Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 17 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1149/2002 présentée au nom de M. Vladimir Donskov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est M. Vladimir Donskov, de nationalité russe, né en 1969. Il se dit victime d’une violation par la Fédération de Russie des droits garantis par les articles 2, 7, 9, 14 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur a travaillé comme procureur adjoint au parquet militaire de la garnison de Krasnorechensk de la ville de Khabarovsk. Son travail consistait, notamment, à effectuer des vérifications dans différentes unités militaires de la région. En janvier 1996, ayant mené une enquête dans une unité de l’armée, il a constaté que certains individus substituaient des vivres dans les stocks de l’armée. Durant l’enquête, il a reçu des menaces selon lesquelles sa vie «serait détruite»; il n’y a cependant pas prêté attention à l’époque.
2.2Le 21 mars 1996, une action pénale a été engagée contre l’auteur. Le 12 avril 1996, il a été inculpé d’actes de corruption. Selon lui, l’action pénale visait à le punir de ses investigations. L’acte d’accusation qui lui a été communiqué ne mentionnait pas, selon lui, le nom du procureur qui l’avait approuvé. L’auteur a accepté de coopérer à l’instruction mais, le 5 juillet 1996, il a été menacé par les enquêteurs. En conséquence, il a décidé de s’avouer coupable. Il a alors été placé dans le centre de détention de Khabarovsk. Il a contesté la légalité de sa détention, mais les tribunaux ont déclaré, à trois reprises, que celle-ci était régulière.
2.3L’auteur affirme que durant l’instruction, des éléments de preuve à décharge ont été soustraits de son dossier pénal ou remplacés par les enquêteurs et que d’autres n’ont pas été pris en considération ni versés au dossier. Ses requêtes tendant à une clarification des éléments de fait ont été rejetées. Par ailleurs, il n’a pas pu consulter la totalité de son dossier avant le procès.
2.4Le 26 juin 1997, le tribunal militaire de Khabarovsk l’a jugé coupable de corruption passive et de tentative de corruption passive et l’a condamné à sept ans de prison. L’auteur conteste sa condamnation, prétend que le tribunal n’était pas territorialement compétent pour le juger et a manqué à son devoir d’impartialité et d’équité. Ni les enquêteurs ni le tribunal n’ont interrogé plusieurs témoins dont les dépositions auraient pu être utiles, les témoins à charge ont fait des dépositions souvent contradictoires; les motifs de sa condamnation sont restés obscurs; les conclusions du tribunal n’ont pas été fondées sur les éléments de preuve examinés; le tribunal n’a pas expliqué pourquoi il admettait certaines preuves et en rejetait d’autres. La procédure dans son ensemble n’aurait pas été menée conformément à la loi. L’auteur soutient aussi que plusieurs témoins à charge avaient un intérêt dans l’affaire.
2.5À l’ouverture du procès, l’auteur a demandé que les débats soient enregistrés, mais cela a été refusé. Le procès-verbal a été établi, non pas dans le délai prescrit de trois jours, mais seulement quatre mois plus tard, et il contenait des erreurs. Plusieurs pièces du dossier établi durant l’enquête préliminaire ont été remplacées ou ont disparu, ce qui montre que son dossier pénal était fabriqué. Il a demandé que son affaire soit examinée par trois magistrats professionnels, mais cette demande a aussi été rejetée et le tribunal comprenait un magistrat et deux assesseurs.
2.6Selon l’auteur, le tribunal a fondé sa décision sur le fait que des documents relatifs à l’enquête sur la fraude alimentaire avaient été découverts dans son bureau. En réalité, ces documents montraient seulement qu’il menait effectivement une enquête, et son supérieur était au courant mais a fait une fausse déposition au tribunal. L’auteur conteste en outre le mode de calcul des revenus et des dépenses de sa famille, ainsi que l’évaluation par les experts de certains biens saisis à son domicile qui auraient été prétendument acquis avec l’argent provenant de versements occultes.
2.7L’auteur affirme que le tribunal de première instance a statué de manière illégale en fondant en partie ses conclusions sur ses aveux lors de l’enquête préliminaire. Il est dit dans le jugement qu’il a avoué librement, mais cela est démenti par le fait qu’avant le 5 juillet 1996 il avait affirmé son innocence. Il conteste aussi la conclusion du tribunal selon laquelle, le 5 juillet 1996, il n’était pas dans un état d’«affect émotionnel». En réalité, un expert avait conclu que, lors de son interrogatoire ce jour‑là, il était dans un état d’émotivité psychologique.
2.8Le 8 juillet 1997, l’auteur a fait appel de sa condamnation devant la cour militaire du district d’Extrême‑Orient laquelle, le 16 décembre 1997, a confirmé le jugement. Selon l’auteur, il avait demandé à être présent lors de l’examen de son appel, mais la décision a été rendue en son absence.
2.9L’auteur a ensuite formé un recours, sans succès, devant la Cour suprême de la Fédération de Russie. Il soutient que la Cour suprême a examiné superficiellement son recours, en violation des normes du droit interne et du droit international.
2.10À une date non précisée, l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme à propos des mêmes faits. Le 31 mars 2000, la Cour a rejeté la demande comme irrecevable ratione temporis.
Teneur de la plainte
3.L’auteur se dit victime de violations par la Fédération de Russie de ses droits garantis par les articles 2, 7, 9, 14 et 26 du Pacte.
Observations de l’État partie
4.1Le 26 juin 2003, l’État partie a déclaré que l’auteur avait été reconnu coupable de corruption passive et d’une tentative de corruption. La somme reçue illégalement s’élevait à 17,5 millions de roubles, et lui avait été remise par un intermédiaire (M. Ponamoriov) le 6 janvier 1996 de la part du Chef du Service des combustibles et lubrifiants de l’unité militaire no 51 480, Mayor Nikitin, en vue de dissimuler le vol et la revente illégale de quelque 19 000 litres d’essence prélevés sur les réserves de l’armée. En outre, fin janvier 1996, l’auteur a eu connaissance d’un plan de fraude alimentaire aux dépens de l’unité militaire no 52 786. Agissant de nouveau par l’intermédiaire de M. Ponamoriov, il a tenté d’extorquer 1 000 dollars des États‑Unis au chef des approvisionnements de l’unité, M. Nitaliev, pour ne pas ouvrir d’enquête officielle.
4.2Tant l’enquête préliminaire que le procès de première instance ont été menés de manière exhaustive et objective. Le 12 janvier 2001, le Présidium de la cour du district d’Extrême‑Orient a fait droit à la demande de son vice‑président aux fins d’un réexamen de l’affaire dans le cadre d’une procédure de contrôle. Les jugements précédents ont été modifiés et l’auteur a été finalement condamné à cinq ans de prison.
4.3L’État partie ajoute qu’en raison des nombreuses réclamations de l’auteur, la légalité et les motifs de sa condamnation ont été de nouveau examinés à trois reprises par la Cour suprême (dans le cadre de la procédure de contrôle) et que l’auteur a obtenu des réponses motivées de plusieurs juges, dont le Vice‑Président de la Cour suprême.
4.4Selon l’État partie, les allégations de l’auteur dans le contexte de la présente communication ne comportent aucun argument convaincant pouvant faire douter de la légalité de sa condamnation. Ses griefs portant sur le caractère incomplet de l’enquête préliminaire et de la procédure devant le tribunal, le fait que sa culpabilité n’aurait pas été établie, les failles de la procédure pénale, la partialité du tribunal pour l’appréciation des éléments de preuve, etc., figuraient déjà dans son appel. Ils ont été dûment examinés par les juridictions, notamment par la Cour suprême, et ont été rejetés. L’auteur a obtenu des décisions motivées concluant que ces allégations n’étaient pas fondées.
4.5Contrairement aux allégations de l’auteur, tous les faits relatifs à ses activités délictuelles ont été confirmés par les dépositions sous serment de plusieurs témoins (MM. Ponomarev, Nikitin, Nitaliev, Gusarin, Kosilov, Padalki, Beznosov, Galuzion et Besedin). Ces dépositions étaient cohérentes et concordantes. La culpabilité de l’auteur a aussi été établie par d’autres éléments de preuve, notamment de nature documentaire.
4.6L’affirmation de l’auteur selon laquelle les témoins à charge avaient un intérêt dans l’affaire n’a pas été confirmée à la lumière des autres éléments de preuve. En plus de ces témoignages, le tribunal a pris en considération les aveux de l’auteur durant l’enquête préliminaire, qui corroborent aussi bien les dépositions des témoins que les autres éléments de preuve. L’allégation selon laquelle il aurait été contraint d’avouer est dépourvue de fondement comme le montre l’enregistrement vidéo des interrogatoires. En outre, selon la conclusion du psychologue, au moment de l’interrogatoire et lors de sa confrontation avec M. Ponomarev (les 5, 6 et 8 juillet 1996), l’auteur n’était pas dans un état d’«affect émotionnel», et il était donc à même de comprendre correctement la teneur des actes d’investigation, était conscient de l’importance de ses dépositions, et capable de contrôler ses paroles. Il n’a été décelé aucune particularité psychologique qui aurait pu conduire l’auteur à témoigner contre lui‑même. Les affirmations de l’auteur selon lesquelles il aurait été soumis à des méthodes d’investigation illégales n’ont pas été confirmées par les éléments du dossier pénal.
4.7Selon l’État partie, la décision d’engager une action pénale contre l’auteur était légale et fondée. Après avoir reçu un rapport du Procureur militaire de la garnison de Krasnorechensk à propos des actes de corruption, le Procureur militaire du district d’Extrême‑Orient a ordonné d’engager l’action et a désigné l’équipe chargée de l’enquête. Après les actes d’investigation préliminaire, l’auteur a été provisoirement suspendu de ses fonctions et a été prié de s’engager par écrit à ne pas quitter le pays. Lorsqu’il est ensuite apparu clairement qu’il avait commis une infraction grave, il a été arrêté. Selon l’État partie, toute la procédure a été conduite conformément à la loi relative au Bureau du Procureur et à la Constitution de la Fédération de Russie.
4.8Il ressort du dossier pénal que M. Nitaliev a refusé de verser une rétribution occulte à l’auteur et, après avoir consulté un avocat, a signalé la situation à ses supérieurs. Le Procureur militaire de la garnison, M. Besedin, a déclaré avoir reçu la visite, le 19 mars 1996, d’un représentant des services spéciaux qui l’a informé que l’auteur avait reçu des paiements occultes et avait tenté d’en obtenir d’autres. Le même jour, le Procureur a interrogé plusieurs personnes à ce propos et, le 21 mars 1996, il a fait rapport au Procureur militaire du district d’Extrême‑Orient. L’affirmation de l’auteur selon laquelle son supérieur aurait fait une fausse déposition ne correspond pas aux éléments du dossier pénal, et c’est à juste titre que les tribunaux ont retenu celle‑ci à titre de preuve.
4.9Les témoins Gusarin, Nikitin et Grigoriev ont fait des dépositions concordantes et cohérentes, ultérieurement corroborées par d’autres éléments de preuve. Le fait que les personnes ayant remis la somme occulte ne se souvenaient pas de la date ni du montant exacts ne permet pas de mettre en doute la véracité de leur déposition.
4.10L’État partie affirme en outre que le tribunal a correctement apprécié l’analyse des revenus et des dépenses de la famille Donskov pour la période allant de 1995 à mars 1996. Les données ont fait apparaître que les dépenses de la famille ont excédé ses revenus d’un montant qui correspond plus ou moins à la somme perçue de manière occulte. Même si l’analyse était approximative, elle était fondée sur les données recueillies lors de l’enquête. Devant le tribunal, cette analyse a été rapprochée d’autres éléments et a été prise en considération parce qu’elle corroborait les autres éléments de preuve. C’est pourquoi le tribunal a rejeté la demande de l’auteur tendant à une nouvelle expertise de ses revenus et dépenses.
4.11Contrairement à ce qu’il affirme, l’auteur a été autorisé à prendre connaissance de son dossier pénal. Le 21 février 1997, il a été informé que l’enquête préliminaire était achevée et a reçu communication de tous les éléments du dossier. Le 4 mars 1997, cependant, il n’avait examiné que 167 pages du premier volume, et il a refusé de poursuivre l’examen en présentant des requêtes non prévues par la loi. À la suite de cela, le 13 mars 1997, l’enquêteur, avec l’autorisation d’un procureur, a reporté au 28 avril 1997 le terme du délai accordé pour son examen du dossier. Celui‑ci a donc été étudié par l’auteur. Cela est confirmé par les signatures qu’il a apposées au dos de la totalité des documents, et il ne l’a pas contesté devant le tribunal. En conséquence, ses allégations relatives au contenu du dossier et au fait qu’il n’aurait pu l’étudier sont dénuées de fondement. L’acte d’accusation de l’auteur a été dûment établi et versé au dossier pénal. Il a été signé par l’enquêteur et par le procureur chargé de l’approuver. L’auteur en a reçu un exemplaire.
4.12Contrairement à ce qui est affirmé par l’auteur, sa déposition et celles des témoins ont été correctement transcrites. Les observations de l’auteur concernant le procès‑verbal des débats ont été examinées le 20 novembre 1997. Certaines d’entre elles ont été admises et incluses dans la version définitive.
4.13L’État partie soutient que la culpabilité de l’auteur a été pleinement établie. La peine prononcée correspondait tant aux circonstances de l’affaire qu’à la personnalité de l’auteur. Le tribunal de première instance était territorialement compétent pour juger l’auteur. Dans ces conditions, les allégations de l’auteur à cet égard sont dénuées de fondement.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Le 26 août 2003, l’auteur a réitéré ses allégations initiales. Le 5 décembre 2003, il a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que l’État partie n’a pas présenté d’arguments convaincants pour réfuter ses allégations, et qu’il n’a pas répondu à celles concernant le caractère incomplet de l’enquête préliminaire et de l’instruction du tribunal, la violation des règles de procédure pénale, et la partialité du tribunal.
5.2Il insiste sur le fait que plusieurs témoins qui ont déposé contre lui se connaissaient et s’étaient précédemment livrés ensemble à des activités illégales. Il rappelle que dans le cadre de la vérification qu’il avait menée, il avait reçu des menaces.
5.3L’auteur conteste la valeur probante de plusieurs des éléments de preuve à charge, comme l’analyse des revenus de sa famille, les comptes rendus des actes de perquisition et de saisie, etc. Il explique être passé aux aveux à cause des menaces des enquêteurs qui lui ont dit que sa femme pourrait subir des violences et que lui‑même, en tant que procureur, pourrait être maltraité en détention. On lui a assuré que s’il avouait, il serait immédiatement libéré. Il réaffirme qu’il était dans un état d’angoisse émotionnelle lors de l’interrogatoire du 5 juillet 1996. Durant l’enquête, toutes ses requêtes adressées aux instances supérieures ont été renvoyées aux autorités contre lesquelles elles étaient dirigées.
5.4Il soutient en outre qu’il était inutile de le placer en détention provisoire parce qu’il ne s’est pas soustrait à la justice. L’argument de l’État partie selon lequel il a été placé en détention lorsqu’il est apparu qu’il avait commis une infraction grave est dénué de fondement parce que les charges contre lui n’ont jamais varié après l’ouverture de l’affaire pénale.
5.5L’auteur soutient en outre avoir demandé au tribunal de faire citer comme témoin l’agent des services secrets qui aurait prétendument informé son supérieur des actes de corruption, mais que sa demande a été rejetée. Il réaffirme que son supérieur a fait de fausses dépositions, puisqu’il était au courant des vérifications qu’il avait menées.
5.6L’auteur conteste l’invocation par l’État partie du témoignage de M. Kosilov, et explique que celui‑ci était en réalité responsable des activités de MM. Nikitin et Gusarin et, de ce fait, avait un intérêt dans l’affaire. À propos de l’observation de l’État partie concernant l’oubli par les témoins du montant exact de la somme et de la date du paiement, l’auteur affirme qu’aux termes de l’article 68 du Code de procédure pénale «… l’existence de l’infraction (temps, lieu, moyens employés, et toutes autres circonstances entourant la commission de l’infraction)» doit être prouvée en matière pénale. Or, cela n’a pas été fait en l’espèce.
5.7S’agissant de l’affirmation selon laquelle il aurait reçu des réponses détaillées à toutes ses requêtes, l’auteur fait observer qu’en réalité il n’a reçu que deux réponses positives. Ilrelève que, conformément à l’article 131 du Code de procédure pénale (2001), un accusé ne peut se voir refuser le droit de faire citer des témoins ni de faire procéder à d’autres mesures d’instruction, si cela peut avoir une importance pour l’action pénale.
5.8L’auteur soutient que la déclaration de l’État partie selon laquelle l’enquêteur M. Morozov a été interrogé comme témoin est dépourvue de fondement.
5.9Il conteste en outre l’invocation par l’État partie d’un compte rendu d’enquête en ce qui concerne l’affirmation de M. Ponomarev selon laquelle certains des objets saisis au domicile de l’auteur avaient été acquis avec l’argent obtenu illégalement. Il affirme que ce témoin n’était pas présent lors de l’achat des objets. De plus, bien que ni le compte rendu ni les objets en question n’aient été examinés à l’audience, ils sont énumérés comme éléments de preuve dans le jugement. L’auteur ajoute qu’il a vainement demandé aux enquêteurs d’interroger les personnes qui lui avaient vendu les objets, et qu’il avait acquis ceux‑ci avant les événements incriminés, comme il l’a dit au tribunal.
5.10Le 21 février 1997, l’auteur n’a reçu que le premier volume de son dossier pénal. Contrairement aux règles de procédure, le contenu n’était pas indexé et les pages n’étaient pas numérotées. Il s’en est plaint et a refusé de poursuivre l’examen. L’enquêteur a alors numéroté les pages en sa présence. L’auteur a ensuite reçu communication d’autres volumes, de nouveau sans liste des pièces et avec des pages en désordre. Selon lui, l’absence de numérotation des pages montre l’intention des enquêteurs de modifier le dossier pénal ultérieurement. Pour éviter cela, il a demandé que les pages soient numérotées au stylo et non au crayon. En réponse, on lui a fixé un délai pour prendre connaissance de son dossier pénal. Il s’est plaint auprès du Bureau du Procureur général, qui a transmis sa réclamation au Procureur du district d’Extrême‑Orient, c’est‑à‑dire l’organe contre les actions duquel celle‑ci était dirigée. Le Bureau du Procureur du district d’Extrême‑Orient l’a donc rejetée.
5.11L’auteur réaffirme que l’exemplaire de l’acte d’accusation qu’il a reçu ne portait pas la signature du procureur censé l’approuver, et ne reflétait pas correctement ses moyens de défense ni les arguments à charge.
5.12L’auteur réaffirme une fois encore que le jugement ne relatait pas correctement ses propres dépositions ni celles des témoins, et que le procès‑verbal des débats, établi tardivement, était incorrect. Ses observations concernant celui‑ci ont été examinées par le tribunal le 20 novembre 1997 en son absence, et deux points seulement ont été modifiés. Il a demandé à connaître les motifs de la décision du tribunal, mais ne les a jamais reçus.
5.13Enfin, l’auteur réaffirme qu’il a été jugé par un tribunal incompétent. Alors que les faits incriminés ont été prétendument commis au sein de la garnison de Krasnorechensk, dans le ressort du tribunal militaire de Krasnorechensk, il a été jugé par le tribunal militaire de la garnison de Khabarovsk.
Observations complémentaires de l’État partie
6.1Le 25 juin 2004, l’État partie a présenté des observations complémentaires et noté que les commentaires de l’auteur constituaient de nouveau une évaluation des éléments utilisés par les tribunaux pour apprécier sa culpabilité. Il relève en particulier les allégations de l’auteur faisant valoir que les témoins à charge avaient un intérêt dans l’affaire, que tous les éléments de preuve nécessaires n’ont pas été évalués, que ses aveux ont été obtenus de manière illégale, et que sa culpabilité n’a pas été établie. Il affirme que ces allégations ont été examinées et rejetées par les tribunaux de première et de seconde instance, ainsi que par la Cour suprême.
6.2Toutes les requêtes de l’auteur, y compris celles tendant à faire citer d’autres témoins, ont été examinées par les juges et ont reçu une réponse motivée. La prétendue partialité du tribunal n’est pas corroborée par les faits. Les allégations de l’auteur selon lesquelles il aurait avoué sous la menace ont été examinées par le tribunal avec l’aide d’un psychologue et il a été conclu qu’elles étaient dénuées de fondement. Le jugement s’est fondé sur les éléments de preuve examinés à l’audience en présence de toutes les parties.
6.3L’affirmation de l’auteur relative à l’irrecevabilité de l’analyse des revenus et des dépenses de sa famille est incorrecte; l’analyse de pièces écrites correspond aux exigences de la procédure pénale.
6.4Contrairement aux allégations de l’auteur, tous les éléments de l’infraction ont été établis − temps, lieu et mode opératoire − ainsi que le montant du versement occulte et les circonstances du paiement, tels qu’ils sont relatés dans le jugement.
6.5Le droit de l’auteur de consulter son dossier pénal à la fin de l’enquête n’a pas été violé. L’article 201 du Code de procédure pénale alors en vigueur n’exigeait pas une liste des pièces du dossier et ne précisait pas les modalités de numérotation. L’utilisation du crayon n’était pas illégale, et n’indiquait pas l’intention des enquêteurs de modifier le contenu du dossier ultérieurement. Le refus de l’auteur de prendre connaissance du dossier ne saurait être considéré comme constituant une violation du droit procédural. Il s’agit là d’un droit et non d’une obligation pour l’accusé. L’auteur a refusé d’examiner son dossier pénal sous un prétexte inventé.
6.6Contrairement aux allégations de l’auteur, l’acte d’accusation le concernant a été établi conformément aux exigences de la procédure pénale alors en vigueur, ce qui a été confirmé d’une part par le Procureur qui l’a approuvé, et d’autre part par les tribunaux. L’absence de visa du procureur qui avait approuvé l’acte d’accusation sur l’exemplaire remis à l’accusé ne constitue pas une violation de la procédure pénale.
6.7La décision de déférer l’affaire concernant l’auteur au tribunal militaire de la garnison de Khabarovsk a été prise en conformité avec le Code de procédure pénale alors en vigueur, l’infraction ayant été commise sur le territoire de la ville de Khabarovsk.
Commentaires complémentaires de l’auteur
7.1L’auteur a présenté des commentaires complémentaires le 30 septembre 2004. À propos des observations de l’État partie selon lesquelles tous ses griefs ont été examinés par les tribunaux, il réaffirme que le tribunal de première instance n’a pas examiné la totalité des éléments de preuve énumérés dans l’acte d’accusation, que plusieurs de ses requêtes ont été rejetées sans justification, et que la cour d’appel a examiné son affaire en son absence.
7.2L’auteur se réfère à plusieurs décisions interprétatives de la Cour suprême, concernant notamment la motivation du refus d’un tribunal de rechercher des éclaircissements sur des questions intéressant l’affaire, l’appréciation des éléments de preuve, l’égalité des armes, le strict respect des règles en vue d’une appréciation exhaustive, complète et objective des éléments du dossier pénal, l’élaboration des procès‑verbaux d’audience, le rôle de la défense en matière pénale, l’irrecevabilité des éléments de preuve recueillis en violation de la loi, et les droits de l’accusé. Il soutient que les directives de la Cour suprême énoncées dans de telles décisions s’imposent à tous les tribunaux mais que, dans la pratique, certains n’en tiennent pas compte.
7.3L’auteur affirme que dans le contexte de son affaire, les autorités ont saisi des pièces qui confirment les activités illégales de certains témoins à charge, mais que ces pièces ont disparu. La saisie elle‑même est confirmée par un compte rendu versé à son dossier. Néanmoins, une lettre d’un procureur indique que les documents en question n’ont pas été reçus par le Bureau du Procureur.
7.4Le tribunal n’a pas vérifié sa déclaration concernant l’enregistrement des investigations qu’il avait menées à l’encontre de MM. Nikitin et Padalki, ce qui démontrerait que le tribunal a manqué à son devoir d’objectivité et d’impartialité.
Observations additionnelles de l’État partie
8.1Le 20 mai 2005, l’État partie a présenté des informations additionnelles. Il fait observer que de nouvelles vérifications confirment que les allégations de l’auteur sur la légalité de sa condamnation, contenues dans ses nombreuses plaintes, ont été examinées par le parquet et les tribunaux et jugées infondées. Les griefs de l’auteur quant à l’existence, lors de l’enquête préliminaire et devant le tribunal, de nombreuses violations de la procédure pénale et du droit international, sont dénués de fondement. Sa référence à des décisions de la Cour suprême ne vise pas des actes spécifiques des enquêteurs ou des tribunaux dans son dossier.
8.2L’État partie fait en outre observer que les arguments de l’auteur selon lesquels il était innocent et aurait été diffamé par plusieurs témoins, et contraint d’avouer, ont été examinés à de nombreuses reprises par les tribunaux et n’ont pas été confirmés. La tentative de l’auteur de mettre en doute la recevabilité et la fiabilité de certains des éléments de preuve utilisés devant le tribunal pour l’établissement de sa culpabilité repose sur une interprétation aléatoire du droit national de procédure pénale.
8.3Le calcul des revenus et des dépenses de la famille de l’auteur était fondé sur des pièces justificatives et n’enfreignait pas les dispositions du Code de procédure pénale. Ce calcul a été examiné par le tribunal et a été considéré comme objectif et digne de foi.
8.4Les griefs de l’auteur quant à l’incompétence territoriale du tribunal dans son affaire correspondent aussi à une interprétation aléatoire du droit national. Étant donné sa position de procureur au sein de la garnison de Krasnorechensk, son cas ne pouvait être examiné par le tribunal militaire de cette garnison en vertu des dispositions du Code de procédure pénale. Pour ce motif, et conformément aux règles du Code de procédure pénale, le Président de la cour du district d’Extrême‑Orient a transmis l’affaire au tribunal de la garnison de Khabarovsk.
8.5L’État partie fait valoir enfin que le grief de l’auteur concernant son absence lors de l’examen de son appel doit aussi être considéré comme mal fondé, dès lors que la loi alors en vigueur (art. 335 du Code de procédure pénale) ne prévoyait pas la présence obligatoire d’un accusé lors de l’examen de son appel.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
9.2Le Comité relève, comme il est tenu de le faire par le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question a été soumise à la Cour européenne des droits de l’homme (requête no 54976/00) et déclarée irrecevable ratione temporis le 31 mars 2000. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas tenu par la restriction résultant de la disposition susmentionnée. Il note aussi, comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.
9.3Le Comité a noté que l’auteur invoque une violation de l’article 7 du Pacte, sans expliquer pleinement ce point. En l’absence de toute autre information à cet égard, le Comité considère que cette partie de la communication est insuffisamment étayée et est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
9.4L’auteur prétend que son arrestation était illégale, ce qui soulève des questions au regard de l’article 9 du Pacte. L’État partie n’a pas précisément répondu à cette allégation, mais a expliqué que l’auteur n’avait été arrêté que lorsqu’il était apparu clairement qu’il était soupçonné d’une infraction grave. Le Comité note en outre que, comme l’a dit l’auteur lui‑même, la légalité de son arrestation a été contrôlée par les tribunaux qui ont jugé que celle‑ci était régulière. Dans ces conditions, et en l’absence de toute autre information à cet égard, le Comité considère que cette partie de la communication est insuffisamment étayée aux fins de la recevabilité et est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
9.5Le Comité a noté les griefs de l’auteur concernant la prétendue partialité du tribunal dans cette affaire. L’État partie a répondu que le procès de première instance avait été mené de manière exhaustive et objective et que l’affaire avait été réexaminée à de nombreuses reprises, notamment par la Cour suprême. Il a aussi affirmé que les allégations de l’auteur relatives à la partialité du tribunal avaient été examinées par les juridictions et que l’auteur avait obtenu une réponse motivée concluant que ces allégations n’étaient pas fondées. En l’absence de toute autre information à cet égard, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable faute d’avoir été suffisamment étayée, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
9.6Le Comité a pris note des allégations de l’auteur concernant l’absence de motifs et l’illégalité de l’acte d’accusation et du jugement, la manière dont ceux-ci, ainsi que le procès‑verbal des débats, ont été rédigés, le traitement de l’affaire par les enquêteurs et par les tribunaux, ainsi que l’incompétence territoriale du tribunal de première instance; le refus des enquêteurs et du tribunal de répondre à certaines de ses requêtes, notamment la manière dont son dossier a été organisé et lui a été communiqué, et les obstacles à l’exercice de son droit d’examiner le dossier; la façon dont le tribunal a admis ou rejeté les éléments de preuve et apprécié les circonstances de l’affaire en général; le refus de citer certains témoins à comparaître; le manque de fiabilité de certains témoins à charge; le mode d’évaluation de ses revenus/dépenses; etc. Le Comité note que l’État partie a réfuté ces allégations comme étant mal fondées. Le Comité relève que ces griefs ont trait essentiellement à l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux de l’État partie. Il rappelle que c’est généralement aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit prouvé que cette appréciation a été clairement arbitraire ou a constitué un déni de justice. En l’espèce, le Comité considère que n’étant saisi ni des pièces du dossier ni du procès‑verbal des débats, ni d’aucune autre information utile qui lui aurait permis de vérifier si le procès avait effectivement été entaché des vices allégués par l’auteur, cette partie de la communication est irrecevable faute d’avoir été suffisamment étayée conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.
9.7L’auteur a aussi invoqué une violation des droits que lui confère l’article 26 du Pacte, sans développer son argumentation. En l’absence de toute autre information pertinente, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable faute d’avoir été suffisamment étayée conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.
9.8Le Comité décide que les autres allégations de l’auteur concernant le fait qu’il n’a pas pu être présent lors de l’examen de son appel, qui soulèvent des questions au regard de l’article 2 et du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, sont suffisamment étayées aux fins de la recevabilité.
Examen au fond
10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.
10.2L’auteur affirme que les droits de la défense ont été violés parce que, bien qu’il ait demandé à être présent, c’est en son absence que la cour d’appel a examiné son affaire. L’État partie a répondu que le Code de procédure pénale alors en vigueur ne prévoyait pas la présence obligatoire de l’accusé devant l’instance d’appel. Le Comité note que les éléments dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure qu’en l’espèce la cour d’appel n’a pas dûment examiné l’ensemble des faits et éléments de preuve de l’affaire, ainsi que le jugement de première instance. En l’absence de toute autre information pertinente, le Comité considère que les faits tels qu’ils sont présentés ne constituent pas une violation des droits de l’auteur au regard du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.
10.3Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner séparément les griefs de l’auteur au titre de l’article 2 du Pacte.
11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation des droits invoqués par l’auteur en vertu du Pacte.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood
L’auteur, qui est un avocat militaire russe condamné pour corruption passive dans l’exercice de ses fonctions officielles, a mis en cause l’équité de son procès sur plusieurs points. Le Comité a conclu que les pièces versées au dossier ne permettaient pas d’étayer la plupart de ses allégations d’erreur.
Le Comité a toutefois relevé à juste titre qu’un des griefs de l’auteur était recevable, à savoir qu’on l’avait indûment empêché d’assister à l’examen de son appel (voir le paragraphe 2.8 des constatations du Comité).
Comme le note le Comité, l’État partie répond à cette allégation en faisant simplement valoir que «le Code de procédure pénale alors en vigueur ne prévoyait pas la présence obligatoire de l’accusé devant l’instance d’appel» (voir le paragraphe 10.2 des constatations du Comité).
Or, ce rappel du droit positif ne règle pas la question de «l’égalité de moyens». Comme le Comité l’a affirmé à de nombreuses occasions, au pénal, la défense doit avoir la possibilité de présenter ses arguments. Une argumentation unilatérale à laquelle le procureur se livrerait devant une juridiction d’appel en l’absence du défendeur et de son avocat ne serait pas compatible avec le principe de l’égalité de moyens et avec les prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
Il convient également de noter que le Code de procédure pénale applicable à l’époque pouvait garantir le droit de l’accusé et même d’une tierce personne d’être présent à l’examen d’un appel, comme il ressort du paragraphe 1 de l’article 335 du Code de procédure pénale de la Fédération de Russie, en date du 15 février 1997: «Pendant l’examen d’une affaire en appel, le procureur se prononce sur les éléments de preuve et la légalité du jugement. Le défendeur peut prendre part à l’examen en appel d’une affaire.».
Voir également le paragraphe 2 de l’article 335 du Code de procédure pénale: «Il peut être demandé au tribunal d’autoriser la participation du défendeur à l’examen de l’appel; lorsqu’il participe à l’examen, le défendeur est dans tous les cas autorisé à donner des explications.».
En ce qui concerne la participation d’une tierce personne, les paragraphes 3 et 4 de l’article 335 disposent que «Pendant l’examen en appel d’une affaire, d’autres parties peuvent participer, comme indiqué à l’article 325» et que «l’absence des tierces personnes qui ont été dûment informées de la date de l’examen n’empêche pas l’examen de l’affaire.»
Dans les paragraphes liminaires de l’avis qu’elle a rendu le 16 décembre 1997 concernant l’affaire de l’auteur, la cour militaire du district d’Extrême‑Orient a indiqué qu’elle avait «entendu le rapport du colonel chargé de l’affaire et les conclusions du Chef du Département des poursuites militaires du district d’Extrême‑Orient.» L’État partie n’a pas fait valoir que ce «rapport» portait simplement sur les pièces. La participation d’un défendeur et de son conseil à une audience en appel à laquelle l’État partie participe aussi, est importante car elle permet aux deux parties de répondre sur un pied d’égalité aux questions qui peuvent surgir au fil des débats.
Un tribunal de justice militaire peut avoir des impératifs différents de ceux d’une juridiction civile mais l’État partie ne fournit aucun argument pour justifier le fait qu’il ne pouvait pas faire effectivement participer l’accusé à l’examen de son appel, si ce n’est l’argument qu’il n’y était pas obligé. Il se peut que la législation russe de l’époque soit ainsi conçue mais cela ne répond pas à la question de savoir si les garanties du Pacte ont été respectées.
(Signé) Ruth Wedgwood
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
B. Communication n o 1150/2002, Uteev c. Ouzbékistan * (Constatations adoptées le 26 octobre 2007, quatre ‑vingt ‑onzième session)
Présentée par: |
Roza Uteeva (non représentée par un conseil) |
Au nom de: |
Azamat Uteev (frère décédé de l’auteur) |
État partie: |
Ouzbékistan |
Date de la communication: |
7 janvier 2003 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable avec recours à la torture pendant l’enquête préliminaire |
Questions de procédure: |
Appréciation des faits et des éléments de preuve; justification de la plainte |
Questions de fond: |
Torture; procès inéquitable; privation arbitraire de la vie |
Articles du Pacte: |
6, 7, 9, 10, 14 et 16 |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 octobre 2007,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1150/2003 présentée au Comité des droits de l’homme au nom de M. Azamat Uteev, au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication est Mme Roza Uteeva, de nationalité ouzbèke et d’origine kazakhe. Elle soumet la présente communication au nom de son frère, Azamat Uteev, lui aussi de nationalité ouzbèke et d’origine kazakhe, né en 1981, qui, au moment de la présentation de la communication, était en attente d’exécution à Tachkent après avoir été condamné à mort par la Cour suprême de la République du Karakalpakstan (Ouzbékistan) le 28 juin 2002. L’auteur affirme que son frère est victime de violations, par l’Ouzbékistan, des droits qui lui sont garantis aux articles 6, 7, 9, 10, 14 (par. 1, 2 et 3) et 16 du Pacte. Elle n’est pas représentée par un conseil.
1.2En enregistrant la communication le 7 janvier 2003, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de surseoir à l’exécution du frère de l’auteur pendant que son cas serait examiné. Le 16 juillet 2003, l’auteur a informé le Comité que son frère avait déjà été exécuté, sans toutefois indiquer la date exacte de l’exécution.
Rappel des faits
2.1Le 28 juin 2002, M. Azamat Uteev a été condamné à mort par la Cour suprême de la République du Karakalpakstan (Ouzbékistan), qui l’a reconnu coupable d’avoir tué Saira Matyakubova (une mineure) avec une violence particulière et d’avoir volé, dans l’appartement de ses parents de l’argent, des bijoux et d’autres biens d’une valeur totale de 670 120 soms ouzbeks, dans la matinée du 3 avril 2002. Une fois son forfait commis, le meurtrier a mis le feu à l’appartement pour camoufler ses actes, mettant la vie d’autrui en danger et causant aux parents de la victime des dommages estimés à 5 824 000 soms. Le 6 août 2002, cette décision a été examinée par la juridiction d’appel de la Cour suprême du Karakalpakstan, qui a confirmé la condamnation à mort. Le 26 novembre 2002, la Cour suprême d’Ouzbékistan a également examiné la décision et confirmé la sentence.
2.2L’auteur affirme que son frère n’a pas commis le meurtre dont il a été déclaré coupable. Il a été frappé et torturé par les enquêteurs, qui l’ont ainsi obligé à s’avouer coupable. Elle affirme en outre que la peine infligée à son frère est particulièrement sévère et injustifiée, et qu’elle ne correspond pas à sa personnalité. Ses voisins ont donné de lui une appréciation positive, qui a été attestée par des documents présentés au tribunal.
2.3L’auteur invoque une décision de 1996 dans laquelle la Cour suprême d’Ouzbékistan a estimé que les éléments de preuve obtenus par des méthodes illicites n’étaient pas recevables. Elle affirme que ce principe n’a pas été respecté dans le cas de son frère. Elle déclare en outre que les nombreuses plaintes qu’elle a déposées auprès de différentes institutions (présidence de la République, Médiateur, Bureau du Procureur général, Cour suprême d’Ouzbékistan) au sujet des irrégularités commises par les enquêteurs sont restées sans réponse ou ont été simplement transmises aux instances mêmes dont elle dénonçait les actes.
2.4L’auteur fait valoir que son frère a clamé son innocence au procès et qu’il avait d’abord été interrogé comme témoin au sujet des crimes en cause, avant d’être arrêté puis frappé et torturé par des fonctionnaires de la délégation de district du Ministère de l’intérieur et du Bureau du Procureur, en l’absence d’un avocat. Son frère a décrit les méthodes de torture utilisées contre lui, affirmant qu’il avait été contraint de porter un masque à gaz dont l’arrivée d’air était obstruée, ce qui l’empêchait de respirer, et qu’on l’avait également plongé dans de l’eau salée. D’après l’auteur, le tribunal a rejeté les allégations de torture de son frère, considérant qu’il s’agissait d’une stratégie de défense de l’accusé pour se soustraire à sa responsabilité pénale.
2.5L’auteur estime que les enquêteurs et le tribunal ont examiné l’affaire pénale concernant son frère de manière superficielle et partiale. En particulier, l’enquêteur a fait son possible pour éviter qu’un certain Rinat Mamutov (ancien collègue du père de la victime) ne soit pénalement mis en cause, alors que ce serait lui le véritable coupable selon l’auteur.
2.6L’auteur fait valoir qu’en vertu de l’article 23 du Code de procédure pénale ouzbek l’accusé n’a pas à démontrer son innocence et doit bénéficier du moindre doute qui subsisterait. Or, dans le cas de son frère, le tribunal n’a pas respecté ces principes. La condamnation a été fondée sur des éléments de preuve indirects recueillis par les enquêteurs qui n’ont pas pu être confirmés à l’audience, alors que d’autres éléments de preuve qui auraient pu démontrer l’innocence d’Uteev ont été perdus pendant l’enquête. En particulier, l’auteur souligne qu’il ressort du procès‑verbal de l’examen des lieux du crime qu’Uteev a assené plusieurs coups de couteau à la victime. Selon elle, son frère aurait donc dû présenter des traces de sang sur les cheveux, les mains et les vêtements. Or, aucun examen de ses cheveux, de ses mains ou des dépôts sous ses ongles n’a jamais été effectué, alors que cela aurait été essentiel pour déterminer sa culpabilité.
Teneur de la plainte
3.L’auteur affirme que son frère est victime de violations par l’Ouzbékistan des droits qui lui sont garantis aux articles 6, 7, 9, 10, 14 (par. 1, 2 et 3) et 16 du Pacte.
Observations de l’État partie et absence de commentaires de l’auteur à ce sujet
4.1L’État partie a fait part de ses observations le 16 juillet 2003 et le 12 octobre 2005. Il rappelle que la victime présumée a été condamnée à mort le 28 juin 2002 par la Cour suprême de la République du Karakalpakstan pour vol qualifié, assassinat et destruction volontaire de biens ayant entraîné un important préjudice. Le 6 août 2002, la juridiction d’appel de la Cour suprême du Karakalpakstan a confirmé la condamnation. D’après l’État partie, la culpabilité de M. Uteev a été démontrée, les actes qu’il a commis ont été dûment qualifiés selon la loi en vigueur, et sa peine a été déterminée en fonction des informations relatives à sa personnalité et du danger que ses crimes représentaient pour le public. L’État partie indique que la condamnation à la peine capitale de la victime présumée a déjà été exécutée, sans toutefois préciser la date exacte de l’exécution.
4.2L’auteur n’a pas fait de commentaires sur les observations de l’État partie, bien que trois rappels lui aient été adressés à cette fin.
Non ‑respect de la demande de mesures provisoires du Comité
5.1Dans sa communication du 7 janvier 2003, l’auteur a indiqué au Comité que son frère était en attente d’exécution. Le 3 février 2003, elle a présenté un document écrit l’autorisant à agir au nom de M. Uteev, signé en détention par ce dernier le 14 janvier 2003, soit après que le Comité a envoyé à l’État partie une demande pour qu’il sursoie à l’exécution de la victime présumée pendant qu’il examinerait son cas. Le 16 juillet 2003, l’État partie a informé le Comité que la victime présumée avait été exécutée, sans préciser à quelle date. Le Comité constate qu’incontestablement la victime présumée a été exécutée en dépit de l’enregistrement de la communication présentée en son nom au titre du Protocole facultatif et de l’envoi d’une demande de mesures provisoires de protection à l’État partie. Le Comité rappelle que tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui affirment être victimes de violations de droits reconnus dans le Pacte (préambule et art. 1er). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité afin que celui‑ci puisse examiner les communications qui lui sont ainsi soumises et, après les avoir examinées, faire part de ses constatations à l’État partie et à l’intéressé (art. 5, par. 1 et 4). Un État partie contrevient à ces obligations, s’il prend une quelconque mesure susceptible d’empêcher le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations.
5.2Indépendamment des violations du Pacte qui peuvent lui être imputées dans une communication, un État partie contrevient gravement à ses obligations au titre du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation présumée du Pacte ou qui rend sans objet son action et prive de toute valeur et effet l’expression de ses constatations. En l’espèce, l’auteur affirme que son frère s’est vu dénier des droits qui lui sont garantis par différents articles du Pacte. Étant donné que la présente communication lui a été notifiée, l’État partie a contrevenu à ses obligations au titre du Protocole facultatif en procédant à l’exécution de la victime présumée avant que le Comité n’ait pu achever l’examen de l’affaire, formuler ses constatations et les lui communiquer.
5.3Le Comité rappelle que l’adoption de mesures provisoires en application de l’article 92 de son règlement intérieur, et conformément à l’article 39 du Pacte, est essentielle au rôle qui lui est confié en vertu du Protocole facultatif. Le non‑respect de ce principe, en particulier par une action irréparable comme, en l’espèce, l’exécution de M. Azamat Uteev, compromet la protection des droits consacrés dans le Pacte qui est assurée par le Protocole facultatif.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2, alinéas a et b, de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et note qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.
6.3Le Comité constate que l’auteur affirme que son frère a été privé des droits qui lui sont garantis aux articles 9 et 16 du Pacte. En l’absence de toute autre information utile à ce sujet, il considère que cette partie de la communication est irrecevable, car elle n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4Le Comité note que les allégations de l’auteur quant à la manière dont les tribunaux ont traité le cas de son frère et qualifié ses actes peuvent soulever des questions au titre des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte. Il relève cependant que ces allégations ont trait essentiellement à l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux de l’État partie. Il rappelle que c’est généralement aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit prouvé que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. En l’espèce, le Comité estime qu’en l’absence dans le dossier de pièces, de minutes et d’autres informations utiles qui lui auraient permis de vérifier si le procès a effectivement été entaché des vices allégués par l’auteur, cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif faute d’avoir été suffisamment étayée.
6.5Le Comité considère que les autres allégations de l’auteur, qui semblent soulever des questions au titre des articles 6, 7, 10 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et les déclare donc recevables.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2L’auteur a affirmé que les enquêteurs avaient frappé et torturé son frère pour l’obliger à s’avouer coupable du meurtre et d’autres crimes. À l’audience, son frère a rétracté les aveux qu’il avait faits pendant l’enquête, expliquant qu’ils avaient été obtenus sous les coups et la torture. Le tribunal a rejeté ces allégations, considérant qu’il s’agissait d’une stratégie de défense de l’accusé pour se soustraire à sa responsabilité pénale. Ces allégations de torture ont également été portées à l’attention de la Cour suprême d’Ouzbékistan, qui les a rejetées elle aussi. Le Comité rappelle que, lorsqu’une plainte pour mauvais traitement contraire à l’article 7 est formulée, un État partie est tenu de procéder à une enquête rapide et impartiale. En l’espèce, l’État partie n’a pas spécifiquement réfuté les allégations de l’auteur, ni apporté, dans le cadre de la présente communication, la moindre information indiquant qu’une enquête avait été menée à leur sujet. Dans ces circonstances, le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur, et le Comité considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits garantis au frère de l’auteur à l’article 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.
7.3Compte tenu de la conclusion qui précède, le Comité estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 10 du Pacte.
7.4Le Comité rappelle qu’une condamnation à mort prononcée à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6. En l’espèce, M. Uteev a été condamné à la peine de mort en violation des garanties énoncées à l’article 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, ce qui entraîne également une violation du paragraphe 2 de l’article 6.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits qui sont garantis au frère de l’auteur à l’article 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 6.
9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à Mme Uteeva une réparation sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est également tenu d’éviter que des violations similaires ne se reproduisent.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu la compétence du Comité pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux constatations du Comité. L’État partie est également tenu de publier ces constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
C. Communication n o 1186/2003, Titiahonjo c. Cameroun * (Constatations adoptées le 26 octobre 2007, quatre ‑vingt ‑onzième session)
Présentée par: |
Dorothy Kakem Titiahonjo (représentée par un conseil, M. Albert W. Mukong) |
Au nom de: |
Mathew Titiahonjo (décédé) et l’auteur |
État partie: |
Cameroun |
Date de la communication: |
31 juillet 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Détention arbitraire; torture et décès d’un membre d’une organisation présumée séparatiste |
Questions de procédure: |
Non‑coopération de l’État partie |
Questions de fond: |
Détention arbitraire; privation arbitraire de la vie; traitement cruel et inhumain; liberté d’opinion et d’association |
Articles du Pacte: |
2 (par. 3 a) et 3 b)), 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1 à 4), 19, 22 et 27 |
Articles du Protocole facultatif: |
1, 2, 3, 4 et 5 (par. 1 et 2 a) et b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 octobre 2007,
Ayant achevé l’examen de la communication no1186/2003 présentée par Mme Dorothy Kakem Titiahonjo au nom de son époux décédé, M. Mathew Titiahonjo, et en son nom propre, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication est Mme Dorothy Kakem Titiahonjo, épouse de la victime présumée, M. Mathew Titiahonjo, de nationalité camerounaise, née en 1953. L’auteur affirme que son époux a été victime de violations, par le Cameroun, de droits qui lui sont reconnus aux articles 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1 à 4), 19 (par. 1 et 2), 22 (par. 1) et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur invoque une violation des alinéas a et b de l’article 3 du Pacte, mais elle fait probablement référence aux alinéas a et b du paragraphe 3 de l’article 2, lus conjointement avec les articles susmentionnés. Elle affirme en outre être elle‑même victime d’une violation, par le Cameroun, de l’article 7 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 27 septembre 1984.
1.2La communication a été transmise le 2 juin 2003 à l’État partie, qui a été invité à faire part de ses observations. Des rappels lui ont été adressés le 30 octobre 2006 et le 31 mai 2007. Le 11 juillet 2007, l’État partie a annoncé qu’il enverrait une réponse très prochainement. À la date de l’adoption des présentes constatations, le Comité n’avait encore reçu aucune réponse de l’État partie.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Le 19 mai 2000 à 5 h 30 du matin, alors que l’auteur et son époux dormaient, plusieurs gendarmes ont fait irruption chez eux et se sont mis à frapper M. Titiahonjo avec une barre de fer.
2.2Bien que l’auteur se trouvât à l’époque à un stade avancé de grossesse, les gendarmes l’ont également brutalisée. Ils l’ont traînée hors de son lit, poussée dans le caniveau et giflée. Les gendarmes ont déclaré qu’ils cherchaient une arme à feu. Pendant qu’ils se trouvaient dans la maison, ils ont pris 300 000 francs que la famille avait économisés pour la naissance du bébé. Les gendarmes n’ont trouvé aucune arme mais ont promis qu’ils reviendraient.
2.3Le 21 mai 2000, les mêmes gendarmes, dont un certain capitaine Togolo, sont arrivés en voiture chez l’auteur. Ils ont emmené M. Titiahonjo à la gendarmerie et l’ont placé en cellule. Là, M. Titiahonjo a été frappé et contraint à dormir nu à même le sol. Il a reçu des coups sur la plante des pieds et à la tête. Ses pieds étaient tellement enflés qu’il ne pouvait plus se tenir debout. Le capitaine lui a refusé toute nourriture, et l’auteur n’a pas été autorisée à lui en apporter. M. Titiahonjo n’a reçu aucune réponse lorsqu’il a demandé pourquoi on l’avait arrêté.
2.4À plusieurs reprises en juin 2000, l’auteur s’est rendue à la gendarmerie pour porter de la nourriture à son époux mais on la «chassait» à chaque fois. Lorsqu’elle y est allée le 24 juin 2000, elle a vu le capitaine Togolo en train de frapper son époux; elle n’a pas été autorisée à voir ce dernier. L’arme recherchée par les gendarmes a été retrouvée dans la rue le 25 juin 2000 ou vers cette date. M. Titiahonjo a cependant continué d’être détenu au secret et brutalisé. Lorsque l’auteur lui a demandé pourquoi les gendarmes continuaient de frapper son époux alors qu’ils avaient retrouvé l’arme, le capitaine Togolo a répondu que c’était parce qu’il appartenait au Southern Cameroons National Council (SCNC) (Conseil national du Sud‑Cameroun), qu’il a qualifié d’«organisation séparatiste».
2.5À une date non précisée, en réponse à une plainte déposée par l’auteur, un procureur a ordonné la remise en liberté de M. Titiahonjo, mais le capitaine Togolo a refusé d’obtempérer. Après cet incident, l’auteur a été emmenée à l’hôpital, où elle a accouché prématurément de jumeaux. M. Titiahonjo a été transféré à la prison militaire de Bafoussam. Là, les mauvais traitements ont cessé, mais il a continué de subir des tortures morales et psychologiques. Le capitaine Togolo lui a dit qu’il ne verrait jamais ses jumeaux parce qu’il allait être tué. En outre, M. Titiahonjo devait subvenir seul à ses besoins.
2.6Entre le 10 et le 15 septembre 2000, 15 détenus sont morts de méningite, du choléra ou du neuropaludisme à la prison de Bafoussam. Les cellules non ventilées étaient infestées de punaises et de moustiques.
2.7Le matin du 14 septembre, M. Titiahonjo s’est plaint de douleurs à l’estomac et a demandé un traitement. Cependant, le personnel de l’infirmerie de la prison n’a pu entrer dans sa cellule parce qu’aucun des gardiens de service n’en avait la clef. M. Titiahonjo a continué de demander de l’aide tout au long de la journée, mais lorsque sa cellule a enfin été déverrouillée à 21 heures, il était déjà mort. Sa dépouille a été emmenée à la morgue et il a ensuite été enterré dans sa ville d’origine. La famille a demandé une autopsie, mais les gendarmes qui avaient surveillé M. Titiahonjo pendant sa détention ont refusé. Le cercueil a été scellé et personne n’a été autorisé à voir le corps.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur invoque une violation des alinéas a et b du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lus conjointement avec les articles 6 et 7, au motif que le Cameroun n’offre aucun recours aux victimes décédées des suites d’actes de torture, comme ce fut le cas de son époux.
3.2L’auteur invoque une violation de l’article 6 du Pacte, au motif que son époux a été arbitrairement privé de la vie pendant sa détention.
3.3L’auteur invoque une violation de l’article 7 du Pacte en raison du traitement que son époux et elle‑même ont subi entre le 19 mai et le 14 septembre 2000, et en particulier du traitement infligé à son époux pendant sa détention à la gendarmerie puis à la prison militaire de Bafoussam.
3.4L’auteur invoque une violation des paragraphes 1 à 4 de l’article 9 du Pacte, au motif que son époux a été arrêté sans mandat. M. Titiahonjo n’a jamais été inculpé ni jugé. En outre, le capitaine Togolo n’a pas exécuté l’ordre de remise en liberté du procureur.
3.5L’auteur invoque une violation de l’article 19 du Pacte, au motif que le capitaine Togolo a accusé M. Titiahonjo d’appartenir au SCNC, «organisation séparatiste» présumée. Aucune loi n’interdit l’adhésion au SCNC, et l’auteur affirme que, pour cette raison, les articles 22 et 27 du Pacte ont également été violés, les membres du SCNC représentant une minorité linguistique au sein de l’État partie, ce qui leur vaut d’être persécutés.
3.6L’auteur fait valoir que, le pouvoir exécutif et l’armée étant tous deux impliqués dans la détention de son mari, elle ne pouvait exercer aucun des recours internes prévus au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Pour engager une procédure au civil, elle aurait eu à payer des frais ainsi qu’une caution de 5 % du montant des dommages et intérêts demandés.
Non ‑coopération de la part de l’État partie
4.Le 2 juin 2003, le 30 octobre 2006 et le 31 mai 2007, l’État partie a été invité à présenter au Comité des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité constate que ces informations ne lui sont pas parvenues, bien que l’État partie ait indiqué, dans une note en date du 11 juillet 2007, qu’elles seraient fournies prochainement. Le Comité regrette que l’État partie n’ait fourni aucun renseignement quant à la recevabilité et au fond des griefs de l’auteur. Il rappelle que, conformément au Protocole facultatif, l’État partie concerné est tenu de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux griefs formulés par l’auteur, pour autant que ceux‑ci aient été suffisamment étayés.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
5.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité rappelle que l’auteur a déposé une plainte au nom de son époux et que l’ordre de remise en liberté émis par le procureur en faveur de M. Titiahonjo n’a jamais été exécuté. Dans ces circonstances, on ne saurait opposer à l’auteur qu’elle n’a pas saisi de nouveau la justice pour faire libérer son époux ou pour dénoncer les brutalités subies par elle‑même. En l’absence de toute information utile de la part de l’État partie, le Comité conclut que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.
5.4L’auteur affirme également que son époux a été victime de violations des articles 19, 22 et 27 en raison de son appartenance au SCNC. Le Comité considère cependant que l’auteur n’a pas suffisamment démontré, aux fins de la recevabilité, de quelle manière la détention de son mari avait porté atteinte aux droits qui lui sont garantis aux articles en question. Il déclare par conséquent ces griefs irrecevables au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.5Le Comité juge recevables les autres allégations de l’auteur quant à la violation du paragraphe 3 a) et b) de l’article 2 (absence de recours utiles) de l’article 6 (privation arbitraire de son époux de la vie), des paragraphes 1 à 4 de l’article 9 dans le cas de son époux et de l’article 7 dans le cas de son époux et dans son propre cas.
Examen au fond
6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.2L’auteur affirme que le décès en détention de son époux constitue une violation de l’article 6, lequel exige des États parties qu’ils protègent le droit à la vie de toutes les personnes se trouvant sur leur territoire et relevant de leur juridiction. L’auteur affirme qu’en l’espèce l’État partie a manqué à son obligation de protéger le droit à la vie de son époux en: a) ne permettant pas au personnel infirmier d’entrer dans sa cellule alors qu’il était manifestement très malade et b) en tolérant dans la prison de Bafoussam des conditions carcérales dangereuses pour la vie des détenus, en particulier en raison de la propagation manifestement incontrôlée de maladies mettant en péril la vie des détenus. L’État partie n’a pas démenti ces affirmations. Par conséquent, le Comité considère que l’État partie n’a pas respecté l’obligation qui lui est faite, au titre du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, de protéger le droit à la vie de M. Titiahonjo.
6.3L’auteur affirme que les droits reconnus à son époux à l’article 7 du Pacte ont été violés du fait: a) des conditions générales de sa détention, b) des brutalités qu’il a subies, c) de la privation de nourriture et de vêtements qu’il a endurée pendant sa détention, aussi bien dans la cellule de la gendarmerie qu’à la prison de Bafoussam et d) des menaces de mort proférées contre lui et de sa détention au secret, aussi bien dans la cellule de la gendarmerie qu’à la prison de Bafoussam. L’État partie n’a pas contesté ces affirmations, et l’auteur a donné une description détaillée du traitement et des coups subis par son époux. Dans ces circonstances, le Comité conclut que M. Titiahonjo a été soumis à un traitement cruel, inhumain et dégradant, en violation de l’article 7 du Pacte.
6.4L’auteur invoque également une violation de l’article 7 en son nom propre. À l’époque des faits, elle se trouvait à un stade avancé de grossesse et affirme avoir souffert du traitement infligé à son époux et à elle‑même. Lorsque les gendarmes ont arrêté M. Titiahonjo le 19 mai 2000, ils l’ont brutalisée, poussée dans le caniveau et giflée. Elle n’a pas été autorisée à rendre visite à son époux et a été «chassée» lorsqu’elle lui apportait de la nourriture à la gendarmerie. Le Comité considère qu’en l’absence d’informations contraires de la part de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Il comprend en outre l’angoisse éprouvée par cette dernière à cause de la détention continue de son époux et de l’incertitude sur son sort. Le Comité conclut que, dans ces conditions, l’auteur est elle aussi victime d’une violation de l’article 7 du Pacte.
6.5En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 9, il ressort du dossier de l’affaire qu’aucun mandat n’a jamais été délivré pour arrêter M. Titiahonjo ou le placer en détention. Le 25 juin 2000, le capitaine Togolo a déclaré à l’auteur que son époux était maintenu en prison uniquement parce qu’il était membre du SCNC. Rien n’indique que M. Titiahonjo ait jamais été inculpé d’une quelconque infraction. En l’absence d’information utile de la part de l’État partie, le Comité considère que la privation de liberté de M. Titiahonjo était arbitraire et donc contraire au paragraphe 1 de l’article 9.
6.6L’auteur invoque également une violation des paragraphes 2 à 4 de l’article 9. Rien ne donne à penser que M. Titiahonjo ait jamais été informé des motifs de son arrestation, qu’il ait jamais été traduit devant un juge ou une autre autorité judiciaire, ou qu’il ait jamais eu la possibilité de contester la légalité de son arrestation ou de sa détention. Là encore, en l’absence d’informations utiles de la part de l’État partie au sujet de ces griefs, le Comité considère que la détention de M. Titiahonjo du 21 mai au 14 septembre 2000 a constitué une violation des paragraphes 2 à 4 de l’article 9 du Pacte.
7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par le Cameroun, des articles 6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1 à 4) du Pacte, ainsi que des articles 6 et 7 lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, dans le cas de M. Titiahonjo, et de l’article 7 dans le cas de l’auteur elle‑même.
8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation, sous la forme d’une indemnisation et en engageant des poursuites pénales contre toutes les personnes qui sont responsables du traitement infligé à M. Titiahonjo au moment de son arrestation et pendant sa détention et de son décès ultérieur, ainsi que de la violation de l’article 7 dont l’auteur a été victime. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations similaires ne se reproduisent pas à l’avenir.
9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
D. Communication n o 1205/2003, Yakupova c. Ouzbékistan * (Constatations adoptées le 3 avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
Zinaida Yakupova (non représentée par un conseil) |
Au nom de: |
Zholmurza Bauetdinov, époux de l’auteur |
État partie: |
Ouzbékistan |
Date de la communication: |
8 octobre 2003 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Condamnation à la peine de mort à l’issue d’un procès inéquitable sur la base d’aveux obtenus sous la torture dans un autre pays |
Question de procédure: |
Justification de la plainte |
Questions de fond: |
Torture, peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; droit à la vie; droit de demander la grâce ou une commutation de peine; droit à la présomption d’innocence; droit de ne pas être obligé de témoigner contre soi‑même ou de s’avouer coupable |
Articles du Pacte: |
6, 7, 14 (par. 2 et 3 g)) |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 avril 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1205/2003 présentée au nom de M. Zholmurza Bauetdinov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication est Mme Zinaida Yakupova, de nationalité ouzbèke, née en 1969. Elle présente la communication au nom de son époux, M. Zholmurza Bauetdinov, lui aussi de nationalité ouzbèke, né en 1960, qui était, au moment de la présentation de la communication, en attente d’exécution au centre d’investigation no 9 à Nukus, dans la région du Karakalpakstan (Ouzbékistan), après avoir été condamné à mort par la Cour suprême du Karakalpakstan, le 15 juillet 2003. Elle affirme que son époux est victime d’une violation par l’Ouzbékistan des droits qui lui sont reconnus aux articles 6 et 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte. Dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, l’auteur a formulé un autre grief en rapport avec le paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. Elle n’est pas représentée par un conseil.
1.2En application de l’article 92 (ancien article 86) de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, a demandé à l’État partie, le 9 octobre 2003, de surseoir à l’exécution de l’époux de l’auteur pour permettre au Comité d’examiner la plainte. Sous couvert d’une note verbale datée du 30 octobre 2003, l’État partie a informé le Comité qu’il accédait à sa demande de mesure provisoire. Le 28 mars 2008, il lui a fait savoir que, le 29 janvier 2008, la Cour suprême d’Ouzbékistan avait commué la condamnation à mort de M. Zholmurza Bauetdinov en peine de réclusion à perpétuité.
Exposé des faits
2.1Dans la nuit du 2 au 3 décembre 2001, six membres de la famille Sarmanov, y compris le père, Iskander Sarmanov, ont été assassinés à leur domicile à Almaty au Kazakhstan. Leurs économies ont été volées et une des deux filles de M. Sarmanov, qui était âgée de 13 ans, a été violée devant sa sœur de 10 ans, avant d’être tuée. Cette dernière a survécu, mais a été grièvement blessée.
2.2Le 6 juin 2002, l’époux de l’auteur, ancien camarade de classe de M. Sarmanov, qui avait séjourné chez ce dernier à Almaty en novembre et décembre 2001, a été arrêté chez un de ses amis à Nukus (Ouzbékistan), par des agents du Département des enquêtes pénales qui le soupçonnaient d’être l’auteur des meurtres. M. Bauetdinov a été détenu par les autorités ouzbèkes avant d’être transféré contre son gré, à une date non précisée, au Kazakhstan, où il a fait l’objet d’une enquête préliminaire qui a duré deux mois. Au cours de cette enquête, il a été contraint de témoigner contre lui‑même par des agents du siège principal de la police kazakhe. Pendant qu’il était au Kazakhstan, il a subi des violences physiques: notamment, il a été suspendu la tête en bas pendant des périodes qui pouvaient durer six heures, et réveillé la nuit par trois ou quatre personnes masquées qui le battaient jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Chaque fois qu’il s’évanouissait, un médecin lui faisait une injection pour le réveiller. Il a été en outre privé de nourriture et d’eau. Incapable de supporter ces tortures, M. Bauetdinov a avoué être l’auteur des meurtres. En décembre 2002, il a été ramené à Nukus en Ouzbékistan. À une date non précisée, il a été inculpé dans ce pays de tentative de meurtre avec préméditation et circonstances aggravantes (art. 25 et 97, par. 2, du Code pénal), de meurtre avec préméditation et circonstances aggravantes (art. 97, par. 2), de vol accompagné de préjudice corporel grave (art. 164, par. 3) et de viol d’une mineure de moins de 14 ans (art. 118, par. 4). Il a été déféré au Bureau du procureur, où son dossier pénal a été traduit en karakalpak et transmis au tribunal.
2.3Devant le tribunal de première instance en Ouzbékistan, c’est-à-dire la Cour suprême du Karakalpakstan, M. Bauetdinov s’est plaint d’avoir été contraint de s’avouer coupable sous la torture pendant l’enquête préalable au procès, au Kazakhstan. Il a demandé à la Cour de déclarer ses aveux irrecevables en tant que preuve. L’auteur affirme que la Cour n’a fait aucun cas des demandes de son époux, en violation de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte. Le 15 juillet 2003, la Cour a condamné M. Bauetdinov à la peine de mort pour s’être rendu coupable de crimes tombant sous le coup des articles 25, 97 (par. 2), 164 (par. 3), et 118 (par. 4) du Code pénal ouzbek. L’auteur affirme, sans donner de précision, que la condamnation de son époux à la peine de mort a été prononcée en violation de l’article 6 du Pacte.
2.4Du jugement du 15 juillet 2003, il ressort ce qui suit:
a)Au tribunal, M. Bauetdinov a déclaré que son ancien camarade de classe, M. Sarmanov, était dentiste et qu’il achetait à des trafiquants de l’or volé dont il se servait pour fabriquer des prothèses. M. Sarmanov devait de l’argent à ces trafiquants qui, la nuit du 3 septembre 2001, étaient venus le lui réclamer et s’en étaient pris aux membres de sa famille, leur causant des lésions corporelles. À la fin de novembre 2001, M. Bauetdinov a essayé d’intervenir au nom de M. Sarmanov pour régler la question à l’amiable avec les trafiquants, mais on lui a conseillé de ne pas se mêler de l’affaire. Une semaine plus tard, M. Sarmanov et lui ont rencontré l’un des trafiquants au marché. Une querelle a éclaté entre M. Sarmanov et le trafiquant, qui a été rejoint rapidement par ses compagnons. À un moment donné, M. Bauetdinov a reçu un coup de tenailles à la tête, qui l’a fait tomber. Lorsqu’il s’est relevé, il a reçu deux coups de couteau aux cuisses. M. Sarmanov a alors promis de rembourser ses dettes.
b)Le 1er décembre 2001, M. Sarmanov a demandé à M. Bauetdinov de l’aider à déménager dans une autre maison. La nuit du 2 décembre 2001, quelqu’un a frappé à la porte du domicile des Sarmanov. M. Bauetdinov a ouvert et a vu un des trafiquants, qui a insisté pour parler à M. Sarmanov. Celui-ci était contrarié par cette intrusion. M. Bauetdinov a essayé de régler à l’amiable la question de la dette, mais ses efforts ont été vains. M. Sarmanov lui a dit de ne pas s’inquiéter et d’aller dormir. M. Bauetdinov est allé se coucher mais n’a pas pu trouver le sommeil à cause du bruit. Il s’est rhabillé et est allé faire une promenade. À un certain moment, il est entré dans une maison voisine en construction. De là, il a vu deux autres trafiquants pénétrer dans la cave de la maison par une fenêtre; quarante minutes plus tard, il a vu les trois hommes quitter à la hâte la maison munis d’un sac.
c)M. Bauetdinov a ensuite découvert que les membres de la famille Sarmanov étaient morts ou avaient subi des blessures mortelles. Il a pris son sac et s’est échappé. Il n’a pas signalé le crime à la police parce qu’il craignait d’être suspecté en raison de ses antécédents pénaux. Il s’est rendu à Chimkent (Kazakhstan), où un ami lui a appris qu’il était recherché par la police et que ses photos avaient été montrées à la télévision nationale et publiées dans les journaux. Le 1er juin 2002, il a rendu visite à un ami dans sa ville natale de Nukus (Ouzbékistan). Ce dernier l’a dénoncé à la milice, et M. Bauetdinov a été arrêté quatre jours plus tard.
d)Pendant l’enquête préalable au procès, M. Bauetdinov a reconnu sa culpabilité en présence de son avocat et du premier substitut du procureur d’Almaty. Le 26 septembre 2002, en présence de son avocat et d’autres témoins, il a expliqué quand, comment et où il avait donné la mort aux victimes et indiqué le lieu exact des meurtres par simulation vidéo. Ces déclarations ont fait l’objet d’un procès‑verbal. Les pages 289 et 290 du volume 1 du dossier pénal de M. Bauetdinov contiennent les conclusions de l’examen médico‑légal no 205‑D, qui certifient qu’il n’y avait aucune lésion sur son corps. Cet examen avait été effectué sur décision de l’enquêteur du Département des affaires intérieures de la ville d’Almaty.
e)M. Bauetdinov a fait des déclarations contradictoires, affirmant tantôt qu’il avait reconnu sa culpabilité en échange de la promesse qu’il serait renvoyé en Ouzbékistan, et tantôt qu’on lui avait arraché des aveux sous la torture.
2.5À une date non précisée, un appel contre la condamnation à mort de M. Bauetdinov du 15 juillet 2003, assorti d’une demande de commutation de peine au titre du paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte, a été adressé à la chambre judiciaire des affaires pénales de la Cour suprême du Karakalpakstan. Le 26 août 2003, l’appel a été rejeté au motif que l’époux de l’auteur, qui avait été déjà condamné quatre fois par le passé, avait commis un autre crime particulièrement grave.
Teneur de la plainte
3.L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits reconnus à son époux aux articles 6 et 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1Dans ses observations du 30 octobre 2003, l’État partie fait savoir que le 15 juillet 2003 l’époux de l’auteur a été déclaré coupable du meurtre avec préméditation de six membres de la famille Sarmanov, du viol d’une mineure de moins de 14 ans, de tentative de meurtre avec préméditation sur la personne de la sœur cadette de celle-ci, et de vol. Cette décision a été confirmée par la chambre judiciaire des affaires pénales de la Cour suprême du Karakalpakstan, le 26 août 2003.
4.2L’État partie fait valoir que la culpabilité de l’époux de l’auteur a été établie au‑delà de tout doute raisonnable sur la base des pièces versées au dossier; ses actes ont été correctement qualifiés conformément à la loi. En fixant la peine, la Cour a tenu compte du danger que M. Bauetdinov représentait pour le public et des conséquences graves du crime qu’il avait commis.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans ses commentaires en date du 23 mai 2007, l’auteur ajoute que, parmi toutes les dispositions du Code pénal en vertu desquelles son époux a été condamné, seul le paragraphe 2 de l’article 92 prévoit la peine de mort en tant que châtiment. Cette dernière disposition prévoit aussi une autre possibilité, à savoir la condamnation à une peine de quinze à vingt ans de réclusion. À une date non précisée, une requête pour complément d’enquête sur l’affaire a été adressée à l’administration présidentielle. Cette requête a été rejetée par la Cour suprême d’Ouzbékistan le 13 novembre 2006.
5.2L’auteur réitère son affirmation selon laquelle son époux a été torturé pendant l’enquête préalable au procès, au Kazakhstan. Elle ajoute à présent qu’en dépit de passages à tabac répétés, il a refusé de faire la moindre déclaration et de signer des aveux. Selon elle, lorsque les enquêteurs ont compris qu’il n’obtempérerait pas, ils l’ont «laissé tranquille». Elle déclare également qu’au Kazakhstan l’avocat commis d’office de son époux n’a assisté qu’à un seul interrogatoire et que, de concert avec l’enquêteur, il a exercé des pressions sur l’accusé pour que celui-ci fasse des aveux. À tous les stades de la procédure devant le tribunal en Ouzbékistan, l’époux de l’auteur a été dûment représenté par un avocat.
5.3L’auteur formule un nouveau grief de violation par l’État partie des droits qui sont reconnus à son époux au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. Premièrement, la culpabilité de son époux a été fondée, entre autres, sur le simple fait que 2 des 13 empreintes digitales relevées sur la scène du crime correspondaient aux siennes. Elle fait valoir que les empreintes digitales en question ont été trouvées sur un sucrier et que son époux aurait pu les laisser pendant son séjour chez les Sarmanov en novembre et décembre 2001. Deuxièmement, selon une expertise datée du 21 novembre 2002, il n’a pas été possible d’établir si le sperme prélevé dans le vagin de la fille aînée de M. Sarmanov appartenait à l’époux de l’auteur. Ce fait n’aurait pas été interprété par le tribunal en faveur de l’accusé. Troisièmement, la culpabilité de l’époux de l’auteur a été établie, entre autres, sur la base des témoignages de la plus jeune fille de M. Sarmanov qui, ayant survécu à une tentative de meurtre, était émotionnellement instable et a fait des déclarations incohérentes. Quatrièmement, le tribunal n’a pas tenu compte des dépositions de trois témoins qui ont déclaré que la famille Sarmanov avait déjà été agressée par des hommes masqués la nuit du 3 septembre 2001. Enfin, il n’a pas pris en considération le récit qu’avait fait l’époux de l’auteur, devant le tribunal de première instance, de ce qui s’était passé pendant la nuit du 2 au 3 décembre 2001.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et note que l’État partie n’a pas contesté que les recours internes aient été épuisés en l’espèce.
6.3Pour ce qui est de la violation alléguée de l’article 7 du Pacte par l’État partie, le Comité note que l’auteur ne dit pas que son époux a été torturé en Ouzbékistan et/ou par des agents de la force publique ouzbèke. Elle affirme plutôt qu’il l’a été au Kazakhstan et par des agents de la sécurité kazakhe. Le Comité rappelle que les États parties sont tenus de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne ou de la transférer de quelque autre manière que ce soit de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle court un risque réel de subir un préjudice irréparable, tel que celui envisagé à l’article 7, dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi. À cet égard, le Comité note que l’auteur n’a pas affirmé que, lors du transfert forcé de son époux d’Ouzbékistan au Kazakhstan, il y avait des motifs sérieux de croire qu’en tant que conséquence nécessaire et prévisible de ce transfert M. Bauetdinov courait un risque réel d’être soumis à un traitement interdit par l’article 7 du Pacte. Dans ces circonstances, le Comité considère que la plainte formulée contre l’État partie au titre de l’article 7 du Pacte n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et la déclare irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4Pour ce qui est de l’affirmation faite au titre du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, selon laquelle les tribunaux de l’État partie ont, en l’espèce, mal apprécié les faits et les éléments de preuve, le Comité rappelle que c’est en principe à ces tribunaux qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve et d’interpréter la législation interne, à moins que cette appréciation et cette interprétation n’aient été manifestement arbitraires ou n’aient représenté un déni de justice. L’auteur ne lui ayant présenté aucun document ou information utile pour lui permettre de déterminer si le procès de son époux avait été entaché de telles irrégularités, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.5Le Comité note que le grief tiré par l’auteur de l’article 6 du Pacte est étroitement lié à celui tiré du paragraphe 3 g) de l’article 14, concernant l’utilisation par les tribunaux ouzbeks d’éléments de preuve obtenus sous la torture au Kazakhstan, et considère que la plainte de l’auteur a été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare le reste des allégations recevables.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Le Comité note que l’auteur affirme que les tribunaux de l’État partie n’ont pas tenu compte de l’allégation de son époux selon laquelle il avait été torturé au Kazakhstan et que ces tribunaux ont établi sa culpabilité sur la base d’aveux arrachés sous la torture. Il constate toutefois que, selon le jugement du 15 juillet 2003, dont une copie a été fournie par l’auteur lui‑même, la Cour suprême du Kazakhstan a bien pris note des conclusions de l’examen médico‑légal no 205‑D effectué au Kazakhstan certifiant qu’aucune lésion n’avait été relevée sur le corps de l’époux de l’auteur. Le Comité constate en outre que dans ses commentaires du 23 mai 2007, l’auteur a modifié la description des faits donnée dans sa lettre initiale, déclarant qu’en dépit de passages à tabac répétés, son époux avait refusé de faire des aveux et de signer le moindre document. En outre, selon le jugement de la Cour suprême du Karakalpakstan, l’époux de l’auteur a fait des déclarations contradictoires, affirmant tantôt qu’il avait fait des aveux en échange de la promesse qu’il serait renvoyé en Ouzbékistan et tantôt qu’on lui avait arraché des aveux sous la torture. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle c’est aux tribunaux des États parties qu’il appartient en principe d’apprécier les faits et les éléments de preuve et d’interpréter la législation interne dans une affaire donnée à moins que cette appréciation n’ait été manifestement arbitraire ou n’ait constitué un déni de justice. Le Comité constate que deux versions différentes ont été données par l’auteur et par l’État partie quant à la question de savoir 1) si l’époux de l’auteur a été torturé au Kazakhstan et 2) s’il a été condamné à mort par les tribunaux de l’État partie sur la base d’une auto‑incrimination. Le Comité n’est pas en mesure de conclure, au vu des éléments d’appréciation qui lui ont été communiqués, que l’État partie n’a pas pris les mesures requises pour faire en sorte que le droit de l’époux de l’auteur de ne pas être obligé de témoigner contre lui‑même ou de s’avouer coupable soit respecté. Il considère par conséquent que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.
7.3Pour ce qui est du grief tiré par l’auteur de l’article 6 du Pacte, le Comité note que l’époux de l’auteur a été condamné à mort pour avoir commis un crime particulièrement grave, qualifié conformément aux lois de l’État partie, par le jugement de la Cour suprême du Karakalpakstan, et que sa condamnation à mort a été ultérieurement confirmée par une juridiction supérieure. Il note également qu’à une date non précisée une demande de complément d’enquête sur l’affaire a été adressée à l’administration présidentielle, et que cette demande a été rejetée par la Cour suprême d’Ouzbékistan le 13 novembre 2006. Dans ces conditions et en l’absence d’une conclusion à l’existence d’une violation de l’article 14 en l’espèce, le Comité considère que les faits dont il est saisi ne révèlent aucune violation de l’article 6 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
E. Communication n o 1209/2003, Rakhmatov c. Tadjikistan * Communication n o 1231/2003, Safarov c. Tadjikistan Communication n o 1241/2004, Mukhammadiev c. Tadjikistan (Constatation adoptées le 1 er avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentées par: |
Bakhrinisso Sharifova (1209/2003), Saidali Safarov (1231/2003), Kholmurod Burkhonov (1241/2004) (non représentés par un conseil) |
Au nom de: |
Ekubdzhon Rakhmatov (fils de Bakhrinisso Sharifova), Alisher et Bobonyoz Safarov et Farkhod Salimov (respectivement fils et neveu de Saidali Safarov), Shakhobiddin Mukhammadiev (fils de Kholmurod Burkhonov) |
État partie: |
Tadjikistan |
Date de la communication: |
30 avril 2003 (date des lettres initiales) |
Objet: |
Détention arbitraire et procès inéquitable |
Questions de procédure: |
Torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant; détention arbitraire; droit d’être traité avec humanité et avec le respect de sa dignité; droit à une procédure équitable; droit d’être jugé par un tribunal impartial; droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense; droit d’interroger des témoins; droit des accusés mineurs d’être séparés des adultes |
Questions de fond: |
Plaintes non étayées; non-épuisement des recours internes |
Articles du Pacte: |
7, 9 (par. 1 et 2), 10, 14 (par. 1, 3 b), d), e) et g)) |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er avril 2008,
Ayant achevé l’examen des communications nos 1209/2003, 1231/2003 et 1241/2004 présentées au nom d’Ekubdzhon Rakhmatov, d’Alisher Safarov, de Bobonyoz Safarov, de Farkhod Salimov et de Shakhobiddin Mukhammadiev en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.Le premier auteur est Mme Bakhrinisso Sharifova, de nationalité tadjike, née en 1956, qui présente la communication au nom de son fils, M. Ekubdzhon Rakhmatov, également de nationalité tadjike, né en 1985. Le deuxième auteur est M. Saidali Safarov, de nationalité tadjike, né en 1946, qui présente la communication au nom de ses fils, MM. Alisher et Bobonyoz Safarov, tous deux de nationalité tadjike, nés en 1978 et en 1973 respectivement, et de son neveu, M. Farkhod Salimov, de nationalité tadjike, né en 1982. Le troisième auteur est M. Kholmurod Burkhonov, de nationalité tadjike, né en 1942, qui présente la communication au nom de son fils, M. Shakhobiddin Mukhammadiev, également de nationalité tadjike, né en 1984. Au moment de la présentation des communications, les cinq victimes présumées purgeaient leur peine dans la colonie no 7 à Douchanbé (Tadjikistan). Les auteurs affirment que les cinq hommes sont victimes de violations par le Tadjikistan des droits qui leur sont reconnus à l’article 7, aux paragraphes 1 et 2 de l’article 9, à l’article 10, et aux paragraphes 1, 3 b), 3 d), 3 e) et 3 g) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Bien que les premier et troisième auteurs n’invoquent pas expressément le paragraphe 4 de l’article 14 du Pacte, leurs communications semblent soulever des questions au titre de cette disposition en ce qui concerne MM. Ekubdzhon Rakhmatov et Skahobiddin Mukhammadiev. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 4 avril 1999.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.Pendant la nuit du 5 au 6 août 2001, la maison d’un certain M. Isoev a été cambriolée à Morteppa, dans le district de Gissar au Tadjikistan. Six individus soupçonnés d’avoir commis le cambriolage, parmi lesquels figuraient les victimes présumées, ont été arrêtés (задержаны) en août 2001 et en juin 2002. Ils ont été condamnés en tant que coaccusés par la Chambre criminelle de la Cour suprême, le 25 novembre 2002, à différentes peines d’emprisonnement.
Cas de M. Ekubdzhon Rakhmatov
2.2M. Rakhmatov a été arrêté par des miliciens le 8 août 2001. Le procès-verbal de l’arrestation n’a été établi que le 11 août 2001. À une date non précisée, M. Rakhmatov a été accusé de cambriolage avec utilisation d’armes, de munitions ou d’explosifs, en vertu de l’article 249, paragraphe 4 c), du Code pénal. Pendant l’enquête préliminaire le concernant, on l’aurait torturé pour lui extorquer des aveux. Le premier auteur affirme que son fils a reçu des coups de pied et des coups de matraque et qu’il a été menotté et suspendu au plafond, frappé sur les reins et torturé à l’électricité. Pendant trois jours, il aurait été privé de nourriture, les colis envoyés par sa famille ne lui auraient pas été transmis et ses proches n’auraient pas pu le voir. Les personnes qui l’auraient torturé sont notamment des miliciens, des agents du Département des enquêtes criminelles et un enquêteur du Département des affaires intérieures du district de Gissar. Les noms de huit personnes impliquées dans les tortures sont consignés dans le dossier. M. Rakhmatov se serait entendu dire que s’il n’avouait pas ses parents auraient de «sérieux problèmes». Par la suite, à une date non précisée, son père a été accusé de «vandalisme» et condamné. Le premier auteur affirme qu’incapable de résister aux coups et à la pression psychologique, son fils a avoué ce dont on l’accusait. À une date non précisée, il aurait été frappé par M. Isoev en présence de l’enquêteur, et l’un des miliciens du district lui aurait écorché le visage. Les enquêteurs ont toutefois affirmé par la suite que c’était la femme de M. Isoev qui avait égratigné le visage de M. Rakhmatov, en état de légitime défense, lors du cambriolage. Cet argument a ensuite été utilisé par l’accusation comme preuve que la femme de M. Isoev avait bien reconnu M. Rakhmatov comme étant l’un des cambrioleurs, lors de la séance d’identification.
2.3Selon le premier auteur, les enquêteurs auraient préparé à l’avance la vérification des aveux de son fils. Quelques jours avant cette vérification, M. Rakhmatov aurait été amené sur la scène du crime, où on lui aurait expliqué où il devait se tenir et ce qu’il devait dire. Il aurait été montré à des individus qui l’auraient reconnu plus tard lors d’une séance d’identification.
2.4Le premier auteur affirme qu’au moment de son arrestation, son fils était mineur et que, conformément à l’article 51 du Code de procédure pénale, les autorités étaient tenues de lui fournir un avocat dès son arrestation. Or cela n’a été fait que le 14 août 2001. De plus, le premier auteur affirme que conformément à l’article 141 du Code de procédure pénale, lorsqu’un mineur est accusé en même temps que des adultes, l’enquête criminelle le concernant doit être menée, au stade préliminaire, séparément de celle concernant les adultes, chaque fois que possible. Cela n’a pas été fait dans le cas de M. Rakhmatov. Contrairement aux dispositions de l’article 150 du Code de procédure pénale, son interrogatoire et d’autres phases de l’enquête se sont déroulés en l’absence d’avocat.
2.5Le premier procès de M. Rakhmatov devant la Chambre criminelle de la Cour suprême a eu lieu du 13 mars au 26 avril 2002. Le premier auteur affirme que le procès de son fils n’était pas équitable et que le tribunal était partial. Ainsi:
a)Le fils du premier auteur est revenu sur les aveux qu’il avait faits sous la torture pendant l’enquête préliminaire et a clamé son innocence. Il a affirmé qu’il avait un alibi pour le moment où le crime avait été commis, qui pouvait être confirmé par de nombreux témoins. Les témoignages de M. Rakhmatov et des témoins de la défense ont été ignorés;
b)Plusieurs témoins ayant déposé contre M. Rakhmatov ont fait des déclarations contradictoires;
c)L’accusation a exercé des pressions sur les témoins et le Président de la Chambre a restreint la possibilité de l’avocat de poser des questions;
d)Le tribunal n’a pas examiné objectivement les circonstances du crime − telles que la nature du crime commis ou l’existence d’un rapport de cause à effet entre les actes commis et leurs conséquences;
e)À l’audience, aucun témoin n’aurait été en mesure d’identifier les coaccusés comme étant les participants au crime.
2.6Au cours du premier procès, une autre personne devant répondre d’un autre chef d’accusation, un certain M. Rasulov, a comparu dans le cadre de l’affaire du cambriolage de la maison de M. Isoev. Le 26 avril 2002, le juge a renvoyé cette affaire au Procureur général pour complément d’information, en lui demandant de tirer au clair les incohérences de l’enquête. Le 15 juillet 2002, M. Rasulov a écrit au Président de la Cour suprême une lettre dans laquelle il avouait avoir cambriolé la maison de M. Isoev, s’exprimait prêt à identifier les biens volés à M. Isoev et à la famille de celui-ci, et demandait au Président de tenir compte de ces éléments dans le cas des autres personnes qui avaient été accusées à tort d’avoir commis ce crime. Cependant, lors du deuxième procès qui a eu lieu du 3 septembre au 25 novembre 2002, il n’a été tenu aucun compte du témoignage de M. Rasulov, considéré comme n’étant pas digne de foi.
2.7Il ressort clairement du jugement rendu par la Chambre criminelle de la Cour suprême le 25 novembre 2002 que la Chambre a examiné les déclarations des victimes selon lesquelles leurs aveux avaient été obtenus sous la torture pendant l’enquête préliminaire, et qu’elle a conclu que ces déclarations n’étaient pas dignes de foi. La Cour a considéré qu’il s’agissait d’une tentative de se dégager de toute responsabilité et d’éviter d’être punis pour le crime commis. Il est indiqué dans le jugement que les témoignages de plusieurs membres de la milice de district, d’agents du Département des enquêtes criminelles et d’un enquêteur du Département des affaires intérieures du district de Gissar ont été examinés à l’audience. Plus précisément, le Procureur et le Procureur adjoint du district de Gissar ont attesté que les parents de MM. Rakhmatov, Alisher Safarov et Salimov avaient déposé une plainte au bureau du Procureur, dans laquelle ils affirmaient que, pendant l’enquête préliminaire, leurs fils avaient été contraints par la torture d’avouer qu’ils avaient cambriolé la maison de M. Isoev. Ces allégations auraient été examinées par un expert indépendant de Douchanbé, qui aurait interrogé les victimes présumées et demandé qu’elles passent un examen médical. On aurait alors découvert, sur l’épaule gauche d’Alisher Safarov, des hématomes qui dateraient d’avant son arrestation; aucune autre blessure n’aurait été constatée sur les autres victimes présumées. Les victimes ayant toutes confirmé avoir fait des aveux spontanés, l’examen de la plainte des parents a été clos et une réponse officielle leur a été adressée.
2.8Le 25 novembre 2002, la Chambre criminelle de la Cour suprême a condamné M. Rakhmatov à sept ans d’emprisonnement. Le 25 février 2003, elle a rejeté son pourvoi en cassation.
2.9Le premier auteur indique que l’enquêteur du Département des affaires intérieures du district de Gissar, qui était impliqué dans les tortures infligées à son fils, a été ultérieurement accusé de corruption dans cette même affaire. Les accusations portées contre lui ont toutefois été retirées et il a été transféré dans un autre district.
Cas de MM. Alisher Safarov et Bobonyoz Safarov
2.10Le 9 août 2001, M. Alisher Safarov a été arrêté par des miliciens au domicile de sa famille et emmené au Département des affaires intérieures du district de Gissar. Le procès‑verbal de l’arrestation n’a été établi que le 11 août 2001. M. Alisher Safarov a été soumis aux tortures physiques décrites au paragraphe 2.2 ci-dessus et a également été menacé de causer de «sérieux problèmes» à ses parents s’il n’avouait pas avoir commis les faits dont il était accusé. Ces menaces n’ont toutefois pas été mises à exécution. En outre, les fonctionnaires du Département des affaires intérieures du district de Gissar, qui savaient qu’il souffrait de cécité nocturne depuis l’enfance, l’ont délibérément interrogé la nuit. Incapable de résister aux coups et à la pression psychologique, M. Alisher Safarov a reconnu les faits qui lui étaient reprochés.
2.11Lorsque l’affaire a été renvoyée au Procureur pour complément d’information (voir par. 2.6 ci-dessus), le fils aîné du deuxième auteur, M. Bobonyoz Safarov, a été arrêté la nuit du 5 au 6 juin 2002. Le deuxième auteur affirme que l’arrestation a été effectuée sans un mandat d’arrêt du Procureur et que son fils a été détenu dans les locaux du Département des affaires intérieures pendant quinze jours, où on l’a torturé pour lui extorquer des aveux, avant d’être transféré au centre de détention provisoire.
2.12Les autres éléments présentés par le deuxième auteur en ce qui concerne MM. Alisher et Bobonyoz Safarov sont identiques à ceux décrits aux paragraphes 2.3, 2.5 à 2.7 et 2.14. Le 25 novembre 2002, la Chambre criminelle de la Cour suprême les a condamnés à dix ans d’emprisonnement et à la confiscation de leurs biens. Elle a rejeté leur pourvoi en cassation le 25 février 2003.
Cas de M. Farkhod Salimov
2.13Le 8 août 2001, M. Salimov a été arrêté par des miliciens au domicile de sa famille et emmené au Département des affaires intérieures du district de Gissar. Le procès-verbal de l’arrestation n’a été établi que le 11 août 2001. M. Salimov a été soumis aux tortures physiques décrites au paragraphe 2.2 ci-dessus, et également menacé de causer de «sérieux problèmes» à ses parents s’il ne reconnaissait pas les faits dont il était accusé. Ces menaces n’ont toutefois pas été mises à exécution. Incapable de résister aux coups et à la pression psychologique, M. Salimov a reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Les autres éléments de l’affaire présentés par le deuxième auteur sont identiques à ceux décrits aux paragraphes 2.3, 2.5 à 2.7 et 2.14. Le 25 novembre 2002, la Chambre criminelle de la Cour suprême a condamné M. Salimov à dix ans d’emprisonnement et à la confiscation de ses biens. Elle a rejeté son pourvoi en cassation le 25 février 2003.
Cas de M. Shakhobiddin Mukhammadiev
2.14Le 7 août 2001, M. Mukhammadiev, un parent de M. Isoev, qui était mineur à l’époque des faits, a été arrêté au domicile de son grand‑père par des membres de la milice de district accompagnés de M. Isoev. Le procès‑verbal de l’arrestation n’a été établi que le 11 août 2001. M. Mukhammadiev a été soumis aux tortures décrites au paragraphe 2.2 ci‑dessus et, incapable de résister aux coups et à la pression psychologique, il a reconnu les faits dont il était accusé. Ses aveux et ses déclarations ont été rédigés en son nom par des membres de la milice et l’enquêteur du Département des affaires intérieures du district de Gissar, et ne lui ont été montrés que pour qu’il y appose sa signature. À plusieurs reprises, il a été contraint de signer des pages blanches qui ont été ultérieurement remplies par l’enquêteur. Le 17 août 2001, alors qu’il était interrogé par le Procureur et le Procureur adjoint du district de Gissar dans le cadre de l’enquête préliminaire, il a déclaré qu’il n’avait pas commis le crime en question et que ses aveux avaient été obtenus par la force. Le Procureur et le Procureur adjoint n’ont fait aucun cas de cette déclaration et il n’y a eu aucun examen médico‑légal. De plus, le même jour, l’enquêteur aurait fait pression sur M. Mukhammadiev pour qu’il retire la déclaration qu’il avait faite au Procureur. Le 18 août 2001, incapable de résister à la pression, M. Mukhammadiev a retiré la déclaration en question. Les autres éléments présentés par le troisième auteur en ce qui concerne M. Mukhammadiev sont identiques à ceux décrits aux paragraphes 2.3 à 2.7 ci‑dessus. Le 25 novembre 2002, la Chambre criminelle de la Cour suprême a condamné M. Mukhammadiev à sept ans d’emprisonnement. Elle a rejeté son pourvoi en cassation le 25 février 2003.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs affirment tous qu’il y a eu violation de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 parce que les victimes présumées ont été battues et torturées, qu’elles ont subi des pressions psychologiques, et qu’elles ont donc été obligées de s’avouer coupables.
3.2Les droits qui sont reconnus aux victimes présumées aux paragraphes 1 et 2 de l’article 9 auraient été violés parce que celles‑ci ont été arrêtées illégalement et n’ont été inculpées que longtemps après leur arrestation.
3.3Les auteurs affirment qu’en violation de l’article 10, les victimes présumées ont été détenues dans des conditions laissant beaucoup à désirer au début de leur détention. En vue d’exercer une pression psychologique sur ces hommes, on les a menacés de torturer leurs parents. Pendant trois jours, ils ont été privés de nourriture, les colis expédiés par leur famille ne leur sont pas parvenus et leurs proches n’ont pas pu les voir. La nourriture qu’ils recevaient à la fin de leur détention était monotone et inappropriée.
3.4Les auteurs affirment que les droits qui sont reconnus aux victimes présumées au paragraphe 1 de l’article 14 ont été violés parce que le tribunal qui les a jugées a fait preuve de partialité. Le paragraphe 3 e) de l’article 14 a été violé dans la mesure où les dépositions des témoins en faveur des victimes présumées ont été rejetées sous prétexte qu’elles étaient fausses.
3.5Enfin, les auteurs affirment que les droits qui sont reconnus aux victimes présumées au paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 ont été violés, sans toutefois indiquer quelles actions ou omissions des autorités de l’État partie étaient, selon eux, contraires à ces dispositions.
3.6Bien que les premier et troisième auteurs n’invoquent pas expressément le paragraphe 4 de l’article 14 du Pacte, leurs communications semblent soulever des questions au titre de cette disposition en ce qui concerne MM. Ekubdzhon Rakhmatov et Shakhobiddin Mukhammadiev.
Non ‑coopération de l’État partie
4.Par des notes verbales datées du 28 octobre 2003 (Rakhmatov), du 2 décembre 2003 (les Safarov et Salimov), du 20 janvier 2004 (Mukhammadiev), du 18 novembre 2005 (Rakhmatov), du 21 novembre 2005 (les Safarov, Salimov et Mukhammadiev) et du 7 septembre 2006 (Rakhmatov, les Safarov, Salimov et Mukhammadiev), l’État partie a été prié de communiquer au Comité ses observations sur la recevabilité et le fond des communications. Le Comité constate qu’il n’a pas reçu les informations demandées. Il regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information concernant la recevabilité ou le fond des plaintes des auteurs. Il rappelle que le Protocole facultatif prévoit implicitement que l’État partie soumette par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence d’une réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
5.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
5.3Le deuxième auteur affirme qu’en violation de l’article 7, de l’article 10 et du paragraphe 3 g) de l’article 14, son fils aîné, Bobonyoz Safarov, a été battu et torturé, qu’il a subi des pressions psychologiques et a donc été obligé de faire des aveux et qu’il a été détenu en outre dans des conditions laissant beaucoup à désirer. Cependant, le deuxième auteur n’a pas fourni de renseignements détaillés ni de documents à l’appui de ces allégations. Rien n’indique clairement si ces griefs ont été soulevés devant les tribunaux en ce qui concerne cette victime précise. Dans ces conditions, le Comité considère que cette partie de la communication n’a pas été étayée aux fins de la recevabilité et la déclare donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.4Les auteurs affirment que les victimes présumées ont été atteintes dans les droits qui leur sont garantis aux paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte parce qu’elles ont été arrêtées illégalement et détenues pendant une longue période sans avoir été inculpées. Le Comité note toutefois que les informations dont il est saisi ne lui permettent pas d’établir les circonstances exactes de leur arrestation ni la date exacte de leur inculpation. Par ailleurs, rien n’indique clairement si ces griefs ont été soulevés devant les tribunaux internes. Dans ces conditions, le Comité considère que cette partie des communications n’a pas été étayée aux fins de la recevabilité et la déclare donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.5Les auteurs affirment en outre que les droits qui sont reconnus aux victimes présumées au paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 ont été violés. L’État partie n’a fait aucune observation à ce sujet. Le Comité note toutefois que le deuxième auteur n’a pas fourni de renseignements détaillés ni de documents à l’appui de cette affirmation en ce qui concerne MM. Alisher Safarov, Bobonyoz Safarov et Salimov, et que rien n’indique clairement si les griefs en question ont été portés à l’attention des tribunaux de l’État partie en ce qui concerne MM. Rakhmatov et Mukhammadiev. Dans ces conditions, il considère que cette partie des communications n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et qu’elle est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.6Les auteurs affirment en outre qu’en violation du paragraphe 3 e) de l’article 14, le tribunal a entendu les témoignages en faveur des victimes présumées mais n’en a simplement fait aucun cas. L’État partie n’a fait aucune observation à ce propos. Le Comité note cependant que les informations dont il est saisi ne permettent pas de conclure que le tribunal a effectivement omis d’examiner les témoignages en question ou de les apprécier. Dans ces conditions, et en l’absence de toute autre information pertinente, il considère que, n’étant pas suffisamment étayée, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.7Le Comité considère que les autres griefs des auteurs, qui soulèvent des questions au titre de l’article 7, du paragraphe 3 g) de l’article 14, de l’article 10 et du paragraphe 1 de l’article 14 en ce qui concerne MM. Ekubdzhon Rakhmatov, Alisher Safarov, Farkhod Salimov et Shakhobiddin Mukhammadiev, de même que les griefs du deuxième auteur, qui soulèvent des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 14 en ce qui concerne M. Bobonyoz Safarov, et les griefs des premier et troisième auteurs, qui soulèvent des questions au titre du paragraphe 4 de l’article 14 (en ce qui concerne MM. Ekubdzhon Rakhmatov et Shakhobiddin Mukhammadiev), ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc recevables.
Examen au fond
6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.
6.2Les auteurs affirment que les victimes présumées ont été battues et torturées par des membres de la milice de district, des fonctionnaires du Département des enquêtes criminelles et un enquêteur du Département des affaires intérieures du district de Gissar, et qu’elles ont été contraintes de s’avouer coupables, en violation de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte. En l’absence d’explication de la part de l’État partie, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations des auteurs. Le Comité rappelle que lorsqu’il a été porté plainte pour mauvais traitements constituant une violation de l’article 7, la plainte doit faire l’objet d’une enquête rapide et impartiale par les autorités compétentes de l’État partie. À cet égard, il note que les auteurs ont donné une description détaillée du traitement subi par leurs proches (par. 2.2, 2.8 et 2.12 ci‑dessus), hormis en ce qui concerne l’une des victimes présumées, M. Bobonyoz Safarov (par. 2.11 et 5.3 ci‑dessus). Ils ont également identifié les auteurs présumés de ces actes. Les informations dont le Comité est saisi révèlent également que les allégations de torture ont été portées à l’attention du Bureau du Procureur du district de Gissar et formulées devant le tribunal. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, l’État partie n’a pas apporté la preuve que ses autorités avaient examiné comme il convient les griefs de torture avancés par les auteurs.
6.3Pour ce qui est de l’allégation de violation des droits consacrés au paragraphe 3 g) de l’article 14, en ce que les victimes présumées ont été contraintes de signer des aveux, le Comité doit examiner les principes sous‑jacents aux droits protégés par cette disposition. Il renvoie à ses décisions antérieures selon lesquelles le libellé du paragraphe 3 g) de l’article 14, en vertu duquel toute personne «a droit à ne pas être forcée de témoigner contre elle‑même ou de s’avouer coupable», doit s’entendre comme interdisant toute contrainte physique ou psychologique, directe ou indirecte, des autorités d’instruction sur l’accusé, dans le but d’obtenir un aveu. Le Comité rappelle que dans les cas où les aveux ont été obtenus par la force, il incombe à l’État de prouver que l’accusé a fait ses déclarations de son plein gré. Il conclut par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte (excepté en ce qui concerne M. Bobonyoz Safarov).
6.4Les auteurs affirment que les victimes présumées ont été détenues dans des conditions laissant beaucoup à désirer au début de leur détention. Ils font observer qu’en vue d’exercer sur ces hommes une pression psychologique, on les a menacés de faire du mal à leurs parents s’ils ne s’avouaient pas coupables. En outre, ils ont été privés de nourriture pendant trois jours, les colis expédiés par leur famille ne leur sont pas parvenus et leurs proches n’ont pas pu les voir. Enfin, la nourriture qu’ils recevaient à la fin de leur détention était monotone et inappropriée. L’État partie n’a pas commenté ces allégations et dans ces conditions, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs. Le Comité conclut par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits reconnus aux victimes présumées à l’article 10 du Pacte (excepté en ce qui concerne M. Bobonyoz Safarov).
6.5Les auteurs invoquent une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte étant donné que les garanties d’un procès équitable n’ont pas été respectées et que le tribunal a fait preuve de partialité (voir plus haut par. 2.5 à 2.7 et 2.12 à 2.14). Le Comité note que ces allégations se rapportent essentiellement à l’appréciation des faits et des éléments de preuve par le tribunal. Il rappelle que c’est généralement aux juridictions des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire particulière, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Mais il note également que, en l’espèce, l’État partie n’a soumis aucune information pour récuser les allégations des auteurs et démontrer que le procès des victimes présumées n’était en fait pas entaché de telles irrégularités. En conséquence, le Comité conclut que, en l’espèce, les faits dont il est saisi constituent une violation par l’État partie des droits des victimes présumées au regard du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
6.6Les premier et troisième auteurs ont également affirmé, à propos de leurs fils respectifs, MM. Ekubdzhon Rakhmatov et Shakhobiddin Mukhammadiev, qu’au moment de l’arrestation, les deux victimes présumées étaient mineures, mais qu’elles n’avaient pas bénéficié des garanties spéciales prévues pour les enquêtes judiciaires concernant les jeunes délinquants; l’État partie n’a pas formulé d’observations à ce propos. Ces allégations soulèvent des questions au titre du paragraphe 4 de l’article 14 du Pacte. Le Comité rappelle que les jeunes doivent bénéficier au moins des mêmes garanties et de la même protection que celles accordées aux adultes conformément à l’article 14 du Pacte. Ils ont besoin en plus d’une protection spéciale dans une procédure pénale. Ils devraient en particulier être informés directement des accusations portées contre eux ou, le cas échéant, par l’intermédiaire de leurs parents ou représentants légaux, bénéficier d’une aide appropriée pour la préparation et la présentation de leur défense. En l’espèce, MM. Ekubdzhon Rakhmatov et Shakhobiddin Mukhammadiev n’ont pas eu accès à un avocat au moment de leur arrestation. Dans ces conditions, et en l’absence de toute autre information pertinente, le Comité constate que les droits dont MM. Ekubdzhon Rakhmatov et Shakhobiddin Mukhammadiev peuvent se prévaloir en vertu du paragraphe 4 de l’article 14 du Pacte ont été violés.
7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de MM. Ekubdzhon Rakhmatov, Alisher Safarov, Farkhod Salimov et Shakhobiddin Mukhammadiev au titre de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 g) de l’article 14, de l’article 10 et du paragraphe 1 de l’article 14; une violation des droits de M. Bobonyoz Safarov au titre du paragraphe 1 de l’article 14 uniquement; et une violation des droits de MM. Ekubdzhon Rakhmatov et Shakhobiddin Mukhammadiev au titre du paragraphe 4 de l’article 14 du Pacte.
8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à MM. Ekubdzhon Rakhmatov, Alisher et Bobonyoz Safarov, Farkhod Salimov et Shakhobiddin Mukhammadiev un recours utile, y compris une réparation pouvant prendre la forme d’une libération anticipée et d’une indemnisation. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent plus.
9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
F. Communication n o 1223/2003, Tsarjov c. Estonie * (Constatations adoptées le 26 octobre 2007, quatre ‑vingt ‑onzième session)
Présentée par: |
Vjatseslav Tsarjov (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Estonie |
Date de la communication: |
14 août 2003 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Refus arbitraire de délivrer un permis de séjour permanent entraînant l’impossibilité de voyager à l’étranger et de prendre part à la direction des affaires publiques |
Questions de procédure: |
Abus du droit de présenter des communications; non‑épuisement des recours internes |
Questions de fond: |
Égalité devant la loi; discrimination illégale; droit à la liberté de mouvement; droit de quitter tout pays, y compris le sien; droit de prendre part à la direction des affaires publiques |
Articles du Pacte: |
2 (par. 1), 12 (par. 2 et 4), 25 et 26 |
Articles du Protocole facultatif: |
5 (par. 2 b)) et 3 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 octobre 2007,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1223/2003 présentée par M. Vjatseslav Tsarjov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est M. Vjatseslav Tsarjov, né le 7 décembre 1948 en République socialiste fédérative soviétique de Russie, qui dit être apatride et réside actuellement en Estonie. Il se déclare victime de violations, par l’Estonie, des droits consacrés aux paragraphes 2 et 4 de l’article 12, à l’article 25 et à l’article 26, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.
Exposé des faits
2.1L’auteur vit depuis 1956 en Estonie, où il a étudié et travaillé. D’octobre 1975 jusqu’en août 1978, il a été employé comme agent du Comité de sécurité de l’État (KGB) de l’ancienne République socialiste soviétique (RSS) d’Estonie. Il a ensuite étudié à l’école supérieure du KGB de l’Union soviétique à Moscou et ce, jusqu’en juin 1981. D’août 1981 à avril 1986, il a occupé un poste d’agent gradé au sein du KGB de la République socialiste soviétique autonome de Bouriatie dans la République socialiste fédérative soviétique de Russie. D’avril 1986 à décembre 1991, il a travaillé comme agent de grade élevé pour le KGB de la RSS d’Estonie. En 19[9]1, il a obtenu le grade de lieutenant. Jusqu’en 1991, l’auteur était un ressortissant de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS ou Union soviétique) et il a été porteur du passeport soviétique unique jusqu’au 12 juillet 1996. Par la suite, il n’a jamais cherché à obtenir la nationalité d’un autre pays. Jusqu’en 1996, il bénéficiait d’une autorisation légale de séjour permanent en Estonie (propiska). En 1995, les autorités estoniennes l’ont contraint à demander un permis officiel de séjour, ce qu’il a fait le 17 juin de la même année.
2.2Le 31 décembre 1996, en vertu du décret no 1024 (le décret no1024) et du paragraphe 5 de l’article 12 de la loi sur les étrangers, le Gouvernement estonien a accordé à l’auteur un permis de séjour temporaire valable jusqu’au 31 décembre 1998. Le 14 septembre 1998, l’auteur a demandé un permis de séjour permanent en se prévalant du règlement n° 137 en date du 16 juin 1998 concernant les conditions et la procédure régissant le dépôt d’une demande de permis de séjour permanent (le règlement no 137). Le 5 novembre 1998, le Conseil de la citoyenneté et des migrations (le Conseil) a rejeté la demande de l’auteur. Dans sa décision, le Conseil a invoqué le fait qu’un permis de séjour temporaire avait déjà été accordé à l’auteur. Il a fondé sa décision sur les articles 1er et 36 du règlement no 368 relatif à la procédure régissant la délivrance, la prolongation et le retrait des permis de séjour et de travail pour étrangers, en date du 7 décembre 1995 (le règlement no 368).
2.3Le 4 décembre 1998, l’auteur a formé un recours contre la décision du Conseil devant le tribunal administratif de Tallinn en faisant valoir qu’il avait présenté sa première demande de permis de séjour avant le 12 juillet 1995. En vertu du paragraphe 1 de l’article 20 de la loi sur les étrangers, les non‑ressortissants qui avaient demandé un permis de séjour avant le 12 juillet 1995, disposaient d’un titre de séjour et n’entraient pas dans l’une des catégories énumérées au paragraphe 4 de l’article 12 de ladite loi conservaient leurs droits et devoirs tels que définis dans la législation antérieure. Dans son recours, l’auteur a invoqué le règlement no 137 et soutenu que sa situation ne relevait pas des cas prévus au paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers et que le choix du paragraphe 5 dudit article comme fondement juridique du décret no 1024 n’était pas adapté.
2.4Le 18 janvier 1999 et le 19 février 1999, le tribunal administratif de Tallinn a jugé l’affaire. À l’audience, l’auteur a contesté la validité des informations figurant dans le questionnaire joint en annexe à sa demande de permis de séjour permanent. Il a fait observer que l’Union soviétique était devenue un pays étranger après le 20 août 1991 (après le retour à l’indépendance de l’Estonie) et qu’il travaillait pour le KGB avant que l’Union soviétique ne soit considérée comme un autre État. Il a affirmé qu’il pouvait prétendre à un permis de séjour permanent au titre du paragraphe 1 de l’article 20 de la loi sur les étrangers car il avait demandé un permis de séjour avant le 12 juillet 1995. Au tribunal, le Conseil a contesté la requête et a demandé qu’elle soit rejetée. Il a expliqué qu’il avait délivré à l’auteur un permis de séjour temporaire à titre exceptionnel, conformément aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 12 de la loi sur les étrangers. Il a considéré que l’auteur avait travaillé pour les services de renseignement ou de sécurité d’un État étranger et qu’il entrait dans l’une des catégories d’étrangers, définies au paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers, qui ne peuvent pas obtenir de titre de séjour.
2.5Dans sa décision rendue le 22 février 1999, le tribunal administratif de Tallinn a fait droit au recours de l’auteur et déclaré la décision du Conseil illégale pour vice de procédure. Il a constaté que le Conseil avait refusé de délivrer un permis de séjour permanent à l’auteur en invoquant les dispositions énoncées aux articles 1er et 36 du règlement no368, alors que sa demande aurait dû être examinée sur la base du règlement no137, lequel prévoit une procédure s’appliquant aux non‑ressortissants qui ont demandé un permis de séjour temporaire avant le 12 juillet 1995, l’ont obtenu et n’entrent pas dans l’une des catégories énumérées au paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers. Étant donné que le Conseil avait étudié la demande de permis de séjour permanent présentée par l’auteur en se fondant sur des dispositions inappropriées, le tribunal a engagé cet organe à réexaminer le dossier et à rendre une nouvelle décision.
2.6Le tribunal a souscrit à l’affirmation de l’auteur selon laquelle les dispositions du paragraphe 1 de l’article 20 de la loi sur les étrangers devaient être appliquées dans son cas. Il avait demandé un permis de séjour avant le 12 juillet 1995 et l’avait obtenu. Comme l’auteur contestait son assimilation aux non‑ressortissants visés au paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers, une interprétation juridique devait être effectuée lors du réexamen de sa demande de permis de séjour permanent afin de déterminer si le poste d’agent de grade élevé qu’il avait occupé au sein du KGB de la RSS d’Estonie de 1986 à décembre 1991 pouvait être considéré comme un travail pour les services de renseignement ou de sécurité d’un pays étranger. Conformément à la nouvelle version de la disposition d’application prévue au paragraphe 1 de l’article 20 de la loi sur les étrangers, la demande de permis de séjour permanent présentée par l’auteur ne pouvait pas être examinée à la lumière des dispositions du paragraphe 3 de l’article 12 de la loi sur les étrangers. Jusqu’au 30 septembre 1999, la teneur dudit paragraphe était la suivante:
«Article 12. Conditions d’octroi des permis de séjour
[…] (3) Un permis de séjour permanent peut être délivré à un étranger qui, au cours des cinq années précédant la demande, a vécu pendant trois ans au moins en Estonie au titre d’un permis de séjour temporaire et qui a son lieu de résidence et son travail en Estonie ou d’autres moyens légaux de subsistance dans le pays, à moins que la présente loi n’en dispose autrement. L’étranger qui a reçu un permis de séjour au titre des alinéas 1 et 2 du paragraphe 1 du présent article ou qui a obtenu un permis de résidence à titre exceptionnel conformément au paragraphe 5 du présent article ne peut pas prétendre à un permis de séjour permanent.».
2.7Le Conseil a fait appel de la décision devant la cour d’appel de Tallinn. Le 12 avril 1999, cette dernière a cassé la décision du tribunal administratif en date du 22 février 1999 et a fait droit à l’appel interjeté par le Conseil. Elle a conclu que le tribunal de première instance avait mal appliqué les règles du droit positif. Elle a estimé que l’auteur relevait de l’une des catégories énumérées au paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers et qu’en conséquence, le paragraphe 1 de l’article 20 de ladite loi et le règlement no 137 ne s’appliquaient pas à son cas. La cour d’appel a noté que la loi sur les étrangers ne contenait pas de disposition précisant quel type de travail une personne devait avoir exercé, à quelle période et dans quels organismes, pour que l’on puisse considérer qu’elle avait été employée par les services de renseignement et de sécurité d’un autre pays. La loi du 6 février 1995 sur la procédure d’enregistrement et d’identification des anciens employés ou collaborateurs des services de renseignement ou de contre‑espionnage des organismes de sécurité ou des forces armées des États qui ont occupé l’Estonie (la loi sur l’enregistrement et l’identification) définit quels sont les organismes des services de sécurité et de renseignement d’États ayant occupé l’Estonie et ce que l’on entend par personne ayant travaillé pour le compte de ces services. Conformément au paragraphe 2 de l’article 2 de ladite loi, l’expression «services de sécurité et de renseignement d’États ayant occupé l’Estonie» désigne les services de sécurité et les services de renseignement et de contre‑espionnage des forces armées de l’Union soviétique ou les organismes qui en dépendaient; conformément à l’alinéa 6 dudit paragraphe, cette définition englobe le KGB de l’Union soviétique. En vertu du paragraphe 2 de l’article 3 de ladite loi, tout étranger ayant travaillé pour ledit service de sécurité ou de renseignement pendant la période comprise entre le 17 juin 1940 et le 31 décembre 1991 et qui vit sur le territoire placé sous la juridiction de la République d’Estonie est considéré comme une personne employée par les services de sécurité ou de renseignement en question.
2.8Se fondant sur la loi susmentionnée et sur la signification de la loi sur les étrangers, la cour d’appel a conclu que le fait que l’auteur ait été employé par le KGB de la République socialiste soviétique d’Estonie et le KGB de la République socialiste soviétique autonome de Bouriatie, ce que l’auteur a lui‑même confirmé dans le questionnaire accompagnant sa demande de permis de séjour, devait être compris comme un engagement dans les services de renseignement ou de sécurité d’un pays étranger au sens de l’alinéa 5 du paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers. La cour a noté qu’en vertu de l’accord conclu le 4 septembre 1991 entre le Premier Ministre de la République d’Estonie, le Directeur du KGB de l’Union soviétique et le Directeur du Comité de la sécurité nationale de la République d’Estonie, le Gouvernement estonien s’est engagé à garantir les droits sociaux et politiques des anciens employés du KGB de la RSS d’Estonie conformément aux normes de droit international généralement reconnues et à la législation estonienne. Cependant, l’existence de cet accord ne permet pas de conclure que le fait de rejeter une demande de permis de séjour sur la base des dispositions du paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers entrait en contradiction avec ledit accord.
2.9Compte tenu de ce qui précède, la cour d’appel de Tallinn a conclu que, bien que l’auteur ait déposé une demande de permis de séjour le 17 juin 1995 et ait obtenu un permis de séjour temporaire à titre exceptionnel, il n’était pas habilité à demander un permis de séjour en vertu du paragraphe 1 de l’article 20 de la loi sur les étrangers et sa demande de permis de séjour permanent ne pouvait pas être réexaminée au regard du règlement no137 étant donné qu’il entrait dans l’une des catégories de non‑ressortissants visés au paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers. La cour d’appel a décidé que, conformément au paragraphe 3 de l’article de ladite loi, un permis de séjour pouvait être délivré à un étranger qui, au cours des cinq années précédant sa demande, avait vécu en Estonie pendant trois ans au moins au titre d’un permis de séjour temporaire et qui avait son lieu de résidence et un travail en Estonie ou qui disposait d’autres moyens légaux de subsistance en Estonie, sauf disposition contraire de ladite loi. L’étranger qui avait reçu un permis de séjour à titre exceptionnel conformément au paragraphe 5 de l’article 12 de la loi sur les étrangers ne pouvait prétendre à un permis de séjour permanent. L’auteur avait reçu un permis de séjour de deux ans à titre exceptionnel en application du décret no1024 promulgué sur la base du paragraphe 5 de l’article 12 de la loi sur les étrangers. Par conséquent, la cour d’appel a conclu que le Conseil avait été fondé à rejeter la demande de permis de séjour de l’auteur. Comme le règlement no137 ne s’appliquait pas à son cas, le Conseil avait eu raison d’examiner sa demande de permis de séjour permanent en s’appuyant sur le règlement no368.
2.10Le 10 mai 1999, l’auteur a formé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême contre la décision de la cour d’appel. Il a fait valoir que cette dernière avait commis des erreurs dans la façon dont elle avait appliqué la loi. Les fonctions qu’il avait assumées au sein du KGB de la RSS d’Estonie ne pouvaient pas être assimilées à un emploi dans les services de renseignement ou de sécurité d’un autre État et le fait de le ranger dans l’une des catégories de personnes visées au paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers constituait une violation des articles 23 et 29 de la Constitution estonienne. Une activité exercée à l’intérieur des frontières de l’ex‑URSS ne saurait être considérée comme un engagement à l’étranger et personne ne pouvait être condamné pour avoir été employé par des services de sécurité. Tout en reconnaissant que l’obtention d’un permis de séjour permanent n’était pas un droit subjectif, l’auteur a fait observer que le refus d’octroyer un tel permis devrait être solidement argumenté. Les motifs justifiant le rejet d’une demande de permis de séjour devaient être compatibles avec la Constitution et ne sauraient violer les droits de la personne, notamment le droit à l’égalité de traitement. En conséquence, l’auteur parvenait à la conclusion qu’il était victime d’une discrimination fondée sur l’origine, en violation de l’article 26 du Pacte, puisqu’il s’était vu refuser un permis de séjour pour avoir été employé par des services étrangers de renseignement ou de sécurité. Le 16 juin 1999, l’appel interjeté par l’auteur devant la Cour suprême a été déclaré irrecevable au motif que le pourvoi en cassation était manifestement dénué de fondement.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que le refus de lui accorder un permis de séjour permanent constitue une violation des droits consacrés aux paragraphes 2 et 4 de l’article 12 du Pacte, étant donné que la durée de validité de son permis de séjour temporaire est trop brève pour qu’il puisse obtenir un visa vers certains pays. Pour les apatrides, le document de voyage nécessaire est le passeport pour étranger. Conformément au paragraphe 1 de l’article 27 de la loi sur les documents d’identité, les apatrides qui ont un titre de séjour valable peuvent obtenir un passeport pour étranger. Conformément à l’article 28 de ladite loi, la durée de validité d’un passeport pour étranger ne peut dépasser celle du permis de séjour. Comme la validité du dernier permis de séjour délivré à l’auteur était de deux ans, celle de son passeport pour étranger était également de deux ans. Au cas où l’auteur souhaiterait partir à l’étranger pendant une période plus longue, il pourrait avoir des difficultés à obtenir un visa d’entrée. En outre, s’il décidait de voyager pendant assez longtemps et ne parvenait pas à faire prolonger son permis de séjour avant son départ, il risquerait de se voir refuser l’entrée en Estonie à son retour étant donné qu’il n’aurait plus de titre de séjour.
3.2Enfin, l’auteur affirme que le refus de lui accorder un permis de séjour permanent constitue une violation du droit de voter et d’être élu consacré à l’article 25 du Pacte dans la mesure où ce droit n’est accordé qu’aux ressortissants estoniens ou aux titulaires d’un permis de séjour permanent. Le paragraphe 2 de l’article 60 de la Constitution et le paragraphe 1 de l’article 4 de la loi sur les élections législatives prévoient que tout ressortissant estonien âgé de 21 ans révolus ayant le droit de vote peut se présenter aux élections parlementaires. L’auteur est privé du droit de se présenter aux élections locales étant donné qu’il n’a ni la nationalité estonienne, ni la nationalité d’un pays membre de l’Union européenne, et il ne peut pas voter au plan local, puisqu’il n’a pas de permis de séjour permanent. Conformément à l’article 156 de la Constitution estonienne, toute personne âgée de 18 ans révolus qui est un résident permanent d’une circonscription a le droit de participer aux élections des organes des collectivités locales.
3.3Enfin, l’auteur soutient qu’il est victime d’une discrimination fondée sur son origine ethnique et sociale et que le fait de l’associer à un certain statut, à savoir celui d’ancien membre du personnel militaire de l’ex‑Union soviétique, constitue une violation de l’article 26 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2. Il fait valoir que l’alinéa 7 du paragraphe 4 de l’article 12 de la loi estonienne sur les étrangers est discriminatoire car il empêche les étrangers qui ont servi dans les forces armées d’un État étranger d’obtenir un permis de séjour ou de le faire prolonger. Le texte de la disposition pertinente est libellé comme suit:
«Article 12. Conditions d’octroi des permis de séjour
[…] (4) La délivrance ou la prolongation d’un permis de séjour est refusée lorsque:
[…] (7) L’intéressé fait ou a fait partie des forces armées d’un autre État en tant que militaire de carrière, réserviste ou militaire à la retraite; […]».
3.4Conformément au paragraphe 5 de l’article 12, un permis de séjour temporaire peut être délivré à titre exceptionnel aux étrangers visés notamment à l’alinéa 7 du paragraphe 4 dudit article et être prolongé. En outre, en vertu du paragraphe 7 dudit article, la restriction prévue notamment à l’alinéa 7 du paragraphe 4 dudit article ne s’applique pas aux ressortissants des pays membres de l’Union européenne ou de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). L’auteur fait valoir que cette disposition a un caractère discriminatoire étant donné qu’elle sous‑entend que tous les étrangers qui ont servi dans des forces armées étrangères, à l’exception des ressortissants des pays membres de l’Union européenne ou de l’OTAN, représentent une menace pour la sécurité nationale de l’Estonie, quelle que soit la nature des activités qu’ils ont menées. L’auteur affirme que le fait que les militaires à la retraite en général ou que lui‑même en particulier représentent une telle menace reste à prouver. Il affirme en outre que la réalité de cette «menace» devrait être démontrée par un jugement ayant force exécutoire, par exemple. Il rappelle qu’il n’a pas demandé la nationalité estonienne et qu’un permis de séjour permanent lui aurait donné un statut plus stable dans le seul pays où il a des raisons de rester.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans ses observations en date du 1er juin 2004, l’État partie conteste à la fois la recevabilité et le fond de la communication. Pour ce qui concerne la recevabilité, il estime que la communication devrait être considérée comme un abus du droit de plainte et que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes. Sur le fond, l’État partie soutient que les faits ne font apparaître aucune violation du Pacte.
4.2Selon l’État partie, l’auteur n’a pas expliqué pourquoi il a présenté sa communication au Comité plus de quatre ans après le jugement rendu en dernier ressort par la juridiction nationale compétente. Bien que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai pour la présentation des communications écrites, c’est au Comité qu’il appartient de décider si la présentation après un tel délai constitue en soi un abus du droit de présenter de telles communications, tel que défini à l’article 3 du Protocole facultatif. L’Estonie a accédé au Pacte et au Protocole facultatif en 1991. Il est stipulé à l’article 3 de la Constitution que les principes et les normes universellement reconnus du droit international font partie intégrante du système juridique estonien et à l’article 123 que si les lois et autres actes de l’Estonie sont contraires aux traités internationaux ratifiés par le Parlement, les dispositions du traité international s’appliquent. L’État partie avance que l’auteur aurait dû connaître ces principes. Quiconque veut former un recours est censé faire les démarches pour saisir l’organe compétent dans un délai raisonnable.
4.3L’auteur n’a pas saisi le tribunal administratif d’un recours en inconstitutionnalité de la loi sur les étrangers. L’État renvoie à une décision du 5 mars 2001 dans laquelle la Chambre de contrôle constitutionnel, saisie par le tribunal administratif, a déclaré inconstitutionnelles les dispositions de la loi sur les étrangers en vertu desquelles le demandeur s’était vu refuser un permis de séjour. L’État partie fait en outre observer que la Cour suprême exerce, le cas échéant, son pouvoir de déclarer inconstitutionnelles les lois nationales qui sont en contradiction avec les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme. Il ajoute que l’égalité devant la loi et la protection contre les discriminations étant protégées à la fois par la Constitution et par le Pacte, un recours en inconstitutionnalité aurait offert à l’auteur un recours disponible et utile. Eu égard à la jurisprudence récente de la Cour suprême, l’État partie considère qu’une telle démarche aurait eu de bonnes chances de réussir et aurait dû être tentée.
4.4L’auteur n’a pas non plus formé de recours devant le Chancelier des affaires juridiques pour vérifier la non‑conformité de la loi remise en question avec la Constitution ou le Pacte. Le Chancelier des affaires juridiques peut proposer une révision de la législation jugée inconstitutionnelle ou, à défaut de mesures législatives, renvoyer l’affaire à cet effet devant la Cour suprême. Cette dernière accepte de s’en saisir «dans la plupart des cas». Ainsi, si l’auteur ne se sentait pas capable de former lui‑même un recours en inconstitutionnalité, il aurait pu s’adresser au Chancelier des affaires juridiques pour qu’il le fasse à sa place.
4.5L’État partie note que le droit de se voir octroyer un permis de séjour permanent et les droits annexes ne sont pas garantis par le Pacte. En vertu du droit international, les États décident librement des conditions d’entrée ou de séjour des étrangers sur leur territoire et de la délivrance des permis de séjour. Les autorités estoniennes ont toute discrétion pour réglementer ces questions par la voie législative. Le fait de soumettre à des restrictions l’octroi des permis de séjour permanent est nécessaire pour garantir la sécurité nationale et l’ordre public. L’État partie renvoie à la décision du Comité dans l’affaire V. M. R. B. c. Canada, dans laquelle le Comité a fait observer qu’il ne lui appartient pas de contrôler la façon dont un État souverain évalue le danger que représente un étranger pour la sécurité nationale. Aussi l’État partie avance‑t‑il que le refus d’octroyer à l’auteur un permis de séjour permanent ne va à l’encontre d’aucun des droits dont ce dernier peut se prévaloir en vertu du Pacte.
4.6Pour ce qui est du bien‑fondé du grief formulé par l’auteur au titre de l’article 26, l’État partie invoque la jurisprudence constante du Comité qui établit que les différences de traitement ne sont pas toutes discriminatoires, et que celles qui sont fondées sur des motifs raisonnables et objectifs sont conformes à l’article 26. Le fait que des différences existent concrètement en dépit d’une application uniforme des lois ne constitue pas en soi une discrimination interdite. En vertu de la loi sur les étrangers, les personnes ayant servi dans les services de renseignement ou de sécurité d’un autre État ne se voient en règle générale pas octroyer de permis de séjour; à titre exceptionnel, elles peuvent obtenir un permis de séjour temporaire sous réserve que le Gouvernement l’autorise. L’auteur a bénéficié d’un permis de séjour temporaire à titre exceptionnel et s’est vu refuser un permis de séjour permanent, conformément aux dispositions de la législation nationale, parce qu’il avait servi dans les services de renseignement et de sécurité d’un autre État.
4.7L’État partie affirme que, pour des raisons de sécurité nationale et d’ordre public, il est nécessaire d’imposer des restrictions à l’octroi des permis de séjour permanent. Cela est également nécessaire dans les sociétés démocratiques pour protéger la souveraineté de l’État, et le niveau de restriction dépend de l’objectif que s’est fixé la loi. Lorsqu’il a refusé d’octroyer à l’auteur un permis de séjour permanent, le Conseil a justifié sa décision en invoquant des motifs raisonnables qui, de l’avis de l’État partie, étaient pertinents et suffisants. Lors de l’adoption de la loi en question, il avait également été tenu compte du fait que, dans certains cas, d’anciens membres des forces armées pourraient mettre en péril la souveraineté de l’Estonie depuis l’intérieur. Cela est particulièrement vrai des réservistes, qui connaissent bien le contexte estonien et peuvent être appelés à rejoindre les rangs de l’armée d’un autre État.
4.8L’État partie soutient que l’auteur n’a pas été victime d’un traitement inégal par rapport aux autres personnes ayant servi dans les services de renseignement d’un autre État, puisque la loi interdit d’octroyer un permis de séjour à ces personnes. En réponse à l’argument de l’auteur qui fait valoir que le paragraphe 5 de l’article 12 de la loi sur les étrangers ne s’applique pas aux ressortissants des pays membres de l’UE et de l’OTAN, l’État partie rappelle que la demande de l’auteur a été rejetée en 1998 tandis que la disposition invoquée par l’auteur est entrée en vigueur le 1er octobre 1999. L’État partie soutient donc que le refus d’octroyer un permis de séjour à l’auteur était fondé sur des considérations ayant trait à la sécurité nationale, non pas à l’origine sociale de l’auteur. Le refus, formulé conformément à la loi, n’était pas arbitraire et n’a pas porté préjudice à l’auteur.
4.9D’après l’État partie, les droits annexes dont l’auteur prétend également avoir été privé sont étroitement liés à l’objet même du litige, à savoir le droit d’obtenir un permis de séjour. Tous ces droits doivent donc être examinés dans leur ensemble. Quoi qu’il en soit, l’État partie avance que la question de la violation présumée de l’article 12 ne se pose plus étant donné que l’auteur s’est vu délivrer un permis de séjour temporaire de cinq ans et un passeport pour étranger. Un passeport pour étranger est un document de voyage au moyen duquel le titulaire peut se rendre à l’étranger, même si l’entrée dans certains pays est subordonnée à l’obtention d’un visa. Les plaintes relatives aux critères régissant la délivrance de visas de ce type par les autorités d’autres pays ne sauraient être dirigées contre les autorités estoniennes.
4.10Quant à l’argument de l’auteur qui prétend qu’il risquerait de perdre le droit d’entrer en Estonie s’il séjournait trop longtemps à l’étranger, il est dénué de fondement. L’auteur pourrait adresser au Conseil une demande écrite pour faire prolonger son permis de séjour et se voir octroyer un passeport pour étranger. En vertu des articles 42 et 44 de la loi sur les affaires consulaires, les consulats d’Estonie sont habilités à délivrer des passeports pour étranger et des permis de séjour. L’auteur pourrait faire les démarches pour obtenir un passeport de ce type ou un permis de séjour de l’étranger.
4.11Face à l’argument de l’auteur qui se dit privé de son droit de voter et d’être élu, l’État partie rappelle que le droit de vote des étrangers titulaires d’un permis de séjour n’est pas visé à l’article 25, qui garantit ces droits uniquement aux citoyens de l’État concerné.
4.12L’État partie note que, outre le permis de séjour temporaire qui lui a été délivré le 31 décembre 1996 pour une période de deux ans, l’auteur s’est vu octroyer d’autres permis de séjour temporaire pour les périodes suivantes: 5 octobre 1999 au 1er février 2000, 11 mai 2000 au 31 décembre 2000, 1er janvier 2001 au 31 décembre 2001, 1er janvier 2002 au 31 décembre 2003 et 1er janvier 2004 au 31 décembre 2008.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Les 20 et 30 juillet 2004, l’auteur a commenté les observations de l’État partie. Il a rappelé qu’il vivait en Estonie depuis l’âge de 8 ans, était citoyen de l’URSS jusqu’en 1991 et bénéficiait d’une autorisation légale de séjour permanent (propiska) en Estonie jusqu’en 1996. Avant le 31 décembre 1996, date à laquelle le décret a été adopté, il n’avait jamais été considéré comme une menace pour la sécurité nationale de l’Estonie. Les anciens employés du KGB de la République socialiste soviétique d’Estonie dont les parents étaient de nationalité estonienne jusqu’en 1940 avaient obtenu la citoyenneté estonienne après l’indépendance, bien qu’ils aient appartenu comme l’auteur à la catégorie des personnes constituant une menace pour la sécurité nationale de l’Estonie.
5.2L’auteur soutient en outre que la loi relative à la procédure d’enregistrement et d’identification sur laquelle s’appuie l’État partie (par. 2.7 ci‑dessus) n’est pas conforme à la première partie de l’article 23 de la Constitution, qui dispose que nul ne peut être condamné pour un acte qui ne constituait pas une infraction pénale selon la loi en vigueur au moment où cet acte a été commis. Que l’auteur ait été employé par le KGB entre 1975 et 1991 ne faisait pas de lui à l’époque un employé des services secrets d’un État étranger, ni ne signifiait qu’il coopérait avec les services secrets d’un État occupant.
5.3L’auteur ajoute que le fait que la durée de validité de ses permis de séjour temporaire soit variable − s’échelonnant entre quatre mois et cinq ans − prouve que l’argument relatif à la sécurité nationale mis en avant par l’État partie est dénué de fondement. L’État partie n’a pas expliqué en quoi et selon quels critères l’évaluation de la menace que fait peser l’auteur sur la sécurité nationale de l’Estonie pouvait justifier de telles variations dans la durée de validité de ses permis de séjour. L’auteur conteste également l’argument de l’État partie selon lequel «dans certaines circonstances, d’anciens membres des forces armées pourraient menacer la souveraineté de l’Estonie depuis l’intérieur» et «être appelés à rejoindre les rangs de l’armée d’un autre État», puisque dans son cas, l’URSS et la République socialiste soviétique d’Estonie n’existent plus, et que la République socialiste soviétique autonome de Bouriatie ne peut guère représenter une menace pour les intérêts de l’État estonien.
5.4L’auteur cite un long passage de l’accord conclu en 1991 entre l’Estonie et la Fédération de Russie relatif au statut des bases militaires et aux relations bilatérales pour étayer l’argument selon lequel ce traité n’exclut pas les anciens employés du KGB du champ d’application des dispositions de l’article 3, qui permet aux citoyens soviétiques de choisir librement la citoyenneté russe ou la citoyenneté estonienne. L’auteur ajoute que sa première intention était de demander la citoyenneté estonienne après avoir vécu en Estonie au titre d’un permis de séjour permanent de cinq ans. Toutefois, faisant partie des 175 000 apatrides qui résident en Estonie depuis de nombreuses années, l’auteur ne peut obtenir la citoyenneté estonienne puisqu’il appartient au groupe bien spécifique des anciens membres de l’armée soviétique.
5.5L’auteur réfute l’argument selon lequel sa communication constitue un abus du droit de plainte, puisque la Cour suprême d’Estonie ne l’a pas informé des autres possibilités de recours qui s’offraient à lui après lui avoir refusé l’autorisation de faire appel le 16 juin 1999.
5.6Quant à l’argument selon lequel il n’a pas entamé de procédure de contrôle de la légalité pour contester la constitutionnalité de la loi sur les étrangers, l’auteur avance qu’en vertu de l’article 6 de la loi sur le contrôle de la constitutionnalité (en vigueur jusqu’au 1er juillet 2002), seuls le Président estonien, le Chancelier des affaires juridiques et les tribunaux sont habilités à entamer une procédure de ce type. Contrairement à ce que prétend l’État partie, l’auteur a essayé en vain de soulever devant les tribunaux nationaux la question de l’inconstitutionnalité de la loi sur les étrangers et de son incompatibilité avec l’article 26 du Pacte.
5.7Quant à la possibilité de s’adresser au Chancelier des affaires juridiques, l’auteur fait observer qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la loi sur le Chancelier des affaires juridiques, ledit Chancelier est tenu de rejeter les demandes dont l’objet donne ou a donné lieu à une procédure judiciaire. Compte tenu des limites de la compétence du Chancelier des affaires juridiques, l’auteur a opté pour un contrôle juridictionnel de la décision du Conseil.
5.8Les 6, 12, 15 et 21 juin 2007, l’auteur a présenté d’autres commentaires sur les observations de l’État partie. Après avoir réitéré ses griefs antérieurs, il a déclaré qu’il avait été impliqué dans d’autres procédures judiciaires en Estonie entre 2004 et 2006 et que sa plainte portant sur les dernières procédures avait été enregistrée par la Cour européenne des droits de l’homme en 2007. Par ailleurs, suite à la demande qu’il avait présentée le 10 juillet 2006, le Conseil lui avait accordé le statut de «résident de longue durée − CE» en octobre 2006. Les personnes à qui ce statut est accordé n’ont pas besoin d’un permis de travail en Estonie; toutefois, ce statut ne leur permet pas d’acquérir la citoyenneté estonienne par naturalisation en raison des restrictions énoncées dans le décret no 1024.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Le Comité note l’argument de l’État partie qui a fait valoir que la présentation de la communication équivaut à un abus du droit de plainte, compte tenu du délai excessif écoulé entre la décision des tribunaux nationaux et la présentation de la plainte. Pour ce qui est de ce délai jugé excessif, le Comité fait observer que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai pour la présentation des communications et que la période de temps écoulée avant la présentation ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter une communication, sauf dans des cas exceptionnels. En l’espèce, le Comité ne trouve pas qu’un délai de quatre ans entre l’épuisement des recours internes et la présentation de la communication constitue un tel abus.
6.4Quant à la règle de l’épuisement des recours internes concernant l’allégation de violation des paragraphes 2 et 4 de l’article 12 et de l’article 25, le Comité rappelle que l’auteur n’a pas soulevé ces questions devant les tribunaux nationaux. Il rappelle en outre que l’auteur d’une communication doit au moins mentionner l’objet de ses griefs devant une juridiction nationale avant d’en saisir le Comité. L’auteur n’ayant pas saisi les tribunaux nationaux pour se plaindre de la violation présumée de ses droits, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.5Pour ce qui est de la plainte pour violation de l’article 26, que l’État partie juge irrecevable du fait qu’un recours en contrôle constitutionnel aurait pu être engagé, le Comité fait observer que l’auteur n’a eu de cesse de faire valoir, jusque devant la Cour suprême, que refuser un permis de séjour permanent au motif de l’origine sociale à une personne ayant été employée dans les services de renseignement ou de sécurité d’un pays étranger constituait une violation de la garantie d’égalité consacrée par la Constitution estonienne et l’article 26 du Pacte. Étant donné que les tribunaux ont rejeté ces arguments, le Comité considère que l’État partie n’a pas montré comment un tel recours pourrait avoir une chance raisonnable de réussir. Ce grief n’est donc pas irrecevable pour non‑épuisement des recours internes.
6.6Quant aux autres arguments de l’État partie, le Comité note que l’auteur ne revendique pas un droit autonome à un permis de séjour permanent mais prétend que le fait de lui refuser un permis de séjour permanent en raison de son origine sociale − à savoir au motif qu’il avait été employé dans les services de renseignement ou de sécurité d’un pays étranger − constitue une violation de son droit à la non‑discrimination et à l’égalité devant la loi. Ce grief relève du champ d’application du paragraphe 1 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 26, et il est, de l’avis du Comité, suffisamment étayé aux fins de la recevabilité.
Examen au fond
7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.
7.2L’auteur avance que l’alinéa 7 du paragraphe 4 de l’article 12 de la loi sur les étrangers viole le paragraphe 1 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 26 du Pacte, en ce sens qu’il impose des restrictions à la délivrance ou à la prolongation d’un permis de séjour à un étranger qui a été militaire de carrière dans un autre État. Dans le même temps, en vertu de l’alinéa 7 de l’article 12 de la loi, la restriction ne s’étend pas aux citoyens des pays membres de l’UE ou de l’OTAN. L’auteur affirme que la loi est discriminatoire car elle part du principe qu’à l’exception des citoyens des pays membres de l’UE et de l’OTAN tous les étrangers qui ont servi dans l’armée constituent une menace pour la sécurité nationale de l’Estonie, quelles que soient les caractéristiques propres du service ou de la formation dont il est question. À ce sujet, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la demande de l’auteur a été refusée en 1998 tandis que l’alinéa 7 de l’article 12, invoqué par l’auteur, n’est entré en vigueur que le 1er octobre 1999.
7.3Le Comité observe en outre que l’État partie invoque des raisons de sécurité nationale pour justifier son refus de délivrer un permis de séjour permanent à l’auteur. Le Comité fait référence à sa jurisprudence selon laquelle une personne est privée de son droit à l’égalité devant la loi si une disposition de la loi lui est appliquée de manière arbitraire, c’est‑à‑dire si l’application de cette loi au détriment d’une personne ne repose pas sur des motifs objectifs et raisonnables. Il rappelle également sa jurisprudence établie dans l’affaire Borzov c. Estonie, selon laquelle des considérations ayant trait à la sécurité nationale peuvent viser un but légitime lorsqu’il s’agit, pour un État partie dans l’exercice de sa souveraineté, d’accorder la citoyenneté ou, dans le cas présent, un permis de séjour permanent. Le Comité rappelle aussi que le fait qu’un État partie invoque la sécurité nationale ne signifie pas que l’affaire échappera entièrement et automatiquement à l’examen minutieux du Comité et reconnaît que son propre rôle pour examiner l’existence et la pertinence de telles considérations dépendra des circonstances de l’espèce.
7.4Alors que conformément aux articles 19, 21 et 22 du Pacte les restrictions motivées par la sécurité nationale doivent obéir à une nécessité, les critères prévus à l’article 26 et au paragraphe 1 de l’article 2 ont un caractère plus général, toute distinction établie en fonction des particularités individuelles énumérées à l’article 26, y compris celle de «toute autre situation», devant avoir une justification raisonnable et objective et viser un but légitime. Le Comité fait observer que l’adoption de la loi sur les étrangers et, en particulier, l’interdiction générale d’un permis de séjour permanent pour les «anciens membres des forces armées» d’un autre État, ne peuvent être examinées en dehors du contexte historique, c’est‑à‑dire les rapports historiques entre l’État partie et l’URSS. Il estime que, bien que l’interdiction générale susmentionnée constitue en soi un traitement différencié, dans les circonstances de l’espèce, le bien‑fondé d’un tel traitement dépendra de la base sur laquelle reposent les arguments de sécurité nationale invoqués par l’État partie.
7.5L’État partie a fait valoir qu’une législation n’est pas contraire à l’article 26 du Pacte si les critères de distinction qu’elle énonce peuvent être justifiés pour des motifs objectifs et raisonnables. En l’espèce, il a conclu qu’octroyer un permis de séjour permanent à l’auteur poserait des problèmes de sécurité nationale en raison des activités passées de l’intéressé au sein du KGB. Le Comité relève que ni le Pacte ni le droit international en général ne définissent des critères particuliers pour l’octroi de permis de séjour et que l’auteur a eu le droit de faire réexaminer par les juridictions de l’État partie le rejet de sa demande de permis de séjour permanent.
7.6Le Comité note que la catégorie de personnes exclues par la législation de l’État partie de la possibilité de se voir accorder un permis de séjour permanent est en rapport étroit avec les considérations de sécurité nationale. Par ailleurs, lorsque les motifs invoqués pour justifier un traitement différencié sont convaincants, il n’est pas nécessaire de justifier davantage l’application de la législation par les circonstances particulières de l’espèce. La décision rendue en l’affaire Borzov, sur la base d’une législation différente, est conforme au principe qui veut que les distinctions établies par la législation elle‑même, lorsqu’elles peuvent être justifiées par des motifs objectifs et raisonnables, n’ont pas besoin de trouver une justification supplémentaire dans leur application à un individu donné. Par conséquent, le Comité ne peut conclure, au vu des circonstances de l’espèce, à une violation de l’article 26 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation de l’article 26 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
G. Communication n o 1306/2004, Haraldsson et Sveinsson c. Islande * (Constatations adoptées le 24 octobre 2007, quatre ‑vingt ‑onzième session)
Présentée par: |
Erlingur Sveinn Haraldsson et Örn Snævar Sveinsson (représentés par un conseil, M. Ludvik Emil Kaaber) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Islande |
Date de la communication: |
15 septembre 2003 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Compatibilité d’un système de gestion des pêcheries avec le principe de non‑discrimination |
Questions de procédure: |
Notion de victime; épuisement des recours internes; compatibilité avec les dispositions du Pacte |
Questions de fond: |
Discrimination |
Article du Pacte: |
26 |
Articles du Protocole facultatif: |
1 et 5 (par. 2 b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 24 octobre 2007,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1306/2004 présentée au nom de M. Erlingur Sveinn Haraldsson et M. Örn Snævar Sveinsson en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1Les auteurs de la communication sont M. Erlingur Sveinn Haraldsson et M. Örn Snævar Sveinsson, tous deux de nationalité islandaise. Ils se disent victimes d’une violation par l’Islande de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs sont représentés par M. Ludvik Emil Kaaber.
1.2Les auteurs sont des pêcheurs professionnels depuis leur jeunesse. Leur plainte porte sur le système islandais de gestion des pêcheries et ses conséquences pour eux. Le système de gestion des pêcheries, qui a été institué par la loi, s’applique en Islande à tous les pêcheurs.
Législation applicable
2.1Le conseil et l’État partie se réfèrent à l’affaire Kristjánssonet aux explications fournies à propos de cette affaire concernant le régime de gestion des pêcheries en Islande. Pendant les années 70, la capacité de la flotte de pêche islandaise a dépassé la faculté de reconstitution des stocks halieutiques et des mesures se sont imposées pour préserver la principale ressource naturelle du pays. Après plusieurs tentatives infructueuses pour limiter les prises de plusieurs espèces et assujettir l’usage de certains types d’engins ou de certains types de bateaux à l’obtention d’une licence, la loi no 82/1983, initialement promulguée pour un an, a instauré un système de gestion des pêcheries. Ce système (dit «régime des quotas») était fondé sur l’attribution de quotas de captures aux bateaux de pêche en fonction de leurs captures antérieures. L’attribution de quotas était largement utilisée depuis les années 60 en ce qui concerne les captures de homards, crevettes, coquillages, capelans et harengs, pour lesquels un régime de quotas avait déjà été établi en 1975.
2.2Les exploitants des bateaux ayant pratiqué la pêche d’espèces démersales pendant la période allant du 1er novembre 1980 au 31 octobre 1983 se sont vu reconnaître la possibilité d’obtenir une licence de pêche, en vertu du règlement no 44/1984 (sur la gestion des espèces démersales) portant application de la loi susmentionnée. Ces bateaux ont été admis au bénéfice de quotas de pêche déterminés en fonction du volume de leurs captures pendant la période de référence. De nouveaux règlements sont venus préciser les principes ainsi posés − qui ont été incorporés dans un texte législatif (loi no 97/1985) disposant que nul ne pouvait capturer sans permis les espèces suivantes: poissons démersaux, crevettes, homards, coquillages, harengs et capelans. La principale règle voulait que les permis de pêche soient réservés aux bateaux ayant reçu un permis pour la campagne de pêche antérieure. En conséquence, il fallait qu’un bateau de la flottille soit au préalable mis hors service pour qu’un permis de pêche soit attribué à un nouveau bateau. Le régime des quotas de captures est devenu permanent avec l’adoption de la loi no 38/1990 sur la gestion des pêcheries (ci‑après désignée «la loi») encore en vigueur et plusieurs fois modifiée.
2.3L’article premier de la loi dispose que les bancs de pêche entourant l’Islande sont le patrimoine commun de la nation islandaise et que l’attribution de quotas n’ouvre pas droit à une appropriation privative ou une maîtrise irrévocable desdits bancs par des particuliers. L’article 3 de cette loi charge le Ministre de la pêche d’édicter un règlement fixant les totaux admissibles de captures (TAC) par période ou saison donnée pour les différents stocks marins exploitables dans les eaux islandaises dont on a jugé nécessaire de plafonner l’exploitation. Les droits de pêche institués par la loi sont calculés en se fondant sur ces TAC et chaque bateau se voit attribuer une fraction déterminée du TAC pour chaque espèce visée (la part de quota). Aux termes du paragraphe 1 de l’article 4 de la loi, nul ne peut pratiquer la pêche commerciale dans les eaux islandaises sans être titulaire d’un permis de pêche générale. Le paragraphe 2 de l’article 4 autorise le Ministre à édicter des règlements instituant l’obligation d’obtenir un permis spécial pour la capture de certaines espèces ou pour certaines zones ou de faire usage de certains types d’engins ou de certains types de bateaux. Le paragraphe 1 de l’article 7 dispose que la pêche des espèces marines vivantes ne faisant pas l’objet des TAC visés à l’article 3 est ouverte à tous les bateaux dotés d’un permis de pêche commerciale. Le paragraphe 2 de l’article 7 dispose que les droits de pêche concernant les espèces dont le total des captures est plafonné sont attribués à titre individuel aux bateaux. Les parts de quota pour les espèces non assujetties auparavant à des TAC sont calculées sur la base des captures des trois dernières campagnes de pêche. Pour les espèces déjà assujetties à une restriction de pêche, les parts de quota sont calculées sur la base des attributions des années précédentes. Le paragraphe 6 de l’article 11 de la loi dispose que la part de quota d’un bateau peut être transférée en tout ou partie à un autre bateau ou fusionnée avec la part de quota d’un autre, étant entendu qu’un tel transfert ne doit pas avoir pour résultat de porter les droits de pêche du bateau bénéficiaire à un niveau manifestement supérieur à sa capacité de pêche. Celles des parties admises à titre permanent au bénéfice d’une part de quota qui n’exercent pas de manière satisfaisante ce droit s’exposent à le perdre à titre permanent. La loi sur la gestion des pêcheries plafonne en outre la part de quota qu’un particulier ou une personne morale est susceptible de détenir. Enfin, la loi fixe des sanctions en cas de violation, allant d’une amende de 400 000 couronnes islandaises à une peine de six ans d’emprisonnement au maximum.
2.4L’État partie fournit quelques statistiques pour illustrer le rôle majeur que le secteur des pêches joue dans l’économie islandaise. Il souligne que toutes les modifications apportées au régime de gestion des pêcheries peuvent avoir d’immenses répercussions sur le bien‑être économique du pays. Au cours des dernières années, la question de savoir comment se doter du régime de gestion des pêches le plus efficace, à la fois dans l’intérêt de la nation en général et dans l’intérêt de ceux qui travaillent dans le secteur de la pêche, a fait l’objet d’un vif débat public et d’intenses discussions politiques. Les tribunaux islandais ont examiné le système de gestion des pêcheries à la lumière des principes constitutionnels d’égalité devant la loi (art. 65 de la Constitution) et de liberté du travail (art. 75 de la Constitution), à propos de deux affaires en particulier.
2.5En décembre 1998, dans l’affaire Valdimar Jóhannesson c. République d’Islande (l’affaire Valdimar), la Cour suprême islandaise a rendu un arrêt dans lequel elle a estimé que les restrictions imposées à la liberté du travail découlant de l’article 5 de la loi sur la gestion des pêcheries n’étaient pas compatibles avec le principe d’égalité énoncé à l’article 65 de la Constitution. Elle a estimé que l’article 5 de la loi imposait des restrictions excluant d’avance l’aptitude de certaines personnes à exercer la pêche comme activité. Elle a considéré qu’en vertu des restrictions en vigueur à l’époque, les licences de pêche n’étaient accordées qu’à certains bateaux qui faisaient partie de la flotte de pêche pendant une certaine période, ou aux nouveaux bateaux de pêche qui les avaient remplacés, et que de telles restrictions étaient inconstitutionnelles. Toutefois, elle n’a pas pris position sur l’article 7 2), concernant les restrictions à l’accès des titulaires de licence de pêche aux stocks de poissons. Le Parlement a ensuite adopté la loi no 1/1999 qui a sensiblement assoupli les conditions d’obtention de licences de pêche commerciale. Avec l’adoption de cette loi, l’octroi d’une licence de pêche à un nouveau bateau de pêche n’était plus subordonné à la mise hors service d’un bateau qui se trouvait déjà dans la flotte. Des conditions générales ont été fixées pour la délivrance de licences de pêche à tous les bateaux.
2.6L’autre arrêt pertinent rendu par la Cour suprême, daté du 6 avril 2000, concerne l’affaire Procureur général de l’État c. Björn Kristjánsson, Svavar Gudnason et Hyrnó Ltd (l’affaire Vatneyri). En ce qui concerne l’article 7 de la loi, la Cour suprême a conclu que les restrictions imposées à la liberté des particuliers de se livrer à la pêche commerciale étaient compatibles avec les articles 65 et 75 de la Constitution car elles étaient fondées sur des considérations objectives. En particulier, la Cour a noté que la mesure visant à rendre les droits de capture permanents et cessibles se justifiait parce que cela permettait aux exploitants de planifier leurs activités à long terme et d’augmenter ou de réduire leurs droits de capture de certaines espèces à leur convenance.
2.7Après l’affaire Valdimar, un comité a été chargé de revoir la législation sur la gestion des pêcheries. Des modifications faisant suite à ses recommandations ont été introduites par la loi no 85/2002, aux termes de laquelle une redevance dite «redevance fondée sur les prises» devrait être perçue pour l’utilisation des lieux de pêche. Cette redevance est calculée à partir des résultats économiques du secteur de la pêche. Elle consiste en une part fixe qui tient compte des frais engagés par l’État pour la gestion des pêcheries et en une part variable qui est fonction des résultats économiques du secteur. Pour l’État partie, cette modification de la législation montre que le Parlement islandais cherche constamment les meilleurs moyens de parvenir à une gestion de la pêche qui soit la plus efficace possible compte tenu des intérêts de la nation dans son ensemble.
2.8Les auteurs déclarent qu’en pratique et malgré l’article premier de la loi (disposant que les bancs de pêche entourant l’Islande sont le patrimoine commun de la nation islandaise et que l’attribution de quotas n’ouvre pas droit à une appropriation privative desdits bancs par des particuliers), les quotas de pêche sont traités comme le bien personnel de ceux à qui ils ont été alloués sans frais pendant la période de référence. Les autres personnes, comme les auteurs, doivent par conséquent acheter ou louer un droit de pêche aux bénéficiaires de cet arrangement, ou à d’autres personnes qui, pour leur part, ont acheté ce droit aux bénéficiaires en question. Les auteurs considèrent que la plus importante ressource économique de l’Islande a par conséquent été donnée à un groupe privilégié. L’argent versé pour accéder aux bancs de pêche ne revient pas au propriétaire de la ressource − la nation islandaise − mais aux particuliers détenteurs des quotas.
Exposé des faits
3.1Pendant la période de référence, les auteurs ont travaillé en tant que capitaine et maître d’équipage. En 1998, ils ont créé une société privée, Fagrimúli ehf, avec un troisième partenaire, et ont acheté le bateau de pêche Sveinn Sveinsson, qui avait une licence de pêche générale. La société était le propriétaire déclaré du bateau. Pendant la campagne de pêche 1997‑1998, année de l’achat du bateau, plusieurs droits de pêche (droits de capture) ont été transférés au bateau, mais aucune part spécifique de quota ne lui était attribuée. Au début de la campagne de pêche 2001‑2002, le Sveinn Sveinsson s’est vu pour la première fois attribuer des droits de capture pour les espèces lingue, brosme et lotte, c’est‑à‑dire des droits de capture très faibles. Les auteurs affirment avoir à plusieurs reprises demandé des droits de capture en divers lieux de pêche, mais sans succès. En particulier, l’Agence des pêcheries a déclaré ne pas être habilitée par la loi à leur accorder un quota. En conséquence, il leur a fallu louer tous les droits de prises à d’autres, à des prix exorbitants, et ils ont finalement été acculés à la faillite.
3.2Ils ont décidé de dénoncer le système et, le 9 septembre 2001, ont écrit au Ministère de la pêche, en déclarant qu’ils avaient l’intention de prendre du poisson sans détenir les droits de capture, afin d’obtenir une décision judiciaire sur cette question et de savoir s’ils allaient pouvoir continuer à exercer leur métier sans payer des sommes d’argent exorbitantes à d’autres. Dans sa réponse du 14 septembre 2001, le Ministère de la pêche a appelé l’attention des auteurs sur le fait que, en vertu des dispositions pénales de la loi no 38/1990 sur la gestion des pêcheries, et de la loi no 57/1996 sur le traitement des stocks marins exploitables, les prises excédentaires par rapport au permis de pêche étaient sanctionnées par des amendes ou une peine pouvant aller jusqu’à six ans de prison, ainsi que par le retrait des permis de pêche.
3.3Les 10, 11, 13, 19, 20 et 21 septembre 2001, le premier auteur, en sa qualité de Directeur général, membre du conseil de Fagrimúli ehf, propriétaire de la société exploitant le Sveinn Sveinsson et capitaine de ce bateau, et le second auteur, en sa qualité de Président du conseil d’administration de la société, ont envoyé le bateau pêcher, et ont débarqué, sans détenir les droits de capture nécessaires, une prise représentant au total 5 292 kg de morue éviscérée, 289 kg d’églefin éviscéré, 4 kg de barbue éviscérée et 606 kg de plie éviscérée. Leur seul objectif en agissant ainsi était d’être dénoncés afin que leur affaire puisse aller devant la justice. Le 20 septembre, l’Agence des pêcheries a été avisée que le Sveinn Sveinsson avait débarqué une capture le jour même à Patreksfjörður.
3.4En conséquence, l’Agence des pêcheries a déposé plainte contre les auteurs auprès du commissaire de police de Patreksfjörður pour violation de la loi no 57/1996 sur le traitement des stocks marins exploitables, de la loi no 38/1990 sur la gestion des pêcheries et de la loi no 79/1997 sur la compétence en matière de pêcheries en Islande. Le 4 mars 2002, le Commissaire national de la police a engagé des poursuites pénales contre les auteurs devant le tribunal de district des Fjords occidentaux. Les auteurs ont reconnu les faits qui leur étaient reprochés mais ont contesté la validité constitutionnelle des dispositions pénales sur lesquelles étaient fondés les chefs d’accusation retenus contre eux. Le 2 août 2002, se référant au précédent de l’arrêt rendu par la Cour suprême le 6 avril 2000 dans l’affaire Vatneyri, le tribunal de district a déclaré les auteurs coupables et les a condamnés à une amende de 1 million de couronnes islandaises chacun ou à trois mois d’emprisonnement, et au paiement des frais de justice. En appel, le 20 mars 2003, la Cour suprême a confirmé le jugement du tribunal de district.
3.5Le 14 mai 2003, la société des auteurs a été déclarée en faillite. Leur bateau a été vendu aux enchères pour une fraction du prix que les auteurs avaient payé pour l’acheter quatre ans auparavant. Leur banque a alors demandé la vente forcée des installations côtières de la société et des habitations des auteurs. L’un des auteurs a pu conclure avec la banque un accord de paiements échelonnés et a commencé à travailler comme maître d’équipage à bord d’un navire industriel. L’autre auteur a perdu son habitation, a dû quitter son quartier d’origine et s’est mis à travailler comme maçon. À la date de présentation de la communication, il était dans l’incapacité de payer ses dettes.
Teneur de la plainte
4.1Les auteurs se disent victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte, parce qu’ils sont obligés par la loi de verser de l’argent à un groupe privilégié de leurs concitoyens pour pouvoir exercer la profession de leur choix. Les auteurs demandent, conformément aux principes de liberté du travail et d’égalité, la possibilité d’exercer la profession de leur choix sans devoir franchir des obstacles préalables qui constituent des privilèges pour d’autres.
4.2Les auteurs demandent une indemnisation pour les pertes qu’ils ont subies en raison du régime de gestion des pêcheries.
Observations de l’État partie
5.1Dans une note datée du 29 octobre 2004, l’État partie conteste la recevabilité de la communication pour trois motifs: défaut de fondement du grief des auteurs selon lequel ils sont victimes d’une violation de l’article 26, non‑épuisement des recours internes et incompatibilité de la communication avec les dispositions du Pacte.
5.2L’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas montré en quoi l’article 26 du Pacte s’appliquait à leur cas ni en quoi le principe d’égalité avait été violé à leur égard, en tant que particuliers. Ils n’ont pas démontré qu’ils avaient été traités plus mal que d’autres personnes dans une situation comparable, ou avaient subi une discrimination par rapport à elles, ni apporté la preuve qu’aucune distinction faite entre eux et d’autres personnes ait été fondée sur des considérations non pertinentes. Ils se sont bornés à affirmer d’une manière générale que le système de gestion des pêcheries islandaises violait le principe d’égalité énoncé à l’article 26.
5.3L’État partie note que les auteurs ont travaillé en mer pendant de nombreuses années, l’un d’eux en qualité de capitaine et l’autre de mécanicien de marine. Ils étaient employés sur des bateaux de pêche dont les prises se traduisaient par des gains directs non pas pour eux mais pour leurs employeurs, lesquels, à la différence des auteurs, avaient investi dans des bateaux et dans du matériel afin d’exploiter une entreprise de pêche. L’une des principales raisons pour lesquelles la loi no 38/1990 sur la gestion des pêcheries a été adoptée était de créer des conditions d’exploitation acceptables pour ceux qui avaient investi dans la pêche, au lieu de les assujettir aux mêmes restrictions de capture que les autres personnes n’ayant pas fait ces investissements. Les auteurs n’ont pas démontré en quoi ils avaient fait l’objet d’une discrimination lorsqu’un quota leur avait été refusé, et n’ont pas démontré non plus que des quotas avaient été attribués à d’autres capitaines de bateaux ou marins dans la même situation qu’eux. En outre, ils n’ont fait aucune tentative pour obtenir que les refus soient infirmés par les tribunaux au motif qu’ils constituaient une discrimination contraire à l’article 65 de la Constitution ou à l’article 26 du Pacte.
5.4Lorsqu’ils ont investi dans l’achat du Sveinn Sveinsson en 1998, les auteurs connaissaient le système. Ils ont acheté le bateau sans quota, dans l’intention d’en louer un dans le cadre de l’échange de quotas pour démarrer leurs activités de pêche. Par suite de l’augmentation de la demande de quotas sur le marché, leur prix est monté, ce qui a changé la donne économique pour l’entreprise des auteurs. Après avoir pêché sans quota, ils ont été jugés et condamnés, comme cela aurait été le cas pour toute autre personne dans les mêmes circonstances. L’État partie conclut que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione personae en vertu de l’article premier du Protocole facultatif, les auteurs n’ayant pas suffisamment étayé leurs griefs selon lesquels ils sont victimes d’une violation du Pacte.
5.5L’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles, parce qu’ils n’ont fait aucune tentative pour obtenir l’infirmation par les tribunaux de la décision de leur refuser un quota. Ils auraient pu soumettre les décisions administratives en question aux tribunaux en demandant leur annulation. L’État partie indique que cela s’est produit dans l’affaire Valdimar, où une personne à laquelle un permis de pêche avait été refusé a demandé l’annulation de la décision administrative. Sa demande a été acceptée par les tribunaux, ce qui montre qu’il s’agit d’un recours utile. L’État partie conclut que la communication doit être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
5.6Enfin, l’État partie fait valoir que l’affaire porte en fait sur la question de savoir si la restriction à la liberté du travail subie par les auteurs est excessive, du fait qu’ils considèrent que les prix de certains quotas de captures commerciales sont inacceptables et constituent un obstacle à leur droit de choisir librement leur profession. L’État partie souligne que la liberté du travail n’est pas protégée en tant que telle par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et qu’en l’absence d’arguments spécifiques montrant que les restrictions à cette liberté du travail ont été discriminatoires la communication devrait être irrecevable parce que incompatible avec les dispositions du Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.
5.7L’État partie présente également des observations sur le fond de la communication. Il fait valoir qu’aucune discrimination contraire à la loi n’a été faite entre les auteurs et les personnes auxquelles des droits de pêche ont été attribués. En l’occurrence, il s’agit d’une différence de traitement justifiable puisque son objet était licite et fondé sur des motifs raisonnables et objectifs, énoncés par la loi et se caractérisant par une proportionnalité entre les moyens employés et le but recherché. L’État partie explique que l’intérêt public exige que des restrictions soient imposées à la liberté des individus de pratiquer la pêche commerciale afin d’empêcher la surexploitation. Des restrictions à cet effet sont inscrites dans les dispositions de la législation relative à la pêche. L’État partie fait en outre observer que la répartition de ressources limitées ne peut s’effectuer sans une forme ou une autre de discrimination et indique que le législateur a fait preuve de pragmatisme dans la méthode d’attribution des permis. L’État partie rejette l’opinion des auteurs selon laquelle le principe d’égalité protégé par l’article 26 du Pacte doit s’interpréter comme imposant l’obligation d’attribuer une partie de ressources limitées à tous les citoyens qui sont ou ont été employés comme marin ou capitaine. Cela serait contraire au principe d’égalité en ce qui concerne le groupe de personnes qui, grâce à d’importants investissements dans l’exploitation de leur bateau et dans le développement d’entreprises commerciales, ont engagé leur compétence de pêcheur et leurs avoirs dans le secteur de la pêche, dont ils ont fait leur moyen de subsistance.
5.8L’État partie souligne que la règle conférant aux droits de pêche un caractère permanent et transférable vise principalement à permettre aux individus de planifier leurs activités à long terme et d’augmenter ou de réduire leurs droits de pêche pour une espèce particulière à leur convenance, d’où une utilisation des stocks de poissons qui est profitable à l’économie nationale. L’État partie affirme que le caractère permanent et transférable des droits de pêche est garant d’efficacité économique et constitue la meilleure méthode pour concilier les objectifs économiques et biologiques assignés à la gestion des pêcheries. Enfin, l’État partie signale que la troisième phrase de l’article premier de la loi sur la gestion des pêcheries indique clairement que l’attribution de droits de pêche à une partie ne l’investit pas d’un droit de propriété ni d’un pouvoir irrévocable sur les droits de pêche. Les droits de pêche ne sont donc permanents qu’au sens où ils peuvent seulement être abolis ou modifiés par un texte législatif.
5.9L’État partie conclut que la différenciation découlant du système de gestion des pêcheries repose sur des considérations objectives et pertinentes et vise à atteindre des objectifs légitimes fixés par la loi. Des restrictions ont été imposées à la liberté du travail, mais dans le respect du principe d’égalité, et les auteurs n’ont pas apporté suffisamment d’éléments pour étayer l’affirmation selon laquelle ils seraient victimes d’une discrimination contraire à la loi constituant une violation de l’article 26 du Pacte.
Commentaire des auteurs
6.1Le 28 décembre 2004, les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Au sujet du premier argument de l’État partie, à savoir que les auteurs ne sont pas victimes d’une violation du Pacte, les auteurs soulignent qu’ils ne prétendent pas avoir été traités de manière contraire au droit interne, mais de manière contraire au Pacte. Les auteurs affirment que la décision de l’État partie d’interdire les bancs de pêche aux personnes qui n’exerçaient pas la pêche pendant la «période de référence» revenait, en réalité, à donner l’usage des bancs de pêche aux personnes qui la pratiquaient à cette période et, vu le tour qu’ont pris les choses, à donner à certains le droit personnel d’exiger un paiement d’autres citoyens pour pêcher dans l’océan entourant l’Islande. Ces droits ont en pratique le caractère d’un bien. La plainte des auteurs porte sur cet acte de don et sur la situation dans laquelle se sont trouvés les auteurs à la suite de ce don. Ils rappellent qu’ils ont été élevés et formés pour être des pêcheurs, qu’ils ont le bagage culturel des pêcheurs et veulent être pêcheurs. Or, pour exercer le métier de leur choix, ils doivent surmonter des obstacles qui ne se trouvent pas sur le chemin de leurs concitoyens privilégiés. C’est pourquoi ils affirment être victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte. Le fait que tous les Islandais, à l’exception d’un groupe particulier de citoyens, soient dans la même situation et feraient également l’objet de poursuites pénales s’ils n’acceptaient pas ce régime, n’entre pas en ligne de compte. Les auteurs reconnaissent que la plupart des autres Islandais se trouveraient confrontés aux mêmes obstacles qu’eux. Ils estiment en revanche que leur situation doit être comparée non pas à celle des autres personnes qui sont dans le même cas qu’eux, mais à celle du groupe dont les membres ont reçu un privilège et qui ont le droit de percevoir de l’argent de toute personne extérieure au groupe, comme les auteurs, désireuse de travailler dans le même domaine que les membres de ce groupe.
6.2Les auteurs rappellent qu’à la différence de M. Kristjánsson, dont la communication a été déclarée irrecevable par le Comité, ils étaient quant à eux propriétaires de l’entreprise qui exploitait le bateau qu’ils utilisaient. Ils avaient un intérêt direct, personnel et immédiat à être autorisés à exercer la profession de leur choix, et ils ont à plusieurs reprises demandé un quota.
6.3Les auteurs soulignent que, au moment où ils ont décidé de pêcher en violation des règles en vigueur, la société islandaise était divisée par des conflits et des débats sur la nature du système de gestion des pêcheries. Le public en général et de nombreux hommes politiques étaient d’avis que le régime de gestion des pêcheries islandais ne pouvait pas être maintenu encore longtemps et que l’exploitation des bancs de pêche devrait le plus tôt possible être ouverte à tout citoyen répondant aux conditions générales.
6.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés, les auteurs notent que les dispositions de la Constitution l’emportent sur les autres sources du droit. L’incompatibilité d’une disposition pénale avec la Constitution est par conséquent un moyen de défense valide en droit pénal islandais et une déclaration de culpabilité affirme la validité constitutionnelle d’une disposition pénale. C’était pour cette raison que deux des sept juges à la Cour suprême voulaient acquitter M. Kristjánsson dans l’affaire Vatneyri. Les auteurs ont été condamnés en référence à l’affaire précédente. Ils soulignent que l’objet de la plainte qu’ils soumettent au Comité est la loi islandaise.
6.5Les auteurs se réfèrent à l’argument invoqué par l’État partie selon lequel ils n’ont pas attaqué devant les tribunaux islandais le refus de leur accorder des quotas de pêche, comme l’a fait M. Jóhanesson dans l’affaire Valdimar, et qu’ils n’ont par conséquent pas épuisé les recours internes. Ils notent qu’il appartient au législateur d’énoncer les règles devant régir la gestion des pêcheries, qu’il appartient aux autorités administratives d’appliquer ces règles dans la pratique et qu’il appartient aux tribunaux de régler les conflits liés à l’interprétation ou à l’application desdites règles. Les auteurs notent en outre que, comme l’a souligné l’État partie, le jugement rendu dans l’affaire Valdimar ne portait pas sur la question des quotas donnés à un groupe privilégié avec l’obligation qui en découlait pour les autres de payer les premiers pour avoir une part de ce don. Dans l’affaire Vatneyri, la Cour suprême a déclaré que le régime de gestion des pêcheries était constitutionnellement valide. En vertu de ces règles, les auteurs ne pouvaient se voir attribuer de quotas puisqu’ils ne remplissaient pas les conditions requises.
6.6En ce qui concerne l’affirmation par l’État partie que la plainte est incompatible avec les dispositions du Pacte, les auteurs concèdent que des mesures visant à empêcher la surexploitation en limitant le volume des captures sont nécessaires à la protection et à l’utilisation rationnelle des stocks de poissons et que l’intérêt public exige que des restrictions soient imposées à la liberté qu’ont les individus de pratiquer la pêche commerciale. Ils admettent que l’on affirme que le droit à ce travail ne peut être conféré qu’à un groupe restreint. Mais ils maintiennent que de telles restrictions doivent avoir un caractère général et que tous les citoyens remplissant les critères généraux pertinents doivent avoir des chances égales de faire partie de ce groupe limité. À leur avis, le critère selon lequel il faut avoir reçu un quota personnel permanent ou avoir acheté ou loué ce quota n’est pas un critère valable.
