enquête;

d) Prendre des mesures efficaces pour que toutes les personnes qui dénoncent des actes de torture ou des mauvais traitements bénéficient de la protection requise.

Conditions de détention

14)Le Comité se dit une nouvelle fois gravement préoccupé par le fait que les autorités de l’État partie n’améliorent pas les conditions de détention dans les postes de police et les prisons. Il est particulièrement préoccupé par le fait que le niveau de la surpopulation carcérale, malgré quelques améliorations dans certaines structures, reste alarmant. Il se dit également gravement préoccupé par les conditions matérielles et sanitaires déplorables dans de nombreux postes de police et prisons, le manque de personnel, notamment de professionnels de santé, et le manque de produits de base (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait adopter d ’ urgence des mesures efficaces pour que les conditions de détention dans les postes de police, les prisons et autres centres de détention soient conformes à l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles de Beijing) . En particulier, il devrait:

a) Remédier à la surpopulation dans les prisons, notamment en ayant davantage recours à des peines non privatives de liberté se substituant aux peines d ’ emprisonnement ;

b) Prendre des mesures immédiates et efficaces pour améliorer les conditions matérielles et sanitaires dans les postes de police comme dans les prisons, assurer la fourniture des produits de base et nommer un nombre suffisant de personnel formé, y compris de professionnels médicaux.

Périodes prolongées de détention provisoire, mineurs

15)Le Comité prend note des dispositions législatives prises récemment mais est préoccupé par les longues périodes de détention provisoire, y compris dans le cas de mineurs, résultant de carences et de retards considérables dans le système judicaire. Il est aussi préoccupé par le recours limité à des mesures non privatives de liberté pour les mineurs. Il note en outre avec préoccupation que la séparation entre personnes en détention provisoire et condamnés et entre mineurs et adultes n’est pas toujours garantie (art. 2 et 11).

L ’ État partie devrait prendre des mesures efficaces pour réduire considérablement la durée de la détention provisoire. Il devrait notamment réformer le système judiciaire afin de garantir que les personnes en détention provisoire bénéficient rapidement d ’ un procès équitable, et appliquer des mesures restrictives de substitution avant le procès. Dans le cas des mineurs, la détention ne doit être utilisée que dans des circonstances exceptionnelles ou en dernier ressort, pour des motifs expressément prévus par la loi et uniquement pour la plus courte période de temps possible. En outre, l ’ État partie devrait veiller à séparer strictement les personnes en détention provisoire des condamnés et les mineurs des adultes dans tous les établissements de détention.

Fouilles corporelles internes

16)Le Comité se dit préoccupé par la pratique persistante des fouilles corporelles invasives, en particulier les fouilles internes, dans les établissements de détention (art. 11 et 16).

L ’ État partie devrait exercer un strict contrôle sur les procédures de fouille corporelle, en particulier les fouilles internes, en veillant à ce que celles-ci soient réalisées de la manière la moins intrusive et la plus respectueuse de l ’ intégrité physique des personnes et à ce qu ’ elles soient dans tous les cas conformes aux dispositions de la Convention. Le Comité recommande également à l ’ État partie d ’ envisager de mettre en place des mesures de substitution telles que les méthodes de détection par équipement électronique.

Surveillance systématique des centres de détention, mécanisme national de prévention

17)Le Comité note qu’un certain nombre d’organisations sont habilitées à se rendre dans des lieux de détention et prend note de la politique mentionnée par la délégation, qui consiste à accorder à des ONG et à d’autres organismes l’accès aux prisons, mais relève avec préoccupation que ces visites sont actuellement occasionnelles, faute d’organisme indépendant chargé de la surveillance systématique de tous les centres de détention. Il note cependant que l’État partie a signé le Protocole facultatif se rapportant à la Convention le 3 mars 2011 et que dans un projet de loi élaboré récemment, le Médiateur grec est désigné comme mécanisme national de prévention (art. 2 et 11).

L ’ État partie devrait veiller à mettre en place un système de surveillance systématique de tous les centres de détention, y compris les centres pour migrants et demandeurs d ’ asile . À ce sujet, le Comité lui recommande de ratifier au plus tôt le Protocole facultatif et de veiller à désigner un mécanisme national de prévention dont le mandat soit conforme aux dispositions de cet instrument. L ’ État partie devrait également veiller à doter ce mécanisme des ressources humaines, matérielles et financières nécessaires pour mener à bien son mandat en toute indépendance et avec efficacité dans tout le pays .

Accès à une procédure équitable et impartiale d ’ examen individuel des demandes d ’ asile

18)Le Comité prend acte des problèmes et des contraintes auxquels l’État partie fait face en tant que principal point d’entrée en Europe pour de nombreux migrants et demandeurs d’asile, en raison de sa situation géographique, et prend note avec satisfaction des efforts faits pour améliorer la qualité et la rapidité de la procédure d’asile. Il note cependant avec préoccupation que les demandeurs d’asile doivent surmonter de sérieux obstacles pour accéder à la procédure d’asile à cause de déficiences structurelles et du non-fonctionnement des mécanismes de filtrage dans les régions frontalières grecques et à la Direction de la police des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli). Ces obstacles sont notamment l’absence de garanties procédurales telles que l’aide juridique gratuite, des services d’interprétation et des informations suffisantes, ainsi que l’obligation de donner une adresse fixe. Le Comité note que l’État partie a résorbé une partie de l’arriéré des demandes d’asile et des recours en attente, notamment en mettant en place des comités de deuxième instance, mais regrette que des milliers de cas soient encore en suspens. Il reste également préoccupé par les faibles taux de reconnaissance du statut de réfugié (art. 2).

L ’ État partie devrait garantir pleinement et faciliter l ’ accès à une procédure équitable et impartiale d ’ examen individuel des demandes d ’ asile. À cette fin, il devrait veiller à ce que les garanties importantes pour la qualité et l ’ équité de sa procédure d ’ asile, qui figurent dans la récente législation relative à l ’ asile, soient mises en œuvre dans la pratique et soutenues par une infrastructure appropriée, notamment grâce à la prompte entrée en fonctions du nouveau service de l ’ asile et du service de premier accueil. Il devrait également veiller à fournir des informations appropriées dans les langues requises, une aide juridictionnelle et des services d ’ interprétation pour faciliter cet accès. En outre, il devrait consacrer les ressources humaines et financières nécessaires pour résorber l ’ arriéré considérable d ’ appels de décisions en matière d ’ asile.

Non-refoulement

19)Le Comité note avec une profonde préoccupation que des personnes n’ont souvent pas pu bénéficier de la pleine protection prévue par les articles applicables de la Convention en ce qui concerne l’expulsion, le renvoi ou l’extradition vers un pays tiers. Il se dit une nouvelle fois préoccupé par la mise en œuvre par l’État partie de ses procédures de retour forcé, y compris par des moyens d’expulsion directe et l’application de son accord de réadmission avec la Turquie. Il note également avec préoccupation que les personnes qui font l’objet d’un retour forcé ne bénéficient pas réellement des garanties procédurales leur permettant d’accéder à des voies de recours ou d’avoir accès à la procédure d’asile, ni de l’aide juridique gratuite, ni des informations nécessaires que fournissent les services d’interprétation, de sorte qu’elles ne peuvent pas former un recours utile contre les arrêtés d’expulsion et/ou les mesures de détention qui en résultent. Le Comité craint que ces personnes ne courent un risque accru de refoulement, notamment de refoulements en chaîne (art. 3).

L ’ État partie devrait assurer une protection complète contre le refoulement en établissant les garanties nécessaires dans les procédures de retour forcé, de façon à garantir en tout temps qu ’ aucune personne ayant besoin d ’ une protection internationale n ’ est renvoyée dans un pays où elle craint d ’ être persécutée ou risque d ’ être soumise à des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants, et contre les refoulements en chaîne. À cette fin, il devrait réexaminer la teneur de l ’ accord de réadmission qu ’ il a conclu avec la Turquie afin de s ’ assurer que cet accord est conforme aux obligations qui lui incombent en vertu du droit international. Il devrait également veiller à ce que les recours contre les décisions de retour ou d ’ expulsion aient un effet suspensif automatique et immédiat.

Rétention administrative des demandeurs d ’ asile et des migrants

20)Le Comité se dit préoccupé par la politique en matière de détention actuellement appliquée aux demandeurs d’asile et aux migrants en situation irrégulière, notamment par les informations indiquant que des demandeurs d’asile qui se trouvent près des frontières sont régulièrement placés en rétention administrative pour de longues périodes. La durée de la rétention et les conditions déplorables dans lesquelles celle-ci se déroule constituent un traitement inhumain ou dégradant et compromettent gravement la capacité des demandeurs d’asile à présenter une demande d’asile. En outre, le Comité est gravement préoccupé par les conditions épouvantables qui prévalent dans les lieux de détention, notamment les postes de police et les postes frontière dans l’ensemble du pays et particulièrement dans la région d’Evros, en raison d’une forte surpopulation carcérale, du manque de personnel, du manque de produits de base et de l’insuffisance des services médicaux, psychologiques, sociaux et juridiques fournis (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait veiller à ce que les demandeurs d ’ asile ne soient pas placés en rétention administrative en raison de leur entrée ir régulière sur le territoire. Il faudrait en particulier que la rétention des demandeurs d ’ asile ne soit utilisée que dans des circonstances exceptionnelles ou en tant que mesure de dernier ressort, en application des motifs prévus par la loi et pour une durée aussi courte que possible. Pour cela, il faudrait que les solutions autres que le placement en rétention soient toutes dûment envisagées, en particulier en ce qui concerne les groupes vulnérables.

L ’ État partie devrait également prendre d ’ urgence des mesures efficaces pour améliorer les conditions de rétention administrative en réduisant la surpopulation carcérale, en se dotant de personnel formé en nombre suffisant et en assurant, dans tous les lieux de détention de ressortissants étrangers, la prestation de services de base tels que les soins de santé et les traitements médicaux, ainsi que la fourniture en quantité suffisante de nourriture, d ’ eau et d ’ articles nécessaires à l ’ hygiène personnelle.

Détention pour des raisons de santé publique

21)Le Comité se dit préoccupé par une récente modification de la législation, qui permet de placer en détention un migrant ou un demandeur d’asile s’il représente un danger pour la santé publique parce qu’il souffre d’une maladie infectieuse ou fait partie de groupes vulnérables aux maladies infectieuses (art. 2 et 16).

Le Comité demande instamment à l ’ État partie d ’ abroger les dispositions qui permettent de placer en détention des migrants et des demandeurs d ’ asile pour des raisons de santé publique et de remplacer la détention pour ces raisons par les mesures médicales requises.

Mineurs non accompagnés demandeurs d ’ asile

22)Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que les mineurs demandeurs d’asile non accompagnés ou séparés de leur famille ne sont souvent pas dûment enregistrés et sont systématiquement placés en détention, souvent dans des centres de rétention, où ils ne sont pas séparés des adultes. Il note également avec préoccupation que le décret présidentiel no 114/2010 n’a pas institué d’interdiction légale de détenir ces mineurs et que le nombre limité de centres d’accueil pour mineurs non accompagnés contribue à allonger leur détention. Il constate également avec préoccupation que de nombreux mineurs non accompagnés deviennent sans abri et vivent dans la rue, où ils sont souvent exposés à des risques accrus d’exploitation et de violence (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait intensifier les efforts qu ’ il fait pour assurer une protection appropriée et une prise en charge adéquate des mineurs non accompagnés ou séparés de leur famille qui entrent dans le pays, notamment en modifiant dans les meilleurs délais sa législation de manière à interdire leur détention. Le Comité souscrit à la recommandation du Rapporteur spécial sur la question de la torture tendant à ce que le Ministère de la santé et le Ministère de l ’ intérieur coopèrent étroitement pour veiller à ce que les enfants non accompagnés ou séparés de leur famille soient placés dans des centres d ’ accueil adaptés et séparés de façon à leur assurer une protection appropriée. En outre, l ’ État partie devrait prendre des mesures spéciales pour empêcher ces enfants de devenir sans abri, leur fournir une aide sociale et les scolariser.

Violence à l ’ égard des femmes

23)Le Comité prend note des mesures d’ordre législatif et autre adoptées par l’État partie pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, dont la promulgation de la loi no 3500/2006 sur la lutte contre la violence familiale et l’adoption du Plan d’action national contre la violence à l’égard des femmes (2009-2013). Toutefois, il demeure préoccupé par la persistance de la violence à l’égard des femmes et des enfants, notamment la violence familiale et sexuelle, et le nombre limité de poursuites engagées et de sanctions prononcées à l’encontre des auteurs de tels actes. Il note que l’État partie a créé un comité permanent chargé d’élaborer un projet de loi sur la lutte contre la violence sexiste à l’égard des femmes mais il relève avec préoccupation qu’à l’heure actuelle le Code pénal de l’État partie ne cite pas expressément le viol et d’autres formes de violence sexuelle au nombre des formes de torture (art. 2, 12 et 16).

L ’ État partie devrait prendre d ’ urgence des mesures de protection efficaces pour prévenir et combattre toutes les formes de violence à l ’ égard des femmes et des filles, en particulier la violence familiale et sexuelle, notamment en ouvrant des enquêtes sur ces infractions et en les punissant. À ce titre, il devrait modifier l ’ article 137A de son Code pénal pour y citer expressément le viol et les autres formes de violence sexuelle au nombre des formes de torture, alors qu ’ ils sont actuellement qualifiés d ’ «atteintes graves à la dignité sexuelle». Il devrait également mener de vastes campagnes de sensibilisation et dispenser des cours de formation sur la violence à l ’ égard des femmes et des filles, à l ’ intention des agents publics qui travaillent directement avec les victimes (agents des forces de l ’ ordre, juges, avocats, travailleurs sociaux, entre autres) et de la population en général.

Traite des personnes

24)Le Comité prend acte des efforts faits par l’État partie pour lutter contre la traite des personnes. Il se déclare toutefois préoccupé par des informations persistantes faisant état de traite de femmes et d’enfants à des fins d’exploitation sexuelle ou autre et par le très faible nombre de poursuites engagées et de condamnations prononcées contre les auteurs de ces actes. Il note également avec préoccupation que parmi les obstacles à l’accès à la justice auxquels se heurtent les victimes de ces infractions figurent la méconnaissance du Protocole de Palerme par les juges et les procureurs et le fait que les victimes ne disposeraient pas de services d’interprétation dans le cadre des procès portant sur des affaires de traite. Il regrette que les services de soutien qui sont fournis aux victimes de la traite dans le domaine de la santé en vue de leur éventuelle réadaptation ne soient pas adaptés (art. 2, 10, 12 et 16).

L ’ État partie devrait veiller à ce que toutes les allégations concernant la traite de personnes fassent sans délai l ’ objet d ’ enquêtes impartiales et efficaces et à ce que les auteurs soient traduits en justice et punis pour ces infractions. Il devrait également veiller à ce que les victimes bénéficient d ’ une aide juridique et sociale efficace et de services d ’ interprétation dans le cadre des procès. Il devrait continuer d ’ organiser des campagnes de sensibilisation à l ’ échelon national et d ’ offrir aux victimes de la traite des programmes appropriés d ’ aide, de réadaptation et de réinsertion. En outre, il devrait dispenser aux membres des forces de l ’ ordre, aux juges et aux procureurs, aux fonctionnaires des services d ’ immigration et de la police des frontières une formation sur les causes, les conséquences et les répercussions de la traite et des autres formes d ’ exploitation, ainsi que sur le Protocole de Palerme.

Formation

25)Le Comité prend note des renseignements fournis dans le rapport de l’État partie et par la délégation sur les programmes de formation destinés aux membres des forces de l’ordre mais regrette que très peu d’informations soient disponibles sur l’évaluation de ces programmes et de leur efficacité pour réduire le nombre des cas de torture et de mauvais traitements. Il regrette également l’absence d’informations sur la formation dispensée aux gardes frontière et, s’agissant du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), au personnel qui contribue à détecter les cas de torture et de mauvais traitements et à mener les enquêtes (art. 10).

L ’ État partie devrait continuer de mettre en place des programmes de formation destinés à tous les agents publics, en particulier aux policiers et aux autres membres des forces de l ’ ordre, pour faire en sorte qu ’ ils soient pleinement informés des dispositions de la Convention. Il devrait également veiller à ce que les autorités participant aux opérations de surveillance des frontières suivent une formation spécialisée sur les obligations en vertu du droit international des réfugiés et du droit international des droits de l ’ homme, et procéder régulièrement à des contrôles internes du respect de ces obligations.

En outre, l ’ État partie devrait mettre en place un programme de formation destiné à l ’ ensemble du personnel qui contribue à détecter les cas de torture et à mener les enquêtes, y compris les conseils commis d ’ office, les médecins et les psychologues, afin que les dispositions du Protocole d ’ Istanbul soient connues et appliquées dans la pratique. Il devrait en outre entreprendre une évaluation de l ’ efficacité et des effets des programmes de formation et d ’ éducation sur la réduction de l ’ incidence de la torture et des mauvais traitements.

Réparation, y compris indemnisation et moyens de réadaptation

26)Le Comité se déclare à nouveau préoccupé par l’insuffisance des renseignements fournis au sujet des moyens de réparation, notamment le versement d’indemnisations équitables et suffisantes et les mesures de réadaptation dont peuvent bénéficier les victimes de la torture ou les personnes qui sont à leur charge, conformément à l’article 14 de la Convention. Il est également préoccupé par le retard notable avec lequel l’État partie offre aux victimes de violences les réparations qui ont été décidées par des organes de surveillance et des tribunaux internationaux (art. 14).

L ’ État partie devrait renforcer l ’ action qu ’ il mène pour fournir une réparation, notamment sous la forme d ’ une indemnisation et d ’ une réadaptation aussi complète que possible, et élaborer un programme visant spécifiquement à aider les victimes de la torture et de mauvais traitements. Il devrait également instaurer des procédures plus efficaces et plus accessibles qui permettent aux victimes d ’ exercer leur droit à réparation en vertu de la loi n o  3811/2009, en particulier en réduisant le temps que prennent les tribunaux nationaux pour allouer des indemnités dans ces affaires. Le Comité lui recommande également, à titre d ’ urgence et sans faire d ’ exception, d ’ offrir promptement aux victimes de violences les réparations décidées par des organes de surveillance et des tribunaux internationaux tels que le présent Comité, le Comité des droits de l ’ homme et la Cour européenne des droits de l ’ homme.

Affaire de l ’ Aghia Varvara

27)Le Comité note une nouvelle fois avec préoccupation que 502 enfants des rues roms albanais sur 661 auraient été portés disparus après avoir été placés, en 1998-2002, dans l’institution grecque pour enfants Aghia Varvara, et juge particulièrement préoccupant que les autorités compétentes de l’État partie n’aient pas mené d’enquêtes sur ces affaires (art. 2 et 12).

Le Comité prie instamment l ’ État partie de prendre contact avec les autorités albanaises aux fins de créer dans les meilleurs délais un mécanisme efficace chargé d ’ enquêter sur ces affaires de façon à déterminer où se trouvent les enfants portés disparus, en coopération avec les Médiateurs des deux pays et les organisations concernées de la société civile, et à établir les responsabilités des personnes impliquées dans ces disparitions, sur les plans disciplinaire et pénal, avant qu ’ il soit difficile d ’ établir les faits avec certitude en raison du temps écoulé. Il lui recommande également d ’ adopter des mesures générales de lutte contre les violations des droits des enfants des rues pour éviter que de tels faits ne se reproduisent.

Collecte de données

28)Le Comité note avec intérêt qu’un groupe de travail spécial a récemment été créé et chargé de soumettre des propositions détaillées en vue de la réorganisation et de la modernisation des statistiques de l’État partie relatives à l’administration de la justice mais regrette l’absence de données complètes et ventilées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations relatives à des affaires de torture et de mauvais traitements imputés à des responsables de l’application des lois, notamment des policiers, des agents de l’administration pénitentiaire et des gardes frontière, et à des affaires de traite et de violence familiale et sexuelle (art. 11 et 12).

L ’ État partie devrait mettre en place un système efficace permettant de rassembler des données statistiques intéressantes pour la surveillance de l ’ application de la Convention au plan national, notamment sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations relatives à des affaires de torture et de mauvais traitements, la traite et les violences familiales et sexuelles, ainsi que sur les mesures de réparation, notamment l ’ indemnisation et la réadaptation, dont ont bénéficié les victimes.

29)Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, à savoir la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, la Convention relative aux droits des personnes handicapées et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

30)L’État partie est prié de diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par l’intermédiaire des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

31)L’État partie est invité à soumettre son document de base conformément aux instructions relatives au document de base qui figurent dans les Directives harmonisées pour l’établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN/2/Rev.6).

32)Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 1er juin 2013, des renseignements sur la suite donnée à ses recommandations tendant à a) mener sans délai des enquêtes impartiales et efficaces et b) poursuivre les personnes soupçonnées d’actes de torture et de mauvais traitements et punir les auteurs de tels actes, telles que formulées aux paragraphes 10 et 13 du présent document. De plus, le Comité demande des renseignements sur la suite donnée aux recommandations relatives aux conditions de détention et à la rétention administrative des demandeurs d’asile et des migrants, telles que formulées aux paragraphes 14 et 20 du présent document.

33)L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le septième, le 1er juin 2016 au plus tard. À cette fin, le Comité soumettra en temps voulu à l’État partie une liste préalable de points à traiter puisque l’État partie a accepté d’établir son rapport conformément à la procédure facultative.

66. Rwanda

1)Le Comité a examiné le rapport initial du Rwanda (CAT/C/RWA/1) à ses 1070e et 1073e séances (CAT/C/SR.1070 et 1073), le 15 mai 2012, et a adopté les observations finales ci-après à ses 1090e et 1091e séances (CAT/C/SR.1090 et 1091), le 31 mai 2012.

A. Introduction

2)Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial du Rwanda, qui est conforme aux lignes directrices du Comité en matière de présentation de rapports. Il regrette toutefois qu’il ne donne pas de statistiques sur l’application des dispositions de la Convention. Le Comité se félicite du dialogue franc et ouvert qu’il a eu avec la délégation de l’État partie, ainsi que des réponses données oralement pendant l’examen du rapport et des réponses complémentaires fournies par écrit.

3)Le Comité prend également note des progrès accomplis sur la voie de la pleine réconciliation du peuple rwandais après le génocide de 1994 et des efforts faits pour que les victimes du génocide obtiennent justice et pour bâtir un État fondé sur la primauté du droit.

B. Aspects positifs

4)Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci-après ou y a adhéré:

a)Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, le 15 décembre 2008;

b)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, le 15 décembre 2008;

c)La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, le 15 décembre 2008;

d)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 15 décembre 2008;

e)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 15 décembre 2008.

5)Le Comité prend note des efforts faits par l’État partie pour réviser sa législation, notamment:

a)L’adoption en 2003 de la Constitution, dont l’article 15 dispose que nul ne peut faire l’objet de tortures, de sévices ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants;

b)L’adoption en 2012 d’un nouveau Code pénal qui définit l’infraction de torture;

c)L’adoption en 2004 de la loi no 15/2004 portant mode et administration de la preuve;

d)L’adoption en 2001 de la loi no 27/2001 relative aux droits et à la protection de l’enfant contre les violences, qui dispose qu’aucun enfant ne devrait être soumis à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants;

e)L’adoption en 2007 de la loi organique no 37/2007 portant abolition de la peine de mort;

f)L’adoption en 2008 de la loi portant prévention et répression de la violence basée sur le genre.

6)Le Comité salue également les efforts faits par l’État partie concernant les politiques et procédures en vigueur, notamment la création du Bureau du Médiateur.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition et incrimination de la torture

7)Le Comité relève avec satisfaction que, selon les informations données par la délégation, le Code pénal, nouvellement adopté mais non encore promulgué, définit la torture en son article 166, mais il note avec préoccupation que les peines prévues à l’article 205 de ce nouveau Code (de six mois à cinq ans) sont clémentes. En outre, les peines ne visent pas les actes de torture consistant à infliger une douleur ou des souffrances mentales (art. 1er et 4).

L ’ État partie devrait promulguer et appliquer le Cod e pénal nouvellement adopté dès que possible, en veillant à ce que la définition de la torture soit conforme à la Convention. Il devrait également faire en sorte que le Code pénal prévoie des peines appropriées pour les actes de torture, y compris ceux qui consistent à infliger une douleur ou des souffrances mentales.

Application directe de la Convention par les juridictions internes

8)Notant que la Convention peut être directement invoquée devant les tribunaux internes, le Comité est toutefois préoccupé par le manque d’informations sur les affaires dans lesquelles la Convention a été appliquée par les tribunaux de l’État partie ou invoquée devant eux (art. 2, 10, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait veiller à ce que les agents de l ’ État, les juges, les magistrats, les procureurs et les avocats reçoivent une formation sur les dispositions de la Convention de manière à faciliter son invocation directe devant les tribunaux de l ’ État partie et son application par ces mêmes tribunaux. L ’ État partie devrait également veiller à ce que, pendant la période de transition avant la promulgation du nouveau Code pénal, l ’ absence de définition de la torture dans le Code pénal en vigueur soit compensée par l ’ application directe, par les tribunaux de l ’ État partie, de la définition donnée dans la Convention. Enfin, il devrait faire figurer dans son prochain rapport périodique des exemples représentatifs d ’ affaires dans lesquelles la Convention a été directement appliquée.

Ordres d ’ un supérieur

9)Le Comité note que le paragraphe 2 de l’article 48 de la Constitution consacre le droit de tout citoyen de contester un ordre d’un supérieur et que les instructions internes de la Police nationale prévoient également que le subordonné a le devoir de ne pas exécuter les ordres contraires à la loi, mais il est préoccupé par l’absence de procédures propres à faire appliquer ces règles dans la pratique (art. 2).

L ’ État partie devrait garantir, dans la pratique, le droit d ’ un subordonné de refuser d ’ exécuter un ordre émanant de son supérieur qui est contraire à la Convention. Il devrait aussi veiller dans la pratique à ce que l ’ exécution d ’ un tel ordre ne constitue pas une justification de la torture, en totale conformité a vec le paragraphe 3 de l ’ article  2 de la Convention.

Allégations de torture et de mauvais traitements

10)Le Comité est préoccupé par les allégations faisant état d’actes de torture commis dans certains lieux de détention de l’État partie, en particulier les informations relatives à 18 cas de torture ou de mauvais traitements (passages à tabac et décharges électriques, par exemple) pendant des interrogatoires menés par des agents du renseignement militaire rwandais dans les camps de Kami et de Kinyinga et par d’autres membres des services de sécurité dans des «lieux illicites», notamment les mauvais traitements infligés à des prisonniers politiques comme Bertrand Ntaganda, Célestin Yumvihoze, Dominique Shyirambere et Victoire Ingabire (art. 2, 11, 12 et 13).

L ’ État partie devrait prendre des mesures immédiates et effectives pour empêcher la torture et les mauvais traitements dans tous les lieux de détention et les autres lieux de privation de liberté sur son territoire. Il devrait enquêter rapidement et de manière impar tiale et approfondie sur les 18 cas présumés de torture et sur les cas signalés d ’ actes de torture et de mauvais traitements infligés à des prisonniers politiques, poursuivre les responsables et leur imposer des peines appropriées. L ’ État partie devrait également veiller à ce que les victimes d ’ actes de torture ou de mauvais traitements obtiennent réparation, et notamment bénéficient de services de réadaptation .

Rapport sur les centres de détention secrets

11)S’il prend note de la déclaration de la délégation, qui nie que des personnes soient détenues dans des lieux secrets, le Comité est toutefois préoccupé par les informations indiquant que des personnes seraient détenues dans des «centres de détention non officiels» sans avoir été inculpées ou présentées à un juge et sans pouvoir consulter un avocat indépendant et un médecin. Le Comité est préoccupé par les 45 cas signalés de détention illicite dans des camps militaires et d’autres lieux de détention secrets présumés en 2010 et 2011, la durée de la détention allant de dix jours à deux ans, sans garanties juridiques (art. 2, 11 et 12).

L ’ État partie devrait veiller à ce que personne ne soit détenu dans des lieux de détention secrets ou non officiels, empêcher toute forme de détention illégale sur son territoire et mener des enquêtes sur les allégations faisant état de tels faits. Il devrait, de toute urgence, fermer ces lieux de détention et faire en sorte que les personnes qui y sont détenues bénéficient de toutes les garanties juridiques, en particulier en ce qui concerne le droit d ’ être présenté rapidement à un juge, dans un délai de quarante-huit heures au maximum après l ’ arrestation ou le placement en détention (voir les Principes de base re latifs au rôle du barreau, par.  7), le droit de consulter un avocat de son choix et le droit d ’ être examiné par un médecin. L ’ État partie devrait adopter une loi portant création et publication de la liste officielle de tous les lieux de détention, et prévoir des peines pour ceux qui ont détenu des personnes dans des lieux autres que les centres de détention légaux.

Garanties juridiques fondamentales

12)S’il note que, en vertu de la législation de l’État partie, les détenus bénéficient des garanties juridiques fondamentales, le Comité est toutefois préoccupé par les informations indiquant que les personnes détenues dans des postes de police, des prisons ou d’autres lieux de détention ne bénéficient pas systématiquement des garanties juridiques fondamentales conformément aux normes internationales. Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que des personnes pourraient être placées en détention avant jugement pendant de longues périodes sans être présentées à un juge et qu’elles ne peuvent consulter un avocat ou un médecin de leur choix ou bénéficier d’un examen médical indépendant, conformément aux normes internationales. Elles n’ont pas non plus le droit de prévenir un membre de leur famille. Le Comité note aussi avec préoccupation qu’il n’existe pas de système centralisé d’enregistrement des personnes privées de liberté (art. 2).

L ’ État partie devrait prendre rapidement des mesures efficaces pour que, en droit et dans la pratique, tous les détenus jouissent, dès leur placement en détention, de toutes les garanties juridiques. Il s ’ agit notamment du droit de chaque détenu d ’ être informé des raisons de son arrestation, y compris de toute accusation portée contre lui, d ’ avoir rapidement accès à un avocat et de s ’ entretenir en privé avec lui et, si nécessaire, d ’ obtenir une aide juridictionnelle, d ’ être examiné par un médecin indépendant, si possible de son choix, d ’ informer un proche, d ’ être assisté par un avocat pendant un interrogatoire de police et, si nécessaire, par un interprète, d ’ être présenté rapidement à un juge et de faire examiner la légalité de sa détention par un tribunal.

L ’ État partie devrait veiller à ce que les agents de l ’ État, en particulier les médecins légistes, les médecins des prisons, les agents pénitentiaires et les magistrats qui ont des raisons de soupçonner qu ’ un acte de torture ou des mauvais traitements ont été infligés, consignent tout acte de cette nature, qu ’ il soit l ’ objet de soupçons ou ait été dénoncé, et le signalent aux autorités compétentes. L ’ État partie devrait en outre envisager de créer un système centralisé d ’ enregistrement des personnes privées de liberté.

Système de surveillance des lieux de détention

13)Le Comité prend note de l’existence de lois, règlements et instructions, ainsi que des informations indiquant que la Commission nationale des droits de l’homme, le Bureau du Médiateur et certaines organisations non gouvernementales surveillent les postes de police et les prisons. Il est toutefois préoccupé par l’absence de mécanisme assurant la surveillance de tous les lieux de détention. Il regrette également de ne disposer que d’informations limitées sur l’existence d’un mécanisme de plainte dans les lieux de détention, y compris sur les possibilités de porter plainte sans crainte de représailles (art. 2, 11, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait faciliter l ’ organisation de visites plus nombreuses d ’ organismes publics et d ’ organisations non gouvernementales dans les lieux de détention à des fins de surveillance et veiller à ce que les détenus puissent porter plainte sans avoir à craindre des représailles . Ce s plaintes devraient faire rapidement l ’ objet d ’ enquêtes impartiales et indépendantes .

Disparitions forcées

14)Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de disparitions forcées et par le fait que l’État ne donne pas de renseignements sur le lieu où se trouvent les disparus et n’ait pas lancé d’enquête approfondie sur les disparitions, en particulier sur celles d’André Kagwa Rwisereka et d’Augustin Cyiza. Il note aussi avec préoccupation que 21 des 24 affaires soumises à l’État partie par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires restent pendantes (art. 2, 11, 12, 13, 14 et 15).

L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger effectivement toutes les personnes contre les disparitions forcées. Il devrait veiller à ce que toutes les disparition s forcée s fassent l ’ objet d ’ une enquête approfondie et à ce que les responsables soient poursuivis et, s ’ ils sont jugés coupables, à ce qu ’ ils reçoivent des peines adaptées. L ’ État partie devrait aussi veiller à ce que toute personne qui a subi un préjudice résultant directement d ’ une disparition forcée ait accès à toute s les information s disponible s qui pourraient être utile s pour déterminer où se trouve la personne disparue, et ait droit à une réparation juste et adéquate. L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour faire la lumière sur toutes les affaires en suspens qui lui ont été soumises par le Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires. En outre, l ’ État partie est instamment invité à ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Tribunaux gacaca − justice traditionnelle

15)Le Comité prend acte avec satisfaction des explications données par l’État partie sur le système des tribunaux gacaca, qui ont été établis pour accélérer les poursuites en relation avec le génocide de 1994, et sur la dissolution imminente de ces tribunaux, leur mission étant accomplie. Il note toutefois avec préoccupation que des critiques ont été émises au sujet de l’absence de garanties fondamentales dans les procédures suivies par les tribunaux gacaca (art. 2, 10 à 13, 15 et 16).

L ’ État partie devrait veiller à ce que le système des tribunaux ga caca soit compatible avec s es obligations internationales dans le domaine des droits de l ’ homme, en particulier ses obligations au titre de la Convention concernant les garanties juridiques fondamentales d ’ un procès équitable, et à ce que l es affaires qui doivent encore être jugées par ces tribunaux soient examinées conformément à ces normes. Il devrait également veiller à ce que les décisions rendues par ces tribunaux puissent faire l ’ objet d ’ un recours devant des tribunaux ordinaires.

Violence à l ’ égard des femmes et des enfants et violence intrafamiliale, y compris la violence sexuelle

16)Le Comité prend acte des mesures adoptées par l’État partie pour lutter contre la violence intrafamiliale, en particulier la violence à l’égard des femmes et des filles. Il note également que le nombre de viols a diminué entre 2006 et 2009. Il est toutefois préoccupé par la persistance de ce phénomène, signalée dans le rapport de l’État partie, et note qu’en 2009 l’État partie a enregistré 1 570 viols d’enfants. Le Comité regrette qu’il n’existe pas de données statistiques complètes et récentes sur la violence intrafamiliale, ainsi que sur les enquêtes menées sur ce type d’affaires, les poursuites engagées, les condamnations prononcées et les peines infligées aux auteurs de tels faits. Il est également préoccupé par l’absence de législation complète interdisant l’utilisation des châtiments corporels contre les enfants (art. 2 et 12 à 14).

L ’ État partie devrait renforcer ses mesures visant à éliminer la violence intrafamiliale, en particulier la violence à l ’ égard d es femmes et d es filles, notamment en adoptant une stratégie globale à cet effet. Il devrait faciliter le dépôt de plaintes par les femmes contre les auteurs de tels faits et faire en sorte que des enquêtes impartiales et effectives soient menées sans délai sur toutes les allégations de violence sexuelle, poursuivre les suspects et punir les auteurs. L ’ État partie devrait continuer d ’ offrir une assistance aux femmes victimes, y compris un hébergement, une assistance médicale et des mesures de réadaptation. Il devrait également interdire expressément les châtiments corporels contre les enfants dans tous les contextes.

L ’ État partie devrait communiquer au Comité des informations sur les enquêtes relatives à des affaires de violence intrafamiliale, en particulier de violence à l ’ égard d es femmes et les filles, y compris le viol et d ’ autres crimes, dont la violence sexuelle, et sur l ’ issue des procès, en précisant notamment les peines prononcées contre les auteurs et la réparation et l ’ indemnisation offertes aux victimes .

Organisations non gouvernementales, défenseurs des droits de l ’ homme et journalistes

17)Le Comité prend note des informations fournies par la délégation de l’État partie au sujet des relations de l’État avec la société civile, mais il est préoccupé par les informations faisant état d’intimidations et de menaces qui font obstacle à la participation effective des organisations non gouvernementales aux activités relatives aux droits de l’homme. Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations faisant état de l’arrestation et du placement en détention de défenseurs des droits de l’homme et de journalistes et regrette l’absence d’informations sur les enquêtes menées sur de telles allégations. Il prend note des informations selon lesquelles les organisations non gouvernementales internationales sont actuellement autorisées à s’enregistrer pour cinq ans, au lieu d’un an, et les organisations locales sont dispensées d’enregistrement. Le Comité est toutefois préoccupé par les informations faisant état d’obstacles mis à l’enregistrement et au travail des organisations non gouvernementales (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait lever les obstacles qui entravent le travail des organisations non gouvernementales et offrir aux défenseurs des droits de l ’ homme et aux journalistes une protection effective contre l ’ intimidation, les menaces, les arrestations et la détention, y compris en poursuivant et en punissant les responsables de tels actes. À cette fin, l ’ État partie devrait mettre effectivement en application sa décision d ’ accorder un permis de cinq ans aux organisations non gouvernementales internationales et de dispenser les organisations non gouvernementales locales de l ’ enregistrement.

Non-refoulement

18)Le Comité note avec préoccupation que les étrangers qui «troublent ou menacent de troubler» la sécurité publique sont expulsés, extradés ou renvoyés dans leur pays et peuvent courir le risque d’être soumis à la torture, en violation du principe de non-refoulement, faute de mécanisme efficace permettant d’évaluer le risque que court l’intéressé d’être soumis à la torture dans le pays de destination (art. 3).

L ’ État partie devrait veiller à ce qu ’ aucun e personne ne soit expulsée, extradée ou refoulée vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu ’ elle risque d ’ être soumise à la torture. Il devrait prendre des mesures pour garantir que le principe du non-refoulement est correctement appliqué par la Haute Cour lorsqu ’ elle statue sur ce type d ’ affaire. L ’ État partie devrait en outre veiller à ce que le projet de loi sur l ’ extradition, en cours d ’ examen au Parlement, intègre les obligation s internationale s au titre de l ’ article 3 de la Convention.

Conditions carcérales

19)Prenant note des efforts faits par le Gouvernement, le Comité est cependant préoccupé par les mauvaises conditions carcérales, en particulier en ce qui concerne l’hygiène, l’accès aux soins de santé et l’alimentation. Il est préoccupé par le taux élevé de surpopulation et par le fait que des personnes peuvent être maintenues en détention après avoir exécuté leur peine. Il est également préoccupé par les informations indiquant qu’un nombre élevé de mères sont détenues avec leur bébé dans des conditions extrêmement difficiles (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour améliorer les conditions carcérales et veiller à ce que celles-ci soient conformes à l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus:

a) En réduisant le taux élevé de surpopulation, en particulier en recourant davantage à des mesures non privatives de liberté, compte tenu des Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo);

b) En libérant les détenus qui ont exécuté la plus grande partie de leur peine de prison et qui sont considérés par les autorités compétentes comme aptes à la réinsertion dans la société;

c) En évitant les longues périodes de détention avant jugement et en veillant à ce que les personnes placées en détention avant jugement bénéficient d ’ un procès équitable et rapide;

d) En veillant à ce que les mineurs soient séparés des adultes et les prévenus des condamnés;

e) En veillant à ce que les mères détenues avec leur bébé soient placées dans un cadre plus adapté .

Justice pour mineurs

20)Le Comité note avec préoccupation que des mineurs de moins de 12 ans qui sont en conflit avec la loi peuvent être détenus pendant huit mois au maximum et que ces mineurs ne sont pas toujours séparés des adultes. Il est également préoccupé par les informations indiquant que des mineurs sont arrêtés et placés en détention pour vagabondage sans aucune garantie juridique (art. 2, 10 et 16).

L ’ État partie devrait de toute urgence prendre des mesures pour éviter la détention des mineurs en conflit avec la loi et , à titre de mesure de substitution à l ’ emprisonnement, leur ass urer une protection spéciale. Il devrait également veiller à ce que tous les mineurs ne soient privés de liberté qu ’ en dernier ressort et pour la période la plus courte possible. Enfin, il devrait veiller à ce que les mineurs privés de liberté jouissent de toutes les garanties juridiques et que ceux qui sont condamnés soient détenus séparément des adultes.

Formation

21)Tout en prenant note des renseignements donnés par l’État partie sur les formations relatives aux droits de l’homme destinées aux membres des forces de l’ordre, aux médecins et aux infirmiers, au personnel du Service national des prisons et aux officiers de police judiciaire, formations qui portent notamment sur les principes consacrés par la Convention, le Comité est préoccupé par le manque d’informations sur les effets de ces formations sur la lutte contre la torture et les mauvais traitements et sur leur évaluation. Il note également avec préoccupation que l’État partie n’a pas indiqué si la formation destinée à apprendre aux médecins à déceler les signes de torture comprend une familiarisation au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) (art. 10).

L ’ État partie devrait renforcer les programmes de formation destinés aux membres des forces de l ’ ordre, civils ou militaires, au personnel médical, aux agents de l ’ État et aux autres personnes susceptibles d ’ intervenir dans la garde à vue, l ’ interrogatoire ou le traitement des personne s arrêtée s , détenue s ou emprisonnée s . Il devrait évaluer l ’ efficacité des formations offertes et veiller à ce que le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul) soit inclus dans les programmes de formation.

Réparation, indemnisation, réadaptation

22)Le Comité note avec préoccupation que, dans son rapport, l’État partie indique qu’en vertu de la législation, «le droit des victimes d’être indemnisées est subordonné à l’existence d’un acte authentique ou à une reconnaissance émanant de l’auteur de l’infraction et donnant lieu à indemnisation». Il estime que cette condition risque d’empêcher des victimes de torture ou de mauvais traitements d’obtenir réparation, y compris d’être indemnisées, comme le veut la Convention. Il est également préoccupé par l’absence d’affaire liée à la torture et aux mauvais traitements dans laquelle l’État rwandais aurait eu à verser une indemnisation pour réparer des dommages causés par ses agents, malgré les dispositions du Code civil (Livre III, art. 258 à 262) relatives à la responsabilité civile résultant des délits et des quasi-délits (art. 14).

L ’ État partie devrait réviser sa législation pour supprimer la condition de «reconnaissance émanant de l ’ auteur de l ’ infraction» afin que les victimes de torture puissent demander et obtenir rapidement une indemnisation équitable et adéquate, y compris dans les cas où la responsabilité civile de l ’ État partie est engagée. Il devrait fournir au Comité des données statistiques sur les affaires dans lesquelles l ’ État partie a indemnisé des victimes de torture ou de mauvais traitements, en précisant le montant des indemnités versées.

Aveux obtenus sous la contrainte

23)Le Comité note que, dans son rapport, l’État partie a indiqué que les éléments de preuve obtenus par la torture ou toute méthode cruelle ou dégradante sont considérés comme irrecevables mais il est préoccupé par les informations indiquant que des personnes accusées de menacer la sécurité publique et détenues dans les camps militaires de Kami et de Mukamira ainsi que dans des lieux de détention officieux de Kigali ont fait des aveux après avoir été battues et torturées. Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que les juges n’ont pas diligenté d’enquêtes sur ces affaires et ont fait porter la charge de la preuve sur les accusés (art. 15).

L ’ État partie devrait veiller à ce que les aveux, les déclarations et les éléments de preuve obtenus par la torture ou des mauvais traitements ne soient pas invoqués comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n ’ est contre la personne accusée de torture pour établir qu ’ une déclaration a été faite. L ’ État partie devrait enquêter sur les aveux obtenus par la torture et veiller à ce que les responsables soient poursuivis et punis. Il devrait revoir les condamnations pénales reposant uniquement sur des aveux afin d ’ identifier les cas de condamnation irrégulière fondée sur des aveux obtenus par la torture ou des mauvais traitements, prendre les mesures correctives qui s ’ imposent et informer le Comité de ses constatations.

Commission nationale des droits de l ’ homme

24)Le Comité prend acte avec satisfaction des explications de la délégation de l’État partie sur les activités de la Commission nationale des droits de l’homme mais il est préoccupé par le manque présumé d’indépendance effective de la Commission et l’insuffisance des ressources financières et humaines qui lui sont allouées pour lui permettre de s’acquitter efficacement de son mandat (art. 2).

L ’ État partie devrait prendre des mesures appropriées pour garantir dans la pratique l ’ indépendance de la Commission nationale des droits de l ’ homme et lui allouer des ressources financières et humaines suffisantes pour lui permettre de s ’ acquitter efficacement de son mandat, en totale conformité avec les Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (Principes de Paris ).

25)Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de ratifier dès que possible le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

26)Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention, afin de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications.

27)L’État partie est invité à diffuser largement le rapport qu’il a soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par l’intermédiaire des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

28)L’État partie est invité à soumettre son document de base commun en suivant les instructions relatives à l’établissement du document de base commun qui figurent dans les directives harmonisées pour l’établissement des rapports au titre d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN/2/Rev.6) approuvées par la réunion intercomités des organes créés en vertu d’instruments relatifs aux droits de l’homme, et à respecter la limite de 80 pages fixée pour ce document.

29)Le Comité prie l’État partie de lui faire parvenir, le 1er juin 2013 au plus tard, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 10, 12 et 14 des présentes observations finales concernant i) la conduite d’enquêtes rapides, impartiales et efficaces, ii) les poursuites engagées et les sanctions prises contre les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements, iii) les recours offerts aux victimes, et iv) les garanties fondamentales assurées aux personnes retenues au poste de police. En outre, le Comité aimerait recevoir des renseignements sur la suite donnée aux recommandations concernant les centres de détention secrets et la réduction de la surpopulation carcérale, formulées aux paragraphes 11 et 19 a) et b) des présentes observations finales.

30)Le Comité invite l’État partie à présenter son prochain rapport, qui sera son deuxième rapport périodique, le 1er juin 2016 au plus tard. À cette fin, il invite l’État partie à accepter, le 1er juin 2013 au plus tard, d’établir son rapport selon la procédure facultative, en vertu de laquelle le Comité transmet à l’État partie une liste de points à traiter avant la soumission du rapport. Les réponses de l’État partie à la liste des points à traiter constitueront, en vertu de l’article 19 de la Convention, son prochain rapport périodique.

67. République arabe syrienne

1)Le Comité contre la torture a examiné l’application de la Convention en République arabe syrienne, en l’absence du rapport spécial qu’il avait demandé, à sa 1072e séance (CAT/C/SR.1072), tenue le 16 mai 2012, et a adopté à sa 1089e séance (CAT/C/SR.1089), le 30 mai 2012, les observations finales ci-après.

A. Introduction

Demande du Comité

2)Par une lettre datée du 23 novembre 2011, adressée à la Mission permanente de la République arabe syrienne, le Comité a invité la République arabe syrienne à lui soumettre un rapport spécial sur les mesures prises pour s’assurer que toutes ses obligations en vertu de la Convention étaient pleinement honorées, et s’est dit profondément préoccupé par les nombreuses informations, cohérentes et étayées, émanant de sources fiables, qui faisaient état de violations massives des dispositions de la Convention par les autorités de la République arabe syrienne, notamment:

a)Des actes de torture et des mauvais traitements infligés à des détenus, y compris des enfants qui ont été torturés et mutilés alors qu’ils se trouvaient en détention;

b)Des attaques massives ou systématiques lancées contre la population civile, y compris le meurtre de manifestants pacifiques et l’usage excessif de la force contre eux;

c)Des exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires;

d)Des détentions arbitraires par les forces de police et l’armée;

e)Des disparitions forcées ou involontaires;

f)Des persécutions de militants et de défenseurs des droits de l’homme.

3)Le Comité a noté que les informations faisant état de violations massives des droits de l’homme s’inscrivent dans un contexte d’impunité totale et absolue car les autorités syriennes n’ont pas ouvert sans délai d’enquêtes approfondies et impartiales sur ces affaires. Il a également noté que ces violations généralisées seraient commises sous l’ordre direct des pouvoirs publics, à leur instigation ou avec leur consentement exprès ou tacite.

4)Le Comité a estimé que les observations et réponses faites au titre du suivi de ses observations finales (CAT/C/SYR/CO/1/Add.1) n’apportaient pas d’informations propres à dissiper ses préoccupations au sujet des violations massives des dispositions de la Convention.

5)Le rapport spécial a été demandé conformément au paragraphe 1, in fine, de l’article 19 de la Convention, qui dispose que les États parties présentent «tous autres rapports demandés par le Comité».

6)Le Comité a renouvelé sa demande à la République arabe syrienne dans une lettre datée du 12 mars 2012, invitant l’État partie à faire connaître le nom des représentants qui participeraient aux séances des 16 et 18 mai 2012 afin d’examiner le respect des dispositions de la Convention et de dialoguer avec le Comité.

Réponses de la République arabe syrienne

7)Par une note verbale du 20 février 2012, la Mission permanente de la République arabe syrienne a indiqué que son gouvernement informerait le Comité des mesures prises pour respecter ses engagements en vertu de la Convention dans son prochain rapport périodique, attendu en 2014, et que la République arabe syrienne estimait que l’article 19 de la Convention ne donnait pas la possibilité au Comité de demander un rapport spécial.

8)Par une note verbale du 21 mars 2012, la Mission permanente de la République arabe syrienne a indiqué, entre autres, que l’article 19 de la Convention habilitait le Comité à demander un rapport complémentaire uniquement si de nouvelles mesures étaient prises, ce à quoi le Comité n’avait pas fait référence. La République arabe syrienne a demandé au Comité de retirer sa demande de rapport spécial et d’annuler les séances prévues pour l’examen dudit rapport.

9)Par une note verbale du 2 avril 2012, la Mission permanente de la République arabe syrienne a informé le Secrétaire général, le Conseil de sécurité et le Comité des pertes humaines et matérielles survenues en République arabe syrienne depuis le début des événements jusqu’au 15 mars 2012, pertes causées par «l’action de groupes terroristes armés».

10)Par une note verbale du 24 mai 2012, la Mission permanente de la République arabe syrienne a donné une réponse officielle concernant la séance publique tenue par le Comité le 16 mai 2012.

11)Les lettres du Comité et les notes verbales de la Mission permanente de la République arabe syrienne peuvent être consultées sur le site www.ohchr.org.

Fondement de la demande de rapport spécial

12)Le Comité rappelle que le paragraphe 1, in fine, de l’article 19 de la Convention dispose expressément que les États parties sont tenus de présenter «tous autres rapports demandés par le Comité». Il a déjà eu recours à cette procédure par le passé.

13)Il ne fait aucun doute que cette demande relève pleinement de la compétence du Comité au regard de la Convention. La demande du Comité est parfaitement conforme à l’objet et au but de la Convention, à savoir prévenir et éliminer la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et mener une lutte plus efficace en la matière.

B. Examen de l ’ application de la Convention en République arabe syrienne, en l ’ absence du rapport spécial demandé par le Comité

14)Le 16 mai 2012, en séance publique, le Comité a examiné l’état de l’application de la Convention en République arabe syrienne en se fondant sur les informations dont il disposait.

15)Le Comité a regretté que l’État partie n’ait pas présenté le rapport demandé. Il a aussi regretté que l’État partie n’ait pas envoyé de délégation à la séance du 16 mai 2012.

16)Le Comité a examiné l’application de la Convention dans l’État partie sur la base des informations disponibles émanant de nombreuses sources fiables et crédibles, notamment:

a)Les rapports de la commission d’enquête internationale du Conseil des droits de l’homme sur la République arabe syrienne (A/HRC/S-17/2/Add.1 et A/HRC/19/69);

b)Le rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme en République arabe syrienne (A/HRC/18/53);

c)Les appels urgents lancés par les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, à savoir le Groupe de travail sur la détention arbitraire, le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, le Rapporteur spécial concernant la situation des défenseurs des droits de l’homme, et le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (UA G/SO 218, G/SO 217/1, G/SO 214 (76-17), G/SO 214 (107-109), 214 (53-24)); la lettre du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, et celle du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (G/SO 214 (33‑27), G/SO 214 (53-24));

d)Le rapport du Groupe de travail sur l’Examen périodique universel (A/HRC/19/11);

e)Les observations finales du Comité des droits de l’enfant concernant les troisième et quatrième rapports périodiques de la République arabe syrienne soumis en application de la Convention relative aux droits de l’enfant (CRC/C/SYR/CO/3-4);

f)Les rapports publics émanant d’institutions spécialisées des Nations Unies et d’organisations non gouvernementales.

17)Le Comité a également pris note des informations figurant dans les résolutions ci-après sur la situation dans l’État partie:

a)Les résolutions 66/253 et 66/176 de l’Assemblée générale;

b)Les résolutions 2043 (2012) et 2042 (2012) du Conseil de sécurité;

c)Les résolutions 19/22 et 19/1 du Conseil des droits de l’homme et ses résolutions S-18/1, S-17/1 et S-16/1, adoptées à trois sessions extraordinaires.

C. Principaux sujets de préoccupation

18)Le Comité est profondément préoccupé par les allégations cohérentes, crédibles, étayées et corroborées concernant l’existence de violations massives et systématiques des dispositions de la Convention commises contre la population civile de la République arabe syrienne par les autorités de l’État partie et par des milices (notamment la chabiha) agissant à l’instigation ou avec le consentement exprès ou tacite des autorités de l’État partie.

19)Le Comité tient compte des conclusions de la commission d’enquête internationale sur la République arabe syrienne, pour qui «il existe bien un faisceau d’éléments de preuve fiables (…), qui donne des motifs raisonnables de penser que certains individus, y compris des chefs d’unité et des responsables au plus haut de la hiérarchie gouvernementale, portent la responsabilité de crimes contre l’humanité et d’autres violations graves des droits de l’homme» (A/HRC/19/69, par. 87). Il prend aussi note de la déclaration faite par la Haut‑Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme le 27 mai 2012, indiquant que «le massacre aveugle et peut-être délibéré de villageois dans la région de Houla près de Homs, en Syrie, pourrait constituer un crime contre l’humanité ou un autre crime international».

20)Le Comité se dit profondément préoccupé par les violations de la Convention qui se produisent et se poursuivent dans l’État partie et dont l’existence n’est pas contestée, comme l’attestent les informations mentionnées plus haut:

a)Le recours massif à la torture et à des traitements cruels et inhumains sur des détenus, des personnes soupçonnées d’avoir participé à des manifestations, des journalistes, des blogueurs, des déserteurs des forces de sécurité, des personnes blessées, des femmes et des enfants (art. 2, 11, 13 et 16);

b)Le recours habituel à la torture et à des traitements cruels et inhumains comme moyen, qui semble être délibéré et relever de la politique de l’État, de semer la peur ainsi que d’intimider et de terroriser la population civile (art. 2 et 16), et le fait que les autorités de l’État partie ne tiennent aucun compte des appels à mettre fin à ces violations lancés par des organes et des experts internationaux faisant autorité (art. 2);

c)Les très nombreuses informations faisant état de violences sexuelles commises par des agents publics, notamment sur des détenus de sexe masculin et des enfants (art. 2 et 16);

d)Les violations massives et flagrantes des droits de l’enfant commises par les autorités syriennes, y compris la torture et les mauvais traitements sur des enfants, le meurtre d’enfants pendant des manifestations et la détention arbitraire d’enfants;

e)Les informations faisant état d’au moins 47 enfants portés disparus, dont certains n’ont pas plus de 15 ans et dont on aurait perdu la trace depuis leur placement en détention (art. 16);

f)Des conditions de détention cruelles, inhumaines ou dégradantes, notamment la très grande surpopulation dans les lieux de détention (art. 11 et 16);

g)Les informations concernant l’existence de lieux de détention secrets et celles indiquant que les observateurs et les organisations nationaux et internationaux n’ont pas accès aux lieux de détention; ces lieux de détention secrets constituent en tant que tels des violations de la Convention et donnent inévitablement lieu à des cas de torture et de mauvais traitements contraires à la Convention (art. 2, 11, 12, 13 et 16);

h)Les attaques de grande envergure lancées par les forces de sécurité contre des civils dans tout le pays, qui entraînent de nombreuses exécutions sommaires, y compris les massacres de personnes âgées, de femmes et d’enfants tentant de fuir les attaques contre des villages et des villes (art. 2);

i)Les événements effroyables et tragiques qui ont eu lieu le 25 mai 2012 à Houla, où plus de 100 personnes, dont au moins 34 enfants âgés de moins de 10 ans, ont été tuées à la suite d’une attaque aveugle menée sur le village (art. 2);

j)L’utilisation d’une force excessive, notamment d’armes lourdes contre des manifestants prenant part à des manifestations pacifiques, et le bombardement par l’artillerie de zones résidentielles, auxquels ont régulièrement recours les unités des forces armées syriennes et diverses forces de sécurité, et le caractère concerté de ces attaques, y compris la démolition et la destruction délibérées d’habitations en guise de représailles ou de châtiment (art. 2 et 16);

k)Les raids organisés régulièrement par les forces de sécurité dans des hôpitaux pour rechercher et tuer des manifestants blessés; et le fait que souvent, les manifestants blessés sont empêchés d’avoir accès à l’aide médicale, ce qui entraîne parfois leur mort (art. 2, 11, 12, 13 et 16);

l)Des assassinats de journalistes, d’avocats, de défenseurs et de militants des droits de l’homme (art. 2, 13 et 16);

m)Des tentatives généralisées de dissimuler les massacres commis par les forces de sécurité, y compris l’utilisation de fosses communes (art. 12 et 13);

n)La pratique généralisée de l’arrestation arbitraire et illégale, et, partant, la détention illégale de civils, y compris de personnes âgées, d’enfants et de femmes (art. 2 et 16);

o)L’entrée en vigueur, le 21 avril 2011, du décret législatif no 55/2011 portant modification de l’article 17 du Code de procédure pénale afin de pouvoir maintenir des suspects en détention jusqu’à sept jours en attendant la fin de l’enquête, et d’interroger des personnes soupçonnées de certaines infractions, détention susceptible d’être prolongée jusqu’à soixante jours au maximum (art. 2 et 16);

p)Le fait que les arrestations arbitraires ne soient pas reconnues officiellement et que les suspects sont souvent détenus au secret sans que leur famille soit informée de leur arrestation ou de leur sort (art. 2 et 16);

q)Les nombreuses informations faisant état de disparitions forcées et de décès de détenus à la suite de graves actes de torture (art. 2, 11, 12, 13 et 16);

r)Des arrestations arbitraires de militants qui ont participé à des manifestations ou aidé à en organiser, et dont les noms apparaissent sur les listes des forces de sécurité; des détentions arbitraires de proches et de connaissances de personnes recherchées en guise de mesures d’intimidation et de représailles (art. 2, 12, 13 et 16);

s)Le fait que les membres des forces de sécurité bénéficient toujours de l’immunité de poursuites, ce qui favorise une culture de violence et d’impunité enracinée de longue date, comme l’atteste le fait que le décret législatif no 14 de janvier 1969 et le décret no 69 de septembre 2008 soient toujours en vigueur (art. 12 et 13).

21)Le Comité est aussi très préoccupé par les allégations reçues faisant état d’actes de torture, de traitements cruels et inhumains, d’exécutions sommaires et d’enlèvements commis par des groupes armés de l’opposition.

D. Recommandations

22)Le Comité réitère les recommandations qu’il a adressées à la République arabe syrienne (CAT/C/SYR/CO/1) après avoir examiné son rapport initial et engage vivement celle-ci à:

a)Réaffirmer clairement le caractère absolu de l’interdiction de la torture, et faire cesser immédiatement et condamner publiquement les pratiques systématiques et généralisées de torture, en particulier par les forces de sécurité, en faisant clairement savoir que quiconque commettrait de tels actes, en serait complice ou y participerait, serait tenu personnellement responsable devant la loi, ferait l’objet de poursuites pénales et se verrait infliger les peines appropriées;

b)Prendre d’urgence des mesures vigoureuses pour abolir les décrets qui octroient l’immunité pour les crimes commis par des personnes dans l’exercice de leurs fonctions, ce qui consacre dans la pratique l’impunité des actes de torture commis par des membres des services de sécurité, des organes de renseignement et de la police;

c)Mettre en place un mécanisme national indépendant pour assurer une surveillance et une inspection efficaces de tous les lieux de détention et faire en sorte qu’il soit donné suite aux résultats de cette surveillance systématique, notamment en autorisant les visites périodiques et inopinées effectuées par des observateurs nationaux et internationaux, l’objectif étant de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

d)Remettre en liberté toutes les personnes détenues arbitrairement et faire en sorte que nul ne soit gardé dans un centre de détention secret placé sous le contrôle effectif de facto des autorités de l’État; enquêter sur ces lieux de détention, en révéler l’existence et indiquer sous la responsabilité de quelles autorités ils ont été mis en place et la manière dont les détenus y sont traités, et prendre immédiatement des mesures pour fermer tous ces centres;

e)À titre d’urgence, enquêter sur chaque cas de disparition forcée signalé et communiquer les résultats des enquêtes aux familles des personnes disparues;

f)Cesser immédiatement toutes les attaques contre des journalistes et des défenseurs et des militants des droits de l’homme, et prendre toutes les mesures nécessaires pour que toutes les personnes, notamment les observateurs des droits de l’homme, soient protégées contre tout acte d’intimidation ou de violence les visant en raison de leurs activités et jouissent des garanties relatives aux droits de l’homme, et que des enquêtes impartiales et efficaces soient menées rapidement sur ces actes, que leurs auteurs soient poursuivis et punis et que les victimes obtiennent réparation, y compris une indemnisation;

g)Adopter immédiatement des mesures de protection pour toutes les victimes de torture et de mauvais traitements, y compris un accès accéléré aux soins médicaux; et offrir à toutes les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements une réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation juste et appropriée et d’une réadaptation aussi complète que possible.

23)En outre, le Comité souligne à titre d’urgence, compte tenu du fait que des actes contraires à la Convention, qui sont largement documentés, continuent d’être commis sans relâche, que la République arabe syrienne doit:

a)S’acquitter immédiatement des obligations que lui fait la Convention de prévenir la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et d’en protéger tous ceux qui relèvent de sa juridiction; le Comité rappelle, à ce sujet, qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture;

b)Mettre immédiatement un terme à toutes les attaques commises contre sa population, en particulier les manifestants pacifiques, les femmes, les enfants et les personnes âgées; veiller à ce qu’il soit mis fin à tous les actes contraires à la Convention; et mettre fin aux violations généralisées, flagrantes et continues des droits de l’homme de toutes les personnes relevant de sa juridiction, en particulier la privation systématique, dans certaines régions, de biens et services essentiels à la vie, tels que la nourriture, l’eau et les soins médicaux;

c)Établir, avec l’aide de la communauté internationale, une commission indépendante d’enquête sur les graves allégations de violations des droits de l’homme commises par des forces de sécurité et des groupes armés agissant sous le contrôle ou avec le consentement exprès ou tacite des autorités de l’État; suspendre les membres des forces de sécurité visés par des allégations crédibles de violations des droits de l’homme en attendant le résultat des enquêtes; et veiller à ce que les personnes et les groupes qui coopèrent avec la commission d’enquête ne fassent pas l’objet de représailles, de mauvais traitements ou d’actes d’intimidation en raison de leur coopération;

d)Veiller à ce que des enquêtes impartiales et approfondies soient rapidement ouvertes sur les allégations faisant état d’exécutions sommaires, de disparitions forcées, d’arrestations et de détentions arbitraires, d’actes de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par des agents de l’État ou des acteurs non étatiques, poursuivre les responsables devant des tribunaux indépendants et impartiaux qui satisfont aux normes internationales en matière de procès équitable, et punir ces personnes en fonction de la gravité de leurs crimes. Le fait de poursuivre des membres des forces de sécurité impliqués dans de graves violations des droits de l’homme et visés par des allégations de crimes contre l’humanité suppose de mener des enquêtes au plus haut niveau de la chaîne de commandement.

24)Le Comité demande aux autorités de la République arabe syrienne de cesser leurs violations manifestes des obligations découlant de la Convention. Il demande à l’État partie de mettre fin à ses pratiques actuelles, en violation de la Convention, qui sont totalement inacceptables, et de prendre immédiatement des mesures énergiques pour respecter la Convention, notamment au moyen d’une coopération rapide et directe avec le Comité. À cet effet, il demande à la République arabe syrienne, conformément au paragraphe 1, in fine, de l’article 19 de la Convention, de lui présenter, le 31 août 2012 au plus tard, un rapport spécial de suivi sur les mesures qu’elle aura prises pour donner suite aux recommandations ci-dessus.

IV.Suivi des observations finales relatives aux rapportsdes États parties

68.On trouvera dans le présent chapitre un récapitulatif des réponses reçues des États parties et des activités de la Rapporteuse pour le suivi des observations finales au titre de l’article 19 de la Convention, y compris les vues de la Rapporteuse sur les résultats de cette procédure. Ces renseignements ont été mis à jour à la date de la clôture de la quarante-huitième session, le 1er juin 2012.

69.Dans son rapport annuel pour 2005-2006, le Comité a exposé le cadre qu’il avait mis en place pour assurer le suivi des conclusions et recommandations adoptées à l’issue de l’examen des rapports soumis par les États parties. Il a inclus dans chacun de ses rapports annuels des renseignements sur les réponses reçues des États parties depuis le lancement de cette procédure en mai 2003.

70.Conformément à son règlement intérieur, le Comité a institué le poste de rapporteur pour le suivi des observations finales au titre de l’article 19 de la Convention et nommé Mme Felice Gaer pour le pourvoir. La Rapporteuse a présenté des rapports intérimaires sur la procédure aux quarante-septième et quarante-huitième sessions (en octobre-novembre 2011 et mai-juin 2012, respectivement).

71.À l’issue de l’examen de chaque rapport d’État partie, le Comité expose des sujets de préoccupation et recommande des mesures spécifiques visant à prévenir les actes de torture et/ou les mauvais traitements. Le Comité aide ainsi les États parties à déterminer les mesures législatives, judiciaires, administratives et autres à mettre en œuvre pour faire en sorte que leur législation et leur pratique soient conformes aux obligations énoncées dans la Convention.

72.Dans le cadre de la procédure établie pour le suivi des observations finales relatives aux rapports de pays, le Comité a identifié un certain nombre de recommandations qui requéraient un complément d’information spécifique dans un délai d’un an. Les recommandations ainsi retenues ont en commun de porter sur des faits graves, d’avoir une finalité de protection et de pouvoir être mises en œuvre en l’espace d’un an. Les États parties sont priés de fournir dans les douze mois des renseignements sur les mesures qu’ils auront prises pour donner une suite auxdites recommandations, lesquelles sont explicitement mentionnées dans l’un des derniers paragraphes des observations finales les concernant.

73.Entre la mise en place de la procédure (en mai 2003, lors de la trentième session) et la fin de la quarante-huitième session, en mai-juin 2012, le Comité a examiné 126 rapports d’États parties pour lesquels il a demandé des renseignements sur la suite donnée à ses recommandations (concernant 99 pays, dont 27 ont fait l’objet de deux examens). Sur les 109 États parties qui devaient envoyer des renseignements aux fins du suivi avant le 1er juin 2012, 74 l’avaient fait au moment de l’adoption du présent rapport. Les 33 États qui n’avaient envoyé aucune réponse au 1er juin 2012 alors que le délai était échu étaient les suivants: Afrique du Sud (trente-septième session), Bénin (trente-neuvième), Bulgarie (trente-deuxième), Burundi (trente-septième), Cambodge (quarante-cinquième et trente et unième), Cameroun (quarante-quatrième et trente et unième), Costa Rica (quarantième), El Salvador (quarante-troisième), Équateur (quarante-cinquième), Éthiopie (quarante-cinquième), Finlande (quarante-sixième), Ghana (quarante-sixième), Honduras (quarante-deuxième), Indonésie (quarantième), Irlande (quarante-sixième), Jordanie (quarante-quatrième), Koweït (quarante-sixième), Luxembourg (trente-huitième), Maurice (quarante-sixième), Monaco (quarante-sixième), Mongolie (quarante-cinquième), Nicaragua (quarante-deuxième), Ouganda (trente-quatrième), Pérou (trente-sixième), République de Moldova (trentième), République démocratique du Congo (trente-cinquième), Slovénie (quarante-sixième), Tadjikistan (trente-septième), Tchad (quarante-deuxième), Togo (trente-sixième), Turkménistan (quarante-sixième), Yémen (quarante-quatrième) et Zambie (quarantième). On notera que les 33 États parties qui n’avaient fourni aucune information dans le cadre de la procédure de suivi au 1er juin 2012 appartenaient à toutes les régions du monde.

74.La Rapporteuse envoie un rappel à chacun des pays qui n’ont pas fourni les renseignements demandés sur la suite donnée aux recommandations. Des informations sur les réponses reçues des États parties dans le cadre du suivi des observations finales sont disponibles sur le site Web du Comité, pour chacune de ses sessions. Depuis 2010, une page Web séparée est consacrée au suivi: http://www2.ohchr.org/english/bodies/cat/follow-procedure.htm. Y figurent les réponses des États parties, ainsi que les lettres adressées par la Rapporteuse aux États parties et les communications des ONG au titre du suivi.

75.La Rapporteuse se félicite des renseignements envoyés par les États parties sur les mesures prises pour s’acquitter de leurs obligations en vertu de la Convention. Elle a procédé à une évaluation des réponses reçues pour déterminer si tous les points mentionnés par le Comité avaient été suivis d’effet, si les renseignements pouvaient être qualifiés de satisfaisants et si de plus amples renseignements s’imposaient. Chacune de ses lettres répond spécifiquement et en détail aux renseignements fournis par l’État partie concerné. Lorsqu’un complément d’information est nécessaire, la Rapporteuse écrit à l’État partie pour lui demander des éclaircissements sur certains points précis. À ce jour, 23 États parties ont apporté un complément d’information en réponse à ces demandes. La Rapporteuse écrit aussi aux États qui n’ont pas donné du tout les renseignements demandés pour les inviter à le faire.

76.La Rapporteuse se félicite également des renseignements soumis par les organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme et les autres groupes de la société civile dans le cadre de la procédure de suivi. Au 1er juin 2012, le Comité avait reçu des rapports émanant de ces sources concernant 19 États parties.

77.Comme les recommandations adressées à chaque État partie sont formulées en fonction de la situation propre au pays concerné, les réponses reçues et les lettres de la Rapporteuse sollicitant des éclaircissements portent sur de nombreux sujets. Dans les lettres demandant aux États parties de plus amples renseignements sont abordés des points précis jugés essentiels pour la mise en œuvre de la recommandation considérée. Un certain nombre des points mentionnés tiennent compte des renseignements donnés alors que d’autres concernent des sujets non traités qui sont estimés essentiels pour les travaux du Comité dans l’optique de l’adoption de mesures efficaces de prévention et de protection propres à éliminer la torture et les mauvais traitements.

78.Pendant la période couverte par le présent rapport, la Rapporteuse a envoyé des rappels aux États parties suivants: Autriche, Bosnie-Herzégovine, Cambodge, Cameroun, Équateur, Éthiopie, Finlande, France, Ghana, Irlande, Jordanie, Koweït, Maurice, Monaco, Mongolie, Slovénie, Suisse, Turquie, Turkménistan et Yémen.

79.La Rapporteuse a continué à rendre compte au Comité de ses conclusions concernant la procédure de suivi à ses quarante-septième et quarante-huitième sessions. Elle a relevé que, depuis que le Comité avait commencé à appliquer la procédure de suivi en 2003, les thèmes qui revenaient le plus fréquemment étaient, dans l’ordre: a) ouverture sans délai d’enquêtes impartiales et efficaces (80 % des États parties dont le rapport a été examiné); b) poursuites et sanctions à l’encontre des auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements (69 %); c) respect des garanties juridiques fondamentales (55 %); d) exercice du droit de déposer plainte et d’obtenir que sa cause soit examinée (43 %); e) formation et sensibilisation (40 %); f) réparation, indemnisation et réadaptation (39 %). Compte tenu de ces conclusions et du nombre croissant de thèmes retenus aux fins du suivi, la Rapporteuse a proposé au Comité d’envisager de limiter les questions à aborder au titre du suivi aux trois thèmes récurrents les plus fréquents (enquêtes, poursuites et garanties juridiques) afin de rendre plus cohérentes et de mieux cibler les demandes adressées aux États parties et d’insister sur le caractère prioritaire des questions retenues.

80.Comme suite à la proposition de la Rapporteuse, et après avoir débattu du nombre important et croissant de thèmes retenus aux fins du suivi, le Comité a adopté une nouvelle procédure, plus ciblée. Depuis novembre 2011, il inclut dans ses observations finales un paragraphe dans lequel il invite l’État partie concerné à lui faire parvenir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations concernant a) la mise en place de garanties juridiques pour les détenus ou le renforcement des garanties existantes, b) l’ouverture sans délai d’enquêtes impartiales et efficaces, c) les poursuites engagées contre les personnes soupçonnées d’actes de torture et de mauvais traitements et les sanctions prononcées contre les auteurs de tels actes, telles que formulées dans les paragraphes retenus aux fins du suivi. L’État partie concerné peut également être invité à faire parvenir au Comité des renseignements sur tout autre point abordé dans les observations finales, y compris la question de l’accès des victimes à des recours et à des réparations, et intéressant le Comité au titre du suivi, compte tenu de la situation particulière dans cet État.

81.De plus, aux quarante-septième et quarante-huitième sessions, la Rapporteuse a présenté les résultats d’une étude pilote dans laquelle un système de double classement a été utilisé pour évaluer les réponses à la procédure de suivi. À la différence du système utilisé par un autre organe conventionnel, qui repose sur un classement simple consistant à déterminer a) si l’information demandée par le Comité a été fournie et b) si la recommandation du Comité est mise en œuvre, l’étude pilote du Comité contre la torture utilise un double classement. Ce système permet au Comité de faire la distinction entre un État qui fournit beaucoup d’informations mais qui ne donne pas vraiment suite à la recommandation et un État qui met largement en œuvre la recommandation. La Rapporteuse a constaté, dans l’étude pilote, que le système de double classement rendait plus fidèlement compte de la mise en œuvre des recommandations. Une autre étude sera effectuée sur l’utilisation de cette approche.

82.Les tableaux ci-après récapitulent les réponses reçues des États parties dans le cadre de la procédure de suivi au 1er juin 2012, date de la clôture de la quarante-huitième session du Comité. Il y est également fait mention, le cas échéant, des commentaires des États parties concernant les observations finales et de toute mesure supplémentaire prise par le Comité.

Procédure de suivi des observations finales (mai 2003-juin 2012) *

Trentième session (mai 2003)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Azerbaïdjan

Mai 2004

7 juillet 2004 CAT/C/CR/30/RESP/1

Demande d ’ éclaircissements (21 avril 2006)

République de Moldova

Mai 2004

-

Rappel (7 mars 2006)

Trente et unième session (novembre 2003)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Cambodge

Novembre 2004

-

Rappel (28 avril 2006)

Cameroun

Novembre 2004

-

Rappel (17 février 2006)

Colombie

Novembre 2004

24 mars 2006 CAT/C/COL/CO/3/Add.1

Rappel (17 février 2006)

16 octobre 2007 CAT/C/COL/CO/3/Add.2

Demande d ’ éclaircissements (2 mai 2007)

Lettonie

Novembre 2004

3 novembre 2004 CAT/C/CR/31/RESP/1

Demande d ’ éclaircissements (21 avril 2006)

14 mai 2007 CAT/C/LVA/CO/1/Add.1

Informations en cours d ’ examen

Lituanie

Novembre 2004

7 décembre 2004 CAT/C/CR/31/5/RESP/1

Demande d ’ éclaircissements (21 avril 2006)

25 octobre 2006 CAT/C/LTU/CO/1/Add.2

Demande d ’ éclaircissements (27 octobre 2008)

Maroc

Novembre 2004

22 novembre 2004 CAT/C/CR/31/2/Add.1

2 août 2006 CAT/C/MAR/CO/3/Add.2

Demande d ’ éclaircissements (10 mai 2006)

Demande d ’ éclaircissements (17 mars 2011)

30 octobre 2006 CAT/C/MAR/CO/3/Add.3

Yémen

Novembre 2004

22 août 2005 CAT/C/CR/31/4/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (21 avril 2006)

Trente-deuxième session (mai 2004)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Allemagne

Mai 2005

4 août 2005 CAT/C/CR/32/7/RESP/1

Demande d ’ éclaircissements (30 octobre 2006)

25 septembre 2007 CAT/C/DEU/CO/3/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (3 mai 2011)

Bulgarie

Mai 2005

-

Rappel (17 février 2006)

Chili

Mai 2005

22 janvier 2007 CAT/C/38/CRP.4

Rappel (17 février 2006)

Demande d ’ éclaircissements (15 mai 2008)

Croatie

Mai 2005

12 juillet 2006 CAT/C/HRV/CO/3/Add.1

Rappel (17 février 2006)

16 février 2009 CAT/C/HRV/CO/3/Add.2

Demande d ’ éclaircissements (13 mai 2008)

Informations en cours d ’ examen

Monaco

Mai 2005

30 mars 2006 CAT/C/MCO/CO/4/Add.1

Rappel (17 février 2006)

Demande d ’ éclaircissements (15 mai 2008)

Nouvelle-Zélande

Mai 2005

9 juin 2005 CAT/C/CR/32/4/RESP/1

Commentaires: 19 décembre 2006 CAT/C/NZL/CO/3/Add.2

Demande d ’ éclaircissements (14 mai 2007)

République tchèque

Mai 2005

25 avril 2005 CAT/C/CZE/CO/3/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (16 mai 2006)

14 janvier 2008 CAT/C/CZE/CO/3/Add.2

Demande d ’ éclaircissements (6 mai 2011)

Trente-troisième session (novembre 2004)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Argentine

Novembre 2005

2 février 2006 CAT/C/ARG/CO/4/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (11 mai 2007)

Grèce

Novembre 2005

14 mars 2006 CAT/C/GRC/CO/4/Add.1

Rappel (17 février 2006)

9 octobre 2008 CAT/C/GRC/CO/4/Add.2

Demande d ’ éclaircissements (15 mai 2008)

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d ’ Irlande du Nord

Novembre 2005

14 mars 2006 CAT/C/GBR/CO/4/Add.1

Rappel (17 février 2006)

25 août 2009 CAT/C/GBR/CO/4/Add.2

Demande d ’ éclaircissements (29 avril 2009)

Informations en cours d ’ examen

Trente-quatrième session (mai 2005)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Albanie

Mai 2006

15 août 2006 CAT/C/ALB/CO/1/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (15 novembre 2008)

Bahreïn

Mai 2006

21 novembre 2006 CAT/C/BHR/CO/1/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (17 novembre 2008)

13 février 2009 CAT/C/BHR/CO/1/Add.2

Demande d ’ éclaircissements (25 mai 2011)

Canada

Mai 2006

2 juin 2006 CAT/C/CAN/CO/5 /Add.1

Demande d ’ éclaircissements (29 avril 2009)

Finlande

Mai 2006

19 mai 2006 CAT/C/FIN/CO/4/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (13 mai 2008)

2 décembre 2008 CAT/C/FIN/CO/4/Add.2

Informations en cours d ’ examen

Ouganda

Mai 2006

-

Rappel (5 avril 2007)

Suisse

Mai 2006

16 juin 2005 CAT/C/CHE/CO/4/Add.1

Rappel (5 avril 2007)

15 mai 2007 CAT/C/CHE/CO/4/Add.2

Demande d ’ éclaircissements (11 novembre 2009)

7 décembre 2009 CAT/C/CHE/CO/4/Add.3

Informations en cours d ’ examen

Trente-cinquième session (novembre 2005)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Autriche

Novembre 2006

24 novembre 2006 CAT/C/AUT/CO/3/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (15 novembre 2008)

Bosnie-Herzégovine

Novembre 2006

Commentaires: 1 er février 2006 CAT/C/BIH/CO/1/Add.1

Rappel (5 avril 2007)

6 mai 2007 CAT/C/BIH/CO/1/Add.2

Demande d ’ éclaircissements (12 février 2008)

Équateur

Novembre 2006

20 novembre 2006 CAT/C/ECU/CO/3/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (11 mai 2009)

France

Novembre 2006

13 février 2007 CAT/C/FRA/CO/3/Add.1

Informations en cours d ’ examen

Népal

Novembre 2006

1 er juin 2007 CAT/C/NPL/CO/2/Add.1

Rappel (13 avril 2007)

Demande d ’ éclaircissements (15 mai 2008)

République démocratique du Congo

Novembre 2006

-

Rappel (5 avril 2007)

Sri Lanka

Novembre 2006

22 novembre 2006 CAT/C/LKA/CO/2/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (21 novembre 2007)

Trente-sixième session (mai 2006)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

États-Unis d ’ Amérique

Mai 2007

25 juillet 2007 CAT/C/USA/CO/2/Add.1

Demandes d ’ éclaircissements (8 août 2008 et 14 mai 2009)

Géorgie

Mai 2007

31 mai 2007 CAT/C/GEO/CO/3/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (13 novembre 2009)

Guatemala

Mai 2007

15 novembre 2007 CAT/C/GTM/CO/4/Add.1

Rappel (4 septembre 2007)

Demande d ’ éclaircissements (17 novembre 2008)

9 juin 2009 CAT/C/GTM/CO/4/Add.2

Informations en cours d ’ examen

Pérou

Mai 2007

-

Rappel (4 septembre 2007)

Qatar

Mai 2007

12 décembre 2006 CAT/C/QAT/CO/1/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (7 mai 2010)

République de Corée

Mai 2007

27 juin 2007 CAT/C/KOR/CO/2/Add.1

Demandes d ’ éclaircissements (15 novembre 2008)

10 juillet 2009 CAT/C/KOR/CO/2/Add.2

Demandes d ’ éclaircissements (14 mai 2010)

Togo

Mai 2007

-

Rappel (4 septembre 2007)

Trente-septième session (novembre 2006)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Afrique du Sud

Novembre 2007

-

Rappel (25 avril 2008)

Burundi

Novembre 2007

-

Rappel (25 avril 2008)

Fédération de Russie

Novembre 2007

23 août 2007 CAT/C/RUS/CO/4/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (15 mai 2009)

Guyana

Novembre 2007

5 décembre 2008 CAT/C/GUY/CO/1/Add.1

Rappel (25 avril 2008)

Demande d ’ éclaircissements (14 mai 2010)

Hongrie

Novembre 2007

15 novembre 2007 CAT/C/HUN/CO/4/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (15 novembre 2008)

Mexique

Novembre 2007

14 août 2008 CAT/C/MEX/CO/4/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (6 mai 2009)

7 janvier 2010 CAT/C/MEX/CO/4/Add.2

Informations en cours d ’ examen

Tadjikistan

Novembre 2007

-

Rappel (25 avril 2008)

Trente-huitième session (mai 2007)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Danemark

Mai 2008

18 juillet 2008 CAT/C/DNK/CO/5/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (12 mai 2010)

Italie

Mai 2008

9 mai 2008 CAT/C/ITA/CO/4/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (17 novembre 2009)

Japon

Mai 2008

29 mai 2008 CAT/C/JPN/CO/1/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (11 mai 2009)

Luxembourg

Mai 2008

-

Rappel (17 novembre 2008)

Pays-Bas

Mai 2008

17 juin 2008 CAT/C/NET/CO/4/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (19 novembre 2010)

Pologne

Mai 2008

12 juin 2008 CAT/C/POL/CO/4/Add.1

Informations en cours d ’ examen

Ukraine

Mai 2008

21 avril 2009 CAT/UKR/CO/5/Add.1

Rappel (17 novembre 2008)

Demande d ’ écl a ircissement s (20 décembre 2011)

Trente-neuvième session (novembre 2007)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Bénin

Novembre 2008

-

Rappel (6 mai 2009)

Estonie

Novembre 2008

19 janvier 2009 CAT/C/EST/CO/4/Add.1

Rappel (29 avril 2009)

Informations en cours d ’ examen

Lettonie

Novembre 2008

10 février 2010 CAT/C/LVA/CO/2/Add.1

Rappel (29 avril 2009)

Demande d ’ éclaircissements (25 mai 2011)

Informations en cours d ’ examen

Norvège

Novembre 2008

9 juillet 2009 CAT/C/NOR/CO/5/Add.1 (Appendice 1 manquant)

Rappel (29 avril 2009)

Demande d ’ éclaircissements (12 mai 2010)

26 novembre 2010 CAT/C/NOR/CO/5/Add.2

4 mars 2011 CAT/C/NOR/CO/5/Add.3

Informations en cours d ’ examen

Ouzbékistan

Novembre 2008

13 février 2008 CAT/C/UZB/CO/3/Add.1 ( y compris commentaires)

Rappel et demande d ’ éclaircissements (16 novembre 2009)

7 janvier 2010 CAT/C/UZB/CO/3/Add.2

Demande d ’ éclaircissements (13 septembre 2011)

27 décembre 2011 CAT/C/UZB/CO/3/Add.3

Informations en cours d ’ examen

Portugal

Novembre 2008

23 novembre 2007 CAT/C/PRT/CO/4/Add.1 ( y compris commentaires)

Demande d’éclaircissements (12 mai 2010)

4 janvier 2012 CAT/C/PRT/CO/4/Add.2

Informations en cours d’examen

Quarantième session (mai 2008)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Algérie

Mai 2009

20 mai 2008 CAT/C/DZA/CO/3/Add.1 ( y compris commentaires)

Rappel et demande d ’ éclaircissements (20 novembre 2009)

Australie

Mai 2009

29 mai 2009 CAT/C/AUS/CO/3/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (6 mai 2010)

12 novembre 2010 CAT/C/AUS/CO/3/Add.2

Informations en cours d ’ examen

Costa Rica

Mai 2009

-

Rappel (12 novembre 2009)

ex-République yougoslave de Macédoine

Mai 2009

15 septembre 2009 CAT/C/MKD/CO/2/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (19 novembre 2010)

3 mai 2011 CAT/C/MKD/CO/2/Add.2

Informations en cours d ’ examen

Indonésie

Mai 2009

-

Rappel (12 novembre 2009)

Islande

Mai 2009

22 décembre 2009 CAT/C/ISL/CO/3/Add.1

Rappel (12 novembre 2009)

Demande d ’ éclaircissements (19 novembre 2010)

Suède

Mai 2009

11 juin 2009 CAT/C/SWE/CO/5/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (25 mai 2011)

Zambie

Mai 2009

-

Rappel (12 novembre 2009)

Quarante et unième session (novembre 2008)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Belgique

Novembre 2009

17 mars 2010 CAT/C/BEL/CO/2/Add.1

Informations en cours d ’ examen

Chine

Novembre 2009

Commentaires: 17 décembre 2008 CAT/C/CHN/CO/4/Add.1

26 novembre 2009 CAT/C/CHN/CO/4/Add.2

Demande d ’ éclaircissements (29 octobre 2010, Chine)

Hong Kong

7 janvier 2010 CAT/C/HKG/CO/4/Add.1 (Hong Kong)

Demande d ’ éclaircissements (29 octobre 2010, Hong Kong)

Macao

8 mars 2010 CAT/C/MAC/CO/4/Add.1 (Macao)

Demande d ’ éclaircissements (29 octobre 2010, Macao)

Kazakhstan

Novembre 2009

25 février 2010 CAT/C/KAZ/CO/2/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (13 septembre 2010)

18 février 2011 CAT/C/KAZ/CO/2/Add.2

Informations en cours d ’ examen

Kenya

Novembre 2009

30 novembre 2009 CAT/C/KEN/CO/1/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (4 mai 2010)

Lituanie

Novembre 2009

29 mars 2011 CAT/C/LTU/CO/2/Add.1

Rappel (28 mars 2011)

Monténégro

Novembre 2009

6 avril 2009 CAT/C/MNE/CO/1/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (19 novembre 2010)

Serbie

Novembre 2009

5 février 2010 CAT/C/SRB/CO/1/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (23 mai 2011)

Quarante-deuxième session (mai 2009)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Chili

Mai 2010

22 juillet 2011 CAT/C/CHL/CO/5/Add.1

Rappel (28 mars 2011)

Honduras

Mai 2010

-

Rappel (28 mars 2011)

Israël

Mai 2010

3 août 2010 CAT/C/ISR/CO/4/Add.1

Demande d’éclaircissements (16 mai 2012)

Nicaragua

Mai 2010

-

Rappel (28 mars 2011)

Nouvelle-Zélande

Mai 2010

19 mai 2010 CAT/C/NZL/CO/5/Add.1

Demande d’éclaircissements (7  mai 2012)

Philippines

Mai 2010

5 novembre 2010 CAT/C/PHL/CO/2/Add.1

Demande d ’ éclaircissements (5 décembre 2011)

Tchad

Mai 2010

-

Rappel (28 mars 2011)

Quarante-troisième session (novembre 2009)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Azerbaïdjan

Novembre 2010

18 novembre 2010 CAT/C/AZE/CO/3/Add.1

Demande d’éclaircissements (2  mai 2012)

Colombie

Novembre 2010

Commentaires: 17 décembre 2009

Rappel (28 mars 2011)

14 avril 2011 CAT/C/COL/ Comité/ 4/Add.1

El Salvador

Novembre 2010

-

Rappel (28 mars 2011)

Espagne

Novembre 2010

19 janvier 2011 CAT/C/ESP/CO/5/Add.1

16 février 2012 CAT/C/ESP/CO/5/Add.2

Demande d ’ éclaircissements (5 décembre 2011 )

République de Moldova

Novembre 2010

14 février 2011 CAT/C/MDA/CO/2/Add.1

Demande d’éclaircissements (16 avril 2012)

Slovaquie

Novembre 2010

16 novembre 2010 CAT/C/SVK/CO/2/Add.1

Informations en cours d ’ examen

Quarante-quatrième session (mai 2010)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Autriche

Mai 2011

Commentaires: 6 avril 2011 CAT/C/AUT/CO/4-5/Add.1

29 novembre 2011 CAT/C/AUT/CO/4-5/Add.2

Rappel (6 juin 2011)

Cameroun

Mai 2011

-

Rappel (6 juin 2011)

France

Mai 2011

22 juin 2011 CAT/C/FRA/4-6/Add.1

Rappel (6 juin 2011)

Jordanie

Mai 2011

-

Rappel ( 5 décembre 2011)

Liechtenstein

Mai 2011

Commentaires: 22 décembre 2009 CAT/C/LIE/CO/3/Add.1

-

18 mai 2011 CAT/C/LIE/CO/3/Add.2

République arabe syrienne

Mai 2011

24 août 2011 CAT/C/SYR/CO/1/Add.1

-

Suisse

Mai 2011

7 juin 201 CAT/C/CHE/CO/6/Add.1

Rappel (6 juin 2011)

Yémen

Mai 2011

-

Rappel (5 décembre 2011)

Quarante-cinquième session (novembre 2010)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Bosnie-Herzégovine

Novembre 2011

10 janvier 2012 CAT/C/BIH/CO/2-5/Add.1

Rappel (5 décembre 2011)

Cambodge

Novembre 2011

-

Rappel (20 décembre 2011)

Équateur

Novembre 2011

-

Rappel (20 décembre 2011)

Éthiopie

Novembre 2011

-

Rappel (5 décembre 2011)

Mongolie

Novembre 2011

-

Rappel (20 décembre 2011)

Turquie

Novembre 2011

5 mars 2012 CAT/C/TUR/CO/ 3 /Add.1

Rappel (20 décembre 2011)

Quarante-sixième session (mai-juin 2011)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Finlande

Juin 2012

-

Rappel (1 er juin 2012)

Ghana

Juin 2012

-

Rappel (1 er juin 2012)

Irlande

Juin 2012

-

Rappel (1 er juin 2012)

Koweït

Juin 2012

-

Rappel (1 er juin 2012)

Maurice

Juin 2012

-

Rappel (1 er juin 2012)

Monaco

Juin 2012

-

Rappel (1 er juin 2012)

Slovénie

Juin 2012

-

Rappel (1 er juin 2012)

Turkménistan

Juin 2012

-

Rappel (1 er juin 2012)

Quarante-septième session (octobre-novembre 2011)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Allemagne

Novembre 2012

Commentaires: 28 février 2012 CAT/C/DEU/CO/5/Add.1

-

Bélarus

Novembre 2012

Commentaires: 28 décembre 2011 CAT/C/BLR/CO/4/Add.1

-

Bulgarie

Novembre 2012

-

-

Djibouti

Novembre 2012

-

-

Madagascar

Novembre 2012

-

-

Maroc

Novembre 2012

Commentaires: 3 avril 2012 CAT/C/MAR/CO/4/Add.1

-

Paraguay

Novembre 2012

-

-

Sri Lanka

Novembre 2012

-

-

Quarante-huitième session (mai-juin 2012)

État partie

Informations demandées pour

Informations reçues le

Mesure prise

Albanie

Juin 2013

-

-

Arménie

Juin 2013

-

-

Canada

Juin 2013

-

-

Cuba

Juin 2013

-

-

Grèce

Juin 2013

-

-

République arabe syrienne

Août 2012

-

-

République tchèque

Juin 2013

-

-

Rwanda

Juin 2013

-

-

V.Activités menées par le Comité en application de l’article 20 de la Convention

A.Contexte général

83.En vertu du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention, «si le Comité reçoit des renseignements crédibles qui lui semblent contenir des indications bien fondées que la torture est pratiquée systématiquement sur le territoire d’un État partie, il invite ledit État à coopérer dans l’examen des renseignements et, à cette fin, à lui faire part de ses observations à ce sujet».

84.Conformément à l’article 75 du Règlement intérieur du Comité, le Secrétaire général porte à l’attention du Comité les renseignements qui sont ou semblent être présentés pour examen par le Comité au titre du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention.

85.Le Comité ne reçoit aucun renseignement concernant un État partie qui, conformément au paragraphe 1 de l’article 28 de la Convention, a déclaré, au moment où il a ratifié la Convention ou y a adhéré, qu’il ne reconnaissait pas la compétence du Comité en vertu de l’article 20, à moins que cet État n’ait ultérieurement levé sa réserve conformément au paragraphe 2 de l’article 28 de la Convention.

86.Le Comité a poursuivi ses travaux en application de l’article 20 de la Convention pendant la période couverte par le présent rapport. Conformément aux dispositions de l’article 20 de la Convention et des articles 78 et 79 du Règlement intérieur, tous les documents et tous les travaux du Comité afférents aux fonctions qui lui sont confiées en vertu de l’article 20 sont confidentiels et toutes les séances concernant ses travaux au titre de ce même article sont privées. Toutefois, conformément au paragraphe 5 de l’article 20, le Comité peut, après consultations avec l’État partie intéressé, décider de faire figurer dans son rapport annuel aux États parties et à l’Assemblée générale un résumé des résultats de ces travaux.

87.Dans le cadre des activités de suivi, les rapporteurs pour l’article 20 ont continué à encourager les États parties ayant fait l’objet d’une enquête dont les résultats ont été rendus publics à prendre des mesures pour donner suite aux recommandations du Comité.

B.Résumé des résultats des travaux concernant l’enquête sur le Népal

88.Le Népal a adhéré à la Convention le 14 mai 1991. Il n’a pas déclaré, au moment de la ratifier, qu’il ne reconnaissait pas la compétence accordée au Comité aux termes de l’article 20 comme il aurait pu le faire en vertu de l’article 28 de la Convention. En conséquence, la procédure au titre de l’article 20 est applicable au Népal.

89.Dans ses observations finales concernant le deuxième rapport périodique du Népal (CAT/C/NPL/CO/2), adoptées à sa trente-cinquième session, en novembre 2005, le Comité s’est dit gravement préoccupé par les allégations faisant état d’une pratique généralisée de la torture, le climat d’impunité qui régnait en ce qui concernait les actes de torture et l’absence de disposition légale dans le droit interne érigeant la torture en infraction pénale.

90.À l’issue d’une visite effectuée au Népal en septembre 2005, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après «le Rapporteur spécial sur la question de la torture») est parvenu, entre autres, à la conclusion suivante: «la torture est systématiquement pratiquée par la police, la Force de police armée et l’Armée royale népalaise. Les garanties juridiques sont quotidiennement ignorées et n’ont dans la pratique aucun effet. L’impunité pour les actes de torture est la règle et par conséquent les victimes de la torture et leur famille n’ont aucun accès à la justice ni aux mesures d’indemnisation et de réadaptation.» (E/CN.4/2006/6/Add.5, par. 31).

91.En outre, à sa trente-septième session, en novembre 2006, le Comité a examiné, dans le cadre de séances privées, des renseignements qui lui avaient été soumis par des ONG faisant état d’une pratique systématique de la torture au Népal. Le Comité a trouvé que l’information qui lui avait été soumise au titre de l’article 20 de la Convention était fiable et qu’elle contenait des indications bien fondées que la torture était pratiquée systématiquement sur le territoire népalais.

92.En application du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention et de l’article 82 de son règlement intérieur, le Comité a décidé d’inviter l’État partie à coopérer à l’examen de ces renseignements, dont une copie lui a été envoyée le 5 avril 2007 et à présenter ses observations à ce sujet au Comité avant le 30 avril 2007.

93.Le 19 avril 2007, la Mission permanente du Népal a accusé réception de la demande d’observations du Comité sur les renseignements qui lui avaient été transmis. Toutefois, au 30 avril 2007, l’État partie n’y avait pas répondu comme le lui avait demandé le Comité. Ce dernier lui a donc envoyé des rappels.

94.Le 3 avril 2009, le Népal a transmis ses observations au Comité en demandant que la procédure soit abandonnée. Les informations communiquées par l’État partie ont été examinées par le Comité à ses quarante-deuxième et quarante-troisième sessions, en séance privée.

95.Compte tenu de toutes les informations dont il était saisi, le Comité a décidé de procéder à une enquête confidentielle conformément au paragraphe 2 de l’article 20 de la Convention et a confié à Mme Felice Gaer et à M. Luis Gallegos Chiriboga le soin de la mener. Le 30 novembre 2009, le Comité a communiqué sa décision à l’État partie, l’invitant, conformément au paragraphe 3 de l’article 20 de la Convention, à coopérer avec lui à la réalisation de l’enquête et proposant des dates précises pour la visite au Népal des membres désignés par le Comité.

96.Le 9 mars 2010, le Népal a informé le Comité que «dans le contexte du processus de paix en cours dans le pays et, en particulier, de l’accent mis par le Gouvernement sur la promulgation de la Constitution devant être élaborée par l’Assemblée constituante élue, dont la date approchait, les autorités concernées [n’étaient] pas en mesure de recevoir à ce stade la délégation d’experts du Comité pour les besoins de l’enquête».

97.À sa quarante-quatrième session, le Comité a décidé de continuer de solliciter la coopération de l’État partie, et de poursuivre ainsi son dialogue avec lui en vue de l’amener à accepter la visite en question. Comme ses efforts continus pour obtenir que l’État partie autorise une visite dans le pays étaient restés vains, le Comité a décidé à sa quarante-cinquième session, en novembre 2010, de procéder à l’enquête confidentielle sans qu’une visite ait eu lieu et que les membres désignés du Comité élaboreraient un rapport sur le Népal au titre de l’article 20 dont ils rendraient compte au Comité à sa quarante-sixième session. Le 28 janvier 2011, le Comité a porté cette décision à l’attention de l’État partie.

98.Le 31 mai 2011, le Comité a adopté le rapport sur le Népal en application de l’article 20 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT/C/46/R.2) et, conformément au paragraphe 4 de l’article 20 de la Convention, a décidé de le transmettre au Gouvernement népalais et d’inviter ce dernier à l’informer des mesures prises pour donner suite à ses constatations et à ses recommandations. Le 8 août 2011, le Népal a soumis ses commentaires sur le rapport du Comité.

99.Le 8 novembre 2011, le Président du Comité a rencontré le Représentant permanent du Népal auprès de l’Office des Nations Unies à Genève pour discuter de la publication du rapport conformément au paragraphe 5 de l’article 20 de la Convention.

100.Le 21 novembre 2011, le Népal a fait savoir au Comité qu’il était d’accord pour que l’intégralité du rapport ainsi que le texte complet de ses commentaires soient publiés. Les deux documents sont reproduits à l’annexe XIII du présent rapport.

VI.Examen de requêtes reçues en application de l’article 22de la Convention

A.Introduction

101.Conformément à l’article 22 de la Convention, les particuliers qui se disent victimes d’une violation par un État partie de l’un quelconque des droits énoncés dans la Convention ont le droit d’adresser une requête au Comité contre la torture pour examen, sous réserve des conditions énoncées dans cet article. Soixante-cinq des États qui ont adhéré à la Convention ou l’ont ratifiée ont déclaré reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des requêtes en vertu de l’article 22 de la Convention. La liste de ces États figure à l’annexe III. Le Comité ne peut pas recevoir de requête concernant un État partie à la Convention qui n’a pas reconnu sa compétence en vertu de l’article 22.

102.Conformément au paragraphe 1 de l’article 104 de son règlement intérieur, le Comité a créé le poste de Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, qui est actuellement occupé par M. Fernando Mariño Menéndez.

103.Les requêtes soumises en vertu de l’article 22 de la Convention sont examinées en séance privée (art. 22, par. 6). Tous les documents relatifs aux travaux du Comité au titre de l’article 22 (observations des parties et autres documents de travail du Comité) sont confidentiels. Les modalités de la procédure d’examen des requêtes sont définies en détail aux articles 113 et 115 du Règlement intérieur du Comité.

104.Le Comité rend une décision à la lumière de tous les renseignements qui lui ont été apportés par le requérant et par l’État partie. Ses constatations sont communiquées aux parties (art. 22, par. 7, de la Convention, et art. 118 du Règlement intérieur) et sont ensuite rendues publiques. Le texte des décisions du Comité déclarant des requêtes irrecevables en vertu de l’article 22 de la Convention est également rendu public, sans que l’identité du requérant soit révélée mais en identifiant l’État partie.

105.Conformément au paragraphe 1 de l’article 121 de son règlement intérieur, le Comité peut décider d’inclure dans son rapport annuel un résumé des requêtes examinées. Il inclut aussi dans son rapport annuel le texte de ses décisions en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention.

B.Mesures provisoires de protection

106.Il est fréquent que les requérants demandent une protection à titre préventif, en particulier quand ils sont sous le coup d’une mesure d’expulsion ou d’extradition imminente et invoquent une violation de l’article 3 de la Convention. En vertu du paragraphe 1 de l’article 114 du Règlement intérieur, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, peut, à tout moment après avoir reçu une requête, adresser à l’État partie une demande tendant à ce qu’il prenne les mesures provisoires que le Comité juge nécessaires pour éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la victime ou aux victimes de la violation alléguée. L’État partie est informé que la demande de mesures provisoires ne préjuge pas la décision qui sera prise en définitive sur la recevabilité ou sur le fond de la requête. Pendant la période couverte par le présent rapport, 43 demandes de mesures provisoires de protection ont été formulées dans des requêtes, dont 27 ont été approuvées par le Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, qui vérifie régulièrement que les demandes de mesures provisoires du Comité sont respectées.

107.La décision de demander des mesures provisoires de protection peut être prise sur la base des informations figurant dans la lettre du requérant. Conformément au paragraphe 3 de l’article 114 du Règlement intérieur du Comité, cette décision peut être réexaminée par le Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, à l’initiative de l’État partie, à la lumière de renseignements reçus en temps voulu de cet État partie montrant que la requête n’est pas justifiée et que le requérant ne court pas le risque de subir un préjudice irréparable, ainsi que d’éventuels commentaires ultérieurs du requérant. Certains États parties ont adopté la pratique de demander systématiquement au Rapporteur de retirer sa demande de mesures provisoires de protection. La position du Rapporteur est que pareille demande n’appelle une réponse que si des éléments nouveaux et pertinents, dont il n’avait pas connaissance lorsqu’il a pris la décision de demander l’application de mesures provisoires, sont avancés.

108.Le Comité a arrêté les critères de fond et de forme devant être appliqués par le Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires pour accepter ou ne pas accepter une demande de mesures provisoires de protection. Outre la présentation en temps voulu de la demande de mesures provisoires par le requérant, en application du paragraphe 1 de l’article 114 du Règlement intérieur du Comité, les principaux critères de recevabilité énoncés aux paragraphes 1 à 5 de l’article 22 de la Convention doivent être remplis pour que le Rapporteur donne suite à la demande. L’épuisement des recours internes n’est pas nécessaire si les seuls recours ouverts au requérant n’ont pas d’effet suspensif − par exemple dans le cas de recours dont le dépôt n’entraîne pas automatiquement le sursis à exécution d’un arrêté d’expulsion − ou si le requérant risque l’expulsion immédiate après le rejet définitif de sa demande d’asile. En pareil cas, le Rapporteur peut demander à l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que le Comité est saisi de sa plainte, même avant que les recours internes ne soient épuisés. Pour ce qui est des critères de fond, la plainte doit avoir des chances raisonnables d’être accueillie sur le fond pour que le Rapporteur conclue qu’un préjudice irréparable risque d’être causé à la victime alléguée si elle est expulsée.

109.Dans les cas où l’expulsion ou l’extradition est imminente, lorsque la requête ne donne pas à penser que la plainte aura des chances raisonnables d’être accueillie sur le fond, ce qui permettrait au Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de conclure qu’un préjudice irréparable risque d’être causé à la victime alléguée si elle est expulsée, le requérant est invité par écrit à confirmer qu’il souhaite voir le Comité examiner sa communication bien que le Rapporteur ait rejeté la demande de mesures provisoires le concernant. Dans certains cas, les demandes de mesures provisoires sont levées par le Rapporteur, conformément au paragraphe 3 de l’article 114 du Règlement intérieur et sur la base des renseignements donnés par l’État partie.

C.Travaux accomplis

110.Au moment de l’adoption du présent rapport, le Comité avait, depuis 1989, enregistré 506 plaintes concernant 31 États parties, dont 138 avaient été classées et 63 déclarées irrecevables. Le Comité avait adopté des constatations sur le fond pour 203 requêtes et constaté que les faits faisaient apparaître des violations de la Convention dans 73 d’entre elles. Il avait encore à examiner 102 requêtes.

111.À sa quarante-septième session, le Comité a adopté des décisions sur le fond concernant les communications no 312/2007 (Eftekharyc.  Norvège), no 327/2007 (Boily c. Canada), no 347/2008 (N. B.-M. c. S uisse), no 351/2008 (E. L. c. Suisse), no 353/2008 (Slyusar c.Ukraine), no 368/2008 (Sonko c. Espagne), no 374/2009 (S. M., H. M. et A. M. c. S uède ), no 381/2009 (Faragollah et consorts c. S uisse) et no 428/2010 (Kalinichenkoc. Maroc). Le texte de ces décisions est reproduit dans la section A de l’annexe XIV au présent rapport.

112.La communication no 312/2007 (Eftekharyc. Norvège) concernait un ressortissant iranien qui affirmait que son expulsion vers l’Iran constituerait une violation par la Norvège de l’article 3 de la Convention parce qu’elle l’exposerait au risque d’être torturé ou soumis à des traitements inhumains ou dégradants par les autorités iraniennes en raison de ses activités de journaliste et de sa condamnation par contumace par le Tribunal révolutionnaire de Téhéran, après son départ d’Iran, à cinq ans d’emprisonnement pour collaboration avec des groupes contre-révolutionnaires et publication d’articles contre la République islamique. Bien que l’État partie ait contesté l’authenticité du verdict (document soumis par le requérant à l’appui de ses allégations), le Comité a tenu compte de l’existence de citations à comparaître devant le Tribunal révolutionnaire de Téhéran reçues par le requérant en 2003 en raison de ses activités de journaliste et du fait que les autorités iraniennes s’étaient intéressées au requérant par le passé, comme en témoignaient son arrestation et son interrogatoire; il a également relevé que le requérant avait poursuivi ses activités de journaliste depuis son arrivée en Norvège. Le Comité a en outre estimé que, la République islamique d’Iran n’étant pas partie à la Convention, le requérant serait privé de la possibilité de demander la protection du Comité en cas d’expulsion vers l’Iran. Il a conclu que la décision de l’État partie de renvoyer le requérant en Iran constituait une violation de l’article 3 de la Convention.

113.La communication no 327/2007 (Boily c. Canada) concernait un ressortissant canadien qui affirmait que son extradition vers le Mexique constituerait une violation par le Canada de l’article 3 de la Convention. En 1998, le requérant avait été condamné au Mexique à quatorze ans d’emprisonnement pour trafic de cannabis. En 1999, il avait organisé une évasion, au cours de laquelle un gardien de prison avait été tué. En 2005, il avait été arrêté à son domicile au Canada en application d’un mandat d’arrêt provisoire en vue de son extradition vers le Mexique, qui avait demandé son extradition pour qu’il purge le reliquat de sa peine et qu’il réponde d’une accusation d’homicide d’un gardien de prison et d’évasion. Le requérant affirmait qu’il courait un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé s’il était extradé au Mexique étant donné qu’il avait déjà été torturé par les autorités mexicaines et menacé de mort par des policiers et que des expertises médicales indépendantes avaient attesté qu’il avait subi des actes de torture. Le Comité a noté que le requérant avait formulé des allégations de torture après son extradition et que l’État partie avait affirmé que le risque de torture était atténué par les assurances diplomatiques données, dont l’efficacité potentielle avait été évaluée compte tenu de la mise en place d’un mécanisme de suivi de la situation du requérant au moyen de visites régulières du personnel consulaire canadien. Le Comité a estimé que l’État partie n’avait pas tenu compte, avant d’approuver l’extradition, de toutes les circonstances indiquant que le requérant courait un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé. Il a fait observer que l’État partie n’avait pas pris en considération le fait que le requérant serait incarcéré dans la prison où un gardien avait été tué pendant son évasion plusieurs années auparavant, sachant que l’extradition était demandée, entre autres, en raison du décès de ce gardien. Il a en outre considéré que le système des assurances diplomatiques n’avait pas été conçu de façon assez minutieuse pour prévenir efficacement la torture. Le Comité en a conclu que l’extradition du requérant vers le Mexique dans ces circonstances constituait une violation de l’article 3 de la Convention par l’État partie.

114.La communication no 347/2008 (N. B . -M. c. S uisse) concernait une ressortissante de la République démocratique du Congo, qui était menacée d’expulsion vers son pays d’origine et affirmait qu’une telle mesure constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention. La requérante soutenait qu’elle courait un risque personnel et actuel d’être soumise à la torture en République démocratique du Congo parce qu’elle avait diffusé dans son quartier, à la demande de son fiancé, un message politique contre le régime en place, ce qui lui avait valu d’être menacée par les services de sécurité, par lesquels elle était recherchée depuis son départ du domicile familial puis du pays. La requérante affirmait également qu’elle avait été violée par deux agents qui l’avaient aidée à quitter le pays. Enfin, elle appelait l’attention du Comité sur son état de santé, en joignant à sa requête un certificat médical attestant de nombreuses pathologies, tant somatiques que psychiques. Le Comité a reconnu la situation précaire des droits de l’homme en République démocratique du Congo mais il a observé que l’État partie avait pris en considération cet élément pour apprécier le risque que pourrait courir la requérante en cas de renvoi dans son pays. Il a noté que l’État partie contestait la crédibilité des allégations de la requérante, notamment l’épisode de la diffusion du message politique reçu par son fiancé. Il a noté que les moyens mis en œuvre, tant par les rebelles pour la diffusion de ce message que par les autorités congolaises pour retrouver une opposante isolée comme la requérante, étaient disproportionnés, et, partant, non plausibles. Il a conclu que la requérante n’avait pas avancé d’argument convaincant qui permette de remettre en cause les conclusions de l’État partie à ce propos. En ce qui concerne les allégations de la requérante relatives à son état de santé, le Comité a noté les difficultés vécues par la requérante, ainsi que l’argument de l’État partie, selon lequel elle pourrait consulter un médecin en République démocratique du Congo. La requérante n’a pas contesté cet argument et le Comité a observé que même si l’état de santé de la requérante devait se détériorer suite à son expulsion, une telle aggravation ne constituerait pas en elle-même un traitement cruel, inhumain ou dégradant attribuable à l’État partie, au sens de l’article 16 de la Convention. Le Comité a estimé que la requérante n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants qui permettent de conclure que son retour en République démocratique du Congo lui ferait courir un risque réel, spécifique et personnel d’être soumise à la torture, conformément à l’article 3 de la Convention.

115.La requête no 351/2008 (E. L. c. Suisse) concernait une ressortissante de la République démocratique du Congo qui était menacée d’expulsion vers son pays d’origine et qui affirmait qu’une telle mesure constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention. La requérante affirmait que le fait qu’elle ait transmis des informations secrètes aux rebelles rwandais lorsqu’elle était employée comme réceptionniste au Parlement congolais en 2004, ainsi que le fait qu’elle ait demandé l’asile politique en Suisse, l’exposaient à des risques de mauvais traitements en cas de retour en République démocratique du Congo. Le Comité a relevé que la requérante n’avait pas déclaré avoir subi des mauvais traitements en République démocratique du Congo. Il a accordé le poids voulu aux conclusions des autorités de l’État partie, qui avaient examiné les faits et preuves avancés par la requérante dans la procédure d’asile et qui avaient conclu au manque de crédibilité de la requérante. Ces conclusions étaient fondées sur l’invraisemblance et les incohérences du récit de la requérante, notamment quant aux informations secrètes qu’elle aurait transmises aux forces rebelles rwandaises, ainsi que sur l’utilisation de preuves considérées comme falsifiées. Le Comité a estimé que les arguments de la requérante n’avaient pas été suffisamment étayés pour réfuter ou clarifier les contradictions relevées par l’État partie dans ses observations. Il n’était pas convaincu que, pris dans leur ensemble, les faits dont il était saisi étaient suffisants pour conclure que la requérante courait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumise à la torture si elle était renvoyée en République démocratique du Congo au sens de l’article 3 de la Convention.

116.La communication no 353/2008 (Slyusar c. Ukraine) concernait un ressortissant ukrainien qui affirmait être victime de violations du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 12 de la Convention. Le requérant affirmait qu’il avait été torturé pendant sa détention administrative pour une infraction mineure par des policiers qui enquêtaient sur le meurtre de son père et qui voulaient lui faire avouer ce meurtre. Il affirmait avoir été roué de coups et détenu dans une cellule où la température était de 4 °C, sans pouvoir dormir et sans nourriture, et menacé de représailles contre sa femme et sa mère s’il refusait d’avouer qu’il avait tué son père. Le requérant avait ensuite été placé en détention une deuxième fois, sur ordre du Procureur, en tant que suspect dans le meurtre de son père, et de nouveau torturé. Sa santé s’était considérablement détériorée et des examens médicaux avaient révélé qu’il souffrait d’hypertension cardiovasculaire. Le requérant a produit des certificats médicaux à l’appui de ses allégations. Le Comité a noté que dans ses observations, l’État partie s’était contenté de déclarer qu’il n’y avait aucun lien entre les faits établis dans le rapport médical et la possibilité que le requérant ait été torturé. En l’absence d’explications détaillées de la part de l’État partie et compte tenu des documents produits, le Comité a conclu que les faits, tels qu’ils avaient été exposés, constituaient des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention et que l’État partie avait manqué à son obligation de prévenir et de sanctionner les actes de torture, en violation des dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention. Le Comité a en outre relevé que, d’après le requérant, ses plaintes relatives aux actes de torture subis pendant sa détention n’avaient donné lieu à aucune enquête de la part de l’État partie, qui n’a pas réfuté cette allégation, et que le recours déposé par le requérant contre l’inaction du Bureau du Procureur de district était en instance depuis plusieurs années. Le Comité a rappelé que, conformément à l’article 12 de la Convention, tout État partie était tenu de procéder immédiatement à une enquête impartiale dès lors qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture avait été commis. Il a considéré que l’État partie avait manqué aux obligations que lui imposait l’article 12 de la Convention. Il a également considéré que l’État partie n’avait pas honoré l’obligation qui lui était faite à l’article 13 de la Convention d’assurer au requérant le droit de porter plainte devant les autorités compétentes afin qu’elles procèdent immédiatement et impartialement à l’examen de sa requête, ni celle qui lui était faite à l’article 14 de garantir au requérant, en sa qualité de victime d’un acte de torture, le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisé.

117.La communication no 368/2008 (Sonko c. Espagne) a été soumise par une ressortissante sénégalaise au nom de son frère décédé, Lauding Sonko. La requérante affirmait que son frère avait été victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article premier, ainsi que des paragraphes 1 et 2 de l’article 16 de la Convention. M. Sonko faisait partie d’un groupe de quatre migrants africains qui avaient tenté de pénétrer dans la ville autonome de Ceuta à la nage. Chacun d’entre eux était équipé d’une bouée et d’une combinaison de néoprène. Ils avaient été interceptés par la Garde civile espagnole, qui les avait amenés dans les eaux territoriales marocaines et les avait forcés à se jeter à l’eau, à une profondeur où ils n’avaient pas pied, après avoir crevé leurs bouées. M. Sonko s’était agrippé fermement à la rambarde de l’embarcation en répétant qu’il ne savait pas nager, mais les gardes avaient employé la force pour lui faire lâcher prise et le rejeter à la mer. M. Sonko appelait à l’aide et avait de graves difficultés pour arriver jusqu’au rivage, de sorte qu’un des agents de la Garde civile s’était jeté à l’eau pour l’aider et lui éviter la noyade. Lorsqu’ils étaient arrivés sur le rivage, l’agent avait pratiqué un massage cardiaque sur M. Sonko mais celui-ci était décédé peu après. L’État partie a contesté ces affirmations en faisant valoir que les faits s’étaient produits dans les eaux territoriales marocaines, que les personnes recueillies avaient été laissées très près du rivage, que les Gardes civils n’avaient pas crevé les bouées de M. Sonko et de ses compagnons, et qu’ils avaient secouru M. Sonko et effectué sur lui des manœuvres de réanimation. Le Comité a noté que les parties étaient d’accord sur le fait que M. Sonko et les trois autres nageurs avaient été interceptés par une embarcation de la Garde civile et qu’ils étaient en vie lorsqu’ils y étaient montés. De même, les deux parties affirmaient qu’en arrivant à la plage M. Sonko ne se portait pas bien et que, malgré les tentatives de réanimation, il était décédé. Le Comité a rappelé son Observation générale no 2 (2007), dans laquelle il est établi que le «territoire» s’étend à toutes les régions sur lesquelles l’État partie exerce de fait ou de droit, directement ou indirectement, en tout ou en partie, un contrôle effectif, conformément au droit international. Il a relevé que les Gardes civils avaient exercé un contrôle sur les personnes se trouvant à bord du patrouilleur et qu’ils étaient donc responsables de leur protection. Le Comité a considéré qu’il revenait à l’État partie d’expliquer les circonstances du décès de M. Sonko, puisque lorsque celui-ci était en vie lorsqu’il avait été recueilli dans l’embarcation, et qu’indépendamment du fait de savoir si les gardes civils avaient crevé la bouée de M. Sonko et à quelle distance du rivage ils l’avaient débarqué, celui-ci avait été abandonné dans des circonstances qui avaient entraîné sa mort. Le Comité a considéré que le fait d’infliger des souffrances physiques et mentales à M. Sonko avant son décès atteignait le seuil de ce qui pouvait être considéré comme une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16 de la Convention. Il a également considéré que les faits dont il était saisi soulevaient des questions au titre de l’article 12 et noté que l’obligation de procéder à une enquête dès lors qu’il y avait des motifs de croire que des mauvais traitements avaient été infligés revêtait un caractère absolu dans la Convention et incombait à l’État. Il a rappelé que l’État partie avait l’obligation de procéder à une enquête rapide et approfondie chaque fois qu’il y avait des indices d’actes constitutifs de traitements cruels, inhumains ou dégradants et que cette enquête devait chercher tant à déterminer la nature et les circonstances des faits allégués qu’à établir l’identité des personnes possiblement impliquées. Il a considéré qu’en l’espèce, l’enquête menée par les autorités de l’État partie n’avait pas rempli les conditions énoncées à l’article 12 de la Convention.

118.La communication no 374/2009 (S. M., H. M. et A. M. c. Suède) concernait deux ressortissants azerbaïdjanais et leur fille mineure originaires du Haut-Karabakh, qui affirmaient que leur expulsion vers l’Azerbaïdjan constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention. L’État partie ayant délivré un permis de séjour à la fille des requérants, le Comité a décidé de ne pas examiner la partie de la requête concernant celle-ci. Le Comité a noté que les requérants affirmaient qu’ils risquaient d’être soumis à la torture en Azerbaïdjan en raison des origines mixtes de S. M., qui faisaient de la famille une cible pour les autorités, que toute la famille avait subi des persécutions à caractère ethnique à cause des origines arméniennes de S. M. et qu’ils avaient été frappés et persécutés par des voisins ainsi que par des agents de l’État (policiers) et placés en détention, interrogés, frappés et agressés sexuellement (H. M.) par des membres du Service de la sécurité nationale. Il a observé que les allégations de torture des requérants étaient corroborées par des rapports médicaux dignes de foi. Il a pris note des allégations de mauvais traitements infligés aux requérants à leur retour en Azerbaïdjan en août 2004 et des informations générales indiquant que les comportements hostiles de la part de la population à l’égard des Arméniens de souche vivant dans le pays étaient encore très répandus, que les personnes d’origine arménienne étaient exposées à la discrimination dans la vie quotidienne, qu’elles étaient harcelées par des fonctionnaires de rang inférieur, qui leur réclamaient parfois des pots-de-vin lorsqu’elles déposaient une demande de passeport, et qu’elles dissimulaient souvent leur identité en modifiant la mention de leur origine ethnique sur leur passeport. Le Comité a considéré que le renvoi des requérants en Azerbaïdjan les exposerait à un risque personnel, réel et prévisible de torture au sens de l’article 3 de la Convention.

119.Dans la communication no 381/2009 (Faragollah et consorts c. Suisse), le requérant, sa femme et son fils étaient des ressortissants de la République islamique d’Iran. Le requérant affirmait que leur renvoi en Iran constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention. Le Comité a relevé qu’après son arrivée en Suisse, le requérant était devenu actif au sein de l’Association démocratique pour les réfugiés (ADR), dont il était le représentant pour le canton d’Obwald. Le requérant avait écrit des articles dénonçant le régime iranien actuel, distribué des publications de l’association et participé à divers événements organisés par des organisations non gouvernementales et des églises locales dans son canton. Le Comité a également observé que le fils du requérant avait obtenu le statut de réfugié, sur la base d’activités comparables à celles menées par son père au sein de l’ADR, notamment la collecte de signatures pour des pétitions, la distribution du mensuel de l’association et la participation à un projet de programme radio. L’État partie ayant conclu que le fils du requérant ne pouvait être renvoyé dans la République islamique d’Iran en raison de son profil politique, qui mettrait sa sécurité en péril en cas de retour, le Comité a constaté une différence de traitement. À la lumière de l’ensemble des circonstances, y compris la situation générale des droits de l’homme dans la République islamique d’Iran et la situation personnelle du requérant, qui poursuivait ses activités d’opposition au sein de l’ADR,le Comité était d’avis que ce dernier avait pu attirer l’attention des autorités iraniennes. Par conséquent, le Comité a considéré qu’il y avait de sérieux motifs de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Iran. Le Comité a relevé en outre que l’Iran n’étant pas partie à la Convention, dans l’éventualité d’une expulsion vers ce pays, le requérant serait privé de la possibilité légale de s’adresser au Comité pour une quelconque forme de protection.

120.La communication no 428/2010 (Kalinichenko c. Maroc) concernait un ressortissant russe qui affirmait que son extradition vers la Fédération de Russie constituerait une violation par le Maroc de l’article 3 de la Convention. Le Comité avait prié l’État partie de ne pas extrader le requérant vers la Fédération de Russie tant que sa requête serait à l’examen. Malgré cette demande, le requérant avait été extradé vers la Fédération de Russie le 14 mai 2011. Le Comité a fait observer qu’en ne respectant pas cette demande, l’État partie avait violé les obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 22 de la Convention parce qu’il avait empêché le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une requête faisant état d’une violation de la Convention et l’avait mis ainsi dans l’impossibilité de prendre une décision de nature à empêcher l’extradition du requérant, au cas où il constaterait une violation de l’article 3 de la Convention. Le requérant travaillait comme analyste et conseiller financier en Fédération de Russie. Il s’était associé avec trois hommes d’affaires connus et avait collaboré professionnellement avec une banque locale. En 2004, il avait remarqué qu’un groupe de la criminalité organisée locale était parvenu à prendre le contrôle de plusieurs sociétés locales, dont certaines appartenaient aux partenaires du requérant. Il en avait informé ses partenaires, qui à leur tour avaient signalé les faits aux autorités. Toutefois leurs plaintes avaient été rejetées ou n’avaient jamais fait l’objet d’une enquête. Un des partenaires du requérant avait été arrêté et se serait suicidé en prison. Le requérant avait essayé de mener une enquête plus approfondie sur les transactions financières effectuées par la banque et il avait finalement décidé de signaler les faits aux autorités judiciaires et de créer un site Web contenant une description des faits ainsi que des documents. Il s’était rendu en Italie avec un visa en règle pour ne pas être persécuté par le groupe criminel, puis il était parti au Maroc. L’examen de sa plainte avait été suspendu en son absence et ses parts dans la banque avaient été transférées à un acheteur inconnu sans son accord ou sa signature. De plus, les données relatives aux actions de la société avaient été falsifiées et la direction de la banque avait dit à la police que le requérant avait détourné les fonds de certains clients. La police avait ouvert une enquête et demandé qu’un mandat d’arrêt international soit émis à l’encontre du requérant pour fraude. En 2007, un autre partenaire commercial du requérant avait disparu alors qu’il venait apparemment de témoigner devant les autorités chargées de l’enquête. En septembre 2008, le troisième partenaire avait été tué. Le Comité a noté les arguments du requérant selon lesquels, compte tenu de la mort ou de la disparition de ses partenaires commerciaux ainsi que de l’évaluation faite par le Bureau du HCR au Maroc, il courait un risque personnel d’être torturé ou même tué en Fédération de Russie. Il a aussi noté que l’État partie déclarait n’avoir trouvé aucun indice lui permettant de conclure que le requérant serait soumis à la torture s’il était extradé, et que la demande d’extradition était accompagnée d’assurances diplomatiques de la Fédération de Russie, indiquant que le requérant ne serait pas soumis à la torture ni à des atteintes à sa dignité. Il a rappelé ses observations finales concernant le quatrième rapport périodique de la Fédération de Russie, dans lesquelles il notait que des actes de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants continuaient d’être commis par des agents de la force publique, notamment pour l’obtention d’aveux, et il relevait le manque d’indépendance de la Procurature et son incapacité à mener des enquêtes rapides, impartiales et efficaces sur les allégations de torture ou de mauvais traitements. Le Comité a constaté que les partenaires commerciaux du requérant étaient morts ou avaient disparu − pour deux d’entre eux pendant qu’ils étaient détenus par les autorités de la Fédération de Russie − après avoir signalé les détails d’un complot criminel aux autorités russes et que le requérant lui-même avait reçu des menaces de mort de groupes appartenant à la criminalité organisée, motif pour lequel il avait décidé de quitter le pays. Compte tenu de ces éléments, le Comité a conclu que le requérant avait suffisamment démontré qu’il courrait un risque prévisible, réel et personnel de torture s’il rentrait en Fédération de Russie. Le Comité a estimé que les assurances diplomatiques données étaient insuffisantes pour protéger le requérant contre ce risque manifeste, étant donné qu’elles étaient à caractère général, ne contenaient aucune spécification détaillée et n’étaient pas assorties d’un mécanisme de suivi. En conséquence, il a conclu qu’il y avait eu violation de l’article 3 de la Convention par le Maroc.

121.À sa quarante-septième session, le Comité a décidé de déclarer la communication no 365/2008 (S. K. et R. K. c. Suède) irrecevable. La communication concernait deux frères de nationalité afghane, qui affirmaient que leur renvoi en Afghanistan constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention. Les requérants étaient réfugiés en République islamique d’Iran, où ils avaient commencé à travailler illégalement en 2000. En septembre 2000, ils avaient été arrêtés par la police iranienne et en décembre 2000, ils avaient été expulsés vers l’Afghanistan, où ils auraient été arrêtés par les Talibans, conduits à Kandahar, torturés, frappés, maltraités et insultés. Après avoir réussi à s’échapper, les requérants avaient demandé l’asile en Suède mais le statut de réfugié leur avait été refusé. Le Comité a noté que les requérants n’avaient pas fait appel de la décision rendue par le tribunal de l’immigration devant la Cour d’appel des migrations et n’avait apporté aucun argument tendant à démontrer qu’un recours devant la Cour d’appel des migrations aurait eu peu de chances de leur apporter satisfaction. Il a également noté que les requérants n’avaient jamais signalé pendant la procédure d’asile qu’ils avaient été torturés en Afghanistan et que la décision d’expulsion les concernant était tombée sous le coup de la prescription le 28 mars 2010 et n’était donc plus exécutoire. Enfin, les requérants n’avaient pas engagé de nouvelle procédure d’asile, alors qu’ils en avaient la possibilité. Le Comité a conclu que la communication était irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention pour non-épuisement des recours internes. Le texte de la décision est reproduit à l’annexe XIV, section B, du présent rapport.

122.À sa quarante-huitième session, le Comité a adopté des décisions sur le fond concernant les communications no 343/2008 (Kalonzo c. Canada), no 364/2008 (J. L. L. c. Suisse), no 370/2009 (E. L. c. Canada), no 382/2009 (M. D. T. c. Suisse), no 391/2009 (M. A. M. A. et consorts c. Suède), no 393/2009 (E. T. c. Suisse), no 396/2009 (Gbadjavi c. Suisse), no 413/2010 (A. A. M. c. Suède), no 414/2010 (N. T. W. c. Suisse), no 424/2010 (M. Z. A. c. Suède), no 433/2010 (Gerasimov c. Kazakhstan), no 444/2010 (Abdussamatov et consorts c. Kazakhstan) et no 453/2011 (Gallastegi Sodupe c. Espagne). Le texte de ces décisions est reproduit à l’annexe XIV, section A, du présent rapport.

123.La communication no 343/2008 (Kalonzo c. Canada) concernait un ressortissant congolais résidant au Canada, qui affirmait que son renvoi vers la République démocratique du Congo constituerait une violation par le Canada de l’article 3 de la Convention contre la torture. Le Comité a pris note des observations de l’État partie concernant le manque de crédibilité du requérant et le fait que le requérant n’était pas membre d’un parti politique et que ses parents s’étaient rendus à plusieurs reprises en République démocratique du Congo sans être inquiétés. Le Comité a également pris note du moratoire décrété par le Canada concernant le renvoi des requérants d’asile vers ce pays et de l’information soumise par le requérant selon laquelle ce moratoire avait été établi à cause de la violence généralisée et lui-même en serait exclu à cause de son passé criminel. Le Comité a estimé que cette information accentuait le caractère discrétionnaire de la procédure de moratoire dans la mesure où, conformément à l’article 3 de la Convention, un moratoire sur le renvoi de personnes qui seraient en danger dans leur pays à cause de la violence généralisée devait s’appliquer à tous, sans aucune distinction. Le Comité a en outre pris note des allégations du requérant concernant: sa détention et les actes de torture subis en République démocratique du Congo en 2002; un certificat médical établi en 2005 indiquant que le requérant présentait des signes de troubles post-traumatiques tout à fait compatibles avec ses récits et semblait avoir des craintes raisonnables au sujet de ce qui pourrait lui arriver s’il devait retourner en République démocratique du Congo; l’opinion d’un juge américain qui avait estimé qu’il y avait suffisamment de preuves pour conclure à la possibilité que le requérant soit torturé en cas de retour. Le Comité a pris en compte l’argument de l’État partie faisant valoir que le requérant pourrait s’installer à Kinshasa et a rappelé à ce propos que, selon sa jurisprudence, la notion de «danger local» n’apportait pas de critère mesurable et n’était pas suffisante pour dissiper totalement le danger personnel d’être torturé. Le Comité a conclu que la décision de l’État partie de renvoyer le requérant en République démocratique du Congo constituerait, si elle était exécutée, une violation de l’article 3 de la Convention.

124.La communication no 364/2008 (J. L. L. c. Suisse) concernait un ressortissant congolais et ses deux enfants mineurs, résidant en Suisse. Le requérant affirmait que leur renvoi de la Suisse vers la République démocratique du Congo constituerait une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture, étant donné que son père était un Tutsi rwandais et que lui-même, en 1998, avait subi des mauvais traitements de la part d’étudiants, d’habitants de son quartier et d’agents de l’État congolais et avait été arrêté en raison de ses origines. Le Comité a pris note des doutes exprimés par l’État partie quant à la crédibilité des allégations du requérant et relevé que le requérant n’avait pas établi de lien de causalité entre les événements qui auraient amené ses enfants et lui-même à quitter leur pays d’origine et le risque de torture auquel ils seraient exposés en cas de retour en République démocratique du Congo; il a considéré que le requérant était resté très laconique sur les traitements dont il aurait été victime et que les informations relatives aux possibles tensions ethniques dans le pays d’origine du requérant étaient d’ordre général et ne permettaient pas d’établir un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture. En conséquence, le Comité a conclu que l’expulsion du requérant et de ses enfants vers la République démocratique du Congo ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

125.La communication no 370/2009 (E. L. c. Canada) concernait un ressortissant haïtien résidant au Canada, qui affirmait que son renvoi en Haïti constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention. Le requérant était arrivé au Canada en 1990 et il était devenu un résident permanant de ce pays. En 2003, 2006 et 2007, il avait été jugé et reconnu coupable de plusieurs infractions et en 2007, sa résidence permanente avait été révoquée par les services de citoyenneté et immigration Canada suite à son interdiction du territoire pour grande criminalité. Une décision d’expulsion ayant été rendue, le requérant avait demandé le statut de réfugié mais sa demande avait été rejetée en raison de son interdiction du territoire pour grande criminalité. Le requérant souffrait d’une affection cardiaque qui avait rendu nécessaire la pose d’un stimulateur cardiaque. Après avoir épuisé les procédures d’appel, il avait soumis une requête au Comité, faisant valoir que sa situation personnelle et son état de santé devraient empêcher son expulsion. Il affirmait qu’en tant que criminel expulsé ayant vécu de nombreuses années à l’étranger, il risquait d’être enlevé par des groupes criminels et que les Haïtiens renvoyés dans le pays étaient systématiquement détenus dans des conditions déplorables, sans nourriture, sans eau et sans soin médical, ce qui dans son cas pourrait lui être fatal. Le Comité a noté que le requérant n’avait pas apporté la preuve d’un risque réel, personnel et prévisible de torture en cas de renvoi en Haïti et que toutes les allégations du requérant avaient été examinées par les autorités de l’État partie pendant la procédure d’asile et avaient donné lieu aux vérifications nécessaires, concernant notamment l’accès du requérant aux services de santé en Haïti, préalablement à la décision d’expulsion. Le Comité a conclu que l’expulsion du requérant vers Haïti ne constituait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

126.La communication no 382/2009 (M. D. T. c. Suisse) concernait un ressortissant de la République démocratique du Congo résidant en Suisse, qui affirmait que son expulsion vers la République démocratique du Congo constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention. Le requérant affirmait qu’il courait personnellement et actuellement le risque d’être soumis à la torture en République démocratique du Congo en raison de son appartenance à un parti d’opposition et de son opposition active à la candidature de M. Kabila lors des élections présidentielles de 2006, qui lui avaient valu d’être arrêté et roué de coups par les forces de sécurité, lesquelles étaient depuis à sa recherche. Il invoquait à l’appui de ces allégations le mandat d’arrêt qui aurait été émis contre lui ainsi qu’un certificat médical relatif à des soins dentaires pour prouver qu’il avait été victime de mauvais traitements. Le Comité a noté que l’État partie avait contesté l’authenticité du mandat d’arrêt produit par le requérant, estimant qu’il s’agissait d’un faux, et remis en cause de la pertinence du certificat médical relatif à des soins dentaires également produit par le requérant. Il a constaté que le requérant n’avait pas démontré que sa participation à des activités politiques était telle qu’elle serait de nature à lui faire courir un risque particulier s’il était renvoyé en République démocratique du Congo et a conclu que le renvoi du requérant vers la République démocratique du Congo ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

127.La communication no 391/2009 (M. A. M. A. et consorts c. Suède) concernait un ressortissant égyptien, son épouse et leurs six enfants, résidant en Suède, qui affirmaient que l’exécution des arrêtés d’expulsion vers l’Égypte dont ils faisaient l’objet constituerait une violation des articles 3 et 16 de la Convention. Les requérants affirmaient que la Sûreté égyptienne continuait de s’intéresser à eux car le cousin du premier requérant avait été reconnu coupable de l’assassinat du Président Anwar al-Sadat. Ils faisaient valoir en outre que l’autre cousin du premier requérant était soupçonné d’appartenir à un groupe lié à Al‑Qaida et d’avoir tenté d’assassiner le Président Hosni Mubarak en 1995. Ils affirmaient que ces liens familiaux, ajouté au fait que le premier requérant était connu pour être opposé aux autorités égyptiennes, les exposaient personnellement au risque d’être torturés s’ils étaient contraints de retourner en Égypte. Le Comité a noté que l’État partie avait convenu qu’il ne semblait pas improbable que les autorités égyptiennes s’intéressent encore au premier requérant en raison de son lien de parenté avec la personne reconnue coupable de l’assassinat du Président al-Sadat, que les activités du premier requérant sur Internet en Suède, mettant en doute le fait que les véritables assassins du Président al-Sadat ont été condamnés et punis, devraient aussi être prises en considération dans ce contexte et que l’on ne pouvait pas exclure que les autorités égyptiennes s’intéresseraient aussi au reste de la famille. Le Comité a conclu que le premier requérant et deux de ses enfants adultes avaient établi qu’ils couraient un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés en Égypte et que l’exécution de la décision d’expulsion les concernant constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité n’a pas estimé nécessaire d’examiner individuellement les causes de l’épouse de M. A. M. A. et de leurs quatre enfants, qui étaient mineurs au moment où la famille avait déposé une demande d’asile en Suède.

128.La communication no 393/2009 (E. T. c. Suisse) concernait une ressortissante éthiopienne résidant en Suisse, qui affirmait que son renvoi en Éthiopie constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention. La requérante appartenait à la minorité ethnique Amhara, qui vivait essentiellement sur les hauts plateaux du centre de l’Éthiopie. Elle avait quitté son pays en raison de problèmes politiques non précisés et avait demandé l’asile en Suisse en 2003. Elle affirmait qu’elle était devenue un membre actif du KINIJIT/Coalition of Unity and Democracy Party (CUDP) de Suisse, mouvement d’opposition de la diaspora, et avait participé à de nombreux rassemblements et manifestations politiques. Elle avait également fait une intervention publique sur une radio locale suisse dans le cadre d’une émission éthiopienne, au cours de laquelle elle s’était adressée à ses compatriotes en amharique. Elle faisait valoir qu’en Éthiopie, le KINIJIT/CUDP était régulièrement la cible de la répression politique exercée par le Gouvernement et que ses membres continuaient de subir des actes de harcèlement. Elle-même risquait d’être arrêtée et torturée si elle était renvoyée en Éthiopie. Le Comité a pris note des allégations de la requérante concernant ses activités politiques en Suisse. Il a également relevé que la requérante n’avait pas indiqué qu’elle avait été arrêtée ou maltraitée par les autorités éthiopiennes ni que des charges avaient été retenues contre elle en vertu de la loi antiterroriste ou de toute autre loi interne. De l’avis du Comité, la requérante n’avait pas apporté assez de preuves pour attester qu’elle avait eu une activité politique suffisamment importante pour attirer l’attention des autorités éthiopiennes. En conséquence, le Comité a conclu que la décision de l’État partie de renvoyer la requérante en Éthiopie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

129.La communication no 396/2009 (Gbadjavi c. Suisse) concernait un ressortissant togolais résidant en Suisse, qui affirmait que son expulsion vers le Togo constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention. En 1994, le requérant s’était engagé au parti de l’Union des forces de changement (UFC) en tant que membre actif du service de sécurité. En 1999, il avait été arrêté par la gendarmerie et détenu pendant deux mois, au cours desquels il avait été frappé et soumis à des mauvais traitements à de nombreuses reprises. Le requérant avait quitté le pays de 1999 à 2002 pour le Ghana et de 2003 à 2004 pour le Bénin, dans les deux cas après des affrontements avec des militants du parti au pouvoir, parce qu’il craignait d’être arrêté, de subir des représailles et/ou d’être tué. En mars 2006, le requérant et sa sœur avaient été arrêtés et le requérant avait été conduit par des gendarmes au bureau du chef du camp de Zébé. Pendant son interrogatoire, des questions lui avaient été posées sur la nature de sa relation avec un certain M. Olympio, qui était soupçonné d’être l’instigateur d’une attaque menée contre un camp de gendarmerie en février 2006. Le requérant avait été menacé de mort et frappé pendant sa détention. En avril 2006, il s’était échappé de prison avec l’aide de son beau-frère, qui avait soudoyé un gardien. Il s’était rendu au Ghana mais, par crainte d’être mis en détention par les services secrets togolais au Ghana, il s’était enfuit par avion pour l’Italie sous une fausse identité. Il s’était ensuite rendu en Suisse, où il était arrivé en avril 2006. En septembre 2006, l’Office fédéral des migrations avait rejeté la demande d’asile du requérant et les recours du requérant contre cette décision avaient également été rejetés. Le Comité a pris note des allégations du requérant, qui affirmait qu’il était un membre actif de l’UFC, que son rôle était de protéger les membres du parti, de distribuer des tracts et de faire des déclarations, qu’il avait été arrêté à deux reprises et qu’il avait été détenu dans des conditions inhumaines. Il a également pris note de l’argument du requérant selon lequel la situation au Togo ne s’était pas améliorée pour les membres ordinaires de l’UFC, qui couraient le risque d’être emprisonnés et torturés. Le Comité a relevé que l’État partie remettait en cause la crédibilité du requérant et faisait valoir que même si son témoignage était crédible, cela ne signifiait pas que ce seul fait soit un motif sérieux de penser qu’en cas de retour au Togo, le requérant serait exposé à la torture. Le Comité a conclu que le renvoi du requérant au Togo constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, compte tenu de l’affirmation du requérant, corroborée par le rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, selon laquelle les membres de l’UFC avec un moindre profit politique pouvaient encore être l’objet de représailles de la part du Gouvernement et ceux qui avaient fui le Togo pour le Bénin étaient observés avec plus de défiance. Le Comité a considéré que l’État partie n’avait pas correctement évalué le risque de torture lorsque, à un stade ultérieur de la procédure, les juridictions internes avaient rejeté des éléments de preuve tels que le certificat médical établissant un lien entre l’état de santé du requérant et les violations qu’il aurait subies, sans procéder aux investigations nécessaires. Le Comité a également tenu compte de la situation actuelle au Togo, où les violations graves des droits de l’homme commises notamment contre les représentants des groupes d’opposition n’ont toujours pas fait l’objet d’enquêtes, ce qui créé un climat d’impunité.

130.La communication no 413/2010 (A. A. M. c. Suède) concernait une ressortissante burundaise, qui affirmait que l’exécution d’une décision d’expulsion vers son pays d’origine constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture. La requérante affirmait qu’elle venait d’une famille de l’ethnie tutsi, que ses parents avaient été tués en 1993 par les milices hutu et que le seul autre membre de la fratrie, son frère aîné, était un membre actif de la milice tutsi connue sous le nom de «Sans Échec». En 2006, le frère de la requérante aurait été tué chez lui par des soldats hutu de l’armée nationale. À ce moment précis, la requérante se serait trouvée à l’extérieur de la maison et aurait entendu les soldats maltraiter son frère et lui demander où elle se trouvait, ce qu’elle avait interprété comme une menace de mort à son égard. La requérante s’était enfuie du Burundi et avait demandé l’asile en Suède: sa demande avait été rejetée, de même que les recours ultérieurs, les autorités de l’État partie ayant constaté de nombreuses incohérences dans son récit des événements qui auraient provoqué sa fuite du Burundi et ayant des doutes sur son identité, étant donné qu’une personne avait présenté une demande de visa suédois en Algérie en utilisant des données et une photographie quasiment identiques à celles qu’elle avait fournies. Le Comité a noté que l’État partie avait tenu compte de la situation des droits de l’homme au Burundi mais avait considéré que les circonstances prévalant dans le pays ne suffisaient pas en elles-mêmes à établir que le retour forcé de la requérante dans ce pays entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité a également noté que l’État partie avait appelé l’attention sur de nombreuses incohérences et contradictions graves dans les récits et allégations de la requérante, qui mettaient en doute sa crédibilité générale et l’exactitude de ses dires, et des informations qu’elle avait communiquées. Le Comité a conclu que la requérante n’avait pas établi que son expulsion vers son pays d’origine l’exposerait personnellement à un risque réel et prévisible de torture au sens de l’article 3 de la Convention.

131.La communication no 414/2010 (N. T. W c. Suisse) concernait un ressortissant éthiopien résidant en Suisse, qui affirmait que son retour forcé en Éthiopie constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention. Le requérant affirmait qu’il avait commencé à s’intéresser à la politique pendant la campagne électorale de 2005 et qu’il avait alors rejoint les militants du parti KINIJIT/CUDP et activement fait campagne pour les candidats de ce parti. Après les élections, le parti au pouvoir avait entamé une campagne de répression contre le parti de l’opposition, dont plusieurs membres avaient été tués. Un ami du requérant, qui avait des liens avec le parti au pouvoir, l’avait averti qu’il était lui-même une cible et qu’il était recherché par la police. Il avait alors quitté l’Éthiopie et demandé l’asile en Suisse. Le requérant affirmait qu’il serait arrêté et torturé s’il retournait en Éthiopie en raison de ses activités politiques passées et du fait qu’il continuait d’être politiquement actif en Suisse. Le Comité a noté que le requérant n’avait soumis aucun élément montrant que la police ou d’autres autorités éthiopiennes l’avaient recherché depuis qu’il avait quitté le pays, qu’il n’avait jamais été arrêté ou maltraité par les autorités au moment des élections de 2005 ou après et qu’il n’avait pas non plus indiqué que des poursuites avaient été engagées contre lui dans le cadre de la loi antiterroriste ou d’une autre loi éthiopienne. Le Comité a également pris note de l’argument du requérant selon lequel les autorités éthiopiennes utiliseraient des technologies sophistiquées pour surveiller les dissidents éthiopiens à l’étranger mais a constaté qu’il n’avait pas développé cet argument ni présenté d’éléments pour l’étayer. De l’avis du Comité, le requérant n’avait pas fourni de preuves suffisantes de son engagement dans une activité politique d’une importance telle qu’elle attirerait l’attention des autorités éthiopiennes. En conséquence, le Comité a conclu que la décision de l’État partie de renvoyer le requérant en Éthiopie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

132.La communication no 424/2010 (M. Z. A c. Suède) concernait un ressortissant azerbaïdjanais né en 1957, qui affirmait que son expulsion vers l’Azerbaïdjan constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture. Le requérant affirmait que sa famille et lui rencontraient des difficultés économiques parce qu’il avait du mal à trouver du travail en raison de ses convictions politiques et de son appartenance au Parti national d’Azerbaïdjan. Le requérant indiquait qu’il était un membre actif responsable du programme du parti et du recrutement de nouveaux membres et qu’il avait participé à plusieurs manifestations politiques entre 1998 et 2003. Lors d’une manifestation organisée à la suite des élections du 15 octobre 2003, les autorités avaient tenté de réprimer les manifestants; le requérant aurait réussi à s’échapper et n’aurait pas été arrêté uniquement parce que son beau-frère était procureur à Bakou. Il s’était ensuite caché chez des amis et des connaissances. Sa femme lui avait dit que des policiers l’avaient cherché en janvier 2004 et avaient menacé de l’arrêter s’ils ne le trouvaient pas. Le requérant avait quitté l’Azerbaïdjan et présenté une demande d’asile en Suède en 2004. En mai 2004, le Conseil des migrations avait rejeté sa demande d’asile et les recours formés contre cette décision avaient également été rejetés. Le Comité a pris note de l’allégation de l’auteur faisant valoir qu’il risquait d’être torturé ou maltraité s’il était expulsé en Azerbaïdjan en raison de ses activités politiques passées mais a relevé que le requérant n’avait pas démontré qu’il était recherché pour ses activités politiques en Azerbaïdjan et qu’il n’avait pas déclaré avoir été détenu ni torturé par le passé. Le Comité a conclu que le renvoi du requérant ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

133.La communication no 433/2010 (Gerasimov c. Kazakhstan) concernait un ressortissant kazakh qui affirmait être victime d’une violation par le Kazakhstan des articles 1er, 2, 12, 13, 14 et 22 de la Convention. Le requérant affirmait qu’il avait été torturé par la police, qui voulait lui faire avouer un meurtre. Bien que les actes de torture dénoncés précédaient l’entrée en vigueur de la Convention pour le Kazakhstan, le requérant a fait valoir que les effets de la violation continuaient de se faire sentir. Il affirmait également que l’État partie n’avait pas mis en place de garanties suffisantes pour prévenir les mauvais traitements et la torture, qu’aucune enquête rapide, impartiale et efficace n’avait été menée sur ses allégations et que la législation nationale l’empêchait de fait d’engager une procédure civile pour obtenir une indemnisation au titre de la violation de l’article 14 de la Convention, étant donné que le droit à réparation n’était reconnu qu’après la condamnation des responsables par un tribunal. Le Comité a pris note de la description détaillée donnée par le requérant du traitement auquel il avait été soumis pendant sa garde à vue ainsi que des rapports médicaux contenant des informations sur les blessures physiques et les préjudices psychologiques subis. Il a également relevé qu’il n’était pas contesté que le requérant était en garde à vue lorsqu’il avait subi ces blessures et qu’il avait tenté d’obtenir des soins médicaux rapidement après sa mise en liberté. Le Comité a observé que l’État partie devrait être présumé responsable du préjudice causé au requérant et qu’il n’avait pas fourni d’explications convaincantes. Il a également pris note du fait incontesté que la détention du requérant n’avait pas été enregistrée, que le requérant n’avait pas bénéficié des services d’un avocat et qu’il n’avait pas pu être examiné par un médecin indépendant. Il a en outre noté que, bien que le requérant ait signalé les actes de torture quelques jours après les événements, l’enquête préliminaire n’avait débuté qu’un mois plus tard et, après avoir été suspendue et reprise plusieurs fois, avait abouti au classement de l’affaire sans que la responsabilité pénale n’ait été attribuée aux policiers. Le Comité a rappelé qu’une enquête ne suffisait pas en soi à démontrer que l’État partie avait agi en conformité avec les obligations découlant de l’article 12 de la Convention s’il pouvait être démontré qu’elle n’avait pas été conduite avec impartialité, rapidité et efficacité et a conclu que l’État partie ne s’était pas acquitté des obligations qui lui incombaient en vertu de cet article. Le Comité a noté qu’il était incontesté que, en vertu de la législation nationale, le droit à réparation en cas d’actes de torture prenait effet uniquement après la condamnation des responsables par un tribunal pénal. Enfin, le Comité a noté que le requérant lui avait adressé une lettre de retrait légalisée, avec copie au Ministère des affaires étrangères, et que des pressions avaient été exercées sur le requérant et sur sa famille au niveau national en rapport avec sa requête. Il a estimé qu’il avait de bonnes raisons de douter que cette lettre ait été rédigée librement et a conclu que l’État partie s’était immiscé dans le droit du requérant de soumettre une communication. Il a conclu que les faits dont il était saisi faisaient apparaître une violation de l’article premier, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, et des articles 12, 13, 14 et 22 de la Convention.