Décision du Comité sur la recevabilité
7.1À sa quatre‑vingt‑septième session, le 5 juillet 2006, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a constaté que l’État partie avait contesté la recevabilité de la communication au motif que les auteurs n’étaient pas victimes d’une violation du Pacte. Les auteurs se disaient victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte parce qu’ils avaient l’obligation légale de verser de l’argent à un groupe privilégié de concitoyens pour pouvoir exercer la profession de leur choix. Le Comité a pris acte de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs avaient été traités de la même manière que toute personne dans leur situation, c’est‑à‑dire des pêcheurs n’ayant pas acquis de quota pendant la période de référence. Or, les auteurs affirment en fait avoir reçu un traitement différent par rapport à ceux qui ont acquis un quota pendant la période de référence. Le Comité a noté que la seule différence entre les auteurs, qui étaient propriétaires de l’entreprise qui possédait et exploitait le bateau Sveinn Sveinsson et à qui un quota avait été refusé, et les pêcheurs qui en avaient reçu un, résidait dans la période pendant laquelle ils avaient pratiqué la pêche. Il a observé que la condition relative à la période de référence était depuis lors devenue un critère permanent. Cela était confirmé par le fait que les auteurs avaient à maintes reprises demandé un quota et que toutes leurs demandes avaient été rejetées. Dans ces circonstances, le Comité a considéré que les auteurs étaient directement affectés par le régime de gestion des pêcheries dans l’État partie et qu’ils avaient un intérêt personnel à l’examen de la communication.
7.2Le Comité a noté l’affirmation de l’État partie selon laquelle les auteurs n’avaient pas épuisé les recours internes parce qu’ils n’avaient pas tenté de faire infirmer par les tribunaux islandais la décision de leur refuser un quota. Il a pris en compte l’affaire Valdimar, à laquelle l’État partie avait fait référence, afin d’illustrer le fait que les auteurs disposaient d’un recours utile. Dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu que:
«Bien que des mesures temporaires de ce type visant à éviter l’épuisement des stocks de poissons aient pu se justifier, établir de manière permanente par la loi la discrimination découlant de la règle énoncée à l’article 5 de la loi no 38/1990 sur la question des droits de pêche ne saurait être considéré comme logiquement nécessaire. Le défendeur [l’État partie] n’a pas apporté la preuve que d’autres moyens ne peuvent être employés pour atteindre l’objectif légitime qu’est la protection des stocks de poissons autour de l’Islande.».
La Cour suprême a estimé que l’article 5 de la loi no 38/1990 était contraire au principe d’égalité. Toutefois, elle a conclu que:
«Le Ministère de la pêche ne peut être considéré comme ayant refusé conformément à la loi la demande de licence de pêche générale et spéciale présentée par l’appelant en invoquant les motifs sur lesquels le refus a été fondé. En conséquence, le refus du Ministère sera invalidé. En revanche, la Cour ne prendra pas position dans la présente affaire sur la question de savoir si le Ministère était en l’espèce obligé d’accorder la demande présentée par l’appelant, étant donné que le recours n’est formé que pour obtenir l’invalidation de la décision du Ministère, et non pour obtenir la reconnaissance d’un droit pour l’appelant de recevoir des quotas de capture particuliers.».
Le Comité ne sait pas si l’appelant en l’espèce avait été ultérieurement admis au bénéfice d’un quota, suite à l’arrêt de la Cour suprême annulant la décision administrative qui lui en refusait un. Il a considéré que cet exemple à lui seul ne pouvait servir à démontrer que les auteurs disposaient d’un recours utile.
7.3Le Comité a observé en outre que la validité constitutionnelle du système de gestion des pêches avait été ultérieurement affirmée par la Cour suprême, dans l’affaire Vatneyri, qui avait été citée comme précédent dans l’examen de l’affaire des auteurs par le tribunal de district et par la Cour suprême. Dans ces circonstances, et compte tenu du fait que les auteurs ne remplissaient pas les conditions légales et administratives voulues pour se voir attribuer un quota, il était difficile de concevoir que la Cour suprême eût pu statuer en faveur des auteurs s’ils avaient tenté de former un recours contre les décisions administratives leur refusant un quota. Le Comité a considéré par conséquent que le recours mentionné par l’État partie n’était pas un recours utile, aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.4Enfin, le Comité a relevé que les auteurs avaient à maintes reprises demandé un quota et que toutes leurs demandes avaient été rejetées, parce qu’ils ne remplissaient pas la condition requise pour en recevoir un, à savoir avoir exercé l’activité de pêcheur entre le 1er novembre 1980 et le 31 octobre 1983. De l’avis du Comité, les auteurs n’avaient aucune chance d’obtenir un quota de l’État partie parce que ce dernier, ayant attribué tous les quotas disponibles au début des années 80 et ayant ensuite reconnu aux bénéficiaires des quotas le statut de propriétaires permanents, n’en avait plus à distribuer. Le Comité a conclu que les auteurs n’avaient par conséquent aucun recours utile leur permettant de contester le refus de leur attribuer un quota et que rien ne l’empêchait d’examiner la communication en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la plainte des auteurs ne relevait pas du champ d’application du Pacte, le Comité a considéré que les faits dont il était saisi soulevaient des questions étroitement liées au fond de la communication, qu’il vaudrait mieux examiner en même temps que celle‑ci au regard de l’article 26 du Pacte. Le 5 juillet 2006, le Comité a déclaré la communication recevable.
Observations de l’État partie sur le fond
8.1Le 19 janvier 2007, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication. Il rappelle les termes de l’article 65 et du paragraphe 1 de l’article 75 de la Constitution concernant respectivement l’égalité devant la loi et la liberté du travail. S’agissant de la législation relative à la pêche, l’État partie fait observer que la loi no 38/1990 sur la gestion des pêcheries a instauré en 1991 un régime uniforme de quotas individuels cessibles. Auparavant, de nombreux systèmes de gestion différents avaient été expérimentés, dont des quotas de capture globale, des permis d’accès aux pêcheries, la régulation de l’effort de pêche, des contrôles sur les investissements et des programmes de rachat des bateaux de pêche. L’expérience acquise avec ces différents systèmes a conduit à l’adoption du système uniforme de quotas individuels cessibles.
8.2L’État partie joint la version mise à jour du texte de la loi sur la gestion des pêcheries. En 2006, la loi no 38/1990 a été modifiée et remplacée intégralement par la loi no 116/2006. Les principales dispositions qui s’appliquent à l’affaire des auteurs sont demeurées pour l’essentiel inchangées.
8.3Sur le fond, l’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas apporté d’arguments susceptibles d’étayer leur prétention au titre de l’article 26 du Pacte, se contentant d’affirmer en termes généraux qu’ils avaient subi une discrimination contraire à la loi du fait que les autorités leur avaient refusé un quota dans les mêmes conditions que les exploitants admis au bénéfice de droits de pêche conformément à la loi no 38/1990 en fonction du volume de leurs captures antérieures.
8.4L’État partie considère que les restrictions imposées au travail des auteurs ne constituaient pas une violation de l’article 26 du Pacte. Aucune discrimination contraire à la loi ne s’est exercée entre les auteurs et les personnes à qui des parts de quota ont été attribuées en vertu de l’article 7 de la loi no 38/1990. La différence de traitement entre les auteurs qui appartenaient à un groupe important de marins islandais et les exploitants de bateaux de pêche était justifiable. L’État partie renvoie aux normes fixées par les tribunaux islandais et la Cour européenne des droits de l’homme pour apprécier si une différence se justifie. Premièrement, cette différence avait un objectif légitime et fondé sur des motifs raisonnables et objectifs. Deuxièmement, elle était prévue par la loi. Troisièmement, aucune discrimination excessive n’a été pratiquée à l’encontre des auteurs si l’on considérait l’objectif global de la législation sur les pêcheries. L’État partie évoque la jurisprudence du Comité selon laquelle une distinction ne constitue pas systématiquement une discrimination et des différences de traitement objectives et raisonnables sont permises. Il fait valoir que dans le cas des auteurs toutes les conditions étaient réunies pour que cette différence ne soit pas contraire à l’article 26.
8.5En ce qui concerne le but de la différence de traitement, l’État partie observe que des intérêts publics importants évidents sont liés à la protection et à l’utilisation économique des stocks de poissons. L’État partie a contracté des obligations juridiques internationales pour garantir l’utilisation rationnelle de ces ressources, en particulier au titre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. En Islande, le risque de surexploitation est réel et imminent en raison des progrès des techniques de pêche, de l’augmentation du volume des prises et de la croissance de la flotte de pêche. L’épuisement des stocks de poissons aurait des conséquences désastreuses pour la nation islandaise pour laquelle la pêche est une activité professionnelle essentielle depuis la nuit des temps. Les mesures de prévention de la surpêche par le plafonnement du volume des captures constituent un élément indispensable de la protection et de l’utilisation rationnelle des stocks. C’est pourquoi l’intérêt public exige d’imposer des restrictions à la liberté des individus de pratiquer la pêche commerciale. Ces restrictions, prévues par la loi, sont définies en détail dans la législation relative à la pêche. L’État partie soulève la question de savoir comment les ressources limitées que constituent les stocks de poissons du pays doivent être réparties et considère qu’il est impossible d’attribuer des parts égales à tous les citoyens.
8.6L’État partie fait valoir que la décision du législateur islandais de restreindre et de contrôler les prises au moyen d’un système de quotas permettant d’attribuer des droits de pêche sur la base des captures antérieures des bateaux de pêche au lieu d’autres modes de gestion repose sur des motifs raisonnables et objectifs. Il fait référence à l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire Valdimar:
«La mesure visant à rendre les droits de capture permanents et cessibles se justifie aussi parce qu’elle permet aux exploitants de planifier leurs activités à long terme et d’augmenter ou de réduire leurs droits de capture de certaines espèces à leur convenance à un moment donné dans le temps. À cet égard, la loi est fondée sur le calcul selon lequel les avantages économiques du caractère permanent des droits de pêche et la cessibilité des droits et des quotas de pêche permettent une utilisation profitable des stocks de poissons dans l’intérêt de l’économie nationale.».
8.7L’État partie renvoie à la loi no85/2002 qui imposait aux exploitants de bateaux une redevance spéciale fondée sur les prises pour le droit d’accéder aux zones de pêche, la redevance étant calculée de façon à tenir compte des résultats économiques des pêcheries. Cette redevance a les mêmes effets qu’une taxe spéciale qui serait imposée aux exploitants de bateaux. Cela montre que le Parlement islandais a toujours le souci de rechercher les meilleurs moyens d’exercer un contrôle efficace sur la pêche, dans l’intérêt supérieur de l’Islande. Le Parlement ne cesse pas non plus de réviser les dispositions arrêtées en matière de gestion des pêcheries et de droit de capture. Il peut aussi assortir ce droit de conditions ou choisir un meilleur moyen de servir l’intérêt public.
8.8L’État partie note qu’il ressort clairement d’une comparaison entre les différents régimes de gestion des pêcheries en Islande et à l’étranger et de travaux de recherche effectués par des scientifiques en matière de biologie marine et d’économie maritime qu’un régime de quotas tel celui institué en Islande est le meilleur moyen de concilier les objectifs économiques et biologiques assignés aux régimes modernes de gestion des pêcheries. Il évoque un rapport intitulé «On Fisheries and Fisheries Management in Iceland − A background report» qui décrit les principaux atouts et caractéristiques du système de quotas individuels cessibles et l’expérience qui en a été faite dans d’autres pays. Il rappelle par ailleurs le rapport de l’OCDE intitulé «Vers des pêcheries durables − Aspects économiques de la gestion des ressources marines vivantes».
8.9L’État partie fait observer que les motifs raisonnables et objectifs qui existaient lorsque le régime des quotas individuels cessibles a été institué n’ont pas disparu. Si tous les ressortissants islandais, sur la base de l’égalité devant la loi, avaient un droit égal de se lancer dans la pêche et de se faire attribuer des quotas de prises à cet effet, les fondements sur lesquels le régime de gestion des pêcheries islandais repose ne manqueraient pas de s’effondrer. Une telle situation saperait en effet la stabilité du régime. Les droits de quota attribués initialement en fonction du volume des prises ont été depuis cédés en grande partie à d’autres propriétaires. Les personnes qui ont acquis ces quotas par la suite les ont, soit achetés aux prix forts sur le marché, soit loués. Il ne s’agit pas d’un «groupe privilégié». Ces personnes ont accepté les règles en vigueur en matière de gestion des pêcheries en Islande. Si, subitement, on réduisait ces droits ou les retirait à leurs propriétaires pour les répartir équitablement entre toutes les personnes qui souhaitent se lancer dans la pêche commerciale, on porterait sérieusement atteinte aux droits de ceux qui ont investi dans ces droits et comptent à juste titre pouvoir continuer à les exercer.
8.10L’État partie explique que les conséquences des lois et règlements n’étaient pas excessives pour les auteurs et, conformément à l’article 26 du Pacte, ne violaient donc pas le principe de proportionnalité. Il considère la situation des auteurs à deux moments différents dans le temps: a) au moment de l’adoption de la loi no 38/1990 sur la gestion des pêcheries et de l’attribution initiale des droits de prise et b) au moment où la demande de quota des auteurs a été rejetée parce qu’ils ne remplissaient pas les conditions requises par la loi.
8.11Premièrement, le 1er janvier 1991, lorsque la loi sur la gestion des pêcheries est entrée en vigueur, les auteurs travaillaient tous deux en mer sur le même bateau, en qualité de capitaine et de maître d’équipage. Ils se trouvaient dans la même situation que des milliers d’autres membres d’équipage qui n’avaient pas investi dans les bateaux de pêche dont ils dépendaient pour assurer leur subsistance. Vu leurs prises antérieures, les bateaux sur lesquels ils travaillaient ont bénéficié d’une part de quota au titre du nouveau régime de gestion des pêcheries. Le nouveau régime n’a rien changé aux conditions de travail des auteurs, l’un comme capitaine et l’autre comme maître d’équipage. Ils pouvaient continuer de travailler et ne subissaient aucune conséquence excessive. Ils n’avaient pas à interrompre l’activité professionnelle à laquelle leur éducation et leur culture les avaient préparés ainsi qu’ils le soutiennent.
8.12L’État partie rejette l’idée que l’article 26 du Pacte empêchait les autorités qui rédigeaient la nouvelle loi de faire une distinction entre les personnes qui étaient propriétaires de bateaux de pêche («le groupe privilégié» pour reprendre les termes des auteurs) et les autres qui travaillaient dans le secteur de la pêche. Il s’élève contre l’idée qu’il eût fallu attribuer des droits de prise aux uns et aux autres dans des conditions d’égalité. Il existait une différence fondamentale entre les propriétaires du bateau de pêche sur lequel les auteurs travaillaient et les marins employés à bord.
8.13L’État partie considère donc que la distinction faite entre les auteurs et les propriétaires de bateaux de pêche lorsque la loi a été adoptée ne saurait être considérée comme constituant une discrimination contraire à la loi au regard de l’article 26.
8.14Deuxièmement, l’État partie considère le moment où les auteurs ont décidé d’exploiter un bateau de pêche et en ont acheté un au bénéfice de droits de prise limités. Lorsqu’ils se sont rendus acquéreurs du bateau, les auteurs n’avaient pas les moyens de concrétiser leurs intentions notamment parce que le volume total des prises de certaines espèces en danger avait été revu sensiblement à la baisse. Ces réductions s’appliquaient également à tous les bateaux de pêche qui détenaient des parts de quota dans les espèces en question et se sont traduites par une augmentation temporaire des prix du marché des quotas de prise pour ces espèces. La décision des autorités de ne pas attribuer de quota aux auteurs était prévisible. Le fait qu’ils aient perdu leurs biens et leur source de revenus découlait de la décision qu’ils avaient prise eux‑mêmes de démissionner de leur emploi de salarié dans l’industrie de la pêche et d’exploiter une entreprise fondée sur un projet bancal et risqué. Nul n’ignorait quelles étaient les conditions juridiques applicables à toute personne qui se proposait à l’époque de se lancer dans l’exploitation de bateaux de pêche.
8.15L’État partie fait valoir que, si le Comité reconnaît que, suite à leur achat d’un bateau de pêche en 1998, les auteurs avaient le droit de se voir attribuer un quota et de démarrer une entreprise de pêche, il doit alors aussi admettre qu’au moins toutes les personnes qui travaillaient en qualité de capitaine ou de membre d’équipage avaient elles aussi un droit égal à se lancer dans la pêche et à se voir attribuer une part de quota. Le régime en vigueur a des conséquences qui ne sont pas plus graves pour les auteurs que pour des milliers d’autres marins islandais qui pourraient vouloir acheter un bateau de pêche et créer leur entreprise. Pour l’État partie, rien ne justifie que les exploitants de bateaux fassent délibérément des prises illégales pour protester contre un régime de gestion de la pêche qu’ils estiment injuste. Il va de soi que les contrevenants feront l’objet de poursuites. Ils n’acquièrent pas pour autant le statut de «victimes» d’une discrimination contraire au droit.
8.16Enfin, l’État partie fait valoir que, si aujourd’hui il était décidé de distribuer des parts de quota égales à toutes les personnes qui travaillent en mer ou désirent acheter et exploiter des bateaux de pêche, cette décision aurait de graves conséquences pour les personnes qui jouent actuellement un rôle actif dans l’industrie de la pêche et ont investi dans de tels droits. Une telle décision nuirait à l’intérêt de la société dans son ensemble de préserver la stabilité de ce secteur. L’augmentation de la demande de parts dans les stocks de poissons (ressource limitée) et l’obligation faite au Gouvernement d’attribuer des parts égales à tous les pêcheurs menaceraient la stabilité de ces droits. Il s’ensuivrait que les investissements dans les bateaux de pêche ne seraient plus profitables, que le secteur dans son ensemble rencontrerait des difficultés et que l’on reviendrait à la situation qui existait avant l’entrée en vigueur des dispositions actuelles.
8.17L’État partie fait valoir que l’on ne saurait imputer au régime de gestion des pêcheries les pertes financières que les auteurs auraient subies et que celles‑ci découlent plutôt de la décision qu’ils ont prise d’acheter un bateau de pêche alors qu’ils ne détenaient pas de part de quota tout en étant au courant des dispositions en vigueur et des conséquences prévisibles de leur initiative.
Commentaires des auteurs
9.1Le 23 mars 2007, les auteurs ont fait part de leurs commentaires au sujet des observations de l’État partie sur le fond. Ils font valoir que celui‑ci a soutenu avec constance la politique adoptée à la suite de l’arrêt Valdimar, laissant échapper toutes les occasions de mettre en place un régime de gestion des pêcheries qui respecte les principes des droits de l’homme fondamentaux. Alors que l’État partie déclare que la «grande majorité» des droits de pêche prévus par le régime ont maintenant été vendus, les auteurs conviennent que «beaucoup de gens sont devenus millionnaires en vendant leurs droits». Pourtant de nombreuses personnes et entreprises restent en possession des droits qui leur ont été donnés et soit les louent à d’autres, soit les utilisent pour elles‑mêmes. Il n’a pas été tenu de comptes ni de relevés des ventes. L’État partie aurait réussi à persuader des personnes innocentes d’acheter des biens acquis illégalement. Les auteurs soutiennent cependant que l’achat de biens acquis illégalement ne donne pas lieu à un droit de propriété.
9.2Les auteurs affirment que les droits de l’homme ne peuvent pas être prescrits et ne peuvent pas être écartés par prescription. Ils ne revendiquent pas une part de privilège. Ils insistent au contraire sur le fait qu’il faut imposer des restrictions à la pêche dans des conditions généralement applicables. Ils déclarent que tout régime juridique interne normal interdit de limiter une fois pour toutes la pêche en haute mer à un groupe restreint qui s’est vu accorder ce droit à titre gracieux et d’obliger les autres personnes intéressées à acheter une part des privilèges des membres de ce groupe à titre onéreux au profit de ces derniers.
9.3Pour les auteurs, le principe d’égalité interdit la discrimination pour les motifs énoncés à l’article 26 du Pacte, notamment pour des raisons de «situation» (status en anglais). Aux fins de ces dispositions, la «discrimination» s’entend du traitement moins favorable réservé à une personne par rapport à d’autres pour des motifs de cet ordre. Si on accorde à certaines personnes un privilège qui est refusé à d’autres, on crée par là une «situation» particulière, non seulement une situation de privilégié, mais aussi une situation de non‑privilégié. Quiconque enfreindrait l’article 26 ne peut logiquement tirer un moyen de défense du fait que les personnes qui ne jouissent pas de ce privilège se trouvent toutes dans la même situation.
9.4En ce qui concerne l’argument avancé par l’État partie selon lequel il n’y a pas eu de discrimination au regard de l’article 26, les auteurs conviennent que l’objectif de la différence de traitement, en l’occurrence la préservation et la protection des ressources naturelles, était légitime. Toutefois, ils rappellent que la méthode utilisée à cette fin a consisté à distribuer l’ensemble des parts des TAC entre les exploitants en activité à une certaine période. La décision a alors été prise de faire de ces parts un bien privé cessible, ce qui a eu pour effet d’instituer un privilège en faveur des bénéficiaires aux dépens des droits civils des autres. De ce fait, seuls les bénéficiaires peuvent pratiquer la pêche commerciale. Tous les autres, dont les auteurs, doivent acheter aux premiers une fraction de la part des TAC qui leur a été attribuée, s’ils veulent eux aussi exercer cette activité. Pour les auteurs, vu les effets de la mesure, la préservation et la protection de la ressource perdent leur légitimité.
9.5Les auteurs considèrent que l’institution du privilège manque de fondement légal du fait de son inconstitutionnalité. Ils ajoutent que la discrimination n’est jamais justifiée et que le terme «discrimination» s’entend de la non‑application par l’État de règles qui profiteraient à tous ou de l’application de règles désavantageuses pour certains seulement.
9.6En ce qui concerne la prétention de l’État partie qui affirme qu’il était nécessaire de respecter le droit au travail des personnes actives dans le secteur de la pêche, les auteurs s’interrogent sur l’impartialité de cet argument. Ils font valoir qu’avec l’instauration et la pérennisation du régime de gestion des pêcheries l’idée s’est répandue que le travail ou le droit de continuer de travailler dans le secteur dans lequel on est actif constitue en fait un bien protégé comme tel par l’article 72 de la Constitution. Cet argument a été inventé après coup pour justifier le régime de gestion en mettant en avant la nécessité de protéger les droits constitutionnels des bénéficiaires des restrictions imposées à l’exploitation des bancs de pêche.
9.7Les auteurs rappellent que le régime de gestion des pêcheries s’est mis progressivement en place et qu’une décision l’a pérennisé ultérieurement. La raison pour laquelle il a tout d’abord été toléré tenait à ce qu’il fallait donner aux individus et aux entreprises qui avaient investi dans des bateaux et du matériel la possibilité d’amortir leurs investissements. Ils renvoient à l’affaire Valdimar dans laquelle le tribunal a déclaré:
«Bien que des mesures temporaires de cette nature aient pu être justifiées pour empêcher l’épuisement des stocks de poissons, question qui n’est pas en jeu en l’espèce, on ne saurait considérer comme logiquement nécessaire de pérenniser légalement la discrimination qui découle de […] l’octroi de droits de pêche.».
9.8Les auteurs font observer que c’est au Gouvernement islandais et non à eux‑mêmes qu’il incombe de concevoir un régime de gestion des pêcheries qui ne viole pas le droit international des droits de l’homme. Ce qu’ils réclament, c’est d’avoir la possibilité d’exercer la profession de leur choix dans les mêmes conditions que les autres. Il appartient au Gouvernement ou au Parlement islandais de décider des modalités pour ce faire.
9.9Quant à la crainte de l’État partie de voir immanquablement s’effondrer «les fondements du régime de gestion des pêcheries de l’Islande», les auteurs sont d’avis que c’est précisément la crainte de voir s’effondrer le régime des privilèges accordés gratuitement qui a maintenu le système en vie. Les répercussions catastrophiques qui pourraient découler d’une remise en cause du régime seraient dans une certaine mesure compensées par le rétablissement des principes de droit et le renforcement de la légalité.
9.10En ce qui concerne l’affirmation par l’État partie que le régime de gestion des pêcheries n’a pas affecté les auteurs parce qu’ils pouvaient continuer à travailler comme ils l’avaient fait pendant toute leur vie professionnelle, les auteurs invoquent le principe de l’égalité des chances: la possibilité pour les personnes de quelque rang ou condition que ce soit de s’élever dans la société et de s’enrichir par leur travail, de quelque nature qu’il soit a été jusqu’ici la force de l’Islande.
9.11Les auteurs considèrent que, dans un environnement dont la légalité est contestée aux plans national et international, quand quelqu’un essaie d’adapter ses activités à cet environnement il ne faudrait pas en conclure qu’il reconnaît la légalité de cet environnement ou qu’il renonce au droit d’en dénoncer l’illégalité. Les auteurs renvoient à l’article premier de la loi qui reconnaît le «patrimoine commun de la nation». Les personnes qui parlent en public au nom du Gouvernement islandais expriment de plus en plus souvent l’avis que cette disposition ne veut rien dire, donnant ainsi à entendre qu’elle a été incluse dans la loi dans l’intention de tromper. De plus, les auteurs ont agi comme ils l’ont fait parce qu’ils éprouvaient un profond sentiment d’injustice.
9.12Les auteurs soulignent qu’ils réclament non pas de se faire attribuer une part de quota par les autorités, mais de pouvoir continuer à exercer la profession de leur choix dans les mêmes conditions que les autres. Il ne leur appartient pas de préciser les modalités pour ce faire.
9.13Les auteurs expliquent que la morue est et a toujours été de loin l’espèce la plus commune pêchée dans les eaux qui entourent l’Islande, de même que l’espèce la plus rentable à l’exportation. Cette espèce se répartit sur une zone si étendue et elle est si commune qu’elle accompagne en général les autres captures océaniques. La capture de n’importe quelle autre espèce inclut normalement de 5 à 15 % de morue. Les prises accessoires de morue rendent nécessaire l’imposition d’un quota de morue au pêcheur quand bien même il aurait l’intention de pêcher uniquement d’autres espèces. Pour pêcher d’autres espèces pour lesquelles ils détenaient un quota, les auteurs auraient dû recevoir ou acheter un quota de morue afin de couvrir les inévitables prises accessoires de morue. Comme on ne leur en avait pas attribué, ils avaient dû s’en procurer un en le louant ou en l’achetant.
9.14Le Sveinn Sveinsson, le bateau des auteurs, avait 24 tonnes de jauge brute. Les auteurs voulaient exploiter des bateaux de pêche à peu près de cette taille, voire beaucoup plus grands, c’est‑à‑dire des bateaux de pêche hauturière modernes. Ils avaient été formés pour travailler à bord de ce type de bateau qui était leur outil de travail. Le régime des quotas institué en 1984 s’appliquait automatiquement à tous les propriétaires de bateaux de plus de 10 tonnes de jauge brute, à l’exclusion dans l’immédiat des bateaux plus petits auxquels il a été étendu progressivement, en plusieurs étapes. La loi no 97/1985 a soumis à des restrictions toute la pêche au filet pratiquée avec des bateaux de moins de 10 tonnes. La loi no 8/1988 a ramené la limite de 10 à 6 tonnes. Enfin, la loi no 38/1990 a prévu le maintien du régime mis en place pour tous les bateaux de plus de 6 tonnes. Même s’il est exact que le processus n’a pris pleinement effet qu’en 2004, cela ne change rien aux griefs des auteurs.
9.15En ce qui concerne la protection du droit à la liberté du travail, les auteurs font valoir que l’article 75 de la Constitution a pour but de permettre à tous de travailler, sous réserve des exigences généralement applicables. Cette disposition est censée non pas protéger les intérêts de personnes qui exercent déjà une activité, mais au contraire empêcher des groupes d’intérêts de monopoliser tel ou tel secteur d’activité ou d’empêcher d’autres personnes d’y accéder.
9.16Le conseil conclut que le contrôle exercé sur la pêche hauturière au moyen de la propriété individuelle des droits de pêche est judicieux. Aussi est‑il crucial, quand l’on met un tel système en place, de le faire légalement, sans violer les principes constitutionnels et les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Cela ne peut se faire légalement si des élus réservent l’utilisation des bancs de pêche à un groupe particulier et transforment les privilèges des membres de ce groupe en leurs biens propres que ces derniers sont habilités à vendre ou à louer au reste de la population.
Examen au fond
10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées.
10.2La principale question sur laquelle le Comité doit se prononcer est de savoir si les auteurs, que la loi oblige à verser de l’argent à des concitoyens pour acquérir les quotas nécessaires à l’exploitation commerciale de certaines espèces et avoir ainsi accès aux bancs de poissons qui sont le patrimoine commun de la nation islandaise, sont victimes de discrimination en violation de l’article 26 du Pacte. Il rappelle sa jurisprudence et réaffirme que, selon l’article 26, les États parties sont tenus, dans les mesures législatives, judiciaires et administratives qu’ils prennent, de veiller à ce que chacun soit traité dans des conditions d’égalité et sans discrimination notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. Il réaffirme que la discrimination ne doit pas s’entendre seulement comme impliquant des exclusions et des restrictions mais s’entend également de préférences fondées sur l’un quelconque des motifs cités si ces préférences ont pour objectif ou pour effet d’annuler ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par tous, en toute égalité, de droits et libertés. Il rappelle qu’une distinction ne constitue pas systématiquement une discrimination en violation de l’article 26, mais que les distinctions doivent être justifiées par des motifs raisonnables et objectifs, dans la poursuite d’un but légitime au regard du Pacte.
10.3Le Comité relève tout d’abord que la plainte des auteurs porte sur la différence de traitement entre deux groupes de pêcheurs. Le premier groupe a reçu gratuitement une part de quotas parce qu’ils avaient pratiqué la pêche de poissons faisant l’objet de quotas pendant la période allant du 1er novembre 1980 au 31 octobre 1983. Les pêcheurs de ce groupe ont non seulement le droit d’utiliser ces quotas eux-mêmes mais peuvent aussi les vendre ou les louer à d’autres. Les pêcheurs de l’autre groupe sont obligés d’acheter ou de louer une part de quotas à ceux du premier groupe s’ils veulent pêcher des espèces visées par les quotas pour la simple raison qu’ils n’étaient pas propriétaires et exploitants de bateaux pendant la période de référence. Le Comité conclut que cette distinction repose sur des motifs qui équivalent à la «fortune».
10.4Le Comité considère que l’objectif de la distinction appliquée par l’État partie, qui est d’assurer la protection de ses bancs de poissons constituant une ressource limitée, est légitime, mais il doit déterminer si la distinction repose sur des critères raisonnables et objectifs. Il note que tout système de quotas mis en place pour réguler l’accès à des ressources limitées privilégie dans une certaine mesure les titulaires des quotas et désavantage les autres sans nécessairement être discriminatoire. Parallèlement, il relève les spécificités de la présente affaire: d’un côté l’article premier de la loi no 38/1990 sur la gestion des pêcheries dispose que les bancs de pêche entourant l’Islande sont le patrimoine commun de la nation islandaise; de l’autre, la distinction établie en fonction de l’activité pendant l’année de référence qui, à l’origine, quand il s’agissait d’une mesure temporaire, pouvait être un critère raisonnable et objectif, non seulement est devenue permanente avec l’adoption de la loi mais en outre a fait du droit initial d’utiliser et d’exploiter une richesse publique un droit de propriété individuel. Les quotas alloués qui ne sont plus utilisés par leurs titulaires initiaux peuvent être vendus ou loués aux prix du marché au lieu de revenir à l’État, qui pourrait les redistribuer à de nouveaux titulaires selon des critères justes et équitables. L’État partie n’a pas montré que ce régime particulier de quotas et les modalités de son application répondaient au critère du caractère raisonnable de la mesure. Sans avoir à examiner la question de la compatibilité avec le Pacte des régimes de quotas instaurés pour l’exploitation de ressources limitées, le Comité conclut que, dans les circonstances particulières de l’affaire, le privilège consistant à donner à titre permanent un droit de propriété aux titulaires initiaux des quotas, au détriment des auteurs, ne repose pas sur ces critères raisonnables.
11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.
12.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’offrir aux auteurs un recours utile, sous la forme d’une indemnisation appropriée et de la révision de son régime de gestion des pêcheries.
13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingt jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion dissidente de M me Elisabeth Palm, M. Ivan Shearer et M me Iulia Antoanella Motoc
Comme l’a constaté la majorité des membres du Comité, il existe une différence de traitement entre le groupe des pêcheurs qui ont obtenu un quota sans avoir à payer et l’autre groupe de pêcheurs, qui sont obligés d’acheter ou de louer un quota auprès du premier groupe pour pouvoir pêcher les espèces visées par les quotas. Comme la majorité, nous pensons que l’objectif de cette distinction, qui est de protéger les bancs de poissons d’Islande constituant une ressource limitée, est légitime. Il reste à déterminer si la distinction repose sur des critères raisonnables et objectifs.
À ce sujet, nous relevons que dans son arrêt de 1998 dans l’affaire Valdimar, la Cour suprême a considéré que les avantages économiques que présentaient le caractère permanent des droits de pêche et la possibilité de transférer des droits de pêche et des quotas permettaient une utilisation profitable des stocks de poissons, dans l’intérêt de l’économie nationale. De plus, dans l’affaire Vatneyri (avril 2000), la Cour suprême a conclu que les restrictions imposées à la liberté des particuliers de se livrer à la pêche commerciale étaient compatibles avec la Constitution de l’Islande car elles étaient fondées sur des considérations objectives. La Cour suprême a relevé en particulier que la mesure visant à rendre les droits de capture permanents et cessibles se justifiait parce qu’elle permettait aux exploitants de planifier leurs activités à long terme et d’augmenter ou de réduire à leur convenance leurs droits de capture pour certaines espèces.
Il faut aussi relever que, bien que des bateaux particuliers bénéficient de quotas, la loi no 85/2002 leur fait obligation de payer une redevance spéciale sur les prises, pour avoir le droit d’accéder aux zones de pêche, la redevance étant calculée en tenant compte des résultats économiques des pêcheries. D’après l’État partie, la redevance a les mêmes effets qu’une taxe spéciale qui serait imposée aux exploitants de bateau. Pour l’État partie, modifier le régime de gestion des pêcheries aurait des conséquences graves pour tous ceux qui ont acheté des droits de pêche aux titulaires de droit initiaux et risquait de compromettre la stabilité du secteur de la pêche. D’après lui, cela aurait également des conséquences pour l’État tout entier, dont l’intérêt légitime est de préserver la stabilité du secteur de la pêche. Après l’échec de plusieurs tentatives visant à réglementer la gestion des pêches, le système actuel a été mis en place et il a fait la preuve de son efficacité économique et de sa durabilité.
Au vu de tous les éléments mentionnés plus haut et des avantages que le système actuel présente pour la gestion de la pêche en Islande, en particulier la nécessité d’avoir un système stable et solide, ainsi que des inconvénients du système pour les auteurs, c’est‑à-dire les restrictions qui sont imposées à leur liberté de se livrer à la pêche commerciale, nous estimons que l’État partie a réussi à trouver un juste équilibre, par ses procédures législatives et judiciaires, entre l’intérêt général et l’intérêt particulier. De plus, nous estimons que la distinction entre les deux groupes de pêcheurs repose sur un motif objectif et représente une mesure proportionnée à l’objectif légitime poursuivi. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 26 dans la présente affaire.
(Signé) Elisabeth Palm
(Signé) Ivan Shearer
(Signé) Iulia Antoanella Motoc
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Opinion dissidente de Sir Nigel Rodley
Je suis généralement d’accord avec l’opinion dissidente de M. Iwasawa et l’opinion conjointe de Mme Palm et de M. Shearer. Je suis sensible au sentiment d’injustice que les auteurs doivent éprouver face à la création d’une catégorie privilégiée, qui a le droit d’exploiter une ressource précieuse associée à leurs moyens de subsistance alors qu’eux sont exclus de l’accès à cette ressource, mais je ne peux pas conclure que l’État partie a commis une violation du Pacte à l’égard des auteurs.
L’État partie a appelé l’attention sur des facteurs qui montrent que, comme il l’affirme, son régime de quotas individuels cessibles est le plus efficace du point de vue économique (voir par. 8.8) et, pour cette raison sa mise en place était une mesure raisonnable et proportionnée au but recherché. Ce sont des arguments concrets auxquels les auteurs ne répondent pas suffisamment (voir par. 9.8). Il était d’autant plus essentiel qu’ils traitent de cette question qu’un organe international non spécialisé dans le domaine ne peut pas facilement saisir les questions en jeu, et doit par conséquent accorder crédit à l’argumentation de l’État partie.
De plus, les constatations du Comité semblent être affectées, peut‑être de façon déterminante, par la circonstance particulière, qui est que la pêche est le patrimoine de la nation islandaise. Je ne suis pas sûr que les mêmes faits dans un autre pays qui n’aurait pas adopté la doctrine du «patrimoine commun» ne pourraient pas conduire le Comité à une conclusion différente de la part du Comité.
(Signé) Sir Nigel Rodley
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Opinion dissidente de M. Yuji Iwasawa
D’après la jurisprudence constante du Comité des droits de l’homme, toute différence de traitement ne constitue pas une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte; précisément, une différence de traitement peut être justifiée par des motifs raisonnables et objectifs et pour poursuivre un objectif légitime en vertu du Pacte.
La majorité des membres du Comité, dans la décision, ne conteste pas que l’État partie avait un but légitime quand il a adopté un système particulier de gestion des pêcheries afin de préserver ses ressources naturelles limitées, mais a conclu que le régime des quotas introduit par l’État partie n’était pas justifié par des motifs «raisonnables» et constituait donc une violation de l’article 26 du Pacte. Par cette opinion individuelle j’exprime mon désaccord avec cette conclusion.
L’article 26 du Pacte énonce une série de motifs spécifiques − comme la race, la couleur, le sexe, par exemple − pour lesquels toute discrimination est interdite et qui demandent une attention particulière. Ce n’est certainement pas une liste exhaustive, comme l’indiquent l’adverbe «notamment» («toute discrimination, notamment de race») et l’expression indéterminée «de toute autre situation», mais il est important de noter que dans l’affaire à l’examen aucun des motifs de discrimination interdite expressément énoncés n’est en jeu. De plus, le droit touché par le régime des quotas est le droit de mener l’activité économique de son choix et ne vise aucun des droits civils et politiques qui constituent le fondement d’une société démocratique, comme la liberté d’expression ou le droit de vote. Les États devraient avoir un pouvoir discrétionnaire plus étendu quand ils conçoivent des politiques de réglementation dans le secteur économique, que lorsqu’il s’agit de restreindre, par exemple, la liberté d’expression ou le droit de vote. Les États devraient avoir un pouvoir discrétionnaire plus étendu quand ils conçoivent des politiques de réglementation dans le secteur économique, que lorsqu’il s’agit de restreindre, par exemple, la liberté d’expression ou le droit de vote. Le Comité ne devrait pas oublier les limites de ses compétences en ce qui concerne des politiques économiques qui ont été élaborées avec soin à l’issue de processus démocratiques. Il devrait tenir pleinement compte de ces facteurs quand il détermine si une distinction peut être justifiée par des motifs «raisonnables».
La «fortune» («property») figure au nombre des motifs de discrimination interdits et la majorité des membres semble supposer qu’en l’espèce il y a une discrimination fondée sur «la fortune» quand elle dit − ce qui n’est pas très clair − que la distinction «repose sur des motifs qui équivalent à la fortune». Le régime de quotas introduit par l’État partie en 1983 et devenu définitif en 1990 consistait en l’attribution de quotas de prises à des bateaux en fonction des tonnages pêchés pendant la période de référence, entre le 1er novembre 1980 et le 31 octobre 1983. La distinction établie en fonction des captures précédentes pour chaque bateau pendant la période de référence ne constitue pas à mon avis une distinction fondée sur la «fortune» mais représente une distinction objective fondée sur les activités économiques d’un individu pendant une période de temps déterminée.
La capacité de la flotte de pêche de l’Islande dépassait le potentiel de production des stocks halieutiques et il était devenu nécessaire de prendre des mesures pour protéger les ressources naturelles limitées du pays. L’État partie a fait valoir − à juste titre − que l’intérêt de la population exigeait que des restrictions soient imposées à la liberté des particuliers de se livrer à la pêche commerciale, afin d’empêcher la surpêche, comme l’ont fait de nombreux autres États parties au Pacte. La mise en place de droits de pêche permanents et cessibles a été considérée comme une mesure nécessaire dans la situation de l’État partie afin de garantir la stabilité de l’activité de ceux qui avaient investi dans des opérations de pêche et de leur permettre de prévoir leur activité à long terme. En 2002, le régime a été modifié de façon à imposer aux exploitants des bateaux une redevance fondée sur les prises pour l’utilisation des lieux de pêche. L’État partie a expliqué que la redevance avait les mêmes effets qu’une taxe spéciale qui serait imposée aux exploitants de bateaux. Le régime actuel a fait la preuve de son efficacité économique et de la durabilité de son application. L’État partie a fait valoir que si le système devait être modifié aujourd’hui, la décision aurait de graves conséquences pour les personnes qui jouaient actuellement un rôle actif dans l’industrie de la pêche et avaient investi dans des opérations de pêche, et pourrait même menacer la stabilité du secteur de la pêche.
Tandis que des pêcheurs qui avaient investi dans les opérations de pêche et étaient propriétaires de bateaux pendant la période de référence ont reçu un quota, d’autres pêcheurs ne peuvent pas se livrer à la pêche commerciale s’ils n’achètent pas ou ne louent pas un quota auprès de titulaires de quotas, et ils sont donc désavantagés. Toutefois, un régime de gestion des pêches doit nécessairement prévoir des restrictions à la liberté de particuliers de se livrer à la pêche commerciale si l’on veut atteindre l’objectif visé. Compte tenu des avantages qu’offre le système actuel, je ne peux pas considérer que les désavantages qui en résultent pour les auteurs − les restrictions à leur droit de se livrer à l’activité économique de leur choix autant qu’ils souhaitent − sont démesurés. Pour ces raisons, je ne peux pas adhérer à la conclusion de la majorité qui a constaté que la distinction établie par l’État partie en fonction des captures de poissons précédentes de chaque bateau pendant la période de référence était «déraisonnable» et constituait une violation de l’article 26 du Pacte.
(Signé) Yuji Iwasawa
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Opinion dissidente de M me Ruth Wedgwood
Je fais mienne l’analyse minutieuse des faits de la présente affaire faite par mes collègues Elisabeth Palm et Ivan Schearer. L’État partie a donné une explication détaillée des raisons pour lesquelles les autorités islandaises ont conclu qu’un régime de quotas de pêche fondé sur les prises antérieures serait le moyen le plus réaliste de réguler et de protéger le secteur de la pêche.
Je suis également d’accord avec Yuji Iwasawa sur un point de principe important: le Comité des droits de l’homme a une marge de manœuvre clairement limitée pour s’occuper de questions de réglementation économique, quand il s’agit de l’article 26.
La discrimination qui est alléguée ici serait faite entre des pêcheurs selon qu’ils exploitaient des bateaux avant ou après une certaine date. Rien ne laisse entendre que la distinction serait fondée sur l’origine ethnique, la religion, le sexe ou l’appartenance politique ni sur aucune autre caractéristique énoncée à l’article 26 ou protégée dans un autre article du Pacte. Le maintien de droits acquis par l’activité précédente demeure une pratique courante dans de nombreux États − par exemple sous la forme d’attribution de licences de taxi, de subventions agricoles, de fréquences à des services de télécommunications. L’entrée libre sur un secteur économique nouveau est peut‑être souhaitable mais le Pacte international relatif aux droits civils et politiques n’a pas été conçu comme un manifeste en faveur de la déréglementation économique. Pour protéger effectivement des droits importants qui entrent dans le champ d’application du Pacte, le Comité doit également respecter les limites de sa compétence, du point juridique comme du point pratique.
(Signé) Ruth Wedgwood
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
H. Communication n o 1310/2004, Babkin c. Fédération de Russie * (Constatations adoptées le 3 avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
Konstantin Babkin (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Fédération de Russie |
Date de la communication: |
5 janvier 2004 (date de la lettre initiale) |
Décision concernant la recevabilité: |
6 juillet 2006 |
Objet: |
Arrestation arbitraire d’un ressortissant russe |
Questions de procédure: |
Néant |
Questions de fond: |
Droit à la liberté de la personne; droit de ne pas être soumis à une arrestation arbitraire; droit à un procès équitable devant un tribunal impartial; droit de disposer du temps et des moyens suffisants pour préparer sa défense; non bis in idem |
Articles du Pacte: |
9 et 14 (par. 1, 3 b) et 7) |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 avril 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1310/2004 présentée au nom de Konstantin Babkin en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication est M. Konstantin Babkin, ressortissant russe né en 1957, actuellement emprisonné en Fédération de Russie. Il affirme être victime de violations par la Fédération de Russie de l’article 9 et des paragraphes 1, 3 b) et 7 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.
1.2À sa quatre‑vingt‑septième session, le 6 juillet 2006, le Comité, ayant examiné la recevabilité de la communication, a déclaré recevables les griefs de l’auteur tirés des articles 9 et 14 (par. 1, 3 b) et 7) du Pacte.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Le 23 mai 1999, vers 13 heures, l’auteur a été arrêté (задержан) par un certain Rakhmanine, employé de l’Inspection d’État pour la sécurité routière, sur la base d’informations reçues du fonctionnaire de garde du Département des affaires intérieures. Il a été remis aux agents du Département des affaires intérieures de Dmitrov, parmi lesquels un certain Tsvetkov, chef de la police criminelle. En violation des dispositions du paragraphe 1 de l’article 141, et de l’article 122 du Code de procédure pénale alors en vigueur, le procès‑verbal d’arrestation (протокол задержания) n’a été établi que le lendemain, et par une personne autre que celle qui avait effectivement procédé à l’arrestation de l’intéressé. Selon le procès‑verbal établi le 24 mai 1999 à 8 h 35 par un certain Solyanov, enquêteur, l’auteur a été arrêté sur la base d’«autres informations permettant de soupçonner qu’une personne a commis une infraction» (reconnaissance de responsabilité (чистосердечное признание)). La reconnaissance de responsabilité ne constituait pas un motif de mise en arrestation selon le Code de procédure pénale alors en vigueur, alors que l’article 111 de ce même Code exigeait l’établissement d’un «procès‑verbal d’aveu de culpabilité» (протокол явки с повинной). Aucun procès‑verbal de ce genre ne figurait au dossier. Pendant l’audience du 29 janvier 2001, l’enquêteur Solyanov a déclaré qu’une mesure de contrainte (мера пресечения) avait été décidée à l’encontre de l’auteur, conformément à l’article 122 du Code de procédure pénale, après que celui‑ci eut rédigé sa reconnaissance de responsabilité. L’auteur aurait été contraint de signer cette reconnaissance de responsabilité. De plus, contrairement aux dispositions du Code de procédure pénale, il n’a pas été informé, avant le premier interrogatoire, de la nature de l’infraction dont il était suspecté, et on ne lui a pas fait signer la première page du premier procès‑verbal d’interrogatoire. En outre, ni le Procureur ni l’enquêteur ne l’ont informé de ses droits et des conséquences juridiques qu’entraînait son aveu de culpabilité.
2.2L’auteur invoque le paragraphe 2 de l’article 122 du Code de procédure pénale, qui dispose qu’une personne peut être arrêtée sur la base d’«[…] autres informations permettant de soupçonner qu’une personne a commis une infraction, uniquement si l’intéressé 1) a tenté de s’enfuir, 2) n’a pas de domicile fixe, 3) ou n’a pu être identifié». Le 29 janvier 2001, l’enquêteur Solyanov a déclaré que M. Babkin n’avait pas tenté de s’enfuir, que son identité avait été établie, qu’il n’avait pas été arrêté en flagrant délit et qu’il n’y avait pas de témoins. Étant donné qu’aucun des motifs juridiques visés au paragraphe 2 de l’article 122 du Code de procédure pénale ne s’appliquait et qu’aucun mandat d’arrêt n’avait été délivré par le Procureur ou par un juge lorsque l’auteur a été arrêté le 23 mai 1999, ce dernier affirme avoir fait l’objet d’une arrestation arbitraire.
2.3Le 27 mai 1999, l’auteur a été inculpé d’un triple meurtre en vertu du paragraphe 2 de l’article 105 du Code pénal, d’acquisition illégale d’armes à feu (art. 222, par. 1) et de faux en écritures (art. 327). Le 28 décembre 1999, il a été acquitté des chefs de meurtre par un jury du tribunal régional de Moscou, faute de preuves, et du chef d’acquisition d’armes à feu, faute de corps du délit. Toutefois, le tribunal l’a reconnu coupable de faux en écritures et l’a condamné à deux ans d’emprisonnement.
2.4Le 23 décembre 1999, l’auteur a déclaré devant le tribunal qu’il avait été témoin des trois meurtres mais qu’il n’avait tué aucune des victimes. Il était le chauffeur de l’une d’elles, impliquée dans un trafic de vodka. À une date non précisée, l’auteur avait négocié une transaction entre des acheteurs et des vendeurs de vodka, mais il était ensuite apparu que les bouteilles de vodka contenaient de l’eau. Les acheteurs et les vendeurs se sont mis à exercer des pressions sur l’auteur et sur la première victime pour qu’ils les remboursent. Le 17 février 1998, l’auteur a vu la première victime être tuée d’une balle dans la tête par deux personnes qui semblaient agir pour le compte des vendeurs de vodka et qui exigeaient d’être remboursées. L’auteur a survécu en sautant de la voiture en marche. La deuxième et la troisième victime ont été tuées par les mêmes personnes respectivement le 30 juin et le 4 septembre 1998. Si l’auteur avait informé les autorités de ces crimes, ses enfants auraient été tués en représailles. Les individus en question ont pris contact avec lui à deux reprises après le dernier meurtre et lui ont demandé de s’accuser du premier meurtre, faute de quoi sa famille serait supprimée. La dernière conversation avec ces individus se serait déroulée dans le bureau de l’enquêteur. Devant le tribunal, l’auteur a donné un signalement détaillé des meurtriers.
À une date non précisée, les membres de la famille des trois victimes ont interjeté appel du jugement devant la Cour suprême. Le 13 avril 2000, la Chambre criminelle de la Cour suprême a confirmé la condamnation pour faux et annulé l’acquittement au motif qu’un certain jour du procès, deux parents des personnes assassinées n’avaient pas comparu à l’audience. La Chambre a constaté que, contrevenant ainsi à l’article 253 du Code de procédure pénale, le juge avait poursuivi les audiences en leur absence. La Cour suprême a ordonné que l’auteur soit de nouveau jugé pour meurtre et acquisition d’armes à feu devant le tribunal régional de Moscou, mais par un jury différent.
Pour l’auteur, la Chambre criminelle de la Cour suprême n’était pas fondée en droit à ordonner un nouveau procès car l’article 253 du Code de procédure pénale fait obligation au juge de déterminer uniquement si la procédure doit se poursuivre en l’absence des parents des victimes, ce qu’en l’occurrence le juge a fait. Les parents des victimes savaient que le tribunal devait siéger à la date indiquée et ils n’ont pas informé le juge à l’avance de leur absence. Cette absence n’a eu aucune incidence sur le procès ni sur le verdict, car ils avaient déjà été interrogés, et ils n’ont, par la suite, apporté aucun élément nouveau. L’auteur joint le compte rendu des débats des 10, 23 et 27 décembre 1999 à l’appui de ses arguments. Il ajoute que l’acquittement ne pouvait être annulé que dans des circonstances ayant un effet sur l’issue du jugement, telles qu’elles sont énumérées à l’article 341 du Code de procédure pénale. En ce qui le concerne, tel n’a pas été le cas.
Le 5 février 2001, un nouveau jury du tribunal régional de Moscou a déclaré l’auteur coupable de deux des trois chefs de meurtre et du délit d’acquisition d’armes à feu, et l’a condamné à vingt‑trois années d’emprisonnement. Au cours de ce procès, l’auteur était de nouveau poursuivi pour faux en écritures, délit pour lequel il avait déjà été condamné le 28 décembre 1999. Le jury l’a reconnu une nouvelle fois coupable de ce délit, mais après le prononcé du verdict, par une décision datée du 2 février 2001, le Président du tribunal a annulé ce chef d’accusation pour cause de prescription. Au cours du nouveau procès, l’avocat de l’auteur a présenté une requête visant à exclure des éléments de preuve irrecevables obtenus pendant la détention prétendument illégale de l’auteur du 23 au 27 mai 1999. Cette requête a été rejetée par le Président du tribunal.
2.8Le pourvoi en cassation de l’auteur devant la Cour suprême a été rejeté le 5 juin 2001. Ce pourvoi a été examiné par le même juge qui avait participé à la décision d’annulation de l’acquittement rendue par la Chambre criminelle de la Cour suprême le 13 avril 2000. L’auteur a demandé la récusation du juge de la formation de cassation mais sa requête a été rejetée. D’après les résolutions no 4 de 1974 et no 8 de 1975 de la Cour suprême, la formation de la Cour est illégale lorsque l’affaire est examinée par un juge qui a participé auparavant au jugement de l’affaire en cassation. L’article 59 du Code de procédure pénale interdit à un juge d’examiner une affaire s’il existe des circonstances pouvant laisser supposer que ce juge a un intérêt personnel, direct ou indirect, dans l’issue de l’affaire. L’auteur affirme que tel est le cas en l’espèce, car pour faire droit à son pourvoi en cassation, le juge aurait dû admettre que la décision du 13 avril 2000 à laquelle il avait participé était illégale.
2.9L’auteur affirme qu’il n’a pas été informé de la date d’examen de son pourvoi en cassation, alors qu’il en avait fait la demande. En conséquence, il n’a pas pu se préparer convenablement et prendre un avocat pour que celui‑ci le représente à l’audience.
2.10Deux nouveaux recours de l’auteur auprès de la Cour suprême demandant l’ouverture d’une procédure de révision (надзор) ont été rejetés respectivement le 3 décembre 2002 et le 31 mars 2003.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé l’article 9 du Pacte parce qu’il a été arrêté arbitrairement le 23 mai 1999.
3.2L’auteur affirme aussi que les dispositions du paragraphe 1 de l’article 14 ont été violées, du fait qu’un juge qui avait participé à la décision de la Chambre criminelle de la Cour suprême du 13 avril 2000 annulant son acquittement était l’un des trois membres de la Cour suprême qui ont examiné son pourvoi en cassation. En outre, le jury qui a examiné l’affaire le 5 février 2001 avait un préjugé défavorable dans la mesure où il était saisi d’éléments de preuve irrecevables obtenus pendant la détention illégale de l’auteur du 23 au 27 mai 1999, et parce qu’il a examiné l’accusation de faux en écritures, alors que l’auteur avait déjà été reconnu coupable de ce délit.
3.3L’auteur se déclare aussi victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 7, du fait que la Chambre criminelle de la Cour suprême qui a annulé son acquittement n’a pas fondé sa décision sur les dispositions juridiques appropriées. Les tribunaux ont fait preuve de partialité en autorisant les parents des victimes assassinées à faire appel de la décision d’acquittement au motif qu’ils n’avaient pas assisté à l’une des journées du procès, sans leur demander de prouver quel préjudice cette absence leur avait causé.
3.4Le paragraphe 3 b) de l’article 14 aurait été violé parce que l’auteur n’a pas été informé de la date d’examen de son pourvoi en cassation (par. 2.9 ci-dessus).
3.5Le droit pour l’auteur de ne pas être jugé ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été condamné ou acquitté par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État partie, garanti par les dispositions du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte, aurait été violé.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1Le 24 décembre 2004, l’État partie a confirmé que, le 5 février 2001, le tribunal régional de Moscou avait condamné l’auteur à vingt‑trois ans d’emprisonnement pour meurtre et acquisition d’armes à feu, en vertu du paragraphe 2 de l’article 105 et du paragraphe 1 de l’article 222 du Code pénal. Le jugement avait été confirmé par la Chambre criminelle de la Cour suprême le 5 juin 2001.
4.2S’agissant de la plainte formulée par l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte, l’État partie a déclaré que, d’après les éléments figurant au dossier, la procédure pénale à l’issue de laquelle l’auteur avait été condamné avait été ouverte le 21 mai 1998. L’affaire portait sur le chef de meurtre relevant du paragraphe 1 de l’article 105 du Code pénal, auquel ont ensuite été joints d’autres chefs d’accusation. Selon le procès-verbal de mise en arrestation, l’auteur avait été arrêté le 24 mai 1999 sur la base d’«autres informations permettant de soupçonner qu’une personne a commis une infraction». Il avait été arrêté parce qu’il aurait pu se soustraire à la justice. Il ressortait du procès-verbal que l’auteur avait été informé de ses droits et de ses obligations, et qu’il n’avait pas élevé d’objection à son arrestation. Il n’existait pas d’informations selon lesquelles il aurait été arrêté avant la date susmentionnée. Conformément au paragraphe 3 de l’article 122 du Code de procédure pénale, l’organe d’enquête était tenu de notifier au procureur dans les vingt‑quatre heures la mise en arrestation de toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction. Le procureur disposait de quarante‑huit heures pour ordonner la mise en détention ou la libération de l’intéressé. Le procureur par intérim du bureau du Procureur de Dmitrov, dans la région de Moscou, avait été informé de l’arrestation de M. Babkin le 24 mai 1999 et avait délivré une ordonnance de mise en détention le 27 mai. Il fondait cette décision sur la gravité des actes commis par l’auteur et sur le risque que celui‑ci se soustraie à la justice. Par conséquent, l’arrestation de l’auteur était conforme aux prescriptions légales.
4.3Concernant l’argument de l’auteur selon lequel l’annulation de son acquittement sur la base de l’appel interjeté par les parents des victimes n’était pas fondée en droit, l’État partie a confirmé que le 28 décembre 1999 un jury du tribunal régional de Moscou avait acquitté l’auteur des infractions visées au paragraphe 2 de l’article 105 et au paragraphe 1 de l’article 222 du Code pénal, mais l’avait déclaré coupable de faux en écritures. Le 13 avril 2000, la Chambre criminelle de la Cour suprême avait annulé la décision d’acquittement et ordonné un nouveau procès. Cette décision était motivée par une violation substantielle de la procédure, le tribunal n’ayant pas examiné les motifs de l’absence des parents des victimes à l’audience, les privant ainsi de la possibilité de participer aux débats. L’article 465 du Code de procédure pénale autorise une juridiction supérieure à annuler ou à modifier les décisions rendues par un tribunal en cas de violation substantielle de la procédure pénale. L’article 345 dudit Code dispose que les violations sont «substantielles» si elles privent les parties à une procédure de leurs droits ou restreignent ces droits ou empêchent d’une autre façon le tribunal d’examiner l’affaire sous tous ses aspects. L’article 253 du même Code dispose qu’en cas d’absence d’une victime, le tribunal décide s’il y a lieu de poursuivre la procédure ou de la différer. La décision est subordonnée à la question de savoir s’il est possible, en l’absence d’une victime, d’examiner l’affaire sous tous ses aspects tout en protégeant les droits de la victime. Pour des raisons non précisées, deux parents des victimes ne s’étaient pas présentés à l’audience du 27 décembre 1999. Le tribunal avait examiné la question de savoir si la procédure devait se poursuivre en leur absence. Il avait ensuite procédé aux auditions sans interroger les parties sur la possibilité de clore les débats en l’absence des parents des victimes, violant ainsi les droits de ces derniers. La référence faite par l’auteur à l’article 341 du Code de procédure pénale était erronée, car cet article ne prévoyait la possibilité d’annuler l’acquittement prononcé en première instance que dans l’un des cas suivants: protestation du procureur, plainte des victimes ou plainte de la personne acquittée. Or, en l’occurrence, une plainte avait été déposée par toutes les victimes, en sus de la protestation du procureur.
4.4L’État partie a réfuté l’argument de l’auteur selon lequel l’article 60 du Code de procédure pénale avait été violé parce qu’un juge qui avait participé à la décision du 13 avril 2000 par laquelle la Chambre criminelle de la Cour suprême avait annulé son acquittement figurait parmi les magistrats de la Cour suprême qui avaient examiné le pourvoi en cassation de l’auteur. L’article 59 du Code de procédure pénale énumère les circonstances qui interdisent à un juge d’examiner une affaire, et l’article 60 interdit à un juge d’examiner deux fois la même affaire. En vertu du paragraphe 3 de l’article 60, un juge qui a participé à une procédure en deuxième instance ne peut pas participer au jugement de la même affaire en première instance ou en appel, ni à un nouveau procès en deuxième instance, après l’annulation de la décision à laquelle il a participé. Il ressortait du dossier que la décision du 13 avril 2000 à laquelle le juge en question avait participé n’avait pas été annulée. Par conséquent, sa participation à l’examen du pourvoi en cassation de l’auteur après un nouveau procès était légale.
4.5L’État partie a réfuté l’allégation de l’auteur selon laquelle celui-ci n’avait pas été informé de la date d’examen de son pourvoi en cassation. Il ressortait du dossier que, le 31 mai 2001, l’auteur avait été informé de la date de l’examen de son pourvoi en cassation par une lettre de la Cour suprême adressée au directeur de l’établissement dans lequel il était détenu. Le directeur était chargé d’organiser la participation de l’auteur par visioconférence à l’examen de son pourvoi en cassation. L’auteur avait participé à l’audience et demandé la récusation du juge (par. 2.8 ci-dessus). D’après l’État partie, l’auteur avait le droit de demander aussi l’ajournement de l’audience et un délai suffisant pour engager un avocat. En outre, il avait eu la possibilité d’engager un avocat après avoir déposé son pourvoi en cassation. Par conséquent, il avait connaissance de ses droits mais ne les avait pas exercés.
4.6Concernant l’affirmation de l’auteur selon laquelle celui-ci avait été jugé deux fois pour la même infraction, l’État partie a confirmé que la condamnation de l’auteur en date du 28 décembre 1999 pour faux en écritures avait été annulée et que ce chef d’accusation avait été réexaminé au cours du nouveau procès. Deux des questions posées au jury portaient sur l’accusation de faux en écritures, et le verdict comprenait un paragraphe déclarant l’auteur coupable de ce chef. L’État partie a rappelé que le tribunal n’avait pas condamné l’auteur deux fois pour ce délit car, le 2 février 2001, le Président du tribunal avait annulé ce chef pour cause de prescription.
Commentaires de l’auteur
5.1Dans ses commentaires du 1er mars 2005, l’auteur faisait valoir que, dans sa réponse, l’État partie s’était référé délibérément au paragraphe 3 de l’article 122 du Code de procédure pénale pour justifier ses actes et avait omis de se référer aux premier et deuxième paragraphes du même article, qui prouvaient le caractère arbitraire de son arrestation. L’auteur réaffirmait qu’il avait été contraint de signer des aveux qui avaient par la suite été utilisés pour justifier sa mise en détention. Il réfutait l’assertion de l’État partie selon laquelle ne figurait dans le dossier aucun élément indiquant qu’il avait été arrêté avant la date indiquée dans le procès‑verbal de mise en arrestation. Outre les preuves qu’il avait présentées dans sa lettre initiale, l’auteur renvoyait au verdict du jury du tribunal régional de Moscou du 28 décembre 1999 à l’appui de l’affirmation selon laquelle il avait été arrêté le 23 mai 1999.
5.2Concernant l’argument selon lequel l’annulation de son acquittement n’était pas fondée en droit, l’auteur renvoyait au recueil des décisions des assemblées plénières en matière pénale, d’après lequel les violations de la procédure étaient «substantielles» si elles empêchaient un tribunal d’examiner une affaire sous tous ses aspects. En l’espèce, l’absence des parents des victimes à l’une des audiences n’avait nullement nui à l’examen de l’affaire.
5.3En ce qui concerne sa plainte formulée au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’auteur réfutait la référence faite par l’État partie au paragraphe 3 de l’article 60 du Code de procédure pénale pour justifier ses actes. Une loi qui autorise un juge à examiner une plainte portée contre lui-même est contraire au bon sens et au paragraphe 3 de l’article 59 dudit Code.
5.4Quant à l’assertion de l’État partie selon laquelle l’auteur avait été informé de la date d’examen de son pourvoi en cassation le 31 mai 2001, l’auteur prétendait n’avoir pas reçu la lettre mentionnée par l’État partie. Il rejetait comme n’étant pas pertinente la référence de l’État partie à la possibilité d’engager un avocat étant donné que son droit de se défendre avait déjà été violé par l’État partie.
5.5Le 27 septembre 2005, l’auteur a présenté un double du procès-verbal d’arrestation (корешок к протоколу о задержании) du 24 mai 1999, qui portait le même numéro et avait été établi à la même date que le procès‑verbal initial. La comparaison entre ce double et le procès‑verbal d’arrestation pouvait donner à penser que ce dernier avait été falsifié après son établissement. L’auteur affirmait que dans le procès-verbal initial figurait uniquement la mention «reconnaissance de responsabilité» comme motif de son arrestation, alors qu’il était apparu durant le procès que le procès-verbal faisait mention d’un motif supplémentaire, à savoir le risque de fuite. L’auteur réaffirmait que la date réelle de son arrestation et le caractère arbitraire de celle-ci étaient corroborés par de nombreux témoignages, dont celui de l’enquêteur Solyanov. L’auteur se référait à la déposition faite par ce dernier à l’audience du 29 janvier 2001, au cours de laquelle il avait reconnu que «la reconnaissance de responsabilité» n’était pas un motif d’arrestation autorisé. L’auteur faisait valoir en outre que l’enquête n’avait pas permis d’établir qu’il y avait des raisons de supposer qu’il se soustrairait à la justice: il avait habité à la même adresse entre le 17 février 1998, date à laquelle avait été commis le premier crime qui lui était imputé, et le 23 mai 1999, date de son arrestation. Il réaffirmait que la question de la légalité de l’annulation de son acquittement était liée à la plainte qu’il avait formulée au titre du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte, étant donné qu’il ne pouvait être rejugé pour meurtre et acquisition d’armes à feu que si l’acquittement prononcé pour ces chefs d’accusation avait été annulé légalement.
Nouvelles observations de l’État partie et commentaires de l’auteur
6.1Le 23 novembre 2005, l’État partie a réaffirmé que selon le procès-verbal d’arrestation, l’auteur avait été arrêté le 24 mai 1999. D’après le compte rendu des audiences du 9 décembre 1999 et du 15 janvier 2001, l’auteur avait confirmé au tribunal qu’il avait été placé en détention le 24 mai 1999. Les condamnations du 28 décembre 1999 et du 5 février 2001 avaient été calculées à compter du 24 mai 1999. Cette date avait été contestée par l’auteur dans son pourvoi en cassation sur la base du témoignage présenté par M. Rakhmanine. L’État partie faisait valoir que pendant le procès, M. Rakhmanine n’avait pas mentionné la date exacte de l’arrestation mais déclaré que l’auteur et ses passagers avaient été arrêtés parce qu’ils étaient soupçonnés d’avoir commis une infraction. Pendant l’enquête préliminaire, le même témoin avait déclaré que, le 23 mai 1999, vers 21 heures, il avait été informé que M. Babkin n’avait pas arrêté sa voiture comme il y avait été invité par la police. Quelque temps après, M. Rakhmanine avait arrêté et fouillé la voiture de M. Babkin et y avait trouvé une matraque et un couteau à cran d’arrêt. Après avoir obtempéré, M. Babkin avait produit un permis de conduire au nom d’un certain Buzine. M. Rakhmanine avait alors appelé des agents de police pour qu’ils emmènent M. Babkin et ses passagers au Département des affaires intérieures de Dmitrov.
6.2Concernant l’allégation selon laquelle l’auteur avait été jugé deux fois du chef de faux en écritures, l’État partie précisait que le 29 juillet 2005 le Procureur général adjoint de la Fédération de Russie avait engagé une procédure en révision devant la Chambre criminelle de la Cour suprême pour demander l’annulation de la décision du 2 février 2001, étant donné que l’auteur avait été jugé deux fois et déclaré coupable en vertu de l’article 327 du Code pénal. Le 2 août 2005, la Cour suprême avait rejeté sa requête sur la base de l’article 405 du Code de procédure pénale, qui interdit la révision d’une décision judiciaire qui aurait pour effet d’aggraver la situation de la personne condamnée ou acquittée lorsqu’une affaire a été close. Le 11 mai 2005, la Cour constitutionnelle avait déclaré l’article 405 du Code de procédure pénale anticonstitutionnel et pris une mesure transitoire qui autorisait, notamment, la révision d’une décision après la clôture d’une affaire pénale dans le cadre d’une procédure engagée par le procureur dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle la décision devenait exécutoire. À ce sujet, l’État partie relevait que la sentence prononcée à l’encontre de l’auteur le 5 février 2001 avait fait l’objet d’un appel et qu’elle était devenue exécutoire plus de quatre ans plus tôt, mais que ni l’auteur ni son avocat n’avaient fait appel de la décision du 2 février 2001, qui était elle aussi devenue exécutoire.
7.Le 25 décembre 2005, l’auteur a attiré l’attention du Comité sur les contradictions concernant la date de son arrestation dans les observations de l’État partie en date du 1er mars et du 23 novembre 2005. Il faisait valoir que le témoignage apporté par M. Rakhmanine au cours du procès devrait l’emporter sur les déclarations qu’il aurait faites au cours de l’enquête préliminaire, car M. Rakhmanine avait expliqué au tribunal que le procès-verbal d’interrogatoire joint au dossier était différent de celui qu’il avait vu au cours de l’enquête préliminaire. D’après M. Rakhmanine, sa déclaration était identique à celle qu’il avait faite au tribunal et il ne savait pas comment des versions différentes pouvaient figurer dans le dossier. Au sujet de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’avait pas contesté le procès-verbal initial d’arrestation du 24 mai 1999, l’auteur répondait qu’il avait craint des retombées négatives. Il avait contesté la légalité de son arrestation dans son pourvoi en cassation et dans sa demande en révision, dès qu’il avait eu en sa possession les preuves nécessaires.
8.Le 24 mai 2006, l’État partie a ajouté qu’à une date non précisée, le Vice-Président de la Cour suprême avait souscrit à la décision du 2 août 2005 rejetant la demande du Procureur général adjoint de la Fédération de Russie. Le 31 octobre 2005, le Procureur général adjoint avait engagé une autre procédure en révision devant la Cour suprême.
9.Le 15 mai 2006, l’auteur a transmis une copie de la décision de la Chambre criminelle de la Cour suprême (datée du 20 avril 2006), qui établissait que pendant le nouveau procès, le tribunal avait examiné par erreur l’affaire de M. Babkin pour l’ensemble des chefs d’accusation et demandé par erreur au jury de se prononcer aussi sur sa culpabilité en matière de faux en écritures. La Chambre criminelle de la Cour suprême avait conclu que M. Babkin avait été puni deux fois pour le même délit et avait cassé la décision du 2 février 2001. La décision ne faisait pas mention des conséquences éventuelles pour la condamnation de l’auteur par le même jury pour meurtre et acquisition d’armes à feu.
Décision du Comité concernant la recevabilité
10.À sa quatre‑vingt‑septième session, le 6 juillet 2006, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a pris note des allégations de l’auteur concernant les violations de l’article 9 et des paragraphes 1, 3 b) et 7 de l’article 14 du Pacte ainsi que des informations détaillées fournies à l’appui de ces griefs. Il a noté par ailleurs que l’État partie avait aussi présenté des informations précises pour réfuter les allégations de l’auteur sans toutefois fournir de copies des comptes rendus du procès corroborant ses affirmations. Le Comité a déclaré la communication recevable dans la mesure où les plaintes de l’auteur formulées au titre de l’article 9 et des paragraphes 1, 3 b) et 7 de l’article 14 du Pacte étaient suffisamment étayées. L’État partie a été invité à fournir des copies des comptes rendus des procès: 1) devant le tribunal régional de Moscou qui a acquitté l’auteur des chefs de meurtre et d’acquisition d’armes à feu le 28 décembre 1999; et 2) devant la Chambre criminelle de la Cour suprême qui a annulé la décision d’acquittement le 13 avril 2000.
Observations supplémentaires de l’État partie sur le fond
11.1Le 24 novembre 2006, l’État partie a communiqué une copie des comptes rendus du procès mené par le tribunal régional de Moscou et a expliqué que sa législation en matière de procédure pénale ne prévoyait pas l’établissement de comptes rendus pour l’examen d’une affaire en seconde instance.
11.2L’État partie reconnaissait pour la première fois que, comme il avait été établi pendant le procès, M. Rakhmanine avait arrêté une voiture conduite par l’auteur après avoir été informé, aux environs de 21 heures, le 23 mai 1999, que le chauffeur de la voiture en question n’avait pas obtempéré à un ordre de la police. Il insistait toutefois sur le fait que l’auteur n’avait été arrêté par l’enquêteur du bureau du Procureur de Dmitrov qu’après avoir fait une déclaration dans laquelle il reconnaissait avoir tué trois personnes. L’auteur avait été interrogé en tant que suspect et avait fait une déposition sur les circonstances dans lesquelles il avait assassiné trois personnes et la manière dont il avait procédé. Une inspection des lieux du crime avait été effectuée avec la participation de l’auteur le même jour et les trois corps avaient été découverts sur ses indications. Le 26 mai 1999, l’auteur avait pris part à une autre inspection des lieux du crime. Il avait été placé en détention le 27 mai 1999 et inculpé au titre du paragraphe 1 de l’article 222 et du paragraphe 2 de l’article 105 du Code pénal, le 31 mai 1999. L’État partie affirmait que tous les actes d’instruction auxquels avait participé l’auteur avaient été effectués après la mise en arrestation de ce dernier, dans le respect des règles de procédure pénale, et avaient été à juste titre qualifiés d’éléments de preuve recevables par le tribunal. La mise en arrestation de l’auteur au titre de l’article 122 du Code de procédure pénale et son placement ultérieur en détention en vertu de l’article 90 dudit code étaient légaux.
11.3L’État partie rejetait le grief de l’auteur selon lequel la participation du même juge à l’examen de l’affaire en cassation le 5 juin 2001 avait constitué une violation de la législation en matière de procédure pénale.
Commentaires de l’auteur
12.1Le 7 juin 2007, l’auteur a affirmé que, quelle que soit la terminologie utilisée par l’État partie, il avait été privé de sa liberté au moment où sa voiture avait été arrêtée par M. Rakhmanine. Il avait ensuite été menotté et conduit sous escorte au Département des affaires intérieures de Dmitrov par des agents du Département. Il y était resté toute la nuit et avait été soumis à des interrogatoires.
12.2L’auteur soutenait que l’État partie avait décrit de manière erronée les circonstances réelles de son arrestation et avait tenté de présenter cette arrestation par un agent de l’Inspection d’État de la sécurité routière comme «fortuite» et découlant d’une banale infraction au Code de la route. Selon l’État partie, l’auteur n’avait été officiellement arrêté qu’après avoir été conduit au Département des affaires intérieures, où il avait «soudainement» avoué trois meurtres. L’auteur renvoyait au compte rendu de l’audience du 20 décembre 1999 devant le tribunal régional de Moscou à l’appui de sa version des faits. M. Rakhmanine avait témoigné ce jour-là devant le tribunal qu’il avait arrêté la voiture de l’auteur à 13 ou 14 heures. Il avait fouillé le véhicule et trouvé un permis de conduire au nom de M. Babkin. Il avait confirmé que l’auteur n’avait contrevenu à aucune règle de circulation, et que le seul motif de son arrestation était les informations reçues de l’agent de garde du Département des affaires intérieures. Il avait conduit l’auteur auprès des agents du Département des affaires intérieures de Dmitrov. Aucun procès‑verbal n’avait été établi. L’auteur soutenait que, puisqu’il avait été arrêté en tant que suspect par Rakhmanine, le procès-verbal d’arrestation aurait dû être établi par ce dernier, conformément à l’article 122 du Code de procédure pénale.
Examen au fond
13.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
13.2Le Comité a pris note de la plainte de l’auteur qui affirme avoir été arrêté arbitrairement, le 23 mai 1999, puisqu’à cette date son arrestation ne reposait sur aucun motif juridique prévu par le Code de procédure pénale. Il constate par ailleurs que la plainte a été portée devant les tribunaux de l’État partie qui l’ont rejetée. Le Comité prend note des contradictions récurrentes dans les explications de l’État partie à ce sujet (par. 4.2, 6.1 et 11.2 ci‑dessus), et du fait que celui-ci, dans ses dernières observations quant au fond, reconnaît que l’auteur a été arrêté au volant de sa voiture par un agent de l’Inspection de la sécurité routière, le 23 mai 1999, puis conduit au Département des affaires intérieures de Dmitrov. Cette date diffère de celle qui figure dans les procès-verbaux d’arrestation et d’interrogatoire. Les circonstances exactes de l’établissement de ces procès-verbaux demeurent obscures, malgré l’abondance des explications fournies par chacune des parties. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il appartient généralement aux tribunaux de l’État partie d’étudier ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve ou d’examiner l’interprétation de la législation nationale, sauf s’il peut être établi que la conduite du procès ou l’appréciation des faits et des éléments de preuve ou l’interprétation de la législation ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. En l’espèce, et en l’absence de toute autre information pertinente fournie par les parties sur la question, le Comité ne peut pas conclure que l’État partie a violé les droits conférés à l’auteur par l’article 9 du Pacte.
13.3Le Comité a pris note de la plainte de l’auteur, qui affirme que les droits qui lui sont garantis au paragraphe 1 de l’article 14 ont été violés du fait que le juge qui avait participé à la décision du 13 avril 2000 annulant son acquittement figurait parmi les trois magistrats de la Cour suprême qui avaient examiné son pourvoi en cassation. À ce propos, le Comité tient dûment compte de l’explication avancée par l’État partie au sujet de sa procédure pénale, laquelle fait une distinction entre les circonstances qui empêchent un juge d’examiner une affaire et celles qui interdisent à un juge d’examiner la même affaire deux fois. Le Comité note qu’en l’espèce le pourvoi en cassation de l’auteur n’aurait dû concerner que son deuxième procès devant jury, et non la décision de la Chambre criminelle de la Cour suprême du 13 avril 2000 annulant son acquittement. Par conséquent, le Comité estime que le pourvoi en cassation de l’auteur ne porte pas atteinte de jure à la décision du 13 avril 2000 annulant son acquittement et que la participation du même juge à cette dernière décision et à l’examen du pourvoi en cassation ne met donc pas en cause l’impartialité du tribunal au sens du paragraphe 1 de l’article 14.
13.4Concernant la plainte de l’auteur selon laquelle il est victime d’une violation des droits qui lui sont garantis au paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte, parce qu’il n’a pas été informé de la date d’examen de son pourvoi en cassation, le Comité rappelle que la garantie prévue par cette disposition consiste, pour toute personne accusée, à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix. Il prend note de l’explication de l’État partie selon laquelle sa procédure pénale permet de demander l’ajournement de l’audience pour avoir le temps d’engager un avocat, et du fait que l’auteur n’a pas exercé ce droit. Bien que l’auteur rejette cet argument comme n’étant pas pertinent, le Comité estime que, même si l’État partie ne l’a pas réellement informé de la date de l’examen de son pourvoi en cassation, il ne l’a pas privé de son droit de demander l’ajournement de l’audience. Dans ces conditions, le Comité estime qu’il n’y a pas de motif de conclure à une violation du paragraphe 3 b) de l’article 14.
13.5L’auteur s’est déclaré victime d’une violation des droits visés au paragraphe 1, lu conjointement avec le paragraphe 7, de l’article 14, au motif que la Chambre criminelle de la Cour suprême n’avait pas fondé sa décision en droit lorsqu’elle a annulé son acquittement. Le Comité fait observer à ce propos que l’expression «conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays» se rapporte à l’expression «par un jugement définitif» et non à la mention «acquitté ou condamné». Il constate en outre que l’acquittement de l’auteur a été annulé par la Chambre criminelle de la Cour suprême sur la base de l’appel formé par les victimes, c’est-à-dire avant d’être devenu définitif. Toutefois, il n’y a violation du paragraphe 7 de l’article 14 que si une personne est rejugée pour une infraction pour laquelle elle a déjà été acquittée par un jugement définitif, ce qui ne paraît pas être le cas en l’espèce. En conséquence, le Comité constate que cette partie de la communication ne fait pas apparaître une violation du paragraphe 1, lu conjointement avec le paragraphe 7, de l’article 14 du Pacte.
13.6Quant à la plainte de l’auteur selon laquelle celui-ci a été jugé et puni deux fois pour faux en écritures, en violation des dispositions du paragraphe 7 de l’article 14, le Comité relève que la Cour suprême, par sa décision du 20 avril 2006, a constaté que l’auteur avait effectivement été puni une deuxième fois pour une infraction ayant déjà entraîné sa condamnation par un jugement définitif. Il conclut que l’État partie a violé le paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte. Cette violation est aggravée en l’espèce par son incidence possible sur l’équité du jugement. L’auteur n’a pas fait appel de sa condamnation pour faux en écritures. Du fait qu’il était à nouveau poursuivi pour cette infraction, associée à d’autres charges plus graves, le jury a eu connaissance d’éléments susceptibles de lui nuire, et sans rapport avec les charges pour lesquelles il était valablement poursuivi, ce qui est contraire au paragraphe 1 de l’article 14. Le Comité estime par conséquent que la violation du paragraphe 7 de l’article 14 n’a été que partiellement réparée par l’annulation, le 20 avril 2006, de la décision du 2 février 2001.
14.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1, lu conjointement avec le paragraphe 7, de l’article 14 du Pacte.
15.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’offrir à l’auteur un recours utile, notamment sous la forme d’une indemnisation et d’un nouveau procès pour son inculpation pour meurtre. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
16.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingt jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
I. Communication n o 1351/2005, Hens Serena c. Espagne*Communication n o 1352/2005, Corujo Rodríguez c. Espagne(Constatations adoptées le 25 mars 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentées par: |
Luis Hens Serena (représenté par Mme Pilar García González) et Juan Ramón Corujo Rodríguez (représenté par Mme Elena Crespo Palomo) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Espagne |
Date des communications: |
24 mai 2004 (date des lettres initiales) |
Décision concernant la recevabilité: |
8 mars 2006 |
Objet: |
Condamnation par la juridiction ordinaire la plus élevée |
Questions de procédure: |
Épuisement des recours internes; griefs insuffisamment étayés |
Questions de fond: |
Droit de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure conformément à la loi; droit d’être jugé par un tribunal impartial; droit d’être jugé dans des délais raisonnables; non‑rétroactivité de la loi pénale |
Articles du Pacte: |
14 (par. 1, 3 c) et 5) et 15 (par. 1) |
Articles du Protocole facultatif: |
2 et 5 (par. 2 b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 mars 2008,
Ayant achevé l’examen des communications nos 1351/2005 et 1352/2005 présentées au nom de Luis Hens Serena et Juan Ramón Corujo Rodríguez en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication no 1351/2005 est Luis Hens Serena, de nationalité espagnole, né en 1957. L’auteur de la communication no 1352/2005 est Juan Ramón Corujo Rodríguez, de nationalité espagnole, également né en 1957. Les deux communications ont été adressées au Comité le 24 mai 2004. Les auteurs se déclarent victimes de violations par l’Espagne des paragraphes 1, 3 c) et 5 de l’article 14 et du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. Les auteurs sont représentés par des conseils, Pilar García González pour le premier et Elena Crespo Palomo pour le second.
1.2Le 28 avril 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a accédé à la demande de l’État partie qui souhaitait que la question de la recevabilité des communications soit examinée séparément du fond.
1.3En application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité a décidé d’examiner les deux communications conjointement, car elles portent sur les mêmes faits et présentent une argumentation identique.
Exposé des faits
2.1Le 29 juillet 1998, la deuxième chambre plénière du Tribunal suprême a condamné les auteurs à une peine d’emprisonnement de cinq ans assortie d’une interdiction absolue de huit ans pour détention illégale. D’après le verdict, le 4 décembre 1982, des agents de la police avaient arrêté dans le sud de la France M. Segundo Marey Samper, qui avait été transporté ensuite dans une cabane située dans la région cantabrique (Espagne) et y était resté jusqu’au 14 décembre, date à laquelle on l’avait libéré. M. Samper avait été enlevé par erreur par les forces de sécurité qui recherchaient un membre de l’ETA (Euskadi Ta Askatasuna) afin de l’échanger contre des policiers espagnols enlevés en France. Les auteurs avaient participé à la garde du détenu quand il était dans la cabane.
2.2D’après les auteurs, comme un ancien Ministre de l’intérieur et ancien député était impliqué dans les faits, l’affaire avait été jugée en premier et dernier ressort par le Tribunal suprême, ce qui les avait empêchés de faire appel de la déclaration de culpabilité et de la condamnation devant une juridiction supérieure. Le procès s’est ouvert en janvier 1988 devant la cinquième chambre centrale d’instruction pour divers faits commis par les Groupes antiterroristes de libération (GAL). Le 23 mars 1988, plusieurs citoyens ont porté plainte contre deux suspects et contre toute autre personne qui semblerait être membre des GAL. Ils dénonçaient notamment l’enlèvement de M. Samper. Le 14 mars 1989, l’Audiencia Nacional a confié l’enquête sur l’enlèvement de M. Samper à la cinquième chambre centrale d’instruction. Le 16 décembre 1994, deux suspects, qui avaient été condamnés en 1991 pour d’autres faits, ont avoué avoir participé à cet enlèvement et ils ont donné les noms de quatre autres individus. Les auteurs de la communication ont fait leur déposition et ont été inculpés en avril 1995. Le 17 juillet 1995, ils ont reconnu avoir participé à l’enlèvement. En octobre 1995, l’instruction a été confiée à un juge du Tribunal suprême parce que d’après certains indices un député était également impliqué. En vertu de la Constitution espagnole, en effet, c’est le Tribunal suprême qui connaît des infractions imputées à des membres du Parlement. L’instruction s’est achevée le 4 avril 1997 et l’affaire renvoyée à la chambre pénale du Tribunal suprême.
2.3Les auteurs font valoir que, quelques jours avant la rédaction du verdict du Tribunal suprême et sa notification aux parties, les magistrats de la chambre pénale ont communiqué à un organe de presse des informations sur la teneur des délibérations relatives à la déclaration de culpabilité et à la condamnation. Le 23 juillet 1998, le journal El País a publié un article indiquant que le Tribunal avait fini de délibérer et avait décidé de condamner les accusés, et que le verdict ne serait pas connu avant une semaine car le magistrat rapporteur devait le rédiger et le présenter au Tribunal. L’article mentionnait le nom de certains des accusés et la peine qui allait être prononcée. Le journaliste signalait qu’il tenait l’information de sources «judiciaires et juridiques» et précisait que «le verdict était irréversible».
2.4Le 24 juillet 1998, le même quotidien a indiqué dans quel ordre chronologique et thématique les juges avaient voté et le nom des juges qui s’étaient prononcés pour et contre à propos de chacun des délits pour lesquels les accusés étaient condamnés (enlèvement, détention illégale et détournement de fonds). Le 25 juillet 1998, la presse a fait savoir que le Président du Tribunal suprême avait ordonné une enquête visant les 11 membres de la chambre pénale afin de déterminer qui était responsable des fuites.
2.5Le 26 juillet 1998, le même quotidien a publié un article dans lequel il annonçait que le Président du Tribunal suprême avait interrogé les 11 magistrats. D’après l’article, «des sources de la deuxième chambre» avaient admis la possibilité que les condamnations à des peines de treize ans d’emprisonnement pouvaient être modifiées si les juges considéraient qu’il y avait eu concours idéal ou réel d’infractions. D’après l’information, le tribunal n’avait pas abordé l’examen de cette possibilité qui, si elle était envisagée, bénéficierait aux accusés qui avaient été le plus lourdement condamnés mais n’affecterait pas les autres responsables, ceux qui avaient joué un rôle moins important, au nombre desquels se trouvaient les auteurs. Le 28 juillet 1998, la presse écrivait que le magistrat rapporteur allait présenter le jour même le projet de jugement au tribunal et que les juges poursuivraient leurs délibérations pour déterminer les peines à prononcer. Le 30 juillet, le même journal rendait compte du verdict: 2 accusés étaient condamnés à dix ans d’emprisonnement, 3 autres à neuf ans et six mois, 1 à sept ans, 2 à cinq ans et six mois, les auteurs à cinq ans, et un autre accusé à deux ans et quatre mois.
2.6Les auteurs indiquent que la procédure à l’issue de laquelle ils ont été condamnés a commencé le 23 mars 1988 avec l’ouverture d’une information contre les membres des GAL et que le Tribunal suprême a rendu son jugement le 29 juillet 1998 seulement, c’est‑à-dire dix ans plus tard. Le Tribunal constitutionnel a rendu sa décision sur le recours en amparo le 17 mars 2001, près de treize ans après l’ouverture de l’enquête. D’après les auteurs, la durée du procès est excessive.
2.7Les auteurs font valoir que leur condamnation est illégale parce qu’ils ont agi sur l’ordre de leurs supérieurs, circonstance qui dégage leur responsabilité et qui était prévue dans le Code pénal en vigueur au moment des faits. Ils affirment en outre que l’action pénale était prescrite étant donné que la procédure a été engagée contre eux plus de dix ans après les faits (décembre 1983). Le Tribunal suprême a estimé que la prescription de dix ans avait été interrompue par le dépôt, en mars 1988, d’une plainte pénale à l’encontre de toute personne qui apparaissait comme ayant pu participer aux activités des GAL. D’après les auteurs, cette interprétation de l’interruption de la prescription n’est pas conforme au Code pénal, qui dispose que l’interruption est acquise quand l’enquête est diligentée contre le coupable. D’après les auteurs, cela s’est produit seulement en février 1995, onze ans après les faits, quand ils ont été pour la première fois identifiés et cités à comparaître en tant qu’inculpés.
2.8Le Tribunal suprême a examiné l’argument des auteurs, qui affirmaient avoir agi en exécution d’une obligation et sur ordre de leurs supérieurs, et a estimé que l’exonération de la responsabilité pénale découlant du devoir d’obéissance ne leur était pas applicable. Il a considéré que cette circonstance n’était applicable que dans le cas d’ordres donnés légalement et que la détention de la victime pendant neuf jours, dans des conditions inhumaines, était manifestement illégale.
2.9Le Tribunal suprême a examiné longuement l’argument des auteurs relatif à la prescription. Conformément à l’article 132 du Code pénal, la prescription court à compter du jour où l’infraction a été commise et peut être interrompue «quand la procédure est engagée contre le coupable». Jusqu’en 1991, la jurisprudence du Tribunal suprême était que l’interruption était acquise dès l’ouverture d’une enquête visant à constater la réalité de l’infraction et à vérifier l’identité des auteurs. Mais, en 1992, la jurisprudence a changé et le Tribunal a estimé que, pour que la procédure soit considérée comme engagée contre le coupable, il fallait que celui-ci soit d’une manière ou d’une autre désigné individuellement. Dans le cas des auteurs, le Tribunal suprême a considéré que la thèse qui prévalait depuis 1992 n’était applicable qu’aux infractions commises par une personne ou par quelques personnes seulement et non aux infractions commises par un groupe. Le Tribunal suprême a conclu que la prescription avait été interrompue en mars 1988 avec le dépôt d’une plainte pénale, et non en 1995 avec la déclaration de première comparution des auteurs.
2.10Les auteurs ont formé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel en invoquant la violation du droit au double degré de juridiction, du droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial et du droit à la légalité pénale. Le 17 mars 2001, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours, estimant que le fait que les auteurs aient été jugés par le Tribunal suprême parce que l’un des inculpés était un député, comme le prévoit l’article 71, paragraphe 3, de la Constitution, ne portait pas atteinte au droit à un procès équitable. Faisant valoir que d’autres pays d’Europe avaient adopté des dispositions analogues, il a renvoyé au paragraphe 2 de l’article 2 du Protocole 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à la décision du 18 décembre 1980 adoptée par la Commission européenne des droits de l’homme dans l’affaire Tanassi et consorts. En ce qui concerne la partialité du Tribunal suprême, le Tribunal constitutionnel a estimé que les auteurs n’avaient pas prouvé que le contenu de l’article publié dans la presse avait eu une influence sur le verdict ou avait compromis l’impartialité du tribunal. En ce qui concerne l’interruption de la prescription, le Tribunal constitutionnel a estimé que l’interprétation du Tribunal suprême concernant l’interruption de la prescription n’était ni arbitraire ni insolite et qu’elle était fondée.
2.11Trois personnes condamnées en même temps que les auteurs ont adressé une requête à la Cour européenne des droits de l’homme pour dénoncer la violation du principe de légalité pénale, du droit d’être jugé par un juge impartial et du droit au double degré de juridiction. En date du 30 novembre 2004, la Cour a estimé que le grief de violation du droit au double degré de juridiction était irrecevable parce qu’il était «manifestement mal fondé» et a décidé que les autres griefs seraient portés à la connaissance de l’État partie. La Cour a considéré que les requérants ayant pu former un recours en amparo contre le verdict du Tribunal suprême devant le Tribunal constitutionnel, ils avaient bénéficié d’un examen de l’affaire par la juridiction nationale la plus élevée.
Teneur de la plainte
3.1Selon les auteurs, le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte a été violé parce que, du fait qu’ils ont été condamnés par la juridiction ordinaire la plus élevée, ils n’ont pas bénéficié du droit de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure. Ils précisent que l’un des magistrats du Tribunal constitutionnel, défavorable à la décision, avait estimé qu’il y avait bien eu violation du paragraphe 5 de l’article 14.
3.2Les auteurs font valoir que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte a également été violé parce qu’ils n’ont pas été jugés par un tribunal indépendant et impartial compte tenu des informations communiquées à la presse au sujet des délibérations et du verdict prévisible. Les auteurs considèrent que, comme un ou plusieurs des magistrats qui ont rendu le jugement étaient responsables de la fuite, l’indépendance et l’impartialité du tribunal ont été compromises, et que, étant donné que l’information publiée dans la presse a suscité un débat public national, l’objectivité du tribunal en a été altérée, ce qui a eu une incidence sur la détermination de la peine prononcée. Selon les auteurs, l’article 233 de la loi organique sur le pouvoir judiciaire dispose que les délibérations des tribunaux sont secrètes, comme est secret le résultat des votes des juges.
3.3Les auteurs font valoir que le droit d’être jugé sans retard excessif (art. 14, par. 3 c)) a été violé puisqu’il s’est écoulé plus de dix ans entre l’ouverture de l’enquête et la date de la condamnation et près de treize ans entre cette ouverture et la date à laquelle le Tribunal constitutionnel s’est prononcé sur le recours en amparo. La durée de treize ans est qualifiée d’excessive et n’est pas imputable aux accusés ni à leurs avocats.
3.4Les auteurs invoquent la violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte du fait que le Tribunal suprême n’a pas reconnu la prescription du délit de séquestration alors que le délai prévu par la loi pénale était bien écoulé. D’après les auteurs, le Tribunal suprême a fait une interprétation très large, contraire aux principes de légalité et de qualification consacrés dans l’article 15 du Pacte.
Observations de l’État partie en ce qui concerne la recevabilité de la communication
4.1L’État partie fait valoir que les communications sont irrecevables parce que les auteurs les ont soumises en mai 2004, c’est-à-dire plus de trois ans après que le Tribunal constitutionnel s’est prononcé, le 17 mars 2001, sur le recours en amparo qu’ils avaient formé. L’État partie estime que le retard mis à soumettre les communications est considérable et constitue un abus du droit de porter plainte. D’après l’État partie, bien que ni le Pacte ni le Protocole facultatif ne fixe de délai pour présenter les communications, il est permis, en vertu de ces deux instruments, de considérer un retard notoire comme un abus du droit de soumettre des communications conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.
4.2Pour ce qui est de la violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’État partie relève que les auteurs n’ont pas avancé ce grief devant les juridictions internes et ne le soulèvent que devant le Comité, soit six ans après avoir été condamnés. L’État partie explique que les auteurs ont demandé et obtenu la révision de leur condamnation puisque l’affaire a été examinée par le Tribunal constitutionnel saisi du recours en amparo. Il ajoute que 4 des 10 personnes condamnées à l’issue du procès mené contre les auteurs ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant une violation du droit au double degré de juridiction et que la Cour a rejeté les plaintes, considérant que le droit au double degré de juridiction, bien qu’il ne soit pas expressément consacré dans la Convention européenne des droits de l’homme, avait été respecté à l’égard des auteurs puisqu’ils avaient formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel sur lequel celui-ci s’était prononcé.
4.3En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie affirme que les auteurs n’ont pas démontré que la fuite de l’information provenait du tribunal qui les avait jugés ni que cette fuite, si elle était réelle, avait compromis l’impartialité du tribunal. Il souligne que les auteurs se sont contentés d’indiquer qu’un journal avait publié des informations sur certaines procédures judiciaires et en avaient déduit que la fuite provenait d’un ou de plusieurs magistrats du tribunal qui les a condamnés, ce qui aurait eu une incidence sur la détermination de la peine, sans apporter le moindre élément de preuve à l’appui de leurs dires.
4.4L’État partie affirme que les allégations de fuites d’information sont dénuées de toute pertinence quant à l’impartialité du tribunal. L’article du quotidien El País daté du 23 juillet 1998 n’évoque pas, comme l’affirment les auteurs, des informations qui auraient filtré sur le délibéré et les votes des magistrats de la chambre du Tribunal suprême qui les a condamnés; il rend uniquement compte du résultat du délibéré et des votes, en précisant que le verdict «est irréversible, raison pour laquelle El País a publié le résultat». Pour l’État partie, le fait que les informations publiées par la presse ne soient pas différentes du résultat de la sentence démontre l’absence de fondement de la plainte et confirme que la publication anticipée du verdict n’a eu aucune influence sur celui-ci ni sur l’impartialité du tribunal. L’État partie reproduit un paragraphe de la décision du Tribunal constitutionnel qui souligne que «le contenu de l’information publiée dans la presse consistant à informer sur ce qu’aurait été une partie des délibérations et le sens dans lequel irait le jugement avant que celui-ci ne soit notifié aux parties n’implique pas que le jugement ait été modifié à partir de cette information ni qu’il y ait eu un “jugement parallèle” de nature à altérer l’impartialité de la chambre de jugement, étant donné que la partie orale du procès était close, que toutes les preuves avaient été administrées et que même le délibéré sur le jugement condamnatoire était achevé». L’État partie conclut que non seulement il n’y a aucune preuve de la partialité supposée du tribunal, mais encore qu’il n’y a aucune probabilité de la moindre influence sur le jugement rendu.
4.5En ce qui concerne les délais excessifs, l’État partie fait valoir que ce grief n’a jamais été invoqué devant les juridictions internes, pas même devant le Tribunal constitutionnel. Il ajoute que, d’après la Cour européenne des droits de l’homme, pour déterminer s’il y a eu des retards excessifs il faut partir du moment où l’enquête ou la procédure pénale a des répercussions importantes sur le suspect, et qu’en l’occurrence il s’est écoulé trois ans entre la date à laquelle les auteurs ont fait leur déclaration de première comparution – janvier 1995 – et la date à laquelle le jugement condamnatoire a été rendu − le 29 juillet 1998; d’après l’État partie, ce laps de temps de trois ans ne peut pas être qualifié d’excessif compte tenu des circonstances concrètes de l’affaire.
4.6S’agissant du grief de violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, l’État partie estime qu’il est irrecevable faute d’être suffisamment étayé. L’État partie souligne que le délit dont les auteurs ont été reconnus coupables et la peine qui a été prononcée étaient déjà prévus dans la loi pénale avant la date du délit. De même, l’État partie conteste l’interprétation des auteurs, pour qui la prescription équivaut à donner aux délinquants le droit d’échapper à la peine vu que, même si les autorités ont ouvert l’enquête sur un délit, le fait qu’un suspect n’ait pas été identifié ferait jouer la prescription. L’État partie affirme au contraire que la prescription s’applique même quand un délit n’a pas fait l’objet d’une instruction et qu’un certain temps s’est écoulé sans qu’il soit puni, mais qu’elle ne s’applique pas si les autorités ont diligenté une enquête. La prescription ne peut pas être subordonnée à l’aptitude du suspect à rester caché. Dès lors que des mesures sont diligentées contre quelqu’un qui est peut-être coupable, la prescription est suspendue. Dans le cas des auteurs, la prescription a été suspendue en 1988, quand un groupe de citoyens a déposé une plainte pénale. Le Tribunal suprême a considéré que, pour les délits commis par un groupe, l’interruption de la prescription est acquise quand l’enquête vise ce groupe, même s’il n’y a pas d’individualisation des responsables.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
5.1Dans leurs commentaires datés du 8 juillet 2005, les auteurs répondent que, en l’absence d’un délai précis fixé pour présenter les communications, le seul fait qu’un certain temps se soit écoulé n’entraîne pas l’irrecevabilité des communications.
5.2Les auteurs font valoir que la simple lecture du recours en amparo montre qu’ils ont bien avancé le grief de violation du droit au double degré de juridiction devant le Tribunal constitutionnel. Ils ajoutent que le recours en amparo ne permet pas le réexamen complet de la déclaration de culpabilité et de la peine mais qu’il est limité aux aspects de forme et de droit du jugement, ce qui ne satisfait pas aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 14.
5.3Les auteurs affirment qu’il y a bien eu une fuite d’information et que cette fuite s’est produite avant la rédaction du jugement, ce qui, d’après eux, tend à montrer l’influence de l’opinion publique sur le tribunal et par conséquent la partialité de celui-ci.
5.4Les auteurs soutiennent que pour calculer la durée de la procédure il faut partir de la date du dépôt de la plainte, le 23 mars 1988, et que, entre cette date et la date à laquelle le Tribunal suprême a rendu son jugement, le 27 juillet 1998, il s’est écoulé plus de dix ans, et qu’entre la première date et la date de la décision du Tribunal constitutionnel, le 17 mars 2001, treize ans se sont écoulés. Ils concluent que la longueur de la procédure a été excessive, indépendamment de la complexité du dossier.
5.5En ce qui concerne la réponse de l’État partie concernant la prescription, les auteurs affirment qu’elle porte sur le fond de la communication et non sur la question de la recevabilité.
Décision du Comité sur la recevabilité
6.Le 8 mars 2006, à sa quatre‑vingt‑sixième session, le Comité a établi que les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte étaient irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif faute d’être suffisamment étayés. Il a considéré de même que les griefs tirés du paragraphe 3 c) de l’article 14 étaient irrecevables en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif étant donné qu’ils n’avaient jamais été soulevés par les auteurs devant les juridictions internes. Le Comité a déclaré les communications recevables en ce qui concernait les griefs relatifs au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
Observations de l’État partie sur le fond des communications
7.1Dans une note du 15 septembre 2006, l’État partie a présenté ses observations sur le fond des communications. Il nie qu’il y ait eu violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et se réfère à l’arrêt du Tribunal constitutionnel daté du 17 mars 2001 dans le recours en amparo formé par les auteurs. Dans cette décision, le Tribunal souligne que le privilège de juridiction accordé aux députés et aux sénateurs vise à protéger l’indépendance de l’organe législatif ainsi que de l’organe juridictionnel, ce qui est un objectif légitime et d’une extrême importance. De plus, la nature et les caractéristiques des infractions exigeaient la jonction des affaires afin d’assurer une bonne administration de la justice pénale, et justifiaient la compétence du Tribunal suprême pour juger toutes les parties. De plus, l’État partie affirme que le fait que les auteurs aient été jugés par la chambre pénale du Tribunal suprême représente en soi une garantie.
7.2En ce qui concerne le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’État partie fait valoir que les réserves émises par d’autres États à l’application de cet article «n’ont pas fait l’objet d’objections de la part d’autres États parties au Pacte international et n’ont pas été contestées par le Comité des droits de l’homme». Enfin, il rappelle que 4 des 10 coïnculpés ont déposé des requêtes auprès de la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant une violation du droit au double degré de juridiction, requêtes qui ont toutes été déclarées irrecevables par la Cour, étant donné que des recours en amparo avaient été formés auprès du Tribunal constitutionnel.
Commentaires des auteurs
8.1Dans une réponse du 12 décembre 2006, les auteurs indiquent que, vu qu’ils ne jouissent d’aucune immunité ni privilège spécial, la compétence du Tribunal suprême pour juger les délits qui leur sont imputés devrait être «nuancée». Ils ajoutent que, même si l’on considère que le jugement rendu par la chambre pénale du Tribunal suprême présente des garanties, il reste que toute personne a droit à ce que la peine prononcée contre elle soit examinée par une juridiction supérieure.
8.2En ce qui concerne la possibilité d’obtenir une révision par la voie du recours en amparo, les auteurs font valoir que ce recours ne permet pas que le verdict de condamnation et la peine soient réexaminés intégralement, car la révision ne porte que sur les aspects de forme et de droit du jugement, ce qui fait que les prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte ne sont pas satisfaites. Les auteurs renvoient à la jurisprudence du Comité.
8.3En ce qui concerne les réserves au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, les auteurs indiquent que l’État partie n’a formulé aucune réserve à l’égard de cette disposition. Ils font valoir que l’introduction d’une révision des jugements rendus par la chambre pénale du Tribunal suprême aurait une incidence minime pour l’État partie. Ils soulignent également que, d’après la jurisprudence du Comité, l’expression «conformément à la loi», au paragraphe 5 de l’article 14, ne signifie pas qu’il faille laisser l’existence même du droit de révision par une juridiction supérieure à la discrétion des États parties. Enfin, les auteurs réaffirment que parce qu’ils ont été jugés par le Tribunal suprême en premier et dernier ressort, le droit au double degré de juridiction en matière pénale a été violé de façon effective, réelle et irréparable.
Examen au fond
9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné les communications en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
9.2Le Comité rappelle que les auteurs ont été jugés par le tribunal le plus élevé parce que l’un des coïnculpés dans l’enlèvement de M. Marey Samper était Ministre de l’intérieur, raison pour laquelle, conformément à la loi sur la procédure pénale espagnole, c’est la chambre pénale du Tribunal suprême qui a été saisie de la cause. Le Comité prend note des arguments de l’État partie qui affirme que la condamnation par la juridiction la plus élevée est compatible avec le Pacte et que le but recherché − protéger l’indépendance du pouvoir judiciaire et du pouvoir législatif − est légitime. Toutefois, le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte consacre le droit de toute personne déclarée coupable d’une infraction de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi.
9.3Le Comité rappelle que l’expression «conformément à la loi» ne doit pas s’entendre comme laissant l’existence même du droit de révision, reconnu dans le Pacte, à la discrétion des États parties. Si la législation de l’État partie prévoit certains cas où une personne doit être jugée, du fait de sa charge, par une juridiction plus élevée que celle qui aurait été naturellement saisie, cette circonstance ne saurait à elle seule porter atteinte au droit de l’accusé de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure. Le Comité fait en outre observer que le recours en amparo ne peut être considéré comme un recours approprié au sens du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Par conséquent, le Comité conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
11.Conformément aux dispositions du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer une réparation utile aux auteurs, sous forme d’une indemnisation, et de prendre les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
12.En adhérant au Protocole facultatif, l’Espagne a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte. Conformément à l’article 2 du Pacte, l’État partie s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à leur assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingt jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
J. Communication n o 1360/2005, Oubiña Piñeiro c. Espagne * (Constatations adoptées le 3 avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
M. Laureano Oubiña Piñeiro (représenté par un conseil, M. Fernando Joaquín Ruiz-Jiménez Aguilar) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
30 avril 2003 (date de la lettre initiale) |
Décision concernant la recevabilité: |
7 mars 2007 |
Objet: |
Révision en cassation du jugement de condamnation et de la peine |
Questions de procédure: |
Épuisement des recours internes; griefs insuffisamment étayés |
Questions de fond: |
Droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation |
Article du Pacte: |
14 (par. 5) |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 3 avril 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1360/2005 présentée au nom de M. Laureano Oubiña Piñeiro en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication, datée du 30 avril 2003, est M. Laureano Oubiña Piñeiro, de nationalité espagnole, né en 1946. Il se déclare victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, M. Fernando Joaquín Ruiz‑Jiménez Aguilar.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Le 28 février 1997, le tribunal d’Arenys de Mar a ouvert une enquête au sujet de trois personnes soupçonnées de trafic de drogues. Ces trois suspects ont été arrêtés le 21 juin 1997. Plusieurs kilos de hachisch ont été saisis dans le camion à bord duquel ils voyageaient, ainsi que leurs téléphones portables.
2.2L’affaire a ensuite été confiée au doyen de l’Audiencia Nacional, qui a ouvert une enquête sur l’auteur le 7 janvier 1999, à la demande du ministère public. Le Procureur fondait sa requête sur un rapport de la compagnie de téléphonie détaillant les appels reçus sur les téléphones portables saisis en juin 1997 ou effectués à partir de ceux-ci. Un des appels avait pour destinataire un téléphone appartenant au beau-père de l’auteur, Ramón Lago.
2.3L’auteur affirme que les listes d’appels téléphoniques avaient été obtenues illégalement vu que la mémoire des téléphones portables avait été manipulée par des tiers, et parce qu’il n’avait pas été possible de déterminer qui avait obtenu ces listes et avec quelle autorisation, et que leur authenticité était douteuse. Les listes ont été versées au dossier sans que le greffier du tribunal ait vérifié l’identité de la personne qui les remettait ni s’il s’agissait de documents originaux. Le Procureur n’a pas demandé d’expertise sur l’origine des listes ou sur la manière dont elles avaient été obtenues. Pour démontrer que ces listes étaient fausses, l’auteur indique que tous les appels énumérés avaient la même durée d’une minute et que l’un d’eux est un appel à destination du téléphone de Ramón Lago passé à partir de ce même téléphone.
2.4L’auteur affirme que le Procureur lui attribue des conversations imaginaires qu’il aurait eues avec des tiers, en se servant du téléphone de son beau-père, et dans lesquelles il aurait parlé du transport et de la livraison de la drogue qui a été saisie par la suite.
2.5À l’audience, les autres accusés n’ont pas mis l’auteur en cause; l’auteur lui-même a nié toute participation aux faits et les témoins à charge ne l’ont pas mentionné non plus. Le Procureur a demandé une lecture publique des listes d’appels mais l’avocat de l’auteur s’y est opposé, contestant la validité de cette preuve qui, d’après lui, avait été obtenue et versée au dossier de façon irrégulière et de plus n’avait pas fait l’objet d’une expertise. Le tribunal a accepté l’objection de l’avocat à la lecture publique des listes, de sorte que celles-ci ont été déclarées confirmées sans avoir été contestées à l’audience dans le cas de l’auteur. L’auteur affirme qu’il n’a pas été prouvé qu’il avait utilisé le téléphone de son beau-père, ni quelles personnes l’avaient utilisé, ni la teneur de leurs conversations.
2.6Dans sa décision, l’Audiencia Nacional conclut que l’auteur appartenait à un groupe qui se livrait à la vente de hachisch, que le 19 juin 1997 il a passé un appel téléphonique pour confirmer la livraison de la drogue et organiser son transport, que le 20 juin 1997 il a appelé un des coaccusés pour s’assurer que celui-ci était en possession de la drogue, que le 21 juin 1997 il a rappelé ce même coaccusé pour parler du transport de la drogue, et qu’il utilisait fréquemment le téléphone de son beau-père pour communiquer avec les autres accusés.
2.7Le 4 octobre 1999, l’Audiencia Nacional a déclaré l’auteur coupable d’une infraction à la législation sur le trafic de stupéfiants constituant un délit contre la santé publique et l’a condamné à un emprisonnement de quatre ans et quatre mois et à une amende de 2,4 millions de pesetas (environ 14 500 euros).
2.8L’auteur s’est pourvu en cassation devant le Tribunal suprême le 28 janvier 2000, en invoquant uniquement une violation du droit à la présomption d’innocence. Il a fait valoir que le tribunal de première instance ne disposait pas de preuves à charge suffisantes pour conclure qu’il avait commis l’infraction et qu’il devait exister entre les indices et leurs conséquences une corrélation adéquate ou une relation harmonique permettant d’exclure toute gratuité dans la formation de la conviction du juge. L’auteur affirme que le pourvoi en cassation a une portée limitée du fait que le Tribunal suprême, conformément à sa jurisprudence constante, a considéré que l’appréciation des preuves était une question indépendante de la présomption d’innocence.
2.9Le Tribunal suprême a confirmé la décision de l’Audiencia Nacional par un arrêt du 5 juillet 2001. D’après l’auteur, le Tribunal a conclu que les juges de l’Audiencia Nacional, étant présents tout au long de l’administration de la preuve, avaient apprécié celle-ci selon leur propre perception et l’avaient jugée crédible, et que cette question ne relevait pas du pourvoi en cassation car elle constituait un point de fait dont le Tribunal ne pouvait pas connaître en raison du «mécanisme même du recours».
2.10Le 27 juillet 2001, l’auteur a introduit un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, invoquant de nouveau une violation du droit à la présomption d’innocence. Le Tribunal a rejeté ce recours par un jugement du 28 octobre 2002.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme qu’il y a eu violation du droit de faire examiner sa déclaration de culpabilité et sa condamnation par une juridiction supérieure. Selon lui, le Tribunal suprême s’est limité à déterminer si le droit avait été correctement appliqué, en se fondant sur les faits tels que le tribunal de première instance les avait établis.
3.2L’auteur affirme que la législation de l’État partie prévoit le réexamen de la condamnation par une juridiction supérieure dans le cas des contraventions et des délits. Dans le cas des crimes, en revanche, le seul recours ouvert est le pourvoi en cassation, avec les limites prévues par la loi de procédure pénale. Le pourvoi en cassation ne peut servir qu’à dénoncer une violation des principes constitutionnels ou l’application erronée d’une disposition de fond, sur la base des faits qui ont été déclarés prouvés dans la décision attaquée. Une rectification des faits ne peut être qu’exceptionnelle. La cassation a pour objet de contrôler l’application du droit par les tribunaux et d’unifier les critères jurisprudentiels. C’est pourquoi la loi portant organisation du pouvoir judiciaire a ajouté la fonction de surveillance du respect des garanties constitutionnelles. La cassation ne permet pas de réexaminer les faits, la déclaration de culpabilité, la qualification des faits ou la peine. Le Tribunal suprême a déclaré qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la crédibilité des preuves produites en première instance. L’auteur cite à ce propos les observations finales du Comité sur le quatrième rapport périodique de l’Espagne (CCPR/C/79/Add.61) et les constatations adoptées dans l’affaire Gómez Vázquez (communication no 701/1996, 20 juillet 2000). Il cite également la déclaration faite le 13 septembre 2000 par la Chambre pénale plénière du Tribunal suprême, après l’adoption des constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vázquez, dans laquelle elle affirmait que le pourvoi en cassation satisfaisait aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
3.3L’auteur affirme que, dans son cas, le Tribunal suprême n’a pas examiné la manière dont le tribunal de première instance avait apprécié les preuves, lesquelles consistaient en simples soupçons à son égard, sa participation aux faits n’ayant pas été suffisamment démontrée.
Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication
4.1Dans une note verbale du 19 avril 2005, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, faisant valoir que les recours internes n’avaient pas été épuisés comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, puisque l’auteur n’avait pas invoqué de violation du droit de faire réexaminer sa condamnation dans le recours en amparo qu’il avait présenté au Tribunal constitutionnel.
4.2L’État partie a ajouté que le recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel était maintenant un recours utile dans des affaires comme celle qui était l’objet de la communication, car ce tribunal était désormais sensible aux arguments exposés dans les constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vázquez c. Espagne (communication no 701/1996). Un recours devant le Tribunal constitutionnel ne serait donc pas vain.
4.3L’État partie a estimé que la communication était manifestement dénuée de fondement au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, étant donné que le jugement de l’Audiencia Nacional avait été réexaminé par le Tribunal suprême et même en troisième instance par le Tribunal constitutionnel. Le droit à un double degré de juridiction ne signifiait pas que l’auteur du recours eût droit à une décision conforme à ses demandes. L’État partie considérait par conséquent que la communication constituait un abus du droit de présenter des communications au Comité.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans une lettre du 12 juillet 2005, l’auteur a rejeté les observations de l’État partie, affirmant qu’avant de soumettre l’affaire au Comité il avait épuisé les recours internes quand il s’était pourvu devant le Tribunal suprême pour attaquer la décision de l’Audiencia Nacional du 4 octobre 1999; il avait également épuisé les voies de recours extraordinaires quand il avait contesté la décision du Tribunal suprême du 5 juillet 2001 en introduisant un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. L’auteur a rejeté l’argument de l’État partie qui affirme que le Tribunal constitutionnel est sensible aux arguments exposés dans les constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vázquez c. Espagne (communication no 701/1996), étant donné que ce tribunal a déclaré irrecevable son recours de 100 pages, dans une ordonnance de 2 pages, stéréotypée, générique et purement formelle, sans examiner au fond les violations dénoncées. Il a ajouté que la Commission des droits de l’homme du barreau espagnol a soumis au Conseil économique et social de l’ONU un exposé écrit demandant que les réformes procédurales engagées soient mises en œuvre afin que toute personne en Espagne ait le droit de faire réexaminer sa déclaration de culpabilité et sa condamnation par une juridiction supérieure.
5.2L’auteur a ajouté que selon le Comité lui-même, il n’était pas nécessaire d’avoir épuisé les voies de recours extraordinaires devant le Tribunal constitutionnel avant de présenter une communication en vertu du Protocole facultatif.
Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et le fond
6.1Dans une note du 8 août 2005, l’État partie a précisé que, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, dans des décisions comme celle du 3 avril 2002 le Tribunal constitutionnel s’est référé explicitement aux constatations du Comité dans l’affaire Gómez Vázquez c. Espagne (communication no 701/1996), et a déclaré recevable le recours introduit, qu’il a ensuite examiné sur le fond. L’auteur a fait preuve de maladresse en s’abstenant de faire valoir son grief de violation du droit à un réexamen de la condamnation par les moyens qui lui étaient ouverts, pour se plaindre ensuite au Comité de la teneur de l’arrêt du Tribunal constitutionnel. L’État partie a demandé que la communication soit déclarée irrecevable conformément à l’article 2 et au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.2En outre, sur le fond, l’État partie a affirmé que la communication était dénuée de fondement parce que l’auteur avait eu droit à un double et même triple degré de juridiction, le jugement de l’Audiencia Nacional ayant été réexaminé par le Tribunal suprême et par le Tribunal constitutionnel.
6.3L’État partie considère qu’en l’espèce la condamnation a été réexaminée par le Tribunal suprême, lequel a traité dans son arrêt la totalité des questions soulevées par l’auteur dans son recours, y compris celles qui concernaient les faits et les preuves. Alors que l’auteur avait fondé son recours sur une violation du droit à la présomption d’innocence, estimant que le tribunal de première instance n’avait pas démontré l’existence d’un lien entre les faits prouvés et lui-même, le Tribunal suprême a réexaminé les circonstances qui permettaient d’établir un lien entre l’accusé et l’infraction qui lui était imputée, et a conclu à l’existence d’indices multiples et concordants qui correspondaient à un contexte temporel coïncidant exactement avec la perpétration de l’infraction, étaient décrits dans la décision et étaient cohérents avec les circonstances de l’affaire.
6.4L’État partie a relevé qu’il existait dans l’affaire des circonstances analogues à celles de la communication no 1356/2005 (Parra Corral c. Espagne) et demandé au Comité de conclure dans le même sens.
Nouveaux commentaires de l’auteur
7.En date du 14 octobre 2005, l’auteur a fait part de nouveaux commentaires; il a indiqué que c’était le Tribunal suprême lui-même qui avait exclu toute demande visant à faire réexaminer l’appréciation des preuves et les faits déclarés prouvés, et reproduit à ce propos des passages de l’arrêt rendu par ce tribunal le 5 juillet 2001.
Décision du Comité concernant la recevabilité de la communication
8.À sa quatre-vingt-neuvième session, le 7 mars 2007, le Comité a décidé que la communication était recevable en ce que les recours internes avaient été épuisés et que le grief relatif au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte était suffisamment étayé.
Observations complémentaires de l’État partie sur le fond de la communication
9.1Le 17 octobre 2007, l’État partie a réitéré son argument selon lequel le Comité avait reconnu à maintes reprises que le pourvoi en cassation en matière pénale satisfaisait aux exigences du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il a insisté sur le fait qu’en l’espèce le Tribunal suprême avait analysé le seul motif de cassation invoqué par l’auteur et y avait répondu abondamment en procédant à un examen détaillé des faits sur lesquels était fondé le jugement de condamnation en première instance. Sur la base de cet examen, le Tribunal suprême a conclu que «la fréquence des contacts téléphoniques, la fourniture des téléphones aux auteurs directs par le requérant lui-même et, surtout, le paiement des communications par une personne qui lui est liée, ainsi que l’admission par un des auteurs directs du fait que ces téléphones venaient d’un contact galicien avec lequel il était question de la participation à l’affaire, tout cela compose un faisceau de circonstances qui permet d’établir un lien entre l’accusé et l’infraction d’une manière compatible avec les principes de la preuve fondée sur les indices, étant donné que ceux-ci sont multiples et concordants, correspondent à un contexte temporel coïncidant exactement avec la perpétration de l’infraction, sont décrits dans la décision et sont cohérents avec les circonstances de l’affaire».
9.2L’État partie a ajouté que l’auteur n’avait pas spécifié la teneur du réexamen du jugement de condamnation et de l’arrêt qu’il demandait, raison pour laquelle l’analyse de la justesse de l’arrêt rendu en cassation devait être centrée exclusivement sur la cohérence interne de l’arrêt, ainsi que sur la description et le jugement du recours contenus dans l’arrêt.
Commentaires complémentaires de l’auteur
10.1Le 11 janvier 2008, l’auteur a affirmé que, si dans certains cas, le Comité avait effectivement écarté des recours fondés sur l’absence de réexamen en cassation, dans d’autres, il avait estimé qu’il y avait eu violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
10.2L’auteur rappelle que le Tribunal suprême réexamine en cassation des jugements rendus par un tribunal de premier et dernier ressort − Audiencias provinciales ou la Audiencia Nacional − pour des motifs restreints et limités à la violation de principes constitutionnels ou à l’application erronée d’une disposition de fond du droit pénal, sur la base des faits qui ont été déclarés prouvés dans les jugements attaqués. Il rappelle également que le Tribunal suprême lui‑même a reconnu que le législateur est seul habilité à adapter le pourvoi en cassation au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Malgré les demandes adressées par le Comité à l’État partie pour qu’il corrige cette inobservation du Pacte, l’Espagne n’a pas modifié sa législation dans ce sens à ce jour et ne semble pas envisager de le faire, c’est-à-dire qu’elle ne donne pas suite aux demandes du Comité et ne s’acquitte pas de ses obligations internationales.
10.3En l’espèce, l’auteur affirme que le Tribunal suprême n’a pas apporté à sa jurisprudence de modification substantielle qui transformerait la cassation en une authentique deuxième instance pénale et permettrait d’obtenir un réexamen et une modification réduits au strict minimum des faits déclarés prouvés par le tribunal dont le jugement est attaqué. L’auteur cite un extrait de l’arrêt en cause, dans lequel le Tribunal suprême rappelle «qu’une jurisprudence très abondante de la Chambre établit qu’en règle générale les déclarations enregistrées sous forme de témoignages, de rapports ou toute autre forme d’expression ne peuvent être invoquées pour étayer la thèse de l’erreur commise dans l’interprétation des preuves écrites. Parallèlement, la jurisprudence a mis en lumière le fait que, dans le cadre de l’article 849.2 de la loi de procédure pénale, seuls doivent être pris en considération les documents dont la valeur probante s’impose au tribunal de jugement et a réaffirmé à maintes reprises que les documents invoqués par le requérant n’ont pas cette valeur probante (…). Par conséquent, la question soulevée ne relève pas du pourvoi en cassation puisque, techniquement, elle constitue un point de fait que la présente chambre ne peut aborder en raison du mécanisme même du recours.».
Délibérations du Comité sur le fond de la communication
11.1Le Comité a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties.
11.2Le Comité prend note des observations de l’auteur qui affirme que les preuves à charge n’ont pas été réexaminées en cassation par le Tribunal suprême. Il prend note également des réponses de l’État partie qui objecte que le Tribunal a procédé à un réexamen complet du jugement de l’Audiencia Nacional. Le Comité relève qu’il ressort de l’arrêt du Tribunal suprême en date du 5 juillet 2001 que cette juridiction a examiné l’appréciation des preuves faite par l’Audiencia Nacional. Le Comité ne peut conclure en conséquence que l’auteur a été privé de son droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure, comme le prévoit le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
12.Compte tenu de ce qui précède, le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Note
K. Communication n o 1373/2005, Dissanakye c. Sri Lanka*(Constatations adoptées le 22 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Dissanayake, Mudiyanselage Sumanaweera Banda(représenté par un conseil, Nihal Jayawickrama) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Sri Lanka |
Date de la communication: |
3 mars 2005 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Détention à la suite d’une action pour outrage à magistrat |
Questions de procédure: |
Néant |
Questions de fond: |
Détention arbitraire; procès inéquitable; impossibilité de faire recours; traitement cruel, inhumain et dégradant; travail forcé ou obligatoire; non‑qualification pénale dans la loi; liberté d’expression; droit de voter et d’être élu; discrimination |
Articles du Pacte: |
7, 8 (par. 3 b)), 9 (par. 1), 14 (par. 1, 2, 3 a), e) et g), et 5)), 15 (par. 1), 19 (par. 3), 25 b) et 26 |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1373/2005 présentée au nom de Dissanayake, Mudiyanselage Sumanaweera Banda en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication est M. D. M. Dissanayake, de nationalité sri‑lankaise, résidant à Sri Lanka. Il se déclare victime de violations par l’État partie de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du paragraphe 3 b) de l’article 8, du paragraphe 1 de l’article 9, des paragraphes 1, 2, 3 a), e) et g), et 5 de l’article 14, du paragraphe 1 de l’article 15, du paragraphe 3 de l’article 19, de l’article 25 b) et de l’article 26. Il est représenté par un conseil, M. Nihal Jayawickrama.
1.2L’auteur a demandé des mesures provisoires de protection en faisant valoir qu’il subirait un préjudice irréparable s’il devait exécuter l’intégralité de la condamnation à deux ans d’emprisonnement en régime sévère. Il suggérait de demander aussi d’être «dispensé de l’exécution de la condamnation à un travail forcé». En date du 17 mars 2005, le Rapporteur spécial a décidé de ne pas faire droit à la demande de mesures provisoires car il n’apparaissait pas que le travail dans une imprimerie entre dans le champ d’application du paragraphe 3 b) de l’article 8.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1En février 1989, l’auteur, qui était membre du parti sri-lankais de la liberté (SLFP), a été élu député. En 1994 et en octobre 2000, il a été réélu et nommé Ministre du Gouvernement de l’Alliance populaire, parti de Mme Chandrika Kumaratunga, Premier Ministre (par la suite élue Présidente); ce parti était une coalition rassemblant le SLFP et d’autres formations plus petites. En 2001, des divergences d’opinions sur un certain nombre de questions politiques ont divisé les membres du Gouvernement. Le 9 octobre 2001, l’auteur et sept autres membres du SLFP sont passés dans l’opposition en adhérant au Parti national uni (UNP). Le 5 décembre 2001, lors des élections générales, l’auteur a été élu député sur la liste nationale de l’UNP, qui a formé un gouvernement de coalition. L’Alliance populaire était alors minoritaire au Parlement, et la Présidente Mme Kumaratunga, qui était toujours le dirigeant de ce parti, a été obligée de nommer Premier Ministre le dirigeant de l’UNF (coalition rassemblant l’UNP et le Congrès des travailleurs de Ceylan − CWC), Ranil Wickremasinghe. La Présidente a nommé le cabinet proposé par le nouveau Premier Ministre et l’auteur a eu le portefeuille de Ministre de l’agriculture.
2.2D’après l’auteur, la structure très particulière du Gouvernement faisait qu’il était difficile de bien gouverner. En 2003, la Présidente a demandé au Président de la Cour suprême de rendre un avis sur la question de l’exercice des pouvoirs en matière de défense par le Président de la République et par le Ministre de la défense. Le 5 novembre 2003, un communiqué de presse émanant du secrétariat de la présidence a annoncé l’avis de la Cour suprême; d’après celle-ci, «le pouvoir exécutif plénier, y compris les pouvoirs en matière de défense nationale, appartient exclusivement au Président de la République» et «ces pouvoirs de défense conférés au Président en vertu de la Constitution comprennent le contrôle sur les forces armées puisque le Président de la République est le chef des armées». Le 7 février 2004, la Présidente a dissous le Parlement et a arrêté la date des nouvelles élections générales. À la suite de cette élection, le 2 avril 2004, l’Alliance de la liberté des peuples unis (UPFA) (formation regroupant le SLFP et le JVP), conduite par la Présidente, a constitué un gouvernement minoritaire au Parlement. L’auteur, qui s’était présenté pour la première fois sur la liste de l’UNP, a été réélu.
2.3Le 3 novembre 2003, à la suite de la demande d’avis adressée par la Présidente au Président de la Cour suprême concernant les pouvoirs de défense conférés au Président de la République et au Ministre de la défense, l’auteur a prononcé un discours pendant une réunion publique et la presse a rapporté qu’il avait déclaré que lui-même et les membres du Parlement de même tendance que lui «n’accepteraient aucune décision indigne que la Cour pourrait rendre». L’auteur a été inculpé en vertu du paragraphe 3 de l’article 105 de la Constitution, qui traite de l’outrage à magistrat. En date du 7 avril 2004, une «ordonnance» a été rendue, lui faisant obligation de montrer «pourquoi il ne devait pas tomber sous le coup du paragraphe 3 de l’article 105 de la Constitution», pour outrage à la Cour suprême. Il a comparu devant la Cour suprême le 7 mai et le 14 septembre 2004. Le Président de la Cour suprême était le Président de la formation chargée de juger l’affaire, malgré l’objection de l’auteur.
2.4Le 7 mai 2004, lors de la première comparution de l’auteur, on lui a donné lecture de l’«ordonnance» et le Président de la Cour lui a demandé s’il avait bien prononcé le discours qui lui était attribué dans ce document. À la deuxième audience, la Cour a interrogé son conseil, demandant s’il reconnaissait avoir prononcé certaines parties du discours qu’à la première audience il avait affirmé ne pas avoir prononcées ou ne pas se rappeler. Le Président de la Cour a alors demandé aux agents de la chaîne de télévision de repasser l’enregistrement de ce qu’ils appelaient une «copie de l’original». Sur instruction de l’auteur, le conseil a informé la Cour qu’aux fins de la procédure il voulait bien reconnaître avoir fait l’intégralité de la déclaration qui lui était attribuée. Le Président a alors déclaré qu’il ne restait plus que des questions de forme, c’est‑à‑dire qu’il fallait déterminer si la déclaration que l’auteur reconnaissait avoir faite équivalait à un outrage à magistrat et, si tel était le cas, comment le tribunal devait statuer.
2.5L’auteur affirme qu’aucun témoin n’a été appelé à la barre. Les personnes qui avaient déposé la plainte initiale ni celle(s) qui avait(ent) enregistré le discours n’ont été appelées à témoigner ou à subir un contre‑interrogatoire. La bande vidéo originale n’a pas été produite comme preuve. La procédure suivie était inquisitoire et contraire aux dispositions de l’article 101 de l’ordonnance sur l’administration des preuves qui dispose que «quiconque veut qu’un tribunal rende un jugement sur un quelconque droit ou une obligation qui dérive de l’existence des faits qu’il avance doit prouver que ces faits existent» ainsi qu’aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 13 de la Constitution qui dispose que «toute personne est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été prouvée».
2.6Le 7 décembre 2004, la Cour a déclaré l’auteur coupable d’outrage à magistrat et l’a condamné à deux ans d’«emprisonnement en régime sévère». L’arrêt de la Cour suprême n’était susceptible d’aucun recours. L’arrêt rappelle une inculpation pour outrage dont l’auteur avait fait l’objet en 2000 et qui lui avait valu une mise en garde et une admonestation de la part de la Cour suprême mais pour laquelle il n’avait pas été condamné. Dans l’arrêt, le Président de la Cour a critiqué l’attitude de l’auteur qui n’avait pas voulu reconnaître d’emblée qu’il avait prononcé l’intégralité des propos en question, déclarant que l’auteur avait manqué de «franchise». L’auteur a été écroué le jour même à la prison de Welikade et a été affecté à l’imprimerie. D’après l’auteur, la Cour suprême n’était pas compétente pour le condamner à un travail forcé, en vertu de la loi sri‑lankaise. Conformément à l’article 2 de l’ordonnance relative à l’interprétation des textes, qui s’applique à la Constitution, «x) “emprisonnement en régime sévère”, “emprisonnement simple” et “emprisonnement de l’une ou l’autre catégorie” ont le même sens que dans le Code pénal et, par “emprisonnement”, il faut entendre un emprisonnement simple». Peu de temps après son incarcération, l’auteur a été frappé d’une interdiction du droit de vote et déchu de sa qualité de membre du Parlement, conformément à l’article 66 d) de la Constitution. L’interdiction dure sept ans à partir de la date à laquelle le condamné a fini d’exécuter sa peine; dans le cas de l’auteur, l’interdiction a duré neuf ans en tout.
2.7D’après l’auteur, la formation de la Cour suprême qui a jugé l’affaire, et qui comportait le Président de la Cour suprême, manquait d’impartialité autant que d’indépendance. L’auteur fait valoir que le Président de la Cour est un ami personnel de la Présidente et que celle‑ci l’a nommé Président de la Cour suprême alors qu’il y avait cinq autres magistrats plus chevronnés que lui: le Président de la Cour suprême n’était magistrat que depuis quatre mois. L’auteur cite les propos de l’ancien Rapporteur spécial de l’ONU sur l’indépendance des juges et des avocats qui, quand le Président de la Cour suprême a été nommé, a relevé la précipitation avec laquelle il avait été désigné, d’autant plus qu’à l’époque il faisait l’objet de deux plaintes pour corruption. D’après l’auteur, chaque affaire «politiquement sensible» dans laquelle l’ancienne Présidente, son gouvernement ou son parti semblent avoir un intérêt, dont l’affaire de l’auteur, a été attribuée au Président de la Cour suprême, qui siège un peu trop souvent avec le même groupe de magistrats de la Cour suprême, dont beaucoup étaient juges quand lui‑même était Procureur général. L’auteur dit qu’il est impossible de trouver un arrêt rendu par ce président de la Cour suprême dans une affaire «politiquement sensible» qui ait été favorable au parti de l’auteur (l’UNP). Il ajoute qu’il a signé une motion parlementaire demandant sa destitution, qui avait été soumise au Président du Parlement par l’UNP. Le Président de la Cour suprême avait connaissance de cette motion et savait que l’auteur l’avait signée.
2.8D’après l’auteur, les charges retenues contre lui avaient une motivation politique. Le Président de la Cour suprême était prévenu contre lui. À ce sujet, l’auteur indique que le 10 mars 2004 à un stade crucial des élections générales, le Président de la Cour suprême a informé la presse que les magistrats de la Cour suprême examinaient un discours prononcé par l’auteur en vue de l’inculper d’outrage. Il a rappelé à la presse que ce n’était pas la première fois que la Cour suprême allait envisager de retenir ce chef d’inculpation contre l’auteur. Le 16 mars 2004, un journal a titré que l’auteur avait été inculpé d’outrage. D’après l’auteur, l’«ordonnance» n’a été rendue par la Cour suprême que le 7 avril, après les élections, et le Président de la Cour suprême n’a rien fait pour démentir les rapports parus dans la presse. L’auteur fait valoir que quand, en juillet 2004, les journaux avaient fait paraître la nouvelle que le Président de la Cour suprême avait été surpris dans une position compromettante avec une femme, dans un parking, le Président de la Cour suprême avait publiquement démenti l’allégation affirmant que cela faisait partie d’une campagne visant à le «discréditer et avait un rapport avec certaines affaires en instance». L’auteur affirme qu’il était clairement visé étant donné que l’affaire qui le concernait était la seule affaire politiquement sensible pendante devant la Cour suprême à cette époque.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que la peine à laquelle il a été condamné était excessive par rapport à l’infraction et il cite d’autres décisions de la Cour suprême portant sur des affaires de diffamation dans lesquelles des peines moins sévères avaient été prononcées pour des faits plus graves. L’auteur fait valoir qu’une peine de deux ans d’emprisonnement en régime sévère, première fois en plus de cent ans que la Cour suprême a prononcé une peine d’une telle durée et d’une telle sévérité, est notoirement excessive et représente un traitement cruel, inhumain et dégradant, en violation de l’article 7 du Pacte.
3.2L’auteur fait valoir que, étant donné qu’il a été obligé de faire un travail forcé en prison, en application d’une condamnation que la Cour n’était pas compétente en droit pour prononcer (voir plus haut par. 2.6), il a été contraint d’exécuter un travail forcé ou obligatoire en violation du paragraphe 3 de l’article 8 du Pacte. Il invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 14 en raison de la participation du Président de la Cour suprême, qui n’était ni impartial ni indépendant.
3.3L’auteur invoque une violation du paragraphe 2 de l’article 14 parce qu’il n’a pas été présumé innocent et que la charge de la preuve lui a été attribuée alors qu’elle devait incomber à l’accusation. Il se réfère aux faits exposés aux paragraphes 2.4 et 2.5. Il fait valoir que s’il est possible d’appliquer la procédure sommaire quand l’outrage présumé a été commis «à la face de la Cour», cette procédure est totalement inappropriée quand l’inculpation repose, non pas sur les observations du juge, mais sur une demande soumise par un individu pour une infraction présumée, qui a eu lieu plusieurs mois auparavant, des faits auxquels le requérant n’était pas partie, qui ne l’intéressaient nullement et dont aucun membre du tribunal n’avait la moindre connaissance avant de recevoir la requête. Quand une telle infraction est jugée en procédure sommaire, la charge de la preuve incombe à l’accusé qui doit montrer que les faits allégués n’ont pas été commis par lui.
3.4L’auteur dit qu’il y a eu violation du paragraphe 3 a) de l’article 14 du Pacte parce qu’il n’a pas été informé de la nature et des raisons des charges qui pesaient contre lui. L’«ordonnance» qui avait été décernée ne mentionnait pas de peine particulière pour sa déclaration (sur environ 20 peines en tout) qui était censée avoir constitué l’outrage. Il n’y était pas précisé la nature exacte de l’outrage dont il était accusé et il n’a pas été informé à l’audience non plus de la nature de l’outrage. L’auteur dit qu’il y a violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 étant donné qu’aucun témoin à charge n’a été appelé et qu’aucun témoin n’a été interrogé par le conseil qui représentait l’auteur. Il invoque une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 en raison de la façon dont le Président de la Cour l’a interrogé sur la teneur de la déclaration qu’il était censé avoir faite, de la coercition exercée par le Président de la Cour et des conclusions négatives que le Président a tirées du fait qu’il ne voulait pas déclarer contre lui‑même (par. 2.4 et 2.6).
3.5L’auteur fait valoir qu’il ne peut pas faire appel de sa condamnation et de la déclaration de culpabilité puisqu’il a été jugé par la Cour suprême siégeant en tant que juridiction de jugement et non par la High Court; il y a donc violation des droits garantis au paragraphe 5 de l’article 14. Il fait valoir que s’il y avait eu une juridiction d’appel compétente pour réexaminer le jugement, il aurait pu fonder le recours sur des erreurs de droit et de fait graves. Il explique en détail ces erreurs.
3.6L’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte parce qu’il a été reconnu coupable pour un acte qui ne constituait pas une infraction pénale dans la loi, et a été condamné à deux ans d’emprisonnement en régime sévère alors que la loi ne prévoit pas de peine à temps. Il invoque le paragraphe 3 de l’article 105 de la Constitution sur le fondement duquel il a été condamné pour outrage. Il cite l’article lui‑même qui ne crée pas l’infraction d’«outrage», ne définit pas l’expression, et n’énonce pas davantage quels sont les actes ou omissions qui pourraient constituer cette infraction. L’article énonce simplement qu’au nombre de ses pouvoirs, la Cour suprême a le «pouvoir de punir pour outrage à elle‑même, qu’il soit commis dans le prétoire ou ailleurs». Il ajoute que, à en juger par la jurisprudence du Royaume‑Uni, il semblerait que le type d’outrage pour lequel il a été puni entrait dans la catégorie de «l’offense faite à la Cour», acte qui n’est qualifié d’infraction dans aucune disposition de la législation de Sri Lanka. L’auteur fait valoir en outre qu’étant donné que l’article 111 C 2) de la Constitution a prévu une peine allant jusqu’à un an d’emprisonnement pour l’infraction consistant à interférer avec le pouvoir judiciaire, il serait illogique de laisser entendre que les mots «le pouvoir de punir pour outrage d’un emprisonnement ou d’une amende» signifient que le pouvoir de la Cour suprême de prononcer une peine d’emprisonnement est illimité.
3.7L’auteur fait valoir que le droit à la liberté d’expression garanti à l’article 19 du Pacte a été violé étant donné que les restrictions imposées à sa liberté d’expression par la décision de le déclarer coupable d’outrage à magistrat, dans cette affaire, ne satisfont pas au critère de «nécessité» établi au paragraphe 3 de l’article 19. D’après l’auteur, la partie de son discours qui portait sur la demande d’avis de la Présidente avait un caractère politique, visait un sujet d’actualité et était énoncée dans des termes appropriés. Il fait valoir que son exclusion du Parlement, l’interdiction qui lui a été faite pendant neuf ans de participer à la conduite des affaires publiques, et tout particulièrement d’accomplir ses fonctions d’organisateur national du premier parti d’opposition dans une période où des élections présidentielles allaient avoir lieu, et l’interdiction pendant neuf ans d’exercer les droits de vote et d’éligibilité étaient des mesures notoirement disproportionnées et qui ne pouvaient se justifier par des critères raisonnables et objectifs, ce qui constituait une violation des droits garantis à l’article 25.
3.8Enfin, l’auteur invoque une violation de l’article 26 parce que la Cour suprême n’a pas appliqué la loi en respectant le principe de l’égalité et ne lui a pas garanti le droit sans discrimination à une égale protection de la loi. Il fait valoir que la Cour suprême n’a pris aucune mesure contre le réseau de télévision indépendant ni contre la télévision nationale, la Rupavahini Corporation, qui avaient l’un et l’autre diffusé son discours.
Observations de l’ État partie sur la recevabilité et le fond
4.1Dans une note du 14 octobre 2005, l’État partie a contesté les griefs de l’auteur. Sur les faits, il affirme que la Cour suprême, outre ses fonctions de juridiction de jugement et d’appel, a une fonction consultative et le Président de la République peut lui demander son avis sur toute question de droit ou de fait qui se pose ou peut se poser et qui a une importance publique. Il fait valoir que, à l’époque où il a fait la déclaration en question, l’auteur était ministre et non pas un simple citoyen, ce qui ajoutait du poids à la déclaration. Il souligne que l’auteur avait déjà fait l’objet d’une condamnation pour outrage, et avait reconnu avoir déclaré: «ils vont fermer le Parlement et s’il le faut fermer aussi les tribunaux pour voter cette Constitution» et «si les magistrats de l’État ne sont pas d’accord avec la mise en œuvre de la Constitution ils pourraient rentrer chez eux». L’auteur était un ministre du Gouvernement quand il a fait ces déclarations. Comme il s’était excusé et qu’il n’avait pas de casier judiciaire, il n’a pas été condamné cette fois‑là. Dans l’affaire qui fait l’objet de la communication, la Cour suprême avait expressément indiqué dans son arrêt que, étant donné que sa clémence n’avait eu aucun effet sur le comportement de l’auteur, une «peine dissuasive de deux ans d’emprisonnement en régime sévère» s’imposait. Compte tenu de ces éléments, l’État partie objecte que les affaires citées par l’auteur ne sont pas pertinentes et que la peine ne peut pas être considérée comme excessive. Pour ces raisons, l’État partie considère qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 du Pacte.
4.2Pour ce qui est du grief de violation du paragraphe 3 de l’article 8 et de l’argument de l’auteur qui affirme que, d’après les dispositions de l’ordonnance relative à l’interprétation des textes, le mot «emprisonnement» vise seulement un «emprisonnement simple», l’État partie fait valoir que cette ordonnance ne peut pas servir à interpréter la Constitution mais ne s’applique qu’aux lois. La Constitution ne peut être interprétée que par la Cour suprême, qui a considéré que par «emprisonnement» il fallait entendre soit l’emprisonnement «simple» soit l’emprisonnement «en régime sévère». L’État partie note également que le paragraphe 3 a) de l’article 8 doit être lu conjointement avec le paragraphe 3 b) qui dispose que l’alinéa a ne doit pas être interprété comme interdisant «l’accomplissement d’une peine de travaux forcés».
4.3En ce qui concerne les griefs au titre du paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie réfute les allégations portées contre le Président de la Cour suprême et dit qu’il s’abstiendra de commenter les déclarations faites contre lui qui ne sont pas étayées. Les décisions de la Cour suprême ne peuvent être rendues que par un collège d’au moins trois magistrats. Dans l’affaire contestée, le collège était composé de cinq magistrats qui ont été unanimes à déclarer l’auteur coupable et à prononcer la peine. L’auteur était représenté par un avocat plaidant et l’audience était publique. Il a reconnu avoir fait la déclaration reprochée et il appartenait donc à la Cour suprême de déterminer si cette déclaration représentait un outrage, en tout ou en partie. Dans sa déclaration, l’auteur avait employé le mot singhalais «balu» pour qualifier les magistrats de la Cour suprême, mot qui signifie chien(s) et qui est donc extrêmement péjoratif.
4.4En ce qui concerne le grief de violation des paragraphes 2, 3 e) et g) de l’article 14 du Pacte, l’État partie souligne que, vu que l’auteur a reconnu avoir fait la déclaration en question, ces dispositions n’ont pas été violées. En effet, si l’auteur avait nié avoir fait la déclaration, il aurait alors incombé à l’accusation de prouver que cette déclaration avait été effectivement faite. En ce qui concerne le paragraphe 3 e), étant donné que l’auteur avait admis qu’il avait fait la déclaration, il n’était pas nécessaire que l’accusation entende des témoins pour prouver que les propos avaient bien été tenus. En ce qui concerne le paragraphe 3 g), le fait que l’auteur ait reconnu avoir tenu les propos incriminés ne saurait être considéré comme une déclaration contre lui‑même ou un aveu de culpabilité. L’auteur et son conseil, ayant étudié les preuves disponibles, ont pris la décision réfléchie de reconnaître l’intégralité de la déclaration.
4.5En ce qui concerne le paragraphe 3 a) de l’article 14, l’État partie affirme que l’auteur avait reçu un document contenant tous les éléments intéressants longtemps avant l’ouverture du procès. Il avait été informé des charges à l’avance et la déclaration a été lue en audience plénière dans une langue qu’il comprenait. Il était représenté par un conseil et ni lui‑même ni le conseil n’a fait savoir qu’il ne comprenait pas en quoi consistait le chef d’inculpation. Le conseil a eu la possibilité de visionner une vidéo de l’auteur faisant la déclaration en question et de conseiller l’auteur avant que celui‑ci n’admette qu’il l’avait faite.
4.6L’État partie rejette l’idée qu’il y ait eu violation du paragraphe 1 de l’article 15 et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il confirme que la décision de la Cour suprême ne pouvait pas être réexaminée. En vertu du paragraphe 3 de l’article 105 de la Constitution, la Cour suprême a la faculté, en tant que juridiction supérieure, de punir tout outrage, commis dans le prétoire ou ailleurs. Il ressort clairement de cet article que l’outrage, qu’il soit commis devant la Cour elle‑même ou ailleurs, constitue une infraction. S’il n’en était pas ainsi, les pouvoirs conférés à la Cour suprême seraient vains. Toute autre interprétation serait irréaliste et déraisonnable. De plus, d’après l’État partie, l’outrage pourrait être tenu pour criminel, d’après «les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations (art. 15, par. 2)».
4.7En ce qui concerne le grief de violation de l’article 19 du Pacte, l’État partie objecte qu’une restriction imposée pour prévenir des incidents d’outrage à magistrat est raisonnable et nécessaire pour préserver le respect dû à la Cour et la réputation de celle‑ci ainsi que pour préserver l’ordre public et la morale publique. Le chapitre III de la Constitution de Sri Lanka dispose que l’exercice du droit à la liberté d’expression est soumis aux restrictions prescrites par la loi, au nombre desquelles l’outrage à magistrat. En vertu de l’article 89 d) de la Constitution est déchu de ses droits électoraux «celui qui exécute ou a exécuté pendant les sept années précédant immédiatement l’élection une peine d’emprisonnement (de quelque type que ce soit) d’une durée au moins égale à six mois, prononcée par un tribunal pour une infraction punissable d’un emprisonnement d’au moins deux ans…». L’État partie avance que le fait d’empêcher une personne qui a été condamnée pour une infraction pénale de voter ou d’être élue membre du Parlement ne saurait être considéré comme une restriction déraisonnable au sens de l’article 25 du Pacte.
4.8En ce qui concerne l’article 26 du Pacte, l’État partie fait valoir que l’argument selon lequel les chaînes de télévision et la personne qui a prononcé la déclaration litigieuse doivent être traitées sur un pied d’égalité n’est pas défendable. De plus, l’auteur avait déjà reçu une mise en garde et une admonestation pour des faits d’outrage précédents et ne peut donc pas être traité de la même manière qu’une personne qui comparaît devant un tribunal pour la première fois.
4.9L’État partie ajoute qu’il n’a aucun pouvoir sur les décisions d’un tribunal compétent et qu’il ne peut pas donner d’instruction concernant les jugements qu’un tribunal rendra à l’avenir. Quand il a signé le Protocole facultatif, il n’a jamais eu l’intention d’accepter que le Comité soit compétent pour exprimer des opinions sur un jugement rendu par un tribunal compétent de Sri Lanka. L’État partie nie que le Président de la Cour suprême ait été prévenu contre l’auteur pour des raisons politiques ou personnelles.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.Dans une note datée du 9 novembre 2005, l’auteur réitère ses griefs et ajoute que l’État partie n’a pas répondu à un grand nombre de ses arguments. En ce qui concerne les arguments relatifs au paragraphe 3 de l’article 8 du Pacte, il fait valoir que l’ordonnance relative à l’interprétation des textes énonce explicitement qu’elle s’applique à la Constitution et que le fait que la Cour suprême soit investie du pouvoir d’interpréter la Constitution ne signifie pas que dans l’exercice de ce pouvoir elle peut ignorer les dispositions explicites de l’ordonnance. Pour ce qui est de l’argument selon lequel dans sa déclaration il a qualifié les magistrats de la Cour suprême de «chiens», l’auteur renvoie à la traduction des mots en question faite par la Cour suprême elle‑même et qui était «décision indigne». À aucun moment pendant la procédure le Procureur ni la Cour elle‑même n’a prétendu que l’auteur avait qualifié les juges de la Cour suprême de «chiens». En ce qui concerne la référence au paragraphe 2 de l’article 15 du Pacte faite par l’État partie, l’auteur objecte que cette disposition visait à confirmer les principes appliqués par les tribunaux chargés de juger les crimes de guerre mis en place après la Seconde Guerre mondiale.
Commentaires supplémentaires de l’auteur
6.1Le 31 mars 2008, sur instructions du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, le secrétariat a demandé à l’auteur de confirmer que le grief tiré du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte était implicite dans sa plainte et de donner des renseignements sur sa remise en liberté. Dans une note du 6 avril 2008, l’auteur confirme qu’un grief de violation du paragraphe 1 de l’article 9 est implicite dans chacune des violations qu’il énumérait dans sa communication initiale. Il se réfère aux constatations du Comité dans l’affaire Fernando c. Sri Lanka qui ont été adoptées trois semaines après la date à laquelle la présente communication a été adressée au Comité et dans lesquelles celui-ci a établi qu’il y avait eu violation du paragraphe 1 de l’article 9, l’auteur ayant été victime d’une privation arbitraire de liberté du fait d’un acte du pouvoir judiciaire. L’auteur de la présente communication renvoie également aux critères appliqués par le Groupe de travail sur la détention arbitraire pour déterminer si une privation de liberté est arbitraire − «quand la violation de quelque norme internationale relative à la garantie d’un procès équitable est d’une telle gravité que la privation de liberté, de quelque nature que ce soit, prend un caractère arbitraire» et «quand cette détention est le résultat d’une procédure judiciaire ou d’une peine qui découlent de l’exercice par un individu du droit à la liberté d’opinion et d’expression garanti par l’article 19 du Pacte».
6.2L’auteur indique que, le 15 février 2006, le Président a remis le reste de sa peine et qu’il a donc été libéré, environ six à huit semaines avant l’expiration de sa peine. Deux ou trois semaines avant sa remise en liberté, le Président du Parlement a décidé que l’auteur était déchu du siège de député auquel il avait été élu en avril 2004 pour un mandat de six ans, parce qu’il s’était absenté pendant une durée continue de trois mois. Le Président n’a pas accordé la grâce (ce qu’il aurait pu faire conformément au paragraphe 2 de l’article 34 de la Constitution), ce qui aurait annulé l’interdiction de voter ou de se porter candidat à des élections dont l’auteur est frappé pendant sept années à compter de la date d’exécution de sa condamnation, c’est‑à‑dire jusqu’en avril 2013.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
7.2Pour ce qui est des griefs de violations de l’article 7 du Pacte, du paragraphe 3 b) de l’article 8, du paragraphe 1 de l’article 15, et de l’article 26, le Comité estime que ces griefs n’ont pas été étayés, aux fins de la recevabilité, et considère donc qu’ils sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.3Pour ce qui est des autres griefs, tirés des dispositions de l’article 14, du paragraphe 1 de l’article 9, de l’article 19 et de l’article 25 b), le Comité considère qu’ils ont été suffisamment étayés et ne voit aucun autre obstacle à leur recevabilité.
Examen au fond
8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
8.2Le Comité rappelle l’observation qu’il a déjà faite dans une décision précédente et relève que l’une des caractéristiques des juridictions de common law est que par tradition les tribunaux exercent la faculté de maintenir l’ordre et la dignité pendant les audiences et disposent pour ce faire du pouvoir de prononcer sommairement des peines pour «outrage à magistrat». Dans cette décision, le Comité avait également noté que l’application d’une peine draconienne sans explication suffisante ni garanties indépendantes de procédure tombait sous le coup de la disposition du paragraphe 1 de l’article 9 interdisant la privation «arbitraire» de liberté. Le fait qu’un acte constitutif d’une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte soit commis par une autorité judiciaire ne peut pas exonérer l’État de sa responsabilité en tant qu’État.
8.3Dans la présente affaire, l’auteur a été condamné à un emprisonnement en régime sévère de deux ans pour avoir déclaré lors d’une réunion publique qu’il n’accepterait pas de «décision indigne» de la part de la Cour suprême, dans le contexte d’un avis attendu de la Cour suprême au sujet de l’exercice des pouvoirs de défense par le Président de la République et le Ministre de la défense. Comme l’État partie l’a objecté et comme l’a confirmé la lecture du texte du jugement, il semblerait que le mot «indigne» ait été considéré par le tribunal comme une traduction «édulcorée» du mot qui a été véritablement prononcé. L’État partie mentionne l’argument de la Cour suprême qui a affirmé que la peine visait à être «dissuasive» étant donné que l’auteur avait déjà été inculpé d’outrage mais n’avait pas été condamné parce qu’il avait présenté des excuses. Il semblerait donc que la peine sévère qui a été prononcée se fonde sur deux inculpations pour outrage, dont l’une n’avait pas été sanctionnée par une condamnation. De plus, le Comité note que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi il était nécessaire dans cette affaire d’appliquer la procédure sommaire, en particulier compte tenu du fait que l’incident à l’origine de l’inculpation n’avait pas eu lieu «devant la Cour», c’est-à-dire pendant l’audience. Le Comité constate que la Cour suprême pas plus que l’État partie n’a donné d’explication motivée justifiant la nécessité de prononcer en procédure sommaire une peine aussi sévère pour assurer le bon déroulement de la procédure, comme elle en a le pouvoir, si tant est que le fait de rendre un avis consultatif peut constituer une procédure à laquelle peut s’appliquer une procédure sommaire pour outrage. Il conclut donc que la détention a été arbitraire, en violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.
8.4Le Comité conclut que l’État partie a violé l’article 19 du Pacte, la peine prononcée contre l’auteur étant disproportionnée par rapport à tout but légitime au sens du paragraphe 3 de l’article 19.
8.5Pour ce qui est du grief de violation de l’article 25 b) du fait que l’auteur est déchu de ses droits électoraux pour une durée de sept ans après sa remise en liberté, le Comité rappelle que l’exercice du droit de vote et du droit d’être élu ne peut être suspendu ou supprimé que pour des motifs consacrés par la loi, et qui soient raisonnables et objectifs. Il rappelle également que «si le fait d’avoir été condamné pour une infraction est un motif de privation du droit de vote, la période pendant laquelle l’interdiction s’applique devrait être en rapport avec l’infraction et la sentence». Le Comité note que dans l’affaire à l’examen les restrictions sont établies par la loi mais que, à part le fait d’affirmer que ces restrictions sont raisonnables, l’État partie n’a apporté aucun argument pour montrer que les restrictions imposées au droit de voter ou de se porter candidat étaient proportionnées à l’infraction et à la sentence. Étant donné que ces restrictions résultent de la condamnation de l’auteur et de sa peine, dont le Comité a établi qu’elle était arbitraire, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 9, et vu que l’État partie n’a apporté aucun motif pour justifier le caractère raisonnable ou proportionné de ces restrictions, le Comité conclut que l’interdiction dont l’auteur a été frappé et qui l’empêche d’exercer ses droits électoraux, pendant sept ans après sa condamnation et l’extinction de la peine, est déraisonnable et constitue donc une violation de l’article 25 b) du Pacte.
8.6Étant donné que le Comité a constaté des violations du paragraphe 1 de l’article 9, de l’article 19 et de l’article 25 b) dans la présente affaire, il n’est pas nécessaire qu’il détermine si les dispositions de l’article 14 du Pacte peuvent s’appliquer à l’exercice par un tribunal du pouvoir à lui conférer pour outrage à magistrat.
9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que l’État partie a commis une violation du paragraphe 1 de l’article 9, de l’article 19 et de l’article 25 b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, y compris sous la forme d’une indemnisation et du rétablissement de son droit de voter et d’être élu, et de procéder aux modifications qui s’imposent en droit comme dans la pratique pour éviter des violations analogues à l’avenir. L’État partie est tenu de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent à l’avenir.
11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
L. Communication n o 1376/2005, Bandaranayake c. Sri Lanka*(Constatations adoptées le 24 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Soratha Bandaranayake(représenté par un conseil, M. S. R. K. Hewamanna) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Sri Lanka |
Date de la communication: |
21 janvier 2005 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Révocation d’un juge |
Questions de procédure: |
Néant |
Questions de fond: |
Procès inéquitable; accès à la fonction publique; inégalité |
Articles du Pacte: |
14 (par. 1), 25 c) et 26 |
Articles du Protocole facultatif: |
2 et 3 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 24 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1376/2005, présentée par M. Soratha Bandaranayake en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est M. Soratha Bandaranayake, Sri‑lankais né le 30 janvier 1957. Il affirme être victime de violations par l’État partie des articles 14, 25 (al. c) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. S. R. K. Hewamanna.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur a été nommé juge de district de Negombo avec effet au 1er avril 1998, après avoir été magistrat pendant dix ans. Le 17 octobre 1998, alors qu’il se rendait en voiture à une cérémonie religieuse en compagnie d’un ami indien tamoul, l’auteur et son ami ont été arrêtés à un poste de contrôle et maltraités par la police. Le policier ne l’ayant pas reconnu, l’auteur a présenté sa carte d’identité. Il a ensuite porté l’affaire à l’attention du responsable du poste de police de Kirulapona. Le 26 octobre 1998, sur ordre du responsable en question, le policier a rendu visite à l’auteur dans son cabinet au tribunal de district et lui a présenté des excuses.
2.2À la suite de cet incident, l’auteur a reçu un coup de téléphone le citant à comparaître devant la Commission de la magistrature le 18 novembre 1998 et, sans qu’il soit fait référence à aucune plainte, a été interrogé sur la question de savoir s’il avait prétendu être un juge de la Haute Cour à un poste de police de Kirulapona. Il s’est avéré par la suite qu’une plainte a été déposée par le juge de la Haute Cour le 20 novembre 1998, deux jours après que l’auteur a été interrogé par la Commission de la magistrature ce qui, selon lui, atteste d’un complot contre lui. Conformément à l’article 114 de la Constitution, la nomination et le transfert des magistrats et les décisions disciplinaires les concernant incombent à la Commission de la magistrature. En vertu de l’article 112, la Commission de la magistrature est présidée par le Président de la Cour suprême et deux autres juges de la Cour suprême.
2.3Sur décision de la Commission de la magistrature en date du 24 novembre 1998, l’auteur a été mis en congé obligatoire sans que lui soient révélées la nature de la plainte ni l’identité du plaignant. Le 1er avril 1999, la Commission de la magistrature lui a adressé un avis exposant les fautes disciplinaires qui lui étaient reprochées, dans lequel il était affirmé que, lors d’une altercation avec un policier à un poste de contrôle, il s’était «fait passer» pour un juge de la Haute Cour, bénéficiant ainsi d’un traitement préférentiel, et avait ensuite réprimandé le policier en question. Il a été accusé d’entrave aux fonctions du policier, de fausse déclaration et d’abus d’autorité. On lui a demandé de présenter par écrit sa version des faits, ce qu’il a fait dans une lettre du 7 juillet 1999 qui rejetait ces accusations. Du 13 septembre 1999 au 21 mars 2000, une commission d’enquête nommée par la Commission de la magistrature et composée d’un juge de la Cour suprême, du Président de la cour d’appel et d’un juge de la cour d’appel, a enquêté sur cette affaire. L’auteur était représenté par un conseil.
2.4L’auteur met l’accent sur ce qu’il considère comme des irrégularités de la part de la Commission d’enquête:
La Commission d’enquête n’a pas produit à l’audience certains documents pouvant être utiles à la défense de l’auteur, notamment ceux ayant trait à la procédure du 18 novembre 1998, et a rejeté la demande du conseil tendant à ce que le secrétaire de la Commission de la magistrature témoigne et produise les documents en question;
Les membres de la Commission d’enquête n’avaient pas été désignés conformément à la loi;
Les dépositions des témoins sur lesquelles s’appuyaient les accusations n’étaient pas recevables;
Les déclarations des policiers n’avaient pas été faites sous serment ou solennellement conformément à la loi;
Les éléments de preuve sur la foi desquels l’auteur aété déclaré coupable n’étaient pas convaincants, notamment la plainte déposée par le juge de la Haute Cour, qui ne portait ni date ni timbre officiel;
Les membres de la Commission d’enquête ont interrogé l’auteur en détail sur son comportement passé pour essayer de le mettre en cause et il n’a pas eu la possibilité de démontrer qu’il avait été disculpé de toute faute et qu’il avait ensuite obtenu une promotion;
Il n’a pas été possible de faire subir un contre‑interrogatoire au témoin principal de la police;
La Commission d’enquête n’a pas tenu compte du fait que le témoin direct (le policier en question) avait été placé en détention provisoire sur présomption de meurtre et d’infraction liée à la drogue;
L’auteur a été privé du droit de convoquer des témoins importants, notamment le fonctionnaire qui était responsable du poste de police au moment de l’incident présumé;
La Commission d’enquête s’est fondée sur des éléments de preuve qui n’avaient pas été produits pendant l’enquête mais étaient liés à l’interrogatoire mené par la Commission de la magistrature le 18 novembre 1998, en particulier un document dans lequel l’auteur était censé reconnaître sa responsabilité, mais qui n’avait pas été produit au cours de l’enquête ni mis à la disposition de l’auteur;
Les objections émises par le conseil concernant l’absence de plainte ou d’inscription sur la main courante de la part des policiers n’ont pas été enregistrées (comme l’exige le règlement des services de police) et aucune décision n’a été prise à leur sujet;
La Commission d’enquête n’a pas tenu compte du fait que le juge de la Haute Cour en question a coutume de se plaindre des juges débutants;
Lorsque le juge de la Haute Cour en question a informé le Comité que, compte tenu des doutes qui planaient sur la crédibilité des témoins, il ne croyait plus que l’incident présumé avait eu lieu, la Commission d’enquête a refusé de mettre fin à la procédure;
La requête déposée par le conseil de l’auteur en vue de demander à la Commission d’enquête si celle‑ci avait établi que l’affaire était à première vue fondée a été rejetée;
La Commission d’enquête a insisté pour que l’auteur témoigne pour sa propre défense et a déclaré que s’il ne le faisait pas, cela aurait des conséquences désastreuses, le privant ainsi du droit de garder le silence contrairement au paragraphe 1 de l’article 12 de la Constitution.
2.5Le 12 juin 2000, l’auteur a été informé que la Commission d’enquête l’avait déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés. Aucune raison n’a été fournie à l’appui de cette décision. La lettre lui ordonnait de se présenter devant la Commission de la magistrature qui devait statuer sur les «mesures à prendre» et lui faisait savoir qu’il avait le droit d’être assisté d’un conseil. Avant que la Commission de la magistrature ne se réunisse, l’auteur a demandé plusieurs fois à avoir accès au dossier de l’enquête, notamment à des copies certifiées des actes de procédure et aux raisons sous‑tendant la décision de la Commission. Il n’a reçu aucune réponse. Le 31 juillet 2000, l’auteur a comparu devant la Commission de la magistrature, assisté d’un conseil. Le conseil a fait valoir qu’aucun élément ne permettait de déclarer l’auteur coupable. Le Président de la Cour suprême, qui présidait l’audience, a indiqué que même si la Commission de la magistrature ne tenait pas compte de la décision de la Commission d’enquête, lui‑même était porté à croire que le requérant était coupable pour d’autres motifs, c’est‑à‑dire à cause de ses antécédents. Lorsqu’il a fait remarquer au Président de la Cour qu’il avait été disculpé au sujet des incidents passés, on lui a dit de «la fermer». Le Président de la Cour a conseillé à l’auteur d’accepter une mise à la retraite, lui a demandé d’y songer et de donner son consentement par écrit, ce que l’auteur a refusé. La requête déposée par le conseil en vue de faire des déclarations supplémentaires a été rejetée. Le 7 novembre 2000, l’auteur a été informé qu’il avait été démis de ses fonctions par la Commission de la magistrature. Le 15 novembre 2000, l’auteur a adressé une lettre d’appel à la Commission de la magistrature mais il n’a reçu aucune réponse.
2.6À la suite de cela, l’auteur a porté plainte auprès de la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka. Le 18 juin 2001, la Commission a demandé à l’auteur d’indiquer en quoi elle était compétente pour connaître de sa plainte contre la Commission de la magistrature. Le 8 avril 2003, l’auteur a déposé une requête devant la cour d’appel en vue d’obtenir l’annulation de l’ordonnance de révocation et sa réintégration. Le 17 juillet 2003, un «juge débutant» de la cour d’appel a rejeté la requête au motif que l’auteur n’avait pas démontré que le Président de la Cour avait fait preuve de malveillance. Selon l’auteur, le juge qui a tranché cette affaire avait auparavant travaillé sous les ordres du Président de la Cour suprême et laisse entendre que ce dernier l’aurait influencé dans sa décision de débouter l’auteur. Aucune réponse n’a encore été donnée à la demande d’autorisation spéciale de former recours contre cette décision qui a été déposée auprès de la Cour suprême. Selon l’auteur, le Président de la Cour suprême a omis d’inscrire cette affaire au rôle.
2.7L’auteur a déposé auprès de la Cour suprême une requête en protection de ses droits fondamentaux pour laquelle l’autorisation de faire appel lui a été refusée à la majorité le 6 septembre 2004. Selon l’auteur, le Président de la Cour suprême aurait demandé que la requête lui soit attribuée, bien qu’il participe déjà à la procédure engagée devant la Commission de la magistrature et malgré l’objection émise par le conseil de l’auteur. L’auteur affirme que bien qu’il ne fasse pas partie des juges ayant examiné l’affaire, le Président de la Cour suprême s’est fait attribuer la requête de manière à choisir des juges qu’il pouvait facilement influencer, s’assurant de la sorte que la requête serait rejetée.
2.8Selon l’auteur, le Président de la Cour suprême n’est pas bien disposé à son égard en raison de plusieurs incidents survenus alors qu’il était Procureur général et qui ont créé une certaine animosité entre eux. L’auteur cite des exemples de fautes commises par des magistrats pour lesquelles les sanctions prononcées ont été moins lourdes que celle dont il a fait l’objet.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme qu’on ne lui a pas donné l’occasion d’être entendu équitablement pour se défendre des accusations portées contre lui, ce qui constitue une violation de ses droits en vertu du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’alinéa c de l’article 25 du Pacte. Sa révocation est principalement due à l’animosité que le Président de la Cour suprême nourrissait à son égard, celui-ci ayant influencé les autres membres de la Commission de la magistrature. Il se réfère en outre aux irrégularités de la procédure disciplinaire, depuis sa comparution devant la Commission de la magistrature le 18 novembre 1998 à l’enquête (voir par. 2.4 ci-dessus) et à sa révocation. Il affirme également que les accusations étaient très légères et que, même si elles avaient été prouvées, aucune d’elles n’équivalait à une «faute» telle que définie dans le volume II du Code de conduite des magistrats consacré au contrôle disciplinaire des fonctionnaires publics. Il affirme que sa révocation constituait une sanction disproportionnée.
3.2L’auteur déclare avoir fait l’objet d’une discrimination en violation de l’article 26, étant donné que d’autres juges qui ont été déclarés coupables par la Commission d’enquête n’ont pas été révoqués mais ont reçu des peines plus légères. Il affirme en outre qu’il n’a pas bénéficié d’un traitement égal devant la loi, étant donné que des incidents au sujet desquels il avait été disculpé et l’unique incident pour lequel il avait reçu un avertissement ont été pris en compte par la Commission d’enquête dans sa décision de le révoquer. Il affirme que cette décision n’était pas fondée sur la prétendue enquête à propos de la plainte déposée par le juge de la Haute Cour.
3.3L’auteur affirme également être victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 en ce qu’il a été privé d’un recours utile, dans la mesure où la Commission nationale des droits de l’homme et la Cour suprême ont refusé d’examiner la requête qu’il avait déposée en protection de ses droits fondamentaux.
3.4L’auteur demande réparation, y compris une déclaration de violation de ses droits, sa réintégration et une indemnisation.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans sa réponse du 7 octobre 2005, l’État partie déclare que l’auteur n’a pas établi à première vue qu’il y avait eu violation de l’un de ses droits en vertu du Pacte et ajoute que les allégations contre le Président de la Cour suprême sont dénuées de fondement. Conformément à la Constitution, le Président de la Cour suprême assure également la présidence de la Commission de la magistrature, mais il la partage avec deux autres juges de la Cour suprême. Il n’est donc pas seul à se prononcer. Concernant les faits, l’État partie indique que l’auteur est devenu magistrat en 1988, qu’il a été mis en congé obligatoire le 10 janvier 1997 et réintégré le 9 octobre 1997. Le 23 novembre 1998, l’auteur a été mis une nouvelle fois en congé obligatoire, puis le 7 novembre 2000, il a été révoqué. La lettre de révocation que la Commission de la magistrature lui a adressé le 7 novembre 2000 mentionne plusieurs cas dans lesquels l’auteur a commis une faute ou eu un comportement indigne d’un magistrat.
4.2Au cours de sa carrière, l’auteur a vu sa période d’essai prolongée, a été transféré pour des raisons disciplinaires, a reçu un avertissement, a été interdit d’exercer et a été mis en congé obligatoire avant d’être finalement révoqué. L’État partie joint des renseignements concernant les plaintes déposées contre l’auteur au long de sa carrière. Il explique que toutes les affaires dont il est question étaient antérieures à l’entrée en fonction du Président actuel de la Cour suprême et que, par conséquent, l’allégation de l’auteur, qui affirme avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire de la part du Président de la Cour suprême en raison de l’animosité qui régnait entre eux, est dénuée de fondement. En outre, il ressort clairement du dossier professionnel de l’auteur que celui-ci n’est pas qualifié pour occuper des fonctions publiques et que la décision de le révoquer était justifiée.
4.3L’État partie fait valoir que le Comité n’est pas compétent pour connaître en appel des décisions rendues au fond par la Commission d’enquête. L’enquête a été menée de manière équitable, l’auteur était présent et représenté par un conseil, et la décision était juste et raisonnable compte tenu des circonstances. En ce qui concerne la plainte pour discrimination, l’État partie déclare qu’étant donné les fautes qui lui sont reprochées, le cas de l’auteur n’est pas comparable aux autres cas qu’il a cités. Par conséquent, cette plainte est dénuée de fondement. Pour ce qui est du grief de l’auteur qui dit qu’il aurait dû être présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie, l’État partie fait valoir que cette notion n’est valable qu’en matière pénale. En tout état de cause, rien ne prouve que la cause de l’auteur était préjugée.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Le 15 janvier 2006, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. Il réitère ses allégations et souligne que l’État partie ne les a pas niées et n’y a pas répondu. Il soutient que l’État partie essaie d’influencer les délibérations du Comité en mentionnant des incidents survenus au cours de sa carrière qui ont été réglés et n’ont pas de rapport avec l’enquête dont il a fait l’objet. En outre, l’État partie aurait déformé les faits en question en vue de lui porter préjudice et de donner une fausse idée de sa carrière judiciaire. L’auteur est convaincu qu’en étant contraint à revivre ces incidents, il est pénalisé deux fois pour des accusations qui ont été réfutées depuis longtemps.
5.2L’auteur conteste les arguments de l’État partie selon lesquels le Comité n’est pas en mesure de lui accorder réparation au motif que le Comité n’est pas compétent, en particulier pour interpréter la Constitution de l’État partie à cette fin. Il fait valoir que ces arguments ne constituent pas un motif légal pour rejeter sa communication et refuser de lui accorder réparation. Il relève que l’État partie n’a pas encore fourni les procès-verbaux ni les conclusions de l’enquête sur la base de laquelle il a été révoqué. Il fait observer en outre que, comme l’atteste la décision rendue par la Cour suprême le 6 septembre 2004, l’un des trois juges s’écartait de la décision prise par la Commission d’enquête pour ce motif. Il reconnaît que tous les incidents antérieurs mentionnés par l’État partie sont survenus alors que le Président actuel de la Cour suprême était Procureur général. Il affirme toutefois que l’animosité du Président de la Cour suprême à son égard est attestée par le fait qu’il a tenu compte d’incidents passés pour le révoquer.
5.3Au sujet des antécédents de faute mentionnés par l’État partie, l’auteur conteste l’allégation selon laquelle la Cour suprême aurait considéré qu’il avait violé les droits fondamentaux de la personne en question. Il affirme qu’il n’était même pas défendeur dans la procédure en question et que selon les termes du jugement, «bien que le conseil du requérant ait indiqué que le magistrat avait agi de façon «mécanique» et accepté la proposition formulée par la police, les éléments de preuve dont nous disposons ne nous permettent pas de parvenir à une telle conclusion». Cependant, la suite du jugement ordonnait qu’une copie du texte soit soumise à la Commission de la magistrature pour qu’elle prenne les mesures qu’elle jugerait appropriées. Ce point faisait partie des sept accusations qui étaient formulées dans l’avis adressé à l’auteur et dont il a par la suite été disculpé.
5.4L’auteur nie avoir jamais été interdit d’exercer et déclare qu’à l’occasion de l’unique incident qui a motivé son transfert, le juge de la Haute Cour qui a conduit l’enquête préliminaire a levé toutes les accusations portées contre lui et a recommandé qu’il soit réintégré à son poste antérieur. Quant à la prolongation de sa période d’essai, l’auteur avance qu’elle a eu lieu dans des «circonstances étranges». S’agissant de sa mise en congé obligatoire le 10 juillet 1997, il indique que plusieurs des accusations en question avaient trait à des décisions rendues par d’autres magistrats et que, quand elle l’a constaté, la Commission de la magistrature a ordonné que sa mise en congé obligatoire soit annulée et que ses augmentations de traitement lui soient versées. Dans l’année qui a suivi, il a été promu à la classe supérieure. L’auteur reconnaît que la Commission de la magistrature lui a adressé un avertissement lors d’une audience le 28 juillet 1991. Cependant, selon le Code de conduite des magistrats, il ne s’agirait que d’une sanction légère qui n’aurait pas dû compromettre le déroulement de sa carrière. De plus, il n’avait pas été consigné dans son dossier que tout incident ultérieur entraînerait une révocation.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, tout en notant que ni l’auteur ni l’État partie n’ont fourni d’informations sur l’issue de la demande d’autorisation de former un recours contre la décision de la cour d’appel déposée par l’auteur auprès de la Cour suprême (voir par. 2.6 ci-dessus), le Comité relève que l’État partie n’a pas fait valoir que la communication était irrecevable quant au fond. Il s’ensuit que le Comité n’est pas empêché d’examiner la communication par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.3En ce qui concerne le grief de violation de l’article 26 du Pacte, le Comité note que les renseignements fournis sur des affaires comparables ne suffisent pas à démontrer que la révocation de l’auteur constituait une discrimination ou un traitement inégal au sens de ladite disposition. Comme l’a fait observer l’État partie et comme le montrent les documents fournis par l’auteur, aucune des situations dans lesquelles se trouvaient les juges cités par l’auteur ne saurait être comparée à la sienne. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, sa plainte pour violation de l’article 26, et que cette plainte est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4Le Comité note que l’alinéa c de l’article 25 du Pacte confère le droit d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques, et rappelle que ce droit inclut le droit de ne pas être révoqué arbitrairement de la fonction publique. Pour cette raison, le Comité considère que le grief de violation de l’article 25 est recevable et devrait être examiné au fond.
6.5Quant à la question de savoir si les autres griefs de l’auteur entrent dans le champ d’application du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité rappelle que la notion de «droits et obligations de caractère civil au sens du paragraphe 1 de l’article 14, est fondée sur la nature du droit en question plutôt que sur le statut de l’une des parties. Il rappelle en outre que l’imposition de mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ne constitue pas nécessairement en soi une décision concernant des «droits et obligations de caractère civil» et ne constitue pas non plus, sauf dans les cas de sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, ont un caractère pénal, une décision sur le bien‑fondé d’une accusation pénale au sens de la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Selon la même jurisprudence, le Comité considère que, s’il n’est pas nécessaire que la décision concernant une révocation disciplinaire soit prise par une cour de justice ou un tribunal, dans les cas où c’est un organe juridictionnel qui est chargé de mener une enquête disciplinaire et de décider de l’opportunité d’imposer des mesures disciplinaires, cet organe est tenu de respecter la garantie de l’égalité de tous devant les cours de justice et les tribunaux énoncée au paragraphe 1 de l’article 14 et les principes d’impartialité et d’égalité des moyens implicites dans cette garantie. Le Comité renvoie à son Observation générale relative à l’article 14 qui définit la notion de «tribunal» dans cette disposition, et estime que, dans la mesure où elle est «établie par la loi, … est indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif», la Commission de la magistrature est un tribunal au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Il considère donc que la procédure menée par la Commission de la magistrature et les recours ultérieurs devant les tribunaux constituent une décision sur les droits et obligations de caractère civil au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
6.6Le Comité fait toutefois observer que le caractère prétendument arbitraire de la révocation est lié dans une large mesure à l’appréciation des faits et des éléments de preuve au cours des procédures engagées devant la Commission de la magistrature et la cour d’appel. Il renvoie à sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties de réexaminer ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve, ou d’examiner l’interprétation de la législation nationale par les cours et tribunaux nationaux, sauf s’il peut être établi que la conduite du procès, l’appréciation des faits et des éléments de preuve ou l’interprétation de la législation ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Le Comité note que la cour d’appel a réexaminé la décision de révoquer l’auteur prise par la Commission de la magistrature. Les plaintes concernant ce réexamen, qui ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité, portent sur le fait que la Commission de la magistrature n’a pas fourni à l’auteur une copie du procès-verbal de l’audience du 18 novembre 1998 ni des conclusions et de l’exposé des motifs de la décision de la Commission d’enquête qui a abouti à la révocation. En conséquence, le Comité considère que ces plaintes soulèvent des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 25 c) du Pacte; elles ont été suffisamment étayées et doivent être examinées au fond. Le Comité considère que les autres plaintes sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif car elles n’ont pas été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité.
Examen au fond
7.1Le Comité fait observer que l’alinéa c de l’article 25 du Pacte reconnaît le droit d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques, et renvoie à sa jurisprudence selon laquelle pour assurer l’accès dans des conditions générales d’égalité, non seulement les critères mais aussi les «procédures régissant la nomination, l’avancement, la suspension et le licenciement doivent être objectifs et raisonnables». Une procédure n’est pas objective ou raisonnable si elle ne respecte pas les conditions d’équité élémentaire en la matière. Le Comité considère également que le droit d’avoir accès, dans des conditions d’égalité, à la fonction publique inclut le droit de ne pas être révoqué arbitrairement de la fonction publique. Il note que l’auteur fait valoir que la procédure ayant abouti à sa révocation n’était ni objective ni raisonnable. Malgré des demandes répétées, il n’a pas reçu de copie du procès‑verbal de sa première audience devant la Commission de la magistrature le 18 novembre 1998; cela est confirmé par la décision de la Cour suprême du 6 septembre 2004 et n’est pas contesté par l’État partie. Il n’a pas reçu non plus les conclusions de la Commission d’enquête, sur la base desquelles il a été révoqué par la Commission de la magistrature. La décision rendue par la cour d’appel confirme que ces documents ne lui ont jamais été fournis, conformément à la disposition expresse figurant à l’article 18 du Règlement de la Commission de la magistrature.
7.2L’article 18 du Règlement de la Commission de la magistrature dispose qu’«il ne sera toutefois pas délivré de copies de rapports ou d’exposés des motifs ayant trait à l’enquête ni d’instructions internes ou de minutes confidentielles». Le Comité note qu’il n’y a pas de dispositions dans le Règlement lui-même ni d’explication de la part des tribunaux ou de l’État partie qui justifie que l’exposé des motifs des décisions rendues en leur défaveur par la Commission d’enquête ne soit pas communiqué aux magistrats. Il relève que l’État partie n’aborde pas cette question. Il relève en outre que l’unique motif de révocation communiqué à l’auteur figure dans la lettre de révocation qui lui a été adressée le 7 novembre 2000, dans laquelle la Commission de la magistrature indique que la Commission d’enquête l’a déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés, sans aucune explication. La Commission de la magistrature a également pris acte des fautes dont l’auteur avait été accusé dans le passé et dont il a été ensuite disculpé. Il importe de noter que l’État partie lui-même n’a pas fourni de copie des conclusions de la Commission d’enquête. Le Comité considère que le fait pour la Commission de la magistrature de ne pas avoir fourni à l’auteur toutes les pièces nécessaires pour qu’il puisse bénéficier d’une procédure équitable et, en particulier, le fait de ne pas l’avoir informé des motifs pour lesquels la Commission d’enquête avait conclu qu’il était coupable, conclusion qui a elle‑même abouti à sa révocation, sont des éléments qui, par leur conjonction, font que la procédure n’a pas respecté les conditions d’équité élémentaire en la matière et, partant, était déraisonnable et arbitraire. Pour ces raisons, le Comité considère que la conduite de la procédure de révocation n’a été ni objective ni raisonnable et qu’elle n’a pas respecté le droit de l’auteur d’avoir accès, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. En conséquence, il y a eu violation de l’article 25 c) du Pacte.
7.3Le Comité rappelle, comme il l’énonce dans son Observation générale relative à l’article 14, que la révocation de juges en violation de l’article 25 c) peut constituer une violation de cette garantie, considérée à la lumière du paragraphe 1 de l’article 14 qui prévoit l’indépendance du pouvoir judiciaire. Comme il est indiqué dans la même Observation générale, le Comité rappelle que «les juges ne peuvent être révoqués que pour des motifs graves, pour faute ou incompétence, conformément à des procédures équitables assurant l’objectivité et l’impartialité, fixées dans la Constitution ou par la loi». Pour les raisons exposées au paragraphe 7.2, la procédure qui a abouti à la révocation de l’auteur n’a pas respecté les conditions d’équité élémentaire et n’a pas été de nature à permettre que l’auteur bénéficie des garanties nécessaires auxquelles il avait droit en sa qualité de juge, ce qui a représenté une atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Pour cette raison le Comité conclut que les droits consacrés à l’article 25 c), lu conjointement au paragraphe 1 de l’article 14, ont été violés.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 25 c) du Pacte.
9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, y compris sous la forme d’une indemnisation adéquate.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
M. Communication n o 1385/2005, Manuel c. Nouvelle ‑Zélande*(Constatations adoptées le 18 octobre 2007, quatre ‑vingt ‑onzième session)
Présentée par: |
Benjamin Manuel (représenté par un conseil, M. Tony Ellis) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Nouvelle‑Zélande |
Date de la communication: |
6 avril 2005 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Réincarcération, pour qu’il exécute le reste de sa peine de réclusion à perpétuité pour meurtre, d’un détenu en liberté conditionnelle suite à un comportement violent |
Questions de procédure: |
Épuisement des recours internes; justification de la plainte aux fins de la recevabilité; qualité de victime |
Questions de fond: |
Détention arbitraire |
Articles du Pacte: |
7, 9 (par. 1, 2, 3 et 4), 10 (par. 1 et 3), 14 (par. 1, 2, 3 a) et b) et 7), 15 et 26 |
Articles du Protocole facultatif: |
1, 2 et 5 (par. 2 b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 18 octobre 2007,
Ayant achevé l’examen de la communication n° 1385/2005 présentée au nom de M. Benjamin Manuel au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est M. Benjamin Manuel, de nationalité néo‑zélandaise, né en 1967. Il affirme être victime de violations par la Nouvelle‑Zélande des droits qui lui sont garantis à l’article 7, aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 de l’article 9, aux paragraphes 1 et 3 de l’article 10, aux paragraphes 1, 2, 3 a) et b) et 7 de l’article 14, à l’article 15 et à l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. Tony Ellis.
Exposé des faits
2.1En juillet 1984, l’auteur a été reconnu coupable de meurtre et condamné à la réclusion à perpétuité. Le 18 janvier 1993, il a bénéficié d’une libération conditionnelle. Pendant qu’il était en liberté, il a commis d’autres infractions dont il a été jugé coupable et pour lesquelles il a été condamné: en février 1993, il a été reconnu coupable de conduite avec un taux d’alcool excessif et condamné à une amende de 500 dollars et à un retrait de permis de six mois; en mars 1993, il a été reconnu coupable de violation des termes de sa libération conditionnelle pour ne pas s’être présenté aux autorités, et condamné à cent cinquante heures de travaux d’intérêt général; en mai 1994, il a été reconnu coupable de recel d’un bien volé, et condamné à une amende de 200 dollars; en octobre 1995, il a été déclaré coupable d’atteinte à l’ordre public, de préjudice intentionnel et de menaces verbales, et condamné à une amende de 400 dollars; en novembre 1995, il a été reconnu coupable de conduite dangereuse d’un véhicule (ayant renversé sa sœur en faisant marche arrière), de conduite avec un taux d’alcool excessivement élevé et d’atteinte à l’ordre public, et condamné à quatre mois d’emprisonnement. Il a également été accusé de voies de fait sur une personne de sexe féminin mais a été acquitté après sa réincarcération.
2.2Le 29 janvier 1996, l’auteur a été libéré après avoir exécuté la peine d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné en novembre 1995. Le même jour, le Directeur du Département des services pénitentiaires a adressé, en application de l’article 107 I de la loi sur la justice pénale (ci‑après dénommée «la loi»), à la Commission des libérations conditionnelles une demande pour qu’il soit réincarcéré. Les arguments avancés étaient que l’auteur avait été condamné pour plusieurs infractions qui lui avaient valu une peine totale de deux mois d’emprisonnement, qu’il était en liberté sous caution après avoir été accusé d’une autre infraction (voies de fait sur une personne de sexe féminin) et qu’il fallait, pour des raisons de sécurité publique, qu’il reste en détention, compte tenu des infractions commises et de son comportement qui laissait de plus en plus à désirer. Le Directeur du Département des services pénitentiaires a également demandé que soit prononcée une ordonnance provisoire de réincarcération en application de l’article 107 J de la loi dans la mesure où l’auteur faisait peser un risque immédiat sur la sécurité du public.
2.3Le 31 janvier 1996, le Président de la Commission des libérations conditionnelles, un juge de la Haute Cour, a, en application de l’article 107 J de la loi, ordonné la réincarcération provisoire de l’auteur en attendant que la Commission tienne une audience, le 29 février 1996. Le 1er février 1996, l’auteur s’est spontanément présenté à la police et a été arrêté en application d’un mandat provisoire. Le 13 février 1996, il a accepté par écrit que l’audience que devait consacrer la Commission à l’examen de la demande de réincarcération soit reportée au 19 mars 1996. L’audience a eu lieu à cette dernière date. L’auteur y était représenté par un conseil, qu’il avait consulté par téléphone avant la date de l’audience et rencontré vingt minutes avant le début de celle‑ci.
2.4La Commission, composée d’un juge de la Haute Cour et de quatre autres membres, a émis par écrit une ordonnance définitive de réincarcération, estimant que i) la violation par l’auteur des termes de sa libération conditionnelle, ii) le fait qu’il ait commis d’autres infractions pendant qu’il était en liberté conditionnelle et iii) son comportement donnant à penser qu’il commettrait d’autres infractions s’il restait en liberté avaient été suffisamment établis (selon le critère de la plus grande probabilité). De manière plus générale, la Commission a jugé qu’il y avait de sérieux motifs de conclure que l’auteur constituait un risque pour la sécurité du public. Après avoir examiné les condamnations, les rapports établis par les services pénitentiaires, les difficultés qu’avait l’auteur à maîtriser ses accès de colère et son problème d’alcool ainsi que les avis de l’agent de probation compétent, la Commission a estimé qu’il était nécessaire d’agir pour prévenir de futures infractions et confirmé l’ordonnance provisoire de réincarcération. La Commission a donné un avis favorable quant à l’examen par le Département des services pénitentiaires d’une possibilité de libération temporaire, en application de la loi sur les institutions pénitentiaires, pour permettre à l’auteur de suivre un traitement contre l’alcoolisme en établissement. En conséquence, le 19 mars 1996, un mandat de réincarcération a été décerné en application de l’article 107 L de la loi; l’auteur a donc été réincarcéré et est resté en prison depuis lors. Il n’a pas exercé son droit de faire appel de l’ordonnance de réincarcération, garanti à l’article 107 M de la loi.
2.5À compter du 9 décembre 1996, la Commission a examiné le cas de l’auteur tous les six à douze mois refusant d’autoriser sa libération mais faisant une série de recommandations à différents stades (libération temporaire pour suivre un programme de soins en établissement, permission de trois jours pour suivre un programme de traitement de l’alcoolisme, permission temporaire pour suivre un programme de prévention de la violence, placement dans un service spécial pour Maoris, placement dans un service d’autotraitement, travail d’intérêt général, etc.). En détention comme au cours des programmes de soins, l’auteur a manifesté à plusieurs reprises un comportement inapproprié. Il n’a à aucun moment demandé un contrôle judiciaire ni exercé son droit, instauré en juillet 2002, de demander le réexamen par une commission à composition différente d’aucune des décisions prises par cet organe après sa réincarcération.
2.6Le 30 mars 2004, l’auteur a demandé une libération sommaire dans le cadre de la procédure d’urgence prévue par la loi sur l’habeas corpus. Il a argué que sa réincarcération était illégale étant donné que les dispositions de la loi sur la justice pénale n’avaient pas été lues conjointement avec l’article 9 de la loi sur la déclaration des droits, qui interdit les peines excessivement sévères. Il a aussi fait valoir que la Commission des libérations conditionnelles n’était pas compétente pour tenir une audience afin de se prononcer sur sa réincarcération définitive, dans la mesure où l’ordonnance provisoire de réincarcération était illégale. Plus précisément, il n’y avait aucune trace écrite de cette ordonnance, à l’exception d’une référence à celle‑ci figurant dans le mandat de réincarcération et la demande d’ordonnance provisoire ne pouvait de surcroît être faite ex parte. L’auteur a également fait valoir que l’audience finale avait été ajournée sans qu’il ait donné son consentement, ce qui était illégal. Enfin, il a affirmé que l’ordonnance provisoire et l’ordonnance définitive étaient illégales parce que la Commission des libérations conditionnelles, le Département des services pénitentiaires et la police n’avaient pas fait en sorte qu’il soit informé de ses droits d’être représenté par un conseil et de former un habeas corpus et qu’il n’avait pas été traduit promptement devant un tribunal.
2.7Le 2 avril 2004, la Haute Cour a rejeté la requête de l’auteur. S’agissant de l’allégation selon laquelle sa réincarcération était disproportionnée au regard de son comportement, la Haute Cour a estimé que le dispositif prévu par la loi ne limitait pas la réincarcération aux circonstances dans lesquelles des actes de violence graves ou des atteintes à la vie ou à l’intégrité des personnes risquaient d’être commis. Elle a jugé que, compte tenu de son comportement (le fait qu’il conduisait en état d’ivresse et en faisant marche arrière avait renversé sa sœur qui avait perdu connaissance, et le fait qu’il ait agressé sa mère), de sa difficulté à maîtriser sa colère et son problème d’alcoolisme et du risque apparent qu’il commette encore d’autres infractions, la Commission des libérations conditionnelles était fondée à conclure qu’il représentait un grave danger pour autrui.
2.8S’agissant de l’allégation de l’auteur selon laquelle l’illégalité de l’ordonnance provisoire a rendu nulle et non avenue l’ordonnance définitive en vertu de laquelle il a été maintenu en détention, la Cour a estimé que, si l’ordonnance provisoire était illégale, il pourrait prétendre à être indemnisé pour la courte période, allant du 1er février 1996 au 19 mars 1996, durant laquelle il avait été emprisonné en application de celle‑ci; toutefois, selon le dispositif prévu par la loi, le seul lien existant entre les deux ordonnances est d’ordre temporel − lorsqu’une ordonnance provisoire est émise, une ordonnance finale doit être prononcée dans un délai maximum de deux à quatre semaines, sauf décision contraire prise d’un commun accord par les parties. À propos de l’allégation d’impartialité − tirée du fait que le Président de la Commission qui avait émis l’ordonnance provisoire siégeait aussi au sein de la Commission qui avait prononcé l’ordonnance définitive −, la Cour a estimé que le dispositif prévu par la loi était clair à ce sujet et qu’aucun problème juridique ne se posait en la matière.
2.9Pour ce qui est du fait qu’au moment de son arrestation, en application de l’ordonnance provisoire de réincarcération, l’auteur n’a pas été informé du motif de son arrestation et de son droit d’être représenté par un conseil, en violation du paragraphe 1 a) et b) de l’article 23 de la loi sur la déclaration des droits, la Cour a estimé qu’il n’y avait en effet pas de preuve attestant que l’auteur avait bien reçu copie de la notification requise par l’article 107 J 4) mais que la notification portait sur le droit de l’auteur de se faire représenter par un conseil non pas en ce qui concerne la réincarcération provisoire mais en ce qui a trait à l’audience de la Commission. Bien que la violation des droits garantis par l’article 23 puisse justifier l’octroi d’une indemnisation ou l’exclusion de preuves dans le cadre de la procédure d’habeas corpus devant la Cour, elle n’a pas pour autant rendu la réincarcération illégale. En tout état de cause, le fait que l’auteur n’ait pas été informé de ses droits à temps n’a eu aucune conséquence et il n’y a pas eu de tentative pour extorquer des aveux. S’agissant du caractère ex parte de l’ordonnance provisoire, le tribunal a estimé qu’il était clairement envisagé par le dispositif prévu par la loi et ne soulevait donc aucune question. Enfin, en ce qui concerne la question technique de l’absence d’une notification écrite distincte de l’ordonnance provisoire accompagnant le mandat provisoire, le tribunal a estimé qu’un mandat en bonne et due forme constituait une preuve suffisante de l’existence d’une ordonnance.
2.10Le 15 juin 2005, un recours de l’auteur contre cette décision a été rejeté par la cour d’appel. La cour a considéré que, dans le cadre de la procédure sommaire d’urgence prévue par la loi sur l’habeas corpus, la présentation d’un mandat en bonne et due forme était tout à fait suffisante; des griefs, comme ceux formulés dans le cas d’espèce, pour des considérations de droit administratif au sujet des décisions à la base de mandats en bonne et due forme devraient être formulés dans le cadre plus approprié d’une procédure de contrôle judiciaire. Cela dit, la cour a examiné le fond des arguments avancés par l’auteur et a confirmé la décision de la Haute Cour.
2.11Le 3 août 2005, la Cour suprême a rejeté une demande d’autorisation de faire de nouveau appel déposée par l’auteur. Une deuxième requête datée du 4 août 2005 visant à ce que soit prononcée une ordonnance d’habeas corpus a été retirée deux jours plus tard. Le 27 novembre 2006, la Commission des libérations conditionnelles a estimé que l’auteur avait fait d’excellents progrès pour mériter sa libération et lui a donc accordé celle-ci aux conditions habituelles, assorties de conditions spéciales applicables pendant deux ans.
Teneur de la plainte
3.1Les griefs de l’auteur portent sur quatre points généraux: l’ordonnance provisoire de réincarcération du 1er février 1996, l’ordonnance définitive de réincarcération du 19 mars 1996, le maintien de l’auteur en détention et sa capacité de contester sa détention.
3.2Pour ce qui est de l’ordonnance provisoire, l’auteur affirme que les faits font apparaître des violations des paragraphes 1, 2, 3 et 4 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10, des paragraphes 1, 2 et 3 a) de l’article 14, de l’article 15 et de l’article 26 du Pacte. Concrètement, il fait valoir que l’ordonnance provisoire de réincarcération ne lui a pas été notifiée (art. 9, par. 1; 10, par. 1; 14, par. 1; 15; 26), qu’au moment de son arrestation en application de cette ordonnance, il n’a été informé ni de son droit d’être représenté par un conseil ou de bénéficier d’une ordonnance d’habeas corpus (art. 9, par. 4), ni des motifs de sa détention (art. 9, par. 2; 14, par. 3 a)), que le mandat de réincarcération était arbitraire ou illégal dans la mesure où il n’était pas accompagné d’une notification écrite séparée de l’ordonnance provisoire (art. 9, par. 1), qu’après son incarcération, en application de cette ordonnance, l’audience de la Commission des libérations conditionnelles prévue pour le 29 février 1996 a été ajournée au 19 mars 1996 et qu’il n’a donc pas été rapidement présenté à une autorité judiciaire, qu’il n’a pas non plus pu participer à une procédure devant un tribunal, un organe judiciaire ou un organe quasi judiciaire (art. 9, par. 3 et/ou 4) et qu’il n’a pas eu la possibilité de contester sa détention (art. 9, par. 4).
3.3Pour ce qui est de l’ordonnance définitive de réincarcération, l’auteur affirme que les faits font apparaître des violations de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9, des paragraphes 1 et 3 de l’article 10, du paragraphe 7 de l’article 14 et de l’article 15 du Pacte. Concrètement, il fait valoir que la décision de réincarcération était contraire à la loi et que sa mise en détention en application de cette ordonnance était donc arbitraire (art. 9, par. 1). Il affirme en outre que sa détention en application de la décision de le renvoyer en prison pour qu’il purge le reste de sa peine était arbitraire parce qu’elle a été prise pour cause de violation des termes de sa libération conditionnelle, du fait qu’il avait commis de nouvelles infractions violentes pendant qu’il était en liberté et qu’il risquait d’en commettre d’autres encore. Or le risque qu’il se rende coupable d’autres infractions n’est pas assimilable aux «raisons impérieuses» justifiant le maintien en détention telles que définies dans le cadre de l’affaire Rameka c. Nouvelle ‑Zélande, ne constitue pas un motif suffisant de réincarcération compte tenu de la décision du Comité dans l’affaire Stafford c. Royaume ‑Uni, est trop vague pour pouvoir être pris en compte et se rapporte à des infractions qui ne sont pas suffisamment graves pour justifier le renvoi en prison. L’auteur fait valoir également que sa détention était arbitraire dans la mesure où la Commission des libérations conditionnelles n’était ni indépendante ni impartiale, étant donné: i) que la décision provisoire de réincarcération avait été prise par un membre de la Commission, son président, qui a fait, par la suite, partie des membres de la Commission qui ont pris la décision finale; ii) que le Président était un juge; iii) que la procédure de la Commission ne correspondait pas à celle d’un tribunal et iv) que les bureaux de la Commission étaient situés dans le même bâtiment que le bureau juridique du Département des services pénitentiaires, lequel fournit un appui administratif à la Commission. Pour les mêmes raisons, la Commission a violé le droit de l’auteur à une procédure équitable, qui est garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
3.4L’auteur ajoute, en ce qui concerne l’ordonnance définitive de réincarcération, que la décision a constitué un traitement excessivement sévère, en violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Elle est également incompatible avec le droit, garanti au paragraphe 3 de l’article 9, d’être présentée à un juge après une arrestation ou une mise en détention d’une personne soupçonnée d’une infraction pénale, étant donné le manque d’indépendance de la Commission, dont il est fait état plus haut. Cette mesure n’a pas non plus contribué à la réinsertion sociale de l’auteur, allant ainsi à l’encontre du paragraphe 3 de l’article 10 du Pacte. L’auteur n’a pas eu en outre la possibilité de donner comme il convient ses instructions à son conseil et n’a pas bénéficié de la présomption d’innocence, garantie par le paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. La décision de réincarcération va aussi à l’encontre de la règle non bis in idem, reconnue au paragraphe 7 de l’article 14 et/ou du droit à la protection contre une application rétroactive de la loi, garanti à l’article 15. Enfin, la décision de réincarcération est contraire à l’article 26 parce que la Commission s’était fondée pour la prendre sur la question de savoir si l’auteur faisait peser un risque suffisamment grave sur la sécurité publique et/ou parce que certaines questions soulevées par lui ne pouvaient être tranchées dans le cadre d’une procédure sommaire au titre de la loi sur l’habeas corpus.
3.5S’agissant de son maintien en détention après la décision de réincarcération, l’auteur affirme que cette mesure va à l’encontre du paragraphe 1 de l’article 9 et des paragraphes 3 et 4 de l’article 10 du Pacte. Les décisions prises par la Commission après sa réincarcération sont contraires au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, dans la mesure où elles ne sont pas dictées par des raisons impérieuses (ou d’autres motifs compréhensibles). Les résultats et les conclusions du rapport du service psychologique de 1998, présentés à la Commission, étaient erronés et la mesure de détention qui en a résulté était donc arbitraire et illégale. L’auteur fait aussi valoir qu’il a été privé de la possibilité d’être placé en autotraitement et qu’il n’a pas bénéficié de services de réadaptation convenables, en violation du paragraphe 3 de l’article 10 du Pacte. Enfin, il affirme qu’il est passé d’un régime de sécurité minimale à un régime de sécurité haute à moyenne dès qu’il a déposé sa requête d’habeas corpus.
3.6L’auteur affirme que l’insuffisance des moyens dont il a disposé pour contester sa détention constitue une violation du paragraphe 4 de l’article 9 et de l’article 26 du Pacte. Les recours judiciaires disponibles ne permettent pas d’assurer l’examen que requiert le paragraphe 4 de l’article 9, étant donné i) que, s’agissant du contrôle judiciaire, le recours offert par les tribunaux est discrétionnaire et non obligatoire comme c’est le cas en matière d’habeas corpus, ii) que le contrôle judiciaire ne porte pas sur le fond de la question de la détention au sens de la décision de la Cour européenne dans l’affaire Weeks c. Royaume ‑Uni, iii) qu’une demande de contrôle judiciaire nécessite que l’on acquitte 400 dollars au titre des frais de justice alors qu’un recours en habeas corpus est gratuit et iv) qu’une procédure de contrôle judiciaire est moins rapide qu’une procédure d’habeas corpus. Le fait que certains des griefs soulevés par l’auteur pouvaient faire l’objet d’un contrôle judiciaire mais pas d’une procédure d’habeas corpus est discriminatoire à l’égard des personnes incarcérées, ce qui constitue une autre violation de l’article 26 du Pacte. Enfin, la procédure d’habeas corpus est une procédure urgente et sommaire et ne permet pas de prendre connaissance avant le procès des éléments de preuve détenus par l’accusation, ce qui constitue une violation du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1Dans ses observations du 7 novembre 2005, l’État partie conteste l’ensemble de la communication au regard de la recevabilité et du fond. Il affirme, de manière générale, que l’auteur est détenu en application d’une condamnation à une peine de prison après que sa libération conditionnelle a été rapportée. Sa réincarcération initiale s’était faite au motif qu’il pouvait être renvoyé en prison et qu’il faisait peser un risque immédiat sur la sécurité d’autrui. La décision définitive de réincarcération a été prise à la suite d’une audience de la Commission des libérations conditionnelles, durant laquelle l’auteur était présent et représenté par un conseil. Son maintien en détention a été examiné par la Commission tous les six à douze mois (jusqu’à sa libération sous conditions en novembre 2006), en fonction de renseignements constamment mis à jour sur son comportement et son état psychologique ainsi que des remarques de ses conseils. La Commission et le Département des services pénitentiaires ont tous deux consenti de gros efforts pour permettre à l’auteur de suivre des programmes de réinsertion. L’État partie note qu’hormis une demande de libération sommaire en application de la loi sur l’habeas corpus l’auteur n’a contesté aucune des décisions à la base de sa détention, en particulier par le biais d’un réexamen ou d’un contrôle judiciaire des décisions successives de la Commission, en vertu desquelles il était maintenu en détention.
Questions soulevées par la réincarcération provisoire
4.2Pour ce qui est de la série de griefs relatifs à l’ordonnance provisoire, l’État partie fait valoir, en ce qui concerne la plainte au titre du paragraphe 1 de l’article 10, que pour que cette disposition puisse être invoquée il faut non seulement qu’il y ait détention mais aussi des souffrances inacceptables. L’affirmation selon laquelle l’auteur a été de façon discriminatoire privé du droit à un procès équitable, qui est garanti aux personnes accusées d’infractions pénales, n’est nulle part étayée et il convient, en tout état de cause, de tenir compte du fait qu’il y a une différence entre les décisions relatives à des accusations pénales et les décisions concernant la libération conditionnelle. Ces plaintes sont par conséquent irrecevables car elles n’ont pas été suffisamment étayées.
4.3Pour ce qui est du fond des griefs relatifs à l’ordonnance provisoire, l’État partie souligne qu’une décision provisoire et une décision finale, confirmées par les tribunaux, sont bien distinctes quant aux faits et au droit, compte tenu des critères différents qui s’appliquent à l’une et à l’autre; de ce fait, un vice dont serait entachée la première n’enlève rien à la validité de la deuxième, sur laquelle est fondée la détention de l’auteur à compter du 19 mars 1996. Pour ce qui est du caractère ex parte de l’ordonnance provisoire, l’État partie note qu’il a de bonnes raisons d’examiner ex parte les demandes de réincarcération provisoire dans la mesure où une personne en liberté conditionnelle dont le comportement a justifié une demande de réincarcération est susceptible de se soustraire à la justice si elle reçoit une notification de la demande de renvoi en prison. Une ordonnance de réincarcération n’impose pas une nouvelle peine, ne faisant que mettre fin à la liberté conditionnelle en obligeant une personne à continuer d’exécuter la peine à laquelle elle avait été condamnée au motif qu’elle représente pour autrui un risque jugé suffisamment grave. Les intérêts de la personne renvoyée en prison sont protégés par la garantie de l’assistance d’un conseil et la tenue d’une audience à brève échéance. Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle le mandat n’était pas accompagné d’une notification écrite séparée de l’ordonnance de réincarcération, il n’y a aucune disposition à cet effet dans la loi, comme les tribunaux l’ont confirmé.
4.4Pour ce qui est de la question de savoir si l’auteur a été informé des motifs de sa réincarcération au moment de son arrestation en application d’un mandat provisoire, l’État partie note qu’il s’est spontanément présenté à la police un jour après que le mandat a été décerné et qu’il était donc manifestement au courant des motifs de son arrestation; l’État partie se réfère aux constatations du Comité dans l’affaire Stephens c. Jamaïque, selon lesquelles lorsqu’une personne se rend à la police, pleinement consciente des motifs de sa détention, il n’y a aucune violation du paragraphe 2 de l’article 9. De même, le paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte ne s’applique pas à une ordonnance de réincarcération provisoire (ou définitive) dès lors qu’il ne s’agit pas de se prononcer sur une accusation pénale mais de renvoyer une personne bénéficiant d’une liberté conditionnelle en prison pour qu’elle continue d’exécuter sa peine initiale.
4.5Pour ce qui est des allégations concernant le droit à un contrôle de la mesure de détention prise en application d’une ordonnance provisoire de réincarcération, l’État partie affirme que c’est seulement en cas d’arrestation d’une personne soupçonnée d’une infraction pénale qu’il est tenu, en vertu du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, de présenter cette personne à un juge. Comme l’auteur n’a pas été arrêté ou placé en détention dans ces conditions, la disposition applicable est le paragraphe 4 de l’article 9 relatif au droit de contester devant un tribunal la légalité de sa détention. À cet égard, le 19 mars 1996, l’auteur a comparu devant la Commission des libérations conditionnelles en étant assisté par un conseil, avec lequel il a pu s’entretenir avant l’audience. Il avait la possibilité de demander à tout moment un contrôle judiciaire bien qu’il n’ait cherché à exercer ce droit qu’en mars 2004. Le Comité a confirmé que ce droit n’est pas accordé d’office par l’État partie mais exercé à l’initiative de l’auteur ou de ses représentants.
4.6Pour ce qui est du droit de recours en habeas corpus, l’État partie conteste que le droit garanti au paragraphe 4 de l’article 9 soit assorti d’un droit connexe d’en être informé. L’auteur a eu et continue d’avoir la possibilité d’exercer son droit de recours en habeas corpus à tout moment. L’État partie affirme également que ledit article du Pacte ne confère nullement à une personne le droit d’être informée de son droit de s’entretenir avec un avocat; à cet égard, le paragraphe 1 b) de l’article 23 de la loi sur la déclaration des droits va plus loin que l’article 9 du Pacte. Quoi qu’il en soit, l’État partie rejette l’allégation selon laquelle l’auteur n’a pas été informé de son droit de s’entretenir avec un avocat lorsqu’il a été arrêté en application du mandat provisoire, faisant observer qu’il n’a pas eu la possibilité de faire vérifier cela par un tribunal en raison de la manière dont l’auteur a organisé son recours.
4.7Pour ce qui est du droit à un procès équitable, l’État partie affirme qu’une demande, dont l’acceptation entraînerait la réincarcération d’un prisonnier en liberté conditionnelle pour qu’il continue à exécuter sa peine, n’est pas assimilable à une accusation d’infraction pénale tombant sous le coup de l’article 14. La Cour européenne des droits de l’homme a maintes fois statué que de telles demandes ne constituaient pas une nouvelle accusation, portant uniquement sur la continuation de l’exécution de la peine initiale. Quoi qu’il en soit, même si l’auteur n’a pas été entendu pendant la première phase (durant laquelle une mesure peut être prise sans qu’il y ait audience) il a en revanche eu droit à une audience équitable devant un organe indépendant et impartial, la Commission des libérations conditionnelles, siégeant en formation plénière, au stade de l’adoption de l’ordonnance définitive de réincarcération, audience au cours de laquelle il était présent et était représenté par un conseil.
Questions soulevées par l’ordonnance définitive de réincarcération
4.8Sur le plan de la recevabilité, l’État partie note que l’auteur n’a pas exercé son droit d’interjeter appel auprès de la Haute Cour de l’ordonnance définitive de réincarcération prise en application de l’article 107 M de la loi, appel qui aurait donné lieu à une procédure pendant laquelle la Cour se serait prononcée sur la question de savoir si l’ordonnance était justifiée et, dans le cas contraire, sur la question de savoir si cette ordonnance devait être annulée et le prisonnier libéré. L’auteur n’a pas non plus demandé de contrôle judiciaire (ce qui aurait constitué un recours provisoire également) par la Haute Cour de la décision définitive de réincarcération prise par la Commission pas plus qu’il n’a exercé son droit de demander à la Commission d’examiner son maintien en détention (en application du paragraphe 3 de l’article 97 de la loi) ou de revoir sa décision (en vertu de la loi − adoptée ultérieurement − sur la libération conditionnelle, qui prévoit elle aussi la possibilité de saisir la Haute Cour au cas où la Commission différerait la libération, comme dans le cas d’espèce).
4.9L’État partie fait valoir que tous les griefs invoqués par l’auteur, hormis celui de discrimination alléguée qui est tiré de l’article 26, se prêtaient à un ou plusieurs de ces recours et sont donc irrecevables pour non‑épuisement des recours internes. Plus précisément, les allégations selon lesquelles il y a eu violation de la loi sur la justice pénale, la Commission s’est fondée pour prendre sa décision sur une simple évaluation du risque de récidive, les infractions commises en liberté conditionnelle n’étaient pas excessivement graves, la Commission a apparemment ou manifestement fait preuve de partialité et l’ordonnance de réincarcération était disproportionnée auraient pu être soulevées en appel en application de l’article 107 M de la loi. De même, les griefs de l’auteur tirés du fait qu’il y aurait eu violation de la loi sur la justice pénale, que la Commission se serait fondée pour prendre sa décision sur une simple évaluation du risque de récidive, que l’ordonnance de réincarcération serait disproportionnée, que la Commission aurait apparemment ou manifestement fait preuve de partialité, qu’elle n’aurait pas songé à la réinsertion, qu’il y aurait eu violation du principe de la présomption d’innocence et du principe non bis in idem auraient pu faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Les affirmations selon lesquelles l’évaluation du risque était erronée, les infractions commises n’étaient pas excessivement graves et l’ordonnance de réincarcération était disproportionnée auraient pu être soumises à la Commission dans le cadre d’une demande de réexamen. Les questions de la présomption d’innocence, de la règle non bis in idem et de la rétroactivité auraient pu également, dans le cadre d’une affaire normale, être abordées au moyen d’un recours urgent en habeas corpus.
4.10L’État partie affirme aussi que trois allégations sont irrecevables faute d’avoir été suffisamment étayées, à savoir: i) que la détention de l’auteur n’est pas une simple privation de liberté mais lui a causé des souffrances inacceptables qui soulèvent des questions au titre de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte; ii) qu’il n’y avait pas de plan de réinsertion en violation du paragraphe 3 de l’article 10 (cette allégation est contredite par le fait que le Département des services pénitentiaires et la Commission des libérations conditionnelles ont donné à l’auteur la possibilité de suivre plusieurs programmes de réadaptation, dont ce dernier n’a pas tiré profit dans la mesure où il consommait des drogues en prison et faisait preuve d’absentéisme); iii) qu’il y a eu discrimination dans la mesure où l’existence d’un risque qui a fait l’objet d’une évaluation dans le cadre de l’examen de la demande de réincarcération n’a pas été prouvée au‑delà de tout doute raisonnable et dans les limites de la procédure d’habeas corpus.
4.11Pour ce qui est du fond, l’État partie fait valoir que l’incarcération de l’auteur en application de l’ordonnance définitive n’était pas arbitraire dans la mesure où ce dernier a violé les termes de sa libération conditionnelle, a commis d’autres infractions violentes alors qu’il était en liberté conditionnelle et s’est conduit d’une manière indiquant qu’il allait probablement commettre de nouvelles infractions; la Commission des libérations conditionnelles a estimé qu’il mettait en danger la sécurité du public et que sa réincarcération était donc justifiée.
4.12L’État partie rejette l’allégation selon laquelle la décision de la Commission allait à l’encontre des constatations du Comité dans l’affaire Rameka, dans laquelle le Comité a estimé qu’une mesure de détention devait être justifiée par des raisons impérieuses et être régulièrement examinée par un organe indépendant. Il note que, contrairement aux circonstances de l’affaire Rameka, l’auteur, qui exécutait une peine de réclusion à perpétuité, a bénéficié d’une mesure de libération conditionnelle avant d’être renvoyé en prison. L’évaluation du risque a été effectuée au stade de la réincarcération et pas seulement lors de la condamnation et la situation a été continuellement examinée depuis son renvoi en prison. Le Comité avait considéré dans l’affaire Rameka que la Commission des libérations conditionnelles pouvait procéder de manière indépendante à de tels examens. L’auteur n’a pas fait appel ou demandé un contrôle des décisions de la Commission mais la Haute Cour, en examinant la requête en habeas corpus, a estimé que la Commission était habilitée à conclure que l’auteur représentait un sérieux risque de préjudice pour autrui. Cette conclusion n’a pas été contestée devant la cour d’appel.
4.13L’État partie conteste également que la réincarcération de l’auteur soit incompatible avec l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Stafford, dans laquelle le renvoi en prison du requérant qui était en liberté conditionnelle pour qu’il exécute le reste de sa peine de réclusion à perpétuité a été jugé arbitraire du fait de l’absence de lien causal entre la condamnation initiale pour meurtre et la commission possible d’autres infractions non violentes. L’État partie note que, contrairement aux circonstances de l’affaire Stafford, l’auteur a été renvoyé en prison pour avoir commis des infractions violentes et parce qu’il risquait d’en commettre d’autres. Si l’on souhaite se référer à l’approche de la Cour européenne, les circonstances de l’auteur sont davantage comparables à celles de l’affaire Spence c. Royaume ‑Uni, dans laquelle un comportement sans violence excessive et les facteurs pris en compte quant à l’existence d’un risque pour la sécurité du public ont amené la Cour à conclure que la décision prise n’était pas arbitraire.
4.14Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle l’appréciation du risque n’était pas assez précise ou a révélé un risque très faible, l’État partie, se référant aux évaluations non contestées effectuées par la Commission et la Haute Cour, note que les questions relatives aux motifs à la base de la détention, ainsi qu’au degré de sévérité de la peine et aux conditions de libération, constituent un domaine dans lequel les États parties ont une importante latitude. Ils sont en effet habilités à considérer les infractions pénales commises par les prisonniers en liberté conditionnelle comme l’un des facteurs pouvant justifier leur réincarcération.
4.15Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle la décision définitive de la Commission n’était pas impartiale, étant donné que le Président de la Commission, qui a prononcé l’ordonnance provisoire de réincarcération, faisait partie des membres de la Commission qui ont prononcé l’ordonnance définitive, l’État partie note que, juridiquement, les deux décisions étaient totalement distinctes: alors que la première a simplement consisté à conclure à l’existence d’un risque immédiat pour la sécurité d’autrui, la seconde a été prise à l’issue d’une procédure plus complexe, au cours de laquelle l’auteur et son conseil ont fait des observations. S’agissant de l’argument selon lequel la participation d’un juge à l’audience amène à douter de l’impartialité des autres membres de la Commission, l’État partie note que les dispositions visant à assurer l’indépendance de la Commission des libérations conditionnelles varient d’un État à l’autre. Outre que l’auteur n’a pas soulevé cette question devant les tribunaux nationaux, qui ne l’ont d’ailleurs jamais examinée, l’État partie fait observer que, dans le cadre de son système constitutionnel, la nomination d’un juge de la Haute Cour à la Commission des libérations conditionnelles ne porte nullement atteinte à l’indépendance de l’une ou l’autre de ces deux institutions. À propos de l’affirmation selon laquelle le fait que le Département des services pénitentiaires apporte un soutien administratif à la Commission porte atteinte à l’impartialité de cette dernière, l’État partie fait observer que l’appui fourni n’est que d’ordre logistique et ne peut raisonnablement constituer un sujet de préoccupation. S’agissant de l’argument final selon lequel la Commission n’a pas la même procédure qu’une juridiction pénale, l’État partie note qu’il s’agit d’un tribunal spécialisé jouissant d’une plus grande souplesse, qui est souvent à l’avantage des prisonniers, et dont les décisions peuvent être soumises à un contrôle judiciaire.
4.16Pour ce qui est du grief tiré du paragraphe 3 de l’article 9, l’État partie affirme que ce paragraphe est sans objet dans le cas d’une décision de la Commission concernant la liberté conditionnelle, étant donné que cette disposition porte plutôt sur la libération conditionnelle à l’issue d’une condamnation que sur une nouvelle accusation d’infraction.
4.17Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle son consentement écrit à l’ajournement de l’audience de la Commission était entaché d’un vice dans la mesure où il n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un conseil, ce qui avait rendu nulles et non avenues l’audience et la détention qui en avaient résulté, en violation du paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie constate que ni la Haute Cour ni la cour d’appel n’ont jugé que son consentement n’avait pas été donné librement ou en connaissance de cause. La cour d’appel a également noté que la question pourrait être examinée plus avant dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire qui constitue un moyen plus approprié qu’une procédure sommaire d’habeas corpus pour vérifier le bien‑fondé des allégations de fait de l’auteur. Or ce dernier ne s’est pas prévalu de ce moyen de droit. En conséquence son consentement écrit et l’ajournement de l’audience devraient être acceptés sans autre forme de procès.
4.18S’agissant de l’allégation relative à la présomption d’innocence, l’État partie se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne selon laquelle une réincarcération aux fins de l’exécution de la durée restant à courir d’une peine de prison ne constitue pas une nouvelle condamnation mais le rétablissement de la condamnation initiale. Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle le principe de la présomption d’innocence n’a pas été respecté − étant donné que la décision définitive de réincarcération était fondée, en partie, sur le fait que l’auteur était en attente de jugement pour voies de fait sur une personne de sexe féminin (accusation dont il a été ultérieurement acquitté) − l’État partie affirme que la Commission n’a pas pris en considération la culpabilité ou l’innocence de l’auteur mais a seulement jugé que son comportement correspondait aux critères fixés dans la loi (par. 6 a), b) et c) de l’article 107 I) et notamment qu’il y avait un risque suffisamment élevé qu’il commette d’autres infractions. La Commission a noté que l’auteur devait répondre d’une accusation devant le tribunal mais n’a émis aucune opinion quant à sa responsabilité pénale.
4.19Pour ce qui est des questions de la règle non bis in idem et de la rétroactivité soulevées par l’ordonnance définitive de réincarcération, l’État partie note les constatations de la Cour européenne selon lesquelles il ne s’agissait pas d’une nouvelle condamnation. Il n’y a pas eu d’alourdissement de la peine puisque la durée de détention de l’auteur correspondait à la condamnation initiale. Sa libération ne signifiait pas non plus qu’il avait achevé d’exécuter sa peine ou l’élément punitif de celle‑ci, au sens des conclusions du Comité dans l’affaire Rameka. Pour ce qui est de la représentation de l’auteur devant la Commission, l’État partie, tout en reconnaissant que ce dernier ne s’est entretenu avec son conseil que le jour de l’audience, croit comprendre qu’il y avait eu auparavant des contacts téléphoniques. Il appartenait en outre à l’auteur de demander l’ajournement de l’audience s’il estimait avoir été mis dans une position désavantageuse, mais il ne l’a pas fait.
Questions soulevées par le maintien en détention
4.20Pour ce qui est de la recevabilité, l’État partie note que chaque décision de la Commission des libérations conditionnelles pouvait être réexaminée ou faire l’objet d’un contrôle judiciaire, recours dont l’auteur ne s’est jamais prévalu. La communication contient d’autres allégations portant sur des faits qui n’ont pas été soumis aux tribunaux. À l’exception d’une plainte au sujet d’une erreur de méthodologie dans une évaluation psychologique faite en 1998, qui n’a pas été portée devant les tribunaux, aucun argument n’a été avancé pour démontrer que les décisions prises ont été incorrectes et arbitraires et ces allégations sont donc irrecevables. Il en va de même pour les griefs tirés du paragraphe 3 de l’article 10.
4.21Sur le fond, l’État partie note que depuis l’ordonnance définitive de réincarcération de 1996, la Commission des libérations conditionnelles a examiné le cas de l’auteur au moins une fois par an et parfois à des intervalles plus fréquents. Chaque fois, elle a refusé de le libérer, après, comme le montre clairement le dossier, un examen minutieux; dans le même temps, la Commission a fait des recommandations visant à aider l’auteur à remédier aux problèmes qui faisaient qu’il risquait de commettre de nouvelles infractions. Toutefois, l’auteur a entravé la réussite des programmes de réinsertion dont il a bénéficié, en en enfreignant les règles et en commettant d’autres fautes, y compris une tentative d’évasion.
4.22L’État partie note que le dernier examen en date (au moment de la présentation de ses observations) a eu lieu de 13 septembre 2005. Le conseil de l’auteur a cherché à obtenir un ajournement de l’audience de la Commission pour pouvoir préparer convenablement la défense de la requête de l’auteur. La Commission a noté qu’il avait été procédé à plusieurs ajournements pour permettre au conseil d’obtenir des avis d’expert à propos de l’évaluation du risque et a exprimé son souci de faire en sorte que la question soit tranchée dans les meilleurs délais. Elle a donné son accord à l’ajournement de l’audience, étant entendu que celle‑ci aurait lieu dès que le conseil serait prêt, et a noté que la libération de l’auteur nécessiterait l’adoption d’un plan minutieux et un suivi méticuleux et continu, lequel devrait être au centre des débats durant l’audience et que sa décision serait ensuite soumise à l’examen du même organe constitué d’autres membres ou au contrôle de la Haute Cour. Pour ce qui est de l’erreur de méthodologie alléguée dans l’évaluation psychologique de 1998, à l’issue de laquelle il aurait fallu, selon l’auteur, conclure à l’existence d’un risque de récidive moins grand (conclusion contestée par l’État partie), l’État partie note que cette question complexe d’évaluation de faits et de méthodologie n’a pas été soumise aux tribunaux nationaux.
4.23Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle l’auteur est passé d’un régime de sécurité minimale à un régime de sécurité moyenne à élevée au début de la procédure sommaire d’habeas corpus, l’État partie note que l’auteur sait qu’il a été placé dans une zone de plus haute sécurité de la prison pendant un week‑end pour qu’il soit mieux surveillé à un moment d’agitation accru, et que les avantages et les programmes dont il bénéficiait n’ont pas été, dans la mesure du possible, restreints en conséquence. L’État partie note qu’il n’est pas allégué que ce placement a été effectué à titre de sanction ou à d’autres fins illégitimes.
Droit de contester le maintien en détention
4.24L’État partie rejette l’affirmation de l’auteur selon laquelle la décision de la cour d’appel dans le cadre de la procédure d’habeas corpus a constitué une violation de ses droits garantis au paragraphe 4 de l’article 9 et à l’article 26 du Pacte. Il explique qu’une action en habeas corpus peut être intentée par toutes les personnes privées de liberté, y compris les détenus. Pour ce qui est de l’argument selon lequel les moyens de recours judiciaires sont insuffisants au regard du paragraphe 4 de l’article 9 dans la mesure où ils sont discrétionnaires, l’État partie note la déclaration de la cour d’appel selon laquelle il est inconcevable qu’un juge exerce son pouvoir discrétionnaire en refusant d’accorder un recours à une personne illégalement détenue. Pour ce qui est de l’argument selon lequel la nécessité d’acquitter des frais de dossier de 400 dollars néo‑zélandais constitue un obstacle à l’accès à un contrôle judiciaire en tant que recours, l’État partie note que, selon le règlement de la Haute Cour, il peut y avoir une exonération ou un report du paiement de ces frais en attendant qu’une décision soit prise sur la demande d’exonération; en l’espèce, rien n’indique qu’il y ait eu un effet dissuasif sur l’auteur ou qu’une demande d’exonération n’aurait pas été satisfaite. L’État partie rejette aussi l’affirmation selon laquelle une procédure de contrôle judiciaire est plus lente qu’une procédure d’habeas corpus, notant que, selon la jurisprudence des tribunaux nationaux, une audience pour obtenir une mesure provisoire (dans le cadre d’un contrôle judiciaire) peut être engagée aussi vite qu’une procédure d’habeas corpus.
4.25Pour ce qui est des dispositions du paragraphe 4 de l’article 9, l’État partie note que, dans l’affaire Rameka, le Comité a expressément admis que l’examen régulier du maintien en détention par la Commission répondait aux obligations qui y sont prévues. À propos de l’argument selon lequel le contrôle judiciaire n’est pas de «portée assez large», au sens de la décision de la Cour européenne dans l’affaire Weeks, pour satisfaire aux exigences fixées dans les dispositions européennes correspondant au paragraphe 4 de l’article 9, l’État partie note que les griefs invoqués dans l’affaire Weeks sont dus à un système de libération conditionnelle dans le cadre duquel la Commission, contrairement à ce qui est le cas dans la présente affaire, n’avait pas de pouvoirs contraignants et accordait des droits de participation restreints au détenu. Le système de contrôle judiciaire actuellement en place en Nouvelle‑Zélande est aussi beaucoup plus avancé que la procédure de recours anglaise, qui était dans une large mesure procédurale en 1987, lorsque le cas de Weeksavait été tranché. Dans le cadre des moyens de recours actuels, il est possible d’examiner la compatibilité avec les normes relatives aux droits de l’homme et d’ordonner la libération lorsque la détention est jugée arbitraire.
4.26Pour ce qui est de l’argument selon lequel la procédure sommaire d’habeas corpus ne répond pas aux exigences du paragraphe 4 de l’article 9, dans la mesure où elle ne permet pas de prendre connaissance avant l’audience des pièces pertinentes du dossier, l’État partie note que dans la mesure où il s’agit d’une procédure urgente, la non‑divulgation de ces pièces avant l’audience vise à éviter tout prolongement indu de l’examen de l’affaire. Au besoin, il est possible de prendre connaissance des pièces du dossier dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire qui peut être menée rapidement; quoi qu’il en soit, le contenu du dossier est divulgué dans le cadre de la procédure devant la Commission de libération conditionnelle et il est possible d’en prendre connaissance, conformément à la loi sur les renseignements officiels, dans un délai de quatre semaines ou plus rapidement si nécessaire.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.Dans sa lettre du 23 décembre 2005, l’auteur conteste en bloc les observations de l’État partie. Pour ce qui est de l’ordonnance provisoire, il affirme qu’il n’y avait aucune raison d’agir d’urgence et qu’une audience ex parte n’était pas nécessaire, dans la mesure où il avait passé les deux mois précédents en prison, ayant été rappelé le lendemain de sa sortie de prison. Il affirme également que le fait qu’il n’ait reçu aucune notification de l’ordonnance provisoire est injuste et arbitraire. Il fait valoir que les programmes de réinsertion n’étaient pas suffisamment adaptés à son cas et que les recours disponibles n’étaient pas utiles. Il renouvelle également ses plaintes concernant l’indépendance et l’efficacité de la Commission des libérations conditionnelles, faisant valoir que celle‑ci est toute puissante vis‑à‑vis du détenu et qu’un détenu qui ne coopère pas avec elle peut se retrouver dans une position très désavantageuse. Quant à la question de la notification des raisons de l’arrestation, prévue au paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte, l’auteur cherche à faire une distinction avec les constatations rendues par le Comité dans l’affaire Stephens en se fondant sur le fait que, dans cette affaire où la peine de mort était en jeu, l’auteur avait été informé des charges pesant contre lui «dans le plus court délai».
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, le Comité note que certaines des allégations dont il est saisi ont été soumises aux tribunaux nationaux, qui les ont examinées quant au fond en première instance et en appel. Ces allégations, qui portaient uniquement sur les ordonnances provisoire et définitive de réincarcération, étaient: i) que la réincarcération de l’auteur était disproportionnée par rapport à son comportement; ii) que l’illégalité de l’ordonnance provisoire a rendu nulle et non avenue l’ordonnance définitive, en vertu de laquelle l’auteur a été maintenu en détention; iii) que la procédure était partiale, du fait que le Président de la Commission qui avait prononcé l’ordonnance provisoire faisait partie des membres de la Commission qui ont prononcé l’ordonnance définitive; iv) qu’au moment de son arrestation, en application de l’ordonnance provisoire, l’auteur n’a pas été informé des motifs de celle‑ci et de son droit d’être assisté par un conseil; v) que l’ordonnance provisoire de réincarcération avait été prononcée ex parte; vi) que le mandat provisoire n’était pas accompagné d’une notification écrite séparée de l’ordonnance provisoire; et vii) que l’auteur n’avait pas donné son consentement à l’ajournement, pour une courte période, de l’audience finale.
6.3En ce qui concerne les autres questions dont est saisi le Comité, l’auteur n’a pas montré qu’elles ne pouvaient pas être tranchées de manière satisfaisante par les tribunaux nationaux, i) dans le cadre de l’action en habeas corpus que l’auteur a introduite, ii) au moyen d’un contrôle judiciaire ou iii) dans le cadre d’un appel interjeté conformément à la loi et, en partie, au moyen de la procédure de réexamen prévue par la législation de l’État partie. Le Comité n’est pas convaincu que les différences quant à la nature de ces procédures ou à leur déroulement dans le temps font que celles‑ci ne constituent pas un recours disponible et approprié pour les questions portées devant le Comité. Il s’ensuit que les autres allégations, qui ne sont pas mentionnées au paragraphe 6.2 ci‑dessus sont, au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, irrecevables pour non‑épuisement des recours internes.
6.4En ce qui concerne les questions au sujet desquelles les recours internes ont été épuisés, le Comité note que les arguments selon lesquels l’ordonnance provisoire était illégale parce qu’elle n’avait pas été notifiée par écrit séparément du mandat provisoire et en raison de cette illégalité, l’ordonnance définitive en vertu de laquelle l’auteur a été maintenu en détention était arbitraire ont tous deux été rejetés par les tribunaux nationaux, qui ont jugé ces ordonnances légales. Pour ce qui est de la question de savoir si la procédure devant la Commission des libérations conditionnelles était partiale, dans la mesure où le Président de celle‑ci, qui avait prononcé l’ordonnance provisoire, était aussi membre de la Commission qui avait émis l’ordonnance définitive, le Comité note qu’il est courant, et tout à fait acceptable du point de vue des principes, que des personnels exerçant des fonctions judiciaires prennent des décisions provisoires sur les questions dont ils seront saisis plus tard quant au fond. L’auteur n’a apporté aucun élément susceptible d’infirmer cette constatation. Pareillement, une procédure ex parte peut, en principe, être nécessaire pour agir avec la célérité requise et écarter le risque d’un préjudice grave que le comportement de l’auteur a fait raisonnablement craindre, à condition que la partie concernée ait rapidement la possibilité de défendre sa position. L’auteur a pu se prévaloir de cette possibilité dans le cadre de l’audience à laquelle la Commission s’est prononcée sur l’ordonnance de réincarcération finale. Pour ce qui est du consentement à l’ajournement de l’audience, le Comité note que les tribunaux nationaux ont estimé, en fait, que l’auteur avait donné son consentement, conclusion que le Comité accepte puisque la décision prise en la matière n’a pas été manifestement arbitraire et n’a pas constitué un déni de justice. Au vu de ces éléments, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son allégation concernant ces questions au titre des articles 9, 14 et 26 du Pacte. Elles sont par conséquent irrecevables, faute d’avoir été suffisamment étayées, au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle, au moment de son arrestation, l’auteur n’a pas été informé de son droit d’être assisté par un conseil, le Comité considère que cette plainte tirée du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte n’a pas non plus été étayée aux fins de la recevabilité et est donc également irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.5Pour ce qui est du grief supplémentaire que l’auteur tire du paragraphe 2 de l’article 9 au motif qu’il n’a pas été informé des raisons de son arrestation lorsqu’il a été arrêté en application du mandat provisoire, le Comité relève que la Haute Cour a admis dans le cadre de la procédure engagée devant elle que l’auteur n’avait pas été informé de ces raisons, et qu’une voie de recours était ouverte à celui-ci pour demander réparation. Dans ces circonstances, le Comité conclut que l’État partie, par l’intermédiaire de ses tribunaux, a donné la suite voulue à cette plainte et que l’auteur ne peut donc plus être considéré comme victime au sens du Protocole facultatif pour cette question. Par conséquent, la plainte est irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif.
6.6Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle sa réincarcération était disproportionnée et constitutive de détention arbitraire, le Comité estime que cette question soulevée au titre du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte a été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.
Examen au fond
7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties.
7.2Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle sa réincarcération n’était pas justifiée par le comportement qui lui était reproché et était par conséquent arbitraire, au sens du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, le Comité doit d’abord déterminer la portée de l’article 9, s’agissant d’une libération conditionnelle anticipée suivie d’un renvoi en prison. À supposer, aux fins du raisonnement, que l’auteur, en étant arrêté en application du mandat provisoire alors qu’il était en liberté conditionnelle, a été privé de sa liberté au sens du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, une telle privation de liberté doit être à la fois légale et non arbitraire. Contrairement aux circonstances caractérisant l’affaire Rameka, une fois réincarcéré, l’auteur a continué d’exécuter une peine qui existait déjà. L’État partie reconnaît que la décision de réincarcération a été prise à des fins de protection/prévention, étant donné que l’auteur représentait un risque futur pour autrui. Pour que cette décision ne puisse pas être jugée arbitraire, l’État partie doit faire la preuve que le renvoi en prison n’était pas injustifié au regard du comportement reproché, et que la détention qui s’est ensuivie fait l’objet d’un examen régulier par un organe indépendant.
7.3Le Comité note, aux fins du raisonnement, que la réincarcération d’une personne, qui avait été condamnée pour une infraction violente puis remise en liberté conditionnelle, pour qu’elle continue d’exécuter sa peine suite à la commission d’infractions non violentes pendant qu’elle était en liberté conditionnelle peut être considérée dans certaines circonstances comme arbitraire au regard du Pacte. Le Comité n’a pas à se prononcer sur cette question étant donné qu’en l’espèce l’auteur, qui avait été condamné pour meurtre, a eu un comportement violent ou dangereux après sa libération conditionnelle. Ce comportement était suffisamment lié à la condamnation initiale pour que son renvoi en prison afin qu’il continue d’exécuter sa peine soit justifié dans l’intérêt de la sécurité publique, et l’auteur n’a pas montré qu’il en était autrement. Le Comité note également que la détention en cours de l’auteur a été examinée au moins une fois par an par la Commission des libérations conditionnelles, organe dont les décisions peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire ce qui, selon le Comité, remplit les conditions nécessaires d’indépendance énoncées dans la décision concernant l’affaire Rameka. Le Comité conclut par conséquent que la réincarcération de l’auteur n’était pas arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation du Pacte.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
N. Communication n o 1413/2005, De Jorge Asensi c. Espagne*(Constatations adoptées le 25 mars 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
José Ignacio de Jorge Asensi (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
25 avril 2005 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Irrégularités dans la procédure d’avancement de militaires de carrière |
Questions de procédure: |
Griefs non étayés; incompatibilité avec les dispositions du Pacte |
Questions de fond: |
Procès non équitable; violation du droit d’accès à la fonction publique |
Articles du Pacte: |
14 (par. 1), 19 (par. 2) et 25 c) |
Articles du Protocole facultatif: |
2 et 3 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 mars 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1413/2005 présentée au nom de José Ignacio de Jorge Asensi en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication, datée du 25 avril 2005, est José Ignacio de Jorge Asensi, de nationalité espagnole, né en 1943. Il se déclare victime de violations par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 19, ainsi que de l’article 25 c). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.
1.2En date du 6 février 2006, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner en même temps la recevabilité et le fond de la communication.
Exposé des faits
2.1L’auteur, un colonel de l’armée de terre, s’est porté candidat à un concours pour être promu au grade de général de brigade dans la période d’évaluation 1998/99. Conformément à la loi no 17/1989, qui définit le régime applicable aux militaires de carrière, et au règlement complémentaire, la procédure de promotion à ce grade prévoit une évaluation selon des critères fixes obligatoires et deux évaluations discrétionnaires. La procédure fixe consiste en une évaluation des mérites et des compétences des candidats qui aboutit à un classement en fonction duquel les responsables des examens discrétionnaires peuvent faire leur recommandation et leur choix final.
2.2L’évaluation des mérites et des compétences revient au Conseil supérieur de la défense, en tant qu’organe consultatif; il applique des règles objectives d’évaluation qui sont publiques et énoncent des critères objectifs et les barèmes de mérite correspondants. Conformément à ces règles, le Conseil établit une liste de candidats et la soumet au Ministre de la défense qui demande d’abord un rapport écrit au chef d’état‑major de l’armée puis procède à une deuxième évaluation et fait une recommandation qu’il soumet au Conseil des ministres. Ce dernier prend la décision finale. Alors que le Ministre de la défense et le Conseil des ministres ont un pouvoir totalement discrétionnaire pour prendre leur décision, le Conseil supérieur est tenu de ne fonder sa décision que sur les critères définis dans la loi, dont le principal est le mérite.
2.3L’auteur fait valoir que pour le concours auquel il s’était présenté, l’évaluation des candidats n’a pas été effectuée conformément à la procédure décrite et que le Conseil supérieur a arrêté l’ordre final de classement non pas en fonction du mérite des candidats mais par un simple vote secret de ses membres, comme l’attestent les déclarations signées de deux d’entre eux, que l’auteur a pris comme témoins. D’après l’auteur, le système du vote secret est contraire au principe de l’égalité entre les candidats car certains s’en trouvent favorisés par rapport à d’autres. L’auteur fait valoir également que par le vote secret le Conseil supérieur a modifié le classement établi par l’Équipe de travail qui lui avait préparé la tâche pour l’appréciation des mérites et des compétences. À l’appui de ces affirmations, l’auteur joint le témoignage de deux anciens membres du Conseil supérieur. L’un d’eux avait participé au vote du concours pour lequel l’auteur était candidat.
2.4D’après le deuxième témoin, le vote secret était une pratique habituelle pour prendre ce genre de décision. Le témoin affirme qu’alors que l’auteur avait été classé quatorzième par l’Équipe de travail, le Conseil l’avait classé vingt‑sixième et il n’avait donc pas obtenu sa promotion. À son avis, la raison de la perte de points était peut‑être que les affectations les plus récentes de l’auteur, et celles où il avait occupé les plus hautes responsabilités, avaient été à l’étranger. Il n’avait donc pas pu avoir de contacts quotidiens avec certains des hauts gradés membres du Conseil supérieur dont la décision, quand ils votent à bulletin secret, peut être teintée d’une certaine appréciation subjective qui accompagne toujours la connaissance personnelle, directe et régulière, ce qui influence incontestablement le jugement.
2.5L’auteur a formé un recours contentieux administratif auprès du Tribunal suprême, dans lequel il demandait l’annulation des nominations effectuées et le retour au stade où le Ministère de la défense avait fait les évaluations prévues au paragraphe 1 de l’article 86 de la loi no 17/1989. Il évoquait également les évaluations correspondant au cycle de 1997/98 et à celui de 1998/99 et demandait que les résultats le concernant lui soient communiqués et que soit appliquée la procédure de promotion, conformément à la loi no 17/1989. Enfin, il demandait une indemnisation pour le préjudice causé par le mauvais fonctionnement de l’administration, qui consistait en un préjudice matériel tenant au fait qu’il était passé dans la réserve en ayant toujours le grade de colonel, ainsi qu’en préjudices moraux et familiaux et en une atteinte à son honneur.
2.6Le recours a été rejeté par une décision du 25 juillet 2003. Le Tribunal suprême a considéré que, si la législation en vigueur définissait bien les éléments qui doivent être pris en compte pour évaluer le mérite et les compétences, elle n’établit pas de formule arithmétique qui conduirait mécaniquement au résultat du classement. Même si les éléments d’appréciation sont fixés ou préétablis, leur appréciation et la quantification permettaient une marge de décision étendue. L’évaluation devait aboutir pour chacun des candidats à une décision qui détaille tous les éléments et chacun des éléments d’appréciation considérés. Le fait que la décision finale ne soit pas motivée n’avait pas d’incidence préjudiciable devant emporter son annulation si les procédures qui l’avaient précédée comprenaient l’appréciation des éléments mentionnés, étant donné que cette appréciation était suffisante pour que la fonction d’information recherchée au moyen de l’évaluation soit effectivement remplie.
2.7D’après le Tribunal suprême, il ressort du dossier que l’évaluation s’est déroulée en deux étapes: une phase préparatoire réalisée par l’Équipe de travail chargée d’assister le Conseil supérieur de l’armée, qui a dressé une liste des candidats classés conformément aux éléments d’appréciation prévus par la loi; une autre phase, dans laquelle le Conseil lui‑même décide du classement des candidats en fonction de la liste précédente. De l’avis du Tribunal, cette façon de procéder n’est pas la plus correcte étant donné que c’est le Conseil lui‑même qui aurait dû déterminer directement, pour chaque candidat, quels avaient été les éléments d’appréciation considérés et les facteurs et termes de pondération pour chacun. Toutefois, cette irrégularité n’était pas suffisante pour annuler toute la procédure. L’évaluation remplissait une fonction d’information pour les actes discrétionnaires ultérieurs et ne s’imposait pas au Ministre de la défense ni au Conseil des ministres. Ce qui était déterminant c’était de constater que l’évaluation en fonction d’éléments préétablis par un texte avait bien eu lieu et avait donc rempli sa fonction, qui était de donner les éléments d’information nécessaires pour fonder les décisions discrétionnaires ultérieures.
2.8Dans son recours, l’auteur avait demandé au Tribunal de solliciter du Conseil supérieur de l’armée les informations le concernant, notamment la liste des candidats qui avaient fait l’objet de l’évaluation et les points obtenus. Le 15 mars 2002, le secrétaire du Conseil supérieur a fait savoir au Tribunal qu’il n’était pas possible de lui faire tenir le rapport définitif concernant tous les candidats étant donné que les actes du Conseil supérieur avaient un caractère «secret» conféré par le paragraphe 3 de l’article premier de la décision en Conseil des ministres du 28 novembre 1986 rendue conformément à la loi sur les secrets officiels, en vertu duquel les délibérations des conseils supérieurs des trois armées étaient qualifiées génériquement de secrètes. En revanche, le secrétaire a précisé quelle place l’auteur occupait dans chacune des trois évaluations faites pour les candidats de sa promotion. Par une décision du 19 novembre 2002, le Tribunal a accueilli les motifs tenant au caractère secret des renseignements demandés et a rejeté la requête de l’auteur. Le Tribunal n’a pas fait mention des griefs que l’auteur avait également avancés au sujet de l’illégalité du vote secret auquel les membres du Conseil supérieur avaient procédé.
2.9L’auteur a formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel pour se plaindre notamment de la décision du Tribunal suprême de ne pas exiger du Conseil supérieur de l’armée les renseignements relatifs aux évaluations le concernant. Le Tribunal constitutionnel a considéré que les griefs ne relevaient pas du droit à la preuve et du droit de recevoir des renseignements véridiques, qui sont protégés par la Constitution. Lui non plus ne s’est pas prononcé sur les griefs concernant le vote secret du Conseil supérieur. Le recours en amparo a été rejeté en date du 30 mars 2005.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur fait valoir que le refus du Tribunal suprême et du Tribunal constitutionnel d’obtenir des renseignements sur l’évaluation dont il a fait l’objet pour le concours de promotion constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Le droit de bénéficier d’un procès équitable doit comporter le droit de pouvoir utiliser tous les moyens licites de preuve utilisés dans une procédure qui porte sur la détermination d’un droit de caractère civil, comme l’accès aux fonctions publiques dans des conditions générales d’égalité. Au nombre des moyens licites de preuve figuraient les informations contenues dans les pièces du dossier administratif concernant l’intéressé. En conséquence, l’auteur considère qu’il n’a pas été entendu avec toutes les garanties voulues dans la procédure judiciaire menée par le Tribunal suprême dont l’arrêt a été confirmé par le Tribunal constitutionnel sans qu’aucun n’ait examiné l’affaire au fond. En l’absence de motif légal pour justifier la décision prise, l’organe judiciaire a empêché l’auteur d’utiliser comme mode de preuve les renseignements portés dans le dossier administratif qu’il avait sollicités. Pour cette raison, il n’a pas pu présenter des prétentions suffisamment étayées par des preuves écrites et les juges n’ont pas disposé de tous les éléments objectifs nécessaires.
3.2Dans sa décision, le Tribunal constitutionnel a affirmé que le Tribunal suprême avait estimé justifié que les renseignements demandés ne lui soient pas communiqués, eu égard à la législation sur les secrets officiels (loi no 9/1968). Or aucun des deux tribunaux ne cite l’article de la loi qui qualifie de secrète la matière sur laquelle portent les informations demandées. D’après l’auteur, la raison en est que cet article n’existe pas. Dans sa réponse au Tribunal suprême, le secrétaire du Conseil supérieur indique que le paragraphe 3 de l’article premier de la décision prise en Conseil des ministres le 28 novembre 1986 qualifie génériquement de secrètes les délibérations des conseils supérieurs des trois armées. D’après l’auteur, le secret ne vise pas les actes relatifs à ces délibérations.
3.3L’auteur fait valoir que le système du vote secret n’est pas prévu par la loi et est contraire au principe de l’égalité entre les candidats étant donné qu’il en favorise certains par rapport aux autres. Ainsi, le Conseil supérieur a commis une violation de l’article 25 c) du Pacte. Il est évident que le nombre de voix obtenues par chaque candidat est étroitement en rapport avec la connaissance que les votants ont de chaque candidat ainsi qu’avec les liens de parenté, les amitiés, les affinités, etc., qui peuvent exister entre eux. En outre, le vote peut être l’objet de négociations préalables entre les votants.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Dans ses observations datées du 18 janvier 2006, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il estime que la décision du Tribunal suprême du 19 novembre 2002 présente un argument suffisamment justifié pour contester les affirmations de l’auteur qui déclare que le droit à la défense lui a été dénié parce que certaines preuves n’ont pas été produites. La réponse du secrétaire du Conseil supérieur de l’armée au Tribunal contenait les explications nécessaires. En particulier, il y était souligné qu’il n’était pas possible de faire parvenir le rapport pour chaque candidat car les délibérations de l’Équipe de travail et celles du Conseil supérieur de l’armée lui‑même étaient classées «secrètes» conformément au paragraphe 3 de l’article premier de la décision prise en Conseil des ministres le 28 novembre 1986 et à l’article 10 de la loi no 51/69 du 26 avril. Le Tribunal a considéré que les moyens de preuve apportés et les explications données par l’autorité militaire étaient suffisants pour qu’il se prononce sur les prétentions de l’auteur. Le Tribunal constitutionnel a indiqué en outre que, pour que le recours fondé sur le droit de présenter des preuves aboutisse, il aurait fallu que le refus de produire ces preuves entraîne un déni réel des droits de la défense. Or aucun argument convaincant n’a été apporté pour montrer que la décision finale sur le recours auprès du Tribunal suprême aurait été favorable à l’auteur si la preuve qui fait l’objet de la controverse avait été apportée et acceptée. L’auteur n’a pas précisé quels étaient les faits qu’il prétendait prouver avec l’information qu’il n’a pas pu obtenir.
4.2Les juridictions internes ont dûment évalué la portée et les conséquences que les irrégularités relevées dans la procédure d’évaluation auraient pu avoir. De plus, elles ont considéré que le droit de diffuser et de recevoir des informations consacré par la Constitution de l’Espagne ne va pas jusqu’à donner aux individus la faculté d’exiger des autorités publiques ou privées certains renseignements déterminés.
4.3Enfin, les tribunaux ont rappelé que le droit d’accéder dans des conditions d’égalité aux fonctions publiques ne consiste pas simplement en un droit à ce que la légalité soit respectée dans le processus de sélection mais que, pour qu’il soit violé, il doit y avoir une atteinte à l’égalité entre les participants, ce qui requiert l’existence de termes de comparaison sur lesquels fonder une éventuelle contestation, termes qui n’ont été présentés à aucun moment. Dans la communication, aucun terme de comparaison n’apparaît aux fins de l’application de l’article 25 c) du Pacte. L’auteur n’a pas exposé les faits qu’il entendait prouver et n’a pas signalé les irrégularités qui se seraient produites pendant la phase préalable à l’adoption des décisions discrétionnaires.
4.4Pour toutes ces raisons, l’État partie considère que la communication devrait être déclarée irrecevable parce qu’elle représente un abus du droit d’invoquer le Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif, et parce que la plainte n’est pas étayée.
Observations de l’État partie sur le fond
5.1Dans une note du 7 décembre 2006, l’État partie a indiqué qu’il n’y avait pas de violation du paragraphe 1 de l’article 14, du paragraphe 2 de l’article 19 ni de l’article 25 c). Pour lui, le fait que la promotion d’un militaire au grade de général se fasse en vertu d’une décision discrétionnaire du Gouvernement et comme suite à une proposition également discrétionnaire du Ministre de la défense, en fonction d’informations confidentielles ou secrètes, était compatible avec le Pacte.
5.2L’État partie a réitéré les arguments qu’il avait présentés pour contester la recevabilité. Il a indiqué que, d’après le Tribunal suprême, l’autorité militaire avait exercé le droit qui lui était conféré par les dispositions de la loi sur les secrets officiels et que les moyens de preuve apportés et les explications données étaient suffisants pour permettre aux juges de prendre une décision.
5.3La preuve que l’auteur souhaitait était sans pertinence s’agissant des actes totalement discrétionnaires liés à la défense nationale. Comme l’a souligné le Tribunal constitutionnel, pour que le recours fondé sur le droit à la preuve aboutisse, il aurait fallu que le refus de produire cette preuve entraîne un déni réel des droits de la défense ou, ce qui revient au même, que la preuve ait été déterminante pour la défense. De plus, il n’a pas été montré de façon convaincante que l’issue finale de la procédure devant le Tribunal suprême aurait été favorable à l’auteur si la preuve qui fait l’objet de la controverse avait été administrée et acceptée. L’auteur n’a pas précisé quels faits il prétendait prouver avec les renseignements qui n’ont pas été communiqués et n’a pas mentionné les éléments ou les circonstances qui auraient permis de constater une situation juridique d’un autre candidat, qui aurait été de façon injustifiée favorisé en raison de considérations étrangères aux principes du mérite et des compétences.
5.4Les tribunaux nationaux ont dûment évalué la portée et les incidences que les irrégularités relevées dans la procédure d’évaluation auraient pu avoir. Ainsi, dans son arrêt, le Tribunal suprême a indiqué que ce qui était déterminant c’était de constater que la procédure administrative d’évaluation ayant conduit aux promotions avait comporté, pour chaque candidat, les éléments d’appréciation préétablis par la loi, ce qui fait que la fonction de donner les éléments d’information sur lesquels les actes discrétionnaires qui faisaient l’objet de la plainte devaient être fondés avait bien été remplie. De même, les tribunaux ont souligné que le droit de diffuser et de recevoir des informations consacré par la Constitution ne va pas jusqu’à donner aux individus la faculté d’exiger des autorités publiques ou privées des renseignements déterminés.
5.5Enfin, les tribunaux nationaux ont affirmé que le droit d’accéder aux fonctions publiques dans des conditions d’égalité ne consiste pas simplement en un droit à ce que la légalité soit respectée dans le processus de sélection, mais que pour qu’il soit violé, il doit y avoir une atteinte à l’égalité entre les participants, ce qui requiert l’existence de termes de comparaison sur lesquels fonder une éventuelle contestation, termes qui n’ont été présentés à aucun moment.
5.6Il est évident que le Pacte reconnaît en son article 19 l’exception concernant les secrets officiels, qui est donc parfaitement légitime et qui a été confirmée par les tribunaux nationaux. De plus, dans la communication, aucun terme de comparaison n’apparaît aux fins de l’application de l’article 25 c) et, quoi qu’il en soit, l’auteur n’a jamais précisé les faits qu’il entendait prouver et n’a pas signalé les irrégularités qui se seraient produites pendant la phase préalable à l’adoption des décisions relatives à la promotion au grade de général, qui sont de caractère discrétionnaire.
Commentaires de l’auteur
6.1Dans une lettre du 23 mars 2007, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication. Il conteste l’observation de l’État partie qui affirme que le Tribunal a souligné que l’autorité militaire avait exercé les droits qui lui étaient conférés par la loi sur les secrets officiels. Conformément à la législation en vigueur à l’époque, l’autorité militaire à laquelle l’État partie se réfère n’avait pas le pouvoir de décider que telle ou telle matière serait classée secrète. Cette autorité n’a donc exercé aucun droit qui lui aurait été conféré par la loi: ce qu’elle a fait, c’est refuser de façon réitérée de communiquer les renseignements sollicités par l’auteur en prétendant, à tort, qu’il s’agissait d’une matière classée secrète par la loi.
6.2Il est faux de dire que l’auteur n’a pas indiqué les faits qu’il entendait prouver avec les renseignements qui n’ont pas été communiqués. Ces faits figurent dans la demande qu’il a adressée au Tribunal suprême, dans laquelle il est dit, entre autres choses, que pendant le cycle 1998/99 des colonels de sa promotion ont obtenu le grade de général de brigade alors que leurs mérites et leurs compétences étaient inférieurs aux siens, comme il ressort de l’évaluation et du classement effectués par l’Équipe de travail. Il est également dit dans la demande que, en vertu de l’arrêté ministériel no 24/92 intitulé «Normes pour l’évaluation et le classement du personnel militaire de carrière», il doit y avoir un rapport justifiant les différences entre le classement provisoire effectué par l’Équipe de travail et le classement définitif décidé par le Conseil supérieur de l’armée à l’issue d’un vote secret et qui a fait perdre 12 points à l’auteur.
6.3L’auteur rejette l’argument de l’État partie qui affirme que l’évaluation qui a précédé les promotions avait comporté pour chaque candidat les éléments d’appréciation préétablis dans la loi. Les témoignages de deux membres du Conseil supérieur montrent que le classement a été arrêté à l’issue d’un vote secret, ce qui signifie qu’il n’a pas été tenu compte des éléments d’appréciation fixés dans la loi.
6.4En ce qui concerne l’argument selon lequel il n’a pas présenté de terme de comparaison qui auraient permis de déterminer si le droit à l’égalité entre les candidats avait été ou non respecté, l’auteur objecte que le Tribunal l’a empêché de le faire en opposant le caractère secret des évaluations. En outre, dans l’Observation générale du Comité relative à l’article 25 du Pacte, rien n’indique qu’il faille procéder à une comparaison; la seule chose qui est demandée est que l’accès aux fonctions publiques obéisse à des critères objectifs et raisonnables, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.
6.5D’après l’auteur, il n’est pas vrai que l’évaluation préalable soit une procédure accessoire du fait que la décision finale est discrétionnaire. Les pouvoirs discrétionnaires conférés par la loi au Ministre de la défense et au Conseil des ministres en ce qui concerne les promotions ne sont pas absolus mais limités. Les pouvoirs du Ministre consistent à apprécier avec une liberté absolue les évaluations réalisées au préalable et le rapport du chef d’état‑major et à recommander librement tout colonel qui est retenu dans ces évaluations. Les pouvoirs du Conseil des ministres consistent à approuver librement les propositions du Ministre de la défense. Il est évident que le Ministre ne peut pas recommander pour une promotion un colonel qui ne figure pas sur la liste des candidats évalués et le Conseil des ministres ne peut pas accorder une promotion à un colonel qui n’a pas fait l’objet d’une évaluation selon les modalités régies par la loi. Toute action qui ne serait pas conforme à la loi, outre qu’elle constitue un acte arbitraire manifeste, est contraire à l’article 25 c) du Pacte. Si l’administration avait suivi la procédure prévue par la loi, il est probable qu’au lieu du classement établi par le Conseil supérieur de l’armée à l’issue du vote secret, les recommandations pour les promotions auraient été différentes et l’auteur aurait pu figurer au nombre des promus. Si les documents figurant dans le dossier des évaluations et des promotions avaient été classés secrets, l’article 112 de la loi no 17/1989, qui accorde aux militaires de carrière le droit de faire un recours auprès de la juridiction contentieuse administrative contre les décisions qui les concernent en matière d’évaluation et de promotion, serait sans effet.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité relève en outre que l’État partie n’a avancé aucun argument tendant à montrer qu’il resterait des recours internes encore ouverts et il décide par conséquent qu’il n’existe pas d’obstacle à l’examen de la communication, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.3L’auteur fait valoir que le refus des autorités espagnoles de lui communiquer des renseignements sur l’évaluation dont il avait fait l’objet pour la promotion au grade de général de brigade constitue une violation du droit à un procès équitable en matière civile, conformément au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Comité considère que ces allégations ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et les déclare en conséquence recevables.
7.4L’auteur fait également valoir que le refus des autorités espagnoles de lui communiquer les renseignements mentionnés constitue une violation du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé cette plainte aux fins de la recevabilité et, par conséquent, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner si celle‑ci entre ou non dans le champ d’application de l’article 19 du Pacte. Il considère donc cette partie de la communication comme irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.5En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que le vote secret du Conseil supérieur de l’armée est contraire au principe de l’égalité entre les candidats et constitue une violation de l’article 25 c) du Pacte, le Comité considère que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi cette forme de vote a pu porter atteinte aux droits consacrés par cette disposition. De plus, le Comité estime que le droit d’accéder dans des conditions générales d’égalité aux fonctions publiques est intimement lié à l’interdiction de la discrimination pour les motifs énoncés au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. Dans le cas présent, l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que le vote secret avait entraîné une situation de discrimination pour l’un des motifs du paragraphe 1 de l’article 2. En conséquence, le Comité estime que cette partie de la communication est irrecevable faute d’être étayée, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
Examen au fond
8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de tous les renseignements communiqués par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
8.2L’auteur affirme que le refus des tribunaux espagnols de lui communiquer des renseignements sur l’évaluation dont il a fait l’objet pour le concours de promotion constitue une violation du droit d’être jugé avec les garanties voulues. À ce propos, le Comité fait observer que, bien que l’article 14 ne précise pas ce qu’il faut entendre par «procès équitable» en matière civile, il convient d’interpréter la notion de «procès équitable» dans le contexte du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte comme exigeant certaines conditions, telles que l’égalité des moyens et l’absence d’arbitraire, d’erreur manifeste ou de déni de justice.
8.3Le Comité relève que le Tribunal suprême a examiné les griefs et les moyens de preuve avancés par l’auteur et que, accédant à la demande de celui‑ ci, il a demandé et obtenu de l’autorité militaire des renseignements au sujet du concours. Au vu des preuves et étant donné que la loi espagnole accorde une grande marge discrétionnaire pour les décisions concernant les promotions des militaires, le Tribunal suprême n’a pas constaté d’irrégularités dont le concours auquel l’auteur a participé aurait été entaché. Le Comité relève en outre que le Tribunal constitutionnel a conclu que l’auteur n’avait pas montré de façon convaincante que la décision finale lui aurait été favorable si les renseignements qu’il demandait avaient été apportés. Le Comité en conclut que les éléments dont il dispose ne montrent pas que la procédure devant le Tribunal suprême et devant le Tribunal constitutionnel ait été arbitraire, entachée d’erreur ou ait constitué un déni de justice, et par conséquent il ne considère pas qu’il y ait eu une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des articles du Pacte.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
O. Communication n o 1422/2005, El Hassy c. Jamahiriya arabe libyenne*(Constatations adoptées le 24 octobre 2007, quatre ‑vingt ‑onzième session)
Présentée par: |
Edriss El Hassy (représenté par l’Organisation mondiale contre la torture) |
Au nom de: |
L’auteur et son frère (Abu Bakar El Hassy) |
État partie: |
Jamahiriya arabe libyenne |
Date de la communication: |
29 juillet 2005 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Arrestation illégale; détention au secret; mauvais traitements; disparition forcée |
Questions de procédure: |
Défaut de coopération de l’État |
Questions de fond: |
Droit à la vie; interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; arrestation et détention arbitraires; respect de la dignité inhérente à la personne humaine |
Articles du Pacte: |
2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1 à 5) et 10 (par. 1) |
Article du Protocole facultatif: |
5 (par. 2 b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 24 octobre 2007,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1422/2005, présentée par Edriss El Hassy au nom de son frère, Abu Bakar El Hassy, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est Edriss El Hassy, de nationalité libyenne, né en 1970 et résidant actuellement au Royaume‑Uni. Il présente la communication en son nom propre et au nom de son frère, Abu Bakar El Hassy, également de nationalité libyenne, né en 1967, qui aurait disparu en Libye en 1995. L’auteur se dit victime d’une violation par la Jamahiriya arabe libyenne de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et déclare que son frère est victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, des paragraphes 1 à 5 de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Il est représenté par l’Organisation mondiale contre la torture. Le Pacte et son Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour la Jamahiriya arabe libyenne le 15 août 1970 et le 16 août 1989, respectivement.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur est le frère cadet d’Abu Bakar El Hassy. À l’époque de la monarchie, la famille El Hassy était une famille influente qui a ensuite fait l’objet de brimades et vexations de la part du régime politique actuel. Le père, ancien maire d’Al‑Bayda, a été contraint de démissionner après le coup d’État militaire du colonel Kadhafi. Après la mort du père en 1974, le frère de l’auteur est devenu le principal soutien de la famille. C’était un homme d’affaires prospère, considéré comme une personne respectable dans sa communauté, qui servait de médiateur dans les litiges privés et faisait des donations à des organisations charitables.
2.2Au début des années 90, le frère de l’auteur s’est vu interdire de quitter sa ville natale par la police de la sûreté intérieure libyenne. Entre 1993 et 1995, il était tenu de se présenter régulièrement dans les bureaux de la sûreté intérieure, où il était interrogé sur ses activités. Il a parfois été contraint de passer deux ou trois jours sur place pour répondre aux questions. Aucune charge n’a jamais été officiellement retenue contre lui. En juillet 1993, la sûreté intérieure a perquisitionné à son domicile sans mandat et saisi tous ses livres et ses possessions personnelles. Il a été menotté, conduit à Tripoli et maintenu en détention pendant deux mois environ. Il a ensuite été remis en liberté et il est rentré chez lui. Là encore, il n’a jamais été officiellement inculpé.
2.3Au début de l’année 1995, le frère de l’auteur a été de nouveau arrêté, envoyé à Tripoli et détenu pendant un mois. Après sa libération, il devait se présenter à la police tous les jours. Le 25 mars 1995, ou à peu près à cette date, une unité de police s’est présentée à son domicile pour l’arrêter, et lui a passé un sac noir sur la tête. Sa mère et certains de ses frères et sœurs ont assisté à l’arrestation. Le même jour, l’auteur a lui‑même été arrêté également à Benghazi alors qu’il suivait un cours à l’université.
2.4Le frère de l’auteur a été conduit à la prison d’Abu Salim, à Tripoli, et a été placé dans ce que l’on appelle «l’unité militaire». En attendant qu’on lui attribue une véritable cellule, il a été placé dans une zone de toilettes jouxtant la cellule de l’auteur. Lorsqu’un gardien de la prison a découvert que les deux frères pouvaient communiquer par un trou dans le mur, il a roué de coups le frère de l’auteur. Selon les témoignages d’autres détenus qui ont parlé à l’auteur en mars et en avril 1995, le frère de l’auteur était constamment interrogé et systématiquement passé à tabac par les fonctionnaires pénitentiaires. Il a commencé à avoir des problèmes de santé à cause de ces mauvais traitements et des mauvaises conditions de détention, à savoir notamment le manque d’eau et de nourriture et l’humidité, la chaleur et l’absence de ventilation dans les cellules. Le 20 mai 1995, approximativement, il a été libéré et a quitté la prison d’Abu Salim. Il est retourné chez lui mais est resté soumis à une étroite surveillance avec obligation de se présenter chaque jour à la sûreté intérieure.
2.5Le 24 août 1995, ou à peu près à cette date, le frère de l’auteur a été de nouveau arrêté et conduit à la prison d’Abu Salim, où il a été placé dans «l’unité centrale» pendant dix jours environ puis transféré à «l’unité militaire». L’auteur explique que «l’unité militaire» est réservée aux membres de l’armée qui purgent des peines de prison, encore qu’il y ait des exceptions à cette règle. Les dissidents politiques étaient détenus dans l’unité centrale, où les conditions de détention étaient bien pires. Un jour, le frère de l’auteur a été amené par erreur dans la cellule de l’auteur et ce dernier a pu constater que son frère était dans un très mauvais état de santé, en raison des passages à tabac et des mauvaises conditions carcérales.
2.6Au début du mois de mai 1996, le frère de l’auteur a été transféré de nouveau à l’unité centrale avec une vingtaine d’autres détenus. En juin 1996, les conditions de détention à l’unité centrale (à savoir, le manque d’eau et de nourriture correcte, les tabassages constants, le surpeuplement et la chaleur) ont été à l’origine de troubles qui ont ensuite été qualifiés par les autorités d’«émeute». Les conditions carcérales qui ont fait éclater l’«émeute» d’Abu Salim ont été abondamment décrites par les grandes organisations non gouvernementales et par le Rapporteur spécial sur la torture. Après l’«émeute», les gardiens de prison habituels ont été remplacés par une unité militaire spéciale. À la fin du mois de juin 1996, les forces militaires spéciales ont pris d’assaut l’unité centrale et ont tué un grand nombre de détenus. Pendant plusieurs jours, les détenus de l’autre unité, parmi lesquels l’auteur, ont entendu des coups de feu et les cris des détenus que l’on massacrait.
2.7L’auteur n’a eu aucune nouvelle de son frère, et ne l’a pas vu non plus depuis ces événements. L’auteur lui‑même a été détenu à Abu Salim pendant quatre ans encore jusqu’en juillet 2000: a priori, si son frère avait survécu, il l’aurait rencontré ou aurait eu de ses nouvelles. Cela n’ayant pas été le cas, l’auteur a de bonnes raisons de croire que son frère a été tué lors du massacre. Néanmoins, les autorités libyennes n’ont donné à la famille de l’auteur aucune information sur le sort du frère de l’auteur ou l’endroit où il se trouverait. Elles n’ont pas non plus confirmé sa mort ni restitué le corps pour qu’il soit enterré. C’est pourquoi l’auteur ne peut être tout à fait certain de la mort de son frère, et il continue de vivre dans cet état affreusement douloureux d’incertitude. Toutes les tentatives faites par la famille pour se renseigner sur le sort du frère de l’auteur sont restées vaines. L’un de ses frères s’est même rendu à la prison d’Abu Salim pour prendre de ses nouvelles et les responsables de la prison lui ont bien fait savoir qu’il ne devait plus jamais poser de telles questions.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que son frère est victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2. Il invoque l’Observation générale no 6, dans laquelle le Comité déclare que «les États doivent mettre en place des moyens et des procédures efficaces pour mener des enquêtes approfondies sur les cas de personnes disparues dans des circonstances pouvant impliquer une violation du droit à la vie». Il rappelle que, si la victime disparue est décédée en détention, il incombe à l’État partie d’expliquer comment la victime a trouvé la mort et d’informer la famille du lieu où se trouve le corps. En l’espèce, l’État partie n’a pris aucune mesure pour mener une enquête sur la disparition du frère de l’auteur et n’a fourni aucune information à la famille sur l’endroit où il se trouve ni sur son sort depuis plus de dix ans. Aucun agent de l’État n’a été poursuivi et aucune indemnité n’a jamais été versée à la famille. Si le frère de l’auteur est décédé, ce qui est probablement le cas, l’État partie a également manqué à son devoir d’informer la famille sur la manière dont il est mort ou sur l’endroit où se trouvent ses restes. L’auteur fait donc valoir que les faits de la cause font apparaître une violation du droit à un recours garanti au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.
3.2L’auteur fait valoir que l’on peut supposer que son frère a été arbitrairement privé de la vie en violation de l’article 6 du Pacte. Il estime qu’il n’était pas raisonnablement nécessaire de tuer tant de prisonniers à la prison d’Abu Salim en 1996 pour protéger des vies ou empêcher des évasions. Selon les estimations, il y aurait encore pas moins de 250 détenus portés disparus. À lui seul, le nombre de prisonniers tués pendant l’incident indique que l’intervention de l’État partie était disproportionnée à tout objectif légitime de maintien de l’ordre. L’État partie a tenté de se dérober à toute responsabilité dans le massacre en bloquant toute enquête internationale et intérieure sur le déroulement des faits. Cela autorise à penser que le Gouvernement veut dissimuler quelque chose.
3.3L’auteur affirme que son frère est également victime de violations de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10. Premièrement, son frère a été détenu à plusieurs reprises au secret, dont deux fois à la prison d’Abu Salim, c’est-à-dire du 25 mars 1995 environ au 20 mai 1995, puis du 24 août 1995 jusqu’à maintenant. À aucun moment pendant sa détention il n’a eu la possibilité de s’entretenir avec un avocat ou avec sa famille, ou avec qui que ce soit du monde extérieur. L’auteur estime que les détentions successives et prolongées au secret imposées à son frère, dont la seconde à la prison d’Abu Salim aura duré dix ans s’il est encore en vie ou environ dix mois s’il a été tué en 1996, constituent une torture et un traitement cruel et inhumain et qu’il y a violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10. Deuxièmement, l’auteur rappelle que son frère a été systématiquement tabassé pendant les interrogatoires et une autre fois aussi pour avoir tenté de communiquer avec son frère. Les récits qu’ont faits à l’auteur des témoins oculaires à la prison, ainsi que la dégradation physique que l’auteur a pu observer lui‑même ensuite sur son frère, concordent avec ce que l’on sait des pratiques de torture et des mauvais traitements infligés aux prisonniers à la prison d’Abu Salim dans les années 90. Troisièmement, l’auteur fait valoir que son frère a été détenu dans des conditions mettant la vie en danger, à savoir des cellules très surpeuplées, une mauvaise ventilation, une alimentation insuffisante et irrégulière, l’absence de soins médicaux et des conditions d’hygiène insuffisantes. Il rappelle que le Comité a toujours conclu que de telles conditions constituaient une violation de l’article 7.
3.4L’auteur affirme que son frère est victime de violations de l’article 9. En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 9, son frère a été arrêté à plusieurs reprises sans mandat et détenu au secret pendant des périodes prolongées, mais n’a jamais été inculpé ni reconnu coupable d’un crime ou d’une autre infraction. En ce qui concerne le paragraphe 2 de l’article 9, il n’a jamais été informé des motifs de ses arrestations multiples ni des charges retenues contre lui. En ce qui concerne le paragraphe 3 de l’article 9, il n’a jamais été déféré devant un juge. En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’article 9, les autorités l’ont mis dans l’impossibilité de contester la légalité de sa détention en le «faisant disparaître». En ce qui concerne le paragraphe 5 de l’article 9, les autorités l’ont mis dans l’impossibilité de demander réparation pour les arrestations et détentions illégales dont il a fait l’objet.
3.5L’auteur pour sa part se dit victime d’une violation de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en raison de l’angoisse qu’a provoquée chez lui la disparition de son frère. Cette angoisse a été exacerbée par le fait que l’auteur a été témoin de la dégradation physique et psychologique de son frère en prison avant sa disparition, sachant qu’il était soumis à la torture. En outre, il était présent à la prison d’Abu Salim lorsque les forces militaires spéciales ont pris d’assaut l’unité où son frère était détenu et il a pu entendre les coups de feu et les cris des prisonniers qui étaient massacrés.
3.6En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, l’auteur rappelle que depuis qu’il était sorti de la prison d’Abu Salim en juillet 2000, il était tenu de se présenter régulièrement au commissariat de police local, où il était régulièrement menacé d’être remis en détention au cas où il aurait l’intention de déposer une plainte en justice. Il affirme qu’il n’existe pas de recours en cas de violation des droits de l’homme en Libye, car le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant de l’exécutif. Il n’y a pratiquement aucun cas de poursuite contre des fonctionnaires du Gouvernement pour violation des droits de l’homme qui ait abouti et le régime ne s’est jamais expliqué sur le sort des personnes disparues et n’a jamais fait d’enquête ni poursuivi les fonctionnaires responsables de ces disparitions. L’auteur affirme en outre qu’il n’était pas en mesure de s’adresser au système judiciaire pour demander une enquête sur le sort de son frère porté disparu car cela l’aurait exposé, lui et sa famille, à un risque élevé de représailles de la part d’agents de l’État, d’autant plus, spécialement, qu’il avait été en détention pendant plus de cinq ans et que sa famille et lui ont été menacés à plusieurs reprises par la sûreté intérieure. L’auteur cite plusieurs cas de personnes qui ont été tuées après avoir cherché à se renseigner sur le sort d’un proche détenu. Il rappelle aussi que l’un de ses frères s’est rendu à la prison d’Abu Salim pour s’enquérir du sort du frère disparu, ce qui lui a valu des menaces.
3.7L’auteur demande au Comité de recommander à l’État partie de mener une enquête approfondie sur les circonstances de la disparition de son frère et d’en communiquer rapidement les résultats à la famille, et de le libérer immédiatement s’il est toujours détenu à la prison d’Abu Salim ou de restituer ses restes à la famille s’il est mort, de traduire en justice les responsables des mauvais traitements subis par son frère, de sa disparition et de sa mort; d’adopter les mesures nécessaires pour que l’auteur et sa famille reçoivent une réparation intégrale pour les violations subies et les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.
Défaut de coopération de l’État partie
4.Le 9 mai 2006, le 20 septembre 2006 et le 28 novembre 2006, l’État partie a été prié de communiquer des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a pas reçu les informations demandées. Il regrette que l’État partie n’ait apporté aucune information au sujet de la recevabilité ou du fond des griefs de l’auteur. Il rappelle qu’aux termes du Protocole facultatif, l’État partie concerné est tenu de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence d’une réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles sont suffisamment étayées.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2Le Comité s’est assuré que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, aux fins du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.
5.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité rappelle avec préoccupation que, malgré les trois rappels qui lui ont été envoyés, l’État partie ne lui a fait parvenir aucune information ou observation sur la recevabilité ou le fond de la communication. Le Comité en conclut que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Ne voyant aucune autre raison de considérer la communication comme irrecevable, il passe à l’examen quant au fond des griefs présentés par l’auteur au titre de l’article 6, de l’article 7, de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et du paragraphe 3 de l’article 2. Il note également que des questions peuvent se poser au regard de l’article 7 concernant la disparition du frère de l’auteur.
Examen au fond
6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.2En ce qui concerne l’allégation de détention au secret du frère de l’auteur, le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son Observation générale no 20 relative à l’article 7, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Il note que l’auteur affirme que son frère a été détenu au secret à plusieurs reprises, dont deux fois à la prison d’Abu Salim, du 25 mars 1995 environ au 20 mai 1995, puis de nouveau du 24 août 1995 jusqu’à maintenant. Le Comité note que l’auteur a été détenu dans la même prison et a vu son frère à plusieurs occasions, mais n’a pas été autorisé à communiquer avec lui. Dans ces conditions, et en l’absence de toute explication fournie par l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Le Comité conclut que le fait de maintenir le frère de l’auteur en captivité et de l’empêcher de communiquer avec sa famille et le monde extérieur constitue une violation de l’article 7 du Pacte.
6.3En ce qui concerne les passages à tabac auquel le frère de l’auteur aurait été soumis, le Comité note que des témoins oculaires, à la prison, ont informé l’auteur que son frère était battu violemment et systématiquement pendant les interrogatoires. En outre, l’auteur lui‑même a été témoin de la dégradation de l’état de santé de son frère. Dans ces conditions, et là encore en l’absence de toute explication fournie par l’État partie à ce sujet, le Comité doit accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Le Comité conclut que le traitement auquel le frère de l’auteur a été soumis à la prison d’Abu Salim constitue une violation de l’article 7.
6.4En ce qui concerne les griefs relatifs aux conditions de détention à Abu Salim, le Comité note les allégations de l’auteur selon lesquelles les conditions de détention infligées à son frère mettaient sa vie en danger. Il réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privations ou de contraintes autres que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté et qu’elles doivent être traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité. En l’absence d’informations fournies par l’État partie sur les conditions de détention à la prison d’Abu Salim, où le frère de l’auteur a été détenu, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l’article 10.
6.5Pour ce qui est du grief de violation de l’article 9, les informations dont le Comité est saisi montrent que le frère de l’auteur a été arrêté à plusieurs reprises par des agents de l’État partie sans mandat et détenu au secret sans être jamais informé des motifs de ses arrestations ni des charges retenues contre lui. Le Comité rappelle que le frère de l’auteur n’a jamais été présenté à un juge et n’a jamais pu contester la légalité de sa détention. En l’absence de toute explication pertinente fournie par l’État partie, le Comité conclut à une violation de l’article 9.
6.6En ce qui concerne l’allégation de disparition du frère de l’auteur, le Comité rappelle la définition de la disparition forcée donnée au paragraphe 2 i) de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale: «Par “disparitions forcées”, on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée.». Tout acte conduisant à une disparition de ce type constitue une violation d’un grand nombre de droits consacrés dans le Pacte, notamment le droit de tout individu à la liberté et à la sécurité de sa personne (art. 9), le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 7) et le droit de toute personne privée de sa liberté d’être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine (art. 10). Il viole en outre le droit à la vie ou le met gravement en danger (art. 6). Dans le cas à l’examen, la disparition de son frère remontant à juin 1996, l’auteur invoque le paragraphe 3 de l’article 2.
6.7Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur concernant la disparition forcée de son frère. Il réaffirme que la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où les allégations sont corroborées par des éléments crédibles apportés par l’auteur et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut considérer ces allégations comme suffisamment étayées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes.
6.8Dans la présente affaire, le conseil a informé le Comité que le frère de l’auteur avait disparu en juin 1996 à la prison d’Abu Salim où l’auteur et d’autres détenus l’avaient vu pour la dernière fois, et que sa famille ne savait toujours pas ce qui lui est arrivé. En l’absence de toute observation de l’État partie sur la disparition du frère de l’auteur, le Comité considère que cette disparition constitue une violation de l’article 7.
6.9L’auteur invoque le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui fait aux États parties obligation de garantir à toute personne des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits garantis dans le Pacte. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes pour violation de droits dans leur ordre juridique interne. Il rappelle son Observation générale no 31, dans laquelle il indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, les renseignements donnés au Comité montrent que le frère de l’auteur n’a pas eu accès à un recours utile, ce qui conduit le Comité à conclure que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7.
6.10Quant à la violation possible de l’article 6 du Pacte, le Comité note que l’auteur ne l’a pas expressément prié de conclure au décès de son frère. En outre, tout en invoquant l’article 6, l’auteur demande aussi la libération de son frère, indiquant qu’il n’a pas abandonné l’espoir de le voir réapparaître. Le Comité considère qu’en de telles circonstances il ne lui appartient pas de formuler aucune constatation au titre de l’article 6.
6.11En ce qui concerne l’auteur lui‑même, le Comité relève l’angoisse et la détresse que lui a causée la disparition de son frère depuis juin 1996. En conséquence, il est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteur lui‑même.
7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7, de l’article 7 lu séparément, de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte à l’égard du frère de l’auteur, et de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteur lui‑même.
8.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, consistant notamment à mener une enquête approfondie et diligente sur la disparition et le sort du frère de l’auteur, à le remettre immédiatement en liberté s’il est encore en vie, à informer comme il convient sur les résultats de son enquête et à indemniser de façon appropriée l’auteur et sa famille pour les violations subies par le frère de l’auteur. Le Comité estime que l’État partie a le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme, en particulier lorsqu’il s’agit de disparitions forcées et d’actes de torture, et aussi d’engager des poursuites contre les personnes tenues pour responsables de ces violations, de les juger et de les punir. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.
9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingt jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
P. Communication n o 1423/2005, Šipin c. Estonie*(Constatations adoptées le 9 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Gennadi Šipin (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Estonie |
Date de la communication: |
18 juillet 2005 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Refus arbitraire d’accorder la nationalité |
Questions de procédure: |
Néant |
Questions de fond: |
Discrimination; égalité devant la loi et protection égale de la loi |
Article du Pacte: |
26 |
Article du Protocole facultatif: |
5 (par. 2 a)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 9 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1423/2005 présentée au nom de M. Gennadi Šipin en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est M. Gennadi Šipin, d’origine ethnique russe, né dans la région de Kirovskaya dans l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) le 8 octobre 1961 et résidant actuellement en Estonie. Il se déclare victime de violations par l’Estonie de l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur à l’égard de l’État partie le 21 janvier 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Le 21 août 2001, l’auteur, un ancien militaire dans l’armée de l’ex-URSS, a présenté une demande en vue d’obtenir la nationalité estonienne par naturalisation. Le 5 février 2003, sa demande a été rejetée par décret daté du 28 janvier 2003, au motif qu’il faisait partie d’un groupe de personnes mentionné au paragraphe 21 1), sous-alinéa 6, de la loi relative à la nationalité de 1995, qui dispose:
«Paragraphe 21. Refus d’accorder la nationalité estonienne ou refus de réintégration
1)Nul ne pourra être naturalisé Estonien ou être réintégré dans la nationalité estonienne:
[…]
6)s’il a servi à titre professionnel dans les forces armées d’un État étranger, s’il a été incorporé dans la réserve, ou s’il en est retraité […]».
2.2Le 27 novembre 2003, le Tribunal administratif de Tallinn a rejeté la demande d’interjeter appel formulée par l’auteur. Un autre recours adressé à la cour d’appel de Tallinn a également été rejeté le 21 juin 2004. Le 27 octobre 2004, la Cour suprême a décidé que le recours de l’auteur était manifestement infondé.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur fait valoir que le paragraphe 21 1), sous-alinéa 6, de la loi relative à la nationalité est discriminatoire en ce qu’il limite de façon abusive et injustifiée ses droits du fait de son origine sociale, de son appartenance à un groupe social particulier et/ou de sa position. Cette disposition légale repose sur la présomption que tous les étrangers qui ont servi dans les forces armées représentent une menace indéfinie pour l’État partie, quelles que soient les caractéristiques particulières de leur service ou de leur formation. Rien ne permet de démontrer, dans le dossier judiciaire, que l’auteur constitue une menace pour la sécurité estonienne. En outre, l’auteur ajoute que le permis de résidence est refusé ou annulé lorsqu’une personne est considérée comme une menace pour la sécurité nationale. Or, l’État partie a accordé, à plusieurs reprises, des permis de résidence temporaires à l’auteur, démontrant ainsi que celui-ci ne représente pas une menace.
3.2L’auteur reconnaît que le Pacte ne consacre pas un droit à la nationalité, mais il estime que l’article 26 pose néanmoins le principe de l’égalité devant la loi, de l’égale protection de la loi et de l’interdiction de la discrimination. Dès lors que la loi elle-même interdit, de façon abusive, aux personnes appartenant à un groupe social déterminé (ou ayant une origine ou une position sociale donnée) d’acquérir la nationalité, elle viole l’article 26 en ce qu’elle est discriminatoire. En outre, un certain nombre de personnes ayant obtenu la nationalité estonienne alors même qu’elles avaient servi dans les forces armées d’un État étranger (notamment l’URSS), la loi en question n’a pas été appliquée de manière uniforme à toutes les personnes concernées. Le droit de l’auteur à l’égalité devant la loi a donc été violé. L’État partie n’a avancé aucun argument raisonnable pour justifier son refus de lui accorder la nationalité. Le casier judiciaire de l’auteur est vierge, et il n’a jamais été jugé pour une infraction pénale; qui plus est, il ne peut servir dans les forces de sécurité ou les forces armées «d’aucun État étranger» dans la mesure où il est apatride, et il n’y a donc pas de motif social impérieux de lui refuser la nationalité. La seule justification avancée par l’État partie est le paragraphe 21 1), sous-alinéa 6, de la loi relative à la nationalité, que l’auteur considère discriminatoire en soi.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Le 22 février 2006, l’État partie a confirmé que l’auteur avait épuisé les voies de recours internes, mais il soutient que la communication est manifestement mal fondée et, partant, irrecevable. La demande de naturalisation de l’auteur a été refusée pour des motifs de sécurité nationale, dans la mesure où celui-ci avait précédemment servi à titre professionnel dans les forces armées de l’ex-URSS, conformément au paragraphe 21 1), sous-alinéa 6, de la loi relative à la nationalité. Le type ou la nature du service en question est sans intérêt. S’agissant des faits, l’État partie fait valoir qu’en 1979, l’auteur est entré à l’Institut militaire technique de l’aviation d’Ashinski, et qu’il a obtenu son diplôme en 1982. Puis, de 1982 à 1985, il a servi en tant que technicien de l’armée de l’air à Kaliningrad. En 1985, il a été détaché à Paldiski, dans l’ex‑République socialiste soviétique d’Estonie, où il a occupé le poste de commandant d’escadre. Il est entré en Estonie le 10 avril 1985, après sa nomination à Paldiski. Il a été affecté à la réserve des forces armées de l’ex-URSS avec le grade de lieutenant en 1989, suite à la commission d’une infraction pénale.
4.2L’État partie indique qu’en vertu de sa législation, il ne peut accorder la nationalité estonienne aux personnes qui ont servi à titre professionnel dans les forces armées d’un pays étranger; cette disposition s’explique par des raisons historiques et doit être considérée à la lumière du traité qu’il a signé avec la Fédération de Russie relatif au statut et aux droits des anciens officiers militaires. Il précise que le 31 août 1994, les troupes de la Fédération de Russie se sont retirées conformément au traité de 1994. Le statut socioéconomique des pensionnés militaires est régi par l’accord de 1996 sur la réglementation des garanties sociales accordées aux officiers retraités des forces armées de la Fédération de Russie sur le territoire de la République d’Estonie, en vertu duquel un permis de résidence estonien a été accordé à ceux d’entre eux et aux membres de leur famille qui en ont fait personnellement la demande et sur la base des listes présentées par la Fédération de Russie. Les questions sociales et juridiques concernant les pensionnés militaires, parmi lesquels figure l’auteur, ont donc fait l’objet d’accords distincts entre l’État partie et la Fédération de Russie. Après l’effondrement de l’ex-URSS et la restauration de l’indépendance de l’Estonie en 1991, le statut d’ancien militaire de l’auteur lui conférait le droit de demander un permis de résidence en Estonie à compter du 26 juillet 1994, en application des traités bilatéraux entre l’État partie et la Fédération de Russie. Il a obtenu ce permis, qui expirera en 2008.
4.3L’État partie ayant le droit de déterminer dans quelles conditions il accorde la nationalité ou refuse de l’accorder pour des motifs de sécurité nationale, un tel refus ne saurait constituer en lui-même une discrimination. Le droit à la nationalité n’étant ni un droit fondamental ni un droit consacré par le Pacte, l’auteur ne saurait prétendre que le refus de lui accorder la nationalité était discriminatoire. L’État partie renvoie à la jurisprudence constante du Comité selon laquelle les différences de traitement ne sont pas toutes discriminatoires; celles qui sont justifiées par des motifs raisonnables et objectifs sont compatibles avec l’article 26. Il fait valoir que les différences existant entre les personnes qui ont un permis de résidence et celles qui ont la nationalité se rapportent essentiellement aux droits politiques. L’auteur est titulaire d’un permis de résidence qui l’autorise à résider en Estonie, et jouit de ce fait d’importants droits sociaux, économiques et culturels. Lorsqu’il doit se prononcer sur la délivrance d’un permis de résidence ou l’octroi de la nationalité, l’État partie tient compte de «différents niveaux de menace».
4.4L’État partie soutient que le paragraphe 21 1), sous-alinéa 6, de la loi relative à la nationalité est justifié pour des raisons de sécurité nationale; en effet, une personne qui a appartenu aux forces armées d’un pays étranger est quelqu’un qui entretient une relation forte avec cet État, qui s’est consacré à la défense de la sécurité nationale de cet État, qui était prêt à risquer sa vie et qui a prêté serment à cet effet. Si la nationalité était accordée à une telle personne, celle-ci risquerait ensuite d’être confrontée à des dilemmes éthiques et moraux, dans la mesure où elle a prêté serment de servir dans les forces armées d’un pays contre lequel elle pourrait être amenée à combattre en tant que ressortissant d’un autre pays.
4.5Selon l’État partie, le pays dans lequel le requérant a servi en tant que membre des forces armées est sans importance aux fins du paragraphe 21 1), sous-alinéa 6; en effet, lorsque tel est le cas, le requérant se voit refuser la nationalité. Le fait d’avoir servi dans les forces armées n’est pas le seul motif de refus. L’État cite la jurisprudence du Comité selon laquelle des considérations liées à la sécurité nationale peuvent viser un but légitime lorsque, dans l’exercice de sa souveraineté, un État partie accorde sa nationalité. Selon l’État partie, tant le tribunal administratif de Tallinn que la Cour d’appel de Tallinn se sont prononcés sur les mêmes griefs que ceux invoqués par l’auteur devant le Comité, notamment le grief de discrimination et celui selon lequel le refus de lui accorder la nationalité sur la base du paragraphe 21 1), sous-alinéa 6, de la loi relative à la nationalité était inconstitutionnel étant donné qu’il n’y avait pas de pouvoir d’appréciation discrétionnaire. L’auteur a été représenté par un conseil, et tous deux ont eu la possibilité de prendre part à l’audience et de faire des observations.
4.6L’État partie présente les conclusions des deux juridictions. La cour d’appel a estimé que la distinction qui existait dans la législation était raisonnable et objective, dans la mesure où l’indépendance de l’État partie était relativement récente, et où l’on ne pouvait écarter la menace potentielle qu’un grand nombre de personnes ayant servi dans les forces armées d’un autre pays, en particulier un pays qui avait occupé l’Estonie, constituait pour sa sécurité. En refusant d’accorder la nationalité à une personne, on restreint sa participation à la prise de décisions générale au niveau national. Vu le nombre d’anciens professionnels des forces armées d’un pays étranger qui résident dans l’État partie, cette restriction a été jugée indiquée et nécessaire. Toutefois, le résident n’est pas totalement privé de la possibilité de participer à la vie politique dans l’État partie, et il peut voter lors des élections locales.
4.7La cour a estimé que le fait que l’auteur se réfère aux professionnels des forces armées qui se sont vu accorder la nationalité était sans pertinence, dans la mesure où, dans de tels cas, les intéressés ont fait l’objet d’un traitement différent, soit que leur conjoint avait la nationalité estonienne, et ils tombaient alors sous le coup de l’exception prévue au paragraphe 21 2), soit qu’une erreur administrative avait été commise. Elle a souligné que le refus d’accorder la nationalité à l’auteur et de reconnaître un quelconque pouvoir discrétionnaire à l’autorité administrative n’avait pas eu de conséquences disproportionnées. Il n’y avait pas de raison fondamentale qui aurait justifié d’accorder la nationalité estonienne à l’auteur, son apatridie ne pouvant constituer une telle raison. À cet égard, la cour a renvoyé aux constatations du Comité concernant la communication Borzov c. Estonie, dans lesquelles celui-ci a indiqué que les juridictions de l’État partie, lorsqu’elles ont à connaître de décisions administratives, y compris celles fondées sur des motifs de sécurité nationale, semblent être habilitées à procéder à un véritable réexamen au fond.
4.8L’État partie fait valoir qu’en vertu de la loi sur la nationalité de la Fédération de Russie du 28 novembre 1991, les citoyens de l’ex-URSS, comme l’auteur, pouvaient devenir citoyens de la Fédération de Russie jusqu’au 31 décembre 2000. Selon lui, l’auteur a eu la possibilité d’acquérir une nationalité, qu’il n’a pas utilisée.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Le 9 juin 2006, l’auteur a fait des commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que le refus de lui accorder la nationalité était fondé non sur des raisons de sécurité nationale mais uniquement sur son appartenance à un groupe particulier. Lorsqu’il a pris sa décision, le Gouvernement n’a tenu compte d’aucun élément concernant la menace que l’auteur pouvait faire personnellement peser sur la sécurité nationale de l’État partie. Celui-ci n’a pas démontré qu’au cours des quinze années qui s’étaient écoulées depuis son indépendance, l’auteur avait personnellement représenté un quelconque danger.
5.2L’auteur se réfère au paragraphe 12 6) de la loi relative aux étrangers, qui énonce les critères constitutifs d’une menace pour la sécurité de l’État, notamment le fait pour un étranger de fournir de faux renseignements dans sa demande de visa, de ne pas respecter la législation de l’État partie, d’être en service actif dans les forces armées d’un État étranger, d’avoir été plusieurs fois sanctionné pour avoir commis des infractions pénales, etc. L’auteur affirme qu’aucun de ces critères ne s’applique à lui et qu’il ne représente donc aucune menace. Il insiste sur le fait que son casier judiciaire est vierge, qu’il n’a jamais été jugé pour une infraction pénale, et qu’il ne peut pas comprendre comment, en tant qu’électricien retraité, il pourrait constituer une menace pour la sécurité nationale. En outre, étant apatride, il ne peut servir dans les forces de sécurité ou les forces armées d’aucun État étranger. Il souligne que même les personnes qui ont été condamnées pour une infraction pénale, et se voient de ce fait refuser la naturalisation, peuvent renouveler leur demande après l’expiration d’un certain délai.
5.3L’auteur note que l’État partie n’a pas fourni de justification raisonnable du fait que certaines personnes se sont vu accorder la nationalité estonienne alors même qu’elles avaient précédemment fait partie du personnel militaire d’un État étranger (notamment l’URSS). Il affirme qu’il a la possibilité de demander la nationalité de tout autre pays dans le monde, y compris de la Lettonie, de la Finlande ou de la Fédération de Russie, à condition de satisfaire aux conditions de naturalisation. Il fait valoir que l’État partie ne saurait le contraindre à choisir la nationalité d’un autre État, et qu’il s’est suffisamment intégré dans la société estonienne depuis 1988 pour pouvoir solliciter la nationalité de ce pays.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.2Le Comité note que le seul argument avancé par l’État partie au sujet de l’irrecevabilité de la communication est que les griefs de l’auteur sont «manifestement mal fondés». Il considère que l’argument de l’État partie n’est pas assez convaincant, et que les griefs de l’auteur sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Ne voyant aucune autre raison de considérer les griefs irrecevables, le Comité procède à leur examen au fond.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations fournies par les parties, comme cela est prévu au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2L’auteur soutient que le paragraphe 21 1), sous-alinéa 6, de la loi relative à la nationalité, en vertu duquel la nationalité estonienne lui est automatiquement refusée au motif qu’il «est un ancien membre des forces armées d’un autre pays» viole l’article 26 du Pacte. L’État partie invoque des considérations de sécurité nationale comme justification de cette disposition légale. Le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle une personne peut être privée abusivement de son droit à l’égalité devant la loi si l’application à son détriment d’une disposition légale n’est pas fondée sur des motifs raisonnables et objectifs. Il renvoie également à ses constatations dans les affaires Borzov c. Estonie et Tsarjov c. Estonie, dans lesquelles il a estimé que des considérations liées à la sécurité nationale peuvent viser un but légitime lorsqu’un État partie, dans l’exercice de sa souveraineté, accorde sa nationalité. Le Comité rappelle que son droit de regard ne disparaît pas ipso facto du fait de l’invocation de raisons de sécurité nationale par un État partie, et il reconnaît que son propre rôle pour examiner l’existence et la pertinence de telles considérations dépendra des circonstances de chaque affaire.
7.3En l’espèce, l’article 26 n’exige qu’une justification raisonnable et objective visant un but légitime pour l’application des distinctions. Le Comité constate que la promulgation de la loi de 1995 sur la nationalité et, en particulier, l’interdiction générale d’octroyer la nationalité estonienne à quiconque «a servi à titre professionnel dans les forces armées d’un État étranger ou [...] a été incorporé dans la réserve, ou [...] en est retraité» ne peuvent pas être examinées hors de leur contexte factuel. Bien que l’interdiction générale susmentionnée équivale à une différence de traitement, en l’espèce, le bien-fondé d’une telle différence s’apprécie en fonction de la manière dont l’État partie justifie ses arguments fondés sur la sécurité nationale.
7.4En l’occurrence, l’État partie a conclu qu’octroyer la nationalité à l’auteur soulèverait des problèmes de sécurité nationale parce que ce dernier avait servi dans les forces armées d’un autre pays, notamment un pays qui avait précédemment occupé l’Estonie, et que le fait de refuser tout pouvoir discrétionnaire à l’autorité administrative, s’agissant de l’application de la loi sur la nationalité, n’est pas disproportionné. Le Comité relève que ni le Pacte ni le droit international en général ne précisent les critères spécifiques applicables à l’octroi de la nationalité par naturalisation, et que l’auteur a de fait pu saisir les tribunaux de l’État partie du rejet de sa demande de nationalité.
7.5Le Comité constate également que le choix de la catégorie de personnes auxquelles la législation de l’État partie refuse le bénéfice de la citoyenneté estonienne est étroitement lié à des considérations de sécurité nationale. En outre, lorsque l’argument invoqué pour justifier la différence de traitement est convaincant, il est superflu que l’application de la loi soit également justifiée par les circonstances personnelles. La décision prise dans l’affaire Borzov s’explique par l’opinion que les distinctions établies dans la loi elle‑même, lorsqu’elles obéissent à des considérations raisonnables et objectives, ne doivent pas être justifiées à nouveau sur ces bases lorsqu’elles sont appliquées à une personne donnée. En l’espèce, le Comité ne conclut pas qu’il y a eu violation de l’article 26 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
Q. Communication n o 1426/2005, Dingiri Banda c. Sri Lanka*(Constatations adoptées le 26 octobre 2007, quatre ‑vingt ‑onzième session)
Présentée par: |
Raththinde Katupollande Gedara Dingiri Banda (représenté par un conseil, l’Asian Legal Resource Centre) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Sri Lanka |
Date de la communication: |
20 juin 2005 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Mauvais traitements sur la personne d’un officier par d’autres membres des forces armées |
Questions de procédure: |
Interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants; droit à la sécurité de la personne; droit à un recours utile |
Questions de fond: |
Griefs non étayés |
Articles du Pacte: |
7, 9 et 2 (par. 3) |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 26 octobre 2007,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1426/2005 présentée au nom de Raththinde Katupollande Gedara Dingiri Banda en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication, datée du 20 juin 2005, est Raththinde Katupollande Gedara Dingiri Banda, de nationalité sri‑lankaise, né le 24 février 1962. Il se déclare victime de violations par Sri Lanka de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, l’Asian Legal Resource Centre. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour Sri Lanka le 11 septembre 1980 et le 3 janvier 1998, respectivement.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur était un officier de l’armée sri‑lankaise, dans le régiment Gajaba. Dans la nuit du 21 octobre 2000, alors qu’il dormait dans ses quartiers au camp de Saliyapura, deux officiers supérieurs sont entrés dans sa chambre juste après minuit et l’ont agressé physiquement. Souffrant de lésions graves, l’auteur a été admis à l’hôpital militaire d’Anuradhapura le lendemain. Il a rapidement été transféré à l’hôpital général de la ville pour y recevoir d’autres soins car son état était jugé critique. Le 3 novembre 2000, il a été admis à l’unité de soins intensifs de l’hôpital général de Kandy où il est resté un mois. Il y est resté jusqu’au 26 janvier 2001. Il souffrait notamment d’insuffisance rénale et respiratoire, de saignement génital et de troubles hépatiques.
2.2L’auteur a obtenu un congé pour raisons médicales jusqu’au 16 février 2001. Après cette date, il a été transféré à l’hôpital militaire de Colombo pendant une semaine puis un congé maladie supplémentaire lui a été prescrit jusqu’au 20 avril 2001. Le 21 avril 2001, il a été admis au centre de réadaptation du camp militaire de Saliyapura. Son état de santé ayant continué de se détériorer, il a été admis de nouveau à l’hôpital militaire d’Anuradhapura le 30 avril 2001. Il a ensuite été jugé «inapte au maniement des armes à feu» par le psychiatre de l’hôpital général de Kandy. Le 20 octobre 2001, il a été inscrit dans la catégorie des personnes devant avoir des «activités sédentaires» parce que les lésions qu’il avait subies avaient entraîné une calcification de la rotule gauche. Depuis cette date, l’auteur a perdu son poste dans l’armée sri‑lankaise car il a été déclaré inapte au service.
2.3L’auteur a déposé plainte contre ses agresseurs auprès du tribunal militaire. Le commandant du détachement du régiment Gabaja au camp de Saliyapura a donc ordonné l’ouverture d’une enquête. Cependant, l’auteur n’a jamais eu la possibilité d’être entendu pendant l’enquête. Une commission d’enquête composée d’officiers du régiment Gabaja a conclu que les deux auteurs de l’agression avaient eu un comportement insultant et scandaleux qui jetait le discrédit sur l’armée sri‑lankaise. Néanmoins, les agresseurs n’ont pas été traduits devant un tribunal militaire et n’ont été sanctionnés que par une suspension temporaire de leur avancement. Ils ont par la suite été promus et sont aujourd’hui capitaines dans l’armée sri‑lankaise.
2.4À la suite de la présentation d’un rapport de police, une enquête préliminaire non sommaire a été ouverte devant le tribunal d’instance (Magistrate’s Court) d’Anuradhapura contre les deux auteurs des faits pour tentative de meurtre. Le 13 juin 2003, l’auteur a fait une déclaration devant le juge dans laquelle il a décrit les faits en détail. L’enquête est toujours en cours depuis cinq ans. Ce retard est dû au fait que le médecin militaire n’a pas communiqué son rapport sur les lésions subies par l’auteur, malgré les demandes répétées du tribunal.
2.5Le 19 août 2002, l’auteur a déposé une requête auprès de la Cour suprême de Sri Lanka pour violation de ses droits fondamentaux. Il était assisté d’un avocat qui lui avait été commis d’office par le Centre des droits de l’homme de l’ordre des avocats de Colombo. Ses agresseurs ayant fait à plusieurs reprises des démarches pour rechercher un règlement amiable, en date du 25 juin 2004 l’auteur a envoyé à son avocat une lettre lui indiquant expressément de refuser tout règlement de cette nature. Cependant, le 28 juin 2004, il a appris que l’avocat s’était présenté devant la Cour suprême et avait retiré sa requête. L’action engagée était donc close. L’auteur a immédiatement écrit au Président de la Cour suprême et à son avocat pour demander la réouverture de l’action et la tenue d’une audience, mais n’a reçu aucune réponse. Il a également porté plainte contre son avocat auprès de l’ordre des avocats de Colombo. Cependant, aucune enquête n’a été menée sur cette affaire à ce jour.
2.6Le 14 octobre 2002, l’auteur a engagé une action civile en dommages‑intérêts devant le tribunal de district d’Anuradhapura. La procédure a été ajournée à maintes reprises et aucune décision n’a été rendue.
2.7Le 3 septembre 2004, deux inconnus se sont présentés au domicile de l’auteur et ont demandé à lui parler. Sa sœur a répondu qu’elle ne savait pas où il était et ils lui ont dit qu’ils savaient comment le retrouver. Après cet incident, l’auteur a commencé à recevoir des menaces de mort lui intimant de renoncer à ses actions en justice. Il se cache depuis le 3 septembre 2004. Bien que son conseil actuel ait fait plusieurs demandes à cette fin, les autorités ne lui ont assuré aucune protection.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur déclare être victime d’une violation de l’article 7 du Pacte en ce qu’il a été violemment agressé par deux officiers de l’armée le 21 octobre 2000. Les blessures qu’il a reçues étaient d’une telle gravité qu’il a été ensuite déclaré inapte au service.
3.2L’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte parce qu’il est en permanence menacé par ses agresseurs qui sont parvenus à échapper à toute sanction. Selon lui, il n’est pas rare que les victimes d’actes de torture à Sri Lanka soient harcelées pour la simple raison qu’elles engagent une action contre des membres de la police. En ne prenant pas les mesures nécessaires pour assurer sa protection contre ceux qui le menaçaient − ceux qui l’ont torturé ou des tiers agissant pour leur compte − l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 9.
3.3L’auteur fait également valoir qu’il y a violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Il rappelle que, malgré les quatre actions distinctes qu’il a engagées, aucune juridiction nationale ne lui a offert de recours utile contre la violation de ses droits garantis par le Pacte. Il rappelle en outre que le Comité a conclu par le passé que l’absence de recours utile constituait en soi une violation du Pacte et renvoie à l’Observation générale no 20 sur l’article 7. Dans son cas, l’enquête sur les actes de torture qu’il avait subis n’avait toujours pas été engagée cinq ans après les faits. Aucune mesure disciplinaire ou autre n’a été prise contre les auteurs présumés et les procédures engagées sont au point mort. En outre, l’auteur a fait l’objet de menaces et d’autres actes d’intimidation.
3.4L’auteur affirme que sa plainte n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Au sujet de l’épuisement des recours internes, il rappelle qu’il a cherché à obtenir réparation en engageant une action en violation des droits fondamentaux, ainsi qu’une action pénale et une action civile. Il n’a obtenu aucun résultat au bout de cinq ans et a même fait l’objet de menaces et d’autres actes d’intimidation parce qu’il avait engagé ces actions. Il considère donc que les recours ne sont pas utiles et qu’il n’est pas tenu de les épuiser.
3.5L’auteur invite le Comité à recommander à l’État partie de prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte:
Qu’il bénéficie d’une réparation complète, y compris de mesures de réadaptation, sans retard;
Que l’action pénale relative à l’agression et aux actes de torture qu’il a subis soit rapidement menée à bonne fin;
Qu’il ne fasse plus l’objet de menaces en raison des actions qu’il a engagées;
Et que les modifications législatives qui s’imposent soient apportées sans retard afin d’assurer des recours utiles, impartiaux et appropriés en cas de violation des droits individuels, en veillant à ce que les enquêtes et les procès soient menés avec célérité.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1Dans une note du 22 février 2006, l’État partie a contesté la séquence des événements que l’auteur avait présentée. Il a rappelé qu’après avoir servi dans plusieurs formations de l’armée sri‑lankaise, l’auteur avait rallié son poste au camp Saliyapura le 20 octobre 2000. Le 24 octobre 2000, il a demandé un congé maladie parce qu’il avait été pris en faute, n’ayant pas «respecté le rythme habituel pour le salut». Son comportement ayant été jugé suspect, il a été conduit devant le commandant du Centre. Il n’a fait état d’aucune agression à ce moment‑là. Le même jour, il a été admis à l’hôpital militaire d’Anuradhapura. Il a ensuite été transféré à l’hôpital général d’Anuradhapura puis à l’hôpital général de Kandy.
4.2À la suite de la plainte déposée par l’auteur, la police militaire et la police civile ont ouvert des enquêtes sur l’agression qu’auraient commise le capitaine Bandusena et le capitaine Rajpaksha du régiment Gajaba. Le 6 novembre 2000, la police militaire a remis les deux officiers à la police civile. Le lendemain, tous deux ont comparu devant la Magistrate’s Court d’Anuradhapura et ont été placés en détention. Ils ont été libérés sous caution le 22 novembre 2000. À la suite de la plainte déposée par l’épouse de l’auteur, la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka a demandé au commandant de l’armée un rapport sur l’agression dénoncée. Ce rapport a été présenté le 20 novembre 2000. L’auteur a également engagé une action devant la Cour suprême pour violation de ses droits fondamentaux. Le 28 juin 2004, l’action a été déclarée close.
4.3Le régiment Gajaba a nommé une commission chargée d’enquêter sur l’agression présumée. Cette commission d’enquête a conclu que les deux officiers mentionnés avaient agressé l’auteur le 21 octobre 2000. Conformément à la recommandation du commandant de l’armée, les deux officiers ont comparu dans le cadre d’une procédure simplifiée et ont plaidé coupable des chefs retenus contre eux. À titre de sanction, ils ont été condamnés à la perte de 10 et 9 rangs dans la liste d’ancienneté des officiers des forces régulières de l’armée sri‑lankaise. Ils ont également été interdits de promotion, de cours dans le pays et à l’étranger et d’autres privilèges.
4.4L’État partie fait valoir que c’est l’auteur qui a demandé, le 16 mars 2001, à comparaître devant le Conseil médical de l’armée parce qu’il voulait quitter l’armée. Le Conseil a recommandé qu’il soit libéré de ses obligations pour raisons médicales et l’auteur a pris sa retraite le 23 février 2002. Une indemnité forfaitaire lui a été versée et il a commencé à percevoir une pension mensuelle ainsi qu’une pension annuelle d’invalidité.
4.5En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 7, l’État partie fait observer que les deux officiers qui ont agressé l’auteur l’auraient «taquiné» parce qu’il était nouveau dans le régiment. Il relève que l’auteur n’a pas décrit le contexte de cette agression mais a seulement présenté au Comité des extraits du compte rendu de l’audience devant la Magistrate’s Court d’Anuradhapura. Il affirme que le texte intégral du compte rendu aurait montré pourquoi l’affaire avait été ajournée et aurait mis en lumière la faiblesse des éléments de preuve présentés par l’auteur. L’État partie indique également que toute forme de bizutage de nouveaux venus par des anciens est contraire aux règles et règlements relatifs à la discipline dans l’armée sri‑lankaise, laquelle a mis en place une commission d’enquête et a poursuivi les officiers responsables. Étant tous les deux capitaines, ceux‑ci ont fait l’objet de la procédure simplifiée, ce qui est la pratique habituelle pour tous les officiers de grade inférieur à celui de commandant. L’État partie explique que les officiers ont reçu la plus lourde peine susceptible d’être infligée dans le cadre d’une procédure simplifiée, c’est‑à‑dire la perte d’ancienneté. Il explique également que la procédure simplifiée qui s’est tenue conformément à la loi sur l’armée est équivalente à une procédure pénale. Par conséquent, étant donné que les deux officiers ont été jugés et punis, il est impossible de les juger à nouveau dans le cadre d’un autre procès pénal pour les mêmes faits. L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas montré qu’il y avait eu violation de l’article 7 du Pacte, que les officiers mis en cause ont été jugés et punis, que la peine la plus lourde prévue leur a été infligée, que la Cour suprême a mis un terme à l’action engagée car l’auteur avait accepté une indemnisation, et que l’auteur a demandé des dommages‑intérêts aux deux officiers devant le tribunal de district.
4.6En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a jamais affirmé ni prétendu avoir été arrêté ou placé en détention. L’auteur a vaguement indiqué avoir fait l’objet de menaces de la part de ses agresseurs. Il affirme avoir sollicité par écrit une protection mais il ne précise pas à qui il s’est adressé et ne joint pas de copie de ces documents. En tout état de cause, il aurait dû adresser ses demandes au poste de police le plus proche ou au commandant de l’armée. Il ne peut donc pas invoquer une violation du paragraphe 1 de l’article 9.
4.7En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie relève que l’auteur lui‑même reconnaît avoir engagé quatre actions distinctes. Pour ce qui est de la procédure simplifiée menée par l’armée sri‑lankaise, il explique que les infractions visées n’étaient pas de celles dont seul un tribunal militaire peut connaître; compte tenu de leur grade, les officiers mis en cause pouvaient seulement faire l’objet d’une procédure simplifiée puisqu’ils n’avaient pas demandé à comparaître devant un tribunal militaire. Étant donné que les officiers ont plaidé coupable, il n’était pas nécessaire de produire des preuves contre eux. La commission a prononcé la plus lourde peine prévue dans le cadre d’une procédure simplifiée. Quant à l’action engagée devant la Magistrate’s Court, l’État partie note que l’auteur «n’a pas fourni toutes les pièces à ce procès» et qu’en tout état de cause, le même accusé ne peut pas être jugé deux fois pour les mêmes faits, conformément à la règle non bis in idem. Enfin, pour ce qui est de l’action devant le tribunal de district, l’État partie note qu’il n’a pas été cité en tant que partie et qu’il ne peut donc pas être tenu pour responsable d’un éventuel retard.
4.8En ce qui concerne la requête adressée à la Cour suprême, l’État partie note qu’étant donné qu’il ne s’agit pas d’une procédure pénale, il est impossible de reconnaître coupables ou de condamner ceux qui ont porté atteinte aux droits fondamentaux de l’auteur: la Cour suprême peut seulement déclarer que les droits fondamentaux de l’intéressé ont été violés et éventuellement qu’il a droit à une réparation juste et équitable. L’État partie joint une attestation écrite de l’avocat de l’auteur, datée du 16 février 2006, dans laquelle il nie avoir reçu la lettre de l’auteur avant le règlement amiable qui a été accepté devant le tribunal le 28 juin 2004. L’avocat rappelle que l’auteur était présent à l’audience ce jour‑là et ne lui a jamais demandé de refuser ce règlement. L’État partie affirme que l’auteur a cherché à tromper le Comité en dissimulant certains faits, exposés ci‑après. Premièrement, l’auteur a bien écrit à la Cour suprême en date du 23 juillet 2004 pour demander le report de l’examen de l’affaire, requête qui devait être examinée par la Cour le 27 septembre 2004. Cependant, il ne s’est pas présenté à l’audience à la date prévue de sorte que la Cour a décidé de ne pas donner suite à sa demande. Deuxièmement, le 20 octobre 2004, l’auteur a de nouveau tenté d’obtenir un ajournement. Le Président de la Cour Suprême a rejeté cette demande compte tenu de la décision que la Cour avait prise le 27 septembre 2004.
4.9L’État partie ajoute que l’épouse de l’auteur a également déposé plainte auprès de la Commission nationale des droits de l’homme. Le 7 novembre 2000, celle‑ci a demandé à l’armée sri‑lankaise de lui remettre un rapport complet sur les faits. Le 20 novembre 2000, l’armée a présenté un rapport dans lequel elle expliquait qu’une commission d’enquête avait été constituée pour examiner cette affaire. La Commission nationale des droits de l’homme a dû juger satisfaisantes les mesures prises par l’armée puisqu’elle n’a pas envoyé d’autre communication.
4.10L’État partie fait valoir implicitement que les recours internes n’ont pas été épuisés en l’espèce, en affirmant que les mécanismes internes disponibles offrent des voies de recours plus qu’appropriées à toute personne qui, comme l’auteur, déclare que ses droits fondamentaux ont été violés.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans une réponse datée du 12 mai 2006, l’auteur note que l’État partie admet que deux officiers l’ont agressé et affirme que compte tenu du dossier médical détaillé sur les lésions subies, cette agression est assimilable à des actes de torture ou à des traitements cruels et inhumains visés à l’article 7 du Pacte. Il rappelle que la Convention contre la torture a été incorporée dans la législation sri‑lankaise par la loi no22 de 1994 et que, conformément à cette loi, l’auteur d’un acte de torture doit être jugé par la High Court. Il fait valoir que l’État partie n’a pas respecté son obligation de lui assurer un recours utile puisqu’il n’a disposé d’aucun recours pénal et qu’il n’a pas reçu la moindre réparation.
5.2L’auteur fait observer que les arguments avancés par l’État partie au sujet de la procédure simplifiée appliquée aux deux auteurs présumés de l’agression, c’est‑à‑dire la règle non bis in idem et la question de la procédure civile en cours, ne sont pas des moyens recevables en ce qui concerne son action pour violation de ses droits. Les officiers ont seulement été accusés d’infraction à la discipline militaire et ont eu le choix entre un jugement par un tribunal militaire et une procédure simplifiée. Au cours de celle‑ci, l’auteur n’avait aucune possibilité de présenter ses arguments. La sanction infligée aux deux officiers a été une perte d’ancienneté, mais elle n’a pas été effective puisque tous deux ont été promus depuis. Les deux officiers n’ont jamais été jugés ni condamnés pour avoir torturé l’auteur parce que le tribunal militaire n’est pas compétent pour connaître d’actes de torture, qui relèvent uniquement de la High Court. Au sujet de la règle non bis in idem, l’auteur rappelle que l’article 77 de la loi sur l’armée ne limite pas la compétence des juridictions civiles qui peuvent juger les deux officiers auteurs d’actes de torture. Rien ne s’oppose donc à ce que les deux officiers soient jugés par la High Court. En outre, l’auteur note que les deux officiers n’ont pas invoqué la règle non bis in idem devant la Magistrate’s Court, où la procédure initiale est en instance depuis cinq ans.
5.3En ce qui concerne son action en violation des droits fondamentaux, l’auteur rappelle que la Cour suprême y a mis un terme le 28 juin 2006 sans explication. Il n’est indiqué nulle part dans le rôle des audiences de la Cour que la procédure a été arrêtée avec le consentement des parties. Selon l’auteur, la Cour suprême a décidé que lorsque quelqu’un demanderait le retrait d’une affaire, elle userait à chaque fois de sa discrétion pour accepter ou rejeter cette demande. En l’espèce, rien n’indique que ce que la Cour a autorisé était ce à quoi les parties avaient consenti. L’auteur n’a consenti à aucune forme de clôture de l’action et n’a accepté aucune somme d’argent au titre du règlement de l’affaire. L’État partie laisse entendre que les deux parties sont parvenues à un règlement à l’amiable mais l’auteur affirme que ce n’est pas le cas. En tout état de cause, dans une action en violation des droits fondamentaux, la Cour suprême peut seulement, conformément à l’article 126 de la Constitution, déclarer qu’il n’y a pas matière ou accorder la réparation demandée. En conséquence, l’expression «mettre un terme à la procédure» n’a pas de sens au regard de la Constitution de Sri Lanka. L’auteur a soumis tous les documents nécessaires à la Cour suprême et celle‑ci aurait seulement pu se prononcer sur le fond.
5.4L’auteur a essayé d’obtenir la réouverture de son dossier par la Cour suprême à deux reprises. La première fois, la Cour a accepté de faire inscrire l’affaire au rôle. Cependant, l’auteur ayant reçu la convocation après la date prévue pour l’audience, il a déposé une nouvelle requête afin de demander à nouveau à la Cour de poursuivre l’examen de son affaire. Cette fois, la Cour ne l’a pas convoqué.
5.5En ce qui concerne l’affaire en instance devant la Magistrate’s Court, l’auteur rappelle que la procédure n’est toujours pas achevée alors que cinq ans et demi se sont écoulés depuis les faits. Elle ne peut donc pas être considérée comme un recours utile. Quant à l’action civile pendante devant le tribunal de district d’Anuradhapura, l’auteur note que l’État partie affirme que, puisqu’il n’est pas partie à la procédure, il ne reconnaît pas qu’il a l’obligation d’offrir un recours civil utile en cas de violation des droits de l’homme.
5.6En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 9, l’auteur affirme de nouveau qu’il a été menacé à maintes reprises et qu’il a déposé plusieurs plaintes auprès de la police et des autorités militaires. Il a même reçu une fois des menaces de mort émanant d’inconnus. Il change régulièrement de domicile afin d’échapper au danger.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 9, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a jamais affirmé ni prétendu avoir été arrêté ou placé en détention. En ce qui concerne les menaces que l’auteur affirme avoir reçues de la part de ses agresseurs, l’État partie a indiqué que l’auteur ne précise pas à qui il a adressé des plaintes et ne joint pas de copie de ces documents. Le Comité note que l’auteur s’est contenté de réaffirmer qu’il a déposé plusieurs plaintes auprès de la police et des autorités militaires, sans apporter d’autres précisions. Il conclut donc que l’auteur n’a pas étayé ce grief aux fins de la recevabilité et que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui fait valoir que les mécanismes internes disponibles offrent des voies de recours plus qu’appropriées à toute personne se plaignant d’une violation de ses droits fondamentaux, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les recours internes doivent être non seulement disponibles, mais aussi efficaces. Il considère qu’en l’espèce, l’exercice des recours invoqués par l’État partie a été indûment prolongé ou semble inefficace.
6.5Compte tenu des informations dont il dispose, le Comité conclut que les griefs de violation de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2 sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et il déclare le reste de la communication recevable.
Examen au fond
7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.
7.2Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 2, le Comité note que l’action engagée contre les deux auteurs présumés est pendante devant la Magistrate’s Court d’Anuradhapura depuis 2003 et qu’il a été mis fin à l’action engagée par l’auteur devant la Cour suprême pour violation de ses droits fondamentaux dans des circonstances peu claires. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que l’État partie a le devoir d’enquêter à fond sur les allégations de violation des droits de l’homme et celui de poursuivre et punir les personnes tenues pour responsables de ces violations.
7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que les deux auteurs des faits ont déjà été jugés et punis par une commission d’enquête militaire et ne peuvent pas être jugés à nouveau. Il relève que cette commission d’enquête n’est pas compétente pour juger les responsables d’actes de torture, que l’auteur n’était pas représenté et que les deux agresseurs ont seulement été punis d’une perte d’ancienneté, alors que l’auteur avait dû être hospitalisé pendant plusieurs mois et avait produit plusieurs rapports médicaux décrivant les lésions subies. En ce qui concerne l’action engagée devant la Magistrate’s Court, le Comité note que si les deux parties se renvoient mutuellement la responsabilité de certains retards, l’affaire est toujours en cours plus de sept ans après les faits. Ce retard est encore aggravé du fait que l’État partie ne propose aucune date pour l’examen de l’affaire. Quant à l’action engagée devant le tribunal de district, qui est toujours en instance depuis cinq ans, le Comité note que l’État partie se limite à affirmer qu’il n’a pas été cité en tant que partie et qu’il ne peut être tenu pour responsable d’aucun retard éventuel. Le Comité réaffirme cependant la règle établie en droit international général selon laquelle tous les pouvoirs de l’État, y compris le pouvoir judiciaire, sont à même d’engager la responsabilité de l’État partie.
7.4En vertu du paragraphe 3 de l’article 2, l’État partie a l’obligation de garantir que les recours soient utiles. La rapidité et l’efficacité sont particulièrement importantes dans le jugement des affaires de torture et autres formes de mauvais traitements. Le Comité estime que l’État partie ne saurait éluder ses responsabilités découlant du Pacte en faisant valoir que les tribunaux internes ont déjà traité ou traitent l’affaire, alors que les recours invoqués par l’État partie ont été de toute évidence différés et sont, semble‑t‑il, inefficaces. Pour ces motifs, le Comité conclut que l’État partie a commis une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte. Ayant constaté une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7, et étant donné que l’examen de l’affaire, relativement au grief de torture, est toujours en instance devant la Magistrate’s Court, le Comité n’estime pas nécessaire, dans la présente affaire, de statuer sur la question d’une éventuelle violation de l’article 7 du Pacte pris séparément.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte.
9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective, y compris sous la forme d’une indemnisation adéquate. Il est tenu de prendre des mesures efficaces pour que l’action en instance devant la Magistrate’s Court soit rapidement menée à son terme et que l’auteur reçoive une réparation complète. Il est également tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
R. Communication n o 1436/2005, Sathasivam et consorts c. Sri Lanka*(Constatations adoptées le 8 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Vadivel Sathasivam et Parathesi Saraswathi (représentés par un conseil, M. V. S. Ganesalingam et Interights) |
Au nom de: |
Les auteurs et leur fils Sathasivam Sanjeevan |
État partie: |
Sri Lanka |
Date de la communication: |
15 septembre 2005 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Mauvais traitements et décès en garde à vue |
Questions de procédure: |
Absence de coopération de l’État partie |
Questions de fond: |
Privation arbitraire de la vie; torture et mauvais traitements; enquête en bonne et due forme; utilité du recours |
Articles du Pacte: |
2 (par. 3), 6 et 7 |
Article du Protocole facultatif: |
Néant |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 8 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1436/2005 présentée au nom de Vadivel Sathasivam, Parathesi Saraswathi et leur fils Sathasivam Sanjeevan en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.Les auteurs de la communication sont M. Vadivel Sathasivam et Mme Parathesi Saraswathi, qui la présentent en leur nom propre et au nom de leur fils Sathasivam Sanjeevan, décédé le 15 octobre 1998, ou autour de cette date, à l’âge de 18 ans. Ils se déclarent victimes de violations par la République démocratique socialiste de Sri Lanka (ci-après «Sri Lanka») des articles 2 (par. 3), 6 et 7 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil, M. V. S. Ganesalingam et Interights.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1Le 13 octobre 1998, le fils des auteurs, Sathasivam Sanjeevan, alors âgé de 18 ans, a quitté le domicile familial à Kalmunai pour faire une course et n’est pas revenu. Le lendemain vers 9 heures, la police a informé le premier auteur que son fils avait été arrêté et qu’il était en garde à vue. Le premier auteur n’a pas été informé des motifs de l’arrestation. Il s’est rendu au poste de police de Kalmunai, mais n’a pas été autorisé à voir son fils. Vers 16 heures, il est revenu accompagné d’un avocat et a pu alors voir son fils. Celui-ci était dans un très mauvais état, il était incapable de marcher ou de manger, et son oreille droite était enflée et saignait. Il a dit à son père et à l’avocat qu’après avoir été arrêté par deux policiers il avait été jeté contre un poteau téléphonique puis encore maltraité et torturé.
2.2Le 15 octobre vers 17 heures, le premier auteur et sa sœur ont de nouveau rendu visite à Sathasivam Sanjeevan. On leur a dit que celui-ci n’avait pas été conduit à l’hôpital, mais avait été soigné par un médecin, de sorte qu’il n’y avait pas de rapport médical sur son état ou sur les soins administrés. Le jeune homme se trouvait encore plus mal en point que la veille et suppliait qu’on le libère. Assis, incapable de lever les mains, il a raconté de nouveau que deux policiers l’avaient jeté brutalement contre un poteau téléphonique et qu’à cause de cela il n’arrivait plus à marcher ni à boire ou manger. Le premier auteur a constaté que son fils avait la nuque enflée et les deux épaules en sang. Le jeune homme, qui ne tenait pas debout, a répété que ses blessures étaient dues aux brutalités des policiers. Le premier auteur a demandé au policier présent comment son fils avait été blessé; on lui a répondu qu’il y aurait une enquête et que son fils serait ensuite relâché. Lorsque le premier auteur est revenu voir son fils le 15 octobre, l’état du jeune homme avait empiré. Il ne tenait pas debout et pouvait à peine parler, manger ou boire. Tout ce qu’il a pu dire, c’est qu’on l’avait conduit chez un médecin la veille au soir et qu’on lui avait donné des médicaments.
2.3Le 16 octobre, le premier auteur n’a pas été autorisé à voir son fils. Le soir, il a reçu un message du poste de police, lui demandant de se rendre immédiatement à l’hôpital d’Ampara. Le lendemain, le premier auteur s’est rendu à Ampara, où on lui a montré le corps de son fils à la morgue. On pouvait voir des points de suture sur la langue, et le corps avait été ouvert du torse à l’estomac. Le premier auteur a été informé que l’autopsie et l’enquête sur les causes de la mort étaient terminées et qu’il pouvait donc emporter le corps, à condition de rester à Ampara. Plus tard, il a été autorisé à ramener le corps à Kalmunai pour l’inhumer.
2.4Par la suite, le premier auteur a appris qu’après que la police eut notifié le décès de son fils, le juge du Magistrates’ Court (tribunal d’instance) de Kalmunai avait ouvert une enquête sur les causes de la mort, le 15 octobre. D’après un rapport établi par la police de Sammanthurai dont était saisi le juge, le 15 octobre vers 21 heures, huit policiers qui transféraient le jeune homme de Kalmunai au poste de police d’Ampara avaient été attaqués par des combattants des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Le rapport indiquait, sans autre précision, que deux policiers et le garçon avaient été blessés, et que le véhicule avait été endommagé. Les trois blessés avaient été hospitalisés à Ampara, où le jeune homme était mort; les deux policiers avaient survécu. Le juge a ordonné une autopsie et l’ouverture d’une enquête sur les causes de la mort, dont les résultats devaient lui être envoyés avant le 21 octobre en vue d’une enquête exhaustive.
2.5Le 16 octobre, le juge du Magistrates’ Court de Kalmunai a conduit l’enquête sur les causes de la mort après s’être rendu sur les lieux des faits allégués. Il a noté dans son rapport d’enquête que le corps du jeune homme présentait cinq blessures par balle, mais pas d’autres lésions. Il a constaté qu’une fusillade avait bien eu lieu mais n’a pas conclu qu’il s’était agi d’une attaque comme celle décrite par la police. Il a ordonné qu’une autopsie soit réalisée par le médecin chef du district d’Ampara et que le corps soit ensuite remis à la famille.
2.6Le médecin chef du district d’Ampara a procédé à l’autopsie le même jour. Il fait état dans son rapport de lésions à la partie inférieure de l’abdomen, à la vessie et au fémur droit, ainsi que d’une fracture de l’os pelvien droit. Il conclut à une mort par choc faisant suite à des hémorragies provoquées par des blessures par balle. Il ne mentionne pas de tortures. Il ne précise pas non plus si les blessures mortelles par balle ont été infligées avant ou après le décès de la victime, ou auraient pu l’être, bien que la question soit posée dans le formulaire utilisé pour le rapport.
2.7N’ayant pas reçu le rapport d’autopsie à la date de l’audience préliminaire le 21 octobre 1998, le juge a dû reporter celle-ci au 29 octobre puis au 12 novembre, puis de nouveau au 26 novembre pour s’assurer la présence des policiers de Kalmunai. Les auteurs n’avaient pas été informés de l’ouverture d’une enquête et n’étaient donc pas présents ni représentés aux audiences des 21 et 29 octobre. Ils ont été informés par une source indépendante de la tenue de l’audience du 12 novembre et ont été représentés à partir de cette date.
2.8Les auteurs ont porté l’affaire devant la Commission des droits de l’homme, par l’intermédiaire du bureau de Kalmunai qui l’a transmise au siège à Colombo. Le 2 novembre 1998, le conseil des auteurs a écrit au Président de la Commission pour lui demander de prendre des mesures conformément aux articles 14 et 15 de la loi de 1996 portant création de la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka, et notamment: a) de demander à l’Inspecteur général adjoint de la police pour la région de Kalmunai d’ordonner une enquête, et b) de tenir le juge local informé. La Commission n’a pas accusé réception de la lettre ni pris de mesures.
2.9À l’audience devant le juge, le 26 novembre, le premier auteur et sa sœur ont décrit la nature et l’étendue des tortures infligées au jeune homme d’après ce qu’ils avaient vu et entendu de la bouche de celui-ci. Le premier auteur a évoqué les blessures corporelles qu’il avait observées et l’incapacité de son fils de marcher ou de se tenir debout, et a décrit les violences physiques que son fils lui avait dit avoir subies lorsqu’il était venu le voir. Il a également évoqué l’état déplorable dans lequel se trouvait le jeune homme à sa deuxième visite.
2.10Les représentants des auteurs ont fait valoir que le médecin chef du district avait commis une erreur en ne concluant pas que la victime avait subi des tortures et des mauvais traitements, alors qu’il était manifeste, d’après les blessures énumérées dans le rapport et le témoignage des auteurs, que le jeune homme avait subi des violences avant d’être tué. Le juge a accepté cet argument et a ordonné que le corps soit exhumé pour être réexaminé par le médecin légiste à Batticaloa, conformément à l’article 373 (par. 2) du Code pénal.
Le 27 novembre 1998, le corps a été exhumé en présence du juge et envoyé au médecin légiste. Dans son rapport, celui-ci constate la présence de neuf blessures antérieures au décès qui ont été causées par un instrument contondant avant la fusillade, et des lésions au cou qui ont pu avoir été causées par pression des doigts. Il conclut que quatre blessures par balle ont été mortelles.
2.11Le 21 octobre 1999, le juge du Magistrates’ Court a rendu ses conclusions, déclarant qu’il y avait eu homicide et que la victime avait été torturée avant de succomber à une hémorragie due à des blessures par balle. Il a ordonné au responsable de l’organe de contrôle de la police de Sammanthurai de prendre des dispositions pour que le Département des enquêtes criminelles ouvre une enquête aux fins d’arrêter et de juger les coupables. En 1999 également, dans un rapport sur la torture à Sri Lanka, Amnesty International a cité l’affaire comme «illustrant la manière dont la police a essayé de dissimuler un cas de torture en garde à vue alors même qu’une enquête sur les causes de la mort avait été conduite conformément au droit ordinaire».
2.12Le 10 juillet 2002, plus de deux ans et demi après cette décision et malgré plusieurs rappels, le Directeur du Département des enquêtes criminelles a écrit au juge pour l’informer qu’une enquête avait été réalisée à la suite d’une lettre adressée au Procureur général, au sujet de l’affaire, par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la question de la torture.
2.13Le 19 août 2002, le Procureur général a adressé une lettre au Directeur du Département des enquêtes criminelles, avec copie au greffier du Magistrates’ Court, dans laquelle il déclarait que l’examen de tous les éléments de preuve disponibles avait clairement montré que la version de l’arrestation et du décès donnée par la police était fausse et fabriquée de toutes pièces. Cependant, ces éléments justifiaient uniquement des mesures disciplinaires, n’étant pas suffisants pour que l’on engage contre les policiers en cause une procédure pénale pour torture et meurtre. Le Directeur était prié par conséquent de transmettre la lettre et le rapport d’enquête à l’organe disciplinaire compétent, afin que celui-ci prenne les mesures voulues. À la connaissance des auteurs, rien n’a été fait dans ce sens.
2.14En 2000, le Rapporteur spécial sur la question de la torture a évoqué l’affaire dans son rapport annuel à la Commission des droits de l’homme des Nations Unies. En 2002, le nouveau Rapporteur spécial sur la question de la torture a noté dans son rapport annuel à la Commission des droits de l’homme que le Procureur général, après avoir conclu à l’absence de preuves suffisantes pour engager des poursuites au pénal, avait recommandé des mesures disciplinaires. Le Rapporteur spécial constatait avec préoccupation que le Gouvernement n’avait pas répondu au sujet de plusieurs cas de torture portés à son attention.
2.15Malgré l’attention internationale accordée à l’affaire, l’État partie a refusé d’admettre sa responsabilité, de mettre en examen les responsables présumés ou d’indemniser la famille de la victime.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs affirment que les faits exposés font apparaître des violations des articles 2 (par. 3), 6 et 7 du Pacte.
3.2Au titre de l’article 6, ils font valoir que l’État partie a manqué à plusieurs égards à son obligation de prendre des mesures suffisantes pour protéger le droit à la vie. En premier lieu, les éléments de preuve montrent que la victime est décédée en garde à vue des suites de blessures par balle qu’elle aurait reçues, d’après la police, au cours d’un transfert. Même si, en l’absence d’enquête exhaustive et indépendante, il est difficile d’établir qui était l’auteur des tirs mortels, les éléments de preuve montrent clairement que l’État partie a au moins manqué à son devoir incontestable de protéger la victime pendant qu’elle était en garde à vue.
3.3Les auteurs renvoient à ce propos à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme, d’où il ressort que: i) l’État partie a l’obligation de préserver le bien-être des personnes dont il a la surveillance ou la charge, en particulier lorsqu’elles se trouvent en garde à vue; et ii) l’État, lorsqu’il existe de fortes présomptions qu’il est responsable d’un décès en garde à vue, doit fournir une explication satisfaisante et convaincante pour réfuter cette hypothèse. En l’espèce, l’État n’a pas donné d’explication pour corroborer la thèse selon laquelle la victime aurait été tuée par les LTTE. Cette absence de justification est renforcée par les conclusions du Procureur général, qui a considéré que la police avait inventé sa version des circonstances du décès. Par conséquent, la présomption que l’État est seul responsable doit l’emporter.
3.4Toujours en ce qui concerne l’obligation découlant de l’article 6, les auteurs font valoir en second lieu que, d’après les éléments de preuve, la victime a subi de graves tortures de nature à provoquer sa mort. L’État partie n’a pas pris les mesures voulues pour protéger la vie et le bien‑être de Sathasivam Sanjeevan. Par exemple, à aucun moment le jeune homme n’a été présenté à une autorité judiciaire, ce qui est pourtant une mesure réputée essentielle non seulement pour vérifier la légitimité des motifs de l’arrestation, mais également pour surveiller la manière dont est traité le détenu.
3.5Enfin, les auteurs font valoir que l’État partie a manqué à un troisième aspect de l’obligation découlant de l’article 6 en s’abstenant, après le décès de la victime, de conduire une enquête et de traduire en justice les responsables. Le Département des enquêtes criminelles, malgré les demandes répétées du juge local, est resté plus de deux ans sans ouvrir d’enquête et ne l’a finalement fait qu’à la suite d’une lettre du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la question de la torture. Il existait pourtant de solides éléments de preuve qui auraient pu être examinés immédiatement, puisque plusieurs policiers dûment identifiés se trouvaient à bord du véhicule au moment de la fusillade.
3.6Les auteurs relèvent que, d’après la jurisprudence du Comité, de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, le droit à la vie, conjugué au droit à un recours utile, exige des États parties qu’ils prennent des mesures efficaces pour protéger ce droit, notamment par des garanties procédurales appropriées incluant l’ouverture d’une enquête et l’engagement de poursuites dans le cas d’homicides imputables à des agents de l’État. L’absence de telles garanties peut constituer une violation du droit à la vie même s’il n’existe pas de preuves suffisantes pour attribuer à l’État la responsabilité du décès en question.
3.7Les auteurs font valoir que, même si des doutes demeuraient quant au rôle de la police dans la mort de la victime, l’État partie a néanmoins manqué à ses obligations au titre de l’article 6 puisqu’il n’a pas empêché ce décès ni pris de mesures après qu’il se fut produit. Même après qu’une enquête sommaire eut finalement été effectuée, le Procureur général a refusé de recommander des poursuites, optant pour une procédure disciplinaire − mesure manifestement insuffisante − qui n’a d’ailleurs même pas été engagée. De simples mesures disciplinaires, qui ont pour effet de banaliser une infraction aussi grave, ne sauraient remplacer l’enquête et les poursuites pénales auxquelles doit donner lieu toute privation arbitraire de la vie. En outre, en violation de son obligation d’indemniser la famille de la victime, l’État partie n’a pas présenté d’excuses ni offert de réparation pour ce décès, pas même après que le Procureur général eut reconnu que la police en était responsable.
3.8Au titre de l’article 7 du Pacte, les auteurs font valoir que la victime a été torturée dans des circonstances qui engagent clairement la responsabilité de l’État, étant donné qu’il est amplement démontré que le jeune homme a subi des actes constitutifs d’un traitement cruel et inhumain et, du fait de leur gravité, constitutifs également de torture. Le premier auteur et sa sœur, qui sont allés voir la victime au poste de police dans les vingt‑quatre heures suivant l’arrestation, ont témoigné que le jeune homme avait été gravement blessé pendant sa garde à vue, au point qu’il était incapable de se tenir debout, de boire ou de manger. Ce témoignage a été étayé par les conclusions de l’autopsie, qui font état de blessures précises et détaillées pouvant avoir été causées par de graves violences. Selon la jurisprudence du Comité, il y a eu violation manifeste de l’article 7 du fait que la victime a subi le traitement décrit par le médecin légiste. En l’absence d’explication plausible de la part de l’État partie, il y a lieu de conclure que des tortures et des mauvais traitements ont bien été infligés.
3.9Les auteurs font valoir que rien ne prouve que la victime ait bénéficié d’une quelconque protection contre la torture, hormis la possibilité de recevoir deux visites de ses plus proches parents. Il n’y a pas eu de surveillance judiciaire de la détention, ni de compte rendu de l’état de santé du détenu, ni le moindre contrôle de la part de policiers de rang supérieur ou de personnels de santé. Les auteurs invoquent l’Observation générale no 20 du Comité (par. 11) et l’Ensemble de principes des Nations Unies pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, qui énoncent les mesures à prendre pour garantir la protection contre la torture.
3.10Non seulement l’État partie n’a pas fourni des garanties suffisantes contre la torture, mais en outre il n’a pas enquêté sur la conduite des policiers et ne les a pas déférés à la justice. L’enquête a été ouverte avec plus de deux ans de retard, et uniquement parce que le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la question de la torture l’avait réclamée. À l’issue de l’enquête, le Procureur général, bien qu’ayant établi que la police était responsable des tortures infligées à la victime, a refusé de poursuivre les coupables, banalisant le crime en décidant de le traiter plutôt comme une affaire de discipline. Le Comité a affirmé que le devoir de protéger les personnes contre tout acte contraire à l’article 7 suppose que l’État partie prenne des mesures pour prévenir la torture ainsi que pour enquêter sur les cas de torture et les sanctionner, qu’ils se soient produits dans l’exercice de fonctions officielles ou dans un autre contexte. Les auteurs, parents de la victime, n’ont pas été indemnisés, ce qui aggrave encore la violation de l’article 7.
3.11Au titre du paragraphe 3 de l’article 2, les auteurs font valoir que, d’après la jurisprudence du Comité, une enquête pénale et des poursuites judiciaires constituaient la seule mesure utile compte tenu des circonstances du décès de la victime, qui ont consisté en une arrestation et une détention arbitraires suivies de tortures et d’un homicide illégal et arbitraire. L’État partie a donc manqué à ses obligations en s’abstenant de prendre les dispositions voulues, notamment sur le plan juridique, administratif et judiciaire, pour traduire en justice les responsables des tortures subies par la victime et de son décès. Le Comité contre la torture a lui aussi souligné que le droit à un recours exigeait qu’une enquête effective, indépendante et impartiale soit conduite sur les allégations de torture.