134.La communication no 444/2010 (Abdussamatov et consorts c. Kazakhstan) concernait 27 ressortissants ouzbeks et 2 ressortissants tadjiks, qui affirmaient que leur extradition vers l’Ouzbékistan constituerait une violation par le Kazakhstan de l’article 3 de la Convention contre la torture. Le Comité a demandé à l’État partie de ne pas extrader les requérants vers l’Ouzbékistan tant que leur requête serait à l’examen, mais l’État partie n’a pas tenu compte de cette demande. À sa quarante-septième session, le Comité a décidé qu’en passant outre la demande de mesure provisoire faite par le Comité, l’État partie avait manqué à son obligation de coopérer de bonne foi en vertu de l’article 22 de la Convention et que la communication était recevable dans la mesure où elle soulevait des questions au regard de l’article 3 de la Convention. Les requérants sont des musulmans qui ont quitté l’Ouzbékistan par crainte d’être persécutés pour avoir pratiqué leur religion en dehors des structures officielles. En janvier 2010, une nouvelle loi sur les réfugiés est entrée en vigueur au Kazakhstan; elle oblige tous les demandeurs d’asile, ainsi que les réfugiés sous mandat reconnus par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, à s’enregistrer auprès des autorités kazakhes. Les requérants se sont dûment fait enregistrer auprès de la police de l’immigration en mai 2010. En août 2010, leurs demandes d’asile ont été rejetées et le 8 septembre 2010, le Bureau du Procureur d’Almaty a annoncé que, comme suite à une demande des autorités ouzbèkes et conformément à la Convention de la communauté d’États indépendants sur l’entraide judiciaire et les relations judicaires en matière civile, familiale et pénale (Convention de Minsk) et à la Convention de Shanghai de 2001, les requérants seraient extradés vers l’Ouzbékistan pour appartenance à des «organisations illégales» et «tentatives de renversement de l’ordre constitutionnel» en Ouzbékistan. En décembre 2010, le Tribunal de district d’Almaty a rejeté les recours formés par les requérants. Sur le fond, le Comité a pris note des arguments du conseil qui faisait valoir que les requérants et les autres personnes renvoyées en Ouzbékistan comme suite à des demandes d’extradition étaient détenus au secret, que la pratique de la torture et des mauvais traitements restait systématique en Ouzbékistan et que les musulmans qui pratiquaient leur foi en dehors du cadre du contrôle de l’État ainsi que les personnes accusées d’extrémisme religieux ou de tentative d’atteinte à l’ordre constitutionnel étaient particulièrement visés. Il a noté que l’État partie avait rejeté les demandes d’asile des requérants au motif qu’ils constitueraient une menace pour l’État partie et pourraient porter gravement atteinte à sa sécurité et à celle d’autres pays. Il a également pris note des arguments du conseil selon lesquels la procédure ayant abouti à l’extradition des requérants n’avait pas été équitable car aucun service d’interprète n’avait été fourni, les requérants avaient eu un accès limité à des avocats et ces derniers n’avaient pas eu accès aux dossiers. Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui faisait valoir que l’Ouzbékistan était partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture et qu’il avait donné des assurances diplomatiques garantissant que les requérants ne seraient pas soumis à la torture ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il a également noté que, selon l’État partie, l’Ouzbékistan avait donné l’assurance que des organisations internationales pouvaient surveiller les établissements de détention. Le Comité a relevé que les 29 requérants étaient des musulmans qui pratiquaient leur religion en dehors des structures officielles ouzbèkes et/ou qui avaient été accusés de crimes liés au terrorisme. Il a rappelé que le principe de non-refoulement consacré par l’article 3 de la Convention était absolu et que la lutte contre le terrorisme n’exonérait pas l’État partie de son obligation de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y avait des motifs sérieux de croire qu’il risquait d’être soumis à la torture. Il a considéré qu’il avait été suffisamment établi qu’il existait un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme ainsi qu’un risque important de torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants en Ouzbékistan, en particulier pour des personnes pratiquant leur foi en dehors du cadre officiel. De plus, il a constaté que l’État partie n’avait fourni aucun élément de preuve pour réfuter les griefs des requérants qui affirmaient qu’ils n’avaient pas eu droit à une procédure régulière dans le cadre de leur extradition et qu’il n’y avait pas eu d’évaluation individualisée du risque que chacun courait personnellement d’être torturé à son retour en Ouzbékistan. Le Comité a donc conclu que les faits dont il était saisi faisaient apparaître une violation par l’État partie des articles 3 et 22 de la Convention.

135.La communication no 453/2011 (Gallastegi Sodupe c. Espagne) concernait un ressortissant espagnol qui se déclarait victime d’une violation par l’Espagne des articles 12, 14 et 15 de la Convention. Le requérant affirmait qu’il avait été arrêté avec brutalité le 24 octobre 2002 à 5 heures du matin par des agents de la police autonome basque au cours d’une opération de police et qu’il avait été emmené au commissariat central, où il avait été établi que les faits qui lui étaient imputés tombaient sous le coup de la législation antiterroriste et où il avait été détenu au secret pendant trois jours. Il affirmait également que les aveux qu’il avait faits pendant les interrogatoires de police avaient été obtenus par des mauvais traitements et par la torture physique et psychologique. Il faisait valoir en outre que les médecins, désignés par la police, n’avaient pas tenu compte de ses allégations de torture pendant les examens médicaux et dans leurs rapports médico-légaux. Le requérant affirmait que ses allégations de torture n’avaient pas donné lieu à l’ouverture immédiate d’une enquête indépendante et impartiale et que les autorités judiciaires compétentes n’avaient donné aucune suite à ses plaintes pour mauvais traitements et torture. Le requérant affirmait en outre que le procès ayant conduit à sa condamnation n’avait pas été équitable étant donné que ses aveux, obtenus par la torture, avaient été utilisés comme preuve aux fins de sa condamnation pour assassinat terroriste. Le Comité a noté que le requérant avait déposé une plainte pour torture et mauvais traitements, qui avait été examinée par une chambre d’instruction, que cette dernière avait prononcé un non-lieu sur la base des rapports médico-légaux, qui ne concordaient pas avec les allégations du requérant, et que l’Audiencia Provincial avait ensuite rejeté l’appel du requérant en s’appuyant elle aussi sur les rapports médico-légaux. Il a noté que le requérant avait demandé que d’autres mesures d’enquête soient prises mais que les organes judiciaires concernés, considérant que c’était inutile, n’avaient pas donné suite. Le Comité a noté également que pendant l’instruction préparatoire menée par la Chambre d’instruction no 4 de l’Audiencia Nacional et au procès qui avait suivi devant l’Audiencia Nacional, le requérant avait déclaré qu’il s’était accusé en raison des tortures et des mauvais traitements qu’il avait subis. Le Comité a considéré que cette absence d’enquête de la part des autorités était incompatible avec l’obligation qui incombait à l’État partie au titre de l’article 12 de la Convention. Il a relevé que les aveux du requérant avaient pesé de manière décisive sur le jugement rendu mais il a estimé que le requérant n’avait pas présenté d’information qui lui permettrait de conclure qu’il était plus que probable que ces aveux avaient été obtenus par la torture et il a donc conclu que les éléments dont il disposait ne faisaient pas apparaître de violation des articles 14 et 15 de la Convention.

D.Activités de suivi

136.À sa vingt-huitième session, en mai 2002, le Comité contre la torture a modifié son règlement intérieur et institué la fonction de Rapporteur chargé du suivi des décisions prises au sujet des requêtes présentées en vertu de l’article 22. À sa 527e séance, le 16 mai 2002, il a décidé que le Rapporteur exercerait notamment les activités suivantes: surveiller l’application des décisions du Comité en envoyant des notes verbales aux États parties pour s’informer de la suite qu’ils ont donnée à ces décisions, recommander au Comité les mesures qu’il convient de prendre au vu des réponses des États parties ou de l’absence de réponse de leur part, ainsi qu’en réponse aux lettres reçues ultérieurement de la part de requérants concernant la non-application des décisions du Comité, rencontrer les représentants des missions permanentes des États parties pour encourager ceux-ci à appliquer les décisions du Comité et déterminer s’il serait opportun ou souhaitable que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme leur fournisse des services consultatifs ou une assistance technique, effectuer, avec l’approbation du Comité, des visites de suivi dans les États parties, et établir périodiquement à l’intention du Comité un rapport sur ses activités.

137.Le présent rapport contient les renseignements reçus des États parties et des requérants depuis la quarante-septième session du Comité contre la torture.

État partie

Canada

Affaire

Singh , 319/2007

Décision adoptée le

30 mai 2011

Violat ion constatée

Article 3

Réparation recommandée

Non-extradition du requérant vers l’Inde

Le 18 novembre 2011, l’État partie a informé le Comité qu’il avait décidé de ne pas renvoyer le requérant en Inde.

L’État partie explique qu’il n’accepte pas la position générale selon laquelle son système de contrôle juridictionnel, en particulier devant la Cour fédérale, n’offre pas de recours utile contre une décision de renvoi lorsque la personne concernée risque d’être soumise à la torture. Il interprète la décision du Comité en l’espèce comme indiquant que celui-ci a jugé les recours internes disponibles insuffisants dans les circonstances particulières de l’affaire.

Les observations de l’État partie ont été transmises au requérant, pour commentaires, le 28 décembre 2011.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé d’attendre de recevoir de nouvelles informations avant de se prononcer, mais aucun renseignement ne lui est parvenu. Un rappel doit être préparé à l’intention du conseil.

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

État partie

Canada

Affaire

Boily , 327/2007

Décision adoptée le

14 novembre 2011

Violations constatées

Articles 3 et 22

Réparation recommandée

Il est demandé à l’État partie, conformément aux obligations découlant de l’article 14 de la Convention, d’assurer au requérant une réparation effective, notamment sous la forme: a) d’une indemnisation pour la violation des droits qu’il tient de l’article 3; b) d’une réadaptation la plus complète possible, notamment par l’accès à des soins médicaux et psychologiques, aux services sociaux et à une assistance juridictionnelle, y compris le remboursement des dépenses passées, des services futurs et des frais de justice; c) d’une révision du système d’assurances diplomatiques afin d’éviter que des violations similaires ne se produisent à l’avenir.

Le 10 avril 2012, l’État partie a expliqué que M. Boily avait été condamné par un tribunal mexicain à trente ans d’emprisonnement pour homicide et neuf ans d’emprisonnement pour évasion. L’intéressé avait également été condamné par le passé, au Mexique, à quatorze ans d’emprisonnement pour trafic de marijuana. Il avait engagé une procédure d’amparo pour obtenir une réduction de sa peine.

Le requérant est actuellement emprisonné dans le Centre fédéral de réadaptation psychosociale de Ayala. Il y a été transféré en octobre 2010 comme suite à une procédure médicale qui est terminée depuis longtemps et qui ne présente pas d’intérêt pour l’examen de la communication.

L’État partie explique qu’il continue de fournir au requérant les services consulaires nécessaires, notamment sous la forme de visites consulaires régulières. Des agents consulaires ont rendu visite au requérant le 18 novembre 2011 et le 10 février 2012. Le requérant ne leur a signalé aucun problème de santé et s’est déclaré satisfait à la fois de la manière dont il était traité par les surveillants de l’établissement et de la nourriture qu’il recevait.

Le requérant a été informé de son droit de demander à être transféré au Canada pour y purger le reste de sa peine en vertu du Traité sur le transfert des délinquants. Il a toutefois, selon l’État partie, choisi de poursuivre le recours contre sa peine devant les juridictions mexicaines avant de faire une demande de transfert.

L’État partie explique qu’en même temps, le requérant réclame au Gouvernement canadien une indemnisation pour la violation de ses droits qui aurait été commise pendant la semaine qui a suivi son extradition au Mexique. La procédure est en cours devant la Cour fédérale du Canada.

L’État partie explique qu’il conteste les griefs du requérant au regard de la législation interne et qu’il n’a aucune intention de lui verser des indemnités ou de lui offrir des moyens de réadaptation.

L’État partie explique qu’il a soigneusement examiné la décision du Comité et la demande tendant à ce qu’il revoie son système d’assurances diplomatiques afin d’éviter toute violation à l’avenir. Étant donné qu’une procédure est en cours devant les juridictions canadiennes, qui doivent se prononcer sur les allégations formulées par le requérant, concernant notamment l’insuffisance du suivi des assurances diplomatiques reçues du Mexique par les autorités canadiennes, l’État partie considère qu’il ne serait pas approprié de formuler des observations sur ce point à ce stade. L’État partie conclut en assurant le Comité qu’il le tiendra informé de l’évolution de l’affaire.

Les observations de l’État partie ont été transmises au requérant, pour commentaires, en avril 2012.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé d’attendre de recevoir de nouvelles informations avant de se prononcer. Un rappel doit être adressé au requérant.

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

État partie

Maroc

Affaire

Ktiti , 419/2010

Décision adoptée le

26 mai 2011

Violations constatées

Articles 3 et 15

Réparation recommandée

Non-extradition du requérant vers l’Algérie

Le 13 septembre 2011, l’État partie a informé le Comité que ses autorités avaient décidé d’extrader le requérant vers l’Algérie.

Le 16 septembre 2011, le secrétariat a envoyé, sur instruction du Rapporteur chargé du suivi des décisions prises au sujet des requêtes (ci-après le Rapporteur), une note verbale à la Mission permanente de l’État partie à Genève. L’État partie a été informé que le contenu de sa note verbale du 13 septembre 2011 avait été porté à l’attention du Comité et que le Rapporteur lui faisait savoir qu’en procédant à l’extradition du requérant, il manquerait à l’obligation internationale de coopérer de bonne foi avec le Comité qui lui incombait en vertu de l’article 3 de la Convention. En ce qui concernait la décision adoptée par le Comité le 26 mai 2011, le Rapporteur a expliqué que l’interdiction de la torture était absolue et excluait le renvoi d’individus dans des pays où ils couraient personnellement un risque réel de torture. Il a également noté que le Comité était aussi arrivé à la conclusion que l’État partie avait violé l’article 15 de la Convention étant donné que sa décision d’extrader le requérant n’était fondée que sur les aveux d’une tierce personne, obtenus par la torture en Algérie. Le Rapporteur a noté que la décision du Comité avait été adoptée à l’unanimité à l’issue d’un examen approfondi de tous les éléments et circonstances de la cause, conformément à l’esprit de la Convention. Le Rapporteur a ensuite expliqué que le principe de non-refoulement revêtait, aux yeux d’éminents juristes, le caractère d’une règle de jus cogens et visait en tant que tel à prévenir la torture. Le respect de l’obligation de prévenir la torture ne pouvait pas être assuré uniquement par l’obtention de «garanties écrites», sous la forme d’engagements tendant au respect de la législation de l’État partie dans l’État de destination de façon à protéger les droits de la personne extradée. Compte tenu des considérations exposées ci-dessus, le Rapporteur a conclu que le Comité ne pouvait pas accepter l’extradition du requérant. Il a également informé l’État partie que la question serait examinée par le Comité à sa session de novembre 2011.

Le 7 octobre 2011, sur instruction du Rapporteur chargé du suivi des décisions prises au sujet des requêtes, le secrétariat a envoyé à l’État une autre note verbale en réaction à des informations reçues concernant la possible extradition du requérant. L’État partie a été instamment invité à fournir des informations à jour sur la situation réelle du requérant et s’est vu rappeler ses obligations au titre de l’article 3 de la Convention.

La question a été soulevée pendant le dialogue mené dans le cadre de l’examen du quatrième rapport périodique de l’État partie à la quarante-septième session du Comité. Les autorités marocaines ont expliqué qu’elles avaient décidé de différer l’extradition du requérant.

Le 16 novembre 2011, des proches du requérant ont informé le Comité que M. Ktiti avait été transféré, le 3 novembre 2011, de la prison no 1 de Salé-Rabat à la prison no 2 de Salé-Rabat où les terroristes présumés étaient généralement détenus et qui était, selon les proches du requérant, connue pour ses conditions de détention très dures. En outre, M. Ktiti avait été placé en cellule d’isolement. Les proches du requérant ont prié le Comité de demander à l’État partie des renseignements à jour sur la situation du requérant.

Le 28 décembre 2011, les proches de M. Ktiti ont confirmé les précédentes informations et demandé au Comité d’intervenir, le requérant étant toujours en détention.

Le 24 février 2012, l’État partie a informé le Comité que, sur décision du Gouvernement marocain, le décret no 2-10-001 en date du 25 mars 2010 ordonnant l’extradition du requérant vers l’Algérie avait été abrogé (décret no 12-12-13, de janvier 2012) et que M. Ktiti avait été libéré le 2 février 2012.

Les observations de l’État partie ont été transmises au requérant, pour commentaires (date limite: 18 mai 2012).

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé d’attendre de recevoir de nouvelles informations avant de se prononcer. Un rappel doit être adressé au requérant.

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

État partie

Maroc

Affaire

Kalinichenko , 428/2010

Décision adoptée le

25 novembre 2011

Violations constatées

Articles 3 et 22 (le requérant a déjà été extradé vers la Fédération de Russie)

Réparation recommandée

L’État partie a été instamment prié d’accorder une réparation au requérant, y compris une indemnisation et la mise en place d’un mécanisme efficace de suivi pour garantir que le requérant ne soit pas soumis à la torture ou à des mauvais traitements. Le Comité a noté que les autorités de la Fédération de Russie s’étaient engagées à l’autoriser à rendre visite au requérant en prison pour s’entretenir avec lui en particulier et en privé, conformément aux normes internationales. Il s’est félicité de cet engagement et a prié l’État partie de permettre à deux membres du Comité de rendre visite au requérant.

Le 8 février 2012, l’État partie a informé le Comité que les autorités russes lui avaient fait savoir que le Bureau du Procureur de la Fédération de Russie était disposé à respecter scrupuleusement les garanties données au Maroc concernant la possibilité pour le Comité de rendre visite au requérant sur son lieu de détention et de le rencontrer confidentiellement, dans des locaux isolés et en l’absence de tiers.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé de demander à l’État partie un complément d’information sur la situation actuelle du requérant et sur le mécanisme en place pour assurer un suivi systématique de la situation du requérant. Il a donc décidé d’attendre de recevoir de nouveaux renseignements avant de se prononcer sur cette affaire.

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

État partie

Norvège

Affaire

Eftekhary , 312/2006

Décision adoptée le

25 novembre 2011

Violat ion constatée

Article 3

Réparation recommandée

Le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant vers la République islamique d’Iran.

Le 23 février 2012, l’État partie a informé le Comité que, comme suite à l’adoption de sa décision, la Commission de recours des Services norvégiens de l’immigration avait rouvert l’affaire et que, le 31 janvier 2012, le requérant avait obtenu un permis de séjour valable jusqu’à ce que son appel ait été examiné. Une audience était prévue pour le 13 mars 2012, et le requérant aurait la possibilité de présenter sa défense.

Les informations soumises par l’État partie ont été transmises au requérant, pour commentaires, le 23 mars 2012.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé d’attendre de recevoir de nouveaux renseignements avant de se prononcer sur cette affaire.

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

État partie

Sénégal

Affaire

Guengueng et consorts , 181/2001

Décision adoptée le

17 mai 2006

Violat ions constatées

Article 5 (par. 2) et article 7

Réparation recommandée

L’État partie est tenu de prendre les mesures nécessaires, notamment sur le plan législatif, pour établir sa compétence sur les actes commis par le régime Habré, mentionnés dans la communication. En outre, en vertu de l’article 7 de la Convention, l’État partie a l’obligation de soumettre la présente affaire à ses autorités compétentes à des fins de poursuite ou, faute de cela, de faire droit à la demande d’extradition formulée par la Belgique ou, le cas échéant, à toute autre demande d’extradition, émanant d’un autre État, conformément à la Convention.

Précédentes informations concernant le suivi: A/66/44, chap. VI

Le 8 novembre 2011, le conseil expliquait que l’État partie continuait de ne pas appliquer la décision du Comité et que M. Habré restait au Sénégal sans faire l’objet de poursuites.

Le requérant cite un rapport de situation de la Commission de l’Union africaine sur l’affaire de M. Habré (juillet 2011), selon lequel le Gouvernement sénégalais avait demandé la suspension pour une durée indéterminée des consultations en cours sur la question au niveau de l’Union africaine. L’Union africaine a ensuite invité, dans une résolution, les autorités sénégalaises à traduire rapidement en justice M. Habré «au nom de l’Afrique».

En juillet 2011, les autorités sénégalaises ont décidé de ne pas expulser M. Habré vers le Tchad mais ont affirmé qu’il n’était pas possible de le juger au Sénégal.

Le conseil ajoute que le 22 juillet 2011, les autorités tchadiennes ont annoncé qu’elles optaient pour l’extradition de M. Habré en Belgique pour qu’il y soit jugé.

Le conseil note que deux demandes d’extradition, présentées précédemment par les autorités belges, avaient été rejetées. À présent, une troisième demande pour l’extradition de M. Habré en Belgique afin qu’il y soit jugé, soumise par les autorités belges en septembre 2011, est examinée par les tribunaux au Sénégal.

Le conseil demande au Comité de rappeler aux autorités de l’État partie qu’elles sont tenues de juger M. Habré ou, si elles ne le souhaitent pas, de l’extrader vers la Belgique, et d’empêcher M. Habré de quitter le Sénégal sauf si cela n’est pas contraire aux dispositions de la Convention.

Les éléments communiqués par le conseil ont été transmis à l’État partie, pour observations, mais aucun renseignement n’a été reçu.

Le Comité a examiné l’affaire à sa quarante-septième session et décidé de rappeler à l’État partie son obligation de poursuivre et juger M. Habré ou de l’extrader vers la Belgique, comme suite à la demande faite par ce pays, ou vers un autre pays pour qu’il y soit jugé et d’empêcher que M. Habré quitte le Sénégal, sauf si cela n’est pas contraire aux dispositions de la Convention. Ces informations ont été transmises à l’État partie en février 2012. Aucune observation n’a été reçue de l’État partie à ce sujet.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé d’envoyer une autre note verbale à l’État partie pour lui rappeler son obligation d’appliquer la Convention et l’inviter à fournir des renseignements à jour sur les mesures prises pour donner effet à la recommandation du Comité.

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

État partie

Serbie

Affaire

Ristic , 113/1998

Décision adoptée le

11 mai 2001

Violat ions constatées

Articles 12 et 13

Réparation recommandée

Le Comité a demandé instamment à l’État partie d’enquêter sur les allégations de tortures imputées à la police.

Précédentes informations concernant le suivi: A/66/44, chap. VI

Le 17 septembre 2011, l’État partie a expliqué qu’en février 2007 une indemnisation d’un demi-million de dinars avait été versée à chacun des deux requérants (M. et Mme Ristic), avec un taux d’intérêt calculé à compter du 30 décembre 2004, pour les dédommager de la souffrance morale causée par la perte de leur fils, M. Milan Ristic.

Le Bureau du Procureur national a demandé que des ordonnances soient délivrées par le Haut Procureur public à Šabac afin de pouvoir examiner les ordonnances de l’ancien tribunal de district de Šabac et la possibilité de demander la protection de la légalité de la décision de ce tribunal et de celle de la Cour suprême si les conditions juridiques pour ce faire sont remplies en termes de décisions exécutoires contre lesquelles il est possible de se prévaloir de ce recours judiciaire extraordinaire.

Les informations soumises par l’État partie ont été transmises au requérant en septembre 2011, pour commentaires, mais aucune réponse n’a été reçue. Un rappel a été envoyé au requérant en février 2012.

À sa quarante-septième session, le Comité a décidé que l’État partie devrait être encouragé à mener à bien l’enquête et à fournir des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à la décision adoptée par le Comité le 11 mai 2011. Une note verbale a été envoyée à l’État partie à cet effet le 7 février 2012, mais aucune réponse n’a été reçue.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé d’attendre de recevoir d’autres informations avant de se prononcer. Un rappel doit être préparé à l’intention de l’État partie pour lui demander des informations à jour, ainsi que des éclaircissements concernant les éventuelles difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la recommandation qui lui a été adressée par le Comité.

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

État partie

Serbie

Affaire

Dimitrov , 171/2000

Décision adoptée le

3 mai 2005

Violat ions constatées

Article 2 (par. 1) lu conjointement avec les articles 1er, 12, 13 et 14

Réparation recommandée

Le Comité a prié instamment l’État partie de mener une enquête en bonne et due forme sur les allégations du requérant.

Précédentes informations concernant le suivi: A/66/44, chap. VI

Le 17 septembre 2011, l’État partie a informé le Comité que le Ministère de la justice avait engagé des discussions avec le conseil du requérant en vue de fixer le montant de l’indemnisation du préjudice subi. Ces discussions se poursuivaient et le Ministère avait pris toutes les mesures nécessaires pour dédommager convenablement le requérant. Dès qu’un accord serait conclu, l’État partie en informerait le Comité. L’État partie ajoute qu’en l’espèce, un délai absolu de prescription est fixé pour les poursuites pénales relatives à l’extorsion d’aveux (art. 65 du Code pénal). Un juge d’instruction du tribunal municipal de Novi Sad a procédé aux investigations requises sur proposition du procureur municipal de Novi Sad mais ces investigations n’ont pas permis d’identifier les auteurs. Le Bureau du Procureur n’est pas fondé à appliquer des recours judiciaires extraordinaires parce que le juge d’instruction ne prend pas de décisions dans le cadre de cette procédure et que le requérant ne s’est pas constitué partie civile. Il ne s’est en fait adressé à aucun tribunal. En conséquence, selon l’État partie, il appartient à d’autres organes d’examiner la possibilité de répondre à la décision du Comité dans la présente affaire.

Les observations de l’État partie ont été transmises au requérant en septembre 2011, pour commentaires, mais aucune réponse n’a été reçue. Un rappel a été envoyé au requérant en février 2012.

À sa quarante-septième session, le Comité a décidé que l’État partie devrait être prié de fournir des renseignements à jour sur cette affaire et encouragé à verser une indemnisation. Une note verbale a été envoyée à l’État partie à cet effet le 8 février 2012, mais aucune réponse n’a été reçue.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé d’attendre de recevoir d’autres informations avant de se prononcer. Un rappel doit être adressé à l’État partie pour lui demander des informations à jour.

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

État partie

Serbie

Affaire

Dimitrijevic , 172/2000

Décision adoptée le

16 novembre 2005

Violat ions constatées

Article 2 (par. 1) lu conjointement avec les articles 1er, 12, 13 et 14

Réparation recommandée

Le Comité a prié instamment l’État partie de poursuivre les responsables des violations constatées et d’indemniser le requérant.

Précédentes informations concernant le suivi: A/66/44, chap. VI

Le 17 septembre 2011, l’État partie a informé le Comité que les autorités et le requérant étaient parvenus à un accord sur un dédommagement d’un montant de 250 000 dinars et que ce montant avait été payé le 29 mai 2008, ce qui constituait une indemnisation adéquate. Selon l’État partie, il n’existe aucune base juridique pour rectifier les décisions des organes judiciaires de l’État partie en l’espèce parce que le requérant ne s’est pas constitué partie civile. Le requérant, même s’il n’a pas été informé de la décision du procureur public sur sa requête, n’est donc pas en position de saisir le tribunal d’une demande subsidiaire à des fins d’enquête ou assortie d’accusations, et il n’y a pas eu de décision judiciaire négative concernant sa demande qui permettrait au procureur public national de déposer une demande de protection de la légalité ou d’émettre, compte tenu du temps écoulé, à l’intention d’un procureur public près d’une instance inférieure, une instruction obligatoire d’ouverture d’instance.

La décision de l’État partie a été communiquée au requérant, pour commentaires, en septembre 2011 mais aucune réponse n’a été reçue.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé d’attendre de recevoir d’autres informations avant de se prononcer. Un rappel doit être adressé au requérant pour lui demander de faire part de ses commentaires.

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

État partie

Serbie

Affaire

Nikoli ć , 174/2000

Décision adoptée le

24 novembre 2005

Violat ions constatées

Articles 12 et 13

Réparation recommandée

Enquête impartiale sur les circonstances du décès du fils des requérants.

Précédentes informations concernant le suivi: A/66/44, chap. VI

Le 17 septembre 2011, l’État partie a informé le Comité que, le 15 août 2008, ses autorités avaient versé une indemnisation d’un montant de 400 000 dinars à chacun des requérants au titre de dommages immatériels, pour les souffrances mentales causées par le décès de leur fils Nikola Nikolić. Le Ministère de la justice a pris des mesures pour qu’une indemnisation soit également versée aux requérants au titre de la perte de leur fils et la question est actuellement examinée avec les représentants des requérants.

Compte tenu des graves violations des dispositions du Code pénal commises, une demande de protection de la légalité a été déposée par deux des requérants auprès de la Cour suprême de Serbie, le 27 décembre 2007, contre les décisions rendues par le tribunal de district de Belgrade le 17 février 1998 et le 11 mai 2006 et la décision de la Cour suprême en date du 12 décembre 2001. Le 11 novembre 2008, la Cour suprême a rejeté ladite demande de protection.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé d’attendre de recevoir d’autres informations avant de se prononcer. Un rappel doit être adressé au requérant pour lui demander de faire part de ses commentaires.

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

État partie

Espagn e

Affaire

Sonko , 368/2008

Décision adoptée le

25 novembre 2011

Violat ions constatées

Articles 12 et 16

Réparation recommandée

Le Comité a invité l’État partie à procéder à une enquête en bonne et due forme sur les faits survenus le 26 septembre 2007, à poursuivre et sanctionner les personnes qui en seront reconnues responsables, et à accorder une réparation intégrale, dont une indemnisation adéquate, à la famille de M. Sonko.

Le 13 avril 2012, l’État partie a fait part de ses observations au titre du suivi. Il a fourni une copie d’un rapport du commandant en chef de la Garde civile de Ceuta, en date du 9 mars 2012. Ce document contient des informations semblables à celles qui figuraient dans le rapport qu’avait soumis l’État partie lorsqu’il avait présenté ses observations sur le fond de la communication et renvoie à certains passages précis de la décision du Comité.

Il met en doute l’exactitude des faits exposés dans la partie narrative de la décision du Comité et conteste les allégations de la requérante. Premièrement, l’État partie note que les témoignages des agents de la Garde civile, qui devraient être considérés comme aussi fiables, montrent que M. Sonko a été laissé à un endroit où il avait pied et que les gardes civils n’ont pas crevé sa bouée. Le bateau de la Garde civile espagnole était près de la côte, comme le confirme la séquence vidéo enregistrée par des caméras en circuit fermé. Sur l’enregistrement vidéo, à 5 h 51 mn et 53 s, le bateau était à quelques mètres du rivage. Deuxièmement, il n’y a pas eu de demande d’asile. En outre, en vertu de la législation de l’État partie, toute demande d’asile présentée à l’étranger doit être déposée auprès d’un consulat ou d’une ambassade. Troisièmement, l’État partie note qu’il est inexact que les proches de M. Sonko et/ou son avocat n’ont pas été tenus informés de la procédure devant le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta. Le 5 janvier 2009, un cousin de M. Sonko, Jankoba Coly, a été informé. Quatrièmement, les agents de l’État partie ont agi dans un souci humanitaire en menant une opération d’assistance et de sauvetage, conformément aux traités internationaux signés avec le Maroc et sur demande des autorités marocaines. Il n’y a donc pas eu de procédure administrative de refus d’entrée, puisque l’intervention des agents concernés ne relevait pas des questions ou règles relatives à l’immigration. Cinquièmement, il n’existe pas de lien de cause à effet entre le sauvetage par les gardes civils et la mort de M. Sonko. Enfin, l’État partie note que dans sa décision, le Comité a mentionné le témoignage de Dao Touré (par. 6.3). D’après l’État partie, toutefois, le compte rendu de la Garde civile ne contient aucun renseignement signalant qu’une personne de ce nom ait été interceptée en même temps que le défunt, ce qui jette le doute sur la véracité de ce témoignage.

Le rapport conteste également les conclusions du Comité. Il y est affirmé que le défunt n’a en aucune manière subi de souffrances physiques et mentales avant sa mort. Son décès découlait d’un accident dans lequel la Garde civile n’était pas impliquée. Pour ce qui est de la recommandation du Comité tendant à ce que l’État partie procède à une enquête en bonne et due forme et accorde une réparation appropriée, le rapport souligne que, outre l’enquête judiciaire impartiale menée par le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta, le Ministère de l’intérieur a engagé une procédure administrative (dossier no 170/RP/08) afin d’examiner la demande d’indemnisation de la requérante pour le préjudice subi du fait de la mort de son frère (M. Sonko). Le 16 juin 2010, le Secrétariat technique général du Ministère de l’intérieur a rejeté la demande de la requérante, en expliquant que la mort de M. Sonko ne pouvait pas être attribuée à un acte ou une omission des gardes civils. La requérante pouvait faire appel de cette décision devant les tribunaux dans un délai de deux mois.

Compte tenu de ces éléments, le chef de la Garde civile de Ceuta considère que l’État partie s’est déjà conformé à toutes les recommandations du Comité.

L’État partie a également soumis des copies d’une décision du tribunal d’instruction no 1 de Ceuta, de la décision rendue le 16 juin 2010 par le Secrétariat technique général du Ministère de l’intérieur, du rapport du commandant en chef de la Garde civile de Ceuta en date du 9 mars 2012 et de la lettre adressée au conseil de la requérante le 26 mars 2012, l’informant que toute nouvelle mesure prise par l’État partie lui serait communiquée par l’intermédiaire du Comité.

Le 27 avril 2012, l’État partie a fait savoir qu’il avait adopté les mesures ci-après comme suite à la décision du Comité:

a)La décision du Comité avait été transmise à toutes les autorités administratives et judiciaires concernées qui étaient intervenues dans cette affaire;

b)La décision du Comité serait publiée dans le Bulletin officiel du Ministère de l’intérieur dans les semaines à venir;

c)La recommandation du Comité tendant à ce qu’une enquête en bonne et due forme et impartiale soit menée a été transmise au Bureau du Procureur afin qu’il détermine s’il existe des motifs légaux justifiant la réouverture de l’enquête judiciaire. L’État partie fait observer qu’en général, une enquête judiciaire est une enquête impartiale en bonne et due forme dans tout régime d’état de droit. Il attend l’évaluation finale du Bureau du Procureur;

d)En ce qui concerne l’octroi d’une réparation appropriée, y compris une indemnisation adéquate, l’État partie explique que c’est aux proches de la victime qu’il incombe de présenter une demande de réparation et d’indemnisation dès lors qu’ils en ont le droit. Aucune demande de ce type n’a été enregistrée dans le cadre des procédures pénale, civile et administrative.

L’État partie a ajouté qu’il informerait le Comité de tout fait nouveau concernant les points ci-dessus.

Les observations de l’État partie ont été transmises au requérant, pour commentaires, le 17 avril et en mai 2012.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé d’attendre de recevoir d’autres informations avant de se prononcer.

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

État partie

Suède

Affaire

Agiza , 233/2003

Décision adoptée le

20 mai 2005

Violat ions constatées

Articles 3 et 22

Réparation recommandée

Le Comité a demandé à l’État partie de prendre des mesures pour donner suite à ses constatations concluant à une violation des articles 3 et 22 de la Convention du fait de l’expulsion du requérant vers l’Égypte et pour éviter que des violations similaires se produisent à l’avenir.

Précédentes informations concernant le suivi: A/66/44, chap. VI

Le 13 mai 2011, l’État partie a informé le Comité que l’ambassade de Suède au Caire continuait de rendre visite à M. Agiza pour surveiller sa situation en prison. À ce jour, 63 visites avaient été effectuées à la prison de Tora, la plus récente ayant eu lieu le 11 avril 2011. Le requérant a déposé une demande de libération anticipée qui est actuellement en instance; l’ambassade suit la question et recherche des informations auprès de différentes sources.

L’État partie rappelle que dans sa lettre du 7 décembre 2009, il a informé le Comité que le Gouvernement suédois avait accordé une indemnisation au requérant et qu’une décision finale avait été également prise au sujet de l’octroi d’un permis de résidence permanent à M. Agiza en Suède. L’État partie a également informé le Comité de son intention de ne prendre aucune autre mesure au sujet de la décision du Comité dans cette affaire. L’État partie affirme que de son point de vue, cette affaire est close étant donné qu’il a fourni au Comité toutes les informations requises dans le cadre de la procédure de suivi.

Le 5 septembre 2011, le conseil du requérant s’est déclaré surpris de la position de l’État partie consistant à considérer l’affaire comme close mais s’est dit satisfait du fait que l’ambassade continuait à rendre visite au requérant et avait pris des mesures en vue d’une éventuelle libération anticipée.

Le conseil indique en outre que M. Agiza a été relaxé en août 2011 et vit librement au Caire. Les raisons précises de sa libération ne sont pas claires mais le conseil pense qu’elle s’inscrit dans le cadre des changements intervenus récemment en Égypte. Le requérant a l’intention de demander un permis de résidence en Suède essentiellement parce que sa femme et ses six enfants se trouvent dans ce pays et sont des citoyens suédois et parce qu’il a besoin de soins médicaux du fait des tortures qu’il a subies. Le conseil considère que, compte tenu de la décision du Comité, il serait bon que l’État partie délivre un permis de résidence au requérant.

Le 12 octobre 2011, l’État partie a confirmé que M. Agiza avait été libéré en août 2011. Il explique que si le requérant dépose une demande de permis de résidence en Suède celle-ci sera examinée conformément à la législation et à la procédure en vigueur. Il ajoute que, depuis la décision prise par le Gouvernement le 19 novembre 2009 de ne pas accorder de permis de résidence, la procédure concernant «les affaires liées à la sécurité» a été modifiée (le 1er janvier 2010) et de telles affaires sont à présent traitées de la même manière que les affaires concernant les permis de résidence; en d’autres termes, les décisions prises en la matière par le Conseil des migrations peuvent faire l’objet d’appels auprès des tribunaux des migrations et de la Cour d’appel des migrations, à l’exception des «affaires de sécurité classées», auxquelles s’applique un système d’appel différent.

L’État partie souligne que le Conseil des migrations et les tribunaux des migrations sont des organes indépendants du Gouvernement et que ce dernier ne peut influer sur leur appréciation concernant des cas particuliers.

L’État partie réaffirme qu’il considère l’affaire close dans la mesure où il a fourni au Comité toutes les informations nécessaires dans le cadre de la procédure de suivi.

À sa quarante-septième session, le Comité a décidé, compte tenu des mesures prises par l’État partie, de mettre fin au dialogue relatif au suivi.

État partie

Suède

Affaire

Chahin , 310 /2007

Décision adoptée le

30 mai 2011

Violat ion constatée

Article 3

Réparation recommandée

Le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant vers la République arabe syrienne.

Le 14 septembre 2011, l’État partie a informé le Comité que le Ministère suédois des affaires étrangères avait décidé, le 27 juin 2011, de surseoir à l’exécution de l’arrêté d’expulsion.

La question de savoir quelle mesures supplémentaires pourraient être prises en application de la décision du Comité dans la présente affaire, en particulier si le requérant peut obtenir un permis de résidence, est actuellement étudiée et le Comité sera informé de la décision qui aura été prise.

Le 30 septembre 2011, le conseil du requérant a expliqué que la procédure judiciaire dont faisait actuellement l’objet le requérant différait des procédures d’asile ordinaires parce qu’en 1991, M. Chahin avait été jugé coupable et condamné pour homicide par le tribunal de district de Norrköpping; cette mesure était assortie d’une décision d’expulsion et d’une interdiction à vie de revenir en Suède.

En vertu de la loi sur les étrangers, le Conseil des migrations ne peut pas accorder l’asile à des personnes expulsées sur décision d’une juridiction pénale. Le Conseil peut se prononcer sur la question de savoir s’il faut accorder l’asile ou une autre forme de protection à la personne concernée et renvoyer l’affaire au tribunal des migrations avec une recommandation. Le Tribunal des migrations peut soit rejeter la demande soit décider d’octroyer l’asile à l’intéressé en annulant l’arrêté d’expulsion et l’interdiction de retour sur le territoire.

Le requérant a déposé une nouvelle demande d’asile auprès du Conseil des migrations et a été enregistré en tant que demandeur d’asile le 1er août 2011. Il a affirmé qu’il courait en cas de renvoi en République arabe syrienne un grave risque de torture et d’autres formes de persécution dans ce pays parce qu’il avait enfreint les mesures restrictives dont il avait fait l’objet après sa libération et qu’il était resté à l’étranger pendant une longue période. Le requérant a également mentionné la décision du Comité. Le 30 août 2011, le Conseil des migrations a procédé à l’audition du requérant dans le cadre de la procédure d’asile mais il n’a pas rendu de décision.

Le 31 octobre 2011, l’État partie a réaffirmé que la question de savoir quelles mesures supplémentaires pouvaient être prises dans la présente affaire était à l’étude. Le 30 septembre 2011, le Conseil des migrations avait conclu qu’un permis de résidence devrait être accordé au requérant pour des motifs de protection et l’affaire était encore en cours d’instruction devant le Tribunal des migrations.

Par des lettres en date du 8 décembre 2011 et du 23 janvier 2012, le conseil du requérant a confirmé au Comité que le requérant avait obtenu la résidence permanente avec statut de réfugié et que la décision d’expulsion et l’interdiction du territoire avaient été annulées; l’État partie avait donc donné effet à la décision du Comité dans cette affaire. Le 22 mars 2012, l’État partie a informé le Comité que le tribunal des migrations de Malmö avait décidé, le 8 décembre 2011, d’annuler l’arrêté d’expulsion et d’accorder au requérant la résidence permanente, ainsi que le statut de réfugié et des documents de voyage.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé de mettre fin au dialogue relatif au suivi, en concluant à un règlement satisfaisant.

État partie

Suède

Affaire

Mondal , 338 /200 8

Décision adoptée le

23 mai 2011

Violat ion constatée

Article 3

Réparation recommandée

Le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant vers le Bangladesh.

Le 14 septembre 2011, l’État partie a informé le Comité que le 15 juillet 2010, le Conseil des migrations avait décidé d’accorder au requérant un permis de résidence permanente. En conséquence, l’État partie estime qu’il s’est conformé à la décision du Comité dans la présente affaire et qu’aucune autre mesure n’est nécessaire.

À sa quarante-septième session, le Comité a décidé, compte tenu des mesures prises par l’État partie, de mettre fin au dialogue relatif au suivi dans cette affaire, en concluant à un règlement satisfaisant.

État partie

Suède

Affaire

Güclü , 349 /200 8

Décision adoptée le

11 novembre 2010

Violat ion constatée

Article 3

Réparation recommandée

Le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser la requérante vers la Turquie.

Le 8 mars 2011, l’État partie a informé le Comité que le 4 mars 2011, le Conseil des migrations avait accordé à la requérante un permis de résidence temporaire valide jusqu’au 1er novembre 2011, avec possibilité de prolongation, et que la requérante ne pouvait pas être expulsée pendant la période de validité du permis ou pendant la durée de l’examen d’une demande de prolongation de ce permis.

Le Conseil des migrations a cessé de considérer la requérante comme une réfugiée et comme une personne remplissant les conditions requises pour l’octroi d’une protection subsidiaire sur la base des informations qu’elle avait fournies concernant ses activités avant son arrivée en Suède.

Compte tenu de ce qui précède, l’État partie a estimé qu’il s’était conformé à la décision du Comité et qu’il lui avait fourni les informations nécessaires au titre de la procédure de suivi. Il a invité le Comité à mettre un terme au suivi de l’affaire.

Le 11 avril 2011, le conseil de la requérante a noté que le permis délivré à Mme Güclü n’était que temporaire et que l’arrêté d’expulsion n’avait pas été annulé. Selon lui, le Conseil des migrations avait refusé d’accorder à la requérante un autre type de permis au motif que son rôle au sein du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) pouvait être perçu comme ayant consisté à amener ou à aider d’autres personnes à commettre des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Se référant à l’affaire Allemagne c. B. et C. (affaire no 101/09, Cour européenne de justice, 9 novembre 2010), il conteste le raisonnement du Conseil des migrations. Il explique que le fait qu’une personne ait été membre d’une organisation figurant, en raison de son implication dans des actes terroristes, sur la liste formant l’annexe de la Position commune du Conseil de l’Union européenne sur l’application de mesures spécifiques pour lutter contre le terrorisme (2001/931/PESC, 27 décembre 2001) et qu’elle ait soutenu activement la lutte armée menée par cette organisation ne constitue pas automatiquement un motif sérieux de croire que cette personne a commis «un crime non politique grave» ou «des actes contraires aux buts et aux principes des Nations Unies».

Le 5 juillet 2011, le conseil a fait valoir que la décision d’octroyer à la requérante un permis de résidence temporaire n’était pas conforme à la décision du Comité dans cette affaire.

Le 13 septembre 2011, l’État partie a indiqué que le 4 mars 2011, le Conseil des migrations avait décidé que la requérante cesserait d’être considérée comme une réfugiée ou une personne étrangère ayant besoin, à un autre titre, d’une protection en vertu des dispositions de la loi sur les étrangers, conformément à l’article 1 f) de la Convention relative au statut des réfugiés et au paragraphe 2 de l’article 12 ainsi qu’au paragraphe 1 de l’article 17 de la Directive 2004/83/CE (Directive sur les conditions à remplir) du Conseil. L’État partie note qu’il y a toutefois d’autres motifs pour octroyer un permis de résidence au titre de la loi sur les étrangers. En l’espèce, le Conseil des migrations a estimé qu’il y avait des obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion car en application de l’article premier (chap. 12) de la loi sur les étrangers, le refoulement et l’expulsion d’un étranger ne peuvent en aucun cas se faire vers un pays où il y a des motifs raisonnables de craindre que l’intéressé soit condamné à la peine de mort ou soumis à des châtiments corporels, des actes de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ou qu’il ne soit pas à l’abri d’un renvoi depuis ce pays vers un autre pays où il court un tel danger. En conséquence, le Conseil des migrations a décidé d’accorder à la requérante un permis en se fondant sur l’article 18 (chap. 12) de la loi sur les étrangers. En outre, selon l’État partie, la requérante pourra présenter une nouvelle demande de permis de résidence lorsque l’actuel permis arrivera à expiration; elle ne sera pas expulsée pendant l’examen de sa demande par les autorités et les tribunaux compétents.

L’État partie souligne qu’en application de l’article 4 (chap. 5) de la loi sur les étrangers, si le Comité ou un autre organe international compétent pour examiner des plaintes émanant de particuliers estime qu’un refoulement ou un arrêté d’expulsion va, dans un cas particulier, à l’encontre des obligations qui incombent à l’État partie en vertu de la Convention, un permis de résidence est accordé à la personne concernée, sauf si des motifs exceptionnels s’y opposent.

Ainsi, selon l’État partie, la requérante ne sera pas expulsée tant que son permis de résidence est valide ni durant la période d’examen de sa demande de prolongation. Dans ces circonstances l’État partie estime que les mesures qui ont été prises par ses autorités compétentes sont conformes aux décisions du Comité dans la présente affaire.

Le 6 octobre 2011, le conseil a noté que, selon lui, l’État partie ne s’était pas acquitté de ses obligations en vertu de la Convention et que la requérante courait toujours le risque d’être expulsée.

À sa quarante-septième session, le Comité a pris note des mesures prises jusque-là par l’État partie. Il a décidé de réaffirmer que l’État partie commettrait une violation de l’article 3 si la requérante était expulsée; une note verbale a été envoyée à cet effet en février 2012.

Le 14 mars 2012, l’État partie a expliqué que le permis de résidence de la requérante avait expiré le 1er novembre 2011 et que la question de son renouvellement était en cours d’examen au moment où la réponse au Comité avait été rédigée. La requérante ne courait donc pas le risque d’être expulsée. L’État partie a précisé qu’il informerait le Comité de la décision du Conseil des migrations concernant le permis de résidence de la requérante.

Le 24 mai 2012, l’État partie a informé le Comité que le 16 mai 2012, le Conseil des migrations suédois avait décidé d’accorder à la requérante un permis de résidence permanent en vertu du paragraphe 3 de l’article 22 du chapitre 12 de la loi sur les étrangers, et qu’elle ne risquait donc plus d’être expulsée.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé de mettre fin au dialogue relatif au suivi, en concluant à un règlement satisfaisant.

État partie

Suède

Affaire

Aytulun et Güclü , 373 /200 9

Décision adoptée le

19 novembre 2010

Violat ion constatée

Article 3 (Turquie)

Réparation recommandée

Le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant et sa fille vers la Turquie.

Précédentes informations concernant le suivi: A/66/44 , chap. VI

Le 18 mars 2011, le conseil des requérants a expliqué que les permis de résidence et de travail temporaires délivrés aux requérants en application de la décision rendue par le Conseil des migrations le 21 février 2011 n’étaient valides que jusqu’au 1er novembre 2011. Selon lui, le Conseil des migrations a refusé d’accorder un autre type de permis à M. Güclü au motif que son rôle dans le PKK pourrait être considéré comme ayant consisté à amener ou à aider d’autres personnes à commettre des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Se référant à l’affaire Allemagne c. B. et C . (affaire no 101/09, Cour européenne de justice, 9 novembre 2010), il conteste le raisonnement du Conseil des migrations. Il explique que le fait qu’une personne ait été membre d’une organisation qui, en raison de son implication dans des actes terroristes, figure sur la liste formant l’annexe de la Position commune du Conseil de l’Union européenne sur l’application des mesures spécifiques pour lutter contre le terrorisme (2001/931/PESC, 27 décembre 2011) et qu’elle ait activement soutenu le combat mené par cette organisation ne constitue pas automatiquement un motif sérieux de considérer que cette personne a commis «un crime non politique grave» ou «des actes contraires aux buts et aux principes de l’Organisation des Nations Unies». Les requérants courent toujours le risque d’être renvoyés en Turquie en dépit de la décision du Comité.

Le 13 septembre 2011, l’État partie a informé le Comité que le 21 février 2011, le Conseil des migrations avait décidé que les requérants devraient cesser d’être considérés comme des refugiés ou des étrangers ayant besoin, à un autre titre, d’une protection en vertu des dispositions de la loi sur les étrangers conformément à l’article 1 f) de la Convention des Nations Unies sur le statut des réfugiés ainsi qu’au paragraphe 2 de l’article 12 et au paragraphe 1 de l’article 17 de la Directive du Conseil 2004/83/CE (Directive sur les conditions à remplir). L’État partie note cependant qu’il y a d’autres motifs pour accorder un permis de résidence au titre de la loi sur les étrangers. En l’espèce, le Conseil des migrations a estimé qu’il y avait d’autres obstacles à l’exécution de la décision d’expulser les requérants, étant donné qu’en application de l’article premier (chap. 12) de la loi sur les étrangers, le refoulement et l’expulsion d’un étranger ne peuvent en aucun cas se faire vers un pays où il y a des motifs raisonnables de craindre que l’intéressé soit condamné à la peine de mort ou soumis à des châtiments corporels, des tortures ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ou qu’il ne soit pas à l’abri d’un renvoi depuis ce pays vers un autre pays où il court un tel danger. De ce fait, le Conseil des migrations a accordé des permis aux requérants en application de l’article 18 (chap. 12) de la loi sur les étrangers. En outre, selon l’État partie, les requérants pourront présenter une nouvelle demande de permis de résidence une fois que leur permis actuel aura expiré; ils ne seront pas expulsés pendant l’examen de leur demande par les autorités compétentes et les tribunaux.

L’État partie note qu’en application de l’article 4 (chap. 5) de la loi sur les étrangers, si le Comité ou un autre organe international compétent pour examiner des plaintes émanant de particuliers estime qu’un refoulement ou un arrêté d’expulsion va, dans un cas particulier, à l’encontre des obligations qui incombent à l’État partie en vertu de la Convention, un permis de résidence est accordé aux intéressés, sauf si des motifs exceptionnels s’y opposent.

Ainsi, les requérants ne seront pas expulsés tant que leurs permis de résidence sont valides ni pendant l’examen de leurs demandes de renouvellement. Dans ces circonstances, l’État partie estime que les mesures prises par ses autorités compétentes satisfont à la décision prise par le Comité en l’espèce.

Le 6 octobre 2011, le conseil des requérants a noté que, selon lui, l’État partie ne s’était pas acquitté de ses obligations en vertu de la Convention et que les requérants couraient toujours le risque d’être expulsés.

L’affaire a été examinée par le Comité à sa quarante-septième session. Le Comité a pris note des mesures prises jusque-là par l’État partie. Il a demandé au secrétariat de rappeler à l’État partie que l’expulsion des requérants vers la Turquie constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention; ceci a été fait en février 2012.

Le 14 mars 2012, l’État partie a informé le Comité que le permis de résidence des requérants avait expiré le 1er novembre 2011 et que la question de son renouvellement était en cours d’examen au moment où la réponse au Comité avait été rédigée. Il a réaffirmé que les requérants ne pouvaient pas être expulsés tant que leur demande était à l’examen. L’État partie a précisé qu’il informerait le Comité de l’issue de cette procédure.

Le 24 mai 2012, l’État partie a informé le Comité que le 16 mai 2012, le Conseil des migrations suédois avait décidé d’accorder aux requérants un permis de résidence permanent en vertu du paragraphe 3 de l’article 22 du chapitre 12 de la loi sur les étrangers, et qu’ils ne risquaient donc plus d’être expulsés.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé de mettre fin au dialogue relatif au suivi, en concluant à un règlement satisfaisant.

État partie

Suède

Affaire

S. M. et consorts , 374 /200 9

Décision adoptée le

21 novembre 2011

Violat ion constatée

Article 3

Réparation recommandée

Le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser les requérants vers l’Azerbaïdjan.

Le 6 mars 2012, l’État partie a informé le Comité que le Conseil des migrations suédois avait décidé, le 16 février 2012, d’accorder aux requérants des permis de résidence permanents. Les requérants ne courent donc plus le risque d’être expulsés vers l’Azerbaïdjan. L’État partie considère qu’il a donné effet à la décision du Comité dans la présente affaire.

Les observations de l’État partie ont été transmises au conseil des requérants, pour commentaires, en mars 2012. Aucune réponse n’a été reçue.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé de mettre fin au dialogue relatif au suivi, en concluant à un règlement satisfaisant.

État partie

Suède

Affaire

Bakatu - Bia , 379 /200 9

Décision adoptée le

3 juin 2011

Violat ion constatée

Article 3

Réparation recommandée

Le Comité a demandé à l’État partie de ne pas renvoyer le requérant en République démocratique du Congo.

Le 1er septembre 2011, l’État partie a informé le Comité que le Conseil des migrations avait décidé, le 15 juillet 2010, d’accorder au requérant un permis de résidence permanent. En conséquence, l’État partie considère qu’il s’est conformé à la décision du Comité et qu’il a fourni toutes les informations demandées par ce dernier et que de ce fait aucune autre mesure de suivi de la décision du Comité n’est nécessaire.

Les observations de l’État partie ont été transmises au conseil du requérant, pour commentaires, en septembre 2011. Aucune réponse n’a été reçue.

À sa quarante-septième session, le Comité a décidé de mettre fin au dialogue relatif au suivi, en concluant à un règlement satisfaisant.

État partie

Suisse

Affaire

Jahani , 357/2008

Décision adoptée le

23 mai 2011

Violation constatée

Article 3

Réparation recommandée

Le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant vers la République islamique d’Iran.

Le 30 août 2011, l’État partie a informé le Comité que, le 24 août 2011, l’Office fédéral des migrations avait accordé une admission temporaire à M. Jahani. Cela signifie concrètement que le requérant ne peut être renvoyé dans son pays d’origine que s’il s’y est produit un changement politique radical, c’est-à-dire un changement durable dans le régime de nature à dissiper les risques qu’il court en cas de renvoi. Dans un tel cas, le requérant aurait le droit de faire appel de la décision de le renvoyer en Iran. Il peut également présenter une demande d’autorisation de rester dans le pays après cinq ans de séjour en Suisse et cette autorisation est accordée en fonction, entre autres, du degré d’intégration de l’intéressé et de sa situation familiale. Dans certaines conditions, l’épouse et les enfants mineurs peuvent bénéficier d’un regroupement familial.

Le 3 octobre 2011, le conseil du requérant a informé le Comité que, le 24 août 2011, les autorités suisses avaient décidé d’accepter M. Jahani en tant que réfugié et de ne pas le renvoyer en République islamique d’Iran; il juge cette mesure satisfaisante. Le conseil invite le Comité à demander à l’État partie d’indemniser le requérant des coûts de sa représentation en justice. Le conseil a pris contact avec le Département de police et de justice pour que ces frais soient payés mais a été informé que la décision du Comité ne contenait aucune recommandation quant à une éventuelle indemnisation et que par conséquent un remboursement de ces frais n’avait aucune base légale.

À sa quarante-septième session, le Comité a décidé de mettre fin au dialogue relatif au suivi en concluant à un règlement satisfaisant, après avoir pris note de la satisfaction partielle exprimée par le conseil du requérant.

État partie

Suisse

Affaire

Singh Khalsa et consorts , 336/2008

Décision adoptée le

26 mai 2011

V iolation constatée

Article 3

Réparation recommandée

Le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser les requérants vers l’Inde.

Le 22 décembre 2011, l’État partie a expliqué que, le 28 octobre 2011, l’Office fédéral des migrations avait accordé une admission temporaire aux requérants étant donné l’impossibilité de les renvoyer en Inde, et que les requérants ne risquaient donc pas d’être expulsés. Même si l’Office fédéral des migrations réexamine régulièrement la décision d’admission temporaire des requérants, ceux-ci ne peuvent en pratique être renvoyés dans leur pays d’origine que s’il s’y est produit un changement politique radical, c’est-à-dire un changement durable dans le régime de nature à dissiper les risques qu’ils courent en cas de renvoi. Si le risque dans le pays disparaît et que les requérants risquent d’y être renvoyés, ils ont le droit de faire appel en vertu de l’article 112 de la loi sur les étrangers. De plus, leur statut peut changer s’ils quittent la Suisse ou s’ils y obtiennent un permis valable. Ils peuvent par exemple présenter une demande de permis de résidence après avoir vécu cinq ans en Suisse et ce permis est accordé en fonction, entre autres, du degré d’intégration des intéressés et de leur situation familiale. Dans certaines conditions, ils peuvent bénéficier d’un regroupement familial.

L’État partie a expliqué en outre que le 2 décembre 2011, les requérants avaient formé un recours devant le tribunal administratif fédéral contre la décision de les admettre à titre temporaire, et ont demandé à être reconnus comme réfugiés. La procédure était toujours en cours.

Le 30 janvier 2012, le conseil a fait valoir que la décision d’admettre temporairement les requérants n’était pas conforme à la décision du Comité, raison pour laquelle ils avaient fait appel de cette décision devant le tribunal administratif fédéral. Selon le conseil, le seul moyen efficace de protéger les requérants dans cette affaire est de leur accorder le statut de réfugié. L’admission temporaire peut être révoquée à tout moment.

Le 15 mars 2012, l’État partie a expliqué que le type de titre de séjour délivré aux requérants ne relevait pas du champ d’application de l’article 3 de la Convention. Le principe de non-refoulement tel qu’il est garanti par cette disposition est différent de la procédure d’asile visée dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. L’État partie ajoute que l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ne prévoit pas le droit d’obtenir le statut particulier de l’asile. Selon l’État partie, en accordant aux requérants une admission temporaire, il s’est conformé à la décision du Comité. Les observations de l’État partie ont été transmises aux requérants, pour commentaires, en mars 2012.

Le 19 avril 2012, le conseil des requérants a estimé que la délivrance de permis de séjour temporaires aux requérants n’était pas satisfaisante. Il note qu’il n’y a aucune garantie que les requérants ne seront pas renvoyés en Inde dans le futur, et ajoute que le recours devant le tribunal administratif fédéral est toujours pendant.

Le 24 mai 2012, l’État partie a renvoyé à ses précédentes observations et expliqué que les requérants ne risquaient pas d’être expulsés vers l’Inde étant donné qu’ils avaient obtenu l’admission temporaire. L’État partie réaffirme que le type de permis de séjour délivré ne relève pas du champ d’application de l’article 3 de la Convention.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé de demander au conseil des éclaircissements concernant l’issue de l’appel devant le tribunal administratif fédéral, avant de se prononcer sur la question.

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

État partie

Tunisie

Affaire

M’ Barek , 60/1996

Décision adoptée le

10 novembre 1999

V iolations constatées

Articles 12 et 13

Réparation recommandée

Le Comité a demandé à l’État partie de procéder à une enquête impartiale afin d’établir si des actes de torture ont été commis.

Précédentes informations concernant le suivi: A/66/44 , chap. VI

Le 7 juin 2011, l’État partie a informé le Comité qu’un juge d’instruction du tribunal de première instance de Grombalia avait décidé, conformément à la demande du ministère public tendant à poursuivre l’information entamée le 11 août 2009, de convoquer le collège de trois professeurs de médecine qui avait rédigé le rapport de 1993 sur les causes du décès de Faisal Baraket, afin de demander les clarifications nécessaires pour prendre une décision sur la question de l’exhumation du corps.

Il est apparu que deux des médecins concernés étaient décédés. Le juge a entendu les explications du troisième le 21 juillet 2010. Celui-ci, désormais chef du Département de médecine légale du principal hôpital de Tunis, a insisté sur le fait que le rapport d’autopsie établi par deux autres médecins en 1991 ne mentionnait l’existence d’aucune lésion traumatique au niveau de l’anus, ce qui excluait la possibilité de l’introduction d’un corps étranger. Le médecin a en outre estimé que l’exhumation ne permettrait pas d’établir les raisons du décès en raison du temps écoulé depuis.

Le juge d’instruction était par conséquent réticent à ordonner l’exhumation, au vu de l’avis exprimé par l’un des médecins selon lequel cette mesure serait inopportune et inutile. Le Procureur de la République est cependant intervenu le 13 décembre 2010, en vertu de l’article 55 du Code de procédure pénale, et a demandé au juge d’instruction d’ordonner l’exhumation. Le 15 décembre 2010, le juge d’instruction a refusé de faire droit à cette demande. Le Procureur de la République a fait appel de cette décision le 15 décembre 2010 auprès de la cour d’appel de Nabeul.

Le 3 février 2011, la cour d’appel de Nabeul a décidé de renvoyer l’affaire au juge d’instruction en demandant qu’il soit procédé à l’exhumation et qu’elle soit confiée à un collège d’experts médicaux. L’État partie tiendrait le Comité informé de l’évolution de la situation.

Dans une lettre datée du 29 septembre 2011, le requérant a noté que l’État partie continuait de se soustraire à l’application de la décision du Comité. Selon lui, le juge d’instruction a désigné un collège d’experts médicaux sans avoir consulté la famille. Cette dernière avait demandé la désignation d’un expert médical français, le professeur Lionel Fournier, qui s’était occupé de l’affaire par le passé et qui avait accepté de participer à la nouvelle expertise. La famille a fourni deux fois son nom au juge d’instruction et au Procureur de la République pour qu’il participe à la procédure mais elle n’a reçu aucune réponse.

Le requérant estime que le comportement des autorités dans cette affaire et la manière dont la procédure judiciaire est menée constituent des «manœuvres» visant à multiplier les procédures pour enterrer l’affaire.

Le requérant a demandé, entre autres, au Comité d’exhorter l’État partie à appliquer la décision du Comité, à mettre fin à l’impunité, à poursuivre les responsables des mauvais traitements infligés dans la présente affaire, à faire en sorte que M. Baraket soit réhabilité en tant que victime de la torture et que sa famille soit indemnisée, à ne plus commettre de violations similaires à l’avenir et à diffuser largement la décision du Comité en Tunisie.

Ayant pris note des changements politiques intervenus récemment dans l’État partie, à sa quarante-septième session, le Comité a décidé d’inviter l’État partie à mener à bien les enquêtes sans délai et à l’informer des mesures prises pour donner effet à ses recommandations, et une note verbale a été envoyée à cet effet par le secrétariat le 8 février 2012.

Le 14 décembre 2011, l’État partie a informé le Comité que, le 14 mai 2011, un juge d’instruction du tribunal de première instance de Grombalia s’était rendu au cimetière municipal de la ville de Menzel Bouzelfa, accompagné de trois experts médico-légaux, afin de surveiller l’exhumation du corps du défunt et son transport à l’hôpital Charles Nicolle de Tunis, où il devait être examiné.

Les proches de M. Baraket et leur avocat, cependant, se sont opposés à l’enlèvement du corps, en insistant pour que l’examen soit effectué in situ et que le corps soit inhumé immédiatement après. Ainsi, compte tenu de l’impossibilité d’emmener le corps pour l’examiner à l’hôpital, les experts médico-légaux ont déclaré qu’ils n’étaient pas en mesure de procéder aux différentes étapes techniques de l’examen et d’accomplir leur tâche. L’État partie ajoute que la désignation et le choix des experts médico-légaux appartiennent exclusivement à l’instance judiciaire en charge du dossier.

Le 22 décembre 2012, l’État partie a fourni une copie des rapports du premier juge d’instruction du tribunal de première instance de Grombalia et du rapport établi par les trois experts en médecine légale, décrivant l’impossibilité d’effectuer les examens nécessaires en raison du refus catégorique des proches de M. Baraket.

Le 6 février 2012, le requérant a demandé au Comité de ne pas permettre la disparition des preuves dans cette affaire. Il a noté que l’État partie n’avait pas fait cas de ses observations précédentes et qu’il avait refusé de permettre à un expert indépendant de prendre part aux examens médico-légaux. Les autorités ont également refusé de confier la procédure à un autre juge, en dépit des demandes de la famille à cet effet. Le plaignant invite le Comité à adopter publiquement une position ferme étant donné le temps écoulé et la nature particulière de l’affaire.

Les observations du plaignant ont été envoyées à l’État partie, pour commentaires, le 13 février 2012.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé de demander d’urgence à l’État partie des informations à jour sur les mesures prises pour donner effet à sa recommandation.

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

État partie

Tunisie

Affaire

Ben Salem , 269/2005

Décision adoptée le

7 novembre 2007

V iolations constatées

Articles 1er, 12, 13 et 14

Réparation recommandée

Le Comité a demandé instamment à l’État partie d’achever l’enquête sur les allégations d’actes de torture subis par le requérant afin que les responsables soient traduits en justice.

Précédentes informations relatives au suivi: A/66/44 , chap. VI

Le 7 juin 2011, l’État partie a rappelé qu’en vertu d’une décision du Procureur du tribunal de première instance de Tunis, une information avait été ouverte concernant les allégations de torture et l’affaire était en voie d’être confiée à un juge d’instruction. Ce juge a déjà effectué une multitude d’actes, notamment l’audition du requérant et de plusieurs personnes dont ce dernier avait fourni les noms. Plusieurs individus ne se sont pas présentés et ont dû être convoqués de nouveau. Le juge a également procédé à l’identification et à l’interrogatoire des personnes qui étaient, selon le requérant, responsables des mauvais traitements qui lui avaient été infligés. L’enquête est donc en cours et l’État partie tiendra le Comité informé de son évolution.

Le 20 juillet 2011, le conseil du requérant a informé le Comité qu’à la suite des changements intervenus dans l’État partie, le requérant avait proposé, sans succès, aux autorités de chercher une solution à l’amiable, sans imposer d’obligation au Gouvernement en ce qui concerne les actes commis sous le précédent régime. Selon le conseil, les explications données par l’État partie au sujet des actes d’investigation accomplis demeuraient vagues, ce qui créait une confusion quant aux progrès enregistrés véritablement dans le cadre de la procédure.

Selon le conseil, aucun acte d’investigation n’a été effectué depuis le 8 janvier 2008, date à laquelle le juge d’instruction avait rencontré le requérant et plusieurs témoins et demandé à un expert médical de procéder à un examen. Aucune autre mesure n’a été prise depuis lors, y compris en 2011. Quoi qu’il en soit, d’après le conseil, il est clair que le changement intervenu dans l’État partie constitue un nouvel élément propice à une enquête efficace, approfondie, indépendante et impartiale sur les actes de torture et autres mauvais traitements subis par le requérant.

En outre, le requérant ne s’est vu offrir aucune réparation ni indemnisation. Il n’a pas reçu les soins nécessaires pour sa réadaptation physique et psychologique; les lésions causées par les tortures subies sont graves et inquiétantes et son état de santé s’est détérioré ces dernières années. Il n’a pas les ressources matérielles nécessaires pour obtenir les soins dont il a besoin. Le droit d’obtenir réparation est énoncé à l’article 14 de la Convention et n’est pas lié, selon le conseil, à la question de l’identification des responsables des actes de torture.

Le conseil note également qu’en plus de l’indemnisation qui devrait être versée au requérant, l’État partie a une obligation de non-répétition de violations similaires. Or en décembre 2007, à la suite de l’adoption de la décision du Comité en novembre 2007, le requérant a été agressé devant son domicile par des agents de police qui l’ont roué de coups de pied, au point qu’il a dû être hospitalisé d’urgence. Jusqu’en janvier 2011, il est resté chez lui sous surveillance policière et a été privé de son droit à la liberté de circulation et de la possibilité de voir ses proches et ses connaissances.

Le conseil ajoute qu’en mai 2011, l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) a effectué une mission dans l’État partie et que le Premier Ministre a affirmé à cette occasion que les autorités exécuteraient sans délai les décisions du Comité contre la torture. Ceci a été confirmé dans une lettre envoyée par l’OMCT au Premier Ministre le 22 juin 2011. L’exécution des décisions du Comité ne saurait, selon le conseil, attendre la fin du processus de transition en cours ni l’adoption d’un nouveau cadre constitutionnel. En conclusion, le conseil demande au Comité d’inviter l’État partie à procéder à une enquête effective, à indemniser le requérant et à poursuivre et punir les responsables des mauvais traitements qu’il a subis.

Ayant pris note des changements politiques survenus récemment dans l’État partie, le Comité a décidé à sa quarante-septième session d’inviter l’État partie à achever sans délai les enquêtes en cours, à appliquer sa décision en date du 7 novembre 2007 et à lui faire parvenir des renseignements à jour sur toutes les mesures prises. Aucune réponse n’a été reçue.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé de demander d’urgence à l’État partie des renseignements à jour sur les mesures prises pour donner effet à sa recommandation.

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

État partie

Tunisie

Affaire

Ali, 291/2006

Décision adoptée le

21 novembre 2008

V iolations constatées

Articles 1er, 12, 13 et 14

Réparation recommandée

Le Comité a demandé instamment à l’État partie d’achever l’enquête sur les allégations d’actes de torture subis par la requérante, en vue de traduire les responsables en justice.

Précédentes informations relatives au suivi: A/66/44 , chap.VI

Le 7 juin 2011, l’État partie a rappelé qu’un juge d’instruction avait décidé, le 6 février 2009, de ne pas donner suite à la plainte de la requérante. Le juge d’instruction a classé l’affaire pour manque de preuves, en application de l’article 106 du Code de procédure pénale. En vertu de l’article 121 du même code, l’affaire ne pouvait être rouverte que sur la base de nouveaux éléments. Étant donné qu’aucun élément de preuve n’a été présenté au Bureau du Procureur depuis le 6 février 2009, l’affaire n’a pas pu être rouverte.

Le 28 juillet 2011, le conseil de la requérante (OMCT) a informé le Comité qu’il n’avait pas été en mesure de contacter la requérante et qu’il n’était donc pas à ce stade en position de commenter les informations additionnelles de l’État partie datées du 7 juin 2011.

Le conseil fait cependant observer que même si des enquêtes ont été menées par le passé, les changements importants intervenus dans l’État partie depuis janvier 2011 constituent de nouvelles circonstances qui nécessitent l’ouverture d’une nouvelle enquête effective, complète, indépendante et impartiale sur les tortures qu’aurait subies la requérante.

Le conseil ajoute qu’en mai 2011, l’OMCT a effectué une mission dans l’État partie et qu’à cette occasion, le Premier Ministre a déclaré que les autorités appliqueraient sans délai les décisions du Comité. Cela a été confirmé dans une lettre adressée par l’OMCT au Premier Ministre le 22 juin 2011. L’exécution des décisions du Comité ne saurait, selon le conseil, dépendre de l’achèvement du processus entrepris ou de la mise en place d’un nouveau cadre constitutionnel.

À sa quarante-septième session, ayant pris note des changements politiques survenus récemment dans l’État partie, le Comité a décidé d’inviter l’État partie à achever sans délai les enquêtes en cours, à appliquer sa décision en date du 21 novembre 2008 et à lui faire parvenir des renseignements à jour sur toutes les mesures prises. Aucune réponse n’a été reçue.

À sa quarante-huitième session, le Comité a décidé de demander d’urgence à l’État partie des renseignements à jour sur les mesures prises pour donner effet à sa recommandation

Décision du Comité: poursuite du dialogue relatif au suivi.

VII.Sessions futures du Comité

138.Conformément à l’article 2 de son règlement intérieur, le Comité tient deux sessions ordinaires par an. En consultation avec le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, le Comité a arrêté les dates ci-après pour sa prochaine session ordinaire de 2012 et ses sessions ordinaires de 2013.

Quarante-neuvième session

29 octobre-23 novembre 2012

Cinquantième session

6-31 mai 2013

Cinquante et unième session

28 octobre-22 novembre 2013

Temps de réunion supplémentaire pour 2013 et 2014

139.Le Comité a accueilli avec satisfaction la résolution 65/204 de l’Assemblée générale, par laquelle celle-ci autorisait le Comité, à titre provisoire, à se réunir pendant une semaine supplémentaire à chacune de ses sessions à compter de mai 2011 jusqu’à fin novembre 2012, comme suite à la demande que le Comité avait faite à l’Assemblée de lui fournir un appui financier suffisant à cette fin.

140.À sa soixante-huitième session, le Comité a demandé à l’Assemblée générale de lui fournir un appui financier suffisant pour lui permettre de se réunir pendant une semaine supplémentaire à chacune de ses sessions à compter de mai 2013 jusqu’à fin novembre 2014 (voir chap. I, sect. P). Cette semaine est importante pour le Comité, devant lui permettre d’améliorer son efficacité et ses méthodes de travail. La semaine supplémentaire est comprise dans les dates des sessions futures du Comité indiquées plus haut.

VIII.Adoption du rapport annuel du Comité sur ses activités

141.Conformément à l’article 24 de la Convention, le Comité soumet aux États parties et à l’Assemblée générale un rapport annuel sur ses activités. Comme le Comité tient chaque année sa seconde session ordinaire en novembre, période qui coïncide avec les sessions ordinaires de l’Assemblée générale, il adopte son rapport annuel à la fin de sa session de printemps, afin de le transmettre à l’Assemblée générale la même année civile. En conséquence, à sa 1092e séance, le 1er juin 2012, le Comité a examiné et a adopté à l’unanimité son rapport sur les travaux effectués à ses quarante-septième et quarante-huitième sessions.

Annexes

Annexe I

Liste des États ayant signé ou ratifié la Convention contrela torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou y ayant adhéré, au 1er juin 2012

État

Date de la signature

Date de réception des instruments de ratification, d’ adhésion a ou de succession b

Afghanistan

4 février 1985

1er avril 1987

Afrique du Sud

29 janvier 1993

10 décembre 1998

Albanie

11 mai 1994 a

Algérie

26 novembre 1985

12 septembre 1989

Allemagne

13 octobre 1986

1er octobre 1990

Andorre

5 août 2002

22 septembre 2006

Antigua-et-Barbuda

19 juillet 1993 a

Arabie saoudite

23 septembre 1997 a

Argentine

4 février 1985

24 septembre 1986

Arménie

13 septembre 1993 a

Australie

10 décembre 1985

8 août 1989

Autriche

14 mars 1985

29 juillet 1987

Azerbaïdjan

16 août 1996 a

Bahamas

16 décembre 2008

Bahreïn

6 mars 1998 a

Bangladesh

5 octobre 1998 a

Bélarus

19 décembre 1985

13 mars 1987

Belgique

4 février 1985

25 juin 1999

Belize

17 mars 1986 a

Bénin

12 mars 1992 a

Bolivie (État plurinational de)

4 février 1985

12 avril 1999

Bosnie-Herzégovine

1er septembre 1993 b

Botswana

8 septembre 2000

8 septembre 2000

Brésil

23 septembre 1985

28 septembre 1989

Bulgarie

10 juin 1986

16 décembre 1986

Burkina Faso

4 janvier 1999 a

Burundi

18 février 1993 a

Cambodge

15 octobre 1992 a

Cameroun

19 décembre 1986 a

Canada

23 août 1985

24 juin 1987

Cap-Vert

4 juin 1992 a

Chili

23 septembre 1987

30 septembre 1988

Chine

12 décembre 1986

4 octobre 1988

Chypre

9 octobre 1985

18 juillet 1991

Colombie

10 avril 1985

8 décembre 1987

Comores

22 septembre 2000

Congo

30 juillet 2003 a

Costa Rica

4 février 1985

11 novembre 1993

Côte d’Ivoire

18 décembre 1995 a

Croatie

12 octobre 1992 b

Cuba

27 janvier 1986

17 mai 1995

Danemark

4 février 1985

27 mai 1987

Djibouti

5 novembre 2002 a

Égypte

25 juin 1986 a

El Salvador

17 juin 1996 a

Équateur

4 février 1985

30 mars 1988

Espagne

4 février 1985

21 octobre 1987

Estonie

21 octobre 1991 a

États-Unis d’Amérique

18 avril 1988

21 octobre 1994

Éthiopie

14 mars 1994 a

ex-République yougoslave de Macédoine

12 décembre 1994 b

Fédération de Russie

10 décembre 1985

3 mars 1987

Finlande

4 février 1985

30 août 1989

France

4 février 1985

18 février 1986

Gabon

21 janvier 1986

8 septembre 2000

Gambie

23 octobre 1985

Géorgie

26 octobre 1994 a

Ghana

7 septembre 2000

7 septembre 2000

Grèce

4 février 1985

6 octobre 1988

Guatemala

5 janvier 1990 a

Guinée

30 mai 1986

10 octobre 1989

Guinée-Bissau

12 septembre 2000

Guinée équatoriale

8 octobre 2002 a

Guyana

25 janvier 1988

19 mai 1988

Honduras

5 décembre 1996 a

Hongrie

28 novembre 1986

15 avril 1987

Inde

14 octobre 1997

Indonésie

23 octobre 1985

28 octobre 1998

Iraq

7 juillet 2011 a

Irlande

28 septembre 1992

11 avril 2002

Islande

4 février 1985

23 octobre 1996

Israël

22 octobre 1986

3 octobre 1991

Italie

4 février 1985

12 janvier 1989

Japon

29 juin 1999 a

Jordanie

13 novembre 1991 a

Kazakhstan

26 août 1998 a

Kenya

21 février 1997 a

Kirghizistan

5 septembre 1997 a

Koweït

8 mars 1996 a

Lesotho

12 novembre 2001 a

Lettonie

14 avril 1992 a

Liban

5 octobre 2000 a

Libéria

22 septembre 2004 a

Libye

16 mai 1989 a

Liechtenstein

27 juin 1985

2 novembre 1990

Lituanie

1er février 1996 a

Luxembourg

22 février 1985

29 septembre 1987

Madagascar

1er octobre 2001

13 décembre 2005

Malawi

11 juin 1996 a

Maldives

20 avril 2004 a

Mali

26 février 1999 a

Malte

13 septembre 1990 a

Maroc

8 janvier 1986

21 juin 1993

Maurice

9 décembre 1992 a

Mauritanie

17 novembre 2004a

Mexique

18 mars 1985

23 janvier 1986

Monaco

6 décembre 1991 a

Mongolie

24 janvier 2002 a

Monténégro

23 octobre 2006 b

Mozambique

14 septembre 1999 a

Namibie

28 novembre 1994 a

Nauru

12 novembre 2001

Népal

14 mai 1991 a

Nicaragua

15 avril 1985

5 juillet 2005

Niger

5 octobre 1998 a

Nigéria

28 juillet 1988

28 juin 2001

Norvège

4 février 1985

9 juillet 1986

Nouvelle-Zélande

14 janvier 1986

10 décembre 1989

Ouganda

3 novembre 1986 a

Ouzbékistan

28 septembre 1995 a

Pakistan

17 avril 2008

23 juin 2010

Palaos

20 septembre 2011

Panama

22 février 1985

24 août 1987

Paraguay

23 octobre 1989

12 mars 1990

Pays-Bas

4 février 1985

21 décembre 1988

Pérou

29 mai 1985

7 juillet 1988

Philippines

18 juin 1986 a

Pologne

13 janvier 1986

26 juillet 1989

Portugal

4 février 1985

9 février 1989

Qatar

11 janvier 2000 a

République arabe syrienne

19 août 2004 a

République de Corée

9 janvier 1995 a

République de Moldova

28 novembre 1995 a

République démocratique du Congo

18 mars 1996 a

République démocratique populaire lao

21 septembre 2010

République dominicaine

4 février 1985

24 janvier 2012

République tchèque

22 février 1993 b

Roumanie

18 décembre 1990 a

Royaume-Uni de Grande-Bretagneet d’Irlande du Nord

15 mars 1985

8 décembre 1988

Rwanda

15 décembre 2008 a

Saint-Marin

18 septembre 2002

27 novembre 2006

Saint-Siège

26 juin 2002 a

Saint-Vincent-et-les Grenadines

1er août 2001 a

Sao Tomé-et-Principe

6 septembre 2000

Sénégal

4 février 1985

21 août 1986

Serbie

12 mars 2001 b

Seychelles

5 mai 1992 a

Sierra Leone

18 mars 1985

25 avril 2001

Slovaquie

28 mai 1993 b

Slovénie

16 juillet 1993 a

Somalie

24 janvier 1990 a

Soudan

4 juin 1986

Sri Lanka

3 janvier 1994 a

Suède

4 février 1985

8 janvier 1986

Suisse

4 février 1985

2 décembre 1986

Swaziland

26 mars 2004 a

Tadjikistan

11 janvier 1995 a

Tchad

9 juin 1995 a

Thaïlande

2 octobre 2007 a

Timor-Leste

16 avril 2003 a

Togo

25 mars 1987

18 novembre 1987

Tunisie

26 août 1987

23 septembre 1988

Turkménistan

25 juin 1999 a

Turquie

25 janvier 1988

2 août 1988

Ukraine

27 février 1986

24 février 1987

Uruguay

4 février 1985

24 octobre 1986

Vanuatu

12 juillet 2011 a

Venezuela (République bolivarienne du)

15 février 1985

29 juillet 1991

Yémen

5 novembre 1991 a

Zambie

7 octobre 1998 a

Notes

a Adhésion (75 États).

b Succession (7 États).

Annexe II

États parties ayant déclaré, au moment de la ratificationou de l’adhésion, ne pas reconnaître la compétencedu Comité en application de l’article 20 de la Convention,au 1er juin 2012

Afghanistan

Arabie saoudite

Chine

Guinée équatoriale

Israël

Koweït

Mauritanie

Pakistan

République arabe syrienne

Annexe III

États parties ayant fait les déclarations prévuesaux articles 21 et 22 de la Convention, au 1er juin 2012 a, b

État partie

Date d’entrée en vigueur

Afrique du Sud

10 décembre 1998

Algérie

12 octobre 1989

Allemagne

19 octobre 2001

Andorre

22 novembre 2006

Argentine

26 juin 1987

Australie

29 janvier 1993

Autriche

28 août 1987

Belgique

25 juillet 1999

Bolivie (État plurinational de)

14 février 2006

Bulgarie

12 juin 1993

Cameroun

11 novembre 2000

Canada

13 novembre 1989

Chili

15 mars 2004

Chypre

8 avril 1993

Costa Rica

27 février 2002

Croatie

8 octobre 1991 c

Danemark

26 juin 1987

Équateur

29 avril 1988

Espagne

20 novembre 1987

Fédération de Russie

1er octobre 1991

Finlande

29 septembre 1989

France

26 juin 1987

Géorgie

30 juin 2005

Ghana

7 octobre 2000

Grèce

5 novembre 1988

Hongrie

13 septembre 1989

Irlande

11 mai 2002

Islande

22 novembre 1996

Italie

10 octobre 1989

Kazakhstan

21 février 2008

Liechtenstein

2 décembre 1990

Luxembourg

29 octobre 1987

Malte

13 octobre 1990

Monaco

6 janvier 1992

Monténégro

23 octobre 2006 c

Norvège

26 juin 1987

Nouvelle-Zélande

9 janvier 1990

Paraguay

29 mai 2002

Pays-Bas

20 janvier 1989

Pérou

28 octobre 2002

Pologne

12 mai 1993

Portugal

11 mars 1989

République de Corée

9 novembre 2007

République de Moldova

2 septembre 2011

République tchèque

3 septembre 1996 c

Sénégal

16 octobre 1996

Serbie

12 mars 2001 c

Slovaquie

17 mars 1995 c

Slovénie

15 août 1993

Suède

26 juin 1987

Suisse

26 juin 1987

Togo

18 décembre 1987

Tunisie

23 octobre 1988

Turquie

1er septembre 1988

Ukraine

12 septembre 2003

Uruguay

26 juin 1987

Venezuela (République bolivarienne du)

26 avril 1994

États parties ayant fait uniquement la déclaration prévueà l’article 21 de la Convention, au 1er juin 2012 a

État partie

Date d’entrée en vigueur

États-Unis d’Amérique

21 octobre 1994

Japon

29 juin 1999

Ouganda

19 décembre 2001

Royaume-Uni de Grande-Bretagneet d’Irlande du Nord

8 décembre 1988

États parties ayant fait uniquement la déclaration prévueà l’article 22 de la Convention, au 1er juin 2012 b

État partie

Date d’entrée en vigueur

Azerbaïdjan

4 février 2002

Bosnie-Herzégovine

4 juin 2003

Brésil

26 juin 2006

Burundi

10 juin 2003

Guatemala

25 septembre 2003

Maroc

19 octobre 2006

Mexique

15 mars 2002

Seychelles

6 août 2001

Notes

a Au total 61 États parties ont fait la déclaration prévue à l’article 21 .

b Au total 65 États parties ont fait la déclaration prévue à l’article 22 .

c États parties ayant fait les déclarations prévues aux articles 21 et 22 par voie de succession.

Annexe IV

Composition du Comité contre la torture en 2012

Membres

Pays de nationalité

Mandat expirant le 31 décembre

Mme Essadia Belmir(Vice-Présidente)

Maroc

2013

M. Alessio Bruni

Italie

2013

M. Satyabhooshun Gupt Domah

Maurice

2015

Mme Felice Gaer(Vice-Présidente)

États-Unis d’Amérique

2015

M. Abdoulaye Gaye

Sénégal

2015

M. Claudio Grossman(Président)

Chili

2015

M. Fernando Mariño Menéndez

Espagne

2013

Mme Nora Sveaass(Rapporteuse)

Norvège

2013

M. Georges Tugushi

Géorgie

2015

M. Xuexian Wang (Vice-Président)

Chine

2013

Annexe V

États parties ayant signé ou ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradantsou y ayant adhéré, au 1er juin 2012

État

Date de la signature ou de la succession à la signature b

Date de réception des instruments de ratification, d’ adhésion a ou de succession b

Afrique du Sud

20 septembre 2006

Albanie

1er octobre 2003 a

Allemagne

20 septembre 2006

4 décembre 2008

Argentine

30 avril 2003

15 novembre 2004

Arménie

14 septembre 2006 a

Australie

19 mai 2009

Autriche

25 septembre 2003

Azerbaïdjan

15 septembre 2005

28 janvier 2009

Belgique

24 octobre 2005

Bénin

24 février 2005

20 septembre 2006

Bolivie (État plurinational de)

22 mai 2006

23 mai 2006

Bosnie-Herzégovine

7 décembre 2007

24 octobre 2008

Brésil

13 octobre 2003

12 janvier 2007

Bulgarie

22 septembre 2010

1er juin 2011

Burkina Faso

21 septembre 2005

7 juillet 2010

Cambodge

14 septembre 2005

30 mars 2007

Cameroun

15 décembre 2009

Cap-Vert

26 septembre 2011

Chili

6 juin 2005

12 décembre 2008

Chypre

26 juillet 2004

29 avril 2009

Congo

29 septembre 2008

Costa Rica

4 février 2003

1er décembre 2005

Croatie

23 septembre 2003

25 avril 2005

Danemark

26 juin 2003

25 juin 2004

Équateur

24 mai 2007

20 juillet 2010

Espagne

13 avril 2005

4 avril 2006

Estonie

21 septembre 2004

18 décembre 2006

ex-République yougoslave de Macédoine

1er septembre 2006

13 février 2009

Finlande

23 septembre 2003

France

16 septembre 2005

11 novembre 2008

Gabon

15 décembre 2004

22 septembre 2010

Géorgie

9 août 2005 a

Ghana

6 novembre 2006

Grèce

3 mars 2011

Guatemala

25 septembre 2003

9 juin 2008

Guinée

16 septembre 2005

Honduras

8 décembre 2004

23 mai 2006

Hongrie

12 janvier 2012 a

Irlande

2 octobre 2007

Islande

24 septembre 2003

Italie

20 août 2003

Kazakhstan

25 septembre 2007

22 octobre 2008

Kirghizistan

29 décembre 2008 a

Liban

22 décembre 2008 a

Libéria

22 septembre 2004 a

Liechtenstein

24 juin 2005

3 novembre 2006

Luxembourg

13 janvier 2005

19 mai 2010

Madagascar

24 septembre 2003

Maldives

14 septembre 2005

15 février 2006

Mali

19 janvier 2004

12 mai 2005

Malte

24 septembre 2003

24 septembre 2003

Maurice

21 juin 2005 a

Mauritanie

27 septembre 2011

Mexique

23 septembre 2003

11 avril 2005

Monténégro

23 octobre 2006 b

6 mars 2009

Nicaragua

14 mars 2007

25 février 2009

Nigéria

27 juillet 2009 a

Norvège

24 septembre 2003

Nouvelle-Zélande

23 septembre 2003

14 mars 2007

Panama

22 septembre 2010

2 juin 2011

Paraguay

22 septembre 2004

2 décembre 2005

Pays-Bas

3 juin 2005

28 septembre 2010

Pérou

14 septembre 2006 a

Philippines

17 avril 2012 a

Pologne

5 avril 2004

14 septembre 2005

Portugal

15 février 2006

République démocratique du Congo

23 septembre 2010 a

République de Moldova

16 septembre 2005

24 juillet 2006

République tchèque

13 septembre 2004

10 juillet 2006

Roumanie

24 septembre 2003

2 juillet 2009

Royaume-Uni de Grande-Bretagneet d’Irlande du Nord

26 juin 2003

10 décembre 2003

Sénégal

4 février 2003

18 octobre 2006

Serbie

25 septembre 2003

26 septembre 2006

Sierra Leone

26 septembre 2003

Slovénie

23 janvier 2007 a

Suède

26 juin 2003

14 septembre 2005

Suisse

25 juin 2004

24 septembre 2009

Timor-Leste

16 septembre 2005

Togo

15 septembre 2005

20 juillet 2010

Tunisie

29 juin 2011 a

Turquie

14 septembre 2005

27 septembre 2011

Ukraine

23 septembre 2005

19 septembre 2006

Uruguay

12 janvier 2004

8 décembre 2005

Venezuela

1er juillet 2011

Zambie

27 septembre 2010

Annexe VI

Composition du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumainsou dégradants en 2012

Membres

Pays de nationalité

Montant expirant le 31 décembre

Mme Mari Amos

Estonie

2014

M. Mario Luis Coriolano(Vice-Président)

Argentine

2012

M. Arman Danielyan

Arménie

2014

Mme Marija Definis Gojanović

Croatie

2012

M. Malcolm Evans(Président)

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

2012

M. Emilio Ginés Santidrián

Espagne

2014

Mme Lowell Patria Goddard

Nouvelle-Zélande

2012

M. Zdenĕk Hájek(Vice-Président)

République tchèque

2012

Mme Suzanne Jabbour(Vice-Présidente)

Liban

2012

Mr. Goran Klemenčič

Slovénie

2012

M. Paul Lam Shang Leen

Maurice

2012

M. Zbigniew Lasocik

Pologne

2012

M. Petros Michaelides

Chypre

2014

Mme Aisha Shujune Muhammad(Vice-Présidente)

Maldives

2014

M. Olivier Obrecht

France

2014

M. Hans Draminsky Petersen

Danemark

2014

Mme Maria Margarida E. Pressburger

Brésil

2012

M. Christian Pross

Allemagne

2012

M. Victor Manuel Rodríguez - Rescia

Costa Rica

2012

Mme Judith Salgado Álvarez

Équateur

2014

M. Miguel Sarre Iguíniz

Mexique

2014

Mme Aneta Stanchevska

ex-République yougoslavede Macédoine

2014

M. Wilder Tayler Souto

Uruguay

2014

M. Felipe Villavicencio Terreros

Pérou

2014

M. Fortuné Gaétan Zongo

Burkina Faso

2014

Annexe VII

Cinquième rapport annuel du Sous-Comitépour la prévention de la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(janvier-décembre 2011) *

Table des matières

Paragraphes Page

I.Introduction1−2253

II.Bilan de l’année3−28253

A.Participation au système issu du Protocole facultatif3−5253

B.Composition du Sous-Comité et questions d’organisation6−10254

C.Visites effectuées pendant la période considérée11−14255

D.Activités de suivi, y compris la publication des rapports du Sous-Comitépar les États parties15−16255

E.Faits nouveaux dans le processus de mise en place de mécanismesnationaux de prévention17−25256

F.Contributions au Fonds spécial établi conformément aux dispositions de l’article 26 du Protocole facultatif26−28258

III.Collaboration avec d’autres organes dans le domaine de la préventionde la torture29−37260

A.Coopération internationale29−35260

B.Coopération régionale36261

C.Société civile37261

IV.Questions notables découlant des travaux du Sous-Comité pendantla période considérée38−63261

A.Perfectionnement des méthodes de travail du Sous-Comité38−45261

B.Mise en place de groupes de travail46−47263

C.Questions découlant des visites48−63263

V.Questions de fond64−82266

A.Importance de l’éducation dans le domaine des droits de l’homme pour la prévention de la torture 65−76266

B.Liens entre l’aide juridictionnelle, un système public de défenseet la prévention de la torture 77−82269

VI.Perspectives83−89270

A.Exécution du mandat du Sous-Comité: une nouvelle approche83−85270

B.Plan de travail pour 201286−89271

I.Introduction

1.Le présent rapport est le premier à rendre compte des travaux du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (le Sous-Comité) après son élargissement à 25 membres, qui fait de lui le plus grand organe conventionnel de l’ONU. L’année écoulée a été extrêmement stimulante. Le Sous-Comité a pu mener une réflexion sur ses réalisations passées et jeter les bases de son évolution future, tout en continuant d’exercer autant que possible son double mandat, à savoir les visites dans les pays et la promotion des mécanismes nationaux de prévention. Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture continue de recueillir l’adhésion de nouveaux États et les travaux auxquels il donne lieu suscitent un intérêt croissant. Le présent rapport suit la même structure que le quatrième rapport annuel: il passe en revue les faits nouveaux, présente un certain nombre de préoccupations du Sous-Comité, définit la position de celui-ci sur plusieurs questions de fond et, enfin, jette un regard prospectif sur l’année à venir.

2.En présentant ce rapport, le Sous-Comité tient à souligner un point sur lequel il reviendra tout au long de ce document, à savoir que les promesses inhérentes à son élargissement ne peuvent être tenues que si les partenaires opérant dans le cadre du système issu du Protocole facultatif − le Sous-Comité lui-même, les mécanismes nationaux de prévention, les États parties et l’Organisation des Nations Unies − adhèrent pleinement à la politique de prévention d’une manière à la fois résolue et souple, afin qu’elle bénéficie à celles des parties prenantes pour lesquelles le système présente le plus d’intérêt, c’est-à-dire les personnes qui, étant privées de liberté, risquent d’être victimes d’actes de torture et de mauvais traitements.

II.Bilan de l’année

A.Participation au système issu du Protocole facultatif

3.Au 31 décembre 2011, 61 États étaient parties au Protocole facultatif. Depuis janvier 2011, les quatre États ci-après l’ont ratifié ou y ont adhéré: Bulgarie (1er juin 2011), Panama (2 juin 2011), Tunisie (29 juin 2011) et Turquie (27 septembre 2011). En outre, quatre États ont signé le Protocole facultatif pendant la période considérée: Grèce (3 mars 2011), Venezuela (1er juillet 2011), Cap-Vert (26 septembre 2011) et Mauritanie (27 septembre 2011).

4.Cette augmentation du nombre d’États parties s’est traduite par des changements dans la représentation par région, qui est désormais la suivante:

États parties par région

Afrique

11

Asie

6

Europe orientale

17

Groupe des États d’Amérique latine et des Caraïbes

14

Groupe des États d’Europe occidentale et autres États

13

5.La répartition par région des États signataires qui n’ont pas encore ratifié le Protocole facultatif est la suivante:

États ayant signé mais non ratifié le Protocole facultatif, par région (total: 24)

Afrique

8

Asie

2

Europe orientale

1

Groupe des États d’Amérique latine et des Caraïbes

2

Groupe des États d’Europe occidentale et autres États

11

B.Composition du Sous-Comité et questions d’organisation

6.Pendant la période considérée (1er janvier-31 décembre 2011), le Sous-Comité a tenu trois sessions d’une semaine à l’Office des Nations Unies à Genève, du 21 au 25 février, du 20 au 24 juin et du 14 au 18 novembre 2011.

7.La composition du Sous-Comité a beaucoup changé en 2011. Le 28 octobre 2010, à la troisième Réunion des États parties au Protocole facultatif, cinq membres ont été élus pour remplacer ceux dont le mandat prenait fin le 31 décembre 2010. De plus, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, 15 nouveaux membres ont été élus suite à la cinquantième ratification du Protocole facultatif en septembre 2009, ce qui a porté à 25 le nombre des membres du Sous-Comité. Pour favoriser la rotation des membres, et conformément à la pratique établie, la durée du mandat de 7 des 15 nouveaux membres a été réduite à deux ans. Le mandat de tous les membres nouvellement élus a pris effet le 1er janvier 2011 et, conformément au Règlement intérieur du Sous-Comité, chaque membre a prononcé un engagement solennel à l’ouverture de la session de février 2011 avant d’assumer ses fonctions.

8.En raison de l’élargissement du Sous-Comité, son règlement intérieur a été révisé de façon à prévoir l’élection d’un bureau élargi composé d’un président et de quatre vice-présidents qui accomplissent un mandat de deux ans. Le Bureau a été élu en février 2011 et restera en fonctions jusqu’en février 2013. Il est composé de Malcolm Evans (Président) et de Mario Coriolano, Zdenek Hájek, Suzanne Jabbour et Aisha Muhammad (Vice-Présidents). Mme Muhammad fait également office de Rapporteuse.

9.Afin que le Sous-Comité élargi puisse fonctionner de la manière la plus efficace et la plus ouverte possible, il a été convenu que chaque membre du Bureau assumerait une tâche distincte dont il aurait la responsabilité, sous la supervision générale du Président et en coopération avec les autres membres. Pour donner suite au mandat défini à l’article 11 du Protocole facultatif, les tâches principales des quatre Vice-Présidents se répartissent comme suit: mécanismes nationaux de prévention (M. Coriolano), visites (M. Hájek), relations extérieures (Mme Jabbour) et jurisprudence (Mme Muhammad).

10.Le Sous-Comité a également revu la répartition de ses responsabilités internes, essentiellement pour mieux prendre en compte et favoriser sa collaboration croissante avec les partenaires nationaux et régionaux. En outre, un nouveau système de coordonnateurs régionaux a été mis en place. Leur rôle consiste à assurer la liaison et à faciliter la coordination des activités du Sous-Comité dans les régions dont ils s’occupent. Les coordonnateurs pour l’Afrique, l’Asie-Pacifique, l’Europe et l’Amérique latine ont été désignés à la quatorzième session. Il s’agit de Fortuné Zongo pour l’Afrique, de Lowell Goddard pour l’Asie-Pacifique, de Mari Amos pour l’Europe et de Victor Rodríguez-Rescia pour l’Amérique latine. De même, un nouveau système d’équipes spéciales chargées des mécanismes nationaux de prévention a été mis en place. Sous la direction du Président du Sous-Comité et du Vice-Président du Sous-Comité chargé des mécanismes nationaux de prévention et sous la responsabilité des coordonnateurs mentionnés plus haut, chaque équipe spéciale régionale s’occupe des activités intéressant les mécanismes nationaux de prévention. En outre, le Sous-Comité a décidé de se doter de groupes de travail pour le suivi des visites, placés sous l’autorité du Vice-Président chargé des visites ainsi que d’un groupe de travail sur les questions de sécurité et d’un groupe de travail sur les questions médicales. On trouvera plus loin, dans la section IV.A, de plus amples détails sur ces mesures.

C.Visites effectuées pendant la période considérée

11.Le Sous-Comité a effectué trois visites en 2011. Du 16 au 25 mai il s’est rendu en Ukraine, deuxième pays européen à recevoir la visite du Sous-Comité (après la Suède, en mars 2008).

12.Du 19 au 30 septembre 2011, le Sous-Comité était au Brésil, cinquième pays d’Amérique latine à recevoir la visite du Sous-Comité (après le Mexique en août-septembre 2008, le Paraguay en mars 2009, le Honduras en septembre 2009 et la Bolivie en août-septembre 2010).

13.Du 5 au 14 décembre 2011, le Sous-Comité a effectué une visite au Mali, quatrième pays africain à recevoir la visite du Sous-Comité (après Maurice en octobre 2007, le Bénin en mai 2008 et le Libéria en décembre 2010).

14.On trouvera d’autres informations succinctes sur toutes ces visites, y compris la liste des lieux visités, dans les communiqués de presse publiés à l’issue de chaque visite et sur le site Web du Sous-Comité.

D.Activités de suivi, y compris la publication des rapportsdu Sous-Comité par les États parties

15.Six rapports de visite du Sous-Comité ont été rendus publics à la demande de l’État partie (Bénin, Honduras, Maldives, Mexique, Paraguay et Suède), conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 16 du Protocole facultatif, dont un pendant la période considérée: Bénin, en janvier 2011. Quatre réponses d’États parties (Bénin, Mexique, Paraguay et Suède) ont également été rendues publiques à la demande des États concernés, dont deux pendant la période considérée: Bénin, en janvier 2011, et Mexique, en octobre 2011.

16.Conformément à la pratique établie, le Sous-Comité a mis en place une procédure pour le suivi de ses rapports de visite. Il demande aux États parties de lui adresser dans un délai de six mois une réponse donnant une description détaillée des mesures prises pour donner suite aux recommandations formulées dans le rapport de visite. Au moment de la soumission du présent rapport, le Sous-Comité avait reçu une réponse de 7 des 13 États dans lesquels il s’était rendu: Maurice en décembre 2008, Suède en janvier 2009, Paraguay en mars 2010, Bénin en janvier 2011, Liban (réponse partielle) en janvier 2011, Mexique en octobre 2011 et Bolivie en novembre 2011. Les réponses de la Bolivie, du Liban et de Maurice restent confidentielles alors que celles du Bénin, du Mexique, du Paraguay et de la Suède ont été rendues publiques à la demande de ces États. Le Sous-Comité a en retour formulé des observations et/ou des recommandations au sujet des réponses du Bénin, du Liban, de Maurice et de la Suède, et il a effectué une visite de suivi au Paraguay, à l’issue de laquelle un rapport a été adressé à l’État partie. Le rapport sur la visite de suivi et les réponses reçues au titre du suivi ont été rendus publics à la demande du Paraguay en mai et juin 2011 respectivement. Des rappels ont été en outre envoyés aux États parties qui n’avaient pas fait parvenir au Sous-Comité leur réponse au sujet de ses rapports de visite. Il convient de signaler que le délai de six mois pour l’envoi des réponses courait encore pour le Libéria, l’Ukraine et le Brésil pendant la période considérée. Les aspects du processus de suivi portant sur le fond sont soumis à la règle de la confidentialité sauf si l’État partie consent à ce qu’ils soient rendus publics.

E.Faits nouveaux dans le processus de mise en placede mécanismes nationaux de prévention

17.Sur les 61 États parties, 28 ont officiellement informé le Sous-Comité de la désignation de mécanismes nationaux de prévention. On trouvera des renseignements à ce sujet sur le site Web du Sous-Comité.

18.En 2011, le Sous-Comité a reçu deux notifications officielles concernant la désignation de mécanismes, émanant de l’ex-République yougoslave de Macédoine et de la Serbie. On notera qu’au Chili, au Mali, à Maurice, au Sénégal et en Uruguay, les organes qui ont été désignés comme mécanismes nationaux de prévention n’ont pas encore commencé à fonctionner en tant que tels.

19.Au total 33 États parties n’ont donc pas encore informé le Sous-Comité de la désignation d’un mécanisme national de prévention. Le délai d’un an qui leur est donné selon l’article 17 du Protocole facultatif pour effectuer cette désignation n’a pas encore expiré pour cinq États (Bulgarie, Pakistan, Panama, Tunisie et Turquie). En outre, quatre États parties (Bosnie-Herzégovine, Kazakhstan, Monténégro et Roumanie) ont fait une déclaration au titre de l’article 24 du Protocole facultatif qui leur permet de différer la désignation d’un mécanisme national de prévention de deux années supplémentaires.

20.Vingt-cinq États parties ne se sont donc pas acquittés de l’obligation qui leur incombe en vertu de l’article 17, ce qui préoccupe grandement le Sous-Comité. Celui-ci constate toutefois que quatre États parties (Arménie, Croatie, Nigéria et Ukraine) ont déjà désigné leurs mécanismes nationaux de protection sans le lui avoir encore officiellement annoncé.

21.Le Sous-Comité poursuit son dialogue avec tous les États parties qui n’ont pas encore désigné de mécanisme national de protection, les encourageant à l’informer de leurs progrès. Ces États parties ont été priés de fournir des informations détaillées sur le mécanisme envisagé (mandat, composition, taille, domaines de compétence, ressources financières et humaines, fréquence des visites, etc.).

22.Le Sous-Comité a en outre établi et entretenu des contacts avec les mécanismes nationaux de prévention eux-mêmes, conformément à l’article 11 b) du Protocole facultatif. À sa treizième session, il a tenu une réunion avec le mécanisme national de prévention estonien afin d’échanger des informations et des données d’expérience et d’examiner les domaines de coopération future. À sa quatorzième session, le Sous-Comité a tenu une réunion similaire avec le mécanisme national de prévention géorgien. Enfin, à sa quinzième session, il a tenu une réunion avec le mécanisme national de prévention hondurien (réunion organisée avec l’appui de l’Association pour la prévention de la torture (APT)) et une avec le mécanisme national de prévention costaricien. Pendant cette session, il a également rencontré les autorités sénégalaises afin d’examiner les mesures prises par le Sénégal pour permettre au mécanisme national de prévention désigné de devenir opérationnel. Le Sous-Comité note en outre avec satisfaction que 18 mécanismes nationaux de prévention lui ont fait parvenir leur rapport annuel en 2011; ces rapports ont été publiés sur son site Web.

23.Pendant la période considérée, les membres du Sous-Comité ont accepté des invitations à participer à diverses réunions nationales, régionales et internationales concernant le Protocole facultatif en général (y compris les mécanismes nationaux de prévention) ou la désignation, l’établissement et le développement de ces mécanismes en particulier. Ces activités ont été organisées avec l’appui d’organisations de la société civile (notamment l’Association pour la prévention de la torture (APT), la Fédération internationale de l’ACAT (FIACAT), Penal Reform International (PRI) et le Groupe de contact du Protocole facultatif), des mécanismes nationaux de prévention, des organismes régionaux comme la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, le Comité pour la prévention de la torture en Afrique (CPTA), la Commission interaméricaine des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe, la Commission européenne et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ainsi que des organismes internationaux tels que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH). Au nombre de ces réunions figuraient:

a)Janvier 2011: Table ronde de haut niveau sur les conditions de détention dans l’Union européenne, organisée à Bruxelles par la Commission européenne;

b)Mars 2011: Atelier sur le Protocole facultatif, organisé à Amman (Jordanie) par le Bureau régional du HCDH pour le Moyen-Orient;

c)Mars 2011: Conférence internationale sur l’amélioration de l’efficacité des visites dans les lieux de détention (promotion de la collaboration), organisée à Washington par l’American University, Washington College of Law et l’APT;

d)Avril 2011: Séminaire sur l’application du Protocole facultatif et le mécanisme national de prévention, organisé au Burkina Faso par l’APT et la FIACAT;

e)Mai 2011: Série de consultations avec les autorités nationales et les représentants de la société civile, organisée au Brésil par l’APT;

f)Juin 2011: Conférence régionale sur le rôle de l’ombudsman dans la lutte contre la discrimination et la prévention de la torture, organisée par l’Ombudsman de l’ex-République yougoslave de Macédoine et le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE en ex-République yougoslave de Macédoine;

g)Juillet 2011: Dialogue national sur l’application du Protocole facultatif, organisé aux Maldives par l’APT et le Sous-Comité;

h)Juillet 2011: Séminaire sur le fonctionnement du mécanisme national de prévention sénégalais, organisé à Dakar par le CPTA;

i)Septembre 2011: Conférence régionale de haut niveau sur le rôle des institutions nationales des droits de l’homme dans la prévention de la torture en Afrique, organisée à Rabat par l’APT et le Conseil national des droits de l’homme du Maroc;

j)Septembre 2011: Conférence sur le Protocole facultatif et l’ombudsman, organisée en Pologne par l’Institut international de l’Ombudsman;

k)Septembre 2011: Réunion parallèle du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE sur les mécanismes nationaux de prévention au Kazakhstan et au Kirghizistan, organisée en Pologne par Penal Reform International;

l)Octobre 2011: Conférence sur la prévention de la torture et la mise en place des mécanismes nationaux de prévention en Argentine, organisée par l’APT;

m)Novembre 2011: Forum mondial sur le Protocole facultatif, organisé à Genève par l’APT;

n)Novembre 2011: Séminaire sur l’identification des mécanismes nationaux pour la prévention de la torture et autres mauvais traitements, organisé à Addis-Abeba par les Universités de Bristol et de Pretoria et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples;

o)Novembre 2011: Séminaire sur l’établissement d’un mécanisme national de prévention cambodgien, organisé à Phnom Penh par le HCDH;

p)Novembre 2011: Série de consultations pour la région des Amériques sur la coopération entre les mécanismes des droits de l’homme de l’ONU et les mécanismes régionaux en matière de prévention de la torture, organisée à Washington par le HCDH et la CIDH;

q)Décembre 2011: Série de consultations pour la région européenne sur la coopération entre les mécanismes des droits de l’homme de l’ONU et les mécanismes régionaux en matière de prévention de la torture, organisée à Genève par le HCDH.

24.Dans le cadre du projet du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne sur les mécanismes de prévention de la torture en Europe, mis en œuvre en collaboration avec l’APT, le Sous-Comité a participé à quatre ateliers thématiques sur: a) la sécurité et la dignité dans les lieux de privation de liberté, en France (mars 2011); b) les méthodes de collecte, de vérification et de double vérification des informations relatives aux (risques de) mauvais traitements dans les lieux de privation de liberté, en Estonie (juin 2011); c) la protection des personnes appartenant à un groupe particulièrement vulnérable dans les lieux de privation de liberté, en Azerbaïdjan (octobre 2011); d) les questions médicales, en Pologne (décembre 2011). Il a également participé à deux visites sur le terrain avec échange de données d’expérience menées avec: a) le mécanisme national de prévention albanais, en juin-juillet 2011, et b) le mécanisme national de prévention arménien, en octobre 2011. Le Sous-Comité a aussi participé à des consultations sur le mécanisme national de prévention ukrainien à Kiev en octobre 2011 et à la troisième réunion annuelle des responsables de mécanismes nationaux de prévention en Slovénie en décembre 2011.

25.Le Sous-Comité souhaite saisir cette occasion pour remercier les organisateurs de ces réunions de l’avoir invité à y participer.

F.Contributions au Fonds spécial établi conformémentaux dispositions de l’article 26 du Protocole facultatif

26.Au 31 décembre 2011, les contributions suivantes avaient été versées au Fonds spécial établi en vertu du Protocole facultatif: 29 704,98 dollars des États-Unis par la République tchèque; 5 000 dollars des États-Unis par les Maldives; 82 266,30 dollars des États-Unis par l’Espagne et 855 263,16 dollars des États-Unis par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Le tableau ci-après récapitule les contributions faites à ce jour.

Contributions reçues de 2008 à 2011

Donateurs

Montant (en dollars É.-U.)

Date de réception

Maldives

5 000,00

27 mai 2008

République tchèque

10 000,00

16 novembre 2009

République tchèque

10 271,52

27 décembre 2010

République tchèque

9 433,46

12 octobre 2011

Espagne

25 906,74

16 décembre 2008

Espagne

29 585,80

10 novembre 2009

Espagne

26 773,76

29 décembre 2010

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

855 263,16

20 juin 2011

27.Le Sous-Comité souhaite exprimer sa gratitude à ces États pour leurs généreuses contributions.

28.Comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 26 du Protocole facultatif, le Fonds spécial a pour but d’aider à financer l’application des recommandations du Sous-Comité et les programmes d’éducation des mécanismes nationaux de prévention. Le Sous-Comité est convaincu que le Fonds spécial peut constituer un outil précieux pour le renforcement de la prévention et se félicite donc qu’un plan ait été adopté pendant la période considérée pour le rendre opérationnel. Le Fonds spécial est géré par le HCDH (dont le Comité des subventions fait office d’organe consultatif pour la Haut-Commissaire aux droits de l’homme) conformément aux règlements financiers et règles de gestion financière de l’ONU et aux politiques et procédures pertinentes promulguées par le Secrétaire général. Ce plan provisoire sera revu en 2012. Le Sous-Comité est heureux d’annoncer que l’Administration du Fonds spécial consultera le Sous-Comité selon les modalités suivantes: 1) le Sous-Comité définira chaque année les priorités thématiques pour les demandes annuelles de financement, probablement par pays, en vue de la mise en œuvre des recommandations contenues dans les rapports de visite du Sous-Comité; 2) le Bureau du Sous-Comité sera tenu informé des demandes reçues et des subventions accordées; les membres du Sous-Comité pourront être consultés sur les questions découlant des demandes et, au cas où des questions additionnelles seraient soulevées et selon que de besoin, une réunion pourra être tenue avec le Président du Sous-Comité. Le Sous-Comité a défini les priorités thématiques suivantes pour le cycle en cours: notification des droits fondamentaux des détenus dans une langue qu’ils comprennent; amélioration des activités récréatives et/ou de formation professionnelle destinées aux jeunes détenus; exécution de programmes de formation de base pour le personnel des centres de détention (comprenant un volet sur les soins de santé); et prise en compte de toute recommandation concrète formulée dans les rapports de visite appelant l’attention sur des besoins pressants et impérieux. Les détails complets de ce plan ont été publiés par le Secrétaire général dans son rapport à l’Assemblée générale et au Conseil des droits de l’homme sur les activités du Fonds spécial (A/65/381). Le Sous-Comité a bon espoir que la mise en œuvre du plan susmentionné encouragera d’autres contributions au Fonds spécial.

III.Collaboration avec d’autres organes dans le domainede la prévention de la torture

A.Coopération internationale

1.Coopération avec d’autres organismes des Nations Unies

29.Conformément aux dispositions du Protocole facultatif, le Président du Sous-Comité a présenté le quatrième rapport annuel du Sous-Comité au Comité contre la torture en séance plénière, le 10 mai 2011. En outre, le Sous-Comité et le Comité ont mis à profit leurs sessions simultanées de novembre 2011 pour examiner une série de questions d’intérêt commun, telles que le concept de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l’orientation stratégique du Sous-Comité pour 2012, les modalités d’échange d’informations entre les deux organes conventionnels et la méthodologie applicable en ce qui concerne les dispositions du Protocole facultatif concernant les deux organes.

30.En application de la résolution 65/205 de l’Assemblée générale, en date du 28 mars 2011, le Président du Sous-Comité a présenté le quatrième rapport annuel du Sous-Comité (CAT/C/46/2) à l’Assemblée générale à sa soixante-sixième session, en octobre 2011, à New York. Il a pu également à cette occasion échanger des renseignements avec le Président du Comité contre la torture et le Rapporteur spécial sur la torture, qui s’étaient aussi adressés à l’Assemblée générale à cette session.

31.Le Sous-Comité a continué de participer activement aux réunions intercomités (groupe de travail intercomités sur le suivi, 12-14 janvier 2011, et douzième réunion intercomités, 27-29 juin 2011, à Genève) et aux réunions des présidents des organes conventionnels de l’ONU (dont la dernière en date a eu lieu à Genève du 30 juin au 1er juillet 2011). Dans ce contexte, un communiqué commun des présidents des organes conventionnels de l’ONU a été publié à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de l’adoption de la Déclaration sur le droit au développement. Le Sous-Comité a également pris part à la réunion commune des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales. En réponse à l’appel de la Haut-Commissaire tendant à renforcer le système conventionnel et comme suite aux précédentes réunions d’experts consacrées aux activités des organes conventionnels, le Sous-Comité a participé à deux réunions informelles de consultation technique avec les États parties sur le thème du renforcement des organes conventionnels, la première à Sion (Suisse) en mai 2011, et la seconde à Dublin (Irlande) en novembre 2011. Il a également pris part à plusieurs activités du HCDH, parmi lesquelles l’atelier international sur le rôle de la prévention dans la promotion et la protection des droits de l’homme, tenu à Genève en mai 2011.

32.Le Sous-Comité a continué de coopérer avec le Rapporteur spécial sur la torture, par exemple à travers sa participation à une consultation régionale sur le suivi des visites du Rapporteur spécial dans les pays, qui a eu lieu à Santiago du Chili (Chili) en juin 2011.

33.Le Sous-Comité s’est associé au Comité contre la torture, au Rapporteur spécial sur la torture et au Conseil d’administration du Fonds de contributions volontaires pour les victimes de la torture pour signer la déclaration commune publiée le 26 juin 2011, à l’occasion de la Journée internationale de soutien aux victimes de la torture.

34.Le Sous-Comité a poursuivi sa coopération avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, l’Organisation mondiale de la santé et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime.

2.Coopération avec d’autres organisations internationales compétentes

35.Dans le cadre de leur coopération, le Sous-Comité et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ont tenu une réunion plénière pendant la session du Sous-Comité en février 2011 et une réunion de travail informelle consacrée aux documents directifs du CICR sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés à des personnes privées de liberté, à Genève en juin 2011.

B.Coopération régionale

36.Par l’intermédiaire de ses coordonnateurs chargés de la liaison avec les organismes régionaux, le Sous-Comité a poursuivi sa coopération avec les autres partenaires dans le domaine de la prévention de la torture, tels que la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, la Commission interaméricaine des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe, la Commission européenne et le Bureau des institutions démocratiques des droits de l’homme de l’OSCE. Le 6 juillet 2011, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a rencontré des membres du Bureau du Sous-Comité, avec lesquels il a examiné les moyens de renforcer la coopération entre les deux organes.

C.Société civile

37.Le Sous-Comité a continué de bénéficier du soutien essentiel des acteurs de la société civile que sont le Groupe de contact du Protocole facultatif (présent pendant la session de février) et les institutions universitaires (notamment les universités de Bristol et de Pretoria, ainsi que l’Université de l’État de l’Arizona, et plus particulièrement le Centre de droit et de relations internationales du collège universitaire Sandra Day O’Connor), tant pour la promotion du Protocole facultatif et de sa ratification que pour la mise en œuvre des activités du Sous-Comité.

IV.Questions notables découlant des travaux du Sous-Comité pendant la période considérée

A.Perfectionnement des méthodes de travail du Sous-Comité

38.Dans ses précédents rapports annuels, le Sous-Comité avait noté que le nombre limité de ses membres et ses ressources restreintes l’empêchaient de développer tous les aspects de son mandat comme il l’aurait voulu. Il se félicite donc de l’augmentation du nombre de ses membres, qui lui permet désormais d’élargir et d’approfondir ses activités.

39.Comme noté plus haut dans la section II.B, le Bureau du Sous-Comité, soucieux d’accroître son efficacité, s’est davantage concentré sur l’ensemble des aspects de son mandat définis à l’article 11 du Protocole facultatif. Sous la direction du Président du Sous-Comité, les quatre vice-présidents, qui rendent compte à la plénière, sont désormais responsables au premier chef des domaines d’activité suivants: mécanismes nationaux de prévention, M. Coriolano; visites, M. Hájek; relations extérieures, Mme Jabbour; jurisprudence, Mme Muhammad. Le Sous-Comité espère que la désignation d’interlocuteurs principaux facilitera la communication avec les partenaires extérieurs et contribuera à rationaliser les processus internes de prise de décisions et de répartition des responsabilités.

40.En plus du changement dans le mode de fonctionnement du Bureau, le Sous-Comité a mis en place des équipes spéciales régionales pour assurer une collaboration plus étroite et plus structurée avec les mécanismes nationaux de prévention. Pour les besoins de ses activités internes, le Sous-Comité a réparti les États parties en quatre régions: Afrique, Amérique latine, Asie-Pacifique et Europe. Chacune des équipes spéciales est conduite par un coordonnateur régional et assistée par une équipe chargée des mécanismes nationaux de prévention composée de membres auxquels sont confiées des responsabilités pour des pays déterminés. Chaque équipe chargée des mécanismes nationaux de prévention comprend à la fois des membres du Sous-Comité appartenant à la région et des membres issus d’autres régions. Dans la désignation des membres de ces équipes, il a également été tenu compte du sexe, de l’expérience et des qualifications ainsi que, dans la mesure du possible, de la maîtrise d’une langue de travail commune. En outre, le nombre des membres de chaque équipe chargée des mécanismes nationaux de prévention tient compte du nombre d’États dans la région concernée ainsi que de la réalité de la composition du Sous-Comité et de ses disponibilités. Le Sous-Comité espère que ce changement rendra sa collaboration avec les mécanismes nationaux de prévention plus constructive et plus dynamique. Les différentes équipes se réuniront séparément à chaque session du Sous-Comité pour procéder à un examen détaillé de la situation concernant les mécanismes dans leur région et conseilleront la plénière en conséquence.

41.On s’attendait généralement à ce que l’augmentation du nombre de membres du Sous-Comité se traduise par la conduite d’un nombre accru de visites, ceci constituant, selon le Protocole facultatif, la justification d’une telle augmentation. Toutefois, comme le manque de ressources a rendu cela impossible pendant la période considérée et vu la nécessité de faire en sorte que tous les membres aient, aussitôt que possible, une expérience concrète du mandat du Sous-Comité relatif aux visites, il a été décidé d’augmenter le nombre des membres participant à chaque visite en 2011. Cette mesure a beaucoup aidé les nouveaux membres du Sous-Comité élargi à se familiariser avec les activités de celui-ci mais elle a posé un véritable défi au Sous-Comité, à son secrétariat, au HCDH et aux États parties sur les plans de l’organisation et de la logistique. Comme il y a tout lieu de craindre que les ressources disponibles ne permettront pas d’augmenter le nombre de visites régulières, le Sous-Comité envisage de conduire ces visites selon des méthodes novatrices. Il a ainsi décidé de chercher, dans la mesure du possible, à mener de front les différentes activités correspondant aux divers aspects de son mandat de prévention: visites régulières, visites de suivi, contacts initiaux avec les nouveaux États parties et collaboration avec les mécanismes nationaux de prévention. De plus, le Sous-Comité a adopté une méthode pour le dialogue faisant suite à ses visites et créé des groupes de travail qui seront chargés de conduire et de coordonner ses activités concernant les pays dans lesquels il s’est déjà rendu. Ce mécanisme aidera en outre les membres du Sous-Comité à se tenir au courant de la situation dans les différents pays. Enfin, le Sous-Comité a décidé d’étudier la possibilité d’inviter des représentants des États parties dont il attend une réponse à le rencontrer.

42.Afin de développer sa jurisprudence et d’établir des lignes directrices, le Sous-Comité a élaboré une méthode de travail consistant à définir les questions à approfondir en fonction des visites, des rapports et de la correspondance. À cet effet, l’accent a été mis en 2011 sur l’importance de l’éducation relative aux droits de l’homme dans la prévention de la torture et sur la relation entre la lutte contre la corruption et la prévention de cette pratique. Les autres questions que le Sous-Comité souhaite mettre en évidence ont trait à la santé mentale et à la détention, à la prévention de la torture dans les prisons par la mise en place d’un contrôle judiciaire et la garantie d’une procédure équitable, et au lien existant entre l’aide juridictionnelle, un système public de défense et la prévention de la torture. En outre, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme ayant lancé un programme pour la commémoration du vingt-cinquième anniversaire de la Déclaration sur le droit au développement en 2011, le Sous-Comité a jugé opportun de mettre en lumière la relation entre le droit au développement et la prévention de la torture.

43.L’augmentation du nombre de ses membres a imprimé au Sous-Comité une nouvelle dynamique et l’a préparé à travailler d’une manière qui, pratiquement, était impossible auparavant. Tout en formant l’espoir de continuer à progresser et d’exécuter son mandat avec plus de vigueur, le Sous-Comité tient à noter que le manque de temps et les contraintes logistiques et budgétaires constituent les principaux obstacles à l’élaboration de méthodes novatrices qui permettraient de mieux mettre à profit les capacités de tous les membres aux fins de l’exécution de son mandat.

44.En l’état actuel des ressources, les 61 États aujourd’hui parties au Protocole facultatif ne pourraient faire l’objet d’une visite complète qu’une fois tous les vingt ans. Cette situation préoccupe vivement le Sous-Comité étant donné que ces visites sont l’un des moyens les plus visibles et les plus efficaces pour lui de s’acquitter de son mandat de prévention. Ce manque de ressources nuit aussi à l’efficacité de la collaboration du Sous-Comité avec les mécanismes nationaux de prévention qui sont des partenaires essentiels dans les activités de prévention de la torture.

45.Le Sous-Comité voudrait aussi souligner le fait qu’en raison des contraintes budgétaires, le secrétariat, qui a une influence directe sur la qualité de son travail, est actuellement en grave sous-effectif. L’important élargissement du Sous-Comité et l’alourdissement de sa charge de travail n’ont pas été accompagnés par un accroissement proportionnel des effectifs du secrétariat, qui n’ont que très faiblement augmenté. L’appui administratif dont bénéficie le Sous-Comité est de plus en plus près de ses limites, malgré l’inventivité déployée pour trouver des modes de fonctionnement plus rationnels. Le Sous-Comité encourage donc les États parties à envisager de venir en aide au secrétariat en lui affectant du personnel détaché, comme certains l’ont fait dans le passé.

B.Mise en place de groupes de travail

46.En 2011, le Sous-Comité a décidé que le groupe de travail sur les questions de sécurité serait placé sous l’autorité du Vice-Président chargé des visites, M. Hájek. Cette décision a été prise dans le but de régler les problèmes rencontrés sur le terrain en ce qui concerne les arrangements de sécurité, notamment le rôle des agents de sécurité; elle procédait d’une reconnaissance de la nécessité d’améliorer la coopération et la coordination avec les agents de sécurité de l’ONU, de renforcer l’autodiscipline des membres du Sous-Comité et de prendre davantage en compte le lieu et les spécificités culturelles dans la manière d’aborder les codes vestimentaires.

47.De même, tenant compte de la nécessité d’élaborer des normes de soins de santé spécifiques pour les lieux de détention, le Sous-Comité a décidé de constituer un groupe de travail chargé des questions médicales incluant des membres du Sous-Comité issus des milieux médicaux, et dont feraient partie ultérieurement d’autres catégories professionnelles. Il a également décidé de charger ce groupe de travail d’organiser en 2012, dans le cadre de la plénière, un débat sur la question des visites aux personnes souffrant de troubles ou de handicaps mentaux.

C.Questions découlant des visites

48.Pendant l’année considérée, le Sous-Comité a relevé à l’occasion de ses visites plusieurs questions auxquelles il réfléchit actuellement et sur lesquelles il souhaite appeler l’attention. Pour faciliter cette réflexion, le Sous-Comité a produit une série de documents qui sont passés en revue ci-après et dont le texte intégral peut être consulté au moyen du lien Internet fourni dans le présent document. Il appelle de ses vœux la contribution de tous ceux qui pourraient l’aider dans sa réflexion.

49.Jusqu’à présent, le Sous-Comité a surtout visité des lieux de détention classiques, mais avec l’augmentation du nombre de ses membres et l’élargissement de l’éventail des compétences qui en résulte, il s’est employé, en 2011, à renforcer ses activités dans les autres lieux de détention, notamment les centres pour immigrants et les centres de réadaptation médicale. Conformément au mandat qui lui est conféré, il espère pouvoir continuer dans cette voie en 2012.

50.La taille des délégations effectuant les visites s’est accrue avec l’augmentation du nombre des membres du Sous-Comité, ce qui s’est traduit par de nombreux problèmes logistiques pour planifier et réaliser ces visites. De plus, le temps passé par les délégations dans certains lieux de détention a été jugé insuffisant; le Sous-Comité essayera de répondre à cette préoccupation, mais il faut garder à l’esprit certaines contraintes (liées aux services d’interprètes et aux moyens de transport, par exemple) qui font qu’il est très difficile de trouver un juste équilibre. Cela dit, la taille des délégations leur a permis de se séparer en plusieurs équipes et de visiter ainsi plus de lieux de détention que par le passé.

1.Santé mentale et détention

51.Les personnes souffrant de problèmes de santé mentale et de handicaps intellectuels sont, dans de nombreux pays, au plus bas de l’échelle sociale. La discrimination, les préjugés, la privation des droits fondamentaux et les atteintes à leur dignité sont fréquents. La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, adoptée en 2006, a rendu possible un véritable changement d’attitude à l’égard de ces personnes qui ne sont plus considérées comme de simples objets de pitié ayant besoin de soins, de protection et d’actions charitables mais comme des sujets auxquels sont reconnus tous les droits de l’homme, sur un pied d’égalité. La surveillance des établissements de santé mentale occupera une place croissante dans les activités futures du Sous-Comité.

52.À cet effet, le Sous-Comité a élaboré un document de travail récapitulant les points essentiels à surveiller tels que les conditions de vie des patients, les soins de santé générale pour les malades mentaux, l’éventail des traitements psychiatriques, les moyens de contention pour les patients agités et/ou violents, les garanties juridiques et éthiques en cas d’internement forcé, la tenue de registres, le secret médical et le consentement éclairé, la disponibilité d’un personnel qualifié (psychiatres, infirmiers psychiatriques et thérapeutes), les possibilités de formation pour le personnel, la participation des patients aux activités de recherche, la stérilisation et l’interruption de grossesse sans le consentement de la patiente. Des méthodes pour observer et questionner les patients et le personnel sont suggérées, avec une liste détaillée des questions à poser lors de la visite. Une attention particulière devrait être accordée aux méthodes de traitement surannées, telles que l’emploi excessif de la thérapie électroconvulsive, la surdose de médicaments psychopharmacologiques, l’isolement et la contention physique qui sont parfois utilisés (sous prétexte de soigner) pour punir le patient ou pour pallier l’absence de moyens modernes de traitement comme la psychothérapie, les services de psychiatrie sociale dans la communauté et les programmes de réadaptation sociale.

53.La surveillance a pour but principal de prévenir la discrimination, la privation des droits de l’homme, la négligence et les mauvais traitements. Elle suppose de suivre la politique du pays en matière de santé mentale et d’allocation de fonds, l’objectif étant de déterminer si l’idéologie dépassée de la ségrégation et du maintien des patients dans de grandes institutions est en voie d’être remplacée par des services plus communautaires. L’accent devrait aussi être mis sur la sensibilisation du public aux droits et aux besoins des personnes atteintes de problèmes de santé mentale de façon à en finir avec les stéréotypes, les peurs et les préjugés qui accompagnent la maladie mentale.

2.Prévention de la torture dans les prisons par l’application d’une procédurede contrôle judiciaire et de normes garantissant une procédure équitable

54.Le risque de torture et autres mauvais traitements dans les lieux de détention, en particulier dans les prisons pour adultes et pour mineurs, est plus grand lorsque prévaut l’idée erronée que le respect des règles d’équité s’arrête lorsqu’une personne est condamnée et ne couvre pas les conditions de détention et le régime pénitentiaire. La fréquence de la torture étant étroitement liée au cadre juridique qui régit les lieux de détention, au traitement des plaintes et à la surveillance de ces lieux, il est capital que les États se dotent de procédures judiciaires appropriées et complètes pour assurer la surveillance et le contrôle de l’administration d’une prison, aussi bien dans le cas des condamnés que dans celui des personnes en détention provisoire.

55.Dans le cas précis des prisons, divers facteurs culturels, tels que l’idée que les prisonniers ne font pas partie de la société ou sont des personnes dangereuses, et les réactions des médias au problème de l’insécurité publique contribuent au délaissement et à la vulnérabilité des personnes exécutant des peines d’emprisonnement ou en détention avant jugement.

56.Du point de vue juridique, l’incapacité d’apporter une protection suffisante aux prisonniers est mise en évidence par le fait que les droits fondamentaux que les prisonniers gardent en général pendant leur incarcération ne sont pas clairement définis. Il est nécessaire de préciser dès le début de la détention que seuls certains droits des détenus sont suspendus ou restreints. En outre, les droits que les autorités pénitentiaires sont tenues d’assurer doivent être définis et garantis.

57.L’absence d’un cadre juridique − tant sur le plan des structures que sur celui de la procédure − favorise l’impunité, de nouvelles violations des droits de l’homme et l’absence des garanties nécessaires à la réalisation des droits des prisonniers, et en accroît le risque. Ces garanties comprennent l’existence d’organes et de mécanismes de protection. Il est souvent dit que «les lois sont bonnes mais ce qui fait défaut c’est leur application». Toutefois, le problème n’est pas seulement d’ordre pratique, il tient aussi à des lacunes dans les normes qui devraient garantir l’accès des détenus à des organes procéduraux et à des recours leur permettant de faire valoir leurs droits. En réalité, les prisonniers ont «des droits qui ne sont pas assortis de garanties».

58.Le Sous-Comité tient à souligner qu’il a l’intention de se pencher sur la question du respect des règles d’équité et des procédures de contrôle judiciaire dans les lieux de détention autres que ceux relevant du système de justice pénale, par exemple les lieux où sont placés des malades mentaux et d’autres personnes.

3.Droit au développement et prévention de la torture

59.La Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement adoptée par l’Assemblée générale il y a vingt-cinq ans, le 4 décembre 1986, dispose que le droit au développement

«est un droit inaliénable de l’homme en vertu duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés, et de bénéficier de ce développement».

60.L’année en cours marque le vingt-cinquième anniversaire de la Déclaration sur le droit au développement. Ce droit est reconnu dans plusieurs instruments internationaux, notamment la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Il a, par la force des choses, une vaste portée et requiert la promotion et la protection des droits et des libertés fondamentaux.

61.Dans le préambule de la Déclaration, l’Assemblée générale a à l’esprit les buts et les principes de la Charte des Nations Unies consistant à promouvoir et à encourager le respect des droits de l’homme sans distinction. Il va de soi que le respect des droits de l’homme ne saurait être développé ou encouragé lorsque la torture ou d’autres mauvais traitements sont pratiqués à l’encontre de personnes privées de liberté ou que ces pratiques sont tolérées.

62.Les activités de prévention de la torture du Sous-Comité s’inscrivent dans le cadre d’une interprétation intégrée et équilibrée du droit au développement. Elles contribuent en outre largement à la sensibilisation. Chacun sait que le développement ne se limite pas à des aspirations ou des objectifs purement économiques mais s’inscrit dans une perspective globale, aux niveaux national et international. La démocratie, le développement et les droits de l’homme sont donc interdépendants et se renforcent mutuellement. Le Sous-Comité s’occupe activement du caractère multidimensionnel du développement et des droits de l’homme dans les activités de prévention qu’il mène avec les États parties et les mécanismes nationaux de prévention au titre du Protocole facultatif. Dans l’exercice de son mandat, il s’inspire de la Charte et de ses principes, des normes des Nations Unies concernant les personnes privées de liberté et des principes énoncés dans le Protocole facultatif. Non seulement il collabore efficacement avec les autorités nationales mais il procède à des activités de recherche sur plusieurs questions importantes touchant la détention.

63.L’action menée par les mécanismes nationaux de prévention et le Sous-Comité, à travers le système national et international de visites régulières dans les lieux de détention, contribue de manière effective à la réalisation des objectifs de prévention et de développement par la mise en œuvre d’activités de renforcement des capacités, de formation et d’éducation ainsi que de mesures législatives, administratives, judiciaires et autres. Ensemble, ils favorisent la mise en place de systèmes durables fondés sur la transparence, la responsabilisation et la primauté du droit.

V.Questions de fond

64.Dans la présente section, le Sous-Comité souhaite donner son point de vue sur plusieurs questions importantes pour l’exercice de son mandat.

A.Importance de l’éducation dans le domaine des droits de l’homme pour la prévention de la torture

65.Tous les États parties au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants («le Protocole facultatif») et à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants («la Convention») ont l’obligation de prévenir la torture et les mauvais traitements, qu’ils soient commis par des agents publics ou par des particuliers.

66.Selon le Sous-Comité, l’obligation de prévenir la torture et les mauvais traitements englobe «le plus grand nombre possible des éléments qui, dans une situation donnée, peuvent contribuer à réduire la probabilité ou le risque de torture ou de mauvais traitements».

67.Il importe de noter que le principe de précaution met l’accent sur les causes qui conduisent à la violation des droits de l’homme. Les causes profondes de la torture et des mauvais traitements, qui se situent à différents niveaux, sont notamment les suivantes:

a)Au niveau macrosocial, on trouve, par exemple, l’acceptation et la tolérance par la société de la violence comme moyen de «résoudre» les conflits; la légitimation sociale de politiques réprimant sévèrement toute infraction; le manque de volonté politique d’éliminer la pratique de la torture; l’établissement de rapports de force hiérarchiques fondés sur l’infériorisation, la dévalorisation, l’occultation, la diabolisation et la déshumanisation de divers groupes de population, comme les personnes accusées d’avoir commis des infractions politiques ou des infractions de droit commun, les immigrants, les femmes, les personnes handicapées, les minorités ethniques, religieuses et sexuelles, les personnes à faible revenu, les jeunes, les enfants et les personnes âgées; et le fait qu’une partie de la population connaisse mal et ne s’approprie guère les droits de l’homme;

b)Au niveau intermédiaire, on trouve la non-reconnaissance par l’État de l’existence de la torture et l’impunité dont jouissent les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements qui sont dans bien des cas récompensés par les pouvoirs politiques et/ou économiques; la non-dénonciation des actes de torture et des mauvais traitements, l’absence de protection des victimes de la torture et l’absence de réparation; la non-conformité du cadre normatif national aux normes internationales interdisant la torture et prévoyant des garanties pour les personnes privées de liberté et, souvent, dans les cas où il existe une législation, sa non-application dans la pratique; l’insuffisance de la formation aux droits de l’homme dispensée aux membres des professions judiciaires, au personnel pénitentiaire, aux responsables de l’application des lois, aux professionnels de santé, aux travailleurs sociaux et aux enseignants, entre autres; et les liens entre torture et corruption;

c)Au niveau microsocial, c’est-à-dire dans les lieux de privation de liberté au sens le plus large, on trouve des infrastructures et des installations où les conditions vont du délabrement à l’inhumanité la plus complète; la surpopulation; l’emploi et les conditions de vie précaires du personnel de ces lieux; une tendance à exercer l’autorité de façon arbitraire; une corruption généralisée; et l’absence de contrôle extérieur.

68.La Déclaration des Nations Unies sur l’éducation et la formation aux droits de l’homme (ci-après «la Déclaration») dispose que l’éducation et la formation dans ce domaine «englobent l’ensemble des activités d’éducation, de formation, d’information, de sensibilisation et d’apprentissage visant à promouvoir le respect universel et effectif de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales». Elle souligne également que le fait de «permett[re] aux personnes de développer leurs connaissances, leurs compétences et leur compréhension de ces droits et [de] fai[re] évoluer leurs attitudes et comportements, en vue de leur donner les moyens de contribuer à l’édification et à la promotion d’une culture universelle des droits de l’homme» contribue à la prévention des atteintes aux droits de l’homme.

69.L’éducation et la formation dans le domaine des droits de l’homme sont un mécanisme clef pour prévenir la torture et les mauvais traitements en ce qu’ils peuvent contribuer à lutter contre les multiples causes profondes de ces actes.

70.L’intégration de l’éducation relative aux droits de l’homme à tous les niveaux de l’enseignement − préscolaire, primaire, secondaire et supérieur − est une mesure indispensable pour instaurer une culture de respect de ces droits dès le plus jeune âge et dans la vie quotidienne, de façon à favoriser la création d’un environnement propice à la prévention de toute violation des droits de l’homme, notamment de la torture et des mauvais traitements, et à promouvoir une gestion non violente des conflits, l’égalité et la non-discrimination, l’inclusion, le respect des différences, la solidarité et la valorisation de toutes les personnes ou tous les groupes de personnes.

71.La formation professionnelle dans les domaines du droit, des soins de santé, de la psychologie, du travail social, de l’anthropologie, de la politique publique, de la communication sociale et de l’éducation, entre autres, suppose une intégration transversale de l’éducation relative aux droits de l’homme dans l’enseignement, en tant que mécanisme efficace pour prévenir les violations de ces droits, y compris la torture. L’enseignement universitaire doit être complété par l’éducation continue, le recyclage et la formation en cours d’emploi dans le domaine des droits de l’homme.

72.Une attention particulière devrait être accordée à la formation dispensée aux policiers, aux militaires et au personnel pénitentiaire dans le domaine des droits de l’homme, en mettant l’accent, entre autres, sur leur rôle dans la protection des droits de l’homme, sur les cadres normatifs internationaux et leur application concrète au quotidien et sur les droits et garanties dont jouissent les personnes privées de liberté.

73.Tout aussi importante est la formation des professionnels du droit qui travaillent dans le domaine de l’administration de la justice pénale (procureurs, défenseurs publics, magistrats, avocats privés), des juges constitutionnalistes et des spécialistes de la santé et autres qui fournissent des services de médecine légale.

74.Il est essentiel de renforcer les espaces d’éducation relative aux droits de l’homme qui se créent en dehors du système officiel d’enseignement, ainsi que les initiatives d’éducation populaire qui permettent de toucher divers segments de la population.

75.L’éducation et la formation dans le domaine des droits de l’homme doivent être accessibles aux personnes qui sont privées de liberté ou dont la liberté est restreinte et aux membres de leur famille.

76.Pour garantir une approche globale de l’éducation et de la formation dans le domaine des droits de l’homme et en faire ainsi un outil de plus en plus efficace dans la prévention des violations des droits de l’homme, en général, et de la torture et des mauvais traitements, en particulier, il est essentiel de tenir compte des principes directeurs suivants:

a)Cohérence entre les programmes de formation, le contenu des cours, les matériels didactiques et les méthodes pédagogiques, les formulaires d’évaluation et l’environnement dans lequel se déroule l’enseignement/l’apprentissage;

b)Souplesse des programmes d’étude, qui doivent répondre aux besoins de tous les participants;

c)Équilibre entre les aspects physiques, mentaux, spirituels et affectifs du processus éducatif;

d)Approche pluridisciplinaire, critique et contextuelle, qui soit à la fois théorique et pratique et respecte la diversité (sexe, origine ethnique, âge, capacités, situation socioéconomique, orientation sexuelle, nationalité, religion, etc.);

e)Approche historique des droits de l’homme, mettant ceux-ci en relation avec les différentes parties prenantes;

f)Action coordonnée de la part des établissements d’enseignement, des organisations de la société civile, des organismes publics et des mécanismes internationaux pour la promotion des droits de l’homme.

B.Liens entre l’aide juridictionnelle, un système publicde défense et la prévention de la torture

77.Le droit d’être assisté par un avocat dès le début de la détention est une garantie importante pour prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ce droit va au-delà du simple accès à une aide juridictionnelle se limitant aux aspects techniques de la préparation d’une défense. En effet, la présence de l’avocat au poste de police peut non seulement dissuader les policiers d’infliger des actes de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, mais aussi constituer un appui essentiel à l’exercice des droits des personnes privées de liberté, notamment pour ce qui est de l’accès aux mécanismes de plainte.

78.La protection efficace du droit à l’assistance d’un conseil dépend de l’existence d’un modèle d’assistance juridictionnelle, quel qu’il soit, tendant à garantir que les avocats de la défense agissent librement et de manière indépendante, et soient techniquement qualifiés. Pour donner effet à ce droit, il est nécessaire de mettre en place un cadre juridique qui permette l’accès à une défense publique ou ex officio assurée par des avocats publics ou des avocats offrant des services gratuits, jouissant d’une indépendance fonctionnelle et d’une autonomie budgétaire de façon à garantir que tous les détenus soient défendus gratuitement, en temps opportun et de manière complète, dès leur arrestation. En outre, l’existence d’un système qui garantit l’égalité effective des armes entre le défenseur public − qu’il s’agisse d’un conseil dont les services sont fournis par l’État, d’un avocat intervenant à titre gracieux ou d’un système mixte −, le procureur public et les forces de police est essentielle.

79.Les restrictions touchant les ressources financières et humaines ont une incidence directe sur le système public de défense, dans la mesure où elles entraînent une surcharge de travail qui n’est pas compatible avec une protection efficace des intérêts de la personne privée de liberté. Ceci a été observé maintes fois par le Sous-Comité dans les pays où il s’est rendu, lors des nombreux entretiens qu’il a eus à la fois avec des détenus et avec des responsables appartenant à différents organismes publics et organisations de la société civile, et aussi à partir des renseignements recueillis et vérifiés au cours de ces visites.

80.Les avocats de la défense devraient rendre périodiquement visite à leurs clients en détention, afin de leur fournir des informations sur l’état d’avancement de l’affaire et d’avoir des entretiens confidentiels avec eux pour vérifier leurs conditions de détention et la manière dont ils sont traités. Ils doivent jouer un rôle actif dans la protection des droits des détenus. L’avocat, tout comme le juge et le procureur, occupe une place importante dans l’exécution des ordonnances d’habeas corpus.

81.La plupart des victimes d’actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont réticentes à dénoncer les mauvais traitements qu’elles ont subis par peur de représailles. Cela met les avocats dans une situation difficile dans la mesure où ils ne peuvent intenter une action en justice que s’ils ont le consentement de leur client. C’est pourquoi il est recommandé de créer une base de données nationale centralisée des allégations et des cas de torture et de mauvais traitements, dans laquelle figureraient les renseignements anonymes et confidentiels obtenus sous le sceau du secret professionnel. Une telle base de données constituerait une source d’information utile permettant de recenser les situations nécessitant une action urgente et pourrait aussi faciliter l’élaboration et l’adoption de mesures préventives. Les mécanismes nationaux de prévention et les autres organes ayant autorité pour mener des activités de prévention et traiter les plaintes concernant des actes de torture et des mauvais traitements devraient également avoir accès à ce type de registre national.

82.Les relations entre les avocats des services publics de défense et le mécanisme national de prévention devraient être fondées sur la complémentarité et la coordination. Les deux parties − qui assument institutionnellement des fonctions importantes en matière de prévention de la torture et des mauvais traitements − devraient donner suite aux différentes recommandations qu’elles reçoivent, échanger leurs programmes de travail et planifier les efforts qu’elles consacrent aux questions communes, notamment pour éviter des actes de représailles au lendemain des visites de surveillance.

VI.Perspectives

A.Exécution du mandat du Sous-Comité: une nouvelle approche

83.Comme mentionné plus haut, dans la section IV.A, les membres du Sous-Comité ont entrepris de mettre au point de nouvelles méthodes de travail tendant à renforcer la capacité du Sous-Comité à s’acquitter de son mandat comme suite à son élargissement. Cet effort porte sur la mise en place de systèmes rationnalisés de conseil et d’assistance aux États pour la création de mécanismes nationaux de prévention ou la collaboration avec ces mécanismes, l’élaboration de procédures plus formelles pour la conduite du dialogue avec les États après les visites, le développement de la jurisprudence du Sous-Comité et la liaison avec d’autres organismes nationaux, régionaux et internationaux. Le Sous-Comité reconnaît qu’il sera peut-être nécessaire d’améliorer les méthodes de travail élaborées récemment à la lumière de l’expérience acquise, afin de les rendre encore plus efficaces.

84.Tout en reconnaissant que l’augmentation du nombre de ses membres a rendu nécessaires des changements, le Sous-Comité s’est efforcé de faire en sorte que ces changements viennent renforcer ses réalisations passées. Il a cherché à mettre à profit cette situation pour devenir un organe ouvert sur l’extérieur, dynamique et à l’écoute des demandes en matière de prévention, tirant parti des connaissances et de l’expérience qu’il a accumulées. Dans le même temps, il reconnaît que la diversité des opinions et des approches peut poser des problèmes et qu’une démarche coordonnée, faisant fond sur les pratiques institutionnelles de l’ONU et du HCDH, est nécessaire à l’exécution du mandat particulier du Sous-Comité. Il est conscient que ses activités doivent avoir une utilité pratique, de façon à prendre en considération les besoins de différents systèmes, et à composer avec leurs spécificités.

85.Le Sous-Comité considère que la réalisation de son mandat de prévention dans le cadre de l’action de l’ONU et du HCDH lui permet de bénéficier d’un vaste éventail de connaissances; il continuera de s’efforcer de tirer le maximum de cet avantage. Il est tout à fait conscient des contraintes financières qui restreignent l’action du HCDH et limitent sa capacité d’apporter au Sous-Comité tous les services dont il a besoin. Il continuera de collaborer aussi étroitement que possible avec le HCDH dans l’année à venir, en vue de déterminer comment tirer le meilleur parti des ressources à sa disposition; sachant que, pour lui, la meilleure façon d’y parvenir est de renforcer sa capacité de faire preuve de souplesse opérationnelle dans les limites des ressources qui lui sont allouées.

B.Plan de travail pour 2012

86.Avec la nouvelle approche de la collaboration avec les mécanismes nationaux de prévention et des activités de suivi, le Sous-Comité espère s’acquitter toujours plus efficacement de son mandat. La nouvelle stratégie facilitera la mise en œuvre d’activités systématiques concernant les mécanismes nationaux de prévention et renforcera les possibilités de coopération avec ces mécanismes de sorte qu’il y ait avec eux un dialogue continu et constructif aux fins de la prévention. Ce processus sera mis à profit pour contacter, dans les meilleurs délais, les nouveaux États parties. Le Sous-Comité est de plus en plus convaincu que l’établissement de relations avec les États parties, dès leur adhésion au Protocole facultatif, peut en lui-même constituer un outil de prévention efficace.

87.Le Sous-Comité a répertorié une série de questions qu’il souhaite examiner durant la prochaine phase de ses activités. Parmi ces questions figurent celles de la torture en milieu carcéral, de la relation entre la justice traditionnelle et la justice autochtone, de la prévention de la torture et de la détention des migrants. Parmi les questions d’organisation et de procédure à examiner figurent l’harmonisation des méthodes de coopération avec d’autres organes, l’exploration des moyens d’appliquer l’article 16 de la Convention contre la torture lorsque des États refusent de coopérer et des circonstances dans lesquelles une telle mesure est opportune, l’étude de la possibilité d’établir des relations avec les organes régionaux des droits de l’homme et l’établissement de critères pour l’accès des États au fonds spécial.

88.À sa quinzième session, en novembre 2011, le Sous-Comité a décidé qu’il visiterait six pays en 2012. Les États parties qui seront visités sont l’Argentine, le Gabon, le Honduras, le Kirghizistan, la République de Moldova et le Sénégal. Dans le cas du Honduras, de la République de Moldova et du Sénégal, le Sous-Comité examinera plus particulièrement les questions liées aux mécanismes nationaux de prévention, comme le prévoit le Protocole facultatif.

89.Pour ce qui est du choix des pays à visiter, le Sous-Comité continue de procéder de façon rationnelle, en tenant compte de différents facteurs, parmi lesquels l’utilisation optimale des capacités du Sous-Comité élargi, l’emploi le plus efficace possible des ressources financières disponibles et une couverture appropriée des États parties. En outre, comme par le passé, le Sous-Comité tient dûment compte de la date de ratification, de la création de mécanismes nationaux de prévention, de la répartition géographique, de la taille de l’État et de la complexité de sa situation, de la surveillance préventive au niveau régional et des questions spécifiques/urgentes signalées.

Annexe VIII

Déclaration commune à l’occasion de la Journée internationale des Nations Unies de soutienaux victimes de la torture

26 juin 2012

Le Comité contre la torture, le Sous-Comité pour la prévention de la torture, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Conseil d’administration du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture ont publié, à l’occasion de la Journée internationale de soutien aux victimes de la torture, la déclaration dont le texte suit.

Un homme détenu arbitrairement s’adresse aux organes des droits de l’homme de l’ONU pour obtenir justice. Lorsque l’Organisation des Nations Unies se prononce en sa faveur, cet homme risque de graves représailles pour avoir dénoncé la violation de ses droits. Il est privé de soins médicaux, mis à l’isolement et peut-être battu par les autorités pénitentiaires.

Aujourd’hui, à l’occasion de la Journée internationale de soutien aux victimes de la torture, nous tenons à rappeler aux États qu’ils ont l’obligation de protéger les personnes qui sont dans cette situation et de veiller à ce qu’ils ne soient pas soumis à des représailles ou intimidés pour avoir coopéré avec des organes de l’ONU.

Chaque année, le Comité contre la torture et les experts indépendants nommés par le Conseil des droits de l’homme reçoivent des communications émanant de particuliers victimes d’actes de torture et des informations au sujet de violations présumées provenant de défenseurs des droits de l’homme et de membres de la société civile opérant dans toutes les régions du monde. De nombreux détenus, prenant d’énormes risques, trouvent le courage de faire part de l’expérience traumatisante qu’ils ont vécue du fait de leur soumission à la torture et à des mauvais traitements au Comité pour la prévention de la torture, et au Rapporteur spécial sur la question de la torture lors des visites qu’ils effectuent dans des centres de détention.

Chaque année, des centaines de centres de réadaptation, petits et grands, appuyés par le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture, fournissent une aide humanitaire, médicale et juridique indispensable à des milliers de victimes de la torture et aux membres de leur famille.

Ces victimes et ces défenseurs des droits de l’homme, qui nous permettent d’accomplir notre travail en nous faisant bénéficier de leurs précieuses compétences et en rapportant les souffrances qu’ils ont endurées, selon le cas, sont nombreux à faire l’objet d’actes d’intimidation et de représailles.

Les représailles exercées contre les personnes qui coopèrent avec les mécanismes des Nations Unies en vue d’assurer la protection et la promotion des droits de l’homme sont totalement inacceptables et constituent une violation du droit international et des obligations juridiques des États. Il faut se doter de moyens efficaces pour empêcher ces représailles et faire en sorte, lorsqu’elles sont exercées, que les personnes et les États impliqués en soient tenus responsables.

En vertu de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, les États sont tenus de prendre des mesures pour faire en sorte que les plaignants et les témoins ou toute autre personne ou organisation qui coopère avec le Comité soient protégés contre les mauvais traitements, l’intimidation ou les représailles. De même, le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants invite les États parties à s’acquitter pleinement de l’obligation − qui leur incombe en vertu du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture − de veiller à ce que les personnes que le Sous-Comité rencontre pendant ses visites ne soient pas sanctionnées pour avoir coopéré avec lui.

Tout en exhortant les États à mettre en place des centres ou des services de réadaptation où les victimes de la torture peuvent recevoir des soins et à apporter un appui à ces centres, l’Assemblée générale leur a aussi récemment demandé instamment d’assurer la sécurité de leur personnel et des patients.

À l’occasion de cette journée, nous exprimons notre solidarité à ceux qui, ayant souffert des pires formes de torture et de mauvais traitements, placent leur confiance dans les mécanismes des Nations Unies malgré le risque de représailles. Il est impératif que les États concrétisent leur engagement à lutter contre la torture par des mesures pour garantir que les victimes et les défenseurs des droits de l’homme qui collaborent avec les mécanismes des Nations Unies contre la torture ne soient pas soumis à des représailles et à de nouveaux abus.

Annexe IX

Exposé oral concernant les incidences sur le budget-programme de l’application de l’article 26 du Règlement intérieur du Comité contre la torture

1.Par sa décision du 1er juin 2012, le Comité contre la torture demande à l’Assemblée générale de l’autoriser à siéger une semaine supplémentaire à chacune de ses deux sessions annuelles (mai et novembre 2013 et mai et novembre 2014), soit, au total, quatre semaines additionnelles.

2.Le Comité est autorisé à siéger six semaines par année (deux sessions annuelles de trois semaines chacune). Par la résolution 65/204 de l’Assemblée générale, il avait été autorisé, à titre temporaire, à se réunir pendant deux semaines supplémentaires chaque année en 2011 et 2012 de façon à tenir deux sessions de quatre semaines par an.

3.Au cas où il serait approuvé, ce temps de réunion supplémentaire permettrait au Comité de continuer d’examiner deux rapports additionnels à chaque session, soit au total huit rapports additionnels pendant les deux années (2013 et 2014).

4.Ce temps additionnel permettrait également au Comité de continuer d’examiner, au minimum, cinq communications supplémentaires par session, soit au total 20 communications pendant les deux ans (2013 et 2014).

5.Enfin, ce temps de réunion supplémentaire permettrait également au Comité de continuer d’appliquer sa procédure facultative de présentation de rapports en adoptant en moyenne 10 listes supplémentaires de points à traiter par session, soit un total de 40 listes pendant les deux années (2013 et 2014). Cette procédure, qui consiste à transmettre une liste de points à traiter aux États parties avant la présentation de leur rapport au Comité, permet à ces derniers de présenter un rapport ciblé et de réduire le temps consacré à l’établissement des rapports et le coût de l’opération.

6.La présente demande a donc concrètement pour but de permettre au Comité de continuer 1) d’appliquer sa procédure facultative visant à aider les États à présenter leur rapport, 2) de réduire le nombre de rapports en souffrance ainsi que 3) de réduire le nombre de communications en attente d’examen, qui s’élève actuellement au nombre de 115.

7.Les activités à exécuter se rapportent au chapitre 24 (Droits de l’homme), au chapitre 2 (Services de conférence) et au chapitre 29E (Administration, Genève) du budget-programme pour les exercices biennaux 2012-2013 et 2014-2015.

8.Des crédits ont été inscrits dans le budget-programme pour 2012-2013 pour les coûts afférents aux frais de voyage et à l’indemnité journalière de subsistance des 10 membres du Comité devant participer à ses deux sessions ordinaires annuelles à Genève de quatre semaines chacune en 2012 et de trois semaines en 2013, ainsi qu’aux services de conférence dont a besoin le Comité.

9.Au cas où l’Assemblée générale approuverait la demande du Comité, des ressources pour tenir au total 40 séances additionnelles seraient nécessaires. Les réunions additionnelles du Comité nécessiteraient des services d’interprétation dans les langues officielles. Des comptes rendus analytiques seraient établis pour les 40 séances additionnelles. Ces séances additionnelles nécessiteraient un nombre estimatif de 600 pages additionnelles de documentation de présession, de 480 pages de documentation de session et de 680 pages de documentation d’après session, dont seulement 280 dans toutes les langues officielles, le reste devant être produit dans les trois langues de travail du Comité. Au cas où l’Assemblée générale accepterait la demande du Comité, des ressources additionnelles seraient nécessaires pour couvrir l’indemnité journalière de subsistance à verser aux membres du Comité pour les séances additionnelles; toutefois, aucun crédit additionnel ne serait nécessaire pour les frais de voyage.

10.Il y aurait des besoins supplémentaires en personnel du niveau P-3 pour vingt-huit mois de travail pendant les deux années (2013 et 2014), c’est-à-dire un apport de personnel temporaire (remplaçants et surnuméraire) au niveau P-3 à raison de quatorze mois par année.

11.Sur la base de l’expérience passée il faut, en moyenne, à un administrateur quatre semaines de travail pour l’examen par le Comité d’un rapport d’État partie, une semaine pour aider à élaborer et adopter une liste de points à traiter à transmettre avant la soumission du rapport et deux semaines pour aider le Comité à établir les analyses de pays, les projets de listes de points à traiter et les projets d’observations finales et pour le service des réunions de la session du Comité. Dans le cas d’une liste de points à traiter à transmettre à l’État partie avant la présentation de son rapport, cela inclut le travail de recherche et la compilation des sources d’information, l’élaboration d’un projet de listes avant la soumission du rapport et le service des réunions de la session correspondante du Comité. Pour les plaintes émanant de particuliers, cela inclut le travail de recherche, l’analyse juridique, y compris en ce qui concerne la cohérence et l’uniformité de la jurisprudence et l’élaboration des projets de décision ainsi que le service des réunions de la session du Comité. En outre, le membre du personnel aura à s’acquitter des tâches de secrétariat que lui confiera son superviseur. La surcharge de travail engendrée par l’octroi de ce temps de réunion supplémentaire pour l’examen de huit rapports supplémentaires d’États parties, l’adoption de 40 listes additionnelles de points à traiter avant la soumission du rapport et l’examen de 20 communications individuelles additionnelles nécessite cent douze semaines de travail pendant l’exercice biennal, ce qui correspond à vingt-huit mois de travail.

12.Le montant requis pour répondre aux besoins susmentionnés résultant de l’augmentation du temps de réunion du Comité s’élèverait à 1 021 950 dollars par an comme détaillé dans le tableau ci-après. Les ressources en question sont nouvelles et ne sont pas comprises dans le budget-programme pour 2012-2013. En conséquence, des crédits additionnels seraient nécessaires pour couvrir les coûts en 2013. Les dépenses de 2014 seraient inscrites dans le projet de budget-programme pour le prochain exercice biennal.

(Dollars des États-Unis)

2013

2014

I. Chapitre 24, Droits de l’homme

Indemnité de subsistance journalière additionnelle pour les membres du Comité (14 jours/an)

82 100

82 100

Personnel temporaire nécessaire (P-3) pour 14 mois/an

215 250

215 250

II. Chapitre 2, Affaires de l’Assemblée générale et Services de conférence

Service des réunions, interprétation et documentation

718 300

718 300

III. Chapitre 29E, Bureau des services centraux d’appui

Services d’appui

6 300

6 300

Total général

1 021 950

1 021 950

13.Des renseignements supplémentaires détaillés seront fournis lorsque le rapport du Comité contre la torture sera examiné par la Troisième Commission de l’Assemblée générale.

Annexe X

Décision du Comité pour demander à l’Assemblée générale, à sa soixante-septième session, d’approuver une prolongation de la durée de ses sessions en 2013 et 2014

1 er  juin 2012

1.À sa quarante-quatrième session, le Comité avait adopté une décision pour demander à l’Assemblée générale, à sa soixante-cinquième session, de l’autoriser à prolonger d’une semaine chacune de ses deux sessions de 2011 et de 2012, ce qui l’amènerait à siéger une semaine supplémentaire en mai et novembre 2011 et en mai et novembre 2012, soit quatre semaines supplémentaires au total. Dans sa résolution 65/204, l’Assemblée générale avait autorisé, à titre temporaire, la prolongation demandée.

2.En conséquence, le Comité siège actuellement huit semaines chaque année (deux sessions de quatre semaines), en application de la résolution susmentionnée de l’Assemblée générale.

3.À sa quarante-huitième session, le Comité a adopté une décision pour demander à l’Assemblée générale, à sa soixante-septième session, de l’autoriser à continuer de siéger une semaine supplémentaire à chacune de ses deux sessions de 2013 et 2014, ce qui l’amènerait à se réunir une semaine supplémentaire en mai et en novembre 2013 et en mai et en novembre 2014, soit quatre semaines supplémentaires au total.

4.Au cas où elle serait autorisée, cette prolongation du temps de réunion du Comité lui permettrait de continuer d’examiner, au minimum, deux rapports supplémentaires par session, pour un total de huit rapports pendant la période biennale 2013-2014; elle lui permettrait également d’examiner, au minimum, cinq communications émanant de particuliers supplémentaires pour un total de 20 communications pendant la période biennale 2013-2014. Elle lui permettrait enfin de continuer d’appliquer sa procédure facultative de présentation de rapports en adoptant en moyenne à chaque session 10 listes supplémentaires de points à traiter avant la présentation des rapports, pour un total de 40 listes pendant la période biennale 2013-2014. On se souviendra que cette procédure, couronnée de succès, consiste à transmettre une liste de points à traiter aux États parties avant la présentation de leur rapport au Comité, leur permettant ainsi de présenter des rapports plus ciblés dans les délais impartis et de réduire le temps consacré à la procédure de présentation de rapports et le coût de cette procédure.

5.La présente demande a donc concrètement pour but de permettre au Comité de continuer a) d’appliquer sa procédure facultative visant à aider les États à présenter leur rapport, b) de réduire le nombre de rapports en souffrance et c) de réduire le nombre de communications en attente d’examen qui s’élève actuellement à 115.

6.En application de l’article 26 du Règlement intérieur du Comité, un état des incidences sur le budget-programme de la décision du Comité a été distribué aux membres du Comité (exposé oral du 1er juin 2012). Le Comité demande à l’Assemblée générale, à sa soixante-septième session, d’approuver la présente requête et de lui allouer les ressources financières nécessaires pour lui permettre de se réunir une semaine supplémentaire à chacune de ses deux sessions de 2013 et 2014.

Annexe XI

Rapports en retard au 1er juin 2012

A.Rapports initiaux

État partie

Date à laquelle le rapport était attendu

1.Andorre

22 octobre 2007

2.Antigua-et-Barbuda

17 août 1994

3.Bangladesh

4 novembre 1999

4.Botswana

7 octobre 2001

5.Burkina Faso

2 février 2000

6.Cap-Vert

3 juillet 1993

7.Congo

30 août 2004

8.Côte d’Ivoire

16 janvier 1997

9.Guinée

8 novembre 1990

10.Guinée équatoriale

6 novembre 2003

11.Lesotho

11 décembre 2002

12.Liban

3 novembre 2001

13.Libéria

22 octobre 2005

14.Malawi

10 juillet 1997

15.Maldives

20 mai 2005

16.Mali

27 mars 2000

17.Mozambique

14 octobre 2000

18.Niger

3 novembre 1999

19.Nigéria

28 juin 2002

20.Pakistan

23 juillet 2011

21.Saint-Marin

27 décembre 2007

22.Saint-Vincent-et-les Grenadines

30 août 2002

23.Saint-Siège

25 juillet 2003

24.Seychelles

3 juin 1993

25.Sierra Leone

25 mai 2002

26.Somalie

22 février 1991

27.Swaziland

25 avril 2005

28.Thaïlande

1er novembre 2008

29.Timor-Leste

16 mai 2004

B.Rapports périodiques

État partie

Rapport

Date à laquelle le rapport était attendu

Date révisée

Afghanistan

Deuxième

Troisième

Quatrième

Cinquième

Sixième

25 juin 1992

25 juin 1996

25 juin 2000

25 juin 2004

25 juin 2008

Afrique du Sud

Deuxième

Troisième

Quatrième

9 janvier 2004

9 janvier 2008

9 janvier 2012

[31 décembre 2009]

Albanie

Troisième

Quatrième

Cinquième

9 juin 2003

9 juin 2007

9 juin 2011

[1er juin 2016]

Algérie

Quatrième

Cinquième

Sixième

11 octobre 2002

11 octobre 2006

11 octobre 2010

[20 juin 2012]

Andorre

Deuxième

22 octobre 2011

Antigua-et-Barbuda

Deuxième

Troisième

Quatrième

Cinquième

17 août 1998

17 août 2002

17 août 2006

17 août 2010

Arabie saoudite

Deuxième

Troisième

Quatrième

21 octobre 2002

21 octobre 2006

21 octobre 2010

Argentine

Cinquième

Sixième

25 juin 2004

25 juin 2008

[25 juin 2008]

[25 juin 2008]

Arménie

Quatrième

Cinquième

12 octobre 2006

12 octobre 2010

[1er juin 2016]

Australie

Quatrième

Cinquième

Sixième

6 septembre 2002

6 septembre 2006

6 septembre 2010

[30 juin 2012]

[30 Juin 2012]

Autriche

Sixième

27 août 2008

[14 mai 2014]

Azerbaïdjan

Quatrième

14 septembre 2009

[20 novembre 2013]

Bahreïn

Deuxième

Troisième

Quatrième

4 avril 2003

4 avril 2007

4 avril 2011

[4 avril 2007]

Bangladesh

Deuxième

Troisième

Quatrième

4 novembre 2003

4 novembre 2007

4 novembre 2011

Bélarus

Cinquième

Sixième

25 juin 2004

25 juin 2008

[25 novembre 2015]

Belgique

Troisième

25 juillet 2008

[21 novembre 2012]

Belize

Deuxième

Troisième

Quatrième

Cinquième

Sixième

25 juin 1992

25 juin 1996

25 juin 2000

25 juin 2004

25 juin 2008

Bénin

Troisième

Quatrième

Cinquième

10 avril 2001

10 avril 2005

10 avril 2009

[30 décembre 2011]

Bolivie (État plurinational de)

Troisième

Quatrième

11 mai 2008

11 mai 2012

Botswana

Deuxième

Troisième

7 octobre 2005

7 octobre 2009

Brésil

Deuxième

Troisième

Quatrième

Cinquième

Sixième

27 octobre 1994

27 octobre 1998

27 octobre 2002

27 octobre 2006

27 octobre 2010

Burkina Faso

Deuxième

Troisième

Quatrième

2 février 2004

2 février 2008

2 février 2012

Burundi

Troisième

Quatrième

Cinquième

19 mars 2002

19 mars 2006

19 mars 2010

Cambodge

Troisième

Quatrième

Cinquième

13 novembre 2001

13 novembre 2005

13 novembre 2009

[19 novembre 2014]

Cameroun

Cinquième

25 juin 2008

[14 mai 2014]

Cap-Vert

Deuxième

Troisième

Quatrième

Cinquième

3 juillet 1997

3 juillet 2001

3 juillet 2005

3 juillet 2009

Chili

Sixième

29 octobre 2009

[15 mai 2013]

Chine, y compris RAS deHong Kong et RAS de Macao

Cinquième

Sixième

2 novembre 2005

2 novembre 2009

[21 novembre 2012]

Chypre

Quatrième

Cinquième

16 août 2004

16 août 2008

Colombie

Cinquième

Sixième

6 janvier 2005

6 janvier 2009

[20 novembre 2013]

Congo

Deuxième

30 août 2008

Costa Rica

Troisième

Quatrième

Cinquième

10 décembre 2002

10 décembre 2006

10 décembre 2010

[30 juin 2012]

Côte d’Ivoire

Deuxième

Troisième

Quatrième

16 janvier 2001

16 janvier 2005

16 janvier 2009

Croatie

Quatrième

Cinquième

7 octobre 2004

7 octobre 2008

[7 octobre 2008]

[7 octobre 2008]

Cuba

Troisième

Quatrième

15 juin 2004

15 juin 2008

[1er juin 2016]

Djibouti

Deuxième

Troisième

5 décembre 2007

5 décembre 2011

[25 novembre 2015]

Égypte

Cinquième

Sixième

25 juin 2004

25 juin 2008

El Salvador

Troisième

Quatrième

16 juillet 2005

16 juillet 2009

[20 novembre 2013]

Espagne

Sixième

19 novembre 2008

[23 novembre 2013]

États-Unis d’Amérique

Cinquième

19 novembre 2011

[19 novembre 2011]

Éthiopie

Deuxième

Troisième

Quatrième

Cinquième

12 avril 1999

12 avril 2003

12 avril 2007

12 avril 2011

[19 novembre 2014]

ex-République yougoslave de Macédoine

Troisième

Quatrième

Cinquième

11 janvier 2003

11 janvier 2007

11 janvier 2011

[30 juin 2012]

Fédération de Russie

Sixième

25 juin 2008

Gabon

Deuxième

Troisième

7 octobre 2005

7 octobre 2009

Géorgie

Quatrième

Cinquième

27 novembre 2007

27 novembre 2011

[24 novembre 2011]

Ghana

Deuxième

Troisième

6 octobre 2005

6 octobre 2009

[3 juin 2015]

Guinée

Deuxième

Troisième

Quatrième

Cinquième

Sixième

8 novembre 1994

8 novembre 1998

8 novembre 2002

8 novembre 2006

8 novembre 2010

Guinée équatoriale

Deuxième

Troisième

6 novembre 2007

6 novembre 2011

Guyana

Deuxième

Troisième

Quatrième

Cinquième

Sixième

17 juin 1993

17 juin 1997

17 juin 2001

17 juin 2005

17 juin 2009

[31 décembre 2008]

Honduras

Deuxième

Troisième

Quatrième

3 janvier 2002

3 janvier 2006

3 janvier 2010

[15 mai 2013]

Hongrie

Cinquième

Sixième

25 juin 2004

25 juin 2008

[31 décembre 2010]

[31 décembre 2010]

Indonésie

Troisième

Quatrième

27 novembre 2007

27 novembre 2011

[30 juin 2012]

Irlande

Deuxième

Troisième

11 mai 2007

11 mai 2011

[3 juin 2015]

Israël

Cinquième

1er novembre 2008

[15 mai 2013]

Italie

Sixième

11 février 2010

[30 juin 2011]

Japon

Troisième

29 juillet 2008

Jordanie

Troisième

Quatrième

Cinquième

12 décembre 2000

12 décembre 2004

12 décembre 2008

[14 mai 2014]

Kazakhstan

Troisième

Quatrième

25 septembre 2007

25 septembre 2011

[21 novembre 2012]

Kenya

Deuxième

Troisième

Quatrième

22 mars 2002

22 mars 2006

22 mars 2010

[21 novembre 2012]

Kirghizistan

Troisième

Quatrième

4 octobre 2006

4 octobre 2010

Koweït

Troisième

Quatrième

6 avril 2005

6 avril 2009

[3 juin 2015]

Lesotho

Deuxième

Troisième

12 décembre 2006

12 décembre 2010

Liban

Deuxième

Troisième

3 novembre 2005

3 novembre 2009

Libéria

Deuxième

22 octobre 2009

Libye

Quatrième

Cinquième

Sixième

14 juin 2002

14 juin 2006

14 juin 2010

Liechtenstein

Quatrième

Cinquième

Sixième

1er décembre 2003

1er décembre 2007

1er décembre 2011

[14 mai 2014]

Lituanie

Troisième

Quatrième

2 mars 2005

2 mars 2009

[21 novembre 2012]

Madagascar

Deuxième

13 janvier 2011

[25 novembre 2015]

Malawi

Deuxième

Troisième

Quatrième

10 juillet 2001

10 juillet 2005

10 juillet 2009

Maldives

Deuxième

20 mai 2009

Mali

Deuxième

Troisième

Quatrième

27 mars 2004

27 mars 2008

27 mars 2012

Malte

Troisième

Quatrième

Cinquième

Sixième

12 octobre 1999

12 octobre 2003

12 octobre 2007

12 octobre 2011

[31 décembre 2000]

Maroc

Cinquième

21 juillet 2010

[25 novembre 2015]

Maurice

Quatrième

Cinquième

7 janvier 2006

7 janvier 2010

[3 juin 2015]

Mauritanie

Deuxième

17 décembre 2009

Mongolie

Deuxième

Troisième

23 février 2007

23 février 2011

[19 novembre 2014]

Monténégro

Deuxième

23 novembre 2010

[21 novembre 2012]

Mozambique

Deuxième

Troisième

14 octobre 2004

14 octobre 2008

Namibie

Deuxième

Troisième

Quatrième

Cinquième

27 décembre 1999

27 décembre 2003

27 décembre 2007

27 décembre 2011

Népal

Troisième

Quatrième

Cinquième

12 juin 2000

12 juin 2004

12 juin 2008

[12 juin 2008]

[12 juin 2008]

[12 juin 2008]

Nicaragua

Deuxième

4 août 2010

[15 mai 2013]

Niger

Deuxième

Troisième

Quatrième

3 novembre 2003

3 novembre 2007

3 novembre 2011

Nigéria

Deuxième

Troisième

28 juin 2006

28 juin 2010

Nouvelle-Zélande

Sixième

8 janvier 2011

[15 mai 2013]

Ouganda

Deuxième

Troisième

Quatrième

Cinquième

Sixième

25 juin 1992

25 juin 1996

25 juin 2000

25 juin 2004

25 juin 2008

[25 juin 2008]

Ouzbékistan

Cinquième

28 octobre 2012

Panama

Quatrième

Cinquième

Sixième

22 septembre 2000

22 septembre 2004

22 septembre 2008

Paraguay

Septième

10 avril 2011

[25 novembre 2015]

Philippines

Troisième

Quatrième

Cinquième

Sixième

25 juin 1996

25 juin 2000

25 juin 2004

25 juin 2008

[15 mai 2013]

Portugal

Sixième

10 mars 2010

[30 décembre 2011]

Qatar

Troisième

Quatrième

10 février 2008

10 février 2012

République arabe syrienne

Deuxième

18 septembre 2009

[14 mai 2014]

République de Corée

Troisième

Quatrième

Cinquième

7 février 2004

7 février 2008

7 février 2012

[7 février 2012]

République de Moldova

Troisième

Quatrième

27 décembre 2004

27 décembre 2008

[20 novembre 2013]

République démocratique du Congo

Deuxième

Troisième

Quatrième

16 avril 2001

16 avril 2005

16 avril 2009

[16 avril 2009]

[16 avril 2009]

[16 avril 2009]

Roumanie

Deuxième

Troisième

Quatrième

Cinquième

Sixième

16 janvier 1996

16 janvier 2000

16 janvier 2004

16 janvier 2008

16 janvier 2012

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

Sixième

6 janvier 2010

Saint-Marin

Deuxième

27 décembre 2011

Saint-Siège

Deuxième

Troisième

25 juillet 2007

25 juillet 2011

Saint-Vincent-et-les Grenadines

Deuxième

Troisième

30 août 2006

30 août 2010

Sénégal

Quatrième

Cinquième

Sixième

25 juin 2000

25 juin 2004

25 juin 2008

Serbie

Deuxième

Troisième

11 avril 2006

11 avril 2010

[21 novembre 2012]

Seychelles

Deuxième

Troisième

Quatrième

Cinquième

3 juin 1997

3 juin 2001

3 juin 2005

3 juin 2009

Sierra Leone

Deuxième

Troisième

25 mai 2006

25 mai 2010

Slovaquie

Troisième

Quatrième

Cinquième

27 mai 2002

27 mai 2006

27 mai 2010

[20 novembre 2013]

Slovénie

Quatrième

Cinquième

14 août 2006

14 août 2010

[3 juin 2015]

Somalie

Deuxième

Troisième

Quatrième

Cinquième

Sixième

22 février 1995

22 février 1999

22 février 2003

22 février 2007

22 février 2011

Sri Lanka

Cinquième

1er février 2011

[25 novembre 2015]

Suède

Septième

25 juin 2011

[30 juin 2012]

Suisse

Septième

25 juin 2011

[14 mai 2014]

Swaziland

Deuxième

25 avril 2009

Tadjikistan

Troisième

Quatrième

Cinquième

9 février 2004

9 février 2008

9 février 2012

Tchad

Deuxième

Troisième

Quatrième

9 juillet 2000

9 juillet 2004

9 juillet 2008

[15 mai 2013]

Timor-Leste

Deuxième

Troisième

16 mai 2008

16 mai 2012

Togo

Troisième

Quatrième

Cinquième

Sixième

17 décembre 1996

17 décembre 2000

17 décembre 2004

17 décembre 2008

Tunisie

Quatrième

Cinquième

Sixième

22 octobre 2003

22 octobre 2007

22 octobre 2011

Turkménistan

Deuxième

Troisième

24 juillet 2004

24 juillet 2008

[3 juin 2015]

Turquie

Quatrième

Cinquième

Sixième

31 août 2001

31 août 2005

31 août 2009

[19 novembre 2014]

Ukraine

Sixième

Septième

25 juin 2007

25 juin 2011

[30 juin 2011]

Uruguay

Troisième

Quatrième

Cinquième

Sixième

25 juin 1996

25 juin 2000

25 juin 2004

25 juin 2008

Venezuela (Républiquebolivarienne du)

Quatrième

Cinquième

20 août 2004

20 août 2008

Yémen

Troisième

Quatrième

Cinquième

4 décembre 2000

4 décembre 2004

4 décembre 2008

[14 mai 2014]

Zambie

Troisième

Quatrième

6 novembre 2007

6 novembre 2011

[30 juin 2012]

Annexe XII

Rapporteurs et corapporteurs pour chacun des rapportsdes États parties examinés par le Comité à ses quarante‑septième et quarante-huitième sessions(par ordre alphabétique)

A.Quarante-septième session

Rapport

Rapporteur

Corapporteur

Allemagne (CAT/C/DEU/5)

M. Grossman

Mme Kleopas

Bélarus(CAT/C/BLR/4)

Mme Gaer

Mme Sveaass

Bulgarie (CAT/C/BGR/4-5)

Mme Kleopas

M. Wang Xuexiang

Djibouti (CAT/C/DJI/1)

M. Bruni

M. Grossman

Madagascar (CAT/C/MDG/1)

Mme Belmir

M. Gaye

Maroc (CAT/C/MAR/4)

M. Gaye

M. Grossman

Paraguay (CAT/C/PRY/4-6)

M. Mariño Menéndez

Mme Sveaass

Sri Lanka(CAT/C/LKA/3-4)

M. Bruni

Mme Gaer

B.Quarante-huitième session

Rapport

Rapporteur

Corapporteur

Albanie(CAT/C/ALB/2)

M. Grossman

M. Gaye

Arménie (CAT/C/ARM/3)

Mme Gaer

M. Wang Xuexiang

Canada (CAT/C/CAN/6)

M. Bruni

Mme Belmir

Cuba (CAT/C/CUB/2)

M. Mariño Menéndez

Mme Sveaass

Grèce (CAT/C/GRC/5-6)

Mme Sveaass

Mme Belmir

République arabe syrienne(Non soumis)

M. Grossman

Mme Belmir

République tchèque(CAT/C/CZE/4-5)

M. Grossman

M. Wang Xuexiang

Rwanda (CAT/C/RWA/1)

M. Bruni

Mme Sveaass

Annexe XIII

Rapport sur le Népal adopté par le Comité contre la torture en application de l’article 20 de la Convention et commentaires et observations de l’État partie

Table des matières

Paragraphes Page

Première partieRapport sur le Népal adopté par le Comité contre la torture en application de l’article 20 de la Convention à sa quarante-sixième session(9 mai-3 juin 2011)1-110290

I.Introduction1−2290

II.Déroulement de la procédure3−14290

III.Contexte général15−16293

IV.Torture au Népal17−96294

A.Observations du Népal en réponse à la décision du Comité d’entamerune procédure au titre de l’article 2018−40294

B.Informations émanant des Nations Unies, d’organisations non gouvernementales et d’institutions nationales des droits de l’homme41−96300

1.Pratique de la torture et exécutions extrajudiciaires41−71300

2.Impunité72−96309

V.Conclusions et recommandations du Comité97−110316

Deuxième partieCommentaires et observations soumis par le Népal le 8 août 2011111−130322

Première partieRapport sur le Népal adopté par le Comité contre la torture en application de l’article 20 de la Conventionà sa quarante-sixième session (9 mai-3 juin 2011)

I.Introduction

1.En application de l’article 20 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains et dégradants (ci-après «la Convention»), si le Comité contre la torture (ci-après «le Comité») reçoit des renseignements crédibles qui lui semblent contenir des indications bien fondées que la torture est pratiquée systématiquement sur le territoire de l’État partie, il invite ledit État à coopérer dans l’examen de ces renseignements et, à cette fin, à lui faire part de ses observations à ce sujet. Le Comité peut par la suite décider de charger un ou plusieurs de ses membres de procéder à une enquête confidentielle, qui peut comporter, avec l’accord de l’État partie concerné, une visite sur son territoire. Les travaux du Comité sont confidentiels et à toutes les étapes, la coopération de l’État partie est recherchée. Une fois les travaux achevés, le Comité peut, après consultation avec l’État partie intéressé, décider de faire figurer un compte rendu succinct des résultats de ces travaux dans son rapport annuel à l’État partie à la Convention et l’Assemblée générale et si, l’État partie y consent, rendre publics le présent rapport et les réponses de l’État partie.

2.Le Népal a adhéré à la Convention contre la torture le 14 mai 1991. Au moment de la ratification, il n’a pas déclaré qu’il ne reconnaissait pas la compétence du Comité prévue à l’article 20 de la Convention comme il aurait pu le faire en vertu de l’article 28 de celle‑ci. La procédure prévue à l’article 20 est donc applicable au Népal.

II.Déroulement de la procédure

3.Dans ces observations finales sur le deuxième rapport périodique du Népal, adoptées à sa trente-cinquième session en novembre 2005, le Comité s’est déclaré préoccupé par les allégations faisant état d’une pratique de la torture sur une vaste échelle, le climat d’impunité dont bénéficiaient les auteurs d’actes de torture et l’absence en droit interne de dispositions érigeant la torture en infraction pénale.

4.À l’époque, le Comité était «vivement préoccupé par le nombre anormalement élevé de rapports concordants et fiables faisant état d’une pratique sur une vaste échelle de la torture et des mauvais traitements par les agents des forces de l’ordre et, en particulier, l’armée royale népalaise, la Force de police armée et la police, et par l’absence de mesures visant à garantir une protection réelle à tous les membres de la société». Il s’était également inquiété «du large recours à la détention avant jugement pour une période pouvant aller jusqu’à quinze jours» et par «outrageux des décisions judiciaires par les membres des forces de sécurité». Le Comité était «profondément troublé par les allégations fiables et persistantes selon lesquelles les forces de sécurité auraient souvent recours à des méthodes d’interrogatoire interdites par la Convention». Il a recommandé à l’État partie de «condamner publiquement la pratique de la torture et de prendre des mesures concrètes pour empêcher les actes de torture sur tout le territoire dépendant de sa juridiction» et de «prendre toute mesure nécessaire, selon qu’il conviendra, pour protéger tous les membres de la société des actes de torture».

5.Le Comité était également préoccupé par «le climat d’impunité [dont bénéficiaient les auteurs d’] actes de torture et [de] mauvais traitements et par les allégations persistantes d’arrestations sans mandat, d’exécutions extrajudiciaires, de décès en détention et de disparitions» ainsi que par «l’absence d’organismes indépendants susceptibles d’enquêter sur les actes de torture et les mauvais traitements commis par des agents des forces de l’ordre» et a donc recommandé à l’État partie de «faire savoir clairement et sans ambiguïté à toutes les personnes et à tous les groupes sous sa juridiction qu’il [condamnait] la torture et les mauvais traitements» et de «prendre des mesures législatives et judiciaires efficaces pour veiller à ce que toutes les allégations d’arrestations sans mandat, d’exécutions extrajudiciaires, de décès en détention et de disparitions donnent rapidement lieu à des enquêtes, des poursuites et des sanctions» ainsi que de «créer un organisme indépendant chargé d’enquêter sur les actes de torture et les mauvais traitements commis par des agents des forces de l’ordre».

6.Le Comité a également constaté avec préoccupation que «la définition de la torture à l’alinéa a du paragraphe 2 de la loi de 1996 sur l’indemnisation des victimes d’actes de torture, l’absence de dispositions dans le droit interne visant à ériger la torture en infraction pénale et le projet de code pénal [n’étaient] pas en accord avec la définition de l’article premier de la Convention contre la torture». Il a recommandé à l’État partie d’«adopter une législation interne qui garantisse que les actes de torture, y compris les tentatives, la complicité et la participation à de tels actes, soient érigés en infractions pénales sanctionnées par des peines proportionnées à la gravité des infractions commises, et d’envisager de prendre des mesures pour modifier la loi de 1996 sur l’indemnisation des victimes d’actes de torture afin de la rendre conforme à tous les éléments de la définition de la torture figurant dans la Convention». Le Comité a également recommandé à l’État partie de «fournir au Comité des renseignements sur la jurisprudence nationale relative à la définition de la torture selon l’article premier de la Convention».

7.À l’issue d’une visite effectuée au Népal en septembre 2005, le Rapporteur spécial sur la question de la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants (ci‑après «le Rapporteur spécial sur la question de la torture») est, entre autres, arrivé à la conclusion suivante: «la torture est systématiquement pratiquée par la police, la police armée, l’armée royale népalaise. Les garanties juridiques sont quotidiennement ignorées et carrément inutiles. L’impunité pour les actes de torture est la règle et par conséquent les victimes de la torture et leur famille n’ont aucun accès à la justice et aux mesures de réparation et de réadaptation».

8.En outre, à sa trente-septième session, en novembre 2006, le Comité a examiné, dans le cadre de séances privées, des renseignements qui lui avaient été soumis par des organisations non gouvernementales (ONG) faisant état d’une pratique systématique de la torture au Népal. Le Comité a trouvé que l’information qui lui avait été soumise au titre de l’article 20 de la Convention était fiable et qu’elle contenait des indications bien fondées que la torture était pratiquée systématiquement sur le territoire népalais. En application du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention et de l’article 82 de son règlement intérieur, le Comité a décidé d’inviter l’État partie à coopérer à l’examen de ces renseignements, dont une copie lui a été envoyée le 5 avril 2007 et de présenter ses observations à ce sujet au Comité avant le 30 avril 2007.

9.Le 19 avril 2007, la Mission permanente du Népal a accusé réception de la demande d’observations du Comité sur les renseignements qui lui avaient été transmis. Toutefois, au 30 avril 2007, l’État partie n’y avait pas répondu comme le lui avait demandé le Comité. Ce dernier lui a donc envoyé des rappels le 16 septembre 2008 et le 15 janvier 2009. Le 19 novembre 2008, le Président du Comité a eu avec le Représentant permanent du Népal à Genève un entretien sur cette question.

10.Le 3 avril 2009, le Népal a transmis ses observations au Comité en demandant que la procédure soit abandonnée. Dans ses observations, l’État partie a déclaré que les renseignements qui étaient à l’origine de la décision du Comité tendant à effectuer une enquête revêtaient un caractère sporadique, décrivaient la situation qui régnait au moment du conflit et visaient à appuyer une campagne contre le Népal qui allait au-delà de l’objectif de la protection et la promotion des droits de l’homme. L’État partie a appelé l’attention du Comité sur le changement rapide et profond qui avait eu lieu au Népal à la suite du conflit et sur sa ferme volonté de s’attaquer aux violations des droits de l’homme et d’adopter les mesures législatives et administratives nécessaires pour mettre fin à l’impunité. Les informations communiquées par l’État partie ont été examinées par le Comité à ses quarante-deuxième et quarante-troisième sessions, en séance privée.

11.Compte tenu de toutes les informations dont il était saisi, le Comité a décidé de procéder à une enquête confidentielle conformément au paragraphe 2 de l’article 20 de la Convention et a confié à Mme Felice Gaer et à M. Luis Gallegos Chiriboga le soin de la mener. Le 30 novembre 2009, le Comité a communiqué sa décision à l’État partie, l’invitant, conformément au paragraphe 3 de l’article 20 de la Convention, à coopérer avec lui à la réalisation de l’enquête et proposant des dates précises (entre le 1er et le 15 juillet 2010) pour la visite au Népal des membres désignés par le Comité. Le 15 février 2010, le Comité a transmis à la Mission permanente du Népal ses principes généraux applicables aux visites au titre de l’article 20 de la Convention. Dans une note verbale datée du 9 mars 2010, le Népal a informé le Comité que «dans le contexte du processus de paix en cours dans le pays et, en particulier, de l’accent mis par le Gouvernement sur la promulgation de la Constitution devant être élaborée par l’Assemblée constituante élue, dont la date s’approchait, les autorités concernées [n’étaient pas] en mesure de recevoir à ce stade la délégation d’experts du Comité pour les besoins de l’enquête». Il a en outre fait part de sa «volonté de collaborer étroitement avec le Comité dans un esprit de dialogue constructif et de coopération». L’État partie a demandé la tenue d’une réunion à Genève entre la Mission permanente du Népal et le Président du Comité, laquelle a eu lieu le 3 mai 2010.

12.En mai 2010, deux organisations non gouvernementales, l’Advocacy Forum et le Redress Trust, ont soumis d’autres informations au Comité au sujet de la pratique systématique présumée de la torture au Népal, priant ce dernier d’examiner la situation dans le pays au titre de l’article 20 de la Convention, ce que le Comité a fait, en séance privée, à sa quarante-quatrième session. À cette même session, le Comité a en outre décidé de continuer de solliciter la coopération de l’État partie, et de poursuivre ainsi son dialogue avec lui en vue de l’amener à accepter la visite en question. Le 29 juin 2010, le Président du Comité s’est de nouveau entretenu avec le Représentant permanent adjoint du Népal sur cette question.

13.Comme ses efforts continus pour obtenir que l’État partie autorise une visite dans le pays étaient restés vains, le Comité a décidé à sa quarante-cinquième session, en novembre 2010, de procéder à l’enquête confidentielle sans qu’une visite ait eu lieu et que les membres désignés du Comité élaboreraient un rapport sur le Népal au titre de l’article 20 et feraient rapport au Comité à sa quarante-sixième session. Le 28 janvier 2011, le Comité a porté cette décision à l’attention de l’État partie et lui a de nouveau fait savoir que, conformément au paragraphe 5 de l’article 20 de la Convention contre la torture, il pouvait, à toute étape de la procédure, soumettre au Comité toute information qu’il jugerait utile aux fins de coopérer avec le Comité à la réalisation de l’enquête.

14.Le Comité note qu’en dépit de ses nombreux efforts pour obtenir la coopération et les observations du Népal dans le cadre de son enquête au titre de l’article 20, ce dernier n’a fourni des renseignements au Comité qu’à une seule occasion, en avril 2009, et n’a pas saisi la possibilité qui lui était offerte de clarifier la situation en acceptant une visite des membres du Comité chargés de l’enquête, qui aurait permis au Comité de se faire une opinion sur l’état de la protection des droits de l’homme au Népal sur la base de sources d’information de première main.

III.Contexte général

15.En 2006, un accord de paix global a mis fin à une dizaine d’années de conflit entre les maoïstes, le Gouvernement et la monarchie et à un soulèvement populaire prodémocratie, au cours duquel plus de 13 000 personnes avaient trouvé la mort et plusieurs milliers d’habitants avaient été déplacés. Une Constitution provisoire a été adoptée en janvier 2007 et une Assemblée constituante a été élue le 10 avril 2008. À sa première session, le 28 mai 2008, l’Assemblée a voté pour mettre fin à une monarchie népalaise datant de deux cent trente-neuf ans et instauré une république. En août 2008, un nouveau gouvernement, conduit par le Parti communiste du Népal (maoïste) (ci-après le PCN (maoïste)) a été créé. Le Gouvernement de coalition s’est effondré en mai 2009 et le Premier Ministre a démissionné. Un nouveau gouvernement issu d’une coalition de 22 partis dirigée par l’UCPN-M a été constitué plus tard durant le mois. Le 30 juin 2010, le Premier Ministre, Madhav Kumar Nepal a démissionné, laissant le Gouvernement de coalition sans direction. Le 3 février 2011, M. Jhanlnath Khanal, Président du PCN (maoïste) a été élu nouveau Premier Ministre du Népal. Ainsi le Népal était resté sans gouvernement effectif de juin 2010 à février 2011.

16.L’Assemblée constituante, qui fait aussi office d’Assemblée législative-Parlement pendant la période de transition, a axé presque exclusivement ses efforts sur l’élaboration de la Constitution. Le Règlement intérieur de l’Assemblée a été adopté en novembre 2008, au bout de presque six mois de délibérations. Ce texte esquisse la formation d’une commission constitutionnelle de 61 membres qui aurait pour responsabilité première de rédiger un projet de constitution. L’Assemblée constituante n’étant pas parvenue à promulguer la Constitution dans les limites du délai initial fixé au 28 mai 2010, son mandat a été prolongé d’une année supplémentaire, jusqu’en mai 2011.

IV.Torture au Népal

17.Le présent rapport du Comité traite de la réponse de l’État partie en date du 3 avril 2009 et des informations fournies ultérieurement par des représentants de la délégation népalaise aux réunions bilatérales avec le Président du Comité. Il tient compte du rapport présenté par le Rapporteur spécial sur la question de la torture de l’époque, M. Manfred Nowak, à l’issue d’une mission effectuée au Népal du 10 au 16 septembre 2005 et les rapports de suivi de ses successeurs, y compris celui de Juan E. Méndez, en date du 4 mars 2011. Le présent rapport prend également en considération les communications faites par des parties prenantes et des organismes des Nations Unies dans le cadre de l’Examen périodique universel du Népal, qui a eu lieu le 25 janvier 2011, les renseignements fournis par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, les rapports de la Commission nationale népalaise des droits de l’homme et des communications émanant d’organisations non gouvernementales, dont Advocacy Forum, Redress, le Centre pour les victimes de la torture au Népal, l’Asian Legal Resource Centre, Human Rights Watch et Amnesty International. Le rapport du Comité décrit la conduite de l’enquête entre 2007 et aujourd’hui.

A.Observations du Népal en réponse à la décision du Comité d’entamer une procédure au titre de l’article 20

18.Le 3 avril 2009, deux ans après que le Comité l’eut invité à coopérer dans le cadre de la procédure entamée au titre de l’article 20 de la Convention, l’État partie a fait parvenir ses observations au Comité.

19.L’État partie a fait valoir que la décision d’entamer une procédure confidentielle au titre de l’article 20 de la Convention prise par le Comité semblait être fondée sur des rapports sporadiques publiés pendant le conflit armé et dont l’État partie a largement discuté avec les parties prenantes concernées. Il a estimé que ces rapports avaient été, en grande partie, publiés dans le cadre d’une campagne contre le Népal allant au-delà de l’objectif de la protection et de la promotion des droits de l’homme. Cette propagande ne devrait pas induire le Comité en erreur ni faire partie d’aucune procédure de la part des organes conventionnels s’ils veulent préserver la crédibilité de leur indépendance, impartialité et liberté à l’égard de toute influence exercée par l’État, une organisation internationale, des individus ou des entités prétendant agir au nom de tierces parties. Par ses observations, l’État partie a voulu mettre en évidence les progrès accomplis depuis la publication de tels rapports.

20.Après avoir décrit le contexte politique du Népal, notamment le processus de paix qui avait commencé avec la signature de l’Accord de paix global, l’État partie a expliqué que l’arrêt des hostilités avait mis fin aux violations commises dans le cadre du conflit, y compris aux exécutions sommaires, aux arrestations, aux tortures et aux mauvais traitements dont auraient été victimes dans des casernes de l’armée des personnes soupçonnées d’être liées au PCN (maoïste). Toutes violations présumées du droit international humanitaire (ci-après le «DIH») ont également cessé. Il a été en outre mis fin aux cas présumés de disparition. Tous les détenus ou prisonniers en détention provisoire au titre de la loi sur la sûreté publique ou du décret sur la prévention et la répression des activités terroristes et subversives ou qui étaient sous le coup d’accusations ont été libérés.

21.L’État partie a souligné que les droits de l’homme avaient été placés au centre du processus de paix. Dans l’Accord en 12 points, l’Alliance des sept parties et le PCN (maoïste) se sont déclarés déterminés à «respecter pleinement les normes et les valeurs relatives aux droits de l’homme». Les deux tiers des dispositions du Code de conduite régissant le cessez-le-feu renvoyaient au droit international humanitaire et aux droits de l’homme. Un accord en huit points entre le Gouvernement et le PCN (maoïste) signé le 16 juin 2006, contenait un ferme engagement en faveur «des normes et valeurs démocratiques, y compris le multipartisme, les libertés civiles, les droits fondamentaux, les droits de l’homme, la liberté de la presse et le principe de la primauté du droit». L’État partie a ajouté qu’il était déterminé à mettre fin à l’impunité et à demander des comptes à ceux qui étaient impliqués dans des violations des droits de l’homme. À cet égard, il avait pris des mesures immédiates concernant plusieurs de ces violations.

22.L’État partie a expliqué que la Constitution intérimaire du 15 janvier 2007 interdisait la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et prévoyait des garanties en faveur de toute personne placée en garde à vue. Toute victime d’actes de torture ou de mauvais traitements devrait être indemnisée dans le cadre de la loi. La Constitution intérimaire interdisait en outre la détention au secret. L’État partie a fait valoir que ce type de détention n’était pas pratiqué dans le pays. Il a ajouté que pendant le conflit armé, certains détenus avaient été gardés dans des casernes de l’armée pour leur sécurité, en raison de l’absence de centres de détention civile, ce qui n’est plus le cas. Pour ce qui est de la possibilité d’ériger la torture en infraction, l’État partie a déclaré qu’une telle mesure était en cours d’adoption et qu’elle était prévue par la Constitution intérimaire. Il a également mentionné que l’indemnisation des victimes d’actes de torture était mise en œuvre depuis 1996 conformément aux dispositions de la Convention.

23.En ce qui concerne les auteurs présumés de viols et d’autres crimes, l’État partie a fait observer que la loi militaire de 1959 prévoyait leur jugement par des tribunaux civils dans le cadre des lois de procédure pénale ordinaires. Les violations des droits de l’homme, telles que les actes de torture et les disparitions forcées, faisaient en outre l’objet d’une enquête menée par une autorité civile sous l’autorité d’un procureur général adjoint et les affaires correspondantes devraient être entendues par un tribunal spécial présidé par le juge de la cour d’appel. Les crimes portant atteinte à des intérêts publics commis par des militaires faisaient l’objet d’une enquête menée par un comité constitué par le Gouvernement, et le fait que leurs auteurs fassent partie de l’armée n’était pas un obstacle à leur examen par des tribunaux civils.

24.Pour ce qui est de la Commission vérité et réconciliation et de la Commission d’enquête sur les disparitions, l’État partie a indiqué qu’elles étaient en cours de création et que ces deux organes, non seulement enquêteraient sur les cas de violation des droits de l’homme mais constitueraient un unique outil de réconciliation sociale.

25.L’État partie a souligné l’existence d’une tradition de collaboration étroite avec la communauté internationale, notamment avec les mécanismes des droits de l’homme, qui constituait un motif de fierté; il a noté qu’il avait ratifié plusieurs instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et autorisé des visites de titulaires de mandat du Conseil des droits de l’homme et de la Haut-Commissaire aux droits de l’homme et qu’il avait en outre accordé un plein accès au Haut-Commissariat pour lui permettre de s’acquitter de son mandat.

26.S’agissant de l’affirmation selon laquelle la torture est systématiquement pratiquée au Népal, l’État partie a estimé que le Comité avait fondé sa décision d’entamer une procédure d’enquête sur la foi du rapport du Rapporteur spécial sur la question de la torture (novembre 2005), qui avait été rédigé dans le contexte du violent conflit armé qu’avait connu le pays et d’autres rapports «sporadiques» émanant d’ONG. L’État partie considérait que les informations contenues dans ces rapports avaient tendance à dramatiser la situation. Il a exprimé son attachement sans réserve à la primauté du droit et indique qu’il ne tolérait en aucune circonstance la pratique de la torture. Selon l’État partie, il y avait un mythe de la «pratique systématique de la torture» inventé injustement et unilatéralement. Le 29 novembre 2005, il avait communiqué ses vues sur le projet d’observations finales que le Comité avait rédigé à l’issue de l’examen du rapport périodique du Népal. Auparavant, il avait pleinement clarifié la question dans ses réponses à la liste de points à traiter que lui avait adressées le Comité. De même, en décembre 2005, le Népal avait répondu au projet de rapport que le Rapporteur spécial sur la torture avait établi à l’issue de sa visite au Népal. Comme il était d’avis que l’interprétation de la situation par le Rapporteur spécial ne correspondait pas à la réalité, l’État partie avait catégoriquement rejeté sa conclusion quant à l’existence d’une «pratique systématique de la torture» et avait fourni des explications sur les points que le Rapporteur spécial avait soulevés dans son rapport. L’État partie avait par la suite déploré le fait que son point de vue n’avait pas été dûment reflété dans le rapport final du Rapporteur spécial.

27.L’État partie a insisté sur le fait que l’opinion personnelle qu’auraient exprimée en privé certains responsables des forces de sécurité ne saurait être considérée comme représentative de la politique de l’État à l’égard de la pratique de la torture. Des incidents isolés intervenus pendant le conflit armé ne sauraient, le cas échéant, être généralisés et considérés comme faisant partie d’une politique délibérée des autorités népalaises. Le Népal n’avait aucune tolérance pour la torture et n’avait pas pour politique de laisser impunis ceux qui la commettaient. Bien au contraire, il prenait toujours au sérieux toute allégation de torture et les personnes convaincues d’avoir commis des actes de torture étaient rapidement traduites en justice. Des mesures avaient été prises à cet égard contre plusieurs responsables des forces de sécurité. La Police népalaise avait agi contre 21 de ses membres dans le cadre de 11 affaires de torture. Six de ces affaires avaient donné lieu à un procès. De même, l’armée népalaise avait puni six de ses membres dans le cadre de violations intervenues pendant le conflit.

28.L’État partie a également indiqué qu’il avait donné suite à la plupart des recommandations formulées par le Rapporteur spécial sur la question de la torture et de celles figurant dans les observations finales du Comité. Par exemple, depuis la conclusion de l’Accord de paix global, le 21 novembre 2006, l’armée népalaise n’avait participé à aucune activité d’application de loi et n’avait été accusée d’aucune violation des droits de l’homme. Elle avait émis des directives pour la prévention et la protection des droits de l’homme. Des mesures institutionnelles conséquentes avaient été prises en vue d’une intensification des efforts pour intégrer les principes et les valeurs relatives aux droits de l’homme dans l’ensemble de l’appareil de sécurité. Une politique de tolérance zéro était appliquée à l’encontre de toute violation du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire. À l’exception d’opérations anti-insurrectionnelles qui avaient eu lieu entre 2001 et avril 2006, l’armée népalaise n’avait participé à aucune activité régulière d’application de la loi et il n’y avait eu aucune allégation de violation des droits de l’homme l’impliquant avant et après cette période. En conséquence, tout acte de violation des droits de l’homme attribué à l’armée népalaise pendant le conflit ne saurait être considéré comme faisant partie d’une politique ou d’une action délibérée.

29.L’État partie a affirmé qu’il avait fait preuve d’une prudence et d’une vigilance accrues tout au long des opérations menées contre des insurgés afin de protéger le droit international relatif aux droits de l’homme (ci-après le «DIDH») et de respecter le DIH. Dans le contexte du conflit armé, le chef d’état-major avait émis différents ordres, directives et instructions à l’intention de l’armée népalaise pour faire en sorte que les règles du DIDH et du DIH soient bien comprises, diffusées et respectées à tous les niveaux. La directive publiée le 12 mars 2004 contenait des instructions claires au sujet du respect des Codes de conduite relatifs au DIDH et au DIH pendant les opérations de maintien de l’ordre. On y trouvait également une description de la procédure d’arrestation, de la procédure de fouille, de la procédure opérationnelle standard applicable dans les postes de contrôle, du statut des personnes arrêtées, de la procédure à suivre après l’arrestation, des normes de sécurité applicables aux personnes arrêtées/aux détenus, de la procédure d’évacuation des détenus, de l’attitude à observer vis-à-vis des détenus, de la procédure d’utilisation des armes à feu et autres armes, de la procédure de distribution de rations, de vêtements et de prestation de services médicaux et autres aux détenus, et des modalités de coopération avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). La directive soulignait que les commandants à tous les niveaux étaient responsables de la stricte application des directives relatives aux droits de l’homme et au droit humanitaire dans l’application des ordres qu’ils donnaient, qu’ils étaient tenus de fournir l’information voulue aux troupes au sujet des règles du DIDH et du DIH avant toute opération et aussi de demander à leurs hommes de leur faire rapport après chaque opération; les décisions des tribunaux dans les affaires relatives à des violations des droits de l’homme devraient être diffusées par les services du Juge-avocat général auprès des unités concernées; les commandants devraient sensibiliser régulièrement leurs troupes aux règles du DIDH et du DIH. Des cellules des droits de l’homme devraient être mises en place au siège des divisions et des brigades.

30.En vue d’uniformiser le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire au sein de l’armée népalaise en temps de conflit, le chef d’état-major en poste à l’époque avait émis, le 10 janvier 2005, une autre directive à l’intention de l’ensemble des sections, des directions, des formations et des services de l’armée. Cette directive contenait des instructions claires quant à la procédure légale à suivre dans le domaine des droits de l’homme et du DIH pendant les opérations militaires. À la suite du mouvement populaire et juste avant la conclusion de l’Accord de paix global le 14 septembre 2006, le nouveau chef d’état-major avait, tout en réaffirmant les précédentes directives, émis une série d’instructions à l’intention de l’ensemble des sections, directions, formations et services. Ces instructions non seulement exprimaient le ferme et plein attachement du haut commandement de l’armée népalaise à la promotion et à la protection des droits de l’homme mais traduisaient l’ouverture aux normes et aux valeurs relatives aux droits de l’homme et au droit international humanitaire et le respect de ces normes et valeurs dans l’ensemble du système opérationnel de l’armée népalaise. Le 22 février 2008, le chef d’état-major avait émis un ordre pour que le droit international relatif aux droits de l’homme et le droit international humanitaire fassent partie intégrante de toutes les méthodes de travail de l’armée. En collaboration avec le CICR et l’École de droit de Katmandou, l’armée népalaise s’employait à établir un manuel des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Les mesures adoptées et les précautions prises montraient que même en temps de conflit armé il n’y avait aucune tolérance à l’égard des violations des droits de l’homme, y compris la torture.

31.La Cellule des droits de l’homme de l’état-major avait été transformée en Direction des droits de l’homme et chaque siège de division et de brigade était doté respectivement d’une division des droits de l’homme et d’une cellule des droits de l’homme. Des cellules des droits de l’homme étaient également mises en place au sein des bataillons et des compagnies. Une Directive globale relative aux droits de l’homme avait été émise à l’intention de chaque section de l’armée en vue d’assurer le respect aussi bien des droits de l’homme que du DIH.

32.L’armée népalaise avait procédé à des enquêtes sur des violations des droits de l’homme qui se seraient produites pendant le conflit, et, par le biais des procédures judiciaires prévues par la Constitution intérimaire et les lois népalaises applicables en la matière, avait prononcé les sanctions suivantes contre des militaires de différents grades: 118 peines d’emprisonnement (allant de un mois à dix ans), 62 peines de radiation, 40 peines de rétrogradation, 23 condamnations à une perte de grade, 26 condamnations à une perte de promotion, 8 avertissements et 8 condamnations au paiement d’indemnisations à la famille de la victime. Une description de chaque cas et de chacune des décisions prises contre des militaires reconnus coupables était fournie par l’État partie dans l’annexe à ses observations. L’État partie considérait que cette liste était la preuve que l’armée népalaise veillait scrupuleusement à examiner chaque cas de violation des droits de l’homme dans lequel des militaires étaient gravement impliqués, à enquêter sur ces cas et à punir les coupables. L’État partie considère en outre que cette liste mettait en évidence la politique de tolérance zéro adoptée à l’égard des violations des droits de l’homme même si des violations mineures avaient pu se produire en dépit de cette politique.

33.L’État partie a ajouté que le Groupe des droits de l’homme de la Police népalaise surveillait les activités opérationnelles de la Police et émettait les directives et instructions nécessaires pour toutes ses unités. En outre, il gérait les enquêtes internes lorsque des plaintes pour violation des droits de l’homme étaient reçues. Selon l’État partie, des mesures avaient été prises contre des personnes reconnues coupables de violations des droits de l’homme. La Police népalaise s’était dotée d’un mécanisme permanent fonctionnel pour répondre aux allégations de violations des droits de l’homme impliquant des membres de la police quel que soit leur rang et enquêter sur ces allégations. Du 15 juillet 2007 au 14 juillet 2008, le Groupe des droits de l’homme de la Police népalaise avait répondu à 1 005 plaintes de tous genres relatives aux droits de l’homme reçues d’organisations nationales et internationales de défense des droits de l’homme. À ce jour, des mesures avaient été prises contre 318 agents de la force publique de divers rangs. Rien que pendant cette période, c’est-à-dire du 15 juillet 2007 au 14 juillet 2008, des mesures avaient été prises contre 93 policiers pour violation des droits de l’homme dans l’exercice de leurs fonctions.

34.L’État partie a fait observer que les autorités tenaient des registres de garde à vue dans les postes de police et de détention dans les prisons. La cour d’appel et les chefs de districts étaient habilités à consulter les registres à toute heure. On s’employait à rendre plus systématique et détaillée la tenue de ces registres de façon à ce qu’y soient consignées des informations précises sur la situation de chaque détenu ainsi que sur sa libération ou son transfert. La Commission nationale des droits de l’homme, le HCDH et le CICR étaient autorisés à accéder librement aux prisons et aux lieux de détention et à obtenir toute la coopération voulue des autorités. La Constitution intérimaire garantissait l’indépendance du pouvoir judiciaire et le droit de chacun d’intenter un recours en habeas corpus. Le droit d’exercer un recours constitutionnel et de faire contrôler la légalité de sa détention était garanti à chaque détenu.

35.L’État partie a affirmé en outre que toute personne placée en garde à vue était examinée par un médecin et un examen médical avait également lieu lorsqu’une personne était envoyée en prison sur ordre du tribunal compétent. Lorsqu’un agent de police était accusé d’actes de torture, une enquête était ouverte immédiatement et la personne reconnue coupable de ces actes était punie. De même, la Commission nationale des droits de l’homme avait adressé aux autorités cinq demandes d’indemnisation en faveur de victimes d’actes de torture en application de son règlement en date de 2000. Les victimes étaient en voie d’être indemnisées. En outre, 13 autres demandes d’indemnisation émanant de la Commission nationale des droits de l’homme avaient déjà été satisfaites.

36.La loi sur les recours contre l’État de 1993 stipulait clairement que dans les affaires pénales les enquêtes devaient être menées avec la participation directe et sous la supervision des procureurs de districts. Les détenus s’étaient vu garantir le droit de consulter l’avocat de leur choix. L’article 135 de la Constitution intérimaire habilitait le Bureau du Procureur général à enquêter sur toute plainte ou allégation de torture et de mauvais traitements. Des victimes d’actes de torture avaient été indemnisées sur ordre d’un tribunal. La procédure interne de ratification du Statut de Rome était en cours. La Commission nationale des droits de l’homme s’était vu accorder le statut «A» et le statut d’organe constitutionnel dans la Constitution intérimaire de 2007. Le Président de la Commission et les commissaires avaient été nommés. Les ressources financières de la Commission avaient doublé et l’État en applique ses recommandations et demeure déterminé à coopérer à ses activités.

37.Le Ministère de l’intérieur avait émis des principes directeurs relatifs aux droits de l’homme à l’intention de ses agents chargés d’appliquer la loi. Ces principes directeurs étaient destinés aux chefs de district, aux responsables des prisons, aux responsables des services de l’immigration et à ceux de la police et de la force de police armée népalaises. Le Ministère surveillait de manière régulière la mise en œuvre de ces principes directeurs et assure le suivi nécessaire. Le Népal exécutait un plan national d’action dans le domaine des droits de l’homme depuis 2004, et, en 2008, à l’issue d’un réexamen complet de ce document visant à l’inscrire dans la perspective de la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels en général et des objectifs du Millénaire pour le développement en particulier, un nouveau plan triennal avait été adopté; il était en cours d’exécution. Le plan national d’action relatif aux droits de l’homme, tel que remanié, consacrait, entre autres, des chapitres distincts à la gestion et à la réforme des prisons. Ceci avait permis de conférer aux efforts nationaux de développement une approche fondée sur les droits de l’homme.

38.De nombreux programmes d’éducation et de sensibilisation à l’importance du respect des dispositions de la Convention dans le contexte du maintien de l’ordre avaient été lancés à l’intention des forces de sécurité. La visite au Népal du Rapporteur spécial sur la question de la torture et la présentation du deuxième rapport périodique du Népal au Comité contre la torture étaient quelques exemples des efforts déployés par l’État partie pour s’acquitter des engagements qui lui incombaient en vertu de la Convention. Même pendant le conflit, le Népal avait répondu de manière franche au sujet de cas présumés de torture portés à son attention par le Rapporteur spécial de l’ONU sur la question de la torture. La pratique de la torture comme moyen d’arracher des aveux aux détenus ou d’obtenir d’eux des informations ou à toute autre fin était strictement interdite par la législation népalaise et les aveux ainsi obtenus étaient irrecevables en tant que preuves devant un tribunal. L’État partie souligne qu’il n’a pas pour politique d’autoriser la torture comme méthode d’enquête pénale.

39.Pour ce qui est du contrôle du comportement des membres de la force publique, l’État partie a souligné qu’il avait mis en place, de sa propre initiative, un système à cet effet. Depuis le 15 mai 2005, l’armée népalaise appliquait une politique en vertu de laquelle tous ceux qui étaient reconnus coupables de violations des droits de l’homme ne pourraient plus participer aux missions de maintien de la paix de l’ONU.

40.L’État partie n’était donc pas d’accord avec l’allégation de «pratique systématique de la torture» au Népal qu’il rejetait fermement. Il était en outre d’avis que les remarques individuelles qu’auraient faites certains responsables en privé ne sauraient être confondues avec la politique générale de l’État et que ce serait exagéré que de conclure qu’il y a une pratique généralisée de la torture au Népal malgré les efforts faits par les autorités nationales pour combattre un tel crime. Compte tenu des observations ci-dessus, l’État partie a demandé au Comité de mettre fin à la procédure d’enquête.

B.Informations émanant des Nations Unies, d’organisations non gouvernementales et d’institutions nationalesdes droits de l’homme

1.Pratique de la torture et exécutions extrajudiciaires

a)Informations émanant des Nations Unies

41.Selon le rapport du HCDH de 2009, pendant la période considérée, les services du Haut-Commissariat au Népal ont recueilli des informations sur 93 cas de torture et de mauvais traitements ainsi que sur plusieurs cas de détention illégale. De manière générale, des allégations de détention illégale, de mauvais traitements, de torture et autres violations connexes ont été formulées à l’encontre de la police népalaise et de responsables du service des forêts. Les allégations mettant en cause des membres de la force de police armée et de l’armée népalaises portaient essentiellement sur un usage excessif de la force constitutif parfois d’exécutions extrajudiciaires dans le cadre d’activités de maintien de l’ordre et de la lutte contre des actes présumés de braconnage dans les parcs nationaux.

i)Recours à la torture sur une vaste échelle, en particulier pendant les interrogatoires

42.Le rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de 2009 sur la situation au Népal indique que les informations faisant état de mauvais traitements assimilables parfois à des actes de torture, en particulier pendant les interrogatoires, étaient très fréquentes. Dans son rapport de suivi en date du 4 mars 2011, le Rapporteur spécial sur la question de la torture a de son côté conclu que les informations faisant état de passages à tabac et de mauvais traitement assimilables parfois à des actes de torture en particulier pendant les interrogatoires étaient très fréquents.

43.Le Rapporteur spécial a noté avec préoccupation les informations faisant état d’actes discriminatoires ciblant certains détenus appartenant à des minorités ethniques et à des castes inférieures ainsi que de cas présumés de torture dans le sud du Népal. Il note en outre que la police continue d’utiliser la torture dans toutes les régions du pays pour arracher des aveux pendant les interrogatoires.

ii)Torture d’enfants en garde à vue

44.Le Rapporteur spécial a indiqué que 25,5 % des mineurs placés en garde à vue dans les locaux de la police, d’octobre 2008 à juin 2009, avaient affirmé avoir été torturés ou maltraités. Bien qu’inférieur de 3,3 % au chiffre rapporté pour la période allant de janvier à septembre 2009, ce taux demeure sensiblement plus élevé que celui dont il est fait état pour la population adulte (18,8 %). Le Rapporteur spécial a souligné que la détention continue de mineurs dans des lieux destinés aux adultes soulevait de graves préoccupations dans le domaine des droits de l’homme, dans la mesure où des enfants incarcérés avec des adultes risquaient d’être violés et de subir d’autres sévices.

iii)Détention au secret

45.Une étude conjointe sur les pratiques mondiales concernant le recours à la détention secrète dans le cadre de la lutte contre le terrorisme publiée par des experts de l’ONU le 19 février 2010, traite des mauvais traitements dans les lieux de détention au secret. Elle mentionne en particulier deux rapports du HCDH sur les mauvais traitements infligés aux détenus dans deux lieux de détention au secret se trouvant dans des casernes de l’armée népalaise, celle de Maharajgunj à Kathmandu (2006) et celle de Chisapani dans le district de Bardiya (2008).

46.En 2007, à l’issue du conflit armé, le HCDH avait recueilli des informations sur plusieurs cas de détenus accusés d’appartenir à des groupes armés qui avaient été placés en détention au secret non reconnue pour de courtes périodes, allant jusqu’à onze jours. En juin 2007, la Cour suprême du Népal a rendu un arrêt sans précédent concernant des recours en habeas corpus dans une douzaine d’affaires, ordonnant au Gouvernement de créer une commission d’enquête sur les disparitions en conformité avec les normes internationales, d’adopter une loi érigeant en infraction pénale les disparitions forcées, de poursuivre les auteurs des disparitions passées et d’indemniser les familles des victimes. Or dans son rapport de suivi de 2011, le Rapporteur spécial sur la question de la torture a déclaré que la police démentait régulièrement les allégations selon lesquelles elle avait placé des membres présumés de groupes armés en garde à vue pendant plusieurs jours avant de reconnaître qu’ils étaient en détention et d’autoriser des organisations telles que le HCDH ou la Commission nationale des droits de l’homme de leur rendre visite. Le Rapporteur spécial a regretté que l’État partie n’ait pas pris de mesures pour rendre la détention au secret illégale et lui a demandé de libérer immédiatement les personnes détenues arbitrairement par les forces de police armées dans des lieux inconnus qui seraient nombreuses.

iv)Violations des droits de l’homme dans la région du Teraï

47.Dans son récapitulatif des sujets de préoccupation (juillet 2010), le HCDH a enquêté sur les allégations d’exécutions extrajudiciaires dans la région du Teraï, en se focalisant exclusivement sur l’utilisation présumée de moyens illégaux par les forces de l’ordre pendant leurs opérations, avec pour résultat des décès parmi les civils. Le Gouvernement a lancé le Plan spécial de sécurité (ci-après le PSS) à la fin de juillet 2009. Bien qu’il y ait pris l’engagement de protéger les droits de l’homme, des allégations crédibles faisant état d’exécutions arbitraires, dont, selon les informations reçues par le HCDH, la majeure partie n’aurait fait l’objet d’aucune enquête, continuent d’être formulées. Dans son rapport ainsi que lors de ses précédentes enquêtes, le HCDH a mis en lumière un usage fréquent de la force meurtrière de manière excessive et parfois injustifiée pendant les opérations des forces de l’ordre. En outre, l’Équipe des Nations Unies au Népal a critiqué l’absence de poursuites pénales contre les auteurs présumés de tels actes.

48.Le récapitulatif des sujets de préoccupation du HCDH de 2010 traite en particulier des cas de décès de personnes survenus à la suite de leur arrestation par la police, la Force de police armée ou des membres de l’armée népalaise ou lors d’opérations des forces de l’ordre alors que ces personnes ne constituaient pas une menace grave pour la vie d’autrui et qu’il existait d’autres moyens pour faire appliquer la loi. Ces allégations contredisent souvent les récits officiels selon lesquels les personnes concernées auraient été victimes d’échanges de coups de feu. Entre janvier 2008 et juin 2010, le HCDH a reçu des informations sur 39 incidents ayant entraîné la mort de 15 personnes, ayant donné lieu à des allégations crédibles d’utilisation illicite de la force meurtrière. Tous ces incidents, sauf deux, auraient eu lieu dans des districts du Teraï situés dans le centre et l’est du pays. La première plainte déposée par les familles des victimes (appelée First Information Report ou FIR) qui permet à la police de déclencher officiellement les enquêtes était parfois enregistrée. Dans plusieurs cas, la police affirme avoir lancé sa propre enquête. Mais aucune investigation n’a débouché sur des sanctions disciplinaires sérieuses ou des poursuites pénales contre les auteurs présumés.

v)Inefficacité des garanties contre la torture

a.Registres de détention

49.Dans son rapport de suivi de 2011, le Rapporteur spécial sur la question de la torture a indiqué que les gardés à vue continuaient à être détenus au-delà des vingt-quatre heures autorisées par la loi et que les services de police continuaient à tenir des registres de détention inexacts dans lesquels ils falsifiaient les dates d’arrestation. L’inexactitude des registres de détention dans plusieurs prisons et lieux de garde à vue fait qu’il est difficile de tenir des policiers responsables de telles violations. En vertu de la loi sur la police, les agents de la force publique doivent tenir des registres standard dans lesquels sont indiqués toutes les plaintes et les accusations, les noms des personnes arrêtées et des plaignants, le motif de l’arrestation, les armes ou les objets confisqués aux personnes arrêtées ou à des tiers ainsi que les noms des témoins convoqués. Or l’utilisation de registres non adaptés ou de simples cahiers à la place demeure un problème. La police s’abstient souvent d’enregistrer la date exacte de l’arrestation afin de donner l’impression que la durée légale de la garde à vue a été respectée. Dans les cas où le détenu est libéré après quelques heures ou au bout de quelques jours, aucune trace n’est gardée de la détention. En outre, les familles et les avocats ne sont en général autorisés à voir les détenus que lorsque ces derniers comparaissent devant un tribunal.

b.Obligation de soumettre les détenus à des examens médicaux

50.Le rapport du HCDH de 2009 a mentionné que les personnes placées en garde à vue, y compris celles qui avaient subi des sévices, ne bénéficiaient souvent pas de soins médicaux et que les examens médicaux pratiqués ne faisaient pas l’objet de rapport en bonne et due forme. Même si de plus en plus de personnes détenues dans le cadre des affaires portées devant la justice en vertu de la loi de 1996 sur l’indemnisation des victimes d’actes de torture disent avoir bénéficié d’un examen médical au moment de l’arrestation, le HCDH a exprimé de sérieuses préoccupations quant à la qualité de ces examens. Souvent, les examens médicaux des détenus conduits à l’hôpital par des policiers sont confiés à des membres du personnel peu expérimentés et ces derniers insistent pour y assister en invoquant un risque de fuite. Les détenus sont de surcroît rarement soumis à des examens lors de leur transfert en prison ou au moment de leur libération même si de tels examens sont indispensables pour déterminer s’ils ont subi des violences physiques ou mentales pendant la détention. En outre, il est courant que les médecins minimisent la gravité des lésions parce qu’ils craignent pour leur sécurité ou par peur des représailles. Le HCDH a constaté que les contrôles médicaux étaient juste une formalité étant donné que les policiers emmenaient de manière routinière un groupe de détenus chez le médecin et que ce dernier se contentait de leur demander s’ils souffraient de lésions ou de blessures internes et ne procédait pas à l’examen clinique. En outre, le HCDH a constaté que souvent les médecins ne transmettaient pas au juge suffisamment d’éléments sur l’état de santé des détenus par crainte de faire l’objet de menaces de la part de la police et des responsables de district s’ils fournissaient un rapport médical détaillé.

c.Interdiction d’utiliser dans les procédures judiciaires les auto-accusations obtenuessous la contrainte

51.Le Rapporteur spécial a constaté qu’en dépit des dispositions de la loi relative à l’indemnisation des victimes de la torture et de la loi relative à l’administration de la preuve qui prévoient l’irrecevabilité des auto-accusations obtenues sous la contrainte dans les procédures judiciaires, la police continuait à recourir à la torture pour arracher des aveux et les juges ne restreignaient généralement pas la recevabilité des éléments de preuve obtenus pendant l’interrogatoire en l’absence d’avocats et demandaient rarement aux détenus si leurs déclarations avaient été faites librement. Les aveux demeurent le principal élément de preuve dans la majorité des affaires. Les violences et les mauvais traitements sont donc courants pendant les interrogatoires. Il est très fréquent que des détenus soient contraints à signer des déclarations sans les avoir lues au préalable. Cela est dû parfois au fait qu’ils sont analphabètes mais dans la plupart des cas la police refuse de laisser les détenus lire les déclarations. En outre, bien qu’en définitive, c’est à l’accusation qu’il incombe de prouver la culpabilité de l’accusé, chaque défendeur est tenu de «convaincre» le tribunal du «fait même» qu’une déclaration a été arrachée (art. 28 de la loi sur les affaires dans lesquelles l’État est partie). Concrètement, cela signifie que les aveux obtenus sous la contrainte sont régulièrement admis sauf si le défendeur réussit à apporter la preuve irréfutable du recours à la contrainte ou la torture. De plus, le Rapporteur spécial a noté qu’il n’existait pas d’enregistrement vidéo ou audio des interrogatoires au Népal.

d.Absence d’enquêtes sur les allégations de traitement inhumain pendant la garde à vue

52.Le Rapporteur spécial a noté en outre que bien que le paragraphe 3 c) de l’article 135 de la Constitution provisoire habilite le Bureau du Procureur général à enquêter sur les traitements inhumains infligés à toute personne durant sa garde à vue et à donner les instructions nécessaires aux autorités compétentes pour qu’elles évitent que de telles pratiques ne se reproduisent, les procureurs et les juges posent rarement des questions aux détenus comparaissant devant eux sur leur traitement en garde à vue. Tout en reconnaissant que les juges et le personnel judiciaire se sont montrés récemment plus coopératifs avec les victimes de la torture et les avocats, le Rapporteur spécial a noté que dans de nombreuses affaires, les juges se fondaient uniquement sur les rapports de police pour statuer et qu’ils n’exigeaient même pas la présence des accusés.

b)Organisations non gouvernementales et institutions nationales de défensedes droits de l’homme

53.Après que le Comité eut engagé la procédure confidentielle au titre de l’article 20, il a reçu plusieurs rapports additionnels bien documentés d’ONG telles que l’Advocacy Forum (AF), Redress, le Centre du Népal pour les victimes de la torture, l’Asian Legal Resource Centre, Human Rights Watch et Amnesty International consacrés à la situation des droits de l’homme au Népal et au grave sujet de préoccupation que constitue la pratique généralisée de la torture notamment en garde à vue. Plusieurs rapports ont également été reçus à l’occasion de l’élaboration par le Comité de sa liste de points à traiter avant la soumission du rapport du Népal en novembre 2010. En mai 2010, alors que la procédure confidentielle au titre de l’article 20 avait déjà été engagée, les ONG Redress et Advocacy Forum ont appelé l’attention du Comité sur des préoccupations majeures quant à la pratique généralisée de la torture et lui ont donc demandé d’engager une procédure confidentielle au titre de l’article 20 de la Convention afin d’enquêter sur l’utilisation systémique de la torture au Népal.

i)Pratique de la torture pendant les interrogatoires

54.Certes, la pratique de la torture au Népal a diminué de manière sensible depuis la signature de l’Accord de paix en 2006 mais elle reste fréquente au moment de l’interrogatoire des détenus en garde à vue et connaît une recrudescence inquiétante depuis le début de l’année 2009. L’Advocacy Forum-Nepal (AF) et le Redress Trust (Redress), le Centre du Népal pour les victimes de la torture ont notamment fourni des données au Comité qui révèlent, selon elles, une pratique routinière et sur une vaste échelle persistante de la torture au Népal.

55.Durant l’examen de la situation au Népal en janvier 2011 dans le cadre de la procédure d’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme, ce constat a été aussi confirmé par les institutions népalaises de défense des droits de l’homme (Commission nationale des droits de l’homme, Commission nationale des femmes et Commission nationale des Dalits), qui ont noté que la torture était pratiquée de manière fréquente pendant la détention. Par ailleurs, pendant l’Examen périodique universel plusieurs ONG ont exprimé leur préoccupation au sujet de la pratique de la torture par la police pendant les enquêtes criminelles et de l’absence de recours utiles pour les victimes de la torture.

56.En mai 2011, l’AF et Redress ont indiqué que le nombre de cas de torture signalés au Népal avait progressivement baissé depuis 2001 mais que la tendance s’était apparemment renversée depuis 2009 et de manière plus marquée durant la période allant de juillet à décembre 2010. De janvier à décembre 2009, environ 20 % des détenus interrogés ont fait état d’actes de torture; ce chiffre est resté quasiment inchangé pendant la période allant de janvier à décembre 2010 puisque 19,3 % des 4 198 détenus interrogés ont signalé avoir été torturés. Étant donné qu’il n’existe aucun organisme indépendant pour surveiller les conditions de détention à travers le pays, l’AF note que les données qu’elle a recueillies dans 57 lieux de détention situés dans 20 des 75 districts que compte le Népal donnent une idée de l’étendue du phénomène à travers le pays. Cependant, compte tenu de la constance avec laquelle les informations qu’il a fournies sur les cas de torture se sont révélées exactes au fil du temps, l’AF estime que les données en question sont représentatives des tendances nationales.

57.L’AF et Redress ont indiqué que, depuis la fin du conflit armé, les actes de torture et les mauvais traitement signalés sont le plus souvent imputés à la Police népalaise, à la Force de police armée (notamment dans la région du Teraï), aux fonctionnaires des douanes et aux agents du Département des forêts (qui sont habilités à arrêter des personnes et à enquêter dans les parcs nationaux). Les membres de la Ligue de la jeunesse communiste, la section jeunes du Parti communiste népalais (maoïste) et d’organisations de jeunes similaires mises en place par d’autres partis politiques ainsi que plusieurs groupes armés opérant dans la région du Teraï auraient également commis des actes assimilables à la torture et aux mauvais traitements.

58.S’agissant des moyens utilisés pour infliger des tortures et autres mauvais traitements, le Centre du Népal pour les victimes de la torture a recensé 70 méthodes différentes employées par les agents de l’État pendant la détention. L’Advocacy Forum a également relevé ces pratiques. Celles-ci consistent à frapper le détenu sur différentes parties du corps, à lui asséner des coups de poing et de pied, notamment sur les cuisses, les hanches, les épaules, le dos et la tête; à lui donner des gifles, à lui administrer des décharges électriques, notamment sur les oreilles, à sauter sur son corps; à le suspendre la tête en bas, les jambes et les bras attachés, à lui piétiner les paumes de la main jusqu’à ce qu’elles saignent, à la bâillonner, à l’enchaîner à l’aide de menottes à un pieu ou à un piquet accroché à un mur, à l’obliger à rester debout toute la nuit; à le faire courir ou sauter après l’avoir frappé sur la plante des pieds; à le forcer à rester accroupi pendant quinze à vingt minutes; à écraser des cigarettes allumées sur son corps, à lui tirer les oreilles et à le pincer sur différentes parties de son corps; à lui verser de l’eau dans les narines, à proférer des menaces et à utiliser d’autres types de violences verbales et à l’astreindre au travail forcé. Les tortures infligées spécifiquement aux femmes comprennent le viol, les menaces de viol, les agressions et les violences verbales sexuelles. La plupart de ces pratiques sont associées aux interrogatoires encore que les coups, les gifles, le bandage des yeux et les violences verbales seraient aussi pratiqués lors des arrestations et des transferts vers les postes de police.

ii)Torture d’enfants pendant la garde à vue

59.Selon des ONG, malgré l’adoption du règlement relatif à la justice des mineurs en 2006, les mineurs en garde à vue restent particulièrement exposés à la torture au Népal. L’Advocacy Forum et Redress ont indiqué que 23,9 % des 1 024 mineurs interrogés par l’AF en 2010 avaient fait état d’actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements, un taux beaucoup plus élevé que celui du reste de la population (19,3 % en 2010). En outre, des mineurs issus de groupes ethniques minoritaires affirment être plus souvent victimes d’actes de torture que les mineurs issus de grands groupes ethniques. À titre d’exemple, en 2010, 23,4 % des mineurs ayant déclaré avoir subi des actes de torture étaient issus du groupe des Chetris, 22,1 % du groupe des Teraïs et 13,5 % du groupe des Dalits.

60.L’AF et Redress ont fait observer que le groupe de détenus ayant fait le plus état d’actes de torture en 2010 comprenait des personnes poursuivies dans le cadre de la loi sur les armes et les munitions (42,5 % des personnes interrogées, soit 65 personnes sur un total de 153). Les personnes poursuivies en vertu de cette loi peuvent être jugées devant les chefs de district sans l’assistance d’un avocat ou sans avoir eu suffisamment de temps pour préparer leur défense. L’AF a fait valoir que les chefs de district étaient en général plus enclins à accepter les aveux arrachés sous la torture. Ces violations du droit à un procès équitable entraînent une grande disparité entre les taux de condamnation des tribunaux de district et ceux des chefs de district. Durant l’exercice 2006-2007, les tribunaux de district ont condamné 72,67 % sur un total de 4 524 défendeurs alors que les chefs de district en ont condamné 98,27 % sur un total de 2 516.

iii)Détention au secret

61.Selon le Centre du Népal pour les victimes de la torture, des centres mobiles de détention secrète seraient utilisés à des fins de torture; cette ONG a noté que si l’existence de tels lieux de détention clandestins ne pouvait être certifiée, des victimes ont fréquemment affirmé qu’ils existaient.

iv)Violations des droits de l’homme dans la région du Teraï

62.Selon les ONG, des troubles internes, notamment dans la région du Teraï, sont à l’origine d’une augmentation du nombre des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires perpétrés par la Police népalaise, la Force de police armée et l’armée népalaise. L’AF et Redress ont constaté que, ces dernières années, l’usage de la torture était, en moyenne, beaucoup plus répandu dans certaines zones, parmi lesquelles plusieurs districts de la région du Teraï, que dans le reste du pays. Par exemple, 40,9 % des détenus interrogés ont fait état d’actes de torture dans le district de Dhanusha, 30,5 % dans le district de Sunsari et 29,3 % dans celui de Surkhet. Or, tous ces districts sont situés dans la région du Teraï. En outre, entre 2009 et 2010, le nombre des cas de torture signalés dans cette région est passé de 22,4 % à 33,2 % dans le district de Morang, de 23,3 % à 27 % dans le district de Banke, de 21 % à 26 % dans le district de Jhapa, de 10 % à 13 % dans le district de Kapilvastu et de 13,4 % à 14,5 % dans le district d’Udayapur. L’AF et Redress ont également constaté qu’en 2010 les membres de groupes ethniques de la région du Teraï avaient été plus fréquemment soumis à la torture que les autres détenus, car, alors qu’ils ne représentaient que 17 % des détenus interrogés, 22,9 % des cas de torture signalés émanaient d’eux.

63.Dans la région du Teraï, la Force de police armée a procédé à un nombre croissant d’arrestations de personnes appartenant à des groupes armés. Elle n’est pas explicitement habilitée par la loi à effectuer des arrestations, ni à maintenir des personnes en détention. Cependant, compte tenu de la persistance des troubles qui touchent la région, elle a été déployée aux côtés de la Police népalaise. Des cas de détention illégale par la Force de police armée ont également été signalés. L’AF et Redress ont, par exemple, fait état en 2010 d’actes de torture perpétrés dans les camps de la Force de police armée d’Hathlewa et de Mujeliya dans le district de Dhanusha ainsi que dans son camp de Pathibara Gan à Padaguji, dans le district de Jhapa.

64.L’Asian Legal Resource Center a signalé 12 cas d’exécution extrajudiciaire présumée dans la région du Teraï, entre février et octobre 2009, ayant fait 15 victimes. La plupart de ces allégations concernaient des membres de la police, mais dans deux cas des membres de la Force de police armée étaient également impliqués. Selon la même organisation, dans ces deux cas les forces de sécurité ont affirmé qu’il y avait eu un accrochage entre la police et des membres présumés de groupes armés. Cependant, rien n’indiquait que des membres des forces de police ou des forces armées aient été blessés lors de ces incidents.

v)Inefficacité des dispositions destinées à protéger les détenus contre la torture

a.Registres de détention

65.Le Centre du Népal pour les victimes de la torture a signalé une augmentation du nombre des cas dans lesquels les forces de sécurité se sont livrées à des actes de torture ou de mauvais traitements lors du transfert des détenus vers les lieux de détention. Cette pratique fait que les détenus sont moins à même d’étayer leurs allégations de torture, puisqu’elle laisse la possibilité aux forces de sécurité de soutenir que les blessures des détenus résultent de l’usage de méthodes d’arrestation légales ou encore qu’elles sont le fait de civils.

66.L’AF et Redress ont également constaté que, bien que l’article 15 a) de la loi sur les droits civils (du 4 novembre 1955), dont les dispositions sont reprises dans la Constitution provisoire, exige que tout individu arrêté soit immédiatement informé des motifs de son arrestation, en pratique 73,6 % des détenus interrogés par l’AF en 2009 et 77,7 % de ceux interrogés en 2010 ont déclaré qu’ils n’avaient pas été informés immédiatement des motifs de leur arrestation.

b.Obligation de soumettre les détenus à un examen médical

67.Sur les 3 968 détenus interrogés par l’AF entre décembre 2008 et novembre 2009, 17,2 % ont déclaré qu’ils n’avaient pas été soumis à un examen médical durant leur détention; la proportion des détenus n’ayant pas bénéficié d’un tel examen est tombée à 13 % en 2010. Cependant, l’AF et Redress ont noté que la loi sur l’indemnisation des victimes d’actes de torture exigeait que tous les détenus bénéficient d’un examen médical au moment de leur arrestation, et d’un second examen à leur libération, mais n’imposait pas que ces examens soient effectués par un médecin indépendant. Au contraire, la loi disposait qu’ils devaient être, dans la mesure du possible, effectués par un médecin appartenant à l’administration et, en cas d’impossibilité, par la police. Cette disposition avait donc pour effet de priver pratiquement les détenus de la possibilité de se faire examiner par un médecin indépendant. Le Centre du Népal pour les victimes de la torture a signalé qu’en cas d’accusation portée contre la police par des victimes d’actes de torture ayant conduit un juge à ordonner un examen médical, les détenus étaient conduits dans un hôpital de la police ou auprès d’un médecin choisi par cette dernière, de façon que le rapport médical ne fasse pas état d’éventuelles traces de torture.

c.Obligation de présenter les détenus à un juge dans les vingt-quatre heuressuivant leur arrestation

68.Aussi bien la loi sur la police de 1955, la loi de 1955 sur les droits civils, celle de 1993 sur les affaires dans lesquelles l’État est partie que la Constitution provisoire exigent qu’un détenu soit présenté à un juge dans les vingt-quatre heures suivant son arrestation. Cependant, ces lois ne sont respectées en pratique que de manière partielle: l’AF et Redress ont signalé que 47,1 % des détenus interrogés en 2009 et 47,6 % de ceux interrogés en 2010 n’avaient pas été présentés à un juge dans le délai prévu.

d.Droit à l’assistance d’un conseil

69.Selon l’AF et Redress, 77,6 % des détenus interrogés n’avaient pas connaissance de leur droit à l’assistance d’un conseil en vertu de la loi népalaise, ce qui montrait bien que, même si le droit interne comportait des dispositions destinées à protéger les détenus contre la torture dans les lieux de détention, elles ne faisaient pas l’objet en pratique d’une application effective.

e.Interdiction d’utiliser devant les tribunaux les déclarations des détenuscontre eux-mêmes obtenues sous la contrainte

70.Certaines ONG signalent que les aveux obtenus sous la contrainte sont souvent reçus comme éléments de preuve dans les procès criminels et que pratiquement rien n’empêche la police d’utiliser la contrainte physique ou psychologique pour obtenir des aveux de la part des détenus. Selon l’AF et Redress, les juges demandent rarement aux détenus si leurs déclarations ont été faites librement et exigent, au contraire, des détenus qui disent avoir été contraints à faire leurs aveux qu’ils prouvent qu’ils n’ont pas été faits librement, renversant ainsi la charge normale de la preuve.

f.Insuffisance des enquêtes sur les allégations de traitements inhumainsde personnes en garde à vue

71.La loi népalaise n’impose pas aux juges de chercher à établir si un détenu a été torturé lors de sa garde à vue. Cependant, certains juges ont pris l’habitude de demander aux détenus d’enlever leur chemise et de dire s’ils ont été torturés par la police. D’autres ne le font pas. La pratique des juges en la matière n’est donc pas homogène. Parmi les détenus interrogés par l’AF, 93,3 % de ceux ayant comparu devant un juge en 2009 et 86,7 % de ceux ayant comparu en 2010 ne se sont pas vu demander par le juge s’ils avaient été soumis à la torture.

2.Impunité

a)Informations émanant des Nations Unies

72.L’impunité des auteurs de violations des droits de l’homme passées et présentes demeure une préoccupation majeure de l’ONU exprimée dans tous les rapports, notamment le rapport de 2010 du Secrétaire général sur la demande que le Népal a faite à l’ONU d’appuyer son processus de paix, le rapport de 2010 de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, le récapitulatif publié (en juillet 2010) par le bureau du HCDH au Népal concernant les accusations d’exécutions extrajudiciaires dans la région du Teraï et le rapport de suivi de 2011 du Rapporteur spécial sur la question de la torture.

i)Insuffisance des enquêtes sur les allégations de torture ainsi que des poursuiteset des sanctions contre les auteurs de tels actes

73.Ainsi que le Rapporteur spécial sur la question de la torture l’a relevé dans son rapport de suivi de 2011, aucune source digne de foi ne permettait d’établir que des poursuites pénales et des condamnations étaient intervenues au Népal contre des agents de l’État accusés de violences ou d’actes de torture. Lors des entretiens menés par le Rapporteur spécial, ce dernier a, au contraire, constaté une absence de confiance générale dans la justice et l’État de droit de la part des victimes et de leur famille. Dans son rapport de suivi de 2011, il a conclu à un échec de la justice civile, lié au fait que les autorités népalaises elles-mêmes ne procédaient pas à l’exécution des décisions judiciaires. Le Rapporteur spécial a également exprimé sa préoccupation quant au fait que de nombreuses dispositions législatives conféraient des pouvoirs quasi judiciaires aux chefs de district et n’imposaient que des sanctions disciplinaires ou des peines légères aux agents de l’État en cas d’implication présumée dans des actes de torture ou des mauvais traitements, contribuant ainsi à la culture de l’impunité au Népal. Il a ainsi noté que les dispositions de la loi sur la police, relatives à l’implication de membres des forces de police dans des actes de torture, ne prévoyaient que des actions disciplinaires et des peines légères. Il a enfin relevé que seule une condamnation pour violation des droits de l’homme permettait d’écarter un individu de la participation à une mission de maintien de la paix des Nations Unies, ce qui privait cette sanction de presque toute efficacité dans le cas des auteurs d’actes de torture.

74.Le rapport de 2010 de la Haut-Commissaire aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme au Népal a révélé que, malgré les engagements officiels et officieux pris par l’État partie, notamment ceux exprimés par le Premier Ministre devant l’Assemblée générale en septembre 2009, aucun progrès notable n’avait été réalisé dans la lutte contre l’impunité des auteurs de violations des droits de l’homme commises pendant et après le conflit et que l’armée népalaise, tout comme le Parti communiste unifié du Népal-maoïste (PCUN-M), persistaient à refuser la mise en cause de leurs membres pour violations des droits de l’homme et à s’abstenir de coopérer avec les autorités civiles chargées d’enquêter sur ces affaires. Le Secrétaire général a également relevé, en janvier 2010, l’absence de progrès dans la lutte contre l’impunité. L’impunité persistante des auteurs de violations des droits de l’homme a eu un effet corrosif sur les institutions chargées de faire respecter la loi, dont la crédibilité s’est encore dégradée. Elle a directement contribué à des insuffisances généralisées dans le domaine de la sécurité publique en portant à croire que la violence était sans conséquence pour celui qui s’y adonnait.

75.Dans son rapport de 2010, la Haut-Commissaire déplore l’absence de réaction du Gouvernement aux graves allégations de violation des droits de l’homme impliquant des membres des forces armées, y compris la non-application des ordonnances rendues par les tribunaux népalais. Par exemple, le tribunal du district de Kavre a rendu une décision en septembre 2009 afin de contraindre l’armée à suspendre l’auteur présumé, qui d’ailleurs fait l’objet d’un mandat d’arrêt, d’actes de torture à l’encontre de Maina Sunuwar, jeune fille de 15 ans, et de l’assassinat de celle-ci en 2004, ainsi qu’à produire les documents pertinents; l’armée ne s’est pas conformée à l’ordonnance de suspension du suspect, qu’elle a affecté à une mission de maintien de la paix de l’ONU. Cette dernière a fait rapatrier l’officier par la suite. En dépit des requêtes déposées par la Police népalaise et la Commission nationale des droits de l’homme, l’armée népalaise a refusé de remettre cet officier aux autorités civiles pour qu’une enquête indépendante puisse avoir lieu. Le Gouvernement n’a pas encore fait arrêter les quatre personnes accusées dans cette affaire, bien qu’elles fassent l’objet de mandats d’arrêt depuis juillet 2008.

76.Dans son rapport de 2010, la Haut-Commissaire constate également que l’armée népalaise n’a pas encore suspendu l’un des principaux auteurs présumés d’actes de torture liés au conflit et de disparitions forcées qui ont eu pour cadre la caserne Chisapani dans le district de Bardiya, et que le HCDH décrit pourtant en détail dans son rapport de 2008. Les dirigeants du PCUN-M n’ont pas non plus coopéré aux enquêtes pénales sur l’implication de militants du Parti dans de graves violations des droits de l’homme commises pendant et après le conflit, y compris la mort de près de 40 civils dans l’explosion d’un autocar en 2005 à Madi, dans le district de Chitwan, et les assassinats de Ram Hari Shrestha, d’Arjun Lama et du journaliste Birendra Sah. Le HCDH a mis en lumière l’absence de progrès dans chacune de ces affaires, dans une lettre adressée au Président du PCUN-M en juillet 2009.

77.Le Rapporteur spécial sur la question de la torture a relevé qu’en dépit des demandes répétées adressées par le HCDH au Gouvernement afin qu’une enquête complète et impartiale soit menée sur les allégations faisant état d’actes de torture dans la caserne de Maharajgunj, placée sous le contrôle du bataillon Bhairabnath de l’armée népalaise, aucune enquête sérieuse n’avait encore été diligentée et que l’un des auteurs au moins continuait à servir dans l’armée népalaise. Il a en outre noté l’identification, en décembre 2007, du lieu présumé où le corps de l’une des personnes disparues pourrait avoir été brûlé et la visite dans le pays, en janvier 2008, d’un groupe de médecins légistes finlandais qui a assisté les experts népalais dans les exhumations, ainsi que les exhumations entreprises dans le cadre des affaires de disparitions du district de Dhanusha, par une équipe composée de 11 médecins légistes népalais et finlandais sous la direction de la Commission nationale des droits de l’homme.

78.Le Rapporteur spécial sur la question de la torture a de nouveau critiqué le fonctionnement de la Cellule de protection des droits de l’homme mise en place au sein de la Police népalaise, déclarant que sa conception des enquêtes semblait se limiter à l’envoi d’une lettre détaillant la plainte au Bureau de la police du district compétent, exigeant de lui une réponse, sans se rendre auprès des auteurs des plaintes, ni les interroger en privé. À la date de rédaction du rapport, aucun membre de la police n’avait été suspendu à la suite d’une enquête menée par la Cellule de protection des droits de l’homme et cette dernière n’avait effectué aucune visite aux auteurs des plaintes ni ne s’était entretenue avec eux en privé afin de vérifier la véracité de leurs allégations.

79.En outre, le Rapporteur spécial sur la question de la torture a relevé que le Procureur général lui-même avait déclaré en mai 2010 que, conformément à l’article 135 3) de la Constitution provisoire, ses services n’étaient pas compétents pour mener des enquêtes sur les mauvais traitements infligés durant la garde à vue, leur compétence se limitant au contrôle des enquêtes menées par la police.

ii)Non-criminalisation de la torture telle que définie dans la Convention et absencede réparation adéquate pour les victimes d’actes de torture

80.À la suite de la visite qu’il a effectuée au Népal en 2005, le Rapporteur spécial sur la question de la torture a exprimé sa profonde préoccupation quant à la culture de l’impunité prévalant dans ce pays, s’agissant des actes de torture et, tout particulièrement, au sujet de la substitution de l’indemnisation des victimes à des sanctions pénales contre les auteurs de ces actes. Nonobstant le fait que les autorités népalaises aient considéré la loi de 1996 sur l’indemnisation des victimes d’actes de torture comme un moyen efficace de prévention de la torture, le Rapporteur spécial a signalé que la définition de la torture qui se trouvait dans ce texte n’était pas conforme à celle de l’article premier de la Convention, pas plus que ledit texte n’établissait de recours utile, n’érigeait la torture en infraction pénale, ni ne proposait de peines à la mesure de la gravité de tels actes. D’après le Rapporteur spécial, les «sanctions internes» auxquelles s’exposaient les auteurs de ces crimes étaient à l’évidence tellement inappropriées qu’elles ne sauraient avoir en pratique l’effet préventif ou dissuasif escompté. Le Rapporteur a estimé que l’unique effet de la loi, si tant est qu’elle en ait un, était de dissuader et d’empêcher les victimes de se tourner vers la justice en cas de torture ou mauvais traitements.

81.Le rapport de la Haut-Commissaire pour 2010 appelle l’attention sur le fait que les lacunes et les ambiguïtés dont souffre le cadre juridique népalais entravaient encore plus les procédures contre les auteurs de violations des droits de l’homme devant les tribunaux et que ni la torture ni les disparitions forcées n’ont été érigées en infraction pénale en droit népalais, autant d’obstacles supplémentaires auxquels se heurtaient les familles réclamant justice dans un système de justice pénale déjà mal en point.

b)Organisations non gouvernementales et institutions nationalesdes droits de l’homme

82.Les organisations non gouvernementales conviennent que l’impunité des auteurs de violations des droits de l’homme reste la norme au Népal, qu’il s’agisse de celles qui ont été commises lors du conflit armé ou de celles qui ont été perpétrées plus récemment. Ces organisations ont appelé l’attention sur l’impunité des forces de l’ordre et d’autres fonctionnaires accusés à maintes reprises de torture et l’absence d’enquêtes de la part des procureurs et des juges sur les allégations de torture.

i)Absence d’enquêtes sérieuses sur les allégations de torture, de poursuitesà l’encontre des responsables et de condamnations

83.Les ONG font observer que l’impunité continue d’entraver la justice dans les affaires concernant des crimes commis récemment, comme celles d’Amrita Sunar, de Devisara Sunar et de Chandrakala Sunar, qui ont été tuées le 10 mars 2010. Deux survivants affirment que ces femmes, qui faisaient partie d’un groupe de villageois non armés qui récoltaient du Kaulo (l’écorce médicinale d’un arbre) ont trouvé la mort lorsque près de 17 militaires ont ouvert le feu. L’armée népalaise affirme que les décès se sont produits lors d’échanges de tirs avec des braconniers armés. L’AF et l’Informal Sector Service (INSEC) ont mené leur propre enquête en soutien aux familles des victimes. Le 12 mars 2010, la police de Baryina s’est rendue sur les lieux pour enquêter. Son intervention a été vaine, en partie à cause du refus de l’armée de coopérer. Le 25 mars 2010, un proche d’une des victimes a pu déposer une plainte (First Information Report) auprès de la police contre les 17 militaires et 4 responsables du service des forêts. Selon les familles, les militaires les auraient menacées et forcées à signer un accord pour qu’elles retirent la plainte en échange de 25 000 roupies népalaises (340 dollars É.-U.). Le 17 mars 2010, une commission d’enquête dirigée par un substitut du Procureur général a été mise en place pour enquêter sur l’incident. Son rapport a été remis au Gouvernement le 19 avril 2010. Ce dernier a désigné une commission pour en examiner les conclusions. Ces conclusions n’ont pas encore été rendues publiques, et aucune mesure concrète n’a encore été prise.

84.Les ONG ont également cité le cas de Dharmendra Barai, mort le 4 juillet 2010, supposément suite à des tortures subies alors qu’il était en garde à vue. Les autorités nationales et locales ont toutes deux mené une enquête en réaction au tollé suscité par sa mort au sein de la société civile. Le 18 juillet 2010, le Ministère de l’intérieur a constitué une équipe d’enquêteurs qui s’est rendue sur les lieux où Dharmendra Barai aurait été torturé. En novembre 2010, les enquêteurs n’avaient cependant toujours pas publié de rapport. Le 3 août 2010, une autre équipe d’enquêteurs désignée par l’administration du district a publié son rapport. Elle y concluait que les causes du décès étaient inconnues, et qu’il n’existait pas de preuves suffisantes permettant d’affirmer qu’il était dû à la torture. Le rapport a indiqué que la police n’avait pas soumis Dharmendra à un examen médical au moment de son arrestation et n’avait pas non plus informé les autorités supérieures de cette arrestation. Le rapport a recommandé au Gouvernement d’indemniser la famille de la victime. Celui-ci a payé la modeste somme de 20 000 roupies népalaises pour couvrir le coût des funérailles. L’affaire est en instance et aucune sanction disciplinaire n’a été prise. Le 22 août 2010, le père de la victime a essayé de déposer un premier rapport d’information (First Information Report), mais la police a refusé de l’enregistrer, affirmant qu’une autre plainte avait déjà été déposée et qu’une enquête avait été menée.

85.L’AF a noté que, dans les faits, des poursuites étaient rarement engagées contre les individus accusés d’actes de torture puisqu’il n’existait aucun mécanisme impartial pour recevoir les plaintes pour torture et enquêter sur ces plaintes. La police est l’autorité chargée de recevoir ces plaintes. Même lorsque des plaintes étaient reçues par la police, cette dernière refusait systématiquement d’accepter les plaintes déposées par les familles des victimes et d’enregistrer les premiers rapports d’information. Et même lorsque les plaintes sont enregistrées, la police et les procureurs retardent systématiquement la conduite des enquêtes, parfois en dépit des ordres reçus des autorités supérieures ou des décisions des tribunaux. Ce comportement peut s’expliquer par l’influence considérable de l’armée népalaise et des Forces maoïstes et par le fait que la police sait que ni l’armée ni les partis politiques ne voudront coopérer avec les enquêteurs. Après la publication en octobre 2008 de son rapport intitulé «Waiting for Justice», l’AF a aidé les familles de 51 victimes à déposer un total de 30 premiers rapports d’information auprès de la police, et le 10 décembre 2009, Journée des droits de l’homme, des familles de victimes et des avocats ont essayé de déposer 28 plaintes supplémentaires auprès des autorités de police de 12 districts. La police a refusé de les enregistrer, déclarant qu’elle devait en référer préalablement aux autorités supérieures.

86.Les ONG ont également relevé plusieurs cas dans lesquels des accusations de torture et de disparition forcée ont été portées contre des officiers supérieurs de l’armée népalaise sans que des poursuites soient engagées. Dans certains cas, les auteurs présumés ont même obtenu une promotion. Toran Bahadur Singh, par exemple, ancien commandant de la 10e brigade, qui a été accusé d’implication dans des cas de disparition forcée et de torture de personnes placées en garde à vue dans la tristement célèbre caserne Maharajgun à Kathlandu en 2003 et 2004, a été plus tard promu général de division, et commandant en chef par intérim de l’armée en octobre 2009.

87.Les ONG dénoncent également l’impunité dans des cas de torture et de disparition imputés au Parti communiste unifié du Népal (maoïste) Dans le cas d’Arjun Bahadur Lama, porté disparu après son enlèvement par des maoïstes en 2005, le Parti communiste unifié du Népal n’a pas coopéré à l’enquête de la police et de la Commission nationale des droits de l’homme, faisant valoir que de tels cas devraient être traités via des mécanismes de justice transitionnelle qui restaient à établir.

88.Les ONG ont observé à de nombreuses reprises un manque de cohérence et de respect de la jurisprudence des juridictions supérieures de la part de la cour d’appel. Dans son arrêt du 18 septembre 2007 relatif à la torture et à la mort de Maina Sunuwar, la Cour suprême du Népal a estimé que les tribunaux civils avaient compétence pour connaître des actes criminels présumés imputés aux forces de sécurité durant le conflit armé. En outre, dans sa décision dans l’affaire Reena Rasaili du 14 décembre 2009, elle a statué qu’un acte qualifié de criminel par la loi constituait un crime quels que soient l’identité ou le statut de l’auteur ou les circonstances dans lesquelles il a eu lieu. La Cour a ajouté que la loi n’empêchait personne d’enquêter sur une plainte (premier rapport d’information) contre l’arrestation par la force d’une femme la nuit à son domicile pendant qu’elle dormait, et son exécution par l’armée ou les forces de sécurité. Ce serait bafouer la loi et les droits nationaux des citoyens que d’empêcher une telle enquête. Or malgré cette décision, certaines juridictions d’appel ont continué à rejeter les demandes d’actes introductifs d’instance au motif que les tribunaux civils ne sont pas compétents pour connaître des plaintes contre les forces de sécurité, alors que d’autres appliquent l’arrêt de la Cour suprême de 2007.

89.Les ONG ont également fait état de problèmes dans l’exécution des ordonnances des tribunaux, relevant le cas de l’enquête sur la mort de Maina Sunawar, jeune fille de 15 ans, à l’issue de laquelle la Cour martiale avait condamné trois officiers à six mois de prison et à une suspension de promotion temporaire (septembre 2005). Dans un deuxième temps, sur plainte de la mère de la victime, un tribunal de district a inculpé quatre officiers de l’armée du meurtre de Maina puis émis un mandat d’arrêt à leur encontre en janvier 2008. À ce jour aucun d’entre eux n’a été arrêté. Bien au contraire, un des accusés à été envoyé par l’armée népalaise en mission de maintien de la paix au Tchad à la mi-2009. L’ONU l’a rapatrié au Népal en décembre 2009, mais l’armée l’a placé sous sa garde à son arrivée à l’aéroport, et ne l’a pas encore remis aux autorités civiles, malgré les ordonnances du tribunal et les instructions du Premier Ministre.

90.De même, en août 2010, le Cabinet du Premier Ministre a déclaré, dans une réponse à la Cour suprême, que les auteurs de ce crime seraient punis après l’enquête que mènerait la future Commission pour la vérité et la réconciliation. Cela va à l’encontre d’un précédent arrêt de la Cour suprême rejetant les tentatives de la police pour retarder les investigations au motif que celles-ci ne pouvaient être effectuées que par cette commission. De la même façon, à la suite des constatations du Comité des droits de l’homme au sujet de la disparition de Surya Prasad Sharma, le Gouvernement népalais a déclaré que cette disparition ferait l’objet d’une enquête de la part de la future commission d’enquête sur les disparitions, ce qui est contraire aux constatations du Comité des droits de l’homme demandant de poursuivre les responsables dans les meilleurs délais.

91.Les ONG ont en outre indiqué que le retard dans la mise en place de mécanismes tels que la Commission pour la vérité et la réconciliation et la Commission d’enquête sur les disparitions contribuait à l’état d’impunité au Népal, dans la mesure où il attestait de la part des pouvoirs publics un manque persistant de volonté d’enquêter sur les violations flagrantes des droits de l’homme commises par le passé. Environ 1 000 cas de disparition forcée et d’enlèvement n’ont toujours pas été élucidés depuis la fin du conflit.

ii)Inefficacité de la Commission nationale des droits de l’homme

92.La Commission nationale des droits de l’homme a cité dans son rapport annuel 2007-2008 la non-application de ses recommandations par le Gouvernement comme l’un des principaux obstacles à son action. La Commission a reçu 1 173 plaintes de violation des droits de l’homme, dont 104 plaintes de torture contre les forces de sécurité du 17 juillet 2007 au 14 juillet 2008. Elle a procédé au total à 175 enquêtes et formulé des recommandations dans 62 cas. Aucune de ces recommandations n’a été appliquée. La Commission a, à plusieurs reprises, exprimé son amertume face à la non-application de ses recommandations par le Gouvernement. En août 2010, elle a indiqué que le Gouvernement n’avait appliqué que 34 de ses 386 recommandations.

93.Les ONG ont également fait part de leurs réserves quant à l’efficacité de l’action de la Commission. Du 16 juillet 2008 au 14 juillet 2009, 677 plaintes pour violation des droits de l’homme auraient été portées à l’attention de la Commission. Elles comprennent 70 allégations de torture mettant en cause les forces de sécurité. La Commission n’a enquêté que sur trois de ces 70 cas. Elle a recommandé une indemnisation dans ces trois cas et l’adoption de mesures contre les auteurs dans deux. Le rapport annuel ne fournit pas d’informations sur les raisons pour lesquelles les 67 cas restants n’ont pas fait l’objet d’investigations. De même, une étude conjointe de la Commission et du Centre du Népal pour les victimes de la torture consacrée au cas de 594 victimes de tortures dans cinq districts a relevé un recours fréquent à la torture avec pour conséquences de graves problèmes physiques et mentaux et des handicaps connexes chez les victimes. La Commission n’a pas pris l’initiative de traiter ces cas dans l’optique d’une indemnisation mais a uniquement demandé aux organisations de défense des droits de l’homme de mettre immédiatement en place des services de réadaptation pour les victimes.

iii)Non-criminalisation de la torture telle que définie dans la Convention

94.Selon l’AF bien que la Constitution provisoire de janvier 2007 l’ait qualifiée d’infraction pénale, la torture est encore considérée comme un délit civil puisque aucun projet de loi sur la torture (établissant des sanctions pénales pour les actes de torture) n’a été adopté à ce jour. En l’absence de législation définissant expressément l’infraction, les auteurs ne peuvent être poursuivis que du chef d’agression en vertu du Muluki Ain (Code national). La loi de 1996 sur l’indemnisation des victimes d’actes de torture ne prévoit aucune sanction pénale.

95.Malgré un arrêt historique de la Cour suprême en 2007 et le dépôt d’un projet de loi pour la création d’une Commission sur les personnes disparues, il n’y a eu aucun progrès vers la solution des cas de disparition ou la criminalisation des disparitions forcées en droit népalais.

iv)Absence de moyens de réparation adéquats pour les victimes de torture

96.Les ONG signalent que les victimes de torture arrivent rarement à obtenir une indemnisation, malgré la loi sur l’indemnisation des victimes d’actes de torture. Depuis l’adoption de cette loi, le Centre du Népal pour les victimes de la torture a traité 160 affaires en vue de l’octroi d’une indemnisation, et, sur les 50 cas ayant fait l’objet de décisions positives en faveur des victimes, huit ont donné lieu à une indemnisation d’un certain montant. Vu ce manque d’accès à la justice et aux moyens de réparation, les victimes ne font plus confiance au système judiciaire et sont de plus en plus réticentes à déposer des demandes d’indemnisation auprès des tribunaux. Dans les cas où les victimes obtiennent une certaine forme d’indemnisation, celle-ci intervient généralement après un temps considérable. Le montant des indemnisations est très bas, variant de 10 000 à 100 000 roupies népalaises (100 à 1 000 euros). Mais la plupart des victimes reçoivent le montant minimum, ce qui est loin de couvrir les frais de leur réadaptation physique et psychologique.

V.Conclusions et recommandations du Comité

97.Le Comité rappelle la définition de la pratique systématique de la torture adoptée lors de sa première enquête qui se lit comme suit:

«Le Comité considère qu’il y a pratique systématique de la torture lorsqu’il apparaît que les cas de torture rapportés ne se sont pas produits fortuitement en un endroit ou à un moment donné, mais comportent des éléments d’habitude, de généralité et de finalité déterminée au moins sur une portion non négligeable du territoire du pays en cause. D’autre part, la torture peut avoir un caractère systématique sans qu’elle résulte de l’intention directe d’un gouvernement. En effet, celle-ci peut être la conséquence de facteurs que le gouvernement peut avoir des difficultés à contrôler, et son existence peut signaler un écart entre la politique déterminée au niveau du gouvernement central et son application au niveau de l’administration locale. Une législation insuffisante qui laisse en fait la possibilité de recourir à la torture peut encore ajouter au caractère systématique de cette pratique».

98.Le Comité rappelle les conclusions formulées par des organes de l’ONU, des organisations non gouvernementales et des institutions nationales des droits de l’homme citées dans le présent rapport, notamment celles figurant dans le rapport de 2009 de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme au Népal, − dans lequel il est indiqué que des mauvais traitements, allant parfois jusqu’à la torture, seraient couramment infligés surtout au moment de l’interrogatoire −; dans le rapport de suivi du Rapporteur spécial sur la torture en date du 4 mars 2011 − selon lequel les informations faisant état de passages à tabac et de mauvais traitements pouvant être assimilés parfois à des actes de torture, en particulier pendant les interrogatoires, étaient fréquentes au Népal −; et dans des rapports émanant d’ONG indiquant que même si la pratique de la torture au Népal a considérablement diminué depuis la fin du conflit, elle demeure fréquente pendant les interrogatoires effectués en garde à vue et, chose inquiétante, on assiste à une résurgence du phénomène depuis le début de 2009 dénotant une pratique routinière et systématique continue de la torture au Népal.

99.Le Comité note en outre que les mineurs incarcérés restent particulièrement exposés à la torture au Népal. Les informations transmises par les organes des Nations Unies et des ONG indiquent que les mineurs continuent d’être plus nombreux par rapport à la population à signaler des actes de torture en détention et d’être incarcérés dans des lieux de détention pour adultes, et que la pratique de la torture est beaucoup plus répandue en moyenne dans plusieurs districts de la région du Teraï que dans le reste du pays. Le Comité note que la torture et les mauvais traitements sont le plus souvent imputés à la Police népalaise, à la force de police armée, aux officiers des douanes et aux agents du département des forêts qui l’utiliseraient pour obtenir des aveux.

100.Le Comité est d’avis que ces informations contiennent des indications bien fondées que la torture est systématiquement pratiquée, et ce depuis un certain temps déjà, sur une grande partie du territoire népalais, souvent en tant que méthode d’enquête pénale et moyen d’obtenir des aveux.

101.Le Comité rappelle qu’il était parvenu lors de sa première enquête à la conclusion suivante:

«Le Comité est d’avis que, même si l’on ne peut prouver avec une certitude absolue qu’un nombre restreint de cas de torture, les nombreux témoignages recueillis montrent […] que l’existence d’une pratique systématique de la torture ne peut pas être niée».

102.Le Comité prend note des renseignements fournis par des organes de l’ONU et des ONG au sujet d’allégations faisant état d’une pratique sur grande échelle de la torture au Népal et regrette que l’État partie n’a pas accepté de recevoir sur son territoire une visite qui aurait permis aux membres du Comité de s’entretenir directement avec les personnes dont émanent les allégations et les autorités concernées. Il constate que plusieurs observateurs signalent que même si la pratique de la torture en détention demeure répandue, puisque environ 20 % des détenus affirment avoir été torturés, les informations disponibles indiquent qu’aujourd’hui les actes de torture commis par les forces de sécurité népalaises sont moins fréquents que ceux qui leur étaient imputés pendant le conflit. Toutefois, on peut considérer, conformément à la conclusion à laquelle était parvenu précédemment le Comité, qu’un État partie pratique systématiquement la torture même si les allégations de violation de la Convention ont diminué pendant les années couvertes par l’enquête. Le Comité est d’avis que les réponses de l’État partie sont insuffisantes pour réfuter les allégations concernant la pratique de la torture sur une grande échelle.

103.Tout en notant que l’État partie affirme ne pas approuver les actes de torture et être déterminé à mettre fin à l’impunité, le Comité estime que le Népal ne lui a pas fourni d’éléments de preuve clairs et concrets à l’appui de cette affirmation. L’État partie n’a accompli aucun progrès notable en ce qui concerne l’impunité des violations des droits de l’homme commises pendant le conflit. Les allégations de torture demeurent très fréquentes bien que le conflit ait pris fin en 2006, et l’État partie n’a dûment enquêté que sur un nombre restreint d’allégations. Dans les rares cas où des enquêtes sur des allégations de torture ont pu être menées avec succès, les personnes dont la responsabilité a été établie n’ont pas fait l’objet de sanctions pénales, et, en particulier, aucune peine d’emprisonnement à la mesure de la gravité de l’infraction commise n’a été infligée. Le Comité rappelle son Observation générale no 2 dans laquelle il a déclaré, à propos des acteurs non étatiques, que si les autorités de l’État ont des motifs raisonnables de penser que des actes de torture ou des mauvais traitements sont infligés et n’exerce pas la diligence voulue pour prévenir de tels actes, enquêter sur leurs auteurs, engager des poursuites contre eux et les punir, l’État partie assume la responsabilité de ces actes et ses agents devraient en être considérés comme les auteurs en vertu de la Convention pour avoir consenti, expressément ou tacitement, à la commission de ces actes interdits. Dans la même Observation générale, il est aussi noté que le fait que l’État n’exerce pas la diligence voulue pour mettre un terme à ces actes, les sanctionner et en indemniser les victimes a pour effet de favoriser ou de permettre la commission, en toute impunité, par des agents non étatiques, d’actes interdits par la Convention et que l’indifférence ou l’inaction de l’État face à des actes de torture constitue une forme d’encouragement et/ou de permission de fait. Bien que dans l’Observation générale no 2 ces principes soient formulés à propos de la commission d’actes de torture et de mauvais traitements par des acteurs non étatiques, ils sont sans aucun doute applicables dans des cas comme celui qui est actuellement à l’examen, où il est allégué que des agents de l’État sont directement responsables de la commission d’actes de torture et de mauvais traitements sur la personne de détenus.

104.Les actes et les omissions du Népal vont donc plus loin qu’une simple passivité occasionnelle. Ils montrent que les autorités non seulement n’arrivent pas à réfuter des allégations bien fondées mais semblent acquiescer à une politique qui couvre et encourage les actes mis en cause, en violation des dispositions de la Convention.

105.La conclusion du Comité quant à la pratique systématique de la torture au Népal tient compte à la fois de la fréquence et de l’étendue territoriale des actes de torture dans le pays et de la question de savoir si l’État partie a mis en place des mécanismes efficaces pour la prévention de tels actes. Le Comité rappelle qu’aux termes de son Observation générale no 2, les États parties sont tenus de prendre des mesures positives concrètes pour prévenir efficacement la torture. À cet égard, le Népal n’a pas pris de mesures pour faire en sorte que les personnes impliquées dans des affaires où d’amples preuves de leur culpabilité avaient été recueillies par des ONG et la Commission nationale des droits de l’homme, soient dûment poursuivies, en particulier là où les tribunaux nationaux avaient établi la responsabilité de ces personnes. Il n’a pas mis fin à des pratiques telles que la falsification des registres de police et d’écrou, la détention de personnes au secret par la police pendant plusieurs jours ou plus de vingt-quatre heures avant leur présentation à un juge et le refus de la police d’enregistrer de premiers rapports d’information. L’État partie n’a pas non plus mis fin à l’application de la loi sur les armes et les munitions qui viole les garanties d’une procédure équitable. Il n’a pas veillé à ce que les détenus bénéficient d’un examen médical effectué par un médecin indépendant, à ce que les juges excluent de la procédure judiciaire les aveux obtenus sous la torture et à ce que la promotion des fonctionnaires accusés de torture ou d’exécutions extrajudiciaires et leur maintien en fonctions soient interdits. L’État partie n’a pas non plus appliqué des décisions judiciaires et des recommandations émanant de la Commission nationale des droits de l’homme. Ce comportement et ces actes de négligence contribuent tous à la perpétuation d’une pratique routinière, sur une vaste échelle et délibérée de la torture au Népal. Les déclarations de l’État partie par lesquelles il a nié soutenir la torture et condamné l’impunité ne sont pas, à elles seules, suffisantes pour suppléer les manquements constatés.

106.Le Comité note en outre qu’aux termes de son Observation générale no 2 les États parties sont tenus de supprimer tous les obstacles juridiques ou autres qui empêchent l’élimination de la torture et des mauvais traitements. Le Népal a adhéré à la Convention, il y a vingt ans (le 14 mai 1991), et dans les observations finales qu’il a adoptées à l’issue de l’examen du rapport initial de l’État partie, en avril 1994, le Comité a d’abord recommandé au Népal d’adopter une législation pour interdire la torture. Cette même recommandation a été réitérée en avril 2007 dans les observations finales adoptées par le Comité à l’issue de l’examen du deuxième rapport périodique du Népal. Comme le note le Comité dans son Observation générale no 2, en définissant une infraction de torture distincte des voies de fait ou d’autres infractions, les États parties serviront directement l’objectif général de la Convention qui consiste à prévenir la torture et les mauvais traitements. Le fait de nommer et de définir ce crime contribuera à la réalisation de l’objectif de la Convention, entre autres en appelant l’attention de chacun − notamment des auteurs, des victimes et du public − sur la gravité particulière du crime de torture. Le fait de codifier ce crime permettra également de: a) souligner la nécessité de prévoir un châtiment approprié qui tienne compte de la gravité de l’infraction; b) renforcer l’effet dissuasif qu’a en soi l’interdiction de la torture; c) améliorer l’aptitude des fonctionnaires responsables à repérer l’infraction particulière de torture; et d) permettre au public, en lui en donnant les moyens, de surveiller et, si nécessaire, de contester l’action de l’État partie ou son inaction lorsque celle-ci viole la Convention. L’inaction de l’État partie au regard de son obligation fondamentale d’adopter une loi pour ériger la torture en infraction est un autre élément amenant le Comité à conclure que l’État partie contribue activement à la pratique de la torture sur une grande échelle au Népal dans la mesure où les actes de torture ne sont pas encore interdits et punis par la législation nationale.

107.Le Comité rappelle au Gouvernement que la Convention contre la torture fait obligation aux États parties de donner effet à ses dispositions en droit national et de les respecter strictement dans la pratique. Les informations dont est saisi le Comité ne lui permettent pas de conclure que le Gouvernement népalais a élaboré et appliqué des politiques suffisamment efficaces pour prévenir la torture et mettre fin à l’impunité endémique des auteurs d’actes de torture au Népal.

108.Compte tenu des informations nombreuses et concordantes qu’il a reçues de diverses sources et eu égard à ses constatations exposées plus haut, le Comité conclut que la pratique de la torture au Népal est systématique au sens de sa définition établie de longue date, principalement dans le cadre de la garde à vue.

109. Eu égard à ces considérations, le Comité réitère les recommandations suivantes qu’il avait formulées dans de précédentes observations finales:

a) L’État partie devrait condamner publiquement la pratique de la torture et prendre des mesures concrètes pour empêcher les actes de torture sur tout territoire relevant de sa juridiction. Il devrait également prendre toutes les mesures nécessaires, selon qu’il conviendra, pour protéger tous les membres de la société des actes de torture ;

b) L’État partie devrait adopter une législation interne qui garantisse que les actes de torture, y compris les tentatives, la complicité et la participation, soient érigés en infractions pénales comportant des peines à la mesure de la gravité des infractions commises, et songer à prendre des mesures pour modifier la loi de 1996 sur l’indemnisation en cas de torture afin de la rendre conforme à tous les éléments de la définition de la torture figurant dans la Convention ;

c) L’État partie devrait faire savoir clairement et sans ambiguïté à toutes les personnes et à tous les groupes sous sa juridiction qu’il condamne la torture et les mauvais traitements. Il devrait prendre des mesures législatives, administratives et judiciaires efficaces pour faire en sorte que toutes les allégations d’arrestations sans mandat, d’exécutions extrajudiciaires, de décès en détention et de disparitions donnent rapidement lieu à des enquêtes et à des poursuites et que les auteurs soient punis .

110. Encourageant une nouvelle fois l’État partie à montrer concrètement sa volonté et sa détermination à lutter contre la torture sur son territoire, le Comité fait les recommandations suivantes:

a) L’État partie devrait créer sans délai des organes d’investigation indépendants, comme la Commission vérité et réconciliation et la Commission d’enquête sur les disparitions, pour enquêter sur toutes les allégations faisant état d’actes de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées, notamment celles concernant des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires commis dans la région du Terai en 2009-2010 , ainsi que les allégations de cas de détention arbitraire, d’actes de torture et de disparitions dans la caserne de l’armée népalaise royale de Maharajgunj à Katmandou, en 2003-2004, et celles faisant état de disparitions liées au conflit dans le district de Bardiya (décembre 2008) ;

b) Les plaintes concernant des actes de torture imputables à des agents de l’État devraient faire l’objet d’enquêtes rapides, complètes et impartiales, et les auteurs présumés devraient être poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes;

c) Le ministère public devrait être habilité à engager et mener des enquêtes sur toute allégation de torture et être doté des ressources financières et humaines dont il a besoin pour s’acquitter de cette responsabilité;

d) L’État partie devrait prendre immédiatement des mesures concrètes pour que tous les détenus bénéficient, dans la pratique, de toutes les garanties juridiques fondamentales, dès le début de leur détention; en particulier, ils devraient pouvoir exercer le droit d’avoir accès rapidement à un avocat et de bénéficier d’un examen médical indépendant, d’aviser un proche, d’être informés de leurs droits ainsi que des accusations portées contre eux au moment de leur mise en détention et de comparaître devant un juge dans le délai légal de vingt-quatre heures. L’État partie devrait également veiller à ce que tous les détenus soient inscrits sur un registre central et surveiller les fonctionnaires chargés de ce registre pour s’assurer qu’il soit tenu avec précision;

e) Le Comité engage l’État partie à créer un système national efficace de surveillance et d’inspection de tous les lieux de détention et à donner suite aux résultats de cette surveillance systématique. Il devrait également faire en sorte que les médecins légistes soient formés pour pouvoir déceler les signes de torture pendant les visites effectuées dans les lieux de détention;

f) Les fonctionnaires chargés d’appliquer la loi et les militaires accusés de torture devraient être suspendus de leurs fonctions ainsi que de toute fonction exercée dans le cadre des activités de maintien de la paix de l’ONU, en attendant la fin de l’enquête sur les actes présumés de torture et de toute procédure judiciaire ou disciplinaire qui pourrait en résulter;

g) Lorsqu’un détenu affirme que des aveux lui ont été arrachés par la torture, l’accusation devrait assumer la charge de la preuve et établir que lesdits aveux ont été faits librement;

h) Les violations présumées des droits de l’homme contre des civils imputées à l’armée et aux forces de la police armée népalaises devraient faire l’objet d’une enquête et de poursuites menées par des tribunaux civils ordinaires à tous les stades de la procédure pénale;

i) L’État partie devrait assurer sans délai à toutes les victimes d’actes de torture une réparation, notamment une indemnisation équitable et suffisante, une réadaptation complète et d’autres formes de dédommagement, selon qu’il conviendra. Le droit de la victime de demander réparation ne devrait pas être soumis à des règles de prescription. L’État partie devrait faire en sorte que toutes les personnes bénéficient rapidement de la réparation accordée. En outre, il devrait garantir la mise en place de programmes de réparation appropriés, notamment pour le traitement médical des traumatismes, et d’autres mesures de réadaptation en faveur des victimes de tortures et de mauvais traitements, et allouer les ressources voulues pour assurer le bon fonctionnement de ces programmes;

j) Une séparation devrait être opérée entre les délinquants mineurs en fonction de leur âge et de la gravité de l’infraction commise, comme l’ont recommandé le Comité, dans ses dernières observations finales, et le Comité des droits de l’enfant ;

k) Les postes de police ne devraient pas garder en détention des personnes sans les présenter à un juge au-delà des vingt-quatre heures prescrites par la loi;

l) Des statistiques ventilées par âge, sexe et race sur le nombre de plaintes pour torture reçues et des enquêtes menées devraient être rassemblées dans un recueil public qui devrait être soumis au Parlement et porté à l’attention du Comité;

m) Chaque fois que des allégations de torture sont faites par une personne, les autorités compétentes devraient veiller à ce qu’un examen médical indépendant soit effectué conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul). Les médecins devraient être formés pour pouvoir déceler les lésions qui sont caractéristiques de la torture ou des mauvais traitements, conformément au Protocole d’Istanbul. Des examens médico-légaux des détenus devraient être effectués de manière routinière et ne pas dépendre d’une demande de la police;

n) L’indépendance sur les plans technique et scientifique des médecins légistes dans l’exécution de leurs fonctions devrait être garantie, notamment en les plaçant sous le contrôle de la justice ou de toute autre autorité indépendante et en les séparant de toutes les structures policières;

o) L’État partie devrait songer à ratifier le Protocole facultatif à la Convention, ce qui permettrait de créer un mécanisme national de protection habilité à effectuer des visites périodiques dans les lieux de détention;

p) L’État partie devrait songer à accepter la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers au titre de l’article 22 de la Convention.

Deuxième partieCommentaires et observations soumis par le Népal le 8 août 2011

111.Le Népal a reçu un rapport que le Comité contre la torture a adopté en application de l’article 20 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après, la Convention). Ce rapport, qui serait fondé sur de nombreuses informations concordantes adressées au Comité par diverses sources, conclut que la torture est une pratique systématique sur le territoire népalais, principalement pendant la garde à vue. Après avoir pris connaissance du rapport, le Népal souhaite dire que les informations et allégations sur lesquelles le rapport se fonde pour aboutir à cette conclusion ne reposent sur aucun fait.

112.Il convient de noter que le Népal connaît une profonde transformation socioéconomique et politique qui s’inscrit dans le cadre général de structures démocratiques faisant suite au Mouvement populaire pacifique de 2006. Le mandat du Mouvement prévoit la paix, le changement, la stabilité, la mise en place d’un système de gouvernance démocratique, multipartite et concurrentielle, la prééminence de la légalité, la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la totale liberté de la presse et un appareil judiciaire indépendant ancré dans les valeurs et les normes démocratiques. Les droits de l’homme demeurent au cœur du processus de paix, qui est étroitement lié aux principes de démocratie, d’équité, de solidarité et de participation. La décision de l’Assemblée constituante, démocratiquement élue, de déclarer le 28 mai 2008 que le Népal est une République démocratique fédérale constitue une transformation pacifique rare dans l’histoire contemporaine. Le processus de transformation établit solidement les droits politiques, économiques, culturels et sociaux de la population en tant que socle du processus démocratique népalais. Le Népal met actuellement en place des institutions nationales démocratiques visant à consolider les acquis démocratiques, à accélérer le processus de transformation socioéconomique et à mener à terme le processus de paix, notamment la rédaction d’une constitution démocratique par l’Assemblée constituante.

113.Il semble que la décision du Comité de procéder à une enquête confidentielle en application de l’article 20 de la Convention s’est fondée sur des informations qui ont été publiées dans le cadre d’une campagne anti-Népal qui outrepasse le mandat de protection et de promotion des droits de l’homme. Par conséquent, le Népal affirme que ce genre d’informations ne devraient jamais faire partie d’une procédure crédible des organes conventionnels, afin de préserver leur indépendance, leur impartialité et leur liberté face à toute forme d’influence, qu’elle émane d’un État, d’organisations internationales, de particuliers ou d’entités.

114.La Constitution provisoire népalaise de 2007 (ci-après, la Constitution) établit l’obligation pour l’État d’adopter un système politique qui respecte pleinement les principes universellement acceptés que sont les droits de l’homme fondamentaux, la démocratie véritablement pluraliste, la prééminence du droit et l’indépendance du pouvoir judiciaire, tout en mettant un terme à l’impunité. Le Népal traverse une phase de transition qui est en soi une période délicate et difficile. Tout État traversant pareille étape rencontre des problèmes tels que la corruption et l’impunité. L’établissement de la primauté du droit demeure l’objectif suprême et l’indispensable pilier de toute société démocratique. Le Népal est intimement convaincu qu’une démocratie solide et solidaire peut permettre de résoudre ces problèmes, complètement et durablement. Ainsi, le Gouvernement népalais a pris, et continuera de prendre, des mesures visant à lutter contre ces problèmes. Il s’agit notamment de mieux faire respecter la légalité en mettant l’accent sur une mise en œuvre plus efficace des lois pertinentes, des instruments relatifs aux droits de l’homme, ainsi que des directives et recommandations de la Cour suprême et de la Commission nationale des droits de l’homme, en réorganisant les institutions concernées et les organismes de sécurité grâce à des ressources adéquates et en constituant une commission sur les disparitions et une commission vérité et réconciliation.

115.La Constitution interdit la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et apporte une protection à toute personne placée en garde à vue. Toute victime de torture ou de mauvais traitements a le droit d’être indemnisée conformément à la loi. Le Ministère de l’intérieur du Gouvernement népalais a rédigé un projet de loi érigeant la torture en infraction pénale qui est entièrement conforme à la Convention contre la torture, puis l’a transmis au Ministère de la justice pour mise au point définitive du texte. Le Népal applique depuis 1996 la loi sur l’indemnisation en cas de torture. En outre, le Gouvernement a déposé à l’Assemblée législative/Parlement, en vue de promulgation, des projets de loi importants qui portent sur le Code pénal et le Code de procédure pénale. Ces textes contiennent des dispositions relatives notamment à l’interdiction de toute forme de torture et au droit des victimes à réparation. Le Népal s’est donc résolument engagé sur la voie de la légalité et n’admet en aucun cas la pratique de la torture. Les allégations de pratique systématique de la torture sont foncièrement un tissu d’accusations mensongères, injustes et unilatérales montées de toutes pièces pour nuire au Népal. Le Népal souhaite faire observer que l’interprétation que donne le Rapporteur spécial de la situation ne correspond pas à la réalité du terrain. Le Népal tient à réaffirmer qu’il rejette la conclusion selon laquelle il existe une pratique systématique de la torture sur son territoire. Il convient de noter par ailleurs que la Constitution interdit la détention au secret; elle n’est pas pratiquée au Népal.

116.En 2007, le Népal a adopté la loi sur l’armée qui remplaçait la loi sur l’armée de 1959. L’article 62 de la nouvelle loi prévoit la constitution d’une commission présidée par le Procureur général adjoint pour enquêter sur des affaires de corruption, de prévarication, de torture et de disparition, affaires qui sont ensuite jugées par le tribunal militaire spécial. En cas de désaccord avec la décision rendue par ce tribunal, l’article 119 de la loi prévoit qu’un appel peut être interjeté devant la Cour suprême. En outre, l’article 66 prévoit que les actes de viol et de meurtre commis par un militaire à l’égard d’un civil ne relèvent pas de la justice militaire mais des tribunaux civils ordinaires.

117.Le Népal souhaite faire valoir que d’éventuels incidents isolés ne peuvent donner lieu à une généralisation et être considérés comme le résultat d’une politique délibérée de l’État. Le Népal ne tolère pas la torture et l’État n’a pas pour politique d’assurer l’impunité aux auteurs d’actes de torture. Le Népal a toujours pris au sérieux toute allégation de torture et les auteurs de ces actes sont rapidement traduits en justice. Des sanctions ont été prises à l’encontre de plusieurs fonctionnaires des services de sécurité à cet égard. Des sanctions ont été prises à l’encontre de 571 agents des forces de police, allant du simple gardien de la paix à l’inspecteur général adjoint de la police. Sur ces 571 personnes, 375 ont été sanctionnées pour violation du droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cinquante-quatre agents des corps de police armée ont été sanctionnés pour violation des droits de l’homme. Parmi les sanctions prises, il y a notamment eu la rétrogradation, la révocation, le gel de la promotion et de la nomination à un échelon supérieur et la suspension. De même, l’armée népalaise a sanctionné 285 militaires lors de précédentes affaires de violation des droits de l’homme. L’armée a mené des enquêtes sur les violations des droits de l’homme et prononcé les décisions suivantes à l’encontre d’agents de différents grades: 118 peines de prison, 62 révocations, 40 rétrogradations, 23 déchéances de grade, 26 gels de promotion, 8 avertissements et 8 condamnations à indemniser la famille des victimes. Le Népal estime que cela prouve que les organes chargés de la sécurité s’attachent scrupuleusement à prendre au sérieux chaque incident de violation des droits de l’homme impliquant le personnel de sécurité, à faire une enquête et à condamner les auteurs. Cette attitude reflète la politique de tolérance zéro du Népal en matière de violation des droits de l’homme.

118.Plusieurs mesures politiques, juridiques et institutionnelles ont été adoptées pour mieux garantir l’intégration des principes et valeurs des droits de l’homme dans l’ensemble des organes chargés de la sécurité. L’armée népalaise a incorporé les droits de l’homme et le droit international humanitaire dans toutes ses formations (initiale, supérieure et spécialisée). Des cours de formation distincts sont régulièrement donnés dans plusieurs quartiers généraux de division et de brigade. Entre 2007 et 2010, 1 032 personnes ont suivi une formation sur les droits de l’homme et le droit international humanitaire, qui a sensibilisé l’ensemble du personnel aux normes fondamentales. Au total, 367 membres des forces armées ont déjà suivi une formation relative aux résolutions 1325 et 1820 du Conseil de sécurité de l’ONU. Grâce aux efforts communs de l’armée népalaise et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), un film didactique sur le droit des conflits armés a été réalisé et diffusé auprès de l’armée népalaise. De même, pour donner un ouvrage de référence succinct aux commandants sur le terrain, un manuel sur le droit international humanitaire a été publié et diffusé au sein de l’armée népalaise. Une politique de tolérance zéro est appliquée pour toute violation des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Des mécanismes institutionnels correspondants ont été mis en place. L’armée népalaise a créé en 2006 une Direction des droits de l’homme qui a principalement pour tâche de faire connaître les droits de l’homme aux forces armées et de leur permettre de s’acquitter pleinement des engagements pris en matière de droits de l’homme. En outre, chaque commandement régional compte une division des droits de l’homme et chaque commandement de brigade une section de droits de l’homme; il est prévu d’étendre la formule à l’échelon opérationnel. Il convient de noter qu’une section chargée de la promotion des droits de l’homme et du traitement des plaintes en la matière a récemment été créée au Ministère de la défense. Un code de conduite militaire, entré en vigueur en 2010, interdit également toute participation à des actes de torture.

119.L’Unité des droits de l’homme de la police népalaise assure le suivi des activités opérationnelles de la police et a délivré à chaque agent de police une consigne permanente de respect des droits de l’homme. L’Unité mène des enquêtes internes après la réception de plaintes relatives aux droits de l’homme. Un mécanisme fonctionnant correctement et régulièrement a été mis en place au sein de la police pour enquêter sur les allégations de violation de droits de l’homme impliquant des agents de police de tout rang et y donner suite. Une Commission nationale du droit international humanitaire, présidée par le Ministre des lois et de la justice, a été constituée en 2007. Elle travaille à l’incorporation des instruments relatifs au droit international humanitaire auxquels le Népal est partie, dans le régime juridique du pays.

120.Les autorités tiennent les registres de garde à vue dans les postes de police et les registres d’écrou dans les prisons. La cour d’appel et les chefs de district peuvent consulter ces registres à tout moment. La tenue des registres est devenue plus systématique et détaillée afin de refléter les caractéristiques propres à chaque détenu, ainsi qu’à leur libération ou à leur transfèrement. Les institutions nationales de défense des droits de l’homme, y compris la Commission nationale des droits de l’homme, et les institutions telles que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) et le CICR ont pu accéder aux prisons et aux lieux de détention et bénéficier de l’entière coopération du Gouvernement népalais. La Constitution garantit l’indépendance de la justice et le droit de toute personne à former un recours en habeas corpus. Tout détenu a le droit de déposer un recours constitutionnel et de vérifier la légalité de sa détention.

121.Tout individu placé en garde en vue subit un examen médical, de même que l’individu qui est transféré en prison sur ordre de l’instance compétente. Si un agent de police a participé à un acte de torture, l’affaire fait immédiatement l’objet d’une enquête et les auteurs sont punis selon les dispositions prévues par la loi. De même, la Commission nationale des droits de l’homme a donné suite à quelque 35 affaires d’indemnisation en faveur de victimes de torture depuis 2007. Un montant de 1 450 000 roupies népalaises a déjà été versé aux victimes à titre d’indemnisation et il sera disposé du montant restant selon la décision du Conseil des ministres.

122.La loi sur les affaires de 1993 prescrit que les procureurs participent à toute enquête sur les affaires pénales ou la supervisent. Les détenus ont le droit de consulter l’avocat de leur choix. L’article 135 de la Constitution autorise le Procureur général à ouvrir une enquête à la suite d’une plainte ou d’une allégation de torture et de mauvais traitement. Les tribunaux fixent l’indemnisation à verser aux victimes de torture. Le Gouvernement népalais continue de mettre en place les infrastructures juridiques et institutionnelles nécessaires à l’adhésion au Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Le Népal a adopté et mis en œuvre un plan d’action sur l’application des recommandations issues de l’Examen périodique universel (EPU).

123.Le Gouvernement népalais met en œuvre les recommandations de la Commission nationale des droits de l’homme avec laquelle il demeure résolu de coopérer. Il a établi une base de données sur l’état de la mise en œuvre des recommandations de la Commission et créé un mécanisme spécial rapide de mise en œuvre et de suivi des recommandations.

124.Le Népal a lancé en 2010 la mise en œuvre du plan national d’action triennal sur les droits de l’homme après révision complète pour l’aligner sur la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels en général et les objectifs du Millénaire pour le développement en particulier. Ce plan d’action comprend notamment des chapitres consacrés à la paix, à la sécurité, au respect de la loi et à la protection des droits de l’homme. Les réformes juridiques, la réforme des prisons, l’amélioration de la situation dans les centres de détention et la mise en œuvre effective de la disposition relative à l’indemnisation dans la loi sur l’indemnisation en cas de torture sont les principaux domaines d’intervention. Des mesures ont été prises pour rédiger une nouvelle loi sur l’interdiction de la torture et l’indemnisation des victimes qui soit en accord avec la Convention. Un fonds central d’indemnisation des victimes de torture est actuellement mis sur pied pour garantir aux victimes une réparation rapide. De même, diverses activités ont été menées pour atteindre l’objectif du plan d’action qui concerne la gestion et la réforme des prisons. Parmi les activités importantes, on peut citer les suivantes: amélioration des conditions socioéconomiques et des installations matérielles des prisonniers/détenus, adoption en temps utile de réformes en accord avec les principes et normes internationaux, services de soutien psychologique aux prisonniers/détenus, séparation entre les personnes atteintes de maladie mentale et les autres détenus, affectation des délinquants auteurs d’infractions mineures à des activités d’intérêt général et réinsertion ou socialisation des prisonniers/détenus, amélioration des locaux pénitentiaires, mise en place de systèmes de redressement pour jeunes délinquants et protection et promotion des droits des enfants logés en prison avec leurs parents détenus.

125.De nombreux programmes ont été lancés pour sensibiliser le personnel des services de sécurité à l’importance du respect de la Convention dans les opérations de maintien de l’ordre. La visite du Rapporteur spécial sur la question de la torture et la présentation des rapports périodiques du Népal au Comité sont quelques-uns des exemples qui témoignent de la volonté du Népal d’honorer ses engagements au titre de la Convention. La pratique de la torture sur des détenus pour extorquer des aveux ou des informations est absolument interdite. Tout aveu ainsi obtenu est irrecevable devant un tribunal. Le Népal tient à réaffirmer qu’il n’autorise en aucun cas la torture comme méthode d’enquête pénale.

126.Le Népal tient aussi à rappeler qu’il a déjà introduit de son propre chef un système de contrôle et d’inspection des services de sécurité. Depuis 2005, l’armée népalaise a décidé que par principe les agents convaincus de violation des droits de l’homme ne peuvent participer à des missions de maintien de la paix de l’ONU. La police et les forces de police armée appliquent une politique de contrôle similaire.

127.En ce qui concerne le rapport du bureau du HCDH au Népal intitulé «Enquêtes sur les allégations d’exécutions extrajudiciaires dans le Teraï», de juillet 2010, le Népal a transmis ses réponses et observations en la matière. Il tient à réaffirmer qu’il conteste catégoriquement le contenu et les faits présentés dans le rapport.

128.Le Népal a pris connaissance des recommandations du Comité, sur lesquelles il souhaite formuler les observations suivantes:

a)La Constitution même interdit tout acte de torture. La Constitution est la Loi fondamentale qui régit le pays, et toute loi incompatible avec elle est nulle et non avenue. La torture est interdite aussi par plusieurs lois, notamment la loi sur l’indemnisation en cas de torture. Le fait que la pratique de la torture est strictement interdite par la Loi fondamentale montre que le Népal a déjà condamné publiquement cette pratique. Dans les rapports périodiques soumis au titre des différents instruments auxquels le Népal est partie, notamment la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention relative aux droits de l’enfant, ainsi que dans son rapport national à l’EPU, le Népal a décrit les mesures prises pour lutter contre la torture;

b)Le Népal est en train d’adopter une loi spécifique qui érige la torture en infraction pénale, en accord avec l’esprit de la Convention. Un projet de loi relatif au Code pénal déposé par le Gouvernement devant l’Assemblée législative/Parlement contient des dispositions allant dans le même sens;

c)Par la publicité donnée à plusieurs mesures de prévention de la torture, le Népal envoie à tous les individus et à tous les groupes qui relèvent de sa juridiction un message clair et sans équivoque condamnant la torture et les mauvais traitements;

d)La commission législative de l’Assemblée législative/Parlement examine minutieusement les projets de loi sur la Commission Vérité et réconciliation et sur la Commission d’enquête sur les disparitions. Le Gouvernement est fermement convaincu qu’ils seront bientôt adoptés, conformément aux procédures législatives de l’Assemblée législative/Parlement;

e)Comme il est dit précédemment, les plaintes faisant état d’actes de torture par des fonctionnaires ont fait sans tarder l’objet d’enquêtes efficaces et impartiales, et les auteurs ont été poursuivis et condamnés;

f)En ce qui concerne la ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention et la reconnaissance de la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications présentées par des particuliers en application de l’article 22 de la Convention, le Népal souhaite indiquer qu’à ce jour, il n’entend pas devenir partie au Protocole facultatif ni accepter la compétence du Comité en matière de communications;

g)S’agissant des autres recommandations, plusieurs mesures politiques, juridiques et institutionnelles ont déjà été adoptées et appliquées. Les dispositions juridiques en vigueur répondent largement à ces recommandations.