3.12La décision du Procureur général de ne pas engager de poursuites et de recommander plutôt une procédure disciplinaire est à l’évidence une mesure insuffisante qui n’équivaut pas à un recours utile. La violation qui s’ensuit est aggravée par le fait que, à la connaissance des auteurs, cette procédure disciplinaire n’a même pas été engagée. Les auteurs ne se sont jamais vu offrir des excuses ou une réparation, alors que l’État partie, en la personne du juge du Magistrates’ Court et du Procureur général, a reconnu que les policiers étaient responsables des tortures subies par la victime et de son décès.
Absence de coopération de l’État partie
4.Dans des notes verbales datées du 21 novembre 2005, du 25 juillet 2006 et du 6 novembre 2007, l’État partie a été prié de communiquer au Comité des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité constate que ces informations ne lui sont pas parvenues. Il regrette que l’État partie n’ait apporté aucun éclaircissement sur la recevabilité ou le fond des griefs des auteurs. Il rappelle que, conformément au Protocole facultatif, l’État partie concerné est tenu de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de la part de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs, pour autant que celles-ci aient été suffisamment étayées.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
5.1Avant d’examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2N’ayant reçu aucune observation de l’État partie sur la recevabilité de la communication et constatant que rien d’autre ne semble y faire obstacle, le Comité doit accorder le crédit voulu aux informations qui lui ont été soumises. Il conclut que les auteurs ont suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les plaintes qu’ils formulent au titre des articles 6, 7 et 2 (par. 3) du Pacte, lesquelles peuvent donc être examinées sur le fond.
Examen au fond
6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.2En ce qui concerne le grief tiré de l’article 6 du Pacte au motif que le décès de la victime serait directement imputable à l’État partie, le Comité rappelle que, d’après les informations qui lui ont été fournies et qui n’ont pas été contestées, la victime était en bonne santé avant d’être placée en garde à vue au poste de police, où des témoins ont vu peu après qu’elle souffrait de nombreuses blessures graves. Les raisons avancées pour expliquer le décès ultérieur de la victime − qu’elle avait été tuée dans une attaque des LTTE − ont été rejetées par les propres autorités judiciaires et exécutives de l’État partie. Dans ces conditions, le Comité doit accorder le crédit voulu à l’hypothèse que les blessures infligées à la victime en garde à vue, et a fortiori sa mort, doivent être considérées comme imputables à l’État partie lui-même. Le Comité en conclut que l’État partie est responsable d’avoir arbitrairement privé la victime de la vie, en violation de l’article 6 du Pacte.
6.3En ce qui concerne le grief tiré de l’article 7 du Pacte au motif que les blessures infligées à la victime avant sa mort équivalent à une violation de cette disposition, le Comité rappelle que l’État partie n’a pas contesté les éléments de preuve qui ont été produits pour montrer que la victime avait été gravement blessée pendant sa garde à vue et qu’elle avait elle-même désigné les policiers comme étant les auteurs de ce traitement. Compte tenu de la présomption de responsabilité qui ressort du paragraphe 6.2 ci-dessus, et au vu de la gravité des blessures décrites, le Comité conclut que l’État partie a soumis la victime à un traitement inhumain contraire à l’article 7 du Pacte.
6.4En ce qui concerne les griefs tirés des articles 6 et 7 du Pacte au motif que l’État partie a manqué à l’obligation de mener une enquête en bonne et due forme sur les tortures infligées à la victime et sur son décès, et de prendre les mesures correctives voulues, le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence établie, une enquête pénale suivie de poursuites est indispensable pour remédier aux violations de droits de l’homme tels que ceux qui sont protégés par les articles 6 et 7 du Pacte. En l’espèce, les propres autorités de l’État partie ont rejeté les raisons avancées par les policiers pour expliquer le décès du jeune homme dont ils avaient la garde, et les autorités judiciaires de l’État partie ont demandé l’ouverture d’une procédure pénale contre les policiers en cause. En l’absence d’explications de la part de l’État partie et au vu des éléments de preuve détaillés qui lui ont été fournis, le Comité doit conclure que la décision du Procureur général d’engager une procédure disciplinaire au lieu d’une procédure pénale était manifestement arbitraire et constituait un déni de justice. Par conséquent, il convient de considérer que l’État partie a manqué à l’obligation qui lui est faite en vertu des articles 6 et 7 de mener une enquête en bonne et due forme sur les tortures infligées à la victime et sur son décès, et de prendre les mesures voulues contre les responsables de ces actes. Pour ces mêmes motifs, l’État partie a manqué à l’obligation que lui impose le paragraphe 3 de l’article 2 d’assurer un recours utile aux auteurs.
7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits constatés font apparaître des violations par Sri Lanka des articles 6, 7 et de l’article 2 (par. 3), interprété à la lumière des articles 6 et 7 du Pacte.
8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, consistant notamment à engager une procédure pénale, et à verser une réparation appropriée à la famille de la victime. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
S. Communication n o 1437/2005, Jenny c. Autriche*(Constatations adoptées le 9 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Wolfgang Jenny (représenté par un conseil,M. Alexander H. E. Morawa) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Autriche |
Date de la communication: |
8 août 2005 (date de la lettre initiale) |
Décision de recevabilité: |
5 mars 2007 |
Objet: |
Partialité du juge au cours de la procédure |
Questions de procédure: |
Épuisement des recours internes |
Questions de fond: |
Droit à un procès équitable et public; égalité des armes |
Articles du Pacte: |
2, 14 et 26 |
Article du Protocole facultatif: |
5 (par. 2 b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 9 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1437/2005 présentée au nom de M. Wolfgang Jenny en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication est M. Wolfgang Jenny, de nationalité autrichienne, né le 2 octobre 1940. Il affirme être victime de violations par l’Autriche du paragraphe 1 de l’article 14, pris séparément et lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 et l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. Alexander H. E. Morawa.
1.2Le 24 janvier 2006, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a décidé, au nom du Comité, que la question de la recevabilité serait examinée séparément de celle du fond.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1À une date non précisée, l’auteur a créé une coentreprise avec trois autres personnes, en vue de faire construire un immeuble d’appartements et de bureaux à Salzbourg. Sa part était de 81,15 %. En novembre 1997, l’administrateur chargé de la comptabilité du projet a établi que l’auteur avait dépassé ses obligations financières en tant que partenaire, d’environ 7 475 euros, et que les autres partenaires devaient un total d’environ 60 000 euros, obligations financières et impôt compris. Les partenaires n’ont pas effectué les paiements correspondants en temps voulu. Le 9 septembre 1998, les autorités fiscales ont fixé le montant de l’impôt sur le chiffre d’affaires, à verser avant la fin de 1996, à 13 176 euros, dont 10 692 euros à acquitter par l’auteur. Sur les conseils de son avocat, M. W., l’auteur a versé le montant total avec l’intention de demander un remboursement à ses partenaires.
2.2En janvier 1999, après avoir entamé des négociations en vue d’un règlement amiable, M. W. a annoncé que les partenaires étaient disposés à rembourser à l’auteur la somme qu’il avait versée aux autorités fiscales. En février 1999, les autorités fiscales ont fixé le montant de l’impôt sur le chiffre d’affaires dû par la coentreprise pour l’année 1997 à 31 291 euros, somme que, selon l’administrateur, les partenaires étaient tenus de verser. Cependant, M. W. a informé l’auteur qu’aucune autre mesure ne pouvait être prise à l’encontre des partenaires car le 27 janvier 1999, M. W. avait conclu au nom de l’auteur un accord de règlement global qui supprimait obligatoirement toute obligation financière mutuelle entre les parties et empêchait l’auteur d’engager toute autre action contre ses partenaires, dans ce cas précis et à l’avenir.
2.3Le 23 février 1999, l’auteur a demandé à son avocat d’annuler l’accord de règlement global avec les partenaires, qui avait été conclu sans qu’il en ait été informé et sans son approbation, l’avocat ayant outrepassé le mandat qui lui avait été confié. L’auteur a également révoqué ce mandat avec effet immédiat et engagé un autre conseil.
2.4Sur les conseils de ce dernier, l’auteur a engagé trois procédures distinctes:
Une action civile contre ses partenaires pour les contributions financières qu’il leur restait à verser («première procédure»);
Une action civile contre M. W. pour faute professionnelle («deuxième procédure»);
Une plainte pénale contre M. W. («troisième procédure»).
2.5Dans la première procédure, l’auteur a porté plainte devant le tribunal régional de Salzbourg le 17 mars 1999 contre ses partenaires pour leurs contributions non acquittées au coût des travaux, faisant valoir que sa créance demeurait exigible puisque l’accord de règlement global conclu par M. W. ne pouvait lui être attribué, M. W. l’ayant signé sans l’en informer et sans son approbation. L’auteur a soutenu qu’il était contraire au bon sens de croire qu’il puisse renoncer à faire valoir une réclamation portant sur un montant d’environ 60 000 euros en échange d’un versement de seulement 20 % de la somme totale qui lui revenait, et que l’accord de règlement global, que M. W. avait conclu en outrepassant le mandat qui lui avait été confié et en commettant une faute professionnelle, était sans effet au regard du droit autrichien. Les partenaires ont fondé leur défense sur l’accord de règlement global conclu par M. W. et ont soutenu que l’affaire ne pouvait faire l’objet d’aucun réexamen.
2.6À la première audience, le juge du fond du tribunal régional de Salzbourg a fait observer que l’auteur n’avait peut‑être pas poursuivi les bonnes parties et lui a demandé pourquoi il avait intenté une action contre les partenaires et non contre M. W. Il a ajouté qu’il «ne [pouvait] imaginer que M. W. ait fait une chose pareille». L’auteur a contesté l’impartialité du juge du fond devant la chambre d’appel du tribunal régional de Salzbourg, qui a rejeté sa demande de récusation le 9 août 1999. Pendant l’examen de la demande, le juge a déclaré ce qui suit: «On ne peut exclure que je n’aie pas été pleinement impartial à cause de cette contestation dénuée de fondement – du point de vue du juge − bien qu’en tant que juge je me considère encore capable de me prononcer sur la base de l’appréciation des éléments de preuve». L’auteur n’a pas fait appel du rejet de sa demande de récusation. En conséquence, la procédure civile a été poursuivie par le juge du tribunal régional de Salzbourg qu’il avait auparavant contesté.
2.7À l’audience du 30 juin 2000, M. W. a déclaré qu’il avait appelé l’auteur le 27 janvier 1999, le jour où il avait conclu l’accord, et que l’auteur lui avait donné son approbation oralement. Il a produit une note à l’appui de son affirmation.
2.8Le 18 avril 2001, le tribunal régional a débouté l’auteur au motif que l’accord de règlement global l’empêchait d’introduire une réclamation contre les partenaires, et considérant qu’«on ne [pouvait] tenir pour vrai que M. W., en tant qu’homme de loi et témoin passible de sanctions pénales, puisse commettre un parjure dans le procès en cours ou fabriquer de toutes pièces une note à propos de sa conversation téléphonique avec l’auteur», conversation au cours de laquelle l’auteur aurait approuvé verbalement l’accord. Dans son jugement, le juge du fond a réaffirmé son opinion au sujet de la crédibilité des témoignages. Il a reconnu sa préférence pour le témoignage d’un homme de loi, affirmant qu’«on ne [pouvait] présumer» que M. W. avait menti en tant que témoin.
2.9L’auteur a formé un recours auprès de la cour d’appel de Linz, faisant valoir que le juge du fond n’avait pas évalué les faits en s’appuyant sur «le sens commun», qu’il n’avait pas tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve disponibles et qu’il avait enfreint les règles de procédure relatives à l’appréciation des éléments de preuve. Le juge avait fondé son jugement sur sa conviction qu’il était impossible de présumer qu’un homme de loi tel que M. W. puisse produire un faux témoignage, alors que «l’ordre juridique autrichien ne [contenait] aucune règle selon laquelle il [fallait], de manière générale, accorder plus de poids au témoignage d’un homme de loi qu’à un autre élément de preuve». L’auteur a dénoncé ce qu’il considérait comme un manque d’impartialité de la part du juge ainsi que l’absence de procédure équitable, et a demandé à la cour de procéder à un nouvel examen des preuves et de citer à comparaître les témoins, l’auteur, M. W. et le conseil qui avait négocié l’accord de règlement global entre les partenaires.
2.10Le recours a été rejeté le 9 janvier 2002 sans que la cour n’ait entendu les témoins. La cour d’appel a déclaré qu’il ne lui appartenait pas d’apprécier les éléments de preuve lors d’une audience et que seule une appréciation «manifestement désinvolte, superficielle ou arbitraire» des preuves par le juge du fond justifierait qu’elle conclue à un défaut de raisonnement. Elle a considéré que «rien n’[indiquait] que M. W. ait agi dans l’intention de nuire» à l’auteur et qu’«on ne [pouvait] exclure que, même dans un cabinet juridique bien géré, des erreurs soient commises». S’agissant de la nouvelle contestation du juge du fond par l’auteur, la cour a estimé que cette question avait déjà été examinée par la chambre d’appel du tribunal régional de Salzbourg. L’auteur a alors formé auprès de la Cour suprême un pourvoi extraordinaire en révision, qui a été déclaré irrecevable le 13 mars 2002 pour des raisons formelles.
2.11Dans la deuxième procédure, engagée le 23 novembre 1999, l’auteur a demandé au tribunal régional de Salzbourg de déclarer l’avocat responsable de tout préjudice pouvant découler, y compris à l’avenir, du fait qu’il avait conclu l’accord de règlement global sans l’approbation ni le consentement de l’auteur. Cette demande a été rejetée le 4 décembre 2000, et l’auteur a saisi la cour d’appel de Linz, qui a suspendu la procédure dans l’attente du règlement du procès engagé contre les partenaires (première procédure). Au vu de l’issue de ce procès, où il a été considéré que M. W. n’avait pas commis de faute professionnelle, ni l’auteur ni M. W. n’ont demandé à la cour de reprendre la procédure, puisqu’elle était devenue sans objet.
2.12Dans la troisième procédure, l’auteur a déposé une plainte pénale contre M. W. auprès de la police fédérale de Salzbourg pour tromperie et faux témoignage, et mauvaise foi devant le tribunal. Cette plainte a été rejetée en septembre 2002, car la culpabilité de M. W. n’a pu être prouvée. L’auteur a demandé au ministre de réexaminer la décision de ne pas poursuivre, mais sa demande a été rejetée en février 2003. Enfin, il a déposé à titre privé une plainte pénale devant le tribunal régional de Salzbourg, qui l’a rejetée le 13 juin 2003.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que ses plaintes ont été rejetées à tort par les tribunaux nationaux, qui n’ont pas respecté les critères minimaux d’une procédure équitable énoncés au paragraphe 1 de l’article 14. Tout en étant pleinement conscient qu’il n’appartient généralement pas au Comité d’apprécier les faits et les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des tribunaux nationaux a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, l’auteur soutient qu’une décision clairement erronée a bien été prise dans son cas. Le fait que les tribunaux nationaux n’aient pu parvenir à une conclusion qui ne soit pas contraire au sens commun, ce qui rend leur décision «suspecte», devrait inciter le Comité à exercer une vigilance accrue au moment de vérifier si les critères d’équité, d’indépendance et d’impartialité ont été respectés.
3.2L’auteur déclare que le juge du fond manquait manifestement d’impartialité et que, partant, l’audience et la décision en première instance étaient entachées de préjugé, puisque l’auteur a été nettement défavorisé par rapport à la partie adverse. Le juge du fond a dit clairement qu’il ne «[pouvait] imaginer que M. W. ait fait une chose pareille». L’auteur se réfère à la décision du Comité dans Karttunen, où le Comité a estimé que «l’impartialité du tribunal exige[ait] que les juges n’aient pas d’idées préconçues au sujet de l’affaire dont ils [étaient] saisis et qu’ils n’agissent pas de manière à favoriser les intérêts de l’une des parties». En outre, le manque d’impartialité du juge a été ignoré en appel, puisque la cour d’appel a seulement examiné la question de savoir si la manière dont il s’était prononcé n’était pas «inconcevable». Elle n’était pas disposée à procéder à un nouvel examen des preuves et elle n’a pas examiné en détail la façon dont le juge du fond les avait lui‑même appréciées.
3.3L’auteur affirme que le principe de l’égalité des armes n’a pas été respecté dans son cas, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14, de l’article 26, et du paragraphe 1 de l’article 2, le juge ayant déclaré qu’«on ne [pouvait] présumer» que l’avocat avait menti en tant que témoin, ce qui signifiait implicitement que l’on pouvait présumer que les déclarations divergentes de l’auteur équivalaient à des mensonges. Ainsi, le tribunal a estimé que le témoignage d’un juriste (M. W.) était de plus grande valeur que celui de toute autre personne, et il a alourdi la charge de la preuve au‑delà de ce qui est considéré comme étant la norme dans les affaires civiles en Autriche. L’auteur a été défavorisé car il a dû affronter une «présomption de crédibilité» de la partie adverse.
3.4L’auteur déclare que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’il a épuisé les recours internes.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Le 19 janvier 2006, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés dans la première procédure. L’État partie a rappelé que l’auteur avait engagé une action devant le tribunal régional de Salzbourg et qu’il avait demandé la récusation du juge du fond à l’audience du 6 juillet 1999. Le 9 août 1999, la chambre d’appel du tribunal régional de Salzbourg a rejeté la demande de récusation du juge du fond. L’auteur n’ayant pas fait appel de cette décision, la procédure a continué devant ce même juge.
4.2L’État partie indique que l’auteur avait la possibilité de former un recours contre la décision de la chambre d’appel devant la cour d’appel de Linz, en vertu du paragraphe 2 de l’article 24 de la loi autrichienne sur la compétence judiciaire. Or, il ne l’a pas fait, et il a accepté que la procédure civile se poursuive. En conséquence, la communication doit être déclarée irrecevable.
Commentaires de l’auteur
5.1Le 1er avril 2006, l’auteur a commenté les observations de l’État partie. Il affirme que l’État partie n’a pas démontré que la voie de recours qui existe théoriquement en vertu des articles 23 et 24 de la loi sur la compétence judiciaire aurait été disponible et utile, et qu’elle lui aurait permis d’obtenir réparation au niveau national pour les violations de ses droits en vertu du Pacte. Il fait valoir qu’il ne suffit pas de citer une disposition légale pour décrire une procédure, et que l’application de la disposition en question dans la pratique judiciaire et administrative doit être prise en considération.
5.2L’auteur affirme que la décision de la chambre d’appel du tribunal régional de Salzbourg, en date du 9 août 1999, ne contenait aucune instruction concernant les voies de recours disponibles et ne l’informait pas de son droit de former un recours auprès de la cour d’appel de Linz contre le rejet de sa demande de récusation du juge du fond. Il se réfère à une décision de la Cour constitutionnelle dans laquelle la Cour a estimé que ni l’absence d’instructions concernant les voies de recours disponibles ou le caractère inexact de telles instructions ne pouvait être retenu contre l’intéressé. L’auteur a donc été privé d’un accès égal et équitable à la voie de recours en question et par conséquent il n’était pas tenu de l’épuiser.
5.3L’auteur fait valoir que la législation autrichienne relative à la récusation des juges est très stricte et que la charge de la preuve imposée pour établir la partialité est contraire à l’exigence d’impartialité énoncée au paragraphe 1 de l’article 14. Il se réfère à un arrêt de la Cour suprême, dans lequel la Cour a estimé que «la récusation [était] “l’arme la plus puissante” qu’une partie puisse employer contre un juge du fond. La demande de récusation ne peut aboutir que si les motifs qui y sont avancés sont si graves que des doutes sérieux pèsent sur l’impartialité du juge visé». Les motifs d’une telle demande doivent être exposés «en détail et concrètement». La Cour suprême a également considéré que «des faits doivent être établis qui permettent de conclure qu’un juge ne se laissera pas guider uniquement par des considérations raisonnables pour trancher l’affaire; de simples craintes ou doutes subjectifs d’une partie quant à l’impartialité du juge sont insuffisants». Selon l’auteur, dans ces conditions, une demande de récusation n’est donc pas un recours utile au sens du Protocole facultatif.
5.4Or, en vertu des normes internationales, un requérant qui met en doute l’impartialité objective d’un juge n’est pas tenu de prouver que le juge est partial, mais seulement de montrer qu’il existe un doute légitime quant à son impartialité. Pour évaluer s’il y a partialité subjective, il faut déterminer si les juges ont «des idées préconçues au sujet de l’affaire dont ils sont saisis». La conviction personnelle d’un juge telle que la perçoit une partie peut susciter la «crainte objectivement justifiée» d’un manque d’impartialité. «Dans certaines circonstances, une apparence de partialité peut être de nature à constituer une violation du droit d’une personne à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial.» La législation autrichienne relative à la récusation des juges, telle qu’elle est appliquée par la Cour suprême, ne reflète pas ces normes internationales. Elle impose un critère exclusivement objectif pour évaluer l’impartialité des juges.
5.5La Cour suprême a considéré que les juges qui admettaient avoir pu être partiaux mais qui avaient «estimé» qu’ils pouvaient se prononcer sans parti pris dans une affaire donnée ne devaient pas être récusés. Ce précédent s’appliquerait au cas de l’auteur. Un appel aurait donc été inutile.
5.6L’auteur affirme que les demandes de récusation de juges du fond et les recours formés contre les rejets de telles demandes n’ont pas d’effet suspensif et que, par conséquent, le juge contesté peut continuer à diriger la procédure, sans pouvoir toutefois rendre de décision définitive. S’il est récusé pour partialité, il peut être décidé, ou non, d’annuler ou de refaire l’instruction. Cette question est tranchée par l’instance qui statue sur la demande de récusation, sans véritable contribution de la part du requérant.
5.7L’auteur affirme qu’en demandant la récusation du juge du fond dans son recours auprès de la cour d’appel, conformément à la loi, il a épuisé les recours internes. Aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5, les auteurs sont tenus de soulever devant les juridictions internes les questions de fond présentées au Comité de manière que l’État partie ait la possibilité de rectifier la situation. L’auteur a bien contesté l’impartialité du juge, une première fois lors de l’audience où le juge a exprimé son parti pris, et de nouveau dans le mémoire de recours qu’il a adressé à la cour d’appel. Le fait que la deuxième demande de récusation ait été formulée dans le mémoire de recours plutôt que dans un recours contre la décision rejetant la demande initiale est conforme à la loi autrichienne. L’auteur n’a eu connaissance de certains motifs de récusation qu’une fois le procès en première instance achevé, ce qui l’autorisait à soulever cette question dans son appel sur le fond. Il a déclaré dans son mémoire de recours que le juge du fond avait tranché l’affaire arbitrairement en n’évaluant pas pleinement les éléments de preuve, en ne les pesant pas soigneusement, en ne tenant pas compte d’une certaine note, en n’utilisant pas correctement les éléments de preuve et en présumant que la crédibilité du témoignage d’un homme de loi est supérieure à celle accordée au témoignage d’un particulier. Or, la contestation initiale ne portait que sur les déclarations du juge à la première audience. L’auteur se réfère à la jurisprudence de la Cour suprême et indique que dans les affaires civiles, contrairement aux affaires pénales, les juges peuvent également être contestés après qu’ils ont pris leur décision sur le fond, si les raisons d’une telle contestation ne sont apparues qu’à ce moment‑là ou après que le jugement de la juridiction inférieure a été rendu. L’auteur n’aurait pas pu avancer ces nouveaux motifs de contestation dans un recours contre la décision de ne pas récuser le juge du fond, mais uniquement dans son appel sur le fond.
5.8En outre, les cours d’appel ne sont habilitées à réexaminer des questions que dans les limites des faits établis par le juge du fond. La Cour suprême a estimé que «lorsqu’il est fait appel du rejet d’une demande de récusation d’un juge, aucun nouveau motif de récusation ne peut être avancé».
5.9Enfin, l’auteur soutient que la portée de sa communication s’étend, au‑delà de la partialité du juge du fond, à l’absence de réexamen adéquat au stade de l’appel et d’accès à une procédure équitable. En tout état de cause, ces aspects de la communication n’ont pas été examinés par l’État partie lorsqu’il en a rejeté la recevabilité.
Décision du Comité concernant la recevabilité
6.1À sa quatre‑vingt‑neuvième session, le 5 mars 2007, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a noté que l’État partie avait contesté la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés, puisque l’auteur n’avait pas fait appel de la décision rejetant sa demande de récusation du juge. Le Comité a toutefois fait observer que, conformément à la jurisprudence autrichienne invoquée par l’auteur, celui‑ci pouvait contester le juge dans son appel sur le fond si la décision faisait apparaître de nouveaux motifs de contestation. C’est ce qu’il a fait, faisant valoir que le juge du fond avait tranché l’affaire arbitrairement car il n’avait pas évalué pleinement les éléments de preuve, ne les avait pas soigneusement pesés, n’avait pas tenu compte d’une certaine note, n’avait pas utilisé correctement les éléments de preuve et avait présumé que la crédibilité du témoignage d’un homme de loi est supérieure à celle accordée au témoignage d’un particulier. L’auteur n’a découvert ces motifs qu’une fois que le jugement avait été rendu, et il était donc en droit de les invoquer dans son pourvoi contre cette décision. Son pourvoi auprès de la Cour suprême a été rejeté le 13 mars 2002. Le Comité a conclu que l’auteur, qui avait soulevé la question de la partialité du juge à tous les niveaux, jusqu’à la Cour suprême, avait épuisé les recours internes aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.2En outre, le Comité a fait observer que s’il appartient généralement aux tribunaux nationaux d’apprécier les éléments de fait et de preuve, il est compétent pour examiner si le procès s’est déroulé conformément aux dispositions de l’article 14 du Pacte. Le Comité a estimé que l’auteur avait suffisamment étayé sa demande au titre de l’article 14, lu conjointement avec l’article 26 du Pacte, aux fins de la recevabilité, et que la communication est donc recevable.
Observations de l’État partie sur le fond
7.1Dans une lettre du 9 octobre 2007, l’État partie soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif. Il réaffirme également que l’auteur n’a pas contesté la décision de la chambre d’appel du tribunal régional de Salzbourg, alors qu’il avait le droit, conformément à la législation autrichienne, de présenter un recours devant une juridiction supérieure. L’auteur commet une erreur en affirmant avoir épuisé les recours internes lorsqu’il a dénoncé la partialité du juge dans son recours devant la Cour d’appel de Linz, en particulier dans la mesure où ses arguments concernant la partialité du juge du fond sont fondés sur la prétendue partialité de celui‑ci s’agissant de l’évaluation des éléments de preuve et des motifs avancés pour justifier le jugement, c’est‑à‑dire sur une allégation manifestement erronée et foncièrement insuffisante pour récuser le juge pour partialité. Au contraire, les motifs sur lesquels se fonde le jugement montrent clairement l’impartialité du juge du fond.
7.2S’agissant du fond de la communication, l’État partie soutient que les articles 14 et 26 du Pacte n’ont pas été violés. L’affirmation de l’auteur selon laquelle les témoignages des juristes sont, de manière générale, plus crédibles et les allégations contraires des autres parties au procès devraient surmonter une «présomption de crédibilité» n’a pas de fondement légal. Le juge autrichien doit évaluer les dépositions de toutes les parties et des témoins de manière impartiale et leur accorder – en particulier en se fondant sur son impression personnelle à l’audience – l’importance voulue. Dans le système juridique autrichien, il n’y a pas de règle relative aux éléments de preuve qui élèverait de manière générale la valeur du témoignage de telle ou telle partie ou témoin au‑dessus de celle de toute autre personne.
7.3Le grief de l’auteur selon lequel le tribunal régional a accordé davantage d’importance à la déposition de M. W. qu’à la sienne en ce qui concerne la conclusion de l’accord de règlement global et en particulier la conversation téléphonique décisive avec l’auteur, au motif que M. W. est un avocat, est erroné. L’évaluation des éléments de preuve – à laquelle le tribunal a procédé avec toute l’attention voulue – a conduit à une conclusion totalement différente. Le tribunal régional a tenu compte du fait qu’il existait des contradictions entre les témoignages de l’auteur et de M. W. au sujet de l’accord de règlement global. Toutefois, lorsqu’il a évalué les éléments de preuve, le tribunal a accepté la version des faits présentée par M. W. pour les raisons suivantes:
M. W. a déposé en qualité de témoin, et il était donc soumis à l’obligation de présenter les faits véritables sous peine de sanctions, alors que la déposition du demandeur (l’auteur) n’était pas soumise à l’obligation de sincérité sous peine de sanctions (pénales);
L’hypothèse que M. W. a fait un faux témoignage impliquerait non seulement qu’il se serait parjuré au cours du procès, mais également qu’il aurait falsifié des documents, à savoir la note concernant sa conversation téléphonique avec le demandeur;
La lettre de son administrateur d’alors, Mag. F., du 19 mai 1998, indiquait que l’auteur avait probablement approuvé la clause de règlement global;
La lettre de l’auteur à M. W., du 11 février 1999, semblait également confirmer la version des faits présentés par M. W.
7.4Le tribunal a également évalué les éléments de preuve touchant aux témoignages divergents de l’auteur et de M. W. La présomption de l’auteur selon laquelle le tribunal n’aurait pas accordé foi à sa version des faits parce que, n’étant pas juriste, il était en général moins crédible est infondée et contredit manifestement les explications très claires données par le tribunal lorsqu’il a évalué les éléments de preuve. Les éléments pris en considération par le tribunal à cet égard sont, en fait, fondés sur des circonstances objectives compréhensibles qui justifient ses conclusions sans aucune équivoque.
7.5On ne saurait conclure de façon définitive que le juge du fond a pu provoquer ce malentendu essentiel concernant son évaluation des éléments de preuve avec ses remarques au cours de débats officieux au sujet du fondement juridique de l’affaire. Il est vrai que le juge du fond aurait dû faire preuve de plus de prudence. Par ailleurs, il n’est absolument pas inhabituel pour un juge du fond d’exprimer des avis et des évaluations à titre préliminaire lorsqu’il examine l’affaire pour la première fois avec les parties et leurs conseils. Ces avis doivent bien entendu être expressément formulés sous réserve d’un examen plus approfondi de la cause, du respect des règles de procédure quant aux éléments de preuve et des conclusions concrètes auxquelles l’appréciation de ceux‑ci donne lieu. En l’espèce, le juge du fond a exprimé une telle réserve. Par conséquent, la décision énoncée dans le jugement du 18 avril 2001 et les motifs sur lesquels elle se fonde montrent clairement que le juge a été exclusivement guidé par des critères objectifs.
Commentaires de l’auteur concernant les observations de l’État partie sur le fond
8.1Le 19 décembre 2007, l’auteur a transmis au Comité ses commentaires concernant les observations de l’État partie. S’agissant de la recevabilité, il indique avoir donné à l’État partie toute latitude, comme cela est prévu par la législation autrichienne (en particulier, il a adressé une demande de récusation à la chambre d’appel du tribunal régional et une demande de réexamen à la Cour d’appel) pour remédier à la violation alléguée de son droit d’être entendu par un tribunal impartial.
8.2C’est à tort que l’État partie affirme que le juge du fond n’a fait preuve d’aucune partialité dans son jugement. Comme indiqué dans la lettre initiale, le juge, dans sa décision écrite, a réaffirmé ses commentaires antérieurs («Je ne peux pas imaginer que M. W. ait pu faire une chose pareille.»). Ainsi, d’après le compte rendu d’audience du 6 juillet 1999, il a déclaré: «On ne [pouvait] tenir pour vrai que M. W., en tant qu’homme de loi et témoin passible de sanctions pénales, puisse commettre un parjure dans le procès en cours ou fabriquer de toutes pièces une note à propos de sa conversation téléphonique [avec l’auteur].». En poursuivant sa plainte pour partialité dans l’appel sur le fond (après sa demande de récusation initiale dans une plainte distincte), l’auteur était donc on ne peut plus prudent, étant donné que le même tribunal (la Cour d’appel de Linz) devait se prononcer à la fois sur la partialité du juge du fond et sur le fond de la cause. L’auteur réaffirme en outre ses allégations selon lesquelles une demande en récusation ne constitue pas un recours utile contre le manque d’impartialité d’un juge.
8.3En ce qui concerne le fond, l’État partie a raison lorsqu’il affirme qu’il n’y a pas de règle formelle en droit autrichien qui aurait pour effet d’élever le témoignage de juristes au‑dessus de ceux de citoyens ordinaires. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas de pratique systématique consistant à traiter défavorablement les citoyens ordinaires qui ont engagé une action en justice contre des juristes. Cela ne veut pas dire non plus que l’auteur n’a pas été expressément traité de manière défavorable parce que son adversaire était juriste, eu égard aux circonstances concrètes de la cause.
8.4La liste des points sur lesquels le tribunal de première instance a effectivement fondé sa décision, établie par l’État partie, comporte quatre points dont les deux premiers sont les suivants:
L’adversaire de l’auteur a témoigné alors qu’il était passible de sanctions, tandis que l’auteur n’encourait pas de telles sanctions. En réalité, l’obligation de faire une déposition de bonne foi s’applique tant à une partie qu’à un témoin; la différence tient uniquement aux circonstances en fonction desquelles ils peuvent être pénalement responsables. Si les témoins sont responsables, en règle générale les parties ne le sont que si elles témoignent sous serment. En Autriche, la procédure civile autorise un juge à demander qu’une déclaration soit faite ou répétée sous serment, quelles que soient les circonstances. Ainsi, le juge du fond aurait donc pu très facilement «élever» la menace de sanctions pénales contre l’auteur s’il avait le moindre doute sur sa bonne foi. Le fait qu’il ne l’ait pas fait confirme qu’il s’était sans doute déjà fait son opinion à ce stade de l’instance;
L’«hypothèse» selon laquelle l’adversaire de l’auteur avait fait un faux témoignage aurait signifié qu’il se serait parjuré et qu’il aurait falsifié des documents. Sans vouloir en aucune manière suggérer que l’adversaire de l’auteur ait effectivement fait cela, l’hypothèse inverse selon laquelle il ne l’a pas fait n’est fondée sur aucun élément de preuve objectif, hormis le fait qu’il est juriste − et donc plus crédible. L’hypothèse inverse signifie également qu’il est plus probable que l’auteur ait fait un faux témoignage − hypothèse qui n’est appuyée par aucun élément de preuve quel qu’il soit.
8.5L’État partie a conclu qu’il y avait des circonstances objectives compréhensibles qui justifiaient sans ambiguïté la conclusion formulée par la cour. Toutefois, il n’explique pas quelles sont ces circonstances. Rien dans les explications de l’État partie ne permet d’invalider l’impression de l’auteur, fondée sur deux déclarations expresses du juge du fond, à savoir que son adversaire, parce qu’il était juriste, a été considéré comme un témoin plus crédible.
Examen au fond
9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties.
9.2L’auteur soutient que le juge qui a statué sur son action contre M. W. était partial parce qu’à deux reprises au cours des débats il a fait des remarques montrant qu’il était favorable à M. W.
9.3Le Comité rappelle que l’exigence d’impartialité comprend deux aspects. Premièrement, les juges ne doivent pas laisser des partis pris ou des préjugés personnels influencer leur jugement ni nourrir d’idées préconçues au sujet de l’affaire dont ils sont saisis, ni agir de manière à favoriser indûment les intérêts de l’une des parties au détriment de l’autre. Deuxièmement, le tribunal doit aussi donner une impression d’impartialité à un observateur raisonnable. Le premier aspect correspond au caractère subjectif de l’impartialité et le second au caractère objectif.
9.4En ce qui concerne le caractère subjectif, un juge doit être considéré comme impartial jusqu’à preuve du contraire. À cet égard, le Comité prend note de la déclaration de l’État partie concernant l’évaluation des éléments de preuve par le tribunal régional, en particulier le fait que le tribunal a accepté la version des faits présentée par M. W., compte tenu des éléments de preuve documentaire existants donnant à penser que l’auteur avait approuvé le règlement global. Il conclut que, en l’espèce, les éléments d’information dont il est saisi ne font pas apparaître que le juge a manqué d’impartialité sur le plan subjectif.
9.5Il faut en outre déterminer si, indépendamment de la mentalité personnelle du juge, il existe des faits objectifs vérifiables qui seraient de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Les juges ne doivent pas seulement être impartiaux, ils doivent aussi donner une impression d’impartialité. Quand il s’agit de déterminer s’il existe un motif légitime de craindre que tel ou tel juge manque d’impartialité, l’optique de ceux qui affirment qu’il y a des raisons de douter de cette impartialité est importante mais non décisive. Ce qui est décisif, c’est l’existence ou non de raisons objectives à ces appréhensions.
9.6Dans la présente affaire, il se peut que les observations faites par le juge aient suscité quelques doutes dans l’esprit de l’auteur quant à son impartialité. Néanmoins, le Comité estime que, en l’absence d’éléments complémentaires, ces observations n’étaient pas de nature à justifier objectivement les appréhensions de l’auteur à cet égard. En conséquence, il constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
T. Communication n o 1448/2006, Kohoutek c. République tchèque*(Constatations adoptées le 17 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Ivanka Kohoutek (non représentée par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
République tchèque |
Date de la communication: |
2 février 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens |
Questions de procédure: |
Abus du droit de présenter une communication; griefs non étayés |
Questions de fond: |
Égalité devant la loi; égale protection devant la loi |
Articles du Pacte: |
26, 12 |
Articles du Protocole facultatif: |
3, 2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 17 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1448/2006 présentée au nom de Mme Ivanka Kohoutek, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication, datée du 2 février 2006, est Ivanka Kohoutek, Allemande d’origine tchèque, née en 1947 dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Elle se déclare victime d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Elle n’est pas représentée par un conseil.
1.2Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Protocole facultatif) est entré en vigueur pour la République tchèque le 22 février 1993.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1En 1981, l’auteur et son époux ont quitté l’ancienne Tchécoslovaquie avec leurs deux enfants pour émigrer dans l’ancienne République fédérale d’Allemagne. Un tribunal tchécoslovaque les a condamnés par défaut à douze mois d’emprisonnement, avec confiscation de leurs biens, pour avoir quitté le pays.
2.2L’auteur explique que le bien qu’ils possédaient était une maison de famille située à Hosov, dans ce qui est aujourd’hui le district de Jihlava, avec un garage, des annexes et un jardin de 861 m2. Selon elle, leur droit de propriété était dûment enregistré au service du cadastre de Jihlava, et un certificat de propriété (no 433) avait été établi.
2.3Le 23 février 1982, la sœur de l’auteur s’est portée acquéreur de la propriété. En raison de considérations politiques, et bien que la sœur de l’auteur eût présenté sa demande en premier, la maison et le terrain ont été transférés à M. et Mme Ch. Ce transfert de propriété a été enregistré le 12 novembre 1982 par un notaire à Jihlava. Bien que M. et Mme Ch. occupent toujours la maison, le droit de propriété a été officiellement transféré à un certain Michael S. pour empêcher, semble-t-il, tout autre litige éventuel.
2.4L’époux de l’auteur est décédé en 1987. À cette date, il avait encore la nationalité tchécoslovaque. L’auteur a obtenu la nationalité allemande en 1991, ce qui lui a valu de perdre sa nationalité tchécoslovaque d’origine.
2.5L’auteur affirme que son époux décédé et elle‑même ont été entièrement réhabilités en 1990, en application de la loi no 119/1990 relative à la réhabilitation judiciaire. Elle a demandé que M. et Mme Ch. lui restituent son bien en application de la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire. Ils ont refusé et elle a donc déposé plainte auprès du tribunal de district de Jihlava. À une date non précisée, le tribunal a rejeté la requête au motif que l’auteur n’avait pas la nationalité tchèque. Le 8 décembre 1998, le tribunal régional de Brno a confirmé la décision du tribunal de district.
2.6L’auteur a formé un recours devant la Cour constitutionnelle, en faisant valoir qu’elle avait été victime de discrimination en violation de l’article 26 du Pacte. La Cour constitutionnelle a rejeté le recours le 27 septembre 1999.
2.7L’auteur a alors saisi la Cour européenne des droits de l’homme (requête no 58716/00). Le 10 septembre 2002, un comité de trois juges de la Cour a déclaré sa requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement.
Teneur de la plainte
3.L’auteur se déclare victime d’une violation de l’article 26 du Pacte parce que la condition de nationalité fixée par la loi no87/1991 constitue une discrimination illégale. Elle invoque la jurisprudence du Comité, plus particulièrement les affaires Marik et Krizc. République tchèque, dans lesquelles le Comité a conclu à une violation de l’article 26 par l’État partie.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication
4.1Dans une note du 6 septembre 2006, l’État partie a fait parvenir ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Concernant les faits, il précise que le 23 février 1982 l’auteur et son époux ont été condamnés par le tribunal de district de Jihlava, notamment à la confiscation de leurs biens, pour avoir émigré illégalement. Le 16 février 1989, l’auteur et son époux, décédé en 1987, ont été amnistiés par ce même tribunal. L’État partie confirme qu’ils ont été rétablis dans leurs droits par une décision rendue le 13 février 1991 en application de la loi no 119/1990, qui a annulé le jugement du 23 février 1982.
4.2L’État partie souligne qu’en vertu de la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire («loi sur la restitution») il fallait remplir d’autres critères que les conditions de nationalité et de résidence permanente pour prétendre à la restitution. La condition de résidence permanente a été supprimée par l’arrêt no 164/1994 de la Cour constitutionnelle, en date du 12 juillet 1994, qui a fixé un nouveau délai de six mois, à compter du 1er novembre 1994, pour la présentation des demandes de restitution.
4.3Le 3 octobre 1995, l’auteur et ses enfants ont demandé la restitution de leur bien. La demande a été rejetée en date du 10 septembre 1997 au motif qu’ils ne remplissaient pas la condition de nationalité. Le 8 décembre 1998, le tribunal régional de Brno a confirmé la décision rendue en première instance.
4.4L’État partie conteste la recevabilité de la communication, affirmant qu’elle constitue un abus du droit de plainte au sens de l’article 3 du Protocole facultatif. Il reconnaît que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai précis pour la soumission de communications mais il renvoie à la jurisprudence du Comité, notamment à l’affaire Gobin c. Maurice dans laquelle le Comité avait déclaré irrecevable une communication présentée cinq ans après la commission de la violation alléguée du Pacte, au motif que l’auteur n’avait pas donné d’«explication convaincante» pour justifier ce retard. En l’espèce, l’État partie fait valoir que l’auteur a saisi le Comité en février 2006, soit sept ans et deux mois après que le tribunal régional de Brno eut rendu sa décision du 8 décembre 1998, et à tout le moins trois ans et presque cinq mois après la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, rendue le 10 septembre 2002, sans donner la moindre explication pour justifier un retard aussi déraisonnable. À ce propos, l’État partie rappelle qu’un délai de six mois est fixé pour la présentation des requêtes à la Cour européenne des droits de l’homme (art. 35, par. 1, de la Convention européenne des droits de l’homme). Il fait valoir en outre que l’intérêt particulier de l’auteur dans la présente affaire ne saurait être considéré comme suffisamment important pour l’emporter sur l’intérêt généralement reconnu qu’il y a à préserver le principe de la sécurité juridique, d’autant plus que l’auteur a déjà saisi par le passé un autre organe international chargé de protéger les libertés et les droits de l’homme.
4.5Sur le fond, l’État partie renvoie aux observations qu’il avait exposées antérieurement au Comité au sujet d’affaires analogues, dans lesquelles il avait expliqué les circonstances politiques et les conditions juridiques propres aux lois sur la restitution, notamment la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire. L’État partie fait observer qu’il était conscient, à l’époque où ces lois ont été adoptées, qu’il ne serait pas possible de réparer toutes les injustices commises sous le régime communiste, et que la Cour constitutionnelle a examiné et rejeté dans plusieurs affaires la question de savoir si la condition de nationalité était contraire à la Constitution et aux libertés et droits fondamentaux (par exemple dans l’arrêt no 185/1997). Il ajoute que les lois sur la restitution ont été adoptées avec un double objectif: atténuer dans une certaine mesure les conséquences d’une partie des injustices commises par le passé et permettre de mener rapidement à bien une réforme économique complète en vue de passer à une économie de marché. Les lois sur la restitution faisaient partie d’un train de mesures législatives visant à transformer l’ensemble de la société, et il semblait opportun de prévoir des conditions restrictives, notamment la condition relative à la nationalité, qui visait à garantir que les biens restitués soient dûment entretenus.
4.6L’État partie fait observer en outre que les personnes susceptibles de demander la restitution de biens confisqués ont eu la possibilité de recouvrer la nationalité tchèque entre le 29 mars 1990 et le 31 décembre 1993. Il renvoie à ce sujet à la décision du tribunal régional de Brno, dans laquelle celui‑ci a estimé que «la législation nationale, de ce fait, permettait également aux personnes qui ne remplissaient pas la condition de nationalité de présenter des demandes de restitution en vertu de la loi relative à la réparation par voie non judiciaire». L’État partie relève que le tribunal régional de Brno n’était pas tenu d’examiner − et d’ailleurs ne l’a pas fait, pour des raisons d’économie de procédure − les autres conditions à satisfaire pour prétendre à la restitution. Il en conclut qu’il n’est pas possible de présumer qu’il aurait été fait droit à sa demande si l’auteur avait satisfait à la condition concernant la nationalité tchèque.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans une réponse datée du 28 septembre 2006, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle rappelle qu’avec son mari elle a fui la Tchécoslovaquie communiste en 1981 et fait valoir que le jugement rendu le 23 février 1982 par le tribunal de district de Jihlava va à l’encontre des dispositions du paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte. Au sujet de la loi no 119/1990 relative à la réhabilitation judiciaire, elle affirme que celle‑ci ne prévoit aucune condition de nationalité pour les personnes réhabilitées et que cette condition a été introduite dans la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire, promulguée quatorze mois plus tard.
5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que sa communication constitue un abus du droit de soumettre des communications, l’auteur nie qu’il y ait abus du droit de plainte et rappelle que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai. Elle avait été anéantie par le déni de justice qu’entraînaient les décisions judiciaires et elle était à bout, émotionnellement et financièrement. Elle avait saisi le Comité dès qu’elle avait eu connaissance des constatations qu’il avait adoptées le 26 juillet 2005 dans l’affaire Marik (communication no 945/2000), et le 1er novembre 2005 dans l’affaire Kriz (communication no 1054/2002).
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif impose au Comité de s’assurer que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité a noté que la plainte portant sur les mêmes faits qui avait été soumise à la Cour européenne des droits de l’homme (requête no 58716/00) avait été déclarée irrecevable par un comité de trois juges, pour défaut manifeste de fondement le 10 septembre 2002. Les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication étant donné que la Cour européenne n’est plus saisie de l’affaire et que l’État partie n’a pas émis de réserve à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.3 En ce qui concerne le grief de l’auteur qui fait valoir que le jugement rendu le 23 février 1982 par le tribunal de district de Jihlava est contraire aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte, le Comité note que ce grief n’était pas avancé dans la communication initiale sur laquelle l’État partie a fait ses observations. Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations de violation de l’article 12 et déclare cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de plainte au regard de l’article 3 du Protocole facultatif, en raison du temps écoulé avant qu’elle ne soit adressée au Comité. L’État partie rappelle que l’auteur a attendu trois ans et cinq mois après que la Cour européenne des droits de l’homme eut rendu sa décision pour soumettre sa plainte au Comité. En l’espèce et compte tenu des explications données par l’auteur, le Comité n’estime pas que le temps écoulé avant que la communication lui soit adressée constitue un abus du droit de plainte. Il déclare par conséquent la communication recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Le Comité doit déterminer si l’application à l’auteur de la loi no 87/1991 a constitué une discrimination, en violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26.
7.3Le Comité rappelle les constatations qu’il a adoptées dans les affaires Adam, Blazek, Marik, Kriz, Gratzinger et Ondracka, dans lesquelles il a conclu à une violation de l’article 26 du Pacte, et qu’il serait incompatible avec le Pacte d’exiger des auteurs qu’ils remplissent la condition relative à la nationalité tchèque pour obtenir la restitution de leurs biens ou, à défaut, une indemnisation. Le Comité estime que le principe établi dans les affaires susmentionnées est également valable dans la présente affaire et qu’en appliquant à l’auteur la condition de nationalité, les tribunaux internes ont violé les droits qui lui sont garantis à l’article 26 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une réparation, y compris une indemnisation si le bien ne peut pas être restitué. Le Comité engage de nouveau l’État partie à revoir sa législation de façon à garantir à tous l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
U. Communication n o 1450/2006, Komarovski c. Turkménistan*(Constatations adoptées le 24 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Leonid Komarovski (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Turkménistan |
Date de la communication: |
25 novembre 2005 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Arrestation et détention arbitraires de l’auteur |
Questions de fond: |
Arrestation et détention arbitraires; torture; atteinte à l’honneur et à la réputation de l’auteur; absence de recours internes utiles |
Articles du Pacte: |
7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1 et 2 a)) et 17 (par. 1) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 24 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1450/2006 présentée par Leonid Komarovski en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication est M. Leonid Komarovski, de nationalité américaine. Il se déclare victime de la violation par le Turkménistan des articles 7, 9, 10 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
1.2Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 1er août 1997.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Le 25 novembre 2002, des coups de feu ont été tirés contre un convoi officiel dans lequel se trouvait le Président Saparmurad Niyazov durant la traversée de la capitale, Achgabat. Le Président a survécu à ce qui semblait être une tentative d’assassinat. Le même jour, il a accusé trois dirigeants de l’opposition d’être à l’origine de cette attaque. Une vaste enquête a immédiatement été menée et 16 personnes ont été arrêtées les 26 et 27 novembre, parmi lesquelles l’auteur.
2.2L’auteur était arrivé au Turkménistan le 23 novembre 2002. Il affirme que son voyage visait uniquement à traiter de questions liées au commerce de la bière, activité qu’il avait entreprise au Turkménistan en 1991. Il logeait chez un ami et partenaire d’affaires, M. Guvanch Dzumaev. Le 25 novembre 2002, l’auteur – qui est également journaliste de profession – s’est rendu avec M. Dzumaev à un rassemblement pacifique organisé par le Mouvement démocratique populaire turkmène (NDDT) devant le Parlement (Mejlis) pour protester contre le régime du Président Niyazov.
2.3En chemin, l’auteur et M. Dzumaev sont passés prendre un des dirigeants du NDDT, M. Shikhmuradov, qui a été Ministre des affaires étrangères du Turkménistan de 1995 à 2000. Une fois devant le bâtiment du Parlement, constatant que peu de personnes s’étaient rassemblées, M. Shikhmuradov a décidé de reporter la manifestation. L’auteur et M. Dzumaev sont alors rentrés chez ce dernier.
2.4L’après-midi du même jour, les chaînes locales de télévision ont diffusé un discours du Président Niyazov annonçant qu’il avait été victime d’une tentative d’assassinat pendant la matinée. Le Président a accusé ouvertement M. Shikhmuradov et d’autres dirigeants du NDDT d’avoir organisé la tentative.
2.5M. Dzumaev a été arrêté à son domicile en même temps que son fils, son père et son frère, le 26 novembre 2002. L’auteur a également été arrêté chez M. Dzumaev tôt dans la matinée du 27 novembre 2002 par trois hommes en civil qui ont affirmé appartenir au Bureau du Procureur général. Lorsque l’auteur leur a remis son passeport américain, des hommes armés ont surgi des arbres et maisons environnants, l’ont plaqué au sol et ont commencé à le battre. Les raisons de son arrestation n’ont pas été expliquées à l’auteur, qui a été jeté à l’arrière d’une voiture où il a continué de recevoir des coups chaque fois qu’il se hasardait à demander des explications. Il a été amené dans les locaux du Ministère de la sécurité nationale (MNB) et interrogé.
2.6Pendant les premières heures de l’interrogatoire, les personnes qui ont interrogé l’auteur lui ont demandé de mettre par écrit «tout ce qu’il avait fait». Comme il n’a pas écrit ce qu’ils demandaient, il a été déclaré en état d’arrestation. Aucun mandat d’arrêt n’a été produit et l’auteur n’a pas été informé des raisons de son arrestation. Ce n’est que le troisième jour de sa détention, le 29 novembre 2002, qu’il a reçu une liste de 14 chefs d’inculpation, dont ceux de tentative d’assassinat du Président, tentative de coup d’État et trafic de drogues et d’armes.
2.7Pendant les cinq mois qui ont suivi l’auteur a été détenu dans la «prison intérieure» du MNB. En dépit de ses demandes, il n’a jamais été présenté à un juge, il n’a pas comparu devant un tribunal et n’a pas eu la possibilité de contacter un avocat de son choix. Au contraire, il s’est vu attribuer un avocat d’office, Me Djumagul, par le Bureau du Procureur général. Or, cette avocate a été inefficace et a refusé de porter plainte pour les mauvais traitements qu’il avait subis en détention. Elle a semblé effrayée lorsque l’auteur lui a montré les contusions et les cicatrices qu’il portait et a déclaré qu’elle ne risquerait pas sa vie pour lui.
2.8Pendant toute la durée de sa détention, l’auteur n’a pas été autorisé à prendre contact avec les membres de sa famille par écrit ou par téléphone, ni à recevoir leur visite. Il a été maintenu au secret les sept premiers jours, avant que l’ambassade des États-Unis à Achgabat ne soit informée de sa détention.
2.9L’auteur affirme avoir été roué de coups à plusieurs reprises par des fonctionnaires du MNB et avoir parfois reçu des injections de substances psychotropes visant à lui extorquer des aveux. Le jour de son arrestation, après avoir refusé d’avouer qu’il avait participé à la tentative d’assassinat, il a reçu des coups de matraque et de chaussures militaires de deux hommes en uniforme militaire jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Au début du mois de décembre, après sa rencontre avec un représentant de l’ambassade des États-Unis, il a été réveillé par des gardes au milieu de la nuit et amené dans la salle d’interrogatoire, où il a été immobilisé et frappé sur les talons avec une matraque. Il a perdu connaissance et, lorsqu’il est revenu à lui, il a continué d’être roué de coups jusqu’à ce qu’il s’évanouisse à nouveau. Le 10 décembre, il a de nouveau été réveillé de force et emmené dans une autre pièce, où il a été immobilisé sur une chaise. Une femme habillée en infirmière lui a fait une injection dans le bras. Il ne se rappelle pas ce qui s’est passé ensuite. Ce n’est qu’après sa mise en liberté qu’il a pu voir une vidéo dans laquelle il reconnaissait avoir pris part au complot contre le Président et être un toxicomane. Il ne se souvient pas d’avoir fait cette déclaration, qui a été diffusée le 18 décembre 2002 par la télévision publique turkmène.
2.10Les conditions de détention dans la prison intérieure du MNB étaient inhumaines et dégradantes (absence de lumière naturelle, températures froides et très mauvaises conditions d’hygiène). L’auteur a été placé dans la cellule no30 avec un autre détenu qui avait été condamné à vingt-cinq ans d’emprisonnement pour tentative d’assassinat sur le Président Niyazov. À la fin de février 2003, il a été transféré dans la cellule no 33, qu’il a partagée avec un citoyen iranien condamné à vingt-cinq ans d’emprisonnement pour trafic de drogues. Malgré ses demandes répétées, il n’a pas été autorisé à voir un docteur, bien qu’il soit diabétique.
2.11Le 15 avril 2003, à la suite d’une intervention de l’ambassade des États-Unis, l’auteur a bénéficié d’une grâce présidentielle et a été mis en liberté. À la fin de 2003, les autorités turkmènes ont publié un ouvrage qu’il aurait écrit et dans lequel il admettait avoir participé à la tentative d’assassinat sur le Président. Il nie avoir écrit ce livre.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que les faits décrits font apparaître des violations de l’article 7, des paragraphes 1 à 4 de l’article 9, des paragraphes 1 et 2 a) de l’article 10 et du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.
3.2L’auteur soutient que son arrestation et sa détention ont été arbitraires et allègue à ce titre une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. En vertu de la législation de l’État partie, les membres du Bureau du Procureur général ne sont pas habilités à procéder à des arrestations. En outre, ceux qui ont arrêté l’auteur n’ont produit aucun mandat en bonne et due forme. Il a été illégalement gardé en détention pendant cent cinquante jours, dont sept jours totalement au secret.
3.3L’auteur affirme également être victime d’une violation du paragraphe 2 de l’article 9, étant donné qu’il n’a pas été informé des raisons de son arrestation au moment de celle-ci, bien qu’il en ait fait plusieurs fois la demande. Il n’a été informé des charges retenues contre lui que le troisième jour de sa détention. Il n’a jamais été informé de son droit de prendre contact avec les autorités consulaires ou diplomatiques des États-Unis. Il explique que selon les modifications apportées au Code pénal et au Code de procédure pénale peu de temps auparavant, les autorités peuvent détenir une personne pendant soixante-douze heures sans mandat d’arrêt, mais qu’un acte d’accusation doit être établi dans les dix jours pour justifier le maintien en détention. Ces dispositions n’ont pas été respectées dans son cas.
3.4L’auteur se dit victime de violations des paragraphes 3 et 4 de l’article 9 du Pacte. Pendant les cinq mois qu’il a passé en prison, et en dépit de ses nombreuses demandes, il n’a jamais été présenté à un juge qui aurait pu statuer sur la légalité de sa détention. Il n’a été jugé pour aucune des accusations portées contre lui et n’en a pas été reconnu coupable. Il n’a pas été autorisé à désigner un avocat de son choix. L’avocate qui lui a été attribuée d’office par le Bureau du Procureur général lui a conseillé de coopérer à l’enquête, d’admettre les accusations et de signer tous les documents qui lui étaient présentés. En dépit de ses demandes répétées, elle a refusé, par crainte de représailles, de porter plainte en son nom pour les mauvais traitements qu’il avait subis pendant sa détention. Elle venait le voir de temps à autre, mais il n’avait pas la possibilité de la contacter de sa propre initiative.
3.5L’auteur affirme que les conditions de détention dans la prison intérieure du MNB étaient inhumaines et dégradantes, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 10. Sa cellule était exiguë et ne recevait pas de lumière naturelle, il n’y avait pas d’eau dans les toilettes et l’endroit était infesté de cafards. L’accès aux douches était limité (une fois par quinzaine seulement) et la température était très froide (en dessous de 0 °C en hiver). La nourriture était de très mauvaise qualité et il n’avait pas le droit de faire de l’exercice physique à l’extérieur de la cellule. L’auteur déclare également qu’on a refusé de lui donner des soins médicaux, alors qu’il souffre de diabète.
3.6L’auteur fait valoir une violation du paragraphe 2 a) de l’article 10, en ce qu’il a été détenu avec des condamnés et a toujours été traité comme tel, alors qu’il n’était qu’un prévenu.
3.7L’auteur affirme que les traitements qu’il a subis pendant sa détention dans la prison intérieure du MNB constituent des actes de torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au sens de l’article 7 du Pacte. Il a été roué de coups de bâton de caoutchouc à plusieurs reprises et a reçu à la tête des coups de bottes. Le 10 décembre 2002 et à deux autres occasions, on lui a injecté une substance psychotrope contre son gré pour lui extorquer des aveux.
3.8Enfin, l’auteur se dit victime de la violation du paragraphe l de l’article 17 du Pacte au motif qu’à la fin de 2003, les autorités de l’État partie ont publié un ouvrage qu’il aurait écrit, donnant la version officielle des événements du 25 novembre 2002. L’auteur a déclaré publiquement à plusieurs reprises qu’il n’avait pas écrit cet ouvrage, qu’il n’en connaissait pas la teneur et qu’il n’en détenait pas les droits d’auteur en dépit du symbole accolé à son nom. Il n’a jamais signé quelque contrat que ce soit avec les autorités de l’État partie les autorisant à utiliser son nom sur quelque publication que ce soit ou à publier ou vendre quoi que ce soit signé de lui. L’existence de cet ouvrage constitue une atteinte illégale à son honneur et à sa réputation. La version officielle des événements du 25 novembre 2002 donnée dans l’ouvrage est une falsification visant à éliminer le mouvement d’opposition dans le pays. L’existence d’un ouvrage de cette nature compromet sa carrière professionnelle de journaliste et le fait passer à tort aux yeux de la population turkmène pour un fervent partisan du régime.
3.9L’auteur affirme qu’aucun recours interne ne lui est ouvert et que, même s’il en existait un, il ne saurait être utile en raison de l’absence d’indépendance de la magistrature, qui est entièrement soumise au Président. L’article 101 de la Constitution a beau garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire, cette indépendance n’existe pas dans la pratique. De plus, l’article 102 de la Constitution dispose que les juges de tous les tribunaux sont nommés par le Président et l’article 112 que le Procureur général relève directement du Président. Il n’existe pas de cour constitutionnelle indépendante, ce qui signifie que les principes de la séparation des pouvoirs et de la légalité ne sont pas véritablement protégés. L’absence d’indépendance de la magistrature et de tout respect des règles de procédure de base est encore illustrée par les procès sommaires dont ont fait l’objet les personnes accusées d’avoir ourdi le prétendu complot de novembre 2002. L’auteur invoque, entre autres, les violations ci‑après: impossibilité de faire appel aux services d’un avocat indépendant; impossibilité de consulter le dossier d’accusation; violation du droit de citer des témoins à décharge; violation de l’interdiction de la reformatio in pejus; violation du principe de la non‑rétroactivité des dispositions pénales; refus de reconnaître un droit de visite à la famille et aux autorités consulaires. Il fait état de plusieurs rapports d’organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales, ainsi que d’autres sources à l’appui de ces allégations.
Observations de l’État partie
4.Le 15 avril 2008, l’État partie a informé le Comité que l’auteur avait été arrêté le 27 novembre 2002 et accusé d’avoir commis une infraction en vertu de la législation pénale nationale. Aucun acte de torture ne lui avait été infligé pendant l’enquête. Dans le respect du droit interne et du droit international, les services consulaires de l’ambassade des États‑Unis d’Amérique au Turkménistan avaient été autorisés à prendre contact avec lui. Eu égard aux principes d’humanité et de justice, et compte tenu de la demande du Gouvernement américain, l’auteur avait été remis aux représentants des autorités américaines le 24 avril 2003.
Commentaires de l’auteur
5.L’auteur n’a pas fait de commentaires sur les observations de l’État partie.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Le Comité constate que l’État partie ne conteste pas la recevabilité de la communication et n’a fourni aucun renseignement sur les recours disponibles et utiles. En l’absence d’obstacle apparent à la recevabilité, le Comité conclut que les allégations sont suffisamment étayées et que la communication est recevable dans la mesure où elle soulève des questions au titre des articles 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1 et 2 a)) et 17 (par. 1) du Pacte.
Examen au fond
7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées. Il constate que l’État partie n’a pas répondu en détail aux allégations de l’auteur. Dans ces circonstances, le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur, qui ont été suffisamment étayées.
7.2En ce qui concerne l’allégation de l’auteur, qui affirme avoir subi une arrestation et une détention arbitraires en violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, le Comité rappelle que nul ne peut être privé de liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. En l’espèce, le fait que l’auteur a été arrêté par des personnes appartenant au Bureau du Procureur général qui ne seraient pas habilitées par la loi à procéder à des arrestations et détenu au secret pendant au moins sept jours rend sa détention arbitraire. Le Comité conclut donc, en l’absence de toute contestation de cette allégation de la part de l’État partie, que les circonstances dans lesquelles l’auteur a été privé de sa liberté constituent une violation de l’interdiction de toute arrestation ou détention arbitraire énoncée au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.
7.3Pour ce qui est du grief se rapportant au paragraphe 2 de l’article 9, le Comité note qu’au moment de son arrestation, l’auteur n’a apparemment pas été informé des raisons de celle‑ci ni des charges retenues contre lui, celles‑ci ne lui ayant été communiquées qu’au troisième jour de sa détention. Là aussi, l’État partie n’ayant fourni aucune information pertinente concernant cette allégation, le Comité considère que les faits, tels que présentés, constituent une violation du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte.
7.4Pour ce qui est de l’allégation de violation des paragraphes 3 et 4 de l’article 9 du Pacte, le Comité note que l’auteur n’a pas été présenté à un juge ou toute autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et ce, pendant toute la durée de sa détention, soit près de cinq mois. Le Comité réaffirme que la durée d’une détention sans autorisation judiciaire ne peut dépasser quelques jours. Il note aussi que, bien qu’un avocat lui ait été attribué d’office, l’auteur n’a pas pu saisir un tribunal pour que celui‑ci statue sur la légalité de sa détention. Le Comité considère donc qu’en l’espèce, et en l’absence de toute explication de la part de l’État partie, ces faits constituent une violation des paragraphes 3 et 4 de l’article 9 du Pacte.
7.5En ce qui concerne les conditions de détention dans la prison intérieure du MNB, décrites en détail par l’auteur (voir plus haut, par. 3.5), le Comité considère que l’auteur n’a pas été traité avec humanité ni avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine, en violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. De même, et en l’absence de tout renseignement communiqué par l’État partie, le Comité conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 2 a) de l’article 10, l’auteur ayant été détenu à deux reprises avec des condamnés, sans que des circonstances exceptionnelles n’aient été invoquées pour le justifier.
7.6Pour ce qui est de l’allégation de violation de l’article 7 du Pacte, le Comité note l’affirmation générale de l’État partie, qui déclare qu’aucun acte de torture n’a été infligé à l’auteur pendant l’enquête. Cependant, les allégations de l’auteur, qui affirme qu’on lui a infligé des passages à tabac et des actes d’intimidation pour lui extorquer des aveux, tout comme l’administration, contre son gré et dans le même but, de substances non identifiées, n’ont pas été rejetées par l’État partie. En conséquence, le Comité considère que ces faits, tels que rapportés par l’auteur, constituent une violation de l’article 7.
7.7Enfin, la publication d’un ouvrage confirmant la version officielle des événements du 25 novembre 2002 présentant à tort l’auteur comme celui qui aurait écrit l’ouvrage constitue, en l’absence d’information pertinente communiquée par l’État partie, une immixtion illicite dans la vie privée de l’auteur et une atteinte illicite à son honneur et à sa réputation, en violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 7, des paragraphes 1 à 4 de l’article 9, des paragraphes 1 et 2 a) de l’article 10 et du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.
9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et, à cette fin, de prendre des mesures appropriées pour: a) engager une procédure pénale en vue de poursuivre et de punir les responsables des violations que l’auteur a subies; b) fournir à l’auteur une réparation appropriée, y compris une indemnisation; c) faire une rétractation publique de l’attribution à l’auteur de l’ouvrage susmentionné. Il est également tenu d’empêcher que des violations analogues ne soient commises à l’avenir.
10.En adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité souhaite donc recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est en outre invité à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
V. Communication n o 1456/2006, X. c. Espagne*(Constatations adoptées le 24 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
X (en son nom et au nom de sa fille, Y) (représentées par un conseil, José Luis Mazón Costa) |
Au nom de: |
Y |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
14 février 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Acquittement du père accusé d’atteintes sexuelles sur la personne de sa fille de 3 ans et rétablissement du droit de visite |
Questions de procédure: |
Griefs insuffisamment fondés; abus du droit de présenter des communications; non-épuisement des recours internes |
Questions de fond: |
Déni de justice présumé pour appréciation arbitraire des preuves; droit à la vie privée et personnelle d’une mineure; droit à la protection d’une mineure |
Articles du Pacte: |
14 (par. 1), 17 et 24 (par. 1) |
Articles du Protocole facultatif: |
2, 3 et 5 (par. 2 b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 24 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1456/2006 présentée au nom de X et de Y, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication, datée du 14 février 2006, est X, de nationalité espagnole, née en 1963. Elle agit en son nom propre et au nom de sa fille, Y, née en 1994. Elle déclare que sa fille est victime de violations par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte et du paragraphe 1 de l’article 24 lu conjointement avec l’article 17. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, José Luis Mazón Costa.
1.2Le 3 mai 2006, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a décidé d’examiner simultanément la recevabilité et le fond de la communication.
Exposé des faits
2.1L’auteur, employée de banque, qui habite à Murcie et est séparée par décision judiciaire d’avec Z, a déposé une plainte contre ce dernier le 14 novembre 1997 pour un délit d’agression sexuelle qu’il aurait commis sur la personne de leur fille commune, âgée de 3 ans à l’époque des faits. Cette plainte était fondée sur le comportement et les propos de l’enfant après ses visites chez son père, ainsi que sur un rapport établi par un pédopsychiatre et sur un certificat de la garderie de la fillette.
2.2Par décision du 14 novembre 1997, le juge d’instruction no 5 de Murcie a décidé d’engager une procédure d’information sur la base de la plainte de l’auteur. Par une ordonnance du 18 novembre 1997, le même juge d’instruction a décidé de suspendre provisoirement le régime de visite entre le père et la fille. À la suite de la procédure d’information engagée le 19 octobre 1998, le juge a rendu une ordonnance de poursuites et a transmis le dossier à l’Audiencia Provincial de Murcie, le procureur ayant qualifié les faits de constitutifs d’un délit continu d’atteintes sexuelles sur mineur, conformément aux articles 74, 181.1, 181.2, 181.3 et 192.2 du Code pénal espagnol. L’accusation a de son côté qualifié les faits de délit de tentative d’agression sexuelle.
2.3Le 21 mai 2002, l’Audiencia Provincial a acquitté Z des chefs d’atteintes et d’agression sexuelles. Ont été consignés dans le texte du jugement comme étant des faits démontrés les éléments suivants:
–À la suite de la séparation judiciaire des parties intervenue au début de 1997, ces dernières ont été prises dans des querelles judiciaires incessantes autour du régime des visites à leur fille commune, à tel point qu’une vingtaine de plaintes pénales ont été déposées;
–Entre fin septembre et octobre 1997, les éducatrices de l’école maternelle où était inscrite la fille de l’auteur ont observé un changement de comportement de la fillette après les visites rendues à son père, car elle se montrait irritable et donnait des signes de sommeil et de fatigue excessifs, avec des allusions répétées au jeu de la «petite tortue», en expliquant que son père avait à l’intérieur de son pantalon et de son caleçon une petite tortue que la fillette prenait et embrassait; ses dessins représentaient la tortue sous la forme d’un pénis;
–En novembre 1997, la responsable de l’école a décidé de porter ces faits à la connaissance de l’auteur. Celle-ci en a parlé à son psychiatre, qui l’a adressée à une gynécologue, laquelle a conclu que la fillette avait un aspect anatomique normal mais que son ouverture vaginale paraissait agrandie, et que l’attitude passive de la fillette pendant l’auscultation avait attiré son attention car elle était inhabituelle chez les enfants de cet âge. Par la suite, la mère a conduit sa fille chez un pédopsychiatre, qui a rendu un rapport provisoire concluant à l’existence d’atteintes sexuelles consistant au moins à exhiber devant elle un pénis en érection que l’enfant avait manipulé avec des mouvements masturbatoires et embrassé lors de jeux érotiques.
2.4À l’audience, le débat avait été axé sur l’administration des preuves apportées par l’accusation, à savoir: a) le rapport et l’enregistrement vidéo faits par la psychologue et l’assistante sociale de l’équipe technique du juge aux affaires familiales; b) le rapport du pédopsychologue qui avait examiné la fillette; c) le témoignage des éducatrices de l’école maternelle; et d) le rapport de la gynécologue qui avait examiné la fillette. L’Audiencia a analysé chacune des preuves produites, et a conclu que celles-ci ne permettaient pas «d’acquérir la ferme conviction que les atteintes avaient effectivement eu lieu. Le jeune âge de la fillette et le contexte de l’affaire, caractérisé par une rupture conjugale violente, compliquaient extraordinairement l’établissement des faits et militaient en faveur d’une procédure rigoureuse et minutieuse, confiée à des spécialistes, avec intervention ab initio de l’autorité judiciaire, ce qui aurait permis d’obtenir une déclaration de l’enfant présentant suffisamment de garanties, de l’enregistrer sur un support audiovisuel afin d’en faciliter la reproduction autant de fois que nécessaire et, tout particulièrement, à l’audience plénière […]. Cela n’ayant pas été fait, les preuves qui ont pu exister ont été définitivement perdues. À cela s’ajoute le fait que l’attitude du père a toujours consisté à nier les faits, et à maintenir une version cohérente et constante qui, pour l’essentiel, est sans faille.».
2.5Le jugement d’acquittement rendu par l’Audiencia Provincial de Murcie a ôté tout effet à l’ordonnance du juge d’instruction no 5 de Murcie, datée du 18 novembre 1997, qui décidait de suspendre le régime des visites à titre de protection. L’Audiencia a considéré que «bien qu’elle puisse, en vertu de l’article 158 du Code civil et, en général, de la Loi organique 1/96 sur la protection juridique du mineur, instaurer des mesures en vue de rétablir et normaliser les relations entre le père et la fille qui ont été, au détriment de celle‑ci, gravement détériorées, elle [l’Audiencia] estime que ces mesures doivent être ordonnées − dans les délais les plus brefs − par le juge aux affaires familiales qui connaît de la séparation des parents et qui a davantage de moyens (équipe psychosociale) que le présent tribunal pour établir le régime jugé le plus adéquat par ses spécialistes, la considération primordiale devant être l’intérêt supérieur de l’enfant, étant entendu que l’objectif principal sera d’obtenir, plus que les simples contacts et les séjours, le rétablissement et la consolidation du lien père‑fille dont l’enfant a tant besoin pour son équilibre personnel et affectif, en prêtant une attention particulière à ceux qui prétendent s’y opposer.».
2.6L’auteur s’est pourvue en cassation devant le Tribunal suprême contre le jugement d’acquittement rendu par l’Audiencia Provincial, en invoquant une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif et aux garanties relatives au droit de la défense, reconnus aux paragraphes 1 et 2 de l’article 24 de la Constitution de l’Espagne, considérant que l’Audiencia Provincial n’avait pas été saisie d’un récit fait directement par la victime. L’auteur a également invoqué l’existence d’erreurs dans l’appréciation des rapports d’expertise et des preuves testimoniales. Enfin, elle a invoqué la non-application erronée des articles 181.1 et 192 du Code pénal, en faisant valoir que les faits démontrés correspondaient aux délits prévus dans les dispositions en question.
2.7Le 23 juin 2003, le Tribunal suprême a rejeté tous les motifs de cassation et considéré que l’Audiencia Provincial avait suffisamment motivé le jugement d’acquittement, et avait expressément examiné les preuves dont elle était saisie et, en particulier, le problème causé par l’absence de déclaration directe émanant de la victime présumée, pour conclure à l’absence de preuve à charge suffisante pour affaiblir le droit à la présomption d’innocence de l’accusé. Le Tribunal a également considéré que «les preuves documentaires et testimoniales présentées au procès n’étaient pas suffisamment fiables, ce qui a justifié la conclusion de l’Audiencia Provincial selon laquelle il existait un doute suffisant concernant les faits, qui l’empêchait d’acquérir la conviction nécessaire à la condamnation». Enfin, le Tribunal a considéré que la description des faits consignée dans le jugement de l’Audiencia Provincial ne justifiait pas leur assimilation aux délits allégués parce que les preuves recueillies n’avaient pas permis à l’Audiencia de conclure que les atteintes s’étaient effectivement produites.
2.8Le 26 avril 2004, l’auteur a formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, en invoquant trois motifs: a) atteinte aux droits de la défense pour avoir déclaré non valide la principale preuve de l’accusation, consistant en un enregistrement vidéo de la déclaration faite par la fillette devant l’équipe technique du juge aux affaires familiales, vu qu’il était impossible de faire témoigner directement la fillette à l’audience; b) caractère manifestement arbitraire des jugements rendus en première et en deuxième instance eu égard à l’appréciation des preuves; et c) violation du droit à la vie privée et personnelle de la mineure du fait que le jugement d’acquittement ordonnait la reprise urgente de contacts entre l’enfant et son père.
2.9Par une décision du 17 janvier 2005, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours en amparo formé par l’auteur. En ce qui concerne la violation présumée du droit à la vie privée et personnelle de la fillette, le Tribunal a considéré que cet argument n’avait pas été invoqué en cassation, ce qui le rendait irrecevable en raison du caractère subsidiaire du recours en amparo. En ce qui concerne le grief tiré de l’atteinte aux droits de la défense résultant du refus de reconnaître la validité de la preuve principale de l’accusation, le Tribunal a considéré que l’Audiencia Provincial avait jugé légitime la preuve en question qu’elle avait même qualifiée d’«élément de preuve essentiel», de sorte que ce n’était pas la validité de la preuve en tant que telle qui était niée, la preuve ayant été admise et administrée à l’audience plénière, mais la validité du but recherché, à savoir servir de preuve à charge de la culpabilité de l’accusé, parce que l’administration de cette preuve ne remplissait pas les conditions requises pour garantir la vraisemblance du témoignage fait par la fillette. Enfin, en ce qui concerne le motif fondé sur l’atteinte aux droits de la défense due au caractère arbitraire de l’appréciation des preuves par l’Audiencia Provincial, le Tribunal a rappelé que le recours en amparo n’était pas la voie de recours appropriée pour obtenir un réexamen de l’appréciation des éléments de preuve par la juridiction du premier degré, à moins que celle-ci ait agi de manière arbitraire ou déraisonnable. Le Tribunal a observé que l’Audiencia Provincial avait apprécié de manière minutieuse chacune des preuves (expertise et témoignages) administrées au cours du procès, et les avait écartées une par une en motivant sa décision d’une manière qui ne pouvait en aucun cas être considérée comme irrationnelle ou arbitraire.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme qu’il y a eu déni de justice, en violation du paragraphe 1 de l’article 14, parce que les tribunaux du premier et du second degré ont nié la validité d’une preuve, l’enregistrement vidéo par l’équipe technique du juge aux affaires familiales, qui, de par sa nature, ne pouvait s’administrer que de la manière dont elle l’a été, vu le jeune âge du témoin et la longueur du délai écoulé avant la tenue du procès, qui faisait que la fillette ne se souvenait plus des faits. Elle relève l’incohérence entre les jugements rendus par l’Audiencia Provincial et le Tribunal suprême qui ont déclaré que les faits reprochés à l’accusé ne pouvaient être établis qu’au moyen d’un récit direct effectué par la fillette à l’audience, tout en reconnaissant en même temps l’impossibilité de reproduire la déposition à cause de l’âge de la fillette et du délai écoulé entre les faits et la tenue du procès. Selon l’auteur, la preuve préconstituée consistant en une déclaration de la fillette enregistrée sur un support vidéo et visionnée lors du procès était la seule possibilité de reproduire ses déclarations; par conséquent, elle aurait dû avoir une valeur fondamentale. Néanmoins, les tribunaux de jugement ont nié la validité de cette preuve, laissant la partie demanderesse sans moyen pour se défendre.
3.2Il y a eu également déni de justice en raison du caractère manifestement arbitraire des jugements rendus par les juridictions de premier et de second degré eu égard à l’appréciation des preuves. L’auteur affirme que ces juridictions ont eu recours à la «probatio diabolica» (preuve diabolique) ou preuve impossible, selon laquelle seule une déclaration de la fillette devant les juges de l’Audiencia Provincial constituerait une preuve à charge suffisante, preuve qui est impossible à administrer.
3.3Enfin, l’auteur affirme que l’ordonnance rendue par l’Audiencia Provincial visant à rétablir d’urgence les contacts entre la fillette et son père, et annulant la suspension du régime de visite, est une violation du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte, lu conjointement avec l’article 17. L’auteur signale que cette ordonnance laisse la fillette sans protection, ce qui est contraire au paragraphe 1 de l’article 24. Cette mesure constitue en outre, selon l’auteur, une immixtion arbitraire dans la vie privée de la fillette, forcée à cohabiter avec le père qui, selon de multiples preuves recueillies dans le compte rendu des faits consigné dans le jugement, a abusé sexuellement d’elle. Elle relève que c’est le juge aux affaires familiales qui a compétence pour définir les mesures de protection d’une mineure, lequel n’est pas lié par le jugement d’acquittement, même si ce jugement le soumet à une pression incontestable et illégitime puisque l’Audiencia Provincial de Murcie est l’instance juridictionnelle supérieure.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Dans ses observations du 27 avril 2006, l’État partie affirme que la communication est irrecevable parce qu’elle est manifestement dénuée de fondement, qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications et que les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés.
4.2L’État partie fait observer que la plainte de l’auteur porte sur une question d’appréciation des preuves, lesquelles ont été analysées minutieusement par la juridiction de jugement. Ce tribunal a considéré, sur la base d’une preuve constituée par l’enregistrement vidéo des déclarations de la fillette effectué par l’équipe technique du juge aux affaires familiales, que «ladite déclaration de la fillette est sans valeur parce qu’elle ne raconte pas librement les faits de mémoire, mais en répondant à des questions concrètes formulées avec insistance, avec des connotations positives et négatives, qui suggéraient même les réponses, et que la fillette s’y est conformée en essayant de plaire aux adultes et d’échapper à un sujet qui ne l’intéresse pas du tout. En outre, les diverses répétitions de cet entretien laissaient prévoir son échec, étant donné le risque que la fillette ne fasse plus la distinction entre ce qui s’était réellement passé et les informations venues de l’extérieur que la fillette avait intégrées naturellement à son récit.». L’État partie observe que chacune des preuves rapportées pendant le procès a fait l’objet d’une appréciation minutieuse et concrète de la part de l’Audiencia Provincial, y compris les déclarations de la plaignante et de l’inculpé, ce qui l’a conduite à prononcer l’acquittement. Il rappelle qu’il n’appartient pas au Comité, comme celui‑ci l’a indiqué à plusieurs reprises, de se substituer aux juridictions nationales pour apprécier les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Il observe que la simple lecture du jugement d’acquittement rendu par l’Audiencia Provincial montre bien l’analyse minutieuse à laquelle cette juridiction a procédé et qui ne saurait aucunement être qualifiée d’arbitraire.
4.3En ce qui concerne l’article 17 du Pacte, l’État partie observe qu’il est absolument logique que l’Audiencia Provincial ait communiqué le jugement d’acquittement au juge aux affaires familiales pour qu’il soit mis fin aux mesures qui avaient été adoptées concernant le régime de visite en attendant la fin du procès. Il relève que l’expression utilisée par l’Audiencia Provincial a été faussement interprétée par l’auteur, et se lit comme suit: «Que la présente décision soit communiquée au juge aux affaires familiales […] pour qu’il en ait connaissance et que, de toute urgence (art. 158 du Code civil), il adopte les décisions appropriées afin de normaliser les relations père-fille en prenant les précautions qu’il jugera opportunes.». L’État partie affirme que, conformément à l’article 158 susmentionné, «les mesures de protection des mineurs peuvent être prises dans le cadre de toute procédure civile ou pénale ou dans le cadre d’une procédure devant une juridiction gracieuse», et qu’à défaut, la juridiction de jugement se limite à communiquer sa décision au juge aux affaires familiales pour qu’il prenne la décision pertinente.
4.4L’État partie affirme qu’en tout état de cause les mesures qu’a pu adopter le juge aux affaires familiales en vertu du jugement d’acquittement qui lui est communiqué ne sont pas contestées en l’espèce, ce qui fait qu’à cet égard les voies de recours internes disponibles concernant la violation alléguée des articles 17 et 24 du Pacte n’ont pas été épuisées.
Observations de l’État partie sur le fond
5.Dans ses observations du 10 juillet 2006, l’État partie présente ses observations sur le fond de la communication, dans lesquelles il réitère les arguments formulés dans les observations du 27 avril 2006.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
6.1Dans ses commentaires du 16 octobre 2006, l’auteur affirme que l’ordonnance rendue par l’Audiencia Provincial afin de communiquer le jugement d’acquittement au juge aux affaires familiales pour que soient rétablies d’urgence les relations père-fille l’a plongée dans un profond état d’angoisse. Elle souligne que l’article 158 du Code civil n’oblige pas le juge aux affaires familiales à adopter une mesure de cette nature mais que le paragraphe 4 de ce même article impose au juge le devoir d’adopter d’office les mesures opportunes pour mettre un mineur à l’abri d’un danger ou d’un préjudice. L’auteur ajoute que, bien que le juge aux affaires familiales n’ait pas donné suite à la requête formulée dans le jugement de l’Audiencia Provincial, elle a pour sa part vécu pendant des années dans un climat d’angoisse parce qu’à tout moment le père pouvait exiger d’exercer son droit de visite à l’égard de la fillette.
6.2L’auteur insiste sur le fait que la réalité des atteintes sexuelles subies par la fillette ressort de l’énumération des faits prouvés dans le jugement, faits dont elle dit qu’ils n’ont pas été pris en compte par l’Audiencia Provincial lorsqu’elle a prononcé l’acquittement, plaçant la fillette en situation de vulnérabilité.
6.3L’auteur affirme que le fait d’invalider la preuve constituée par l’enregistrement vidéo de la déclaration de la fillette est arbitraire et consacre l’impunité pour la pédérastie.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés en ce qui concerne les griefs fondés sur les articles 17 et 24 du Pacte, étant donné que la question de l’invalidité des mesures adoptées par le juge aux affaires familiales sur l’éventuel rétablissement du régime de visite n’avait pas été soulevée devant la juridiction interne. Le Comité observe toutefois que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles, y compris le recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, par lequel elle a invoqué la violation du droit à la vie privée de la fillette.
7.4En ce qui concerne l’absence de fondement du grief tiré de l’article 17, invoquée par l’État partie, le Comité relève que ce grief se fonde sur la décision de l’Audiencia Provincial, confirmée en cassation par le Tribunal suprême, de rejeter la validité de la preuve présentée par l’auteur. L’Audiencia Provincial et le Tribunal suprême auraient fait preuve d’arbitraire, ce qui pourrait représenter une violation du paragraphe 1 de l’article 14 et constituerait le fondement d’un grief de violation des articles 17 et 24. Le Comité estime que la plainte fondée sur ces articles est suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.
7.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui invoque l’existence d’un abus du droit de présenter des communications, le Comité observe que cet abus n’a pas été montré par l’État partie et que, par ailleurs, il n’y a aucune raison de considérer, à la lumière des circonstances de la cause, qu’un tel abus soit constitué.
Examen au fond
8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.
8.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme avoir été victime d’un déni de justice en raison de l’appréciation prétendument arbitraire par les tribunaux internes des preuves présentées par l’accusation parce qu’ils ont considéré comme non valide une preuve − l’enregistrement vidéo de la déclaration de la fillette − qui, par sa nature, pouvait seulement être administrée de la manière dont elle l’a été, vu le jeune âge de l’enfant et la longueur du délai écoulé avant le procès. Il prend note également des allégations de l’État partie qui affirme que toutes les preuves, y compris l’enregistrement vidéo de la mineure, ont été analysées avec beaucoup de minutie par le tribunal de jugement, qui les a écartées de manière rationnelle.
8.3Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence constante, il appartient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que leur appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Le Comité relève que l’Audiencia Provincial a analysé minutieusement chacune des preuves produites par l’accusation, une par une et de manière rationnelle. L’appréciation des éléments de preuve effectuée par l’Audiencia Provincial a été réexaminée minutieusement, à son tour, par le Tribunal suprême, lequel a conclu qu’elle avait été rationnelle et suffisante. Concrètement, en ce qui concerne l’élément de preuve considéré comme fondamental par l’auteur, à savoir l’enregistrement vidéo de la fillette par l’équipe technique du juge aux affaires familiales, le Comité note que cette preuve également a été analysée minutieusement par l’Audiencia Provincial, qui l’a jugée insuffisante, vu les circonstances dans lesquelles elle avait été administrée et le jeune âge de l’enfant. Le Comité considère qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la pertinence des arguments exposés par l’Audiencia Provincial pour écarter la preuve produite, considérée comme insuffisante, dès lors que les motifs détaillés de l’argumentation et la cohérence du raisonnement utilisé ont été vérifiés. Il considère donc qu’il n’existe pas d’éléments suffisants pour affirmer qu’il y a eu arbitraire de la part des juridictions nationales dans l’appréciation des éléments de preuve de l’accusation.
8.4Étant donné qu’il ne constate pas de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité estime que les griefs de violation des articles 17 et 24 n’ont pas de fondement juridique. Le fait que les deux juridictions aient acquitté le mari de l’auteur n’apporte pas le fondement nécessaire pour considérer qu’il y a eu violation des droits consacrés aux articles 17 et 24 du Pacte.
9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du Pacte.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion individuelle de M. Rajsoomer Lallah, M me Christine Chanet et M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati
La plainte de l’auteur formulée au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte est à notre avis irrecevable pour les motifs suivants:
Le Pacte ne confère pas le droit d’obtenir qu’une autre personne fasse l’objet de poursuites (voir notamment la communication no 578/1994 (de Groot c. Pays-Bas), conforme à la jurisprudence constante du Comité);
Dans une procédure judiciaire, le paragraphe 1 de l’article 14 et tous les autres paragraphes de l’article 14, visent à protéger le droit à un procès équitable de la personne accusée et non celui du ministère public;
Personne ne conteste que l’auteur, en sa qualité de parent, avait le droit de veiller à la protection de sa fille et, comme cela a été expliqué par le Tribunal suprême, le tribunal pour enfants était le mieux à même de trancher toute question pertinente à cet égard.
(Signé) Rajsoomer Lallah(Signé) Christine Chanet(Signé) Prafullachandra Natwarlal Bhagwati
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood et de Sir Nigel Rodley
Dans sa pratique, le Comité s’incline généralement devant les décisions motivées des tribunaux nationaux quant à l’évaluation des éléments de preuve présentés lors du procès. Dans l’affaire dont le Comité est saisi, une très jeune fillette est présumée avoir été victime d’atteintes sexuelles graves de la part de son père. Une déposition faite par l’enfant et enregistrée sur une bande vidéo a été écartée par les tribunaux pénaux espagnols, parce qu’elle était constituée de questions suggérant une réponse particulière posées à l’enfant de manière répétitive. En outre, l’enfant ne se souvenait pas des faits et n’était plus en mesure de confirmer les faits en audience publique. Comme le Comité, je m’incline devant cette décision.
Je tiens toutefois à faire une mise en garde quant aux limites de notre décision. Les enfants jouissent d’un droit juridique et moral de protection contre toute atteinte physique et sexuelle, fondé sur les articles 7, 9, 17 et 23 du Pacte. Les normes en matière de preuve appliquées dans les affaires de garde d’enfant et de droit de visite peuvent être très différentes de celles qui sont appliquées dans un procès pénal.
Dans l’affaire à l’examen, après l’acquittement du parent accusé et poursuivi pour atteintes sexuelles, l’Audiencia Provincial a fortement suggéré, voire ordonné au tribunal pour enfants de rendre au parent accusé ses droits de visite, laissant toutefois au tribunal pour enfants le soin d’en déterminer les modalités particulières. Ce dernier a refusé de suivre l’avis de l’Audiencia Provincial.
Dans son ordonnance, l’Audiencia Provincial semble avoir négligé le fait que les normes relatives aux preuves appliquées dans les décisions en matière de garde d’enfant et de droit de visite diffèrent considérablement, et à juste titre, des preuves quasi parfaites exigées dans les procédures pénales. Par conséquent, en l’espèce, la requérante agissant au nom de sa fille était fondée à faire grief de ce que le droit à la protection dont jouissent tous les enfants n’aurait pas dû être méconnu, même après un acquittement au pénal.
(Signé) Ruth Wedgwood
(Signé) Sir Nigel Rodley
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
W. Communication n o 1461/2006, Maksudov c. Kirghizistan*Communication n o 1462/2006, Rakhimov c. KirghizistanCommunication n o 1476/2006, Tashbaev c. KirghizistanCommunication n o 1477/2006, Pirmatov c. Kirghizistan(Constatations adoptées le 16 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentées par: |
Zhakhongir Maksudov et Adil Rakhimov (représentés par un conseil, Mme Khurnisa Makhaddinova); Yakub Tashbaev et Rasuldzhon Pirmatov (représentés par un conseil, M. Nurlan Abdyldaev) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Kirghizistan |
Date des communications: |
2 mars 2006 (Maksudov et Rakhimov), 7 juin 2006 (Tashbaev) et 13 juin 2006 (Pirmatov) (date des lettres initiales) |
Objet: |
Extradition du Kirghizistan vers l’Ouzbékistan de quatre personnes reconnues comme des réfugiés, en dépit d’une demande de mesures provisoires de protection |
Questions de procédure: |
Griefs non étayés; incompatibilité ratione materiae |
Questions de fond: |
Peine de mort; torture et peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant; non-refoulement; détention arbitraire; droit d’être présenté dans le plus court délai devant un juge; droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense |
Articles du Pacte: |
6, 7 lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), 9 (par. 1 et 3) et 14 (par. 3 b)) |
Articles du Protocole facultatif: |
2 et 3 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 16 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen des communications nos 1461/2006, 1462/2006, 1476/2006 et 1477/2006 présentées au nom de Zhakhongir Maksudov, Adil Rakhimov, Yakub Tashbaev et Rasuldzhon Pirmatov en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs des communications et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1Les auteurs des communications sont Zhakhongir Maksudov, Adil Rakhimov, Yakub Tashbaev et Rasuldzhon Pirmatov, tous de nationalité ouzbèke, nés en 1975, 1974, 1956 et 1959 respectivement. Quand ils ont présenté leurs communications, tous s’étaient vu accorder le statut de réfugié par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et se trouvaient dans un centre de détention préventive (SIZO) à Osh, au Kirghizistan, en attendant d’être extradés vers l’Ouzbékistan à la demande du Bureau du Procureur général de ce pays. Les quatre hommes se déclarent victimes de violations par le Kirghizistan des droits garantis à l’article 6, à l’article 7 lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), à l’article 9 (par. 1 et 3) et à l’article 14 (par. 3 b)) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par Mme Khurnisa Makhaddinova pour MM. Maksudov et Rakhimov, et M. Nurlan Abdyldaev pour MM. Tashbaev et Pirmatov.
1.2Le 6 mars 2006 (pour MM. Maksudov et Rakhimov), le 8 juin 2006 (pour M. Tashbaev) et le 13 juin 2006 (pour M. Pirmatov), le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a prié l’État partie de ne pas expulser les auteurs tant que leurs communications seraient à l’examen. Aucune réponse de l’État partie concernant cette demande de mesures provisoires de protection n’est parvenue au Comité. Le 11 août 2006, les conseils ont fait savoir au Comité que tous les auteurs avaient été remis aux autorités ouzbèkes le 9 août 2006, en application d’une décision du Bureau du Procureur général du Kirghizistan.
1.3Conformément à l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité a décidé d’examiner conjointement les quatre communications car elles portent toutes sur les mêmes faits et soulèvent les mêmes griefs.
Rappel des faits présentés par les auteurs
Affaire Zhakhongir Maksudov
2.1Le 13 mai 2005 vers 5 ou 6 heures du matin, alors qu’il se rendait à son travail à Andijan, en Ouzbékistan, M. Maksudov a appris qu’une manifestation avait lieu sur la place principale de la ville. Il est arrivé aux abords de la place vers 7 ou 8 heures et a observé les gens qui protestaient contre la pauvreté, la répression exercée par le Gouvernement et la corruption généralisée. Lui-même n’a pas pris la parole. Au bout d’un moment, des soldats ont commencé à tirer aveuglément sur la foule. Pris de panique et redoutant d’être persécuté par les autorités, M. Maksudov s’est réfugié au Kirghizistan le 14 mai 2005.
2.2M. Maksudov et 524 autres personnes qui avaient fui Andijan le 13 mai 2005 ont été hébergés dans un camp de toile installé par le HCR au Kirghizistan, à la frontière ouzbèke, dans le district de Suzak près de Djalal‑Abad, et administré par le Département de l’immigration du Kirghizistan, qui relève du Ministère des affaires étrangères.
2.3Le 28 mai 2005, le Bureau du Procureur général d’Ouzbékistan a délivré une autorisation pour le placement en détention de M. Maksudov et ordonné son transfert au centre de détention du Ministère de l’intérieur dans la province d’Andijan. Le même jour, M. Maksudov a été inculpé par contumace des infractions suivantes: terrorisme (art. 155, partie 3, du Code pénal ouzbek), tentative de renversement par la violence de l’ordre constitutionnel (art. 159, partie 3), sabotage (art. 161), association de malfaiteurs (art. 242, partie 2), émeute (art. 244), acquisition illégale d’armes à feu, de munitions, d’explosifs et d’engins explosifs (art. 247, partie 3), et meurtre avec préméditation (art. 97, partie 2).
2.4D’après la décision du 28 mai 2005, M. Maksudov était accusé d’avoir participé à un complot criminel qui avait abouti à l’attaque du poste de police du Département de l’intérieur de la province d’Andijan dans la nuit du 12 au 13 mai 2005. Après avoir tué plusieurs agents de la force publique et s’être emparés d’un grand nombre d’armes à feu et de munitions, des «terroristes» avaient forcé les portes de la prison d’Andijan pour libérer les prisonniers, à qui ils avaient donné des armes. Ils avaient ensuite lancé des attaques armées contre les locaux du Département de la sécurité nationale de la province d’Andijan et de l’Administration provinciale. Au cours de ces actes terroristes, M. Maksudov aurait pris en otage le Procureur municipal d’Andijan et d’autres fonctionnaires de haut rang de l’Administration provinciale, puis les aurait torturés et tués. La prise d’otages a été confirmée par des photographies obtenues dans le cadre de l’enquête préliminaire.
2.5Début juin 2005, les autorités ouzbèkes ont demandé au Kirghizistan l’extradition de 33 personnes, dont M. Maksudov, qui avaient toutes été inculpées en vertu de différents articles du Code pénal ouzbek (voir par. 2.3). La demande d’extradition était fondée sur la Convention de Minsk de 1993 sur l’entraide judiciaire et les relations judiciaires en matière civile, pénale et familiale (Convention de Minsk de 1993) et sur l’Accord d’entraide judiciaire en matière civile, pénale et familiale conclu en 1996 entre le Kirghizistan et l’Ouzbékistan (Accord de 1996).
2.6Le 9 juin 2005, M. Maksudov a demandé l’asile au Kirghizistan. Le même jour, il a reçu du Département de l’immigration une attestation confirmant l’enregistrement de sa demande.
2.7Le 16 juin 2005, des agents de la force publique kirghizes ont conduit M. Maksudov et 16 autres personnes au pavillon de détention provisoire du Département de l’intérieur de la province de Djalal‑Abad (Kirghizistan), sur la base de la décision du 28 mai 2005 par laquelle le Bureau du Procureur général d’Ouzbékistan avait qualifié ces personnes de «terroristes». Le mandat d’arrêt contre M. Maksudov avait été délivré le 29 mai 2005 par le Procureur provincial d’Andijan (Ouzbékistan). En violation du Code de procédure pénale kirghize, la légalité du placement en détention n’a pas été examinée par un procureur de rang supérieur ni par un tribunal.
2.8Le 16 juin 2005, deux avocats kirghizes, Mme Makhaddinova et M. Abdyldaev, ont essayé de rendre visite à M. Maksudov au pavillon de détention provisoire pour l’informer qu’il pouvait être représenté par un conseil. Ils n’ont pas été autorisés à le rencontrer au motif, apparemment, qu’ils n’avaient pas l’autorisation nécessaire du Procureur provincial de Djalal‑Abad. Plus tard, M. Abdyldaev a réussi à obtenir de M. Maksudov qu’il demande à être représenté par sa collègue et lui-même, mais la direction du pavillon de détention provisoire l’a empêché d’avoir un entretien avec son client. À une date non précisée, M. Maksudov a été transféré au centre de détention préventive (SIZO) d’Osh (Kirghizistan). Là, les deux conseils ont encore tenté en vain de le voir. Le 22 juin 2005, ils ont réussi à obtenir une autorisation de visite du Bureau du Procureur spécialisé interprovincial chargé des provinces d’Osh, de Djalal‑Abad et de Batken, et le 24 juin 2005 Mme Makhaddinova a enfin pu s’entretenir avec M. Maksudov.
2.9Les deux conseils ont demandé au Bureau du Procureur provincial de Djalal‑Abad l’autorisation de consulter le dossier d’extradition, mais cela leur a été refusé. Le Procureur provincial adjoint de Djalal‑Abad leur a expliqué que le Code de procédure pénale ne prévoyait pas la possibilité que les dossiers d’extradition soient consultés par les intéressés ou leurs représentants.
2.10Le Département de l’immigration a examiné la demande d’asile de M. Maksudov du 9 juin au 26 juillet 2005. Le 19 juillet 2005, il a établi que cette demande était fondée, puisque M. Maksudov risquait d’être persécuté en Ouzbékistan du fait qu’il avait été acteur et témoin oculaire des événements d’Andijan. Il a reconnu que M. Maksudov répondait à la définition de «réfugié» au sens de l’article premier (sect. A, par. 2) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et de l’article premier de la loi kirghize relative aux réfugiés. Il a ensuite examiné les informations communiquées par le Département de l’intérieur de la province de Djalal‑Abad (Kirghizistan) et par le Bureau du Procureur provincial de Djalal‑Abad concernant plusieurs personnes accusées d’avoir commis des infractions graves sur le territoire ouzbek, dont M. Maksudov. On lui avait montré une photographie où il apparaît, avec trois autres individus, en train d’escorter le Procureur municipal d’Andijan sur le chemin du bâtiment de l’Administration provinciale pris d’assaut, mais M. Maksudov a affirmé ne pas connaître le Procureur municipal et ignorer dans quelles circonstances celui-ci avait été mêlé à la manifestation. Il a ajouté n’avoir pas remarqué la présence d’individus armés en tenue civile pendant la manifestation, bien que cela eût été confirmé par de nombreux témoignages recueillis par des organisations non gouvernementales (ONG) internationales. Le Département de l’immigration en a déduit que M. Maksudov cherchait à dissimuler des informations sur la manifestation et sur sa participation. Il a conclu que M. Maksudov relevait de la clause d’exclusion prévue à l’article premier (sect. F, al. b) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, et que sa demande d’asile devait donc être rejetée. Le 26 juillet 2005, il a rejeté la demande d’asile de M. Maksudov sur le fondement de l’article premier (sect. F, al. b) de la Convention de 1951.
2.11Le 3 août 2005, le conseil de M. Maksudov a fait appel de la décision du Département de l’immigration devant le tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek, en faisant valoir ce qui suit:
a)Il y avait d’importantes divergences entre le questionnaire rempli par les agents du Département de l’immigration au cours d’un entretien avec M. Maksudov concernant sa demande d’asile, le 28 juin 2005, et les notes prises par les représentants du HCR présents à cet entretien. Ces divergences avaient eu une incidence négative sur la décision rendue le 26 juillet 2005 par le Département de l’immigration;
b)Ni le Département de l’immigration ni le Bureau du Procureur n’avaient apporté la preuve que M. Maksudov avait participé personnellement à l’attaque du poste de police ou à l’assaut du bâtiment de l’Administration provinciale d’Andijan;
c)Le témoignage de M. Maksudov, qui avait déclaré n’avoir pas remarqué la présence d’individus armés en tenue civile pendant la manifestation, était fondé sur ce qu’il avait vu de ses propres yeux, alors que ceux recueillis par les ONG d’autres témoins parmi les manifestants donnaient à penser qu’il y avait des individus armés. M. Maksudov avait seulement confirmé l’absence de personnes armées autour de lui, mais n’avait pas parlé de la manifestation en général. En outre, les représentants du HCR présents à l’entretien du 28 juin 2005 avaient approuvé sa description des faits;
d)La photographie produite par le Département de l’immigration et le Bureau du Procureur ne prouvait pas que M. Maksudov avait pris une part directe au meurtre de la personne qui y figurait. Les éléments recueillis pendant l’enquête préliminaire et communiqués par les autorités ouzbèkes ne comprenaient aucune information détaillée sur la participation directe de M. Maksudov aux actes qui lui étaient imputés, ni aucune preuve de cette participation.
2.12Le 11 août 2005, le conseil de M. Maksudov a demandé au juge d’autoriser son client à assister à l’audience devant le tribunal, mais la demande a été rejetée. Par conséquent, M. Maksudov n’a pu prendre part à aucune des audiences le concernant. Le 18 août 2005, le tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek a annulé la décision du 26 juillet 2005 du Département de l’immigration, estimant que l’appel de M. Maksudov était fondé. Le 14 octobre 2005, le Département de l’immigration a contesté la décision du tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek par un pourvoi en cassation devant la chambre judiciaire chargée des affaires économiques et administratives du tribunal municipal de Bichkek (le tribunal municipal de Bichkek).
2.13Le 28 octobre 2005, M. Maksudov s’est vu accorder le statut de réfugié par le HCR. Dans une note verbale adressée le 28 octobre 2005 à la Mission permanente du Kirghizistan auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, le HCR a expliqué que cette décision avait été prise après un examen approfondi de toutes les circonstances de l’affaire, y compris une appréciation des informations sur l’extradition de M. Maksudov et des autres éléments utilisés pour invoquer les clauses d’exclusion, dont le HCR concluait qu’elles n’étaient pas applicables. Dans cette même note, le HCR informait les autorités kirghizes qu’il était disposé à apporter une solution durable au cas de M. Maksudov, en réinstallant celui-ci dans un pays tiers s’il était libéré.
2.14Le 31 octobre 2005, le conseil de M. Maksudov a soulevé des objections au pourvoi en cassation formé par le Département de l’immigration devant le tribunal municipal de Bichkek.
2.15Le 13 décembre 2005, le tribunal municipal de Bichkek a annulé la décision du 18 août 2005 du tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek, estimant que le pourvoi en cassation du Département de l’immigration était fondé. Le 28 décembre 2005, le conseil de M. Maksudov a introduit une requête devant la Cour suprême afin que celle‑ci examine la décision du tribunal municipal de Bichkek, en invoquant notamment la décision du 28 octobre 2005 par laquelle le HCR avait accordé le statut de réfugié à son client. Le 16 février 2006, la Cour suprême a confirmé la décision du 13 décembre 2005 du tribunal municipal de Bichkek. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 359 du Code de procédure civile kirghize, «toute décision rendue par une juridiction de contrôle devient exécutoire dès son adoption, est définitive et non susceptible d’appel».
Affaire Adil Rakhimov
3.1Le 13 mai 2005, M. Rakhimov a appris par ses voisins qu’une manifestation avait lieu sur la place principale de la ville. Il s’y est rendu vers 8 ou 9 heures du matin. Il voulait prendre la parole mais n’a pas pu le faire. Les autres faits de l’affaire le concernant sont les mêmes que ceux décrits aux paragraphes 2.1 à 2.9.
3.2Le Département de l’immigration a examiné la demande d’asile de M. Rakhimov du 10 juin au 26 juillet 2005. Le 19 juillet 2005, il a établi que cette demande était fondée, puisque M. Rakhimov risquait d’être persécuté en Ouzbékistan du fait qu’il avait été acteur et témoin oculaire des événements d’Andijan. Il a reconnu que M. Rakhimov répondait à la définition de «réfugié» au sens de l’article premier (sect. A, par. 2) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et de l’article premier de la loi kirghize relative aux réfugiés. Il a ensuite examiné les informations communiquées par le Département de l’intérieur de la province de Djalal‑Abad (Kirghizistan) et par le Bureau du Procureur provincial de Djalal‑Abad concernant plusieurs personnes accusées d’avoir commis des infractions graves sur le territoire ouzbek, dont M. Rakhimov. Dans ses réponses au questionnaire du Département de l’immigration, le 28 juin 2005, M. Rakhimov a affirmé qu’il ne connaissait pas le Procureur municipal d’Andijan et qu’il n’avait pas vu cet homme en particulier le 13 mai 2005. Dans un interrogatoire conduit le 18 juin 2005, il avait déclaré avoir vu le Procureur municipal d’Andijan en train de parler à des manifestants le 13 mai 2005, et avoir ensuite aidé à protéger le Procureur de ces manifestants. Le Département de l’immigration détenait une photographie montrant M. Rakhimov et d’autres personnes en compagnie du Procureur municipal d’Andijan. M. Rakhimov a également affirmé n’avoir pas remarqué la présence d’individus armés en tenue civile pendant la manifestation, bien que cela eût été confirmé par de nombreux témoignages recueillis par des ONG. Le Département de l’immigration en a déduit que M. Rakhimov cherchait à dissimuler des informations sur la manifestation et sur sa participation. Il a conclu que M. Rakhimov relevait de la clause d’exclusion prévue à l’article premier (sect. F, al. b) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et que sa demande d’asile devait donc être rejetée. Le 26 juillet 2005, il a rejeté la demande d’asile de M. Rakhimov sur le fondement de l’article premier (sect. F, al. b) de la Convention de 1951.
3.3Le 10 août 2005, le conseil de M. Rakhimov a fait appel de la décision du Département de l’immigration devant le tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek, en faisant valoir les mêmes arguments que pour M. Maksudov (voir par. 2.11).
3.4À une date non précisée, le conseil de M. Rakhimov a demandé au juge d’autoriser son client à assister à l’audience devant le tribunal, mais la demande a été rejetée. Par conséquent, M. Rakhimov n’a pu prendre part à aucune des audiences le concernant. Le 8 septembre 2005, le tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek a annulé la décision du 26 juillet 2005 du Département de l’immigration, estimant que l’appel de M. Rakhimov était fondé. Le 6 octobre 2005, le Département de l’immigration a contesté la décision du tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek devant le tribunal municipal de Bichkek.
3.5Le 28 octobre 2005, M. Rakhimov s’est vu accorder le statut de réfugié par le HCR. La teneur de la note verbale du HCR était la même que dans l’affaire Maksudov (voir par. 2.13).
3.6Le 31 octobre 2005, le conseil de M. Rakhimov a soulevé des objections au pourvoi en cassation formé par le Département de l’immigration devant le tribunal municipal de Bichkek.
3.7Le 13 décembre 2005, le tribunal municipal de Bichkek a annulé la décision du 8 septembre 2005 du tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek, estimant que le pourvoi en cassation du Département de l’immigration était fondé. Le 28 décembre 2005, le conseil de M. Rakhimov a introduit une requête devant la Cour suprême afin que celle‑ci examine la décision du tribunal municipal de Bichkek, en invoquant notamment la décision du 28 octobre 2005 par laquelle le HCR avait accordé le statut de réfugié à son client. Le 16 février 2006, la Cour suprême a confirmé la décision du 13 décembre 2005 du tribunal municipal de Bichkek.
Affaire Yakub Tashbaev
4.1Dans la nuit du 12 au 13 mai 2005, M. Tashbaev a été libéré de la prison d’Andijan par des inconnus, en même temps que d’autres détenus. À cette date, il exécutait une peine de quatorze ans d’emprisonnement, à laquelle il avait été condamné le 3 mai 2005 pour possession de drogues (art. 273, partie 5, du Code pénal ouzbek) et fraude (art. 168, partie 1). Une fois libre, M. Tashbaev a participé à la manifestation qui avait lieu sur la place principale d’Andijan. Il n’y a pas pris la parole. Les autres faits de l’affaire le concernant sont les mêmes que ceux décrits aux paragraphes 2.1, 2.2 et 2.6.
4.2Le 23 mai 2005, le Bureau du Procureur général d’Ouzbékistan a délivré une autorisation pour le placement en détention de M. Tashbaev et ordonné son transfert au centre de détention du Ministère de l’intérieur dans la province d’Andijan. Le 21 mai 2005, M. Tashbaev avait été inculpé par contumace de terrorisme (art. 155, partie 3, du Code pénal ouzbek) et d’évasion (art. 222, partie 2).
4.3D’après la décision du 23 mai 2005, M. Tashbaev était accusé d’avoir participé à un complot criminel avec les membres du groupe extrémiste illégal Akramiya, ce qui l’avait conduit à s’évader de la prison d’Andijan et à participer à des attaques armées contre un certain nombre de bâtiments administratifs d’Andijan, attaques qui s’étaient soldées par la mort de plusieurs personnes.
4.4À la suite d’une demande d’extradition adressée par les autorités ouzbèkes à leurs homologues kirghizes (voir par. 2.5), M. Tashbaev a été placé en détention le 9 juin 2005. Les autres faits de l’affaire le concernant sont les mêmes que ceux décrits aux paragraphes 2.6 et 2.7. Le 22 juin 2005, son conseil a réussi à obtenir une autorisation de visite du Bureau du Procureur spécialisé interprovincial chargé des provinces d’Osh, de Djalal‑Abad et de Batken, et a pu s’entretenir avec lui le même jour.
4.5Le Département de l’immigration a examiné la demande d’asile de M. Tashbaev du 10 juin au 26 juillet 2005. Le 19 juillet 2005, il a établi que cette demande était fondée, puisque M. Tashbaev risquait d’être persécuté en Ouzbékistan du fait qu’il avait été acteur et témoin oculaire des événements d’Andijan. Il a reconnu que M. Tashbaev répondait à la définition de «réfugié». Il a ensuite examiné les informations communiquées par le Département de l’intérieur de la province de Djalal‑Abad (Kirghizistan) et par le Bureau du Procureur provincial de Djalal‑Abad, desquelles il ressortait que M. Tashbaev avait été condamné à une peine de quatorze ans d’emprisonnement pour possession de drogues et fraude, et qu’il était un récidiviste particulièrement dangereux. Le 21 mai 2005, M. Tashbaev avait été inculpé en outre de terrorisme et d’évasion. Au cours d’un entretien conduit le 21 juin 2005, M. Tashbaev a admis qu’il avait déjà exécuté antérieurement une peine d’emprisonnement pour possession de drogues, de 1996 à 2003. Il a cependant ajouté qu’au moment de son évasion de la prison d’Andijan, dans la nuit du 12 au 13 mai 2005, il n’avait pas encore été jugé pour possession illégale de drogues et fraude. Il a déclaré également n’avoir pas remarqué la présence d’individus armés en tenue civile pendant la manifestation, bien que cela eût été confirmé par de nombreux témoignages recueillis par des ONG. Le Département de l’immigration en a déduit qu’il cherchait à dissimuler des informations sur la manifestation et sur sa participation. Il a conclu que M. Tashbaev relevait de la clause d’exclusion prévue à l’article premier (sect. F, al. b) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, et que sa demande d’asile devait donc être rejetée. Le 26 juillet 2005, il a rejeté la demande d’asile de M. Tashbaev sur le fondement de l’article premier (sect. F, al. b) de la Convention de 1951.
4.6Le 3 août 2005, le conseil de M. Tashbaev a fait appel de la décision du Département de l’immigration devant le tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek, en faisant valoir ce qui suit:
a)Pendant l’entretien qu’il avait eu avec les fonctionnaires du Département de l’immigration au sujet de sa demande d’asile, le 21 juin 2005, M. Tashbaev n’avait pas été assisté d’un interprète et aucun document dans le dossier de l’affaire ne confirmait qu’il avait refusé ce service. Le questionnaire du Département de l’immigration était incomplet, de nombreuses questions et réponses n’ayant pas été consignées. L’absence de ces informations avait eu une incidence négative sur la décision rendue le 26 juillet 2005 par le Département de l’immigration;
b)Ni le Département de l’immigration ni le Bureau du Procureur n’avaient apporté la preuve que M. Tashbaev avait participé personnellement à l’attaque du poste de police ou à l’assaut du bâtiment de l’Administration provinciale d’Andijan. En outre, les fonctionnaires du Département de l’immigration n’avaient pas établi avec suffisamment de clarté si des individus armés étaient présents ou non au moment où M. Tashbaev avait été libéré de la prison d’Andijan;
c)Le témoignage de M. Tashbaev, qui avait déclaré n’avoir pas remarqué la présence d’individus armés en tenue civile pendant la manifestation, était fondé sur ce qu’il avait vu de ses propres yeux, alors que ceux recueillis par les ONG d’autres témoins parmi les manifestants donnaient à penser qu’il y avait des individus armés. M. Tashbaev avait seulement confirmé l’absence de personnes armées autour de lui et n’avait pas parlé de la manifestation en général;
d)Les éléments communiqués par le Bureau du Procureur provincial de Djalal‑Abad ne comprenaient aucune information détaillée sur la participation directe de M. Tashbaev aux actes de terrorisme, ni aucune preuve de cette participation.
4.7Le 15 août 2005, le conseil de M. Tashbaev a demandé au juge d’autoriser son client à assister à l’audience devant le tribunal, mais la demande a été rejetée. Par conséquent, M. Tashbaev n’a pu prendre part à aucune des audiences le concernant.
4.8Le 28 octobre 2005, M. Tashbaev s’est vu accorder le statut de réfugié par le HCR. La teneur de la note verbale du HCR était la même que dans l’affaire Maksudov (voir par. 2.13).
4.9Le 26 décembre 2005, le tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek a confirmé la décision du 26 juillet 2005 du Département de l’immigration et débouté M. Tashbaev. Le 18 janvier 2006, le conseil de M. Tashbaev a fait appel de cette décision devant le tribunal municipal de Bichkek, en invoquant notamment la décision du 28 octobre 2005 par laquelle le HCR avait accordé le statut de réfugié à son client.
4.10Le 2 mars 2006, le tribunal municipal de Bichkek a rejeté l’appel de M. Tashbaev et confirmé la décision du 26 décembre 2005 du tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek. Le 4 avril 2006, le conseil de M. Tashbaev a introduit une requête devant la Cour suprême afin que celle-ci examine la décision du 26 décembre 2005 du tribunal municipal de Bichkek. Le 25 mai 2006, la Cour suprême a confirmé cette décision.
Affaire Rasuldzhon Pirmatov
5.1Le 13 mai 2005, M. Pirmatov s’est rendu pour affaires à Andijan. Parti d’un village voisin vers 8 heures, il se dirigeait vers le marché d’Andijan quand il a appris qu’une manifestation se tenait sur la place principale de la ville. Il a rejoint les manifestants et a attendu son tour pour prendre la parole mais n’a pas pu le faire. Les autres faits de l’affaire le concernant sont les mêmes que ceux décrits aux paragraphes 2.1 à 2.3 et 2.6.
5.2D’après la décision du 28 mai 2005, M. Pirmatov était accusé d’avoir participé à un complot criminel qui avait abouti à l’attaque du poste de police du Département de l’intérieur de la province d’Andijan dans la nuit du 12 au 13 mai 2005. Après avoir tué plusieurs agents de la force publique et s’être emparé d’un grand nombre d’armes à feu et de munitions, des «terroristes» avaient forcé les portes de la prison d’Andijan pour libérer les détenus, à qui ils avaient donné des armes. Ils avaient ensuite lancé des attaques armées contre les locaux du Département de la sécurité nationale de la province d’Andijan et de l’Administration provinciale.
5.3À la suite de la demande d’extradition adressée au Kirghizistan par les autorités ouzbèkes (voir par. 2.5), M. Pirmatov a été placé en détention le 16 juin 2005. Les autres faits de l’affaire le concernant sont les mêmes que ceux décrits aux paragraphes 2.7 à 2.9.
5.4Le Département de l’immigration a examiné la demande d’asile de M. Pirmatov du 9 juin au 26 juillet 2005. Le 19 juillet 2005, il a établi que cette demande était fondée, puisque M. Pirmatov risquait d’être persécuté en Ouzbékistan du fait qu’il avait été acteur et témoin oculaire des événements d’Andijan. Il a reconnu que M. Pirmatov répondait à la définition de «réfugié». Il a ensuite examiné les informations communiquées par le Département de l’intérieur de la province de Djalal‑Abad (Kirghizistan) et par le Bureau du Procureur provincial de Djalal‑Abad concernant les personnes accusées d’avoir commis des infractions graves sur le territoire ouzbek, dont M. Pirmatov. En outre, d’après le procès‑verbal de l’interrogatoire, M. Pirmatov avait déclaré qu’il se trouvait chez lui dans la nuit du 12 au 13 mai 2005, alors qu’au cours d’un entretien conduit le 1er juillet 2005 dans le cadre de sa demande d’asile, il avait déclaré avoir passé la nuit dans son magasin. Selon le Département de l’immigration, M. Pirmatov a fait des déclarations contradictoires qui ont conduit les autorités à le soupçonner de dissimuler d’autres informations sur les événements survenus dans la nuit du 12 au 13 mai 2005 et en particulier sur sa participation à ces événements. En outre, M. Pirmatov a affirmé qu’il connaissait le Procureur municipal d’Andijan parce qu’ils étaient de la même région, et que le 13 mai 2005 il avait donc tenté de le protéger des manifestants. Il a affirmé l’avoir tiré hors de la foule et poussé derrière la grille de l’Administration provinciale d’Andijan. Le Département de l’immigration détenait une photographie montrant M. Pirmatov avec trois autres individus, en compagnie du Procureur municipal d’Andijan sur le chemin du bâtiment de l’Administration pris d’assaut. Pendant l’entretien du 28 juin 2005, M. Pirmatov a déclaré avoir vu seulement cinq ou six individus armés en tenue civile dans la foule, alors que le 1er juillet 2005, il a affirmé les avoir vu arriver de la droite du bâtiment de l’Administration. Il ne savait rien au sujet des otages, bien que la présence d’otages ait été corroborée par de nombreux témoignages recueillis par des ONG. Le Département de l’immigration en a déduit que M. Pirmatov cherchait à dissimuler des informations sur la manifestation et refusait de coopérer. Il a conclu que M. Pirmatov relevait de la clause d’exclusion prévue à l’article premier (sect. F, al. b) de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et que sa demande d’asile devait donc être rejetée. Le 26 juillet 2005, il a rejeté la demande d’asile de M. Pirmatov sur le fondement de l’article premier (sect. F, al. b) de la Convention de 1951.
5.5Le 2 août 2005, le conseil de M. Pirmatov a fait appel de la décision du Département de l’immigration devant le tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek, en faisant valoir les mêmes arguments que pour M. Maksudov (voir par. 2.11, les arguments a), b) et d)). En outre, le conseil a affirmé que M. Pirmatov avait expliqué, lors de l’entretien complémentaire, pourquoi ses déclarations au sujet du lieu où il se trouvait la nuit du 12 au 13 mai 2005 avaient varié. M. Pirmatov avait notamment dit qu’il était perturbé pendant l’interrogatoire, qu’il s’était trompé en répondant mais n’avait pas osé corriger la réponse lorsque le procès‑verbal lui avait été lu. En outre, les représentants du HCR présents à l’entretien du 28 juin 2005 avaient conclu que sa description des faits était exacte.
5.6Le 16 août 2005, le conseil de M. Pirmatov a demandé au juge d’autoriser son client à assister à l’audience devant le tribunal mais la demande a été rejetée. Par conséquent, M. Pirmatov n’a pu prendre part à aucune des audiences le concernant. Le 14 octobre 2005, le conseil a demandé au juge de différer l’examen de l’affaire Pirmatov jusqu’à ce que le changement de statut du Département de l’immigration, devenu la Commission d’État de l’immigration et de l’emploi, soit achevé.
5.7Le 28 octobre 2005, M. Pirmatov s’est vu accorder le statut de réfugié par le HCR. La teneur de la note verbale du HCR était la même que dans l’affaire Maksudov (voir par. 2.13).
5.8Le 29 décembre 2005, le tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek a confirmé la décision du Département de l’immigration en date du 26 juillet 2005 et a débouté M. Pirmatov. Cette décision a été prise en l’absence des deux conseils de M. Pirmatov, alors que ceux‑ci avaient demandé, le 29 décembre 2005, que l’audience soit renvoyée car aucun d’eux ne pourrait y assister. Le 13 janvier 2006, le conseil de M. Pirmatov a interjeté appel de la décision du tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek devant le tribunal municipal de Bichkek. Il a invoqué notamment la décision du 28 octobre 2005 par laquelle le HCR avait accordé le statut de réfugié à son client.
5.9Le 2 mars 2006, le tribunal municipal de Bichkek a confirmé la décision du tribunal interprovincial de la municipalité de Bichkek en date du 29 décembre 2005 et a débouté M. Pirmatov. Le 4 avril 2006, le conseil de M. Pirmatov a introduit une requête devant la Cour suprême afin que celle‑ci examine la décision du tribunal municipal de Bichkek. Le 13 juin 2006, la Cour suprême a confirmé cette décision.
6.Dans leur communication initiale, les auteurs affirmaient que le Bureau du Procureur général de l’Ouzbékistan avait communiqué aux autorités kirghizes des documents montrant qu’ils avaient été inculpés par contumace, respectivement, de terrorisme (Tashbaev) et de meurtre avec préméditation et terrorisme (Maksudov, Rakhimov et Pirmatov), infractions emportant la peine de mort en droit ouzbek. Aucun de ces documents, cependant, n’apportait une quelconque preuve que les auteurs avaient pris une part directe aux infractions qui leur étaient reprochées. En outre, les auteurs contestent l’authenticité de ces documents étant donné que l’Ouzbékistan a présenté au total 253 demandes d’extradition visant des hommes du camp de réfugiés de Suzak et fondées sur des accusations presque identiques.
Teneur de la plainte initiale
7.1Quand les tribunaux kirghizes ont examiné les affaires des auteurs, le Président kirghize avait prolongé le moratoire sur la peine de mort en attendant son abolition définitive, alors que cette peine existait encore en Ouzbékistan. Selon les auteurs, le Département de l’immigration et par la suite tous les tribunaux kirghizes ont conclu que la vie et la liberté des auteurs étaient en danger s’ils étaient renvoyés en Ouzbékistan. Les auteurs affirment qu’en les extradant dans ces circonstances vers l’Ouzbékistan sans vérifier l’authenticité des documents produits par les autorités ouzbèkes et alors que leur vie est réellement menacée, le Kirghizistan contreviendrait aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6 du Pacte. Ils renvoient à la jurisprudence du Comité dans l’affaire Charles Chitat Ng c. Canada.
7.2Les auteurs rappellent que l’interdiction de la torture est absolue. Les clauses d’exclusion de la Convention de 1951 ne s’appliquent pas lorsqu’il existe un risque que la personne renvoyée soit soumise à la torture. Les auteurs se réfèrent à de nombreux rapports d’ONG et d’organismes des Nations Unies confirmant que la torture est courante en Ouzbékistan. Selon le rapport de la mission au Kirghizistan du Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme concernant les événements survenus à Andijan (Ouzbékistan) les 13 et 14 mai 2005, «[i]l est aussi urgent que nécessaire de surseoir à l’éloignement vers l’Ouzbékistan des demandeurs d’asile et témoins oculaires ouzbeks des événements d’Andijan, qui courent le risque d’être torturés en cas de rapatriement».
7.3Les auteurs affirment que le risque qu’ils soient soumis à la torture et jugés en violation des garanties d’un procès équitable s’ils sont extradés vers l’Ouzbékistan est élevé. Même si les autorités kirghizes recevaient de leurs homologues ouzbeks l’assurance officielle que les auteurs ne seraient pas torturés après leur extradition, ce ne serait pas suffisant. Étant donné que les autorités kirghizes ont dû transporter par avion 450 demandeurs d’asile d’Ouzbékistan en vue de les réinstaller dans des pays tiers parce qu’elles ne pouvaient pas garantir leur sécurité sur le territoire kirghize, il existe de sérieux doutes quant à leur capacité de garantir la sécurité des auteurs sur le territoire ouzbek. En outre, l’État partie a l’obligation de procéder à une enquête indépendante s’il y a lieu de soupçonner qu’une personne a été soumise à la torture après avoir été extradée.
7.4Les auteurs affirment qu’il y a violation de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, parce que le principe du non‑refoulement ne figure pas sur la liste limitative des motifs de rejet d’une demande d’extradition établie par le Code de procédure pénale kirghize, la Convention de Minsk de 1993 et l’Accord de 1996. Ce principe est garanti par l’article 11 de la loi sur les réfugiés, mais celui‑ci n’est pas appliqué dans la pratique. En outre, en vertu de l’article 435 du Code de procédure pénale, les décisions relatives à l’extradition de ressortissants étrangers sont prises par le Procureur général du Kirghizistan qui se fonde sur la demande d’extradition. La décision d’extradition est d’exécution immédiate et il n’existe pas de recours utile permettant de la contester. Le Code de procédure civile kirghize prévoit un recours contre les actions des agents publics qui enfreignent la loi mais cette procédure ne peut être engagée qu’une fois que l’infraction en question a été commise.
7.5Les auteurs ont été placés en détention au Kirghizistan sur la base des mandats d’arrêt décernés par le Procureur d’Ouzbékistan et de la lettre du Procureur provincial de Djalal‑Abad. En vertu de l’article 435 du Code de procédure pénale kirghize, dès réception d’une demande d’extradition, la personne réclamée est placée en détention conformément à la procédure prévue à l’article 110 du Code de procédure pénale. Celui‑ci dispose que le placement en détention peut être décidé par un enquêteur ou par le procureur, sous réserve de l’approbation d’un procureur de rang supérieur et en présence d’un avocat de la défense, pour les infractions passibles d’une peine de trois ans d’emprisonnement au minimum. Selon les auteurs, cette procédure n’a pas été respectée puisque leur placement en détention n’a pas été autorisé par le ministère public kirghize et a été décidé en l’absence de leurs conseils. En vertu de l’article 435 (partie 3) du Code de procédure pénale, la personne dont l’extradition a été demandée doit être remise en liberté si elle n’a pas été extradée dans les trente jours qui suivent son placement en détention. Les auteurs affirment également que l’article 110 du Code de procédure pénale est incompatible avec le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte parce qu’il n’exige pas que tout détenu soupçonné d’une infraction pénale soit présenté sans délai devant un juge. Ils font valoir qu’il y a eu violation des paragraphes 1 et 3 de l’article 9 parce que chacun d’eux a été détenu pendant plus d’un an sans être déféré devant un juge.
7.6Enfin, les auteurs font valoir qu’il y a eu violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 parce qu’ils n’ont pas été autorisés à communiquer avec le conseil de leur choix entre la date de leur placement en détention et le 22 juin 2005 (Tashbaev) et le 24 juin 2005 (Maksudov, Rakhimov et Pirmatov).
Autres questions apparues à la suite de la demande de mesures provisoires de protection faite par le Comité
8.1Le 11 août 2006, le Comité a été informé par un des conseils que les quatre auteurs avaient été remis aux autorités ouzbèkes le 9 août 2006. Par une lettre du 14 août 2006 adressée à la Mission permanente du Kirghizistan auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, le Comité, sans préjuger de l’exactitude des allégations de l’avocat, a rappelé aux autorités de l’État partie qu’il considérait le non‑respect par un État partie des mesures provisoires officiellement demandées comme un manquement grave aux obligations qui incombent à l’État partie en vertu du Protocole facultatif. Il leur a demandé de l’informer sans délai de la situation des auteurs et, si l’enquête menée par l’État partie établissait que les allégations de l’avocat étaient exactes, de lui donner des explications le plus rapidement possible.
8.2Dans une réponse à la demande d’explications du Comité, datée du 23 août 2006, l’État partie a noté que, par des arrêts du 16 février 2006 (Maksudov et Rakhimov), du 25 mai 2006 (Tashbaev) et du 13 juin 2006 (Pirmatov), la Cour suprême du Kirghizistan avait approuvé les conclusions du tribunal municipal de Bichkek qui avait confirmé la décision prise par le Département de l’immigration de ne pas accorder le statut de réfugié aux auteurs.
8.3L’État partie fait valoir que d’après les éléments de preuve produits par les autorités ouzbèkes, M. Tashbaev avait été condamné à seize ans d’emprisonnement en 1996. En 2005, il avait été reconnu coupable de trafic de drogues et condamné à quatorze ans d’emprisonnement. Il avait également été reconnu coupable de récidive. Pendant les événements d’Andijan, il s’était évadé et s’était joint à ceux qui demandaient l’asile au Kirghizistan. MM. Pirmatov, Rakhimov et Maksudov étaient accusés d’avoir pris le Procureur municipal d’Andijan en otage pendant les émeutes d’Andijan. Plus tard, l’otage a été assassiné.
8.4Conformément au droit kirghize et aux obligations qui incombent à l’État partie en vertu des accords bilatéraux et multilatéraux sur l’entraide judiciaire et en vertu des conventions des Nations Unies, le Bureau du Procureur général du Kirghizistan a décidé, le 8 août 2005, d’accueillir la demande faite par le Bureau du Procureur général d’Ouzbékistan en vue de renvoyer dans leur pays les ressortissants ouzbeks en question. Les autorités ouzbèkes dresseraient les actes d’inculpation correspondant aux infractions qu’ils avaient commises avant d’arriver au Kirghizistan.
8.5L’État partie fait valoir que cette décision était fondée sur une analyse complète et objective de tous les éléments présentés par les autorités ouzbèkes, qui montrent que les auteurs avaient commis des infractions pénales graves en Ouzbékistan. Si le droit pénal kirghize leur était appliqué, les auteurs seraient accusés d’avoir commis des actes qui constituent des infractions graves emportant la privation de liberté, de sorte que leur extradition vers l’État requérant est pleinement justifiée. La décision prise par le Bureau du Procureur général du Kirghizistan est conforme à la Convention relative au statut des réfugiés car les dispositions de cet instrument ne s’appliquent pas aux personnes dont on a des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis une grave infraction de droit commun en dehors du pays de refuge avant d’y être admises.
8.6L’État partie explique que les engagements pris par le Kirghizistan dans le cadre de la Communauté d’États indépendants, de l’Organisation de Shanghai pour la coopération et des accords bilatéraux ont également étayé sa décision de renvoyer les auteurs en Ouzbékistan. En particulier, la demande officielle des autorités ouzbèkes a été traitée conformément aux obligations qui incombent au Kirghizistan en vertu de la Convention de Minsk de 1993, de l’Accord de 1996, de l’Accord de 1994 sur l’entraide judiciaire et la coopération entre le Bureau du Procureur général du Kirghizistan et le Bureau du Procureur général d’Ouzbékistan, et de la Convention de Shanghai sur la lutte contre le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme, adoptée le 15 juin 2001.
8.7Le Bureau du Procureur général du Kirghizistan a reçu de son homologue ouzbek l’assurance qu’une enquête complète et objective serait menée sur toutes ces affaires et qu’aucun des auteurs ne subirait de persécutions pour des raisons politiques ni ne serait soumis à la torture. L’Ouzbékistan est partie à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui lui fait obligation de prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis.
8.8En ce qui concerne les allégations de violation des droits de l’homme pendant la procédure d’extradition, en particulier du droit d’asile, l’État partie rappelle que ce droit ne peut pas être invoqué lorsque des poursuites sont engagées pour des infractions de droit commun. Le paragraphe 2 de l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés dispose que le bénéfice de cette disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays. L’État partie affirme que la détermination d’une menace pour la sécurité nationale est son droit souverain et relève entièrement de sa compétence nationale, conformément au paragraphe 7 de l’Article 2 de la Charte des Nations Unies.
8.9Comme l’ont expliqué les représentants du Bureau du Procureur général du Kirghizistan lors de la conférence de presse tenue le 11 août 2006, ni le droit kirghize ni les conventions internationales n’obligent l’État partie à aviser le HCR et les conseils des auteurs de l’imminence des extraditions. En outre, le HCR a décidé d’accorder aux auteurs le statut de réfugié sans attendre que la Cour suprême du Kirghizistan statue sur les recours introduits contre le rejet de la demande de statut de réfugié.
Absence de coopération de l’État partie
9.Sous couvert de notes verbales datées du 6 mars 2006 (Maksudov et Rakhimov), du 8 juin 2006 (Tashbaev) et du 13 juin 2006 (Pirmatov), du 5 septembre 2006 (Maksudov, Rakhimov, Tashbaev et Pirmatov), du 1er février 2007 (Maksudov), du 5 février 2007 (Rakhimov, Tashbaev et Pirmatov) et du 10 août 2007 (Maksudov, Rakhimov, Tashbaev et Pirmatov), le Comité a prié l’État partie de lui communiquer des informations sur la recevabilité et le fond des communications. Il note qu’il n’a pas reçu les informations demandées. Le Comité prend acte de la réponse de l’État partie, en date du 23 août 2006 (par. 8.2 à 8.9) concernant la demande de mesures provisoires mais regrette que l’État partie n’ait apporté les informations demandées au sujet de la recevabilité ou du fond des griefs des auteurs. Il rappelle qu’en vertu du Protocole facultatif, l’État partie est tenu de lui soumettre par écrit des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence d’une réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées.
Délibérations du Comité
Non ‑respect de la demande de mesures provisoires adressée par le Comité
10.1Le Comité note que l’État partie a extradé les auteurs alors que leurs communications avaient été enregistrées au titre du Protocole facultatif et qu’il avait reçu une demande de mesures provisoires de protection. Il rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, les États parties au Pacte reconnaissent que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication et d’en mener l’examen à bonne fin, et l’empêche de faire part de ses constatations, est incompatible avec ses obligations.
10.2Indépendamment de toute violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, l’État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte, ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. Dans les communications à l’examen, les auteurs ont affirmé qu’ils seraient victimes de violations des droits énoncés à l’article 6 et à l’article 7 du Pacte s’ils étaient extradés vers l’Ouzbékistan. Ayant été notifié des communications, l’État partie a contrevenu à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en extradant les auteurs avant que le Comité n’ait mené l’examen à bonne fin et n’ait pu formuler ses constatations et les communiquer. Il est particulièrement regrettable que l’État partie ait agi ainsi après que le Comité lui eut demandé, en application de l’article 92 du Règlement intérieur, de s’abstenir de le faire.
10.3Le Comité rappelle que l’adoption de mesures provisoires en application de l’article 92 du Règlement intérieur, adopté conformément à l’article 39 du Pacte, est essentielle au rôle qui lui a été confié en vertu du Protocole facultatif. Le non‑respect de cet article, en particulier par une action irréparable comme, en l’espèce, l’extradition des auteurs, compromet la protection des droits consacrés dans le Pacte assurée par le Protocole facultatif.
Examen de la recevabilité
11.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
11.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que les mêmes affaires n’étaient pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En l’absence d’objection de la part de l’État partie à ce sujet, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.
11.3Le Comité a noté que les auteurs invoquaient le paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte. Le Comité n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la question de la recevabilité des communications sur le fondement du paragraphe 3 b) de l’article 4, en tant que tel, parce que les principes qui sous‑tendent cette disposition sont pris en considération dans l’examen des autres griefs des auteurs.
11.4Le Comité estime que les autres griefs des auteurs, qui soulèvent des questions au regard de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte, lus séparément et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et au regard de l’article 9, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc recevables.
Examen au fond
12.1Le Comité des droits de l’homme a examiné les communications à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
12.2Sur la question de savoir si le placement en détention des auteurs a été effectué dans le respect des conditions énoncées au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, le Comité note que la privation de liberté est licite uniquement lorsqu’elle est appliquée «pour des motifs et conformément à la procédure prévus par le droit interne» et lorsqu’elle n’est pas arbitraire. En d’autres termes, le Comité doit déterminer en premier lieu si la privation de liberté imposée aux auteurs était conforme à la législation de l’État partie. Les auteurs ont fait valoir que, contrairement à l’article 110 du Code de procédure pénale kirghize, leur placement en détention n’avait pas été autorisé par le Procureur et avait été effectué en l’absence de leurs conseils, en violation des dispositions pertinentes du droit interne. En l’absence de réponse de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs dans la mesure où elles ont été étayées, et de considérer que les faits se sont déroulés comme les auteurs l’ont décrit. Le Comité conclut donc à une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.
12.3Vu les circonstances ci‑dessus et étant donné qu’il a constaté une violation du paragraphe 1 de l’article 9, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner séparément les griefs tirés du paragraphe 3 de l’article 9.
12.4Quant à savoir si l’extradition des auteurs du Kirghizistan en Ouzbékistan les a exposés à un risque réel de torture ou d’autres mauvais traitements dans l’État requérant, en violation de l’interdiction du refoulement établie à l’article 7 du Pacte, le Comité fait observer que la réalité de ce risque doit être évaluée à la lumière des informations que détenaient ou auraient dû détenir les autorités de l’État partie au moment de l’extradition, et n’exige pas qu’il soit prouvé que des actes de torture ont été commis par la suite, même si les informations ayant trait à des événements ultérieurs sont pertinentes pour évaluer le risque initial. Pour déterminer ce risque en l’espèce, le Comité doit examiner tous les éléments pertinents. L’existence d’assurances, leur teneur et l’existence et la mise en œuvre de mécanismes d’exécution sont autant d’éléments utiles pour déterminer si, dans la pratique, il existait un risque réel de mauvais traitements interdits. À ce propos, le Comité rappelle que les États parties ne doivent pas exposer des individus à un risque de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en les renvoyant dans un autre pays en vertu d’une mesure d’extradition, d’expulsion ou de refoulement. Ce principe ne saurait être mis en balance avec des considérations relatives à la sécurité nationale ou à la nature du comportement criminel dont une personne est accusée ou soupçonnée.
12.5Le Comité affirme d’emblée que les autorités de l’État partie savaient, ou auraient dû savoir, au moment où elles ont extradé les auteurs, qu’il existait des rapports publics, crédibles et remarqués indiquant que le recours à la torture contre les détenus était systématique et généralisé en Ouzbékistan et que le risque de torture était en général élevé dans le cas de personnes détenues pour des raisons politiques et de sécurité. De l’avis du Comité, ces éléments pris dans leur ensemble montrent que les auteurs risquaient réellement d’être soumis à la torture en Ouzbékistan s’ils étaient extradés. De plus, les infractions pour lesquelles l’Ouzbékistan demandait l’extradition des auteurs emportaient la peine capitale dans ce pays. Étant donné le risque d’une condamnation à la peine de mort obtenue par un traitement incompatible avec l’article 7, il y avait aussi un risque tout aussi élevé de violation du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte. Le fait que le Bureau du Procureur général d’Ouzbékistan ait donné des assurances qui, d’ailleurs, ne prévoyaient aucun mécanisme d’application concret, ne suffisait pas à protéger les auteurs contre ce risque. Le Comité réaffirme qu’à tout le moins, les assurances données doivent prévoir un mécanisme permettant de vérifier qu’elles sont bien respectées et être garanties par des dispositions prises en dehors de la lettre des assurances pour assurer une application effective de l’accord.
12.6Le Comité rappelle que si un État partie renvoie une personne se trouvant sous sa juridiction vers une autre juridiction et s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque de préjudice irréparable dans cette autre juridiction, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte, l’État partie lui‑même peut avoir violé le Pacte. Étant donné que l’État partie n’a pas montré que les assurances obtenues de l’Ouzbékistan étaient suffisantes pour écarter entièrement le risque de torture et d’une condamnation à la peine de mort prononcée dans le respect des conditions du paragraphe 2 de l’article 6 et de l’article 7, le Comité conclut que l’extradition des auteurs a constitué une violation du paragraphe 2 et d’article 6 du Pacte et de l’article 7.
12.7Pour ce qui est de l’absence de recours utile contre la décision d’extradition rendue le 8 août 2006 par le Procureur général du Kirghizistan, compte tenu de l’existence d’un risque réel de torture et d’application de la peine de mort, le Comité relève que l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 6 et l’article 7, oblige les États parties à assurer un recours utile en cas de violation de ces articles. À ce propos, il note que toutes les actions concernant les auteurs engagées devant les tribunaux de l’État partie portaient sur l’asile et non sur la procédure d’extradition. Il note également que le droit kirghize ne permet pas un réexamen judiciaire des décisions d’extradition prises par le Procureur avant que l’extradition n’ait lieu et qu’en l’espèce, ces décisions ont été exécutées le lendemain. Le Comité rappelle que, par définition, pour que le réexamen d’une décision d’extradition soit effectif, il doit pouvoir avoir lieu avant le renvoi afin d’éviter un préjudice irréparable à l’individu, faute de quoi il est inutile et vide de sens. En ne donnant pas la possibilité de faire réexaminer de façon effective et indépendante la décision d’extradition dans le cas des auteurs, l’État partie a donc commis une violation du paragraphe 2 de l’article 6 et de l’article 7, lus conjointement avec l’article 2 du Pacte.
13.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par le Kirghizistan des droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 9, au paragraphe 2 de l’article 6 et à l’article 7, lus séparément et lus conjointement avec l’article 2 du Pacte. Il réaffirme que l’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.
14.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie a l’obligation d’assurer aux auteurs un recours utile, sous la forme d’une indemnisation appropriée. L’État est prié de mettre en place des mesures effectives pour suivre la situation des auteurs de la communication. Il est instamment engagé à fournir périodiquement au Comité des renseignements actualisés sur la situation des auteurs. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent.
15.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
X. Communication n o 1463/2006, Gratzinger c. République tchèque*(Constatations adoptées le 25 octobre 2007, quatre ‑vingt ‑onzième session)
Présentée par: |
Peter et Eva Gratzinger (non représentés par un conseil) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
République tchèque |
Date de la communication: |
12 février 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens |
Questions de procédure: |
Examen de la même affaire devant une autre instance internationale d’enquête; abus du droit de présenter une communication |
Questions de fond: |
Égalité devant la loi et égale protection de la loi |
Article du Pacte: |
26 |
Articles du Protocole facultatif: |
3 et 5 (par. 2 a)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 octobre 2007,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1463/2006 présentée par Peter et Eva Gratzinger en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’annexe 5 du Protocole facultatif
1.Les auteurs de la communication sont M. Peter Gratzinger et Mme Eva Gratzinger, l’un et l’autre ayant la double nationalité américaine et tchèque, d’origine tchèque, nés en 1949 dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Ils se déclarent victimes de violations par la République tchèque des droits consacrés à l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils ne sont pas représentés.
Exposé des faits
2.1En 1978, les auteurs ont acheté une maison à Liberec, en Tchécoslovaquie. Ils y ont vécu jusqu’en 1982, année où ils ont quitté le pays. En 1983, les États‑Unis leur ont accordé le statut de réfugié en raison des persécutions qu’ils avaient subies pour motifs politiques. La même année, un tribunal tchécoslovaque les a reconnus coupables du délit d’émigration illégale et les a condamnés par défaut à renoncer à leurs biens et à une peine d’emprisonnement. Leurs biens ont été transférés à l’État puis vendus à un couple en 1983. En 1989, les auteurs ont acquis la nationalité américaine perdant de ce fait leur nationalité tchèque, conformément à un traité bilatéral, le Traité de 1928 relatif à la naturalisation. À plusieurs reprises après la chute du régime communiste, en 1989, ils auraient essayé de recouvrer la nationalité tchèque, ce qui leur aurait été refusé à chaque fois. Les auteurs sont redevenus tchèques en 2000.
2.2Sur le fondement de la loi no 119/1990 relative à la réhabilitation judiciaire, qui a rendu nulles et de nul effet toutes les condamnations prononcées pour motifs politiques par les tribunaux du régime communiste, le jugement par lequel les auteurs avaient été condamnés à renoncer à leurs biens a été cassé ex lege. Les personnes dont les biens avaient été confisqués pouvaient demander à les récupérer, sous réserve des conditions énoncées dans une loi distincte portant sur la restitution des biens, la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire, entrée en vigueur le 1er avril 1991.
2.3Conformément à la loi no 87/1991, toute personne qui demande la restitution de biens doit être de nationalité tchèque, avoir sa résidence permanente dans la République tchèque et prouver que le propriétaire du bien en question l’a acquis de manière illicite. Les deux premières conditions devaient être réunies pendant la période au cours de laquelle les demandes de restitution pouvaient être présentées, soit entre le 1er avril et le 1er octobre 1991.
2.4Le 12 juillet 1994, un arrêt de la Cour constitutionnelle (no 164/1994) a annulé la condition relative à la résidence permanente et a fixé un nouveau délai de six mois pour la présentation des demandes de restitution, commençant à courir le 1er novembre 1994. Les personnes nouvellement autorisées à déposer une demande de restitution étaient celles qui, au cours de la période initialement fixée (du 1er avril au 1er octobre 1991), remplissaient toutes les autres conditions, y compris la condition de nationalité, à l’exception de la condition concernant la résidence permanente.
2.5Les auteurs ont demandé aux nouveaux propriétaires de leur bien de le leur restituer mais ils ont refusé. En janvier 1995, ils ont déposé une demande auprès de la Cour suprême de Liberec, en invoquant la loi sur la restitution no 87/1991. Le 30 septembre 1996, la Cour a rejeté leur demande au motif qu’ils n’avaient pas la nationalité tchèque. Elle a relevé que les auteurs n’avaient pas démontré que les propriétaires avaient acquis leur bien de façon illicite. Le 13 février 1997, le tribunal de district d’Ustí a rejeté le recours qu’ils avaient formé en se fondant sur le même motif. Dans la demande initiale ainsi que dans le recours, les auteurs avaient fait valoir que la condition relative à la nationalité était déraisonnable au regard du Pacte et avaient invoqué les constatations du Comité dans l’affaire Simunek et consorts c. République tchèque . Le 2 septembre 1997, la Cour constitutionnelle a rejeté leur recours en inconstitutionnalité, fondé sur le droit à la protection de la propriété, en le déclarant manifestement dénué de fondement.
2.6Les auteurs se sont adressés à la Commission européenne des droits de l’homme, en invoquant notamment des violations de l’article premier du Protocole no 1 (droit à la propriété) et de l’article 14 (non‑discrimination) à la Convention européenne des droits de l’homme. En date du 10 juillet 2002, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré la requête irrecevable. Elle a estimé que les auteurs n’avaient pas le statut de propriétaire et se trouvaient dans la situation de simples demandeurs, et a donc déclaré irrecevable ratione materiae le grief tiré de l’article premier du Protocole no 1 à la Convention européenne. Elle a conclu que l’article 14 de la Convention européenne, qui n’a pas d’existence autonome puisqu’elle n’a d’effet qu’en relation avec l’exercice des droits et libertés garantis par la Convention, n’était pas applicable en l’espèce.
Teneur de la plainte
3.Les auteurs font valoir une violation de l’article 26 du Pacte parce qu’ils ont subi une discrimination fondée sur la nationalité. Ils invoquent la jurisprudence du Comité sur la question de la discrimination constatée dans les plaintes contre la République tchèque portant sur la restitution de biens.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1Dans une note du 4 septembre 2006, l’État partie a transmis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne les faits, l’État partie fait valoir que, malgré le traité de naturalisation, les personnes qui souhaitaient acquérir la nationalité tchèque (aux fins de la restitution de leurs biens) avaient la possibilité de le faire entre 1990 et la date limite fixée pour présenter une demande de restitution (le 1er octobre 1991). En fait, toutes les demandes de nationalité soumises entre 1990 et 1992 ont été approuvées par le Ministre de l’intérieur. Rien n’indique que les auteurs aient jamais présenté une telle demande.
4.2En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie objecte que la communication est irrecevable pour abus du droit de plainte, parce que les auteurs ont attendu trois ans et sept mois après la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, rendue le 10 juillet 2002, pour adresser une communication au Comité, le 12 février 2006. L’État partie n’ignore pas qu’il n’y a pas de délai précis pour soumettre une communication au Comité mais il se réfère à la jurisprudence de celui‑ci, qui a toujours affirmé qu’il fallait apporter une explication raisonnable et objectivement compréhensible pour justifier un retard dans la soumission d’une communication.
4.3Sur le fond, l’État partie renvoie aux observations qu’il avait faites dans de précédentes affaires de restitution de biens examinées par le Comité, dans lesquelles il a exposé les circonstances politiques et les conditions juridiques qui avaient prévalu lors de l’élaboration et de l’adoption de la loi de restitution. Cette loi avait deux objectifs: atténuer, dans la mesure du possible, les injustices commises par l’ancien régime communiste et faciliter une vaste réforme économique en vue d’établir une économie de marché efficace. Les lois de restitution s’inscrivaient dans le cadre de la législation visant à transformer la société dans son ensemble. La condition de nationalité visait à garantir que les personnes concernées entretiendraient les biens restitués.
4.4L’État partie invoque les arrêts de la Cour constitutionnelle qui a confirmé la constitutionnalité de la loi de restitution, en particulier la condition préalable de nationalité. Il affirme que ce sont les auteurs eux‑mêmes qui sont responsables de la non‑restitution de leurs biens, étant donné qu’ils n’ont pas fait de demande de nationalité dans les délais. Même s’ils avaient satisfait à la condition de nationalité, il n’est pas certain que leurs biens leur auraient été restitués étant donné que le tribunal de district avait rejeté leur requête pour ce motif certes mais aussi parce qu’ils n’avaient pas prouvé que les nouveaux propriétaires avaient acquis les biens en question de façon illicite.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
5.1En date du 2 novembre 2006, les auteurs ont fait leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils soulignent qu’ils ont fui le pays en 1983 à cause de la forte oppression politique qu’ils subissaient parce qu’ils avaient refusé d’adhérer au Parti communiste, qu’ils avaient des connaissances qui vivaient à l’Est et qu’ils étaient d’origine juive. Pendant cette période, les confiscations n’étaient pas justifiées par la collectivisation de l’économie vu que les biens confisqués étaient transférés d’un propriétaire privé à un autre propriétaire privé. On les prenait aux ennemis de l’État, tels que les auteurs, pour les donner (ou les vendre à des prix avantageux) aux collaborateurs et amis du régime communiste, tels que les occupants actuels de la maison des auteurs.
5.2En ce qui concerne la recevabilité, les auteurs font valoir qu’ils ont fait avec diligence, pendant quinze ans, toutes les démarches nécessaires pour obtenir la restitution de leurs biens, en s’adressant aux autorités tchèques et aux organes européens. Ils ignorent s’il y a une date limite pour adresser leurs communications au Comité et pensent qu’ils ont envoyé la leur en temps voulu.
5.3Sur le fond, en réponse à l’argument de l’État partie qui objecte qu’ils auraient pu acquérir la nationalité tchèque en 1991, les auteurs font valoir que le fait qu’un individu puisse changer de nationalité ou en acquérir une autre ne justifie pas une discrimination fondée sur la nationalité. De plus, la possibilité d’obtenir la restitution était illusoire. L’une des conditions à remplir pendant la première période de restitution, entre avril et octobre 1991, était d’avoir sa résidence permanente en Tchécoslovaquie. Puisqu’ils vivaient aux États‑Unis, les auteurs n’auraient pas pu obtenir la restitution de leurs biens même s’ils avaient acquis la nationalité avant octobre 1991. La condition tenant à la résidence a été supprimée par la Cour constitutionnelle en 1994 et une autre période de six mois a été ouverte pour déposer les demandes de restitution. Or, seules les personnes qui avaient acquis la nationalité avant octobre 1991 pouvaient profiter de la deuxième période. Cette situation a eu pour effet d’exclure de la possibilité de l’application de la loi les dissidents politiques qui avaient pendant un temps perdu leur nationalité à la suite de leur émigration.
5.4Les auteurs objectent qu’il était impossible pour des nationaux américains de recouvrer la nationalité tchèque avant 1999, c’est‑à‑dire longtemps après la fin de la première période de restitution, en 1991, la deuxième, en 1994. Quand ils ont voulu le faire, entre 1990 et 1993, il leur a été répondu qu’ils étaient obligés de renoncer à leur citoyenneté américaine, conformément au traité de naturalisation de 1928 entre les États‑Unis et l’ancienne Tchécoslovaquie. La loi no 88/1990, du 28 mars 1990, sur la nationalité tchèque dispose en son article II, paragraphe 3 b):
«La nationalité ne peut pas être accordée dans les cas où cela serait en contradiction avec les obligations internationales souscrites par la Tchécoslovaquie.».
Ce traité a cessé d’être applicable en août 1997, et en 1999 le Gouvernement a de nouveau fait droit aux demandes de recouvrement de la nationalité. Les auteurs sont devenus tchèques en 2000.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.2Le Comité relève que, en date du 10 juillet 2002, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré irrecevable une requête analogue déposée par les auteurs. Toutefois, le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la présente communication étant donné que la question n’est plus à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que la République tchèque n’a pas émis de réserve au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui objecte que la communication constitue un abus du droit de plainte conformément à l’article 3 du Protocole facultatif, le Comité relève que les auteurs ont entrepris avec diligence les démarches voulues pour faire valoir leur cause devant les juridictions nationales, jusqu’à l’arrêt de la Cour constitutionnelle, en 1994; après quoi ils ont déposé une requête à la Cour européenne des droits de l’homme. Le Comité note que celle‑ci a rendu son arrêt le 10 juillet 2002 et que les auteurs ont saisi le Comité le 12 février 2006. Il s’est donc écoulé trois ans et sept mois avant que les auteurs ne s’adressent au Comité. Le Comité relève que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour lui adresser des communications et qu’un retard dans la soumission d’une plainte ne constitue pas nécessairement en soi un abus du droit de présenter une communication. Le Comité ne considère pas que le retard en l’espèce soit excessif au point de représenter un abus du droit de plainte et déclare la communication recevable.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Le Comité doit déterminer si l’application aux auteurs de la loi no 87/1991 a constitué une violation de leur droit à l’égalité devant la loi et de leur droit à l’égale protection de la loi, ce qui serait contraire à l’article 26 du Pacte.
7.3Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26 du Pacte. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26.
7.4Le Comité rappelle les constatations qu’il a adoptées dans les affaires Simunek, Adam, Blazek et Des Fours Walderode, dans lesquelles il avait conclu à une violation de l’article 26 du Pacte: «Les auteurs dans ce cas, comme bien d’autres personnes se trouvant dans une situation analogue, avaient quitté la Tchécoslovaquie à cause de leurs opinions politiques et avaient cherché à échapper aux persécutions politiques dans d’autres pays, où ils avaient fini par s’installer définitivement et dont ils avaient obtenu la nationalité. Compte tenu du fait que l’État partie lui‑même est responsable [de leur] départ … il serait incompatible avec le Pacte d’exiger [d’eux] … qu’ils obtiennent la nationalité tchèque pour pouvoir ensuite demander la restitution de [leurs] biens ou, à défaut, le versement d’une indemnité appropriée.». Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence et réaffirme que la condition de nationalité est déraisonnable dans les circonstances de l’espèce.
7.5Le Comité considère que le principe établi dans les affaires mentionnées plus haut s’applique également aux auteurs de la présente communication. Il relève que l’État partie a confirmé que le fait que les auteurs ne remplissaient pas la condition de nationalité a été l’élément central du rejet de leur demande de restitution. Le Comité en conclut que l’application faite aux auteurs de la loi no 87/1991, qui prévoit une condition de nationalité pour que des biens confisqués soient restitués, a représenté une violation des droits garantis à l’article 26 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, qui peut être une indemnisation si les biens en question ne peuvent pas être restitués. Le Comité engage à nouveau l’État partie à revoir sa législation et sa pratique de façon à garantir que toutes les personnes bénéficient à la fois de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
Y. Communication n o 1466/2006, Lumanog c. Philippines*(Constatations adoptées le 20 mars 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
Lenido Lumanog et Augusto Santos (représentés par des conseils, Soliman M. Santos et Cecilia Jimenez) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Philippines |
Date de la communication: |
7 mars 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Retard dans le réexamen d’une condamnation à mort |
Questions de procédure: |
Épuisement des recours internes; griefs non étayés |
Questions de fond: |
Droit d’être jugé sans retard excessif; droit de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure; droit à l’égalité de traitement devant les cours de justice et les tribunaux; peine de mort; détention prolongée ayant nui à la santé de l’auteur |
Articles du Pacte: |
6 (par. 1), 9 (par. 1), 14 (par. 1, 3 c) et 5) |
Articles du Protocole facultatif: |
2, 5 (par. 2 b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 20 mars 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1466/2006 présentée au nom de Lenido Lumanog et Augusto Santos en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1Les auteurs de la communication sont M. Lenido Lumanog et M. Augusto Santos, de nationalité philippine, qui, lorsqu’ils ont présenté la communication, étaient condamnés à mort et incarcérés à la prison de New Bilibid (Muntinlupa City, Philippines). Ils se déclarent victimes d’une violation par les Philippines du paragraphe 1 de l’article 6, du paragraphe 1 de l’article 9, des paragraphes 1, 3 c) et 5 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Ils sont représentés par M. Soliman Santos et Mme Cecilia Jimenez.
1.2Le Pacte est entré en vigueur pour l’État partie le 23 janvier 1986 et le Protocole facultatif le 22 novembre 1989. Le 20 novembre 2007, l’État partie a ratifié le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort.
Contexte juridique de l’affaire
2.1Aux Philippines, les procès pénaux pour meurtre sont menés par des juridictions de première instance régionales qui ont compétence dans la circonscription où l’infraction a été commise. Avant 2004, les appels des jugements des juridictions de première instance régionales prononçant la peine de mort, la réclusion à perpétuité ou l’emprisonnement à vie étaient automatiquement renvoyés à la Cour suprême, c’est‑à‑dire même dans le cas où le condamné lui‑même ne faisait pas appel. Dans les cas où la condamnation prononcée était différente, un recours pouvait être interjeté auprès de la cour d’appel et, en dernier ressort − si la cour d’appel confirmait la condamnation − auprès de la Cour suprême. Or, dans son arrêt dans l’affaire People of the Philippines v. Mateo , rendu le 7 juillet 2004, la Cour suprême, en vertu du pouvoir de promulguer des règles applicables à tous les tribunaux qui lui est conféré par l’article VIII (sect. V) de la Constitution des Philippines, a révisé et modifié la règle du réexamen automatique qui s’appliquait jusqu’alors.
2.2D’après la Cour, «ne serait‑ce qu’afin de garantir que les tribunaux exercent la plus extrême circonspection avant de prononcer la peine de mort, la réclusion à perpétuité ou l’emprisonnement à vie, la Cour estime aujourd’hui sage et impératif de prévoir dans de tels cas un réexamen de la condamnation par la cour d’appel avant que l’affaire ne soit portée devant la Cour suprême. (…) Si la cour d’appel procède préalablement à un réexamen de l’affaire, en particulier sur les points de fait, le risque d’erreur de jugement s’en trouverait réduit.». Ainsi, toutes les affaires de condamnation à mort qui n’avaient pas encore été examinées par la Cour suprême quand celle‑ci a statué dans l’affaire Mateo ont été renvoyées à la cour d’appel pour réexamen.
Rappel des faits présentés par les auteurs
3.1Les auteurs, ainsi que trois autres individus, ont été condamnés à mort pour le meurtre − commis le 13 juin 1996 − de l’ancien colonel Rolando Abadilla par le tribunal de première instance régional de Quezon City, section 103 (affaire pénale no96‑66679‑84 du 30 juillet 1999). Ils sont incarcérés depuis juin 1996. En janvier 2000, le tribunal régional a rejeté leurs demandes de révision et de nouveau procès, et l’affaire a donc été transmise à la Cour suprême, en février 2000, pour que celle‑ci procède au réexamen automatique (appel) de la condamnation à mort.
3.2Tous les mémoires en appel de la défense et de l’accusation avaient été déposés pour le réexamen par la Cour suprême avant juin 2004. Peu de temps après la présentation du dernier mémoire d’appel, le 6 juillet 2004, les auteurs ont déposé une «requête consolidée demandant une décision rapide». Le 10 décembre 2004, ils ont de nouveau déposé une «requête demandant une décision rapide», à laquelle la Cour suprême a répondu par une décision du 18 janvier 2005.
3.3Dans cette décision, la Cour suprême a renvoyé l’affaire à la cour d’appel pour action et décision, conformément à la nouvelle jurisprudence établie dans l’arrêt Mateo.
3.4Les auteurs ont alors déposé, le 24 février 2005, une «requête urgente demandant la révision de la décision de transférer le dossier à la cour d’appel», faisant valoir que la jurisprudence établie par l’arrêt Mateo ne devait pas être appliquée automatiquement à toutes les affaires de condamnation à mort mais devait être appliquée en tenant compte des circonstances particulières de chaque affaire. En outre, ils avançaient que la Cour suprême était en mesure de procéder au réexamen de l’affaire.
3.5En date du 29 mars 2005, la Cour suprême a rejeté la requête, considérant qu’elle manquait de fondement. Une nouvelle demande allant dans le même sens mais davantage étayée a été déposée le 2 juin 2005; toutefois, par une décision datée du 12 juillet 2005, la Cour suprême a confirmé sa décision de transférer l’affaire à la cour d’appel, déclarant que ladite décision était «conforme à l’arrêt Mateo».
3.6L’affaire est en cours de réexamen devant la cour d’appel depuis janvier 2005. N’ayant pas pu obtenir de décision rapide devant la Cour suprême, les auteurs ont déposé une «requête conjointe demandant une décision rapide», en date du 12 septembre 2005. Sur ordonnance de la cour d’appel, l’affaire a été renvoyée pour décision le 29 novembre 2006. Le 11 janvier 2007, en raison de problèmes d’organisation interne à la cour d’appel, l’affaire des auteurs (Cesar Fortuna et consorts) a été renvoyée à un juge nouvellement désigné au sein de la cour.
3.7En ce qui concerne M. Lumanog uniquement, il est allégué que celui‑ci n’a pas obtenu de décision interlocutoire pendant que l’affaire était pendante devant la Cour suprême. Celle‑ci a rejeté sa «requête demandant un nouveau procès et une décision appropriée» par une décision datée du 17 septembre 2002, alors que sa jurisprudence dans des affaires de condamnation à mort avait permis un nouveau procès dans d’autres affaires, par exemple People of Philippines v. Del Mundo . Par une décision ultérieure, datée du 9 novembre 2004, la Cour suprême a rejeté une autre requête déposée par M. Lumanog, qui avait reçu une greffe de rein en 2003 et qui demandait à retourner à l’hôpital spécialisé dans les affections du rein où il avait été traité en 2002, au lieu d’être placé dans l’hôpital général de la prison. Actuellement, M. Lumanog est retourné dans sa cellule, à sa demande, car il préférait être là plutôt qu’à l’hôpital de la prison.
Teneur de la plainte
4.1Les auteurs se déclarent victimes d’une violation du paragraphe 1 de l’article 6, du paragraphe 1 de l’article 9, des paragraphes 1, 3 c) et 5 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte.
4.2Les auteurs précisent que leur plainte ne porte pas sur le jugement du tribunal de première instance régional de Quezon City ni sur toutes autres délibérations quant au fond de leur condamnation. Leur plainte se limite à des violations alléguées du Pacte qui découleraient du transfert de leur affaire de la Cour suprême à la cour d’appel.
4.3Les auteurs affirment que la décision de la Cour suprême de ne pas réexaminer leur affaire et de la renvoyer à la cour d’appel constitue une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte dans la mesure où elle viole le droit de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure. Ils affirment que le droit d’appel suppose le droit à un recours utile; étant donné que le réexamen de l’affaire est resté pendant devant la Cour suprême cinq années, puis a été renvoyé à la cour d’appel qui n’avait aucune connaissance de l’affaire et devait donc étudier le dossier dans sa globalité, le droit de faire réexaminer la condamnation devient illusoire.
4.4Les auteurs affirment que pour la même raison il y a violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte, puis que l’affaire est restée pendante cinq années devant la Cour suprême et qu’elle était en état d’être examinée lorsqu’elle a été renvoyée à la cour d’appel, ce qui a reporté l’audience de façon déraisonnable. La cour d’appel est saisie de l’affaire depuis janvier 2005.
4.5Les auteurs font valoir en outre que la décision de la Cour suprême constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, lu conjointement avec l’article 26, parce que dans des affaires analogues (par exemple People of Philippines v. Francisco Larrañaga, 3 février 2004), la Cour suprême a refusé de renvoyer l’affaire à la cour d’appel et a décidé de la réexaminer elle‑même. De plus, en ce qui concerne M. Lumanog, ils font valoir que le rejet des requêtes que celui‑ci avait présentées pour être rejugé et admis dans un hôpital spécialisé dans les greffes de reins était discriminatoire et a constitué une violation du paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec l’article 26.
4.6Les auteurs affirment que, étant donné que la notion de procès équitable doit être comprise comme garantissant le droit à un procès sans retard excessif, tous les éléments énumérés plus haut constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 14, en particulier du droit de chacun à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial.
4.7Les auteurs invoquent une violation du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, étant donné que les violations alléguées de l’article 14 se sont produites dans le contexte d’une condamnation à la peine capitale avec une détention d’une durée excessive, ce qui a eu des conséquences très préjudiciables pour les auteurs et tout particulièrement pour M. Lumanog.
4.8Par une lettre datée du 28 février 2007, les conseils présentent des observations supplémentaires et font valoir qu’il y a eu une aggravation de la violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 6 et des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14. Selon les auteurs, le transfert du dossier, le 11 janvier 2007, à un juge nouvellement affecté à la cour d’appel entraînera des retards supplémentaires dans la procédure d’examen, étant donné que ce nouveau juge sera obligé d’étudier le dossier intégralement. À cette situation s’ajoute une nouvelle aggravation de l’état de santé de M. Lumanog. Un rapport médical daté du 16 février 2007 est joint à cet égard.
4.9Les auteurs affirment que − étant donné que la plainte porte uniquement sur la décision de la Cour suprême de transférer le réexamen de leur affaire à la cour d’appel − les recours internes ont été épuisés. Un nouveau renvoi du dossier de la cour d’appel à la Cour suprême ne ferait que retarder encore la décision finale et serait préjudiciable aux auteurs.
4.10Les auteurs demandent au Comité de recommander à l’État partie de donner instruction à la cour d’appel de statuer rapidement sur leur affaire afin de remédier autant que possible aux conséquences du retard causé par le transfert de l’affaire par la Cour suprême. Le Comité devrait recommander à la Cour suprême de revoir sa position énoncée dans l’arrêt Mateo, en particulier s’agissant d’affaires anciennes sur lesquelles elle pourrait se prononcer aisément.
4.11Enfin, les auteurs affirment que leur plainte, telle qu’elle est exposée plus haut, n’a pas été soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
5.1Dans une note verbale datée du 4 juillet 2006, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés. Il objecte que le transfert de l’affaire à la cour d’appel a obéi à une modification apportée au règlement révisé des juridictions pénales (sect. 3 et 10, art. 122), qui dispose que quand la peine capitale a été prononcée, l’affaire doit être portée devant la cour d’appel pour réexamen. Cette modification a été apportée à la suite de l’arrêt rendu le 7 juillet 2004 dans l’affaire People of the Philippines v. Mateo et, à partir de cette date, toutes les affaires de condamnation à mort que la Cour suprême n’avait pas encore réexaminées ont été automatiquement renvoyées à la cour d’appel, pour réexamen et décision.
5.2L’État partie relève que les auteurs n’ont jamais soulevé d’objection à la modification du règlement révisé des juridictions pénales devant les tribunaux nationaux et n’ont donc pas épuisé les recours internes, comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
5.3En date du 2 novembre 2006, l’État partie a fait parvenir des observations sur le fond de la communication. En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, il affirme que ce grief n’est pas fondé étant donné que les auteurs ont fait appel de la décision de la juridiction de jugement, exerçant ainsi le droit de faire réexaminer la déclaration de culpabilité par une juridiction supérieure prévu au paragraphe 5 de l’article 14.
5.4En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 3 c) de l’article 14, l’État partie fait valoir qu’une telle violation peut se produire uniquement si la longueur de la procédure est due à «des actes dilatoires injustifiés, capricieux et à visées répressives». Ce n’est qu’en juin 2004 que l’affaire s’est trouvée en état d’être réexaminée, lorsque tous les mémoires nécessaires aux délibérations ont été présentés. Le 18 janvier 2005 − c’est‑à‑dire moins d’un an après que l’affaire eut été en état d’être tranchée −, la Cour suprême a renvoyé le dossier à la cour d’appel, suite à la modification du Règlement intérieur consécutive à l’arrêt Mateo. D’après les nouvelles règles, en cas de condamnation à mort, la cour d’appel doit être saisie. Ce n’est qu’ensuite, si les circonstances le justifient, que le dossier peut être renvoyé à la Cour suprême pour décision finale. La modification apportée à la suite de l’arrêt Mateo met en place un degré de juridiction supplémentaire pour l’examen des affaires dans lesquelles la peine capitale a été prononcée.
5.5En ce qui concerne l’allégation des auteurs qui affirment que le droit à l’égale protection devant la loi a été violé parce que dans une affaire analogue (People of Philippines v. Francisco Larrañaga) la Cour suprême a rejeté la requête de Larrañaga demandant le renvoi de son affaire à la cour d’appel et a statué elle‑même, l’État partie indique que la Cour suprême s’est prononcée sur cette affaire le 3 février 2004, c’est‑à‑dire cinq mois avant l’arrêt Mateo. Après cette décision, l’accusé Larrañaga a déposé une requête demandant le réexamen de son affaire par la cour d’appel, requête qui a été rejetée. L’État partie conclut que l’affaire Larrañaga diffère considérablement du cas d’espèce puisque la Cour suprême n’avait pas encore statué sur des questions de fait quand l’arrêt Mateo a été rendu.