129.Malgré diverses contraintes et difficultés inhérentes à la transformation politique et socioéconomique et au processus de paix en situation d’après conflit, le Népal entend s’employer sans réserve à la protection et à la promotion des droits de l’homme. Le Gouvernement népalais estime que toutes ces avancées et ces progrès remarquables de la situation des droits de l’homme sur le terrain auraient dû être reconnus et salués comme il convient dans le rapport.

130.À la lumière de ce qui précède, le Népal conteste l’allégation de pratique systématique de la torture dans le pays et s’inscrit en faux contre le rapport. La conclusion du Comité quant à la pratique généralisée de la torture, qui s’appuie sur de simples allégations, est totalement infondée et néglige apparemment les efforts sincères déployés par les autorités nationales pour lutter contre ce crime. Le Népal demande donc au Comité de mettre un terme à la procédure d’enquête.

Annexe XIV

Décisions du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention

A.Décisions sur le fond

Communication no 312/2007: Eftekhary c. Norvège

Présentée par:

Hamid Reza Eftekhary

Au nom de:

Hamid Reza Eftekhary

État partie:

Norvège

Date de la requête:

24 octobre 2006 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 25 novembre 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 312/2007, présentée par M. Hamid Reza Eftekhary en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.Le requérant, Hamid Reza Eftekhary, de nationalité iranienne, né en 1979, risque d’être expulsé de Norvège vers la République islamique d’Iran. Bien que, dans sa lettre initiale, le requérant n’invoque que l’article 114 (anciennement art. 108) du Règlement intérieur du Comité (CAT/C/3/Rev.5), ses arguments reviennent à affirmer que son expulsion vers l’Iran constituerait une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Depuis septembre 2008, il n’est plus représenté devant le Comité.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un journaliste qui, auparavant, travaillait en République islamique d’Iran pour le journal Asia, lequel a été fermé au printemps de 2003 car il aurait publié des «fausses informations et mené des activités perturbant la pensée des gens». En juin-juillet 2003, le requérant a été arrêté et son domicile a été perquisitionné. Au cours de la perquisition, des agents de l’État ont saisi des documents et un ordinateur appartenant au requérant. Pendant sa détention, le requérant a été interrogé par les autorités sur ses activités de journaliste pendant environ quatorze heures.

2.2Après sa remise en liberté, le requérant s’est caché. Au cours de la période pendant laquelle il est resté caché, deux sommations à comparaître devant le Tribunal révolutionnaire de Téhéran lui ont été adressées à son domicile. Après avoir reçu ces sommations à comparaître, le requérant a décidé de fuir l’Iran. Il a déposé une demande d’asile en Norvège le 11 octobre 2003.

2.3Le requérant indique qu’une fois en Norvège il a appris qu’il avait été condamné par contumace à cinq ans d’emprisonnement par le Tribunal révolutionnaire de Téhéran, pour collaboration avec des «groupes contre-révolutionnaires» et «publication d’articles contre la République islamique». Par la suite, il a obtenu les documents judiciaires relatifs à sa condamnation par l’intermédiaire de membres de sa famille vivant en République islamique d’Iran, qui lui en ont envoyé des copies afin qu’il puisse les produire à l’appui de sa demande d’asile en Norvège. Selon le requérant, en principe, le Tribunal révolutionnaire ne fournit pas de copies de ses jugements, et les membres de sa famille ont donc dû soudoyer des personnes pour obtenir ces documents.

2.4Le 4 janvier 2006, les Services norvégiens de l’immigration ont décidé de rejeter la demande d’asile du requérant. Le 18 septembre 2006, la Commission de recours des Services norvégiens de l’immigration a confirmé cette décision. Les Services norvégiens de l’immigration et la Commission de recours ont essentiellement fondé leur décision sur le fait que le requérant n’avait pas, selon eux, étayé son affirmation selon laquelle il courait personnellement un risque réel d’être persécuté ou soumis à la torture ou à des mauvais traitements s’il était renvoyé en République islamique d’Iran. Les Services de l’immigration comme la Commission d’appel ont accordé un poids particulier à un rapport de vérification daté du 5 septembre 2004, établi par l’ambassade de Norvège à Téhéran, dans lequel celle-ci concluait que les documents judiciaires présentés par le requérant pour prouver qu’il avait été condamné par contumace à cinq ans d’emprisonnement étaient des faux.

2.5Le requérant a reçu l’ordre de quitter la Norvège le 19 octobre 2006. Pour éviter d’être arrêté par la police et d’être expulsé, il est entré dans la clandestinité.

2.6Le requérant a poursuivi ses activités de journaliste en Norvège, tenant des blogs dans lesquels il publiait des articles où il exprimait des opinions critiques sur des questions de politique et de religion et où, en particulier, il critiquait le Gouvernement de la République islamique d’Iran. Le requérant signait ces articles de son vrai nom. En outre, il accordait des entretiens et écrivait de brefs articles pour un journal norvégien local. Le requérant indique que ses deux blogs ont été fermés par les autorités iraniennes pendant qu’il était en Norvège.

2.7Après le rejet de ses demandes d’asile par les services de l’immigration, le requérant aurait souhaité soumettre son cas aux tribunaux norvégiens. Pour ce faire, il a demandé l’aide juridictionnelle. Sa demande a été rejetée par le Fylkesmannen (Bureau du chef de l’administration du comté) le 7 décembre 2006 et cette décision a été confirmée par la juridiction de recours administratif, le Justissekretariatene (Secrétariat de la justice), le 26 janvier 2007. Étant donné que le requérant ne pouvait pas se prévaloir de moyens de recours judiciaires sans aide juridictionnelle gratuite, le refus de cette aide l’a concrètement empêché de porter son affaire devant les tribunaux norvégiens.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que sa vie serait en danger et qu’il risque d’être emprisonné et torturé s’il est renvoyé en République islamique d’Iran, et que cela constituerait une violation de l’article 3 de la Convention par la Norvège. Pour étayer son affirmation, il invoque ses activités de journaliste en Iran et ses activités de blogueur et de journaliste après son arrivée en Norvège en 2003, ainsi que les deux sommations à comparaître devant le Tribunal révolutionnaire de Téhéran qu’il avait reçues et sa condamnation par contumace à cinq ans d’emprisonnement par ledit Tribunal; il mentionne également le traitement qui, de manière générale, est réservé aux journalistes en Iran et à la gravité de la situation actuelle des droits de l’homme dans ce pays.

3.2Le requérant fait valoir que les autorités norvégiennes chargées des demandes d’asile n’ont pas assuré l’examen de sa demande d’asile dans le respect des garanties d’une procédure régulière en s’arrêtant seulement sur la vérification des documents émanant du Tribunal révolutionnaire. À cet égard, les autorités ont accordé, selon lui, un poids disproportionné à la falsification alléguée des documents judiciaires qu’il avait présentés à l’appui de sa demande d’asile et n’ont pas enquêté sur ses affirmations. Le requérant fait valoir qu’il n’est pour rien dans la teneur du document judiciaire faisant état de sa condamnation par contumace puisque celui-ci lui a été envoyé par des membres de sa famille, après son arrivée en Norvège.

3.3Le requérant fait valoir en outre que les deux sommations à comparaître devant le Tribunal révolutionnaire de Téhéran ne sont pas contestées et que le fait qu’il ne se soit pas présenté devant cette juridiction à la suite de ces sommations prouve en lui-même qu’il risque d’être arrêté et soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il est renvoyé en République islamique d’Iran.

3.4D’après le requérant, cette affaire n’est actuellement examinée par aucune autre instance internationale d’enquête ou de règlement et tous les recours internes ont été épuisés.

3.5Dans sa lettre initiale, datée du 23 octobre 2006, le requérant avait sollicité des mesures provisoires, mais le Comité a rejeté cette demande car au moment où il l’avait formulée l’auteur vivait dans la clandestinité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 16 octobre 2007, l’État partie a contesté la recevabilité de la requête au motif que les griefs tirés par le requérant de l’article 3 de la Convention étaient insuffisamment étayés, même à première vue, et a fait valoir que la requête devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention, car elle était manifestement infondée.

4.2Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’État partie n’affirme pas que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, vu qu’il a épuisé tous les recours administratifs et que sa demande d’aide juridictionnelle a été rejetée, ce qui l’empêche de se prévaloir de recours auprès des tribunaux norvégiens. L’État partie se réfère à la jurisprudence du Comité concernant l’épuisement des recours internes en l’absence d’aide juridictionnelle.

4.3L’État partie fait valoir que l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays, et rappelle la jurisprudence du Comité à cet égard. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. En ce qui concerne la situation actuelle des droits de l’homme en Iran, l’État partie reconnaît que les conditions de travail des journalistes et d’autres membres des médias en Iran sont généralement mauvaises.

4.4L’État partie estime, cependant, que le requérant n’a pas présenté le moindre élément fiable à l’appui de l’affirmation qu’il court personnellement un risque prévisible d’être persécuté ou soumis à la torture ou à des mauvais traitements en cas de renvoi en République islamique d’Iran. À cet égard, il rappelle les conclusions adoptées par la Commission de recours des services norvégiens de l’immigration et par les Services norvégiens de l’immigration, à savoir que, même si les conditions de travail des journalistes et d’autres membres des médias en Iran sont mauvaises, le requérant n’a pas mené d’activités journalistiques d’une nature ou d’une portée telles que l’on peut estimer qu’elles sont susceptibles d’attirer durablement l’attention des autorités et de lui faire personnellement courir un risque prévisible. L’État partie fait valoir que les activités journalistiques du requérant, même celles menées après son arrivée en Norvège, ne sont pas du type de celles qui feraient l’objet d’une surveillance de la part des autorités iraniennes, celles-ci s’attachant principalement à surveiller les activités menées par des Iraniens exilés qui pourraient représenter un risque concret pour le régime.

4.5Concernant l’affirmation du requérant selon laquelle il a été condamné par contumace à cinq ans d’emprisonnement par le Tribunal révolutionnaire de Téhéran et qu’il serait donc susceptible d’être emprisonné et soumis à la torture s’il était renvoyé en République islamique d’Iran, l’État partie fait valoir que l’ambassade de Norvège à Téhéran était arrivée à la conclusion que les documents judiciaires produits par le requérant à l’appui de sa demande étaient des faux. La vérification des documents avait été effectuée par l’ambassade de Norvège et le rapport de vérification avait été soumis au requérant par l’intermédiaire de son conseil de l’époque pour commentaires. L’État partie note que le requérant a contesté le rapport de vérification et soutenu que les documents émanant du tribunal étaient authentiques. Toutefois, les autorités ont estimé que le requérant n’a pas produit le moindre élément concret permettant de mettre en doute la vérification effectuée. L’État partie considère que les principaux documents dans cette affaire sont des faux et que, partant, cela jette le doute sur la crédibilité et la fiabilité de l’ensemble des informations fournies par le requérant.

4.6Par une lettre en date du 2 décembre 2008, l’État partie a informé le Comité que le 5 novembre 2008, la Commission de recours des services norvégiens de l’immigration a rejeté la demande de réouverture du dossier présentée par le requérant le 2 janvier 2007, au motif qu’il n’avait été fourni aucune information nouvelle susceptible d’amener la Commission à parvenir à des conclusions différentes de celles qu’elle avait formulées dans le cadre de ses précédentes décisions. L’État partie a informé en outre le Comité que le requérant avait depuis le 20 novembre 2007 déclaré une adresse en Norvège, de sorte qu’il ne vivait plus dans la clandestinité.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 18 avril 2009, le requérant a réfuté les observations formulées par l’État partie. Il soutient que les documents présentés à l’appui de sa demande d’asile sont authentiques et que l’État partie n’a pas dûment tenu compte des observations formulées par son précédent conseil concernant l’authenticité de ces documents.

5.2Le requérant fournit en outre d’autres pièces concernant ses activités de journaliste en République islamique d’Iran et en Norvège, notamment des articles sur la religion et la politique en Iran qu’il avait publiés sur l’Internet et dans des journaux et signés de son vrai nom. Il fait valoir que la teneur et la nature de ses écrits et l’idéologie qu’ils véhiculent seraient jugés suffisamment graves par les autorités iraniennes pour qu’elles persécutent, incarcèrent et torturent un individu. Il rappelle que deux de ses blogs ont été fermés et bloqués par les autorités iraniennes après qu’il a fui en Norvège.

5.3Enfin, le requérant attire l’attention sur la situation actuelle des droits de l’homme en République islamique d’Iran, qui va en s’aggravant, en mettant un accent particulier sur les arrestations, les actes de torture et les meurtres dont sont victimes des journalistes, des blogueurs, des militants politiques et des personnes qui critiquent le Gouvernement. D’après le requérant, il ne fait aucun doute, compte tenu de la situation actuelle en Iran, qu’il serait persécuté s’il était renvoyé dans ce pays.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s’applique pas s’il est établi que les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables et s’il est peu probable qu’elles donnent satisfaction à la victime présumée.

6.3Le Comité relève que le requérant a épuisé tous les recours administratifs. Il note que le requérant, par une décision en date du 7 décembre 2006, s’est vu refuser l’aide juridictionnelle par le Fylkesmannen, et que cette décision a été confirmée à l’issue d’un recours administratif auprès des Justissekretariatene, par une décision en date du 26 janvier 2007. Le Comité considère que, dans la mesure où le requérant ne pouvait pas exercer des recours judiciaires sans aide juridictionnelle, le refus de lui fournir une telle aide gratuitement rend impossible un contrôle juridictionnel et qu’il convient donc de considérer que le requérant a épuisé tous les recours internes.

6.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable au motif qu’elle est manifestement infondée. Il considère, cependant, que la requête soulève au regard de l’article 3 de la Convention des questions importantes qui devraient être examinées au fond. Le Comité déclare donc la communication recevable.

Examen au fond

7.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en République islamique d’Iran, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.2Le Comité rappelle son Observation générale no1 (1996) concernant l’application de l’article 3 de la Convention ainsi que sa jurisprudence selon laquelle l’existence d’un risque de torture doit être appréciée en fonction d’éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable, le Comité rappelle que le fardeau de la preuve incombe généralement au requérant, qui se doit de présenter des arguments défendables établissant qu’il encourt un risque «prévisible, réel et personnel». Le Comité précise en outre dans son Observation générale no 1 qu’il y a lieu aussi de vérifier si le requérant s’est livré, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’État intéressé, à des activités politiques qui font «qu’il court un risque particulier» d’être soumis à la torture (par. 8 e)). Le Comité rappelle aussi que, tout en accordant un poids considérable aux conclusions des organes de l’État partie, il lui appartient, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, d’apprécier librement les faits de chaque cause en tenant compte de toutes les circonstances.

7.3Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture à son retour en République islamique d’Iran. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives.

7.4Se référant à sa récente jurisprudence, le Comité rappelle que la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran est extrêmement inquiétante, en particulier depuis les élections de juin 2009. Le Comité a reçu de nombreuses informations décrivant, en particulier, la répression et la détention arbitraire dont sont victimes de nombreux réformateurs, étudiants, journalistes et défenseurs des droits de l’homme; certains sont gardés au secret alors que d’autres ont été condamnés à mort et exécutés. Le Comité note également que le 7 juillet 2009 six titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme (s’occupant respectivement de la détention arbitraire, des exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, du droit à la liberté d’opinion et d’expression, de la torture ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la situation des défenseurs des droits de l’homme et des disparitions forcées ou involontaires) ont exprimé leur préoccupation au sujet des manifestations qui avaient eu lieu à la suite des élections présidentielles iraniennes de 2009, durant lesquelles 20 personnes ont été tuées et des centaines d’autres gravement blessées lors d’affrontements avec les forces de sécurité, qui auraient utilisé des munitions de guerre et des balles en caoutchouc. Les mêmes experts se sont également déclarés préoccupés par les cas présumés d’arrestation et de détention sans chef d’accusation et de mauvais traitements infligés à des détenus.

7.5En outre, le Comité prend note des observations finales concernant la République islamique d’Iran adoptées par le Comité des droits de l’homme le 2 novembre 2011, dans lesquelles le Comité se dit «profondément préoccupé par les violations fréquentes des garanties d’un procès équitable énoncées dans le Pacte, en particulier par les tribunaux révolutionnaires» (CCPR/C/IRN/CO/3, par. 21) et «par les informations faisant état de l’utilisation généralisée de la torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les lieux de détention, en particulier sur des personnes accusées d’atteinte à la sécurité nationale ou jugées par des tribunaux révolutionnaires, traitements qui dans certains cas ont causé la mort du détenu» (ibid., par. 14).

7.6Le Comité note en outre que le Comité des droits de l’homme avait aussi exprimé sa préoccupation en ces termes:

Le Comité est préoccupé par le fait que de nombreux journaux et magazines ainsi que l’Association des journalistes ont été fermés par les autorités depuis 2008 ainsi que par le grand nombre de journalistes, de rédacteurs en chef, de réalisateurs et de professionnels des médias qui ont été arrêtés et placés en détention depuis les élections présidentielles de 2009. Le Comité est également préoccupé par la surveillance de l’utilisation et des contenus de l’Internet, le blocage des sites Web qui présentent des nouvelles et des analyses politiques, le ralentissement de la vitesse de transmission sur l’Internet et le brouillage des émissions diffusées par satellite depuis l’étranger, constatés en particulier depuis les élections présidentielles de 2009 (art. 19) (ibid., par. 27).

7.7Le Comité note que les autorités iraniennes se sont intéressées par le passé au requérant comme en témoignent son arrestation et son interrogatoire, et les sommations à comparaître devant les tribunaux révolutionnaires qu’il a reçues en 2003 en raison de son travail de journaliste. Il note également qu’à aucun moment le requérant n’a affirmé avoir été torturé par les autorités iraniennes pendant sa détention et son interrogatoire en 2003. Le Comité relève toutefois les observations faites par le requérant quant à ses activités continues en tant que journaliste depuis son arrivée en Norvège et son affirmation selon laquelle ses blogs ont été fermés par les autorités iraniennes durant cette période. Le Comité est donc d’avis que le requérant a très probablement retenu l’attention des autorités iraniennes.

7.8En ce qui concerne la condamnation présumée par contumace du requérant à cinq ans d’emprisonnement, le Comité prend note du fait que d’après l’État partie les documents judiciaires présentés par le requérant à l’appui de sa demande d’asile et pour étayer son argument selon lequel il risquait d’être emprisonné et torturé s’il était renvoyé en République islamique d’Iran ne sont pas authentiques, d’après une vérification effectuée par l’ambassade de Norvège à Téhéran. Il note d’autre part que le requérant a contesté la vérification des documents effectuée par l’État partie et fait valoir qu’il avait été condamné à cinq ans d’emprisonnement par le Tribunal révolutionnaire de Téhéran. Le Comité n’est pas en position de se prononcer sur la vérification des documents des tribunaux concernant la condamnation présumée par contumace à cinq ans d’emprisonnement du requérant, dans la mesure où l’État partie et le requérant ont fait des déclarations contradictoires sans preuve à l’appui.

7.9Le Comité note toutefois que les deux sommations à comparaître devant le Tribunal révolutionnaire n’ont pas été contestées et que ces sommations s’ajoutant au fait que le requérant ne s’est pas présenté devant le Tribunal révolutionnaire de Téhéran dénotent un grand risque pour le requérant. Enfin, le Comité estime que la République islamique d’Iran n’étant pas partie à la Convention, le requérant serait privé de la possibilité de demander la protection du Comité en cas d’expulsion en Iran.

8.Compte tenu de ce qui précède et prenant en considération toutes les circonstances de la cause et les informations qui lui ont été soumises, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l’État partie de renvoyer le requérant en Iran constitue une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 (anciennement art. 112) de son règlement intérieur, le Comité souhaite être informé, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des mesures qui auront été prises par l’État partie pour donner suite à la présente décision.

Communication no 327/2007: Boily c. Canada

Présentée par:

Régent Boily (représenté par des conseils, Christian Deslauriers et Philippe Larochelle)

Au nom de:

Régent Boily

État partie:

Canada

Date de la requête:

4 juillet 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 novembre 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 327/2007, présentée au nom de Régent Boily en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est Régent Boily, de nationalité canadienne, né en 1944. Dans sa requête du 4 juillet 2007, il affirme que son extradition au Mexique constituerait une violation par le Canada de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par des conseils, Mes Christian Deslauriers et Philippe Larochelle.

1.2Le 6 juillet 2007, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, agissant en vertu du paragraphe 1 de l’article 108 du Règlement intérieur du Comité (CAT/C/3/Rev.4), a demandé à l’État partie de ne pas extrader le requérant vers le Mexique pendant que sa requête serait en cours d’examen.

1.3Le 13 août 2007, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires a décidé, après un examen approfondi des observations de l’État partie en date du 27 juillet 2007 et de celles du requérant, de retirer la demande de mesures provisoires.

1.4Le 17 septembre 2007, suite à une demande du requérant, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme a demandé à l’État partie de préciser les mesures qu’il avait prises afin que le Mexique honore ses assurances diplomatiques.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1En 1993, le requérant a décidé de quitter le Canada pour s’établir au Mexique, où il s’est remarié et a transféré tous ses avoirs. En 1998, suite à la perte de la moitié de ses économies, il a commencé à se livrer au transport de cannabis. Le 9 mars 1998, le requérant a été arrêté par la police qui a découvert 583 kilogrammes de cannabis dans son véhicule. Un policier l’a battu et lui a demandé de payer 25 000 dollars des États-Unis et de lui remettre la moitié de la cargaison en guise de droit de passage. Au poste de police, le requérant a demandé, en vain, à être représenté par un avocat canadien. Il a été menacé de mort par un des policiers s’il ne révélait pas les noms de ses complices et la provenance et la destination de la drogue. Ayant refusé de fournir ces renseignements, le requérant a été empêché de respirer au moyen d’un sac en plastique, des substances lui ont été introduites dans le nez, notamment de la sauce au chili et il a été frappé sur la tête avec un livre. Ensuite, il a été forcé de signer une déclaration en espagnol sans en connaître le contenu. Le même jour, il a été emmené à la prison où il a été examiné par un médecin mais, par peur de représailles de la part du policier présent, il n’a pas dénoncé le traitement subi au poste de police. Après soixante-douze heures dans une cellule obscure, le requérant a été emmené à l’infirmerie de la prison où il a retrouvé deux policiers qui l’avaient torturé au poste de police. Ils ont menacé de le tuer s’il dénonçait les tortures subies.

2.2Le 10 novembre 1998, le requérant a été condamné à quatorze ans d’emprisonnement pour trafic de cannabis. Sa déclaration, obtenue sous la torture, aurait été admise comme preuve.

2.3Le 9 mars 1999, le requérant a organisé une évasion, lors de laquelle un de ses deux gardiens a été tué. Il s’est ensuite enfui au Canada. Le 1er mars 2005, il a été arrêté à son domicile au Canada en application d’un mandat d’arrêt provisoire en vue de son extradition au Mexique, pays qui avait demandé son extradition pour qu’il purge le reliquat de sa peine, et qu’il réponde d’une accusation d’homicide d’un gardien de prison et d’évasion. Une demande de mise en liberté sous caution, déposée par le requérant le 11 avril 2005 a été rejetée. La Cour d’appel l’a ensuite débouté de son recours contre cette décision. Le 22 novembre 2005, le requérant a été incarcéré en vue de son extradition. Le 23 janvier 2006, il a présenté ses arguments au Ministre de la justice, les accompagnant de deux rapports de psychologues confirmant les tortures qu’il avait subies et ses symptômes de troubles post-traumatiques. Il a joint aussi les résultats d’un test polygraphique effectué par la police de la ville d’Ottawa indiquant qu’il disait la vérité. Le 24 mai 2006, le Ministre de la justice a ordonné son extradition après avoir obtenu des assurances diplomatiques du Mexique. La Cour d’appel du Québec a rejeté une demande de révision de cette décision. Le 5 juillet 2007, la Cour suprême a refusé à son tour d’accorder l’autorisation de faire appel de ladite décision.

2.4Le 17 août 2007, après la levée des mesures provisoires par le Comité, le requérant a été extradé vers le Mexique, où il a été transféré à la prison de Zacatecas − établissement dans lequel il est accusé d’avoir tué un gardien. Entre le 17 et le 20 août 2007, le requérant a été torturé par des gardiens de cette prison et tout contact avec l’ambassade du Canada et son avocat lui a été refusé. Craignant des représailles, le requérant n’a pas dénoncé ouvertement les mauvais traitements qu’il avait subis.

Teneur de la plainte

3.1Dans sa lettre initiale, le requérant a affirmé que son extradition au Mexique constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Il fait valoir qu’il court un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé s’il est extradé au Mexique étant donné qu’il a déjà été torturé par les autorités mexicaines lors de son arrestation le 9 mars 1998, qu’il a été menacé de mort par deux policiers dans l’infirmerie de la prison, et que les tortures subies ont été attestées par des expertises médicales indépendantes. Il ajoute que la gravité du crime dont il est accusé, la non-arrestation des responsables du crime commis lors de sa fuite et la perspective d’être renvoyé dans la prison d’où il s’est évadé l’exposaient à un risque prévisible, réel et personnel de torture au Mexique.

3.2En outre, le requérant souligne que l’obtention d’assurances diplomatiques du Mexique ne permet pas d’écarter le risque de torture, d’autant plus que le Mexique est connu pour pratiquer la torture de manière systématique et endémique et que l’État mexicain n’exerce guère de contrôle sur ses forces de sécurité. Il affirme que l’incertitude quant à la valeur desdites assurances met en évidence leur inefficacité. Le requérant fait valoir qu’il est naïf de penser, comme le suggèrent lesdites assurances, qu’il ne subirait aucun interrogatoire en rapport avec les deux crimes non jugés puisque les responsables n’ont pas encore été arrêtés. Il ajoute qu’il se trouve actuellement dans une situation bien plus délicate qu’en 1998, étant accusé d’un crime beaucoup plus grave, puisqu’il est question de la mort d’un agent de l’État.

Observations de l’État partie sur les mesures prises afin que les garanties diplomatiques soient respectées

4.1Le 28 septembre 2007, l’État partie a fourni des informations à jour sur les mesures prises pour que les garanties diplomatiques soient respectées par le Gouvernement mexicain. Il affirme que le 17 août 2007, lors de son arrivée au Mexique, le requérant a été accueilli par une agente consulaire qui l’a informé des services à sa disposition. Le requérant aurait exprimé alors ses inquiétudes pour sa sécurité vu qu’il était renvoyé dans la prison d’où il s’était évadé. Le 20 août 2007, des agents consulaires ont demandé à la Commission des droits de la personne de l’État de Zacatecas de rendre visite au requérant. Après avoir reçu une lettre dans laquelle il était allégué que le requérant avait été torturé le 19 août 2007, l’État partie a contacté, le 22 août 2007, des hauts fonctionnaires mexicains et l’administration de la prison de Zacatecas afin de leur rappeler la nécessité de respecter les assurances diplomatiques. Ce même jour, les agents consulaires ont rendu visite au requérant. Pendant cette visite, il a répété ses allégations de torture, mais n’a pas souhaité porter plainte. Les agents consulaires n’ont cependant constaté aucune trace de blessure. Lors de l’enquête menée par les autorités mexicaines, le directeur de la prison de Zacatecas a nié les allégations de torture du requérant.

4.2Le 23 septembre 2007, le requérant aurait été battu par un codétenu, mais il a affirmé que ses blessures avaient été bien soignées et que son agresseur avait été mis à l’isolement. Ensuite, l’État partie a demandé au directeur de la prison un rapport sur l’incident et un rapport médical et un exposé des mesures prises afin d’assurer que le requérant soit à l’avenir à l’abri de la violence. L’État partie souligne que le requérant ne souhaitait pas déposer une plainte et qu’il demandait que les détails de ses allégations de torture ne soient pas divulgués aux autorités mexicaines. Le 18 octobre 2007, le requérant a demandé son transfert au centre pénitentiaire de l’État d’Aguascalientes; sa demande a été appuyée par l’État partie au moyen d’une lettre au juge responsable.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

5.1Le 5 février 2008 et le 20 août 2008, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond. Selon lui, la communication devrait être déclarée irrecevable car le requérant n’a pas apporté la preuve de l’existence à première vue d’une violation de l’article 3 de la Convention et n’a pas suffisamment étayé son allégation selon laquelle il court un risque sérieux et personnel d’être torturé s’il est extradé au Mexique. L’État partie fait valoir que les raisons de croire que le requérant risque d’être torturé en cas de renvoi doivent aller au-delà de simples supputations ou soupçons et qu’il doit être établi que le requérant court personnellement un tel risque. L’État partie affirme que les allégations de torture du requérant sont liées à son arrestation et l’interrogatoire par la police en 1998 et qu’il n’a jamais affirmé avoir été torturé en prison. Le requérant n’a donc, selon l’État partie, pas établi qu’en cas d’extradition pour exécuter sa peine et être jugé il serait interrogé par la police et risquerait en conséquence d’être torturé dans les prisons mexicaines.

5.2L’État partie a fait valoir que les griefs additionnels du requérant, notamment ceux tirés de rapports internationaux sur la torture au Mexique et des accusations de participation au meurtre d’un gardien de prison portées contre lui, ne permettaient pas de conclure qu’il risquait personnellement d’être soumis à la torture s’il était extradé. Il souligne que les rapports internationaux, y compris les dernières observations finales du Comité contre la torture, mentionnent un problème de torture dans les postes de police mais n’indiquent pas que la torture est endémique au sein du système carcéral. En outre, l’État partie souligne que des mécanismes de contrôle judiciaire et administratif et de surveillance des droits de la personne sont en place et mis en œuvre lorsque des personnes exécutent des peines d’emprisonnement. Le Mexique a par ailleurs ratifié le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et accepté la compétence du Comité des droits de l’homme pour examiner des plaintes émanant de particuliers, ce qui donnait au requérant la possibilité de présenter une requête contre le Mexique aux deux comités.

5.3L’État partie fait valoir, par ailleurs, que les assurances diplomatiques sont suffisantes pour écarter un risque de torture. Il précise qu’il a demandé au Gouvernement mexicain les assurances suivantes: que le Mexique prenne des précautions raisonnables pour assurer la sécurité du requérant, qu’il s’assure que l’avocat du requérant et les agents de l’ambassade du Canada puissent lui rendre visite à tout moment raisonnable et que le requérant puisse communiquer avec eux à tout moment raisonnable, qu’il fasse son possible pour tenir sans délai le procès du requérant et que toute autre requête ou demande soit promptement entendue. L’État partie souligne que le Mexique s’est conformé à de telles assurances dans une autre affaire et qu’il aurait toutes les raisons de respecter les assurances fournies en vertu de ses obligations découlant du traité d’extradition et pour éviter de nuire à sa réputation internationale. Par ailleurs, l’État partie indique qu’il a mis en place un mécanisme de suivi du requérant au Mexique.

5.4En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le requérant a été torturé depuis son retour à la prison de Zacatecas, l’État partie affirme que cette allégation n’a été étayée par aucun élément de preuve. Une enquête menée par le Mexique a d’ailleurs abouti à la conclusion que ces allégations n’étaient guère «plausibles».

5.5L’État partie fait valoir que les allégations du requérant et le risque de torture ont été examinés minutieusement par les tribunaux nationaux au moment de l’extradition et qu’en l’absence d’erreur manifeste, d’abus de procédure, de mauvaise foi, de partialité ou d’irrégularités graves dans la procédure, le Comité n’a pas à se substituer aux juridictions nationales.

5.6Subsidiairement, l’État partie affirme, au cas où le Comité serait d’avis qu’elle est recevable, que la communication devrait être déclarée infondée pour les raisons exposées plus haut.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

6.1Le 25 avril, le 26 septembre 2008 et le 6 avril 2009, le requérant a contesté les observations de l’État partie. Il a fait observer que le fait que l’État partie ne se soit pas interrogé sur la valeur des assurances diplomatiques fournies par le Mexique constituait un déni de justice. Il a fait valoir que l’État partie n’avait pas suffisamment pris en considération le risque personnel d’être torturé qu’il courait lors de son extradition. Le renvoi du requérant à la prison dont il s’était évadé et le fait qu’un gardien de ladite prison avait perdu la vie et que les complices du requérant n’avaient jamais été identifiés, l’avait exposé à un risque réel de torture. Ces griefs étaient étayés par des rapports internationaux et par le dernier rapport périodique du Mexique au Comité contre la torture, dont il ressortait que la torture était endémique au Mexique. En outre, l’affirmation du requérant selon laquelle il avait été torturé en 1998 n’avait jamais été réfutée. En ce qui concerne l’examen des événements de 1998 par l’État partie, le requérant dit que le Ministre de la justice a sciemment détourné le sens d’une lettre reçue des autorités mexicaines affirmant que les allégations de torture du requérant étaient sans fondement. Le requérant a fait valoir qu’aucune des sections en cause de la lettre n’indiquait que ces allégations de torture étaient sans fondement, car le Mexique s’était contenté de souligner que ces allégations n’avaient aucune base juridique et la présence du requérant sur le territoire mexicain suffirait pour garantir ses droits et libertés fondamentaux. Le requérant a insisté sur le fait que l’État partie avait agi de mauvaise foi et s’était basé sur de fausses prémisses pour contester la crédibilité du risque personnel de torture qu’il courait. Les décisions des juridictions nationales étaient arbitraires dans la mesure où elles n’étaient pas fondées sur des preuves. En outre, le fait que les agents de l’État qui l’avaient torturé en 1998 étaient restés impunis augmentait manifestement le risque personnel couru par le requérant.

6.2Le requérant a fait valoir que l’État partie n’avait pas examiné le point de savoir si le Mexique pouvait effectivement contrôler ses forces de l’ordre et assurer ainsi le respect des assurances diplomatiques. Le requérant a noté que ces assurances restaient vagues et n’exigeaient pas, par exemple, qu’il ne soit pas réincarcéré dans la prison d’où il s’était évadé. Le requérant soumet en outre que l’État partie avait omis de s’assurer de son bien-être avant le 20 août 2007, tout en étant au fait de ses inquiétudes et des risques inhérents à son renvoi dans la prison d’où il s’était évadé. Sachant que les employés de l’ambassade du Canada au Mexique n’avaient été informés de son cas que deux jours avant son extradition et n’étaient pas au courant jusque-là des assurances diplomatiques, le requérant a contesté que l’État partie ait mis en place un mécanisme de vérification du respect de ces assurances par le Mexique.

6.3Le requérant a affirmé que, les 17, 19 et 21 août 2007, il avait été torturé par deux gardiens et le chef de la sécurité de la prison de Zacatecas dans le but de venger leur collègue tué au moment de l’évasion. On l’avait frappé sur le dos, on lui avait plongé la tête dans un baril d’eau, comme si on allait le noyer, on lui avait couvert la tête d’un sac en plastique jusqu’à ce qu’il s’effondre, et de la sauce chili lui avait été introduite par force dans le nez. En plus, entre son arrivée à la prison de Zacatecas le 17 août 2007 et le 20 août 2007, le requérant n’aurait pas eu accès au téléphone pour contacter qui que ce soit. Par ailleurs, il ressort d’une conversation téléphonique entre sa sœur et l’agent de l’ambassade, en date du 20 août 2007, qu’en violation des assurances diplomatiques, l’État partie ignorait si le requérant avait eu accès à un téléphone. Le requérant a fait également valoir que c’était seulement après une visite que lui avaient rendue des agents consulaires, le 22 août 2007, que l’État partie avait pris des mesures pour vérifier s’il était en sécurité.

6.4Le requérant a fait valoir que le traité d’extradition entre l’État partie et le Mexique prévoyait explicitement, en son article III.1, que le Canada n’avait aucune obligation d’extrader ses propres nationaux vers le Mexique et que le traité permettait au Canada de juger ses propres citoyens pour des infractions qui leur étaient reprochées au Mexique. Le requérant a ajouté que l’État partie avait pris un risque inacceptable en l’extradant au Mexique et avait ainsi violé l’article 3 de la Convention.

Observations additionnelles de l’État partie

7.1Le 28 août 2009, l’État partie a réitéré ses observations précédentes. Il a souligné qu’il ne fallait pas confondre l’évaluation des risques de torture avant l’extradition du requérant avec ses allégations de mauvais traitements faites après qu’il ait été remis aux autorités mexicaines. L’État partie a réaffirmé son refus de souscrire sans réserve aux allégations figurant dans la déclaration sous serment du 21 mars 2009, étant donné que celles-ci n’avaient pas été suffisamment étayées, dans la mesure où, en l’absence du consentement du requérant, ni le personnel consulaire de l’État partie ni le personnel de la Commission des droits de la personne de Zacatecas n’avaient pu enquêter sur ce qui s’était produit les 17, 19 et 21 août 2007. Par ailleurs, l’État partie a fait observer que, indépendamment de la question de la véracité des allégations de torture contenues dans la déclaration sous serment du requérant, à l’époque de la procédure d’extradition, il était raisonnable d’extrader le requérant au Mexique sur la base d’assurances diplomatiques et compte tenu l’absence de risque personnel sérieux que le requérant soit torturé. Il a fait valoir que les affirmations faites après l’extradition ne sauraient jeter le doute sur la légitimité de la décision d’extrader le requérant. D’autre part, l’État partie a indiqué qu’il avait mis en place un mécanisme pour vérifier le respect des assurances diplomatiques et, qu’il avait dûment répondu lorsque des allégations de torture avaient été formulées par le requérant.

7.2En ce qui concerne la procédure d’extradition, l’État partie a expliqué que le Ministère de la justice avait la responsabilité initiale d’un dossier d’extradition et qu’une fois que l’ordonnance d’extradition était confirmée le Ministère des affaires étrangères et du commerce international se chargeait du suivi du dossier à l’étranger. Les fonctionnaires de ce ministère n’intervenaient qu’après l’extradition du requérant. En l’espèce, l’État partie a affirmé que l’ambassade du Canada au Mexique avait été dûment informée de l’extradition du requérant le 15 août 2007. Le 17 août 2007, le requérant avait reçu la visite d’un agent consulaire et des instructions lui avaient été données pour qu’il puisse communiquer avec l’ambassade. En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle les agents consulaires canadiens ne savaient pas s’il pouvait recevoir des appels, l’État partie a expliqué que chaque établissement carcéral avait ses propres règles concernant les appels téléphoniques et en l’absence de raisons valables justifiant une intervention, il ne revenait pas aux agents consulaires de s’immiscer dans l’application de ces règles. Le contact téléphonique entre les agents consulaires et le requérant avait été établi dès le 20 août 2007. L’État partie a également fait valoir qu’avant d’être au courant d’un manquement possible aux assurances diplomatiques, les agents consulaires étaient seulement tenus de maintenir le contact avec le requérant.

7.3L’État partie s’est référé à la jurisprudence du Comité selon laquelle l’évaluation des risques de torture avant l’extradition revêtait un caractère prospectif et la décision qui en découlait ne saurait être mise en question suite à des événements ultérieurs imprévisibles. Il a fait valoir que la constatation de mauvais traitements ultérieurs permettait seulement de mettre en cause les mesures prises par l’État partie pour faire respecter les assurances fournies et non sa décision initiale d’extrader le requérant. Il a rappelé que le Ministre de la justice avait dûment pris en considération à la fois les allégations de torture faites par le requérant en 1998 et le rejet officiel de ces allégations par les autorités mexicaines. Il avait également examiné différents rapports faisant état de violations fréquentes des droits de l’homme au Mexique ainsi que de l’expérience d’autres Canadiens jugés au Mexique. Enfin, il avait aussi tenu compte du fait qu’un gardien de prison avait été tué lors de l’évasion du requérant et de la possibilité de mesures de représailles envers le requérant de la part des autorités carcérales. Le Ministre avait la conviction que le Mexique, vu l’importance qu’il accordait à ses relations diplomatiques et compte tenu d’une expérience antérieure positive, honorerait ses assurances diplomatiques. La conclusion du Ministre de la justice avait d’ailleurs été pleinement appuyée par la Cour d’appel.

Commentaires additionnels du requérant

8.1Dans ses commentaires additionnels du 29 septembre 2009, le requérant réaffirme que tout au long de la procédure d’extradition il a maintenu son allégation selon laquelle il avait été torturé en 1998 et que cela n’a jamais été contesté par les autorités canadiennes.

8.2En ce qui concerne la procédure d’extradition, il rappelle également que les agents consulaires canadiens au Mexique ignoraient tout de son dossier, comme en témoignent les observations de l’État partie, selon lesquelles l’ambassade a été informée le 15 août 2007, soit quarante-huit heures seulement avant son extradition. Le requérant souligne que l’État partie lui-même a admis que les agents de son ambassade n’avaient fait que réagir aux événements et juge cette attitude déconcertante, surtout qu’il s’agissait d’une extradition pour laquelle il avait été jugé nécessaire d’obtenir au préalable des assurances diplomatiques, et qu’il avait suffi d’une visite consulaire à la prison et d’une lettre de l’Ambassadeur au Gouverneur de l’État du Zacatecas pour que cessent les mauvais traitements. Se référant aux observations de l’État partie du 28 septembre 2007, le requérant souligne que les agents consulaires canadiens ne savaient pas que l’État partie avait obtenu des assurances du Mexique et n’a donc pas pris de mesures pour s’assurer que le requérant puisse communiquer avec son avocat et les agents consulaires. En outre, les responsables canadiens n’ont jamais vérifié s’il avait pu le faire.

8.3Le requérant estime que l’argument de l’État partie selon lequel il n’y avait pas de risque de torture avant l’extradition est contredit par la demande d’assurances diplomatiques et par le fait que la Cour d’appel a prêté plus de foi à ses allégations de torture faites en 1998 qu’à la dénégation catégorique du Mexique. D’autre part, il fait remarquer que le cas précédent d’extradition d’un Canadien a été présenté sans aucune information qui permettrait de comparer les deux situations et ne diminuait en rien l’existence d’un sérieux risque de torture couru personnellement par le requérant.

8.4En ce qui concerne la qualité des assurances diplomatiques, le requérant souligne que même si le Ministre de la justice a bien tenu compte du risque de représailles que court le requérant à cause des accusations l’impliquant dans le meurtre d’un gardien de prison, lesdites assurances diplomatiques ne prévoyaient aucune mesures pour empêcher des telles représailles. En outre, l’État partie n’a pris avant l’extradition aucune disposition pour qu’il soit en sécurité et ait la possibilité de communiquer. Il conteste également l’affirmation quant à la mise en place d’un mécanisme de suivi des assurances diplomatiques et souligne que toutes les mesures prises par les agents consulaires étaient en réaction à ses allégations de torture et ne faisaient nullement partie d’une procédure de suivi déjà en place. Le requérant rappelle également que neuf mois se sont écoulés entre le moment où l’État partie a obtenu les assurances diplomatiques, le 16 novembre 2006 et le 15 août 2007, date à laquelle une fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères et du commerce international a tenté d’en obtenir une copie. Il souligne qu’il est évident que si les agents de l’ambassade n’avaient pas de copie des assurances diplomatiques les autorités du Zacatecas et la prison n’en avaient pas non plus.

Observations additionnelles de l’État partie sur la recevabilité

9.Le 26 avril 2010, l’État partie a estimé que la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes, étant donné que le requérant a intenté, le 8 avril 2010, un recours devant la Cour fédérale portant sur le fond de la requête présentée au Comité. Le requérant s’était en effet plaint devant la Cour fédérale de ce que l’État partie avait violé ses droits en l’extradant au Mexique, le 17 août 2007, sur la foi d’assurances diplomatiques, et en ne prenant aucune mesure pour faire en sorte que ces assurances soient respectées après l’extradition du requérant. L’État partie fait valoir que le requérant n’a dont pas établi qu’à première vue sa communication était recevable. Qui plus est, il n’existe aucune raison de croire que les recours internes excéderaient des délais raisonnables.

Commentaires additionnels du requérant

10.1Dans ses commentaires additionnels du 30 juin 2010, le requérant affirme que l’action devant la Cour fédérale et la communication devant le Comité visent des situations différentes. Dans sa plainte devant le Comité, il invoque l’article 3 de la Convention qui interdit d’extrader une personne vers un pays où il existe un risque sérieux qu’elle soit soumise à la torture, et cherche à montrer que l’État partie a violé la Convention contre la torture en l’extradant au Mexique le 17 août 2007. Il réaffirme que le caractère prévisible, réel et personnel du risque de torture reposait sur le fait qu’un gardien de prison avait été tué pendant l’évasion du requérant et que la torture était une pratique répandue dans les prisons mexicaines. Dans son action devant la Cour fédérale, le requérant a cherché à obtenir une réparation du fait qu’il a été torturé et non pas pour le risque de l’être. Il est donc faux de prétendre que l’action devant la Cour fédérale constitue un recours qui doit être épuisé.

10.2Le requérant soutient que le fait qu’une violation de la Convention contre la torture soit également invoquée devant la Cour fédérale ne saurait justifier un rejet de la communication pour non-épuisement des recours internes. Devant le Comité, la violation de la Convention constitue elle-même le préjudice, alors que devant la Cour fédérale cette violation constitue une des fautes alléguées susceptibles d’engager la responsabilité de l’État partie. En outre, le requérant fait valoir que la communication a été déposée le 4 juillet 2007, avant qu’il soit torturé au Mexique les 17, 19 et 21 août 2007. Le recours devant la Cour fédérale n’a été intenté qu’un mois et demi plus tard et n’a donc pas à être épuisé. En outre, un recours au civil sous la forme d’une action en dommages n’est pas un moyen efficace pour empêcher l’extradition du requérant et ne pourrait donc pas être utilisé pour atteindre l’objectif visé à travers la présente communication. Le requérant réaffirme qu’il a contesté l’extradition jusque devant la Cour suprême, ce qui constitue l’ultime recours interne.

Observations additionnelles de l’État partie sur la recevabilité

11.1Dans ses observations du 10 février 2011, l’État partie soutient que les procédures internes sont liées à celles devant le Comité en ce qu’elles se rapportent aux mêmes faits. Il affirme que la chronologie des actes de procédure ou les distinctions faites entre les types de réparation recherchés importent peu, étant donné que les conclusions des juridictions nationales seront fondées sur l’examen des mêmes allégations que celles qui ont été soumises au Comité.

11.2Le 26 août 2010, le requérant a soumis une demande de suspension de son action devant la Cour fédérale. L’État partie lui-même a déposé une demande pour que l’affaire soit classée sans suite. Le 6 décembre 2010, la Cour fédérale a rejeté le recours en suspension du requérant et a fait droit à la demande de classement, statuant que la question de l’extradition du requérant avait déjà été examinée par toutes les juridictions compétentes et ne pouvait plus désormais fonder une action en justice. Le classement a été admis pour abus de procédure de la part du requérant. Le 10 janvier 2011, date limite fixée par la Cour pour déposer un recours en vue d’obtenir réparation des faits qui se seraient produits après l’extradition, le requérant a intenté une nouvelle action devant la Cour fédérale. L’État partie réitère ses observations du 26 avril 2010 et réaffirme que la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

11.3En ce qui concerne le suivi consulaire, l’État partie explique que le mécanisme dont il parle désigne les mesures de suivi consulaires habituelles prises par souci du bien-être physique et psychologique du requérant pendant son incarcération au Mexique.

Commentaires additionnels du requérant

12.1Le 14 avril 2011, le requérant a confirmé qu’il avait déposé une requête pour obtenir réparation de ce qu’il aurait subi après son extradition. Il souligne que les risques pris en violation de la Convention font que l’État partie ne saurait prétendre avoir agi de manière responsable. Il fait valoir qu’il était donc fondé à contester la décision de l’extrader au Mexique devant le Comité, qui est la seule instance saisie de cette question, et qu’une action en dommages intentée à la suite des tortures subies après son extradition au Mexique ne saurait, de toute évidence, constituer un recours efficace qui aurait pu empêcher son extradition et ne peut donc pas être considéré comme un recours interne disponible.

12.2À propos du suivi consulaire, le requérant fait observer qu’au moment de son extradition, en août 2007, le personnel de l’ambassade du Canada au Mexique ignorait la teneur des assurances diplomatiques, comme l’attestent les preuves qu’il a présentées, notamment des courriels. Il fait remarquer également que les assurances diplomatiques n’étaient pas accompagnées de mesures concrètes sur le terrain susceptibles de diminuer le risque réel de torture auquel il était exposé. Il ajoute que les observations de l’État partie du 10 février 2011 confirment qu’il n’a pris aucune mesure concrète pour tenter d’empêcher que le requérant soit torturé. Il y a eu des visites consulaires ordinaires mais pas de véritable système.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

13.1Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si celle-ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

13.2Le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que l’intéressé a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles donnent satisfaction à la victime présumée d’une violation de la présente Convention. Le Comité note que, le 6 décembre 2010, la Cour fédérale a débouté le requérant et que, le 10 janvier 2011, celui-ci a intenté une nouvelle action devant ladite Cour. Il note également que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication pour non-épuisement des recours internes suite à l’introduction d’un recours devant la Cour fédérale par le requérant. Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle le principe de l’épuisement des recours internes requiert du requérant qu’il se prévale de recours qui sont directement en rapport avec le risque d’être soumis à la torture dans le pays où il serait envoyé […]. Dans le cas en l’espèce, la requête a été déposée le 10 janvier 2011 et vise à obtenir réparation pour des mauvais traitements que le requérant aurait subis au Mexique. Le Comité estime que ce recours n’était pas disponible avant l’extradition du requérant et qu’il est peu probable qu’il donne satisfaction au requérant, qui affirme être une victime d’une violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité note également que, le 5 juillet 2007, la Cour suprême a refusé d’autoriser le requérant à faire appel de la décision d’extradition. Par conséquent, le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne constituent pas un obstacle à la recevabilité de la requête.

13.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, au motif que le requérant n’a pas établi l’existence d’une violation à première vue de l’article 3 de la Convention, n’ayant pas prouvé qu’il risquait personnellement, en cas de son extradition, d’être torturé dans les prisons mexicaines, et que les assurances diplomatiques étaient suffisantes pour écarter tout risque. Le Comité prend acte également de l’argument de l’État partie selon lequel le Comité ne devrait pas se substituer aux instances nationales si l’examen des allégations du requérant par l’État partie n’a pas été entaché d’irrégularités. Il est toutefois d’avis que les arguments qui lui ont été présentés soulèvent des questions qui devraient être examinées sur le fond et non pas au regard de la recevabilité. Ne constatant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable.

Examen sur le fond

14.1Le Comité doit déterminer si l’extradition du requérant vers le Mexique constituerait une violation de l’obligation de l’État partie, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas extrader, expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. En procédant à l’évaluation du risque de torture, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture s’il était extradé au Mexique. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour conclure que la personne concernée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits humains ne signifie pas qu’une personne ne risque pas d’être soumise à la torture dans sa situation particulière. En ce qui concerne le fardeau de la preuve, le Comité rappelle également son Observation générale ainsi que sa jurisprudence selon laquelle c’est généralement au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables et que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

14.2Le Comité note que les arguments du requérant et les preuves fournies pour étayer ceux-ci ont été soulevés devant les différentes instances de l’État partie. À ce propos, il rappelle son Observation générale no 1 (par. 9) selon laquelle il accordera un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie; toutefois, le Comité n’est pas lié par de telles constatations et est, au contraire, habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire. Tout en notant les arguments du requérant selon lesquels les instances de l’État partie se sont basées sur des fausses prémisses en évaluant la qualité des assurances diplomatiques fournies par le Mexique, notamment en ce qui concerne la capacité des autorités mexicaines de contrôler leurs forces de sécurité de façon à réduire le risque de torture, le Comité constate que les éléments dont il dispose ne montrent pas que l’examen par l’État partie des allégations du requérant et preuves fournies par lui ait été entaché d’erreurs manifestes.

14.3En évaluant le risque de torture au moment de l’extradition du requérant, le Comité note que le requérant affirme avoir été torturé lors de son arrestation et menacé de tortures dans l’infirmerie de la prison au Mexique en 1998 et qu’à l’appui de ses allégations il a fourni des rapports médicaux qui attestent qu’il a souffert de problèmes psychiques, notamment de troubles post-traumatiques, ainsi que les résultats d’un test polygraphique effectué par la police de l’État partie attestant que ses allégations de torture étaient plausibles. En ce qui concerne le risque personnel et actuel de torture en cas d’extradition, le Comité note que le requérant a affirmé être grandement en danger d’être torturé étant donné qu’il allait être renvoyé dans la prison d’où il s’était évadé et où il aurait subi des menaces de torture de la part des agents du poste de police qui avaient procédé à son arrestation en 1998. Le requérant conteste la fiabilité des assurances diplomatiques: d’une part, parce qu’elles émanent d’un pays où la torture serait répandue ou dont les autorités nient la pratique et, d’autre part, parce qu’il est improbable que le requérant ne soit pas soumis à un interrogatoire de police pour le crime dont il est accusé. En ce qui concerne le suivi des assurances diplomatiques, le Comité note qu’après son extradition le requérant a formulé des allégations de torture qui sont contestées par l’État partie. Il constate également que les instances nationales de l’État partie ont estimé que le risque de torture en prison couru par le requérant serait minime et que le requérant n’a pas établi qu’il serait interrogé par la police. Le Comité note l’affirmation de l’État partie selon laquelle le risque de torture était atténué par les assurances diplomatiques, dont l’efficacité potentielle a été évaluée compte tenu du fait qu’un mécanisme de suivi du requérant, au moyen de visites régulières du personnel consulaire canadien serait mis en place. Cette affirmation est contestée par le requérant, qui rappelle qu’entre le 17 et le 20 août 2007 l’État partie ne s’est pas enquis de sa sécurité.

14.4Le Comité conclut que la principale question qui se pose est celle de savoir si, au moment de l’extradition, le requérant courait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture. L’article 3 de la Convention contre la torture fait obligation à l’État saisi d’une demande d’extradition vers un autre État d’une personne relevant de sa juridiction de prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que cette personne ne sera pas soumise à la torture. Cette obligation signifie qu’il doit mener une enquête minutieuse et prendre en considération tous les éléments qui donnent raisonnablement à penser qu’il existe un risque personnel, réel et prévisible de torture. Les critères à remplir pour prévenir la torture sont encore plus stricts lorsque l’État requis décide de demander des assurances diplomatiques avant de procéder à l’extradition (ou de commencer toute autre procédure de transfert d’une personne aux autorités d’un autre État), car cette demande traduit une préoccupation quant au traitement qui sera réservé à la personne extradée dans le pays où elle sera renvoyée. Même lorsque les faits n’indiquent pas clairement l’existence d’un risque de torture, les circonstances de la cause peuvent montrer qu’il est raisonnable de douter de la volonté de l’État de s’acquitter de l’obligation de prévenir la torture découlant des articles 1er et 2 de la Convention. En l’espèce, il n’est pas contesté que l’auteur a été torturé par le passé. Dans ces circonstances, le Comité doit déterminer si, en l’espèce, les assurances diplomatiques étaient de nature à écarter tout doute raisonnable quant au risque de torture couru par le requérant. Dans ce contexte, le Comité doit vérifier si les assurances diplomatiques obtenues prévoient une procédure de suivi pour garantir leur efficacité.

14.5Dans la présente affaire, le Comité est d’avis que l’État partie n’a pas tenu compte, avant d’approuver l’extradition, de toutes les circonstances indiquant que le requérant courait un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé. Premièrement, l’État partie n’a pas pris en considération le fait que le requérant serait incarcéré dans la prison où un gardien avait été tué pendant son évasion plusieurs années auparavant, sachant que l’extradition était demandée, entre autres, en raison du décès de ce gardien. Deuxièmement, le système des assurances diplomatiques n’a pas été conçu de façon assez minutieuse pour prévenir efficacement la torture. Les autorités diplomatiques et consulaires de l’État partie n’ont pas été dûment informées de l’extradition du requérant et de la nécessité de rester en contact étroit et continu avec lui dès son transfert aux autorités mexicaines. En l’espèce, les assurances diplomatiques et les visites consulaires qui étaient prévues n’ont pas permis d’anticiper le risque élevé d’être soumis à la torture encouru par le requérant pendant les premiers jours de sa détention. Ce risque s’est avéré réel puisque le requérant, qui est arrivé au Mexique le 17 août, a déclaré avoir été par la suite torturé entre le 17 et le 20 août 2007. Or l’État partie n’a pas pris de mesures pour s’assurer de sa sécurité avant le 22 août 2007. Le Comité en conclut donc que l’extradition de l’auteur au Mexique dans ces circonstances a constitué une violation de l’article 3 de la Convention par l’État partie.

14.6Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que l’extradition du requérant au Mexique par l’État partie a constitué une violation des articles 3 et 22 de la Convention.

15.Le Comité demande à l’État partie d’assurer au requérant, conformément aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14 de la Convention, une réparation effective, notamment sous la forme: a) d’une indemnisation pour la violation de ses droits au titre de l’article 3; b) d’une réadaptation aussi complète que possible par la fourniture de soins médicaux et psychologiques, de services sociaux et d’une aide judiciaire, y compris le remboursement des frais passés, du coût des services futurs et des dépenses de justice; et c) d’une révision du système d’assurances diplomatiques afin d’éviter que des violations similaires ne se reproduisent.

16.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 (ancien art. 112) de son règlement intérieur, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures que l’État partie aura prises pour donner suite aux présentes constatations, notamment pour réparer la violation de l’article 3 de la Convention et pour déterminer, en consultation avec le Mexique, le lieu où se trouve le requérant et ses conditions de vie.

Communication no 343/2008: Kalonzo c. Canada

Présentée par:

Arthur Kasombola Kalonzo

Au nom de:

Arthur Kasombola Kalonzo

État partie:

Canada

Date de la requête:

4 juin 2008 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 18 mai 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 343/2008, présentée au nom d’Arthur Kasombola Kalonzo en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1L’auteur de la communication est Arthur Kasombola Kalonzo, de nationalité congolaise, né le 2 décembre 1976 en République démocratique du Congo (RDC). Il réside actuellement au Canada. Il fait valoir que son renvoi vers la RDC constituerait une violation par le Canada de l’article 3 de la Convention contre la torture.

1.2Le 6 juin 2008, le Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, agissant en application du paragraphe 1 de l’article 108 du Règlement intérieur, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers la RDC tant que l’affaire serait à l’examen. L’État partie a accédé à cette demande.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant avait 8 ans lorsqu’en 1984 sa famille s’est rendue aux États-Unis pour fuir la persécution en RDC découlant des activités politiques d’opposition de son père, qui était un membre influent et connu de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS).

2.2En avril 2002, les autorités américaines ont déporté le requérant vers la RDC en raison de plusieurs condamnations criminelles. C’est également en raison de son casier judiciaire qu’il n’a pas eu le statut de citoyen, contrairement aux autres membres de la famille. Dès son arrivée à l’aéroport de Kinshasa, il a été intercepté par les autorités congolaises qui l’accusaient d’être un bandit et lui ont dérobé l’argent qu’il avait sur lui. Après quelques heures, ils ont dit être au courant de son dossier criminel aux États-Unis et qu’ils connaissaient son père, un célèbre ancien joueur de soccer, ainsi que les activités de ce dernier pour l’UDPS. Le requérant a été accusé d’affiliation à l’UDPS comme son père et a été transféré à la prison de Makala, où il affirme avoir été maltraité, battu, torturé et agressé sexuellement. Sa détention a duré quatre mois et quelques jours. Il s’est ensuite échappé de prison.

2.3Le requérant est parvenu à obtenir des documents de voyage pour aller au Canada, où il a demandé l’asile le 4 février 2003. En raison de son état psychologique, suite aux événements vécus en RDC, il souhaitait retourner aux États-Unis où il avait vécu presque toute sa vie, pour rejoindre sa famille. Le 1er mai 2003, il a tenté de rentrer illégalement aux États-Unis à l’aide d’un certificat de naissance contrefait, mais il a été intercepté, mis en détention et condamné à trente mois d’emprisonnement aux États-Unis. Comme il se trouvait dans ce pays au moment où l’audience de sa demande d’asile au Canada devait avoir lieu, le requérant ne s’est pas présenté à son audience et le désistement de sa demande a été prononcé par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), le 7 août 2003. Un mandat d’arrêt pour renvoi a été émis contre lui le 28 juin 2004.

2.4Le requérant a présenté une requête aux États-Unis, en vertu de la Convention contre la torture, basée sur les risques de torture en RDC. Il a énoncé plusieurs faits à l’appui de sa demande, dont les activités politiques de son père, membre de l’UDPS; les opinions politiques imputées au requérant du fait des activités de son père; son appartenance à l’ethnie Luba du Kasaï et les liens de cette ethnie avec l’UDPS; la situation politique en RDC; ainsi que la détention et la torture qu’il avait subies lors de son retour forcé en RDC en 2002. Il a également présenté un certificat médical établi par l’University Hospital (Newark, New Jersey) après un examen effectué le 17 octobre 2005. Le rapport signale que le requérant a peu de signes physiques de la torture et violations subies, ce qui n’est pas inconsistant avec les faits qu’il a décrits, que les effets psychologiques sont évidents et qu’il semble souffrir d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT).

2.5Le 12 février 2005, un juge aux États-Unis a accordé la protection au requérant en vertu de la Convention, notamment sur la base des risques de torture liés aux opinions politiques d’opposition de son père. Cependant, en vertu de l’accord entre les Gouvernements des États-Unis et du Canada pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugié présentées par des ressortissants de pays tiers, et après avoir purgé sa peine de prison aux États-Unis, le requérant a été déporté au Canada, le 9 avril 2006.

2.6À son arrivée au Canada, le requérant a revendiqué le statut de réfugié mais sa demande a été jugée irrecevable à cause du désistement prononcé en 2003. Le 18 octobre 2006, Citoyenneté et Immigration Canada a émis un rapport indiquant que le requérant était interdit de territoire pour criminalité. Le 30 mars 2007, il a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Cette demande a été rejetée le 7 avril 2008, au motif: a) que le requérant n’était pas lui-même membre de l’UDPS; b) qu’il n’aurait pas démontré que son père était toujours membre de l’UDPS et que ce dernier avait connu des problèmes à cause de ses opinions politiques durant son séjour en RDC en 2006-2007; c) qu’il pourrait s’installer à Kinshasa, car les violences dont pourraient être victimes les Lubas ne semblaient pas y être commises; d) qu’il y avait des doutes quant à la crédibilité du requérant à propos des faits qu’il aurait vécus en RDC en 2002.

2.7Le requérant affirme avoir présenté des preuves pour réfuter les conclusions de l’agent ERAR, mais que celui-ci ne les aurait pas prises en considération. Par exemple, il affirme que lors du séjour de son père en RDC de mars 2006 à novembre 2007, à l’occasion des élections, celui-ci aurait reçu des coups de téléphone anonymes et des menaces de la police, probablement à cause d’un transfert d’argent qu’il avait fait au profit du fonds UDPS ainsi que de ses démarches pour récupérer sa maison, qui était occupée illégalement par les tenants du pouvoir.

2.8Le requérant se plaint du fait que l’agent ERAR aurait fait des recherches de son propre chef sur son père et se serait servi de preuves extrinsèques (non divulguées au requérant) pour mettre en doute l’appartenance de son père à l’UDPS et la nature des problèmes vécus par ce dernier durant son séjour en RDC de 2006 à 2007. Or, le père du requérant n’a jamais été entendu, bien qu’il était disponible pour témoigner. L’agent ERAR a aussi refusé le dépôt d’une déclaration écrite au motif que le témoignage du père serait celui d’une personne intéressée. Le requérant a alors déposé une lettre de soutien d’un membre de l’UDPS, mais l’agent n’en a pas tenu compte, en alléguant qu’il s’agirait d’un témoin intéressé, ce que le requérant conteste. Il rappelle que la décision des autorités des États-Unis de lui accorder la protection sous la Convention contre la torture était basée notamment sur le risque de torture lié aux opinions politiques en tant qu’opposant de son père. Que celui-ci fasse encore partie de l’UDPS ou non n’est pas déterminant car il l’a été, le requérant porte le même nom de famille et les personnes soupçonnées d’opposition politique sont systématiquement ciblées par les autorités en RDC, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par l’agent ERAR.

2.9Quant à la possibilité de refuge interne, selon le requérant rien ne permettait à l’agent ERAR de conclure qu’il pourrait se réfugier à Kinshasa malgré son appartenance à l’ethnie Luba Kasaï et les violences subies par cette ethnie.

2.10L’agent ERAR met en doute la crédibilité du requérant quant aux faits vécus en RDC en 2002, mais en écartant arbitrairement la preuve démontrant qu’il souffre de TSPT, ce qui peut affecter considérablement sa mémoire des faits, et en se basant sur des incohérences secondaires. L’agent ne prend pas non plus en considération la lettre de l’avocat congolais qui avait pris part aux tentatives pour obtenir sa mise en liberté en 2002 qui confirmait les allégations du requérant. L’agent considère cet avocat intéressé, mais ne motive aucunement sa conclusion. La preuve que le requérant souffre de TSPT est également rejetée sans fondement, malgré le fait que le rapport ait été établi par un médecin formé pour examiner les victimes de torture.

2.11Le 6 mai 2008, le requérant a reçu notification de son renvoi, prévu le 6 juin 2008. Le 22 mai 2008, il a présenté une requête en sursis à la Cour fédérale du Canada. Sa requête a été rejetée le 2 juin 2008.

Teneur de la plainte

3.1Du fait de son passé criminel aux États-Unis, sa détention puis sa fuite de la prison en RDC en 2002, ainsi que les opinions politiques de son père, le requérant craint d’être arrêté de nouveau et torturé s’il devait retourner dans son pays d’origine. Son origine ethnique Luba (Baluba) Kasaï pourrait également le mettre en danger étant donné que cette ethnie est associée à l’opposition politique UDPS. L’auteur affirme que ce risque est connu des autorités canadiennes, puisqu’il existe un moratoire empêchant le renvoi des ressortissants congolais. Or, cette suspension des renvois souffre d’exceptions, notamment pour les personnes qui seraient interdites de séjour pour criminalité, conformément à la section 230 3) c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR). Cette exception constitue une discrimination basée sur le casier judiciaire et donc une violation du droit à l’égalité de traitement devant la loi. Le requérant invoque la décision du Comité dans la communication no 297/2006, Sogi c. Canada, où le Comité a rappelé que l’article 3 accordait une protection absolue à toute personne se trouvant sur le territoire d’un État partie, sans considération de la qualité de cette personne et de sa dangerosité sociale. En conséquence, l’État partie ne saurait invoquer le passé criminel du demandeur pour justifier la levée du moratoire et son renvoi vers un pays où il risque d’être torturé.

3.2L’auteur cite également des documents concernant la situation des droits de l’homme en RDC, notamment les pratiques de détention arbitraire, torture, exécutions extrajudiciaires et l’impunité. Les documents qu’il a présentés prouvent que le Gouvernement congolais n’a pas de contrôle sur les forces de l’ordre à travers son pays et que ces dernières arrêtent et détiennent arbitrairement et en toute impunité les citoyens dès qu’il existe un soupçon d’opposition politique.

3.3Compte tenu de son séjour prolongé hors du pays, de sa demande d’asile, de son dossier pénal, de sa déportation, de son association à l’UDPS à cause de son père, des contrôles à l’arrivée en RDC et de son état médical, il court un risque accru d’arrestation, de détention et de mauvais traitements.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la requête

4.1Le 5 août 2008, l’État partie a formulé des observations sur la recevabilité de la communication. Il maintient que le requérant n’a pas épuisé les recours internes, que sa plainte est manifestement non fondée, qu’elle constitue un abus de la procédure et que le requérant n’a pas démontré que les décisions des autorités canadiennes dans son cas aient été arbitraires ou constituent un déni de justice. Le requérant est en désaccord avec les décisions des autorités canadiennes dans son cas. Cependant, le Comité ne doit pas agir comme une quatrième instance et réexaminer les faits et les éléments de preuve ou réviser l’application du droit interne par les autorités canadiennes.

4.2Le requérant a demandé l’asile le 4 février 2003. Le 19 mars 2003, il a soumis des informations sous un faux nom et raconté une histoire de persécution en RDC qui s’est avérée entièrement fabriquée. Il a notamment allégué qu’il avait vécu toute sa vie en RDC, qu’il avait été arrêté avec son père à cause de leurs activités politiques et que son père était décédé en 2002 de suites de tortures.

4.3Le requérant ne s’est pas présenté à l’audience du 5 août 2003 pour l’examen de sa demande d’asile. Une autre audience a donc été fixée le 5 août 2003. Étant donné que ni l’auteur ni son conseil n’ont comparu, l’examen de la requête a été interrompu. Le requérant n’a pas demandé une révision judiciaire de la décision concernant le désistement devant la Cour fédérale.

4.4Le 30 mars 2007 le requérant a demandé un examen ERAR, qui a été refusé le 7 avril 2008. L’agent ERAR a estimé que les informations fournies par le requérant présentaient d’importantes omissions et contradictions et a conclu qu’il n’était pas crédible. Le 20 mai 2008, le requérant a fait une demande devant la Cour fédérale pour que la décision ERAR et la décision de renvoi soient révisées. Cette demande a été rejetée au motif qu’il avait menti aux autorités canadiennes et américaines de façon répétée, ce qui mettait en cause sa crédibilité par rapport aux faits allégués. En outre, la Cour n’a pas constaté l’existence d’erreurs dans l’évaluation du risque effectuée par l’agent ERAR.

4.5L’État partie maintient que le requérant n’a pas épuisé les recours internes au motif a) qu’il a volontairement abandonné sa demande d’asile au Canada et n’a pas sollicité une révision judiciaire de la décision déclarant le désistement et b) qu’il n’a pas présenté une demande de résidence fondée sur des considérations humanitaires (CH). Lorsqu’une demande de ce genre est présentée sur la base du risque que la personne peut encourir dans son pays d’origine, elle est examinée par un agent ERAR. Cependant, contrairement aux demandes ERAR, l’examen des demandes CH ne se limite pas aux nouveaux moyens de preuve présentés depuis la dernière décision dans l’affaire. Cet examen prend en considération la totalité des circonstances, pas seulement les facteurs de risque, et va au‑delà des critères établis dans le cadre d’une demande ERAR.

4.6L’État partie se montre en désaccord avec certaines décisions où le Comité a déterminé que, étant donné la nature discrétionnaire des décisions ministérielles, il n’était pas nécessaire d’épuiser le recours CH. Le fait qu’un recours soit discrétionnaire ne signifie pas qu’il soit inefficace. Bien qu’elle soit discrétionnaire d’un point de vue technique, la décision ministérielle doit appliquer certains critères et procédures. La discrétion doit s’exercer conformément à la loi, laCharte canadienne des droits et libertés et les obligations internationales du Canada. Les demandes CH peuvent être fondées sur le risque de torture dans le pays de renvoi et les décisions ministérielles peuvent être révisées par la Cour fédérale. Une décision négative de la Cour fédérale est susceptible d’appel devant la Cour fédérale d’appel si le cas soulève une question d’importance générale. Une décision de la Cour fédérale d’appel peut encore être l’objet d’appel devant la Cour suprême du Canada.

4.7L’État partie fait valoir que la plainte est irrecevable car manifestement non fondée. Les allégations du requérant et les preuves qu’il a fournies au Comité sont essentiellement les mêmes que celles qui ont été présentées aux autorités internes. Le requérant a été auditionné par l’agent ERAR, qui a pu personnellement juger de sa crédibilité. Ses conclusions à propos du risque en cas de renvoi sont appropriées et bien fondées. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité conformément à laquelle il n’a pas pour rôle de réévaluer les conclusions concernant les faits et la crédibilité auxquelles sont parvenues les autorités nationales compétentes, sauf s’il est avéré que l’évaluation était arbitraire ou constituait un déni de justice. La documentation présentée par le requérant au Comité ne montre pas que les conclusions de l’agent ERAR aient été entachées de telles irrégularités. En conséquence, il n’y a pas de motif pour que le Comité considère nécessaire de réexaminer les conclusions des autorités internes à propos des faits et de la crédibilité du requérant.

4.8Le manque de crédibilité du requérant est fondé sur les éléments suivants: a) son récit est contradictoire à propos de la date à laquelle il est arrivé au Canada pour la première fois. À différentes reprises il a affirmé être arrivé en septembre 2002, janvier 2003 et avril 2003; b) il a également donné des informations contradictoires concernant son identité, notamment à propos de son nom et de sa date de naissance; c) il a fourni des informations fausses concernant, entre autres, les activités politiques, persécution, arrestation, torture et décès de son père; d) il a fourni des informations fausses aux autorités d’immigration des États-Unis, ce qui a motivé son arrestation et condamnation à trente mois d’emprisonnement; e) une fois relâché, il a été expulsé vers le Canada, où il a d’abord nié avoir demandé l’asile dans le passé; et f) dans le cadre de la procédure ERAR, il a fourni des informations contradictoires à propos des faits dont il aurait été victime en 2002 en RDC. Notamment, il n’a pas été capable de donner des détails à propos de la prison dans laquelle il aurait été détenu. Il n’a pas clarifié s’il avait été relâché ou s’il s’était évadé. Il s’est contredit à propos de la date à laquelle il avait récupéré sa liberté et du temps passé à Lubumbashi après la prison. Il s’est aussi contredit à propos des informations qu’il avait fournies à l’agent ERAR concernant le retour de son père en RDC en 2006-2007. Après l’audience, l’agent ERAR a demandé au requérant de fournir certains documents. Cependant, ceux qu’il a produits n’ont pas été jugés satisfaisants. Ainsi, la photocopie du passeport de son père était illisible et ne mentionnait pas les dates de son séjour en RDC; il a fourni une lettre de l’UDPS, mais pas l’original demandé par l’agent.

4.9Concernant le rapport médical fourni par le requérant comme preuve de la torture subie en RDC, l’agent ERAR a estimé qu’il n’était pas concluant. Il a noté les maigres preuves de torture et de violation. Le docteur y signalait que le requérant semblait souffrir de TSPT, sans tirer de conclusion définitive. Les pensées suicidaires et dépressives ont été signalées par le requérant lui-même. Le docteur n’a pas décrit les examens qui ont permis de diagnostiquer l’existence de TSPT. L’existence de lésions physiques compatibles avec les allégations est mentionnée, mais rien ne prouve qu’elles aient été infligées pendant la détention du requérant en RDC. Le docteur n’a pas expliqué le rapport entre l’angine et la tension dont souffrait le requérant et les allégations de torture. Au vu de ce qui précède, le requérant n’a pas démontré que la conclusion de l’agent ERAR sur le poids qui doit être accordé au rapport médical ne soit pas raisonnable.

4.10Étant donné le manque de crédibilité du requérant, l’agent ERAR a conclu que sa détention en RDC en 2002 et le risque encouru en cas de retour n’avaient pas été établis. Il a noté que les membres de l’UDPS pouvaient être arrêtés et maltraités. Or, selon un rapport du Home Office du Royaume-Uni, la situation à leur égard était meilleure en 2007 qu’en 2005.

4.11L’agent ERAR a également noté que le juge américain avait exprimé des doutes quant à la crédibilité de l’auteur. Il a cependant effectué sa propre évaluation et conclu que le requérant n’avait pas démontré que lui ou son père aient été des membres actifs de l’UDPS, ou qu’il risquait d’être maltraité à cause de son origine ethnique, spécialement s’il allait à Kinshasa. L’agent n’ignorait pas les difficultés que le requérant pourrait rencontrer, étant donné qu’il avait vécu la plus grande partie de sa vie aux États-Unis. Or, ces difficultés ne pouvaient pas être assimilées à de la persécution au sens de la Convention, ou à un risque pour sa vie ou à de la torture ou des traitements ou peines cruels et inusuels.

4.12L’État partie est d’avis que la situation en RDC est difficile depuis des années. Cependant, cela n’est pas suffisant pour conclure que le requérant serait exposé à un risque de torture réel, personnel et prévisible en cas de retour. L’État partie soutient que, même si tel était le cas, le requérant n’a pas démontré l’existence de risque sur tout le territoire. L’agent ERAR a reconnu que la situation pouvait être difficile pour les Lubas dans la région de Katanga, mais le requérant n’a pas démontré l’existence d’un risque à Kinshasa.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partiesur la recevabilité de la requête

5.1Le 13 novembre 2008, le requérant a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie quant à la recevabilité. Il réitère les raisons pour lesquelles il a tenté d’entrer illégalement aux États-Unis le 1er mai 2003 et a été mis en détention dans ce pays, ce qui l’a empêché de se présenter à son audience au Canada. Étant donné la demande de protection qu’il a déposée aux États-Unis en vertu de la Convention contre la torture et les circonstances psychologiques qui l’ont mené à quitter le Canada et à chercher le soutien de sa famille aux États-Unis, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir poursuivi sa demande d’asile au Canada à cette époque, ni soumis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contre la décision prononçant le désistement.

5.2Contrairement aux affirmations de l’État partie, le requérant a bel et bien déposé une demande de résidence permanente pour motifs humanitaires le 29 mai 2008. Au moment de l’envoi des commentaires, cette demande n’avait pas encore été tranchée. En outre, une décision a été rendue par la Cour fédérale quant à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision ERAR. Cette demande a été rejetée sans motif en date du 14 août 2008.

5.3Le requérant fait valoir que ni l’ERAR ni la demande CH ne constituent des recours utiles. Une décision CH n’est pas rendue sur une base légale et constitue plutôt une faveur accordée par un ministre. Le fait de déposer une demande CH ne sursoit pas légalement au renvoi du demandeur. Quant aux demandes faites suite au refus de l’ERAR (demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, appel à la Cour d’appel fédérale), elles ne constituent pas non plus des recours utiles puisque aucune de ces démarches ne sursoit légalement au renvoi du demandeur. En l’espèce, l’évaluation qui a été faite des faits et éléments de preuve à l’ERAR est manifestement arbitraire et/ou représente un déni de justice.

5.4Le requérant soutient le bien-fondé de sa plainte. Son père est un opposant politique de longue date, connu et reconnu en RDC en tant que cofondateur et membre de l’UDPS, principal parti d’opposition. Contrairement aux affirmations de l’État partie, l’identité du requérant n’a jamais été mise en doute par les autorités canadiennes et le lien de parenté entre le requérant et son père n’a jamais été contesté. Par ailleurs, l’identité et le lien de parenté entre le requérant et son père sont objectivement établis par le passeport et l’attestation de naissance du requérant. En outre, le requérant cite le rapport du Département d’État des États-Unis (2007) pour montrer que les opposants politiques, réels ou présumés, sont arrêtés et torturés en RDC, et que les membres de la famille de personnes soupçonnées ou recherchées risquent d’être arrêtés, détenus et torturés.

5.5Les allégations de non-crédibilité du requérant formulées par l’État partie sont sans pertinence et doivent être rejetées. Il a été décidé à plusieurs reprises par les tribunaux canadiens que le manque de crédibilité d’un demandeur d’asile n’empêche pas qu’il soit, malgré tout, un réfugié au sens de la Convention. Pareillement, quel que soit le degré de crédibilité du demandeur quant à certaines allégations, cela ne l’empêche pas d’être objectivement et subjectivement en danger d’être torturé en cas de retour en RDC.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 6 février 2009, l’État partie a fourni des observations sur le fond de la communication. En même temps, il réitère que la communication devrait être déclarée irrecevable.

6.2Le requérant tente de justifier l’abandon de sa demande d’asile par son état psychologique après les événements dont il a été victime en RDC et son besoin de rejoindre sa famille aux États-Unis. Or, cette explication n’est pas valable car il n’a pas fourni d’éléments de preuve, médicaux ou autres, à l’appui de ses allégations. Le seul rapport médical qu’il a fourni a été établi en octobre 2005 et n’était pas concluant, comme il a déjà été indiqué. Le stress psychologique n’est pas inhabituel parmi les requérants d’asile. Cependant, cela ne peut pas exonérer le requérant de poursuivre sa demande, d’autant plus qu’il était assisté par un conseil. Il aurait dû, en conséquence, être au courant des conséquences d’un tel acte. En outre, l’État partie n’accepte pas l’argument du requérant quant à la possibilité de révision judiciaire de l’abandon de la demande et insiste sur le fait que ce recours est efficace. L’État partie confirme que le requérant a déposé une demande CH et souligne que ce recours doit être épuisé.

6.3L’État parti réitère que les plaintes du requérant sont manifestement infondées et donc irrecevables. Sur le fond, il n’a pas démontré l’existence de motifs de croire qu’il serait soumis à la torture s’il devait retourner en RDC, cela en raison des éléments exposés ci‑après.

6.4Le requérant a fourni des informations contradictoires à propos de sa détention et des mauvais traitements subis en RDC en 2002. Au sujet de la durée de sa détention, il a déclaré à des moments différents qu’elle avait duré trois, quatre ou neuf mois. À propos de la communication avec ses codétenus, il a d’abord signalé que ceux-ci ne parlaient pas le français. Lorsqu’on lui a fait remarquer que le français était une langue officielle dans le pays, il a dit que quelques-uns parlaient le français. Enfin, il a déclaré que la plupart d’entre eux parlaient le français. Au sujet du fait qu’il avait gardé 20 ou 40 dollars sur lui, il a d’abord déclaré avoir caché l’argent dans ses chaussettes. Lorsqu’on lui a rappelé sa déclaration selon laquelle il était pieds nus, il a dit avoir dissimulé l’argent dans son pantalon et qu’il n’avait pas été découvert. Selon l’État partie, ces déclarations ne sont pas crédibles au vu des allégations qu’il avait été victime de viol à répétition. À propos de la manière dont il a regagné sa liberté, il a fait savoir dans ses déclarations écrites qu’un gardien qui connaissait son grand-père l’avait fait sortir pendant la nuit. Cependant, dans une lettre qu’il affirme avoir été écrite par son avocat, il est indiqué que la libération a eu lieu suite à l’intervention du Procureur de la République et d’un haut magistrat militaire. Enfin, dans sa demande ERAR, il a indiqué avoir été détenu en RDC jusqu’à son arrivée au Canada en janvier 2003. Or, pendant son audience il a déclaré avoir séjourné en Zambie pendant plusieurs mois avant de se rendre au Canada.

6.5Dans sa demande d’asile de février 2003, le requérant ne mentionne pas avoir été torturé en RDC. Selon l’État partie, il est invraisemblable que le requérant omette de mentionner la torture dans sa demande d’asile s’il avait réellement été torturé. Le stress psychologique ne peut pas expliquer un tel comportement.

6.6D’autres informations données par le requérant aux autorités canadiennes se sont révélées contradictoires. Ainsi, à propos de son nom et de sa date de naissance, il a donné un faux nom dans sa demande d’asile en 2003 et indiqué différentes dates concernant son arrivée au Canada pour la première fois. Il a essayé d’entrer aux États-Unis en utilisant de faux documents et a nié avoir demandé l’asile au Canada préalablement; il a déclaré à l’agent ERAR en décembre 2007 que son père ne s’était pas rendu en RDC depuis longtemps, alors qu’il venait de rentrer d’un séjour de vingt mois dans ce pays.

6.7L’État partie réitère ses observations concernant le rapport médical présenté par le requérant. Ce rapport signale, sur la base du récit du requérant, qu’il semble souffrir de stress post-traumatique. Quant aux déclarations sous serment soumises en faveur du requérant, l’État partie signale que l’agent ERAR a eu raison de ne pas leur accorder de poids, étant donné qu’elles provenaient de personnes intéressées ou qu’elles contenaient des imprécisions.

6.8Le requérant n’a jamais participé à des activités qui pourraient l’exposer à un risque d’être soumis à la torture. Il n’est pas membre d’une organisation politique et il n’a pas démontré que ses antécédents pénaux aux États-Unis et son expulsion elle-même pourraient l’exposer à un risque. Ses parents eux-mêmes auraient passé du temps en RDC ces dernières années sans avoir été détenus ou torturés, le père en particulier entre mars 2006 et novembre 2007. Le requérant a présenté une lettre d’un membre de l’UDPS faisant état des menaces dont le père du requérant aurait fait l’objet de la part de la police alors qu’il effectuait des démarches pour essayer de récupérer sa maison. Or, aucun incident de détention ou danger physique n’a été mentionné.

6.9Le juge américain qui avait conclu en 2005 à l’existence d’un risque de torture avait donné un poids considérable à la situation du père du requérant. Or, c’est après cette date que le père a séjourné en RDC sans être détenu. Par ailleurs, le juge ne semble pas avoir eu connaissance du fait que le requérant avait soumis de fausses informations aux autorités canadiennes lors de sa demande d’asile en 2003.

6.10Enfin, l’État partie fait valoir que des rapports sur la situation des droits de l’homme en RDC, tels que celui d’Amnesty International de 2007 ou du Département d’État des États-Unis de 2008, font très peu de référence à des cas de torture de membres de l’UDPS ou de Lubas du Kasaï.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie sur le fond

7.1Le 17 juin 2009, le requérant a présenté des commentaires sur les observations de l’État partie. Il rappelle qu’il a formulé une demande de révision judiciaire de la décision ERAR. Une fois que cette demande a été refusée, il n’a pas d’autres recours à sa disposition pour contester son renvoi. Sa demande de sursis au renvoi dans l’attente d’une décision sur sa demande CH a été rejetée.

7.2Le requérant justifie l’abandon de sa demande d’asile par le fait qu’il souffrait de stress post-traumatique, ce qui a été confirmé par le rapport établi par un médecin spécialisé dans ce genre d’affaires. Concernant les contradictions dans ses récits devant les autorités canadiennes, auxquelles fait référence l’État partie, il souligne qu’en l’absence d’enregistrements de son audition par l’agent ERAR, le Comité ne devrait pas accorder de valeur à celle-ci, car on ne peut pas prouver l’existence de telles contradictions. On lui avait demandé où était son père et il a répondu qu’il était parti au Congo pour participer aux élections. Cette réponse n’est en contradiction avec aucun des renseignements qu’il avait donnés.

7.3Le requérant réitère qu’il a été torturé au Congo à cause des opinions politiques de son père et que, du fait qu’il a déjà été torturé une fois, il craint de l’être à nouveau. Quant à l’observation de l’État partie selon laquelle son père n’a pas été inquiété au Congo, le requérant fait valoir qu’il détient un passeport américain, ce qui pouvait lui offrir une certaine protection, contrairement à lui qui a la nationalité congolaise. Ceci explique le traitement différent donné à l’un et l’autre. En cas de renvoi, il arriverait en RDC, sous le coup d’une mesure d’expulsion, ce qui est bien plus susceptible de lui attirer des ennuis de la part des autorités congolaises.

7.4Le requérant affirme que, lorsqu’il a demandé l’asile au Canada, il n’a pas mentionné être le fils d’Ilunga André Kalonzo. Après ce qu’il avait vécu en RDC à cause des liens avec son père, il pensait que la meilleure manière d’être en sécurité serait de ne pas mentionner ces liens.

7.5L’État partie a omis de mentionner qu’un moratoire au renvoi des ressortissants de la RDC est toujours en vigueur à cause de l’insécurité qui règne dans ce pays. La situation en RDC n’a pas vraiment changé depuis que le juge américain lui a accordé la protection sur la base des risques de torture qu’il pouvait encourir. La torture des détenus y est toujours pratiquée, indépendamment de leur appartenance ou pas à un parti politique. Il cite, à cet égard, le rapport 2008 du Département d’État américain ainsi qu’un rapport d’Amnesty International sur la situation dans ce pays.

7.6Enfin, le requérant informe le Comité que depuis son arrivée au Canada il a un travail et qu’il est le père d’un enfant canadien. Il demande au Comité de trouver une solution pour qu’il ne soit pas séparé de sa fille et de sa compagne, qui résident au Canada.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si celle-ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité prend note des observations de l’État partie concernant le non-épuisement des recours internes ainsi que des commentaires du requérant à ce sujet. Le Comité observe qu’après son expulsion au Canada depuis les États-Unis, le 9 avril 2006, le requérant a demandé le statut de réfugié, mais que sa demande a été jugée irrecevable. Le 30 mars 2007, le requérant a fait une demande d’examen ERAR, seul recours qu’il pouvait tenter. Cette demande a été rejetée le 7 avril 2008. Le 20 mai 2008, il a déposé une demande de révision de la décision de rejet et de renvoi devant la Cour fédérale, qui a également été rejetée, sans indication du motif, le 14 août 2008.

8.3Le 29 mai 2008, le requérant a déposé une demande de résidence permanente pour motifs humanitaires (CH). Au vu des observations de l’État partie par rapport à l’efficacité de ce recours, le Comité rappelle que, lors de sa vingt-cinquième session, dans ses observations finales sur le rapport de l’État partie, il avait examiné la question de la demande de dispense ministérielle pour raisons d’ordre humanitaire. Le Comité avait alors relevé le manque d’indépendance dont semblaient faire preuve les fonctionnaires chargés d’examiner ce type de recours, ainsi que le fait qu’une personne pouvait être expulsée alors que ledit recours était en cours d’examen. Le Comité avait conclu que cela pouvait amoindrir l’efficacité de la protection des droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Le Comité avait noté que, bien que le droit de bénéficier d’une assistance pour des raisons humanitaires puisse fonder un recours prévu par la loi, cette assistance était accordée par un ministre sur la base de critères purement humanitaires, et non sur une base juridique, et constituait ainsi plutôt une faveur. Le Comité avait également observé que, lorsqu’une demande de contrôle juridictionnel était acceptée, la Cour fédérale renvoyait le dossier à l’instance qui avait pris la décision initiale ou à une autre instance compétente, de sorte qu’elle ne procède pas elle-même au réexamen de l’affaire et ne rende pas de décision. La décision relève plutôt du pouvoir discrétionnaire d’un ministre et donc du pouvoir exécutif. Dans ces conditions, le Comité conclut qu’en l’espèce l’éventuel non‑épuisement de ce recours ne constitue pas un obstacle à la recevabilité de la communication.

8.4En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 3, le Comité considère que les arguments présentés par le requérant soulèvent des questions qui doivent être examinées quant au fond et pas seulement sur le plan de la recevabilité. En conséquence, il déclare la communication recevable et procède à son examen sur le fond.

Examen au fond

9.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant dans la République démocratique du Congo, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

9.2Pour apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé en République démocratique du Congo, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris de l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans ce pays. Il s’agit cependant de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé.

9.3Le Comité rappelle son Observation générale relative à l’application de l’article 3 de la Convention, où il est indiqué que l’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable, le Comité rappelle que le fardeau de la preuve incombe généralement au requérant, qui se doit de présenter des arguments défendables établissant qu’il encourt un risque «prévisible, réel et personnel». Le Comité rappelle également, tel qu’indiqué dans son Observation générale no 1 (1996), que même s’il accorde un poids considérable aux conclusions des organes de l’État partie, il lui appartient d’apprécier librement les faits de chaque cause en tenant compte des circonstances.

9.4Le Comité prend note des observations de l’État partie concernant le manque de crédibilité du requérant, notamment les informations contradictoires fournies aux autorités canadiennes à propos de la durée de sa détention en RDC, la communication avec ses codétenus, l’argent qu’il aurait gardé sur lui, la manière dont il a regagné sa liberté, son séjour en Zambie avant de se rendre au Canada, le séjour de son père en RDC et autres contradictions. Le Comité note également les observations de l’État partie à propos du fait que le requérant n’est pas membre d’une organisation politique et que ses parents se sont rendus à plusieurs reprises en RDC sans être inquiétés.

9.5Le Comité prend note de la situation précaire des droits de l’homme en République démocratique du Congo ainsi que du moratoire décrété par le Canada concernant le renvoi des requérants d’asile déboutés dans ce pays. Le Comité note, à ce propos, l’information du requérant selon laquelle ce moratoire a été établi à cause de la violence généralisée existante en RDC et que le requérant serait exclu du moratoire à cause de ses antécédents pénaux. L’État partie n’a pas contesté cette information. Le Comité estime qu’elle accentue le caractère discrétionnaire de la procédure concernant le moratoire dans la mesure où, dans l’esprit de l’article 3 de la Convention, un moratoire au renvoi de personnes en danger dans leur pays à cause de la violence généralisée qui y règne doit s’appliquer à tous sans aucune distinction.

9.6Le Comité prend note également des affirmations du requérant en ce qui concerne: a) sa détention et torture en RDC en 2002; b) le certificat médical établi en 2005 conformément auquel, bien que le requérant présente peu de marques physiques de torture il en était autrement concernant les effets psychologiques, car il avait des signes de TSPT tout à fait compatibles avec ses récits et semblait avoir des craintes raisonnables de ce qu’il pouvait devenir s’il devait retourner en RDC; c) le fait que le juge américain qui lui avait accordé la protection en vertu de la Convention était d’avis qu’il y avait suffisamment de preuves pour conclure qu’il risquait d’être torturé en cas de retour.

9.7Le Comité prend note aussi de la référence que l’État partie à des rapports de 2007 et 2008 qui font état de peu de cas de torture de membres de l’UDPS ou de Lubas du Kasaï. Le Comité estime, à ce propos, que même si les cas de torture sont rares, le risque d’être encore soumis à la torture subsiste pour le requérant, qui est le fils d’un dirigeant de l’UDPS, appartient à l’ethnie des Lubas du Kasaï et a déjà été l’objet de violences pendant sa détention à Kinshasa en 2002. En outre, le Comité estime que la suggestion de l’État partie que le requérant pourrait s’installer à Kinshasa car les violences dont pourraient être victimes les Lubas ne semblent pas y être commises, contrairement à ce qui se passe dans la région de Katanga, n’écarte pas complètement le danger personnel du requérant. Le Comité rappelle à ce propos que, selon sa jurisprudence, la notion de «danger local» n’offre pas de critères mesurables et n’est pas suffisante pour dissiper totalement le risque personnel d’être torturé.

9.8Au vu des éléments précédents, le Comité conclut que le requérant a établi qu’il court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture s’il devait être renvoyé en République démocratique du Congo.

10.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que la décision de l’État partie de renvoyer le requérant en République démocratique du Congo constituerait, si elle était exécutée, une violation de l’article 3 de la Convention.

11.Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures que l’État partie aura prises pour donner suite aux présentes constatations.

Communication no 347/2008: N. B.-M. c. Suisse

Présentée par:

N. B.-M. (non-représentée)

Au nom de:

N. B.-M.

État partie:

Suisse

Date de la requête:

10 avril 2008 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, établi en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

R éuni le 14 novembre 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 347/2008, présentée au nom de Mme N. B.‑M. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant son conseil, et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1La requérante, N. B.-M., est une ressortissante de la République démocratique du Congo, née en 1974, qui risque d’être expulsée de Suisse vers son pays d’origine. Elle prétend qu’une telle mesure constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention. Elle n’est pas représentée.

1.2Le 28 juillet 2008, le Comité a porté la requête à l’attention de l’État partie, conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention et, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de ne pas expulser la requérante vers la République démocratique du Congo tant que l’affaire serait à l’examen. L’État partie a accédé à cette demande le 30 juillet 2008.

Exposé des faits

2.1Dans sa communication initiale du 10 avril 2008, la requérante décrit la situation de détresse dans laquelle elle affirme se trouver, du fait de ses craintes de retour en République démocratique du Congo, et de la grande précarité dans laquelle elle vit en Suisse. Elle affirme qu’elle a développé une dépression, ainsi que des problèmes psychosomatiques du fait de sa crainte de retour en République démocratique du Congo et de son manque d’activité en Suisse, n’étant pas légalement autorisée à y travailler. Dans sa lettre du 24 juillet 2008, elle réaffirme qu’elle souffre de graves problèmes de santé qui nécessitent un suivi médical régulier. Elle allègue également avoir été victime d’un viol par deux agents l’ayant aidée à fuir de l’aéroport de Ndjili, fait qu’elle aurait omis de mentionner durant les procédures d’asile par pudeur, et parce qu’elle ne pensait pas que ce fait était important dans le cadre de la procédure.

2.2Concernant le départ de la requérante de la République démocratique du Congo, il ressort du dossier que vers la fin de l’année 2000, son fiancé, qui aurait quitté Kinshasa pour un voyage d’affaires à Lubumbashi, lui aurait annoncé par téléphone qu’il se rendait à Kisangani, et qu’il travaillait pour les rebelles de Jean-Pierre Bemba. Il l’aurait également informée durant cette même conversation que Joseph Kabila ne serait pas le fils de Laurent-Désiré Kabila, mais le fils d’un Rwandais, et que l’assassinat de Kabila père aurait été planifié afin qu’un Rwandais prenne le contrôle de la République démocratique du Congo. La requérante aurait partagé ces informations dans son quartier de Kinshasa. Son fiancé lui aurait ultérieurement dépêché un messager, qui lui aurait remis un téléphone portable, de l’argent, ainsi qu’un exemplaire du magazine Jeune Afrique, dans lequel se trouvait un article relatant les circonstances du décès de Laurent-Désiré Kabila, et qu’elle devait distribuer. Suite à cet événement, le messager en question aurait été arrêté et interrogé. La requérante aurait également appris que son nom et celui de son fiancé auraient été mentionnés durant les interrogatoires de ce messager. La police se serait rendue au domicile de la requérante en son absence, et y aurait trouvé des exemplaires du magazine Jeune Afrique, ainsi que des lettres de son fiancé.

2.3Craignant pour sa vie, la requérante aurait dans un premier temps fui chez des proches résidant à Maluku, où elle serait restée jusqu’au 25 août 2001. Puis, ayant appris par sa mère que des soldats visitaient sans cesse le domicile familial en demandant après elle, la requérante aurait alors décidé de quitter la République démocratique du Congo: le 28 août 2001, elle quittait l’aéroport de Ndjili vers Bamako, puis, via Lagos, Accra et Addis-Abeba, elle aurait rejoint Rome le 9 septembre 2001, avant d’atteindre la Suisse par la route le 10 septembre 2001. Le même jour, elle déposait une demande d’asile à Vallorbe.

2.4Le 13 juin 2002, l’Office fédéral suisse des réfugiés (ODR) a rejeté la demande d’asile de la requérante, jugeant ses allégations invraisemblables. L’ODR a notamment noté l’incapacité de la requérante à étayer le rôle de son fiancé au sein de la rébellion menée par Jean-Pierre Bemba, et n’a pas accepté son récit selon lequel elle aurait été chargée d’effectuer de la propagande politique au sein de son quartier. L’ODR a relevé le profil mineur de la requérante comme opposante, ce qui, selon lui, rend peu crédible la thèse d’une importante mobilisation des forces de sécurité pour son arrestation.

2.5Le 14 novembre 2002, la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA) a rejeté le recours de la requérante, au motif que celle-ci ne s’était pas acquittée du montant des frais de procédure dans le délai imparti. Deux demandes successives de restitution de ce délai ont également été déclarées irrecevables.

2.6Le 15 août 2005, la requérante a demandé la reconsidération de la décision de l’ODR du 13 juin 2002, présentant de nouvelles preuves, notamment un exemplaire de l’hebdomadaire Courrier d’Afrique, dans lequel deux articles avaient été publiés, qui, selon elle, établissent qu’elle est recherchée par les services de sécurité en RDC pour son soutien à un groupe d’opposition. Elle a également demandé que la représentation suisse en République démocratique du Congo mène une enquête de manière à évaluer l’authenticité de ces preuves. Le 19 août 2005, l’Office fédéral des migrations (ODM) a considéré qu’en l’absence de tout fait ou moyen de preuve nouveau, et étant donné la falsification de l’exemplaire du Courrier d’Afrique présenté, il n’y avait pas lieu d’entrer en matière sur la demande de reconsidération de la requérante.

2.7Le 12 septembre 2005, la requérante a de nouveau contesté la dernière décision de l’ODM, soutenant qu’elle avait produit des preuves solides étayant la menace dont elle faisait l’objet en RDC. À l’appui de son recours, elle a déposé de nouvelles preuves, comprenant une convocation de sa mère et une lettre de cette dernière à la requérante. Au motif que le recours paraissait dénué de chance de succès, la juge chargée de l’instruction de la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA) a, le 1er novembre 2005, refusé d’ordonner des mesures provisionnelles, et imparti un délai pour le versement des frais de procédure présumés. La requérante a contesté ce prononcé le 11 novembre 2005, et a réitéré l’authenticité des documents soumis, auxquels elle a joint une convocation établie à son nom le 10 octobre 2001. Le 18 novembre 2005, la juge a rejeté la demande de la requérante, notant l’inauthenticité de cette convocation, qui n’avait par ailleurs jamais été mentionnée précédemment au cours de la procédure.

2.8Dans sa décision du 31 mars 2008, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a rejeté la demande de recours de la requérante, au motif que celle-ci n’avait introduit aucun fait ou preuve nouveau, et réitérant le manque de crédibilité des allégations et des moyens de preuve présentés. Le TAF a notamment accordé très peu de valeur probante aux deux convocations soumises par la requérante, notant qu’elles avaient été présentées en 2005, soit près de cinq ans après les événements relatés.

2.9Le 18 juillet 2008, le TAF a de nouveau débouté la requérante, au motif que celle-ci ne s’était pas acquittée de l’avance des frais de procédure.

2.10Devant le Comité, la requérante maintient le bien-fondé de sa demande d’asile. Elle affirme qu’elle craint d’être arrêtée, torturée et violée en cas de retour en RDC. Elle note qu’en cas de retour, elle serait immédiatement emprisonnée, et qu’elle craint de subir un viol en prison, d’y être exposée à de graves maladies, et à des travaux forcés. Elle ajoute que sa mère a elle aussi fait l’objet de menaces, et a dû quitter Kinshasa. Elle n’a actuellement plus de famille à Kinshasa, et n’y aurait donc aucun soutien matériel et moral, tandis qu’elle a en Suisse tissé un réseau social, est logée, et bénéficie de l’assurance maladie, ainsi que d’une aide sociale. Dans son courrier du 21 août 2008, la requérante réitère qu’elle souffre de dépression pour laquelle elle est traitée médicalement.

Teneur de la plainte

3.1La requérante prétend que son expulsion de la Suisse vers la RDC violerait l’article 3 de la Convention, car il y a de sérieux motifs de croire qu’elle risquerait d’y être soumise à la torture en cas de renvoi.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 22 janvier 2009, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication. Il affirme que la requérante n’a pas établi l’existence d’un risque personnel, réel et prévisible de torture à son retour en République démocratique du Congo. Tout en prenant acte de la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo, et se référant à l’Observation générale no 1 du Comité, l’État partie rappelle que cette situation n’est pas en soi un élément suffisant pour conclure que la requérante risquerait d’être soumise à la torture si elle y retournait, et affirme que celle-ci n’a pas démontré courir un risque prévisible, personnel et réel d’être soumise à la torture en cas de retour en République démocratique du Congo.

4.2L’État partie note que la requérante ne lui a pas fait part de ses allégations selon lesquelles elle aurait été victime d’un viol lors de son départ de l’aéroport de Ndjili en 2001. Il affirme en outre que ses explications, avancées pour justifier une telle omission, ne sont pas plausibles. Par ailleurs, l’État partie note que dans tous les cas, le viol allégué par la requérante aurait été commis par des agents impliqués dans sa fuite de la République démocratique du Congo, qui n’agissaient donc pas à titre officiel. Dès lors, ces événements, même si avérés, ne sauraient être pris en compte pour déduire qu’un risque de torture existerait pour la requérante en cas de retour en République démocratique du Congo.

4.3Selon l’État partie, la requérante n’est pas crédible: bien qu’elle affirme qu’elle aurait pris des risques pour sa vie pour livrer un message politique, elle n’a pas été en mesure de décrire son vécu en détail, ni d’apporter des précisions sur les activités politiques de son fiancé. Ses allégations selon lesquelles ce dernier aurait dépêché un messager, qui lui aurait donné un téléphone, des exemplaires du magazine Jeune Afrique, et de l’argent pour diffuser un message politique dans le quartier sont elles aussi invraisemblables, car les moyens déployés par les rebelles paraissent disproportionnés par rapport au résultat escompté dans un quartier d’une cinquantaine de personnes. De la même manière, l’État partie considère que l’acharnement allégué des autorités, qui auraient recherché la requérante à son domicile à de nombreuses reprises en son absence, est invraisemblable s’agissant d’une opposante isolée.

4.4De l’avis de l’État partie, le fait que la requérante ait pu quitter la République démocratique du Congo par l’aéroport de Ndjili, qui figure parmi les endroits les plus surveillés par les forces de l’ordre, et alors qu’elle faisait supposément face à de graves menaces d’arrestation, rend également son récit invraisemblable. Quant aux deux articles de presse qu’elle a produits, ils sont une grossière falsification. Il en va de même pour les deux convocations, concernant la requérante et sa mère, qui ne sont pas de nature à établir les risques encourus, et ont une très faible valeur probatoire, ayant toutes deux été produites en 2005, soit cinq ans après les événements relatés.

4.5En ce qui concerne ses activités politiques, l’État partie note que bien qu’elle laisse à présent entendre qu’elle poursuit ses activités politiques par sympathie pour l’«Alliance des patriotes pour la refondation du Congo» (APARECO), la requérante n’a pas circonstancié ces allégations. Lors d’une audition en 2001, elle avait affirmé ne s’être jamais engagée politiquement, ni n’avoir jamais été sympathisante ou membre d’un parti politique. Par conséquent, l’État partie conclut que son récit, qui est resté vague et flou, est invraisemblable, et n’accorde pas de crédit à ses allégations d’activisme politique actuel.

4.6Pour ce qui est de l’état de santé actuel de la requérante, il ne saurait, selon l’État partie, être attribué à ses craintes de subir des violences en cas de retour en République démocratique du Congo, mais plutôt au désœuvrement dans lequel elle vit en Suisse. Par ailleurs, son état médical n’atteint pas une gravité telle qu’il fasse obstacle à l’exécution de son renvoi, ce d’autant plus qu’elle pourra solliciter une aide financière au retour et consulter un médecin en République démocratique du Congo. En conclusion, l’État partie réitère qu’il n’existe pas de motifs sérieux de craindre que la requérante soit exposée concrètement et personnellement à la torture en cas de retour en République démocratique du Congo.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie sur le fond

5.1Le 26 mars 2009, la requérante affirme que l’État partie a reconnu qu’il y avait en RDC un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, et que cette situation avait une incidence directe sur les risques qu’elle encourt en cas de retour. Elle évoque également des craintes objectives postérieures à sa fuite, en particulier les menaces dont sa mère aurait fait l’objet. Elle réitère que les articles de presse qu’elle a soumis sont des moyens de preuve objectifs, qui attestent des risques encourus. Elle maintient qu’elle mène actuellement des activités politiques au sein de l’«Alliance des patriotes pour la refondation du Congo» (APARECO), au sein de laquelle elle a un rôle de sensibilisation et de propagande. De ce fait, son nom et son visage sont connus des milieux congolais en Suisse, et, par extension, des autorités congolaises.

5.2La requérante soutient qu’elle n’a pas mentionné le viol qu’elle a subi aux autorités suisses car il s’agit d’un traumatisme qu’elle n’a pas pu dévoiler à ce moment. Elle ajoute que son état de santé actuel constitue un élément important qui devrait être pris en considération dans l’évaluation des risques qu’elle encourt en cas d’expulsion, notamment le risque de suicide. Enfin, la requérante demande à ce que les risques spécifiques encourus par les femmes soient pris en compte par le Comité, et maintient que ses activités politiques en Suisse l’exposent à un risque réel en cas de retour.

Informations additionnelles de la requérante

6.1Le 15 avril 2010, la requérante informait le Comité qu’elle avait présenté une demande de permis de résidence pour «cas de rigueur» en vertu de l’article 14 2) de la loi sur l’asile. L’Office fédéral des migrations (ODM) rejeta cette demande initiale en date du 13 janvier 2010, puis en appel le 12 février 2010, principalement au motif que la requérante ne remplissait pas les conditions énoncées à l’article 14 2) de la loi sur l’asile, ne vivant en Suisse que depuis huit ans, et n’ayant pas démontré s’y être suffisamment intégrée sur le plan socioprofessionnel et familial. L’ODM releva également qu’aucun élément ne suggérait que la requérante ne pourrait pas se réintégrer avec succès en République démocratique du Congo, pays qu’elle n’a quitté que tardivement, à l’âge de 27 ans.

6.2Le 15 octobre 2010, la requérante informait en outre le Comité qu’elle avait introduit en janvier 2010 un recours contre la dernière décision de l’ODM, précitée. Le 14 mai 2010, le Tribunal administratif fédéral (TAF) rejetait sa demande d’aide juridique en rapport avec ce recours, et l’enjoignait de s’acquitter des frais de procédure. Le 29 juin 2010, l’ODM présentait au TAF une soumission, dans laquelle il réitérait, en rapport avec la procédure que la requérante avait initiée sous l’article 14 2) de la loi sur l’asile, son manque d’intégration, et l’absence de liens étroits la liant à la Suisse. Le 1er juillet 2010, le TAF enjoignait la requérante de soumettre à son tour ses observations avant le 16 août 2010, ce qu’elle fit dans le délai imparti.

6.3Dans la même soumission du 15 octobre 2010, la requérante réitérait ses craintes de retour à Kinshasa, alléguant qu’elle continue d’être un membre actif de l’APARECO à Zurich. Elle ajoutait que le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie, proche du Président Kabila, est également présent à Zurich, et dénonce les membres actifs de l’opposition au régime de Kinshasa, ce qui accroît les risques auxquels elle ferait face en cas de retour. La requérante informait également le Comité du décès de sa mère en République démocratique du Congo au mois de juin 2010, relevait que son fiancé était toujours porté disparu, et qu’elle n’avait aucune nouvelle de lui. Enfin, elle attirait l’attention du Comité sur son état de santé, joignant à sa soumission un certificat médical attestant de nombreuses pathologies, tant somatiques que psychiques, notamment un état dépressif, des insomnies sévères, et des tendances suicidaires.

Informations additionnelles de l’État partie

7.1Le 14 avril 2011, suite à la demande du Comité, l’État partie soumet des observations relatives au régime interne concernant l’assistance sans frais d’un avocat dans les procédures de recours, ainsi que du régime relatif à l’avance de frais de procédure en matière d’asile. En ce qui concerne le premier point, l’État partie souligne en premier lieu qu’on ne saurait déduire de l’article 3 de la Convention une obligation de l’État partie de prendre en charge les honoraires d’un avocat d’office dans tous les cas, indépendamment des circonstances de l’affaire. L’État partie ajoute que selon le droit interne applicable, la prise en charge des honoraires d’avocat d’office est soumise à trois conditions: a) la personne doit être indigente, b) la demande ne doit pas être dépourvue de chances de succès, et c) la représentation doit être nécessaire, dans le sens que la cause présente, en droit ou en fait, des difficultés spécifiques que la partie n’est pas en mesure de résoudre elle-même. Selon l’État partie, les exigences de l’article 3 de la Convention ne sauraient aller au-delà de ces principes.

7.2En ce qui concerne les frais de procédure, l’État partie souligne que la procédure d’asile de première instance est gratuite. Un émolument est toutefois perçu pour les procédures de réexamen devant l’ODM, ou pour les demandes d’asile répétées.L’ODM peut en outre percevoir une avance de frais équivalant aux frais de procédure présumés. Si une demande de reconsidération est déposée peu avant l’exécution du renvoi, alors que le renvoi est déjà planifié, la pratique de l’ODM est de renoncer à la demande d’avance de frais et de traiter la demande sur le fond dans les plus brefs délais. La même pratique est adoptée dans des circonstances particulières, comme lors de demandes déposées à l’aéroport, ou lorsque le requérant est en détention. Dans les autres cas, si la partie n’est pas indigente, ou si sa demande paraît d’emblée vouée à l’échec, une avance de frais est en principe demandée, que ce soit pour une demande de reconsidération ou pour une nouvelle demande d’asile. L’examen visant à déterminer si une avance de frais doit être perçue se fait en principe immédiatement après l’introduction de la demande.

7.3La condition de l’indigence est remplie lorsque la personne en question n’est pas en mesure d’assumer les frais de procédure sans devoir entamer les moyens qui lui sont nécessaires pour couvrir ses besoins personnels et ceux de sa famille. En ce qui concerne les chances de succès, la jurisprudence retient qu’elles font défaut lorsque les perspectives de gagner le procès sont notablement plus faibles que les risques de le perdre, et qu’elles ne peuvent être considérées comme sérieuses, au point qu’un plaideur raisonnable et de condition aisée renoncerait à s’engager dans la procédure en raison des frais qu’il s’exposerait à devoir supporter. L’assistance judiciaire peut en revanche être accordée lorsque les chances de succès et les risques d’échec sont à peu près égaux, ou lorsque les premières ne sont que de peu inférieures aux seconds. L’autorité se prononce en l’état du dossier, en procédant à une appréciation anticipée et sommaire des preuves; les allégations du requérant doivent être vérifiées. Dans les procédures d’asile, la plupart des refus de dispenser une personne du paiement des frais sont motivés par le fait que sa demande apparaît d’emblée vouée à l’échec. Dans la pratique, lorsque l’ODM demande une avance de frais au requérant par courrier, il fixe un délai précis d’une quinzaine de jours à compter de l’envoi du courrier, et ce délai n’est pas prolongé, même si le requérant retire tardivement le courrier à la poste. Si l’avance de frais exigée − qui correspond aux frais de procédure présumés − n’est pas acquittée, l’ODM n’entre pas en matière sur la demande. Le requérant peut recourir contre cette décision auprès du TAF dans un délai de trente jours.

7.4En ce qui concerne le cas précis de la requérante, l’État partie souligne que pour la première décision de l’ODM la concernant, rendue le 13 juin 2002, il n’a pas été perçu d’émolument. L’ODM ne perçut pas non plus d’émolument après avoir informé la requérante que sa demande de reconsidération déposée le 15 août 2005 ne contenait aucun motif donnant lieu à une reconsidération de la décision du 13 juin 2002. Pour sa décision du 4 juin 2008, par laquelle il rejeta la demande de réexamen de la requérante du 9 avril 2008, l’ODM perçut un émolument de 600 francs suisses.

7.5Le 12 juillet 2002, la requérante recourut contre la décision susmentionnée de l’ODM auprès de l’ancienne Commission fédérale de recours en matière d’asile (CRA, remplacée par le TAF). Par lettre recommandée du 24 juillet 2002, la CRA lui fixa un délai jusqu’au 8 août 2002 pour s’acquitter d’une avance de frais de procédure équivalant à 600 francs, l’informant également, selon une pratique constante, qu’un paiement par acomptes n’était en principe pas admis, et que si l’avance de frais n’était pas versée dans le délai imparti, le recours serait déclaré irrecevable. Suite à une lettre de la requérante du 6 août 2002 relative à sa situation financière précaire, et que la CRA interpréta comme une demande de dispense de paiement des frais de procédure, la Commission rejeta cette demande par décision du 23 octobre 2002, après avoir examiné la décision de l’ODM et les allégations de la requérante, et conclu que le recours paraissait prima facie voué à l’échec. La CRA fixa à la requérante un nouveau délai de trois jours pour s’acquitter des frais de procédure. Constatant qu’elle n’avait pas versé l’avance dans le délai imparti, la CRA déclara le recours irrecevable par décision du 14 novembre 2002. Un émolument de 200 francs suisses fut en outre perçu par la CRA pour cette décision. Par avis du 2 décembre 2002, la requérante fit valoir qu’elle n’avait pas reçu l’avis pour réceptionner à l’office postal la décision du 23 octobre 2002, et qu’elle avait versé le jour même l’avance de frais demandée. Elle demanda en outre un délai de restitution de délai par courrier du 12 décembre 2002. Par décision du 23 décembre 2002, la CRA déclara irrecevable cette demande, au motif que le délai de restitution prévu est de dix jours à compter de la cessation de l’empêchement à l’origine de l’inobservation du délai. Un émolument de 200 francs fut perçu pour cette décision.

7.6Représentée par un avocat, la requérante demanda le 16 janvier 2003 une reconsidération de cette décision auprès de la CRA, au motif qu’elle n’avait pas reçu les décisions du 23 octobre 2002 et du 14 novembre 2002 à temps pour former un recours. Par courrier du 3 février 2003, la CRA fit parvenir au représentant de la requérante divers documents établissant que la décision du 14 novembre 2002 avait été envoyée le 15 novembre 2002, et réceptionnée à la poste avant le 25 novembre 2002. Par courrier du 6 février 2003, le représentant de la requérante refusa de se prononcer à ce sujet. Le 27 février 2003, la CRA déclara par conséquent irrecevable la seconde demande de restitution de délai de la requérante, et un émolument de 400 francs fut perçu pour cette décision.

7.7Le 12 septembre 2005, la requérante recourut contre la décision de l’ODM du 19 août 2005, concernant sa première demande de réexamen. Par décision incidente du 1er novembre 2005, la CRA lui fixa un délai au 16 novembre 2005 pour le versement d’une avance de frais de 1 200 francs. Elle estima que, s’agissant en premier lieu des articles du Courrier d’Afrique versés au dossier par la requérante, il s’agissait de documents falsifiés, sans aucune valeur probante, et dont le contenu ne reflétait manifestement pas ses déclarations concernant les circonstances à l’origine de sa demande d’asile. Par ailleurs, la CRA nota que la requérante n’apportait aucun élément nouveau à sa demande d’asile. La CRA considéra donc le 1er novembre 2005, à l’issue d’un examen prima facie du recours, que celui-ci était dénué de chances de succès. L’avance de frais ayant été versée les 11 et 23 novembre 2005, le recours fut examiné par le TAF, qui le rejeta le 31 mars 2008, dans la mesure où il était recevable.

7.8Le 7 juin 2008, la requérante contesta la décision de l’ODM du 4 juin 2008 devant l’ODM, concernant sa deuxième demande de réexamen. Estimant qu’il s’agissait d’un recours, l’ODM a transmis la demande au TAF, compétent pour le traiter. Comme elle faisait état de sa situation financière précaire, le TAF en déduit une demande de dispense des frais de procédure, qu’il rejeta par décision du 19 juin 2008, le recours paraissant d’emblée voué à l’échec au vu de l’absence d’élément nouveau dans sa demande, les documents annexés à la demande ne démontrant pas que la requérante se livrait à une activité politique en exil. Par ailleurs, le TAF releva que les problèmes de santé qu’elle mettait en avant ne s’opposaient pas à son renvoi, puisqu’elle pourrait recevoir des soins psychiatriques à Kinshasa. Le TAF impartit un délai à la requérante jusqu’au 4 juillet 2008 pour verser l’avance de frais, estimée à 1 200 francs, l’informant également qu’à défaut de paiement, le recours serait déclaré irrecevable, sans qu’un délai supplémentaire ne soit accordé, même en cas de renouvellement de la demande d’assistance judiciaire. Le 30 juin 2008, la requérante fit une nouvelle demande de dispense de versement d’avance de frais, alléguant être au bénéfice de l’assistance publique. Par conséquent, le TAF déclara le recours irrecevable par arrêt du 18 juillet 2008. Un émolument de 200 francs fut perçu pour cette décision.

7.9En ce qui concerne les règles de représentation des requérants d’asile par un avocat commis d’office, pour lesquelles le Comité avait également sollicité de l’information, l’État partie renvoie aux dispositions juridiques pertinentes, et souligne que la requérante a été représentée pour sa première demande de réexamen. Cet avocat n’a pas demandé la prise en charge de ses honoraires au titre de l’assistance judiciaire gratuite. Pour sa deuxième demande de reconsidération, la requérante n’était pas représentée. Il ressort de son mémoire du 9 avril 2008, ainsi que du reste du dossier, qu’elle ne demanda à aucun moment que lui soit attribué un avocat d’office. L’État partie rappelle en outre que selon les diverses juridictions appelées à se prononcer sur la question, les demandes de reconsidération de la requérante étaient manifestement dépourvues de chances de succès. De plus, l’affaire ne présentait pas de difficulté juridique, puisqu’elle portait sur l’unique question de savoir si la requérante avait la qualité de réfugiée au sens de la loi fédérale sur l’asile, et s’il existait des motifs s’opposant à son renvoi. Sa première demande de reconsidération, pour laquelle elle était représentée par un avocat, a été rejetée, comme les suivantes. L’issue de la procédure aurait très probablement été la même si la requérante avait bénéficié de la représentation d’un avocat, et elle n’a pas subi de préjudice du fait de son absence de représentation durant les procédures devant l’ODM.

7.10Pour ce qui est de la procédure devant le TAF, la requérante était représentée par un avocat durant la seconde demande de restitution de délai adressée à la CRA le 16 janvier 2003. Comme pour les procédures devant l’ODM, elle n’a jamais demandé que lui soit attribué un avocat commis d’office pour les procédures devant le TAF. L’assistance judiciaire lui ayant été refusée parce que ses recours étaient dénués de chances de succès, il est probable qu’une demande d’avocat commis d’office aurait également été refusée. Il ressort du dossier que la requérante comprenait bien les critères de la procédure d’asile, et qu’elle était à même de formuler ses motifs de manière claire et compréhensible, et a même intégré dans ses demandes de reconsidération des références jurisprudentielles. Par conséquent, la représentation par un avocat commis d’office n’était pas nécessaire pour que la requérante fasse valoir ses droits de manière adéquate, et elle n’a pas subi de préjudice du fait de n’avoir pas été représentée pour l’intégralité des procédures menées.

7.11En conclusion, l’État partie réitère que l’article 3 de la Convention ne saurait imposer l’exemption des frais de procédure et l’attribution d’un avocat commis d’office dans tous les cas, et indépendamment des circonstances, et au vu de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, il estime que l’absence d’exemption de l’obligation de verser les frais de procédure et l’absence de représentation d’office ne sauraient être constitutives d’une violation de l’article 3 de la Convention. L’État partie maintient en outre ses conclusions sur le fond de la communication formulées précédemment, et dans leur intégralité.

Informations additionnelles de la requérante

8.1Le 29 août 2011, la requérante informe le Comité que par sa décision du 8 août 2011, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a rejeté sa demande de permis de rigueur. Le TAF a notamment jugé que la requérante n’avait pas démontré d’intégration en Suisse sur le plan socioprofessionnel et familial, et qu’elle pourrait se réintégrer avec succès en République démocratique du Congo, pays qu’elle a quitté tardivement, à l’âge de 27 ans. La requérante souligne que cela fait à présent dix ans qu’elle est établie en Suisse, et qu’elle n’a pas pu exercer d’activité professionnelle car son statut légal en Suisse ne le lui permettait pas. Elle réitère qu’elle courrait de grands risques pour sa santé et sa sécurité si elle devait être déportée en République démocratique du Congo, du fait de la situation dramatique des droits de l’homme qui y sévit, particulièrement pour les femmes, au vu de son opposition au régime actuel et de ses activités au sein de l’APARECO, et à la lumière de son état de santé préoccupant. Par ailleurs, elle n’a plus de famille en République démocratique du Congo, et ne s’y sentira plus intégrée.

Délibérations du Comité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si celle-ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 2 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité relève en outre que les recours internes ont été épuisés et que l’État partie ne conteste pas la recevabilité. Il déclare donc la requête recevable et procède à son examen quant au fond.

9.2En ce qui concerne les éléments de procédure dans le droit et la pratique de l’État partie, en particulier la question de l’avance de frais et la représentation par un avocat pour l’introduction d’un recours en matière d’asile, le Comité a pris note des informations soumises par l’État partie. Il relève que la requérante a été représentée par un avocat durant une partie de la procédure, et qu’elle n’a pas présenté de demande d’assistance juridique pour être représentée par un avocat. Pour ce qui est de l’avance de frais de procédure, le Comité relève que la CRA ayant déclaré son recours irrecevable pour non-avance des frais de procédure le 14 novembre 2002, la requérante a pu recourir contre cette décision devant le TAF le 16 janvier 2003, représentée par un avocat. Le Comité relève que la requérante n’a pas invoqué dans sa communication de grief lié à la procédure d’appel devant les diverses instances de l’État partie, et il ne ressort pas du dossier qu’elle ait subi un préjudice du fait de l’absence de représentation juridique ou du refus de l’assistance juridique.

9.3Le Comité doit déterminer si, en renvoyant la requérante en République démocratique du Congo, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

9.4Pour apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risquerait d’être soumise à la torture si elle était renvoyée en République démocratique du Congo, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé(e) courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

9.5Le Comité est conscient de la situation précaire des droits de l’homme en RDC, et qui affecte particulièrement les femmes, et rappelle également sa jurisprudence à cet effet. Le Comité observe que l’État partie a pris en considération cet élément pour apprécier le risque que pourrait courir la requérante en cas de renvoi dans son pays. Par ailleurs, sur la base d’informations relatives à la situation spécifique qui prévaut à Kinshasa, où la requérante serait renvoyée, le Comité est d’avis que le poids qui doit être accordé à cet élément n’est pas tel qu’il empêche son renvoi. Le Comité procède donc à une analyse du risque personnel encouru par la requérante sous l’article 3 de la Convention.

9.6Le Comité rappelle son Observation générale relative à l’application de l’article 3 de la Convention, où il est indiqué que l’existence d’un risque d’être soumis à la torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons et qu’en tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable.La requérante affirme que l’existence d’un risque personnel et actuel d’être soumise à la torture en République démocratique du Congo est établie suite à la diffusion dans son quartier, à la demande de son fiancé, d’un message politique contre le régime en place, opération qui lui aurait valu d’être menacée par les services de sécurité en République démocratique du Congo, et d’y être recherchée depuis son départ du domicile familial, puis du pays en 2001. Le Comité note que l’État partie conteste la crédibilité des allégations de la requérante, notamment l’épisode de la diffusion du message politique reçu par son fiancé. Il a noté que les moyens mis en œuvre, tant par les rebelles pour la diffusion de ce message, que par les autorités congolaises pour retrouver une opposante isolée comme la requérante, étaient disproportionnés, et, partant, non plausibles. La requérante n’a pas avancé d’argument convaincant qui permette au Comité de remettre en cause les conclusions de l’État partie à ce propos. Au vu de l’ensemble des circonstances, le Comité ne peut accepter l’argument de la requérante, selon lequel elle serait recherchée onze années après l’incident décrit, et alors qu’elle n’a jamais été engagée politiquement en RDC. Quant à son engagement politique en Suisse, et malgré son allégation tardive, selon laquelle elle serait actuellement active au sein de l’«Alliance des patriotes pour la refondation du Congo» (APARECO), elle ne précise pas depuis quand elle est membre de ce mouvement, ni ne démontre de manière persuasive comment de telles activités l’exposeraient à un risque spécifique contraire à l’article 3 en cas de retour en République démocratique du Congo.

9.7En ce qui concerne l’allégation de la requérante, selon laquelle elle aurait été violée à l’aéroport de Kinshasa, alors qu’elle s’apprêtait à quitter la RDC, qu’elle a soumise au Comité dans sa deuxième correspondance, le Comité ne peut accorder de poids à cette allégation, qui n’a été que sommairement évoquée devant le Comité, la requérante se contentant de mentionner qu’elle a subi un viol par deux agents qui l’ont aidée à fuir, sans plus étayer cette allégation.

9.8En ce qui concerne ses allégations relatives à son état de santé actuel, le Comité a noté les difficultés vécues par la requérante. Il a également noté l’argument de l’État partie, selon lequel la requérante pourra consulter un médecin en République démocratique du Congo. Celle-ci n’a pas contesté ce dernier élément, et le Comité a pu lui-même prendre connaissance de rapports, qui, bien qu’ils attestent de la précarité du système de santé en République démocratique du Congo, et du coût élevé des soins, font état de l’existence d’infrastructures et de traitement de prise en charge de la dépression à Kinshasa. Le Comité observe par ailleurs que même si l’état de santé de la requérante devait se détériorer suite à son expulsion, une telle aggravation ne constituerait pas en tant que telle un traitement cruel, inhumain ou dégradant attribuable à l’État partie, au sens de l’article 16 de la Convention.

9.9Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle c’est généralement au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables. Il estime que, sur la base de toutes les informations soumises, y compris la situation qui prévaut à Kinshasa, la requérante n’a pas fourni d’éléments de preuve suffisants qui lui permettent de conclure que son renvoi en République démocratique du Congo lui ferait courir un risque réel, actuel et personnel d’être soumise à la torture, comme l’exige l’article 3 de la Convention.

10.En conséquence, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi de la requérante vers la République démocratique du Congo ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication no351/2008: E. L. c. Suisse

Présentée par:

E. L. (non représentée par un conseil)

Au nom de:

La requérante

État partie:

Suisse

Date de la requête:

9 mai 2008 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 15 novembre 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 351/2008, présentée au nom de Mme E. L. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1La requérante est E. L., de nationalité congolaise, née en 1988, en attente d’expulsion de la Suisse. Elle prétend que son renvoi en République démocratique du Congo (RDC) constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle n’est pas représentée par un conseil.

1.2Le 18 août 2007, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, agissant en vertu du paragraphe 1 de l’article 108 du Règlement intérieur du Comité, a demandé à l’État partie de ne pas extrader la requérante vers la RDC pendant que sa requête est en cours d’examen.

Rappel des faits

2.1La requérante prétend qu’après la perte de sa mère en 1998 − son père étant décédé en 1990 −, elle a vécu avec ses deux frères aînés jusqu’au départ de ceux-ci au Rwanda pour rejoindre les forces rebelles en 2002. À partir de ce moment, la requérante a vécu avec ses voisins. Le 22 juin 2003, lorsque la requérante avait 15 ans, elle a commencé à travailler comme hôtesse au sein du cabinet du rapporteur à l’Assemblée nationale congolaise à Kinshasa, Raphaël Luhulu Lunghe. Dans le cadre de son travail, la requérante était chargée d’accueillir les personnalités qui se présentaient au Parlement, de préparer les dossiers des séances et de nettoyer le bureau du rapporteur.

2.2En 2004, la requérante aurait reçu un appel téléphonique de l’un de ses frères, qui lui aurait expliqué qu’il s’était joint aux forces rebelles et qui lui aurait demandé de lui transmettre toutes les informations auxquelles elle avait accès dans le cadre de sa fonction, en particulier sur les lois qui seraient votées ou encore sur la composition et les positions des troupes armées congolaises. La requérante aurait agi comme le demandait son frère et lui aurait transmis d’amples informations par téléphone.

2.3Le 26 janvier 2005, la requérante aurait été mise en garde par un membre de l’Agence nationale de renseignements (ANR), qui lui aurait communiqué qu’il était au courant de ses contacts avec les forces rebelles et des informations secrètes qu’elle leur transmettait. Le lendemain, le rapporteur aurait convoqué tous les employés de son cabinet et les auraient informés du fait que l’ANR instruisait une affaire et que l’informateur serait découvert tôt ou tard.

2.4La requérante aurait immédiatement informé son frère de la mise en garde de l’informateur dans le cabinet. Sur ce fait, le frère aurait organisé précipitamment la fuite de la requérante. Le lendemain, la requérante se serait rendue en pirogue jusqu’à Brazzaville avec l’aide d’une personne de contact de son frère. Elle serait restée cachée quelques jours dans une maison avant de rejoindre la Suisse par avion le 22 mars 2005.

2.5Le 23 mars 2005, la requérante a déposé une demande d’asile. Par une décision du 5 juin 2007, l’Office fédéral des migrations (ODM) a considéré que les déclarations de la requérante ne satisfaisaient pas aux exigences de vraisemblance. L’ODM a considéré, en particulier, qu’il n’était pas vraisemblable que la requérante aurait eu accès à des informations secrètes en vertu de sa fonction dans le cabinet du rapporteur, spécialement des informations militaires. En outre, la requérante n’était pas en mesure de préciser le contenu desdites informations secrètes transmises à son frère, ou encore de justifier comment ce dernier aurait eu connaissance de son nouveau poste au sein du cabinet après des années de perte de contact avec la requérante. Enfin, l’ODM a considéré que la situation en RDC, qui ne connaissait pas une situation de guerre civile ou des violences généralisées sur l’ensemble de son territoire, ne justifiait pas l’existence d’une mise en danger concrète au sens de l’article 14a, alinéa 4, de la loi fédérale suisse sur le séjour et l’établissement des étrangers.

2.6Le 4 juillet 2007, la requérante a porté appel contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF). Le 26 juillet, la requérante a produit une copie d’un article de presse du bihebdomadaire congolais La Manchette, daté du 28 janvier 2005, qui annonçait que la requérante était recherchée par la police politique, accusée de «trafic d’informations et d’espionnage». La requérante a avancé que ce document était de nature à prouver la réalité de ses craintes de futures persécutions. Le 6 septembre 2007, le TAF a rejeté le recours en statuant de manière définitive sur la décision de l’ODM concernant le refus de l’asile et le renvoi de la requérante. Le TAF a conclu qu’il n’était pas crédible que la requérante n’ait pas été en mesure de fournir la moindre information circonstanciée sur la nature et le contenu des renseignements sensibles et confidentiels qu’elle aurait transmis durant plusieurs mois à ses frères. Le TAF a considéré que les circonstances dans lesquelles elle aurait appris qu’elle était soupçonnée par l’ANR de transmettre des informations aux rebelles étaient très invraisemblables, en particulier le fait qu’un membre de l’ANR prenne le risque de l’avertir du danger qu’elle encourait plutôt que de l’appréhender; et que ses deux frères, en exil au Rwanda depuis plusieurs années, aient pu organiser, sur un simple coup de téléphone et en moins d’un jour, son départ précipité du pays. En ce qui concerne l’article de journal fourni par la requérante, le TAF a considéré qu’il n’avait aucune valeur probante du fait qu’une telle copie permettait des falsifications, et que l’article figurant sur la page du journal avait été imprimé avec des caractères d’une taille différente que les autres articles figurant sur cette page.

2.7Le 29 novembre 2007, le TAF a déclaré irrecevable la demande de révision de la requérante, en considérant que celle-ci n’avait apporté aucun nouveau fait pertinent, ou moyen de preuve concluant. Le 1er février 2008, la requérante a déposé une demande de reconsidération de la décision de l’ODM du 5 juin 2007, qui a été déclarée irrecevable par le TAF le 18 mars 2008, au motif qu’elle était manifestement tardive.

Teneur de la plainte

3.1La requérante allègue qu’en cas de renvoi en RDC, elle risquerait d’être soumise à des tortures ou des mauvais traitements. Elle fait noter qu’elle a occupé une fonction politique dans le pays, où elle avait accès à plusieurs secrets sur la situation politique et sécuritaire, et qu’elle s’est exilée dans un pays étranger pour y demander l’asile, ce qui aux yeux des autorités congolaises revient à dire qu’elle est considérée comme «déserteur». Elle prétend que le retour dans son pays l’exposerait à un danger concret grave car, selon toute vraisemblance, elle serait soumise à une interrogation poussée et, le cas échéant, à des mauvais traitements.

3.2La requérante maintient que de tels risques de torture ou de mauvais traitements ressortent des procès-verbaux de ses auditions, des conclusions de ses recours, et des moyens de preuve déposés dans le cadre de la procédure interne, notamment l’article du journal précité et un témoignage écrit de M. Luhulu Lunghe, qui n’aurait pas été pris en compte, ainsi que son laissez-passer, qui prouverait son engagement au sein de l’Assemblée nationale.

3.3La requérante fait valoir la spécificité des motifs de fuite des femmes dans la procédure d’asile, sans toutefois plus étayer cet argument.

Observations de l’État partie sur le fond de la requête

4.1Le 17 février 2009, l’État partie affirme que la requérante n’a pas démontré qu’elle courrait un risque prévisible, personnel et réel d’être soumise à la torture en cas de retour en RDC. Il note que la requérante n’a pas fait valoir avoir subi des mauvais traitements dans le passé. En outre, elle n’aurait pas rendu vraisemblables les faits allégués concernant la transmission d’informations secrètes à ses frères, liés à un mouvement rebelle. En particulier, elle n’aurait pas pu expliquer comment son frère aurait été informé de son occupation au service du Parlement et de ses coordonnées plusieurs années après son départ de Kinshasa. L’État partie ajoute qu’il serait surprenant que la requérante aurait pris le risque de perdre son emploi, et de s’exposer à de graves conséquences sur un simple coup de téléphone, ce d’autant plus que l’activité alléguée était dirigée contre la personne qui aurait offert à la requérante le poste qu’elle occupait. De même, la requérante n’aurait pas pu indiquer à quelle période son frère aurait pris contact avec elle, et elle se serait contredite, affirmant dans une première audition qu’elle n’avait pas eu de contact avec ses frères depuis une dernière communication téléphonique alors qu’elle avait 15 ans, jusqu’au jour de son départ, alors qu’elle affirmait dans un second temps leur avoir transmis des informations par téléphone. L’État partie note également que la requérante n’a pas été en mesure de donner la moindre précision sur les informations qu’elle disait avoir transmises, et que son explication de n’avoir pas voulu s’en souvenir par peur ne serait pas convaincante.

4.2L’État partie fait noter également l’existence d’incohérences factuelles dans les affirmations de la requérante et la crédibilité de cette dernière. Selon l’État partie, les informations qu’elle a fournies sur son entourage familial seraient peu étayées et ne correspondraient pas aux relations sociales habituelles en Afrique. Il serait ainsi invraisemblable que la requérante n’avait pas d’information sur les proches de ses parents, ou qu’elle ne connaisse ni l’appartenance ethnique de sa mère ni sa date de naissance approximative, ni ne sache où se trouvent ses frères. L’État partie ajoute que les motifs décrits de sa fuite ne correspondent pas à l’expérience générale et à la logique du comportement. Ainsi, il serait peu probable qu’un agent des services secrets ait pris le risque d’avertir la requérante des investigations menées à son encontre, a fortiori compte tenu du contexte tendu en RDC. Ces doutes seraient renforcés par le fait qu’elle ait d’abord mentionné que l’agent l’avait appelée, puis se serait corrigée en affirmant qu’il lui aurait parlé personnellement. L’État partie fait noter que la requérante n’aurait décrit sa fuite que de manière superficielle, sans pouvoir indiquer qui l’aurait aidée, qui aurait financé son voyage, comment sa fuite se serait déroulée et comment ses frères auraient pu l’organiser depuis le Rwanda en quelques heures seulement.

4.3L’État partie affirme que l’invraisemblance du récit de la requérante serait renforcée par la production, au stade du recours, d’un article de journal qui ne serait manifestement pas authentique, et dont le contenu serait insolite et contredirait les allégations de la requérante en plusieurs points. Ainsi, l’article mentionne qu’elle aurait été traquée tous les jours par des hommes en uniforme, ce qu’elle n’a fait valoir à aucun moment. L’article fait aussi mention de recherches de la part des parents de la requérante, alors que ceux-ci seraient morts. Par ailleurs, la requérante a remis au Tribunal une confirmation de l’éditeur du journal La Manchette sur la validité de l’article mentionné, confirmation qui est rédigée sur du papier à en-tête ne correspondant pas au nom du journal, qui devient La Machette. L’État partie estime invraisemblable que l’en-tête d’un média imprimé contienne une telle faute d’orthographe.

4.4Finalement, l’État partie prétend que la production, en révision, d’un «témoignage» écrit de M. Luhulu Lunghe renforce également l’invraisemblance du récit. Selon l’État partie, il serait douteux que M. Luhulu Lunghe admette explicitement sa responsabilité dans le cadre de fuite d’informations de grande importance, qui serait intervenue dans son service. En plus, il serait surprenant que ce soit l’œuvre de la même personne que celle qui semblait en vouloir à la requérante pour avoir transmis des informations confidentielles. Le fait que ce document fasse référence à l’article paru dans La Manchette, et considéré comme un faux, renforcerait les doutes sur la fiabilité dudit témoignage.

4.5L’État partie conclut que les allégations et les moyens de preuve fournis par la requérante ne permettent pas de considérer que son renvoi l’exposerait à un risque réel, concret et personnel d’être torturée.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Le 24 avril 2009, la requérante réaffirme ses conclusions précédentes et demande au Comité de ne pas prendre en compte les observations formulées par l’État partie. Elle présente une copie d’un avis de recherche, daté du 25 janvier 2009, selon lequel l’ANR aurait nommé une mission de recherche immédiate contre elle dans la ville de Kinshasa. La requérante affirme que ce document démontre l’existence d’un risque prévisible, réel et personnel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Ces risques se justifieraient du fait du travail effectué par la requérante avant son départ de la RDC au sein du Parlement, des informations sur des dossiers sensibles de l’État dont elle disposerait, ainsi que sur sa demande d’asile déposée en Suisse. La requérante fait valoir que l’État partie n’a pas mis en doute qu’elle a travaillé au sein du Parlement congolais. Elle insiste sur l’importance de la déclaration du rapporteur Luhulu Lunghe et de l’article du journal − malgré les petites erreurs de forme − comme éléments prouvant des dangers graves qu’elle subirait en cas de retour en RDC.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.Le 12 mai 2009, l’État partie réitère ses observations précédentes, en faisant valoir que les observations de la requérante ne contiennent pas d’éléments nouveaux. L’État partie affirme que l’avis de recherche apporté par la requérante est manifestement un faux. Selon l’État partie, il paraît peu probable qu’un tel avis soit émis en janvier 2009, alors que la requérante avait quitté la RDC depuis presque quatre ans à ce moment. En outre, il serait contradictoire que les autorités congolaises émettent un avis de recherche à Kinshasa alors que, selon la requérante, elles seraient au courant de sa demande d’asile déposée en Suisse.

Commentaires supplémentaires de la requérante

7.Le 24 mai 2009, la requérante affirme que l’argument de l’État partie selon lequel l’avis de recherche serait un faux se fonde seulement sur des suppositions dépourvues de toute objectivité. D’après la requérante, cet avis comporte toutes les qualités de forme et de fond. Elle affirme avoir obtenu une copie de cet avis par une connaissance avec qui elle aurait gardé contact, et qui la tiendrait au courant des risques qu’elle encoure en cas de retour.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire, conformément à l’alinéa adu paragraphe 5 de l’article 22, que la même question n’a pas été examinée, ni n’est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note aussi que tous les recours internes sont épuisés, et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication. Considérant donc que la communication est recevable, le Comité procède à son examen quant au fond.

Examen sur le fond

9.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant la requérante en République démocratique du Congo, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

9.2Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris de l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé, d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Le Comité réaffirme que l’existence dans le pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

9.3Le Comité rappelle son Observation générale sur l’application de l’article 3 de la Convention et réaffirme que «l’existence (…) d’un risque [de torture] doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru soit “hautement probable”»; le risque doit être encouru personnellement et actuellement. À ce propos, le Comité a conclu dans des décisions précédentes que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel. Il note aussi qu’il accordera un poids considérable, dans l’exercice de ses compétences en application de l’article 3 de la Convention, aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé.

9.4Le Comité est conscient de la situation des droits de l’homme qui prévaut en République démocratique du Congo, et des nombreuses violations qui continuent à être rapportées dans ce pays, y compris la torture, les détentions arbitraires et la violence à l’égard des femmes. Le Comité rappelle toutefois que cette situation ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que la requérante risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressée courrait personnellement un tel risque.

9.5Le Comité prend note des allégations de la requérante, selon lesquelles le fait qu’elle aurait transmis des informations secrètes aux rebelles rwandais lorsqu’elle était employée comme hôtesse dans le cabinet du rapporteur du Parlement congolais en 2004, ainsi que le fait qu’elle a demandé l’asile politique en Suisse, l’exposeraient à des risques de mauvais traitements en cas de retour en RDC. Le Comité relève également que la requérante n’a pas fait valoir avoir subi des mauvais traitements en RDC et que ses allégations n’ont pas été jugées crédibles par les autorités nationales.

9.6Bien qu’aux termes de son Observation générale le Comité soit libre d’apprécier les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire, il rappelle qu’il n’est pas un organe juridictionnel d’appel, et qu’il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie. En l’espèce, le Comité accorde le poids voulu aux conclusions des différentes instances de l’État partie, qui ont considéré les faits et les éléments de preuve avancés par la requérante dans la procédure d’asile, et ont conclu au manque de crédibilité de la requérante. Ces conclusions sont fondées sur l’invraisemblance et les incohérences de son récit, notamment quant aux informations secrètes qu’elle aurait transmises aux forces rebelles rwandaises, ainsi qu’aux contacts avec ses frères, à la mise en garde prétendue par un agent de l’ANR, à sa fuite du pays et aux détails relatifs à son entourage familial. Ces conclusions s’appuieraient également sur l’utilisation de preuves considérées falsifiées − telles que l’article de presse précité, et le témoignage écrit de M. Luhulu Lunghe, rapporteur au Parlement congolais. Le Comité a apporté l’attention voulue aux commentaires de la requérante, mais considère toutefois que ses arguments ne sont pas suffisamment étayés pour réfuter ou clarifier les contradictions relevées par l’État partie dans ses observations.

9.7Étant donné ce qui précède, le Comité n’est pas convaincu que, pris dans leur ensemble, les faits dont il est saisi sont suffisants pour conclure que la requérante court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumise à la torture si elle est renvoyée en République démocratique du Congo au sens de l’article 3 de la Convention.

10.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que l’expulsion de la requérante vers la République démocratique du Congo ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

Communication no 353/2008: Slyusar c. Ukraine

Présentée par:

Dmytro Slyusar (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Ukraine

Date de la requête:

28 juillet 2008 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 novembre 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 353/2008 présentée au Comité contre la torture par M. Dmytro en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

1.Le requérant est Dmytro Slyusar, de nationalité ukrainienne, né en 1981. Il affirme être victime de violations du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 12 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il n’est pas représenté.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 17 avril 2003, le père du requérant a disparu dans d’étranges circonstances. Deux jours auparavant, il aurait rédigé un testament dans lequel il léguait toute sa fortune à son frère, Yuriy Slyusar. Le 18 avril 2003, le requérant et sa mère se sont rendus à la police et dans d’autres organes chargés d’assurer le respect des lois pour signaler cette disparition, mais aucune mesure n’a été prise pour enquêter sur ces faits. En revanche, une procédure pénale a été ouverte pour homicide.

2.2Le requérant affirme que son oncle, Yuriy Slyusar, aurait entravé le déroulement de l’enquête en faisant de fausses déclarations et en incitant d’autres personnes à faire de faux témoignages contre le requérant et sa mère.

2.3Le 17 février 2006, alors qu’il se rendait à son travail, le requérant a été arrêté par trois hommes portant des cartes de policiers et emmené au poste de police du district de Solomyanskiy. Ces policiers auraient établi un rapport dans lequel ils l’accusaient d’avoir commis une infraction administrative en utilisant un langage inapproprié en dépit de leurs avertissements. Le requérant affirme que ces accusations sont fausses. Le même jour, il a été déféré devant le tribunal de district de Svyatoshinskiy, qui l’a condamné à sept jours de détention. Il affirme ne pas avoir bénéficié de l’assistance d’un conseil pendant son placement en détention administrative.

2.4Le requérant affirme que son arrestation a en réalité été ordonnée par le Bureau du Procureur, qui enquêtait aussi sur le meurtre de son père. Il affirme avoir d’abord été détenu dans le centre de détention temporaire de Kiev, puis transféré après deux ou trois jours au centre de détention de la police de Solomyanskiy, où il a été soumis à des tortures physiques et psychologiques. Il a été roué de coups et détenu dans une cellule où la température était de 4 °C, sans pouvoir dormir et sans nourriture, et on l’a menacé de faire du mal à sa femme et à sa mère s’il refusait d’avouer le meurtre de son père. Le 24 février 2006, il a été à nouveau placé en détention sur ordre du Procureur en tant que suspect dans le meurtre de son père et à nouveau torturé. Sa santé s’est considérablement détériorée et, par la suite, des examens médicaux ont révélé qu’il souffrait d’hypertension cardiovasculaire.

2.5Le requérant a fait appel de la décision du tribunal de district de Svyatoshinskiy devant la cour d’appel de Kiev, qui a annulé la décision et demandé un réexamen de l’affaire, le 4 avril 2006. Le 20 octobre 2006, un autre juge du tribunal de district de Svyatoshinskiy a confirmé que le requérant avait commis une infraction administrative.

2.6Un nouveau recours déposé par le requérant devant la cour d’appel de Kiev contre cette deuxième décision a abouti, le 29 décembre 2006, à l’annulation de la décision du tribunal de Svyatoshinskiy et au renvoi de l’affaire devant cette même juridiction. Le 4 avril 2007, le troisième juge du tribunal de Svyatoshinskiy a décidé que le requérant avait commis une infraction administrative et a classé l’affaire pour prescription en raison du temps qui s’était écoulé. Le troisième recours du requérant devant la cour d’appel de Kiev a été rejeté. Son recours devant la Cour suprême a aussi été rejeté le 26 décembre 2007.

2.7Le requérant fait valoir que ses allégations de torture sont corroborées par un rapport d’expertise médico-légale. Le 2 mars 2006, il a déposé une plainte pour torture auprès du Bureau du Procureur, qui ne l’a pas retenue. L’action qu’il a alors intentée devant le tribunal de district de Solomyanskiy contre le refus du Bureau du Procureur d’enquêter sur sa plainte a été rejetée. Le requérant a fait appel de la décision du tribunal de district devant la cour d’appel de Kiev, qui a annulé en partie la décision de cette juridiction. La cour a reconnu que le Bureau du Procureur n’avait pas ouvert d’enquête sur ses allégations mais elle ne l’a pas obligé à mener une telle enquête. En conséquence, le requérant conclut qu’il ne pouvait pas se prévaloir d’autres recours, qui de toute façon auraient été inutiles.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme avoir été détenu illégalement et gravement torturé en violation du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 12 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par lettre du 24 novembre 2008, l’État partie a fait valoir que, le 20 mai 2003, le Bureau du Procureur du district de Solomyanskiy avait ouvert une procédure pénale concernant l’illégalité de la détention du père du requérant, Slyusar Sergey, en invoquant le paragraphe 1 de l’article 146 du Code pénal. Le 9 juillet 2003, parallèlement à l’enquête ouverte sur cette affaire, le même Bureau du Procureur a ouvert une enquête pénale contre le requérant et sa mère, au titre du même article du Code pénal. Tous deux avaient été placés en détention pendant dix jours sur décision du tribunal municipal de Solomyanskiy. Le 18 juillet 2003, ils avaient été libérés à la condition qu’ils ne quittent pas le pays. Leur implication dans l’affaire n’ayant pu être prouvée, celle-ci avait été classée le 21 juillet 2003.

4.2Le 17 février 2006, la police a arrêté le requérant pour vandalisme sans gravité. L’affaire a été examinée le jour même par le tribunal de district de Svyatoshinskiy qui a condamné le requérant à sept jours de détention en vertu de l’article 173 du Code administratif.

4.3Après avoir été remis en liberté le 24 février 2006, le requérant a été à nouveau arrêté, cette fois en tant que suspect dans le meurtre de son père. Le 27 février 2006, il a été relâché. Le 28 février 2006, le requérant a demandé à subir un examen médical qui a révélé de légères blessures. Il s’est plaint auprès du Bureau du Procureur d’avoir fait l’objet de pressions physiques et psychologiques de la part des policiers pendant ses deux périodes de détention. Ses affirmations n’ont toutefois pas été confirmées par l’enquête ouverte par le Ministère de l’intérieur et le Bureau du Procureur. La Cour suprême a confirmé la légalité de la détention du requérant pour vandalisme et elle a décidé d’entériner la décision du tribunal de district de Svyatoshinskiy.

4.4L’État partie fait valoir que du fait des recours formés par le requérant, la question de sa détention a été examinée à plusieurs reprises par la juridiction inférieure. Le requérant s’est aussi plaint d’avoir été torturé auprès du Bureau du Procureur de district qui, le 26 juillet 2006, a refusé d’ouvrir une procédure pénale contre les policiers. Il a fait appel de cette décision devant le Procureur de rang supérieur. Ce recours étant toujours en instance, le requérant n’a pas épuisé les recours internes.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie sur la recevabilité

5.Par lettre du 19 janvier 2009, le requérant a énoncé à nouveau les faits exposés dans sa lettre initiale et déclaré avoir épuisé tous les recours internes existants concernant sa détention. Il affirme avoir fait l’objet de sept décisions rendues par des tribunaux ukrainiens, qui ont tous rejeté ses allégations. En juillet 2006, soit quatre mois après le dépôt de sa première plainte pour torture, son affaire a été déférée au Bureau du Procureur du district de Solomyanskiy, qui a refusé d’ouvrir une procédure pénale contre les policiers. Le requérant a formé un recours contre cette décision le 26 juillet 2006 devant le Bureau du Procureur de Kiev mais n’a reçu aucune réponse depuis. Il affirme par conséquent que les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables et qu’elles ne sauraient donner satisfaction dès lors que l’affaire sera finalement renvoyée devant le Bureau du Procureur.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Par lettre du 20 mars 2009, l’État partie a fait valoir qu’il n’y avait aucun lien entre les faits que l’examen médical pratiqué le 28 février 2006 avait permis d’établir, le rapport rédigé par le Service de consultations médicales du Ministère de l’intérieur le 4 mai 2006 et d’éventuels actes de torture infligés au requérant. Les témoignages déposés par des témoins et par la victime confirment sa culpabilité en ce qui concerne l’infraction administrative. De plus, le requérant n’a pas fait usage du droit que lui confère la Constitution de se plaindre devant un tribunal d’actes de torture infligés par des policiers.

6.2Par lettre du 27 mai 2009, l’État partie a mentionné les dispositions législatives relatives à la procédure d’appel, qui prévoient un délai de sept jours pour faire appel d’une décision du Bureau du Procureur.

Commentaires supplémentaires du requérant

7.1Par lettre du 11 mai 2009, l’auteur a contesté les observations de l’État partie, déclarant que les témoins mentionnés par l’État partie étaient des agents des services de police de Solomyanskiy qui avaient agi sur ordre du Bureau du Procureur de Kiev, lequel enquêtait aussi sur le meurtre de son père. Il rappelle qu’après avoir été détenu sept jours dans les locaux de la police de Solomyanskiy pour une infraction administrative, il a été à nouveau placé en détention pendant soixante-douze heures en tant que suspect dans l’affaire du meurtre de son père. Selon lui, les policiers étaient dans son district pour enquêter sur le meurtre de son père et avaient reçu l’ordre de l’arrêter. Il affirme que si son arrestation avait été simplement motivée par une infraction administrative, ainsi que le prétend l’État partie, il serait resté au centre de détention temporaire de Kiev et n’aurait pas été transféré dans les locaux de la police de Solomyanskiy.

7.2Le requérant affirme qu’il y avait beaucoup de contradictions et d’assertions fausses dans les dépositions des policiers et de leur collaborateur (la «victime» de l’infraction de vandalisme), qui n’ont pas été minutieusement examinées par le tribunal.

7.3Le requérant fait valoir que, selon le rapport médical, ses blessures ont été infligées pendant sa détention. Il avait ensuite dû aller à l’hôpital où les médecins avaient diagnostiqué des troubles d’hypertension cardiovasculaire, comme l’indique le rapport du 4 mai 2006. Il renvoie enfin à ses précédents commentaires portant sur l’épuisement des recours en rapport avec ses allégations de torture.

7.4Par lettre du 6 juillet 2009, le requérant a réaffirmé que le Bureau du Procureur de Kiev ne s’était toujours pas prononcé sur son cas alors qu’il aurait dû, selon la loi, donner une réponse dans les trois jours. Il fait valoir que, s’il n’a pas fait appel devant le tribunal de la décision du Bureau du Procureur de ne pas engager d’action pénale, c’est parce qu’il avait déjà fait appel de cette décision devant le Bureau du Procureur de rang supérieur et que son recours ne pouvait être examiné par deux organes en même temps.

7.5Par lettre du 26 octobre 2011, le requérant a indiqué avoir été débouté des nouveaux recours qu’il avait intentés en 2010 et en 2011 devant le Bureau du Procureur général et le Bureau du Procureur de Kiev.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une requête, le Comité doit déterminer si celle-ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

8.2Le Comité note que l’État partie affirme que le requérant n’a pas épuisé les recours internes, sa plainte étant toujours en instance devant le Bureau du Procureur de Kiev. Cette affirmation a été contestée par le requérant qui a fait valoir que son recours était en instance depuis plusieurs années et que, de ce fait, la durée de la procédure avait excédé des délais raisonnables. Le Comité note que les États parties sont tenus de procéder immédiatement à une enquête impartiale s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. Il considère qu’un délai important s’est écoulé depuis que le requérant a présenté son recours. Dès lors, le Comité conclut que les procédures de recours internes ont excédé des délais raisonnables et que l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22 ne fait pas obstacle à ce qu’il examine la requête.

8.3Les autres conditions applicables à la recevabilité ayant été remplies, le Comité déclare la communication recevable.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les parties.

9.2Le Comité note que le requérant a allégué une violation du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention, au motif que l’État partie avait manqué à son obligation de prévenir et de sanctionner les actes de torture. Il prend également note de ses allégations relatives au traitement auquel il a été soumis pendant sa détention et des certificats médicaux qu’il a produits et qui décrivent les blessures physiques qui lui ont été infligées, ainsi que du fait qu’il n’a pas bénéficié de garanties juridiques pendant son placement en détention provisoire. L’État partie s’est contenté de déclarer qu’il n’y avait aucun lien entre les faits établis dans le rapport médical du 28 février 2006, le rapport du Service de consultations médicales du Ministère de l’intérieur du 4 mai 2006 et la possibilité que le requérant ait été torturé. En l’absence d’explications détaillées de la part de l’État partie et compte tenu des documents produits, le Comité conclut que les faits, tels qu’ils ont été exposés, constituent des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention et que l’État partie a manqué à son obligation de prévenir et de sanctionner les actes de torture, en violation des dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention.

9.3En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 12 de la Convention, le Comité relève que, d’après le requérant, ses plaintes relatives aux actes de torture subis pendant sa détention n’ont pas donné lieu à une enquête de la part de l’État partie. Celui-ci n’a pas réfuté cette allégation. En outre, le recours déposé par le requérant contre l’inaction du Bureau du Procureur de district est en instance depuis plusieurs années, ce que l’État partie a confirmé. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité rappelle que, conformément à l’article 12 de la Convention, l’État partie est tenu de procéder immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. En l’absence de toute autre information, le Comité considère que l’État partie a manqué aux obligations que lui impose l’article 12 de la Convention. En outre, l’État partie n’a pas honoré l’obligation qui lui est faite à l’article 13 de la Convention d’assurer au requérant le droit de porter plainte devant les autorités compétentes afin qu’elles procèdent immédiatement et impartialement à l’examen de sa requête, ni celle qui lui est faite à l’article 14 de garantir au requérant, en sa qualité de victime d’un acte de torture, le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisé.

9.4Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que l’État partie a violé l’article premier, le paragraphe 1 de l’article 2, et les articles 12, 13 et 14 de la Convention.

10.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 (ancien article 112) de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.5), le Comité souhaiterait être informé, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, de toute mesure prise par l’État partie pour donner effet à la présente décision.

Communication no364/2008: J. L. L. c. Suisse

Présentée par:

J. L. L

Au nom de:

Le requérant et ses enfants A. N. et M. L.

État partie:

Suisse

Date de la requête:

18 novembre 2008 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 18 mai 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 364/2008, présentée par J. L. L. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.Le requérant de la communication datée du 18 novembre 2008 est M. J. L. L., né le 20 mai 1968, et ses deux enfants mineurs, A. N., née en 1995, et M. L., né en 2000, ressortissants de la République démocratique du Congo (RDC) et résidant actuellement en Suisse. Il affirme que leur renvoi de la Suisse vers la RDC violerait l’article 3 de la Convention contre la torture. Le requérant n’est pas représenté.

Exposé des faits

2.1Le requérant est né à Kinshasa, d’un père rwandais tutsi et d’une mère congolaise. Le 2 août 1998, durant l’attaque de la RDC par des rebelles soutenus et appuyés par le Rwanda, le requérant aurait subi à Kinshasa des mauvais traitements par les étudiants, par les habitants du quartier où il résidait et par les agents de l’État congolais jusqu’à ce qu’il soit arrêté, du fait de son origine. Les autorités n’auraient pas été en mesure de le protéger.

2.2Le requérant est arrivé en Suisse et a demandé l’asile le 2 juillet 2003. Lors de l’examen de sa demande d’asile devant les autorités suisses, le requérant a expliqué qu’étudiant en droit à l’Université de Kinshasa, il aurait été arrêté autour du 10 novembre 1998, par les agents de l’État à cause de son origine rwandaise et amené à la résidence de Laurent-Désiré Kabila, d’où il a pu s’évader grâce à l’aide d’un de ses gardiens après une semaine de détention. Le requérant se serait ensuite enfui à Bunia (Ituri). Le 1er mai 2003, le requérant se serait fait enlever et maltraiter par des miliciens lendus qui l’auraient pris pour un Muhema du fait de son apparence. Ils auraient tenté d’obtenir les noms de ceux qui prévoyaient de les attaquer. Lors d’un transfert le 5 mai 2003, le requérant aurait réussi à s’enfuir grâce à l’aide d’un des miliciens qui l’avait reconnu. Il s’est enfui en Ouganda à l’aide d’une pirogue le 7 mai 2003. Il s’est ensuite rendu au Kenya d’où il a pris l’avion pour Rome le 29 juin 2003. Il s’est ensuite dirigé vers la Suisse et y est arrivé le 2 juillet 2003, date à laquelle il a déposé sa demande d’asile.

2.3Le 2 février 2005, l’Office fédéral des migrations (ODM) a rejeté la demande d’asile du requérant. L’ODM a établi, à l’aide des enquêtes faites par l’ambassade suisse en RDC, que le requérant était d’un père rwandais, mais d’ethnie hutue et non pas tutsie comme l’allègue celui-ci. Le requérant était d’ailleurs incapable de parler le tutsi, ne connaissait aucune tradition tutsie et ne connaissait pas le lieu d’origine de son père. Dans sa plainte devant le Comité, le requérant maintient qu’il est d’ethnie tutsie, contrairement aux enquêtes effectuées par les autorités suisses. En outre, l’ODM, s’appuyant sur l’enquête de la représentation suisse à Kinshasa, a établi que le séjour du requérant à Bunia de novembre 1998 jusqu’en 2003 n’aurait pas eu lieu. Le requérant a maintenu cette affirmation et demandé à faire témoigner des personnes de Bunia, ce qui a été rejeté par l’ODM. Ce dernier a confirmé en revanche que le requérant a été victime de «tracasseries» en 1998 mais a établi que celles-ci n’étaient pas d’intensité telle que le requérant ne pouvait pas continuer à vivre à Kinshasa jusqu’en 2003.

2.4Le 11 juillet 2005, la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA, remplacée par la suite par le Tribunal administratif fédéral, TAF) a rejeté le recours du requérant et ordonné son renvoi de Suisse le 8 septembre 2005. La CRA a maintenu que l’origine tutsie du requérant n’avait pas été établie et que les allégations du requérant concernant les deux évasions de détention à Kinshasa et Bunia n’étaient pas vraisemblables. La CRA a en revanche admis que le plaignant a eu des difficultés en 1998 à Kinshasa mais qu’il ne serait pas établi que le requérant serait exposé à un véritable risque concret et sérieux de torture en cas de renvoi en RDC en vertu de l’article 3 de la Convention.

2.5Le 22 août 2005, les deux enfants du requérant ont déposé une demande d’asile qui a été rejetée par l’ODM le 20 décembre 2007. Le 24 septembre 2008, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a rejeté leur recours et prononcé leur renvoi de Suisse pour le 3 novembre 2008. Les enfants auraient quitté la RDC après avoir été menacés et persécutés à cause de leur origine rwandaise. En août 2005, une «femme blanche» inconnue aurait ainsi averti leur père que ses enfants étaient arrivés en Suisse. Le TAF a considéré que les déclarations des enfants n’étaient pas vraisemblables et a établi que leur origine ethnique tutsie ne pouvait pas être retenue au vu de la contestation de cette même origine s’agissant de leur père. En outre, le TAF a affirmé que les troubles psychologiques établis par le rapport médical des enfants du requérant ne constituaient pas un obstacle au renvoi car ils pouvaient être traités à Kinshasa. Le TAF a conclu que les enfants du requérant n’auraient pas établi qu’ils seraient personnellement en danger de torture en cas de renvoi en RDC.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant fait valoir que son renvoi en RDC et celui de ses enfants constitueraient une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture du fait de leur origine rwandaise d’ethnie tutsie qui impliquerait d’être persécutés par des agents de l’État et des membres de la communauté à leur retour.

3.2Le requérant ajoute que bien que la fin de la guerre ait permis l’intégration des différents protagonistes à la gestion des affaires de l’État, le calme demeure précaire. Depuis 2005, est née une rébellion soutenue par le Rwanda à l’est de la RDC et dirigée par Nkunda Batware, un Tutsi congolais dont le but est de protéger les Tutsis persécutés et qui se trouvent au Congo. L’instabilité affectant tout le pays est attribuée, par les médias et dans les écoles, aux Tutsis.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 26 janvier 2009, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication pour non-épuisement des recours internes, le requérant ayant introduit une demande de réexamen le 18 décembre 2008, soit après la soumission de sa requête au Comité. Par décision du 30 décembre 2008, l’Office fédéral des migrations (ODM) a rejeté la demande du requérant. Par lettre du 13 mai 1999, l’État partie a informé le Comité du recours introduit par le requérant auprès du TAF le 4 février 2009. En date du 23 juin 2009, l’État partie a informé le Comité que le TAF avait rendu son arrêt le 19 juin 2009, rejetant les prétentions du requérant et clôturant ainsi les recours internes.

4.2Le 28 avril 2010, l’État partie a soumis ses observations sur le fond. Après avoir rappelé les étapes de la procédure d’asile du requérant et de ses enfants, l’État partie résume les motifs de la demande de réexamen déposée par le requérant en son nom et au nom de ses enfants le 18 décembre 2008 (soit après l’introduction de la requête devant le Comité). Devant les autorités suisses, le requérant a fait valoir qu’il avait appris que son épouse, restée en RDC, était décédée le 1er octobre 2008. Par conséquent, lui et ses enfants n’avaient plus de soutien d’un réseau de connaissances solides. En outre, l’état psychologique des enfants se serait aggravé depuis l’annonce du décès de leur mère.

4.3Devant le Comité, le requérant a produit une attestation de l’Œuvre de reclassement et de protection des enfants de la rue (ORPER), des attestations médicales et une déclaration de la communauté tutsie d’Europe. L’État partie note toutefois que le requérant n’apporte aucun élément nouveau permettant de mettre en question les arrêts du TAF du 24 septembre 2008 et du 17 juin 2009, rendus à la suite d’un examen circonstancié de l’affaire. Le requérant n’explique pas non plus au Comité les incohérences et contradictions relevées par les autorités suisses compétentes durant la procédure.

4.4Rappelant l’énoncé de l’article 3, l’État partie insiste sur les critères établis par le Comité dans son Observation générale no 1, notamment les alinéas 6 et suivants sur la nécessité d’un risque personnel, actuel et sérieux d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine. Bien que le paragraphe 2 de l’article 3 dispose que toutes les considérations pertinentes telles que l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives doivent être prises en compte, il s’agit de déterminer si l’intéressé risquerait personnellement d’être soumis à la torture. Or, comme l’a constaté le TAF dans son arrêt du 24 septembre 2008, la RDC ne connaît pas une situation de guerre, de guerre civile ou de violences généralisées sur l’ensemble de son territoire qui permettrait d’emblée de présumer, à propos de tous les requérants provenant de cet État, et quelles que soient les circonstances de chaque cause, l’existence d’une mise en danger concrète.

4.5Selon les renseignements recueillis auprès de l’ambassade de Suisse à Kinshasa en décembre 2008, il n’y a pas, à l’heure actuelle, à Kinshasa, ville où ont vécu le requérant et ses enfants avant leur départ, de conflits basés sur l’ethnie ou des persécutions de groupes ethniques particuliers. De plus, la population kinoise considère que la guerre à l’est est un conflit entre les élites de toutes les ethnies, motivé par des raisons économiques et politiques. En outre, les Tutsis et les Hutus, dont près de 100 000 vivent à Kinshasa, ne sont pas considérés par la population comme les responsables du conflit précité. Par conséquent, les requérants n’encourraient pas un risque de danger concret et sérieux en cas de renvoi sur la base de leur origine.

4.6L’État partie note en outre que la pétition de la communauté congolaise tutsie dénonçant la persistance de la menace de génocide, datée du 13 novembre 2007 et annexée à la requête, n’a pas été présentée devant les autorités de l’État partie mais uniquement devant le Comité. L’État partie note néanmoins que cette pétition se réfère à la situation générale des Tutsis en RDC et ne concerne donc pas le requérant et ses enfants, ce d’autant plus que leur origine tutsie a été mise en doute par les autorités de l’État partie dans la procédure d’asile.

4.7L’État partie ajoute que lors de la procédure d’asile, la crédibilité du requérant et de ses enfants a été mise en doute notamment s’agissant de sa détention à la résidence de Joseph Kabila ainsi que son enlèvement par des milices à Bunia. Malgré la reconnaissance de difficultés rencontrées par le requérant en 1998, les autorités de l’État partie n’ont pas estimé qu’elles étaient d’une intensité suffisante pour constituer un risque de persécutions futures. En outre, le laps de temps écoulé entre la survenance de ces difficultés, à savoir celles pouvant être liées à son origine ethnique en 1998 et son départ en 2003, exclut tout lien de causalité temporelle entre celles-ci et la demande d’asile.

4.8L’État partie note par ailleurs que le requérant et ses enfants n’ont fait valoir aucune activité politique à l’appui de leur demande d’asile.

4.9L’État partie considère que le requérant n’a jamais établi qu’il était d’origine rwandaise de l’ethnie tutsie. Il n’a fait que nier les résultats de l’enquête de l’ambassade de Suisse à ce sujet sans étayer ses dires. Le requérant a réitéré sa position devant le Comité sans plus d’éléments. Devant les autorités nationales, le requérant a en outre affirmé s’être caché à un endroit précis en novembre 1998, pour échapper aux exactions menées contre les Rwandais de Kinshasa. Il ressort toutefois des résultats de l’enquête menée par la représentation de l’État partie que le requérant était inconnu à cette adresse. Dès lors, cette allégation ne semble pas crédible. D’ailleurs, le requérant ne mentionne pas cet argument devant le Comité. Après enquête, il a aussi été démontré que le requérant ne s’est jamais rendu à Bunia, d’où le manque de crédit accordé à ses allégations relatives à son enlèvement par des milices.

4.10S’agissant des enfants du requérant, l’enquête a également mis en doute leur crédibilité puisqu’il a été établi que les enfants n’avaient pas fait l’objet d’insultes et de menaces à l’école et dans leur quartier mais qu’ils ont vécu dans des conditions privilégiées à l’adresse de Kinshasa indiquée par eux; et qu’ils étaient, au contraire, bien intégrés et n’encouraient aucun danger. De même s’agissant des circonstances de départ des enfants de Kinshasa, les autorités en matière d’asile ont relevé que les déclarations des enfants n’étaient pas cohérentes. En effet, les enfants ont allégué avoir été emmenés par une «femme blanche» d’abord en Afrique du Sud en avion puis en Suisse en train. Or, l’enquête révèle que les enfants se seraient directement rendus en Suisse sans passer par l’Afrique du Sud. En outre, l’ORPER de Kinshasa a attesté dans un document annexé à la requête que les enfants du requérant avaient séjourné dans ses centres du 6 novembre 2003 au 2 juillet 2005, date de leur départ de RDC. Or, lors de la procédure d’asile, les enfants ont expliqué qu’ils avaient séjourné chez leur mère jusqu’à leur départ.

4.11L’État partie remet en cause la véracité des dires du requérant selon lesquels son épouse serait décédée, information à la source de la demande de réexamen. En effet, seule une copie du certificat de décès a été soumise aux autorités de l’État partie et les requérants ont caché aux autorités nationales les circonstances exactes dans lesquelles ils ont obtenu ce document. Notamment, le requérant n’a pas voulu dévoiler le nom de l’auteur du fax l’informant du décès de son épouse.

4.12S’agissant de l’état de santé du requérant et de ses enfants, l’État partie relève qu’il ne constitue pas un critère pour déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire qu’ils risquent d’être soumis à la torture en cas d’expulsion. À ce titre, l’État partie se réfère à la jurisprudence du Comité dans laquelle il a conclu que l’aggravation de l’état de santé physique ou mentale d’une personne due à l’expulsion est généralement insuffisante pour constituer, en l’absence d’autres facteurs, un traitement dégradant en violation de l’article 16 de la Convention. Devant les autorités de l’État partie, le requérant avait mentionné souffrir de tuberculose. Or, selon un rapport médical du 4 avril 2005, le traitement médical contre la tuberculose est terminé. En outre, en cas de rechute, le traitement de cette maladie est disponible à Kinshasa, parfois même gratuitement.

4.13S’agissant des enfants, comme l’a constaté le TAF dans son arrêt du 24 septembre 2008, leur état de santé ne peut être qualifié de grave au point de les mettre concrètement en danger en cas de retour dans leur pays d’origine. Rien n’indique qu’ils nécessiteront un traitement lourd qui ne peut être administré en RDC dans un avenir proche. Dans l’éventualité où l’appui financier de leur famille à Kinshasa ne soit pas suffisant pour continuer les traitements adéquats, le requérant peut demander à l’ODM une aide au retour et en particulier une aide individuelle en vue d’obtenir, pour un laps de temps convenable, une prise en charge des soins médicaux. Bien qu’il ait été établi que la famille du requérant était privilégiée, le requérant ayant lui-même une formation universitaire, le TAF a envisagé un délai de départ adapté en fonction des exigences du traitement en cours. Le TAF a aussi relevé que la péjoration de l’état psychique est une réaction qui peut couramment être observée chez une personne dont la demande de protection a été rejetée, sans qu’il faille pour autant y voir un obstacle sérieux à l’exécution de renvoi.

4.14S’agissant du rapport du service psychologique scolaire de la ville de Zurich du 19 novembre 2008, le TAF a estimé qu’il convient d’accueillir avec retenue le diagnostic posé dans la mesure où il établit une augmentation du risque de suicide et une aggravation des symptômes préexistants en raison de l’annonce du décès de leur mère. L’anamnèse s’écarte sur plusieurs points des constatations de fait retenues dans les décisions entrées en force de chose jugée dans la procédure ordinaire d’asile et dans les jugements sur recours y relatifs et le rapport ne permet pas de conclure que des vérifications ont été entreprises. Quant à l’attestation médicale du service psychologique scolaire de la ville de Zurich du 30 septembre 2008, produite par le requérant devant le Comité, elle ne contient pas de nouveaux éléments par rapport aux précédentes attestations de ce service, attestations qui ont été dûment examinées et prises en compte par le TAF dans son jugement du 17 juin 2009. Enfin, les enfants, s’ils étaient expulsés en RDC, le seraient avec leur père et ne seraient donc pas non accompagnés et sans soutien.

4.15L’État partie conclut que rien n’indique qu’il existe des motifs sérieux de craindre que le requérant et ses enfants seraient exposés concrètement et personnellement à un risque de torture en cas de retour en RDC.

Informations supplémentaires soumises par le requérant

5.1Les 17 mai et 8 juin 2010, le requérant note que les recours internes ont été épuisés et qu’il n’y a donc aucun obstacle à la recevabilité de la requête.

5.2Le requérant note que suite à l’échec de sa demande d’asile il a initié une procédure de demande de permis de rigueur en vertu de l’article 14, paragraphe 2, de la loi suisse sur l’asile (LAsi) qui a elle-même échoué. Il dénonce la politique d’asile du canton de Zurich qui vise selon lui à dissuader tout requérant d’asile de légaliser sa situation dans le canton. Le requérant invoque sa bonne intégration avec la maîtrise de l’allemand, une promesse d’embauche et la scolarisation de ses enfants.

5.3Le requérant craint que l’élection présidentielle en RDC prévue pour le 28 novembre 2011, qui pourrait assurer la réélection de Joseph Kabila, d’origine rwandaise, n’attise une nouvelle fois les tensions entre communautés ethniques avec risques de torture, voire d’atteinte à la vie, notamment à leur égard.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

6.1Le 18 août 2011, dans ses commentaires, le requérant rejette l’affirmation de l’État partie selon laquelle la population de Kinshasa considère le conflit de l’est de la RDC comme un conflit entre les élites ethniques. Le requérant rappelle que les ethnies telles que les Ndade, les Bashi ou les Hema n’ont pas d’élites. En outre, les massacres de population et les viols de femmes ne sont pas propres aux élites ethniques.

6.2S’agissant de ses activités politiques, le requérant note qu’il est actif au sein de l’Alliance des patriotes pour la refondation du Congo (APARECO). Cette participation peut être confirmée par le Président de l’organisation en Suisse. Le requérant ajoute qu’il est intervenu à plusieurs reprises sur la radio Tshiondo, qui émet sur Internet, rendant notoire son activité politique en Suisse.

6.3S’agissant des conclusions de l’ambassade de Suisse selon lesquelles ses origines tutsies étaient remises en cause, le requérant rétorque que dans la région de Kinshasa, la majorité de la population est incapable de distinguer entre Hutus et Tutsis, l’élément principal étant simplement la nationalité rwandaise.

6.4Le requérant allègue que les autorités suisses ne se sont jamais enquises des circonstances du décès de sa femme. Or elle n’est pas décédée de mort naturelle mais a été assassinée. Contrairement aux dires de l’État partie, les menaces dont il avait fait l’objet en RDC étaient plus que des «tracasseries» puisqu’une personne identifiée comme rwandaise peut mourir dans de grandes souffrances.

6.5Le requérant revient également sur la remise en cause par l’État partie de la crédibilité du requérant. Il revient sur son adresse à Kinshasa, qu’il confirme, sur sa connaissance de ses origines rwandaises et son enfance passée loin de Kinshasa. S’agissant de sa détention par les milices, il mentionne qu’il a été détenu dans une case de terre car les milices ne possèdent pas de prison.

6.6Le requérant déplore le peu de crédit donné par les autorités suisses aux dires de ses enfants et dénonce une absence de vérification de leurs allégations. Il considère prévisible que des enfants ne puissent pas se rappeler de manière exacte de dates telles que celles d’entrée et de sortie du centre ORPER. Enfin le requérant rejette l’argument de l’État partie selon lequel ses enfants pourraient faire l’objet d’un traitement médical approprié en RDC. Il note enfin que sa tuberculose avait à l’époque été contractée en détention, ce qui prouve son passé difficile en RDC.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit s’assurer qu’elle est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a du paragraphe 5 de l’article 22, que la même question n’a pas été examinée, ni n’est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité relève en outre que les recours internes ont été épuisés au titre de l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22 s’agissant des allégations contenues dans la communication originale devant le Comité. En effet, bien que dans un premier temps l’État partie ait contesté la recevabilité de la requête pour non-épuisement des recours internes, ces recours ont ensuite été épuisés et l’État partie a admis la recevabilité de la requête. S’agissant cependant de l’allégation du requérant selon laquelle celui-ci serait actif au sein de l’APARECO, rendant notoire son activité politique en Suisse, le Comité note qu’elle a été pour la première fois avancée par le requérant au stade de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Le Comité note de ce fait que l’État partie n’a pas eu l’opportunité de commenter cette allégation qui, par ailleurs, n’a pas été invoquée devant les juridictions internes comme constitutive d’un risque de torture pour le requérant en cas de renvoi en RDC. Au vu de ce qui précède le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 22, paragraphe 5 b), de la Convention.

7.3S’agissant des autres allégations au titre de l’article 3 de la Convention, le Comité les déclare recevables et procède donc à l’examen de la communication au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité doit déterminer si, en expulsant le requérant et ses enfants vers la RDC, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

8.3Concernant les allégations du requérant en son nom et au nom de ses enfants au titre de l’article 3, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État de renvoi d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si le requérant et ses enfants risquent personnellement d’être soumis à la torture en RDC. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’ils risqueraient d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que les intéressés courent personnellement un risque.

8.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 (1996) concernant l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, dans laquelle il considère qu’il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable, mais ce risque doit être encouru personnellement et actuellement. À cet égard, le Comité a établi dans des décisions antérieures que le risque de torture devait être «prévisible, réel et personnel».En ce qui concerne le fardeau de la preuve, le Comité rappelle qu’il incombe généralement au requérant de présenter des arguments défendables et que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

8.5Le Comité est conscient de la situation précaire des droits de l’homme en République démocratique du Congo. Il note cependant les doutes émis par l’État partie quant à la crédibilité des allégations soumises par le requérant puis ses enfants depuis leur première demande d’asile, respectivement les 2 juillet 2003 et 22 août 2005.

8.6En évaluant le risque de torture dans le cas à l’examen, le Comité note l’argument du requérant selon lequel il aurait subi des mauvais traitements par les étudiants, par les habitants du quartier où il résidait à Kinshasa et par les agents de l’État du fait de son origine rwandaise-tutsie, et ce dès 1998. Le Comité note que pendant la procédure d’asile, le requérant a expliqué qu’autour du 10 novembre 1998, il a été amené à la résidence de Laurent-Désiré Kabila, d’où il a pu s’évader après une semaine de détention; que le requérant s’est ensuite enfui à Bunia, dans l’est du pays; qu’il aurait alors été enlevé le 5 mai 2003 par des milices, détenu dans une case de terre; qu’il se serait évadé et aurait fui le pays; qu’il serait allé au Kenya, puis en Italie, puis en Suisse, où il a demandé l’asile le 2 juillet 2003. Le Comité note l’argument du requérant selon lequel ses enfants auraient eux-mêmes été persécutés à Kinshasa du fait de leur origine, ce qui les aurait amenés à quitter le pays grâce à une «femme blanche» en juillet 2005; qu’ils ont eux-mêmes déposé une demande d’asile le 22 août 2005. Le Comité note enfin que selon le requérant, le risque d’être persécutés du fait de leur origine rwandaise (qu’ils soient Hutus ou Tutsis) est actuel puisque les tensions ethniques à Kinshasa persistent et que les prochaines élections présidentielles n’auront pour conséquences que de les attiser.

8.7Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel les éléments avancés par le requérant à l’appui de sa communication devant le Comité ne sont pas de nature à remettre en cause les décisions des autorités de l’État partie qui ont été rendues à la suite d’un examen circonstancié de l’affaire. Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel une enquête a été diligentée par l’ambassade de Suisse à Kinshasa qui a abouti à la conclusion qu’il n’y a pas à Kinshasa, ville où ont vécu le requérant et ses enfants jusqu’à leur départ, de conflit basé sur l’ethnie ou des persécutions de groupes ethniques particuliers; que l’origine ethnique du requérant et de ses enfants ne serait pas rwandaise tutsie mais hutue; que dès lors les allégations fondées sur cette origine ethnique ne sont pas crédibles.

8.8À la lumière des informations fournies par les parties, le Comité considère que le requérant n’a pas établi le lien de causalité entre les événements qui auraient amené ses enfants et lui-même à quitter leur pays d’origine et le risque de torture en cas de retour en RDC. Le requérant est en effet resté très laconique devant le Comité sur le traitement dont il aurait été victime, notamment celui dont il aurait souffert à Kinshasa en 1998; que ce n’est qu’en se référant aux décisions des autorités nationales que le Comité a pu reconstituer les allégations du requérant et de ses enfants. Enfin, le Comité considère que les informations relatives aux possibles tensions ethniques dans le pays d’origine sont d’ordre général et ne permettent pas de conclure à un risque prévisible, réel et personnel.

8.9Compte tenu de l’ensemble des informations qui lui ont été communiquées, le Comité estime que le requérant n’a pas apporté suffisamment d’éléments de preuve pour montrer que lui-même ou l’un quelconque de ses enfants courent un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture s’ils étaient expulsés vers leur pays d’origine.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en conclut que l’expulsion du requérant et de ses enfants vers la République démocratique du Congo ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication no368/2008: Sonko c. Espagne*

Présentée par:

Fatou Sonko (représentée par un conseil, M. Alberto J. Revuelta Lucerga)

Au nom de:

Lauding Sonko (décédé)

État partie:

Espagne

Date de la requête:

23 octobre 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 25 novembre 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 368/2008, présentée en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par la requérante, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1La requérante est Fatou Sonko, de nationalité sénégalaise, résidant en Espagne. Elle présente la communication au nom de son frère Lauding Sonko, né le 16 octobre 1978. Elle affirme que son frère a été la victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article premier, ainsi que des paragraphes 1 et 2 de l’article 16 de la Convention. L’Espagne a fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention le 21 octobre 1987. La requérante est représentée par un conseil, Alberto J. Revuelta Lucerga.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1La nuit du 26 septembre 2007, un groupe de quatre migrants africains, trois hommes et une femme, dont Lauding Sonko, ont tenté de pénétrer dans la ville autonome de Ceuta à la nage, par la côte, entre Belionex et Benzú. Chacun d’entre eux était équipé d’une bouée et d’une combinaison de néoprène. À 5 h 5 du matin, un patrouilleur de la Garde civile espagnole a intercepté les quatre nageurs, qui ont été embarqués en vie. Amenés à proximité de la plage de Bastiones, en eaux territoriales marocaines, ils ont été obligés de se jeter à l’eau, à une profondeur où ils n’avaient pas pied. Auparavant, la Garde civile avait crevé les bouées des migrants, sauf celle de la femme.

2.2M. Sonko s’est agrippé fermement à la rambarde de l’embarcation en répétant qu’il ne savait pas nager, mais les gardes ont employé la force pour lui faire lâcher prise et le rejeter à la mer. M. Sonko appelait à l’aide et avait de graves difficultés pour arriver jusqu’au rivage, de sorte qu’un des agents de la Garde civile s’est jeté à l’eau pour l’aider et lui éviter la noyade. Lorsqu’ils sont arrivés sur le rivage, l’agent a pratiqué un massage cardiaque sur M. Sonko. Celui-ci est décédé peu après, malgré les tentatives de réanimation, et il a été enterré dans le cimetière de Santa Catalina, sans qu’il ait été procédé à son identification.

2.3Le 28 septembre 2007, dans le cadre d’une enquête préliminaire, le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta a ordonné le classement de la procédure liée au décès de M. Sonko, estimant qu’il n’était pas compétent, les faits s’étant produits en territoire marocain.

2.4Les 4 et 9 octobre 2007, la requérante a demandé au Défenseur du peuple d’engager une enquête sur les circonstances du décès de M. Sonko. Le 12 novembre 2007, le Défenseur du peuple a communiqué les faits au Procureur général de l’État et, le 14 décembre 2007, celui-ci a ordonné les mesures nécessaires pour éclaircir les faits.

2.5Le 9 mai 2008, l’un des immigrants qui faisaient partie du groupe, M. Dao Toure, a présenté une déclaration écrite au tribunal d’instruction no 1 de Ceuta, qui figure au dossier de l’enquête préliminaire no 1135/2007, sur les faits survenus en septembre 2007. Dans cette déclaration, il indique ce qui suit:

«À aucun moment, ils [les immigrants] n’ont manifesté le souhait de demander l’asile en Espagne; mais ils [les Gardes] ne se sont pas adressés à eux en français et n’ont pas tenté d’établir quelque communication que ce soit. Dans l’embarcation, il n’y avait que deux Gardes civils; ils ne les ont pas compris du tout, ils avaient l’air de discuter entre eux, puis ils ont fini par prendre la direction de la plage de Belionex.

Ils se sont arrêtés face à la plage de Belionex, ils n’étaient pas très loin du rivage mais on ne peut pas dire non plus qu’ils en étaient proches. (…) Avec un couteau, [les Gardes civils] ont percé toutes les bouées, sauf celle de la femme, et les ont poussés à l’eau, à une profondeur où aucun n’avait pied. Sur la plage, un groupe de militaires marocains les attendaient. Le premier rejeté à l’eau était le Sénégalais qui, avant de tomber, s’est fermement agrippé à la rambarde de l’embarcation. Il était très énervé et a répété à plusieurs reprises qu’il ne savait pas nager, mais les Gardes civils ont employé la force pour lui faire lâcher prise et le rejeter à la mer. (…) Mais le Sénégalais était en train de se noyer et ne cessait d’appeler à l’aide en criant “Aide-moi, aide-moi…” (en français). Un des Gardes civils s’est alors jeté à l’eau tandis que l’autre restait dans l’embarcation et observait la scène. Le Garde a saisi le Sénégalais et l’a remorqué jusqu’au rivage où il a immédiatement commencé à lui faire des massages cardiaques ou à pratiquer la réanimation cardiopulmonaire, tandis que le Sénégalais restait étendu par terre, sur le dos.».

2.6La requérante précise qu’elle n’apporte pas de copie des actes de procédure ni, même, de la décision du tribunal d’instruction no 1 de Ceuta en date du 28 septembre 2007 parce que ces actes n’ont été notifiés ni à la famille ni à l’avocat, membre de l’association des avocats de la Commission espagnole d’aide au réfugié/Sud (CEAR/SUR). La requérante affirme que ni la famille ni l’association CEAR/SUR n’ont pu intervenir dans la procédure engagée par le Bureau du Procureur général de l’État.

Teneur de la plainte

3.1La requérante affirme que son frère a été victime d’une violation, par l’Espagne, du paragraphe 1 de l’article premier et des paragraphes 1 et 2 de l’article 16 de la Convention. Elle allègue que M. Sonko était dans une embarcation de la Garde civile qui battait donc pavillon espagnol, et que les autorités espagnoles étaient responsables de ce qui s’y passait et devaient protéger les personnes se trouvant ainsi sous la juridiction espagnole.

3.2Elle affirme qu’en rejetant la victime à la mer alors que celle-ci ne savait pas nager, raison pour laquelle elle s’est noyée, les policiers, agents de l’État partie, se sont rendus coupables de voies de fait. Ni la victime ni ses compagnons n’ont été présentés aux agents du Corps supérieur de la police de Ceuta, compétent pour les questions concernant les étrangers, ou devant un tribunal. La requérante affirme que la procédure administrative de refus d’entrée, qui prévoit une audience, une décision concernant le dossier et la possibilité de présenter un recours, n’a pas été suivie. Dès que les policiers qui surveillaient la frontière ont repéré, à l’aide de caméras thermiques, les quatre ressortissants étrangers qui tentaient d’entrer sur le territoire national et qu’ils leur ont donné l’ordre de ne pas le faire, une procédure administrative de refus d’entrée était engagée. Néanmoins, cette procédure n’a pas été poursuivie.

3.3La requérante allègue que le fait d’avoir jeté par-dessus bord les migrants constitue un traitement inhumain et dégradant, une atteinte à la dignité personnelle et un danger pour la vie humaine, comme l’a démontré le décès de la victime, et donc une violation du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention.

3.4La requérante invoque aussi des violations de dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement.

3.5En ce qui concerne la recevabilité de la communication, elle allègue que les recours judiciaires ont été épuisés lorsque le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta s’est déclaré incompétent, les faits s’étant produits au Maroc, et qu’il a mis fin à l’enquête préliminaire en rendant une ordonnance de non-lieu pur et simple. Ce non-lieu n’ayant pas fait l’objet d’un recours et étant devenu définitif, les voies de recours internes ont été épuisées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans sa note verbale du 11 février 2009, l’État partie affirme que la communication est irrecevable, les recours internes n’ayant pas été épuisés. Il indique que les faits dont il est question dans la requête font l’objet d’une enquête de la part de la justice espagnole, plus précisément du tribunal d’instruction no 1 de Ceuta.

4.2Il n’est pas exact que ni la famille ni le CEAR n’ont pu intervenir dans la procédure judiciaire engagée par le ministère public. Le 28 novembre 2008, le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta a adressé une requête au doyen des juges d’instruction d’Almería afin que soient localisés des membres de la famille du défunt. Le 5 janvier 2009, la procédure a été notifiée à M. Jankoba Coly, cousin de M. Sonko, à Vicar (Almería). Néanmoins, aucun membre de la famille n’est intervenu dans la procédure.

4.3L’État partie affirme que la version des faits donnée par la requérante diffère par certains aspects fondamentaux de sa propre version. À ce propos, il a remis une copie du rapport établi par le lieutenant-colonel du commandement de la Garde civile de Ceuta, dans lequel celui-ci affirme que les bouées n’ont pas été crevées, qu’il a été porté secours aux immigrants en eaux territoriales marocaines, que les immigrants ne se sont pas exprimés dans une langue compréhensible par les Gardes; qu’un de ceux-ci s’est jeté à l’eau pour porter secours à M. Sonko et a tenté de le ranimer et qu’aucune lésion de nature traumatique n’a été détectée sur le corps de M. Sonko. Les Gardes civils ont agi conformément aux directives établies par le commandement de la Garde civile de Ceuta au sujet de l’immigration par la voie maritime, aux lois spéciales et aux instruments signés par l’État partie. Selon le même rapport, grâce aux gestes accomplis pour secourir les immigrants dans les eaux territoriales marocaines, près des brise-lames qui délimitent la frontière, le nombre de morts a pu être considérablement réduit. L’obligation qu’ont les équipages des navires qui procèdent au sauvetage de personnes en détresse ou en danger, en mer, consiste à leur porter secours, à les conduire en un «lieu sûr» et à leur fournir une aide humanitaire.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Dans sa communication du 6 avril 2009, la requérante fait valoir qu’elle a épuisé tous les recours internes disponibles. Elle indique que, par son ordonnance de non-lieu pur et simple, le tribunal mixte no 1 de Ceuta a mis un terme à l’enquête préliminaire engagée à la suite du décès par noyade de M. Sonko. Les représentants des Gardes civils concernés et le Bureau du Procureur de Ceuta n’ayant pas formé de recours contre le non-lieu, celui-ci est devenu définitif. À ce sujet, la requérante affirme qu’elle n’a pas pu intervenir dans la procédure parce que l’État partie n’a fait aucune démarche pour localiser la famille de M. Sonko. Elle se réfère à la jurisprudence interne et indique que, lorsqu’un acte de non-lieu pur et simple devient définitif, il acquiert force de chose jugée.

5.2D’après la requérante, les allégations de l’État partie ne contredisent pas les faits présentés initialement par elle-même et mettent en évidence l’existence de la torture ou d’un traitement inhumain ou dégradant. Elle répète que M. Sonko et ses compagnons sont montés à bord d’un patrouilleur espagnol et qu’ils relevaient donc de la juridiction espagnole. M. Sonko se portait bien dans le patrouilleur. Par contre, lorsqu’il est arrivé à la plage, il allait mal, une intervention sanitaire a été nécessaire et il est décédé. La requérante allègue qu’il existe une relation de cause à effet indiscutable.

5.3La requérante affirme que, en vertu du principe de non-refoulement, les États doivent autoriser l’admission ou l’accueil temporaire des demandeurs d’asile et leur permettre d’engager une procédure où il sera examiné au fond si, en cas de renvoi, leur vie ou leur liberté serait gravement menacée ou s’ils risqueraient d’être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. Pour fonder son argumentation, la requérante se réfère au rapport du Défenseur du peuple en date du 3 avril 2009, dans lequel celui-ci indique qu’il désapprouve la procédure suivie par le service maritime provincial de Ceuta pour renvoyer au Maroc des personnes interceptées dans les eaux territoriales marocaines à proximité des brise-lames qui délimitent les eaux territoriales de l’Espagne et celles du Maroc. D’après ce rapport, l’élément déterminant réside dans le fait non pas que les demandeurs d’asile se trouvent ou non en territoire espagnol, mais qu’ils sont sous le contrôle effectif des autorités espagnoles, raison pour laquelle le principe de non-refoulement ne peut être écarté au motif que le sauvetage s’est produit hors des eaux territoriales de l’Espagne.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 15 juin 2009, l’État partie a présenté ses observations sur le fond.

6.2L’État partie répète que les faits évoqués par la requérante font l’objet d’une enquête de la part de la justice espagnole, plus précisément du tribunal d’instruction no 1 de Ceuta, ce qui rend la requête irrecevable au sens de l’alinéa b de l’article 22 de la Convention. De même, il indique que les membres de la famille pouvaient intervenir dans la procédure judiciaire mais qu’ils ne l’ont pas fait.

6.3L’État partie présente une copie du dossier de l’enquête préliminaire no 1135/2007, où figurent les données suivantes:

1.Le 28 septembre 2007, le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta a engagé une procédure en vue d’établir les faits. Ayant examiné les éléments de preuve, le tribunal a décidé à la même date de rendre un non-lieu puis de classer l’affaire, les faits ne s’étant pas produits en territoire espagnol et les actes en cause n’étant pas qualifiés dans le Code pénal. Il a également décidé d’ordonner le prélèvement d’échantillons sur le corps du défunt en vue de l’identification génétique et de transmettre le dossier au ministère public;

2.Le 11 janvier 2008, le ministère public a requis la réouverture de la procédure par le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta sur la base de données nouvelles indiquant que les faits s’étaient produits à bord d’une embarcation battant pavillon espagnol, ce qui déterminait la compétence de l’Espagne pour connaître de l’affaire. Le Procureur a estimé que, dans le dossier de l’enquête préliminaire, il y avait des indices d’infraction pénale, notamment le fait que M. Sonko était décédé alors qu’il était sous le contrôle de la Garde civile et que, dès lors, les policiers étaient garants de sa vie et de sa sécurité;

3.Le 7 février 2008, le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta a décidé de rouvrir l’enquête et a ordonné que soient entendus les trois fonctionnaires de la Garde civile mis en cause ainsi qu’un autre fonctionnaire de la Garde civile et M. Lucerga (membre du CEAR/SUR) en tant que témoins. Les trois fonctionnaires de la Garde civile mis en cause ont été entendus le 15 avril 2008; l’autre fonctionnaire de la Garde civile, le 13 mars 2008; et M. Lucerga, le 13 mai 2008;

4.Le 9 mai 2008, un avocat de CEAR/SUR a comparu devant le tribunal d’instruction no 1 et a apporté une déclaration faite par M. Dao Toure, de nationalité sénégalaise, l’un des quatre émigrants africains qui avaient tenté d’entrer à Ceuta à la nage. M. Toure y confirmait la version des faits donnée par la requérante. Il affirmait que, à aucun moment, ses compagnons et lui-même n’avaient manifesté le souhait de demander l’asile à l’Espagne et indiquait que les Gardes ne s’étaient pas adressés à eux en français et n’avaient pas essayé de communiquer avec eux;

5.Le 14 mai 2008, l’avocat de CEAR/SUR a indiqué qu’il avait appris que M. Toure allait être cité à comparaître en qualité de témoin et a demandé à être présent. Le 15 mai 2008, le tribunal d’instruction a rejeté la demande de l’avocat, alléguant que celui-ci n’était pas partie intéressée à la procédure;

6.Le 23 mai 2008, le Bureau du Procureur de Ceuta a présenté une demande de renvoi de la procédure à l’Audiencia Nacional, considérant que cette dernière était compétente dès lors que les personnes mises en cause étaient de nationalité espagnole et que les faits s’étaient produits en territoire étranger;

7.Le 27 mai 2008, le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta s’est dessaisi de la procédure en faveur de l’Audiencia Nacional;

8.Le 16 juin 2008, l’avocat de l’État a présenté un recours en réexamen et s’est opposé à la réouverture de la procédure, alléguant que les nouveaux actes d’enquête réalisés ne faisaient pas apparaître d’indices de faits différents de ceux qui, précédemment, avaient motivé l’ordonnance de non-lieu rendue le 28 septembre 2007. Il a également allégué que, en aucun cas, les tribunaux centraux d’instruction n’étaient compétents en raison du fait que le patrouilleur était une portion du territoire national. Le 9 juillet 2008, le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta a confirmé sa décision du 27 mai;

9.Le 18 juillet 2008, l’avocat de l’État a interjeté appel, affirmant que la réouverture de la procédure était dénuée de fondement parce que la décision de non-lieu était définitive et qu’aucun élément nouveau ne la justifiait. Le 30 septembre 2008, l’Audiencia Provincial de Cadix à Ceuta a accueilli partiellement le recours, estimant que le non-lieu n’était pas devenu définitif parce qu’il n’avait pas été notifié «à quiconque pourrait en subir un préjudice», comme le dispose la loi. L’Audiencia Provincial a décidé d’annuler l’acte de dessaisissement du 27 mai 2008 tant que le non-lieu n’aurait pas été notifié aux personnes intéressées, afin de donner à celles-ci la possibilité de s’intéresser à la procédure et de présenter un recours. Dans sa décision du 30 septembre 2008, l’Audiencia Provincial a indiqué que, dans les actes d’enquête réalisés, il était fait mention de l’existence de membres de la famille du défunt, plus précisément des noms de ses parents, Malan et Fatou, et que l’association d’avocats CEAR/SUR avait localisé une sœur, un beau-frère et un cousin;

10.Le 5 janvier 2009, le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta a envoyé une notification à M. Jankoba Coly, cousin de la victime, et, le 19 février 2009, il a décidé de se dessaisir du dossier en faveur de l’Audiencia Nacional;

11.Le 12 février 2009, l’avocat principal de l’État a notifié au tribunal d’instruction no 1 de Ceuta qu’une communication avait été soumise au Comité contre la torture.

6.4L’État partie estime que les faits exposés dans la communication ne mettent pas en évidence l’existence de torture ou de mauvais traitements, mais plutôt un accident malheureux au cours duquel l’équipage d’un patrouilleur de la Garde civile est venu au secours de plusieurs personnes qui nageaient au large et les a conduites à proximité du rivage. Il allègue que les faits se sont produits dans les eaux territoriales marocaines, que les personnes recueillies ont été déposées très près du rivage, que les gardes civils n’ont pas crevé les bouées de M. Sonko et de ses compagnons, et que M. Sonko a été secouru par les Gardes civils, qui ont pratiqué des manœuvres de réanimation.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

7.1Le 3 juillet 2009, la requérante a présenté des commentaires sur les observations formulées par l’État partie.

7.2La requérante affirme que les voies de recours judiciaire internes ont été épuisées dès lors que la procédure 1135/2007 a été close le 23 avril 2009. Elle joint une déclaration sous serment de Mme Abderrahaman, l’avocate de M. Dao Toure, qui a témoigné dans la procédure engagée par le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta à la suite du décès de M. Sonko, dans laquelle l’avocate déclare que le Bureau du Procureur de Ceuta l’a informée, le 23 avril 2009, que «concernant votre lettre du 6 avril 2009 (…) relative à M. Dao Toure et à sa qualité de témoin dans la procédure accélérée no 1135/07, je vous communique qu’une ordonnance de non-lieu pur et simple a été rendue et qu’elle n’a pas fait l’objet d’un recours, et que la comparution en jugement de M. Toure n’est donc pas nécessaire».

7.3La requérante dit que les affirmations de l’État partie concernant la notification des membres de la famille de M. Sonko ne sont pas exactes. Depuis le début de la procédure en octobre 2007, la sœur du défunt, directement concernée par la procédure, n’a reçu aucune notification. La notification qui a été envoyée le 5 janvier 2009 à M. Jankoba Coly, cousin de M. Sonko, a été faite un an et demi après l’ouverture de la procédure. La requérante invoque donc la deuxième partie de l’alinéa e de l’article 107 du Règlement du Comité. Elle fait également valoir que les autorités compétentes ont empêché le seul témoin vivant en Espagne, M. Dao Toure, d’intervenir dans la procédure et de faire une déclaration à l’audience.

7.4La requérante soutient également que, en droit interne, l’ouverture d’une information, l’engagement et la poursuite de la procédure incombent à la puissance publique. Par conséquent, les allégations de l’État partie concernant la prétendue obligation de la requérante de poursuivre ou faciliter la procédure ou d’intervenir dans celle-ci sont dénuées de fondement juridique.

Observations complémentaires de l’État sur la recevabilité et sur le fond

8.1Le 28 mai 2011, l’État partie donne un complément d’information sur l’état de la procédure judiciaire.

8.2L’État partie indique que, le 28 novembre 2008, le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta a décidé d’adresser une notification aux membres de la famille de M. Sonko et, plus concrètement, à sa sœur, Mme Jankoba Coly, concernant le classement de la procédure, le 28 septembre 2007.

8.3Le 31 mars 2009, l’Audiencia Nacional a déclaré irrecevable le dessaisissement effectué en sa faveur par le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta et a renvoyé l’affaire à ce dernier. L’Audiencia Nacional a considéré que, comme l’ordonnance de classement du 28 septembre 2007 n’avait pas été contestée, celui-ci était devenu définitif et que, par voie de conséquence, le dessaisissement effectué par le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta en sa faveur n’était pas fondé.

8.4Le 12 mai 2009, le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta a annoncé le non-lieu, après avoir donné suite à l’ordonnance de l’Audiencia Provincial de Cadix à Ceuta relative à la notification de la procédure aux intéressés (les membres de la famille du défunt), et constaté qu’aucun recours n’avait été présenté contre l’ordonnance du 28 septembre 2007.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

9.2Le Comité relève que, dans un premier temps, l’État partie avait estimé que la communication était irrecevable parce que les recours internes disponibles n’avaient pas été épuisés mais que, le 28 mai 2011, il avait informé le Comité que, le 12 mai 2009, le tribunal d’instruction no 1 de Ceuta avait rendu un non-lieu. Par conséquent, le Comité considère que rien ne s’oppose à l’examen de la communication sur le fond, conformément à l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention.

Examen au fond

10.1Le Comité prend note des observations de l’État partie qui affirme que les faits se sont produits dans les eaux territoriales marocaines, que les personnes recueillies ont été laissées très près du rivage, que les Gardes civils n’ont pas crevé les bouées de M. Sonko et de ses compagnons, et qu’ils ont secouru M. Sonko et ont effectué sur lui des manœuvres de réanimation. Le Comité prend note également des allégations de la requérante relatives à l’existence d’une relation de cause à effet indiscutable entre le décès de M. Sonko et le comportement des Gardes civils, dès lors que M. Sonko se portait bien lorsqu’il était à bord du patrouilleur et que, en arrivant à la plage, il allait mal et qu’il est décédé.

10.2Le Comité rappelle qu’il n’a pas pour rôle d’apprécier les éléments de preuve ni de réexaminer les constatations relatives aux faits ou la crédibilité des autorités nationales compétentes. Il constate que les versions des circonstances des faits présentées par l’État partie et par la requérante divergent, mais que les parties sont d’accord sur le fait que M. Sonko et les trois autres nageurs ont été interceptés par une embarcation de la Garde civile et qu’ils étaient en vie lorsqu’ils y sont montés. De même, les deux parties affirment qu’en arrivant à la plage M. Sonko ne se portait pas bien et que, malgré les tentatives de réanimation, il est décédé.

10.3Le Comité rappelle son Observation générale no 2, dans laquelle il considère que le «territoire» s’étend à toutes les régions sur lesquelles l’État partie exerce de fait ou de droit, directement ou indirectement, en tout ou en partie, un contrôle effectif, conformément au droit international. Cette interprétation de la notion de juridiction s’applique non seulement à l’article 2 mais aussi à toutes les dispositions de la Convention, y compris l’article 22. En l’espèce, le Comité relève que les Gardes civils ont exercé un contrôle sur les personnes se trouvant à bord du patrouilleur et qu’ils étaient donc responsables de leur protection.

10.4Le Comité rappelle que l’interdiction des mauvais traitements est intangible en vertu de la Convention et que leur prévention doit être efficace et ne souffrir aucune exception. Il considère qu’il revient à l’État partie d’expliquer les circonstances du décès de M. Sonko, puisque lorsque celui-ci a été recueilli dans l’embarcation, il était en vie. Il considère également qu’indépendamment du fait de savoir si les gardes civils ont crevé la bouée de M. Sonko et à quelle distance du rivage ils l’ont débarqué, celui-ci a été abandonné dans des circonstances qui ont entraîné son décès. En ce qui concerne la qualification juridique du traitement subi par M. Sonko le 26 septembre 2007, le Comité considère que le fait d’infliger des souffrances physiques et mentales, aggravées par la vulnérabilité particulière du requérant due à sa situation de migrant, ne constitue pas une violation de l’article premier de la Convention, mais atteint cependant le seuil de ce qui peut être considéré comme une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16 de la Convention.

10.5Bien que la requérante n’ait allégué que la violation des articles 1er et 16 de la Convention, le Comité est d’avis que la présente communication soulève des questions au titre de l’article 12 de la Convention. Le Comité relève en outre que tant la requérante que l’État partie ont communiqué leurs observations au sujet de la procédure judiciaire d’enquête engagée par l’État partie.

10.6Le Comité relève à cet égard que l’État partie a informé un membre de la famille de la victime seize mois après avoir engagé la procédure d’enquête. Il observe en outre que la requérante (et/ou un membre de la famille) n’est pas intervenue dans la procédure judiciaire. À d’autres occasions, le Comité a déjà indiqué que la Convention n’exigeait pas que la victime présente une plainte formelle auprès de la juridiction nationale lorsqu’il y avait une allégation de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants, et qu’il suffisait que les faits soient portés à l’attention des autorités de l’État. Par conséquent, le Comité estime que l’intervention de la requérante (et/ou d’un membre de la famille) n’était pas une condition de l’obligation de procéder à une enquête qui incombait à l’État partie, en vertu de l’article 12, et il rappelle que cette obligation de procéder à une enquête, lorsqu’il y a des motifs de croire que des mauvais traitements ont été infligés, a un caractère absolu dans la Convention et incombe à l’État.

10.7Le Comité rappelle que, quelle que soit la complexité de l’affaire, l’État partie a l’obligation de procéder à une enquête rapide et approfondie chaque fois qu’il y a des indices d’actes constitutifs de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette enquête doit chercher tant à déterminer la nature et les circonstances des faits allégués qu’à établir l’identité des personnes qui ont pu être impliquées. La procédure d’enquête a été engagée le 28 septembre 2007 et définitivement close le 12 mai 2009, sans que l’on ait procédé immédiatement à une enquête impartiale. Par conséquent, le Comité considère que l’enquête menée par les autorités de l’État partie n’a pas rempli les conditions énoncées à l’article 12 de la Convention.

10.8Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, constate que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation des articles 12 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

10.9Le Comité invite instamment l’État partie à procéder à une enquête en bonne et due forme et impartiale sur les faits survenus le 26 septembre 2007, à poursuivre et sanctionner les personnes qui en seront reconnues responsables, et à accorder une réparation intégrale, dont une indemnisation adéquate, à la famille de M. Sonko. Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, il souhaite recevoir, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des informations concernant les mesures que l’État partie aura prises conformément aux observations ci-dessus.

Appendice

Opinion individuelle (en partie dissidente) de Mme Felice Gaer

1.Dans le cas présent, la requérante et l’État partie sont en complet désaccord sur certains faits qui sont d’une importance capitale pour déterminer si l’article 16 de la Convention a été ou non violé. Sans m’opposer à la décision finalement adoptée par le Comité en l’espèce, concluant à une violation, je dois déclarer, très respectueusement, que je suis en désaccord avec la méthodologie que le Comité dit avoir suivie pour se prononcer sur le point de savoir si l’article 16 a été violé comme la requérante le prétend.

2.La requérante a déclaré en l’espèce au Comité que des fonctionnaires de la Garde civile espagnole avaient fait monter à bord de l’embarcation dans laquelle ils se trouvaient le frère de la requérante, M. Lauding Sonko, et ses compagnons, avaient crevé trois des quatre bouées dont ces personnes s’étaient servies jusque-là et, alors que le frère de la requérante protestait qu’il ne savait pas nager, avaient rejeté M. Sonko et ses compagnons à la mer à un endroit où ils n’avaient pas pied, si bien que M Sonko s’était noyé. L’État partie confirme qu’effectivement les fonctionnaires de la Garde civile ont fait monter M. Sonko et ses compagnons à bord de l’embarcation et les «ont ensuite relâchés», mais soutient qu’ils l’ont fait «très près du rivage» et n’ont pas crevé les bouées. Il fait donc valoir que le décès de M. Sonko est un «accident malheureux» et non la conséquence de peines ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants.

3.Le Comité est appelé en l’occurrence à déterminer si l’article 16 de la Convention a été violé. Il ne fait aucun doute que le Comité ne peut le faire sans apprécier les faits de la cause. Néanmoins, au lieu d’étudier directement les divergences quant aux faits, le Comité affirme de façon surprenante qu’«il n’a pas pour rôle d’apprécier les éléments de preuve ni de réexaminer les constatations relatives aux faits ou la crédibilité des autorités nationales compétentes» (voir plus haut par. 10.2). Je m’oppose vivement à cette affirmation qui est contraire tant à la teneur de l’Observation générale no 1 du Comité, qui a inspiré tant de décisions du Comité, qu’avec la jurisprudence établie par le Comité dans de multiples décisions relatives à des communications individuelles.

4.Le paragraphe 9 de l’Observation générale no 1 du Comité traite directement de ce point. Il est ainsi conçu:

«Étant donné que le Comité contre la torture n’est pas un organe d’appel ni un organe juridictionnel ou administratif, mais qu’il est un organe de surveillance créé par les États parties à la Convention eux-mêmes, doté uniquement de pouvoirs déclaratoires:

a)Le Comité accordera un poids considérable, dans l’exercice de ses compétences … aux constatations de faits des organes de l’État partie intéressé; toutefois,

b)Le Comité contre la torture n’est pas lié par de telles constatations et est, au contraire, habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.».

5.Dans un certain nombre d’affaires, aussi bien quand les organes judiciaires ont formulé des constatations de fait pertinentes sur les allégations en cause que, comme dans le cas présent, quand les organes judiciaires de l’État n’ont pas procédé immédiatement à une enquête complète et, par conséquent, n’ont pas formulé de constatations de fait méritant que le Comité leur accorde «un poids considérable», le Comité a «appréci[é] librement» les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de l’affaire. À cet égard, la décision adoptée au sujet de la communication no257/2004, Keremedchiev c. Bulgarie en est un bon exemple. Dans ce cas, le Comité a rejeté les affirmations de l’État partie, découlant d’une décision de ses tribunaux selon laquelle les fonctionnaires de police de l’État partie avaient fait un usage nécessaire et proportionné de la force pour arrêter l’intéressé et ne lui avaient infligé qu’«une légère lésion corporelle». Au lieu de quoi, le Comité a constaté que les blessures subies par le requérant étaient trop graves pour pouvoir s’expliquer par l’usage proportionné de la force par les fonctionnaires de police, et rejeté la conclusion du tribunal de l’État partie selon laquelle cette lésion était «légère», considérant au contraire qu’elle découlait d’une peine ou d’un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16 de la Convention.

6.L’affirmation du Comité selon laquelle «il n’a pas pour rôle d’apprécier les éléments de preuve» va non seulement à l’encontre de l’Observation générale no1 et de la jurisprudence du Comité en ce qui concerne certaines communications individuelles, mais elle paraît aussi incompatible avec la décision adoptée par le Comité dans le cas présent. Pour décider qu’il y a eu violation de l’article 16 de la Convention, le Comité doit rejeter la version des faits avancée par l’État partie. Or si, comme l’indique le Comité, M. Sonko était incontestablement placé sous la garde de l’État partie au moment où il est décédé, ce seul fait ne devrait pas nous forcer à conclure que l’État partie s’est livré à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Les décès qui surviennent en détention ne sont pas tous des faits constitutifs d’une violation de la Convention; qui plus est, quand bien même les agents d’un État auraient fait preuve de négligence, entraînant la mort d’une personne placée sous leur garde, et devraient être tenus responsables, conformément à la législation nationale, du préjudice causé par leur négligence, cette négligence ne serait pas nécessairement non plus assimilable aux «traitements cruels, inhumains ou dégradants» interdits par la Convention. En l’espèce, il est demandé au Comité de formuler une constatation de fait et de se prononcer sur les contradictions existant entre la version des faits donnée par la requérante et celle donnée par l’État partie en déterminant si les agents de l’État ont laissé M. Sonko en possession de sa bouée lorsqu’ils l’ont rejeté du patrouilleur et, dans l’affirmative, comment M. Sonko a pu se noyer avant de parvenir au rivage si tel a bien été le cas. Le Comité semble être parvenu à la conclusion que la version des faits donnée par l’État n’était pas crédible. Il est effectivement compétent pour ce faire, mais aurait dû l’affirmer clairement.

(Signé) Felice Gaer

Communication no 370/2009: E. L. c. Canada

Présentée par:

E. L. (représenté par un conseil, Carlos Hoyos-Tello)

Au nom de:

E. L.

État partie:

Canada

Date de la requête:

14 janvier 2009 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 21 mai 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 370/2009, présentée par E. L. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant, M. E. L., est né en 1961 en Haïti dont il est ressortissant. Il affirme qu’en le renvoyant vers Haïti, l’État partie violerait l’article 3 de la Convention contre la torture. Le requérant est représenté par Me Carlos Hoyos-Tello.

1.2Le 11 février 2009, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de ne pas procéder à l’expulsion du requérant vers Haïti tant que sa requête serait à l’examen. Le 28 décembre 2009, à la lumière des informations soumises par l’État partie, le Comité a décidé de retirer sa demande de mesures provisoires.

Rappel des faits exposés par le requérant

2.1Le requérant est arrivé au Canada le 21 novembre 1990 et est devenu résident permanent, parrainé par sa première épouse. Le 9 avril 2003, il a été reconnu coupable de voies de fait et a été condamné à une peine de sursis de deux ans. Le 12 juin 2006, il a été reconnu coupable d’une autre infraction en violation de son sursis. Il a été condamné à une amende de 50 dollars canadiens. Le 29 juin 2007, il a été reconnu coupable d’importation de stupéfiants, possession de stupéfiants dans le but de trafiquer et possession de substances et a été condamné à trente et un mois d’emprisonnement. Le 11 décembre 2007, sa résidence permanente a été révoquée par le bureau de la Citoyenneté et Immigration Canada suite à son interdiction de territoire pour grande criminalité.

2.2Le 31 décembre 2007, suite à une mesure d’expulsion, le requérant a revendiqué le statut de réfugié, qui a été jugée irrecevable en raison d’interdiction de territoire pour grande criminalité. Le 21 avril 2008, la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et la demande humanitaire ont été rejetées. Le 27 mai 2008, la déportation a été temporairement suspendue pour permettre à la Cour fédérale d’examiner les contrôles judiciaires visant les décisions négatives de la demande humanitaire et de l’ERAR. Le 5 janvier 2009, les deux demandes ont été rejetées par la Cour fédérale. Celle-ci a considéré que le requérant n’avait soumis aucun élément de preuve pour soutenir son allégation selon laquelle en Haïti, des soins par un cardiologue compétent et les instruments de remplacement de batteries du stimulateur cardiaque («pacemaker») n’étaient pas disponibles. Ces preuves auraient dû, selon la Cour fédérale, être soumises par le requérant lui-même.

2.3Le 16 janvier 2009, le requérant a reçu une lettre de l’Agence des services frontaliers du Canada l’informant qu’il serait déporté le 18 février 2009. Le conseil du requérant a soumis une demande de sursis pour pouvoir apporter la preuve du manque de moyens médicaux en Haïti pour le remplacement de son pacemaker. À l’appui de sa demande, le requérant a allégué que les preuves d’absence d’équipement médical existaient mais qu’elles n’avaient pu être présentées pendant les recours ERAR et de considération humanitaire du fait de l’emprisonnement du requérant et donc du manque de moyens à sa disposition pour réunir ces preuves. Il a transmis une lettre du consulat général de la République d’Haïti à Montréal, datée du 9 mai 2008, qui a confirmé que vu l’état actuel de la technologie médicale en Haïti et tenant compte de la spécificité de la maladie du requérant, celui-ci ne pourrait pas bénéficier, en Haïti, des soins appropriés nécessités par son cas. Le requérant a présenté une autre lettre, celle-ci datée du 22 mai 2008 et signée d’un cardiologue au Canada qui a indiqué que le requérant était porteur d’un pacemaker depuis juin 2000, qu’il s’agit d’un Medtronic KDR 733 Kappa et que l’appareil devrait être changé en juin 2010. Le cardiologue ajoute qu’il n’y a pas de service Medtronic en Haïti.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant fait valoir que sa situation personnelle et sa santé sont un frein à sa déportation, notamment étant donné qu’il est père de deux petits enfants (nés en 2002 et 2005), que sa conjointe a eu des troubles psychologiques liés à sa détention et aux craintes de son renvoi forcé vers Haïti. Le requérant présente également un document confirmant que son «pacemaker» doit être remplacé en 2010 et qu’en Haïti il n’existe pas de services Medtronic.

3.2Il soumet qu’en tant que déporté criminel et ayant vécu de nombreuses années à l’étranger, il court un risque accru d’être enlevé par des groupes criminels qui verraient en lui un rival, possédant des moyens financiers importants en raison de son long séjour au Canada. Il rappelle que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada applique un moratoire sur les renvois en Haïti. Pourtant le moratoire ne s’applique pas aux personnes considérées comme des grands criminels ou des dangers pour la société. Il cite les observations finales du Comité contre la torture concernant le Canada (mai 2005) exprimant sa préoccupation concernant l’exclusion de certaines catégories de personnes considérées comme criminelles de la protection internationale devant les risques de torture et de peines ou traitements cruels et inhumains. Le requérant cite le cas de deux ressortissants haïtiens, l’un qui a été renvoyé du Canada et dont on est sans nouvelles depuis et l’autre qui a également soumis une plainte devant le Comité et pour lequel des mesures intérimaires ont été demandées pour surseoir à son renvoi vers Haïti.

3.3Le requérant joint à sa plainte plusieurs articles de presse témoignant notamment de la détention systématique des Haïtiens refoulés dans des conditions déplorables, sans nourriture, eau et suivi médical ce qui, dans le cas du requérant, pourrait lui être fatal. Ces mêmes documents mentionnent la pratique du Gouvernement haïtien consistant à priver tout refoulé du droit d’obtenir un passeport haïtien dans les huit mois suivant son retour. Le requérant allègue que, comme l’attestent les deux lettres soumises à l’appui de sa demande de sursis, il sera dans l’impossibilité de remplacer son pacemaker en Haïti et d’être suivi médicalement de manière adéquate et ceci d’autant plus qu’il risque d’être démuni de passeport les premiers mois suivant son retour. Tous ces éléments militent pour un risque réel et personnel pour la vie du requérant en cas d’expulsion vers Haïti.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 24 juillet 2009, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond. Il considère que la requête est incompatible avec les dispositions de la Convention puisque les risques allégués ne constituent pas de la torture aux fins de la recevabilité en vertu de l’article 22, paragraphe 2, de la Convention. L’État partie soutient en outre que la requête n’a pas été suffisamment étayée puisqu’elle ne repose que sur de simples supputations et qu’elle ne contient aucun élément de preuve de risque personnel de torture advenant le renvoi du requérant. Subsidiairement, l’État partie considère que la requête devrait être rejetée sur le fond puisqu’il n’existe aucune raison sérieuse de croire que le renvoi du requérant en Haïti l’exposerait personnellement à un risque réel et imminent de torture.

4.2L’État partie note que toutes les allégations avancées par le requérant dans sa plainte devant le Comité ont fait l’objet d’examens approfondis par les autorités canadiennes, qui ont invariablement conclu que ces allégations n’étaient pas fondées. L’État partie rappelle qu’après avoir obtenu son statut de résident permanent, le requérant a été reconnu coupable le 1er mai 2007 d’importation et de possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic, soit 1,9 kilogramme de cocaïne. Il a été condamné à trente et un mois d’emprisonnement le 29 juin 2007. Au vu de cette condamnation, l’Agence des services frontaliers du Canada a émis un rapport d’interdiction de territoire contre le requérant et a déféré son cas à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour enquête. Le 31 décembre 2007, après une audition dans le cadre de laquelle le requérant a eu l’opportunité de présenter la preuve qu’il jugeait pertinente, la Section de l’immigration a déterminé que le requérant était effectivement interdit de territoire pour cause de grande criminalité conformément à l’article 36, paragraphe 1 a) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a pris une mesure de renvoi contre lui. Du fait de cette mesure de renvoi, le requérant a perdu son statut de résident permanent au Canada.

4.3Le requérant a alors revendiqué le statut de réfugié au Canada, ce qui lui a été refusé le 9 janvier 2008 en raison de son interdiction de territoire, conformément à l’article 101, paragraphe 2 a), de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et à l’article 33, paragraphe 2, de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. Ses demandes d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et de dispense de visa et résidence permanente au Canada en raison de considérations humanitaires ont été rejetées le 21 avril 2008. L’agent ERAR a considéré que le requérant n’avait pas apporté suffisamment de preuves d’un risque personnel de torture, de menace à sa vie ou de traitements cruels et inusités. L’agent ERAR a rejeté le risque de détention et ajouté que même s’il devait être détenu, rien n’indiquait qu’un membre de sa famille ne pourrait obtenir sa libération. L’agent a également rejeté l’allégation selon laquelle les services de santé en Haïti ne sont pas équipés pour remplacer les batteries de son stimulateur cardiaque. L’agent a noté que l’accès aux soins était moins difficile à Port-au-Prince d’où le requérant est originaire.

4.4Le 9 mai 2008, le requérant a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le 4 juin 2008, la Cour fédérale du Canada a accordé au requérant un sursis à l’exécution du renvoi tant que ces recours seraient à l’examen. Le 5 janvier 2005, la Cour fédérale du Canada a rejeté les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre des décisions ERAR et de considération humanitaire. Elle a considéré qu’il incombe au requérant d’établir un lien entre sa situation personnelle et les conditions générales dans son pays, ce qu’il n’a pas fait en l’espèce. La Cour a rappelé qu’il ne lui était pas possible dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire de considérer des éléments de preuve nouveaux qui n’avaient pas auparavant été présentés devant l’agent d’immigration. Elle a donc rejeté les arguments selon lesquels les services de santé en Haïti n’étaient pas équipés pour remplacer les batteries du stimulateur cardiaque du requérant.

4.5Le 31 janvier 2009, le requérant a soumis à l’Agence des services frontaliers du Canada une demande de sursis administratif au renvoi alléguant encore une fois que les services de santé en Haïti n’étaient pas adéquats. Il motivait cette demande à l’aide des mêmes éléments de preuve présentés au Comité, à savoir une lettre du Vice-Consul haïtien à Montréal et une lettre d’un cardiologue au Canada. En conséquence, le dossier du requérant a été référé à un médecin agréé de Citoyenneté et Immigration Canada pour une opinion médicale. Le médecin agréé régional attaché à la mission canadienne à Port d’Espagne (Trinité-et-Tobago) a également été consulté. Après vérification, ces spécialistes ont conclu que des services de santé cardiaques étaient disponibles en Haïti et ont identifié un centre hospitalier et une équipe de spécialistes consistant en deux cardiologues et un chirurgien en mesure de vérifier le fonctionnement du stimulateur cardiaque et d’en changer la batterie. Le nom et les coordonnées de l’hôpital ont été communiqués au requérant. Compte tenu de la disponibilité de ces services en Haïti, la demande de sursis administratif a été rejetée.

4.6S’agissant de la recevabilité, l’État partie note d’abord que l’article 3 de la Convention exige des motifs sérieux de croire que le requérant d’une plainte risque d’être soumis à la torture. Selon la jurisprudence du Comité ce risque doit être encouru personnellement et actuellement et il ne doit pas se limiter à de simples supputations ou soupçons. L’État partie rappelle en outre qu’il appartient au requérant d’établir qu’à première vue sa requête est recevable au titre de l’article 22 de la Convention. S’agissant de l’allégation de risque d’être enlevé, torturé et tué par des criminels haïtiens ainsi que les éléments de preuve à l’appui de celle-ci, l’État partie note qu’ils ont déjà fait l’objet d’un examen approfondi par les autorités canadiennes. Aucun élément nouveau n’a été soumis au Comité, notamment à l’appui de l’allégation selon laquelle il est connu en Haïti et serait rapidement identifié par des criminels comme un trafiquant de drogues. Il n’existe d’ailleurs pas d’élément prouvant que les personnes renvoyées en Haïti pour des raisons de criminalité courent un risque particulier d’enlèvement, tel que le prétend le requérant. L’État partie cite un rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti qui constate une baisse du nombre d’enlèvements. En outre, le risque d’enlèvement affecte toute la population. L’État partie conclut que même si le risque était réel, il n’entrerait pas dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention puisque l’enlèvement ne constitue pas de la torture. Outre la question de l’intensité des souffrances infligées, ces actes doivent être commis ou instigués par des agents de l’État. Or, rien n’établit que les autorités haïtiennes soient impliquées dans ces enlèvements. Enfin, les ravisseurs semblent être attirés par l’appât du gain et non par un des motifs visés à l’article premier de la Convention.

4.7S’agissant du risque d’être détenu, l’État partie fait valoir que cette allégation semble se référer à la pratique d’incarcération préventive des déportés criminels au pénitencier national de Port-au-Prince. Cette pratique a été abolie suite à une décision de la Cour haïtienne le 11 septembre 2006. Depuis ce temps, la politique haïtienne consiste en la détention temporaire de ces personnes dans un poste de la Direction centrale de la police judiciaire près de l’aéroport pour une période ne dépassant pas deux semaines. Le but de cette détention préventive est d’établir si l’individu a commis des crimes en Haïti et de permettre à un membre de la famille de se porter garant. L’individu est ensuite mis en liberté conditionnelle pendant huit semaines à six mois. L’État partie note que cette pratique n’est pas uniforme. Ainsi, depuis le mois d’août 2008, 9 personnes sur les 23 déportés du Canada en Haïti pour raison de criminalité ont été détenues. L’État partie cite également les chiffres d’août 2007 à août 2008 qui s’élèvent à 7 personnes sur 15. D’après les informations à la disposition de l’État partie, aucune personne n’a été détenue au pénitencier national et aucune allégation de mauvais traitement de ces individus n’a été rapportée. L’État partie rappelle en outre que, selon la jurisprudence du Comité, une simple arrestation ou détention ne constitue pas en soi de la torture. En l’espèce le requérant n’allègue pas qu’il risque d’être torturé par les autorités haïtiennes ni ne présente d’éléments permettant de croire que les conditions de détention par la Direction centrale de la police judiciaire constituent de la torture.

4.8L’État partie considère que les allégations relatives aux enfants et à l’épouse du requérant sont irrecevables ratione materiae puisqu’elles ne constituent pas de la torture en vertu de la Convention.

4.9S’agissant des allégations relatives au stimulateur cardiaque, elles ont déjà été analysées par les autorités canadiennes dans le cadre de la demande de sursis administratif à l’exécution de la mesure de renvoi. Comme mentionné précédemment (par. 4.5), Citoyenneté et Immigration Canada avait sollicité une opinion médicale, qui a confirmé que les soins médicaux nécessaires à l’entretien du stimulateur cardiaque du requérant étaient disponibles en Haïti et donc, que les allégations du requérant sur ce point n’étaient pas concluantes. L’État partie ajoute que selon la jurisprudence constante du Comité «l’aggravation éventuelle de l’état de santé d’un requérant par suite de son expulsion ne constitue pas une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 16 de la Convention». Or, l’obligation de non-refoulement énoncée à l’article 3 n’englobe pas les cas de mauvais traitements visés par l’article 16. Cette partie de la requête est par conséquent incompatible avec la Convention et insuffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

4.10L’État partie rejette les allégations du requérant sur le fond et note qu’elles ont été analysées par des instances nationales indépendantes et impartiales dans le respect de la loi et de l’équité. En l’absence de preuve d’erreur manifeste, d’abus de procédure, de mauvaise foi, de partialité manifeste ou d’irrégularités graves dans la procédure, le Comité ne devrait pas se substituer aux instances de l’État partie. Le Comité a d’ailleurs reconnu à maintes reprises qu’il ne lui appartient pas de remettre en cause l’appréciation des faits et de la preuve par les instances nationales.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Précédemment à la soumission de ses commentaires, le requérant a fourni des informations complémentaires les 13 et 16 septembre 2009, à l’appui de sa demande de mesures provisoires. Il note qu’il a fait une nouvelle demande de sursis administratif le 4 septembre 2009 qui a été rejetée le même jour; que cette réponse contient des éléments préoccupants puisqu’elle est identique à la lettre de rejet de la première demande de sursis administratif datée du 9 février 2009 à l’exception de la portion de phrase suivante: «le stimulateur cardiaque du sujet peut être remplacé en République dominicaine». Cette indication implique que le stimulateur cardiaque du requérant ne pourrait pas être remplacé en Haïti mais dans un pays qui n’est pas le sien. Il n’y a aucune garantie que le requérant pourra se rendre en République dominicaine, surtout du fait de son passé criminel. Suite au premier refus de la demande de sursis, le requérant a obtenu deux attestations médicales datées des 11 et 12 février 2009 dont l’une écrite par la compagnie Medtronic Canada qui informe le requérant qu’elle n’est pas au fait de l’existence en Haïti d’une clinique ou d’un médecin habilités à fournir un soutien en matière de stimulateur cardiaque Medtronic. Le requérant souligne que ce dont il a besoin n’est pas simplement un suivi médical en Haïti mais que l’équipement Medtronic existe en Haïti. Le requérant mentionne également une lettre datée du 14 septembre 2009 d’un médecin du centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) qui doute également de la disponibilité d’un personnel médical formé pour remplacer un stimulateur cardiaque Medtronic en Haïti.

5.2Le 4 octobre 2009, le requérant a soumis ses commentaires aux observations de l’État partie. Il rappelle que, dans ses observations finales, le Comité avait exprimé sa préoccupation s’agissant de l’exclusion expresse de certaines catégories de personnes constituant un danger sous l’angle de la sécurité ou de la criminalité du bénéfice du principe du non-refoulement établi par la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de 2002 (art. 115, par. 2). Le Comité avait alors recommandé que l’État partie supprime de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de 2002 ces motifs d’exclusion pour que les personnes actuellement exclues puissent bénéficier du droit à la qualité de personnes à protéger et du principe du non-refoulement en raison de l’existence d’un risque de torture. Le requérant prétend ainsi qu’il ne peut être expulsé en Haïti sous prétexte qu’il a commis des crimes sur le sol canadien. Or d’autres cas individuels montrent que des personnes qui encouraient un risque de torture mais avaient un passé criminel ont été déportées et aucune nouvelle de leur sort n’est connue à ce jour.

5.3Contrairement aux affirmations de l’État partie, le parcours de détention des personnes refoulées n’est pas uniforme. L’abolition de la pratique d’incarcération préventive des déportés criminels au pénitencier national de Port-au-Prince est trop récente pour en déduire qu’elle n’entraîne pas un risque de détention arbitraire. Certains articles de presse soumis par le requérant démontrent que la détention arbitraire en stations de police existe et que les conditions de détention sont inhumaines, sans accès adéquat à l’eau, la nourriture et des services de santé. Dans le cas du requérant, une telle défaillance pourrait lui être fatale. Même les prisons de droit commun présentent des défaillances dans les soins médicaux disponibles, entraînant un risque certain pour la vie du requérant. À ce titre, le requérant s’appuie sur des articles de l’organisation non gouvernementale (ONG) «Alternative Chance», qui constate les conditions de détention précaires en Haïti. Le requérant considère que le risque d’atteinte à sa vie existe d’ailleurs également hors de la prison puisqu’il n’existe pas d’infrastructures médicales appropriées pour le remplacement de son stimulateur cardiaque en Haïti.

5.4Le requérant mentionne également le cas individuel d’une personne risquant d’être refoulée en Haïti et qui possédait également un passé criminel au Canada. Le requérant considère que dans ce cas, le juge de la Cour fédérale a donné plus de poids aux documents de l’ONG «Alternative Chance» qu’aux affirmations d’un agent de l’État qui considérait ne pas avoir constaté la détention ni la torture des déportés vers Haïti. En l’espèce, le Comité devrait également donner plus de poids aux analyses d’une organisation sérieuse telle que «Alternative Chance» qu’à l’affirmation présentée dans un article de presse selon laquelle la nouvelle politique de détention qui a suivi la décision de la Cour haïtienne du 11 septembre 2006 a supprimé les risques de détention arbitraire en Haïti. Le requérant réitère donc l’argument selon lequel il est trop tôt pour déterminer si les mesures prises par les autorités haïtiennes en la matière ont été efficaces.

5.5S’agissant des statistiques présentées par l’État partie sur le nombre de personnes refoulées qui ont été détenues, le requérant considère que quand bien même une seule personne était détenue, le risque demeurerait réel. Le requérant se joint à la position de l’État partie selon laquelle une simple arrestation ou détention ne constitue pas la torture. Cependant, le fait d’être détenu dans des conditions dégradantes et inhumaines sans accès aux soins médicaux adéquats, sans accès au dossier médical et sans possibilité d’un procès judiciaire équitable constitue en soi de la torture et des peines ou traitements cruels et inusités.

5.6Le requérant se réfère également à un document publié sur le site Internet de l’ONG «Alternative Chance» qui décrit la jurisprudence américaine s’agissant du non-refoulement des criminels haïtiens. Dans une des affaires, une cour américaine a considéré qu’une personne handicapée mentale porteuse du VIH courrait un risque d’être discriminée et sujette à des traitements équivalents à la torture en cas d’expulsion. Le requérant en conclut que même si la population générale des déportés n’encoure pas un risque de torture en cas de retour en Haïti, les personnes qui sont malades, comme lui, courent ce risque à cause de la négligence volontaire des autorités haïtiennes qui implique une violation des droits de l’homme. Le requérant considère donc que contrairement aux affirmations de l’État partie, il a démontré qu’il courrait un risque réel et personnel d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers son pays d’origine.

5.7S’agissant des allégations se rapportant au stimulateur cardiaque, le requérant reproche à l’État partie d’avoir fait une analyse superficielle et partielle de la situation. L’illustration d’une telle superficialité réside dans la réponse à la demande de sursis administrative datée du 4 septembre 2009, qui était en tout point identique à la lettre de rejet de la première demande de sursis administratif datée du 9 février 2009 à l’exception de la portion de phrase suivante: «le stimulateur cardiaque du sujet peut être remplacé en République dominicaine». Le requérant s’étonne qu’il puisse être renvoyé dans un pays et ensuite être autorisé à se rendre dans un pays tiers pour y recevoir le traitement nécessité par sa situation cardiaque. Selon lui, une telle possibilité ne lui est pas ouverte du fait de son passé criminel. Même s’il parvenait à se rendre en République dominicaine après son retour en Haïti, la déportation du Canada contreviendrait à ses obligations internationales qui l’empêchent de déporter une personne en comptant sur l’éventualité qu’il puisse ensuite se rendre dans un pays tiers. S’agissant de la disponibilité en Haïti du service médical adéquat, le requérant renvoie à son analyse telle que présentée dans ses lettres du 13 et 16 septembre 2012 (voir par. 5.1). Le requérant en conclut que l’analyse du risque par les autorités canadiennes a manqué d’impartialité et qu’il y a eu erreur manifeste.

Observations additionnelles des parties

6.1Le 17 décembre 2009, l’État partie rétorque que rien n’indique dans ses commentaires que le requérant a pris la peine de contacter le centre hospitalier du Sacré‑Cœur, dont les coordonnées avaient été transmises par l’État partie après que celui-ci avait vérifié que ses spécialistes étaient en mesure de vérifier le fonctionnement du stimulateur cardiaque du requérant et d’en changer la batterie. Suite aux commentaires du requérant, l’État partie a recontacté le centre hospitalier, qui a encore une fois confirmé que la batterie Medtronic du stimulateur cardiaque du requérant pourrait être remplacée par une batterie Biotronik et que les spécialistes du centre étaient à même d’effectuer une telle opération. Si nécessaire, le centre pourrait équiper également le requérant d’un nouveau stimulateur cardiaque équivalent au KDR 733 Kappa, soit l’Axios de Biotronik. Les allégations du requérant sont donc infondées.

6.2Contrairement aux affirmations du requérant, le sort d’un des déportés haïtiens auxquels le requérant avait fait référence dans ses commentaires est connu des autorités haïtiennes et canadiennes puisqu’après avoir été détenu il a été libéré tel que constaté par des membres du Service de police de la ville de Montréal en détachement à Haïti. L’État partie note en outre qu’un affidavit du Premier Secrétaire (immigration) et Agent d’intégrité des mouvements migratoires auprès de la mission canadienne à Port-au-Prince décrit la pratique actuelle des autorités haïtiennes en ce qui concerne les ressortissants haïtiens renvoyés du Canada pour cause de criminalité et ce depuis 2007. Cette information détaillée contredit de façon concluante la prétention du requérant selon laquelle les soumissions canadiennes sont basées sur une pratique des autorités haïtiennes qui est trop récente pour être convenablement évaluée. L’affidavit confirme que les personnes renvoyées ne sont généralement pas détenues et, si elles le sont, la durée de la détention moyenne est de cinq jours. L’affidavit poursuit qu’il n’y a aucune raison de croire que ces personnes sont maltraitées lors de leur détention ou qu’elles sont détenues de manière inhumaine. L’État partie maintient donc que les allégations du requérant sont irrecevables et que, subsidiairement, elles ne sont pas constitutives d’une violation de l’article 3 de la Convention.

6.3Le 27 février 2010, le requérant soumet que, suite au tremblement de terre à Haïti, 29 hôpitaux et autres établissements sanitaires ont été partiellement endommagés ou détruits; qu’il a essayé de contacter le centre hospitalier du Sacré-Cœur à Port-au-Prince sans succès, ce qui laisse présager une destruction à tout le moins partielle de l’établissement. Le tremblement de terre a également provoqué une crise majeure du système judiciaire puisqu’un grand nombre de détenus se sont échappés de prison. En outre, le requérant réitère les arguments précédemment soumis.

6.4Le 9 mars 2010, le requérant soumet la copie d’une lettre d’un médecin de l’hôpital Hôtel-Dieu du centre hospitalier du l’Université de Montréal qui considère que l’unique façon de pouvoir interroger un pacemaker Medtronic sans un interrogateur Medtronic est de changer le pacemaker en place pour un nouveau pacemaker de marque Biotronik. Or, vu les risques accompagnant toute procédure médicale, il est prohibitif de changer un pacemaker dont la durée de vie est de plus de huit ans dans l’unique but d’assurer un suivi. Il est donc suggéré que le patient soit absolument suivi dans un endroit où des pacemakers Medtronic peuvent être interrogés.

6.5Le 16 mars 2011, en réponse aux dernières allégations du requérant, l’État partie soumet l’opinion médicale d’un médecin agréé avec le Haut-Commissariat du Canada à Trinité-et-Tobago qui a communiqué à plusieurs reprises avec le centre hospitalier du Sacré‑Cœur au sujet du requérant. Dans sa lettre le médecin confirme que le centre hospitalier demeure en mesure d’assurer le suivi de tous les stimulateurs cardiaques Medtronic nonobstant le séisme du 12 janvier 2010. Le médecin ajoute que même si le centre n’avait pas sur place l’équipement nécessaire pour faire le suivi d’un modèle particulier de stimulateur cardiaque Medtronic, le centre serait néanmoins en mesure de faire le suivi par télémétrie, c’est-à-dire à distance à l’aide d’un téléphone portable ordinaire qui permet de connecter tout stimulateur cardiaque Medtronic à l’équipement diagnostique approprié situé à un autre endroit.

6.6L’État partie ajoute que la demande de contrôle judiciaire contre le deuxième rejet de sursis administratif a été rejetée le 29 avril 2010, et que par conséquent tous les recours internes ont été épuisés. Suite au retrait de la demande de mesures provisoires par le Comité le 28 décembre 2009, l’État partie pourrait expulser le requérant vers Haïti. Cependant, un sursis administratif aux renvois en Haïti a été adopté par l’État partie suite au séisme du 12 janvier 2010. Cette mesure est motivée par des considérations humanitaires et s’applique à toute personne visée par une mesure de renvoi. Par conséquent, le renvoi du requérant a été suspendu. L’État partie réitère donc ses soumissions antérieures relatives à l’irrecevabilité et subsidiairement au manque de fondement des allégations du requérant.

6.7Le 1er juillet 2011, le requérant soumet une nouvelle lettre du médecin du CHUM qui remet en cause la simplicité du suivi par télémétrie. Cet aspect technique est selon le requérant important au vu de la situation en Haïti après le séisme. Les 6 et 18 août 2011, le requérant a informé le Comité de sa déportation fixée pour le 22 août 2011.

6.8Le 10 octobre 2011, le requérant relève que suite à son arrivée à Haïti il a été détenu puis libéré grâce à l’intervention d’un inspecteur de police qui le connaissait. Le 23 août 2011, il s’est rendu au centre hospitalier du Sacré-Cœur et a reçu la confirmation que, contrairement aux affirmations de l’État partie, les appareils de marque Biotronik ne pouvaient interroger les stimulateurs cardiaques de marque Medtronic. Le requérant a demandé une attestation du personnel médical confirmant qu’il n’était pas en mesure d’assurer son suivi, mais celui-ci a refusé. Le requérant note que son prochain rendez-vous médical est fixé au 24 novembre 2011 et que si aucune solution n’est trouvée il devrait être dans la possibilité de revenir au Canada pour être soigné.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit s’assurer qu’elle est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a du paragraphe 5 de l’article 22, que la même question n’a pas été examinée, ni n’est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité relève en outre que les recours internes ont été épuisés au titre de l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22, ce que l’État partie n’a pas contesté.

7.3S’agissant des allégations d’incompatibilité avec l’article premier et du mal-fondé des allégations du requérant avancées par l’État partie, le Comité note que l’allégation du requérant se fonde sur le risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article premier de la Convention sur la base d’une multitude de facteurs tels que le risque d’être la cible de groupes criminels, le risque d’un traitement contraire à l’article premier en détention, de son état de santé ainsi que de la situation générale en Haïti. Le Comité considère que ces allégations sont intimement liées au fond. Le Comité déclare donc la requête recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité doit déterminer si, en expulsant le requérant vers Haïti, l’État partie a manqué à l’obligation qui lui était faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

8.3Sans préjuger des conclusions auxquelles il pourrait aboutir en l’espèce, le Comité note l’information donnée par le requérant selon laquelle un moratoire sur le renvoi de ressortissants de Haïti dans leur pays avait été établi par l’État partie mais qu’il excluait les personnes telles que le requérant qui ont un passé criminel. L’État partie n’a pas contesté cette information. Le Comité rappelle que dans l’esprit de l’article 3 de la Convention, un moratoire sur le renvoi de personnes vers des pays en crise doit s’appliquer à tous sans aucune distinction.

8.4Concernant les allégations du requérant au titre de l’article 3, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État de renvoi d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en Haïti. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure à l’existence d’un risque d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. Dans l’examen du risque, le Comité accordera un poids considérable, en application de l’article 3 de la Convention, aux constatations de faits des organes de l’État partie intéressé; toutefois le Comité n’est pas lié par de telles constatations et est, au contraire, habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

8.5Le Comité rappelle son Observation générale no 1 concernant l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, dans laquelle il considère qu’il n’est pas nécessaire de montrer que le risque encouru est hautement probable, mais ce risque doit être encouru personnellement et actuellement. À cet égard, le Comité a établi dans des décisions antérieures que le risque de torture devait être «prévisible, réel et personnel». En ce qui concerne le fardeau de la preuve, le Comité rappelle qu’il incombe généralement au requérant de présenter des arguments défendables et que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

8.6Le Comité constate que le requérant n’a pas apporté la preuve d’un risque réel, personnel et prévisible de torture suite à son renvoi en Haïti. En effet, le requérant a avancé une série d’allégations en faveur d’un risque de torture sans les corroborer d’éléments de preuve convaincants s’agissant aussi bien des allégations d’enlèvement que du risque de torture ou d’atteinte au droit à la vie en détention. En outre, toutes les allégations présentées par le requérant ont fait l’objet d’un examen des autorités de l’État partie lors de la procédure d’asile ainsi que devant le Comité. S’agissant de la santé du requérant, l’État partie a fait des recherches sur la disponibilité d’un traitement adéquat pour le requérant en Haïti. La situation ne relève pas du champ d’application de l’article premier et, s’agissant du risque lié à son état de santé, elle ne saurait, à elle seule, relever du champ d’application de l’article 16 de la Convention. Le Comité constate d’ailleurs que depuis son retour en Haïti le 22 août 2011, le requérant a été brièvement détenu sans soumettre d’allégations de torture ou de mauvais traitements au Comité.

8.7Le Comité rappelle à ce titre qu’en conformité avec son Observation générale sur l’application de l’article 3 de la Convention ainsi que sa jurisprudence, lors de l’évaluation du risque de torture en cas de renvoi dans un pays tiers, il n’est pas nécessaire pour l’État partie de montrer que le risque couru soit «hautement probable»; le risque doit être encouru personnellement et actuellement. À ce propos, le Comité a conclu dans des décisions précédentes que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel. Il note aussi qu’il accordera un poids considérable, dans l’exercice de ses compétences en application de l’article 3 de la Convention, aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé. Il convient donc de déterminer si au moment de l’évaluation du risque encouru par le requérant, l’État partie a procédé à une évaluation complète des allégations du requérant et pris en compte tous les éléments lui permettant d’évaluer le risque encouru. Le Comité considère qu’en l’espèce l’État partie a mené cette évaluation conformément à ces principes.

8.8Le Comité estime que les informations présentées au Comité ne démontrent pas que le requérant courait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture à la suite de son retour dans son pays d’origine.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, en conclut que l’expulsion du requérant vers Haïti ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication no 374/2009: S. M. et consorts c. Suède

Présentée par:

S. M., H. M. et A. M. (représentés par un conseil, Sanna Vestin)

Au nom de:

S. M., H. M. et A. M.

État partie:

Suède

Date de la requête:

11 novembre 2008 (la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 21 novembre 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 374/2009, présentée par S. M., H. M. et A. M. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.Les auteurs de la communication, datée du 11 novembre 2008 et du 9 février 2009, sont S. M. (né en 1950) et H. M. (née en 1955). La communication est également présentée au nom de leur fille, A. M. (née en 1992). Les requérants affirment que leur expulsion vers l’Azerbaïdjan constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention. Ils sont représentés par un conseil, Sanna Vestin.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1Les requérants sont originaires de l’enclave du Haut-Karabakh. Déplacés depuis 1988, ils vivaient près de Bakou. S. M. est arménien chrétien par sa mère; tant son apparence que son accent sont typiquement arméniens. À cause de cela, toute la famille a subi des persécutions à caractère ethnique en Azerbaïdjan. S. M. affirme que l’une de ses sœurs s’est suicidée après avoir été violée devant lui. C’est pourquoi, pour réduire les risques de persécution, il a décidé de laisser sa femme et sa fille en Azerbaïdjan et de chercher du travail à l’étranger, à Moscou; il ne leur rendait visite que de temps à autre. Malgré cela, les persécutions n’ont pas cessé. Sa femme a été frappée par des voisins et a eu la jambe cassée; leur fille aussi a été blessée.

2.2En 2002, la famille a demandé l’asile en Suède, mais elle a été déboutée et, le 19 août 2004, expulsée vers l’Azerbaïdjan. À l’arrivée, S. M. et H. M. ont présenté leurs documents d’identité à la police azerbaïdjanaise. Mais avant de remettre les requérants aux autorités locales, les policiers suédois avaient rendu à la femme de S. M. deux documents indiquant que son mari était d’origine arménienne, qu’elle avait placés dans ses bagages. Lors de la fouille de leurs bagages, les documents en question ont été découverts et les agents ont considéré qu’il y avait eu tentative de dissimulation d’informations importantes. Les membres de la famille ont subi un lourd interrogatoire accompagné de violences de la part d’agents du Service de la sécurité nationale. Ils ont été détenus à l’aéroport pendant quatre jours sans être correctement nourris ni hébergés. S. M. a eu des dents cassées et le bras tordu, et a été frappé à coups de pied et de poing. H. M. a été interrogée, tabassée et agressée sexuellement. La famille a ensuite passé dix jours dans un hôpital près de Bakou. Il a été constaté que S. M. avait des problèmes cardiaques et présentait des signes d’artériosclérose; H. M. portait des traces de coups et blessures, notamment une lésion au crâne. Leur fille avait été témoin de certaines des violences infligées à sa mère et elle souffre depuis de stress post-traumatique. Après leur remise en liberté, le Service de la sécurité nationale les a appelés à plusieurs reprises pour les interroger encore. Leur fille n’a pas pu s’inscrire à l’école. Les requérants se sont adressés à diverses institutions et organisations, dont l’ambassade des États-Unis d’Amérique, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et une organisation de femmes, en vue de quitter le pays car ils craignaient pour leur vie.

2.3En décembre 2004, les requérants sont retournés en Suède où ils ont demandé l’asile le 13 décembre 2004. Ils ont fourni à l’appui de leur demande plusieurs documents, notamment des certificats médicaux, un document attestant que la mère de S. M. est arménienne et une lettre émanant d’une organisation de femmes en Azerbaïdjan. Le Conseil des migrations n’a pas demandé d’examen médical. Au lieu de cela, les requérants ont été dirigés par la section suédoise d’Amnesty International vers le Centre de prise en charge des victimes de crises et de traumatismes de l’hôpital de Danderyd, à Stockholm. D’après les conclusions de l’examen psychiatrique, S. M. avait fait état de persécutions pouvant être assimilées à de la torture et on pouvait tenir pour certain qu’il avait véritablement été interrogé sous la torture de la manière qu’il avait décrite. Il ressortait également de l’examen médico-légal que rien ne contredisait ses allégations de mauvais traitements. Pour ce qui est de H. M., l’expertise psychiatrique a abouti à la conclusion qu’elle avait des pensées suicidaires, qu’elle présentait les critères d’un syndrome de stress post-traumatique et qu’elle avait incontestablement vécu les faits qu’elle avait décrits. Les résultats de l’examen médico-légal pouvaient confirmer qu’elle avait été soumise à la torture.

2.4En 2005, alors qu’elle regardait les actualités concernant l’Azerbaïdjan, H. M. aurait reconnu le fonctionnaire du Service de la sécurité nationale qui l’avait agressée, lequel occupe à présent un poste de haut rang au département du contrôle des frontières. Elle avait alors décidé de parler de l’agression sexuelle qu’elle avait subie de la part de cet agent et une requête supplémentaire à ce sujet avait été adressée au Conseil des migrations.

2.5Le 17 mars 2006, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile des requérants. Sans mettre en question le fait qu’ils avaient été agressés et harcelés, le Conseil a indiqué que les incidents en question n’avaient pas nécessairement eu lieu après l’exécution de la mesure d’expulsion en 2004. Il a conclu que les auteurs de ces actes n’avaient pas agi pour le compte des autorités et qu’il serait possible pour les requérants de vivre en Azerbaïdjan.

2.6Les requérants ont fait appel de la décision du Conseil des migrations devant le Tribunal des migrations. L’audience a eu lieu le 7 mai 2007. Plusieurs documents ont été communiqués par la suite au Tribunal, dont une lettre du bureau du HCR à Stockholm indiquant que les directives du HCR de 2003 concernant l’Azerbaïdjan restaient valables et qu’un Arménien renvoyé dans ce pays risquerait de subir des pressions de la part des services de sécurité. Le Conseil des migrations était opposé à l’appel au motif que les directives du HCR s’appliquaient aux Arméniens et aux familles mixtes alors que la famille de S. M. n’appartenait ni à l’une ni à l’autre catégorie. Un autre document, émanant du bureau du HCR à Bakou, avait été communiqué pour la première fois aux autorités de l’immigration.

2.7Le 7 septembre 2007, le Tribunal des migrations a débouté les requérants, considérant que les certificats médicaux ne contenaient pas des conclusions suffisamment catégoriques quant aux mauvais traitements allégués et que les voies de fait dénoncées avaient été commises par des individus isolés, non par des agents de l’État. Le Tribunal des migrations a également contesté l’origine ethnique mixte de la famille, faisant valoir que les certificats de naissance des enfants montraient que les deux parents étaient enregistrés comme Azéris de souche en Azerbaïdjan. Le Tribunal a noté en outre que de 1976 à 1996, S. M. avait travaillé à l’aéroport de Bakou et qu’en 2000, il avait acquis un permis de conduire, deux éléments indiquant que les origines arméniennes de sa mère ne lui posaient aucun problème avec les autorités. De plus, la famille avait pris des contacts avec trois écoles différentes ainsi qu’avec le Ministère de l’éducation pour faire inscrire leur fille dans un établissement, ce qui attestait l’absence de persécution de la part des autorités. Le Tribunal a déclaré que les avis formulés par le HCR et Amnesty International ne prouvaient pas que des persécutions cautionnées par l’État étaient commises en Azerbaïdjan ou que la famille de S. M. avait été persécutée; il a par ailleurs relevé un certain nombre d’incohérences dans les témoignages des requérants. Ces derniers font toutefois observer que le Tribunal des migrations n’a pas rendu sa décision à l’unanimité, un juge ayant exprimé une opinion dissidente en leur faveur.

2.8Les requérants ont saisi la Cour d’appel des migrations, faisant valoir que le Tribunal des migrations n’avait pas dûment tenu compte des rapport médicaux établis par des experts en matière de torture et n’avait pas pris en considération les informations concernant le pays émanant des experts du HCR et d’Amnesty International. Le 3 janvier 2008, l’autorisation de faire appel a été refusée par la Cour d’appel des migrations. L’expulsion a été programmée pour le 12 juin 2008. Depuis cette date, S. M. et H. M. vivent dans la clandestinité. Leur fille a été placée dans une famille et va à l’école en Suède.

2.9Les requérants affirment en outre que leur cas a reçu un large écho dans les médias en Suède. Plusieurs articles ont été publiés. En octobre 2007, les camarades de classe de leur fille ont organisé une manifestation pour protester contre la mesure d’expulsion. En mai 2008, l’évêque a adressé une lettre ouverte au Directeur général du Conseil des migrations. C’est principalement après la décision du Tribunal des migrations et dans les semaines qui ont précédé la date fixée pour leur expulsion que leur famille a fait l’objet de cette publicité. Les requérants affirment que cette situation est susceptible d’aggraver le risque qu’ils soient soupçonnés par les autorités azerbaïdjanaises d’être des ennemis du régime. Enfin, en 2008, lorsqu’un de leurs fils s’est rendu en Azerbaïdjan pour obtenir un document, il a été interrogé à l’aéroport, sans subir de mauvais traitements, au sujet de son lieu de résidence en Suède et du but de son séjour, et au sujet de ses parents, dont on lui a dit que la police «les attendait».

2.10À une date non précisée, le conseil des requérants a sollicité le réexamen de leur cas auprès du Conseil des migrations, affirmant que de nouvelles circonstances faisaient obstacle à l’exécution de l’arrêté d’expulsion, à savoir la large publicité donnée à leur cas en Suède et le fait que les autorités azerbaïdjanaises s’intéressaient à la famille, comme cela avait été constaté lors du séjour de leur fils en Azerbaïdjan. Les liens sociaux qu’A. M. avait tissés en Suède pendant sept ans, et de nouveaux rapports psychiatriques confirmant que l’état de santé mentale des requérants ne s’était pas amélioré, ont été invoqués comme des obstacles supplémentaires à l’exécution de la mesure d’expulsion. Le 3 juillet 2008, le Conseil des migrations a rejeté leur demande de réexamen au motif que les circonstances invoquées ne représentaient qu’une modification d’arguments qu’ils avaient déjà avancés précédemment dans leurs demandes d’asile. Le 27 août 2008, le Tribunal des migrations a confirmé cette décision.

Teneur de la plainte

3.1Les requérants affirment que leur expulsion vers l’Azerbaïdjan constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention. Ils mettent en particulier l’accent sur les actes de torture et les mauvais traitements dont ils ont été victimes à leur retour en Azerbaïdjan après leur première expulsion en 2004, ainsi que sur les persécutions qu’ils ont subies du fait de leur origine ethnique avant de quitter le pays en 2002.

3.2Les requérants affirment en outre que les autorités suédoises se sont focalisées sur des incohérences mineures au lieu d’examiner comme il convenait leurs allégations de persécution fondée sur leurs origines mixtes. Même s’ils ont surestimé le temps qu’ils ont passé en détention à l’aéroport, s’ils ont oublié les dates des convocations au KBG ou s’ils ont été incapables d’expliquer comment des passeurs avaient pu leur fournir des passeports, ces éléments n’enlèvent rien à la réalité de l’expérience traumatisante qu’ils ont vécue ou des blessures qu’ils ont subies. Leur récit des faits est corroboré par des rapports médicaux et ils ont de bonnes raisons de craindre d’être à nouveau soumis à la torture et à des traitements humiliants lors d’un deuxième retour.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 11 décembre 2009, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. Il indique que S. M., H. M. et leur fille A. M. sont arrivés pour la première fois en Suède le 29 mars 2002 et y ont demandé l’asile le 2 avril 2002. Ils avaient déclaré être originaires de la province du Haut-Karabakh en Azerbaïdjan, qu’ils avaient quittée en 1998, et avoir vécu depuis lors comme des personnes déplacées à la suite des persécutions qu’ils avaient dû endurer du fait que S. M. avait l’apparence physique et l’accent d’un Arménien. S. M. avait été frappé, avait subi des traitements dégradants et avait dû quitter son emploi à cause de ses origines ethniques mixtes. H. M. avait été violée à plusieurs reprises et frappée une fois, également à cause des origines mixtes de la famille. À la suite d’un différend dans un magasin de proximité, elle avait été placée en détention pendant trois jours. Les requérants invoquaient des raisons humanitaires justifiant l’octroi d’un permis de séjour à leur fille. Ils déclaraient aussi ne pas avoir d’activités politiques.

4.2La première demande d’asile avait été rejetée par le Conseil des migrations au motif que les Arméniens ne faisaient pas l’objet de discrimination ni de persécutions cautionnées par l’État en Azerbaïdjan et que la situation générale des membres de ce groupe ethnique ne pouvait à elle seule constituer un motif d’octroi de l’asile. Pour le Conseil, il n’avait pas été démontré que les requérants seraient victimes de persécution s’ils retournaient dans leur pays d’origine. Les problèmes de santé qu’ils invoquaient ne présentaient pas un caractère de gravité de nature à justifier un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion les concernant. Les requérants ont saisi la Commission de recours des étrangers, qui a confirmé la décision du Conseil des migrations en mars 2004. La décision de non-admission sur le territoire a pris effet le 19 août 2004. Les requérants ont ultérieurement déposé une nouvelle demande de permis de séjour, que la Commission de recours des étrangers a rejetée au motif que la décision d’expulsion avait déjà été exécutée.

4.3Les requérants sont retournés en Suède le 10 décembre 2004 et ont déposé une deuxième demande d’asile le 14 décembre 2004. À la demande de H. M., les autorités suédoises ont traité son cas séparément. Cependant, les dossiers fournis par les requérants étaient pratiquement identiques ou du moins très similaires. L’entretien de demande d’asile a eu lieu le 20 janvier 2005. Les requérants ont déclaré qu’à leur arrivée à Bakou en 2004, les policiers suédois les avaient remis aux autorités azerbaïdjanaises et étaient partis. Ils avaient été interrogés et on leur avait demandé de présenter des documents contenant des informations au sujet de leur origine ethnique. Après avoir été interrogé sur la raison pour laquelle la famille était arrivée par un vol charter et sur le but de son séjour en Suède, S. M. a été passé à tabac. On lui a également tenu des propos désobligeants. H. M. et A. M. ont également été interrogées. Les requérants ont été contraints de signer un document indiquant qu’ils résideraient à une certaine adresse, où la police les a conduits, après quatre ou cinq jours d’interrogatoire à l’aéroport. Le lendemain, ils ont été convoqués au Service de la sécurité à Bakou, où ils ont été interrogés et brutalisés. Ils ont dû se présenter au Service de sécurité cinq ou six fois avant que S. M. finisse par être hospitalisé. Après son séjour à l’hôpital, la famille est entrée dans la clandestinité et n’a plus eu aucun contact avec les autorités depuis. Les origines mixtes de S. M. font d’eux une cible pour les autorités de leur pays d’origine. Ils sont entrés en contact avec le HCR et l’ambassade des États-Unis, qui n’ont pu leur venir en aide. Pour ce qui est de leur état de santé, S. M. a déclaré qu’il souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique et de plusieurs lésions corporelles résultant des traitements subis à son retour en Azerbaïdjan. H. M. a déclaré qu’elle avait été hospitalisée à Bakou pendant dix jours pour des maux de dos dus aux coups qu’elle avait reçus pendant son interrogatoire.

4.4À l’appui de leur deuxième demande, les requérants ont fourni une multitude de documents, dont plusieurs rapports médicaux. D’après ces rapports, S. M. a d’importants problèmes de santé mentale. Le médecin a conclu qu’à elle seule, l’expertise psychiatrique permettait de tenir pour établi qu’il avait été interrogé sous la torture de la manière qu’il avait décrite. Les petites cicatrices qu’il portait pouvaient être apparues aux dates et de la manière qu’il avait indiquées. Rien ne permettait de dire que le très mauvais état de sa dentition ne résultait pas des mauvais traitements physiques qu’il avait subis. L’expert a noté en outre que les cicatrices qu’il portait ne présentaient pas de caractéristiques particulières et que, de ce fait, l’expertise ne pouvait être considérée comme entièrement concluante; il a toutefois estimé qu’elle pouvait confirmer que S. M. avait été torturé de la manière qu’il avait décrite.

4.5Le 17 mars 2006, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile déposée par les requérants. Il n’a pas mis en question le fait qu’ils avaient fait l’objet de sévices et de harcèlement, même si cela ne signifiait pas que ces incidents avaient eu lieu après leur renvoi en Azerbaïdjan en 2004. Le Conseil a conclu que les auteurs de ces actes devaient être considérés comme des criminels plutôt que des représentants des autorités du pays et qu’il ne s’agissait donc pas d’une affaire de persécution cautionnée par l’État. Après une évaluation globale de toutes les circonstances, le Conseil a estimé, sur la base des informations disponibles, qu’il devait être possible pour les requérants de vivre en Azerbaïdjan. Par conséquent, ils n’étaient pas des réfugiés ou des personnes ayant besoin d’un autre type de protection. Le Conseil a déclaré que, d’après les renseignements dont il disposait, le Gouvernement azerbaïdjanais fournissait des médicaments gratuitement aux personnes atteintes de troubles mentaux et que la plupart des maladies pouvaient être traitées en Azerbaïdjan. Il a estimé que S. M. et A. M. ne pouvaient être considérés comme souffrant de maladies qui mettaient leur vie en danger ou d’un état de santé justifiant l’octroi d’un permis de séjour. La deuxième demande déposée par H. M. a été rejetée essentiellement pour les mêmes motifs.

4.6Les requérants ont fait appel devant le Tribunal des migrations. Ils ont fait valoir qu’ils avaient présenté un récit crédible et cohérent des tortures qu’ils avaient subies et que la simple crainte d’être forcés à retourner en Azerbaïdjan pouvait leur causer un préjudice irréparable. Ils ont également affirmé que A. M. présentait des symptômes très marqués de souffrance psychique et qu’elle s’était rendue plusieurs fois à la clinique psychiatrique pour enfants et adolescents. H. M. a déclaré que les rapports médicaux corroboraient ses allégations de sévices graves subis à son retour dans son pays d’origine.

4.7Les requérants ont joint une communication écrite d’un représentant du HCR indiquant que les Arméniens et les personnes d’origine ethnique mixte qui retournaient en Azerbaïdjan après avoir demandé l’asile à l’étranger couraient un risque élevé. La communication indiquait également qu’il était peu probable que l’Azerbaïdjan accepte de les accueillir de nouveau et que, si tel était le cas, ils risquaient fort de subir des pressions de la part des services de sécurité ou d’être traités sans aucune compassion par la majorité du reste de la population. Elle rappelait aussi que la majorité des Arméniens vivant en Azerbaïdjan dissimulaient leur identité. Les requérants ont également joint une communication écrite par un représentant d’Amnesty International Suède, déclarant notamment qu’ils devaient être considérés comme un couple mixte. H. M. a fourni en outre un document émanant d’une organisation œuvrant au renforcement des droits des femmes en Azerbaïdjan.

4.8Le Conseil des migrations s’est dit opposé à ce qu’il soit fait droit à l’appel, arguant que les requérants n’avaient pas démontré de manière convaincante qu’ils devaient être considérés comme des réfugiés ou comme des personnes ayant besoin d’une protection pour d’autres raisons, et qu’ils ne pouvaient prétendre au permis de séjour pour aucun autre motif. Leurs récits respectifs ne pouvaient servir de base à l’évaluation du risque de persécution ou d’autres traitements inhumains ou dégradants car ils présentaient plusieurs incohérences qui entamaient, de manière générale, la crédibilité de leurs affirmations. Pour ce qui était des problèmes de santé invoqués, rien n’indiquait que les requérants ne pourraient pas recevoir des soins médicaux appropriés en Azerbaïdjan.

4.9Le 7 septembre 2007, le Tribunal des migrations a rejeté l’appel formé par les requérants, déclarant que les rapports médicaux et autres pièces écrites fournis n’étayaient pas les allégations des requérants quant aux circonstances dans lesquelles ils auraient subi des mauvais traitements. Les documents en question contenaient des informations contradictoires. De plus, ceux qui émanaient du HCR et d’Amnesty International ne prouvaient pas que des persécutions cautionnées par l’État étaient commises en Azerbaïdjan à l’encontre des personnes d’origine arménienne. En conséquence, le Tribunal a conclu que les requérants n’avaient pas démontré qu’ils risquaient d’être torturés à leur retour.

4.10Les requérants ont fait appel du jugement, avançant que le Tribunal des migrations avait fait une appréciation erronée des éléments de preuve produits. Le 21 décembre 2007, la Cour d’appel des migrations leur a refusé l’autorisation de faire appel. Les requérants ont alors déposé de nouvelles demandes auprès du Conseil des migrations, invoquant l’apparition de circonstances nouvelles qui leur donnaient droit à un permis de séjour ou, à défaut, justifiaient un réexamen de leur cas. Ces demandes ont été rejetées au motif que les circonstances en question correspondaient à de simples modifications d’éléments qui figuraient déjà dans les demandes d’asile précédentes des requérants. Le Tribunal des migrations a confirmé la décision rendue par le Conseil des migrations.

4.11En ce qui concerne la recevabilité de la requête, l’État partie indique qu’à sa connaissance, la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et il reconnaît que tous les recours internes disponibles ont été épuisés. Il fait toutefois valoir que lorsque les requérants prétendent qu’ils risquent d’être traités d’une manière contraire aux dispositions de la Convention, ils n’apportent pas le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité et que, par conséquent, la requête est irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention.

4.12Si le Comité devait déclarer la requête recevable, il lui faudrait déterminer si, en renvoyant les requérants en Azerbaïdjan, la Suède manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. L’État partie rappelle que, pour déterminer s’il y a violation de l’article 3, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence dans le pays considéré d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Cependant, comme le Comité l’a souligné à maintes reprises, il s’agit de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’un individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays. Pour qu’une violation de l’article 3 soit établie, il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque.

4.13À propos de la situation des droits de l’homme en Azerbaïdjan, l’État partie admet que les actes de torture, les passages à tabac provoquant un décès, les brutalités policières et les arrestations arbitraires ne sont pas rares. Les Arméniens d’Azerbaïdjan ont une mauvaise réputation dans le reste de la population. Bien qu’ils puissent être victimes de harcèlement, les Arméniens ne peuvent être considérés comme la cible d’une discrimination cautionnée par l’État. La discrimination à l’égard des Arméniens de souche a posé problème en 2006 et les ressortissants azerbaïdjanais d’origine arménienne dissimulaient fréquemment celle-ci en demandant officiellement que l’appartenance ethnique indiquée sur leur passeport soit modifiée. La façon dont certains agents de la force publique avaient traité des Arméniens avait donné lieu à des plaintes. Des cas de harcèlement et d’extorsion avaient été rapportés. Toutefois, d’après le rapport du Département d’État des États-Unis, aucun cas de discrimination contre des Arméniens n’avait été signalé en 2008. De plus, d’après une enquête menée en 2003 par le partenaire opérationnel du HCR, la discrimination contre les Arméniens de souche ne relevait pas d’une politique officielle reconnue en Azerbaïdjan, mais il existait véritablement une certaine discrimination à leur encontre dans la vie quotidienne, tolérée par les autorités. Cette discrimination ne constituait pas en soi une persécution mais, dans le cas de certaines personnes, il était possible que ses effets cumulés correspondent effectivement à une persécution. L’État partie observe en outre que le fait qu’aucun cas de discrimination n’a été signalé en 2008 témoigne d’une amélioration de la situation.

4.14L’État partie affirme en outre que les circonstances évoquées dans les documents susmentionnés ne suffisent pas en elles-mêmes à établir que le renvoi des requérants en Azerbaïdjan constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Ce ne serait le cas que si les requérants étaient en mesure de démontrer qu’ils risquent personnellement d’être soumis à la torture. D’après la jurisprudence du Comité, aux fins de l’article 3 de la Convention, l’individu concerné doit courir personnellement un risque réel et prévisible d’être torturé dans le pays vers lequel il est renvoyé. L’État partie se réfère à l’Observation générale no1 du Comité sur l’application de l’article 3 de la Convention, selon laquelle c’est au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de recueillir et de produire des éléments de preuve à l’appui de sa version des faits. Dans ce contexte, lorsqu’elles examinent une demande d’asile en vertu de la loi sur les étrangers, les autorités suédoises de l’immigration appliquent les mêmes types de critères que le Comité lorsqu’il examine une plainte au titre de la Convention. Les autorités nationales qui procèdent aux entretiens avec les demandeurs d’asile sont très bien placées pour apprécier la crédibilité des allégations d’une personne affirmant que si elle était expulsée, elle risquerait de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Le cas des requérants a été examiné par les autorités et les juridictions suédoises à plusieurs reprises. Le Conseil des migrations et le Tribunal des migrations ont étudié attentivement leurs demandes de permis de séjour, ainsi que leurs demandes de réexamen des décisions. Il convient donc d’accorder un grand poids aux décisions des autorités suédoises.

4.15L’État partie déclare que les griefs des requérants au titre de l’article 3 de la Convention ne sont pas étayés car les renseignements communiqués sont incohérents, vagues et, dans une certaine mesure, contradictoires. H. M. a fourni un document émanant d’une organisation qui s’emploie au renforcement des droits des femmes azerbaïdjanaises, dans lequel il est indiqué que S. M. et H. M. ont toujours fait partie de l’opposition. Or cette affirmation a été contestée par H. M. à l’audience. Le document contenait donc des informations qui ne correspondaient pas aux déclarations de H. M. ni aux renseignements fournis antérieurement, ce qui ne pouvait lui conférer qu’une faible valeur de preuve. Quant aux avis médicaux communiqués par les requérants (par. 4.4 ci-dessus), ils n’ont pas été jugés concluants. L’un des experts médicaux a rencontré H. M. une seule fois. Le certificat médico-légal a été jugé très vague car il indiquait simplement qu’il ne pouvait être exclu que les lésions dont souffrait S. M. lui avaient été infligées de la manière qu’il avait décrite. Un autre certificat se bornait à indiquer que H. M. avait pu être soumis à la torture, ce qui était trop vague pour étayer ses allégations de mauvais traitements.

4.16Amnesty International et le HCR ont adressé au Tribunal des migrations des communications écrites en faveur des requérants. D’après Amnesty International, si les requérants étaient renvoyés contre leur gré en Azerbaïdjan, ils risquaient d’y subir de nouvelles persécutions dont la nature et l’ampleur justifieraient que l’asile leur soit accordé, et il convenait de leur offrir une protection en Suède. Un document du HCR indiquait que les Arméniens et les personnes d’origine ethnique mixte qui revenaient en Azerbaïdjan après avoir demandé l’asile à l’étranger couraient un risque élevé dans le pays. Le document expliquait également qu’il n’était guère probable que l’Azerbaïdjan accepte de les accueillir et que, si tel était le cas, ils subiraient des pressions de la part des services de sécurité ou seraient traités sans aucune compassion par la majorité de la population. L’État partie affirme que les communications d’Amnesty International et du HCR ne sont guère pertinentes au regard du cas des requérants. D’après le certificat de naissance de S. M., le père de celui-ci était de nationalité azerbaïdjanaise et sa mère d’origine arménienne. Son patronyme est typiquement azerbaïdjanais et les certificats de naissance des enfants montrent que les deux parents sont enregistrés comme des Azerbaïdjanais de souche. Les membres de la famille ont été accueillis en tant qu’Azerbaïdjanais lorsqu’ils ont été expulsés de Suède. D’après le HCR, il est fort probable qu’ils n’auraient pas pu entrer dans le pays s’ils y avaient été enregistrés comme Arméniens de souche ou comme personnes d’origine ethnique mixte. L’État partie en déduit qu’il n’est guère probable que les requérants soient considérés comme étant Arméniens ou d’origine ethnique mixte, que ce soit par les autorités azerbaïdjanaises ou par d’autres personnes. Il rappelle en outre qu’en 2000 encore, S. M. avait obtenu un nouveau permis de conduire et qu’en 2004 les requérants s’étaient vu délivrer de nouveaux passeports.

4.17L’État partie affirme également qu’à supposer que les requérants soient considérés comme étant d’origine ethnique mixte, ils n’ont pas démontré qu’ils risqueraient de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il admet que les Arméniens et les personnes d’origine ethnique mixte rencontrent des difficultés dans la société azerbaïdjanaise. Cependant, d’après le rapport du HCR «International Protection Considerations Regarding Azerbaijani Asylum-Seekers and Refugees»de septembre 2003, la discrimination contre les Arméniens de souche, bien que tolérée dans une certaine mesure par les autorités, ne relève pas d’une politique officielle en Azerbaïdjan, et le niveau de discrimination n’est pas suffisant pour constituer une persécution. L’État partie affirme que rien ne donne à penser que la situation générale des Arméniens dans le pays s’est aggravée depuis 2003; au contraire, des informations récentes font état d’une légère amélioration.

4.18Les requérants ont également invoqué un document émanant du bureau du HCR à Bakou, qui résume les propos que S. M. a tenus le 24 août 2004 après que la famille avait été renvoyée en Azerbaïdjan. S. M. a déclaré que lui-même et sa famille avaient été détenus et interrogés pendant deux jours à l’aéroport. Ils avaient été autorisés à quitter l’aéroport parce que son état de santé et celui de sa fille s’étaient détériorés. S. M. a aussi déclaré que lui-même et sa femme avaient été convoqués à une date donnée et qu’ils avaient été interrogés une heure durant et menacés d’emprisonnement. Le frère de S. M., qui vivait à Bakou avec leur mère arménienne, n’avait pas subi les mêmes difficultés à cause de son origine ethnique. Le document ne fait aucune mention des mauvais traitements que S. M. aurait subis lors de l’interrogatoire à l’aéroport. De plus, d’après le même document, S. M. a déclaré que les forces de sécurité l’avaient détenu à l’aéroport avec sa famille pendant deux jours, alors qu’il avait dit aux autorités suédoises que la détention avait duré quatre ou cinq jours. Ces incohérences entament la crédibilité générale du récit que font les requérants de ce qu’ils ont vécu après leur expulsion vers l’Azerbaïdjan. De surcroît, on peut s’étonner que le frère de S. M., qui vit apparemment avec leur mère arménienne, n’ait pas rencontré les mêmes difficultés du fait de son origine ethnique, et voir là une totale contradiction.

4.19Les requérants se sont également contredits au sujet de ce qui s’était passé après le séjour de S. M. à l’hôpital en septembre 2004. S. M. et H. M. ont indiqué séparément, par écrit, qu’ils avaient été interrogés quelques jours avant de quitter le pays. Ils ont ensuite tous deux indiqué, toujours séparément, qu’après cette hospitalisation ils étaient entrés dans la clandestinité et n’avaient plus jamais été interrogés. À l’audience, ils ont modifié leur récit et sont revenus à la première version, expliquant qu’ils avaient voulu dire s’être cachés de la communauté et de la police locale mais non du KBG. La véracité de leurs déclarations a alors été remise en question.

4.20S. M. a affirmé que pour sortir d’Azerbaïdjan, lui-même et sa famille avaient utilisé des passeports provisoires qu’ils avaient obtenus avec l’aide d’une organisation. Or, si les autorités s’étaient intéressées aux requérants, il est peu probable qu’ils auraient pu obtenir des passeports. De plus, si les requérants avaient subi les traitements allégués, cette information aurait été portée à l’attention de l’ambassade de Suède, soit par d’autres ambassades ou des institutions avec lesquelles elle entretenait des relations, soit par les organisations de défense des droits de l’homme, très actives en Azerbaïdjan. En conséquence, l’État partie juge improbable que les requérants aient subi les violations alléguées à leur retour en Azerbaïdjan. Le fait que l’ambassade de Suède ne disposait d’aucune information concernant les incidents en question et que les renseignements contenus dans le document émanant du bureau du HCR à Bakou ne correspondent pas au récit des requérants devant les autorités suédoises met en question la véracité de leurs allégations de mauvais traitements.

4.21L’État partie rappelle que si des tortures subies dans le passé font partie des éléments à prendre en considération pour procéder à l’appréciation visée à l’article 3, le facteur déterminant est l’existence ou non de motifs sérieux de penser que les requérants subiraient un traitement contraire aux dispositions de la Convention s’ils retournaient dans leur pays d’origine. Étant donné que les requérants ont quitté le pays en décembre 2004, rien ne suggère qu’ils pourraient encore intéresser les Azerbaïdjanais.

4.22Pour conclure, l’État partie estime que les éléments de preuve et les circonstances invoqués par les requérants ne suffisent pas à démontrer que le risque présumé de torture est réel, prévisible et personnel. En conséquence, l’exécution de l’arrêté d’expulsion ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention. Les requérants n’ayant pas apporté le minimum d’éléments de preuve requis, la communication devrait être déclarée irrecevable car manifestement dénuée de fondement. Pour ce qui est du fond, l’État partie déclare que la requête ne fait apparaître aucune violation de la Convention.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 31 mars 2010, les requérants ont affirmé que le spécialiste qui avait procédé aux expertises psychiatriques figurait parmi les plus éminents en Suède pour le diagnostic des actes de torture et des traumatismes. Quant à l’opinion de l’État partie selon laquelle les documents soumis par Amnesty International et le HCR ne prouvent pas que des persécutions cautionnées par l’État sont commises en Azerbaïdjan contre des personnes d’origine arménienne, les requérants relèvent que les deux organisations ont noté que les demandeurs d’asile d’origine arménienne ou d’origine ethnique mixte peuvent courir un risque élevé à leur arrivée en Azerbaïdjan, par exemple celui de subir des pressions de la part des forces de sécurité. En conséquence, compte tenu de ces informations ainsi que des expériences traumatisantes et des pressions qu’ils ont déjà subies en Azerbaïdjan, leur renvoi les exposerait à un risque élevé de mauvais traitements de la part d’agents de l’État ou d’autres personnes agissant à titre officiel. Le fait qu’aucun nouveau cas de discrimination contre des Arméniens n’a été signalé au cours d’une année donnée ne peut servir à prouver que ce type de discrimination a cessé, d’autant que diverses autres sources concordantes indiquent que des Arméniens vivant en Azerbaïdjan s’efforcent de dissimuler leur origine ethnique.

5.2Les requérants contestent également l’argument de l’État partie, qui affirme que s’ils avaient été considérés comme des Arméniens de souche ou des personnes d’origine ethnique mixte, il est peu probable qu’ils auraient été acceptés en Azerbaïdjan. Dans ce contexte, ils rappellent qu’en réalité, les documents attestant que S. M. est d’origine arménienne n’ont pas été remis aux agents du contrôle des frontières mais ont été découverts dans les bagages de la famille après le départ des policiers suédois qui les escortaient. Lorsque les agents du contrôle des frontières ont découvert que S. M. essayait de dissimuler ses origines, l’hostilité à l’égard de la famille s’est accrue. Les requérants ajoutent que les frères et sœurs de S. M. ont aussi connu différentes sortes de difficultés, que l’un des frères au moins a quitté le pays et que l’une des sœurs s’est suicidée après avoir été violée. Les autres s’efforcent de dissimuler leur origine ethnique, et le fait qu’ils y parviennent ne signifie pas que les requérants seraient en sécurité s’ils retournaient dans le pays.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.Dans sa lettre du 4 octobre 2010, l’État partie a rappelé qu’il avait douté de la véracité du récit des requérants, qui affirmaient avoir été victimes de mauvais traitements à leur retour en Azerbaïdjan en 2004, en raison des incohérences que présentait ce récit (voir, entre autres, les paragraphes 4.15 et 4.18 ci-dessus). Il a également contesté l’idée que les autorités azerbaïdjanaises s’intéresseraient encore aux requérants, même si les allégations de ces derniers concernant les motifs de leur départ d’Azerbaïdjan étaient considérées comme étayées. En conséquence, l’État partie réitère ses observations précédentes et maintient que les éléments de preuve et les circonstances invoqués par les requérants ne suffisent pas à démontrer que le risque de torture allégué est prévisible, réel et personnel, et que leur expulsion vers l’Azerbaïdjan ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Commentaires supplémentaires des requérants

7.1Dans une lettre datée du 26 octobre 2010, le conseil des requérants a indiqué que la fille des requérants avait reçu l’autorisation de rester en Suède. Elle a été placée chez son frère avec la famille de celui-ci. Cette décision était liée à l’obstacle qui s’opposait à l’exécution de l’arrêté d’expulsion, à savoir le fait que l’on ne pouvait compter sur aucun adulte pour s’occuper d’elle en Azerbaïdjan vu que ses grands-parents étaient décédés et que ses parents (les requérants) vivaient dans la clandestinité. Il a également été tenu compte de son état de santé, de son adaptation en Suède, des expériences traumatisantes qu’elle a vécues et de l’anamnèse de ses problèmes psychiatriques.

7.2Dans une lettre datée du 22 novembre 2010, le conseil a déclaré que la demande de regroupement familial avec leur fille déposée par les requérants avait été rejetée au motif qu’ils vivaient dans la clandestinité depuis plus de deux ans et que leur fille pourrait bénéficier d’une protection de remplacement. Par conséquent, l’arrêté d’expulsion demeure exécutoire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes. Il note que l’État partie reconnaît que les recours internes ont été épuisés et constate donc que les requérants se sont conformés aux dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

8.3L’État partie affirme que la requête est irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention car l’allégation des requérants, qui prétendent qu’ils risquent d’être soumis à la torture à leur retour en Azerbaïdjan, n’est pas étayée par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Le Comité est d’avis que les arguments dont il est saisi soulèvent des questions qui doivent être examinées sur le fond et pas seulement au regard de la recevabilité. En conséquence, il déclare la requête recevable au titre de l’article 3 de la Convention et procède à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les parties.

9.2Le Comité note que l’État partie a délivré un permis de séjour à la fille des requérants, A. M. Par conséquent, il décide de ne pas examiner la partie de la requête concernant celle-ci.

9.3Le Comité doit déterminer si, en expulsant les requérants vers l’Azerbaïdjan, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

9.4Pour déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que les requérants risqueraient d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés en Azerbaïdjan, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence dans le pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives (art. 3, par. 1). Il s’agit cependant de déterminer si les intéressés risquent personnellement d’être soumis à la torture dans le pays dans lequel ils seraient renvoyés. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’un individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble systématique de violations flagrantes des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

9.5Le Comité rappelle son Observation générale no 1 sur l’application de l’article 3, dans laquelle il expose qu’il doit déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé ou extradé dans son pays d’origine. Il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable, mais il doit être encouru personnellement et actuellement. À cet égard, le Comité a établi dans des décisions antérieures que le risque de torture devait être «prévisible, réel et personnel». Par ailleurs, dans l’exercice de ses compétences en application de l’article 3 de la Convention, le Comité accordera un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé. Toutefois, le Comité n’est pas lié par de telles constatations, et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

9.6Le Comité note que les requérants affirment qu’ils risquent d’être soumis à la torture en Azerbaïdjan en raison des origines mixtes de S. M., qui font de la famille une cible pour les autorités. Ils affirment également qu’à cause des origines arméniennes de S. M., toute la famille a subi des persécutions à caractère ethnique et qu’ils ont été frappés et persécutés par des voisins ainsi que par des agents de l’État (policiers). Ils déclarent en outre qu’ils ont été placés en détention, interrogés, frappés et agressés sexuellement (H. M.) par des membres du Service de la sécurité nationale, y compris à l’aéroport lorsqu’ils ont été renvoyés de Suède en août 2004 et lors d’interrogatoires ultérieurs.

9.7Le Comité observe que les allégations de torture des requérants sont corroborées par des rapports médicaux dignes de foi émanant du Centre de prise en charge des victimes de crises et de traumatismes de Stockholm. À la lumière de ce qui précède et compte tenu du traitement infligé aux requérants à leur retour en Azerbaïdjan en août 2004 et des informations générales dont le Comité dispose, indiquant que les comportements hostiles de la part de la population à l’égard des Arméniens de souche vivant dans le pays sont encore très répandus, que les personnes d’origine arménienne sont exposées à la discrimination dans la vie quotidienne, qu’elles sont harcelées par des fonctionnaires de rang inférieur, qui leur réclament parfois des pots-de-vin, lorsqu’elles déposent une demande de passeport et qu’elles dissimulent souvent leur identité en modifiant la mention de leur origine ethnique sur leur passeport, le Comité considère que le renvoi des requérants en Azerbaïdjan les exposerait à un risque personnel, réel et prévisible de torture au sens de l’article 3 de la Convention. En conséquence, le Comité conclut que l’expulsion des requérants vers ce pays constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

10.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi de S. M. et de H. M. en Azerbaïdjan constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

11.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 (anciennement art. 112) de son règlement intérieur, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures que l’État partie aura prises pour donner suite à la présente décision.

Communication no 381/2009: Faragollah et consorts c. Suisse

Présentée par:

Abolghasem Faragollah et consorts (représenté par un conseil, Urs Ebnöther)

Au nom de:

Abolghasem Faragollah et consorts

État partie:

Suisse

Date de la requête:

17 avril 2009 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 21 novembre 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 381/2009, présentée au nom de M. Abolghasem Faragollah et consorts en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil, et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est Abolghasem Faragollah, né le 1er novembre 1956, accompagné de sa femme Mitra Pishan, née le 27 septembre 1962, et leur fils Armin Faragollah, né le 6 décembre 1992. Tous sont ressortissants de la République islamique d’Iran. Le requérant soutient que leur retour en Iran serait en violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention à leur égard. Il est représenté par un conseil, Urs Ebnöther.

1.2Le 23 avril 2009, le Comité a porté la requête à l’attention de l’État partie, conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention et, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant et sa famille vers la République islamique d’Iran tant que l’affaire serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant et sa famille sont ressortissants iraniens, et allèguent avoir quitté la République islamique d’Iran pour des raisons politiques. Arrivé en Suisse, le requérant a déposé une demande d’asile le 3 septembre 2000, qui fût rejetée par l’Office fédéral des réfugiés (ODR, actuel Office fédéral des migrations, ODM) le 19 avril 2002. Une requête contre cette décision fût rejetée par la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA, actuellement intégrée au Tribunal fédéral administratif) le 15 juin 2004. La femme du requérant, Mitra Pishan, déposa une première requête d’asile pour elle et leur fils Armin le 20 mars 2003. La requête fut rejetée le 18 mars 2004 par l’ODR, et cette décision confirmée par la CRA le 15 juin 2004. Le 6 avril 2005, le requérant demanda la reconsidération des décisions de l’ODR du 19 avril 2002 et du 18 mars 2004. Cette demande fut rejetée par l’ODM le 10 août 2005.

2.2Le requérant soutient que depuis le mois d’octobre 2005, il a rejoint l’Association démocratique pour les réfugiés (ADR), une organisation de la diaspora iranienne qui, selon lui, critique activement le régime actuel iranien, et sensibilise l’opinion quant à la situation des droits de l’homme déplorable dans la République islamique d’Iran, y compris la question de la peine de mort et la discrimination et la répression des membres de l’opposition et de minorités qui y prévalent.

2.3En avril 2007, le requérant était élu représentant pour le canton d’Obwald par le Comité exécutif de l’ADR. C’est en cette capacité qu’il a écrit des articles dénonçant le régime iranien actuel, disséminé des publications de l’organisation, et participé aux événements organisés par des organisations non gouvernementales et églises locales dans son canton, qui cherchent à attirer l’attention du public sur les violations des droits de l’homme commises dans la République islamique d’Iran. Au sein de son canton, le requérant participe aux réunions du leadership de l’ADR, et contribue à la planification stratégique des activités de l’organisation. Il travaille de près avec le Comité exécutif et les directeurs et vice-directeur de l’ADR.

2.4Sur la base de ses activités politiques en Suisse, le requérant a présenté une nouvelle demande d’asile le 24 juillet 2006, qui fût rejetée le 4 octobre 2007 par l’ODM. La Cour jugea que tant par son profil politique que par ses activités, le requérant n’a pas été susceptible d’attirer l’attention des autorités iraniennes. Considérée en appel, cette décision fut confirmée par le Tribunal administratif fédéral (TAF) le 19 mars 2009. Le Tribunal considéra que les services secrets iraniens répertorient les activités de personnes ayant assumé des fonctions qui vont au-delà de protestations politiques peu profilées de personnes en exil, et que les autorités iraniennes ont conscience que les requérants s’efforcent de mettre en avant ces activités en vue d’obtenir un titre de séjour dans le pays d’accueil. Selon le Tribunal, le requérant ne s’est pas suffisamment exposé pour avoir attiré l’attention des autorités iraniennes. Le seul fait d’être identifiable n’emporte pas de risque de persécution, et seuls les opposants qui représentent, de par leur personnalité, une menace réelle au régime sont surveillés et répertoriés. Le Tribunal considéra que les contacts étroits et réguliers du requérant avec le leadership cantonal et national de l’ADR s’apparentaient seulement à des activités internes de l’organisation, qui ne conféraient pas au requérant un profil plus visible que celui d’un membre associatif ordinaire. Par conséquent, le Tribunal considéra que de telles activités n’étaient pas susceptibles de l’exposer à un quelconque danger vis-à-vis du régime iranien. De la même manière, le Tribunal jugea que les publications du requérant n’avaient pas d’impact sur le risque encouru, puisque des écrits similaires contenant des critiques stéréotypées du régime en place et cherchant à ternir sa réputation sont courants, et apparaissent régulièrement sur divers sites Internet. Suite à ce jugement, l’ODM ordonna au requérant et sa famille de quitter la Suisse au plus tard le 21 avril 2009. Cette dernière procédure fait l’objet de la présente plainte du requérant devant le Comité. Ce dernier soutient que le TAF, dans son jugement du 19 mars 2009, a erronément considéré que ses activités comme représentant de l’ADR pour le canton d’Obwald, et toutes les activités que cela implique, ne l’exposaient pas à un risque de persécution en cas de retour forcé dans la République islamique d’Iran.

2.5Le requérant souligne que les conclusions du TAF du 19 mars 2009 diffèrent de manière significative de ses conclusions précédentes dans des cas similaires, puisque cette même juridiction avait déjà accordé l’asile à des représentants cantonaux de l’ADR, lorsque ceux-ci occupaient une fonction de leader dans l’organisation, reconnaissant ainsi les risques encourus par ces opposants. Il ajoute que l’ODM a déjà décidé que les représentants cantonaux de l’ADR, sans égard à la taille du canton, encouraient un risque de persécution en cas de retour dans la République islamique d’Iran. D’autre part, le TAF aurait explicitement considéré que la fonction de représentant cantonal de l’ADR entraîne un risque concret de persécution en cas de retour forcé, et qu’une telle personne aurait une crainte bien fondée d’être soumise à un préjudice sérieux en cas de retour en Iran. Dans un jugement subséquent du 19 février 2009, le Tribunal accorda l’asile a un membre de l’ADR qui n’était pas représentant cantonal, mais particulièrement actif au sein de l’organisation à travers sa participation à des manifestations, écrivant des articles critiques du régime actuel iranien publiés sur Internet, organisant des manifestations, et étant impliqué dans l’organisation des activités de l’association. Dans cette même décision, le Tribunal considéra par conséquent que de par son rôle, le recourant serait facilement identifié à l’ADR, et donc considéré comme un danger pour les autorités, entraînant un risque de persécution. Le requérant ajoute qu’outre ces décisions de justice, de nombreux rapports crédibles confirment que les autorités iraniennes observent de près et répertorient les activités politiques de la diaspora iranienne.

2.6À la lumière des rapports précités, ainsi que de la jurisprudence du TAF, le requérant s’étonne des conclusions des diverses instances, à l’effet qu’il n’encourt pas de risque en cas de retour dans la République islamique d’Iran. Il réitère qu’il est représentant cantonal de l’ADR, qu’il occupe à ce titre une fonction de responsabilité, et que son nom et ses coordonnées ont été publiés. Il planifie et coordonne de nombreuses manifestations et réunions organisées par l’organisation, et ses activités vont au-delà d’une simple participation à ces mouvements, et à la publication d’articles. Il réitère qu’il participe à la planification stratégique de l’organisation, collaborant de près avec le Directeur de l’ADR. Pour ces raisons, le requérant réitère qu’il est extrêmement probable qu’il ait attiré l’attention des autorités iraniennes, et que ses activités politiques seront perçues par ces dernières non seulement comme diffamatoires vis-à-vis du régime actuel − ce qui en soi constitue un crime en Iran − mais également comme une menace à la sécurité interne du pays. Il ajoute que le TAF a récemment conclu que des fonctions de représentant cantonal de l’ADR entraînaient un risque concret de persécution en cas de retour en Iran, et que le même raisonnement devrait lui être appliqué.

Teneur de la plainte

3.Le requérant allègue que son expulsion de la Suisse vers la République islamique d’Iran, ainsi que celle de son épouse et de son fils, violerait l’article 3 de la Convention, car il y a de sérieux motifs de croire qu’il risquerait d’y être soumis à la torture en cas de renvoi.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 22 octobre 2009, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication. Il affirme que le requérant n’a pas établi l’existence d’un risque personnel, réel et prévisible de torture en cas de retour dans la République islamique d’Iran. Tout en prenant acte du caractère préoccupant de la situation des droits de l’homme en Iran, et se référant à l’Observation générale no 1 du Comité, l’État partie rappelle que cette situation n’est pas en soi un élément suffisant pour conclure que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il y retournait. Ce dernier aurait manqué de démontrer courir un risque prévisible, personnel et réel d’être soumis à la torture en cas de retour en Iran.

4.2 Selon l’État partie, le requérant aurait déclaré, au cours de la procédure judiciaire interne, avoir été arrêté en 2003 près de l’Université de Téhéran, étant soupçonné d’avoir participé à la révolte universitaire de Koye Daneshgah. Cette arrestation ne serait toutefois pas à l’origine de son départ de la République islamique d’Iran. Le requérant n’a toutefois pas fait valoir avoir été soumis à la torture, et il n’a fondé sa communication devant le Comité que sur sa deuxième procédure d’asile, basée exclusivement sur ses activités politiques postérieures à sa fuite d’Iran.

4.3En ce qui concerne les activités politiques du requérant en Suisse, l’État partie relève que dans plusieurs décisions concernant le renvoi de requérants d’asile déboutés vers la République islamique d’Iran, le TAF a retenu que les services secrets iraniens peuvent exercer une surveillance des activités politiques déployées contre le régime à l’étranger, mais seulement lorsque les personnes impliquées dans de telles activités possèdent un profil particulier, que celles-ci agissent au-delà du cadre habituel d’opposition de masse, et lorsqu’elles occupent des fonctions, ou déploient des activités d’une nature telle qu’elles représentent une menace sérieuse et concrète pour le gouvernement en question.L’État partie ajoute, se référant à diverses sources d’information, que des personnes soupçonnées d’être impliquées dans un crime grave, ou agissant au sein de groupes politiques spécifiques, risquent aussi d’être arrêtées.

4.4L’État partie relève qu’il ne ressort pas du rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), cité par le requérant, qu’une position particulière au sein de l’ADR conduirait à un risque spécifique en cas de retour. Selon le même rapport, la participation, même répétée, à des actions critiques vis-à-vis du régime iranien actuel n’entraînerait pas un risque accru de représailles. En revanche, ce serait la conduite d’actions violentes, ou l’exercice d’une fonction impliquant une responsabilité particulière, et dans des groupes d’opposition spécifiques, qui pourraient être déterminants. Par ailleurs, l’OSAR ne mentionne à titre d’exemple que des organisations importantes et particulièrement connues. L’État partie suggère en outre qu’il existe en Suisse de nombreuses organisations, hormis l’ADR, qui s’efforcent de fournir des fonctions particulières à leurs membres, de sorte que ces derniers soient considérés comme courant un danger particulier de mauvais traitements en cas de retour dans leur pays d’origine. Les autorités iraniennes ne sont pas en mesure d’identifier et de surveiller chaque personne, même si elles ont connaissance d’activités politiques de ressortissants iraniens en exil. Elles ne sont intéressées à identifier que les personnes dont les activités représentent une menace concrète pour le système politique du pays.

4.5Se référant aux conclusions de l’ODM, l’État partie relève que les activités du requérant pour l’ADR, notamment sa fonction de responsable pour le canton d’Obwald, sa participation régulière à des manifestations, et la distribution de tracts et de revues ne parviennent pas à fonder une crainte de traitement contraire à la Convention en cas de retour. Le requérant ne possède pas de fonction de cadre suffisamment importante et exposée pour qu’en découle un risque de mauvais traitements en cas de retour. Il en va de même de ses contacts avec la hiérarchie de l’organisation, et la publication d’articles sur Internet, qui ne contiennent que des critiques stéréotypées du régime, comme il en paraît régulièrement, sous d’autres noms. La revue de l’ADR est mensuelle, et l’organisation étant surtout active en Suisse, il n’y a pas lieu de croire que cette revue trouve beaucoup d’attention hors des frontières suisses. Il n’existe pas non plus d’indice que le régime iranien ait entrepris quelconque mesure à l’encontre du requérant en raison de ses activités en Suisse.