5.6En ce qui concerne la discrimination qui aurait été exercée dans le cas de M. Lumanog, à cause du refus de la Cour suprême de faire droit à sa demande de nouveau procès, l’État partie fait valoir que dans le système pénal philippin, la cour peut autoriser un nouveau procès uniquement: a) en cas d’erreurs de droit ou d’irrégularités commises pendant le procès; b) si des nouveaux éléments de preuve apparaissent, que l’accusé en agissant avec une diligence raisonnable ne pouvait pas produire au procès. Dans le cas cité par M. Lumanog, c’est‑à‑dire l’affaire People v. Del Mundo, la Cour suprême a accepté que l’intéressé soit rejugé parce qu’il avait produit de nouveaux éléments pertinents. Dans la présente affaire, l’auteur n’a pas montré que toutes les conditions nécessaires pour obtenir un nouveau procès étaient réunies. En ce qui concerne l’argument de M. Lumanog selon lequel le rejet de sa requête demandant à ce qu’il soit admis à l’hôpital spécialisé dans les affections rénales constituait une discrimination, l’État partie affirme que la décision de la Cour suprême était fondée sur un examen approfondi de toutes les circonstances de la cause, y compris de l’état de santé de M. Lumanog.
5.7En ce qui concerne le grief des auteurs qui affirment que leur détention prolongée, en particulier dans le cas de M. Lumanog qui avait subi une greffe du rein, constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, l’État partie objecte que les auteurs ont été incarcérés à l’issue d’un jugement en bonne et due forme, rendu par une juridiction de jugement qui offrait toutes les garanties d’un procès équitable, et qui les a reconnus coupables de meurtre. L’État partie rappelle que les auteurs ne vivent pas «dans l’horrible hantise de l’exécution» puisque les Philippines ont aboli la peine de mort le 25 juillet 2006.
Commentaires des auteurs
6.1Dans une réponse du 17 janvier 2007, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie.
6.2En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, ils font valoir qu’ils ont bien soulevé devant les autorités internes une objection à la modification du règlement relatif aux juridictions pénales. Ainsi, deux requêtes ont été déposées au nom de M. Santos: une «requête conjointe urgente demandant le réexamen du transfert de l’affaire à la cour d’appel», déposée le 24 février 2005, et une «requête conjointe urgente demandant une explication et le réexamen de la décision du 29 mars 2005 refusant de reprendre le dossier à la cour d’appel», déposée le 2 juin 2005. Malgré ces requêtes, la Cour suprême n’est pas revenue sur sa décision de transférer l’affaire à la cour d’appel. De plus, les auteurs indiquent que si une règle de procédure nouvelle peut être modifiée par la jurisprudence − comme c’est arrivé avec l’arrêt Mateo −, alors une autre décision judiciaire pourrait très bien être à l’origine d’une nouvelle modification ou d’un nouvel amendement. En conclusion, les auteurs font valoir que les «requêtes urgentes de réexamen» susmentionnées représentaient le dernier recours interne disponible puisque la Cour suprême est l’autorité judiciaire ultime.
6.3Sur le fond, les auteurs objectent que leurs principaux griefs portent sur les paragraphes 5 et 3 c) de l’article 14, que le Comité devrait examiner ensemble. En ce qui concerne le paragraphe 5 de l’article 14, ils font valoir que ce n’est pas parce qu’ils ont fait appel du jugement rendu en première instance que le droit de faire réexaminer la déclaration de culpabilité par une juridiction supérieure a été respecté. Ils réaffirment que le droit d’appel suppose le droit de disposer d’un recours effectif et que le fait que l’affaire soit restée cinq années pendante devant la Cour suprême rend ce recours ineffectif. Lorsque le dossier a été renvoyé à la cour d’appel, la Cour suprême était en mesure de se prononcer. En revanche, la cour d’appel n’avait aucune connaissance des éléments de procédure et de fait.
6.4La violation du droit d’être jugé sans retard excessif garanti au paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte est liée à la violation du paragraphe 5 de l’article 14. Les auteurs font valoir que le transfert par la Cour suprême du dossier à la cour d’appel a ajouté plus de deux ans aux cinq années durant lesquelles l’affaire a été pendante devant la Cour suprême. Les auteurs sont incarcérés depuis juin 1996 et l’affaire n’est toujours pas tranchée, pour des raisons qui ne leur sont pas imputables.
6.5En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26, les auteurs font valoir que s’il est vrai que dans l’affaire Larrañaga la Cour suprême avait déjà réexaminé le jugement de condamnation à mort avant que l’arrêt Mateo soit rendu, cette décision n’était pas définitive et aurait très bien pu être réexaminée par la cour d’appel. Les auteurs ajoutent que, dans l’affaire Larrañaga, la Cour suprême avait rejeté la requête parce qu’elle était «dénuée de fondement» et non pour des motifs de procédure. S’il est vrai que dans le système judiciaire philippin c’est la cour d’appel qui statue sur les points de fait, la Cour suprême a néanmoins dans tous les cas le pouvoir discrétionnaire d’examiner les questions de fait. Les auteurs affirment que le droit à l’égalité devant la loi a été violé parce que, même en présence de circonstances analogues, la Cour suprême a refusé de se prononcer dans leur cas, alors qu’elle a usé de son pouvoir discrétionnaire de statuer sur le fond dans l’affaire Larrañaga.
6.6En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 9, les auteurs font valoir que, même si la peine de mort a été abolie en juin 2006 (sic), le droit à la vie devrait être interprété dans un sens large comme le droit à une «vie de qualité». Les conditions dans lesquelles ils sont incarcérés sont incompatibles avec ce droit. Le même argument est appliqué à l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 9.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
7.3Pour ce qui est de l’obligation d’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que les auteurs n’avaient pas soulevé d’objection aux nouvelles règles de procédure pénale applicables devant les juridictions nationales. Le Comité considère toutefois que les recours internes ont été épuisés dans la mesure où les auteurs ont contesté le renvoi de leur appel par la Cour suprême à la cour d’appel en déposant deux requêtes devant la Cour suprême, les 24 février et 2 juin 2005, qui ont toutes deux été rejetées.
7.4Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14 lu conjointement avec l’article 26 du Pacte au motif que dans des affaires analogues la Cour suprême a refusé de transférer le dossier à la cour d’appel et a décidé de se prononcer elle‑même, le Comité estime qu’il n’est pas compétent pour comparer le cas d’espèce avec d’autres affaires examinées par la Cour suprême. Par conséquent, cette partie de la communication n’est pas recevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.5En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 à l’égard de M. Lumanog uniquement, qui aurait subi une discrimination du fait de la décision de la Cour suprême de rejeter ses requêtes demandant un nouveau procès, le Comité estime également que ce grief est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif dans la mesure où il n’est pas compétent pour comparer le cas d’espèce avec d’autres affaires examinées par la Cour suprême. S’agissant du rejet de sa demande d’admission dans un hôpital spécialisé dans les maladies rénales, le Comité estime que cette allégation n’a pas été suffisamment étayée et la déclare donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.6Pour ce qui est du grief de M. Lumanog concernant une violation du paragraphe 1 de l’article 6 au motif que sa détention à la prison nationale de Bilibid est incompatible avec son état de santé, le Comité note que, malgré les rapports médicaux, cette plainte n’est pas suffisamment étayée, compte tenu également de son refus d’être admis à l’hôpital général de la prison. Selon le Comité, cette plainte est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.7En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, le Comité estime également que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée et la déclare irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.8S’agissant de l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, le Comité relève que le recours des auteurs demeure pendant devant la cour d’appel, juridiction supérieure au sens du paragraphe 5 de l’article 14, qui a été saisie de la question pour réexaminer tous les points de fait afférents à la condamnation des auteurs. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.9En conséquence, le Comité décide que la communication est recevable uniquement en ce qu’elle soulève des questions au regard du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.
Examen au fond
8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées.
8.2Pour ce qui est d’une éventuelle violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, le Comité estime que ce grief n’a plus lieu d’être depuis que le Parlement philippin a aboli la peine de mort, en juillet 2006.
8.3En ce qui concerne le grief des auteurs au titre du paragraphe 3 c) de l’article 14, on peut noter que le droit d’un accusé d’être jugé sans retard excessif s’entend non seulement du délai entre la mise en accusation officielle de l’accusé et le moment où le procès doit s’ouvrir, mais aussi du temps écoulé jusqu’au jugement définitif en appel. Toutes les étapes de la procédure, que ce soit en première instance ou en appel, doivent être menées à bien «sans retard excessif». Par conséquent, le Comité ne doit pas limiter son examen exclusivement à la partie de la procédure judiciaire qui s’est déroulée après le transfert de l’affaire par la Cour suprême à la cour d’appel; il doit tenir compte de l’ensemble du temps écoulé, c’est‑à‑dire depuis le moment où les auteurs ont été inculpés jusqu’à la décision finale rendue par la cour d’appel.
8.4Le Comité rappelle que le droit de l’accusé d’être jugé sans retard excessif, vise certes à éviter de laisser trop longtemps des individus dans un état d’incertitude concernant leur sort et, s’ils sont placés en détention pendant la durée du procès, à garantir que la privation de liberté ne dure pas plus longtemps qu’il n’est nécessaire dans les circonstances d’une affaire particulière, mais vise aussi à servir les intérêts de la justice. À cet égard, le Comité note que les auteurs sont incarcérés depuis 1996 et que la condamnation prononcée le 30 juillet 1999 est restée cinq ans pendante devant la Cour suprême avant d’être renvoyée à la cour d’appel, le 18 janvier 2005. À ce jour, plus de trois ans se sont écoulés depuis le transfert du dossier à la cour d’appel et l’affaire n’a toujours pas été examinée.
8.5Le Comité considère que la mise en place d’un degré de juridiction supplémentaire pour le réexamen des affaires de condamnation à mort est une mesure positive du point de vue de la personne accusée. Il n’en demeure pas moins que les États parties ont l’obligation d’organiser leur système d’administration de la justice de telle sorte qu’il garantisse le règlement efficace et prompt des affaires. De l’avis du Comité, l’État partie n’a pas tenu compte des conséquences, en termes de retard excessif, que la modification de sa procédure pénale entraînait dans le cas de l’espèce, où le réexamen d’une condamnation pénale était en instance devant la Cour suprême depuis de nombreuses années et aurait probablement eu lieu peu de temps après la modification des règles de procédure.
8.6Le Comité est d’avis que, dans les circonstances exposées plus haut, rien ne justifie le retard mis à statuer sur l’appel, étant donné que plus de huit ans ont passé sans que la déclaration de culpabilité et la condamnation des auteurs aient été examinées par une juridiction supérieure. Il considère donc que les droits des auteurs ont été violés au titre du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.
9.Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.
10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, notamment le prompt réexamen de l’appel qu’ils ont formé devant la cour d’appel et une indemnisation pour le retard excessif dans la procédure. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour éviter des violations similaires à l’avenir.
11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
Z. Communication n o 1474/2006, Prince c. Afrique du Sud*(Constatations adoptées le 31 octobre 2007, quatre ‑vingt ‑onzième session)
Présentée par: |
Gareth Anver Prince (représenté par un conseil, M. Frans Viljoen) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Afrique du Sud |
Date de la communication: |
20 octobre 2005 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Utilisation religieuse du cannabis |
Questions de procédure: |
Épuisement des recours internes; examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; recevabilité ratione temporis; effets continus |
Questions de fond: |
Liberté de religion; manifestation de sa religion; discrimination indirecte; droit des minorités de pratiquer leur propre religion |
Articles du Pacte: |
18, 26 et 27 |
Articles du Protocole facultatif: |
1 et 5 (al. a et b) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 octobre 2007,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1474/2006, présentée au nom de M. Gareth Anver Prince en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est M. Gareth Anver Prince, de nationalité sud‑africaine, né le 6 décembre 1969. Il se dit victime de violations, par l’Afrique du Sud, des droits qui lui sont reconnus au titre du paragraphe 1 de l’article 18, de l’article 26 et de l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur, pour l’Afrique du Sud, le 10 mars 1999 et le 28 novembre 2002, respectivement. L’auteur est représenté par un conseil, M. Frans Viljoen.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur est un adepte de la religion rastafarienne, qui a pris naissance en Jamaïque puis en Éthiopie, sous la forme d’un mouvement de conscience de la négritude ayant pour but d’en finir avec le colonialisme, l’oppression et la domination. Il y a environ 12 000 rastafariens en Afrique du Sud. L’utilisation du cannabis sativa (cannabis) est au cœur de la religion rastafarienne. Il est utilisé lors des rassemblements religieux et dans l’intimité du foyer, où cela ne peut choquer autrui. Le cannabis est fumé lors des cérémonies religieuses dans un narguilé pour célébrer la Sainte Communion, et il est également brûlé comme encens. En privé, le cannabis est également utilisé comme encens, pour le bain, pour fumer, boire et manger. En Afrique du Sud, tous les rastafariens n’appartiennent pas à des organisations formelles, mais il existe quatre maisons rastafariennes ainsi qu’un Conseil national rastafarien (Rastafari National Council).
2.2L’auteur a obtenu tous les diplômes nécessaires pour devenir avocat. Avant d’être autorisé à exercer, en Afrique du Sud, les futurs avocats doivent non seulement obtenir les diplômes universitaires requis, mais accomplir également une période de service d’intérêt général exigé par la loi intitulée Attorneys Act. L’auteur s’est adressé à l’organisme compétent (la Law Society du Cap de Bonne Espérance) pour faire enregistrer son contrat de service d’intérêt général. Pour se prononcer, la Law Society doit déterminer si le candidat est une «personne apte et convenable». Un passé judiciaire ou une propension à la délinquance sont susceptibles de compromettre le résultat de l’évaluation.
2.3En vertu de la loi sur les stupéfiants et le trafic de stupéfiants (Drugs and Drug Trafficking Act) et de la loi sur le contrôle des médicaments et des substances apparentées (Medicines and Related Substances Control Act), le fait de posséder ou d’utiliser du cannabis constitue entre autres une infraction. Ces lois prévoient des exceptions, dans des conditions spécifiées, pour les patients, les médecins, les dentistes, les pharmaciens, d’autres professionnels ou quiconque s’est trouvé «par ailleurs d’une manière légale en possession d’une substance interdite».
2.4Lorsqu’il a présenté sa demande à la Law Society, l’auteur a révélé qu’il avait été par deux fois reconnu coupable de possession de cannabis, et a exprimé son intention de continuer à utiliser le cannabis pour suivre les préceptes de sa religion. Sa demande d’enregistrement pour le service d’intérêt général a par conséquent été refusée. Il s’est alors trouvé dans la situation de devoir choisir entre sa foi et sa carrière d’avocat.
2.5L’auteur a fait valoir devant les tribunaux sud-africains que le fait que la législation pertinente ne comporte pas d’exception autorisant les rastafariens authentiques à posséder et à utiliser le cannabis à des fins religieuses constitue une violation de ses droits constitutionnels au titre de la Charte sud‑africaine des droits. Le 23 mars 1998, la High Court du Cap a rejeté le recours en révision de la décision rendue par la Law Society qu’avait formé l’auteur. Le 25 mai 2000, la Cour suprême a rejeté son appel. La Cour constitutionnelle a rendu deux arrêts, le 12 décembre 2000 et le 25 janvier 2002. Dans ce dernier arrêt, par une majorité de 5 voix contre 4, la Cour constitutionnelle a statué que, même si la loi sur les stupéfiants limitait les droits constitutionnels de l’auteur, cette limitation était raisonnable et justifiée en vertu de l’article 36 de la Constitution. La minorité a jugé inconstitutionnelle l’interdiction de l’utilisation et de la possession de cannabis dans la pratique religieuse lorsqu’elle ne crée pas de risque inacceptable pour la société et l’individu, et a considéré que le Gouvernement devait autoriser une exception.
2.6En 2002, l’auteur s’est adressé à la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. La question posée était celle de savoir si l’absence d’exception, pour les rastafariens authentiques, à l’interdiction d’utiliser et de posséder du cannabis à des fins religieuses était une violation de la Charte africaine. En décembre 2004, la Commission africaine a conclu qu’il n’y avait pas eu violation des droits de l’auteur, contrairement aux allégations de celui‑ci.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme qu’il y a violation du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte, et renvoie à l’Observation générale no 22, aux termes de laquelle le concept de culte «comprend les actes rituels et cérémoniels exprimant directement une conviction». L’auteur est un adepte authentique du rastafarisme. L’utilisation du cannabis est admise comme faisant partie intégrante de cette religion et comme élément fondamental de sa pratique. L’auteur affirme que l’État partie a l’obligation positive de prendre des mesures pour protéger de facto le droit de l’auteur à la liberté de religion.
3.2L’auteur fait valoir que son cas est différent de l’affaire Bhinder c. Canada, parce que la justification de la restriction en l’espèce est beaucoup moins concrète, et que l’absence d’exception en faveur des rastafariens répond à des considérations pragmatiques telles que le coût à assumer et les difficultés à surmonter pour appliquer et faire respecter une exception. L’auteur est pleinement informé de tout risque éventuel qu’il pourrait courir personnellement, et il est disposé à l’accepter. Il fait valoir que le souci légitime d’éviter les effets préjudiciables liés à l’utilisation de substances dangereuses engendrant la dépendance ne nécessite pas d’interdiction générale de l’utilisation et de la possession de cannabis à des fins religieuses. Cette restriction est excessive en ce qu’elle affecte toutes les utilisations de cannabis par les rastafariens, quelles qu’en soient la forme, la quantité concernée ou les circonstances, alors que l’utilisation du cannabis à des fins religieuses prend de nombreuses formes. Une exception ciblée ne déclencherait pas une vague d’utilisation illicite; et rien ne prouve qu’une exception entraînerait des risques notables pour la santé ou la sécurité de la société dans son ensemble. Refuser de reconnaître à l’auteur le droit à la liberté de religion est disproportionné à ce qui est nécessaire pour atteindre un objectif légitime.
3.3L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 26, parce que le fait de ne pas distinguer la religion rastafarienne des autres religions constitue une discrimination. Il est contraint de choisir entre la fidélité aux préceptes de sa religion et le respect des lois du pays.
3.4L’auteur affirme que le fait de ne pas chercher à établir une exception effective en faveur des rastafariens représente une violation de l’article 27. Le rastafarisme a un caractère essentiellement collectif en ce qu’il représente une manière de vivre particulière, en commun avec les autres. Ce mode de vie a de profondes racines africaines.
3.5L’auteur affirme que sa communication est recevable. Elle n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, étant donné que la Commission africaine s’est déjà prononcée sur le fond. Il a épuisé les recours internes, son affaire ayant été examinée par la Cour suprême d’appel et par la Cour constitutionnelle.
3.6L’auteur fait valoir que sa plainte est recevable ratione temporis. Bien que les juridictions nationales aient rendu leur jugement avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie en 2002, les violations alléguées constituent des «violations qui perdurent» ayant des «effets persistants», qui se prolongent pendant la période postérieure à l’entrée en vigueur du Protocole jusqu’au moment présent. La loi intitulée Attorneys Act 53 de 1979 ainsi que la loi sur les stupéfiants et le trafic de stupéfiants intitulée Drugs and Drug Trafficking Act 140 de 1992 demeurant en vigueur, le cadre législatif constitue toujours un obstacle à la libre expression par l’auteur de son droit à une religion. L’auteur renvoie à l’affaire Lovelace c. Canadaet fait valoir que sa communication concerne l’effet persistant de la loi sur les avocats (Attorneys Act) et de la loi sur le trafic de stupéfiants (Drugs Traffic Act), d’où il résulte qu’il ne peut se faire enregistrer pour le service d’intérêt général par la Law Society.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1Le 24 juillet 2006, l’État partie a présenté des observations sur la recevabilité de la communication. Il fait valoir que les recours internes n’ont pas été épuisés car l’auteur, lorsqu’il s’est adressé aux tribunaux nationaux, n’a pas demandé que l’interdiction du cannabis soit déclarée inconstitutionnelle et non valable, et qu’elle soit retirée des lois en question en faveur de l’ensemble de la population, ce qui est la manière habituelle de contester les dispositions législatives considérées comme incompatibles avec la Constitution. L’auteur s’est borné à contester la constitutionnalité des lois interdisant l’utilisation du cannabis dans la mesure où ces lois ne comportaient pas d’exception en faveur d’une minorité de 10 000 personnes visant à autoriser l’utilisation du cannabis à des fins religieuses. L’État partie estime que la raison pour laquelle l’interdiction de la possession et de l’utilisation du cannabis reste en vigueur est le résultat de la démarche peu judicieuse adoptée par l’auteur devant les juridictions nationales.
4.2L’État partie affirme que la communication est irrecevable ratione temporis. Le Protocole facultatif est entré en vigueur, pour l’État partie, le 28 novembre 2002. Les faits et les actions intentées devant les tribunaux nationaux se sont déroulés avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, puisque la Cour constitutionnelle a rendu son arrêt définitif le 25 janvier 2002. Quant à l’argument de l’auteur selon lequel cette violation a des effets persistants parce que les lois en question interdisent toujours la possession et l’utilisation du cannabis, l’État partie le considère comme non recevable parce que l’auteur n’a pas demandé que ces lois d’interdiction soient déclarées inconstitutionnelles et non valables. L’auteur ne peut donc affirmer que le fait que ces lois s’appliquent encore constitue une violation persistante. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle les effets persistants peuvent être considérés comme une confirmation des violations antérieures alléguées. Il fait observer qu’il n’a pas eu à confirmer les dispositions concernées des lois pertinentes, qui demeurent inchangées.
4.3L’État partie rappelle que les mêmes faits ont déjà été examinés par la Commission africaine, qui n’a constaté aucune violation de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. L’État partie est d’avis que le Comité devrait élargir l’interprétation littérale qu’il fait de l’expression «en cours d’examen» pour se pencher sur des questions de fond telles que le phénomène du «recours» d’un organe à un autre, car il existe un risque considérable de «recherche du for le plus favorable en matière de droits de l’homme». Selon lui, la présente affaire offre au Comité la possibilité de donner des indications claires, dans un esprit novateur et créatif, sur la manière dont il entend contribuer au maintien d’un système international des droits de l’homme unifié, crédible et respecté.
4.4Le 24 novembre 2006, l’État partie a communiqué des observations sur le fond. Il fait valoir que si sa législation a bien pour effet de limiter le droit à la liberté de religion des rastafariens, cette restriction est raisonnable et justifiée au sens de la clause énoncée au paragraphe 3 de l’article 18. En outre, cette restriction est proportionnée et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes énoncés dans cet article, à savoir la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publics, ou de la morale et des libertés et droits fondamentaux d’autrui. La High Court du Cap, la Cour suprême et la Cour constitutionnelle ont toutes conclu que la législation dont l’auteur se plaignait limitait ses droits constitutionnels, mais que cette restriction était raisonnable et justifiée au regard de l’article 36 de la Constitution de l’État partie.
4.5Pour l’État partie, la question essentielle qui se pose au Comité n’est pas celle de savoir s’il y a eu restriction des droits des rastafariens, mais si cette restriction s’inscrit dans le cadre de la clause énoncée au paragraphe 3 de l’article 18. Il souligne qu’au niveau national, l’auteur n’a pas contesté la constitutionnalité de l’interdiction de posséder et d’utiliser du cannabis, reconnaissant que cette interdiction répond à un objectif légitime, mais a prétendu que cette interdiction est trop large et qu’une exception devrait être faite pour l’utilisation religieuse du produit par les rastafariens. Dans la procédure intentée devant la High Court du Cap, l’auteur a demandé que la possession et l’utilisation du cannabis à des fins religieuses par les rastafariens soient légalisées. En appel, il a demandé qu’une exception soit également accordée pour le transport et la culture du cannabis, puis, devant la Cour constitutionnelle, l’exception demandée était beaucoup plus large car il s’agissait de l’importation et du transport du cannabis vers des centres d’utilisation et de distribution destinés aux rastafariens. Il s’ensuit que l’objet du recours présenté par l’auteur, concrètement, est d’obtenir une exception afin de légaliser toute la chaîne des opérations englobant la culture, l’importation, le transport, l’offre et la vente de cannabis aux rastafariens. En pratique, la seule solution possible serait de créer et de mettre en œuvre une chaîne «légale» d’offre de cannabis, qui fonctionnerait parallèlement et à titre d’exception au commerce illicite de cannabis. Dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle de 2002, la majorité a conclu, après avoir étudié attentivement la clause de restriction figurant à l’article 36 de la Constitution et la législation étrangère applicable, que l’objet du recours ne pouvait être mis en œuvre dans la pratique.
4.6En concluant que l’interdiction «générale» de l’utilisation du cannabis était proportionnée à l’objectif légitime de protéger le public des dommages causés par l’usage des drogues, la Cour constitutionnelle a soigneusement mesuré l’importance de cette restriction, les liens entre la restriction et son but, ainsi que l’effet qu’une exception pour des raisons religieuses aurait sur l’objectif global de cette restriction, par rapport au droit de l’auteur à la liberté de religion. Elle a pris en compte la nature et l’importance de ce droit dans une société démocratique fondée sur la dignité humaine, l’égalité et la liberté, l’importance de l’usage du cannabis dans la religion rastafarienne et l’effet de cette restriction sur le droit de pratiquer sa religion.
4.7Concernant la mention de l’affaire Bhinder par le conseil qui a affirmé que le fait d’autoriser une exception en faveur des rastafariens ne présenterait guère de danger pour la sécurité ou la santé publiques, l’État partie réaffirme que l’application d’un système de permis serait source de difficultés pratiques et qu’il est impossible d’empêcher une substance dangereuse d’échapper au système de contrôle et de menacer l’ensemble de la société. La Cour constitutionnelle a examiné des rapports d’expertise médicale démontrant les effets préjudiciables du cannabis et les a suivis.
4.8L’État partie invoque la décision d’irrecevabilité rendue par le Comité dans l’affaire M.A.B., W.A.T. et J. ‑A.Y.T. c. Canada, dans laquelle il a considéré que l’utilisation du cannabis à des fins religieuses ne saurait entrer dans le champ d’application de l’article 18. L’État partie conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 18.
4.9En ce qui concerne le grief invoqué par l’auteur au titre de l’article 26, l’État partie rappelle que les distinctions sont justifiées, à condition qu’elles soient fondées sur des critères raisonnables et objectifs, ce qui dépend des circonstances spécifiques et de la situation générale du pays concerné. Il renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire Broeks, dans lesquelles le Comité a soutenu que «le droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, sans discrimination, ne donne pas un caractère discriminatoire à toutes les différences de traitement. Une différence fondée sur des critères raisonnables et objectifs n’équivaut pas à un acte discriminatoire, au sens de l’article 26».
4.10La législation de l’État partie et la restriction applicable au cannabis s’appliquent de manière égale à tous, aux rastafariens comme aux autres. Par conséquent, cette restriction ne viole pas le droit à l’égalité de traitement ni à l’égalité devant la loi. L’auteur revendique le droit d’obtenir des mesures concrètes, qui se solderaient par d’importants coûts financiers et administratifs, en faveur des rastafariens afin que ce groupe soit à égalité avec tous les autres groupes religieux. Mais un traitement spécial de ce type en faveur des rastafariens pourrait être interprété comme une forme de discrimination contre d’autres groupes de la société qui estiment aussi avoir des besoins spéciaux et des prétentions légitimes à être exemptés de l’application de certaines dispositions de la législation interne. Les obligations énoncées à l’article 26 concernent l’égalité, la non‑discrimination et l’égale protection de la loi, normes qui sont également inscrites et protégées dans la Constitution de l’État partie. Une égale protection dans ce contexte n’implique pas l’obligation de prévoir des exceptions pour certaines catégories de personnes.
4.11En ce qui concerne le grief formulé par l’auteur au titre de l’article 27, l’État partie fait observer que sa Constitution contient le même droit formulé en des termes presque identiques. Il est reconnu de part et d’autre que les rastafariens forment un groupe religieux minoritaire dans la société sud‑africaine. Lorsqu’elle s’est prononcée, la Cour constitutionnelle a pris en considération la protection apportée aux groupes religieux minoritaires, comme les rastafariens, aux termes du paragraphe 1 de l’article 15, et de l’article 31 de la Constitution, ainsi que la protection constitutionnelle dont a besoin un petit groupe vulnérable et marginalisé comme les rastafariens. La Cour a conclu que l’objet du recours de l’auteur était difficile à mettre en œuvre et a constaté que la législation citée énonçait des restrictions raisonnables et justifiées au droit à la liberté de religion, notamment dans le contexte des dispositions de l’article 31 de la Constitution concernant les liens à établir avec d’autres organes de la société.
4.12L’État partie souligne que l’auteur n’a pas agi au nom des rastafariens en tant que groupe devant les juridictions nationales et devant le Comité. De surcroît, il n’a pas présenté au Comité de faits pour étayer son opinion selon laquelle les rastafariens en tant que groupe minoritaire font l’objet d’une discrimination qui les stigmatise. Si le droit d’utiliser le cannabis pendant des cérémonies religieuses n’est pas accordé aux membres d’un groupe minoritaire en raison de restrictions raisonnables et justifiées, un tel droit ne saurait se transformer en droit collectif, car les mêmes restrictions s’appliqueront.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Le 31 janvier 2007, l’auteur a fait des commentaires sur les observations de l’État partie, réaffirmant que sa communication était recevable. Concernant l’irrecevabilité ratione temporis invoquée par l’État partie, l’auteur fait valoir que si la violation ou ses effets persistent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif alors, bien que l’entrée en vigueur du Protocole soit postérieure à la violation elle‑même, il convient de conclure à une violation persistante et de déclarer la communication recevable. La Cour constitutionnelle a exprimé l’avis que la législation en cause dans l’affaire est constitutionnelle. Cette législation est encore en vigueur. On ne saurait s’attendre que l’auteur «produise» les mêmes arguments devant les mêmes tribunaux concernant la même législation − en fait, par une telle démarche, l’auteur se verrait répondre par les tribunaux qu’il s’agit d’une chose jugée, ou que l’affaire est sans objet. Quoi qu’il en soit, l’auteur est dans l’impossibilité de se faire enregistrer pour le contrat de service d’intérêt général, qui est exigé pour exercer en tant qu’avocat; il ne peut donc embrasser la profession qu’il a choisie à cause de ses convictions religieuses.
5.2Sur la question de l’épuisement des recours internes, l’auteur reconnaît que les actions intentées devant les tribunaux sud-africains ne visaient pas à contester la constitutionnalité de l’interdiction générale visant la possession et l’utilisation du cannabis, mais de contester la constitutionnalité de la législation pertinente seulement dans la mesure où elle ne prévoit pas d’exception spécifique autorisant un groupe particulier à posséder et à utiliser du cannabis, pour des motifs religieux reconnus. En droit sud‑africain, le plaignant est autorisé à contester la constitutionnalité de la législation lorsqu’elle est excessive et n’est pas tenu de contester la validité constitutionnelle d’une «disposition générale» dans sa totalité, comme l’affirme l’État partie. En fait, la Cour constitutionnelle elle-même a caractérisé la requête constitutionnelle de l’auteur comme attaquant des «dispositions trop générales», et l’a examinée sur cette base.
5.3Concernant le fond, l’auteur accepte que le droit à la liberté de religion puisse être limité de manière raisonnable et justifiée. Il n’affirme pas que le paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte ne s’applique pas à son cas. Alors que l’État partie souligne que la Cour constitutionnelle a procédé à un «examen approfondi» des facteurs pertinents, l’auteur fait observer que l’arrêt de la Cour a été adopté à une très faible majorité, soit 5 voix contre 4. L’auteur affirme que le Gouvernement n’a pas examiné convenablement toutes les formes possibles que pourraient prendre un amendement législatif et une infrastructure administrative appropriés permettant une exception ciblée. Au nom des juges ayant émis une opinion minoritaire, le juge Ngcobo a noté que les représentants de l’État n’ont pas déclaré «qu’il serait impossible de régler ces problèmes par une législation et une infrastructure administratives appropriées». Il n’est pas nécessaire de brandir le spectre de «toute une chaîne englobant la culture, l’importation, le transport, l’offre et la vente» du cannabis, car tout ce que demande le requérant est que l’utilisation religieuse qu’il fait du cannabis s’inscrive dans le cadre législatif et administratif de la législation existante. Le Gouvernement n’a pas lancé de processus consultatif pour déterminer de quelle manière les droits de l’auteur pourraient s’exercer dans le cadre d’un système réaliste qui ne crée pas les risques évoqués dans les rapports d’expertise.
5.4L’auteur renvoie à l’Observation générale no 22 du Comité sur l’article 18, selon laquelle les restrictions imposées au droit de pratiquer ou de manifester sa religion doivent être prévues par la loi et ne doivent pas être appliquées d’une manière propre à vicier les droits garantis par l’article 18. Il fait valoir que les lois en question sont appliquées d’une manière qui nie le droit de l’auteur de pratiquer et de manifester sa religion dans la mesure où sa liberté d’utiliser le cannabis à des fins religieuses lui est refusée.
5.5L’auteur estime que si des dérogations à l’interdiction d’utiliser le cannabis ont pu être accordées à des fins médicales et professionnelles et si l’État partie pouvait les faire dûment respecter, des dérogations à cette même interdiction pourraient également être octroyées pour des motifs religieux et l’État partie pourrait les faire dûment respecter sans charge supplémentaire. Le fait de ne prévoir et de ne vouloir accorder aucune dérogation en faveur de l’utilisation religieuse du cannabis est une négation de la liberté de manifester sa religion reconnue à l’auteur par l’article 18, et ne saurait être justifié aux termes du paragraphe 3 de l’article 18.
5.6En ce qui concerne l’article 26, l’auteur réaffirme que la situation juridique actuelle constitue une violation de fait de son droit à l’égalité, et que le Gouvernement a le devoir de corriger cette situation. Selon lui, la loi déclarant illicite la possession et l’utilisation du cannabis s’applique à «chacun» et ne désigne pas nommément les rastafariens, mais elle a pour effet d’établir une discrimination à leur encontre, parce qu’elle les affecte eux et leur religion, en particulier, et non pas tout un chacun et sa religion.
5.7L’auteur estime qu’il appartient au Comité de déterminer si ses droits ont été raisonnablement pris en compte. Si ce n’est pas le cas, une clause d’exception réaliste doit être trouvée − non par le Comité, mais par le pouvoir exécutif de l’État partie. Pour définir la solution la plus réalisable, le Parlement tiendra compte de facteurs tels que les coûts administratifs et financiers. Ce sont des considérations qui peuvent peser sur le choix qu’il fera, mais qui ne sauraient justifier une violation du Pacte.
5.8L’auteur affirme qu’en qualité de membre d’une minorité religieuse, il peut invoquer l’article 27, dont peuvent seulement se réclamer les «personnes appartenant» à ce type de minorité. L’auteur n’a peut‑être pas agi explicitement «au nom de» tous les rastafariens, mais il ressort de l’opinion majoritaire comme de l’opinion minoritaire des juges de la Cour constitutionnelle que l’auteur est un membre de la communauté rastafarienne, et que la pratique de sa religion présente d’importants éléments collectifs.
5.9Enfin, l’auteur est d’avis que c’est à l’État partie qu’il incombe de prouver que l’intérêt de l’État l’emporte sur celui de l’auteur. Se borner à affirmer qu’un système de permis en faveur de l’auteur serait contraignant à appliquer n’est pas une preuve, d’autant plus qu’il y a déjà des exceptions à l’interdiction générale du cannabis en vertu des lois de l’État partie. La restriction imposée à la pratique de la religion rastafarienne qui découle de la législation de l’État partie n’est ni raisonnable, ni justifiée, ni proportionnée à l’objectif visé, à savoir protéger le public dans l’État partie.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.2Le Comité note que l’État partie fait valoir qu’une plainte identique déposée par l’auteur devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a été rejetée sur le fond en décembre 2004. Néanmoins, le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la présente communication, car l’affaire n’est plus à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et l’Afrique du Sud n’a pas formulé de réserve au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. La formulation claire des dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 va à l’encontre de l’interprétation qu’en fait l’État partie au paragraphe 4.3 ci‑dessus.
6.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes parce qu’il n’a pas contesté la loi en général devant les juridictions nationales, le Comité note que l’auteur est allé jusqu’à la Cour constitutionnelle, juridiction suprême de l’État partie, présenter une requête pour demander que les rastafariens obtiennent une dérogation réalisable à l’interdiction générale de posséder et d’utiliser du cannabis. Comme il s’agit précisément de la plainte présentée au Comité, ce dernier conclut que l’auteur a épuisé les recours internes aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.4L’État partie a contesté la recevabilité de la communication ratione temporis, parce que les faits et les procédures engagées devant les juridictions nationales se sont déroulés avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif le 28 novembre 2002, et parce qu’il n’a pas confirmé les dispositions pertinentes de la législation en question. Le Comité rappelle qu’il ne peut examiner des violations alléguées du Pacte qui se seraient produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, sauf si ces violations persistent après cette date ou continuent d’avoir des effets qui, en eux‑mêmes, constituent une violation du Pacte. Alors que les juridictions nationales ont rendu leurs décisions sur la plainte de l’auteur avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, le Comité note que les griefs de l’auteur portent sur l’application de la loi sur les stupéfiants et le trafic de stupéfiants (Drugs and Drug Trafficking Act) 140 de 1992 et de la loi sur les avocats (Attorneys Act) 53 de 1979, qui sont toutes les deux encore en vigueur. Le Comité considère que la question de savoir si les effets de la législation attaquée, qui persistent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, constituent en eux‑mêmes une violation est étroitement liée au fond de l’affaire. Par conséquent, il est plus approprié de l’examiner en même temps que le fond des griefs formulés par l’auteur au titre des articles 18, 26 et 27.
6.5En ce qui concerne la décision d’irrecevabilité rendue par le Comité dans l’affaire M. .A. B., W. A. T. et J. A. Y. T. c. Canada, invoquée par l’État partie, le Comité considère que sur le plan des faits et du droit, la présente affaire peut et doit être distinguée de l’affaire canadienne, qui, selon lui, concernait les activités d’une organisation religieuse dont la croyance consistait essentiellement ou exclusivement dans le culte et la distribution d’un stupéfiant. Le rastafarisme en tant que religion au sens de l’article 18 n’est pas en cause dans la présente affaire. Le Comité a conclu qu’une telle croyance ne saurait entrer dans le champ d’application de l’article 18 du Pacte.
6.6Pour les raisons indiquées plus haut, le Comité conclut que la communication est recevable.
Examen au fond
7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.
7.2L’auteur se dit victime d’une violation de son droit à la liberté de religion, parce que la loi contestée ne prévoit pas d’exception lui permettant d’utiliser le cannabis à des fins religieuses. Le Comité rappelle que la liberté de manifester sa religion et sa conviction par le culte, l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement englobe des actes très variés et que le concept de culte comprend les actes rituels et cérémoniels exprimant une conviction, ainsi que différentes pratiques propres à ces actes. Le Comité constate que les éléments dont il est saisi tendent à faire reconnaître que l’utilisation du cannabis fait partie de la manifestation de la religion rastafarienne. À cet égard, il rappelle que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions n’est pas absolue et peut faire l’objet de restrictions, qui sont prescrites par la loi et sont nécessaires pour protéger la sécurité, l’ordre et la santé publics, la morale ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui.
7.3Le Comité observe que l’interdiction de posséder et d’utiliser du cannabis, qui représente une restriction à la liberté de l’auteur de manifester sa religion est prescrite par la loi (Drugs and Drug Trafficking Act) 140 de 1992. Il note en outre la conclusion de l’État partie selon laquelle la loi en question a été conçue pour protéger la sécurité, l’ordre, la santé publique, la morale ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui, en raison des effets préjudiciables du cannabis et qu’une exception autorisant un système d’importation, de transport et de distribution de cannabis aux rastafariens pourrait représenter une menace pour la société en général si une quantité de cannabis, aussi faible soit‑elle, devait entrer dans les circuits normaux de commercialisation. Dans ces conditions, le Comité ne peut conclure qu’interdire la possession et l’usage de drogues, sans aucune exception en faveur de groupes religieux spécifiques, n’est pas proportionné et nécessaire à la réalisation de cet objectif. Le fait que l’État partie n’accorde pas aux rastafariens de dérogation à l’interdiction générale visant la possession et l’utilisation du cannabis est, dans les circonstances de l’espèce, justifié au regard du paragraphe 3 de l’article 18, et le Comité conclut par conséquent que les faits ne font pas apparaître de violation du paragraphe 1 de l’article 18.
7.4Quant au grief de l’auteur lié au fait que l’absence d’exception en faveur des rastafariens viole les droits que lui reconnaît l’article 27, le Comité note qu’il est admis que l’auteur est un membre d’une minorité religieuse et que l’usage du cannabis est un élément essentiel de la pratique de sa religion. Par conséquent, la législation de l’État partie constitue une entrave au droit qu’a l’auteur, en tant que membre d’une minorité religieuse, de pratiquer sa propre religion en commun avec les autres membres de son groupe. Toutefois, le Comité rappelle qu’une entrave ne doit pas être systématiquement considérée comme un déni de droits au sens de l’article 27. Certaines restrictions au droit de pratiquer sa religion en utilisant des drogues sont compatibles avec l’exercice du droit énoncé à l’article 27 du Pacte. Le Comité ne peut conclure qu’une interdiction générale de posséder et d’utiliser du cannabis constitue une justification déraisonnable à l’entrave aux droits reconnus à l’auteur par cet article et conclut que les faits ne font pas apparaître de violation de l’article 27.
7.5L’auteur fait valoir qu’il est victime d’une discrimination de fait parce que, contrairement à d’autres personnes, il doit choisir entre la stricte conformité à sa religion et le respect des lois du pays. Le Comité rappelle qu’une violation de l’article 26 peut résulter de l’effet discriminatoire d’une règle ou d’une mesure apparemment neutre ou dénuée de toute intention discriminatoire. Toutefois, on ne peut dire qu’une telle discrimination indirecte est fondée sur les motifs énumérés à l’article 26 du Pacte que si les effets préjudiciables d’une règle ou décision affectent exclusivement ou de manière disproportionnée des personnes particulières en raison de leurs race, couleur, sexe, langue, religion, opinions politiques ou toutes autres opinions, origine nationale ou sociale, fortune, naissance ou de toute autre situation. En outre, des règles ou décisions ayant une telle incidence ne constituent pas une discrimination si elles sont fondées sur des motifs objectifs et raisonnables. Dans la présente affaire, le Comité note que l’interdiction de la possession et de l’usage du cannabis affecte tous les individus de manière égale, y compris les membres d’autres mouvements religieux qui peuvent également croire au caractère bénéfique des drogues. Il considère par conséquent que cette interdiction est fondée sur des motifs objectifs et raisonnables. Il conclut que le fait pour l’État partie de ne pas prévoir d’exception en faveur des rastafariens ne constitue pas un traitement différencié contraire à l’article 26.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation des articles du Pacte.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
AA. Communication n o 1482/2006, M. G. c. Allemagne*(Constatations adoptées le 23 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
M. G. (non représentée par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Allemagne |
Date de la communication: |
26 mai 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Injonction du tribunal pour un examen médical visant à déterminer la capacité du plaignant de prendre part à une procédure judiciaire déterminée |
Questions de procédure: |
Griefs insuffisamment étayés |
Questions de fond: |
Droit de ne pas être soumis à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant; droit de ne pas faire l’objet d’une immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie privée; droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial |
Articles du Pacte: |
7, 14 (par. 1), 17 |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 23 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1482/2006 présentée au nom de M. G., en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication est Mme M. G., de nationalité allemande, née le 28 janvier 1963. Elle se déclare victime de violations par l’Allemagne des articles 7 et 17 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Elle réside actuellement au Paraguay. Elle a été représentée par un conseil, M. Alexander H. E. Morawa jusqu’au 15 mai 2008, date à laquelle celui‑ci a informé le Comité qu’il ne représentait plus l’auteur dans la procédure.
1.2Le 18 juillet 2006, le secrétariat a informé l’auteur que le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, avait décidé de ne pas demander de mesures provisoires en application de l’article 92 de son règlement intérieur.
Exposé des faits
2.1Les parents de l’auteur ont divorcé en 1981. Ensuite, de nombreuses actions ont été intentées par l’auteur, son père et les proches de celui‑ci et tranchées par les tribunaux chargés des affaires civiles et des affaires familiales.
2.2En juillet 2004, trois membres de la famille de l’auteur, dont son père, ont engagé une action civile contre l’auteur devant le tribunal régional d’Ellwangen, demandant à celui‑ci de rendre une ordonnance enjoignant à l’auteur de ne pas faire certaines déclarations et réclamant des dommages-intérêts. Le 7 novembre 2005, le tribunal régional d’Ellwangen, sans l’avoir entendue ni vue en personne, a ordonné à l’auteur de se faire examiner par un médecin afin de déterminer si elle était capable de prendre part à une procédure judiciaire. Il a chargé le professeur R. H., psychiatre à l’hôpital universitaire de la Charité à Berlin, «d’effectuer tous les examens qu’il jugerait nécessaires pour évaluer l’état de santé physique et mentale de [l’auteur]».
2.3Dans sa décision du 7 novembre 2005, le tribunal a fait valoir que le comportement adopté par l’auteur au cours du procès, notamment les communications nombreuses et volumineuses qu’elle avait adressées au tribunal, suscitait des doutes quant à sa capacité de prendre part à la procédure, en particulier pour les raisons suivantes: 1) dans ses communications, l’auteur avait indiqué que la procédure à laquelle elle était partie l’obligeait à travailler jusqu’à vingt heures par jour pour rédiger des mémoires et autres documents, ce qui avait eu des effets néfastes sur sa santé (attestés par des certificats médicaux) et sur l’ensemble de sa vie; malgré ces effets néfastes et alors même qu’elle était représentée par un conseil, elle continuait de présenter des communications abondantes sans raison suffisante; 2) le fait que l’auteur ait envoyé copie de ses communications au Sénateur de justice de Berlin, aux présidents du tribunal régional de Berlin, du tribunal régional supérieur de Stuttgart et du tribunal fédéral, au Président de la Cour constitutionnelle fédérale et à la Cour européenne des droits de l’homme montrait qu’elle était stressée et qu’elle surestimait l’importance de l’action; et 3) l’auteur faisait appel de chacune des décisions qu’elle considérait comme défavorable, même en l’absence de toute justification rationnelle apparente.
2.4Le 22 novembre 2005, l’auteur a introduit un recours auprès de la Cour constitutionnelle fédérale contre l’injonction du tribunal régional d’Ellwangen et a demandé des mesures provisoires de protection. Elle n’était pas représentée par un avocat. La Cour a rejeté le recours le 21 décembre 2005 sans exposer ses motifs.
2.5Le 2 décembre 2005, l’auteur, cette fois par l’intermédiaire d’un représentant, a contesté l’ordonnance du tribunal régional d’Ellwangen dans un contre-mémoire affirmant qu’il n’y avait aucun motif objectif pour ordonner un examen médical et dénonçant le fait qu’elle n’avait pas été entendue avant que l’ordonnance soit rendue. Elle a expliqué qu’elle était partie à de nombreuses procédures contre des membres de sa famille paternelle. Étant donné qu’elle n’était pas représentée par un avocat pendant une partie de la procédure, il ne pouvait pas lui être reproché d’écrire des lettres longues et nombreuses pour expliquer le contexte de ses actions en justice. Elle avait le droit d’exposer sa cause de la manière la plus complète possible et de se mettre en rapport avec des juridictions supérieures et des organes internationaux. Le fait qu’elle se soit prévalue de recours ouverts ne devait pas entraîner des conséquences aussi graves qu’une injonction de subir un examen médical contre son gré. En date du 8 décembre 2005, le tribunal régional d’Ellwangen a confirmé sa décision. Il n’était pas nécessaire qu’il entende l’auteur avant d’ordonner un examen médical car son comportement et ses communications suffisaient à susciter le doute sur sa capacité de prendre part à une action en justice.
2.6En date du 2 décembre 2005, l’auteur a contesté la décision des juges du tribunal régional d’Ellwangen qui avaient ordonné un examen médical sans raison objective et sans audience préalable. Le 16 janvier 2006, le tribunal, composé d’autres juges, a rejeté le recours considérant que la décision de ne pas entendre l’auteur, qui était domiciliée à Berlin, n’était pas partiale compte tenu du dossier volumineux qui existait.
2.7Le 22 mars 2006, le tribunal régional supérieur de Stuttgart a rejeté le recours formé par l’auteur contre la décision des juges du tribunal régional d’Ellwangen, estimant que le comportement de l’auteur justifiait la décision de prendre l’avis d’un expert. Le tribunal a noté que l’auteur s’était occupée de ses intérêts avec une «véhémence manifeste» et qu’elle employait des termes insultants dans ses communications écrites. L’absence d’audience avant d’ordonner l’examen ne constituait pas une violation du droit à un procès équitable étant donné que le tribunal n’était tenu d’entendre l’auteur qu’avant de se prononcer définitivement sur sa capacité de prendre part à la procédure.
2.8Le 6 avril 2006, l’auteur a formé un recours auprès de la Cour constitutionnelle fédérale contre les décisions du tribunal régional supérieur de Stuttgart et du tribunal régional d’Ellwangen, dans lequel elle dénonçait également l’absence d’audience préliminaire. La Cour a rejeté le recours le 27 avril 2006 sans exposer ses motifs.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que l’injonction ordonnant un examen médical représente un traitement dégradant et constitue une atteinte illégitime au droit à la vie privée, en violation des articles 7 et 17 du Pacte; elle affirme également que l’absence d’audience avant l’injonction a constitué une violation du droit à un procès équitable garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
3.2L’auteur rappelle que l’article 7 du Pacte a pour but de protéger l’intégrité et la dignité de l’individu contre des actes qui provoquent une douleur physique ou une souffrance mentale. Invoquant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, elle fait valoir qu’un traitement est considéré comme «dégradant» s’il suscite des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité de nature à provoquer l’humiliation ou l’avilissement de la victime. Ordonner à quelqu’un de subir un examen contre son gré porte atteinte à la dignité et à la vie privée et place l’intéressé, qui n’a jamais fait l’objet d’une évaluation psychiatrique, dans une «position particulièrement vulnérable».
3.3En ce qui concerne l’article 17 du Pacte, l’auteur fait valoir qu’un examen médical forcé de l’état de santé physique et mentale d’une personne constitue une atteinte à la vie privée ou à l’intégrité de celle‑ci. D’après la Cour européenne des droits de l’homme, «[l]a sauvegarde de la stabilité mentale est […] un préalable indispensable à la jouissance effective du droit au respect de la vie privée». Un examen ou un traitement médical obligatoire n’est acceptable que s’il est «dicté par une nécessité thérapeutique».
3.4L’auteur souligne que c’est uniquement dans des circonstances exceptionnelles et pour des raisons décisives qu’une personne peut être contrainte de se soumettre à des examens ou à un traitement médicaux ou psychiatriques sans son consentement exprès. Quant au niveau de preuve requis, la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que la nécessité d’une telle contrainte dans l’intérêt public doit être «démontrée de manière convaincante».
3.5Pour l’auteur, les raisons avancées par le tribunal régional d’Ellwangen pour justifier la nécessité d’un examen médical ne sont pas décisives: 1) Certes, elle était débordée de travail du fait de ses actions en justice mais il était compréhensible qu’elle y consacre une telle énergie compte tenu des incidences financières et autres de ces actions. Même si à force de taper à la machine pour préparer ses dossiers elle avait des vertiges, des douleurs de nuque et des troubles visuels, ces problèmes de santé physique ne justifiaient pas que l’on présume qu’elle souffrait également de troubles mentaux. La véritable raison était probablement que le tribunal lui-même était surchargé de travail à cause des litiges qui opposaient l’auteur à sa famille. Or, le tribunal disposait de moyens suffisants pour rationaliser, canaliser ou limiter les requêtes et documents qu’il recevait et versait au dossier. L’obliger à subir un examen médical était une mesure excessive et injustifiable, contraire au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. 2) Ce n’était pas en raison du «stress» qu’elle avait envoyé copie de ses communications à plusieurs juridictions supérieures quand l’affaire était encore en instance, mais plutôt pour accélérer la procédure et préparer l’envoi d’une plainte aux organes internationaux relatifs aux droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme a affirmé à plusieurs reprises que les «requérants et les requérants potentiels» ne devaient pas faire l’objet de pressions visant à les décourager de soumettre une requête. 3) Elle avait le droit de faire appel de toute décision défavorable. Même si la multiplication des recours pouvait être considérée comme un obstacle à l’administration de la justice, cela ne justifiait pas qu’elle soit contrainte de se faire examiner par un médecin.
3.6À titre subsidiaire, l’auteur fait valoir que les effets préjudiciables d’un examen médical sur sa dignité et son intégrité physique et mentale seraient largement supérieurs à l’utilité de cet examen.
3.7Elle fait par ailleurs observer que le droit d’être entendu est un élément essentiel des garanties d’un procès équitable énoncées au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, en particulier lorsqu’une mesure d’une portée aussi considérable qu’un examen médical forcé est ordonné ou lorsqu’une menace imminente pèse sur le bien-être physique et moral de la victime. Elle conclut que le refus du tribunal régional d’Ellwangen de l’entendre ou de la voir en personne avant d’ordonner un examen médical ainsi que les arrêts du tribunal régional supérieur de Stuttgart et de la Cour constitutionnelle fédérale confirmant cette décision constituent des violations du droit à un procès équitable consacré au paragraphe 1 de l’article 14.
3.8L’auteur indique que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’elle a épuisé tous les recours internes disponibles.
3.9Elle précise que l’exécution de l’injonction ordonnant une évaluation médicale de sa capacité de participer à la procédure constituerait une mesure irréparable au sens de la jurisprudence du Comité. Elle rappelle que des mesures provisoires de protection peuvent être demandées dans le cas d’allégations de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au sens de l’article 7 du Pacte, mais aussi dans le cas de menace d’atteintes à la vie privée, et prie le Comité de demander à l’État partie de ne pas l’obliger à subir un examen médical ou psychiatrique ni de l’en menacer, avant que le Comité n’ait examiné sa communication.
Renseignements supplémentaires de l’auteur
4.1Dans une note du 2 juin 2006, l’auteur a apporté des précisions concernant sa demande de mesures provisoires en réaffirmant qu’elle n’avait jamais fait l’objet d’un examen ou d’un traitement psychiatrique. Dans un rapport médical daté du 15 novembre 2005, son médecin traitant a confirmé qu’elle était sa patiente depuis 1986 et qu’«il n’existe aucun signe de maladie psychiatrique ni de trouble psychopathologique […] ses processus de pensée sont entièrement organisés et bien structurés».
4.2L’auteur a indiqué que l’examen médical ordonné par le tribunal régional d’Ellwangen n’avait pas encore eu lieu mais qu’il était imminent, car le tribunal régional supérieur de Stuttgart avait rejeté son recours le 24 mai 2006, au motif que «l’injonction de procéder à un acte donné afin de rassembler des éléments permettant de déterminer la capacité de prendre part à une procédure n’est pas susceptible d’appel». Il n’était possible de former un recours qu’une fois que l’examen aurait eu lieu, pour demander éventuellement le réexamen de la conclusion que le tribunal tirerait de l’avis de l’expert.
4.3L’auteur redoutait l’examen parce que dans son injonction le tribunal donnait à l’expert un mandat illimité.
4.4L’auteur fait valoir que l’article 56, paragraphe 1, du Code de procédure civile allemand prévoit un examen d’office de la capacité de prendre part à une procédure. L’article 144, paragraphe 1, autorise les tribunaux à désigner des experts à cette fin. Conformément à l’article 402, les règles relatives aux dépositions des témoins s’appliquent également à l’exécution d’une injonction visant à faire évaluer des éléments par un expert. Le refus de se faire examiner par un expert désigné par un tribunal emporte plusieurs sanctions: l’intéressé doit rembourser tous les frais occasionnés par son refus, payer une amende, et s’il ne peut pas payer l’amende, une contrainte par corps est prononcée (art. 390, par. 1). À la demande d’une partie, le tribunal doit ordonner la contrainte par corps en cas de refus réitéré d’obéir à une injonction (art. 390, par. 2). Conformément à l’article 390, alinéa b, dans ce cas les dispositions relatives à l’exécution des jugements civils s’appliquent. Un mandat est décerné en cas de refus d’obéir à une injonction du tribunal et l’intéressé est appréhendé par un huissier de justice (art. 909). La contrainte par corps peut être ordonnée pour la durée de la procédure judiciaire mais ne peut dépasser six mois à chaque fois. La législation des États fédéraux prévoit un examen obligatoire et des mesures de placement en cas d’incapacité mentale (présumée). L’auteur conclut qu’elle risque d’être arrêtée et transférée de force dans un établissement psychiatrique pour y être examinée.
4.5L’auteur fait une distinction entre les effets que l’injonction du tribunal a déjà eus sur sa santé et les conséquences que l’examen médical imminent pourrait avoir. Plusieurs rapports médicaux ont confirmé qu’elle souffre de problèmes de santé qui sont le résultat caractéristique de l’anxiété et du stress causés par des circonstances inhabituelles. Elle affirme que ses symptômes ont été provoqués ou du moins aggravés par l’injonction du tribunal. S’il est impossible de prévoir avec certitude quels effets l’examen médical aura sur sa santé, il est suffisamment démontré que sa santé se détériorerait et qu’elle serait en danger imminent d’effondrement physique. Ces effets sont équivalents à la «souffrance mentale» visée à l’article 7 et constituent une immixtion illégitime dans sa vie privée, contraire à l’article 17 du Pacte.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
5.1Dans une note du 15 août 2006, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, faisant valoir qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications et qu’elle est irrecevable ratione materiae conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.
5.2L’État partie fait observer que l’auteur a omis d’informer le Comité que l’injonction rendue par le tribunal régional d’Ellwangen en vue de déterminer sa capacité de prendre part à une action ne concernait que l’action engagée contre des membres de sa famille paternelle. Si le tribunal avait des doutes quant à sa capacité d’agir rationnellement dans ce cadre, il a indiqué expressément qu’il n’en avait aucun quant à sa capacité juridique à tous les autres égards. Cela limitait automatiquement le champ de l’expertise médicale demandée concernant son état de santé physique et mentale.
5.3Selon l’État partie, l’auteur cherche à donner l’impression, fausse, qu’elle risque d’être privée de liberté pendant une période prolongée, car la jurisprudence qu’elle cite a trait à des affaires portant sur le traitement de patients internés d’office en établissement psychiatrique. Or le placement de l’auteur dans un établissement psychiatrique, qui serait soumis à des garanties de procédure rigoureuses, notamment une décision judiciaire expresse, n’a jamais été envisagé. Le tribunal avait simplement demandé l’avis d’un expert sur sa capacité de prendre part à une procédure déterminée. Cet expert pouvait facilement se prononcer en interrogeant l’auteur et en étudiant le dossier.
5.4L’État partie rejette l’idée que le véritable motif de l’injonction était la charge que la correspondance de l’auteur représentait pour le tribunal régional d’Ellwangen. Celui‑ci a expliqué en détail pourquoi il avait des doutes quant à la capacité de l’auteur de prendre part à la procédure engagée contre des membres de sa famille. Les lettres que l’auteur a adressées au tribunal contenaient des insultes graves et même des menaces contre la vie et la santé de juges.
5.5L’État partie considère que l’injonction ordonnant un examen médical, qui a été rendue conformément à la loi, sert un but légitime (le bon fonctionnement du système judiciaire) n’est ni arbitraire ni disproportionnée, et ne soulève pas de questions au regard des articles 7 et 17 du Pacte. L’auteur avait tort de penser que les examens médicaux effectués contre le gré d’une personne ne sont acceptables que «dans l’intérêt supérieur de la sauvegarde de l’état de santé mentale de l’intéressé». Il existe d’autres buts légitimes. L’injonction du tribunal régional d’Ellwangen était nécessaire et justifiée pour préserver le bon fonctionnement de la justice. Elle visait également à protéger l’état de santé mentale de l’auteur; le tribunal était tenu de s’assurer à tous les stades de la procédure que les parties étaient capables d’agir rationnellement en faisant valoir leurs droits. L’injonction était proportionnée car elle n’empiétait que très peu sur les droits de l’auteur. La pratique consistant à prendre l’avis d’un expert sur la capacité d’une personne à participer à une procédure judiciaire était fréquente dans tous les systèmes juridiques.
5.6Enfin, l’État partie fait valoir qu’en demandant l’avis d’un expert pour déterminer si l’auteur avait ou non la capacité mentale de supporter le procès, le tribunal avait exercé une fonction protectrice. Loin de constituer une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’injonction visait à assurer les conditions préalables à un procès équitable.
Renseignements supplémentaires fournis par l’auteur
6.1Dans une note du 19 septembre 2006, le conseil de l’auteur a fait savoir au Comité que l’époux de celle-ci avait reçu une lettre, datée du 1er septembre 2006, par laquelle le bureau électoral (Wahlamt) de l’arrondissement berlinois de Steglitz‑Zehlendorf l’informait que le nom de l’auteur avait été rayé des listes électorales, comme suite à une notification du Département des citoyens et de l’ordre public (Landesamt für Bürger ‑ und Ordnungsangelegenheiten) de Berlin, en date du 18 août 2006, indiquant qu’elle ne figurait plus au registre des habitants depuis le 4 mai 2006. Dans la lettre du 1er septembre 2006, l’auteur était avisée que son adresse était déclarée «inconnue» et que «le bureau électoral ne [pouvait] pas vérifier qui [avait] pris l’initiative de supprimer [son nom] du registre des habitants, ni pour quelle raison». La lettre ajoutait que l’auteur pouvait «obtenir à tout moment des précisions sur [son] inscription sur le registre des habitants auprès de n’importe quel bureau des citoyens [Bürgeramt] de Berlin». Cependant, le 14 septembre 2006, alors que l’époux de l’auteur s’était présenté au Bureau des citoyens de l’arrondissement de Mitte pour faire réinscrire sa femme au registre des habitants, il lui avait été répondu que rien ne pouvait être fait parce que l’ordre de ne pas divulguer l’adresse de l’auteur avait été donné, à la demande de l’intéressée.
6.2Le conseil de l’auteur indique − sans toutefois alléguer une violation de l’article 25 du Pacte − qu’elle se trouvait à l’étranger pendant les deux mois précédents, pour se remettre de ses problèmes de santé, et que cette absence temporaire ne justifiait pas la radiation de son nom du registre des habitants.
Observations de l’État partie sur le fond
7.1Dans une note du 16 janvier 2007, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication, qu’il considère comme «manifestement dénuée de fondement». Il affirme que les dispositions applicables du Code de procédure civile allemand sont conformes au Pacte: l’article 52 dispose que toute personne capable de conclure un contrat est également capable de prendre part à une procédure civile. Il existe plusieurs motifs pour déclarer la personne incapable, notamment la minorité ou une maladie mentale permanente. En outre, une personne peut être considérée comme incapable de prendre part à une procédure déterminée si celle‑ci a pour cause des différends liés à des problèmes personnels des parties qui dépassent la portée de la question de droit en jeu. En pareil cas, si la partie concernée n’a pas déjà un tuteur ou un autre représentant légal, le tribunal doit lui attribuer un représentant spécial. Même s’il est généralement présumé que les parties à une procédure civile ont la capacité juridique requise, en cas de doute le tribunal est tenu de s’assurer qu’il en est bien ainsi (art. 56). Ces dispositions visent à protéger les personnes qui ne seraient pas capables de suivre la procédure, et ne violent aucunement le droit de tout individu à la reconnaissance de sa personne juridique, puisqu’elles ne font que définir les conditions et les restrictions applicables à l’exercice des droits civils et politiques. Loin d’exclure une partie de la procédure, elles garantissent au contraire que l’intéressé est représenté.
7.2L’État partie fait valoir que rien dans la décision du tribunal régional d’Ellwangen n’oblige l’auteur à se soumettre à un examen psychiatrique. Certes, les articles 402 et suivants du Code de procédure civile prévoient que les experts, tout comme les témoins, peuvent être obligés de produire des preuves, mais cette obligation ne s’applique pas aux personnes qui font l’objet d’une expertise. La seule disposition qui autorise les tribunaux civils à ordonner expressément à une partie de se soumettre à une expertise est l’article 144, paragraphe 1, du Code de procédure civile. Or la décision du tribunal régional d’Ellwangen ne fait aucune référence à cet article et l’auteur n’a pas non plus «reçu l’ordre de se soumettre» à un examen de ce genre ou de «se rendre disponible» pour se faire examiner. Le tribunal s’est limité à ordonner que «la capacité de la défenderesse à prendre part à la procédure judiciaire soit vérifiée par un expert et constatée par écrit». Même si le tribunal avait expressément ordonné une expertise au titre de l’article 144, paragraphe 1, l’auteur n’aurait pas été contrainte de subir l’examen puisque la jurisprudence établit qu’«une partie à la procédure ne peut pas être contrainte de subir un examen visant à constater son état mental hormis dans le cas des procédures relatives à l’incapacité juridique qui sont visées aux articles 654 et 656».
7.3L’État partie indique que si l’auteur refusait l’examen, la seule conséquence serait que l’expert fonderait son avis sur le dossier de l’affaire ainsi que sur sa propre impression de la conduite de l’auteur à l’audience, et que le tribunal serait libre d’interpréter l’attitude de l’auteur lorsqu’il apprécierait sa capacité juridique de participer à la procédure. Si le tribunal concluait que l’auteur n’a pas la capacité requise pour être partie à la procédure visée, la conséquence serait que la plainte présentée contre elle serait déclarée irrecevable, à moins qu’un représentant spécial (généralement un avocat auprès du tribunal) ne soit désigné par le juge à la demande du plaignant. Dans ce cas, le tribunal serait tenu d’informer l’auteur de tout fait nouveau dans la procédure et de lui notifier tous documents utiles. L’État partie conclut que les allégations de l’auteur sont dénuées de fondement lorsqu’elle affirme être obligée de subir un examen médical de son état de santé physique et mentale, puisqu’il n’y a aucune possibilité de l’y contraindre.
7.4L’État partie affirme que si l’auteur invoque une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, c’est parce qu’elle pense à tort que le tribunal régional d’Ellwangen lui a ordonné de faire examiner par un médecin son état de santé physique et mentale contre son gré et sans l’avoir entendue personnellement, alors que le tribunal n’a jamais rendu une ordonnance d’une telle portée. Le tribunal devra certes apprécier l’avis de l’expert à une audience, en donnant à l’auteur la possibilité de faire des observations et de contester cet avis, mais la procédure n’en est pas encore à ce stade.
Renseignements supplémentaires et commentaires de l’auteur
8.1Le 10 février 2007, l’auteur a informé le Comité que le 6 décembre 2006, le tribunal régional d’Ellwangen avait écrit au professeur R. H. de l’hôpital de la Charité à Berlin pour lui demander de constater l’état de santé physique et mentale de l’auteur, de convoquer celle‑ci à l’hôpital et d’autoriser la partie adverse à assister à l’examen. Par télécopie en date du 29 décembre 2006 adressée au tribunal régional d’Ellwangen, l’auteur a fait objection à la teneur de cette lettre, dont elle avait eu connaissance par hasard, une copie ayant été envoyée à la partie adverse mais non à elle. Le 4 janvier 2007, le professeur R. H. a fait savoir au tribunal qu’il avait pour habitude de faire les expertises avec un assistant et qu’il demanderait à un collègue de procéder à un examen psychologique si cela était nécessaire. Ces prestations seraient facturées en sus, alors même que les différents avis allaient être regroupés dans le rapport d’expertise principal. Le professeur communiquerait la date de l’examen au tribunal et lui ferait savoir également si l’auteur avait répondu aux convocations. Le 8 janvier 2007, le tribunal a rejeté l’objection de l’auteur au motif qu’elle n’avait pas été soulevée par l’intermédiaire d’un avocat et que la loi ne prévoyait pas la possibilité de contester une désignation d’expert. Dans une lettre du 13 janvier 2007, le professeur R. H. a proposé trois dates pour l’examen. Le 20 janvier 2007, l’époux de l’auteur a répondu que celle‑ci ne pourrait se rendre à l’hôpital à aucune des dates proposées parce qu’elle se trouvait en Amérique du Sud et n’était pas joignable. Il a demandé que les rendez‑vous soient annulés.
8.2Le 26 avril 2007, l’auteur a commenté les observations de l’État partie, et contesté que sa communication constitue un abus du droit de plainte. Elle affirme qu’elle n’a ni soumis «des allégations […] totalement dénuées de fondement», ni fait preuve d’un grave manque de considération à l’égard du Comité, par exemple en modifiant délibérément des faits essentiels. L’auteur estime qu’elle n’a pas formulé des allégations «fausses et trompeuses» en affirmant que la portée de l’examen médical était laissée entièrement à la discrétion de l’expert, puisque cela est corroboré par le fait que l’ordonnance du tribunal ne mentionne pas la moindre limite à l’examen et que le professeur R. H., dans sa lettre du 13 janvier 2007, l’a convoquée pour un examen approfondi, en lui demandant de «s’attendre à ce que d’autres rendez-vous soient pris […] pour des examens supplémentaires». L’auteur affirme qu’elle n’a pas «insinué» qu’elle serait privée de liberté «pendant une période prolongée», mais craignait que sa liberté ne soit restreinte pendant un examen médical non consenti. Même sans cet élément, ses droits à la dignité et au respect de sa vie privée seraient bafoués.
8.3Sur le fond, l’auteur fait valoir que, en pratique, cela ne fait aucune différence que le tribunal adresse directement à l’intéressé l’injonction de se soumettre à un examen médical ou qu’il l’adresse au tiers qui doit procéder à cet examen. La distinction que fait l’État partie à propos du destinataire de l’injonction est artificielle, puisque le tribunal régional d’Ellwangen a demandé à l’expert de «procéder à tous les examens qu’il jugerait nécessaires…». Fort de ce pouvoir, l’expert a convoqué l’auteur pour un examen médical de son état de santé physique et mentale. Le professeur R. H. a agi en qualité d’agent de l’État partie. Compte tenu du mandat général des experts désignés par les tribunaux, lesquels déterminent souvent l’issue d’une affaire, et de l’autorité dont il avait été investi, le professeur R. H. jouissait d’un pouvoir discrétionnaire étendu et il n’y avait donc aucune «garantie […] contre les applications arbitraires» de son mandat, comme l’exige l’article 17 du Pacte.
8.4L’auteur nie que le refus de subir l’examen n’aurait pas de conséquences préjudiciables importantes. Elle affirme que l’obliger à choisir entre accepter l’examen ou le refuser en laissant l’expert fonder sa décision sur le dossier, avec le risque qu’il la déclare en son absence mentalement incapable, revient à exercer une coercition à son égard. L’État partie affirme que l’expert désigné pouvait s’acquitter facilement de sa mission en se contentant d’un entretien et en étudiant le dossier de l’affaire, mais cette affirmation est contredite par le fait que le professeur R. H. a convoqué l’auteur pour un examen approfondi.
8.5L’auteur admet que déterminer d’office, conformément à l’article 56 du Code de procédure civile, la capacité d’un individu de prendre part à une action en justice peut permettre de protéger les personnes qui risquent de ne pas pouvoir suivre la procédure et se défendre, mais elle réitère qu’aucune des raisons avancées par le tribunal ne suffirait, ni séparément ni conjointement, à justifier la décision de lui imposer un examen médical. En prétendant que l’auteur a fait des déclarations «confuses», insultantes ou menaçantes qui jettent le doute sur sa «capacité d’agir rationnellement» dans le cadre de cette procédure, l’État partie tente de justifier rétroactivement la décision du tribunal régional d’Ellwangen d’ordonner une expertise.
8.6L’auteur fait valoir que la décision de lui imposer un examen médical contre son gré constituait une mesure disproportionnée compte tenu de la stigmatisation sociale qu’entraîne une déclaration d’incapacité mentale, même dans le contexte limité d’un seul procès. En l’absence de raisons impératives, la décision du tribunal était arbitraire et illégale au regard de l’article 17 du Pacte.
8.7En ce qui concerne le grief au titre de l’article 7, l’auteur fait valoir que devoir choisir entre obéir aux convocations de l’expert ou accepter que l’on apprécie en son absence sa capacité de prendre part à la procédure lui a fait éprouver «des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à [l’]humilier et à [l’]avilir».
8.8L’auteur affirme que les atteintes à sa vie privée et à sa dignité avaient des incidences si importantes sur l’action civile à laquelle elle est partie qu’il aurait fallu, conformément au paragraphe 1 de l’article 14, que le tribunal l’entende avant d’ordonner l’expertise, d’autant que le mandat étendu donné à l’expert affaiblissait sa position pour faire valoir ses droits. La tenue d’une audience principale avant que le tribunal ne statue sur la capacité de l’auteur de prendre part à la procédure ne compensait pas l’absence d’une audience à un stade antérieur, à un moment où l’auteur pouvait encore faire valoir son droit de refuser l’expertise.
8.9L’auteur se prévaut également du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte pour affirmer que le droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial lui a été dénié. Le tribunal régional d’Ellwangen a ordonné à un expert d’évaluer sa capacité de prendre part à la procédure sans l’avoir vue ni entendue, mais il n’a pas demandé la même expertise pour les autres parties, alors que le père de l’auteur avait menacé la vie de cette dernière et de ses frères et sœurs, ce qui lui avait valu d’être déchu de son droit de visite. L’auteur joint des documents qui, selon elle, établissent une présomption que la capacité de son père de prendre part à la procédure est sujette à caution. En ordonnant une expertise sur la santé mentale de l’auteur uniquement, le tribunal régional d’Ellwangen a fait preuve de partialité et a favorisé les intérêts de l’une des parties.
8.10Le 28 avril 2008, l’auteur a transmis copie de l’expertise en date du 6 décembre 2007 établie par le professeur R. H. et son assistant le docteur S. R. sur la base du dossier de l’affaire et d’autres pièces, concluant que l’auteur devait être considérée comme incapable de prendre part à la procédure judiciaire engagée par son père et d’autres membres de sa famille à son encontre.
8.11Le 6 mai 2008, l’auteur a communiqué copie de sa convocation à comparaître à une audience, fixée au 8 mai 2008, au tribunal régional d’Ellwangen.
8.12Le 21 mai 2008, elle a informé le Comité qu’elle avait demandé la récusation des juges du tribunal régional d’Ellwangen auquel son affaire avait été renvoyée, pour cause de partialité.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
9.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
9.2En ce qui concerne le grief de violation de l’article 7 du Pacte, le Comité rappelle que cet article a pour but de protéger à la fois la dignité et l’intégrité physique et mentale de l’individu. La détermination de ce qui constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 7 dépend de toutes les circonstances de l’affaire, par exemple la durée et les modalités du traitement considéré, ses conséquences physiques ou mentales ainsi que le sexe, l’âge et l’état de santé mentale de la victime. L’objet du traitement peut également entrer en ligne de compte. Le Comité a pris note des arguments de l’auteur concernant les incidences qu’un examen médical pourrait avoir sur sa santé physique et mentale. Il relève que l’auteur a été invitée à se soumettre à une expertise pour les besoins d’une procédure dans laquelle son état mental est un facteur pertinent. Il considère que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, qu’une telle invitation soulève en soi des questions au titre de l’article 7 ni que les souffrances indubitables qu’a entraînées pour elle la décision de l’inviter à se soumettre à une telle expertise sont de nature à tomber sous le coup de l’article 7. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
9.3En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que sa cause n’a pas été entendue par un tribunal impartial, en violation du droit reconnu au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, parce que le tribunal régional d’Ellwangen a ordonné une expertise médicale uniquement en ce qui la concerne, sans faire de même pour son père en dépit d’éléments de présomption montrant que ce dernier n’avait pas la capacité requise pour prendre part à la procédure, le Comité relève que l’ordonnance du tribunal a été rendue à la suite d’une demande d’aide juridictionnelle formulée par l’auteur, c’est‑à‑dire d’une requête qui concernait sa propre position dans la procédure et non celle de son père. Il considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et déclare que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
9.4En ce qui concerne le grief au titre de l’article 17 du Pacte, ainsi que la violation alléguée du droit à une audience publique garanti au paragraphe 1 de l’article 14, le Comité s’est assuré que l’auteur avait épuisé les recours internes, ce que l’État partie n’a pas contesté. Le Comité estime aussi que l’auteur a étayé ces allégations aux fins de la recevabilité, et conclut que cette partie de la communication est recevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
Examen au fond
10.1En ce qui concerne le grief de violation de l’article 17 du Pacte, le Comité note que le fait de soumettre une personne à une injonction de subir un examen ou un traitement médical sans son consentement ou contre sa volonté représente une immixtion dans sa vie privée, susceptible de constituer une atteinte illégale à son honneur et à sa réputation. Il doit donc déterminer si l’immixtion dans la vie privée de l’auteur a été arbitraire ou illégale ou si l’injonction du tribunal régional d’Ellwangen a constitué une atteinte illégale à son honneur ou à sa réputation. Pour qu’une immixtion soit justifiée au titre de l’article 17, elle doit satisfaire plusieurs conditions cumulatives, à savoir être prévue par la loi, être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte, et être raisonnable eu égard aux circonstances particulières de l’espèce.
10.2Le Comité rappelle que l’injonction du tribunal régional d’Ellwangen ordonnant de faire examiner l’auteur pour vérifier sa capacité de participer à la procédure a été prise conformément à l’article 56 du Code de procédure civile allemand. Il prend note des raisons avancées par ledit tribunal pour ordonner un examen médical de l’auteur, à savoir les excès de ses communications écrites et de ses recours et les répercussions sur sa santé de tout le travail qu’elle avait consacré à son affaire, ainsi que l’argument de l’État partie qui affirme que l’injonction servait un but légitime qui était de préserver le «bon fonctionnement de la justice» et de protéger la santé mentale de l’auteur. Néanmoins, le Comité constate que l’injonction du tribunal régional d’Ellwangen a eu pour effet d’exiger que l’auteur subisse un examen médical de son état de santé physique et mental, ou bien que le professeur R. H. établisse sont expertise en se fondant uniquement sur le dossier existant. Il estime que le fait de prendre une telle ordonnance, sans avoir entendu ni vu personnellement l’auteur et de fonder cette décision uniquement sur son comportement procédural et ses écritures n’était pas raisonnable dans les circonstances particulières de l’espèce. Le Comité considère donc que l’immixtion dans la vie privée de l’auteur et l’atteinte à son honneur et à sa réputation étaient disproportionnées par rapport à l’objectif visé et par conséquent «arbitraires», et il conclut que les droits qui lui sont garantis par l’article 17, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ont été violés.
11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits de l’auteur en vertu de l’article 17 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
12.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, notamment sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.
13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait ou non eu violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion individuelle de M. Ivan Shearer (dissidente)
Je regrette de ne pouvoir m’associer à la majorité de mes collègues, qui ont conclu à une violation dans le cas d’espèce. Je ne pense pas que la décision du tribunal régional d’Ellwangen, enjoignant à l’auteur de subir un examen médical avant que l’affaire ne soit entendue oralement, soit déraisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances. Le tribunal était en droit de craindre que l’auteur ne fût pas en mesure d’agir dans son propre intérêt. La décision de faire examiner l’état de santé de l’auteur, et d’en rendre compte, avant que la procédure orale ne commence me paraît on ne peut plus raisonnable. Le rapport médical n’aurait pas été contraignant. En effet, le tribunal était compétent pour déterminer si l’auteur était pleinement en mesure d’engager son action. En revanche dans l’hypothèse où, comme le souhaitait l’auteur, ces questions n’avaient été tranchées qu’à l’audience orale, sans qu’il y ait eu d’examen et de rapport médical préalables, un temps précieux aurait été perdu si le tribunal avait alors été contraint d’ajourner les débats parce qu’il aurait constaté, à ce stade, que l’auteur n’était pas en mesure d’agir en son propre nom.
(Signé) Ivan Shearer
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood (dissidente)
Bien que les conclusions des parties ne soient pas un modèle de clarté, il ressort du cas d’espèce qu’un tribunal régional allemand, siégeant à Ellwangen, dans le Land de Bade‑Wurttemberg (Allemagne), a estimé qu’il avait la responsabilité juridique de déterminer si l’auteur, désignée ici par les initiales «M. G.», était compétente pour assurer sa défense dans une action civile engagée contre elle par trois membres de sa famille. Ceux-ci demandaient au tribunal de condamner l’auteur à des dommages-intérêts et d’ordonner des mesures provisoires à son encontre. Conformément au droit allemand, si l’auteur n’était pas compétente pour protéger ses propres intérêts, un représentant légal aurait dû être désigné.
Les pièces dont est saisi le Comité ne permettent pas de déterminer si ce représentant aurait eu simplement pour tâche d’agir en qualité d’avocat dans le cadre de la procédure engagée devant le tribunal régional (au lieu de permettre à M. G. d’assurer sa propre défense, sans avocat), ou bien d’agir plus largement en qualité de tuteur chargé de conseiller l’auteur ou de déterminer ses intérêts dans le cas d’espèce.
Dans un cas comme dans l’autre, le tribunal régional d’Ellwangen disposait de suffisamment d’éléments pour avoir des craintes quant à la capacité de l’auteur d’assurer sa défense dans une procédure civile. Ainsi, les termes employés par l’auteur dans une lettre adressée au Président du tribunal de district d’Ellwangen sont extrêmement insultants et menaçants. À la lecture d’une telle lettre, tout juge raisonnable aurait pu avoir des doutes sur la capacité de l’auteur d’assurer sa propre défense et de sauvegarder ses propres intérêts, et aurait été incité à rechercher la procédure appropriée pour mener à bien le procès.
La question que l’auteur a posée au Comité est celle de savoir si l’État partie a violé les dispositions du Pacte parce qu’un tribunal régional a tenté d’engager un expert pour connaître «l’état de santé physique et psychologique» de l’auteur, avant de l’autoriser à participer à une audience orale au cours de laquelle elle aurait pu contester la nécessité d’un tel examen. L’expert n’a jamais pu effectuer l’examen en question, en particulier parce que l’auteur a quitté le pays et s’est rendue en Amérique du Sud aux dates proposées pour l’examen.
En tout état de cause, l’examen n’était cependant pas obligatoire. En effet, si l’auteur avait préféré ne pas le subir, le tribunal était disposé à fonder une évaluation préliminaire de sa capacité d’agir sur les pièces versées au dossier. Il est dès lors difficile de voir sur quelle base l’auteur peut fonder la plainte selon laquelle la demande du tribunal l’invitant à participer à un examen psychologique constituait une immixtion illicite dans sa vie privée ou une atteinte arbitraire à son honneur ou sa réputation, susceptible de motiver une action en justice au titre de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Un tribunal a le droit et la responsabilité, en toute indépendance, de protéger l’intégrité de ses débats et de veiller à ce que les parties à l’action soient dûment représentées. L’auteur ne conteste d’ailleurs pas qu’elle avait la possibilité d’être pleinement entendue par le tribunal avant qu’une décision définitive et exécutoire ne soit prise quant à sa capacité d’agir en son propre nom. Rien dans le cas d’espèce ne laisse supposer que le tribunal agissait dans un but autre que l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Compte tenu du caractère insultant des propos de la lettre susmentionnée, il serait tendancieux d’exiger d’un juge qu’il recueille des «impressions personnelles» supplémentaires sur un plaignant avant même de faire procéder à un examen psychologique, examen qui était un choix volontaire pour l’auteur. Pour ces motifs, je ne peux m’associer à la conclusion selon laquelle l’État partie a commis une violation dans le cas d’espèce.
(Signé) Ruth Wedgwood
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
BB. Communication n o 1484/2006, Lněnička c. République tchèque*(Constatations adoptées le 25 mars 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
Josef Lněnička (représenté par M. Jan Sammer, Bureau tchèque de coordination) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
République tchèque |
Date de la communication: |
9 février 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens |
Questions de procédure: |
Abus du droit de présenter une communication; non‑épuisement des recours internes; griefs non étayés |
Questions de fond: |
Égalité devant la loi; égale protection de la loi |
Articles du Pacte: |
2 (par. 3) et 26 |
Articles du Protocole facultatif: |
2 et 3 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 mars 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1484/2006, présentée au nom de M. Josef Lněnička en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication, datée du 9 février 2006, est M. Josef Lněnička, né le 11 avril 1930 dans l’ancienne Tchécoslovaquie et résidant actuellement aux États‑Unis. Il se déclare victime d’une violation par la République tchèque des articles 12 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il est représenté par Jan Sammer du Bureau tchèque de coordination de Toronto (Canada).
1.2Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Protocole facultatif) est entré en vigueur pour la République tchèque le 22 février 1993.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur a été arrêté en 1949 dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Libéré en 1957, il a travaillé dans une mine les onze années suivantes. En 1968, il s’est enfui puis est revenu en 1969. Il s’est construit une maison, a quitté de nouveau l’ancienne Tchécoslovaquie en 1981 pour échapper au régime communiste et est arrivé aux États‑Unis d’Amérique en avril 1982. Il a obtenu la nationalité américaine en 1988 et a donc perdu sa nationalité d’origine. Il a été condamné par défaut par le tribunal de district de Trutnov à une peine d’emprisonnement et à la confiscation de tous ses biens, y compris la moitié de sa maison familiale à Rtynĕ, pour avoir quitté le pays sans autorisation. Il a été entièrement réhabilité en 1990 conformément à la loi no 119/1990 sur la réhabilitation judiciaire.
2.2L’épouse de l’auteur est restée dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Selon l’auteur, elle a été obligée, pour ne pas être expulsée, de conclure un accord avec le Ministère des finances et de racheter la moitié de la maison familiale et de tous les biens. L’auteur lui a envoyé de l’argent pour qu’elle puisse régler les sommes dues.
2.3En 1999, l’auteur a demandé à être indemnisé pour le rachat de la moitié de la maison familiale. Le 18 mars 1999, le Ministère des finances a rejeté sa demande pour le seul motif que l’auteur était devenu citoyen des États‑Unis d’Amérique et avait perdu sa nationalité d’origine. Il a souligné dans sa réponse que l’auteur pouvait «déposer une demande d’indemnisation financière pour les biens confisqués, accompagnée de justificatifs prouvant sa nationalité tchèque». À ce sujet, et en ce qui concerne les recours internes, l’auteur affirme qu’il n’a pas épuisé tous les recours judiciaires existants en République tchèque car il a la conviction que ceux‑ci sont inutiles et qu’il ne veut pas gaspiller de l’argent en frais d’avocats et autres mesures vaines. Il renvoie également à un arrêt de la Cour constitutionnelle tchèque qui a rejeté un recours visant à supprimer la condition de nationalité énoncée par les lois relatives à la restitution. Selon l’auteur, cela constitue une preuve irréfutable de l’inexistence de voies de recours en République tchèque.
Teneur de la plainte
3.L’auteur se dit victime d’une violation de l’article 26 du Pacte parce que la condition de nationalité énoncée par la loi no 87/1991 constitue une discrimination illégale. Il invoque la jurisprudence du Comité dans les affaires Marik c. République tchèque et Kriz c. République tchèque, dans lesquelles le Comité a conclu à une violation de l’article 26 par l’État partie. Par la suite, l’auteur s’est dit également victime d’une violation de l’article 12 du Pacte (voir par. 5.1).
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication
4.1Dans une note du 18 janvier 2007, l’État partie a précisé que le 11 août 1982, le tribunal de district de Trutnov avait ordonné la confiscation de biens de l’auteur, notamment la moitié de ses biens immobiliers (un garage et une maison avec jardin), parce qu’il avait émigré illégalement. Par la suite, en mars 1989, l’État partie a conclu avec l’épouse de l’auteur un accord concernant la propriété détenue en commun par les époux. En vertu de cet accord, l’épouse de l’auteur devait verser à l’État une somme équivalant à la moitié de la valeur totale des biens détenus en commun et devenait la seule propriétaire des biens. À sa demande, elle a obtenu que le Comité national du district de Trutnov revienne sur une partie de ce montant, de sorte qu’elle ne devait plus verser que 157 690 couronnes tchèques au lieu de 271 075. Elle a acquitté la totalité de cette somme le 26 octobre 1989.
4.2L’État partie confirme que l’auteur est devenu citoyen des États‑Unis d’Amérique en 1986 et qu’il a perdu automatiquement sa nationalité tchécoslovaque en vertu du Traité sur la naturalisation conclu par l’ancienne République tchécoslovaque et les États‑Unis d’Amérique en 1928 (Traité sur la naturalisation). En 1990, sur le fondement de la loi no 119/1990 relative à la réhabilitation judiciaire, le jugement de condamnation a été annulé ex lege, y compris la décision de confiscation des biens de l’auteur. La loi prévoyait également les conditions et modalités d’indemnisation des personnes réhabilitées judiciairement, à l’exception des demandes découlant de l’annulation des peines de confiscation, lesquelles étaient visées par la loi no 87/1991 sur la réhabilitation extrajudiciaire, entrée en vigueur le 1er avril 1991. Cette loi disposait notamment qu’une personne répondant aux conditions requises au sens de la loi devait avoir la nationalité de la République fédérative tchèque et slovaque et avoir sa résidence permanente dans le pays.
4.3En août 1991, l’auteur a demandé une indemnisation financière pour la perte des biens qui lui avaient été confisqués lorsqu’il avait émigré. Dans cette requête, il a indiqué qu’il n’avait jamais renoncé à sa nationalité tchécoslovaque et qu’il avait la double nationalité. Il a déposé sa requête auprès de l’Autorité du district de Trutnov et du Ministère des finances, lequel l’a examinée en sa qualité d’autorité compétente. Le 24 septembre 1992, le Ministère des finances a prié l’auteur de fournir la preuve qu’il avait recouvré la nationalité tchécoslovaque, à la lumière du Traité sur la naturalisation, faute de quoi sa demande d’indemnisation ne serait pas acceptée. Fin février 1995, l’épouse de l’auteur a répondu en répétant qu’à son avis l’auteur n’avait jamais renoncé à être citoyen de la République fédérative tchèque et slovaque, et que le Traité sur la naturalisation n’était pas valable puisque des modifications y avaient été apportées. Le Ministère des finances l’a avisée qu’il ne pourrait pas accéder à la demande de l’auteur si celui‑ci ne prouvait pas qu’il était citoyen de l’ancienne République fédérative tchèque et slovaque au moment où il avait soumis sa demande (le 1er avril 1992 au plus tard, date d’expiration du délai prévu pour le dépôt des demandes d’indemnisation).
4.4Le 3 octobre 1995, l’auteur a déposé une nouvelle demande d’indemnisation auprès du Ministère des finances. Celui‑ci a répondu que, même si la Cour constitutionnelle, dans son arrêt no 164/1994, avait annulé la condition de résidence permanente dans la République fédérative tchèque et slovaque pour pouvoir prétendre à une indemnisation, le critère de la nationalité s’appliquait toujours. En mars 1999, compte tenu de l’arrêt no 153/1998 de la Cour constitutionnelle, le Ministère des finances a informé l’auteur qu’il «pouvait prétendre à une indemnisation financière pour les biens confisqués sans qu’il soit nécessaire d’engager une action judiciaire en vue de la restitution des biens ni de rejeter une proposition d’accord concernant cette restitution»; cependant, l’auteur devait apporter une preuve de sa nationalité. Le 21 mars 2000, le Ministère des finances a de nouveau invité l’auteur à fournir un certificat de nationalité. En mai 2000, l’auteur a présenté une attestation datée du 10 mai 2000 indiquant qu’il était citoyen de la République tchèque en vertu du paragraphe 1 de l’article premier de la loi no 193/1999. Le 5 février 2001, le Ministère des finances a rejeté la demande d’indemnisation au motif que, à la date limite du 1er avril 1992, l’auteur ne remplissait pas la condition de nationalité puisqu’il avait obtenu la nationalité tchèque le 10 mai 2000.
4.5Conformément à l’article 10 de la loi no 231/1991 sur la compétence des autorités de la République tchèque au regard des réhabilitations extrajudiciaires, la loi no 58/1969 sur la responsabilité pour les dommages causés par une décision ou une procédure officielle incorrecte d’une autorité de l’État (loi no 82/1998, telle que modifiée) aurait dû être invoquée en relation avec l’article 13 de la loi sur la réhabilitation extrajudiciaire. Selon le Code civil, en tant que personne répondant aux conditions requises au sens de la législation relative aux restitutions, l’auteur avait le droit de saisir un tribunal de sa demande. À la connaissance de l’État partie, l’auteur n’a jamais engagé une action de ce type.
4.6En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des plaintes au sens de l’article 3 du Protocole facultatif. Il n’ignore pas que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour la présentation de communications et qu’un simple retard ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter une communication. Il rappelle la jurisprudence du Comité qui, quand il s’écoule aussi longtemps, attend une explication raisonnable et objectivement compréhensible. Il affirme que le même raisonnement s’applique en l’espèce, car l’auteur s’est adressé au Comité en 2006, soit plus de cinq ans après que le Ministère des finances a finalement rejeté sa demande d’indemnisation financière, et deux ans environ après l’expiration du délai de trois ans prévu par le Code civil pour saisir un tribunal ordinaire. À ce propos, l’État partie renvoie au délai de six mois fixé pour présenter une requête à la Cour européenne des droits de l’homme (par. 1 de l’article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme, par. 1 b) de l’article 46 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et par. 5 de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale). L’auteur ne mentionne aucune circonstance qui justifierait le retard avec lequel il a adressé sa communication au Comité. L’intérêt particulier de l’auteur dans son affaire ne peut pas être considéré comme suffisamment important pour l’emporter sur l’intérêt généralement accepté du maintien du principe de la sécurité juridique. De surcroît l’auteur a déjà soumis la même affaire à un autre organe international.
4.7Quant à l’exigence d’épuisement des recours internes, l’État partie rappelle qu’en mars 1989 une partie des biens immobiliers litigieux a été transférée à l’épouse de l’auteur. Conformément au paragraphe 1 de l’article 13 de la loi sur la réhabilitation extrajudiciaire, une personne répondant aux conditions requises ne peut être indemnisée que pour les biens immobiliers qu’il est impossible de lui restituer (disposition applicable en l’espèce), ou si elle en fait la demande en vertu de l’article 7 de la loi. Toutefois, comme l’auteur n’a pas montré qu’il satisfaisait au critère de nationalité à la date du 1er avril 1992, de sorte qu’il ne remplissait pas les conditions requises pour obtenir une indemnisation financière, le Ministère a rejeté sa demande. Rien ne l’empêchait cependant (et rien ne l’empêche) de saisir un tribunal ordinaire pour demander une indemnisation. L’auteur n’ayant pas montré qu’il avait usé de cette possibilité, l’État partie fait valoir qu’il n’a pas épuisé les recours internes.
4.8En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte et l’argument de l’auteur qui affirme qu’aucun recours interne n’était disponible, l’État partie objecte que par recours utile il ne faut pas comprendre un recours garantissant à l’auteur qu’il obtiendra satisfaction. L’auteur avait et a toujours la possibilité de contester devant les tribunaux le rejet de sa demande par le Ministère des finances. Bien que l’on ne puisse pas préjuger du résultat d’une action, il existe des doutes quant aux chances de succès de ce recours compte tenu de la jurisprudence constante des tribunaux tchèques, y compris la Cour constitutionnelle, en ce qui concerne la condition de nationalité dans le cadre de la procédure de restitution.
4.9En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 26 du Pacte, l’État partie renvoie aux observations qu’il a présentées au Comité dans des affaires analogues, soulignant les circonstances politiques et les conditions juridiques afférentes à la loi sur la restitution. Il rappelle qu’il n’ignorait pas, lors de l’adoption de la loi, qu’il était impossible de réparer toutes les injustices commises sous le régime communiste, et que la Cour constitutionnelle a examiné à maintes reprises la question de savoir si la condition de nationalité était contraire à la Constitution et aux droits et libertés fondamentaux, à laquelle elle a répondu par la négative (voir par exemple l’arrêt no 185/1997). Il précise que les lois de restitution ont été adoptées dans un double objectif: atténuer, dans une certaine mesure, une partie des injustices commises par le passé, et mener à bien rapidement une vaste réforme économique visant à mettre en place une économie de marché. Ces lois s’inscrivaient dans le cadre de la législation visant à transformer la société dans son ensemble, et il a été jugé approprié, compte tenu des réformes économiques, de donner la préférence au rétablissement des relations de propriété au profit des citoyens du pays. La restitution des biens peut être considérée comme une forme de privatisation, c’est‑à‑dire la restitution de la propriété au secteur privé. Les conditions préalables restrictives visaient également à garantir que les biens restitués seraient dûment entretenus.
4.10L’État partie note que, malgré le Traité sur la naturalisation, les personnes qui souhaitaient recouvrer la nationalité tchèque ont eu cette possibilité à partir de 1990, avant l’expiration du délai pour la présentation des demandes de restitution. Toutes les demandes de nationalité soumises entre 1990 et 1992 par des personnes qui avaient acquis la nationalité américaine ont été approuvées. L’État partie ajoute que l’auteur n’a pas présenté de demande au cours de cette période, alors qu’il avait déposé sa demande d’indemnisation financière dès le mois d’août 1991. Il s’est ainsi privé de la possibilité de satisfaire aux critères de la loi sur la réhabilitation extrajudiciaire. Il n’a acquis la nationalité tchèque que sur le fondement d’une loi ultérieure (no 193/1999) relative à la nationalité de certains anciens citoyens tchécoslovaques.
4.11L’État partie note également qu’après le départ de l’auteur, son épouse a continué à utiliser les biens cédés. Par la suite, l’État partie lui a permis de devenir l’unique propriétaire des biens immobiliers, qui sont donc restés dans la famille.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans une réponse du 20 février 2007, le conseil affirme que l’article 12 du Pacte a également été violé en 1981, lorsque l’auteur a quitté l’ancienne Tchécoslovaquie, et souligne que l’État partie avait signé le Pacte en 1975. Il note que l’État partie lui‑même reconnaît le caractère discriminatoire de la loi no 87/1991. Quant à l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur aurait dû recouvrer sa nationalité dans le délai fixé pour les restitutions de biens, le conseil fait valoir que l’auteur en a été empêché par la loi no 88/1990, selon laquelle «la nationalité ne peut pas être accordée dans les cas où cela serait en contradiction avec les obligations internationales souscrites par la Tchécoslovaquie» (art. II, par. 3 b)). Selon le conseil, cette loi renvoie au Traité sur la naturalisation.
5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur aurait pu engager une action en justice, le conseil fait valoir que la Cour constitutionnelle a mis fin à cette possibilité par son arrêt no 117/1996, dans lequel elle a constaté que même si la personne réhabilitée conservait son droit à la propriété, l’article 23 de la loi no 119/1990 ne lui permettait pas d’acquérir des biens au moyen d’une action en revendication (Code civil). Il rejette également l’allégation d’abus du droit de présenter une communication et la demande de l’État partie que la communication soit déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Il estime que la Convention européenne ne doit pas entrer en ligne de compte, pas plus que les arguments de l’État partie fondés sur la sécurité juridique. Sur la question des recours internes, il rappelle qu’il n’existe pas de recours internes pour les personnes qui n’avaient pas la nationalité tchèque pendant la période en cause, comme l’a confirmé la Cour constitutionnelle dans son arrêt no 33/96 du 4 juin 1997.
5.3Quant aux arguments avancés par l’État partie pour justifier le caractère discriminatoire des lois sur la restitution, le conseil fait observer que l’impossibilité de réparer toutes les injustices peut s’appliquer aux personnes qui ont été exécutées, abattues à la frontière alors qu’elles tentaient de s’enfuir, incarcérées pendant de longues années et renvoyées de l’université et privées de leur emploi, mais ne peut jamais s’appliquer à la propriété, car la réparation est possible dans tous les cas et aurait été des plus facile.
5.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur aurait pu obtenir la nationalité tchèque avant avril 1991, le conseil fait valoir que, compte tenu de la loi no 88/1990, seuls ceux qui sont devenus citoyens américains par erreur, fraude ou corruption avaient cette possibilité.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Pour ce qui est de l’obligation d’épuiser les recours internes, le Comité note que l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas été empêché, et n’est toujours pas empêché, de saisir les tribunaux ordinaires pour réclamer l’indemnisation financière que le Ministère des finances lui a refusée. Il note également que l’État partie reconnaît qu’il existe des doutes quant à la possibilité de succès de ce recours, compte tenu de la jurisprudence constante des juridictions internes, dont la Cour constitutionnelle, en ce qui concerne la condition de nationalité dans les affaires de restitution (voir le paragraphe 4.8). Dans ce contexte, le Comité rappelle que seuls les recours qui sont à la fois disponibles et utiles doivent être épuisés. La loi applicable relative aux biens confisqués ne permet pas la restitution des biens ni l’octroi d’une indemnisation à l’auteur. Après la décision du Ministère de la justice, en date du 5 février 2001, rejetant la demande d’indemnisation, plus aucun recours utile ou raisonnablement disponible ne s’offrait à l’auteur devant la justice tchèque. Dans son arrêt no 185/1997, la Cour constitutionnelle de la République tchèque a confirmé qu’elle considérait que la condition de nationalité fixée pour obtenir la restitution était raisonnable. À ce propos, le Comité réaffirme que, lorsque la plus haute juridiction d’un État a statué sur la question objet d’un litige dans un sens tel que toute possibilité de succès d’un recours devant une juridiction interne est exclue, l’auteur de la communication n’est pas tenu d’épuiser les recours internes aux fins du Protocole facultatif. Par conséquent, le Comité estime que l’auteur a suffisamment montré qu’il aurait été inutile pour lui de chercher à attaquer la décision rendue.
6.4Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie pour qui la communication doit être déclarée irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de soumettre une communication au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, en raison du temps excessif qui s’est écoulé avant sa soumission au Comité. L’État partie affirme que l’auteur a attendu cinq ans après la date à laquelle le Ministère des finances a rendu sa décision finale pour soumettre sa plainte. Le Comité réaffirme que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour lui adresser des communications et qu’un simple retard dans la soumission d’une plainte ne constitue pas en soi, sauf dans des circonstances exceptionnelles, un abus du droit de présenter une communication. Dans l’affaire à l’examen, étant donné que le conseil de l’auteur indique que celui‑ci est entré en contact avec lui après avoir pris connaissance des constatations que le Comité avait adoptées en 2005 dans les communications no 945/2000 (Marik c. République tchèque, constatations adoptées le 26 juillet 2005) et no 1054/2002 (Kriz c. République tchèque, constatations adoptées le 1er novembre 2005), le Comité ne considère pas que les cinq années de retard constituent un abus du droit de soumettre des communications. En conséquence, il décide que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte.
6.5Le Comité note que, dans sa réponse aux observations de l’État partie, le conseil de l’auteur fait valoir que l’article 12 du Pacte a également été violé en 1981, lorsque l’auteur a quitté l’ancienne Tchécoslovaquie. En l’absence d’autres informations, le Comité estime que ce grief n’est pas suffisamment étayé et, en conséquence, le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Le Comité doit déterminer si l’application à l’auteur de la loi no 87/1991 a constitué une discrimination, en violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26.
7.3Le Comité rappelle les constatations qu’il a adoptées dans les affaires Adam, Blazek, Marik, Kriz, Gratzinger et Ondracka, dans lesquelles il avait conclu à une violation de l’article 26 du Pacte. Étant donné que l’État partie lui‑même est responsable du départ de l’auteur de l’ancienne Tchécoslovaquie pour un autre pays, où il a fini par s’installer définitivement et dont il a obtenu la nationalité, le Comité considère qu’il serait incompatible avec le Pacte d’exiger de lui qu’il remplisse la condition relative à la nationalité tchèque pour obtenir la restitution de ses biens ou, à défaut, une indemnisation.
7.4Le Comité estime que le principe établi dans les affaires mentionnées ci‑dessus s’applique également à l’auteur et que l’application par les tribunaux internes de la condition relative à la nationalité a représenté une violation des droits garantis par l’article 26 du Pacte.
7.5Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation, y compris une indemnisation. Le Comité engage de nouveau l’État partie à revoir sa législation de façon à garantir à tous l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi.
9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion individuelle de M. Abdelfattah Amor
En application de la jurisprudence Gobin (communication no 787/1997, Gobin c. Maurice, décision d’irrecevabilité adoptée le 16 juillet 2001), je pense que cette communication est irrecevable, puisque présentée tardivement, soit un retard de cinq ans. Je souhaiterais renvoyer, à cet égard, à mon opinion dissidente sur l’affaire Ondracka (communication no 1533/2006, Zdenek et Ondracka c. République tchèque, constatations adoptées le 31 octobre 2007) dans laquelle le retard était de plus de huit ans. Il est urgent, j’en suis convaincu, que le Comité ait une jurisprudence cohérente et parfaitement lisible sur la question du délai de présentation des communications.
(Signé) Abdelfattah Amor
[Fait en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
CC. Communication n o 1485/2006, Vlček c. République tchèque*(Constatations adoptées le 10 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Zdenek Vlček (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
République tchèque |
Date de la communication: |
21 mars 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens |
Questions de procédure: |
Abus du droit de présenter une communication |
Questions de fond: |
Égalité devant la loi et égale protection de la loi |
Article du Pacte: |
26 |
Article du Protocole facultatif: |
3 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 10 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1485/2006 présentée par Zdenek Vlček en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est M. Zdenek Vlček, naturalisé américain et résidant dans l’Illinois, né le 12 août 1925 à Kresin, en Tchécoslovaquie. Il se déclare victime de violations par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.
Exposé des faits
L’auteur dit qu’il a fui le régime communiste tchécoslovaque en septembre 1951. Le 15 mars 1960, il a acquis la citoyenneté des États-Unis d’Amérique et a perdu la nationalité tchécoslovaque, conformément au Traité bilatéral sur la naturalisation conclu en 1928. Il a recouvré la nationalité tchèque le 10 juin 2000.
En application d’une décision du tribunal populaire de Pacov en date du 28 avril 1953, les biens de l’auteur ont été transférés à l’État. En vertu du décret du Gouvernement n° 15/1959 et de la décision du Comité national de district de Pelhrimov en date du 13 juillet 1961, les biens appartenant jusqu’alors à la mère de l’auteur ont aussi été transférés à l’État.
À la suite de l’adoption de la loi n° 229/1991, qui a autorisé la restitution des biens agricoles confisqués par le régime communiste, l’auteur et son frère ont déposé, le 26 janvier 1993 puis à nouveau le 25 septembre 1995, une demande de restitution de ses propres biens et des biens familiaux, qui consistaient en une minoterie, des champs, des prairies et des bois s’étendant sur environ 36 hectares à Kresin (district de Pelhrimov). Le 23 avril 1996, l’administration du district de Pelhrimov a rejeté la demande au motif que les requérants n’étaient pas citoyens de la République tchèque et ne remplissaient donc pas les conditions énoncées à l’article 4 de la loi.
À la suite de l’appel formé par l’auteur et son frère, la Cour suprême, par un arrêt rendu le 19 août 1996, a déféré l’affaire au tribunal régional de Ceske Budejovice. Le 18 septembre 1996, le tribunal régional a annulé la décision contestée et a renvoyé l’affaire à l’administration du district pour décision. Le 4 juin 1997, l’administration du district a une fois de plus rejeté la demande de l’auteur au motif que son frère et lui ne remplissaient pas les conditions de nationalité.
Le 26 septembre 2000, après avoir recouvré la nationalité tchèque, l’auteur a déposé avec son frère une nouvelle demande de restitution des biens familiaux. Le 16 octobre 2000, l’administration du district a rejeté la requête au motif qu’elle avait été introduite après le 31 janvier 1993, date limite de dépôt des demandes fixée par la loi.
2.6L’auteur souligne qu’il est le seul héritier des biens familiaux, depuis la mort de son frère, en 2001.
Teneur de la plainte
3.L’auteur affirme être victime de discrimination car la nécessité de posséder la nationalité pour que soient restitués les biens familiaux contrevient à l’article 26 du Pacte.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
Dans ses observations datées du 8 novembre 2006, l’État partie traite à la fois de la recevabilité et du fond de la communication. En ce qui concerne la recevabilité, il fait observer que la dernière décision officielle concernant la cause de l’auteur est devenue définitive le 29 juillet 1997. Par conséquent, neuf ans et huit mois se sont écoulés avant que l’auteur ne saisisse le Comité (ou cinq ans et demi si la décision de l’administration de district en date du 16 octobre 2000 est considérée comme la dernière décision prise à ce sujet). En l’absence de toute explication de l’auteur sur les raisons de ce retard, et se référant à la décision du Comité concernant la communication n° 787/1997 Gobin c. Maurice, l’État partie invite le Comité à considérer la communication comme irrecevable pour abus du droit de présenter une communication, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
Sur le fond, l’État partie renvoie aux observations qu’il avait soumises au Comité à propos d’affaires similaires, et dans lesquelles il avait exposé le contexte politique et les conditions juridiques dans lesquels s’inscrivait la loi relative à la restitution des biens. Cette loi visait uniquement à supprimer certaines des injustices commises par le régime communiste, étant donné qu’il n’était pas possible de réparer toutes celles commises à cette époque. L’État partie renvoie aux décisions de la Cour constitutionnelle, qui a examiné à plusieurs reprises la question de savoir si le critère de citoyenneté était conforme à la Constitution et aux libertés et aux droits fondamentaux et n’a trouvé aucun motif de l’abolir.
L’État partie explique ensuite que les lois relatives à la restitution des biens étaient l’un des dispositifs visant à la transformation de la société et à la mise en œuvre des réformes économiques, qui comprenaient la restitution de biens privés. Le critère de citoyenneté a été prévu pour s’assurer que les propriétaires entretiennent correctement les biens. Il a été considéré comme entièrement conforme avec l’ordre constitutionnel de l’État partie.
Enfin, l’État partie reconnaît que le principe général pacta sunt servanda entraîne l’obligation de respecter les dispositions du Pacte. Toutefois, en ce qui concerne l’application des constatations du Comité, il fait observer que celles-ci n’ont pas les caractéristiques d’une décision de justice et que l’obligation de l’État partie ne va donc pas au-delà du devoir, pour les autorités compétentes, de prendre les constatations en considération, lorsque cela est possible. L’État partie estime qu’en l’espèce, comme dans d’autres cas similaires, des raisons particulièrement sérieuses lui permettent de s’écarter des constatations du Comité sans porter atteinte au principe pacta sunt servanda.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
Dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, datés du 28 février 2007, l’auteur affirme que la République tchèque a invoqué abusivement le Traité sur la naturalisation conclu avec les États-Unis pour refuser de restituer des biens aux personnes ayant acquis la nationalité américaine et, par là même, perdu la nationalité tchèque. Il renvoie aux observations finales du Comité des droits de l’homme concernant le rapport initial de la République tchèque et aux constatations adoptées dans des affaires similaires, où le Comité a engagé la République tchèque à modifier sa législation, et il termine en déclarant que l’État partie n’a jamais attaché une grande importance aux décisions du Comité, contrevenant ainsi à sa Constitution, qui dispose que les traités internationaux priment la législation interne.
L’auteur rejette l’argument de l’État partie qui affirme que sa communication est irrecevable car elle constitue un abus. Il explique que le retard avec lequel il a soumis la communication était dû à l’absence d’informations et indique à cet égard que l’État partie ne publie pas et ne traduit pas les décisions du Comité ni les observations finales.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie pour qui la communication doit être déclarée irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de plainte en raison du temps excessif qui s’est écoulé entre la dernière décision rendue sur cette affaire et la soumission de la communication au Comité. L’auteur a fait valoir que ce retard était dû à l’absence d’informations disponibles. Le Comité souligne que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour lui adresser des communications. Par conséquent, un retard dans la soumission de la plainte ne peut entraîner l’irrecevabilité de la communication que dans des circonstances exceptionnelles. À cet égard, le Comité constate que l’auteur, dont la demande de restitution des biens familiaux a été rejetée par le tribunal régional en septembre 1996 au motif que son frère et lui ne remplissaient pas les conditions de nationalité, a recouvré la nationalité tchèque en 2000. L’auteur et son frère ont par la suite déposé une nouvelle demande de restitution des biens familiaux, qui a été rejetée par l’administration de district en octobre 2000. En l’espèce, le Comité considère que le retard de cinq ans et demi qui s’est écoulé entre la dernière décision rendue par l’autorité compétente et la soumission de la communication au Comité ne rend pas la communication irrecevable en tant qu’abus au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.
6.4En l’absence de toute autre objection à la recevabilité de la plainte, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle peut soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte.
Examen au fond
Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
Le Comité doit déterminer si le rejet de la requête de l’auteur relative à la restitution des biens familiaux au motif qu’il ne remplit pas les conditions de nationalité prévues à l’article 4 de la loi no 229/1991 constitue une violation du Pacte.
Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26.
Le Comité rappelle en outre les constatations adoptées dans les affaires Simunek, Adam, Blazek, Des Fours Walderode et Gratzinger, dans lesquelles il avait conclu que la condition de nationalité exigée par l’État partie pour la restitution des biens constituait une violation de l’article 26 du Pacte: «les auteurs dans ce cas, comme bien d’autres personnes se trouvant dans une situation analogue, avaient quitté la Tchécoslovaquie à cause de leurs opinions politiques et cherché à échapper aux persécutions politiques dans d’autres pays, où ils avaient fini par s’installer définitivement et dont ils avaient obtenu la nationalité. Compte tenu du fait que l’État partie lui-même est responsable [de leur] départ …, il serait incompatible avec le Pacte d’exiger [d’eux] … qu’ils obtiennent la nationalité tchèque pour pouvoir ensuite demander la restitution de [leurs] biens ou, à défaut, le versement d’une indemnité appropriée». Le Comité rappelle aussi sa jurisprudence et réaffirme que dans ces circonstances la condition de nationalité n’est pas raisonnable.
Le Comité estime que le précédent établi dans les affaires mentionnées plus haut s’applique également à l’auteur de la présente communication. Il conclut donc que l’application à l’auteur de la condition de nationalité prévue par la loi n° 229/1991 a représenté une violation des droits garantis à l’article 26 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, qui peut être une indemnisation si son bien ne peut pas lui être rendu. Le Comité engage à nouveau l’État partie à revoir sa législation et sa pratique de façon à garantir que toutes les personnes bénéficient à la fois de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
DD. Communication n o 1486/2006, Kalamiotis c. Grèce*(Constatations adoptées le 24 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Andreas Kalamiotis (représenté par l’Organisation mondiale contre la torture et par l’Observatoire grec des Accords d’Helsinki − Greek Helsinki Monitor) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Grèce |
Date de la communication: |
28 mars 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Allégation de mauvais traitements infligés à l’auteur |
Questions de procédure: |
Non‑épuisement des recours internes; affaire déjà portée devant une autre instance internationale d’enquête; abus du droit de présenter une communication |
Questions de fond: |
Absence de recours utile concernant la plainte de l’auteur pour mauvais traitements |
Articles du Pacte: |
2 (par. 3) lu conjointement avec 7 |
Articles du Protocole facultatif: |
3, 5 (par. 2 a) et b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 24 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1486/2006 présentée au nom de M. Andreas Kalamiotis, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est M. Andreas Kalamiotis, Grec d’origine rom, né le 7 janvier 1980. Il se dit victime d’une violation par la Grèce des droits garantis au paragraphe 3 de l’article 2 et à l’article 7 (lus séparément et conjointement), au paragraphe 1 de l’article 2 et à l’article 26 du Pacte. Il est représenté par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif se rapportant au Pacte sont entrés en vigueur pour la Grèce le 5 mai 1997.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Dans la soirée du 14 juin 2001, l’auteur se trouvait chez lui avec des amis et ils écoutaient de la musique. Vers 1 h 30 du matin, le 15 juin 2001, une voiture de police est arrivée et un policier a demandé à l’auteur d’arrêter la musique car elle dérangeait les voisins. L’auteur et ses amis ont répondu qu’ils éteindraient dans cinq minutes et le policier est parti. Quelques minutes plus tard, ils ont arrêté la radio et l’auteur a raccompagné ses amis à leurs voitures. Ils étaient sur le point de partir et l’auteur était déjà rentré chez lui lorsqu’il a entendu du bruit dehors et il est ressorti sur le seuil de la porte. Plusieurs voitures de police étaient garées dans la rue et les policiers mettaient en joue. L’un des policiers visait l’auteur et menaçait de l’abattre. D’autres policiers se sont approchés de lui, lui ont passé les menottes et l’ont traîné vers la voiture de police, où ils l’ont jeté sur le capot et ont commencé à le tabasser et à lui donner des coups de pied devant ses enfants. Il n’a pas vu les instruments utilisés pour le frapper mais pense qu’il s’agissait de matraques. Pendant qu’il était passé à tabac, quelques policiers ont fouillé la maison.
2.2L’auteur a été conduit au commissariat de police d’Aghia Paraskevi, où on lui a laissé les menottes et où il y aurait eu un échange d’insultes avec les policiers. Le 15 juin 2001, vers 11 heures du matin, l’auteur a été conduit au siège de la police à Athènes, où on a pris des photos de lui alors qu’il avait encore les menottes. Il a ensuite été conduit devant le Procureur près du tribunal correctionnel d’Athènes avec un avocat de son choix. Il a été inculpé de résistance à officier public et d’insultes et menaces visant les autorités de police. Le procès a été fixé au 18 juin 2001. Le jour en question, avant l’audience, l’auteur et son avocat se sont rendus aux services médico‑légaux, qui ont refusé d’examiner l’auteur au motif qu’il devait d’abord engager des poursuites ou déposer une plainte au commissariat de police d’Aghia Paraskevi. À ce moment‑là, l’auteur a hésité à déposer une plainte, craignant des représailles de la part des policiers qui l’avaient passé à tabac.
2.3Le tribunal n’a pas eu le temps d’examiner l’affaire et le procès a été reporté au 25 janvier 2002. Après un autre report, l’auteur a été jugé par défaut le 5 avril 2002 et reconnu coupable de rébellion, d’insultes et de menaces dirigées contre les policiers. Il a été condamné à un an et quatre‑vingts jours d’emprisonnement convertibles en une amende, avec sursis à exécution pendant la procédure d’appel. L’appel a été jugé le 19 janvier 2005 par la cour d’appel d’Athènes, qui a confirmé la condamnation pour rébellion et insultes mais a acquitté l’auteur du chef de menaces dirigées contre les policiers. La sentence définitive était d’un an et un mois d’emprisonnement convertibles en amende.
2.4Le 2 juillet 2001, l’auteur a déposé une plainte devant le Procureur près du tribunal correctionnel d’Athènes contre le policier Georgios Yannadakis, et s’est constitué partie civile, pour lésions corporelles simples. Le même jour, le Procureur a transmis la plainte au magistrat de Koropi pour qu’il procède à une enquête judiciaire. À la demande de l’auteur, le Procureur a ordonné qu’il soit examiné par les services de médecine légale. Cet examen a eu lieu le 3 juillet 2001, c’est‑à‑dire dix‑huit jours après l’incident. Le rapport médico‑légal indiquait que «vu le délai écoulé depuis l’incident signalé et l’évolution de la cicatrice, il n’est pas possible de rechercher de manière plus approfondie d’éventuelles lésions corporelles qui se seraient produites au moment de l’incident dénoncé».
2.5Le 28 septembre 2001, le magistrat a renvoyé la plainte au Procureur en l’informant qu’il se dessaisissait de l’enquête pour défaut de compétence, sans fournir d’autre explication. Le Procureur a ensuite adressé la plainte, le 26 juillet 2002, au commissariat de police d’Halandri pour enquête. Il s’agit d’un commissariat qui dépend de la Direction de la police où le policier concerné était en poste et qui jouxte le commissariat d’Aghia Paraskevi, où l’auteur a été placé en détention. L’enquête a commencé le 4 novembre 2002. Selon l’auteur, il y a eu plusieurs irrégularités de procédure. Par exemple, on ne lui a jamais demandé de fournir l’adresse des témoins alors que la police n’a pu trouver ces derniers aux adresses initialement indiquées. Aucune démarche n’a été faite pour obtenir le témoignage de sa femme, qui était présente au moment de son arrestation. L’auteur lui‑même n’a pas été convoqué pour faire une déposition plus détaillée. D’autres policiers impliqués dans l’incident n’ont pas été cités comme témoins non plus. Le rapport d’enquête a été adressé au Procureur le 25 novembre 2002.
2.6En mai 2003, l’affaire a été jugée par le Conseil judiciaire des délits correctionnels d’Athènes qui, suivant la réquisition du Procureur, a décidé d’abandonner les charges contre le policier faute de preuves. La décision a été rendue publique le 28 août 2003 avec la mention qu’«aucun témoin de l’accusation n’ayant témoigné en faveur du plaignant, et les deux témoins cités par ce dernier n’ayant pas été trouvés aux adresses indiquées, le récit et les arguments du défendeur sont déterminants et susceptibles de faire la lumière, à notre avis, sur la véritable version des événements». Ce texte a été notifié à l’auteur par affichage sur la porte de son domicile, le 8 septembre 2003. Ce type de décision n’est pas susceptible d’appel en droit grec.
2.7Outre le dépôt d’une plainte, l’auteur a adressé une lettre au Médiateur grec le 2 juillet 2001, pour se plaindre des mauvais traitements subis et demander qu’une enquête officielle − «Enquête administrative sous serment» − soit effectuée. À la suite de cette lettre, le brigadier général du siège de la Police de l’Attique Nord‑Est a écrit à l’auteur le 28 septembre 2001 pour lui indiquer qu’une enquête officieuse avait été menée et qu’il avait été conclu que la police avait respecté les procédures et que l’auteur avait notamment résisté à l’arrestation, proféré des insultes et menacé les policiers.
2.8Dans deux lettres adressées par la suite à la Direction de l’état‑major de la Police hellénique et au Médiateur, l’auteur a demandé qu’il soit procédé à une enquête administrative sous serment. Le 6 mars 2002, il a reçu une réponse de refus étant donné que l’enquête déjà menée ne faisait apparaître aucune responsabilité d’ordre disciplinaire. Les conclusions de l’enquête mentionnée dans la lettre faisaient apparaître un décalage avec les conclusions énoncées dans la lettre du 28 septembre 2001.
2.9Le 22 janvier 2004, le Médiateur a écrit au siège de la Police hellénique en indiquant, entre autres choses, qu’une enquête officieuse ne peut remplacer une enquête administrative sous serment lorsqu’il s’agit d’allégations de lésions corporelles et de comportements cruels et que cette dernière présente des garanties de procédure que ne donnent pas les méthodes informelles d’une enquête officieuse.
2.10Le 21 mars 2002, l’ONG Greek Helsinki Monitor (Observatoire grec des Accords d’Helsinki) a présenté un rapport au Procureur recensant plusieurs cas, dont celui de l’auteur, d’irrégularités procédurales et judiciaires qui avaient eu pour effet de priver les victimes de recours utile. En droit grec, le procureur qui reçoit un procès‑verbal, une plainte ou toute information indiquant qu’un acte punissable a été commis est tenu d’engager une procédure pénale en renvoyant l’affaire pour enquête. Selon l’auteur, l’enquête sur le procès‑verbal de son cas n’a commencé que le 12 octobre 2005 et a été rapidement classée sans qu’une véritable enquête soit ouverte par le Procureur, qui a rendu le 25 novembre 2005 une décision rejetant toutes les allégations d’irrégularités commises par la police. Un recours a également été rejeté par un «procureur des recours» (Appeals Prosecutor), sans aucune enquête additionnelle, le 23 septembre 2006.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que les faits font apparaître des violations du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, pris séparément et lu conjointement avec l’article 7, étant donné que l’État partie n’a pas assuré des recours utiles pour les actes de torture et les mauvais traitements qu’il avait subis. Il rappelle la jurisprudence du Comité et l’Observation générale no 20 selon lesquelles les plaintes pour torture et mauvais traitements doivent faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales des autorités compétentes pour rendre les recours efficaces.
3.2L’auteur fait valoir que sa plainte n’a pas fait l’objet d’une enquête par un organe indépendant ayant la capacité d’examiner de manière impartiale des allégations formulées contre les policiers, mais que ce sont des collègues de ces derniers qui ont simplement procédé à une enquête administrative orale.
3.3L’auteur ajoute que la procédure disciplinaire n’offre aucune garantie d’impartialité. L’enquête administrative orale est une enquête interne et confidentielle visant le policier incriminé, qui est menée par des collègues policiers. Les éléments de preuve et les témoignages recueillis pendant cette enquête sont inaccessibles au plaignant, ce qui met les victimes des exactions policières dans l’incapacité d’en contester les constatations et les conclusions. L’investigation se limite généralement à un interrogatoire des policiers impliqués et, comme dans le cas de l’auteur, ni la victime ni ses témoins ne sont interrogés.
3.4L’enquête administrative sous serment est également une procédure policière interne et confidentielle, dont les garanties visent à protéger les droits du policier objet de l’enquête, et non ceux du plaignant. C’est ainsi que l’enquête garantit le droit pour le policier «accusé» de désigner des témoins, de demander le report de la procédure ou l’exclusion du policier enquêteur, ainsi que le droit d’accès aux éléments de preuve et le droit d’appel. Inversement, il n’y a pas de dispositions énonçant les droits du plaignant, qui n’a pas le droit d’être présent aux auditions et ne peut pas faire appel des conclusions. Dans les deux types d’enquête, le plaignant a seulement le droit d’être informé de leur issue, au moyen d’un simple paragraphe sans aucune référence au type de sanction disciplinaire éventuellement imposée. Le plaignant n’a généralement pas le droit de demander des copies des documents figurant dans le dossier de l’enquête.
3.5En ce qui concerne l’enquête judiciaire, elle a été ouverte plus d’un an après les faits et n’a été ni rapide ni efficace, car elle se composait uniquement de la déposition du défendeur. La version de l’auteur et les dépositions de ses témoins n’ont jamais été demandées. En outre, l’examen médico‑légal a été inutile, étant donné que les services de médecine légale n’ont fait aucune observation objective sur les blessures de l’auteur.
3.6En droit grec, les particuliers ne peuvent pas demander directement à être examinés par les services de médecine légale. Un tel examen ne peut être obtenu que sur ordre des responsables de l’enquête sur la base d’une demande de la victime qui a déposé plainte pour mauvais traitements ou sur ordre du procureur. La condition selon laquelle une plainte doit avoir été déposée au préalable restreint l’accès à un examen efficace par la médecine légale. Normalement, la victime de mauvais traitements a besoin de temps pour examiner les conséquences du dépôt d’une plainte officielle et cela peut prendre des semaines ou même des années, alors que certaines blessures causées par de mauvais traitements guérissent relativement rapidement. En conséquence, si les autorités compétentes manquent à leur obligation d’ordonner un examen médico‑légal rapide, cela peut effectivement entraîner la perte totale ou partielle de preuves décisives.
3.7Le traitement subi par l’auteur constitue une violation de l’article 7 du Pacte. Outre le passage à tabac, le fait d’avoir été mis en joue lui a fait craindre pour sa vie. Il a également eu peur pour la sécurité de sa femme et de ses enfants, qui étaient sans défense face à la police. Par exemple, sa femme a reçu des insultes lorsqu’elle a essayé de donner des chaussures à son mari avant qu’il soit emmené au commissariat, et ses enfants pleuraient en voyant leur père tabassé. De plus, il a fait l’objet d’un traitement dégradant. Par exemple, pendant sa garde à vue, il a demandé un verre d’eau et le policier lui a répondu qu’il pouvait boire l’eau des toilettes. Il a également été menacé et insulté. Ces actes sont aggravés par la forte motivation raciale qui les caractérisait.
3.8Enfin, l’auteur invoque des violations du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26, étant donné qu’il a fait l’objet d’une discrimination fondée sur son origine rom. Les policiers ont employé des termes racistes et ont mentionné son origine ethnique d’une manière péjorative. Il faut situer ce fait dans le contexte plus large de racisme et d’hostilité systématiques dont les organes de la sécurité publique en Grèce font preuve à l’égard des Roms, comme l’ont montré des ONG et des organisations intergouvernementales. Malgré les informations données à ce propos aux autorités grecques, il n’existe aucune preuve que cette question ait été prise en compte dans l’enquête judiciaire menée par le Procureur ou l’enquête administrative conduite par la police. Aucune information n’a été donnée concernant les mesures prises pour vérifier si les policiers avaient adressé des insultes raciales à l’auteur.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Le 15 septembre 2006, l’État partie a envoyé des observations et formulé des objections à la recevabilité de la communication. Il fait valoir que lorsque deux policiers sont arrivés au domicile de l’auteur et lui ont demandé de cesser de troubler la paix du voisinage, ce dernier a réagi de manière menaçante et a refusé d’obtempérer. En même temps, des coups ont été tirés d’une source non identifiée. Ces incidents ont obligé les policiers à quitter les lieux afin de chercher des renforts. Par la suite, six voitures de patrouille de police sont arrivées et l’auteur est sorti de chez lui en invectivant les policiers. Lorsque ceux‑ci ont tenté de le maîtriser et de le conduire au commissariat de police, il a réagi violemment et leur a résisté. Ce faisant, il est tombé et s’est fait des égratignures aux mains et au visage. Il s’est conduit de la même façon au commissariat de police, où il a essayé d’agresser les policiers et a refusé d’obéir à leurs ordres. Un particulier qui se trouvait au commissariat de police à ce moment‑là a témoigné à cet égard. Trois autres personnes qui se trouvaient au domicile de l’auteur ont également été conduites au commissariat de police. Mais elles n’ont pas opposé de résistance et, après un contrôle de leur identité, ont été relâchées sans aucune inculpation.
4.2À la suite de ces événements, la police a engagé des poursuites contre l’auteur pour menaces, insultes et rébellion et il a été présenté au Procureur, accompagné d’un avocat. Il ne s’est pas plaint d’avoir été tabassé par les policiers. Le Procureur n’a remarqué aucune blessure justifiant l’ouverture d’une procédure d’enquête préliminaire. Après avoir demandé un report de trois jours, l’auteur a comparu de nouveau devant le Procureur le 18 juin 2001, accompagné cette fois de son avocat. Là encore, il n’a pas signalé les mauvais traitements qu’il aurait subis. Il a attendu le 2 juillet 2001 pour déposer plainte, se bornant à imputer à un seul policier des lésions corporelles simples relevant de l’article 308, paragraphe 1, du Code pénal. C’est seulement à ce moment‑là qu’il a mentionné, en termes vagues, un passage à tabac et des coups reçus sur différentes parties du corps et a demandé un examen médico‑légal. Le Procureur a immédiatement engagé une procédure pénale pour lésions corporelles, a envoyé le dossier au magistrat de Kropia pour une enquête préliminaire et a demandé aux services médico‑légaux d’examiner l’auteur.
4.3Le rapport du médecin légiste indique que, un long délai s’étant écoulé depuis l’incident allégué, il était impossible de rechercher les lésions corporelles éventuelles correspondant aux allégations. Vu ces conclusions, vu le fait que les témoins proposés par l’auteur n’ayant pas été trouvés à leur résidence n’avaient donc pas pu témoigner et vu la déclaration de culpabilité de l’auteur pour rébellion, insultes et menaces visant des policiers, la chambre d’accusation du tribunal pénal de première instance d’Athènes a abandonné les poursuites contre le policier concerné.
4.4L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas signalé les mauvais traitements lorsqu’il a comparu devant le Procureur les 15 et 18 juin 2001, d’où il résulte qu’il n’a pas donné à l’État, du moins dans les délais voulus, l’occasion de réparer une éventuelle violation du Pacte grâce à l’ouverture d’une procédure pénale par le Procureur. Le Procureur n’a pas pu engager d’office une procédure d’enquête car il n’avait pas de source d’information autre que l’auteur et son épouse.
4.5Lorsque l’auteur a déposé plainte le 2 juillet 2001, il l’a fait seulement à l’égard d’un policier. Au lieu de l’accuser de lésions corporelles graves, en vertu des articles 309 et 310 du Code pénal, l’auteur l’a accusé de lésions corporelles simples (entraînant une peine plus légère), au titre du paragraphe 1 de l’article 308, et s’est seulement porté partie civile. Il en est résulté que les autorités de poursuite se sont orientées vers une enquête sur une affaire mineure, ce qui a rendu impossible de poursuivre l’accusé, puisque l’examen médico‑légal s’est déroulé dix‑huit jours après les incidents. Par conséquent, il était impossible de faire des constatations crédibles après une période aussi longue, et le Procureur du tribunal pénal de première instance a dû introduire l’affaire devant la chambre d’accusation en requérant l’acquittement. Dès lors qu’un acquittement a été prononcé, le juge pénal est dans l’impossibilité de traiter l’action civile qui s’éteint.
4.6Ce qui précède montre que l’auteur n’a pas épuisé les recours utiles de manière opportune et cohérente et que, par conséquent, sa communication doit être jugée irrecevable.
4.7L’État partie note aussi que la communication avait été présentée au titre de la procédure établie conformément à la résolution 1503 et son examen abandonné. En conséquence, elle devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.
4.8Enfin, l’État partie fait valoir que la présentation de la communication au Comité quelque trois ans après l’acquittement prononcé par la chambre d’accusation du tribunal pénal de première instance d’Athènes doit être considérée comme abusive.
4.9Dans une note du 15 février 2007, l’État partie a présenté des observations sur le fond de la communication. Il fait valoir que les éléments de preuve figurant dans le dossier dont ont eu à connaître les autorités judiciaires et policières nationales ne font pas apparaître le moindre élément de cruauté requis pour établir une violation de l’article 7 du Pacte. Le 2 juillet 2001, devant le Procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes, l’auteur s’est plaint d’une agression par le policier Georgios Yannadakis qui, toutefois, a entraîné seulement une lésion corporelle simple. Cette infraction est définie au paragraphe 1 de l’article 308 du Code pénal. Il s’agit de la forme la plus légère de lésion corporelle prévue et punie par la législation pénale, contrairement à l’infraction de lésion corporelle dangereuse et grave visée dans les articles 309 et 310 du Code. L’auteur a également notifié au Procureur les noms et adresses de deux témoins de l’accusation. Toutefois, ces personnes ont été recherchées afin de témoigner pendant l’enquête préliminaire sur l’affaire, mais elles n’ont pu être trouvées aux adresses indiquées par l’auteur.
4.10L’auteur affirme qu’il est resté couché chez lui pendant douze jours après les faits du 15 juin 2001. Mais, au lieu de se rendre au service médico‑légal immédiatement après l’incident, il ne l’a fait que dix‑huit jours plus tard, ce qui rendait l’examen médical impossible. Selon le rapport médical, aucune lésion n’a été observée, si ce n’est quelques cicatrices circulaires à la paume des mains et au coude gauche. L’enquête par procédure sommaire sur l’affaire a été menée sans dépositions des témoins de l’accusation. En revanche, les policiers ayant pris part aux incidents et témoigné dans le cadre de l’enquête administrative ont confirmé que l’auteur avait constamment refusé d’obéir à leurs ordres, qu’ils lui avaient donc passé les menottes et l’avaient conduit au commissariat de police. Aucun des témoignages des cinq policiers n’apporte la preuve que la police ait fait usage de la force contre l’auteur. Ce dernier a été arrêté, inculpé pour rébellion, désobéissance et insultes et condamné à quatorze mois et quinze jours d’emprisonnement.
4.11Pendant l’enquête administrative officieuse menée par le Directeur adjoint de la Direction de la Police de l’Attique Nord‑Est, une personne, qui se trouvait au commissariat de police d’Aghia Paraskevi pour une démarche personnelle lorsque l’auteur y a été amené, a témoigné que ce dernier semblait pris de boisson et avait semé la confusion dans le commissariat, mais que les policiers avaient été patients avec lui. L’auteur n’a pas formulé de griefs contre les policiers et n’a pas déposé plainte contre eux lorsqu’il se trouvait au commissariat.
4.12D’après les éléments de preuve figurant dans le dossier établi pendant l’enquête préliminaire menée aux niveaux judiciaire et administratif, les lésions corporelles légères que l’auteur a pu subir étaient dues à la résistance qu’il a opposée à son arrestation et ne dépassaient pas le niveau minimum de gravité requis par l’article 7 du Pacte. Le jugement rendu par les autorités judiciaires grecques pourrait seulement être examiné par le Comité pour caractère manifestement arbitraire ou déni de justice; or aucun de ces éléments n’a été mis en évidence dans la présente affaire.
4.13Outre la plainte présentée par l’auteur le 2 juillet 2001, une seconde plainte a été déposée le 12 octobre 2005 par l’organisation Hellenic Helsinki Monitor (Observatoire grec des Accords d’Helsinki) contre des policiers et le personnel judiciaire pour violation de leurs obligations professionnelles dans le cadre de cette affaire. Le Procureur de la cour d’appel du Pirée a rejeté la plainte car elle a considéré que, dans l’affaire, aucun acte punissable n’avait été commis par les policiers ou par les membres de la profession judiciaire. Une enquête judiciaire a certes été menée visant les organes compétents de l’État, mais il a été conclu que ces derniers avaient traité l’affaire sans aucune trace d’arbitraire ou de déni de justice.
4.14En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie explique qu’une enquête administrative sous serment est ordonnée en même temps que l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre des policiers afin de vérifier les infractions commises telles que le fait d’infliger des lésions corporelles. En revanche, lorsque les éléments de preuve sont insuffisants pour engager une procédure disciplinaire, on procède à une enquête préliminaire. Ordonner une enquête préliminaire n’équivaut pas à engager une procédure disciplinaire, et le but recherché est de procéder à une enquête informelle mais objective et impartiale en recueillant les éléments de preuve nécessaires. Si les éléments recueillis sont suffisants, une procédure disciplinaire sera engagée contre le policier responsable. Dans le cadre d’une enquête préliminaire, tous les actes nécessaires à l’établissement de la vérité sont accomplis, comme l’interrogatoire du plaignant et des témoins, l’inspection des lieux ou des recherches confiées à un expert, ainsi que la collecte d’éléments de preuve documentaires. Étant donné le caractère informel de l’enquête préliminaire, il n’est pas établi de rapport administratif/d’enquête et les témoins ne sont pas appelés à déposer sous serment. L’enquête préliminaire informelle et l’enquête administrative officielle sous serment menées par la police offrent les mêmes garanties de fiabilité et d’efficacité. Elles diffèrent seulement du point de vue de la procédure, puisque la seconde n’est ordonnée qu’à la suite de l’ouverture d’une procédure disciplinaire, alors que l’enquête préliminaire informelle sert seulement à déterminer si les conditions sont réunies pour l’ouverture d’une telle procédure.
4.15L’enquête préliminaire informelle a été menée par un policier de rang supérieur de la Police hellénique qui était en poste dans une autre direction de la police (Direction de la Police de l’Attique Nord‑Est), hiérarchiquement supérieure au commissariat de police auquel appartenaient les policiers impliqués. On peut donc considérer son indépendance comme acquise. Si l’affaire avait fait l’objet d’une enquête conduite par une autre autorité administrative, les éléments de preuve recueillis n’auraient pas été différents.
4.16Pour que l’affaire soit examinée sous l’angle de l’article 2 du Pacte, il faudrait une violation de l’article 7. Or, en l’espèce, il n’y a pas eu violation de cet article, étant donné que les éventuels mauvais traitements subis par l’auteur n’atteignaient pas le degré minimum de gravité requis pour établir une atteinte à la dignité humaine. En conséquence, il n’est pas possible d’examiner indépendamment la plainte de l’auteur qui invoque l’absence de recours utiles susceptibles de permettre d’identifier et de punir les responsables, étant donné qu’il ne peut être conclu à une violation de l’article 7. Si le Comité devait conclure à une violation de l’article 7, il faudrait alors souligner que l’enquête menée sur cette affaire au niveau administratif et au niveau judiciaire a été approfondie, efficace et de nature à permettre d’identifier et de punir les responsables. Par conséquent, l’allégation de violation de l’article 2 est sans fondement.
4.17En ce qui concerne les allégations de traitement discriminatoire faites par l’auteur, c’est au Comité qu’elles ont été formulées pour la première fois. L’auteur ne s’est pas plaint d’un tel traitement devant l’une quelconque des autorités judiciaires et policières compétentes. La force dont la police a fait usage pendant l’arrestation et le transport de l’auteur restait dans les limites posées par la loi et proportionnelle à la résistance qu’il a opposée. Le traitement subi par l’auteur n’était pas dû à son origine raciale mais à la vigueur de sa rébellion et à la manière dont il a résisté aux efforts des policiers pour l’arrêter. En conséquence, quant au fond, cette partie de la communication doit aussi être considérée comme non fondée.
Commentaires de l’auteur
5.1Dans des commentaires datés du 18 juin 2007, le conseil rejette la version des faits présentée par l’État partie. Il déclare que le policier contre lequel l’auteur a déposé plainte, dans son témoignage du 4 novembre 2002, n’a pas parlé d’attitude menaçante de l’auteur et a dit que les renforts avaient été demandés non pas en raison de l’attitude de l’auteur mais à cause du coup de feu qui avait été tiré. Concernant la cause des blessures de l’auteur, les documents de la police indiquent que ces blessures résultaient non pas d’une chute mais de la lutte de l’auteur avec les policiers pour résister à son arrestation. En ce qui concerne le témoignage du particulier qui se trouvait au commissariat de police au moment où l’auteur y a été amené, l’État partie n’apporte pas de preuve d’un tel témoignage, qui est simplement mentionné comme ayant été donné oralement à l’enquêteur de la police. En conséquence, l’auteur exprime des doutes quant à sa véracité. Ce témoignage aurait été mentionné dans le rapport du policier de la Direction de l’Attique Nord‑Est. Toutefois, ce rapport n’a jamais été fourni à l’auteur ni au Comité.
5.2Lorsqu’il a comparu devant le Procureur le 18 juin 2001, l’auteur n’a pas eu la possibilité de parler des mauvais traitements qu’il avait subis, car l’audition a été remise d’office. C’est à cette même date qu’il s’est rendu au service médico‑légal, qui a toutefois refusé de l’examiner.
5.3L’auteur rappelle que ni lui ni aucun de ses amis ayant été les témoins oculaires de l’incident n’ont été requis de témoigner pendant l’enquête de la police ni pendant l’enquête judiciaire, et il maintient la version des faits qu’il a présentée dans la lettre initiale.
5.4En ce qui concerne l’allégation de non‑épuisement des recours internes, l’auteur rappelle qu’il ne s’est pas plaint de mauvais traitements le 15 juin 2001 parce qu’il se trouvait en garde à vue et craignait des représailles. En outre, l’État affirme à tort que l’auteur a été conduit devant le Procureur le 18 juin 2001. À cette date, l’auteur devait passer en jugement, mais l’audience a été reportée. C’est pourquoi il s’est rendu auprès d’un expert médico‑légal, espérant être examiné afin de renforcer sa thèse.
5.5L’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes parce que, dans sa plainte, il a seulement fait état de lésions corporelles simples. Toutefois, en droit grec, le procureur n’a pas besoin d’une plainte émanant de la victime mais peut ouvrir une enquête d’office sur tout acte non provoqué d’atteinte à l’intégrité corporelle, toute lésion corporelle grave et lésion corporelle dangereuse. De la même manière, le procureur peut enquêter d’office sur des violations de la loi antiraciste et sur des actes de torture et autres infractions connexes d’atteinte à la dignité humaine. L’auteur escomptait qu’une enquête en bonne et due forme, une fois que les faits seraient établis, porterait sur quelques‑unes ou la totalité de ces infractions passibles de poursuites d’office. C’est pourquoi il réaffirme avoir épuisé les recours internes.
5.6Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui fait valoir que l’affaire a été examinée au titre de la procédure 1503, l’auteur n’est pas d’avis que cela constitue un motif valable d’irrecevabilité. Il s’élève également contre l’idée que la communication soit considérée comme abusive parce qu’elle a été présentée environ trois ans après la dernière décision rendue par une juridiction nationale et invoque la jurisprudence du Comité à cet égard.
5.7Quant aux allégations de violation de l’article 7 du Pacte, l’auteur rappelle qu’aucun tribunal n’a jamais statué sur sa plainte. Le Conseil judiciaire des délits correctionnels, qui a décidé de ne pas engager de poursuites à la suite d’une requête du Procureur, n’est pas un tribunal qui siège en audience publique où les deux parties peuvent plaider leur cause. Il siège à huis clos, n’entend que le procureur et la décision qu’il rend n’est pas publique. Il peut décider qu’il n’y aura pas de procès lorsqu’il a la conviction que la plainte est «infondée dans les faits». Pendant les deux ans qui ont suivi l’incident, ni l’auteur ni aucun de ses témoins n’ont été appelés à témoigner par aucun des enquêteurs, que ce soit dans le cadre de l’enquête administrative ou dans le cadre de l’enquête judiciaire. L’enquête a consisté en tout et pour tout en une seule et unique déclaration faite par le défendeur à ses collègues policiers. La police n’a pas tenu compte de l’intervention du Médiateur qui a insisté pour qu’une enquête administrative sous serment soit menée. Dans le contexte d’une telle enquête, le plaignant et ses témoins devaient être cités à comparaître.
5.8Les observations de l’État partie qui affirme que l’auteur a été reconnu coupable par le tribunal correctionnel d’Athènes également pour refus d’obtempérer sont diffamatoires car l’auteur n’a jamais été poursuivi pour cette infraction.
5.9L’État partie reconnaît que le policier chargé de l’enquête appartenait à la Direction régionale de la Police de l’Attique Nord‑Est à laquelle le commissariat de police d’Aghia Paraskevi est subordonné hiérarchiquement. En revanche, il est inexact d’affirmer qu’il s’agissait d’une autre direction de la police. Le commissariat de police d’Aghia Paraskevi est l’un des 35 commissariats administrativement subordonnés à la Direction de la Police de l’Attique Nord‑Est; tel est également le cas du commissariat d’Halandri qui a mené l’enquête judiciaire au nom du Procureur. En réalité, le commissariat de police d’Aghia Paraskevi se trouve dans le même bâtiment que la Direction de la Police de l’Attique Nord‑Est. Ce qui fait que le policier enquêteur «indépendant» était le supérieur immédiat des policiers impliqués dans l’affaire et avait son bureau un étage au‑dessus du bureau de ces derniers, dans le même bâtiment. En fait, le règlement disciplinaire de la police a changé depuis et ne permet plus à une direction de la police de lancer une enquête sur des allégations d’irrégularités commises par un policier qui lui est subordonné. Dans ce cas, cette enquête doit être confiée à un policier appartenant à une autre direction de la police.
5.10Selon l’auteur, l’État partie se trompe quand il affirme que l’auteur s’est plaint pour la première fois de discrimination raciale dans la communication présentée au Comité. En fait, il s’en est plaint au Médiateur le 2 juillet 2001 et cette plainte a été envoyée à la Police hellénique. Toutefois, il n’en a été tenu aucun compte.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui objecte que la communication doit être considérée irrecevable parce que l’affaire a été présentée dans le cadre de la procédure établie en vertu de la résolution 1503 (XLVIII) du Conseil économique et social, le Comité rappelle sa jurisprudence constante, à savoir que cette procédure ne constitue pas une autre instance internationale d’examen au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Cette affirmation préliminaire de l’État partie doit par conséquent être rejetée.
6.4L’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, parce qu’il a déposé une plainte le 2 juillet 2001 seulement au lieu de le faire immédiatement après les incidents, et parce qu’il n’a pas invoqué l’article pertinent du Code pénal. Le Comité considère que le retard mentionné par l’État partie et la manière dont la plainte a été formulée seront traités de façon plus appropriée dans le cadre de l’examen de l’affaire au fond. En outre, l’État partie ne dit pas de quels autres recours additionnels l’auteur aurait pu se prévaloir. Par conséquent, le Comité considère que les conditions requises par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ont été réunies.
6.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie qui affirme que la communication doit être considérée comme un abus de droit de présenter une communication parce qu’elle a été soumise quelque trois ans après la décision d’acquittement, le Comité rappelle que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour lui adresser une communication et considère que le délai en l’espèce n’était pas déraisonnable au point de constituer un abus du droit de présenter une communication.
6.6En ce qui concerne la plainte formulée par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 26 du Pacte, le Comité considère qu’elle n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.7En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité conclut que la communication est recevable car elle soulève des questions au regard de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte et il procède à son examen quant au fond.
Examen au fond
7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.
7.2En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, le Comité note que l’auteur a déposé plainte devant le Procureur près du tribunal correctionnel d’Athènes le 2 juillet 2001 et que ce dernier a renvoyé la plainte au magistrat de Koropi afin qu’il procède à une enquête judiciaire. Cependant, le magistrat a refusé d’enquêter en se déclarant incompétent, sans fournir d’explication justifiant sa décision. Le Comité note également que la procédure disciplinaire n’a pas été engagée non plus, et que la seule enquête effectuée a été une enquête préliminaire de police. Comme l’État partie l’a confirmé, cette enquête était officieuse, et ni l’auteur ni les témoins qu’il avait cités n’ont été entendus. Enfin, l’affaire a été classée par le Conseil judiciaire des délits correctionnels qui, en se fondant sur l’enquête de police, a décidé de ne pas poursuivre les accusés. Cette décision a été prise à la suite d’une procédure à laquelle l’auteur n’a pas été autorisé à participer et dans laquelle c’est la déclaration du policier concerné qui a servi de base principale à la décision.
7.3Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les plaintes pour mauvais traitements doivent faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales de la part des autorités compétentes et que la rapidité et l’efficacité sont particulièrement importantes dans le jugement des affaires portant sur des allégations de torture et autres formes de mauvais traitements. Compte tenu de la manière dont il a été enquêté et statué sur la plainte de l’auteur, comme cela est indiqué dans le paragraphe précédent, le Comité estime que le critère requis n’a pas été respecté dans la présente affaire. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a commis une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7. Ayant constaté cette violation, le Comité n’estime pas nécessaire de statuer sur la question d’une éventuelle violation de l’article 7 du Pacte pris séparément.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte lu conjointement avec l’article 7.
9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une réparation adéquate. Il est également tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Note
EE. Communication n o 1488/2006, Süsser c. République tchèque*(Constatations adoptées le 25 mars 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
Miroslav Süsser (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
République tchèque |
Date de la communication: |
30 juin 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens |
Questions de procédure: |
Abus du droit de présenter une communication |
Questions de fond: |
Égalité devant la loi; égale protection de la loi |
Article du Pacte: |
26 |
Article du Protocole facultatif: |
3 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 25 mars 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1488/2006, présentée au nom de M. Miroslav Süsser en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1L’auteur de la communication (datée du 30 juin et du 2 juillet 2006) est M. Miroslav Süsser, citoyen américain par naturalisation, résidant actuellement aux États‑Unis, né le 14 mai 1934 à Prague. Il se déclare victime d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il n’est pas représenté par un conseil.
1.2Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Protocole facultatif) est entré en vigueur pour la République tchèque le 22 février 1993.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1La mère de l’auteur était propriétaire d’un immeuble d’habitation, qui portait le numéro 67, d’un terrain et d’un jardin situés à Michle, un quartier de la ville de Prague. Le 21 décembre 1962, sa mère, sous la pression de l’État tchèque, a cédé l’immeuble et les terrains à l’État tchèque. Le père de l’auteur était propriétaire pour moitié des immeubles nos 67, 68 et 69, et de trois parcelles situées à Soběslav. L’autre moitié appartenait à l’oncle de l’auteur, Rudolf Süsser.
2.2L’auteur a fui aux États-Unis le 6 octobre 1969 et a par la suite obtenu la nationalité américaine. Sa mère est décédée le 8 août 1978 et son père le 23 janvier 1987. L’auteur et sa sœur, Jiřina Hrbatová, sont les seuls héritiers survivants.
2.3Pour ce qui est des biens situés à Prague, la loi no 119/1990 a annulé toutes les cessions forcées. L’auteur a engagé une action contre la ville de Prague et contre sa sœur parce que la première avait attribué la propriété de l’immeuble dans son entier à la seconde. En date du 20 mars 1996, le tribunal régional de Prague a rejeté la demande de l’auteur au motif qu’il était devenu citoyen américain. En effet, l’auteur ne satisfaisant pas au critère de la possession continue de la nationalité fixé par la loi no 87/1991, la restitution lui a été refusée. L’auteur a fait appel de cette décision. Le 18 avril 1997, la cour d’appel (tribunal municipal) a rejeté le recours pour le même motif, c’est-à-dire que l’auteur était un ressortissant étranger. L’auteur a introduit un «recours extraordinaire» auprès de la Cour suprême, lequel a été rejeté le 30 novembre 1998.
2.4L’auteur a engagé une action devant la Cour constitutionnelle qui a décidé le 18 mai 1999 d’annuler la décision de la cour d’appel (tribunal municipal) du 18 avril 1997 et la décision du tribunal régional de Prague du 20 mars 1996. L’affaire a été renvoyée devant le tribunal régional de Prague qui a décidé, le 8 juin 2000, que la défenderesse, Jiřina Hrbatová, devait céder à l’auteur la moitié de l’immeuble, la moitié du terrain et la moitié du jardin, dans un délai de quinze jours. Le 15 mars 2001, la cour d’appel (tribunal municipal) a annulé la décision du tribunal régional et a renvoyé l’affaire devant le tribunal régional.
2.5Le 30 octobre 2001, le tribunal régional a annulé son jugement précédent. Il ressortait d’une enquête menée par le Service de la citoyenneté du Ministère de l’intérieur, qui en a informé le tribunal dans une lettre datée du 21 août 2001, que l’auteur avait possédé la nationalité tchécoslovaque et la nationalité tchèque jusqu’au 10 décembre 1984 et avait obtenu la nationalité américaine le 11 décembre 1984, perdant ainsi sa nationalité tchécoslovaque et sa nationalité tchèque en vertu du Traité de naturalisation conclu entre l’ancienne République tchécoslovaque et les États-Unis d’Amérique en 1928 (Traité de naturalisation). Le tribunal régional a donc estimé que l’auteur ne pouvait pas prétendre à la restitution.
2.6Pour ce qui est des biens situés à Soběslav, après le décès de leur père, en 1987, la part des biens dont il était propriétaire est revenue à la sœur de l’auteur. Celui-ci affirme qu’il a été «écarté» parce qu’il était devenu citoyen américain. Il a saisi le tribunal de district de Tábor, qui l’a débouté le 31 décembre 1997 parce qu’il n’était pas citoyen tchèque. L’auteur a introduit un recours auprès du tribunal régional de České Budějovice qui a confirmé le 6 novembre 1998 la décision du tribunal de district en se fondant sur les dispositions de la loi no 87/1991. L’auteur a porté l’affaire devant la Cour constitutionnelle qui a rejeté sa demande le 10 avril 2001.
2.7La même affaire a été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme (requête no 71546/01) qui a établi, le 16 octobre 2002, que les faits ne faisaient apparaître aucune violation des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme. La République tchèque n’a pas formulé de réserve au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.
Teneur de la plainte
3.L’auteur se dit victime d’une violation de l’article 26 du Pacte étant donné que la condition relative à la nationalité fixée par la loi no 87/1991 constitue une discrimination illégale.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication
4.1Dans une note verbale datée du 7 février 2007, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il conteste la recevabilité de la communication au motif qu’elle constitue un abus du droit de présenter des plaintes au sens de l’article 3 du Protocole facultatif. Il invoque la jurisprudence du Comité, en particulier dans l’affaire Gobin c. Maurice. Dans la présente affaire, l’État partie fait valoir que l’auteur s’est adressé au Comité en juillet 2006, soit trois ans et neuf mois après que la Cour européenne des droits de l’homme a rendu sa décision (3 octobre 2002), sans expliquer pourquoi il a laissé s’écouler un tel laps de temps.
4.2L’État partie rappelle que l’auteur − ainsi que d’autres personnes qui demandent la restitution de biens − aurait pu demander la nationalité tchèque auprès des autorités en 1990 et en 1991 et que, si tel avait été le cas, il aurait eu toutes les chances d’obtenir la nationalité, ce qui lui aurait permis de satisfaire aux conditions énoncées dans la loi no 87/1991. En ne demandant pas la nationalité tchèque au cours de cette période, l’auteur s’est privé de la possibilité de répondre en temps opportun aux conditions prescrites par la loi sur la restitution.
4.3L’État partie renvoie également à ses réponses dans des affaires similaires précédentes et souligne que les lois de restitution, notamment la loi no 87/1991, avaient un double objectif: atténuer les conséquences des injustices commises sous le régime communiste et permettre de rapidement mener à bien une vaste réforme économique visant à mettre en place une économie de marché efficace. Comme il n’était pas possible de réparer toutes les injustices commises dans le passé, des conditions préalables restrictives ont été établies, notamment celle relative à la nationalité, qui visait à garantir que les biens restitués soient dûment entretenus et conservés. L’État partie indique que la condition de nationalité a toujours été considérée comme conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle.
4.4L’État partie souligne enfin que les biens litigieux ne sont pas restés en sa possession mais qu’ils ont été remis dès 1991 à une personne qui y avait droit dans le cadre du processus de restitution. La sœur de l’auteur est donc devenue propriétaire des biens car elle était l’héritière légitime du propriétaire initial des biens et elle satisfaisait à toutes les conditions énoncées par la loi.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans une réponse du 16 mai 2007, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il réfute l’argument selon lequel la présentation de sa communication constitue un abus du droit de présenter une plainte et rappelle qu’aucun délai n’est fixé pour la présentation d’une communication. Il souligne également qu’il n’est pas avocat.
5.2L’auteur réaffirme que la condition de nationalité fixée par la loi no 87/1991 est contraire à la Constitution de la République tchèque et à l’article 26 du Pacte.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité note, comme l’exigent les dispositions contenues dans les paragraphes 2 a) et 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas actuellement en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.
6.3Le Comité prend également note de l’argument avancé par l’État partie pour qui la communication devrait être déclarée irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, en raison du laps de temps écoulé avant qu’elle ne soit adressée au Comité. L’État partie souligne que l’auteur a attendu trois ans et neuf mois après que la Cour européenne des droits de l’homme a rendu sa décision pour soumettre sa plainte. Le Comité réaffirme que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour la présentation de communications et que le laps de temps écoulé avant qu’une telle communication lui soit adressée ne constitue pas en soi, sauf dans des circonstances exceptionnelles, un abus du droit de présenter une communication. En l’espèce, le Comité n’estime pas qu’un laps de temps de plus de trois ans à compter de la décision d’une autre instance internationale d’enquête ou de règlement constitue un abus du droit de plainte. Il décide donc que la communication est recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au titre de l’article 26 du Pacte.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Le Comité doit déterminer si l’application à l’auteur de la loi no 87/1991 a constitué une discrimination, en violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26.
7.3Le Comité rappelle les constatations qu’il a adoptées dans les affaires Adam, Blazek, Marik, Kriz, Gratzinger et Ondracka, dans lesquelles il avait conclu à une violation de l’article 26 du Pacte. Étant donné que l’État partie lui même est responsable du départ de l’auteur de l’ancienne Tchécoslovaquie pour un autre pays, où il a fini par s’installer définitivement et dont il a obtenu la nationalité, le Comité considère qu’il serait incompatible avec le Pacte d’exiger de lui qu’il remplisse la condition relative à la nationalité tchèque pour obtenir la restitution de ses biens ou, à défaut, une indemnisation.
7.4Le Comité estime que le principe établi dans les affaires mentionnées ci-dessus s’applique également à l’auteur et que l’application par les tribunaux internes de la condition relative à la nationalité a représenté une violation des droits garantis par l’article 26 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation, y compris une indemnisation si les biens ne peuvent pas être restitués. Le Comité engage de nouveau l’État partie à revoir sa législation de façon à garantir à tous l’égalité devant la loi et l’égale protection de la loi.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingt jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
FF. Communication n o 1497/2006, Preiss c. République tchèque*(Constatations adoptées le 17 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Richard Preiss (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
République tchèque |
Date de la communication: |
22 mars 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens |
Questions de procédure: |
Abus du droit de présenter une communication; non‑épuisement des recours internes |
Questions de fond: |
Égalité devant la loi et égale protection de la loi |
Article du Pacte: |
26 |
Articles du Protocole facultatif |
3, 5 (par. 2 b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 17 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1497/2006 présentée au nom de M. Richard Preiss en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication est M. Richard Preiss, ressortissant des États‑Unis d’Amérique par naturalisation, résidant actuellement dans l’Arizona (États‑Unis), né le 1er avril 1935 à Prague (Tchécoslovaquie). Il se déclare victime d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.
Exposé des faits
2.1L’auteur déclare qu’il a fui le régime communiste tchécoslovaque en avril 1966. En 1972, il a obtenu la nationalité américaine et a perdu en conséquence sa nationalité tchécoslovaque, conformément au Traité bilatéral sur la naturalisation de 1928. Il a recouvré la nationalité tchèque le 17 décembre 1999.
2.2L’auteur était propriétaire d’un huitième d’une maison et d’un immeuble à Vinohadry (Prague); il a été contraint de céder sa part de ces biens à l’État tchécoslovaque, par un acte de donation en date du 15 septembre 1961.
2.3En vertu de la loi no87/1991, les personnes victimes de certaines injustices concernant des biens commises entre le 25 février 1948 et le 1er janvier 1990 pouvaient obtenir la restitution ou une indemnisation. L’article 3 de cette loi précisait qu’il fallait avoir la nationalité tchèque pour y prétendre. L’article 5 fixait un délai de six mois à compter du 1er avril 1991 pour présenter la demande. En vertu d’un accord exécuté en application de cette loi, l’entreprise publique Prague 3 Housing Enterprise a reconnu que la donation de 1961 avait été faite sous la contrainte et a restitué les biens susmentionnés aux propriétaires d’origine ou à leurs héritiers, par un acte en date du 25 mars 1992. L’auteur n’était pas partie à cet accord et sa part des biens est donc restée la propriété de l’État.
2.4Le 15 septembre 1993, l’auteur a engagé une action pour obtenir l’annulation de l’accord devant le tribunal du district no 3 de Prague. Le 18 mai 1994, le tribunal a déclaré sa demande irrecevable pour défaut d’intérêt pour agir, notamment, au motif que l’auteur n’avait pas la nationalité tchèque.
2.5Le 8 avril 1994, les propriétaires des biens ont vendu leurs parts pour la somme de 8 millions de couronnes. Le 26 octobre 1995, l’auteur a saisi le tribunal du district no 2 de Prague pour réclamer la huitième part de cette vente, mais la procédure a été close le 4 janvier 1996.
2.6Le 9 novembre 1999, l’auteur a engagé devant le tribunal du district no 3 de Prague une action pour enrichissement sans cause contre la municipalité du district no 3 de Prague, en demandant une indemnité de 1 million de couronnes. Le 3 juillet 2003, le tribunal a rejeté sa demande, en faisant observer que les droits de l’auteur sur les biens en question s’étaient éteints du fait que la demande de restitution n’avait pas été présentée dans le délai prescrit. L’auteur a fait appel de cette décision, mais il a ensuite retiré son recours le 17 octobre 2003 et le tribunal a donc clos la procédure le 28 novembre 2003.
2.7L’auteur indique que certaines décisions judiciaires ne lui sont pas parvenues, ce qui l’a empêché de les contester en temps voulu. Ses avocats tchèques l’ont également prévenu que tout autre recours devant les tribunaux serait vain du fait qu’il avait perdu sa nationalité tchèque.
Teneur de la plainte
3.L’auteur affirme être victime de discrimination étant donné que la loi no 87/1991 subordonne la restitution de ses biens à la condition qu’il ait la nationalité tchèque, et que c’est sur ce critère que les tribunaux ont rejeté ses demandes.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1Dans ses observations en date du 30 avril 2007, l’État partie traite à la fois de la recevabilité et du fond de la communication. Pour ce qui est de la recevabilité, il indique que la décision du 18 mai 1994 du tribunal du district no 3 de Prague devrait être considérée comme la dernière décision rendue sur le fond dans l’affaire concernant l’auteur, ce qui signifie que près de douze années se sont écoulées avant que l’auteur saisisse le Comité. L’action engagée par l’auteur pour enrichissement sans cause devrait être considérée comme une répétition de la même demande. En l’absence d’explications de la part de l’auteur sur les raisons de ce retard, l’État partie renvoie à la décision du Comité en l’affaire Gobin c. Maurice (communication no 787/1997) et affirme que la présente communication est irrecevable en ce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications au sens de l’article 3 du Protocole facultatif.
4.2L’État partie affirme en outre que la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes, l’auteur n’ayant pas demandé la restitution de ses biens au titre de la loi no 87/1991. L’État partie déclare que si les tribunaux ont rejeté les prétentions de l’auteur, c’est principalement parce que celui‑ci avait perdu ses droits sur les biens en question, faute de les avoir fait valoir dans le délai prescrit par la loi. Pour l’État partie, il s’ensuit que l’auteur n’a pas exercé les recours que lui offrait la législation tchèque pour faire valoir ses droits. L’État partie relève en outre que l’auteur n’a pas fait appel de la décision du 18 mai 1994 par laquelle le tribunal de district avait rejeté son action en nullité de l’accord conclu au sujet de la restitution des biens. Quant à l’action pour enrichissement sans cause engagée par l’auteur, l’État partie fait valoir qu’elle ne saurait être considérée comme un recours interne au sens du Protocole facultatif.
4.3Sur le fond, l’État partie renvoie aux observations qu’il avait soumises au Comité concernant des affaires similaires, et dans lesquelles il avait exposé le contexte politique et les conditions juridiques dans lesquels s’inscrivait la loi relative à la restitution des biens. Ladite loi visait uniquement à supprimer certaines des injustices commises par le régime communiste, étant donné qu’il n’était pas possible de réparer toutes celles commises à cette époque. L’État partie renvoie aux décisions de la Cour constitutionnelle, qui a examiné à plusieurs reprises la question de savoir si la condition de nationalité était conforme à la Constitution et aux libertés et aux droits fondamentaux, sans trouver aucun motif d’annuler cette condition.
4.4L’État partie explique ensuite que les lois relatives à la restitution des biens étaient l’un des dispositifs visant à la transformation de la société et à la mise en œuvre des réformes économiques, qui comprenaient la restitution de biens privés. La condition de nationalité a été prévue pour s’assurer que les propriétaires prendraient soin de leurs biens, et elle a été jugée pleinement conforme avec l’ordre constitutionnel de l’État partie.
4.5L’État partie explique que l’auteur aurait pu recouvrer la nationalité tchèque dès 1990 s’il en avait fait la demande. Il aurait alors été en mesure de présenter dans les délais une demande de restitution au titre de la loi no 87/1991. D’après l’État partie, 72 personnes ont ainsi acquis la nationalité tchèque au cours de l’année 1991. L’État partie estime que l’auteur, en ne recouvrant pas la nationalité tchèque à cette époque, s’est privé lui‑même de la possibilité de remplir en temps voulu la condition fixée dans la loi no 87/1991. Il réitère à ce propos que la nationalité était un critère légitime, raisonnable et objectif auquel l’auteur aurait pu satisfaire par une simple demande.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, datés du 2 juillet 2007, l’auteur affirme que la loi no 87/1991 contient des dispositions discriminatoires qui sont incompatibles avec le Pacte, et que s’il n’avait pas intérêt pour agir devant les tribunaux, c’est parce qu’il ne remplissait pas la condition de nationalité exigée par la loi. L’auteur ajoute qu’il n’était pas nécessaire d’appliquer la loi no 87/1991, puisque la loi no 119/1990 avait déjà annulé rétroactivement les donations de biens faites sous la contrainte, comme dans le cas de l’auteur.
5.2L’auteur réitère que les tribunaux ont tous fait référence, dans leurs décisions, au fait qu’il avait perdu sa nationalité tchèque. Il dément qu’il aurait pu recouvrer cette nationalité en 1990 ou en 1991, comme le soutient l’État partie, puisque la loi no 88/1990 ne permet pas l’acquisition de la nationalité tchèque dans les cas où cela contreviendrait à un traité international − ce qui, d’après l’auteur, vise le traité sur la naturalisation.
5.3L’auteur fait valoir qu’il a été démontré que la condition de nationalité était illégitime, déraisonnable et partiale, et contraire aux traités internationaux. Il ajoute que l’État partie continue sciemment d’ignorer les décisions du Comité des droits de l’homme à ce sujet.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie, pour qui la communication devrait être déclarée irrecevable car elle constitue un abus du droit de plainte en raison du temps excessif qui s’est écoulé entre la dernière décision rendue en l’affaire et la présentation de la communication au Comité. Le Comité souligne que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour lui adresser des communications. Par conséquent, un retard dans la soumission de la plainte ne peut entraîner l’irrecevabilité de la communication que dans des circonstances exceptionnelles. En l’espèce, étant donné que l’auteur a engagé plusieurs actions pour faire valoir ses droits devant les tribunaux et que la dernière décision rejetant ses demandes date de novembre 2003, le Comité estime que ce retard n’est pas excessif au point de rendre la communication irrecevable en tant qu’abus du droit de plainte au sens de l’article 3 du Protocole facultatif.
6.4L’État partie a affirmé également que la communication était irrecevable pour non‑épuisement des recours internes. À l’appui de cet argument, il a fait observer que l’auteur n’avait pas demandé la restitution de ses biens dans le délai prescrit par la loi no 87/1991. L’État partie a relevé en outre que l’auteur, bien qu’il ait engagé différentes actions en justice pour tenter d’obtenir une indemnisation pour la perte de ses biens, n’a pas contesté les décisions rendues en première instance ou, lorsqu’il l’a fait, a renoncé ensuite à faire appel. L’auteur lui‑même a déclaré que ses avocats l’avaient prévenu qu’il serait inutile de faire appel des décisions judiciaires du fait qu’il n’avait pas à l’époque la nationalité tchèque.
6.5Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence établie, l’auteur d’une communication n’a pas besoin, au sens du Protocole facultatif, d’épuiser les recours internes si ceux‑ci sont réputés inutiles. Le Comité relève qu’en raison des conditions préalables prévues par la loi no 87/1991, l’auteur ne pouvait pas présenter à l’époque une demande de restitution puisqu’il n’avait plus la nationalité tchèque. Le Comité note à ce propos que d’autres demandeurs ont contesté sans succès la constitutionnalité de cette loi, que les constatations qu’il a formulées précédemment dans des affaires analogues n’ont pas été suivies d’effet et que, malgré ces plaintes, la Cour constitutionnelle a réaffirmé la constitutionnalité de la loi relative à la restitution des biens. Le Comité en conclut qu’aucun recours utile n’était ouvert à l’auteur.
6.6En outre, en ce qui concerne le délai, si l’imposition d’une date limite peut être objective, voire raisonnable, dans l’absolu, le Comité ne saurait accepter qu’un tel délai pour la présentation des demandes de restitution s’applique dans le cas de l’auteur, puisque celui‑ci était d’emblée exclu du bénéfice de la restitution selon les dispositions expresses de la loi.
6.7Par conséquent, le Comité conclut que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.
6.8Pour ces motifs, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle peut soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2En ce qui concerne le grief de discrimination soulevé par l’auteur au motif que la loi no 87/1991 subordonne la restitution de ses biens à la condition qu’il ait la nationalité tchèque, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26.