4.6En ce qui concerne les allégations du requérant, relatives à des décisions du TAF, dans lesquelles aurait été octroyé l’asile à des personnes occupant une position semblable, l’État partie relève que chaque cas est examiné selon les circonstances en l’espèce. Il note que si l’asile a effectivement été octroyé dans certains cas à des personnes actives au sein de l’ADR, tel n’a pas été le cas dans de nombreuses autres affaires concernant des personnes occupant diverses fonctions dans cette organisation. Le TAF a rendu environ 40 décisions depuis début 2007, concernant des personnes faisant valoir des activités politiques au sein de l’ADR. Le Tribunal n’a accordé l’asile que dans certains cas, après l’examen de l’ensemble des circonstances. Même en présence d’activités comparables au sein de l’ADR, deux personnes pourraient être confrontées à des risques de nature différente en cas de retour, puisque d’autres facteurs influencent le risque d’être soumis à une attention accrue de la part des autorités.

4.7L’État partie soutient également que les autorités iraniennes sont en mesure de distinguer les activités politiques reflétant une conviction personnelle sérieuse, et présentant un potentiel d’agitation important, d’activités destinées principalement à fournir à leurs auteurs un titre de séjour. Par ailleurs, l’ADR s’est fait remarquer en Suisse par un procédé systématique visant à fournir à ses membres des motifs subjectifs d’asile, organisant jusqu’à un stand par semaine, avec environ une douzaine de participants, en photographiant de manière reconnaissable les participants munis de tracts, puis publiant ensuite les photos sur Internet. Lorsque le TAF a confirmé sa pratique selon laquelle la seule qualité de membre de l’organisation ne suffit pas comme motif subjectif d’asile subséquent à la fuite, l’ADR a crée différentes fonctions tel que responsable de la logistique, la sécurité, etc. Depuis, presque toutes les affaires impliquant ses membres concernent des personnes occupant une «fonction dirigeante» au sein de l’organisation. Dans le cas d’espèce, le requérant n’a pas démontré qu’il serait exposé à un risque particulier en raison de ses activités au sein de l’ADR.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie sur le fond

5.1Dans ses commentaires du 13 janvier 2010, le requérant affirme que le fait que l’ADR ne soit pas mentionnée parmi la liste des organisations d’opposition iranienne les plus importantes s’explique du fait que cette liste n’est qu’illustrative et qu’à la date de parution du rapport de l’OSAR en 2006, l’ADR n’était qu’une jeune association qui n’était pas assez connue pour être citée parmi d’autres mouvements d’opposition plus anciens. Toutefois, plusieurs décisions de justice de l’État partie ont reconnu l’ADR.

5.2Le requérant rejette les insinuations de l’État partie, voulant que le requérant, comme de nombreux demandeurs d’asile, soient motivés de manière économique plutôt que politique, cherchant en s’affiliant à des organisations politiques à obtenir un permis de séjour. Le requérant est membre de l’ADR depuis octobre 2005, et occupe le poste de responsable cantonal depuis avril 2007. Son engagement personnel et financier au cours des dernières années, et qui atteste de sa motivation politique, est authentique et crédible. Il existe actuellement 12 responsables cantonaux de l’ADR en Suisse. Considérant que l’organisation comprend environ 200 membres, les responsables cantonaux représentent sans doute des positions-cadres parmi les plus hautes.

5.3Le requérant opère une distinction entre les divers arrêts du TAF mentionnés par l’État partie, relevant que dans quatre des arrêts en question, il s’agissait de responsables de la sécurité de l’ADR, ou de membres simples sans position de cadre, contrairement à la situation présente du requérant. Il ajoute que l’ODM a reconnu le statut de réfugié à plusieurs personnes qui s’étaient engagées comme responsables cantonaux de l’ADR. En conclusion, et à la lumière de la situation actuelle dans la République islamique d’Iran, marquée par des violations massives des droits de l’homme, et au vu de son profil politique et de son engagement continu, le requérant soutient qu’il serait exposé à un risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention en cas de retour forcé en Iran.

Commentaires supplémentaires de l’État partie

6.1Le 10 février 2010, l’État partie, se référant à l’arrêt du TAF du 9 juillet 2009, mentionné par le requérant dans ses commentaires ci-dessus, précise que cette décision concernait la situation d’une requérante iranienne accompagnée de ses deux enfants mineurs, et qui s’était convertie au christianisme avant son départ. Le Tribunal avait jugé ses allégations précédant son départ de la République islamique d’Iran non crédibles, et considéré qu’il n’existait pas non plus de motifs postérieurs à sa fuite susceptibles de justifier l’octroi de l’asile politique. Toutefois, le Tribunal accorda à la requérante une admission temporaire, estimant que le retour ne serait pas dans le meilleur intérêt de ses enfants, qui avaient effectué la plus grande partie de leur scolarité en Suisse.

Soumissions additionnelles du requérant

7.1Le 5 mai 2010, le requérant informe le Comité que le 27 avril, l’ODM a accordé le statut de réfugié à son fils Arash Faragollah, né le 19 septembre 1983. Ce dernier avait soumis une demande d’asile indépendamment de ses parents, sa dernière demande datant du 4 février 2008, et dans laquelle il avait présenté les risques découlant de son activisme politique au sein de l’ADR. Arash Faragollah avait alloué beaucoup de temps à collecter des signatures pour des pétitions, à distribuer le magazine Kanoun de l’ADR, et à participer à un projet radio pour l’association sur les ondes de la radio LoRa. Ayant tout d’abord la responsabilité technique du programme radio «Stimme des Widerstands» (L a voix de la résistance), il eut par la suite la responsabilité éditoriale du programme. L’ODM jugea que, en évaluant l’ensemble des circonstances, le profil du fils du requérant était susceptible d’attirer l’attention des autorités iraniennes, et qu’il y aurait donc des raisons de croire qu’il ferait face à un préjudice sérieux en cas de retour.

7.2Dans ces circonstances, le requérant allègue que le risque qu’il encourt d’être soumis à la torture et à des traitements cruels, inhumains ou dégradants a encore augmenté, étant le père d’un réfugié reconnu en Suisse, et lui-même possédant le même profil de dissident.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si celle-ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Notant qu’aucun obstacle ne s’oppose à la recevabilité de la communication, le Comité procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant dans la République islamique d’Iran, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

9.2Pour apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans la République islamique d’Iran, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme en Iran. Il s’agit cependant de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé.

9.3Le Comité rappelle son Observation générale relative à l’application de l’article 3 de la Convention, où il est indiqué que l’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable, le Comité rappelle que le fardeau de la preuve incombe généralement au requérant, qui se doit de présenter des arguments défendables établissant qu’il encourt un risque «prévisible, réel et personnel». Le Comité précise en outre dans son Observation générale qu’il s’agit également de vérifier si le requérant s’est livré, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’État intéressé, à des activités politiques qui font qu’il «court un risque particulier» d’être soumis à la torture. Tout en accordant un poids considérable aux conclusions des organes de l’État partie, il appartient au Comité d’apprécier librement les faits de chaque cause en tenant compte des circonstances.

9.4Faisant référence à sa jurisprudence récente, le Comité rappelle que la situation objective des droits de l’homme dans la République islamique d’Iran reste extrêmement préoccupante, particulièrement depuis la tenue d’élections dans le pays en juin 2009. Le Comité a pu prendre connaissance de nombreux rapports décrivant, en particulier, la répression et la détention arbitraire de nombreux réformateurs, étudiants, journalistes, et défenseurs des droits de l’homme, dont certains ont été détenus au secret, d’autres condamnés à mort et exécutés. L’État partie a lui-même reconnu que la situation des droits de l’homme en Iran est très préoccupante à de nombreux égards.

9.5Le Comité relève que le requérant est arrivé en Suisse en 2000. Depuis l’année 2005, il est actif au sein de l’Association démocratique pour les réfugiés (ADR), dont il est représentant cantonal pour le canton d’Obwald. Il a écrit des articles dénonçant le régime iranien actuel, disséminé des publications de l’organisation, et participé à divers événements organisés par des organisations non gouvernementales et églises locales dans son canton. En tant que cadre de l’organisation, il affirme contribuer à la planification stratégique des activités de l’organisation, et ses nom et coordonnées ont été publiés dans le magazine mensuel de l’ADR. Le Comité observe également que le fils du requérant a été reconnu réfugié, sur la base d’activités comparables à celles menées par son père au sein de l’ADR, notamment la collecte de signatures pour des pétitions, la distribution du mensuel de l’organisation «Kanoun», et la participation à un projet de programme radio. Cette information n’a pas été contestée par l’État partie. Ce dernier ayant conclu que le fils du requérant ne pouvait être renvoyé dans la République islamique d’Iran en raison de son profil politique, qui mettrait sa sécurité en péril en cas de retour, le Comité constate une différence de traitement, puisque les mêmes autorités sont prêtes à renvoyer son père en Iran, alors qu’il mène des activités comparables et qu’il est exposé à des risques de la même nature.

9.6À la lumière de l’ensemble des circonstances, y compris la situation générale des droits de l’homme dans la République islamique d’Iran, la situation personnelle du requérant, qui poursuit activement des activités d’opposition au sein de l’ADR, et dont le fils est reconnu réfugié, et tenant compte de sa jurisprudence antérieure,le Comité est d’avis que ce dernier a pu attirer l’attention des autorités iraniennes. Par conséquent, le Comité considère qu’il y a de sérieux motifs de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Iran avec sa femme et son fils Armin Faragollah. Le Comité relève en outre que l’Iran n’étant pas partie à la Convention, dans l’éventualité d’une expulsion vers ce pays, le requérant serait privé de la possibilité légale de s’adresser au Comité pour une quelconque forme de protection.

10.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que l’expulsion du requérant et de sa famille vers la République islamique d’Iran constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

11.Le Comité invite l’État partie, conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de la transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises en réponse à cette décision.

Communication no 382/2009: M. D. T. c. Suisse

Présentée par:

M. D. T. (non représenté par un conseil)

Au nom de:

M. D. T.

État partie:

Suisse

Date de la requête:

11 avril 2009 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 14 mai 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 382/2009, présentée par M.D.T. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant, M. D. T., est un ressortissant de la République démocratique du Congo, né le 29 juin 1977, qui est menacé d’être expulsé de Suisse vers son pays d’origine. Il affirme qu’une telle mesure constituerait une violation, par la Suisse, du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention. Il a demandé que soient prises des mesures de protection immédiates afin qu’il soit sursis à son expulsion vers son pays d’origine. Il n’est pas représenté.

1.2Conformément au paragraphe 3 de l’article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l’attention de l’État partie en date du 29 avril 2009 et, en application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, il a prié l’État partie de ne pas procéder à l’expulsion du requérant vers la République démocratique du Congo tant que sa requête serait à l’examen. L’État partie a accédé à cette demande le 1er mai 2009.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Dans sa lettre initiale, en date du 11 avril 2009, le requérant affirme que son expulsion vers son pays d’origine (la République démocratique du Congo) constituerait une violation par la Suisse du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, car il risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays.

2.2Le requérant a adhéré au principal parti d’opposition, le Mouvement de libération du Congo (MLC) en 2005, et en est devenu un membre actif peu après. Il a participé à diverses activités du MLC en vue de la restauration de l’état de droit dans le pays. Il était bien connu dans son quartier pour sa participation active à la promotion du MLC. Lors de la campagne des élections présidentielles de 2006, Kinshasa a été le théâtre de très violents affrontements entre les partisans du Président sortant, Laurent Kabila, et ceux de son principal adversaire politique, Jean-Pierre Bemba. Ce dernier a remporté les élections à Kinshasa ainsi que dans les provinces de l’Équateur et du Bas-Congo. Le requérant est originaire du Bas-Congo.

2.3Les 22 et 23 mars 2007, Kinshasa a de nouveau été embrasée par des affrontements apparemment dus aux actes de représailles des forces de sécurité du nouveau Président Joseph Kabila contre les partisans de Jean-Pierre Bemba. Le requérant déclare avoir été arrêté le 22 mars 2007 par la Garde présidentielle dans le quartier de Gombe, à Kinshasa, en raison des opinions politiques et religieuses qu’il avait exprimées car on pouvait facilement l’identifier comme l’un des participants aux manifestations à la casquette qu’il portait, qui était ornée du logo du MLC de Bemba. Il a été torturé, battu, notamment à coups de crosses de fusil, insulté et menacé. Il affirme qu’il a perdu connaissance et qu’il a été abandonné, ensanglanté, dans une sablière sur le bord de la route. Il a eu, dit-il, deux dents cassées durant l’incident.

2.4Après l’incident, le requérant s’est réfugié à Kimbanseke, dans la banlieue de Kinshasa, pour échapper à la police. Il a alors appris qu’il faisait l’objet d’un avis de recherche et qu’un mandat d’arrêt avait été émis contre lui en date du 6 avril 2007 par l’Agence nationale de renseignement. Compte tenu des menaces qui pesaient sur sa famille et sur ses proches, et craignant pour sa vie et sa sécurité, notamment en raison des actes de torture dont il avait été victime en date du 22 mars 2007, il a décidé de fuir la République démocratique du Congo.

2.5À son arrivée en Suisse, le 26 décembre 2007, le requérant a fait une demande d’asile. Dans sa décision du 14 janvier 2009, l’Office fédéral des migrations a rejeté sa demande, estimant qu’elle était dénuée de fondement, et lui a ordonné de quitter la Suisse avant le 11 mars 2009. Le requérant a formé un recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral, qui l’a rejeté en date du 16 mars 2009 et a ordonné l’exécution immédiate de l’ordonnance d’expulsion rendue par l’Office fédéral des migrations. Ce dernier a néanmoins reporté la date à laquelle le requérant devait quitter la Suisse au 16 avril 2009.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son expulsion vers la République démocratique du Congo, qui a signé un accord avec la Suisse sur la réadmission des demandeurs d’asile déboutés, constituerait une violation du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention car il y a des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays.

3.2Évoquant d’une manière générale des renseignements émanant d’organisations de défense des droits de l’homme dont il ne précise pas le nom, le requérant affirme que nombre de ceux qui ont été arrêtés lors des événements des 22 et 23 mars 2007, parmi lesquels des membres du Mouvement de libération du Congo, des partisans de Jean-Pierre Bemba et des personnes originaires des provinces de l’Équateur et du Bas-Congo, ont été placés en détention secrète. Il ajoute qu’il n’y a pas eu d’amnistie pour ceux qui avaient été arrêtés, et que beaucoup ont été tués ou ont disparu.

3.3Le requérant affirme, sans donner aucun détail, que les membres de sa famille ont continué de subir des représailles de la part des agents des forces de sécurité parce qu’ils refusaient de dire où il se trouvait. Pour démontrer qu’il a des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays, le requérant appelle l’attention du Comité sur le certificat médical concernant le traitement qu’il a reçu pour ses deux dents cassées ainsi que sur le mandat d’arrêt émis contre lui par l’Agence nationale de renseignement de la RDC.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1En date du 27 octobre 2009, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication mais aucune sur la recevabilité.

4.2L’État partie rappelle que le requérant a quitté la République démocratique du Congo le 25 décembre 2007 à bord d’un avion à destination de Rome, via Paris. Il est entré en Suisse en voiture. L’État partie fait valoir que les seuls éléments invoqués par le requérant pour prouver qu’il risque d’être soumis à la torture sont le mandat d’arrêt émis contre lui et un certificat médical attestant qu’il a reçu un traitement dentaire. Ces faits ont été dûment pris en considération dans la décision de l’Office fédéral des migrations du 14 janvier 2009 et dans l’arrêt du Tribunal administratif fédéral du 16 mars 2009. De plus, l’État partie note que le requérant n’a pas expliqué les incohérences et les contradictions que les autorités suisses compétentes avaient relevées dans ses allégations. Étant donné que le requérant n’a soumis au Comité que le dispositif de ces décisions, sans y joindre l’exposé des motifs, ainsi que le mandat d’arrêt, l’État partie considère que ses arguments sont fallacieux.

4.3Renvoyant à la jurisprudence du Comité et à son Observation générale no1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, l’État partie affirme que le requérant n’a pas démontré qu’il courrait personnellement un risque réel et prévisible d’être torturé s’il était renvoyé en République démocratique du Congo. L’État partie estime que l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Tout en notant la situation des droits de l’homme en RDC, l’État partie estime que cette situation ne saurait constituer, à elle seule, un motif suffisant pour conclure que le requérant risquerait d’être torturé s’il était renvoyé dans son pays.

4.4En référence aux décisions rendues par les autorités suisses compétentes en matière d’asile, l’État partie indique que le requérant vivait à Kinshasa, non à l’est du pays, qui est la région la plus instable de la RDC. D’après l’État partie, la situation politique dans le pays est devenue moins tendue depuis le départ de Jean-Pierre Bemba en 2007.

4.5De plus, les allégations du requérant concernant le fait qu’il aurait été battu par les forces de sécurité durant les manifestations du 22 mars 2007 parce qu’il portait une casquette ornée du logo du MLC de Bemba manquent de crédibilité, en particulier au vu des contradictions et des incohérences factuelles qu’elles contiennent. Par ailleurs, l’État partie ne considère pas que le certificat médical concernant le traitement dentaire du requérant est pertinent parce qu’il n’explique pas la cause des problèmes dentaires. Fait important, aucun élément n’indique que le requérant courrait le risque d’être torturé s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Enfin, l’État partie note que le requérant n’a présenté aucun autre élément de nature à prouver qu’il aurait été victime de mauvais traitements dans le passé.

4.6L’État partie considère que les allégations du requérant concernant ses activités politiques ne sont pas crédibles car celui-ci n’a pas établi qu’il avait été actif politiquement. Le requérant n’a en outre fourni aucun détail concernant sa participation aux activités du MLC. Il a d’ailleurs reconnu qu’il n’avait pris part à aucune activité politique depuis son arrivée en Suisse.

4.7L’Office fédéral des migrations et le Tribunal administratif fédéral ont estimé que les allégations du requérant n’étaient pas fiables et qu’elles ne permettaient pas de conclure qu’il risquait d’être soumis à la torture. Ils ont également conclu que le mandat d’arrêt émis contre le requérant était un faux car certaines parties du document étaient rédigées de manière incompréhensible et contenaient des erreurs tandis que d’autres étaient incomplètes. L’État partie a également souligné que le document fourni était imprimé en couleur, ce qui n’était pas une pratique habituelle, et qu’il était relativement aisé de se procurer des faux documents en RDC.

4.8L’Office fédéral des migrations et le Tribunal administratif fédéral ont considéré que la demande d’asile présentée par le requérant était sans fondement et que les déclarations que celui-ci avait faites à l’appui de sa demande étaient en grande partie contradictoires et incohérentes.

4.9L’État partie estime également que le compte rendu des événements qui ont suivi le passage à tabac n’est pas crédible. Les allégations du requérant selon lesquelles il aurait été abandonné dans une sablière par les forces de sécurité qui, par la suite, ont émis un mandat d’arrêt contre lui ne sont pas plausibles. Quant aux allégations selon lesquelles il aurait été persécuté par les forces de sécurité, elles ne le sont pas davantage puisque le requérant a continué de travailler à Kinshasa pendant plusieurs mois après l’incident alors qu’il savait, selon ses dires, qu’un mandat d’arrêt avait été émis contre lui le 6 avril 2007. De plus, l’État partie relève que le requérant a reconnu lors de son audition du 23 janvier 2008 qu’à l’exception de sa participation à une manifestation à Matadi en juin 2006 il n’avait pas été politiquement actif. Le requérant a donc changé de version par la suite, affirmant qu’il était un membre important du MLC, chargé de la sensibilisation de la population. Le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours formé par le requérant le 17 février 2009 au motif qu’il était sans fondement. Dans ce recours, le requérant faisait valoir qu’il n’avait pas bien compris la question posée au cours de l’audition du 23 janvier 2008; or, les questions avaient été claires et simples. Il convient en outre de noter que le requérant n’a présenté aucun argument convaincant ni aucun document de référence prouvant ses activités politiques au sein du Mouvement de libération du Congo. Le requérant n’a pas non plus montré qu’il connaissait la structure de ce parti et ses dirigeants.

4.10D’après l’État partie, le requérant n’a pas levé les nombreuses incohérences révélées pendant la procédure d’asile, ni auprès des autorités nationales, ni dans la requête qu’il a adressée au Comité. L’État s’est donc rallié aux conclusions de l’Office fédéral des migrations et du Tribunal administratif fédéral fondées sur l’absence de crédibilité des allégations du requérant.

4.11L’État partie conclut que rien n’indique qu’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant courrait personnellement un risque grave d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en République démocratique du Congo. Ses allégations et les éléments de preuve qu’il a produits ne permettent pas de conclure qu’il courrait personnellement un risque réel d’être soumis à des actes de torture interdits par l’article premier de la Convention s’il était renvoyé. Au cas où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie invite le Comité à conclure que les faits et allégations dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des obligations de la Suisse au titre de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant concernant les observationsde l’État partie sur le fond

5.1Dans ses commentaires du 28 mai 2010, le requérant rappelle que sa requête est fondée sur l’existence d’un risque réel et personnel qu’il soit torturé ou soumis à des mauvais traitements s’il est renvoyé dans son pays d’origine. Il souligne qu’il a été arrêté, torturé et maltraité par les services de sécurité de la République démocratique du Congo en raison de ses opinions politiques, allégations qui sont étayées par le mandat d’arrêt et par le certificat médical. Il conteste la nécessité de soumettre de nouveaux éléments et renvoie aux allégations qu’il a formulées au cours de la procédure d’asile. Il maintient que l’objectif de sa requête n’était pas de faire réexaminer les décisions rendues par les autorités suisses mais d’obtenir justice. Il conteste également les arguments de l’État partie relatifs aux contradictions et incohérences qui auraient été relevées dans ses allégations, qu’il estime dénués de fondement. Il évoque les événements traumatisants qu’il a vécus, notamment le fait d’avoir quitté son pays et d’avoir été soumis à des interrogatoires par des fonctionnaires inconnus d’un pays étranger. Il fait valoir en outre qu’il n’était pas facile de faire un récit identique des événements lors des deux auditions par les autorités chargées des demandes d’asile. Il conteste la conclusion de l’État partie selon laquelle le certificat médical n’est pas digne de foi et invite le Comité à prendre contact avec le dentiste pour vérifier les raisons du traitement en question.

5.2Le requérant conteste également la conclusion de l’État partie selon laquelle le mandat d’arrêt émis contre lui serait un faux, qui est à ses yeux inexacte et fallacieuse. Il reconnaît que la falsification de documents officiels existe en République démocratique du Congo mais il s’inscrit en faux contre la remise en cause, par l’État partie, de l’authenticité du mandat d’arrêt. Il suggère, pour écarter tout doute possible, que des éclaircissements complémentaires soient demandés aux autorités responsables de la sécurité de la République démocratique du Congo, par l’intermédiaire de l’ambassade de Suisse.

5.3Le requérant rappelle qu’il a été un membre assidu du MLC et qu’il a joué un rôle actif dans la campagne électorale de 2006. D’après lui, les documents prouvant son affiliation au MLC ont été saisis lors de son arrestation, comme il l’a expliqué aux autorités suisses dans le cadre de la procédure d’asile. En ce qui concerne la structure du MLC, le requérant affirme qu’il a répondu à toutes les questions au mieux de ses connaissances et renvoie aux procès-verbaux des auditions réalisées dans le cadre de la procédure d’asile. Au sujet des incohérences relatives aux événements qui ont suivi son passage à tabac, le requérant indique qu’il a repris connaissance à Kimbanseke mais qu’il ne sait pas dans quelles circonstances il y a été amené. Pour le reste, il renvoie aux procès-verbaux des auditions.

5.4Enfin, le requérant affirme que les explications qui précèdent et les circonstances de l’affaire correspondent aux conditions énoncées dans l’Observation générale no1 du Comité et réaffirme qu’il a peur d’être renvoyé dans son pays car la majorité des personnes arrêtées à la suite des événements des 22 et 23 mars 2007 ont été maintenues en détention sans avoir été condamnées ni bénéficié des garanties d’une procédure régulière.

Délibérations du Comité

6.Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note par ailleurs que les recours internes ont été épuisés et que l’État partie ne conteste pas la recevabilité. Il déclare donc la requête recevable et procède à son examen quant au fond.

7.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en République démocratique du Congo, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.2Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture.

7.3Le Comité prend note de la précarité de la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo, notamment de l’escalade qui s’est produite dans les violations des droits de l’homme au cours des élections présidentielles de 2006. Il note que l’État partie a pris ce facteur en considération lorsqu’il a examiné la question de savoir si le requérant courrait personnellement un risque s’il était renvoyé dans son pays, et qu’il a estimé que la situation était moins tendue depuis que Jean-Pierre Bemba avait quitté le pays en 2007.

7.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 relative à l’application de l’article 3 de la Convention, qui dispose ce qui suit: «l’existence d’un … risque [d’être soumis à la torture] doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable»; ce risque doit néanmoins être encouru personnellement et actuellement. Dans des décisions précédentes, le Comité a conclu qu’il doit exister pour la personne concernée un risque prévisible, réel et personnel d’être soumise à la torture. Le Comité rappelle qu’aux termes de son Observation générale no 1, il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.5Le requérant affirme qu’il encourt personnellement et actuellement un risque d’être soumis à la torture en République démocratique du Congo en raison de son appartenance au MLC et de son opposition active à la candidature de M. Kabila lors des élections présidentielles de 2006, qui lui ont valu d’être arrêté et roué de coups par les forces de sécurité, lesquelles sont depuis lors à sa recherche. Il invoque à l’appui de ces allégations le mandat d’arrêt qui aurait été émis contre lui ainsi qu’un certificat médical relatif à des soins dentaires pour prouver qu’il a été victime de mauvais traitements. Le requérant a sollicité une prolongation du délai qui lui était imparti pour répondre aux observations de l’État partie en expliquant qu’il en avait besoin pour obtenir des preuves supplémentaires auprès de ses contacts en République démocratique du Congo, mais il n’a soumis aucun nouveau document qui contribuerait à étayer ses allégations.

7.6Le Comité constate en outre que l’État partie a remis en cause l’authenticité du mandat d’arrêt produit par le requérant, estimant qu’il s’agissait d’un faux. L’État partie a aussi remis en cause la pertinence du certificat médical relatif à des soins dentaires qui a été produit par le requérant. Ce dernier a affirmé au Comité que le mandat d’arrêt et le certificat médical étaient authentiques et pertinents. Néanmoins, il n’a pas apporté de preuves suffisantes de l’authenticité du mandat d’arrêt et n’a pas précisé pourquoi le certificat médical ne contenait pas d’explication concernant la manière dont ses dents avaient été cassées. À cet égard, le Comité relève que d’après le rapport de l’Office fédéral des migrations sur l’audition du requérant, ce dernier a dit que l’obtention d’une copie du mandat d’arrêt lui avait coûté beaucoup d’argent, ce qui a amené l’État partie à conclure que le document avait été falsifié contre un pot-de-vin. Le requérant n’a pas avancé d’arguments convaincants qui permettent au Comité de remettre en cause les conclusions de l’État partie à ce sujet.

7.7En ce qui concerne le risque d’être torturé que le requérant affirme courir en raison du fait qu’il était un membre actif du MLC et qu’il a joué un rôle actif dans la campagne électorale présidentielle de 2006, le Comité note que l’État partie a remis en cause le fondement et la crédibilité des allégations du requérant. Il prend note également de la déclaration du requérant selon laquelle les documents prouvant son affiliation au MLC ont été saisis lors de son arrestation par les forces de sécurité. Il constate que le requérant n’a pas été capable de donner des détails précis sur la structure et les dirigeants du MLC. Il constate également que le requérant n’a pas participé aux activités politiques du MLC en Suisse. Le requérant n’a donné aucune explication concernant les raisons pour lesquelles il n’a pas participé aux activités du MLC après avoir quitté son pays. Le Comité conclut que le requérant n’a pas démontré que sa participation à des activités politiques était telle qu’elle serait de nature à lui faire courir un risque particulier s’il était renvoyé en République démocratique du Congo.

7.8Au vu de tous les renseignements dont il est saisi, le Comité estime que rien dans les éléments dont il dispose n’indique que le requérant, même s’il est possible qu’il ait été actif dans le contexte des élections présidentielles de 2006, soit encore recherché ou risque d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements. Par conséquent, le Comité ne peut pas conclure que le renvoi en République démocratique du Congo exposerait le requérant à un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé au sens de l’article 3 de la Convention. Le Comité prend note avec préoccupation des nombreuses informations relatives aux violations des droits de l’homme commises en République démocratique du Congo, y compris des actes de torture, mais rappelle qu’aux fins de l’article 3 de la Convention, l’intéressé doit courir personnellement un risque prévisible et réel d’être torturé dans le pays de renvoi. Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que l’existence d’un tel risque n’a pas été établie.

7.9En conséquence, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant vers la République démocratique du Congo ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication no 391/2009: M. A. M. A. et consorts c. Suède

Présentée par:

M. A. M. A. et consorts (représentés par un conseil, Per Andersson)

Au nom de:

M. A. M. A. et consorts

État partie:

Suède

Date de la requête:

7 juillet 2009 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 23 mai 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 391/2009 présentée par Per Andersson au nom de M. A. M. A. et consorts en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Les requérants sont M. A. M. A. (né le 25 juin 1956), son épouse, S. S. Y. (née le 14 avril 1960) et leurs six enfants, N. M. A. M. A. (née le 15 octobre 1984), Ah. M. A. M. A. (né le 23 août 1987), S. M. A. M. A. (née le 16 février 1990), K. M. A. M. A. (né le 7 février 1993), J. M. A. M. A. (née le 6 juin 1994) et Am. M. A. M. A. (né le 14 juillet 1995). La famille porte aussi le nom d’A.-P., qui figure dans certaines pièces adressées au Conseil suédois des migrations et au Tribunal suédois des migrations. Les requérants sont tous de nationalité égyptienne et résident actuellement en Suède. Ils affirment que l’exécution des arrêtés d’expulsion vers l’Égypte dont ils font l’objet constituerait une violation des articles 3 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ils sont représentés par un conseil, Per Andersson.

1.2En vertu de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie, le 8 juillet 2009, de ne pas expulser les requérants vers l’Égypte tant que leur requête serait à l’examen. Le 10 décembre 2009, l’État partie a informé le Comité que le Conseil des migrations avait décidé, le 8 juillet 2009, de surseoir à l’exécution de la décision d’expulsion des requérants vers l’Égypte jusqu’à nouvel ordre.

Exposé des faits

Cas de M. A. M. A. (le premier requérant)

2.1Le premier requérant affirme que son grand-père a été fait prince par le roi d’Égypte de l’époque. Ses fils ont hérité du titre, qui a cependant été officiellement révoqué par le Président Gamal Abdel Nasser Hussein. Le premier requérant a reçu une formation d’ingénieur à l’Université du Caire. Les membres de sa famille étaient d’ardents partisans du Président Nasser et il a été éduqué dans l’esprit du nationalisme et de l’unification arabe. Il s’est fait un nom dans le monde arabe pour ses écrits, principalement de la poésie à connotation politique et critique. Les membres de sa famille élargie ont occupé des fonctions importantes dans l’administration du Président Nasser et dans celle du Président Mohammed Anouar el-Sadate. Au début des années 1980, le premier requérant était très actif dans le syndicat étudiant, qu’il a présidé pendant un certain temps. Il a participé à des manifestations et pris la parole lors de meetings. Il a, de ce fait, attiré l’attention de la police. Il a été convoqué et interrogé, sans toutefois craindre pour sa sécurité. Il estimait lutter pour une Égypte meilleure, sans pour autant exercer d’activités politiques dans le cadre d’un parti. En tant que véritable partisan du Président Nasser, il estimait que la politique du Président Sadate s’éloignait de ses idéaux.

2.2Le 6 octobre 1981, le Président Sadate a été assassiné, censément par le cousin du premier requérant, Khalid Islambouli, et la situation du premier requérant et de sa famille a radicalement changé. Les membres de la famille qui avaient occupé de hautes fonctions dans l’administration ont fui l’Égypte et ceux qui sont restés ont été persécutés par la Sûreté égyptienne. Le 12 octobre 1981, le premier requérant a été arrêté par la Sûreté alors qu’il rendait visite à sa tante, la mère de Khalid Islambouli, afin de la consoler. Il a été détenu pendant cinq jours, roué de coups et torturé. Il a été interrogé sur Khalid Islambouli et sur ce qu’il savait de l’assassinat du Président Sadate et du groupe terroriste auquel Khalid Islambouli était présumé appartenir.

2.3Quelques mois après l’assassinat du Président Sadate, le premier requérant a organisé une manifestation d’étudiants pour demander une amélioration des soins de santé, des réformes sociales et des changements dans la politique étrangère à l’égard d’Israël, dont les manifestants estimaient qu’elle divisait le monde arabe. Alors qu’il s’agissait d’une manifestation pacifique, la police a utilisé des gaz lacrymogènes, des matraques et des balles de caoutchouc pour disperser les étudiants. Le premier requérant a été arrêté puis détenu pendant quarante-cinq jours, au cours desquels il a subi plusieurs formes de torture − il a notamment été attaché au plafond par les mains, contraint de rester debout pendant quatorze heures par jour et a subi des violences sexuelles et d’autres violences physiques, ainsi que des insultes verbales. Il aurait été régulièrement examiné par un médecin chargé de déterminer la dose de torture qu’il pouvait encore supporter. Il affirme que ses tortionnaires allaient toujours jusqu’au bout de ce qu’il pouvait endurer. Par exemple, ils lui piquaient la main et laissaient son sang s’écouler dans un récipient, puis le donnaient à boire à un chien. Le pire, toutefois, était lorsque les tortionnaires introduisaient des bouteilles, des matraques et des objets métalliques dans son anus et tiraient ses testicules et ses poils pubiens. Le premier requérant était sans cesse interrogé au sujet de Khalid Islambouli et des Frères musulmans. La police voulait savoir s’il était un islamiste et lui reposait inlassablement les mêmes questions. Lorsque le premier requérant a finalement été libéré, on lui a interdit de dire à qui que ce soit ce qui lui était arrivé et on l’a enjoint de mettre fin à ses activités politiques. Bien que vingt années se soient écoulées depuis lors, le premier requérant continue de faire des cauchemars sur la torture qu’il a subie.

2.4Après quarante-cinq jours de détention, le premier requérant est retourné à l’université pour terminer ses études. Il a mis fin à ses activités politiques et a quitté le syndicat étudiant. Il était sous le coup d’une interdiction de voyager, même dans le pays, et devait se présenter régulièrement à la police. À la fin de 1982, il a dû accomplir le service militaire obligatoire. Il affirme que les personnes dans sa situation obtiennent habituellement des grades élevés, mais que lui a dû nettoyer les toilettes pendant quatorze mois et dormir chaque nuit dans un cachot fermé à clef. Pendant qu’il faisait son service militaire obligatoire, ses parents ont fui en Arabie saoudite.

2.5Après son service militaire, le premier requérant s’est marié et s’est installé à El‑Arish, près du Sinaï. En 1984, deux mois après la naissance de son premier enfant, il a été de nouveau interrogé et torturé.

2.6En janvier 1987, le premier requérant a conduit un auto-stoppeur jusqu’à la frontière avec Israël et a été arrêté par la police peu de temps après. Les policiers lui ont dit qu’ils savaient qu’il était opposé au Gouvernement. Cette fois, le premier requérant a été détenu pendant quatre mois sans qu’aucune accusation soit portée contre lui. Pendant sa détention, il a été torturé et interrogé au sujet de Khalid Islambouli et des Frères musulmans.

2.7Le premier requérant affirme qu’il a été, au total, arrêté et torturé six fois avant de fuir en Arabie saoudite en 1987. Lorsque la police égyptienne a compris qu’il avait fui en Arabie saoudite, son épouse a été interrogée et leur maison a été détruite. Le premier requérant avait pris ses dispositions pour que son épouse et ses enfants le rejoignent en Arabie saoudite quinze mois plus tard. Dans l’intervalle, ses parents étaient retournés en Égypte car ils étaient âgés et ne voulaient pas mourir à l’étranger. Le premier requérant affirme que son père a été arrêté et interrogé. Il ne sait pas exactement ce qui est arrivé à son père, mais celui-ci a «fini à l’hôpital, gravement blessé». Il n’exclut pas que son père ait été torturé.

2.8Le premier requérant, son épouse et leurs enfants sont restés en Arabie saoudite jusqu’en 1997. Alors qu’il travaillait en Arabie saoudite, il aurait fondé une organisation visant à défendre les droits des travailleurs migrants, ce qui lui aurait apparemment causé des problèmes avec les autorités saoudiennes. C’est l’une des raisons pour lesquelles son contrat en Arabie saoudite n’a pas été renouvelé et la famille a été expulsée. Le premier requérant a été contraint de quitter le pays en 1997. Il s’est tout d’abord rendu dans les Émirats arabes unis puis, en juin 1999, en Oman, où il a vécu avec sa famille jusqu’en 2007. Alors qu’il travaillait en Oman, il a créé une page Web contenant des informations sur «des personnalités éminentes» du pays. Lorsque la page Web a été publiée, il a été arrêté par les services de la Sûreté du sultan, qui ont confisqué ses ordinateurs et ses documents et interdit le site Web. Il a été menacé et les agents des services de la Sûreté lui auraient dit que la seule «personnalité éminente» du pays était le sultan. La police l’a placé sous surveillance et son contrat de travail n’a pas été renouvelé, ce qui équivalait à une expulsion. Convoqué à un interrogatoire de police, le premier requérant a pris peur et a fui l’Oman avec sa famille au lieu de se présenter.

Cas de N. M. A. M. A (la deuxième requérante)

2.9Le premier enfant de la famille, N. M. A. M. A., est née au Caire et est arrivée en Arabie saoudite avec sa mère en 1988. Elle a été scolarisée successivement en Arabie saoudite, en Égypte et en Oman. Elle est retournée en Égypte en 2002 pour entrer à l’université car elle ne pouvait pas fréquenter une université omanaise. Elle a étudié à l’université jusqu’à l’été 2006. Pendant ses études, elle a effectué plusieurs voyages entre l’Égypte et l’Oman et, à chacune de ses entrées en Égypte, elle était conduite dans une salle spéciale pour subir un interrogatoire. Elle était interrogée sur son père, sur les raisons pour lesquelles il avait quitté l’Arabie saoudite et sur ses relations en Égypte. Ceux qui l’interrogeaient l’ont toujours traitée d’une manière dégradante et utilisaient des expressions sexuellement outrageantes et humiliantes à son égard et à l’égard de sa famille. Ils lui ont fait craindre pour sa vie et sa sécurité. La deuxième requérante a été convoquée à trois reprises par la Sûreté égyptienne pour des interrogatoires. La troisième fois, au printemps 2006, alors qu’elle était de nouveau interrogée sur son père par un membre de la police de sécurité, celui-ci a pris ses papiers d’identité, a fermé la porte à clef puis a empoigné ses seins et ses organes génitaux et a fait des mouvements obscènes de va-et-vient vers son corps. Elle était terrifiée et essayait de ne pas le contrarier. Le harcèlement s’est poursuivi pendant au moins une heure. Ensuite, le policier l’a chassée de la pièce, en jetant ses documents d’identité, et l’a menacée «d’avoir de nombreux contacts» avec elle à l’avenir. Terrifiée, la deuxième requérante a fui l’Égypte avec sa jeune sœur pour rejoindre leurs parents en Oman. Elle est ensuite restée chez ses parents jusqu’à ce que la famille parte pour la Suède.

Cas d’Ah. M. A. M. A. (le troisième requérant)

2.10Le deuxième enfant de la famille, Ah. M. A. M. A., est né au Caire et est arrivé en Arabie saoudite avec sa mère en 1988. Il a été scolarisé successivement en Arabie saoudite, en Égypte et en Oman. Il est retourné en Égypte en 2004 pour entrer à l’université car il ne pouvait pas fréquenter une université omanaise. À son arrivée, il a été arrêté au poste de contrôle des passeports de l’aéroport, interrogé sur les activités de son père et sur le lieu où celui-ci se trouvait et on lui a pris certains de ses effets personnels. La police des frontières lui a demandé de signaler à la police tout changement d’adresse. Arrivé à l’aéroport le matin, le troisième requérant n’a été libéré que le soir. Lorsqu’elle l’a laissé partir, la police des frontières lui aurait dit d’informer son père que la police le verrait désormais fréquemment. Environ deux mois plus tard, le troisième requérant a emménagé dans son propre appartement et a communiqué sa nouvelle adresse à la police, comme cela lui avait été demandé. Quelques jours plus tard, il a été convoqué par la police. Là, on l’a ligoté, on lui a mis un sac sur la tête et on l’a conduit dans un autre lieu. Au bout d’un jour et demi, des agents se sont mis à l’interroger au sujet de son père. Ceux qui l’interrogeaient criaient des mots à caractère sexuel, l’insultaient et l’humiliaient. Après avoir été interrogé pendant quelques heures, il a été relâché dans sa rue.

2.11Pendant sa première année d’études, le troisième requérant a été arrêté cinq ou six fois pour des interrogatoires. Il est arrivé qu’il soit détenu dans un cachot obscur pendant deux jours, puis relâché sans avoir été interrogé. À la fin de sa première année universitaire, le troisième requérant a rejoint sa famille en Oman pour les vacances d’été. Peu après son retour en Égypte, il a été convoqué pour un interrogatoire. Il a ensuite été détenu pendant une semaine et continuellement interrogé sur son père. On lui a notamment demandé s’il n’avait pas entendu parler de la police de sécurité. Pendant sa détention, il a subi des actes de torture physique et mentale et a notamment été violé. Une fois libéré, il a reçu l’instruction de ne parler à personne de ce qui s’était passé. Quatre ou cinq jours plus tard, il a de nouveau été arrêté, violé et torturé à plusieurs reprises, puis relâché au bout de quatre ou cinq jours. En avril 2006, il a tenté de passer ses examens finaux, mais a dû abandonner en raison de graves troubles post-traumatiques. Il a voulu partir, mais n’a pas pu le faire, n’ayant pas d’autorisation de voyage.

2.12Un jour, le troisième requérant a pris contact avec un avocat, membre de sa famille. Ayant reçu le conseil d’obtenir un certificat médical, il s’est rendu dans un hôpital public environ un mois après avoir subi le dernier viol. Le médecin lui a dit qu’il était possible d’établir qu’il y avait eu viol, mais que trop de temps s’était écoulé pour que l’on puisse identifier l’auteur, puisque le délai d’utilisation du sperme à des fins d’identification était de deux semaines. L’hôpital ne pouvant ouvrir une enquête que sur l’ordre de la police, le troisième requérant devait en premier lieu signaler les faits aux autorités, ce qu’il n’a pas osé faire par crainte de la police. Il s’est donc rendu dans un hôpital privé, disposé à mener l’enquête. Un avocat lui a alors conseillé d’arrêter l’enquête car ce serait trop dangereux pour lui de continuer. Il a suivi ce conseil et a consulté un psychologue, qu’il a ensuite vu régulièrement. La police continuait à venir le chercher une fois par semaine et à le détenir pendant deux ou trois heures chaque fois. Les agents lui posaient les mêmes questions qu’auparavant. Le troisième requérant n’était pas violé mais était agressé, insulté et humilié. Il a réussi à obtenir une autorisation de voyage en payant un pot-de-vin et a quitté l’Égypte pour l’Oman le 13 mai 2006. Il n’a pas été capable de parler à sa famille de la torture qu’il avait subie en Égypte.

Procédure d’asile en Suède

2.13Le premier requérant et sa famille sont allés de l’Oman au Qatar en voiture, d’où ils ont pris l’avion pour un pays non identifié, et sont entrés en Suède en voiture le 13 septembre 2007. Le même jour, la famille a déposé une demande d’asile auprès du service d’examen des demandes d’asile du Conseil des migrations de Gävle. La demande portait notamment sur des autorisations de séjour et de travail.

2.14Le 14 septembre 2007, le Conseil des migrations a organisé de courts entretiens avec les requérants. Pendant l’entretien, le premier requérant a exposé les faits tels que résumés aux paragraphes 2.1 à 2.8 ci-dessus. Le troisième requérant a déclaré qu’il était étudiant à l’université en Égypte lorsque son père lui avait dit au téléphone d’acheter un billet de toute urgence. Son père lui avait expliqué que la famille devait quitter l’Oman le plus rapidement possible. Le troisième requérant a en outre déclaré que son père avait eu des problèmes en Égypte et qu’il ne pouvait pas retourner dans ce pays. Il a ajouté qu’il était aussi recherché en Égypte à cause de son père. Chaque fois qu’il se rendait en Égypte, il était arrêté à l’aéroport, conduit dans une salle d’interrogatoire et interrogé sur son père. Il était agressé pendant les interrogatoires, puis relâché et autorisé à entrer dans le pays. Lorsque le Conseil des migrations l’a interrogé sur les problèmes que son père avait eus en Égypte, il a répondu que son père avait été arrêté à plusieurs reprises parce qu’il était un défenseur des droits de l’homme qui défendait les gens et osait s’opposer au Gouvernement et aux personnes qui étaient au pouvoir. Pendant l’entretien au Conseil des migrations, la deuxième requérante a déclaré que les motifs de sa demande d’asile étaient liés à ceux de son père.

2.15Le 28 octobre 2007, le Conseil des migrations a nommé Per Andersson comme avocat au titre de l’aide juridique pour tous les membres de la famille. Le 26 décembre 2007, l’avocat a déposé des requêtes, notamment des déclarations et une demande de statut de réfugié, ainsi qu’une demande de documents de voyage pour tous les membres de la famille. Le 3 juin 2008, le Conseil des migrations a convoqué sept membres de la famille (tous sauf le plus jeune, Am. M. A. M. A.) pour de nouveaux entretiens menés séparément. La famille a été assistée par son avocat et par un interprète.

2.16Le 24 juillet 2008, le Conseil des migrations a rejeté les demandes de permis de séjour, de statut de réfugié et de documents de voyage déposées par les requérants et a décidé d’expulser ces derniers vers l’Égypte. Il a admis que le troisième requérant avait été torturé, mais a dit qu’il ne croyait pas que c’était à cause de son père. Il a en outre déclaré que les fréquents allers et retours effectués entre 2004 et 2007 entre l’Égypte et l’étranger par le troisième requérant montraient que les autorités ne s’intéressaient pas énormément à lui. Il a également noté que le troisième requérant n’avait pas épuisé tous les recours internes en Égypte en ce qui concernait les allégations de torture.

2.17Le 29 juillet 2008, l’avocat commis au titre de l’aide juridique, Per Andersson, a reçu procuration des premier, deuxième et troisième requérants, de S. S. Y. et de S. M. A. M. A. (la quatrième requérante). Il est depuis lors devenu également le représentant légal des membres de la famille.

2.18Le 6 août 2008, il a été fait appel de la décision du Conseil des migrations devant le Tribunal des migrations. L’avocat a joint à l’appel une demande d’audience, présentée le 11 novembre 2008. Dans un autre courrier, daté du 8 décembre 2008, il a précisé qui serait entendu à l’audience et à quel sujet. Le premier requérant serait par exemple entendu sur ce qui s’était passé lorsqu’il avait été arrêté par la Sûreté égyptienne, sur ce qu’on lui demandait lorsqu’on le torturait et sur le point de savoir s’il estimait que la Sûreté égyptienne s’intéressait encore à lui. De plus, il serait aussi interrogé sur sa famille et présenterait son arbre généalogique à partir du site Internet geni.com et de la correspondance Facebook. Avant l’audience, le Conseil des migrations a rendu un avis daté du 12 janvier 2009, dans lequel il estimait, notamment, que les éléments de preuve mentionnés par la famille devant le Tribunal des migrations pouvaient probablement être rejetés comme superflus. Il affirmait que la valeur probante des pages de Facebook et du site Internet geni.com n’était ni plus forte ni plus faible que celle d’informations données directement par la personne concernée. Le Conseil des migrations admettait qu’il y avait des cas de mauvais traitements infligés par la police égyptienne et que, de manière générale, il pouvait y avoir des cas de torture en Égypte. Il ajoutait toutefois que cette information ne modifiait pas l’évaluation des risques que couraient personnellement les requérants s’ils devaient retourner dans le pays.

2.19L’audience devant le Tribunal des migrations a eu lieu le 27 janvier 2009. Les premier, deuxième, troisième et quatrième requérants étaient présents avec leur avocat. Le Tribunal a noté que des membres de la famille avaient déclaré qu’ils ne souhaitaient pas divulguer certaines informations aux autres membres de la famille et les requérants ont été entendus séparément. L’avocat a soumis la copie d’un certificat médical daté du 18 décembre 2008, émanant de la Clinique pédiatrique de Skelleftea, concernant la quatrième requérante. Le certificat indiquait que celle-ci était traitée pour hyperthyroïdie et avait besoin d’une opération. L’avocat a aussi soumis un certificat concernant le troisième requérant, daté du 7 novembre 2008 et établi par un psychothérapeute du Centre de la Croix-Rouge pour les victimes de guerre et de torture. Selon le certificat, le troisième requérant voyait le psychothérapeute depuis le 18 octobre 2007. Le troisième requérant avait décrit les mauvais traitements que lui avait infligés la Sûreté égyptienne lorsqu’il était étudiant à l’Université du Caire entre 2004 et 2007. Le certificat contenait essentiellement une description par le troisième requérant des violences subies et une déclaration indiquant qu’il avait pris contact avec un avocat égyptien en vue d’obtenir réparation. Le certificat indiquait aussi qu’une psychothérapie était nécessaire pour permettre au troisième requérant de tourner la page.

2.20Le 17 février 2009, le Tribunal des migrations a rejeté dans quatre jugements l’appel formé par les requérants. Tout en reconnaissant qu’il était probable que le premier requérant ait été torturé par les autorités, le Tribunal a fait valoir qu’il s’était écoulé trop de temps depuis les événements pour que la famille continue de présenter un intérêt pour les autorités. Il a noté en outre qu’en l’absence de passeports, que les membres de la famille disaient avoir laissés au passeur à leur arrivée en Suède, il ne pouvait vérifier leur identité. Il a de plus estimé que le fait que leur demande de passeports à l’ambassade d’Égypte en Oman n’ait pas posé de problème confirmait aussi que les autorités ne s’intéressaient pas à la famille. S’agissant de la deuxième requérante, le Tribunal des migrations a déclaré, entre autres, qu’elle n’avait pas été en mesure d’apporter des preuves à l’appui de son récit, à l’aide de documents ou d’autres éléments d’information, même si les renseignements qu’elle avait donnés étaient cohérents et ne contredisaient pas les faits connus.

2.21Les requérants ont fait appel des jugements devant la Cour d’appel des migrations. Le 8 mars 2009, leur avocat a présenté une argumentation détaillée exposant les raisons pour lesquelles la Cour d’appel des migrations devrait les autoriser à faire appel. Il a fait observer, entre autres, que le premier et le troisième requérants avaient subi des actes de torture et des sévices très graves. Le Tribunal des migrations avait fait une interprétation incorrecte des règles juridiques en estimant que le premier requérant n’était plus menacé en raison du temps qui s’était écoulé depuis qu’il avait fait l’objet de mauvais traitements. Le défenseur affirmait que cette analyse n’était pas étayée par les informations concernant la situation en Égypte et demandait à la Cour d’appel des migrations de dire selon quels critères elle concluait que des menaces qui pesaient auparavant avaient disparu. Les requérants affirmaient que la situation en Égypte n’avait pas changé depuis vingt ans; l’état d’urgence en place dans les années 1980 était toujours en vigueur.

2.22L’avocat a fait de plus observer que les événements des années 1980 continuaient d’influencer le comportement des autorités égyptiennes à l’égard des personnes soupçonnées d’être associées aux islamistes. Le premier requérant avait été accusé d’avoir des liens avec un tel groupe et avait, de ce fait, subi des actes de torture et des sévices. La raison en était qu’il avait des liens étroits avec ses cousins Khaled Islambouli, assassin présumé du Président Sadate, et Mohammed Islambouli, qui avait fui l’Égypte et était devenu un membre connu d’al-Qaïda. Le premier requérant appartenait à une famille noble qui faisait partie de la classe dirigeante au temps des Présidents Nasser et Sadate, ce qui renforçait l’hypothèse que la Sûreté égyptienne s’intéressait à lui. En outre, le Tribunal des migrations n’avait pas pris en considération le fait que le premier requérant avait fui l’Égypte en 1987, alors qu’il devait se présenter à la police et qu’il faisait l’objet d’une interdiction de voyager. Il était, par conséquent, probable que l’on se serait de nouveau intéressé à lui s’il était revenu. L’avocat ajoutait qu’il était assez incroyable que le Tribunal des migrations ait conclu que le troisième requérant n’avait pas montré qu’il était probable que les mauvais traitements qu’il avait subis étaient dus aux activités de son père. Il ajoutait que l’on aurait dû lui accorder le bénéfice du doute, puisque la seule information qui ressortait était qu’il avait été arrêté et torturé à cause de son père. En outre, la Cour d’appel des migrations devrait expliquer de quelle manière devait être évaluée la situation en Égypte concernant le risque de torture et d’autres traitements inhumains. L’avocat notait que des lois d’exception, qui autorisaient la torture dans certaines situations, étaient en vigueur en Égypte.

2.23Le 20 mai 2009, la Cour d’appel des migrations a rendu quatre décisions, refusant d’accorder l’autorisation de faire appel. Elle a estimé que rien, dans l’affaire, ne constituait un motif justifiant l’octroi de l’autorisation de faire appel.

2.24Le 11 juin 2009, les requérants ont sollicité l’examen, par le Conseil des migrations, des obstacles à l’exécution des arrêtés d’expulsion et ont demandé, entre autres, des permis de séjour, le statut de réfugié et des documents de voyage. Ils ont aussi demandé au Conseil des migrations de surseoir à l’exécution des arrêtés d’expulsion et de nommer, pour la famille, un défenseur commis au titre de l’aide juridique ayant une connaissance technique de l’Internet. Les motifs invoqués par les requérants pour la demande d’examen et pour la demande de sursis à exécution étaient notamment le fait que le premier requérant appartenait à un groupe d’intellectuels qui pensaient que l’assassinat du Président Sadate s’inscrivait dans le cadre d’un complot orchestré par le Président Hosni Moubarak et les membres de sa faction. Le premier requérant estimait qu’il n’avait pas été prouvé que son cousin, Khalid Islambouli, était l’assassin. Depuis qu’il était arrivé en Suède, le premier requérant menait une campagne pour obtenir de l’Organisation des Nations Unies qu’elle enquête sur l’assassinat du Président Sadate et innocente son cousin. Il avait lancé plusieurs blogs, sur lesquels il avait affiché des informations sur l’assassinat auxquelles lui seul avait accès. Il avait vérifié les adresses de protocole Internet des personnes qui consultaient ces blogs et constaté que la plupart d’entre elles correspondaient à l’Égypte. Certaines de ces adresses permettaient de remonter jusqu’aux autorités égyptiennes. Le premier requérant pensait qu’il s’agissait probablement de la Sûreté égyptienne, qui était connue pour rechercher les dissidents sur l’Internet. Étant donné que les informations permettaient de remonter jusqu’au premier requérant, la Sûreté égyptienne savait probablement que c’était lui qui les avait affichées. Il existait, par conséquent, un risque élevé qu’il soit traduit en justice et condamné à une peine d’une sévérité disproportionnée, probablement la peine capitale, pour avoir diffusé ces informations. Il ne lui avait pas été possible de faire valoir ce fait plus tôt, puisqu’il ne s’était produit qu’en 2009.

2.25Le 23 juin 2009, le Conseil des migrations a rejeté la demande de sursis à l’exécution de la décision et la demande de désignation d’un avocat au titre de l’aide juridique. Le 3 juillet 2009, il a décidé de ne pas octroyer de permis de séjour au titre de l’article 18 du chapitre 12 de la loi suédoise sur les étrangers (la loi) et de ne pas autoriser le réexamen de la question des permis de séjour au titre de l’article 19 du chapitre 12 de la loi. Le Conseil des migrations a estimé que des activités politiques menées dans le pays où a fui l’intéressé contre le régime de son pays d’origine ne pouvaient constituer un motif pour accorder l’asile, à moins qu’il ne soit démontré qu’il était probable, dans une affaire donnée, que lesdites activités entraîneraient des persécutions ou un harcèlement de la part des autorités du pays d’origine après le retour de l’intéressé. Conformément à la jurisprudence établie, si l’examen des activités menées par un demandeur d’asile en Suède n’a pas fait apparaître d’objectif autre que celui d’influer sur la décision concernant son droit de rester en Suède, il sera jugé qu’il ne convient pas d’accorder une importance décisive à ces seules activités dans l’appréciation du besoin de protection. En outre, une personne qui mène des activités politiques dans le pays dans lequel elle a fui avant que la question de son permis de séjour ne soit réglée de manière définitive ne considère pas elle-même comme particulièrement élevés les risques qu’elle court si elle retourne dans son pays d’origine.

2.26Le Conseil des migrations a jugé en outre que le fait que le premier requérant était convaincu que la Sûreté égyptienne surveillait son site Web était un élément nouveau, qui n’avait pas été mentionné auparavant. Il a estimé, toutefois, qu’aucun nouveau motif ne permettait de considérer qu’il existait des obstacles à l’exécution de la décision au titre de l’article 18 du chapitre 12 de la loi. En outre, les faits nouveaux n’étaient pas tels qu’ils puissent être considérés comme un obstacle à l’exécution d’une décision du type de ceux mentionnés aux articles 1er à 3 du chapitre 12 de la loi, concernant la famille. Le Conseil a, par conséquent, estimé qu’il n’existait aucune raison d’examiner la question des permis de résidence au titre de l’article 19 du chapitre 12 de la loi.

2.27Le 3 novembre 2009, les requérant ont sollicité un réexamen par le Conseil des migrations et demandé des permis de séjour, le statut de réfugié et des documents de voyage. Les motifs de la demande de réexamen étaient notamment l’existence d’une situation de détresse exceptionnelle, vécue en particulier par les enfants, mais également par le reste de la famille. Il était indiqué, dans le courrier adressé au Conseil des migrations, que la famille avait saisi le Comité au sujet des arrêtés d’expulsion et que le Comité avait accepté d’examiner la requête. Les requérants ajoutaient que si la famille obtenait un permis de séjour, la requête présentée au Comité pourrait être retirée. Le 4 novembre 2009, le Conseil des migrations a estimé qu’il n’existait aucun motif de modifier la décision rendue précédemment.

Teneur de la plainte

3.1Les requérants affirment que la Sûreté égyptienne continue de s’intéresser à eux car le cousin du premier requérant, Khalid Islambouli, aurait assassiné le Président Sadate, outre que les Frères musulmans, liés à l’assassinat, sont aujourd’hui appelés Jihad islamique égyptien et ont des liens avec al-Qaïda et que l’autre cousin du premier requérant, Mohammed Islambouli, est soupçonné d’appartenir à ce groupe et d’avoir tenté d’assassiner le Président Moubarak en 1995. Ils affirment que les liens familiaux qu’ils ont mentionnés, s’ajoutant au fait que le premier requérant est connu pour être un «nassérien», opposé aux autorités égyptiennes et appartient à une famille influente, les exposent personnellement au risque d’être torturés s’ils étaient contraints de retourner en Égypte. Ils font valoir, par conséquent, que l’exécution des décisions visant à les expulser vers leur pays d’origine constituerait une violation des articles 3 et 16 de la Convention.

3.2Les requérants affirment en outre qu’ils devraient être traités en tant que famille, c’est-à-dire que, s’il y a suffisamment de motifs pour accorder l’asile au premier requérant, ses enfants devraient aussi l’obtenir. En particulier, les deuxième et troisième requérants indiquent qu’ils ont de bonnes raisons de craindre d’être persécutés et de subir de graves sévices, tant à cause des activités politiques menées précédemment par le premier requérant qu’à cause de leurs liens de parenté avec l’assassin présumé du Président Sadate. Ils ajoutent qu’ils ne peuvent bénéficier d’aucune protection en Égypte et qu’ils craignent d’être tués, torturés, violés ou soumis à d’autres peines ou traitements inhumains ou humiliants.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 24 février 2010, l’État partie soumet ses observations sur la recevabilité et sur le fond. En ce qui concerne la recevabilité, il déclare qu’à sa connaissance la même question n’a pas été ou n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Pour ce qui est du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il admet que tous les recours internes disponibles ont été épuisés en ce qui concerne la présente requête.

4.2L’État partie fait valoir que, si le Comité décide que la requête est recevable, il aura, sur le fond, à déterminer si l’expulsion des requérants constituerait un manquement à l’obligation, qui incombe à la Suède en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. À cet égard, l’État partie se réfère à la jurisprudence du Comité, qui a toujours affirmé que l’examen de la question de savoir si le retour forcé d’une personne dans un autre pays constituerait une violation de l’article 3 de la Convention a pour objectif de déterminer si l’intéressé risque personnellementd’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Pour qu’une violation de l’article 3 soit établie, il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un tel risque.

4.3En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme, l’État partie affirme que l’Égypte a signé/ratifié l’ensemble des principaux instruments de l’ONU relatifs aux droits de l’homme, notamment la Convention. Elle n’a toutefois pas signé ni ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention. Depuis 1996, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a demandé en vain l’autorisation d’effectuer une visite dans le pays. Un conseil national des droits de l’homme a été créé sous l’égide de Boutros Boutros-Ghali. L’État partie ajoute qu’il reste beaucoup à faire en ce qui concerne le traitement des personnes arrêtées et détenues et la torture dans les postes de police, notamment en cas d’arrestation liée à des motifs politiques, et mentionne plusieurs rapports sur la situation générale des droits de l’homme en Égypte.

4.4L’État partie déclare que, sans vouloir sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation des droits de l’homme en Égypte, il n’a aucun doute sur le fait que les situations décrites dans les rapports évoqués plus haut ne suffisent pas en elles-mêmes à établir que le retour forcé des requérants en Égypte constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. De ce point de vue, il considère qu’on ne peut affirmer que la situation en Égypte est telle qu’il existe un besoin général de protection des demandeurs d’asile originaires d’Égypte. Le Comité devrait, par conséquent, déterminer les risques que courent personnellement les requérants d’être soumis à la torture, telle que définie à l’article premier de la Convention, s’ils étaient renvoyés en Égypte.

4.5L’État partie affirme que les services et les tribunaux suédois des migrations appliquent, pour mesurer les risques de torture lors de l’examen au titre de la loi d’une demande d’asile, les mêmes critères que ceux qu’applique le Comité lorsqu’il examine au titre de la Convention une requête présentée ultérieurement. L’État partie ajoute qu’il ne faut pas oublier que l’autorité nationale chargée des entretiens avec les demandeurs d’asile est très bien placée pour apprécier les informations présentées par ceux-ci et évaluer la crédibilité de leurs affirmations. En l’occurrence, le Conseil des migrations a organisé plusieurs entretiens avec les requérants, qui ont aussi été entendus par le Tribunal des migrations. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie estime qu’en règle générale il convient d’accorder une grande importance à l’avis des services suédois de l’immigration.

4.6L’État partie note qu’en l’espèce, tant le Conseil des migrations que le Tribunal des migrations ont, de manière générale, accepté les faits tels que présentés par les requérants et qu’il n’a aucune raison d’évaluer différemment ces faits. La question de savoir si les requérants courent personnellement le risque d’être torturés, en violation de l’article 3 de la Convention, s’ils sont expulsés aujourd’hui vers leur pays d’origine devrait, par conséquent être examinée en utilisant comme point de départ les déclarations des requérants. À ce sujet, l’État partie affirme qu’il n’a aucune raison de remettre en cause le fait que le premier requérant a été exposé au traitement qu’il a décrit devant les services suédois de l’immigration et devant le Comité, ni ses liens de parenté avec la personne reconnue coupable de l’assassinat du Président Sadate. Compte tenu de ce qui précède, il ne semble pas improbable que les autorités égyptiennes s’intéressent encore à lui, même si beaucoup de temps s’est écoulé depuis les événements. De plus, les activités du premier requérant sur l’Internet en Suède, qui mettent en doute le fait que les véritables assassins du Président Sadate ont été condamnés et punis, devraient aussi être prises en compte de ce point de vue.

4.7Par conséquent, l’État partie estime qu’il ne peut être exclu que les autorités égyptiennes s’intéresseraient aussi au reste de la famille. Il rappelle que la Sûreté égyptienne aurait fait subir à la deuxième requérante un traitement pénible et déplaisant. De plus, le troisième requérant aurait été violé à plusieurs reprises par des policiers alors qu’il était en garde à vue en Égypte. Il a donné des explications sur les raisons pour lesquelles il n’a pas pu fournir de certificat médical attestant ces viols. Il a aussi expliqué pourquoi il n’avait pas osé signaler ces faits aux autorités égyptiennes. L’État partie note qu’il n’est pas possible d’exclure complètement qu’il pourrait être exposé à un traitement similaire s’il était renvoyé en Égypte.

4.8L’État partie conclut que, compte tenu de l’historique de la situation du premier requérant et de la nature des allégations des autres requérants, il laisse le soin au Comité de déterminer si l’exécution des arrêtés d’expulsion les concernant constituerait une violation des articles 3 et 16 de la Convention.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie

5.Dans une lettre datée du 17 juin 2010, les requérants notent avec satisfaction qu’à en juger par les observations qu’il a faites sur la recevabilité et sur le fond, l’État partie a bien compris leur cause. En particulier, l’État partie conclut qu’il ne semble pas improbable que les autorités égyptiennes s’intéressent aux requérants et qu’il n’est pas possible d’exclure complètement que le troisième requérant risque d’être soumis à la torture ou à des traitements analogues s’il est renvoyé en Égypte. Par conséquent, les requérants ne souhaitent rien ajouter aux observations de l’État partie, si ce n’est soumettre quelques informations récentes qui viennent appuyer leurs affirmations et montrent que la situation en Égypte pour les personnes considérées comme ayant des liens avec les Frères musulmans est dangereuse. Les requérants concluent que l’État partie appuie leur demande et qu’il est clair qu’ils ont été victimes d’une violation de la Convention.

Commentaires supplémentaires des requérants

6.1Dans un autre courrier, daté du 26 octobre 2011, les requérants font observer que, malgré les changements politiques, ils considèrent que la situation en Égypte reste extrêmement dangereuse pour eux. Même si le Président Moubarak et son gouvernement ont dû partir, la police militaire et la Sûreté égyptienne sont les mêmes organisations qu’avant la révolution. Étant donné que les requérants ont été interrogés et torturés par la police militaire, on ne peut pas exclure qu’ils risquent de subir un traitement analogue s’ils étaient renvoyés en Égypte. Ils ajoutent que les autorités égyptiennes considèrent que le premier requérant est lié aux groupes terroristes islamistes. Par conséquent, lui-même et sa famille attireraient encore l’attention des autorités égyptiennes.

6.2Les requérants rappellent que le premier requérant est un blogueur actif et a critiqué le régime militaire en place en Égypte. Le Conseil suprême des forces armées a prévenu les organes d’information qu’il était illégal de critiquer l’armée dans la presse. Un tribunal militaire a condamné un blogueur, Maikel Abil, à trois ans d’emprisonnement pour outrage à l’armée. D’autres personnes ont critiqué le Conseil suprême des forces armées dans des articles de presse dénonçant le fait que des femmes détenues par les autorités militaires soient soumises à des «tests de virginité» effectués par des médecins. Des affrontements se sont parfois produits entre la police militaire et des manifestants, ce qui a entraîné un décès, le 8 avril 2011, et des centaines d’arrestations. Les requérants affirment par conséquent que l’on ne peut exclure que le premier requérant risque de subir un traitement analogue s’il est renvoyé en Égypte.

6.3Enfin, les requérants insistent sur le fait que le cousin du premier requérant, Khalid Islambouli, a été reconnu coupable de l’assassinat, en 1982, du Président Sadate et que cela suffit pour faire du premier requérant un suspect à vie aux yeux de la police militaire et des services de la Sûreté. Pour cette raison, il présenterait un intérêt pour ces derniers s’il rentrait en Égypte.

Autres observations de l’État partie

7.1Dans une autre lettre, datée du 3 janvier 2012, l’État partie note, comme les requérants, que des événements majeurs se sont produits en Égypte au cours de l’année 2011. Toutefois, il ne peut conclure que la situation générale en Égypte appelle un changement de position en ce qui concerne la présente affaire.

7.2L’État partie ajoute que, le 13 septembre 2011, le Conseil des migrations a décidé de rejeter une demande de réexamen de l’affaire déposée par les requérants au titre des articles 18 et 19 du chapitre 12 de la loi suédoise sur les étrangers. Les requérants faisaient observer qu’il existait des obstacles à l’exécution des arrêtés d’expulsion les concernant, compte tenu, notamment, de l’importante détérioration de la situation en Égypte. Le Conseil des migrations a cependant estimé que la situation générale en tant que telle n’empêchait pas l’exécution des arrêtés d’expulsion, et n’appelait pas non plus de changements significatifs dans les évaluations individuelles faites auparavant concernant la possibilité que les requérants soient renvoyés en Égypte. Par conséquent, les conditions requises pour autoriser le réexamen de leur affaire n’étaient pas remplies, puisque aucun «fait nouveau» au sens de la loi n’était apparu. Le 7 novembre 2011, le Tribunal des migrations a rejeté l’appel formé par les requérants contre la décision du Conseil des migrations, en se fondant essentiellement sur le raisonnement de celui-ci.

7.3Enfin l’État partie note que, depuis le 14 septembre 2011, une procédure distincte, relative aux obstacles à l’exécution de la décision d’expulsion concernant J. M. A. M. A., est en instance devant le Conseil des migrations.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Il s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examinera aucune requête émanant d’un particulier sans s’être assuré que l’intéressé a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce l’État partie a reconnu que les requérants avaient épuisé tous les recours internes disponibles.

8.3Le Comité note que les requérants ont affirmé que les droits qui leur sont garantis par l’article 16 de la Convention ont été violés, sans toutefois présenter le moindre argument ou élément de preuve à l’appui de ce grief. Il conclut par conséquent que, cette allégation n’ayant pas été étayée aux fins de la recevabilité, cette partie de la requête est irrecevable.

8.4Le Comité considère qu’il n’existe aucun autre obstacle à la recevabilité et déclare la requête recevable. Puisque tant l’État partie que le requérant ont fait part de leurs observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête, le Comité procède immédiatement à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties concernées.

9.2Le Comité doit déterminer si, en expulsant les requérants vers l’Égypte, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

9.3Le Comité prend note de l’affirmation des requérants, qui font observer qu’ils doivent être traités comme une famille et que, s’il existe suffisamment de motifs d’accorder l’asile au premier requérant, les membres de sa famille doivent aussi l’obtenir, et décide d’examiner en premier lieu l’allégation du premier requérant indiquant qu’il court personnellement le risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé de force en Égypte en raison de ses activités politiques passées et de ses liens de parenté directs avec l’assassin présumé du Président Sadate. À cette fin, le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi dans son pays d’origine. Pour ce faire, le Comité doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il rappelle cependant que son examen a pour but de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture dans le pays dans lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays en question n’est pas en soi un motif suffisant pour établir que cette personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu’elle serait personnellement en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

9.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 (1996) sur l’application de l’article 3 de la Convention contre la torture, dans laquelle il affirme que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il rappelle que, même s’il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est «hautement probable», le fardeau de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables établissant un risque «prévisible, réel et personnel». Il rappelle en outre que, conformément à son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de faits des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est, au contraire, habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

9.5En l’espèce, le Comité note que l’État partie a reconnu et pris en considération le fait qu’il restait beaucoup à faire en Égypte pour ce qui était du traitement des personnes arrêtées et détenues et de la torture dans les postes de police. Toutefois, sans sous-estimer les préoccupations qui pouvaient légitimement être exprimées au sujet de la situation des droits de l’homme en Égypte, l’État partie considérait que l’on ne pouvait pas dire que la situation en Égypte au moment de l’examen de la cause du premier requérant par les autorités nationales était telle qu’il existait un besoin général de protection des demandeurs d’asile en provenance d’Égypte.

9.6Pour ce qui est de la position de l’État partie concernant l’appréciation du risque que le premier requérant soit soumis à la torture, le Comité note que l’État partie a convenu qu’il ne semblait pas improbable que les autorités égyptiennes s’intéressent encore au premier requérant en raison de son lien de parenté avec la personne reconnue coupable de l’assassinat du Président Sadate, même si beaucoup de temps s’est écoulé depuis les événements. En outre, les activités du premier requérant sur l’Internet en Suède, mettant en doute le fait que les véritables assassins du Président Sadate ont été condamnés et punis, devraient aussi être prises en considération dans ce contexte. Enfin, l’État partie a convenu que l’on ne pouvait pas exclure que les autorités égyptiennes s’intéresseraient aussi au reste de la famille. Il a en particulier souligné que la Sûreté égyptienne aurait fait subir des mauvais traitements à la deuxième requérante et que le troisième requérant aurait été violé à plusieurs reprises par des policiers alors qu’il était en garde à vue. En conséquence, il n’était pas possible d’exclure complètement que le premier requérant risquait de subir le même type de traitement s’il était renvoyé en Égypte.

9.7Le Comité prend acte du fait que compte tenu de l’historique de la situation du premier requérant et de la nature des allégations des autres requérants, l’État partie lui laisse le soin de déterminer si l’exécution des arrêtés d’expulsion les concernant constituerait une violation de la Convention. Étant donné que l’État partie reconnaît qu’il est probable que les autorités égyptiennes s’intéressent aux premier, deuxième et troisième requérants et compte tenu de l’historique de la situation du premier requérant et de la nature de ses allégations, le Comité conclut que les premier, deuxième et troisième requérants ont établi qu’ils couraient un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture s’ils devaient être renvoyés maintenant en Égypte.

9.8Le Comité note en outre que, dans un autre courrier daté du 3 janvier 2012, l’État partie a reconnu que, bien que des événements majeurs se soient produits en Égypte en 2011, ils n’appelaient pas un changement de position en ce qui concerne la présente affaire. Par conséquent, le Comité conclut que le premier, la deuxième et le troisième requérants ont établi qu’ils couraient un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture s’ils devaient être renvoyés maintenant en Égypte.

10.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que l’exécution de la décision d’expulsion concernant M. A. M. A., N. M. A. M. A. et Ah. M. A. M. A. vers leur pays d’origine constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

11.Étant donné que les causes de l’épouse de M. A. M. A. et de leurs quatre enfants, qui étaient mineurs au moment où la famille a déposé une demande d’asile en Suède, dépendent de la cause de M. A. M. A., le Comité n’estime pas nécessaire de les examiner individuellement.

12.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite à ses constatations.

Communication no393/2009: E. T. c. Suisse

Présentée par:

E. T. (representée par un conseil, M. Tarig Hassan)

Au nom de:

E. T.

État partie:

Suisse

Date de la requête:

27 juillet 2009 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 23 mai 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 393/2009, présentée par Tarig Hassan au nom de E. T. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par la requérante, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1La requérante est E. T., née le 30 août 1963 en Éthiopie. Dans sa communication, datée du 27 juillet 2009, elle affirme que son renvoi dans ce pays constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La requérante est représentée par un conseil, Tarig Hassan.

1.2Le 31 juillet 2009, en application de l’article 114 (ancien art. 108) de son règlement intérieur, le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser la requérante vers l’Éthiopie tant que sa requête serait à l’examen. Le 3 août 2009, l’État partie a informé le Comité qu’il accédait à sa demande de mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1La requérante appartient à la minorité ethnique amhara, qui vit essentiellement sur les hauts plateaux du centre de l’Éthiopie. Elle a quitté son pays en raison de problèmes politiques et est arrivée le 31 juillet 2003 en Suisse, où elle a déposé une demande d’asile.

2.2Le 14 juin 2005, l’Office fédéral des migrations a rejeté la demande d’asile de la requérante et lui a ordonné de quitter la Suisse. Le 9 août 2007, le Tribunal administratif fédéral l’a déboutée de l’appel qu’elle avait formé contre cette décision au motif qu’il n’avait pas été établi que les activités politiques menées en Suisse par la requérante l’avaient fait connaître au point d’attirer l’attention des autorités éthiopiennes.

2.3En Suisse, la requérante a poursuivi ses activités politiques au sein de la diaspora éthiopienne. Elle est devenue un membre actif du KINIJIT/Coalition for Unity and Democracy Party (CUDP) de Suisse, mouvement d’opposition de la diaspora, et a participé à de nombreux rassemblements et manifestations politiques. D’après la requérante, le CUDP est l’un des principaux mouvements d’opposition éthiopiens. En Éthiopie, ce parti est régulièrement la cible de la répression politique exercée par le Gouvernement et des actes de harcèlement continuent d’être commis à l’égard de ses membres. À titre d’exemple, la requérante évoque le cas de Birtukan Mideksa, une dirigeante du CUDP qui a été arrêtée le 28 décembre 2008, déclarée coupable de tentative de renversement de l’ordre constitutionnel et condamnée à la réclusion à perpétuité. Un mois environ avant son arrestation, Birtukan Mideksa avait rendu visite à la section suisse du KINIJIT, à Genève. La requérante l’avait rencontrée personnellement et l’avait aidée à organiser ses réunions.

2.4Pendant de nombreuses années, la requérante a participé à l’organisation de rassemblements pour son mouvement politique en Suisse. Plusieurs photos d’elle, sur lesquelles on la voyait participer à des manifestations, ont été publiées par les médias. Parallèlement à ses activités au sein du KINIJIT, la requérante a rejoint l’Association des Éthiopiens en Suisse (AES), un forum communautaire de discussion très important pour la diaspora éthiopienne, qui organise des événements culturels et politiques. Depuis 2004, la requérante est membre du comité exécutif de l’AES. Elle a également fait une intervention publique sur une radio locale suisse dans le cadre d’une émission éthiopienne, au cours de laquelle elle s’est adressée en amharique à ses compatriotes.

2.5Le 5 octobre 2007, la requérante a déposé une deuxième demande d’asile motivée par les activités politiques qu’elle avait récemment menées en Suisse. L’Office fédéral des migrations a transmis sa requête au Tribunal administratif fédéral, qui l’a traitée comme une demande en révision. Le Tribunal a débouté la requérante le 12 juin 2009 au motif qu’il n’avait pas été établi que son renvoi en Éthiopie la mettrait réellement en danger, et a ordonné son expulsion.

Teneur de la plainte

3.1La requérante affirme que son renvoi forcé en Éthiopie par la Suisse constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, étant donné qu’elle risque d’être arrêtée et torturée en raison de ses activités politiques en Suisse. La requérante souligne que le Tribunal administratif fédéral, lors de l’examen au fond de demandes d’asile soumises antérieurement par des membres de la diaspora éthiopienne participant aux activités du KINIJIT, a reconnu que les autorités éthiopiennes chargées de la sécurité surveillaient les activités des Éthiopiens en exil et les consignaient dans une base de données électronique. La requérante ajoute que le Tribunal fédéral, dans une affaire similaire, a reconnu que les Éthiopiens vivant à l’étranger et actifs au sein du CUDP, ou simplement sympathisants de ce mouvement, couraient un risque élevé d’être repérés par les autorités éthiopiennes.

3.2La requérante fait valoir que ses activités vont bien au-delà de celles d’une simple sympathisante. En effet, non seulement elle participe régulièrement à des manifestations politiques, mais elle publie des articles critiques sur Internet et elle est devenue une figure importante de la diaspora éthiopienne. Elle a des contacts avec des responsables de premier plan de l’opposition, comme le montre sa rencontre avec Mme Mideksa. D’après elle, de tels contacts font d’elle une personne en vue et sont de nature à attirer l’attention des forces de sécurité éthiopiennes.

3.3La requérante soutient que le Tribunal administratif fédéral n’a pas examiné de manière approfondie le risque de torture que lui feraient courir ses activités politiques si elle était renvoyée contre son gré en Éthiopie. Elle ajoute que l’Éthiopie est connue pour les violations des droits de l’homme commises à l’encontre de responsables de l’opposition, et que des sources dignes de foi confirment que les autorités éthiopiennes surveillent les activités de la diaspora éthiopienne. La requérante affirme donc qu’elle courrait un risque bien réel d’être arrêtée et torturée si elle était renvoyée en Éthiopie.

3.4D’après les organisations de défense des droits de l’homme, le Gouvernement éthiopien a intensifié ses efforts pour museler la dissidence. Le Parlement éthiopien débat actuellement d’un nouveau projet de loi antiterroriste qui vise à réprimer toutes les formes d’opposition dans le pays et assimile les activités politiques, y compris les manifestations politiques non violentes, à des actes terroristes. La requérante fait valoir que ce projet de loi prévoit également la possibilité de prononcer de longues peines de prison ou la peine capitale pour des infractions telles que les atteintes aux biens ou la perturbation de tout service public à des fins politiques, religieuses ou idéologiques. Elle ajoute qu’il suffit qu’une personne menace de commettre une telle infraction pour qu’elle soit poursuivie en tant que terroriste. La requérante indique qu’en raison de ses antécédents politiques et de son rôle de premier plan au sein du KINIJIT/CUDP, elle craint d’être persécutée, et qu’elle risque fort d’être torturée si elle est renvoyée en Éthiopie.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 27 janvier 2010, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il fait valoir qu’en vertu de l’article 3 de la Convention, il est interdit aux États parties d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. L’existence de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne risque d’être victime de torture à son retour dans ce pays; pour que l’article 3 s’applique, il faut qu’il existe des motifs supplémentaires de penser que l’intéressé court un risque «prévisible, réel et personnel» d’être soumis à la torture.

4.2En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en Éthiopie, l’État partie fait valoir que les élections qui se sont déroulées dans ce pays en mai et août 2005 ont renforcé la représentation des partis d’opposition au Parlement. Il admet que, même si les droits de l’homme sont expressément reconnus dans la Constitution éthiopienne, les cas d’arrestation et de détention arbitraire sont nombreux, et en particulier parmi les membres de partis d’opposition. De plus, il n’existe pas de système judiciaire indépendant. Cependant, le fait d’appartenir ou de soutenir un parti d’opposition n’expose pas en soi au risque d’être persécuté. La situation est différente pour les personnes qui occupent des postes de premier plan dans un parti d’opposition. Compte tenu de ce qui précède, les autorités suisses compétentes en matière d’asile ont adopté une approche différenciée pour évaluer le risque de persécution. Elles considèrent que les personnes soupçonnées par les autorités éthiopiennes d’appartenir au Front de libération oromo ou au Front national de libération de l’Ogaden sont exposées au risque d’être persécutées. Pour les membres d’autres groupes d’opposition, comme la Coalition for Unity and Democracy (CUD, souvent appelée KINIJIT ou CUDP), le risque de persécution est mesuré au cas par cas, en tenant compte des critères évoqués plus haut. Pour ce qui est de la surveillance des activités politiques des Éthiopiens en exil, l’État partie fait valoir que selon les informations dont il dispose, les missions diplomatiques ou consulaires éthiopiennes ne disposent ni du personnel ni des structures nécessaires pour surveiller de manière systématique les activités politiques des membres de l’opposition en Suisse. Cependant, les membres actifs ou importants de l’opposition, ainsi que les militants d’organisations prônant l’usage de la violence, courent le risque d’être repérés et fichés, et, par conséquent, de faire l’objet de persécutions en cas de renvoi en Éthiopie.

4.3L’État partie prend note du fait que la requérante ne dit pas avoir été torturée, ni avoir été arrêtée ou placée en détention par les autorités éthiopiennes. Il rappelle par conséquent les conclusions auxquelles sont parvenus l’Office fédéral des migrations le 22 mars 2007 et le Tribunal administratif fédéral le 9 août 2007, qui ont tous deux estimé que les allégations de la requérante au sujet de son arrestation en Éthiopie n’étaient pas crédibles. Il relève également que la requérante, persécutée selon ses dires en raison de ses activités politiques en Éthiopie, a quitté le pays avec un visa de sortie en bonne et due forme.

4.4En ce qui concerne les activités politiques de la requérante dans son pays d’origine, l’État partie résume les conclusions des instances internes, qui ont examiné de près le dossier de la requérante et ont estimé que ses affirmations au sujet de son engagement politique manquaient de crédibilité. À l’appui de sa demande auprès des autorités nationales, la requérante a fourni trois convocations et un document de la police fédérale, dont l’authenticité a été jugée douteuse pour ce qui est des signatures, du timbre et de l’autorité ayant émis les documents. De plus, pendant la procédure interne, la requérante s’est contredite sur des points importants.

4.5L’État partie note que la requérante dit appartenir à l’Association des Éthiopiens en Suisse (AES) et avoir été chargée, en tant que membre du comité exécutif de cette association, d’organiser de nombreuses activités politiques, y compris des manifestations. L’État partie fait valoir que selon le registre du commerce, l’AES est une organisation politiquement neutre et la requérante ne fait pas partie des membres de son comité directeur. L’État partie ajoute que la requérante a fourni une lettre de confirmation du président des «Groupes de soutien du KINIJIT au Conseil de l’Europe, en Afrique et en Australie» et une photo où on la voyait aux côtés de Birtukan Mideksa. L’État partie explique que selon cette lettre, l’activité de la requérante s’est limitée à la préparation d’une visite d’une délégation du CUDP en Suisse. Il fait valoir qu’aucun des documents produits par la requérante ne fait apparaître un engagement politique allant au-delà du fait de participer à des manifestations, comme le font la plupart des Éthiopiens ayant des activités politiques en Suisse. L’État partie ajoute que compte tenu de leurs ressources limitées, les autorités éthiopiennes se concentrent sur les personnes dont les activités sortent de l’ordinaire ou dont la fonction ou l’activité particulière est de nature à constituer un danger pour le régime éthiopien. Le cas de Birtukan Mideksa en est un exemple. Cependant, la requérante ne présentait pas un tel profil politique à son arrivée en Suisse, et l’État partie estime raisonnable d’exclure le fait qu’elle ait acquis un tel profil par la suite. L’État partie maintient que les documents produits par la requérante ne permettent pas de conclure à l’existence d’une activité politique en Suisse susceptible de retenir l’attention des autorités éthiopiennes. La requérante a, selon ses déclarations, participé à quatre manifestations en 2005 et 2006 et à quatre rassemblements du KINIJIT/CUDP en 2007 et 2008. Le fait qu’elle soit identifiée sur des photos ou des vidéos de personnes ayant participé à certaines manifestations ne suffit pas à établir un risque de persécution en cas de renvoi. L’État partie souligne que de nombreuses manifestations politiques ont lieu en Suisse, que des photos ou des vidéos montrant parfois des centaines de participants sont rendues publiques par les médias et qu’il est peu probable que les autorités éthiopiennes soient capables d’identifier chaque personne, ou qu’elles aient même connaissance des liens de la requérante avec l’organisation mentionnée plus haut.

4.6L’État partie ajoute que les allégations de l’auteur selon lesquelles elle s’est adressée en amharique à ses compatriotes sur une radio locale suisse ne sont pas de nature à changer l’appréciation du dossier, d’autant plus que la station de radio a démenti les affirmations de la requérante et indiqué que l’activité de celle-ci s’était limitée à l’envoi de deux articles au responsable de l’émission.

4.7L’État partie fait valoir que rien ne prouve que les autorités éthiopiennes aient ouvert une procédure pénale contre la requérante ou pris d’autres mesures à son encontre. De même, les services de l’immigration de l’État partie n’ont pas jugé convaincant l’argument selon lequel le rôle joué par la requérante au sein de la diaspora éthiopienne était de nature à attirer l’attention des autorités éthiopiennes. En d’autres termes, la requérante n’a pas établi qu’en cas de renvoi en Éthiopie, elle risque d’être soumise à des mauvais traitements en raison de ses activités politiques en Suisse.

4.8L’État partie fait valoir qu’à la lumière de ce qui précède, rien n’indique qu’il existe des motifs sérieux de craindre qu’un renvoi de la requérante en Éthiopie l’exposerait à un risque prévisible, réel et personnel d’être soumise à la torture. Il invite le Comité contre la torture à conclure que le renvoi de la requérante en Éthiopie ne constituerait pas une violation des engagements internationaux de la Suisse en vertu de l’article 3 de la Convention.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.Le 26 mars 2010, la requérante réitère ses arguments initiaux et fait valoir qu’elle reste politiquement engagée et a participé à de nombreuses activités du KINIJIT/CUDP. Elle indique en particulier qu’elle a pris part à une réunion du Ginbot 7 et qu’elle apparaît sur des photos en compagnie du célèbre fondateur du mouvement, Berhanu Nega. Elle a de plus publié un article critiquant la nouvelle législation antiterroriste sur le forum Warka. La requérante réaffirme qu’elle est un membre très actif du mouvement dissident des Éthiopiens en Suisse et qu’elle a rencontré Birtukan Mideksa avant son arrestation. Elle a organisé plusieurs réunions et participé à de nombreuses manifestations. Elle a également publié sur l’Internet plusieurs articles dans lesquels elle exprimait ses opinions politiques. Citant les constatations de l’ONG Human Rights Watch, la requérante souligne que les autorités éthiopiennes ont accru la surveillance exercée à l’égard des opposants politiques, y compris sur l’Internet. Elle maintient par conséquent qu’elle serait exposée à un risque imminent, personnel et réel d’être torturée si elle était renvoyée en Éthiopie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il ne peut examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie a reconnu, en l’espèce, que la requérante avait épuisé tous les recours internes disponibles. Considérant qu’il n’existe aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant la requérante vers l’Éthiopie, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risquerait d’être soumise à la torture en cas de renvoi en Éthiopie. Pour apprécier ce risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents en application du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Le Comité rappelle cependant que l’objectif est de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé.

7.3Le Comité rappelle son Observation générale no 1 (1996) sur l’application de l’article 3 de la Convention, selon laquelle «l’existence [du risque de torture] doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable» (par. 6), mais qu’il est encouru personnellement et actuellement. À cet égard, dans des décisions précédentes, le Comité a estimé que le risque d’être soumis à la torture devait être prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle que, conformément à son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, tout en n’étant pas lié par de telles constatations, et qu’il est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.4Le Comité a pris note des informations communiquées par la requérante au sujet de sa participation aux activités du KINIJIT/CUDP de Suisse et de l’Association des Éthiopiens en Suisse. Il prend également note de ses déclarations indiquant qu’elle a contribué à l’organisation de réunions pour une célèbre représentante de l’opposition éthiopienne en visite en Suisse, et qu’elle s’est faite connaître sur l’Internet, au cours de manifestations et sur une radio locale. Le Comité relève aussi que la requérante n’a pas indiqué qu’elle avait été arrêtée ou maltraitée par les autorités éthiopiennes, ni que des charges avaient été retenues contre elle en vertu de la loi antiterroriste ou de toute autre loi interne. De plus, il prend note des allégations de la requérante selon lesquelles les autorités éthiopiennes utiliseraient des moyens technologiques sophistiqués pour surveiller les dissidents éthiopiens à l’étranger, mais constate qu’elle n’a pas donné de précisions à ce sujet ni fourni de preuves pour étayer ses propos. De l’avis du Comité, la requérante n’a pas apporté assez de preuves pour attester qu’elle avait eu une activité politique suffisamment importante pour attirer l’attention des autorités éthiopiennes. Elle n’a pas non plus apporté la moindre preuve concrète pour démontrer que les autorités de son pays d’origine la recherchaient ou qu’elle courait personnellement un risque de torture si elle était renvoyée en Éthiopie.

7.5En conséquence, le Comité conclut que les informations communiquées par la requérante, compte tenu notamment de la nature incertaine de ses activités politiques en Éthiopie et du faible niveau de son engagement politique en Suisse, ne suffisent pas à étayer ses allégations selon lesquelles elle serait personnellement exposée à un risque réel de torture en cas de renvoi en Éthiopie. Le Comité est préoccupé par les nombreux cas de violation des droits de l’homme, notamment de torture, signalés en Éthiopie, mais il rappelle qu’aux fins de l’article 3 de la Convention, la personne concernée doit courir un risque prévisible, réel et personnel d’être torturée dans le pays où elle est renvoyée. Compte tenu des considérations qui précèdent, le Comité conclut que l’existence de ce risque n’a pas été établie.

8.À la lumière de ce qui précède, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi de la requérante en Éthiopie par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication no396/2009: Gbadjavi c. Suisse

Présentée par:

Combey Brice Magloire Gbadjavi

Au nom de:

Combey Brice Magloire Gbadjavi

État partie:

Suisse

Date de la requête:

18 août 2009 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 1er juin 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 396/2009, présentée par Combey Brice Magloire Gbadjavi en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant, Combey Brice Magloire Gbadjavi, est un citoyen togolais né en 1969. Il prétend que sa déportation vers le Togo constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil, Guido Ehrler.

1.2En application du paragraphe 1 de l’article 108 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de ne pas procéder à l’expulsion du requérant vers le Togo tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits exposés par le requérant

2.1Le requérant s’est engagé depuis 1994 en tant que membre actif du service de sécurité au parti de l’Union des forces de changement (UFC). Son rôle consistait à protéger les membres du parti, distribuer des tracts et faire des déclarations. En 1999, il a été arrêté par les autorités togolaises pour avoir fourni à des amis qui se trouvaient en Allemagne des informations sur la situation politique au Togo. Lors de son interrogatoire à la gendarmerie le requérant a été battu jusqu’à ce qu’il perde presque connaissance. Il a ensuite été ramené chez lui à Békpota (quartier résidentiel de Lomé) afin que les gendarmes puissent perquisitionner son domicile. Pendant cette perquisition les gendarmes ont trouvé des documents sur l’UFC, sur la base desquels ils ont décidé de le ramener à la gendarmerie où il a d’abord été enchaîné à un objet et battu jusqu’à ce qu’il soit laissé pour mort. Après cela, il a été placé dans une cellule qu’il a partagée avec deux codétenus pendant une semaine. Pendant cette période, ils étaient forcés de marcher sur les genoux sur une terre siliceuse. Il a ensuite été transféré à la prison d’Adidogomé, où les mauvais traitements ont continué. Pendant les exercices physiques, ceux qui montraient des signes de fatigue et tombaient étaient frappés. On posait des sacs de sable sur le dos du requérant et l’obligeait à faire des pompes. Après deux mois de ce traitement, le requérant avait du sang dans ses urines et est tombé tellement gravement malade qu’on l’a libéré.

2.2Le 18 juillet 1999, des pourparlers entre l’opposition (UFC) et le parti au pouvoir se sont tenus durant lesquels le requérant devait garantir la sécurité de M. Gilchrist Olympio, Président de l’UFC, depuis la frontière du Ghana jusqu’à la capitale. Mais à la veille des pourparlers, le Ministère de l’intérieur a décidé qu’il appartenait aux forces togolaises d’assurer sa sécurité. La sécurité de l’UFC, composée de sympathisants tels que le requérant, s’est opposée à cette décision du Ministère de l’intérieur et des affrontements ont éclaté. Menacé d’emprisonnement, le requérant a décidé de s’enfuir au Ghana. En 2002, il est retourné au Togo suite à sa mise en contact avec le Ministre M. H. O. Olympio, qui lui a remis sa carte de visite signée et une garantie de sécurité sous la forme d’un permis.

2.3Lors des élections en 2003, le requérant a dénoncé quelqu’un qui s’apprêtait à voter deux fois pour le candidat du Rassemblement du peuple togolais (RPT) dans un bureau de vote. Ceci a engendré des affrontements au cours desquels le requérant a perdu son portefeuille avec la carte de visite et le permis donnés par M. H. O. Olympio et d’autres documents comme sa pièce d’identité. Des membres du RPT ont ensuite menacé la femme du requérant de le tuer. C’est ainsi que le requérant a décidé de quitter à nouveau le territoire et de se réfugier au Bénin. Il est retourné au Togo en janvier 2004. Le 16 avril 2005, lors d’un rassemblement organisé par l’UFC à Atikomé, les forces de l’ordre ont tiré sur la foule et le soir elles sont venues pour arrêter le requérant. Mais il n’était pas à son domicile. Le 28 mars 2006, sur le chemin de Lomé à Agouegan, le requérant et sa sœur ont été arrêtés et des membres de la gendarmerie ont conduit le requérant au camp de Zébé dans le bureau du chef de service. Il a été battu et enfermé. Lors de l’interrogatoire, le chef de service voulait connaître la nature de la relation entre le requérant et M. H. O. Olympio, soupçonné d’être l’instigateur de l’attaque du camp de la gendarmerie du 26 février 2006. Le requérant a reçu des menaces de mort et a été battu durant sa détention. Le 19 avril 2006, le requérant a réussi à s’échapper de la prison après que son beau-frère ait corrompu un gardien. Il s’est rendu au Ghana, mais par crainte d’être mis en détention par les services secrets togolais au Ghana, il s’est enfui par avion pour l’Italie sous une fausse identité. Il s’est ensuite rendu en Suisse, où il est arrivé le 30 avril 2006.

2.4Le 7 novembre 2006, l’épouse du requérant et ses enfants ont dû fuir au Bénin, parce qu’ils continuaient à faire l’objet de poursuites.

2.5Le 8 septembre 2006, l’Office fédéral des migrations a rejeté la demande d’asile du requérant, considérant que les déclarations du requérant n’étaient pas crédibles et que les menaces étaient trop distantes (1999-2002) pour pouvoir fonder une crainte de persécution. L’Office fédéral des migrations (ODM) a par ailleurs contesté que M. H. O. Olympio ait été Ministre et qu’il y ait eu une attaque du camp de la gendarmerie le 26 février 2006. Le requérant a recouru de cette décision le 11 octobre 2006 déposant notamment un document prouvant que M. H. O. Olympio avait été membre du Gouvernement jusqu’en août 2003 ainsi qu’un article de journal rapportant l’attaque du camp de la gendarmerie du 26 février 2006. Il a aussi produit divers documents de l’UFC attestant de son activité dans ce parti. Dans sa prise de position du 9 novembre 2006, l’ODM n’a pas contesté que le requérant ait été membre actif de l’UFC et qu’il y ait eu une attaque de la gendarmerie le 26 février 2006. En revanche l’ODM a considéré que les allégations du requérant selon lesquelles il serait poursuivi par les autorités togolaises n’étaient pas crédibles.

2.6À l’appui de son recours devant le Tribunal administratif fédéral (TAF), le requérant a produit un certificat médical attestant du traumatisme subi suite aux tortures dont il a été victime et du traitement psychiatrique administré depuis. Il a aussi produit un document attestant de la détresse dans laquelle sa femme se trouvait du fait de sa propre situation au Bénin et de celle de son mari et informant du fait qu’elle avait tenté de se suicider le 5 février 2008. Le 1er avril 2009, le TAF a rejeté le recours du requérant, considérant que la situation au Togo s’était améliorée depuis son départ et que sa crainte de faire l’objet d’une violation de l’article 3 de la Convention n’était pas fondée. Le Tribunal a considéré que le traitement médical nécessité par le requérant pouvait être administré au Togo mais il n’a pas vérifié les déclarations du requérant, telles que les certificats médicaux attestant de son stress post-traumatique et de son mauvais état de santé et de sa participation active en tant que Vice-Président de l’UFC en Argovie, Suisse. Suite à la décision négative du TAF, l’épouse du requérant s’est suicidée le 30 avril 2009.

2.7Le 19 mai 2009, l’ODM a rejeté la demande de reconsidération du requérant. Le 3 juin 2009, le requérant a introduit un recours auprès du TAF à l’appui duquel il a déclaré avoir été hospitalisé en urgence au service cantonal psychiatrique de Soleure le 29 mai 2009 voulant se suicider par peur d’être renvoyé au Togo et d’y subir des tortures fatales. Il a déclaré qu’il avait demandé un rapport médical qui serait alors fourni aux autorités judiciaires. Dans le cadre de ce recours, le requérant a demandé au TAF d’ordonner une enquête effective et approfondie. Le requérant a également produit un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) sur la situation politique au Togo daté du 18 mai 2009. Le 10 juin 2009, le TAF a considéré que son recours était manifestement infondé. Comme le requérant n’avait pas les moyens pour avancer les frais, la procédure a été rayée du rôle.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que les autorités de l’État partie n’ont ni contesté qu’il a été torturé en 1999, ni qu’il était un membre actif dans le service de sécurité de l’UFC, ni qu’il s’est enfui au Ghana et au Bénin. Il soumet également que les attestations médicales affirment qu’il souffre d’un traumatisme grave depuis de longues années. Le requérant cite des rapports d’organisations telles qu’Amnesty International, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Refugiés et l’OSAR selon lesquels il doit s’attendre à être soumis à la torture à son retour. Même si la situation au Togo s’est améliorée avec l’intégration de quelques membres de l’UFC au parlement, la situation des membres de l’UFC qui ne sont pas au parlement et qui sont donc de simples membres de l’UFC continue d’être dangereuse, avec des arrestations secrètes, des menaces et de la torture. Le 27 avril 2009, l’armée a dispersé une manifestation pacifique de membres de l’UFC. Le requérant soumet également que le tribunal administratif de Braunschweig et le tribunal administratif de Niedersachen (Allemagne) ont considéré les 25 février 2009 et 22 juin 2009 respectivement qu’une personne ne pouvait pas être expulsée au Togo parce qu’il ne serait pas à exclure que le fugitif soit de nouveau poursuivi ou soumis à la torture. Ces tribunaux suggèrent d’observer le processus de démocratisation sur une période ultérieure afin de décider s’il n’y a plus de risque que des personnes expulsées vers le Togo soient poursuivies et soumises à la torture.

3.2Le requérant ajoute que le principe de non-refoulement exige, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, que lorsqu’une personne déclare de manière crédible avoir été victime d’un traitement qualifié d’inhumain, une enquête officielle effective et approfondie soit effectuée. En l’espèce, ni l’ODM ni le TAF n’ont procédé à une enquête approfondie et effective. Le TAF s’est basé sur des rapports d’Amnesty International et de l’OSAR de 2008 pour conclure à l’inexistence d’un risque alors que le requérant a produit un rapport ultérieur de l’OSAR du 18 mai 2009 attestant d’un risque pour les personnes étant dans la situation du requérant. L’État partie a donc violé l’esprit et le but de l’article 3 de la Convention. En outre, le TAF a simplement confirmé la décision de l’ODM sans procéder à son propre examen des pièces supplémentaires apportées au dossier. Enfin, la décision de l’ODM du 19 mai 2009 rejetant la demande de reconsidération et le jugement du TAF du 10 juin 2009 confirmant ladite décision démontrent qu’il n’y a pas eu d’enquête puisque les certificats médicaux attestaient des tortures subies et n’ont pas été considérées par ces deux instances comme suffisamment importantes pour aboutir à une reconsidération de la demande d’asile.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 17 février 2010, l’État partie a soumis ses observations sur le fond. Il note que le requérant n’apporte pas de nouveaux éléments devant le Comité. Bien au contraire, le requérant conteste d’abord l’appréciation des faits par les autorités internes puis décrit, de manière générale, la situation des droits de l’homme au Togo et se base finalement sur sa propre appréciation des faits pour prétendre qu’il serait exposé à un risque réel, personnel et imminent d’être soumis à la torture en cas de renvoi au Togo.

4.2Rappelant l’énoncé de l’article 3, l’État partie insiste sur les critères établis par le Comité dans son Observation générale no1 (1996), concernant l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22, notamment les alinéas 6 et suivants sur la nécessité d’un risque personnel, actuel et sérieux d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine.

4.3Selon l’État partie, la situation au Togo s’est considérablement améliorée depuis que le requérant a quitté le pays. En août 2006, les cinq principaux partis d’opposition ont paraphé un accord politique global avec le Rassemblement du peuple togolais (RPT, le parti au pouvoir) prévoyant la mise en place d’un Gouvernement d’union nationale. Ces démarches ont abouti à la nomination d’un opposant historique au poste de premier ministre, à la mise en place d’un gouvernement incluant les partis d’opposition et à la constitution de la Commission électorale nationale indépendante dans laquelle l’Union des forces de changement (UFC), bien que restée dans l’opposition, était représentée. L’État partie ajoute qu’un accord tripartite entre le Togo, le Ghana et le Bénin a été conclu en avril 2006 sous l’égide du Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés. Dans cet accord, le Gouvernement togolais s’est engagé à prendre toutes les mesures pour garantir un retour des réfugiés dans la dignité et la sécurité. En juin 2008, une partie des personnes qui avaient fui le Togo lors des élections présidentielles sont retournées dans leur patrie sans que des persécutions n’aient été rapportées. Il s’agit notamment de M. Gilchrist Olympio, Président de l’UFC, qui est retourné au Togo après huit ans d’exil.

4.4L’État partie ajoute que des élections législatives se sont tenues le 14 octobre 2007 et que, selon plusieurs sources indépendantes, le scrutin s’est déroulé de manière globalement satisfaisante. L’État partie considère que cette évolution et l’amélioration de la situation des droits de l’homme dans le pays ont conduit le Commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire à estimer que les conditions étaient remplies pour rétablir une coopération pleine et entière entre l’Union européenne et le Togo.

4.5En l’espèce, le requérant ne saurait tirer profit de l’évolution de la situation en matière de droits de l’homme au Togo. Même à supposer que son récit soit crédible, les simples faits qu’il ait été arrêté et détenu en 1999 et qu’il ait développé des activités politiques au sein de l’UFC ne constituent pas aujourd’hui un motif sérieux de penser qu’en cas de retour au Togo, il serait exposé à la torture. Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal administratif fédéral (TAF), dans son arrêt du 1er avril 2009, s’est basé sur différentes sources indépendantes. Que le Verwaltungsgericht Braunschweig (Allemagne) et l’Oberverwaltungsgericht (Allemagne) aient qualifié différemment la situation au Togo, tout en reconnaissant les progrès réalisés, s’explique essentiellement par l’application des critères du droit interne allemand en matière de révocation du statut de réfugié et non pas par les exigences de l’article 3 de la Convention.

4.6Le requérant allègue qu’il aurait été torturé en 1999 à la suite de son arrestation. Or, comme l’ODM a relevé dans sa décision du 8 septembre 2006, il n’est pas indispensable de se prononcer sur ces allégations puisque, de toute façon, il n’y a pas de lien de causalité entre les actes de torture allégués et le départ du requérant vers la Suisse. À cela s’ajoute que les certificats et rapports médicaux soumis par le requérant, et établis au moins huit ans plus tard, ne font pas état des actes de tortures subis, mais se basent explicitement sur le récit du requérant.

4.7Le nouveau rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) relève que les membres non reconnus de l’UFC courent un certain risque d’être arrêtés, menacés ou torturés. Or, selon les dires du requérant lors de la procédure d’asile, celui-ci aurait bénéficié de la protection de la famille de M. H. O. Olympio. Il ne peut donc être considéré que le requérant est un membre ordinaire de l’UFC. Quant aux activités du requérant hors de son pays d’origine, il aurait participé à des manifestations de l’UFC en Suisse et aurait été le coauteur d’un article sur ses activités. Il s’agit d’activités exercées par la plupart des togolais politiquement actifs en Suisse. Au vu des développements politiques observés dans le pays (voir supra par. 4.3 et 4.4) et l’allégation du requérant selon laquelle il serait un membre connu de l’UFC, les activités politiques du requérant en Suisse ne sauraient constituer un risque de torture d’autant plus que de nombreuses manifestations politiques ont lieu en Suisse, que beaucoup de compatriotes du requérant les fréquentent également et que des photographies ou des enregistrements vidéo montrant souvent un grand nombre, parfois des centaines de personnes sont rendus accessibles au public par les médias pertinents.

4.8Dans sa décision du 8 septembre 2006, l’ODM a considéré que le récit du requérant n’était manifestement pas vraisemblable. Il a retenu que les allégations du requérant allaient à l’encontre de l’expérience générale et manquaient de logique. Cela vaut en particulier pour son arrestation qui aurait eu lieu le 28 mars 2006. Le requérant s’était à l’époque caché à Agouegan puis était recherché par les forces de sécurité ainsi que par les jeunes membres du parti RTP. Selon ses dires il a craint pour sa vie. En dépit de telles craintes, il se serait régulièrement rendu à Lomé pour rendre visite à son épouse. De plus, le policier qui a contrôlé la voiture du requérant aurait immédiatement reconnu et arrêté ce dernier. Cette arrestation est liée, selon le requérant, à la perte en 2003 de son porte-monnaie, dans lequel il y avait un document donné par M. H. O. Olympio. Comme l’a relevé l’ODM, il est étonnant que plusieurs années plus tard le requérant ait été recherché si intensivement que le policier l’ait reconnu immédiatement. Un autre élément jetant un doute sur le récit du requérant réside dans les circonstances entourant sa libération en avril 2006. Le requérant, recherché pendant plusieurs années et soupçonné d’avoir attaqué un poste de gendarmerie à Lomé le 26 février 2006, prétend avoir été libéré par un soldat suite au versement par son beau-frère de pots-de-vin. Or les auteurs de cette attaque de la gendarmerie ont été arrêtés et jugés le 19 mai 2006. Les craintes exprimées par le requérant ne sont donc pas justifiées.

4.9En outre, le requérant a fait des déclarations contradictoires sur des points essentiels puisqu’au centre d’enregistrement il a déclaré avoir vécu au Bénin entre 1999 et 2002 et à Agouegan à partir du 1er avril 2004 jusqu’à son départ. Il aurait en outre reçu en 2002, une carte de visite de M. H. O. Olympio signée par ce dernier, qu’il aurait perdue en 2003. Or, devant l’autorité cantonale, il a déclaré avoir vécu à Lomé à partir de l’âge de 6 ans, s’être rendu occasionnellement à Agouegan et avoir fui à nouveau vers le Bénin après son retour en 2002 pour y passer six mois. Il a également d’abord précisé que M. H. O. Olympio lui aurait donné un permis pour déclarer ensuite qu’il aurait perdu son porte-monnaie contenant ce permis et la carte de visite susmentionnée.

4.10S’agissant des événements entourant les élections de 2003 et la réunion organisée par l’UFC le 16 avril 2005, l’État partie constate que ces éléments apparemment cruciaux pour le requérant n’ont été avancés qu’à un stade avancé de la procédure. Ces incohérences et contradictions vont au-delà de ce que l’on pourrait raisonnablement expliquer par la situation dans laquelle se trouve une personne poursuivie. De plus, elles portent sur des points essentiels et le requérant ne les a pas expliquées de manière plausible. Il n’existe donc pas de motifs sérieux de croire que le requérant encourrait un risque d’être soumis à la torture en cas de retour au Togo.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 14 juin 2010, le requérant affirme que la répression à l’encontre des membres du parti UFC au Togo persiste. Selon Amnesty International, à la veille du scrutin de l’élection présidentielle du 4 mars 2010, deux membres du parti d’opposition et une douzaine d’autres militants ont été arrêtés et inculpés d’atteinte à la sûreté de l’État. Le 8 mars 2010, le Gouvernement a interdit des manifestations les jours ouvrables. Le 9 mars 2010, lors d’une marche de protestation contre les irrégularités de scrutin, des membres de l’UFC ont été interpellés. Un siège de l’UFC a été attaqué et des preuves matérielles de fraude ont été dérobées. À la suite des élections présidentielles, des manifestations ont continué d’être réprimées violemment. Le 14 avril 2010, environ 70 personnes ont été arrêtées, parmi lesquelles des représentants de l’UFC. La Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) a condamné les arrestations des militants politiques et appelé au respect des droits civils et politiques au Togo dans la période postélectorale. Le requérant a protesté personnellement le 10 avril 2010 devant le Siège de l’ONU contre les irrégularités de l’élection présidentielle et les violences qui en ont découlées. Dans un article du 29 avril 2009 dans le journal «Le triangle des enjeux», il avait déjà accusé la gendarmerie d’avoir présenté des moyens de preuve falsifiés lors de l’arrestation du frère du Président M. Kpatcha Gnassingbé.

5.2Contrairement aux affirmations de l’État partie, la situation politique ne s’est pas améliorée et la répression contre les membres de l’UFC a augmenté autour de la tenue du scrutin présidentiel du 3 mars 2010. De plus, en faisant paraître un article dans «Le Triangle des enjeux» le 29 avril 2009, le requérant a démontré publiquement son attitude d’opposition contre le gouvernement actuel au Togo. Ces activités peuvent créer un risque pour le requérant en cas de retour dans son pays.

5.3S’agissant des incohérences alléguées par l’État partie, le requérant réfute l’affirmation selon laquelle il aurait été à Lomé pour se cacher. En revanche son épouse vivait à cette époque dans le village de Devego dans la banlieue de Lomé. Par ailleurs, bien que cela puisse être étonnant qu’un policier l’ait reconnu le 28 mars 2006, des années après les faits, cela n’en est pas moins véridique. S’agissant de l’attaque de la gendarmerie à Lomé le 26 février 2006, l’ODM a d’abord contesté ce fait puis n’a plus repris cet argument dans sa prise de position du 9 novembre 2006, ce qui prouve qu’il a accepté la véracité de cet événement. Le fait que deux auteurs de cette attaque aient déjà été arrêtés et jugés prouve que s’il était également arrêté, le requérant subirait le même sort. Par ailleurs, il n’y a plus aucune contradiction concernant le domicile du requérant au Togo. L’ODM a reconnu dans la décision du 8 septembre 2010 qu’il s’était caché à Agouegan. Au centre d’enregistrement, le requérant avait été interrogé sur son dernier domicile d’où la contradiction avec son domicile officiel situé à Lomé.

5.4Le requérant réfute l’affirmation selon laquelle il n’aurait mentionné les problèmes auxquels il a été confronté en 2003 qu’à un stade ultérieur de la procédure puisqu’il avait déjà mentionné la dénonciation contre une personne voulant voter deux fois en 2003 lors de sa première audition au centre d’enregistrement. Il avait alors aussi mentionné les événements autour de la réunion du 16 avril 2005.

5.5Le requérant en conclut que les déclarations et moyens de preuves soumis font apparaître qu’en cas de retour au Togo il serait soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit s’assurer qu’elle est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a du paragraphe 5 de l’article 22, que la même question n’a pas été examinée, ni n’est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité relève en outre que les recours internes ont été épuisés au titre de l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22, ce que l’État partie n’a pas contesté. Le Comité déclare donc la requête recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si, en expulsant le requérant vers le Togo, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.3Concernant les allégations du requérant au titre de l’article 3, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État de renvoi d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture au Togo. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’il risque d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque.

7.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1, dans laquelle il considère qu’il n’est pas nécessaire de montrer que le risque encouru est hautement probable, mais ce risque doit être encouru personnellement et actuellement. À cet égard, le Comité a établi dans des décisions antérieures que le risque de torture devait être «prévisible, réel et personnel». En ce qui concerne le fardeau de la preuve, le Comité rappelle qu’il incombe généralement au requérant de présenter des arguments défendables et que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

7.5En évaluant le risque de torture dans le cas à l’examen, le Comité note l’argument du requérant selon lequel il est un membre actif de l’UFC; que son rôle consistait à protéger les membres du parti, distribuer des tracts et faire des déclarations; qu’il aurait été arrêté pour la première fois en 1999 pour avoir transmis à des amis en Allemagne des informations sur la situation politique au Togo; qu’il aurait été torturé et détenu dans des conditions inhumaines pendant deux mois, puis libéré; que suite à des affrontements le 18 juillet 1999 il aurait fui au Ghana pour échapper à son arrestation; qu’il serait retourné au Togo en 2002 suite à sa mise en contact avec le Ministre M. H. O. Olympio, qui lui aurait remis un permis et sa carte de visite. Le Comité note l’allégation du requérant selon laquelle lors des élections présidentielles en 2003, il aurait dénoncé des méthodes de scrutin frauduleuses; que suite à des menaces de mort il se serait enfui au Bénin; qu’il serait retourné au Togo en janvier 2004; que le 28 mars 2006, il aurait été arrêté par des gendarmes et transféré au camp de Zébé où il aurait été battu et aurait reçu des menaces de mort, accusé d’avoir participé à l’attaque de la gendarmerie de Lomé le 26 février 2006; que le 19 avril 2006 il aurait réussi à s’échapper grâce aux pots-de-vin versés par son beau-frère à un des gardes; qu’il se serait alors enfui au Ghana, d’où il serait parti pour la Suisse via l’Italie. Le Comité note l’argument du requérant selon lequel la situation au Togo ne s’est pas améliorée pour les simples membres de l’UFC et que ceux-ci courent le risque d’être emprisonnés et torturés, tel que confirmé par le rapport de l’OSAR du 18 mai 2009; que ce rapport établit en outre que ceux qui ont fui le Togo pour le Bénin et le Ghana sont observés avec plus de défiance. Il note enfin l’allégation selon laquelle les autorités suisses n’auraient pas rempli leur obligation de mener une enquête officielle effective et approfondie exigée lorsqu’une personne déclare de manière crédible avoir été victime d’un traitement contraire à l’article 1 de la Convention tel qu’attesté par les rapports médicaux fournis et notamment celui du service psychiatrique de Soleure daté du 29 mai 2009.

7.6 Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’a pas soumis d’éléments nouveaux devant le Comité et qu’il s’est contenté de contester l’appréciation des faits opérée par les autorités internes. Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel la situation au Togo s’est considérablement améliorée depuis que le requérant a quitté le pays; que l’UFC bien que dans l’opposition, est représenté au parlement; et qu’une partie des personnes qui avaient fui le Togo sont retournées dans leur patrie sans que des persécutions n’aient été rapportées. Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel, à supposer que son témoignage soit crédible, cela ne signifie pas que ce seul fait soit un motif sérieux de penser qu’en cas de retour au Togo, le requérant serait exposé à la torture; qu’il n’y a pas de lien de causalité entre l’arrestation du requérant en 1999 et son départ du Togo pour la Suisse; que les rapports médicaux établis huit ans après les faits allégués ne font pas état des tortures subies mais se basent explicitement sur le récit du requérant; que le rapport de l’OSAR qui établit un risque de torture pour les membres de l’UFC mentionne les membres non reconnus alors que selon le requérant il aurait fait partie intégrante de l’UFC et aurait même bénéficié de la protection de M. H. O. Olympio; qu’il ne peut donc être considéré comme un membre ordinaire de l’UFC. Le Comité constate que l’État partie remet en cause la crédibilité du requérant, qui aurait transmis des informations incohérentes et contradictoires notamment sur son lieu de domicile; son arrestation le 28 mars 2006 et sa libération du camp de Zébé. Le Comité note enfin que selon l’État partie, les activités politiques menées par le requérant en Suisse sont des activités communes à un grand nombre de ressortissants togolais en Suisse et qu’elles ne sauraient constituer un risque supplémentaire pour le requérant en cas de renvoi.

7.7 Ayant tenu compte des arguments présentés par les parties, le Comité considère que le requérant a soumis suffisamment d’éléments pour suggérer qu’il encourrait un risque de traitement contraire à l’article 1 de la Convention s’il était renvoyé au Togo. Pour aboutir à une telle conclusion, le Comité se base tout d’abord sur l’allégation du requérant, corroborée par le rapport de l’OSAR du 18 mai 2009 selon laquelle les opposants de l’UFC avec un moindre profil politique peuvent encore être l’objet de représailles de la part du Gouvernement et que ceux qui ont fui le Togo pour le Bénin et le Ghana, comme c’est le cas du requérant, sont observés avec plus de défiance. Dès lors, que le requérant soit une figure notoire de l’UFC ou qu’il soit un simple opposant, le risque de torture demeure, l’UFC continuant d’être le principal parti d’opposition au pouvoir au Togo. Les autorités suisses n’ont d’ailleurs pas contesté le fait que le requérant ait été un membre actif de l’UFC au Togo et en Suisse. Or, les violations graves des droits de l’homme commises pendant et après les élections présidentielles du 24 avril 2005 semblent n’avoir toujours pas fait l’objet d’enquête judiciaire, créant ainsi un climat d’impunité et un terrain favorable à la répétition de telles violations. Le Comité note en outre qu’à ce jour et en dépit de ses recommandations vis-à-vis du Togo, ce dernier n’a toujours pas adopté de disposition pénale qui définisse et criminalise explicitement la torture, favorisant ainsi l’impunité à l’égard de telles pratiques.

7.8S’agissant des attestations et rapports médicaux soumis à l’appui de la demande d’asile du requérant, les trois attestations médicales datées des 25 juillet 2007, 7 mars 2008 et 29 avril 2009 confirment un état de santé psychique précaire lié aux expériences passées du requérant. Quant au rapport médical du service psychiatrique de Soleure daté du 18 mai 2009, le Comité note qu’il mentionne le terrorisme ou la torture comme une possible cause du désordre post-traumatique diagnostiqué chez le requérant. Le Comité considère que de tels éléments auraient dû susciter une attention particulière de l’État partie et constituer une base suffisante à la conduite d’une enquête plus approfondie sur les risques allégués. Or, le Tribunal administratif fédéral s’est limité à les rejeter au motif qu’ils n’étaient pas de nature à remettre en cause l’appréciation faite dans les décisions antérieures. En procédant de la sorte sans considérer ces éléments, bien que survenus à un stade ultérieur de la procédure, les autorités de l’État partie ont failli à leur obligation de s’assurer que le requérant ne courait pas un risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi au Togo.

7.9Compte tenu de l’ensemble des informations qui lui ont été communiquées et de l’absence d’enquête approfondie par l’État partie démontrant le contraire, le Comité estime que le requérant a apporté suffisamment d’éléments de preuve pour montrer qu’il court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture s’il était expulsé vers son pays d’origine.

8. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, en conclut que l’expulsion du requérant vers le Togo constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Conformément au paragraphe 5 de l’article 112 de son règlement intérieur, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures que l’État aura prises pour donner suite aux présentes constatations.

Communication no 413/2010: A. A. M. c. Suède

Présentée par:

A. A. M. (représentée par un conseil, E. P.)

Au nom de:

A. A. M.

État partie:

Suède

Date de la requête:

19 février 2010 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 23 mai 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 413/2010 présentée par E. P. au nom de A. A. M. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1La requérante est A. A. M., de nationalité burundaise, née le 3 décembre 1982 dans le village de Mbuye, province de Muramvya, au Burundi. Elle réside actuellement en Suède. Elle allègue que l’exécution de l’ordre d’expulsion vers le Burundi prononcé à son égard serait contraire à l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants («la Convention»). La requérante est représentée par un conseil, E. P.

1.2Le 2 mars 2010, conformément à l’article 114 (ancien art. 108) de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.5), le Comité a prié l’État partie de ne pas expulser la requérante vers le Burundi tant que l’affaire serait à l’examen.

Exposé des faits

2.1La requérante vient d’une famille de l’ethnie tutsie. Ses parents, E. N. et C. B., ont été tués en 1993 par les milices hutues dans le village de Mbuye. Le seul autre membre de la fratrie, un frère aîné, J. F. N., est ensuite devenu membre actif de la milice tutsie connue sous le nom des «Sans Échec». Il a participé à des pillages et à des fusillades contre les Hutus. Son frère occupant un rang élevé dans la milice des Sans Échec et étant bien connu, il a été menacé de mort. Le 3 septembre 2006, il a été tué chez lui par des soldats hutus de l’armée nationale. À ce moment précis la requérante se trouvait à l’extérieur et a entendu que son frère était maltraité dans la maison et que les soldats lui demandaient où se trouvait sa sœur, ce qu’elle a compris comme une menace de mort à son égard.

2.2La requérante a couru jusqu’à la maison d’un ami qui habitait à dix minutes de là. Le lendemain, cet ami est allé chez elle et a trouvé le frère, qui avait été brutalement torturé et exécuté. Quelques jours plus tard, la requérante a rencontré son ancienne domestique, qui lui a dit que les milices hutues la cherchaient. Elle est restée chez son ami pendant deux mois. Elle estime que les autorités ne sont pas en mesure de lui offrir la protection voulue et qu’elle ne peut pas non plus obtenir cette protection dans une autre partie du pays. Elle n’a aucune famille au Burundi, ni de réseau social. Elle s’est donc enfuie de ce pays le 28 novembre 2006, aidée par des passeurs et un ami qui ont organisé le voyage.

2.3La requérante est arrivée en Suède le 29 novembre 2006 et a formulé une demande d’asile le lendemain. En déposant sa demande, elle a présenté une carte d’identité burundaise au Conseil des migrations. Le 23 novembre 2007, le Conseil des migrations l’a entendue en présence de son conseil désigné au titre de l’aide juridictionnelle. Elle a notamment déclaré n’avoir jamais eu de passeport ni été à l’étranger. Elle a ajouté n’avoir jamais appartenu à un parti ou à une organisation et n’avoir jamais été la cible de menaces ou de harcèlement, mis à part les événements survenus au moment de l’assassinat de son frère.

2.4En février 2008, le Conseil des migrations a appris qu’une demande de visa avait été présentée en 2006 à l’ambassade de Suède à Alger par une personne dont les données d’état civil étaient presque identiques à celles de la requérante. Le Conseil a demandé à l’ambassade en question de lui communiquer toute la documentation relative à cette demande. La demande de visa avait été faite et signée par une personne nommée A. A. U., née le 3 décembre 1982 à Bujumbura, au Burundi. Elle avait été signée le 16 juillet 2006 à Alger et l’objet du séjour prévu en Suède était de rendre visite à un ami et d’examiner la possibilité de poursuivre des études. La demandeuse et l’ami, qui était aussi la personne de référence citée dans la demande, déclaraient tous deux qu’ils s’étaient connus au Niger en 2002-2003, lorsque la demandeuse travaillait dans ce pays. L’ami déclarait également que la demandeuse avait l’intention de se rendre au Niger après la visite en Suède. La demandeuse ajoutait qu’elle était étudiante à l’Université d’Alger, ce que confirmait son ami, et donnait un domicile à Alger. Elle déclarait également détenir une assurance de voyage et une assurance maladie algériennes pour le séjour. Elle subvenait à ses besoins grâce à une bourse d’études et l’aide de sa famille.

2.5Dans la rubrique de la demande consacrée aux données personnelles des parents et frères et sœurs, la demandeuse déclarait que le nom de son père était E. B., celui de sa mère P. N., et qu’ils vivaient ensemble à Rohero, à Bujumbura. Elle indiquait en outre avoir deux sœurs et un frère plus jeune. Elle disait détenir un passeport et s’être rendue trois fois en France entre juillet 2003 et octobre 2005. Les informations figurant dans la demande étaient confirmées par les copies jointes du passeport burundais, renouvelé à l’ambassade du Burundi à Paris le 20 août 2004. Le Conseil des migrations avait refusé la demande de visa le 7 août 2006.

2.6Lorsque les documents demandés relatifs à la demande de visa sont parvenus au Conseil des migrations en Suède, qui examinait alors la demande d’asile présentée par la requérante, le Conseil a cherché à vérifier si la personne figurant sur la photo jointe à la demande de visa était la même que celle ayant demandé l’asile en Suède, à savoir la requérante. D’après le rapport rendu et signé le 3 mars 2008 par un expert du service des identités, il était fort probable, au vu de la comparaison des photographies, qu’il s’agisse de la même personne.

2.7Le 6 juin 2008, le Conseil des migrations a eu un autre entretien avec la requérante, compte tenu des informations figurant dans la demande de visa qu’il avait découverte. Au cours de l’entretien la requérante a déclaré n’avoir jamais quitté le Burundi. Elle avait donné son passeport à un ami du Congo, étudiant en Algérie, qu’elle avait rencontré au Burundi. Cet ami avait d’une façon ou d’une autre utilisé le passeport et une demande de visa avait été déposée à l’insu de la requérante. Celle-ci ne savait pas qui avait fait la demande de visa pour la Suède. Elle a confirmé que son nom exact était A. A. M. et que le seul nom véritable sur son passeport était son prénom. Lorsque le Conseil des migrations lui a demandé si cela signifiait que le passeport était faux, la requérante a déclaré qu’il ne l’était pas, mais que quelqu’un d’autre, un dénommé John, l’avait aidée à présenter la demande de passeport, qu’elle avait faite pour aider son ami du Congo. Lorsque le Conseil lui a demandé si elle pouvait expliquer pourquoi sa photo figurait sur la demande de visa pour la Suède, elle a dit que c’était la même photo que celle de son passeport. Quand le Conseil a affirmé que ce n’était pas le cas, l’intéressée a expliqué que son ami avait peut-être utilisé une autre photo mais qu’elle ne le savait pas.

2.8Le 23 août 2008, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile de la requérante en déclarant que, au vu des informations écrites figurant au dossier et du rapport de l’expert du service des identités, elle était la même personne que celle qui avait présenté une demande de visa suédois à Alger. Le Conseil a en outre expliqué que la requérante n’avait pas été en mesure de donner une explication fiable et cohérente des raisons pour lesquelles une demande de visa à laquelle était joint son passeport, contenant une photo d’elle, sa date de naissance et son prénom, avait été déposée en Algérie. Le Conseil remarquait également que même si la requérante avait été en Algérie en juillet 2006 et y avait présenté une demande de visa, cela n’excluait pas qu’elle ait été au Burundi au moment du meurtre de son frère. Il a estimé que, dans cette hypothèse, la requérante n’avait donné aucune explication raisonnable du fait qu’elle ne l’avait pas informé de sa demande de visa suédois et de ses séjours passés à l’étranger. Le Conseil mettait donc en doute les allégations de la requérante. Il a conclu que celle-ci n’avait pas pu établir son identité, son pays d’origine et sa nationalité, mais a décidé de statuer sur le dossier et la demande d’asile vis-à-vis du Burundi. Indépendamment du défaut de crédibilité des informations présentées par la requérante, le Conseil a estimé que, dans la mesure où elle n’avait pas été victime de persécutions, de mauvais traitements ou de peines au Burundi, ses revendications ne suffisaient pas à démontrer qu’elle risquait d’être soumise à de tels actes. Elle avait entendu dire que la milice la recherchait, mais était restée dans le pays assez longtemps après l’assassinat de son frère sans être menacée ou harcelée.

2.9Le 13 octobre et le 14 novembre 2008, la requérante a formé un recours contre la décision du Conseil des migrations auprès du Tribunal des migrations. Elle demandait à ce dernier de lui octroyer un permis de résidence, le statut de réfugié et un document de voyage. Elle ajoutait avoir donné une explication cohérente et crédible des raisons pour lesquelles une demande de visa avait été soumise en Algérie. Le conseil de la requérante désigné au titre de l’aide juridictionnelle soulignait que cet élément ne devait pas faire oublier les motifs pour lesquels sa cliente demandait l’asile. Dans la mesure où le Conseil des migrations ne mettait pas en doute le fait que son frère avait été exécuté, les menaces dirigées contre la requérante elle-même devaient être prises au sérieux. Le conseil faisait valoir que sa cliente était exposée à des mauvais traitements et des persécutions en raison du rang élevé qu’occupait son frère dans la milice des Sans Échec. Les menaces dirigées contre lui visaient également la requérante.

2.10Le Conseil des migrations a eu la possibilité de présenter des observations sur le recours formé par la requérante. Il a déclaré que les explications de la requérante concernant son départ du Burundi n’étaient pas fiables. Il estimait en outre que le manque de crédibilité des informations concernant la demande d’un visa suédois amenuisait la crédibilité de ses autres déclarations. Les déclarations de la requérante n’étaient dès lors pas suffisamment étayées pour justifier l’octroi d’une protection.

2.11Le 19 mai 2009, le Tribunal des migrations a débouté la requérante. Il concluait qu’elle n’avait ni démontré son identité ni même établi qu’il était probable qu’elle fût originaire du Burundi. Même à supposer qu’elle le fût, le Tribunal estimait que la situation générale dans ce pays ne justifiait pas l’asile ou la protection. Il considérait comme acceptable son explication de la manière dont une demande de visa en son nom avait été présentée en Algérie. Toutefois, il jugeait que la requérante n’avait pas établi qu’elle risquait d’être victime de persécutions, de mauvais traitements ou de peines si elle rentrait au Burundi. Dans son raisonnement, le Tribunal remarquait notamment que la requérante n’avait pas été impliquée dans la milice tutsie dans laquelle son frère était engagé et qu’elle ne partageait pas les activités de celui-ci. Il relevait en outre que l’événement dont elle déclarait qu’il avait directement provoqué sa fuite du Burundi avait eu lieu près de trois ans plus tôt, et que le temps écoulé depuis était donc relativement important.

2.12Le 8 juin 2009, la requérante a sollicité l’autorisation de faire appel du jugement rendu par le Tribunal des migrations, qui lui a été refusée le 27 juillet 2009 par la Cour d’appel des migrations. La décision d’expulsion de la requérante est donc devenue exécutoire.

2.13Le 7 septembre 2009, le Conseil des migrations a enregistré une lettre de la requérante dans laquelle celle-ci soutenait avoir communiqué en juin 2009, à son conseil désigné au titre de l’aide juridictionnelle, des documents où il était notamment indiqué qu’elle avait été condamnée à une peine de vingt ans d’emprisonnement au Burundi. Elle joignait des copies de la convocation de la police au Burundi datée du 8 octobre 2007, d’un mandat d’arrêt à son nom daté du 19 novembre 2007 et d’un jugement portant condamnation à vingt ans d’emprisonnement daté du 16 décembre 2008.

2.14Au vu des informations figurant dans la lettre de la requérante et des copies jointes, le Conseil des migrations a décidé le 24 septembre 2009 de ne pas lui octroyer de permis de résidence au titre de l’article 18 du chapitre 12 de la loi suédoise de 2005 relative aux étrangers ni de réexaminer l’affaire en vertu de l’article 19 du même chapitre. Le Conseil remarquait notamment que les documents joints étaient des copies et que leur valeur probante était donc faible.

2.15La requérante a saisi le Tribunal des migrations d’un recours contre la décision du Conseil des migrations. Le Tribunal lui ayant posé des questions concernant les documents produits, la requérante a répondu par écrit avoir appris en mars ou avril 2009, d’une connaissance qui travaillait au Burundi comme secrétaire dans un tribunal, qu’une signification lui avait été adressée, et qu’elle avait été recherchée et condamnée pour avoir aidé son frère à commettre des meurtres et des pillages. La requérante était choquée par ces nouvelles, mais a supposé que si elle en parlait à son conseil désigné au titre de l’aide juridictionnelle ou aux autorités suédoises, ils lui demanderaient de prouver ses dires. Elle a donc demandé à sa connaissance au Burundi de lui envoyer les documents figurant au dossier burundais. Début juin 2009, les documents sont arrivés et la requérante en a immédiatement transmis des copies à son conseil qui, toutefois, ne les a pas communiquées au Conseil des migrations ou aux tribunaux.

2.16Le 16 novembre 2009, le Tribunal des migrations a débouté la requérante. Il constatait que les informations selon lesquelles l’intéressée avait été condamnée à une peine d’emprisonnement et était recherchée par la police constituaient, au sens de la loi relative aux étrangers, des circonstances nouvelles qui n’avaient pas été examinées auparavant. Cela étant, la déclaration de la requérante selon laquelle elle avait reçu ces informations d’une connaissance au Burundi ne pouvait, en l’absence d’autres éléments la confirmant, être considérée comme suffisamment étayée pour amener à conclure que les nouvelles circonstances constituaient un obstacle durable à l’exécution de l’ordre d’expulsion au sens de l’article 19 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers. Les documents, dont une version originale avait été présentée au Tribunal des migrations, étaient de qualité douteuse et avaient donc une faible valeur probante. Indépendamment de cela, le Tribunal a conclu que la requérante savait déjà quels documents allaient lui être envoyés fin avril ou début mai 2009, à savoir avant le prononcé du jugement du Tribunal le 19 mai 2009 concernant sa demande de permis de résidence. Elle savait avant cette date qu’elle avait été condamnée et que la police burundaise la recherchait. En conséquence elle aurait pu communiquer ces informations dans le cadre de la procédure relative à sa première demande d’asile, mais avait décidé de ne pas le faire. La raison donnée par la requérante, à savoir qu’il lui aurait été demandé d’apporter des preuves, n’a pas, au regard de l’article 19 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers, été jugée par le Tribunal comme une excuse valable pour ne pas faire état des circonstances nouvelles plus tôt.

2.17Le 9 décembre 2009, la Cour d’appel des migrations a débouté la requérante de sa demande d’autorisation de faire appel du jugement prononcé par le Tribunal. Cette décision ne peut pas faire l’objet d’un recours.

Teneur de la plainte

3.1La requérante avance qu’il existe au Burundi un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Elle cite le sixième rapport du Secrétaire général sur le Bureau intégré des Nations Unies au Burundi (S/2009/611) et un rapport établi en 2009 par la section américaine d’Amnesty International sur la situation déplorable des droits de l’homme au Burundi (usage de la torture contre les détenus en prison, exécutions sommaires par les forces de sécurité, viols et actes de violence sexuelle généralisés, impunité). La requérante affirme que, dans ces conditions, vu qu’elle est accusée d’être impliquée dans les activités de son frère défunt et qu’elle serait probablement emprisonnée pour complicité de meurtre et de vol, son expulsion de la Suède vers le Burundi l’exposerait à de rudes conditions de détention mettant sa vie en danger, à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, comme le viol et les violences sexuelles. Elle allègue par conséquent que son retour forcé au Burundi constituerait une violation par la Suède des droits qu’elle tient de l’article 3 de la Convention.

3.2La requérante soutient qu’elle risque personnellement d’être torturée à son retour dans son pays d’origine. Elle fait valoir qu’un membre proche de sa famille a déjà été tué et elle craint qu’en cas d’expulsion vers le Burundi, le même sort ne lui soit réservé; elle estime courir un risque manifeste de mauvais traitements, de torture et de viol en prison. Elle déclare qu’elle est innocente et n’a pas commis les actes pour lesquels elle a été condamnée. Sa condamnation découle des conflits ethniques existant au Burundi et de la participation de son frère à la milice des Sans Échec.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 2 septembre 2010, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. Pour ce qui est de la recevabilité, il déclare ne pas avoir connaissance d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international concernant la présente requête. Eu égard au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, l’État partie reconnaît que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.

4.2Indépendamment du résultat de l’examen par le Comité des questions relatives au paragraphe 5, alinéas a et b, de l’article 22 de la Convention, l’État partie considère que l’allégation de la requérante, qui affirme courir le risque d’être traitée d’une manière contraire à la Convention, n’est pas étayée par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il soutient que la communication est manifestement dépourvue de fondement et, dès lors, irrecevable au regard du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’alinéa b de l’article 113 (anciennement alinéa b de l’article 107) du Règlement intérieur du Comité.

4.3L’État partie avance que, si le Comité devait conclure à la recevabilité de la communication, la question qui se poserait au fond serait de savoir si l’expulsion de la requérante serait contraire à l’obligation de la Suède, au titre de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. À cet égard, l’État partie, renvoyant à la jurisprudence du Comité, rappelle que l’examen de la question de savoir si le retour forcé d’une personne dans un autre pays constituerait une violation de l’article 3 de la Convention a pour objet d’établir si l’individu concerné courrait personnellement un risqued’être victime de torture en cas de retour. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour juger qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. L’État partie soutient de plus que son obligation de ne pas renvoyer de force une personne vers un État où il existe des motifs sérieux de penser qu’elle risque d’être soumise à la torture est directement liée à la définition de celle-ci qui figure à l’article premier de la Convention. Il découle de la jurisprudence du Comité que la question de savoir si un État partie a l’obligation de ne pas expulser une personne qui pourrait risquer de se voir infliger des douleurs ou des souffrances par une entité non gouvernementale, sans le consentement exprès ou tacite de l’État, ne relève pas du champ d’application de l’article 3 de la Convention.

4.4Quant à la situation générale des droits de l’homme au Burundi, l’État partie considère qu’elle peut être décrite comme très instable après la longue guerre civile entre le régime dominé par les Tutsis et son armée, d’une part, et les groupes rebelles dominés par les Hutus, d’autre part. De nombreux civils ont perdu la vie pendant cette guerre et les deux parties au conflit sont responsables de violations graves des droits de l’homme à l’encontre de la population civile. Le bilan du Gouvernement burundais en matière de droits de l’homme reste médiocre. Des membres de l’armée − la Force de défense nationale (FDN) −, de la police et du Service national de renseignement (SNR) se rendent responsables de meurtres, de torture et de passages à tabac de civils et de détenus, y compris de militants présumés du mouvement des Forces nationales de libération (FNL). Les forces de sécurité continuent de harceler des membres de l’opposition. Malgré le cessez-le-feu signé en mai 2008, le FNL a continué à perpétrer des actes de violence contre les civils, avant tout dans ses fiefs traditionnels, y compris à Bujumbura Rural. Si les autorités civiles ont d’une manière générale maintenu un contrôle effectif des forces de sécurité, il est arrivé que certains éléments agissent à titre indépendant. Bien que les forces de sécurité de l’État, notamment la FDN, aient entrepris certaines mesures pour poursuivre les auteurs de violations des droits de l’homme, la plupart des individus agissent dans l’impunité.

4.5L’État partie ajoute qu’une nouvelle Constitution est en vigueur depuis 2005, qui définit des termes de partage du pouvoir entre les deux groupes ethniques et reconnaît les droits de l’homme fondamentaux pour tous les Burundais. La Constitution garantit un système multipartite et la liberté de l’expression et de la presse. En 2005 également ont eu lieu des élections générales qui ont conduit au pouvoir le Conseil national pour la défense et la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD). En avril 2009, le mouvement des FNL a été officiellement transformé en parti politique. Avec le désarmement du FNL et sa consécration en tant que parti politique, tout acte de violence de la part de l’un de ses membres serait aujourd’hui considéré comme un crime et le nombre d’agressions qui lui sont attribuées a baissé. L’impunité continue de sévir et il y a une tendance à vouloir obtenir dans la rue la justice qui n’a pas été rendue par les magistrats. L’État partie soutient que cette appréciation résume bien la situation du Burundi telle qu’elle est décrite dans les rapports cités par la requérante devant le Comité (voir par. 3.1 plus haut).

4.6L’État partie explique que, sans vouloir sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation actuelle des droits de l’homme au Burundi, il juge indubitable que les circonstances décrites dans les rapports susmentionnés ne suffisent pas en elles-mêmes à établir que le retour forcé de la requérante au Burundi constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Le Comité devrait par conséquent apprécier le risque personnellement couru par la requérante d’être victime de torture, au sens défini par l’article premier de la Convention, après son retour au Burundi.

4.7L’État partie soutient que les autorités et les tribunaux suédois compétents en matière de migration appliquent le même critère pour apprécier le risque de torture lorsqu’ils examinent une demande d’asile dans le cadre de la loi relative aux étrangers que celui que le Comité applique lorsqu’il examine ultérieurement une communication en vertu de la Convention. Il ajoute qu’il faut tenir compte du fait que les autorités nationales sont très bien placées pour apprécier les informations fournies par un demandeur d’asile ainsi que ses déclarations et revendications étant donné qu’elles ont l’avantage d’être en contact direct avec l’intéressé. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie soutient qu’il convient d’accorder un grand poids à l’appréciation faite par les autorités suédoises compétentes en matière de migration.

4.8Concernant l’appréciation de la crédibilité des déclarations de la requérante, l’État partie s’appuie principalement sur le raisonnement exposé dans la décision du Conseil des migrations, devant lequel la requérante s’est présentée et exprimée deux fois. En outre, l’État partie estime opportun de souligner les grandes distorsions entre certains détails exposés par l’intéressée aux autorités suédoises et ceux qu’elle a présentés au Comité. Le Conseil des migrations a soutenu, tout au long de la procédure en l’espèce, que la requérante était la même personne que celle qui avait présenté une demande de visa à l’ambassade suédoise d’Alger en 2006, et il a adopté cette position tant dans sa décision de rejeter la demande d’asile de la requérante que dans les observations qu’il a adressées au Tribunal des migrations à la suite du recours formé par l’intéressée contre ladite décision. L’État partie est entièrement d’accord avec cette conclusion. Il argue que l’explication vague et incohérente donnée par la requérante sur la manière dont une demande de visa suédois aurait pu être faite en son nom à Alger en 2006 n’est pas crédible.

4.9L’État partie fait valoir qu’une photographie jointe à une demande de visa ne doit pas avoir plus de six mois. La demande de visa doit être remplie et signée personnellement par le demandeur et les documents à joindre doivent être des originaux. Selon l’État partie, cela soulève d’autres doutes à l’égard des explications données par la requérante selon lesquelles elle n’a pas participé à la présentation de la demande de visa à l’ambassade suédoise à Alger. En outre, jusqu’à ce qu’elle ait été confrontée aux détails de cette demande, la requérante affirmait n’avoir jamais eu de passeport. Lors de l’entretien au cours duquel l’existence de la demande de visa lui a été opposée, elle a déclaré qu’elle détenait un passeport et que celui-ci n’était pas faux. L’État partie estime que la déclaration de l’intéressée selon laquelle le seul nom véritable sur le passeport est son prénom n’est pas fiable; il en va de même de son explication selon laquelle quelqu’un d’autre (un homme appelé John) l’a aidée à établir la demande de passeport, qu’elle a faite pour aider son ami. Outre le fait que les explications données par la requérante sur la demande de visa et sur son passeport ne sont pas crédibles, un spécialiste de l’identité au Conseil des migrations a certifié que la comparaison entre la photographie de la requérante prise lors de la demande d’asile et la photographie jointe à la demande de visa suédois à Alger montre qu’il s’agit de la même personne.

4.10Étant donné que l’État partie, comme le Conseil des migrations, considère manifeste que la requérante est la même personne que celle qui a déposé une demande de visa suédois à Alger, cette demande a nécessairement été faite par la requérante et doit donc être prise en compte dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile. À cet égard, l’État partie soutient que les déclarations faites par la requérante dans sa demande de visa suédois et dans sa demande de protection sont contradictoires, pour les raisons suivantes:

a)Selon la demande de visa suédois, les parents de la requérante vivent ensemble à Rohero, à Bujumbura, et elle a deux sœurs et un frère. Le frère serait né en 1990. Dans la demande d’asile, la requérante déclare que ses parents ont été tués en 1996. En outre, elle y indique que son frère est né en 1975; il aurait donc eu 31 ans au moment où il a été tué. Enfin, elle n’y mentionne aucune sœur; et

b)Il ressort de la demande de visa suédois que la requérante travaillait au Niger en 2002-2003. Il y est également indiqué qu’elle a quitté l’Algérie, s’est rendue en France puis est retournée en Algérie trois fois entre juillet 2003 et octobre 2005. Lors de son séjour en France en juillet 2004, la requérante a renouvelé son passeport à l’ambassade du Burundi à Paris.

4.11L’État partie argue que si les informations concernant les sorties d’Algérie et de France et les entrées dans ces pays ne démontrent pas en elles-mêmes que la requérante vivait en Algérie en 2003, 2004 et 2005, elles montrent au moins qu’elle voyageait entre les deux pays à cette époque. Par ailleurs, l’intéressée n’a pas hésité à entrer en contact avec l’ambassade burundaise à Paris. Cette information, associée au fait qu’elle travaillait au Niger en 2002 et 2003, et par conséquent y vivait, montre également qu’elle n’avait pas de mal à quitter le Burundi à cette époque. La requérante ayant indiqué dans la demande de visa qu’elle était étudiante à Alger et donné une adresse de résidence dans cette ville, on peut supposer qu’elle y a vécu au moins à certains moments de l’année 2006. Dans ces circonstances, l’État partie conclut qu’il est manifeste que la requérante s’est rendue plusieurs fois à l’étranger avant d’arriver en Suède fin 2006 pour demander protection, contrairement à ce qu’elle a déclaré dans sa demande d’asile.

4.12L’État partie estime de surcroît que certains éléments des déclarations de la requérante aux fins de sa demande d’asile sont en eux-mêmes contradictoires. Que la requérante dise avoir été suffisamment près de la maison pour entendre la milice hutue interroger son frère à son sujet au moment où elle affirme qu’il a été tué, sans avoir été vue par les soldats, est peu vraisemblable. Les informations données par la requérante sur la manière dont elle a réussi à s’enfuir de la maison et à vivre chez un ami à faible distance pendant deux mois sans y être cherchée ni découverte sont également peu crédibles. Il est aussi clair, pour l’État partie, que la requérante a menti en réponse à la question de savoir si elle détenait un passeport, ce qu’elle a révélé seulement lorsqu’elle a été confrontée à la demande de visa.

4.13Compte tenu de ce qui précède et de l’insuffisance de la description donnée par la requérante des préparatifs de son départ du Burundi, l’État partie conclut que la crédibilité des déclarations et des griefs qu’elle a formulés à l’appui de sa demande d’asile devant les autorités suédoises et devant le Comité est très faible. L’État partie soutient par conséquent qu’on ne saurait lui accorder le «bénéfice du doute» dans la présente communication. Il conclut en outre que, compte tenu de la faible crédibilité de la demande d’asile de la requérante, rien n’étaye son allégation selon laquelle elle risque d’être victime de mauvais traitements et de viol du fait de milices hutues au Burundi en raison des activités qu’aurait eues son frère dans la milice des Sans Échec.

4.14L’État partie argue en outre que, de la même manière, la déclaration de la requérante qui affirme avoir été condamnée à une peine d’emprisonnement, avoir reçu une signification et être recherchée au Burundi n’est pas crédible. Il ajoute que les explications qu’elle donne sur la manière dont elle s’est procurée les documents indiquant qu’elle a reçu une signification et qu’elle est recherchée et condamnée au Burundi sont très incohérentes et difficiles à saisir bien qu’elle les ait communiquées par écrit au Tribunal des migrations. Par ailleurs, l’État partie est d’accord avec la conclusion à laquelle le Conseil des migrations est parvenu à l’issue de l’examen des documents concernant la peine, la signification et le mandat d’arrêt, à savoir qu’ils sont de qualité douteuse et revêtent dès lors une faible valeur probante. Quant à l’argument de la requérante selon lequel son conseil désigné au titre de l’aide juridictionnelle aurait omis de communiquer les documents en question aux autorités compétentes, l’État partie estime qu’une telle affirmation devrait être étayée et, si possible, confirmée ou réfutée par un échange avec le conseil. Il relève que la requérante ne présente aucun élément en ce sens. Étant donné que plusieurs des déclarations de l’intéressée ne sont pas jugées fiables par l’État partie, cette appréciation s’applique à sa crédibilité générale. En conséquence, l’État partie ne considère pas comme crédible l’allégation de la requérante concernant son conseil.

4.15L’État partie argue qu’aucune autre déclaration ou information produite par la requérante ne montre qu’elle risquerait d’être soumise à des mauvais traitements ou au viol si elle était renvoyée au Burundi. Lorsqu’elle explique, dans sa demande d’asile, qu’elle n’a pas de réseau social au Burundi, cela est en contradiction avec les informations qu’elle donne sur sa famille dans la demande de visa suédois. Selon celles-ci, ses parents, sa sœur aînée et ses frère et sœur cadets vivent au Burundi. En outre, d’après ce qu’elle dit sur les lieux où elle se trouvait au Burundi juste avant de quitter le pays, il semblerait qu’elle y ait bien des connaissances. L’État partie conclut que les circonstances invoquées par la requérante ne suffisent pas à démontrer que le risque allégué de torture soit prévisible, réel et personnel. Dès lors, la requérante n’a pas fourni de motif sérieux laissant penser qu’elle risque réellement et personnellement d’être victime de traitements contraires à l’article 3 de la Convention si elle est renvoyée au Burundi.

4.16Enfin, l’État partie explique qu’en vertu de l’article 22 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers, un ordre d’expulsion est valable quatre ans à compter de la date à laquelle il est devenu définitif et non susceptible d’appel. Dans le cas présent, la décision concernant l’expulsion de la requérante est devenue finale et non susceptible d’appel le 27 juillet 2009, jour où la Cour d’appel des migrations a refusé à la requérante l’autorisation d’interjeter appel. L’ordre d’expulsion en question sera donc prescrit le 27 juillet 2013.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Le 15 décembre 2010, la requérante a réitéré ses déclarations initiales concernant son identité, son pays d’origine et les événements qui ont provoqué son départ du Burundi. Quant aux complications concernant le passeport et la demande de visa qu’on lui attribue, elle explique qu’elle s’est attachée à un homme qu’elle avait rencontré au Burundi. Lorsqu’il lui a demandé de lui donner son passeport et des photos, elle l’a fait. Elle affirme n’avoir jamais, contrairement à ce que soutiennent le Conseil des migrations et d’autres organes, demandé de visa ni s’être rendue en Algérie ou en France ou dans un quelconque autre pays. Elle n’a pas été soumise à des persécutions, mauvais traitements ou peines lorsqu’elle est restée au Burundi après le meurtre de son frère parce qu’elle était cachée. Elle a quitté le Burundi avec l’aide de passeurs et, pour cette raison, elle ne dispose d’aucune information sur le passeport avec lequel elle s’est rendue en Suède. Sa seule préoccupation était de quitter son pays d’origine pour gagner un lieu où elle serait en sécurité.

5.2Sur le fond, la requérante soutient que, dans la mesure où elle a apporté des informations détaillées à l’appui de ses griefs, la charge de la preuve devrait être renversée. Elle affirme qu’elle serait jetée en prison à son retour au Burundi et qu’elle y serait victime de torture au sens défini à l’article premier de la Convention. Elle répète que, compte tenu de la situation actuelle au Burundi, associée aux raisons de sa demande d’asile et de protection telles qu’elle les a exposées aux autorités suédoises et au Comité, son expulsion vers ce pays constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

5.3La requérante conteste l’argument de l’État partie selon lequel il applique, au moment de l’examen d’une demande d’asile dans le cadre de la loi relative aux étrangers, le même critère que celui qu’applique le Comité lorsqu’il examine une communication présentée subséquemment en vertu de la Convention. Elle fait valoir que les autorités suédoises compétentes en matière de migration, lorsqu’elles examinent une demande d’asile dans le cadre de la loi, doivent d’abord déterminer si le demandeur est un réfugié (au sens de la Convention relative au statut des réfugiés), puis s’il a besoin de protection en raison d’autres circonstances ou si, au vu de circonstances de détresse exceptionnelles, il devrait bénéficier d’un permis de résidence. La requérante argue dès lors que les autorités apprécient l’admissibilité de l’intéressé au statut de réfugié au regard de la Convention relative au statut des réfugiés («Convention sur les réfugiés»), et non pas de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants («Convention contre la torture»).

5.4La requérante soutient que la Convention sur les réfugiés a une portée à la fois plus large et plus étroite que l’article 3 de la Convention contre la torture. Elle est plus large au sens où un «réfugié», à savoir une personne bénéficiant du droit au non-refoulement en vertu de l’article 33 de cette convention, est une personne «craignant avec raison d’être persécutée» pour des motifs particuliers dans un État de renvoi. La «persécution» peut être moindre que la «torture»; ainsi, la Convention sur les réfugiés s’applique lorsqu’une forme moindre de mauvais traitement est à craindre dans l’État de renvoi. À l’inverse, les raisons pour lesquelles une personne pourrait être soumise à la torture n’importent pas aux fins de l’appréciation à effectuer au titre de l’article 3 de la Convention contre la torture, alors que les raisons pour lesquelles une personne pourrait être persécutée importent dans le cadre de la Convention sur les réfugiés. En outre, les droits énoncés à l’article 3 de la Convention contre la torture sont absolus alors que les droits du réfugié peuvent être refusés. À cet égard, la requérante déclare que les appréciations des autorités suédoises compétentes en matière de migrations et de l’État partie sur la question de savoir si son expulsion serait contraire ou non à l’article 3 de la Convention contre la torture sont très probablement faites sur la base des mêmes critères que l’appréciation effectuée pour décider du statut de réfugié en vertu de la Convention sur les réfugiés.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Par une note verbale du 13 avril 2011, l’État partie a présenté des observations complémentaires. Il déclare que contrairement à ce qu’affirme la requérante, l’article 2 du chapitre 4, lu avec l’article premier du chapitre 5, de la loi relative aux étrangers − dispositions qui lui ont été appliquées − apporte la même protection contre le refoulement que la Convention contre la torture. Pour avoir droit à la protection contre le refoulement, les raisons pour lesquelles un étranger risquerait d’être victime de peines corporelles, de torture ou d’autres traitements ou peines inhumains ou dégradants, n’importent pas et il n’est pas nécessaire que l’étranger soit considéré comme un réfugié au sens de la Convention sur les réfugiés. En outre, l’article premier du chapitre 12 de la loi énonce l’interdiction absolue d’exécuter une décision d’expulsion lorsqu’il existe des motifs raisonnables de penser que cela exposerait l’étranger au risque d’une condamnation à la peine capitale, d’une peine corporelle, de torture ou d’autres traitements ou peines inhumains ou dégradants dans le pays vers lequel il serait renvoyé, ou qu’il ne serait pas protégé contre le risque d’être à nouveau expulsé vers un pays tiers dans lequel il courrait de tels dangers. L’État partie fait également valoir que l’article premier du chapitre 12 de la loi a été adopté pour garantir le respect de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui prévoit une protection plus forte contre le refoulement que l’article 3 de la Convention contre la torture. L’État partie ajoute qu’il ressort clairement des observations initiales du 2 septembre 2010 que l’examen qu’il a effectué de la présente communication est fondé sur l’article 3 de la Convention contre la torture.

6.2Concernant la charge de la preuve, l’État partie rappelle son argument précédent selon lequel c’est à la requérante qu’il appartient de démontrer qu’il existe des motifs sérieux de penser qu’elle est personnellement confrontée à un risque prévisible et réel de torture au Burundi. Ce n’est qu’après la production de preuves démontrant qu’un tel risque existe que la charge de la preuve peut être renversée. L’État partie conteste que la requérante soit parvenue à présenter des preuves suffisant à faire basculer la charge de la preuve et fait valoir qu’elle ne lui a communiqué aucun jugement proprement dit qui indique qu’elle a été condamnée à vingt ans d’emprisonnement, mais seulement un document intitulé «attestation de signification d’un jugement». En outre, les documents qu’elle présente à l’appui de ses allégations ont une valeur probante très réduite car il s’agit de documents très simples et faciles à établir. De plus, le «mandat d’arrêt» et la «signification» ne portent ni l’un ni l’autre de numéro d’affaire ou une autre cote.

6.3L’État partie remarque en outre que les documents produits par la requérante sont prétendument des originaux et précise qu’il s’agit de formulaires imprimés qui ont tous été remplis à la main à l’encre bleue et portent des tampons bleus. L’État partie trouve étonnant que la requérante ait reçu les originaux des formulaires et non, comme c’est l’usage, des copies certifiées. Par ailleurs, l’histoire que raconte la requérante sur la manière dont elle a obtenu ces documents est hautement improbable et n’explique pas pourquoi elle n’a pas présenté de copie du jugement proprement dit puisqu’elle a demandé à la personne qui l’aidait d’envoyer des copies de tous les documents figurant dans le dossier du tribunal. L’État partie en conclut qu’on ne saurait considérer que les documents en question étayent les revendications de la requérante.

6.4L’État partie conteste vivement l’affirmation de la requérante selon laquelle elle aurait apporté des informations très détaillées à l’appui de ses allégations et argue qu’elle a au contraire présenté un récit improbable et lacunaire. Il est établi que la requérante a, en connaissance de cause, communiqué des informations fausses aux autorités compétentes, ce qui met en doute sa crédibilité générale. Qui plus est, les informations qu’elle donne dans le cadre de sa demande d’asile sont contradictoires, ce qui amoindrit encore sa crédibilité et la fiabilité de son récit. L’État partie estime que les circonstances exposées aux paragraphes 2.4 à 2.8 et 4.8 à 4.10 laissent nettement supposer que la requérante a présenté elle-même la demande de visa à Alger. De surcroît, les faits exposés dans ladite demande amènent à conclure que l’histoire de la requérante concernant la participation de son frère à la milice des Sans Échec et son exécution ne saurait être vraie. En l’absence de preuves écrites fiables étayant ces allégations, et au vu des fortes raisons qu’il y a de mettre en doute la crédibilité de la requérante et la véracité de ce qu’elle avance, l’État partie soutient que l’intéressée n’a pas rempli l’obligation qui était la sienne de démontrer qu’elle court personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture au Burundi. La charge de la preuve ne saurait dès lors être renversée. L’État partie ajoute que rien ne justifie de maintenir la mesure provisoire demandée au titre de l’article 114 du Règlement intérieur du Comité dans la mesure où l’exécution de l’ordre d’expulsion ne causerait pas de préjudice irréparable à la requérante.

Commentaires de la requérante sur les observations complémentaires de l’État partie

7.Le 17 juillet 2011, la requérante a répété ce qu’elle avait déjà affirmé, à savoir qu’il existait des motifs sérieux de penser qu’elle serait soumise à la torture au Burundi si elle devait y retourner. Elle soutient que ces allégations ont été confirmées notamment par des documents dont elle a expliqué comment elle se les était procurés. L’intéressée ajoute qu’elle ne peut pas répondre aux questions de savoir pourquoi une demande de visa a été faite à «son» nom et pourquoi quelqu’un d’autre a utilisé son passeport, autrement qu’en disant qu’elle ignore ce qui s’est passé. Tout ce qu’elle dit est «la vérité».

Délibérations

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité rappelle que, conformément à l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie a reconnu en l’espèce que les recours internes avaient été épuisés.

8.3L’État partie soutient que la communication est irrecevable car manifestement dépourvue de fondement. Le Comité considère toutefois que les arguments présentés par la requérante soulèvent des questions importantes qui devraient être examinées au fond. Il ne constate pas d’autres obstacles à la recevabilité et déclare en conséquence la communication recevable. L’État partie et la requérante ayant l’un et l’autre présenté des observations sur le fond de la communication, le Comité procède directement à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant la requérante au Burundi, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou renvoyer une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Le Comité fait observer que la question de savoir si un État partie a l’obligation de ne pas renvoyer une personne qui risque d’être soumise à la torture ou à des mauvais traitements par une entité non gouvernementale relève du champ d’application de l’article 3 dès lors que les autorités étatiques dans le pays de renvoi ont consenti expressément ou tacitement à la commission de ces actes. Cependant, bien qu’elle ait affirmé avoir initialement fui son pays par crainte de subir des violences de la part des milices hutues, la requérante n’a produit aucun élément permettant de confirmer qu’elle risquerait aujourd’hui d’être la cible de ces milices si elle était renvoyée au Burundi.

9.3Concernant l’argument de la requérante, qui affirme qu’elle risque d’être emprisonnée au Burundi et que cela l’exposera inévitablement aux mauvais traitements, à la torture et au viol, le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risquerait personnellement d’être victime de torture en cas de retour dans son pays d’origine. Pour évaluer ce risque, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

9.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 relative à l’article 3, selon laquelle l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est «hautement probable», le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court «personnellement un risque réel et prévisible». Le Comité rappelle en outre que, conformément à son Observation générale no 1, il doit accorder un poids considérable aux constatations de fait effectuées par les organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

9.5En l’espèce, le Comité note que l’État partie a reconnu et tenu compte du fait que le bilan en matière de droits de l’homme du Burundi demeurait insatisfaisant et que la situation générale dans ce domaine était encore très instable après la longue guerre civile qui a opposé le régime dominé par les Tutsis aux groupes rebelles dominés par les Hutus. Toutefois, sans sous-estimer les préoccupations pouvant légitimement être exprimées à l’égard de l’état actuel de cette situation au Burundi, les autorités de l’État partie compétentes en matière de migration, y compris les juridictions, ont établi que les circonstances prévalant dans ce pays ne suffisaient pas en elles-mêmes à établir que le retour forcé de la requérante au Burundi entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention.

9.6Le Comité relève également que l’État partie a attiré l’attention sur de nombreuses incohérences et contradictions graves dans la description des faits de la requérante et dans ses allégations, qui mettent en doute sa crédibilité générale et l’exactitude de ses dires. Le Comité prend aussi note des informations fournies par la requérante sur ces points.

9.7Pour ce qui est de l’affirmation de la requérante selon laquelle elle a été condamnée à vingt ans d’emprisonnement pour complicité de meurtre et de vol, actes qu’elle soutient ne pas avoir commis, le Comité note que l’État partie fait valoir que la requérante n’a pas produit de jugement à proprement parler, mais seulement un document intitulé «attestation de signification d’un jugement». En outre, l’État partie a indiqué que les documents qu’elle avait produits à l’appui de ses allégations avaient une très faible valeur probante car il s’agissait de documents très simples, faciles à établir et sur lesquels ne figurait ni numéro d’affaire ni aucune autre cote. De surcroît, l’État partie s’est interrogé sur la question de savoir pourquoi la requérante aurait reçu les originaux des documents figurant dans le dossier du tribunal et non pas, comme c’est l’usage, des copies certifiées. La requérante n’a pas réfuté ces observations et n’a pas non plus présenté de preuves contraires ou arguments supplémentaires, bien qu’elle en ait eu la possibilité.

9.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité constate que la requérante n’a pas établi que son expulsion vers son pays d’origine l’exposerait personnellement à un risque réel et prévisible de torture au sens de l’article 3 de la Convention.

10.Dès lors, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi de la requérante au Burundi par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication no 414/2010: N. T. W. c. Suisse

Présentée par:

N. T. W. (représenté par un conseil, Tarig Hassan)

Au nom de:

N. T. W.

État partie:

Suisse

Date de la requête:

18 mars 2010 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 16 mai 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 414/2012, présentée par N. T. W. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

1.1L’auteur de la communication est N. T. W., de nationalité éthiopienne, né en 1974. Il a demandé l’asile, qui lui a été refusé. Il soutient que son retour forcé en Éthiopie constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil, Tarig Hassan.

1.2Le 24 mars 2010, en vertu du paragraphe 1 de l’ancien article 108 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Éthiopie tant que l’affaire serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un Éthiopien de l’ethnie Oromo. Il a grandi à Addis-Abeba et travaillé comme constructeur d’immeubles après des études d’architecture. Lors de la campagne électorale de 2005, il a commencé à s’intéresser à la politique et a rejoint les partisans du parti de la Coalition pour l’unité et la démocratie (CUD; à l’étranger, souvent appelé CUDP ou KINIJIT). Il a activement fait campagne pour les candidats du parti et figurait sur la liste officielle de ses soutiens. Selon le requérant, après le succès du parti KINIJIT aux élections, le parti au pouvoir a entamé une campagne de répression du parti de l’opposition, dont plusieurs membres ont été tués. Un ami du requérant, qui avait des liens avec le parti au pouvoir, l’a averti qu’il était recherché par la police. Il a quitté l’Éthiopie pour le Soudan en novembre 2005 puis a voyagé de Khartoum à l’Allemagne puis à la Suisse, où il est arrivé en juin 2006 et a déposé une demande d’asile.

2.2Le requérant affirme qu’il continue à mener des activités politiques en Suisse et qu’il est l’un des membres fondateurs de la branche du parti KINIJIT dans ce pays. Il affirme que son intérêt pour la politique est authentique et qu’il a participé à plusieurs manifestations contre le régime d’Addis-Abeba depuis 2006. Il rédige des commentaires sur Internet au sujet de l’évolution récente de la situation politique et exprime ses opinions politiques sur des forums en ligne, y compris un forum connu consacré à la politique éthiopienne.

2.3Le requérant a présenté sa première demande d’asile, qu’il justifiait par ses activités en Éthiopie, le 23 juin 2006. Les autorités suisses compétentes ont rejeté sa demande le 18 août 2006 et son recours le 18 juillet 2008. Le 11 mars 2009, il a présenté une deuxième demande d’asile, qui a été rejetée par l’Office fédéral des migrations le 30 avril 2009 et par le Tribunal administratif fédéral le 10 février 2010. À la suite du jugement du Tribunal, le requérant a été prié de quitter la Suisse le 15 mars 2010 au plus tard. Il affirme que s’il ne part pas de son plein gré, il sera renvoyé de force en Éthiopie.

2.4Le requérant explique que le Tribunal administratif fédéral a jugé que ni sa position au sein du mouvement KINIJIT ni la nature de sa participation ne justifiaient une crainte de persécutions, même si le requérant était un membre fondateur de la branche du KINIJIT en Suisse et participait à diverses manifestations et activités politiques. Le Tribunal a également jugé que l’on ne pouvait présumer que cette participation était d’une nature telle que le Gouvernement éthiopien y percevrait une menace pour le régime. Le Tribunal a conclu que l’intéressé ne serait pas exposé à un risque réel de torture ou d’autres actes inhumains et dégradants s’il était renvoyé en Éthiopie.

2.5Le requérant affirme que ses activités dans le cadre de la campagne électorale de 2005 et le fait qu’il exprimait librement son opinion politique lors de conversations avec des représentants du parti au pouvoir, ainsi que le fait qu’il est un professionnel diplômé l’ont fait remarquer du Gouvernement éthiopien, qui le prend maintenant pour cible. Il soutient que le Gouvernement éthiopien n’arrête pas seulement des hommes politiques de haut niveau et qu’il surveille de près les mouvements d’opposition, tant en Éthiopie qu’à l’étranger. Il explique que depuis l’adoption récente d’une législation antiterroriste, la répression des dissidents politiques s’est intensifiée. Selon une disposition de la loi en question, est passible de vingt ans de prison quiconque «écrit, édite, imprime, publie, promeut, diffuse, expose ou laisse entendre toute déclaration encourageant, soutenant ou promouvant des actes terroristes». Selon une analyse, cette loi «assimile l’opposition politique au terrorisme». Le requérant fait également état d’une analyse de Human Rights Watch où il est dit au sujet de cette loi que «tant les opposants au Gouvernement que les citoyens ordinaires sont confrontés à une répression qui décourage et sanctionne la libre expression et l’activité politique».

2.6Le requérant soutient qu’après son arrivée en Suisse il a accru ses activités politiques. Il indique avoir produit plusieurs photos attestant de sa participation à diverses manifestations politiques, toutes publiées sur Internet. Il affirme que son activisme suivi et résolu a fait de lui une figure remarquée dans le mouvement des exilés éthiopiens. Il insiste sur le fait que sa longue absence d’Éthiopie et ses opinions politiques l’exposeraient à un risque réel de persécutions en cas de retour dans son pays d’origine. Il cite des rapports du Département d’État des États-Unis dans lesquels il est indiqué que la police éthiopienne utilise la torture contre les opposants politiques et les contestataires. Il cite également des rapports du Comité pour la protection des journalistes et un rapport de Human Rights Watch où il est expliqué que les détenus qui ne sont pas encore jugés et les condamnés sont les uns comme les autres exposés à la torture et aux mauvais traitements. Il cite encore une déclaration de la même organisation faisant état de recours à la torture par la police et les militaires éthiopiens, dans des centres de détention officiels ou secrets de tout le pays. Il cite enfin le rapport de Freedom House de mai 2009 (Freedom of the press 2009: Ethiopia), où il est indiqué que le Gouvernement éthiopien surveillait et bloquait des sites Internet et des blogs de l’opposition, ycompris de nouveaux sites gérés par des Éthiopiens résidant à l’étranger.

Teneur de la plainte

3.Le requérant soutient que son retour forcé en Éthiopie constituerait une violation, par la Suisse, de ses droits au titre de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans la mesure où il risque d’être victime de torture ou d’autres actes inhumains ou dégradants du fait des autorités éthiopiennes s’il est renvoyé dans ce pays.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête

4.1Le 30 mars 2010, l’État partie a informé le Comité que le requérant resterait en Suisse jusqu’à ce que le Comité ait examiné sa demande ou jusqu’à la levée des mesures provisoires.

4.2L’État partie indique que le requérant a déposé une première demande d’asile en Suisse le 23 juin 2006. L’intéressé déclarait craindre d’être harcelé à la suite des élections de 2005 car il est militant de la Coalition pour l’unité et la démocratie. L’Office fédéral des migrations a rejeté sa demande le 18 août 2006. Le recours qu’il a formé contre cette décision a lui aussi été rejeté par le Tribunal administratif fédéral le 18 juillet 2008. Le 10 mars 2009, le requérant a déposé une deuxième demande d’asile en faisant valoir que ses activités politiques en Suisse étaient d’une nature telle que les autorités éthiopiennes auraient probablement tout intérêt à l’arrêter. Le 30 avril 2009, l’Office fédéral des migrations a rejeté la demande. Dans le recours qu’il a formé contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral, le requérant a expressément reconnu que la décision du 18 juillet 2008 était exécutoire et n’a justifié sa nouvelle demande que par les activités politiques auxquelles il participait en Suisse. Par décision du 10 février 2010, le Tribunal administratif fédéral a rejeté son recours.

4.3L’État partie relève que le requérant soutient devant le Comité qu’il courrait, en raison de ses activités politiques en Suisse, un risque personnel, réel et grave d’être victime de torture s’il était renvoyé dans son pays. Le requérant ne présente aucun nouvel élément qui remettrait en cause la décision du Tribunal administratif fédéral, rendue le 10 février 2010 à la suite d’un examen détaillé du dossier. Au lieu de cela il conteste l’appréciation des faits et des preuves effectuée par le Tribunal. L’État partie dit qu’il démontrera que la décision du Tribunal est valable au regard de l’article 3 de la Convention ainsi que de la jurisprudence et des Observations générales du Comité. Il soutient que l’expulsion du requérant vers l’Éthiopie ne constituerait pas une violation par la Suisse de la Convention.

4.4L’État partie fait valoir qu’en application de l’article 3 de la Convention, il est interdit aux États parties d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer si de tels motifs existent, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. L’existence de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme n’est pas en elle-même un motif suffisant pour conclure qu’un individu risquerait d’être soumis à la torture à son retour dans son pays et d’autres motifs doivent exister pour que le risque de torture relève de la définition qui en est faite à l’article 3, à savoir qu’il est «prévisible, réel et personnel».

4.5Pour ce qui est de la situation générale des droits de l’homme en Éthiopie, l’État partie affirme que les élections de mai et d’août 2005 ont renforcé la représentation des partis d’opposition au Parlement. Il reconnaît que, bien que la Constitution de l’Éthiopie reconnaisse expressément les droits de l’homme, il existe de nombreux cas d’arrestations et de détentions arbitraires, particulièrement de membres de partis d’opposition. En outre, l’indépendance judiciaire laisse à désirer. Cela étant, être membre ou partisan d’un parti d’opposition politique n’entraîne pas, en principe, un risque de persécution. Il en va autrement pour quiconque occupe une position dominante dans un parti d’opposition. Au vu de ces informations, les autorités suisses compétentes ont développé des pratiques nuancées pour déterminer le risque de persécution. Les personnes soupçonnées par les autorités éthiopiennes d’être membres du Front de libération Oromo ou du Front national de libération de l’Ogaden sont considérées comme exposées à un tel risque. Pour celles qui appartiennent à d’autres groupes d’opposition, tels que le CUD, le risque de persécution est apprécié au cas par cas conformément aux critères décrits ci-dessus. Pour ce qui est de la surveillance des activités politiques d’exilés, l’État partie soutient qu’au vu des informations dont il dispose, les missions diplomatiques ou consulaires éthiopiennes n’ont ni les ressources humaines ni les moyens nécessaires pour surveiller systématiquement les activités de membres de l’opposition en Suisse. Cela étant, les membres importants ou actifs de l’opposition, ainsi que les militants d’organisations qui encouragent l’usage de la violence courent le risque d’être identifiés, enregistrés et, dès lors, persécutés s’ils rentrent en Éthiopie.

4.6L’État partie remarque que le requérant n’allègue pas avoir été victime de torture ni avoir été arrêté ou détenu par les autorités éthiopiennes.

4.7Quant aux activités politiques auxquelles le requérant s’est livré dans son pays d’origine, selon l’État partie il semble bien s’être intéressé à la politique mais l’action qu’il a menée dans le contexte des élections de mai 2005 n’était pas de nature à éveiller l’attention du régime éthiopien. L’État partie rappelle le raisonnement du Tribunal administratif fédéral, qui a constaté que le requérant n’avait pas exposé de manière convaincante qu’il aurait été persécuté par les autorités après ces élections. Le Tribunal a fondé sa conclusion sur les contradictions entre les déclarations du requérant du 18 juillet 2006 et celles du 26 juillet 2006 et sur le fait que le dossier ne permettait pas de déterminer si le requérant avait ou non participé aux manifestations de 2005. Compte tenu de ce qui précède, les autorités suisses compétentes en matière d’asile ont conclu que le requérant n’était pas en mesure de démontrer de manière crédible qu’il était recherché par les autorités depuis les élections de 2005 en raison de ses activités politiques, ni que les autorités éthiopiennes entreprendraient de quelconques actes à son encontre en raison de ces activités. L’État partie ajoute que cette conclusion a été renforcée par le fait que le requérant n’a pas pu expliquer quelle identité il avait utilisée pour rejoindre l’Europe par avion (à partir de Khartoum, au Soudan, jusqu’à Francfort, en Allemagne, puis à Milan, en Italie).

4.8L’État partie relève que le requérant prétend devant le Comité être un membre fondateur de la branche suisse du KINIJIT. Pourtant, devant les autorités nationales, il a déclaré être devenu membre de cette organisation, fondée avant son arrivée en Suisse, en août 2006. D’après le requérant, il était un membre actif du KINIJIT Suisse; il a participé notamment à certaines manifestations et réunions de cette organisation ainsi qu’au forum cyberethiopia.com entre décembre 2008 et février 2009. Le requérant n’a pas allégué avoir été engagé dans des activités d’une autre nature, ni avoir occupé une position dominante dans l’organisation. L’État partie note que le Tribunal administratif fédéral a examiné en détail les allégations du requérant et a relevé en particulier que l’engagement politique de l’intéressé en Suisse était extrêmement limité. L’État partie argue également que, compte tenu de leurs ressources limitées, les autorités éthiopiennes concentrent toute leur attention sur des individus dont les activités vont au-delà «d’un comportement ordinaire», ou qui exercent une fonction ou une activité particulière potentiellement menaçante pour le régime éthiopien. Or le requérant ne présentait pas de profil politique à son arrivée en Suisse et il semble raisonnable pour l’État partie d’écarter l’hypothèse qu’il ait par la suite développé un tel profil. L’État partie soutient que les documents produits par le requérant n’attestent d’aucune activité en Suisse qui serait susceptible d’attirer l’attention des autorités éthiopiennes. Le fait que l’intéressé soit identifiable sur des photographies de manifestants et qu’il ait publié des textes sur Internet ne suffit pas à démontrer un risque de persécution en cas de renvoi dans son pays. L’État partie précise que de nombreuses manifestations politiques ont lieu en Suisse, que les médias publient des photographies ou des enregistrements vidéo sur lesquels apparaissent parfois des centaines de personnes et qu’il est peu probable que les autorités éthiopiennes soient en mesure d’identifier chaque individu ni même d’avoir connaissance de l’affiliation du requérant à l’organisation susmentionnée.

4.9L’État partie argue que rien ne démontre que les autorités éthiopiennes ont engagé une procédure pénale contre le requérant ni qu’elles aient pris d’autres mesures à son encontre. Dès lors, ses autorités compétentes en matière d’immigration n’ont pas jugé convaincant l’argument du requérant selon lequel il occupe, dans la diaspora éthiopienne en Suisse, une fonction susceptible d’attirer l’attention des autorités éthiopiennes. Autrement dit, le requérant n’a pas établi que s’il rentrait en Éthiopie il risquerait des mauvais traitements en raison d’activités politiques menées en Suisse.

4.10L’État partie avance que, compte tenu de ce qui précède, rien n’indique qu’il existe des motifs suffisants de craindre que le retour de l’intéressé en Éthiopie ne l’expose personnellement à un risque prévisible et réel de torture. Il invite le Comité à considérer que le retour du requérant en Éthiopie ne constituerait pas une violation des engagements internationaux de la Suisse au titre de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 30 août 2010, le requérant indique que les autorités suisses de l’immigration ont elles-mêmes reconnu qu’il était animé d’un profond intérêt pour la politique et qu’il était probable qu’il ait été impliqué dans des discussions politiques cruciales en 2005. Il rappelle qu’il militait activement pour le KINIJIT lors de la campagne électorale de 2005 et qu’il était un militant bien informé du mouvement de l’opposition. Il affirme présenter diverses caractéristiques qui feraient de lui un élément potentiellement déstabilisant pour le régime éthiopien et que, dès lors, il est fort probable que ce dernier prendrait au sérieux son activisme dissident en exil. Il ajoute qu’il a non seulement maintenu une activité politique au KINIJIT en participant à des manifestations et à des forums sur Internet mais qu’il est également représentant cantonal du KINIJIT dans le canton de Zurich.

5.2Le requérant avance que les autorités éthiopiennes disposent de «moyens très modernes de surveiller les activités de l’opposition à l’étranger». En cas de retour, les membres du mouvement d’opposition éthiopien sont contrôlés et risquent l’emprisonnement en raison de leurs activités pendant leur période d’exil. Le requérant cite le cas de la juge Birtukan Mideksa, ancienne Présidente du parti de l’Unité pour la démocratie et la justice, qui, à une date non précisée, a été arrêtée à son retour en Éthiopie après avoir voyagé en Europe et avoir critiqué le régime. Le requérant affirme avoir publié plusieurs commentaires critiques sur des sites Internet éthiopiens dissidents et que, compte tenu des «moyens de surveillance techniques bien plus sophistiqués» dont disposent actuellement les autorités éthiopiennes, il est hautement probable qu’il ait été identifié comme un membre actif de l’opposition en exil, en raison notamment de ses fonctions de représentant cantonal du KINIJIT à Zurich.

5.3Le requérant explique en outre que le régime de son pays d’origine est extrêmement hostile à la critique et à l’opposition en général. Avec la récente législation antiterroriste, la répression de l’expression politique et de la manifestation pacifique a été légalisée. L’arrestation de personnes soupçonnées d’entretenir des relations avec les partis d’opposition est monnaie courante. Le requérant affirme qu’à son retour en Éthiopie il sera arrêté et interrogé, que les conditions de détention en prison y sont parmi les pires au monde et que la torture y est fréquemment pratiquée. Il cite également le cas d’un ressortissant éthiopien auquel les autorités suisses de l’immigration ont accordé le statut de réfugié. Ce ressortissant avait travaillé pour le Conseil des droits de l’homme éthiopien et était alors un représentant cantonal du CUPD. Le requérant soutient que son propre cas est semblable et que, dès lors, les allégations de l’État partie, pour lequel il est peu probable que le requérant ait été enregistré par les autorités éthiopiennes, n’apportent aucune garantie «contre les mauvais traitements qu’il subira probablement». Il répète que si la Suisse le contraint à retourner en Éthiopie, elle manquera ainsi à l’obligation qui est la sienne au titre de l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité note qu’en l’espèce l’État partie a reconnu que le requérant avait épuisé toutes les voies de recours internes. N’observant aucun autre obstacle à la recevabilité, il déclare la communication recevable.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Éthiopie, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Il doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en rentrant en Éthiopie. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé.

7.3Le Comité rappelle son Observation générale no 1 et réaffirme que «l’existence (…) d’un risque [de torture] doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est “hautement probable (par. 6)” mais le risque doit être encouru personnellement et actuellement». À cet égard, le Comité a jugé dans des décisions antérieures que le risque de torture doit être prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle que, comme il l’a indiqué dans son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait formulées par les organes de l’État partie concerné mais il n’est pas lié par de telles constatations et est, au contraire, habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.4Le Comité a pris note des informations communiquées par le requérant sur sa participation à la campagne électorale de 2005 et aux activités du KINIJIT Suisse. Il relève également que le requérant indique qu’en 2005, un ami ayant des liens avec le parti au pouvoir l’avait informé que la police le recherchait. Toutefois, le Comité remarque que le requérant n’a pas démontré que la police ou d’autres autorités éthiopiennes l’avaient recherché depuis. Le Comité constate aussi que le requérant n’a jamais été arrêté ou maltraité par les autorités, que ce soit au moment des élections de 2005 ou après; l’intéressé n’indique pas non plus que des poursuites ont été engagées contre lui dans le cadre de la loi antiterroriste ou d’une autre loi éthiopienne. Le Comité note par ailleurs l’argument du requérant selon lequel les autorités éthiopiennes utiliseraient des technologies sophistiquées pour surveiller les dissidents éthiopiens se trouvant à l’étranger, mais constate qu’il n’a pas développé cet argument et n’a présenté aucun élément pour l’étayer. Le Comité estime que le requérant n’a pas fourni de preuves suffisantes de son engagement dans une activité politique d’une importance telle qu’elle attirerait l’attention des autorités éthiopiennes; il n’a pas non plus produit d’autres preuves concrètes qui démontreraient que les autorités de son pays d’origine le recherchent ou qu’il court personnellement le risque d’être torturé en cas de renvoi en Éthiopie.

7.5Le Comité juge par conséquent que les informations présentées par le requérant, y compris sur la nature de ses activités politiques en Éthiopie puis en Suisse, activités qui ne supposent pas un haut niveau de responsabilité, ne suffisent pas à établir qu’il serait personnellement exposé à un risque réel de torture s’il était renvoyé en Éthiopie. Le Comité note avec préoccupation les nombreuses informations faisant état de violations des droits de l’homme, y compris de recours à la torture, en Éthiopie, mais rappelle qu’aux fins de l’article 3 de la Convention, il doit exister dans le pays vers lequel une personne est renvoyée un risque prévisible, réel et personnel pour celle-ci d’être torturée. Compte tenu des considérations ci-dessus, le Comité estime que l’existence d’un tel risque n’a pas été établie.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que l’expulsion du requérant vers l’Éthiopie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication no 424/2010: M. Z. A. c. Suède

Présentée par:

M. Z. A. (représenté par un conseil, Emma Persson)

Au nom de:

M. Z. A.

État partie:

Suède

Date de la requête:

3 juin 2010

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 22 mai 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 424/2010, présentée par M. Z. A. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est M. Z. A., né en 1957. Il soutient que son expulsion vers l’Azerbaïdjan constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le requérant est représenté par son conseil, Mme Emma Persson.

1.2Le 14 juin 2010, le Comité a prié l’État partie, en vertu du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur (anciennement art. 108, par. 1), de ne pas expulser le requérant tant que l’affaire serait à l’examen.

Rappel des faits exposés par le requérant

2.1Le requérant a suivi des études pour devenir enseignant; il a obtenu son diplôme à l’Institut de formation des enseignants de Bakou en 1979. Il affirme que, lorsqu’il vivait en Azerbaïdjan, sa famille et lui rencontraient des difficultés économiques car, en raison de ses convictions politiques et de son appartenance au Parti national d’Azerbaïdjan (AMIP), il avait du mal à trouver du travail. Le requérant indique qu’il était un membre actif responsable du programme du parti et du recrutement de nouveaux membres. Il affirme qu’en raison de son engagement dans ce parti, les autorités le surveillaient.

2.2Le requérant indique qu’il a participé à plusieurs manifestations politiques entre 1998 et 2003. Certaines, liées à la tenue d’élections, ont eu lieu sur la place dite «de la liberté», au centre de Bakou. Lors d’une manifestation organisée à la suite des élections du 15 octobre 2003, les autorités ont tenté de réprimer les manifestants; le requérant dit qu’il a réussi à s’échapper et n’a pas été arrêté uniquement parce que son beau-père était procureur à Bakou. Il s’est ensuite caché chez des amis et des connaissances. En janvier 2004, sa femme lui aurait dit que des policiers l’avaient cherché et avaient menacé de l’arrêter s’ils ne le trouvaient pas. C’est dans ces circonstances, craignant des persécutions et autres mauvais traitements, qu’il a quitté l’Azerbaïdjan le 8 janvier 2004, avec sa femme et ses enfants, pour se rendre au Daghestan. Il indique que sa femme et ses enfants sont restés au Daghestan.

2.3Le requérant s’est rendu à Moscou, où il a un frère, puis a poursuivi son voyage vers la Pologne où des passeurs l’ont aidé à rejoindre Hambourg. De Hambourg on l’a aidé à acheter un billet de train pour Copenhague puis Stockholm. Le requérant a demandé l’asile le 19 janvier 2004, soit trois jours après son entrée en Suède.

2.4Le 13 mai 2004, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile présentée par le requérant. La décision était fondée sur la conclusion que celui-ci n’était pas très actif sur le plan politique et n’occupait pas dans le parti d’opposition une position suffisamment élevée pour attirer l’attention des autorités azerbaïdjanaises. Le Conseil des migrations a jugé que le requérant n’avait pas démontré de manière convaincante en quoi son retour en Azerbaïdjan mettrait sa vie en danger. Il n’existait, selon le Conseil, aucune raison d’autoriser le requérant à s’installer en Suède pour des raisons humanitaires. Le requérant a fait appel de la décision. La Commission de recours des étrangers l’a débouté le 18 avril 2004.

2.5Le 22 mai 2006 le requérant a adressé au Conseil des migrations une nouvelle lettre dans laquelle il déclarait ne pas pouvoir rentrer en Azerbaïdjan et précisait que ses craintes à cet égard s’étaient accrues depuis les décisions rendues en 2004 par le Conseil et la Commission de recours des étrangers. Il ajoutait qu’il était en Suède depuis deux ans et cinq mois et s’était bien adapté au pays. Le 13 juin 2006, le Conseil des migrations a rejeté sa demande et lui a refusé un permis de séjour. Le requérant a une fois de plus écrit au Conseil des migrations, réaffirmant qu’il ne pouvait pas rentrer en Azerbaïdjan car il risquait d’y être soumis à des persécutions et autres mauvais traitements, et craignait même pour sa vie. Le 27 août 2006, le Conseil a rejeté sa demande, le renvoyant à ses décisions antérieures.

2.6Le 20 avril 2009, alors que la décision de la Commission de recours des étrangers avait acquis force exécutoire depuis quatre ans, le requérant a à nouveau demandé l’asile. Dans le cadre de cette nouvelle procédure, il a déclaré qu’en plus des motifs qu’il avait déjà invoqués à l’appui de sa demande d’asile, il s’était engagé dans des activités politiques en Suède. Il a présenté sa carte de membre du parti d’opposition azerbaïdjanais, Musavat. Il était devenu membre de ce parti, le 25 juin 2007, puis président d’une antenne locale à Stockholm. Le 20 avril 2009, après avoir examiné les nouvelles circonstances décrites par le requérant, le Conseil des migrations, constatant que l’intéressé n’était pas exposé à des menaces telles qu’elles justifiaient de lui accorder l’asile ou une protection, a rejeté la demande.

2.7Le 7 janvier 2010, le requérant a saisi le Tribunal des migrations d’un recours contre la décision du Conseil. Le 6 avril 2010, le Tribunal l’a débouté. Le Tribunal approuvait la position du Conseil des migrations et notait que la situation générale en Azerbaïdjan ne justifiait pas l’octroi de l’asile ni d’une protection. Le Tribunal soulignait que les motifs pour lesquels le requérant demandait l’asile avaient déjà été partiellement examinés dans le cadre de sa première demande et que les nouvelles circonstances qu’il présentait ne justifiaient pas l’octroi du statut de réfugié en Suède. Le Tribunal a décidé de prononcer une interdiction de territoire; le requérant a donc été interpellé le 18 janvier 2010. Il a demandé l’autorisation de saisir la Cour d’appel de l’immigration. Le 29 avril 2010, celle-ci la lui a refusée.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme que son expulsion de la Suède vers l’Azerbaïdjan constituerait une violation de l’article 3 de la Convention étant donné qu’il serait exposé à un risque réel d’arrestation, de détention et de torture en cas de retour dans son pays.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond de la requête

4.1Le 30 décembre 2010, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. Il a fourni des renseignements détaillés sur la législation suédoise relative à l’asile et a en outre présenté les informations qui suivent concernant la situation du requérant, principalement tirées des dossiers établis par le Conseil des migrations suédois et les tribunaux compétents en matière de migrations. La demande d’asile du requérant a été examinée dans le cadre de plusieurs procédures, y compris au titre de la loi de 1989 sur les étrangers, des modifications temporaires de cette loi, et de la loi de 2005 sur les étrangers, comme il est décrit ci-dessous.

4.2L’État partie indique que M. Z. A. a été interrogé le 21 janvier 2004 par le Conseil des migrations. Le requérant a alors déclaré qu’il n’avait pas de pièce d’identité parce qu’il avait perdu le sac contenant son passeport pendant son voyage vers la Suède. M. Z. A. a pu produire un certificat de naissance et un diplôme d’enseignant. Il a déclaré qu’il était membre du parti AMIP et qu’il avait en cette qualité participé à des manifestations et des réunions. Il ne trouvait pas de travail en raison de son appartenance à ce parti. Il avait acheté peu de temps auparavant une boutique pour la somme de 16 000 dollars des États-Unis, mais n’était jamais entré en possession du bien et n’avait pas récupéré son argent. Il avait conclu, avec sa famille, qu’il devait se rendre en Europe pour «y trouver une solution». C’est ce qu’il avait décidé de faire «afin de prendre ses responsabilités de père».

4.3L’État partie mentionne que le 2 avril 2004, M. Z. A. a remis, par l’intermédiaire du conseil dont il bénéficiait en vertu de l’aide juridictionnelle, une déclaration au Conseil des migrations. Il y expliquait avoir quitté l’Azerbaïdjan en raison de son engagement à l’AMIP et de ses fonctions de président du parti dans l’antenne de son lieu de résidence. Il affirmait avoir participé à un certain nombre de manifestations, dont une de grande ampleur qui s’était déroulée les 15 et 16 octobre 2003. Il expliquait que, grâce à sa belle-mère qui était procureur et connaissait certaines personnes dans la police, il avait été écarté de la manifestation, ce qui lui avait permis d’échapper aux coups et à une arrestation. Il s’était ensuite caché. En janvier 2004, il avait appris de sa femme et de sa belle-mère que la police le recherchait. M. Z. A. soutenait par ailleurs que la mafia azerbaïdjanaise était impliquée et aidait la police dans sa recherche. Le requérant avait joint une copie de sa carte d’identité et de sa carte de membre du parti d’opposition.

4.4L’État partie indique que, le 13 mai 2004, le Conseil des migrations a rejeté la demande de permis de résidence et de travail présentée par M. Z. A. au motif que, notamment, l’intéressé n’avait fait état d’aucune persécution avant la manifestation d’octobre 2003. Le Conseil a également jugé qu’il était peu probable que l’intéressé présente un quelconque intérêt pour la police en Azerbaïdjan, dans la mesure où son engagement politique était mineur.

4.5L’État partie indique que le 23 mai 2004, le requérant a contesté la décision du Conseil des migrations devant la Commission de recours des étrangers. Il ajoutait à ses précédentes allégations que c’était en réalité son beau-père, et non sa belle-mère comme il l’avait précédemment affirmé, qui était procureur. M. Z. A. soulignait aussi que le Conseil des migrations avait sous-estimé son engagement dans le parti d’opposition. Il soutenait être convaincu que s’il rentrait en Azerbaïdjan, il serait arrêté, harcelé et agressé. Le 18 avril 2005, la Commission de recours des étrangers l’a débouté, confirmant les décisions du Conseil des migrations.

4.6L’État partie ajoute que M. Z. A., sa femme et sa fille ont présenté une autre demande de permis de résidence à la Commission de recours des étrangers. Le 23 avril 2005, celle-ci a rejeté la demande en expliquant que le requérant n’avait fait valoir aucune circonstance nouvelle. M. Z. A. a par la suite présenté un certain nombre de demandes de permis de résidence, toutes rejetées. La dernière décision a été rendue le 29 avril 2010 par la Cour d’appel des migrations, et une ordonnance d’expulsion vers l’Azerbaïdjan a été prononcée à l’encontre de M. Z. A.

4.7L’État partie prend acte du fait que le requérant a épuisé toutes les voies de recours internes mais argue que la requête est irrecevable car manifestement mal fondée. Pour le cas où le Comité jugerait la requête recevable, l’État partie nie qu’il enfreindrait la Convention s’il expulsait le requérant vers l’Azerbaïdjan.

4.8L’État partie invoque la règle appliquée par le Comité selon laquelle l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans le pays n’est pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. L’État partie soutient qu’il doit exister des motifs supplémentaires qui donnent à penser que l’intéressé serait en danger. Il estime par conséquent que le Comité devrait examiner tant la situation générale des droits de l’homme en Azerbaïdjan que les risques que le requérant court personnellement d’être soumis à la torture à son retour.

4.9L’État partie soutient en outre que l’Azerbaïdjan a signé toutes les conventions importantes des Nations Unies, y compris la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Depuis 2006, l’Azerbaïdjan est membre du Conseil des droits de l’homme. L’État partie renvoie à plusieurs rapports pour affirmer qu’ils arrivent tous à la même conclusion, à savoir que le simple fait d’être membre d’un parti d’opposition ou engagé dans ses activités en Azerbaïdjan ne signifie pas nécessairement qu’une personne sera victime de torture ou de mauvais traitements.

4.10L’État partie argue également que l’individu concerné doit courir personnellement un risque prévisible, réel, d’être torturé dans le pays dans lequel il est renvoyé. Il avance par ailleurs que, d’après l’Observation générale no 1 (1997) relative à l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, c’est au requérant qu’il appartient de présenter une argumentation solide et que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons, bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque encouru est hautement probable.

4.11L’État partie soutient qu’il convient d’accorder un grand poids aux décisions des autorités suédoises de l’immigration. Il fait valoir que le requérant a présenté certains éléments contradictoires. Par exemple, M. Z. A. a d’abord dit que c’était sa belle-mère qui était procureur, pour déclarer ensuite que c’était en réalité son beau-père. Il a donné en outre des raisons divergentes de son départ d’Azerbaïdjan. Il a d’abord expliqué qu’il ne pouvait pas obtenir d’emploi en raison de ses activités politiques et qu’il ne voulait pas que ses frères l’entretiennent. Deux mois plus tard, il a donné une autre version et expliqué avoir été contraint de quitter l’Azerbaïdjan parce qu’il était recherché par la police.

4.12L’État partie argue que le requérant n’a pas démontré qu’il était recherché pour de quelconques infractions ni qu’il faisait l’objet de quelconques infractions en Azerbaïdjan. En outre, il n’a pas déclaré avoir été arrêté ou interrogé lorsqu’il s’y trouvait. Les informations qu’il donne au sujet de menaces pesant sur lui sont très vagues. L’État partie estime que rien ne démontre et que rien ne laisse penser que, si le requérant rentrait en Azerbaïdjan, il y serait victime de torture.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 18 mars 2011, le requérant a commenté les informations communiquées par l’État partie le 30 décembre 2010. Il répète que c’est son beau-père qui lui a permis de ne pas être arrêté. En raison de ces circonstances, il a dû fuir l’Azerbaïdjan. Il a pris cette décision après avoir consulté son beau-père qui a confirmé que la police le recherchait.

5.2Le requérant rappelle en outre qu’il était engagé politiquement en tant que membre du Parti AMIP en Azerbaïdjan et qu’il est devenu un membre actif du Parti Musavat en Suède. Il soutient que ses convictions politiques sont bien connues des autorités azerbaïdjanaises. Il estime avoir fourni des preuves importantes de ses convictions et activités politiques.

5.3Il argue en outre que, à partir du moment où il a fourni un certain niveau d’information, la charge de la preuve est renversée et pèse sur l’État partie. Pour étayer plus encore ses allégations, le requérant présente un certificat du Parti du front populaire d’Azerbaïdjan. Il y est indiqué que l’intéressé a écrit plus de 150 commentaires dans le journal Azadliq et est apparu sur plusieurs vidéos en ligne. M. Z. A. affirme que malgré certaines améliorations dans la situation des droits de l’homme en Azerbaïdjan, il y existe encore un ensemble systématique de violations graves, flagrantes et massives des droits de l’homme.

5.4Le requérant assure avoir fourni suffisamment d’informations détaillées sur son besoin d’asile et de protection en Suède, ou ailleurs en dehors de l’Azerbaïdjan. Il estime que son histoire est corroborée par les preuves écrites qu’il présente. Il répète que s’il était renvoyé en Azerbaïdjan il serait arrêté pour ses convictions politiques et torturé.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note verbale du 7 novembre 2011, l’État partie présente des observations complémentaires. Il remarque que la situation en Azerbaïdjan continue de poser problème en ce qui concerne la liberté d’expression, la liberté de la presse et la liberté de réunion mais que cela ne change rien à l’appréciation du besoin de protection du requérant. L’État partie conteste que le requérant ait fourni suffisamment d’informations pour renverser la charge de la preuve.

6.2L’État partie avance par ailleurs que l’authenticité du certificat du Parti du front populaire est douteuse. D’après le certificat, le requérant aurait été victime de nombreuses persécutions; or le requérant lui-même n’a jamais formulé de telles allégations. L’État partie répète que l’expulsion du requérant ne serait pas contraire à l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’avait pas été examinée et n’était pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine pas une communication avant de s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie reconnaît qu’en l’espèce les recours internes ont été épuisés et conclut que le requérant a satisfait aux prescriptions du paragraphe 5 b) de l’article 22.

7.4L’État partie soutient que la requête est «manifestement mal fondée» et qu’il n’y a pas lieu de l’examiner au fond. Le Comité estime pour sa part que les griefs dont il est saisi soulèvent des questions de fond qui doivent être examinées sur le fond et pas seulement au regard de la recevabilité.

7.5En conséquence, le Comité juge la communication recevable et procède à son examen sur le fond.

Examen au fond

8.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Azerbaïdjan, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

8.2Pour évaluer le risque de torture, le Comité tient compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État où le requérant serait renvoyé d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé serait personnellement en danger dans ce pays. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’intéressé risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu’il courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être considérée comme risquant d’être torturée dans les circonstances qui sont les siennes.

8.3Il s’agit ici de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture à son retour en Azerbaïdjan. Le Comité rappelle son Observation générale no 1 sur l’article 3, dans laquelle il a indiqué qu’il est tenu de déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire qu’un requérant risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé ou extradé, et que l’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Sans être nécessairement hautement probable, le risque doit néanmoins être encouru personnellement et actuellement. Le Comité rappelle en outre que conformément à son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est, au contraire, habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

8.4Le Comité relève l’allégation relative au risque que le requérant soit torturé ou maltraité s’il est expulsé en Azerbaïdjan en raison de ses activités politiques passées. Le Comité remarque que le requérant n’a pas démontré qu’il était recherché pour ses activités politiques en Azerbaïdjan. Il n’a ainsi présenté ni copie d’un mandat d’arrêt ni preuve d’une enquête en cours dont il ferait personnellement l’objet. Le Comité relève que le requérant n’a pas déclaré avoir été détenu ni torturé par le passé.

8.5Quant à l’engagement allégué du requérant dans des activités politiques, le Comité note que, bien qu’il ne soit pas contesté qu’il ait été membre de l’AMIP, puis plus tard de Musavat, qui sont des partis enregistrés en Azerbaïdjan, il n’apparaît pas qu’il ait eu un rôle majeur dans l’un ou l’autre de ces partis, et que, par conséquent, il représente un intérêt particulier pour les autorités azerbaïdjanaises en cas de retour dans son pays. Rien ne démontre non plus que depuis qu’il réside en Suède il ait été impliqué dans des activités qui susciteraient l’intérêt des mêmes autorités plusieurs années après son départ d’Azerbaïdjan.

8.6Le Comité considère, sur la base de toutes les informations dont il dispose, que rien ne permet de conclure que le requérant courrait personnellement un risque de torture prévisible et réel s’il était renvoyé en Azerbaïdjan. Il en conclut que son renvoi dans ce pays n’emporterait pas violation de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi par l’État partie du requérant en Azerbaïdjan ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Communication no 428/2010: Kalinichenko c. Maroc

Présentée par:

Alexey Kalinichenko (représenté par deux conseils, Anton Giulio Lana et Andrea Saccuci)

Au nom de:

Alexey Kalinichenko

État partie:

Maroc

Date de la requête:

12 août 2010 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 25 novembre 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 428/2010, présentée par Anton Giulio Lana et Andrea Saccuci, au nom de M. Alexey Kalinichenko, en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, ses conseils et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est Alexey Kalinichenko, de nationalité russe, né le 13 juillet 1979. Dans sa communication, datée du 12 août 2010, il affirme que son extradition vers la Fédération de Russie constituerait une violation, par le Maroc, de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par des conseils, Anton Giulio Lana et Andrea Saccuci.

1.2Le 13 août 2010, en application de l’article 114 (ancien art. 108) de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.5), le Comité a prié l’État partie de ne pas extrader le requérant vers la Fédération de Russie tant que sa requête serait à l’examen. Le 20 octobre 2010, le 4 janvier 2011 et le 11 mai 2011, il a renouvelé cette demande de mesures provisoires.

1.3Le 4 janvier 2011, le Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires a décidé, au nom du Comité, d’examiner simultanément la recevabilité et le fond de la communication. Conformément au paragraphe 9 de l’article 115 de son règlement intérieur (ancien art. 109), le Comité a prié l’État partie de donner des détails sur les recours utiles ouverts à la victime présumée en l’espèce et conformément aux dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

1.4Le 15 mai 2011, les conseils ont informé le Comité que le requérant avait été extradé vers la Fédération de Russie le 14 mai 2011. Le 11 juin 2011, l’État partie a confirmé cette information.

Rappel des faits exposés par le requérant

2.1En 2002, le requérant a fondé sa propre société d’analyse et de conseils financiers, à Ekaterinbourg, en Fédération de Russie. En 2003, en raison d’un accroissement considérable de ses transactions et de sa clientèle, il s’est associé avec trois hommes d’affaires connus de la région, MM. Alexander Habarov, Alexander Varaskin (tous deux membres de la Douma) et Andrei Shatov. De 2003 à 2005, le requérant a collaboré professionnellement avec la banque locale «Bank24.Ru» qui, grâce à ses conseils et à sa bonne gestion, a considérablement augmenté sa capacité financière et renforcé sa position parmi les banques régionales. En échange de ses services, il s’est vu attribuer des options sur actions d’une valeur égale à 20 % du capital social de la banque sous réserve de l’obtention de résultats précis. En 2004, il a remarqué que la progression des résultats financiers de la banque avait éveillé l’intérêt de membres de la criminalité organisée locale. Ces derniers, avec la complicité de deux membres du conseil de direction de la banque − conseil dont le requérant ne faisait pas partie −, étaient parvenus à prendre le contrôle de plusieurs sociétés locales, dont certaines appartenaient aux partenaires du requérant. Ces acquisitions se produisaient selon le schéma classique suivi par la criminalité organisée: les petits porteurs étaient obligés de céder leurs actions à des sociétés contrôlées par la criminalité organisée jusqu’à ce que celle-ci détienne un pouvoir financier suffisant pour prendre le contrôle de la société visée. S’étant aperçu de cette conduite criminelle, le requérant en a informé ses partenaires. Ces derniers ont signalé les faits aux autorités mais leurs plaintes ont été rejetées ou n’ont jamais fait l’objet d’une enquête. En décembre 2004, un des partenaires du requérant, M. Habarov, a été arrêté sur la base d’accusations qui se sont avérées non fondées. Il se serait suicidé en prison.

2.2En janvier 2005, le requérant, craignant d’être en grave danger si la criminalité organisée venait à apprendre sa relation avec ses trois partenaires dormants, a déménagé à Saint-Pétersbourg, où il a créé une école de commerce et un organisme de bienfaisance. Il a gardé des contacts avec la banque parce qu’il devait vérifier la réalisation de l’accord relatif à ses parts dans le capital. En avril 2006, il est retourné à Ekaterinbourg, dans l’intention de mener une enquête plus approfondie sur les transactions financières effectuées par la banque, et a appris que celle-ci avait pris le contrôle d’une société de petits et moyens investisseurs, la «Global Gamin Expo», pour réunir les fonds nécessaires au financement des opérations illicites d’acquisition réalisées par la criminalité organisée locale. Le requérant a essayé de réduire progressivement les flux d’investissement de la banque, pour empêcher le financement d’activités criminelles, mais des responsables de la banque liés à la criminalité organisée ont poursuivi leurs activités en détournant les fonds de petits et moyens porteurs. Le requérant a mis au courant de ces faits son partenaire, M. Varaskin, qui a décidé de les signaler aux autorités judiciaires et d’établir clairement la nature de sa relation avec le requérant. Quelques semaines plus tard, ce dernier a reçu un avertissement d’un membre de la direction de la banque, qui lui a dit que les milieux du crime organisé avaient l’intention de les tuer, lui et M. Varaskin. Le requérant a décidé de signaler les faits aux autorités judiciaires d’Ekaterinbourg et a créé un site Web, sur lequel il a décrit les faits et affiché des documents.

2.3Le 7 juillet 2006, le requérant est entré en Italie avec un visa en règle. Entre-temps, sa plainte au pénal avait été rejetée. En son absence et sans son accord ni sa signature, le 12 août 2006, ses parts dans le capital de la banque «Bank24.Ru» ont été transférées à un acheteur inconnu. Le 23 août 2006, quelqu’un a falsifié les données relatives aux actions de la société «Global Gamin Expo» et inscrit que le requérant en détenait la totalité et qu’il assurait seul la direction générale de l’établissement. Ensuite, la direction de la banque a dit à la police que le requérant avait détourné les fonds que des clients avaient placés sur leurs comptes personnels dans la «Global Gamin Expo». La police a ouvert une enquête et demandé que soit émis à son encontre un mandat d’arrêt international pour fraude, sans étayer cette accusation au moyen d’indices ou de documents précis concernant, par exemple, ses propres comptes personnels sur lesquels il aurait transféré l’argent des clients de la «Global Gamin Expo», ou le calendrier et les modalités des opérations qu’il aurait effectuées sur les comptes desdits clients.

2.4En juillet 2007, M. Varaskin, partenaire commercial du requérant, a disparu après s’être rendu dans les locaux de la prison d’Ekaterinbourg pour y témoigner devant les autorités chargées de l’enquête. Après avoir échappé à un attentat à la voiture piégée en août 2008, M. Shatov, l’un des partenaires commerciaux du requérant, a essuyé un tir mortel de mitraillette en septembre 2008.

2.5Le 4 juin 2008, le requérant a été arrêté en Italie, en vertu du mandat d’arrêt international émis le 27 février 2007, pour détournement de fonds d’un montant total de 200 millions de roubles, opéré au détriment de plus de 600 personnes. Or, dans une ordonnance de renvoi distincte, datée du 2 février 2007, le requérant n’avait été accusé que de détournement de fonds au détriment de 100 personnes, pour un montant total de 70 millions de roubles. Le 6 juin 2008, la Cour d’appel de Florence a ordonné le placement en détention provisoire du requérant. Le 8 juin 2008, le requérant a été libéré et assigné à résidence. Le 5 novembre 2008 et le 23 janvier 2009, la Cour d’appel de Florence a demandé des compléments d’information aux autorités russes au sujet du fondement et du nombre exact des chefs d’accusation de fraude, ainsi que sur les comportements pouvant être imputés au requérant eu égard à sa capacité de disposer de l’argent des clients. Le 24 avril 2009, la Cour d’appel a décidé que les conditions de l’extradition du requérant n’étaient pas réunies, le mandat d’arrêt et la citation à comparaître n’indiquant pas de manière assez précise les actes illicites qui auraient été commis. La Cour a levé toutes les mesures restrictives appliquées au requérant. Le 27 octobre 2009, la Cour suprême a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Florence, estimé que les conditions de l’extradition étaient réunies et ordonné la détention provisoire du requérant dans l’attente d’une décision du Ministère de la justice. Pour la Cour suprême, les informations fournies par les autorités russes étaient suffisantes pour dissiper le flou entourant le nombre et la nature des charges retenues. Les autorités russes avaient expliqué que la procédure pénale avait été engagée pour des faits de fraude qui auraient été commis au détriment de 104 personnes, et que les autorités chargées de l’enquête instruisaient encore l’implication éventuelle du requérant dans le détournement d’instruments financiers au détriment de plus de 2 000 autres personnes. Dans une lettre adressée au Ministre de la justice, le requérant a exposé l’historique des procédures pénales engagées contre lui pour fraude financière ainsi que les raisons qui lui faisaient craindre d’être tué ou soumis à la torture ou à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était extradé vers la Fédération de Russie.

2.6Le 13 octobre 2009, quatorze jours avant la décision de la Cour suprême, le requérant est parti au Maroc; le 16 janvier 2010, il a été arrêté à Tanger et placé en détention en vue de son extradition vers la Fédération de Russie. Le 10 mars 2010, la Cour suprême du Maroc a autorisé l’extradition du requérant, malgré l’absence de tout accord bilatéral ou multilatéral. Le requérant a été gardé en détention dans l’attente de la décision finale du Ministre de la justice, contre laquelle il n’aurait eu de toute façon aucun recours utile. Il a affirmé craindre en outre de ne pas être informé en temps voulu de la décision du Ministre de la justice. Selon les médias, l’État partie souhaitait extrader le requérant et se disposait à le remettre aux autorités russes.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant fait valoir que s’il était extradé vers la Fédération de Russie, il serait exposé à un risque réel d’être soumis à la torture, en violation de l’article 3 de la Convention. Il se réfère aux observations finales du Comité relatives au quatrième rapport périodique de la Fédération de Russie, qui évoquent les allégations nombreuses, persistantes et concordantes faisant état d’actes de torture commis par des agents de la force publique, notamment pendant la garde à vue, et du manque d’indépendance des parquets, dû, en particulier, aux problèmes posés par le fait que la Procurature est responsable à la fois des poursuites et du contrôle du bon déroulement des enquêtes (CAT/C/RUS/CO/4, par. 9 et 12). En 2003, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe a constaté qu’il recevait un nombre inquiétant d’allégations de mauvais traitements infligés par des membres des forces de l’ordre. Il a également noté que les services d’enquête étaient clairement au courant de ces pratiques et y consentaient tacitement. Le requérant fait valoir que, compte tenu du contexte particulier de la procédure pénale engagée contre lui, il a de bonnes raisons de craindre d’être soumis à la torture, voire tué, en prison ou ailleurs, avec le consentement explicite ou tacite des autorités russes, s’il était extradé vers la Fédération de Russie.

3.2Le requérant fait également valoir que l’existence d’un risque personnel de menace à sa vie est notamment étayée par le fait que ses trois partenaires commerciaux sont morts ou ont disparu peu après avoir exposé aux autorités judiciaires les détails de la tentative illégale des milieux du crime organisé de mettre la main sur leurs entreprises.

3.3Le requérant souligne aussi que le caractère fondé de sa crainte a été reconnu par le représentant du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à Rabat, qui a clairement indiqué que s’il était extradé vers la Russie, le requérant serait exposé à un risque réel de torture, en violation de l’article 3.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 24 septembre 2010, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité. Il fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Il explique que, conformément à la loi no 90-41, portant création de tribunaux administratifs en vertu du Dahir no 225 du 22 Rabi` I 1414 (correspondant au 10 septembre 1993) et, plus particulièrement de son article 9, la chambre administrative de la Cour suprême est compétente pour les décisions de première instance et les décisions finales concernant les demandes d’annulation, pour abus de pouvoir, de décisions prises à titre individuel ou institutionnel par le Premier Ministre. Évoquant l’article 109 du Règlement intérieur du Comité contre la torture (CAT/C/3/Rev.4), l’État partie demande que la requête soit déclarée irrecevable.

4.2Le 17 janvier 2010, le requérant a été placé en détention provisoire par les autorités marocaines, en vertu d’un mandat d’arrêt international émis par les autorités judiciaires russes pour détournement de sommes d’argent importantes par abus de confiance et escroquerie à grande échelle. Le requérant a été amené devant le Procureur du Roi près le tribunal de première instance de Tanger, qui lui a notifié le motif de son arrestation. Les autorités russes avaient soumis une demande officielle d’extradition fondée sur le principe de la réciprocité selon lequel, conformément à son droit interne, le Maroc peut procéder à une extradition en l’absence d’un accord.

4.3Dans leur demande d’extradition, les autorités russes ont indiqué que M. Kalinichenko avait publié une fausse déclaration sur l’Internet, dans laquelle il prétendait être un cambiste expérimenté et un négociateur brillant sur le marché international des devises. Il avait proposé à un nombre non précisé de personnes de gérer leurs avoirs financiers, leur promettant des gains de plus de 80 %. Un certain nombre d’investisseurs lui avaient confié des capitaux, qu’il avait détournés par escroquerie, tromperie et abus de confiance. Le montant détourné était de l’ordre de 700 millions de roubles russes, c’est-à-dire la totalité de ce que lui avaient versé les victimes de ces actes.

4.4Les autorités russes avaient joint à la demande d’extradition des assurances selon lesquelles les droits à la défense de M. Kalinichenko, y compris l’assistance d’un avocat, seraient garantis dès que ce dernier serait sur le sol russe, conformément aux principes du droit international. En vertu de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des conventions des Nations Unies et du Conseil de l’Europe et des protocoles y relatifs, M. Kalinichenko ne serait pas soumis à la torture ou à un traitement dégradant. Les autorités russes garantissaient aussi que le requérant pourrait quitter la Fédération de Russie lorsque l’instruction serait terminée ou, s’il était condamné, lorsqu’il aurait exécuté sa peine.

4.5Ayant examiné la demande d’extradition et entendu la défense de M. Kalinichenko, présentée par ses avocats, la chambre pénale de la Cour suprême a rendu la décision no 262/1 en date du 10 mars 2010, autorisant l’extradition. Lorsque les procédures judiciaires sont terminées, le Gouvernement marocain peut délivrer un décret ordonnant l’extradition vers la Fédération de Russie.

4.6L’État partie note que quand M. Kalinichenko a comparu devant le Procureur du Roi près le tribunal de première instance de Tanger et devant la chambre pénale de la Cour suprême, ni lui ni sa défense n’ont mentionné qu’il courait un risque d’être soumis à la torture ou de subir des traitements pénibles ou inhumains s’il était extradé vers la Fédération de Russie. Il fait valoir que le requérant a joui de toutes les garanties légales et judiciaires jusqu’à ce que le décret autorisant son extradition soit émis. Les autorités marocaines ont estimé que rien ne donnait à penser que le requérant serait soumis à la torture s’il était extradé. La décision de l’extradition a été prise dans le respect de la loi et des principes fondamentaux des droits de l’homme, qui sont des éléments essentiels des instruments que le Royaume du Maroc a ratifiés; par conséquent, les autorités marocaines ne sont pas disposées à accueillir le recours introduit contre l’extradition.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 22 novembre 2010, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Il présente de nouvelles informations factuelles concernant son affaire. Il fait valoir qu’il a été accusé à tort par les autorités russes d’escroquerie et de détournement de 200 millions de roubles (quelque 6,5 millions de dollars É.‑U.) par des opérations frauduleuses, au détriment de quelque 600 résidents russes. Il explique que lorsqu’il a eu accès aux informations internes de la banque au début de l’année 2006, il a découvert qu’il manquait de l’argent et que cet argent avait servi à prendre le contrôle de sociétés appartenant à ses trois partenaires commerciaux décédés depuis lors. Il note que le 7 novembre 2006, contrairement au droit interne, c’était le Ministère de l’intérieur plutôt que le tribunal compétent ou le Ministère de la justice, qui avait émis un mandat d’arrêt international à son encontre. En réponse aux accusations portées contre lui, le requérant a soumis divers documents expliquant la conspiration présumée dont il était victime et la manière dont les chefs d’accusation avaient été fabriqués. Il fait en outre valoir que sa signature a été imitée puisque les documents par lesquels il devenait Directeur général de la «Global Gamin Expo» étaient censés avoir été signés par lui le 16 août 2006 alors qu’il avait quitté le pays le 2 juillet 2006. Le requérant explique qu’un homme d’affaires local, Sergey Lapshin, et le Procureur général d’Ekaterinbourg, Iury Zolotov, sont vraisemblablement responsables de ces actes, car M. Lapshin a acquis la totalité de ses parts dans le capital de la banque, probablement en imitant sa signature, puisqu’en droit russe l’acheteur potentiel doit être connu de la banque et avoir l’accord de la Banque centrale pour acquérir des parts.

5.2En ce qui concerne le complot dont le requérant a été la victime, il fait valoir que quatre de ses proches (Alexander Khaparov, Andrey Shatov, Vladimir Sevastianov et Jaly Haliev) ont été tués, et que, de plus, son partenaire commercial Alexander Varaskin a disparu et l’on est sans nouvelles de lui. Il soutient que ces assassinats ont été commis pour que les nouveaux propriétaires, M. Lapshin et M. Zolotov, puissent prendre possession des sociétés des défunts.

5.3De plus, le requérant note qu’il n’a jamais été directeur général de la «Global Gamin Expo», qu’il n’a jamais signé le moindre accord avec les clients sur l’ouverture de comptes sur marge et qu’il ne peut donc être tenu responsable des engagements pris par les deux directeurs, Felix Alexandrovich Porin et Ekaterina Andreevna Demesh, puisque tous les dépôts et retraits sur les comptes en question étaient effectués par ces deux personnes.

5.4Le requérant indique qu’une procédure pénale a été engagée à Ekaterinbourg, ce qui constituait une violation du Code de procédure pénale puisqu’il avait sa résidence permanente à Saint-Pétersbourg. Malgré une motion déposée auprès du Bureau du Procureur général, la procédure n’a pas été transférée. Également en violation du Code de procédure pénale, le conseil du requérant n’a pas eu accès aux rapports des experts. Le 2 février 2007, les autorités responsables de l’enquête ont émis un acte d’accusation à l’encontre du requérant en vertu de l’article 159, quatrième partie, du Code pénal, sans toutefois le lui notifier alors qu’elles connaissaient son adresse d’enregistrement et son lieu de résidence réel. Le 27 février 2007, le tribunal de district a pris une mesure de détention provisoire en l’absence du requérant, sans l’avoir préalablement recherché et sans avoir délivré de mandat d’arrêt, ce qui est la règle dans un tel cas. Le 16 novembre 2006, le requérant a sollicité auprès du Procureur général adjoint l’ouverture d’une procédure pénale contre les gestionnaires de la «Global Gamin Expo» et le propriétaire de la Bank24.Ru. Une instruction pénale a été ouverte mais, depuis lors, l’enquête a été suspendue. Le 13 janvier 2010, en l’absence du requérant, le tribunal de district de Sverdlovsk a annulé les décisions antérieures et décidé qu’il n’y avait pas lieu de prolonger la détention du requérant.

5.5Plusieurs procédures civiles contre le requérant et la «Global Gamin Expo» ont été engagées par les victimes de la fraude présumée; toutes ces procédures ont néanmoins été tranchées en faveur du requérant, et il a été établi que ce dernier n’avait aucune responsabilité dans le détournement de fonds dont il était question. L’auteur note également qu’en vertu de l’article 90 du Code de procédure pénale, les faits établis par une décision d’un tribunal civil doivent être considérés comme exacts par tout autre tribunal et que, par voie de conséquence, la procédure pénale engagée contre lui aurait dû être arrêtée.

5.6Après l’arrestation du requérant au Maroc, les parents de ce dernier ont commencé à avoir des problèmes avec l’administration. Le 25 juillet 2010, tous deux se sont vu refuser le renouvellement de leur passeport au motif que des enquêtes complémentaires devaient être effectuées au titre de la législation sur la protection des secrets d’État. Le requérant fait valoir qu’il a de bonnes raisons de craindre des représailles contre ses parents, compte tenu d’autres affaires où des particuliers ont dû quitter le pays par crainte de subir des persécutions. Ses parents ont dû s’installer dans une autre ville car on cherchait à les intimider par des appels téléphoniques anonymes. Son avocate a reçu des menaces de mort et a dû cesser de le représenter.

5.7En ce qui concerne ses bonnes raisons de craindre la torture et un préjudice irréparable s’il est extradé vers la Fédération de Russie, le requérant affirme qu’il court un risque grave d’être arrêté de manière arbitraire et d’être torturé, et pense qu’il n’aura pas droit à un procès équitable et public, car il a survécu à deux tentatives de meurtre et détient des informations compromettantes sur des personnalités publiques russes, en particulier le Procureur général d’Ekaterinbourg. Il fait également valoir que ses déclarations sur la criminalité organisée, l’impunité, la corruption des fonctionnaires et les meurtres à motivation politique en Fédération de Russie sont étayées. Il est de notoriété publique que les juges subissent des intimidations et des pressions de l’exécutif, pour qu’ils fassent condamner des innocents. Le requérant souligne également qu’il est d’ores et déjà présumé coupable plutôt qu’innocent, et qu’il subirait des menaces de mort de la part des autorités russes et de personnes agissant en leur nom ou des milieux de la criminalité. Il note également qu’en raison de la plainte qu’il a déposée auprès du Procureur général de Moscou au sujet du contexte de corruption et d’impunité, sa vie est en danger. Il ajoute que les conditions carcérales en Fédération de Russie sont dangereuses pour la vie des détenus, en raison du surpeuplement, de la médiocrité des conditions de détention et de la manière dont les détenus sont traités. D’après les chiffres donnés par le Service pénitentiaire fédéral, 795 000 détenus sur un total de 900 000 souffrent de maladies diverses.

5.8Le requérant note que, comme il est un cambiste apolitique et qu’il n’est lié à aucun groupe social particulier, le HCR a estimé que la persécution dont il était l’objet ne correspondait à aucune des conditions énumérées à l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. Il fait néanmoins valoir que le fait qu’il ne remplit pas les conditions pour être considéré comme un réfugié ne signifie pas qu’il ne peut pas demander la protection prévue à l’article 3 de la Convention contre la torture, car la persécution ne dépend pas de l’existence d’un motif particulier. Le HCR ne lui a certes pas reconnu le statut de réfugié mais il a conclu qu’il pouvait être arbitrairement et illégalement privé de son droit à la vie, être arrêté ou détenu de manière arbitraire et ne pas avoir droit à un procès équitable et public.

5.9Rappelant la jurisprudence du Comité, le requérant fait valoir que ni lui ni l’avocat le représentant auprès de la Cour suprême n’ont reçu de notification officielle les informant de la décision finale du Ministre de la justice d’autoriser son extradition. On ne peut pas savoir si une décision officielle a été adoptée car l’État partie ne délivre pas de copie du décret du Ministre de la justice. Le requérant fait donc valoir qu’il ne peut pas lui être demandé de faire appel contre un décret d’extradition qui ne le lui a pas été notifié. Il ajoute que même s’il avait reçu un avis officiel et qu’il avait présenté un recours pour abus de pouvoir auprès de la chambre administrative de la Cour suprême, ce recours, étant dépourvu de la condition d’effectivité énoncée au paragraphe 5 b) de l’article 22 et ne constituant pas un recours utile au sujet d’une violation de l’article 3, ne pouvait ni aboutir à la suspension de l’exécution de l’ordre d’extradition ni prévenir le préjudice irréparable s’il était renvoyé.

5.10Concernant les assurances diplomatiques données par la Fédération de Russie, le requérant, se référant à la jurisprudence du Comité, note que ces assurances ne suffiraient pas pour garantir le respect de l’interdiction absolue du refoulement établie à l’article 3. Il est donc clair que l’engagement général pris par les autorités russes de respecter les normes internationales en matière de droits de l’homme ne peut annuler les éléments de preuve substantiels, concordants et fiables indiquant, d’une part, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes et massives et, d’autre part, l’existence d’une crainte fondée d’être exposé à un risque de torture ou de mauvais traitements par les autorités locales d’Ekaterinbourg ou d’autres fonctionnaires ou particuliers agissant au nom des autorités. Le fait que les pouvoirs publics russes aient ressenti le besoin d’ajouter à leur demande d’extradition des assurances diplomatiques peut être perçu, en soi, comme un indice de l’existence du risque de torture.

5.11En ce qui concerne l’allégation de l’État partie, selon laquelle le requérant n’a pas mentionné le risque de torture lors de la procédure engagée auprès de la Cour suprême, celui-ci note que cette allégation est manifestement inexacte, car ses conseils ont longuement exposé le fait que l’extradition le soumettrait à un risque grave d’être soumis à la torture, voire d’être tué. La Cour suprême n’a néanmoins pas pris en considération ces arguments du conseil du requérant, parce que conformément à la disposition pertinente du Code de procédure pénale, l’extradition ne peut être refusée que s’il y a des raisons sérieuses de croire que la demande a été faite aux seules fins de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de nature discriminatoire ou pour des raisons relatives à sa religion, sa nationalité ou ses convictions politiques. Le requérant fait donc valoir que le droit interne marocain ne respecte pas pleinement la condition énoncée à l’article 3 de la Convention. L’argument présenté par l’État partie est de plus en contradiction avec sa décision finale, selon laquelle rien ne donnait à penser que le requérant courait le risque d’être soumis à la torture.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 18 février 2011, l’État partie a remis ses observations sur le fond. Il note que la compétence du système judiciaire national en matière d’extradition se limite uniquement à prendre une décision en vérifiant si les conditions formelles et objectives établies dans des accords bilatéraux et multilatéraux ou en droit interne ont été réunies et s’il existe une double incrimination et une peine minimale. Il fait également valoir que l’infraction n’est d’ordre ni politique ni militaire, que la demande ne repose pas sur des motivations raciales ou discriminatoires, et qu’elle ne mettra pas la personne en danger et ne l’exposera pas au risque d’être soumise à la torture.

6.2L’État partie réaffirme que le requérant n’a pas épuisé les recours internes vu qu’il n’a pas soulevé la question de la torture devant la Cour suprême. Il constate que les conseils du requérant étaient présents à toutes les étapes de la procédure, depuis la présentation du plaidoyer à la chambre pénale de la Cour suprême jusqu’au dépôt d’un recours en révision de la décision d’accueillir la demande d’extradition, émise le 10 mars 2010. Il note que conformément à l’article 721 du Code de procédure pénale, les demandes d’extradition sont refusées si les autorités marocaines ont de sérieuses raisons de penser que la demande d’extradition, pour une infraction de droit commun, a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir une personne en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de ses opinions politiques, ou que donner suite à cette demande causerait un préjudice à cette personne pour l’une quelconque de ces raisons.

6.3L’État partie note également que la demande d’extradition formulée par la Fédération de Russie était accompagnée d’assurances diplomatiques relatives à la protection du requérant contre la torture ou l’atteinte à sa dignité après son extradition. Il fait valoir qu’il s’agit là d’une mesure classique utilisée habituellement pour extrader des délinquants, particulièrement lorsqu’il n’existe pas de traité d’extradition, et qu’elle ne peut en aucun cas être interprétée comme démontrant l’existence de la torture dans l’État requérant. L’État partie relève en outre que la Fédération de Russie est partie à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et qu’elle est tenue d’en respecter les dispositions.

Autres observations du requérant

7.1Le 9 mai 2011, le requérant a présenté d’autres renseignements et demandé au Comité de renouveler sa demande de mesures provisoires. Il note qu’il est toujours détenu dans la prison civile Zaki de Salè, près de Rabat, alors que la période maximum de détention avant une extradition a expiré. Ses demandes de libération ont été rejetées. Au cours des derniers mois, l’État partie a renforcé les mesures de sécurité dans l’établissement et limité drastiquement ses possibilités de téléphoner, ce qui a réduit ses contacts avec ses conseils.

7.2À la fin du mois d’avril, le requérant a reçu la visite d’un fonctionnaire du Ministère de la justice, qui lui a demandé de signer des documents en arabe et en français. Étant incapable de les lire, il a refusé de les signer. Le fonctionnaire l’a informé qu’il allait être extradé à la fin du mois de mai.

8.Le 15 mai 2011, le conseil a fait savoir que le requérant avait été renvoyé de force en Fédération de Russie le 14 mai 2011, après avoir été relâché de manière inattendue à 18 heures. Le conseil explique que d’après les médias, le requérant a été extradé en Fédération de Russie par un vol qui a décollé à 23 h 15. Rappelant la jurisprudence du Comité, les conseils font valoir que le respect des mesures provisoires est essentiel pour protéger le requérant d’un préjudice irréparable, et ajoutent qu’en reconnaissant volontairement la compétence du Comité au titre de l’article 22, l’État partie s’est engagé à coopérer de bonne foi avec ce dernier dans l’application de la procédure d’examen de communications.

Autres observations de l’État partie

9.1Le 10 juin 2011, l’État partie a soumis de nouvelles observations. Il confirme que le requérant a été remis aux autorités russes le 14 mai 2011, un ordre d’extradition ayant été signé par les autorités marocaines compétentes.

9.2L’État partie indique que le requérant était en détention à la prison Salé depuis le 17 janvier 2010 en raison de la procédure d’extradition. Il affirme que le Comité contre la torture n’a pas informé les autorités de l’État partie de la décision prise au sujet de la communication dans laquelle les conseils de M. Kalinichenko faisaient part de leur inquiétude quant au risque que courait leur client d’être soumis à la torture s’il était extradé en Fédération de Russie. Le retard pris dans l’examen de la communication a nui à la situation du requérant dans cette affaire pénale parce que le mandat de recherche et d’arrêt émis par les tribunaux russes était le seul document justifiant la détention. De plus, la Cour suprême a rejeté une demande de mise en liberté provisoire au motif que la procédure judiciaire était arrivée à son terme.

9.3L’État partie note que depuis le 14 mai 2011, il n’a reçu aucune information sur le lieu où se trouve le requérant ou sur son état de santé. Il note que les autorités russes se sont engagées à assurer le droit du requérant à la défense, y compris le droit de recevoir l’assistance d’avocats en Fédération de Russie, en application des normes juridiques internationales, et le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, en application de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que les autres libertés fondamentales consacrées par les traités et les protocoles y relatifs adoptés par l’ONU et le Conseil de l’Europe. Les autorités russes ont déclaré que le requérant pourrait quitter la Fédération de Russie lorsque l’enquête préliminaire et l’instruction seraient terminées, ou après avoir exécuté sa peine s’il était condamné. Elles se sont également engagées à permettre au Comité contre la torture de rendre visite au requérant dans la prison où il serait détenu et de lui parler en particulier et en privé. Un membre de l’ambassade du Maroc à Moscou prendra contact avec le Comité lorsqu’il se rendra à la prison pour vérifier les conditions de détention et vérifier que les garanties nécessaires ont bien été respectées.

Commentaires additionnels du requérant

10.1Le 23 juin 2011, le requérant a soumis de nouveaux renseignements. Il explique que le 14 mai 2011, aux environs de 18 h 30, on lui a notifié qu’il était libéré; cependant, alors qu’il quittait la prison, il a de nouveau été arrêté dans la cour intérieure de l’établissement par quatre personnes en civil. Il a été menotté et amené à l’aéroport de Casablanca, où il a été accueilli par le Consul de Russie et une escorte. Sans avoir reçu aucune explication complémentaire ni document officiel, il a été embarqué dans un avion et emmené en Fédération de Russie.

10.2Le requérant indique également qu’il a été placé en détention provisoire à la prison no 1 d’Ekaterinbourg et que le 9 juin 2011, il a été emmené à l’hôpital psychiatrique. Ayant refusé de se changer et de porter les vêtements de l’hôpital, et après plusieurs réunions avec le directeur de l’établissement, le requérant a été renvoyé en détention provisoire, mais il continue d’être menacé d’internement.

10.3Le requérant fait tenir au Comité un document adressé aux responsables de l’enquête russe, dans lequel il déclare qu’il refusera de coopérer à toute enquête jusqu’à ce qu’il reçoive des documents officiels du Ministère et des autorités marocaines attestant la légalité de son extradition. Il fait valoir que sa détention est arbitraire.

11.Le 30 juin 2011, les parents du requérant ont fait savoir que le 27 juin 2011, celui-ci avait été transféré de force à l’hôpital psychiatrique régional de Sverdlovsk. Le 28 juin 2011, son avocat n’avait pu lui rendre visite, faute d’une autorisation des responsables de l’enquête. Le 30 juin 2011, alors qu’il était muni d’une telle autorisation, il n’a pu rencontrer le requérant. La famille souligne également que, selon la loi relative à la santé mentale, toute hospitalisation d’office doit être autorisée par un tribunal; or, aucune décision judiciaire n’a été reçue ni par l’avocat ni par les parents du requérant. Ces derniers indiquent également que, durant sa détention provisoire, le requérant a été placé en isolement, au froid, qu’il n’était pas assez chaudement vêtu, qu’il était soumis à une lumière constante et qu’il a subi des mauvais traitements.

12.Le 29 juillet 2011, le requérant confirme les informations données préalablement par ses parents, concernant son placement en service de soins psychiatriques, et ajoute que le 18 juillet 2011, il a de nouveau été transféré sans avertissement dans les mêmes locaux de détention provisoire, où il a subi les mêmes conditions inhumaines que celles qui ont été décrites précédemment. Il indique que, vingt-cinq jours après son transfert à l’hôpital psychiatrique, il a enfin pu rencontrer son avocat russe.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie et non-acceptation de la demande de mesures provisoires adressée par le Comité en application de l’article 114 de son règlement intérieur

13.1Le Comité note que l’adoption de mesures provisoires en application de l’article 114 (ancien art. 108) du Règlement intérieur, conformément à l’article 22 de la Convention, est essentielle au rôle confié au Comité en vertu de cet article. Le non-respect de cette disposition, en particulier par une action irréparable comme l’extradition d’une victime présumée, affaiblit la protection des droits consacrés dans la Convention.

13.2Le Comité fait observer que tout État partie qui fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention reconnaît la compétence du Comité contre la torture pour recevoir et examiner des requêtes présentées par des particuliers qui affirment être victimes d’une violation, par un État partie, des dispositions de la Convention. En faisant cette déclaration, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité en lui donnant les moyens d’examiner les requêtes qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et aux requérants. Le Comité note que la demande de mesures provisoires a été envoyée à l’État partie le 13 août 2010 et renouvelée le 20 octobre 2010, le 4 janvier 2011 et le 11 mai 2011. Il fait observer qu’en ne respectant pas cette demande, l’État partie a violé les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 de la Convention parce qu’il a empêché le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une requête faisant état d’une violation de la Convention et l’a mis ainsi dans l’impossibilité de prendre une décision de nature à empêcher l’extradition du requérant, au cas où il constaterait une violation de l’article 3 de la Convention.

Examen de la recevabilité

14.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

14.2Le Comité a noté que l’État partie contestait la recevabilité de la communication au motif que le requérant n’avait pas épuisé les recours internes disponibles, vu qu’il n’avait pas présenté de recours pour abus de pouvoir contre la décision du Premier Ministre auprès de la chambre administrative de la Cour suprême. Il relève également l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’a mentionné ni devant le Procureur du Roi du tribunal de première instance de Tanger, ni devant la chambre pénale de la Cour suprême le fait qu’il était probable qu’il soit soumis à la torture ou à un traitement inhumain s’il était extradé vers la Fédération de Russie. Le Comité juge pertinent l’argument du requérant selon lequel ce dernier n’a jamais reçu de communication officielle au sujet de la décision finale du Ministre de la justice d’autoriser l’extradition. Il note également l’argument du requérant selon lequel le risque qu’il soit torturé s’il était renvoyé en Fédération de Russie avait bien été évoqué devant la Cour suprême mais que cette allégation n’apparaît pas dans la décision.

14.3Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité rappelle que le principe de l’épuisement des recours internes implique que le requérant est tenu d’utiliser des voies de recours qui soient directement en rapport avec le risque d’être soumis à la torture dans le pays dans lequel il serait envoyé. Le Comité note que malgré la demande qu’il a faite en vertu du paragraphe 9 de l’article 115 (ancien art. 109) de son règlement intérieur, lequel précise que l’État partie est prié de donner des détails sur les recours utiles ouverts à la victime présumée dans les circonstances particulières de l’espèce et conformément aux dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, l’État partie ne s’est pas occupé de cette question. En l’absence d’informations complémentaires de la part de l’État partie sur l’efficacité du recours pour abus de pouvoir auprès de la chambre administrative de la Cour suprême et des autres voies de recours internes, le Comité estime que le paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne l’empêche pas de déclarer la communication recevable.

14.4Dans ces circonstances, le Comité décide que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 3 de la Convention, et décide de passer à l’examen au fond.

Examen au fond

15.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

15.2Le Comité doit déterminer si, en extradant de force le requérant vers la Fédération de Russie, l’État partie a violé l’obligation qui lui est faite au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Le Comité souligne qu’il doit se prononcer sur la question à la lumière des renseignements dont les autorités de l’État partie devaient ou auraient dû être en possession au moment de l’extradition. Les événements ultérieurs ne sont utiles que pour évaluer la connaissance qu’avait ou aurait dû avoir l’État partie au moment de l’extradition.

15.3Pour déterminer si l’extradition du requérant vers la Fédération de Russie a constitué une violation des obligations de l’État partie au titre de l’article 3 de la Convention, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, ycompris de l’existence d’un ensemble systématique de violations des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il sera extradé. Le Comité réaffirme que l’existence dans un pays d’un ensemble de violations des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un tel risque. De même, l’absence d’un ensemble systématique de violations flagrantes des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

15.4Rappelant son Observation générale no 1 (1996) sur l’application de l’article 3 de la Convention, le Comité réaffirme que l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Néanmoins, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru soit «hautement probable», mais il doit être encouru personnellement et actuellement. À ce propos, le Comité a conclu dans des décisions précédentes que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel. En se prononçant sur l’existence d’un risque prévisible, réel et personnel, le Comité ne préjuge en rien de la véracité des charges pénales qui pèsent sur le requérant.

15.5Le Comité rappelle que l’interdiction de la torture est absolue et non susceptible de dérogation et qu’aucune circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée par un État partie pour justifier des actes de torture. Le Comité note les arguments du requérant selon lesquels, compte tenu de la mort ou de la disparition de ses trois partenaires commerciaux ainsi que de l’évaluation faite par le Bureau du HCR au Maroc, il court un risque personnel d’être torturé ou même tué en Fédération de Russie. Il note aussi que l’État partie déclare n’avoir trouvé aucun indice lui permettant de conclure que le requérant serait soumis à la torture s’il était extradé en Fédération de Russie, et que la demande d’extradition était accompagnée d’assurances diplomatiques de la Fédération de Russie, indiquant que le requérant ne serait pas soumis à la torture ni à des atteintes à sa dignité.

15.6Le Comité doit prendre en compte la situation réelle en matière de droits de l’homme en Fédération de Russie et rappelle les observations finales qu’il avait faites au sujet du quatrième rapport périodique de l’État partie (CAT/C/RUS/CO/4, par. 9 et 12), selon lesquelles des actes de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants continuaient d’être commis par des agents de la force publique, notamment pour l’obtention d’aveux, et qui relevaient le manque d’indépendance de la Procurature et son incapacité à mener des enquêtes rapides, impartiales et efficaces sur les allégations de torture ou de mauvais traitements. Néanmoins, il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. En l’espèce, le Comité constate que trois partenaires commerciaux proches du requérant sont morts ou ont disparu − pour deux d’entre eux pendant qu’ils étaient détenus par les autorités de la Fédération de Russie − après avoir signalé les détails d’un complot criminel aux autorités russes. Le Comité fait également observer que le requérant lui-même a reçu des menaces de mort de groupes appartenant à la criminalité organisée, motif pour lequel il avait décidé de quitter le pays. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que le requérant a suffisamment démontré qu’il courrait un risque prévisible, réel et personnel de torture s’il rentrait en Fédération de Russie. Le Comité estime qu’en l’espèce, les assurances diplomatiques données étaient insuffisantes pour protéger le requérant contre ce risque manifeste, étant donné leur caractère général et l’absence de spécifications détaillées et le fait qu’elles ne soient pas assorties d’un mécanisme de suivi. Il s’ensuit donc que l’extradition du requérant par l’État partie a constitué une violation de l’article 3 de la Convention.

16.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, décide que les faits dont il est saisi constituent une violation par l’État partie des articles 3 et 22 de la Convention.

17.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 (ancien art. 112) de son règlement intérieur, le Comité prie instamment l’État partie d’offrir réparation au requérant, y compris une indemnisation et la mise en place d’un mécanisme efficace de suivi pour assurer que le requérant ne soit pas soumis à la torture ou à des mauvais traitements. Il note que les autorités de la Fédération de Russie se sont engagées à autoriser le Comité à rendre visite au requérant en prison pour s’entretenir avec lui en tête-à-tête, conformément aux normes internationales. Il se félicite de cet engagement et prie l’État partie de faciliter la visite du requérant par deux membres du Comité. Le Comité souhaite aussi recevoir, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des informations sur les mesures prises par l’État partie pour donner suite à la présente décision.

Communication no433/2010: Gerasimov c. Kazakhstan*

Présentée par:

Alexander Gerasimov (représenté par l’Open Society Justice Initiative et le Bureau international kazakh pour les droits de l’homme et le respect de la légalité)

Au nom de:

Alexander Gerasimov

État partie:

Kazakhstan

Date de la requête:

22 avril 2010 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 24 mai 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 433/2010, présentée par Alexander Gerasimov en vertu de l’article 2 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, ses conseils et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.Le requérant, M. Alexander Gerasimov, de nationalité kazakhe, est né en 1969. Il se dit victime d’une violation par le Kazakhstan des droits garantis par les articles 1er, 2, 12, 13, 14 et 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par l’Open Society Justice Initiative et le Bureau international kazakh pour les droits de l’homme et le respect de la légalité.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le 27 mars 2007, le requérant s’est rendu au poste de police local, le Département des affaires intérieures du sud de la ville de Kostanaï où son beau-fils, A., avait été détenu. Le requérant a été emmené dans un bureau situé au 3e étage où il a été séquestré pendant une trentaine de minutes.

2.2Aux alentours de 20 heures, cinq policiers sont entrés dans le bureau et ont exigé qu’il avoue le meurtre d’une femme âgée qui habitait son quartier. Il a reconnu qu’il connaissait la femme en question, mais a nié toute implication dans sa mort. Pendant environ une heure, le requérant a été interrogé et incité à avouer le crime. Il a continué à nier les allégations formulées. Un des policiers lui a assené plusieurs coups violents dans les reins. Les policiers l’ont par la suite menacé de violences sexuelles.

2.3Il a ensuite été plaqué au sol, buste en avant. On lui a lié les mains derrière le dos à l’aide de sa ceinture. Quatre policiers tenaient ses jambes et son torse pour l’immobiliser. Le cinquième policier s’est muni d’un épais sac en polypropylène transparent qu’il a placé sur sa tête. Ce policier a ensuite plaqué son genou droit dans le dos du requérant et a commencé à tirer le sac en plastique vers l’arrière, l’asphyxiant au point de le faire saigner du nez, des oreilles et des éraflures faites sur son visage (technique dite du «sous-marin sec»), jusqu’à ce qu’il finisse par perdre conscience. Lorsque le requérant a commencé à perdre conscience, le sac a été desserré. L’opération a été répétée à de multiples reprises.

2.4Ce traitement a entraîné la désorientation du requérant qui a cessé de résister. À un certain point, son sang s’est répandu sur le sac en polypropylène et sur le sol. La région de ses sourcils, son nez et ses oreilles saignaient. À la vue du sang, les policiers ont cessé la torture. Le requérant a passé la nuit sur une chaise, sous la supervision d’un policier.

2.5Le requérant, dont la détention le 27 mars 2007 n’a pas été enregistrée, n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat. Le 28 mars 2007, il a été interrogé par l’enquêteur de la police, qui l’a frappé sur la tête avec un gros livre. À 18 heures, il a été libéré sans être inculpé de la moindre infraction. Immédiatement après sa libération, il a été pris de violents maux de tête et nausées. Il a continué à ressentir de violents maux de tête une fois chez lui et a été admis le soir même au département de neurochirurgie de l’hôpital de Kostanaï, où il a été établi qu’il souffrait d’un grave traumatisme cranio-cérébral fermé, de contusion cérébrale, de contusions du rein droit, de la région lombaire et du tissu mou de la tête, et d’une plaie contuse à l’arcade sourcilière droite. Il a été hospitalisé pendant treize jours et, après sa sortie, a continué de souffrir de violents maux de tête, de douleurs dans la région rénale, de tremblements des mains et de spasmes oculaires.

2.6Le 29 mars 2007, le beau-fils du requérant a déposé, en son nom et en celui du requérant, une plainte auprès du bureau du Procureur de la ville de Kostanaï (bureau du Procureur de la ville). Le 5 avril 2007, le requérant a lui-même déposé une plainte auprès du Département des affaires intérieures du district Sud, c’est-à-dire le poste de police où les actes de torture auraient été commis. En avril 2007, le Département des affaires intérieures du district Sud a ouvert une enquête préliminaire et recueilli les déclarations du requérant, de ses beaux-fils et de trois policiers. Ces derniers ont déclaré que le requérant et ses beaux-fils avaient été interrogés au poste de police mais qu’aucune blessure n’avait été constatée. D’autres policiers ont même laissé entendre que les intéressés n’avaient jamais été conduits au poste de police.

2.7Le 23 avril 2007, un examen médical a été effectué pour évaluer la santé du requérant. Les résultats n’ont jamais été fournis au requérant ou à ses représentants légaux. D’avril à août 2007, le requérant a été traité par un neurologiste. Il commençait à souffrir d’hallucinations et d’un sentiment de peur insurmontable et indéterminée. Le 7 août 2007, un examen médical a révélé qu’il souffrait de troubles post-traumatiques. Il a été transféré dans un hôpital psychiatrique pour y subir des examens complémentaires et recevoir un traitement; le diagnostic a été confirmé et le requérant a été traité du 8 août au 3 septembre 2007.

2.8Le 8 mai 2007, l’enquêteur a décidé de ne pas ouvrir d’enquête pénale. Cette décision a été confirmée par l’assistant principal du Procureur de la ville de Kostanaï, le 30 mai 2007, avant d’être annulée, le 10 juin 2007, par le bureau du Procureur de la ville qui a enjoint le Département de la sécurité intérieure du Département des affaires intérieures de la région de Kostanaï d’enquêter au sujet des allégations du requérant.

2.9En juin 2007, le requérant a reçu plusieurs appels téléphoniques anonymes dont les auteurs, qui demeurent non identifiés, l’ont menacé d’engager une procédure pénale contre lui s’il ne retirait pas sa plainte. Craignant pour sa propre sécurité et pour celle de sa famille, le requérant a déposé plainte au sujet de ces menaces le 13 juin 2007. Il avait déjà déposé plainte, le 12 juin 2007, devant le bureau du Procureur régional après que des policiers avaient offert à ses beaux-fils 500 000 tenges (soit environ 4 000 dollars des États‑Unis) en échange du retrait de leurs plaintes et de celle de leur beau-père.

2.10Le 19 juin 2007, le bureau du Procureur de la région de Kostanaï (bureau du Procureur régional) a informé le requérant que sa plainte avait été transmise au Département de la sécurité intérieure du Département régional des affaires intérieures pour un examen supplémentaire. Le 28 juin 2007, le Département régional des affaires intérieures a informé le requérant qu’il avait constaté une violation de l’obligation d’enregistrer tout détenu et que des sanctions disciplinaires seraient prises contre plusieurs fonctionnaires, dont certains pourraient être démis de leurs fonctions. Il a également annoncé que des poursuites pénales avaient été engagées contre des membres du personnel du Département des affaires intérieures du district Sud en application de l’alinéa 4 a) de l’article 308 du Code pénal du Kazakhstan, qui érige en infraction l’abus de pouvoir et le recours à la violence ou la menace d’y recourir.

2.11Le 16 juillet 2007, un examen scientifique a été effectué sur les vêtements que portaient le requérant et trois policiers présents au Département des affaires intérieures du district Sud la nuit du 27 mars 2007. Ni le requérant ni son avocat n’étaient au courant de cet examen. Il en est ressorti que les fibres prélevées sur les vêtements du requérant ne correspondaient pas à celles relevées sur les vêtements des policiers. Toutefois, les résultats de l’examen semblent avoir été compromis puisque les policiers avaient lavé leurs vêtements.

2.12En juillet, le bureau du Procureur régional a annulé la décision du Département régional des affaires intérieures d’ouvrir une enquête pénale et a transmis l’affaire au Département chargé de la lutte contre la criminalité économique et la corruption pour la région de Kostanaï (ci-après Département chargé de la lutte contre la criminalité économique et la corruption) pour examen supplémentaire. Le 5 septembre 2007, le Département en question a refusé d’engager des procédures pénales faute de preuve établissant un lien entre les actes des policiers et les blessures du requérant. Le 12 septembre 2007, le requérant a fait appel de la décision du Département chargé de la lutte contre la criminalité économique et la corruption devant le bureau du Procureur régional, qui a annulé la décision du Département le 24 septembre 2007 et renvoyé l’affaire pour nouvel examen.

2.13Le 3 décembre 2007, le Département régional des affaires intérieures a rendu compte de son enquête, indiquant qu’un certain nombre de violations flagrantes des lois et règlements avaient été constatées, que 10 policiers avaient été démis de leurs fonctions et qu’une enquête de suivi était en cours. Le 1er février 2008, le Département chargé de la lutte contre la criminalité économique et la corruption a refusé d’engager des poursuites pénales au motif qu’il n’était pas possible de prouver l’implication des policiers. Le 19 mars 2008, le bureau du Procureur régional a confirmé la décision du Département chargé de la lutte contre la criminalité économique et la corruption. Un nouvel appel auprès du deuxième tribunal de la ville de Kostanaï (tribunal municipal) a été rejeté le 25 mars 2008. Le 20 mai 2008, le requérant a demandé au bureau du Procureur général d’ouvrir une enquête pénale au vu des lacunes de l’enquête menée par le Département chargé de la lutte contre la criminalité économique et la corruption; il a été débouté le 11 juin 2008. Le tribunal municipal ayant déjà rejeté l’appel, la décision en question n’a plus été contestée.

2.14Le requérant affirme qu’il a épuisé tous les recours internes en déposant de nombreuses plaintes auprès des autorités de poursuites et de la cour, y compris quatre appels du refus d’ouvrir une enquête pénale. La décision du tribunal municipal laisse entendre qu’un nouvel appel avait été interjeté auprès du tribunal régional, mais ce recours n’a pas été utile en pratique. L’alinéa 9 de l’article 109 du Code de procédure pénale du Kazakhstan ne prévoit qu’un délai de trois jours, à compter de la date de la décision, pour faire appel d’une décision du tribunal municipal auprès du tribunal régional. Or, l’avocat du requérant n’a reçu de notification de la décision qu’une fois écoulé le délai de trois jours prévu pour faire appel.

2.15De plus, compte tenu des menaces que le requérant a déjà reçu au sujet de sa plainte, il s’exposerait à des menaces et à des actes de violence contre lui-même et contre sa famille s’il devait maintenir sa plainte auprès des autorités nationales. En outre, la procédure a pris un retard si déraisonnable qu’il est inutile de la poursuivre. Au vu de la gravité des violations subies par le requérant, seule une enquête pénale et l’engagement de poursuites pénales constitueraient un recours utile. Le fait que l’État partie n’ait pas ouvert d’enquête pénale a empêché le requérant de faire valoir d’autres voies de recours.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que le traitement qui lui a été infligé par la police constitue une violation de l’article premier de la Convention. Les actes de torture qui font l’objet de la requête ont, certes, précédé l’entrée en vigueur de la Convention, mais les effets de la violation continuent de se faire sentir. Rappelant la jurisprudence du Comité, le requérant fait valoir que la violation a depuis été cautionnée par un acte ou une implication manifeste de l’État partie, puisque celui-ci a délibérément manqué à ses obligations s’agissant de reconnaître la responsabilité des actes de torture, de modifier un système juridique qui permettait la torture et de mener une enquête adéquate. De plus, le requérant continue de souffrir de troubles post-traumatiques du fait de la torture subie, ce qui signifie que la violation antérieure continue d’avoir un effet sur lui et qu’il y a donc violation de la Convention.

3.2Le requérant affirme que l’État partie n’a pas offert les garanties suffisantes pour prévenir les mauvais traitements et la torture, ce qui constitue une violation de l’article 2 de la Convention. Sa détention n’a pas été consignée et il n’a pas bénéficié des services d’un avocat ni d’un examen médical indépendant par un médecin.

3.3En violation des articles 12 et 13, aucune enquête rapide, impartiale et efficace sur les allégations de torture n’a été menée. L’enquête n’a pas été conduite par un organe indépendant et impartial, puisqu’elle a été confiée au Département des affaires intérieures du district Sud dont des agents étaient les présumés auteurs des actes de torture, puis à son organe supérieur, le Département régional des affaires intérieures. De plus, l’enquête préliminaire n’a été ouverte qu’un mois après le dépôt de la plainte et l’examen scientifique des vêtements du requérant n’a été effectué que trois mois après les actes de torture allégués. Les enquêteurs n’ont pas interrogé les témoins essentiels et le requérant n’a pas pu participer effectivement à l’enquête et n’a jamais été consulté sur le fond. L’enquête n’a pas permis d’établir et d’attribuer la responsabilité pénale des actes de torture infligés au requérant. Bien qu’il ait continué à tenter d’obtenir l’ouverture d’une enquête efficace après l’entrée en vigueur de la Convention, aucune enquête satisfaisant aux dispositions de la Convention n’a été menée.

3.4Le requérant affirme également que la législation nationale l’empêche de fait d’engager une procédure civile pour obtenir une indemnisation au titre de la violation de l’article 14 de la Convention, étant donné que le droit à réparation n’est reconnu qu’après la condamnation des responsables par un tribunal pénal. Le requérant n’a donc pas obtenu d’indemnisation ni de réadaptation médicale pour la torture subie.

Observations préliminaires de l’État partie

4.1Le 18 janvier 2011, l’État partie a présenté ses observations préliminaires. Il affirme que, le 6 décembre 2010, le bureau du Procureur général a annulé la décision du 1er février 2008 par laquelle le Département chargé de la lutte contre la criminalité économique et la corruption refusait d’engager des procédures pénales et a ouvert une enquête pénale contre les agents de police du Département des affaires intérieures du district Sud en application de l’alinéa 2 a) de l’article 347-1 du Code pénal (torture).

4.2L’État partie renvoie à un certain nombre de décrets, stratégies et plans d’action visant à lutter contre la torture qui ont été adoptés à la suite d’allégations de torture, notamment l’inspection régulière des lieux de détention avec la participation de représentants des organisations non gouvernementales, ainsi que l’organisation, à l’intention des agents de la force publique, de sessions de formation, de tables rondes et de séminaires sur la prévention de la torture et des mauvais traitements.

Observations des représentants du requérant

5.1Le 28 février 2011, les représentants du requérant ont confirmé que, le 6 décembre 2010, en réponse à la requête présentée au Comité, le bureau du Procureur général avait ouvert une enquête pénale en application de l’alinéa 2 a) de l’article 347-1 du Code pénal (torture).

5.2Le 8 janvier 2011, un examen psychiatrique du requérant a été demandé. Du fait de l’anxiété provoquée par les enquêtes et interrogatoires successifs, le requérant a vu sa santé se détériorer et, le 14 janvier 2011, un médecin a prescrit son hospitalisation. Il a donc demandé un report de l’examen psychiatrique. Cet examen a néanmoins été pratiqué le 18 janvier 2011. Le 2 février 2011, le conseil du requérant a été autorisé à consulter le rapport psychiatrique, mais aucune copie ne lui en a été remise.

5.3Après la reprise de l’enquête, le requérant a été interrogé en présence de son avocat à au moins quatre reprises: les 19, 21 et 25 janvier et 2 février 2011. Avant le 19 janvier 2011, il a été interrogé sans la présence de son avocat. Lors de l’interrogatoire du 19 janvier 2011, il a donné des actes de torture auxquels il avait été soumis un récit détaillé qui correspondait à ses déclarations antérieures. Il a une nouvelle fois décrit les blessures physiques qu’il avait subies et le traitement qui lui avait été infligé.

5.4Les représentants légaux du requérant ont également rappelé les menaces proférées contre lui en 2007 et fait observer que la reprise de l’enquête avait donné lieu à de nouvelles intimidations. À la fin de janvier 2011, l’épouse du requérant a informé le Bureau international kazakh pour les droits de l’homme et le respect de la légalité du fait que sa famille avait reçu un appel d’un procureur nommé A. K. qui menaçait de rouvrir l’enquête sur le meurtre qui était à l’origine de la première arrestation et de la torture du requérant. Le procureur a confirmé au Bureau lors d’une conversation téléphonique qu’il avait appelé la famille du requérant pour tenter de s’assurer qu’elle fournisse des preuves. Enjoint de s’abstenir de faire pression sur la famille, il a rétorqué qu’il menait une enquête minutieuse. Le requérant a dit à plusieurs reprises à un représentant du Bureau que sa famille, en particulier son épouse, était très «lasse» de ses griefs et voulait «tout oublier et simplement vivre». Il a également indiqué le 18 février 2011 que sa famille le poussait à retirer sa plainte. Il a répété à plusieurs occasions que sa femme redoutait vivement d’éventuelles représailles contre leur famille.

5.5Le 21 février 2011, le procureur a fait savoir au Bureau international kazakh pour les droits de l’homme et le respect de la légalité que l’enquête avait été close conformément à l’article 37 du Code de procédure pénale (circonstances excluant une enquête pénale) et que, le 5 février 2011, le requérant avait refusé les services de son avocat, déclarant qu’il n’avait aucun grief contre la police.

5.6Les représentants du requérant affirment que l’enquête reprise n’est pas pleinement indépendante, qu’elle est tardive et inefficace, et n’a donné lieu à aucunes poursuites pénales et, se référant à la jurisprudence du Comité, rappellent qu’une enquête doit être ouverte dans les meilleurs délais et menée rapidement, . Dans cette affaire, l’enquête nationale a été suspendue le 5 septembre 2007. Lorsqu’elle a été rouverte, près de quatre années s’étaient écoulées. La reprise de l’enquête après trois ans de suspension ne satisfait pas aux exigences d’efficacité.

5.7Une fois rouverte, l’enquête semblait viser essentiellement à interroger sans cesse le requérant et sa famille, y compris sous la forme d’une évaluation psychiatrique du requérant contre son gré, et à le confronter de force aux policiers. Aucun chef d’inculpation n’a été retenu contre aucun des policiers responsables de la torture et l’enquête a été close une nouvelle fois.

5.8Les représentants du requérant accueillent avec satisfaction les mesures générales de lutte contre la torture citées par l’État partie, mais constatent que celui-ci n’a pas expliqué en quoi l’une ou l’autre de ces nouvelles mesures intéresse le requérant dans la présente affaire. Ces mesures ne sont pas suffisantes pour faire justice du grief du requérant en l’absence de réparation appropriée, laquelle devrait inclure la reconnaissance de la responsabilité dans les violations, la conduite d’une enquête appropriée, et l’octroi au requérant d’une indemnisation et d’une aide à la réadaptation. Seule la création d’une commission d’enquête indépendante, qui respecte toutes les conditions énoncées au chapitre III du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul, par. 2, 85 et 86), et qui ait plein pouvoir pour assigner les témoins à comparaître et recommander l’engagement de poursuites pénales, constituerait une réparation appropriée de la violation de la Convention.

5.9En réponse à la requête déposée devant le Comité, l’État partie a mis en cause la santé mentale du requérant et ordonné une évaluation psychiatrique. L’enquête reprise présente les caractéristiques d’une tentative d’intimidation du requérant pour le pousser à retirer sa plainte, pratique largement répandue au Kazakhstan. Une telle intimidation fait obstacle à l’exercice du droit de recours individuel établi aux articles 13 et 22 de la Convention. En faisant la déclaration visée à l’article 22 de la Convention en 2008, le Kazakhstan s’est implicitement engagé à ne pas entraver l’exercice du droit de toute personne de communiquer avec le Comité, puisque cela rendrait le droit qu’il a reconnu inefficace dans la pratique.

5.10Les représentants légaux sont préoccupés par le fait que le procureur ait demandé que le requérant soit soumis à une évaluation psychiatrique, sachant que cet examen n’avait pas pour objet d’établir les effets de la torture mais d’apprécier l’état de santé mentale du requérant «puisqu’il y avait un doute quant à sa capacité à percevoir correctement les circonstances relatives à l’affaire». Il semble donc que l’évaluation ait eu pour objectif de discréditer ou d’intimider le requérant.

5.11Au vu de ce qui précède, l’État partie a violé les droits que le requérant tient des articles 1er, 2, 12, 13 et 14 de la Convention.

Autres observations du requérant

6.En mars 2011, le requérant a présenté au Comité une lettre légalisée en russe (avec copie au Ministère des affaires étrangères du Kazakhstan), datée du 18 février 2011 et accompagnée d’une traduction en anglais, par laquelle il demandait le retrait de la plainte déposée en son nom le 22 avril 2010, étant donné qu’il n’avait pas personnellement préparé ou signé une quelconque communication, celle-ci ayant été élaborée par l’Open Society Initiative et le Bureau international kazakh pour les droits de l’homme et le respect de la légalité sur la base du mandat qu’il leur avait confié. Il a ajouté que les plaintes déposées contre les policiers avaient été rédigées «sous l’effet de la colère, de la douleur et d’une grande nervosité» et qu’il n’avait aucun grief contre les personnes en question.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

7.1Les 14 avril et 6 mai 2011, l’État partie a communiqué des observations complémentaires. Il fait savoir que, le 27 mars 2007, le requérant et ses deux beaux-fils, soupçonnés d’avoir commis le meurtre d’une femme âgée, ont été conduits au Département des affaires intérieures du district Sud. Les 30 mars et 2 avril 2007, ils ont déposé plainte auprès du bureau du Procureur de la ville contre des agents du Département (A., B. et M.), qu’ils accusaient de les avoir maltraités pour les forcer à avouer le meurtre. Le 30 mai 2007, le Procureur adjoint principal de la ville de Kostanaï a refusé d’ouvrir une enquête pénale faute de preuve. Cette décision a été annulée le 10 juin 2007 par le bureau du Procureur de la ville au motif du caractère incomplet de l’enquête.

7.2Les 12 et 13 juin 2007, le requérant a déposé auprès du bureau du Procureur régional des plaintes dans lesquelles il affirmait que des inconnus l’avaient menacé pour le pousser à retirer ses plaintes. Le 18 juin 2007, les plaintes en question ont été transmises au Département de la sécurité intérieure au sein du Département régional des affaires intérieures. Le 25 juin 2007, le Département de la sécurité intérieure a ouvert une enquête pénale contre les policiers en application de l’alinéa 4 a) de l’article 308 du Code pénal (abus de pouvoir ou d’autorité avec circonstances aggravantes). L’affaire a été classée le 29 juin 2007, faute de preuve. Le 27 juin 2007, huit policiers, dont M. A., M. B. et M. M., ont fait l’objet de diverses sanctions disciplinaires pour violations du règlement intérieur ayant abouti à la détention illicite du requérant et de ses beaux-fils.

7.3Le 3 juillet 2007, le Département de la sécurité intérieure a rouvert une enquête pénale, décision annulée le 18 juillet 2007 par le bureau du Procureur régional, qui a transmis l’affaire au Département chargé de la lutte contre la criminalité économique et la corruption pour examen supplémentaire. Le Département chargé de la lutte contre la criminalité économique et la corruption a décidé à deux occasions de ne pas ouvrir d’enquête pénale, faute de preuve, mais ces décisions ont été annulées par le bureau du Procureur régional au motif que l’enquête était incomplète. Le 1er février 2008, le Département chargé de la lutte contre la criminalité économique et la corruption a une nouvelle fois refusé d’ouvrir une enquête pénale, faute de preuve. Mis à part les témoignages contradictoires et incohérents du requérant et les conclusions de l’examen médico-légal, aucun autre élément de preuve n’est venu appuyer les griefs du requérant. Tous les moyens de collecter des éléments de preuve supplémentaires ont été épuisés.

7.4Le 6 décembre 2010, afin de vérifier les allégations présentées par le requérant au Comité, le bureau du Procureur général a annulé la décision du Département chargé de la lutte contre la criminalité économique et la corruption en date du 1er février 2008 et une enquête pénale a été ouverte contre les policiers en application de l’alinéa 2 a) de l’article 347-1 du Code pénal (torture).

7.5Au cours de son interrogatoire, le requérant a déclaré que, le 27 mars 2007, alors qu’il se trouvait au poste de police du fait de la détention de son beau-fils, il avait été conduit au 3e étage où trois policiers lui avaient infligé des mauvais traitements en vue de lui faire avouer le meurtre de sa voisine. Il a passé la nuit sur une chaise sous la surveillance d’un policier et a été interrogé par l’enquêteur le matin suivant. Lorsqu’il a été remis en liberté, le 28 mars 2007, il a été admis à l’hôpital de la ville de Kostanaï.

7.6Lors de leur interrogatoire en qualité de témoins, l’épouse du requérant, ses beaux-fils et leur ami ont refusé de témoigner et demandé le classement de l’enquête en déclarant qu’ils n’avaient aucun grief contre la police, alors que lors de l’enquête préliminaire les beaux-fils du requérant avaient affirmé avoir subi des mauvais traitements de la part des policiers qui tentaient de leur faire avouer le meurtre de leur voisine.

7.7Au cours de l’enquête préliminaire, le requérant a fait des déclarations contradictoires. Lors de la confrontation avec les policiers, il a déclaré que M. A. l’avait uniquement étouffé avec le sac en plastique. Il a également déclaré que M. M. n’avait enregistré que ses données personnelles. Il n’a pas identifié le troisième policier, M. B., et a déclaré que les personnes qui lui avaient infligé des mauvais traitements n’étaient pas les trois policiers en question. Lors de leur interrogatoire en qualité de suspects, les policiers ont démenti les allégations de mauvais traitement et de matraquage. Les autres policiers du Département des affaires intérieures du district Sud interrogés en qualité de témoins n’ont pas confirmé les faits de torture.

7.8Le personnel médical de l’hôpital de la ville de Kostanaï, également interrogé, a déclaré que, à la fin du mois de mars 2007, le requérant avait été conduit en ambulance à l’hôpital, où il avait été établi qu’il souffrait d’une contusion cérébrale et d’ecchymoses dans la région lombaire, qu’il affirmait avoir subies de la part de policiers. L’examen médico-légal pratiqué faisait état des lésions suivantes: contusion cérébrale, écorchures sur le visage, plaie contusionnée à l’arcade sourcilière droite, contusion du poumon droit et ecchymoses corporelles.

7.9Il ressort du dossier médical dont a été saisi le Département chargé de la lutte contre la criminalité économique et la corruption que le requérant fait l’objet d’une surveillance psychiatrique depuis 1978 pour cause de retard mental léger. Le 8 août 2007, au vu de la réaction aiguë du requérant au stress, un diagnostic de psychose réactionnelle avec syndrome paranoïde dépressif a également été établi. Compte tenu de ce qui précède, une évaluation psychiatrique médico-légale a été ordonnée le 8 janvier 2011.

7.10Le 14 janvier 2011, le requérant a demandé le report de l’instruction pour raisons de santé, demande qui a été rejetée en attendant l’examen psychiatrique médico-légal, lequel visait notamment à évaluer si le requérant était en état de participer à l’instruction.

7.11Le 18 janvier 2011, il est ressorti des résultats de l’examen psychiatrique que le requérant présentait des signes de réactions dépressives à court terme et qu’il était apte à participer à l’instruction. Le requérant et son conseil ont été informés de ces conclusions et les ont contestées, sans toutefois donner de motif.

7.12Le requérant a été appelé à témoigner neuf fois entre le 19 décembre 2010 et le 6 février 2011. Aucune pression n’a été exercée sur lui ni sur sa famille. Le 19 janvier 2011, le requérant a rejeté, par écrit et au motif de l’absence de menaces, l’offre de l’État partie qui lui proposait des mesures de protection.

7.13Le 3 février 2011, le requérant a refusé, par écrit, les services de son avocat. Le 5 février 2011, le Procureur de la région de Kostanaï a reçu la déclaration écrite en date du 3 février 2011, par laquelle le requérant se rétractait, expliquant qu’il souffrait de dépression nerveuse lors de ses témoignages précédents et refusant de témoigner de nouveau compte tenu du temps écoulé depuis les faits. Le 6 février 2011, le requérant, interrogé sur les circonstances dans lesquelles il avait écrit la lettre en question, a déclaré qu’il l’avait lui-même rédigée sans aucune pression extérieure. Il refusait de témoigner parce qu’il ne se souvenait pas des circonstances de l’affaire et n’avait aucun grief contre la police.

7.14Le 6 février 2011, le Procureur adjoint de la région de Kostanaï a classé l’affaire faute de preuve. Cette décision est fondée compte tenu des déclarations contradictoires et incohérentes que le requérant a faites tout au long de l’instruction, des refus de témoigner présentés par écrit par sa femme et ses beaux-fils, de la rétractation du requérant et de son refus de témoigner de nouveau, et des conclusions de l’examen psychiatrique médico-légal du 18 janvier 2011.

7.15L’État partie fait valoir qu’il était impossible de prouver la culpabilité des policiers en raison du temps écoulé (trois ans et huit mois) depuis que les blessures corporelles avaient été infligées, du caractère contradictoire des déclarations du requérant qui s’était ensuite rétracté, du refus de l’épouse et des beaux-fils du requérant de témoigner et du rejet par les policiers des allégations de torture.

7.16L’État partie affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable pour les motifs suivants: 1) les événements faisant l’objet de la requête sont survenus le 27 mars 2007 et la dernière décision de procédure concernant l’affaire a été prise le 1er février 2008, c’est-à-dire avant que le Kazakhstan ne reconnaisse la compétence du Comité en vertu de l’article 22 de la Convention; 2) le requérant n’a pas fait appel, comme le permet l’article 109 du Code de procédure pénale, des décisions du 1er février 2008 (refus d’ouvrir une enquête pénale) et du 6 février 2011 (classement de l’affaire) et n’a donc pas épuisé tous les recours internes disponibles; 3) en mars 2011, le Ministère des affaires étrangères a reçu une lettre légalisée par laquelle le requérant retirait sa requête devant le Comité. Compte tenu du désistement de la requête communiquée au Comité par des tiers, le Comité ne devrait pas l’examiner.

7.17L’État partie déclare que les griefs présentés par les conseils du requérant sont dénués de fondement. Les allégations de torture n’ont pas été confirmées au cours de l’enquête. De plus, le requérant a déclaré qu’il n’avait pas déposé la moindre requête devant le Comité et ne tenait pas à ce que l’enquête pénale se poursuive. L’État partie a pris toutes les mesures pour qu’une enquête objective soit menée, mais il n’est pas possible d’engager des procédures pénales contre les policiers faute de preuve et compte tenu de la position du requérant lui-même. Toutefois, huit policiers ont fait l’objet de diverses sanctions disciplinaires (voir par. 7.2). L’État partie déclare également que, conformément à la législation nationale, la question de l’indemnisation pour faits de torture n’est tranchée qu’après la condamnation des fonctionnaires par un tribunal pénal.

Commentaires des représentants du requérant sur la recevabilité et sur le fond

8.1Le 15 juillet 2011, les conseillers du requérant ont communiqué leurs commentaires sur la recevabilité et sur le fond. En réponse à l’État partie qui affirme que les violations dépassent la compétence ratione temporis du Comité, ils avancent une nouvelle fois l’argument selon lequel la torture infligée au requérant en 2007 a été cautionnée par un acte ou une implication manifeste de l’État partie, puisque celui-ci a refusé de reconnaître sa responsabilité dans la torture et n’a toujours pas enquêté de manière appropriée après que le Kazakhstan a fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention, le 21 février 2008. L’État partie ne tient pas compte des efforts que le requérant a déployés de mars à juin 2008 pour obtenir qu’une enquête efficace soit conduite en faisant valoir que la dernière décision procédurale était en date du 1er février 2008. Il n’a toujours pas ouvert d’enquête qui soit conforme aux dispositions des articles 12 et 13 de la Convention, ce qui constitue une violation continue. La non-prévention de la torture et le fait de ne pas assurer des voies de recours appropriées constituent également des violations continues.

8.2Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle le requérant n’aurait pas fait appel des décisions du 1er février 2008 et du 6 février 2011, les conseils font observer que le requérant a interjeté appel devant les bureaux des procureurs, et a formé, devant le tribunal municipal, un recours judiciaire qui a été rejeté le 25 mars 2008. Aucun autre recours visé par l’article 109 n’était disponible ou efficace dans la pratique. Compte tenu du climat d’intimidation dans lequel l’enquête a été reprise, il ne serait pas raisonnable d’attendre du requérant qu’il recommence un cycle de recours auprès d’organes qui ont déjà examiné l’affaire à plusieurs reprises.

8.3En ce qui concerne les lettres en date de février 2011 par lesquelles, selon l’État partie, le requérant aurait retiré sa plainte, aucun des incidents invoqués ne peut être considéré comme une «dénonciation spontanée et volontaire» de sa requête devant le Comité. L’État partie n’a pas cité les nombreuses occasions où, en janvier 2011, alors qu’il était interrogé en présence de son avocat, le requérant a réitéré ses griefs. Il se concentre au contraire sur l’occasion postérieure où, dans des circonstances fort contestables − à savoir qu’il était interrogé par la police sans la présence d’un avocat − le requérant a été contraint par intimidation à écrire une brève lettre dans laquelle il refusait de témoigner de nouveau. En l’absence d’un désistement librement consenti et sans équivoque, le Comité devrait poursuivre l’examen de la communication car il en va de l’intérêt de la justice.

8.4La lettre en date du 3 février 2011, dans laquelle le requérant déclare qu’il refuse de témoigner de nouveau et qu’il se rétracte, ne fait part d’aucune intention de retirer la requête déposée devant le Comité. Le requérant l’a écrite après avoir indiqué qu’il subissait des pressions visant à le pousser à retirer sa plainte. À peu près à la même période, un enquêteur lui a montré les déclarations des policiers qui l’avaient torturé, qui promettaient de ne pas l’accuser de diffamation s’il retirait sa plainte. L’État partie indique également que le requérant a été interrogé par la police le 6 février 2011 sur les circonstances dans lesquelles il avait écrit sa lettre du 3 février, et l’acte dans lequel le requérant aurait refusé de témoigner de nouveau confirme que cet interrogatoire a été mené sans la présence d’un avocat puisque la police avait obtenu du requérant une déclaration dans laquelle il refusait les services de son avocat.

8.5Pour ce qui est de la lettre typographiée légalisée en date du 18 février 2011, en russe et en anglais, et signée par le requérant, dans laquelle ce dernier indiquait qu’il souhaitait retirer sa requête auprès du Comité, pour le motif qu’il avait agit «sous l’effet de la colère, de la douleur et d’une grande nervosité», les conseils ont consulté le requérant et n’ont pas eu pour instruction de retirer la requête auprès du Comité. La soi-disant lettre de retrait a été obtenue dans les circonstances suivantes: à la suite d’une visite de deux enquêteurs de la police, le requérant a écrit la lettre datée du 3 février et quelques jours plus tard, un des enquêteurs de police a conduit le requérant à une étude de notaire où on lui a remis un document imprimé qu’il a signé après y avoir jeté un rapide coup d’œil. Ainsi, la lettre stéréotypée datée du 18 février 2011 adressée au Comité a été élaborée par l’État partie et non par le requérant lui-même, a été sensiblement modifiée par rapport à la lettre manuscrite d’origine et a été signée sous la pression.

8.6La prétendue lettre de retrait de la plainte sur laquelle s’appuie l’État partie est à l’opposé du témoignage détaillé et cohérent que le requérant a donné à plusieurs reprises de la torture qu’il a subie. Dans la procuration qu’il a signée le 22 février 2010, le requérant confirme qu’il autorise l’Open Society Justice Initiative et le Bureau kazakh international pour les droits de l’homme et le respect de la légalité à le représenter devant le Comité et à soumettre des demandes et d’autres requêtes en son nom. De plus, il a personnellement signé chaque page de sa déclaration, qui a été jointe au dossier. Dans ces circonstances, ni la lettre datée du 3 février, ni l’interrogatoire du 6 février, ni la lettre datée du 18 février ne constituent l’expression libre et incontestable de la volonté du requérant de retirer sa requête; elles ne devraient donc pas empêcher le Comité d’examiner la teneur de celle-ci.

8.7Aucun des arguments présentés par l’État partie n’ébranle le récit cohérent que le requérant a fait à plusieurs reprises de la torture qu’il a subie; ils corroborent au contraire les éléments essentiels de son témoignage et confirment que l’enquête reprise n’a pas été efficace. L’État partie convient que le requérant et ses beaux-fils ont rapidement fait des déclarations accusant la police de leur avoir infligé des souffrances physiques et mentales pour tenter d’obtenir des aveux. Le requérant a maintenu cette déclaration tout au long des nombreuses séances d’interrogatoire dans le cadre de la reprise de l’enquête en janvier 2011 et l’État partie concède qu’il a déclaré avoir été maltraité par la police. Il est incontesté qu’il a immédiatement sollicité des soins médicaux et déclaré aux médecins qu’il avait été blessé par des policiers. Toutefois, l’État partie rejette arbitrairement les éléments de preuve et ne donne pas suite aux nombreuses déclarations cohérentes faites au cours de l’enquête initiale et en janvier 2011 mais, au contraire, tente de rejeter les éléments de preuve produits par le requérant en les qualifiant d’«incohérents» ou en affirmant qu’ils ont été donnés «sous l’emprise de la colère» ou «en état de nervosité».

8.8Il est rappelé que l’évaluation psychiatrique du 18 janvier 2011, demandée «pour établir l’état de santé mentale de la victime puisqu’il y avait un doute quant à sa capacité à percevoir correctement les circonstances relatives à l’affaire», a été menée contre la volonté du requérant. De plus, l’État partie fait vaguement référence à un dossier médical faisant état d’un séjour en service psychiatrique datant de 1978, mais n’explique pas en quoi cela intéresse la présente requête. Aucune mention de ce dossier n’a été faite au cours de la procédure interne. Au lieu d’examiner les éléments de preuves médicales manifestes qui étayent les allégations de mauvais traitement, la première réaction des autorités a été de soumettre le requérant à une évaluation psychiatrique obligatoire qui, selon toute apparence, visait à montrer qu’il était atteint de maladie mentale.

8.9Le Kazakhstan a manqué aux obligations qui lui incombent au titre des articles 1er, 2, 12, 13 et 14 de la Convention. L’enquête reprise en décembre 2010 a été close une nouvelle fois en février 2011 sans qu’un quelconque progrès significatif n’ait été enregistré, avant que les responsabilités n’aient été établies et sans qu’un recours utile n’ait été assuré au requérant. Le premier motif fourni par l’État partie pour justifier le classement de l’affaire est qu’il était difficile de prouver la culpabilité des policiers en raison du temps écoulé depuis la commission des blessures corporelles (trois ans et huit mois), ce qui semble revenir à admettre que le retard a eu une conséquence directe sur l’enquête. L’enquête reprise ne respectait pas les principes d’indépendance et d’impartialité. Son caractère biaisé est confirmé par le fait que, alors qu’ils ont contraint le requérant à subir de nombreux interrogatoires, les enquêteurs ont été immédiatement satisfaits par les simples réfutations formulées par les policiers impliqués dans l’incident.

8.10L’État partie n’a pas établi les responsabilités quant aux actes de torture qu’a subis le requérant, et n’a pas assuré à celui-ci des recours utiles, notamment sous la forme d’une indemnisation, d’une aide à la réadaptation et d’une réparation adéquate, ce qui est contraire aux articles 12, 13 et 14 de la Convention. Au lieu de remédier à ces défaillances, l’État partie confirme que le requérant ne peut obtenir une réparation ou un dédommagement pour les actes de torture infligés, nul n’ayant été poursuivi et reconnu coupable.

8.11L’État partie a tenté d’intimider le requérant pour le contraindre à retirer sa plainte, en l’obligeant à subir un examen psychiatrique, en encourageant sa famille à faire pression pour qu’il retire sa plainte et en l’interrogeant à de nombreuses reprises jusqu’à ce que, en l’absence de son avocat, la police parvienne à lui soutirer une brève note dans laquelle il refusait de témoigner une nouvelle fois. Compte tenu des actes d’intimidation commis contre le requérant, il est proposé au Comité de conclure qu’il y a eu manquement au devoir de protéger les plaignants contre toute intimidation (art. 13) et de donner effet au droit des particuliers de présenter des communications (art. 22).

Observations supplémentaires de l’État partie

9.1Par une note verbale datée du 24 octobre 2011, l’État partie indique que l’Open Society Justice Initiative et le Bureau kazakh international pour les droits de l’homme et le respect de la légalité ne sont pas autorisés à représenter le requérant devant le Comité, au vu de la lettre légalisée datée du 18 février 2011 dans laquelle le requérant retire volontairement la requête soumise au Comité. Les arguments présentés par ces organismes, qui affirment qu’ils ont consulté le requérant qui ne les avait pas chargés de retirer sa plainte, et que la lettre légalisée tout comme la lettre adressée au Procureur de la région de Kostanaï avaient été écrites sous la pression, sont sans fondement et ne sont pas corroborés par les preuves écrites disponibles.

9.2L’État partie réaffirme ses arguments précédents selon lesquels le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes et conteste le caractère continu des violations alléguées des droits du requérant compte tenu du fait qu’il n’est plus en détention et ne peut être soumis à une quelconque torture. L’État partie conclut que les allégations du requérant sont sans fondement et demande au Comité de ne pas examiner la requête quant au fond.

Commentaires supplémentaires des représentants du requérant

10.Par une lettre datée du 6 décembre 2011, les conseils du requérant ont renvoyé à leurs commentaires précédents et ajouté que l’État partie semblait ne pas comprendre les arguments étayant le grief de violation continue, puisqu’il n’est évidement pas question de prétendre que le requérant est encore soumis à la torture, mais bien du manquement continu à l’obligation d’enquêter.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

11.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

11.2Le Comité constate que l’État partie conteste la compétence du Comité ratione temporis au motif que les actes de torture faisant l’objet de la requête (27 mars 2007) et la dernière décision de procédure concernant l’affaire en date du 1er février 2008, par laquelle l’État partie a refusé d’ouvrir une enquête pénale, sont survenus avant que le Kazakhstan ne reconnaisse la compétence du Comité en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité rappelle que les obligations que l’État partie a contractées en vertu de la Convention le lient à compter de la date où celle-ci est entrée en vigueur à son égard. Le Comité peut examiner des griefs de violations constituées par des faits qui se sont produits avant que l’État partie ne déclare reconnaître la compétence du Comité en vertu de l’article 22 si les effets de ces violations continuaient de se faire sentir après l’entrée en vigueur de la déclaration et constituaient en soi une violation de la Convention. La persistance d’une violation doit être interprétée comme la prolongation, après la formulation de la déclaration, par des actes ou de manière implicite, des violations antérieures de l’État partie. Le Comité constate que le Kazakhstan a fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention le 21 février 2008. Les événements qui font l’objet de la requête sont survenus antérieurement, mais la décision du Département chargé de la lutte contre la criminalité économique et la corruption en date du 1er février 2008 (refus d’ouvrir une enquête pénale contre les policiers) a été confirmée par le bureau du Procureur régional le 19 mars 2008 et l’appel interjeté par le requérant devant le deuxième tribunal de la ville de Kostanaï a été rejeté le 25 mars 2008, c’est-à-dire après que le Kazakhstan a fait la déclaration prévue à l’article 22. De plus, le bureau du Procureur général a confirmé la décision du Département chargé de la lutte contre la criminalité économique et la corruption le 11 juin 2008 en refusant d’ouvrir une enquête pénale. Le manquement de l’État partie aux obligations qui lui incombent d’enquêter au sujet des allégations du requérant et de lui assurer des voies de recours appropriées s’est poursuivi après la reconnaissance par l’État partie de la compétence du Comité en vertu de l’article 22 de la Convention. Dans ces circonstances, le Comité n’est pas empêché ratione temporis d’examiner la présente requête.

11.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui estime qu’il ne devrait pas examiner la présente requête au vu de la lettre légalisée datée du 18 février 2011 dans laquelle le requérant retirait sa plainte. Il considère que, pour que le retrait d’une requête présentée au Comité soit valide, le texte de la demande de retrait doit être sans équivoque et il doit être établi que la demande a été faite de plein gré. Le Comité n’estime pas nécessaire, comme le demande l’État partie, que des pièces justificatives soient fournies pour que la force probante de la lettre légalisée puisse être contestée. De fait, le Comité est habilité à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire. En l’espèce, les circonstances dans lesquelles le requérant a signé la lettre, telles que les conseils du requérants les ont relatées, donnent au Comité de bonnes raisons de douter qu’elle ait été rédigée librement. Dans ces circonstances, le Comité estime que la lettre du 18 février 2011 ne peut pas être considérée comme une demande librement consentie de désistement de la requête et qu’elle n’empêche donc pas le Comité d’examiner la présente requête.

11.4Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

11.5En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité constate que l’État partie conteste la recevabilité de la requête au motif que le requérant n’a pas fait appel des décisions du 1er février 2008 et du 6 février 2011. Il observe toutefois que le requérant a fait appel de la décision du 1er février 2008 devant le deuxième tribunal de la ville de Kostanaï, qui l’a débouté le 25 mars 2008. Il prend également note de l’argument incontesté présenté par le requérant selon lequel, s’il était en principe possible d’interjeter appel devant la cour régionale, dans la pratique ce recours n’était pas disponible l’avocat ayant reçu la notification de la décision après l’expiration du délai de recours. Pour ce qui est de l’argument selon lequel le requérant n’a pas fait appel de la décision du 6 février 2011, le Comité constate que l’enquête a été reprise le 6 décembre 2010, soit près de quatre ans après les faits allégués par le requérant. Le Comité en conclut que les procédures internes ont excédé les délais raisonnables et que le requérant n’est pas tenu de les épuiser. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que les conditions énoncées au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

11.6En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention et l’article 111 du Règlement intérieur du Comité, ne constatant aucun autre obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité procède à son examen quant au fond.

Examen du fond

12.1Le Comité a examiné la requête en tenant dûment compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

12.2Le Comité constate que le requérant a allégué une violation du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention, soutenant que l’État partie a enfreint ses obligations de prévenir et de sanctionner les actes de torture. Ces dispositions sont applicables dans la mesure où les actes que le requérant a subis sont considérés comme des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention. À cet égard, le Comité prend note de la description détaillée que le requérant a donnée du traitement auquel il a été soumis pendant sa garde à vue et des rapports médicaux contenant des informations sur les blessures physiques infligées et sur les préjudices psychologiques durables subis. Le Comité considère qu’un tel traitement peut être qualifié d’infliction intentionnelle de douleurs et souffrances aiguës par des fonctionnaires en vue d’extorquer des aveux au requérant. L’État partie ne conteste pas les preuves médicales, mais nie toute implication de la police. Il n’est pas contesté que le requérant était en garde à vue lorsqu’il a subi ses blessures et qu’il a tenté d’obtenir des soins médicaux pour soigner ses blessures rapidement après sa mise en liberté. Dans ces circonstances, l’État partie devrait être présumé responsable du préjudice causé à moins qu’il ne donne une explication convaincante. L’État partie n’ayant pas fourni une telle explication, le Comité en conclut que ce sont les policiers qui ont infligé au requérant ses blessures. Le Comité prend également note du fait incontesté que la détention du requérant n’a pas été enregistrée, que le requérant n’a pas bénéficié des services d’un avocat et qu’il n’a pas bénéficié d’un examen médical indépendant. Compte tenu du récit détaillé que le requérant a donné des actes de torture qu’il a subis et des documents médicaux qui corroborent ses allégations, le Comité conclut que les faits, tels qu’ils sont rapportés, constituent un acte de torture au sens de l’article premier de la Convention et que l’État partie a manqué à son obligation de prévenir et de sanctionner les actes de torture, en violation du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention.

12.3Le requérant affirme également qu’aucune enquête rapide, impartiale et efficace n’a été conduite au sujet de ses allégations de torture, que les responsables n’ont pas été poursuivis et que lui-même et sa famille ont reçu des menaces et fait l’objet d’actes d’intimidation, en violation des articles 12 et 13 de la Convention. Le Comité note que, bien que le requérant ait signalé les actes de torture plusieurs jours après les événements, l’enquête préliminaire n’a été ouverte qu’un mois après, ce qui a abouti au refus d’ouvrir une enquête pénale. Par la suite, après les appels interjetés par le requérant, l’enquête a été plusieurs fois rouverte et refermée par divers organes chargés de la procédure et de l’enquête, ce qui a abouti au classement de l’enquête sans que la responsabilité pénale n’ait été attribuée aux policiers, faute de preuve.

12.4Le Comité rappelle qu’en soi une enquête ne suffit pas à démontrer que l’État partie agit en conformité avec les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 12 de la Convention s’il peut être démontré qu’elle n’a pas été conduite avec impartialité. À cet égard, le Comité fait observer que l’enquête a été confiée au poste de police (Département des affaires intérieures du district Sud) où les actes de torture allégués avaient été commis, puis à l’organe qui lui est hiérarchiquement supérieur (le Département de la sécurité intérieure du Département régional des affaires intérieures). Le Comité rappelle avec préoccupation que l’examen préliminaire des allégations et des plaintes faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements imputés à des policiers est effectué par le Département de la sécurité intérieure, qui relève de la même chaîne de commandement que les forces de police ordinaires, et que cet examen ne constitue donc pas une enquête impartiale.

12.5En vertu de l’article 12, l’enquête doit être immédiate, impartiale et efficace, la rapidité étant essentielle autant pour éviter que la victime continue de subir les actes prohibés que parce que, à moins que les tortures n’entraînent des effets permanents et graves, d’une façon générale, selon les méthodes employées, les marques physiques de la torture et, à plus forte raison, des traitements cruels, inhumains ou dégradants, disparaissent à brève échéance. Le Comité constate qu’une enquête préliminaire a été ouverte un mois après le signalement des faits de torture, l’examen médical du requérant n’ayant pas été effectué avant le 23 avril 2007, soit trois semaines après sa sortie de l’hôpital. L’examen scientifique des vêtements portés par le requérant et par les policiers accusés de torture n’a été pratiqué que le 16 juillet 2007, c’est-à-dire plus de trois mois après les actes de torture allégués, les résultats de cet examen étant compromis puisque les vêtements des policiers avaient été lavés. Le Comité constate également que l’enquête repose lourdement sur le témoignage des policiers qui ont nié leur participation à la torture et accorde peu de poids aux déclarations cohérentes du requérant et aux preuves médicales incontestées décrivant les blessures infligées au requérant. De plus, bien qu’au cours de l’enquête reprise en décembre 2010 le requérant ait confirmé de nouveau ses allégations pendant les nombreux interrogatoires et malgré le fait que le bureau du Procureur général ait conclu dans sa décision du 6 décembre 2010 que les allégations étaient étayées et corroborées par des preuves médicales et par les dépositions des témoins, l’enquête a été close en février 2011 sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre les auteurs ou que le moindre recours ait été offert au requérant.

12.6Le Comité prend également note des allégations du requérant qui affirme que, lors de l’enquête menée en 2007, lui et sa famille avaient subi des menaces et qu’on avait tenté de le soudoyer pour qu’il retire sa plainte, et que l’enquête reprise en 2010-2011 était également entachée de stratégies d’intimidation, telles que la conduite d’une évaluation psychiatrique contre son gré et l’exercice de pressions sur sa famille pour le persuader de retirer sa plainte. L’État partie n’a pas fourni la moindre information au sujet de ces allégations, se contentant de nier toute pression ou tout acte d’intimidation contre le requérant. Le Comité note que le requérant a signalé les actes d’intimidation au bureau du Procureur régional en juin 2007 et qu’en fin de compte aucune action n’a été menée pour donner suite à ces plaintes. Il note également que ces allégations sont cohérentes avec les conclusions du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants quant à l’intimidation systématique des personnes qui déposent plainte au Kazakhstan. À la lumière de l’évaluation psychiatrique menée contre la volonté du requérant lors de la reprise de l’enquête, de la pression exercée sur sa famille pour qu’elle le persuade de retirer ses plaintes, ainsi que des actes d’intimidation commis en 2007, le Comité considère que les lettres de février 2011 par lesquelles le requérant a refusé les services de son avocat, puis a refusé de témoigner de nouveau, s’est rétracté et a déclaré qu’il n’avait aucun grief contre la police, ne peuvent pas être considérées comme un consentement libre et volontaire, donné en l’absence de tout acte d’intimidation et de toute contrainte.

12.7À la lumière des conclusions ci-dessus et d’après les pièces versées au dossier, le Comité conclut que l’État partie n’a pas respecté l’obligation qui lui incombe de procéder immédiatement à une enquête impartiale et efficace en cas d’allégations faisant état d’actes de torture et de prendre des mesures pour faire en sorte que le requérant et sa famille, tout comme les principaux témoins, soient protégés contre l’intimidation dont ils pourraient faire l’objet en raison de leur plainte et de leur déposition au cours de l’enquête, en violation des articles 12 et 13 de la Convention.

12.8Pour ce qui est de la violation alléguée de l’article 14 de la Convention, le Comité fait observer qu’il est incontesté que l’absence de procédure pénale a privé le requérant de la possibilité d’engager une action civile en réparation étant donné que, en vertu du droit interne, le droit à réparation en cas d’acte de torture prend effet uniquement après la condamnation des responsables par un tribunal pénal. Le Comité rappelle à cet égard que l’article 14 de la Convention reconnaît non seulement le droit d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate, mais impose aussi aux États parties l’obligation de veiller à ce que la victime d’un acte de torture obtienne réparation. Le Comité considère que la réparation doit couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime, et englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation, la réadaptation de la victime ainsi que des mesures propres à garantir la non-répétition des violations, en tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire. Le Comité considère toutefois que, même si une enquête pénale permet de recueillir des preuves, ce qui est dans l’intérêt des victimes, l’ouverture d’une action civile en réparation ne doit pas être subordonnée à l’achèvement de l’action pénale. Il considère qu’il ne faut pas attendre que la responsabilité pénale ait été établie pour indemniser la victime. L’action civile devrait être ouverte indépendamment de l’action pénale, et la législation et les institutions nécessaires à cette procédure civile devraient être mises en place. Si la législation interne impose qu’une action pénale ait lieu avant qu’une action en dommages-intérêts puisse être engagée au civil, l’absence d’action pénale ou la longueur excessive de la procédure pénale peuvent constituer un manquement aux obligations qui incombent à l’État partie en vertu de la Convention. Le Comité souligne qu’une réparation qui serait limitée seulement à des recours administratifs ou disciplinaires, sans possibilité de recours judiciaire effectif, ne peut pas être considérée comme suffisante et effective dans le contexte de l’article 14. Compte tenu des informations dont il est saisi, le Comité conclut que l’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 14 de la Convention.

12.9Le Comité réaffirme que, dans le cadre de la procédure de communication individuelle prévue à l’article 22, l’État partie est tenu de coopérer avec le Comité en toute bonne foi et de s’abstenir de tout acte d’intimidation ou de représailles contre les requérants, leur famille et/ou leurs conseils, exercé du fait du dépôt d’une requête devant le Comité. Par de tels actes on entend notamment, mais pas exclusivement, toutes formes de menaces directes ou indirectes, la coercition, ou autres actes déplacés visant à dissuader ou à décourager des requérants déclarés ou potentiels de soumettre leur plainte ou à faire pression sur eux pour qu’ils retirent ou modifient leur plainte. Toute immixtion de ce type rendrait vain le droit des particuliers de soumettre des communications en vertu de l’article 22.

12.10Le Comité constate que, avant de signer la lettre de retrait datée du 18 février 2011, le requérant avait signé plusieurs autres lettres par lesquelles il refusait l’assistance de son avocat, se rétractait et refusait de témoigner de nouveau. Par la suite, les seuls griefs restant contre la police étaient ceux dont est saisi le Comité. Le Comité fait observer que la lettre de retrait légalisée a été adressée au Comité accompagnée d’une copie au Ministère des affaires étrangères, avec une traduction du russe vers l’anglais. Le Comité prend note de la pression exercée sur le requérant et sur sa famille au niveau national, ainsi que des arguments avancés par les conseils du requérant au sujet des circonstances dans lesquelles la lettre légalisée a été produite et, renvoyant à ses conclusions selon lesquelles les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 13 de la Convention, conclut que l’immixtion de l’État partie dans le droit du requérant de soumettre des communications constitue également une violation de l’article 22 de la Convention.

13.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article premier, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, et des articles 12, 13, 14 et 22 de la Convention.

14.Le Comité exhorte l’État partie à mener une enquête en bonne et due forme, impartiale et efficace en vue de traduire en justice les responsables du traitement infligé au requérant, et à prendre des mesures efficaces pour assurer la protection du requérant et de sa famille contre toutes formes de menace et d’intimidation, pour fournir au requérant une réparation complète et adéquate pour les souffrances infligées, y compris une indemnisation et des moyens de réadaptation, et pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent. Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour y donner suite.

Communication no 444/2010: Abdussamatov et consorts c. Kazakhstan

Présentée par:

Toirjon Abdussamatov et 28 autres requérants (représentés par un conseil, Mme Christine Laroque, ACAT-France)

Au nom de:

Toirjon Abdussamatov et consorts

État partie:

Kazakhstan

Date de la requête:

24 décembre 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 1er juin 2012,

Ayant achevé l’examen de la requête no 444/2010 présentée par Mme Christine Laroque au nom de Toirjon Abdussamatov et de 28 autres requérants en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Les requérants sont 27 personnes de nationalité ouzbèke et 2 personnes de nationalité tadjike: Toirjon Abdussamatov, Faizullohon Akbarov, Shodiev Akmaljon, Suhrob Bazarov, Ahmad Boltaev, Shuhrat Botirov, Mukhitdin Gulamov, Shukhrat Holboev, Saidakbar Jalolhonov, Abror Kasimov, Olimjon Kholturaev, Sarvar Khurramov, Oybek Kuldashev, Kobiljon Kurbanov, Bahriddin Nurillaev, Bahtiyor Nurillaev, Ulugbek Ostonov, Otabek Sharipov, Tursunboy Sulaimonov, Abduazimhuja Yakubov, Uktam Rakhmatov, Alisher Khoshimov, Oybek Pulatov, Maruf Yuldoshev, Isobek Pardaev, Ravshan Tuarev, Dilbek Karimov, Sirojiddin Talipov et Fayziddin Umarov. Les requérants affirment que leur extradition vers l’Ouzbékistan constituerait une violation par le Kazakhstan de l’article 3 de la Convention contre la torture. Ils sont représentés par un conseil, Mme Christine Laroque, de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-France).

1.2Conformément à l’article 114 (ancien art. 108) du Règlement intérieur du Comité, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a demandé à l’État partie, le 24 décembre 2010, le 31 décembre 2010 et le 21 janvier 2011, de ne pas extrader les requérants vers l’Ouzbékistan tant que leur requête serait à l’examen. La demande de mesures provisoires a été renouvelée le 6 mai 2011 et le 9 juin 2011. Les requérants ont néanmoins été extradés vers l’Ouzbékistan le 29 juin 2011.