7.3Le Comité rappelle en outre les constatations qu’il a adoptées dans les affaires Simunek, Adam, Blazek, Des Fours Walderode et Gratzinger, dans lesquelles il avait conclu que l’article 26 du Pacte avait été violé et qu’il serait contraire au Pacte d’exiger des auteurs qu’ils satisfassent à la condition de la nationalité tchèque pour obtenir la restitution de leurs biens ou, à défaut, d’une indemnisation. Le Comité estime que le précédent établi dans les affaires susmentionnées s’applique également à l’auteur de la présente communication et que le fait d’appliquer à celui‑ci la condition de nationalité prévue par la loi no 87/1991 a représenté une violation des droits qui lui sont garantis à l’article 26 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, sous la forme d’une indemnisation si son bien ne peut pas lui être rendu. Le Comité engage à nouveau l’État partie à revoir sa législation et sa pratique de façon à garantir que toutes les personnes bénéficient à la fois de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
GG. Communication n o 1533/2006, Ondracka c. République tchèque*(Constatations adoptées le 31 octobre 2007, quatre ‑vingt ‑onzième session)
Présentée par: |
Zdenek et Milada Ondracka(représentés par un conseil, M. James R. Shaules) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
République tchèque |
Date de la communication: |
17 avril 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens |
Questions de procédure: |
Abus du droit de présenter une communication |
Questions de fond: |
Égalité devant la loi et égale protection de la loi |
Article du Pacte: |
26 |
Article du Protocole facultatif: |
3 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 octobre 2007,
Ayant achevé l’examen de la communication no1533/2006 présentée par Zdenek et Milada Ondracka en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.1Les auteurs de la communication (datée du 17 avril et du 14 août 2006) sont M. Zdenek Ondracka et Mme Milada Ondracka, de nationalité américaine et tchèque, nés en 1929 et en 1933, respectivement, dans l’ancienne Tchécoslovaquie, et résidant actuellement aux États‑Unis. Ils se déclarent victimes d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Ils sont représentés par un conseil, M. James R. Shaules.
1.2Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Protocole facultatif) est entré en vigueur pour la République tchèque le 22 février 1993.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1Du temps du régime communiste, les auteurs ont acheté une parcelle à Uherske Hradiste, en République tchèque, où ils ont construit leur maison avec l’aide financière et matérielle de leur famille. En raison de la répression politique pratiquée par le régime communiste, les auteurs, utilisant des passeports tchécoslovaques, ont quitté la Tchécoslovaquie en 1981 pour des vacances d’une durée de vingt et un jours en Bulgarie et en Yougoslavie, mais ne sont pas retournés dans leur pays à la date voulue. Par la suite, et sans l’autorisation des autorités publiques, ils ont émigré aux États-Unis. En 1982, ils ont été jugés par défaut par un tribunal tchécoslovaque et condamnés à trois années d’emprisonnement et à la confiscation de leurs biens pour avoir abandonné le pays. En 1988, les auteurs ont obtenu la nationalité américaine. En vertu d’un traité sur la naturalisation conclu en 1928 par les États-Unis et la Tchécoslovaquie, ils ont perdu leur nationalité tchécoslovaque.
2.2En 1991, le Gouvernement tchèque a adopté la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire, énonçant les conditions de restitution de leurs biens aux personnes auxquelles ils avaient été confisqués sous le régime communiste. En vertu de cette loi, pour pouvoir prétendre à la restitution de ses biens, il fallait notamment a) être de nationalité tchécoslovaque, et b) résider à titre permanent en République tchèque. Ces conditions devaient être satisfaites pendant la période fixée pour la présentation des demandes de restitution, à savoir entre le 1er avril et le 1er octobre 1991. Dans un arrêt du 12 juillet 1994 (no 164/1994), la Cour constitutionnelle tchèque a annulé la condition de résidence permanente et fixé de nouveaux délais − du 1er novembre 1994 au 1er mai 1995 − pour la présentation des demandes de restitution par les personnes qui remplissaient les conditions ainsi modifiées.
2.3En 1991, en vertu de la loi no 119/90, un tribunal tchèque a rendu une décision (no Rt 177/91‑4) par laquelle les auteurs étaient réhabilités et les conséquences du jugement les condamnant annulées. Le 31 octobre 1995, les auteurs ont présenté une demande de restitution de leurs biens confisqués au tribunal de district de Uherske Hradiste. Cette demande a été rejetée le 4 février 1998 (no 5C 224/95‑29) au motif que les auteurs ne remplissaient pas la condition de nationalité pendant la période au cours de laquelle les nouvelles demandes de restitution pouvaient être présentées (période qui s’est achevée le 1er mai 1995). Les auteurs n’ont pas fait appel de ce jugement car ils ont été informés qu’il serait vain d’attaquer la décision du tribunal. Leur attitude s’explique par le fait que la Cour constitutionnelle de la République tchèque avait déjà rendu une décision (Pl. US 33/96‑41, pièce K), confirmant la constitutionnalité de l’application discriminatoire du paragraphe 1 de la loi no 87/1991 dans une affaire extrêmement similaire, ainsi que par la décision de ladite juridiction dans l’affaire no 185/1997, dans laquelle elle avait estimé que l’exigence de la nationalité à des fins de restitution était raisonnable. Les auteurs font donc valoir qu’ils ont épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.
Teneur de la plainte
3.Les auteurs se disent victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte, la condition de nationalité fixée par la loi no 87/1991 constituant une discrimination illégale. Ils invoquent la jurisprudence du Comité dans les affaires Adam c. République tchèque, Blazek c. République tchèque, Marik c. République tchèque et Kriz c. République tchèque, dans lesquelles le Comité a estimé que l’État partie avait violé l’article 26.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1Dans une note du 1er juin 2007, l’État partie a transmis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il conteste la recevabilité de la communication au motif qu’elle constitue un abus du droit de soumettre des communications au sens de l’article 3 du Protocole facultatif. Il invoque la jurisprudence du Comité, en particulier dans l’affaire Gobin c. Maurice. Dans la présente affaire, l’État partie fait valoir que les auteurs se sont adressés au Comité le 17 avril 2006, soit huit ans et deux mois après la décision du tribunal de district de Uherske Hradiste, le 4 février 1998, sans donner de raison pour expliquer ce retard.
4.2L’État partie rappelle que les auteurs n’ont acquis la nationalité tchèque que le 23 juin 2000. Il fait valoir qu’ils n’ont pas été soumis à un traitement différent mais qu’ils ont été traités de la même manière que toutes les autres personnes qui ne remplissaient pas la condition de la nationalité au 1er octobre 1991, comme l’exigeait la loi no 87/1991. Étant donné que les auteurs n’ont acquis la nationalité de la République tchèque que le 23 juin 2000, cette condition n’était pas remplie. D’après l’État partie, il s’agit là de l’interprétation établie de cette loi, suivie également par la Cour suprême.
4.3L’État partie renvoie également à ses réponses dans des affaires analogues précédentes et souligne que les lois de restitution, y compris la loi no 87/1991, avaient deux objectifs: atténuer les conséquences des injustices commises sous le régime communiste et faciliter une vaste réforme économique en vue d’établir une économie de marché efficace. Vu qu’il n’était pas possible de réparer toutes les injustices commises dans le passé, les conditions préalables restrictives ont été mises en place, notamment la condition de la nationalité, dont le but essentiel était d’inciter les propriétaires à entretenir correctement les biens qui avaient fait l’objet d’une privatisation. D’après l’État partie, la condition de la nationalité a été déclarée conforme à la Constitution de la République tchèque, tant par le Parlement que par la Cour constitutionnelle.
4.4Enfin, l’État partie souligne que, outre le critère de nationalité, la loi no 87/1991 énonce d’autres conditions que les intéressés devaient remplir pour que leur demande de restitution aboutisse. En particulier, une des conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 5 de cette loi était que l’intéressé avait six mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi, c’est‑à‑dire jusqu’au 1er octobre 1991, pour demander à l’actuel propriétaire de son bien la restitution, faute de quoi la demande serait caduque. L’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas respecté cette condition, et ont déposé leur demande directement au tribunal de district, le 31 octobre 1995, c’est‑à‑dire après expiration du délai d’un an fixé au paragraphe 4 de l’article 5 de cette loi, qui dispose que si le responsable actuel du bien rejette la demande faite conformément au paragraphe 2 du même article l’intéressé peut porter l’affaire devant un tribunal, dans le délai d’un an, c’est‑à‑dire avant le 1er avril 1992.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
5.1Les auteurs ont adressé leurs commentaires, en date du 29 août 2007, sur la réponse de l’État partie. Au sujet de l’argument selon lequel leur communication constituerait un abus du droit de présenter des plaintes, les auteurs font valoir que le retard est imputable au fait que leur avocat en République tchèque ne les avait pas informés de la possibilité d’adresser une demande au Comité. Après le rejet de leur demande de restitution par un tribunal tchèque, en 1998, cet avocat leur avait en fait recommandé d’abandonner l’affaire. Les auteurs, âgés de 78 et 74 ans respectivement alors et ne possédant aucune formation juridique, n’ont eu connaissance de la jurisprudence du Comité concernant la restitution de biens qu’en 2005, par le canal d’Internet. Le 30 mars 2006, ils ont écrit au Comité, qui leur a demandé de soumettre des renseignements supplémentaires. Tout de suite après, ils ont engagé un avocat aux États-Unis pour saisir le Comité de l’affaire.
5.2Les auteurs réaffirment que, compte tenu de la jurisprudence claire du Comité sur la question de la restitution de biens, il y a eu une violation par l’État partie de l’article 26 du Pacte.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, le Comité note que l’État partie n’a pas contesté l’argument des auteurs qui affirment que dans leur cas il n’y a plus aucun recours interne disponible utile. Dans ce contexte, le Comité rappelle que seuls les recours qui sont disponibles et utiles doivent être épuisés. La loi applicable relative aux biens confisqués ne permet pas le rétablissement de la situation antérieure ni l’octroi d’une indemnisation. Après le jugement du tribunal de district de Uherske Hradiste, en date du 4 février 1998, rejetant la demande de restitution présentée par les auteurs, plus aucun recours utile ne s’offrait aux auteurs devant la justice tchèque. Dans son arrêt no 185/1997, la Cour constitutionnelle de la République tchèque a confirmé qu’elle considérait que la condition de la nationalité fixée pour obtenir la restitution était raisonnable. À ce propos, le Comité réaffirme que, lorsque la plus haute juridiction d’un État a statué sur la question objet d’un litige dans un sens tel que toute possibilité de succès d’un recours devant une juridiction interne est exclue, l’auteur de la communication n’est pas tenu d’épuiser les recours internes aux fins du Protocole facultatif. Par conséquent, le Comité estime que les auteurs ont suffisamment montré qu’il serait inutile pour eux de chercher à attaquer le jugement rendu.
6.4Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie pour qui la communication doit être déclarée irrecevable car elle constitue un abus du droit de soumettre une communication en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, en raison du temps excessif qui s’est écoulé avant de soumettre la communication au Comité. L’État partie souligne que les auteurs ont attendu huit ans et deux mois après la date à laquelle le tribunal de district a rendu son jugement pour soumettre leur plainte. Le Comité réaffirme que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour lui adresser des communications et qu’un simple retard dans la soumission d’une plainte ne constitue pas en soi, sauf dans des circonstances exceptionnelles, un abus du droit de présenter une communication. Dans l’affaire à l’examen, étant donné que l’avocat des auteurs leur a conseillé d’abandonner l’affaire, en 1998, et que les auteurs n’ont eu connaissance de la jurisprudence du Comité concernant la restitution de biens qu’en 2005, le Comité ne considère pas que les huit années de retard constituent un abus du droit de soumettre des communications. En conséquence, il décide que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été transmises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Le Comité doit déterminer si l’application faite aux auteurs de la loi no 87/1991 a constitué une discrimination, en violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26 du Pacte. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26.
7.3Le Comité rappelle les constatations qu’il a adoptées dans les affaires Adam, Blazek, Marik, Kriz et Gratzinger, dans lesquelles il avait conclu à une violation de l’article 26 du Pacte. Étant donné que l’État partie lui‑même est responsable du départ des auteurs de l’ex‑Tchécoslovaquie, qu’ils avaient fuie pour chercher refuge dans un autre pays où ils ont fini par s’installer définitivement et dont ils avaient obtenu la nationalité, le Comité estime qu’il serait incompatible avec le Pacte d’exiger d’eux qu’ils remplissent la condition de la nationalité pour obtenir la restitution de leurs biens ou, à défaut, pour demander une indemnisation.
7.4Le Comité considère que le principe établi dans les affaires susmentionnées s’applique également aux auteurs de la présente communication et que l’application qui leur a été faite par les tribunaux internes de la condition de la nationalité a représenté une violation des droits garantis à l’article 26 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, y compris une indemnisation si leur bien ne peut pas leur être rendu. Le Comité engage à nouveau l’État partie à revoir sa législation de façon à garantir que toutes les personnes bénéficient à la fois de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion dissidente de M. Abdelfattah Amor
Huit ans et deux mois après avoir épuisé les recours disponibles utiles, les auteurs se sont adressés au Comité. Ce retard ne constitue pas, selon le Comité et contrairement au point de vue de l’État, un abus du droit de soumettre des communications. En conséquence la communication est déclarée recevable.
Je ne partage pas cette appréciation du Comité qui me conduit à formuler trois observations.
Premièrement le Protocole facultatif ne fixe, il est vrai, aucun délai pour présenter une communication, mais indique en son article 3 que le Comité «déclare irrecevable toute communication … qu’il considère être un abus de droit de présenter de telles communications». Manifestement le Protocole, sans trancher la question des délais séparant l’épuisement des recours internes disponibles et utiles de la présentation des communications, a ainsi invité le Comité à faire face aux cas d’abus dont l’appréciation lui revient dans le cadre de la mission qui est la sienne. C’est dire que non seulement il n’y a pas d’interdiction faite au Comité de fixer un délai pour la présentation des communications, mais bien plus il y a une invitation à le faire. Et le Comité l’a fait, à maintes reprises, dans le cadre de sa jurisprudence comme il sera précisé ultérieurement. Je pense que le Comité, étant maître de son règlement intérieur, qui est pour l’essentiel un règlement de procédure, peut établir des règles formelles précises tenant à la question des délais relativement tant à l’épuisement des voies de recours internes qu’à la fin de la procédure d’examen par une instance internationale d’enquête ou de règlement autre que le Comité. Il est souhaitable qu’il le fasse et dans les meilleurs délais.
Il y va de l’intérêt des plaignants, lesquels seront clairement édifiés et à l’avance au sujet de leurs droits et des limites de ceux-ci.
Il y va de la sécurité juridique qui ne peut continuer à être déraisonnablement exposée à des aléas et ce n’est pas par hasard que la recevabilité des procédures soit soumise, tant en droit interne que très souvent en droit international, à des contraintes de délai et de limite temporelle. On rappellera à cet égard que le délai de présentation des requêtes au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme est de six mois à partir de l’épuisement des voies de recours internes.
Il y va enfin de la crédibilité du Comité lui-même dont l’accès ne peut être laissé aux équations temporelles et personnelles conjuguant le passé − même lointain − au présent parfait et l’objectivisation du droit en opération sinon subjective du moins bien relative. Il est temps que cet aspect de la procédure du Comité soit rationalisé, que cessent les hésitations et que s’établisse la cohérence nécessaire.
Deuxièmement, dans le cadre de sa jurisprudence, le Comité a été confronté à la question des délais dans sa relation avec l’abus de droit.
Dans la communication no 1076/2002, Kaspar et Sopanen c. Finlande, le Comité, après avoir noté que les auteurs ont présenté leur communication un an après que la Commission européenne des droits de l’homme eut déclaré leur requête irrecevable rationae temporis, a estimé dans les circonstances particulières de la cause, qu’«il n’est pas possible de considérer que le temps écoulé avant la présentation de la communication était excessif au point qu’il y ait eu abus du droit de présenter des communications».
Dans la communication no 1101/2002, Alba Cabriada c. Espagne, le Comité estime que le laps de temps écoulé avant de soumettre une communication (en l’espèce deux ans et demi) ne constitue pas en soi, hormis dans des cas exceptionnels, un abus de droit de présenter des communications. Il ajoute, par ailleurs, que «l’État partie n’a pas dûment motivé la raison pour laquelle il considère qu’un délai de deux ans serait excessif en l’espèce».
Dans une troisième communication où le délai était de trois ans et cinq mois (communication no 1445/2006, Polacková et Polacek c. République tchèque), le Comité déclare la recevabilité au motif que ce retard «ne saurait être considéré comme déraisonnable au point de constituer un abus de droit de présenter une requête».
D’un autre côté des communications, allant au-delà du délai que le Comité estime raisonnable, ont été déclarées irrecevables. Il en a été ainsi dans plusieurs affaires.
Dans la communication no 1434/2005, Fillacier c. France, le Comité note qu’en l’espèce l’arrêt du Conseil d’État remonte au 8 juin 1990, soit plus de quinze ans avant que la communication ne lui soit soumise et considère qu’un délai aussi long équivaut à un abus de droit de plainte. Il conclut à «l’irrecevabilité de la communication en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif…».
Dans la communication no 1452/2006, Chytil c. République tchèque, le Comité, après avoir relevé qu’«une période de près de dix ans s’est écoulée avant que l’auteur ne soumette sa plainte au Comité», «considère ce retard comme déraisonnable et excessif au point de constituer un abus de droit de présenter une communication et déclare par conséquent la communication irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif».
Enfin dans la communication no 787/1997, Gobin c. Maurice, le Comité estime que «la présentation de la communication après un délai aussi long (cinq ans) doit être considérée comme un abus de droit de plainte, d’où il conclut à l’irrecevabilité de la communication en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif».
On constatera qu’au total des délais de quinze, dix et cinq ans ont été considérés par le Comité comme déraisonnables et excessifs et constituent, dès lors, un abus de droit de plainte conduisant à l’irrecevabilité. De l’autre côté des délais de trois ans et cinq mois, de deux ans et d’un an ne sont selon le Comité ni déraisonnables ni excessifs, ne constituent pas dès lors un abus de droit de plainte et ne font pas obstacle à la recevabilité.
Par contre, dans la présente affaire Ondracka, le Comité ne considère pas que «les huit années de retard constituent un abus du droit de soumettre des communications. En conséquence il décide que la communication est recevable».
Troisièmement, le Comité estime, à juste titre, qu’au cas où la longueur du délai, séparant l’épuisement des voies de recours disponibles utiles de la présentation de la communication, est justifiée, l’abus du droit de présenter des plaintes ne peut être retenu. L’absence d’explication ne fait pas obstacle à la recevabilité lorsque l’État ne coopère pas, comme c’est le cas dans la communication no 1134/2002, Fongum Gorji-Dinka c. Cameroun, où le retard était de douze ans. La justification tient, pour l’essentiel, en une explication fournie par l’auteur de la communication.
Dans l’affaire Chytil l’auteur «n’a pas expliqué, ni justifié pourquoi il avait attendu près de dix ans avant de soumette sa plainte au Comité. Le même reproche − absence d’explication − est indiqué dans les affaires Gobin et Fillacier. Dans ces deux dernières affaires mais également dans l’affaire Fongum Gorji-Dinka le Comité précise en outre que l’explication doit être convaincante, ce qui n’était pas le cas toutes les fois que l’abus du droit de soumettre des communications a été retenu. Le Comité ne définit pas a priori le caractère convaincant de l’explication. Mais son examen des faits et des éléments fournis au titre de la recevabilité le conduit à se faire une opinion du caractère convaincant ou non de l’explication. Mais la voie est fort glissante à ce niveau et n’est pas à l’abri d’appréciations subjectives et variables au point que certains pourraient dire qu’aux yeux du Comité, arithmétiquement, un délai de huit ans et deux mois est inférieur à un délai de cinq ans. Ainsi dans l’affaire Gobin l’explication fournie par l’auteur tenait à la découverte par son fils au cours de ses études en droit, de la procédure des plaintes individuelles devant le Comité. Dans la présente communication Ondracka, le Comité estime qu’il n’y a pas abus du droit et déclare la communication recevable «étant donné que l’avocat des auteurs leur a conseillé d’abandonner l’affaire, en 1998, et que les auteurs n’ont eu connaissance de la jurisprudence du Comité concernant la restitution des biens qu’en 2005» Curieuse explication! Qui fait du Comité juge des conseils donnés par les avocats! Qui fait de la découverte de la jurisprudence du Comité un argument pertinent pour convaincre.
Il y aura toujours des personnes de bonne volonté et de bonne foi qui découvriront dans l’avenir proche et lointain la jurisprudence du Comité. En somme nul n’est censé connaître la loi, nul n’est censé connaître la jurisprudence du Comité … jusqu’à ce qu’il en découvre, dans son intérêt propre, les vertus. Le Comité appréciera. Et il a apprécié dans cette affaire; de manière curieuse … une manière dont le caractère objectif et raisonnable est loin d’être évident, je le pense. C’est dire qu’il est urgent que le Comité se mette à l’abri des appréciations contestables et des incohérences en posant, comme il a le droit de le faire, des règles formelles et claires tenant au délai de présentation des communications.
(Signé) Abdelfattah Amor
[Fait en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
HH. Communication n o 1542/2006, Hassan Aboushanif c. Norvège*(Constatations adoptées le 17 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Abdeel Keerem Hassan Aboushanif (représenté par un conseil, Anders Ryssdal) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Norvège |
Date de la communication: |
20 novembre 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Défaut de motivation du refus opposé à une demande d’appel |
Questions de procédure: |
Justification de la plainte |
Questions de fond: |
Droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure |
Article du Pacte: |
14 (par. 5) |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 17 juillet 2008,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1542/2007 présentée au nom de M. Abdeel Keerem Hassan Aboushanif en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif
1.L’auteur de la communication, datée du 20 novembre 2006, est M. Abdeel Keerem Hassan Aboushanif. Il est né en 1946 et est arrivé en Norvège en 1970, en provenance d’Égypte. Il exécute une peine de vingt mois d’emprisonnement depuis le 23 novembre 2006. Il se déclare victime d’une violation par la Norvège du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques est entré en vigueur pour la Norvège le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil, M. Anders Ryssdal.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur est propriétaire de plusieurs restaurants en Norvège. Le 11 janvier 2006, le tribunal de district de Sarpsborg l’a déclaré coupable de fraude et de différentes infractions à la loi sur la taxe sur la valeur ajoutée et à la loi sur la comptabilité des entreprises, et l’a condamné à une peine de vingt mois d’emprisonnement ainsi qu’au paiement de dommages et intérêts aux services de la sécurité sociale et des impôts d’Østfold. Le 3 février 2006, l’auteur a présenté une demande d’appel en invoquant des vices de procédure, notamment le fait que le tribunal de district avait fondé sa décision sur des documents qui n’avaient pas été présentés aux parties.
2.2Le 1er juin 2006, l’auteur s’est vu refuser l’autorisation de faire appel par la cour d’appel de Borgarting. Il affirme qu’aucune raison n’a été donnée pour expliquer ce refus, la cour s’étant bornée à déclarer qu’il était manifeste que l’appel n’aboutirait pas. L’auteur a contesté cette décision devant la Commission d’appel de la Cour suprême (Kjæremåsutvalget), qui l’a débouté le 19 juillet 2006.
2.3L’auteur indique que, selon le Code de procédure pénale norvégien, la cour d’appel ne peut refuser d’autoriser un appel que si elle estime qu’il n’aboutira pas. En outre, le refus n’a pas à être motivé. La décision peut être contestée devant la Commission d’appel de la Cour suprême, mais uniquement pour vice de procédure. Il ressort de la jurisprudence de la Cour suprême que celle‑ci ne considère pas ces dispositions comme étant contraires aux exigences inhérentes au droit à un procès équitable. Elle a cependant reconnu que, dans certaines circonstances, la cour d’appel pouvait être tenue de justifier sa décision lorsqu’elle refusait d’autoriser un appel.
Teneur de la plainte
3.L’auteur affirme que la Norvège a violé le droit consacré au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure conformément à la loi, étant donné que la cour d’appel n’a pas fourni le moindre argument pour justifier le refus qu’elle a opposé à sa demande d’autorisation d’interjeter appel de sa déclaration de culpabilité et de sa condamnation. Il en conclut qu’il n’est pas possible d’établir que sa demande d’appel a été examinée sur le fond. Il affirme que, compte tenu de la nature et de la complexité de l’affaire le concernant, une argumentation motivée du refus préliminaire opposé à sa demande d’appel était nécessaire pour garantir que son appel avait été dûment examiné conformément aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication
4.1Le 24 septembre 2007, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication et, le 23 novembre 2007, de ses observations sur le fond. Il affirme que la plainte n’est pas suffisamment étayée et qu’elle est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. À titre subsidiaire, il soutient que la procédure consistant à autoriser préalablement les appels est conforme au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
4.2Le système de l’appel préalablement autorisé a été introduit en Norvège en 1993 pour les infractions punies d’une peine d’emprisonnement de six ans maximum. Les critères pour refuser un appel sont stricts: les trois juges professionnels de la cour d’appel doivent conclure à l’unanimité que l’appel n’a pas de chances d’aboutir. Pour parvenir à cette conclusion, ils examinent l’affaire au fond. Il n’y a pas de procédure orale, mais les parties peuvent faire connaître leurs vues par écrit et produire de nouveaux éléments de preuve.
4.3L’État partie affirme que le système de l’appel préalablement autorisé équivaut à une révision au sens du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Par conséquent, la décision de la cour d’appel, même sommairement motivée, ne porte pas atteinte au droit de l’auteur de faire réexaminer sa condamnation. L’État partie ajoute que la question de savoir si le système actuel satisfait ou non aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 a été étudiée avec attention lors de la rédaction du projet de loi portant modification du Code de procédure pénale en 1993, notamment par un expert indépendant en droits de l’homme, le Ministère de la justice et l’Assemblée nationale. Il affirme que le système de l’appel préalablement autorisé en Norvège garantit un examen approfondi sur le fond de toutes les affaires, tout en tenant compte des considérations relatives à l’économie de procédure.
4.4L’État partie renvoie à l’affaire Bryhn c. Norvège, dans laquelle le Comité, dans ses constatations, avait conclu que le système de l’appel préalablement autorisé n’était pas contraire aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il ressort de ces constatations que le paragraphe 5 n’exige pas qu’une décision écrite soit motivée au‑delà de motifs sommaires comme ceux qui ont été exposés dans la présente affaire, ni que la totalité du processus de révision donne lieu à un examen minutieux. L’État partie ajoute que s’il fallait motiver toutes les décisions rendues en appel, cela remettrait en cause le rôle du jury.
4.5L’État partie affirme qu’il n’y a aucune raison de penser que l’affaire n’a pas été examinée sur le fond, puisque tous les arguments de l’auteur ont été consciencieusement commentés et réfutés par l’accusation avant que la cour d’appel décide de ne pas autoriser le recours. En outre, il ressort de la décision de la cour d’appel que celle‑ci a examiné la demande d’appel en détail. Enfin, le fait que la Commission d’appel de la Cour suprême, qui a eu accès à tous les documents disponibles, a confirmé la décision de la cour d’appel alors que l’auteur en avait dénoncé le défaut de motivation, montre bien qu’aucune erreur n’a été commise et que la cour d’appel de Borgarting a examiné avec attention et objectivité chacun des moyens d’appel invoqués.
4.6Sur le fond de la communication, l’État partie fait valoir qu’au regard du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, la cour d’appel n’est pas tenue de motiver sa décision de façon détaillée pour montrer qu’elle a procédé à un examen au fond. Il ajoute que cette disposition du Pacte vise à garantir que le droit de recours puisse être exercé utilement. Étant donné que la plupart des recours en appel se fondent sur un jugement écrit et motivé rendu en première instance, le droit à un réexamen serait naturellement compromis en l’absence d’un tel jugement. Une décision motivée de la part d’une juridiction d’appel peut être nécessaire s’il existe une autre voie de recours, afin de servir de fondement à ce nouveau recours. En l’espèce, cependant, la décision de la cour d’appel était définitive, puisque l’auteur ne pouvait plus contester par d’autres voies de recours le niveau de preuve ou l’application du droit. Conformément à la loi, l’appel interlocutoire devant la Cour suprême ne pouvait porter que sur les vices de procédure imputés à la cour d’appel. Par conséquent, même si la cour d’appel avait commenté en détail les points sur lesquels l’auteur fondait son appel, à savoir les faits (calcul des marges bénéficiaires), le droit (niveau de preuve suffisant) ou les vices de procédure imputés au tribunal de district (éléments de preuve ayant fondé la déclaration de culpabilité), l’examen de la Cour suprême n’aurait pas porté sur ces points. Il s’ensuit qu’une argumentation de la cour d’appel n’aurait pas pu servir de fondement à un nouveau recours et n’était donc pas nécessaire pour garantir que le droit de recours soit exercé utilement au sens du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
4.7L’État partie affirme que la cour d’appel de Borgarting était l’instance la plus compétente pour déterminer s’il y avait matière pour autoriser le recours dans la présente affaire. Il renvoie à une déclaration dans laquelle le président de cette juridiction confirme que les juges, en appel, examinent toujours la décision du tribunal de district, la raison invoquée pour fonder l’appel, et tous les documents relatifs à l’instruction, y compris les rapports de police et les dépositions de témoins. En outre, le président de la cour d’appel a passé en revue les notes des juges et confirmé que ceux‑ci avaient respecté la procédure dans cette affaire.
4.8L’État partie invoque la jurisprudence de l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme, qui ont considéré que le système de l’appel préalablement autorisé était conforme à la Convention européenne des droits de l’homme et au Protocole no 7 s’y rapportant. Il compare également le système norvégien au système suédois, dans lequel les refus opposés aux demandes d’appel ne sont, dans la pratique, jamais motivés.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Le 16 mai 2007, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il déclare que la procédure devant le tribunal de district de Sarpsborg a été longue et complexe, et qu’il était impossible pour une juridiction d’appel, quelle qu’elle soit, d’établir de manière incontestable, à la simple lecture du jugement et de la demande d’appel, que le recours ne pourrait pas aboutir. Il affirme que le tribunal de première instance a adopté invariablement le point de vue de l’accusation, alors qu’un certain nombre de questions exigeaient d’être évaluées et appréciées par le tribunal lui‑même. L’auteur déclare en outre que ce tribunal a fondé sa décision sur des éléments de preuve qui n’ont pas été produits à l’audience, et que la peine imposée était extrêmement sévère.
5.2L’auteur affirme que le tribunal n’a pas fondé sa décision sur le niveau de preuve qui convenait, puisqu’il s’est référé au seuil de l’«équilibre des probabilités» utilisé en droit civil, plutôt qu’au critère des faits établis «au‑delà de tout doute raisonnable» qui est appliqué en matière pénale. En outre, le tribunal a accordé foi aux déclarations du service des impôts du comté sans procéder à une évaluation indépendante des faits. De plus, aucun juge expert n’a été désigné pour siéger, alors que cette affaire financière était particulièrement difficile et complexe. La cour d’appel ne pouvait pas conclure, après s’être limitée à lire le jugement et la demande d’appel, sans réexaminer les éléments de preuve produits par les parties, que tous les moyens d’appel invoqués allaient certainement être rejetés.
5.3L’auteur fait valoir que le tribunal de première instance n’a pas respecté les règles de l’administration de la preuve, puisque des erreurs de fait ont été commises, ce qui discrédite l’ensemble de la procédure en première instance et rend nécessaire la tenue de nouvelles audiences. Quant à la peine imposée, il estime qu’elle était beaucoup plus sévère que celles infligées dans des affaires similaires, ce qui l’autorise à faire réexaminer son cas en appel.
5.4L’auteur indique que, dans des affaires où le jugement rendu par la juridiction inférieure faisait apparaître des irrégularités concernant les droits de la défense, la Cour suprême a demandé que le refus d’autoriser l’appel soit motivé. Le fait que la Cour suprême n’a pas vu les erreurs commises en l’espèce montre que le système norvégien a été défaillant. L’auteur renvoie à un certain nombre d’affaires dans lesquelles la Cour suprême a déclaré que la juridiction d’appel devait justifier son refus d’autoriser le recours. Pour ce qui est de la jurisprudence du Comité, il conteste l’interprétation que donne l’État partie de l’affaire Bailey c. Jamaïque, estimant que, contrairement à lui, l’auteur dans cette affaire avait bien bénéficié d’une décision motivée. Au sujet de l’affaire Bryhn c. Norvège, il affirme qu’elle n’est pas pertinente parce qu’elle est trop ancienne et que le Comité n’a pas abordé la question de savoir si une décision motivée était nécessaire.
5.5L’auteur fait valoir que l’argument de l’économie de procédure ne saurait être invoqué pour limiter le droit de recours. Quant à l’argument de l’État partie qui affirme qu’une décision favorable à l’auteur remettrait en cause le rôle du jury, l’auteur fait valoir que les décisions des jurys sont motivées et respectent d’importantes garanties juridiques.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit déterminer, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que les recours internes avaient été épuisés, ce qui n’est pas contesté.
6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, pour qui la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif parce qu’elle n’est pas suffisamment étayée. Le Comité considère cependant que les allégations de l’auteur ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et décide donc que la communication est recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
Examen au fond
7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.2Le Comité prend note du grief soulevé par l’auteur, qui soutient que le droit consacré au paragraphe 5 de l’article 14 de faire examiner sa déclaration de culpabilité et sa condamnation par une juridiction supérieure a été violé, étant donné que la cour d’appel n’a pas exposé les motifs pour lesquels elle a refusé de l’autoriser à faire appel de la décision rendue par le tribunal de district. Le Comité observe également que la décision de ne pas autoriser l’appel a été prise à l’unanimité par trois juges professionnels, et qu’elle a ensuite été contestée devant la Cour suprême, laquelle l’a examinée avec attention même si cet examen était limité aux questions de procédure. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle s’il est vrai que les États parties ont toute latitude pour fixer les modalités des appels, ils sont tenus, conformément au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, de faire examiner au fond la déclaration de culpabilité et la condamnation. En l’espèce, la décision de la cour d’appel ne contient aucune raison de fond expliquant pourquoi la cour a conclu que l’appel n’aboutirait manifestement pas, ce qui met en doute l’existence d’un examen au fond de la déclaration de culpabilité et de la condamnation de l’auteur. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, l’absence de jugement dûment motivé, même de façon sommaire, [expliquant pourquoi la cour a estimé que l’appel n’aboutirait pas] empêche l’auteur d’exercer utilement son droit de faire réexaminer sa déclaration de culpabilité conformément au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, y compris un réexamen de son recours devant la cour d’appel et une indemnisation. Il est également tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.
10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
APPENDICE
Opinion individuelle de M. Ivan Shearer
Je partage l’avis de mes collègues quant au résultat de la présente communication, mais je tiens à donner mon interprétation de l’expression «même de façon sommaire», figurant au paragraphe 7.2 des constatations du Comité. Selon moi, l’article 14 5) du Pacte n’exige pas des juridictions d’appel, et en particulier des juridictions d’appel de dernière instance, qu’elles exposent de façon détaillée leurs motivations lorsqu’elles examinent des demandes d’autorisation d’interjeter appel d’une déclaration de culpabilité ou d’une condamnation, que ce soit oralement ou par écrit. En effet, une telle exigence ferait peser un lourd fardeau sur les juridictions supérieures des États fortement peuplés. Cela étant, une simple réponse convenue ne saurait suffire pour expliquer que l’appel n’a aucune chance d’aboutir. Pour sommaires que soient ses explications, la cour devrait néanmoins indiquer à l’appelant les principales raisons pour lesquelles elle ne peut pas examiner l’appel. J’attire l’attention de l’État partie sur l’intéressante réflexion de M. D. Kirby, juge en activité d’une juridiction d’appel en dernier ressort, sur le problème général, qui ne se limite pas aux affaires pénales, posé par la présente communication, présentée dans l’article «Maximising Special Leave Performance in the High Court of Australia», publié dans la revue University of New South Wales Law Journal 731-752 (2007). On trouve également, sur le site Web http://www.austlii.edu.au/au/cases/cth/HCASL des exemples de motivations sommaires souvent avancées par la Cour suprême d’Australie dans certaines affaires pour rejeter des demandes d’autorisation d’interjeter appel.
(Signé) Ivan Shearer
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Opinion individuelle de M me Ruth Wedgwood (dissidente)
L’auteur de la communication est un économiste qualifié et un restaurateur expérimenté, qui avait précédemment exploité et vendu plusieurs restaurants.
En juillet 2005, il a été accusé d’infractions financières graves concernant deux de ses restaurants. En janvier 2006, après un procès de cinq semaines devant un tribunal composé de trois juges professionnels, l’auteur a été reconnu coupable de fraude sur la taxe sur la valeur ajoutée en Norvège, parce qu’il avait établi des déclarations fiscales incorrectes, qui sous‑évaluaient le chiffre d’affaires réel, et s’était abstenu de soumettre les déclarations de TVA comme il en avait l’obligation. En outre, il a été reconnu coupable de ne pas avoir tenu à jour les documents comptables nécessaires. Enfin, il a été reconnu coupable d’avoir perçu frauduleusement des prestations de maladie et de rééducation pendant une période au cours de laquelle il exerçait en fait son activité. Il a été acquitté du chef de recel du produit d’un acte criminel. La cour l’a condamné à une peine de vingt mois d’emprisonnement.
Lorsque la Norvège a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 1972, elle a accompagné sa ratification d’une réserve générale portant sur l’article 14 5) du Pacte, concernant le droit de faire appel d’une condamnation pénale. Toutefois, en 1995, l’État partie a modifié son code judiciaire de manière à prévoir la possibilité de faire examiner les condamnations pénales dans toutes les affaires de droit commun, en adoptant un système d’«appel préalablement autorisé». Avec ce changement, la Norvège a maintenu sa réserve relative à l’article 14 5) dans deux cas seulement: lorsque des fonctionnaires sont jugés devant un tribunal pour «forfaiture», et lorsqu’une cour d’appel prononce une condamnation après une décision d’acquittement par une juridiction de première instance.
Compte tenu des dispositions du Pacte, la communication de M. Aboushanif présente un intérêt à la marge. Le tribunal norvégien de première instance a rédigé un avis de 28 pages, en simple interligne, dans lequel il explique le fondement de la déclaration de culpabilité et de la condamnation, fournissant des indications précises sur la méthodologie utilisée pour calculer le chiffre d’affaires réel des restaurants. Le collège de trois juges de la cour d’appel a reçu des mémoires des deux parties, avant de rejeter la demande d’autorisation d’interjeter appel, concluant dans un dispositif de trois paragraphes qu’il était «clair que l’appel n’aboutirait pas». Cette décision a été prise à l’unanimité, mais si un seul des juges avait eu un avis contraire, l’affaire aurait été intégralement réexaminée. La cour d’appel a fait observer que les questions qu’elle avait tranchées concernaient des points relatifs à «la procédure, l’application de la loi et l’appréciation de la peine», ainsi qu’au calcul du montant de la TVA qui n’avait pas été acquittée et à la portée de la fraude à l’assurance nationale.
Le Comité a abouti à la conclusion que cet avis abrégé constitue une violation de l’article 14 5) du Pacte.
Il ne fait aucun doute que la rédaction d’un avis est une activité utile pour tout juge consciencieux, car cela contribue à garantir l’équité et l’apparence d’équité à l’égard des parties. Un juge de common law fort apprécié dans le système américain, le juge Henry J. Friendly, a dit, et sa remarque est restée célèbre, qu’il y a des jours où l’«on ne parvient pas à rédiger un avis». En effet, c’est en mettant noir sur blanc les problèmes posés par une affaire que l’on peut les présenter de la façon la plus convaincante au juge chargé de la réexaminer.
Cela étant, cette bonne pratique doit être confrontée à la lettre et à l’esprit du Pacte. L’article 14 5) dispose: «Toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi.». Cet article n’évoque pas, à proprement parler, les exigences procédurales d’un recours, même si l’on peut supposer que celles‑ci sont fondées sur les principes généraux du droit. Force est toutefois de constater que peu après que le système norvégien de «l’appel» préalablement autorisé eut été mis en place, le Comité des droits de l’homme a conclu que les exigences de l’article 14 5) étaient satisfaites, même lorsque aucune audience orale n’était prévue pour les parties. Voir en ce sens l’affaire Bryhn c. Norvège, communication no 789/1997, 29 octobre 1999.
Par ailleurs, le Comité a également publié, en juillet 2007, le texte définitif de son Observation générale no 32 sur la portée de l’article 14. Dans le résumé de sa jurisprudence, le Comité précise que: «Le droit de faire examiner la déclaration de culpabilité ne peut être exercé utilement que si la personne déclarée coupable peut disposer du texte écrit des jugements, dûment motivés, de la juridiction de jugement, et au moins de ceux de la première juridiction d’appel lorsque le droit interne prévoit plusieurs instances d’appel…» (voir l’Observation générale no 32, sect. VII). Cette déclaration peut refléter l’avis selon lequel un avis écrit est nécessaire en partie pour qu’une autre juridiction réexamine la procédure d’une juridiction de première instance. Mais elle ne revient pas, en tant que telle, à exiger plus d’un niveau de réexamen.
Nous ne disposons d’aucune enquête précisant combien d’États parties disposent d’un système d’«appel préalablement autorisé». Sans aucun doute, dans certains systèmes nationaux on utilise les avis abrégés pour statuer sur les appels au fond, et on réserve les avis complets aux affaires qui soulèvent des points de droit nouveaux ou qui ont une grande portée pour le public. On peut supposer que les parties connaissent les faits tels qu’ils ont été établis par la juridiction de première instance, et que l’affaire n’appelle donc pas une exégèse approfondie.
Dans le système de l’État partie, et dans le cas d’espèce, l’examen effectué par la juridiction de troisième instance, à savoir la Cour suprême, semble se limiter aux vices de procédure qui se seraient produits au stade de l’appel, plutôt qu’en première instance. Partant, il n’existe sans doute pas de niveau d’appel supplémentaire, qui aurait exigé, comme le prévoit l’Observation générale no 32, la publication d’une exégèse «dûment motivée» et «écrite» par la cour d’appel.
En tout état de cause, le Comité devrait faire preuve de prudence en la matière. Les rôles peuvent être surchargés dans un grand nombre de systèmes juridiques. Le caractère libéral du système norvégien, qui permet à une partie de demander l’autorisation de faire appel sur tout point de droit ou de fait, risquerait d’être remis en cause si les arrêts devaient nécessairement s’accompagner d’avis approfondis. L’État partie a fait observer que le système du jury pour trancher certains appels dans le système norvégien peut effectivement permettre de se passer d’avis écrits. Pour sa part, le Comité a également fait valoir auprès de nombreux États parties qu’il importe de statuer rapidement sur les appels, ainsi que d’accélérer les procès. Il est clair, enfin, que cela n’aurait pas ajouté grand chose si la cour d’appel avait déclaré, dans le cas d’espèce: «Pour les motifs avancés par la juridiction de première instance, nous affirmons…». Nul ne sera donc surpris qu’il soit souvent difficile, dans un système de justice pénale, de trouver le juste équilibre entre les différentes exigences de neutralité.
(Signé) Ruth Wedgwood
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Annexe VI
DÉCISIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME DÉCLARANT IRRECEVABLES DES COMMUNICATIONS EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF
AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
A. Communication n o 1031/2001, Weerasinghe c. Sri Lanka*(Décision adoptée le 31 octobre 2007, quatre ‑vingt ‑onzième session)
Présentée par: |
Amaranada Banda Weerasinghe (représenté par un conseil, M. Elmore M. Perera) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Sri Lanka |
Date de la communication: |
18 janvier 2001 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Droit à un procès équitable devant la Cour suprême suite à des plaintes formées au titre du droit du travail |
Questions de procédure: |
Appréciation des éléments étayant les griefs aux fins de la recevabilité |
Questions de fond: |
Droit à un procès équitable |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Article du Pacte: |
14 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 octobre 2007,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication, dont la lettre initiale est datée du 18 janvier 2001, est Amaranada Banda Weerasinghe, de nationalité sri‑lankaise, qui se dit victime d’une violation par Sri Lanka de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représenté par un conseil, M. Elmore Perera.
Rappel des faits
2.1L’auteur travaillait pour la Mahaweli Authority of Sri Lanka (l’«Authority»), organisme de droit public chargé d’un projet de développement rural intégré à grande échelle utilisant les ressources en eau de la Mahaweli et de six autres bassins hydrographiques. Depuis le 11 août 1988, il exerçait les fonctions de directeur des projets Victoria et Randenigala. Le 1er avril 1992, il a été transféré à un autre projet connu sous le nom de «Système L», en tant que directeur de projet. Le 5 septembre de la même année, il a enquêté sur l’allégation selon laquelle un collègue mécanicien, qui a été ultérieurement reconnu coupable des faits devant un Magistrate’s Court, aurait détourné des biens publics. Le mécanicien a agressé l’auteur, à la suite de quoi celui-ci est tombé malade. En septembre 1992, il a déposé un certificat médical demandant un congé de trois mois à compter du 15 septembre. Il a appris ultérieurement que le certificat n’était jamais parvenu à son destinataire. Le 21 octobre 1992, on lui a notifié son absence du travail sans autorisation, en l’informant qu’il serait considéré comme ayant quitté son poste de travail à compter du 10 septembre 1992 puisqu’il ne s’était pas présenté au bureau depuis cette date ni n’avait soumis de raisons valables (sous forme de certificat médical par exemple) motivant son absence. L’auteur a saisi le Président de la République d’une requête demandant à être rétabli dans ses fonctions et envoyé de nombreuses lettres et rappels à l’Authority lui demandant de revoir cette décision.
2.2Dans une lettre datée du 28 juin 1994, et après avoir découvert que le certificat médical était en fait parvenu à son destinataire, l’Authority a rétabli l’auteur dans ses fonctions de directeur du projet Victoria. Il était précisé dans cette lettre qu’il percevrait le traitement qu’il touchait antérieurement et que la période pendant laquelle il n’avait pas travaillé serait considérée comme un congé sans solde. Le 30 juin 1994, l’auteur s’est présenté au bureau et a demandé le paiement des arriérés de traitement accumulés du 9 septembre 1992 au 28 juin 1994, compte tenu de l’avancement, des promotions et autres avantages auxquels il était en droit de prétendre. Bien que l’auteur ait été officiellement rétabli dans ses fonctions, il déclare qu’il ne faisait office que d’adjoint car un de ses collègues avait repris les responsabilités normalement confiées au directeur de projet.
2.3Par une lettre du 1er août 1994, l’Authority a muté l’auteur à son siège à Colombo, avec effet immédiat, l’auteur étant appelé à travailler au Cabinet du Ministre du développement de la Mahaweli de l’époque. L’État partie conteste le fait que l’auteur ait effectivement exercé des fonctions à ce poste. Le 14 août 1994, l’auteur a été libéré de ses fonctions au sein du Cabinet du Ministre et a reçu l’ordre de reprendre ses fonctions au siège, l’État partie contestant là encore le fait que l’auteur ait effectivement repris ses fonctions. Le 24 août, l’auteur a demandé le renouvellement d’un arrêt de travail pour raisons médicales, un certificat étant censé suivre. Le 25 août 1994, il a été de nouveau considéré comme ayant quitté son poste depuis le 1er août 1994 puisqu’il ne s’était pas présenté au bureau. Le 30 août et le 17 octobre 1994, il en a appelé au Directeur général et, le 23 septembre 1994, au Ministre de tutelle, sans recevoir de réponse.
2.4Le 8 novembre 1994, en vertu de la loi sur les différends d’ordre professionnel, l’auteur a déposé plainte devant le tribunal du travail qui a examiné son affaire le 11 janvier 1997. À l’issue de trois ans d’enquête, le 11 novembre 1997, le tribunal s’est prononcé en faveur de l’auteur, décidant qu’il devait être rétabli dans ses fonctions avec effet au 1er décembre 1997 et indemnisé et que la période pendant laquelle il n’avait pas travaillé ne devrait pas être considérée comme une interruption de service. L’auteur a fait appel de la décision devant la Provincial High Court, s’élevant contre le fait que le tribunal n’avait pas ordonné le paiement des arriérés de deux ans de salaire. Il déclare que son recours a été «mis de côté» dans l’attente du règlement du différend devant la Cour suprême, mais l’État partie laisse entendre que l’auteur n’a pas fait montre de la diligence voulue pour poursuivre la procédure.
2.5Le 1er décembre 1997 et suite à la décision du tribunal du travail, l’auteur a repris ses fonctions au siège de l’Authority à Colombo. Cependant, il n’a touché aucun traitement avant février 1998 (et a alors reçu un traitement d’un montant égal à celui qu’il touchait en août 1994); on ne lui a fourni ni table ni chaise et on ne lui a pas proposé non plus de bénéficier du programme de départ anticipé volontaire proposé à tous les autres employés de l’Authority. Le 27 mars 1998, l’auteur a appris que deux de ses collègues, qui avaient moins d’ancienneté que lui, avaient été promus directeurs de projet du «Système L». Le 30 mars 1998, il a émis une protestation.
2.6Par une lettre datée du 23 avril 1998, l’auteur a été transféré au «Système L» en qualité de directeur de projet adjoint auprès d’un directeur de projet par intérim nouvellement nommé. Le 4 mai 1998, il a demandé que cette décision soit réexaminée au motif notamment qu’étant le directeur de projet le plus ancien de la division, il n’était pas juste qu’il soit nommé adjoint auprès d’un directeur de projet par intérim qui venait à peine d’entamer sa période de stage. Il faisait valoir que, ayant été directeur du même projet en 1992, cette dernière nomination équivalait à une rétrogradation et à une humiliation injustifiée et que, pendant ses longues années au service de l’Authority, son comportement avait toujours donné satisfaction. La décision de transfert n’a pas été réexaminée.
2.7L’auteur a alors adressé une nouvelle plainte à l’Authority dénonçant le régime auquel il était soumis depuis qu’il avait été rétabli dans ses fonctions le 1er décembre 1997. Il a réitéré ses plaintes et demandé à ce que sa démission soit acceptée au titre du programme de départ anticipé volontaire avec effet au 1er juin 1998. Il déclare que l’Authority lui a donné l’assurance qu’il serait fait droit à sa demande de départ à la retraite s’il soumettait les documents voulus, ce qu’il a fait.
2.8L’auteur n’a pas reçu de réponse à sa demande de démission, mais le 21 août 1998, il a reçu une lettre de l’Authority déclarant qu’il serait réputé avoir quitté son poste sans autorisation à compter du 1er juin 1998 parce qu’il n’avait pas obtempéré à l’ordre de transfert qui lui avait été notifié par la lettre du 23 avril 1998.
2.9Le 18 septembre 1998, l’auteur a saisi la Cour suprême au titre de l’article 126 de la Constitution, lui demandant l’autorisation de poursuivre son affaire, la reconnaissance que les droits qui étaient les siens aux termes du paragraphe 1 de l’article 12 de la Constitution avaient été violés et l’attribution de dommages et intérêts, la priant de donner l’ordre à l’Authority de lui verser rétroactivement son traitement compte tenu de l’avancement et des promotions auxquels il était en droit de prétendre et d’accepter son départ anticipé dans le cadre du programme de départ anticipé volontaire, et de la condamner à payer les dépens et à lui verser réparation. Le 23 septembre 1998, la Cour suprême a renvoyé l’affaire devant la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka conformément à l’article 12 de la loi de 1996 portant création de la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka, la chargeant d’enquêter sur la question et de lui faire part de ses conclusions.
2.10Après avoir entendu les parties le 3 septembre 1999, la Commission des droits de l’homme a adressé son rapport le 20 août 1999 à la Cour suprême. S’agissant de la question du programme de départ anticipé à la retraite, elle a estimé qu’il était «clair que [l’auteur] n’avait pas fait une demande en bonne et due forme et dans les délais qui lui étaient impartis pour bénéficier du plan [de départ anticipé volontaire]». En revanche, elle a pris acte des arriérés de salaire et des promotions auxquels l’auteur était en droit de prétendre et conclu que les arriérés devaient lui être payés compte tenu des augmentations normales prévues selon le relevé dressé par l’auteur. Elle a aussi constaté qu’il existait des «indices suffisants» pour établir que les décisions de la direction et de l’administration de l’Authority avaient violé le paragraphe 1 de l’article 12 de la Constitution. Sur le point de savoir comment réparer ces violations, la Commission disait regretter ne pas pouvoir apprécier le montant de l’indemnisation qui pourrait être versée à l’auteur, en l’absence de règles énoncées par la Cour suprême à cet effet.
2.11Le 2 novembre 1999, la Cour suprême a accordé à l’auteur l’autorisation de poursuivre son action en justice. Le 6 juillet 2000, suivant les conclusions de la Commission, la Cour suprême a entendu les arguments des parties quant au fond et rejeté la requête sans frais. Par un arrêt du juge Amerasinghe, approuvé par les juges Wijetunga et Weeraskara, la Cour a estimé que l’auteur n’avait pas présenté sa demande de départ à la retraite avant le 31 décembre 1997 comme il aurait dû le faire et que les délais étaient donc échus. Quant à l’argument selon lequel, en ne lui confiant pas de fonctions appropriées, l’Authority aurait transféré l’auteur de manière discriminatoire et en violation du paragraphe 1 de l’article 12 de la Constitution, elle a estimé que la notification adressée à l’auteur par l’Authority qu’il avait quitté son poste sans autorisation faute de s’être présenté à son nouveau bureau «ne traduit pas la mauvaise foi [de l’Authority] et n’est pas sans justification» et qu’il n’existe «aucun élément de preuve» donnant à penser que l’Authority aurait «manqué aux règles élémentaires de l’équité et agi indirectement à des fins illégales». Dans ces conditions, il n’y avait pas violation du paragraphe 1 de l’article 12 de la Constitution.
Teneur de la plainte
3.L’auteur soutient que l’État partie a violé ses droits au titre de l’article 14 du Pacte. Il déclare que, sans avoir entendu son conseil en bonne et due forme, la Cour suprême a décidé sommairement et injustement que ses droits fondamentaux n’avaient pas été violés alors que la Commission avait constaté que ses droits en vertu de la Constitution l’avaient été.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1Par des observations datées du 7 mars 2002, l’État partie a fait valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable d’emblée pour erreur manifeste au motif que l’auteur avait intentionnellement donné une version falsifiée des faits au Comité en ne lui fournissant pas l’arrêt motivé de la Cour et en donnant à penser que celle-ci avait rejeté à tort sa requête. L’État partie fait aussi valoir que l’auteur n’ayant fourni aucun élément d’information sur l’épuisement de la procédure devant la Provincial High Court, la plainte devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.
4.2L’État partie fait aussi valoir que, tout en invoquant l’article 14 du Pacte, l’auteur n’a donné au Comité aucun élément qui indiquerait comment ou en quoi cette disposition aurait été violée. En tout état de cause, l’État partie n’a pas violé ce droit que ce soit directement ou par le truchement de ses agents et la plainte est dénuée de tout fondement juridique.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.Par une lettre du 17 février 2003, l’auteur a répondu en développant la présentation des faits et en contestant tel ou tel aspect des observations de l’État partie quant aux faits. Il soutient par ailleurs que le bref arrêt de la Cour suprême l’empêche de faire recours devant la cour d’appel et d’obtenir réparation devant la High Court.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité relève que l’État partie lui a fourni copie de l’arrêt motivé de la Cour suprême, rejetant la requête de l’auteur suite à une audition à laquelle l’auteur était représenté par son conseil. Il rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il appartient aux juridictions des États parties d’interpréter les dispositions de la législation interne et d’apprécier les faits et les preuves, sauf s’il peut être établi que l’appréciation faite par la juridiction interne a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Les éléments dont le Comité est saisi ne lui permettent pas de conclure que la procédure devant la Cour suprême ait été entachée de telles irrégularités. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé son grief de violation de l’article 14 du Pacte aux fins de la recevabilité et déclare donc la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.3À la lumière de ces constatations, il est inutile que le Comité examine les autres objections de l’État partie à la recevabilité de la communication.
7.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
B. Communication n o 1141/2002, Gougnin et Karimov c. Ouzbékistan*(Décision adoptée le 1 er avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
Rima Gougnina (non représentée par un conseil) |
Au nom de: |
Evgeny Gougnin (fils de l’auteur) et Ilkhomdzhon Karimov |
État partie: |
Ouzbékistan |
Date de la communication: |
13 décembre 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Condamnation à mort après un procès inéquitable avec recours à la torture pendant l’enquête préliminaire |
Questions de procédure: |
Appréciation des faits et des éléments de preuve |
Questions de fond: |
Torture; procès inéquitable; privation arbitraire de la vie |
Articles du Pacte: |
6; 7; 9; 10; 14 et 16 |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er avril 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1L’auteur de la communication est Rima Gougnina, de nationalité ouzbèke, née en 1962. Elle présente la communication au nom de son fils, Evgeny Gougnin, et au nom d’une connaissance de son fils, Ilkhomdzhon Karimov, tous deux ressortissants ouzbeks nés en 1980. Au moment de la soumission de la communication au Comité, les intéressés risquaient l’exécution, ayant été condamnés à la peine capitale par la cour de la ville de Tachkent le 28 octobre 2002. L’auteur affirme que son fils et M. Karimov sont victimes de violation, par l’Ouzbékistan, de leurs droits au titre des paragraphes 1, 4 et 6 de l’article 6, de l’article 7, de l’article 9, de l’article 10, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14, et de l’article 16 du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.
1.2Lors de l’enregistrement de la communication, le 13 décembre 2002, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de surseoir à l’exécution des intéressés tant que leur cas serait en cours d’examen. Le 11 décembre 2003 et le 25 mai 2004, l’État partie a informé le Comité que, sur décision de la Cour suprême de l’Ouzbékistan, les peines de mort de M. Karimov et M. Gougnin avaient été commuées à vingt ans d’emprisonnement le 18 février 2003 et le 26 mars 2004, respectivement.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Le 28 octobre 2002, la cour de la ville de Tachkent a reconnu MM. Gougnin, Karimov, et un certain Ismailov, coupables d’avoir prémédité et effectué une attaque à main armée en vue de voler de l’argent, le 8 avril 2002, dans l’appartement d’un certain Chakirov. Chakirov est décédé à la suite des coups de couteau reçus pendant cette attaque. Sa compagne, Akhundzhanova, est également décédée, une semaine plus tard, à la suite des blessures reçues alors qu’elle avait tenté de s’interposer.
2.2La cour de la ville de Tachkent a condamné les intéressés à la peine de mort. M. Ismailov a été condamné à vingt ans d’emprisonnement. Cette décision a été confirmée en appel, le 10 décembre 2002, par l’instance d’appel de la même cour, siégeant en composition différente. Le 18 février 2003, la Cour suprême d’Ouzbékistan a également examiné l’affaire et a confirmé les sentences.
2.3L’auteur admet que son fils et M. Karimov ont bien pris part à l’attaque mais fait valoir qu’ils n’ont pas commis le meurtre. Ils ont avoué leur culpabilité sous la contrainte et la torture suite à leur arrestation. Selon l’auteur, les intéressés auraient été battus et torturés non seulement par les policiers, mais également par des membres de la famille de Chakirov, la victime.
2.4L’auteur ajoute que son fils, Karimov, et Ismailov avaient accepté de commettre le vol. Le plan aurait été élaboré par un certain Pokrepkin, un ami du fils de Chakirov, qui savait que le père de ce dernier disposait d’importantes sommes d’argent. Le soir du 8 avril 2002, Pokrepkin, le fils de l’auteur et Ismailov se sont rendus au domicile de Chakirov; Karimov n’y serait pas allé. Pokrepkin et le fils de l’auteur s’étaient préalablement munis de couteaux de cuisine. Quand Pokrepkin a sonné à la porte et M. Chakirov a ouvert, le premier lui a administré un coup de poing, tentant de l’assommer sans succès. Chakirov se serait réfugié à l’intérieur de l’appartement, suivi par Pokrepkin. Selon l’auteur, son fils et Ismailov se seraient alors enfuis.
2.5Plus tard, Pokrepkin les aurait contactés dans l’appartement de Karimov et les aurait convoqués à une maison de campagne, où il leur aurait expliqué qu’il avait tué Chakirov et sa compagne. Il leur aurait dit de prétendre, au cas où la police remonterait à eux, que c’était Karimov qui avait organisé le crime et que Gougnin avait commis le meurtre. Pokrepkin leur aurait aussi expliqué que le tribunal les condamnerait à quinze ans de prison au maximum. Les trois ont tenté de refuser ces propositions, mais Pokrepkin les aurait menacés de représailles, et aurait affirmé qu’il s’en prendrait également à leurs proches «vu qu’il n’avait plus rien à perdre».
2.6L’auteur fait valoir que l’enquête préliminaire a été conduite de façon superficielle et menée «d’une manière particulièrement accusatoire». Elle invoque ensuite un jugement datant de 1996, où la Cour suprême aurait estimé que les éléments de preuve obtenus par des méthodes illicites étaient irrecevables. L’auteur affirme que ce principe n’a pas été respecté dans le cas de son fils et de M. Karimov puisqu’ils ont été battus et forcés de passer aux aveux. Elle explique que, devant le tribunal, son fils n’avait pas invoqué les actes de torture et les aveux forcés parce qu’il craignait que ses proches subissent des représailles de la part de Pokrepkin.
2.7Selon l’auteur, ce n’est qu’après le jugement en appel, et après avoir obtenu une visite de sa mère où son fils a appris que ses proches n’avaient pas reçu d’argent de Pokrepkin, que son fils a décidé de dire la vérité. Il aurait alors expliqué dans une lettre ce qui se serait réellement passé. Cette lettre a été jointe à la plainte que l’avocat de M. Gougnin a déposée auprès de la Cour suprême avec une demande de révision judiciaire suivant les procédures de supervision (nadzor).
2.8Selon l’auteur, lors de l’interrogatoire mené par les enquêteurs, Pokrepkin aurait affirmé que Gougnin, Ismailov et Karimov lui avaient raconté qu’ils avaient battu Chakirov, mais qu’ils n’avaient pas trouvé d’argent chez lui. Selon l’auteur, en appel, Karimov aurait affirmé que Pokrepkin avait versé 1 000 dollars des États‑Unis à l’enquêteur.
2.9Pour l’auteur, les enquêteurs n’ont pas procédé à la reconstitution du crime, et donc n’ont pu réellement vérifier le rôle joué par chacune des personnes présentes sur les lieux du crime.
2.10En vertu de l’article 23 du Code de procédure pénale ouzbek, l’accusé n’a pas à démontrer son innocence et doit bénéficier du moindre doute qui subsisterait. Or, selon l’auteur, la condamnation de son fils a été fondée sur des éléments de preuve indirects recueillis par les enquêteurs qui n’ont pas pu être confirmés devant le tribunal, ou encore sur les aveux forcés obtenus de son fils et de ses coaccusés, alors que d’autres éléments de preuve qui auraient pu prouver leur innocence ont simplement été perdus pendant l’enquête. En particulier, l’auteur souligne que vu que son fils aurait asséné plusieurs coups de couteau à ses victimes, il aurait donc dû présenter des traces de sang sur les cheveux, ses mains et ses vêtements. Or, aucun examen de ses cheveux, de ses mains ou des dépôts sous ses ongles n’a jamais été effectué, alors que cela aurait été essentiel pour déterminer sa culpabilité.
2.11Selon l’auteur, les faits tels que décrits ci-dessus démontrent que les tribunaux ont examiné cette affaire d’une manière purement formelle. La peine prononcée contre son fils ne correspond pas à sa personnalité. Notamment, le dossier contenait plusieurs attestations positives sur le caractère de son fils, présentées par ses voisins. Selon l’auteur, la Cour, en l’absence de preuves et sans tenir compte des doutes qui auraient dû bénéficier aux accusés, a rendu un arrêt «illicite». La Cour a ainsi failli à son obligation d’impartialité et d’objectivité, et s’est rangée du côté des victimes du meurtre, en soutenant ouvertement la position de l’accusation.
2.12L’auteur fait valoir que la condamnation de son fils était contraire à l’ordonnance de la Cour suprême relative aux jugements des tribunaux, en date du 2 mai 1997, selon laquelle les arrêts prononçant la peine capitale doivent être motivés dans tous les cas, en tenant compte de toutes les circonstances du crime, ses causes et motivations, et également des données qui caractérisent non seulement le condamné, mais également la victime. L’auteur invoque un autre arrêt de la Cour suprême du 20 décembre 1996, où la Cour aurait attiré l’attention des tribunaux sur le fait que la peine capitale est un châtiment exceptionnel, et que la loi n’exige pas d’y recourir obligatoirement.
2.13Le 24 novembre 2003, l’auteur signale qu’elle avait reçu une réponse négative de la Cour suprême à sa demande de grâce pour son fils. La Cour l’aurait informée que cette requête lui avait été transmise par l’administration présidentielle, et qu’après examen du dossier, la Cour n’avait trouvé aucune raison pour modifier le verdict.
Teneur de la plainte
3.L’auteur affirme que les faits tels qu’elle les présente révèlent une violation, par l’Ouzbékistan, des droits de MM. Gougnin et Karimov au titre des paragraphes 1, 4 et 6 de l’article 6, de l’article 7, de l’article 9, de l’article 10, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14, et de l’article 16 du Pacte.
Observations de l’État partie
4.1Dans une note verbale du 11 décembre 2003, l’État partie fait valoir que le 18 février 2003, la Cour suprême de l’Ouzbékistan a commué la peine de mort à l’égard de M. Karimov et l’a remplacée par vingt ans d’emprisonnement. Il signale également que la Cour suprême a pris toutes les mesures nécessaires pour surseoir à l’exécution de la peine de mort de M. Gougnin, conformément à la demande du Comité.
4.2Le 25 mai 2004, l’État partie a présenté des informations supplémentaires sur le cas de M. Gougnin. À titre préliminaire, il note que le 26 mars 2004, la Cour suprême a commué la peine de mort à son égard et l’a remplacée par vingt ans d’emprisonnement.
4.3L’État partie rappelle les faits de l’affaire: M. Gougnin, déjà condamné en 2002 à trois ans de déduction punitive de salaire pour vol, a été reconnu coupable, le 28 octobre 2002, par la cour de la ville de Tachkent, de tentative de vol et d’assassinat, et il a été condamné à la peine capitale. Le 10 décembre 2002, la peine de mort a été confirmée en appel. La Cour suprême a examiné son cas le 18 février 2003 et a confirmé la sentence.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
5.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2, alinéas a et b, de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et note qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.
5.3Le Comité constate que l’auteur affirme, sans donner plus de détails, que son fils et M. Karimov ont été privés des droits qui leur sont garantis par les articles 9 et 16 du Pacte. En l’absence de toute autre information utile à ce sujet, il considère que cette partie de la communication est irrecevable, car elle n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif.
5.4Le Comité note que les allégations de l’auteur sur la manière dont les tribunaux ont traité le cas de MM. Gougnin et Karimov et ont qualifié leurs actes peuvent soulever des questions au titre des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte. Il relève cependant que ces allégations ont trait essentiellement à l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux de l’État partie. Il rappelle que c’est généralement aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. En l’espèce, le Comité estime qu’en l’absence dans le dossier de pièces, de procès-verbaux ou autres informations semblables qui lui auraient permis de vérifier si le procès a effectivement été entaché de telles irrégularités, cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’avoir été suffisamment étayée.
5.5Le Comité note que les allégations de l’auteur relatives aux aveux forcés obtenus de MM. Gougnin et Karimov soulèvent des questions au titre des articles 7, 10, et 14, paragraphe 3 g), du Pacte. Il note également que l’État partie n’a pas présenté d’observations à ce sujet. Il note, néanmoins, que les allégations de l’auteur sont formulées de façon très générale. L’auteur ne fournit pas, par exemple, de description spécifique, ni en ce qui concerne les méthodes de torture dont ont été prétendument victimes les intéressés ni sur l’identité exacte de ceux qui sont responsables d’actes de torture. Aucun certificat médical n’a été présenté à l’appui de ses dires. Le Comité note également que ces allégations ont été formulées pour la première fois dans le cadre de la présente communication et qu’aucune mention de torture ou de mauvais traitement ne figure, en ce qui concerne le fils de l’auteur, dans les copies de l’appel interjeté auprès de la cour d’appel ou dans la plainte adressée à la Cour suprême. Le seul document contenant une telle allégation, bien que formulée encore plus sommairement que celle qui figure dans la présente communication, est la demande de grâce présidentielle, signée par l’auteur de la communication à une date non établie. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’auteur n’a pas pu suffisamment étayer cette allégation à des fins de recevabilité et déclare cette partie de la communication irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.6Pour ce qui est des allégations faites par l’auteur au titre de l’article 6 du Pacte, le Comité note que la peine de mort a dans les deux cas été commuée en 2003 et 2004. Par conséquent, il considère que ce grief est devenu sans objet. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
C. Communication n o 1161/2003, Kharkhal c. Bélarus*(Décision adoptée le 31 octobre 2007, quatre ‑vingt ‑onzième session)
Présentée par: |
Dimitry Kharkhal (représenté par le Comité Helsinki du Bélarus) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Bélarus |
Date de la communication: |
6 février 2003 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Condamnation à mort à l’issue d’un procès qualifié d’inéquitable |
Questions de procédure: |
Appréciation des faits et des éléments de preuve; justification de la plainte |
Questions de fond: |
Privation arbitraire de la vie; droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation |
Articles du Pacte: |
6 (par. 1) et 14 (par. 5) |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 octobre 2007,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1 L’auteur de la communication est Dimitry Kharkhal, de nationalité bélarussienne, né en 1970, qui, au moment de la présentation de la communication, était en attente d’exécution à Minsk, après avoir été condamné à mort le 20 mars 2002 par le tribunal municipal de Minsk. Il affirme être victime de violations, par le Bélarus, des droits qui lui sont garantis au paragraphe 1 de l’article 6 et au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il est représenté par le Comité Helsinki pour le Bélarus.
1.2 En enregistrant la communication le 10 février 2003, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de surseoir à l’exécution de l’auteur pendant que son cas serait examiné. Le 2 juillet 2003, l’État partie a fait savoir au Comité que, le 24 mars 2003, la Cour suprême du Bélarus avait commué la condamnation à mort de l’auteur en peine d’emprisonnement de quinze ans assortie de la confiscation de ses biens.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur a été arrêté le 17 septembre 1997 à Saint‑Pétersbourg (Fédération de Russie), à la demande des autorités bélarussiennes qui le soupçonnaient de vols et d’autres infractions pénales commises au Bélarus. Il a été transféré à Minsk le 18 septembre 1997. Le 21 avril 1999, le tribunal municipal de Minsk l’a condamné à treize ans de réclusion pour vol et tentative d’homicide. Le 20 mars 2002, ce même tribunal l’a déclaré coupable d’avoir tué la dénommée Puchkovskaya, ainsi qu’une connaissance de cette dernière, M. Grebenkin, le 3 novembre 1994 àMinsk, et d’avoir volé à Mme Puchkovskaya sa voiture, ses bijoux et d’autres biens. Le 30 août 2002, la Cour suprême du Bélarus a confirmé la déclaration de culpabilité et la peine capitale prononcées le 20 mars 2002 par le tribunal municipal de Minsk. En mars 2003, la Cour suprême a commué la condamnation à mort de l’auteur en peine de quinzeans de réclusion.
2.2L’auteur affirme qu’il est innocent et que s’il avait bien eu l’intention de voler la voiture de Mme Puchkovskaya pour la revendre, c’est son cousin, Tatarinovich, qui a tué les victimes à bord de la voiture pendant que lui‑même essayait celle‑ci avant de s’en emparer.
2.3L’auteur affirme que les autorités russes l’ont livré à leurs homologues bélarussiennes en application de la Convention de la Communauté d’États indépendants (CEI) sur l’assistance judiciaire et les relations judiciaires en matière civile, familiale et pénale (ci‑après dénommée «laConvention de laCEI sur l’assistance judiciaire»). Cette convention dispose qu’une personne ne peut être poursuivie dans le pays requérant que pour les infractions expressément mentionnées dans la demande d’extradition. Si l’État requérant veut poursuivre une personne pour des infractions autres que celles visées dans la demande d’extradition, il doit obtenir le consentement exprès de l’État requis. En l’espèce, la demande d’extradition adressée aux autorités russes ne mentionnait pas les deux meurtres pour lesquels l’auteur a été condamné en 2002. L’auteur affirme qu’il a donc été jugé et condamné à mort illégalement.
2.4 L’auteur affirme avoir été privé du droit de faire examiner sa condamnation par une juridiction supérieure, puisque la Cour suprême n’a pas répondu sur certains des arguments qu’il avait fait valoir dans son recours en appel. Il conteste en particulier les conclusions du premier rapport d’expertise (no 2667), dans lequel un médecin légiste affirme que M. Grebenkin est mort des suites d’une blessure causée par un seul coup de feu à la tête et à la nuque, qui a provoqué des dommages cérébraux. L’auteur a révélé à la Cour suprême l’existence d’une autre blessure par balle que l’expert n’avait ni repérée ni examinée, et qu’en conséquence le tribunal de première instance s’était fondé sur des informations erronées pour établir sa culpabilité. Le tribunal de première instance n’avait pas examiné cet argument car l’auteur ne l’a invoqué qu’en appel, lorsqu’il s’est enfin souvenu du déroulement exact des faits. La Cour suprême n’a pas non plus examiné cet argument dans son arrêt, se limitant à noter que l’auteur, dans son appel, avait affirmé que les conclusions formulées dans un rapport d’expertise complémentaire étaient en contradiction avec celles du premier rapport d’expertise médico‑légale et ne pouvaient donc servir à établir sa culpabilité. D’après l’auteur, son recours en appel n’a pas été «examiné». Il affirme en outre que la Cour suprême s’est contentée de rejeter l’argument selon lequel la Convention de la CEI sur l’assistance judiciaire était applicable à son cas, sans l’examiner sur le fond.
2.5Compte tenu de ce qui précède, l’auteur soutient que s’il était exécuté, le Bélarus commettrait une violation de l’article 6 du Pacte en le privant arbitrairement de la vie.
Teneur de la plainte
3.L’auteur affirme que les faits décrits ci‑dessus constituent une violation par le Bélarus des droits qui lui sont reconnus au paragraphe 1 de l’article 6 et au paragraphe 5 de l’article 14 duPacte.
Observations de l’État partie
4.1Le 2 juillet 2003, l’État partie a fait savoir au Comité que le 24 mars 2003 le Présidium de la Cour suprême du Bélarus avait commué la condamnation à mort de l’auteur en peine de quinze ans de réclusion.
4.2Le 1er octobre 2003, l’État partie a relevé que le Bureau du Procureur général avait vérifié le dossier de l’affaire et établi que M. Kharkhal se trouvait sous le coup d’un mandat d’amener délivré en1997, parce qu’il était soupçonné de différents crimes, dont les meurtres de Mme Puchkovskaya et de M. Grebenkin. Il avait été localisé à Saint‑Pétersbourg par un fonctionnaire du Département des enquêtes criminelles (Ministère de l’intérieur, Comité exécutif de la ville de Minsk). Il avait spontanément accepté d’être ramené à Minsk.
4.3Conformément au paragraphe 1 de l’article 80 de la Convention de laCEIsur l’assistance judiciaire, toute communication concernant une demande d’extradition est traitée par le Bureau du Procureur général concerné. En l’espèce, le Bureau du Procureur général du Bélarus n’a jamais été saisi d’une telle demande par son homologue russe et aucune procédure d’extradition n’a été engagée. Par conséquent, l’auteur a été jugé en toute légalité au Bélarus pour les meurtres dont il était accusé.
Commentaires de l’auteur
5.1L’auteur a fait part de ses commentaires le 1er août 2006. Il maintient qu’il est innocent et qu’il a été arrêté à Saint‑Pétersbourg par la police russe, à la demande des autorités bélarussiennes qui le soupçonnaient de vol. D’après lui, immédiatement après son arrestation, les autorités bélarussiennes ont envoyé à leurs homologues russes une demande d’extradition dans laquelle n’était mentionnée aucune accusation de meurtre. Pendant la procédure en appel, l’auteur a porté ce grief à l’attention de la Cour suprême, mais celle‑ci l’a rejeté. Il cite l’arrêt de la Cour, qui a conclu qu’aucune violation de la loi n’avait été commise lorsqu’il avait été déféré à la justice pour répondre des meurtres après avoir été extradé par les autorités russes.
5.2L’auteur invoque un arrêt du 11 juin 2003 dans lequel la Cour suprême relève que les circonstances de la disparition de Mme Puchkovskaya et M. Grebenkin n’ont été connues qu’avec les aveux de l’auteur. Il réaffirme que la Convention de laCEI sur l’assistance judiciaire lui était applicable, et ajoute que l’article 301 du Code de procédure pénale limite la portée des poursuites pénales qui peuvent être exercées et requiert du tribunal qu’il tienne compte des termes de la demande d’extradition lorsqu’il détermine la responsabilité pénale de l’intéressé.
5.3L’auteur cite un arrêt rendu par la Cour suprême au sujet d’un certain «Sh.», dans lequel laCour a fait observer que, pour définir les limites de la compétence pénale, il fallait non seulement prendre en considération les accusations pesant sur l’intéressé, mais également la teneur et les termes de la demande d’extradition adressée à son sujet au pays requis. Après son extradition, «Sh.» avait été reconnu coupable, au Bélarus, de meurtre commis en réunion avec une violence particulière. La Cour suprême a infirmé la décision rendue en première instance et exclu le chef d’accusation de meurtre commis avec une violence particulière au motif qu’il n’avait pas été mentionné dans la demande d’extradition. L’auteur affirme que ce raisonnement s’applique totalement à son propre cas.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2, alinéas a et b, de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et note qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.
6.3Le Comité a pris note du grief de violation de l’article 6 du Pacte soulevé par l’auteur au motif que, après avoir été expulsé de la Fédération de Russie au Bélarus, il a été illégalement inculpé de meurtre au Bélarus puis condamné à mort, en violation de la Convention de laCEI sur l’assistance judiciaire (1993) et que, si l’État partie procédait à son exécution, il le priverait arbitrairement de la vie. Le Comité relève cependant que la Cour suprême de l’État partie, le 24 mars 2003, a commué la condamnation de l’auteur à la peine capitale. Par conséquent, il considère que le grief de l’auteur est devenu sans objet. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4En ce qui concerne la question de savoir si la Convention de la CEI sur l’assistance judiciaire aurait dû être appliquée dans le cas de l’auteur, le Comité constate qu’il y a une contradiction manifeste entre la plainte de l’auteur et les informations fournies par l’État partie. En l’absence, dans le dossier de l’affaire, de tout autre document ou renseignement utile qui lui permettrait d’apprécier de manière satisfaisante les circonstances de l’affaire, le Comité considère que cette partie de la communication n’a pas été suffisamment étayée aux fins de larecevabilité et est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.5L’auteur affirme que la manière dont la Cour suprême a traité son appel est contraire au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Comité note que le droit de faire examiner une condamnation pénale par une juridiction supérieure, qui est garanti par le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, exige que le tribunal d’appel examine dûment les questions pertinentes, en tenant compte des critères raisonnables applicables aux appels en vertu de la législation de l’État partie. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la révision a permis un réexamen des faits et des éléments de preuve, le Comité est guidé par le principe général selon lequel c’est aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit établi que la conduite du procès, l’appréciation des faits et des preuves ou l’interprétation de la législation de l’État partie a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. En l’absence de toute autre information utile qui montrerait que l’appréciation des faits, en l’espèce, a effectivement été entachée de telles irrégularités, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 ont été respectées et que cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur dela communication.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
D. Communication n o 1358/2005, Korneenko c. Bélarus*(Décision adoptée le 1 er avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
Viktor Korneenko (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Bélarus |
Date de la communication: |
10 novembre 2004 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Déni de la possibilité de se porter candidat à la chambre basse du Parlement du Bélarus |
Questions de procédure: |
Griefs non étayés |
Questions de fond: |
Droit d’être élu sans restriction déraisonnable et sans distinction; accès à la justice; droit de chacun de demander à un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, de se prononcer sur ses droits et obligations de caractère civil |
Articles du Pacte: |
14 (par. 1), 25, 26 |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er avril 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est M. Viktor Korneenko, de nationalité bélarussienne, né en 1957 et résidant à Gomel (Bélarus). Il affirme être victime de violations par le Bélarus du paragraphe 1 de l’article 14 et des articles 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1De 1996 à 2002, l’auteur a été Président de l’association régionale de Gomel «Initiatives civiles». Depuis 2001, il est militant du Parti civique unifié et, depuis 2003, Président de la Fondation pour l’aide au développement local. À une date non précisée, il a été désigné candidat aux élections de 2004 à la Chambre des représentants (chambre basse) de l’Assemblée nationale bélarussienne (Parlement), pour représenter la circonscription électorale industrielle no 37 de Gomel. Le 6 septembre 2004, il a présenté à la Commission électorale régionale 142 listes portant 1 080 signatures de soutien à sa candidature, qui avaient été recueillies par un groupe d’initiative créé à cette fin.
2.2Le 16 septembre 2004, la Commission électorale régionale a refusé d’enregistrer la candidature de l’auteur au motif que 57 signatures de soutien, soit 16,2 % du total, n’étaient pas valables. Elle a également noté, dans l’extrait no 5 de sa décision en date du 16 septembre 2004, que deux électeurs, Kontsevoy et Kontsevaya, lui avaient demandé de retirer leur signature des listes. L’auteur fait valoir que conformément au paragraphe 5 de l’article 67 du Code électoral (Recommandations concernant la procédure intitulées «Aspects juridiques et organisationnels des activités des commissions électorales régionales relatives aux élections des députés à la Chambre des représentants de l’Assemblée nationale de la République du Bélarus», approuvées par la Commission électorale centrale dans sa décision no 5 en date du 20 mai 2004), la Commission électorale régionale devait établir un procès‑verbal de la vérification des signatures, en précisant pourquoi certaines signatures n’étaient pas valables. Or cela n’a pas été fait. L’auteur affirme qu’en réalité la Commission électorale régionale a décidé de ne pas enregistrer sa candidature en se fondant uniquement sur une information non corroborée de sa secrétaire.
2.3Le 17 septembre 2004, l’auteur a prié la secrétaire de la Commission électorale régionale, en présence d’un observateur des élections du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de lui montrer le procès‑verbal écrit de la vérification des signatures. La secrétaire a refusé en arguant que la liste des signatures et le procès‑verbal demandé par l’auteur avaient déjà été transmis au commissaire électoral principal. L’auteur fait valoir que, conformément au paragraphe 6 de l’article 66 du Code électoral, la Commission électorale régionale devait conserver les listes de signatures jusqu’à la cessation de ses fonctions.
2.4L’auteur affirme que la secrétaire de la Commission électorale régionale, qui était également administratrice du Comité exécutif du district soviétique de Gomel, a eu des préventions contre lui dès le moment où son groupe lui a demandé d’approuver la liste des signatures de soutien en apposant le cachet du Comité exécutif. À cette époque, la secrétaire a tenu publiquement des propos sur l’auteur, colportant de fausses informations qui auraient porté atteinte à son honneur, à sa dignité et à sa réputation professionnelle.
2.5L’auteur explique qu’il s’est plaint le 7 septembre 2004 des agissements de la secrétaire de la Commission électorale régionale auprès du Procureur du district soviétique de Gomel. Il n’a pas reçu de réponse dans les trois jours, contrairement aux dispositions du paragraphe 7 de l’article 49 du Code électoral bélarussien. Le 21 septembre 2004, il s’est plaint de l’inaction du Procureur du district soviétique de Gomel auprès du Bureau du Procureur de la région de Gomel. Le 29 septembre 2004, le Procureur de la région de Gomel a répondu que, conformément à l’article 8 de la loi sur les requêtes des citoyens, la plainte de l’auteur en date du 7 septembre 2004 devait être examinée dans un délai d’un mois, et que les actes de la secrétaire de la Commission électorale régionale n’étaient constitutifs d’aucune infraction administrative ou pénale. En date du 27 septembre 2004, le Procureur du district soviétique de Gomel a donné une réponse analogue à la plainte de l’auteur. Le 6 octobre 2004, l’auteur a fait appel de la décision du Procureur de la région de Gomel auprès du Bureau du Procureur du Bélarus. Le 20 octobre 2004, celui‑ci a confirmé la décision du Procureur de la région de Gomel concernant la secrétaire de la Commission électorale régionale mais a relevé que la plainte de l’auteur aurait dû être examinée dans les délais prévus par le Code électoral.
2.6À une date non précisée, l’auteur a demandé à la secrétaire de la Commission électorale régionale de lui montrer les requêtes écrites des deux électeurs qui auraient exigé que leur signature soit retirée des listes de soutien à sa candidature (voir par. 2.2). Sa demande a été rejetée. L’auteur fait observer que, d’après les copies des listes de signatures, l’électeur Kontsevaya n’avait en réalité jamais soutenu sa candidature, de sorte qu’il n’avait pas pu demander le retrait de sa signature.
2.7À une date non précisée, l’auteur a fait appel de la décision de la Commission électorale régionale du 16 septembre 2004 auprès de la Commission électorale centrale. Dans cet appel, il affirmait avoir été privé de la possibilité de produire des preuves de la validité des signatures car il n’avait pas pu voir les requêtes écrites (voir par. 2.6) ni le procès‑verbal de la vérification des signatures établi par la secrétaire de la Commission électorale régionale (voir par. 2.3). Le 23 septembre 2004, la Commission électorale centrale a rejeté le recours sans avoir entendu l’auteur. Peu après, celui‑ci a été autorisé à consulter le dossier et le procès‑verbal censé montrer que certaines signatures n’étaient pas valables. Il note que les requêtes des deux électeurs qui auraient demandé le retrait de leur signature ne figuraient pas dans le dossier.
2.8L’auteur donne les noms de 11 électeurs dont la signature a été jugée non valable. La Commission électorale régionale avait conclu que ces électeurs n’avaient pas signé les listes de soutien à l’auteur et qu’ils avaient refusé d’apporter des explications par écrit comme ses agents les en avaient priés. L’auteur a pris contact avec chacun des 11 électeurs, lesquels ont affirmé qu’ils n’avaient jamais nié avoir signé les listes en question et qu’aucun agent de la Commission électorale régionale ne les avait joints pour vérifier leur signature. Ils ont envoyé des déclarations écrites à cet effet à la Commission électorale régionale, dont la plupart étaient certifiées par un notaire.
2.9À une date non précisée, l’auteur a interjeté appel de la décision de la Commission électorale régionale datée du 23 septembre 2004 auprès de la Cour suprême. Le 30 septembre 2004, son recours a été rejeté. L’arrêt de la Cour suprême est devenu définitif dès qu’il a été rendu et n’est pas susceptible de cassation. La Cour suprême a établi notamment qu’il n’y avait pas lieu d’infirmer la décision de la Commission électorale centrale qui avait refusé l’enregistrement de la candidature et que les déclarations écrites des électeurs présentées par l’auteur (par. 2.8) étaient peu fiables parce qu’elles avaient été obtenues en violation de l’article 181 du Code de procédure civile. Elle a fondé son arrêt relatif à la nullité des signatures de soutien à l’auteur sur l’analyse graphologique effectuée le 29 septembre 2004 par le Bureau d’expertise pénale du Département des affaires internes du district soviétique de Gomel. L’auteur note que les signatures des électeurs ont été déclarées non valables le 16 septembre 2004, soit deux semaines avant la date à laquelle sa candidature aurait dû, selon lui, être enregistrée, auquel cas il aurait affronté le Vice‑Ministre de l’intérieur qui briguait également un siège à la Chambre des représentants. En outre, à la date exacte où elles ont prétendument été examinées, les listes de signatures se trouvaient en réalité dans les locaux de la Commission électorale centrale. L’auteur conteste le passage de l’arrêt de la Cour suprême indiquant qu’il n’a pas nié à l’audience la présence de signatures non valables sur les listes qu’il avait présentées à la Commission électorale régionale. Il renvoie aux déclarations écrites des 11 électeurs jointes au dossier à l’appui de son recours. Selon lui, c’est pour ces raisons qu’il n’a pas eu le droit de consulter les minutes de l’audience.
2.10À une date non précisée, l’auteur a fait appel auprès du Président de la Cour suprême de l’arrêt de la Cour daté du 30 septembre 2004. Le 13 octobre 2004, le Vice‑Président de la Cour suprême a rejeté le recours.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme qu’on lui a refusé le droit à l’égalité devant les tribunaux et le droit de demander à un tribunal de se prononcer sur ses droits et obligations de caractère civil (art. 14, par. 1, du Pacte).
3.2L’auteur affirme également qu’on lui a refusé le droit, garanti par l’article 25 du Pacte, d’être élu député à la Chambre des représentants de l’Assemblée nationale bélarussienne au cours d’élections honnêtes au suffrage universel et égal, et que la libre expression de la volonté des électeurs n’a pas été respectée.
3.3Enfin, l’auteur fait valoir que les autorités de l’État partie ont violé le droit à une égale protection de la loi qui lui est reconnu à l’article 26 du Pacte, puisqu’il a été victime de discrimination en raison de ses opinions politiques.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1Dans une réponse du 25 septembre 2006, l’État partie a rappelé la chronologie de l’affaire. Il a indiqué que la Commission électorale centrale avait examiné la liste des signatures de soutien à l’auteur, les témoignages des électeurs, les procès‑verbaux de la Commission électorale régionale et l’avis des experts, avant de conclure que la Commission électorale régionale avait à juste titre écarté 57 signatures non valables (par. 2.7) − 27 parce que les électeurs n’avaient pas signé eux‑mêmes les listes ou n’avaient pas mentionné la date, 17 parce que les listes électorales étaient erronées, 12 parce que les données requises ne figuraient pas dans les listes de signatures, et 1 parce que l’électeur ne résidait pas dans la circonscription électorale de l’auteur.
4.2Lorsqu’elle a examiné le recours formulé par l’auteur contre la décision de la Commission électorale régionale datée du 16 septembre 2004 et la décision de la Commission électorale centrale datée du 23 septembre 2004 relative au refus d’enregistrer sa candidature, la Cour suprême a confirmé la nullité des signatures en question (par. 2.9) en se fondant sur le protocole de la Commission électorale régionale et sur les procès‑verbaux établis par les membres de cette commission conformément aux pouvoirs qui leur sont conférés par la loi électorale. Devant la Cour, l’auteur n’a pas affirmé qu’il n’y avait pas de signatures non valables dans les listes, mais que celles‑ci représentaient moins de 15 % du nombre total de signatures vérifiées. Il a présenté à l’appui de sa position des déclarations écrites certifiées émanant d’électeurs dont la signature avait été jugée non valable. La Cour a écarté cet élément de preuve, car les déclarations avaient été obtenues en violation du principe énoncé à l’article 181 du Code de procédure civile.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.Dans une réponse du 3 avril 2007, l’auteur réfute l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas affirmé devant le tribunal qu’il n’y avait pas de signatures non valables dans les listes de soutien. Il rappelle que, dans son premier recours, il a expressément contesté ce passage de la décision de la Cour suprême datée du 30 septembre 2004. Il répète qu’il a présenté au tribunal 11 déclarations écrites certifiées par notaire émanant d’électeurs dont la signature avait été considérée comme nulle. Ce nombre de signatures supplémentaires aurait suffi pour faire enregistrer sa candidature. L’auteur fait valoir que si la Cour suprême a rejeté ces déclarations c’est uniquement parce qu’elle n’est pas indépendante du pouvoir exécutif. À l’appui de cette thèse, il renvoie au rapport du Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats sur sa mission au Bélarus en 2001, qui avait conclu que le Président a un pouvoir discrétionnaire absolu en ce qui concerne la nomination et la révocation des juges.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) et b ) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et il note que l’État partie n’a pas contesté que les recours internes avaient été épuisés.
6.3L’auteur affirme que le droit d’être élu député à la Chambre des représentants de l’Assemblée nationale bélarussienne, qui lui est reconnu à l’article 25 du Pacte, n’a pas été respecté parce que sa candidature n’a pas été enregistrée. Le Comité note que l’auteur conteste également la manière dont les tribunaux de l’État partie ont examiné sa plainte relative au refus des commissions électorales d’enregistrer sa candidature, ainsi que le refus des tribunaux de prendre dûment en considération les déclarations certifiées par notaire émanant d’électeurs dont la signature avait été jugée non valable par la Commission électorale régionale et la Commission électorale centrale. Sans préjudice de la question de savoir si l’affaire de l’auteur devait être examinée dans le cadre d’une procédure judiciaire au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité fait observer que ces griefs portent essentiellement sur l’appréciation des faits et des preuves par le tribunal. Il rappelle que c’est généralement aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit prouvé que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Le Comité estime que les faits présentés par l’auteur ne montrent pas suffisamment que la procédure, dans son cas, avait été entachée de telles irrégularités. L’auteur n’a pas réfuté l’argument de l’État partie selon lequel la Cour suprême a appliqué comme il convient l’article 181 du Code de procédure civile en ce qui concerne l’invocation des déclarations faites par certains signataires qui appuyaient sa candidature au sujet de la validité de leurs signatures. En conséquence, le Comité estime que les griefs de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif et sont par conséquent irrecevables. Il en résulte que l’auteur ne saurait non plus prétendre avoir été injustement privé de la possibilité de briguer un siège à la Chambre des représentants de l’Assemblée nationale bélarussienne, en violation de l’article 25 du Pacte. Le Comité conclut donc que cette partie de la communication est également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4L’auteur affirme que le droit à une égale protection de la loi, qui lui est reconnu à l’article 26 du Pacte, n’a pas été respecté parce qu’il a été victime de discrimination en raison de ses opinions politiques. Le Comité note cependant que l’auteur n’a pas apporté d’informations ni de pièce justificative à l’appui de ce grief. En outre, on ignore si ces questions ont été soulevées devant les tribunaux nationaux. Dans ces conditions, le Comité considère que cette partie de la communication n’a pas été étayée aux fins de la recevabilité et la déclare donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
E. Communication n o 1375/2005, Subero Beisti c. Espagne*(Décision adoptée le 1 er avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
José Luis Subero Beisti (représenté par un conseil, M. Marino Turiel Gómez) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
7 janvier 2003 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Appréciation des éléments de preuve et ampleur de l’examen de l’affaire pénale en appel par les juridictions espagnoles |
Questions de procédure: |
Défaut de fondement du grief |
Questions de fond: |
Droit de faire réexaminer par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi |
Article du Pacte: |
14 (par. 5) |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er avril 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication, en date du 7 janvier 2003, est José Luis Subero Beisti, de nationalité espagnole, né en 1964, actuellement incarcéré. Il se déclare victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, M. Marino Turiel Gómez.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Le 13 avril 2000, l’Audiencia Provincial de Logroño a condamné l’auteur à une peine d’emprisonnement de neuf ans pour deux chefs d’accusation, agression sexuelle avec pénétration orale et séquestration. La victime de l’agression a déclaré que, le 5 avril 1997, à l’aube, l’auteur l’avait insulté dans un bar où tous deux se trouvaient, qu’il l’avait ensuite suivi lorsqu’il avait quitté le bar, et qu’il l’avait retenu pendant un moment, frappé plusieurs fois au visage puis entraîné dans un parc où il l’avait obligé à lui faire une fellation. La victime a réussi à s’échapper et a demandé de l’aide à quelqu’un qui travaillait là. Au procès, l’auteur a reconnu avoir eu une dispute avec la victime, mais a nié l’avoir agressée sexuellement. L’auteur estime avoir été condamné sans preuves à charge suffisantes.
2.2L’auteur s’est pourvu en cassation devant la chambre pénale du Tribunal suprême, en invoquant une violation du droit à la présomption d’innocence et une appréciation erronée des éléments de preuve. Il affirmait dans son recours que la déclaration de la victime ne constituait pas une preuve à charge suffisante, que le tribunal avait apprécié les éléments de preuve de manière arbitraire et qu’il n’avait pas accordé la valeur voulue à un rapport d’expert qui attestait l’absence de traces de sang ou de salive sur les sous‑vêtements portés par l’auteur le jour des faits.
2.3Par une décision datée du 6 juillet 2001, la chambre pénale du Tribunal suprême a rejeté le pourvoi en cassation. En ce qui concerne le grief de violation du droit à la présomption d’innocence, la chambre a estimé que, conformément à sa jurisprudence constante, sa compétence à cet égard se limitait exclusivement à constater l’existence de preuves à charge, c’est‑à‑dire à examiner les points de fait relatifs à l’infraction et à la participation de l’accusé aux faits, l’appréciation de la juridiction de jugement n’entrant pas dans le champ de la cassation. La chambre a jugé que l’existence de preuves à charge était confirmée et que ces preuves étaient suffisantes pour écarter la présomption d’innocence. S’agissant de l’erreur de fait qui aurait été commise dans l’appréciation des preuves, elle a rappelé que, conformément à sa jurisprudence constante, une telle erreur devait être étayée par un document attestant son existence, qui soit suffisamment probant en soi, qui ne contredise pas d’autres éléments de preuve et qui apporte des informations pertinentes susceptibles de justifier la modification d’une quelconque conclusion du jugement. La chambre a estimé que ces conditions n’étaient pas remplies dans le cas de l’auteur.
2.4Le 20 mai 2002, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours en amparo formé par l’auteur. Il a considéré que, dans sa décision, le Tribunal suprême avait statué sur tous les motifs de cassation invoqués après les avoir dûment examinés, sans constater d’irrégularité. Il a également estimé qu’il existait contre l’auteur des preuves à charge suffisantes.
Teneur de la plainte
3.L’auteur affirme avoir été privé du droit de faire réexaminer sa déclaration de culpabilité et sa condamnation par une juridiction supérieure. Il estime que le droit reconnu au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte inclut un réexamen des preuves produites pendant le procès, et que le Tribunal suprême n’a pas examiné cette question. L’auteur renvoie à la position adoptée par la formation plénière du Tribunal suprême à la suite de la décision du Comité en l’affaire Gómez Vázquez, à savoir que le pourvoi en cassation espagnol ne constitue pas un recours utile au sens du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Dans une note datée du 7 juin 2005, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la communication, faisant valoir que les tribunaux nationaux avaient apprécié les faits de manière légitime, correctement et avec toute l’attention voulue. L’État partie affirme que la décision du Tribunal suprême témoigne d’un réexamen approfondi et attentif des éléments de preuve. En ce qui concerne l’absence de preuves à charge, il relève, en citant la décision du tribunal, qu’il existait bien des preuves suffisantes, autres que le propre témoignage de la victime. L’État partie conclut que la communication est dénuée de fondement et constitue un abus du droit de présenter des communications.
4.2En outre, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes puisqu’il n’a pas soulevé la question de l’absence de recours devant le Tribunal suprême ni devant le Tribunal constitutionnel, alors que la doctrine de ce dernier veut que le réexamen en cassation soit suffisamment étendu pour satisfaire aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.Dans un courrier daté du 29 juillet 2005, l’auteur a contesté les observations de l’État partie. Selon lui, il est faux de dire que le Tribunal suprême a réexaminé les éléments de preuve étant donné que, comme l’a établi le Comité, le pourvoi en cassation ne lui permet pas de le faire. L’auteur répète que les preuves ont été appréciées de manière illogique et déraisonnable et que le Tribunal suprême n’a pas accordé la valeur voulue aux éléments qui le disculpaient. En ce qui concerne les recours internes, l’auteur affirme les avoir épuisés en présentant un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel.
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Le Comité prend note de l’observation formulée par l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas épuisé les recours internes puisqu’il n’a pas soulevé la question de l’absence de recours devant le Tribunal suprême ni devant le Tribunal constitutionnel. Il constate toutefois que l’État partie ne fournit pas d’informations suffisantes sur le type de recours auxquels il fait référence ni sur leur efficacité. Par conséquent, et compte tenu de sa jurisprudence, rien n’empêche le Comité d’estimer que les recours internes ont été épuisés.
6.4En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, il ressort de l’arrêt du Tribunal suprême que celui-ci a examiné très attentivement la manière dont toutes les preuves avaient été appréciées par le tribunal de première instance. Le Tribunal suprême a estimé que les éléments de preuve présentés contre l’auteur étaient suffisants pour l’emporter sur la présomption d’innocence, conformément aux critères établis par la jurisprudence pour déterminer l’existence de preuves suffisantes pour justifier des poursuites dans le cas de certains types d’infractions, comme les agressions sexuelles. Le grief formulé au titre du paragraphe 5 de l’article 14 n’a donc pas été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et le Comité en conclut qu’il est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Partant, il estime qu’il est inutile de répondre à l’argument de l’État partie selon lequel la communication constitue un abus du droit de présenter des communications.
6.5En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
F. Communication n o 1429/2005, A. B. C. D. et E. c. Australie*(Décision adoptée le 1 er avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
A., B., C., D. et E. (représentés par les Missionnaires franciscains de Marie) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Australie |
Date de la communication: |
2 février 2005 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Expulsion, risque d’être persécuté en cas de renvoi dans le pays d’origine |
Questions de procédure: |
Griefs non étayés |
Questions de fond: |
Traitements cruels, inhumains ou dégradants; détention; protection due aux enfants du fait de leur état de minorité |
Articles du Pacte: |
7, 9 (par. 1 et 4) et 24 |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er avril 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1Les auteurs de la communication sont A. (premier auteur), née en 1957, son mari B. (deuxième auteur), né en 1964, leurs filles C. et D., nées l’une en 1991 et l’autre en 1993, et la mère du deuxième auteur, E., née en 1945. Il s’agit de ressortissants colombiens, nés en Colombie, qui vivent actuellement en Australie et vont être expulsés vers la Colombie. Ils se déclarent victimes de violations par l’Australie de l’article 7, des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par les Missionnaires franciscains de Marie.
1.2Le 20 septembre 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a décidé de ne pas faire droit à la demande de mesures provisoires de protection des auteurs.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1De 1976 à 1996, le deuxième auteur travaillait à Cali (Colombie) comme serveur dans des boîtes de nuit. Entre décembre 1994 et mars 1996, il était employé dans une boîte de nuit appartenant à un dirigeant de la mafia locale qui faisait du trafic de drogues. Son travail l’amenait à apprendre beaucoup de choses sur les opérations de la mafia et l’identité de ses chefs. Pendant cette période, il a assisté à plusieurs réunions de la mafia qui se tenaient dans le club. Le 25 décembre 1995, la police a fait une descente pendant une de ces réunions et a arrêté des chefs de la mafia. L’employeur de l’auteur était convaincu que la rafle avait eu lieu parce que la police avait un informateur parmi le personnel. Il a tué un des serveurs, qu’il soupçonnait d’être l’indicateur.
2.2Après cet incident, le deuxième auteur a trouvé du travail dans une autre boîte de nuit, où il a également été témoin d’activités illégales. Il a donné plusieurs coups de fil anonymes à la police pour en parler. On lui a dit qu’il valait mieux qu’il reste tranquille. Le 22 avril 1996, il a été agressé et a perdu conscience. L’un des hommes qui l’avaient agressé était un policier qu’il avait vu dans la boîte de nuit. Le 29 avril 1996, le deuxième auteur a quitté la Colombie pour Israël. En mars 1997, il est parti pour l’Australie.
2.3Le deuxième auteur est arrivé en Australie le 7 mars 1997 et a fait une demande de visa de protection le 29 mai 1997. Un représentant du Ministre de l’immigration et des affaires multiculturelles a rejeté la demande le 17 septembre 1997, au motif que le préjudice que l’auteur craignait de subir relevait du droit pénal et ne figurait pas au nombre des raisons énoncées dans la Convention relative au statut des réfugiés.
2.4Après le départ du deuxième auteur, les autres auteurs ont déménagé en différents endroits et se sont finalement installés chez la sœur du premier auteur à La Pradera (Decepaz). Le premier auteur a reçu des menaces et on l’a interrogée pour lui faire dire où se trouvait son mari. En avril 1998, sa sœur a été violée et assassinée et un mot a été retrouvé, qui disait: «Malheureusement on s’est trompé. La prochaine fois on ne te ratera pas.». Le premier auteur pense que c’est elle qui était visée et que sa sœur a été tuée par erreur.
2.5Le premier auteur, ses filles et sa belle‑mère sont arrivées en Australie le 20 avril 1998 et ont demandé un visa de protection le 4 juin 1998. Un représentant du Ministre a rejeté leur demande le 29 juin 1998. En date du 13 mai 1999, le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés (RRT) a confirmé les décisions rendues par les représentants du Ministre pour le deuxième auteur et pour le reste de la famille. Le RRT a considéré que le récit des auteurs était plausible, même le fait que le deuxième auteur avait téléphoné à la police pour l’informer des activités illégales dont il avait été témoin. Toutefois, il a estimé que les craintes des auteurs n’entraient dans aucune des catégories de motifs énoncés dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
2.6Le 20 octobre 1999, la Cour fédérale a rapporté les décisions du RRT sur les deux demandes, qui ont été renvoyées à ce même tribunal. Le 26 février 2001, le RRT, composé de membres différents, a confirmé les décisions des représentants du Ministre de ne pas accorder de visa de protection aux auteurs. Il a considéré que le deuxième auteur n’était pas un témoin crédible et que les aspects les plus importants de son récit étaient invraisemblables et contradictoires. Il a relevé que les renseignements que le deuxième auteur prétendait avoir donnés à la police étaient trop vagues et généraux pour menacer qui que ce soit. Les frères Rodriguez, que l’auteur disait avoir vus dans la discothèque, avaient été arrêtés de nombreux mois auparavant. Le RRT a noté que les messages contenus dans les menaces étaient incohérents, puisque dans certains on demandait à l’auteur de revenir et dans d’autres on lui disait de disparaître. Il a noté que les faits relatés dans la demande initiale étaient très différents de ceux relatés dans les demandes ultérieures. Il a estimé que dans sa déposition orale faite à l’audience l’auteur était souvent hésitant ou évasif. Il a étudié les informations que l’auteur disait avoir données aux autorités et les a jugées vagues et générales. Le RRT a estimé qu’il n’était pas plausible que l’auteur ait pris la peine de téléphoner à la police pour donner des informations totalement inutiles ou déjà dans le domaine public. Estimant que l’allégation de l’auteur qui affirmait être un indicateur de police ne tenait pas et que les détails qu’il donnait à ce sujet étaient vagues et peu convaincants, le Tribunal n’a pas cru que l’auteur était un indicateur de police ni qu’il avait été victime d’une tentative d’enlèvement ou d’agression. Il a également considéré que les auteurs avaient la possibilité de s’installer ailleurs en Colombie s’ils avaient peur de rester à Cali. En date du 12 décembre 2003, la Cour fédérale a rejeté le recours que les auteurs avaient formé. Le 2 juillet 2004, la Cour fédérale en formation plénière a rejeté leur demande d’autorisation de faire appel. En date du 5 juillet 2002 et du 17 janvier 2005, le Ministre de l’immigration a décidé qu’il n’userait pas du pouvoir d’intervention que lui confère l’article 417 de la loi de 1958 sur les migrations.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs affirment qu’ils sont victimes ou risquent d’être victimes d’une violation de l’article 7 du Pacte. Le premier auteur a été intimidé par les fonctionnaires du Département de l’immigration et des affaires multiculturelles. Le deuxième a été «traité comme un menteur» par les autorités de l’État partie, ce qui constitue une atteinte à sa dignité et à son intégrité personnelle. Pour les enfants, le refus des autorités d’octroyer un visa de protection a eu des conséquences psychologiques néfastes.
3.2De plus, la conséquence nécessaire et prévisible de la détention des auteurs et de leur renvoi en Colombie serait une violation des droits garantis à l’article 7. Les auteurs craignent de subir des représailles pour les actes du deuxième auteur; en particulier ils ont peur d’être enlevés, de disparaître ou d’être assassinés en Colombie. Ils renvoient à la jurisprudence du Comité contre la torture, qui estime qu’il n’est pas lié par les conclusions de fait des autorités nationales et qu’il peut apprécier librement les faits d’une cause. Les auteurs font remarquer qu’il n’y a aucune preuve que le deuxième auteur a utilisé de faux documents à l’appui de ses griefs. Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés ne l’a simplement pas cru. Les auteurs font valoir que le Comité peut se faire sa propre opinion au sujet de la crédibilité de leur récit. Le fait que les auteurs, très religieux, sont d’une grande moralité, et que le deuxième auteur a dénoncé des activités illégales suffit pour établir qu’ils risquent d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements s’ils sont renvoyés dans leur pays. En Colombie, il existe un ensemble systématique de violations flagrantes ou massives des droits de l’homme. Enfin, les auteurs font valoir que le Gouvernement colombien ne serait pas en mesure de leur assurer la protection dont ils auraient besoin.
3.3Les auteurs font valoir que s’ils étaient placés en rétention en application de l’article 189, paragraphe 1, de la loi sur les migrations, qui autorise le placement en détention de personnes dont le visa temporaire a expiré ou dont la demande de protection a été rejetée, il y aurait violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 du Pacte, parce qu’ils n’ont aucune intention de prendre la fuite ou de refuser de coopérer.
3.4Les auteurs invoquent une violation du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte, parce que rien n’indique que le Ministre de l’immigration fasse le nécessaire pour respecter l’obligation de prendre des mesures spéciales de protection en faveur des enfants, conformément à l’article 24. La question de savoir s’il était dans l’intérêt supérieur des enfants de leur accorder ou d’accorder à leur famille un visa de protection n’a pas été évoquée du tout. Les enfants vivent en permanence dans la peur de ce qui pourrait leur arriver s’ils étaient renvoyés en Colombie, parce que leur père est menacé. Les proches des parties à un conflit sont souvent la cible de groupes armés irréguliers qui cherchent à se venger. S’ils étaient détenus ou renvoyés en Colombie, ils seraient victimes d’une violation de l’article 24.
Observations de l’État partie
4.1Dans une note du 26 octobre 2006, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il indique que les enfants et la belle‑mère de l’auteur ont déposé une demande distincte de visa de protection, qui a été rejetée le 23 décembre 2005 par le Département de l’immigration et le 8 juin 2006 par le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés (RRT). Il précise que des visas temporaires ont été accordés aux auteurs jusqu’à leur expulsion.
4.2En ce qui concerne le grief des auteurs qui affirment qu’ils ont subi en Australie un traitement contraire à l’article 7 du Pacte, l’État partie objecte qu’il est irrecevable. Il note que ce grief n’a pas été soulevé devant les juridictions nationales et fait valoir que les auteurs n’ont pas apporté d’éléments suffisants pour l’étayer. Il reconnaît que les auteurs sont dans une situation de détresse psychologique mais dit que rien ne montre que la façon dont les autorités les ont traités en soit la cause. Sur le fond, l’État partie fait valoir que le traitement que les auteurs auraient subi en Australie n’a pas consisté en douleurs ou souffrances aiguës ni en humiliations, et ne pouvait donc pas représenter une violation de l’article 7 du Pacte.
4.3.En ce qui concerne le grief des auteurs qui affirment qu’ils risquent d’être victimes d’une violation de l’article 7 s’ils sont renvoyés en Colombie, l’État partie fait valoir qu’ils ont apporté des éléments insuffisants pour étayer ce grief. Rien ne vient appuyer les déclarations qu’ils ont faites au sujet du traitement qu’ils auraient subi ou qu’ils craignent de subir en Colombie quand ils y retourneront.
4.4Sur le fond, l’État partie souligne que ses autorités ont examiné de façon approfondie et plusieurs fois les griefs des auteurs et ont conclu que la torture ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant ne seraient pas une conséquence nécessaire ou prévisible de leur renvoi en Colombie. Le Comité devrait accepter le bien‑fondé des constatations de fait des juridictions nationales. Il n’y a rien que l’on puisse opposer à la conclusion du RRT qui a estimé que le deuxième auteur n’était pas un témoin crédible et qu’il n’était pas vraisemblable qu’il fût un informateur anonyme de la police. Or, c’est précisément parce que le deuxième auteur serait un indicateur que les auteurs craignent d’être renvoyés en Colombie. Étant donné que le RRT n’avait pas jugé ce grief crédible, tous les autres griefs découlant de cette hypothèse n’étaient pas vraisemblables non plus. Cela vaut pour l’affirmation du premier auteur qui pense que sa sœur a été assassinée parce que les meurtriers se sont trompés de personne, ce qui montre que sa propre vie est en danger. Le Tribunal n’a pas contesté que la sœur du premier auteur ait été victime d’un meurtre mais il a relevé que ni le motif du meurtre ni l’identité du meurtrier n’étaient connus. Si les autorités les renvoient en Colombie, les auteurs ne courront pas de risque réel de violation des droits consacrés dans le Pacte.
4.5L’État partie fait valoir que le grief de violation potentielle du paragraphe 1 de l’article 9 devrait être déclaré irrecevable faute d’être suffisamment étayé, étant donné que les auteurs n’ont apporté aucun élément montrant qu’ils seraient placés en détention avant d’être expulsés ou que cette détention serait arbitraire. En ce qui concerne le fond, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité qui a affirmé que la détention de demandeurs d’asile n’était pas en soi arbitraire. La décision de placer les auteurs en détention avant de les expulser serait prise dans le respect de la loi. Depuis qu’ils sont en Australie, les auteurs ont été sur le point d’être expulsés plusieurs fois. Le deuxième auteur a certes été placé en détention pendant deux mois mais tous ont reçu par la suite des visas temporaires.
4.6En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte, l’État partie objecte qu’elle n’est pas étayée et doit donc être déclarée irrecevable. Bien que les auteurs ne l’aient pas dit explicitement, l’État partie suppose qu’ils craignent, s’ils devaient être placés en détention avant d’être expulsés, d’être privés du droit de faire examiner la légalité de la mesure. Rien dans la communication ne vient étayer cette supposition. L’État partie ajoute que ce grief est dénué de fondement. Il rappelle les dispositions de la législation australienne et fait valoir que toute personne placée en détention a la possibilité de faire vérifier la légalité de la mesure.
4.7L’État partie affirme que les auteurs n’ont pas étayé leur grief de violation du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte invoqué au nom de leurs enfants. Ils n’ont donné aucune information ni élément de preuve montrant que l’État partie a agi de telle manière que le droit des enfants aux mesures de protection requises par leur état de minorité a été bafoué. Ils n’ont avancé aucun argument pour démontrer pourquoi ou comment leur expulsion entraînerait une violation de cet article. Sur le fond, l’État partie renvoie à l’Observation générale no 17 du Comité, relative à l’article 24, et souligne qu’il appartient à chaque État de déterminer les mesures qui doivent être adoptées, à la lumière des besoins de protection des enfants vivant sur son territoire.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
5.1En date du 7 janvier 2007, les auteurs ont fait parvenir leurs commentaires sur les observations de l’État partie. En ce qui concerne les objections de l’État partie au sujet du grief de violation de l’article 7 du Pacte, ils expliquent comment s’est déroulé le processus de demande d’asile. Ils indiquent que, certes, la demande de visa de protection du deuxième auteur a été rejetée parce qu’aucun des motifs énoncés dans la Convention relative au statut des réfugiés ne pouvait être invoqué, mais il a été reconnu que la situation pouvait être considérée sous l’angle humanitaire et qu’il existait un risque de préjudice grave. Toutefois, la loi ne permet pas de tenir compte de considérations humanitaires qui n’entrent pas dans le champ d’application de la Convention relative au statut des réfugiés, ce qui entraîne une discrimination à l’égard des personnes qui ont besoin de protection mais ne répondent pas à la définition du réfugié. Les recours déposés devant le RRT ne sont examinés qu’au regard de la Convention relative au statut des réfugiés et il n’existe pas d’autre possibilité. La Cour fédérale ne peut se prononcer que sur les erreurs juridictionnelles du RRT. Elle ne peut pas statuer sur le fond d’une demande d’asile humanitaire déposée par un requérant qui ne peut bénéficier du statut de réfugié au sens de la Convention.
5.2Quand le deuxième auteur était en détention, sa femme vivait dans un état de tension exacerbé, en raison de l’incertitude qui entourait la situation de son mari et de la nécessité de pourvoir aux besoins de la famille. Comme ils n’avaient pas le droit de travailler, les auteurs avaient de grosses difficultés financières. Ils avaient du mal à faire vivre la famille et à accéder aux services sociaux essentiels, ne pouvant par exemple consulter un médecin ou obtenir des lunettes pour les enfants, qui avaient une mauvaise vue. Ils ont dû demander à des amis de payer leurs factures. Les dettes sont toujours impayées, ce qui aggrave l’angoisse de la famille.
5.3En ce qui concerne les griefs de détention arbitraire, les auteurs se réfèrent à la détention de deux mois du deuxième auteur et affirment que pendant «cinq jours la détention était probablement illégale». C’est pourquoi ils craignent un nouveau placement en détention. De plus, ils font valoir que les personnes qui n’entrent pas dans le champ d’application de la Convention relative au statut des réfugiés peuvent rester indéfiniment en détention en attendant d’être expulsées, si l’expulsion semble «trop dangereuse».
5.4En ce qui concerne l’article 24 du Pacte, les auteurs soulignent que leurs enfants ont maintenant passé plus de temps en Australie que dans leur pays natal. Ce sont des adolescents, à un stade important de leur développement.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.
6.2Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de l’intégralité de la communication. En ce qui concerne le grief des auteurs qui affirment qu’ils ont été traités en Australie d’une façon incompatible avec l’article 7, il relève que l’État partie objecte que ce grief n’a pas été soulevé devant les juridictions nationales et qu’il n’est pas suffisamment étayé. Il note que les auteurs parlent en termes généraux de la manière inadéquate dont les autorités australiennes les ont traités, de leur détresse pendant la procédure d’immigration et du fait qu’ils ne pouvaient pas travailler et gagner leur vie. Il considère cependant qu’ils n’ont pas suffisamment étayé ce grief et que celui-ci est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.3En ce qui concerne l’allégation des auteurs qui affirment que leur expulsion constituerait une violation de l’article 7 du Pacte, le Comité rappelle que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, expulser ou refouler une personne vers un pays où elle court un risque réel d’être tuée ou soumise à la torture ou à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Il note que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés (RRT) a conclu que l’existence d’un tel risque ne pouvait pas être établie parce que les auteurs manquaient de crédibilité. Il constate en outre que les auteurs n’ont pas démontré qu’ils courraient un risque réel d’être tués ou soumis à la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant s’ils étaient renvoyés en Colombie. Il estime par conséquent que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité leur grief de violation de l’article 7, qui est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.4En ce qui concerne les griefs de violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 du Pacte, le Comité note que le deuxième auteur a été placé en détention une fois, et y resté deux mois. Les auteurs n’ont pas montré en quoi cette détention devrait être réputée avoir été illégale ou arbitraire. Quant aux autres membres de la famille, ils n’ont jamais été détenus. En outre, les auteurs n’ont apporté aucun élément démontrant que, si l’État partie les plaçait en détention, cette mesure serait arbitraire ou illégale comme ils l’affirment. Le Comité estime par conséquent que ces griefs de violation de l’article 9 du Pacte n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.5En ce qui concerne le grief tiré de l’article 24 du Pacte, au nom des enfants, le Comité estime que les auteurs n’ont pas montré pourquoi le renvoi des enfants avec leurs parents constituerait une violation des droits garantis dans cet article. Il conclut que ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la précédente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs, par l’intermédiaire de leur conseil.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
G. Communication n o 1481/2006, Tadman et Prentice c. Canada*(Décision adoptée le 22 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Grant Tadman et Jeff Prentice (représentés par M. Brian N. Forbes) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Canada |
Date de la communication: |
17 novembre 2005 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Allégation de préférence illégale accordée par les écoles confessionnelles aux enseignants de la même confession, au détriment des auteurs |
Questions de procédure: |
Qualité pour agir; épuisement des recours internes; griefs suffisamment étayés aux fins de la recevabilité |
Questions de fond: |
Discrimination fondée sur la religion; droit de faire dispenser aux enfants une éducation conforme aux préférences des parents; recours utile; application dans toutes les unités constituant les États fédéraux |
Articles du Protocole facultatif: |
1, 2 et 5 (par. 2 b)) |
Articles du Pacte: |
2 (par. 1, 2 et 3), 26 et 50 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1La communication, datée du 17 novembre 2005, est présentée par Grant Tadman et Jeff Prentice, qui se disent victimes de violation par le Canada des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 2, de l’article 26 et de l’article 50 du Pacte. Ils sont représentés par des conseils, M. Renton Patterson et M. Brian Forbes.
1.2Le 29 septembre 2006, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a décidé que la question de la recevabilité et la question du fond seraient examinées séparément.
Exposé des faits
2.1Les auteurs sont enseignants dans l’Ontario (Canada). En 1986, la province de l’Ontario a adopté le projet de loi 30 en vertu duquel les écoles catholiques primaires et secondaires du système séparé seraient entièrement financées par des fonds publics en Ontario. En juin 1987, dans le pourvoi relatif au projet de loi 30, portant modification de la loi sur l’éducation (Ontario), la Cour suprême du Canada a estimé que cet amendement n’était pas anticonstitutionnel. La loi sur l’éducation de l’Ontario, telle que modifiée, prévoyait aussi que, pendant une période de dix ans, les enseignants des écoles publiques se trouvant en surnombre au regard des besoins de ces écoles par suite du départ des élèves vers les écoles catholiques nouvellement financées pouvaient être mutés, en qualité d’«enseignants désignés», à un poste identique ou analogue dans le nouveau système. Par la suite, en vertu de dispositions dont la Cour suprême n’était pas saisie dans l’affaire susmentionnée, la loi a prévu que, pour préserver le caractère distinctif du système séparé, les commissions scolaires pourraient exiger comme condition d’emploi que les enseignants «acceptent de respecter la doctrine et les conditions posées par les écoles catholiques romaines séparées dans l’accomplissement de leurs fonctions», même si les enseignants employés dans les écoles séparées «jouiront des mêmes possibilités en ce qui concerne leur emploi, leur perfectionnement et leur promotion».
2.2En décembre 1997, dans l’affaire Daly v. Attorney General , la Division générale de la Cour de l’Ontario a annulé les dispositions relatives à l’égalité des possibilités énoncées à l’article 136 de la loi au motif qu’elles portaient atteinte au droit à l’autodétermination garanti aux écoles confessionnelles lors de la création de l’Union du Canada par l’article 93 1) de la Loi constitutionnelle de 1867. En conséquence, les commissions scolaires séparées étaient autorisées à donner la préférence à des coreligionnaires en matière d’emploi, d’avancement et de promotion. Le 27 avril 1999, la cour d’appel de l’Ontario a rejeté un recours formé contre la décision de la Division générale et en octobre 1999, la Cour suprême du Canada a refusé l’autorisation de faire appel.
Cas de M. Tadman
2.3Depuis 1975, M. Tadman, en sa qualité d’enseignant, a été conseiller d’orientation et a enseigné l’éducation physique dans le système scolaire public. En 1986, il a été muté de la Commission de North York (North York Board) du système public à la Commission métropolitaine des écoles séparées (Metropolitan Separate School Board). En juin 1987, en septembre 1987, en décembre 1989, en juin 1991 et en septembre 1991, il a été affecté à des postes différents. Il affirme qu’au cours de cette période il n’a jamais été titulaire d’un poste permanent pour enseigner dans les deux domaines pour lesquels il était qualifié, comme il l’avait fait auparavant dans le système public. Il précise également qu’en quatre occasions il a formulé des demandes raisonnables en vue d’obtenir un poste permanent d’enseignement, mais se l’est vu refuser pour des motifs injustifiés. Il ajoute avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire parce qu’il n’est pas d’origine catholique. Il déclare à cet égard avoir fait l’objet d’un harcèlement verbal de la part du personnel et des élèves, que son expérience et ses qualifications professionnelles n’étaient pas convenablement reconnues, qu’on lui interdisait d’aborder certaines questions touchant la santé avec les élèves et qu’il s’est vu refuser la possibilité d’obtenir un poste au service d’orientation sous prétexte qu’il risquait de faire des commentaires déplacés en raison de ses origines non catholiques.
2.4En ce qui concerne les recours qu’il a formés, en septembre 1987, M. Tadman a demandé à la Commission scolaire de North York (North York Board), son ancien employeur, de le reprendre à son service car il ne pouvait pas, pour des raisons morales, continuer à travailler dans le système des écoles séparées. Devant le refus opposé par la Commission, il a déposé plainte devant une commission d’arbitrage. Le 17 août 1988, après l’audition des témoins, la Commission d’arbitrage a rejeté la plainte au motif que: i) le délai écoulé entre la mutation et la plainte était trop long pour être raisonnable; ii) le plaignant avait «changé d’avis» concernant son aptitude à travailler dans le système séparé; iii) les éléments de preuve «ne démontrent pas, loin s’en faut, que le plaignant se soit vu interdire d’exprimer ses convictions religieuses personnelles» par la Commission des écoles séparées; et iv) que, selon son propre témoignage, il a été dispensé d’activités religieuses dans l’école, et que «rien n’indique, au vu des éléments de preuve, que cela lui ait causé des difficultés». L’appel formé devant le tribunal de division (Divisional Court) a été rejeté, au motif que «la Commission d’arbitrage avait établi le fait que la Commission des écoles séparées n’avait pas porté atteinte à la liberté de conscience, de pensée, de conviction ou de religion du plaignant».
2.5En 1992, M. Tadman a demandé l’autorisation de déposer plainte auprès de la Commission ontarienne des droits de la personne. En avril 1992, la Commission a répondu qu’elle n’était pas compétente en la matière. En octobre 1992, l’Ombudsman de l’Ontario a fait savoir qu’il n’enquêterait pas sur cette plainte, et se ralliait à la position de la Commission. En février 1994, l’auteur a déposé plainte auprès de la Commission ontarienne des droits de la personne en invoquant une discrimination sur la base de la croyance contre la Commission métropolitaine des écoles séparées (Metropolitan Separate School Board), pour refus de la Commission de lui donner un poste et pour harcèlement. Aucun renseignement n’est fourni quant à la suite donnée à cette plainte. En février 1994 également, l’auteur a déposé une doléance (plainte) devant le syndicat des enseignants contre la Commission, en invoquant le refus d’égalité des chances en matière d’emploi et l’exposition à des remarques discriminatoires de la part des personnes employées par la Commission, notamment de la part d’enseignants de son école. En mai 1994, le syndicat a décidé de donner suite à un aspect de la plainte concernant la question de savoir si l’auteur devait être affecté à une autre école au sein de la Commission. Aucune information n’est donnée concernant l’issue de cette plainte.
2.6En juin 1994, l’auteur a déposé plainte devant la Commission des relations de travail de l’Ontario (Ontario Labour Relations Board) contre son syndicat, en invoquant une violation par ce dernier du devoir de représentation équitable. En août 1994, la Commission a rejeté cette plainte en se déclarant incompétente pour les litiges entre un enseignant et le syndicat. En novembre 1994, l’auteur a engagé une action contre la Commission scolaire devant la Cour de l’Ontario (Division générale) en invoquant une discrimination dans l’emploi, mais en excluant expressément le statut légal général des écoles séparées. Le 10 août 1995, la Cour a rejeté la demande au motif que M. Tadman n’avait pas épuisé les procédures d’arbitrage obligatoires. Cette décision n’a pas fait l’objet d’appel.
2.7Le 29 octobre 1999, le Comité des droits de l’homme a déclaré irrecevable, au motif que les auteurs ne pouvaient pas affirmer être victimes de la discrimination qu’ils disaient subir, une communication de M. Tadman et consorts dénonçant des violations des mêmes dispositions du Pacte que celles invoquées en l’espèce. Le Comité a noté que «les auteurs, tout en affirmant être victimes de discrimination, ne demandent pas des écoles financées par des fonds publics pour leurs enfants mais cherchent au contraire à faire supprimer le financement public des écoles catholiques séparées. Ainsi, s’il était fait droit à leur demande, la situation personnelle des auteurs au regard du financement de l’instruction religieuse ne serait pas améliorée. Mais les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leur argument selon lequel le financement public dont bénéficient les écoles catholiques séparées à l’heure actuelle les défavorise ou a des conséquences préjudiciables pour eux.».
Cas de M. Prentice
2.8M. Prentice a enseigné les mathématiques et les sciences à temps partiel dans une école secondaire catholique, à Ottawa, pendant l’année scolaire 1997/98. En 1998, il a demandé un poste permanent qui lui a été refusé. Il déclare que ce refus était motivé par le fait qu’il n’était pas catholique pratiquant, en se fondant pour cela sur une note reçue de la Commission scolaire selon laquelle il ne pouvait fournir d’attestation à cet effet.
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs affirment que les faits de la cause font apparaître une discrimination au motif de la croyance religieuse, ce qui est contraire à l’article 26 du Pacte pour trois raisons. Premièrement, ils affirment avoir souffert d’une discrimination religieuse en raison des pratiques de recrutement et de promotion applicables dans le système des écoles séparées en Ontario. Deuxièmement, ils affirment que le financement par des fonds publics des écoles catholiques est contraire à la disposition énoncée à l’article 26. Troisièmement, M. Tadman prétend que, lorsqu’il enseignait dans une école secondaire catholique, il a fait l’objet d’une discrimination du fait qu’il n’était pas catholique. Les auteurs invoquent les constatations du Comité dans l’affaire Waldman c. Canada à l’appui de leurs arguments.
3.2Les auteurs affirment aussi qu’à la lumière de la jurisprudence des tribunaux de l’État partie, ils ne disposent d’aucun recours utile, contrairement à ce que dispose l’article 2 du Pacte. Enfin, les auteurs font valoir que l’existence, en Ontario, des dispositions qu’ils jugent discriminatoires représente une violation de l’article 50 du Pacte, aux termes duquel les dispositions du Pacte s’appliquent également à toutes les unités constitutives des États fédératifs.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Dans une lettre du 18 septembre 2006, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication en faisant valoir qu’elle est irrecevable: i) ratione materiae; ii) parce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications en raison du délai écoulé; iii) en raison de l’absence de victimes; iv) pour non‑épuisement des recours internes concernant les plaintes pour harcèlement présentées par M. Tadman; et v) pour griefs insuffisamment fondés concernant le harcèlement allégué par M. Tadman.
4.2Selon l’État partie, la communication est incompatible ratione materiae avec le paragraphe 4 de l’article 18 du Pacte, qui protège le droit pour les parents de faire assurer l’éducation de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses. Comme l’ont reconnu les tribunaux, pour préserver le caractère confessionnel d’une école religieuse, il faut pouvoir recruter des enseignants en donnant une préférence en fonction de la religion. Toutes les écoles religieuses de l’Ontario, quelle que soit leur confession, ont ce droit, compatible avec le paragraphe 4 de l’article 18.
4.3L’État partie estime que les auteurs n’ont pas donné d’explication convaincante pour justifier le retard écoulé avant de présenter leur communication, d’où il résulte un abus du droit de présenter des communications. Même si l’on prend la date d’octobre 1999 comme la toute dernière date pertinente depuis le refus de la Cour suprême d’autoriser le droit d’interjeter appel de la décision rendue dans l’affaire Daly, plus de six ans se sont écoulés avant la présentation de la présente communication. Aucune justification n’a été fournie pour expliquer ce laps de temps, qui est excessif et entrave la capacité qu’a l’État partie d’établir certains faits et certaines circonstances de l’affaire qui ne figurent pas dans les archives fédérales ni provinciales.
4.4L’État partie fait également valoir, en comparant le texte de la communication à celui de la communication qui a été déjà présentée par l’auteur en 1999, que la vraie plainte des auteurs porte toujours sur le fait que les écoles catholiques séparées ne devraient pas recevoir de fonds publics, et non sur l’allégation ostensiblement formulée du recrutement préférentiel d’enseignants catholiques dans les commissions scolaires séparées. Dans la décision qu’il a rendue sur la première communication, le Comité a rejeté la qualité pour agir de l’auteur en cette matière. Cette conclusion reste applicable, étant donné qu’aucun des auteurs de la présente communication n’a indiqué en quoi le financement par des fonds publics viole l’un des droits que leur reconnaît le Pacte. L’État partie fait également valoir que soumettre une deuxième fois la même plainte principale constitue un abus du droit de présenter des communications.
4.5L’État partie fait également valoir que M. Tadman n’a pas démontré qu’il avait épuisé les recours internes en ce qui concerne son allégation de harcèlement. La décision rendue dans l’affaire Daly n’a pas empêché d’invoquer les questions soulevées dans la communication, étant donné que le jugement a seulement affirmé que les commissions scolaires catholiques avaient l’autorisation de recruter et de promouvoir de préférence des catholiques, mais seulement dans la mesure nécessaire pour préserver le caractère catholique des écoles de cette confession. Cette règle ne s’applique pas au harcèlement allégué par l’auteur; au contraire, l’article 5 du Code des droits de la personne de l’Ontario garantit expressément le droit de ne pas être victime de harcèlement sur le lieu de travail sur la base de la croyance. M. Tadman n’a pas apporté la preuve qu’il a défendu intégralement les droits qui sont les siens en vertu du Code. En outre, dans la procédure qu’il a engagée devant les tribunaux civils, il a expressément exclu la question qui a ultérieurement fait l’objet de l’affaire Daly.
4.6Enfin, l’État partie fait valoir que les deux incidents de harcèlement qui se seraient produits ne constitueraient pas, même s’ils étaient avérés, une discrimination violant l’article 26. Il n’y a en particulier rien d’inconvenant à ce que les enfants d’une école religieuse interrogent les enseignants sur les pratiques religieuses. En outre, M. Tadman a déposé une plainte au titre de la loi sur l’éducation ainsi qu’une plainte pour violation des droits de la personne sur ces questions. La Commission d’arbitrage a conclu que ses plaintes n’étaient pas étayées, et le recours contre cette décision a été rejeté. Dans ces conditions, le Comité devrait s’en remettre aux conclusions des juridictions nationales.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
5.1Dans une lettre du 17 novembre 2006, les auteurs ont répondu en contestant les observations de l’État partie. Au sujet des recours internes, ils font valoir que, compte tenu du jugement Daly, il serait vain d’engager d’autres procédures. Ils contestent également que le paragraphe 4 de l’article 18 du Pacte vise le droit d’employer des membres d’une confession religieuse dans des écoles de cette confession et font valoir que cette disposition n’autorise pas la discrimination à l’égard de certains enseignants. Ils invoquent de nouveau l’affaire Waldman et font valoir que la création du système séparé a rendu inévitable le transfert d’enseignants du système d’État vers le système séparé, compte tenu du nombre d’élèves ayant changé de système.
5.2En ce qui concerne les délais, les auteurs font valoir que l’intervalle écoulé est imputable au Canada et à l’absence de suite appropriée donnée aux constatations rendues dans l’affaire Waldman. Ils contestent également l’argument selon lequel le temps écoulé a nui à la capacité de l’État de résoudre les questions soulevées. Pour ce qui est de leur qualité de victime, ils font valoir qu’ils ne soulèvent pas les mêmes questions que celles qui ont été réglées dans la première communication Tadman, mais qu’ils invoquent un préjudice personnel sous forme de discrimination dont ils ont souffert en tant qu’enseignants.
Observations supplémentaires de l’État partie
6.1Le 11 avril 2007, l’État partie a répondu aux commentaires des auteurs. Il a souligné que l’affaire Waldman, qui est invoquée à plusieurs reprises par les auteurs, n’a rien à voir avec la présente affaire. La communication Waldman portait sur le financement des écoles confessionnelles, et ne soulevait en aucune manière la question du recrutement préférentiel de coreligionnaires comme enseignants dans les écoles confessionnelles. En centrant presque exclusivement l’attention sur l’affaire Waldman et la question du financement, les auteurs cherchent à utiliser de nouveau la question différente du financement par des fonds publics des écoles catholiques en Ontario, alors qu’ils n’ont nullement qualité pour la soulever.
6.2L’État partie souligne que toutes les écoles confessionnelles en Ontario, indépendamment de leur confession, ont le droit de procéder à un recrutement préférentiel sur la base de la religion afin de préserver leur caractère confessionnel, conformément au paragraphe 4 de l’article 18 et aux valeurs du Pacte. M. Tadman n’a pas non plus démontré l’existence d’un lien quelconque entre le recrutement préférentiel des écoles catholiques et le harcèlement dont il aurait été victime. En outre, le laps de temps écoulé a eu un effet préjudiciable: les deux exemples cités par M. Tadman se sont produits presque vingt ans auparavant et concernaient des élèves anonymes, ce qui rend impossible aujourd’hui toute enquête appropriée.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité note la décision qu’il a rendue sur la communication antérieure présentée par l’auteur (Tadman n o 1) déclarant que l’auteur n’avait pas la qualité de victime lui permettant de soulever les questions du financement public des écoles confessionnelles en Ontario. Dans la mesure où la présente communication soulève les mêmes questions sur lesquelles le Comité s’est prononcé dans l’affaire Waldman, elle est irrecevable conformément à l’article premier du Protocole facultatif.
7.3En ce qui concerne le cas particulier de M. Tadman, le Comité note que, dans la procédure civile qu’il a engagée devant les tribunaux de l’Ontario, il a expressément refusé toute contestation fondée sur la question générale du traitement préférentiel dont bénéficient les enseignants coreligionnaires dans les écoles confessionnelles (art. 135 et 136 de la loi). Au contraire, il s’est borné à invoquer les difficultés personnelles particulières qu’il avait rencontrées sur son propre lieu de travail. La Cour a jugé que ces difficultés n’avaient pas été évoquées dans l’arbitrage précédent et que M. Tadman n’était donc pas en droit de les soulever en l’espèce. M. Tadman n’a pas fait appel de cette décision. Il faut par conséquent en conclure que la communication de M. Tadman est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif pour non‑épuisement des recours internes. Le Comité note également les conclusions sur les faits auxquelles sont parvenus la Commission d’arbitrage et le tribunal de division (voir par. 2.4 ci‑dessus) selon lesquelles M. Tadman n’a pas de fait souffert d’une limitation quelconque de sa liberté de conscience, de pensée, de conviction ou de religion. Il renvoie à sa décision concernant l’affaire Keshavjee c. Canada selon laquelle il se range aux conclusions de fait auxquelles sont parvenues les autorités nationales sauf si ces conclusions sont manifestement arbitraires ou équivalent à un déni de justice. Cette partie de la communication de M. Tadman est par conséquent irrecevable également en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, les griefs étant insuffisamment étayés.
7.4En ce qui concerne M. Prentice, le Comité note que la communication ne fait apparaître aucune démarche engagée par l’auteur pour contester ou attaquer devant les autorités ou les tribunaux de l’État partie les motifs qui seraient à l’origine du refus de sa promotion. En l’absence d’effort raisonnable de l’auteur pour étayer la violation alléguée de ses droits devant les juridictions nationales, la communication de M. Prentice doit être considérée comme irrecevable conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif pour non‑épuisement des recours internes.
8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1er et 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et, pour information, à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
H. Communication n o 1487/2006, Saïd Ahmad et Abdol ‑Hamid c. Danemark*(Décision adoptée le 1 er avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
Kasem Saïd Ahmad et Asmaa Abdol‑Hamid(représentés par un conseil, Mme Zaha S. Hassan) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Danemark |
Date de la communication: |
12 juin 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Publication de dessins heurtant les sensibilités religieuses |
Questions de procédure: |
Épuisement des recours internes |
Questions de fond: |
Interdiction d’inciter à la haine; liberté d’expression; recours utile |
Article du Protocole facultatif: |
5 (par. 2 b)) |
Articles du Pacte: |
2 (par. 3 a) et b)), 17, 18 (par. 3 et 4), 19, 20 et 26 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er avril 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.Les auteurs de la communication, en date du 12 juin 2006, sont Kasem Saïd Ahmad et Asmaa Abdol‑Hamid, tous deux de nationalité danoise, nés le 26 septembre 1960 et le 22 novembre 1981, respectivement. Ils affirment être victimes de violation par le Danemark de l’article 2, paragraphe 3 a) et b), de l’article 17, de l’article 18, paragraphes 3 et 4, et des articles 19, 20 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil, Mme Zaha Hassan.
Exposé des faits
2.1Les auteurs sont de confession musulmane. En 2005, le chef du service culturel du journal danois Jyllands ‑Posten a demandé à 40 membres de l’Union danoise des illustrateurs de presse de dessiner le prophète Mahomet tel qu’ils se le représentaient. Douze dessinateurs ont répondu positivement. Le 30 septembre 2005, le journal a publié en première page l’un des dessins accompagné de la légende suivante: «Certains musulmans rejettent la société laïque moderne. Ils revendiquent un statut particulier et exigent que leur propre sentiment religieux fasse l’objet d’une considération spéciale. Cette attitude est incompatible avec la démocratie laïque et la liberté d’expression, qui supposent que l’on soit prêt à tolérer le mépris, la raillerie et la dérision.».
2.2L’article complet, intitulé «Le visage de Mahomet» et sous‑titré «La liberté d’expression», était publié en page 3. Il débutait ainsi:
«Le comédien Frank Hvan a récemment reconnu qu’il n’osait pas “brocarder ouvertement le Coran à la télé”. Un dessinateur chargé de représenter le prophète Mahomet pour illustrer un livre pour enfants souhaite conserver l’anonymat − comme le demandent également les traducteurs européens de l’Ouest d’une série d’essais critiques consacrés à l’islam. Un grand musée d’art a retiré une œuvre par crainte des réactions des musulmans. Au théâtre, cette saison, trois pièces satiriques moquent le Président des États‑Unis, George W. Bush, mais pas une seule ne vise Oussama ben Laden et ses alliés. Enfin, lors d’une réunion avec le Premier Ministre Anders Fogh Rasmussen, du Parti libéral danois, un imam a instamment prié le Gouvernement d’user de son influence sur les médias danois afin qu’ils donnent une image plus positive de l’islam. Ces exemples ne laissent pas d’être préoccupants, que la peur ressentie soit fondée ou non. Le fait est que cette peur existe et qu’elle conduit à l’autocensure. Les acteurs de l’espace public sont intimidés. Les artistes, auteurs, illustrateurs, traducteurs et gens de théâtre évitent la plus importante confrontation des cultures de notre temps − celle entre l’islam et la société laïque occidentale, dont les racines sont chrétiennes.».
2.3La section suivante, intitulée «La raillerie», reprenait la légende de la première page et la faisait suivre du texte ci‑après:
«Ce n’est dès lors pas une coïncidence que les citoyens des sociétés totalitaires soient emprisonnés pour avoir plaisanté ou tenu des propos critiques au sujet de dictateurs. Cette répression est en général justifiée par le fait qu’un tel comportement heurte les sentiments de la population. Nous n’en sommes pas encore à ce stade au Danemark, mais les exemples cités montrent que nous nous trouvons sur une pente glissante dont nul ne peut prédire à quelle autocensure elle nous conduira.».
2.4Dans la dernière colonne de l’article, intitulée «Douze illustrateurs», on pouvait lire ce qui suit: «C’est pourquoi [le journal] a invité les membres de l’Union danoise des illustrateurs de presse à dessiner Mahomet tel qu’ils se le représentaient.». Il était précisé que 12 illustrateurs, dont les noms étaient cités, avaient répondu à l’invitation et que leurs 12 dessins étaient donc publiés.
2.5Les auteurs affirment que ces dessins se fondaient sur une perception erronée de l’enseignement religieux islamique. Les 12 illustrations en question figuraient:
1)Le visage d’un homme dont la barbe et le turban s’inscrivent dans un croissant de lune et une étoile, symboles habituels de l’Islam;
2)Le visage d’un homme barbu, l’air sévère, portant un turban en forme de bombe, dont la mèche est allumée;
3)Lors d’une séance d’identification, un homme fait face à sept personnes caricaturées, dont Pia Kjaersgaard, Présidente du Parti du peuple danois, et cinq hommes coiffés d’un turban. L’homme dit:«hmm … je n’arrive pas à le reconnaître…»;
4)Un homme barbu, debout, portant un turban auréolé d’un croissant de lune;
5)Cinq silhouettes féminines stylisées portant un foulard et dont les traits du visage sont représentés sous la forme d’une étoile et d’un croissant de lune. «Prophète! Pauvre fou! Tu maintiens les femmes sous le joug!» indique la légende;
6)Un homme barbu portant un turban, appuyé sur un bâton et menant un âne par la longe;
7)Un homme avec des gouttes de sueur au front, assis sous une lampe allumée et regardant par‑dessus son épaule gauche tandis qu’il dessine le visage d’un homme portant un keffieh et une barbe;
8)Deux hommes barbus, enturbannés et armés d’un sabre, d’une bombe et d’un fusil, se précipitent vers un troisième homme également enturbanné. Celui‑ci lit une feuille de papier et leur fait signe de rester à distance en précisant: «Du calme les gars! C’est seulement une caricature faite par un incroyant du sud du Danemark.»;
9)Un adolescent brun, vêtu d’un pantalon et d’un haut rayé portant le mot «L’avenir», debout devant un tableau noir, pointe avec une baguette un texte en arabe écrit au tableau. Une flèche désignant le garçon indique «Mohammed, école Valby, 7A»;
10)Un homme barbu, un turban sur la tête et un cimeterre à la main, les yeux masqués par un bandeau noir, est encadré par deux femmes vêtues d’un tchador qui ne laisse apparaître que leurs yeux;
11)Un homme barbu portant un turban, debout sur des nuages, les bras écartés, s’exclame: «Arrêtez, arrêtez, nous sommes à court de vierges!». Des hommes en loques, au‑dessus de la tête desquels s’échappent des volutes de fumée, font la queue devant lui;
12)Un homme qui porte des lunettes et un turban dans lequel se trouve une orange où on lit «opération publicitaire». L’homme sourit en montrant un dessin qui représente un «homme filiforme» portant une barbe et coiffé d’un turban.
2.6Le 12 octobre 2005, des hauts représentants de 12 États et territoires à majorité musulmane ont écrit au Premier Ministre de l’État partie pour faire part des préoccupations que suscitaient la publication de ces dessins et d’autres faits tels que des déclarations publiques visant directement l’islam, affirmant que leur conjonction provoquerait des réactions dans les pays musulmans et dans les pays d’Europe où vivent des minorités musulmanes. Le 21 octobre 2005, le Premier Ministre a répondu que son gouvernement ne pouvait pas influencer la presse mais que les personnes qui s’estimaient offensées pouvaient saisir les tribunaux danois.
2.7Le 27 octobre 2005, une plainte a été déposée auprès des autorités de police de l’État partie pour infraction présumée aux dispositions des articles 140 et 266 b) du Code pénal, à raison de la publication de plusieurs dessins représentant Mahomet dans le Jyllands ‑Posten. D’après l’État partie, la plainte a été déposée par «plusieurs organisations», le second auteur étant désigné comme personne à contacter, alors que la communication décrit les plaignants comme «des organisations et des particuliers musulmans, dont [le second auteur]».
2.8Le 1er janvier 2006, le Premier Ministre de l’État partie a déclaré que «ce sont cette approche hétérodoxe des autorités, cet impératif de mettre en question l’ordre établi, cette tendance à soumettre toute chose au débat critique qui ont conduit au progrès de notre société. C’est grâce à ce progrès que de nouveaux horizons s’ouvrent, que des découvertes sont faites et que des idées nouvelles voient le jour, tandis que les vieux systèmes et les idées et opinions dépassées s’estompent et disparaissent. C’est pour cela que la liberté d’expression est capitale. Et la liberté d’expression est absolue. Elle n’est pas négociable… En règle générale, nous traitons les autres avec considération et nous avons confiance les uns dans les autres, et confiance dans un ensemble de principes qui sont fondamentaux pour notre société. Nous avons fondé notre société sur le respect de la liberté individuelle, la liberté d’expression, l’égalité entre hommes et femmes et la distinction entre le politique et le religieux. Notre postulat de départ, c’est qu’en tant qu’êtres humains nous sommes libres, indépendants, égaux et responsables. Nous devons préserver ces principes.».
2.9Le 6 janvier 2006, le parquet régional de Viborg (Regional Public Prosecutor) a décidé de mettre fin à l’enquête ouverte en vertu de l’article 749 de la loi sur l’administration de la justice, au motif que pour évaluer une infraction aux articles 140 et 266 b), il fallait prendre en considération le droit à la liberté d’expression; après évaluation globale de l’article, le parquet avait conclu que l’on ne pouvait raisonnablement présumer qu’une infraction punissable susceptible d’entraîner des poursuites avait été commise. Un appel a été interjeté auprès du parquet général (Director of Public Prosecutions). D’après la communication, ce recours a été formé par la Communauté islamique, dont le premier auteur est membre, d’autres organisations et des particuliers, y compris les auteurs, alors que l’État partie le décrit comme ayant été engagé «au nom de plusieurs organisations et particuliers», les deux auteurs y étant désignés comme personnes à contacter.
2.10Le 13 février 2006, le Premier Ministre de l’État partie a fait la déclaration suivante: «Nul ne peut nier que ces caricatures étaient insultantes pour les croyances de nombreux musulmans. Et il est juste de faire preuve de compréhension à cet égard. Le Gouvernement n’a aucun intérêt à insulter l’islam ni aucune autre religion. Mais tous les manifestants doivent comprendre que le Gouvernement danois n’a aucun moyen de contrôler la presse libre. C’est le principal problème: nous sommes engagés dans un dialogue de sourds.».
2.11Le 15 mars 2006, le Procureur général a décidé, compte tenu de l’intérêt public, de traiter l’appel quant au fond sans examiner au préalable la qualité pour agir des plaignants. Sur le fond, il a refusé, dans une décision non susceptible d’appel, d’infirmer la décision du parquet régional. Il a noté que les articles 140 et 266 b) du Code pénal, qui limitent le droit d’exprimer librement ses opinions, devaient être interprétés compte dûment tenu du droit à la liberté d’expression. En ce qui concerne l’article 140, il a noté que l’usage admis dans l’État partie couvrait même l’expression d’opinions offensantes et insultantes. Depuis l’adoption de cette disposition en 1930, des poursuites n’avaient été intentées que dans trois affaires, dont la plus récente, en 1971, s’était soldée par une décision de relaxe (de deux directeurs des programmes d’une chaîne de télévision publique qui avaient diffusé une chanson susceptible de heurter vivement les sentiments moraux ou religieux de chrétiens). Pour ce qui est de savoir si l’article raillait ou méprisait «des dogmes religieux ou des actes de culte» au sens de l’article de loi, le Procureur a noté qu’on ne pouvait pas affirmer que les textes religieux de l’islam contenaient une interdiction générale et absolue de dessiner Mahomet. En fait, il y était interdit de représenter des figures humaines. Tous les musulmans ne respectaient pas toujours cette interdiction puisque Mahomet avait fait, par le passé, et continuait de faire l’objet de représentations respectueuses. On ne pouvait donc pas considérer qu’un dessin de Mahomet en général serait contraire au dogme et au culte tels qu’ils étaient pratiqués aujourd’hui. Quant à savoir si la caricature (plutôt que la représentation) était assimilable à une raillerie ou à une expression de mépris du dogme et du culte, cela dépendait des circonstances, notamment du texte qui accompagnait les illustrations.
2.12En l’espèce, le Procureur général a considéré que, d’après ce texte, le journal avait commandé les dessins dans le but de débattre, de manière provocante, de la question de savoir s’il fallait, dans une société laïque, prêter une attention particulière aux sentiments de certains musulmans. Il a considéré que les dessins 1, 3, 4, 6, 7, 9, 11 et 12 étaient neutres ou ne semblaient pas être une expression de dérision ou d’humour méprisant et, partant, qu’ils ne tombaient pas sous le coup de l’article 140. Les dessins 5 et 10, qui portaient sur la place de la femme dans la société musulmane, visaient les conditions sociales et la vie dans ces sociétés plutôt que le dogme et le culte islamiques.
2.13Le dessin 8 pouvait être vu comme une illustration d’un élément de violence dans l’islam, mais l’homme debout − qui pouvait être Mahomet − disait qu’il n’y avait pas lieu de se mettre en colère et parlait calmement, ce qui devait être compris comme un rejet de la violence. Le dessin n’exprimait donc ni raillerie ni mépris à l’égard du dogme et du culte islamiques. Le dessin 2 pouvait être interprété comme signifiant d’une part, que des actes de violence ou des attentats à la bombe avaient été commis au nom de l’islam, ce qui contribuait au débat actuel sur la terreur, de l’autre, que le fanatisme religieux avait conduit à la commission d’actes de terrorisme. Il ne fallait donc pas y voir l’expression d’un mépris de Mahomet ou de l’islam mais une critique des groupes musulmans qui commettaient des actes de terrorisme au nom de la religion. Le dessin pouvait aussi être interprété comme prêtant à Mahomet les traits d’un personnage violent, ou plutôt intimidant ou effrayant. Le Procureur général a noté que les descriptions historiques de la vie de Mahomet faisaient état de conflits violents et d’affrontements armés avec des non‑musulmans au cours de la propagation de la religion et de pertes considérables en vies humaines chez les musulmans et les non‑musulmans. Cela étant, il était déplacé de faire allusion à la violence de Mahomet en le représentant avec une bombe, au risque d’être aujourd’hui compris comme une référence au terrorisme. Mais si ce dessin pouvait à bon droit être interprété comme un affront et une insulte faite à ce prophète, il ne constituait pas pour autant une expression de raillerie, de dérision ou de mépris (y compris d’outrage et de dépréciation) au sens de l’article 140. Compte tenu de sa genèse et de sa jurisprudence, l’article 140 devait être interprété au sens strict, et l’affront et l’insulte à Mahomet que certains croyaient voir dans ce dessin ne pouvaient être établis avec la certitude nécessaire pour constituer une infraction punissable.
2.14En ce qui concerne l’article 266 b), le Procureur général a noté que cette disposition aussi devait être interprétée strictement, compte tenu de la liberté d’expression. Pour ce qui est de savoir si les dessins avaient un caractère «insultant» ou «dégradant» pour les musulmans à raison de leur religion, le sens de ces termes équivalait à la «raillerie» et au «mépris» visés à l’article 140. Le texte de l’article de presse ne visait pas les musulmans en général mais certains d’entre eux, ceux qui rejetaient la société moderne laïque et revendiquaient un statut particulier pour leurs propres sentiments. Il ne pouvait être considéré comme méprisant ou dégradant à l’égard de ce groupe, même au regard des dessins. Ceux‑ci représentaient Mahomet, figure religieuse, et ne renvoyaient pas aux musulmans en général, de sorte que rien ne permettait de supposer que l’intention du dessin 2 était de décrire les musulmans en général comme des auteurs de violence ou des terroristes. Les dessins représentant d’autres personnes que Mahomet, même examinés à la lumière de l’article, ne contenaient pas de références générales aux musulmans et ne les dépeignaient pas de manière méprisante ou dégradante.
2.15En conclusion, le Procureur général a noté que, même s’il n’existait pas de motif d’engager des poursuites pénales en l’espèce, les articles 140 et 266 b) limitaient tous deux la liberté d’expression. Dans la mesure où les expressions publiques relevaient du champ d’application de ces textes, il n’existait donc pas de droit illimité d’exprimer des opinions sur des sujets religieux. L’article ne rendait donc pas compte de la loi de manière exacte en affirmant que le fait d’exiger que des sentiments religieux fassent l’objet d’une considération particulière était incompatible avec la liberté d’expression et qu’il fallait être prêt à tolérer «le mépris, la raillerie et la dérision».
2.16M. Ahmad affirme qu’à la suite de la décision du Procureur général, il a été mis fin à son contrat de travail dans le secteur privé au motif que l’activité de l’entreprise était insuffisante. Il pense que la véritable raison de son licenciement était son militantisme dans l’affaire des caricatures; peu de temps avant la fin de son contrat, la direction l’a convoqué à plusieurs reprises pour discuter de la plainte au dépôt de laquelle il avait pris part et des déclarations qu’il avait faites à la presse. Il affirme également avoir été victime de harcèlement sur son lieu de travail après avoir pris position contre la publication des caricatures et prétend que sa recherche d’un nouvel emploi est entravée par la discrimination exercée contre lui pour la même raison.
2.17Le 29 mars 2006, la Communauté islamique du Danemark, dont le premier auteur est membre, et six autres organisations, toutes représentées par le premier auteur dûment mandaté, ont engagé une procédure pénale contre le rédacteur en chef et le chef du service culturel du journal, au titre des articles 268 (Diffamation écrite ou orale); 21 (Tentatives) et 267 (Déclarations diffamatoires portant atteinte à l’honneur d’autrui par des remarques ou une conduite injurieuses) du Code pénal. L’affaire a été entendue le 9 octobre 2006, l’auteur étant cité comme témoin. Le 26 octobre 2006, le tribunal de district d’Aarhus a rendu une décision défavorable aux plaignants. Il a noté que la liberté d’expression avait des limites qu’il incombait aux tribunaux de déterminer dans une société démocratique moderne. Il a relevé que certains dessins n’avaient ni caractère ni but religieux, que le message présumé de certains autres était parfaitement neutre et qu’ils ne semblaient susceptibles d’enfreindre que l’interdiction de représenter Mahomet, ce que les plaignants avaient expressément écarté de la procédure. D’autres illustraient sur le mode ironique les conséquences du non‑respect de l’interdiction de la représentation, ne représentaient pas Mahomet ou étaient des satires de son lien présumé avec la répression des femmes.
2.18De l’avis du tribunal, les dessins qui représentaient Mahomet illustraient l’ignorance des Danois à son égard, établissaient un lien entre lui et la répression des femmes, le montraient sous un «air (légèrement) ridicule comme une personne plutôt simple», et faisaient un lien entre Mahomet et le terrorisme. Le tribunal a considéré que seuls les trois dessins établissant un rapport entre Mahomet et le terrorisme étaient susceptibles d’être jugés insultants. Quant à savoir si cela constituait une diffamation contraire à la législation pénale, le tribunal a considéré que le but des dessins était la critique sociale et qu’ils n’auraient probablement pas été jugés insultants s’ils avaient été publiés séparément. Si le texte qui les accompagnait pouvait être interprété comme une invitation au mépris, à la raillerie et à la dérision, ce n’était pas le cas des illustrations. À l’évidence, on ne pouvait exclure que ces dessins aient porté atteinte à l’honneur de certains musulmans, mais rien ne permettait de supposer qu’ils visaient à être offensants ou à entamer l’estime que leurs concitoyens portaient aux musulmans, outre qu’ils n’étaient guère appropriés à cette fin. Par conséquent, la responsabilité pénale des défendeurs ne pouvait pas être engagée. Selon l’État partie, le premier auteur a fait appel de ce jugement devant la cour d’appel de l’ouest du Danemark.
2.19Après la publication des dessins, des manifestations et des émeutes ont eu lieu dans plusieurs pays du monde et ont fait plus de 100 morts et 800 blessés, outre des dégâts matériels considérables infligés notamment aux ambassades de l’État partie à Damas et Beyrouth. Les dessins ont également été reproduits dans d’autres journaux et magazines européens.
Teneur de la plainte
3.1En vertu d’une référence générale aux paragraphes 3 a) et b) de l’article 2, à l’article 17, aux paragraphes 3 et 4 de l’article 18 et aux articles 19, 20 et 26 du Pacte, les auteurs affirment que dans les circonstances de l’espèce, ils n’ont pas eu de recours utile contre les responsables de l’incitation à la haine contre les musulmans, interdite par l’article 20 du Pacte, du fait des actes et des omissions du Premier Ministre et du Procureur général de l’État partie. Cette absence de recours utile a permis et aggravé d’autres violations du Pacte concernant la protection contre les atteintes à l’honneur et à la réputation, l’ordre public et la sécurité, la discrimination raciale et religieuse et l’incitation à la discrimination raciale et religieuse contre les Arabes et les musulmans danois, ainsi que la garantie de l’égalité de la protection devant la loi. La décision de ne pas engager de poursuites a provoqué de graves préjudices et une banalisation de la controverse, tout en envoyant le message que l’incitation à la haine contre les Arabes et les musulmans était acceptable.
3.2En ce qui concerne le Premier Ministre, les auteurs affirment qu’il a facilité et encouragé la violation de leurs droits en accomplissant publiquement certains actes (en l’espèce, son refus de rencontrer les ambassadeurs et représentants de pays à majorité musulmane) et en faisant des déclarations publiques qui banalisaient et semblaient soutenir la publication de dessins «manifestement offensants et provocants». Cela a contribué à rendre la situation encore plus instable et a sans doute encouragé d’autres publications à reproduire les dessins. Le Premier Ministre a ensuite nui à l’enquête sur la publication des dessins en se prononçant officiellement contre les poursuites, ce qui était à l’évidence contraire aux lois de l’État partie et aux obligations qui lui incombent en vertu des traités internationaux, signifiant ainsi clairement à la police et aux procureurs que le Gouvernement n’avait pas l’intention de poursuivre le Jyllands ‑Posten.
3.3S’agissant du Procureur général, les auteurs affirment qu’il leur a refusé un recours utile en confirmant la décision du parquet régional. Ils font valoir qu’il n’a pas pris la pleine mesure du message transmis par les dessins pour déterminer s’il y avait eu infraction à la législation de l’État partie et qu’il aurait dû renvoyer l’affaire à un tribunal au lieu de se fier à ses propres interprétations douteuses. En particulier, de l’avis des auteurs, les dessins étaient, de par leur caractère même, destinés à déformer de façon grotesque et à dénaturer leurs sujets; ils visaient à offenser et à ridiculiser les musulmans en tant que groupe minoritaire dans l’État partie; le chef du service culturel aurait dû avoir conscience que le fait de caricaturer Mahomet serait particulièrement offensant pour les musulmans; le message dominant était l’association et la confusion de l’islam avec le terrorisme; le chef du service culturel avait été averti par les réactions violentes à la profanation du Coran dans les bases militaires des États‑Unis en 2005; le but affirmé de l’article était que les musulmans devraient accepter d’être méprisés, raillés et tournés en dérision; le fait de caricaturer des musulmans revenait en fait à viser tous les musulmans et l’islam en général; les normes internationales relatives à l’incitation à la haine et à la discrimination contre des groupes raciaux et religieux et à la protection de l’ordre public n’avaient pas fait l’objet de l’attention appropriée; et les interprétations strictes qui avaient été données étaient contraires aux efforts récemment faits par le Parlement pour punir plus sévèrement les infractions motivées par des considérations raciales, religieuses ou ethniques.
3.4Les auteurs affirment que les dessins révélaient une compréhension erronée de l’enseignement religieux islamique et transmettaient les messages suivants: 1) Mahomet est un terroriste et son message, l’islam, est l’idéologie du terrorisme; 2) l’islam est mauvais et soutient le terrorisme en promettant des vierges aux kamikazes en puissance; 3) Mahomet est à la fois un démon et un saint, ou un démon déguisé en saint; 4) l’islam est étrange et paradoxal puisqu’il interdit de représenter le visage de Mahomet tout en exigeant que les femmes musulmanes se couvrent entièrement à l’exception du visage; les femmes sont asservies par l’islam; 5) les musulmans sont violents et cherchent automatiquement à tuer ceux avec qui ils sont en désaccord; 6) Mahomet et les musulmans sont arriérés et simples d’esprit et n’appartiennent pas à l’époque civilisée et moderne; et 7) l’islam appelle à l’asservissement des femmes.
3.5Les auteurs font valoir qu’à cause du non‑respect par l’État partie des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte, le Gouvernement de l’État partie est perçu comme étant favorable à la publication et à la republication des dessins, qui avaient alimenté et continueraient probablement d’alimenter des manifestations violentes dans le monde entier, ce qui donnerait lieu à davantage de morts, de blessés et de destruction de biens. Ils affirment également que les minorités musulmanes et arabes en général qui vivent dans l’État partie, et eux‑mêmes en tant que membres de ces minorités, souffriraient de réactions politiques et sociales négatives car les membres de la majorité risquent de penser, compte tenu de la manière dont la controverse a été traitée, que l’incitation à la haine et la discrimination contre les Arabes et les musulmans sont cautionnées dans l’État partie.
3.6Le deuxième auteur, Mme Abdol‑Hamid, affirme également qu’elle s’est sentie lésée, comme tous les musulmans, par la publication de caricatures racistes et islamophobes de Mahomet et de l’islam, et par le fait que le Gouvernement de l’État partie semble cautionner la publication de ces dessins. À son avis, cela donne licence aux Danois non musulmans d’exercer une discrimination et de tenir d’autres propos diffamatoires contre les musulmans et les Arabes dans l’État partie.
Observations de l’ État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans des notes verbales datées du 23 octobre 2006 et du 6 février 2007, l’État partie a contesté la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne la recevabilité, il fait valoir que la plainte est irrecevable car les auteurs n’ont apporté aucun commencement de preuve de la violation de l’article 20 du Pacte, que la communication est manifestement infondée puisque les auteurs ont eu accès à un recours utile et qu’ils ne peuvent pas être considérés comme des victimes. En ce qui concerne le fond, il fait observer que la communication ne met en évidence aucune violation du Pacte.
4.2En ce qui concerne la question de savoir si les auteurs peuvent être considérés comme des victimes habilitées à déposer plainte, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité en s’interrogeant sur le degré auquel ils ont été personnellement touchés. Il note que dans la communication initiale, les auteurs se sont dits concernés en raison de la manière dont le Gouvernement de l’État partie était perçu en général dans le reste du monde, sans expliquer le préjudice qu’ils auraient subi ni le risque réel pesant sur l’exercice par eux des droits énoncés dans le Pacte. L’affirmation selon laquelle ils risquent de souffrir de réactions politiques et sociales négatives se fonde sur plusieurs séries de considérations manifestement hypothétiques concernant la manière dont la majorité de la population danoise réagira à la gestion de la crise par le Gouvernement, et non sur la décision du Procureur général. Elle ne prouve pas en quoi les décisions des autorités de l’État partie ont eu des effets concrets sur les auteurs. C’est seulement après que le secrétariat du Comité a demandé aux auteurs par lettre d’apporter des clarifications sur cette question que M. Ahmad a allégué (sans aucun justificatif) avoir subi un préjudice dans le domaine de l’emploi, bien qu’il n’ait jamais saisi le parquet de l’État partie pour faire examiner ce préjudice au regard de l’article 266 b) du Code pénal, ni intenté aucune autre action.
4.3À cet égard, l’État partie note également que la loi sur l’interdiction de tout traitement discriminatoire sur le marché du travail interdit la discrimination à l’embauche et au licenciement pour des motifs liés, notamment, à la race, la couleur, la religion, la croyance ou l’origine sociale ou ethnique, et prévoit des règles de preuve particulièrement souples ainsi que l’indemnisation des victimes en cas d’infraction à ses dispositions. Même si les allégations de l’auteur pourraient tomber sous le coup de cette loi, celui‑ci n’a pas engagé d’action contre ses employeurs passés ou potentiels et n’a donc pas épuisé les recours internes dont il dispose à cet égard. L’État partie ne peut donc pas, à ce stade, vérifier la véracité de ces allégations, et conteste dans tous les cas que les décisions de ne pas engager de poursuites soient à l’origine du licenciement de M. Ahmad.
4.4En ce qui concerne les préjudices distincts que prétend avoir subis Mme Abdol‑Hamid, l’État partie fait valoir qu’ils ont un caractère tellement général et abstrait qu’ils ne peuvent pas remplir les conditions requises pour que l’intéressée soit considérée comme une victime. En outre, les allégations de licence de continuer à exercer une discrimination sont dépourvues de tout fondement et purement spéculatives, et ne suffisent pas à démontrer que le risque que l’auteur soit touchée n’est pas seulement une possibilité théorique.
4.5Les auteurs n’ont donc pas montré que la décision de ne pas engager de poursuites avait eu un effet négatif sur leur exercice des droits énoncés par le Pacte ou entraîné un véritable risque à cet égard, et la communication est irrecevable en l’absence de victime.
4.6Sur le fond, premièrement, l’État partie fait valoir que les dessins en question ne relèvent pas du champ d’application du paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte puisqu’ils n’incitent en rien à la haine religieuse. C’est leur contexte qui est important − ils illustraient un article visant à lancer un débat sur l’autocensure dans l’État partie, comme l’a reconnu le Procureur général. Le journal n’avait donc pas l’intention d’inciter à la discrimination contre certains musulmans mais de souligner qu’un groupe de musulmans qui «rejettent la société moderne» devait être traité comme tous les autres dans l’État partie, indépendamment de ses croyances. Il y a donc une différence fondamentale entre les initiatives destinées à mettre fin à ce que le journal considère comme de l’autocensure et celles visant à inciter à la haine religieuse, et les affirmations contenues dans l’article doivent être appréciées à la lumière de cet élément. L’insertion de dessins «humoristiques et satiriques», y compris d’autoportraits des dessinateurs eux‑mêmes, montre également que ces dessins n’avaient pas pour objet d’inciter à la haine religieuse. Ainsi, le portrait d’un homme barbu appuyé sur un bâton et menant un âne par la longe révèle simplement comment le dessinateur imagine Mahomet à son époque, tout comme Jésus est souvent représenté avec une tunique ample et des sandales, et ne véhicule pas de sous‑entendus négatifs. Si d’autres dessins peuvent être considérés comme provocants, leur objectif était d’appeler l’attention sur la question de l’autocensure, qui suscite un large intérêt du public dans l’État partie et à l’étranger.
4.7L’État partie note qu’à ce jour, le Comité n’a jamais conclu à l’existence d’une violation de l’article 20 du Pacte. Dans les trois affaires où il s’est prononcé sur cette disposition, les autorités étaient intervenues pour censurer des expressions à caractère clairement antisémite. Dans chacun des cas, le Comité a conclu que les droits des auteurs n’avaient pas été violés par l’intervention des autorités car les expressions avaient un caractère si raciste qu’elles tombaient sous le coup de l’article 20, ou que l’intervention était justifiée car elle constituait une restriction autorisée de la liberté d’expression, prévue au paragraphe 3 de l’article 19. Ces affaires ne donnaient donc aucune orientation sur l’interprétation de l’article 20 lorsque, comme en l’espèce, l’État partie n’était pas intervenu pour limiter la liberté d’expression et que les expressions controversées n’avaient pas le caractère d’appel à la haine nationale, raciale ou religieuse. L’article 20 fixe un seuil élevé puisqu’il exige non seulement qu’il y ait appel à la haine, mais aussi que cet appel constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. Comme indiqué plus haut, tel n’était pas l’objectif de l’article de presse qui visait à lancer un débat sur l’autocensure, et les violences qui en sont résultées dans certains pays, en dehors de l’État partie, n’y changent rien.
4.8Les dessins et le texte n’ayant pas été censurés au motif qu’ils incitaient à la haine raciale, ils ne relèvent pas du paragraphe 2 de l’article 20, et la communication est irrecevable à la fois parce qu’elle n’est pas étayée et parce qu’elle ne met en évidence aucune violation sur le fond.
4.9À supposer que le grief soit soutenable au regard de l’article 20, l’État partie souligne que les auteurs ont eu accès à un recours utile, conformément à l’article 2, de sorte que la communication est manifestement infondée et ne met en évidence aucune violation sur le fond. Les auteurs ont eu accès à la police et au ministère public, qu’ils ont saisis. Les procureurs de deux instances ont rendu des décisions rapides, très complètes et mûrement pesées, en prenant en compte les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Étant donné qu’il n’y avait pas de doute sur les faits, la tâche du Procureur se résumait à examiner l’article de presse et les dessins au regard des articles 140 et 266 b) du Code pénal. Les auteurs n’ont pas obtenu le résultat qu’ils souhaitaient mais le Pacte ne garantit pas une issue particulière aux enquêtes. L’État partie note que l’article 2, comme le précise l’Observation générale no 31, autorise expressément les États parties à offrir des recours administratifs sans qu’il soit nécessaire de saisir ensuite les tribunaux. Si aucune violation des droits énoncés par le Pacte n’est mise en évidence à l’issue d’une enquête diligente et efficace, il n’y a aucune obligation d’engager une action devant les tribunaux. Une décision d’engager des poursuites doit, pour protéger les droits de l’accusé, être motivée uniquement par son bien‑fondé objectif et par la probabilité qu’elle donnera lieu à une condamnation, et non pas faire suite à une controverse publique ou aux souhaits d’une partie de l’opinion. À cet égard, l’État partie renvoie à une opinion du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale réaffirmant que «la liberté d’engager des poursuites en cas d’infraction pénale − que l’on désigne couramment par l’expression “principe d’opportunité” − est régie par des considérations d’ordre public, et [relevant] que la Convention ne saurait être interprétée comme défiant la raison d’être de ce principe».
4.10Dans les affaires de discrimination, les États parties ont le devoir d’enquêter rapidement et diligemment plutôt que d’engager systématiquement des poursuites. Le Pacte n’impose pas non plus l’obligation inconditionnelle de poursuivre si les autorités chargées des poursuites déterminent équitablement que, manifestement, les faits objectifs ne tombent pas sous le coup de la loi pénale applicable.
4.11L’État partie souligne que le Pacte ne prévoit pas d’obligation positive d’intervenir dans un débat sur un sujet dont la presse se saisit, conformément aux fonctions de surveillance qu’elle exerce dans une société démocratique, du moment que ce sujet n’est pas assimilable à un appel à la haine nationale, raciale ou religieuse constituant une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. La publication en question, loin de poursuivre un tel objectif, visait à lancer le débat sur un éventuel problème d’autocensure dans l’État partie. Compte tenu de l’importance de la liberté d’expression dans une société démocratique, les médias doivent pouvoir traiter de toutes les questions, même sensibles, et faire des déclarations provocantes sur les éventuels problèmes de société sans que les autorités interviennent, sous réserve des limites susmentionnées.
4.12Seules des raisons extrêmement graves peuvent donc conduire à limiter le droit et le devoir de la presse d’informer et de diffuser des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt public, même avec un certain degré d’exagération ou de provocation. Les exigences du pluralisme, de la tolérance et de l’ouverture d’esprit sans lesquelles il n’y aurait pas de société démocratique protègent les informations et les idées susceptibles d’offenser, de choquer ou de déranger, sous réserve des limites prévues par le droit pénal et de l’examen scrupuleux par les procureurs du respect effectif de ces limites. La liberté d’expression doit être soigneusement pondérée au regard de la protection des sentiments religieux des autres. Cependant, les personnes qui manifestent leur religion, en tant que majorité ou que minorité, ne peuvent raisonnablement s’attendre à échapper, par exemple, aux articles ou documents destinés à lancer un débat critique sur cette religion et doivent tolérer et accepter la diffusion de comportements qu’ils peuvent percevoir comme critiques à l’égard de leur religion.
4.13En outre, M. Ahmad a bel et bien eu accès aux tribunaux, puisque les organisations dont il est membre et qu’il représente ont engagé une action pénale contre le journal au motif que celui‑ci avait porté atteinte aux sentiments des musulmans, conformément aux articles 267 et 268 du Code pénal. Cette procédure n’est pas un recours moins utile du fait qu’elle a été engagée par un particulier et non par les services chargés des poursuites. M. Ahmad a soumis des éléments de preuve au cours de l’examen de cette affaire, dont le jugement a été rendu en octobre 2006 et qui fait actuellement l’objet d’un appel. En conséquence, les tribunaux de l’État partie ont effectivement eu la possibilité d’examiner méticuleusement, du point de vue juridique, si une infraction punissable avait été commise. Outre que le grief relatif à l’article 2 est irrecevable car insuffisamment fondé et qu’aucune violation n’a été mise en évidence sur le fond, se pose la question distincte du non‑épuisement des recours internes.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
5.1Dans une lettre datée du 26 avril 2007, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie en faisant valoir que celui‑ci ne leur avait pas offert de recours utile conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.
5.2S’agissant de savoir si les auteurs ont qualité de victime, ceux‑ci affirment que le fait que M. Ahmad ait ou non déposé plainte pour discrimination sur le lieu de travail n’a aucun rapport avec les obligations qui incombent à l’État partie en vertu du Pacte et ne saurait le dispenser de son obligation de punir l’incitation à la haine raciale et à la violence. La jurisprudence du Comité n’exige pas qu’une telle plainte soit déposée contre des tiers. De toute manière, cette plainte ne constituerait qu’une preuve supplémentaire du préjudice qu’il a subi. Cela étant, le Comité a reconnu la recevabilité de communications lorsqu’il existe une «menace réelle» que l’acte ou l’omission d’un État partie aient des conséquences néfastes sur l’exercice d’un droit énoncé par le Pacte. Le préjudice moral peut également suffire à établir la qualité de victime, ce qui est cohérent avec les efforts que fait le Comité pour donner effet aux réparations en cas de violation du Pacte. Dans les affaires d’incitation à la haine, le préjudice ne peut être que moral et compte tenu des graves conséquences concrètes qui se sont produites en l’espèce, les allégations de préjudice moral et la menace de préjudice devraient être considérées comme suffisantes pour avoir qualité pour agir.
5.3En ce qui concerne le caractère suffisant des recours administratifs, les auteurs font valoir que des recours administratifs inefficaces ne sauraient se substituer à un contrôle juridictionnel et que le recours administratif disponible est à lui seul insuffisant. En l’espèce, l’État partie n’a pas respecté son obligation d’enquêter diligemment. Les déclarations et commentaires publics du Premier Ministre ont nui à l’enquête depuis le début. Le ministère public a également admis comme un fait que le journal n’avait pas eu l’intention d’inciter à la haine raciale ou à la violence, au lieu d’aller au‑delà des apparences pour examiner, compte tenu du contexte global de la publication, si telle n’avait pas été son intention en réalité. L’affirmation selon laquelle les procureurs ne poursuivent que les affaires susceptibles de donner lieu à une condamnation va au‑delà de la limite légale puisque la jurisprudence du Comité étend la protection du Pacte aux communications «suffisamment bien fondées pour être défendables en vertu du Pacte». S’il y avait assez d’éléments pour donner lieu à une condamnation, comme en l’espèce, le parquet devait engager des poursuites. En réalité, cette action aurait fort probablement abouti sur le fond si elle avait été engagée, compte tenu des condamnations prononcées par le passé pour des déclarations bien moins virulentes et des appréciations du commentaire juridique danois selon lequel «les allégations générales et parfaitement subjectives d’infractions graves et d’immoralité» sont «les éléments essentiels» des déclarations visées par l’article 266 b). Le ministère public avait en outre complètement omis d’évaluer l’importance et la portée des messages, et n’avait pas la culture nécessaire à cette fin. En conséquence, les auteurs n’ont pas eu droit à une enquête compétente et impartiale et n’ont pas eu la possibilité d’exercer un recours juridictionnel.
5.4En ce qui concerne les autres recours offerts, les auteurs affirment, en s’appuyant sur l’Observation générale no 11 du Comité, que la possibilité d’engager une action au civil pour diffamation orale ou écrite ne constitue pas un substitut satisfaisant aux fins de garantir le respect de l’obligation prévue à l’article 20, selon laquelle certains appels doivent être expressément interdits par la loi. La possibilité d’engager des poursuites pénales à titre privé, comme cela s’est produit en l’espèce, ne remplace pas non plus la responsabilité qu’a l’État de poursuivre le comportement visé.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité note que les deux auteurs ont étroitement pris part, à divers titres et à différentes étapes, à l’exercice des recours internes auprès de la police, du parquet et des tribunaux de l’État partie (voir plus haut par. 2.7, 2.9 et 2.17). Il relève qu’après que le Procureur général eut décidé de ne pas engager de poursuites pénales sur la base des articles 140 et 266 b) du Code pénal, les tribunaux de l’État partie ont été saisis de l’affaire puisque des poursuites pénales privées ont été engagées en vertu des articles 21, 267 et 268 du Code pénal, ce qui a donné lieu à un jugement dans lequel la responsabilité pénale des principaux dirigeants du journal visé a fait l’objet d’une évaluation approfondie. Ce jugement fait actuellement l’objet d’un appel. Appréciant dans son ensemble le fait que les auteurs sont étroitement associés dans les actions engagées devant le parquet et les tribunaux de l’État partie, le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, lorsque les auteurs d’une communication ont saisi les autorités d’un État partie des griefs qu’ils présentent au Comité, les procédures en cours doivent être achevées avant que le Comité puisse se prononcer sur la communication. À ce propos, même si le premier auteur s’adresse aux tribunaux de l’État partie en qualité de membre d’un organisme doté de la personnalité morale (l’Organisation de la communauté musulmane), la jurisprudence du Comité reconnaît le statut personnel d’un auteur devant lui dans des circonstances comme celle du cas d’espèce lorsque des droits individuels sont directement et personnellement affectés. Partant, pour l’heure, la communication est irrecevable en raison du non‑épuisement des recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.3À la lumière de cette conclusion, le Comité n’a pas besoin d’examiner les autres objections élevées quant à la recevabilité de la communication, y compris en ce qui concerne la qualité des auteurs pour agir en tant que victimes, au sens de l’article premier du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée aux auteurs de la communication et à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
I. Communication n o 1492/2006, van der Plaat c. Nouvelle ‑Zélande*(Décision adoptée le 22 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Ronald van der Plaat (représenté par un conseil, M. Tony Ellis) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Nouvelle‑Zélande |
Date de la communication: |
7 avril 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Modification du régime des peines et du régime de la libération conditionnelle postérieurement à la condamnation et au prononcé de la peine |
Questions de procédure: |
Éléments suffisants pour établir la qualité de victime; éléments suffisants pour étayer les griefs aux fins de la recevabilité |
Questions de fond: |
Application rétroactive d’une peine plus lourde; discrimination; détention arbitraire |
Articles du Protocole facultatif: |
9 (par. 1 et 4), 15 et 26 |
Article du Pacte: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication (lettre initiale datée du 7 avril 2006) est Ronald van der Plaat. Il affirme être victime de violations par la Nouvelle‑Zélande des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et des articles 15 et 26. Il est représenté par un conseil, M. Tony Ellis.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Le 18 octobre 2000, l’auteur a été déclaré coupable par un jury de deux chefs constitutifs de viol, d’un chef constitutif d’attentat à la pudeur et de trois chefs constitutifs de relations sexuelles illicites avec sa fille, commis sur une période de dix ans. Il a été condamné à une peine totale d’emprisonnement de quatorze ans. Au vu d’éléments de preuve décrits par la cour d’appel comme étant «accablants», il a retiré l’appel qu’il avait interjeté sur l’avis de son conseil de l’époque, parce qu’il n’avait aucune chance d’obtenir gain de cause; mais il a ensuite fait à nouveau appel, cette fois au seul motif que la peine était manifestement excessive eu égard à son âge avancé (66 ans) au moment où elle avait été prononcée. La cour d’appel l’a débouté le 1er août 2001 en indiquant que son âge avait été expressément retenu comme circonstance atténuante. L’auteur a retiré l’appel de sa condamnation devant la même juridiction sur l’avis de son conseil de l’époque, lequel estimait que son recours n’avait aucune chance d’aboutir.
2.2À l’époque où l’auteur a été reconnu coupable et condamné, les dispositions pertinentes de la loi sur la justice pénale de 1985 permettaient à l’auteur d’être libéré sous condition au bout des deux tiers de sa peine, c’est-à-dire le 18 février 2009, quand il aurait accompli neuf ans et quatre mois de la peine de quatorze ans qui avait été prononcée.
2.3Postérieurement à la commission des infractions (août 1983‑octobre 1992) et à la condamnation de l’auteur et au prononcé de sa peine (2000‑2001), les dispositions pertinentes de la loi sur la justice pénale de 1985 régissant les peines et les libérations ont été annulées et remplacées par la loi sur les peines de 2002 et la loi sur la libération conditionnelle de 2002, qui sont entrées en vigueur le 30 juin 2002.
2.4En vertu des anciennes dispositions en vigueur jusqu’au 30 juin 2002, qui sont restées applicables à l’auteur, tout condamné pouvait être remis en liberté après avoir accompli les deux tiers de sa peine (à moins d’un ajournement de sa libération motivé par des infractions disciplinaires commises en prison ou d’une ordonnance prescrivant l’exécution de la totalité de la peine). Selon les nouvelles dispositions, applicables après le 30 juin 2002, toute personne condamnée à une peine d’emprisonnement minimale peut prétendre à la libération conditionnelle après avoir exécuté les deux tiers de cette peine; en l’absence de durée minimale, le condamné peut être admis au bénéfice d’une libération conditionnelle lorsqu’il a accompli le tiers de sa peine.
2.5L’auteur fait valoir que, si cette dernière règle lui avait été appliquée, il aurait pu prétendre à la libération conditionnelle quatre ans et huit mois plus tôt que dans le cadre de l’ancienne législation, soit le 18 juin 2007. La loi sur les peines et la loi néo-zélandaise sur la déclaration des droits consacrent toutes deux le droit d’un condamné de bénéficier d’une peine plus légère si la peine sanctionnant une infraction est réduite entre la commission de l’infraction et le prononcé de la peine.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que les faits font apparaître des violations des paragraphes 1 et 4 de l’article 9, et des articles 15 et 26 du Pacte. Son principal grief porte sur le fait que le régime pénal qui lui a été appliqué est contraire aux articles 15 et 26 et que par conséquent sa détention est arbitraire, en violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9.
3.2En ce qui concerne le grief tiré de l’article 15, l’auteur fait valoir que la peine plus légère prévue par la loi de 2002, entrée en vigueur après la commission de l’infraction, aurait dû lui être appliquée. Il estime que les durées minimales de détention à accomplir avant de pouvoir solliciter la libération conditionnelle sont des «peines», ce que confirme selon lui la formulation de la loi sur les peines de 2002. Il reconnaît qu’il existe une jurisprudence pertinente du Comité, mais il invite celui‑ci à appliquer le paragraphe 1 de l’article 15 dans une «optique téléologique» et en particulier à faire une interprétation large du terme «peine».
3.3L’auteur relève que la jurisprudence du Comité n’apporte guère d’indications en la matière car les deux affaires qui posaient nettement cette question ont été réglées sur d’autres fondements. Dans l’affaire Van Duzen c. Canada, l’auteur, au lieu d’exécuter la totalité de sa peine, avait bénéficié d’une remise en liberté assortie d’une surveillance obligatoire. Dans l’affaire MacIsaac c. Canada , l’auteur n’avait pas apporté la preuve qu’il aurait été libéré plus tôt si les nouvelles lois relatives au régime de libération conditionnelle, plus clémentes, lui avaient été appliquées rétroactivement. La doctrine ne permet pas non plus de trancher la question.
3.4À propos de l’article 26 du Pacte, l’auteur affirme qu’il y a discrimination entre les délinquants qui ont été condamnés avant le 30 juin 2002 (date de l’entrée en vigueur de la loi sur la libération conditionnelle) et ceux qui l’ont été après cette date.
3.5L’auteur fait valoir, à titre de violations indirectes, que si des manquements aux articles 15 et 26 sont constatés, sa détention est nécessairement arbitraire et contraire aux dispositions des paragraphes 1 et 4 de l’article 9.
3.6Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, l’auteur indique que lorsque son appel initial a été rejeté, la seule option possible aurait été de former un recours devant le Conseil privé, démarche qui, en l’espace de cent cinquante ans, n’a jamais abouti dans des affaires de ce genre et pour laquelle il n’aurait pas obtenu l’aide juridictionnelle, ce qui signifie qu’il s’agissait d’une voie de recours vouée à l’échec.
3.7En ce qui concerne le grief dont est saisi le Comité, l’auteur n’a engagé aucune action devant les tribunaux. Il renvoie à une décision rendue en mai 2005 par la Cour suprême de Nouvelle‑Zélande, qui interprète l’article 6 de la loi de 2002 sur les peines, lequel dispose que quiconque est reconnu coupable d’«une infraction pour laquelle la peine a été modifiée entre le moment où l’infraction a été commise et celui où la peine a été prononcée» a «le droit … de bénéficier de la peine la plus légère». La Cour a conclu, à la majorité, que le passage d’un régime rendant obligatoire la libération sous condition (susceptible de révocation) aux deux tiers de la peine à un régime de libération après l’exécution de la totalité de la peine ne constituait pas un changement de «peine»; la peine prescrite par la loi pour l’acte l’ayant motivée demeurait inchangée. Au vu de cette jurisprudence, l’auteur estime qu’il serait vain de se pourvoir devant la Cour suprême pour faire valoir l’argument qu’il invoque dans la présente communication.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Par des notes verbales datées du 3 novembre 2006 et du 6 mars 2007, l’État partie a contesté à la fois la recevabilité et le fond de la communication.
4.2L’État partie conteste à l’auteur la qualité de victime au sens de l’article 2 du Protocole facultatif car il est en fait hypothétique et purement spéculatif de dire que l’auteur restera plus longtemps en prison parce qu’il a été condamné avant l’entrée en vigueur des lois sur les peines et sur la libération conditionnelle de 2002. Premièrement, dans le cadre du nouveau régime l’auteur n’aurait plus droit à une libération anticipée aux deux tiers de sa peine; il pourrait seulement prétendre à la libération conditionnelle après avoir exécuté les deux tiers d’une peine minimale imposée (si le juge ayant prononcé la condamnation avait imposé une peine minimale, comme il était habilité à le faire) ou, autrement, après avoir accompli le tiers de la peine effective qui lui avait été infligée. Deuxièmement, rien ne garantit que la Commission des libérations conditionnelles eût exercé son pouvoir discrétionnaire et accordé la liberté à l’auteur. Cela était au contraire fort improbable étant donné l’extrême gravité des infractions commises, la nécessité de protéger la collectivité et l’attitude de l’auteur envers la victime, même pendant son incarcération (notamment, engagement de poursuites contre elle).
4.3Sur le fond, l’État partie fait observer à propos de l’article 15 que son régime de libération conditionnelle ne constitue pas une «peine» au sens du Pacte. La peine correspondant à l’infraction est celle qui est prononcée lors de la condamnation, l’article 15 visant la peine maximale applicable par la loi pour l’infraction considérée. La juridiction qui prononce la condamnation ne tient pas compte des dispositions relatives à la libération conditionnelle lorsqu’elle détermine la peine. La libération conditionnelle consiste simplement dans l’aménagement des modalités d’exécution de la peine imposée lors de la condamnation, aboutissant à l’exécution d’une peine plus courte, lorsque cela est possible du point de vue de la sécurité publique, au sein de la collectivité plutôt qu’en détention.
4.4Au sujet de l’article 9, l’État partie affirme que la détention de l’auteur jusqu’à l’expiration de sa peine de quatorze ans ne saurait être tenue pour arbitraire. Renvoyant à la jurisprudence du Comité selon laquelle «[l]es dispositions … selon lesquelles le condamné reste … soumis à un régime de privation de liberté jusqu’à l’expiration de la peine dont il a été frappé, nonobstant la remise dont il a bénéficié, n’affectent point les garanties …, telles qu’elles sont contenues dans l’article 9 du Pacte», l’État partie considère que cette peine a été déterminée par les juridictions de jugement comme étant la sanction appropriée pour les infractions graves qui ont été commises.
4.5Pour ce qui est de l’article 26, l’État partie renvoie à ses observations concernant l’article 15 et conteste en tout état de cause que la date du prononcé d’une peine puisse constituer une «autre situation» au sens de l’article 26. Il évoque le récent refus par la Chambre des lords de considérer la durée de la peine comme constituant une telle situation au sens de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. Même si la notion d’«autre situation» était applicable, la différence de traitement serait raisonnable et objective, ne visant que les personnes condamnées après l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, et elle irait dans le sens d’un but légitime aux fins du Pacte.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Par une lettre datée du 10 décembre 2007, l’auteur a contesté les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond. Concernant l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur n’a pas montré que s’il avait été condamné en vertu des nouvelles lois il aurait eu à accomplir une peine plus légère, l’auteur fait valoir qu’il ne lui est pas possible d’établir qu’il aurait été libéré après avoir exécuté le tiers de sa peine car c’est à la Commission des libérations conditionnelles qu’il appartient de statuer sur ce point. Selon lui, il devrait incomber à l’État partie de prouver le contraire. L’auteur invoque en sa faveur les statistiques globales de la Commission des libérations conditionnelles montrant une réduction progressive des probabilités de libération conditionnelle, lesquelles sont tombées de 48,5 % en 2003 à 27,5 % en 2006, année la plus récente pour laquelle des chiffres ont été cités.
5.2L’auteur fait aussi valoir que l’État partie suppute à tort que même s’il pouvait prétendre à la libération conditionnelle après avoir accompli le tiers de sa peine, il était «fort improbable» qu’il en bénéficie au motif qu’un risque, même faible, de commission d’une infraction devait être pris en considération, eu égard à la nature très grave des atteintes contre sa fille. L’auteur relève que le critère réglementaire prédominant qui guide la Commission des libérations conditionnelles est la sécurité de la collectivité, laquelle est mesurée, selon lui, simplement par le degré de risque de récidive.
5.3En tout état de cause, l’auteur fait valoir qu’il ne représente pas un danger pour sa fille étant donné qu’il ne souhaite nullement prendre contact avec elle et qu’il ne le fera jamais car il ignore où elle se trouve. Il souligne que l’affirmation de l’État partie selon laquelle il a continué à harceler sa fille est sans pertinence en l’occurrence. Il observe que, puisqu’il se déclare innocent, il a le droit d’utiliser des moyens légitimes pour blanchir son nom. Il accepte toutefois le rejet de sa demande de contrôle juridictionnel du 11 août 2004 et ne compte pas insister. Il fait aussi valoir que sa persistance à nier avoir commis les actes délictueux ne devrait pas être considérée comme un empêchement à lui accorder la liberté conditionnelle.
5.4L’auteur développe également ses observations initiales concernant le fond de la communication.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le grief de l’auteur porte sur le fait que l’inapplicabilité à son égard d’un nouveau régime pénal entré en vigueur après sa condamnation et le prononcé de sa peine entraîne des violations directes et indirectes de diverses dispositions du Pacte. Le Comité note que selon les anciennes règles pénales qui lui sont applicables l’auteur peut bénéficier d’une libération anticipée après avoir accompli les deux tiers de sa peine, à moins que la remise en liberté motivé ne soit ajournée à cause d’infractions disciplinaires commises en prison ou d’une ordonnance, rendue en vertu de la loi sur la justice pénale, prescrivant qu’il exécute la totalité de sa peine. Dans le cadre des nouvelles règles pénales applicables aux personnes condamnées à une date postérieure à la condamnation de l’auteur, les prisonniers doivent en principe exécuter la totalité de leur peine, sans avoir aucun droit à une libération anticipée, mais une libération conditionnelle peut leur être accordée sur une base discrétionnaire lorsqu’ils ont exécuté le tiers de leur peine, si aucune peine minimale n’a été imposée.
6.3Le Comité rappelle sa jurisprudence en ce qui concerne les changements en matière de régime pénal et de libération conditionnelle, qui établit que «[l]e Comité n’a pas à conjecturer ce qui se serait passé si la nouvelle loi … avait été applicable [à l’auteur]» et qu’il n’est pas possible de supputer quelle peine un juge statuant en vertu de la nouvelle législation en la matière aurait en fait imposée. Le Comité a également relevé dans sa jurisprudence que la durée de l’emprisonnement dépendait du comportement futur potentiel de l’auteur lui‑même.
6.4Appliquant ces principes à la présente affaire, le Comité estime que, même en supposant de façon purement hypothétique que des modifications apportées au régime de la libération conditionnelle constituent une peine au sens du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte, l’auteur n’a pas montré que sa condamnation dans le cadre du nouveau régime aurait eu pour effet de raccourcir la durée de son emprisonnement. L’affirmation selon laquelle le nouveau régime lui aurait permis d’être libéré plus tôt repose sur un certain nombre de conjectures quant à la manière dont le juge aurait pu statuer dans le cadre d’un nouveau régime pénal et quant à la conduite de l’auteur lui‑même. Le Comité relève à ce sujet que la loi sur les peines de 2002 a considérablement étendu le pouvoir des tribunaux pour ce qui est d’imposer des durées d’emprisonnement minimales (périodes sans possibilité de libération conditionnelle) pour les longues peines et que les conditions de la libération conditionnelle variaient sensiblement selon qu’une durée d’emprisonnement minimale était imposée ou non. Le Comité note aussi à ce propos que dans le cadre du système de justice pénale de l’État partie la libération conditionnelle n’est pas un droit, qu’elle n’a pas un caractère automatique et qu’elle dépend en partie de la conduite de l’auteur lui‑même.
6.5Pour ce qui est du grief au titre de l’article 26, l’auteur n’a pas montré en quoi il est victime, par-delà le raisonnement avancé au sujet de l’article 15, d’une quelconque différence de traitement pour un motif assimilable à la notion de «toute autre situation» au sens de l’article 26. Vu que le grief de l’auteur au titre de l’article 9 repose entièrement sur des violations des articles 15 et 26, il relève de l’article premier du Protocole facultatif pour les mêmes raisons.
6.6Le Comité conclut par conséquent, conformément à sa jurisprudence, que l’auteur n’a pas établi qu’il était victime des violations dont il se plaignait et que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
J. Communication n o 1494/2006, Chadzjian et consorts c. Pays ‑Bas*(Décision adoptée le 22 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Arusjak Chadzjian (représentée par un conseil, M. Michel Arnold Collet) |
Au nom de: |
L’auteur et ses enfants, Sarine, Meline et Edgar Barsegian |
État partie: |
Pays‑Bas |
Date de la communication: |
20 juillet 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Expulsion vers l’Arménie |
Questions de procédure: |
Griefs insuffisamment étayés; non‑épuisement des recours internes |
Questions de fond: |
Droit de ne pas être soumis à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant; droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial; droit de ne pas faire l’objet d’une immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie privée; protection de la famille; droit de l’enfant à être protégé |
Articles du Pacte: |
7, 14, 17, 23 et 24 |
Articles du Protocole facultatif: |
2 et 5 (par. 2 b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1L’auteur de la communication est Arusjak Chadzjian, de nationalité arménienne, née le 1er août 1955; elle soumet la communication en son nom et au nom de ses enfants, Sarine, Meline et Edgar Barsegian nés en 1989, 1990 et 1993, respectivement. Elle affirme que son expulsion vers l’Arménie avec ses enfants constituerait une violation des droits consacrés aux articles 7, 14, 17, 23 et 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil, M. Michel Arnold Collet.
1.2Le 12 décembre 2006, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, agissant au nom du Comité, a confirmé à l’État partie que la question de la recevabilité ne serait pas examinée séparément de celle du fond.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Le mari de l’auteur, Zjora Basegian, né le 8 décembre 1950, a pris une part active au conflit du Haut‑Karabakh. Après le conflit, l’aide étrangère n’est pas parvenue à la population et a été détournée par les autorités locales. Le mari de l’auteur, auquel se sont joints deux amis et un membre du Parlement, Armenak Armenakian, a écrit aux organismes d’aide étrangers pour signaler que l’aide était détournée par le Parlement au profit d’intérêts privés. Armenak Armenakian a été abattu le 27 octobre 1999 ainsi que plusieurs autres membres du Parlement.
2.2Le mari de l’auteur, bien que continuellement harcelé par des «sbires» du Président Kotsjarian, a continué à envoyer des lettres de ce type aux organismes d’aide étrangers. Le 24 mai 2002, il est rentré du travail, a pris quelques documents et a quitté la maison en disant qu’il serait absent deux jours. Quelques heures plus tard, deux hommes qui le cherchaient sont passés chez lui puis sont repartis. Ils sont revenus le lendemain et ont agressé l’auteur. Ils ont fouillé la maison et ont trouvé une lettre qu’ils ont saisie. Ils ont également menacé de tuer l’auteur. Celle‑ci a déduit de différentes remarques faites par ces hommes qu’ils étaient des «sbires» du Président Kotsjarian. Les deux hommes l’ont conduite au poste de police où elle a été accusée d’avoir écrit la lettre en question en collaboration avec son mari. Ils l’ont agressée, menacée et violée.
2.3Le 28 mai 2002, des amis du mari de l’auteur sont venus la chercher au poste de police et lui ont dit que son mari avait été tué la veille et que leur maison avait été brûlée. L’auteur a quitté le pays le jour même accompagnée de ses enfants et des amis en question. Le 6 juin 2002, elle et ses enfants sont arrivés aux Pays‑Bas où elle a pris contact avec les autorités.
2.4Le 13 juin 2002, l’auteur et ses enfants ont demandé l’asile. Le 17 septembre 2002, le Département de l’immigration et de la naturalisation (DIN) a rejeté leur demande. Le 10 octobre 2002, l’auteur a fait appel et la décision du DIN a été annulée le 14 août 2003. Le Ministère néerlandais des affaires étrangères a rendu un rapport sur le cas de l’auteur le 19 mars 2003. Le 13 mai 2004, le DIN a rejeté une deuxième fois la demande de l’auteur. Le 4 juin 2004, l’auteur a fait appel de cette décision et le 25 août 2005, le tribunal de La Haye siégeant à Groningen a rejeté son recours. L’auteur s’est pourvue en appel de ce jugement et le 18 janvier 2006, le Conseil d’État, qui est la plus haute juridiction en matière d’immigration, l’a déboutée.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur fait valoir que la décision du DIN est fondée uniquement sur le rapport du Ministère des affaires étrangères et le fait qu’elle n’avait pas de papiers d’identité, ce qui a conduit le DIN à conclure que son récit n’était pas crédible et à rejeter sa demande sans en examiner le bien‑fondé. Elle renvoie à une affaire dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme, statuant sur la recevabilité, a noté que le récit d’un demandeur d’asile ne pouvait pas être considéré immédiatement comme manquant de crédibilité si l’histoire semble de prime abord logique. La Cour a ensuite conclu sur le fond à une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui est, selon l’auteur, comparable à l’article 7 du Pacte. L’auteur fait valoir que son renvoi en Arménie avec ses enfants constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Elle fait également valoir que leur renvoi constituerait aussi une violation de l’article 23 parce que l’État partie manquerait à son obligation de protéger la vie familiale. Il constituerait en outre une ingérence dans la vie privée de la famille et une violation de l’article 17.
3.2L’auteur invoque en outre une violation de l’article 14 parce que la décision du DIN était essentiellement fondée sur le rapport du Ministère des affaires étrangères, qui est considéré comme un avis d’expert. L’identité des personnes qui ont donné les informations utilisées dans le rapport n’est pas révélée, ce que l’auteur juge compréhensible mais qui abouti à une situation injuste parce qu’elle ne peut pas contester la crédibilité du rapport. Le DIN a simplement envoyé une lettre le 25 mars 2004 au Ministère des affaires étrangères, indiquant qu’il avait pris connaissance des renseignements généraux qui constituent la base de ce rapport et a conclu que celui‑ci avait été élaboré de manière correcte et juste. Cette affirmation ne peut pas être vérifiée parce que les renseignements généraux en question sont confidentiels. Il n’existe pas de recours et l’auteur n’a pas bénéficié d’un «procès équitable». Selon elle, le rapport est fondé sur les déclarations faites par «des habitants (terrifiés) du quartier et par un organisme gouvernemental qui fait partie du régime qu’elle a fui en premier lieu» (sic).
3.3Enfin, l’auteur invoque une violation de l’article 24 du Pacte. Ses enfants sont jeunes et vivent aux Pays‑Bas depuis quatre ans, ils ont appris le néerlandais et sont intégrés dans la société néerlandaise. Ils n’ont pas de lien étroit avec l’Arménie; les y renvoyer ne serait pas dans leur intérêt supérieur. Selon l’auteur, le DIN n’a pas tenu compte de ces éléments.
Renseignements supplémentaires de l’auteur
4.Par lettre du 26 juillet 2006, l’auteur a présenté des certificats médicaux établis par un médecin et par un psychologue. Le rapport du médecin, daté du 28 novembre 2005, conclut que l’auteur a besoin d’un traitement médical qu’elle ne trouvera certainement pas en Arménie et qu’au‑delà de sa peur de mourir, il est probable que sa santé se détériorera rapidement après un retour forcé. D’après le rapport psychiatrique daté du 6 juillet 2005, l’auteur souffre de troubles post‑traumatiques à cause de ce qu’elle a vécu en Arménie mais aussi à cause de l’angoisse engendrée par l’imminence de son expulsion.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
5.1Dans une note du 1er décembre 2006, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 7 − le fait que les autorités néerlandaises ont eu tort de ne pas examiner la demande d’asile de l’auteur sur le fond parce qu’elles ont jugé son récit invraisemblable − et de l’article 14, il fait valoir que les autorités néerlandaises ont soigneusement étudié la demande d’asile de l’auteur. Celle‑ci a été entendue à deux reprises, le 13 juin 2002 et le 8 juillet 2002, afin d’expliquer les motifs de sa demande d’asile. Le Ministère des affaires étrangères a diligenté une enquête en Arménie en se fondant sur les déclarations de l’auteur et en a consigné les conclusions dans un rapport. L’État partie affirme que c’est seulement au terme d’une enquête minutieuse que le récit de l’auteur a été déclaré invraisemblable, l’auteur n’ayant pas apporté le moindre commencement de preuve de son identité, de sa nationalité ou des motifs de sa demande d’asile. Il n’y avait donc aucune raison d’examiner le bien‑fondé de la demande. L’État partie fait valoir en outre que les conclusions de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Said c. Pays ‑Bas vont dans le même sens. Dans cette affaire, la Cour européenne a tenu compte des arguments convaincants soumis par l’intéressé pour contrer la thèse du Gouvernement pour qui son récit manquait de crédibilité. La situation en l’espèce n’a rien de comparable. D’après le rapport officiel, l’enquête menée en Arménie n’a mis au jour aucun élément corroborant le récit de l’auteur, notamment le fait que sa maison avait brûlé, et ni les autorités ni les prétendus voisins ne connaissaient quiconque du nom de l’auteur à l’adresse qu’elle avait donnée. L’État partie ajoute que l’auteur n’a apporté aucune preuve objective que les informations contenues dans le rapport officiel n’étaient pas fiables. À la lumière de ce qui précède, les allégations de l’auteur au titre des articles 7 et 14 du Pacte sont irrecevables parce qu’elles ne sont pas suffisamment étayées.
5.2En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 14, l’État partie fait observer en outre que l’auteur a reçu, à sa demande, des copies des documents sur lesquels se fonde le rapport officiel. Les sources et les méthodes d’enquête n’ont pas été divulguées en application d’une décision prise conformément au paragraphe 2 de l’article 10 de la loi sur les informations officielles (accès du public), qui permet de ne pas révéler certaines informations pour diverses raisons, notamment la protection des sources et des méthodes et techniques d’enquête. L’État partie note que l’auteur n’a pas exercé son droit de demander à un tribunal indépendant d’évaluer la légitimité de la décision de ne pas communiquer des informations concernant les sources et les méthodes d’enquête. Il conclut que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
5.3L’État partie prend note des renseignements supplémentaires donnés le 26 juillet 2006 par l’auteur, qui affirme avoir besoin d’un traitement médical qu’elle ne trouvera probablement pas en Arménie et que sa santé se dégradera rapidement sans ces médicaments. Il interprète cela comme une affirmation que compte tenu de l’état de santé de l’auteur, il existe un risque réel que ses droits en vertu de l’article 7 soient violés si elle est renvoyée de force en Arménie. En ce qui concerne cette allégation et les griefs de violation des articles 17 et 23, l’État partie note que l’auteur n’a saisi les juridictions internes d’aucun des griefs mentionnés et qu’il n’a donc pas eu la possibilité d’y répondre. Il conclut donc que ces aspects de la communication sont irrecevables au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif pour non‑épuisement des recours internes.
5.4De même, l’État partie fait valoir que le grief de violation de l’article 24 du Pacte n’a pas été soumis aux juridictions internes. Le seul argument avancé par l’auteur au cours de la procédure interne a été qu’en jugeant son récit invraisemblable et, partant, en s’abstenant de procéder à une évaluation sur le fond, les autorités néerlandaises risquaient d’exposer ses enfants à un danger en Arménie. Ce grief est donc irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif pour non‑épuisement des recours internes.
5.5Dans ses observations en date du 27 mars 2007, l’État partie a indiqué que ses commentaires sur la recevabilité pouvaient être considérés comme s’appliquant également au bien‑fondé de la communication.
Commentaires de l’auteur sur les o bservations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
6.1Dans ses observations en date du 2 mai 2007, l’auteur répond à certains arguments avancés par l’État partie. Elle rappelle qu’elle a dû fuir l’Arménie avec ses enfants après que son mari, le père de ses enfants, a été abattu et que leur maison a été incendiée par les autorités arméniennes, ce qui explique qu’elle soit arrivée sans papiers. Le fait que ni les autorités arméniennes ni personne dans le quartier n’ait rien dit aux autorités néerlandaises chargées de l’enquête en Arménie s’explique par l’histoire de l’auteur et de ses enfants, qui est liée aux activités politiques de son mari. L’auteur fait également valoir qu’en appliquant des normes néerlandaises à cette enquête, l’État partie est parvenu à des conclusions erronées. Ces conclusions, sur lesquelles s’est fondé le refus de prendre une décision sur le bien‑fondé de la demande d’asile de l’auteur, entraîneront une violation de l’article 7 si l’auteur et ses enfants sont renvoyés en Arménie.
6.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie pour qui l’auteur ne s’est pas prévalue de la possibilité de demander à un tribunal indépendant d’évaluer la légitimité de la décision de ne rien divulguer concernant les sources et les méthodes d’enquête, l’auteur fait valoir que ce recours ne serait pas utile car un demandeur d’asile n’a aucun moyen d’obtenir de plus amples informations. Elle affirme également que les recours de la procédure d’asile, dans laquelle l’enquête menée par les autorités néerlandaises en Arménie a joué un rôle important, ont été épuisés ce qui, en soi, suffit pour que la communication soit recevable.
6.3À l’appui de son grief de violation de l’article 24, l’auteur rappelle que le fait de renvoyer ses enfants en Arménie les mettrait en danger. Elle affirme avoir soulevé cet argument à plusieurs reprises tout au long de la procédure et renvoie à la jurisprudence du Comité établissant que l’intérêt de l’enfant revêt une importance primordiale.
Observations supplémentaires de l’auteur
7.1Par une lettre du 7 février 2008, l’auteur a fait tenir au Comité un résumé du rapport du médiateur néerlandais au sujet des rapports établis par le Ministère des affaires étrangères en se fondant sur des enquêtes menées dans les pays d’origine des demandeurs d’asile. D’après le médiateur, la fiabilité de ces enquêtes a diminué et il est irréaliste d’attendre des personnes interrogées qu’elles disent ce qu’elles savent parce qu’elles sont des ennemis de l’État dans lequel elles vivent encore. Par conséquent, l’auteur affirme que les autorités de l’État partie n’auraient pas dû fonder sur ces enquêtes peu fiables leur décision de ne pas examiner sa demande d’asile sur le fond.
7.2Par une lettre du 18 février 2008, l’auteur a envoyé des dessins de ses enfants qui, selon elle, représentent en détail le quartier dans lequel ils vivaient en Arménie. Elle affirme que ces dessins établissent la véracité de ses dires et qu’ajoutés aux renseignements donnés le 7 février 2008, ils montrent que l’enquête menée par les autorités de l’État partie n’est pas fiable.
Délibérations du Comité
8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
8.2Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication dans son ensemble. En ce qui concerne la violation de l’article 7 invoquée par l’auteur, le Comité rappelle que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, expulser ou refouler une personne vers un pays où elle court un risque réel d’être tuée, torturée ou soumise à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Il note également que le DIN a examiné et rejeté à deux reprises la demande d’asile de l’auteur en raison de son manque de crédibilité, la deuxième fois après avoir reçu les conclusions d’une enquête que les autorités [néerlandaises] ont menée en Arménie même. Il note en outre que l’appel interjeté par l’auteur a été examiné et rejeté par le tribunal de La Haye siégeant à Groningen puis rejeté par le «Raad van State», qui est la plus haute juridiction administrative des Pays‑Bas. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire déterminée, sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. Il rappelle également que la même jurisprudence a été suivie dans des procédures d’expulsion. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne suffisent pas à montrer que la procédure devant les autorités de l’État partie ait été entachée de telles irrégularités. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations de violation de l’article 7 et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
8.3En ce qui concerne le grief de violation de l’article 7, relativement à l’état de santé de l’auteur, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur n’a pas saisi les juridictions internes. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que le principe d’épuisement des recours internes, qui permet à l’État partie de réparer une violation alléguée avant que la même question ne soit soumise au Comité, oblige l’auteur à soulever devant les juridictions internes les questions de fond présentées au Comité. L’auteur n’ayant pas avancé au fond, devant les juridictions internes, le grief de violation de l’article 7 relativement à son état de santé, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
8.4 En ce qui concerne le grief tiré de l’article 14 selon lequel l’auteur n’a pas disposé d’un recours utile pour contester la crédibilité du rapport d’enquête du Ministère des affaires étrangères, le Comité prend note de l’argument de l’État partie pour qui l’auteur aurait pu exercer le droit de demander à un tribunal d’examiner la légitimité de la décision, prise en vertu du paragraphe 2 de l’article 10 de la loi sur les informations officielles (accès du public), de ne pas rendre publiques les sources et les méthodes d’enquête employées pour rédiger le rapport. Le Comité renvoie à sa jurisprudence, à savoir qu’une procédure d’expulsion n’implique pas de décision sur «le bien‑fondé de toute accusation en matière pénale» ou sur des «droits et obligations de caractère civil» au sens de l’article 14. Il note qu’en l’espèce, l’auteur n’a pas été inculpée ni condamnée pour une infraction quelconque dans l’État partie et que son expulsion vers l’Arménie avec ses enfants ne constitue pas une sanction imposée au terme d’une procédure pénale. Le Comité note également que la notion de «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, repose sur la nature du droit en question et non sur le statut de l’une des parties. En l’espèce, la procédure porte sur le droit de l’auteur et de ses enfants d’être protégés sur le territoire de l’État partie. Le Comité considère que la procédure relative à l’expulsion d’un étranger, assortie des garanties régies par l’article 13 du Pacte, n’entre pas dans le champ de la détermination des «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14. Il conclut donc que le grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 14 est irrecevable ratione materiae, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
8.5Pour ce qui est des griefs tirés des articles 17 et 23 du Pacte, le Comité relève que l’auteur n’a pas contesté, dans ses observations en date du 2 mai 2007, l’argument de l’État partie qui affirme qu’elle n’avait pas saisi les juridictions internes des griefs mentionnés. Pour cette raison, le Comité considère que cette partie de la communication est également irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
8.6En ce qui concerne le grief tiré de l’article 24 du Pacte, le Comité estime que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi le fait de renvoyer ses enfants en Arménie avec elle constituerait une violation de cette disposition. Le Comité considère donc que ce grief est irrecevable faute d’être étayé, au sens de l’article 2 du Protocole facultatif.
9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
K. Communication n o 1496/2006, Stow et Modou Gai c. Portugal*(Décision adoptée le 1 er avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
Dilwyn Stow (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
Graham Stow, Andrew Stow, Alhaji Modou Gai |
État partie: |
Portugal |
Date de la communication: |
4 mai 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Procès dans un pays étranger |
Questions de procédure: |
Non-épuisement des recours internes; appréciation des faits et des éléments de preuve; griefs non étayés |
Questions de fond: |
Irrégularités dans l’appréciation des éléments de preuve |
Article du Pacte: |
14 (par. 1 et 3 f)) |
Articles du Protocole facultatif: |
2, 5 (par. 2 b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er avril 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1L’auteur de la communication est M. Dilwyn Stow. Il présente cette communication au nom de ses fils, Graham et Andrew Stow, tous deux de nationalité britannique, et d’Alhaji Modou Gai, de nationalité gambienne. La communication originale est datée du 4 mai 2006 et d’autres documents ont été reçus les 5 et 21 juillet 2006.
1.2Le 19 janvier 2007, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, agissant au nom du Comité, a décidé que la recevabilité devait être examinée indépendamment du fond.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Les frères Stow sont des marins et des plongeurs. En juillet 1999, ils envisageaient la possibilité d’ouvrir une école de plongée en Gambie sur un bateau nommé «The Baltic». Au cours de leur voyage de retour de Gambie, ils sont arrivés le 12 juillet 1999 au port de Faro (Portugal) en compagnie de M. Alhaji Modou Gai, qui travaillait pour eux. Ils ont amarré le bateau à l’emplacement désigné par le capitaine de port. La cale et les compartiments de l’embarcation ont été inspectés dans le cadre d’un contrôle de routine et les douaniers n’ont rien découvert de suspect. Le 15 juillet 1999, le capitaine de port a demandé aux propriétaires de déplacer leur bateau pour laisser de la place à un plus gros navire. Le 16 juillet 1999, les frères Stow ont repêché cinq paquets immergés, enveloppés dans du plastique, qu’ils affirment avoir découverts alors qu’ils effectuaient des réparations sur le bateau. Ils assurent avoir agi par curiosité, car ils ignoraient le contenu des paquets, et avoir eu la ferme intention d’informer les autorités. Environ 15 minutes plus tard, la police judiciaire est arrivée. Les deux frères Stow et M. Gai ont été arrêtés car les paquets contenaient du cannabis.
2.2Le 17 juillet 1999, les intéressés ont été déférés devant le juge d’instruction du tribunal d’Olhão. Ils ont été interrogés en présence d’un interprète et d’un avocat commis d’office. Le magistrat a décidé qu’il y avait assez d’éléments pour ordonner leur placement en détention provisoire pour trafic de stupéfiants. Le 6 juillet 2000, près d’un an après leur arrestation, ils ont été inculpés de trafic de stupéfiants. Une audience s’est tenue le 7 juin 2001 devant le tribunal de Faro. Les prévenus ont demandé qu’elle soit enregistrée sur support magnétique mais le tribunal a refusé. Le 7 juillet 2001, ils ont été reconnus coupables de trafic de stupéfiants et condamnés à douze ans d’emprisonnement (neuf ans pour M. Gai). Au cours du procès, l’accusation a soutenu que les frères avaient traîné le cannabis sous l’eau depuis les îles Canaries au moyen d’un filet de chalutier retrouvé à bord. Selon l’auteur, des experts cités comme témoins ont écarté cette possibilité. Ils ont déclaré que le filet n’avait jamais été utilisé et était trop petit pour contenir la cargaison totale; en outre, ses bords étaient trop fragiles pour supporter un tel poids. Les juges ont cependant suivi la thèse de l’accusation et déclaré les accusés coupables. Le procès s’est déroulé entièrement en portugais.
2.3Le 24 octobre 2001, la cour d’appel d’Évora a annulé le procès et le jugement de première instance pour défaut d’enregistrement magnétique et a ordonné un nouveau procès devant le même tribunal.
2.4Au deuxième procès, deux des trois juges qui avaient déjà statué la première fois siégeaient de nouveau, ce qui selon l’auteur compromettait l’indépendance et l’impartialité du tribunal. Les prévenus ont demandé la récusation de ces deux juges mais la cour d’appel d’Évora a rejeté leur demande le 22 janvier 2002. Le 15 juillet 2002, ils ont été de nouveau condamnés à douze ans d’emprisonnement et à payer les frais d’interprétation. Cette fois encore, le procès s’était déroulé entièrement en portugais.
2.5Après leur deuxième condamnation, les intéressés ont interjeté appel auprès de la cour d’appel d’Évora, faisant valoir que les éléments de preuve présentés étaient insuffisants pour justifier le verdict. En outre, le fait que deux juges ayant statué lors du premier examen de l’affaire aient également pris part au deuxième procès avait selon eux compromis l’indépendance du tribunal, en violation du Code de procédure pénale, de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l’homme. L’appel a été rejeté le 20 novembre 2002. Selon la cour, le simple fait que les deux juges avaient siégé dans les deux procès ne suffisait pas à conclure qu’ils avaient agi avec partialité; pour parvenir à cette conclusion, il aurait fallu apporter d’autres éléments de preuve, ce que les intéressés n’avaient pas fait. La cour a également rappelé que le premier procès avait été annulé pour des raisons techniques et non pour des raisons liées au fond de l’affaire.
2.6Les intéressés se sont pourvus en cassation devant la Cour suprême en faisant valoir le manque d’impartialité du tribunal de Faro. Ils ont également affirmé que les éléments de preuve étaient insuffisants pour les déclarer coupables, que le jugement de la cour d’appel était mal fondé et que les peines étaient excessives. Le 30 avril 2003, la Cour suprême les a déboutés. Elle a considéré, notamment, que la législation interne n’interdisait pas aux mêmes juges de siéger lorsqu’un procès devait être tenu à nouveau pour des raisons telles que celles invoquées en l’espèce, puisque la décision sur le fond n’avait pas été contestée ni même examinée par la cour d’appel. La Cour suprême a également établi qu’il n’y avait pas eu violation de la Constitution ni de la Convention européenne des droits de l’homme.
2.7Dans le cadre de leur moyen tiré du manque d’impartialité des juges, les intéressés ont saisi la Cour constitutionnelle, faisant valoir l’inconstitutionnalité des articles 40 et 43, paragraphes 1 et 2, du Code de procédure pénale, afin d’être jugés par des magistrats qui n’avaient pas pris part au procès initial à l’issue duquel la condamnation avait été prononcée. La Cour a rejeté leur demande le 13 août 2003.
2.8En janvier 2005, les frères Stow ont été transférés au Royaume-Uni pour exécuter le reste de leur peine; ils ont été mis en liberté conditionnelle le 14 juillet 2005. M. Gai a pour sa part été transféré en Gambie.
2.9L’auteur a alors soumis l’affaire à la Cour européenne des droits de l’homme (requête no 18306/04), en invoquant des violations des articles 5, 6 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le 4 octobre 2005, la Cour a déclaré la requête irrecevable au motif qu’elle était manifestement mal fondée et que les recours internes n’avaient pas été épuisés. Le Portugal n’a formulé aucune réserve au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur ne fait référence à aucune disposition particulière du Pacte. Cependant, ses griefs semblent soulever des questions au regard de l’article 14 du Pacte. Ainsi, il indique qu’au début des deux procès, les déclarations des défendeurs ont été traduites en portugais et les questions posées par le juge ont également été traduites. En revanche, le reste des deux procès s’est déroulé entièrement en portugais, sans interprétation. En outre, le tribunal de Faro les a condamnés à payer 80 000 escudos pour les frais d’interprétation.
3.2L’auteur dénonce également le manque d’impartialité du tribunal de Faro pendant le nouveau procès, arguant que deux des trois juges appelés à statuer avaient déjà siégé lors du premier procès. Selon l’auteur, il est impossible de demander à un juge d’oublier ce qu’il a vu, entendu et décidé dans un premier procès, de sorte que cette situation contrevient à un certain nombre de dispositions du Code de procédure pénale, à la Constitution du Portugal et à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
3.3L’auteur affirme que les prévenus n’ont reçu la notification écrite des charges retenues contre eux que dix mois et demi après leur arrestation, et que ces charges n’avaient pas été traduites en anglais. Il ajoute que les prévenus ont été condamnés sur la base de preuves insuffisantes et que les éléments présentés par les experts, qui prouvaient que le bateau n’avait pas pu transporter le cannabis, n’avaient pas été pris en considération.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Dans une note du 29 novembre 2006, l’État partie a formulé des objections à la recevabilité de la communication. Il fait valoir que l’auteur n’a pas précisé quels articles du Pacte il estimait avoir été violés, de sorte qu’il lui était très difficile de répondre sur la recevabilité et sur le fond. L’auteur renvoie simplement aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui montre qu’il soumet au Comité la même demande que celle qu’il a déjà soumise à la Cour européenne des droits de l’homme, sans y apporter la moindre modification. La communication n’est donc pas suffisamment étayée et ne répond pas aux conditions prévues à l’article 96 b) du Règlement intérieur.
4.2Pour l’État partie, la communication constitue un abus du droit de soumettre des communications au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, car elle a été présentée trois ans après l’adoption de la dernière décision au Portugal. L’État partie n’ignore pas que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai pour la soumission de communications au Comité. Cela étant, la stabilité des décisions de justice, la cohérence entre les organismes internationaux et le principe de la sécurité juridique seraient compromis si une décision judiciaire pouvait être contestée à tout moment et en l’absence de faits nouveaux. On peut arguer que la communication n’a pas été soumise plus tôt au Comité parce que la Cour européenne en était saisie. Cependant, une plainte devant la Cour européenne ne constitue pas un recours qui doit être épuisé. En conséquence, un retard de trois ans dans la soumission de la communication n’est pas justifié.
4.3Bien que le Règlement intérieur n’empêche pas le Comité d’examiner une affaire traitée par un autre organe international, le principe de non-examen d’une affaire déjà examinée devrait s’inscrire dans les principes généraux du droit afin de garantir la cohérence de la jurisprudence des organes internationaux. Étant donné qu’elle a été examinée par la Cour européenne, la présente affaire ne devrait pas être examinée par le Comité, même en l’absence de réserve particulière au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Autrement, le Comité deviendrait un organe d’appel des décisions des autres organes internationaux, ce qui créerait une insécurité pour les pays qui n’ont pas formulé de réserve. En outre, le fait qu’un certain nombre de pays ont émis des réserves à la disposition susmentionnée tend à indiquer l’existence d’un principe selon lequel le Comité devrait déclarer irrecevables les affaires déjà examinées par une autre instance internationale. L’État partie renvoie à l’opinion dissidente signée de Mme Palm, M. Ando et M. O’Flaherty dans la communication no 1123/2002 (Correia de Matos c. Portugal), qui se disent préoccupés par le fait que deux organes internationaux − au lieu d’essayer d’harmoniser leur jurisprudence − arrivent à des conclusions divergentes en appliquant exactement les mêmes dispositions aux mêmes faits.
4.4L’État partie conteste également la recevabilité de la communication en raison du non‑épuisement des recours internes. Parmi les griefs dont le Comité est saisi, seul celui de manque d’impartialité du tribunal de première instance a été soulevé devant les juridictions nationales. En particulier, le grief d’absence d’assistance gratuite d’un interprète n’a pas été soumis aux tribunaux portugais.
4.5Quant au grief de manque d’impartialité du tribunal de première instance, le fait que deux juges aient siégé dans le premier et dans le deuxième procès ne permet pas de conclure que le tribunal a été partial, d’autant plus que le premier procès a été annulé pour des questions purement procédurales.
Commentaires de l’auteur
5.Le 27 mars 2007, l’auteur a répondu à la lettre lui faisant part des observations de l’État partie. Toutefois, il n’a pas répondu aux questions soulevées par l’État partie et s’est limité à répéter ses allégations initiales.
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité ne peut pas retenir l’argument de l’État partie qui fait valoir que la présente communication est irrecevable parce qu’elle a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. D’une part, le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne s’applique que lorsqu’une question analogue à celle qui est soulevée dans la communication est «en cours d’examen» devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et, d’autre part, aucune réserve au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif n’a été émise par le Portugal.
6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie pour qui la communication doit être déclarée irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de soumettre une communication au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, en raison du temps excessif qui s’est écoulé avant sa soumission au Comité. Il réaffirme que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour lui adresser des communications et qu’un simple retard dans la soumission d’une plainte ne constitue pas en soi, sauf dans des circonstances exceptionnelles, un abus du droit de présenter une communication. Dans l’affaire à l’examen, le Comité ne considère pas que les trois années de retard constituent un abus du droit de soumettre des communications.
6.4En ce qui concerne la question de l’épuisement des recours internes, le Comité note qu’aucun recours n’a été engagé dans l’État partie pour ce qui est de la violation du droit à l’assistance gratuite d’un interprète ou du retard dans la réception des accusations écrites. En conséquence, il constate que les intéressés n’ont pas épuisé les recours internes disponibles à cet égard et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
6.5S’agissant de l’affirmation selon laquelle les prévenus ont été condamnés sur la base de preuves insuffisantes, le Comité considère que ce grief porte essentiellement sur l’appréciation des faits et des preuves par les tribunaux nationaux. Il rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties d’examiner ou d’apprécier les faits et éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que la conduite du procès ou l’appréciation des faits et des preuves a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment montré que le premier et le deuxième procès étaient entachés de telles irrégularités et conclut par conséquent que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.6Enfin, en ce qui concerne le grief tiré de la partialité du tribunal de Faro parce que deux des juges qui ont condamné les prévenus avaient également statué dans le premier procès qui a été annulé, le Comité note que cette question a été examinée en détail par la cour d’appel, la Cour suprême et la Cour constitutionnelle, conformément à la loi portugaise. Il note également que le nouveau procès a été ordonné pour une question de procédure et non pour des raisons tenant au fond de l’affaire. Étant donné qu’aucun fait ni élément nouveau n’a été présenté au cours du deuxième procès, l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, en quoi les juges ont fait preuve de prévention à l’égard des défendeurs lors du nouveau procès. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
L. Communication n o 1505/2006, Vincent c. France*(Décision adoptée le 31 octobre 2007, quatre ‑vingt ‑onzième session)
Présentée par: |
Jean-Pierre Vincent (représenté par un conseil, Alain Garay) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
France |
Date de la communication: |
20 juillet 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Retrait d’un pourvoi en cassation pour motif de non‑exécution de la décision attaquée |
Questions de procédure: |
Épuisement des voies de recours internes |
Questions de fond: |
Droit à un procès équitable |
Article du Pacte: |
14 |
Article du Protocole facultatif: |
5 (par. 2 a) et b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 octobre 2007,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1L’auteur de la communication, datée du 20 juillet 2006, est Jean-Pierre Vincent, de nationalité française. Il affirme être victime d’une violation par la France de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, Alain Garay. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour la France respectivement les 4 février 1981 et 17 mai 1984.
1.2Le 5 janvier 2007, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications, agissant au nom du Comité, a décidé que la recevabilité de la communication devait être examinée séparément du fond.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Le 26 janvier 1994, l’auteur a déposé le nom de la marque «Global Inquisitive System» (GIS) à l’Institut national de la propriété intellectuelle à Paris. Le 27 janvier 1994, la société de l’auteur, Feronia, a concédé cette marque à la société Radio Vidéo Security en échange d’une redevance forfaitaire fixe égale à 2 millions de francs. Cinq cent mille francs ont été versés le jour de la signature du contrat et le solde devait être réglé dans les quinze jours suivants. Le contrat a été rédigé par Maître Aymes et enregistré le 18 avril 1994 au Registre national des marques à Paris.
2.2Le premier chèque de 500 000 francs tiré par Maître Aymes sur son compte professionnel ouvert à la Caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), compte ouvert en principal auprès du Crédit Lyonnais, a été encaissé par la société Feronia. Pour régler le solde, trois autres chèques de 500 000 francs chacun ont été tirés le 28 février 1994 par Maître Aymes sur le même compte et remis à la société Féronia le même jour. Le premier de ces trois chèques a été encaissé sans problème. Par contre, les deux autres chèques, présentés au paiement le 6 juin 1994, ont été rejetés par le Crédit Lyonnais. Entre temps, le bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Rodez, auquel Maître Aymes appartenait, avait formé une opposition au paiement au motif d’utilisation frauduleuse de chèques.
2.3La société Féronia et l’auteur, victimes de la fraude de Maître Aymes, ont tenté de récupérer la somme manquante. Ils ont engagé une procédure civile devant le Tribunal de grande instance de Toulouse qui leur a ordonné le 7 mai 2002 de rembourser la somme de 1 000 000 de francs à la CARPA de Toulouse pour les deux chèques déjà encaissés. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel de Toulouse le 24 juillet 2003. À aucun moment, les juridictions en question n’ont eu connaissance des pièces comptables du dossier contentieux dont les relevés bancaires du compte de Maître Aymes. L’auteur n’a pas eu accès aux documents relatifs aux poursuites disciplinaires du Conseil de l’ordre des avocats de Rodez, ni à ceux relatifs à la procédure en poursuite d’abus de confiance par un mandataire de justice et d’escroquerie engagée contre Maître Aymes. Ces documents auraient aidé l’auteur à préparer sa défense. Dans un contentieux similaire concernant Xavier Babeau, confronté aussi à la fraude de Maître Aymes, la victime de la fraude avait obtenu gain de cause en 1995.
2.4Le 11 février 1997, l’auteur avait écrit au juge d’instruction à Rodez en charge de l’affaire contre Maître Aymes pour demander à se constituer partie civile selon les formes requises par le Code de procédure pénale. À la suite d’une relance écrite du 18 mars 1999, le juge d’instruction a répondu que selon un avis du 4 décembre 1998 notifié par lettre recommandée, il avait informé l’auteur qu’il envisageait de clôturer l’instruction pour laquelle l’auteur s’était constitué partie civile. L’auteur prétend n’avoir jamais reçu cet avis. Par conséquent, il lui manquait des informations cruciales alors que le procès en responsabilité civile était engagé devant la juridiction civile à Toulouse. L’auteur a tenté à plusieurs reprises d’obtenir des informations sur la procédure pénale engagée contre Maître Aymes. Le 28 mars 2000, le Procureur de la République de Rodez l’a informé qu’il n’apparaissait «aucun élément démontrant l’utilisation frauduleuse des chèques à son profit par Féronia». Pourtant, la société Férona a été condamnée en matière civile par les juridictions toulousaines d’une faute qu’elle aurait commise en encaissant les chèques visés.
2.5Le 13 septembre 2003, l’auteur a introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse du 24 juillet 2003. Le conseil du Crédit Lyonnais l’a informé qu’à défaut de règlement de sa part, il allait solliciter le retrait du pourvoi que l’auteur avait formé devant la Cour de cassation. L’auteur n’a pas donné suite à cette demande. Par ordonnance du 17 novembre 2003, la Cour de cassation a procédé au désistement du demandeur au pourvoi.
2.6Le 13 février 2004, l’auteur a porté son affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme (requête no 8060/04). Le 14 septembre 2004, la Cour a déclaré la requête irrecevable car les voies de recours internes n’avaient pas été épuisées en raison du désistement du pourvoi en cassation.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur estime être victime d’une violation de l’article 14 du Pacte en raison de l’atteinte à son droit à l’accès à un tribunal. Il fait valoir que si le droit d’accès à une juridiction n’est pas absolu, les restrictions ne doivent jamais entraîner d’atteinte à la substance de ce droit. Toute limitation doit avoir un but légitime et y être raisonnablement proportionnée.
3.2Il estime également être victime d’une violation de l’article 14 du Pacte en raison du déroulement de la procédure nationale et des méthodes d’administration de la justice dont il est victime. Il fait valoir qu’il a été victime d’un grave dysfonctionnement de l’administration de la justice en raison des refus qui lui ont été opposés, c’est-à-dire le refus de communication des éléments de preuve au cours du procès en responsabilité civile à Toulouse, le refus du juge d’instruction de communiquer en temps opportun le dossier de la procédure d’instruction à l’auteur qui avait écrit pour se constituer en partie civile, et le refus des juridictions civiles de statuer au regard de la position écrite et expresse du Procureur de la République de Rodez. Il estime donc avoir été victime d’une violation du respect du droit à un procès équitable.
3.3Sur les effets de la réserve de l’État partie au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, l’auteur rappelle que rien n’interdit au Comité des droits de l’homme de statuer au fond si la Cour européenne des droits de l’homme ne l’a pas fait avant elle. Il dénonce le caractère expéditif de la décision qu’il a reçue de la Cour et estime que sa requête n’a pas été examinée par la Court sur le fond.
3.4En ce qui concerne l’épuisement des voies de recours internes, l’auteur fait valoir que l’absence de procédure de suspension d’exécution d’un arrêt de Cour d’appel constitue une situation contraire au droit à un procès équitable puisqu’il lui a été impossible de faire valoir ses intérêts et d’en assurer équitablement sa défense devant une juridiction. L’exécution forcée de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse représentait pour l’auteur un véritable obstacle financier. Il estime qu’il n’a jamais pu de façon complète faire valoir ses droits et recourir à l’exercice d’une voie de droit d’ordre juridictionnelle en raison du système d’exécution forcée et de la demande de la banque.
3.5L’auteur demande l’octroi d’une satisfaction équitable sous forme de versement de dommages-intérêts compensateurs du préjudice tant matériel que moral qu’il a subi.
Commentaires de l’État partie sur la recevabilité
4.1Le 29 décembre 2006, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il invoque sa réserve faite au sujet du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif et estime que la même question a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. Il fait valoir qu’à supposer que le Comité estime que l’affaire n’a pas fait l’objet d’un examen au fond, mais seulement de forme, la réserve trouverait néanmoins à s’appliquer. En effet, l’étude de la recevabilité est une partie déterminante de l’examen global d’une affaire, qui ne doit pas être privée d’effet. Le Comité ne peut considérer qu’une affaire examinée et jugée irrecevable par une instance internationale pour des motifs de forme n’a pas été examinée au sens de la réserve au paragraphe 2 a) de l’article 5 sans méconnaître le sens de cette réserve. Celle-ci étend en effet l’irrecevabilité devant le Comité aux affaires ayant fait l’objet d’un examen au sens large – incluant l’examen des conditions de formes – et non pas aux seules affaires ayant fait l’objet d’un examen au fond.
4.2Eu égard à la question de l’épuisement des voies de recours internes, l’État partie rappelle que le pourvoi en cassation de l’auteur a fait l’objet d’une décision de retrait du rôle. Cette décision a été prise en application de l’article 1009-1 du nouveau Code de procédure civile qui prévoit que le premier président de la Cour de cassation peut, à la demande du défendeur du pourvoi, décider «la radiation d’une affaire lorsque le demandeur ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée de pourvoi, à moins qu’il ne lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives». Or, l’auteur s’est dispensé d’exécuter la décision de la Cour d’appel mais ne prétend pas avoir tenté de démontrer que l’exécution aurait entraîné pour lui des conséquences manifestement excessives. Pourtant, l’article 1009-3 du nouveau Code de procédure civile permet la réinscription de l’affaire au rôle de la Cour de cassation sur justification de l’exécution de la décision attaquée. Plus encore, la Cour de cassation, tenant compte de la situation du demandeur, a la possibilité d’admettre une exécution partielle. On peut donc en déduire que l’auteur n’a pas souhaité bénéficier de la réinscription au rôle et qu’il a délibérément choisi de ne pas soumettre son affaire à l’examen de la Cour de cassation. De ce fait, l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans ses commentaires du 26 février 2007, l’auteur réitère ses arguments précédents sur les effets de la réserve de l’État partie au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En réponse à l’argument de l’État partie qu’il n’a pas tenté de démontrer que l’exécution de la décision de la cour d’appel aurait entraîné pour lui des conséquences manifestement excessives, il fait valoir que cette décision avait à elle seule des conséquences manifestement excessives. En effet, la décision constatait qu’un contrat parfaitement licite devenait illicite et que le réquisitoire définitif final du Procureur de la République était nul et non avenu. Elle ne reconnaissait pas une décision de la Cour de cassation reconnaissant pleinement la faute de gestion de la CARPA et refusait de prendre en considération sa demande de preuve flagrante. Enfin, elle le condamnait à rembourser la somme importante de près de 200 000 euros alors que les revenus annuels de l’auteur s’élevaient à moins de 9 000 euros par an en 2003 et 2004.
5.2L’auteur souligne qu’intervenant dans le cadre d’une tentative de médiation, le médiateur précisait qu’«une très longue procédure a conduit M. Jean-Pierre Vincent − FERONIA dans une mauvaise direction parce que le Barreau de Rodez ne l’a pas informé des voies de recours possibles et que les avocats de la région ont rejeté tour à tour toute l’aide sur des indications et voies de recours éventuels.»
5.3En réponse à l’argument de l’État partie que l’auteur aurait pu réinscrire son affaire au rôle de la Cour de cassation selon l’article 1009-3 du nouveau Code de procédure civile, l’auteur fait valoir que ce prétendu manquement ne peut être recevable qu’à la condition formelle qu’il doit exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, ce qui ici fait défaut. Il incombe à l’État partie de démontrer que ces exigences se trouvent réunies, et non de procéder par simple allégation. En l’espèce, les avocats successivement sollicités par l’auteur n’ont pas prêté une assistance régulière. Depuis juin 1999, l’auteur contactait les avocats toulousains qui ne donnaient aucune suite à sa demande de prise en charge de son dossier. Le 19 juin 2000, l’auteur alertait le premier président du Tribunal de grande instance de Toulouse du fait qu’il n’arrivait pas à obtenir du bâtonnier de Toulouse la désignation d’office d’un avocat pour le représenter. Ce n’est que le 4 août 2000 qu’est enfin intervenue la désignation d’office d’un avocat. Plus tard, l’auteur a consulté neuf avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation qui lui ont opposé un refus de dépôt de pourvoi en lui demandant d’honorer préalablement la condamnation financière jugée par la Cour d’appel de Toulouse. Seul Maître Boullez a accepté finalement d’assister l’auteur en lui précisant clairement qu’en vertu de l’article 611-1 du nouveau Code de procédure civile, il ne pouvait former de pourvoi tant que la signification de l’arrêt de le Cour d’appel de Toulouse n’était pas intervenue. L’auteur s’est donc rapproché de son avoué près la Cour d’appel de Toulouse pour obtenir l’original de l’arrêt rendu par la Cour. Celui-ci refusa toute transmission de pièces car l’auteur n’avait pas réglé les honoraires qui lui étaient dus. Ainsi, l’article 1009-3 du nouveau Code de procédure civile ne saurait s’appliquer, sans constituer un réel déni de justice, lorsque l’administration judiciaire d’un recours subit des manquements ou lorsque les circonstances font qu’il est déraisonnable de vouloir exiger de les épuiser.
5.4L’auteur rappelle qu’il a quand même introduit un pourvoi en cassation le 13 septembre 2003 contre l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse et que la Cour de cassation a procédé à sa radiation le 17 novembre 2003.
6.Le 5 septembre 2007, l’auteur précise que c’est son avocat, la SCP Nicolas Boullez, qui a demandé le désistement. Ce fait prouve encore les carences de ses conseils. Il a été légitimement conduit par ses conseils à se dissuader de soutenir un pourvoi présenté comme «voué à l’échec» pour eux et sous-entendu par eux comme tel. Les articles 1024 et suivants du nouveau Code de procédure civile fixent de façon limitative les strictes conditions de «désistement», alors que l’auteur n’a pas été éclairé de façon impartiale. L’auteur se retrouvera dans une impasse juridique si le Comité déclare qu’il n’a pas épuisé les recours internes sans en rechercher la faute.
Délibérations du Comité
7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a constaté qu’une plainte similaire déposée par l’auteur avait été déclarée irrecevable par la Cour européenne des droits de l’homme le 14 septembre 2004 (requête no 8060/04) parce que les voies de recours internes n’avaient pas été épuisées. Le Comité rappelle, en outre, qu’au moment de son adhésion au Protocole facultatif, l’État partie a formulé une réserve à propos du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif à l’effet d’indiquer que le Comité «ne sera pas compétent pour examiner une communication émanant d’un particulier si la même question est en cours d’examen ou a déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement». Le Comité constate cependant que la Cour européenne n’a pas «examiné» l’affaire au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, dans la mesure où sa décision portait uniquement sur une question de procédure.En conséquence, il n’existe aucun obstacle au regard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, tel que modifié par la réserve de l’État partie.
7.3En ce qui concerne l’épuisement des voies de recours internes, le Comité note que le pourvoi en cassation de l’auteur a fait l’objet d’une décision du premier président de la Cour de cassation de retrait du rôle le 17 novembre 2003. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur s’est dispensé d’exécuter la décision de la Cour d’appel de Toulouse du 24 juillet 2003, mais ne prétend pas avoir tenté de démontrer que l’exécution aurait entraîné pour lui des conséquences manifestement excessives. Il prend également note du fait que l’article 1009-3 du nouveau Code de procédure civile permet la réinscription de l’affaire au rôle de la Cour de cassation sur justification de l’exécution, même partielle, de la décision attaquée. Bien que l’auteur invoque devant le Comité le manque de moyens financiers pour exécuter la décision de la Cour d’appel de Toulouse (voir par.5.1 plus haut), il ressort du dossier que l’auteur n’a pas fait état de sa situation financière, ni produit de justificatifs, devant la Cour de cassation quand il introduisait son pourvoi en cassation alors que la charge de la preuve que la décision à exécuter était de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives reposait sur lui. Le Comité constate également que l’auteur, après la radiation du pourvoi, n’a pas sollicité du premier président de la Cour de cassation la réinscription de son affaire au rôle de la Cour de cassation, et qu’au contraire l’auteur indique que son avocat aurait lui-même demandé le désistement. Dans ces circonstances, il estime que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes.
8.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Note
M. Communication n o 1513/2006, Fernandes et consorts c. Pays-Bas*(Décision adoptée le 22 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Vital Maria Fernandes et consorts(représentés par un conseil, M. Bjorn van Dijk) |
Au nom de: |
Les auteurs et leurs enfants |
État partie: |
Pays-Bas |
Date de la communication: |
12 janvier 2005 |
Objet: |
Expulsion de membres d’une famille; séparation des enfants d’avec leurs parents |
Questions de procédure: |
Appréciation des éléments étayant les griefs aux fins de la recevabilité |
Questions de fond: |
Droit au respect de la vie privée; protection de la famille |
Articles du Pacte: |
17 (par. 1) et 23 |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision sur la recevabilité
1.Les auteurs de la communication sont Vital Maria Fernandes, de nationalité cap‑verdienne, qui soumet la communication en son nom propre et au nom de ses trois enfants, tous de nationalité néerlandaise; son épouse Maria Jose Pereira Monteiro Fernandes, de nationalité cap‑verdienne; et Walter Hugo Monteiro Semedo, fils de cette dernière et également de nationalité cap-verdienne. Ils se déclarent victimes d’une violation par les Pays‑Bas du paragraphe 1 de l’article 17 et de l’article 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les auteurs sont représentés par un conseil, M. Bjorn van Dijk.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1M. Fernandes a travaillé sur des navires commerciaux néerlandais à partir de la fin des années 80. Conformément à la loi néerlandaise sur les étrangers, les travailleurs dans ce cas peuvent obtenir un permis de séjour à condition, entre autres choses, qu’ils aient travaillé pendant sept ans sur des navires néerlandais. M. Fernandes a cessé de travailler avant le terme de cette période de sept ans en raison de problèmes de dos. Il a été indemnisé conformément à la loi sur l’assurance invalidité (WAO) et il n’a pas retravaillé depuis cette époque.
2.2M. Fernandes réside aux Pays‑Bas avec son épouse, Mme Monteiro Fernandes, qu’il a épousée en 1995 aux Pays‑Bas, et leurs quatre enfants. Trois de leurs enfants sont mineurs et ont la nationalité néerlandaise. Tous ont vécu aux Pays‑Bas depuis leur naissance. M. Monteiro Semedo, né le 5 octobre 1985, est le fils de Mme Monteiro Fernandes, issu d’un précédent mariage.
2.3Le 13 novembre 1995, M. Fernandes a présenté une demande de permis de séjour au commissaire du district de police de Groningen afin de pouvoir obtenir un emploi sur un navire néerlandais et de passer son congé aux Pays‑Bas. Cette demande a été rejetée le 16 juillet 1996. Le recours administratif qu’il a présenté contre cette décision a été déclaré irrecevable par décision du 9 octobre 1996. Un recours ultérieur a été formé auprès du tribunal du district de La Haye (arrondissement de Zwolle) le 6 novembre 1996. Ce recours a été rejeté le 2 mai 1997.
2.4Le 6 mai 1997, M. Fernandes a présenté une nouvelle demande de permis de séjour «sans restrictions» au commissaire du district de police de Groningen. Celle-ci a été rejetée le 7 mai 1999. Le 1er juin 1999, le requérant a formé opposition et a demandé que soit rendue une décision interlocutoire le 29 juin 1999. Le tribunal du district de La Haye (arrondissement de Zwolle) a rejeté cette requête le 31 août 2000 et a déclaré l’opposition formée le 1er juin 1999 non fondée. Une nouvelle demande de permis de séjour a ensuite été présentée au commissaire du district de police de Groningen le 10 juillet 2000. Le motif principal de cette demande était de permettre à M. Fernandes de rester auprès de ses enfants. Celle‑ci a été rejetée. Une opposition a été formée le 7 août 2000 et déclarée fondée le 8 janvier 2001.
2.5Le 12 septembre 2000, le commissaire du district de police de Groningen a proposé que M. Fernandes soit déclaré «personne indésirable», car il avait commis des infractions pénales et avait été condamné à trois reprises au moins en 1996, 1999 et 2000 pour violation de la loi sur l’opium et de la loi sur la circulation routière. Le 20 février 2003, la demande présentée le 10 juillet 2000 a été rejetée par le Ministre pour les étrangers et pour l’intégration et M. Fernandes a été déclaré «personne indésirable».La décision indiquait explicitement que le refus d’accorder à l’auteur un permis de séjour ne constituait pas une violation de son droit au respect de sa vie familiale, tel que défini par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Bien que l’affaire mît en jeu le respect de la vie familiale des requérants, le refus d’accorder à M. Fernandes un permis de séjour aux Pays‑Bas ne visait pas à le priver de tout droit de séjour temporaire, lui permettant de vivre avec sa famille aux Pays‑Bas. La décision indique que M. Fernandes et son épouse étaient des résidents illégaux lorsqu’ils ont fondé une famille aux Pays‑Bas et qu’ils connaissaient ou auraient dû connaître les risques que leurs choix entraînaient. La décision stipulait que les enfants mineurs ayant la nationalité néerlandaise pouvaient opter pour la nationalité cap‑verdienne, conformément à la législation du Cap‑Vert. Par conséquent, il n’existait pas d’obstacles objectifs qui empêchaient les requérants de vivre en famille hors des Pays‑Bas. Une opposition a été formée devant le Ministre pour les étrangers et une demande de jugement provisoire présentée au tribunal du district de La Haye (chambre des étrangers). La requête et l’opposition formée ensuite ont été rejetées le 3 février 2004. La décision du tribunal de La Haye n’était pas susceptible de recours.
2.6Le 30 mars 2004, une plainte a été déposée devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le 7 septembre 2004, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré la requête des auteurs irrecevable au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions énoncées dans les articles 34 et 35 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Teneur de la plainte
3.Les auteurs affirment que les Pays‑Bas violent le paragraphe 1 de l’article 17 et l’article 23 du Pacte, en refusant d’accorder aux requérants des permis de séjour, étant donné que trois de leurs enfants sont de nationalité néerlandaise. En tant que citoyens néerlandais, ils ne peuvent pas être expulsés. Les trois enfants sont nés et ont été élevés aux Pays‑Bas et ils n’ont aucun contact avec le Cap‑Vert. Les requérants sont contraints de faire un choix inacceptable consistant soit à rester aux Pays‑Bas, sans avoir le statut de résident légal, soit à retourner au Cap‑Vert avec leurs enfants, qui sont pleinement intégrés à la société néerlandaise.
Réponses de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Le 21 février 2007, l’État partie a formulé sa réponse sur la recevabilité de la communication. Le 16 avril 2007, l’État partie a confirmé que sa réponse sur la recevabilité portait également sur le fond de la communication.
4.2L’État partie considère que les auteurs n’ont pas suffisamment établi le bien‑fondé de leur plainte. Ils n’ont pas donné d’informations et d’arguments précis étayant explicitement leurs griefs de violation des dispositions du Pacte. Le seul élément apporté pour les étayer est la simple affirmation que les trois enfants mineurs sont intégrés à la société néerlandaise et que leur retour au Cap‑Vert serait pour eux une épreuve.
4.3L’État partie indique que M. et Mme Fernandes ont fondé une famille aux Pays‑Bas sans être légalement résidents dans ce pays. Ils savaient, ou à tout le moins auraient dû savoir, que l’obtention d’un permis de séjour conditionnerait le point de savoir s’ils seraient en mesure de continuer à vivre en famille aux Pays‑Bas. L’État partie appelle l’attention sur le casier judiciaire de M. Fernandes, en raison duquel il a été déclaré «étranger indésirable». Il fait observer que, comme les enfants remplissent les conditions requises pour obtenir la nationalité cap‑verdienne, rien ne s’oppose à ce qu’ils vivent avec leurs parents au Cap‑Vert.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
5.Dans une lettre du 28 novembre 2007, les auteurs réaffirment que leur communication est recevable et que l’on ne peut demander aux trois enfants néerlandais d’aller vivre dans un pays qui n’est pas le leur. Ils expliquent qu’en octobre 2006 ils ont essayé d’aller vivre au Cap‑Vert pendant quatre mois, période pendant laquelle les enfants ont été séparés de leur père, mais que cette tentative s’est soldée par un échec, les enfants étant trop fortement attachés aux Pays‑Bas et n’ayant pas réussi à s’adapter.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité note que cette affaire a déjà été examinée et tranchée par la Cour européenne des droits de l’homme le 7 septembre 2004. Toutefois, il rappelle sa propre jurisprudenceselon laquelle c’est seulement lorsque la même affaire est en cours d’examendevant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement que le Comité n’est pas compétent pour examiner une communication au titre du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Par conséquent, le paragraphe 2 a) de l’article 5 n’empêche pas le Comité d’examiner la présente communication.
6.3En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 17 et de l’article 23 du Pacte, le Comité note que, hormis les déclarations concernant les difficultés que rencontreraient les enfants, qui sont nés et ont grandi aux Pays‑Bas, s’ils suivaient leurs parents dans leur pays d’origine, les auteurs n’ont pas apporté d’argument démontrant comment leurs droits en vertu de ces dispositions seraient violés. En outre, les auteurs n’ont pas démontré pourquoi, dans les circonstances de l’espèce, leur expulsion vers le Cap‑Vert constituerait une ingérence illégale ou arbitraire dans leurs relations familiales. En conséquence, le Comité considère donc que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé, aux fins de recevabilité, la plainte selon laquelle eux ou leurs enfants sont victimes de violations du paragraphe 1 de l’article 17 et du paragraphe 23 du Pacte. Il conclut donc que la communication est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif. Le Comité fait observer qu’il tient compte dans sa conclusion de l’insuffisance des informations données par les auteurs, en dépit des demandes qu’il leur a adressées pour obtenir des informations supplémentaires sur la situation des enfants ainsi que sur les difficultés qu’ils rencontreraient s’ils s’installaient au Cap‑Vert.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée aux auteurs et à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
N. Communication n o 1515/2006, Schmidl c. République tchèque*(Décision adoptée le 1 er avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
Herbert Schmidl (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
République tchèque |
Date de la communication: |
4 janvier 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Discrimination fondée sur les origines sudètes d’un ressortissant allemand en ce qui concerne la restitution de biens |
Questions de procédure: |
Non-épuisement des recours internes |
Questions de fond: |
Égalité devant la loi et égale protection de la loi; accès aux tribunaux |
Articles du Pacte: |
2, 26 et 14 |
Article du Protocole facultatif: |
5 (par. 2 b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er avril 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est Herbert Schmidl, né en 1923 dans l’ancienne Tchécoslovaquie, résidant actuellement en Allemagne. Il se déclare victime de violations par la République tchèque de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’oncle et la tante de l’auteur possédaient une exploitation agricole dans la région des Sudètes, qui a été intégrée au territoire du Reich allemand entre 1938 et 1945. En mai 1945, la propriété a été occupée par l’Armée rouge, puis confisquée par l’administration tchécoslovaque de l’après-guerre. En 1946, l’auteur et sa famille ont été expulsés de Tchécoslovaquie. La propriété en question ayant été confisquée avant la promulgation du décret no 12/1945 (décret Benĕs), cette confiscation serait illégale. Aucune indemnisation n’a été versée pour la propriété, dont l’auteur affirme être l’unique héritier.
2.2L’auteur a écrit au Ministre tchèque des finances (le Ministre) à trois reprises, le 18 février et le 26 avril 1992 et le 2 août 1998, demandant qu’on lui restitue la propriété. Le 25 août 1998, le Ministre a informé l’auteur que la loi de restitution en vigueur s’appliquait uniquement aux biens confisqués entre 1948 et 1989, que des demandes de restitution similaires portant sur des biens appartenant à des Allemands avaient été rejetées dans le passé et que les autorités de l’État ne répondraient à aucun courrier supplémentaire sur cette question. Dans la même lettre (écrite en réponse à la lettre de l’auteur datée du 2 août 2007), il était déclaré en outre que, puisque le testament en vertu duquel le terrain en question était censé avoir été légué n’était pas valide, l’auteur n’était jamais devenu le propriétaire du bien sur le plan juridique.
2.3Selon l’auteur, la Cour suprême et la Cour constitutionnelle tchèques ont toutes deux déclaré que le fait de ne pas accorder d’indemnisation pour des biens ayant appartenu à des Allemands ou à des Hongrois avant 1948 était «légal et légitime». Il affirme que les Allemands des Sudètes pouvaient être indemnisés s’ils prouvaient leur fidélité à la République tchèque, ce qui n’était pas le cas des nationaux tchèques réclamant une indemnisation. Il dit que l’ancien Premier Ministre Klaus a déclaré que, même si la restitution aux victimes allemandes et hongroises était possible en vertu du droit, elle était politiquement inacceptable.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que les recours internes étaient inaccessibles et inefficaces dans son cas. Le Ministre n’a pas répondu à ses demandes d’information au sujet des procédures applicables qui lui auraient permis de contester l’argument selon lequel son cas ne relevait pas de la loi de restitution, et il a refusé de transmettre la plainte de l’auteur à la juridiction compétente. Ainsi, les autorités tchèques l’ont empêché de réclamer en justice la restitution de son bien. En outre, du fait qu’il n’a pas répondu à l’auteur entre 1992 et 1998, le Ministre est responsable du retard excessif dans l’épuisement des recours internes. L’auteur affirme que, ne connaissant pas la juridiction compétente à laquelle s’adresser, il n’aurait pas été en mesure d’obtenir qu’un conseil le représente. De surcroît, l’épuisement des recours internes serait resté sans effet compte tenu des décisions de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle, selon lesquelles la loi de restitution était conforme au droit.
3.2L’auteur soutient que sa plainte est recevable ratione temporis, car elle ne porte pas sur la confiscation de la propriété, qui a eu lieu en 1945, mais sur le refus de l’État partie de la restituer. Il fait valoir que le refus de l’État partie de l’indemniser n’a pas été confirmé jusqu’à la lettre du Ministre datée du 25 août 1998, soit après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Avant cette date, la restitution n’était pas exclue en principe mais dépendait d’«accords intergouvernementaux» entre la République tchèque et l’Allemagne.
3.3L’auteur affirme qu’il y a violation de l’article 2, du fait que l’État partie ne lui a pas versé une indemnisation adéquate pour la perte de sa propriété. Il soutient que le fait de l’avoir privé de son droit d’accéder aux tribunaux constitue une violation de l’article 14. Il affirme en outre que la procédure a subi un retard excessif au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif parce que les efforts qu’il a déployés sur plusieurs années pour obtenir des éclaircissements au sujet des voies de recours applicables n’ont suscité aucune réponse de la part des autorités tchèques.
3.4L’auteur invoque une violation de son droit à la non-discrimination au titre de l’article 26, en ce que les lois de restitution actuellement en vigueur en République tchèque sont discriminatoires à son égard parce qu’il est Allemand d’origine sudète. Il affirme que la loi de restitution écarte les réclamations émanant d’Allemands des Sudètes du fait que a) la loi ne s’applique qu’aux confiscations qui ont eu lieu entre 1948 et 1989 et que b) seuls les nationaux tchèques peuvent réclamer une telle indemnisation. L’auteur soutient en outre qu’il y a discrimination en ce que les ressortissants allemands doivent «prouver leur loyauté», et non les nationaux tchèques. De plus, les nationaux allemands et hongrois doivent prouver qu’ils ont eu la nationalité tchèque sans interruption depuis la fin de la guerre jusqu’en 1990, alors que les nationaux tchèques doivent uniquement prouver qu’ils possèdent cette nationalité au moment où ils déposent leur demande. Le fait que d’autres groupes de victimes aient obtenu une réparation adéquate constitue une discrimination à l’encontre des Allemands des Sudètes en tant que groupe.
3.5L’auteur affirme que la propriété en question a été confisquée illégalement et que pour cette raison il demeure, en tant qu’unique héritier de son oncle et de sa tante, propriétaire du bien. Conformément au décret gouvernemental no 8/1928 GBI, toute confiscation doit être précédée d’une «notification individuelle». L’auteur affirme n’avoir reçu aucune notification concernant le bien en question. Il dit que la confiscation a eu lieu avant l’entrée en vigueur du décret Benĕs, censé être la base légale de la confiscation. Même si l’on considère que la confiscation a eu lieu en vertu du décret, elle demeure illégale car le propriétaire initial était antifasciste et employait des Tchèques sur son exploitation, contre la volonté des Nazis. Selon la sous-section 2 du décret présidentiel, les terres appartenant à des personnes de nationalité allemande ou hongroise ayant participé activement à la lutte pour préserver l’intégrité de la Tchécoslovaquie et la délivrer n’auraient pas dû être confisquées. Enfin, l’auteur soutient que la confiscation était illégale parce qu’elle coïncidait avec un crime de génocide − qu’il affirme être une conséquence de l’expulsion des Allemands des Sudètes.
Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond
4.1Le 17 mai 2007, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il affirme que la communication est irrecevable pour les motifs suivants: non-épuisement des recours internes; ratione temporis; abus du droit de présenter des communications; incompatibilité ratione materiae. En ce qui concerne le non-épuisement des recours internes, il fait valoir que l’auteur n’a jamais soulevé aucun de ces griefs devant les autorités compétentes. Il suppose que la confiscation en question est censée avoir eu lieu en vertu du décret présidentiel no 12/1945, qui est entré en vigueur le 23 juin 1945. Cependant, étant donné que le Pacte n’est entré en vigueur que le 23 mars 1976, il soutient que la communication est irrecevable ratione temporis.
4.2L’État partie invoque la jurisprudence du Comité et avance qu’il y a abus du droit de porter plainte. La lettre initiale de l’auteur au Comité est datée du 4 janvier 2002, soit neuf ans après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, ce qui représente un délai inacceptable pour soumettre une communication au Comité. L’État partie soutient en outre que le droit à la propriété n’est pas reconnu par le Pacte, que le droit à la restitution l’est d’autant moins et que la communication est donc incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte.
4.3Sur le fond, l’État partie affirme que la communication est «dénuée de fondement», car le testament en vertu duquel l’auteur serait devenu propriétaire du bien a été fait le 9 mars 1956. Étant donné que la propriété est censée avoir été confisquée en 1945, l’auteur n’aurait pas pu en devenir le propriétaire légitime. De plus, le testament était non valide ab initio, car conformément à l’article 535 du Code civil en vigueur à l’époque, il aurait dû être rédigé par un seul testateur. Deux personnes ne pouvaient pas rédiger ensemble un testament comme cela a été fait dans le cas d’espèce.
Commentaires de l’auteur
5.1Le 12 novembre 2007, l’auteur réaffirme que l’expropriation a eu lieu au début de mai 1945, avant l’entrée en vigueur du décret présidentiel no 12/1945. Selon un document daté du 8 août 1945 et écrit par l’oncle de l’auteur, un fonctionnaire tchèque est arrivé avec des miliciens tchèques pour saisir sa propriété. L’auteur conteste l’argument selon lequel il n’a fait aucun effort pour demander la restitution de son bien et renvoie aux lettres adressées au Ministre (voir par. 2.2). Il réaffirme que les lois de restitution sont discriminatoires à son égard au sens de l’article 26 pour les raisons exposées au paragraphe 3.4 ci‑dessus.
5.2L’auteur réitère ses arguments concernant la recevabilité de la communication ratione temporis, et insiste sur le fait que la confiscation de la propriété n’était pas légitime et que le refus du Ministre de restituer le bien date du 25 août 1998, donc après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Dans ce contexte, il renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle les violations dont il est fait état s’étant poursuivies après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, la communication est recevable ratione temporis. Quant à l’argument avancé par l’État partie concernant l’abus du droit de porter plainte, il affirme qu’outre ses efforts en vue d’épuiser les recours internes en écrivant au Ministre, il a tenté de régler la question en prenant des initiatives en Allemagne, notamment en sollicitant la «protection diplomatique» à plusieurs reprises devant les tribunaux administratifs, requêtes qui lui ont toutes pris beaucoup de temps.
5.3Quant aux arguments de l’État partie sur le fond, l’auteur réaffirme que la confiscation en question n’était pas légale et que par conséquent, son oncle et sa tante sont restés les propriétaires légitimes jusqu’à leur mort. Au sujet du testament, il conteste l’argument de l’État partie, qui objecte que le document était nul, et se réfère à la légitimité des certificats d’héritage allemands datés du 17 janvier 1997 et du 12 mars 1998, en vertu desquels il a été désigné unique héritier de son oncle et de sa tante. Il affirme en outre qu’en droit allemand, les époux peuvent rédiger leur testament en commun.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.2L’État partie a soutenu que la communication était irrecevable, notamment pour non‑épuisement des recours internes. Le Comité note en outre que l’État partie conteste l’affirmation de l’auteur, qui se dit héritier légitime de son oncle et de sa tante, au motif que le testament sur lequel il s’appuie a été déclaré nul. Le Comité constate que les seuls efforts que l’auteur ait entrepris en vue d’épuiser les recours internes dans l’État partie, par contraste avec ceux qu’il a déployés dans son pays de résidence, se résument à quelques lettres adressées au Ministre des finances tchèque, dans lesquelles il demande au Ministre de transmettre sa plainte à l’autorité compétente. Le Comité relève que l’auteur n’a soulevé aucun des griefs formulés dans la présente communication devant une juridiction de l’État partie. Quant à l’argument selon lequel l’épuisement des recours internes n’aurait pas été utile, le Comité fait observer qu’une action en justice aurait permis, entre autres, de clarifier les faits contestés dans le cas de l’auteur, à propos desquels le Comité n’est pas en mesure de se prononcer. Il s’agit en particulier de la question de savoir qui avait la propriété effective du bien en question, et si l’auteur était l’héritier légitime de son oncle et de sa tante. Le Comité considère que c’est à l’auteur lui-même qu’il incombait de déterminer quelle juridiction était normalement compétente en la matière et de déposer la requête appropriée. Il rappelle que l’expression «tous les recours internes disponibles», au sens de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif, vise au premier chef les recours juridictionnels. Pour cette raison, le Comité conclut que la communication est irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif, pour non‑épuisement des recours internes.
6.3En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
O. Communication n o 1516/2006, Schmidl c. Allemagne*(Décision adoptée le 31 octobre 2007, quatre ‑vingt ‑onzième session)
Présentée par: |
Herbert Schmidl (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Allemagne |
Date de la communication: |
4 janvier 2002 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Inaction de l’État partie pour assurer «la protection devant la loi» de l’auteur, dans le cadre d’une demande en restitution de biens présentée à la République tchèque |
Questions de procédure: |
Recevabilité; réserve au Protocole facultatif; griefs non étayés |
Questions de fond: |
Discrimination fondée sur les origines sudètes d’un ressortissant allemand |
Articles du Pacte: |
2, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14, 17 et 26 |
Articles du Protocole facultatif: |
2 et 5 (par. 2 a)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 31 octobre 2007,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est Herbert Schmidl, de nationalité allemande, né en 1923 dans l’ancienne Tchécoslovaquie, résidant actuellement en Allemagne. Il se déclare victime de violations par l’Allemagne de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lu conjointement avec l’article 26. Il n’est pas représenté par un conseil. Le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a décidé que la recevabilité de la communication devait être examinée séparément du fond.
Exposé des faits
2.1L’oncle de l’auteur possédait une exploitation agricole dans la région des Sudètes, qui a été intégrée au territoire du Reich allemand entre 1938 et 1945. En mai 1945, cette propriété a été occupée par l’Armée rouge, puis confisquée par l’administration tchécoslovaque de l’après‑guerre. En 1946, l’auteur et sa famille ont été expulsés de Tchécoslovaquie. Avant leur expulsion, ils ont été contraints au travail forcé sur l’exploitation agricole, et n’ont été indemnisés pour la perte de leurs biens ni par la Tchécoslovaquie ni par la République tchèque. L’auteur affirme qu’il est le seul héritier des biens expropriés.
2.2Le 3 juin 1971, l’auteur a touché une somme de 40 000 DM au titre de la loi allemande sur les indemnisations (Lastenausgleichsgesetz) pour les pertes qu’il avait subies pendant la Deuxième Guerre mondiale. L’auteur estime cependant que ce paiement doit être considéré comme une aide sociale et économique plutôt que comme une indemnisation pour la perte de ses biens, et pour les raisons suivantes: la somme correspond au montant des bénéfices produits par l’exploitation agricole pendant un an seulement; elle doit être reversée à l’État si l’ancien propriétaire récupère ses biens ou s’il reçoit une indemnisation satisfaisante; le préambule de la loi sur les indemnisations dispose clairement que le versement d’une indemnisation est sans préjudice du droit d’obtenir la restitution de ses biens.
2.3Le 6 mai 1993, l’auteur a saisi le tribunal administratif (Verwaltungsgericht) de Cologne, au motif que le Gouvernement allemand ne lui avait pas accordé une protection diplomatique efficace contre la République tchèque ainsi qu’il y avait droit conformément à la Constitution. Le tribunal a rejeté sa plainte le 31 janvier 1995, en déclarant que le Gouvernement avait un pouvoir discrétionnaire étendu pour toute question touchant aux affaires étrangères. L’auteur a fait appel devant le tribunal administratif supérieur (Oberverwaltungsgericht) de Münster, qui a confirmé la décision le 26 septembre 1996 et a refusé à l’auteur l’autorisation de saisir le tribunal administratif fédéral (Bundesverwaltungsgericht). L’auteur affirme qu’il a donc épuisé les recours internes.
2.4L’auteur fait valoir que dans une déclaration conjointe avec la République tchèque, le 21 janvier 1997, l’Allemagne a renoncé à faire la lumière sur les questions politiques et juridiques qui l’avaient opposée par le passé à ce pays, afin de ne pas créer de tensions dans leurs relations politiques. En outre, dans une lettre du 12 avril 1999, le Gouvernement fédéral allemand a confirmé qu’il n’entendait pas donner suite à la demande de l’auteur, lequel voulait bénéficier d’une protection diplomatique afin de faire valoir des réclamations pour l’expulsion et l’expropriation sans indemnisation dont il avait été victime. Enfin, l’auteur indique qu’en 1999 le Gouvernement allemand nouvellement élu a revu la politique nationale concernant la restitution des biens ayant appartenu aux Allemands des Sudètes. Alors que la question avait jusque‑là été laissée ouverte, le Gouvernement a déclaré que dorénavant la République fédérale d’Allemagne (RFA) ne soulèverait, ni aujourd’hui ni à l’avenir, aucune question portant sur des biens et ne présenterait pas de réclamations.
2.5Le 10 avril 1997, l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) (requête no 38252/97), en avançant que l’Allemagne, qui n’avait pas voulu exercer la protection diplomatique pour appuyer sa demande en restitution de biens contre la République tchèque, avait violé le droit à la vie (art. 2), le droit de n’être pas soumis à la torture ou à des mauvais traitements (art. 3), le droit de n’être pas tenu en esclavage (art. 4), le droit à la liberté et à la sûreté (art. 5), le droit à un procès équitable (art. 6) et le droit à un recours effectif (art. 14) consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que le droit à la propriété (art. 1) garanti par le premier Protocole additionnel à la Convention et le droit d’être protégé contre les expulsions de nationaux (art. 3) et contre les expulsions collectives d’étrangers (art. 4) garantis par le Protocole no 4 à la Convention. Le 13 juin 2000, la CEDH a déclaré la requête irrecevable au titre du paragraphe 4 de l’article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme, parce qu’elle ne faisait «apparaître aucune violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou ses Protocoles».
2.6Dans une note adressée en janvier 2005, l’auteur a affirmé que le Gouvernement allemand continuait à proférer «des propos préjudiciables et discriminatoires» à l’égard de la minorité ethnique à laquelle il appartient. Il fait valoir que le Chancelier allemand a exercé une discrimination à l’égard des Allemands des Sudètes, qu’il «a humiliés en les traitant comme un groupe marginal sans importance de la population allemande» et en disant que leurs demandes en restitution de biens «n’étaient pas fondées en droit». L’auteur avance également que le Chancelier allemand a ainsi nié le «génocide» des Allemands des Sudètes qui, selon lui, seraient quelque 241 000 à avoir trouvé la mort pendant la campagne d’expulsions. L’auteur ajoute que le Chancelier et d’autres responsables ont dénié aux Allemands des Sudètes le droit à la restitution de leurs biens, et se sont faits les complices du génocide.
2.7Par différents courriers, l’auteur a répondu aux lettres du secrétariat lui rappelant que l’Allemagne avait formulé une réserve à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il objecte que cette réserve est en principe irrecevable puisque, selon des spécialistes du droit international, l’expropriation et l’expulsion des Allemands des Sudètes par les Tchèques ont constitué un génocide. L’auteur affirme que la réserve de l’Allemagne préserve l’impunité de ce génocide et est par conséquent contraire au jus cogens. Il ajoute qu’en vertu de l’article 25 de la Loi fondamentale allemande (Grundgesetz) le Pacte prime la législation nationale et garantit aux citoyens des droits qui ne peuvent pas être annulés par une réserve. Au sujet de l’examen de sa requête par la CEDH, l’auteur souligne que le Protocole facultatif interdit l’examen simultané de la même question par une autre instance, mais n’exclut pas l’examen postérieur, et ajoute que cette «réserve mineure de l’Allemagne» ne saurait faire obstacle à l’application du droit international qui l’emporte sur le droit interne allemand.
2.8À propos de l’irrecevabilité ratione temporis de ses griefs, l’auteur fait valoir que sa plainte contre l’Allemagne remonte au 8 mars 1999, lorsque le Chancelier Schröder a qualifié d’«irréversible» le dommage causé aux Allemands des Sudètes expulsés, contredisant ce qu’avaient déclaré jusqu’alors tous les gouvernements allemands, c’est‑à‑dire que la question des biens des Allemands des Sudètes était encore ouverte et devait être réglée. Le Protocole facultatif était alors en vigueur et sa plainte est donc recevable ratione temporis.
2.9Dans un courrier du 6 janvier 2006, l’auteur a déclaré que la Chancelière en poste avait continué à faire preuve de discrimination à l’égard du groupe ethnique des Allemands des Sudètes, en affirmant de façon répétée que son gouvernement ne soutiendrait pas les plaintes demandant la restitution par la République tchèque des biens des expulsés. L’auteur soutient que les Allemands des Sudètes sont humiliés parce que leur État ne s’acquitte pas de son obligation de leur accorder la même protection qu’aux autres ressortissants. Il cite un article de journal qui fait état de l’intervention du Gouvernement fédéral en faveur de demandes d’indemnisation émanant d’Allemands restés en Roumanie. Il affirme que refuser aux Allemands des Sudètes le bénéfice de protection diplomatique pour appuyer des demandes officielles est contraire à l’article 26 du Pacte.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur fait valoir qu’il a subi une violation du droit à «une protection légale (diplomatique) égale et efficace contre toute discrimination» reconnu à l’article 26 du Pacte, en raison de ses origines sudètes. Il affirme que l’État partie est tenu de prendre des mesures de protection en faveur de tous les groupes ethniques et ne peut pas faire preuve de discrimination à l’égard de certains d’entre eux et refuser de les protéger en raison de leur race, de leur couleur ou de leur appartenance à une minorité ethnique donnée. L’auteur invoque en particulier la décision du tribunal administratif supérieur de Münster, dont la teneur a été confirmée par les déclarations faites par le Chancelier Schröder en 1999, par la déclaration conjointe de 1997 et par la lettre adressée par le Gouvernement fédéral en 1999. Selon l’auteur, ces différentes prises de position l’ont empêché d’exercer les droits économiques, sociaux et culturels qui sont visés dans le préambule du Pacte, puisqu’elles se sont traduites par le rejet de sa demande en restitution des biens qu’il détenait en République tchèque.
3.2L’auteur invoque également une violation de l’article 2 du Pacte, parce que l’État partie a refusé de lui assurer une protection contre une violation de ses droits fondamentaux par un autre État partie. Enfin, il affirme que les membres de sa famille ont été victimes de violations des articles 6, 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14 et 17 du fait qu’ils ont été expulsés en raison de leurs origines, bien qu’il ne présente pas la communication en leur nom. L’auteur estime qu’en raison des actes de génocide commis pendant la campagne d’expulsions, l’État partie est tenu de soutenir les demandes en restitution de biens présentées contre l’État tchèque par les Allemands des Sudètes expulsés.
Observations de l’État partie concernant la recevabilité
4.1Dans une note du 18 janvier 2007, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication pour plusieurs raisons. Il invoque la réserve de l’Allemagne à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, aux termes de laquelle:
«Le Comité n’aura pas compétence pour les communications:
a)Qui ont été déjà examinées par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement;
b)Dénonçant une violation des droits qui a son origine dans des événements antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la République fédérale d’Allemagne;
c)Dénonçant une violation de l’article 26 du Pacte dans la mesure où la violation dénoncée se réfère à des droits autres que ceux garantis dans le Pacte susmentionné.».
4.2L’État partie affirme que la communication est irrecevable en raison de cette réserve, puisque l’affaire a déjà été examinée par une autre instance internationale (la CEDH) et qu’en outre l’auteur allègue une violation de l’article 26 sans faire référence à un quelconque droit protégé par le Pacte. En ce qui concerne la validité de la réserve et l’argument de l’auteur selon lequel cette réserve serait invalidée par l’article 25 de la Loi fondamentale allemande, l’État partie fait valoir que, selon l’article en question, les règles communes du droit international font partie intégrante de la législation fédérale allemande et priment les lois ordinaires. L’objectif de cet article est de garantir que le droit international coutumier puisse être invoqué devant les tribunaux allemands. La réserve au Protocole facultatif ne vise pas l’applicabilité du Pacte mais uniquement la question de la juridiction, c’est‑à‑dire la compétence du Comité pour examiner des communications émanant de particuliers.
4.3L’État partie affirme que la procédure des requêtes individuelles mise en place par la Convention européenne des droits de l’homme est une procédure au sens de sa réserve et du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’objet et les faits dont la CEDH était saisie sont les mêmes que ceux de la présente communication, c’est‑à‑dire que l’Allemagne aurait dû agir au sujet de la demande présentée par l’auteur contre la République tchèque en vue d’exercer les droits de propriété qu’il dit posséder. L’argument de l’auteur concernant le discours politique prononcé par le Chancelier Schröder le 8 mars 1999 n’apporte rien de nouveau aux faits qui avaient été soumis à la CEDH. Quant à l’idée que la défaillance présumée de l’État partie constitue une violation continue de ses droits et qu’elle peut donc être invoquée de nouveau au titre du Protocole facultatif même après avoir été examinée par la CEDH, elle participe d’une interprétation erronée de l’expression «la même question».
4.4Selon l’État partie, la déclaration faite par le Chancelier fédéral en 1999 était politique et n’a pas modifié la situation de l’auteur. Avant cette déclaration, l’État partie n’avait engagé aucune action en justice contre la République tchèque et n’avait aucune intention de le faire. Ce point est clairement ressorti de toutes les procédures devant les tribunaux administratifs. Dans le cadre de la procédure devant le tribunal administratif de Cologne, le Ministère fédéral des affaires étrangères a déclaré que l’État partie continuerait à faire des représentations politiques, afin de contribuer à la recherche d’une solution satisfaisante pour les personnes concernées, mais qu’il considérait toute action en justice comme préjudiciable. Or c’est exactement cela que l’auteur reprochait à l’État partie dans sa requête devant la CEDH. Si une «nouvelle question» apparaissait chaque fois que l’État partie confirme sa position, l’auteur pourrait présenter continuellement une nouvelle communication pour les mêmes motifs. Cette interprétation du Protocole facultatif et de la réserve de l’État partie ne peut pas être correcte.
4.5Pour que la même question soit réputée «examinée» au sens de la réserve de l’Allemagne, il n’est pas nécessaire que la CEDH ait déclaré d’abord la requête recevable avant de l’examiner sur le fond au sens propre. Pour qu’il y ait «examen», il suffit que l’affaire ait déjà été considérée un tant soit peu sur le fond. On peut supposer que tel est le cas si, pendant l’examen de la recevabilité, les circonstances de l’affaire sont exposées clairement et les griefs sont sommairement examinés, du point de vue du droit matériel, au regard des dispositions de la [Convention] européenne des droits de l’homme invoquées. La CEDH peut faire un examen préalable des questions de fond et statuer à leur sujet pendant l’examen de la recevabilité; selon l’État partie, c’est ce qu’elle a fait en l’espèce. Il ressort clairement de la décision de la CEDH que celle‑ci a examiné les faits de la cause et, après avoir examiné la plainte et toutes les informations qui lui avaient été soumises, a conclu que ces faits ne faisaient «apparaître aucune violation des droits et libertés énoncés dans la Convention». Par conséquent, la réserve de l’État partie s’applique en l’espèce.
4.6L’État partie fait valoir en outre que la communication devrait être jugée irrecevable parce qu’elle ne fait apparaître aucune violation d’un droit protégé par le Pacte. L’auteur invoque une violation de l’article 26, mais sans montrer au sujet de quel droit du Pacte l’État partie est censé avoir agi de manière discriminatoire. L’État partie renvoie à l’alinéa c de sa réserve et déclare que le Pacte n’exige pas − par principe − d’un État partie qu’il engage une action en justice contre un autre État partie, et qu’il ne garantit aucun droit à la «protection diplomatique» au sens de la présente communication. C’est pourquoi, compte tenu de la réserve de l’Allemagne, la communication est irrecevable. Même si la plainte avait été fondée sur un autre article du Pacte, l’auteur n’a pas été en mesure de montrer que l’État partie avait appuyé les demandes en restitution de biens présentées par d’autres Allemands dans d’autres pays, et il n’a pas non plus montré qu’il avait été traité différemment d’autres ressortissants. L’auteur n’a donc pas étayé le moindre grief de discrimination.
4.7Enfin, l’État partie fait valoir que les événements sur lesquels est fondée la communication ont eu lieu longtemps avant l’entrée en vigueur du Pacte pour l’État partie. Le véritable motif du différend est l’expropriation des biens dont l’auteur dit qu’ils lui appartenaient, en vertu des décrets Beneš de 1945, survenue à une époque où le Pacte n’avait même pas été élaboré. L’auteur ne saurait se prévaloir des droits énoncés dans le Pacte pour réclamer une indemnisation concernant un préjudice qu’il aurait subi avant l’entrée en vigueur de cet instrument. Par conséquent, sa plainte est également irrecevable ratione temporis.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans des notes du 13 mars 2007 et du 30 août 2007, en réponse aux objections de l’État partie fondées sur le fait que la même «question» a déjà été examinée, l’auteur fait valoir que les arguments soumis à la CEDH et au Comité étaient distincts. Alors que la plainte présentée à la CEDH reposait sur «l’article 2 de l’accord de bon voisinage ainsi que l’Article 33 de la Charte des Nations Unies», sur des violations de la Loi fondamentale allemande et des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, et sur le principe du règlement pacifique des différends, la communication soumise au Comité est fondée sur l’article 26 du Pacte. Par conséquent, les deux plaintes ont des fondements juridiques différents et portent sur des demandes différentes. Devant la CEDH, l’auteur demandait un accord international entre l’État partie et la République tchèque sur la question de l’indemnisation pour les expulsions, alors que devant le Comité, il invoque des violations de droits individuels. L’auteur affirme qu’une nouvelle question est apparue depuis l’arrêt de la CEDH, compte tenu des déclarations faites par le Chancelier en 1999: jusqu’alors, un règlement amiable était envisageable, et tel était précisément l’objectif de la plainte déposée devant la CEDH. L’auteur réitère un autre argument déjà exposé au Comité et affirme que l’expulsion des Allemands des Sudètes était une forme de génocide, en soulignant que cet argument n’était pas invoqué dans sa requête à la CEDH, ce qui prouve que les deux questions n’étaient pas les mêmes. Enfin, il déclare que la portée du réexamen effectué par la CEDH est différente, étant donné que l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme est plus limité que l’article 26 du Pacte.
5.2En ce qui concerne l’interprétation que donne l’État partie du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, l’auteur affirme qu’elle est erronée. D’après lui l’affaire portée devant la CEDH n’est «pas déjà en cours d’examen» par cette instance, mais a en fait déjà été examinée. Par conséquent, cet article ne devrait pas empêcher le Comité d’examiner sa communication sur le fond. L’auteur affirme que l’État partie, dans ses observations du 18 janvier 2007, «reformule illégalement la séquence prescrite pour qu’une communication soit irrecevable». L’article 25 de la Loi fondamentale allemande dispose explicitement que le droit international génère ses propres droits et obligations pour les résidents d’Allemagne. Ces derniers peuvent donc invoquer sans réserve les droits contenus dans le Pacte. Pour l’auteur, la présente communication porte sur un manquement de l’État partie, qui ne s’est pas acquitté de son obligation de protéger les individus contre le génocide ou les crimes contre l’humanité. Face à de tels actes, les États parties ne peuvent se soustraire à leur obligation d’aucune façon: si, aux fins de la compétence du Comité, l’applicabilité du Pacte était laissée à la discrétion des États parties, qui en décideraient au moyen de réserves, les règles du droit international public et la Convention contre le génocide n’auraient plus caractère de jus cogens. Par conséquent, la réserve de l’Allemagne ne produit pas d’effets juridiques.
5.3L’auteur affirme que l’État partie a également enfreint l’article 2 du Pacte en lui refusant sa protection et en le traitant de manière discriminatoire en ce qui concerne la question de ses biens. Il renvoie à un communiqué de presse du 15 mars 2002, selon lequel le Ministre fédéral de l’intérieur de l’État partie est intervenu avec succès pour obtenir la restitution de biens de ressortissants allemands restés en Roumanie. L’auteur ajoute que la communication concerne l’égalité entre tous les membres de la famille humaine et leur dignité, telles que mentionnées dans le préambule du Pacte. Enfin, il affirme que les articles 6, 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14 et 17 du Pacte ont également été violés, parce que le refus de l’État partie d’accorder sa protection signifie que les crimes d’expulsion sont «irréversibles», ce qui revient à commettre un nouvel acte de discrimination et se faire complice du génocide.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité note que l’État partie a invoqué la réserve qu’il a émise à l’égard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, selon laquelle le Comité n’est pas compétent pour examiner les plaintes qui: a) ont été déjà «examinées» par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; b) portent sur des faits antérieurs à l’entrée en vigueur du Protocole facultatif; ou c) concernent une violation de l’article 26 dans la mesure où la violation dénoncée se réfère à des droits autres que ceux garantis dans le Pacte. Le Comité note que l’auteur invoque une violation de l’article 26 du Pacte, en se fondant sur un grief distinct de discrimination, au motif que l’État partie ne lui a pas accordé, en raison de ses origines sudètes, ce qu’il appelle «une protection diplomatique égale et efficace contre toute discrimination». Le Comité rappelle que le droit à la protection diplomatique en droit international appartient aux États et non aux individus. Les États sont libres d’exercer ou non ce droit et de déterminer dans quelles circonstances ils accordent la protection diplomatique. Si le Comité n’exclut pas que le refus par un État d’exercer le droit à la protection diplomatique peut, dans certains cas très exceptionnels, constituer une discrimination, il rappelle que toutes les différences de traitement ne sauraient être considérées comme discriminatoires au sens de l’article 26, et que cette disposition n’interdit pas les différences de traitement qui reposent sur des critères objectifs et justifiables. En l’espèce, l’auteur n’a pas montré que les personnes des Sudètes faisaient l’objet d’un traitement discriminatoire ou arbitraire, qui serait contraire à leur droit légitime d’obtenir que l’État exerce sa faculté discrétionnaire d’assurer la protection diplomatique pour soutenir leurs revendications. Il n’a pas montré, en particulier, que la décision de l’État de ne pas exercer son droit à la protection diplomatique était fondée uniquement sur les origines sudètes de l’auteur, et non sur des considérations légitimes de politique étrangère. Le Comité conclut que l’auteur n’a pas suffisamment montré, aux fins de la recevabilité, en quoi il aurait été victime d’une discrimination interdite, en raison de ses origines sudètes. Par conséquent cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu pour le Comité d’examiner la question de l’applicabilité de l’alinéa c de la réserve de l’État partie concernant l’article 26.
6.3Le Comité note que l’auteur invoque également les articles 2, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14 et 17 du Pacte, en affirmant que ces dispositions ont été violées à l’égard de sa famille, même s’il ne formule pas de plainte en leur nom. Le Comité considère que l’auteur n’a pas invoqué ces articles pour dénoncer des violations isolées du Pacte, mais simplement pour appuyer le grief qu’il tire lui‑même de l’article 26. Même si ces griefs devaient être examinés en tant qu’éléments distincts, ils n’ont pas été étayés aux fins de la recevabilité et cette partie de la communication serait donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
P. Communication n o 1524/2006, Yemelianov et consorts c. Fédération de Russie*(Décision adoptée le 22 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Albert Yemelianov et consorts (non représentés par un conseil) |
Au nom de: |
Albert Yemelianov et 33 autres personnes |
État partie: |
Fédération de Russie |
Date de la communication: |
29 août 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Droit de percevoir une pension de retraite à un taux particulier, garanti par l’État |
Questions de procédure: |
Justification des griefs |
Questions de fond: |
Procès équitable; appréciation des faits et des éléments de preuve; interprétation du droit national |
Articles du Pacte: |
2 et 14 (par. 1) |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1La communication est présentée par M. Albert Yemelianov, de nationalité russe, né en 1936, en son nom et au nom de 33 autres citoyens russes. Les auteurs se disent tous victimes de violations par la Fédération de Russie des droits que leur garantissent les paragraphes 1 et 3 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Ils ne sont pas représentés par un conseil.
1.2Le Protocole facultatif est entré en vigueur à l’égard de l’État partie le 1er janvier 1992.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Les auteurs sont des pilotes retraités de l’aviation civile russe qui résident actuellement dans la République du Tatarstan de la Fédération de Russie. À leur retraite, ils avaient droit à une pension versée par l’État. Le montant de leur pension de retraite était calculé conformément aux dispositions de la loi no 340‑1 du 20 novembre 1990, relative aux pensions de l’État dans la Fédération de Russie(«loi sur les pensions»). Dans le montant de la pension était inclus un supplément lié à la spécificité du travail des auteurs.
2.2Le 25 février 1999, une nouvelle loi a été adoptée, modifiant la loi sur les pensions de 1990 («loi d’amendement»). Cette loi a fixé un nouveau montant maximum de pension que pouvait percevoir un pilote retraité de l’aviation civile dans la situation des victimes présumées, à savoir une somme égale à 2,2 fois le «salaire mensuel moyen» dans la Fédération de Russie, ce qui était donc plus favorable aux auteurs. La loi d’amendement prévoyait toutefois aussi que, dorénavant, une partie seulement des pensions de retraite serait financée par le budget de l’État (égale à trois fois et demie la pension minimum versée aux personnes ayant atteint l’âge de la retraite). Le reste devrait être financé par les contributions reçues des compagnies aériennes concernées − le montant mensuel exact dépendant du montant des contributions trimestrielles.
2.3Les auteurs affirment n’avoir pas reçu la totalité de la pension à laquelle ils ont droit en vertu de la loi d’amendement, car le Département du Fonds de pension de la Fédération de Russie au Tatarstan a mal interprété les dispositions de la loi d’amendement lorsqu’il les a appliquées à leur cas pour recalculer leur pension.
2.4À une date non précisée, M. Yemelianov a engagé deux actions identiques (l’une en son nom et l’autre en tant qu’action collective au nom des 33 autres auteurs) devant les juridictions internes de l’État partie contre le Fonds de pension de la Fédération de Russie, aux fins de récupérer ce que les auteurs considèrent comme la totalité de leurs droits à pension. Le 6 avril 2000, le tribunal du district Sovetskiy de Kazan a rejeté sa demande. Le 27 avril 2000, le tribunal du district Moskovskiy de Kazan a rejeté l’action collective. Dans chaque cas, les tribunaux ont conclu que les pensions versées aux victimes présumées par le Fonds de pension avaient été correctement calculées en vertu de la nouvelle loi et qu’il n’y avait eu aucune violation des lois de l’État partie.
2.5Les auteurs ont fait appel de ces décisions devant la Cour suprême de la République du Tatarstan. Le 16 mai 2000 et le 4 juillet 2000 respectivement, la Cour suprême du Tatarstan a rejeté ces appels. Les auteurs affirment que la Cour suprême du Tatarstan n’a pas donné d’interprétation des lois pertinentes et n’a pas déterminé si les conclusions des tribunaux de première instance étaient correctes. Les requêtes adressées ultérieurement à la Cour suprême du Tatarstan aux fins d’un contrôle juridictionnel des décisions des tribunaux de première instance ont été rejetées le 5 juillet 2000 et le 18 août 2000.
2.6Les auteurs ont aussi saisi la Cour suprême de la Fédération de Russie aux fins de contrôle des décisions de première instance. Le 3 juillet 2001 et le 15 avril 2002 respectivement, leurs demandes ont été rejetées par la Cour suprême.
2.7Une nouvelle loi sur les pensions de l’État de la Fédération de Russie a été adoptée en 2001 et est entrée en vigueur le 1er janvier 2002. Selon ses dispositions, le montant maximum des droits à pension des auteurs restait inchangé et ne pouvait excéder 2,2 fois le salaire moyen dans la Fédération de Russie.
2.8Selon les auteurs, c’est alors, en 2002, qu’ils se sont rendu compte que la loi d’amendement de 1999 n’avait pas supprimé leur droit antérieur à un supplément de pension lié à la nature spécifique de leur profession (voir supra, par. 2.1), et ils ont conclu que, depuis 1999, ils avaient été arbitrairement privés de ce supplément par le Fonds de pension. À une date non précisée, ils ont adressé un courrier à ce propos au Fonds de pension au Tatarstan. Le 4 décembre 2002, le Vice‑Président du Fonds leur a fait savoir que leurs pensions avaient été correctement calculées.
2.9Les auteurs ont alors demandé que leur affaire soit réexaminée compte tenu de nouvelles circonstances et ont présenté des requêtes (dates exactes non précisées) devant le tribunal du district Sovetskiy et le tribunal du district Moskovskiy de Kazan. Le 28 février 2003 et le 27 mars 2003 respectivement, leurs requêtes ont été rejetées. Les auteurs ont saisi la Cour suprême du Tatarstan de recours contre ces décisions, qui ont été rejetées le 24 mars et le 28 avril 2003.
2.10À une date non précisée, les auteurs ont soumis de nouvelles requêtes au tribunal du district Moskovskiy de Kazan, en faisant valoir que le Département du Tatarstan du Fonds de pension avait fait une application incorrecte à leur cas des dispositions des lois sur les pensions de 1999 et 2001. Le 26 juin 2003, le tribunal a refusé de statuer sur leurs requêtes et leur a accordé un délai jusqu’au 10 juillet 2007 pour préciser et étayer leurs demandes. Cela n’ayant pas été fait, le tribunal a rejeté les demandes des auteurs le 14 juillet 2007. Les auteurs ont ensuite adressé de nombreux recours à la Cour suprême du Tatarstan et à la Cour suprême de la Fédération de Russie, aux fins de contrôle, mais ceux‑ci ont été rejetés. Ils ont aussi saisi en vain le Médiateur, et d’autres institutions, y compris la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie.
2.11Les auteurs ajoutent que nombre d’entre eux sont âgés et en mauvaise santé et n’ont pas les moyens de financer leurs besoins médicaux.
2.12Le 10 décembre 2001, ils ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant une violation des droits que leur confèrent les lois russes sur les pensions, ainsi que de leurs droits à un procès équitable. Le 11 mars 2004, la Cour a déclaré la requête irrecevable car elle ne révélait aucune violation des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme.
Teneur de la plainte
3.Les auteurs allèguent une violation des droits garantis par les paragraphes 1 et 3 de l’article 2 et le paragraphe 1 de l’article 14: ils auraient été victimes d’un déni de justice parce que les tribunaux, en examinant leurs réclamations concernant l’interprétation incorrecte de la loi par le Fonds de pension du Tatarstan pour recalculer leurs pensions, n’auraient pas répondu à leurs nombreuses questions; et ils n’auraient pas disposé d’un recours utile en ce qui concerne la violation de leurs droits à pension. Selon eux, l’État partie ne leur a pas accordé le montant total de la pension de retraite auquel ils estiment avoir droit en vertu de la loi puisqu’ils n’ont pas reçu la pension maximum. En outre, ils auraient été privés, sans motif légal, du supplément correspondant à la nature spécifique de leur profession. Ils affirment aussi, sans autres précisions, que les tribunaux qui ont examiné leur affaire n’étaient pas établis par la loi.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans ses observations datées du 15 février 2007 et du 30 juillet 2007, l’État partie revient sur les faits de l’espèce. L’action engagée par M. Yemelianov contre le Département du Fonds de pension de la Fédération de Russie au Tatarstan aux fins de percevoir un supplément de pension et une indemnisation a été rejetée par le tribunal du district Sovetskiy de Kazan. Cette décision a été confirmée par la Cour suprême du Tatarstan le 16 mai 2000.
4.2Le 27 avril 2000, le tribunal du district Moskovskiy de Kazan a rejeté une action collective identique engagée au nom des 33 autres victimes présumées. Cette décision a été confirmée par la Cour suprême du Tatarstan le 4 juillet 2000.
4.3Le 27 mars 2003, le tribunal du district Sovetskiy de Kazan a rejeté la requête de M. Yemelianov tendant à une réouverture de l’affaire sur la base de nouveaux éléments de preuve; cette décision a été confirmée par la Cour suprême du Tatarstan le 28 avril 2003. Le 25 septembre 2003, la Cour suprême du Tatarstan a rejeté la requête de M. Yemelianov aux fins de contrôle juridictionnel à cet égard. Une requête identique a été rejetée par la Cour suprême de la Fédération de Russie le 8 août 2005.
4.4Le 28 février 2003, le tribunal du district Moskovskiy de Kazan a rejeté la requête des 33 autres auteurs aux fins d’un réexamen de leur affaire sur la base de nouveaux éléments de preuve; cette décision a été confirmée par la Cour suprême du Tatarstan le 24 mars 2003. Le 10 octobre 2003, la Cour suprême du Tatarstan a rejeté leur requête aux fins de contrôle juridictionnel à cet égard. Cette décision a été confirmée par la Cour suprême de la Fédération de Russie le 26 octobre 2004.
4.5L’État partie affirme que chacun des nombreux griefs des auteurs a été dûment examiné par ses autorités et ses juridictions internes. La législation en vigueur sur les pensions a été appliquée régulièrement au cas des auteurs et le montant de leur pension a été correctement calculé. L’affaire a été également examinée à plusieurs reprises par le Bureau du Procureur et le Médiateur.
4.6L’État partie ajoute que, pour certaines décisions de ses tribunaux internes, les auteurs auraient pu soumettre une requête aux fins de contrôle juridictionnel mais ne l’ont pas fait.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
5.Par des lettres datées du 10 avril 2007 et du 18 novembre 2007, les auteurs ont réitéré leurs allégations précédentes. Ils ajoutent en particulier que le Bureau du Médiateur a en réalité refusé d’examiner leurs griefs en expliquant qu’il n’était pas compétent pour intervenir.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité note que bien que les auteurs aient précédemment saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête, celle‑ci a donné lieu à une décision et n’est plus soumise à la Cour. L’État partie n’a formulé aucune réserve concernant les plaintes dont l’objet a été soumis à l’examen d’une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En conséquence, les conditions énoncées au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif sont en l’espèce remplies. Le Comité constate aussi que les recours internes ont été épuisés. Alors que l’État partie a affirmé que les victimes présumées n’avaient pas sollicité un contrôle juridictionnel de certaines décisions, le Comité rappelle sa jurisprudence et son Observation générale no 32, selon lesquelles un tel système de contrôle ne constitue pas un recours utile aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5.
6.3Le Comité prend note de la simple affirmation des auteurs selon laquelle leurs griefs ont été examinés par des tribunaux qui n’étaient pas établis par la loi. En l’absence de toute autre information pertinente à cet égard, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’être suffisamment étayée.
6.4Le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle ils auraient subi un déni de justice parce que les tribunaux, lorsqu’ils ont examiné leur demande, n’auraient pas appliqué correctement les lois pertinentes, et n’auraient pas répondu à leurs nombreuses questions. En conséquence, ils n’auraient pas disposé d’un recours utile en ce qui concerne la violation de leurs droits à pension. Le Comité observe qu’en l’espèce les auteurs visent essentiellement, dans leur communication, à contester l’appréciation des faits et des éléments de preuve et l’interprétation du droit interne auxquelles ont procédé les juridictions de l’État partie. Il renvoie à sa jurisprudence et fait observer que c’est aux juridictions des États parties, et non à lui‑même, qu’il appartient généralement de réexaminer ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve, ou d’examiner l’interprétation que donnent du droit interne les juridictions nationales, sauf s’il peut être établi que la conduite des procédures, l’appréciation des faits et éléments de preuve ou l’interprétation de la législation ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne lui permettent pas de conclure que la conduite de la procédure judiciaire dans le cas des auteurs a été entachée de telles irrégularités. En conséquence, et en l’absence de toute autre information pertinente, le Comité estime que les griefs des auteurs ne sont pas suffisamment étayés et sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée aux auteurs de la communication et à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
Q. Communication n o 1527/2006, Conde Conde c. Espagne*(Décision adoptée le 1 er avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
Mario Conde Conde (représenté par un conseil, José Luis Mazón Costa) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la communication: |
1er septembre 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Soumission d’une affaire déjà examinée par le Comité dans le cadre d’une autre communication |
Questions de procédure: |
Abus du droit de présenter une communication |
Questions de fond: |
Aucune |
Article du Pacte: |
14 (par. 1) |
Article du Protocole facultatif: |
3 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er avril 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication, datée du 1er septembre 2006, est Mario Conde Conde, de nationalité espagnole, né en 1948. Il se dit victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, José Luis Mazón Costa.
Exposé des faits
2.1L’auteur, ancien Président du Banco Español de Crédito (Banesto), a été condamné le 31 mars 2000 par l’Audiencia Nacional pour deux délits d’appropriation indue et de détournement de fonds. En cassation, le Tribunal suprême a infirmé partiellement cette décision, condamnant également l’auteur pour un délit supplémentaire d’appropriation indue et de faux en écritures de commerce, et augmentant la peine en conséquence.
2.2L’auteur a présenté une communication en vertu du Protocole facultatif le 7 janvier 2003, invoquant une violation du paragraphe 5 de l’article 14 pour les raisons suivantes: a) le Tribunal suprême n’avait pas procédé à une véritable révision de la décision prononcée par l’Audiencia Nacional et n’avait examiné que des points de procédure; b) il n’avait pas eu la possibilité d’obtenir la révision de la condamnation et de l’aggravation de la peine prononcées par le Tribunal suprême. Le 31 octobre 2006, le Comité a déclaré que la première partie de la communication était non recevable compte tenu du jugement du Tribunal suprême, qui avait examiné de façon approfondie et minutieuse l’appréciation des preuves effectuée par le tribunal de première instance et avait eu un avis différent en partie de l’appréciation de l’Audiencia Nacional concernant deux des chefs d’inculpation. Pour ce qui est du second grief, le Comité a estimé que la condamnation de l’auteur pour deux chefs d’accusation pour lesquels il avait été acquitté en première instance, et l’aggravation de sa peine qui en est résulté, sans possibilité d’examen par une juridiction supérieure, constituaient une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.
Teneur de la plainte
3.Se référant à la même affaire, l’auteur déclare maintenant être victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, parce que les personnes qui ont témoigné au cours de son procès auraient été partiales, puisqu’elles avaient déjà témoigné devant le procureur.
Délibérations du Comité
4.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2Le Comité relève que l’auteur a déjà présenté une communication, fondée sur exactement les mêmes faits que ceux exposés ci-dessus, et que cette communication a été examinée par le Comité le 31 octobre 2006. Il note en outre que l’auteur n’a ni présenté de nouveaux faits survenus depuis cette date, ni fourni d’explication sur les raisons pour lesquelles il n’a pas été à même de présenter ce grief au moment de la soumission de la communication initiale. Dans ces circonstances, le Comité considère que la présente communication constitue un abus du droit de présenter une communication et la déclare irrecevable au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.
4.3En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie, à l’auteur et à son conseil.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Note
R. Communication n o 1528/2006, Fernández Murcia c. Espagne*(Décision adoptée le 1 er avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
Pedro José Fernández Murcia (représenté par un conseil, José Luis Mazón Costa) |
|
Au nom de: |
L’auteur |
|
État partie: |
Espagne |
|
Date de la communication: |
26 juillet 2006 (date de la lettre initiale) |
|
Objet: |
Décision du Tribunal suprême déclarant irrecevable un pourvoi en cassation |
|
Questions de procédure: |
Réévaluation de l’application de la législation nationale |
|
Questions de fond: |
Égalité devant les tribunaux |
|
Articles du Pacte: |
14 (par. 1), 26 |
|
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er avril 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication, datée du 26 juillet 2006, est Pedro José Fernández Murcia, de nationalité espagnole, né en 1952. Il se dit victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa.
Exposé des faits
2.1L’auteur de la communication et son épouse étaient défendeurs dans une procédure civile visant à faire annuler l’enregistrement de la propriété d’un terrain acquis en 1987. Les propriétaires initiaux (M. R. M. et F. I. D.) étaient également défendeurs dans la même procédure. La plainte avait été déposée par M. José Torrico, qui alléguait avoir précédemment acheté le même bien à une société dans le cadre d’un contrat privé, sans enregistrer l’acquisition auprès des autorités.
2.2Cette procédure civile découlait d’une action antérieure engagée devant le même juge et dans laquelle M. Torrico avait obtenu la reconnaissance de la validité d’un contrat privé concernant l’acquisition de plusieurs terrains, dont certains avaient été vendus à l’auteur.
2.3Le 8 février 2000, le Tribunal de première instance no 2 (Juzgado de Primera Instancia) de Murcie a classé l’affaire. M. Torrico a fait appel devant l’Audiencia Provincial de Murcie qui a annulé la décision le 23 mai 2000. L’Audiencia Provincial a considéré que l’auteur n’avait pas acheté le terrain de bonne foi, de nombreuses preuves attestant qu’il savait que le bien appartenait à M. Torrico. Elle a donc ordonné que l’enregistrement du bien aux noms de l’auteur et de son épouse soit déclaré nul et non avenu. La décision de l’Audiencia Provincial spécifiait que le jugement n’était pas susceptible de cassation.
2.4L’auteur s’est néanmoins pourvu en cassation. Toutefois, le 10 juin 2003, le Tribunal suprême a déclaré que le jugement rendu par l’Audiencia Provincial ne relevait d’aucune des catégories de jugements susceptibles de recours en cassation en vertu de l’article 1687 de la loi de procédure civile. Le Tribunal a estimé que, même si le jugement, dans une mention incidente, requalifiait l’affaire en «demande mineure» (juicio de menor cuantía), catégorie visée par l’article 1687, l’affaire relevait en réalité de l’article 198 de la loi sur les biens fonciers (Reglamento Hipotecario), qui ne prévoit pas la possibilité d’un pourvoi en cassation.
2.5L’auteur n’a pas formé de recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel. En revanche, ses codéfendeurs dans la procédure initiale l’ont fait, en faisant valoir que le refus du Tribunal suprême d’examiner au fond le recours en cassation constituait une violation du droit à une procédure régulière garanti par la Constitution. Le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours le 17 janvier 2005, concluant que la décision du Tribunal suprême n’était pas arbitraire ni manifestement erronée. Selon l’auteur, cette décision prouve que le recours en amparo ne constituait pas un recours utile et que, conformément à la jurisprudence du Comité dans les affaires Gómez Vásquez et Joseph Semey, contre l’Espagne, il n’était pas nécessaire d’épuiser des recours qui n’avaient aucune chance d’aboutir.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que le refus du Tribunal suprême d’accueillir son pourvoi constitue une violation du droit à l’égalité devant les tribunaux, garanti au paragraphe 1 de l’article 14 et à l’article 26 du Pacte, parce qu’il est discriminatoire et arbitraire.
3.2L’article 1687 de la loi de procédure civile dispose qu’il est possible de se pourvoir en cassation contre les décisions concernant des questions incidentes (autos) prises en appel par les tribunaux pour l’exécution de jugements qui sont eux-mêmes susceptibles de cassation, lorsque les décisions rendues donnent des éclaircissements sur les questions de fond non controversées dans la procédure principale, ou sur lesquelles il n’a pas été statué dans le jugement, ou qui allaient à l’encontre de ce jugement.
3.3Dans l’affaire à l’examen, bien que l’auteur se soit pourvu en cassation, non pas contre une décision (auto) mais contre un jugement, le jugement en question avait néanmoins été prononcé dans le contexte de la procédure antérieure, dans laquelle M. Torrico avait obtenu la reconnaissance de la validité d’un contrat privé concernant l’acquisition de plusieurs biens. Le jugement concernait une question qui n’avait pas été tranchée dans la procédure principale et par conséquent le Tribunal suprême aurait dû interpréter l’article 1687 de façon à faire droit au pourvoi. Une telle interprétation aurait empêché la discrimination tenant au fait que les décisions (autos) sont susceptibles de cassation mais non les jugements.
3.4L’auteur demande au Comité de constater une violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26. Il devrait également demander à l’État partie de respecter le droit à un recours utile énoncé au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte en déclarant que l’auteur a le droit de se pourvoir en cassation et de recevoir une indemnisation.
Délibérations du Comité
4.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
4.3Le Comité doit déterminer si l’État partie a porté atteinte aux droits de l’auteur en vertu du Pacte parce que le Tribunal suprême n’a pas accueilli le pourvoi en cassation de ce dernier. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante et réaffirme qu’il n’est pas une dernière instance compétente pour examiner les conclusions de fait ou l’application de la législation nationale, sauf s’il peut être établi que les procédures suivies par les juridictions nationales ont été arbitraires ou ont représenté un déni de justice. L’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, que la conduite du Tribunal avait été arbitraire ou avait constitué un déni de justice. La communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
4.4En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie, à l’auteur et à son conseil.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Note
S. Communication n o 1534/2006, Pham c. Canada*(Décision adoptée le 22 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
The-Trinh Pham (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Canada |
Date de la communication: |
18 juillet 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Licenciement de l’auteur pour motifs discriminatoires |
Questions de procédure: |
Réévaluation des faits et des preuves |
Questions de fond: |
Droit à un procès équitable; discrimination |
Articles du Pacte: |
14 et 26 |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication, reçue le 18 juillet 2006, est The-Trinh Pham, de nationalité canadienne, né le 21 juillet 1951 au Vietnam. Il affirme être victime de violations par le Canada des articles 14 et 26 du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour le Canada le 19 août 1976.
Rappel des faits tels que présentés par l’auteur
2.1L’auteur était un analyste en informatique à Hydro-Québec depuis mai 1981. Jusqu’en 1986, il obtient d’excellentes évaluations de ses supérieurs. Après cette date, il est accusé d’avoir des difficultés de communication avec ses collègues de travail. Dans le cadre d’une réorganisation de l’entreprise en 1989, il est mis en disponibilité et invité à se relocaliser dans un autre poste dans un délai de douze mois. Pendant sept ans, il est assigné à divers emplois ou stages dans le domaine de l’informatique. Il postule à de nombreux postes vacants, mais sans succès. Les motifs invoqués par les superviseurs sont divers. Certains tiennent aux compétences jugées inadéquates de l’auteur, d’autres à ses évaluations antérieures négatives. Dans certains cas, son handicap est mentionné. Le 9 février 1996, l’auteur est finalement licencié. Il décide alors d’initier trois procédures différentes contre Hydro-Québec: une devant la Commission des normes du travail, une devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et une dernière devant la Cour supérieure pour dommages et intérêts.
2.2Le 20 février 1996, l’auteur intente un recours à la Commission des normes du travail sous l’article 124 de la Loi sur les normes du travail du Québec. Il se plaint de son licenciement «sans cause juste et suffisante» et réclame sa réintégration. Le Commissaire du travail aurait décliné sa compétence concernant la discrimination puisque cette plainte a été portée devant une autre juridiction (voir par. 2.3 ci-dessous). Par conséquent, le sujet de la discrimination n’aurait pas été abordé. Le 10 février 1998, le commissaire du travail rejette la plainte du demandeur. Le 16 juin 1998, la Cour supérieure rejette la requête en révision de l’auteur. Le 10 mai 2001, la Cour d’appel du Québec rejette l’appel de l’auteur. Le 7 février 2002, la Cour suprême rejette la demande d’autorisation d’appel de l’auteur.
2.3Le 16 mars 1996, l’auteur dépose une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). Il allègue avoir subi une discrimination sur la base de la race, de la couleur, de l’origine ethnique ou nationale et du handicap. Le 17 février 2000, la CDPDJ décide de fermer le dossier au motif que l’auteur a exercé, pour les mêmes faits, un autre recours devant la Commission des normes du travail. Le 20 mars 2000, l’auteur dépose une requête en révision devant la Cour supérieure pour demander que son dossier soit transféré devant le Tribunal des droits de la personne (TDPQ). Le 31 août 2000, cette requête est rejetée. Le 27 octobre 2000, la Cour d’appel du Québec rejette l’appel de l’auteur.
2.4Le 21 janvier 1999, l’auteur dépose en parallèle une plainte devant la Cour supérieure pour dommages et intérêts contre Hydro-Québec. À la suite de la décision de la Cour supérieure du 31 août 2000 dans la seconde procédure mentionnée ci-dessus (par. 2.2), l’auteur amende sa déclaration devant la Cour supérieure pour réunir les causes d’action qui comprennent désormais le délai-congé, les dommages moraux, la discrimination et la fraude. Le 7 mai 2003, la Cour supérieure déclare la requête irrecevable estimant qu’il y a «chose jugée quant au délai-congé et la discrimination». L’auteur fait appel de ce jugement devant la Cour d’appel du Québec. Le 13 avril 2004, la Cour d’appel rejette l’appel. Le 28 octobre 2004, la Cour suprême du Canada rejette la demande d’autorisation d’appel de l’auteur.
Teneur de la plainte
3.L’auteur estime qu’il a été victime de discrimination et que les juges ont usé divers subterfuges pour bloquer son accès légitime aux tribunaux. Il demande au Comité de déclarer qu’il est victime de violations par l’État partie des articles 14 et 26 du Pacte et que l’État partie indemnise l’auteur pour tous les dommages qu’il a subis.
Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication
4.1Le 31 juillet 2007, l’État partie estime que la communication est irrecevable pour les raisons suivantes. Tout d’abord, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes puisqu’il n’a pas soulevé devant les instances nationales les violations des droits dont il se plaint dans sa communication au Comité. En ce qui concerne la prétendue partialité du commissaire du travail, l’État partie estime que l’auteur aurait pu contester cette partialité de différentes façons. Il aurait pu déposer une requête en récusation à l’encontre du commissaire; il aurait pu déposer une requête en révision ou en révocation de la décision du commissaire au Bureau du commissaire général du travail; et il aurait pu déposer une requête en révision judiciaire de la décision du commissaire. Même si l’auteur a bien déposé une requête en révision judiciaire, cette requête n’a pas soulevé la question du comportement du commissaire ni à l’attention de la Cour supérieure, ni à celle de la Cour d’appel du Québec. Enfin, il aurait pu déposer une requête relative à l’indépendance institutionnelle du Commissaire du travail.
4.2En ce qui concerne la Commission des droits de la personne, l’État partie note que la Commission est un organisme administratif qui n’est pas visé par l’article 14 du Pacte. Cette qualification de la nature juridique de la Commission a été réaffirmée dans les décisions de la Cour supérieure du 31 août 2000 et de la Cour d’appel du 27 octobre 2000. L’État partie note que l’auteur n’a pas fait appel de la décision de la Cour d’appel. Il demande à ce que le Comité ne traite pas les allégations de l’auteur à l’encontre de la Commission au motif que celle-ci n’est pas un tribunal au sens de l’article 14 du Pacte.
4.3En ce qui concerne les juges et les tribunaux supérieurs, l’État partie affirme que l’auteur n’a jamais intenté de recours devant les tribunaux nationaux à l’encontre des juges des tribunaux supérieurs concernant les droits protégés à l’article 14 du Pacte. Il aurait pu déposer une requête en récusation d’un juge de la Cour supérieure du Canada, une requête en récusation d’un juge de la Cour d’appel du Québec ou une plainte devant le Conseil canadien de la magistrature.
4.4En ce qui concerne l’article 26, l’État partie estime que l’auteur n’apporte pas dans sa communication les éléments requis eu égard aux droits protégés à l’article 26 et que ses allégations concernent plutôt les droits protégés à l’article 14. Il n’a donc pas étayé suffisamment sa communication aux fins de recevabilité. De plus, l’auteur n’a intenté à aucun moment de recours en droit interne pour contester une disposition législative ou réglementaire qui irait à l’encontre des droits protégés par l’article 26 du Pacte.
4.5Deuxièmement, l’État partie fait valoir que les demandes de l’auteur sont incompatibles avec les dispositions du Pacte en ce qu’elles consistent essentiellement à demander au Comité la révision des jugements des tribunaux nationaux le concernant. En effet, l’auteur critique essentiellement l’appréciation des témoignages et des preuves faite par le commissaire du travail dans sa décision du 10 février 1998. L’État partie rappelle que le Comité n’est pas lui-même une juridiction d’appel. En ce qui concerne l’action de l’auteur en dommages-intérêts devant la Cour supérieure, il note que l’auteur demande au Comité de déterminer si les règles de droit ont été dûment interprétées et appliquées par les tribunaux nationaux, ce qui n’est pas le rôle du Comité. L’auteur n’apporte aucun élément indiquant que les décisions faisant l’objet de ses allégations étaient entachées de quelconques irrégularités justifiant l’intervention du Comité. L’État partie estime que le simple fait que la justice n’ait pas donné raison à l’auteur ne signifie pas qu’il n’ait pas eu droit à un procès équitable, ni à une égale protection de la loi. La communication est donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
4.6Finalement, l’État partie soutient que les allégations de l’auteur au sujet du système judiciaire ne sont pas suffisamment étayées. Ces allégations ont un caractère général et l’auteur n’apporte aucun élément de preuve à l’appui. Les allégations de l’auteur portant sur l’impartialité et l’indépendance des tribunaux nationaux, notamment du commissaire du travail, sont des accusations générales de partialité. Quant aux allégations de l’auteur sur l’accès aux tribunaux nationaux, la simple lecture des 11 décisions et jugements rendus suite aux procédures initiées par l’auteur révèlent qu’il a eu accès aux différentes instances et tribunaux nationaux. En ce qui concerne ses prétentions que les tribunaux nationaux ne lui ont pas assuré un traitement égal et conforme à la loi, l’État partie rappelle que la communication ne contient aucun fait démontrant que l’auteur a reçu un traitement différent de celui des autres justiciables du Québec se trouvant dans une situation analogue. L’auteur reproche également à la Cour d’appel du Québec de porter atteinte à son droit d’être entendu équitablement. Toutefois, l’État partie note que l’auteur a bénéficié largement de l’opportunité d’être entendu par la Cour d’appel du Québec puisque l’audience a duré toute une matinée au lieu d’une heure. La communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
4.7Subsidiairement, l’État partie soutient que la communication est sans fondement.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Le 28 janvier 2008, l’auteur rappelle qu’il a porté plainte devant le Comité principalement pour les quatre griefs suivants: la plainte sur la discrimination fondée sur la langue, le handicap et sur le harcèlement devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ); la réclamation pour la discrimination; la réclamation pour la fraude et la réclamation pour le délai-congé. Il insiste qu’il a épuisé les voies de recours internes. Il fait valoir qu’il n’avait aucune raison qui lui permettait de réclamer une requête en récusation à l’encontre du commissaire du travail puisque c’est seulement dans la lecture de sa décision qu’il a réalisé que le commissaire avait agi de manière partiale. Il a contesté la décision, mais sans succès. En ce qui concerne les recours en droit interne concernant les juges et les tribunaux supérieurs, il rappelle que la conduite et l’attitude des juges étaient respectueuses et qu’il n’y avait donc aucun fondement qui permettait de réclamer une récusation. Quant à la suggestion de l’État partie qu’il aurait pu se plaindre auprès du Conseil canadien de la magistrature, l’auteur note que les plaintes contre les juges ne permettent pas de renverser les jugements. Tous les recours proposés par l’État partie sont des procédures «futiles» qui n’ont aucune chance de réussir. En ce qui concerne l’article 26 du Pacte, l’auteur rappelle que la CDPDJ a refusé d’exercer sa compétence à l’égard d’un motif fondé sur la discrimination. Bien que l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas intenté de recours en droit interne pour contester une disposition législative ou réglementaire qui irait à l’encontre des droits protégés par l’article 26, l’auteur soutient que ce n’est pas un recours qui lui reste ouvert dans la mesure où la Cour d’appel et le Cour suprême ont déjà fermé le dossier.
5.2En ce qui concerne la plainte sur la discrimination à la CDPDJ, l’auteur réitère que la décision de la CDPDJ de fermer le dossier avant de terminer son enquête est arbitraire. Il rappelle que le Comité a recommandé à l’État partie de modifier sa législation afin de garantir à tous les plaignants en matière de discrimination l’accès à la justice et à des recours utiles. Il estime que la CDPDJ a un pouvoir incontestable de filtrage et que l’État partie a exercé dans le cas présent un contrôle arbitraire et sans appel sur l’accès au Tribunal des droits de la personne. Puisque l’appréciation des éléments de preuve et l’application de la législation interne des tribunaux et de la CDPDJ étaient manifestement arbitraires et représentent un déni de justice, le Comité est compétent pour intervenir.
5.3En ce qui concerne la réclamation pour la discrimination, l’auteur note que l’État partie n’a pas fait d’observations sur le fond de la question. Il rappelle que le juge de la Cour supérieure a commis de nombreuses erreurs dans sa décision du 7 mai 2003. Ce juge n’a pas vérifié les éléments de preuve véritablement exposés devant le commissaire du travail. Il a assumé que le commissaire avait traité la question de la discrimination. Il n’a pas tenu compte de plusieurs éléments de preuve favorables au demandeur. Enfin, il a allégué que l’auteur avait réclamé devant le commissaire des indemnités pour la discrimination, ce qui est incorrect. L’auteur fait donc valoir que le jugement du juge est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. Quant au recours devant la Cour d’appel, l’auteur rappelle que la Cour n’a fait aucune analyse pour démontrer les raisons du rejet des prétentions de l’auteur et qu’elle a été sélective dans l’examen des preuves. Il estime que les jugements de la Cour supérieure du 7 mai 2003 et de la Cour d’appel du 23 avril 2004 sont brefs et que leur absence de motivation en fait et en droit équivalent à une violation des règles de justice naturelle et de l’article 14 du Pacte. Il affirme que les tribunaux nationaux ont refusé de manière arbitraire l’accès à un recours utile pour un jugement de fond pour cette cause de discrimination fondée sur le handicap du demandeur en violation des articles 2 et 26 du Pacte.
5.4En ce qui concerne la réclamation pour fraude (dissimulation de preuves, fabrication de faux et entrave à la justice), l’auteur note que l’État partie n’a fait aucune observation sur cette question. Il considère que la décision de la Cour d’appel est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. Il soumet qu’il a été victime d’une fraude et qu’il lui a été impossible d’avoir accès à la justice.
5.5En ce qui concerne la réclamation pour le délai-congé, l’auteur note à nouveau que l’État partie n’a fait aucune observation sur le fond de cette cause d’action. Il estime que la Cour d’appel a erré en fait et en droit.
Commentaires supplémentaires de l’État partie
6.1Le 30 juin 2008, l’État partie insiste sur le fait que la communication est irrecevable. Il souhaite apporter des précisions quant aux recours statuant sur la perte d’emploi et la discrimination en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes de travail. Cette disposition législative permet à un salarié qui justifie de trois ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante de soumettre une plainte par écrit à la Commission des normes du travail. Le Commissaire du travail doit évaluer l’ensemble des circonstances de chaque cas afin de déterminer le caractère juste et équitable de la mesure prise par l’employeur. Après onze jours d’audition, le Commissaire du travail a jugé que la preuve était prépondérante à l’effet que l’auteur avait perdu son emploi suite à un congédiement administratif et non du fait d’une discrimination. Il a conclu que l’auteur n’était pas victime d’un congédiement sans cause juste et suffisante.
6.2L’État partie rappelle que la Cour supérieure s’est aussi prononcée sur la question de l’examen de la discrimination alléguée par l’auteur. Elle a noté que la question de la discrimination avait été fréquemment abordée lors des audiences devant le Commissaire du travail. L’auteur a porté l’affaire en appel plusieurs fois. Il a également saisi d’autres instances sur les mêmes questions. Il a donc effectivement eu accès à des recours utiles devant les tribunaux de droit interne. Ces derniers ne lui ont pas donné raison sur le fond des questions qui étaient soumises à leur attention. L’État partie fait valoir que l’auteur est clairement insatisfait quant aux résultats des recours utilisés en droit interne. Toutefois, il rappelle que le Comité n’est pas une instance d’appel.
6.3L’État partie constate qu’à l’instar des allégations formulées dans la communication initiale le fondement des allégations présentées par l’auteur dans ses commentaires repose également sur l’appréciation des faits et de la preuve soumise devant les tribunaux nationaux. L’auteur demande essentiellement au Comité la révision des jugements des tribunaux nationaux.
6.4L’État partie répète que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. L’auteur allègue que tous les recours non utilisés étaient à ses yeux inutiles et futiles, mais il n’a pas démontré en quoi les recours proposés étaient inutiles.
Délibérations du Comité
7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
7.3En ce qui concerne la plainte concernant la discrimination, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’apporte pas dans sa communication les éléments requis eu égard aux droits protégés à l’article 26 et que ses allégations concernent plutôt les droits protégés à l’article 14. Le Comité constate que l’auteur n’apporte aucun élément de preuve de nature à démontrer qu’il aurait été victime de discrimination et qu’il se contente principalement de contester l’appréciation des preuves et l’application de la législation interne par les tribunaux nationaux. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas, aux fins de la recevabilité de sa communication, suffisamment étayé ses allégations au titre de l’article 26 et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.4En ce qui concerne les griefs de l’auteur quant à l’appréciation des éléments de preuve par les tribunaux nationaux, le Comité note que l’auteur demande essentiellement la révision des jugements des tribunaux nationaux le concernant. Il rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’évaluer les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation interne, dans un cas particulier, sauf s’il peut être établi que l’évaluation est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que les procédures devant les autorités de l’État partie aient été entachées de telles irrégularités. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas, aux fins de la recevabilité de sa communication, suffisamment étayé ses allégations au titre de l’article 14 et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
8.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
T. Communication n o 1543/2007, Aduhene et Agyeman c. Allemagne*(Décision adoptée le 22 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Aduhene Claudia et Agyeman Daniel(non représentés par un conseil) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Allemagne |
Date de la communication: |
14 décembre 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Expulsion |
Questions de procédure: |
Recevabilité |
Questions de fond: |
Protection de la famille; immixtion dans la vie familiale |
Articles du Pacte: |
6 (par. 1), 17 (par. 1) et 23 (par. 1 et 2) |
Articles du Protocole facultatif: |
2 et 5 (par. 2 b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1Les auteurs de la communication sont Claudia Aduhene et son mari Daniel Agyeman, tous deux ressortissants ghanéens. Mme Aduhene réside à titre permanent en Allemagne. M. Agyeman a été expulsé vers le Ghana le 6 juin 2007. Les auteurs se déclarent victimes de violations par l’Allemagne des articles 6, paragraphe 1, 17, paragraphe 1, et 23, paragraphes 1 et 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils ne sont pas représentés par un conseil.
1.2Le 23 janvier 2007, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, le Comité des droits de l’homme a rejeté une demande de mesures provisoires de protection au titre de l’article 92 de son règlement intérieur. Le 27 avril 2007, le Rapporteur spécial a décidé d’examiner la question de la recevabilité de la communication indépendamment du fond.
Rappel des faits exposés par les auteurs
2.1Vers 1987, Mme Aduhene s’est installée en Allemagne où elle a obtenu un titre de séjour permanent. En 2002, elle a rencontré M. Agyeman au Ghana, et l’a épousé au Danemark le 3 novembre 2005. En 2004, on a diagnostiqué qu’elle était atteinte d’une «maladie chronique», qui la rendait inapte au travail. Elle a besoin de quelqu’un qui l’aide dans sa vie quotidienne, et jusqu’à ce qu’il soit expulsé, M. Agyeman, qui était au chômage, jouait ce rôle. Mme Aduhene affirme qu’elle ne peut pas rejoindre son mari au Ghana car elle n’y trouverait pas le traitement médical dont elle a besoin.
2.2Le 5 décembre 2005, M. Agyeman a présenté une demande de permis de séjour au Bureau de l’immigration, à Berlin, en tant que conjoint d’une personne résidant légalement dans le pays. Le 14 février 2006, le Bureau de l’immigration a rejeté la demande du requérant au motif qu’il ne disposait pas de revenus réguliers, conformément au S5 Abs. 1 no 1 de la loi sur la résidence (AufenthaltsG), et l’a informé qu’il serait expulsé s’il ne quittait pas l’État partie de son plein gré. Le 14 mars 2006, M. Agyeman a attaqué cette décision devant le tribunal administratif de Berlin et sollicité la suspension de son expulsion. Le 25 avril 2006, le tribunal administratif a refusé de suspendre l’expulsion au motif que l’intéressé ne pouvait légalement prétendre à un titre de séjour. Le 26 juin 2006, la Cour administrative supérieure a confirmé cette décision. Plusieurs autres demandes visant à suspendre l’effet immédiat de la décision du Bureau de l’immigration ont été rejetées. Le 30 août 2006, la Cour constitutionnelle fédérale a rejeté une plainte constitutionnelle. Le 17 octobre 2006, c’est la Cour constitutionnelle de Berlin qui a rejeté une plainte constitutionnelle au motif qu’elle était irrecevable.
Teneur de la plainte
3.Mme Aduhene invoque l’article 6 pour affirmer que son droit de vivre une «vie normale» a été violé depuis l’expulsion de son mari, qui était son principal auxiliaire de vie. Les auteurs soutiennent que l’expulsion de M. Agyeman a constitué une ingérence dans leur vie familiale et les a privés de leur droit d’être mariés et de vivre ensemble, en violation des articles 17 et 23, paragraphes 1 et 2.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Le 24 avril 2007, l’État partie a estimé que la communication était irrecevable pour non‑épuisement des recours internes. En ce qui concerne les faits, il confirme que Mme Aduhene est titulaire d’un titre de séjour permanent qui l’autorise à vivre dans l’État partie, mais que M. Agyeman n’a jamais disposé d’un tel titre. Il affirme ignorer quand et de quelle manière l’intéressé est entré sur son territoire.
4.2En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie soutient que Mme Aduhene n’a saisi les tribunaux d’aucune demande ou requête en son nom propre et qu’elle n’a donc pas épuisé les recours internes à cet égard. Pour ce qui est des actions engagées par M. Agyeman, il estime que, bien que celui‑ci ait attaqué la décision de la Cour administrative supérieure de Berlin le 26 juin 2006 devant la Cour constitutionnelle, sa plainte a été déposée après le délai imparti d’un mois, qui court à compter de la notification de la décision du tribunal administratif, conformément à l’article S93 de la loi relative à la Cour constitutionnelle fédérale (BVerfGG). La décision de la Cour administrative supérieure a été adressée au représentant de M. Agyeman le 28 juin 2006, mais M. Agyeman n’a déposé plainte que le 13 août 2006. La Cour constitutionnelle fédérale a donc refusé de l’examiner. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle la communication est irrecevable lorsqu’un plaignant n’a pas engagé les recours disponibles en droit interne dans les délais impartis.
4.3En outre, l’État partie fait valoir que M. Agyeman n’a pas avancé d’arguments, même rudimentaires, pour étayer la plainte qu’il a adressée à la Cour constitutionnelle. Il s’est contenté d’indiquer qu’il souhaitait engager une action devant les juridictions administratives, sans mentionner un quelconque droit fondamental particulier qu’il estimait avoir été violé, ni la nature de la violation alléguée. L’État partie précise que la Cour constitutionnelle ne connaît que des violations de la Constitution. M. Agyeman n’ayant pas respecté les règles de procédure internes, il est lui‑même responsable de l’échec de sa requête. L’État partie fait également valoir que l’intéressé n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne les procédures ultérieures devant les juridictions administratives. En effet, il n’a pas déposé de plaintes constitutionnelles au sujet des décisions du tribunal administratif de Berlin du 20 septembre 2006 et de la Cour administrative supérieure de Berlin d’octobre 2006.
Commentaires des auteurs
5.1Le 25 mai et le 21 juin 2007, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie. Mme Aduhene indique que dans la demande qu’elle a adressée au Bureau de l’immigration afin de solliciter un visa pour son mari, elle a précisé qu’elle avait besoin de son aide dans ses activités quotidiennes du fait de son incapacité physique. Les autorités allemandes ont rejeté sa demande au motif que, bien que malade, elle n’était pas considérée comme handicapée. Mme Aduhene rejette cette appréciation et fournit une lettre, datée du 1er avril 2007, émanant du Bureau régional de Berlin centre, censée démontrer qu’elle est handicapée. Elle reconnaît bénéficier des services d’un auxiliaire de vie, qui vient à certains moments de la journée, mais affirme qu’il serait préférable que ce soit son mari.
5.2En ce qui concerne ce dernier, elle fait valoir qu’après avoir passé cinq mois en prison, il a été expulsé le 6 juin 2007. M. Agyeman souhaite maintenir sa plainte. Les auteurs nient qu’ils n’ont pas épuisé les recours internes. Ils affirment que M. Agyeman a adressé son recours immédiatement à la Cour constitutionnelle fédérale mais, la représentation juridique étant obligatoire devant cette juridiction, il a dû rechercher une assistance juridictionnelle, raison pour laquelle son recours a ensuite été rejeté. Ni lui ni sa femme n’étant juristes, ils n’étaient pas en mesure de se représenter eux‑mêmes correctement. M. Agyeman avait sollicité une assistance juridictionnelle et sa demande avait été rejetée. Pour ce qui est des décisions du 20 septembre et d’octobre 2006, les auteurs font valoir qu’il n’était pas possible de les attaquer parce qu’elles ne pouvaient pas faire l’objet d’un recours.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes. Il constate que Mme Aduhene ne conteste pas qu’elle n’a pas engagé d’action judiciaire en son nom propre. Quant à M. Agyeman, il a effectivement attaqué la décision de la Cour administrative supérieure de Berlin, du 26 juin 2006, devant la Cour constitutionnelle fédérale. Toutefois, le Comité prend acte de l’argument avancé par l’État partie pour qui l’affaire n’a pas été acceptée par cette juridiction parce que M. Agyeman n’avait pas présenté sa requête dans les délais impartis, ni fait référence à la violation de l’un quelconque de ses droits fondamentaux, ni expliqué dans sa requête en quoi ceux‑ci avaient été violés. Si la raison pour laquelle l’affaire n’a pas été acceptée par la Cour constitutionnelle n’est pas très claire, en revanche il ressort sans ambiguïté de la décision qu’elle a été rejetée pour vice(s) de procédure. Estimant qu’il incombe au requérant lui‑même de respecter les règles de procédure raisonnables, le Comité considère par conséquent qu’on ne saurait conclure que l’un ou l’autre des auteurs a épuisé les recours prévus par la législation de l’État partie. Le Comité déclare donc que la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes en vertu des articles 2 et 5 du paragraphe 2 b) du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
U. Communication n o 1562/2007, Kibale c. Canada*(Décision adoptée le 22 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Guillaume Kibale (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Canada |
Date de la communication: |
23 août 2005 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Non-nomination de l’auteur à des postes pour des motifs discriminatoires |
Questions de procédure: |
Réévaluation des faits et des preuves |
Questions de fond: |
Discrimination; droit d’accéder dans des conditions générales d’égalité aux fonctions publiques de son pays; droit à un procès équitable; droit à un recours effectif |
Articles du Pacte: |
2, 14, 25 et 26 |
Articles du Protocole facultatif: |
2 et 3 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication, reçue le 23 août 2005, est Guillaume Kibale, de nationalité canadienne et d’origine franco-zaïroise, né en 1941 à Marseille en France. Il affirme être victime de violations par le Canada des articles 2(1), 14, 25(c) et 26 du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour le Canada le 19 août 1976.
Exposé des faits
2.1En 1981 et 1988, l’auteur a passé deux concours de recrutement dans la fonction publique à l’issue desquels il n’a pas obtenu de poste.
Concours de 1981 au Ministère canadien des transports et les procédures relatives à ce concours
2.2En mai 1981, la Commission de la fonction publique du Canada annonce un concours public en vue de pourvoir un poste d’économiste analyste stratégique («poste analytique») au Ministère des transports. Étant donné qu’il y avait deux autres postes à combler dans ce ministère dans le domaine de la planification des systèmes («postes gestionnaires»), il est décidé d’avoir recours au même bassin de candidats pour combler les trois vacances. Dix candidats sont invités à une entrevue devant un jury de sélection. Le 15 juillet 1981, l’auteur se présente et apprend que l’entrevue portera sur les trois postes à pourvoir. À la suite des entrevues devant un jury composé de deux personnes, l’auteur obtient la meilleure note. Le premier membre du jury recommande à son supérieur hiérarchique l’auteur pour le poste analytique. Comme le supérieur n’était pas présent lors des entrevues de sélection, il convoque l’auteur pour un entretien le 28 juillet 1981. L’auteur est informé le 14 août 1981 que le supérieur a décidé qu’aucun des deux candidats choisis par le premier membre du jury n’est qualifié pour le poste analytique.
2.3L’auteur porte plainte auprès du Ministère des transports et réclame une enquête au motif de discrimination fondée sur la race. Cette plainte est rejetée le 25 septembre 1981. L’auteur entreprend alors une procédure judiciaire devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Il fait une requête en mandamus demandant que le ministère lui accorde le poste analytique. Le 3 novembre 1981, la Section de première instance de la Cour fédérale rejette cette requête au motif qu’il n’existe aucune obligation légale de la part du ministère de combler le poste par le concours. L’auteur a porté cette décision en appel devant la Cour d’appel fédérale, mais s’est désisté de son appel le 20 mars 1985.
2.4En février 1982, l’auteur soumet une plainte pour discrimination auprès de la section anti-discrimination de la Commission de la fonction publique du Canada. Le directeur‑adjoint de la section conduit une enquête à l’issue de laquelle il rédige un rapport concluant que la plainte pour discrimination est bien fondée. Par contre, le sous‑ministre adjoint au Ministère des transports, chargé de la responsabilité administrative de l’unité du personnel au sein du ministère, a informé le directeur-adjoint de la section que, même si le processus de dotation adopté lors du concours en question avait été «unique» et que «les faits liés à ce processus de sélection particulier n’ont pas été documentés ni bien surveillés», il ne trouvait pas que l’auteur ait été victime de discrimination. En novembre 1983, les commissaires de la Commission ont décidé que la plainte était mal fondée.
2.5L’auteur soumet alors une plainte à la Commission des droits de la personne, affirmant être victime de discrimination. La Commission décide de déférer l’affaire au Tribunal des droits de la personne qui rejette la plainte le 5 septembre 1985 au motif que le demandeur n’a pas prouvé la discrimination. Cependant, le Tribunal note que l’auteur a établi une série de pratiques irrégulières dans le processus d’embauche et qualifie le concours «d’irrémédiablement irrégulier». L’auteur fait appel de la décision devant le Tribunal d’appel du Tribunal des droits de la personne. Ce dernier confirme la décision du Tribunal le 27 janvier 1987. Le Tribunal d’appel décide dans le même sens concernant le processus de sélection, mais il conclut que «ce n’est pas au Tribunal des droits de la personne qu’incombe le pouvoir de contrôle et de surveillance du fonctionnement du processus de dotation». Le 25 mars 1988, la Cour d’appel fédérale rejette la demande d’appel de l’auteur. Il fait une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême qui l’a rejetée le 30 juin 1988.
2.6Le 6 octobre 1988, l’auteur intente une action en dommages-intérêts devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Cette action repose sur la Loi sur la responsabilité de la Couronne de 1970 qui prévoit que la Couronne est responsable à l’égard d’un délit civil commis par un préposé de la Couronne dans l’exercice de ses fonctions. Le 9 décembre 1988, la Cour a accueilli une requête en radiation au motif que l’action est intentée plus de six ans après la naissance de la cause d’action. Le 28 novembre 1990, la Cour d’appel fédérale a décidé que la requête en radiation était prématurée vu que la prescription n’éteint pas le droit d’action mais donne seulement au défendeur un moyen de défense d’ordre procédural. L’action est donc renvoyée à la Section de première instance de la Cour fédérale pour instruction.
2.7Le 2 novembre 1992, la Section de première instance de la Cour fédérale note qu’en ce qui concerne le poste analytique, la cause d’action a pris naissance au moment où l’auteur a été avisé en août 1981 qu’il n’était pas considéré qualifié par le supérieur alors qu’il savait qu’il était arrivé premier au concours. La Cour remarque que l’action est prescrite six ans plus tard, soit en août 1987, alors que l’action devant la Cour fédérale n’avait été introduite que le 6 octobre 1988. L’appel de l’auteur relatif au poste analytique est donc rejeté par la Cour fédérale pour motif de prescription. En examinant la question de prescription de la plainte à propos des deux postes gestionnaires, la Cour fédérale a considéré que ce n’était qu’au cours des auditions tenues devant le Tribunal des droits de la personne en 1985 que l’auteur a appris avoir obtenu la note la plus élevée pour ces postes-là. La Cour fédérale a donc conclu que la cause d’action visant les deux postes gestionnaires n’est pas prescrite. La Cour fédérale s’est aussi prononcée sur le respect du principe du mérite dans la fonction publique. Elle a conclu qu’en ce qui concerne le poste analytique, il aurait considéré que le principe du mérite n’avait pas été respecté. En ce qui concerne les postes gestionnaires, la Cour a conclu qu’il y avait eu respect du principe du mérite. La Cour a souligné que ce n’était que par ricochet que l’auteur avait eu la possibilité de postuler aux postes gestionnaires. La Cour a noté qu’un des membres du jury avait expliqué dans une lettre à son supérieur, que bien qu’il ait attribué la meilleure note à l’auteur, il l’avait fait pour ses qualités académiques, tandis que les deux autres candidats avaient une expérience plus convenable pour les postes gestionnaires. C’est pourquoi il les avait recommandés pour ces postes.
2.8L’auteur a fait appel à la Cour d’appel fédérale qui a confirmé la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale le 8 février 1994. Il a fait une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême qui l’a rejetée le 23 juin 1994. Entre 1996 et 1997, l’auteur a présenté quatre requêtes en rétraction du jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale rejetant son action en dommages-intérêts. Toutes ses requêtes ont été rejetées. Le 10 mars 1998, la Cour d’appel fédérale a rejeté un appel à l’encontre du quatrième de ces rejets. L’auteur a fait une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême qui l’a rejetée le 19 novembre 1998.
2.9En 1999, l’auteur a porté une plainte à la Commission inter-américaine des droits de l’homme. La Commission a fini d’examiner cette plainte en 2000.
Concours de 1988 au Ministère des services et approvisionnements et les procédures relatives à ce concours
2.10En 1984, l’auteur s’est inscrit au Répertoire des candidats externes de la Commission de la fonction publique et en octobre 1986, il s’est inscrit au Répertoire de membres des minorités visibles qui venait d’être créé par la même Commission. Après 1984, la Commission de la fonction publique a alors aidé l’auteur à se chercher un emploi. Entre 1984 et 1988, les responsables de ces deux répertoires ont référé l’auteur à 13 concours pour des emplois dans la fonction publique. Des représentants du Répertoire des membres des minorités visibles l’ont aussi rencontré à de nombreuses reprises afin de l’aider à se promouvoir sur le marché du travail.
2.11En 1988, l’auteur pose sa candidature à un concours de recrutement pour des postes de conseillers en gestion au sein du Ministère des services et approvisionnements. Il n’est pas présélectionné car il ne posséderait pas les connaissances et l’expérience requises en statistiques. Selon l’auteur, il n’aurait obtenu aucun des postes en question car l’avocat du Ministère de la justice a enquêté sur la vie professionnelle ou universitaire de l’auteur au Canada et en Europe pour prouver que l’auteur n’avait pas les qualifications requises. Il a porté plainte à la Commission de la fonction publique pour discrimination raciale. La Commission a estimé que la plainte était mal fondée. Le 20 novembre 1989, il intente une nouvelle action en dommages-intérêts à la Section de première instance de la Cour fédérale. Le 1er février 1990, il dépose une requête visant la radiation de plusieurs paragraphes de sa déclaration. Le 6 mars 1990, cette requête est rejetée par la Section de première instance de la Cour fédérale qui ordonne la radiation complète de la déclaration de l’auteur. Le 12 mars 1990, l’auteur présente une nouvelle déclaration. Le 17 août 2000, un protonotaire rejette l’action intentée par l’auteur vu l’absence de cause d’action valable. Le 12 février 2001, la Section de première instance de la Cour fédérale rejette la requête en appel de l’auteur. Le 4 octobre 2002, la Cour d’appel fédérale rejette la demande d’appel de l’auteur. L’auteur a demandé le réexamen du jugement de la Cour d’appel fédérale, ce qui a été rejeté le 8 novembre 2002. Il a fait une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême qui l’a rejetée le 15 mai 2003.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur invoque l’article 26 car il n’a obtenu aucun poste dans la fonction publique à la suite des concours de 1981 et de 1988. Il estime avoir été victime de discrimination raciale lors de ces deux concours. Il estime également avoir été victime de discrimination de façon générale vis-à-vis l’accès à la fonction publique. De plus, il allègue être victime de discrimination par le système judiciaire. Il considère que l’État partie a manqué à son obligation de garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment raciale.