1.3Le 15 novembre 2011, à sa quarante-septième session, le Comité a décidé qu’en passant outre la demande faite par le Comité en application de l’article 114 de son règlement intérieur, l’État partie avait manqué à son obligation de coopérer de bonne foi en vertu de l’article 22 de la Convention et que la communication était recevable dans la mesure où elle soulevait des questions concernant l’article 3 de la Convention. Le Comité a fait droit à la demande d’être entendu de l’État partie et a décidé par conséquent d’inviter des représentants de l’État partie ainsi que le conseil des requérants à une audition au sujet du fond de la communication, qui aurait lieu à la quarante-huitième session du Comité, en mai 2012.

1.4Le 1er juin 2012, le Comité a décidé de rendre publique sa décision sur la recevabilité datée du 15 novembre 2011. La présente décision ne contient qu’un résumé des faits exposés par les requérants, de la teneur de la plainte et des observations des parties sur le fond. Pour les commentaires des parties sur la recevabilité et la décision du Comité, on se reportera à la communication no 444/2010, Abdussamatov et consorts c. Kazakhstan, décision concernant la recevabilité adoptée le 15 novembre 2011.

Résumé des faits présentés par les requérants

2.1Les requérants sont des musulmans qui ont quitté l’Ouzbékistan par crainte d’être persécutés pour la pratique de leur religion. Douze requérants ont été reconnus par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) comme réfugiés relevant de son mandat entre 2005 et mars 2010. En janvier 2010 est entrée en vigueur au Kazakhstan une nouvelle loi sur les réfugiés, qui oblige tous les demandeurs d’asile, ainsi que les réfugiés sous mandat reconnus par le HCR, à s’enregistrer auprès des autorités kazakhes, et non plus auprès du HCR. Les requérants se sont dûment fait enregistrer auprès de la police de l’immigration en mai 2010.

2.2Entre le 9 et le 11 juin 2010, les requérants ont été appréhendés par la police de l’immigration kazakhe et par des agents en civil dont on pense qu’ils appartenaient au Comité de la sécurité nationale (KNB). Aucun mandat d’arrêt n’a été produit au moment de leur arrestation, mais certains des requérants s’en sont vu présenter un par la suite. En mai 2010, le Comité central chargé de la détermination du statut de réfugié a mené des entretiens avec les requérants sans que ceux-ci soient assistés d’un avocat ou d’un traducteur. Les 11 et 27 août 2010, il a rejeté les demandes d’asile des requérants, sans tenir compte du statut de réfugié sous mandat du HCR dont 12 d’entre eux bénéficiaient précédemment. L’énoncé des décisions indiquait simplement que les intéressés ne remplissaient pas les conditions requises pour obtenir le statut de réfugié, sans fournir d’autre explication.

2.3Le 8 septembre 2010, le bureau du Procureur d’Almaty a annoncé que, comme suite à une demande des autorités ouzbèkes, et conformément à l’accord bilatéral du 22 janvier 1993 (Convention de la Communauté d’États indépendants (CEI) sur l’entraide judiciaire et les relations judiciaires en matière civile, familiale et pénale (Convention de Minsk)) et à la Convention de Shanghai de 2001, les requérants seraient extradés vers l’Ouzbékistan pour appartenance à des «organisations illégales» et «tentatives de renversement de l’ordre constitutionnel» en Ouzbékistan. Toutefois, les requérants n’ont pas reçu copie de l’arrêté d’extradition ni aucune autre notification écrite.

2.4Le 6 décembre 2010, le tribunal no 2 du district d’Almalinsk, à Almaty, a décidé d’examiner conjointement les recours formés par les requérants contre les décisions du Comité central de détermination du statut de réfugié.

Résumé de la teneur de la plainte

3.1Les requérants renvoient aux observations finales du Comité des droits de l’homme concernant l’Ouzbékistan, dans lesquelles le Comité s’est dit préoccupé par les limitations et restrictions imposées à la liberté de religion et de conviction et par l’application de la loi pénale pour sanctionner l’exercice apparemment pacifique de la liberté religieuse, y compris pour les membres de groupes religieux non enregistrés, ainsi que par la persistance des informations faisant état d’inculpations et de peines d’emprisonnement prononcées contre ces personnes. Ils se réfèrent aussi à un rapport de Human Rights Watch indiquant que les autorités ouzbèkes s’en prennent aux musulmans et aux adeptes d’autres religions qui pratiquent leur foi en dehors des structures officielles ou appartiennent à des organisations religieuses non enregistrées, et les jettent en prison.

3.2Les requérants font également observer qu’il existe une abondante documentation sur le bilan de l’Ouzbékistan en matière de torture et de mauvais traitements et qu’en 2010, le Comité des droits de l’homme a constaté avec préoccupation qu’il continuait d’être fait état de cas de torture et de mauvais traitements. ACAT-France, conseil des requérants, qui suit de près les dossiers de dizaines de victimes de torture, note que l’usage de la torture reste systématique en Ouzbékistan et que les musulmans pratiquant leur foi hors du cadre contrôlé par l’État sont particulièrement la cible de tortures et d’autres formes de mauvais traitements en détention.

Résumé des observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 24 juin 2011, l’État partie a soumis ses observations sur le fond et informé le Comité que 19 des requérants avaient été extradés. Il a rappelé que, du 9 juin au 14 décembre 2010, 19 étrangers contre lesquels un mandat d’arrêt pour crimes graves avait été décerné en Ouzbékistan avaient été arrêtés. Quatre d’entre eux étaient des demandeurs d’asile et 15 avaient obtenu du HCR le statut de réfugié. Depuis le 1er janvier 2010, les questions relatives à l’asile et aux réfugiés sont régies par la nouvelle loi sur les réfugiés, ce qui a entraîné le retrait du statut de réfugié reconnu par le HCR aux requérants qui en bénéficiaient précédemment. Une commission spéciale relevant du Ministère du travail et des affaires sociales (du Ministère de l’intérieur depuis le 30 septembre 2010) a examiné la question du statut des 19 requérants. Un expert du siège du HCR à Genève a participé à l’examen des dossiers et a pu assister à toutes les réunions et consulter toute la documentation. La commission a également examiné les documents communiqués par l’Ouzbékistan. La commission a rejeté les demandes d’asile et retiré ou refusé aux 19 requérants le statut de réfugié. Du 10 au 29 décembre 2010, le tribunal no 2 du district d’Almalinsk, à Almaty, a examiné les requêtes déposées par les requérants et confirmé la décision de rejet du statut de réfugié rendue par la commission. Dans le cadre d’audiences tenues du 2 février au 29 mars 2011, le tribunal de la ville d’Almaty a rejeté les recours formés par les requérants. Les pourvois en cassation de 28 requérants ont été rejetés et la décision de la commission est devenue définitive. Les requérants ont également engagé une procédure au titre de l’article 531-1 du Code de procédure pénale contre la décision du Procureur général de les extrader vers l’Ouzbékistan. Le 15 mars 2011, le tribunal no 2 du district d’Almalinsk les a déboutés. Le tribunal de la ville d’Almaty a également rejeté leur recours, et la décision du Procureur général de les extrader est devenue définitive.

4.2L’État partie fait valoir que pendant toute la durée des procédures judiciaires, un contrôle a été exercé par un représentant du HCR et un membre du Bureau des droits de l’homme de l’État partie. Aucun grief n’a été formulé devant la commission au sujet de la procédure, laquelle s’est déroulée dans la transparence, l’impartialité et le respect des normes internationales, y compris les prescriptions de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. Les demandes de statut de réfugié déposées par les requérants ont été examinées conformément aux dispositions de la loi sur les réfugiés, et les requérants ont formé des recours contre la décision négative à tous les niveaux d’instance. Leur représentation a été assurée à tous les niveaux de juridiction. La décision de la commission chargée des migrations était fondée sur le fait que les requérants constitueraient une menace pour l’État partie et pouvaient porter gravement atteinte à la sécurité d’autres pays. Les requérants n’ont pas obtenu le statut de réfugié, en application des dispositions de l’alinéa c de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. L’État partie fait valoir en outre que l’Ouzbékistan est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture; par conséquent, l’enquête pénale visant les requérants sera menée conformément à la législation nationale ouzbèke et dans le respect des obligations internationales de l’État ouzbek.

4.3Les requérants ont été extradés en application de la Convention de Minsk. Les autorités ouzbèkes ont donné l’assurance qu’elles respecteraient les droits et libertés des requérants et que ceux-ci ne seraient pas soumis à la torture ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’État partie estime par conséquent que la présente communication est dénuée de fondement.

Résumé des commentaires des requérants sur les observationsde l’État partie sur le fond

5.1Dans une note datée du 5 août 2011, le conseil des requérants relève tout d’abord que l’État partie ne fait référence qu’à 19 des 29 requérants. Elle répète par ailleurs que, pour elle, les recours ouverts aux requérants dans le cadre de la procédure d’asile n’étaient pas effectifs. Le conseil note que, selon l’État partie, les demandes d’asile des requérants ont été rejetées sur la base de l’article 12 de la loi sur les réfugiés, qui prévoit que le statut de réfugié n’est pas accordé s’il existe des doutes sérieux sur le point de savoir si le demandeur d’asile a appartenu ou appartient à une organisation religieuse interdite. Cette disposition de la loi a été critiquée comme étant contraire au droit international des réfugiés.

5.2Le conseil ajoute qu’après leur renvoi en Ouzbékistan, les requérants ont été détenus au secret. L’État partie les a extradés le 9 juin 2011, au mépris de la demande de mesures provisoires de protection formulée par le Comité, tout en sachant que les requérants risquaient d’être soumis à la torture en cas de renvoi et en s’appuyant entièrement sur les «assurances diplomatiques non fiables» que l’Ouzbékistan lui aurait données. L’État partie a reconnu officiellement le renvoi de 28 individus; le conseil lui demande de préciser où se trouve la personne restante et quelle est sa situation.

5.3Le conseil note que la mesure d’extradition des requérants était fondée sur la Convention de Minsk. Toutefois, cet instrument ne se réfère pas à l’obligation de non-refoulement qui incombe à l’État partie au titre de la Convention contre la torture, et ses dispositions ne dispensent pas l’État partie de l’obligation qui lui est faite de ne pas renvoyer une personne dans un État où elle risque d’être soumise à la torture.

5.4Le conseil affirme en outre que l’État partie savait qu’il existait un risque pour les requérants d’être soumis à la torture en Ouzbékistan. Elle relève que plusieurs rapports concernant la pratique généralisée de la torture en Ouzbékistan ont été rendus publics par des organes des Nations Unies et des organisations non gouvernementales (ONG) internationales et nationales. Dans leurs demandes d’asile, les requérants ont fourni des détails quant au risque de torture auquel ils seraient personnellement exposés en Ouzbékistan; plusieurs ont également évoqué les tortures qu’ils avaient subies antérieurement dans ce pays. Tous les requérants sont accusés de crimes graves en Ouzbékistan, tels que l’appartenance à un mouvement religieux interdit, et tous font ainsi partie d’un groupe systématiquement exposé aux mauvais traitements. Par ailleurs, un grand nombre d’entre eux avaient été précédemment reconnus comme réfugiés par le HCR au Kazakhstan, avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les réfugiés.

5.5Enfin, à propos des assurances diplomatiques, le conseil fait remarquer que dans ses observations finales de juillet 2011 concernant le Kazakhstan, le Comité des droits de l’homme a expressément appelé l’État partie à faire preuve de la plus grande circonspection dans le recours aux assurances diplomatiques quand il envisage de renvoyer des étrangers dans des pays où ils risquent d’être soumis à la torture ou de subir des violations graves des droits de l’homme. En l’occurrence, il n’existe pas de mécanisme de suivi approprié permettant de surveiller la situation des requérants en Ouzbékistan, et il n’est pas possible de communiquer avec ces derniers.

Résumé du complément d’information fourni par l’État partie

6.1Le 23 septembre 2011, l’État partie a réaffirmé que toutes les procédures de traitement des demandes d’asile des requérants par la Commission chargée des migrations étaient légales, et que la décision des autorités de ne pas accorder l’asile aux requérants était fondée et légale. La Commission chargée des migrations a obtenu copie de tous les documents relatifs à l’extradition reçus des autorités ouzbèkes.

6.2Tous les refus de demande d’asile des requérants ainsi que toutes les décisions d’extradition des requérants vers l’Ouzbékistan ont été examinés et confirmés par une instance judiciaire, y compris en appel. Toutes les procédures ont eu lieu dans la transparence et l’impartialité. Tous les requérants se sont vu proposer les services d’avocats, à tous les stades du procès, y compris pour la représentation de leurs intérêts en appel.

6.3L’État partie souligne que les décisions de la Commission chargée des migrations étaient fondées sur l’existence d’informations fiables et vérifiées tendant à indiquer que la présence des requérants au Kazakhstan constituait une menace pour l’État partie et pouvait également causer un préjudice irréparable à la sécurité d’autres pays. L’alinéa c de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 prévoit que les dispositions de la Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser «qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies». Conformément à l’article 12 de la loi sur les réfugiés, le statut de réfugié ne peut être accordé à une personne dont on a de sérieux motifs de croire qu’elle participe ou a participé aux activités d’organisations religieuses interdites. En conséquence, après avoir étudié les pièces du dossier, le HCR a décidé d’annuler les certificats de réfugié qu’il avait délivrés précédemment à plusieurs des requérants.

6.4En ce qui concerne la situation des requérants en Ouzbékistan, l’État partie rappelle que l’Ouzbékistan est partie aux instruments internationaux fondamentaux relatifs aux droits de l’homme et que les poursuites pénales qui ont lieu sur le territoire ouzbek sont menées conformément à la législation nationale et dans le respect des obligations internationales de l’Ouzbékistan. Les autorités ouzbèkes ont donné des assurances concernant le respect des libertés et droits fondamentaux des requérants et garanti que ceux-ci ne seraient pas soumis à la torture ou à d’autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Réponses complémentaires des requérants sur le fond

7.1Le 29 février 2012, le conseil a fait tenir des renseignements complémentaires sur les raisons qui avaient poussé les requérants à chercher protection au Kazakhstan. Elle indique que, du fait qu’elle n’a pas pu contacter les requérants détenus au Kazakhstan ou en Ouzbékistan à la suite de leur extradition, ces informations sont fondées sur les demandes d’asile des requérants, les recours formés et les requêtes présentées par leurs avocats dans le cadre de la procédure judiciaire engagée devant les tribunaux de l’État partie en 2010 et en 2011 et les décisions rendues par les tribunaux kazakhs. Tous les requérants ont signé une procuration habilitant le conseil à agir dans le cadre de la présente communication.

Toirjon Abdussamatov

7.2En mai 1999, le requérant a adhéré au Mouvement islamique d’Ouzbékistan au Tadjikistan. Au bout d’un mois, il s’est échappé du camp où il se trouvait et s’est rendu à la police en Ouzbékistan. En avril 2000, il a été condamné à vingt ans d’emprisonnement. En février 2005, il a été amnistié; toutefois, la police a menacé de l’arrêter une nouvelle fois s’il refusait d’espionner certains musulmans à la mosquée. En novembre 2005, son frère a été arrêté au Kazakhstan et renvoyé de force, bien qu’il ait présenté une demande d’asile, après quoi la maison de la famille a été placée sous surveillance. En décembre 2005, le requérant est arrivé à Almaty et en juillet 2007, il a été reconnu comme réfugié par le HCR. Après le départ du requérant, son beau-frère a été arrêté et passé à tabac en garde à vue; en outre, les autorités ouzbèkes ont chargé sa mère et son frère de retrouver le requérant et ont exercé des pressions sur eux pour qu’ils le fassent rentrer en Ouzbékistan.

Faizullohon Akbarov

7.3Le 18 juin 2009, le requérant a été arrêté par des agents du Service de la sécurité nationale. Pendant qu’il se trouvait en détention, il a été roué de coups et soumis à la pression psychologique, et on a menacé de l’inculper de terrorisme. Après qu’une ONG locale eut contacté le Ministère de l’intérieur, il a été transféré dans un centre d’accueil pour les sans-abri avant d’être libéré, le 22 juin 2009. Le 24 juin 2009, il a fui l’Ouzbékistan et a demandé l’asile au Kazakhstan, où le HCR l’a reconnu comme réfugié.

Shodiev Akmaljon

7.4Le requérant, de nationalité tadjike, avait travaillé en Ouzbékistan de 2000 à 2003. En 2007, alors qu’il travaillait en Russie, le requérant a reçu un appel téléphonique de son frère l’informant qu’un mandat d’arrêt avait été émis contre lui en Ouzbékistan pour appartenance à une organisation religieuse extrémiste. Il a présenté une demande d’asile en Russie, qui a été rejetée. Le 9 juillet 2009, après son retour au Tadjikistan, il a été arrêté et les services de sécurité ont menacé de l’extrader vers l’Ouzbékistan. Grâce à son réseau de connaissances et en échange d’un pot-de-vin, le beau-père du requérant a pu obtenir sa libération, après quoi l’intéressé s’est enfui au Kazakhstan.

Suhrob Bazarov

7.5Le requérant se rendait régulièrement à la prière à la mosquée. Des agents du Service de la sécurité nationale l’ont interrogé à plusieurs reprises et ont menacé de l’arrêter. Son domicile était régulièrement fouillé par des agents armés. En 2009, un ami l’a invité à une fête où il a rencontré un dénommé Umar. En août 2009, l’ami en question a été arrêté en raison de ses liens avec Umar. Le requérant a également été interrogé par la police. Craignant d’être arrêté, il a quitté l’Ouzbékistan et le HCR l’a reconnu comme réfugié le 26 novembre 2009.

Ahmad Boltaev

7.6Le 2 avril 2000, le requérant a été arrêté lors de la vague massive d’arrestations de musulmans qui a suivi les attentats à la bombe perpétrés à Tachkent en 1999. Il a été roué de coups de matraque pendant qu’il se trouvait en garde à vue et des policiers ont dissimulé de l’héroïne dans ses vêtements et monté de toutes pièces une affaire contre lui. Il a été passé à tabac et torturé pendant vingt-six jours jusqu’à ce qu’il accepte de signer de faux aveux; il a ensuite été transféré au centre de détention avant jugement de Tachkent, où il a de nouveau été torturé. Le 15 mai 2000, il a été condamné à vingt ans d’emprisonnement pour terrorisme, incitation à la haine raciale, religieuse ou ethnique, tentatives de renversement de l’ordre constitutionnel et possession de drogue. En prison, on l’a forcé à courir nu et à faire des exercices physiques éreintants; il a également été régulièrement passé à tabac et interrogé par des agents du Service de la sécurité nationale. Le 27 décembre 2003, en raison de son état de santé critique, il a été libéré de prison avec l’obligation de se présenter deux fois par semaine au Département local du Ministère de l’intérieur; à ces occasions, il a été régulièrement roué de coups. Le 13 septembre 2006, il a été informé du fait que plusieurs membres de sa famille avaient été arrêtés. Le requérant a vécu caché jusqu’à son départ pour le Kirghizistan en novembre 2007. Le 17 mars 2009, il est parti pour Almaty et le HCR l’a reconnu comme réfugié en août 2009.

Shuhrat Botirov

7.7Le requérant, qui se rendait régulièrement à la mosquée pour la prière du vendredi, a été menacé plusieurs fois d’arrestation par les autorités locales En avril 2010, deux de ses amis avec qui il allait habituellement à la prière du vendredi ont été arrêtés par le Service de la sécurité nationale. Ils ont été condamnés respectivement à neuf ans et à vingt ans d’emprisonnement. Le requérant, craignant pour sa vie, a décidé de quitter l’Ouzbékistan. Le 5 avril 2010, il est arrivé au Kazakhstan, où le HCR l’a reconnu comme réfugié.

Mukhitdin Gulamov

7.8En 1999, trois amis du requérant avec qui il allait habituellement à la mosquée ont été arrêtés et son domicile a été fouillé. En 2001, dans le cadre d’une nouvelle vague d’arrestations visant la mosquée qu’il fréquentait, la police a perquisitionné son domicile en son absence. Après cela, le requérant a vécu caché jusqu’en 2004. Lorsqu’il est sorti de la clandestinité, il a été convoqué par le bureau du Procureur et interrogé au sujet de ses fréquentations. Entre 2005 et 2007, plusieurs de ses amis ayant été condamnés, il a de nouveau vécu caché. Au début de 2007, il a quitté l’Ouzbékistan pour le Kazakhstan où le HCR l’a reconnu comme réfugié en mars 2007.

Shukhrat Holboev

7.9En novembre 1999, des amis du requérant ont été arrêtés et forcés à signer des documents indiquant que le requérant militait pour le renversement du régime constitutionnel. En décembre 1999, le requérant a été arrêté et forcé à signer des aveux. En février 2000, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de six ans et demi pour tentatives de renversement de l’ordre constitutionnel et pour possession illégale d’armes, de munitions et d’explosifs. Le 14 janvier 2004, il a été amnistié. En août 2009, plusieurs de ses amis ont été arrêtés. Le 9 octobre 2009, il a fui au Kirghizistan et le 11 janvier 2010, il est arrivé à Almaty où il a demandé l’asile en vertu de la loi kazakhe de 2010 sur les réfugiés.

Saidakbar Jalolhonov

7.10En 1995, plusieurs dirigeants religieux ont été arrêtés et la mosquée à laquelle le requérant avait l’habitude de se rendre a été fermée de force. Il a donc décidé de partir en Russie, où il a poursuivi ses études religieuses et est devenu imam. Il se rendait en Ouzbékistan une fois par an. En 2001, il a appris que son ancien professeur avait été arrêté, que, sous la torture, il avait révélé le nom de tous ses étudiants, notamment celui du requérant, et que le Service de la sécurité nationale s’était rendu chez le requérant à plusieurs reprises pour interroger ses parents à son sujet. Le requérant est immédiatement retourné en Russie. En 2004, il a été convoqué par les Services de sécurité de la Fédération de Russie qui l’ont informé qu’il se trouvait sur la liste noire établie par l’Ouzbékistan. Par la suite, le renouvellement de son permis de travail a été refusé et on lui a conseillé de quitter la Russie, faute de quoi il serait expulsé vers l’Ouzbékistan. Il a déménagé au Kirghizistan puis au Kazakhstan, où le HCR l’a reconnu comme réfugié le 26 août 2009.

Dilbek Karimov

7.11Le requérant travaillait dans une usine à Saint-Pétersbourg. Il a commencé à étudier l’islam. En 2009, il a appris par sa mère que son oncle et plusieurs de ses amis avaient été arrêtés et qu’ils étaient accusés d’appartenir à un groupe religieux extrémiste. Sa mère lui a également dit que le Service de la sécurité nationale s’était rendu à l’appartement de ses parents et que, sous la pression, elle leur avait donné l’adresse du requérant à Saint-Pétersbourg. Le requérant a appris que les autorités ouzbèkes le recherchaient pour appartenance à une organisation religieuse extrémiste. Le 6 janvier 2010, il a demandé l’asile au Kazakhstan. Du 10 au 25 avril 2010, son père a été détenu par le Service ouzbek de la sécurité nationale qui cherchait à exercer une pression sur le requérant pour qu’il rentre en Ouzbékistan.

Abror Kasimov

7.12En juin 2007, le Service de la sécurité nationale a arrêté 55 personnes à Kokand, dont un des amis du requérant qui a été forcé de l’incriminer dans une affaire. Le 10 juillet 2007, le requérant s’est enfui en Russie. En son absence, sa maison a été fouillée et des documents ont été confisqués. En outre sa femme et ses parents ont été régulièrement interrogés. En avril 2009, il est arrivé au Kazakhstan où il a demandé l’asile.

Olimjon Kholturaev

7.13Le requérant étudiait le Coran en arabe depuis 2004. En 2008, un de ses amis a été arrêté et a révélé le nom du requérant. Le 23 novembre 2008, le requérant a commencé à vivre caché. Il a décidé de demander l’asile au Kazakhstan après qu’un autre ami rentré du Royaume-Uni en Ouzbékistan eut été condamné.

Alisher Khoshimov

7.14Le 27 janvier 1998, le requérant a été arrêté; de la drogue avait été dissimulée dans sa poche et il a été inculpé de possession de drogue. Pendant la détention avant jugement, il a été interrogé au sujet d’un imam qu’il connaissait et des personnes qui se faisaient passer pour des détenus l’ont torturé dans sa cellule pour qu’il témoigne que cet imam avait tenté de renverser le régime constitutionnel. Le 26 janvier 2001, il a été libéré. En juin 2009, un membre de sa famille a été interrogé à son sujet; par la suite, cette personne a été condamnée à six ans d’emprisonnement. En septembre 2009, le requérant a fui au Kazakhstan. Pendant son absence, la police est allée chez lui pour essayer de savoir où il se trouvait. Son fils de 17 ans, son frère et son neveu ont été arrêtés; son fils a été condamné à quinze ans d’emprisonnement.

Sarvar Khurramov

7.15Le requérant, qui est issu d’une famille musulmane, a organisé une cérémonie religieuse pour son mariage. Après l’arrestation d’un ami (le même que celui cité par M. Kholturaev, voir plus haut), des agents du Service de la sécurité nationale se sont rendus chez ses parents pour les interroger. En février 2010, le requérant a été reconnu comme réfugié par le HCR au Kazakhstan.

Oybek Kuldashev

7.16Le requérant allait régulièrement à la mosquée de son quartier. En avril 2010, deux de ses amis ont été arrêtés et ils ont par la suite été condamnés à des peines de neuf ans et vingt ans d’emprisonnement, respectivement. Craignant pour sa vie, le requérant a quitté l’Ouzbékistan et, le 8 avril 2010, le HCR l’a reconnu comme réfugié. Il a appris que ses deux frères et un ami proche avaient été arrêtés et interrogés à son sujet pendant son absence. Ils avaient été passés à tabac.

Kobiljon Kurbanov

7.17Après les attentats à la bombe perpétrés à Tachkent en 1999, le requérant a commencé à être harcelé. En 2001, il a été condamné pour la distribution de tracts illégaux que la police avait dissimulés dans son sac. En 2004, il a été arrêté pour la possession illégale d’une arme que la police avait cachée à son domicile. En 2009, il a été illégalement détenu pendant sept jours et roué de coups par la police. Le 26 février 2010, il a demandé l’asile au Kazakhstan.

Bahriddin et Bahtiyor Nurillaev

7.18Plusieurs membres de la famille des requérants ont été arrêtés en raison de leurs pratiques religieuses. Leur frère a été torturé pendant une période de cinq mois et forcé à signer de faux aveux. Quatre de leurs cousins ont également été torturés et forcés à signer des aveux indiquant qu’ils appartenaient à des organisations extrémistes. Les deux frères, craignant de subir le même traitement, ont fui au Kazakhstan où le HCR les a reconnus comme réfugiés en octobre et novembre 2009.

Ulugbek Ostonov

7.19En 1999, le requérant est devenu un musulman pratiquant et il a accueilli un cercle d’étude sur l’islam à son domicile. En mars 2004, après les attentats à la bombe à Tachkent, trois membres du groupe ont été condamnés à des peines de seize et de dix-huit ans d’emprisonnement. Le requérant a été placé sous surveillance, et sa femme a été régulièrement interrogée à son sujet et torturée par des agents du Service de la sécurité nationale. Craignant pour sa sécurité, le requérant est allé en Russie, d’où il s’est rendu au Kazakhstan en octobre 2008. Il a appris que son frère avait été détenu au secret pendant trois mois et torturé et qu’on lui avait dit qu’il serait libéré si le requérant rentrait en Ouzbékistan. Le 13 janvier 2010, le requérant a été reconnu comme réfugié par le HCR au Kazakhstan.

Isobek Pardaev

7.20En 2006, le requérant a commencé à pratiquer l’islam et, en 2009, il s’est marié selon le rituel religieux, à la suite de quoi il a été placé sous surveillance en tant qu’extrémiste potentiel. En avril 2010, deux de ses amis ont été arrêtés à la mosquée qu’il fréquentait. Le requérant est parti pour le Kazakhstan, où il a obtenu le statut de refugié en mai 2010.

Oybek Pulatov

7.21En 2009, des amis du requérant avec qui il allait à la mosquée ont été arrêtés et le domicile ainsi que le magasin du requérant ont été placés sous surveillance. En avril 2010, un de ses amis très proches a été arrêté, puis détenu au secret pendant cinq mois et soumis à de graves tortures. Effrayé par ces arrestations, le requérant a fui au Kazakhstan.

Uktam Rhakhmatov

7.22Le requérant se réunissait avec ses amis deux fois par mois pour étudier le Coran. En 2008, il a appris que son nom figurait sur la liste des personnes considérées comme suspectes. En 2009, après l’arrestation de plusieurs de ses amis, il a été approché par le Service de la sécurité nationale à plusieurs reprises. Après son départ pour le Kazakhstan le 5 avril 2010, ses parents ont été informés qu’il était recherché par la police.

Otabek Sharipov

7.23Le 7 juin 2000, le requérant a été soumis à un interrogatoire; il a été roué de coups de pied et de coups de poing et on a voulu lui faire avouer qu’il appartenait à un groupe religieux extrémiste, ce qu’il a refusé de faire. Pendant vingt jours, il a été soumis à de graves tortures et on lui a demandé de signer des aveux, ce qu’il a fini par faire. Le 11 décembre 2000, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de neuf ans. Le 15 janvier 2003, après avoir été régulièrement torturé en détention, il a bénéficié d’une amnistie. En 2007, le requérant est parti travailler à Saint-Pétersbourg et il est rentré en Ouzbékistan en décembre 2007. En février 2008, plusieurs de ses collègues qui étaient retournés en Ouzbékistan ont été arrêtés. Le 21 août 2009, il est arrivé au Kazakhstan.

Tursunboy Sulaimonov

7.24Le requérant est un musulman de nationalité tadjike. Le 29 mars 2004, le jour des attentats à la bombe à Tachkent, ses trois beaux-frères ont été arrêtés. Quatre jours plus tard, 12 policiers se sont rendus chez lui. Sa femme a réussi à le prévenir et il a fui au Tadjikistan. Quelques jours plus tard, il a été arrêté par les autorités tadjikes qui l’accusaient d’avoir participé aux attentats à la bombe qui avaient été perpétrés en mars à Tachkent et de faire du trafic d’armes. Il a été torturé pendant trois jours, mais il a ensuite été relâché en échange d’un important pot-de-vin. En septembre 2004, un procès a été engagé contre 33 personnes, dont le requérant. Il a été présenté comme le chef de l’organisation extrémiste responsable des attentats de Tachkent et les autorités ouzbèkes ont émis un mandat d’arrêt international contre lui. Le 6 mars 2009, après avoir vécu caché au Tadjikistan et au Kirghizistan, le requérant est arrivé au Kazakhstan.

Sirojiddin Talipov

7.25Le requérant allait régulièrement à la prière. En 2007, il est parti travailler en Russie. Lors de l’une de ses visites en Ouzbékistan, il a appris que sa maison était surveillée et qu’un grand nombre de ses amis avaient été arrêtés. En 2010, sa famille lui a dit de ne pas rentrer en Ouzbékistan car il y serait arrêté. Il est donc allé au Kazakhstan où il a demandé l’asile.

Abduazimhuja Yakubov

7.26Un collègue du requérant qui avait été placé sous la surveillance du Service de la sécurité nationale a par la suite été assassiné. En 2009, le requérant et tous les autres membres de sa famille de sexe masculin ont été convoqués par le Service de la sécurité nationale. Le 28 janvier 2010, le requérant est arrivé au Kazakhstan. Il a appris que sa sœur et son neveu avaient été condamnés respectivement à neuf ans et à dix-sept ans d’emprisonnement et qu’il était accusé d’appartenir à un groupe religieux extrémiste qui aurait été fondé par son beau-père, qui a par la suite été tué par la police.

Maruf Yuldoshev

7.27En 2009, le requérant a commencé à aller à la mosquée. En avril 2010, l’un de ses amis a été arrêté et un autre de ses amis l’a informé qu’il risquait d’être arrêté et torturé. Il a fui l’Ouzbékistan et est arrivé au Kazakhstan le 5 avril 2010.

7.28Le conseil indique qu’elle ne dispose d’aucune information concernant Ravshan Turaev et Fayziddin Umarov car elle n’a pas pu contacter les requérants, détenus au Kazakhstan ou en Ouzbékistan à la suite de leur extradition.

Observations complémentaires de l’État partie sur le fond

8.1Le 30 avril 2012, l’État partie a soumis d’autres observations concernant l’extradition des 29 requérants. Il indique que, de juin à décembre 2010, les requérants ont été extradés vers l’Ouzbékistan, où ils étaient accusés de terrorisme, de création d’organisations religieuses, extrémistes, séparatistes, fondamentalistes et autres organisations interdites ou d’appartenance à de telles organisations, ainsi que de meurtre, d’appartenance à des organisations criminelles et d’autres infractions. La décision d’extradition a été prise conformément aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et compte tenu de la gravité des accusations, afin d’empêcher que les personnes concernées ne prennent la fuite et de garantir la sécurité publique sur le territoire de l’État partie.

8.2L’État partie renvoie à ses précédentes réponses sur la légalité de la décision d’extradition et les allégations des requérants concernant des mauvais traitements et des actes de torture qui auraient été commis par les autorités de l’État partie. Il rappelle avoir reçu l’assurance écrite du bureau du Procureur général de l’Ouzbékistan que les droits et libertés des requérants seraient respectés après leur extradition et que ces derniers ne seraient pas soumis à la torture ou à des mauvais traitements. Les autorités ouzbèkes avaient également assuré le Comité que des organisations internationales telles que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et un certain nombre d’organisations internationales actives dans le domaine des droits de l’homme avaient librement accès aux centres de détention pour contrôler les conditions de détention et s’entretenir avec les détenus.

8.3L’État partie explique que, les décisions prises par les autorités au sujet des griefs des requérants concernant leur extradition et leur statut de réfugié étant devenues définitives, le maintien en détention des requérants n’était pas fondé en droit mais que, par ailleurs, leur remise en liberté n’était pas possible car ils constituaient une menace pour la sécurité et les intérêts publics du Kazakhstan.

8.4L’État partie rappelle que l’Ouzbékistan est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture. Les procédures pénales engagées contre les requérants sont donc pleinement conformes à la législation nationale et aux obligations internationales de l’Ouzbékistan. Conformément à la Convention de Minsk, l’État partie a obtenu des renseignements sur les procédures pénales engagées contre 26 requérants, qui n’ont été condamnés que pour des crimes dont il est fait mention dans la demande d’extradition. Aucun d’eux n’a été condamné à la peine capitale ni à la réclusion à perpétuité.

8.5L’État partie indique que M. Rakhmatov a été condamné à trois ans de rééducation par le travail. MM. Oybek Pulatov et Maruf Yuldoshev ont été condamnés à des peines analogues, sans emprisonnement. La procédure pénale visant M. Jalolhonov a été close en application d’une loi d’amnistie. M. Abdussamatov a été condamné à douze ans d’emprisonnement le 26 septembre 2011 pour tentatives d’atteinte à l’ordre constitutionnel. L’État partie explique qu’il sera informé par l’Ouzbékistan de l’issue de toutes les procédures pénales engagées contre les requérants. Enfin, il fait valoir que le personnel de son ambassade s’est entretenu avec les autorités ouzbèkes au sujet des conditions de détention des requérants et de leurs allégations de torture et de mauvais traitements, et qu’il fournira d’autres précisions à ce sujet.

Audition des parties

9.1Le 8 mai 2012, à la demande de l’État partie, le Comité a entendu les deux parties. L’État partie a expliqué que la décision d’extrader les requérants était fondée sur un certain nombre d’éléments. Premièrement, conformément à l’article 534 du Code de procédure pénale, la durée maximale d’emprisonnement d’une personne faisant l’objet d’une demande d’extradition est d’un an et, dans le cas des requérants, ce délai était dépassé; deuxièmement, rien ne justifiait en droit de les remettre en liberté ou de leur accorder le statut de réfugié au Kazakhstan, et il semblait impossible de les réinstaller dans un pays tiers; troisièmement, d’après les informations fournies par des partenaires à l’étranger, les requérants étaient impliqués dans l’établissement d’un réseau d’organisations terroristes internationales, dont deux sont interdites dans l’État partie et figurent sur la liste du Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité de l’ONU.

9.2L’État partie a en outre fait observer que le HCR avait retiré leur statut de réfugié aux requérants après avoir fait examiner leurs dossiers par ses experts pendant deux mois. L’État partie ne pouvait pas tolérer l’infiltration de groupes extrémistes religieux d’Asie centrale dans d’autres pays et avait pris la décision délibérée de ne pas respecter la demande de mesures provisoires du Comité afin de protéger ses citoyens et ceux d’autres pays.

9.3En ce qui concerne les procédures pénales engagées contre les requérants en Ouzbékistan et l’état de santé de ces derniers, l’État partie a expliqué que, d’après les informations fournies par le Procureur général de l’Ouzbékistan le 5 mai 2012, 25 requérants avaient été reconnus coupables et condamnés; trois d’entre eux avaient été condamnés à des peines de trois ans de rééducation par le travail et avaient été remis en liberté après le procès. Un requérant avait été amnistié. D’après l’État partie, rien ne porte à croire que les requérants seraient soumis à la torture ou à d’autres traitements inhumains ou dégradants en Ouzbékistan. Selon les autorités ouzbèkes, les requérants sont détenus dans des conditions satisfaisantes et ne sont pas soumis à la torture. L’État partie a fait observer que, chaque année, quelque 10 000 migrants clandestins provenant d’Ouzbékistan entraient sur son territoire et que 5 000 d’entre eux étaient renvoyés. L’État partie coopère avec l’Ouzbékistan et extrade chaque année une quarantaine d’individus impliqués dans des procédures pénales. Depuis 2007, le HCR a réinstallé 215 ressortissants ouzbeks dans des pays tiers.

9.4Répondant aux questions des membres du Comité, l’État partie a indiqué qu’en vertu de l’article 18 de la loi sur les réfugiés et de l’article 532 du Code de procédure pénale, nul ne peut être renvoyé vers un pays tiers si sa vie ou sa liberté est menacée et s’il risque d’être soumis à la torture. S’agissant de la régularité de la procédure dont les requérants avaient fait l’objet au Kazakhstan, l’État partie a rappelé ses observations écrites et a indiqué que les pièces documentaires montraient que des avocats et des interprètes avaient pris part à la procédure et qu’aucune plainte n’avait été déposée par les requérants, leurs avocats, les représentants du HCR ou le Bureau des droits de l’homme de l’État partie. En ce qui concerne les procédures en Ouzbékistan, l’État partie a indiqué que tous les requérants étaient défendus par des avocats de leur choix et qu’aucune allégation de torture n’avait été formulée.

9.5En ce qui concerne la situation en Ouzbékistan et les risques encourus par les requérants, l’État partie a fait observer que les autorités kazakhes collaboraient avec leurs homologues ouzbeks pour recevoir l’assurance qu’aucun des requérants ne serait soumis à la torture et que des organisations internationales seraient autorisées à leur rendre visite. En cas de non-respect de ces garanties, l’État partie se réservait le droit de réexaminer sa coopération avec l’Ouzbékistan. L’État partie a aussi indiqué qu’il avait connaissance des rapports d’ONG internationales sur les droits de l’homme en Ouzbékistan, des rapports des rapporteurs spéciaux de l’ONU et des résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies. Il a évoqué d’autres rapports selon lesquels la situation des droits de l’homme s’était améliorée en Ouzbékistan. Il a par ailleurs indiqué que M. Yakubov avait été condamné à dix-huit ans d’emprisonnement et M. Boltaev à douze, et non à trente comme les médias l’avaient affirmé.

9.6Pour ce qui est de savoir si les requérants figurent nommément sur la liste du Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité de l’ONU, l’État partie a indiqué que les deux organisations dont il avait parlé figuraient sur la liste. L’une d’elles compte environ 5 000 membres et tous les noms ne peuvent pas figurer sur la liste.

9.7L’État partie a en outre expliqué qu’il assurait un suivi régulier de la situation des requérants et qu’il avait été informé que ceux-ci n’avaient pas été soumis à la torture à leur retour en Ouzbékistan.

9.8L’État partie a confirmé qu’il avait adopté une loi contre le terrorisme mais qu’il avait décidé d’extrader les requérants parce qu’ils représentaient une menace pour la sécurité nationale et la sécurité de la région ou d’autres pays.

9.9Interrogé sur ce qu’il était advenu des requérants, l’État partie a indiqué que quatre d’entre eux avaient été remis en liberté et que les autres étaient soit en prison, soit dans un lieu de détention avant jugement.

10.1Le conseil des requérants a indiqué que l’État partie n’avait pas expliqué pourquoi il n’avait pas respecté la demande de mesures provisoires, ce qui constituait une violation de l’article 22 de la Convention, induisant une inversion de la charge de la preuve au détriment de l’État partie, qui devait justifier l’extradition des requérants.

10.2Le conseil a fait observer qu’avant l’extradition des requérants, l’État partie disposait de nombreuses informations concernant le risque considérable que les requérants couraient d’être torturés à leur retour en Ouzbékistan. Le bilan de ce pays en matière de torture est catastrophique, comme il ressort clairement des documents d’ONG internationales telles que Human Rights Watch, des rapports du Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, des observations finales du Comité des droits de l’homme de 2010 concernant l’Ouzbékistan et des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la Russie. Il est notoire que la torture est couramment ou systématiquement pratiquée contre les détenus en Ouzbékistan et que les personnes détenues pour des motifs religieux ou liés au terrorisme risquent encore plus d’en être victimes. Le conseil a rappelé que les requérants étaient tous de fervents pratiquants de l’islam et qu’ils avaient été inculpés sur la base de l’article 244 du Code pénal ouzbek («publication, conservation et distribution de matériels incitant à l’extrémisme religieux» et «appartenance à une organisation religieuse extrémiste, séparatiste ou fondamentaliste, ou à une autre organisation interdite») et de l’article 159 du Code pénal ouzbek («tentatives d’atteinte à l’ordre constitutionnel»). Comme des milliers d’autres fidèles pratiquant leur religion de façon pacifique en dehors du strict contrôle de l’État en Ouzbékistan, les requérants ont été pris pour cible par le Gouvernement et étiquetés comme «extrémistes religieux» et «membres d’organisations religieuses interdites». Nombre d’entre eux avaient été détenus et torturés avant de s’enfuir de leur pays.

10.3Le conseil a indiqué que les requérants avaient décrit en détail leur situation personnelle et expliqué les risques qu’ils couraient d’être torturés à leur retour lors des recours formés devant les juridictions de l’État partie, et qu’ils s’étaient constamment référés à la Convention contre la torture, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et aux rapports d’ONG sur la pratique de la torture en Ouzbékistan. Pourtant, les juridictions de l’État partie n’ont procédé à aucune évaluation des risques de torture encourus par chacun des requérants. En outre, des ONG internationales telles que ACAT-France, Amnesty International, Human Rights Watch et d’autres ont adressé de nombreuses lettres et appels aux autorités kazakhes entre 2010 et 2011, leur demandant de ne pas extrader ces personnes compte tenu du risque de torture auquel elles seraient exposées. Le conseil a fait valoir que l’État partie était informé du danger que couraient les requérants.

10.4Le conseil a fait observer que le principe de non-refoulement était un principe fondamental et absolu qui devait primer les conventions d’extradition bilatérales. Elle a aussi indiqué que la question du retrait du statut de réfugié ne devait pas entrer en ligne de compte face au risque de torture. Même les terroristes avaient le droit de ne pas être torturés.

10.5S’agissant des assurances diplomatiques qui auraient été fournies par l’Ouzbékistan, le conseil ne les jugeait pas fiables et a fait observer qu’il n’existait pas de mécanisme de suivi indépendant et efficace de la situation après une extradition en Ouzbékistan. Elle a indiqué que le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture et la Cour européenne des droits de l’homme estimaient que les assurances diplomatiques fournies par le Gouvernement ouzbek n’exonéraient pas les États de leur obligation de ne pas expulser une personne lorsqu’il existait un risque de torture. Dans ses observations finales concernant le Kazakhstan, le Comité des droits de l’homme a recommandé à l’État partie «de faire preuve de la plus grande circonspection dans le recours aux assurances diplomatiques». Le conseil a également noté que le Kazakhstan n’avait pas fourni au Comité copie des prétendues assurances diplomatiques. En ce qui concerne les mécanismes présumés de suivi de la situation, le conseil a indiqué que le mandat et les règles de confidentialité du Comité international de la Croix-Rouge faisaient qu’aucun rapport sur la situation en Ouzbékistan ne pouvait être transmis au Kazakhstan. En outre, le conseil a contacté l’OMS qui a confié n’avoir jamais reçu d’instruction des autorités ouzbèkes pour suivre la situation des requérants et n’avoir pas accès aux prisons. «Les autres organisations internationales actives dans le domaine des droits de l’homme» n’avaient pas accès aux lieux de détention en Ouzbékistan.

10.6Le conseil a tenté de suivre la situation des requérants mais personne n’a pu leur rendre visite ou obtenir des informations sur ce qu’il était advenu d’eux et sur la façon dont ils avaient été traités. D’après des articles de presse, cinq des requérants ont été condamnés à de longues peines entre août et novembre 2011. Ainsi, Ahmad Boltaev a été condamné à treize ans d’emprisonnement. D’autres ont été jugés mais l’on ne sait rien de l’issue des procédures en l’absence de couverture médiatique ou de mécanisme de suivi indépendant des procès. Selon le conseil, les requérants n’ont pas eu accès à des avocats indépendants et leur droit à un procès équitable n’a pas été respecté.

10.7Le conseil a également considéré que l’État partie n’avait pas pris des mesures efficaces pour prévenir les actes de torture en l’espèce, en violation de l’article 2 de la Convention contre la torture. Il n’avait pas non plus fourni aux requérants un accès à des recours utiles pour contester leur extradition, en violation de l’article 22 de la Convention.

10.8Au sujet de la lutte contre le terrorisme, le conseil a fait observer qu’elle devrait être menée dans le respect du droit des droits de l’homme et que l’obligation de l’État partie de ne pas expulser une personne lorsqu’il existe un risque de torture est absolue. Si les requérants représentaient un danger pour la sécurité de l’État partie, les autorités auraient dû les inculper et les faire juger par les tribunaux nationaux.

10.9S’agissant des recours, le conseil a fait référence aux Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes. Elle a demandé d’ordonner à l’État partie de garantir le retour des requérants, et de veiller à ce que ceux-ci bénéficient d’une indemnisation et d’une réadaptation conformément à l’article 14 de la Convention. L’État partie devrait aussi revoir son système d’assurances diplomatiques et son système judiciaire afin d’éviter que des violations similaires ne se reproduisent.

Renseignements complémentaires communiqués par l’État partie

11.1Le 11 mai 2012, comme suite à une demande formulée par le Comité durant l’audition des parties, l’État partie a fourni copie des garanties obtenues auprès des autorités ouzbèkes et d’un certain nombre de décisions rendues par le tribunal de district. Il ressort de ces documents que, le 6 septembre 2010, l’État partie a sollicité des garanties concernant les 29 requérants et a demandé en particulier qu’ils ne soient pas poursuivis pour des motifs politiques et qu’ils ne soient pas soumis à des mesures discriminatoires, à la torture ni à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, et que, si nécessaire, les autorités de l’État partie puissent rendre visite aux requérants à tout moment durant la procédure afin de s’assurer que leurs droits étaient respectés. Les 7, 11, 12 et 20 octobre 2010 et le 10 janvier 2011, le Procureur général de l’Ouzbékistan a fourni des garanties concernant chacun des requérants, indiquant que l’Ouzbékistan est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture. Il a en outre indiqué que, conformément aux articles 16 et 17 du Code pénal ouzbek, la justice est rendue dans le respect du principe de l’égalité de moyens («égalité des armes»), sans discrimination aucune, et que nul n’est soumis à la torture ou à d’autres traitements inhumains ou dégradants. Tout acte ou décision contraire à la dignité humaine et menaçant la santé physique ou mentale d’autrui est formellement proscrit. Le Procureur général de l’Ouzbékistan a également autorisé les autorités kazakhes à rendre visite à chacun des requérants placés en détention et à recevoir des renseignements sur les procédures pénales engagées contre eux. Les autorités ouzbèkes ont en outre fourni la garantie que les procédures pénales concernant les requérants étaient conformes aux dispositions du Code de procédure pénale ouzbek et aux obligations internationales de l’Ouzbékistan.

11.2Le 5 mai 2012, le Procureur général de l’Ouzbékistan a informé l’État partie que, sur les 29 individus extradés, 25 avaient été condamnés. MM. Rakhmatov, Yuldoshev et Pulatov ont été condamnés à trois ans de rééducation par le travail sans privation de liberté. Les autorités ouzbèkes ont proposé une aide juridictionnelle à tous les requérants et certains d’entre eux ont été représentés par leurs propres avocats. Un requérant a refusé l’aide juridictionnelle et s’est défendu lui-même. Aucune plainte pour torture ou mauvais traitements n’a été déposée. Les procédures pénales ont été publiques. Les autorités ouzbèkes disent aussi étudier la possibilité d’autoriser les autorités kazakhes à rendre visite aux requérants en détention. Elles indiquent en outre qu’elles ont mis en place un mécanisme pour donner suite aux recommandations des organes conventionnels de l’ONU.

Commentaires supplémentaires du conseil

12.1Le 16 mai 2012, le conseil a transmis d’autres commentaires. Elle indique que la communication a été soumise en décembre 2010 et qu’à cette époque tous les documents présentés par l’État partie le 11 mai 2012 étaient déjà en sa possession et que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi il ne communiquait ces documents qu’à cette étape finale de la procédure.

12.2S’agissant des décisions du tribunal, le conseil note qu’elles prouvent que les requérants ont soulevé la question du non-refoulement et du risque de mauvais traitement à leur retour en Ouzbékistan, mais que leurs arguments ont été rejetés de façon sommaire, sans être examinés. Le conseil relève aussi que le tribunal n’a pas contesté les arguments des requérants selon lesquels leur droit à un procès équitable n’avait pas été respecté, et que l’État partie n’a pas examiné ces allégations.

12.3Le conseil fait aussi valoir que les assurances diplomatiques ont été obtenues tardivement et qu’elles sont vagues et imprécises, et qu’aucun mécanisme efficace de suivi n’est prévu. Les garanties ont été données à la suite d’une demande formulée par le Procureur général de l’État partie, dans laquelle il affirme que les autorités ne doutent pas que l’Ouzbékistan se conformera à ses obligations internationales. Par ailleurs, le texte des assurances diplomatiques sollicitées figurait dans la lettre du Procureur général du Kazakhstan et constituait donc une pure formalité, sans aucun effet sur la décision de l’État partie concernant l’extradition des requérants.

12.4Le conseil fait valoir en outre que les autorités de l’État partie ont reçu l’autorisation de rendre visite aux requérants dès octobre 2010, alors que c’est seulement dans ses observations complémentaires du 11 mai 2012 que l’État partie a informé le Comité qu’il envisageait de rendre visite aux requérants. Il n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas cherché à le faire plus tôt. Le conseil renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et note que des assurances diplomatiques ont été considérées comme une garantie suffisante contre la torture dans une seule affaire, où le suivi de la situation dans le lieu de détention a été confié à une ONG indépendante qui s’occupe des droits de l’homme.

Délibérations du Comité

Examen au fond

13.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties.

13.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant les requérants en Ouzbékistan, l’État partie a manqué à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Le Comité doit se prononcer sur la question à la lumière des renseignements que les autorités de l’État partie avaient ou auraient dû avoir en leur possession au moment de l’extradition. Les événements ultérieurs sont utiles pour apprécier ce que l’État partie savait ou aurait dû savoir au moment de l’extradition.

13.3Pour déterminer si l’extradition des requérants vers l’Ouzbékistan a constitué une violation des obligations de l’État partie au titre de l’article 3 de la Convention, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Le Comité rappelle que l’existence d’un ensemble systématique de violations des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’un individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un tel risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations fragrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

13.4Le Comité rappelle son Observation générale no 1 (1996) sur l’application de l’article 3 de la Convention, dans laquelle il dit que l’existence d’un risque de torture «doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable», mais ce risque doit être encouru personnellement et actuellement. À cet égard, le Comité a établi dans de précédentes décisions que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel.

13.5Le Comité note que le conseil fait valoir que les requérants et les autres personnes renvoyées en Ouzbékistan comme suite à des demandes d’extradition sont détenus au secret et exposés de ce fait à un risque de torture et de mauvais traitements. Le conseil affirme aussi que la pratique de la torture et des mauvais traitements reste systématique en Ouzbékistan et que les musulmans qui pratiquent leur foi hors du cadre du contrôle de l’État ainsi que les personnes accusées d’extrémisme religieux ou de tentatives d’atteinte à l’ordre constitutionnel sont particulièrement visés. Le Comité note en outre que l’État partie a rejeté les demandes d’asile ou de rétablissement du statut de réfugié des requérants au motif qu’ils constitueraient une menace pour l’État partie et pourraient porter gravement atteinte à sa sécurité et à celle d’autres pays. Il prend note par ailleurs des arguments du conseil selon lesquels la procédure qui a abouti à l’extradition des requérants n’était pas équitable car aucun service d’interprète n’avait été fourni, les requérants avaient eu un accès limité à des avocats et ces derniers n’avaient pas eu accès aux dossiers. Le Comité prend note également de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les procédures ont été contrôlées par le HCR, que les responsables du Bureau des droits de l’homme de l’État partie n’ont reçu aucune plainte et que les services d’un avocat et d’un interprète ont été garantis. En ce qui concerne la crainte de subir des tortures en Ouzbékistan invoquée par les requérants, le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui fait valoir que l’Ouzbékistan est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture, et qu’il a donné des assurances diplomatiques garantissant que les requérants ne seraient pas soumis à la torture ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il note également que, selon l’État partie, l’Ouzbékistan lui a donné l’assurance que des organisations internationales pouvaient surveiller les établissements de détention. Le Comité constate que le conseil a rejeté cette affirmation, indiquant que les règles du CICR faisaient qu’aucun rapport ne pouvait être soumis aux autorités de l’État partie et que les autres organisations mentionnées n’avaient pas accès aux lieux de détention. Le Comité prend note enfin de l’affirmation du conseil selon laquelle, en ce qui concerne quatre des 29 requérants, le HCR s’était prononcé contre leur extradition et que le conseil n’avait eu accès à aucune information concernant la position du HCR sur les autres cas.

13.6S’agissant de l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme, le Comité rappelle ses observations finales concernant le troisième rapport périodique de l’Ouzbékistan, dans lesquelles il a relevé avec préoccupation des allégations nombreuses, persistantes et cohérentes faisant état d’un recours systématique à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par des agents de la force publique et des enquêteurs, ou à leur instigation ou avec leur consentement, et noté que des personnes renvoyées dans le pays après avoir cherché refuge à l’étranger avaient été placées en détention dans des lieux secrets et peut-être soumises à des actes contraires à la Convention.

13.7Le Comité note que les 29 requérants sont des musulmans qui pratiqueraient leur religion en dehors des structures officielles ouzbèkes ou appartiendraient à des organisations extrémistes religieuses. Il relève aussi que les requérants ont été extradés comme suite à une demande de l’Ouzbékistan, qui les accusait de crimes graves, notamment d’extrémisme religieux et de tentatives d’atteinte à l’ordre constitutionnel, et parce que l’État partie estimait qu’ils représentaient une menace pour la sécurité de ses citoyens et celle des citoyens d’autres pays. Le Comité réaffirme la préoccupation qu’il a formulée dans ses observations finales au sujet des personnes renvoyées de force vers l’Ouzbékistan au nom de la sécurité régionale, et notamment de la lutte contre le terrorisme, dont on ignore ce qu’elles sont devenues, dans quelles conditions elles vivent et quel traitement elles ont reçu. Il fait également observer que le principe de non-refoulement consacré par l’article 3 de la Convention est absolu et que la lutte contre le terrorisme n’exonère pas l’État partie de son obligation de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Dans ce contexte, le Comité observe également que le principe de non-refoulement consacré par l’article 3 de la Convention est absolu même si, après une évaluation au titre de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, un réfugié voit son statut annulé en vertu de l’alinéa c de la section F de l’article premier de la Convention de 1951.

13.8Dans les circonstances de l’espèce, le Comité estime qu’il a été suffisamment établi, dans ses propres observations finales, de même que dans les informations qui lui ont été présentées, qu’il existait un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme, ainsi qu’un risque important de torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants en Ouzbékistan, en particulier pour des personnes pratiquant leur foi en dehors du cadre officiel. De surcroît, il constate que les requérants ont affirmé qu’ils avaient subi des persécutions religieuses, notamment, dans certains cas, des placements en détention et des actes de torture, avant de s’enfuir au Kazakhstan.

13.9Le Comité rappelle qu’en vertu de son Observation générale no 1 sur l’application de l’article 3 de la Convention, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et qu’il est habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun élément de preuve, par écrit ou oralement, pour réfuter les griefs des requérants selon lesquels ils n’avaient pas eu droit à une procédure régulière dans le cadre de leur extradition (par exemple, suffisamment de temps pour préparer leur défense, accès limité aux services d’un avocat et d’un interprète), et qu’il n’y avait pas eu d’évaluation individualisée du risque que courait personnellement chaque requérant d’être torturé à son retour en Ouzbékistan. Le Comité constate que le tribunal de première instance (certaines décisions ont été communiquées au Comité) a fait référence à la législation nationale et à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés mais qu’il n’a procédé à aucune évaluation individualisée du risque de torture conformément à l’article 3 de la Convention ou du principe de non-refoulement dans la législation nationale. Par ailleurs, l’État partie n’a pas respecté les mesures provisoires demandées par le Comité. Il n’a pas non plus examiné les arguments invoqués par les requérants concernant l’absence de procès équitable et le risque de torture à leur retour en Ouzbékistan. Le Comité conclut que l’État partie n’a pas convenablement examiné les griefs des requérants selon lesquels ils couraient un risque prévisible, réel et personnel d’être torturés en cas de renvoi en Ouzbékistan. Dans les circonstances de l’espèce, compte tenu des observations écrites et orales présentées par les parties, le Comité conclut que les requérants, qui ont tous été accusés d’extrémisme religieux ou d’appartenance à des organisations extrémistes ou terroristes en Ouzbékistan et ont été extradés par l’État partie sur la base, entre autres, de ces accusations, ont suffisamment démontré qu’ils couraient un risque prévisible, réel et personnel d’être torturés en cas de renvoi en Ouzbékistan. Au vu de ces éléments, le Comité conclut que, dans les circonstances de l’espèce, l’extradition des requérants par l’État partie vers l’Ouzbékistan constituait une violation de l’article 3 de la Convention.

13.10Par ailleurs, l’État partie a estimé que les assurances diplomatiques qu’il avait obtenues constituaient une protection suffisante contre le risque de torture manifeste. Le Comité rappelle que des assurances diplomatiques ne sauraient être utilisées pour éviter l’application du principe de non-refoulement. Le Comité constate que l’État partie n’a pas expliqué suffisamment en détail s’il avait entrepris un suivi quelconque et s’il avait pris des mesures pour faire en sorte que ce suivi soit objectif, impartial et suffisamment fiable.

14.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, décide que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 3 et 22 de la Convention.

15.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à assurer réparation aux requérants, y compris à organiser leur retour au Kazakhstan et à les indemniser. Il souhaite recevoir, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures que l’État partie aura prises pour donner suite à la présente décision.

Communication no 453/2011: Gallastegi Sodupe c. Espagne

Présentée par:

Orkatz Gallastegi Sodupe

Au nom de:

Orkatz Gallastegi Sodupe

État partie:

Espagne

Date de la requête:

20 janvier 2011 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 23 mai 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 453/2011, présentée par Orkatz Gallastegi Sodupe en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, ses conseils et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.Le requérant est Orkatz Gallastegi Sodupe, de nationalité espagnole, né le 7 juin 1982. Il se déclare victime d’une violation par l’Espagne des articles 12, 14 et 15 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par deux conseils, Mme Iratxe Urizar et M. Julen Arzuaga.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le 24 octobre 2002, M. Gallastegi Sodupe, alors âgé de 20 ans, a été arrêté par la Ertzaintza (police autonome basque), à Berango (Biscaye), lors d’une opération de police au cours de laquelle ont également été arrêtés cinq autres jeunes soupçonnés d’avoir commis des infractions liées à des actes de sabotage et de vandalisme contre des bâtiments publics.

2.2Le requérant a été arrêté avec brutalité à son domicile à 5 heures du matin par des policiers cagoulés. Après avoir jeté le requérant à terre et lui avoir passé les menottes, les policiers ont procédé à la fouille de son domicile, laquelle a duré trois heures. Ils ont ensuite fait monter le requérant, mains menottées derrière le dos, dans une fourgonnette blanche banalisée et l’ont conduit au commissariat central d’Arkaute.

2.3Au commissariat, il a été établi que les faits imputés au requérant tombaient sous le coup de la législation antiterroriste, de sorte que le requérant a été mis au secret et n’a de ce fait pas pu communiquer avec sa famille ni avec un avocat ou un médecin de confiance. D’après le requérant, les actes qui lui étaient imputés se rapportaient uniquement à la destruction de «matériel urbain» au moyen de substances inflammables fabriquées artisanalement et n’étaient donc pas directement liés à des organisations armées, mais comme ils avaient une motivation politique, ils tombaient sous le coup de la législation antiterroriste, ce qui entraînait d’office la mise au secret. Les avocats du requérant ont adressé une requête au juge pour solliciter l’application du «Protocole Garzón», qui prévoit un ensemble de mesures visant à prévenir les mauvais traitements et la torture, comme la possibilité donnée au détenu de recevoir la visite d’un médecin de confiance, d’informer sa famille de sa situation et du lieu où il se trouve et de s’entretenir en privé avec un avocat. D’après le requérant, la demande des avocats a été rejetée.

2.4Pendant sa détention au commissariat d’Arkaute, le requérant a subi des mauvais traitements. Les policiers l’obligeaient à rester dans des positions pénibles jusqu’à l’épuisement. Il était enfermé dans une cellule de 2 mètres sur 4, dépourvue de fenêtres et sans autre mobilier qu’une banquette en ciment. Chaque fois qu’ils se présentaient à la porte ou entraient dans la cellule, les policiers obligeaient le requérant à se plaquer contre le mur et rester dans des positions pénibles en gardant les yeux fermés. Il a reçu des coups sur tout le corps, notamment des coups de pied dans les parties génitales. Les policiers le faisaient asseoir sur une chaise, lui recouvraient la tête avec un linge et le frappaient jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Ils l’empêchaient de dormir en mettant de la musique très fort et en laissant la lumière allumée en permanence. En outre, lorsque le requérant était conduit à la salle d’interrogatoire, il devait baisser la tête et fermer les yeux sinon les policiers le frappaient contre le mur du couloir. Ces traitements se répétaient pendant les interrogatoires. Chaque fois que le requérant s’effondrait sur le sol ou qu’il perdait connaissance, les policiers le forçaient à boire de l’eau. Le requérant a également subi des tortures psychologiques: les policiers ont menacé de le tuer ou de faire du mal à sa famille. Il entendait les cris des détenus des cellules voisines et les policiers lui disaient que son frère était lui aussi détenu et qu’il subissait les mêmes traitements par sa faute. Tous ces actes, ajoutés à l’isolement dans lequel il a été maintenu pendant trois jours, ont plongé le requérant dans un état de profonde angoisse.

2.5Le 25 octobre 2002, soit le lendemain de son placement en détention au commissariat d’Arkaute, le requérant a été examiné par un médecin légiste, auquel il a fait part des mauvais traitements dont il était victime. Le médecin en a pris note mais il n’a pas examiné le requérant plus en détail ni cherché à en savoir plus sur son état. Le 26 octobre 2002, le requérant a de nouveau relaté les tortures qu’il subissait au médecin légiste. Mais celui-ci n’en a pas fait mention dans son rapport.

2.6Pendant les trois jours où il a été détenu au secret, le requérant a été soumis à des interrogatoires visant à obtenir de lui des aveux qui permettraient de l’inculper des faits qui lui étaient imputés. Un policier lui a dit ce qu’il devait déclarer et le requérant a été obligé d’apprendre par cœur des déclarations qui l’incriminaient et de les répéter. Lors d’une de ces répétitions, les policiers l’ont battu et menacé parce qu’ils n’étaient pas satisfaits de sa prestation. Ils l’ont forcé à se lever en le tirant par les cheveux et l’ont obligé à lire les déclarations à haute voix jusqu’à ce qu’il le fasse sans hésitation. Le requérant a déposé sous la contrainte, à trois reprises, devant le policier enquêteur. Le requérant n’a pas bénéficié de l’assistance effective d’un avocat étant donné qu’un avocat commis d’office était certes présent mais qu’il n’a pris aucune part à la procédure et que le requérant n’a pas eu la possibilité de s’entretenir avec lui en privé ni de l’informer des conditions dans lesquelles sa déposition avait été obtenue.

2.7Sous la torture, le requérant s’est accusé des faits de sabotage et a reconnu qu’il appartenait à une organisation terroriste et avait participé, en tant que complice nécessaire, à l’assassinat du juge de l’Audiencia Provincial de Bilbao, José María Lidón Corbi, perpétré le 7 novembre 2001 par des membres de l’organisation Euskadi Ta Askatasuna (ETA). Le requérant a déclaré qu’à la demande d’un membre de l’ETA, qu’il connaissait depuis l’enfance, il surveillait plusieurs représentants de l’autorité, dont le juge Lidón Corbi, et qu’il fournissait des informations à l’organisation.

2.8Le 28 octobre 2002, le requérant a été mis à la disposition de la chambre d’instruction no 4 de l’Audiencia Nacional. Pendant l’instruction préparatoire, le requérant a raconté comment, pendant les trois jours qu’il avait passé en détention au commissariat d’Arkaute, il avait été obligé de rester debout face au mur et dans des positions pénibles, frappé même quand il était évanoui, privé de sommeil, de nourriture et d’eau, excepté lorsqu’on le faisait boire de force, et menacé. Il a aussi dit qu’il avait informé le médecin légiste des mauvais traitements dont il était victime. Le requérant n’a confirmé aucune des déclarations qu’il avait faites pendant sa détention et a nié toute participation aux faits qui lui étaient imputés, à savoir la collecte de renseignements pour le compte de l’ETA en vue de l’attentat contre le juge Lidón Corbi. Le requérant a indiqué qu’il connaissait un membre de l’ETA «de vue» seulement et qu’il ne lui avait jamais communiqué le moindre renseignement.

2.9Le requérant est resté en détention provisoire à la prison de Soto del Real (Madrid) pendant plusieurs mois. Il a ensuite été transféré à Alcalá Meco (Madrid), puis à Alicante et à Valdemoro (Madrid); au moment de la soumission de sa requête au Comité, il se trouvait à la prison de Castelló, à 686 kilomètres de son domicile.

2.10Le 29 janvier 2003, le requérant a porté plainte pour torture et mauvais traitements auprès du juge de permanence de Donostia-Saint-Sébastien contre les policiers qui avaient participé à son arrestation, à sa détention et aux interrogatoires. Il a demandé que les rapports des médecins qu’il avait vus pendant sa détention dans les locaux de la Police nationale de Vitoria-Gasteiz et à Madrid soient versés au dossier, que les médecins légistes soient entendus, qu’il soit procédé à son audition en tant que partie demanderesse et qu’il soit enjoint à la Direction générale de la police basque d’identifier les agents qui s’étaient chargés de son arrestation et des interrogatoires ou qui avaient été en contact avec lui pendant sa détention. L’affaire a ensuite été transmise à la chambre d’instruction no 2 de Vitoria-Gasteiz, qui était compétente pour connaître de la plainte car le lieu des faits allégués était sous sa juridiction. Le 3 octobre 2003, la chambre d’instruction no 2 a rendu une ordonnance de non-lieu provisoire après avoir examiné les rapports médico-légaux, sans prendre aucune autre mesure d’instruction.

2.11Le 27 octobre 2003, le requérant a formé un recours en révision et un recours (subsidiaire) en appel devant la chambre d’instruction no 2 de Vitoria-Gasteiz. Il a demandé que les mesures d’enquête qui n’avaient pas été réalisées par la chambre soient effectuées, notamment qu’il soit procédé à son audition et à celle des policiers qui avaient participé à son arrestation, à sa détention et à l’enregistrement de sa déposition. Le requérant a fait valoir que les rapports médico-légaux étaient superficiels ou incomplets et ne satisfaisaient pas aux exigences du protocole d’examen médical des détenus du Ministère de la justice. Dans le recours, il affirme que l’ordonnance de non-lieu n’a pas été dûment motivée et ne permet pas de comprendre les raisons qui ont fondé cette décision. Le 3 février 2004, la chambre d’instruction a rejeté le recours en révision et fait droit à l’appel en demandant au requérant d’exposer ses griefs. Elle a fait valoir ce qui suit: «Il faut distinguer, d’une part, les allégations de torture formulées dans la plainte qui, si elles se révélaient exactes, devraient donner lieu à des poursuites et à la condamnation des auteurs et, d’autre part, le résultat des mesures d’instruction réalisées, à savoir l’examen des rapports médico-légaux à l’issue duquel aucun élément de nature à étayer les allégations de torture n’a été trouvé. La présomption d’innocence dont bénéficient les membres des forces de sécurité visés par la plainte doit prévaloir face à des accusations qui ne sont pas étayées par le moindre indice qui justifierait ne serait-ce que la poursuite de l’enquête sur les faits allégués.».

2.12Le 10 février 2004, le requérant a présenté un mémoire d’appel et a demandé que la procédure revienne au stade de l’instruction afin que les mesures nécessaires pour établir les faits soient prises.

2.13Le 30 mars 2004, l’Audiencia Provincial d’Álava a rejeté l’appel sans prendre aucune autre mesure. Elle a estimé que le non-lieu avait été prononcé après que les démarches nécessaires avaient été faites pour déterminer si les déclarations de la victime étaient corroborées par des éléments connexes; que les rapports médico-légaux, y compris celui établi à l’issue de l’examen effectué à Madrid, ne contenaient aucun élément à l’appui des allégations de mauvais traitements et de torture; et que la force probante de ces rapports ne pouvait pas être mise en cause au motif que ceux-ci n’étaient pas conformes aux directives du Ministère de la justice. En conséquence, l’Audiencia Provincial a estimé qu’il n’était pas nécessaire de demander à la police d’établir l’identité des personnes qui avaient participé à l’arrestation et à la détention du requérant, et ce d’autant moins qu’une telle mesure pouvait mettre en danger la sécurité des intéressés.

2.14Le 22 avril 2004, le requérant a formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel pour violations du droit à l’intégrité physique et morale, du droit à la protection effective de la justice et du droit à une procédure dans laquelle toutes les garanties sont respectées et les moyens de preuve pertinents utilisés. Le requérant a réaffirmé que la chambre d’instruction no 2 de Vitoria-Gasteiz avait prononcé le non-lieu et classé l’affaire sur la seule base des rapports médico-légaux sommaires établis au cours de la détention. Le requérant a contesté la force probante des rapports médicaux, a affirmé qu’il n’avait été entendu ni par le juge d’instruction ni par l’Audiencia Provincial, et que ni l’un ni l’autre n’avait demandé au commissariat d’Arkaute d’établir l’identité des policiers qui avaient participé à l’arrestation, à la détention et à l’interrogatoire du requérant en vue d’auditionner les intéressés.

2.15Le 23 juin 2005, le Tribunal constitutionnel a déclaré le recours irrecevable au motif que le requérant ne s’était pas conformé aux demandes que lui avait adressées le Tribunal les 28 avril, 3 juin et 19 juillet 2004 lui enjoignant de fournir un mandat de représentation en justice afin qu’un avoué puisse valablement le représenter, se contentant de demander une prolongation du délai imparti à cette fin sans fournir d’explications dignes de foi quant aux raisons qui l’empêchaient de présenter le mandat requis.

2.16En novembre 2005, le requérant, accusé d’assassinat terroriste en tant que complice nécessaire, a été jugé au pénal par l’Audiencia Nacional. Il n’a pas confirmé les déclarations qu’il avait faites à la police, affirmant que celles-ci avaient été obtenues par des menaces, des pressions psychologiques et des mauvais traitements physiques. Il a affirmé que s’il ne disait pas ce que les policiers souhaitaient entendre, ceux-ci le frappaient et l’obligeaient à se tenir dans des positions de stress, sans toutefois que ces traitements ne laissent jamais de marques. Ils l’ont menacé d’arrêter sa mère et son frère et ne lui ont à aucun moment permis de s’entretenir avec un avocat. À bout, le requérant a accepté de dire tout ce que les policiers lui demandaient, ce qui ne les a toutefois pas empêchés de continuer de le maltraiter et de le menacer par la suite. En outre, les transcriptions des déclarations du requérant à la police attribuaient à ce dernier des propos qui n’étaient pas les siens. Le requérant a contesté la validité des déclarations des policiers qui l’avaient interrogé au commissariat et qui niaient l’avoir torturé dans la mesure où ceux-ci étaient intervenus dans la procédure en donnant un faux matricule, et ne pouvaient donc pas être identifiés en tant que témoins. Ce fait constituait une violation des règles de protection des témoins, qui exigent que le greffier vérifie l’exactitude des matricules. Le requérant indique que le rapport du service d’information et d’analyse de la police autonome basque du 21 janvier 2005, versé au dossier par le ministère public, établissait un lien entre les missions de collecte de renseignements dont le requérant était accusé et l’attentat qui avait entraîné la mort de Lidón Corbi étaient liés, alors même que le membre de l’ETA auquel le requérant était censé avoir remis lesdits renseignements avait nié avoir eu le moindre contact avec lui.

2.17Le 12 décembre 2005, le requérant a été reconnu coupable et condamné à vingt‑six ans d’emprisonnement. Il estime que la condamnation repose sur ses aveux et sur le témoignage des policiers qui l’avaient interrogé. Il indique en outre que les autorités avaient intérêt à trouver un coupable et à faire en sorte que l’attentat ne reste pas impuni compte tenu du retentissement de l’affaire dans certains cercles politiques et policiers ainsi que dans l’opinion publique. En outre, sans pour autant se rendre coupable de prévarication ni renoncer à son indépendance, le tribunal avait pu être animé par un sentiment corporatiste étant donné qu’il s’agissait d’un crime très grave dont la victime était un juge.

2.18Le requérant s’est pourvu en cassation auprès du Tribunal suprême, en invoquant entre autres motifs la violation des droits de la défense et du droit à un procès équitable constituée par l’application irrégulière de la loi organique no 19/1994 sur la protection des témoins et des experts dans les procédures pénales. Il faisait également valoir que le droit à la présomption d’innocence n’avait pas été respecté dans la mesure où les preuves à charge, à savoir les déclarations qu’il avait faites à la police et le compte rendu des policiers entendus à l’audience, n’avaient pas été obtenues dans le respect de toutes les garanties constitutionnelles.

2.19Le 4 décembre 2006, le Tribunal suprême a rejeté le pourvoi et confirmé le jugement rendu par l’Audiencia Nacional. D’après le requérant, le Tribunal suprême s’est rallié aux arguments avancés par l’Audiencia Nacional et a considéré que les aveux que le requérant avait faits au commissariat alors qu’il était détenu au secret constituaient des preuves suffisantes. Le Tribunal suprême a reconnu la validité des aveux et fait valoir, d’une part, que la plainte pour torture et mauvais traitements du requérant a donné lieu à une enquête judiciaire, laquelle n’a révélé aucune infraction, et d’autre part, que les preuves recueillies pendant l’instruction et au cours du procès devant l’Audiencia Nacional, en particulier le témoignage des policiers qui avaient participé aux interrogatoires menés au commissariat, de l’avocat du requérant, du médecin légiste qui a examiné le requérant, du membre de l’ETA coïnculpé, qui a confirmé qu’il connaissait le requérant, et de la veuve du juge Lidón Corbi, corroboraient les aveux du requérant. En outre, le Tribunal n’a pas constaté d’irrégularité dans l’application de la loi organique no 19/94 et a constaté que les policiers cités comme témoins à l’audience par le ministère public avaient déposé sous le numéro de matricule provisoire, dit «de protection», qui leur avait été attribué au moment de l’enquête préliminaire, conformément à la décision de l’Audiencia Nacional d’appliquer des mesures légales de protection pour préserver le droit à la vie des fonctionnaires concernés. Dans son arrêt, le Tribunal affirme que le défenseur du requérant a pu librement interroger les témoins et a reconnu la validité du rapport établi par la police autonome basque après confirmation des éléments connexes se rapportant aux déclarations du requérant.

2.20Deux juges du Tribunal suprême ont donné une opinion individuelle. Le premier a contesté la prise en considération, en tant que preuves, des aveux figurant dans le procès‑verbal dressé par la police qui n’avaient pas été confirmés pendant l’instruction préparatoire ni au cours de l’audience. Il a en outre fait valoir que des aveux obtenus en garde à vue ne pouvaient pas être versés à la procédure par la voie des déclarations des policiers qui les avaient recueillis dans la mesure où cela constituait une atteinte au droit de l’accusé de ne pas témoigner contre lui-même ou de garder le silence. Le juge a fait observer que le témoignage des policiers concernés ne pouvait se substituer à celui du requérant dès lors que ce dernier était à la disposition de la justice. Il a conclu que les aveux obtenus par la police dans le respect de la loi pouvaient et devaient être pris en compte à des fins d’enquête et que les éléments recueillis par ce biais pouvaient constituer des commencements de preuve, mais qu’ils n’étaient pas des moyens de preuve permettant d’établir les faits de la cause. Le second juge a également conclu que les déclarations faites par les accusés dans les locaux de la police ne pouvaient pas être versées à la procédure par la voie du témoignage des policiers qui les avaient recueillies. Le témoignage des policiers ne devait pas être retenu comme preuve à charge et ne pouvait servir qu’à donner des précisions sur les faits dont ceux-ci avaient été témoins, comme les aveux proprement dits et les circonstances dans lesquelles ils avaient été obtenus.

2.21Le requérant a formé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel contre l’arrêt du Tribunal suprême. Le 31 mars 2008, le Tribunal constitutionnel l’a rejeté au motif que les griefs n’étaient pas suffisamment étayés pour justifier une décision sur le fond.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant allègue une violation par l’État partie de l’article 12, lu conjointement avec l’article 16 de la Convention. Les autorités judiciaires n’ont pas pris les mesures voulues à la suite de sa plainte pour torture et mauvais traitements. Il n’a pas été mené d’enquête diligente, indépendante et impartiale. Bien que le requérant ait signalé à plusieurs reprises qu’il avait été soumis à la torture et à des mauvais traitements pendant sa détention au secret, les autorités judiciaires compétentes n’ont donné aucune suite, de sorte qu’il n’a pas été possible de faire la lumière sur les faits dénoncés dans la plainte, laquelle a été classée sans qu’aucune mesure d’enquête n’ait été prise. En outre, bien que le requérant ait déclaré devant le magistrat instructeur de l’Audiencia Nacional qu’il avait été maltraité et torturé pendant sa détention au secret, ce dernier n’a pas ordonné l’ouverture d’une enquête. Le Comité contre la torture, le Comité des droits de l’homme et d’autres institutions internationales ont mis en question à plusieurs reprises le régime de la mise au secret tel qu’il est régi par la législation de l’État partie, qui autorise la détention au secret pendant cinq jours, avec possibilité de prolongation de huit jours supplémentaires, et en ont recommandé la suppression. L’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires pour prévenir efficacement la torture sur tout territoire sous sa juridiction, manquant ainsi à ses obligations au titre de l’article 16 de la Convention.

3.2En dépit des tortures et des mauvais traitements signalés par le requérant et des demandes répétées qu’il a adressées aux autorités pour qu’elles ouvrent une enquête afin d’établir les faits, celles-ci n’ont rien fait ou ont rejeté ces demandes, manquant ainsi à leur obligation d’enquêter. Il y a par conséquent eu violation de l’article 14 de la Convention puisque l’État partie aurait dû réparer le préjudice subi par le requérant du fait des tortures dont il a été victime et prendre des mesures pour éviter que de tels actes se reproduisent. Selon le requérant, les mesures de réparation couvrent l’ensemble des dommages subis par la victime et englobent les mesures touchant la restitution, l’indemnisation, la réadaptation, la satisfaction, les garanties de non répétition, ainsi que l’inculpation, le jugement et le châtiment des responsables.

3.3Eu égard à l’article 15 de la Convention, le requérant affirme qu’il a été condamné à l’issue d’un procès dans lequel les garanties fondamentales n’ont pas été respectées. Les aveux qu’il a faits à la police sous la torture ont été admis comme preuves pour le condamner du chef d’assassinat terroriste. Le requérant soutient que le procès et la condamnation ont été fondés sur ces aveux, qui ont été versés officiellement à l’audience par la voie de la déposition, en qualité de témoins, des policiers qui avaient participé aux interrogatoires. Les aveux obtenus par la police au commissariat pouvaient seulement avoir valeur d’indices ou de commencements de preuves. En conclusion, le requérant fait valoir que les preuves directes ou indirectes obtenues en violation des droits fondamentaux ne peuvent pas être utilisées dans une procédure pénale.

3.4Le requérant dit qu’il a été porté atteinte au droit à la protection effective de la justice dans la mesure où le pourvoi en cassation qu’il a formé auprès du Tribunal suprême ne constitue pas un double degré de juridiction au pénal puisqu’il ne donne pas lieu à un réexamen complet des preuves et des faits tels qu’ils ont été démontrés. Le requérant fait valoir en outre des violations de l’article 7, du paragraphe 3 de l’article 9 et des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

3.5Le requérant demande que l’État partie lui accorde réparation pour tous les dommages subis, sous la forme notamment d’une indemnisation d’un montant de 30 000 euros, de l’ouverture sans délai d’une enquête impartiale sur les tortures et les mauvais traitements qu’il a dénoncés, de la révision de sa condamnation, fondée sur des aveux obtenus par la torture, et de mesures visant à garantir qu’aucune déclaration obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme preuve dans une procédure judiciaire.

3.6En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le requérant affirme qu’il a exercé tous les recours disponibles en vertu de la loi, dont deux recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, le premier pour faire établir le bien-fondé de sa plainte pour torture et le second pour contester sa condamnation pour homicide terroriste.

Observations de l’État partie

4.1Dans une note verbale du 5 septembre 2011, l’État partie a fait part de ses observations.

4.2À propos de la plainte pour torture déposée par le requérant et de la procédure devant les juridictions nationales, l’État partie précise que le recours en amparo a été déclaré irrecevable par le Tribunal constitutionnel le 23 juin 2005 au motif que le requérant n’était pas représenté par un avoué dûment mandaté en dépit des demandes répétées que lui avait adressées le tribunal à ce sujet. L’État partie affirme que le requérant n’a alors saisi aucune juridiction internationale et que ce n’est qu’après que le recours en amparo qu’il avait formé contre la condamnation prononcée à l’issue de la procédure pénale a été rejeté par le Tribunal constitutionnel qu’il a saisi le Comité contre la torture. L’État partie estime en outre que la référence aux articles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques n’est rien de plus qu’une digression dans l’argumentation du requérant.

4.3La plainte du requérant comporte des imprécisions concernant les faits. Pendant la détention, les policiers ont utilisé la force dans la mesure nécessaire pour immobiliser le requérant au moyen de techniques de contrainte ordinaires. Le requérant a été placé en détention en application d’une ordonnance judiciaire et un contrôle juridictionnel a été exercé pendant toute la durée de la détention. Les seules restrictions des droits du requérant que le régime de la détention au secret appliqué conformément à la législation de l’État partie a entraînées sont qu’il n’a pas pu choisir son avocat dès le début de sa détention par la police ni informer les personnes de son choix de sa détention. Toutefois, dans les faits, sa famille a été informée de sa situation. Le requérant a été détenu peu de temps, soit du 24 au 28 octobre 2002, date à laquelle il a été mis à la disposition de la justice. Les allégations du requérant selon lesquelles l’intérêt des autorités politiques et de l’opinion publique pour l’affaire et le sentiment corporatiste des juges ont influencé le procès pénal et la condamnation à laquelle il a abouti sont sans fondement dans la mesure où le requérant n’a à aucun moment récusé les juges de la cause.

4.4Pour ce qui est des allégations de violation de l’article 15 de la Convention, le requérant n’apporte aucune preuve, pas même indiciaire ou indirecte, attestant que ses aveux ont été obtenus par la torture; il se borne à affirmer que l’État partie n’a pas enquêté avec diligence sur sa plainte pour torture.

4.5La chambre criminelle de l’Audiencia Nacional a examiné le point de savoir si les déclarations du requérant à la police basque avaient été obtenues par la torture. Elle a noté que le requérant n’avait pas confirmé ces déclarations devant les autorités judiciaires. Elle a constaté que les investigations et la procédure judiciaire nécessaires avaient été menées à bien et avaient confirmé l’absence d’éléments ou d’indices donnant à penser que des actes de torture avaient été commis. Les témoignages des cinq policiers, entendus séparément, ont indiqué que le requérant avait bénéficié de l’assistance d’un avocat et qu’il avait été informé de ses droits, y compris celui de rédiger ou de dicter ses aveux ou certaines de ses réponses. Le requérant ne s’est plaint d’aucun mauvais traitement ou acte de torture dans ses différentes déclarations. Celles-ci ont été relues par le requérant et son avocat, et ni l’un ni l’autre n’a formulé d’observations. En outre, il a été vérifié que les policiers entendus au procès avaient déposé sous un numéro d’identification dit «de protection» en application de l’article 4.1 de la loi organique no 19/1994 sur la protection des témoins et des experts dans les procédures pénales. L’avocat, qui était présent lors des trois interrogatoires aux cours desquels le requérant avait fait des déclarations pendant sa détention par la police les 26 et 27 octobre 2002, a indiqué qu’il n’avait rien observé d’anormal, et que s’il en avait été autrement, il l’aurait signalé; que les réponses du requérant étaient spontanées et exemptes de contrainte; que lorsque le requérant avait été interrogé au sujet de la collecte de renseignements sur la routine quotidienne du juge Lidón Corbi, il avait donné des réponses détaillées; et que le requérant avait relu la déclaration finale avec lui et qu’ils l’avaient tous les deux signée. Le rapport médical du 25 octobre 2002 fait état des allégations du requérant selon lesquelles pendant sa détention, les policiers l’ont à plusieurs reprises jeté à terre et frappé à la tête à coups de pied en le maintenant dans des positions inconfortables qui lui ont donné la nausée. Le rapport indique cependant expressément qu’il n’a été constaté aucune «marque de coups de pied dans la zone correspondante ni aucun autre signe de traumatisme sur le reste du corps». De même, le rapport médico-légal du 26 octobre ne mentionne aucune marque de mauvais traitements ou de blessures. Qui plus est, le 28 octobre 2002, alors qu’il n’était plus détenu par la police, le requérant a été examiné par le médecin légiste de la chambre centrale d’instruction no 1 de l’Audiencia Nacional mais a refusé de se dévêtir et a déclaré qu’«il n’avait rien»; il était calme et déterminé. Le défenseur du requérant a participé sans réserve à tous les actes de la procédure devant l’Audiencia Nacional.

4.6Les deux opinions individuelles qui figurent dans l’arrêt de cassation rendu par le Tribunal suprême le 4 décembre 2006 ne prouvent pas que les aveux du requérant ont été obtenus par la torture. Dans leur opinion individuelle, chacun des juges examine la question générale de savoir si, lorsque des aveux sont obtenus en garde à vue et que leur auteur se dédit pendant la phase de jugement, ces aveux constituent ou non une preuve à charge suffisante pour condamner l’accusé.

4.7En ce qui concerne le grief de violation de l’article 12, lu conjointement avec l’article 15 de la Convention, les juridictions nationales ont pris les mesures nécessaires et ont examiné les rapports médicaux établis pendant la détention. Elles n’ont toutefois pas trouvé d’indices suffisants pour corroborer les faits allégués par le requérant. Au procès, l’Audiencia Nacional a de nouveau examiné les circonstances dans lesquelles le requérant avait été interrogé. L’avocat du requérant, choisi par ce dernier, a assisté aux interrogatoires, mais n’a présenté aucune preuve de nature à corroborer les allégations de son client. En outre, il est plutôt surprenant que le requérant ait déposé une plainte pour torture trois mois après la fin de sa détention et qu’il n’ait engagé une action devant une institution internationale qu’après avoir été condamné pour terrorisme.

4.8Le requérant n’explique pas en quoi il y a eu violation de l’article 14 de la Convention. Il n’a jamais fait de demande de réparation ou d’indemnisation alors qu’en vertu de la loi, la clôture d’une procédure pénale n’empêche pas d’engager une action civile ou administrative pour demander une indemnisation. En outre, même si le Comité concluait à l’existence d’une violation de la Convention, il ne lui appartient pas de fixer le montant de l’indemnisation due au requérant.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 29 novembre 2011, le requérant a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2Les violations des articles 12 et 15 de la Convention sont invoquées de manière conjointe. L’absence d’enquête sur la plainte pour torture déposée par le requérant n’est pas une question accessoire ou incidente. De la violation de l’article 12 découle la violation de l’article 15.

5.3Pour ce qui est de la violation de l’article 12 de la Convention, le requérant fait valoir qu’il a exercé sans attendre tous les recours juridictionnels disponibles dans l’État partie pour qu’une enquête soit ouverte et que les responsables des tortures qu’il avait subies soient condamnés. L’absence d’indices suffisants attestant que des actes de torture ont été commis à laquelle conclut l’État partie s’explique par l’inertie dont ont fait preuve les autorités judiciaires, qui n’ont pas enquêté suite à la plainte du requérant. Ce n’est qu’à la demande de ce dernier que la chambre d’instruction no 2 de Vitoria-Gasteiz a entrepris d’établir les faits en examinant les rapports médico-légaux. Elle n’a cependant pas fait droit à la requête du requérant qui demandait à être entendu et à ce que les policiers impliqués dans les faits soient identifiés et convoqués pour être interrogés, et a classé la plainte. Le rôle joué par l’avocat commis d’office était purement formel. Le requérant n’a pas pu choisir lui-même un avocat de confiance dès le début de la détention parce que la législation antiterroriste ne le permet pas. L’Audiencia Provincial d’Álava a indiqué que les allégations de torture formulées par le requérant devaient être corroborées par des éléments connexes. Elle n’a pourtant à aucun moment demandé à la chambre d’instruction no 2 de Vitoria-Gasteiz d’établir les corroborations requises ou de produire les moyens de preuve nécessaires à cette fin.

5.4En ce qui concerne le grief de violation de l’article 15 de la Convention, les magistrats qui ont donné une opinion individuelle dans l’arrêt du Tribunal suprême n’établissent pas que les aveux faits par le requérant ont été obtenus par la torture, mais ils ne disent pas non plus le contraire. Ils constatent que la condamnation a été fondée sur les seuls aveux du requérant, que ces aveux pouvaient être des commencements de preuves mais qu’ils ne constituaient pas un moyen de preuve des faits de la cause et qu’ils ne pouvaient pas être versés à la procédure par la voie des témoignages des fonctionnaires qui les avaient recueillis ou qui les avaient entendus au moment de l’établissement du procès-verbal. La jurisprudence du Tribunal suprême établit qu’en l’absence d’autres preuves, les déclarations obtenues pendant la garde à vue ne peuvent pas constituer une preuve suffisante. En outre, il y a une contradiction dans le fait que le Tribunal suprême ait considéré que les aveux du requérant et ses prétendus liens avec un membre de l’ETA auquel il aurait communiqué des renseignements sur les allées et venues du juge Lidón Corbi étaient insuffisants pour condamner l’individu en question.

5.5Le requérant demande au Comité de reconnaître son droit à une réparation équitable, notamment sous la forme d’une indemnisation, en application de l’article 14 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. En l’espèce, le Comité prend note de la plainte pour torture présentée par le requérant le 29 janvier 2003, de l’ordonnance de non-lieu provisoire, des recours présentés ultérieurement contre cette ordonnance et de la décision du 30 mars 2004 par laquelle l’Audiencia Provincial d’Álava a rejeté l’appel. Le Comité prend également note du recours en amparo formé par le requérant le 22 avril 2004 pour violation, entre autres droits, du droit à l’intégrité physique et morale. Le Tribunal constitutionnel a déclaré ce recours irrecevable le 23 juin 2005 au motif que l’avoué du requérant ne s’était pas acquitté de l’obligation de présenter un mandat de représentation l’habilitant à représenter son client. Le requérant n’explique pas les raisons pour lesquelles cette formalité n’a pas été respectée.

6.3Pour ce qui est de la procédure pénale engagée contre le requérant, le Comité prend note de la condamnation prononcée par l’Audiencia Nacional en date du 12 décembre 2005 et de l’arrêt de cassation rendu par le Tribunal suprême le 4 décembre 2006, qui font tous deux apparaître que le requérant a signalé à la chambre d’instruction no 4 de l’Audiencia Nacional, au procès devant l’Audiencia Nacional et dans le pourvoi de cassation auprès du Tribunal suprême qu’il s’était accusé en raison des tortures qu’il avait subies dans les locaux de la police. En outre, le 31 mars 2008, le Tribunal constitutionnel a déclaré irrecevable le recours en amparo formé contre l’arrêt du Tribunal suprême.

6.4Le Comité note que le requérant n’a pas épuisé les recours internes pour ce qui est de sa plainte pour torture dans la mesure où il ne s’est pas acquitté des formalités exigées par la loi lorsqu’il a formé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Le Comité relève toutefois qu’au cours de la procédure pénale ouverte contre lui le requérant a informé les autorités judiciaires compétentes qu’il avait été soumis à la torture. Dans la mesure où tout fait de torture doit donner lieu à des poursuites d’office, conformément à l’article 12 de la Convention, le Comité estime qu’il n’y a pas d’obstacle à la recevabilité de la requête en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22. Les autres conditions de recevabilité étant réunies, le Comité déclare la requête recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la requête à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

7.2Le requérant s’estime victime d’une violation de l’article 12 de la Convention au motif que les plaintes qu’il a formulées devant les autorités judiciaires au sujet des tortures et des mauvais traitements qu’il avait subis pendant qu’il était détenu au secret n’ont pas donné lieu à l’ouverture immédiate d’une enquête indépendante et impartiale. L’État partie fait valoir que les autorités judiciaires ont pris les mesures nécessaires et qu’elles ont examiné les rapports médicaux établis pendant la détention, sans toutefois trouver d’indices suffisants pour établir que des actes de torture avaient été commis. Le Comité relève que le requérant a présenté une plainte pour torture et mauvais traitements qui a été examinée par la chambre d’instruction no 2 de Vitoria-Gasteiz. Ayant examiné les rapports médico-légaux et n’ayant trouvé dans ces derniers aucun élément qui corrobore les griefs du requérant, le juge a prononcé le non-lieu. Par la suite, l’Audiencia Provincial d’Álava a rejeté l’appel en s’appuyant elle aussi sur les rapports médico-légaux. Le Comité note en outre que le requérant a demandé que d’autres mesures d’enquête soient prises mais les organes judiciaires concernés, considérant que c’était inutile, n’ont pas donné suite. Le Comité note également que pendant l’instruction préparatoire menée par la chambre d’instruction no 4 de l’Audiencia Nacional et au procès qui a suivi devant l’Audiencia Nacional, le requérant a déclaré qu’il s’était accusé en raison des tortures et des mauvais traitements qu’il avait subis. Pourtant, ni les informations dont dispose le Comité ni les observations de l’État partie n’indiquent que des mesures ont été prises pour qu’une enquête soit menée sur les allégations formulées par le requérant. L’Audiencia en particulier s’est contentée d’examiner les preuves dont elle disposait, y compris les aveux du requérant, pour déterminer la responsabilité de ce dernier dans les faits qui lui étaient imputés. Le Tribunal suprême n’a pas non plus pris de mesures suite aux allégations de torture formulées par le requérant dans son pourvoi en cassation.

7.3Au vu de ce qui précède, le Comité estime qu’il y a eu de la part des autorités mentionnées un défaut d’enquête incompatible avec l’obligation qui incombe à l’État au titre de l’article 12 de la Convention de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. Le Comité ne trouve pas dans les éléments du dossier de raisons suffisantes qui justifient que les autorités judiciaires n’aient pas recherché d’autres preuves que les rapports médico-légaux. Le Comité considère que la recherche de preuves supplémentaires était pertinente étant donné que si, d’une manière générale, les rapports médico-légaux sont importants pour prouver des faits de torture, ils sont souvent insuffisants et doivent être comparés avec d’autres éléments d’information. Le Comité conclut par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 12 de la Convention.

7.4Le requérant affirme être victime d’une violation de l’article 15 de la Convention du fait que les aveux que la police a obtenus de lui par la torture ont été utilisés comme preuves aux fins de sa condamnation. Le Comité rappelle qu’en vertu de cet article, l’État partie doit veiller à ce que toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure. Il ressort de la lecture des décisions de l’Audiencia Nacional et du Tribunal suprême que les aveux du requérant ont pesé de manière décisive sur le jugement rendu. Cependant, le Comité estime que le requérant n’a pas présenté d’informations, par exemple des certificats médicaux additionnels établis à l’issue d’examens effectués à sa demande, ni de témoignages qui lui permettent de conclure qu’il est plus que probable que les aveux du requérant ont été obtenus par la torture. Le Comité considère par conséquent que les éléments dont il dispose ne font pas apparaître de violation de l’article 15 de la Convention.

7.5Le requérant affirme être victime d’une violation de l’article 14 dans la mesure où l’État partie aurait dû lui accorder réparation pour le préjudice subi du fait des tortures dont il a été victime. Sur ce grief, le Comité estime, comme indiqué au paragraphe précédent, que les renseignements soumis par le requérant ne sont pas suffisants pour lui permettre de conclure qu’en toute probabilité les aveux ont été obtenus par la torture. En conséquence, le Comité estime que les éléments dont il dispose ne font pas apparaître de violation de l’article 14 de la Convention.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 12 de la Convention.

9.Le Comité estime que l’État partie a l’obligation d’accorder au requérant une réparation effective comprenant l’ouverture d’une enquête approfondie sur les plaintes du requérant, conformément à l’article 12 de la Convention. L’État partie est également tenu d’éviter que des violations analogues soient commises à l’avenir.

10.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite à la décision.

B.Décision concernant la recevabilité

Communication no 365/2008: S. K. et R. K. c. Suède

Présentée par:

S. K. et R. K. (non représentés par un conseil)

Au nom de:

S. K. et R. K.

État partie:

Suède

Date de la requête:

19 novembre 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 21 novembre 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 365/2008 présentée par S. K. et R. K. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Les requérants sont R. K., né en 1981, et S. K., né en 1980, deux frères de nationalité afghane, en attente d’expulsion de la Suède vers l’Afghanistan. Ils affirment que leur renvoi en Afghanistan constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ils ne sont pas représentés par un conseil.

1.2Le 21 janvier 2009, l’État partie a été prié, en application du paragraphe 1 de l’article 115 (ancien art. 108, par. 1) du Règlement intérieur du Comité (CAT/C/3/Rev.5), de ne pas renvoyer les requérants en Afghanistan tant que leur requête serait en cours d’examen.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1En 1980, pendant la guerre contre l’Union des Républiques socialistes soviétiques, la famille des requérants a quitté l’Afghanistan pour la République islamique d’Iran. S. K. avait 6 mois; son frère, R. K., est né en Iran.

2.2En 1990, les conditions de vie étant trop dures en République islamique d’Iran, la famille a décidé de partir pour le Pakistan et a vécu à Quetta en tant que famille de réfugiés de 1990 à 1995. En 1995, le père des requérants est mort d’une crise cardiaque, laissant sa famille sans ressources. La même année, la famille est retournée en Iran où elle a demandé l’asile.

2.3En 2000, les requérants ont commencé à travailler illégalement en République islamique d’Iran. Ils affirment qu’en Iran les réfugiés afghans ne trouvent jamais d’emploi déclaré. En septembre 2000, la police iranienne a arrêté les requérants pour travail illégal et les a gardés en détention pendant vingt jours. Les requérants affirment qu’ils ont été maltraités et torturés par la police iranienne pendant leur détention.

2.4En décembre 2000, les requérants ont été expulsés vers l’Afghanistan et ont été menacés de mort par la police iranienne s’ils revenaient en République islamique d’Iran. Une fois en Afghanistan, ils ont été arrêtés par les Talibans et conduits à Kandahar, où ils affirment avoir été torturés, frappés, maltraités et insultés. Les requérants ont subi des tortures quotidiennement pendant environ deux semaines: ils ont reçu des décharges électriques sur les parties génitales, ont été forcés de rester nus la nuit, et ont été frappés, traînés à travers les montagnes les yeux bandés et menacés de mort. Ils affirment qu’ils souffrent encore de séquelles physiques et psychologiques des tortures subies. Les Talibans les considéraient comme des ennemis de l’État, des infidèles et des espions parce qu’ils avaient grandi en Iran et qu’ils ne parlaient pas le pachtou (langue parlée dans la plupart des régions d’Afghanistan).

2.5Les requérants ont réussi à échapper aux Talibans et à fuir à Quetta, au Pakistan, où ils ont vécu quelque temps avec l’une de leurs sœurs et son mari. Ils ont alors appris que leur mère et leurs autres sœurs, qui étaient restées en République islamique d’Iran, s’étaient établies en Suède où elles avaient obtenu le statut de réfugié le 30 décembre 2000. Leur mère leur a conseillé d’aller à Téhéran pour présenter une demande de regroupement familial à l’ambassade de Suède. Ils s’y sont donc rendus pour déposer la demande à l’ambassade de Suède.

2.6En mai 2001, les requérants ont eu leur premier entretien à l’ambassade de Suède. Un an plus tard, ils ont appris que leur demande de regroupement familial était rejetée parce qu’ils n’étaient plus mineurs. Selon les requérants, des fonctionnaires de l’ambassade de Suède à Téhéran, dont les noms ne sont pas précisés, ainsi qu’un fonctionnaire représentant le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) leur ont conseillé de se rendre clandestinement en Suède et de demander l’asile.

2.7En République islamique d’Iran, à une date non précisée, R. K. a été arrêté par la police et renvoyé en Afghanistan. D’après les requérants, lorsque les policiers afghans ont vu les documents de l’ambassade de Suède, ils ont réagi violemment et l’ont frappé à la tête avec une kalachnikov au point qu’il a failli mourir. Il affirme qu’il a été de nouveau emprisonné, frappé et torturé en Afghanistan. Après plusieurs semaines d’incarcération, il a réussi à prendre la fuite en soudoyant des gardiens et a rejoint son frère et sa sœur au Pakistan. S. K. est lui aussi retourné à Quetta, au Pakistan.

2.8En juillet 2003, la mère des requérants et deux de leurs sœurs leur ont rendu visite à Quetta. La mère avait obtenu de faux papiers d’identité pour ses deux fils et avait arrangé leur mariage avec leurs propres sœurs pour qu’ils puissent partir. Arrivés en Suède, ils ont avoué au Conseil suédois des migrations que leurs papiers d’identité étaient faux et que leurs «épouses» étaient leurs propres sœurs. À une date non précisée, le Conseil suédois des migrations leur a retiré leur permis de séjour et les requérants ont déposé une demande d’asile sous leur véritable identité.

2.9Le 31 mars 2006, le Conseil suédois des migrations a accordé à chaque requérant un titre de séjour pour une année. Au terme de ce délai, les titres de séjour n’ont pas été renouvelés. L’arrêté d’expulsion a été pris le 3 octobre 2008.

2.10Les requérants font valoir que leur vie est menacée car ils sont perçus comme des traîtres en Afghanistan. R. K. dit qu’il figure sur une «liste noire» en Afghanistan parce qu’il a travaillé comme interprète dans le service suédois d’intégration auprès de réfugiés et de demandeurs d’asile, dont beaucoup étaient Afghans. Il affirme qu’il reçoit des appels anonymes de personnes qui lui posent des questions sur son travail d’interprète et veulent savoir pourquoi il interroge des personnes originaires d’Afghanistan en Suède. Il explique qu’il traduit uniquement à partir du persan car il ne comprend pour ainsi dire pas le pachtou. Il affirme avoir reçu à plusieurs reprises des menaces anonymes par téléphone. Les requérants sont convaincus qu’ils seront arrêtés en Afghanistan pour avoir demandé l’asile, ce qui est considéré comme un crime dans leur pays.

2.11Dans une note du 20 janvier 2009, les requérants ont fait savoir que leur situation financière en Suède s’était dégradée, qu’ils avaient perdu leur emploi, n’avaient aucun moyen de subsistance et n’avaient pas accès aux soins de santé. Ils affirmaient que l’une des raisons pour lesquelles ils avaient dû initialement quitter la République islamique d’Iran tenait au fait que leur père, qui était avocat et membre du Parlement, s’était fait en Afghanistan de nombreux ennemis qui appartenaient aujourd’hui au Gouvernement et ils craignaient d’être tués, du seul fait de leur nom, s’ils étaient renvoyés en Afghanistan.

Teneur de la plainte

3.Les requérants affirment que leur retour forcé en Afghanistan, où ils courent un risque réel d’être torturés, constituerait une violation par la Suède des droits qu’ils tiennent de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note du 26 janvier 2009, l’État partie a contesté la recevabilité de la requête au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés. Il fait valoir qu’en vertu des articles 18 et 19 du chapitre 12 de la loi sur les étrangers de 2005, un étranger peut obtenir un titre de séjour même s’il est frappé d’une décision de non-admission ou d’un arrêté d’expulsion devenus exécutoires. Si des informations susceptibles de constituer un obstacle à l’exécution de la décision ou de l’arrêté en question apparaissent, le Conseil suédois des migrations peut accorder un titre de séjour permanent si l’obstacle est durable, ou un titre de séjour provisoire si l’obstacle est temporaire. Le cas peut se présenter par exemple lorsque de nouvelles circonstances surviennent qui donnent à penser qu’il y a des motifs raisonnables de croire que l’exécution de la décision ou de l’arrêté ferait courir à l’intéressé le risque d’être condamné à mort ou d’être soumis à des châtiments corporels, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. En pareil cas, le Conseil des migrations peut ordonner le sursis à exécution de la décision ou de l’arrêté.

4.2L’État partie affirme qu’en vertu des chapitres 14 et 16 de la loi sur les étrangers la décision du Conseil des migrations est susceptible d’appel devant un tribunal de l’immigration, dont les décisions peuvent à leur tour être contestées devant la cour d’appel des migrations, sous réserve qu’une autorisation de faire appel soit accordée. Le 6 mars 2008, le tribunal de l’immigration a décidé, en raison notamment de la détérioration de la situation dans le pays d’origine des requérants, de permettre à ces derniers de faire réexaminer la décision relative aux titres de séjour et a donc renvoyé l’affaire devant le Conseil des migrations. Le 3 octobre 2008, le Conseil a rejeté la demande de permis de séjour, considérant que les requérants avaient la possibilité de trouver refuge dans leur pays. Les requérants ont fait appel des décisions du Conseil devant le tribunal de l’immigration, qui les a déboutés en date du 3 décembre 2008. Les requérants n’ont pas formé de nouveau recours contre les jugements prononcés par le tribunal de l’immigration, qui sont devenus exécutoires le 29 décembre 2008.

4.3L’État partie objecte que la requête a été soumise au Comité avant que le tribunal de l’immigration ait statué. Les recours internes n’avaient donc pas été épuisés. L’État partie fait valoir en outre que les requérants n’ont pas formé de recours devant la cour d’appel des migrations alors que s’ils l’avaient fait et qu’une décision avait été rendue en leur faveur, des titres de séjour auraient pu leur être délivrés. En agissant ainsi, les requérants n’ont pas pleinement donné aux autorités suédoises la possibilité d’examiner les nouvelles circonstances invoquées. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie maintient que les requérants n’ont pas épuisé tous les recours internes qui leur sont ouverts. Par conséquent, la requête devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention pour non-épuisement des recours internes.

Commentaires des requérants sur la recevabilité

5.1Dans une lettre du 6 mars 2009, les requérants se sont étonnés que l’État partie objecte qu’ils n’ont pas épuisé les recours internes car, avant que leur soient accordées des mesures provisoires de protection, ils avaient été convoqués à plusieurs réunions en vue de l’organisation de leur expulsion. Ils pensaient donc avoir nécessairement épuisé les recours internes puisque l’État partie était prêt à les expulser. Ils rappellent que la situation est critique en Afghanistan. Ils se disent par conséquent étonnés de ce que le Conseil des migrations, après avoir réexaminé la question des permis de séjour, fasse valoir qu’ils pouvaient trouver refuge dans leur pays, qui plus est, un pays en proie à une si grande violence.

5.2Les requérants pensent qu’ils ont le droit de vivre paisiblement en Suède et de ne pas être expulsés vers un pays où ils ont subi des tortures, été emprisonnés et où leur père a fait l’objet de persécutions et de représailles de la part de ses ennemis politiques, qui sont actuellement au pouvoir en Afghanistan. Ils affirment également que leurs noms figurent sur une liste noire en Afghanistan en raison des activités passées de leur père, comme cela a été abondamment expliqué par leur mère, qui a le statut de réfugié en Suède.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Le 30 septembre 2009, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il donne des informations détaillées sur la législation suédoise en matière d’asile et fournit également les renseignements suivants concernant les faits de la cause, fondés essentiellement sur les dossiers du Conseil suédois des migrations et des tribunaux de l’immigration. Les demandes d’asile présentées par les requérants ont été examinées dans le cadre de plusieurs séries de procédures, notamment au titre de la loi sur les étrangers de 2005 et des modifications provisoires apportées à la loi sur les étrangers de 1989. Les requérants ont en outre demandé à plusieurs reprises des permis de séjour permanent au titre de la loi sur les étrangers de 2005, en faisant valoir qu’il y avait des obstacles durables à l’exécution des arrêtés d’expulsion. Ces demandes ont été examinées par le Conseil des migrations et, en ce qui concerne le second requérant, ont également été examinées une fois par le tribunal de l’immigration, qui n’a pas accepté le recours en réexamen. Après la dernière demande en date, le tribunal de l’immigration a accordé le réexamen de la demande de permis de séjour. Le Conseil des migrations et le tribunal de l’immigration ont ensuite procédé à un réexamen de la question.

6.2Les requérants sont deux frères, nés respectivement en 1981 (premier requérant) et en 1980 (second requérant). Tous deux sont de nationalité afghane. Ils ont demandé des permis de séjour à l’ambassade de Suède à Téhéran le 25 avril 2001. Leur demande était fondée sur le fait que leur mère et quatre de leurs huit frères et sœurs résidaient en Suède. Les demandes ont été rejetées par le Conseil des migrations le 29 janvier 2002. Ce dernier a estimé qu’il n’existait aucun lien de dépendance particulier entre les requérants et les membres de leur famille au moment où ces derniers sont arrivés en Suède. L’appel a été rejeté par la Commission de recours des étrangers.

6.3En juillet 2003, les requérants ont demandé des permis de séjour en Suède sous de fausses identités. À l’appui de leurs demandes, ils invoquaient le fait d’avoir épousé deux femmes titulaires de permis de séjour en Suède. Le 18 juin 2004, ils ont obtenu des permis de séjour temporaires de six mois sous leurs fausses identités. Ils sont arrivés le 30 juin 2004. Selon l’État partie, les requérants ont menti en déclarant dans leur requête au Comité qu’ils avaient spontanément révélé leur véritable identité au Conseil des migrations à leur arrivée en Suède. C’est pendant la procédure de demande de prorogation des permis de séjour temporaires que le Conseil des migrations a découvert que les requérants avaient obtenu leurs permis de séjour sous de fausses identités et que leurs prétendues épouses étaient en fait leurs propres sœurs. Ils l’ont reconnu seulement lorsque le Conseil des migrations leur a fait savoir qu’il était au courant et les a confondus. Le Conseil des migrations a donc engagé une procédure d’expulsion vers leur pays d’origine et leur a désigné un conseil à cet effet. Il a également signalé les requérants à la police.

6.4Les requérants ont déposé des demandes d’asile le 7 juin 2005. Des entretiens ont eu lieu le 14 décembre 2005 en présence de leur conseil et d’un interprète. Le premier requérant a déclaré être né en République islamique d’Iran mais avoir la nationalité afghane. Il a passé toute sa vie en Iran, à l’exception de quelques années pendant lesquelles il a vécu au Pakistan. Étant de nationalité afghane, il ne pouvait obtenir de permis de travail en Iran et n’était pas autorisé à aller à l’école. En Iran, il a été arrêté deux fois parce qu’il n’avait pas de permis de séjour. Les deux fois, il a passé quelques mois dans un camp de réfugiés en Iran, où il a été maltraité et, dans les deux cas, il a été envoyé en Afghanistan où il a passé quelques semaines. Il n’a jamais eu de difficultés avec les autorités afghanes. Il n’a pas eu de difficultés pour entrer dans le pays. La seule question posée par les Afghans était celle de savoir s’il était Afghan et s’il était allé en Iran. Il ne peut retourner ni en Iran, ni au Pakistan. Il ne peut pas retourner en Afghanistan car il n’a aucun lien avec ce pays. Il est allé en Suède parce que sa famille s’y trouve.

6.5Le second requérant a déclaré être né en Afghanistan et avoir quitté ce pays pour l’Iran avec sa famille lorsqu’il avait 6 mois, à cause de la guerre avec l’ex-Union soviétique. Il a passé toute sa vie en Iran, à l’exception de six années passées au Pakistan. Il avait un permis de séjour temporaire en Iran et y a travaillé dans des conditions pénibles. Les autorités iraniennes l’ont interné, lui et son frère, dans un camp de réfugiés, où un soldat l’a frappé au genou. Depuis lors, il a des problèmes avec ce genou. Il ne connaît personne en Afghanistan, et ne parle pas la langue. Il ne peut retourner en Iran ni au Pakistan car il n’obtiendra pas de permis de séjour. Il a donné une fausse identité parce qu’il voulait rejoindre sa famille en Suède.

6.6Le 19 décembre 2005, le Conseil des migrations a rejeté les demandes de permis de séjour, de permis de travail, de déclaration du statut de réfugié et de documents de voyage présentées par les requérants, et a ordonné leur expulsion vers l’Afghanistan, à moins qu’ils ne puissent montrer qu’un autre pays était disposé à les accueillir. Il leur a été interdit de revenir en Suède sans l’autorisation du Conseil des migrations pendant deux ans à compter de la date de la décision. Le Conseil des migrations a déclaré initialement que les demandes présentées par les requérants devaient être examinées en prenant comme pays de référence l’Afghanistan en raison de leur nationalité afghane. Il ne voyait aucune raison d’examiner les demandes en prenant comme référence le Pakistan ou la République islamique d’Iran, puisque les requérants n’avaient, semble-t-il, aucun permis de séjour dans ces pays. Selon le Conseil des migrations, la situation générale en Afghanistan n’était pas en soi une raison suffisante pour accorder aux requérants des permis de séjour en Suède. Ceux-ci n’avaient pas suffisamment démontré qu’ils devraient être considérés comme des réfugiés ou des étrangers nécessitant une protection et, par conséquent, comme étant en droit de prétendre au statut de réfugié. En outre, le Conseil ne voyait aucune raison de s’écarter de l’évaluation qui avait été faite auparavant tant par lui-même que par la Commission de1216732 recours des étrangers concernant les permis de séjour, et qui était fondée sur les relations des requérants avec leur mère et frères et sœurs résidant en Suède. Il n’y avait pas de raisons humanitaires ou autres d’accorder des permis de séjour aux requérants. Compte tenu du fait que ceux-ci s’étaient présentés sous différentes identités, qu’ils avaient utilisé de faux papiers, qu’ils avaient caché des informations importantes et donné à l’appui de leur demande d’un permis de séjour des raisons qui étaient en grande partie fausses, les arrêtés d’expulsion étaient assortis d’une interdiction de revenir en Suède pendant deux ans. Les requérants ont fait appel de cette décision devant la Commission de recours des étrangers. Le 28 mars 2006, la Commission a décidé de rayer ce dossier de sa liste, les requérants ayant retiré leurs recours. La décision du Conseil des migrations devenait dès lors exécutoire.

6.7Le 31 mars 2006, le Conseil des migrations a décidé d’accorder aux requérants des permis de séjour temporaires valables un an en vertu des modifications provisoires apportées à la loi sur les étrangers de 1989 au motif que la Suède n’expulsait pas de force vers l’Afghanistan en raison de la situation régnant dans le pays. Néanmoins, la Suède envisageait la probabilité de pouvoir expulser des hommes célibataires dans un avenir prévisible car ces derniers devraient avoir de bonnes chances de se réinsérer dans la société afghane. Le Conseil des migrations a également déclaré que le HCR n’était pas opposé aux expulsions forcées vers l’Afghanistan. Par conséquent, les arrêtés d’expulsion des requérants n’ont pas été annulés.

6.8Les requérants ont demandé une prorogation de leurs permis de séjour temporaires. Leurs demandes ont été rejetées par le Conseil des migrations le 30 mai et le 13 juin 2007 respectivement. Le Conseil a considéré que les circonstances présentées par les requérants ne pouvaient être considérées comme des obstacles durables à l’exécution des arrêtés d’expulsion.

6.9Dans une demande du 14 juin 2007, le premier requérant a demandé un permis de séjour en indiquant qu’il s’était installé en Suède et que toute sa famille s’y trouvait. Étant musulman chiite, il était, de ce fait, particulièrement exposé en Afghanistan. À son retour, il serait contraint d’intégrer l’armée. Le 21 juin 2007, le Conseil des migrations a rejeté sa demande. Le premier requérant a fait appel de la décision devant le tribunal de l’immigration. Le recours a été rejeté le 6 juillet 2007 au motif que les circonstances individuelles exposées par le requérant avaient déjà été examinées. Même si l’on prenait en compte la situation en Afghanistan, aucune circonstance nouvelle n’avait été invoquée qui soit susceptible d’être considérée comme un obstacle durable à l’exécution de l’arrêté d’expulsion.

6.10Dans des demandes ultérieures présentées par leur conseil, les requérants ont de nouveau sollicité des permis de séjour, en maintenant leurs allégations précédentes et en ajoutant qu’ils étaient originaires de Kandahar, un endroit très dangereux. Il y avait également un risque manifeste qu’ils soient contraints d’accomplir leur service militaire ou de rejoindre les milices. Ils avaient invoqué que leur mère souffrait de démence sénile à cause des problèmes que rencontraient ses fils pour obtenir des permis de séjour. Le second requérant a également ajouté qu’il avait subi une opération du genou et qu’il n’était pas encore complètement rétabli. Il devrait probablement être opéré de nouveau, ce qui n’était pas possible en Afghanistan. Le Conseil des migrations a rejeté les demandes le 25 septembre 2007.

6.11Dans des demandes présentées le 18 janvier 2008, les requérants ont réitéré leurs revendications antérieures et ajouté que le second requérant souffrait de dépression, comme l’attestait un rapport médical joint aux demandes. Ils évoquaient également leur adaptation à la Suède et la situation générale en Afghanistan, et affirmaient qu’ils ne seraient pas autorisés à entrer en Afghanistan, au cas où l’arrêté d’expulsion serait exécuté. Le 30 janvier 2008, le Conseil des migrations a rejeté leurs demandes et décidé de ne pas les réexaminer. Il a noté que les possibilités de prendre en compte les obstacles médicaux ou l’adaptation à la Suède étaient très limitées et concernaient seulement des situations exceptionnelles. Le Conseil a considéré que le retour dans la province de Kandahar, au sud de l’Afghanistan, n’était pas possible en l’occurrence, mais qu’il était raisonnable d’exiger que les requérants demandent une protection dans leur pays, par exemple à Kaboul. Même si la situation y était difficile en ce qui concerne le ravitaillement et le logement, l’enquête menée n’a pas fait apparaître d’éléments autres que le fait que les requérants seraient admis en Afghanistan et qu’ils avaient le droit de chercher un emploi à Kaboul. Les requérants ont fait appel de cette décision devant le tribunal de l’immigration, en faisant valoir qu’il y avait un obstacle politique à l’exécution des arrêtés d’expulsion, à savoir la décision générale du Conseil des migrations de ne pas expulser des personnes originaires du sud de l’Afghanistan.

6.12Le 6 mars 2008, le tribunal de l’immigration a décidé d’accorder le réexamen de la question des permis de séjour et a par conséquent renvoyé l’affaire devant le Conseil des migrations. Le tribunal a constaté que la situation dans la province de Kandahar constituait un obstacle à l’exécution des arrêtés d’expulsion vers cette province particulière. Le 13 mars 2008, le Conseil des migrations a décidé de surseoir à l’exécution des arrêtés d’expulsion à l’égard des requérants.

6.13Le Conseil des migrations a tenu de nouveaux entretiens avec les requérants le 3 septembre 2008. Ceux-ci ont affirmé qu’ils ne connaissaient personne en Afghanistan et ne savaient pas où s’adresser. Ils allaient connaître la faim, seraient sans travail et sans logement. Peut-être leur faudrait-il, pour survivre, participer au conflit armé ou vendre de la drogue. Ils ne parlent pas la langue du pays. Ils parlent le dari, mais sous la forme utilisée en République islamique d’Iran. Ils risquent donc d’être tués à cause de cela. Ils risquent aussi d’être tués par les Talibans parce qu’ils sont musulmans chiites. Leur mère est malade et sa santé serait grandement compromise s’ils étaient expulsés vers l’Afghanistan. Le second requérant a également déclaré qu’il ne se sentait pas bien, qu’il dormait mal et qu’il était stressé.

6.14Le 3 octobre 2008, le Conseil des migrations a rejeté les demandes de permis de séjour des requérants. Il a fondé sa décision sur un jugement rendu par la cour d’appel des migrations dans une affaire semblable, jugement selon lequel le Conseil des migrations doit déterminer s’il est raisonnable d’opter pour la possibilité de trouver refuge dans le pays. La condition préalable pour cela est que l’étranger dont il s’agit doit être admis dans le pays du retour et doit être autorisé à y chercher du travail. Si l’étranger doit être exposé à une situation indûment précaire, la possibilité de trouver refuge dans le pays n’est pas raisonnable. Cette détermination doit se faire au cas par cas. Il convient de prendre en considération non seulement la situation générale du pays, mais aussi les possibilités qu’a l’étranger de s’établir dans un lieu nouveau où il (ou elle) n’a pas de réseau de relations. Peuvent également entrer en ligne de compte des éléments tels que le sexe, l’âge et l’état de santé. La cour d’appel des migrations a déclaré que la situation à Kaboul n’atteignait pas le point où une personne risquait de subir un préjudice grave en raison du conflit armé intérieur ou d’autres troubles graves. La sécurité à Kaboul est bien meilleure que dans les campagnes, surtout grâce à la présence de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS). Il y avait en outre des organisations humanitaires nationales et internationales qui étaient installées à Kaboul. Le Conseil des migrations a ensuite noté que le Gouvernement suédois, le Gouvernement afghan et le HCR avaient conclu un accord de réadmission des ressortissants afghans. Selon cet accord, une personne qui acceptait d’être rapatriée volontairement en Afghanistan recevrait une aide financière à son arrivée à Kaboul. Compte tenu de cet élément, le Conseil des migrations a conclu que les requérants ne pouvaient pas être considérés comme étant exposés à une situation indûment précaire s’ils retournaient en Afghanistan. Étant des hommes, ils pouvaient se déplacer librement dans le pays et avaient la possibilité de s’installer ailleurs que dans la province de Kandahar. Il n’y avait aucune raison de penser qu’ils ne seraient pas admis en Afghanistan ou qu’ils seraient expulsés du pays. Il semblait peu probable qu’ils aient des difficultés pour obtenir des papiers d’identité. Le Conseil a ajouté que, dans le cadre de l’examen des obstacles à l’exécution d’un arrêté d’expulsion devenu exécutoire, il y a peu de marge pour prendre en considération l’état de santé ou l’adaptation à la Suède d’un étranger. De ce fait, il a conclu que les circonstances entourant la situation des requérants ne constituaient pas des obstacles durables et a considéré qu’il y avait une possibilité de trouver refuge en Afghanistan. Rien ne permettait de penser que les requérants devaient être considérés comme des réfugiés ou des étrangers nécessitant une protection et pouvant prétendre par conséquent au droit d’asile.

6.15Les requérants ont fait appel de la décision du tribunal de l’immigration. Ils ont maintenu leurs griefs précédents et ajouté qu’il n’y avait pas de possibilité de trouver refuge dans le pays. Ils ont affirmé que, d’après un rapport publié par le HCR le 5 octobre 2008, il ne fallait plus envoyer les personnes à Kaboul, surtout pas celles qui n’avaient aucune relation dans cette ville. Les Talibans étaient à quelques kilomètres seulement de Kaboul. L’expulsion des requérants plongerait leur mère dans la détresse. Le tribunal de l’immigration a rejeté les recours le 3 décembre 2008 et a déclaré qu’il n’y avait aucune possibilité, dans le cadre de l’évaluation des obstacles durables, de prendre en compte des aspects humanitaires tels que la santé de la mère des requérants ou leur adaptation à la Suède. Quant à la possibilité de trouver refuge dans leur pays, le tribunal s’est fondé sur un jugement rendu par la cour d’appel des migrations dans une affaire semblable (voir plus haut par. 6.14) et a souligné que les requérants étaient jeunes, en bonne santé et capables de travailler, et que Kaboul offrait une possibilité raisonnable de trouver refuge dans le pays. Les requérants n’ont pas fait appel du jugement du tribunal de l’immigration, lequel est par conséquent devenu exécutoire le 29 décembre 2008.

6.16Les requérants ont présenté leur requête au Comité en novembre 2008, c’est-à-dire avant que le Conseil des migrations n’ait rendu ses jugements. Le 26 janvier 2009, le Conseil des migrations a décidé de surseoir à l’exécution des arrêtés d’expulsion visant les requérants, comme le demandait le Comité.

6.17En ce qui concerne la recevabilité de la requête, l’État partie indique qu’à sa connaissance, la présente affaire n’a pas été et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En ce qui concerne l’épuisement de tous les recours internes, condition requise au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, l’État partie maintient sa position, à savoir que les requérants n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles, et que, par conséquent, la requête est irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Indépendamment de l’examen auquel procédera le Comité au titre du paragraphe 5 a) et b) de l’article 22 de la Convention, l’État partie maintient que, lorsque les requérants affirment qu’ils risquent d’être traités d’une manière qui constituerait une violation de la Convention, ils n’apportent pas le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité, et que, par conséquent, la requête est manifestement dénuée de fondement et irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention.

6.18En ce qui concerne le fond, dans l’hypothèse où le Comité considérerait la requête comme recevable, il devra déterminer si le retour forcé des requérants en Afghanistan serait une violation de l’obligation contractée par la Suède au titre de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Il rappelle que, pour déterminer si le renvoi forcé d’une personne vers un autre pays constituerait une violation de l’article 3, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Cependant, comme le Comité l’a souligné à maintes reprises, il s’agit de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture s’il retourne dans ce pays. Pour qu’une violation de l’article 3 soit établie, il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait en danger.

6.19En ce qui concerne la situation des droits de l’homme en Afghanistan, l’État partie déclare qu’elle reste peu brillante en raison de la rébellion, de la faiblesse des institutions gouvernementales et traditionnelles, de la corruption, du trafic de drogues et du conflit qui sévit depuis longtemps dans le pays. La liste des violations des droits de l’homme comprend la torture et les exécutions extrajudiciaires imputables au Gouvernement et à ses agents ainsi qu’aux Talibans et à d’autres groupes insurgés. La situation a empiré en 2008 et en 2009, et 2008 a été l’année la plus violente depuis 2001. Le conflit qui sévissait dans le sud, le sud-est et l’est du pays s’est propagé à des régions restées relativement stables dans un passé récent, notamment les provinces centrales entourant Kaboul ainsi qu’une partie des régions du nord et de l’ouest. Néanmoins, la situation à Kaboul est meilleure que dans d’autres régions du pays. Les autorités de police ont généralement la volonté de faire appliquer la loi, même si leur capacité à le faire est limitée par des ressources insuffisantes et dépend, dans une certaine mesure, de la loyauté des policiers. À Kaboul, la FIAS (dirigée par l’OTAN) aide le Gouvernement à assurer et maintenir la sécurité. Avec les moyens d’un système judiciaire et législatif limité, la volonté des autorités de police de faire régner l’ordre et la présence de la FIAS, il est possible d’obtenir un niveau de protection en général suffisant à Kaboul. Une commission indépendante des droits de l’homme (la Commission indépendante des droits de l’homme d’Afghanistan) a été mise en place et œuvre activement à améliorer la situation des droits de l’homme en Afghanistan. Le 23 juin 2007, le Gouvernement suédois, le Gouvernement afghan et le HCR ont conclu un mémorandum d’accord concernant le retour de Suède en Afghanistan de ressortissants afghans. Cet accord a principalement pour objectif de faciliter le rapatriement volontaire de demandeurs d’asile, mais il n’exclut pas le retour forcé. L’accord est venu à expiration le 30 avril 2009 et n’a pas encore été renouvelé.

6.20En ce qui concerne le risque couru personnellement par les requérants d’être torturés à leur retour en Afghanistan, l’État partie note que l’obligation de non-refoulement est directement liée à la définition de la torture figurant à l’article premier de la Convention, et rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle l’obligation de ne pas expulser une personne qui risque de se voir infliger une douleur ou des souffrances par une entité non gouvernementale, sans le consentement exprès ou tacite du Gouvernement, est en dehors du champ d’application de l’article 3 de la Convention. En outre, selon la jurisprudence du Comité, aux fins de l’article 3, l’individu concerné doit courir personnellement un risque prévisible, réel, d’être torturé dans le pays dans lequel il est renvoyé. Le critère du caractère nécessaire et prévisible doit être interprété à la lumière de l’Observation générale no 1 (1996) sur l’application de l’article 3 de la Convention, selon laquelle il appartient au requérant de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de recueillir et de présenter des éléments de preuve à l’appui de sa version des faits. Dans ce contexte, l’État partie rappelle que les autorités suédoises de l’immigration appliquent le même critère lorsqu’elles examinent une demande d’asile au titre de la loi sur les étrangers que le Comité lorsqu’il examine une requête présentée au titre de la Convention. L’autorité nationale qui effectue l’entretien est très bien placée pour apprécier les informations fournies par le demandeur d’asile et pour vérifier la crédibilité de ses allégations. En l’espèce, le Conseil des migrations a eu deux entretiens avec chacun des requérants au sujet de leurs demandes; il disposait donc de suffisamment d’informations outre les faits et les documents versés au dossier, pour avoir une base solide afin d’évaluer le besoin de protection en Suède des requérants. Leurs demandes de permis de séjour ont été examinées plusieurs fois par les autorités de l’immigration, notamment par le tribunal de l’immigration de Stockholm. Par conséquent, il convient d’accorder un grand poids à l’évaluation faite par les autorités suédoises. En ce qui concerne le bien-fondé de la requête, l’État partie s’en remet aux décisions rendues par le Conseil des migrations et par le tribunal de l’immigration.

6.21Les requérants font valoir que, s’ils sont expulsés vers l’Afghanistan, ils risqueraient d’être torturés ou même tués, et invoquent les motifs suivants: ils ne parlent pas la langue du pays et ne partagent pas la même culture; ils ont été torturés en Afghanistan après leur expulsion dans ce pays par la police iranienne; leur expulsion les exposerait au risque d’être torturés et tués par des «combattants tribaux» («tribal fighters») et par les Talibans, qui vont les considérer comme des traîtres et des félons, et les autorités afghanes ne garantiront pas leur sécurité; ils seront arrêtés pour avoir demandé l’asile en Suède, ce qui est considéré comme un crime grave en Afghanistan; le premier requérant, qui a travaillé comme interprète pour des demandeurs d’asile en Suède, a par conséquent été fiché par la police secrète afghane et figure sur une «liste noire» en Afghanistan; leur père, qui était avocat et membre du Parlement, avait plusieurs ennemis en Afghanistan, dont certains font partie du gouvernement actuel, ce qui fait qu’ils vont être tués parce qu’ils portent le même nom.

6.22L’État partie rappelle qu’il incombe aux requérants de présenter des arguments défendables. À cet égard, en l’espèce, les griefs des requérants sont vagues et ne s’appuient pas sur des éléments précis. Ils n’ont pas présenté de preuve à l’appui de leurs allégations. En outre, il y a une contradiction évidente dans le récit du premier requérant. Pendant la procédure d’asile, il a déclaré qu’il n’avait eu aucun problème avec les autorités afghanes lorsqu’il a été expulsé en Afghanistan par les autorités iraniennes, ce qui s’est produit deux fois. En République islamique d’Iran, en revanche, il a été traité avec brutalité. Il ressort de sa déclaration devant le Conseil des migrations que les autorités afghanes se sont très peu intéressées à lui. Cela contraste fortement avec la teneur de la requête présentée au Comité, dans laquelle les requérants déclarent que, lorsqu’elle a vu les documents de l’ambassade de Suède, que le premier requérant avait avec lui, la police afghane a réagi avec une telle brutalité qu’il en est presque mort.

6.23On observe une escalade considérable dans le récit des requérants depuis les premiers entretiens effectués en décembre 2005 jusqu’à la présente requête, qui a été présentée au Comité vers la fin de 2008. Les demandes d’asile présentées en Suède étaient fondées principalement sur la situation de la sécurité qui était difficile en Afghanistan et sur le fait qu’ils n’avaient jamais vécu dans ce pays et que leur mère ainsi que leurs frères et sœurs vivaient en Suède. Devant le Comité, ils ont invoqué des circonstances entièrement nouvelles. Pendant les entretiens tenus en décembre 2005, les requérants n’ont pas mentionné avoir été torturés en Afghanistan, et n’ont pas déclaré craindre la police afghane ou d’autres autorités afghanes. Pendant les entretiens menés en septembre 2008 (voir plus haut par. 6.13), les deux requérants ont déclaré qu’ils risquaient d’être tués par la police parce qu’ils parlaient le dialecte dari utilisé en République islamique d’Iran, et par les Talibans parce qu’ils sont musulmans chiites. Dans la requête qu’examine le Comité, il y a une nouvelle escalade, car les requérants mentionnent pour la première fois qu’ils ont été torturés en Afghanistan. Tous les deux affirment avoir été torturés par les Talibans et le premier requérant prétend aussi avoir été torturé par la police afghane. Ils invoquent des motifs entièrement nouveaux pour protester contre leur expulsion vers l’Afghanistan: premièrement, qu’ils ont demandé l’asile en Suède, ce qui est considéré comme un crime grave en Afghanistan; deuxièmement, que le premier requérant est fiché par la police secrète afghane parce qu’il a travaillé comme interprète pour des requérants d’asile en Suède; troisièmement, que certains des anciens ennemis de leur père font partie du gouvernement actuel et que les requérants vont être tués parce que leur nom est connu.

6.24Étant donné ce qui précède, il y a des raisons de mettre en doute la crédibilité de l’allégation invoquée par les requérants, à savoir qu’ils risquent d’être torturés à leur retour en Afghanistan. La crédibilité générale de la communication est également affaiblie par le fait qu’ils ont obtenu des permis de séjour en Suède en donnant de fausses identités et en faisant de fausses déclarations. En outre, ils ont affirmé au Comité avoir avoué spontanément aux autorités suédoises qu’ils avaient menti au sujet de leur identité, ce qui est faux. Ils ont admis avoir menti seulement après avoir été mis au courant de cette information et confondus, soit plus de neuf mois après leur arrivée en Suède. Cet élément affaiblit encore davantage leur crédibilité.

6.25En ce qui concerne l’allégation des requérants selon laquelle ils risquent d’être torturés et tués par des «combattants tribaux» («tribal fighters») et par les Talibans, il découle de l’article premier de la Convention et de la jurisprudence du Comité que le risque d’être soumis à de mauvais traitements par une entité non gouvernementale ou par des particuliers, sans le consentement exprès ou tacite du Gouvernement, est en dehors du champ d’application de l’article 3. En tout état de cause, les requérants n’ont pas étayé le grief selon lequel ils seraient exposés à un tel risque.

6.26Rien n’indique que les autorités afghanes porteraient un intérêt particulier aux requérants. Pour évaluer les risques, il faut tenir compte du fait que les requérants n’ont jamais vécu en Afghanistan, que leurs parents ont quitté le pays il y a près de trente ans et qu’ils ont fui ce pays (comme plus de 6millions d’autres Afghans) à cause de la guerre avec l’ex-Union soviétique. Il convient de relever que plus d’un million de réfugiés afghans sont revenus de la République islamique d’Iran en Afghanistan. En outre, les récits qu’ont faits les requérants au Conseil des migrations ne donnent pas l’impression que les autorités afghanes s’intéresseraient réellement à eux. Le premier requérant a déclaré expressément n’avoir eu aucun problème avec les autorités afghanes lorsqu’il a été expulsé dans ce pays, et le second requérant n’a pas mentionné être allé en Afghanistan. De surcroît, deux des raisons invoquées pour expliquer que les autorités afghanes s’intéresseraient à eux − le fait d’être fiché par la police secrète pour le premier requérant et le fait que les ennemis de leur père siègent au Gouvernement − ne sont étayées par aucun élément, ne sont pas suffisamment détaillées et n’ont jamais été présentées aux autorités suédoises alors que les requérants avaient eu plusieurs fois l’occasion et largement le temps de le faire. De plus, en ce qui concerne l’explication donnée par le premier requérant, qui a dit qu’il avait été fiché par la police secrète parce qu’il avait travaillé comme interprète pour des requérants d’asile en Suède, l’ambassade de Suède à Kaboul a fait savoir qu’elle n’a pas connaissance du fait que le service de sécurité afghan actuel se livrerait à «l’espionnage des demandeurs d’asile» et aurait dans son fichier des renseignements sur les demandeurs d’asile afghans. La troisième raison, à savoir que le fait d’avoir demandé l’asile en Suède constitue un crime grave en Afghanistan, n’a pas non plus été invoquée devant les autorités suédoises. L’ambassade de Suède à Kaboul a fait savoir qu’à sa connaissance, demander l’asile dans un autre pays n’est pas un crime en droit afghan. Dans ce contexte, l’État partie rappelle que le Gouvernement suédois, le Gouvernement afghan et le HCR ont signé un mémorandum d’accord sur la réadmission des demandeurs d’asile afghans, accord qui n’aurait pu être conclu si le fait de demander l’asile avait constitué un crime.

6.27Dans leur communication au Comité, les requérants affirment qu’ils ont été torturés en Afghanistan. Ce grief ne repose sur aucun fondement et n’a pas été présenté aux autorités suédoises. Néanmoins, il est rappelé que le Comité a fait observer que, même si le fait d’avoir été soumis à la torture dans le passé est l’un des éléments que le Comité doit prendre en considération lorsqu’il examine une plainte pour violation de l’article 3 de la Convention, le but qu’il poursuit quand il examine une communication est de déterminer si, maintenant, au cas où ils seraient renvoyés dans leur pays d’origine, les requérants risqueraient d’être soumis à la torture.

6.28En ce qui concerne l’argument que les requérants ont fait valoir devant le Comité, à savoir qu’ils ne parlent pas la langue parlée en Afghanistan, il convient de noter qu’il y a deux langues officielles en Afghanistan, le dari et le pachtou, qui appartiennent l’une et l’autre au groupe linguistique iranien. Le dari est parlé par environ 50% de la population, et le pachtou par environ 35%; à Kaboul, la majorité des habitants parlent le dari. Il ne fait pas de doute que les deux requérants parlent le dari, étant donné que les entretiens menés dans le cadre de la procédure d’asile ont eu lieu dans cette langue. En outre, selon certaines informations, le premier requérant, au moins, parle le pachtou. Lorsqu’il a été convoqué pour un entretien à Islamabad dans le cadre de sa demande de permis de séjour en Suède en raison de son mariage présumé avec une femme vivant en Suède, il y avait une interprétation depuis et vers le pachtou et le compte rendu indique que le requérant parlait le pachtou. Compte tenu de ce qui précède, les requérants n’auraient aucun véritable problème linguistique s’ils retournaient en Afghanistan. Rien n’indique qu’ils seraient exposés à un risque particulier d’être torturés ou d’être tués pour la seule raison qu’ils parlent un dialecte du dari usité en République islamique d’Iran.

6.29Le Conseil suédois des migrations et le tribunal de l’immigration de Stockholm ont conclu l’un et l’autre qu’il existe une possibilité pour les requérants de trouver refuge dans leur propre pays, en particulier à Kaboul. La situation des droits de l’homme est meilleure à Kaboul que dans d’autres régions du pays. En cas de rapatriement volontaire, il serait possible pour les requérants d’obtenir une aide financière dans le cadre du règlement relatif à l’aide à la réinstallation pour certains étrangers. Cette aide financière est de 30 000 couronnes suédoises pour un adulte de plus de 18 ans (soit environ 3000euros). Elle peut être accordée aux étrangers qui sont rapatriés volontairement dans un pays où l’installation est difficile en raison de la situation. L’Afghanistan est considéré comme tel.

6.30En conclusion, l’État partie affirme que la présente communication doit être déclarée irrecevable a) en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 pour non-épuisement de tous les recours internes, ou b) en vertu du paragraphe 2 de l’article 22, car elle est manifestement dénuée de fondement étant donné que les circonstances invoquées par les requérants ne suffisent pas à montrer que le prétendu risque de torture répond aux critères suivants: être prévisible, réel et personnel; les requérants n’ont pas fait valoir suffisamment de motifs sérieux de croire qu’ils courraient un risque réel et personnel d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 s’ils étaient expulsés vers l’Afghanistan et, par conséquent, la requête n’est pas étayée par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité.

Nouvelles observations de l’État partie

7.1Par une note verbale du 19avril 2010, l’État partie a informé le Comité qu’en vertu du chapitre 12, section 22, de la loi sur les étrangers de 2005, un arrêté d’expulsion qui n’a pas été pris par un tribunal ordinaire à la suite d’une infraction vient à expiration quatre ans après la date à laquelle il est devenu définitif et non susceptible d’appel. La décision du Conseil des migrations concernant l’expulsion des requérants est devenue définitive et non susceptible d’appel le 28mars 2006, date à laquelle la Commission de recours des étrangers a décidé de rayer l’affaire du rôle après que les requérants eurent retiré leur appel. La décision concernant l’expulsion a donc été frappée de prescription le 28mars 2010.

7.2Lorsqu’une décision d’expulsion vient à expiration, l’intéressé est convoqué à une réunion au Conseil des migrations. Il est alors informé du fait que la décision d’expulsion est venue à expiration et il sera encouragé à faire une nouvelle demande de permis de séjour. Une nouvelle demande après extinction de la décision initiale par prescription implique un examen complet des raisons pour lesquelles la personne demande l’asile et un permis de séjour à ce moment-là. En principe, le permis de séjour est accordé dans les cas où la décision d’expulsion a été frappée de prescription sans que l’étranger en soit responsable (par exemple, s’il est passé dans la clandestinité pour empêcher l’exécution de la décision). Le rejet de la nouvelle demande est susceptible d’appel devant le tribunal de l’immigration compétent puis, ultérieurement, devant la cour d’appel des migrations.

7.3En l’espèce, le fait que la décision d’expulsion tombe sous le coup de la prescription a une double signification: premièrement, la décision contre laquelle la requête présentée au Comité est dirigée ne peut plus être exécutée, c’est-à-dire que les requérants ne sont plus sous la menace d’une expulsion; deuxièmement, leur nouvelle demande d’asile et de permis de séjour ainsi que les raisons avancées à l’appui de cette demande seront entièrement réexaminées, et le refus est susceptible d’appel devant le tribunal de l’immigration.

7.4Compte tenu de ce qui précède, l’État partie demande au Comité de cesser l’examen de la requête, à condition que les requérants retirent la communication présentée au Comité. Si les requérants décident de ne pas retirer leur requête, l’État partie maintient sa position, à savoir que la requête devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Étant donné que la décision initiale d’expulsion est frappée de prescription, une nouvelle demande adressée au Conseil des migrations avec la possibilité de faire appel devant la cour d’appel des migrations doit être considérée comme un recours utile contre le risque allégué de violation de l’article 3. En outre, l’État partie mentionne le paragraphe 2 de l’article 110 du Règlement intérieur du Comité, selon lequel il peut reconsidérer une décision d’irrecevabilité pour non-épuisement des recours internes sur demande écrite faite par le particulier ou en son nom contenant des renseignements d’où il ressort que les motifs d’irrecevabilité ne sont plus applicables, et déclare qu’il sera possible aux requérants de faire examiner leur cas par le Comité si leur nouvelle demande d’asile et de permis de séjour est rejetée.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie

8.1Dans une lettre du 11 mars 2011, les requérants déclarent que la situation en Afghanistan empire et que le risque auquel ils seraient exposés en cas d’expulsion est bien connu: ils seraient emprisonnés et victimes d’une exécution extrajudiciaire s’ils devaient retourner en Afghanistan. Ils ajoutent qu’ils ont vécu en Afghanistan pendant très peu de temps, période pendant laquelle ils ont fait l’objet de persécutions et de mauvais traitements. Pendant de nombreuses années, ils ont vécu en République islamique d’Iran en tant que réfugiés et n’ont aucun lien avec l’Afghanistan. Ils affirment en outre être originaires d’une région dangereuse, où les terroristes, les militaires et d’autres groupes armés se font la guerre. Les requérants font valoir que leur mère, leur frère et leurs sœurs vivent en Suède et qu’ils veulent vivre paisiblement en Suède, près des membres de leur famille, y poursuivre leurs études et faire des projets d’avenir.

8.2Le 21 mars 2011, les requérants ont envoyé leurs commentaires sur la note verbale de l’État partie datée du 19 avril 2010. Ils maintiennent que la Suède a rejeté leurs demandes d’asile malgré le bien-fondé de leurs allégations. Ils pensent que la Suède est déterminée à les expulser vers un pays qu’ils connaissent à peine et où ils n’ont ni frère ni sœur. Les requérants ajoutent qu’ils ont perdu confiance dans les autorités suédoises de l’immigration et ont décidé par conséquent de ne pas déposer de nouvelle demande d’asile comme le recommandait l’État partie, car ils craignent que leurs nouvelles demandes ne soient automatiquement rejetées et que la Suède ne procède à leur expulsion vers l’Afghanistan sans autre préavis.

Observations complémentaires de l’État partie

9.En date du 27 avril 2011, se référant à ses observations précédentes du 19 avril 2010 (voir plus haut, par. 7.1 à 7.4), l’État partie a réitéré sa position et réaffirmé que la présente requête devrait cesser d’être examinée ou être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes étant donné que, la décision d’expulsion des requérants étant prescrite, ceux-ci ont maintenant la possibilité de présenter de nouvelles demandes d’asile au Conseil des migrations, avec possibilité d’appel devant le tribunal de l’immigration, puis devant la cour d’appel des migrations.

Commentaires complémentaires des requérants

10.Dans une lettre du 24 juin 2011, les requérants ont réaffirmé que la Suède continuait à expulser des demandeurs d’asile vers des zones ravagées par la guerre en Afghanistan, alors que ces requérants fournissent des éléments de preuve objectifs et précis à l’appui de leurs allégations. En conséquence, ils n’ont aucune confiance dans les autorités d’immigration et ne veulent pas engager de nouveau une procédure d’asile en Suède. Ils craignent, s’ils reprennent contact avec le Conseil suédois des migrations, de voir leur demande rejetée et leur dossier automatiquement renvoyé à la police en vue d’une procédure d’expulsion. Ils maintiennent qu’ils risquent d’être victimes de traitements inhumains, de torture et d’exécution extrajudiciaire s’ils sont rapatriés de force en Afghanistan.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

11.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

11.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

11.3Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que tous les recours internes disponibles ont été épuisés; cette règle ne s’applique pas lorsqu’il est établi que les procédures de recours ont excédé ou excéderaient des délais raisonnables ou qu’il est peu probable que ces procédures donnent satisfaction. Le Comité note l’affirmation de l’État partie faisant valoir que les requérants n’ont pas fait appel de la décision rendue par le tribunal de l’immigration le 3 décembre 2008 devant la cour d’appel des migrations (voir plus haut, par. 6.15). Les requérants n’ont apporté aucun argument tendant à démontrer qu’un recours devant la cour d’appel des migrations aurait eu peu de chances de leur apporter satisfaction, mais se sont bornés à faire valoir que les recours internes devaient avoir été épuisés puisque l’on organisait leur expulsion. Le Comité note aussi l’information non contestée fournie par l’État partie, selon laquelle les requérants n’ont jamais signalé pendant la procédure d’asile qu’ils avaient été torturés en Afghanistan, grief qui est présenté pour la première fois dans leur requête au Comité (voir plus haut, par. 6.23). En outre, il prend note de l’information fournie par l’État partie, selon laquelle la décision d’expulsion des requérants est tombée sous le coup de la prescription le 28 mars 2010, et n’est donc plus exécutoire, ce qui fait que les requérants ne sont plus menacés d’être expulsés vers l’Afghanistan. De surcroît, ils ont maintenant la possibilité de présenter de nouvelles demandes d’asile qui vont être entièrement réexaminées par le Conseil des migrations, avec possibilité de faire appel devant le tribunal de l’immigration et, à un stade ultérieur, devant la cour d’appel des migrations, le cas échéant. Le Comité fait observer toutefois que les requérants n’ont pas engagé de nouvelle procédure d’asile, faisant valoir que leur demande serait automatiquement rejetée et que les autorités suédoises allaient procéder à leur expulsion sans autre préavis. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle de simples doutes quant à l’utilité d’un recours ne libèrent pas le requérant de l’obligation d’épuiser ce recours. Le Comité estime que rien n’indique que cette nouvelle procédure ne puisse pas apporter satisfaction aux requérants, et note en particulier qu’ils ont maintenant la possibilité d’invoquer devant les autorités d’immigration le grief d’avoir été torturés en Afghanistan dans le passé, ce qu’ils n’ont jamais fait auparavant dans le cadre de la procédure d’asile.

11.4À la lumière de ce qui précède, le Comité conclut que la présente requête est irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention pour non-épuisement des recours internes: a) parce que les requérants n’ont pas fait appel de la décision du tribunal de l’immigration du 3 décembre 2008 devant la cour d’appel des migrations sur le plan interne; b) parce qu’ils n’ont jamais invoqué le grief de torture dans la procédure d’asile; c) parce qu’ils n’ont pas engagé de nouvelle procédure d’asile depuis que la décision relative à leur expulsion est tombée sous le coup de la prescription, alors qu’ils en ont eu la possibilité.

12.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la requête est irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention;

b)Que la présente décision peut être reconsidérée en vertu du paragraphe 2 de l’article 116 du Règlement intérieur du Comité sur demande écrite faite par le requérant ou en son nom contenant des renseignements d’où il ressort que les motifs d’irrecevabilité ne sont plus applicables;

c)Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et à l’État partie.