3.2L’auteur invoque le paragraphe c de l’article 25 parce qu’il considère que malgré la première place obtenue dans le concours de 1981 et ses excellents résultats dans d’autres concours, il n’a pu réaliser pendant vingt ans son droit d’accéder dans des conditions générales d’égalité, sans aucune discrimination, à la fonction publique de son pays.
3.3L’auteur allègue plusieurs violations de l’article 14. Il affirme que la Cour suprême a jugé à plusieurs reprises en son absence et qu’elle a refusé de l’entendre. Il considère que les tribunaux n’ont pas été équitables et impartiaux lorsqu’ils ont considéré ses actions et requêtes. Il affirme que leurs jugements ont violé son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial. Il affirme qu’en novembre 1981, la Cour fédérale lui a refusé le droit de présenter des moyens ou des preuves à l’appui de ses affirmations et que ses témoins n’ont pas été entendus.
3.4L’auteur invoque également le paragraphe 1 de l’article 2 puisque l’État partie refusa de le nommer à un des postes auxquels il a postulé.
3.5L’auteur explique qu’il ne pouvait saisir le Comité des deux causes en question avant que la Cour suprême n’ait rendu sa décision en mai 2003.
3.6L’auteur demande à ce que l’État partie l’indemnise pour tous les dommages qu’il a subis depuis plus de vingt ans.
Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication
4.1Dans sa note verbale du 12 novembre 2007, l’État partie estime que la communication est irrecevable pour les raisons suivantes. Tout d’abord, l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne ses allégations de violations de l’article 14 du Pacte. Il n’a pas allégué devant les tribunaux d’appel canadiens la partialité du juge de la Section de première instance de la Cour fédérale et du juge de la Cour d’appel fédérale qu’il accuse maintenant de ne pas avoir été impartiaux lorsqu’ils statuaient sur ses requêtes en 1981 et en 1990 respectivement. Peu après avoir fait appel contre la décision du 3 novembre 1981 de la Section de première instance de la Cour fédérale, l’auteur s’est lui-même désisté de son appel. Aucun tribunal canadien n’a alors eu la possibilité de considérer cette allégation de partialité et de discrimination. L’auteur n’a pas non plus allégué de la discrimination de la part du juge de la Cour d’appel fédérale devant les tribunaux nationaux.
4.2L’État partie note les allégations faites par l’auteur quant à des déclarations discriminatoires de la part d’un avocat du ministère public, ainsi que les allégations que le même avocat aurait fait, à la demande de la Commission de la fonction publique du Canada, une enquête sur l’auteur. Ces allégations n’ont jamais été présentées à aucune instance nationale. L’État partie précise que l’avocat, qui avait charge de deux actions en dommages-intérêts menées par l’auteur, a décidé de son propre accord de vérifier les renseignements que l’auteur présentait sur ses curriculum vitae, après avoir appris que certains de ces renseignements étaient inexacts. Cette vérification a démontré que plusieurs renseignements contenus dans les différents curriculum vitae de l’auteur sont faux. L’État partie insiste que l’avocat du ministère public n’a pas formulé de propos discriminatoires contre l’auteur.
4.3Deuxièmement, l’auteur demande essentiellement au Comité de réévaluer les faits déjà examinés par les instances nationales. L’État partie rappelle qu’il n’appartient pas au Comité de substituer son avis au jugement des juridictions internes.
4.4Troisièmement, l’État partie fait valoir qu’il s’agit d’un abus du droit de présenter des communications. Il souligne que l’auteur a épuisé ses recours internes relatifs au concours de 1981 en 1994 lorsque la Cour suprême a rejeté sa demande d’autorisation d’appel. Il invoque la jurisprudence du Comité selon laquelle, même s’il n’existe aucune échéance pour la présentation des communications, le Comité s’attend à une explication raisonnable pour justifier le retard. Dans le cas présent, l’auteur a épuisé les recours internes plus de dix ans avant de présenter sa communication au Comité. L’État partie estime que l’explication donnée par l’auteur (voir par. 3.5 ci-dessus) n’est pas raisonnable puisque l’auteur n’aurait pas pu savoir en 1994, lorsqu’il avait épuisé ses recours internes relatifs au concours de 1981, qu’il n’allait pas réussir avec son action en dommages‑intérêts ressortant du deuxième concours. Il soutient que la présentation de la partie de la communication relative au concours de 1981 est un abus du droit de présenter des communications et est donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
4.5En ce qui concerne les allégations de violations systémiques des articles 2(1), 14. 25(c) et 26 du Pacte, l’État partie fait valoir qu’une allégation de discrimination systématique dans l’emploi à la fonction publique qui se fonde uniquement sur deux concours de dotation échoués constitue un abus du droit de plainte de l’auteur. L’auteur ne s’est pas plaint des 13 autres concours auxquels la Commission de la fonction publique l’a référé entre 1984 et 1988. Les processus de dotation à la fonction publique sont très compétitifs et il n’est pas inhabituel qu’un candidat ne réussisse à obtenir un poste qu’après avoir participé à plusieurs concours. Selon l’État partie, l’auteur n’a pas établi une seule incidence de discrimination. Tous les tribunaux nationaux ont conclu qu’il n’y avait pas de discrimination dans le concours de 1981. Ils ont aussi rejeté l’action de l’auteur suite au concours de 1988 au motif que l’action ne révélait aucune chance de succès. De plus, les allégations de l’auteur sur le système judiciaire et la Cour suprême sont purement gratuites et non étayées par l’auteur. Les allégations d’une violation systématique de l’article 14 sont vexatoires et elles constituent un abus du droit de plainte. Elles devraient donc être déclarées irrecevables en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
4.6Quatrièmement, l’État partie fait valoir que les demandes de l’auteur sont incompatibles avec les dispositions du Pacte en que les décisions de ne pas accorder certains postes à l’auteur ne sont pas des «contestations sur ses droits et obligations de caractère civil» et n’engagent donc pas l’application de l’article 14(1). Ni un jury de sélection, ni la Commission de la fonction publique (chargée de la présélection des candidats) n’est un tribunal. Ceux-ci ne déterminent pas la contestation d’un droit, mais plutôt ils évaluent la capacité à satisfaire aux exigences d’un poste. Le Comité a déjà statué que les processus de dotation dans la fonction publique d’un pays ne sont pas des «contestations sur ses droits et obligations de caractère civil». Cette partie de la communication est donc incompatible avec l’article 14(1) et irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
4.7En outre, l’État partie note que le Pacte ne prévoit pas un droit d’appel au tribunal de dernier ressort d’un pays. Il soutient que les allégations de l’auteur concernant la Cour suprême sont incompatibles avec le Pacte. Bien que l’article 14(5) protège le droit de toute personne déclarée coupable d’une infraction de faire examiner la déclaration de culpabilité par une juridiction supérieure, le Pacte ne garantit aucun droit d’appel d’une décision d’une cour en ce qui concerne une contestation de caractère civil. Cette partie de la communication est incompatible ratione materiae avec l’article 14 du Pacte et donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
4.8Finalement, l’État partie soutient que les allégations de l’auteur ne sont pas suffisamment étayées. En ce qui concerne les allégations de violations du paragraphe 1 de l’article 2, de l’article 25 et de l’article 26, l’auteur n’a pas établi qu’il n’a pas eu accès à la fonction publique dans des conditions générales d’égalité. L’État partie rappelle que le droit garanti par l’article 25 (c) n’est pas le droit d’occuper un poste dans la fonction publique, mais de pouvoir accéder à la fonction publique dans des conditions égales aux autres citoyens du pays. Dans son Observation générale no 25 sur l’article 25, le Comité a souligné que les États parties peuvent imposer certaines restrictions à l’accès à la fonction publique, incluant les compétences et l’expérience requises, pourvu que les critères de sélection soient objectifs et raisonnables. L’auteur n’a pas établi que la sélection dans les deux concours contestés n’a pas répondu à des critères objectifs et raisonnables ou qu’il y aurait eu discrimination. Il s’est pourvu devant plusieurs instances de tribunaux et cours internes, lesquelles ont toutes conclu que ces mêmes allégations étaient mal fondées. L’État partie rappelle que dans le concours de 1981, le poste d’économiste n’a été offert à aucun candidat. Quant aux deux postes de gestionnaires du concours de 1981, il note que la Section de première instance de la Cour fédérale a conclu le 2 novembre 1992 que même si la dotation s’était faite dans les règles, l’auteur n’aurait pas réussi à obtenir un de ces postes puisqu’il était moins qualifié pour ces postes que d’autres candidats. En ce qui concerne le concours de 1988, l’auteur ne présente aucun fait permettant de conclure que des irrégularités auraient été commises lors de ce concours. Par conséquent, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas établi de violation prima facie de l’article 2(1), de l’article 25(c), ni de l’article 26 en ce qui concerne les concours de 1981 et de 1988. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
4.9En ce qui concerne les allégations de violations de l’article 14, l’État partie fait valoir que l’auteur a pu faire appel des décisions des instances canadiennes. Il a en effet fait appel des décisions de la Section de première instance de la Cour fédérale. Il a en outre pu s’adresser à la Cour suprême pour obtenir une autorisation de pourvoi à l’encontre des décisions de la Cour d’appel. Les décisions de la Cour suprême de rejeter les demandes d’autorisation de pourvoi de l’auteur sur la base de représentations écrites ne contreviennent pas à l’article 14 du Pacte. En général, la Cour suprême ne motive pas ses décisions en regard des demandes d’autorisation de pourvoi et ne permet pas les représentations orales sur de telles demandes. Par conséquent, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas établi de violation prima facie de l’article 14. De plus, l´État partie fait valoir que l’allégation d’une violation de l’article 14 en raison de la radiation de la déclaration de l’auteur par le protonotaire en 2000 est totalement dénuée de mérite. En outre, Il rappelle qu’un jugement qui n’est pas favorable à l’auteur n’est pas, en soi, preuve de discrimination ou d’un déni de justice. Pour ces raisons, la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
4.10Subsidiairement, l’État partie soutient que la communication est dénuée de fondement.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans ses commentaires du 28 janvier 2008, l’auteur rappelle que les exigences relatives aux postes de gestionnaires étaient les mêmes que pour le poste d’économiste et qu’il a bien étudié les sciences économiques jusqu’au niveau du doctorat. Il fait valoir qu’il s’est plaint de plusieurs juges au Conseil canadien de la magistrature. Il répète qu’il voulait présenter ses deux causes en même temps et qu’il a donc attendu de recevoir la décision de la Cour suprême le 15 mai 2003. Il explique également qu’il souffre d’une maladie qui le garde souvent au lit.
5.2L’auteur répète que la Cour suprême ne motive jamais ses décisions en regard des demandes d’autorisation de pourvoi en violation de l’article 14 du Pacte. Il redemande des compensations de la part de l’État partie à hauteur de quatre millions de dollars.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a abusé du droit de présenter des communications. En ce qui concerne le concours de 1981, l’État partie estime que l’auteur a épuisé les recours internes en 1994 lorsque la Cour suprême a rejeté sa demande d’autorisation d’appel. Le Comité note cependant que la décision de la Cour suprême du 23 juin 1994 n’a pas mis fin à la procédure puisque l’auteur a continué à présenter des requêtes en rétraction du jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale du 2 novembre 1992. Ces requêtes ont été rejetées. L’auteur a fait appel à la Cour d’appel fédérale. Il a ensuite fait une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême qui l’a rejetée le 19 novembre 1998. En ce qui concerne le concours de 1981, la dernière décision nationale date donc de 1998. Le Comité note également que l’auteur a porté sa plainte à la Commission inter-américaine des droits de l’homme qui a fini de l’examiner en 2000. L’auteur a finalement porté sa plainte devant le Comité le 23 août 2005, soit cinq années plus tard. Bien que regrettant le délai dans la présentation de la communication, le Comité considère que l’auteur n’a pas abusé du droit de présenter des communications.
6.4En ce qui concerne les allégations de violations du paragraphe c de l’article 25 et de l’article 26 du Pacte, le Comité note que ces questions ont été examinées à plusieurs reprises par les tribunaux nationaux. Pour ce qui est du concours de 1981, le Tribunal des droits de la personne a estimé dans sa décision du 5 septembre 1985 que l’auteur n’avait pas prouvé la discrimination. Cette décision a été confirmée en appel par le Tribunal d’appel des droits de la personne le 27 janvier 1987 et par la Cour fédérale d’appel le 25 mars 1988 (voir par. 2.5 ci-dessus). Pour ce qui est du concours de 1988, la Commission de la fonction publique a estimé que la plainte de l’auteur pour discrimination était mal fondée. Les requêtes de l’auteur déposées en 1989 et 1990 à la Section de première instance de la Cour fédérale ont été rejetées pour absence de cause d’action valable. Cette décision a été confirmée en appel par la cour d’appel fédérale le 4 octobre 2002 (voir par. 2.11 ci-dessus). Le Comité note que l’auteur demande essentiellement la révision des jugements des tribunaux nationaux le concernant. Il rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’évaluer les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation interne, dans un cas particulier, sauf s’il peut être établi que l’évaluation est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que les procédures devant les autorités de l’État partie aient été entachées de telles irrégularités. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas, aux fins de la recevabilité de sa communication, suffisamment étayé ses allégations au titre du paragraphe c de l’article 25 et de l’article 26 et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.5En ce qui concerne les allégations de violations de l’article 14, le Comité note qu’elles ont trait aux nombreux efforts déployés par l’auteur pour contester les décisions de rejet de ses demandes de poste dans la fonction publique. Réaffirmant son opinion selon laquelle la notion de «droits de caractère civil» visée au paragraphe 1 de l’article 14 se fonde sur la nature du droit en cause et non sur la qualité de l’une des parties, le Comité rappelle également que cette notion englobe non seulement les procédures visant à déterminer le bien‑fondé de contestations sur les droits et obligations relevant du domaine des contrats, des biens et de la responsabilité civile en droit privé, mais également les procédures concernant des concepts équivalents en droit administratif. En revanche, le Comité considère que l’article 14 ne s’applique pas lorsque la loi interne ne reconnaît aucun droit à l’intéressé. En l’occurrence, le droit interne applicable au cas présent ne reconnaît aucun droit à l’intéressé d’être nommé à un poste dans la fonction publique. Le Comité estime donc que les procédures engagées par l’auteur pour contester les décisions de rejet de ses demandes de poste dans la fonction publique ne constituent pas des contestations sur des droits et obligations de caractère civil au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication est incompatible ratione materiae avec la disposition susmentionnée et est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif. Le Comité considère donc qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de l’épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne ses allégations de violations de l’article 14 du Pacte.
6.6Le Comité rappelle que l’article 2 du Pacte ne peut être invoqué par les particuliers qu’en relation avec d’autres dispositions du Pacte, et note que le paragraphe 3 a) de l’article 2 stipule que chaque État partie s’engage à «garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus (dans le Pacte) auront été violés disposera d’un recours utile». Le paragraphe 3 b) de l’article 2 assure une protection aux victimes présumées si leurs plaintes sont suffisamment fondées pour être défendables en vertu du Pacte. Il ne peut être raisonnablement exigé d’un État partie, en application du paragraphe 3 b) de l’article 2, de faire en sorte que de telles procédures soient disponibles même pour les plaintes les moins fondées. Considérant que l’auteur de la présente communication n’a pas étayé sa plainte aux fins de la recevabilité au titre des articles 14, 25 et 26, son allégation de violation de l’article 2 du Pacte est aussi irrecevable, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité décide:
a) Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;
b) Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.
[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
V. Communication n o 1569/2007, Kool c. Pays ‑Bas*(Décision adoptée le 1 er avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
Marcel Schuckink Kool (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Pays-Bas |
Date de la communication: |
23 janvier 2007 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Absence du défendeur pendant l’audience en appel |
Questions de procédure: |
Griefs non étayés |
Questions de fond: |
Procès inéquitable |
Article du Pacte: |
14 (par. 1 et 3, al. b et d) |
Article du Protocole facultatif: |
2 |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er avril 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication est Marcel Schuckink Kool, de nationalité néerlandaise, né le 9 février 1969, résidant aux Pays-Bas. Il se déclare victime de violations par l’État partie des alinéas b et d du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil mais est lui-même avocat.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1Le 30 novembre 2001, le Tribunal de La Haye a reconnu l’auteur coupable, avec d’autres personnes, d’avoir commis des «violences publiques» et l’a condamné à payer une amende de 200 euros.
2.2Le 30 juillet 2004, la cour d’appel d’Amsterdam a examiné l’affaire en l’absence de ce dernier et a confirmé le jugement du Tribunal. L’auteur avait demandé à la cour d’ajourner l’audience au motif qu’il était en vacances. La cour lui a demandé d’en apporter la preuve, ce que l’auteur n’a pas pu faire parce qu’il n’avait pas réservé par l’intermédiaire d’une agence de voyages. Il a donné cette explication par téléphone au greffe du Tribunal. Il affirme aussi que la cour d’appel n’a pas tenu compte du fait qu’il avait contesté le témoignage présenté par un policier dans le cadre de son affaire. Le 4 octobre 2005, la Cour de cassation (Hoge Raad) a rejeté ses griefs de procès inéquitable.
2.3Le 12 septembre 2006, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré la requête qu’il lui avait adressée irrecevable en ce qu’elle ne faisait apparaître aucune violation des dispositions de la Convention.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur fait valoir que le refus de la cour d’appel d’Amsterdam de reporter l’examen de son affaire bien qu’il ait téléphoné pour indiquer qu’il était en vacances constitue une violation du droit à un procès équitable garanti par l’article 14, du droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense garanti par l’alinéa b du paragraphe 3 de l’article 14 et du droit d’être présent au procès, énoncé à l’alinéa d du paragraphe 3.
3.2L’auteur affirme qu’il a épuisé les recours internes maintenant que la plus haute juridiction de l’État partie (Hoge Raad) a rendu sa décision, le 4 octobre 2005.
Délibérations du Comité
4.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
4.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu de l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il relève que la même plainte a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme le 12 septembre 2006 mais que, conformément à la jurisprudence qu’il a établie, le fait qu’une autre instance ait déjà statué sur cette affaire n’empêche pas le Comité d’examiner les griefs qui lui sont présentés.
4.3Le Comité relève que l’auteur invoque des violations de l’article 14 du Pacte, parce que la cour d’appel d’Amsterdam a refusé d’ajourner l’audience en appel alors qu’il s’était absenté pour des vacances. Comme l’auteur l’a lui-même mentionné, le Comité relève que la cour n’a pas refusé de manière automatique l’ajournement, mais a simplement demandé à l’auteur d’apporter la preuve qu’il était en vacances. Le Comité estime que le motif invoqué par l’auteur pour justifier l’impossibilité de produire la preuve demandée n’est pas raisonnable dans les circonstances de l’espèce. Il note que l’auteur n’a pas expliqué pourquoi il ne pouvait pas rentrer de vacances pour être présent au procès ou en quoi il y aurait violation de ses droits parce qu’une demande d’ajournement avait été rejetée en l’absence de circonstances graves. De plus, il n’apporte aucun élément pour montrer que le fait qu’il n’ait pas été présent à l’audience en appel constitue une violation des droits garantis à l’article 14, ce qui aurait pu être le cas s’il s’était agi d’une audience de jugement. Pour ces motifs, le Comité estime que les plaintes ne sont pas suffisamment fondées et sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
5.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et, pour information, à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
W. Communication n o 1591/2007, Brown c. Namibie*(Décision adoptée le 23 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Gordon Brown (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Namibie |
Date de la communication: |
12 septembre 2007 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Procès inéquitable du chef d’une infraction pénale et condamnation à cinq ans |
Questions de procédure: |
Irrecevabilité ; épuisement des recours internes; ratione temporis |
Questions de fond: |
Procès inéquitable; immixtion arbitraire ou illicite dans la correspondance |
Articles du Pacte: |
2 (par. 1 et 3), 14 (par. 1, 2 et 3 a), b), d) et e)) et 17 (par. 1) |
Articles du Protocole facultatif: |
1 et 5 (par. 2 b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 23 juillet 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1L’auteur de la communication est M. Gordon Brown, de nationalité britannique. Il se dit victime de violations par la Namibie des droits garantis par les paragraphes 1 et 3 de l’article 2, les paragraphes 1, 2 et 3 a), b), d) et e) de l’article 14, et le paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.
1.2Le 27 mars 2008, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a décidé d’examiner d’abord la recevabilité de la communication.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur expose de façon détaillée son travail dans le secteur des mines de diamants depuis 1968; ses expériences en Namibie, notamment une déposition qu’il a faite en tant que témoin en 1982 devant une commission judiciaire du Gouvernement sur la corruption et les abus, qui lui aurait valu de perdre son emploi auprès de la société diamantaire Anglo‑De Beers; son déménagement ultérieur en Afrique du Sud où il a été accusé mais acquitté d’extraction illicite de diamants en 1991; et son retour en Namibie en 1993. Durant toute cette période, il prétend avoir été persécuté tant par les autorités namibiennes que par celles d’Afrique du Sud, en particulier, en raison de son témoignage devant la commission judiciaire ainsi que de ses tentatives tendant à l’introduction de conditions d’emploi plus productives et plus équitables dans l’exploitation des mines de diamants.
2.2Le 10 mars 1994, la Haute Cour de Namibie a conclu que l’auteur et un coaccusé étaient coupables d’achat illicite de diamants non polis, et de possession illégale de diamants non polis, et les a condamnés à cinq ans d’emprisonnement (dont deux ans et demi avec sursis). L’auteur affirme que son arrestation et les poursuites du chef d’accusations erronées et illégales, y compris pour tentative d’extorsion et tentative d’entrave à la justice, ont été engagées contre lui par les autorités namibiennes dans une intention malveillante. Il indique avoir été accusé à la suite d’une opération de provocation policière, et affirme que les individus qui ont participé à cette opération ont fait un faux témoignage. Bien que, selon l’auteur, l’enregistrement audiovisuel des arrestations lors d’opérations de provocation soit une pratique courante, la police a déclaré au tribunal ne pas savoir si de tels enregistrements avaient été faits. L’informateur de la police, qui était le propriétaire de la maison où l’auteur a été arrêté, a d’abord déclaré qu’il avait été procédé à des enregistrements mais, lorsqu’il est arrivé au tribunal pour témoigner sur ce point, il en a été «chassé» par un haut fonctionnaire de police.
2.3L’auteur affirme avoir été dans l’incapacité de choisir un conseil: son premier avocat (commis d’office) s’est retiré au dernier moment sans explication plausible et un nouvel avocat a été désigné à la dernière minute, de telle sorte que l’auteur n’a pas disposé du temps ni des moyens suffisants pour l’informer et préparer correctement sa défense. Il soutient en outre qu’il n’a pas pu avoir accès à des informations essentielles. On lui a dissimulé les dépositions de témoins clefs et refusé l’accès au fichier des dossiers de la police, ce qui lui aurait permis de comprendre les éléments ayant motivé son arrestation.
2.4Durant le procès, le juge aurait constamment contesté les propos de l’avocat de la défense et ce dernier n’aurait pas été traité sur le même pied que le ministère public. L’auteur affirme qu’en l’espèce, le manquement aux principes de l’égalité des armes, d’une représentation équitable et de l’accès aux éléments de preuve et aux dépositions de témoins est particulièrement grave, vu que le système judiciaire namibien ne prévoit pas un procès par jury. À cet égard, il affirme qu’un témoin de la défense a été chassé par un agent de police peu de temps avant le moment prévu pour sa comparution. Selon lui, le ministère public ne disposait que d’un témoin dont la déposition non corroborée a été cependant retenue par le juge. Il affirme que ce témoin clef est ensuite revenu sur sa déposition et a confirmé sous serment que lui-même et d’autres témoins de l’accusation avaient reçu pour instruction de mentir à l’audience. L’auteur affirme que le juge de jugement a appliqué le principe du «privilège de divulgation du dossier de police» ou «privilège de l’État», s’en remettant au ministère public pour déterminer si des éléments supplémentaires pouvaient ou non être mis à la disposition de la défense et lesquels, ce qui revenait à inverser la charge de la preuve au détriment de l’accusé, en violation de la présomption d’innocence. Un tel privilège avantageait de plus injustement l’État partie en lui permettant d’avoir le monopole de toutes les informations importantes et des dépositions et identités des témoins figurant dans les dossiers de police.
2.5Selon l’auteur, le Président du tribunal d’instance n’a pas été impartial. Il n’a pas pris en considération un possible conflit d’intérêts de la part du Procureur, dont l’épouse avait, pendant le déroulement du procès de l’auteur, été arrêtée et accusée d’achat illicite de diamants. Il n’a pu mettre en évidence des incohérences dans les faits exposés ou des contradictions dans les éléments de preuve produits par l’auteur et n’a pas tenu compte du fait que le témoignage de celui-ci avait en fait été corroboré et que les témoins de l’accusation se contredisaient.
2.6L’auteur a été détenu à la prison centrale de Windhoek pendant une durée non précisée. Selon lui, alors que l’établissement avait une capacité de 25 détenus, il en accueillait 50. Les détenus dormaient sur le sol avec seulement une mince couverture en hiver. La prison disposait d’une unique douche, la nourriture était mauvaise et consistait essentiellement en porridge. Il y avait peu de possibilités d’exercice, d’éducation ou de distraction. Le 26 avril 1994, l’auteur a été libéré sous caution, dans l’attente de l’examen de son appel contre la condamnation, et il a décidé de rechercher «ce qui se passait réellement» dans le service chargé de la question des diamants et de l’or au sein de la police. Il dit avoir découvert que certains agents, ainsi que la femme du Procureur, étaient notamment impliqués dans l’achat illicite de diamants. Il dit en outre avoir des informations compromettantes pour le Procureur général de Namibie et ajoute que le chef du service des diamants et de l’or au sein de la police était également une «personne posant problème». Il indique avoir rendu compte des résultats de ses recherches au Premier Ministre, au chef de la police, au Ministre de la justice et au Président de Namibie et avoir reçu la promesse que son cas ferait l’objet d’une enquête.
2.7En septembre 1994, se rendant compte que justice ne lui serait pas rendue dans le cadre de son appel contre sa condamnation, puisque selon lui le système judiciaire namibien manque d’impartialité, et «craignant pour sa vie», l’auteur est parti pour l’Afrique du Sud. À ce propos, il précise que deux sources bien informées lui ont conseillé de quitter le pays. Depuis son arrivée en Afrique du Sud, il a tenté de rétablir sa réputation. Il a demandé à la police d’obtenir des informations sur l’implication de la police et des responsables de la société De Beers dans la subordination de témoins en l’espèce, mais n’a reçu aucune réponse.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur se dit victime de violations par la Namibie des droits garantis par les paragraphes 1 et 3 de l’article 2, les paragraphes 1, 2 et 3 a), b), d) et e) de l’article 14, et le paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.
3.2À propos de l’épuisement des recours internes, l’auteur indique avoir saisi le chef de la Police namibienne pour demander une enquête en bonne et due forme et le bureau du Procureur pour obtenir plus de détails sur les charges portées contre lui. Au début de son procès, il a vainement fait savoir au juge que ni lui ni son nouvel avocat n’avaient disposé du temps nécessaire pour préparer leur défense; il a prié le Vice‑Commissaire du Département des enquêtes criminelles de la Police namibienne d’enquêter sur ses allégations; il a adressé des requêtes écrites et orales au Président, au Premier Ministre et au Ministre de la justice de Namibie; il a saisi plusieurs personnes, ONG, avocats et autres institutions, ainsi que des hommes politiques et dirigeants religieux de différents pays et la Commission Vérité et Réconciliation sud‑africaine. Selon l’auteur, le fait même que l’État partie ait entravé le fonctionnement de la justice et continue de l’empêcher d’avoir accès à des éléments de preuve et d’autres documents essentiels de son dossier pénal démontre qu’il n’a pas pu disposer d’un recours utile dans le cadre de l’État partie et qu’ainsi il n’existe pas de recours «utile» disponible. Il vise aussi la conduite du procès lui‑même, le refus des autorités d’enquêter sur des preuves de comportement délictueux et d’irrégularités graves au sein du système de justice namibien et le résultat de l’enquête sur la mort d’un avocat et d’un militant politique avec lesquels l’auteur aurait eu certains contacts.
3.3S’agissant du délai de soumission (compétence ratione temporis), l’auteur reconnaît que tant le Pacte que le Protocole facultatif sont entrés en vigueur à l’égard de la Namibie le 28 février 1995, et que les événements dont il se plaint sont survenus avant l’entrée en vigueur de ces deux instruments. Il fait valoir qu’une exception à la règle de compétence ratione temporis s’applique si les faits signalés dans la communication ont des effets continus qui représentent une violation du Pacte. En l’espèce, les effets continus résultent du fait qu’il a été condamné à tort au terme d’un procès inéquitable constitutif d’un déni de justice. Son casier judiciaire a eu des incidences sur sa vie personnelle et professionnelle, car il a dû mettre fin à ses entreprises, s’est vu refuser de nombreux emplois auxquels il avait postulé et a connu et continue de connaître des difficultés financières. Il fait aussi valoir que de nouvelles preuves de son innocence, à savoir une déclaration sous serment du principal témoin à charge attestant qu’il avait fait un faux témoignage, ont été obtenues après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Il dit avoir envoyé cette déclaration sous serment aux autorités exécutive, législative et judiciaire sans jamais recevoir de réponse.
Observations de l’État partie quant à la recevabilité et commentaires de l’auteur
4.1Le 25 mars 2008, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Sur les faits, il affirme que l’auteur a été arrêté et poursuivi en pleine conformité avec les règles d’une procédure régulière. Il a été libéré sous caution dans l’attente de l’issue de son appel. Après sa remise en liberté, il s’est soustrait à la justice de l’État partie et, depuis, ne s’est pas présenté à l’audience et n’a pas fini de purger sa peine. Comme il s’est soustrait à la justice, la décision de mise en liberté sous caution a été annulée et la caution confisquée par l’État. Il est depuis lors considéré comme un fugitif recherché en Namibie et un mandat d’arrêt a été délivré contre lui.
4.2L’État partie estime que la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes, l’appel de l’auteur étant encore pendant dans l’État partie. De plus, l’auteur aurait pu engager une action devant les tribunaux de l’État partie pour faire constater toute violation alléguée de ses droits, conformément aux articles 5, 7, 8, 12 et 18 de la Constitution. Il aurait pu aussi saisir le Médiateur qui a compétence pour enquêter sur des plaintes concernant notamment des cas supposés ou apparents de violation des libertés et droits fondamentaux de l’homme, ainsi que des cas d’abus de pouvoir ou de corruption de la part d’agents publics. L’État partie affirme en outre que l’auteur a produit de volumineux documents, mais que ses allégations sont vagues et qu’il n’y a aucun lien entre les documents et les griefs formulés.
5.Le 26 mai 2008, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie et réitéré ses allégations et arguments précédents. Il se plaint de façon générale de l’absence de séparation des pouvoirs dans l’État partie, du système de justice et des liens entre les pouvoirs publics et la société diamantaire De Beers. Il affirme que la condamnation prononcée à tort contre lui visait à supprimer la menace qu’il représentait pour ce qu’il appelle la «mauvaise gestion monopolistique» de l’industrie diamantaire de l’État partie par De Beers. Il soutient que toutes les pièces produites par lui ont un rapport direct avec son affaire et apportent la preuve de «violations répétées des droits de l’homme» à son égard. S’agissant des arguments de l’État partie relatifs au non‑épuisement des recours internes, l’auteur objecte que, faute d’avoir eu accès aux dépositions de témoins et à d’autres pièces justificatives détenues par l’État partie, il ne pouvait exercer ces recours. Il réaffirme aussi que ces recours n’auraient pas été utiles, vu le système judiciaire «défaillant» en place dans l’État partie. À son avis, les irrégularités de procédure ont été telles que sa cause doit être examinée par une partie indépendante.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité note que l’auteur a quitté l’État partie en septembre 1994 et qu’il ne lui a soumis sa communication que le 12 septembre 2007, soit treize ans plus tard. Il reconnaît qu’il n’y a pas de délais prescrits pour la présentation des communications en vertu du Protocole facultatif, mais il rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’il est en droit d’attendre une explication raisonnable pour justifier un tel retard. En l’espèce, aucune raison convaincante ne lui a été donnée. En l’absence d’explications, il considère que la communication, du fait qu’elle est présentée après un délai aussi long, équivaut à un abus du droit de plainte et qu’elle est donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et à l’État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Note
APPENDICE
Opinion individuelle (dissidente) de M. Michael O’Flaherty et M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati
1.Nous estimons que la présente communication ne constitue pas un abus du droit de plainte, que l’auteur a entrepris toutes les démarches raisonnables pour épuiser les recours internes et que la communication devrait être déclarée recevable.
2.Nous relevons que l’auteur a quitté l’État partie en septembre 1994 et n’a présenté sa communication au Comité que le 12 septembre 2007, soit treize ans plus tard. Nous reconnaissons que cet intervalle est très long mais nous rappelons qu’il n’y a pas de délais prescrits pour la présentation des communications en vertu du Protocole facultatif et nous constatons que l’État partie n’a pas invoqué un recours abusif au droit de plainte, ce qui aurait pu amener l’auteur à fournir une explication pour justifier son retard.
3.Nous relevons que l’auteur considère comme inutiles les recours internes disponibles dans l’État partie et qu’il décrit les nombreux moyens qu’il a mis en œuvre en vue d’obtenir réparation pour la violation alléguée de ses droits, notamment le dépôt de plaintes auprès de la police et du ministère public. Nous constatons que l’État partie ne conteste pas les efforts déployés par l’auteur mais fait valoir, entre autres, que celui‑ci aurait pu porter plainte auprès du Médiateur. Nous rappelons la jurisprudence du Comité, qui a estimé qu’une décision rendue par un médiateur à la suite d’une plainte ne saurait être qualifiée de recours utile au sens du Protocole facultatif si elle n’a que valeur de recommandation et n’a pas d’effet exécutoire, de sorte que l’exécutif a toute liberté pour ne pas en tenir compte. Nous relevons que si l’auteur s’est enfui, renonçant de ce fait à former un recours devant la Cour suprême, c’est parce que deux sources bien informées l’avaient averti que sa vie était en danger et parce qu’il était convaincu que les autorités de l’État partie n’assureraient pas sa sécurité. L’État partie n’a avancé aucun argument donnant à penser que cette crainte était déraisonnable ou irrationnelle. Nous estimons en outre qu’étant donné que l’efficacité des recours internes est intimement liée aux griefs de l’auteur, en particulier ceux relatifs à l’article 14, ces questions devraient être examinées conjointement dans le cadre d’un examen sur le fond.
(Signé) Michael O’Flaherty (Signé) Prafullachandra Natwarlal Bhagwati
[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Note
X. Communication n o 1607/2007, Sanjuán Martínez et consorts c. Uruguay*(Décision adoptée le 22 juillet 2008, quatre ‑vingt ‑treizième session)
Présentée par: |
Alfonso Sanjuán Martínez, Myriam Piñeyro Martínez, Patricia Piñeyro Martínez et Yolanda Filpi Funiciello (non représentés par un conseil) |
Au nom de: |
Les auteurs |
État partie: |
Uruguay |
Date de la communication: |
6 décembre 2006 (date de la lettre initiale) |
Objet: |
Fixation du montant d’une indemnisation accordée pour des violations des droits de l’homme |
Questions de procédure: |
Néant |
Questions de fond: |
Violation du droit à un recours utile |
Articles du Pacte: |
2 (par. 3) et 7 |
Article du Protocole facultatif: |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 22 juillet 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.1Les auteurs de la communication, datée du 6 décembre 2006, sont Alfonso Sanjuán Martínez, Myriam Piñeyro Martínez et Patricia Piñeyro Martínez (en qualité d’héritières de Plácido Piñeyro) et Yolanda Filpi Funiciello (en qualité d’héritière de Héctor Marcenaro Blundis); ils sont de nationalité uruguayenne et se déclarent victimes d’une violation par l’Uruguay du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lu conjointement avec l’article 7. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.
1.2Le 11 décembre 2007, le Rapporteur chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a décidé que la question de la recevabilité de la communication devait être examinée séparément du fond.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1MM. Alfonso Sanjuán Martínez, Plácido Piñeyro et Héctor Marcenaro Blundis, employés de l’Administration nationale des ports, avaient été arrêtés le 4 avril 1975 par des membres des forces armées qui n’avaient pas produit le moindre mandat. Conduits au bataillon d’infanterie no 2, ils avaient été interrogés et avaient subi des tortures, consistant entre autres traitements en coups répétés, application de décharges électriques, simulacres d’asphyxie, privation de nourriture; ils avaient aussi été forcés à absorber des substances hallucinogènes. Un mois plus tard, ils avaient été mis à la disposition de la justice militaire, qui n’avait pas constaté d’éléments constitutifs d’une infraction militaire et avait donc renvoyé l’affaire aux juridictions civiles.
2.2Le 31 juillet 1975, ils avaient été remis en liberté après avoir été déclarés innocents de tous les chefs d’accusation (contrebande d’armes et vols sur le port). Toutefois, le Gouvernement de l’époque avait ordonné qu’ils soient frappés d’une interdiction d’exercer des charges publiques, et ils n’avaient donc pas pu réintégrer leur emploi une fois la liberté recouvrée.
2.3Quand le pays a retrouvé une situation démocratique normale, en 1985, les auteurs ont pu réintégrer leur poste. Le 26 mai 1989, avec d’autres personnes dans la même situation, ils ont engagé une action contre l’État uruguayen (Ministère de la défense nationale et Administration nationale des ports) demandant une indemnisation pour les préjudices subis du fait de leur détention et de leur interdiction d’exercer. Le 22 octobre 1998, neuf ans après le dépôt de la demande, la juridiction du premier degré a rendu un jugement condamnant l’État à indemniser les plaignants. D’après le jugement, le fait d’avoir été dépossédés de leur emploi, les préjudices subis à cause de la torture et le fait d’avoir été isolés, rejetés et soupçonnés d’être des voleurs constituaient un préjudice moral unique, qui devait être réparé. Pour ce préjudice, le tribunal avait fixé un montant de 10 000 pesos par jour, pour chacun des cent dix‑sept jours d’emprisonnement ainsi que pour les séquelles dont chaque plaignant souffrait, et considérant également la privation d’un emploi digne après leur remise en liberté. En conséquence, chaque plaignant avait droit à une indemnité d’un montant de 1 170 000 pesos, devant être ajusté, plus les intérêts légaux, depuis la date de la demande jusqu’au versement effectif.
2.4D’après les auteurs, l’ajustement visé dans le jugement est prévu par le décret‑loi no 14500 du 8 mars 1976, qui définit des normes régissant le calcul de la valeur des obligations qui aboutissent au versement d’une somme d’argent. Ce décret a pour objet de garantir que les dépréciations monétaires qui peuvent se produire pendant qu’une procédure judiciaire est en cours n’entraînent pas un amoindrissement de la valeur initiale de la demande présentée. C’est pourquoi le décret fait référence à la valeur de la monnaie par rapport à l’évolution du coût de la vie dans le pays.
2.5Le Gouvernement uruguayen a fait appel de la décision auprès de la cour d’appel civile de quatrième turno qui a rendu le 3 novembre 1999 une décision confirmant le jugement de la juridiction de premier degré mais ne confirmant pas l’estimation qu’elle avait faite du préjudice moral. Avec l’annulation de cette partie du jugement, le montant des indemnisations a été considérablement réduit et a été établi à 210 600 pesos uruguayens pour chacun, selon les valeurs calculées à la date du jugement, sans préjudice des intérêts courus depuis la date de la demande. Pour réaliser cette diminution des valeurs, la cour d’appel a donné une interprétation particulière du décret‑loi no 14500 et a pris des dates différentes pour l’actualisation de l’indemnisation. Ainsi elle a retenu la date du jugement rendu en deuxième instance (3 novembre 1999) pour l’actualisation du montant des indemnités, et la date de la demande (26 mai 1989) pour la liquidation des intérêts courus. Cette interprétation n’est pas conforme à ce qui est prévu dans le décret, qui établit que l’actualisation du montant comme la liquidation des intérêts doivent être réalisées à partir de la date de la demande.
2.6Les auteurs se sont pourvus en cassation auprès de la Cour suprême de justice faisant valoir, entre autres moyens, qu’il y avait eu violation ou application erronée du décret‑loi. Dans un arrêt du 29 juillet 2002, la Cour suprême a déclaré que la procédure d’actualisation du montant de l’indemnisation appliquée par la cour d’appel était légitime mais a augmenté le montant et l’a fixé à 800 000 pesos. La somme devait être ajustée, à partir de la date du jugement rendu en deuxième instance et jusqu’à la date du paiement effectif. La Cour a ajouté que, contrairement à ce qu’affirmaient les recourants, la procédure consistant à fixer les indemnités selon des montants estimés à la date du jugement rendu en deuxième instance était légitime étant donné que quand elle avait fixé le montant, la cour d’appel avait déjà pris tacitement en considération la dépréciation qui avait eu lieu.
2.7Les auteurs contestent la décision de la Cour suprême de considérer comme valable l’interprétation de la cour d’appel qui avait retenu la date du 3 novembre 1999 pour l’actualisation du nouveau montant et la date du 26 mai 1989, date de la demande, pour la liquidation des intérêts courus pendant la durée de la procédure judiciaire. Cette interprétation erronée du décret‑loi a donné lieu à une différence de dix ans et cinq mois pour procéder à l’actualisation du montant et a signifié une dépréciation monétaire supérieure à 95 % par rapport au montant qui aurait été obtenu si le décret avait été correctement appliqué.
Teneur de la plainte
3.Les auteurs affirment que l’interprétation arbitraire qui a été faite du décret‑loi no 14500 par la Cour suprême a constitué une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7. Cette irrégularité a fait que, malgré le temps écoulé, l’État partie n’a pas satisfait à l’obligation de réparer les préjudices causés, conformément aux dispositions de la loi en vigueur.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Dans ses observations datées du 4 décembre 2007, l’État partie conteste la recevabilité de la communication considérant que l’objet de la plainte a été examiné à tous égards par les autorités compétentes et que les auteurs de la communication ont reçu les indemnités ordonnées par la justice au titre de la réparation intégrale du préjudice, et ont perçu des sommes fixées en appliquant les revalorisations monétaires prévues par le décret‑loi no 14500. Le Ministère de la défense a pris toutes les mesures voulues pour que les auteurs et leurs ayants droit reçoivent les sommes fixées dans le jugement à titre d’indemnisation, sommes qui étaient les suivantes (en pesos uruguayens):
M. Alfonso Sanjuán: 1 379 492 pesos;
Mme Yolanda Filpi: 1 379 667 pesos;
Mme Myriam Piñeyro: 587 559,50 pesos;
Mme Patricia Piñeyro: 527 863,50 pesos.
4.2Ces sommes ont été versées en plusieurs fois. Ainsi, M. Sanjuán a reçu 15 versements, entre février 2001 et mai 2006. Mme Filpi a reçu 10 versements, entre mars 2002 et mai 2006. Mme Myriam Piñeyro a reçu 13 versements, entre décembre 2002 et mai 2006. Mme Patricia Piñeyro a reçu 11 versements, entre décembre 2002 et mai 2006.
4.3L’État partie signale également en ce qui concerne le grief tiré de l’application du décret‑loi no 14500, que le droit uruguayen ne contient aucune règle qui obligerait les juges à accorder des montants déterminés à titre d’indemnisation pour un préjudice subi, quand le préjudice est d’ordre moral. Cela veut dire que chaque magistrat, et même la Cour suprême de justice, comme il ressort des jugements invoqués, ont appliqué des critères d’appréciation du dommage différents et des modes de calcul différents, tous également valables et dûment justifiés. Dans son arrêt, la Cour suprême reconnaît expressément les graves préjudices subis par les recourants et de plus quand elle a fixé l’indemnisation, elle a bien tenu compte de la dépréciation monétaire observée à la date à laquelle l’indemnité a été fixée, appliquant ainsi tacitement la revalorisation prévue dans le décret‑loi.
4.4De plus, une fois que la décision a acquis l’autorité de la chose jugée et jusqu’à la date du paiement effectif, le montant décidé a été ajusté en fonction de l’indice des prix à la consommation, selon les dispositions du décret‑loi, de même que les intérêts légaux correspondants. D’un autre côté, dans son arrêt, la Cour a appliqué le principe de la réparation complète du préjudice en fixant le montant qu’elle considérait comme juste à la date de sa décision, ce qui a facilité l’estimation de la réparation considérée comme juste au regard des circonstances, avec l’intention manifeste d’inclure dans le montant de l’indemnisation fixé la dépréciation monétaire.
4.5Le droit uruguayen permet aux magistrats d’apprécier, selon leurs connaissances et leur jugement professionnels, la façon de concrétiser, d’un point de vue strictement monétaire, l’application du principe de la réparation complète du dommage. Cet élément a été pris en considération à tout moment pour rendre le jugement mentionné, et comme le montrent les sommes perçues par les auteurs. Les indemnisations accordées correspondent aux montants fixés par les tribunaux dans des affaires analogues, eu égard également à la situation socioéconomique du pays.
Commentaires des auteurs
5.Dans une réponse datée du 14 janvier 2008, les auteurs ont précisé qu’ils ne réclamaient pas une somme précise mais que ce qu’ils voulaient c’était la stricte application d’une loi qui fixe la date à partir de laquelle l’actualisation doit être réalisée. De plus, si la Cour suprême a augmenté le montant de l’indemnisation, c’est à la suite des quatorze années de procédure judiciaire. Les auteurs insistent sur le fait que l’application incorrecte du décret‑loi a fait qu’ils ont été privés de dix ans d’indemnité.
Délibérations du Comité
6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3Le Comité doit déterminer si la fixation par la Cour suprême de justice du montant de l’indemnisation due aux auteurs à raison d’actes de détention arbitraire, de torture et d’interdiction pour lesquels les juridictions nationales ont condamné l’État uruguayen, a représenté une violation des droits des auteurs garantis par le Pacte. Le Comité note que quand elle a fixé le montant des indemnités, la Cour suprême a estimé que, en prenant comme date à laquelle les montants des indemnités devaient être estimés la date du jugement rendu en deuxième instance et non la date de la demande, comme le voulaient les auteurs, la cour d’appel avait correctement interprété le décret‑loi no 14500. La Cour suprême a considéré que cette façon de procéder permettait de prendre en ligne de compte, tacitement, la dépréciation qui avait pu se produire depuis la date de la demande.
6.4Le Comité rappelle sa jurisprudence constante et souligne qu’il n’est pas un organe de dernier ressort, qui serait compétent pour réexaminer les conclusions de fait ou l’application de la législation nationale, sauf s’il peut être établi que les procédures suivies par les juridictions nationales ont été arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Le Comité estime que les auteurs n’ont pas montré, aux fins de la recevabilité, que la façon d’agir de la Cour suprême avait été arbitraire ou avait constitué un déni de justice. Par conséquent, la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
7.En conséquence, le Comité décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
Y. Communication n o 1745/2007, Mazón Costa c. Espagne*(Décision adoptée le 1 er avril 2008, quatre ‑vingt ‑douzième session)
Présentée par: |
José Luis Mazón Costa (non représenté par un conseil) |
Au nom de: |
L’auteur |
État partie: |
Espagne |
Date de la lettre initiale: |
16 novembre 2007 |
Objet: |
Compatibilité de la monarchie espagnole avec l’article 25 du Pacte |
Questions de procédure: |
Incompatibilité de la plainte avec les dispositions du Pacte |
Questions de fond: |
Néant |
Articles du Pacte: |
2 (par. 3), 14, 25 et 26 |
Articles du Protocole facultatif: |
1, 3 et 5 (par. 2 b)) |
Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
Réuni le 1er avril 2008,
Adopte ce qui suit:
Décision concernant la recevabilité
1.L’auteur de la communication, datée du 16 novembre 2007, est José Luis Mazón Costa, de nationalité espagnole, né en 1948. Il se dit victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 25 et de l’article 26, lus conjointement avec l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur n’est pas représenté.
Teneur de la plainte
2.1L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 25 du Pacte car la monarchie espagnole ne fait pas l’objet d’élections libres et publiques. En tant que ressortissant espagnol, son droit de voter et d’être élu Roi d’Espagne est donc bafoué. Il soutient que la monarchie a été remise à la tête des institutions par l’ancien dictateur Francisco Franco y Bahamonde en 1936, lors de son accession au pouvoir à la suite d’un coup d’État militaire. Il fait observer que, contrairement à d’autres pays, l’Espagne n’a pas émis de réserves à l’article 25 du Pacte.
2.2Il affirme que le paragraphe 3 de l’article 2 a aussi été violé parce qu’il n’existe pas de recours utile contre la violation en question.
2.3Enfin, il soutient que la reconnaissance par la Constitution espagnole de l’inviolabilité de la personne du Roi octroie à ce dernier un privilège inacceptable et est contraire à l’article 26 lu conjointement avec l’article 14.
Délibérations du Comité
3.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
3.2Le Comité rappelle que le droit de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis mentionné à l’alinéa a de l’article 25 du Pacte a trait à l’exercice du pouvoir politique. Toutefois, ledit article n’impose pas un modèle ou une structure politique spécifique. Le Comité fait observer, en particulier, qu’une monarchie constitutionnelle fondée sur la séparation des pouvoirs ne contrevient pas en soi à l’article 25 du Pacte. Si l’alinéa a de l’article 25 porte sur l’élection de représentants, l’alinéa b dudit article, tout en garantissant le droit de voter et d’être élu au cours d’élections périodiques et honnêtes, ne confère pas le droit d’élire un chef d’État ou d’être élu à une telle fonction. Le Comité estime donc que la plainte est incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte et déclare la communication irrecevable conformément à l’article 3 du Protocole facultatif. Il en va de même pour les allégations formulées par l’auteur au titre du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Le Comité rappelle que les droits mentionnés dans ledit article sont de nature accessoire et ne peuvent être invoqués que conjointement avec une autre disposition du Pacte.
3.3S’agissant de l’affirmation selon laquelle l’inviolabilité de la personne du Roi constitue un privilège inacceptable et contrevient à l’article 26, lu conjointement avec l’article 14 du Pacte, le Comité estime que l’auteur n’a pas démontré qu’il était victime de la violation alléguée, conformément à l’article premier du Protocole facultatif.
3.4En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:
a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 1er et 3 du Protocole facultatif;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.
[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du présent rapport.]
Notes
Annexe VII
SUIVI DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME CONCERNANT DES COMMUNICATIONS INDIVIDUELLES SOUMISES AU TITRE DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES
Le présent rapport contient tous les renseignements communiqués par les États parties et les auteurs ou leur conseil depuis la publication du dernier rapport annuel (A/62/40).
État partie |
ALGÉRIE |
Affaire |
Medjnoune, 1297/2004 |
Constatations adoptées le |
14 juillet 2006 |
Questions soulevées et violations constatées |
Arrestation et détention arbitraires et illégales, détention au secret, durée excessive du procès, défaut d’informer l’accusé des charges retenues contre lui − article 7; article 9, paragraphes 1, 2 et 3; article 14, paragraphe 3 a) et c) |
Réparation recommandée |
Un recours utile, consistant à présenter Malik Medjnoune immédiatement devant un juge pour qu’il répondre des chefs d’accusation ou le remettre en liberté, ouvrir une enquête approfondie et exhaustive au sujet de la détention au secret et des traitements infligés à Malik Medjnoune depuis le 28 septembre 1999 et engager des poursuites pénales contre les personnes qui seraient responsables des violations, en particulier des mauvais traitements. L’État partie est également tenu de fournir à Malik Medjnoune une indemnisation appropriée. |
Réponse de l’État partie attendue le |
27 octobre 2006 |
Réponse de l’État partie |
Néant |
Commentaires de l’auteur |
Le 27 février 2008, l’auteur a déclaré que l’État partie n’avait pas donné effet à ses constatations. Vu que l’affaire de l’auteur n’avait toujours été inscrite à l’audience, il a entamé une grève de la faim le 25 février 2008. Le Procureur général lui a rendu visite en prison pour l’encourager à arrêter sa grève de la faim et déclaré qu’il ne pouvait lui‑même fixer une date pour le procès mais qu’il entrerait en rapport avec les «autorités compétentes». D’après l’auteur, selon le droit interne, le Procureur général est la seule personne habilitée à demander au Président du tribunal pénal d’inscrire une affaire à l’audience. |
Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert. |
État partie |
AUTRICHE |
Affaire |
Lederbauer, 1454/2006 |
Constatations adoptées le |
23 juillet 2007 |
Questions soulevées et violations constatées |
Lenteur de la procédure en ce qui concerne la plainte disciplinaire − article 14, paragraphe 1 |
Réparation recommandée |
Un recours utile, consistant en une indemnisation appropriée |
Réponse de l’État partie attendue le |
11 décembre 2007 |
Date de la réponse |
3 décembre 2007 |
Réponse de l’État partie |
L’État partie fait savoir que les constatations ont été publiées en anglais et qu’une traduction non officielle en allemand existe sur le site de la Chancellerie fédérale autrichienne. À la suite d’un échange de vues avec toutes les autorités impliquées dans l’affaire, il a été décidé d’inviter le plaignant à une rencontre avec des représentants du Gouvernement autrichien. La réunion devait avoir lieu avant la fin de 2007 et l’État partie déclare qu’il informera le Comité de tout fait nouveau en temps voulu. |
Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue est en cours. |
État partie |
AUSTRALIE |
Affaire |
Winata, 930/2000 |
Constatations adoptées le |
26 juillet 2001 |
Questions soulevées et violations constatées |
L’expulsion des auteurs d’Australie constituait une immixtion arbitraire dans la vie de famille − article 17; article 23, paragraphe 1, et article 24, paragraphe 1 |
Réparation recommandée |
Un recours utile consistant à s’abstenir d’expulser les auteurs d’Australie tant que leur demande de visa parental n’aura pas été examinée, compte tenu de la nécessité d’offrir à Barry Winata la protection qu’exige sa qualité de mineur. |
Réponse de l’État partie attendue le |
Octobre 2001 |
Date de la réponse |
Plusieurs réponses ont été fournies depuis décembre 2001; la dernière en date est du 15 octobre 2007. |
Réponse de l’État partie |
M. Winata et Mme Li sont en contact avec le Ministère australien de l’immigration et de la citoyenneté et résident actuellement de manière légale en Australie au titre de visas E. Leur fils, Barry Winata, maintenant âgé de 19 ans, est citoyen australien. L’État partie considère que poursuivre le dialogue sur cette question «ne mènerait à rien». |
Commentaires de l’auteur |
Pas encore reçus |
Décision du Comité |
Le Comité considère qu’il n’est pas nécessaire de poursuivre le dialogue sur cette affaire et a décidé de mettre fin à son examen au titre de la procédure de suivi. |
Affaire |
Young, 941/2000 |
Constatations adoptées le |
6 août 2003 |
Questions soulevées et violations constatées |
Discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans le versement des prestations au titre de la pension − article 26 |
Réparation recommandée |
Un recours utile, consistant notamment à réexaminer la demande de pension sans discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle de l’auteur, au besoin par une réforme de la loi. |
Réponse de l’État partie attendue le |
1er décembre 2003 |
Date de la réponse |
Octobre 2006 et 15 octobre 2007 |
Réponse de l’État partie |
L’État partie rappelle qu’il a refusé d’accepter les constatations et recommandations du Comité. Il déclare que «poursuivre le dialogue sur cette affaire ne mènera à rien et décline l’offre de fournir un complément d’informations». |
Commentaires de l’auteur |
Pas encore reçus |
Décision du Comité |
Le Comité regrette que l’État partie refuse d’accepter ses constatations et recommandations. Il considère que le dialogue reste ouvert. |
Affaire |
Shafiq, 1324/2004 |
Constatations adoptées le |
31 octobre 2006 |
Questions soulevées et violations constatées |
Caractère arbitraire de la détention obligatoire au titre de la loi sur l’immigration pendant plus de sept ans; refus du droit de faire examiner la légalité de la détention par un tribunal − article 9, paragraphes 1 et 4 |
Réparation recommandée |
Recours utile, à savoir libération de l’auteur et indemnisation appropriée |
Réponse de l’État partie attendue le |
Février 2007 |
Date de la réponse |
25 mai 2007, 15 octobre 2007 |
Réponse de l’État partie |
Pendant la quatre-vingt-dixième session, le Comité a décidé que, «tout en saluant la libération de l’auteur, le Comité regrette que l’État partie refuse d’accepter les constatations, note qu’aucune indemnité n’a été versée et considère que le dialogue reste ouvert». |
En octobre 2007, l’État partie a fait savoir que la situation de M. Shafiq à l’égard de sa demande de visa restait inchangée depuis les informations fournies précédemment, c’est‑à‑dire qu’il continue à vivre dans le pays au titre d’un visa temporaire en attente d’expulsion. «La poursuite du dialogue sur cette question n’aboutirait à rien», selon l’État partie. |
|
Commentaires de l’auteur |
Pas encore reçus |
Décision du Comité |
Le Comité regrette que l’État partie refuse d’accepter ses constatations. Il considère que le dialogue reste ouvert. |
Affaire |
Dudko, 1347/2005 |
Constatations adoptées le |
23 juillet 2007 |
Questions soulevées et violations constatées |
Non‑participation à l’audience et défaut de représentation en justice pendant l’appel − article 14, paragraphe 1 |
Réparation recommandée |
Recours utile |
Réponse de l’État partie attendue le |
13 novembre 2007 |
Date de la réponse |
27 mai 2008 |
Réponse de l’État partie |
Le 27 mai 2008, l’État partie a informé le Comité du nouveau Règlement de la Cour adopté par la Cour suprême (High Court) en 2004, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2005. Étant donné la nature des demandes d’autorisation spéciale de faire appel, ce règlement accorde un caractère prioritaire aux arguments écrits. Si la personne qui demande l’autorisation spéciale de former un recours n’est pas représentée par un avocat, le requérant doit présenter son cas à la Cour suprême sous la forme d’un projet d’acte d’appel et d’argumentaire. Ces documents sont examinés par deux juges de la Cour suprême qui décident que ces documents seront notifiés au défendeur ou que la demande d’autorisation sera rejetée sans qu’il soit demandé au défendeur de répondre. Toute demande d’autorisation spéciale qui a été notifiée au défendeur (qu’il soit représenté par un avocat ou non) peut faire l’objet d’une décision sans être mise au rôle. La Cour statue désormais sur la plupart des demandes d’autorisation spéciale sans tenir d’audience. S’il ressort de la demande qu’une plaidoirie orale pourrait aider la Cour, la demande sera inscrite au rôle. Dans cette hypothèse, si l’une des parties n’est pas représentée par un conseil, la Cour prendra généralement des dispositions pour que la partie concernée soit représentée par un conseil sans acquitter d’honoraires. Selon l’État partie, ces modifications réduisent l’éventualité de voir se reproduire une situation telle que celle de l’auteur. L’État partie réaffirme aussi que |
l’issue de l’affaire de l’auteur n’a pas été affectée par son défaut de comparution ou par sa non‑représentation devant la Cour. |
|
Réponse de l’auteur |
Néant |
Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert. |
Affaire |
D. et E., 1050/2002 |
Constatations adoptées le |
11 juillet 2006 |
Questions soulevées et violations constatées |
Détention arbitraire de demandeurs d’asile, avec des enfants − article 9, paragraphe 1 |
Réparation recommandée |
Recours utile, consistant notamment en une indemnisation appropriée |
Réponse de l’État partie attendue le |
|
Date de la réponse |
Juillet 2007 |
Réponse de l’État partie |
L’État partie fait savoir au Comité qu’il n’accepte pas sa constatation concluant à une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte et réaffirme que la détention était raisonnable et nécessaire. Il n’accepte pas non plus la conclusion du Comité lui demandant de verser une indemnité aux auteurs. Il réaffirme les arguments qu’il avait avancés au fond ainsi que les décisions récentes de la Haute Cour (High Court), qui a confirmé la validité des articles 189, 196 et 198 de la loi sur l’immigration. Les auteurs ont reçu des visas temporaires de type E (sous‑catégorie 051) en janvier 2004. Ils ont été remis en liberté le 22 janvier 2004, puisqu’ils remplissaient l’un des critères énoncés à l’article 2.20 du règlement de 1994 sur l’immigration. Ils ont reçu des visas humanitaires spéciaux à la suite d’une intervention ministérielle le 13 mars 2006. L’État partie informe le Comité des modifications apportées ultérieurement à la loi de 2005 portant modification de la loi sur l’immigration (modalités de détention), laquelle avait modifié la loi de 1958 avec effet au 29 juin 2005. (Voir la réponse de l’État partie à Saed Shams, Kooresh Atvan, Shahin Shahrooei, Payam Saadat, Behrouz Ramezani, Behzad Boostani, Meharn Behrooz et Amin Houvedar Sefed, 1255/2004, 1256/2004, 1259/2004, 1260/2004, 1266/2004, 1268/2004, 1270/2004, 1288/2004, ci‑après pour plus de précisions.) |
Réponse de l’auteur |
Néant |
Affaires |
Saed Shams, Kooresh Atvan, Shahin Shahrooei, Payam Saadat, Behrouz Ramezani, Behzad Boostani, Meharn Behrooz et Amin Houvedar Sefed, 1255/2004, 1256/2004, 1259/2004, 1260/2004, 1266/2004, 1268/2004, 1270/2004, 1288/2004 |
Constatations adoptées le |
20 juillet 2007 |
Questions soulevées et violations constatées |
Détention arbitraire et examen de la légalité − paragraphes 1 et 4 de l’article 9 et paragraphe 3 de l’article 2 |
Réparation recommandée |
Recours utile … y compris notamment une indemnisation adéquate pour la longueur de la détention imposée à chacun des auteurs |
Réponse de l’État partie attendue le |
11 décembre 2007 |
Date de la réponse |
25 juin 2008 |
Réponse de l’État partie |
L’État partie informe le Comité que MM. Atvan, Behrooz, Boostani, Ramezani, Saadat et Shams ont reçu des visas de protection permanents, qui les autorisent à rester en Australie indéfiniment. Comme cela a été noté dans les constatations du Comité, M. Shahrooei et M. Sefed ont reçu des visas de protection permanents avant que le Comité n’adopte ses constatations. M. Houvedar Sefed a obtenu la nationalité australienne le 10 octobre 2007. Quant à la violation du paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie reconnaît l’obligation qui lui incombe en vertu du Pacte de ne soumettre qui que ce soit à une détention arbitraire et reconnaît en outre qu’il existe des circonstances dans lesquelles la détention légale et autorisée d’une personne peut devenir arbitraire s’il n’y a plus de motif pour la justifier. L’État partie maintiendra le système de la détention obligatoire (ainsi que des mesures énergiques de lutte contre le trafic illicite de migrants) afin d’assurer la régularité des procédures d’immigration dans notre pays. Toutefois, l’État partie s’engage à réexaminer les conditions, la durée et les formes de gestion de la détention. En 2005, le Gouvernement de l’État partie a annoncé un certain nombre de changements apportés tant à la loi qu’au traitement des questions concernant les personnes placées dans un centre de rétention par les services de l’immigration. Il s’agit notamment des modifications suivantes: |
1) dans le cas d’une famille (avec enfants) de ressortissants étrangers se trouvant illégalement dans le pays pour laquelle la détention est requise en vertu de la loi sur l’immigration de 1958 (Migration Act), des arrangements se substituant à la détention (c’est‑à‑dire une assignation à résidence dans un lieu spécifié, en respectant des conditions qui tiennent compte du cas particulier de cette famille), seraient |
|
appliqués dans toute la mesure du possible et aussitôt que possible, de préférence à la détention traditionnelle; 2) toutes les décisions concernant les demandes de visas de protection primaire seraient prises par le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours après le dépôt de la plainte; 3) le tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés se prononcera dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours à compter de la date de réception des dossiers pertinents communiqués par le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté; 4) il doit être fait régulièrement rapport au Parlement sur toute affaire qui n’a pas été réglée dans ce délai; 5) la situation d’une personne détenue depuis deux ans ou plus est obligatoirement portée à la connaissance du Médiateur du Commonwealth par le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté dans un rapport semestriel. L’évaluation de chaque rapport par le Médiateur, avec des recommandations concernant la libération de la personne, sera soumise au Parlement; 6) une disposition de la loi sur l’immigration (Migration Act) confère en outre au Ministre de l’immigration et de la citoyenneté le pouvoir discrétionnaire de décider de modalités autres que la détention et des conditions requises pour en bénéficier et de décider d’octroyer un visa à la personne placée en détention; enfin, en vertu d’un amendement au règlement de 1994 sur l’immigration, un nouveau visa d’attente permet la remise en liberté des personnes se trouvant dans un centre de rétention des services de l’immigration lorsque leur expulsion d’Australie n’est pas réalisable dans des conditions raisonnables à ce moment-là. Un visa d’attente avant expulsion peut être accordé par le Ministre de l’immigration et de la citoyenneté en vertu du pouvoir non délégable et non obligatoire qui lui est conféré d’accorder un visa à une personne détenue en vertu de la législation sur l’immigration s’il estime dans l’intérêt public de le faire. Ces modifications législatives nécessaires pour donner effet aux réformes étaient inscrites dans la loi de 2005 portant modification de la loi sur l’immigration (modalités de détention) − Migration Amendment (Detention Arrangements) Act 2005 et dans la loi de 2005 portant modification de la législation sur l’immigration et le Médiateur − Migration and Ombudsman Legislation Amendment Act 2005. L’État partie a également créé la fonction de directeur d’examen des cas de détention (Detention Review Managers), qui examine de manière indépendante la décision initiale de mettre une personne en détention et suit en permanence le cas des personnes détenues en vertu de la législation sur l’immigration, afin que cette détention demeure légale et raisonnable. |
|
Depuis les élections du 24 novembre 2007, l’État partie a mis un terme à la «stratégie du Pacifique» («Pacific Strategy»), en vertu de laquelle les clandestins arrivant par bateau qui demandaient un visa de protection étaient retenus à l’étranger dans des centres de traitement des demandes situés à Nauru et dans la province de Manus (Papouasie‑Nouvelle‑Guinée). En février 2008, les derniers demandeurs d’asile, dont le cas a été traité dans un centre situé à l’étranger, ont reçu des visas humanitaires et se sont installés en Australie. Tous les futurs clandestins arrivant par bateau qui présenteront une demande de statut de réfugié seront conduits à l’île Christmas, en territoire australien, où leur demande sera examinée dans le cadre des procédures d’évaluation des demandes du statut de réfugié en vigueur. Le Ministre de l’immigration et de la citoyenneté a achevé l’examen des cas des personnes qui ont été retenues par les services de l’immigration pendant plus de deux ans. Cet examen, auquel le Ministre procède personnellement, visait à appliquer une série de mesures afin d’améliorer, sinon de régler, la situation de ces personnes retenues au regard de la législation sur l’immigration. À l’issue de cet examen, un certain nombre d’entre elles ont reçu des visas, ce qui a permis de les faire sortir des centres de rétention. D’autres ont quitté les centres de rétention des services d’immigration et ont été assignées à résidence. Pour cet examen, le Ministre était guidé par le principe selon lequel la détention indéfinie n’est pas acceptable, ce qui montre la volonté de l’État partie de résoudre sans tarder la question du statut de toutes les personnes relevant de la législation sur l’immigration. L’État partie ne placera des personnes dans des centres de rétention des services de l’immigration qu’en dernier ressort et cette détention se prolongera le moins longtemps possible. Pour ce qui est de la violation du paragraphe 4 de l’article 9, l’État partie affirme qu’il ne fait aucun doute que le mot «légalité» renvoie au système juridique interne de l’Australie et que le mot «légal» n’est pas censé signifier «légal en droit international» ou «non arbitraire». L’État partie n’admet pas qu’il soit tenu d’indemniser l’auteur en vertu du paragraphe 3 de l’article 2. |
|
Réponse de l’auteur |
La réponse de l’État partie a été transmise à l’auteur le 27 juin 2008, pour commentaire à soumettre dans les deux mois. |
Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert. |
État partie |
BÉLARUS |
Affaire |
Belyatsky Aleksander, 1296/2004 |
Constatations adoptées le |
24 juillet 2007 |
Questions soulevées et violations constatées |
Dissolution d’ONG − article 22, paragraphe 2 |
Réparation recommandée |
Recours utile, avec le réenregistrement de «Viasna» et une indemnisation |
Réponse de l’État partie attendue le |
30 novembre 2007 |
Date de la réponse |
20 novembre 2007 |
Réponse de l’État partie |
Le 20 novembre 2007, l’État partie a contesté les constatations et déclaré que l’article 22 de la Constitution proclame le principe de l’égalité devant la loi et de l’égale protection des droits et des intérêts légitimes de toutes les personnes sans discrimination. L’article 52 fait obligation à toutes les personnes se trouvant sur le territoire de l’État partie de se conformer à sa Constitution et à ses lois et de respecter les traditions nationales. En vertu des paragraphes 1 et 2 de l’article 45 du Code civil du Bélarus, les personnes morales peuvent avoir des droits civils conformes aux objectifs énoncés dans leurs statuts ainsi qu’à l’objet de leurs activités s’il est stipulé dans les statuts, et ont des obligations liées à ces activités. Les droits des personnes morales peuvent seulement faire l’objet de restrictions selon la procédure établie par la loi. |
L’article 57 du Code civil énonce les dispositions générales sur la dissolution des personnes morales. Le paragraphe 2 de l’article 57 du Code civil décrit la procédure de dissolution d’une personne morale par décision judiciaire lorsque celle‑ci a des activités non autorisées ou lorsque les activités sont interdites par la loi ou lorsqu’elle a commis des violations répétées ou flagrantes de la loi. Par conséquent, pour qu’un tribunal prenne la décision de dissoudre une personne morale, il suffit d’établir qu’une seule violation flagrante de la loi a été commise. L’administration de la justice au Bélarus suit l’interprétation du paragraphe 2 de l’article 57 du Code civil. Or, dans ses constatations sur l’affaire de la dissolution de «Viasna», le Comité mentionne par erreur la «perpétration répétée de violations flagrantes de la loi». |
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L’article 110 de la Constitution garantit le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire. C’est aux tribunaux qu’il incombe d’évaluer si la violation de la loi en question a un caractère flagrant, appréciation qui est laissée à leur entière discrétion, sur la base d’un examen détaillé, complet et objectif de tous les faits, et des éléments de preuve, dans le strict respect de la loi. |
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L’État partie réaffirme que l’arrêt portant dissolution de «Viasna» a été pris par la Cour suprême du Bélarus le 28 octobre 2003, parce que cette organisation n’avait pas respecté la procédure consistant à envoyer ses observateurs aux réunions de la Commission électorale et dans les bureaux de vote. Cette information figurait dans l’avertissement écrit adressé à «Viasna» par le Ministère de la justice le 28 août 2001 (il n’y a pas eu appel de cet avertissement) et dans la décision de la Commission électorale centrale relative aux élections et à l’organisation des référendums en date du 8 septembre 2001. Cette décision était fondée sur les inspections menées par le Ministère de la justice et par le parquet du Bélarus. |
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Réponse de l’auteur |
Le 4 mars 2008, l’auteur déclare que l’État partie n’a pris aucune mesure pour donner suite aux constatations du Comité. Concrètement, «Viasna» n’a pas été réenregistrée, il n’y a pas eu d’indemnisation versée et les constatations n’ont pas été publiées dans les médias officiels. L’auteur conteste énergiquement l’affirmation faite par l’État partie selon laquelle l’article 57 du Code civil a été appliqué à juste titre par la Cour suprême qui a examiné l’affaire concernant la dissolution de «Viasna» comme une contestation de caractère civil. Il réaffirme qu’aux termes de l’article 117 du Code civil, le régime applicable aux associations publiques est soumis à une lex specialis. L’article 57 ne contient aucune disposition stipulant qu’il est applicable même s’il existe une lex specialis. La loi «sur les associations publiques» contient une liste des motifs de dissolution d’une association publique et la Constitution du Bélarus donne une liste exhaustive des restrictions au droit à la liberté d’association. |
L’article 5 de la Constitution interdit la création et les activités de partis politiques et autres associations publiques ayant pour objectif de changer par la force l’ordre constitutionnel, la propagande en faveur de la guerre, l’incitation à la haine nationale, religieuse ou raciale. En vertu de l’article 23 de la Constitution, des restrictions pourront être apportées aux droits et libertés personnels dans les seuls cas spécifiés par la loi, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la protection de la moralité et de la santé publiques, ainsi que dans l’intérêt des droits et libertés d’autrui. En conséquence, l’auteur réaffirme son grief initial, à savoir que l’État partie a imposé des restrictions illégales à son droit à la liberté d’association en prenant la décision de dissoudre «Viasna». |
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L’auteur réaffirme également son grief initial selon lequel «Viasna» a été dissoute par la Cour suprême pour les mêmes activités que celles décrites dans l’avertissement |
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écrit du Ministère de la justice en date du 28 août 2001, et pour lesquelles «Viasna» avait déjà reçu un rappel à l’ordre. Cet avertissement écrit a servi à son tour de fondement à la décision de la Commission électorale centrale relative aux élections et à l’organisation des référendums du 8 septembre 2001. Dans ses observations du 19 novembre 2007 faisant suite aux constatations, l’État partie a admis que «Viasna» a été dissoute par la Cour suprême pour les mêmes activités (violation des lois électorales avant et pendant l’élection présidentielle de 2001) que celles pour lesquelles elle avait déjà reçu un rappel à l’ordre dans l’avertissement écrit du Ministère de la justice. L’auteur note que l’État partie, dans ses observations antérieures datées du 5 janvier 2001, a nié que «Viasna» ait été pénalisée deux fois pour des activités identiques. L’État partie a déclaré à l’époque que l’avertissement écrit du Ministère de la justice en date du 28 août 2001 a été envoyé à cause d’une violation par «Viasna» des règles de tenue des livres et non pour violation des lois électorales. |
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Selon l’auteur, l’État partie n’a pas présenté d’arguments plausibles démontrant que les motifs pour lesquels «Viasna» a été dissoute étaient compatibles avec l’un quelconque des critères énoncés au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. En conséquence, l’auteur estime qu’il y a eu violation de ses droits au titre du paragraphe 1 de l’article 22, et que la dissolution de «Viasna» était disproportionnée, notamment compte tenu de l’introduction en 2006 de sanctions pénales pour des activités menées par une association non enregistrée ou dissoute. |
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Décision du Comité |
Le Comité réaffirme la décision prise pendant sa quatre‑vingt‑douzième session. Il a noté que l’État partie avait reproduit les informations fournies avant l’examen de l’affaire par le Comité, et avait fait valoir que les décisions judiciaires étaient conformes au droit interne, mais qu’il n’avait pas répondu au sujet de la constatation dans laquelle le Comité concluait que l’application de la loi était incompatible avec les droits protégés par le Pacte. Le Comité a observé que l’État partie n’avait pas répondu aux craintes qu’il a exprimées et a regretté qu’il refuse d’accepter les constatations du Comité. Il considère que le dialogue reste ouvert. |
Affaires |
Bondarenko et Lyashkevich, 886/1999 et 887/1999 |
Constatations adoptées le |
3 avril 2003 |
Questions soulevées et violations constatées |
Secret entourant la date d’exécution d’un membre de la famille et du lieu de sépulture − article 7 |
Réparation recommandée |
Recours utile, consistant notamment à informer du lieu où les personnes visées sont inhumées et à indemniser la famille pour l’angoisse subie |
Réponse de l’État partie attendue le |
23 juillet 2003 |
Date de la réponse |
26 juin 2007 (l’État partie avait répondu le 1er novembre 2006) |
Réponse de l’État partie |
Le 1er novembre 2006, l’État partie fait valoir, entre autres arguments que ni la Convention ni aucun autre instrument juridique international ne définissent ce qu’il faut entendre par traitement ou peine cruel, inhumain ou dégradant ou humiliant, et que le Code pénal, aux paragraphes 2 et 3 de son article 128 et à l’article 394, érige la torture ou autres actes cruels en délit pénal. Il indique que la peine de mort n’est appliquée au Bélarus que dans le cas d’un nombre limité de crimes particulièrement cruels accompagnés de la privation préméditée de la vie dans des circonstances aggravantes, et qu’elle ne peut être appliquée aux personnes âgées de moins de 18 ans ou aux femmes ou aux hommes âgés de plus de 65 ans au moment de la commission du crime. Une peine de mort peut être commuée en peine d’emprisonnement à vie. |
Conformément à l’article 175 du Code d’exécution des peines, une peine de mort devenue exécutoire ne peut être exécutée qu’après réception de la confirmation officielle que tous les recours ont été rejetés et que l’intéressé n’a pas été gracié. La personne condamnée à mort est fusillée par un peloton d’exécution, à huis clos. L’exécution de plusieurs personnes se fait séparément, en l’absence des autres condamnés. Toutes les exécutions se font en présence d’un procureur, d’un représentant de l’établissement pénitentiaire où l’exécution a lieu et d’un médecin. Exceptionnellement, le procureur peut autoriser d’autres personnes à y assister. |
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Conformément au paragraphe 5 de l’article 175 du Code d’exécution des peines, l’administration pénitentiaire de l’établissement où l’exécution a eu lieu est tenue d’informer le tribunal qui a prononcé la peine que celle‑ci a été exécutée. Le tribunal en informe à son tour les membres de la famille du supplicié. Les proches ne peuvent se faire remettre le corps pour l’enterrer, et le lieu de sépulture n’est pas divulgué. L’État partie conclut que la peine de mort au Bélarus est prévue par la législation du pays et qu’elle constitue une sanction légitime appliquée à des individus qui ont perpétré des crimes spécifiques particulièrement graves. Le refus d’informer les membres de la famille d’un condamné à mort de la date de l’exécution et du lieu de sépulture est prévu lui aussi par la loi (Code d’exécution des peines). |
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Vu ce qui précède, l’État partie affirme que dans les cas d’espèce, l’angoisse morale et les tensions des mères des condamnés à mort ne sauraient être considérées comme la conséquence d’actes ayant pour objet de menacer ou de punir les familles des condamnés, mais plutôt comme une angoisse qui résulte de l’application par les organes officiels de l’État partie d’une sanction légitime et qui n’est pas dissociable de celle‑ci, au sens de l’article premier de la Convention contre la torture. |
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En ce qui concerne le refus des autorités de remettre aux proches le corps des suppliciés pour l’enterrer et de divulguer le lieu de sépulture, l’État partie ajoute qu’il est prévu par la loi non pas dans le but de punir ou de menacer les proches, en les laissant dans l’incertitude et l’angoisse morale, mais parce que, comme le montre la pratique d’autres États où la peine de mort s’applique, les lieux où des criminels condamnés à mort sont inhumés représentent pour des personnes mentalement fragiles autant de lieux de «pèlerinage». Dans l’un des cas, l’État partie ajoute que ni l’auteur ni son conseil n’ont jamais mentionné que l’absence d’informations sur la date de l’exécution ou le lieu de sépulture ait entraîné une quelconque tension psychologique chez l’auteur; ils ne se sont pas adressés à ce propos aux autorités compétentes de l’État partie. |
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Enfin, l’État partie informe le Comité que le Parlement bélarussien a prié la Cour constitutionnelle d’examiner la question de la compatibilité des dispositions du Code pénal relatives à la peine de mort avec la Constitution et les obligations internationales de l’État partie. |
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Le 26 juin 2007, l’État partie a adressé une autre réponse au Comité, dans laquelle il décrit le cadre législatif et la pratique concernant la peine de mort (déjà exposés en novembre 2006 comme indiqué plus haut). Il indique qu’une nouvelle loi, entrée en vigueur le 17 juillet 2006, a modifié le Code de procédure pénale et le Code des infractions administratives, et qu’en vertu de cette loi, la peine de mort est maintenue «en attendant son abolition», indiquant ainsi qu’elle pourrait être abolie à l’avenir. Compte tenu des informations fournies, en particulier au sujet de cette nouvelle loi, l’État partie demande au Comité de mettre fin à l’examen des affaires en question dans le cadre de la procédure de suivi. |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Dans son dernier rapport annuel (A/62/40), le Comité a examiné la réponse de l’État partie du 1er novembre 2006, a regretté son refus d’accepter les constatations du Comité et a considéré que le dialogue restait ouvert. Afin d’aider l’État partie et compte tenu des informations fournies dans le dernier paragraphe de la réponse ci‑dessus, le Comité a donné pour instructions au secrétariat d’informer l’État partie que le Comité et/le Haut‑Commissariat seraient disposés à l’aider à examiner les obligations qui lui incombent en vertu du droit international en ce qui concerne l’imposition de la peine de mort. Il a également demandé à l’État partie un complément d’information sur les questions qui seront soumises à la Cour constitutionnelle et sur les dates auxquelles cet examen pourrait se tenir. Le Comité croit comprendre que la loi du 17 juillet 2007, mentionnée plus haut, est fondée sur un arrêt de la Cour constitutionnelle de 2004, confirmant la constitutionnalité de l’application de la peine de mort «en attendant son abolition». Il croit comprendre qu’aucun arrêt concernant la peine de mort n’a été pris par la Cour constitutionnelle depuis 2004. |
Décision du Comité |
Tout en se réjouissant d’apprendre qu’il est envisagé d’abolir la peine de mort à une date ultérieure, le Comité note que les affaires à l’examen concernent une constatation de violation de l’article 7 liée au fait que les autorités n’ont pas notifié aux auteurs la date prévue pour l’exécution de leurs fils, et qu’elles n’ont pas notifié non plus aux auteurs qui le demandaient l’emplacement de la tombe de leurs fils. Le Comité note qu’il a reçu deux réponses de l’État partie à ce sujet et que le Rapporteur spécial a rencontré le représentant de l’État partie à plusieurs reprises pour s’entretenir de ces affaires ainsi que d’autres affaires concernant l’État partie. |
Étant donné que l’État partie persiste à ne pas expliquer en quoi sa législation relative à la notification de la date d’exécution et à l’indication du lieu d’ensevelissement et en quoi son application sont compatibles avec les droits protégés par le Pacte, et étant donné que l’État partie n’offre aucune réparation aux auteurs dans les deux cas en question, le Comité considère qu’il est inutile de poursuivre le dialogue sur ces deux affaires et n’entend pas en poursuivre l’examen dans le cadre de la procédure de suivi. |
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État partie |
BURKINA FASO |
Affaire |
Sankara et consorts, 1159/2003 |
Constatations adoptées le |
28 mars 2006 |
Questions soulevées et violations constatées |
Traitement inhumain et égalité devant les tribunaux − article 7; et article 14, paragraphe 1 |
Réparation recommandée |
L’État partie est tenu d’assurer un recours utile et exécutoire à Mme Sankara et à ses fils, consistant notamment en une reconnaissance officielle du lieu de sépulture de Thomas Sankara et en une indemnisation pour l’angoisse que la famille a subie. L’État partie est également tenu d’empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir. |
Réponse de l’État partie attendue le |
4 juillet 2006 |
Date de la réponse de l’État partie |
30 juin 2006 |
Réponse de l’État partie |
L’État partie a communiqué sa réponse sur le suivi de l’affaire le 30 juin 2006. L’État partie s’est dit prêt à reconnaître officiellement la tombe de M. Sankara à Dagnoin, 29 Ouagadougou, à la demande de sa famille et réaffirme ce qu’il avait déclaré avant la décision, à savoir que M. Sankara a été proclamé héros national et qu’un monument est en train d’être érigé en son honneur. |
Il a indiqué que le 7 mars 2006, le tribunal de Baskuy, commune de Ouagadougou, avait ordonné l’établissement d’un certificat de décès au nom de M. Sankara, décédé le 15 octobre 1987 (la cause du décès n’est pas mentionnée). La pension militaire de M. Sankara a été liquidée en faveur de sa famille. |
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Bien que l’État ait offert à la famille Sankara une indemnisation au titre d’un fonds créé le 30 mars 2001 par le Gouvernement pour les victimes de la violence en politique, la veuve et les enfants de M. Sankara n’ont jamais voulu recevoir d’indemnité à ce titre. Le 29 juin 2006, conformément aux constatations dans lesquelles le Comité demandait à l’État partie d’offrir une indemnisation, le Gouvernement a évalué le montant de l’indemnité due à Mme Sankara et à ses enfants à 434 450 000 francs CFA (environ 843 326,95 dollars des États‑Unis) et en a ordonné la liquidation. La famille devait prendre contact avec le fonds pour s’informer du mode de paiement de l’indemnité si elle souhaitait la percevoir. |
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L’État partie a déclaré que les constatations pouvaient être consultées sur divers sites Web du Gouvernement et que le texte en avait été distribué aux médias. |
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Enfin, l’État partie a fait valoir que les événements qui font l’objet des constatations en question s’étaient produits quinze ans auparavant, à une période d’instabilité politique chronique. Depuis lors, l’État partie a beaucoup progressé sur la voie de la protection des droits de l’homme, comme en témoignent, entre autres, la Constitution, avec l’instauration d’un poste de ministre chargé de la protection des droits de l’homme, et nombre d’organisations non gouvernementales. |
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Commentaires des auteurs |
Le 29 septembre 2006, les auteurs ont formulé des observations à propos de la réponse de l’État partie, dans lesquelles ils contestent l’adéquation de l’ensemble |
des recours énoncés par l’États partie dans sa réponse. Ils soulignent que l’État partie n’a pas engagé de procédure d’enquête pour déterminer les circonstances de la mort de M. Sankara. Le 21 juin 2006, le procureur a refusé de renvoyer la question au Ministère de la défense aux fins de l’ouverture d’une enquête judiciaire, arguant du fait (comme cela avait été le cas précédemment) qu’il y avait prescription. De l’avis des auteurs, seule une enquête judiciaire impartiale sur les causes du décès constituerait un recours utile. Le Comité lui‑même, au paragraphe 12.6, avait déjà rejeté la thèse de la prescription avancée par l’État partie. Les auteurs déclarent que la «décision» du 7 mars 2006 de modifier unilatéralement le certificat de décès falsifié de M. Sankara daté du 17 janvier 1988 a été prise ex parte lors de discussions tenues secrètes, et qu’ils n’en ont eu connaissance qu’à la faveur de la réponse de l’État partie sur le suivi de l’affaire. Ils considèrent que cela constitue une violation de plus et indépendante du paragraphe 1 de l’article 14 à leur égard. Quant à la reconnaissance du lieu de sépulture, les auteurs déclarent qu’aucun acte, aucun témoignage direct, aucun certificat d’inhumation, aucune analyse ADN, aucun rapport d’autopsie ou rapport d’expertise ne sont produits qui constitueraient un «acte officiel» concernant le lieu de sépulture de M. Sankara. S’agissant de leur droit de percevoir une pension militaire, les auteurs déclarent qu’il n’a rien à voir avec une réparation pour les violations constatées. En ce qui concerne le versement d’une indemnité au titre du Fonds d’indemnisation des victimes de la violence en politique, ils considèrent que, comme le Comité lui‑même l’a constaté lors de l’examen de la recevabilité de la communication, une demande d’indemnisation au Fonds d’indemnisation des victimes de la violence en politique ne saurait constituer un recours utile et exécutoire au sens du Pacte, vu le contexte dans lequel ont été commises les graves violations des droits visés dans son article 7. En outre, pareille demande obligerait la famille Sankara à renoncer à ses droits à voir les circonstances du décès de M. Sankara établies par une enquête judiciaire et à renoncer également à tous les droits de demander réparation devant les tribunaux. |
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Dans un courrier électronique du 14 novembre 2007, les auteurs réaffirment que, même si le Comité ne l’a pas indiqué spécifiquement dans ses constatations, le seul recours approprié dans leur cas est l’ouverture d’une enquête afin d’établir les circonstances de la mort de M. Sankara. Le procureur s’y est toujours refusé. Les auteurs mentionnent la jurisprudence du Comité (notamment dans l’affaire Kimouche c. Algérie, communication no 1159/2003) |
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pour démontrer que c’est bien le type de réparation demandé par les auteurs de communications antérieures et rappellent la décision concernant la recevabilité de la communication Sankara dans laquelle le Comité affirme la nécessité d’une telle enquête. Selon les auteurs, on peut se demander s’il s’agit d’un oubli du Comité ou d’une erreur administrative. |
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Décision du Comité |
Le Comité salue la réponse de l’État partie à ses constatations. Il note que, pour les auteurs, le seul recours utile dans cette affaire est une enquête sur les circonstances du décès de M. Sankara, mais rappelle que, dans la réparation qu’il a recommandée, le Comité ne mentionnait pas spécifiquement une telle enquête. Il rappelle aussi que ses décisions ne sont pas susceptibles d’être réexaminées, pas plus que sa recommandation. Le Comité considère que la réparation offerte par l’État partie est satisfaisante au sens du suivi de ses constatations et n’entend pas poursuivre l’examen de cette question au titre de la procédure de suivi. |
État partie |
CAMEROUN |
Affaire |
Gorji-Ginka Fongum, 1134/2002 |
Constatations adoptées le |
17 mars 2005 |
Questions soulevées et violations constatées |
Conditions de détention, arrestation illégale et arbitraire, liberté de déplacement, droit de voter et d’être élu − article 9, paragraphe 1; article 10, paragraphes 1 et 2 a); article 12, paragraphe 1; et article 25 b) |
Réparation recommandée |
Recours utile, consistant notamment en une indemnisation et l’assurance de l’exercice des droits civils et politiques |
Réponse de l’État partie attendue le |
18 juillet 2005 |
Réponse de l’État partie |
Néant |
Réponse de l’auteur |
Le 29 février 2008, l’auteur a fait savoir au Comité que l’État partie n’avait rien fait pour donner suite à sa décision et a demandé quelles mesures le Comité allait prendre pour encourager l’État partie à honorer ses engagements. |
Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert. |
État partie |
CANADA |
Affaire |
N. T., 1052/2002 |
Constatations adoptées le |
20 mars 2007 |
Questions soulevées et violations constatées |
Immixtion arbitraire dans la famille de l’auteur et de sa fille, absence de protection de la cellule familiale, violation des droits de l’auteur et de sa fille à être jugées avec diligence et à bénéficier d’un procès équitable, articles 17; 23; 24; 14, paragraphe 1 |
Réparations recommandées |
Recours utile, avec visites régulières de l’auteur à sa fille et indemnisation appropriée pour l’auteur |
Réponse de l’État partie attendue le |
3 juillet 2007 |
Date de la réponse |
6 juin 2008 (l’État partie avait déjà répondu le 31 juillet 2007) |
Réponse de l’État partie |
Le 31 juillet 2007, l’État partie a expliqué les raisons pour lesquelles il n’avait pas envoyé d’observations à la suite de la deuxième série de commentaires de l’auteur en septembre 2003. Les griefs de l’auteur étaient formulés d’une manière si générale, imprécise et radicale que, pour pouvoir y répondre convenablement, l’État partie aurait dû dévoiler une énorme quantité d’informations très délicates à caractère personnel au sujet de l’auteur, de sa fille et des parents adoptifs. En outre, les services administratifs compétents prenaient comme hypothèse que le Comité formulerait des constatations exclusivement sur la recevabilité. L’État partie a regretté que le Comité ait formulé ses constatations sans que l’État partie ait pu faire des observations sur le fond. Selon l’État partie, la communication n’était pas fondée. L’exposé des faits présentés par l’auteur sur lequel s’appuyait le Comité était incomplet et contenait des erreurs. L’État partie a fourni une chronologie détaillée des événements et des observations concernant chacune des constatations du Comité. Il n’a pas contesté la recevabilité. Toutefois, en ce qui concerne le fond, il a demandé au Comité de réexaminer à la fois sa constatation de violations d’articles du Pacte et sa recommandation touchant les réparations. Toutes les mesures concernant le placement et la prise en charge de la fille de l’auteur ont été prises en respectant les conditions énoncées par la loi et ont été ensuite confirmées par les tribunaux, dans le souci de l’intérêt supérieur de l’enfant. |
En ce qui concerne la réparation proposée par le Comité, fondée sur l’hostilité toujours manifestée par l’auteur à l’égard de la famille adoptive de l’enfant, l’État partie a déclaré qu’il n’y avait aucune perspective de parvenir à un accord dans un esprit d’ouverture entre le parent biologique et les parents adoptifs conformément à l’article 153.6 de la loi sur les services à l’enfance et à la famille. Par conséquent, le contact entre l’auteur et sa fille biologique n’était pas une réparation que pouvait envisager le Canada par une action en justice. En outre, les éléments dont dispose le Comité ne permettent pas de conclure que rétablir le contact entre cette enfant et son parent biologique serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant. |
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Le 6 juin 2008, l’État partie a répondu à la décision du Comité de ne pas réexaminer l’affaire. L’État partie estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 17. Il rappelle au Comité que, lorsque J. T. a été conduite au commissariat de police le 2 août 1997, les autorités se sont rendu compte qu’elle avait été battue par N. T. et que cet incident n’était peut-être pas isolé. Afin de mettre l’enfant en sécurité, il a été décidé par la Catholic Children’s Aid Society (CCAS) de chercher un placement provisoire (trois mois) pour J. T. Au début, le droit de visite de la mère à l’enfant consistait en contacts directs et réguliers qui, de l’avis de l’État partie, ne se sont pas faits dans des circonstances «extrêmement difficiles». Les visites étaient programmées chaque lundi de 13 heures à 14 h 30 et chaque jeudi de 13 heures à 14 heures. Elles avaient lieu dans les locaux de la CCAS, sous la surveillance d’un membre du personnel de la CCAS, qui était présent dans la pièce avec N. T. et l’enfant, ou les observait derrière une vitre sans tain. Les communications téléphoniques entre N. T. et J. T. étaient également autorisées. Ces contacts ont été interrompus seulement après l’enlèvement de J. T. par N. T. au cours d’une visite programmée, enlèvement pour lequel N. T. a fait l’objet d’une condamnation pénale, étant donné que l’on avait observé chez J. T. des signes de détresse avant les visites et que N. T. a refusé à plusieurs reprises un suivi psychologique (Buckle c. New Zealand, 858/1999). Le 12 août 1998, la demande de suppression des visites a été examinée par un tribunal. N. T. était représentée par un conseil à l’époque, mais elle a décidé de se présenter à l’audience sans l’assistance du conseil. À l’issue de l’audience, le tribunal a mis fin aux contacts en attendant qu’il soit statué sur la demande de protection parce que l’interruption des contacts a été jugée être dans l’intérêt supérieur de l’enfant. |
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L’État partie estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 23 ni de l’article 24 et que la loi sur les services à l’enfance et à la famille de l’Ontario («the CFSA») énonce des critères clairs permettant aux tribunaux d’appliquer les dispositions de l’article 23. Durant le procès sur le régime de la protection de l’enfant, le juge devait statuer sur la question de savoir si J. T. devait être déclarée «pupille de l’État (de la Couronne)» aux fins d’adoption, plutôt que «pupille de la société», hypothèse dans laquelle la loi sur les services à l’enfance et à la famille (CFSA) favorisait les contacts entre mère et fille. Lorsque la décision est en faveur d’une tutelle de l’État (de la Couronne), les contacts ne sont pas favorisés sauf dans certaines conditions. Cela s’explique par le constat que le placement de longue durée avec des contacts entre l’enfant et les membres de sa famille crée chez l’enfant un conflit de loyauté qui peut sérieusement |
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entraver son développement et sa capacité à nouer des liens d’attachement positifs. Ces craintes ont commencé à apparaître dans le cas de J. T., qui, selon le spécialiste, ne savait plus où elle en était ni où était son foyer. Étant donné les inquiétudes très particulières que suscite le fait de mettre un enfant dans une situation d’incertitude permanente et sachant que la solution adoptée est la tutelle de l’État (de la Couronne) aux fins d’adoption et non la garde avec des visites comme pour des parents divorcés, ce qui était le cas dans l’affaire Hendricks c. Finlande (201/1985), l’État partie est d’avis que le Comité a eu tort d’appliquer les mêmes critères que dans l’affaire Hendricks et que ce sont les critères énoncés dans la loi sur les services d’aide à l’enfance et à la famille qui sont dans l’intérêt supérieur de l’enfant. |
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L’État partie nie que l’article 14 s’applique aux actions en protection de l’enfant. Quoi qu’il en soit, il considère que la procédure n’a pas excédé des délais raisonnables étant donné que sa longueur était due pour une part importante aux multiples requêtes, etc., formées par l’auteur et il renvoir à la décision du Comité dans l’affaire Elis c. Nouvelle-Zélande (1368/2005). Il partage l’inquiétude du Comité concernant le temps qui s’est écoulé avant le procès étant donné l’âge de J. T. Toutefois, la procédure n’a jamais été au point mort et l’État partie appelle l’attention sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme à ce sujet. Selon l’État partie, les critères énoncés dans la législation en question ont été respectés et la décision a été prise après que toutes les parties eurent été entendues, y compris le conseil de l’enfant. Le procès de l’action en protection a duré sept jours pendant lesquels 11 témoins ont été appelés à la barre par la CCAS (Catholic Children’s Aid Society) et un certain nombre de rapports d’expertise ont été soumis au tribunal. Par conséquent, les procédures devant les juridictions nationales ne sont entachées d’aucune erreur manifeste, et n’ont présenté aucun caractère déraisonnable ou abusif qui mettrait le Comité en mesure d’apprécier les éléments de fait et de preuve. L’État partie note que J. T. n’était pas représentée de manière indépendante devant le Comité lequel, par conséquent, n’était pas en mesure de prendre en compte son intérêt supérieur. |
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L’État partie communique également le texte de sa réponse au Comité des droits de l’enfant, dans laquelle il fait valoir que rétablir les contacts aujourd’hui, sur la base des seules constatations du Comité, lesquelles ont été adoptées sans aucune connaissance de l’opinion de l’enfant ou de ses parents adoptifs, pourrait être contraire au paragraphe 1 de l’article 3 et au paragraphe 2 de l’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant. |
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Réponse de l’auteur |
La réponse de l’État partie a été transmise à l’auteur le 12 juin 2006 pour commentaires à soumettre dans un délai de deux mois. Le 18 juin 2008, l’auteur a accusé réception des observations de l’État partie et indique qu’elle attend les commentaires du Comité sur les arguments de l’État partie. |
Décision du Comité |
À sa quatre‑vingt‑onzième session, le Comité a regretté que l’État partie refuse d’accepter les constatations. Il a examiné les nouvelles observations envoyées par l’État partie et a conclu qu’il n’y avait pas matière à réexaminer les constatations en l’espèce. Le Comité a considéré que le dialogue restait ouvert. |
Pendant la quatre‑vingt‑treizième session, le Comité a examiné la dernière réponse de l’État partie, datée du 6 juin 2008. Il note que la communication a été présentée au nom de la mère et de l’enfant. Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas répondu sur le fond de l’affaire avant son examen par le Comité. Étant donné l’argumentation et les explications détaillées de l’État partie sur les raisons pour lesquelles il ne peut pas donner suite à ses constatations, le Comité ne voit pas l’utilité de poursuivre le dialogue avec l’État partie et n’entend pas poursuivre l’examen de cette communication au titre de la procédure de suivi. |
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État partie |
COLOMBIE |
Affaire |
Nydia Erika Bautista, 563/1993 |
Constatations adoptées le |
27 octobre 1995 |
Questions soulevées et violations constatées |
Enlèvement, détention au secret et disparition ultérieure de la victime − article 2, paragraphe 3; article 6, paragraphe 1; article 7; article 9; article 10; et article 14, paragraphe 3 c) |
Réparation recommandée |
En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à la famille de la victime une réparation appropriée, consistant en une indemnisation et une protection appropriée des membres de cette famille contre tout harcèlement. Le Comité a prié instamment l’État partie d’accélérer la procédure pénale aboutissant à des poursuites et à une condamnation rapide des personnes considérées comme responsables de l’enlèvement, des tortures et de la mort de la victime. |
Date de la réponse de l’État partie |
L’État partie a répondu le 21 avril 1997 et le 2 novembre 1999. |
Réponse de l’État partie |
L’État partie affirme que l’affaire est en instance devant le Tribunal militaire suprême. Une somme non précisée a été versée à la famille à une date non précisée. |
Commentaires de l’auteur |
Le conseil a informé le Comité, à plusieurs reprises, que ses recommandations restaient sans suite. Dans une lettre datée du 19 juillet 2007, il indique que l’affaire a été transférée de la juridiction militaire à la juridiction civile en 2000. Le parquet a procédé à des enquêtes sur un certain nombre de militaires qui auraient été impliqués dans ce crime, mais, en janvier 2004, il aurait décidé d’abandonner les poursuites faute de preuve. La famille a fait appel de cette décision le 5 février 2004, mais l’appel a été rejeté par la cour d’appel de Bogota en février 2006. De ce fait, aucune autre enquête ne pourra être menée. |
La décision d’abandonner les poursuites pénales est toutefois incompatible avec un jugement rendu par le Tribunal administratif de Cundinamarca, daté du 22 juin 1995, reconnaissant la responsabilité de l’État dans la disparition et l’exécution extrajudiciaire de la victime perpétrées par des membres de la vingtième brigade de l’armée. Cette décision est également incompatible avec la résolution no 13 du 5 juillet 1995 du procureur délégué aux droits de l’homme qui a ordonné la révocation du commandant Velandia et du sergent Ortega des forces armées. Cette résolution a été mise en application. Toutefois, en appel, le Conseil d’État l’a déclarée nulle le 23 mai 2002 et a ordonné la réintégration du commandant dans l’armée. |
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Le conseil affirme que le parquet et la cour d’appel de Bogota n’ont pas enquêté convenablement sur cette affaire et n’ont pas pris en compte les éléments de preuve recueillis contre les militaires impliqués dans ce crime, dont certains avaient déjà été reconnus coupables d’actes analogues commis contre une autre victime. À l’évidence, l’enquête n’a pas été menée selon les règles minimales régissant les enquêtes sur les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires. |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Le 18 juillet 2008, une rencontre a eu lieu entre M. Shearer, Rapporteur spécial chargé du suivi des constatations, des membres du secrétariat et Mme Alma Viviana Perez Gomez, ainsi que M. Alvaro Ayala Melendez de la Mission permanente de Colombie. |
Le Rapporteur avait adressé un aide‑mémoire à l’État partie avant la réunion afin d’aider ce dernier à se préparer à la réunion et à la planifier. Les représentants de l’État partie se sont présentés à la réunion avec une réponse de l’État partie concernant les questions soulevées dans l’aide‑mémoire. Sur la question du versement d’une indemnité dans trois affaires (45/1975 Saurez de Guerrero, 161/1983, Herrera Rubio et 195/1985, Delgado Paez), l’État partie a déclaré qu’il ne pouvait donner suite aux recommandations sur ces affaires |
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n’ayant aucune information sur l’endroit où se trouvaient les auteurs. Le secrétariat a indiqué à l’État partie qu’il pouvait lui venir en aide à cet égard. Quant aux questions du paiement d’une indemnité dans quatre autres affaires (46/1979, Fals Borda; 64/1979, Salgar de Montejo; 181/1984, Frères Sanjuán Arevalo; et 514/1992, Fei), l’État partie a déclaré que, le Comité n’ayant pas recommandé spécifiquement une indemnisation dans les affaires en question, aux termes de la loi no 288/1996, la commission compétente ne pouvait faire une recommandation en ce sens. Le Rapporteur a déclaré qu’il s’entretiendrait de cette affaire avec le Bureau pour voir ce qui pourrait être fait à cet égard. Quant à la communication no 687/1996, Rojas Garcia, l’État partie a déclaré que l’affaire était devant le Conseil d’État qui va examiner (semble‑t‑il) le montant de l’indemnité. Au sujet de la communication no 778/1997, Coronel et consorts, l’État partie a fait savoir que deux procédures étaient en cours − une procédure pénale visant l’accusé et une procédure (civile) concernant l’indemnisation. Quant aux communications 859/1999, Jiménez Vaca, 848/1999, Rodriguez Orejuela, et 1298/2004, Becerra Barney, les représentants de l’État partie ont indiqué que celui‑ci souhaiterait recevoir une note l’informant qu’il n’existe aucune procédure de réexamen de ces affaires. Quant la communication no 1361/2005, «C», l’État partie a indiqué qu’il avait déjà répondu de manière détaillée, mais n’avait pas reçu la réponse de l’auteur envoyée le 20 février 2008. Cette réponse lui sera envoyée de nouveau par le secrétariat avec une demande de commentaires. En tout état de cause, l’État partie a confirmé (comme l’a déclaré l’auteur) que le nouveau projet de loi n’avait pas été approuvé par le Sénat, mais qu’un autre projet nouveau était à l’examen, que les couples du même sexe étaient maintenant protégés, depuis la modification de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et que, ces précédents n’ayant aucun effet rétroactif, on cherchait à fournir à l’auteur une réparation par d’autres moyens. Concernant la communication no 563/1993, Bautista, l’État partie a fait savoir au Comité qu’une somme de 55 799 091 pesos (environ 31 700 dollars) a été versée à l’auteur. |
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Le Rapporteur a remercié les représentants de s’être réunis avec lui et a adressé ses remerciements à l’État partie pour les informations qui ont été fournies et que le Rapporteur communiquera au Comité au cours de l’examen du suivi des constatations. |
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Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert en ce qui concerne toutes les affaires ci‑dessus. |
Affaire |
C., 1361/2005 |
Constatations adoptées le |
30 mars 2007 |
Questions soulevées et violations constatées |
Refus de verser une pension au partenaire du défunt en raison de son orientation sexuelle − article 26 |
Réparation recommandée |
Un recours utile, consistant notamment à réexaminer la demande de pension de l’auteur sans discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle |
Réponse de l’État partie attendue le |
30 mars 2007 |
Date de la réponse |
9 novembre 2007 |
Réponse de l’État partie |
L’État partie déclare que le Comité, lorsqu’il a adopté ses constatations sur cette affaire, n’a pas pris en considération tous les courriers adressés par l’État partie, ce qui est contraire à l’article 5 du Protocole facultatif. Selon l’État partie, les deux dernières lettres adressées au Comité par l’intermédiaire de la Mission permanente (notes MOC 71 datée du 30 janvier 2007 et MPC datée du 12 avril) n’ont pas été prises en compte lors de la décision. La Mission permanente a envoyé de nouveau les notes, et le secrétariat en a accusé réception. |
La teneur de ces lettres peut se résumer comme suit: les décisions administratives et judiciaires sont fondées sur le cadre juridique actuel qui protège la famille; au sens de l’article 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 42 de la Constitution colombienne, une famille se compose d’un homme et d’une femme; la législation actuelle relative aux pensions ne comporte aucune disposition applicable aux couples de même sexe; l’orientation sexuelle n’est pas un critère utilisé par les autorités pour refuser des prestations de sécurité sociale; le fait que les couples de même sexe n’ont pas accès aux prestations de sécurité sociale ne signifie pas qu’ils sont sans protection; la notion de «famille» existe de longue date et c’est récemment seulement que d’autres formes de relations ont reçu une protection; en l’absence de cadre légal applicable, la Cour constitutionnelle a modifié récemment sa jurisprudence à l’égard des couples de même sexe et le Congrès n’est pas non plus resté inactif à cet égard. |
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En outre, l’État partie indique que les mesures suivantes ont été prises: |
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1.Mesures judiciaires: a) Arrêt de la Cour constitutionnelle C‑075 de 2007: protège les droits économiques des couples du même sexe; et b) Arrêt de la Cour constitutionnelle C‑811 de 2007: a reconnu le droit des couples homosexuels à des prestations sociales pour les frais médicaux. |
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2.Mesures législatives: Projet de loi sur la protection sociale des homosexuels (projet 130 de 2005 au Sénat, projet 152 à la Chambre des députés): les couples de même sexe peuvent bénéficier de la sécurité sociale. Ce projet a été rejeté pour des raisons de procédure. Il y a actuellement deux nouveaux projets devant le Sénat. |
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Pour ce qui est d’apporter réparation à l’auteur, l’État partie déclare que, malheureusement, faute de cadre juridique approprié, il n’est pas en mesure légalement de rouvrir ce dossier ni de réexaminer sa demande. Mais, le Gouvernement s’est exprimé en faveur des projets de loi actuels. |
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Commentaires de l’auteur |
Le 28 janvier 2008, l’auteur a répondu ce qui suit: La loi 288 de 1996 a établi une procédure en vue de donner suite aux constatations du Comité. Les Ministères des affaires étrangères, de l’intérieur, de la justice et de la défense nationale ont étudié le dossier de l’auteur et ont décidé de donner suite aux constatations. Ils ont rédigé à cet effet l’avis 003 de 2007. Par la suite, ils ont «changé d’avis». Selon l’auteur, un article publié en première page d’un quotidien colombien explique pourquoi le Gouvernement a décidé de ne pas donner suite aux constatations. Selon cet article, alors que l’avis 003 était prêt à être signé, les ministres ont reçu un mémorandum signé par le Directeur de la sécurité sociale du Ministère de la protection sociale qui recommandait de ne pas donner suite aux constatations. Il s’est ensuivi une discussion entre les ministres. Finalement, après l’intervention du Vice‑Président, il a été décidé de ne pas se conformer aux constatations, la raison avancée étant d’éviter de créer un précédent qui aurait des conséquences économiques majeures. |
L’auteur répond ensuite aux arguments présentés par l’État partie. L’absence de législation nationale ou de jurisprudence applicable en Colombie ne le dispense pas de se conformer à ses obligations internationales; s’il est vrai que les décisions nationales sont conformes à la législation nationale, en revanche, elles ne sont PAS conformes au Pacte international relatif aux droits civils et politiques; la question de la «famille» a bien été examinée par le Comité et a fait l’objet de deux opinions individuelles; les «efforts» de la Cour suprême ne s’appliquent pas au cas de l’auteur et ne règlent pas sa situation ni les questions relatives à la pension; tous les projets de loi ont été classés, y compris celui qui a déjà été approuvé; l’État partie n’a pas appuyé ces projets de loi; bien qu’il déclare que les partenaires de même sexe ne sont pas dépourvus de pension, l’auteur quant |
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à lui n’en reçoit aucune; l’État partie pourrait prendre des décrets pour éviter de passer par le Congrès; les lois n’étant généralement pas rétroactives, même si elles étaient modifiées maintenant, cela n’aurait pas de conséquence sur la situation de l’auteur; à ce jour, aucun recours n’a été fourni à l’auteur; les constatations n’ont pas été rendues publiques; les couples de même sexe étant peu nombreux dans l’État partie, l’octroi de pensions aux homosexuels n’aurait pas un impact économique majeur. |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Voir plus haut le bref compte rendu de la réunion qui s’est tenue le 18 juillet 2008 entre le Rapporteur spécial et des représentants de l’État partie au sujet de toutes les communications visant la Colombie. |
Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert. |
État partie |
GUYANA |
Affaires |
1) Yasseem et Thomas, 676/1996; 2) Sahadeo, 728/1996; 3) Mulai, 811/1998; 4) Persaud, 812/1998; 5) Hussain et Hussain, 862/1999; 6) Hendriks, 838/1998; 7) Smartt, 867/1999; 8) Ganga, 912/2000; 9) Chan, 913/2000 |
Constatations adoptées le |
1) 30 mars 1998; 2) 1er novembre 2002; 3) 20 juillet 2004; 4) 21 mars 2006; 5) 25 octobre 2005; 6) 28 octobre 2002; 7) 6 juillet 2004; 8) 1er novembre 2004; 9) 25 octobre 2005 |
Questions soulevées et violations constatées |
1.Condamnation à mort. Procès inéquitable, traitements inhumains ou dégradants suivis d’aveux obtenus sous la contrainte, conditions de détention − article 10, paragraphe 1; article 14, paragraphe 3 b), c) et e) en ce qui concerne les deux auteurs; article 14, paragraphe 3 b) et d) en ce qui concerne M. Yasseen. |
2.Durée de la détention avant jugement − article 9, paragraphe 3; article 14, paragraphe 3 c). |
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3.Condamnation à mort après procès inéquitable − article 6 et article 14, paragraphe 1. |
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4.Condamnation à mort, syndrome du quartier des condamnés à mort − article 6, paragraphe 1. |
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5.Condamnation à mort − caractère obligatoire − article 6, paragraphe 1. |
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6.Condamnation à mort après un procès inéquitable et mauvais traitements − article 9, paragraphe 3 et article 14, paragraphe 3 c), d) et e) et, en conséquence, article 6. |
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7.Condamnation à mort après un procès inéquitable − article 6 et article 14, paragraphe 3 d). |
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8.Procès équitable (contraint de témoigner contre soi‑même) − article 6 et article 14, paragraphes 1 et 3 g). |
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9.Condamnation à mort − article 6, paragraphe 1. |
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Réparation recommandée |
1.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, MM. Abdool S.Yasseen et Noel Thomas ont droit à un recours utile. Le Comité considère que, vu les circonstances de l’espèce, ce recours devrait consister en leur libération. |
2.Le Comité est d’avis que M. Sahadeo a droit, en vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2, à un recours utile, étant donné qu’il a passé une très longue période en détention provisoire, en violation du paragraphe 3 de l’article 9, et que le délai écoulé avant qu’il ne soit rejugé est contraire au paragraphe 3 c) de l’article 14, recours qui devrait consister en une commutation de la peine de mort et une réparation au sens du paragraphe 5 de l’article 9 du Pacte. |
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3.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à Bharatraj et Lallman Mulai un recours utile, sous la forme d’une commutation de la peine capitale. |
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4.Un recours utile, sous la forme d’une commutation de la peine capitale. |
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5.Un recours utile, sous la forme d’une commutation de peine. |
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6.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, le fils de l’auteur a droit à un recours utile, sous la forme d’une commutation de la peine de mort. |
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7.Un recours utile, sous forme de libération ou de commutation de peine. |
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8.Un recours utile, sous la forme d’une commutation de leur peine. |
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Réponse de l’État partie attendue le |
1) 3 septembre 1998; 2) 21 mars 2002; 3) 1er novembre 2004; 4) 6 novembre 2006; 5) 9 mars 2006; 6) 10 mars 2003; 7) 10 octobre 2004; 8) 10 mars 2004; 9) 9 mars 2006 |
Réponse de l’État partie |
Aucune réponse n’a été reçue pour aucune des constatations |
Mesures complémentaires prises ou requises |
Mesures prises: Pendant la quatre‑vingt‑troisième session (29 mars 2005), le Rapporteur a rencontré le Représentant permanent adjoint du Guyana auprès de l’ONU. Le Rapporteur a expliqué en quoi consistait son mandat et a remis au Représentant le texte des constatations adoptées par le Comité concernant les communications suivantes: 676/1996 Yasseem et Thomas), 728/1996 (Sahadeo), 838/1998 (Hendriks), 811/1998 (Mulai) et |
867/1999 (Smartt). Ces constatations ont en outre été envoyées à la Mission permanente du Guyana par courrier électronique afin d’en faciliter la transmission aux instances nationales. Le Rapporteur spécial s’est inquiété du fait que l’État partie n’avait pas communiqué de renseignements sur la mise en œuvre des recommandations du Comité concernant ces affaires. Le Représentant lui a donné l’assurance qu’il ferait part de ces préoccupations à son Gouvernement. |
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Le 31 mars 2008, le Rapporteur spécial chargé du suivi, M. I. Shearer, a rencontré Mme Donette Critchlow, membre de la Mission permanente du Guyana auprès de l’Organisation des Nations Unies à New York. M. Shearer a fait observer que, malgré des demandes répétées, le Comité n’avait jamais reçu d’information de l’État partie concernant le suivi des neuf affaires sur lesquelles il avait adopté des constatations. En outre, le Comité était également préoccupé par des déclarations récentes dans lesquelles le Président du Guyana aurait annoncé son intention de signer de nouveau des ordres d’exécution et d’accélérer les dates d’exécution. |
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Mme Critchlow a dit qu’elle n’était pas en mesure de répondre aux inquiétudes exprimées par M. Shearer, mais qu’elle transmettrait le message aux autorités du Guyana. Elle n’a pas démenti les déclarations susmentionnées mais elle a dit qu’il n’y avait jamais eu de moratoire officiel sur la peine de mort et que les exécutions pourraient reprendre compte tenu de l’augmentation récente des cas d’assassinat. Alors que plusieurs rappels ont été envoyés par le secrétariat pour demander des informations sur le suivi de ces communications, aucune information n’a été reçue. |
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Réponse de l’auteur |
En ce qui concerne la communication no 811/1998 (Mulai), le conseil a fait savoir au Comité par une lettre datée du 6 juin 2005 qu’aucune mesure n’avait été prise par l’État partie pour donner suite à la recommandation du Comité. |
Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert sur toutes ces affaires. |
État partie |
ISLANDE |
Affaire |
Haraldsson, 1306/2004 |
Constatations adoptées le |
24 octobre 2007 |
Questions soulevées et violations constatées |
Discrimination dans l’exploitation des quotas de pêche commerciale − article 28 |
Réparation recommandée |
Un recours utile, sous la forme d’une indemnisation appropriée et de la révision de son régime de gestion des pêcheries |
Réponse de l’État partie attendue le |
2 juin 2008 |
Date de la réponse |
11 juin 2008 |
Réponse de l’État partie |
Les constatations du Comité font l’objet d’une réponse détaillée de l’État partie qui est simplement résumée ci‑après. L’État partie donne des informations détaillées sur le développement des droits de pêche en Islande afin de mieux faire comprendre le cadre dans lequel l’État partie peut prendre des mesures à la suite des constatations du Comité (le texte peut être obtenu auprès du secrétariat sur demande). Il explique que les constatations ne lui permettent pas de savoir jusqu’où doivent aller les mesures à prendre pour qu’elles constituent un recours «utile». Il demande au Comité si des adaptations et modifications mineures apportées au système islandais de gestion des pêcheries suffiraient ou s’il faut des changements plus radicaux. En tout état de cause, l’État partie estime que la prudence est de mise et que bouleverser le système islandais de gestion des pêcheries aurait de profondes répercussions sur l’économie islandaise et, à certains égards, il semble impossible d’assouplir le système, par exemple en récupérant les quotas pour le compte de l’État, à moins que le Trésor public ne soit disposé à indemniser d’une manière ou d’une autre les personnes affectées par cette confiscation. On ne peut toutefois exclure que l’État puisse agir sur la base de la troisième phrase de l’article premier de la loi sur la gestion des pêcheries, qui stipule que l’attribution de droits de pêche n’investit pas d’un droit de propriété ni d’un pouvoir irrévocable sur les droits de pêche. En résumé, il y a de nombreuses considérations à prendre en compte avant toute décision entraînant une modification du système. Le gouvernement actuel a inscrit à son programme une décision de «mener une étude sur le bilan du système des quotas pour la gestion des pêcheries et sur l’impact du système sur le développement régional», mais il s’agit d’un plan à long terme et le système ne peut être démantelé en six mois. L’État partie estime qu’il n’est pas justifié d’indemniser les auteurs car cela pourrait déclencher une avalanche de demandes d’indemnisation visant l’État; de telles revendications seraient indéfendables en droit islandais. Pour assurer l’égalité, l’État devrait indemniser tous ceux qui se sont trouvés dans une situation similaire et cela reviendrait à reconnaître que quiconque possède ou achète un bateau détenteur d’un permis de pêche aurait droit à l’attribution de quotas de prise de pêche. Les conséquences en seraient imprévisibles pour la gestion des ressources halieutiques de l’État partie, pour la protection des stocks de poissons autour de l’Islande et pour la stabilité économique du pays. |
Réponse de l’auteur |
La réponse de l’État partie a été transmise aux auteurs le 12 juin 2008 pour commentaires à présenter dans un délai de deux mois. |
Décision du Comité |
Le Comité salue le fait que l’État partie ait engagé une étude de son système de gestion des pêcheries et espère être informé de ses résultats ainsi que de la suite donnée à ses constatations. Le Comité attend avec intérêt les commentaires des auteurs à ce sujet et considère que le dialogue reste ouvert. |
État partie |
JAMAÏQUE |
Affaire |
Simpson, 695/1996 |
Constatations adoptées le |
23 octobre 2001 |
Questions soulevées et violations constatées |
Conditions de détention inhumaines et absence de représentation en justice − article 10, paragraphe 1; et article 14, paragraphe 3 d) |
Réparation recommandée |
Un recours utile, sous la forme d’une indemnisation adéquate, l’amélioration des conditions actuelles de détention et qu’une libération rapide soit dûment prise en considération |
Réponse de l’État partie attendue le |
5 février 2002 |
Date de la réponse |
18 juin 2003 |
Réponse de l’État partie |
Le 18 juin 2003, l’État partie a fait savoir que l’auteur s’était plaint aux autorités pénitentiaires de problèmes aux testicules, aux yeux et à l’épaule. Il a été examiné et soigné par des médecins, comptant à ce jour 25 rendez‑vous médicaux, conformément aux normes internationales. Les conditions de sa détention se sont sensiblement améliorées depuis qu’il a été transféré, en septembre 2002, de la prison Sainte Catherine au centre de détention pour adultes de South Camp Road, le meilleur établissement pénitentiaire de la Jamaïque. Les tribunaux vont devoir se prononcer sur sa demande de libération conditionnelle − le greffier de la cour d’appel prend des dispositions pour que le dossier soit soumis à un juge de la cour. On attend qu’un avocat soit commis d’office. |
Commentaires de l’auteur |
Le 18 février 2002, le conseil a demandé si l’État partie avait répondu en fournissant des informations sur le suivi des constatations. Il note que la période de prison ferme de l’auteur n’a toujours pas été révisée, comme le veut la loi, depuis la commutation de sa condamnation à mort en 1998, ce qui lui ôte tout droit à la libération conditionnelle. L’État partie n’a pas pris de mesures non plus pour s’occuper des problèmes médicaux de l’auteur. |
Le 26 mars 2008, l’auteur fait savoir au Comité que ses conditions de détention ont empiré et que sa demande de libération n’a pas été examinée. |
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Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert. |
État partie |
NOUVELLE ‑ZÉLANDE |
Affaire |
E. B., 1368/2005 |
Constatations adoptées le |
16 mars 2007 |
Questions soulevées et violations constatées |
Longueur excessive de la procédure relative à la demande présentée par l’auteur au tribunal des affaires familiales pour rendre visite à ses enfants (art. 14, par. 1) |
Réparation recommandée |
Recours utile, consistant notamment en un règlement rapide de la procédure relative aux visites à l’un des enfants |
Réponse de l’État partie attendue le |
Juillet 2007 |
Date de la réponse |
26 juillet 2007 |
Réponse de l’État partie |
La police néo‑zélandaise a procédé à un examen approfondi des quatre enquêtes distinctes concernant l’auteur, compte tenu des constatations du Comité. L’État partie donne des précisions sur ces enquêtes afin d’expliquer les raisons de la longueur de la procédure. Il déclare que, à première vue, la durée totale de la procédure peut sembler longue, et qu’elle est certes regrettable, mais que ce délai n’était ni excessif ni déraisonnable lorsqu’on examine en détail les circonstances de l’espèce. Les lenteurs en question n’étaient pas non plus entièrement imputables à l’État, comme cela était noté dans l’opinion individuelle d’un membre du Comité. À ce sujet, l’État partie n’accepte pas les constatations du Comité qui conclut à une violation du paragraphe 1 de l’article 14, mais accepte l’opinion individuelle exprimée par un membre du Comité, selon laquelle «affirmer que cette affaire pouvait être traitée rapidement … ne tient pas compte de la difficulté qu’il y a à évaluer des faits délicats qui se sont produits dans l’intimité d’une famille, et le traumatisme que peut causer aux enfants la procédure même de l’enquête». |
Dans un souci de justice naturelle et d’équité, il a été demandé à plusieurs reprises au tribunal de prolonger les délais initialement prévus. Par conséquent, tout en étant regrettables, les lenteurs de la procédure n’étaient ni excessives ni déraisonnables, ni entièrement imputables à l’État. |
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En ce qui concerne le maintien par l’auteur de sa demande de visite auprès d’un des enfants, outre qu’il est inapproprié pour le pouvoir exécutif d’intervenir dans les affaires du |
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pouvoir judiciaire, le juge aux affaires familiales a fait savoir que l’affaire serait examinée au cours d’une audience de cinq jours qui se tiendrait du 20 au 24 août 2007. Le Président du tribunal des affaires familiales a donné l’assurance au Gouvernement néo‑zélandais que la première et l’unique préoccupation des juges aux affaires familiales est de juger les affaires avec diligence et dans le respect des principes de l’équité et de la justice naturelle. |
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Pour remédier au fait que les procédures durent parfois plus longtemps qu’il n’est souhaitable, le Président du tribunal des affaires familiales a lancé une initiative en novembre 2006 qui concerne le pourcentage (5 %) des affaires nécessitant la présence d’un défenseur à l’audience. Cela devrait permettre de réduire la longueur des procédures ainsi que les coûts en abrégeant la participation des familles au procès grâce à l’adoption d’une procédure moins contradictoire. |
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Réponse de l’auteur |
Le 23 octobre 2007, l’auteur a informé le Comité qu’il n’avait pas reçu le texte de l’examen des enquêtes mentionné dans la réponse de l’État partie et que, par conséquent, il y avait inégalité des armes en sa défaveur. À la suite des constatations du Comité, les autorités judiciaires ont accordé une certaine priorité à l’affaire et une audience de quatre jours a commencé le 20 août 2007. Le jugement n’a pas encore été prononcé. |
Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert et souhaiterait être informé des résultats de l’audience qui s’est tenue en août. |
État partie |
PÉROU |
Affaire |
Avellanal, 202/1986 |
Constatations adoptées le |
28 octobre 1988 |
Questions soulevées et violations constatées |
Non‑représentation de l’épouse dans une procédure judiciaire concernant des biens − article 3; article 14, paragraphe 1; article 26 |
Réparation recommandée |
Prendre des mesures effectives pour remédier aux violations |
Réponse de l’État partie attendue le |
12 juin 1991 |
Date de la réponse |
Néant |
Réponse de l’État partie |
Néant |
Commentaires de l’auteur |
Le Comité a reçu des lettres datées du 30 mars 2007, du 4 juin 2007 et du 3 août 2007 dans lesquelles l’auteur se plaint de l’incapacité du Comité de faire en sorte que ses constatations soient suivies d’effet. |
Décision du Comité |
Le Comité regrette l’absence de réponse de l’État partie et considère que le dialogue reste ouvert. |
Affaire |
K. N. L. H., 1153/2003 |
Constatations adoptées le |
24 octobre 2005 |
Questions soulevées et violations constatées |
Avortement, droit à réparation, traitement inhumain et dégradant et immixtion arbitraire dans la vie privée, protection d’un mineur − articles 2, 7, 17 et 24 |
Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile, sous forme de réparation. L’État partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. |
Réponse de l’État partie attendue le |
9 février 2006 |
Date de la réponse |
7 mars 2006 |
Réponse de l’État partie |
Le Comité se souviendra, comme il est consigné dans son rapport annuel A/61/40, que l’État partie lui a signalé que le Conseil national des droits de l’homme (Consejo Nacional de Derechos Humanos) avait publié un rapport reposant sur l’affaire K. N. L. H., dans lequel il était proposé de modifier les articles 119 et 120 du Code pénal péruvien ou d’adopter une loi spéciale régissant l’avortement thérapeutique. Le Conseil national des droits de l’homme a demandé au Ministère de la santé de lui indiquer si l’auteur avait obtenu réparation et si un recours utile lui avait été assuré. Les lettres adressées en réponse par le Ministère de la santé au Conseil national des droits de l’homme sont muettes sur ces points. |
Le Comité se souviendra également que lors des consultations avec l’État partie, le 3 mai 2006, M. José Burneo, Secrétaire exécutif du Conseil péruvien des droits de l’homme, a dit que l’absence de réponse était délibérée car l’avortement était une question extrêmement sensible dans le pays. Son bureau envisageait néanmoins d’élaborer un projet de loi autorisant l’interruption de grossesse en cas de fœtus présentant une anencéphalie. |
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Réponse de l’auteur |
Dans une lettre en date du 16 juin 2006, le Centre pour les droits en matière de procréation (qui représente l’auteur) a estimé qu’en n’offrant pas à la requérante un recours utile, notamment une indemnisation, l’État partie n’avait pas donné suite à la décision du Comité. |
Le 6 mars 2007, l’auteur a signalé au Comité que le nouveau gouvernement persistait à contester les constatations du Comité. Le 1er décembre 2006, l’auteur a rencontré des |
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représentants du Conseil national des droits de l’homme (Consejo Nacional de Derechos Humanos), qui s’exprimait aussi au nom du Ministère de la justice. À cette réunion, ces représentants ont indiqué que l’État partie était disposé à se conformer aux constatations du Comité. L’auteur a toutefois jugé insuffisantes les mesures proposées par l’État, à savoir lui verser 10 000 dollars à titre d’indemnisation et déposer un projet d’amendement législatif tendant à dépénaliser l’avortement en cas de fœtus présentant une anencéphalie. L’auteur a indiqué qu’elle ne saurait se satisfaire du fait que l’indemnité proposée n’est destinée qu’à remédier à la violation de l’article 24 du Pacte, les représentants de l’État partie ayant, à ses dires, indiqué que selon eux il n’y avait pas eu violation d’autres articles du Pacte. L’auteur souligne qu’en fait un tel amendement législatif est inutile, puisque que l’avortement thérapeutique existe déjà au Pérou mais devrait s’interpréter conformément aux normes internationales et donc s’appliquer au cas des fœtus présentant une anencéphalie. |
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L’auteur rappelle que le Tribunal constitutionnel du Pérou (Tribunal Constitucional Peruano) a estimé que les constatations du Comité constituaient des décisions judiciaires internationales définitives devant être respectées et mises en œuvre conformément à l’article 40 de la loi no23506 et de l’article 101 de la Constitution. L’auteur joint une proposition détaillée prévoyant des réparations d’un montant total de 96 000 dollars (850 dollars pour le règlement des dépenses afférentes à la naissance et aux obsèques du bébé; 10 400 dollars au titre de la réadaptation psychologique; 10 000 dollars au titre des conséquences du diagnostic et du traitement des conséquences physiques; 50 000 dollars pour dommage moral; 25 000 dollars au titre de son «projet de vie» (perte de possibilités). L’État partie devrait retirer la proposition prévoyant que les femmes qui souhaitent solliciter un avortement thérapeutique soient tenues d’obtenir une autorisation de la justice. |
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Le 7 janvier 2008, l’auteur indique qu’il n’existe ni directives techniques ni procédures concernant l’interruption volontaire de grossesse qui pourraient donner des indications aux femmes et aux médecins, au niveau national, sur la manière de mettre un terme à une grossesse pour raisons médicales. Le Ministère de la santé a rédigé une proposition, qui a été soumise au Cabinet en mai 2007, pour examen et avis. Ces directives sont actuellement au Ministère de la santé, mais, selon l’auteur, c’est faute de volonté politique |
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qu’elles attendent toujours leur approbation. L’État partie n’a pris aucune mesure pour permettre aux femmes d’avoir un avortement thérapeutique convenable. Des modifications ont été apportées au Code pénal pour permettre l’avortement thérapeutique en cas d’anencéphalie, mais pas pour d’autres raisons qui pourraient aussi nuire à la santé mentale des femmes. L’auteur n’a pas accepté la somme de 10 000 dollars qui lui a été offerte, car: 1) le Pérou n’a pas reconnu qu’il était responsable de violations des articles 2, 7 et 17 du Pacte, et 2) l’indemnité offerte n’est pas proportionnée au préjudice causé. L’État partie n’a pas encore publié les constatations du Comité. |
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Décision du Comité |
Le Comité remercie l’auteur des informations fournies, à savoir que l’État partie lui a proposé une indemnité et espère recevoir des informations détaillées de l’État partie sur sa proposition ainsi que sur les autres moyens éventuels que l’État partie compte mettre en œuvre pour donner suite à ses constatations. |
Affaire |
Carranza Alegre, Marlem, 1126/2002 |
Constatations adoptées le |
28 octobre 2005 |
Questions soulevées et violations constatées |
Détention arbitraire, torture et traitement inhumain et dégradant, juges sans visage − article 2, paragraphe 1; articles 7, 9, 10 et 14 |
Réparation recommandée |
L’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une indemnisation appropriée. Étant donné que l’auteur est en détention depuis longtemps et vu la nature des actes qui lui sont reprochés, l’État partie devrait envisager sérieusement de mettre fin à sa privation de liberté en attendant l’issue de la procédure en cours. Cette procédure doit respecter toutes les garanties requises par le Pacte. |
Date de la réponse de l’État partie |
25 mai 2006 (voir le rapport annuel 2007) et 8 août 2007 |
Réponse de l’État partie |
L’État partie rappelle que l’auteur a été libérée à la suite d’un arrêt de la Cour suprême du 17 novembre 2005 qui l’acquittait de toutes les accusations de terrorisme. Le Ministère de la justice, par l’intermédiaire du Conseil national des droits de l’homme, a demandé à l’hôpital «Casimiro Ulloa», où travaillait l’auteur en qualité de médecin avant sa détention, de la réintégrer à son poste. Cette demande a été acceptée et l’auteur fait de nouveau partie du personnel de l’hôpital depuis le 27 avril 2007. |
Réponse de l’auteur |
Néant |
Décision du Comité |
Le Comité se réjouit d’apprendre que l’auteur a été réintégrée dans son poste à l’hôpital. Il regrette toutefois qu’aucune indemnité ne lui ait été versée et considère que le dialogue reste ouvert. |
Affaire |
Quispe Roque, 1125/2002 |
Constatations adoptées le |
21 octobre 2005 |
Questions soulevées et violations constatées |
Arrestation illégale, procès inéquitable, juges sans visage, articles 9 et 14 |
Réparation recommandée |
Un recours utile et une indemnisation appropriée. Étant donné que l’auteur a passé de longues années en détention et vu la nature des faits dont il est accusé, l’État partie devrait envisager la possibilité de mettre fin à sa privation de liberté, en attendant l’issue du procès en cours. Ce procès doit être conduit dans le respect de toutes les garanties prescrites par le Pacte. |
Réponse de l’État partie attendue le |
1er février 2006 |
Date de la réponse |
25 mai 2006, 13 août 2007 |
Réponse de l’État partie |
Le 13 août 2007, l’État partie a envoyé au Comité le Rapport no 105‑2007‑JUS/CNDH‑SE‑CESAPI du Secrétaire exécutif du Conseil national des droits de l’homme, publié le 24 juillet 2007, concluant que, bien que l’État partie attende toujours l’arrêt de la Cour suprême concernant le recours formé par l’auteur, à son avis, il a été donné suite aux recommandations du Comité du fait que: i) l’auteur de la plainte a été reconnu coupable du délit de terrorisme − trouble à l’ordre public (affiliation à des organisations terroristes) et condamné à quinze ans d’emprisonnement, et ii) les années passées en prison par l’auteur avant son jugement ont été déduites de la peine de quinze ans d’emprisonnement qui a été prononcée contre lui. C’est pourquoi son emprisonnement a pris fin le 20 juin 2007. |
Réponse de l’auteur |
Néant |
Décision du Comité |
Le Comité se réjouit d’apprendre que l’auteur a été libéré de prison. Il regrette toutefois qu’aucune indemnisation ne lui ait été fournie et considère que le dialogue reste ouvert. |
Affaire |
Vargas Mas, 1058/2002 |
Constatations adoptées le |
26 octobre 2005 |
Questions soulevées et violations constatées |
Détention arbitraire, torture et traitement inhumain et dégradant en prison, procès inéquitable, juges sans visage − article 7; article 9, paragraphe 1; article 10, paragraphe 1; article 14 du Pacte |
Réparation recommandée |
L’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une indemnisation appropriée. Étant donné que l’auteur est emprisonné depuis de longues années, l’État partie devrait étudier sérieusement la possibilité de mettre fin à sa détention, dans l’attente de l’issue du procès qui est en cours. Ce procès doit être conduit dans le respect de toutes les garanties prévues dans le Pacte. |
Réponse de l’État partie attendue le |
6 février 2006 |
Date de la réponse de l’État partie |
25 mai 2006 et 13 août 2007 |
Réponse de l’État partie |
Le 13 août 2007, l’État partie a envoyé au Comité le rapport no 105‑2007‑JUS/CNDH‑SE‑CESAPI du Secrétaire exécutif du Conseil national des droits de l’homme, publié le 24 juillet 2007, concluant que, bien que l’État partie attende encore l’arrêt de la Cour Suprême sur le recours formé par l’auteur, à son avis il a été donné suite aux recommandations du Comité du fait que: i) l’auteur a été reconnu coupable du crime de terrorisme − trouble à l’ordre public (affiliation à des organisations terroristes) et condamné à vingt ans de prison; et ii) les années passées en prison par l’auteur avant sa condamnation ont été déduites de la peine de vingt ans de prison prononcée à son encontre. |
Réponse de l’auteur |
Néant |
Mesure complémentaire requise |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert. |
État partie |
PHILIPPINES |
Affaire |
Pimentel et consorts, 1320/2004 |
Constatations adoptées le |
19 mars 2007 |
Questions soulevées et violations constatées |
Longueur excessive de la procédure civile, égalité devant les tribunaux − article 14, paragraphe 1, lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 3 |
Réparation recommandée |
Un recours utile, comportant une réparation appropriée sous la forme d’un règlement rapide de l’action engagée pour demander l’exécution dans l’État partie du jugement rendu aux États‑Unis |
Réponse de l’État partie attendue le |
3 juillet 2007 |
Date de la réponse |
Néant |
Commentaires de l’auteur |
Le 1er octobre 2007, les auteurs ont informé le Comité qu’à cette date l’État partie ne leur avait pas versé d’indemnité et que l’action engagée pour obtenir l’exécution du jugement rendu aux États‑Unis était toujours en instance devant le tribunal régional de première instance de Makati après renvoi de l’affaire en mars 2005. C’est en septembre 2007 seulement que le tribunal a décidé, sur une requête en examen, que la plainte déposée contre la succession des défendeurs en 1997 avait été enregistrée dans les règles. Par conséquent, les auteurs souhaitent que le Comité demande à l’État partie d’accélérer le règlement de l’action engagée pour obtenir l’exécution du jugement et l’indemnisation. Invoquant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (concernant entre autres l’affaire Triggiani c. Italie (1991) 197 Cour eur. D.H. (série A)) et d’autres arguments, notamment le fait que l’action collective regroupe 7 504 personnes, les auteurs avancent un chiffre de 413 512 296 dollars d’indemnité. |
Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert. |
État partie |
RÉPUBLIQUE DE CORÉE |
Affaires |
Yeo-Bum Yoon et Myung-Jin Choi, 1321/2004 et 1322/2004 |
Constatations adoptées le |
3 novembre 2006 |
Questions soulevées et violations constatées |
Objection de conscience à l’incorporation au service militaire obligatoire − article 18, paragraphe 1 |
Réparation recommandée |
Réparation utile, notamment sous la forme d’une indemnisation |
Réponse de l’État partie attendue le |
16 avril 2007 |
Date de la réponse |
Mars 2007 (jour non indiqué) |
Réponse de l’État partie |
En mars 2007, l’État partie signale au Comité que le 8 janvier 2007 un aperçu des constatations a été publié dans les principaux journaux coréens et diffusé sur les principales chaînes de radio et télévision. Le texte intégral a été traduit et publié au Journal officiel du Gouvernement coréen. En avril 2006 (avant l’examen par le Comité), le Ministère de la défense nationale s’est doté d’un organe consultatif conjoint sur les politiques, le «Comité de recherche sur un système de service de remplacement», qui compte des représentants des milieux juridique, religieux, sportif et artistique, des représentants désignés par les administrations publiques concernées. Ce comité, qui a pour mandat d’examiner les questions liées à l’objection de conscience au service militaire et à un système de service de remplacement, s’est réuni à plusieurs reprises entre avril 2006 et décembre 2006. À la fin mars 2007, cette instance publiera ses conclusions, sur lesquelles l’État partie se fondera pour la suite à donner concernant cette affaire. |
Au sujet des mesures de réparation en faveur des auteurs de la communication, l’État partie informe le Comité de la mise en place d’une équipe spéciale chargée du suivi des communications individuelles. Un nouveau texte législatif devra être adopté par l’Assemblée nationale aux fins d’obtenir une annulation des jugements définitifs prononcés à l’égard des auteurs. L’adoption d’un tel texte législatif est en cours d’examen. |
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Commentaires de l’auteur |
Le 12 novembre 2007, les auteurs ont déclaré qu’ils n’avaient reçu aucun recours utile et que leur casier judiciaire restait inchangé. Ils signalent que 700 objecteurs de conscience environ sont en train de purger des peines de prison dans l’État partie, et que, même depuis l’adoption des constatations, l’État partie continue de mettre en accusation, de poursuivre et d’emprisonner ces objecteurs. Le 18 septembre 2007, le Ministère de la défense a annoncé dans un communiqué de presse qu’«il proposera d’autoriser les objecteurs de conscience à accomplir un service social au lieu du service militaire obligatoire». Toutefois, avant cela, «le Ministère envisage de tenir des auditions publiques et de procéder à des sondages d’opinion avant la réforme des lois relatives au service militaire qui interviendra d’ici à la fin de l’année prochaine. Cette réforme doit recevoir l’approbation de la législature». Par conséquent, selon les auteurs, il s’agit seulement d’un projet politique qui peut se concrétiser ou non. En outre, le Ministère de la défense a indiqué que, si une loi de ce type est adoptée, le service de remplacement aura une durée double de celle du service militaire. À leur avis, il s’agit au mieux d’une formule de remplacement à caractère punitif. |
Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert. |
État partie |
SERBIE |
Affaire |
Bodrožić, 1180/2003 |
Constatations adoptées le |
31 octobre 2005 |
Questions soulevées et violations constatées |
Liberté d’expression − article 19, paragraphe 2 |
Réparation recommandée |
Un recours utile consistant notamment en l’annulation de sa déclaration de culpabilité, le remboursement de l’amende imposée et acquittée ainsi que le remboursement des frais de justice qu’il a acquittés et une indemnisation pour la violation des droits reconnus dans le Pacte |
Réponse de l’État partie attendue le |
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Date de la réponse |
Sans objet |
Réponse de l’État partie |
Néant |
Le 22 juillet 2008, l’État partie a informé le Comité que l’auteur avait reçu une somme de 800 000 dinars (environ 10 000 euros) en vertu d’un accord d’indemnisation conclu entre l’État partie et l’auteur. |
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Commentaires de l’auteur |
Le 19 juin 2008, par l’intermédiaire du PNUD, le secrétariat a été informé que l’auteur avait signé avec le Ministère de la justice un accord en vertu duquel il recevra 800 000 dinars (environ 10 000 euros) à titre de réparation et de remboursement. |
Le 25 juillet 2008, l’auteur a informé le Comité qu’il avait accepté l’indemnité de 800 000 dinars pour la violation des droits reconnus dans le Pacte. |
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Décision du Comité |
Le Comité se réjouit qu’une indemnité ait été versée, et acceptée par l’auteur, pour la violation des droits que lui reconnaît le Pacte, et il considère la réponse de l’État partie comme satisfaisante. |
État partie |
SRI LANKA |
Affaire |
Sarma, Jegatheeswara, 950/2000 |
Constatations adoptées le |
16 juillet 2003 |
Questions soulevées et violations constatées |
Détention militaire, mauvais traitement et disparition − articles 7 et 9 |
Réparation recommandée |
L’État partie est tenu de fournir à l’auteur et à sa famille un recours utile, y compris sous forme d’une enquête approfondie et efficace sur la disparition et le sort du fils de l’auteur, sa libération immédiate s’il est encore en vie, donner des renseignements appropriés à l’issue de cette enquête et d’indemniser l’auteur et sa famille de façon appropriée pour les violations subies. L’État partie est également tenu de diligenter la procédure pénale et de faire en sorte que tous les responsables de l’enlèvement du fils de l’auteur soient promptement jugés en application de l’article 356 du Code pénal sri‑lankais et de traduire en justice toute autre personne impliquée dans cette disparition. |
Réponse de l’État partie attendue le |
4 novembre 2003 |
Date de la réponse |
2 février 2005 |
Réponse de l’État partie |
L’État partie a déclaré que les poursuites pénales engagées contre les personnes accusées d’avoir enlevé le fils de l’auteur étaient en instance devant la Haute Cour (High Court) de Trincomalee. Au nom du Gouvernement sri‑lankais, l’Attorney général a donné pour instructions à la Cour d’activer la procédure. Le Gouvernement avait l’intention de soumettre l’affaire à la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka afin qu’elle fasse des recommandations concernant le versement d’une indemnité, notamment la détermination du montant. |
Commentaires de l’auteur |
Le 11 avril 2005, le conseil a envoyé des commentaires sur la réponse de l’État partie. Il a déclaré que l’État partie n’avait pas donné suite à la décision puisque: il n’avait pas enquêté sur toutes les personnes responsables, alors même que leur identité et adresse avaient été communiquées par l’auteur à l’État partie; il n’avait pas cherché à retrouver pour les interroger des témoins potentiels dont les noms et |
adresses ont été communiqués à l’État partie et dont le témoignage pouvait donner des indications sur l’endroit où se trouvait le fils de l’auteur, et ne les avait pas cités à comparaître comme témoins de l’accusation dans le procès du caporal Sarath; il n’avait pas versé d’indemnité, en renvoyant l’examen du paiement d’une indemnité à l’achèvement du procès en question, ce qui, à la lumière de l’expérience, va probablement entraîner de nouveaux retards excessifs quand ce n’est pas le renvoi de la question de l’indemnisation à une date indéfinie. La procédure engagée contre le caporal Sarath est en instance devant la Haute Cour de Trincomalee depuis trois ans. Rien dans le dossier de cette affaire n’indique qu’une requête ait été reçue par la Haute Cour lui demandant d’accélérer la procédure, et encore moins qu’elle y ait donné suite. |
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Le 10 avril 2008, l’auteur déclare avoir été informé par la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka, le 8 octobre 2007, que celle‑ci avait envoyé ses recommandations concernant l’indemnisation à l’Attorney général de Sri Lanka. Mais, depuis lors, l’auteur n’a eu aucune nouvelle des pouvoirs publics. |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Les commentaires de l’auteur ont été transmis à l’État partie le 21 avril 2008 pour commentaires à présenter avant le 23 juin 2008. |
Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert. |
État partie |
SUÈDE |
Affaire |
Alzery, 1416/2005 |
Constatations adoptées le |
25 octobre 2006 |
Questions soulevées et violations constatées |
Manquement à l’obligation de veiller à ce que les assurances diplomatiques obtenues soient suffisantes pour éliminer le risque de mauvais traitements; usage excessif de la force contre l’auteur à l’aéroport de Bromma; manquement à l’obligation de veiller à ce que les mécanismes d’enquête de l’État partie soient en mesure d’enquêter, autant que possible, sur la responsabilité pénale de tous les agents publics en cause, nationaux et étrangers, du fait d’actes constituant une violation de l’article 7 commis sur un territoire relevant de sa juridiction; absence de toute possibilité de faire examiner de manière effective et indépendante la décision d’expulser l’auteur; manquement à l’obligation de permettre l’exercice, de bonne foi, du droit de présenter une plainte au Comité. Article 7; article 7 lu conjointement avec l’article 2; article premier du Protocole facultatif. |
Réparation recommandée |
Un recours utile, y compris une indemnisation |
Réponse de l’État partie attendue le |
6 février 2007 |
Date de la réponse |
9 juillet 2008 (l’État partie avait déjà répondu le 18 septembre 2007 et le 14 mars 2007) |
Réponse de l’État partie |
Dans sa réponse du 14 mars 2007, l’État partie a indiqué que la demande de permis de résidence en Suède présentée par l’auteur ainsi que sa demande d’indemnisation étaient en instance (voir le rapport annuel 2007). |
Le 18 septembre 2007, l’État partie a informé le Comité que, le 10 mai 2007, le Conseil des migrations a rejeté la demande de permis de résidence de M. Alzery. La cour d’appel de l’immigration a confirmé la décision du Conseil des migrations le 31 août 2007. Le Gouvernement va maintenant examiner la demande de M. Alzery sur la base des dispositions pertinentes de la loi sur les étrangers. Une décision pourrait intervenir avant la fin de l’année. |
|
En outre, la demande d’indemnisation présentée par M. Alzery au Gouvernement suédois est actuellement à l’examen par le Ministre (Chancelier) de la justice. |
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Le 9 juillet 2008, l’État partie a informé le Comité qu’un montant de 3 160 000 couronnes suédoises était accordé à l’auteur. La décision est actuellement en cours de traduction. Il a également informé le Comité qu’il attendait toujours une décision sur la demande de permis de résidence présentée par l’auteur et que cette décision serait probablement prise en août. |
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Commentaires de l’auteur |
Selon les articles parus dans la presse, l’auteur s’est vu accorder 3 millions de couronnes (environ 500 000 francs suisses) de la part du Gouvernement suédois à titre d’indemnité. |
L’État partie a été invité à confirmer cette information. |
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Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert. |
État partie |
TADJIKISTAN |
Affaire |
Boymurodov, 1042/2001 |
Constatations adoptées le |
20 octobre 2005 |
Questions soulevées et violations constatées |
Torture, aveux extorqués, détention au secret, droit à un conseil − article 7; article 9, paragraphe 3; article 14, paragraphe 3 b) et g) |
Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, le Comité considère que le fils de l’auteur a droit à un recours approprié, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate. |
Réponse de l’État partie attendue le |
1er février 2006 |
Date de la réponse |
5 décembre 2007 (l’État partie avait répondu le 14 avril 2006) |
Réponse de l’État partie |
Le 14 avril 2006, l’État partie a présenté deux lettres, l’une émanant de la Cour suprême et l’autre du Bureau du Procureur général, et informé le Comité que ces deux instances avaient examiné ses constatations à la demande de la Commission gouvernementale chargée de suivre le respect par l’État partie de ses obligations internationales en matière des droits de l’homme. |
La Cour suprême a étudié les pièces du dossier pénal et établi qu’il ne s’était produit aucune violation flagrante du droit ou de la procédure pénale pendant l’enquête préliminaire et le procès, sur la base desquels le Comité a conclu à des violations de l’article 9 et du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte. Bien que l’auteur ait déclaré, le 10 octobre 2000, ne pas avoir besoin des services d’un avocat, à compter du 9 novembre 2000, l’avocat de la défense a participé à l’enquête préliminaire et au procès. |
|
Concernant les violations alléguées de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14, la Cour suprême a conclu ce qui suit: les faits sont ceux énoncés dans la réponse de l’État partie aux constatations; le dossier contient une procuration portant le nom de l’avocate de l’auteur, qui l’a représenté pendant l’enquête et le procès, datée du 9 novembre 2000; pour ce qui est de l’allégation de torture, une procédure pénale a été ouverte par la Cour suprême le 31 juillet 2001 et adressée au Bureau du Procureur général. Cette procédure a été close le 5 novembre 2001, la Cour ayant conclu que l’auteur n’avait subi aucune forme de contrainte et que ni lui ni son avocate n’avaient déposé de plainte à cet égard, ni pendant l’enquête préliminaire ni au cours du procès. La Cour a conclu que la condamnation de l’auteur était légale et fondée et que la condamnation et la sentence étaient justes. |
|
Dans sa lettre, le Procureur général a avancé des arguments analogues à ceux de la Cour suprême. |
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Le 5 décembre 2007, l’État partie communique d’autres décisions émanant de la Cour suprême et du Procureur général, datées du 5 octobre 2007 et du 28 mai 2007, respectivement, lesquels ont examiné l’affaire une seconde fois. Après examen, ils sont parvenus aux mêmes conclusions que dans les décisions antérieures, communiquées au Comité le 29 septembre 2004. |
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Réponse de l’auteur |
L’auteur a répondu à la réponse de l’État partie et note que ce dernier affirme que la culpabilité de M. Boymurodov a été établie mais n’indique pas les mesures qui ont été prises pour corriger la violation de ses droits dans le sens indiqué dans les constatations du Comité. Selon l’auteur, pendant l’examen de l’affaire par le Comité, il a demandé à différents services des autorités nationales les mesures qu’il devait prendre pour que les responsables des mauvais traitements infligés à son fils soient punis. L’auteur et son avocate n’ont reçu que des réponses incomplètes. Bien qu’un procès pénal ait été engagé contre les fonctionnaires en question, ces derniers sont toujours employés dans les services de sécurité publique et ont reçu de nouvelles affectations. Entre‑temps, l’auteur et son avocate ont demandé la réouverture du procès pénal de M. Boymurodov. Selon l’auteur, la culpabilité de son fils a été établie sur trois chefs d’accusation et il a été condamné à vingt‑cinq ans d’emprisonnement. Après le réexamen récent de l’affaire (les dates exactes et le nom du tribunal ne sont pas fournis), Boymurodov a été reconnu coupable d’un seul chef d’accusation, mais sa peine a été confirmée et demeure vingt‑cinq ans d’emprisonnement. |
Mesures complémentaires prises ou requises |
Le Rapporteur spécial a eu une réunion avec l’État partie pendant la quatre‑vingt‑douzième session et a reçu confirmation de sa part qu’il accepterait une mission de suivi dans le pays. |
Une réunion entre le Rapporteur spécial du Comité chargé du suivi des constatations et des représentants du Tadjikistan (S. E. l’Ambassadeur et un secrétaire) a eu lieu le 3 avril 2008, à New York, pendant la quatre-vingt-douzième session. |
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Le Rapporteur spécial avait présenté un aide‑mémoire aux représentants de l’État partie. Il a noté, entre autres, l’amélioration de la communication entre l’État partie et le Comité. Il a soulevé plusieurs questions concernant le moratoire sur la peine de mort et l’intention de l’État partie d’abolir définitivement le recours à la peine capitale; la structure et les fonctions de la Commission chargée de suivre le respect par le Tadjikistan de ses obligations internationales; l’existence d’une institution qui s’occupe spécifiquement des communications individuelles présentées en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques; et la création de la fonction de médiateur. |
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Le Rapporteur spécial a en outre demandé à l’État partie les mesures prises afin de donner effet aux constatations du Comité à l’égard des membres de la famille (dont il a été conclu qu’ils étaient victimes d’une violation de l’article 7 du Pacte) des personnes qui ont été condamnées à mort et ont été exécutées et dont le lieu de sépulture n’a jamais été révélé à la famille. |
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Les représentants de l’État partie ont fourni un certain nombre d’éclaircissements, en particulier sur le fait que la peine de mort ne figurerait plus dans la loi après les réformes législatives nécessaires, sur les travaux d’une commission interministérielle (interinstitutionnelle) des droits de l’homme et sur le Département des droits constitutionnels (droits de l’homme) des Tadjiks. Les représentants de l’État partie ont noté que le Tadjikistan avait reçu récemment la visite de la Haut‑Commissaire aux droits de l’homme, du Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction et du Rapporteur spécial sur la violence contre les femmes. |
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Les représentants de l’État partie ont donné leur accord pour que le Rapporteur spécial du Comité se rende au Tadjikistan. L’objet de la visite serait de faciliter une meilleure coopération avec les responsables concernés et de contribuer à une meilleure compréhension des travaux et des procédures. Ils ont souhaité recevoir une note verbale à cet effet, afin de d’étudier les dates auxquelles la visite pourrait avoir lieu. |
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Une note verbale a été envoyée à l’État partie en mai 2008 pour demander à quelles dates la mission pourrait avoir lieu. À ce jour, aucune réponse n’a été reçue de l’État partie. |
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Décision du Comité |
Le Comité considère la réponse de l’État partie comme non satisfaisante et considère que le dialogue reste ouvert. Il rappelle à l’État partie l’invitation adressée au Rapporteur pour qu’il effectue une mission de suivi dans l’État partie et note que, malgré la note verbale envoyée à l’État partie en mai 2008 par le secrétariat, au nom du Rapporteur spécial, pour demander les dates envisageables pour la mission, aucune réponse n’a été reçue de l’État partie. |
Affaire |
Kurbanov, 1096/2002 |
Constatations adoptées le |
6 novembre 2003 |
Questions soulevées et violations constatées |
Arrestation et détention arbitraires, torture, procès inéquitable, non‑représentation ou représentation inadéquate en justice, pas de droit de recours, pas d’interprétation, conditions inhumaines, condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable − article 6, article 7; article 9, paragraphes 2 et 3; article 10; article 14, paragraphes 1 et 3 a) et g) |
Réparation recommandée |
Indemnisation et nouveau procès devant un tribunal ordinaire, avec toutes les garanties énoncées à l’article 14 ou, si cela n’était pas possible, libération |
Réponse de l’État partie attendue le |
10 février 2003 |
Date de la réponse |
5 décembre 2007 (l’État partie avait répondu le 29 septembre 2004) |
Réponse de l’État partie |
Le 29 septembre 2004, l’État partie a confirmé qu’après les constatations du Comité, et conformément à la loi du 2 juin 2004 portant suspension de la peine de mort, la condamnation à mort de l’auteur a été commuée en une peine de vingt‑cinq ans de prison. En vertu du décret no 1300 du Président de la République du Tadjikistan, datée du 9 mars 2004, l’auteur a été gracié. L’État partie a fourni le texte d’une réponse conjointe du Bureau du Procureur général et de la Cour suprême adressée au Vice‑Premier Ministre. Le Procureur général et la Cour suprême ont réexaminé l’affaire de l’auteur et établi les faits ci‑après. Il a été arrêté le 12 mai 2001 pour escroquerie, et inculpé le 14 mai 2001, puis placé en détention à partir du 15 mai 2001. À cette époque, la loi n’autorisait pas le juge à contrôler la détention et ce contrôle était fait par le Procureur. Selon les autorités, le dossier ne contenait aucun élément indiquant que l’auteur ait été soumis à la torture ou à de mauvais traitements, et ce dernier n’a formulé aucune plainte à ce sujet pendant l’enquête ou le procès. Après avoir avoué les assassinats en question, l’auteur s’est vu attribuer l’assistance d’un avocat, qui était présent lors de son inculpation pour assassinat le 30 juin 2001. Les autorités ont conclu que la condamnation pour différents crimes (y compris des assassinats) était fondée sur des preuves, que le jugement était motivé, et ne voyaient aucune raison de la contester. |
Le 5 décembre 2007, l’État partie a fourni d’autres décisions émanant de la Cour suprême et du Procureur général, datées des 5 octobre 2007 et 8 mai 2007, respectivement. Après avoir examiné ces affaires une seconde fois, ils sont parvenus aux mêmes conclusions que dans leurs décisions antérieures, qui ont été fournies au Comité le 29 septembre 2004. |
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Mesures complémentaires prises ou requises |
Dans un rapport antérieur, tout en exprimant sa satisfaction d’apprendre la commutation de la peine de l’auteur, le Comité a demandé à l’État partie de donner entièrement suite à ses constatations. |
Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert. |
Affaire |
Dovud et Sherali Nazriev, 1044/2002 |
Constatations adoptées le |
17 mars2006 |
Questions soulevées et violations constatées |
Torture, aveux extorqués, détention illégale, pas de représentation légale au stade initial de l’enquête, pas de notification de l’exécution ou du lieu de la sépulture |
− article 6; article 7; article 9, paragraphe 1; article 14, paragraphes 1, 3 b), d) et g), et violation du Protocole facultatif |
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Réparation recommandée |
Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à Mme Shukurova un recours utile, y compris une indemnisation appropriée, et de l’informer du lieu de la sépulture de son mari et du frère de son mari. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. |
Réponse de l’État partie attendue le |
2 juillet2006 |
Date de la réponse |
5 décembre 2008 (l’État partie avait répondu le 13juillet2006) |
Réponse de l’État partie |
Le 13 juillet 2006, l’État partie a présenté deux lettres, l’une émanant de la Cour suprême et l’autre du Bureau du Procureur général, et a informé le Comité que ces deux instances ont examiné ses constatations et donné leur avis, à la demande de la Commission gouvernementale chargée de suivre le respect par l’État partie de ses obligations internationales en matière de droits de l’homme. |
La Cour suprême rappelle in extenso les faits et la procédure. Elle présente les informations fournies par l’État partie avant l’examen de l’affaire, y compris le fait que les demandes de grâce présidentielle des deux intéressés ont été rejetées en mars 2002 et que la peine de mort a été exécutée le 23 juin 2002 (N. B.: L’affaire a été enregistrée en janvier 2002). Les exécutions ont donc eu lieu lorsque le jugement est devenu exécutoire et après épuisement de tous les recours internes. |
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L’examen du dossier pénal a montré que la culpabilité des Nazriev était établie par un grand nombre de preuves concordantes (une longue liste de ces éléments de preuve est fournie, par exemple des dépositions de témoins, des preuves matérielles et les conclusions de plusieurs experts qui ont été examinées et évaluées par le tribunal). Selon la Cour suprême, les allégations de l’auteur concernant le recours à la torture par les enquêteurs pour contraindre les frères à avouer sont dénuées de tout fondement et contradictoires avec le contenu du dossier et le reste des éléments de preuve. Le dossier ne contient aucune trace d’une demande ou d’une plainte concernant les avocats commis d’office, d’une demande tendant à ce que ces avocats soient remplacés, ni d’une plainte ou demande émanant des avocats des Nazriev quant à l’impossibilité de rencontrer leurs clients. |
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La Cour suprême rejette comme étant dénuées de fondement les allégations de l’auteur selon lesquelles les deux frères ont été torturés pendant l’enquête préliminaire et le tribunal n’a pas tenu compte de leurs déclarations à ce propos. Elle note que, selon le dossier, les frères ou leurs représentants ne se sont plaints d’avoir été torturés ni pendant l’enquête préliminaire, ni pendant le procès (il est noté que le procès était public et tenu en présence des accusés, de leurs représentants, des membres de leur famille et autres personnes). En outre, les frères «n’ont pas avoué ni pendant l’enquête préliminaire ni au tribunal et leurs aveux» n’ont pas été utilisés comme preuves pour établir leur culpabilité. Néanmoins, le tribunal a prié le Centre de détention du Ministère de la sécurité (où les frères étaient détenus) de fournir leurs dossiers médicaux et, selon une réponse du 18 avril 2001, il est apparu que les deux frères avaient demandé différents soins médicaux pendant leur détention, pour hypertonie, «infection virale respiratoire aiguë», grippe, caries dentaires, syndrome dépressif. Les frères ont été examinés par des médecins à plusieurs reprises et ont reçu les soins médicaux appropriés. Les examens des médecins n’ont fait apparaître aucune marque de torture ou de mauvais traitements et les intéressés ne se sont pas plaints à ce sujet au cours de l’examen médical. |
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Enfin, pour ce qui est de l’allégation de l’auteur, selon laquelle elle n’a été informée ni de la date de l’exécution ni du lieu de sépulture de son mari et du frère de celui‑ci, la Cour suprême renvoie le Comité à sa loi sur l’exécution des sanctions pénales. La Cour suprême a fait savoir à la famille que les frères avaient été exécutés lorsqu’elle a été informée de cette exécution. |
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Une décision du Procureur général adjoint datée du 14 juin 2006 est semblable à celle de la Cour suprême, et les conclusions sont identiques. |
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Le 5 décembre 2008, l’État partie a fourni d’autres décisions de la Cour suprême et du Procureur général, datées du 5 octobre 2007 et du 28 mai 2007. Après avoir examiné les affaires en question une seconde fois, ils arrivent aux mêmes conclusions que dans leurs décisions antérieures, communiquées au Comité le 13 juillet 2006. |
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Réponse de l’auteur |
La réponse de l’État partie a été adressée à l’auteur le 26 septembre 2006 pour commentaires à présenter avant le 26 novembre 2006. |
La réponse de l’État partie du 5 décembre 2008 a été adressée à l’auteur le 21 février 2008 pour commentaires à présenter avant le 21 avril 2008. |
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Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert. |
Affaire |
Frères Davlatov et Askarov, 1121/2002 |
Constatations adoptées le |
26 mars 2007 |
Questions soulevées et violations constatées |
Torture; procès inéquitable; droit à la vie; conditions de détention: en ce qui concerne MM. Davlatov − article 6, paragraphe 2; article 7 et article 14, paragraphe 3 g) lus conjointement; article 10; et article 14, paragraphe 2. En ce qui concerne MM. Karimov et Askarov − article 6, paragraphe 2; article 7 lu conjointement avec article 14, paragraphe 3 g); article 10; et article 14, paragraphes 2 et 3 b) et d) du Pacte |
Réparation recommandée |
Un recours utile, sous la forme d’une indemnisation |
Réponse de l’État partie attendue le |
3 septembre 2007 |
Date de la réponse |
5 décembre 2008 |
Réponse de l’État partie |
L’État partie déclare qu’à la suite des constatations, la Cour suprême a examiné l’affaire des auteurs. Elle a réaffirmé les faits de manière détaillée et mentionne un grand nombre de preuves sur lesquelles les tribunaux ont fondé leur jugement pour établir la culpabilité des auteurs. En ce qui concerne les allégations des auteurs énoncées dans les constatations du Comité, la Cour suprême note ce qui suit: les allégations d’innocence des présumées victimes ne sont pas démontrées et sont sans fondement; pendant l’enquête préliminaire, en présence de leurs avocats, tous les auteurs ont confirmé qu’ils n’avaient pas été contraints de passer aux aveux et qu’ils avaient fait leurs dépositions librement; trois témoins ont déclaré dans leurs dépositions, pendant l’enquête préliminaire et à l’audience, avoir vu Karimov le 11 avril 2001 près du lieu où le vice-ministre a été tué; enfin, pendant une perquisition menée le 11 avril 2001 sur les lieux du crime, un sac de sport a été trouvé. Les quatre auteurs ont confirmé que le sac en question leur avait servi pour transporter les armes utilisées pour l’assassinat. |
La Cour suprême affirme que les conclusions du Comité sont infondées et qu’elles sont réfutées par les éléments figurant dans le dossier de l’affaire. |
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Le Bureau du Procureur général a également examiné les constatations du Comité et en conteste les conclusions. Le dossier démontre notamment que tous les actes diligentés pendant l’enquête se sont déroulés en présence des avocats des auteurs et que tous les procès-verbaux ont été contresignés par les avocats. Par conséquent, la conclusion du Comité concernant la violation du droit de la défense des victimes présumées n’a pas été confirmée. Quant à |
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l’allégation de violation de la présomption d’innocence, du fait que les auteurs sont restés menottés dans une cage métallique, l’État partie déclare que les responsables ont expliqué que cette mesure était nécessaire car il s’agissait de criminels dangereux. Le refus d’enlever les menottes n’affecte en rien l’issue du procès. La conclusion du Comité selon laquelle les condamnations à mort ont été prononcées sans que soient respectés les principes de la justice est également erronée, selon le Procureur général, car elle est seulement fondée sur les allégations trompeuses de l’auteur. |
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Commentaires de l’auteur |
La réponse de l’État partie a été envoyée aux auteurs le 21 février 2008 pour commentaires à présenter avant le 21 avril 2008. |
Décision du Comité |
Le Comité considère que le dialogue reste ouvert. |
État partie |
ZAMBIE |
Affaire |
Chisanga, 1132/2002 |
Constatations adoptées le |
18 octobre 2005 |
Questions soulevées et violations constatées |
Droit à la vie, recours inopérant en appel et recours inopérant concernant la commutation de la peine − article 14, paragraphe 5, lu conjointement avec l’article 2; article 7; article 6, paragraphe 2; et article 6, paragraphe 4 lu conjointement avec l’article 2 |
Réparation recommandée |
Assurer un recours à l’auteur, la commutation de la peine capitale à laquelle il a été condamné constituant en l’espèce une mesure préalable impérative |
Réponse de l’État partie attendue le |
9 février 2006 |
Date de la réponse |
27 mai 2008 (avait répondu précédemment le 17 janvier 2006.) |
Réponse de l’État partie |
Le 17 janvier 2006, l’État partie a donné une réponse sur la suite donnée aux constatations. S’agissant de la peine prononcée contre l’auteur, l’État partie indique qu’il a communiqué au Comité le jugement de la Cour suprême daté du 5 juin 1996, lequel confirmait la condamnation à mort pour vol qualifié et condamnait en outre l’accusé à dix‑huit ans d’emprisonnement du chef de tentative de meurtre. La Zambie estime donc que, puisque le jugement mentionne deux chefs d’accusation distincts et prononce une peine distincte pour chacun d’eux, il ne peut y avoir de confusion. L’État partie cite l’article 294 de son Code pénal et affirme que la Cour suprême ne peut commuer la peine de mort si elle estime que l’infraction visée au paragraphe 2 de cet article − crime de vol qualifié avec utilisation d’une arme à feu ou avec coups et blessures − a été commise. |
L’État partie reconnaît qu’il est «possible» que le plaignant ait été transféré du couloir de la mort au quartier des détenus de longue durée. Il explique qu’il s’agit d’une «condamnation dissuasive» consistant à faire purger au condamné la peine la plus courte avant de lui imposer la peine la plus lourde lorsqu’il est condamné au titre de plusieurs chefs d’accusation. Il affirme que la «condamnation dissuasive» est une forme de peine reconnue en common law et que les tribunaux zambiens sont habilités à la prononcer. |
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L’État partie affirme que, dans son système judiciaire, le droit d’appel est non seulement garanti par la Constitution mais aussi effectivement appliqué dans les cas de trahison, de meurtre et de vol qualifié (passibles de la peine de mort), la Haute Cour accorde automatiquement et sans discrimination à l’accusé le droit d’interjeter appel devant la Cour suprême. Quant à la communication du greffier de la Cour suprême selon laquelle la peine du plaignant aurait été réduite, l’État partie dit qu’elle concernait peut‑être la peine imposée par la Cour suprême pour le chef de tentative de meurtre. |
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L’État partie soutient que l’accusé a été emmené au quartier des peines lourdes pour y purger sa peine de dix‑huit ans d’emprisonnement pour tentative de meurtre. Il ajoute que rien n’indique que l’auteur a été ramené au couloir de la mort au bout de deux ans et l’engage à prouver cette allégation. L’État partie estime que la qualification de crime d’une gravité extrême est subjective et varie d’une société à l’autre. Il fait valoir qu’en Zambie, les crimes de meurtre et de vol qualifié sont monnaie courante et que le fait de ne pas les considérer comme des crimes graves porterait atteinte aux droits fondamentaux, à la vie, à la sécurité et à la liberté de la personne. Il ajoute que l’opinion du Comité, selon laquelle le plaignant ne devrait pas être condamné à mort puisque la victime n’est pas décédée, est contraire à l’essence même des droits de l’homme. |
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L’État partie indique qu’un décret présidentiel aministie tous les prisonniers condamnés à mort. Le Président aurait déclaré publiquement qu’il ne signerait aucun ordre d’exécution durant son mandat. La Zambie affirme en outre qu’en vertu de sa Constitution, les prisonniers peuvent toujours introduire un recours en grâce. Ces requêtes sont examinées par le «Comité de l’exercice du droit de grâce», présidé par le Vice‑Président. La Zambie déclare qu’aucun condamné n’a été exécuté depuis 1995 et qu’elle applique un moratoire sur la peine de mort. |
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Le 27 mai 2008, l’État partie a fourni une autre copie de l’arrêt de la Cour suprême du 5 juin 1996 ainsi que la notification de l’issue du dernier recours, lesquels indiquent que le recours de l’auteur contre la peine de mort a été rejeté, que sa condamnation à mort a été confirmée, et que l’auteur a également été condamné à dix‑huit ans d’emprisonnement. L’État partie ne donne aucune explication quant aux raisons pour lesquelles il a envoyé ces documents une seconde fois. |
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Commentaires de l’auteur |
Néant |
Décision du Comité |
Le Comité réaffirme la décision consignée dans le rapport annuel A/61/40, selon laquelle l’État partie aurait dû inclure son argument concernant la recevabilité dans ses observations sur la communication avant que le Comité ne l’examine. Le Comité considère que la réponse de l’État partie n’est pas satisfaisante et que le dialogue reste ouvert concernant la suite à donner. |
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